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ISSN 0764-1656 EXPOSÉS DU CERCLE LÉON TROTSKY Aux origines, lointaines et proches, de la révolte des peuples arabes 1 er avril 2011 N° 125

1er avril 2011 N° 125 - wikirouge.netwikirouge.net/ebooks/CLT/CLT125-monde_arabe.pdf · justice face à des régimes corrompus, face au chômage, au manque d’avenir. Mohamed Bouazizi

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ISSN 0764-1656

EXPOSÉS DU

CERCLE LÉON

TROTSKY

Aux origines, lointaines et proches,

de la révolte des peuples arabes

1er avril 2011 N° 125

Aux origines, lointaines et proches,

de la révolte des peuples arabes

Exposé du Cercle Léon Trotsky

du 1er avril 2011

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IntroductionUn vent de révolte souffle dans les pays arabes. Ce vent est parti de Tuni-

sie, quand Mohamed Bouazizi, ce jeune chômeur diplômé, qui vendait des fruits et légumes à la sauvette, bousculé et molesté par la police, en s’immo-lant par le feu, a crié son désespoir face à une société qui l’empêchait même de vendre des fruits. Cela a provoqué la colère de toute la population de Sidi Bouzid, et bientôt la révolte s’est étendue face à un régime honni, qui a tant emprisonné et torturé. La rage a pris le pas sur des décennies de peur et de résignation, et le vent de la révolte a soufflé à des degrés divers sur l’ensemble des peuples arabes, entraînant la chute de dictateurs qui semblaient indébou-lonnables, comme Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Égypte.

Ces peuples partagent aujourd’hui le même sort, le même sentiment d’in-justice face à des régimes corrompus, face au chômage, au manque d’avenir. Mohamed Bouazizi était Tunisien, mais il aurait pu être égyptien, algérien, marocain ou jordanien. Oui, il y a un réveil des peuples arabes qui survient après des décennies d’humiliation, d’oppression coloniale, puis de régimes de dictature féroce soutenus par des pays impérialistes qui les ont maintenus dans le sous-développement. Les puissances occidentales ont aujourd’hui le cy-nisme de dénoncer ces régimes, alors même que nombre de responsables poli-tiques français considèrent ces pays comme leur station de vacances d’hiver.

C’est ainsi que Michèle Alliot-Marie a passé ses vacances de Noël en Tuni-sie, François Fillon a fait le choix de l’Égypte, et Claude Guéant, lui, a préféré la Libye. Selon le Monde diplomatique, entre 2005 et 2010, le Maroc a en-registré plus de 400 séjours privés de ministres français. Alors autant dire que tous les dictateurs qui règnent sur l’autre rive de la Méditerranée sont leurs amis. Ils appartiennent au même monde, leurs enfants fréquentent les mêmes écoles. Le fils de Kadhafi et le prince William, héritier de la couronne britan-nique sont, paraît-il, les meilleurs amis du monde.

Un monde où les frontières nationales ne font que dresser les peuples les uns contre les autres. Tout au long de leur histoire, les peuples arabes en ont fait l’amère expérience. Et à maintes reprises, au cours du siècle passé, les masses pauvres arabes eurent à se dresser à la fois contre ces divisions, créées par les puissances impérialistes, et contre l’oppression sociale et nationale qu’elles subissaient.

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L’actualité nous ramène à ce passé pas si lointain, aux plaies encore dou-loureuses. À plusieurs reprises, dans les années 1920, puis dans les années 1930, puis encore après la Deuxième Guerre mondiale, les classes exploitées des pays arabes, en butte à l’oppression coloniale et sociale, se sont révoltées. À chaque fois, les révoltes se sont influencées réciproquement, d’un pays à l’autre.

C’est cette histoire que nous allons retracer, à partir de la fin du xixe siècle.

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Le déclin de l’Empire OttomanLe monde arabe s’étend de l’Asie à l’Afrique sur une surface de 13 millions

de kilomètres carrés, l’équivalent de 25 fois la France. Il comprend une ving-taine de pays où vivent au total 250 millions de personnes. Cet espace va de la Mauritanie à l’ouest jusqu’à l’Irak à l’est, en passant par les pays du Maghreb, puis la Libye, l’Égypte, le Soudan, Djibouti, la Somalie, le Proche-Orient et toute la Péninsule arabique, où se situent l’Arabie Saoudite, le Yémen et les émirats du Golfe. Chacun de ces États a ses particularités et son histoire et, si l’arabe est la langue largement dominante, d’autres langues comme le berbère sont toujours parlées par de nombreuses personnes en Afrique du Nord.

Dès le Moyen Âge, malgré la diversité religieuse et ethnique des peuples qui vivaient sous la tutelle des califes qui se sont succédé, une unification culturelle s’était établie, fondée sur une religion nouvelle, l’islam, et surtout sur une langue commune, l’arabe. Dans ce vaste espace unifié qui regrou-pait des terres de vieille civilisation comme l’Égypte et la Mésopotamie, s’épanouit une civilisation originale, qui marqua l’histoire de l’humanité par le rôle qu’elle joua dans le développement des sciences, de la philosophie et des techniques.

Cette civilisation, qui avait elle-même puisé aux sources de la Grèce an-tique, féconda par la suite l’Europe du Moyen Âge.

Au xvie siècle, l’ensemble des territoires arabes, à l’exception du Maroc, passèrent sous la domination de l’Empire ottoman ou, si l’on préfère, de l’Empire turc. Chaque province avait une relative indépendance par rapport au Sultan qui siégeait à Istanbul, aucune frontière ne faisait entrave à la cir-culation des hommes, des idées et des marchandises. On pouvait par exemple aller d’Alger au Caire ou à Bagdad sans franchir de frontière.

Jusqu’au milieu du xviiie siècle, les pays européens et l’Empire ottoman avaient des niveaux de développement similaires. Mais à la fin du xviiie, alors qu’en Europe la bourgeoisie accédait au rang de classe dominante, et déve-loppait le capitalisme sur les ruines de la société féodale, l’Empire ottoman stagnait, la bourgeoisie y était incapable, du fait de sa faiblesse, de la moindre transformation sociale.

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Mohamed Ali, vice-roi d’Égypte, qui tenta de moderniser le pays.

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La perte de l’Algérie et de la TunisieAffaibli, l’Empire ottoman devait faire face aux interventions des puissances

européennes. Dès 1830, le roi de France chassait le dey d’Alger et occupait le pays. Occupée, pillée, l’Algérie fut colonisée durant 130 longues années.

La Tunisie, elle, était convoitée à la fois par l’Italie et la France. Le bey de Tunis contracta un emprunt auprès des banques françaises, puis un deuxième, puis un troisième, et bientôt ce fut la banqueroute. En 1872, la Tunisie passa sous le contrôle financier de la France, de l’Italie et de la Grande-Bretagne, et leurs capitaux s’investissaient dans l’exploitation des mines de phosphates. Dix ans plus tard, les troupes françaises débarquaient, le pays était transformé en protectorat. Ainsi, avant 1914, la France avait ravi aux Ottomans leur con-trôle sur deux pays du Maghreb. Elle s’intéressait aussi de près au Maroc et à l’Égypte.

Tentative de développement national en ÉgypteEn 1840, Mohammed Ali, gouverneur d’Égypte devenu vice-roi, voulut

faire de l’Égypte un État moderne et indépendant. Il réorganisa l’armée et créa une imprimerie d’État. Il instaura un nouveau code foncier qui favori-sait la grande propriété. Sur certaines terres, l’État imposait les cultures du sucre, du coton, et assurait également la commercialisation de la récolte. Une industrialisation de l’Égypte s’amorça dans les secteurs de l’armement et du textile. Le télégraphe, la poste, le chemin de fer faisaient entrer le pays dans l’ère moderne.

Le percement du canal de Suez, qui permettait de relier la Méditerranée à l’océan Indien via la mer Rouge, semblait couronner cet effort de modernisa-tion, et laissait espérer que sans doute l’Égypte allait combler le retard accu-mulé par rapport à l’Europe. Mais en inondant l’Égypte de leurs capitaux, les banques européennes firent tomber le pays sous leur dépendance.

Les emprunts d’État constituaient à eux seuls 61 % de l’ensemble des placements étrangers. La France détenait 60 % de ces emprunts, surnommés avec mépris « valeurs à turban ».

La France initia et porta le projet de construction du canal. Les travaux de terrassement furent assurés pour les quatre cinquièmes par des paysans égyp-tiens, au titre de la corvée. Les bénéfices réalisés par la France et la Grande-Bretagne étaient exportables et libres de toute taxe.

Lourdement endetté auprès des banques françaises et anglaises, l’État égyptien était déclaré en faillite en 1876, et bientôt placé sous la tutelle des puissances européennes. C’était une colonisation qui ne disait pas son nom.

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Les Britanniques contrôlaient directement les finances du pays. Un Anglais occupait même le ministère des Finances, et un Français celui des Travaux publics. L’Égypte, qui avait assuré le percement du canal de Suez avec la sueur et le sang de ses paysans, fut contrainte de revendre ses parts aux An-glais et ne bénéficia pas de l’exploitation du canal.

Premier sentiment nationalCependant, l’Égypte avait envoyé dans les grandes écoles militaires

d’Europe de jeunes officiers arabes, qui prirent ainsi contact avec les idées nouvelles.

En 1879, les jeunes officiers égyptiens se rebellèrent face à des mesures discriminatoires qui favorisaient les officiers d’origine européenne. Le colo-nel Urabi à la tête de la révolte devint très vite populaire. Paris et Londres en-voyèrent leur flotte au large d’Alexandrie. Les troupes anglaises débarquèrent dans la région du canal, à Ismaïlia, et bombardèrent les positions égyptiennes.

Dans les campagnes, des colonnes de paysans se portèrent au secours d’Urabi, et en profitèrent pour s’attaquer aux usuriers et aux gros proprié-taires terriens qui les opprimaient. Les quartiers populaires des villes arabes se révoltèrent. Face aux armes à feu ils se défendirent à l’aide de gourdins, de cailloux et d’armes blanches. La révolte fut brisée.

Voilà une scène qui, d’un bout à l’autre du monde arabe, allait se reproduire fréquemment, d’autant que pour le malheur de ces peuples, on découvrait que le sous-sol de la région était gorgé de pétrole. La situation des peuples arabes variait d’une province à l’autre au sein de l’Empire ottoman. Mais la lutte contre le pouvoir ottoman et contre les puissances impérialistes allait donner aux peuples une conscience nationale arabe qu’ils n’avaient pas forcément jusqu’alors. Cette aspiration à se libérer de la tutelle ottomane allait se heurter aux impérialistes européens, et en premier lieu britanniques, qui considéraient cette région comme leur domaine privé.

Pour la Grande-Bretagne, il était vital de contrôler les routes terrestres et les détroits qui menaient à son empire des Indes, comme les détroits d’Aden et d’Ormuz.

En plus de l’importance stratégique, la découverte du pétrole en Perse et en Irak décupla l’acharnement des Britanniques à contrôler la région. Ils signè-rent des traités avec les émirats qui bordaient le Golfe, les transformant en protectorats, et créèrent des frontières là où il n’y en avait pas, par exemple celle du Koweït.

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Les Britanniques contrôlaient depuis 1909 les gisements de Perse. Les convoitises et les rivalités entre les pays impérialistes furent encore aiguisées quand on découvrit l’immensité des gisements de Mésopotamie.

Les rivalités impérialistes et la Première Guerre mondialeCes rivalités s’exprimaient aussi dans la construction de lignes de che-

min de fer. La ligne Beyrouth-Damas était aux mains de la France, tandis que les Britanniques détenaient une partie du réseau de la Turquie. Quant à l’Allemagne, elle obtint la concession pour construire une ligne reliant Berlin à Bagdad.

Les rivalités pour le partage du monde s’exacerbaient, elles allaient quitter l’arène économique pour se transformer en affrontement armé.

Quand en 1914 la guerre éclata, les dirigeants ottomans se rangèrent du côté de l’Allemagne. La Grande-Bretagne fit alors le choix d’attiser le senti-ment national arabe contre l’Empire ottoman.

Elle promettait ainsi au prince Hussein, chérif de La Mecque, la création d’un grand royaume arabe, qui devait englober tous les territoires à popula-tions arabes. Les Britanniques utilisèrent à leur profit le nationalisme arabe, et la révolte fut déclenchée le 5 juin 1916, avec le soutien militaire français.

Voici ce qu’en disait l’officier britannique Thomas Edward Lawrence, im-mortalisé par le film Lawrence d’Arabie :

« N’étant pas tout à fait idiot, je pouvais voir que si nous gagnions la guerre, les promesses faites aux Arabes seraient lettre morte. Si j’avais été un conseiller honnête, j’aurais renvoyé mes hommes chez eux sans risquer leur vie pour si peu. Mais l’inspiration arabe était notre meilleure arme pour gagner la guerre d’Orient. Je les assurais donc que l’Angleterre tiendrait sa parole. Au lieu d’être fier de ce que nous réalisions, j’éprouvais une honte permanente et amère. »

Et en effet, les peuples arabes allaient apprendre à leurs dépens qu’avec les impérialistes, loyauté et amitié ne sont jamais sincères, et qu’aucune amitié ne résiste à leurs intérêts sonnants et trébuchants !

Les rivalités franco-britanniquesPour autant, la guerre contre l’Allemagne n’effaçait pas la rivalité qui op-

posait les Français aux Britanniques. Le Moyen-Orient, en particulier les ter-ritoires arabes, fut l’objet de bien des marchandages dans lesquels la volonté des peuples arabes ne pesait pas lourd.

