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Graphisme et mise en page : Alain Chevallier

Cartographie : Légendes cartographie (Dario Ingiusto, Marie-Sophie Putfin, Romuald Belzacq, Frédéric Miotto, Olivia Montagne)

Iconographie : Isabelle Biagiotti

Traduction : Katell et Jim Johnson, Catherine Nallet Lugaz (pour l’introduction)

Coordination générale : Isabelle Biagiotti, Anne-Sophie Bourg, Lisa Dacosta, Raphaël Jozan, Benoît Martimort-Asso

© Armand Colin, 2012 ISBN : 978-2-200-27528-0

Armand Colin 21 rue du Montparnasse 75006 Paris

www.armand-colin.fr

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur, est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle).

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Dossier Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ?

Sous la direction de Pierre JACQUET, Rajendra K. PACHAURI, Laurence TUBIANA

Coordination scientifiqueViviane GRAVEY, Raphaël JOZAN, Sébastien TREYER, Isabelle BIAGIOTTI

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Crises financières, alimentaires et agricoles : des opportunités pour changer ?Pierre Jacquet, Laurence TUBIANA, Rajendra K. PACHAURI 9

Regards sur 2011BILAN D’UNE ANNÉE DE DÉVELOPPEMENT DURABLE

2011 MOIS PAR MOIS 27

TENDANCES, ACTEURS, FAITS MARQUANTS 81

2011 : année forestière 83Alain KARSENTY, Romain PIRARD

Après Fukushima, état des lieux du nucléaire dans le monde 88Emmanuel GUÉRIN, Andreas RÜDINGER

Crises alimentaires en Afrique : causes climatiques ou politiques ? 93Jean-Luc FRANÇOIS

La crise européenne de la dette publique 98Pierre JACQUET

Risques énergétiques : l’heure des choix 102Michel COLOMBIER

Sous les pavés du printemps arabe, le chômage 107Thierry LATREILLE, Olivier RAY

Apprentissage et expérimentations dans la gouvernance des biens publics mondiaux 112Pierre JACQUET, Tancrède VOITURIEZ

Processus de Rio : bilan et perspectives 117Lucien CHABASON, Henry DE CAZOTTE

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Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ?DOSSIER 2012Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ? 125Viviane GRAVEY, Raphaël JOZAN, Sébastien TREYER

FOCUS L’humanité pourra-t-elle se nourrir en 2050 ? Une explosion récente des prospectives 136Sébastien TREYER

Chapitre 1 Agriculture et sécurité alimentaire : prendre la mesure d’un défi global 141 Laurence TUBIANA, Noura BAKKOUR

FOCUS L’aide confrontée à la question agricole 152 François PACQUEMENT

Chapitre 2 La crise alimentaire : une recomposition du jeu d’acteurs 155 Nicolas BRICAS, Benoît DAVIRON

FOCUS Mobilisations citoyennes pour une évolution des systèmes alimentaires en Thaïlande 165

Wallapa VAN WILLENSWAARD

Chapitre 3 Agriculture et transition à l’heure de la mondialisation 169 Bruno LOSCH

FOCUS Agriculture urbaine, institutions et développement au Malawi 179 David MKWAMBISI, Fraser EVAN, Andrew DOUGILL

Chapitre 4 Agriculture et développement économique en Afrique : les termes du débat 183 Xinshen DIAO, Elizabeth ROBINSON, Shashidhara KOLAVALLI, Vida ALPUERTO

FOCUS Les investissements agricoles massifs en Afrique, moteurs du développement ? 192

Vatché PAPAZIAN

Chapitre 5 Terre, paysans et migrants : au cœur du développement chinois 195 Maëlys DE LA RUPELLE, Li SHI, Thomas VENDRYES

FOCUS Évolution des habitudes alimentaires en Inde et en Chine 204 Zhang-Yue ZHOU, Hong-Bo LIU, Vasant P. GANDHI

Chapitre 6 Quel avenir pour l’agriculture dans le contexte mondial de l’« Anthropocène » ? 207 Uno SVEDIN

FOCUS La résistible ascension de la pénurie d’eau ou la construction sociale d’une « donnée naturelle » dans le bassin de la Garonne 216

Sara FERNANDEZ

Chapitre 7 Intensification agricole et forêts : le cas de l’Indonésie 219 Anne BOOTH, Romain PIRARD, Ahmad DERMAWAN, Heru KOMARUDIN

FOCUS Les terres cultivables : une ressource rare ? 229 Laurence ROUDART

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Chapitre 8 Changement climatique et sécurité alimentaire : un test crucial pour l’humanité ? 233 Jean-François SOUSSANA

FOCUS Agriculture et négociations sur le changement climatique 243 Entretien avec Hayden MONTGOMERY

Chapitre 9 Recherche agricole : transitions stratégiques pour un système d’innovation mondial 247 Benoît LABBOUZ, Sébastien TREYER

FOCUS Repenser l’agriculture en Inde après la révolution verte 257 Entretien avec Dr. Seema PURUSHOTHAMAN

Chapitre 10 Ethnographie de la production et de l’échange du coton dans un village turc 261 Koray ÇALISKAN

FOCUS Formation du prix du riz à court et long terme : le rôle de la structure du marché dans la volatilité 270

Peter TIMMER

Chapitre 11 L’industrie agroalimentaire au cœur du système alimentaire mondial 275 Jean-Louis RASTOIN

FOCUS Accès des petits agriculteurs aux marchés en Amérique latine : nouvelles approches pour une plus grande intégration sociale 286

Octavio SOTOMAYOR, Javier MENESES

Chapitre 12 L’instabilité des prix agricoles : des vérités qui arrangent 289 Tancrède VOITURIEZ

FOCUS Peut-on réguler les marchés agricoles ? 298 Michel PETIT

Chapitre 13 Vers une agriculture durable ? Normes volontaires et privatisation de la régulation 301 Ève FOUILLEUX

FOCUS Les signalisations de qualité comme instrument de valorisation de l’huile d’olive en Méditerranée 311

Annarita ANTONELLI, Sébastien ABIS

Chapitre 14 Amérique latine et Caraïbes : reconstruire les politiques agricoles 315 Adrián RODRÍGUEZ, Mônica RODRIGUES et Octavio SOTOMAYOR

FOCUS Apprendre la durabilité : les politiques agricoles européenne et américaine 325 Antonin VERGEZ, Simon LIU

FOCUS La réforme PAC 2013, une opportunité pour repenser les politiques agricoles ? 329 Entretien avec Henri NALLET

Chapitre 15 La sécurité alimentaire comme bien public global 333 Olivier DE SCHUTTER

FOCUS Réforme du Comité de la sécurité alimentaire : opportunités pour la gouvernance mondiale ? 343 Sélim LOUAFI

Les auteurs 347

Liste des sigles 351

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Crises financières, alimentaires et agricoles : des opportunités pour changer ?INTRODUCTION

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C’est l’année de vérité pour l’Europe : les deux événements internationaux qui ont clôturé 2011 ont démontré la situa-tion paradoxale de l’Union européenne (UE). En pleine crise de la dette publique, l’Europe a montré sa désunion – criante aux yeux de ses partenaires du G20. Quelques semaines plus tard, l’Europe a parlé d’une seule voix lors de la Conférence de Durban sur le climat et a obtenu gain de cause devant des délégués impressionnés par la ténacité européenne.

Profiter de la crise pour relancer l’Europe verteOù est donc l’Europe ? Est-elle encore une référence de déve-

loppement économique, elle, dont le modèle – plus durable, investissant dans le capital humain, les services publics, les biens collectifs, l’environnement – était jusque-là reconnu pour l’équilibre qu’il posait entre État et marché et pour son équité ? Est-elle encore une référence politique ? Les 502 millions d’habitants de l’Union européenne qui ont participé à une aventure exceptionnelle où la règle de droit, la construction complexe et patiente de principes et de normes ont soumis les rapports de force entre nations à des objectifs communs, sont-ils malgré la crise, porteurs d’un message de modernité ? À la veille du Sommet célébrant les vingt ans de Rio (voir l’article de Lucien Chabason et Henry de Cazotte, p. 117-121), l’Europe peut-elle encore jouer un rôle de leader dans les domaines du développement durable ?

Pierre JACQUETChef économiste de l’Agence française de développement (AFD), professeur à l’École des Ponts ParisTech (France).

Rajendra K. PACHAURIPrésident du Groupe d’experts sur le climat (Giec – prix Nobel de la paix en 2007) et directeur général de The Energy and Resources Institute (TERI) basé à Delhi (Inde)

Laurence TUBIANADirectrice et fondatrice de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), professeur à l’université de Columbia (États-Unis), directrice de la Chaire Développement durable de Sciences Po (France).

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La réponse dépendra de la façon dont l’Europe sortira de sa propre crise. Les crises jouent clairement un rôle déterminant dans l’enclenchement d’ac-tions volontaristes et la correction de situations non durables. Par définition, ces dernières ne peuvent perdurer, si bien que la question essentielle pour les politiques publiques est de savoir quand agir afin de minimiser le coût des ajus-tements nécessaires. Mais il ne suffit pas pour cela de débattre sur le contenu normatif de l’action. Le cœur du problème est dans la compréhension de ce qui peut la rendre politiquement et concrètement possible. Or, l’attention des déci-deurs tend à se concentrer sur les sujets lorsque les crises les y appellent, et pas avant. Il y a plusieurs raisons à cela : il est impossible d’agir en même temps sur tous les fronts, il faut choisir, et les pressions du court terme sont une façon évidente de hiérarchiser les priorités de l’action. Par ailleurs, dès lors qu’il n’y a pas de sentiment d’urgence, les débats font rage et les oppositions rendent toute action difficile à engager. Ensuite, les décideurs subissent une forte pres-sion médiatique pour montrer qu’ils assument leurs responsabilités et savent comment réagir aux crises avec des mesures et des solutions concrètes. Dès lors, ils sont constamment en recherche de solutions rapides aux problèmes du jour, et se trouvent dans un mode réactif plutôt que proactif. Tout cela invite à utiliser le potentiel des crises à concentrer l’attention et le besoin d’action. Mobiliser la dynamique politique qui en résulte permettrait non seulement de répondre à la situation, mais aussi d’engager des mesures et des processus de plus long terme ; de traiter les sujets au fond plutôt que de simplement s’atta-quer aux symptômes des erreurs de management passées.

C’est tout l’enjeu de la sortie de crise européenne qui fait l’objet de plusieurs diagnostics et prescriptions [Chancel, Spencer et Zenghelis, 2012]. Elle est d’abord une conséquence de la crise de 2008-2009 qui a accru les dettes publiques, les États ayant secouru le secteur financier pour éviter les banque-routes, relancer l’économie et éviter les récessions en chaîne. Ce rôle contracy-clique s’est opéré pour plusieurs pays de la zone sur un fond de déficits struc-turels qui ont du coup explosé. Face au manque de solidarité européenne et d’une gouvernance collective solide des situations macroéconomiques (voir l’article de Pierre Jacquet, p. 98-101), la défiance l’a emporté et les économies plus faibles attaquées avec, pour résultat, un alourdissement massif des coûts de la dette publique. La première lecture de la crise est donc celle des déficits publics et met au cœur des politiques économiques le défi de rétablir la viabi-lité de la dette.

Cette crise révèle la nature insoutenable de l’expansion qui l’a précédée, notamment dans la périphérie de l’Europe : une expansion largement appuyée sur des bulles spéculatives, bien illustrée par la bulle immobilière espagnole. Elle rend aussi visibles les divergences macroéconomiques entre les pays de la

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zone euro, en termes de taux de croissance, d’emploi et finalement de déficits de la balance commerciale et de la balance des paiements.

Au total, et du fait de la spirale de défiance qui s’est enclenchée, les écono-mies européennes les plus faibles se retrouvent face à une double contrainte : il faut réduire les déficits publics pour faire face au poids croissant des dettes et essayer de regagner des marges de manœuvre en matière d’emprunt ; mais ces politiques d’austérité ont des effets dépressifs qui affaiblissent encore la base des finances publiques.

L’un des paradoxes de la situation économique européenne, et de beaucoup d’économies développées, c’est la présence simultanée de surplus de facteurs de production, de travail mais aussi de capital, qui ne trouvent pas d’emploi. On pourrait en déduire qu’il existe aujourd’hui une vraie opportunité de répondre à la crise en orientant les investissements vers l’« économie verte ». Mais les activités nouvelles nécessaires pour développer les énergies renouvelables, accroître l’efficacité énergétique ou développer les infrastructures de développe-ment (transport, réseau électrique…) apparaissent trop risquées pour les inves-tisseurs qui préfèrent les obligations d’État (parfois à des taux réels négatifs comme les émissions allemandes !) aux investissements productifs. L’abondance de capital [Zenghelis, 2011] ne signifie donc pas appétence pour les investisse-ments « verts » qui, en l’absence de fortes incitations publiques, n’attirent guère. Au Royaume-Uni, les surplus d’épargne atteignaient 110 milliards de livres en 2010 et les investissements dans l’énergie propre 2 milliards. La situation est la même aux États-Unis. Sans correction des défaillances de marchés, sans régle-mentation claire, sans signaux politiques précis et crédibles, on ne peut qu’ob-server la frilosité des banques et des intermédiaires financiers. Faute de garan-ties contre un risque perçu comme trop grand, l’économie verte aurait besoin de crédit mais elle n’en trouve pas.

Alors que les caisses publiques sont vides, il paraîtrait logique que les gouver-nements cherchent à relancer les économies, non par des dépenses publiques – impossibles – mais par la mobilisation des investissements dans l’éco-nomie productive. En matière d’emploi et d’innovation, donc de compétiti-vité, l’économie verte présente de nombreux avantages alors que la conser-vation du modèle actuel recèle de vrais et graves dangers. Une relance non classiquement keynésienne mais fondée sur les secteurs innovants pourrait donc être une solution adaptée et faiblement inflationniste [Bowen et Stern, 2010]. C’est d’ailleurs dans les périodes de crise que naissent aussi les entre-prises et les secteurs innovants : Microsoft ou Nokia se sont créées ou redéfi-nies pendant les périodes creuses. La moitié des 500 sociétés globales les plus influentes selon Fortune sont nées lors de phases de ralentissement écono-mique [Zenghelis, 2011].

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Malheureusement, et en dépit de l’accent mis sur la rareté des ressources naturelles par le Commissaire européen à l’Environnement, le scepticisme sur la politique environnementale ou les perspectives de l’économie verte se répand : lutter conte le changement climatique serait un luxe dans les conditions d’au-jourd’hui, et l’environnement pourrait bien attendre après la crise. Les pays euro-péens peinent à corriger les subventions qui encouragent la pollution, et l’outil majeur de la politique de lutte contre les émissions de carbone, le marché euro-péen d’échanges de permis transférables (European Emission Trading System) a atteint, pour des raisons multiples, les niveaux de prix les plus bas depuis sa création. Le secteur privé attend des signaux des gouvernements pour investir mais la plupart des gouvernements, à l’exception de quelques pays (Allemagne, Danemark…), ont du mal à les assumer.

Le nouveau contexte politique européen pousse à une plus forte intégra-tion des politiques économiques. Il est temps de définir, au-delà de l’équilibre des comptes publics, les contours de la convergence fiscale ou de l’harmonisa-tion de certains des outils de la politique publique. C’est aussi le moment de réfléchir aux besoins en financements des infrastructures européennes – des réseaux ferrés pour le transport des personnes et marchandises, aux grands réseaux électriques – et de construire les garanties permettant au secteur privé d’investir ses liquidités. La construction de grands réseaux d’énergie renouvelable est aussi un moyen d’accrocher les économies périphériques à la dynamique des pays centraux de l’Europe. Enfin, la politique de recherche et d’innovation a besoin de signaux politiques clairs : par exemple, les brevets dans le secteur des énergies renouvelables ont explosé après la signature du Protocole de Kyoto.

Mais, au-delà de la question de la crise européenne, il s’agit aussi de modifier les anticipations des acteurs économiques d’autres pays et d’autres gouverne-ments. La crédibilité du modèle de développement sobre en carbone, seule solu-tion de la lutte efficace contre un changement climatique, dépend de la conver-gence internationale de ces anticipations. Le choix raisonné européen a toutes les chances d’en entraîner d’autres à sa suite ou de renforcer les options déjà prises. C’est pourquoi il est essentiel que l’Europe ne doute pas de ses orienta-tions – elle s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 85 à 90 % d’ici 2050 –, les renforce et les déploie véritablement.

De ce point de vue, la Conférence de Durban a été une bonne surprise. Emmenée par la Commissaire européenne pour le climat Connie Hedegaard, l’Europe a joué un rôle central pour conclure à l’arraché un accord, certes modeste, mais néanmoins porteur d’une nouvelle dynamique pour la négocia-tion, puisqu’il lance un processus de négociation pour un accord global d’ici 2015 incluant des engagements de tous les pays.

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Cette avancée est due à plusieurs facteurs. La plupart des pays, y compris les plus émetteurs, ont pris conscience des risques climatiques. Or les émissions de gaz à effet de serre augmentent aujourd’hui plus vite que la croissance écono-mique ; tout délai dans l’action augmente le stock de GES dans l’atmosphère et engage, de par l’inertie du système économique, la tendance des émissions futures. Les perspectives de croissance sobre en carbone apparaissent aussi pour les pays émergents de plus en plus attractives.

La plateforme élaborée à Durban permettra d’ici 2020 d’engager tous les pays dans un accord juridiquement contraignant dont la forme reste à déterminer. Les obligations de chacun sont encore à négocier et devront prendre en compte les questions d’équité et de pauvreté, essentielles pour beaucoup de pays. Mais quelle que soit la forme choisie, c’est le niveau d’ambition et la crédibilité de ces engagements qui en seront la clé.

En effet, le Sommet de Cancún en 2010 a entériné l’objectif de stabilisation de la hausse moyenne de température à l’échelle du globe de 2 degrés au maximum, mais les engagements pris pays par pays ne sont pas cohérents avec cet objectif.

Si les engagements sont tenus, l’accord de Cancún se situe à mi-chemin entre les évolutions tendancielles et la trajectoire recherchée. Les émissions annuelles s’établiraient en 2020 à environ 50 milliards de tonnes, c’est-à-dire à peu près à leur niveau d’aujourd’hui. Si les engagements ne sont pas revus à la hausse, elles risquent de se maintenir à ce niveau même après 2020. À ce rythme, le réchauf-fement atteindrait au moins 3 degrés : une température globale non observée sur Terre depuis 3 millions d’années.

Le rythme de la négociation est lent, les ambitions dans le cadre global restent trop conservatrices : il faut donc que la négociation internationale soit soutenue par des dynamiques nationales fortes. L’Europe peut prolonger le rôle diploma-tique qu’elle a tenu par l’accélération de la transition énergétique comme une des composantes de la sortie de crise.

Le développement agricole, un préalable au développement durableRegards sur la Terre décrypte tous les ans un enjeu particulier du développe-ment durable. Cette année, le dossier revient sur les rapports entre l’agricul-ture, l’alimentation, le développement et l’environnement. L’année 2011 aura marqué le retour de l’agriculture dans les priorités de la communauté interna-tionale, conséquence de la flambée du prix des denrées agricoles entre 2008 et 2010. Ce renchérissement, associé aux différents chocs climatiques, est à l’ori-gine des crises alimentaires sur le continent africain et de la crise humanitaire dans la Corne de l’Afrique. Du jour au lendemain, des questions qui n’intéres-saient pratiquement personne se sont retrouvées au cœur du débat interna-tional. Pourtant, la situation n’avait rien de véritablement nouveau, les chocs C

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de 2008 et 2010 ayant des précédents historiques. En outre, le problème de la sécurité alimentaire menaçait déjà d’éclater bien avant la crise : depuis le milieu des années 1990, la part des individus malnutris dans les pays en déve-loppement a cessé de reculer, pour se maintenir plus ou moins juste au-dessus de la barre des 15 %. Étant donné l’accroissement démographique actuel, cela signifie que la malnutrition touche toujours plus d’êtres humains – pratique-ment 1 milliard aujourd’hui. Aussi justifiée et compréhensible qu’ait pu être l’in-dignation consécutive à la crise, celle-ci doit donc être interprétée comme un signal d’alarme plutôt que comme la principale cause du problème.

Il est réconfortant de constater qu’après tant d’années de désintérêt, l’agricul-ture et la sécurité alimentaire ont suscité une telle attention politique en 2011. La présidence française du G20 a réussi à inscrire ces questions à l’ordre du jour, et il y a de fortes chances qu’elles y restent sous les présidences suivantes, à commencer par celle du Mexique, en 2012. Les différents chapitres du dossier apportent un éclairage sur les principaux enjeux sous-jacents, à travers le quadruple prisme de l’agriculture, de l’alimentation, du développement et de l’environnement.

Fidèles aux principes généraux qui président à cette publication annuelle – rendre compte de questions liées au développement durable et des initiatives engagées –, nous avons fait appel à un panel d’experts de pays et d’horizons différents qui ne sont donc pas forcément toujours d’accord. Notre objectif n’est pas, avec cet ouvrage, de réconcilier les points de vue ni de parvenir à des conclu-sions définitives : la problématique même du développement durable consiste à identifier les conditions propices à l’action et cela passe par un processus continu de négociations, à l’échelle nationale et internationale, entre les diffé-rentes parties prenantes. C’est à une analyse informée de ce débat que le dossier de cette édition se consacre.

Nourrir la planèteComment nourrir la planète quand la population mondiale est censée atteindre 9 milliards d’habitants en 2050 1 ? Comme le souligne le dossier, le volume de la production mondiale n’est pas en cause. Des études prospectives montrent que nous devrions pouvoir mobiliser suffisamment de terres, de main-d’œuvre et de ressources hydriques pour fournir les calories nécessaires en augmen-tant la production. Un double défi demeure, cependant : tout d’abord, celui de la logistique, qui devra être à la fois complexe et fiable si l’on veut pouvoir approvisionner correctement et en temps voulu les populations qui en ont besoin. Mais les impératifs chronologiques et géographiques ne correspondront

1. Pour une discussion de ces questions, voir Vindel et Jacquet [2011].

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probablement qu’imparfaitement à ceux de la production. D’où l’importance des réserves et des systèmes de distribution, mais aussi de l’organisation de tous les services requis (contrôle qualité, etc.) tout au long de la chaîne d’approvi-sionnement. Dans les pays en développement, ces questions sont loin d’être résolues, même si les bourses locales de marchandises, à l’instar de celle d’Addis Abeba en Éthiopie, posent d’utiles jalons pour le développement de systèmes logistiques et de production plus efficaces, en offrant un lieu d’échange et de règlement des différends et en proposant des garanties collectives (en termes de livraison et qualité). Ces aspects sont encore très embryonnaires dans les pays les plus pauvres et appellent des investissements sociaux, institutionnels et financiers. Au-delà de la dimension locale, il faut tenir compte des problèmes à résoudre pour se préparer à la prochaine crise. Cette question fondamen-tale souligne l’utilité du Programme alimentaire mondial (PAM) en tant que pourvoyeur de denrées alimentaires de dernier recours et principal acteur de la gestion de crise. Sous la présidence française en 2011, le G20 a soutenu un projet pilote de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) visant à constituer un système régional ciblé de réserves alimentaires humani-taires afin de pouvoir disposer de stocks stratégiques 2.

Le second défi est d’ordre économique : les populations les plus pauvres et les plus vulnérables n’ont pas accès aux produits vivriers parce qu’elles n’ont pas les moyens de les acheter. Ce constat a conduit certains 3 à juger inutile une augmentation de la production alimentaire dans la mesure où les niveaux actuels suffisent, surtout si l’on parvient à remédier aux immenses gâchis dans ce domaine. La question des pertes et gaspillages est de fait un véritable problème touchant tous les pays du monde puisqu’on estime qu’ils représentent jusqu’à un tiers de la production. Mais leur réduction exige-rait de lourds investissements et une évolution radicale et durable des modes de consommation et de production, ce qui exclut toute solution rapide. En outre, dans les pays du Sud, l’agriculture reste une activité primordiale pour améliorer les niveaux de vie. Des études de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organization, FAO) montrent que le potentiel – en termes de terres arables et d’irrigation – se situe dans ces pays-là, en particulier en Amérique latine (Argentine, Bolivie, Brésil et Colombie) et en Afrique subsaharienne (Angola, République démocratique du Congo et Soudan). L’immense retard de l’Afrique subsaharienne en termes de productivité agricole suggère que le potentiel productif y est immense. La voie à la diversification de l’économie s’appuie aussi sur le savoir-faire des

2. Voir la déclaration finale du Sommet de Cannes [G20, 2011].

3. Comme la députée européenne verte, Franziska Keller, qui a tenu ce raisonnement lors d’une audience organisée par la commission du Parlement européen sur le développement le 4 octobre 2011. C

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populations rurales, pouvant s’exprimer via l’agriculture. C’est aussi pourquoi la priorité accordée par le G20 à l’investissement et à la production agricoles est bienvenue.

Comment promouvoir une agriculture durable ?Pour autant, les enjeux climatiques et environnementaux interdisent d’em-prunter la voie traditionnelle de l’intensification pour accroître la production et la productivité agricoles et nous invitent à inventer des modalités qui soient à la fois respectueuses de la terre, du sol, de l’environnement et sobres en énergie. Les techniques agro-écologiques (voir chapitre 9) semblent à cet égard tout à fait prometteuses, mais elles exigent de redoubler d’efforts dans la recherche agronomique, la mise au point de semences adaptées et l’implication des exploi-tants locaux dans les expérimentations de nouvelles pratiques agricoles et l’éva-luation de ces expériences, ainsi que d’instaurer des passerelles entre progrès scientifiques et techniques et connaissances et savoir-faire locaux.

L’agriculture est par ailleurs à l’origine de nombreux services environne-mentaux – comme l’entretien des terres ou la préservation des paysages – ou, dans certains cas, d’économies d’énergie et de réductions des émissions de carbone. Cette dimension multifonctionnelle de l’agriculture a déjà été large-ment débattue et mérite d’être plus systématiquement reconnue et valorisée. Si, fondamentalement, l’activité sera toujours concentrée sur la production agri-cole, celle-ci doit tenir compte de toutes les externalités, positives et négatives, qui en découlent. C’est là, un point particulièrement clé pour l’Europe, et pour la réforme actuelle de sa Politique agricole commune (PAC) (voir l’interview d’Henri Nallet, p. 329-331).

Dans les pays en développement, le renforcement de l’agriculture passe par l’implication des petits exploitants. La tendance à opposer l’agriculture d’ex-portation à l’exploitation familiale, tournée essentiellement vers la production d’aliments de base, est trop simpliste. La modernisation de l’agriculture est une dynamique de long terme qui exige de mobiliser les acteurs locaux que sont les petits exploitants et les groupes de producteurs. La priorité accordée aux petits exploitants est la clé pour déployer un système agricole capable de satisfaire les besoins alimentaires et d’enraciner la modernisation et le développement durable de l’agriculture.

La question des spoliations foncières, abordées dans cet ouvrage, a souvent fait la une de l’actualité en 2011 [Afrique contemporaine, 2011]. Le débat est parfois posé en des termes manichéens, entre ceux qui se réjouissent des flux de technologie et de capitaux étrangers et du développement d’un potentiel exportateur à travers une agriculture moderne, et ceux qui sont hostiles à l’ac-caparement de terres par des investisseurs étrangers, lesquels se moquent bien

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des besoins alimentaires des populations locales pour privilégier avant tout les profits qu’ils retireront de ces exportations. Là encore, le bien-être des agricul-teurs locaux est un élément clé. L’un des aspects essentiels de la question de l’accaparement des terres est celui des droits fonciers. Le problème ne tient pas tant à l’investisseur étranger qu’au choix des autorités locales de priver les producteurs locaux de l’accès aux terres disponibles et à signer, de manière arbitraire, des contrats avec ces investisseurs étrangers. Si de tels contrats sont passés, ils doivent être transparents et stipuler clairement les obligations respectives de chacune des parties, comme pour n’importe quel investissement direct étranger.

Enfin, plusieurs voies peuvent mener à l’agriculture durable : loin d’être un état à atteindre, c’est un processus à travers lequel des arbitrages mutuellement bénéfiques interviennent entre des choix productifs et non productifs conflic-tuels portant sur la destination de l’exploitation des terres : production alimen-taire, exportations, industrie, énergie, logement, reforestation… La responsabi-lité des producteurs de biocarburants dans les dernières crises alimentaires aura suscité de vifs débats en 2011. De toute évidence, l’utilisation de terres agricoles pour produire des biocarburants réduit mécaniquement la production d’autres cultures et pourrait se révéler, a posteriori, néfaste pour l’évolution du prix de ces récoltes. Mais la solution ne passe ni par une interdiction de la production de biocarburants, ni par un refus d’envisager les éventuels conflits. Le problème est davantage la gestion des arbitrages dans le temps, dans un cadre clair et cohérent qui prenne en compte la sécurité alimentaire. Enfin, des approches novatrices sont possibles, comme les expérimentations qui amènent à cultiver ensemble des cultures vivrières et des plantes destinées aux biocarburants. Il faut laisser les agriculteurs décider du meilleur usage de leurs terres. Ces choix sont habituellement modifiés au fil des campagnes agricoles et n’ont donc rien d’irrémédiable.

Penser internationalDans le sillage des dernières crises alimentaires, des appels ont été lancés en faveur du rétablissement de l’autosuffisance alimentaire des différents pays. Mais, sauf mouvements massifs de population, c’est là une décision imprati-cable. Le commerce international va devoir jouer un rôle déterminant dans la sécurité alimentaire. Il ne s’agit plus d’opposer, de manière désormais un peu stérile, le libre-échange et le protectionnisme, mais bien de discuter de la stabi-lité et de la crédibilité des règles commerciales, surtout en présence d’une crise. Ce dont le monde a besoin, c’est d’un cadre commercial fiable auquel les pays seraient disposés à confier leur sécurité alimentaire. Mais, visiblement, nous n’en sommes pas là. C

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La gestion des interdictions d’exportations en période de crise a été au cœur de débats particulièrement animés. Elles ont une raison d’être évidente : permettre aux consommateurs locaux d’acheter des denrées bon marché en réservant la production intérieure aux marchés intérieurs. Ces mesures faussent les marchés et les cours mondiaux et peuvent aggraver les crises, à la fois par leurs effets directs sur l’approvisionnement mondial et par l’incertitude qu’elles suscitent quant aux futures conditions d’approvisionnement. Pourtant, il ne semble guère réaliste de vouloir « interdire les interdictions » : lorsqu’une crise éclate, l’intérêt national prévaut toujours. Mais deux approches complémen-taires pourraient modifier la donne : à travers, premièrement, la négociation et l’introduction de bonnes pratiques, sur l’utilisation de ce type de mesures ; et, deuxièmement, la décision de gérer les crises immédiatement par des discus-sions collectives au lieu de commencer par prendre des mesures unilatérales. Les échanges qui ont eu lieu dans le cadre du G20 en 2011 ont été utiles à cet égard. À Cannes, et conformément au Plan d’action des ministres de l’Agricul-ture du G20 sur la volatilité des prix et l’agriculture, adopté en juin, les gouver-nements membres sont convenus de lever les restrictions aux exportations de produits alimentaires pour des denrées achetées à des fins humanitaires non commerciales par le Plan d’action pour la Méditerranée (PAM). Un Forum de réaction rapide a également été mis en place pour coordonner les réponses en période de crises des marchés.

Repenser les politiques agricolesTout ce que nous avons affirmé jusqu’ici repose sur la nécessité de politiques agricoles volontaristes pour mobiliser le potentiel productif, promouvoir les investissements en faveur d’une agriculture durable et mettre en place un arsenal de règles internationales propices à la sécurité alimentaire. Le dévelop-pement de l’agriculture a souffert de la disparition de ce type de politiques, dans les pays industrialisés comme dans les pays en développement. De fait, poussés par une confiance supérieure dans la contribution optimale des « marchés » au bien commun, certains en sont venus à théoriser la fin de l’État. Dans les faits, les dépenses publiques ont augmenté pratiquement partout, mais plus par réac-tion que par anticipation et en l’absence de tout cadre consensuel quant au rôle de l’action publique. Ce débat semble enfin à l’ordre du jour.

La situation et les impératifs politiques des pays du Nord et du Sud ne sont pas les mêmes. Dans les pays les plus pauvres, le développement agricole doit faire partie des priorités affichées de l’action publique. Des politiques agricoles sont indispensables pour s’atteler dans un même élan aux problèmes de droits fonciers, de formation et de renforcement des capacités, d’infrastructures, de recherche, de collecte de données, d’accès au crédit, d’organisation des

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marchés, etc. La modernisation de l’agriculture est un impératif face à l’accrois-sement démographique soutenu, aux pressions qui poussent les êtres humains vers les villes, dont le rythme de développement dépasse les capacités d’équipe-ment et de délivrance des services, mais aussi à la création indispensable d’em-plois en milieu rural. Cette situation diffère de celle des pays européens quand ils ont entamé leur révolution agricole, de sorte qu’il faut réinventer les poli-tiques et les trajectoires de cette modernisation, notamment en sollicitant les petits exploitants.

Nous aimerions enfin mettre en avant deux autres aspects : la gestion du risque et les rapports avec le secteur privé. La volatilité des prix agricoles et des denrées alimentaires a suscité de nombreux débats au cours de l’année 2011. Cette insta-bilité s’est certes considérablement renforcée tout au long des années 2000, mais elle n’est pas nouvelle. Le siècle dernier a connu des périodes de hausses extrêmes comme après la Seconde Guerre mondiale et dans les années 1970 [Roache, 2010]. Si nous devons faire la lumière sur les déclencheurs des crises récentes, nous devons nous garder de toute myopie, et par exemple ne pas foca-liser l’analyse sur le seul rôle délétère de la spéculation. Nous l’avons vu, la sécu-rité alimentaire était déjà problématique avant la survenue des dernières crises et à une époque de « financiarisation » moindre de l’agriculture. La spéculation peut prendre des proportions excessives et coûteuses, et il conviendrait sans doute de repenser et de renforcer les modes de régulation. Or, ce travail doit aussi tenir compte du rôle utile des spéculateurs : ils font la contrepartie d’opé-rations de couverture des risques liés à la volatilité des prix, et facilitent donc ces dernières ; ils signalent les éventuels déséquilibres entre l’offre et la demande, trop longtemps ignorés par les décideurs. Plus généralement, la spéculation a sans doute accru l’amplitude et l’impact de la volatilité des prix (voir chapitre 12). Mais cette instabilité révèle aussi des causes fondamentales, liées à la faible élas-ticité des produits agricoles par rapport à l’offre et à la demande.

Cette volatilité exerce une double influence : premièrement, le niveau des prix a des répercussions sur la production et sur la pauvreté. Récemment, les prix ont augmenté en réaction à l’évolution attendue de la demande (crois-sance démographique et économique, modification des régimes alimentaires) et de l’offre (aléas climatiques, catastrophes naturelles, prix de l’énergie, etc.) alors que les niveaux des stocks étaient trop faibles pour amortir les chocs. Des augmentations de prix peuvent soutenir la production mais, à court terme, elles coûtent cher aux populations vulnérables. Selon la FAO, par exemple, le nombre de personnes souffrant de malnutrition en Afrique a augmenté de 20 millions entre 2007 et 2008, pour se stabiliser à 240 millions. Ensuite, l’incertitude des prix, parce qu’elle affecte les perspectives de gains des agriculteurs, peut provo-quer un sous-investissement et pénaliser la gestion budgétaire. C

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Les politiques agricoles doivent s’attaquer à la question de la volatilité et accompagner le passage d’un mode de gestion de crise – coûteux en termes humains et financiers – à un mode de gestion du risque. Cela ne tient pas seule-ment à une utilisation judicieuse des instruments de couverture des risques basés sur les marchés (marchés à terme, contrats d’options ou autres contrats financiers). Ces instruments ont fait la preuve de leur utilité mais ils sont peu adaptés aux capacités et aux besoins des pays pauvres. Ainsi, ils portent sur des risques internationaux qui ne reflètent que rarement les risques rencontrés par les producteurs à l’échelon local. Les prix locaux et les cours internationaux ne sont pas toujours les mêmes, pour plusieurs raisons : spécificité de la produc-tion locale, fluctuation des taux de change, incertitude sur les coûts de transac-tion, etc. Comme l’a reconnu le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (New Partnership for Africa’s Development, NEPAD) dans un cour-rier adressé au G20 en septembre 2011, les politiques agricoles doivent inté-grer une dimension de gestion du risque et les donneurs doivent contribuer à cette évolution. Le G20 a aussi soutenu une initiative visant à créer une plate-forme conjointe entre plusieurs donateurs pour la gestion du risque agricole, qui conseillerait les pays en développement souhaitant apprécier les risques et choisir les meilleures options pour y remédier, à travers des mesures politiques mais aussi des instruments de marché.

La seconde dimension sur laquelle nous aimerions nous attarder concerne la participation du secteur privé. Le développement agricole est avant tout le fait d’entités privées, de toutes tailles, opérant sur le territoire national ou à l’in-ternational. Mais il y va aussi de l’intérêt général, à travers la sécurité alimen-taire et les différents services environnementaux (ou externalités négatives) produit(e)s. Cette interaction de fait doit déboucher sur des partenariats public/privé (PPP) plus resserrés, ce qui souligne l’un des points fondamen-taux de l’appel à repenser les politiques publiques, dans l’agriculture comme ailleurs : comment améliorer la participation des acteurs privés à la production de biens communs ? Les complémentarités évidentes n’ont pas encore toutes été exploitées. En 2011, le G20 a appuyé la refonte des PPP selon ces termes, tout comme le Forum économique mondial (FEM), qui défend une « nouvelle vision de l’agriculture », à travers la constitution d’un groupe de réflexion rassemblant les dirigeants des grandes multinationales de l’agroalimentaire. Ce groupe de réflexion a passé plusieurs accords de partenariat avec des pays comme le Vietnam, le Mexique et avec le NEPAD.

Les discussions et la mobilisation semblent avoir pris un tour encourageant en 2011. Le G20 a inscrit la sécurité alimentaire et le développement agricole dans les priorités et entériné le Plan d’action adopté par ses ministres de l’Agriculture en juin. Le Plan met l’accent sur la production et l’investissement et dégage un

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consensus extrêmement utile sur plusieurs points, dont l’obligation de collecter davantage de données en toute transparence, notamment à travers l’initiative AMIS (Système d’information sur les marchés agricoles). D’autres avancées, évoquées plus haut ont été actées. Ces recommandations, dictées par des impé-ratifs de court terme, sont, de toute évidence, incomplètes, ce qui explique des désaccords tenaces. Mais elles abordent des questions fondamentales et pour-raient ouvrir la voie à une meilleure concertation et à des politiques concrètes en faveur du développement agricole, sous réserve que, tous ensemble, nous arrivions à entretenir cette dynamique. n

Afrique contemporaine, octobre 2011, « Investissements agricoles en Afrique », no 237. Disponible sur : http://superieur.deboeck.com/titres/121806_3/afrique-contemporaine.html

Bowen A. et Stern N., 2010, “Environment Policy and the Economic Downturn”, Oxford Review of Economic Policy, vol. 26, no 2,p. 137-163.

Chancel L., Spencer T. et Zenghelis D., 2012, The Green Economy and the European Crises, working paper, Paris, Iddri (à paraître).

G20, 2011, « Déclaration finale du Sommet de Cannes ». Disponible sur : www.g20-g8.com/

Pew Charitable Trusts, 2011, Who’s Winning the Clean Energy Race. Disponible sur : www.pewenvironment.org/uploadedFiles/PEG/Publications/Report/G-20 Report-LOWRes-FINAL.pdf (accédé le 25/01/2012)

Roache S.K., 2010, What Explains the Rise in Food Price Volatility, IMF Working Paper, WP/10/129.

Vindel B. et Jacquet P., 2011, « Agriculture, déve-loppement et sécurité alimentaire », in Jacquet P. et Lorenzi J.H., Les nouveaux équilibres agroalimentaires mondiaux, Paris, PUF-Descartes & Cie.

Zenghelis D., 2011, Macro Recovery Plan for a Green Economy, London, Grantham Institute LSE.

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Regards sur 2011 BILAN D’UNE ANNÉE DE DÉVELOPPEMENT DURABLE

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Une sélection de dates, illustrant la richesse et la complexité

du processus de développement durable : de la recherche à l’action,

du public au privé, des ONG aux politiques.

