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1975 L'actuel président, lon type="BWD" à l'époque secretaire au Parti à lasi, deuxième ville du pays. accueillant Nicolae C e a u s e s c u . GAMMA.)

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« CE JOUR-LÀ » 22 décembre 1989

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VICTOR LOUPAN

LA RÉVOLUTION N'A PAS EU LIEU...

ROUMANIE : l'histoire d'un coup d'État

ÉDITIONS ROBERT LAFFONT PARIS

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Sous la direction d'Alexandre Wickham

© Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 1990 ISBN 2-221-05855-0

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A Patrice de Plunkett, grâce à qui j 'ai été le témoin privilégié de la révolution roumaine, et dont le sou- tien et l'amitié ne se sont jamais démentis.

A Monica Lovinescu et Paul Goma.

Et tout particulièrement à mon père qui est roumain et qui a tant espéré en cette révolution.

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« Ça va mal avec le mal, Mais sans le mal c'est encore pire. »

Proverbe roumain.

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P R O L O G U E

« Je ne peux pas écrire ce livre avant le 20 mai 1990 », me disais-je. Car, dans mon esprit, les élections du 20 mai, les premières élections depuis l'instauration du communisme en Roumanie, devaient marquer le véritable point final de l'histoire commencée le 22 décembre 1989. Ce jour-là, « l'odieux dictateur et sa sinistre épouse » s'enfuient sans gloire. Trois jours plus tard ils seront abattus après un simulacre de procès.

Procès ignoble non seulement parce qu'il a présenté une caricature de justice, masquant un assassinat politique, mais aussi parce qu'il a donné à Ceausescu la satisfaction ultime d 'être plus digne que ses juges. Quelle insulte envers le peuple roumain martyrisé que de donner à ses tortion- naires l'occasion de finir leur vie dans la dignité. Oui, dans la dignité, tant le mensonge dans lequel se complaisaient leurs juges apparaît aujourd'hui cynique et sinistre. Le juge Popa qui a prononcé la sentence de mort s'est d'ailleurs « suicidé » depuis. De deux balles disent certains. Une ou deux, on ne le saura sans doute jamais, car l'autopsie n'aurait pas été effectuée.

La dictature de Ceausescu avait tous les défauts du

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LA RÉVOLUTION N'A PAS EU LIEU...

monde, sauf celui d 'ê t re sanglante *. Or, en théât ra l i sant le coup d 'É ta t , en le maqu i l l an t en révolution, en créant la panique , en inven tan t les mill iers de terroristes, en a r m a n t des jeunes i r responsables bien que pleins de courage et de haine pour la d ic ta ture , en man ipu lan t la t roupe formée d 'appelés mal ent ra înés et affolés, le nouveau pouvoir a reçu son b a p t ê m e dans le sang de centaines, peut-être de mill iers de vict imes innocentes qui croyaient réellement comba t t r e les « terroris tes » de la Securi tate.

Quiconque a r m e des civils non encadrés assume la pente infernale des règlements de comptes, des tirs à vue, des tirs aveugles, des chargeurs ent iers vidés dans l 'obscurité, la peu r au ventre. D 'au tan t plus que, m 'é t an t fait plusieurs fois « cont rô ler » et une fois « b r aque r » p a r ces jeunes révolut ionnaires pleins de bonne volonté et fort sympathi- ques au demeuran t , j 'ai senti à quel point un geste mala- droit , un faux m o u v e m e n t ou une tentat ive de fuite pouvait en une seconde tout faire basculer dans le drame. Transposé à l 'échelle d 'une ville de trois mill ions d 'habi tants , comme

Bucarest , cela peu t faire un cer ta in nombre de victimes et devenir une tragédie. Cela a d 'ai l leurs été le cas. Et, puisque personne n ' a j ama i s vu, arrêté, jugé ces fameux « terro- ristes » et « mercenai res arabes », il faut bien constater que les victimes, quel qu 'a i t pu être leur nombre, ont péri pa r la main de l ' a rmée qui « sauvai t le peuple » et p a r celle des civils a rmés qui, eux, « sauvaient la révolution ». Il est cependant difficile de les accabler. Car eux aussi ont été vic- t imes du machiavé l i sme des nouveaux dirigeants. Auraient- ils tiré de façon aussi inconsidérée s'ils n 'avaient pas été persuadés d 'avoir en face les forces surarmées et surentraî- nées de l ' immonde Secur i ta te ? Mensonge sur mensonge !

* Cette af f i rmat ion peut choquer , mais nous y reviendrons en détail.

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Mais, au fait, Ceausescu est-il vraiment mort? Oh, son corps est, sans doute, bel et bien au cimetière civil de Ghencea, enterré sous le nom de Dan Popa. (Tiens, tiens, le même nom que celui du juge qui l'a condamné à mort et qui repose d'ailleurs lui aussi près de là. Hasard ou cynisme macabre?) Mais là n'est pas la question. Le fait est que les élections du 20 mai, loin de mettre un point final, comme on pouvait le penser, n'ont été que points de suspension.

Ce jour-là, je me trouvais en Roumanie. C'était mon quatrième voyage depuis la chute de Ceausescu. Considéré comme ennemi du régime, je n'y ai jamais mis les pieds du vivant du dictateur. Il faut dire que, dès mon premier article, le nouveau pouvoir a, lui aussi, vu en moi un ennemi.

Dès le début janvier 1990, je fus le premier, et le seul je crois, journaliste occidental à avoir l'honneur d'une attaque en règle dans les colonnes du journal Romania Libera qui ne s'était pas encore découvert sa vocation anti-Iliescu et anti- Front du salut national. A l'époque ce journal faisait surtout de la surenchère révolutionnaire et utilisait le mensonge, l'attaque personnelle et le coup bas propres à l'ancien régime. Aujourd'hui il utilise, comme la plupart des jour- naux roumains, cette même technique, si éprouvée, contre Ion Iliescu et ses acolytes. Je n'arrive pas à m'en réjouir, bien que nous ayons maintenant un adversaire politique commun. Ceausescu n'est décidément pas mort !

Ce jour d'élections, le 20 mai 1990, je revenais donc vers 21 heures à mon hôtel, l'Intercontinental, où depuis une semaine environ toute la presse de la planète était rassem- blée. Je venais de parcourir près de 500 kilomètres en voiture. Parti à 7 heures, j'avais visité treize villages et une ville, Alecsandria, car je voulais voir comment allait voter la « Roumanie profonde », loin des caméras des télévisions

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étrangères et des observateurs patentés. J'avoue que je ne croyais plus trop au fameux « point final » tant espéré il y a quelques mois à peine. Je savais, comme tout le monde, bien avant le « scrutin », que le Front du salut national (FSN), les communistes donc, allait gagner. La violence préélectorale orchestrée par le Front, sa mainmise éhontée sur les médias et principalement la radio et la télévision, l'incapacité de l'opposition de s'organiser de la façon la plus élémentaire, tout cela indiquait que les élections du 20 mai 1990 allaient être une simple formalité, sinon une mascarade.