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Pendant que des troupes arabes remontaient vers le nord de la Syrie, ani-mées par l’espoir d’unifier leurs territoires, la France, la Grande-Bretagne et la Russie signaient en secret les accords Sykes-Picot, où la promesse d’un royaume arabe uni avait disparu.

La France revendiquait la Syrie, au nom de la défense des communautés chrétiennes qui peuplaient les montagnes du Liban depuis plus de deux mille ans.

Les accords Sykes-Picot réservaient à la Grande-Bretagne une « zone rouge » dans les régions de Bagdad et Bassora, et à la France une « zone bleue » en Syrie. Rouge et bleue, parce que c’étaient les couleurs des crayons qui avaient servi à tracer les frontières sur la carte. Ce fut un sacré charcutage !

L’Empire ottoman n’allait pas résister aux assauts conjugués de l’impérialisme et de la révolte arabe. Le 30 septembre 1918 les armées arabes arrivaient à Damas. Le lendemain, les troupes britanniques pénétraient à leur tour dans la capitale et mettaient sur le trône le roi Hussein, le chérif de La Mecque. Mais ce royaume arabe allait être éphémère.

Le plan de partage des accords Sikes-Picot (1916).

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La fin de la Première Guerre mondialeEn effet, la Société des Nations, ancêtre de l’ONU, que Lénine qualifiait de

« repaire de brigands », en décida autrement.Elle adopta le système des mandats pour les anciennes provinces arabes de

l’Empire ottoman. Les nations avancées d’Europe étaient ainsi censées guider vers la maturité politique et l’indépendance des peuples considérés comme moins avancés. Selon les brigands impérialistes, les peuples arabes n’étaient pas aptes à s’administrer eux-mêmes !

La Société des Nations accordait à la France la Syrie et le Liban. La Grande-Bretagne confirmait son protectorat sur l’Égypte et recevait les territoires qui forment aujourd’hui Israël, la Palestine, la Jordanie et l’Irak. La France avait dû renoncer à ses ambitions sur la région de Mossoul, que les Anglais refu-saient de lâcher à cause de son pétrole. En guise de compensation, la France reçut les parts allemandes dans les compagnies de pétrole de Mossoul.

Des frontières nouvelles divisaient désormais les peuples arabes. Avant 1918, l’Irak, la Syrie, le Liban ou la Jordanie n’existaient pas en tant que pays. L’Empire ottoman était composé de provinces, province de Bagdad, province d’Alep, de Damas ou de Bassora ; il n’y avait pas de frontière entre la Sy-rie et l’Irak par exemple. Ce découpage désorganisait des circuits d’échanges économiques et sociaux séculaires. Ainsi, Damas était coupé de Beyrouth, son débouché naturel sur la Méditerranée. Alep, un des plus vieux carrefours des routes terrestres de la région, se trouvait amputée de ses liens avec l’Anatolie.

Tous ces accords se faisaient sur le dos des peuples. Un vaste État arabe unifié aurait été indéniablement un progrès, même réalisé dans un cadre bour-geois. Mais exploiter les richesses de la région impliquait pour l’impérialisme d’empêcher à tout prix l’existence d’un tel État. Aussi les Anglais et les Fran-çais mirent en place, de façon systématique et cynique, un découpage qui flattait les particularismes ethniques ou religieux. Ce morcellement constituait un facteur de division pour les peuples arabes, et un frein à leur émancipation.

Mais dans cet après-guerre, les peuples n’avaient pas dit leur dernier mot.

La révolution russeLa guerre, pour reprendre l’expression de Lénine, avait été un formidable

accélérateur de l’histoire.

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La vague révolutionnaire, partie en février 1917 de la Russie tsariste ar-riérée, allait déferler dans toute l’Europe. La Révolution russe d’octobre 1917 ébranla le monde. Pour la première fois dans l’histoire, un gouvernement ou-vrier exerçait le pouvoir, en s’appuyant sur l’initiative et la participation active des masses pauvres, ouvrières et paysannes. Le pouvoir soviétique dénonça et publia tous les traités secrets. Il reconnut le droit à l’indépendance pour toutes les nationalités que les tsars avaient jusqu’alors opprimées.

La Russie révolutionnaire, encerclée par les armées impérialistes, résista par une lutte acharnée. Et finalement les impérialistes furent obligés de battre en retraite. Les bolcheviks espéraient que la révolution s’étendrait aux autres pays d’Europe. Aussi, en pleine guerre civile, ils mirent tout en œuvre pour aider à la formation d’une nouvelle Internationale ouvrière.

Si la Russie révolutionnaire provoquait la haine des possédants, elle susci-tait un immense espoir parmi les prolétaires et les masses pauvres en butte à l’oppression impérialiste et coloniale.

Or justement, dans cette période d’après guerre, les territoires arabes furent le théâtre, eux aussi, d’une vague de contestation sociale et nationale. La ré-volte était le produit à la fois de l’oppression nationale par les Européens, et de l’oppression sociale, par les grands propriétaires fonciers, et les patrons des usines. Quelle force allait être en mesure d’exprimer ces sentiments ?

Les classes possédantes souffraient elles aussi de l’oppression nationale, les officiers arabes n’appréciaient pas beaucoup d’être commandés par des étrangers. Mais les classes dirigeantes arabes profitaient et s’accommodaient tout à fait de l’exploitation des paysans et des ouvriers. Elles voulaient simple-ment chasser les étrangers pour avoir tous les pouvoirs.

Autant dire que le sentiment national des masses pauvres est toujours bien différent du nationalisme de la bourgeoisie. Dans la période qui s’ouvrait, ces masses pauvres allaient faire irruption de façon répétée sur la scène sociale. Quels étaient les choix politiques qui s’offraient à elles ?

Au nom de la lutte contre les Européens, au nom de l’unité, allaient-elles combattre derrière la bourgeoisie ? Ou allaient-elles combattre sous leur pro-pre drapeau, pour leurs intérêts de classe ?

Cette question se posa pour chaque vague de luttes : dans les années 1920, puis dans les années 1930, et enfin lors de la révolte coloniale qui secoua le monde après la Deuxième Guerre mondiale.

L’Internationale communiste accordait une grande importance aux luttes d’émancipation nationale. Lénine traçait une politique pour les militants com-munistes dans les colonies. Le prolétariat y était naissant, minoritaire certes,

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mais c’était lui l’avenir. Pour les dirigeants bolcheviks, Lénine et Trotsky, les partis communistes des colonies devaient être en pointe dans la lutte contre les colonisateurs, soutenir le cas échéant des partis bourgeois révolutionnaires, mais à la condition que les communistes arborent leur propre drapeau, leur propre programme, et préservent l’indépendance politique du prolétariat.

L’Internationale communiste dans les années 1920 n’avait cependant pas encore les éléments humains en nombre suffisant pour mener une telle politique.

Des groupes communistes, de plus ou moins grande importance, se for-mèrent dans les années qui suivirent la guerre. Les idées communistes em-pruntèrent des circuits parfois détournés, pour arriver dans les pays arabes. À Jaffa, ce furent des militants juifs de Pologne, d’Ukraine et de Russie qui créèrent le Parti communiste de Palestine. À Alexandrie, en Égypte, le premier groupe de sympathisants communistes comptait 25 membres, deux Arabes, trois Juifs, un Italien, et une majorité de Grecs.

Ils étaient peu nombreux, mais les polices britannique et française les sur-veillaient de près, conscientes qu’ils pouvaient devenir très rapidement une force.

En 1919 en Égypte, les Britanniques obtinrent du Grand Mufti, haut digni-taire religieux, une fatwa contre le bolchevisme. Mais malgré cette fatwa, comme le raconte un observateur, « les nouvelles des victoires des bolcheviks en Russie et en Asie provoquaient la joie dans toutes les classes de la société égyptienne ».

Zinoviev, dirigeant de l’Internationale communiste, au congrès des peuples d’Orient en 1920 (au premier rang, le quatrième à partir de la gauche).

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1919 : la révolte en ÉgypteC’est d’Égypte qu’allait partir la révolte. La guerre avait transformé le

pays. Pour répondre à la demande des pays en guerre, il s’était industrialisé et avait développé les secteurs du textile, de la production de sucre, de cigarettes. Le nombre de cheminots avait été multiplié par quatre. Un prolétariat s’était rapidement constitué. Dans les campagnes, les réquisitions de céréales, de coton et de bétail, imposées par les Britanniques, furent durement ressenties. Les hommes aussi furent réquisitionnés. Plus de 200 000 paysans avaient été arrachés à leur campagne pour être incorporés dans l’armée, et une fraction avait même suivi les armées britanniques jusque sur les fronts de la Somme et des Flandres. Mais avec la fin de la guerre, les usines s’étaient vidées, le chômage avait explosé, et le mécontentement touchait l’ensemble des classes populaires. Des parlementaires du parti Wafd, qui représentait la bourgeoisie égyptienne, pensaient que le moment était venu de s’affranchir de la tutelle européenne.

Ils furent encouragés par une déclaration des Français et des Britanniques, qui s’engageaient sans complexe à soutenir « l’émancipation complète et dé­finitive des peuples si longtemps opprimés par les Turcs ».

Saad Zaghloul, le leader du parti Wafd.

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Les parlementaires égyptiens prirent cette déclaration pour argent comp-tant, et demandèrent à être reçus pour plaider la cause de l’indépendance devant la Conférence de la paix qui devait se tenir à Paris. Leur leader, Saad Zaghloul, fut aussitôt arrêté, et exilé manu militari. Quand la nouvelle arriva au Caire, elle déclencha une révolte générale, qui dura toute l’année 1919.

Des manifestations d’étudiants, de fonctionnaires, d’artisans et d’ouvriers des chemins de fer, s’étendirent en quelques jours à la plupart des grandes villes du pays. Le mouvement s’étendit aux campagnes, jusque-là considérées comme le monde de la passivité et du fatalisme.

Sous la pression populaire, les Britanniques se résignèrent à mettre un terme au protectorat et, en 1922, l’Égypte accéda à une relative indépendance. Le roi Farouk se retrouvait à la tête d’une monarchie parlementaire, dans laquelle les Britanniques conservaient quand même les ministères des Affaires étrangères et de la Défense. Mais ce recul des Britanniques fit essaimer la révolte, à des degrés divers, dans les autres régions arabes.

Révolte à DamasÀ Damas, le mouvement nationaliste s’était enrichi d’une nouvelle généra-

tion qui avait mûri avec la guerre. On comptait dans ses rangs de jeunes of-ficiers irakiens, ainsi que de jeunes Syriens issus des couches moyennes. Tous refusaient la mainmise de l’impérialisme, leur programme était le national-isme arabe.

Un congrès arabe avait adopté en 1919 un programme revendiquant l’indépendance d’une fédération syrienne qui engloberait le Liban et la Pales-tine. Le prince arabe Fayçal devait prendre la tête de ce nouveau royaume indépendant. Les Arabes refusaient les mandats qui les plaçaient sous la dépendance franco-britannique. Mais les dirigeants français entendaient bien imposer leur mandat sur la Syrie. Ils le firent en envoyant 70 000 soldats et en bombardant Damas le 24 juillet 1920. Ce jour-là, la France illustra de quelle manière elle concevait son rôle de guide vers l’indépendance.

Par la suite, les colonisateurs français divisèrent la région en cinq entités distinctes : l’État indépendant de Damas, le gouvernement d’Alep, le territoire autonome des Alaouites, le djebel druze autonome, et enfin l’État du Grand Liban.

Ce découpage favorisait les clientèles confessionnelles de la France, à commencer par la bourgeoisie chrétienne maronite du Liban. Ce choix de fa-voriser les chrétiens n’était pas nouveau. Dans ce but, la république laïque

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avait implanté 500 écoles religieuses françaises, qui scolarisaient 50 000 élèves en Syrie !

Dans cette région coexistaient une mosaïque de confessions : juifs, chré-tiens jacobites, catholiques, orthodoxes et maronites. Parmi les musulmans, on comptait divers courants de l’islam, des sunnites, des chiites, et des druzes. Toutes ces populations arabes avaient vécu ensemble durant des siècles, mais les Français et les Britanniques allaient créer et attiser les divisions.

Les Français firent le choix de s’appuyer sur les chrétiens. Les Britan-niques, quant à eux, jouèrent en Palestine la carte sioniste. Ils voyaient d’un bon œil la création d’un foyer de peuplement juif. Les conflits probables qui surgiraient inévitablement entre sionistes et Arabes leur donneraient un rôle d’arbitre.

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L’Irak en insurrectionLa révolte rebondit également en Irak, où coexistaient aussi de multiples

minorités, juive, chrétienne, kurde et chiite. Cette région constituait pour les Britanniques un bastion avancé de la défense de leur Empire des Indes, et un élément clé du commerce maritime avec l’Extrême-Orient.

Et puis surtout, l’Irak, c’était d’importants gisements de pétrole, d’une grande qualité et facile à exploiter. L’ampleur des forces que les Britanniques déployèrent témoignait de l’importance qu’ils lui accordaient. 90 000 sol-dats quadrillèrent le territoire, pour une population de seulement 3 millions d’habitants ! Mais cela n’empêcha pas l’insurrection du peuple irakien, qui refusait d’être une colonie britannique.