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12 janvierUn rapport du secrétariat du Forum économique mondial de Davos distingue trois dangers systémiques : la fragilité du système économique mondial face aux déséquilibres globaux, aux déficits budgétaires des pays développés et à la faiblesse des marchés financiers ; le développement du commerce illégal, du crime organisé et de la corruption ; et la réduction des ressources naturelles essentielles disponibles.

14 janvierLa FAO publie les premières directives internationales visant à limiter les prises accessoires liées à la pêche industrielle, y compris les rejets à la mer de poissons morts.

21 janvierL’Organisation météorologique mon-diale annonce que l’année 2010 a été la plus chaude jamais enregistrée, dépassant de 0,53 °C les tempé-ratures moyennes les plus élevées observées entre 1961 et 1990.

24 janvier-4 févrierLa 9e session du Forum des Nations unies sur les forêts se consacre à la recherche d’une stratégie mondiale pour lier les forêts au développement social et à la lutte contre la pauvreté.

24-28 janvierLe Comité intergouvernemental de négociation d’un accord international juridiquement contraignant sur le mercure se réunit à Chiba (Japon), deuxième étape d’un processus devant aboutir à la signature d’une convention en 2013.

2 févrierLe Protocole sur l’accès aux res-sources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation, adopté à Nagoya en octobre 2010, est ouvert à la signature.

6-11 févrierLe Forum social mondial tient sa onzième édition à Dakar (Sénégal), appelant au lancement d’une alliance contre l’accaparement des terres.

9 févrierLe Groupe d’action pour la Baltique réitère son engagement à agir pour protéger l’une des mers les plus polluées au monde, essentiellement en raison des pollutions agricoles qui soutiennent l’eutrophisation et la prolifération des algues vertes.

18-19 févrierLes ministres des Finances et les gouverneurs de Banques centrales des pays du G20 réunis à Paris (France) réaffirment la nécessité d’une action coordonnée contre la crise économique mondiale.

22 févrierLe rapport annuel des principaux producteurs d’OGM annonce une croissance de 10 % des cultures transgéniques dans le monde en 2010, due à l’extension des surfaces dans les pays du Sud (+ 17 % en 2010), contre 5 % pour les pays industrialisés.

22 févrierLe Forum international de l’énergie, réuni à Ryad (Arabie saoudite), signe une charte renforçant le dialogue entre producteurs et consommateurs pour accroître la stabilité des marchés énergétiques.

7 marsLe Protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur sur la responsabilité et la réparation des risques biotechnologiques, adopté à Nagoya (Japon) en octobre 2010, est ouvert à la signature.

8 marsLa Commission européenne présente une feuille de route pour créer une économie décarbonée et compétitive, respectant l’objectif européen de réduction des gaz à effet de serre tout en maintenant son activité économique.

8 marsLe rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation préconise une approche « agroécologique » de la sécurité alimentaire, alliant augmentation de la production, protection du climat et lutte contre la pauvreté rurale.

11 marsLe Japon connaît un tremblement terre de magnitude 9 sur l’échelle de Richter, qui génère un tsunami sur la côte Pacifique. La vague de 15 mètres atteint la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi.

14-19 marsLe Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture attribue 10 millions de dollars pour aider les agriculteurs des pays en développement à conserver les ressources génétiques nécessaires à la sécurité alimentaire mondiale.

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31 mai-3 juinLe premier sommet des chefs d’États et de gouvernements des trois bassins forestiers tropicaux du monde se réu-nit à Brazzaville (Congo) dans le cadre de l’Année internationale des forêts.

1er juinLa Banque mondiale et le Groupe C40 des villes pour le climat signent à São Paulo (Brésil) un accord de partenariat visant à faciliter l’accès direct des villes aux financements internationaux.

14-17 juinLa 6e Conférence ministérielle pour la protection des forêts en Europe (CMPFE-6) adopte à Oslo (Norvège) les « Cibles de 2020 pour les forêts d’Europe », vues comme productives et multifonctionnelles, contribuant au développement durable, à l’économie verte et à l’atténuation des crises écologiques.

20 juinSelon le rapport annuel du Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, 80 % des réfugiés vivent aujourd’hui dans les PED.

20-24 juinLa Conférence ministérielle extraordinaire sur la sécurité nucléaire débouche à Vienne (Autriche) sur un programme international d’inspection des installations les plus anciennes dans les pays volontaires.

22-23 juinLe premier G20 agricole se réunit à Paris (France) pour chercher des solutions collectives à la flambée des prix agricoles.

3-8 avrilLes pourparlers sur le changement climatique et la préparation de la Conférence de Durban (Afrique du Sud) de la fin 2011 reprennent à Bangkok (Thaïlande).

4-14 avrilLa Convention sur la sécurité nucléaire réunit tous les pays possédant des centrales nucléaires à Vienne (Autriche) pour échanger sur les normes de sécurité. La catastrophe de Fukushima Daiichi (Japon) amène les pays parties à décider de mener conjointement une révision de leurs installations.

15-16 avrilLes réunions du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale appellent au renforcement de la coopération internationale face à la crise économique, mais aussi face aux printemps arabes.

21 avrilL’Initiative Paris-Nairobi pour l’accès aux énergies propres pour tous en Afrique réunit à Paris (France) ONG, industriels et gouvernements pour préparer une Ministérielle dédiée à la question en 2012.

28-29 avrilLa première Conférence ministérielle mondiale sur les modes de vie sains et la lutte contre les maladies non transmissibles, responsables de 60 % des décès à l’échelle mondiale, se tient à Moscou (Russie).

4 maiLa Division de la population des Nations unies indique que le cap des 9 milliards serait atteint avant 2050.

8-13 maiLa première Conférence mondiale sur la reconstruction à Genève (Suisse) marque une nouvelle étape sur la coopération internationale sur la gestion des risques.

9-13 maiLa 4e Conférence des Nations unies pour les pays les moins avancés adopte à Istanbul (Turquie) un partenariat pour le développement 2011-2020.

16-27 maiLe Forum permanent des Nations unies sur les questions autochtones lance un Partenariat chargé de sécuriser les financements nécessaires à la réalisation des droits édictés dans la Déclaration de 2007.

23 maiL’initiative Better Life de l’OCDE propose un nouvel indicateur synthétisant les résultats obtenus par les pays dans 11 secteurs pour dépasser la seule mesure de la création de richesse.

25 maiL’OCDE révise ses Principes directeurs à l’intention des multinationales, renforçant notamment la prise en compte des droits de l’homme dans l’intégralité des filières et des pays du monde.

30 mai Selon l’Agence internationale de l’énergie, le niveau des émissions mondiales de CO2 pour l’année 2010 est 5 % plus élevé qu’en 2008.

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6 juilletLa Banque mondiale inaugure le Centre mondial pour les conflits et le développement à Nairobi (Kenya). Le Centre offrira son expertise aux différents acteurs de la prévention des conflits comme de la reconstruction et travaillera à créer un fonds spécifique pour intervenir dans des pays fragiles.

7 juilletLe premier rappport d’UN Women, l’agence onusienne pour les femmes, signale que si 139 constitutions garantissent l’égalité des sexes, seule la moitié des femmes du monde bénéficient d’une protection légale sur leur lieu de travail.

11 juilletL’accord sur les énergies propres australien impose aux 500 principaux pollueurs de payer 23 dollars australiens par tonne de carbone émise dans l’atmosphère à partir du 1er juillet 2012.

15 juilletL’Organisation maritime internationale adopte deux mesures contraignantes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du transport maritime international, ainsi que le Protocole de Kyoto le lui demande depuis quatorze ans.

25 juilletLa réunion extraordinaire consacrée à la sécheresse et à la famine dans la Corne de l’Afrique à Rome (Italie) réclame une aide internationale massive et urgente. Seules la Banque mondiale et l’Union européenne s’engagent.

1er aoûtLa Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (Marpol) définit une norme de qualité des carburants dans l’Antarc-tique et un contrôle des émissions des navires dans la zone nord-améri-caine à partir du 1er août 2012.

2 aoûtL’Organisation internationale de normalisation ouvre l’examen de la norme Common Carbon Metric (CCM) développée par le PNUE en 2009. Le CCM pourrait devenir la norme universelle de mesure de l’utilisation d’énergie et des émissions de CO2 des bâtiments.

18 aoûtL’Angola, le Botswana, la Namibie, la Zambie et le Zimbabwe créent la 6e plus grande aire naturelle protégée au monde. D’une superficie égale à la moitié de la France (278 000 km2), elle réunit 14 parcs nationaux et réserves naturelles, notamment les chutes Victoria et le delta de l’Okavango.

19 aoûtUn rapport du PNUE estime qu’il faudra 30 ans pour réparer la pollution causée par l’exploitation pétrolière menée par la compagnie anglo-néerlandaise Shell en pays Ogoni (Nigeria).

29-30 aoûtLe Forum des peuples de Chine et d’Afrique réunit à Nairobi (Kenya) 200 représentants d’ONG chinoises et africaines et décide d’institutionnaliser la rencontre comme un élément du partenariat proposé par la Chine à l’Afrique depuis 2000.

9 septembreL’Union européenne et les États-Unis signent un accord de lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée.

13-15 septembreLa Coopération économique pour l’Asie-Pacifique lance un programme de transports innovants et durables, afin de répondre aux enjeux environ-nementaux et de créer de nouveaux gisements d’emplois.

22 septembreLa Commission européenne publie une feuille de route pour transformer l’économie européenne en une éco-nomie durable d’ici à 2050, misant sur une utilisation efficace des res-sources pour améliorer la compétiti-vité et la croissance européennes.

21-24 septembreLe 2e Forum international sur le déve-loppement économique de l’Arctique discute à Arkhangelsk (Fédération de Russie) du développement du transport et de l’exploitation des res-sources dans une région où le recul de la banquise ouvre de nouvelles routes.

23 septembreLe G20 discute à Washington (États-Unis) des facteurs de croissance économique.

23-25 septembreLors des assemblées annuelles du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale à Washington (États-Unis), six pays membres du G20 et les pays émergents présents appellent la zone euro à agir rapidement pour résoudre la crise de la dette.

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3-7 octobreLa Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodi-versité et les services écosystémiques (IPBES) tient sa première réunion plénière à Nairobi (Kenya).

10-15 octobreLe Comité sur la sécurité alimentaire mondiale adopte à Rome (Italie) 74 % des Directives volontaires en négo-ciation pour encadrer les investisse-ments fonciers internationaux.

14-15 octobreLes ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales du G20 réunis à Paris (France) s’ac-cordent sur de nouvelles obligations de recapitalisation des banques.

17-21 octobreLa Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimi-nation adopte à Cartagena (Colombie) des objectifs mesurables de réduction de leur production et de traitement au plus près de leurs sources.

22 octobreLe Comité de la sécurité alimentaire mondiale appelle à plus de volonté politique pour lutter contre l’insécurité alimentaire dont souffrent 925 mil-lions de personnes, dont 13 millions dans la Corne de l’Afrique.

27 octobreLa FAO, la Commission océanographique intergouverne-mentale de l’Unesco, l’Organisation maritime internationale et le PNUD présentent un plan conjoint visant à limiter la dégradation des océans en réduisant la surpêche, la pollution et la perte de biodiversité.

2 novembreLe rapport 2011 sur le développement humain documente l’aggravation des inégalités dans la distribution des revenus entre pays et régions, mais aussi au sein de certains États.

9 novembreLa FAO signale que le poisson d’élevage représente la moitié du poisson consommé dans le monde.

3-4 novembreLa réunion des chefs d’État et de gouvernement du G20 à Cannes (France) débouche sur un engagement à fournir au FMI des ressources pour faire face aux crises financières.

14-17 novembreLe 15e Sommet mondial du micro-crédit à Valladolid (Espagne) se fixe comme nouvel objectif global de toucher 175 millions des familles les plus pauvres du monde.

17-20 novembre250 organisations de petits agriculteurs de plus de 30 pays se réunissent à l’appel de La Via Campesina à Nyéléni (Mali) pour construire une alliance mondiale contre l’accaparement des terres.

28 novembre-9 décembreLa Conférence de Durban (Afrique du Sud) de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique s’accorde sur une deuxième période d’engagement de cinq ans du Protocole de Kyoto à partir du 1er janvier 2013, parallèlement à la négociation d’un nouvel instrument juridique contraignant sur les émissions.

5 décembreLa Charte pour l’adaptation adoptée à Durban (Afrique du Sud) par les autorités locales membres de l’ICLEI les engage à favoriser transports et chauffage sobres en carbone, une plus grande résilience aux impacts climatiques et à développer une économie verte sur leur territoire.

8 décembre Le Financement mondial de l’inno-vation sur les maladies négligées signale une baisse de 3,5 % du financement de la R&D entre 2009 et 2010, en raison de la réduction des fonds publics.

12 décembreUne étude conjointe de la FAO et de Transparency International établit un lien direct entre corruption et accès inégal aux terres agricoles dans 61 pays.

15 décembreSwiss Re, l’assureur des assureurs, estime à 350 milliards de dollars les pertes économiques mondiales, assurées et non assurées, dues à des catastrophes naturelles ou techniques en 2011.

21 décembreLa Cour de justice européenne juge légale la taxation des émissions de CO2 des compagnies aériennes sur le territoire de l’Union à partir du 1er janvier 2012. Les compagnies devront racheter 15 % de leurs émissions, soit 38 millions de tonnes, au cours du marché.

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2011MOISPARMOIS

S A N T É

Le paludisme fait de la résistance

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R L’Organisation mondiale pour la santé (OMS) lance un appel pour une inten-sification de la recherche sur les causes de la résistance croissante à

l’artimisinine des parasites porteurs du paludisme. Constatée d’abord dans le delta du Mékong au début des années 2000, cette résistance au traitement tend à s’étendre tant en termes de fréquence que de distribution géographique. Pour l’OMS, il faut rapidement identifier le gène porteur de cette résistance et son mode de transmission afin de garder le contrôle d’une maladie qui entraîne la mort d’environ 1 million de personnes par an. La consolidation de tous les progrès réalisés dans la lutte contre le paludisme depuis dix ans en dépend.

É C O N O M I E

Le coût de la corruption

18 J

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R Global Financial Integrity publie son rapport annuel sur le coût du crime, de la corruption et de la mauvaise fixation des prix pour les pays en développe-

ment. Selon l’étude, les pertes enregis-trées entre 2000 et 2008 atteignent 6 500 milliards de dollars, soit plus de dix fois l’aide mondiale au développement. Les pays les plus touchés en volume sont les économies émergentes : la Chine (2 180 milliards), la Russie (427 milliards), le Mexique (416 milliards) et la Malaisie (291 milliards). Si l’Asie représente 44 % des flux illicites pour la période, c’est en Afrique du Nord et au Moyen-Orient que le phénomène progresse le plus sur la période (+ 24,3 %) devant les pays d’Europe de l’Est (+ 23,1 %) et l’Afrique subsaharienne (+ 21,9 %).32

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

L’Europe protège sa nature

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VIE

R L’Union européenne (UE) publie une mise à jour des sites naturels proté-gés dans le cadre du réseau Natura 2000. En 2010, 27 000 km2,

dont 17 500 de zones marines, ont été ajoutés au réseau, essentiellement en République tchèque, au Danemark, en France, en Espagne et en Pologne. Le réseau couvre désormais 18 % du terri-toire terrestre européen et plus de 130 000 km2 de mers et d’océans. Natura 2000 veut garantir le maintien des espèces et des habitats les plus rares et les plus menacés en Europe. Parmi les nouveaux sites marins, on trouve ainsi une partie de l’estuaire de la Loire (France), aire de croissance pour les poissons juvéniles et étape vitale pour les espèces grandes migratrices comme le saumon atlantique et la grande alose ; le Sydlige Nordsø (Dane-mark), pour la conservation du marsouin, ou El Cachucho (Espagne), un vaste banc off shore et un mont sous-marin abritant diverses espèces marines, dont plusieurs éponges géantes découvertes récemment.

G O U V E R N A N C E

Les leçons de Deepwater Horizon

11 J

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VIE

R La Commission nationale chargée de déterminer les causes de l’explo-sion de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon, le 20 avril 2010,

dans le golfe du Mexique, publie son rapport final. Sans remettre en cause les forages profonds, l’étude souligne la méconnaissance des risques par les pouvoirs publics américains et les défauts d’encadrement des pratiques

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janvierdes exploitants qui en découlent. Il faut, selon le rapport, revoir l’ensemble de la réglementation encadrant la localisa-tion de plateformes, l’exploration pétro-lière et la production d’hydrocarbures. Une Commission des opérations pétro-lières réunissant l’ensemble des acteurs devrait être mise en place pour définir les meilleures pratiques, à l’image du travail accompli par l’en-semble de la filière nucléaire améri-caine. Le rapport conclut à une respon-sabilité partagée entre BP et ses sous-traitants dans l’incident – position défendue depuis des mois par l’entre-prise pétrolière britannique.

G O U V E R N A N C E

Davos veut plus d’action publique

12 J

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VIE

R Le secrétariat du Forum économique mondial de Davos publie Global Risks Survey 2010, une étude des princi-paux risques pour les dix années à

venir. Le rapport distingue trois sources principales d’inquiétude : un système économique mondial fragilisé par les déséquilibres mondiaux, les déficits bud-gétaires des pays développés, les nom-breux engagements sociaux non finan-cés ainsi que la faiblesse de certains marchés financiers ; l’augmentation du nombre d’États fragiles qui rend difficile la lutte contre le développement du com-merce illégal, du crime organisé et de la corruption ; enfin, le poids de la réduc-tion des ressources naturelles essen-tielles disponibles sur la croissance éco-nomique et le développement humain, augmentant aussi les risques de conflit au sein et entre les États. Pour le rapport, répondre aux défis identifiés exige davantage de gouvernance et de coopé-ration internationales.32

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É N E R G I E - C L I M A T

Sécuriser les échanges carbone européens

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Le Système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE) sus-pend jusqu’au 26 janvier le com-merce des crédits carbone après le vol de 2 millions de quotas d’une valeur de 28 millions d’euros. Les

crédits ont été détournés du registre national du carbone tchèque et immé-diatement revendus grâce aux codes de sécurité d’un courtier estonien dont le compte a été piraté. La fréquence crois-sante des cyber-attaques contre le SCEQE avait amené l’UE à renforcer les procédures de sécurité en janvier 2010. Les 14 des 27 pays européens ne les ayant pas encore adoptés – dont la République tchèque, la Grèce, l’Estonie, la Pologne et l’Autriche – sont sommés de se mettre à jour pour pouvoir de nou-veau participer aux échanges.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Gestion de qualité vaut plus qu’abondance

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VIE

R La Banque mondiale produit une étude sur l’évolution des facteurs définissant la richesse des nations. S’appuyant sur l’analyse de

120 pays, elle signale l’importance cru-ciale des ressources naturelles et de leur bonne gestion pour induire une crois-sance de long terme pour les pays en développement. 36 % de la richesse économique des pays les moins avancés dépend de leur capital naturel – forêts, aires protégées, terres agricoles, éner-gie, minéraux –, juste derrière le capital immatériel – éducation, recherche, tech-nologies... – qui représente 50 % de la richesse des pays. Dans les pays

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Réduire l’impact des pêches

14 J

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VIE

R La FAO publie pour la première fois une série de direc-tives visant à limiter les prises accessoires liées à la pêche industrielle, y compris les rejets à la mer de poissons morts. Évaluées à plus de 20 millions de tonnes

annuelles, ces captures portent d’abord préjudice aux petites pêcheries car elles réduisent dangereusement les stocks de poissons, la prise de jeunes individus empêchant leur reconstitution. Ces captures ont également des consé-quences sur les populations de tortues de mer, d’oiseaux marins ou de dauphins. Les mesures couvrent des aspects techniques – gestion des prises accidentelles, amélioration des engins de pêche, fermetures saisonnières de la pêche –, mais aussi économiques avec des incitations financières à respecter les mesures ou des formations pour renforcer les capacités des États à appliquer les directives. Ces mesures doivent encore être validées par le Comité des pêches de la FAO en février.

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33La prise accessoire de poissons soit trop petits pour être consommés, soit impropres à la consommation augmente considérablement l’impact des pêches sur l’environnement.

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2011MOISPARMOIS

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développés, la part de la nature est de seulement 3 %, très loin derrière le capi-tal immatériel (80 %) et le capital produit (17 %). Pour la Banque, des stratégies de gestion durable des ressources envi-ronnementales doivent permettre aux pays les moins avancés de dégager les revenus nécessaires pour l’investisse-ment industriel, le financement d’infras-tructures et des investissements imma-tériels comme l’éducation, le développement des institutions, la recherche et le développement de nou-velles technologies. Selon l’étude, avec une meilleure gestion des revenus de leurs ressources naturelles, la Répu-blique démocratique du Congo pourrait multiplier ses capacités d’investisse-ments par 5, le Nigeria par 4 ou le Venezuela par 3.

I N É G A L I T É S

La femme rurale est discriminée

21 J

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VIE

R Le Fonds international pour le déve-loppement agricole (Fida) publie avec la FAO et l’OIT un rapport sur les conditions de travail des femmes

rurales dans le monde. Qu’elles soient indépendantes ou salariées, les femmes rurales tirent moins de bénéfices de leur activité que les hommes. Elles sont de fait surreprésentées dans les emplois de qualité médiocre. Plus encore, le rapport note une forte inégalité de revenus entre les sexes, aboutissant notamment à un nombre inférieur d’heures rémunérées pour une charge de travail globalement plus lourde. Selon l’étude, dans les pays développés comme en développement, neuf fois sur dix, l’écart salarial entre hommes et femmes ne s’explique pas par autre chose que de la discrimination entre les sexes. Lutter contre ce

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phénomène passe par une meilleure éducation des femmes dans les zones rurales, mais aussi des réformes juri-diques basées sur l’égalité entre les sexes, des dispositifs de protection sociale, un appui aux organisations de base ou des programmes de soins aux enfants.

É N E R G I E - C L I M A T

2010, une année singulièrement chaude

21 J

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VIE

R L’Organisation météorologique mon-diale (OMM) publie ses premières observations des variations annuelles de températures. Elle conclut que

l’année 2010 a été la plus chaude jamais enregistrée, dépassant ainsi les records établis en 1998 et 2005. En dehors des événements extrêmes comme la vague de chaleur en Russie ou les inondations au Pakistan, 2010 a aussi enregistré des températures moyennes plus élevées de 0,53 °C que la moyenne observée entre 1961 et 1990. La couverture de la banquise arctique n’a jamais été aussi peu éten-due – atteignant à peine 12 millions de km2 en décembre 2010, soit 1,35 mil-lion de km2 de moins que la moyenne observée entre 1979 et 2000. Le rapport final tiré de ces observations sera publié en mars.

I N É G A L I T É S

Se préparer à plus de catastrophes

24 J

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VIE

R Le Centre de recherche sur l’épidé-miologie des catastrophes (Cred) de l’Université catholique de Louvain (Belgique) publie son rapport annuel

avec le soutien de l’Agence des Nations unies pour la réduction des

risques (UNISDR). En 2010, les 373 catastrophes naturelles recensées ont fait 296 800 morts –, ce qui classe l’année comme la plus meurtrière depuis deux décennies. Le séisme haïtien à lui seul a été responsable de 222 500 décès et la vague de chaleur estivale en Russie de 56 000 morts. Les deux événements bousculent le classement traditionnel des régions, faisant des Amériques et de l’Europe les deux régions les plus tou-chées par les catastrophes naturelles en 2010, devant l’Asie habituellement vic-time des catastrophes les plus meur-trières. Les dégâts occasionnés à l’échelle mondiale s’élèvent à 110 mil-liards de dollars, dont 30 milliards cau-sés par le seul tremblement de terre au Chili en février 2010. Pour le Cred, ces résultats montrent l’importance d’une meilleure préparation des autorités nationales et locales à de tels événe-ments. L’anticipation des risques dans les plans d’urbanisme devrait ainsi être généralisée.

G O U V E R N A N C E

Un avenir sans mercure ?

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IER Le Comité intergouvernemental de

négociation d’un accord international juridiquement contraignant sur le mercure (CIN-2) se réunit à Chiba (Japon). Cette réunion est la deuxiè me

étape d’un processus lancé par le PNUE en février 2009. Il doit aboutir à la signa-ture d’une convention en 2013. Le mer-cure provoque des dommages perma-nents du système nerveux sur les humains et les animaux ; c’est en outre un polluant persistant, impossible à détruire et très volatile, facilement trans-porté sur de longues distances par les courants atmosphériques. La première source d’émission de mercure est la

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combustion du charbon pour la produc-tion d’électricité. À Chiba, les pays en développement se montrent réticents à des limitations chiffrées des émissions jugées trop contraignantes. L’élimination progressive de l’utilisation du mercure dans certains produits médicaux ou dans les mines d’or artisanales fait, elle, plus largement consensus. Enfin, en matière de gestion des déchets de mercure et des sites contaminés, la négociation souligne les coûts de stockage des matières contaminées et pose la ques-tion du financement pour les pays les plus pauvres. Les négociations repren-dront en Afrique en octobre 2011 sur la

base des documents préparés par le secrétariat.

I N É G A L I T É S

Quand le chômage devient dangereux

25 J

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VIE

R L’Organisation internationale du tra-vail (OIT) publie l’édition 2011 de son rapport Tendances mondiales de l’emploi. L’étude documente la per-

sistance du chômage mondial à un niveau élevé : 205 millions de personnes, soit 6,2 % de la population active mon-diale contre 5,6 % en 2007. Les 15-24 ans sont les plus touchés avec un

taux de chômage de 11,8 %. La reprise économique sensible dans la mesure du PIB mondial, de la consommation, de l’investissement ou du commerce mon-dial n’a pas créé suffisamment d’emplois pour absorber les entrées sur le marché du travail. Plus encore, la moitié de la main-d’œuvre mondiale (1,5 milliard de personnes) souffre d’un emploi peu stable, et le nombre de « travailleurs pauvres » ne cesse d’augmenter. L’OIT s’inquiète des politiques de restriction budgétaire menées par beaucoup de pays face à la crise, estimant qu’elles enferment l’économie mondiale dans une spirale de récession, accentuant les pressions négatives sur les politiques sociales et le développement humain.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Ruée sur le poisson31

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La FAO publie l’édition 2010 de La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture soulignant le déclin mondial des stocks : 85 % des

réserves de poissons sont surexploitées en 2008, contre 80 % en 2007 et 77 % seulement en 2005. La tension dans le secteur se traduit par une réduction des volumes pêchés – de 83,8 millions de tonnes en 2004 à 79,5 millions de tonnes en 2008 –, alors que la consom-mation humaine moyenne atteint le niveau historique de 17,1 kg par per-sonne et par an. La progression de la production aquacole mondiale, de 25,2 tonnes en 2004 à 32,9 tonnes en 2008, est venue répondre à cette demande mais, selon la FAO, les marges de pro-gression de l’aquaculture sont réduites. Il ne reste donc qu’à protéger les capacités de reproduction des stocks en accen-tuant la lutte contre la pêche illicite et en faisant reculer leur surexploitation.

janvier

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Une année pour les forêts et les hommes

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R Le Forum des Nations unies sur les forêts tient sa neu-vième session à New York (États-Unis). La rencontre veut aboutir à une stratégie mondiale pour introduire la question des forêts dans le développement social et à la lutte contre la pauvreté, prenant en compte l’histoire et les dimensions culturelles des espaces forestiers comme les droits fonciers ou les ressorts économiques de leur

bonne gestion. Représentant 31 % de la surface de la terre, les forêts couvrent un peu moins de 4 milliards d’hectares. Selon la FAO, environ 13 millions d’hectares sont défrichés chaque année essentiellement pour répondre aux besoins de l’agriculture. Pourtant, 1,6 milliard de personnes tirent directement leur subsistance de la forêt – 60 millions d’entre elles vivant en son sein. La FAO estime par ailleurs que l’exploitation des forêts rapporte plus de 100 milliards de dollars par an à l’échelle mondiale. L’année internatio-nale des forêts, qui doit permettre au grand public de mieux faire connaître ces enjeux, est officiellement lancée le 2 février.

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G O U V E R N A N C E

Partager les bénéfices des ressources génétiques

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R Les Nations unies ouvrent à la signa-ture le Protocole sur l’accès aux res-sources génétiques et le partage juste et équitable des avantages

découlant de leur utilisation, adopté à Nagoya en octobre 2010. Attendu depuis plusieurs décennies, le texte définit comment les bénéfices tirés de l’exploi-tation des gènes d’une plante – par exemple pour la production d’un médi-cament – doivent être partagés. Il recon-naît et organise ainsi la rémunération des acteurs, pays et communautés qui conservent une riche biodiversité, par-fois depuis des millénaires. La signature est ouverte pour un an ; le Protocole entrera en vigueur quand 50 pays l’au-ront ratifié.

É N E R G I E - C L I M A T

La transition énergétique est possible

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R Le bureau d’études Ecofys et le WWF publient le Rapport Énergie formulant scénarios et recommandations pour parvenir à couvrir les besoins éner-

gétiques mondiaux uniquement par des énergies renouvelables d’ici à 2050. Alors même que 80 % de l’énergie utili-sée dans le monde est d’origine fossile, l’étude estime cette transition possible et compatible avec un abandon du nucléaire. Combiné à une réduction de la demande de 15 %, ce passage entraîne-rait même 4 000 milliards d’euros d’éco-nomies d’énergie par an d’ici à 2050. La réduction, voire l’élimination, des sub-ventions étatiques aux secteurs du pétrole, du gaz et du charbon rapporte-rait par ailleurs de 500 à 800 milliards

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d’euros par an. Pour fonctionner, ce scé-nario demande 1 à 3,5 milliards d’euros d’investissement par an, à 95 % dirigés vers des énergies vertes, pendant 25 ans.

É N E R G I E - C L I M A T

Financer les villes d’Afrique

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R Le Fonds pour l’environnement mon-dial (FEM) accorde un financement de près de 3 millions de dollars à trois grandes villes d’Afrique de l’Est

– Addis Abeba (Éthiopie), Nairobi (Kenya) et Kampala (Ouganda). Le financement doit permettre d’améliorer les transports publics pour contenir l’impact climatique des villes et lutter contre la pollution de l’air urbain. Il doit également contribuer à la réduction de la pauvreté en créant

des emplois et en facilitant les déplace-ments des plus pauvres. D’ici à 2035, ce projet devrait permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 2,5 millions de tonnes. Pour le FEM, intervenir en matière de transports urbains est une nouveauté qui devrait être étendue à d’autres villes d’Afrique dans les années à venir.

G O U V E R N A N C E

L’ambition de la Baltique

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R Le Groupe d’action pour la Baltique, regroupant l’Allemagne, le Dane-mark, l’Estonie, la Finlande, la Letto-nie, la Lituanie, la Pologne, la Russie

et la Suède, se réunit un an après le premier Sommet pour sauver la mer Bal-tique à Helsinki (Islande). Il réitère son

I N É G A L I T É S

Le temps de la société civile africaine ?

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R Le Forum social mondial tient sa onzième édition à Dakar (Sénégal). C’est la deuxième fois que le rassem-blement altermondialiste a lieu en Afrique. Sur fond de contestations dans le monde arabe, cette édition est

dominée par les revendications politiques de la société civile africaine, dénonçant « la domination du capital, cachée derrière des promesses de progrès économique et d’apparente stabilité politique ». La session finale s’enthou-siasme également de l’annonce de la démission du pré-sident égyptien, Hosni Moubarak, le 11 février, après 18 jours de manifestations. La Déclaration de Dakar appelle enfin à la mobilisation lors des prochains G8 et G20, ainsi que lors de la CdP 17 à Durban en Afrique du Sud et de la Conférence Rio+20 au Brésil en 2012 afin de faire entendre leur opposition à la « marchandisation du monde ».

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engagement à agir pour protéger l’une des mers les plus polluées au monde, essentiellement en raison des pollutions agricoles qui soutiennent l’eutrophisa-tion et la prolifération des algues vertes. Selon le Groupe d’action pour la Bal-tique, 12 % des objectifs fixés en 2010 pour préserver la biosphère, réduire les émissions de déchets et de gaz ou recy-cler les eaux usées sont d’ores et déjà atteints, 74 % progressent ; le reste pré-sente des résultats inchangés. La réu-nion entérine enfin 30 nouveaux projets, qui viennent compléter la liste des 140 projets initiaux. Pour les critiques, ce programme est encore trop dépen-dant des incitations de l’Union euro-péenne et des actions pilotes menées par la Finlande et le Danemark.

É C O N O M I E

Viande et sécurité alimentaire, des relations complexes

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R L’International Food Policy Research Institute (IFPRI), le centre de recherche international spécialisée dans les politiques agricoles, publie

une série d’études prospectives sur l’impact des régimes alimentaires sur la sécurité alimentaire globale. L’IFPRI observe que la consommation de viande dans les pays émergents continue d’augmenter et s’interroge sur l’impact possible d’un ralentissement de cette tendance. Selon l’IFPRI, la réduction de la consommation de viande dans les pays émergents et occidentaux aurait avant tout un effet positif sur le prix du maïs, utilisé pour nourrir de nombreux animaux. L’Afrique subsaharienne, grande consommatrice de cette céréale, serait la première bénéficiaire d’une telle évolution. Mais l’impact sur la nutrition dans les autres pays en

développement, où le blé et le riz sont les aliments de base, serait quasiment inexistant. Ce résultat rappelle, selon l’IFPRI, que la sécurité alimentaire dépend autant des cours mondiaux que des habitudes et des disponibilités locales.

I N É G A L I T É S

La faim fait le pauvre

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R La Banque mondiale publie Food Price Watch, son indice des prix ali-mentaires, à l’approche de la réunion des ministres des Finances et des

gouverneurs de Banques centrales du G20. Selon l’étude, 44 millions de per-sonnes vivant dans les pays en déve-loppement sont tombées dans la pau-vreté depuis le mois de juin 2010 sous l’effet de la hausse des prix alimen-taires. Entre octobre 2010 et jan-vier 2011, l’indice a progressé de 15 % et n’est plus qu’à 3 % de son plafond de 2008. Entre juin 2010 et janvier 2011, le cours du blé a pro-gressé de 70 % et celui du maïs de 73 %. Le riz, quant à lui, n’a augmenté que de 17 % limitant ainsi l’impact sur la pauvreté. D’autres produits de base – sucre, huiles, légumes en Inde, hari-cots dans certains pays d’Afrique – ont connu des évolutions similaires mena-çant la qualité nutritionnelle de l’ali-mentation. Pour la Banque, ces résul-tats demandent un accroissement des programmes de protection sociale et de sécurité alimentaire dans les pays connaissant les hausses les plus mar-quées. Un surcroît d’investissements dans l’agriculture serait aussi néces-saire afin de développer des biocarbu-rants non issus de produits vivriers et d’accélérer partout l’adaptation au changement climatique.

I N É G A L I T É S

Allier agriculture, agrocarburants et lutte contre la pauvreté

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R La FAO publie un rapport sur les conditions nécessaires pour que le développement des agrocarburants soit compatible avec la sécurité ali-

mentaire et la lutte contre la pauvreté. S’appuyant sur des exemples choisis en Afrique, en Asie et en Amérique latine ainsi que dans certains pays dévelop-pés, le rapport explore l’intégration des productions vivrière et énergétique. L’étude montre que les petits agricul-teurs peuvent améliorer leur propre indépendance énergétique en utilisant les résidus de leur production pour pro-duire du biogaz. Cette pratique permet aussi de limiter la déforestation et les changements d’usage des sols, deux facteurs de changement climatique. Enfin, cette production intégrée peut trouver des débouchés commerciaux et ainsi améliorer les revenus des agricul-teurs, comme en République démocra-tique du Congo où la combinaison de la plantation d’acacias pour le charbon de bois et de manioc permet à chaque agriculteur cultivant une parcelle de 1,5 hectare de tirer un revenu annuel d’environ 9 000 dollars (750 dollars par mois). En comparaison, un chauffeur de taxi de Kinshasa gagne entre 100 et 200 dollars par mois.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Changer de modes de production sauvera les océans

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R Le PNUE publie son rapport annuel, en partie consacré à l’impact des pollutions terrestres sur les océans. L’étude insiste sur les quantités de

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phosphore déversées dans les espaces marins en raison de l’usage non rai-sonné de cet engrais par les agri- culteurs. Réduire le recours au phos-phore, dont les réserves mondiales sont mal connues et sans doute limitées, permettrait de limiter les rejets dans les océans. Retraiter les eaux ou lutter contre l’érosion participeraient égale-ment à cette réduction de la pollution tellurique. Le rapport s’alarme aussi des dégâts causés par les sacs plas-tiques dont la dégradation crée une accumulation de substances toxiques pour la faune et la flore. Dans les deux cas, pour le PNUE, les pollutions témoignent d’une gestion inefficace des ressources naturelles et de la nécessité de transformer profondément les modes de production.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Répit japonais pour les baleines

18 F

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R Le Japon suspend sa campagne de pêche à la baleine dans l’Antarc-tique pour l’hiver 2011. Il se rend ainsi aux pressions exercées par

l’ONG écologiste nord-américaine Sea Shepherd, qui a entravé physiquement le travail des baleiniers japonais. Alors que la chasse commerciale aux céta-cés est interdite depuis 1986, le Japon continue de pêcher chaque année plusieurs centaines de baleines dans l’Antarctique sous couvert de « recherches scientifiques ». La cam-pagne abandonnée visait ainsi la prise de 850 cétacés. En juin 2010, l’Aus-tralie a saisi la Cour internationale de justice afin d’obliger le Japon à mettre fin à ce programme de chasse dans l’Antarctique. Le verdict est attendu en 2013.

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G O U V E R N A N C E

Le G20 entérine une mesure diplomatique de la crise

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IER Les ministres des Finances et les

gouverneurs de Banques centrales des pays du G20 se réunissent à Paris (France). La déclaration finale réaffirme la nécessité d’une action

coordonnée contre la crise économique mondiale. Elle entérine aussi une série d’indicateurs communs qui doivent per-mettre de mesurer les progrès des poli-tiques nationales, sans pour autant fixer d’objectifs contraignants à atteindre pour réduire les déséquilibres écono-miques mondiaux. Pour les observa-teurs, l’absence de contrainte s’explique par le refus chinois de voir mentionner l’effet des réserves de change et des transactions monétaires sur l’économie mondiale.

É C O N O M I E

Le prix du vert

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R Le PNUE publie un rapport sur les investissements nécessaires pour enclencher une croissance verte à l’échelle mondiale. Soulignant que la

majorité des investissements aujourd’hui reste concentré dans des secteurs nui-sant au développement durable, tels l’immobilier ou les énergies fossiles, l’étude désigne dix secteurs clés pour générer « une croissance verte », émet-tant peu de carbone et utilisant efficace-ment les ressources naturelles. Ces investissements verts seraient d’impor-tants créateurs d’emplois : 20 % de plus d’ici à 2050 que dans un scénario de maintien du statu quo. Un tel programme demanderait entre 1 050 à 2 590 mil-liards de dollars, soit moins d’un dixième du total de l’investissement mondial

annuel. La transition absorberait ainsi seulement 2 % du PIB (1 300 milliards de dollars) par an d’ici à 2050 dans les dix secteurs clés.

É N E R G I E - C L I M A T

Producteurs de pétrole cherchent dialogue

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VR

IER Le Forum international de l’énergie

(IEF) se réunit à Ryad (Arabie saou-dite). Regroupant les pays de l’Orga-nisation des pays exportateurs de

pétrole (OPEP) et les pays consomma-teurs de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) ainsi que de nombreux pays émergents comme la Russie, la Chine, le Mexique ou le Brésil depuis 1991, le Forum représente 90 % de la demande et de la production de pétrole et de gaz dans le monde. La réunion de Ryad aboutit à la signature d’une charte visant à renforcer le dialogue entre producteurs et consommateurs pour accroître la stabilité des marchés énergé-tiques, alors que les prix du pétrole brut dépassent 106 dollars le baril à Londres. Les signataires s’engagent ainsi à com-battre ensemble la volatilité des prix énergétiques, notamment en renforçant la transparence et la fiabilité des statis-tiques du secteur. Le texte n’est pas contraignant mais répond à la demande faite en mars 2010 par le G20 à Cancún (Mexique) de voir émerger une gestion coordonnée du marché pétrolier.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Menaces sur les coraux

24 F

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R L’ONG environnementaliste World Resources Institute (WRI) et une vingtaine d’organisations de conser-vation publient un rapport sur l’état

des coraux dans le monde. Comparant

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les résultats actuels avec ceux collectés il y a treize ans, le rapport note l’exten-sion des récifs menacés. L’étude, qui a réuni des scientifiques du monde entier pendant trois ans, montre que 75 % des récifs sont actuellement en état de stress et met l’accent sur la situation

février

A G R I C U L T U R E

Le Sud croit-il aux OGM ?

