40
AUJOURD’HUI, LA TACTIQUE DOCTRINE DOCTRINE TAcTIQUE Revue d’études générales n°18 2009

1re de couv. fr - ANCIENS DU RICM

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

AUJOURD’HUI,LA TACTIQUE

DOCTRINEDOCTRINETAcTIQUE Revue d’études générales

n°18

2009

Editorial page 3

DOCTRINE

Le retour de la tactique page 4

Rupture et continuité : nouvelles conditions des opérations page 7

Offensive, défensive, sécurisation, assistance page 9

Les atouts de la simulation pour l’apprentissage de la tactique page 12

INTERNATIONAL

Un point de vue britannique - «ADP - Opérations Terrestres» :

une philisophie militaire page 15

RÉFLEXIONS & TÉMOIGNAGES

La tactique, de Guibert à nos jours page 17

La pression dissuasive ou Gulliver libéré page 21

3A : Bilan et perspectives page 25

Fondamentaux, vous avez dit fondamentaux... page 29

L’idée de manœuvre : évolution dans le questionnement page 32

FT 02 : transformer l’essai page 37

DOCTRINE N° 18 -DÉCEMBRE 20092

Directeur de la publication : Général (2S) Claude KoesslerRédactrice en chef : Capitaine Gwenaëlle Denonin - : 01 44 42 35 91 - PNIA : 821.753.35.91Diffusion, relations avec les abonnés : Major Catherine Bréjeon - : 01 44 42 43 18 - PNIA : 821.753.35.18Maquette : Christine Villey - : 01 44 42 59 86 - PNIA : 821.753.59.86 - Création : amarena Graphiste : Nanci Fauquet : 01 44 42 81 74Crédits photos : 1re de couverture : Capitaine Hugues Bonningues - 4e de couverture : Montage : LCL Franc & InternetDiffusion : établissement de diffusion, d’impression et d’archives du commissariat de l’armée de Terre de Saint-EtienneImpression : Imprimerie BIALEC - 95 boulevard d’Austrasie - BP 10423 - 54001 Nancy cedexTirage : 2 500 exemplaires - Dépôt légal : à parution ISSN : 1959-6340 - Tous droits  de reproduction réservés. Revue trimestrielle : Conformément à la loi «informatique et libertés» n° 78-17 du 6 janvier 1978, le fichier des abonnés à DOCTRINE a fait l’objet d’unedéclaration auprès de la CNIL, enregistrée sous le n° 732939. Le droit d’accès et de rectification s’effectue auprès du CDEF. Centre de Doctrine d’Emploi desForces - BP 53 - 00445 ARMEES.

Web : www.cdef.terre.defense.gouv.fr Mel : [email protected]

SSommaire n° 18ommaire n° 18

CCe numéro de Doctrineintéressera les férus de

tactique, au premier rang desquelsf i g u r e n t é v i d e m m e n t l e slieutenants, les capitaines, lescolonels et les généraux del’armée de Terre en charge d’uncommandement au sein des forcesterrestres.

LLeur vocation, c’est en effet l’action enopération, et cette action procède

fondamentalement de la tactique. Celle-cis’impose à chacun quel que soit son échelon,tant il est vrai que, dans un cadre espace-t e m p s d o n n é , l e s c o n d i t i o n s d el’engagement sont différentes pour chaqueniveau et chaque formation engagée : cesconditions particulières confèrent ainsi à toutchef tactique une certaine part d’autonomiede réflexion et d’action. On le constateaujourd’hui pour nos chefs de détachements,commandants de Task forces ou de forcesdans les Balkans, en Afrique, au Liban, enAfghanistan. La tactique, selon le TTA 106,c’est «l’art de combiner, en opération, lesactions de tous les moyens militaires pour

atteindre les objectifs assignés par lastratégie opérationnelle». Cette définition estcommunément admise au-delà du mondemilitaire et s’impose à nous.

LLe présent numéro de la revue Doctrineexplicite et accompagne le manuel de

tactique générale de l’armée de Terre (FT02)édité par le CDEF en 2008. L’édition de cemanuel s’imposait, dans le cadre politico-stratégique renouvelé des opérationsconduites par la France depuis une quinzained’années. Dans une gamme de missions

allant du maintien de la paix à lacontre-rébellion, les paramètres del’engagement sont devenus plusnombreux, incertains, parfoisextrêmement variés sur un mêmethéâtre. Le manuel de tactiquegénérale (FT02) part du principeque la tactique demeure toujours

l’élément transcendant d’unemanœuvre préparée, conduite,

consolidée. Mais les finalités de cettemanœuvre ont évolué : contraindrel’adversaire plutôt que l’écraser, contrôlerle milieu pour en tirer parti, influencerles perceptions pour légitimer et susciterl’adhésion. L’action militaire dans lesopérations de stabilisation est ainsi axée surla sécurisation. Contre-rébellion, contrôle dezone, interposition deviennent des modesd’action usuels. Les responsabilités desarmes et fonctions opérationnelless’élargissent, à l’instar du renseignement quis’intéresse certes à l’adversaire, mais aussi àla compréhension de l’ensemble des acteursdu conflit.

C’C’est ainsi à un renouveau de la tactiqueet de l’art de la manœuvre que le

présent numéro de Doctrine vous propose deréfléchir. Ayant pris acte des nouvellesconditions dans lesquelles sont menées lesopérations militaires, il convient d’en tirerles pr incipes tact iques qui, selonl’expression de Foch, devront «être adaptésaux circonstances», tant la qualité premièredu tacticien demeure l’adaptation. Or, loindes schémas d’école, l’adaptation demeurele produit du pragmatisme, de l’intelligenceet de l’imagination, voire du génie. Latactique, «science des généraux» d’après lecomte de Guibert, c’est d’abord une affairede chef lorsque le moment est venu d’agir,quel que soit le grade de ce chef.

Général de division Thierry OLLIVIER directeur du Centre de doctrine

d’emploi des forces

ÉDITORIAL

DÉCEMBRE 2009 DOCTRINE N° 183

«L’ACTION MILITAIRE DANS

LES OPÉRATIONS DE STABILISATION

EST AINSI AXÉE SUR LA

SÉCURISATION.»

C•D•E•F

DOCTRINE N° 18 DÉCEMBRE 20094

OOr cette évolution n’est pas sisimple car les pensées tactiqueset les appareils militaires restent

aujourd’hui largement héritiers d’unedoctrine fondée sur le modelage duchamp de bataille en faveur du feu et surla protection des combattants. Il illustrecette hantise du débordement qui a long-temps conditionné la zone d’engagementdes grandes unités. La guerre des flèchesbleues et rouges n’est pourtant plusreprésentative. Le FT02 vise ainsi àrépondre au devoir de compréhensionde l’évolution des formes de guerre expli-citée par le FT01.

D’abord, l’écrasante supériorité techno-logique occidentale a estompé le risquede guerre classique et c’est la guerreau sein des populations qui s’imposedésormais.

Ensuite, les guerres de décolonisationont permis la mise au point d’une doc-trine originale de contre-guérilla dontles leçons sont facilement transposablesaux conflits contemporains.

Enfin, l’émergence du contrôle du milieuconduit à une modification de lamanœuvre terrestre : l’espace s’est

élargi - sans distinction de ligne decontact, d’arrière et de profondeur- ets’est encombréde protagonistes variés ;

la manœuvre vise désormais les centresde gravité de l’adversaire en assumantla présence de zones lacunaires.

* Le Colonel Philippe COSTE commande la Division Simulation Recherche Opérationnelle (DSRO) depuis le 1er août 2009.

Le retour de la TactiquePAR LE COLONEL PHILIPPE COSTE* CDEF/DDO/BUREAU ENGAGEMENT

PPourquoi traiter de tactique générale, quand la nouvelle stratégie de l’action évoque laprévention, la dissuasion, la protection ou l’intervention et que la menace, essentiellementasymétrique, esquive la manœuvre ? Par ailleurs, contrairement à la plupart des armées

de terre occidentales, la doctrine française ne disposait pas de recueil de tactique générale.

On constate cependant :

- que d’une part, ce nouveau contexte stratégique confère un caractère décisif à l’actiontactique,

- et que d’autre part, paralysée par le contexte de la guerre froide favorisant le front continu sansespace de manœuvre et la prédominance de la puissance mécanique brute, la tactique abesoin d’être renouvelée.

«J'allais partir en Indochine et j'étais allé dire au revoir àmes chefs ; l'un d'eux me dit ceci : "Vous allez partir enIndochine, c'est bien ; vous allez faire votre devoir

d'officier supérieur, mais retenez bien ce que je vais vous dire :à votre grade, à votre âge, avec votre formation antérieure,vous n'avez plus rien à apprendre là-bas. Rien à apprendre surle plan stratégique, car vous aurez affaire à une stratégie defourmis qui est complètement dépassée dans les guerresmodernes. Rien à apprendre sur le plan de la tactique, car vousaurez affaire à une tactique périmée qui s'apparentedavantage aux guerres de 1870 et de 1914-1918, qu'à celle de1939-1945, pourtant déjà si périmée, rien même àapprendre sur le plan de l'emploi des armes, car c'est un paysoù on les emploie à contresens. On m'a dit - disait-il (car il n'yétait pas allé) - qu'on employait les blindés par unitésrelativement modestes comme le peloton". Il avait raison : moije les ai employés par patrouilles.»

Col Lacheroy

DDoctrineoctrine

DÉCEMBRE 2009 DOCTRINE N° 185

La tactique révèle alors toute son impor-tance. Elle confère à la manœuvre unecapacité à influer les perceptions, àcontrôler le milieu et à contraindre l’ad-versaire1 par la combinaison non seule-ment de moyens coercitifs, mais aussi deceux qui agissent sur les milieux physiqueet humain. Elle permet ainsi d’atteindrel’état final recherché dans le cadre d’uneapproche globale.

1. La manœuvre tactique s’adapteavant tout à la menace

La guerre symétrique laisse place auxguerres dissymétriques qui, elles-mêmes,dérivent très vite en affrontements asy-métriques qui durent.Les forces s’engagent ainsi au sein deconflits qui les opposent à des adver-saires dont la disparité de nature, desbuts, des moyens et des manières d’agirne cessera de croître.

“Pour une arméerelativement faible et maléquipée, la conceptionclassique de la guerre estextrêmement dangereuse etdoit être résolumentécartée”.

Général Giap

L’adversaire adopte une tactiquede contournement alliant facul-tés d’adaptation et d’innovationet contrôle de la population afind’éviter la puissance adverse etde ne frapper que ses vulnérabi-lités.

2. La manœuvre tactiques’adapte à l’intensité dela confrontation

En réponse aux trois grandesoptions de stratégie opération-nelle militairequi déterminent letype d’intervention :soutien à laprévention et la sécurité, maîtri-se de la violence et actions deforce, l’engagement des forces

terrestres est organisé autour de quatremodes tactiques : - l’offensive, - la défensive, - la sécurisation - l’ assistance.

C’est leur combinaison qui permet d’as-surer une triple posture opérationnellepour mener simultanément sur un mêmethéâtre :

des actions de force, des actions de sécuritépour s’opposer

aux auteurs de violence, des actions d’assistance aux popula-

tions et à la reconstruction.

3. La manœuvre tactique s’adapte àl’élargissement de l’incertitude :comprendre et surprendre

Le «brouillard de la guerre» s’accroît d’unadversaire diffus et intégré dans un milieucomplexe. Le renseignement ne peutdonc plus se contenter de satisfaire ausavoir ; il doit désormais, par la connais-sance de l’environnement, tendre à unemeilleure compréhension de l’intentionadverse et ainsi permettre de guider l’ac-tion et d’éviter de confier la décision àl’événement.

La manœuvre doit aussi accroître l’in-certitude adverse car comme le rappe-lait Frédéric II «c’est ce à quoi l’ennemis’attend le moins qui réussira le mieux».En effet, la surpriseest un facteur impor-tant de succès. Dans une lutte au seindes populations, la discrétion estindispensable et des mesures de décep-tiondoivent accompagner la préparationde l’action. Elles visent à leurrer sur lesintentions en simulant des manœuvres,et à obtenir la dispersion des forcesadverses. Néanmoins, la surprise s’ob-tient moins par la retenue, que par lesméthodes de combat : elles sont tout àla fois dépendantes de la rapidité d’ex-ploitation du renseignement comme decelle des modalités de préparation et decoordination.

4. La manœuvre tactique adaptel’application des principes de laguerre

Les principes de la guerre sontimmuables ! La liberté d’action, laconcentration des efforts et l’économiedes moyens demeurent car la nature dela guerre demeure inchangée ; n’est-cepas d’ailleurs le respect de ces principesqui motive une guérilla pour basculerdans l’asymétrie ! Le premier de ces prin-

Photo fournie par l’auteur

DOCTRINE N° 18 DÉCEMBRE 20096

cipes -la liberté d’action- permet degarder l’initiative par rapport à l’adver-saire : «c’est la maîtrise du coup sui-vant». Mais de nouvelles contraintesrestreignent la liberté d’action car lapopulation s’impose en tant qu’enjeumajeur et la capacité d’influence prendle pas sur la capacité de destruction.Pour reprendre les expressions deClausewitz, la guerre est de moins enmoins «le jugement de la force» et deplus en plus «l’affrontement des volon-tés». Ce qui est important, c’est davan-tage ce qui est ressenti que ce qui estfait.

Le recours à ladestructionse heurte alorsà trois contraintes essentielles :

- la prépondérance de l’information por-te instantanément tout acte de des-truction devant l’opinion publique,

- les forces sont souvent engagées pourdes motifs qui n’apparaissent pas vitauxpour la conscience nationale,

- l’emploi de la force doit être ferme maismesuré parce qu’elle est toujourssource de rancœur et de frustrationparmi les populations.

Ainsi, l’engagement des forces arméesdoit prendre en compte des corollairesnouveaux pour préserver la liberté d’ac-tion du commandement, à savoir :

- la légitimité de l’action qui repose surle principe de nécessité, c’est à dire dejuste suffisance de l’application de laforce aux objectifs recherchés. Il endécoule une proportionnalité entre lesdommages infligés et les torts subis,ce qui peut s’énoncer en principe demodération,

- la réversibilité de l’action qui vise àorganiser les forces en vue de la limi-tation des pertes humaines et des dom-mages matériels et à privilégier la failli-te de l’adversaire à son écrasement.

1 Cf. les finalités tactiques qui seront décrites dans leFT03 à paraître.

En conclusion : la manœuvre tactique s’insère dans une manœuvre globale.

C’est l’approche indirecte de la manœuvre qui est la plus adaptée aux évolutions décrites ci-dessus :menace diffuse qui recherche les déséquilibres dans tous les domaines et évolue au cœur despopulations, multiplication des protagonistes, imbrication des domaines militaires et non militaires,rôle croissant des coalitions et nécessité de planifier au plus tôt la sortie de crise.

La manœuvre globale repose sur la convergence des actions de toutes natures en direction del’adversaire et du milieu. Elle permet d’inscrire l’action terrestre dans le domaine plus large de lagestion globale des crises, associant aux aspects militaires et sécuritaires ceux de la politique, de ladiplomatie, de la économie et de l’information.

En ne se limitant plus à la seule action coercitive contre un ennemi identifié, le chef tactique s’efforced’agir contre son adversaire tout en contrôlant et protégeant le milieu et en influençant les perceptions.

«Lorsqu’en prenant un repaire on pense surtout au marché qu’on yétablira le lendemain, on ne le prend pas de la même façon».

Maréchal Lyautey

DDoctrineoctrine

DÉCEMBRE 2009 DOCTRINE N° 187

CCes éléments de tactique généra-le constituent une réponse, pro-bablement provisoire, aux exi-

gences des conflits d’aujourd’hui et dedemain. Il en rappelle les principes intan-gibles et précise les principes nouveauxqui prévalent dorénavant pour faire faceà tout le spectre des engagements, dela «grande guerre» aux «guerres irré-gulières» et asymétriques que nos forcesretrouvent après une courte paren-thèse. Les enseignements de notrepassé colonial, de Galliéni à Lyautey,la résurrection décomplexée des textesde Trinquier et Galula, depuis longtempsenseignés dans les académies et lesunités américaines, doivent nous per-mettre de mieux comprendre commentagir efficacement au sein des popula-

tions, puisque c’est bien en leur seinque se déroule aujourd’hui l’engage-ment de nos forces terrestres. Le faitreligieux a supplanté les idéologiesnationalistes et politiques des guerrespostcoloniales. Pourtant, «l’habitant,au centre du conflit, constitue toujoursle centre de gravité». Dans un climatd’insécurité, il s’agit toujours de gérerla complexité de la situation, de cher-cher à dissiper le «brouillard de laguerre», de renforcer, de maintenir lelien de cohésion dans ses proprestroupes et de le distendre chez l’adver-saire. L’élément immatériel, psycholo-gique, redevient prépondérant en mêmetemps que se dissipe l’illusion de la réso-lution des conflits par le tout technolo-gique. Pour le chef militaire, il s’agit bien

d’inscrire son action dans unemanœuvre globale prenant en compteles champs matériels et immatériels.Les opérations militaires d’influence,la complémentarité des approchesdirecte et indirecte, la compréhensionde la situation, le suivi des lignes d’opé-rations de l’adversaire, l’acquisition durenseignement, le bon emploi des forcesréservées tout comme l’emploi légiti-me de la force sont les procédésnouveaux, où renouvelés, que nos états-majors intègrent dès maintenant dansleurs conceptions, dans leursmanœuvres en opérations. Nos opéra-tions de contrôle de zone d’il y a cin-quante ans, les officiers «affairesindigènes», redeviennent d’une totaleactualité.

