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1940, batailles sur les ponts de la Loire

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1 940

B A T A I L L E S SUR LES PONTS

D E L A L O I R E

GUY BONNET

ÉDITIONS DE LA NOUVELLE RÉPUBLIQUE 232, avenue de Grammont, 37048 Tours Cedex

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AVERTISSEMENT

Afin d'éviter la confusion qui risque de se produire quand les forces de deux pays sont en présence et que leurs unités sont identifiées par des nombres qui sont semblables (il peut y avoir un 132e Régiment d'Infanterie français et un qui soit allemand) et pour éviter aussi des répétitions trop fréquentes des qualificatifs « fran- çais » et « allemand », nous avons employé, quand cela nous a semblé nécessaire, la désignation d'origine des différents échelons de la Wehrmacht, facile à comprendre sans connaître la langue allemande.

Par exemple : Infanterie Division, Kavalerie Régiment au lieu de division d'infanterie allemande, régiment de cavalerie allemand que nous utilisons aussi dans certains cas.

Panzer signifie blindé avec toute la hiérarchie des formations : Panzergruppe qui comprend deux ou trois Panzerkorps, formés de Panzerdivisionen (Panzerdivision au singulier).

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AVANT-PROPOS

La bataille de France de 1940 s'est achevée en une fulgurante dé- route. En quelques semaines sur toute l'étendue du territoire nos ar- mées se sont répandues et perdues, comme un immense fleuve sorti de son lit, qui ne suit plus que le hasard des pentes.

Jamais notre pays, en des siè- cles d'histoire, n'avait vécu pareil dé- sastre. Il a suffi de quelques jours après le déclenchement de l'offensive allemande, le 10 mai, pour que la défaite paraisse inéluctable. Les plus optimistes se rassuraient avec le sou- venir de 1914. En un mois, les trou- pes du Kaiser avaient alors exécuté le plan Schlieffen, dans un ordre par- fait, presque comme à la manœuvre. L'avant-garde allemande était à une journée de Paris quand von Kluck avait infléchi de son propre chef la trajectoire de son armée. Cette er- reur, cette désobéissance d'un géné- ral trop pressé d'arriver le premier au but avait donné l'occasion au commandement français de repren- dre l'initiative.

Et ce fut la victoire de la Marne, prélude à la victoire finale, qui se fera attendre quatre intermi- nables et terribles années.

Plus encore que lors d'une marche en avant à la poursuite d'un

adversaire qui se dérobe, le maintien en bon ordre d'une troupe qui bat en retraite est vital. La moindre erreur tactique peut être fatale et interdire l'application d'une stratégie de sau- vegarde et de riposte. Il est cepen- dant capital pour le commandement de savoir saisir le moment opportun — en quelques heures tout peut se jouer — le terrain et les moyens favo- rables à l'inversion des rôles. Il faut aussi en avoir la volonté.

Or, le repli de 1940 fut loin d'être aussi exemplaire que celui d'août 1914. Nos soldats furent-ils ce- pendant aussi défaillants que le veut la légende ?

Ils ont, en maintes occasions, tenté d'éviter la chute. Souvent, dans des combats obscurs, ils ont résisté avec un héroïsme méconnu à la pres- sion de l'ennemi avant de succomber sur les rives de la Loire alors que la France avait déjà, virtuellement, perdu la guerre.

Plus de cent mille morts

Le cinquantenaire de ces évé- nements est l'occasion d'essayer de retrouver l'atmosphère de cette épo- que, de cerner les conditions dans lesquelles se sont battus, et particuliè-

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rement en Val de Loire, ces hommes qui savaient que tout était fini. Plus de cent mille ont trouvé la mort face à l'envahisseur, deux cent cinquante mille ont été blessés, et un million et demi ont souffert en captivité pen- dant cinq ans.

A ce rythme, les combats de 1914-1918 auraient laissé trois mil- lions et demi de tués sur les champs de bataille.

Ces chiffres doivent rester dans notre mémoire. Ceux qui ont donné leur vie dans un épisode des plus cruels pour leur pays ont droit à la justice, au-delà des polémiques sur les responsabilités de l'effondrement militaire, matériel et moral qui a en- seveli nos drapeaux.