22

VR

IER Le Service international pour l’acquisition des applica-

tions d’agro-biotechnologie (ISAAA), réunissant les prin-cipaux producteurs d’OGM, publie son rapport annuel. L’étude affiche une croissance de 10 % des cultures OGM

dans le monde en 2010. Depuis 1996, date des premiers plants, la surface de cultures transgéniques a été multipliée par 87, pour atteindre 134 millions d’hectares répartis dans 25 pays en 2009. Si les États-Unis (66,8 millions) ou le Canada (9 millions) apparaissent dans les dix premiers pays, l’accroissement des surfaces se fait essentiellement dans les pays du Sud : + 17 % en 2010, contre 5 % pour les pays industrialisés. Grâce aux 6,5 millions d’agriculteurs chinois et aux 6,3 millions d’agriculteurs indiens concernés, 90 % des producteurs de cultures transgéniques sont des petits agriculteurs, selon le rapport. Maïs, soja, coton et colza restent les principales cultures, mais l’ISAAA annonce la prochaine commercialisation d’un riz OGM (en 2013) et d’un maïs résistant à la sécheresse (en 2012 aux États-Unis et en 2017 en Afrique). Il s’attend aussi à l’autorisation d’autres cultures modifiées – pommes de terre, canne à sucre, bananes, aubergines, tomates, brocolis, choux, manioc, patates douces, légumineuses ou arachide. Ces développe-ments devront néanmoins surmonter l’opposition de la société civile et les nombreux recours juridiques contre ces produits examinés actuellement en Europe, aux États-Unis mais aussi en Inde, au Brésil ou en Argentine.

particulièrement grave de l’Asie, où 95 % des récifs sont en danger. La surexploitation des récifs – par l’ampleur des prises comme par les méthodes destructrices utilisées – est la première cible du rapport. Les pollutions tellu-riques et le changement climatique sont

les deux autres principaux facteurs menaçant les coraux. Selon l’étude, si la solution passe par des politiques de conservation plus ambitieuses, elle considère que seul un sixième des 2 500 zones actuellement protégées est effectivement bien géré.

Une délégation d’agriculteurs et de consommateurs thaïlandais dépose en 2007 une pétition contre des essais de riz OGM en plein champ.

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S A N T É

L’ère des vaccins chinois

1er M

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S L’Organisation mondiale de la santé (OMS) autorise l’Administration nationale des produits alimentaires et pharmaceutiques de Chine à four-

nir les agences des Nations unies en vaccins. Créditée du respect de tous les standards internationaux de sécurité et de qualité, l’agence chinoise devient ainsi le 36e fournisseur des Nations unies. La Chine produit actuellement 49 vaccins contre 27 maladies diffé-rentes. Avec une capacité globale de 1 milliard de doses et des coûts de pro-duction souvent moins élevés, les labo-ratoires chinois constituent une offre complémentaire intéressante pour le système de santé mondial. Ils pourraient ainsi proposer un vaccin contre le pneu-mocoque à 5 dollars la dose, contre 100 actuellement. Il faudra néanmoins attendre encore deux ans pour que les vaccins chinois aient passé l’intégralité des tests onusiens et soient disponibles sur le marché international.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Les vertus de l’exploitation transparente

2-3

MA

RS L’Initiative pour la transparence des

industries extractives (EITI) tient sa 5e Conférence mondiale à Paris (France). Elle réunit dirigeants, entre-

prises et organisations de la société civile pour rappeler le besoin de transpa-rence quant à l’utilisation des ressources naturelles, en particulier les hydrocar-bures et les ressources minières. Dans 35 pays riches en ressources, l’EITI cer-tifie maintenant les comptes-rendus par les pouvoirs publics et certains exploi-tants donnant ainsi aux citoyens de ces

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marspays un moyen extérieur de contrôle sur les recettes perçues. L’Initiative est soutenue par un Fonds fiduciaire multi-donateurs géré par la Banque mondiale.

É N E R G I E - C L I M A T

Les ambitions chinoises sont planifiées

5-1

4 M

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S La 11e Assemblée populaire nationale (APN) chinoise tient sa 4e session. Les députés approuvent notamment le 12e plan quinquennal pour le déve-

loppement économique (2011-2016) prévoyant, entre autres, une forte baisse de l’intensité de la consommation éner-gétique. Avec des prévisions de crois-sance économique annuelle maîtrisée à 7 %, la Chine se fixe comme objectif de réduire de 16 % sa consommation d’énergie et de 17 % ses émissions de CO2 par unité du PIB. Le verdissement de l’appareil de production chinois devrait également permettre une réduction de 8 % à 10 % des émissions de principaux polluants. Selon l’APN, il s’agit d’une transformation des modalités du déve-loppement économique basée sur « une philosophie de développement plus calme et plus rationnelle ». Elle estime également remplir ainsi les responsabili-tés chinoises envers « le développement durable de l’économie mondiale ».

G O U V E R N A N C E

Anticiper les dommages liés aux OGM

7 M

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Le Protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur sur la responsabilité et la réparation des risques biotechnolo-giques, adoptés à Nagoya (Japon) en

octobre 2010, est ouvert à la signature. La Colombie, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède sont les premiers à signer le

texte fixant des règles et des procédures internationales en cas de dommages sur la biodiversité dus aux échanges d’OGM. Il vient compléter le Protocole de Cartha-gène sur la prévention des risques bio-technologiques, adopté en 2000 et ratifié par 159 pays et l’Union européenne, pour encadrer le commerce des OGM. Le Pro-tocole additionnel répond enfin au Prin-cipe 13 de la Déclaration de Rio de 1992 appelant les États à développer le droit international concernant la responsabilité et l’indemnisation des effets indésirables et dommages environnementaux. Il fau-dra 36 autres signatures et un délai de 90 jours avant que le texte entre en vigueur.

É N E R G I E - C L I M A T

Moins de gaz à effet de serre et plus de croissance ?

8 M

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La Commission européenne présente une feuille de route pour créer une économie européenne décarbonée et compétitive. Celle-ci détaille com-

ment l’Europe peut atteindre l’objectif fixé par les États en octobre 2009 – réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 80 % d’ici à 2050 par rapport au niveau de 1990 – tout en maintenant son activité économique. Ne prenant en compte que les réductions domestiques des pays membres, la feuille de route s’appuie avant tout sur le renforcement de l’efficacité énergétique dans l’industrie : le secteur électrique est appelé à réduire de 93 à 99 % ses émis-sions d’ici à 2050 ; l’industrie de 83 à 87 %. Selon la Commission, la politique proposée demandera un investissement additionnel annuel de 270 milliards d’eu-ros, soit 1,5 % du PIB européen, par rap-port au niveau observé depuis 2008. Pour les critiques – professionnels du

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chauffage à l’énergie renouvelable, Verts européens, ONG – ce programme n’est pas assez volontaire. L’investissement additionnel proposé ne fera que ramener le niveau global d’émission de gaz à effet de serre à celui de 2008, et non à celui – bien inférieur, et visé par les politiques européennes – de 1990. Il ne tire pas suffisamment partie du potentiel de réduction des émissions dans le secteur résidentiel et ne fait pas la part assez belle aux énergies renouvelables.

A G R I C U L T U R E

La sécurité alimentaire par l’écologie

8 M

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Le rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter, publie un rapport privilégiant une approche « agro-

écologique » de la sécurité alimentaire. Selon lui, généraliser des méthodes agro-écologiques d’amendement des sols et de lutte contre les maladies per-mettrait de doubler la production ali-mentaire mondiale en dix ans, tout en atténuant l’impact du secteur sur le climat et en réduisant la pauvreté en zone rurale. Respectueuses de l’envi-ronnement, peu coûteuses, simples à mettre en œuvre, génératrices de revenus annexes, ces méthodes sont particulièrement adaptées aux besoins des petits agriculteurs. Au Malawi, l’adoption de méthodes agro-écolo-giques a ainsi permis de faire passer le rendement à l’hectare du maïs de 1 à 3 tonnes tout en améliorant les reve-nus des exploitants. En Indonésie, au Vietnam ou au Bangladesh, les pay-sans ont réduit de 92 % leur recours aux insecticides chimiques, abaissant d’autant leurs dépenses tout en main-tenant leur production.

É N E R G I E - C L I M A T

Le monde après Fukushima ?

11 M

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Le Japon connaît le plus grand tremblement de terre de son histoire (magnitude 9 sur l’échelle de Richter). Ce dernier génère, une heure plus tard sur la côte Pacifique, un tsunami causant la mort de plus de 15 000 personnes.

En passant au-dessus du mur de protection, la vague de 15 mètres atteint la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, l’une des plus grandes centrales du monde, construite à une hauteur de 6,5 à 10 mètres au-dessus du niveau de la mer. Les réacteurs 1 et 2 s’arrêtent automati-quement lors de l’incident, le système de refroidissement n’étant plus alimenté. Avant 20 h le même jour, les barres de combustible du réacteur 1 commencent à fondre. Le 15 mars, le réacteur 2 explose. La zone d’exclusion passe de 20 à 30 km autour de la centrale dans un pays déjà désorganisé par l’une des plus terribles catastrophes natu-relles de son histoire. Débute alors un débat non terminé à ce jour sur l’ampleur et les conséquences de l’accident japo-nais et le risque nucléaire dans le monde.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Quand les abeilles perdent le sens de l’orientation

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S Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) publie un rapport dénonçant le recours aux insecticides chimiques comme

la principale cause du recul des colo-nies d’abeilles dans plusieurs régions du monde. Les produits contenant des néonicotinoïdes provoquent chez les insectes des pertes de direction et de mémoire, les empêchant de se nourrir et de retrouver leur ruche. Lorsque ces néonicotinoïdes sont mêlés à certains fongicides, la toxicité du produit peut être multipliée par 1 000. La baisse du nombre d’abeilles a été observée aux

États-Unis, en Chine, le long du Nil ou en Europe occidentale, dans les régions de cultures intensives. L’impact est sérieux pour la sécurité alimentaire : 70 des 100 espèces végétales fournis-sant 90 % de la production alimentaire mondiale sont en effet pollinisées par les abeilles. En conséquence, le rap-port appelle les agriculteurs à une utili-sation raisonnée des insecticides. Il enjoint aussi les politiques à inciter l’implantation de zones de fleurs sau-vages en lisière des champs, afin d’ai-der les abeilles qui n’arrivent plus à localiser les plantes mellifères en rai-son de la pollution – on estime ainsi qu’au xixe siècle, les senteurs étaient discernables à 800 mètres, contre 200 aujourd’hui.

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2011MOISPARMOIS

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R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Financer la conservation des ressources génétiques

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S Le Traité international sur les res-sources phytogénétiques pour l’ali-mentation et l’agriculture, adopté en 2001 pour organiser la conservation

et l’échange des 64 plantes les plus importantes pour l’alimentation humaine, tient à Bali (Indonésie) la 4e session de son Organe directeur. Les 127 pays membres s’accordent sur la mise en place d’une Stratégie de financement du Traité, attribuant 10 millions de dollars pour aider les agriculteurs des pays en développement à conserver les res-sources génétiques nécessaires à la sécurité alimentaire mondiale. D’ici 2014, l’ambition est de trouver dix fois plus de ressources financières. Les liens établis entre l’agenda agricole, l’agenda climatique et la conservation des res-sources génétiques in situ et par les agriculteurs devraient contribuer à main-tenir durablement la question dans les enceintes internationales.

G O U V E R N A N C E

L’Europe et la question agricole

17 M

AR

S Les 27 ministres de l’Agriculture de l’UE se réunissent à Bruxelles (Bel-gique). Malgré l’opposition de sept États membres (les trois Pays baltes,

l’Espagne, le Royaume-Uni, le Dane-mark, la Suède et Malte), les ministres de l’Agriculture adoptent les orientations de la réforme de la Politique agricole commune (PAC) en discussion depuis novembre 2010. La PAC, qui entrera en vigueur en 2014, devrait rester une poli-tique communautaire forte, munie d’un budget conséquent. Le soutien du mar-ché et le développement rural restent

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Un cancer sur cinq est environnemental

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S L’Organisation mondiale de la santé (OMS) tient dans la principauté des Asturies (Espagne) une conférence sur les déterminants environnementaux du cancer, deuxième cause de mortalité à l’échelle mondiale. Selon l’OMS, la

majorité des cancers surviennent aujourd’hui dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, et cette proportion est en augmentation. Plus encore, 19 % des cancers à l’échelle mondiale sont attribuables à l’environnement, notamment les cancers dus à des expositions à des substances dange-reuses dans le cadre d’activités professionnelles : produits chimiques dangereux, radiations, particules présentes dans l’atmosphère. L’Organisation estime qu’1,3 million de décès chaque année sont liés à des agents cancérigènes présents dans l’environnement. Les experts réunis lancent, le 18, un appel pour durcir les règles nationales et interna-tionales et limiter les expositions involontaires des per-sonnes à ces substances. Ils appellent à renforcer les poli-tiques nationales et internationales de prévention sur la base d’une expertise mutualisée au sein de l’OMS. Ces poli-tiques devraient mobiliser et sensibiliser tous les acteurs, la société civile comme l’industrie, afin d’améliorer l’informa-tion du grand public et la capacité de contrôle du respect des normes.

La chimiothérapie est avec la chirurgie le seul traitement effectif connu des cancers.

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marsses deux piliers séparés et complémen-taires. Plus soucieuse de la viabilité de la production alimentaire, de la gestion durable des ressources naturelles, d’une action en faveur du climat, de l’équilibre territorial et de la diversité des zones rurales, elle devrait permettre de propo-ser de nouvelles aides : mise en place de circuits courts, prairies permanentes, couverts végétaux, rotation des cultures, gel des terres à des fins écologiques… Une question divise néanmoins profon-dément les États membres, et attire les critiques d’une partie de la société civile, les aides directes aux grandes exploita-tions qui représentent toujours les trois quarts du budget total.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Du pétrole et des gorilles

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S La République démocratique du Congo suspend l’exploration pétro-lière menée par la compagnie britan-nique Socco International dans le

Parc national du Virunga, l’un des plus anciens espaces protégés d’Afrique. Le gouvernement congolais cède ainsi aux pressions de l’Unesco et des ONG envi-ronnementalistes comme Greenpeace. L’annonce est considérée comme une bonne nouvelle pour la conservation de nombreuses espèces animales mena-cées, en particulier l’emblématique gorille des montagnes (Gorilla beringei beringei). Inscrit au Patrimoine de l’Hu-manité depuis 1979 en raison de la diversité de ses habitats, le Parc est considéré « en danger » par l’Unesco depuis 1994, notamment en raison du braconnage des populations de gorilles. La suspension sera valable un an, période qui sera utilisée par le gouvernement congolais pour mener une évaluation environnementale stratégique du Parc.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

De la santé des forêts du Nord

21 M

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S Les Nations unies célèbrent la Jour-née des forêts par une réunion dédiée aux forêts boréales et tempérées à Genève (Suisse). Les espaces fores-

tiers en Europe, en Amérique du Nord, dans le Caucase et en Asie centrale représentent 40 % des forêts mondiales. Cruciaux pour la protection de la biodi-versité, les espaces forestiers protégés n’ont cessé de s’accroître dans la région : + 25 millions d’hectares (la surface du Royaume-Uni) de forêts ont été classés depuis 1990. Aujourd’hui, 8 % des forêts de la zone sont protégés. Malgré cette bonne nouvelle, leur santé reste mena-cée par les insectes, les maladies et les aléas climatiques grandissants – tem-pêtes, sécheresse, inondations. Le den-droctone du pin, qui a ravagé plus de 11 millions d’hectares de forêts en Amé-rique du Nord depuis la fin des années 1990, est ainsi favorisé par l’aug-mentation des températures moyennes observées en hiver. Concluant sur la nécessité de maintenir les efforts entre-pris pour la bonne gestion des forêts, la réunion annonce qu’un prix de la meil-leure politique forestière sera remis le 21 septembre par les Nations unies.

A G R I C U L T U R E

Les promesses africaines

23-2

5 M

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S Le Programme détaillé de développe-ment de l’agriculture africaine (PDDAA) réunit ses partenaires pour la 7e fois à Yaoundé (Cameroun) pour

faire le bilan de la tenue des promesses faites par les dirigeants africains. Dans la déclaration de Maputo sur la sécurité ali-mentaire de 2003, ces derniers s’enga-geaient à investir 10 % de leur budget

national dans l’agriculture. Aujourd’hui, seuls 8 des 53 pays signataires ont atteint ce niveau d’investissement – le Burkina Faso, l’Éthiopie et le Rwanda dépassant même ce résultat. Le continent reste ainsi globalement dépendant de financements internationaux croissants : les dons internationaux aux structures de recherches agricoles sont passés de 25 millions de dollars par an en 2005 à 120 millions en 2010. L’ambition du PDDAA, mis en place en 2003 par le Nou-veau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), est de renforcer et structurer les investissements africains dans le domaine agricole. 24 pays ont, ces dix-huit derniers mois, signé le plan d’action du PDDAA pour accélérer la croissance dans le domaine agricole. 18 ont depuis développé un plan d’inves-tissement à long terme dans le secteur.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Enfin, plus de tigres en Inde

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RS La 2e Conférence internationale sur

la conservation des tigres se tient à New Delhi (Inde) pour lancer le Tiger Recory Programme décidé à Saint-

Pétersbourg (Russie) en novembre 2010. C’est l’occasion pour l’Inde, qui abrite environ la moitié des tigres sauvages du monde, de présenter son nouveau recen-sement des grands félins sur son terri-toire et d’annoncer ainsi une progression de 20 % des effectifs depuis 2006. On dénombre ainsi aujourd’hui 1 706 tigres en Inde, contre 1 411 en 2006, et plus de 100 000, il y a un siècle. Disséminés dans 13 pays asiatiques, les tigres sont partout très menacés et le programme international lancé à New Delhi veut lutter contre la destruction de leur habitat et le braconnage dont ils font l’objet et sauver ainsi l’espèce de l’extinction.

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G O U V E R N A N C E

La sécurité nucléaire comme question internationale

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IL 61 des 72 pays Parties de la Conven-tion sur la sécurité nucléaire tiennent à Vienne (Autriche) la 5e Réunion d’examen de la Convention. La

Convention signée en 1994 est entrée en vigueur en 1996. Depuis, tous les pays possédant des centrales nucléaires se réunissent tous les trois ans pour échanger sur les normes de sécurité en matière de construction et d’exploitation des installations. La catastrophe de Fukushima Daiichi (Japon) du 11 mars domine les discussions et amène les pays Parties à décider de mener conjoin-tement une révision de leurs installations nucléaires, notamment leur résistance à des catastrophes naturelles ou humaines. Ils prévoient aussi de tenir la prochaine réunion d’examen de la Convention dès 2012 pour maintenir un haut niveau de vigilance et d’échange quant aux enseignements à tirer de l’accident japonais. Ils soutiennent, enfin, la déci-sion de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) de convoquer une conférence ministérielle sur la sécu-rité nucléaire en juin.

É N E R G I E - C L I M A T

Le retour du trou dans la couche d’ozone

5 A

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L’Organisation météorologique mon-diale (OMM) signale une déperdition record de la couche d’ozone proté-geant les organismes vivants des

effets nocifs du rayonnement ultraviolet au-dessus de l’Arctique. Pour l’OMM, ce résultat s’explique d’abord par la persis-tance dans l’atmosphère de substances nocives pour l’ozone, malgré l’effet

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positif du Protocole de Montréal qui régule leur émission depuis 1989. Selon l’OMM, il faudra attendre 2030, voire 2040, pour que les niveaux de ces gaz soient revenus à ce qu’ils étaient en 1980 et cessent d’amplifier le phéno-mène naturel de déperdition de la couche d’ozone aux pôles. L’ampleur du trou observé cette année en Arctique s’explique, par ailleurs, par le niveau particulièrement bas des températures dans la stratosphère durant l’hiver, un phénomène contraire à la concentration de l’ozone. La colonne d’ozone a ainsi perdu, en 2011, 40 % de son épaisseur entre le début de l’hiver et la fin mars, alors que la moyenne depuis le début des années 1990 s’établit autour de 25 %. Rappelant les risques pour la

santé humaine et animale, l’OMM appelle à une vigilance accrue et des efforts renouvelés quant au contrôle de l’évolution de la couche d’ozone tout autour du globe.

I N É G A L I T É S

L’aide au développement, débat sur les chiffres

6 A

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L’ONG Oxfam International publie ses chiffres de l’aide publique au déve-loppement (APD) en Afrique avant la réunion du G8. Reprenant l’en-

gagement pris par les huit pays les plus industrialisés à Gleneagles en 2005 de fournir 50 milliards de dollars d’aide supplémentaire d’ici à 2010, dont 25 milliards au continent africain, l’ONG

É N E R G I E - C L I M A T

Retrouver la dynamique de Cancún

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Les représentants de plus de 190 pays se retrouvent à Bangkok (Thaïlande) pour la reprise des pourparlers sur le changement climatique et la préparation de la Confé-rence de Durban (Afrique du Sud) de la fin 2011. Les pays

du Nord y arrivent pour discuter de la mise en œuvre des différentes institutions créées à Cancún (Mexique) en 2010, comme le Fonds vert pour aider les pays les plus vulné-rables à faire face au changement climatique, le mécanisme technologique en faveur des technologies propres ou un cadre de coopération spécifique pour l’adaptation. Ils se heurtent à la méfiance des pays du Sud, qui réclament davantage de garanties avant d’avancer sur les points tech-niques. Les pays en développement réclament notamment la discussion d’un accord global et légalement contraignant, seul capable selon eux de contraindre les pays riches (et en premier lieu les États-Unis) à se fixer des objectifs de réduc-tion d’émissions de gaz à effet de serre compatibles avec une limitation de la température du globe à 2 °C.

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se penche sur les versements réellement effectués : l’Afrique n’a reçu que 11 mil-liards de dollars ; en tout, ce sont 18 mil-liards de dollars qui manquent à l’appel. Plus encore, l’ONG estime que beaucoup de chiffres officiels d’aide sont artificiel-lement gonflés par l’intégration de reprogrammation de dettes, de prêts (attribués au détriment de dons) ou, dans le cas français, d’assistance apportée à un département d’outre-mer. Au-delà du débat sur les chiffres, l’ONG souligne que l’aide accordée par les pays du G8 reste toujours loin des 0,7 % du PIB, malgré les recommandations faites par l’Organisation des Nations unies depuis plusieurs décennies.

I N É G A L I T É S

L’Afrique a besoin de ses migrants

7 A

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IL

La Banque africaine de développe-ment et la Banque mondiale publient un rapport conjoint sur l’apport des transferts de migrants africains au

développement du continent. L’étude distingue les parcours des migrants sub-sahariens, qui à 70 % s’établissent dans d’autres pays du continent, des migrants d’Afrique du Nord qui quittent à plus de 90 % le continent. Les principaux pays de destination sont la France (9 % du total), la Côte d’Ivoire (8 %), l’Afrique du Sud (6 %), l’Arabie saoudite (5 %), les États-Unis et le Royaume-Uni (4 % cha-cun). Elle s’intéresse ensuite aux 40 mil-liards de dollars envoyés en 2010 par ces migrants montrant qu’ils sont direc-tement investis dans la santé, l’éduca-tion et le logement des familles restées sur le continent. Les diasporas apportent en outre différentes opportunités : inves-tissements productifs, échanges com-merciaux ou de savoir, et transferts de

technologies. Selon l’étude, ces apports ne sont pas assez pris en compte par les gouvernements africains qui devraient s’efforcer de protéger les migrants en négociant des accords internationaux. Le rapport leur conseille aussi de déve-lopper des produits financiers qui seraient achetés par les migrants pour financer les programmes de développe-ment de leur pays d’origine. Chaque pays africain pourrait ainsi mobiliser 5 à 10 milliards de dollars supplémentaires.

I N É G A L I T É S

Sécurité et développement, le cercle vertueux

14 A

VR

IL

La Banque mondiale publie son Rap-port annuel sur le développement dans le monde. L’édition 2011 est dédiée aux relations entre sécurité et

développement, des relations au cœur du mandat de Bretton Woods amenant à la création des institutions financières internationales. L’étude rappelle l’évolu-tion des conflits depuis 1945, la diminu-tion constante de guerres inter-étatiques remplacées par des conflits intra-éta-tiques ou une violence criminelle très élevée. 1,5 milliard de personnes vivent ainsi des situations de violence et d’arbi-traire qui génèrent ou entretiennent une grande pauvreté matérielle. Selon le rap-port, briser le cercle vicieux qui entre-tient violence et pauvreté nécessite que les États rétablissent leur légitimité en assurant la sécurité physique des citoyens et le fonctionnement transpa-rent des institutions judiciaires solides, mais aussi l’accès à l’emploi. Les agences de coopération doivent les assister, non seulement en termes clas-siques d’aide économique, mais aussi en termes de prévention de la violence criminelle et politique. Enfin, selon la

Banque, les équilibres internationaux doivent être renforcés par le développe-ment de la coopération entre les pays à revenu faible, intermédiaire et élevé.

A G R I C U L T U R E

Mesurer l’impact réel des OGM

15 A

VR

IL

La Commission européenne publie un rapport, commandé en 2008, sur l’évaluation des incidences socio-économiques de la culture d’orga-

nismes génétiquement modifiés (OGM). Cette étude vise à ouvrir le débat entre les institutions européennes et les États membres. Elle souligne d’abord les limi-tations des données statistiques dispo-nibles. Généralement produites par les États membres, elles sont difficilement comparables entre elles et reposent fré-quemment sur des idées préconçues concernant la culture des OGM. La dimension socio-économique est de plus très peu étudiée. La Commission recom-mande donc aux États membres de défi-nir un ensemble de facteurs et d’indica-teurs fiables pour déterminer de manière uniforme les répercussions socio-écono-miques de la culture des OGM dans l’Union européenne et le long de la chaîne alimentaire.

G O U V E R N A N C E

Printemps arabe, soutien du FMI et de la Banque mondiale

15-1

6 A

VR

IL Les 187 États membres du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, se réunissent à Washington (États-Unis) pour les

réunions de printemps des deux institu-tions. Ils appellent au renforcement de la coopération internationale face à la crise économique mondiale, mais aussi à un appui aux pays arabes confrontés aux

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2011MOISPARMOIS

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retombées économiques des révoltes populaires dans un contexte d’augmen-tation des cours alimentaires et du pétrole. Le FMI est chargé de faire une évaluation de la situation économique de ces pays, en vue d’un plan d’action com-mun de cinq institutions internationales d’aide au développement pour la région Afrique du Nord, Proche et Moyen-Orient. Le principe de prêts financiers importants à l’Égypte et à la Tunisie, s’ils en font la demande, est entériné.

É N E R G I E - C L I M A T

Bâtir une Afrique énergétiquement verte

21 A

VR

IL

La France et le Kenya réunissent à Paris (France) 300 représentants d’États, d’ONG, d’organisations internationales et du secteur privé

intéressés par l’Initiative Paris-Nairobi pour l’accès aux énergies propres pour tous en Afrique. Lancée lors de la Confé-rence de Cancún pour le climat en décembre 2010, l’Initiative veut sécuri-ser les financements nécessaires à l’ex-ploitation du potentiel éolien, solaire et hydraulique dans les pays les plus vulné-rables au changement climatique. En Afrique, seuls les pays relativement riches, comme l’Afrique du Sud ou le Maroc, ont pu développer des politiques dans ce domaine. L’Initiative doit aider les pays africains à élaborer des projets éligibles au Fonds vert pour le climat décidé à Cancún. Une Ministérielle devrait continuer d’explorer la dyna-mique lancée à Paris en 2012 au Kenya.

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S A N T É

Les modes de vie plus dangereux que les épidémies

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AV

RIL La première Conférence ministérielle

mondiale sur les modes de vie sains et la lutte contre les maladies non transmissibles se tient à Moscou

(Russie). Les maladies cardio-vascu-laires, le diabète, les cancers et les maladies respiratoires chroniques sont responsables de 60 % des décès à l’échelle mondiale aujourd’hui. Selon l’OMS, l’adoption généralisée de cer-tains modes de vie et d’alimentation devrait amener cette proportion à 75 %

d’ici 2030. La Déclaration finale souligne la nécessité d’adapter les systèmes de santé et les politiques en décentrant les dispositifs du traitement des maladies à la prise en charge globale des individus – régime alimentaire, activité physique, etc. La valorisation des normes de vie saine passe ainsi non seulement par l’action publique mais aussi par la mobi-lisation des familles, de la société civile, du secteur privé, des employeurs, du système de santé comme de la commu-nauté internationale. Une session de l’Assemblée générale des Nations unies sera consacrée à la même question en septembre 2011.

Limiter les émissions de CO2 dues aux activités humaines

constitue le cœur des politiques climatiques à mettre

en place.

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É C O N O M I E

Commerce et développement, des négociations minimales

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AV

RIL Les ambassadeurs des pays

membres de l’OMC se réunissent à Genève (Suisse) pour une réunion informelle du Comité des négocia-

tions commerciales. Ils avalisent le plan du directeur général afin de débloquer les négociations du Programme de Doha pour le développement aujourd’hui pro-fondément enlisées. L’ambition affichée en 2001 de soumettre la négociation des règles multilatérales aux besoins des pays en développement s’est montrée, depuis, incompatible avec les intérêts

des pays développés et émergents. Le plan présenté par Pascal Lamy espère obtenir quelques résultats rapides avant la prochaine ministérielle de décembre, en particulier en faveur des pays les moins avancés : simplification des for-malités administratives, reconnaissance de la nécessité d’un traitement spécial et différencié, autorisation des subventions à l’exportation notamment agricoles ou libéralisation des échanges de biens et de services environnementaux. Même revu à la baisse, cet agenda semble néanmoins encore trop ambitieux pour beaucoup d’ambassadeurs qui jugent plus réaliste d’essayer d’obtenir un engagement de statu quo, par lequel les

pays devraient s’abstenir d’élever de nouveaux obstacles au commerce.

G O U V E R N A N C E

Lutter contre le crime carbone ?

30

AV

RIL

L’ONG Transparency International publie un rapport sur les risques de corruption dans les politiques de lutte contre le changement climatique.

Avec un coût global estimé à 700 mil-liards de dollars annuels, les politiques d’atténuation et d’adaptation constituent un domaine nouveau d’action publique, mêlant des acteurs publics et privés et nécessitant de nouveaux canaux, sans que les mécanismes de coordination et de vérification adéquats soient en place. Le potentiel de détournement et de fraude est d’autant plus important que les institutions sont faibles. Bangladesh, Inde, Madagascar, Népal, Mozambique… aucun des 20 pays les plus exposés au risque climatique ne présentent de bons résultats en matière de transparence de l’action publique (tous obtenant moins de 3,6 sur l’Indice de perception de la cor-ruption (IPC)). Projets fictifs de plantation de forêts, mauvais respect des normes de construction pour résister aux typhons, émissions frauduleuses de crédits car-bone… De l’accaparement de rentes par les gouvernements à la corruption des fonctionnaires, seul un contrôle indépen-dant peut empêcher le dévoiement des politiques climatiques. Tout en proposant aux gouvernements des normes de transparence dans la gestion des fonds et l’application des lois, l’ONG lance un programme destiné à aider la société civile de six pays pilotes (Bangladesh, République dominicaine, Kenya, Mal-dives, Mexique et Pérou) à surveiller le financement des programmes.

avril

É N E R G I E - C L I M A T

Rationner le CO2 sans faire fuir les industriels européens

27 A

VR

IL La Commission européenne adopte une décision relative au calcul des quotas d’émissions de CO2 distribués gra-tuitement dans le cadre du Système communautaire

d’échange de quotas d’émission (SCEQE). Jusqu’à présent gratuits, ces quotas appliqués à 11 000 sites industriels deviendront majoritairement payants en 2013, notamment pour la production énergétique. Néanmoins, 164 activités considérées comme potentiellement délocalisables si sou-mises à une contrainte sur le CO2 – fabrication de panneaux de bois, horlogerie, fabrication d’appareils électroména-gers, industrie des fourrures, production de vin, extraction de pétrole et de gaz, métallurgie ou cimenteries – continue-ront à recevoir des quotas gratuits jusqu’en 2020. Ils seront basés sur les émissions moyennes des 10 % de sites les plus performants par tonne de produit fabriqué. En d’autres termes, plus un site sera proche de ce résultat, moins il devra acheter de quotas. Dans la plupart des secteurs, ces quotas représenteront 70 à 80 % des émissions.

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G O U V E R N A N C E

Difficile consensus sur le développement durable

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I La Commission des Nations unies sur le développement durable (CDD) tient sa 19e session à New York (États-Unis). Cette réunion marque la

fin d’un cycle de travail de deux ans sur les transports, les produits chimiques, la gestion des déchets, les mines et la pro-duction et la consommation durables. Le but de cette session était d’aboutir à des recommandations politiques sur ces dif-férents thèmes. Il n’a pas été atteint et la proposition du président de session d’une nouvelle réunion en juin pour approfondir les options politiques n’a pas eu plus de succès. C’est la deuxième fois depuis sa création (1992) que la CDD échoue à émettre des recommandations communes. Néanmoins, un an avant la Conférence Rio+20, cela relance le débat sur la nécessité de réformer la Commission et l’ensemble des instru-ments onusiens de la gouvernance du développement durable pour les rendre plus efficaces.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Les objectifs encore un peu flous des Européens

3 M

AI L’Union européenne (UE) présente sa

stratégie en matière de biodiversité, répondant aux engagements pris à la

Conférence de la Convention sur la diversité biologique (CDB) de Nagoya (Japon) en octobre 2010. L’objectif reste d’enrayer la disparition des espèces d’ici 2020 – puisque malgré les efforts déci-dés à Johannesburg (Afrique du Sud) en 2001, l’objectif n’a pas été atteint avant 2010. La stratégie européenne cible les pressions les plus fortes – agriculture,

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maiexploitation forestière, pêche –, allouant une partie des fonds de la Politique agri-cole commune (PAC) à la construction d’une gouvernance durable dans ces secteurs. La stratégie veut aussi renfor-cer le principal outil européen de protec-tion de la nature, le réseau Natura 2000, qui représente aujourd’hui 18 % de la surface de l’UE, en lui fixant des objectifs à atteindre en termes de conservation des espèces et des habitats. Si elles saluent l’effort politique accompli, les associations regrettent l’absence d’ob-jectifs chiffrés pour l’amélioration de la durabilité dans l’agriculture et la foreste-rie européennes.

I N É G A L I T É S

Quand nous serons 10 milliards…

4 M

AI La Division de la population des

Nations unies publie une Révision de l’estimation de la croissance de la

population d’ici 2100, indiquant que le cap des 9 milliards serait atteint avant 2050, contre 7 milliards fin 2011. Le texte explore aussi trois scénarios d’évo-lution du taux de fertilité amenant la population mondiale entre 6,2 milliards (hypothèse basse) et 15,8 milliards (hypothèse haute) en 2100. Si ces taux actuels se maintiennent (hypothèse moyenne), la Terre devrait compter 10,1 milliards d’habitants d’ici 2100. Ce sont les politiques menées dans les pays à forte fécondité d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et d’Amérique latine, où naît en moyenne 1,5 fille par femme, qui décideront donc de l’ampleur de l’évolu-tion. Ces pays représentent aujourd’hui 18 % de la population mondiale, alors que 42 % de cette population vit dans des pays où la fertilité est en baisse – moins d’une fille par femme.

Cependant, la population du premier groupe devrait tripler d’ici 2100 et conti-nuer de croître au xxiie siècle.

É N E R G I E - C L I M A T

L’énergie verte à la hauteur de la demande mondiale ?

9 M

AI Le Giec publie un rapport sur le déve-

loppement possible des énergies renouvelables (solaire, éolien, bio-

masse et hydraulique) d’ici 2050. Basé sur plus de 160 études scientifiques, il dégage quatre scénarios dépendant lar-gement des choix et des investissements publics réalisés. Le plus optimiste amène les énergies vertes à fournir 78 % de la demande mondiale d’énergie – contre 13 % en 2008. Cette transition permet-trait d’économiser l’équivalent de 560 gigatonnes (Gt) de dioxyde de car-bone entre 2010 et 2050, et de mainte-nir ainsi les émissions en dessous du seuil provoquant une augmentation des températures supérieure à 2 °C. Le rap-port souligne le potentiel technique qui existe aujourd’hui pour le développe-ment de ces énergies et la baisse du coût des équipements pour enjoindre les gouvernements à mener des politiques ambitieuses dans le domaine.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

La gouvernance forestière par le partenariat

9 M

AI L’UE et le Liberia signent à Monrovia

(Liberia) un Accord de partenariat volontaire (VPA) obligeant tous les

produits forestiers en provenance du Liberia et à destination de l’UE à être accompagnés d’une autorisation attes-tant de leur origine légale d’ici 2014. Cet accord veut soutenir le gouverne-ment du Liberia, qui possède plus de la

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depuis 2006. Suivent le Brésil (48 mil-liards d’euros) et la Chine (27 milliards). L’UE reste néanmoins le plus grand importateur de produits agricoles, 83 milliards d’euros pour la période 2008-2010, devant les États-Unis (65 milliards), la Chine (50 milliards), le Japon (40 milliards) ou la Russie (24 mil-liards). Le marché européen demeure, enfin, le principal débouché des produits venant des pays en développement (PED), où ils représentent 70 % des importations, contre 50 % aux États-Unis et 40 % au Japon, au Canada, en Austra-lie ou en Nouvelle-Zélande.

É N E R G I E - C L I M A T

Réformer l’expertise

10-1

3 M

AI Le Giec tient sa 33e session à Abu

Dhabi (Émirats arabes unis). Il exa-mine les conclusions des quatre groupes de travail créés en

octobre 2010 pour répondre aux cri-tiques portées contre le Giec, en matière de procédures, de gouvernance, de ges-tion des conflits d’intérêts et de commu-nication. La session entérine ainsi de nouvelles procédures – de la validation des thèmes et des contributeurs, en passant par les références acceptables ou la transparence du processus de révision. Pour renforcer sa direction quotidienne, un Comité exécutif, com-posé du président et des vice-prési-dents, des coprésidents des groupes de travail et de l’équipe spéciale pour les inventaires nationaux de GES, est constitué. Leur mandat ne devrait pas être renouvelé, sauf décision unanime contraire. Enfin, le Giec entérine la pour-suite des travaux de réflexion sur les conflits d’intérêts et la stratégie de com-munication la plus adaptée pour répondre aux climato-sceptiques.

A G R I C U L T U R E

Des échanges record, l’Europe au centre

10 M

AI L’UE consacre un numéro du Monito-

ring Agri-Trade Policy (Suivi des poli-tiques de commerce agricole) aux

performances des principaux acteurs du commerce agricole mondial. Après une baisse due à la contraction générale de l’économie, les échanges mondiaux ont atteint un niveau record en 2010, dépas-sant de 12 % le niveau de 2008. Les exportations américaines ont atteint 92 milliards d’euros, devant l’UE, 91 mil-liards d’euros – l’Union redevenant ainsi exportateur net pour la première fois 49

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moitié des forêts tropicales d’Afrique de l’Ouest, dans ses réformes en matière de gestion des forêts. Il doit aussi four-nir aux consommateurs européens l’as-surance que les produits du bois, y compris les meubles et les copeaux utilisés pour les biocarburants, sont d’origine légale. C’est le sixième accord bilatéral conclu par l’Union européenne et un État producteur de bois (après l’Indonésie, la République centrafri-caine, le Cameroun, la République démocratique du Congo et le Ghana). Le but de ces contrôles est de limiter la déforestation illégale et la dégradation de l’environnement qui concourent au changement climatique.