Rupture... et continuité en tactiquenouvelles conditions des opérations 1

GÉNÉRAL DE CORPS D’ARMÉE ANTOINE LECERF, COMMANDANT LES FORCES TERRESTRES

Poursuivant sa démarche doctrinale, l’armée de terre vient de publier un second documentde «Tactique générale» (FT 02) où elle précise les modalités des actions dont la finalité aété définie dans l’ouvrage précédent (FT 01).

Ce précis rappelle la réalité des engagements terrestres actuels dans toute leur acuité. Ladurée des conflits ou des crises, la dispersion dans le monde des théâtres d’opération, ladiversité des modes d’engagement et des circonstances, la dureté grandissante desconfrontations et la déstructuration des unités présentent des facteurs de continuité et derupture : continuité avec les guerres irrégulières du passé marquées par la primauté donnéeaux opérations terrestres, la prédominance et la durée des opérations de stabilisation et decontre guérilla ; rupture liée aux évolutions sociétales, aux fortes tensions sur les coûts desopérations, à la limitation des effectifs et des matériels, à l’impact de l’instantanéité médiatiqueet à la réduction du temps décisionnel. Si l’environnement change, la vérité de la guerre, elle,ne change pas.

DOCTRINE N° 18 DÉCEMBRE 20098

LLa préservation des équilibres, laréversibilité et l’adaptation réacti-ve sont les impératifs incontour-

nables que doivent respecter nos forces.Préservation des équilibres, dans la ges-tion des capacités à détenir pourrépondre à toutes les situations, dansla gestion du cycle opérationnel des uni-tés pour permettre aux hommes de s’en-traîner et de maintenir une vie familia-le entre deux engagements.

Réversibilité : trouver le juste équilibreentre la préparation à une guerre impro-bable mais toujours possible et celle d’uneguerre réelle, mais toujours limitée ; réver-sibilité tactique de l’unité qui subit despertes en contrôle des foules et quipatrouille en béret le lendemain dans lemême quartier.

Adaptation : le retour d’expérienced’Afghanistan, d’Afrique et des Balkansnous ramène à la dure réalité deschoses. Pour nos hommes, l’adaptationréactive de la doctrine, des structures,des équipements et de la préparationopérationnelle est une question de vieou de mort. En perpétuelle mutation,les forces terrestres mettent sur pied denouvelles unités de renseignement,d’actions civilo-militaires et d’informa-tion psychologique. Contre les mines,les engins explosifs qui menacent nosconvois, contre les tireurs d’élite, la pro-

tection des combattants débarqués, destireurs et des véhicules s’améliore,démontrant ainsi toute l’importance despetits programmes de cohérence opé-rationnelle. Les dispositifs déployés nesont plus bridés. Les chars, les piècesd’artillerie protègent nos postes isolés.Leur présence dissuasive participe à lastabilisation.

Adaptation enfin dans le domaine de lapréparation opérationnelle. Après desannées de « maintien de la paix », nosforces sont engagées dans des conflitsdurs, exigeants, voire meurtriers. Le liensacré qui unit les chefs et leurs hommesface à la mort retrouve tout son sens.La victoire psychologique et physique,voire la survie, passent par le respectdes principes simples que sont la dis-cipline, l’entraînement, la cohésion. Lapréparation opérationnelle repose surl’acquisition des fondamentaux auxniveaux individuels et collectifs (rusti-cité, tir, premiers secours), sur la maî-trise des savoir-faire tactiques indivi-duels et collectifs allant jusqu’àl’automatisme, sur l’entraînement inter-armes et interarmées (l’appui air sol),et en final, sur la mise en condition denos unités avant leur projection.Entrainées, soudées, motivées, nos uni-tés sont prêtes à combattre, à frapper.Eduquées et imprégnées du sens de la

mission, elles sont aussi formées pourcomprendre et faire preuve d’intelli-gence de situation jusqu’au niveau del’exécutant. Nous devons bien com-prendre que nos petites unités doiventêtre l’objet de toutes nos attentions etque le régiment est le creuset d’une

indispensable cohérence humai-ne, celle qui reçoit et cultive lesens. La sueur épargne toujoursle sang.

EEn définitive, ce précisde tactique s’inscritrésolument dans cette

tradition française d’uneréflexion doctrinale prag-matique. Adapté auxbesoins des forces, cedocument doit leur per-mettre de bien maîtriserla complexité des enga-gements actuels etfuturs, de comprendrecomment vaincre l’ad-versaire en terrainouvert ou au sein despopulations. In fine,les guerres seronttoujours l’affronte-

ment de deux volon-tés, mais la force ne suffit pas. Elle assu-re les conditions nécessaires aurétablissement de la paix et plus quejamais, son action s’inscrit dans unemanœuvre globale qui nécessite unedirection politique et une coordinationinterministérielle forte. Négliger cetteapproche entraine l’enlisement et ladéfaite. L’Histoire et le présent nous lerappellent régulièrement à nos dépens.

«Tactique générale» n’entend pas êtreun précis définitif, parce que les visagesde la guerre, donc les conditions d’em-ploi de nos forces terrestres, évoluenten permanence. Il y aura heureusementde nouvelles éditions qui se nourrirontdu retour d’expérience de nos opéra-tions. La première qualité de la tactique,comme celle des armées d’ailleurs, estde savoir s’adapter aux circonstances.

1 Cet article reprend l’essentiel de la préfacede «FT 02» rédigée par le GCA Lecerf.

RTS

E

DDoctrineoctrine

DÉCEMBRE 2009 DOCTRINE N° 189

Nécessité d’une nouvelleapproche

Comme cela a été évoqué dansl’article introductif2, la manœuvres’articule toujours autour des quatremodes tactiques3 tels qu’ils ont étédéfinis par le TTA 901. Mais, héritier dulivre blanc de 1994 et par là même, desengagements conventionnels de typeguerre froide, ce document n’offreplus la grille de lecture la pluspertinente pour décrire l’action desforces dans les engagements d’au-jourd’hui. Aussi, dans un contexte oùla population constitue un enjeumajeur alors que le contrôle du milieutend à supplanter la destruction del’adversaire, il convient de recon-sidérer la prééminence de certainsmodes par rapport à d’autres.L’objectif poursuivi par FT02 n’est pasde bouleverser l’art de la guerre, mais

bien, de replacer la description desmodes tactiques et surtout leurfinalité dans la perspective desengagements actuels et les plusprobables, tout en proposant desréponses doctrinales adaptées.

Déplacement du curseurvers la sécurisation

Sous l’effet conjugué de l’asymétrie4

et du continuum des opérations, lesactions de sécurisation sont progres-sivement devenues la norme5.

En effet, un adversaire qui refuse lechoc frontal et met au contrairel’accent sur la disparité totale denature, de moyens et de modesd’action, constitue une menace quicontourne et rend donc caduque lesmodes de confrontation classiques.

Dans un ordre différent mais quiparticipe de la même logique, sil’intervention (qui est la phase laplus propice aux actions de force) estune étape indispensable, elle nereprésente plus la phase essentiellequi conduit à l’atteinte de l’objectifstratégique. Car aujourd’hui, laphase de stabilisation a remplacé labataille décisive et constitue l’étapemajeure des engagements.

Dans ces conditions, si tous lesmodes tactiques ont leur place, et ced’autant plus que la force doit restercapable de conserver en perma-nence la triple posture opéra-tionnelle6, il apparaît clairement queles modes «classiques» (offensive etsurtout défensive) ont perdu leurprééminence alors qu’au contraire,la sécurisation revêt une ampleur etune acuité qui exigent une approcheet un développement particuliers.

OFFENSIVE, DÉFENSIVE, SÉCURISATION, ASSISTANCE

Tendances actuelles entre les quatre modes tactiques

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL NICOLAS HEUZÉ/CDEF/DDO

«Si j’ai écrit tout cela […] c’est pour montrer combien il est difficile de convaincre les gens, lesmilitaires en particulier, de changer leurs façons de faire traditionnelles pour s’adapter auxévolutions du contexte.» David GALULA1.

Al’heure où la numérisation du champ de bataille devrait fortement contribuer à dissiper lebrouillard de la guerre, à l’heure aussi où l’adversaire asymétrique, si déroutant, s’évertueà prendre systématiquement le contre-pied de nos schémas tactiques, étudier les modes

tactiques a-t’il encore un sens  ? N’est-ce pas une fois de plus disséquer la manœuvre pouraboutir à une construction intellectuelle, certes plaisante, mais sans aucun intérêt concret ?Loin de sombrer dans un intellectualisme stérile et déconnecté de la réalité, le FT 02 met enlumière quelques principes simples et de nature à éclairer l’action des forces terrestres dansles engagements les plus probables.

DOCTRINE N° 18 DÉCEMBRE 200910

Peu étudiée dans le TTA 901, lasécurisation bénéficie au contrairede développements originaux dansle FT 02. Ce mode tactique, quiconvient bien à la menace asy-métrique, recouvre des champsd’action complémentaires dont lafinalité générale est le contrôle dumilieu (tant physique qu’humain) :

- actions de combat contre desrebelles armés ou de lutte contredes activistes (contre-rébellion7 );

- actions de maîtrise de l’espacephysique dans le but de garantir lasécurité et la liberté de mou-vement ;

- actions de sécurité publique, dontla protection des personnes et desbiens, et la restauration de l’ordrepublic ;

- actions d’influence privilégiant desmodalités non strictement mili-taires.

A ce sujet, il est intéressant deconstater que, par la variété desactions qu’il met en œuvre, ce modes’inscrit parfaitement dans le cadrede l’approche globale8, ce quiconfirme sa pertinence pour lesengagements actuels.

Ainsi au moment où nos forces sontprincipalement engagées dans desopérations de stabilisation, la sécu-risation est bien la composantemajeure de l’action.

Deux facteurs de succèsAutre originalité, le FT 02 identifiepour chacun des modes tactiques,deux impératifs de succès qui doiventpermettre de garantir le respect desprincipes fondamentaux9. La mise enlumière de ces deux impératifs,prendre l’ascendant et produire leseffets permet de mieux appréhenderles phases clés de la manœuvre etleur finalité respective.

Une illustration par un cas concret desécurisation en contre rébellionpermet de bien saisir cette notion.

Algérie, 1957 dans le DjebelFEDJOUDI, zone rocailleuse,dénudée et escarpée. L’opé-

ration consiste à nettoyer la partie dumassif que le renseignement permetde considérer comme zone probablede stationnement de bandes rebelles(le total étant estimé à environ 150hors la loi). En clair, il s’agit de bouclerune zone avant de la ratisser et le caséchéant de neutraliser l’ennemi

intercepté. A partir du renseignementrecueilli, la prise de l’ascendant a toutd’abord été assurée par le confine-ment de la bande en mettant en placeun dispositif de bouclage de nuit pourpréserver la surprise (six unitésélémentaires en forme de nasse,cf. croquis p. 18). Elle a été complétéepar la présence d’éléments d’appuinombreux : pour l’essentiel, unebatterie d’artillerie, des hélicoptèrespour la mise en place rapide des forcesau plus près de l’ennemi, et d’aéronefstant pour l’observation, le guidage etle PC air que pour l’appui au sol.L’intervention est préparée par troisgroupements (de trois à cinqcompagnies chacun) chargés deratisser et trois compagnies héli-portées, le tout renforcé d’unecompagnie en réserve.

La prise de contact avec les rebelles,résultant des mouvements des unitésd’intervention en direction de la zonerefuge, marque la transition entre lesdeux étapes.

L’ennemi étant privé de toute libertéd’action, la production des effets estentamée par un mouvement tactiquesimultané de la périphérie vers lazone refuge par des colonnesconvergentes (cf. schéma p. 18)visant au cloisonnement de l’adver-

Variation de la prédominance des modes tactiques lors du continuum des opérations.

Le schéma ci-dessous illustre cette idée :

DDoctrineoctrine

DÉCEMBRE 2009 DOCTRINE N° 1811

saire. Le dispositif général a permisde ce fait d’isoler les bandesrebelles. Sous la pression des unitésamies prenant systématiquement lecontrôle du terrain ratissé, et sous lefeu des appuis (artillerie et aviation),les rebelles ont été contraints de sedéplacer sur des terrains qui ne leurétaient pas forcément favorables. Lechoc se traduit alors par des actionsde neutralisation menées sans délaiscontre des rebelles en perpétuelleréaction et facilitées, notamment pourles unités héliportées, grâce auguidage des troupes au sol.

Cette opération s’est caractérisée parla qualité du renseignement qui est àson origine et par la parfaitecoordination des unités au sol,héliportées et des appuis feux  : leseffets produits n’en ont été que plusefficaces lors de l’effort.

Ainsi, ayant réussi à prendrel’ascendant, les unités amies ont pugarantir leur liberté d’action favorisantainsi la maîtrise du milieu (héli-portage, observation du ciel, dispo-sitif hermétique) et la contraintecontre l’adversaire (appuis «tous

azimuts», éléments de neutralisation).C’est dans ces conditions que la forcea pu pleinement produire ses effets,étant capable de concentrer sesefforts.

Cette nouvelle grille de lectureproposée n’a d’intérêt que si ellefacilite la compréhension de lamanœuvre et par là, favorise uneconception et une conduite quirépondent réellement au problèmetactique posé. C’est l’ambition duFT02.

1 Pacification in Algeria, 1963.2 Le retour de la tactique, colonel Coste.3 Offensive, défensive, sécurisation et assistance :

chacun de ces modes tactiques caractérise untype d’action en fonction de la nature des effets àproduire sur l’adversaire ou sur le milieu.

4 Il ne s’agit pas d’ignorer les autres types decrises, mais en dépit de la possible «surprisestratégique», une confrontation entre «grands»Etats ne semble pas envisagée à court terme  ;quant à la dissymétrie, force est de constaterqu’elle évolue la plupart du temps vers uneforme d’asymétrie.

5 C’est le cas pour quatre des cinq opérationsmajeures auxquelles la France participe  :Afghanistan, Liban, République de Côte d’Ivoireet Tchad (Epervier et Eufor). L’opération Tridentau Kosovo s’apparente davantage à lanormalisation.

6 Actions de force, de sécurisation et d’assis-tance.

7 Mode d’action générique clairement expriméfaisant l’objet d’une doctrine du CDEF.

8 Approche qui repose sur la convergence desactions de toutes natures en direction del’adversaire et du milieu, et qui permetd’inscrire l’action terrestre à la fois dans sonnouvel environnement et dans le domaine pluslarge de la gestion globale des crises. Cf. lamanœuvre globale CDEF, 2008.

9 Se reporter à l’article précédent sur la tactiquegénérale.

«La doctrine ne peut êtreporteuse d’efficacité que sielle reflète un ensemblede principes fixes, mais àappliquer de façon variablesuivant les circonstances.»

Foch.

DOCTRINE N° 18 DÉCEMBRE 200912

Les atouts de la simulation pourl’apprentissage de la tactique

au profit des chefs et des états-majors opérationnels

PAR LE COLONEL OLIVIER SALAÜN/CDEF/DSRO

FFerdinand FOCH avait, à son époque, relancé la pensée militaire française à travers sesouvrages de référence.

La parution du manuel de tactique générale FT02 comble aujourd’hui un vide car il n’existaitpas dans l’armée de terre de recueil des principes de tactique. Cette parution n’est qu’unecondition nécessaire au renouveau de la tactique  ; elle mérite d’être développée, relayée etappuyée par un dispositif cohérent, permanent et soutenu à tous les niveaux afin de redonnerà chaque officier le goût de la tactique et surtout l’occasion de «pratiquer».

Nos forces terrestres sont au quotidien engagées dans des opérations complexes qui donnentlibre champ à la mise en œuvre, opérationnelle et en situation, des principes généraux etparticuliers de la tactique. Mais ne faut-il pas, en amont de la mise en pratique du chef aucombat, avoir consenti un travail personnel d’appropriation et de réflexion tactique venant encomplément de l’initiation puis du perfectionnement enseigné en école de formation ? Raressont en effet les occasions offertes de faire de la tactique en dehors des opérations et dequelques exercices. Il est dès lors légitime de se poser la question du prolongement de latactique par d’autres voies et d’autres moyens.