En Irak, le mouvement communiste était embryonnaire, les idées com-munistes avaient été introduites par quelques individus. Tel cet étudiant qui se trouvait à Berlin en 1919, au moment où l’Allemagne se couvrait de conseils ouvriers. Ou ce tailleur itinérant, du nom de Piotr Vassili, qui avait vécu en Géorgie, et qui créa en l’espace d’une dizaine d’années, des cercles commu-nistes dans toutes les villes où il était passé, comme Bagdad, Bassora et Nas-siriya. En Irak, la Révolution russe avait eu un écho jusque dans les mosquées, au point que des oulémas eurent de vifs débats pour savoir si, oui ou non, le bolchevisme était compatible avec l’islam. Certains prirent contact avec les

Alep, 24 juillet 1920. Défilé des troupes françaises.

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bolcheviks à Bakou en 1920, lors du Congrès des peuples d’Orient organisé par l’Internationale communiste.

Mais ce furent surtout les révoltes d’Égypte et de Syrie qui encouragèrent la révolte en Irak.

La révolte se déclencha dans le moyen-Euphrate, lorsqu’un cheikh fut ar-rêté pour avoir refusé de payer des taxes à l’État. La plupart des leaders na-tionalistes de Bagdad et des grandes villes furent incarcérés par les Anglais à la mi-août 1920. Mais face à la profondeur de la révolte, les Britanniques renoncèrent à gouverner directement l’Irak. À la place, ils firent le choix de s’appuyer sur l’émir Fayçal, chassé de Syrie par les Français et exilé au bord d’un lac italien. Ils lui offraient de devenir roi d’une monarchie constitution-nelle en Irak, bien sûr sous tutelle britannique.

Il restait juste à concevoir une mise en scène susceptible de faire apparaître ce scénario britannique comme l’authentique vœu des populations locales. L’émir Fayçal se rendit à La Mecque, d’où il envoya un télégramme aux prin-cipaux notables d’Irak, dans lequel il acceptait, disait-il, de se mettre au ser-vice du peuple irakien.

Une monarchie constitutionnelle fut proclamée le 11 juillet 1921. Tout comme en Égypte, c’était une fiction d’indépendance qui préservait les in-térêts britanniques. La Grande-Bretagne se réservait la défense aérienne du territoire, ainsi que le contrôle de la politique étrangère et des finances.

Fayçal, en 1932.

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Le nouveau pouvoir irakien devait, en outre, prendre en charge 25 % du coût de l’occupation militaire britannique. La population irakienne se sentait frustrée des bénéfices de la révolte de 1920, et rejetait le roi Fayçal, qui n’était à ses yeux rien d’autre qu’un fantoche à la solde de l’impérialisme.

Fayçal n’avait pas obtenu la Syrie, mais les découpages impérialistes profitèrent à son frère Abdallah, à qui on tailla sur mesure un royaume en Transjordanie. Quant à leur père, le fameux Hussein, chérif de La Mecque, le royaume d’Arabie lui échappa. En effet les Britanniques, pour s’imposer dans la péninsule arabique, avaient joué émir contre émir, et finalement choisi son rival Ibn Séoud.

Ce dernier unifia derrière lui la plupart des tribus arabes, avec comme ob-jectif le contrôle de la péninsule et de la capitale religieuse de La Mecque. Il reconnaissait servilement toutes les frontières artificielles des nouveaux pays créées par les Britanniques. L’accès de l’Irak à la mer était amputé par la créa-tion du Koweït, qui ne lui laissait que quarante kilomètres de côtes, d’ailleurs impraticables.

Ibn Seoud avec un diplomate américain.

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Séoud s’était imposé par les armes certes, mais aussi par une politique matrimoniale très active, puisque pour soumettre les différentes tribus, il avait épousé pas moins de 200 femmes. Autant dire que sa nombreuse descendance grevait lourdement le budget du royaume. Ne croyez pas que maintenir un train de vie de prince soit si facile, ses fins de mois étaient délicates et il était en quête permanente d’argent.

Les géologues britanniques qui avaient prospecté un peu partout autour du Golfe avaient décidé que Bahreïn et l’Arabie ne contenaient pas une goutte de pétrole. Cela ne faisait évidemment pas les affaires de Séoud. Mais en 1932, un expert américain découvrit des formations géologiques qui semblaient in-diquer la présence de pétrole en quantités importantes. Séoud décida d’ouvrir les trois quarts de son territoire aux compagnies pétrolières. Les Britanniques, sceptiques sur la réalité de ces gisements, proposèrent avec beaucoup de mé-pris, de payer les concessions en… roupies indiennes !

Les Américains, eux, conscients de l’immensité du gisement, proposèrent de payer en or et emportèrent le marché. Les États-Unis prenaient ainsi solide-ment pied dans la Péninsule arabique, qu’ils ne devaient plus quitter.

Le bilan après la guerreDans les révoltes qui avaient secoué ces pays au sortir de la guerre, le

sentiment national partagé par l’ensemble des populations arabes avait été le principal facteur de révolte. Le prolétariat avait participé activement à la révolte et combattu avec ses armes de classe, mais il n’avait pas réussi à en prendre la tête.

Ce furent les brigands impérialistes qui poussèrent malgré eux les peuples arabes à vouloir s’unir. Par leurs méthodes communes d’oppression, ils éveil-lèrent un sentiment national arabe puissant, auquel s’identifièrent même des ethnies non arabes, comme les Berbères du Rif, les Druzes du Liban, ou les Kurdes du nord de l’Irak. Au milieu des années 1920, les puissances euro-péennes eurent toutes les difficultés à se maintenir dans les pays arabes. Du Maroc à l’Irak, elles furent confrontées à une succession de révoltes.

Cette révolte se nourrissait de tout ce qui contestait la domination des im-périalistes. Au Maroc, les Espagnols furent mis en échec par l’insurrection d’Abd El-Krim, un chef de tribu berbère, qui parvint à créer dans le Rif un État indépendant de trois millions d’habitants. Cela suscita la ferveur et l’espoir d’un bout à l’autre du monde arabe. Il était donc possible à un peuple arabe de l’emporter face aux Européens ! L’insurrection marocaine effraya le gouvernement français, qui craignait une possible contagion à ses colonies

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algérienne et tunisienne ainsi qu’en Syrie. Les combattants du Rif étaient ani-més de toute l’énergie d’un peuple qui refuse la soumission.

Un corps expéditionnaire de plus de 500 000 soldats, français et espagnols, fut mobilisé, employant l’artillerie lourde pour réduire les 75 000 insurgés marocains. Abd El-Krim et ses troupes furent vaincus. Mais en tenant tête farouchement à un des plus puissants impérialismes de la planète, ils allaient gagner pour toujours le cœur des masses arabes opprimées.

La révolte du Rif à peine écrasée, ce fut au tour des Arabes de Syrie de s’insurger. Les troupes françaises, fortes de leur expérience coloniale au Maghreb, et à l’époque déjà très fières de leur fameux « savoir-faire » en matière de répression contre les Arabes, étaient arrivées en Syrie comme en terrain conquis. La population syrienne, qui avait rejeté l’occupation otto-mane, se retrouvait avec des occupants encore plus arrogants.

Damas, octobre 1925 : la potence devant le Sérail.

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C’est un militant expulsé d’Égypte, Fouad Chemali, qui fut en 1923 à l’origine du Parti communiste du Liban et de Syrie. Ouvrier dans une usine de cigarettes à Beyrouth, il mit sur pied un syndicat, puis, en moins de deux ans, il parvint à organiser syndicalement des travailleurs de l’imprimerie, de la chaussure, de la restauration, des transports et du bâtiment. Avec une dizaine de camarades, il prit contact avec l’Internationale communiste. Ils furent re-joints par des militants d’origine arménienne, qui avaient connu le mouve-ment ouvrier russe et côtoyé les bolcheviks. Les militants communistes de Syrie et du Liban étaient regroupés dans la même organisation, et dénonçaient la création artificielle de la frontière qui séparait la Syrie du Liban. Ce tout

jeune parti, composé essentiellement de travailleurs, publia le premier numéro de son journal en 1925. Au bout de cinq numéros, le parti et son journal étaient interdits, et la rédaction sous les verrous.

La répression et la brutalité de l’armée française excédèrent même les no-tables druzes, que la France avait pourtant flattés. Au printemps 1925, une dé-légation de notables décida de protester auprès du haut-commissaire français à Damas. Ils furent tous arrêtés et déportés.

Manifestation à Damas en 1925.

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Ce fut le début de la révolte des Druzes, qui s’étendit à toute la Syrie. Les Français occupèrent Damas, mais la révolte continua à s’étendre, et gagna le Liban. À Beyrouth, une manifestation organisée par les communistes fut réprimée dans le sang.

La répression mit un terme à l’agitation, mais ce répit fut de courte durée.En effet, en 1929 éclatait à Wall Street la crise économique la plus pro-

fonde que le monde ait connue. L’onde de choc s’étendit au monde entier. Pour y faire face, les bourgeoisies d’Europe multiplièrent les barrières doua-nières pour se protéger de leurs concurrentes, et se replièrent encore plus sur leur empire colonial. Et en même temps qu’elles mettaient au pas leur classe ouvrière, elles firent payer la crise au prix fort aux peuples colonisés, en ag-gravant l’exploitation des travailleurs dans les colonies.

La crise des années 1930 et une nouvelle vague de contestation

De fait, c’est dans le monde entier que les conditions de vie de la classe ou-vrière se dégradèrent brutalement. La crise, conjuguée à la victoire du nazisme en Allemagne, provoqua un sursaut du monde ouvrier : grève générale et oc-cupations d’usines en France, révolution ouvrière en Espagne ; la domination de la bourgeoisie était ébranlée.

La crise provoqua aussi de nouvelles révoltes dans le monde arabe. Ces révoltes s’influencèrent les unes les autres, du Maghreb à l’Irak. Elles étaient à la fois le produit de la dégradation de la vie des classes populaires, et celui du sentiment anticolonial.

Le morcellement subi par les populations arabes renforçait leur aspiration à l’unité, et à une nécessaire solidarité contre l’oppression commune.

Ce sentiment « panarabe » fut exprimé par des intellectuels bourgeois, qui cherchaient des solutions nationales et bourgeoises pour créer l’unité arabe. En même temps ils popularisaient dans leurs journaux les luttes des Marocains, celles des Arabes de Palestine, ou l’action de Messali Hadj en Algérie.

Mais la vague de révoltes des années 1920 avait fait naître aussi, parmi les masses exploitées, le sentiment de faire partie d’une même collectivité d’opprimés. En 1936, les classes populaires arabes firent irruption sur la scène politique. Le prolétariat connut ses premières grèves importantes, précédant même parfois les luttes ouvrières en Europe.

Le Front populaire en France allait-il soutenir et mettre en œuvre l’indépendance tant espérée ? C’est l’espoir qu’avaient les populations des colonies françaises. Eh bien, ces espoirs furent vite déçus. Le Parti socialiste,

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qui dirigeait le Front populaire, n’avait pas du tout l’intention de mettre à mal les intérêts de la bourgeoisie française.

Quant au Parti communiste, qui soutenait le Front populaire, il n’était plus ni révolutionnaire, ni internationaliste : il était devenu un instrument docile au service de la bureaucratie stalinienne. Staline s’était senti menacé par l’arrivée d’Hitler au pouvoir, aussi il avait noué des alliances avec les pays impé rialistes opposés à l’Allemagne. Dès lors, les partis communistes se devaient de défen-dre leurs gouvernements, sous prétexte de défendre les démocraties contre le fascisme.

Ainsi en 1936 en France, le parti communiste mit tout son poids pour sau-ver l’ordre bourgeois, expliquant aux travailleurs « qu’il fallait savoir arrêter une grève lorsque les revendications avaient été satisfaites ». En Algérie, le Parti communiste algérien, composé essentiellement d’Européens, n’hésitait pas à écrire : « C’est faire le jeu du fascisme international que de se livrer à des provocations en réclamant l’indépendance. »

Mais malgré cela, la révolte explosa quand même !En Tunisie, la montée ouvrière avait commencé bien avant 1936. Dans son

roman, La terre des passions brûlées, Béchir Khraïef raconte les conditions de vie des villageoises et des villageois de Metlaoui, près de Gafsa, exploités dans les mines de phosphate. Ce roman décrit le racisme, les brimades exer-cées par l’encadrement européen, l’oppression des femmes mais aussi la prise de conscience des travailleurs, ainsi que leur première grève.

En 1936, une vague de grèves et de manifestations nationalistes déferla sur la Tunisie. La répression s’abattit aussitôt, en particulier sur les militants communistes.

Les syndicats réclamèrent que les accords Matignon soient aussi appli-qués en Tunisie. Les grèves se généralisèrent dans le secteur du bâtiment, entraînant des milliers de travailleurs français et tunisiens qui luttaient côte à côte. En août 1936, face à la détermination du mouvement, l’application des accords Matignon fut arrachée. C’était une victoire pour tous les travailleurs de Tunisie.

En revanche, le gouvernement ne céda pas sur ce qui aurait porté atteinte au pouvoir des colons. L’agitation ouvrière se poursuivit pendant deux ans dans les mines de phosphate et dans les chantiers, la répression fit des dizaines de morts.

L’incendie social se propagea du Maroc à l’Irak, en passant par l’Algérie, l’Égypte, la Syrie et la Palestine.

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En 1936 en Syrie, une grève de cinquante jours précéda de plusieurs mois celle des travailleurs de France. Partie de Damas, elle s’étendit à toutes les grandes villes du pays. Des manifestations de soutien eurent lieu au Liban. Le gouvernement français du Front populaire fut contraint d’ouvrir les négocia-tions en vue de l’indépendance, mais la promesse de celle-ci ne fut accordée que sur le papier.