É C O N O M I E

Le développement des plus pauvres, une affaire politique

9-1

3 M

AI La 4e Conférence des Nations unies pour les pays les

moins avancés (PMA) réunit à Istanbul (Turquie) les 48 pays les plus pauvres du monde : 33 pays africains,

14 pays asiatiques et un pays d’Amérique latine. Tous par-tagent un revenu annuel par habitant inférieur à 905 dol-lars, un faible accès à l’éducation et une grande vulnérabi-lité alimentaire et économique. Malgré des progrès sectoriels durant la dernière décennie, leurs 900 millions d’habitants, soit 13 % de la population mondiale, vivent à 75 % dans la pauvreté. Depuis la création du groupe il y a trente ans, seuls trois pays – le Botswana, le Cap-Vert et la Moldavie – l’ont quitté. Le plan d’Istanbul 2011-2020 engage ainsi les PMA et les bailleurs de fonds dans une relation de partenariat pour le développement, dont les résultats seront mesurés en termes de progression vers les objectifs du Millénaire pour le développement. La princi-pale innovation est politique : le texte reconnaît en effet aux PMA le droit de fixer leurs propres objectifs de déve-loppement et les politiques pour les atteindre.

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I N É G A L I T É S

Réaliser les droits des autochtones

16-2

7 M

AI Le Forum permanent des Nations

unies sur les questions autochtones tient sa 10e session à New York (États-Unis). Le 20, il lance le Parte-

nariat des Nations unies pour les peuples autochtones (UNIPP), la première initia-tive inter-agences onusiennes – OIT, PNUD, UNICEF, HCR – en faveur des peuples autochtones. L’UNIPP doit servir d’instrument à la réalisation des droits édictés dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones de 2007, notamment en sécurisant des financements auprès de la communauté internationale. Les populations autochtones représentent 5 % de la population mondiale, mais 30 % des 900 millions de ruraux extrê-mement pauvres, cumulant souvent faible instruction, manque d’accès aux soins, fort taux de criminalité, violations de leurs droits et discrimination.

É C O N O M I E

L’ère de l’économie multipolaire

17 M

AI La Banque mondiale publie un rap-

port prospectif sur l’évolution de l’économie mondiale annonçant la

concentration de la moitié de la crois-sance mondiale dans six grandes écono-mies émergentes (Brésil, Chine, Inde, Indonésie, Corée du Sud et Russie) d’ici 2025. Ces pays vont connaître une croissance moyenne annuelle d’environ 4,7 % – deux fois plus que la moyenne

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É N E R G I E - C L I M A T

Mauvaise surprise dans les Trois-Gorges

17 M

AI Le Conseil d’État chinois reconnaît que le barrage des

Trois-Gorges, la plus grande installation hydroélectrique mondiale, génère des problèmes non anticipés lors de sa

construction. Conçu pour produire 18 200 MW d’électricité et maîtriser les crues estivales du Yangtsé, le barrage a demandé le déplacement de 1,4 million de personnes, l’inon-dation de 1 000 agglomérations et provoqué une énorme polémique en Chine. Le rapport du gouvernement reconnaît aujourd’hui de nouveaux problèmes : algues et pollution envahissent le réservoir ; le poids de l’eau provoque des glis-sements de terrain et l’érosion des pentes ; de nombreux tronçons du fleuve en aval du barrage souffrent de séche-resse, affectant l’approvisionnement en eau potable de plus de 300 000 personnes, empêchant les pêcheurs de naviguer et mettant en danger la faune et la flore locales. Autant de constats qui amènent le gouvernement à envisager le dépla-cement d’un plus grand nombre de riverains, la mise en place de systèmes d’alerte, le renforcement des rives ainsi que des compensations financières. Pour les critiques, aucune de ces mesures ne changera l’impact économique, social et écologique, globalement négatif, du barrage.

La construction du barrage des Trois-Gorges en Chine pose des

problèmes environnementaux à la hauteur de ses ambitions énergétiques.

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maides pays avancés (2,3 %). Si la zone euro, le Japon, le Royaume-Uni et les États-Unis devraient rester des moteurs de la croissance mondiale, ils ne seront plus les seuls. Le rapport note l’émer-gence de deux modèles : une croissance tirée par les exportations (Chine ou Corée) cohabitant avec une croissance tirée par le marché intérieur (Brésil, Mexique). Ce basculement devrait ame-ner une diversification des références du système monétaire international, utili-sant de plus en plus, aux côtés du dollar, l’euro et le yuan. L’étude anticipe aussi l’émergence de nouveaux transferts de technologies, l’apparition de nouveaux axes de migrations et de flux financiers entre ces différents pôles économiques. Les besoins en matières premières et denrées alimentaires ainsi générés devraient, enfin, bénéficier aux pays les moins avancés.

É C O N O M I E

Mesurer personnellement le bien-être ?

23 M

AI L’OCDE publie un nouvel indicateur

de développement synthétisant les résultats obtenus par les pays dans

onze secteurs. L’objectif de l’initiative Better Life est à la fois de fournir une mesure comparable de bien-être et d’explorer les similitudes et les diffé-rences de développement au sein des onze secteurs choisis. La création de richesses est ainsi mise à égalité avec les conditions de logement, la santé et l’accès aux soins, l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle ou l’exis-tence de filets sociaux. L’indicateur ne propose pas un classement des pays, mais permet de pondérer chacun des indicateurs en fonction des priorités de chaque utilisateur.

G O U V E R N A N C E

Une responsabilité sociale en chaîne

25 M

AI Les 42 pays membres de l’OCDE

adoptent une révision des Principes directeurs à l’intention des multina-

tionales. Depuis 1976, ces normes engagent les entreprises à adopter des politiques de responsabilité sociale et environnementale. La révision de 2011 renforce la prise en compte des droits de l’homme par les multinationales dans l’intégralité des filières et des pays du monde. Elle crée également pour les États membres une obligation d’enregis-trer et d’instruire les plaintes posées par la société civile contre une entreprise. Si ces points sont qualifiés d’avancées par nombre de défenseurs des droits de l’homme, beaucoup regrettent que le respect de ces normes reste volontaire de la part des entreprises endossant ces principes et qu’elles ne puissent pas être sanctionnées par les tribunaux de droit commun.

G O U V E R N A N C E

Un G8 toujours plus modeste ?

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MA

I Le G8 se réunit à Deauville (France) pour débattre de la sécurité nucléaire, de l’évolution du climat, mais aussi de l’importance de la

croissance verte ou de l’innovation tech-nologique. La déclaration finale apporte son soutien aux mouvements sociaux et politiques dans le monde arabe, accor-dant une aide financière à la Tunisie et à l’Algérie. Elle reconnaît aussi les diffi-cultés des pays du G8 à tenir l’engage-ment pris à la réunion Gleneagles (Royaume-Uni) d’augmenter les flux vers l’Afrique subsaharienne de 50 milliards

de dollars entre 2004 et 2010. Malgré une progression constante de l’aide, force est de constater qu’il manque encore 19 milliards de dollars pour atteindre ce but. Pour le reste, la décla-ration déçoit la société civile en n’annon-çant aucune mesure concrète pour le soutien de la croissance verte ou en affirmant que les modes actuels d’ex-ploitation du nucléaire sont sûrs. Cer-tains questionnent enfin la portée d’une institution qui ne représente que 15 % de la population mondiale.

É N E R G I E - C L I M A T

Des émissions record, une responsabilité partagée

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MA

I L’Agence internationale de l’énergie (AIE) publie une évaluation des émis-sions mondiales de CO2 pour l’an-

née 2010. Le niveau enregistré établit un nouveau et inquiétant record : 30,6 Gt, soit 5 % de plus que le précédent record établi en 2008 (29,3 Gt). Ce constat remet en cause l’objectif fixé par la com-munauté internationale de tout faire pour éviter une élévation de la température supérieure à 2 °C – un objectif qui impose de ne pas dépasser les 32 Gt d’émissions annuelles en 2020 et donc de freiner considérablement le rythme de progres-sion des émissions. Selon l’AIE, si 40 % des émissions mondiales proviennent de pays de l’OCDE en 2010, ces pays ne représentent que 25 % de croissance des émissions par rapport à 2009. Les pays non membres de l’OCDE – menés par la Chine et l’Inde – sont responsables du reste de l’augmentation. Néanmoins, par habitant, les pays de l’OCDE continuent d’émettre plus (10 tonnes), que les pays émergents (5,8 tonnes pour la Chine et 1,5 tonne en Inde).

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R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

L’engagement des forêts tropicales humides

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3 JU

IN Le premier Sommet des chefs d’États et de gouvernements des trois bas-sins forestiers tropicaux du monde se réunit à Brazzaville (Congo) dans le cadre de l’Année internationale des

forêts. Le Sommet réunit les 35 pays couvrant 80 % des forêts tropicales humides et de la biodiversité mondiales ainsi que leurs grands partenaires bilaté-raux et multilatéraux. Dans les trois zones, la déforestation a ralenti de 24 % entre la décennie 1990 et la décen-nie 2000, passant de 7,1 millions d’hec-tares par an à 5,4 millions d’hectares. L’Amazonie reste la zone la plus mena-cée (3,6 millions d’hectares déforestés chaque année entre 2000 et 2010), devant l’Asie du Sud-Est (1 million d’hectares de forêts détruits annuelle-ment sur la même période). Dans le bas-sin du Congo, la conversion demeure moins élevée, avec un total de 700 000 hectares perdus durant la décennie. Reste que seuls 15 % de la surface forestière totale des trois bas-sins bénéficient d’un plan de gestion et 3,5 % d’une gestion qualifiée de durable. 1 % seulement est certifié. Témoignant d’une prise de conscience croissante des enjeux environnementaux, climatiques et développementalistes, la déclaration finale engage les signataires à préparer un plan d’action pour la gestion durable des forêts et le développement d’ici à la Conférence de Rio+20 en 2012.

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juinÉ C O N O M I E

L’industrie ne change pas de trajectoire

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IN

L’Onudi publie son premier rapport trimestriel de suivi statistique de l’industrie. Les résultats indiquent une augmentation de 6,5 % de la production manufacturée

mondiale durant le premier trimestre 2011 comparé au pre-mier trimestre 2010. Cette progression est tirée par les pays en développement dont la production manufacturée a aug-menté en moyenne de 11,5 %, 15 % pour la Chine. Dans les pays développés, la production a augmenté en moyenne de 4,4 % – les États-Unis progressant de 7,1 % et demeurant ainsi le premier producteur mondial. Les résultats des pays les plus fragiles de l’Union européenne reflètent leur situa-tion financière : – 6,9 % pour la Grèce, + 1 % pour le Por-tugal et l’Espagne. C’est la production de machines qui a le plus augmenté (15 %), devant les appareils électriques (12 %) et les équipements médicaux de précision (11 %). Selon l’Onudi, ces résultats montrent un rebond de l’écono-mie mondiale après la crise financière, sans profond chan-gement dans la division mondiale du travail. La progres-sion des pays développés reste concentrée dans les domaines les plus technologiques, alors que les pays en développement s’affirment dans l’ensemble des domaines.

La production industrielle, comme ici près de Poznan (Pologne),

reste un indicateur prééminent de la santé économique et du niveau de

développement des pays.

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É N E R G I E - C L I M A T

Un partenariat financier et urbain

1er J

UIN La Banque mondiale et le Groupe

C40 des villes pour le climat signent un accord de partenariat sans précé-

dent à São Paulo (Brésil). Présidé par le maire de New York, le C40 regroupe 40 des plus grandes villes du monde, représentant ainsi 8 % de la population mondiale, 12 % des émissions globales de gaz à effet de serre et 21 % du PNB mondial. Créé en 2006 à l’initiative du président Clinton, le C40 représente les villes dans les négociations internatio-nales. Il aide aussi ses membres à réduire leur impact climatique et à s’adapter pour protéger leurs popula-tions. Le partenariat signé vise à faciliter l’accès direct des villes C40 aux finance-ments internationaux, sans passer par les gouvernements nationaux. Instaurant une méthode unique de mesure des émissions de CO2, il espère constituer un label attractif pour les investisseurs pri-vés nationaux et étrangers sur des pro-jets de réduction des émissions de CO2. Déjà, il doit permettre aux villes membres d’obtenir l’assistance de la Banque mondiale.

G O U V E R N A N C E

À la recherche de l’économie verte

2 JU

IN

La 65e Assemblée générale des Nations unies (AGNU-65) organise un débat thématique informel sur l’éco-

nomie verte. Le but est de mieux définir le projet, d’ores et déjà inscrit à l’ordre du jour de la Conférence Rio+20 de juin 2012. Un consensus relativement large – de la Chine à l’Union européenne en passant par le Mexique ou le

Maroc – émerge pour souligner que la croissance verte doit permettre de conjuguer développement durable et lutte contre la pauvreté tout en tenant compte des spécificités de chaque pays. Le débat a aussi fait émerger différentes interrogations partagées au Nord comme au Sud : l’opportunité d’instaurer des taxes vertes, la manière de gérer la tran-sition dans certains secteurs ou d’abolir les subventions au secteur pétrolier sans porter préjudice aux populations les plus pauvres, le risque de barrières tarifaires vertes, etc. La discussion donne ainsi des éléments sur ce qui pourrait faire l’objet d’un accord sur l’économie verte lors de la Conférence Rio+20 : le transfert et le financement de technologies propres vers les PED, la promotion du développement durable et la lutte contre la pauvreté, la création d’emplois, des garde-fous contre le pro-tectionnisme vert, des mesures flexibles qui prennent en compte les défis de chaque pays et n’entravent pas leur développement.

É N E R G I E - C L I M A T

Le train solaire est belge

6 JU

IN

Le réseau ferroviaire belge inaugure un tronçon solaire de 25 kilomètres, près d’Anvers (Belgique). Il bénéficie

de l’énergie produite par 16 000 pan-neaux photovoltaïques installés sur le toit du tunnel ferroviaire de 3,4 kilo-mètres de long sur la ligne à grande vitesse reliant Anvers à Amsterdam. Le tunnel a été construit pour protéger une réserve naturelle en évitant d’abattre des arbres dont la chute aurait pu interrompre le trafic. Il accueille 50 000 mètres carrés de panneaux solaires, soit environ 8 terrains de foot-ball, produisant 3 300 MWh par an, soit

de quoi alimenter 4 000 trains chaque année ainsi que l’infrastructure ferro-viaire locale (éclairage, chauffage des gares ou fonctionnement des panneaux de signalisation). L’installation devrait en outre permettre d’éviter le rejet de 47,3 millions de kilos de CO2 dans l’at-mosphère sur une période de vingt ans, soit 2 400 tonnes par an. D’autres sur-faces, toits de gares, hangars et terrains vagues jouxtant les voies pourraient être utilisées afin d’installer davantage de panneaux.

É N E R G I E - C L I M A T

Qui veut encore encadrer les émissions de gaz à effet de serre ?

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7 JU

IN

Les représentants des gouverne-ments se réunissent à Bonn (Alle-magne) pour la préparation de la Conférence de Durban. Les débats

se focalisent sur l’avenir du seul traité international encadrant les émissions de gaz à effet de serre (GES) : le Proto-cole de Kyoto qui arrive à son terme en 2012. Pour les pays en développe-ment, le Protocole constitue un cadre important parce qu’il pose la responsa-bilité historique des pays développés sur les changements observés et à venir. Ils s’inquiètent que d’ores et déjà des pays (Canada, Japon, Russie) aient indiqué qu’ils ne se réengageraient pas dans un nouvel accord global contrai-gnant, malgré les pressions euro-péennes et les différents rapports indi-quant une augmentation constante des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Les discussions techniques parallèles (Fonds vert, Plans nationaux d’adapta-tion, etc.) ont progressé à Bonn sans aboutir à des décisions visibles et définitives.

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R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Vers un accord-cadre pour les forêts européennes

14-1

7 JU

IN La 6e Conférence ministérielle pour la protection des forêts en Europe (CMPFE-6) se réunit à Oslo (Nor-vège). Elle aboutit d’abord à l’adop-

tion des « Cibles de 2020 pour les forêts d’Europe », affirmant une vision parta-gée de forêts en bonne santé, produc-tives et multifonctionnelles, contribuant au développement durable, à l’écono-mie verte et à l’atténuation des crises écologiques affectant le climat, la biodi-versité et la qualité de l’eau. À cette fin, les 43 pays européens réunis doivent, d’ici à 2020, mettre en œuvre des pro-grammes forestiers nationaux ; inclure des stratégies d’adaptation et d’atté-nuation climatiques dans leurs pro-grammes forestiers ; et accroître les bénéfices socio-économiques et cultu-rels tirés des forêts. Ils doivent aussi avoir établi la valeur totale des services écosystémiques fournis par les forêts européennes et réduit au moins de moi-tié la perte de biodiversité des habitats forestiers. Le mandat ministériel d’Oslo crée également un Comité intergouver-nemental de négociation chargé d’éla-borer dans l’intervalle un projet d’ac-cord-cadre pour examen par une conférence ministérielle extraordinaire. Cet accord devra être juridiquement contraignant et compatible avec les autres accords internationaux existants dans le secteur.

I N É G A L I T É S

Les droits des domestiques

16 J

UIN L’Organisation internationale du tra-

vail adopte, lors de sa 100e Confé-rence annuelle, la Convention

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concernant le travail décent pour les travailleuses et les travailleurs domes-tiques. Cet ensemble sans précédent de normes devrait protéger les 53 à 100 millions de personnes employées par des familles dans le monde. Les pays qui reconnaîtront cette conven-tion devront faire respecter leurs droits fondamentaux au travail : des horaires de travail raisonnables, un repos heb-domadaire d’au moins 24 heures consécutives, une limitation des paie-ments en liquide, une information claire sur les termes et les conditions

d’embauche ainsi que le respect des principes et droits fondamentaux au travail, y compris la liberté d’associa-tion et le droit à la négociation collec-tive. Dans les pays en développement, ces emplois représentent 4 à 12 % de l’emploi salarié. À plus de 80 %, ils sont occupés par des femmes ou des jeunes filles, souvent vulnérables. Dis-cutée depuis 2008 et très attendue par l’ensemble des défenseurs des droits de l’homme, la nouvelle Convention entrera en vigueur dès que deux pays l’auront ratifiée.

I N É G A L I T É S

Réfugiés auprès des pauvres ?

20

JUIN Le Commissariat des Nations unies pour les réfugiés

publie son rapport annuel à l’occasion de la journée mondiale des réfugiés. Selon l’étude, 80 % des réfugiés

vivent aujourd’hui dans les pays en développement, avant tout en raison du manque d’accueil et de solidarité affiché dans beaucoup de pays industrialisés. Le Pakistan, l’Iran et la Syrie accueillent les plus larges populations de réfugiés : respectivement 1,9 million, 1,07 million et 1,005 million. Pour mesurer le poids économique de cet accueil, le rap-port rapporte le nombre de réfugiés au PNB : le Pakistan accueille ainsi 710 réfugiés par 1 dollar de PNB, le Congo 475, le Kenya 247. Il y a soixante ans, quand le Commissa-riat a été créé, il devait protéger 2,1 millions d’Européens déracinés par la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, il doit aider 43,7 millions de personnes réparties dans plus de 120 pays. 15,4 millions d’entre elles sont des réfugiés trans-frontaliers, 27,4 millions sont déplacées dans leur propre pays et 837 000 sont des demandeurs d’asile. 7,2 millions d’entre elles sont dans cette situation précaire depuis plus de cinq ans. Une situation qui conduit les Nations unies à demander aux pays développés de prendre plus équitable-ment leur part dans l’accueil des réfugiés.

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É N E R G I E - C L I M A T

Qui peut évaluer les risques nucléaires ?

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JUIN L’Agence internationale de l’énergie

atomique (AIEA) organise à Vienne (Autriche) une conférence ministé-rielle extraordinaire sur la sécurité

nucléaire, trois mois après l’accident de la centrale de Fukushima (Japon). Les débats témoignent à la fois du souci de rassurer les opinions publiques en pre-nant des engagements de transparence et de renforcement de l’expertise inter-nationale et de la difficulté d’accomplir ces engagements. Le cadre réglemen-taire national reste ainsi prééminent et les opérateurs nucléaires centraux dans les dispositifs, même si tous les partici-pants reconnaissent l’importance de l’indépendance des régulateurs chargés de contrôler la sûreté des centrales. L’AIEA propose néanmoins de mener des expertises au hasard, dans les installa-tions les plus anciennes, et dans les pays acceptant ce regard extérieur sur leur équipement. Les États-Unis, qui viennent de terminer leur propre audit de leurs centrales, semblent accepter, le 21, la venue des inspecteurs de l’AIEA sur leur territoire dans ces conditions.

I N É G A L I T É S

L’assainissement, l’objectif des objectifs ?

21 J

UIN Le secrétaire général des Nations

unies, le prince d’Orange, le directeur exécutif de l’UNICEF et le ministre de

l’Eau et de l’Environnement ougandais lancent Sustainable Sanitation: The Five-Year-Drive to 2015, une initiative en faveur de l’assainissement. Il s’agit de mobiliser les énergies autour de l’objectif du Millénaire visant à diviser par deux le

juinnombre de personnes sans accès à un service d’assainissement par rapport à 1990. L’assainissement reste en effet un des objectifs les moins avancés, avec 2,6 milliards de personnes qui n’y ont pas accès – soit la moitié de la population des pays en développement. 1,1 milliard n’ont aucun accès à une structure d’aisance. Au-delà des impacts de pollution sur l’environnement, le manque d’assainisse-ment a des conséquences sanitaires et sociales. Les diarrhées, qui emportent 1,2 million d’enfants de moins de cinq ans chaque année, en seraient la consé-quence. L’absence de structures adé-quates est aussi une cause d’abandon de scolarité pour les filles dans de nombreux pays en développement.

I N É G A L I T É S

Investissement social contre la crise

22

JUIN Le Département des affaires écono-

miques et sociales de l’ONU publie un rapport sur la situation sociale

mondiale, centré sur les conséquences des crises économiques et financières en cours depuis 2008. Selon l’étude, les gouvernements ne prêtent pas suffisam-ment attention aux implications sociales de la crise mondiale notamment en matière de nutrition, de santé et d’édu-cation. Plus encore, les mesures d’aus-térité adoptées tendent à aggraver ces impacts en ralentissant la reprise écono-mique et la sortie de crise. Pour les auteurs, il faut d’abord lutter contre la progression du chômage – 28 millions de personnes ont perdu leur emploi depuis le début de la crise – et non réduire les budgets des services sociaux au moment où les populations ont le plus besoin de protection et d’emplois. Au contraire, selon les experts, ce sont des

mesures de protection sociale ambi-tieuses qui vont accélérer le rétablisse-ment des économies et casser le cycle de pauvreté et réduire les inégalités.

G O U V E R N A N C E

Le très attendu G20 agricole

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23 J

UIN Le premier G20 agricole se réunit à

Paris (France) pour chercher des solutions collectives à la flambée des prix agricoles qui pèse depuis 2008

sur la sécurité alimentaire mondiale. Les vingt plus grosses puissances agricoles de la planète, représentant 85 % de la production mondiale, aboutissent à un accord important, mêlant différentes injonctions : augmenter la production agricole et la recherche agronomique ; améliorer l’accès aux ressources (terre, eau) des paysans des pays en développe-ment ; ou diversifier l’agriculture pour mieux faire face aux situations de crise. Afin d’enrayer la spéculation aveugle qui tend à augmenter les crises depuis 2008, le G20 crée également l’Agricultural Mar-ket Information System (AMIS), un sys-tème sans précédent de mise en com-mun des données publiques et privées de production et de stockage des matières premières agricoles. Un « forum de réac-tion rapide » est aussi instauré pour coor-donner les politiques de marché en cas de situation d’urgence. Malgré ces avan-cées certaines, les représentants des petits agriculteurs regrettent que les mul-tinationales de l’agroalimentaire ne soient pas légalement contraintes de faire toute la lumière sur leurs stocks ou que la question de l’impact des agrocar-burants sur la volatilité des prix ait été écartée. Ils déplorent enfin que l’accord ne contienne pas de mesures favorables à la création de stocks de régulation en dehors de réserves d’urgence.

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juilletG O U V E R N A N C E

Une Convention internationale avocate des citoyens

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LE

T La Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’envi-ronnement tient sa 4e réunion des Parties à Chisinau (Moldavie). Entrée en vigueur en 2001, la Convention

veut garantir l’information et la participa-tion des citoyens sur les questions envi-ronnementales ainsi que leur capacité à exiger l’application du droit international de l’environnement dans leur pays, tel qu’exigé dans l’article 10 de la Déclara-tion de Rio. S’adressant aux délégués de Rio+20, les 400 participants les incitent à ne pas oublier les réformes institution-nelles nécessaires pour améliorer la gouvernance globale de l’environnement et le respect des droits des individus. Ils les enjoignent aussi à s’engager claire-ment en faveur du développement de l’économie verte, envisagé comme une réponse à la fois aux problèmes systé-miques de la planète et aux revendica-tions environnementales légitimes des populations.

É C O N O M I E

Quarante ans pour changer de modèle technologique

5 JU

ILL

ET Le Département des affaires écono-

miques et sociales (DAES) des Nations unies publie son rapport annuel. Pour la première fois de son

histoire, la publication insiste sur la fra-gilité de l’environnement et les consé-quences de sa dégradation pour l’hu-manité. Constatant que la planète est proche de perdre l’essentiel de ses capacités de résilience, en raison de la

surconsommation d’énergie et de res-sources naturelles ainsi que de la crois-sance des émissions de gaz à effet de serre, elle appelle à un changement technologique radical et au développe-ment d’une économie verte et durable. Une agriculture et une exploitation forestière durables, des infrastructures adaptées aux changements climatiques, des technologies réduisant les déchets et utilisant des énergies propres, tels sont les secteurs les plus porteurs de ce changement selon l’étude. Il faudrait pour cela investir 1 900 milliards de dollars par an pendant quarante ans, dont 1 100 milliards de dollars pour répondre aux besoins croissants en ali-mentation et en énergie des pays en développement. C’est aux gouverne-ments de montrer l’exemple et de lan-cer le mouvement, notamment en

développant collectivement des régimes de recherche et de partage technolo-giques, ainsi que des régimes de droits intellectuels adaptés et compatibles avec les règles de l’Organisation mon-diale du commerce (OMC).

G O U V E R N A N C E

Conflit et développement, le rôle de l’expert

6 JU

ILL

ET La Banque mondiale inaugure le

Centre mondial pour les conflits et le développement à Nairobi (Kenya). La création du Centre participe de la

mise en pratique des conclusions du Rapport 2011 sur le développement, consacré aux conflits et au développe-ment, notamment sur la spécificité des interventions dans des États fragiles ou en conflit et la nécessité de conjuguer

I N É G A L I T É S

Le combat inachevé des femmes

7 JU

ILL

ET UN Women, l’agence onusienne pour l’égalité des sexes et

l’autonomisation des femmes née en juillet 2010, publie son premier rapport annuel pour le 100e anniversaire de la Journée internationale de la femme. Ce rapport

cherche à mesurer les progrès réalisés en termes de condi-tion féminine. Selon l’étude, si les femmes ont vu davantage de droits reconnus par la loi ces dernières années, peu d’entre elles bénéficient d’une protection basique ou des ressources nécessaires pour revendiquer efficacement leurs droits. Ainsi, 139 constitutions garantissent l’égalité des sexes, alors que la moitié des femmes du monde ne bénéfi-cient d’aucune protection légale sur leur lieu de travail. Le rapport recommande en conséquence d’imposer un quota de femmes législateurs et de poursuivre des politiques inci-tatives, tel le congé paternel à la naissance pour améliorer la parité hommes-femmes.

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le rétablissement rapide de la confiance et des actions de long terme. Le Centre propose ainsi son expertise aux diffé-rents acteurs qui interviennent dans la prévention des conflits comme dans la reconstruction post-conflit. Il doit par ailleurs chercher à créer un fonds spé-cifique pour intervenir dans des pays fragiles. D’ores et déjà, il bénéficie de fonds alloués par la coopération suisse pour lancer des projets pilotes en Répu-blique centrafricaine, en République démocratique du Congo (RDC), en Gui-née-Bissau et au Liberia. Ces instru-ments viennent s’ajouter aux actions courantes de la Banque qui a augmenté son aide aux pays fragiles ou en conflit de 772 millions de dollars en 2000 à 2,6 milliards en 2010. Elle a ainsi contribué à réintégrer 235 300 combat-tants à la vie civile, à construire 1 190 kilomètres de routes menant à des hôpitaux, des marchés ou des écoles, ou à créer plus d’emplois à des milliers de personnes en Afghanistan, au Burundi, en RDC ou en Gambie.

É N E R G I E - C L I M A T

Le prix indexé du carbone australien

11 J

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LE

T Le gouvernement australien adopte l’accord sur les énergies propres (Clean Energy Agreement) négocié par une commission multipartite de

l’assemblée nationale, à l’exclusion du Parti libéral et du Parti national oppo-sés à toute marchandisation du car-bone. En vertu de cet accord, les 500 principaux pollueurs devront payer 23 dollars australiens par tonne de carbone émise dans l’atmosphère à partir du 1er juillet 2012. Seront ainsi taxées les centrales énergétiques, la plupart des sociétés de transport,

d’exploitation minière et de transfor-mation industrielle. Le prix augmentera ensuite de 2,5 % chaque année jusqu’en 2015, date à laquelle l’Aus-tralie devrait disposer d’un système d’échange de quotas d’émission per-mettant au marché de fixer le prix du carbone. Les revenus générés par la monétarisation des émissions doivent par ailleurs financer un plan de déve-loppement des énergies propres sur l’ensemble du territoire australien.

É C O N O M I E

Que peut l’industrie contre la pauvreté en Afrique ?

11 J

UIL

LE

T L’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi) et la Conférence des Nations unies sur le commerce et le

développement (Cnuced) publient un rapport conjoint sur le développement économique de l’Afrique, intitulé Pro-mouvoir le développement industriel en Afrique dans le nouvel environnement mondial.. L’étude souligne la nécessite d’inclure l’industrialisation dans toute stratégie de réduction de la pauvreté sur le continent. Aujourd’hui, l’Afrique ne représente que 1 % de la production industrielle mondiale. Le développe-ment d’industrie de main-d’œuvre constituerait, selon l’étude, une réponse adaptée à l’urbanisation galopante du continent. Loin de prendre son essor, elle est en recul : la part des activités manufacturières à forte intensité de main-d’œuvre dans la valeur ajoutée manufacturière est tombée de 23 % en 2000 à 20 % en 2008. Dans le même temps, la part des activités de moyenne et haute technologie est pas-sée de 25 % en 2000 à 29 % en 2008.

Ces constats amènent le rapport à conseiller la mise en œuvre d’une stra-tégie volontariste et de long terme des États africains, à la fois pour développer les infrastructures nécessaires à l’essor d’activités manufacturières et pour sou-tenir les chefs d’entreprises locaux.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Business as usual pour la baleine

11-1

4 JU

ILL

ET La Commission baleinière interna-

tionale tient sa 63e réunion plénière à Jersey. La réunion des 89 membres de l’organisation créée en 1946 est marquée par l’opposi-

tion ouverte entre les pros et les anti-chasse, bloquant les discussions sur la conservation initialement programmées à cette occasion. Les pays chasseurs – Russie, Norvège, Islande et divers pays africains et caribéens menés par le Japon – refusent de participer au vote concernant la création d’un sanctuaire dans l’Atlantique Sud proposé depuis 2001, bloquant ainsi la décision. Plus encore, le Japon annonce le lancement de sa prochaine campagne de chasse malgré l’opposition ferme de pays voisins comme la Nouvelle-Zélande. Les requêtes posées par les organisations écologistes d’évaluation de l’impact à long terme de la catastrophe de Fukushima Daiichi sur les cétacés (baleines, dauphins, mar-souins, etc.) ne sont pas discutées. Le seul signal positif envoyé depuis Jersey est l’adoption consensuelle d’une résolu-tion modifiant la façon dont les pays membres règlent leur cotisation. Cette résolution répond à l’accusation récur-rente à l’encontre du Japon, accusé de régler les cotisations de certains petits pays afin de s’assurer de leur soutien dans les décisions prises.

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É N E R G I E - C L I M A T

Le commerce maritime et le climat

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T L’Organisation maritime internatio-nale (OMI) adopte deux premières mesures contraignantes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre

provoquées par le transport maritime international, ainsi que le Protocole de Kyoto le lui demande depuis quatorze ans. Désormais, les nouveaux navires construits devront répondre à l’Indice de conception d’efficacité énergétique des navires (The Energy Efficiency Design Index, EEDI). L’EEDI recouvre un ensemble d’objectifs d’efficacité éner-gétique à atteindre selon des modalités laissées aux architectes maritimes. Pour les navires existants, l’OMI impose un Plan de gestion de l’efficacité énergé-tique des navires (The Ship Energy Effi-ciency Management Plan, SEEMP) qui détaille des moyens qui permettent d’améliorer l’efficacité énergétique des navires lors de la navigation. Les deux mesures entreront en vigueur le 1er jan-vier 2013, mais les pays en développe-ment menés par la Chine, le Brésil et l’Afrique du Sud ont négocié un délai de six ans et demi pour appliquer les nou-velles normes de construction des navires, retardant d’autant les effets de la mesure pour le climat.

É C O N O M I E

Le commerce aime la transparence

18 J

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LE

T La Cnuced, la Banque mondiale et la Division Statistiques des Nations unies lancent à Genève (Suisse) la Transparency in Trade Initiative (TNT),

un programme commun d’information sur les politiques commerciales des

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pays. Ces données permettront aux exportateurs et aux politiques de connaître les normes et les attentes des pays importateurs. Davantage de trans-parence sur les normes devrait soutenir les exportations des pays les plus pauvres, notamment les pays africains, sur le marché des pays développés, en leur permettant de mieux anticiper les obstacles que vont rencontrer leurs pro-duits. L’initiative s’inscrit dans l’optique du programme Aid for Trade lancé par l’OMC à Hong Kong en 2005 pour per-mettre aux pays les moins avancés de tirer partie des accords internationaux sur le commerce.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

La phytogénétique au cœur des négociations

18-2

2 JU

ILL

ET La Commission des ressources

génétiques pour l’alimentation et l’agriculture tient sa 13e session au quartier général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimenta-

tion et l’agriculture (Food and Agricul-ture Organization, FAO), à Rome (Italie). La réunion aboutit à la révision du Plan d’action mondial pour la conservation et l’utilisation durable des ressources phy-togénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (PAM) de 2009, un des principaux jalons du Programme de tra-vail pluriannuel de la Commission. Le nouveau plan précise ainsi le rôle de la Commission dans la mise en œuvre du protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage des avantages découlant de leur utilisation adoptée en octobre 2010, l’invitant à appuyer le Plan stratégique de la Convention sur la diversité biologique (CDB) et le développement d’indica-teurs dédiés. Les débats abordent

également la question des ressources génétiques pour l’adaptation et l’atté-nuation des changements climatiques, sans s’accorder sur la nécessité pour la Commission de prendre parti dans les négociations internationales sur ce point. Ces différentes avancées illustrent le débat, récurrent dans cette enceinte, entre ceux qui veulent réduire au maxi-mum la question des ressources géné-tiques et ceux qui veulent s’attaquer à ses relations avec d’autres sujets globaux.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Le nouveau programme de la CITES

18-2

2 JU

ILL

ET La Convention sur le commerce

international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’ex-tinction (Convention on International Trade in Endangered Species of Wild

Fauna and Flora, Cites) réunit son 25e Comité annuel à Genève (Suisse). Le Comité établit ainsi son programme de travail pour les années à venir afin d’or-ganiser la discussion sur certaines espèces désignées par la 15e Confé-rence des Parties (CdP 15) : notamment, le commerce des serpents, des requins ou du macaque à longue queue. Le Comité adopte enfin des recommanda-tions sur différents processus menés en collaboration avec d’autres enceintes multilatérales comme le Partenariat rela-tif aux indicateurs de biodiversité, la détection des coraux inscrits à la Cites dans le commerce ou les systèmes de production. Depuis 1975, la Cites veille à ce que le commerce international des espèces d’animaux et de plantes sau-vages ne mette pas en péril leur survie en restreignant ou interdisant le com-merce des plus menacées.

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É N E R G I E - C L I M A T

Un pas pour la sécurité nucléaire européenne

19 J

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LE

T Le Conseil des ministres de l’Union européenne adopte la Direc-tive relative à la gestion du combus-tible usé et des déchets radioactifs

qui entre en vigueur dès sep-tembre 2011. Le texte établit des normes contraignantes pour les centres de stockage définitif des déchets prove-nant des centrales nucléaires, imposant aux États membres de présenter un programme détaillé fixant le calendrier et les modalités de construction de ces centres avant 2015. Reprenant les dis-positions conseillées par l’Agence inter-nationale de l’énergie atomique (AIEA), les normes imposent pour l’exportation des déchets vers un pays tiers que ce dernier dispose d’un centre de stoc-kage définitif en service et situé en couche géologique profonde. Ces normes réduisent aussi les possibilités d’accord entre pays membres pour des dispositions de stockage. Si l’émission de normes contraignantes est unanime-ment saluée comme une avancée, les associations anti-nucléaires critiquent la définition même de déchet radioactif qui est utilisée, car elle permet selon eux d’exclure trop largement les maté-riaux pouvant être réenrichis de ces contraintes.

juillet

I N É G A L I T É S

La Corne de l’Afrique a faim

25 J

UIL

LE

T L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organization, FAO) organise, à l’appel du G20, une réunion extraordinaire consacrée à la sécheresse et à la famine dans la Corne de

l’Afrique à Rome (Italie). Elle se tient en présence de délé-gués des 191 pays membres de la FAO, ainsi que de repré-sentants de l’Union africaine, du Programme alimentaire mondial, du Fonds de développement international de l’agriculture et de diverses organisations non gouverne-mentales. Le manque de nourriture dans la région a déjà fait des dizaines de milliers de morts et menace 12 millions de personnes à la suite de la sécheresse qui touche Djibouti, l’Éthiopie, le Kenya, l’Ouganda et la Somalie. Dans ce der-nier pays, la situation est aggravée par un état permanent de guerre civile et l’interdiction faite aux humanitaires d’accéder à certaines régions. Si tous les participants à la réunion s’accordent à réclamer une aide internationale « massive et urgente », les engagements et les moyens d’ac-tion restent flous. Seule la Banque mondiale et l’Union euro-péenne annoncent des budgets précis – respectivement 500 millions de dollars et 100 millions d’euros.

Près de 12 millions de personnes sont directement menacées par la sécheresse

qui touche la Corne de l’Afrique.

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G O U V E R N A N C E

Les protocoles qui marchent savent gérer les conflits

1er -

5 A

T Un Groupe de travail du protocole de Montréal sur les substances qui appauvrissent la couche d’ozone se réunit à Montréal (Canada) pour pré-

parer la Conférence des Parties de novembre. Sur la table, d’éventuelles

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aoûtexceptions à l’interdiction de l’usage de certains hydrochlorofluorocarbures (HCFC), l’extension des restrictions aux hydrofluorocarbures (HFC) utilisés en remplacement des premiers et nocifs pour le climat, mais surtout la reconsti-tution 2012-2014 du Fonds multilatéral pour la mise en application du Protocole (FML) qui, depuis vingt ans, fait la force du mécanisme. C’est lui qui a permis à

34 pays en développement d’éliminer l’usage de gaz détruisant la couche d’ozone et de régler les différents conflits d’intérêts entre les Parties. Dans un contexte multilatéral relativement prudent et tendu, les négociations de Montréal apparaissent ainsi pratiques et ouvertes, de bons augures pour des décisions concrètes et positives sur toutes ces questions à Bali (Indonésie) en novembre.

É N E R G I E - C L I M A T

Compter partout, de la même façon, les émissions des bâtiments

2 A

T L’Organisation internationale de nor-malisation (ISO) ouvre l’examen de la norme Common Carbon Metric

(CCM) développée par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) en 2009. La CCM mesure l’utili-sation d’énergie et les émissions de CO2 des maisons et des bureaux construits et occupés – c’est-à-dire au moment où les bâtiments consomment leur maxi-mum d’énergie et donc émettent le plus. Avec 8,6 milliards de tonnes mesurées en 2004, sans doute 11,1 milliards en 2020, les émissions de CO2 des bâti-ments constituent ainsi la première source mondiale de gaz à effet de serre. En tant que premier développeur de normes internationales dans tous les domaines, l’ISO peut amener une recon-naissance et une application rapides et larges de la norme CCM par les archi-tectes et les professionnels du bâtiment.