La veille, en compagnie de mon « informateur » Radu et de mon chauffeur Victor, nous nous étions concocté un trajet, sous forme de cercle, qui traversait trois régions : Giurgiu, Teleorman et Dîmbovita. Je savais déjà avant de partir que j'allais voir quelques irrégularités. Mais je me disais que les intéressés seraient sur le qui-vive à cause de la masse d'observateurs étrangers se trouvant dans le pays. Il n'en fut rien ! Ce que j'ai vu a dépassé mes pires craintes.

Lorsque, vers 23 heures et quelque, la « Télévision rou- maine libre » annonçait qu'Ion Iliescu approcherait les 85 %, ce fut un grand éclat de rire. Tout le film de la journée défila dans ma tête en quelques secondes. Ces urnes non scellées, ces représentants du FSN expliquant aux villa- geoises âgées comment il fallait voter : « Tu vois la rose, grand-mère ? C'est là qu'il faut appliquer le tampon ! » La rose étant le symbole du FSN. « S'ils ne font pas attention, me disais-je sur le chemin du retour, ils feront 90 %. » Et voilà qu'ils n'en sont pas loin. Quelle sera l'attitude des démocraties occidentales devant ce score qui ressemble plus à un plébiscite de dictateur qu'au résultat d'un scrutin démocratique ? « Je vais te le dire, mon vieux, me dit un confrère roumain, c'est comme quand t'es assis, à table, à

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côté de quelqu'un qui ne sent pas très bon... Tu ne peux pas le lui dire en face, parce que cela ne se fait pas. Mais enfin, tu n'en penses pas moins. Et tu n'es certainement pas enclin à engager avec lui des rapports privilégiés. Pauvre Rouma- nie... »

Pour les journalistes présents à l'Intercontinental le jour des élections, l'euphorie des « heures révolutionnaires », que nombre d'entre eux avaient vécues aux premières loges, n'est plus qu'un souvenir un peu gênant. Il en va de même pour le capital de sympathie donné massivement au peuple roumain, vaguement méprisé jusque-là.

« N'avait-on pas raison d'être méprisants ? Regardez ces élections ! Comparez-les à celles des autres pays de l'Est ! », dit, désabusé, un confrère, journaliste d'un grand hebdoma- daire parisien.

« Iliescu, c'est le pat'on! », ajoute, hilare, Georges, un photographe d'agence, en prenant l'accent africain.

Il faut dire que la famille journalistique de l'Interconti- nental avait été mise de bonne humeur par l'annonce des estimations électorales. Certains confrères essayaient de garder leur sérieux en affirmant que les résultats définitifs seraient revus à la baisse pour Iliescu; d'autres, plus cyniques au contraire, estimaient qu'ils seraient supérieurs. Mais il était de toute façon sous-entendu que ces élections ne valaient rien. Après tout, était-ce si grave ? Iliescu n'aurait-il pas gagné de toute façon? Les Roumains sont des fraudeurs et des menteurs ? Et alors ? Ils ne sont pas les seuls, hein ! Il y en a plein des comme eux, dans le tiers- monde ! « A bientôt, en Albanie, me jetait un confrère avant de disparaître dans l'ascenseur. Je me casse demain matin. Et toi ? »

Pour moi aussi, professionnellement parlant, la Rouma- nie c'est terminé. Même si je n'envisageais pas d'aller en Albanie. Je garde pourtant un sentiment d'amertume,

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comme si les choses auraient pu se passer autrement... différemment... mieux.

Je n'ai jamais vécu en Roumanie, mais je parle la langue du pays, et du sang roumain coule dans mes veines. Pour dissiper tout malentendu, j'avoue être depuis toujours anti- communiste et antitotalitaire. Je ne suis pas tout à fait détaché pour juger les dirigeants roumains d'hier et d'au- jourd'hui. Je me sentirais plus proche de la figuration, intelligente ou non, qui a payé de son sang l'illusion de se croire la star de la production. Une superproduction qui s'est avérée être un film intimiste, un thriller de cabinet, un drame du téléphone.

Souvenons-nous de ces intellectuels roumains qui nous assuraient, à la télévision, que jamais il n'y eut, en Rouma- nie, de vrais communistes. Vraiment? Les Roumains sont aujourd'hui les seuls à avoir donné une légitimité électorale à des communistes. Légitimité qu'ils n'ont jamais eue. Jamais et nulle part * !

Le spectacle continue donc. C'est comme dans ces séries télévisées américaines qui durent des années. Quand un acteur principal disparaît, un autre le remplace et le « show goes on ». Sauf que le show dont il s'agira dans ce livre n'est pas cathodique, mais bien réel. Le sang qui a coulé n'est pas fictif, les morts ne se relèveront pas, une fois la scène finie. Les livres qui ont brûlé n'étaient pas en papier mâché. Les centaines de toiles de maître parties en fumée n'étaient pas des tableaux de peintres amateurs...

Un jour viendra, n'en doutons point, où les assassins de Ceausescu, les fraudeurs du 20 mai, autrement dit les

* Depuis, les élections bulgares ont eu lieu. Leur résultat ressemble fortement à celui des roumaines. Cependant, il reste toujours une différence notable : le sang des innocents n'a pas été versé en Bulgarie.

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dirigeants actuels de la Roumanie, devront répondre de leurs actes. Espérons simplement que ceux qui les jugeront sauront leur faire un vrai procès. Pas comme celui de Ceausescu ! Il faudra tout de même que ces messieurs répondent un jour des centaines et des milliers de victimes inutiles d'une révolution théâtralisée, du « génocide cultu- rel » (le mot leur appartient d'ailleurs) que constitue l'incen- die de la Bibliothèque universitaire et du Musée national, dont ils ont cru bon d'accuser Ceausescu. Espérons aussi que le désastre économique et le marasme politique qui attendent le pays ne vont pas produire le même effet qu'en URSS. Autrement dit, espérons que les Roumains ne vont pas se mettre à regretter Ceausescu, comme nombre de Soviétiques regrettent aujourd'hui Brejnev et même Staline.

Il est clair que, dans ces conditions, le « camarade Iliescu » ou « Ilitch » (comme l'appelaient ostensiblement les manifestants de la place de l'Université) n'avait que deux solutions : devenir président ou inculpé. Il a sagement choisi la première. Propulsé en avant, bien que n'ayant pas été parmi les principaux acteurs du complot, il ferait, le cas échéant, un personnage bon à sacrifier. Lui et quelques autres. Dont le très séduisant « homme sans cou », Petre Roman, qui, dans une vie antérieure, a failli, paraît-il, devenir le gendre du bien-aimé Conducator.

Une blague amusante circulait à Bucarest avant les élections :

« Savez-vous quelle est la différence entre Petre Roman et Pinocchio ?

— Non. — Lorsqu'il ment, Pinocchio a le nez qui s'allonge, tandis

que Petre Roman a le cou qui raccourcit. » Humour roumain... Comme du temps de Ceausescu, l 'humour reste le princi-

pal espace de liberté des Roumains.