C’est sans doute en Palestine que la contestation fut la plus explosive. L’occupation britannique y était devenue insupportable. Les sionistes, protégés par les Anglais, achetaient des terres aux grands propriétaires fonciers arabes, chassant les Palestiniens qui y travaillaient. La multiplication des colonies juives attisait la colère. Toute la population de Palestine se mit en mouvement. Les ouvriers cessèrent le travail, les commerçants baissèrent leur rideau. La population s’arma et affronta l’armée britannique dans des batailles rangées. La grève dura six mois, et fit plus de 200 morts et 800 blessés. Dans les trois années qui suivirent, les campagnes entrèrent à leur tour en insurrection.

La révolte palestinienne suscita la sympathie de tous les peuples de la ré-gion. Des jeunes Égyptiens, Syriens, Jordaniens affluèrent en Palestine pour prêter main-forte aux Palestiniens. Ils se heurtèrent aux Anglais mais aussi aux milices de défense juives. Les Britanniques durent aligner 30 000 soldats

Troupes auxiliaires de l’armée britannique en 1936, déminant une route.

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pour venir à bout de la révolte. Mais leur objectif était atteint : si leur politique avait contribué à renforcer un sentiment national arabe, elle avait aussi réussi à creuser un fossé entre les populations arabe et juive.

Contestés en Palestine, les Britanniques le furent aussi en Irak. Le régime du roi Fayçal, qu’ils soutenaient, fut menacé par des révoltes ouvrières et pay-sannes. Les salaires des cheminots et des travailleurs du pétrole avaient chuté brutalement, et la paupérisation des masses paysannes ne cessait de s’aggraver. De plus, la nouvelle loi sur la conscription les astreignait au service militaire, servitude que jamais personne ne leur avait imposée.

Malgré l’envoi de troupes de plus en plus nombreuses, la contestation s’étendit, et les révoltés forcèrent le gouvernement à démissionner. À la fin de l’année 1936, un officier hostile à la monarchie de Fayçal organisa un coup d’État militaire. Le roi demeura, mais l’armée forma un nouveau gouverne-ment auquel était associé le Parti du peuple, parti nationaliste créé par un groupe d’étudiants durant la grève. Ce ravalement de façade, au lieu d’arrêter le mouvement, l’amplifia. En mars 1937, des grèves ouvrières paralysèrent le port de Bagdad, et s’étendirent aux champs pétrolifères au nord du pays.

Les stations de forage et de pompage, le barrage de Kut, les ateliers fer-roviaires de Bagdad, les usines textiles, et même une base militaire furent tou-chés. C’était la première grève d’ampleur nationale en Irak. Les travailleurs se révoltaient contre la monarchie pourrie, mais aussi contre l’exploitation.

Les débardeurs du port travaillaient 14 heures par jour pour des salaires dérisoires. Les enfants dans les usines travaillaient 10 heures par jour. Face à la puissance et à la généralisation du mouvement, les conservateurs de tout bord, les bourgeois, les grands propriétaires fonciers et les chefs de l’armée prirent peur. L’armée, qui avait porté tous les espoirs, réprima férocement le mouvement.

Le tout jeune mouvement communiste, dont les premières cellules clan-destines s’étaient constituées en 1934, fut frappé par la répression.

L’acquis des luttes des années 1930À la fin des années 1930, de chaque côté de la Méditerranée, les révoltes

ouvrières en Europe et celles des pays arabes avaient été vaincues. Mais les peuples arabes avaient pris conscience que leurs luttes étaient liées les unes aux autres, et qu’ils avaient les mêmes intérêts face aux mêmes oppresseurs, les puissances coloniales européennes.

Ces révoltes des années 1930 avaient renforcé parmi les masses arabes le sentiment puissant de faire partie d’une même collectivité d’opprimés.

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Ce sentiment était un facteur révolutionnaire de première importance, mais il pouvait être exprimé par deux forces sociales antagonistes : soit les masses opprimées prenaient la direction de la révolte, soit c’est la bourgeoisie natio-naliste qui reprenait à son compte ce sentiment pour le canaliser et, au bout du compte, l’étouffer.

En Europe, le mouvement ouvrier, trahi par ses organisations, n’avait pu s’opposer à une nouvelle guerre mondiale. Les bourgeoisies se lancèrent dans la Seconde Guerre mondiale, pour tenter une nouvelle fois de se repartager le monde.

Le Moyen-Orient, avec son pétrole et ses voies maritimes, représentait plus que jamais un enjeu stratégique de première importance.

Puits de pétrole à Kirkouk (Irak).

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Les lendemains de la Seconde Guerre mondialeSpectateurs du conflit mondial, les peuples colonisés observèrent avec une

certaine satisfaction la débâcle française en 1940, ainsi que les bombarde-ments allemands sur la Grande-Bretagne. Puis, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale le rapport des forces entre les grandes puissances fut modifié. Les grands vainqueurs en étaient les États-Unis et l’URSS. L’affaiblissement des pays d’Europe encouragea les peuples arabes à s’émanciper de la tutelle colo-niale. Mais les vieilles puissances européennes s’accrochèrent d’autant à leur empire qu’elles étaient affaiblies.

Ce qui préoccupait les dirigeants du monde, c’est que la Deuxième Guerre mondiale ne débouche pas sur une vague révolutionnaire qui les aurait em-portés. Staline, comme Roosevelt, se rappelaient la vague qui avait suivi la Première Guerre mondiale, et ils firent tout pour empêcher que cela se renou-velle. Grâce au soutien des partis communistes, les appareils d’États bour-geois furent remis en selle, évitant la révolution en Europe. Mais ils ne purent éviter la révolte qui surgit dans les colonies.

La classe ouvrière et le mouvement communisteDans l’ensemble du monde arabe, il fallait désormais compter sur une

classe ouvrière renforcée numériquement, et organisée dans des syndicats et des partis communistes puissants. Comme dans les révoltes précédentes, le prolétariat avait à lutter pour son émancipation sociale et nationale.

Face à cette tâche, quelle fut l’attitude de ses organisations, et en particu-lier du mouvement communiste ?

Le rôle de l’URSS pendant la guerre, avec la victoire de Stalingrad, avait considérablement augmenté son prestige dans le monde arabe. Les jeunes ou-vriers et intellectuels qui aspiraient à renverser l’ordre social et colonial, se tournèrent vers l’URSS et les partis communistes. Ils n’avaient aucune idée des combats que la bureaucratie avait livrés contre les révolutionnaires, et ignoraient que Staline avait liquidé l’héritage communiste.

À l’échelle de la planète, seule une infime minorité de militants regroupés au-tour de Trotsky avaient compris ce qui se passait en URSS, et lutté contre cette évolution. Mais les meilleurs d’entre eux, les militants de l’opposition de gauche en Union Soviétique, dépositaires des traditions du Parti bolchevique, furent

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déportés en Sibérie avant d’être massacrés. Les trotskystes furent traqués, exclus des PC, et coupés de la classe ouvrière. Pour la première fois dans l’histoire, le fil qui reliait la classe ouvrière aux idées révolutionnaires fut ainsi rompu.

Mais tout cela, les révoltés des pays arabes ne le savaient pas. Pour eux, l’URSS, c’était la patrie du communisme, considérée à juste titre comme un pays différent des autres, un pays anti-impérialiste qui les soutenait, un modèle dont il fallait s’inspirer. Staline, son chef, était respecté et vénéré. À Moscou, une université des peuples d’Orient avait accueilli des militants pour les for-mer, leur transmettre un bagage politique, des méthodes organisationnelles. Ces militants, qui dans les années 1930 et 1940 fondèrent et rejoignirent les partis communistes, étaient sincères, dévoués et courageux. Mais le commu-nisme qu’on leur transmettait était un communisme frelaté, infecté par le poi-son du nationalisme. Un communisme qui tournait le dos à toute l’expérience chèrement acquise par la classe ouvrière depuis plus d’un siècle, qui tournait le dos à la Révolution russe elle-même.

La bureaucratie soviétique cherchait à s’allier à des États susceptibles de renforcer son bloc, pas à susciter des révolutions ouvrières, qui l’auraient fra-gilisée et sans doute balayée.

C’est dans ce contexte dramatique que se produisit l’essor des partis com-munistes arabes. Grâce à la ténacité des militants, ces partis allaient s’implanter dans la classe ouvrière, mais l’objectif qu’ils assignaient à la lutte des travail-leurs n’était pas, n’était plus leur émancipation sociale. Guidés par Moscou, ils ne proposèrent pas aux travailleurs une politique indépendante, une politique prolétarienne qui prenne en charge à la fois les aspirations sociales et nationales. Non, ces partis communistes se retrouvèrent à la remorque de forces nationa-listes bourgeoises, au moment même où la classe ouvrière faisait preuve d’une formidable vitalité, et apparaissait comme la force motrice de la contestation.

Le prolétariat industriel des pays arabes restait certes minoritaire, mais il était concentré, et occupait une place unique par le rôle qu’il jouait dans la production. Il était proche des masses pauvres urbaines au milieu desquelles il vivait, et était en contact avec les masses pauvres des campagnes dont il connaissait les souffrances. D’un bout à l’autre du monde arabe, le prolétariat avait à lutter contre les mêmes oppresseurs.

L’aspiration à l’émancipation nationale se développait en même temps qu’un sentiment de classe que, d’une certaine manière, les partis communistes incarnaient. Forte socialement, la classe ouvrière allait être désarmée poli-tiquement par les dirigeants staliniens, au cours de la révolte coloniale qui se déclencherait dès la fin de la guerre.

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La révolte coloniale

La France réprime en Algérie...La révolte commença en Algérie le 8 mai 1945, lorsque dans le Constanti-

nois la police voulut empêcher des manifestants de brandir le drapeau algéri-en. À Sétif, le défilé tourna à l’émeute, qui s’étendit le jour suivant. Ce fut le signal d’une répression féroce qui s’abattit sur toute la région. La loi martiale fut proclamée, et un navire de guerre bombarda les insurgés. Ces massacres firent 40 000 morts et furent accompagnés d’une répression qui s’abattit sur tout le pays, avec l’arrestation massive de militants syndicaux et politiques. L’ordre colonialiste fut ainsi préservé en Algérie en mettant les Arabes au pas.

Prisonniers algériens, après la manifestation du 8 mai 1945 à Sétif.

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… et est chassée de SyrieEn Syrie, les troupes françaises eurent bien plus de mal. Le mois de

mai 1945, commencé par des grèves et des manifestations, s’acheva sur une véritable insurrection. Tout ce qui symbolisait le pouvoir de la France fut l’objet d’attaques : casernes, bureaux des légations françaises.

En réponse, l’armée française n’hésita pas à attaquer le parlement syrien à l’arme lourde. En solidarité avec leurs frères de Syrie et du Liban, les peuples arabes des pays proches furent appelés à une grève générale de solidarité. L’embrasement généralisé de la région effraya les Britanniques, qui étaient eux-mêmes empêtrés dans des révoltes en Irak et en Palestine.

Les forces françaises durent finalement plier bagage en avril 1946, quittant la Syrie et le Liban au grand soulagement des populations.

1945-1947, révoltes ouvrières en Irak...Les Irakiens, encouragés par leurs frères de Syrie, espéraient bien chasser

les Britanniques. Le Parti communiste irakien avait su résister à la répression. Il avait gagné en implantation et en influence dans la classe ouvrière, ainsi que dans toutes les couches de la société. Bagdad comptait, après la Deuxième Guerre mondiale, 180 000 ouvriers et 70 000 employés.

Entre 1944 et 1946, le taux de syndicalisation variait de 30 % à 60 % parmi les travailleurs du pétrole et des chemins de fer, et il était également très élevé parmi les dockers de Bassora. Les syndicats de tous ces secteurs étaient di-rigés par des militants du Parti communiste. Face aux grèves ouvrières, et à la révolte de la population au Kurdistan, le pouvoir toujours aux mains des militaires déclara la loi martiale, et organisa la répression.

La jeunesse des écoles et des universités s’opposa au traité qui faisait de l’Irak un protectorat britannique. Ce soulèvement de la jeunesse scolarisée et de la petite bourgeoisie coïncidait avec un niveau historiquement bas des salaires, qui propulsa les ouvriers dans la bataille. Le 20 janvier 1946, il y eut de grandes manifestations étudiantes, et pour la première fois des ouvriers et des pauvres des bidonvilles se joignirent aux cortèges. La police tira dans la foule mais les manifestants ne se dispersèrent pas. Malgré la répression, le mouvement grandit encore, entraînant de nouvelles catégories sociales.

Face à la puissance du mouvement, le roi fut contraint d’annuler le traité, ce qui amena certains partis d’opposition à cesser le mouvement. Mais à l’appel du Parti communiste, les étudiants et les ouvriers venus des quartiers populai-res manifestèrent en masse. Le Parti communiste devenait la force principale,

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mais le seul objectif qu’il assignait au mouvement était l’établissement d’un régime démocratique.

Malgré les centaines de morts, la montée ouvrière ne s’arrêta pas. L’année 1948 fut une année record pour les grèves. Les travailleurs revendiquaient des droits démocratiques, mais ils revendiquaient aussi « du pain et des chaussures ».

… et en ÉgypteL’Égypte aussi fut le théâtre d’une agitation sociale sans précédent. Le

pays était soi-disant indépendant, mais la présence de centaines de milliers de soldats britanniques, notamment dans la région du canal, excédait toute la population.