É N E R G I E - C L I M A T

Navigation propre obligatoire en Antarctique

1er A

T Deux amendements à la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (Marpol) spécifiques à l’Antarctique entrent en vigueur. Le pre-

mier encadre l’usage de pétrole brut comme carburant, précisant une densité précise à respecter. Les bâtiments de commerce comme de transports de passagers utilisant un carburant de qualité moindre devront désormais refaire le plein lorsqu’ils navigueront dans la zone. Le second établit un contrôle officiel des émissions des navires dans la zone nord-américaine de l’Antarctique – notamment d’oxyde de soufre et d’oxyde d’azote – afin de faire appliquer les limi-tations existantes. Ce contrôle sera effectif le 1er août 2012.

L’Antarctique présente un écosystème fragile, particulièrement sensible à la pollution liée aux hydrocarbures.

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L’adoption d’un système de comptabilité uniforme des émissions des bâtiments dans les 163 pays membres de l’ISO ne pourrait que contribuer à la mise en œuvre efficace de réduction de la consommation d’énergie et des émis-sions de gaz à effet de serre. Elle offrirait également un référent commun aux marchés des crédits carbone en cours de développement.

É N E R G I E - C L I M A T

Les renouvelables, une question (aussi) d’infrastructures

4 A

T L’Union européenne en coopération avec la Deutsche Energie-Agentur GmbH (l’Agence allemande de

l’énergie) publie une étude prospective des besoins européens en infrastructures électriques et gazières jusqu’en 2050. Selon le rapport, leur évolution dépendra directement du développement des éner-gies renouvelables. Une production élec-trique à partir d’énergie renouvelable augmentée de + 70 % d’ici 2050 demandera ainsi d’élargir la capacité de transmission du réseau électrique de 200 000 MW entre 2030 et 2050. L’augmentation de l’exploitation du gaz comme combustible devrait, de même, demander une densification des infras-tructures dans les pays de transit. L’étude conclut logiquement sur la nécessité d’adopter une approche holis-tique de planification des infrastructures européennes, telle que celle qui sous-tend le projet européen SUSPLAN (PLANning for SUStainability/Planifica-tion de la durabilité écologique). Les possibles stratégies de configuration des futures infrastructures énergétiques de l’Europe seront débattues lors de la seconde Conférence internationale

SUSPLAN, le 7 octobre 2012 à Bruxelles (Belgique).

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

L’éléphant d’Afrique a bon fonds

15-1

9 A

T La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’ex-tinction (CITES) tient la 61e réunion

de son Comité permanent (CP61) à Genève (Suisse). Le Comité s’intéresse notamment à la recrudescence du bra-connage des éléphants en Afrique et en Asie et du commerce illégal de l’ivoire constatée en 2010. Conséquence de la pauvreté de la région et du manque d’application des lois en vigueur, l’Afrique centrale est la zone la plus tou-chée par le phénomène, encouragé par la croissance de la demande, notam-ment chinoise. Le Comité adopte, en conséquence, un plan d’action en faveur de l’éléphant d’Afrique, reposant sur la mise en place d’un fonds doté de 100 millions de dollars sur les trois années à venir. Le Comité suspend, en outre, le Gabon et la Somalie du droit de commerce de l’ivoire et demande à la Thaïlande d’apporter d’ici la prochaine réunion un bilan positif de sa régularisa-tion du commerce de l’ivoire.

G O U V E R N A N C E

La Caspienne, entre pétrole et protection

18 A

T Les cinq pays riverains de la mer Caspienne – Russie, Iran, Azerbaïd-jan, Kazakhstan et Turkménistan – se

réunissent à Bakou (Azerbaïdjan) pour discuter du statut de la mer et de ses conséquences en matière de sécurité et d’environnement. Le partage de la mer

reste bloqué entre l’Iran qui souhaite une division en cinq zones égales et l’Azer-baïdjan, le Kazakhstan et le Turkménis-tan qui souhaitent le partage de la Cas-pienne selon une ligne médiane, mal définie encore. Cette division constitue le principal obstacle au projet de gazoduc Nabucco, destiné à acheminer le gaz en provenance du Turkménistan et d’autres pays asiatiques vers l’Europe, en contournant le territoire russe. Le Som-met faisait aussi suite à l’accord signé le 10 août entre ces cinq pays à Aktau (Kazakhstan) visant à renforcer la lutte régionale contre le déversement d’hy-drocarbures et d’autres pollutions en mer Caspienne sous l’égide du PNUE. En l’absence de décision, les débats reprendront lors du prochain Sommet à Moscou (Russie) fin 2011.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

La plus grande aire protégée terrestre du monde est africaine

18 A

T Cinq pays africains – Angola, Botswana, Namibie, Zambie et Zim-babwe – annoncent à Luanda (Angola)

la création de la première plus grande aire naturelle protégée terrestre, d’une super-ficie égale à la moitié de la France (278 000 km2). À vocation de conserva-tion et de tourisme, l’aire englobe les bas-sins des fleuves Zambèze et Okavango et relie entre eux 14 parcs nationaux et réserves naturelles, notamment les chutes Victoria et le delta de l’Okavango. L’aire abrite de nombreuses espèces rares, comme le léopard, le chien sauvage d’Afrique, le rhinocéros ou l’antilope noire, ainsi qu’une population de 250 000 élé-phants. Le projet veut aussi servir de base au développement de revenus durables pour les communautés locales.

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A G R I C U L T U R E

Les agro-écosystèmes nourriront le monde

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ÛT Le PNUE et l’Institut international de

gestion de l’eau (IWMI) publient un rapport conjoint sur les services éco-systémiques, la qualité de l’eau et la

sécurité alimentaire. L’étude insiste sur le manque de durabilité des pratiques agricoles actuelles, notamment la sur-consommation en eau, et ses résultats limités en termes de sécurité alimen-taire et de protection de l’environne-ment : 1 milliard de personnes sont

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sous-alimentées ; une personne sur cinq dans le monde n’a pas d’accès à l’eau potable ; 4 000 décès par jour sont imputables au manque d’assainis-sement. Si les pratiques ne changent pas, l’agriculture pourrait doubler sa consommation en eau d’ici 2050. En conséquence, le rapport plaide pour une réinsertion des pratiques agricoles dans les logiques des écosystèmes, ce qu’il qualifie d’agro-écosystème. Des éco-systèmes sains garantiraient des rende-ments agricoles plus élevés et plus durables, plus résistants au change-ment climatique.

É C O N O M I E

Investir aujourd’hui dans l’eau sera-t-il rentable demain ?

25 A

T Le PNUD publie un rapport sur le rôle de l’eau dans le développement d’une économie verte, à l’occasion de la Semaine mondiale de l’eau de

Stockholm (Suède). L’étude souligne la valeur de l’eau, à la fois pour l’approvi-sionnement que pour le maintien de la biodiversité et des services écosysté-miques, et plaide pour sa pleine rétri-bution. Elle identifie les piliers d’une

É N E R G I E - C L I M A T

Mettre fin à la malédiction du pétrole nigérian

19 A

T Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) publie un rapport concluant à la responsabilité de l’exploitation pétrolière menée par la compagnie anglo-néerlandaise Shell en pays Ogoni (Nigeria) dans la pollution durable de la zone. Après

quatorze mois d’enquête, prenant en compte autant l’état des 122 km d’oléoducs, que les droits de passage ou les 5 000 dossiers médicaux réunis, l’étude estime qu’il faudra trente ans pour une restauration environnementale complète, soit le processus de restauration le plus long et le plus étendu jamais réalisé. La pollution de l’eau potable, avec des contami-nations au benzène jusqu’à 900 fois supérieures aux préconisations de l’Organisation mon-diale de la santé (OMS), est jugée alarmante. Plus encore, le rapport juge inefficaces les mesures de dépollution, notamment par l’usage de micro-organismes censés éliminer le pétrole, dans les zones plus exploitées depuis 1993. En effet, ces micro-organismes ne sont efficaces que sur les pollutions de surface alors que le PNUE rapporte avoir trouvé du pétrole jusqu’à 6 mètres de profondeur et dans de nombreuses nappes phréatiques. Ainsi, 10 des 15 sites jugés assainis par Shell sont considérés comme encore pollués par le PNUE. Il appelle donc en conséquence à une restauration environnementale complète, s’appuyant sur trois nouvelles institutions à établir : une Autorité de restauration environnementale du pays Ogoni, financé par un fonds spécial dans lequel les compagnies pétrolières et le gouvernement nigérian injecteraient 1 milliard de dollars (701 millions d’euros) ; un Centre de gestion intégrée des sols contaminés, soutenu par des centaines de « mini-centres » de traitement ; ainsi qu’un Centre d’excellence en restauration environnemen-tale, chargé de former les acteurs.

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politique de développement vert fondée sur l’eau : fournir, à tous les ménages, un accès abordable et adéquat à l’eau potable et aux installations sanitaires, et investir massivement dans la gestion de l’eau et les systèmes de traitement et d’approvisionnement. Elle oppose ainsi un scénario vertueux, dans lequel les investissements verts permettent d’atteindre tous les objectifs du Millé-naire pour le développement sur l’eau d’ici à 2015, au scénario du pire, dans lequel les investissements tardent encore et où la demande dépasse la capacité d’approvisionnement de 40 % d’ici à 20 ans.

S A N T É

La crainte de la grippe aviaire perdure

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ÛT La FAO recommande une surveil-

lance et une vigilance accrues face à une possible réapparition impor-tante du virus hautement patho-

gène de la grippe aviaire. La décision est fondée sur l’isolation en Chine et au Vietnam d’une souche mutante de ce virus, capable de contourner tous les vaccins existants. Les oiseaux migra-teurs sont considérés comme les por-teurs de ce virus les plus difficiles à maîtriser – les zones de passage sai-sonnier comme Israël, les Territoires palestiniens, la Bulgarie, la Roumanie, le Népal ou la Mongolie ont été les der-nières zones touchées. Depuis sa pre-mière apparition en 2003, le virus a infecté 565 personnes et fait 331 morts. Il a tué ou conduit à l’abat-tage de plus de 400 millions de volailles. On estime enfin que l’épizoo-tie de 2006, avec 63 pays infectés, a causé pour 20 milliards de dollars de dommages économiques.

É N E R G I E - C L I M A T

Le pouvoir des normes, la preuve par les frigidaires

29

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ÛT Le département américain de l’Éner-

gie émet de nouvelles normes de consommation finale d’énergie pour les réfrigérateurs et les congélateurs

individuels. Le respect de ces normes devrait ainsi abaisser la consommation énergétique de ces appareils de 25 % d’ici 2014 et ainsi abaisser la facture d’électricité d’une famille moyenne de plus de 200 dollars par an durant la vie de l’appareil. L’émission de 340 millions de tonnes de CO2 serait enfin évitées pen-dant les 30 années à venir. Les normes ont été élaborées au cours d’un proces-sus consensuel associant les fabricants, les consommateurs et les protecteurs de l’environnement, prenant en compte les progrès technologiques accomplis. Des normes sur les appareils électriques de conservation existent aux États-Unis depuis 1978. Les appareils consom-maient alors deux tiers de plus d’énergie, coûtaient plus cher et étaient plus petits.

G O U V E R N A N C E

Les peuples de Chine et d’Afrique tiennent Forum

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ÛT Le Forum des peuples de Chine et

d’Afrique réunit, pour la première fois, à Nairobi (Kenya) 200 représentants de 20 ONG chinoises et 100 venues

de 18 pays africains. Au programme, des échanges de vues sur des sujets variés : changement climatique, sécurité alimen-taire, crédibilité et transparence des ONG, ainsi que relations entre gouverne-ments et société civile. La rencontre s’est conclue par la décision d’institutionnali-ser le Forum, ce qui marque une nouvelle étape dans le partenariat proposé par la

Chine à l’Afrique depuis 2000. Les observateurs les plus critiques soulignent combien les ONG chinoises sont proches de leur gouvernement et s’interrogent sur la capacité d’un tel forum à émettre des critiques notamment sur les modes de gestion des ressources naturelles encou-ragés par le Partenariat sino-africain. Reste, soulignent d’autres critiques, qu’en trente-sept années, la relation entre l’Union européenne et les pays ACP n’est jamais allée aussi loin dans la for-malisation de la place des ONG.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Des experts vont écouter les océans

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RE L’Unesco lance une étude de dix ans

sur les pollutions sonores sous-marines, baptisée « Expérience inter-nationale de l’océan tranquille » (Inter-national Quiet Ocean Experiment, IQOE). Réunissant scientifiques du monde marin ainsi que représentants du secteur privé et des institutions

militaires, le projet vise à accumuler suffi-samment de connaissances pour guider la mise en place d’une politique de ges-tion du bruit océanique. Si l’on sait que de nombreuses espèces marines dépendent du son comme source d’information sur l’environnement, on ne connaît pas préci-sément l’impact des activités humaines bruyantes sur la qualité de ces informa-tions. L’IQOE doit chercher à établir si l’augmentation des niveaux sonores, liée à l’industrialisation croissante des océans, modifie le comportement des animaux marins. Des études parcellaires montrent déjà que certains sons per-turbent leur capacité à exécuter des acti-vités courantes, comme la recherche de nourriture, les relations entre pairs ou le repérage de prédateurs.

août

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Le monde du risque calculé

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L’Institut universitaire des Nations unies pour l’environnement et la sécurité humaine (UNU-EHS) publie une étude sur les risques naturels dans 173 pays du monde. Avec 32 % de risque de subir une catastrophe

naturelle, l’île de Vanuatu (Pacifique) arrive en premier. À l’autre extrémité, Malte (0,72 %) et le Qatar (0,02 %) affichent le niveau de risque le plus bas. Le classement se fonde non seulement sur la probabilité des risques naturels, mais aussi sur la capacité des sociétés à y faire face. Le niveau d’instruction et de revenus, la situation alimentaire ou le fonctionnement des institutions déter-minent en effet l’ampleur d’une catas-trophe autant que les éléments météoro-logiques ou géologiques. Les Pays-Bas, plutôt fortement exposés aux risques cli-matiques (29,24 % de risque), mais dotés financièrement et institutionnelle-ment, affichent ainsi un risque total de 7,71 % – à peine plus que l’Ouganda qui, avec un risque naturel deux fois moins élevé (11,68 %), connaît un risque total de 7,57 %. Ces résultats amènent le rapport à réclamer de ne pas limiter les efforts de coopération à l’aide d’ur-gence mais de travailler à la réduction des risques et à la préparation des socié-tés à faire face aux catastrophes.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Le commerce fera-t-il les bonnes pratiques de pêche ?

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RE L’Union européenne et les États-

Unis signent un accord de coopéra-tion bilatérale en matière de lutte contre la pêche illicite, non décla-rée et non réglementée (dite

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septembre« pêche INN »). Respectivement premier et troisième importateurs de produits de la mer (devant et derrière le Japon), les deux pays entendent interdire l’entrée de produits provenant de la pêche illicite sur leurs territoires. Ils espèrent que leur front uni et leur collaboration permettront d’améliorer dans le secteur le respect de la réglementation en vigueur en favori-sant les acteurs qui font des efforts. On estime que le manque à gagner annuel du secteur officiel atteint 23 milliards de dollars en raison de la concurrence déloyale de la pêche illégale.

É N E R G I E - C L I M A T

Le Fonds vert ou la difficile réalisation d’un consensus

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La troisième réunion du Comité de transition de la Convention-cadre des Nations unies sur les change-ments climatiques examine les modalités de création d’un fonds vert à Genève (Suisse). En décembre 2010, lors du Sommet de Cancún (Mexique),

les pays industrialisés se sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 pour répondre aux besoins des pays en développement en matière d’adaptation aux changements clima-tiques. Les discussions s’articulent depuis sur les financements publics et privés mobilisables et la forme à donner à ce fonds climatique vert. Le G77 milite pour un fonds contrôlé par la CdP, doté de fonds publics, et privilégiant les PMA. Les pays développés aimeraient un Fonds indépen-dant de la CdP, facilitant l’investissement privé pour atteindre les 100 milliards annoncés. La réunion de Genève ne réus-sit pas à réconcilier les deux visions, repoussant finalement – selon les observa-teurs critiques – l’essentiel des décisions à la Conférence de Durban.

S A N T É

Dix ans de lutte contre le paludisme

13 S

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RE Le partenariat mondial Roll Back

Malaria (« Faire reculer le paludisme ») publie un rapport encourageant à la fois sur son action et l’évolution du paludisme dans le monde. Lancé en 1998, le Partenariat regroupe

l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et la Banque mondiale. Depuis sa création, il a réuni environ 5 milliards de dollars pour des actions de prévention et de traitement du paludisme. Il a notam-ment permis de couvrir 80 % de la population à risque en Afrique subsaha-rienne en moustiquaires imprégnées d’insecticide. Son apport a ainsi contri-bué à la baisse de 38 % du nombre de décès dus au paludisme dans le monde enregistrée depuis dix ans et à la division par deux du nombre de cas dans 43 pays (dont 11 pays africains). Des résultats qui ont amené Ban Ki-moon à juger pos-sible l’éradication du paludisme d’ici à 2015.

É N E R G I E - C L I M A T

Le marché carbone plus fort que le soja ou l’huile de palme ?

13 S

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RE L’Initiative financière du PNUE

(PNUE-FI) publie, avec le soutien de plus de 200 entreprises financières, un rapport concluant à la nécessité de soutenir les investissements dans le secteur forestier par un accord sur

le climat. L’absence d’incitation forte à bien gérer les forêts, explique l’étude, entraînerait des pertes pour l’économie

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mondiale d’une valeur de 1 000 milliards de dollars par an à partir de 2100. Au contraire, un marché du carbone utili-sant les ressources du secteur forestier, tel qu’esquissé dans les discussions sur la réduction de la déforestation et la dégradation des forêts (REDD+), pourrait mobiliser des investissements pour pro-téger et réhabiliter les forêts à hauteur de 10 milliards de dollars par an. L’idée est de créer un marché valorisant des forêts bien gérées et protégées à la même hauteur que leur transformation en champ de soja, en plantation de pal-miers à huile ou en pâturages pour bovins. Le rapport invite ainsi les négo-ciateurs climat à garder ces enjeux en tête durant la ministérielle de Durban de novembre 2011.

É N E R G I E - C L I M A T

Transports et emplois verts pour le Pacifique

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Les ministres des Transports et de l’Énergie des 21 pays membre de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC) tiennent leur premier sommet commun de l’his-toire de l’organisation à San Fran-cisco (États-Unis). Les ministres

s’accordent à développer conjointement des modes de transports innovants et durables dans la région, à la fois pour répondre aux enjeux environnementaux mais aussi pour créer de nouveaux gisements d’emplois pour le futur. Ce développement passe, selon eux, par la mise au point de nouveaux agrocarbu-rants comme par la labellisation des véhicules électriques pour garantir la sécurité des usagers, mais aussi par l’intégration des modes de transports dans des systèmes efficaces ou par une réflexion profonde sur l’organisation du

fret de marchandises dans la région. L’enjeu est d’alléger l’empreinte écolo-gique du secteur qui, dans le monde, consomme 19 % de l’énergie produite et représente 23 % des émissions de gaz à effet de serre (GES). L’impact est encore plus fort aux États-Unis, où les transports comptent pour deux tiers de la consommation d’énergie fossile et un tiers des émissions de gaz à effet de serre. Le programme de transports verts lancé à San Francisco s’inscrit enfin dans l’objectif adopté en 2007 par l’APEC de réduire l’utilisation d’énergie de 25 % d’ici 2030 dans l’activité économique.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Une Europe prospère et verte en 2050 ?

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E La Commission européenne publie une feuille de route détaillant les mesures nécessaires pour transfor-mer l’économie européenne en une économie durable d’ici à 2050. La stratégie repose sur une utilisation

efficace des ressources pour améliorer la compétitivité et la croissance euro-péenne. Elle propose, secteur par sec-teur, des instruments pour réduire la consommation de ressources et des indicateurs de progrès, insistant sur les

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Le nouveau visage des océans européens

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E Le projet de recherche sur le changement climatique et l’écosystème marin en Europe (CLAMER) publie un rap-port signalant l’ampleur des changements déjà percep-tibles dans les espaces marins européens. La combinai-son de l’augmentation de la température des eaux et de

la fonte de l’Arctique depuis vingt-cinq ans a contribué à hauteur de 15 % à l’érosion des côtes européennes. Un phé-nomène qui accélère : la température de la mer Baltique devrait augmenter de 2 à 4 °C, celle du golfe de Gascogne de 1,5 à 5 °C d’ici la fin du xxie siècle. De plus, avec la fonte des glaces polaires et des glaciers, le niveau des eaux atlan-tiques européennes devraient s’élever de 60 à 190 cm dans la même période, menaçant des populations toujours plus nombreuses en Grande-Bretagne, en France ou aux Pays-Bas. Enfin, la chaîne alimentaire s’est déjà modifiée avec la migration d’organismes venus du Pacifique par les nou-veaux passages libérés des glaces au pôle Nord. L’étude juge important d’étudier les effets sur la faune et la flore de l’Atlantique Nord encore difficile à mesurer.

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secteurs de l’alimentation, de la construction et de la mobilité, dont les effets combinés représentent entre 70 et 80 % de l’ensemble des incidences environnementales. Elle pointe aussi du doigt les créations d’emplois possibles dans des secteurs d’activité tels que le recyclage, la conception plus intelligente de produits, la recherche de matériaux de substitution et l’éco-ingénierie. Mettre en œuvre cette feuille de route demandera des actions de l’ensemble des acteurs européens : des proposi-tions réglementaires de la Commission comme leur traduction dans chacun des pays membres.

É C O N O M I E

Le G20, le développement et la crise

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RE Le G20 sous présidence française se

réunit à Washington (États-Unis) en parallèle aux assemblées d’automne du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Placée sous le signe du développement, la réu-

nion aborde différents facteurs de crois-sance économique. Les pays membres invitent ainsi les Banques régionales de développement à faire des efforts parti-culiers dans le domaine des infrastruc-tures de transports et d’énergie. Ils prennent aussi position sur le com-merce, et notamment la marginalisation de l’Afrique, en s’engageant à soutenir les projets d’intégration régionale comme une stratégie d’accès aux mar-chés internationaux. La question de la fiscalité, des ressources propres des

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R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Appétits peu régulés en Arctique

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RE Le deuxième Forum international sur le développement

économique de l’Arctique se réunit à Arkhangelsk (Fédé-ration de Russie). Organisé par la société géographique de Russie, le Forum a laissé une grande place à la ques-tion des transports – le recul de la banquise ouvrant de nouvelles routes dans un environnement extrêmement

fragile – et à l’exploitation des ressources. La Russie y annonce clairement ses ambitions : exploitation des hydro-carbures d’ici 2012 – une perspective qui inquiète Green-peace Russie, qui a déjà comptabilisé plus de 28 000 rup-tures de pipelines l’an dernier dans le pays, avec plus de 200 000 tonnes de pétrole déversées par an dans les milieux naturels ; ouverture légale d’une voie maritime du Nord dont le trafic pourra atteindre 75 millions de tonnes de marchandises par an avant 2020. En contrepartie, la Russie annonce une opération de nettoyage des déchets indus-triels abandonnés, en priorité sur l’archipel François-Joseph situé au nord de la Russie. Pour les observateurs, les seules instances régionales, le Forum ou le Conseil de l’Arc-tique restent des organes de délibération insuffisants pour réguler les appétits de leurs membres.

La Conseil de l’Arctique se réunit à Arkhangelsk (Fédération

de Russie) en septembre 2011.

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États, et celle concomitante de la trans-parence des pratiques des industries d’extractions, est aussi abordée. Enfin, prenant la mesure des effets de la crise sur les pays les plus fragiles, ils s’en-gagent à appuyer la création de socles nationaux de protection sociale dans les PED ; à réduire les coûts des transferts de migrants à 5 % d’ici à 2014 pour dégager jusqu’à 15 milliards de dollars supplémentaires par an en faveur des populations des pays en développe-ment ; favoriser l’accès au crédit des petites et moyennes entreprises, au bénéfice notamment des femmes et des petits producteurs agricoles.

G O U V E R N A N C E

Bretton Woods et la crise des vieilles puissances

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Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale tiennent leurs assemblées générales annuelles à Washington (États-Unis) dans un cli-mat de tensions sur les places finan-cières mondiales et de pression croissante sur l’euro. Six pays

membres du G20 (Australie, Canada, Corée du Sud, Indonésie, Mexique et Royaume-Uni) mais aussi les pays émer-gents présents au conseil d’administra-tion du FMI appellent la zone euro à agir rapidement pour résoudre la crise de la dette tout en rappelant aux États-Unis leur responsabilité dans la confiance des marchés financiers. La zone euro se veut, elle, rassurante en démentant les rumeurs de faillite imminente d’Athènes. Sur les autres sujets – climat, développe-ment, sécurité alimentaire –, les déclara-tions finales parlent néanmoins nette-ment plus de « coopération Sud-Sud » que de « coordination globale ». La fin d’une ère ?

G O U V E R N A N C E

Ne pas oublier les déserts

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RE Le Qatar réunit 45 des 69 pays

considérés comme arides ou semi-arides pour la première réunion de la Global Dry Land Alliance (l’Alliance pour les terres désertiques). Les déserts représentent 45 % des

terres émergées du globe ; 60 % de la population mondiale en situation d’incer-titude alimentaire habitent des zones arides et plus de 80 % de la population rurale de ces zones dépendent directe-ment de leur production agricole pour survivre. Au Sahel, 10 millions de per-sonnes sont menacées de la famine. Pour nourrir sa population – qui compte pour 5 % de la population mondiale –, le Moyen-Orient réalise 40 % des importa-tions de céréales dans le monde. L’ini-tiative proposée par le Qatar veut se focaliser sur la sécurité alimentaire dans ces régions avec des partages d’expé-rience sur les politiques agricoles locales comme les interventions sur les marchés, sur la lutte contre la désertifi-cation comme sur les pratiques respon-sables d’investissement foncier dans d’autres pays.

G O U V E R N A N C E

L’eau a besoin d’être gérée

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Le 14e Congrès mondial de l’eau se réunit à Porto de Galinhas (Brésil) et examine une série d’études sur les ressources mondiales en eau et l’évolution de la demande. Le Congrès conclut qu’il y a suffisam-ment d’eau pour répondre aux

besoins d’une population mondiale tou-jours plus nombreuse. La tension sur les ressources viendrait avant tout du manque de gestion des cours d’eau,

notamment leurs usages agricoles. Se fondant sur les résultats observés dans neuf bassins versants en Afrique, en Asie et en Amérique latine, le Congrès sou-ligne les potentiels de rationalisation des usages de l’eau, comme le développe-ment de l’agriculture non irriguée. Une telle réorientation demande une approche globale traitant autant les aspects tech-niques que le financement ou l’accès aux marchés des agriculteurs.

S A N T É

La pollution létale des villes

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E L’OMS rend accessible une base de données sur la qualité de l’air dans 1 081 villes de plus 100 000 habi-tants réparties dans 91 pays. Selon les recommandations de l’OMS, le taux de particules PM10 ne doit pas

dépasser 20 microgrammes par mètre cube en moyenne et par an. L’étude montre cependant que ce taux est dépassé dans la grande majorité des villes étudiées, pouvant être supérieur de 300 microgrammes par mètre cube dans certaines villes. Si l’Amérique du Nord et l’Europe apparaissent comme les régions les plus propres, avec des taux proches des recommandations de l’OMS, les villes du Moyen-Orient affichent les taux de pollution les plus inquiétants : Ahwaz (Iran) enregistre 372 microgrammes par mètre cube ; les villes du Pakistan – Lahore (200), Pes-hawar (219) ou Quetta (251) – appa-raissent très polluées. L’étude permet aussi d’estimer l’impact de la pollution de l’air, intérieur comme extérieur : deux millions de personnes meurent chaque année d’avoir respiré des fines parti-cules nocives (PM10) alors que plus d’un million de contaminations pourraient être évitées.

septembre

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É C O N O M I E

Vous avez dit « vert » ?

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E Le dialogue ministériel de Delhi réunit des représentants de 40 pays en développement à l’invitation des organisateurs de Rio+20 et du minis-tère des Forêts et de l’Environnement

indien. Cette réunion est l’occasion pour les gouvernements des pays en dévelop-pement de réclamer davantage de marge de manœuvre pour définir leurs politiques de transition vers un développement fondé sur une économie verte. Beaucoup de participants opposent ainsi un modèle vert éliminant les émissions de carbone au prix d’investissements technolo-giques, convenant aux pays industriali-sés, avec une économie verte fondée sur l’utilisation durable des ressources natu-relles pour l’amélioration des conditions de vie des plus pauvres. Que le débat porte sur le verdissement de la produc-tion d’énergie ou agricole, les pays en développement soulignent le coût d’ac-quisition des technologies vertes et la nécessité d’organiser le transfert des technologies. Enfin, reste le soupçon que la recherche d’une économie verte per-mette la mise en place de nouvelles bar-rières commerciales à l’encontre des pays les plus pauvres qui n’auraient pu acquérir les nouvelles technologies.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Une expertise pour la biodiversité, la question institutionnelle

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E La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodi-versité et les services services éco-systémiques (IPBES) tient sa pre-mière réunion plénière à Nairobi

(Kenya). Les 366 délégués représentant

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112 pays examinent les modalités et dispositifs institutionnels de l’IPBES, les critères de sélection de l’institution d’ac-cueil ainsi que du siège du secrétariat. Malgré le programme adopté à Busan (Corée du Sud) en juin 2011 et les réso-lutions prises par l’Assemblée générale des Nations unies en septembre, les débats concluent qu’aucun organe de l’ONU ne dispose d’un mandat pour la mettre en place. Repoussant des alter-natives qui auraient mis la nouvelle pla-teforme sous l’autorité du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), ou de l’Unesco, la réunion nomme un secrétariat chargé de cette

institutionnalisation. Les questions insti-tutionnelles et politiques devraient rester sur l’agenda de la prochaine réunion début 2012.

É N E R G I E - C L I M A T

L’Europe souhaite un instrument contraignant

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RE Les ministres de l’Environnement de

l’Union européenne (UE) arrêtent une position commune en vue de la Conférence de Durban (Afrique du Sud) sur le changement climatique

qui s’ouvre en novembre. La Déclaration ministérielle préconise l’adoption d’un

I N É G A L I T É S

Un futur alimentaire assez volatile

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RE L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et

l’agriculture (Food and Agriculture Organization, FAO), le Fonds international pour le développement agricole (Fida) et le Programme alimentaire mondial (PAM)

publient leur rapport annuel conjoint sur l’insécurité ali-mentaire dans le monde (SOFI, 2011). L’augmentation de la consommation alimentaire dans les économies en expan-sion, la croissance continue de la population et la demande accrue de biocarburants devraient rendre structurels voire permanents des prix alimentaires élevés au détriment des pays importateurs nets. L’imbrication croissante entre les marchés agricoles et énergétiques et l’augmentation des pressions climatiques devraient, par ailleurs, maintenir une forte volatilité de ces prix, compliquant les anticipa-tions des petits agriculteurs et les possibilités d’investisse-ments. L’étude conclut donc à la nécessité de politiques agricoles volontaristes contrant ces tendances de fond tout en prévenant que, même si les objectifs du Millénaire pour le développement en termes d’alimentation étaient atteints en 2015, il resterait alors 600 millions de personnes sous-alimentées dans les pays en développement.

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instrument juridiquement contraignant engageant l’ensemble des grandes éco-nomies et non seulement les pays dits industrialisés. Si un tel accord venait à être pris à Durban, l’UE s’engage à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 30 % par rapport à 1990 d’ici 2020 ; une augmentation de 10 % des engagements européens. Reconnaissant néanmoins la difficulté de réaliser cet objectif, l’UE envisage aussi la proroga-tion, pour une période de transition limi-tée, du Protocole de Kyoto après 2012. Cette seconde solution limiterait encore les efforts obligatoires en matière d’émissions aux seuls pays industriali-sés de longue date.

G O U V E R N A N C E

Encadrer le foncier, c’est presque fait ?

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RE Le Comité sur la sécurité alimentaire

mondiale (CSA) tient à Rome (Italie) la deuxième réunion de négociation de Directives volontaires pour une gou-vernance responsable des régimes fonciers des terres, pêches et forêts.

Négociées entre les gouvernements, les agences des Nations unies et les repré-sentants du secteur privé, ces normes doivent encadrer les investissements fonciers internationaux en plein dévelop-pement depuis 2008. La réunion aboutit à l’adoption de 74 % des directives en discussion, y compris sur des questions très sensibles pour les organisations de la société civile comme la reconnais-sance des systèmes fonciers coutumiers, de la tenure des forêts et des zones de pêche ou la protection des défenseurs des droits des paysans, des pêcheurs, des peuples autochtones et des éleveurs nomades. Pour aboutir à un texte com-plet, il faudra en 2012, trouver un

consensus sur des sujets épineux comme les investissements dans l’agriculture ou à la redistribution des terres. Les ONG demandent en conséquence la mise en œuvre des décisions déjà adoptées sans attendre la finalisation des directives.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

La qualité du sol dépend des pratiques des communautés

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RE La Convention des Nations unies

pour combattre la désertification tient sa 10e Conférence des Parties à Changwon (Corée du Sud). Les débats mettent en avant la nécessité de généraliser l’approche par la pro-

tection des terres (landcare approach), une méthode communautaire et intégrée de gestion des ressources naturelles, soucieuse également d’améliorer les conditions de vie. Expérimentée en Aus-tralie, en Islande, en Afrique du Sud comme aux États-Unis, cette méthode permet la restauration et la régénération des sols par les communautés elles-mêmes. En Australie, on estime que les résultats atteignent sept fois les sommes investies. Par ailleurs, la CdP10 adopte quatre objectifs opérationels permettant l’évaluation de la mise en œuvre de la Convention, suivant ainsi l’exemple donné par la République de Corée pour son programme national.

É C O N O M I E

Les ressources durables du tourisme

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RE L’Organisation mondiale du tourisme

(OMT) publie une étude sur le déve-loppement du secteur d’ici 2030. Les projections réalisées sur la base des tendances observées ces dernières

années envisagent que 1,8 milliard de

touristes chaque année visiteront un pays étranger dans les vingt prochaines années, soit en moyenne 43 millions de nouveaux touristes par an. Cet accrois-sement devrait aller de pair avec une modification des flux, faisant de l’Asie du Nord-Est la nouvelle première destina-tion mondiale devant le sud de l’Europe et la Méditerranée. À partir de 2015, les économies émergentes recevront ainsi plus de visiteurs que les économies avancées, pour représenter 58 % des flux en 2030. Soulignant les revenus à attendre d’un secteur aussi dynamique, le rapport insiste aussi sur l’importance d’anticiper dès maintenant l’impact de ces flux pour en faire un facteur de déve-loppement durable.

É C O N O M I E

Dette des pays occidentaux, pression des pays émergents

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RE Les ministres des Finances et les

gouverneurs des Banques centrales du G20 se réunissent à Paris (France) dans un contexte d’approfondisse-ment de la dette dans la zone euro. Les Européens essaient de rassurer

leurs partenaires en s’engageant à adopter rapidement un plan « crédible et global ». Forts de leur bonne santé finan-cière, les pays émergents, conduits par le Brésil, réclament un droit de regard plus important sur les finances mon-diales. Ils en font un préalable pour ren-forcer les réserves du Fonds monétaire international (FMI), aujourd’hui réduites à 400 milliards de dollars et insuffi-santes pour affronter le défaut de paie-ment éventuel d’un pays. Face à l’hosti-lité de la Chine, la question de la convertibilité du yuan est de nouveau reportée à une prochaine rencontre. Seul un accord sur la recapitalisation des

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banques, devant porter le ratio de capi-taux propres de 7 à 9 % dans un délai non précisé, est trouvé. Pour les ONG, telle la Global Finance Initiative, ces décisions restent en-deçà des besoins, notamment parce qu’elles n’apportent pas les règles systémiques attendues en matière de transparence sur les flux financiers, d’évasion fiscale ou de blan-chiment d’argent.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Réglementer la pêche dans le Pacifique Sud

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RE L’UE ratifie la Convention, négociée

en 2009, créant une nouvelle organi-sation régionale de gestion de la pêche (ORGP) en haute mer dans le Pacifique sud – une des dernières

zones océaniques ne connaissant pas de régulation hormis pour la prise de thons. S’étendant des parties plus occidentales du Pacifique Sud aux zones écono-miques exclusives d’Amérique du Sud, la Convention réglementera la prise des poissons non-migrateurs de la région, tels que le chinchard du large et l’ho-plostère orange. Déjà ratifiée par le Belize, les îles Cook, la République de Cuba, le Danemark au nom des îles Féroé et la Nouvelle-Zélande, la Conven-tion doit être ratifiée par au moins 8 par-tenaires, dont 3 États côtiers de la région et 3 pays pratiquant la pêche hauturière, pour entrer en vigueur. En plus de sa propre ratification, l’UE s’engage à faire son possible pour accélérer la ratifica-tion et la mise en œuvre du texte.

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G O U V E R N A N C E

Le multilatéralisme fonctionne pour les déchets dangereux

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RE La Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements

transfrontières de déchets dangereux et de leur élimina-tion tient sa 10e Conférence des Parties (CdP10) à Car-thagène (Colombie). Elle adopte une série de décisions saluées comme marquant un tournant dans l’histoire de

l’institution. Grâce à la médiation conjointe de la Suisse et de l’Indonésie, la CdP10 entérine une interprétation de l’ar-ticle 17(5), satisfaisant à la fois ceux qui voulaient mainte-nir l’interdiction fondamentale pour les pays développés d’externaliser la gestion de leurs déchets dangereux dans les pays en développement et ceux qui veulent s’attaquer aux flux Sud-Sud croissants. Le nouveau Cadre stratégique adopté à Carthagène ouvre, par ailleurs, de nouvelles pers-pectives pour la mise en œuvre de la Convention en la dotant d’objectifs concrets et d’indicateurs de performance mesurables. Enfin, la Déclaration de Carthagène sur la prévention et la minimisation des déchets dangereux reconnaît les déchets comme des ressources valorisables, tout en intimant les Parties d’en minimiser la production et la destruction au plus près de leurs sources. Elle constitue ainsi un nouvel outil de régulation du secteur tout en éta-blissant un consensus sans précédent sur la nature des déchets et la définition de leur valorisation.

La circulation des déchets dangereux est soumise à des règles internationales depuis

1992. La Convention de Bâle travaille à augmenter la sécurité des transports

et à limiter la production de déchets.

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G O U V E R N A N C E

Des règles contre la faim ?

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E Le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA), plateforme des Nations unies rassemblant gouver-nements, organisations internatio-nales, instituts de recherche et

représentants de la société civile, tient sa 37e session à Rome (Italie). Il rappelle l’urgence de voir émerger plus de coor-dination et de volonté politique interna-tionale pour lutter contre l’insécurité ali-mentaire : en 2011, 925 millions de personnes, dont presque 13 millions dans la Corne de l’Afrique, souffrent de la faim, notamment en raison des cours trop élevés des produits alimentaires. Le CSA approuve, par conséquent, les avancées réalisées le 15 octobre en matière d’encadrement des investisse-ments fonciers alors que seuls 20 % des acquisitions transnationales de terres recensées ont conduit à une mise en production. Il dénonce enfin l’accroisse-ment de la production des agrocarbu-rants, entretenue par les politiques inci-tatives des États-Unis et de l’UE. Comme les investissements non productifs, ce soutien de la demande encourage, selon le CSA, la spéculation et la flambée des prix des produits alimentaires.