Les causes de la défaite de la France, en lever de rideau du conflit mondial que l'Allemagne a déchaîné sur le monde pour la seconde fois en moins d'un quart de siècle, sont complexes. Elles ont pris des formes multiples. Elles procèdent d'inspira- tions diverses.

Le manque de détermination, de préparation, de prévision, d'anti- cipation, quand ce n'est pas l'impéri- tie absolue aux plus hauts échelons du commandement, le défaut d'orga- nisation, voire la désorganisation

pure et simple ont joué leur rôle. On ne pourrait pas compren-

dre ce qui s'est passé à Gien, à Blois, à Tours, à Saumur, en cent points sur les rives de la Loire paisible devenues théâtre de guerre, sans jeter un coup d'œil sur le tableau de déshonneur où sont inscrits les abandons, les lâ- chetés, les veuleries, les calculs politi- ques sordides.

Entre ceux dont la rancœur à l'égard de 1936 et du Front Popu- laire n'était pas apaisée et qui dé- claraient préférer Hitler à Blum et d'autres qui rejetaient la « guerre im- périaliste », la majorité des Français s'étaient assoupis dans l'illusion ras- surante de la « der des der » et refu- saient de voir, à vingt ans à peine de la signature du traité de Versailles, les signes annonciateurs du péril. De- puis l'accession d'Hitler au pouvoir ils étaient permanents.

La France n'a pas su, malgré l'évidence, se réveiller à temps, sortir de sa torpeur léthale, secouer ses énergies. Quand elle ouvre enfin les yeux, la croix gammée flotte sur Paris et sur nos villages. Il lui a fallu som- brer, avaler jusqu'à la lie la coupe amère que lui tend le vainqueur avant de retrouver son souffle. Mais ceci est une autre histoire.

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Les occasions perdues Munich

La Tchécoslovaquie rayée de la carte

a

Le ciel de l'été 1939 n'a pas le bleu des vacances sereines. Les hom- mes des champs hâtent leur dernière moisson. Le pire est à la porte. La guerre est déjà là. Inévitable.

Les accords de Munich signés en septembre 1938 n 'ont été qu 'un répit. Les Français sont désormais convaincus que le chancelier Hitler, encouragé par les succès de sa politi- que du fait accompli, poursuivra au canon la conquête de l'espace vital qu'il revendique pour l'Allemagne, ce Lebensraum qu'il a défini dans Mein Kampf comme un droit pour son peuple et une revanche sur le passé.

Les premiers événements lourds de conséquences pour la paix de l 'Europe se sont succédé en moins d 'un an, de l'été 1935 au printemps 1936.

Adolf Hitler, au pouvoir de- puis deux ans, a sapé en quelques mois les bases sur lesquelles le traité de Versailles, en 1919, puis le traité de Locarno, en 1925, prétendaient fonder la sécurité et la paix. Il a réta- bli le service militaire obligatoire et il a — fait plus grave — remilitarisé la Rhénanie. Les intentions sont claires.

Or, la France a tergiversé sur la conduite à adopter. Elle a protesté mais ses objections n 'ont été que pla- toniques alors que la menace qui la vise est sans ambiguïté. Et si l'on re-

monte quelques années en arrière, on a vu comment de 1921 à 1933, alors qu'il n'est que le chef du parti national-socialiste, Hitler a déjà violé sans vergogne les accords signés au lendemain d'une guerre dont les tombes sont à peine refermées.

Dans un pays partiellement occupé, où les effectifs de l'armée sont limités à cent mille hommes, il a constitué, avec les S.A. (Sturmabtei- lung : section d'assaut) et les S.S. (Schutzstaffel : groupe de protection) une redoutable structure paramili- taire qui atteindra le chiffre énorme de quatre millions et demi d'indivi- dus. C'est une armée d'intimidation, de répression au service d'un dessein politique interne avant de devenir l'outil d'un expansionnisme planifié.

Dans ces formations armées sont venus s'enrôler des partisans de l'idéologie nazie, bien entendu, mais aussi toute une population à la dé- rive, submergée par le chômage, la misère, l'effondrement de la monnaie et qui ne demande qu'à croire aux promesses fabuleuses de l'homme qui aspire au pouvoir, dans le désar- roi d'une après-guerre mal gérée par les vainqueurs.