La présence britannique et la guerre avaient cependant bénéficié à toute une classe de riches. La puissante société Misr, par exemple, avait réalisé de somptueux bénéfices dans la production textile destinée à équiper les armées alliées.

Avec la fin de la guerre, 250 000 travailleurs employés par l’armée anglaise furent licenciés, ainsi que 300 000 ouvriers du secteur privé. Les salaires baissèrent. Les inégalités sociales étaient criantes, luxe pour les uns et misère pour les autres.

Entre 1945 et 1947, les manifestations de masse contre l’occupation bri-tannique se succédèrent. Des grèves éclatèrent. Dans les principales usines du groupe Misr, des comités de grève se mirent en place, animés souvent par des communistes. Dans les universités et les écoles secondaires aussi, la jeunesse créa ses propres comités. En février 1946, la police tira sur des manifestants. La répression fit plusieurs morts et des centaines de blessés, la colère s’étendit à tout le pays.

Dans la foulée, l’ensemble des comités de grève des usines et des universi-tés se coordonnèrent dans un « Comité national des ouvriers et des étudiants ».

Le Comité national appela à manifester dans tout le pays le 21 février : les manifestations furent accueillies par le feu des mitrailleuses anglaises. Les funérailles des victimes furent l’occasion de manifestations encore plus mas-sives, à nouveau réprimées. Le mouvement dura jusqu’en juillet. Alors, la chasse aux militants fut ouverte.

Au cours de l’année 1948, le régime du roi Farouk en Égypte, comme ce-lui de Fayçal II en Irak, l’un et l’autre soutenus par les Britanniques, étaient complètement discrédités. En Égypte comme en Irak, la classe ouvrière avait montré sa puissance, sa détermination.

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Allait-elle s’en servir pour mettre à bas à la fois les régimes monarchiques, l’occupation britannique et la domination des classes possédantes ? Cette pos-sibilité existait, le potentiel révolutionnaire aussi, mais la politique des partis communistes n’allait pas dans ce sens. Au contraire, elle mettait la force de la classe ouvrière à la remorque des forces bourgeoises, que des officiers de l’armée allaient incarner.

Mais, en cette année 1948, ce qui sauva pour un temps ces régimes haïs fut la naissance de l’État d’Israël, et la guerre israélo-arabe qui s’ensuivit.

La guerre entre Israël et les pays arabes mit un frein brutal à l’explosion sociale. Elle offrit un dérivatif, créant en Irak et en Égypte un semblant d’unanimité nationale derrière les dirigeants. Les régimes irakien et égyptien proclamèrent l’un et l’autre la loi martiale, sous prétexte de l’éclatement du conflit en Palestine.

L’armée israélienne se prépare au combat.

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Le partage de la Palestine et la création d’IsraëlIl faut dire maintenant quelques mots à propos d’Israël : Les Britanniques

avaient promis qu’à la fin de la Première Guerre mondiale, ils favoriseraient la création d’un État juif. En 1945, ils allaient s’asseoir sur cette promesse. Ils ne souhaitaient pas quitter la Palestine, et portèrent leur présence militaire à 100 000 hommes. Cela contrariait évidemment le projet des organisations sionistes de créer un État juif. Aussi décidèrent-elles d’imposer par la force à l’impérialisme britannique et aux masses arabes la création de l’État juif.

Les États-Unis et l’URSS soutinrent la création d’Israël, car elle affaiblis-sait la Grande-Bretagne. Mais ce qui permit la création d’Israël, ce furent avant tout les centaines de milliers de Juifs rescapés des camps de la mort. Ne sachant où aller, et après avoir traversé tant d’horreur, ils voyaient là la pos-sibilité de créer un État qui leur apporterait enfin la sécurité.

C’est bien le capitalisme pourrissant qui avait engendré le nazisme et qui portait la responsabilité du génocide. Mais les conséquences allaient en re-tomber aussi sur les peuples arabes. Quant au peuple israélien, faute d’avoir cherché des alliés parmi les opprimés des pays arabes, il allait devenir à la fois leur geôlier et l’instrument de la politique des grandes puissances.

En 1947, l’ONU adoptait un plan soutenu par les États-Unis et l’URSS, partageant la Palestine en deux États, un État juif et un État palestinien. Il faisait la part belle à Israël. Les représentants palestiniens et les dirigeants des États arabes refusèrent ce partage. La ligue des États arabes, qui venait de se constituer, annonça qu’ils entreraient en guerre contre le futur État juif.

En avril 1948, le massacre des villageois de Deir Yassin en Palestine, par des colons sionistes, embrasa toute la région. En chassant les Palestiniens de leurs terres, en s’imposant par la force des armes, Israël creusait un fossé de haine entre la population juive de Palestine et les peuples arabes.

Les dirigeants arabes étaient opposés à la création d’Israël parce qu’ainsi naissait un État concurrent, et non parce qu’ils étaient émus du sort des Pales-tiniens, dont ils se moquaient éperdument.

Les dirigeants égyptiens et irakiens se saisirent de l’occasion pour décréter la loi martiale. Ils détournèrent le mécontentement social en l’orientant dans une guerre contre Israël. Les masses arabes se retrouvèrent entraînées dans

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une guerre qui repoussait au second plan leurs propres intérêts et leur propre combat de classe.

Les partis communistes arabes, au nom de leur loyauté envers Moscou, soutinrent le plan de partage qui défavorisait les Palestiniens. Les classes popu-laires, qui avaient mis leurs espoirs dans les partis communistes, se sentirent trahies, et s’en détournèrent. Dans le même temps, les militants communistes continuaient de subir la répression. Fadh, le dirigeant du PC irakien, fut pendu en public.

Yusuf Salman Yusuf dit Fadh, le dirigeant du PC irakien, pendu en 1949.

La guerre israélo-arabe de 1948Israël sortit victorieux du conflit, et repoussa ses frontières bien au-delà de

ce que proposait le plan de partage de l’ONU. Les Israéliens occupaient 70 % de la Palestine. Ce succès aurait été impossible sans les importantes livraisons d’armes russes et sans l’accord secret conclu avec Abdallah, le roi de Jordanie, qui avait promis de rester en dehors du conflit en échange d’une partie de la Palestine.

La Jordanie agrandit son territoire, mais l’Égypte aussi en profita pour prendre le contrôle de la bande de Gaza. La Palestine fut donc dépecée, certes par Israël, mais aussi par la Jordanie et l’Égypte. Entre 700 000 et 800 000

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Prisonniers de guerre arabes à Ramallah en 1948.

Réfugiés du quartier juif de Jerusalem en 1948.

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Pales tiniens furent expulsés de leurs terres. L’ensemble des peuples arabes vécut cela comme une injustice et une humiliation de plus.

La guerre entre Israël et les pays arabes avait enrayé la révolte ouvrière et anti-impérialiste, mais avec la défaite les régimes arabes s’étaient complète-ment discrédités. Aussi la contestation repartit de plus belle, précipitant leur chute.

Égypte, le mouvement de masse de 1950 à 1952En Égypte, le canal de Suez symbolisait à la fois l’occupation du pays par

l’armée britannique et le pillage de ses ressources. Des organisations anti-bri-tanniques de guérilla où étaient représentées toutes les tendances politiques, des Frères musulmans aux communistes, prirent pour cible l’occupation bri-tannique du canal de Suez.

Dans le même temps, des jacqueries paysannes éclataient dans les grands domaines de l’aristocratie. L’écrivain Roger Vaillant a donné ce témoignage de la situation : « Les villageois travaillent sur 1 500 hectares appartenant à un seul propriétaire qui habite l’hiver au Caire, l’été à Alexandrie et six mois par an en Europe. Les jardiniers du plus fertile jardin du monde ont perpétu­ellement le ventre creux ; les fournisseurs en coton du monde occidental sont des loqueteux. Les jardins de la vallée du Nil enrichissent de par le monde un grand nombre d’hommes, les propriétaires fonciers égyptiens, les mar­chands qui vendent le coton brut, les financiers qui édifient des filatures et des tissages, les spéculateurs qui font monter et descendre le prix du coton. La Grande­Bretagne parvient par des moyens tortueux à prélever sa dîme sur tous les produits de la vallée. »

Le 25 janvier 1952 – oui, c’était déjà un 25 janvier –, ce fut aux pauvres des villes de se soulever, à la fois contre l’occupation anglaise, et contre les riches. Les quartiers déshérités du Caire suivaient avec attention l’agitation qui régnait dans la région du canal. La nouvelle du massacre des boulouk nizam, troupes de police auxiliaire égyptiennes qui s’étaient solidarisées avec le mouvement populaire antibritannique, provoqua au Caire une immense manifestation d’un million d’ouvriers, d’étudiants, de fonctionnaires — y compris des policiers, des soldats et des sous-officiers.

Le roi décréta la loi martiale. Les classes possédantes se sentaient mena-cées par cette contestation qui les visait, elles, autant que la monarchie et les Britanniques. La corruption était généralisée, ceux qui avaient de l’argent pouvaient s’offrir un portefeuille de ministre ou un titre de pacha. Et les fras-ques du Roi Farouk, qui traînait dans tous les casinos d’Europe, exaspéraient

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les Égyptiens. Ce roi, qui touchait un pourcentage sur toutes les affaires trai-tées en Égypte, cristallisait toutes les haines. Les arrestations arbitraires, la torture pratiquée à grande échelle par la police politique, ne suffisaient plus à étouffer le mécontentement populaire.

L’Égypte était grosse d’une révolution, où la question de la terre et la ques-tion nationale se mêlaient aux revendications sociales. Mais le Parti commu-niste, qui avait retrouvé un certain crédit auprès de la classe ouvrière, ne sut pas et ne voulut pas proposer des perspectives à la classe ouvrière. Il laissa le champ libre à d’autres forces politiques qui sauvèrent la domination de la bourgeoisie.

Les « officiers libres » égyptiensLe salut des classes possédantes vint de l’armée. Le 23 juillet 1952, les

« officiers libres » regroupés autour de Nasser prirent le pouvoir par un coup d’État. Ils le remirent aussitôt au général Néguib, connu pour son hostilité au roi. À la radio du Caire, Néguib annonça que l’armée avait changé de maître, il ajoutait que tout acte de violence, entendez toute intervention des masses, serait réprimé « avec la plus extrême rigueur ».

Le coup d’État fut accueilli avec soulagement par la population. Mais les premiers gestes des officiers visaient à rassurer les classes possédantes, les impérialistes, et à doucher les illusions qui pouvaient exister dans les classes populaires. Par contre, le roi Farouk put embarquer sur son yacht et quitter le pays en toute tranquillité. Ces officiers qui apparaissaient comme rebelles constituaient une équipe de rechange pour la bourgeoisie égyptienne. Ils vou-laient moderniser l’armée, pratiquer une réforme agraire modérée qui saperait le pouvoir des féodaux, responsables selon eux de la paralysie des campagnes.

Ils souhaitaient industrialiser leur pays et s’opposèrent à tout ce qui entra-vait la production, en premier lieu les grèves ouvrières. En août 1952, près d’Alexandrie, l’armée tirait sur les ouvriers de la filature Misr qui occupaient l’usine. La fusillade fit huit morts et fut suivie de huit cents arrestations. Et, le lendemain, les deux dirigeants de la grève furent pendus.

Ajoutons que s’il était intraitable avec les ouvriers, le régime tenta de s’entendre avec l’impérialisme en facilitant la pénétration des capitaux étrangers.

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Nasser et la guerre froideEn 1954, Nasser évinça Néguib et concentra tous les pouvoirs entre ses

mains. En bon nationaliste, il sut jouer de la rivalité qui opposait le bloc sovié-tique au bloc américain.

Lorsque les puissances occidentales refusèrent de lui livrer du matériel militaire, Nasser se tourna vers la Tchécoslovaquie et l’URSS. En 1955, il participa à la conférence de Bandung, où se réunirent la Chine, l’Inde ou l’Indonésie, de grands pays devenus indépendants qui prétendaient, dans le contexte de la guerre froide, se démarquer à la fois du bloc soviétique et du bloc de l’ouest.

Du coup, les États-Unis refusèrent de débloquer les 200 millions de dol-lars promis pour la construction du haut barrage d’Assouan. Face à ce refus, le 26 juillet 1956, Nasser annonça au cours d’un meeting à Alexandrie, sous les ovations de la population, qu’il nationalisait le canal de Suez et financerait ainsi le barrage. Cette déclaration fut ressentie par la Grande-Bretagne et la France comme un camouflet. Mais pour les populations arabes, et pour les

Nasser à Alexandrie, après l’annonce de la nationalisation du canal de Suez.

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Égyptiens en particulier, c’était une revanche sur près d’un siècle de coloni-sation, dont le canal était le symbole. C’était la réponse d’un pays du Tiers-monde au mépris que les grandes puissances lui manifestaient, c’était un défi à l’impérialisme, et cette mesure devait asseoir la popularité de Nasser, non seulement en Égypte, mais dans tout le monde arabe.

L’expédition de Suez d’octobre 1956Cette décision, malgré son caractère symbolique, n’avait pourtant rien

de révolutionnaire. Elle ne faisait qu’anticiper sur la restitution du canal à l’Égypte, prévue pour 1968. De plus, Nasser prévoyait d’indemniser les ac-tionnaires à un taux qui ne les lésait pas. Mais c’était tout de même inadmissi-ble pour les impérialistes franco-britanniques, qui ne tarissaient pas d’injures sur Nasser, qu’ils qualifiaient de « nouvel Hitler », « de pillard insolent », d’« apprenti dictateur ».