É C O N O M I E

Le poids de l’illégal

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RE La Convention des Nations unies sur

la corruption tient sa 4e Conférence des Parties à Marrakech (Maroc). L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODOC) publie à cette occasion un rapport estimant

l’ampleur des activités illégales mon-diales à 1 600 milliards de dollars en 2009, soit 2,7 % du PNB mondial. Un

cinquième de ce montant vient des tra-fics de drogues, le trafic de cocaïne générant à lui seul 84 milliards de dol-lars. L’étude montre également que très peu de ces flux sont inquiétés – moins d’1 % du montant global, l’argent sale étant à 70 % blanchi au travers du sys-tème financier, essentiellement en Amé-rique du Nord et en Europe de l’Ouest. Pour lutter contre ces flux, la Convention entrée en vigueur en 2005 et rassem-blant 154 États veut amener le secteur privé à adopter et mettre en œuvre des politiques conformes à la Convention. Tel était l’objectif de la réunion organisée par le Pacte mondial des Nations unies (Glo-bal Compact) pendant la Conférence.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Un plan global pour les océans

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RE La FAO, la Commission océanogra-

phique intergouvernementale de l’Unesco, l’Organisation maritime internationale et le Programme des Nations unies pour le développe-

ment (PNUD) présentent, durant la 36e session de la Conférence générale de l’Unesco, un plan conjoint visant à limi-ter la dégradation des océans. Limiter la surpêche, la pollution, la perte de biodiversité, amener les pays à renou-veler leur engagement à améliorer la gouvernance des océans, l’agenda s’inscrit, pour les quatre agences, dans la préparation de la Conférence des Nations unies sur le développement durable (Rio+20, juin 2012). Parmi les mesures proposées par le Plan pour la durabilité de l’océan et des zones côtières (Blueprint for Ocean and Coas-tal Sustainability), on trouve la création d’un marché mondial du CO2 stocké dans les océans rémunérant directe-ment la protection de l’habitat, le 71

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renforcement la Convention des Nations unies sur le droit de la mer comme des organisations régionales de gestion des océans, le développement d’économies vertes dans les petits États insulaires en développement, la recherche sur l’acidification des océans pour s’y adapter et la réduire ou le développement de règlements luttant contre les espèces invasives marines.

É N E R G I E - C L I M A T

La régulation volontaire du transport maritime

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RE La Sustainable Shipping Initiative (SSI), rassemblant des armateurs, des assureurs, des banquiers, une société de classification technique et un client, lance sa première

feuille de route pour la réduction des émissions de CO2 du secteur. Son approche de la régulation carbone favo-rise la récompense de l’adoption de technologies propres plutôt que l’inté-gration dans un marché de quota. La feuille de route prévoit de rechercher des financements innovants pour facili-ter les investissements dans de nou-velles technologies ; de lever les bar-rières à la transition vers l’usage de carburants et technologies propres ; d’améliorer le cycle de vie des cargos en bannissant les matériaux polluants et en améliorant les conditions de recy-clage et enfin de produire un standard of standards : un cadre de gouvernance global qui compile et trie les codes de conduite et objectifs volontaires exis-tants. Ce cadre volontaire fait le pari de jouer un rôle d’entraînement dans un secteur où 50 % du trafic se fait sous pavillon de complaisance, c’est-à-dire dans un pays différent de la nationalité du propriétaire.

octobre

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É N E R G I E - C L I M A T

La voiture électrique, aussi pour les pays en développement

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E L’université de Makere (Ouganda) présente son prototype de voiture électrique, le premier projet africain à voir le jour. Équipé de deux places assises, le véhicule fonctionnant sur

une batterie au lithium peut atteindre des pointes de 200 kilomètres et dis-pose d’une autonomie de 80 kilomètres. À l’étude depuis avril 2009, le dévelop-pement du véhicule est soutenu par le gouvernement ougandais à hauteur de 10 millions de dollars. Depuis, un cercle d’entrepreneurs nationaux s’est inté-ressé au projet et a commandé le déve-loppement d’un bus de 28 places. Ces entrepreneurs espèrent l’émergence d’un marché national pour des voitures bon marché.

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L’ampleur du fossé

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E Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) publie son Rapport sur le développement humain, placé sous le signe de la durabilité et de l’équité. Le rapport se

félicite des progrès effectués en termes de santé et d’éducation ces quarante dernières années, dans la plupart des pays du monde. Mais il relève également l’aggravation des inégalités dans la dis-tribution des revenus, non seulement dans certaines régions, notamment en Amérique latine, mais aussi au sein de

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novembreG O U V E R N A N C E

L’euro et le G20

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RE Les chefs d’État et de gouvernement des vingt principales

puissances économiques de la planète se réunissent à Cannes (France). La crise de l’euro l’emporte sur tout autre agenda avec la situation grecque toujours incer-taine, à laquelle vient s’ajouter le placement sous surveil-

lance de l’Italie par le Fonds monétaire international (FMI). Le communiqué final engage ainsi le G20 à fournir au FMI des ressources suffisantes pour faire face aux crises finan-cières et instaure un contrôle accru des 29 plus grandes banques du monde, dont quatre françaises. Celles-ci devront d’ici 2013 porter leur niveau de capitaux propres de 7 % à 9,5 % de leurs engagements. La taxation des transac-tions financières et la lutte contre les paradis fiscaux sont évoquées sans que des décisions concrètes soient prises. Enfin, le Sommet de Cannes institutionnalise l’existence d’une troïka, rassemblant les trois pays qui se suivent à la tête du G20 (France, Mexique et Russie), chargée de suivre l’avancée des dossiers. La prochaine réunion est prévue en juin 2012 à Los Cabos, sous la présidence du Mexique.

La crise de l’euro et la stabilité du système financier international

se retrouvent au cœur des discussions du G20 à Cannes.

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plusieurs pays, comme au Brésil et au Chili. Le rapport signale que cette inéga-lité de revenus est souvent aggravée par une inégalité de genre, les femmes étant souvent plus pauvres que les hommes. Enfin, il insiste sur les liens entre inéga-lités et détérioration de l’environnement. La moitié des cas de malnutrition dans le monde sont ainsi dus à des facteurs environnementaux, comme la pollution de l’eau et la sécheresse.

É N E R G I E - C L I M A T

Ne pas oublier la gouvernance

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E Transparency International publie un rapport sur les liaisons entre corrup-tion et climat. Arguant que répondre aux défis climatiques demandera une coopération internationale, des

transformations économiques et des transferts de ressources sans précé-dent, l’étude souligne l’impact négatif de la croissance de la corruption dans des secteurs allant de la réduction des émissions à la gouvernance forestière en passant par les programmes d’adapta-tion. Les 250 milliards de dollars annuels d’investissements publics annoncés dans ces secteurs d’ici 2020 suscitent déjà des appétits et demandent le renforce-ment de la coordination et des procé-dures de contrôle. Ce sont par ailleurs souvent les populations les plus margi-nales politiquement – communautés pauvres, indigènes et rurales, urbains pauvres, personnes déplacées – qui vont souffrir des impacts climatiques les plus violents. Seule une action politique positive en leur faveur peut assurer qu’ils seront bien les principaux bénéfi-ciaires des actions d’adaptation entre-prises, conclut le rapport à quelques semaines de la Conférence de Durban (Afrique du Sud).

É C O N O M I E

Le G20 a la croissance faible et polluante

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E Le cabinet d’audit PriceWaterhouse-Cooper publie l’édition 2011 du Low Carbon Economy Index, mesurant les progrès accomplis par les pays du G20 en matière d’économie verte. En

2010, contrairement à la période 2008-2009, le ralentissement de la croissance ne s’est pas traduit par une réduction des émissions de GES. Au contraire, ces dernières ont crû de 5,8 %, soit plus que le PIB mondial (5,1 %), entraînant pour la première fois depuis 2004 une aug-mentation de 0,6 % de l’intensité car-bone. Les facteurs avancés par l’étude sont multiples : la croissance rapide des économies émergentes à forte intensité de carbone en 2010 (comme la Chine, le Brésil ou la Corée), mais aussi la rigueur de l’hiver, la baisse du prix du charbon par rapport au gaz et le recul du déploie-ment des énergies renouvelables en rai-son du manque de financement. Reste qu’on semble bien loin de la réduction de 4,8 % de l’intensité carbone néces-saire pour limiter le réchauffement cli-matique à 2 °C, regrette l’étude.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Ce poisson que l’on cultive

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E L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organization, FAO) publie un rapport sur l’état de l’aquaculture dans le monde, signa-

lant que le poisson d’élevage représente la moitié du poisson consommé à l’échelle mondiale. La production mon-diale du secteur a augmenté de plus de 60 % entre 2000 et 2008, passant de 32,4 millions de tonnes à 52,5 millions,

et la tendance ne devrait pas ralentir pour être en mesure de répondre aux besoins d’une population mondiale croissante. 89 % de cette production est asiatique et la Chine contribue à elle seule à hauteur de 62,3 %. Une réelle spécialisation est à l’œuvre avec la Chine pour les carpes, la Chine, la Thaï-lande, le Vietnam, l’Indonésie et l’Inde pour les crevettes et la Norvège et le Chili pour le saumon, mais à l’échelle mondiale les petites entreprises restent pour l’instant la règle. Le rapport insiste sur la demande et les initiatives de gouvernance qui se développent aujourd’hui et qui assureront la péren-nité du secteur.

É C O N O M I E

Qui a peur du microcrédit ?14

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RE Le 15e Sommet mondial du microcré-

dit réunit 2 000 délégués de plus de 100 pays à Valladolid (Espagne). Ces sommets sont organisés depuis 1997 par la Campagne mondiale du microcrédit qui vise à aider 100 mil-

lions de familles parmi les plus pauvres du monde, en particulier les femmes, avec le crédit pour l’emploi autonome. Le Sommet de Valladolid revoit cet objectif, atteint depuis 2007, à la hausse : tou-cher 175 millions de familles parmi les plus pauvres du monde, comptant en moyenne cinq membres, soit 875 mil-lions de personnes. Il se donne égale-ment pour objectif de faire franchir à ces 100 millions de familles le seuil de pau-vreté de 1,25 dollar par jour. Le Sommet souligne enfin qu’après avoir bénéficié de soutiens croissants et d’une recon-naissance politique large, le microcrédit est en butte à des attaques fortes, comme celles qui ont conduit son inspi-rateur Muhammad Yunus à démissionner

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de la présidence de la Grameen Bank au Bangladesh sous la pression d’un pou-voir politique inquiet de l’autonomisation économique des femmes.

É N E R G I E - C L I M A T

La mise en garde des scientifiques

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E Le Groupe d’experts intergouverne-mental sur l’évolution du climat (Giec) tient sa 34e session à Kampala (Ouganda). Il présente à cette occa-sion son Rapport spécial sur la ges-tion des risques d’événements

extrêmes et de catastrophes en vue d’une meilleure adaptation aux change-ments climatiques, approuvé par les 62 gouvernements membres. L’étude met en garde contre la forte probabilité que les scénarios les plus extrêmes de l’évolution du climat deviennent une réa-lité. L’augmentation forte des tempéra-tures moyennes et de la fréquence des vagues de chaleur est tenue pour quasi certaine – 90 % de chance. L’augmenta-tion des pluies torrentielles et des varia-tions fortes de la pluviométrie est égale-ment tenue pour quasi certaine – 66 % de chance. Un appel à la responsabilité et la mobilisation des politiques face à l’émergence d’un monde où les événe-ments extrêmes pourraient devenir la norme.

I N É G A L I T É S

Le petit agriculteur et les gros investisseurs

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E 250 organisations de petits agricul-teurs de plus de 30 pays se réu-nissent à l’appel de La Via Campe-sina à Nyéléni (Mali) pour une conférence sur l’accaparement des terres agricoles. Les participants

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partagent leurs expériences et leurs actions face au phénomène. Dans un premier temps, l’objectif est de construire une alliance mondiale contre l’accaparement des terres en plein essor partout dans le monde. Au Mali, plus de 800 000 hectares de terres arables ont été cédés par le gouvernement aux investisseurs selon des baux de trente ans renouvelables. Plus largement, à l’échelle du continent, 30 millions d’hec-tares ont été vendus ou loués. Au niveau mondial, le phénomène atteindrait de 60 à 80 millions d’hectares, mais du fait du caractère secret voire illégal des contrats, il ne s’agit que de la partie visible de l’iceberg. Ces terres sont exploitées par les élites nationales, des multinationales et des fonds financiers qui cherchent à

faire des bénéfices ou à spéculer au moyen de projets d’agriculture indus-trielle, d’exploitation minière, de produc-tion d’agrocarburants, de marchés du carbone, de tourisme, de grands bar-rages, etc.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Le temps des solutions pratiques ?

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E Le PNUE publie un rapport proposant un ensemble de seize mesures qui pourraient chaque année sauver 2,5 millions de vies, éviter de gâcher 32 millions de tonnes d’aliments

ainsi qu’empêcher un réchauffement de la planète de plus de 2 °C au cours des quarante prochaines années. Ces seize

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

De l’importance de la migration des espèces

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E La 10e réunion de la Conférence des Parties à la Conven-tion sur la conservation des espèces migratrices d’ani-maux sauvages, mieux connue sous le nom de Conven-tion de Bonn, se réunit à Bergen (Norvège). Le Programme des Nations unies pour l’environnement

(PNUE) y présente un rapport tirant la sonnette sur les pressions accrues pesant sur les espèces aviaires migra-trices terrestres et marines et demande la mise en place de corridors permettant de maintenir les flux naturels des espèces. Par essence transfrontaliers, ces corridors de pro-tection devraient être définis et gérés par la Convention. Créée en 1979 par un traité international, entrée en œuvre en 1983, la Convention de Bonn constitue déjà un outil fon-dateur du droit international de l’environnement. Elle reste néanmoins une Convention peu ratifiée, laissant ainsi de côté 36 % des terres émergées et les espèces migrantes qui les traversent.

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mesures ciblent les émissions de car-bone noir, de méthane et d’ozone tropos-phériques en favorisant des modes de cuisson efficaces, améliorant le traite-ment des eaux usées, interdisant les véhicules trop polluants, etc. Selon l’étude, ces mesures devraient égale-ment permettre aux pays de réduire leurs dépenses environnementales plu-tôt que d’en créer de nouvelles. Le rap-port veut constituer une source d’inspi-ration pratique pour les négociations climat qui vont démarrer à Durban.

A G R I C U L T U R E

Sols ou productivité, faut-il choisir ?

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RE La FAO publie le premier État des res-

sources mondiales en terres et en eau pour l’alimentation et l’agriculture soulignant le risque pour la sécurité alimentaire de la détérioration crois-

sante des sols dans le monde. L’augmen-tation globale de la production agricole pour répondre aux besoins alimentaires d’une population mondiale croissante mais aussi à d’autres demandes comme les agrocarburants, s’est accompagnée dans trop de régions de pratiques des-tructives pour les sols. Pour résultat, l’étude juge 25 % des terres émergées dans un état de dégradation extrême, 8 % modérément dégradées, 36 % stables et seulement 10 % « en cours de bonification ». Les 20 % restant corres-pondent soit à des terres nues soit à des plans d’eau continentaux. Les régions les plus dégradées se trouvent sur la côte ouest des Amériques, sur les côtes médi-terranéennes, au Sahel, dans la Corne de l’Afrique et en Asie. Réhabiliter ces terres doit, selon le rapport, devenir une priorité dans un monde qui devra nourrir 9 mil-liards de personnes en 2050.

É N E R G I E - C L I M A T

Négocier la suite du Protocole de Kyoto

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La Convention-cadre des Nations unies sur les changements clima-tiques (CCNUCC) tient sa 17e Confé-rence des Parties à Durban (Afrique du Sud). Sans réelle surprise pour les observateurs des négociations, les débats se consacrent à l’avenir du Protocole de Kyoto au-delà de décembre 2012 et à la mise en œuvre des financements climat. L’ac-

cord arraché le 11 décembre, après une prolongation des négociations, prévoit une deuxième période d’engagement de cinq ans du Protocole de Kyoto à partir du 1er janvier 2013. Il engage également les Parties à négocier un autre instrument juridique ou un texte agréé doté de force juridique dans le cadre de la Convention. Cet instrument devra s’appliquer à toutes ses Parties – c’est-à-dire aussi aux pays en développement – et limiter efficace-ment l’augmentation de la température moyenne de la Terre. La prochaine confé-rence aura lieu au Qatar en 2012.

I N É G A L I T É S

Efficacité, partenariat et droits humains

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RE Le 4e Forum à haut niveau sur

l’efficacité de l’aide (High Level Forum on Aid Effectiveness, HLF-4) réunit donateurs et récipien-daires de l’aide publique au déve-loppement (APD) à Busan (Corée du Sud). Entérinant les débats en cours depuis 2005, le Forum de Busan se termine par la création d’un Partenariat global associant

l’ensemble des acteurs concernés par le développement, publics et privés,

selon un principe de responsabilité commune et différenciée. Malgré la promesse d’une mise en place effec-tive de ce partenariat d’ici juin 2012, les organisations non gouvernemen-tales européennes craignent que la Déclaration de Busan ne connaisse pas une meilleure mise en œuvre que la Déclaration de Paris de 2005 ou les Accords d’Accra de 2008 sur l’aide. Les ONG regrettent également le recul du texte final quant à l’affirmation de l’approche de l’aide au développe-ment par les droits humains sous la pression de l’Inde et de la Chine.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Du ciel, une nouvelle vision de la déforestation

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RE La FAO publie une nouvelle esti-

mation de la déforestation dans le monde fondée sur l’analyse de données satellite. En 2005, les forêts représentaient 30 % des

terres émergées, soit 3,69 milliards d’hectares. Depuis 1990, 14,5 mil-lions d’hectares de forêts ont été per-dus chaque année ; ces pertes ont été en partie compensées par la refores-tation mieux mesurée par cette étude. La perte nette s’élève ainsi « seule-ment » à 4,9 millions d’hectares en moyenne par an sur la période. L’étude montre aussi que la défores-tation tend à s’accélérer : 4,1 millions d’hectares entre 1990 et 2000, puis 6,4 millions d’hectares entre 2000 et 2005. L’impact a été particulière-ment net en zone tropicale où la conversion des forêts en terres agri-coles a suivi le rythme de 6,9 millions d’hectares par année en moyenne entre 1990 et 2005.

novembre

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É C O N O M I E

Une critique de l’austérité

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E Le Département des affaires écono-miques et sociales (DAES) des Nations unies publie un rapport pros-pectif sur l’économie mondiale, revoyant à la baisse les perspectives

globales de croissance : 2,6 % en 2012 contre 4 % en 2010. Selon l’étude, l’im-pact de la crise de financement des pays industrialisés sur les pays en développe-ment, jusque-là relativement épargnés, va se renforcer en 2012. Leur crois-sance devrait ainsi se ralentir, voire être profondément remise en cause, si la crise de la zone euro ne trouve pas une issue rapide et si les politiques d’austé-rité continuent à se multiplier. Le rapport conclut à la nécessité d’approfondir la coordination internationale en matière économique afin de favoriser la création d’emploi et les investissements. Il met enfin en garde contre des politiques d’austérité trop sévères qui stopperaient toute dynamique de croissance et plon-gerait l’ensemble des économies dans une trop longue et trop profonde récession.

G O U V E R N A N C E

La corruption se porte bien

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E L’ONG Transparency International publie son rapport annuel sur la cor-ruption dans le monde. 75 % des 183 pays étudiés par le rapport obtiennent ainsi une note égale ou

inférieure à 5 sur 10 – correspondant à une corruption moyenne à élevée. Si la Nouvelle-Zélande, la Finlande ou le Danemark apparaissent comme des pays vertueux peu touchés par la corrup-tion publique, la Somalie ou la Corée du Nord sont présentés comme ceux où les

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décembreÉ N E R G I E - C L I M A T

Les villes toujours volontaires

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E ICLEI, la Fédération mondiale des autorités locales, orga-nise une rencontre des villes engagées sur le climat en parallèle de la Conférence internationale de Durban (Afrique du Sud). Un an après le Pacte signé à Mexico, les

autorités locales réunies par l’ICLEI réitèrent leur volonté d’être des acteurs des négociations climatiques comme de l’action concrète de lutte contre le changement climatique et de l’adaptation. La rencontre aboutit à l’adoption d’une Charte pour l’adaptation, engageant ses signataires à tenir compte des contraintes climatiques dans leurs décisions et à accélérer les efforts réalisés en termes d’adaptation. Les autorités locales parties prenantes doivent ainsi favoriser des modes de transports et de chauffage sobres en carbone, une plus grande résilience aux impacts climatiques – catas-trophes naturelles, inondations, sécheresses, modifications des pluviométries ainsi que le développement d’une écono-mie verte sur leur territoire. Des actions concrètes pendant que les négociations avancent à petits pas.

Conscientes de leur vulnérabilité face aux aléas climatiques, les

grandes villes du monde comme Brisbane (Australie) sont de plus en plus actives dans la prévention des

risques comme dans la limitation des émissions de gaz à effet de serre.

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lois sont le plus contournées. Pourtant, note le rapport, jamais il n’y a eu autant d’initiatives globales ou régionales ou de lois pour endiguer le phénomène. L’ap-plication mise en œuvre des lois reste cependant peu rigoureuse ou systéma-tique. Fort des manifestations en Europe et en Afrique du Nord, le rapport signale enfin que la crise économique augmente l’exigence des opinions publiques en la matière et invite les politiques à s’empa-rer de ce soutien pour faire appliquer les dispositions légales.

É N E R G I E - C L I M A T

L’impact africain

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E Les Nations unies publient, durant la Conférence de Durban (Afrique du Sud), une étude consacrée à l’impact du changement climatique sur le Sahel et l’Afrique de l’Ouest. Insistant

sur les effets déjà discernables aujourd’hui dans 17 pays – compétition sur les ressources, migrations forcées et conflits –, le rapport enjoint les dirigeants à développer des politiques volontaristes d’adaptation. L’étude détaille les varia-tions de températures enregistrées ces quarante dernières années, faisant le lien avec la fréquence et l’ampleur des sécheresses et des inondations. Elle désigne ainsi une série de « points chauds » dans le centre du Sahel, au Niger, au Burkina Faso, sur les côtes ainsi qu’au nord du Ghana, du Togo, du Bénin et du Nigeria, dans lesquels les consé-quences du changement climatique constituent déjà une urgence : la rareté de l’eau douce crée des conflits d’usage entre pêcheurs et fermiers ; la destruc-tion de certaines récoltes force les pay-sans à migrer et augmente les prix ; les inondations créent des mouvements de population mais aussi de troupeaux.

S A N T É

Les maladies négligées victimes de la crise

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E Le Financement mondial de l’innova-tion sur les maladies négligées (G-FIN-DER) publie sa quatrième enquête signalant une baisse de 3,5 % (109 millions de dollars) du finance-

ment de la R&D de 2009 à 2010. Cette baisse s’explique essentiellement par la réduction des contributions du secteur public, qui apportait 65 % du financement mondial en 2010 (2 milliards), 93 % des financements étant apportés par douze contributeurs publics. Selon le rapport, huit de ces douze contributeurs ont dû réduire leurs investissements en raison de la crise. L’effet a été particulièrement important sur les recherches essentielle-ment financées par des fonds publics – le VIH/sida, le paludisme et les maladies diarrhéiques, alors que les recherches sur la tuberculose ou la dengue, disposant de financements industriels substantiels, ont échappé à la crise. L’enquête estime qu’il sera difficile pour les fonds privés de com-penser durablement la réduction des fonds publics. La question est particulière-ment aiguë pour le développement de traitements effectifs et abordables pour les pays en développement qui ont vu leur financement reculer de 47 millions de dollars de 2009 à 2010.

G O U V E R N A N C E

La corruption est aussi une question agricole

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E L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organization, FAO) et Transparency International publient une étude conjointe mon-

trant combien la corruption conduit à

une répartition inégale et à une mau-vaise gestion des terres agricoles. Selon le rapport, dans 61 pays le manque de gouvernance – allant de pots de vin ver-sés à de petits fonctionnaires à des abus de pouvoir à haut niveau de responsabi-lité – explique l’inégal accès aux terres. Il signale aussi le nombre croissant de projets d’agrocarburants implantés dans des pays fragiles et corrompus, au détri-ment des populations locales et de la sécurité alimentaire. En Colombie, 25 000 hectares ont ainsi été transfor-més en plantations de palmiers à huile sans respect pour les droits des petits propriétaires. Pour la FAO, ce phéno-mène demande la définition d’un cadre international pour la gouvernance des investissements privés agricoles.

É C O N O M I E

Le coût croissant de la catastrophe

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E Swiss Re, l’assureur des assureurs, publie une estimation provisoire du coût des catastrophes naturelles et techniques dans le monde en 2011. La valeur des biens assurés détruits

s’élève à 108 milliards de dollars, contre 48 milliards en 2010. Il s’agit du montant le plus élevé depuis 2005 (123 milliards), année où l’ouragan Katrina avait ravagé le sud des États-Unis, et ce malgré le faible taux d’assurance des biens au Japon (35 sur les 210 milliards de dollars de dom-mages). Que ce soit au Japon ou après les inondations en Thaïlande et en Australie, les conséquences économiques dépassent les destructions directes. Journées de tra-vail perdues, manques à gagner, déstruc-turation des réseaux… le rapport estime ainsi les pertes économiques mondiales, assurées et non assurées, à 350 milliards de dollars en 2011.

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G O U V E R N A N C E

Une envie de concret pour Rio+20

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E La 2e réunion intersession de Rio+20 se tient à New York (États-Unis) pour examiner la compilation de toutes les contributions d’États, d’agences des Nations unies comme d’ONG, d’universités ou d’autres

parties prenantes reçues avant le 1er novembre. L’ensemble compte plus de 6 000 pages et traduit les attentes et divergences des acteurs, notamment sur la place à donner à l’économie verte ou l’accès aux ressources naturelles rares ; le choix d’une gouvernance cen-trée sur une agence ou éclatée institu-tionnellement selon les thématiques ; la forme de la déclaration finale ou encore la pertinence des « nouveaux sujets du développement durable », comme la sécurité alimentaire, le prix de l’énergie, l’instabilité financière mondiale ou le chômage. La volonté affichée de tous les participants d’amener Rio+20 à déboucher sur des résultats concrets – des objectifs chiffrés, des méca-nismes additionnels de financement, de transfert des technologies ou de contrôle de la tenue des engagements pris – est néanmoins jugée encoura-geante pour la négociation du texte qui débutera en janvier 2012.

É C O N O M I E

Pourquoi entrer maintenant à l’OMC ?

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E L’Organisation mondiale du Com-merce (OMC) tient sa 8e Conférence ministérielle à Genève (Suisse). Alors que les négociations du cycle de Doha qui doivent normalement s’achever en 2012 semblent au

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point mort, trois pays – la Russie, Samoa et le Monténégro – adhèrent à l’organisation. La Russie négociait son entrée depuis dix-huit ans, battant le record chinois – quinze ans de négocia-tions. L’adhésion à l’OMC, et l’ensemble des accords bilatéraux et changements réglementaires qu’elle impose, est tenue par les impétrants comme un gage de fiabilité économique et une façon d’attirer les investisseurs étrangers.

A G R I C U L T U R E

Le temps du riz sans pesticides serait-il venu ?

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E L’International Rice Research Insti-tute (IRRI) présente, lors d’une confé-rence régionale à Hanoï (Vietnam), un plan d’action contre la delphacide brune du riz, un des plus virulents

ravageurs de la culture. Bousculant les principes de l’intensification prônée depuis les années 1970, ce plan met en cause l’utilisation des pesticides et la réduction de la variété des riz plantés. En détruisant les prédateurs naturels de la delphacide, ces produits altèrent à long terme la production de riz tout en renfor-çant la résilience des insectes aux pro-duits. Ils causent par ailleurs des pro-blèmes de santé humaine importants quand ils sont manipulés, utilisés et mélangés entre eux sans précautions. La concentration des cultures sur quelques variétés, en particulier en Asie, est une autre source d’inquiétude pour les experts car elle favorise la propagation des maladies et des insectes ravageurs. Le plan d’action enjoint ainsi les États asiatiques à favoriser des pratiques plus raisonnées pour la culture de la première céréale consommée au monde, allant de la réduction de quantité de pesticides

utilisées à l’adoption de pratiques agro-environnementales.

É N E R G I E - C L I M A T

La régulation provinciale canadienne

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E Le gouvernement du Québec adopte un système de plafonne-ment et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre (GES) sur son territoire. Obligatoire

dès 2013 pour toutes les industries produisant plus de 25 000 tonnes de GES par an, il sera étendu en 2015 aux entreprises qui importent ou distri-buent des combustibles utilisés dans les transports et le bâtiment. Ce sys-tème s’inscrit dans une stratégie cli-matique plus large de réduction de 20 % du total des émissions de GES de la province par rapport à 1990. Sa décision en fait le deuxième membre de la Western Climate Initiative (WCI), réunissant la Californie et quatre pro-vinces canadiennes (Québec, Ontario, Colombie-Britannique et Manitoba), à adopter un tel système. Annoncée deux jours après le retrait du Canada du Pro-tocole de Kyoto, cette décision marque également la prise de distance entre la province et le gouvernement fédéral.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Les très sociaux quotas de la pêche européenne

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E Les ministres de l’Agriculture et de la pêche des 27 adoptent à Bruxelles (Belgique) un accord sur les quotas de pêche pour l’année 2012. La Commission obtient la

protection accrue de certaines espèces dans certaines zones particulièrement dépeuplées, comme le cabillaud dans

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la zone ouest de l’Écosse. Mais, globa-lement, elle accède aux demandes des pêcheurs français et espagnols, accordant des augmentations pouvant aller jusqu’à + 100 % des prises de cabillaud en mer Celtique et dans le golfe de Gascogne, pour les Français, ou + 110 % des quotas de lotte et + 500 % de ceux de merlan bleu du Nord, pour les Espagnols. Les ministres ont ainsi davantage pris en compte la position économique diffi-cile du secteur plutôt que les avis de prudence des scientifiques relayés par la Commission. Le rejet par le Maroc d’un accord de pêche avec l’Union européenne, le 15 décembre, a sans doute pesé sur ces décisions.

R E S S O U R C E S N A T U R E L L E S

Vers une gestion commune de l’eau en Méditerranée

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E Le premier Forum méditerranéen de l’eau réunit à Marrakech (Maroc) près de 400 représentants de parle-mentaires, autorités locales et terri-toriales, ministères en charge de l’eau, bailleurs de fonds, réseaux

régionaux et ONG. Étape dans la prépa-ration du 6e Forum mondial de l’eau qui se tiendra à Marseille (France) en mars 2012, le Forum entérine huit objectifs régionaux de moyen terme (2020) : améliorer l’efficience dans l’uti-lisation de l’eau ; augmenter la produc-tivité hydrique de l’agriculture pluviale et irriguée ; développer l’utilisation des ressources non conventionnelles (eaux traitées, eaux saumâtres dessalées, recharge artificielle des nappes phréa-tiques) et établir un cadre réglementaire commun à ce sujet ; encourager une gestion intersectorielle des ressources ; articuler les régulations locales et

décembrenationales voire régionales ; encadrer le rejet des effluents industriels dans les systèmes d’assainissement collectif et établir dans chaque pays une stratégie de recouvrement durable des coûts pour les services d’assainissement.

G O U V E R N A N C E

Décréter des villes vertes en Chine

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RE Le gouvernement chinois demande

à l’ensemble des autorités locales de réduire de 10 % les émissions de « polluants majeurs » d’ici 2015. La liste, qui comprend le

dioxyde de soufre ou les métaux lourds mais pas le CO2, vise à améliorer la qualité de l’air et de l’eau, notam-ment dans les zones urbaines où les revendications environnementales ne cessent de se développer. Le gouver-nement chinois annonce également la mise en place de nouvelles mesures de la pollution de l’air dans les zones densément peuplées, comme les villes de Pékin et Tianjin, l’accélération du retrait de la circulation des véhicules enregistrés avant 2005 (considérés comme polluants) et une amélioration des mesures de sécurité dans le sec-teur nucléaire.

É N E R G I E - C L I M A T

L’Europe arrivera-t-elle à taxer les avions ?

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E La Cour de justice européenne, saisie par les compagnies aériennes américaines, juge légale la décision de la Com-mission européenne visant à taxer des émissions de CO2 des compagnies aériennes sur le territoire de l’Union à partir du 1er janvier 2012. La décision prévoit que les com-

pagnies rachètent 15 % de leurs émissions, soit 38 millions de tonnes, au cours du marché. À 8 euros la tonne – le cours actuel –, la mesure devrait ainsi rapporter 256 millions d’euros en 2012. Pour être efficace, la décision prévoit aussi des sanctions : le défaut de paiement serait sanctionné à hauteur de 100 euros la tonne. Reste néanmoins à imposer dans les faits cette décision aux compagnies non euro-péennes. Malgré la décision de la Cour de justice de Luxem-bourg, les compagnies américaines et chinoises ont déjà fait savoir qu’elles ne comptaient pas se soumettre à cette règle. La Commission se donne jusqu’en avril 2013 pour établir le décompte des émissions enregistrées et calculer les sommes dues – ce qui laisse du temps à la négociation.

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Le bilan de l’année 2011 : décryptage des événements clés, identification

des acteurs et analyse croisée des tendances émergentes

du développement durable.

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Tendances, acteurs, faits marquants

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L’année 2011 a été consacrée « année internationale des forêts » pour donner une plus grande visibilité à cette partie essentielle de notre environnement. Les problématiques sont diverses entre

les forêts tempérées du monde développé, qui ont tendance à s’accroître, et les forêts tropi-cales du Sud, qui disparaissent inexorable-ment. Toutefois, ce texte ne vise qu’à présenter quelques aspects qui nous ont interpellés dans le traitement global de la question.

Avant de revenir sur quelques tendances, rappelons tout d’abord que les forêts couvrent 4 milliards d’hectares (un tiers de la surface terrestre) et que cette surface ne diminue « que » d’environ 5 millions d’hectares par an (0,13 %), du fait du recrû forestier et du déve-loppement des plantations qui compensent en partie la disparition des forêts naturelles. Notons aussi que des milliards d’individus dépendent des forêts pour une partie plus ou moins grande de leurs besoins (bois de chauffe ou de construction, produits forestiers non ligneux, plantes médicinales, divers services environnementaux, etc.).

REDD+ accorde une place croissante à la problématique agricoleLa question forestière reste largement dominée par la mise en place progressive du méca-nisme de réduction des émissions issues de la

déforestation et de la dégradation (REDD+), dont le principe est de financer la conservation des forêts tropicales grâce à leur contribution à la lutte contre le changement climatique. Notons à cet égard que les estimations de la part de la déforestation dans les émissions globales de gaz à effet de serre ont culminé à environ un cinquième quand les négociations sur REDD+ ont débuté en 2006, mais qu’elles sont constamment révisées à la baisse depuis lors (certains parlent d’environ 10 %, mais restons conscients des incertitudes majeures dans les mesures). Ceci s’explique en partie par le fait que les émissions issues de la combus-tion des énergies fossiles augmentent forte-ment, alors que celles issues du changement d’usage des terres sont orientées à la baisse, ne serait-ce qu’en raison des grands efforts de plantation. Toutes choses qui tendent à relati-viser l’importance stratégique des forêts pour l’atténuation du changement climatique, sans remettre en cause le moins du monde leur importance primordiale pour d’autres services écosystémiques et la biodiversité.

Le mécanisme REDD+ a été créé officiel-lement lors de la Conférence sur le climat de Cancún (Mexique) en décembre 2010. Concrètement, il se traduit par de nombreuses initiatives, menées à différentes échelles d’in-tervention et suivant des canaux de finance-ment plus ou moins liés à la Convention-cadre

2011 : année forestièreAlain KARSENTY, CiradRomain PIRARD, Iddri

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des Nations unies sur les changements climatiques. Son impact sur l’élaboration des politiques publiques varie énormément selon les pays concernés, mais il est souvent bien réel, au moins en ce qui concerne les intentions affichées par les gouvernements. Par ailleurs, on note cette année que l’agriculture est finale-ment devenue un thème de premier ordre dans les discussions liées au mécanisme REDD+. Ce qui est pleinement justifié si on considère que, durant les dernières décennies, la grande majorité de l’expansion agricole dans le monde tropical s’est faite au détriment des forêts, et que ceci devrait continuer avec des besoins alimentaires qui augmentent rapidement dans le monde en développement. Cependant, la complexité des liens entre agriculture et forêt et la difficulté d’associer en pratique les auto-rités en charge des questions agricoles dans les discussions et financements REDD+ consti-tuent autant d’obstacles concrets et palpables à l’élaboration et la mise en œuvre des solutions de long terme.

Dans le même temps, des divisions appa-raissent de plus en plus clairement à propos du mécanisme entre, d’un côté, les ONG de développement et, de l’autre, les organisations de conservation : les premières sont de plus en plus critiques sur les projets REDD+ que mettent en œuvre les secondes. Ceci a entre autres l’intérêt de mettre en avant le besoin de lier la lutte contre la déforestation à la recon-naissance de droits fonciers locaux et à la mise en place des itinéraires techniques agricoles appropriés localement. Avec 7 milliards de dollars annoncés comme disponibles pour le lancement rapide du mécanisme, les questions liées aux différentes politiques publiques qui affectent les forêts (y compris les politiques agricoles et d’aménagement du territoire) et à la mise en œuvre des mesures nécessaires pour réduire la déforestation reviennent donc en force. Parmi les instruments de plus en plus considérés, on trouve les programmes nationaux de paiement pour services environ-nementaux. Le Costa Rica avait déjà ouvert la voie, le Mexique a suivi et l’Équateur leur emboîte le pas avec le programme Socio Bosque, qui consiste à payer les usagers des

forêts pour la conservation de celles-ci. Si l’efficacité réelle de ces programmes fait l’objet de controverses – beaucoup d’usagers ou de propriétaires des forêts ont reçu des paiements alors qu’ils n’avaient pas l’intention ou l’opportunité de déboiser –, on assiste à un engouement pour ce que certains considèrent comme une nouvelle panacée.

Indonésie : moratoire spectaculaire contre la conversion des forêts naturelles et tourbièresPrenons le cas de l’Indonésie à titre d’illustra-tion de la mise en œuvre du REDD+, ce pays étant éminemment stratégique pour ses vastes ressources forestières et son rythme élevé de déforestation/dégradation.

Une mesure emblématique a été prise dans le cadre de l’accord bilatéral avec la Norvège accompagné des promesses de financement à hauteur d’1 milliard de dollars. Un décret a été émis en mai 2011 afin de mettre fin temporairement à l’octroi de nouvelles licences d’exploitation des forêts primaires et tourbières. Ce « moratoire » de deux ans a été discuté pendant plusieurs années, car bien que son principe soit assez simple, il se heurte à des intérêts économiques extrêmement puissants. De plus, il demande une collaboration inédite entre différents ministères et agences, et son effectivité est directement liée à un ensemble de « détails » dans son exécution : nature des forêts concernées et leur localisation géographique, implication des divers échelons administratifs, inclusion des licences en cours d’obtention, etc. L’ampleur des superficies concernées est donc aujourd’hui débattue, et son application effective reste problématique dans un pays coutumier du manque de trans-parence et de l’application imparfaite de ses lois. Cette mesure concerne au premier chef le secteur des plantations de palmier à huile qui est montré du doigt comme une cause de défo-restation de premier ordre. Elle est à ce titre ambitieuse et mérite d’être étudiée de près, bien que le choix des zones à préserver sous le moratoire puisse être considérée au contraire comme le signe que le sort des forêts d’un pays majeur soit déjà en grande partie écrit…

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L’agriculture dévore les forêts tropicales

De 1980 à 2000, 83 % des nouvelles terres agricoles tropicales ont été prises sur des terres forestières, 97 % pendant la décennie 1990. Protéger les forêts, leur biodiversité et leur rôle régulateur du climat, nourrir la population mondiale… les enjeux restent posés et les réponses en construction.

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Brésil : négociation pour le nouveau code forestierAu Brésil, autre acteur majeur dans la lutte contre la déforestation tropicale, le nouveau code forestier en cours d’élaboration continue d’agiter les esprits des législateurs et l’en-semble des acteurs concernés par l’avenir des forêts du Bassin amazonien. Le débat peut être perçu comme étant à l’avantage de nombre de propriétaires terriens et d’éleveurs. En effet, il remet en question le principe de la « réserve légale » selon lequel, en Amazonie, un proprié-taire doit conserver 80 % de ses terres sous couvert forestier (ce pourcentage change dans d’autres régions du pays). Il pourrait aussi équivaloir à passer l’éponge sur une partie des nombreuses transgressions observées par le passé. En contrepartie, les terres devront être plus rigoureusement enregistrées afin de permettre une meilleure application des lois à l’avenir. Le nouveau code forestier n’est pas sans poser d’énormes problèmes. Par exemple, il absout certains éleveurs de leurs compor-tements délictueux au détriment de ceux qui ont scrupuleusement respecté les lois, et il risque d’augmenter encore le sentiment d’in-certitude associé à la législation sur l’usage des terres forestières. À cet égard, il est important de comprendre que le moindre changement du pourcentage de terres légalement conver-tibles pour l’agriculture entraîne des diffé-rences considérables dans la valeur du foncier. Il est aujourd’hui impossible de se prononcer sur l’impact qu’aura le nouveau code forestier, d’ailleurs encore en cours de validation finale, mais il aura nécessairement des conséquences importantes pour l’avenir de la forêt amazo-nienne. En outre, tout semble indiquer que l’année 2011 se soldera par une hausse de la déforestation au Brésil, après plusieurs années de baisse. Cette augmentation est liée notam-ment à la hausse des prix agricoles qui rend la déforestation encore plus profitable.