Les systèmes de simulation numérique constituent aujourd’hui un recours important dans denombreux domaines allant de la formation à l’aide à la décision via la préparationopérationnelle. Sous réserve d’une utilisation encadrée et maîtrisée, ils peuvent apporter unecontribution non négligeable à une action d’ensemble tournée vers la réappropriation de latactique au sein de l’armée de terre. Combinant de multiples possibilités d’emploi ets’appuyant sur des points forts intrinsèques, les outils de simulation, principalement

constructive1, méritent d’être examinés avec un intérêt particulier.

DDoctrineoctrine

DÉCEMBRE 2009 DOCTRINE N° 1813

Quelques pistes à explorer, …

Du point de vue formation, les outilsde simulation offrent un support de basepour tout ce qui relève de l’apprentis-sage et du perfectionnement. Ils trou-vent tout naturellement leur place ausein de l’ingénierie de formation.En effet, que ce soit lors de travaux diri-gés, d’illustration dynamique de modesd’action ou de comparaison de possi-bilités d’emploi, les fonctionnalitésintrinsèques des systèmes de simula-tion opérationnelle dépassent large-ment le simple croquis d’un manuelet constituent un mode d’apprentissa-ge interactif.

Cettemise enœuvre peut secomprendre collecti-vement, voire individuelle-ment, grâce à des outils travaillanten «stand-alone» et laissant alors librecours à l’apprentissage personnel2. Lesoutils de simulation fournissent égale-ment un excellent support d’animationlors d’exercices tactiques menés au pro-fit de stagiaires en organismes de for-mation (Janus et Romulus notamment).

Les grands systèmes de simulationréalisent aujourd’hui l’animation néces-saire à la préparation opérationnelle

des états-majors de nos grandesunités. Essentiellement centrés sur lecontrôle du fonctionnement des équipeset du travail collaboratif de nos postesde commandement, les exercices assis-tés par ordinateurs n’intègrent quefaiblement les dimensions liées à la«mesure» ou l’évaluation de la dimen-sion tactique de la manœuvre. Cettepossibilité ne saurait être formellementécartée pour les années à venir. Elleconstitue, en tout cas, un recourstoujours possible dont il serait hâtifde se priver pour le futur.

Enfin, et profitant globalement en celade la montée en puissance des outilsd’aide à la décision, les outils de simu-lation peuvent également être mis enœuvre lors des processus décisionnelsd’élaboration des ordres, allant jusqu’àla possibilité de comparer dynami-quement des modes d’action etdonc d’évaluer des options tactiques3. Ainsi, il paraît en première approche

assez logique de chercher à utiliser desoutils de simulation pour faire de latactique au sens large. Ces utilisationspotentielles doivent toutefois êtreenvisagées à travers le prisme d’un cer-tain nombre de limitations d’emploi.

… Tout en étant conscient desimperfections des systèmes, …

Un modèle est par définition une repré-sentation imparfaite de la réalité. Lecaractère forcément incomplet ou mal rendu d’un phénomène ou sys-tème réel est une notion essentielle

qui doit être intégrée etacceptée dès lorsqu’un

recours à la simu-l a t i o n e s t

envisagé.

La modélisation ducomportement humain

est un véritable défi pour lemonde de la simulation. De nombreuxtravaux et essais de modélisation vonten ce sens mais le rendu sera toujoursdécevant par rapport aux espoirsplacés. Dès lors, il faut accepter que lecomportement des populations oula prise en compte de la dimensionrenseignement conversationnel soientmédiocrement représentés.

SIRPA TERRE

DOCTRINE N° 18 DÉCEMBRE 200914

Il est également notoire que la dimen-sion combat débarqué est souvent malrestituée par les systèmes de simula-tion. L’héritage des engagements deforces blindées mécanisées en terrainouvert survit encore dans nos systèmeset fausse donc la combinaison des effetsde la manœuvre, au détriment des pionsfantassins et en faveur du combatembarqué.

Un troisième volet que les simulationsactuelles prennent peu ou pas en comp-te est celui de la numérisation. Certesnos simulations sont connectées à desSIOC4 mais la représentation dans lesmodèles du caractère numérisé d’uneforce n’est pas encore atteinte. Il s’agi-rait en effet, d’un côté de pouvoir quan-tifier et modéliser les plus-values de lanumérisation, de l’autre de pouvoirdégrader toute erreur commise en ter-me d’organisation et de déploiementdes réseaux de communications tac-tiques associés. Cette dimension devraimpérativement être mieux développéedans nos systèmes.

Enfin, les phénomènes de friction, «lebrouillard de la guerre», persisteront. Ilssont difficilement restituables par lessystèmes de simulation sauf à donnerdes conventions de manœuvre parti-culières. Dans les faits, ce sont plutôtles coups de doigt de l’opérateur ouencore le caractère aléatoire des phé-nomènes stochastiques* qui contri-bueront à introduire un peu d’incerti-tude. Surprise et imprévu serontforcément difficiles à réaliser au niveaude l’opérateur ce qui peut pénaliser cer-taines approches tactiques.

Ces restrictions étant connues, c’estbien l’organisation de l’animation d’exer-cice qui permettra de lisser ces imper-fections afin de les rendre les moins per-ceptibles possible pour le personnel encours d’entraînement. La simulationpossède son lot de détracteurs. La bon-ne attitude vise à en connaître les limi-tations afin de pouvoir l’utiliser dans«sa bande passante». Enfin, les évolu-tions en cours permettront sans douteà terme d’améliorer une partie de cesimperfections.

… Et en exploitant leurs atouts.

Sans remonter à l’antiquité5, le dix-neu-vième siècle mit en lumière la pratiquedu «kriegspiel» comme mode d’ap-prentissage, d’élaboration et de réflexiontactique. Dans une certaine mesure,l’emploi de systèmes de simulation peuts’apparenter à un prolongement moder-ne de ces procédés.

Les modèles de simulation introduisentun réalisme spatio-temporel incontes-table dans la manœuvre virtuelle. Laprise en compte, rapportée au terrain,des délais et capacités de déplacementdes unités ne souffre aucune contesta-tion possible et établit clairement lacertitude de la rencontre de deuxmobiles ou la capacité à porter un cer-tain volume de forces, dans un inter-valle de temps, sur une zone donnéepour y appliquer un effet. La précisionet surtout l’impartialité y sont sans com-mune mesure avec les estimations sou-vent rencontrées en carré vert. La repré-sentation de la manœuvre dynamiqued’unités mécanisées est un des pointsforts de systèmes tels que Janus ouScipio.

Les modèles de simulation intègrentégalement de façon native la dimen-sion logistique. Ces problématiqueslogistiques sont de véritables juges depaix en terme de tactique. En simula-tion, les unités s’arrêtent sans carbu-rant, se font détruire faute de muni-tions ou voient leurs blessés mourirfaute de prise en compte sanitaire. Plusencore que dans un exercice de typecarré vert, la simulation sanctionne defaçon flagrante le tacticien ayant négli-gé le facteur logistique. En ce sens, ellerenforce la place de la dimension logis-tique dans la tactique.

Les grands systèmes de simulation sontrégis par des algorithmes d’attritions’appuyant sur la notion de rapport deforces. Par conséquent, la simulationva avoir tendance à forcer le trait lorsde confrontations n’ayant pas fait l’ob-jet de préparations d’artillerie préa-lables, ne disposant pas de dispositifd’appui ou ne respectant pas une cer-taine logique de RAPFOR6. Ce non-res-

pect de certains principes tactiques accen-tuera les déséquilibres et pénalisera sen-siblement le camp ayant pris quelqueslibertés avec des règles de base.

Permettant de combiner et de réaliserpleinement les effets multiplicateurs del’interarmes dans l’espace et dans letemps -ce qui constitue bien la finalitéde la tactique-, les outils de simulationsont déjà aujourd’hui, et constituerontencore plus demain, de véritables sup-ports de mise en œuvre de la tactique.

Art militaire parexcellence, la tactique doitévoluer dans sa réflexionet sa mise en application.L’introduction d’outilsmodernes et adaptés,tels que les systèmesde simulation, apporteraune plus-value indéniabledans cette démarched’ensemble. Il s’agitdésormais de les mettreen ordre de bataille auprofit de la tactique.Ce prolongement de latactique par la simulationcommence d’ailleurs ausein du CDEF7, ne serait-ce qu’en s’appuyant surles synergies développéesentre les divisionsDoctrine etSimulation/RechercheOpérationnelle.

1 On classe les simulations en trois familles :constructive, virtuelle et instrumentée.

2 Objet de l’EVTA SCALPED. 3 PEA CALIPSO et démonstrateur APLET.4 SIOC : systèmes d’information opérationnelle

et de communications.5 On retrouve mention dès l’antiquité de

l’utilisation de caisses à sable pour élaborerdes schémas tactiques.

6 Rapport de force.7 Centre de Doctrine d’Emploi des Forces.

* scochastique : qui est le fruit du hasard, aumoins en partie.

DÉCEMBRE 2009 DOCTRINE N° 1815

IInternationalnternational

UN POINT DE VUE BRITANNIQUE

«ADP-OPÉRATIONS TERRESTRES» UNE PHILOSOPHIE MILITAIRE

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL JAMES RUTTER/CDEF/OLI

QQuand, en mai 2005, feue ladirection générale du développe-ment et de la doctrine de l’armée

de terre britannique (DGD&D1) a présenté«ADP2-opérations terrestres», (ADP LandOperations) c’était la plus importante publi-cation doctrinale de l’armée de terrebritannique depuis une décennie.

Beaucoup de changements sont interve-nus au cours des 10 ou 15 dernières annéeset l’armée de terre britannique a tiré desleçons des opérations au Moyen-Orient,dans les Balkans et d’autres théâtres, en yincluant les opérations contre le terroris-me international.À l’époque, la doctrine à haut niveau del’armée de terre britannique était contenuedans la deuxième édition de la doctrine mili-taire britannique et les cinq volumes de lasérie des publications de doctrine del’armée de terre britannique : «Opérations»,«Commandement», «Soutien», «Entraîne-ment» et «Service dans l’armée de terre».

Ces publications avaient été bien utiles àl’armée de terre mais, au début de la décen-nie actuelle, il apparaissait clairementqu’elles avaient été supplantées dans plu-sieurs domaines par les évolutions dans ladoctrine interarmées rendant «obsolètes»une partie de leur contenu.En conséquence, en 2001, le comité de doc-trine de l’armée britannique donna l’ins-truction de réexaminer les publications dedoctrine de haut niveau et de les regrou-per dans un seul volume.

Comme cela a été démontré par l’opéra-tion TELIC en Irak en 2003, la puissance decombat accrue des groupements interar-mées de forces a conduit à une évolutionde leur doctrine d’emploi ; ce sujet a étéabordé initialement dans les travaux ducentre interarmées de doctrine et concepts(JDCC3), et après 2004, dans ceux de l’ac-tuelle organisation interarmées de doctri-ne des forces britanniques, le centre dedéveloppement, de doctrine et concepts

(DCDC4). Les travaux menés en amont parl’organe de doctrine interarmées dont dis-pose maintenant le Royaume Uni reflètentle plus grand accent mis sur les opérationsde type «corps expéditionnaires», dansun contexte tant interarmées que multi-national.

Conçus pour être lus comme un ouvrageunique et continu, «ADP-  opérationsterrestres» est intrinsèquement lié à cettedoctrine interarmées de haut niveau. Ilconstitue les lignes directrices officiellesainsi que le cadre des pratiques et procé-dures décrites dans d’autres publicationsde doctrine de l’armée de terre. Se concen-trant sur l’environnement terrestre et leniveau tactique, il fournit la philosophie etles principes pour les opérations terrestres.Il décrit comment l’armée de terre britan-nique agit et combat. Il reprend un certainnombre d’éléments de la doctrine existan-te, la majorité de son contenu étant constantet familier à l’armée britannique.

«Le concept essentiel et la raison d’être d’une arméerésident dans sa doctrine qui doit être fondée sur lesprincipes de la guerre et qui, pour être efficace, doit être

suffisamment souple pour admettre la mutation en relationavec les circonstances. Dans sa relation ultime avec lacompréhension humaine, l’idée ou doctrine centrale n’est riend’autre que le bon sens, c’est-à-dire l’adaptation de l’action auxcirconstances.»

Général J.F.C Fuller

DOCTRINE N°18 DÉCEMBRE 200916

L’approche manœuvrière et le comman-dement de la mission sont les deux clés devoûte de la doctrine de l’armée de terre bri-tannique mises en exergue pour une phi-losophie du combat. «ADP - Opérations ter-restres» décrit comment et pourquoi cetteapproche doctrinale est importante ; il sou-ligne l’importance du choc et de la surpri-se dans les actions visant à briser la volon-té de l’ennemi et sa cohésion.

Toutefois, les principes de base de la doc-trine «initiale» subsistent : la guerre est tou-jours perçue comme fondamentalementchaotique ; le concept de puissance de com-bat est compris comme ayant troiscomposantes (morale, physique et concep-tuelle) ; la philosophie de l’approchemanœuvrière est globale et le comman-dement de la mission est sous-tendu parle style de commandement le plus appro-prié à son exécution. Les opérations mili-taires sont comprises et décrites au traversdu «cadre des opérations», «fonctions debase» et «fonctions au combat». Tous cesaspects-clés de la doctrine de l’arméebritannique restent inchangés pour unelarge part.

Aujourd’hui, «ADP - opérations terrestres»est la source principale de la doctrine desforces terrestres du Royaume-Uni, mêmesi, à l’avenir, il devra de nouveau être misà jour. Il fournit en l’état une ligne directri-ce «philosophique» ainsi que les principesrequis pour planifier et conduire des opé-rations dans un cadre interarmées et mul-tinational. Il examine la dynamique du conflitterrestre à travers une structure de huit cha-pitres indépendants illustrés par de nom-breux exemples historiques.

Dans le chapitre 1, il décrit le but, les fonc-tions et niveaux de la doctrine ; il établit uncadre de compréhension lié à la compo-sante conceptuelle de la puissance de com-bat. Il considère les niveaux de la guerre,analyse la nature du combat terrestre etpuis décrit l’activité militaire dans le milieucontinu des opérations.

Le chapitre 2 décrit l’approche britanniquede la conduite des opérations terrestres,en considérant la victoire, le succès et l’étatfinal y compris les limitations à la mise enœuvre de la force armée. Il explique l’es-prit de «l’approche basée sur les effets» etl’application de l’approche manœuvrièrepour les opérations terrestres, en se concen-

trant sur la détermination des perceptionsde l’ennemi, l’amoindrissement de sa volon-té et la destruction de sa cohésion

Le chapitre 3 décrit les principaux aspectsde la doctrine britannique pour les forcesterrestres. Il considère les fonctions au com-bat, les fonctions de base de «prendrecontact», «fixer», «frapper» et «exploiter»,il explique le cadre opérationnel de déci-sion, mise en forme et soutien des opéra-tions, éclairant de ce fait le but et la natu-re des activités constitutives de chaquecatégorie. Enfin, il explique le but et lescaractéristiques des différents types d’opé-rations terrestres (opérations offensives,défensives, de stabilité et de soutien).

Le chapitre 4 examine la place des forcesterrestres dans une campagne interarmées.Il aborde les opérations aéroterrestres etamphibies ainsi que d’autres éléments etmoyens. Il passe en revue la dimensioninterministérielle, la nature des opérationsmultinationales et de coalition ainsi queleur impact sur le commandement.

Le chapitre 5 considère le soutien des opé-rations terrestres. Il articule les principeset examine chacun des domaines fonc-tionnels participants.

Le chapitre 6 décrit la philosophie et lesprincipes de commandement des forcesterrestres. Il considère le «commandementde la mission», le rôle du chef et la façondont le commandement est exercé et sou-tenu. Il en développe le processus en com-mençant par la décision du chef ; il décritses responsabilités quand le commandeurexprime ses intentions et relie cela aucontenu et à la formulation des ordres. Ces

derniers incluent à la fois l’idée demanœuvre, les missions des subordonnéset leur articulation. Dans ce cadre, on peutconsidérer que «ADP- opérations terrestres»fournit à l’armée de terre britannique uncorpus doctrinal unique qui fait autoritépour tous.

Le chapitre 7 prend en compte la compo-sante morale de la puissance de combat.Il examine la base éthique à partir delaquelle agit l’armée britannique, ainsique les considérations qui sous-tendentla décision d’employer la force militaire.Il analyse la motivation et comment cel-le-ci s’appuie sur le leadership, la gestiondes hommes et la discipline. Enfin, l’ou-vrage prend en compte la question de lacohésion, des valeurs et normes, de laloyauté et de la camaraderie.