En fait, pour le Premier ministre français, le socialiste Guy Mollet, comme pour le gouvernement britannique, il ne s’agissait pas seulement du canal de Suez. Nasser symbolisait le nationalisme arabe, avec lequel ils étaient aux prises ailleurs, en Algérie ou en Irak. D’ailleurs Nasser avait proclamé son soutien sans faille à la lutte d’indépendance algérienne. Tout cela en avait fait « l’homme à abattre ».

En octobre 1956, la France et la Grande-Bretagne, aidées d’Israël, se lancèrent dans l’expédition militaire de Suez pour la reconquête du canal. Mais celle-ci fut un échec. Les États-Unis, qui avaient pris la relève des Bri-tanniques dans la région, s’opposèrent à cette expédition, et l’URSS exigea elle aussi un cessez-le-feu. Devant la réprobation des deux « supergrands », la France et l’Angleterre n’eurent pas d’autre choix que d’évacuer leurs troupes.

Nasser devenait le champion du nationalisme arabe, et incarnait la dignité retrouvée des peuples.

En 1957, en Jordanie, les partis pro-nassériens gagnèrent les élections. Re-fusant le verdict des urnes, le roi Hussein décréta l’état de siège. La situation était insurrectionnelle. Ce fut l’armée britannique qui vint au secours de la monarchie. Au Liban, en 1958, ce furent les troupes américaines qui rétabli-rent l’ordre.

En Irak, le coup d’État des officiers libres égyptiens avait relancé la con-testation : des grèves et des manifestations éclatèrent. La population vomissait un régime à plat ventre devant l’impérialisme, et l’exemple de l’Égypte était un encouragement.

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Les officiers de l’armée irakienne étaient remués par les idées de Nasser. En juillet 1958, une organisation clandestine des « officiers libres » se consti-tua au sein de l’armée irakienne. Le général Kassem fit un coup d’État sans rencontrer la moindre résistance. La famille royale, au pouvoir depuis 1920, fut exécutée. Kassem entra dans Bagdad en héros et proclama la République.

Un vent de liberté souffla sur Bagdad, créant un climat qui profita en pre-mier lieu au Parti communiste irakien. Par le courage de ses militants, il avait regagné un prestige considérable. Mais le Parti communiste s’effaça com-plètement derrière le général Kassem, qui ne tarda pas à se retourner à la fois contre lui et contre la population.

Une période s’achevait. Les régimes militaires de Kassem, Nasser et d’autres officiers, étaient des dictatures plus ou moins paternalistes, mais férocement antiouvrières. S’ils avaient pu se hisser au pouvoir et incarner le progrès, c’est parce que le puissant mouvement stalinien avait désarmé poli-tiquement le prolétariat. Cela, au moment même où s’ouvraient des possibili-tés révolutionnaires.

Ces partis avaient préparé le terrain aux officiers, qui les remercièrent… en les jetant en prison.

Au moment où Nasser se rendait à la Conférence de Bandung en 1955, il organisait une immense rafle policière contre les communistes. Les bonnes relations entre l’Égypte et l’URSS obligeaient ceux-ci à soutenir le régime nassérien. Et le comble, c’est que du fond des camps où ils étaient enfermés et torturés, ils organisaient des meetings de soutien à Nasser et rédigeaient des odes en l’honneur de leur bourreau !

Après 1956, le déblaiement des épaves qui obstruent le canal de Suez.

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Le panarabismeÀ la fin des années 1950, Nasser était au zénith de sa popularité. Il avait

neutralisé tous ses opposants. Il plaisait par ses discours, mais aussi par son style. Nasser, fils d’un petit fonctionnaire de la poste, savait parler le langage des faubourgs. Il n’avait pas voulu quitter sa modeste maison de Zeitoun pour le palais présidentiel, et cela touchait le peuple égyptien.

Nasser symbolisait alors l’anti-impérialisme mais, malgré les apparences, il ne combattait pas l’impérialisme : il combattait pour la place de la bourgeoi-sie égyptienne dans le cadre du système impérialiste. La nationalisation du ca-nal et ses discours le faisaient apparaître comme radical aux yeux des masses pauvres, et le projet d’unité arabe qu’il tenta de mettre en œuvre renforça son prestige.

L’objectif du panarabisme était de créer un vaste marché unifié, sans bar-rière douanière, qui permette au capitalisme arabe de se développer. Une telle unification aurait été indéniablement un progrès, au regard du morcellement que subissaient les peuples arabes. Mais les bourgeoisies locales n’en avaient ni la capacité, ni la volonté. Les politiciens nationalistes agitaient ce slogan par démagogie, pour récupérer le sentiment et l’aspiration des masses à l’unité.

En 1958, la Syrie et l’Égypte fusionnèrent au sein de la République arabe unie. Mais celle-ci éclata trois ans plus tard. En effet l’État syrien n’accepta pas de subir le contrôle et l’hégémonie de l’État égyptien, beaucoup plus puissant.

Seules les masses pauvres en lutte, mobilisées, auraient pu créer un État unifié réellement démocratique, un État qui s’appuie sur l’initiative des ou-vriers et des petits paysans ; un État où les travailleurs auraient contrôlé l’ensemble des richesses de la région, planifié l’économie, et fait table rase des vestiges du passé.

Usure du nassérismeL’Égypte était en proie à des difficultés économiques, aggravées par les

dépenses militaires. La misère était toujours là. Dans les campagnes, les ven-tres des paysans étaient toujours aussi creux. L’expérience panarabe avait tourné court. Le nassérisme s’usait.

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Dans les années 1960, le mécontentement grandit. On leur en avait de-mandé des sacrifices, aux ouvriers et aux paysans, au nom de la production nationale, de la grandeur du pays. Mais ce qu’avaient rapporté leurs efforts, ils n’en avaient guère vu la couleur. Alors, les grèves avaient beau être interdites, la colère finit par exploser. Fin 1966, après plusieurs années d’étouffement, des grèves contre l’augmentation du temps de travail se multiplièrent.

C’est dans ce contexte que Nasser, pour redorer son blason, procéda au blocus du port d’Eilat, débouché israélien sur la mer Rouge : ce fut le prétexte à l’attaque israélienne de mai 1967. L’aviation israélienne détruisit l’essentiel du potentiel militaire et stratégique égyptien. Les avions de l’armée égyp-tienne furent cloués au sol. En six jours, les chars israéliens conquirent sur la Syrie les hauteurs du Golan. L’Égypte perdait Gaza et la péninsule du Sinaï, et Israël reprenait à la Jordanie ses conquêtes de 1948.

Cette guerre « des Six Jours », conduite avec le soutien des États-Unis, tri-plait le territoire d’Israël, au détriment des peuples arabes et en premier lieu du peuple palestinien. Cela portait un coup fatal au prestige de Nasser. N’ayant pas su préserver l’Égypte de la défaite, Nasser démissionna en juin 1967. De puissantes manifestations le rappelant au pouvoir, il revint. Mais le nassérisme était politiquement mort.

juin 1967, guerre des Six jours : un camion de soldats égyptiens prisonniers, surveillés par des soldats israéliens.

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La lutte du peuple palestinienÀ la suite de la guerre des Six Jours, les pays arabes, la Jordanie, la Syrie,

l’Égypte, virent arriver un flot de réfugiés palestiniens chassés des territoires nouvellement occupés par Israël. La lutte du peuple palestinien occupa le devant de la scène. Les Palestiniens prenaient conscience qu’ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes et rejoignirent les milices de l’OLP, l’Organisation de Libération de la Palestine dirigée par Yasser Arafat.

La lutte du peuple palestinien allait connaître bien des rebondissements, souvent tragiques. Elle représentait un formidable potentiel de révolte. La présence des Palestiniens constituait un ferment révolutionnaire qui pouvait déstabiliser les États arabes qui les accueillaient. Dans tout le monde arabe, la popularité des combattants palestiniens était immense. Mais les masses pau-vres palestiniennes n’étaient pas conscientes de ces possibilités, et il n’y eut aucun parti pour les éclairer dans ce sens.

Par contre, les dirigeants arabes et ceux de l’OLP en avaient, eux, une conscience aiguë. Les dirigeants arabes ne voulaient pas que les Pales-tiniens interviennent dans la vie politique de leurs pays. Et, en restant dans le cadre étriqué du nationalisme palestinien, les dirigeants de l’OLP agirent en représentants responsables de leur bourgeoisie.

Miliciennes et miliciens du Fatah.

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Arafat n’empiéta pas sur les platebandes des dirigeants arabes, car cela correspondait aussi à sa vision politique. Il voulait bien du soutien des États arabes, mais il refusait de prendre la tête d’une révolte des peuples et refusait que les Palestiniens s’engagent dans une telle voie.

Pourtant ces derniers étaient dans une situation privilégiée pour être à la tête de cette révolte. Ils n’avaient pas besoin de Facebook pour communiquer leur révolte aux classes pauvres de Jordanie, du Liban, de Syrie, d’Égypte qu’ils côtoyaient physiquement. Ils auraient pu s’appuyer sur le sentiment qu’avaient les masses pauvres de ces pays de faire partie d’une même classe. D’autant que les Palestiniens avaient le plus haut niveau d’éducation du monde arabe, ils en partageaient la culture et la langue. Mais leurs dirigeants refusaient d’avoir un langage et une politique de classe !

Du coup, la lutte du peuple palestinien se cantonna à une lutte contre l’État d’Israël, alors qu’elle pouvait devenir une lutte de l’ensemble des masses pau-vres du monde arabe contre tous ceux qui les opprimaient. La lutte armée de l’OLP fit office de radicalisme. Mais sa politique était en réalité respectueuse de l’ordre social, et se révéla un échec pour le peuple palestinien, qui se re-trouva isolé, acculé à se battre à la fois contre Israël et contre les États arabes.

En 1970, en Jordanie, ce fut le massacre de « Septembre Noir ». Les blindés de l’armée jordanienne prirent d’assaut les camps de réfugiés palestiniens. Il y eut 3 500 morts et 10 000 blessés. Les États arabes ne bronchèrent pas, ni la Syrie, ni Nasser, qui avaient attendu que les combattants palestiniens soient hors de combat pour demander un cessez-le-feu.

En 1976, l’armée syrienne entra au Liban. Elle venait rétablir l’ordre qu’elle estimait menacé par la mobilisation conjointe des Palestiniens et des Arabes pauvres du Liban. Et puis, en 1982, ce fut l’armée israélienne qui franchit la frontière libanaise, avec comme objectif de chasser l’OLP du Liban. Finalement, Arafat put rallier Tunis avec 15 000 hommes. Mais plus de 1 500 Pales tiniens, en majorité des femmes et des enfants, furent massacrés dans les camps de Sabra et Chatila par l’extrême droite chrétienne libanaise, massacres qui auraient été impossibles sans la présence complice de l’armée israélienne.

En 1987 commença la première Intifada : de très jeunes Palestiniens ar-més de pierres s’attaquèrent aux soldats israéliens suréquipés. Ce ne fut pas l’OLP qui déclencha cette révolte, mais la population des territoires occupés elle-même. L’OLP, cependant, en bénéficia en obtenant une relative recon-naissance de la part d’Israël, qui déboucha sur la promesse de la création d’un État palestinien. Le retour d’Arafat en Palestine le 1er juillet 1994 donna lieu à

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des scènes de liesse. Mais elles furent de courte durée. La vie de la population palestinienne était toujours aussi difficile, l’occupation israélienne n’avait pas cessé. Encore une fois, les Palestiniens se retrouvaient seuls face à Israël.

Finalement, le nationalisme palestinien résume l’histoire de tous les na-tionalismes arabes, qui s’étaient prétendus « progressistes » et s’étaient révélés être une impasse. Ils avaient engendré désillusion et déception, pour finale-ment faire le lit de mouvements plus réactionnaires encore, les mouvements islamistes.

L’Égypte, de la guerre du Kippour à la politique de l’ouverture

Après la guerre du Kippour en 1973, qui pour la Syrie et l’Égypte apparut comme une défaite honorable, l’Égypte de Sadate, le successeur de Nasser, prit ses distances avec Moscou. Sadate se replia sur un nationalisme purement égyptien et tourna le dos au panarabisme.

Confronté à de graves difficultés financières, Sadate pratiqua une politique d’ouverture envers Israël et les États-Unis. En 1977, il se rendit à Jérusalem. Et un an plus tard, il signa avec Israël les accords de Camp David, sous l’égide du président américain Carter.

Un traité de coopération économique s’ensuivit en 1979. Le Sinaï fut res-titué à l’Égypte. Cet accord séparé avec Israël valut à l’Égypte d’être exclue de la Ligue Arabe. Peu de temps après, en 1981, Sadate était assassiné par les islamistes, payant ainsi cette politique de collaboration avec l’impérialisme.

La paix avec l’Égypte, en plus d’apporter à Israël la sécurité sur leur fron-tière commune, faisait voler en éclats la coalition arabe. Les mouvements d’opposition islamistes profitèrent de l’échec des régimes soi-disant « progres-sistes ». La forme que prirent ces groupes islamistes allait varier d’un pays à l’autre. Dans ces années 1970, ils cherchèrent à conquérir une base populaire. Outre l’échec du panarabisme, ce fut la conjugaison de plusieurs facteurs qui leur donna un élan : il y eut d’abord le soutien financier de l’Arabie Saoudite, des États-Unis et d’Israël ; puis la révolution en Iran ; l’effondrement de l’URSS ; et pour finir la guerre du Golfe… Tout cela dans un contexte de crise économique profonde.