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Une autre histoire met en scène la « main de Moscou » dans le renversement de Ceausescu.

« Après leur dernière rencontre avec Gorbatchev, Elena et Nicolae Ceausescu restent en tête à tête.

— Tu sais, camarade chérie, lui dit-il, je crois que Gorbatchev est vraiment très mal en point...

— Pourquoi dis-tu cela, camarade chéri ? — En nous embrassant pour nous dire au revoir, il m'a

dit à voix basse : Adieu, Nicolae, on ne se reverra plus... » Les Roumains rient, comme si rien n'était très grave,

comme si tout allait passer. Je me suis permis, dans cette première partie, quelques

idées et expressions par trop personnelles et polémiques, sans doute. Violentes peut-être. C'est que mes sentiments à l'égard de la « révolution roumaine » ne sont pas neutres. Leur place est donc d'autant plus dans le prologue qu'ils ne peuvent être au centre d'un livre comme celui-ci. Or, il fallait que mon lecteur les connaisse. Que vous les connais- siez. C'est une question d'honnêteté.

Ce livre raconte une histoire. Et cette histoire s'écrit avec un grand « H ». Histoire récente. Histoire immédiate.

Comment absorber, comment digérer, comment rendre un des événements les plus spectaculaires, les plus médiati- ques et en même temps les plus obscurs de cette fin de siècle? Un événement vu en direct à la télévision, de surcroît !

Je ne sais s'il en est toujours ainsi, mais, le cas échéant, les millions de spectateurs qui, comme moi, ont suivi passionnément la « révolution roumaine » en direct sont justement ceux qui l'ont, forcément, le moins comprise. Le conditionnement politico-médiatique, dont nous sommes

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tous les victimes, est certes l'une des grandes maladies de notre siècle. Mais pourquoi cette intox roumaine a-t-elle décidément un goût trop amer? Est-ce à cause du « direct » ? Est-ce à cause du fait que la gent journalistique, la mienne, s'en croyait vaccinée ?

Voilà un événement qui a passionné des millions de personnes en France et dans le monde entier, et qui s'avère n'être qu'un montage cynique et sanglant. Pourtant une dictature est tombée, un tyran a été abattu, des centaines et peut-être des milliers d'innocents sont morts. Alors, est-on condamné à ne jamais connaître la vérité ? Et, sinon toute la vérité, du moins ce qu'il s'est réellement passé ? Qu'est- ce qu'un an aux yeux de l'Histoire? Peut-on écrire l'His- toire moins d'un an après? Je crois que oui. Du moins peut-on essayer, en ayant pour seuls critères les faits et la sincérité.

Je vous propose de me suivre, à petits pas, dans le labyrinthe de cette « révolution » médiatisée, de ce coup d'Etat qui l'a été nettement moins. Au gré des chapitres, je vous invite à suivre le suspense, à reconstituer pièce par pièce le puzzle d'un événement passionnant. Certes, préten- dre qu'à la fin du livre il ne manquera pas une pièce ou l 'autre serait un leurre. Espérons, néanmoins, que le tableau sera un peu moins embrumé. Comment prétendre, en effet, « résoudre le mystère » quand, deux siècles après, la Révolution française provoque encore controverses et débats sur les faits ? Quant aux coups d'Etat bolcheviste ou khomeyniste, par exemple, les certitudes manquent encore. Révolutions et coups d'Etat ont au moins deux points en commun : le mystère et le sang.

Les premières informations sur les troubles en Roumanie ont commencé à tomber sur nos téléscripteurs avec quel- ques jours de retard. Pendant que le Génie des Carpates fleurissait la tombe d'un autre génie, celui de l'Islam,

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l'ayatollah Khomeyni. Comme par hasard, le tyran n 'était justement pas au pays.

Cet « inconscient », ce « mégalomane » était parti en visite officielle en Iran alors que la révolte grondait déjà à Timisoara. Incroyable ! C'est du moins ce que nous disions tous. Curieux, n'est-ce pas, comme cet homme, après avoir dirigé son pays avec habileté et d'une main de fer pendant un quart de siècle, allait aligner les gaffes les unes après les autres. En l'espace de quelques jours.

D'abord il part en voyage officiel en Iran (du 18 au 20 décembre 1989), voyage qu'on pouvait facilement repor- ter. Ensuite, dès son retour, et alors qu'il sait ce qui s'est passé à Timisoara, Ceausescu organise, le 21 décembre, un grand meeting populaire qui, événement incroyable, tourne à la déroute. Un spectacle qui, curieusement, est retransmis en direct à la télévision, ce qui est d'autant plus extraordi- naire qu'avant Gorbatchev les dirigeants communistes ne parlaient pour ainsi dire jamais en direct, pour des raisons d'imprévisibilité justement. Or, Ceausescu n'était pas un grand gorbatchévien ! Le lendemain, le dictateur honni prend peur — apparemment —, s'enfuit et, comme le scénario est décidément parfait, le peuple s'empare du palais.

Voilà la version officielle, celle à laquelle nous avons longtemps cru.

« Ce jour-là », pourtant, il s'est passé de bien étranges événements. Tout a commencé six jours auparavant...

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est près de trois fois supérieur au salaire moyen dans le pays ! Il les a donc achetés.

Un autre point demeure troublant : pourquoi appeler justement ceux de la vallée du Jiu qui est, tout de même, à plusieurs heures de route de Bucarest ? Il y aurait une explication.

En 1977 (du 1 au 3 août), ce bassin minier a été le théâtre d'un mouvement social insurrectionnel, bien qu'é- conomique, sans précédent en Roumanie. Un ministre d'abord, et puis Ceausescu lui-même ont été pris en otage ! Chose incroyable, le Conducator a cette fois-là préféré la « méthode douce ». Il a satisfait la plupart des revendica- tions des mineurs. Seulement... quelques mois plus tard, le pouvoir commença un mouvement progressif de licencie- ments et de mutations, en remplaçant les « mutés » par des membres inférieurs de la police et de la Securitate, trop contents de gagner plus. Près de la moitié des trente-cinq mille mineurs ont été transférés avec leurs familles. C'est

ainsi qu'une sorte de noyau dur fidèle au régime a été créé, noyau qui encadrait désormais les mineurs. Voilà pourquoi Ion Iliescu a satisfait leurs revendications plus que celles des autres. Et voilà pourquoi c'est justement à eux qu'il s'est adressé pour accomplir la sinistre besogne.

Il est difficile de trouver les mots justes pour décrire la répression sauvage des « gueules noires ». Nous tous, les envoyés spéciaux, indifféremment de nos opinions et de la ligne politique de nos journaux, nous étions bouleversés, révoltés et... terrorisés aussi pour certains. Je revois encore cette équipe de la chaîne américaine « ABC » se faire encercler et passer à tabac, ou cette jeune photographe française au coude hypergonflé et aux appareils brisés pour avoir osé faire son métier.