Le huitième et dernier chapitre examinecomment la force (de combat) est prépa-rée et mise sur pied. Il décrit les interac-tions entre les différentes activités ainsi queles facteurs contribuant à leur succès.

Les sujets couverts et les points énoncéssont rendus vivants et illustrés par desexemples historiques qui permettent aulecteur d’identifier des fils communs quirelient l’expérience historique et la com-préhension actuelle du combat moderne.

1 Directorate General Development and Doctrine2 Army Doctrine Publication3 Joint Doctrine and Concepts Centre4 Developments, Concepts and Doctrine Centre

EEn résumé, et sous de nombreux aspects, «ADP - opérationsterrestres» est (d)écrit comme un ouvrage de philosophie militaire.

Il tente d’établir un pont entre l’activité tactique terrestre et lecomportement humain. Il décrit le succès sur le champ de bataillecomme résultante du fait d’encourager, contraindre, forcer oupersuader l’ennemi de croire qu’il est battu tout en renforcantl’importance du choc et de la surprise.

Elément vital de la formation militaire, il a été publié avec l’intention decréer une compréhension partagée du mode de combat de l’arméebritannique, formant les bases de l’enseignement militaire des sesofficiers, sous-officiers et militaires du rang. En cela, il a admirablementbien rempli son rôle.

DÉCEMBRE 2009 DOCTRINE N° 1817

Réflexions & témoignagesRéflexions & témoignages

LLe présent article se propose de retracer àgrandes lignes l’évolution de la tactique depuisGuibert jusqu’à nos jours, en dégageant les

permanences que l’on y observe ainsi que les grandesruptures qui s’y sont produites.

Plusieurs raisons militent à prendre comme pointde départ de cette réflexion la seconde partie duXVIIIème siècle. En premier lieu, force est de cons-tater qu’avant cette période, sauf cas exceptionnels,(Turenne en fut un en termes de chef de guerremanœuvrier), la manœuvre était réduite à sa plussimple expression du fait de l’indissociabilité des

armées qui agissaient toujours groupées en unemasse unique et sur une seule direction ; d’où lesuccès de la guerre de siège alors en vogue à cetteépoque, donnant lieu à des manœuvres lentes dansdes espaces étroits. En second lieu, c’est de cetteépoque que datent les premiers écrits et traités detactique, dominés en France par Folard, Bourcet etGuibert. Enfin, de 1763, date du traité de Paris quimet fin à la guerre de Sept Ans au 20 avril 1792 quivoit la Législative «déclarer la guerre au roi deBohême», la France a connu sa plus longue pério-de de paix depuis l’avènement d’Hugues Capet, huitcents ans auparavant, et cette période de paix a été

Notre héritage tactique depuisde GUIBERT

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL CLAUDE FRANC/CDEF/DDO/CHARGÉ DE MISSION

PParfois décriée comme relevant des arts mineurs, seule lastratégie étant aux yeux de ses détracteurs digne d’intérêt,

la tactique constitue néanmoins le fondement essentiel de l’actionguerrière. Art ou science  ? Le débat n’est pas là. Toujours est-il

qu’étroitement appliquées au terrain, les conceptions tactiques du général, rigoureusementexécutées, décident toujours du sort de la bataille : choix d’une position (l’abandon du plateaude Pratzen par l’Empereur), rôles respectifs de l’infanterie et de la cavalerie (l’enroulementdes tercios espagnols par la cavalerie de Condé à Rocroi), emploi du feu de l’artillerie (lagrande batterie à Wagram), pour ne considérer que quelques exemples. Cette bataille, gagnéeou perdue au niveau tactique, peut avoir des conséquences incalculables ; ainsi, c’est la chargefurieuse des cavaliers de Sobieski contre les troupes turques de Kara Mustapha Pacha, sousVienne en 1683, qui scelle pour plus d’un siècle le sort de la puissance ottomane et qui ouvrela voie inexorable du déclin européen de la Sublime Porte ; la journée héroïque de Malplaquetet les judicieuses dispositions que le maréchal de Villars y a prises permet à Louis XIV desauver son règne  ; la même année, la journée de Poltava efface la Suède des puissanceseuropéennes et y consacre l’avènement irrévocable de la Russie  ; enfin, Fontenoy en 1745place Louis XV en position d’arbitre des puissances européennes et consacre l’apogée de laFrance monarchique. Ce sont les redoutes construites par les Russes avant la bataille qui onteu raison des attaques suédoises et c’est en écrasant la colonne Cumberland que Maurice deSaxe a enlevé la décision à Fontenoy.

DOCTRINE N° 18 DÉCEMBRE 200918

supérieure au recouvrement de deux générations,d’où une véritable régénération de l’outil militairepar une réforme en profondeur conduite par le com-te de Saint Germain, ministre de la Guerre de LouisXVI. Ce sera cette vieille armée royale, amalgaméeaux jeunes et ardents bataillons de volontaires quiformera l’armée de la Révolution, creuset de laGrande Armée qui, à plusieurs reprises, a vaincul’Europe coalisée.

Ainsi, dans la mesure où la bataille, finalité de la tac-tique, vise la résolution de la guerre et ne se conten-te plus d’être un épisode guerrier, les généraux quise trouvent en charge de la conduite des opérationscherchent évidemment les moyens de l’emporter defaçon décisive. Parmi ces moyens, deux semblentmajeurs et intemporels, le nombre et la puissancedes armes qui ont connu une évolution parallèle àpartir du moment où le fer a été relayé par le feu.Dans cette lutte multiséculaire entre le boulet et lacuirasse, la révolution industrielle va apporter unnouvel élément, la mobilité.

A l’époque moderne, l’avènement du feu individuela d’abord contribué à l’essor d’une infanterie, mé-prisée comme vulgaire piétaille au Moyen Age. Pouraméliorer sa puissance au combat, en augmentantles effets de son feu tout en la rendant moins vul-nérable aux effets des boulets de canons, le vieuxcarré, pilier de l’ordre profond, se fragmente ets’étire, les bataillons se rangeant en ligne les uns àcôté des autres, les escadrons de cavalerie passantaux ailes de ce dispositif général et cet ensembledevient une ligne mince sur quatre rangs, puis trois.

Le front des armées devient ainsi très étendu et ildevient impossible au général d’en observer tousles mouvements, qui plus est de commander à lavoix. Simultanément, de façon tout à fait empirique,lors de la guerre de Bohème consécutive à l’aban-don de Prague, conquise un peu témérairement pen-dant la guerre de Succession d’Autriche, le maré-chal de Broglie, pour échapper à la cavalerieautrichienne lancée à sa poursuite, avait divisé sonarmée pour la diluer dans plusieurs vallées entre laThuringe et le Rhin : avec ces «divisions d’armée»,le système divisionnaire était né. Il restera à Guibertà le codifier. Enfin, par le choix de Gribeauval depièces d’artillerie légères, chaque bataillon d’in-fanterie devait être doté de deux pièces de quatre,pièces qui pouvaient être déplacées et manœuvréesdurant l’engagement au même rythme que les uni-tés d’infanterie : l’artillerie mobile était née et, com-me l’écrira Guibert, elle deviendra très rapidementla troisième arme. C’est ce triptyque infanterie –cavalerie – artillerie qui dominera la manœuvre etla tactique depuis la Révolution jusqu’à nos jours.

Héritant de ce système,Napoléon y appliquera toutson génie militaire pour l’op-timiser. Il mettra un termedéfinitif à la guerre desordres en faisant adopterl’ordre mince pour le déploie-ment au combat et l’ordreprofond, la colonne, pour lesdéplacements de ses divi-sions qu’il aura regroupéesau sein de corps d’armée,fraction de son armée enmesure de conduire touteaction autonome. Il va sim-plifier le système division-naire en mettant un terme àl’existence des divisions interarmes. La bataille étantdésormais conduite auniveau du corps d’armée, lesdivisions seront spécifiques,soit d’infanterie soit de cava-lerie, mais manoeuvreronttoujours en étroite cohéren-ce. Enfin, il se constitue une

masse de manœuvre à ses ordres, la réserve de cava-lerie, soit un corps de cavalerie regroupant les divi-sions de cavalerie lourde et de ligne qui aura com-me rôle de «créer l’évènement» sur le champ debataille en détruisant une formation ennemie déjàébranlée, jamais un ennemi intact1. S’agissant de lalutte entre la cuirasse et le boulet, Napoléon se mon-trera un fervent adepte du feu : il n’engagera jamaisune attaque qui n’ait été préparée par l’artillerie. Laréserve de cavalerie disposera d’une artillerie orga-nique, au même titre que ses corps d’infanterie. Sauf

Illus

trat

ion

four

nie

par

l’aut

eur

DÉCEMBRE 2009 DOCTRINE N° 1819

Réflexions & témoignagesRéflexions & témoignages

en cas de mêlée de cavalerie comme à Kranowitzsur le versant ouest de Pratzen, toutes les chargesde cavalerie sont précédées par une préparationd’artillerie. C’est dans le même esprit qu’il s’est effor-cé, à la fin de l’Empire, de doter sa «grosse cavale-rie», cuirassiers, carabiniers et grenadiers à chevalde la Garde, de mousquetons, de manière à être enmesure de fixer un ennemi par le feu avant de ledésorganiser par une charge. La leçon sera perduepar Ney à Waterloo et par ses successeurs en 1870 !

Jusqu’en 1870, confrontée à des conflits asymé-triques, l’armée française découvre lors de la conquê-te de l’Algérie la guerre de colonnes et d’implanta-tion dans des «bordjs», guerre qu’elle redécouvrirasur le même théâtre un siècle plus tard, dans uncontexte différent. Contrainte de s’adapter à une for-me de contre guérilla, tant en Algérie que plus tardau Mexique, l’armée française va s’y focaliser et, laroutine du temps de paix aidant, négligera de s’adap-ter aux nouvelles formes de guerre mises à jour tantlors de la guerre de Sécession que lors du conflitaustro prussien de1866. Le réveil sera brutal : aubout de quatre semaines de campagne, le 1er sep-tembre 1870, sur 84 régiments de cavalerie qu’ali-gnait l’armée française un mois auparavant, il n’enreste que trois ! Le feu a montré sa suprématie.

La période séparant 1870 de 1914 sera féconde enréflexion tactique. Se fiant à l’exemple prussien,l’Ecole de guerre nouvellement créée va chercher àrenouveler la pensée tactique en se référant auxcampagnes de l’Empire. Mais au-delà des principes,pérennes par essence, la doctrine tactique s’est atta-chée à rechercher des recettes sans prendre en consi-dération l’évolution de l’armement qui donnait aufeu une suprématie incontestable. Si bien que, enpêchant par dogmatisme, la pensée tactique fran-çaise s’est fourvoyée jusque dans l’excès de l’of-fensive à outrance2. La sanction en sera les pertesénormes du mois d’août 1914.

La Grande Guerre a été marquée par une stratégietotalement prise en défaut et inopérante car les pre-miers engagements, du moins sur le front occiden-tal3, avaient abouti à une impasse tactique totale :le feu faisait sentir sa tyrannie et le mythe de la «per-cée» ne se réalisera jamais. Mais au-delà de cetteimage ultra connue, le lieutenant-colonel Goya4

a démontré comment ce conflit s’est également impo-sé, sur le plan tactique, comme somme le premierconflit moderne : s’il est patent que la cavaleriemontée n’a plus sa place sur le champ de bataille(elle est irrémédiablement supplantée par le «moteurcombattant»), l’infanterie y a trouvé des structuresadaptées et qui perdurent encore aujourd’hui : laplus petite cellule de combat étant le groupe decombat commandé par un sous officier5 et articuléautour d’une arme automatique. Mais la notion de

front continu, tenu par des masses d’infanterieappuyées par une artillerie puissante, domine lesesprits. A contrario, comme l’emploi des chars enautonome à Berry au Bac le 16 avril 1917 n’a pas étéun succès probant, la doctrine en vigueur se limi-tera très rapidement à l’accompagnement de l’in-fanterie, ce qui va s’avérer dramatique vingt ans plustard. La France ne concevra l’emploi de ses charsqu’au rythme des formations d’infanterie qu’ils sontcensés soutenir et mettant un œuvre un armementd’une portée limitée à celle d’un compartiment deterrain battu par un bataillon d’infanterie.

Ayant eu à souffrir, entre les deux guerres, d’unmagistère bleu horizon contrepartie inévitable de lavictoire de 1918 et du rajeunissement à outrance duhaut commandement6, l’armée française a abordéle second conflit mondial avec une doctrine tactiqueen phase ni avec les potentialités de son armement,les chars notamment, ni surtout cohérente aveccelle de l’ennemi : c’est ainsi que l’on a pu dire quesi ce sont les Français qui ont inventé les chars, cesont les Allemands qui leur ont donné leur doctrined’emploi avec la Blitzkrieg : trinôme char avion etposte radio7. A force de se focaliser sur les effets dufeu, la doctrine tactique française avait perdu de vuel’avantage que pouvait lui donner la mobilité. Maisavant de subir le plus grand désastre qu’elle aitconnu depuis Azincourt, l’armée française avaitrenoué entre les deux guerres avec la guerre irré-gulière en Syrie et au Maroc, guerres qui avaient vula constitution des groupes mobiles.

Cette notion de groupe mobile sera remise à l’ordredu jour en Indochine où le corps expéditionnairesera confronté à une guérilla qui évoluera progres-sivement vers une véritable guerre du fait de la mon-tée en puissance du corps de bataille adverse. Enrevanche, en Algérie, l’armée française a dû revoirtoutes ses règles d’emploi : confrontée à un conflitirrégulier tant en milieu ouvert qu’urbain, et devantcontrôler la population, l’armée dût à la fois qua-driller le territoire, le sanctuariser par des barragesfrontaliers étanches, réduire les bandes par de vastesopérations et détruire simultanément l’organisationpolitico administrative rebelle.

De retour en métropole et en Allemagne, dans le contex-te de la guerre froide, l’armée française se recentra surla défense des intérêts vitaux de la nation dans le cadrede la dissuasion nucléaire. La pensée tactique est alors«gelée» et toute remise en cause du dogme8 sévère-ment sanctionnée. Il s’agit, par une manœuvre sté-réotypée, en second échelon de l’Alliance, de contreattaquer un ennemi peu ou prou fixé, de manière à lela concentrer et en faire une cible significative pourl’application du feu nucléaire préstratégique9, ultimeavertissement avant le déclenchement de l’apocalyp-se nucléaire stratégique.

DOCTRINE N° 18 DÉCEMBRE 200920

Et aujourd’hui ?

A nouveau confrontée à la guerre au milieu des popu-lations, l’armée de terre redécouvre des modes d’ac-tion qu’elle avait développés il ya cinquante ans enAlgérie, voire plus sous d’autres cieux. Mais l’his-toire ne se répète jamais et seuls les principes demeu-rent pérennes. La seule certitude que l’on peut avoirdans le domaine tactique, c’est qu’il n’existe jamaisaucun schéma ou recette toute faite. La bonne solu-tion résidera toujours, pour une mission donnée,dans une juste appréhension des modes d’actionde son adversaire confrontés aux possibilités de sespropres moyens et appliqués au terrain. Mais n’est-ce pas là la quintessence même de toute méthodede raisonnement tactique ?

1 Ce en quoi, l’amalgame un peu rapide entre les corps decavalerie de l’Empire et les formations blindées de rupture duXXème siècle est un contre sens historique et, dans une certainemesure, une erreur.

2 Non sans quelque opposition. Les aphorismes de bon sens dumaréchal Pétain «Le feu tue» ou ironique du général Lanrezac(1852-1925 ; ancien professeur, puis commandant en second del’École de Guerre ; fut l’un des plus fins stratèges français, maisaussi le moins écouté, à la veille du premier conflit mondial)«Attaquons, attaquons…comme la lune !» sont connus.

3 La nette supériorité doctrinale allemande en 1939 par rapport àl’armée française provient du fait que la Reichswehr, puis leWehrmacht avaient tiré les enseignements du premier conflitmondial aussi bien depuis une guerre de position à l’Ouest qued’une guerre de mouvement à l’Est.

4 Michel Goya. La chair et l’acier Tallandier Paris 2004.

5 En recevant le commandement d’un groupe de combat, c’était lapremière fois que les sous officiers subalternes se voyaientchargés d’un rôle tactique.

6 Pétain sera vice président du Conseil Supérieur de la Guerrejusqu’en 1931 et exercera ensuite un véritable pouvoir moral surl’armée. Gouraud sera membre du CSG jusqu’à sa retraite en1937  ! Debeney, major général des armées en 1918commandera l’Ecole de Guerre, puis le CHEM avant d’être chefd’état-major général.