En 1933, les électeurs alle- mands confient la majorité parle- mentaire aux nazis. Hitler devient chancelier du Reich. La même année,

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à Dachau, aux portes de Munich, dans la campagne bavaroise, les dou- bles réseaux de barbelés électrifiés tracent le sinistre enclos de l'un des deux premiers camps de concentra- tion. Les miradors d'Oranienburg s'élèvent dans la plaine prussienne du Brandebourg.

Les Juifs, les communistes, les socialistes, tous les opposants au ré- gime, quelles que soient leur confes- sion, leurs tendances politiques sont parqués pêle-mêle, avec des détenus de droit commun qui deviennent leurs geôliers. C'est l'aube d'un uni- vers concentrationnaire qui durera douze ans.

L'ignore-t-on en France ? Non. Les diplomates, les journalistes, correspondants permanents à Berlin, aucun étranger présent en Allema- gne ne peut, sauf à fermer les yeux, ne pas voir, ne pas comprendre que des lendemains de larmes nous sont promis.

Après l'instauration du service militaire obligatoire, après la remili- tarisation de la Rhénanie, c'est l'Anschluss. Le Führer obtient en mars 1938 par le chantage et par la force le rattachement de l'Autriche au I I I Reich. Le bluff a encore réussi. La France et l'Angleterre sont demeurées inertes à part quelques protestations qui frisent l'indiffé- rence. La France s'estime protégée par la ligne Maginot. L'Angleterre par la mer. Ce n'est qu'une fuite en avant. Hitler poursuit sa politique d'annexion. Il ne s'en tiendra pas longtemps aux seuls pays de langue allemande.

La crise tchéque

Six mois après l'Autriche, en septembre, la crise tchèque éclate.

Pour la première fois, la

France, qui a signé en 1925 un traité d'assistance mutuelle avec la Tché- coslovaquie, va se dresser contre l'Allemagne hitlérienne. La tension monte. Le Premier ministre britanni- que, Neville Chamberlain, rencontre Hitler à Berchtesgaden le 15 septem- bre. Il force la main au gouverne- ment français en acceptant d'entrée le rattachement au Reich, non seule- ment des Sudètes, mais aussi des ter- ritoires dits mixtes où l'allemand n'est pas l'unique langue parlée. Prague, devant ce premier abandon, est contraint d'acquiescer mais à Godesberg, une semaine plus tard, Hitler rajoute à son plan des exigen- ces qui aboutissent au démantèle- ment de la nation tchécoslovaque.

C'est la rupture des négocia- tions. Le rappel des réservistes en France, la mise en état d'alerte de la Home Fleet en Grande-Bretagne semblent signifier que la coupe est pleine et que l'on n'autorisera pas de dérogations aux engagements déjà souscrits avec légèreté.

Hélas ! Devant l'ultimatum du Reich qui expire le 28 septembre, le gouvernement de Londres fléchit. Il prend en considération la proposi- tion de Mussolini d'une rencontre à quatre. Et c'est ainsi qu'à Munich, le 29 septembre, Chamberlain, le Prési- dent du Conseil français Edouard Daladier, le Führer et le Duce — on les a appelés les quatre charcutiers — procèdent à l'aménagement d'un projet italien. Hitler obtient, outre l'annexion immédiate d'une zone de trente mille kilomètres carrés — un million d'habitants — la possibilité d'organiser un referendum en de- hors de cette zone sans pour autant donner quelque garantie que ce soit à Prague quant aux nouvelles frontiè- res.

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Le bluff et la peur La dernière occasion d'arrêter

Hitler dans sa marche à l'abîme où il entraîne les nations d'Europe est per- due. Cette constatation, cruelle a pos- teriori, a été confirmée au procès de Nuremberg par un officier de haut rang de la Wehrmacht, le Feldmars- chall Fritz Erich von Manstein, dans son analyse de la situation de mars 1938 : « Si la guerre avait éclaté, a dit alors aux juges von Manstein, ni no- tre frontière occidentale, ni notre frontière polonaise n'auraient pu être vraiment défendues. Il n'y a ab- solument pas l'ombre d'un doute que, si la Tchécoslovaquie s'était dé- fendue, nous aurions été arrêtés par ses fortifications car nous n'avions pas les moyens de les percer. »

Hitler lui-même, après avoir visité les défenses tchèques et évalué objectivement la puissance militaire du pays reconnut que « l'Allemagne avait couru un réel danger et qu'il avait alors compris pourquoi ses géné- raux lui conseillaient la p rudence ».