Plus de 600 blessés ont été enregistrés par les hôpitaux, dont 113 dans un état grave — membres sectionnés à la

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hache, coups de couteau, fractures, commotions cérébrales, contusions diverses. Chose extravagante : la petite inter- vention des nouveaux sbires de l'Etat a fait, à Bucarest, deux fois plus de blessés que la « révolution » de décembre. Or, selon « Médecins du monde », 50 % seulement d'entre eux se présentent spontanément à l'hôpital des urgences. Quant aux morts (6 officiellement), leur nombre pourrait bien être plus élevé. Rappelons que, dans la nuit du 13 au 14 juin, l 'armée a tiré devant les endroits suivants: la Maison des officiers, le ministère de l'Intérieur, la Maison de mode Vénus et l'église Enei. Et cela avant l'arrivée des mineurs, vers 5 heures du matin le 14 juin.

De toute évidence, l'intention d'Iliescu n'était pas seule- ment de « nettoyer » la place de l'Université. Il voulait aussi terroriser l'opposition quelle qu'elle soit. C'est ainsi que les sièges du Parti libéral et du Parti paysan ont été dévastés et leurs employés sauvagement agressés ; il en va de même pour nombre de journaux indépendants qui se trouvent aujourd'hui totalement démunis, sans machines à écrire, sans bureaux, sans archives, etc. D'autre part, les impri- meurs ont tellement peur du retour des mineurs qu'ils n'acceptent de reprendre l'impression de ces journaux (y compris Romania Libera qui, lui, a été épargné) que sous la protection de la police et de l'armée.

Les mineurs étaient encadrés, sans aucun doute, par la police et la Securitate. Sinon comment auraient-ils su les adresses des gens? Des centaines d'appartements d'oppo- sants ont été saccagés.

Cette violente bastonnade avait aussi des relents racistes, car les Tziganes étaient systématiquement passés à tabac. Petre Roman, le Premier ministre, avait d'ailleurs indiqué la sinistre direction en déclarant, à la télévision, que la place de l'Université était occupée par des individus « fâchés avec la loi, des drogués, des prostituées et des

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Tziganes ». Il mettait ainsi un groupe ethnique dans le sac des « éléments » considérés, par lui, comme « déclassés ». Entre deux cents et trois cents « habitations tziganes », dans plusieurs quartiers de Bucarest, ont été dévastées, et hommes, femmes, vieillards, enfants sauvagement battus. C'en était au point où les leaders du parti et du syndicat tziganes ont dû lancer, à la télévision, un appel au calme en direction de leur communauté. Cette violence était-elle un débordement de nos justiciers zélés, ou bien faisait-elle partie du programme prévu ?

On serait tenté de croire que rien, dans cette affaire, n'a été un débordement : ni les saccages des partis, des jour- naux et des appartements privés, ni la bestialité des matraquages, ni la chasse à l' « intellectuel ». Rien !

La télévision roumaine, qui montre complaisamment, plusieurs jours après, l'attaque de son siège par les « mani- festants » du 13 juin, n'a pas une seule fois montré les horreurs perpétrées par les mineurs. Ainsi, les habitants des autres villes, ou même les Bucarestois qui n'auraient pas mis les pieds dans le centre, ne pouvaient en avoir la moindre idée.

De plus, il reste incroyable que les manifestants de la place de l'Université aient pu se livrer à l'attaque et à l'incendie de bâtiments publics. Tous les témoignages concordent, les assaillants étaient en petit nombre, et si les bâtiments ont été saccagés, c'est qu'on a voulu laisser faire. Pourquoi ? Pour justement réprimer brutale- ment ?

Le directeur de la télévision, Razvan Teodorescu, déclare avoir reconnu, au premier rang des assaillants, des « ex »- officiers de la Securitate affectés à la télévision ! Pour dire que les sbires de l'ancien régime sont derrière les opposants à Iliescu. Facile ! Mais le pauvre homme ne s'est visible- ment pas rendu compte de ce que sa déclaration implique...

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Les incendiaires du 13 juin étaient donc encadrés et manipulés par la Securitate !

A quoi joue donc Ion Iliescu ? Difficile à dire avec précision. Une chose est certaine cependant, ce jeu est de plus en plus brutal. Sinon, il fallait être totalement incons- cient pour remercier ces brutes criminelles devant les caméras de télévision, après les horreurs qu'elles avaient semées dans la capitale !

Rassemblés dans une énorme salle ovale, la lanterne de leur casque allumée, les « gueules noires » aux mains blanches buvaient littéralement les éloges et les flatteries de leur « patron ». Dans la rue, ils le disaient d'ailleurs ouvertement à qui voulait l'entendre : « Notre patron, c'est m'sieur Iliescu. S'il nous le redemandrait, nous, on revien- drait ! »

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Épilogue

MÉMOIRES D'UN ENVOYÉ SPÉCIAL

Pour des raisons de cuisine intérieure du journal, je n'ai pas pu me rendre à Bucarest, comme la plupart des confrères qui ont couvert l'événement, entre le 22 et le 25 décembre. Je n'arrivai que le 26, avec la très nette et désagréable sensation d'être arrivé « trop tard ». Ce senti- ment recouvre en fait une réalité tangible. Au gré des événements, les journalistes se retrouvent, presque toujours les mêmes, dans les mêmes pays, dans les mêmes hôtels, aux mêmes tables de restaurant. Sans tenir compte des clivages politiques qui séparent souvent nos journaux, nous nous échangeons « nos infos », « nos tuyaux ». Les combats, les morts, le sang, la panique, tous ces ingrédients qui font les « bons reportages », ces ingrédients qui donnent au l e c t e u r l a s e n s a t i o n d ' a v o i r é t é « a u c œ u r d e l ' é v é n e m e n t » ,

je les avais manqués, ou presque. De plus, j'arrivais de Paris gavé d'images de télévision, la tête pleine d' « infos » horribles et de chiffres terrifiants. Mais j'arrivais aussi sceptique. Non que je fusse dans le secret des dieux. Mais je savais, par exemple, que durant les quatre années de guerre (1941-1945) en première ligne — d'abord contre les Sovié- tiques, puis, à partir de 1944, contre les Allemands —

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l'armée roumaine avait perdu quelque 250000 hommes. Il me semblait donc peu probable qu'en quelques jours « les troupes de la Securitate » aient pu en massacrer plus de soixante mille. De plus, le chiffre de quatre-vingt mille agents de la Securitate « surarmés et surentraînés », mais néanmoins invisibles francs-tireurs, m'a semblé invraisem- blable. J'ai « couvert » la guerre d'Afghanistan et je sais donc les dégâts que peut causer un corps expéditionnaire de cent vingt-cinq mille hommes, avec en face une guérilla armée et déterminée. Or, le nombre de « securisti » que l'on nous avançait, et que nous reprenions complaisamment, faisait quasiment les deux tiers des troupes soviétiques en Afghanistan ! D'autre part, les cadavres horribles de Timi- soara m'ont semblé autopsiés et non pas « ouverts à la baïonnette ». Etc.