7 Les français demeuraient fidèles aux liaisons filaires.

8 Voir Brossollette avec l’essai pour la non bataille, le colonel Dolyou le général Copel pour l’armée de l’Air.

9 Nouvelle dénomination de l’armement nucléaire tactique,introduite en 1983.

SIR

PA T

ERR

E

DÉCEMBRE 2009 DOCTRINE N° 1821

Réflexions & témoignagesRéflexions & témoignages

DDepuis quelques années, l’adversaire irré-gulier, comme ces virus qui s’adaptent auxmédicaments les plus performants, devient

sensiblement plus efficace face aux arméesmodernes. Il fait preuve notamment de capacitésmilitaires renforcées qui s’appuient sur laprolifération d’armements performants3, ainsi quesur l’utilisation, voire le dévoiement, des techno-logies les plus récentes4. Sa furtivité est accentuéepar une organisation très lâche, qui s’apparenteplus à un réseau qu’à une structure hiérarchisée, àl’image de la mouvance des «insurgés» irakiens5.

Sa criminalisation6 brouille encore l’appréhensionde cette hydre et lui fournit des revenussubstantiels. De même, sa fanatisation justifie lesmodes d’action les plus aberrants d’un point devue occidental7. Il n’hésite pas à instrumentaliserdirectement la population, en provoquantnotamment des mouvements de foule8 ou enrecrutant des enfants. L’urbanisation galopante9

favorise d’ailleurs cette instrumentalisation touten facilitant la dilution de l’adversaire. Enfin, saparfaite prise en compte du phénomène de lamédiatisation et du développement des moyens

La pression dissuasive ou Gulliver libéré

Quelques pistes ouvertes par le retour d’expériencele plus récent pour reprendre l’ascendant tactique

sur l’adversaire irrégulier

PAR LE COLONEL RANDAL ZBIENEN/CICDE

LLe chef d’état-major des armées a récemment rappelé1 que, parmi les facteurs quicaractérisent les opérations récentes, leur durcissement était au centre de ses

préoccupations. En effet, de l’Afghanistan au Sud-Liban, les guérillas contemporaines mettentsouvent en difficulté les armées les plus modernes.

Le retour d’expérience suggère quelques pistes de réflexion pour reprendre, au niveautactique, l’initiative face à cette menace toujours plus insaisissable et déterminée, notammenten proposant certaines modalités de la «pression dissuasive» décrite dans le FT 02.

Il est patent que l’adversaire irrégulier (ADIR)2 se durcit, tandis que les forces occidentalesdoivent concilier de nouvelles contraintes avec des impératifs toujours plus exigeants. Mais iln’en demeure pas moins que l’ADIR reste soumis à des conditions matérielles d’efficacité, voirede survie, qui n’ont pas vraiment changé depuis que la «petite guerre» existe. C’est pourquoi,les armées conventionnelles peuvent exploiter ce talon d’Achille en remettant au goût du jourcertains modes d’action qui ont déjà fait leur preuve.

DOCTRINE N° 18 DÉCEMBRE 200922

de communication (notamment internet) luipermet de donner une résonance mondiale à desactions localisées10.

To u t e s c e s m u t a t i o n s re n d e n t l ’ A D I Rcontemporain particulièrement coriace, furtif etadaptatif. Elles lui facilitent le «contournement»des forces occi-dentales, selon une approcheindirecte qui reste l’essence de la «petiteguerre».

A contrario, malgré la formidable progression deleur puissance de feu, leur quasi-absolu contrôlede l’espace aérien, la modernisation de leurséquipements, les forces occidentales semblentvoir leur liberté d’action se réduire à proportiondes progrès de celle de l’ADIR. A titre d’exemple,la multinationalisation, si elle confère uni n d i s c u t a b l e s u rc ro î t d e l é g i t i m i t é àl’intervention, enserre la liberté d’action du cheftactique dans un faisceau de caveats11, souventtrès contraignants. De même, la juridisation et lamédiatisation des sociétés occidentales peuventdonner une résonance disproportionnée à unincident, voire à la faute d’un seul exécutant, etdonc, pèsent sur l’élaboration de toutemanœuvre. La sensibilisation croissante desopinions publiques aux pertes12 impose uneprotection de la force qui est difficilementconciliable avec les impératifs de fluidité en

contre rébellion, ainsi qu’avec la nécessaireapproche de la population. Enfin, la relativefaiblesse numérique des contingents engagés(pour des raisons politiques, mais aussiéconomiques) ne permet de contrôler qu’impar-faitement les vastes territoires et les populationsau sein desquels se fond l’ADIR.

Ces quelques raisons suffisent à éclairerl’incontestable durcissement des engagementsactuels et parfois, à donner l’impression que lesplus puissantes armées du monde se retrouvententravées comme Gulliver par les Lilliputiens.Mais cette constatation exige également unrenouveau de la réflexion tactique en s’inspirantd’expériences qui ont réussies.

En effet, malgré ses redoutables progrès, l’ADIRn’est pas devenu un fantôme immatériel : il restetributaire des impératifs invariants de la «petiteguerre», dont deux, liés à l’espace, pourraientêtre mieux pris en compte dans l’élaboration et laconduite de la manœuvre aéroterrestre.

Tout d’abord, cet adversaire doit disposer d’unsoutien extérieur, ne serait-ce que pour sonapprovisionnement en armement. Malgré ladématérialisation de certains flux (informations,financements…), les frontières physiques

SIR

PA T

ERR

E

DÉCEMBRE 2009 DOCTRINE N° 1823

Réflexions & témoignagesRéflexions & témoignages

demeurent donc des enjeux primordiaux. Ainsi, ilest significatif de constater que les guérillas lesplus agressives (Irak, Afghanistan, Cachemire…)se développent dans des zones où les frontièressont étendues et difficiles à contrôler. C’estpourquoi, il convient de prendre en compte cetimpératif sous peine de vouloir écoper uneembarcation percée. Pour pallier la faiblesse deseffectifs engagés, ce contrôle pourrait êtreexercé selon les modèles indien au Cachemireou israélien face au Liban, modèles quicombinent postes fixes, clôtures et systèmes desurveillance reliés à des unités d’intervention enréserve. Il ne s’agit évidemment pas dereconstruire de ligne Morice ou même de«barrière de sécurité» israélienne13, maisd’adapter au contrôle des frontières lesavancées technologiques en matière dedétection (capteurs infrarouges, aérostats,caméras tout temps…), ainsi qu’en matière denumérisation, afin de permettre une réactionrapide et ciblée sur les tentatives d’infiltration.Les postes aux frontières, en nombre réduits etplacés sur les principaux couloirs d’infiltration,seraient logiquement armés par des unités desécurité locales, qui seraient insérées dans leréseau de surveillance et d’alerte de la coalition.En revanche, l’intervention pourrait être assuréeprioritairement par les forces expéditionnaires,non seulement par la manœuvre d’unitésd’assaut blindées ou aéromobiles, mais aussipar les feux de toute nature dont la rapidité et laprécision sont optimisées par les systèmesd’information et de communications modernes.

En outre, pour passer du seul terrorisme à uneguérilla efficace, l’ADIR doit impérativementdisposer d’une certaine profondeur tactique àl’intérieur même du territoire qu’il veut subvertir.Ces zones refuges lui permettent de se préparerou de se remettre en condition avant de lancerde nouveaux raids sur des cibles à haute valeurajoutée. Elles sont généralement situées dansdes zones d’accès très difficiles (montagnesafghanes, jungle amazonienne…) ou dans desvilles dont le contrôle n’est pas complet, commedans les quartiers périphériques de Bagdad. Or,du fait de leurs effectifs contraints, les forcesd’intervention se concentrent généralement surdes zones jugées prioritaires d’où ellesattaquent les objectifs décelés. Elles n’exercentdonc pas une pression dissuasive suffisante etpermanente sur les espaces refuges à partirdesquelles l’ADIR conserve et conforte sa libertéd’action. Il conviendrait donc de privilégierl’occupation progressive du territoire enappliquant le principe de «tache d’huile»14

autour de zones clés, afin de réduire par

l’extérieur les régions insoumises. Mais,simultanément, il faudrait entretenir uneinsécurité permanente chez l’adversairejusqu’au cœur de ses zones refuges grâce à desunités de «chasse».

Le corps expédit ionnaire devra i t êt reprioritairement engagé sur les zones clés, quiméritent d’être soigneusement identifiées (pourdes raisons politiques, économiques, voireethniques ou symboliques). Il pourrait mettre enœuvre le principe de tache d’huile à la manièredes Américains en Irak depuis le Surge, c’est-à-dire en organisant un maillage serré de petitspostes15 et de patrouilles, tout en conservantune puissante réserve d’intervention. De même,chaque extension ne serait engagée que lorsquela situation aurait été consolidée et aucunsecteur ne serait abandonné au risque deretomber aux mains des insurgés.

En revanche, la zone de «chasse» serait ledomaine d’action privilégié de troupes derecrutement local, voire de milices, ne serait-cequ’à cause de leur connaissance du milieu. Cettefonction est désormais en grande partie assuréeen Irak par la milice sunnite des «Fils d’Irak» : leralliement de cette milice constitue de l’aveumême du général Petraeus, la cause principaledes succès enregistrés depuis 2007. Cependant,le développement de milices autonomes n’estpas sans risque  : elles peuvent se retournercontre le pouvoir local à plus ou moins courtterme et entretenir le climat d’insécurité, commece fut le cas en Colombie, avec les groupesd’autodéfense (AUC). Aussi, mieux vaut-ilprivilégier peut-être des unités mixtes àl’exemple des sections Combined ActionPlatoons (CAP) au Vietnam qui se sont révéléesparti-culièrement efficaces entre 1966 et 1970.Ces unités étaient constituées d’un noyau forméd’un groupe de combat de Marines et de 15 à35 villageois miliciens des Forces populaires.Quoi qu’il en soit, le combat de contre-guérilladans ces «zones de chasse» demande desaptitudes et un entraînement spécifiques. Ainsi,l’armée indienne emploie avec succès auCachemire des unités spécialisées interarmes,les Rashtriya Rifles (RR), à fort recrutement localet spécialement entraînées et équipées à ceteffet. Contrairement aux autres bataillons del’armée indienne qui, selon la traditionbritannique, changent de localisation tous lesdeux à trois ans, les RR conservent une «zone dechasse» permanente : leur encadrement, sélec-tionné dans toutes les formations de l’armée deterre, est relevé par moitié tous les ans.

DOCTRINE N° 18 DÉCEMBRE 200924

Acronymes :

AUC : Autodefensas Unidas de ColombiaCAP : Combined Action PlatoonsRR : Rashtriya Rifles

1 Propos liminaire devant la commission de la défenseet des forces armées de l’Assemblée nationale – 8octobre 2008.

2 Dans cet article, la notion d’adversaire irrégulier seréfère à la définition et aux caractéristiques qui enont été données dans le concept interarméesd’ADversaire IRrégulier (ADIR) : PIA n° 00.180 du 22mai 2008.

3 Comme les missiles antichars de dernière géné-ration que le Hezbollah a employé face à Tsahal auSud-Liban en 2006

4 En particulier dans le domaine des télécom-munications (cf. les téléphones satellitaires)

5 Cf. le cahier du RETEX “Les armées du chaos” – CDEF(2005).

6 Cf. le financement des insurgés par le trafic de drogueen Afghanistan, au Liban ou en Colombie.

7 La progression exponentielle des attentats-suicides enAfghanistan depuis 2005 parait, par exemple,particulièrement délicate à contrer avec des méthodestactiques classiques.

8 Comme en Côte d’Ivoire, au Kosovo ou en Somalie…9 70 % de la population mondiale habite d’ores et déjà

dans des villes.10 Cf. les Forces armées révolutionnaires de Colombie

(FARC) qui ont une audience mondiale alors qu’ellesne représentent que quelques milliers de combat-tants.

11 Caveats : limitations nationales de chaque contingent.12 Il est significatif de constater qu’il a fallu dix fois moins

de pertes en Irak que 40 ans plus tôt au Vietnam pourque le soutien de l’opinion américaine fléchisse.

13 Cf. le cahier du RETEX de l’Intifada Al-Aqsa – CDEF(2004).

14 Mode d’action attribué à Gallieni et préconisé dans leFT 02.

15 Plutôt que de grandes bases surprotégées maiscoupées de leur environnement.

Le durcissement des engagements contemporains milite pour une réflexion en profondeur

sur les modes d’actions tactiques à développer. Le retour d’expérience donne quelques pistes

pour reprendre l’ascendant sur un adversaire toujours plus coriace et difficile à appréhender.

Il illustre de façon pratique les principes édictés dans le FT 02 et développés dans notre

manuel de contre-rébellion sur la «pression dissuasive», car c’est en agissant déjà sur

l’assise géographique de l’ADIR qu’il en limitera la liberté d’action et la capacité de nuisance.

Il est vrai que les modes d’actions suggérés impliquent, en amont, une organisation et un

entraînement spécifiques, ainsi que des choix stratégiques qui devront être partagés par nos

alliés. Ils induisent également la participation active des forces de sécurité locales. Pour

autant, ils devraient être initiés au plus vite, afin d’accompagner et de favoriser la

(re)conquête de la population locale - seul véritable enjeu de l’engagement-, en l’associant à

la stabilisation de son pays.

SIR

PA T

ERR

E

DÉCEMBRE 2009 DOCTRINE N° 1825

Réflexions & témoignagesRéflexions & témoignages

3A : Bilan et perspectives

PAR LE GDI (2S) JEAN-MARC DE GIULI /CDEF/DREX

& LE GDI (2S) ALAIN TARTINVILLE/CDEF/DREX

L’Analyse Après Action (3A) est une des nombreuses inventions américaines, à l’instar de«top gun», que la guerre froide avait suscité pour développer l’efficacité des forces.Principalement destinée à l’instruction collective et à l’entraînement des unités, ellepermit une transformation de la traditionnelle notion d’arbitrage, rendue nécessaire parla mise en place d’une «OPFOR» professionnelle1 au sein des centres instrumentés depréparation au combat. Son succès en fit étendre l’application aux exercices de PC pourlesquels une OPFOR simulée de plus en plus performante se substitua à la sympathiqueet conciliatrice animation en «carré vert».

En France, concomitamment à celle du CDE2, c’est la création du CEPC3 en 1993 -1994,puis celle du CENTAC qui officialisa la formule4. C’était une des premières fois qu’un PCaux ordres de son chef, était réellement évalué au complet. Les débuts furent difficilesmais petit à petit, les avantages de la formule primèrent ses inconvénients5.

Aujourd’hui, la 3A a acquis ses lettres de noblesse et trouvé son rythme. Comme auxEtats-Unis, elle a été un des instruments de l’élévation très sensible des performancesdes PC opérationnels de tous niveaux6. Toutefois après 15 ans d’existence, il n’est pasinutile de s’interroger sur son rôle et ses modalités, tant il est vrai que toute activitéhumaine qui ne se remet pas en question est susceptible de tomber dans une routinesclérosante.

Pour effectuer ce bilan et tracer quelques perspectives, après une rapide retour sur lesfondamentaux originels et l’adaptation que nous en avons faite, nous verrons quelpourrait être l’avenir des 3A.

DOCTRINE N° 18 DÉCEMBRE 200926

Le concept originel

Il fut très marqué par l’approche américaine de laformation et de l’entraînement qui est unepédagogie par l’épreuve et son corollaired’inspiration religieuse, la contrition ou «lareconnaissance des ses fautes» par «l’élève-pêcheur7». Elitiste et normé jusqu’en sesmoindres détails, focalisé sur les buts à atteindreet les meilleures modalités, il part de l’idée querien ne sera jamais parfait et qu’il faudratoujours s’améliorer.

Destiné aux petites unités de combat, sonoriginalité tient à la place essentielle qui estdonnée aux «instruits». S’effaçant derrière lesjoueurs, le rôle de l’analyste est de les mettre enconfiance pour les faire parler, les amener à ré-analyser les situations, expliquer ce qu’ilsvoulaient faire et pourquoi, constater ce qui s’estpassé pour discuter entre eux d’alternativespossibles. La méthode recommande, d’ailleurs,que tous les acteurs d’un exercice soientprésents lors des 3A et qu’ils puissent s’exprimerle plus librement possible, quelques soient leurgrade et leur fonction. L’animateur de la séancen’est là que pour faire appliquer et respecterl’esprit de la démarche  : susciter la prise deparole par des questions ouvertes8, nepermettre des échanges que sur les faits etinterdire tout jugement de valeur sur d’autresque soi.

Cette méthode exige du temps, un senspédagogique poussé, et son renouvellementfréquent de façon à coller aux événements àanalyser. Elle requiert également une certainematurité des unités concernées, pour ne pasnuire à la cohésion et à la discipline et apparaîtrecomme une démarche naturelle. En ce sens, elledevrait être bien adaptée à des unitésprofessionnelles. «In fine», elle doit constituerun état d’esprit à tous les niveaux de lahiérarchie et devenir une attitude réflexe àl’issue d’un combat9.