A Munich, la peur l'a emporté sur la raison. Si une minorité de Fran- çais et d'Anglais ont pris conscience, sur le champ, du caractère précaire et infâmant des accords, une majorité d'hommes politiques, de personnalités influentes, de Français d'opinions di- verses se sont laissés convaincre ou se sont convaincus eux-mêmes que l'impé- ratif premier était d'éviter la guerre, quel que soit le prix du sactifice.

Munich fut donc d'abord bri- tannique. Français aussi, bien qu'Édouard Daladier ait fait ce qu'il pouvait pour sauver ce que était en- core négociable, sans se bercer d'il-

1. Conversation avec Carl Burckhardt haut- commissaire de la Société des Nations à Dantzig. (W.L. Shirer : « Les années du cauchemar 1934-1945 », Plon.)

lusions quant à la confiance que pou- vaient accorder les gouvernements au nouveau maître du Reich.

« A Munich on a choisi la honte et on a eu la guerre. » Ces mots sont de Winston Churchill.

Avec le printemps qui suit Munich, réapparaissent les signes avant-coureurs de nouvelles épreuves. Le 15 mars 1939, Hitler sans tenir aucun compte des dispositions de l'accord a occupé ce qui reste de la Tchécoslovaquie. Les chars allemands sont entrés à Prague, en Bohême et en Moravie. La Slovaquie habilement manipulée à travers ses oppositions ethniques a demandé son « rattache- ment » au Reich. Pas un lambeau de territoire ne subsiste sur la carte d'Europe de ce qui fut une nation démocratique, prospère et forte.

Le 7 avril, jour du vendredi saint, c'est Mussolini, l'allié et le complice fasciste, qui franchit le canal d'Otrante et envahit l'Albanie.

Dans le même temps les rela- tions germano-polonaises se tendent. Le Reich exige le port de Dantzig (Gdansk) et l'ex-territorialité des rou- tes et de la voie ferrée qui y condui- sent à travers le couloir.

Dantzig avait été érigée en ville li- bre à la fin de la première guerre mondiale afin de donner à la Pologne un accès à la mer Baltique. Le corri- dor d'accès séparait la Prusse- Orientale du reste de l'Allemagne.

Devant le refus polonais, Hitler envisage d'envahir la Pologne. En mai, il a fixé l'opération à l'au- tomne, s'il doit y avoir conflit armé. Il entend « régler » du même coup le problème des États baltes. Il a déjà arraché, par ses méthodes habituel- les, Memel à la Lituanie. Pas à pas, par reculades successives, la France est au bord du gouffre.

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J E A N M E U N I E R « LE T E M P S PRESSE »

(MARS 1939)

Jean M e u n i e r élu député socialiste d'Indre-et-Loire en 1936 aux élections législatives remportées par le Front populaire voit avec lucidité l'erreur fatale que constituent les accords de Munich.

En mars 1939, il lance dans le Réveil un appel à la raison, à la vigilance et à la fermeté, mais aussi à la paix :

Au lendemain de la grave crise internationale de septembre, commentant les accords de Munich par lesquels le danger immédiat de conflit avait été écarté, j'écrivais ici même : « Paix précaire, certes, mais il dépendra des hommes qu'elle ne soit qu'un répit avant la catastrophe ou le point de départ d'une organisation de l'Europe que les socialistes réclament depuis vingt ans. »

Six mois ont passé sans qu'aucune tentative sérieuse de règlement général n'ait été faite, sans que soit même amorcée la Conférence internationale qui devait suivre Munich. Six mois pendant lesquels l'opinion française s'est assoupie dans la quiétude, six mois pendant lesquels on se demande ce qu'a bien pu faire le ministre des Affaires étrangères.

Une nouvelle crise vient d'éclater dont la gravité n'échappe à personne. Hitler, fidèle à sa tactique, après avoir suscité des troubles en Slovaquie, impose

à ce pays sa volonté et ses hommes. La Bohême ainsi encerclée est envahie par les troupes allemandes, désarmée, dépouillée de ses richesses et de son matériel de guerre. Ceux qui sont suspects de résistance, n'ayant pu s'enfuir, sont arrêtés et connaissent après tant d'autres démocrates, les rigueurs des camps de concentration.