La plupar t des journalistes reconnaissent d'ailleurs ouvertement s'être laissé emballer. Serais-je arrivé le 21 ou le 22 décembre, j 'aurais probablement été victime de ce climat. Pourquoi ? A cause du bruit ambiant, de l'émotion, des cris, des pleurs, du sang. A cause de la mort des confrères. Autrement dit, à cause du manque de recul. Au lieu de faire du « grand reportage », au lieu de « rapporter » les choses vues, j'ai ainsi été contraint d'approfondir mon enquête. Mais comment faire dans un pays apparemment au bord de la guerre civile et à un moment où tout un chacun ment ? Certains sciemment, d'autres en toute bonne foi. (Il suffit, pour s'en rendre compte, de lire les articles des Roumains qui sont aujourd'hui les plus illustres et intellec- tuels opposants. Articles publiés dans les premières semaines de l' « après-Ceausescu », s'entend. Ils sont accablants.) Quoi qu'il en soit, c'est donc le fruit de cette première enquête, effectuée entre le 26 et le 31 décembre 1989, qui a provoqué les foudres du nouveau pouvoir et une attaque en règle dans sa presse. La première contre un

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journaliste étranger *. Pour cette raison, certains Roumains considèrent aujourd'hui cette polémique comme « histori- que ». Non pas que l'article ait été extraordinaire. Non. Il a eu simplement le mérite d'avoir été le premier à introduire un grain de sable dans la machine bien huilée de l'euphorie révolutionnaire. Il a modestement ouvert la brèche du doute et de la remise en question **.

La réponse des Roumains (parue dans Romania Libera, le 13 janvier 1990) est importante pour montrer dans quel état d'esprit étaient alors ceux-là même qui s'opposent à Iliescu aujourd'hui. La confusion n'était pas moins grande à Bucarest qu'à Paris. Le titre de l'article est déjà tout un programme en soi — « La révolution roumaine n'a rien à cacher. » A supposer même que la chute de Ceausescu ait été causée par une révolution, ce serait bien la première de l'Histoire à n'avoir rien à cacher. De plus, une révolution est toujours en partie un coup d'Etat. Il faut, certes, que la situation sociale soit grave, mais il ne faut pas oublier le travail de longue haleine qui est celui des hommes qui complotent dans la clandestinité, qui préparent le soulève- ment. Une jacquerie, une révolte, une insurrection peuvent être spontanées, mais une révolution, jamais. Si le nouveau pouvoir et ses journalistes voulaient, à tout prix, accréditer la thèse de la spontanéité absolue, ils auraient dû employer un autre terme que celui de révolution. Quoi qu'il en soit, voici la réponse du nouveau régime :

« [...] Les jeunes Roumains ont lutté, armés non pas tant de fusils que de haine pour la dictature, et de soif de liberté

* Depuis, j'ai eu droit à deux autres attaques. Dont celle de AZI (la tribune du pouvoir) du 4 juillet 1990 qui me rend même personnelle- ment responsable de la mauvaise image de la « Roumanie » et de la nouvelle attitude hostile de l'Occident.

** Voir annexe.

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— ils s o n t m o r t s s a n s h é s i t a t i o n p o u r la c a u s e de la

r é v o l u t i o n . [...] L ' u n d e s e n v o y é s s p é c i a u x d u F iga ro M a g a - z ine à B u c a r e s t , M. V i c t o r L o u p a n , es t r e c o m m a n d é c h a l e u -

r e u s e m e n t a u x l e c t e u r s c o m m e q u e l q u ' u n q u i " c o n n a î t la

l a n g u e e t les p r o b l è m e s r o u m a i n s c o m m e p e u de j o u r n a -

l i s t e s o c c i d e n t a u x e t o n n o u s e x p l i q u e p o u r q u o i : " Il est

o r i g i n a i r e d e M o l d a v i e s o v i é t i q u e . " [...]

« M. L o u p a n c o m m e n c e p a r se d e m a n d e r : " Qu i a v o u l u

la r é v o l u t i o n r o u m a i n e ? " L a r é p o n s e lu i a é té d o n n é e p a r

les R o u m a i n s : D ieu . Il c o n t i n u e c e p e n d a n t à ê t r e p e r p l e x e e t d e m a n d e : " D i e u o u G o r b a t c h e v ? "

« E t M. L o u p a n t i e n t à c l a r i f i e r le d i l e m m e q u ' i l v i e n t lui- m ê m e d ' i n v e n t e r . Il se h a s a r d e d o n c d a n s t o u t e s s o r t e s de

c o u l i s s e s ( rée l l es o u i m a g i n a i r e s ) de not re r é v o l u t i o n . " T o u t

le m o n d e se p o s e la m ê m e q u e s t i o n : la m a i n de M o s c o u a- t -e l le v r a i m e n t t i r é les f icel les de la r é v o l u t i o n r o u m a i n e ? "

T o u t h o m m e de b o n n e foi ne se p o s e r a i t p l u s u n e te l le

q u e s t i o n . P o u r q u o i d o n c M. L o u p a n se la pose- t - i l ? [...]

P a r c e q u e q u e l q u e c h o s e lu i a s e m b l é " p a s c l a i r " d a n s u n e

s é q u e n c e d ' u n p e t i t f i l m p r é s e n t é p a r FR 3, m a i s a u s s i à la t é l é v i s i o n r o u m a i n e . L a c l a r i f i c a t i o n en ce sens a l l a i t se

p r o d u i r e s u r - l e - c h a m p , g r â c e a u P r e m i e r m i n i s t r e r o u m a i n

e t , p l u s t a r d , a u g é n é r a l M i l i t a r u a i n s i q u ' à d ' a u t r e s

r e p r é s e n t a n t s de n o t r e n o u v e a u p o u v o i r . L ' a c t u e l F r o n t du

s a l u t n a t i o n a l e s t n é d a n s les p r e m i è r e s h e u r e s a p r è s la

c h u t e de la t y r a n n i e e t à ce m o m e n t - l à s e u l e m e n t . E t si on a

v r a i m e n t p a r l é d ' u n f r o n t d u m ê m e n o m , il y a six mois , ce

n ' e s t r i e n d ' a u t r e q u e p u r e c o ï n c i d e n c e . N o u s n ' a l l o n s p lu s

d é v e l o p p e r ici t o u s les a r g u m e n t s q u i o n t é té fou rn i s à ceux

q u i d o u t e n t , c a r n o u s c o n s i d é r o n s q u e la q u e s t i o n es t d é f i n i t i v e m e n t c la r i f i ée . »

Q u e p e n s e r de la t e n t a t i v e de d i s c r é d i t e r le t r ava i l d ' u n

c o n f r è r e en a f f i r m a n t q u e seu l u n c o u r t e x t r a i t t é lév isé est à

l ' o r i g i n e de ses dou te s ? E t q u e , de t o u t e façon , il es t

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malhonnête de ma part de poser certaines questions ? Pas grand-chose en réalité. Ceux d'entre nous qui ont eu des déboires avec la presse communiste connaissent bien cette technique. Il faut ajouter que l'auteur de l'article (responsa- ble de la rubrique « étranger ») a été pendant vingt ans correspondant à l'étranger de ce même journal. Or, sous Ceausescu, il fallait être par t icul ièrement digne de confiance pour avoir un poste aussi envié que celui-là. Certes, ce responsable n'avait pas forcément des liens avec la Securitate ; mais le problème est beaucoup plus vaste. Il se trouve que ceux qui ont fidèlement servi « l'odieux dictateur » servent aujourd'hui son successeur. Cette situa- tion n'échappe pas aux jeunes Roumains, et c'est elle plus que toute autre qui provoque leur colère, avec l'engrenage de la violence dont nous avons été témoins.