Son adaptation française

La démarche va être adaptée sur nombre depoints. Tout d’abord, elle s’inscrit dans uncontexte de «pédagogie du succès», marquéepar le souci de conserver un équilibre entre leserreurs et les progrès possibles, en privilégiantces derniers.

A l’origine, elle devait être un outil de mesure dela performance au profit du commandement quiconservait seul la responsabilité d’évaluationdes subordonnés, d’où l’importance de la qualitéprofessionnelle et humaine de l’équiped’analyse, des référentiels doctrinaux decomparaison et des outils de visualisationobjective des situations observées. De ce fait,elle portait moins sur les acteurs pris isolémentque sur les résultats globaux obtenus par l’entitéobservée, un PC en l’occurrence.

Depuis, elle a évolué vers l’audit en sedécoupant en trois étapes :• pendant l’exercice, les échanges avec les

joueurs et les observations formulées donnentlieu à des corrections immédiates,

• à l’issue de l’exercice : le bilan dressé permet àl’autorité «joueuse» d’entreprendre une actiondans la durée pour actualiser et améliorer sesprocédures, ses procédés et les qualificationsde son personnel,

• après une série d’exercices  : la somme desbilans donne des faisceaux de conclusions,solidement étayées, pouvant orienter l’analysecapacitaire (doctrine, organisation, équipe-ments).

Le fait de confier l’essentiel des travaux auxanalystes a conduit à une moindre participationdes «joueurs» à la 3A. Ce choix devait aussi

CDEF

/DSR

O

DÉCEMBRE 2009 DOCTRINE N° 1827

Réflexions & témoignagesRéflexions & témoignages

permettre de conserver le contrôle desinterventions pour en limiter les risques d’excèset de dérive par l’affrontement d’opinions ou de

points de vue opposés entre les acteurs enfonction de leur place dans la hiérarchie. Dansnos restitutions, seul le directeur de l’analyselivre des conclusions, l’autorité «joueuse» nebénéficie que d’un temps de parole très limité.

De ce fait, en l’absence de l’introspection desjoueurs, le jugement de valeur (le positif etl’améliorable) par un tiers est rarement évité.Pour autant, l’équipe d’analyse s’attache àfonder ses remarques sur des éléments depreuve indiscutables10 (photos, vidéos, capturesd’écrans, enregistrement de communications,copie de documents écrits) et le rejet de constatsnon avérés, et discutables. De plus, elle conforteses observations par leur recoupement.

Les perspectives On l’a dit, la 3A pourrait être touchée par lasclérose et par la routine.Le renouvellement des équipes est un desremèdes, mais il convient de demeurer vigilant àce que le remède ne soit pas pire que le mal dufait de la dégradation progressive de la qualité etde l’expertise d’observateurs-analystes, jeunesen grade et en expérience professionnelle11 ouappartenant aux organismes joueurs. Dans cedernier cas, juges et parties, ils peuventmanquer d’équilibre ou d’objectivité, soit entransformant leur rôle en un plaidoyer «prodomo» visant à justifier de ressources ou debesoins qu’ils ne réussiraient pas à obtenir, soitdu fait d’une critique émoussée par l’excuse oul’atténuation d’insuffisances ou de manquesdont ils auraient une part de responsabilité.

Le second risque porte sur la tentation d’unediminution de la sévérité des constats.Si la 3A est bien acceptée, il n’en est pas moinsvrai qu’elle l’est d’autant mieux que sesmembres distribuent bons points et «satisfecit».

Or, s’il y a quelques années, les carences etinsuffisances étaient souvent grossières etfacilement reconnues par leurs auteurs, le niveau

de performance et d’efficacité s’est consi-dérablement accru. Il a mécaniquement entraînéune augmentation de la finesse et du détail del’analyse et de ses conclusions. L’exercice restanttoujours une épreuve opérationnelle majeure,le chef d’état major met toute son énergieà préparer son outil du mieux possible et il restegénéralement, et légitimement, persuadé avoirdonné et obtenu le meilleur, d’où parfois uneréceptivité limitée à une critique pouvantparaître tatillonne et mesquine. Il pourrait êtreutile de ce point de vue, de redonner un peu plusla parole aux acteurs eux-mêmes ; on pourraitêtre surpris par le caractère plus impitoyabledes auto appré-ciations, sans négliger le faitbien connu que le constat personnel de sespropres insuffisances est souvent plus profitableque l’exposé de celles des autres.

Le troisième point concerne les exercices engénéral.Il est lié à l’accroissement sensible de lacompétence et surtout de l’expérience desjoueurs. Aujourd’hui, la réalité dépasse la fiction etla virtualité des exercices peut paraître bien pâlepar rapport à un très riche vécu opérationnel.Jointe à la baisse du rythme d’entraînement,l’élévation sensible des attentes et des exigencesdes joueurs pourrait donner naissance à unsentiment de supériorité professionnelle et dedédain pour des exercices qui resteront toujoursen deçà d’une réalité toujours difficile à restituer.Ce besoin est déjà pris en compte mais il pourraitêtre approfondi et complété par un emploi plussystématique des données de RETEX, et par unemeilleure capitalisation des enseignements desopérations en vue de l’entraînement. Toutnaturellement le «corps des analystes», ou le vivierde ceux-ci, pourrait être aussi alimenté par deséquipes RETEX de 2 types : formations tactiques etPC opérationnels. Comme dans l’arméeaméricaine12, les anciens cadres d’activespourraient être encore plus largement sollicités àcet effet.

On l’a dit, la 3A pourrait être touchée

par la sclérose et par la routine.

DOCTRINE N° 18 DÉCEMBRE 200928

Le dernier aspect est celui du temps et desdélais.A l’origine, un des fondamentaux d’une bonne3A reposait sur le fait de «prendre le tempsde…». Aujourd’hui, le «Finex» est bien souvent àl’orée d’un week-end, il précède un longdéplacement, les esprits sont déjà tournés versl’activité ou le challenge suivant13. Ne pourrait-t-on pas raccourcir l’exercice d’un jour ou d’unedemi journée et donner plus de place à une 3Aplus collective, plus dynamique, plus enprofondeur ?

1 OPFOR (opposing force)  : joueur adverse qui élevasensiblement le réalisme des exercices.

2 CDE  :  Commandement de la doctrine et del’entraînement.

3 CEPC : centre d’entraînement des PC4 Qui fut également mise en œuvre au CSEM à la même

époque.5 Il faut rappeler ici, la personnalité, la compétence

tactique, et l’habileté pédagogique du premierresponsable 3A de l’époque, le général de Ballorrequi fut un des artisans de la réussite.

6 On se limitera dans cet article aux aspectsparticuliers des PC, en sachant que la démarche estaussi appliquée au CENTAC et au CENZUB par undispositif d’observateurs contrôleurs (OC).

7 Au sens religieux du terme.8 Pourquoi telle décision  ? Quelle réaction à telle

évènement  ? Avec du recul quelle  autre solutionaurait pu être mise en œuvre ? Quel est le film desévènements du point de vue joueurs  ? Quelleappréciation, ceux-ci, portent ils sur leur action ?

9 Cette idée s’est trouvée largement confortée par leretour d’expérience, une unité ayant eu à vivre unesituation opérationnelle difficile trouve dansl’introspection et la parole libre, en cercle fermé,une étape indispensable pour absorber le chocpsychologique crée par l’intensité du combat, lestress, la mort donnée, la mort reçue, et sereconstituer sur le plan mental.

10 Dans le domaine de la simulation, la 3A disposaitd’une application remarquable, l’outil CASSINIcouplé avec BBS, qui permettait de rejouer tout oupartie des affrontements et de visualiser avecnetteté les déplacements, stationnements, duelstant des bleus que des rouges. La 3A finale devaitbeaucoup à l’apport pédagogique de cet outilremarquable, qui n’a pas encore de successeur desa qualité avec SCIPIO.

11 La diminution des effectifs et la moindre dis-ponibilité du personnel présentant le profil ad hocen constituent les causes premières.

12 Qui constituent systématiquement les commissionsd’enquêtes en cas de déboires opérationnels et dontles rapports et conclusions sont quasi publiques etaccessibles sur le net pour leur majeure part.

13 Observation à tempérer par le fait que les rapportsde 3A sont des documents très riches et que laplupart du temps, ils constituent des référentiels debilan ou d’état des lieux et servent de point dedépart pour la relance de l’instruction collective desEM.

La 3A «à la française» a été et reste avec le RETEX un des moyens privilégiés d’expression du besoin

d’adaptation réactive. La qualité de son exécution, la richesse et la pertinence de ses rapports

continueront de reposer sur le soin toujours renouvelé apporté au choix des hommes qui la composent,

à la rigueur des méthodes participatives et à la performance des outils d’analyse sur lesquels elle doit

s’appuyer.

CDEF

/DSR

O

CDEF

/DSR

O

Réflexions & témoignagesRéflexions & témoignages

DÉCEMBRE 2009 DOCTRINE N° 1829

Fondamentaux, vous avez dit fondamentaux…

PAR LE COLONEL ROBIN, COMMANDANT LE CENTRE D’ENTRAÎNEMENT AU COMBAT

ET PAR LE COLONEL LEGIOT, COMMANDANT LE CENTRE D’ENTRAÎNEMENT AUX ACTIONS EN ZONE URBAINE

La suractivité et lesnombreuses contraintes ont

progressivement rogné letemps dédié à l’instructioncollective, à l’entraînement

et à la préparation en vuedu combat. Depuis

longtemps, il est coutumed’inviter les unités à se

recentrer sur la maîtrisedes fondamentaux. De

fait, volontairement axésur toutes les formes

d’actions de coercition, cetarticle se propose d’aborder le débat par le

rappel de quelques principes simples et intangibles mais deportée différente selon le niveau considéré.

LLe passage des unités des forces terrestres dans les centres spécialisés resteune occasion exceptionnelle de mettre en situation les chefs et la troupe avec

leurs matériels. Certains éclairages peuvent être apportés à la lumière desexigences du combat, redécouvertes avec l’engagement croissant de notre arméede terre dans des opérations de coercition où l’asymétrie est à ce jour la norme.Les exercices de contrôle des SGTIA se révèlent alors être des observatoiresimpartiaux de la performance tactique des unités1.

LLa maîtrise des fondamentaux n’a pas changé quelque soient les circonstancesmais révèle leur importance dans les phases de combat face à toutes les

formes d’adversaire, où gestion de l’incertitude et du stress, capacités dediscernement et de décision sont les facteurs clefs de la survie et de la victoire.

Phot

o fo

urni

e pa

r le

s au

teur

s

DOCTRINE N° 18 DÉCEMBRE 200930

1. Comprendre son terrain

Au niveau du SGTIA, la «lecture» du terrain est un élémentdécisif dès la préparation de l’action ; elle doit alors êtreappréhendée sous des facettes multiples, mais toutesimbriquées et complémentaires, car le combat du SGTIAest généralement conduit dans le même compartiment deterrain.

Cette compréhension du terrain concourt à l’économie desforces. Elle doit être appréciée en termes d’effets,généralement cinétiques ou physiques, produits par lesamis comme par l’adversaire2. Il s’agira de penser mobilitéet traficabilité mais aussi adéquation du terrain à l’emploi detel ou tel type d’armement pour appliquer les effets les plusefficients. Elle doit être affinée au filtre de l’environnementde l’unité qui se trouvera souvent au contact de populationsencore présentes et dont l’attitude parfois ambivalente peutaller de la crainte à l’hostilité affichée.

Par opposition à la zone urbanisée, l’engagement d’unSGTIA en milieu ouvert ou semi ouvert, ne permet pastoujours au capitaine de s’approprier en totalité sa zoned’action, en généralement plus vaste, ce qui lui imposerasouvent d’en «déconcentrer» la découverte et l’analyse versses subordonnés directs3. Ces derniers deviennent alors lepremier niveau capable de donner du sens au terrain, c’est-à-dire d’apprécier les conséquences tactiques sur l’actiondu SGTIA, d’appréhender les aspects favorables etdéfavorables pour aider, guider et participer activement à lamanœuvre de l’unité, tant dans la préparation (le dialogueinterarmes) qu’en conduite.

Dans ce contexte, la recherche du renseignement aucontact reste délicate. Sans préjuger de l’arrivée desdrones et de leur plus-value dans la connaissance del’environnement des petits échelons tactiques, le SGTIAdoit lui aussi maîtriser les mécanismes élémentaires de larecherche humaine élémentaire : la manière de préparer,rechercher et exploiter l’information au plus près del’adversaire. Rares sont ceux qui y consacrent les moyensd’investigation capables d’appréhender pleinement decomprendre la manœuvre du SGTIA4. Car le chef tactiquecommet généralement trois erreurs :

• il n’établit pas avec suffisamment de finesse son propreplan de recherche, lequel doit lui permettre, ens’appuyant sur la MEDO, d’identifier les informationsnécessaires à la compréhension de la situation5,

• il n’engage pas nécessairement les moyens suffisants,en quantité et en qualité, pour obtenir le renseignementescompté. Or, il s’agit bien pour le capitaine de connaîtrela situation tactique ennemie en termes de nature et devolume certes, mais aussi d’attitude et de posture,

• l’étude terrain, si elle est correctement avancée dans laperspective de l’action, reste superficielle pour conduire«l’opération de recherche du renseignement». Lemanque de pratique de la topographie élémentaire

(étalonnage de pas, marche à l’azimut, etc.) ne permetpas de s’affranchir de la planimétrie autant qu’il lefaudrait6.

2. Préparer sa mission et employer ses moyens

Aujourd’hui, la bataille décisive conduite sansdiscontinuer plusieurs jours durant cède la place à unesuccession d’engagements de contre guérilla, ciblés,limités dans le temps et dans l’espace, qui se conçoiventselon les principes du coup de main. Toutefois, ladimension interarmes et interarmées, l’environnementmédiatique des opérations, imposent une préparationpoussée et très détaillée avec l’ensemble des tous lesacteurs de l’opération.

Cette évolution exige une réflexion collective étroite de lapart de l’équipe de commandement, véritable «CO àtemps partiel» où chacun apportera sa plus-value àchaque étape de la réflexion. Le capitaine doit s’organiserpour conduire dans les temps sa première réflexiontactique, établir son orientation initiale, conduire ledialogue avec ses subordonnés, rédiger ses ordres etvérifier que chacun ait bien appréhendé sa mission enrépétant l’action7. Ce travail coopératif, conduit en amont,est capital pour comprendre l’esprit de l’action décidéepar le capitaine. Cet échange devient le gage premier de laprise d’initiative par les subordonnés face aux évolutionspotentielles de la situation inopinée.

S’appuyant sur une doctrine qui ne doit pas inhiber saréflexion tactique mais qui constitue au contraire unréférentiel pour adapter sa manœuvre aux circonstances,le chef tactique gagne à articuler ses moyens comme lespièces d’un «LEGO» en fonction des effets qu’il entendobtenir de chacun d’eux, et ce, dans une logiqued’économie des forces. Il préservera sa liberté d’action parune juste prise de risque dans le choix de son moded’action en évitant le quitte ou double. Assimilé dans son approche théorique, l’emploi desappuis est mal appliqué parce que les chefs tactiquesopposent davantage qu’ils ne les combinent les notionsde choc et d’effet dans le temps et dans l’espace.

En effet, la notion d’appui ne doit pas être réduite à celledes feux indirects, qu’ils proviennent de l’artillerie ou desvecteurs aériens. Toute arme est en soi une arme d’appuiet il s’agira de rechercher la complémentarité des feuxpour faciliter l’approche de l’élément chargé de l’actionfinale. La question essentielle reste d’être capabled’amener les moyens nécessaires à l’endroit permettantd’appliquer des effets aussi précis et mesurés quepossible8. Une réflexion «par les effets» amènesystématiquement le chef à penser à l’emploi de sesappuis avant de fixer les missions de ses éléments demêlée. Agissant plus rapidement par les feux, il peut ainsiplus facilement basculer ses efforts. Ce faisant, n’ayantengagé au contact que le strict nécessaire, le chef tactiqueconserve sa liberté d’action.

DÉCEMBRE 2009 DOCTRINE N° 1831

3. Apprendre à faire plus vite que l’adversaire

Quelle que soit la diversité des théâtres d’opérationsactuels, il demeure une constante : le rythme de l’actionest essentiel à la manœuvre de coercition. Au premiercoup de feu, «dans le combat», il y a unité de temps, delieu et d’action. Il s’agit alors d’agir et de réagir de manièreparfois réflexe, quel que soit l’adversaire rencontré.L’action redevient l’affaire du chef au contact et leschoses -bel euphémisme- relativement simples et faitesd’exécution. Le coup d’œil du chef, sa capacité à décider rapidement etsa détermination sont déter-minants. Les actes réflexes,appris et réappris par le combattant, deviennent alors des«gestes vitaux»9. Quel que soit le niveau, le premier quipeut observer, analyser, discerner, «encaisser» (car bienposté), comprendre, rendre compte et donner des ordresest naturellement en situation de supériorité car il aural’initiative.