La petite Ruthénie est jetée à la Hongrie comme un os, et c'en est fait de la Tchécoslovaquie qui est désormais disparue de la carte du monde ! Où cela s'arrêtera-t- il ? Au moment où j'écris, Mémel est aussi tombée sous la domination nazie.

Ces événements sont, selon moi, plus graves que ceux de mars et de septembre 1938. Ils modifient considérablement les données du problème européen et rendent incertaine la réussite d'un accord général sur les questions économiques, coloniales et autres, accord qui serait cependant la condition essentielle du maintien de la Paix.

Une fois de plus, les engagements sont reniés : accords de Munich qui garantis- saient l'indépendance et l'intégrité de la Tchécoslovaquie amputée de la région des Sudètes, engagement pris par l'Allemagne de prévenir Londres et Paris de son action extérieure.

Quelle confiance accorder alors à un nouvel engagement que pourrait prendre Hitler ?

1. Engagé volontaire en 1939, prisonnier libéré pour raisons de santé, résistant, responsable régional du réseau « C.N.D. Castille » et du mouvement de Résistance « Libé-Nord », président du Comité départemental de libération d'Indre-et-Loire, à nouveau député de 1946 à 1958, trois fois ministre, président fondateur de La Nouvelle République du Centre-Ouest.

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Mais le temps presse. Ce qu'il faut obtenir c'est une action coordonnée, raison- née, des nations pacifistes. Il faut savoir exactement jusqu'où peut aller l'appui de l'Angleterre, à qui il peut être apporté, et dans quelles conditions.

Ce regroupement des « forces pacifistes » obtenu, il faut faire une politique claire. Ne pas promettre à quiconque un appui si l'on n'a pas la possibilité ni la volonté de le fournir le cas échéant.

Si l'on croit pouvoir et devoir, tous ensemble, fixer une limite aux prétentions fascistes, il faut indiquer publiquement cette limite, assez tôt pour que les responsabilités soient nettement établies, pour que les peuples sachent que leurs chefs, en dépassant cette limite, sont les fauteurs de conflits.

L'hostilité des peuples à la guerre, qui, même muette, subsiste malgré tout, est, peut-être, le dernier espoir qui nous reste de sauver la Paix.

Dans une question où est en jeu la vie de millions d'hommes, on a le devoir de ne rien négliger.

Mars 1939 : la Tchécoslovaquie est rayée de la carte d 'Europe. Le Führer a trouvé des complices en Slovaquie.

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2 La France divisée

Le pacte germano-soviétique

La Pologne envahie Paris et Londres solidaires

Où en sommes-nous, en France, pour affronter le conflit qui menace ?

Durant ces années d'expecta- tive, de patience persévérante et am- biguë de Londres et de Paris, l'Alle- magne hitlérienne a renforcé sa co- hésion et la puissance de ses armes. De Munich à Hambourg, du Rhin à l 'Oder, les foules acclament les ou- trances du national-socialisme. Elles se sont rangées sous la bannière à croix gammée pour un sacrifice à la conquête de l'impossible. Elles ont à bâtir pour mille ans, sur un socle de souffrances qu 'on leur dissimule en- core, l 'Empire nazi des privilégiés de la race aryenne que propose à l'his- toire le despote qu'elles ont fait maître du Reich.

L'opposition n'existe plus en Allemagne. Il ne passe pas un j o u r sans que ne soient annoncés des ar- restations, des condamnations à mort, des exécutions, des enferme- ments.

Quand on n 'adhère pas à l'or- dre nouveau, se taire est la première condition de survie. Bien qu'insuffi- sante.

La France connaissait alors sa crise des années 30, une crise écono- mique accompagnée de profonds re- mous politiques et sociaux. Les luttes

intérieures avaient pris, en fé- vrier 1934, un tour extrêmement vio- lent. L'émeute inspirée et conduite le 6 février par l'extrême droite avait ensanglanté la place de la Concorde. L'agitation visait à renverser la Répu- blique bien que les rivalités entre les chefs des divers mouvements aient rendu impossible l'élaboration d'un plan concerté.

La mobilisation générale a été décrétée. Dans les villes et dans les bourgs, dans les villages, l'affiche qui donne effet à la décision du gouvernement prise la veille est apposée à partir du 2 septembre au matin. Elle s'accompagne généralement du tocsin qui incite la population à se rassembler pour en prendre connaissance. Un tocsin qui ne surprend personne.