« [...] M. Loupan parle encore d'un véritable show guer- rier organisé par l'armée à Bucarest et dans les villes de province, d'une " curieuse âpreté des combats sans adver- saire visible etc. Mais nos héros, honorable Monsieur, ont si bien joué leur rôle que, pour la plupart, ils sont devenus héros post mortem. " Tout a été fait — continue impertur- bablement M. Loupan — pour gonfler et théâtraliser une intervention, certes salvatrice. " Une intervention de Mos- cou, n'est-ce pas, M. Loupan ? Vous souvenez-vous encore des précisions de Bucarest et de Moscou, faites dans les moments les plus difficiles de la révolution, comme quoi il n'était question ni d'une intervention ni même d'une aide militaire de l'URSS à la cause du peuple roumain ? Que remarque encore M. Loupan lors de la révolution rou- maine ? Par exemple, les atrocités commises à Timisoara qui ont dépassé, par leur monstruosité et leur tragédie, celles d'Auschwitz, n'auraient été qu'une " macabre mise en scène "... »

Inutile d'insister sur le côté délirant de cette dernière

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affirmation. Elle a cependant l'avantage de montrer, avec éclat, l'ignorance et l'irresponsabilité de ceux qui défen- daient, avec ses curieuses méthodes, la cause de la « révolu- tion roumaine ».

Quant aux déclarations de Bucarest et de Moscou, l'au- teur fait allusion à un autre moment extravagant de cette histoire. Celui où les Américains affirmaient qu'ils ne condamneraient pas une intervention militaire soviétique en Roumanie ! Cela est d'autant plus drôle (on peut aisé- ment imaginer la jubilation du Kremlin) que les Soviéti- ques ont refusé avec superbe... au nom de la non-ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat souverain! Cette comédie serait drôle si elle ne cachait pas le succès total de la manipulation des opinions publiques internationales et de nos hommes politiques. D'autre part, elle prouve qu'Iliescu et les autres membres « décideurs » du Front du salut national n'ont visiblement jamais douté de la réussite de leur entreprise.

Pour ce qui est des jeunes gens « devenus héros post mortem », je ne me suis, bien sûr, jamais moqué de leur mémoire, mais je continue à me poser aujourd'hui, comme hier, la question suivante : qui a tiré après le 22 décembre, et sur ordre de qui ? Je conçois qu'elle soit désagréable, voire insupportable, pour le nouveau régime. Car elle implique que, le cas échéant, les « héros post mortem » sont tombés pour rien. Quant à moi, je ne suis effectivement pas loin de le croire.

« [...] Comment pouvez-vous, M. Loupan, regarder avec de tels yeux la réalité dramatique de cette révolution sans précédent ? A qui servent vos assertions ? A qui, M. Lou- pan ?

« Vous écrivez à la fin du reportage : " Qu'il est effrayant le soupçon de manipulation qui commence à ternir la révolte des Roumains. " La révolte des Roumains — il

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faudrait que vous sachiez aussi ce que sait déjà le monde entier — a été une révolution. Qui sont ceux qui essaient de la manipuler et de la salir, il faudrait vraiment que vous y réfléchissiez... »

Vous l'aurez compris, c'est moi et ceux qui ont osé regarder le dessous des cartes qui manipulons et salissons. Nos doutes ne peuvent servir que la « clique de Ceausescu » et les « forces de la réaction contre-révolutionnaire »

quelles qu'elles soient. Cet article aux accents et au pathos staliniens, qui

mélange les citations tronquées, l'affabulation et l'attaque personnelle, n'aurait pas grande importance, s'il n'était à l'origine, en Roumanie, d'une polémique qui n'a fait que croître depuis.

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E n guise de conclusion

LA RÉVOLUTION EN TROMPE-L'ŒIL

L'année 1989 fut, à l'évidence, une année extraordinaire. Une année de changements spectaculaires en effet, inimagi- nables il y a quelques années à peine, dus à un homme providentiel, à « l'homme de la décennie » (selon le journal américain Time), à Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev !

« L'année des libertés » arrivait à sa fin, et il restait encore quelques points noirs : la Bulgarie qui n'avait jamais soulevé de passions et, surtout, la Roumanie. Ce n'était pas qu'on s'en désintéressât, mais tout de même, depuis quelques mois, la Roumanie, c'était une autre his- toire. Après des années de silence complaisant et d'articles bienveillants (y compris dans les journaux dits « de droite », donc anticommunistes), les journalistes et les hommes politiques occidentaux avaient fini par découvrir qu'un tyran régnait en maître sur ce pays à la fois proche et lointain. Un tyran qui affamait son peuple, qui le faisait geler en hiver, qui ne soignait plus les personnes âgées dès qu'elles atteignaient l'âge de la retraite. Un tyran qui forçait les femmes à des contrôles gynécologiques humi- liants sur les lieux mêmes du travail pour « lutter contre les avortements clandestins ». Un « fou » qui détruisait les villages par milliers, conformément à un plan paranoïaque de « systématisation » de la campagne. Un Ubu qui démo-

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lissait une partie du centre historique du Bucarest (l'équi- valent des quatre premiers arrondissements de Paris) pour y bâtir un palais et des avenues à sa gloire. La liste serait longue.

Et voilà que personne n'osait plus mettre en avant « l'indépendance de Ceausescu par rapport à Moscou ». Ni sa condamnation de l'invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques et celles du Pacte de Varsovie (pacte dont la Roumanie fait partie !) en 1968. Ni le maintien des relations diplomatiques avec Israël, alors que les autres « pays frères » les avaient rompues. Ni son remboursement consciencieux de la dette extérieure de la Roumanie —

chose qui faisait de lui non seulement un « bon élève » du FMI (Fonds monétaire international) mais également un champion toutes catégories de l'indépendance nationale.

Il était loin, désormais, le temps où le général de Gaulle allait congratuler, à Bucarest, ce jeune chef d'Etat à la « fibre nationaliste », en s'adressant en roumain à la popu- lation en délire. Le président Mitterrand refusant obstiné- ment de se rendre en Roumanie, de recevoir Ceausescu en France ou d'avoir des « mots gentils » à son égard, rompait ainsi avec une certaine « tradition française ». Sans doute Alain Poher n'aurait-il plus osé, lui non plus, préfacer les éditions françaises des ouvrages du « Conducator ». Et même Georges Marchais et les chefs communistes français avaient cessé de se rendre en vacances en Roumanie. C'est dire à quel point Ceausescu était devenu infréquentable !