Les fondamentaux individuels - actes réflexes, entraînementau tir et endurcissement physique et moral du combattant10-restent pérennes. Les nouveaux contextes d’engagementimposent par ailleurs une capacité d’adaptation et dediscernement quasi immédiate. Le soldat doit être capablede moduler dans l’instant son attitude et son tir afin del’adapter à la situation. Cette aptitude à la lucidité doit êtregarantie, qu’il soit dans un état de fatigue extrême ou qu’ilévolue dans des conditions climatiques ou géographiquesles plus difficiles11. Cette capacité de discrimination supposeun entraînement constant à savoir réfléchir vite et«sélectionner son attitude» dans un catalogue appris etmaîtrisé à l’entraînement.

1 Le CENTAC (centre d’entraînement au combat) et le CENZUB (centre d’entraînementaux actions en zone urbaine) sont dédiés à l’entraînement tactique des SGTIA. Lepremier se concentre sur l’entraînement et le contrôle des SGTIA en milieu ouvert,cœur de la formation tactique des unités. Il peut adapter rapidement ses scenariosaux besoins opérationnels. De création récente et en plein développement, leCENZUB joue un rôle de laboratoire et d’expertise du milieu urbain, ce qui l’amèneà proposer une instruction collective préalable.

2 Il s’agit de se poser la question somme toute assez simple : «si j’étais l’adversaire,où et comment placer un IED, employer mon RPG7, etc. ?» Cette connaissance del’ennemi s’appuie sur un travail de fond du S2 et tient compte des dimensionsculturelles de l’adversaire, capable d’utiliser son arme «à contre-emploi», selon noscritères.

3 En ville, la zone d’action du SGTIA sera plus réduite et peut être appréhendée par lecapitaine mais le risque d’isolement devient plus grand au niveau individuel ou dugroupe. Cette notion d’isolement, essentiellement visuelle, gène considérablementla manœuvre du SGTIA et l’oblige à être plus méthodique et processionnel.

4 Les patrouilles sont sous-dimensionnées et organisées sans avoir la capacité demesurer les conséquences de ce qu’ils voient sur la manœuvre amie. Ellesgagneraient à être conduites par des chefs de section ou des adjoints. Les réflexionsdu général de BRACK et ses patrouilles d’officier, celles du Maréchal ROMMEL surla manière de rechercher le renseignement pendant la 1ère guerre mondiale sontencore d’actualité.

5 A l’échelon du SGTIA, il s’agit bien ici de décliner les éléments essentielsd’information que l’échelon supérieur n’a pu fournir. Le capitaine, à partir de sapropre analyse (faire vivre l’ennemi) déterminera les informations terrain etenvironnement à confirmer ou infirmer dans le temps et dans l’espace en vue del’action à conduire.

6 Traficabilité des axes, minages potentiels, itinéraires d’approches, capacitésd’observation intermédiaires, occu-pation des habitations rencontrées, etc.

7 Le processus générique de préparation de mission initié à la réception de l’ordre(MEDO, dialogique qui ne se réduit plus aux échanges entre le CDU et ses appuisseuls, backbrief, rehearsal) prend une place croissante avec la multiplicité dessubordonnés et la contrainte de juste proportion dans les effets à obtenir.

8 A quoi sert d’infiltrer un peloton au complet si un seul char peut produire le mêmeeffet ? La question sera alors d’amener l’élément au bon endroit. Un détachementd’appui constitué ad hoc, combinant différents moyens d’appui peut remplir le boneffet terminal, sous réserve que le chef raisonne bien en termes d’effets.

9 Le passage récent d’un SGTIA de la BUNDESWHER a mis en lumière son très bonniveau d’exécution individuel et collectif, ce qui a considérablement gêné la forceadverse dès les premiers contacts.

10 Ajoutons le secourisme de combat et la réaction à la menace IED-pièges.11 Les unités contrôlées présentent sur ce point des visages très contrastés qui se

traduisent par des postures très différentes tout au long des quatre joursd’exercices et notamment lors des phases de nuit.

Pour conclure…

La guerre est une lutte contre le temps qui exige de s’appuyer sur à des valeurs sûres et des actes techniquessimples. La maîtrise des fondamentaux doit donc être déclinée de manière différenciée et complémentaireselon les niveaux considérés. Il s’agit bien de faire une différence, mais sans les opposer, entre le soldat quidoit agir par acte réflexe (se déplacer, se poster, employer ses armes) et le chef qui doit réfléchir et déciderdans l’incertitude. Tourné vers l’action, celui-ci veillera à ce que ses subordonnés maîtrisent parfaitement lesactes les plus simples de leur niveau, pour conduire de manière quasi réflexe ce qui constitue le fondementde tout combat : une fois l’adversaire dévoilé, le combat se résume -si l’on peut dire- à la confrontation dedeux volontés dans un affrontement quasi symétrique.

Phot

o fo

urni

e pa

r le

s au

teur

s

Réflexions & témoignagesRéflexions & témoignages

DOCTRINE N° 18 DÉCEMBRE 200932

L’L’élaboration de l’idée de manœuvre se fait en répondant à une série dequestions simples :

POURQUOI : l’objet de mon action, répondant à l’intention de mon supérieur.

QUOI : la mission en elle-même, telle qu’elle est libellée par ce supérieur.

AVEC QUI / AVEC QUOI : les moyens que je commande (unité en général).

CONTRE QUI / CONTRE QUOI : mon ennemi du moment, celui de la missionconsidérée.

OU / PAR OU  : évidemment, le lieu de la mission. Le cas échéant, parextension : comment s’y rendre, etc.

QUAND : l’heure du début, l’échéance, tout attendu temporel de la mission.

COMMENT  : les tâches à accomplir, les composantes. A la fin duraisonnement, ce sera décliné en missions des subordonnés.

Le questionnement reste la base du raisonnement. Nonobstant, quelquesremarques s’imposent, que nous reprendrons question par question.

L’idée de manœuvre :évolution dans le questionnement

PAR LE GÉNÉRAL DE BRIGADE MICHEL YAKOVLEFF, COMMANDANT LA 7ÈME BRIGADE BLINDÉE

DÉCEMBRE 2009 DOCTRINE N° 1833

L’enchaînement POURQUOI / QUOI / COMMENT

Dans un monde idéal, l’enchaînement est direct et laréponse évidente. Prenons par exemple la mission deflanc-garde. La grande unité à laquelle j’appartiens veutfaire mouvement de A à B. Elle craint une menace ennemiesur son flanc et confie à mon groupement tactiqueinterarmes (GTIA) de 1000 hommes la mission de flanc-garder ce mouvement.

POURQUOI  : pour que l’unité supérieure puisserejoindre B sans encombre.

QUOI : couvrir son flanc pendant le mouvement (uneautre façon de dire «flanc-garder»).

COMMENT : par flanc-garde mobile, par interdiction detelle ligne, par contre-attaque si l’ennemi fait mine des’opposer au mouvement. Bref, par tout procédé quifera que l’ennemi en question, s’il survient, mecombattra, moi, sans pouvoir gêner le mouvement demon supérieur.

Revenons sur le POURQUOI. C’est «l’esprit de la mission».Au fur et à mesure que l’on remonte la hiérarchie, lePOURQUOI s’éloigne de la tactique et rejoint le champ dupolitique.

Reprenons ma grande unité de tout à l’heure. Pourquoifait-elle mouvement  ? Pour se mettre en place à lafrontière et dissuader le pays voisin de la franchir. A sonniveau, le QUOI, c’est «s’interposer à la frontière» (ce quisuppose de la rejoindre, d’où le mouvement en question)et le POURQUOI c’est dissuader.

Cette même grande unité appartient à une forcemultinationale. En déployant une force terrestre au

contact de la zonecontestée (le QUOI àce niveau), elle veutau mieux relancer unround de négociation,au minimum carac-tériser l’agression sie l l e s u r v i e n t . l ePOURQUOI de laforce multinationale,c’est donc «élever lesenjeux pour le paysp o t e n t i e l l e m e n tagresseur».

La force militaires’inscrit dans uneaction diplomatiqued’ensemble. Ce quefait la composantemilitaire de cetteaction, le QUOI, c’estexercer une pression,

contraindre l’agresseur potentiel à y regarder à deux foisavant de commettre une bévue. Le POURQUOI, c’est deramener sa décision dans le champ du rationnel, à based’un bon vieux calcul de ratio avantage/coût des optionsqui s’offrent à lui.

Et voilà comment, en trois étapes, nous avons remontél’arborescence des POURQUOI jusqu’à sa racine unique,qui quitte le champ de l’action militaire. Il est évidentqu’on ne dira pas à un colonel, commandant ungroupement tactique interarmes (GTIA) de 1000 hommesque le «Pourquoi» de son action est «de contraindre lepays X à revenir à la table des négociations».

Le POURQUOI : à l’origine, une responsabilité politique et non militaire

Le POURQUOI originel, c’est le but de guerre au sensclausewitzien du terme. L’Alsace-Lorraine, la libérationnationale, l’annihilation du nazisme, pour ne prendre quedes cas récents.

Malheureusement, les décennies passées n’offrent guèred’exemples de buts de guerre clairement définis. En effet,au sommet, là où se conçoit la manœuvre politico-diplomatique dont l’action militaire n’est qu’unecomposante, rares sont les décideurs (politiques) quis’efforcent à une telle clarté de conception. C’est la raisonpour laquelle, dans toutes nos démocraties, le décideurpolitique suprême dispose d’un conseiller militaire, le chefd’état-major des armées (CEMA) en France, le Chairman,Joint Chiefs of Staff (CJCS) aux Etats-Unis, le Chief, DefenceStaff (CDS) en Grande-Bretagne, etc.

SIR

PA T

ERR

ERéflexions & témoignagesRéflexions & témoignages

DOCTRINE N° 18 DÉCEMBRE 200934

Ce conseiller militaire tient un rôle essentiel, car ilconvertit le souhait et les limitations de l’échelon politiqueen données de départ de la planification et, in fine, encascade d’ordres qui iront du Président de la République, duPrésident des Etats-Unis, du Premier Ministre de sa Majesté,jusqu’au caporal au coin du carrefour, en passant par lecommandant de théâtre, les commandants de composante,les commandants de grandes unités, les commandantsd’unités tactiques… L’enchaînement des questions estrelativement aisé dès lors que l’étape initiale est bien

formulée. Pour un amiral très étoilé, dire «je veuxdissuader» ou «je veux faire pression  pour relancer lanégociation», cela se comprend et cela est suffisant pourinspirer plusieurs options militaires, plus ou moins fortes,dont le choix sera proposé au décideur politique.

Il reste que le décideur indécis, pusillanime ou timoré, quirefuse de choisir, prend souvent prétexte du rejet deformulations dont il croit qu’elles limitent sa liberté. Ilaccuse ce langage d’être binaire, excessif, technocratique,hermétique, superflu, bref, insulte suprême, «dénué desens politique». «Mon général, je refuse de me laisserenfermer dans votre verbiage», phrase généralementproférée par l’ignorant de la chose militaire. En ce cas,toute la mécanique étant en branle, et nos soldats peut-être exposés à la malveillance de l’ennemi, le «Pourquoi»de leur mission reste frappé de la tare congénitale del’ambiguïté, le «Quoi» en devient une espèce d’ecto-plasme. A l’arrivée, nous avons l’inaction – le crimesuprême aux yeux de Napoléon – ou l’excès. Le politique ygagne-t-il en liberté ? Sans doute pas, du moins dès lorsque l’ennemi choisit de tester les limites du discours – enl’occurrence, les limites de l’absence de discours.

La guerre limitée est en principe préférable à la guerretotale, celle qui vise l’annihilation de l’adversaire. Laguerre limitée découle forcément d’objectifs limités,admettant la survie de l’adversaire, même en cas devictoire. Très logiquement, la guerre limitée ne peut seconcevoir sans objectifs clairement encadrés. Un«Pourquoi» évasif, voire elliptique, débouche plusfacilement sur l’excès qu’un «Pourquoi» très précis, àcondition qu’il soit réaliste, évidemment.

La condition première d’un POURQUOI véritablementopératoire, c’est donc la clarté du but politique, même s’ilest subtil et ouvert à plusieurs devenirs, et la rigueur de saformulation. Toute la cascade en devient conceptuellementclaire. En retour, le politique est mieux à même de réclamerdes comptes, de poser ses impératifs et contraintes, devarianter s’il le souhaite, en cours d’action.

En résumé : s’il prétend contrôler le militaire, et à traverslui, conduire effectivement la guerre, le décideur politiquesuprême doit en maîtriser la dialectique et endosser unedéfinition opératoire de ses buts stratégiques.

Le QUOI

Replaçons-nous au niveau tactique, plusieurs échelonsplus bas que celui que nous venons d’évoquer.

Le «Quoi» se décline à plusieursniveaux.En premier lieu, il est la formulationlittérale de la mission reçue. «Unverbe à l’infinitif, un complément»,comme on disait naguère. A noter quele verbe en question provient duglossaire réglementaire, car les

termes de mission ont des sens très précis qui contribuentà les encadrer.

Néanmoins, la réflexion tactique ne s’arrête pas là, car lamission s’articule en composantes, tout au moins tantqu’on ne sera pas descendu aux plus bas échelonstactiques, où elle se réduit à l’acte. Par exemple, pour«Détruire», il faudra prendre contact, manœuvrer(déborder, couvrir, appuyer, aborder), se réorganiser…

La connaissance et la compréhension partagées des motset concepts englobés dans la synthèse et résumé qu’est leterme de mission est absolument indispensable pour le cheftactique. Ce vocabulaire et tous ses sous-entendus doiventêtre partagés, commentés, exercés avant l’action, afin des’assurer d’une parfaite cohérence de vues entre échelons.

AVEC QUI / AVEC QUOI

Aux petits échelons, mais aussi aux grands, au terme delongs mois de campagne, cette question suscite l’ironie.Pendant deux ans dans les landes bretonnes, j’ai connu cesourire en coin à chaque exercice, sourire de l’élèveofficier d’active répondant au chef de section devant letableau papier. «Avec quoi ? Ben, avec mon groupe decombat, tiens ! Quelle question !». On peut penser que legénéral Leclerc, en août 1944, recevant l’ordre d’allerlibérer Paris, n’a pas glosé des heures sur le «Avec qui».Avec la 2°DB, imbécile !

Sommes-nous toujours dans ce genre de certitudeaujourd’hui, à l’heure de la modularité ?Sûrement pas, hélas. Cette question est devenuecompliquée, dès le niveau du sergent.

D’une part, la connaissance humaine de ceux «avec qui» jevais remplir ma mission est essentielle, pas seulement pourdes raisons morales, mais aussi pour apprécier ce qui peutêtre demandé à la troupe, apprécier le moment où elle estsusceptible de flancher. Ce n’est pas une question oiseuse.

On peut penser que le général Leclerc, en août 1944, recevant l’ordre d’aller libérer Paris, n’a pas glosé

des heures sur le «Avec qui».

Réflexions & témoignagesRéflexions & témoignages

DÉCEMBRE 2009 DOCTRINE N° 1835

D’autre part, «Avec qui» traite aussi des capacitésopérationnelles de l’unité. Celles-ci dépendent de saconstitution, de son organisation, de son état de fraîcheur(morale et logistique), de son degré d’entraînement, de sonexpérience du théâtre, etc.

AVEC QUI est donc une question à tiroir qui doit susciter uneréflexion approfondie, tout au moins tant que le chef n’ensera pas à la huitième mission successive avec la mêmeunité. Et même dans ce cas, il a intérêt à analyser sanscomplaisance l’évolution de son unité. Le décalageprogressif, insensible, ou la situation de rupture brutale nepeuvent être exclus.

La compagnie américaine qui a accompli le massacre de MyLaï, au Vietnam, était très mal connue de son chef, et avaitsubi des pertes anonymes (mines et tirs isolés) qui avaientaccumulé la frustration et préparé le terrain pour lesexactions qui l’ont rendue tristement célèbre. «Avec qui vais-je fouiller ce village ?» n’était pas une question oiseuse, ence matin du 1968, pour l’infortuné lieutenant Calley.

CONTRE QUI / CONTRE QUOICette partie du questionnement est souvent la moins bientraitée, par défaut de connaissance, de compréhension,d’imagination, d’ouverture, de culture. La capacité del’ennemi putatif découle assez mécaniquement de sesmoyens (quantitativement et qualitativement) rapportésau terrain de la rencontre. Néanmoins, cet ennemipoursuit son propre objectif. Un ennemi doctrinal, relevantd’une institution normée de son supérieur. A contrario, unennemi autonome, dénué de toute solidarité effectiveavec d’autres, est à la fois plus libre de ses choix et moinssusceptible de bénéficier d’une aide externe.