La riposte des partis de gau- che, le 12 février, se traduit par la grève générale et de longs défilés à Paris et dans trois cent cinquante vil- les de province. Ces manifestations ne sont pas le signe d'un consensus sans ombre entre les organisations politiques républicaines et antifascis- tes. Elles marquent néanmoins un pas décisif vers un rapprochement momentané des socialistes, des radi- caux et des communistes. Elle est l'étincelle qui annonce le Front po- pulaire et sa victoire électorale de 1936. Cette orientation à gauche — avec ses aspects sociaux — va peser sur notre politique extérieure et mo- difier le comportement de la droite.

Le pacifisme

Cette droite, en effet, qui plai- dait jusqu'alors l'intervention contre Hitler, qui voulait que la France se

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conduise en gendarme de l'Europe, qui réclamait l'occupation de la Ruhr pour empêcher la renaissance d'un redoutable pangermanisme, rejoint, pour des raisons singulières, le camp des pacifistes.

Elle craint qu'une guerre, par les bouleversements qu'elle entraîne- rait, ne favorisât l'avènement d'un ré- gime marxiste en France. C'est un néo-pacifisme qui a ses extrémistes avec pour ultime conclusion le défai- tisme.

Cette attitude avait eu ses par- tisans avant 1936 — la guerre d'Éthiopie l'avait révélé dès 1935 — mais la vague prend de l'ampleur après la victoire législative du Front populaire pour grossir encore tandis que la guerre d'Espagne déchire un peuple, divise l'Europe et ranime les antagonismes d'une gauche française en désaccord sur le principe de l'in- tervention au secours d'une Républi- que qui mourra sous les coups conju- gués d'Hitler et de Mussolini. Eux n'ont pas hésité à apporter ouverte- ment à Franco le soutien de leurs chars et de leurs avions.

Lors de l'Anschluss, il n'est plus question, pour cette droite fran- çaise terrifiée par l'arrivée d'un socia- liste au pouvoir, de faire la guerre à l'Allemagne. Pour Maurras la France vit sous un régime « enjuivé », « mé- téqué », « démocrassouillé ».

A ce schisme patriotique de la droite sur fond d'idéologie fasciste, raciste et antisémite, s'ajoute un paci- fisme viscéral, véritable cri de conscience d'une opinion meurtrie par l'immense massacre, par la tuerie sans précédent de la Première Guerre mondiale qui date de moins d'un quart de siècle.

Une génération, marquée dans sa chair, a trop souffert dans la

boue et le sang des tranchées pour envisager de nouveau l'inhumain. Les descendants des combattants de 14-18, à leur tour mobilisables, im- prégnés des récits d'horreur des combats vécus par leurs pères refu- sent, eux aussi, la barbarie guerrière. Une frange extrémiste de cet éventail pacifiste — des intellectuels, des anarchistes libertaires — affirment préférer la servitude à la mort. Beau- coup changeront de camp mais plus tard et feront le sacrifice de leur vie après avoir connu la servitude.

Belliciste jusqu'en 1939, parti- san de mettre militairement un terme aux projets nazis, le Parti commu- niste se prononcera à son tour contre la « guerre impérialiste » après la si- gnature du pacte germano- soviétique. Hitler a vite compris les avantages qu'il peut tirer de cette conjoncture, de cette étonnante conjonction pacifiste favorable à ses ambitions.

Pourtant, après l'invasion de l'Albanie, après la transgression par Hitler de l'accord de Munich qui a abouti au dépeçage final de la Tché- coslovaquie et maintenant face aux exigences du Führer à l'égard de la Pologne, la fermeté exprimée par Édouard Daladier est admise et comprise par les Français. Les Muni- chois reviennent nombreux sur leur erreur de 1938. L'ultra-droite de- meure quant à elle inflexible. Elle continue de vitupérer par la plume de journalistes stipendiés et d'affir- mer que « les Français n'ont aucune envie de mourir pour les Poldèves ». « Faut-il mourir pour Dantzig », in- terroge Déat dans l'Œuvre. C'est pour répondre catégoriquement non.

Moscou-Berlin : le pacte Le 23 août 1939, la signature

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du pacte germano-soviétique alour- dit encore le climat de relations inter- nationales qui sentent déjà la poudre.