Mais à partir de quel moment, et pourquoi, cet « allié objectif » de l'Occident est-il devenu infréquentable ? N'est- ce pas au moment où Ceausescu est devenu encombrant pour Mikhaïl Gorbatchev qu'il l'est aussi devenu pour les autres ? Ne devons-nous pas tous aider cet homme qui tente de réformer le monde communiste et qui est déjà si mal- aimé dans son propre pays ?

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Les chancelleries occidentales ne font-elles pas tout leur possible pour ne pas incommoder le chef de l'Etat soviéti- que ? On l'a encore vu récemment, et avec quel éclat, lors de « l'affaire lituanienne ». Or, aucun chef d'Etat communiste, et encore moins européen, n'a été aussi ouvertement et aussi crûment critiqué par les hommes politiques occiden- taux (majorités et oppositions confondues) que Nicolae Ceausescu. Soudainement, il n'y avait plus ni « langage diplomatique », ni « raison d'Etat », ni « réalisme politi- que ». Bref, il n'y avait plus tous ces « boucliers » qui permettent au pouvoir démocratique de se cacher et de ne pas ouvertement condamner une tyrannie. Or, Ceausescu n'était pas le seul. Alors, pourquoi lui? Pourquoi lui plus que les autres ? Lorsque Ceausescu disait à ses collabora- teurs : « On veut notre chute à l'Est comme à l'Ouest », il savait sans doute de quoi il parlait.

Mais cela ne répond toujours pas à la question : Comment cet homme est-il devenu encombrant au point qu'il a fallu l'abattre ? A partir de quel moment a-t-il cessé de servir à la fois les intérêts de l'URSS et ceux de l'Occident? Les intérêts de l'URSS et de l'Occident étaient-ils devenus, sur certains points, les mêmes ?

Affirmer que Mikhaïl Gorbatchev veut la chute du com- munisme ne serait pas très sérieux. Disons qu'il tente, et réussit jusqu'à présent à peu près, de sauver ce qui peut encore l'être. La fameuse théorie « des dominos », qu'Henry Kissinger, je crois, a inventée pour symboliser la chute en chaîne des Etats du tiers-monde dans le communisme, ne tient plus la route pour ce qui est des « pays de l'Est », quand ils veulent en sortir. Bien que nombre d'analystes, journalistes et même caricaturistes s'y soient essayés mala- droitement, cette théorie ne peut en aucun cas être appli- quée aux événements de l'autre Europe. Contrairement à l'opinion couramment propagée, Mikhaïl Gorbatchev ne

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lâche pas sa partie de l'Europe. Il n'en abandonne qu'une moitié ! (Après tout, ce n'est pas si mal, quand on songe au désastre du communisme !) Il cède l'Allemagne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie. Autrement dit les trois pays les plus « européens », les plus « civilisés », les plus industrialisés. Pays qui peuvent réellement et rapidement apporter un plus à l'Europe, à la fois en tant que producteurs, consom- mateurs et citoyens d'une démocratie retrouvée. En dernier ressort, ils devaient échapper à l'Union soviétique et retour- ner au « camp » auquel ils appartiennent historiquement et culturellement.

Et la Pologne ? Certes. Mais la Pologne est un cas à part. Ce pays héroïque, ultracatholique, essentiellement agraire, un des plus pauvres du continent, est, politiquement par- lant, dans une situation assez curieuse. L'aventure sublime de « Solidarnosc » est bien finie. Les élections qui l'ont portée au pouvoir n'ont pas été libres, selon l'acception européenne de ce terme, puisqu'il y a eu un « numerus clausus » qui garantissait aux communistes un certain nombre de sièges. De plus, maintenant que « Solidarnosc » et les communistes sont ensemble au pouvoir, qui est dans l'opposition ? Ajoutez à cela l'attitude très ambiguë de l'actuelle direction du pays à l'égard du retrait des troupes soviétiques, et vous verrez que la position de la Pologne, en Europe, n'est pas si claire.

Depuis quelque temps, les Européens de l'Est se sont mis à employer, avec ostentation, le terme d' « européen ». Ils veulent tous « retrouver l'Europe » ! Mais que signifie donc ce fameux terme d' « européen » ? Est-il géographique ou spirituel ? Un Russe habitant aux pieds de l'Oural vit en Europe, mais est-il « européen » dans l'esprit d'un intellec- tuel tchèque ou hongrois ? Sans doute pas. Car le terme d' « européen » a toujours sous-entendu un système de valeurs culturelles et politiques empreintes, entre autres,

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d'un esprit d'ouverture, de conquête (non seulement géo- politique, mais surtout scientifique, culturelle, intellec- tuelle, spirituelle) et de supranationalité. Esprit que nos grands empires — britannique, français, germanique et surtout austro-hongrois — ont tenté de diffuser, sans toujours en trouver l'écho, au sein des « petits peuples ».

Que garde donc Mikhaïl Gorbatchev dans son camp ? La Bulgarie, la Yougoslavie (quoi qu'on en dise), la Roumanie et bientôt l'Albanie sans doute. Autrement dit, quoi ? Les Balkans, bien sûr! L'Europe doit-elle s'en désoler ? Pour- quoi diable l'Europe en construction, l'Europe en devenir, aurait-elle besoin de cette région incendiaire, grenier de « petits nationalismes » et irrédentismes à l'origine de plus d'un conflit armé sur notre continent, et notamment de la Première Guerre mondiale ? L'esprit « balkanique » et l'esprit « européen » sont traditionnellement antinomi- ques. Dans ce cas, pourquoi l'Europe devrait-elle être triste de laisser cette partie du continent dans la « zone russe » ?

Partant de cette hypothèse qui, d'ailleurs, implique de la part de l'Union soviétique une clairvoyance, une lucidité et une connaissance du terrain étonnantes, à moins que ce ne soit un instinct culturel profond qui lui fait reconnaître les siens, la Roumanie s'inscrivait dans un plan global, et suffisamment subtil pour être invisible à première vue. Soit. Mais pourquoi est-ce justement en Roumanie que les choses se sont si mal passées ? Quand j'écris « mal », je pense surtout au sang versé. Dans « l'esprit européen », verser le sang des innocents est « mal ». Il est vrai que cette opinion n'est pas partagée par toutes les civilisations ni par tous les systèmes philosophiques. N'est-ce pas, monsieur le vice-Premier ministre, Gelu Voican ?

La Roumanie est un pays à part en Europe de l'Est. C'est le seul peuple latin de la région. C'est également le seul peuple latin à ne pas être catholique mais orthodoxe. Ces

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points peuvent paraître trop théoriques, mais je les crois essentiels. Il est un autre point, bien matériel celui-là, qui différencie la Roumanie des autres pays de la région : elle a un contentieux territorial majeur et douloureux avec l'URSS.

On en parle peu, mais la République soviétique socialiste de Moldavie, une des quinze « républiques » qui composent l'URSS, est en fait un territoire roumain ! Comprise entre deux fleuves, le Prut et le Dniestr (Nistru en roumain), cette région, peuplée aujourd'hui de quelque 60 % de Roumains, a été occupée par l'Armée rouge le 28 juin 1940, suite au pacte germano-soviétique. Eh oui, exactement comme les pays baltes.