Controverses montantes sur le carbone forestierSur un autre plan, le secteur forestier est désormais pris en compte dans l’analyse du phénomène de pressions commerciales sur les

terres, communément qualifié de land grabing (accaparement des terres) par les observa-teurs les plus critiques. Le rapport de l’Inter-national Land Coalition (ILC) mentionne les plantations d’arbres pour l’obtention de crédits carbone dans sa liste des activités constitutives de phénomènes d’accaparement des terres. L’une des premières grandes polémiques concernant l’éviction de populations par une société internationale investissant dans des reboisements avec l’objectif de générer des crédits carbone a éclaté en Ouganda suite à un rapport de l’ONG Oxfam International. Bien que la négociation climat piétine, les projets REDD+ visant à vendre des crédits carbone sur le marché volontaire poussent en effet comme des champignons dans les pays en dévelop-pement. Des dizaines de projets REDD+ sont ainsi recensés à travers le monde, la majorité se situant en Amérique latine et sur des terrains privés (les investisseurs ont besoin de sécu-rité). Le développement de standards de certi-fication tels que le Voluntary Carbon Standard (VCS), censés garantir la qualité des crédits générés par ces projets forestiers, rassure un certain nombre d’investisseurs concernés par les moyens de la conservation au-delà des seuls résultats. Le premier projet certifié VCS a vu le jour au Kenya en 2011. Néanmoins, les investis-seurs espèrent qu’un marché institutionnalisé viendra prendre le relais de ces marchés volon-taires qui restent fragiles et dont l’impact réel sur la déforestation reste très douteux, dans la mesure où ces projets ne s’attaquent pas aux causes du problème et ne font parfois que déplacer la déforestation ailleurs.

L’état de la certificationParallèlement, la certification progresse. Initiée bien avant le mécanisme REDD+, la certification est un moyen de signaler une bonne gestion forestière et de la promouvoir grâce à une prime (toute théorique) dont béné-ficieraient les produits certifiés sur le marché. La certification du Forest Stewardship Council (FSC), qui est le fer de lance du mouvement dans les pays en développement, a continué sa progression en Afrique centrale avec près de 5 millions d’hectares, ce qui en fait la région

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la plus couverte par ce label. Néanmoins, de nombreuses ONG, à l’instar de Greenpeace, cherchent maintenant à freiner voire à défaire cette dynamique dans le bassin du Congo. Au départ, ces organisations pensaient que la certification concernerait avant tout des forêts communautaires. Si ceci s’est vérifié en Amérique latine, il n’en va pas de même en Afrique centrale où les communautés ont des difficultés à surmonter des problèmes d’accès au marché et d’action collective. La certifica-tion tend ainsi à légitimer l’exploitation indus-trielle des forêts, que plusieurs ONG refusent pour leurs conséquences sociales et sur la biodiversité. D’où une offensive sans précé-dent contre la certification FSC « bassin du Congo ». Par exemple, Greenpeace réclame un moratoire sur ce label à cause de l’absence d’un cadre permettant d’assurer une bonne gestion des forêts et de la corruption qui prévaut dans cette région.

Les forêts européennes, quant à elles, pour-raient être soumises à un accord juridiquement contraignant pour en assurer une gestion durable. C’est en tout cas ce qui a été discuté lors de la conférence ministérielle européenne à Oslo en juin qui s’est donné pour objectif un accord en 2013. Cet accord pourrait permettre d’harmoniser la gestion d’espaces forestiers très morcelés sur le continent et, éventuelle-ment, mener au final à des critères de gestion convergeant vers les critères adoptés par les organismes de certification existants.

Beaucoup de bruit pour rien ?Une initiative fait beaucoup de bruit, bien qu’elle ne soit pas assurée de déboucher sur une action concrète, selon les résultats des négociations toujours en cours. Appelée Initiative Yasuni, du nom du parc équatorien dont le sous-sol est riche en pétrole, elle est apparue comme emblématique de la possi-bilité d’une forme de paiement pour service

environnemental à l’échelle internationale. Le président Correa a proposé de ne pas exploiter ce pétrole en échange d’une compensation financière estimée à la moitié des 10 milliards de dollars que pourraient représenter les recettes d’exploitation. Malgré des engage-ments de plusieurs pays, et des souscriptions de particuliers sous l’égide du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), les sommes recueillies ne sont pas à la hauteur des espérances, et l’Équateur pourrait finale-ment décider d’exploiter le pétrole situé dans cette réserve de la biosphère. Si elle réussis-sait, cette expérience – qui pose par ailleurs de nombreux problèmes sur lesquels nous ne pouvons nous étendre ici – pourrait en entraîner d’autres ailleurs dans le monde.

Pour conclure sur un aspect plus anecdo-tique, bien que médiatique, un « sommet des trois bassins forestiers » (Bassin amazonien, Afrique centrale et Asie du Sud-Est) s’est déroulé au mois de mai à Brazzaville (Congo). Cette initiative africaine était destinée à remettre le continent sur le devant de la scène internationale pour la négociation sur le climat et les forêts. À cette occasion, l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’ali-mentation (FAO) a annoncé officiellement les résultats d’une étude sur la déforestation dans les pays des trois bassins ; la perte nette de forêts a été estimée à la baisse – 5,4 millions d’hectares par an pour la période 2000-2010, contre 7,1 millions d’hectares durant la décennie précédente. Malheureusement, la FAO ne communique que sur la déforestation nette, c’est-à-dire qu’elle prend en compte les plantations d’arbres, souvent des espèces à croissance rapide pour fabriquer de la pâte à papier, qui « compenseraient » la disparition d’écosystèmes naturels. D’une certaine manière, ceci illustre comment l’émergence du mécanisme REDD+ a consacré la primauté de l’agenda carbone sur celui de la biodiversité. n

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Où en est le nucléaire dans le monde après l’accident de Fukushima, en mars 2011 ? La réponse à cette ques-tion change évidemment selon le point de vue considéré, que l’on s’in-

téresse aux positions des gouvernements, aux stratégies industrielles des différents acteurs de la filière nucléaire et énergétique ou aux opinions publiques. Elle change surtout en fonction de la zone géographique étudiée.

D’après un sondage d’opinion réalisé par Ipsos entre le 6 et le 21 mai 2011 dans 24 pays 1, seuls 38 % des 18 787 personnes interrogées soutiennent « beaucoup », ou « un peu », le recours au nucléaire civil pour produire de l’électricité (48 % soutiennent l’utilisation du charbon, 80 % le gaz naturel, 91 % l’hydraulique, 93 % l’éolien et 97 % le solaire). Seuls trois pays disposent d’une majorité en faveur du nucléaire : l’Inde, avec 61 % d’opinions favorables, la Pologne, 57 % et les États-Unis, 52 %. Les trois pays où l’opposition au nucléaire est la plus forte sont l’Allemagne, avec 79 % d’opinions négatives, l’Italie, 81 % et le Mexique, 82 %.

Avant l’accident dans la centrale de Fukushima Daiichi, plusieurs facteurs auraient

1. Argentine, Australie, Belgique, Brésil, Canada, Chine, France, Grande-Bretagne, Allemagne, Hongrie, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Pologne, Russie, Arabie saoudite, Afrique du Sud, Corée du Sud, Espagne, Suède, Turquie et États-Unis.

Après Fukushima, état des lieux du nucléaire dans le monde

pu contribuer au « regain » du nucléaire : la prise de conscience grandissante de la réalité et des effets négatifs du changement climatique ; des prix du pétrole toujours plus élevés ; une demande d’électricité toujours plus importante, notamment dans les pays émergents, etc. Mais les chiffres ne confirment pas ce regain. Globalement, seuls 64 réacteurs étaient en construction en 2011, contre un record historique de 233 projets en cours en 1979. Depuis 2002, les nouvelles mises en service de centrales ne compensaient pas les arrêts définitifs de réacteurs. Depuis plusieurs décennies, la part de l’énergie nucléaire dans la production d’électricité mondiale (13 % en 2009) est en déclin et est inférieure à la production d’électricité renouvelable (19,5 %).

D’après le même sondage Ipsos, dans seule-ment un quart des cas au total (26 %), les personnes qui se déclarent aujourd’hui contre le nucléaire affirment avoir changé d’avis suite à l’accident de Fukushima 2. Mais les positions gouvernementales ne reflètent pas toujours les sondages d’opinion. Les réactions des dif-férents pays ont été très diverses. Impossible,

2. Au sein de cette population désormais hostile au nucléaire, la pro-portion de personnes ayant changé d’opinion récemment est d’autant plus forte que la proximité géographique avec le Japon est grande : 66 % des Coréens contre le nucléaire, 52 % des Japonais, 52 % des Chinois, 50 % des Indiens. En revanche, seuls 16 % des Allemands hostiles au nucléaire (qui représentent 79 % de la population alle-mande) le sont devenus suite à Fukushima.

Emmanuel GUÉRIN et Andreas RÜDINGER, Iddri

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ici, de faire le tableau exhaustif des évolutions en cours dans le monde. Nous nous en tien-drons donc à l’analyse des principaux pays.

Baisse du nucléaire en Europe et aux États-UnisEn Europe, l’accident de Fukushima va proba-blement accélérer une tendance à la baisse du nucléaire déjà bien amorcée. Cette accé-lération est réelle dans plusieurs pays qui ont décidé de sortir du nucléaire civil (Allemagne, Belgique, Italie, Suisse). Dans d’autres pays, comme la France, la sortie du nucléaire ne se pose pas dans les mêmes termes, étant donné la place – 75 % environ – qu’il occupe dans la production d’électricité. Mais Fukushima suscite un débat politique, dont l’issue reste incertaine.

Globalement, en Europe, les nouvelles exigences de sécurité dans un monde post-Fukushima remettent en cause les projets de prolongation de durée de vie du parc nucléaire existant (âgé de vingt-huit ans en moyenne). Mais, même en supposant une durée de vie de quarante ans en moyenne, il faudrait rem-placer la majeure partie des 136 réacteurs en service en Europe avant 2025 correspondant à une puissance de 129 GW. Or seules six nouvelles centrales, pour une puissance totale de 6 GW, sont actuellement en construction 3 ; c’est-à-dire moins que les huit centrales mises à l’arrêt en Allemagne en mars 2011 (qui totalisent 8,8 GW) 4. Étant donné le temps de construction très long des centrales nuclé-aires, la part du nucléaire sera inévitablement plus faible en 2025 qu’aujourd’hui.

Aux États-Unis, les mêmes causes produisent les mêmes effets. S’y ajoutent cependant un certain nombre de spécificités locales. L’industrie nucléaire américaine vient à peine de sortir d’un vaste programme de

3. Deux EPR en France et en Finlande (3,2 GW) ; deux réacteurs en Slovaquie (0,78 GW) et deux réacteurs en Ukraine (1,9 GW).

4. Il n’est pas question ici de comparer uniquement les centrales en construction actuellement et les centrales mises à l’arrêt en 2011. Étant donné l’âge du parc, il est probable qu’un grand nombre de cen-trales ne seront plus en fonction dans les prochaines décennies. Et compte tenu des délais de réalisation des projets nucléaires, il est peu probable qu’ils puissent compenser les sorties définitives.

remise aux normes de ses centrales pour en améliorer la sécurité, suite aux attentats du 11 septembre 2001. Là encore, étant donné les exigences de sécurité plus élevées, il est peu probable que la durée de vie du parc nucléaire existant puisse être beaucoup prolongée.

Concernant les projets de construc-tion de nouvelles centrales, il existe deux obstacles majeurs. D’une part, la découverte d’abondantes ressources de gaz non conven-tionnels a considérablement baissé le coût des énergies fossiles, ce qui remet en cause les projets de centrales nucléaires. D’autre part, dans le contexte politique actuel marqué par l’opposition des Républicains, il est quasiment impossible de financer des projets de construc-tion d’infrastructures par des partenariats public-privé. Le nucléaire n’est pas le seul à souffrir de l’absence de soutien public mais, étant donné le niveau et la nature des coûts du nucléaire, il en est l’une des principales victimes.

Augmentation en Chine…Dans les pays émergents, l’accident de Fukushima a suscité une réévaluation des risques nucléaires sans toutefois remettre en cause leur intention de poursuivre, voire d’intensifier, leurs programmes nucléaires. C’est le cas aussi bien en Chine qu’en Inde.

Le nucléaire en déclin ?

Après un net essor dans les années 1980 et 1990, le nucléaire semble être aujourd’hui parvenu à un palier. La production d’énergie mondiale liée à cette technologie stagne et sa part dans la production totale est en diminution.

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La Chine dispose de 14 réacteurs nucléaires en fonctionnement et 34 projets de construc-tion de nouvelles centrales ont déjà été approu-vés, dont 26 sont en cours de construction. En 2010, la capacité nucléaire totale installée était de 10,8 GWe (gigawatt électrique, correspon-dant à la production de puissance électrique), et la part du nucléaire dans la production d’électricité était encore très faible : environ 2 %. Mais le gouvernement prévoit une augmentation rapide et massive des capacités nucléaires installées : une multiplication par six environ du niveau actuel dès 2020, 200 GWe en 2030 et 400 GWe en 2050. Si, en valeur absolue, le développement du nucléaire est spectaculaire, en valeur relative, la part du nucléaire dans la production d’électricité devrait rester faible : 3,75 % en 2020.

En dépit d’une volonté politique non enta-mée de poursuivre et intensifier le développe-ment du nucléaire, le gouvernement chinois a dû donner des gages à une opinion publique et à une communauté internationale de plus en plus méfiantes et inquiètes. L’objectif 2020, qui avait été fixé en 2008 à 40 GWe, et avait été relevé à 70-80 GWe en 2010, a été de nou-veau baissé à 60-70 GWe. Après Fukushima, le gouvernement a lancé une série de tests sur la sûreté des centrales existantes, menée à son terme sans qu’aucune défaillance ou déficience n’ait été officiellement relevée. Il en a été de même sur les projets en cours de construction. Elle a en revanche suspendu l’approbation de nouveaux projets jusqu’à la publication prochaine d’une nouvelle stratégie nationale sur le nucléaire.

… et en IndeL’Inde dispose de vingt réacteurs en fonc-tionnement, pour une capacité totale installée de 4,5 GWe. 39 projets de centrales sont aujourd’hui en cours de construction, approuvés ou à un stade avancé de la discus-sion, pour un total de 45 GWe. La part du nucléaire dans la production d’électricité est également faible : environ 2,5 %.

Le développement du nucléaire en Inde a longtemps été compliqué et ralenti par son absence de participation au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. L’Inde a ainsi été exclue pendant près de trente-sept ans du commerce des composants et des combustibles nucléaires. Le pays a donc construit sa filière de manière autonome, en développant notamment le cycle du thorium, ressource dont elle dispose sur son territoire, à la différence de l’uranium. Un accord international trouvé en 2008 a mis fin à cette situation d’autarcie et pourrait accélérer le développement du nucléaire en Inde.

Fukushima n’a pas provoqué d’inflexion significative dans la stratégie nucléaire indi-enne. Tout juste le gouvernement a-t-il pris le temps d’effectuer une revue de la sûreté des centrales existantes. Elles ont toutes été déclarées sans risque et, contrairement à la Chine, la construction de nouvelles

Une opinion publique désenchantée

Selon un sondage Ipsos de mai 2011 réalisé dans tous les pays recourant à l’énergie nucléaire, seules les populations d’Inde, de Pologne et des États-Unis se déclarent « favorables » ou « très favorables » à cette énergie. La défiance paraît particulièrement marquée en Allemagne, en Italie et au Mexique, où moins de 20 % des personnes interrogées soutiennent le nucléaire.

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centrales n’a pas été suspendue. Les mouve-ments sociaux et environnementaux sont en revanche beaucoup plus structurés en Inde qu’en Chine, et des manifestations ont eu lieu récemment, notamment à Kudankulan, pour s’opposer à la construction de nouvelles centrales.

Fukushima a profondément ébranlé la sûreté du nucléaire…En dépit de ces variations géographiques, partout, Fukushima a changé la façon de penser le nucléaire, sa sûreté, son économie et ses perspectives industrielles.

Toute réflexion sur la sûreté nucléaire doit être la combinaison d’un raisonnement sur la gravité du risque et sa probabilité.

Résultat de défaillances en cascade, l’accident de Fukushima a été classé comme accident majeur de niveau 7, le plus élevé sur l’échelle internationale des événements nuclé-aires (INES). Il y a vingt-cinq ans, l’accident de Tchernobyl pouvait sans mal être imputé aux défaillances d’un système soviétique désuet et sur le déclin. Mais l’accident de Fukushima s’est produit dans un pays moderne, qui d’habitude maîtrise les plus hautes technolo-gies et est particulièrement prévoyant vis-à-vis des catastrophes naturelles. C’est aussi pour cela que Fukushima, plus que Tchernobyl, ébranle les certitudes de certains et leur confi-ance dans le nucléaire. Les conflits d’intérêts manifestes entre l’opérateur – TEPCO – et le régulateur, ne permettent pas de tenir l’accident de Fukushima à distance, et d’en imputer toute la responsabilité aux seuls Japonais.

Au-delà de la gravité du risque nucléaire, c’est tout le raisonnement sur la probabilité d’occurrence d’un accident qui est remis en cause par Fukushima. Jusqu’alors, et malgré les accidents de Three Mile Island (États-Unis, 1979) et de Tchernobyl (Ukraine, 1986), la probabilité d’accident était jugée extrêmement faible, le risque d’un accident majeur étant défini par une probabilité d’un millio nième par réacteur et par an. Comme l’a affirmé André-Claude Lacoste, directeur de l’Agence de sûreté nucléaire française : « Personne ne

pourra jamais garantir qu’il n’y aura jamais d’accident nucléaire en France 5. »

Après Fukushima, garantir la sûreté d’une centrale nucléaire ne peut plus consister à évaluer la probabilité d’un événement et à prévoir les moyens d’y répondre. Il faut aussi être capable de réagir face à une combinaison d’événements imprévus, risquant d’entraîner un accident nucléaire. Fukushima a d’ailleurs montré que le risque de défaillance ne se can-tonne pas à l’intérieur du réacteur, remettant ainsi en cause l’architecture des dispositifs de contrôle et de secours dans leur ensemble.

… son économie…Puisque les normes de sûreté ne pourront plus être les mêmes qu’avant, l’accident de Fukushima modifie également l’équation économique du nucléaire. Avant Fukushima, le nucléaire était déjà caractérisé par ce qu’Arnulf Grubler appelle « l’effet de désapprentissage industriel du nucléaire 6 ». L’apprentissage industriel suppose une baisse régulière des coûts par vagues d’innovations successives sous l’effet des économies d’échelle. On observe aujourd’hui cette baisse des coûts sur la plupart des énergies renouvelables. À l’in-verse, la prise en compte de nouveaux facteurs de risques conduit à une augmentation régu-lière des coûts de construction du nucléaire depuis les années 1970.

Au-delà des coûts directs liés à la construc-tion ou au renouvellement de centrales inté-grant des normes de sûreté plus exigeantes, Fukushima pourrait également conduire les États, qui assurent les opérateurs nucléaires vis-à-vis du risque d’accident et de la gestion des déchets, à les responsabiliser davantage et à revoir leurs obligations de provisionnement. Sous l’effet de ces deux tendances, les courbes de coût de l’électricité produite à partir de centrales nucléaires et à partir des énergies renouvelables devraient se croiser dans la prochaine décennie.

5. Citation du 30 mars 2011, à l’occasion de la présentation du rapport sur la sûreté nucléaire devant l’Assemblée nationale.

6. Grubler A., septembre 2010, “The Costs of the French Nuclear Scale-up: A Case of Negative Learning by Doing”, Energy Policy, vol. 38, Issue 9, p. 5174-5188.

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… et ses stratégies industriellesEn dépit d’une certaine forme d’attentisme de court terme et de façade, le nucléaire a donc de beaux jours devant lui en Chine et en Inde. Mais la Chine, avec ses 78 projets de centrales – pour un total de 88 GWe –, sera-t-elle le sauveur de l’industrie nucléaire mondiale ? Si le développement du programme nucléaire chinois s’est fait initialement à partir de tech-nologies étrangères, d’origine française puis américaine, les Chinois sont de plus en plus

autonomes dans la conception, la construction et les autres aspects du cycle. Toute coopéra-tion internationale avec des entreprises étrangères inclut des clauses de transferts de technologie – et de compétences nécessaires pour le maniement de la technologie.

Les ambitions des pays émergents, Chine et Inde en tête, répondent donc avant tout au désir de structuration d’une filière industri-elle autonome, la part du nucléaire y étant in fine bien trop limitée pour constituer la réponse fondamentale au double enjeu de la sécurité d’approvisionnement énergétique et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cette stratégie industrielle limite grandement le potentiel d’exportation des acteurs nucléaires occidentaux qui, étant données les perspectives de réduction du nucléaire en Europe et aux États-Unis, sont pourtant obligés de trouver des relais de croissance à l’export s’ils veulent rester compétitifs.

Toujours d’après le même sondage Ipsos, seules 27 % des personnes interrogées estiment que l’énergie nucléaire est une option viable à long terme pour produire de l’électricité. En France, 86 % des personnes interrogées déclarent que le nucléaire est une source de production d’électricité qui deviendra – « pro-gressivement » ou « rapidement » – obsolète.

Ce résultat prouve la nécessité pour tous les pays de réfléchir à l’après nucléaire. Pour être apaisé, et surtout pertinent, ce débat ne doit pas porter uniquement sur la question du nucléaire. Il doit porter plus largement sur l’évolution des systèmes énergétiques, la maîtrise de la demande et le développement des énergies renouvelables, ainsi que sur le projet économique d’avenir et sur le modèle de société de demain. Ce débat existe dans certains pays. Aux autres de les suivre. n

Une énergie du passé

73 % des personnes interrogées dans la même enquête estiment que le nucléaire ne constitue pas une énergie crédible pour l’avenir. Paradoxalement, la France et la Suède, qui construisent aujourd’hui des réacteurs EPR de nouvelle génération, figurent avec l’Allemagne parmi les plus convaincues du caractère obsolète du nucléaire.

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Les pays développés, politiques et opinions confondues, obnubilés par leurs propres ajustements structurels et soucieux des coûts de leurs opéra-tions militaires sur d’autres théâtres,

n’ont mobilisé que parcimonieusement les ressources demandées par les organisations multilatérales et les ONG pour la population somalienne en 2011. Cette faible mobilisation témoigne peut-être d’un sentiment d’impuis-sance et d’une incompréhension face à une situation des plus complexes. En effet, dans la crise actuelle de la Corne de l’Afrique, il est bien difficile de dire le poids relatif de la géopolitique régionale, des fractures internes à la société somalienne, de la destruction des économies pastorales 1, agricoles et marines et de la sécheresse. Certes, reconnaître la diver-sité des causes et admettre qu’elles se nour-rissent les unes des autres n’est pas suffisant, mais cela n’en reste pas moins nécessaire.

Des Afriques, des crisesD’une manière générale, l’expression « crise alimentaire » est beaucoup trop simpliste pour décrire la réalité. Au-delà des aléas climatiques, chaque crise doit être analysée au regard de l’histoire des communautés, de leurs relations avec leur environnement, de

1. On a pu dire dans un passé récent que l’embargo sanitaire sur les exportations de bétail somalien vers les pays arabes avait contribué aux tensions entre clans.

Crises alimentaires en Afrique : causes climatiques ou politiques ?

leur insertion dans les États modernes et de leur participation aux échanges mondiaux. Les crises qu’a connues l’Afrique au cours des six dernières années en témoignent. Dans la Corne de l’Afrique même, il faut distinguer les crises qui affectent de manière cyclique les écosystèmes et les sociétés pastorales (2000, 2011) des crises qui affectent les zones densément peuplées des hauts plateaux abyssins (1973, 1984, 2000). Les crises sahé-liennes des années 1970 et 1980 étaient pluviométriques, avec des conséquences à la fois pastorales et agricoles. Les mouve-ments sociaux et politiques qu’ont connus les capitales africaines – au nord et au sud du Sahara – depuis 2008 ont été provoqués par des hausses importantes et subites des prix des aliments et de l’énergie. En Afrique australe, c’est une crise politique induisant une hyperinflation sur fond d’inégalités agraires qui a été à l’origine d’une crise alimentaire au Zimbabwe (2004).

Il faut donc éviter toute forme totalisante d’incompréhension de « la crise alimentaire », qui conduit souvent à une incompréhension de « l’Afrique » en général. « Les » Afriques connaissent « des » crises. Ni plus ni moins que les autres aires régionales d’ailleurs, si on veut bien prendre un peu de recul et consi-dérer la taille, la géographie, les dynamiques démographiques et le poids de la période coloniale sur l’histoire contemporaine du continent africain.

Jean-Luc FRANÇOIS, AFD

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Mobilité et adaptation des sociétés pastoralesLes sociétés pastorales des zones arides et semi-arides qui traversent l’Afrique d’est en ouest, sur les deux tropiques, sont structu-rées de telle façon qu’elles peuvent surmonter d’importantes variations dans les ressources en pâturage et en eau. Outre la domestica-tion des espèces et la sélection des races d’ani-maux, elles ont développé deux types d’adap-tation aux aléas du climat, qui structurent leurs relations sociales, internes et externes : la mobilité et les échanges de bétail. La mobi-lité s’exerce entre des territoires quasi exclu-sivement pastoraux (zones les plus arides) et des territoires agricoles (mieux arrosés) pour lesquels des accords doivent être passés entre éleveurs et agriculteurs. Les trajectoires et l’ampleur des déplacements des troupeaux sont aussi variables que le climat est aléatoire. Cette mobilité va de pair avec des traditions de commerce sur de grandes distances. L’autre solution est la répartition des animaux entre différents troupeaux. Grâce à un système de prêts et de gardiennages dans le cadre d’al-liances tribales, claniques et familiales, il est possible de répartir le risque d’une disparition complète du cheptel familial en le distribuant sur de très grands espaces.

Les États et les économies modernes ne savent pas intégrer ces mécanismes à leur stratégie de développement. D’une part, la sédentarisation est un leitmotiv des politiques agricoles et les frontières modernes ignorent les rationalités pastorales. Il en résulte toujours un appauvrissement des pasteurs. Et autour des zones de sédentarisation, les parcours sur lesquels les troupeaux sont concentrés se dégradent irrémédiablement. D’autre part, l’exploitation agricole des zones humides (irri-gation le long des fleuves, drainage des maré-cages, mise en culture des savanes) empêche les étapes pastorales de saison sèche. Enfin, les solidarités sont affaiblies par le creusement des écarts de statut entre éleveurs et commerçants des mêmes communautés ; la marginalisation politique et sociale des premiers étant accélé-rée par la difficulté à scolariser leurs enfants. Cependant, les politiques pastorales mises en

œuvre par plusieurs pays 2 au Sahel montrent qu’il est possible de construire de nouveaux accords de mobilité, en reconnaissant les terroirs et les itinéraires pastoraux, en bornant – physiquement – leurs contours, en soute-nant des institutions locales de prévention et règlement des conflits, en renforçant les liens entre éleveurs et agriculteurs, en organisant la scolarisation des enfants et, enfin, en donnant accès à des terres cultivables et irrigables à une partie des familles. Bref, en changeant la vie des éleveurs sans les marginaliser ni les séden-tariser totalement. Ce sont des enjeux pour les pays de la Corne de l’Afrique.

Peuplements et migrationsMais cette région a d’autres défis à relever. Sur les hauts plateaux abyssins, comme partout où les exploitations agricoles sont trop petites pour permettre une épargne et où, en bonne année, la production suffit à peine à nourrir la famille, tout accident naturel (sécheresse, ravageurs, inondations) ou événement poli-tique peut s’avérer dramatique. La diversité des cultures, leur association, leur succes-sion, les qualités de précocité et de résistance de chacune des variétés, la répartition des parcelles dans le terroir pour tirer avantages des sols, de l’ensoleillement, de l’altitude, de l’écoulement des eaux, etc., constituent autant de moyens de réduire les effets des aléas du temps sur la production. Mais la réduction de la surface moyenne des exploitations agricoles du fait de la croissance démographique conduit certaines régions à des impasses.

Dès lors, deux options sont à considérer. D’une part, et c’est le plus facile à proposer, des investissements publics qui peuvent changer la donne. Stocker l’eau, la gérer économique-ment, aménager les bassins versants pour restaurer la fertilité des sols, introduire des cultures de plus grande valeur commerciale sous des labels de qualité permet, à l’instar de ce qui a été fait dans les agricultures du sud de l’Europe, de « changer de vie en restant au pays ». D’autre part, et c’est le plus difficile à

2. Au Mali, au Tchad, au Niger et au Cameroun, avec l’appui de l’AFD notamment.

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La famine, à la croisée des problèmes

D’une manière générale, l’expression « crise alimentaire » est beaucoup trop simpliste pour décrire des réalités très variables selon les situations géographiques, socio-économiques ou politiques. Toute forme totalisante d’explication de « la crise alimentaire » masque par nature la disparité des causes et donc des solutions.

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dire et à faire, il faut envisager « un avenir meil-leur ailleurs ». Hors de l’agriculture et/ou hors du terroir natal. Malheureusement, dans les pays en développement, sauf situation spéci-fique, créer des emplois non agricoles dans les

zones rurales à temps plein ou à temps partiel (la pluriactivité) n’a de sens que si l’économie agricole elle-même se transforme radicalement et a besoin de services qu’elle peut rémunérer. Cela renvoie donc à la première option. Le

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départ des zones agricoles « en crise perman-ente » peut se faire vers deux destinations : vers les villes (et au-delà l’étranger) ou vers d’autres régions agricoles. On ne considère souvent que l’exode rural vers les villes. Or l’histoire est faite de migrations de grande ampleur d’un ter-ritoire devenu moins favorable à l’agriculture vers d’autres. Le peuplement des Amériques par les populations fuyant la misère des cam-pagnes européennes en est le dernier exemple majeur. L’Afrique en offre quelques illustrations et surtout des perspectives importantes. Par exemple, la mise en valeur de terres cultivables, voire irrigables, par des agriculteurs « alloch-tones » a été réussie dans le delta intérieur du Niger et les zones libérées de l’onchocercose, en Afrique de l’Ouest. En revanche, les opéra-tions conduites de manière autoritaire sous le régime du Derg en Éthiopie ont conduit à des crises humanitaires. Cependant, et sans ignorer les risques de tensions intercommunautaires que peuvent engendrer ces migrations, elles représentent une partie de la solution pour réduire la pression foncière dans certaines zones structurellement vulnérables à des aléas climatiques et à de trop fortes densités. La ville ne saurait être le seul exutoire, d’autant que la croissance moderne est moins créatrice d’emplois du fait des gains de productivité du travail dans l’industrie. Accompagner par les États, en matière d’infrastructure et de gouver-nance, des mouvements de peuplement de nou-veaux espaces agricoles est probablement plus efficace et plus durable qu’attribuer de vastes espaces à des investisseurs étrangers. On peut même penser que les deux dynamiques pour-raient être complémentaires, dès lors que des relations contractuelles seraient facilitées par une présence régulatrice des pouvoirs publics et la création d’institutions de développement des territoires.

Flambée des prix et crises importéesCertaines crises alimentaires sont aussi des crises des prix, dont les causes ne sont ni clima-tiques ni agricoles, mais commerciales, finan-cières et macroéconomiques. Il en a été ainsi en 2005 au Niger, alors que les greniers de la région la plus productive du pays avaient été vidés par

les bons prix offerts par le marché du Nigeria. Ce fut le cas également à Madagascar en 2002 et au Mozambique en 2011, lorsque la dépré-ciation des monnaies nationales a fait flamber les prix des aliments importés. De même, en 2008, l’affolement des marchés des matières premières (aliments et énergie) a déclenché des émeutes dans un grand nombre de capi-tales africaines. Ces crises-là ont frappé les consommateurs, urbains d’abord, mais égale-ment ruraux. Car, souvent, les agriculteurs sont contraints de vendre à bas prix au moment de la récolte pour racheter ensuite lorsque les cours sont hauts.

Ces événements rappellent que la faim est d’abord générée par les inégalités sociales et la pauvreté qui oblige à consacrer une part importante des revenus à l’alimentation. Ainsi, des populations ont faim même dans des situations d’abondance agricole (comme par exemple au Brésil, puissance agricole s’il en est). Cependant, les pays qui ont le mieux traversé ces périodes sont ceux qui importent peu ou qui ont les moyens financiers d’amortir l’impact des flambées sur les consommateurs. Dans le cas de l’Afrique subsaharienne, la voie à suivre est clairement celle de la relance de la production sur des produits de base qu’elle importe de manière croissante malgré ses avantages comparatifs naturels (le riz, les huiles et de nombreux produits de l’élevage).

Foncier, politique et crise alimentaireEnfin, comme en Amérique du Sud, le conti-nent africain a connu des crises agraires pouvant dégénérer en crise politique et finale-ment en crise alimentaire. Ainsi du Zimbabwe en 2004. On doit s’y arrêter car cette problé-matique dormante ou active – commune à certains pays d’Amérique latine – finit toujours par se mettre en travers du développement. Les inégalités agraires sont un lourd héritage de l’histoire en Afrique australe. Un statu quo dans lequel la grande majorité des agricul-teurs resteraient cantonnés sur de très petites exploitations situées sur des terres « commu-nautaires » les moins productives (non irri-guées, par exemple) ou enfermés dans des statuts de salariés agricoles sans terre, peu

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qualifiés et saisonniers. Cette situation pour-rait ne plus être acceptable socialement et plus tenable politiquement. C’est d’ores et déjà un sujet de sécurité et de paix civile.

Si le « rêve citadin » devient moins attrayant, la revendication foncière sera alors plus expli-cite. Ces inégalités historiques étant à la fois foncières et raciales, elles doivent bien évidem-ment être traitées dans le cadre d’une politique de black economic empowerment 3. Cet objectif est difficile à réaliser sans engagement public résolu. Pour qu’il aille de pair avec le maintien des performances du secteur agricole et agro-industriel, il faut que les « nouveaux fermiers » disposent d’un « capital » suffisant, terme recou-vrant ici aussi bien les compétences nées de l’expérience, les liens sociaux et économiques avec les autres maillons des filières concernées, que l’accès aux financements. Si le transfert de propriété s’effectue à « inégalité foncière constante », si les racines de la crise ne sont pas extirpées mais transférées au sein de la société noire, elles surgiront dans d’autres domaines. Il faut donc créer des exploitations agricoles de taille raisonnable et à haute intensité de main-d’œuvre. Cela suppose, à l’instar de ce qui a été fait dans certains pays de l’ex-Union soviétique, des dispositifs assurant l’insertion des exploitants nouveaux dans des filières qui les connecteront aux marchés. Or, pendant que les pays d’Afrique australe peinent à résoudre ces inégalités agraires, d’autres font le choix de les créer. L’octroi par les États (même avec le consentement des communautés concernées) de très grandes surfaces à des investisseurs, étrangers ou nationaux, avec une rationalité de « mise en valeur rapide », de « modernisation », d’« économie d’échelle », devrait être analysé simultanément en termes d’économie, de sécurité alimentaire, mais aussi de lien social.

3. Programme lancé après l’Apartheid par le gouvernement sud-africain pour réduire les inégalités en accordant des opportunités économiques aux groupes jusqu’alors marginalisés – les Africains noirs, les métisses, les Indiens, les Chinois.

Autrement dit, en termes de risque de « crise à venir ». La comparaison des trajectoires des agricultures exportatrices de manioc, de maïs, de coton et d’hévéa du Brésil et du nord-est de la Thaïlande (région qui connaissait la faim encore dans les années 1970) est à cet égard éclairante. Par leur productivité et leur flexibilité, les exploitations diversifiées de taille moyenne à gestion familiale de l’est de la Thaïlande offrent un modèle à la fois compé-titif au niveau économique et structurant pour la société rurale. Dès lors, il apparaît comme le plus à même d’amortir des crises d’origines diverses (taux de change, volatilité des prix d’un produit, aléa climatique affectant une culture annuelle, etc.).

La dynamique démographique et le réchauf-fement climatique imposent à l’Afrique des transformations structurelles importantes. Au plan de la sécurité alimentaire, son ouverture aux marchés mondiaux présente des avantages et des inconvénients (des prix élevés, bas ou variables). La diversité de son capital naturel (des déserts aux riches terres volcaniques bien arrosées) l’expose à des crises « naturel-les » récurrentes mais offre la possibilité d’une croissance agricole comparable à celle d’autres régions du monde. Les options tech-niques sont connues qui permettent de tirer le meilleur parti de la diversité des ressources naturelles. Mais ce sont sans doute les ques-tions posées par les dynamiques de peuple-ment, leurs implications foncières et sociales qui sont déterminantes. Elles requièrent des engagements politiques et des investisse-ments publics d’autant plus importants que les risques naturels ou politiques sont grands. Reconnaître les droits des communautés, permettre l’accueil de migrants ou encore sécuriser le foncier des exploitants historiques comme des investisseurs sont des défis partic-ulièrement difficiles à relever. Mais les ignorer aidera le ciel et la démographie à transformer aisément des crises sociales et politiques en crises humanitaires récurrentes. n

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La crise européenne de la dette publiquePierre JACQUET, AFD

En 2011, le monde a pointé du doigt l’impéritie financière des États, en particulier dans la zone euro. La crise de solvabilité des finances publiques grecques a atteint par contagion l’en-

semble des pays de la zone. Même les États qui, comme l’Allemagne, brandissent leur vertu comme un étendard, ont eu du mal à se procurer les liquidités nécessaires.

Cette crise atteint les fondements mêmes de la zone euro, car elle met en évidence l’une des lacunes criantes de la construction monétaire européenne : les gouvernements s’y endettent dans la monnaie commune, mais ne peuvent pas compter sur la Banque centrale pour « monétiser » leur dette, c’est-à-dire acheter directement les titres de dette publique, en contrepartie d’une création de monnaie. Ils ne peuvent donc gérer le service de la dette qu’en empruntant à nouveau, ou en faisant porter au contribuable, ou à l’économie nationale, le poids de l’ajustement. Aucune option de finan-cement en dernier recours n’a été prévue. Les investisseurs le savent, et tout signal reçu met-tant en doute la capacité des gouvernements à rétablir la solvabilité de la dette publique peut les amener à refuser de financer leurs emprunts.

Des dettes publiques souvent explosivesDevant l’ampleur de la crise économique de 2007-2009, et de façon particulièrement

spectaculaire pour la Grèce, les gouverne-ments ont clairement choisi de laisser les ratios de dette publique se détériorer (repère 1) après une longue période de quasi stabilité ou d’ajustement plus ou moins marqué. Pour autant, les dettes publiques dans la zone euro sont-elles devenues non soutenables ?

L’un des critères un peu simple, mais utile pour en juger, consiste à observer si le ratio dette publique/PIB est sur une trajectoire de stabilité ou au contraire de croissance explosive. Un petit détour par l’arithmétique de la dette apporte des éclairages intéressants : l’endettement augmente au rythme du déficit budgétaire, qui comprend les versements d’intérêts sur la dette antérieure, auxquels s’ajoute le déficit public hors intérêts, que l’on appelle déficit primaire. Plus le taux d’intérêt et le déficit primaire sont élevés, plus la dette publique s’accroît rapidement et plus le ratio dette publique/PIB tend à augmenter. Cependant, pour un niveau donné de dette, ce ratio diminue avec le taux de croissance de l’économie : une croissance rapide permet donc de supporter une dette publique plus élevée sans détérioration du ratio dette/PIB.