Durant quatre mois, Français et Anglais ont négocié avec Moscou un projet d'accord politique auquel il manque une convention militaire qui autoriserait l'Armée Rouge à traver- ser la Pologne et la Roumanie en cas de conflit avec l'Allemagne.

Les discussions se sont éterni- sées, bloquées par les réticences des Anglais, lesquels soutiennent la posi- tion polonaise. Le gouvernement de Varsovie, méfiant quant aux suites, refuse obstinément un droit de pas- sage aux troupes soviétiques. Il craint qu'elles viennent et qu'elles ne re- partent pas. Quand le président Daladier, le 21 août, dans l'espoir d'influencer les Polonais, ordonne au général Doumenc de rapporter, coûte que coûte, un accord du Krem- lin, il est trop tard. Les mises en garde de l'ambassadeur de France à Berlin, Robert Coulondre, ont été vaines.

Depuis le 18 août, Staline est résolu à jouer la carte allemande. Sa détermination est peut-être anté- rieure à cette date mais il ne l'a pas fait connaître. Le 23 août, Ribben- trop arrive dans la capitale soviéti- que. Le ministre des Affaires étrangè- res du Reich a tous pouvoirs pour signer un pacte commercial, un pacte de non-agression et un accord secret sur le partage de la Pologne que les chancelleries ont mis au point et qui seront paraphés en moins de vingt- quatre heures.

Un voile de mystère plane tou- jours sur le mobile profond auquel a obéi Staline en menant à son terme, tambour battant, ce raprochement avec l'Allemagne nazie qu'il a, certes, esquissé quelques mois plus tôt mais

qu'il avait laissé croire possible avec d'autres partenaires, la France et l'Angleterre, adversaires d'Hitler.

Peut-être connaîtra-t-on un jour l'exacte vérité dans le dégel de la « perestroïka » qui charrie les glaces de l'ère stalinienne. Il n'est pas exclu que Staline ait sous-estimé la puis- sance du nazisme à moins qu'il ne se soit simplement décidé sur un court terme plus avantageux pour l'U.R.S.S.

L'agression

Le coup est rude pour la Polo- gne et les pays qui la soutiennent.

Libéré de l'hypothèque sovié- tique que les franco-britanniques n'ont pas réussi à faire peser sur le Reich, le Führer a la voie libre à l'Est. Moscou a rendu possible l'agression contre sa voisine. Dès le 22 août, alors que ses plénipotentiaires ont mis la dernière virgule au traité et que Ribbentrop va s'envoler pour la capitale soviétique, Hitler informe son entourage qu'il a choisi d'atta- quer le 26.

La signature, à la hâte, dictée par les circonstances, d'un traité d'as- sistance mutuelle anglo-polonais le fera abandonner cette date. Il se donne quelques jours pour convain- cre l'Angleterre, par la voie diploma- tique, de ne pas se mêler de l'affaire polonaise.

En dépit du refus de Londres d'entrer dans ce jeu, refus qui lui a été signifié à Berlin avec beaucoup de fermeté par l'ambassadeur Hender- son, Hitler est convaincu que les Bri- tanniques n'honoreront pas l'obliga- tion d'assistance qu'ils ont contractée.

Le 1 septembre à 4 h 15, il fait attaquer, en territoire allemand, l'émetteur radio de Gleiwitz par des

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condamnés de droit commun vêtus d'uniformes de l'Armée polonaise. Ils seront abattus pour faire plus « vrai ». C'est le subterfuge qu'a inventé le Chancelier du Reich pour lancer ses escadrilles de bombardiers et ses divi- sions blindées à l'assaut de la Polo- gne, rejetant l'idée d'une conférence que Mussolini, inquiet, avait, ultime tentative, fixée au 5 septembre.

Dantzig n'est qu'un prétexte. Ce que veut Hitler c'est la destruc- tion de la Pologne. Son humiliation. C'est l'annexion pure et simple comme il l'a fait pour la Tchécoslova- quie un an auparavant. C'est le vieux rêve ressuscité du Drang nach Osten des Hohenzollern, la poussée vers l'Est.