L'héritage stalinien est lourd. Très lourd. La tâche de Mikhaïl Gorbatchev, dans ce contexte, semble impossible. On sait quel danger représente le séparatisme balte pour le numéro un soviétique. Et pourtant, les pays baltes ne veulent que l'indépendance, si je puis dire... Mais, imaginez maintenant qu'ils veuillent s'unir à la Finlande ! Ce serait bien pire. Or, c'est exactement ce qui se passe déjà virtuelle- ment en Moldavie soviétique, plus connue avant guerre sous le nom de Bessarabie.

Ces questions territoriales sont assez difficiles à compren- dre pour un esprit européen moderne. Après tout, et pour ne prendre que la France, les francophones belges ou suisses sont, « selon les critères de l'Est », des Français. Ils devraient donc réintégrer la France ! Pour retrouver cet esprit-là, un Français devrait se remémorer « la ligne bleue des Vosges », autrement dit le contentieux Alsace- Lorraine. Dans l'histoire plus récente, ce sont les Sudètes qui ont servi de prétexte à Hitler pour envahir la « Tché- quie ». Mais il y a longtemps qu'en Europe de l'Ouest, en Europe donc, la communauté linguistique et cultu- relle n ' implique plus nécessairement la communauté

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territoriale. Or, c'est encore largement le cas « à l'Est ». Comment cette situation aurait-elle influé sur la chute

brutale de Ceausescu ? En 1987, un fort « mouvement nationaliste » est brusque-

ment apparu en Moldavie soviétique. Rien d'étonnant à cela. Les « Moldaves », comme tant d'autres « petits peu- ples » de l'URSS, se sont engouffrés dans la brèche ouverte par la perestroïka. D'abord les revendications ont été surtout culturelles — la principale étant le retour à l'alpha- bet latin, car les Soviétiques leur avaient imposé le cyrilli- que, en 1940. Rien de très dangereux donc, au départ. Mais les revendications des « Moldaves » sont devenues peu à peu politiques, symboliques parfois, de plus en plus diffi- ciles à satisfaire pour le pouvoir central : le limogeage d'un Premier secrétaire, puis d'un autre, le refus — jusqu'à l'obstruction — des défilés militaires soviétiques, le choix officiel du roumain comme langue d'Etat, celui du drapeau roumain comme drapeau national de cette république soviétique. Bref, une tactique très claire : effacer tout ce qui sépare formellement « Moldaves » et Roumains. Pour, enfin, poser la question suivante : « S'il n'y a aucune différence entre nous, pourquoi vivre séparés ? »

Cette tactique n'a pu échapper ni aux Soviétiques ni à Ceausescu. Depuis longtemps déjà, ce dernier était partagé entre deux sentiments : la satisfaction de trouver de l'autre côté de la frontière ce même nationalisme roumain dont il

avait fait son principal argument de politique intérieure et, en même temps, la peur devant le nouvel espace de liberté dont jouissaient depuis peu « les frères roumains soviéti- ques ». Ce mauvais exemple ne risquait-il pas de se révéler contagieux ? Comme la télévision de Bucarest était réduite à sa plus simple expression — deux heures de diffusion par jour, consacrées surtout à la propagande —, les Roumains regardaient de plus en plus la télévision de Moldavie

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soviétique. Télévision à laquelle ils trouvaient une « inima- ginable liberté de ton », perestroïka oblige !

La question de la Moldavie soviétique est, à n'en pas douter, considérée comme vitale par l'URSS. Le Kremlin n 'a donc pas pu écarter la question de l'avenir possible de ce territoire, intrinsèquement lié à la Roumanie. Dans ces conditions, Moscou pouvait-elle accepter plus longtemps ce Conducator imprévisible, aux velléités indépendantistes et à la fibre nationaliste? La succession de Ceausescu a dû

donc se poser concrètement aux Soviétiques dès 1987, année du début de la poussée de fièvre nationaliste en Moldavie.

Mais pourquoi alors s'est-elle produite à Noël 1989 ? Est- ce parce que le changement, dans tous les pays satellites, devait être terminé en 1989 ? Ou alors, est-ce à cause du fait que, se sentant aux abois, Ceausescu a posé la question de la restitution de la Bessarabie et de la Bucovine du Nord, en termes à peine voilés, au XIV et dernier congrès du Parti communiste roumain, en novembre 1989? On peut aisé- ment s'imaginer la fureur des Soviétiques. Sont-ils allés jusqu'à envisager de se débarrasser de cet allié décidément encombrant ?

Affirmer que Ceausescu a été renversé par Moscou serait sans doute trop facile. Non, il est tombé à la suite d'un coup d'Etat bien roumain. Mais une opération de cette envergure n'aurait jamais pu se concevoir ni réussir sans l'aval des Soviétiques. Surtout que les deux pays ont une longue et sensible frontière commune. D'ailleurs, le premier homme politique à être reçu par Ion Iliescu, geste hautement symbolique, a été Edouard Chevarnadze, ministre des Affaires étrangères de l'URSS.

Se sentant déjà menacé à la périphérie de son empire, Gorbatchev ne pouvait se permettre une situation instable ou même chaotique en Roumanie. Et, compte tenu de la

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personnalité du Conducator, on peut considérer que les Soviétiques ont brillamment réussi. Iliescu sera un allié fidèle, non seulement parce qu'il sait ce qu'il leur doit, mais aussi parce qu'il partage leurs idéaux. Peut-on rêver, dans un monde trouble, meilleure garantie ?

Ecrire sur un événement historique aussi proche dans le temps, encore présent dans les mémoires, est périlleux.

La « révolution roumaine » est évidemment loin d'être terminée. On ne sort pas aussi aisément de décennies de totalitarisme parachevées par une bonne semaine de men- songe et de sang. Certains historiens prétendent que, contrairement à ce que nous croyons, la Révolution fran- çaise a duré pas loin d'un siècle. La Roumanie n'est pas la France, mais gageons que la « révolution roumaine » nous réserve encore quelques « beaux moments ». Pas trop san- glants, espérons-le !

Je n'ai donc rien voulu démontrer, juste raconter, du mieux que j'ai pu, avec le plus de détails et le plus de scènes inédites, un événement dont j'ai été à plusieurs reprises un témoin privilégié.

Du 16 au 25 décembre 1989. Dix jours... Ce ne furent certes pas Les Dix Jours qui ébranlèrent le Monde, mais ce furent dix jours qui nous touchèrent beaucoup, qui nous firent vibrer à l'unisson avec un peuple si proche et si mal connu, qui soulevèrent une vague de solidarité sans précé- dent.

J'ai donc voulu nous remettre en mémoire et, peut-être, un peu mieux éclairer tout cela. Mais notre histoire coule toujours comme un fleuve boueux.

Puisse le peuple roumain voir au plus vite le bleu de la mer.

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