L’Arabie Saoudite finançait de longue date dans de nombreux pays des groupes islamistes, dans le but d’affaiblir les régimes dits « progressistes », et surtout de faire pièce à l’influence communiste. Avec la bienveillance d’Israël et des États-Unis, l’Arabie Saoudite devint le premier bailleur de fonds du

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Hamas en Palestine, du FIS (Front islamique du salut) en Algérie, et des Frères musulmans en Égypte et au Soudan.

En 1979, alors que l’alliance de l’Égypte avec les États-Unis et Israël était vécue comme une trahison par les peuples arabes, en Iran, la révolution balaya le régime du Shah et porta au pouvoir les ayatollahs qui allaient fonder la Répu blique islamique.

Ainsi, les islamistes apparaissaient comme les nouveaux champions de l’anti-impérialisme.

Les déçus du nationalisme arabe trouvèrent dans l’islamisme un substitut au panarabisme. Le parcours de l’algérien Abassi Madani illustre cette évolu-tion : dans les années 1940, il était membre du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés et de la démocratie), fondé par le militant algérien Mes-sali Hadj et proche du Parti communiste français. Dans les années 1960, il se rapprocha de Ben Bella dirigeant du FLN, et à la fin des années 1980, il devint un des principaux dirigeants du FIS.

L’effondrement du bloc soviétique laissa nombre de pays arabes orphe-lins d’un allié traditionnel et puissant. L’Algérie, le Sud-Yémen, la Syrie du-rent chercher des palliatifs à l’aide financière et technique que leur apportait l’URSS.

Durant les années 1980, confrontés à la crise économique, les États arabes s’engagèrent dans la voie d’une « libéralisation » de leur économie. L’Égypte, la Tunisie, l’Algérie et le Maroc, endettés, furent contraints d’accepter les programmes du FMI.

Cela eut des conséquences sociales et économiques catastrophiques pour les peuples. Des émeutes de la faim éclatèrent un peu partout. La révolte sociale, provoquée par le chômage endémique et l’accroissement des iné-galités, profita aux islamistes. Leur succès était basé sur le développement d’associations d’entraide, tissées à travers le réseau des mosquées, construites massivement dans les années 1980. Les mosquées étaient un des rares en-droits où régnait une relative liberté d’expression. Mais sur le plan politique et moral, les islamistes faisaient reculer toute la société. Les femmes furent les premières à en faire les frais, par toute une série de lois et codes de la famille, qui en faisaient légalement des mineures à vie.

Les islamistes prétendaient améliorer la situation sociale grâce à la pure-té de l’islam. Ils prétendaient lutter contre la corruption, le relâchement des mœurs, l’usage de l’alcool, en instaurant la charia. Mais ces mouvements obscu rantistes, ultra-réactionnaires, défendaient, tout comme aujourd’hui, une

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politique bourgeoise. Ils ne remettaient en cause ni l’exploitation capitaliste, ni la domination de l’impérialisme.

Par exemple, en Égypte, les Frères musulmans ont soutenu la contre-réforme agraire, qui a permis aux gros propriétaires de reprendre les terres cédées aux petits paysans lors de la réforme agraire de 1956. Ainsi, en avril 2006, dans le village de Daqahliya, l’héritière d’une famille d’anciens proprié-taires a été autorisée par la justice à récupérer des terres saisies sous Nasser. La police a investi le village et a expulsé une dizaine de familles de paysans. Les oulémas de l’université Al-Azhar et le dirigeant des Frères musulmans ont déclaré cette décision « conforme aux préceptes de l’islam qui respecte et défend la propriété privée ». De nombreux paysans pauvres ont payé très cher ces « préceptes de l’islam » : entre 2001 et 2004, les affrontements entre paysans et anciens propriétaires auraient fait 171 morts, 945 blessés et abouti à l’arrestation de 1 642 personnes.

Manifestation des Frères Musulmans en Égypte dans les années 2000.

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La révolte actuelle des peuples arabesCes trente dernières années ont donc été une période sombre pour les popu-

lations pauvres des pays arabes. Ceux qui ont été épargnés par la violence et les guerres, ont vu baisser leur niveau de vie déjà faible, et ont aussi subi des reculs politiques : à l’influence grandissante des intégristes dans la société, s’ajoutait l’absence des libertés élémentaires.

Les dictateurs ont pu bénéficier du soutien sans faille des puissances oc-cidentales et de leurs forces de répression. Leurs instruments, qu’il s’agisse de la police ou de l’armée, ont été soutenus par ces puissances. Les officiers d’état-major, en particulier, ont été formés dans les grandes écoles militaires européennes ou américaines. Chaque année les États-Unis déboursent près d’un milliard et demi de dollars pour entretenir l’armée égyptienne.

Le nouveau chef d’état-major de l’armée égyptienne, Sami Anan, présenté comme « l’arbitre impartial de la révolte populaire et l’épine dorsale de la transition politique », est passé par l’École de guerre en France. Il se trouvait à Washington la veille de la chute de Moubarak, pour prendre conseil auprès des généraux américains.

Ces régimes de dictature ont permis que l’Égypte, la Tunisie, le Maroc, deviennent des eldorados pour les investissements des patrons occidentaux, et notamment français.

La presse tunisienne révèle les bonnes affaires réalisées par les 1 250 en-treprises françaises présentes en Tunisie. Par exemple, tel grand groupe hôte-lier vend pour 1 500 euros à ses clients des séjours touristiques tout compris (avion, repas, massages, soins esthétiques…), qu’il achète 300 euros auprès de sa société tunisienne. Ou telle banque étrangère vend à sa filiale tunisienne un logiciel pour 15 millions d’euros, alors que sa valeur réelle est de 5 mil-lions, et en prime le logiciel est obsolète !

Il n’y a pas à dire : pour les entreprises étrangères, ces pays, c’était vrai-ment le paradis. Main-d’œuvre qualifiée, sous-payée, muselée, et, rêve absolu pour les patrons, les taxes et les impôts y sont ridiculement bas. Ces pays ne sont pas des paradis seulement pour les passionnés de sites archéologiques ou les touristes en quête de soleil. Ce sont avant tout des paradis fiscaux pour les capitalistes de tout poil.

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Mais pour l’heure, on ne parle plus de l’Égypte pour ses pyramides, ni de la Tunisie pour ses clubs de vacances. Car depuis plus de trois mois, les peuples ont relevé la tête. Par vagues successives, la révolte continue de s’étendre, à des degrés divers.

La contestation actuelle vise au renversement de régimes pourris. Elle a mis les mots d’ordre de liberté et de démocratie sur les banderoles des mani-festations. Mais la révolte vient aussi de la faim, de la cherté de la vie, du chômage massif, de l’absence de perspectives, y compris pour la jeunesse diplômée. Avoir un logement pour sa famille, se nourrir convenablement, cir-culer librement, relèvent de plus en plus de l’impossible.

Les richesses produites par les travailleurs n’ont servi qu’à enrichir des grands groupes capitalistes et les cliques au pouvoir. Le fameux « miracle tu-nisien », avec ses taux de croissance élevés, n’était qu’un leurre.

En Algérie, le régime affiche triomphalement ses 155 milliards de dollars de réserve, produit de la rente pétrolière et gazière. La bourgeoisie algérienne et ses nouveaux nababs en ont bien profité, mais les masses exploitées, elles, ont été écartées du festin. Elles ont été condamnées à une misère croissante, et à un chômage record de 30 à 40 %, qui touche en premier lieu la jeunesse.

Oui, la force des pays arabes, c’est à coup sûr leur jeunesse : 60 % de la population a moins de 25 ans. Cette jeunesse a grandi sous la dictature des Ben Ali et Moubarak. Une jeunesse condamnée au chômage, et à vivre jusqu’à un âge avancé au domicile parental. Alors la jeunesse des classes exploitées étouffe, toutes les portes se ferment devant elle, et avec brutalité. Elle ne peut même plus caresser le rêve des générations précédentes, émigrer et vivre une autre vie en Europe, car des barbelés se sont érigés autour des citadelles im-périalistes : obtenir un visa est impossible – à moins d’avoir de l’argent ou du piston, ou plutôt les deux.

La jeunesse refuse la hogra. Ce mot, signifiant « mépris », est apparu en Algérie, sur des banderoles affichant « Non à la hogra ». L’expression s’est répandue de Casablanca à Tunis, reprise par la jeunesse pour exprimer son désespoir, le sentiment d’appartenir à une génération sacrifiée.

C’est ce qu’a exprimé le jeune Mohamed Bouazizi en s’immolant par le feu. Toutes les familles des quartiers populaires arabes ont entendu ce cri et l’ont compris dans leur chair. Une société qui condamne sa jeunesse au déses-poir ne peut pas durer, et doit être renversée ! Comme l’ont dit des manifes-tants, « le mur de la peur est tombé ». Face à la contestation, Ben Ali, dictateur de la Tunisie pendant vingt-trois ans, et Moubarak, dictateur de l’Égypte pen-dant trente ans, ont dû plier bagage. Des bagages bien lourds au demeurant,

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puisque chargés des milliards volés à leur peuple, 40 milliards pour Moubarak et « seulement », si l’on peut dire, 5 milliards pour Ben Ali.

Depuis trois mois, les régimes en place sont ébranlés avec plus ou moins d’ampleur. Voici l’analyse d’un observateur inquiet de la tournure des événe-ments : « Toute la région était un volcan éteint. Il se réveille avec d’autant plus de force qu’on le croyait éteint. Et il a de nombreux cratères, qui s’allument les uns après les autres. »

Eh bien nous, nous nous en réjouissons. Les choses bougent enfin, et les régimes ont l’air de ne pas réussir à contenir la révolte, les cratères semblent effectivement avoir des galeries qui communiquent.

Cela tranche sur les décennies de recul et de résignation. Décennies pen-dant lesquelles les peuples ont payé le prix fort, pris en tenaille entre la dic-tature militaire de régimes pourris d’une part, et la montée en puissance de courants obscurantistes d’autre part. Si les uns et les autres se sont parfois affrontés, ils se sont toujours entendus pour mettre au pas la population, et étouffer la combativité ouvrière.

Après tous les chocs subis, les masses arabes paraissaient abattues et ré-signées. Il faut croire que la vitalité des exploités est forte. La chaîne de volcans s’est réveillée, sans qu’on puisse dire si ces premiers soubresauts préparent, pour un avenir proche, des explosions plus fortes encore. Les manifestations se succèdent et ont contraint les gouvernements à multiplier les concessions politiques.

Pour prévenir l’explosion, le 23 février, le roi Abdallah d’Arabie Saoudite a promis un plan de 36 milliards de dollars, destiné à relever le salaire des fonctionnaires et à bâtir des logements.

Le 7 mars, le gouvernement de Bahreïn a limogé six ministres sur dix, et annoncé un programme de construction de 50 000 logements sur cinq ans, pour un coût de plus de 5 milliards de dollars. Le 28 février, le sultan d’Oman a offert 300 euros à chaque chômeur de son pays, et a augmenté le salaire minimum et les bourses des étudiants. Celui du Qatar a annoncé la tenue de prochaines élections. L’émir du Koweït, lui, a distribué, à deux reprises, 1 000 dollars à chaque citoyen koweïtien.

Mais il n’est pas sûr que les monarchies pétrolières puissent ainsi acheter une paix sociale que l’ensemble des pays impérialistes souhaitent pour cette région qui leur est hautement stratégique. Toutes les concessions faites n’ont pas réussi à arrêter le mouvement. La répression non plus : au contraire, l’extension à d’autres pays se poursuit. Au Yémen, malgré des dizaines de morts, les manifestants bravent le gouvernement et rejettent l’état d’urgence,

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Manifestation réprimée en Tunisie, janvier 2011.

Grève des ouvriers du textile à Mahalla al-Kubra, en 2007.

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tandis que la contestation s’est propagée à la Syrie, remettant en cause le ré-gime d’Al-Assad.

Nous espérons que, quels que soient les politiciens bourgeois de tout poil qui cherchent à les tromper, les classes exploitées trouveront leur chemin, et qu’elles cultiveront la défiance qui les anime contre tous ceux qui voudraient qu’elles se contentent d’un ravalement de façade. En Égypte et en Tunisie, ces bons démocrates bourgeois s’étalent sur les chaînes de télévision et dans la presse écrite pour expliquer, « à des centaines de milliers de jeunes qui veulent avoir tout et tout de suite, que tout n’est pas possible ».

Mais pour l’heure, les travailleurs du textile, des banques, des transports, entrent en grève à tour de rôle, souvent pour les salaires. Les maigres avan-tages qu’on leur consent ne calment pas la protestation.

Sans doute parce qu’ils sentent confusément que leurs luttes ne doivent se contenter, ni de quelques changements de gouvernement, ni de mascarades électorales et constitutionnelles. Elles ne doivent pas se contenter non plus de maigres augmentations que l’inflation galopante leur reprendra rapidement.

Le journal égyptien Al Ahram rapportait, le 23 mars, la grève qui touche le secteur bancaire. Les employés des banques d’Alexandrie étaient en grève, ils revendiquent une égalité salariale et la démission de certains responsables ac-cusés de népotisme. Ils dénoncent leurs maigres augmentations, alors que les copains ou proches du patron se voient allouer de grosses sommes.