Les ordres qu'il donne à ses généraux la veille de l'attaque sont d'une extrême brutalité. Il expose pour la première fois sa véritable conception du combat : « Rien ne doit nous faire hésiter... C'est une question de vie ou de mort...» «Je donnerai un motif de propagande pour commencer la guerre. Peu im- porte qu'il soit plausible ou non. On ne demandera pas ensuite, au vain- queur s'il a dit la vérité ou pas... Quand on commence une guerre et qu'on la fait ce n'est pas le droit qui compte, c'est la victoire... »

« Soyez brutaux ! Quatre-vingt millions d'êtres doivent obtenir leur droit. Soyez durs, sans remords. Soyez d'acier contre toute trace de compassion... Quiconque a réfléchi sur l'ordre du monde sait que sa si- gnification réside dans le succès des meilleurs par la force... »

Ces notes sont extraites des carnets du général Halder alors chef d'état-major général de la Wehr- macht (1).

1. W.L. Shirer (cf. page 9).

La presse s'efforce de susciter dans le peuple un enthousiasme guerrier en peignant les Polonais sous les traits d'agresseurs. La Börsen Zeitung écrit : « Les soldats polonais se massent à la frontière allemande. Les familles allemandes s'enfuient. »

« Fièvre guerrière dans toute la Pologne », affirme le Völkische Beo- bachter. 1 500000 hommes mobilisés. Transports de troupes ininterrompus vers la frontière ! Chaos en Haute- Silésie ! »

Solidarité avec la Pologne En dépit des démarches et des

ruses déployées pour la faire céder à la séduction d'une non-intervention, la Grande Bretagne n'abandonnera pas la Pologne. La France non plus. Certes, la méthode adoptée pour la conduite de la guerre ne permettra pas d'apporter à l'alliée envahie tout le secours qu'elle est en droit d'espé- rer.

Il a fallu des mois, des années d'errements, d'aveuglement avant que Chamberlain n'ouvre enfin les yeux sous les rappels à l'ordre réité- rés d'une Chambre des Communes de plus en plus solidaire sur la néces- sité de dire enfin non aux appétits territoriaux du Reich nazi. La politi- que d' « appeasement » a rompu les amarres avec les principes idéologi- ques et économiques qui la sous- tendaient.

A Paris, Georges Bonnet — un des derniers munichois du Cabinet — a proposé, en arguant de la signa- ture du pacte germano-soviétique et du nouveau rapport de forces qu'il crée en Europe, un « assouplisse- ment » de nos engagements à l'égard de la Pologne.

Le Conseil des ministres et le Conseil supérieur de la Défense na-

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veillerait sur elles et me demanda de rassembler mes affaires personnelles pour quitter le château et n'y plus revenir. Tous me regardaient comme si j'étais l'intendant. »

Finalement après des péripéties qu'il raconte avec humour , et après avoir réussi à faire comprendre son rôle exact au château de Serrant, René Rabault obtiendra d ' un officier de la Wehrmacht l 'arrêt du transfert des précieuses caisses à l'ancien évêché (aujourd 'hui Maison des œuvres). Elles seront regroupées dans le hangar et le conservateur continuera de veiller à leur sécurité et à habiter le pavillon qui jouxte le local qui les abrite.

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Remerciements

Merci à ceux qui m'ont aidé par l'évocation de leurs souvenirs, leurs prêts de documentation ou de quelque manière que ce soit. Il ne m'est pas possible de tous les citer car ils sont nombreux. Que ceux dont les textes ou les récits n'ont pas été utili- sés acceptent mes excuses. Certains de ces documents sur les sujets les plus connus me sont souvent parve- nus en plusieurs exemplaires. J'ai pris celui qui m'a semblé le plus si- gnificatif, mais les autres ont été des témoins utiles.

Merci à La Nouvelle République bien entendu mais aussi au Courrier de l'Ouest d'Angers, à La République du Centre d'Orléans qui ont mis leurs ar- chives à ma disposition et particuliè- rement les collections de l'époque de La Dépêche du Centre, du Petit Courrier et du Républicain du Loiret.

Enfin, je dois une mention particulière au colonel de Mollans dont le travail de plus de quinze an- nées sur les archives allemandes et françaises et le livre Combats pour la Loire, paru en 1985 (C.L.D.), m'ont permis de bénéficier d'une chronolo- gie exceptionnellement précise, ainsi qu'à M. Michel Petit qui a mis à ma disposition avec générosité sa collec- tion de textes et de photos.

G.B.