Il y a forcément une part majeure de subjectivité dansl’étude de cet ennemi, mais reconnaître le fait nedisqualifie pas toute hypothèse au motif qu’elle seraitpure spéculation. La spéculation est intrinsèque à laguerre, activité probabiliste par nature.

A cet égard, la propension de l’école scientiste de la guerreà ne se préoccuper que de faits avérés et à rejeter toute«spéculation» est plus qu’une carence d’imagination : c’estun contresens total. Elle néglige l’intention de l’ennemi,alors que celle-ci est le secret profond de son action.

Se souvenir que la capacité n’est rien sans intention, etaccepter de spéculer sur celle-ci, admettant les risques etimperfections de l’exercice, est la base du «CONTRE QUI».

OU / PAR OUL’école de pensée militaire occidentale est assez à l’aiseavec ces questions. Après tout, elle a inventé lagéographie moderne, le positionnement par satellite, etc.Au bas échelons tactiques, «OU et PAR OU» débouchent

sur le choix de l’itinéraire à défilement, l’abordage par lafaçade aveugle de l’immeuble. En remontant : la définitiondu terrain dominant, à saisir ou préserver à tout prix.

Le choix de son terrain est la marque des grands capitaines,de Frédéric II à Napoléon, qui sont généralement parvenus àcombattre où ils le voulaient, ce qui leur a donné unavantage majeur dans la plupart de leurs affrontements.

Aujourd’hui, la coalition occidentale maîtrise les «espacescommuns », notamment l’océan et le ciel, ce qui facilite lesgrandes stratégies et explique, pour une large part, lessuccès tactiques qui restent la règle plus que l’exception(quel est le dernier engagement tactique perdu par unearmée occidentale depuis un demi-siècle ?).

QUAND

L’école de pensée orientale (soviétique/russe et chinoise)prête beaucoup plus d’attention aux notions de temps dansla manœuvre – et notamment le temps long, celui desguérillas, des campagnes de désinformation.

Les Occidentaux sont gens pressés. «Quand», celacommence généralement «tout de suite» et «le plus vitepossible». Or, même au niveau tactique, savoir attendre esttrès important. Napoléon pratiquait ce qu’il appelait«l’attente stratégique», consécutive à un premiermouvement fulgurant. Qu’attendait-il, depuis sa nouvelleposition ? Il attendait la réaction à son coup, qu’il comptaitbien transformer en faute. C’est le ressort de la défense enposition centrale.

Les Occidentaux raisonnent le temps comme une donnée deplanification, une mesure nécessaire pour mieux appliquerla force. Les Américains ont une obsession de lasynchronisation, présentée comme l’objet premier duraisonnement tactique. Le défaut de cette forme de pensée,c’est qu’elle conçoit le temps comme extrinsèque au débatentre les parties en présence.

Il est stupide de nier l’importance de la synchronisationde ses propres moyens, surtout quand ils sontdisproportionnés, complexes et inscrits dans des systèmestoujours plus imbriqués.

Mais si l’on raisonne le combat comme une sorte de danserituelle, qui se joue à deux, alors le temps prend une autresignification, car il est partagé et non réparti. L’artsuprême, c’est le contre-pied de l’ennemi. Unefocalisation exclusive sur la synchronisation de sespropres moyens laisse trop facilement oublier l’impératifde disloquer ceux de l’ennemi, par contre-pied ouaccélération brutale.

Dans ce contexte, le QUAND devient un outil du «PenserRouge»  : quelle est la séquence probable de l’ennemi ?Quand est-elle vulnérable ?

DOCTRINE N° 18 DÉCEMBRE 200936

La recherche des fenêtres d’opportunité, voilà le sens ultimede la question QUAND.

Il en résulte une manœuvre en trois temps, dont le premiersera la prise de rythme avec l’ennemi, le second le contre-pied déstabilisateur, le troisième l’exécution de sa propre«danse», à son rythme, concrétisant la victoire.

COMMENT

C’est, paradoxalement, la question la plus simple. Elle sedécline en deux volets distincts : d’une part, le choix del’action, du procédé. Nous avons vu, dans le cas de la flanc-garde, le choix de l’interdiction, du coup d’arrêt, de la contre-attaque, choix qui peut évoluer dans le temps, selon leterrain envisagé pour le combat.

D’autre part, les missions confiées aux subordonnés,découlant mécaniquement de tout ce qui précède.

En cela le COMMENT de l’échelon considéré devient leQUOI de chacun de ses subordonnés.

SIR

PA T

ERR

E

Réflexions & témoignagesRéflexions & témoignages

DÉCEMBRE 2009 DOCTRINE N° 1837

UUn manuel de tactique décrit comment une unitédevrait conduire sa mission, mais la solution uniquen’existe pas, car la problématique est interactive.

Ainsi, dans des circonstances similaires, il est possible devaincre un chef ennemi ou d’être vaincu par un autre. Il nes’agit donc pas d’une question de technique ou destructure, mais plutôt d’interactions entre deux caractèresdifférents. La guerre n’est pas une science exacte, mais unart basé sur l’intuition et la réflexion.

Les procédures traditionnelles supposent que les plans etles ordres produits par les échelons supérieurs définissentla problématique pour les échelons subordonnés. Or, si les ordres circulent du haut vers le bas, les échelonssubordonnés contribuent à la compréhension de la situationpar les échelons supérieurs, surtout lorsqu’elle estcomplexe. Dans les limites de sa zone d’intérêt/respon-sabilité, le chef tactique est souvent plus à même de saisir lespectre complet du problème que ses supérieurs.

LLa diffusion d’un manuel de tactique est une bonne nouvelle soulignant lebesoin d’un retour aux fondamentaux après 15 ans d’opérations orientées vers

la basse intensité. Toutefois, cet ouvrage n’est pas un «livre de recettes»enseignant des techniques, mais un document de réflexion, qui doit armer lelecteur de principes, car la «Tactique» est avant tout subjective : elle relève, pourbeaucoup, c’est le domaine de la perception et de l’interprétation.

LLe succès d’une opération militaire repose sur la compréhension de la situation.Or, ces opérations sont complexes car leur problématique n’est plus

exclusivement militaire, mais globale. L’action militaire, même prépondérante, nepeut être dissociée des actions économiques, sociales, culturelles oudiplomatiques, et chaque soldat doit savoir y situer son action.

L’L’écueil majeur est de plaquer du mécanique sur du vivant. Un manuel detactique est donc indissociable de ses corollaires  : méthode de

raisonnement, style de commandement et formation des cadres, qui assurent lacohérence et la cohésion d’une armée en opérations.

FT-02 :transformer l’essaiPAR LE COLONEL LIONEL JEAND’HEUR/CFT

Aussi, est-il souhaitable que les chefs de tous niveauxdéfinissent eux mêmes la problématique puis en partagentl’approche avec leurs supérieurs et leurs subordonnéspour aboutir à une compréhension aussi complète quepossible des problèmes posés, fruit d’un dialoguepermanent et franc entre les échelons supérieurs et leséchelons subordonnés.

La maîtrise de la complexité, apanage des généraux par lepassé, s’est aujourd’hui étendue jusqu’au niveau des chefsdes échelons tactiques : le travail du chef de GTIA intègre deplus en plus d’éléments de réflexion du niveau opératif. Dansles opérations menées au sein de populations très sensibles,les chefs de tous niveaux doivent inscrire l’exécution de leursactions à court terme dans une perspective opérative voirestratégique, dans tous les cas globale1.

Si la problématique n’est pas comprise et partagée, laplanification s’appuiera, par défaut, sur les normesdoctrinales et les modèles connus plutôt que sur lacompréhension d’une situation particulière. Pour éviter cetécueil, il importe de prendre en compte les remarques dessubordonnés, qui doivent eux mêmes disposer desarguments, des compétences et du caractère pour fairevaloir leur approche.

La méthode de raisonnement doit donc permettre d’élargirla vue des échelons subordonnés vers les butsrecherchés par le commandant de théâtre. L’esprit doitdonc l’emporter sur la lettre dans la réflexion, et la lettres’imposer dans l’exécution.

Pour être efficace, l’évolution de la méthode de raisonne-ment nécessite une évolution du style de commandement. Iciaussi, il ne faut pas plaquer du mécanique sur du vivant, souspeine de manquer la cible.

Mieux le subordonné comprend sa mission, son contexteet le mode d’action retenu, plus il est efficace. C’est la

r a i s o n d ’ ê t r e d u«rehearsal2» cher auxAnglo-saxons et sansd o u t e l ’ o r i g i n e d uprocessus de la missionglobale (PMG), aban-donné par l’arméefrançaise.

Toutefois, la meilleurefaçon de comprendre les

ordres est bien, dans la phase d’élaboration, de les aborderavec un esprit critique et constructif afin de s’en pénétrer.Lorsque les délais l’autorisent, les remarques des subor-donnés provoqueront : soit une explication de l’échelon supérieur leur

permettant de mieux se pénétrer de l’esprit et de lalettre de la mission,

soit une valorisation des ordres.

Pour atteindre un tel niveau d’obéissance, de compétenceet de compréhension, un lien de confiance et de respectmutuel doit exister entre chefs et subordonnés. Lesupérieur doit se considérer comme un tuteur formant ses«disciples».

C’est une forme de maïeutique, autorisant la prise deresponsabilité et d’initiative à tous les échelons etpermettant, in fine, d’exploiter les opportunités. Ainsi, face àune situation imprévue, sans possibilité de rendre compte etde demander la conduite à tenir, les soldats de tous gradesseront capables de se dire : «Quand mon chef a conçu sonintention et son plan, il n’a pas envisagé cette situation. Jedois donc réévaluer ma mission et conduire l’action, de ma

propre initiative, dans le sens del’effet à obtenir par les échelonssupérieurs…». Cette intelligence desituation nécessite de savoir prendreses responsabilités.

«Le sentiment de responsabilité est laqualité la plus noble du chef.Cependant elle ne doit pas êtrerecherchée dans le sens de prendredes décisions de sa propre autoritésans tenir compte de la situationgénérale ou de ne pas suivreméticuleusement les ordres et deremplacer l’obéissance par laprétention. L’indépendance ne doitpas se transformer en bon plaisir.Par contre, l’initiative qui reste dansles limites exactes est à la base desgrands succès3».

SIR

PA T

ERR

E

«Quand mon chef a conçu son intention et son plan, il n’a pas envisagé cettesituation. Je dois donc réévaluer ma mission et conduire l’action, de ma propre

initiative, dans le sens de l’effet à obtenir par les échelons supérieurs…».

DOCTRINE N° 18 DECEMBRE 200938

Réflexions & témoignagesRéflexions & témoignages

DÉCEMBRE 2009 DOCTRINE N° 1839

Elle démultiplie l’efficacité en innervant tous leséchelons d’exécution. Un général russe, suivant la guerrefranco-prussienne de 1870 en qualité d’observateur,conclut que la victoire allemande trouvait son origine dansune incroyable capacité à agir de manière autonome,présente jusqu’aux échelons les plus bas et déployée sur lechamp de bataille au même titre que les autres savoir-faire.«Tandis que les officiers étaient résolus à préserver leurliberté d’action, les sous-officiers et les soldats étaientexhortés, voire obligés de réfléchir de manière autonome,d’analyser la situation et de se faire leur propre jugement»confirme le lieutenant-colonel L. Rousset, professeur àl’école supérieure de guerre, dans l’histoire générale de laguerre franco- allemande en 1886.

Le style de commandement doit donc autoriser que la lettrepuisse être supplantée par l’esprit, dans la mesure où lesuccès est assuré. Il existe aujourd’hui, avec la numérisation,bien des moyens de coordonner l’action de subordonnés tropentreprenants ! Et si les réseaux devaient tomber, il faudrabien faire confiance à l’initiative des subordonnés et à leurintelligence de la situation.

Ce style de commandement nécessite des cadres aucaractère trempé, pétris de culture militaire, à la culturegénérale étendue, payant deleur personne sans craindred’engager leur responsa-bilité, et sachant susciterimposant, sans démagogiecopinage ni renoncement à larigueur et au cérémonial, laconfiance à leurs subor-donnés en contribuant à leurmaturation et en stimulantleur esprit d’analyse et desynthèse.

Le chef doit donc disposerd’un caractère fort et d’uneculture capables de lui fairesurmonter ce qui constituel’un des aspects intangible ducombat  : l’incertitude sur lasituation. Il est rare, en eneffet, que l’on puisse obtenirdes renseignements définitifssur la situation en cours, lesexiger est naturel, mais lesattendre dans une situationgrave n’est que rarement lesigne d’un commandementénergique et peut constituer unefaute lourde.

Irriguées par l’expérience des opérations récentes, lesécoles de formation initiale semblent le bon endroit pourtremper le caractère des jeunes cadres en leur apprenant lesprincipes de base de la tactique générale, en leur donnant legoût de la culture militaire, en améliorant leur culturegénérale et en développant leur sens des responsabilités pardes exercices tactiques les forçant à prendre des décisionscomplexes, parfois difficiles, auxquelles ils devrontapprendre à se tenir afin d’atteindre l’effet majeur recherché,tout en gardant à l’esprit que les vicissitudes du combatpeuvent les amener à infléchir leur décision initiale,l’entêtement dans ce domaine pouvant rapidement devenirune faute.

Ainsi, vers 1860, réprimandé par un prince prussien et unmaréchal, un commandant répondit qu’il avait appliqué lesordres reçus à la lettre. Il se vit répondre que le roi l’avaitnommé commandant car il croyait qu’il était capable desavoir quand il ne fallait plus obéir aveuglément…

L’appréciation des circonstances et de l’instant, nécessitantune nouvelle décision, constitue à tous les niveaux, l’art ducommandement et de la conduite des opérations.

LLa parution d’un manuel de tactique n’est pas anodine. A l’heure,

où l’action des échelons tactiques résonne au niveau stratégique4,

où les effectifs engagés sont comptés, il convient d’accompagner

ce document de mesures lui donnant toute sa pertinence, son ampleur et

sa pérennité : il s’agit d’optimiser la méthode de raisonnement à tous les

niveaux et d’investir lourdement dans les hommes chargés de mener la

réflexion et l’action pour que l’investissement consenti, apporte la plus

value recherchée. C’est aussi le meilleur moyen de limiter «la capacité

de catastrophe possible» qui réside en tout  «caporal stratégique5».

A l’heure du nouveau livre blanc, cet effort renouvelé dans la formation

des cadres et des soldats, serait une contribution déterminante au

maintien de l’excellence de l’armée de terre.

1 D’où la notion d’effet (EBAO).2 «rehearsal» : traduction + explication 3 (Traduction du règlement allemand TRUPPENFÜHRUNG H.DV. 300 du 17 octobre 1933 - Berger-Levrault – 19364 Article du général d’armée B. Cuche, ancien CEMAT dans défense nationale et sécurité collective de juin 20085 Audition du GCA Lecerf par la commission du Livre blanc le 11 octobre 2007. «Cette dimension est fondamentale : le sens, la compréhension, l’intelligence de la mission se

partagent à tous les niveaux, et ne sont pas le privilège des chefs. Cela va même jusqu’au niveau du «caporal stratégique», c’est-à-dire le petit chef d’équipe, de groupe,de section qui se trouve confronté aux aspects concrets de la mission, au cœur du problème, à proximité de la population, de ceux qui souffrent, à proximité des prédateurset du danger ; il est lui-même une capacité de catastrophe possible, avec une dimension internationale, voire stratégique dans ses retombées.»

DOCTRINE

C.D.E.FCentre de Doctrined’Emploi des Forces

SSUN TZU SIGNIFIE «MAÎTRE SUN»(DE SON VRAI NOM «SUN WU»), EST UNGÉNÉRAL CHINOIS DU VE SIÈCLE AV. J.-C. (544–496 AV. J.-C.).

IL EST SURTOUT CÉLÈBRE EN TANT QU'AUTEUR DE L'OUVRAGE DE STRATÉGIE MILITAIRELE PLUS ANCIEN CONNU : L'ART DE LA GUERRE. L'IDÉE PRINCIPALE DE SON ŒUVREEST QUE L’OBJECTIF DE LA GUERRE EST DE CONTRAINDRE L’ENNEMI ÀABANDONNER LA LUTTE, Y COMPRIS SANS COMBAT, GRÂCE ÀLA RUSE, L'ESPIONNAGE ET UNE GRANDE MOBILITÉ : IL S’AGIT DONC DE S’ADAPTER À LA STRATÉGIE DEL’ADVERSAIRE, POUR S'ASSURER LA VICTOIRE ÀMOINDRE COÛT. UNE DERNIÈRE HYPOTHÈSECONSIDÈRE QUE SUN ZI A BEL ET BIENEXISTÉ, QU'IL ÉTAIT ORIGINAIRE DE QI,DONT IL AURAIT FUI LES TROUBLESPOUR SE RÉFUGIER À WU.

TAcTIQUE