À la Banque Nationale, la première du pays, c’est la même chose : 15 % d’augmentation pour les salaires des travailleurs, mais pour certains conseillers jusqu’à 1 million de livres égyptiennes par mois, soit environ 120 000 euros. Le journaliste conclut ainsi : « Les employés demandent justice et égalité. Des droits qui ne verront le jour qu’à travers une transparence totale du fonc­tionnement de ces institutions. »

Tel est le problème qui se pose aux classes exploitées : renverser un régime ne suffit pas, encore faut-il renverser le pouvoir économique que ces régimes servaient et qui, lui, est toujours là.

Le mur de la peur est tombé. Il reste le mur de l’argent, c’est-à-dire la dic-tature économique exercée par l’impérialisme, qui a pour complice les bour-geoisies locales.

La classe ouvrière porte l’avenirBien sûr, nous ne connaissons pas l’avenir de ces mouvements. Mais ils

constituent d’ores et déjà un événement majeur qui nous donne un espoir pour l’avenir.

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Nous savons que dans ce combat, la classe ouvrière est la seule classe qui peut jouer un rôle moteur, et s’opposer à toutes les scories du passé, à tous les privilèges établis.

Le prolétariat des pays arabes est aujourd’hui bien plus nombreux, plus jeune et plus instruit que lors des révoltes du passé. Il a entre ses mains des atouts considérables, son nombre, mais aussi le fait de partager la même langue. Les travailleurs des pays arabes sont en contact les uns avec les autres, ils circulent facilement d’un pays à l’autre.

On a découvert avec la guerre civile en Libye qu’un million et demi d’Égyptiens y travaillaient, ainsi que des Tunisiens, des Algériens… Et il en va de même dans les pays du Golfe.

Et puis les travailleurs arabes ont un autre atout : ils sont des millions à vivre et travailler en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne ou en Es-pagne. Ils sont intégrés à la classe ouvrière de ces pays, et participent à ses luttes. Alors, une renaissance du communisme dans les pays arabes aurait des conséquences incalculables, non seulement pour le mouvement ouvrier arabe, mais aussi pour celui des pays européens. Le lien entre eux pourrait s’établir naturellement. Et ce serait un juste retour des choses que le mouvement ou-vrier d’Europe soit fécondé par celui des pays arabes.

Nous faisons confiance au prolétariat pour qu’au travers de ses luttes, il prenne conscience de sa force, et de son droit à contrôler les richesses.

Bien sûr, pour aller au bout de ce combat, il lui faudra de véritables partis communistes. Et on peut espérer que, parmi les travailleurs et les intellectuels, il y ait des femmes et des hommes qui se mettent à réfléchir à l’avenir. Pas seulement à leur avenir personnel, mais à l’avenir de toute l’humanité. Et on peut espérer aussi qu’ils renouent avec le marxisme, avec le passé du mouve-ment ouvrier. Nous savons que ce n’est pas encore dans la conscience des travailleurs, mais les classes dirigeantes, elles, le craignent.

Et si cette crainte devient une réalité, tous les espoirs seront permis pour l’avenir d’une véritable révolution arabe, c’est-à-dire la révolution des prolé-taires et des exploités de ces pays.

LES BROCHURES DU CERCLE LÉON TROTSKY1 Le colonialisme, 1830-1914 7/10/832 Les Palestiniens, histoire d’un peuple qui a Israël

pour adversaire et les États arabes comme ennemis 25/11/83

3 Les États-Unis et l’Amérique latine 13/01/844 Le Parti Communiste, de ses origines communistes

au parti de gouvernement 3/02/845 L’Afrique du Sud, histoire d’une colonie ; lutte de classe

et oppression coloniale 9/03/846 1929-1941 : de la crise à la Seconde Guerre

mondiale 13/04/847 Yalta, de la peur de la révolution au partage du

monde 28/09/848 Nicaragua : le mouvement sandiniste,

ses hommes, son histoire, sa politique 26/10/849 La Chine, de Mao à la démaoïsation 23/11/8410 Cuba, Castro et le castrisme 25/01/8511 Maghreb : les classes populaires,

la bourgeoisie nationale et l’impérialisme 11/03/8512 De la Russie révolutionnaire à l’URSS des

bureaucrates 26/04/8513 Les syndicats dans les pays impérialistes :

de la lutte de classe à l’intégration dans l’État 14/06/8514 Chili : de l’Unité Populaire à la

dictature militaire (1970-1973) 27/09/8515 Pologne 1980-81 : des grèves de Gdansk

à la dictature militaire 25/10/8516 La crise de l’économie capitaliste mondiale 29/11/8517 Les partis communistes des pays occidentaux 25/04/8618 Les partis communistes dans les pays sous-

développés 23/06/8619 1956 dans les Démocraties Populaires 26/09/8620 L’impérialisme français au Moyen-Orient 24/10/8621 Le terrorisme, la guérilla et la lutte armée

des organisations nationalistes 28/11/8622 La flambée de la Bourse

dans un système capitaliste en crise 20/028723 Iran : de la dictature du shah à celle de Khomeiny,

la révolution escamotée 30/04/8724 70e anniversaire de la Révolution d’octobre :

l’actualité de la révolution prolétarienne 13/11/8725 Le krach boursier d’octobre 1987, nouvelle étape

de la crise mondiale du capital 11/12/8726 Le désarmement dont parlent les « grands » : un

leurre 15/01/8827 Cinquante ans après la fondation de la IVe Internationale,

quelles perspectives pour les militants révolutionnaires internationalistes ? 30/09/88

28 L’Union soviétique de Gorbatchev 18/11/8829 L’Algérie, de la mise en place du régime

nationaliste à l’explosion ouvrière 16/12/8830 Europe de l’Est, crise et montée des nationalismes 27/01/8931 1789… la révolution ! 3/03/8932 L’Europe unie, une nécessité, mais

une impossibilité sous le capitalisme 28/04/89

33 Où va l’URSS de la pérestroïka ? 6/10/8934 L’URSS lâche ses satellites : la RDA sur orbite de la

RFA 10/11/8935 Afrique du Sud : 15 années de lutte

du prolétariat contre l’apartheid 12/12/8936 Le renversement de la dictature roumaine

et l’avenir de l’Europe de l’Est 26/01/9037 L’impérialisme à la fin du XXe siècle :

le Japon peut-il remplacer les États-Unis ? 16/03/9038 Relations Est-Ouest : la fin des « blocs »,

rien à voir avec la fin du communisme 27/04/9039 L’impérialisme français et ses

anciennes colonies d’Afrique noire 29/06/9040 La crise du Golfe, l’agression impérialiste

au Moyen-Orient 5/10/9041 Crise ou relance, le capital le fait

durement payer au prolétariat de la planète 9/11/9042 La Pologne après Jaruzelski 14/12/9043 Les intégrismes religieux, instruments de la réaction

politique 1/02/9144 La gauche et les guerres coloniales 8/03/9145 Les avatars de l’hégémonie américaine depuis

1945 12/04/9146 La remontée des nationalismes en

Europe centrale et balkanique 14/06/9147 URSS. Après le coup d’État manqué 4/10/9148 La Yougoslavie déchirée par les nationalismes 8/11/9149 Nationalisations et dénationalisations

au service de la bourgeoisie 13/12/9150 L’Europe en 1992 17/01/9251 Billancourt : reflet des luttes sociales et de la politique

patronale et gouvernementale des cinquante dernières années 22/05/92

52 Les puissances impérialistes et la situation dans l’ex-Yougoslavie 2/10/92

53 Les États-Unis à l’heure des élections présidentielles et de la crise 6/11/92

54 Italie : une crise particulière ? 11/12/9255 De « l’affaire de Panama » aux « affaires » en cours :

les scandales politico-financiers, une longue tradition… 29/01/93

56 Exposé d’Arlette Laguiller au Cercle Léon Trotsky du 16 avril 1993 : au lendemain des élections législatives de mars 1993 16/04/93

57 Les États-Unis dans les années 30 : crise, New Deal et luttes ouvrières 25/06/93

58 De la « Guerre des pierres » à un État palestinien ? 8/10/93

59 Le peuple algérien face à la double pression réactionnaire de l’armée et du FIS 17/12/93

60 L’Afrique noire ravagée par l’impérialisme 4/02/9461 Haïti 1994 18/03/9462 L’Union européenne : arène rénovée

de la guerre des trusts 29/04/94

63 De l’avant-guerre à l’après-Seconde Guerre mondiale. La « Libération » et la continuité de l’État français 7/10/94

64 Cuba, trente-cinq ans après la révolution castriste 18/11/8465 Rwanda, Burundi, Zaïre : les ravages

de cent ans de domination impérialiste 16/12/9466 Où en est la cause des femmes ? 10/11/9567 Israël : comment le sionisme a produit l’extrême

droite 2/02/9668 Espagne 1931-1937 : la politique de front populaire

contre la classe ouvrière 3/05/9669 Du Front unique aux différentes moutures

de l’Union de la Gauche, les relations du PCF et des socialistes 29/03/96

70 Les Kurdes, victimes de la politique impérialiste… et de celle de leurs propres dirigeants 8/11/96

71 Le communisme, l’écologie, et les écologistes 13/12/9672 La « mondialisation » de l’économie 14/03/9773 La protection sociale : des assurances

contre la révolte ouvrière 31/01/9774 Capitalisme et immigration 3/10/9775 Actualité du communisme

face à la mondialisation capitaliste Exposé d’Arlette Laguiller pour le 80e anniversaire de la Révolution russe 7/11/97

76 Le peuple algérien face à la barbarie islamiste et à la dictature des militaires : les responsabilités de l’impérialisme français 12/12/97

77 Pouvoir central, pouvoirs régionaux et locaux… et contrôle populaire 30/01/98

78 En 1999, l’euro ? Face aux bourgeois qui unifient leurs monnaies, les intérêts communs des travailleurs de toute l’Europe 24/04/98

79 Cent cinquantenaire de l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises. Esclavage et capitalisme 12/06/98

80 La crise économique et financière 13/11/9881 La Chine et l’économie de marché : un grand bond

en avant ou un grand pas en arrière ? 11/12/9882 N° spécial : Leur Europe est celle des financiers

il faut construire l’Europe des peuples 19/3/9984 Les partis communistes aujourd’hui 5/11/9986 « Mondialisation », OMC, Seattle,

qu’y a-t-il de dans le capitalisme ? Les révolutionnaires et le réformisme de crise 25/2/2000

87 De l’URSS à la Russie de Poutine 12/5/ 200089 Démocratie, démocratie parlementaire,

démocratie communale 26/1/200190 L’agriculture, l’agroalimentaire et l’alimentation

entre les mains du grand capital 27/04/200191 L’Irak, enjeu et victime des

grandes manœuvres de l’impérialisme 8/11/200292 Les retraites : faire face à l’attaque

qui se prépare contre la classe ouvrière 31/01/200393 Cinquante ans après la mort de Staline,

quinze ans après la pérestroïka, onze ans après la disparition de l’URSS, où va la Russie ? 25/04/2003

94 L’État, la Sécurité sociale et le système de santé 7/11/200395 Des nationalisations aux privatisations 1/10/ 200496 Les États-Unis après l’élection présidentielle

du 2 novembre 2004 19/11/200497 Les religions et les femmes 4/02/0598 La classe ouvrière d’Europe et l’immigration 15/04/0599 Liban : une création du colonialisme français

dans un Moyen-Orient divisé par l’impérialisme 16/06/05100 La société capitaliste la plus puissante à la lumière

de la catastrophe de la Nouvelle-Orléans 5/10/05101 La Chine : nouvelle superpuissance économique

ou développement du sous-développement ? 27/01/06102 L’Inde, de l’exploitation coloniale

au développement dans l’inégalité 10/03/06103 Les anciennes Démocraties populaires

aujourd’hui 28/04/06104 L’Afrique malade du capitalisme 16/06/06105 Amérique latine : les gouvernements

entre collaboration et tentatives de s’affranchir de la domination des États-Unis 24/11/06

106 Écologie : nature ravagée, planète menacée par le capitalisme ! 26/01/07

107 Pétrole : la dictature des trusts 19/10/07108 L’impérialisme américain, des origines aux guerres

d’Irak et d’Afghanistan 7/12/07109 Israël-Palestine

Comment l’impérialisme, en transformant un peuple en geôlier d’un autre, a poussé les deux dans une impasse tragique 1/02/08

110 La grande bourgeoisie en France 18/04/08111 Au-delà de la crise actuelle, la faillite

des solutions bourgeoises à la crise du logement 13/06/08112 Crises alimentaires périodiques,

plus d’un milliard de sous-alimentés. Le capitalisme affameur 17/10/08

113 La crise de l’économie capitaliste 11/12/08114 L’enseignement public 30/01/09115 Face à la faillite du capitalisme,

actualité du communisme 1er trimestre 2009116 La crise de 1929 et ses conséquences

catastrophiques 14/10/09117 La décroissance : faire avancer

la société… à reculons ? 10/12/09118 Afrique du Sud : de l’apartheid

au pouvoir de l’ANC 29/01/10119 L’Iran après plus de trente ans

de régime islamique 19/03/10120 Sport, capitalisme et nationalismes 18/06/10121 Les syndicats hier et aujourd’hui 15/10/10122 Allemagne : vingt ans après,

où en est l’unification ? 19/11/2010123 Les religions, l’athéisme et le matérialisme 28/01/11124 Le prolétariat international, la seule classe

capable de mettre fin au capitalisme et à l’exploitation 4/03/11

PRIX : 2 €

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