Au total, l’évolution de ce ratio dépend du stock de dette initial, de l’excédent bud-gétaire « primaire » (hors charges d’intérêt) et de la différence entre le taux d’intérêt sur la dette et le taux de croissance. Il est ainsi possible de calculer l’excédent budgétaire

Rien, en effet, de plus fécond en prospérités et en grandeur que l’usage fait par une nation de son crédit, si cet usage est sain et raisonnable, si les sommes qu’elle retire des emprunts ne sont appliquées qu’à des œuvres

utiles […] Rien, au contraire, de plus stérile et de plus dangereux que l’emploi immodéré et téméraire du crédit pour un peuple qui ne le fait servir qu’à des guerres et à des aventures que le soin étroit de son honneur ou de sa sûreté ne justifie pas. […] arrive un jour où le budget, […] ploie, puis succombe sous le poids des charges et des engagements que le passé lui a légués. La France n’en est pas là encore, mais les misères et la honte de

l’insolvabilité, de la banqueroute puisqu’il faut dire le mot, elle les a connues déjà plus d’une fois.

Vührer A., 1886, Histoire de la dette publique en France, Paris, Berger-Levrault, vol. 1, p. 5-6.

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primaire requis pour stabiliser le ratio de dette publique, critère simpliste mais indica-tif de viabilité, et de le comparer à l’excédent observé (repère 2). Suivant que ce dernier est supérieur ou inférieur au premier, le ratio de dette baisse ou augmente. La dynamique de la dette est très sensible au couple taux d’in-térêt/taux de croissance, et une combinaison où le premier est élevé et le second faible, qui caractérise aujourd’hui de très nombreux pays de la zone euro, est explosive. La problé-matique de l’ajustement budgétaire est donc clairement posée.

Or, sauf dans le cas de la Grèce, l’analyse de la dynamique de la dette ne cadre pas bien avec les signaux envoyés par les marchés. Par exemple, on ne comprend pas facilement pourquoi l’Ita-lie a été pénalisée par des spreads (c’est-à-dire des écarts de taux d’intérêt, en particulier avec le taux d’intérêt à long terme allemand, car l’Allemagne fait figure de référence en termes de crédibilité) aussi importants, qui ont consi-dérablement renchéri le coût du service de la dette publique, contribué à l’explosion de cette dette et précipité une crise politique majeure qui a conduit au départ de Silvio Berlusconi. Son ratio de dette est certes élevé, mais paraît moins explosif que celui du Royaume-Uni ou des États-Unis. Le caractère spécifique « zone euro » de la contagion de la panique apparaît ainsi très clairement, et il n’est pas dû à la seule dynamique de la dette publique.

Pourquoi la zone euro ?L’une des explications les plus convaincantes, reprise par l’économiste Paul Krugman (prix Nobel en 2008), repose sur l’idée d’un bascu-lement possible dans un cercle vicieux, du fait de l’absence d’unité décisionnelle et politique dans la zone euro. La banqueroute de la Grèce entraîne deux implications : elle fragilise les autres pays de la zone, notamment par le canal de la dégradation des bilans bancaires, déjà lourdement affectés par la crise de 2008, et elle fait prendre conscience que la banqueroute est possible dans cette zone…

Dans un tel environnement, deux cas de figure sont possibles. Si les investisseurs croient en la capacité d’un gouvernement à

Un endettement de crise

payer sans difficultés le service de sa dette, les taux d’intérêt seront faibles, le gouvernement en question n’aura pas de problèmes, et cela confirmera les investisseurs dans la confiance qu’ils lui font. Si, au contraire, les investisseurs craignent le risque de défaut, les spreads, les taux d’intérêt seront élevés ; le gouvernement aura de plus en plus de mal à satisfaire ses besoins de refinancement, les sociétés seront fragilisées et s’opposeront aux politiques pro-posées. Le risque de défaut augmentera et les investisseurs en tireront les conséquences.

Il y a donc un risque majeur d’anticipations auto-réalisatrices. Notons que ce risque n’existe pas de la même façon pour un pays hors de la zone euro qui dispose, lui, de sa propre Banque centrale. En effet, le gouvernement d’un tel pays n’a jamais intérêt à recourir à l’option de défaut sur la dette publique intérieure car la monétisation de la dette permet de gérer le surendettement, et les investisseurs s’en pro-tègent par une prime de risque qui correspond à l’anticipation d’inflation. Dans la zone euro, cette option n’existe pas, et l’ajustement par la baisse des dépenses publiques et la hausse des impôts peut s’avérer économiquement et socialement impraticable : le risque de défaut ne peut donc être écarté.

La BCE en dernier ressortCette crise représente un moment de vérité pour la zone euro et pour l’Europe. Le risque

En réponse à la crise de 2007-2009, les pays industrialisés, notamment en Europe, ont laissé filer les déficits publics, comptant sur la reprise économique pour préserver la soutenabilité de la dette publique. Aujourd’hui, les restric-tions budgétaires engagées en réponse à la crise de la dette risquent de peser sur la croissance et sur les comptes publics, et d’aggraver la crise au lieu de la résoudre.

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L’arithmétique de la dette

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2à un taux d’intérêt donné, serait susceptible d’ancrer les anticipations des investisseurs et d’éviter les phénomènes de panique conta-gieuse comme ceux qui se sont produits en 2011. On peut penser que l’existence même d’une telle garantie rendrait improbable le besoin d’y recourir, puisque les anticipations seraient stabilisées. Pour en assurer la faisabilité et la crédibilité, il serait indispensable de coupler un tel engagement à un accord également crédible et opérationnel concernant la discipline budgé-taire. À la fin de l’année 2011, la BCE n’a pas pris cet engagement, mais elle a clairement accepté de jouer le rôle de prêteur en dernier ressort auprès du système bancaire, en lui fournissant la liquidité nécessaire et en tablant sur le fait que cette mesure permettra aux banques de continuer à financer les gouvernements.

En soi, cette démarche ne suffit pas. Beaucoup des débats portent sur la résolution d’une crise de liquidités menaçant le refinan-cement de la dette. On invoque tour à tour l’action de la BCE ou encore, de façon non exclusive, le rôle des pays émergents dans le financement du Fonds européen de stabilité financière pour fournir aux États membres les liquidités nécessaires en cas de poursuite de la crise. Mais ces solutions de court terme seront vaines si, dans le même temps, une dynamique crédible d’ajustement budgétaire n’est pas mise en place.

Des dépenses publiques non exceptionnellesLa dette publique a parfois atteint dans le passé des ratios très élevés, qui ont par la suite retrouvé des niveaux plus faibles, montrant que l’ajustement était possible. Ce fut le cas par exemple au Royaume-Uni après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le ratio de la dette britannique a atteint 300 % du PIB (repère 3). Mais il y avait une différence de taille avec la situation actuelle : les explo-sions de la dette publique étaient liées à celles des dépenses de guerre, essentiellement temporaires, qui ont duré le temps du conflit. La période actuelle est la première période de l’histoire dans laquelle l’excès d’endettement est lié à des dépenses publiques permanentes

d’explosion existe, et il faut que les pays membres parviennent à s’entendre sur un mécanisme d’intervention crédible. Un engage-ment de la Banque centrale européenne (BCE) à refinancer sans limites les gouvernements,

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et non exceptionnelles (sauf peut-être à arguer du fait que, jusqu’au xixe siècle, les dépenses de guerre n’avaient rien d’excep-tionnel). L’ajustement nécessaire ne peut donc résulter que de réformes structurelles profondes. Or, il s’agit d’un objectif de moyen et long terme qui entre en conflit avec l’ur-gence de court terme imposée par la logique des marchés financiers.

En effet, l’essence même de l’ajustement nécessaire ne concerne ni le déficit actuel, ni l’intensité de la rigueur qui serait mise en place. Elle concerne plutôt l’évolution de la nature et de la structure des dépenses publiques pour restaurer la solvabilité de ces dernières, c’est-à-dire la capacité des recettes prévisionnelles futures à financer le stock de dette actuel et les dépenses publiques à venir – dans un contexte où le recours à l’alourdissement de la fiscalité offre bien peu d’options. Il faut trouver dans cet ajustement l’occasion de repenser tant les dépenses publiques que la fiscalité, au regard des défis du développement durable et de la « croissance verte et solidaire ». Or, en l’absence de réponse institutionnelle suffisamment convaincante, les gouvernements n’ont en effet d’autre option, pour rassurer les investisseurs, que de rivaliser dans les promesses immédiates de réduction des déficits publics, au moment même où la récession économique appelle au réalisme et à la prudence. Au cœur d’une récession, une contraction budgétaire ne peut atteindre ses objectifs, car elle accentue le ralentissement économique, ce qui contribue aux déficits qu’elle vise à réduire.

Vive la crise !Toute réponse à la défiance des marchés néces-site donc à la fois de parer à l’urgence de façon non ambiguë et crédible, et de mettre en place des réformes de plus long terme, qui porteront à la fois sur l’ajustement budgétaire dans les différents pays et sur l’évolution des institutions européennes : rôle de la Banque centrale à la fois comme prêteur auprès des systèmes bancaires et comme acheteur de dette publique, en dernier ressort ; formalisation de

la discipline budgétaire et de son contrôle ; mise en place d’« eurobonds » ; etc. Les défis et opportunités que présente cette crise sont considérables, tant pour la zone euro et la construction européenne que pour la concep-tion de nouvelles politiques économiques.

La crise peut en effet s’avérer salutaire pour l’Europe, car elle invite les gouvernements à repenser la structure et le fonctionnement de la zone euro, marqués à la fois par l’incom-plétude institutionnelle et la rigidité doc-trinale (et doctrinaire) avec laquelle elle est aujourd’hui gérée. Si chacun en perçoit bien tous les risques, la crise fournit aussi l’inci-tation nécessaire pour dépasser les égoïsmes nationaux et institutionnaliser la solidarité nécessaire entre États membres de la zone euro. C’est la façon dont, historiquement, les institutions européennes ont progressé, pous-sées par une dynamique fragile par laquelle l’insuffisance de coopération s’est traduite par des crises qui ont révélé les coûts et conduit à poursuivre le mouvement d’intégration. Ce qui a chaque fois permis d’avancer, c’est la nécessité de répondre à la crise et la per-ception que seule une solution européenne apportera les réponses adéquates. Comme le montrent les atermoiements des gouverne-ments et des acteurs concernés dans la zone euro, cette perception est loin d’être sponta-née. Un scénario favorable de sortie de crise n’est donc pas assuré. n

Dans le passé, les ratios élevés de dette correspondaient à des dépenses réversibles liées aux efforts de guerre. L’ajustement budgétaire nécessaire repose aujourd’hui sur des choix structurels difficiles en matière de dépenses publiques et de fiscalité.

L’histoire de la dette

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Avant l’accident de Fukushima de mars 2011, nous avions connu succes-sivement une crise alimentaire, imputée largement à tort au déve-loppement des biocarburants (mais

qui doit nous rappeler que la concurrence sur l’usage des terres est une question majeure) et deux accidents d’exploitation pétrolière off  shore marquant combien nous n’hésitons pas à développer notre activité industrielle aux limites, voire au-delà, de notre maîtrise tech-nologique des risques encourus ; mais aussi les dégâts écologiques imputables à l’exploi-tation des schistes bitumineux dans l’extrême nord du continent américain, et l’inquiétude croissante face au développement fulgurant de cette exploitation, malgré les incertitudes qui subsistent sur les risques des techniques de frac-turation aujourd’hui employées. Dans le même temps, 2 400 personnes ont perdu la vie en Chine en 2010 dans les mines de charbon et des dizaines de milliers d’autres subissent encore, notamment en Biélorussie et en Ukraine, les conséquences de l’accident de Tchernobyl survenu il y a plus de vingt-cinq ans. Cette énergie, si dématérialisée lorsque nous la libé-rons d’un simple clic d’interrupteur, et que nos gouvernements et notre industrie énergétique nous promettent « abondante et bon marché » depuis des décennies, pèse en fait lourd dans le bilan humain et environnemental de notre économie.

Des risques variablesBien entendu, tous ces risques ne sont pas directement comparables et soulèvent des questions tout à fait particulières. Les risques

Risques énergétiques : l’heure des choix

géopolitiques attachés à la concurrence sur les ressources peuvent, nous en avons fait l’expé-rience, conduire à de dramatiques conflits ou s’exprimer plus insidieusement par la corrup-tion du fonctionnement démocratique. Les risques industriels attachés aux nouvelles ressources ont ceci de commun que l’acci-dent, rare mais pourtant inévitable, se traduit par des conséquences traumatisantes et sur des échelles spatiales et temporelles parfois très importantes. Pour certains (contami-nation possible des milieux par les produits chimiques de fracturation des roches pour l’ex-ploitation du gaz, ou par les éléments radioac-tifs de déchets nucléaires enfouis), les incer-titudes scientifiques qui demeurent justifient une démarche de précaution : c’est ainsi que le stockage souterrain des déchets nucléaires en France n’a été autorisé que de manière réver-sible, c’est-à-dire de telle sorte que les colis entreposés puissent être, à l’avenir, retirés. Enfin, les accidents miniers plus traditionnels (et par extension les accidents professionnels au sein de l’industrie énergétique) sont intime-ment corrélés aux conditions de travail et donc au contexte économique et politique de l’activité industrielle. Ainsi, en Chine, le taux de mortalité par tonne de charbon extraite a baissé de 70 % en cinq ans, mais demeure cinquante fois plus élevé que celui des pays de l’OCDE, en raison notamment de l’incapacité gouvernementale à fermer les petites mines moyenâgeuses dans un contexte de demande explosive.

En ce début de xxie siècle, chacun de ces événements semble ainsi apporter un démenti supplémentaire à l’arrogante insouciance avec laquelle nous tardons à réformer notre

Michel COLOMBIER, Iddri

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rapport à l’énergie. Après une première alerte dans les années 1970-1980 sur le front des produits pétroliers, les années 1990 ont été marquées par la mise à l’agenda international de la question climatique. Pendant un temps, celle-ci a semblé occulter toute autre préoc-cupation au point que, dans des publications de référence sur l’énergie ou sur la scène politique, la question environnementale a fini par être strictement identifiée à celle de l’effet de serre. De cette polarisation sont nées deux difficultés que nous devons affronter aujourd’hui. La première est évidemment que, dans une période de mobilisation climatique incertaine, les politiques publiques semblent soudain privées de boussole et se replient sur les valeurs sûres des politiques énergétiques historiques (sécurité énergétique, concurrence et prix) qui, prises isolément, n’ont pu éviter les difficultés actuelles quand elles n’en sont pas à l’origine. La seconde est que, en argu-mentant la nécessité de changement sur la seule question climatique, la communauté environnementale n’a pas vraiment réussi à imposer un paradigme nouveau et robuste.

Au fond, rien ne changeÀ force d’entendre parler de transition éner-gétique, d’énergies renouvelables et de smart grids (réseaux électriques intelligents), on a fini par perdre de vue que le modèle énergé-tique mondial n’a pratiquement pas changé depuis bientôt un demi-siècle. Certes, la production d’énergie primaire a doublé depuis le premier choc pétrolier pour atteindre quelques 12,5 giga tonnes équivalent pétrole en 2009 (contre 6,1 GTep en 1973). Bien sûr, on observe également une timide évolu-tion dans la répartition de cette production entre les trois principales sources d’énergie que sont le pétrole, le gaz et le charbon ; le pétrole cédant progressivement sa place dans la production d’électricité au profit des deux autres pour se spécialiser dans le secteur des transports. Mais le fait marquant de cette comparaison, c’est que les énergies fossiles sur lesquelles s’est construite la révolution indus-trielle au xixe siècle et l’expansion technolo-gique et économique du xxe siècle représentent

toujours 81 % de la production énergétique mondiale, contre un peu plus de 86 % en 1973. Même l’atome, symbole de la modernité des Trente Glorieuses, ne gagne que 5 % au bilan primaire et ne couvre en fait que 2 % de la consommation finale de la planète. Quant aux énergies renouvelables, elles sont encore dans l’épaisseur du trait… Au bilan, le verdict est sans appel : la production mondiale de pétrole a augmenté de 40 %, celle de gaz de 170 % et celle de charbon de 180 %.

Au cours de la décennie passée, cette tendance s’est même accélérée, avec une croissance de l’ordre de 30 % de la demande mondiale dont 95 % environ a été assurée par les énergies fossiles et le reste par le décollage des énergies renouvelables, tandis que la production nucléaire stagne. Plus étonnant encore, les experts de l’énergie tablent sur une confirmation de ces tendances à l’avenir.

Énergie, rien ne change ?

Depuis les années 1970, la production énergétique mondiale a plus que doublé. Si la part du pétrole dans cette production a perdu dix points, c’est d’abord au profit du gaz naturel et du nucléaire plutôt que des énergies renouvelables.

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Ils sont unanimes pour affirmer que, dans un contexte de doublement de la demande mondiale d’ici 2050, et en l’absence d’une réo-rientation radicale des politiques publiques, les énergies fossiles pourraient encore représenter près de 70 % de la production primaire au milieu du siècle. Si, dans les limites imposées par les ressources dites « conventionnelles », les hydrocarbures étaient progressivement contraints par la hausse des cours à occuper des marchés plus spécialisés (transports et tout par-ticulièrement transport aérien), l’abondance des ressources charbonnières et leur relative versatilité pourrait pour longtemps encore alimenter l’essentiel de la demande mondiale.

Gaz à tous les étagesDans ce contexte, bien avant la menace loin-taine et parfois abstraite du changement clima-tique ou même celle, régulièrement repoussée par la découverte de nouveaux gisements, d’une « fin du pétrole », telle que certains l’an-nonçaient dans les années 1970, la préoccu-pation centrale des gouvernements a été, et demeure, celle du prix et de la sécurité à court et moyen terme de l’approvisionnement éner-gétique de la « machine économique ». Jusqu’à aujourd’hui, les réponses ont essentiellement reposé sur deux composantes : l’une, exté-rieure et « diplomatique », visant à réduire les risques géopolitiques liés à l’extrême concen-tration des ressources pétrolières et gazières, et l’autre, plus « domestique », cherchant à maxi-miser la production nationale. Jusqu’à la fin des années 1980, ce dernier volet avait toute-fois vu son ambition bridée par la pauvreté des pays de l’OCDE en ressources pétrolières, quelques découvertes majeures mises à part (comme les gisements de mer du Nord). Mais le progrès technologique a depuis le début de ce siècle ouvert un univers vierge et semble-t-il simultanément immensément doté et mieux réparti sur la planète, celui des ressources dites « non conventionnelles ».

C’est ainsi que, après le 11 septembre 2001, l’objectif affiché de l’Administration Bush de réduire la dépendance aux importations pétro-lières en provenance du Moyen-Orient s’est traduit par un assouplissement des contraintes

environnementales afin de promouvoir l’exploitation des ressources non conven-tionnelles du continent nord-américain. Ce même argument a été repris récemment par le président de Total pour en appeler au réalisme sur le dossier des gaz de schiste. Hier encore ressource rare, dont les prix tendaient à aug-menter progressivement sous l’influence de la demande des producteurs d’électricité, le gaz serait devenu en quelques années le nouvel eldorado énergétique, résolvant simultané-ment l’équation de la sécurité (abondant), du prix (raisonnable en comparaison aux cours actuels du pétrole ou aux coûts du nucléaire et des renouvelables) et de l’effet de serre. Ce dernier argument, particulièrement mis en avant aux États-Unis après l’échec des propo-sitions de loi sur l’instauration d’un marché carbone, repose au mieux sur une ambiguïté. S’il est vrai en effet que la conversion au gaz de la production d’électricité actuellement assurée par le charbon permettrait de réduire considérablement les émissions à court et moyen terme, il est vrai aussi qu’en se foca-lisant sur cette solution, on déploierait pour des décennies un modèle énergétique dont les émissions de gaz à effet de serre seraient totalement incompatibles avec la maîtrise du changement climatique.

Un risque peut en cacher un autreTous les exercices de prospective énergé-tique menés ces dernières années à diverses échelles, notamment dans le cadre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolu-tion du climat (Giec), mais aussi au niveau de la Commission européenne ou même par les acteurs de la filière (comme l’association Eurelectric pour l’industrie électrique euro-péenne), démontrent pourtant que les solu-tions de long terme aux défis énergétiques ne peuvent pas être trouvées en se bornant à recomposer l’offre d’énergie. C’est pourtant encore ce discours qui domine, consistant à mettre en avant des arguments d’autorité sur les impasses d’une filière pour lui substituer une autre option d’offre. De manière carica-turale, il s’agit d’accepter un risque pour en éviter un autre. Or le paradoxe est que cette

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fuite en avant de la production énergétique nous conduit vers des scénarios qui ne nous laissent d’autre choix que de subir l’ensemble des risques, à un niveau élevé. Ainsi que nous l’avions montré il y a quelques années sur la base de scénarios de l’International Institute for Applied Systems Analyses (IIASA), toutes les stratégies visant à donner la priorité à une ressource (qu’elle soit nucléaire, fossile, ou renouvelable) se traduisaient in fine par un niveau de risque accru sur l’ensemble des para-mètres étudiés (notamment l’effet de serre, l’épuisement des fossiles, les risques d’accident nucléaire, les déchets ou la concurrence pour l’usage des sols). À l’inverse, les seules straté-gies qui permettaient une réduction radicale de certains risques, sans pénaliser les autres paramètres, avaient en commun un effort radical de maîtrise de la demande énergétique.

La demande d’énergie est la résultante de trois composantes : le développement, qui se nourrit et s’accompagne de la mise en œuvre de nombreux services consommateurs d’énergie

(production industrielle, services collectifs, habitat ou transports) ; la technologie, qui per-met de rendre ces services avec plus ou moins d’efficacité ; enfin, le mode de développement, qui permet de mobiliser cette technologie de différentes manières. Analysons ces trois points sur un exemple précis, en cherchant à anticiper la demande future en carburants à l’échelle internationale. Les économistes nous disent que le développement des pays émergents pourrait conduire au doublement du parc de véhicules mondial d’ici trente ans. En première instance, nous pouvons en conclure que la demande pétrolière pourrait doubler. Mais il faut intégrer deux facteurs supplémentaires : le progrès technologique peut permettre d’envisager sans trop d’optimisme la diffusion d’ici une décennie de véhicules beaucoup plus efficaces ; sur une planète essentiellement urbaine, nous pouvons nous orienter vers une offre de mobilité essentiellement composée de petits véhicules, ou au contraire opter pour le modèle nord-américain et généraliser l’usage

Exploiter les gaz de schiste, les contraintes géologiques

L’exploitation des gisements de gaz de schiste demande des forages techniques à plus de 2 500 mètres de profondeur.

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du « truck ». Ceci nous conduit à conclure que la généralisation du véhicule particulier dans les pays en développement pourrait d’ici trente ans se traduire par une réduction de moitié ou une multiplication par deux de la demande ! Et ceci avant de considérer l’influence des formes urbaines sur la demande de mobilité (combien de kilomètres ?) et sa nature (véhicule parti-culier, transports collectifs, modes doux, etc.). Ce que cet exemple simpliste montre, c’est que l’action sur la demande est un paramètre essentiel à intégrer dans l’élaboration d’une stratégie énergétique, et que l’amplitude des évolutions possibles est comparable à celle des « nouvelles ressources » mobilisables.

Ce raisonnement doit, tout d’abord, s’imposer très en amont pour instruire collec-tivement avec maturité les choix énergétiques de demain. Les risques associés à notre « boulimie » énergétique sont suffisamment alarmants pour que soit réellement pesé le bien-fondé de nos modes de consommation.

Ensuite, la réalisation de ces choix n’est pas toujours simple et requiert, comme du côté de l’offre, un sérieux sans faille dans la mise en œuvre des innovations technologiques, financières et institutionnelles requises. Ces questions avaient commencé à faire une entrée sur la scène politique avec la montée en puissance de la question climatique. Force est de reconnaître que le repli européen actuel sur les thèmes de la sécurité d’approvisionnement ou même de l’efficacité des ressources nous renvoie plutôt aux anciens réflexes. Et que, plus près de nous, après les débats du Grenelle de l’Environnement, le gouvernement a pris des décisions fortes mais peu concertées en matière nucléaire (lancement d’un second réacteur EPR à Panly) puis gazière (gaz de schistes). Dans le même temps, la filière bâtiment attend toujours les décrets qui doivent engager le formidable chantier de rénovation du parc bâti qui avait fait l’unanimité parmi les acteurs du Grenelle… n

Les bassins de gaz de schiste dans le monde

163 000 milliards de m3, c’est l’estimation faite par l’Agence américaine pour l’énergie des ressources mondiales en gaz de schiste. Elles sont presque équivalentes aux ressources mondiales avérées en gaz naturel, 187 000 milliards de m3. Reste le coût d’exploitation et le coût écologique.

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Si les printemps arabes ont provoqué un véritable élan d’espoir au début de l’année 2011, ils ont aussi soulevé des craintes de déstabilisation d’une région perçue comme explosive à de

nombreux égards. La répression violente des manifestations dans plusieurs pays du pourtour méditerranéen, les épisodes de guerre civile en Libye, en Syrie et au Yémen, ont confirmé ces inquiétudes. En Égypte et en Tunisie, pays dont la transition démocratique fait jusqu’à présent (fin octobre 2011) figure de modèle, les gouver-nements de transition devront rapidement donner des gages de changements concrets à leurs populations pour répondre à des attentes politiques et sociales fortes. Or, l’essentiel des difficultés structurelles auxquelles les écono-mies de la zone étaient confrontées avant les événements perdure.

Au-delà des exigences de libéralisation de systèmes politiques paralysés, la crise politique trouve en effet ses racines dans l’essoufflement des modèles économiques et sociaux hérités de la seconde moitié du xxe siècle – dans une région mue par une transition démographique très rapide et soumise aux chocs d’une intégra-tion économique internationale dont elle a peu tiré parti.

Les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (ANMO) ont entamé leurs transitions

démographiques il y a une trentaine d’années, dans le cadre de transformations sociales et économiques majeures : progression de l’alpha-bétisation, diffusion du contrôle des naissances, éducation des femmes et accession à l’emploi, montée de l’individualisme, etc. Après une explosion démographique (de 100 millions en 1950 à près de 400 millions en 2000), la poursuite de ces mutations devrait faire chuter la fécondité qui atteindra, selon les estimations des Nations unies, 2,3 enfants par femme d’ici à 2025. Avec toutefois d’importantes divergences entre des pays comme la Tunisie (1,72 enfant par femme en 2025) qui ont achevé leur transition, et un pays comme le Yémen (3,97), dont la transition démographique est à peine entamée. Le rythme moyen de croissance de la population s’en trouverait alors nettement ralenti, de près de 3 % en 1980 à 1,3 % en 2025. Le jeune âge de la population continuera toutefois de stimuler une croissance démographique soutenue : de 450 millions d’habitants en 2010, la région pas-sera à 560 millions en 2025 puis à 700 millions en 2050, soit une augmentation de 55 % en 40 ans (contre 30 % pour l’Asie et l’Amérique latine). Elle sera alors deux fois plus peuplée que l’Europe, mais conservera le même poids démo-graphique (7 % de la population mondiale).

Cette transition est déterminante pour plusieurs raisons. La vive croissance démographique engendre un défi constant d’approvisionnement énergétique, de sécurité

Sous les pavés du printemps arabe, le chômageThierry LATREILLE, AFD* Olivier RAY, ministère des Affaires étrangères et européennes*

* Les analyses de cet article n’engagent que leurs auteurs.

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alimentaire et de développement urbain (dans les pays du pourtour méditerranéen, deux tiers des habitants habitent en ville ; en 2030, les citadins représenteront les trois quarts de la population). La structure démographique impacte également les besoins d’éducation et d’emplois : les 15-24 ans constituent aujourd’hui la classe d’âge la plus nombreuse dans le monde arabe, et représentent jusqu’à 25 % de la popu-lation dans certains pays (Syrie, Libye, Algérie).

L’ampleur sans précédent des générations de jeunes va se traduire, à mesure qu’ils vieil-lissent, par un gonflement des classes d’âge actif (25-64 ans), ce qui est susceptible de favoriser la croissance économique, comme ce fut le cas en Asie du Sud-Est lors de son décollage ou en Inde aujourd’hui. Encore faut-il que l’offre de travail suive et que les nouveaux arrivants sur le marché du travail disposent du niveau de formation adapté à la demande des entreprises. À court terme, en effet, cette situation génère des tensions fortes sur le mar-ché du travail, notamment pour la population croissante de diplômés. L’augmentation très rapide de la population active (de 3 à 4 % par an actuellement) devrait se poursuivre jusqu’en 2015 environ. L’enjeu de la gestion de ce « pic » de demande de travail est au cœur de la stabi-lité politique de la région, qui connaît le plus fort taux de chômage des primo-demandeurs d’emploi au monde (25 % en moyenne).

D’ici à 2020, selon les estimations, ce sont environ 50 millions d’emplois nouveaux, soit plus de 5 millions par an, qui seront nécessaires pour absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail, les augmentations les plus fortes devant se produire dans les pays à transition lente (Irak, Yémen, Arabie saoudite et Égypte). Ce chiffre sera encore plus élevé si l’on tient compte de la tendance à la participa-tion croissante des femmes dans la population active – tendance timidement engagée depuis vingt ans. À ce défi s’ajoute le fait que les États du Golfe, qui ont longtemps absorbé une part de la main-d’œuvre des pays de la zone ANMO, font de plus en plus appel à une main-d’œuvre asiatique. Cela se combine à l’introduction de politiques de préférence nationale qui pèsent sur les taux de chômage des pays voisins, notamment en Égypte, dont l’Arabie saoudite absorbait traditionnellement une part de la main-d’œuvre.

Une croissance insuffisamment créatrice d’emploisLe tissu économique du monde arabe ne parvient pas à répondre à ces besoins massifs de création d’emplois. Par-delà leur très grande diversité, les économies de la région sont aujourd’hui caractérisées par une forte dualité du secteur productif entre, d’une part, un secteur moderne très intégré à l’économie internationale (générateur de devises, qui a enregistré des gains de productivité impor-tants mais reste exposé aux évolutions de la demande européenne) et, d’autre part, un tissu économique orienté vers le marché intérieur, dominé par des très petites et moyennes entre-prises (TPME) familiales, pénalisées par une faible productivité et des difficultés d’accès aux financements.

Cette dualité est le produit de la volonté politique d’encourager un secteur off  shore moderne, suivant le modèle asiatique. Les acquis de cette politique ne doivent pas être sous-estimés : la croissance de ce secteur pro-ductif extraverti a permis à certains pays faible-ment dotés en ressources naturelles d’atteindre le statut de pays à revenu intermédiaire, grâce à des taux de croissance confortables. Ainsi, au

La population urbaine s’est accrue tout autour de la Méditerranée, mais nulle part avec la même ampleur que sur la rive Sud et Est. Alimentées par des migrations en provenance des régions les plus pauvres, les inégalités se sont progressivement inscrites dans le paysage urbain, avec l’émergence de poches de relégation.

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cours de la décennie 2000, la région ANMO a connu une croissance moyenne de 4,5 % par an.

Mais ce modèle économique extraverti s’essouffle. En effet, si la croissance de la région a contribué à l’émergence timide d’une classe moyenne et à un certain recul de la pauvreté, elle a été insuffisante pour enrayer une forte progression du chômage : les taux de chômage s’établissent au-dessus de 10 % depuis mainte-nant deux décennies en Égypte, en Jordanie, au Liban, en Syrie et en Tunisie 1�. Les analyses du Fonds monétaire international (FMI) consi-dèrent qu’étant donnée la transition démogra-phique, une croissance soutenue de plus de 7 %, à fonction de production identique, serait

1. Ces taux sont toutefois très difficiles à évaluer à cause du travail informel, et parce que certains salaires sont insuffisants pour vivre. De plus, les statistiques sont peu fiables, pour des raisons tant techniques que politiques. La plupart des économistes s’accordent à dire que les taux de chômage avoisinent en réalité les 20 à 25 % dans ces pays.

nécessaire pour, au mieux, maintenir le taux chômage à son niveau actuel.

De nombreux facteurs se combinent pour expliquer cette croissance trop peu dynamique et peu génératrice d’emplois.

Premièrement, les modèles fondés sur une flexibilité du marché du travail peu qualifié et un positionnement sur les segments en aval de l’industrie légère (notamment du textile) ont conduit à un « verrouillage » de ces économies dans des activités à faible valeur ajoutée, dont elles peinent aujourd’hui à sortir. Des pays comme la Tunisie se trouvent ainsi confrontés à la situation paradoxale où les diplômés de l’enseignement supérieur connaissent des taux de chômage nettement plus élevés que les non-qualifiés, faute de débouchés appropriés. Or, les revendications issues du printemps arabe montrent bien que l’enjeu de l’emploi n’est pas seulement quantitatif : la demande

Une population jeune et dépendante

Autour de la Méditerranée, le ratio de dépendance, qui mesure le rapport entre la population inactive (jeunes et seniors) et la population en âge de travailler (de 15 à 64 ans), tend à augmenter. Une telle structure démographique représente un coût pour une économie, car les actifs supportent la charge financière des inactifs. Mais si la rive Nord semble durablement engagée dans l’aggravation de cette tendance, la région ANMO voit cette dépendance se réduire à l’horizon 2020.

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de reconnaissance et de « dignité » implique que les emplois créés soient adaptés aux quali-fications de la force de travail.

Deuxièmement, le contexte international a révélé les fragilités du positionnement de la région dans les flux commerciaux internatio-naux. Les activités économiques destinées à l’exportation ont été frappées de plein fouet par l’arrivée sur le marché international du travail des populations actives de l’Inde, de la Chine et des anciennes républiques soviétiques au cours des années 1990. Non seulement les industries à haute intensité de main-d’œuvre de la région ANMO peinent à rivaliser avec des salaires deux à trois fois moins élevés en Asie pour des pres-tations similaires (textile, industrie de l’électro-ménager, etc.), mais elles peinent également à s’adapter aux exigences du marché européen, dont elles sont structurellement dépendantes.

Troisièmement, l’organisation du secteur privé constitue un important goulet d’étran-glement dans la région. L’augmentation de la contribution du secteur privé au PIB est un enjeu crucial dans des économies encore dominées par un secteur public important, principal employeur, mais qui ne parviendra plus à absorber le flux de jeunes diplômés dans un contexte de politique budgétaire plus res-trictive. Les vulnérabilités du secteur productif de la région sont renforcées par les fragilités d’un secteur financier trop peu performant, excessivement exposé sur les activités les plus

volatiles (tourisme et immobilier notamment), qui ne parvient pas suffisamment à irriguer le tissu des TPME ni à diversifier ses sources de financement.

Enfin, les modèles économiques « rentiers » ne sont pas non plus parvenus à édifier un tissu industriel intégré. Pâtissant du « syndrome hollandais 2 », qui pèse sur la productivité des secteurs non miniers, l’Algérie, l’Irak et la Libye peinent eux aussi à lutter contre un chômage de masse.

Des inégalités sociales…Les inégalités d’accès aux fruits de la crois-sance et aux opportunités économiques ont, elles aussi, largement contribué aux tensions sociales en région Méditerranée.

Si les inégalités matérielles sont globalement plus faibles dans les sociétés arabes qu’en Asie ou en Amérique latine, en matière de cohésion sociale les perceptions d’iniquité sont déterminantes. Or, un double sentiment d’en-fermement, social et spatial, s’est développé à mesure que des populations se trouvaient progressivement exclues des opportunités éco-nomiques. Des calculs récents du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) indiquent notamment que les États arabes voient leurs niveaux d’indice de déve-loppement humain dégradés par les inégalités d’accès à l’éducation et la santé – davantage que par des inégalités de revenus.

Dans les monarchies et les républiques arabes post-indépendances, le « pacte social » entre l’État et sa population a longtemps reposé sur l’idée qu’à la citoyenneté était associé un ensemble de droits économiques et sociaux, à défaut de droits politiques. La partie publique de la redistribution entre « gagnants » et « per-dants » des modèles économique et politique dominants prenait essentiellement la forme de subventions des matières de première nécessité (eau, alimentation, énergie) et d’emplois – l’administration jouant le rôle d’employeur

2. Ce terme décrit la perte de compétitivité qui frappe des économies bénéficiant de rentrées de capitaux significatives, notamment du fait de l’exportation de matières premières, qui tirent à la hausse le taux de change réel ainsi que les salaires de différents secteurs de l’éco-nomie.

Une croissance trop faible ou trop sectorielle ?

Les économies de la zone sont-elles capables de répondre aux besoins et aux aspirations de leur population ? Les politiques menées ont encouragé l’émergence d’un secteur off shore compétitif sur le marché international, mais entraînant peu de redistributions au sein de la population.

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en dernier ressort des jeunes diplômés. Mais cette « citoyenneté sociale » a été mise à mal à partir de la crise économique des années 1980 et de la vague de libéralisation des années 1990 et 2000. Mis à part dans les économies pétro-lières, l’État s’est trouvé contraint de réduire les subventions dans un contexte de hausse tendancielle des prix des matières premières, alors que la vague de privatisations alimentait un sentiment de déclassement parmi certaines franges des classes moyennes (pression sur les salaires, détérioration des conditions de travail et hausse de la précarité).

L’augmentation des inégalités tant verticales (entre classes sociales) qu’horizontales (entre groupes ethnolinguistiques ou confessionnels) a ainsi fragilisé le tissu social, et alimenté la convergence des mécontentements. D’autant que ces impressions de déclassement ou d’exclusion cohabitaient dans certains cas avec des pratiques de prédation économique et de captation de rentes par les pouvoirs en place. En Égypte et en Tunisie, ce sont en effet les jeunes diplômés du supérieur, soumis à de nouvelles formes de précarité, qui ont constitué les cadres des révolutions, rejoints par d’autres « perdants » d’une croissance économique faible en emplois. Bien qu’exprimées différemment selon les pays, les revendications populaires ont ainsi mis en exergue une aspiration à plus de justice sociale et à une répartition plus efficace des richesses.

… et territorialesLes investissements publics ne parvenant pas à suivre la croissance rapide de la popu-lation, des déséquilibres territoriaux se sont également creusés, générant des poches de pauvreté urbaine (quartiers informels ou cités-dortoirs) et rurale (bassins indus-triels sinistrés, zones rurales marginalisées). L’orientation des économies de la région ANMO vers l’exportation et le tourisme a renforcé un développement inégal du terri-toire en privilégiant les capitales ou les zones du littoral. Ainsi le littoral tunisien a-t-il béné-ficié d’importants efforts d’équipement au détriment des régions de l’intérieur. En Syrie, l’axe Damas-Alep a quant à lui capté l’essentiel

des bénéfices de l’ouverture économique des années 2000, délaissant les périphéries. De larges zones rurales des pays des rives Sud et Est de la Méditerranée sont ainsi restées à l’écart du processus de développement, favo-risant l’essor de cultures, voire de trafics trans-frontaliers illicites et provoquant la perte de contrôle de pans entiers de territoires par les autorités nationales (Sud algérien, Yémen, péninsule du Sinaï, etc.).

Alimentées par d’importants mouvements de migration en provenance des zones les plus pauvres et marginalisées, les inégalités se sont progressivement inscrites dans le paysage urbain – moyennes et grandes villes confon-dues. L’émergence de poches de relégation urbaine à partir des années 1980 a suscité la multiplication de réseaux de solidarité privée, notamment confessionnelle, en lieu et place des dispositifs de solidarité publique. Dans les quartiers d’habitations informelles et autres zones de relégation urbaine, l’insuffisance d’infrastructures publiques et la situation de précarité foncière des populations leur interdisent d’investir durablement dans l’amélioration de leur habitat. Il en résulte une détérioration des conditions de vie, mais aussi une inégalité d’accès aux opportunités économiques et aux services publics.

Désamorcer la bombeLe succès de la transition politique amorcée par ces printemps arabes dépendra donc de la capacité des pays de la région à négo-cier des transitions économiques et sociales de grande ampleur – seules à même de désa-morcer certaines des causes profondes du malaise contemporain. Il sera extrêmement difficile de lancer des réformes structurelles aux effets de long terme dans une période de turbulences, où les attentes sociales sont fortes. Les gouvernements de la région n’ont pour-tant pas d’autres choix que de se lancer à la conquête de nouveaux modèles de croissance, plus robustes et plus inclusifs, mais également efficients et compétitifs, s’ils souhaitent désa-morcer la « bombe sociale » que constitue le chômage d’une jeunesse consciente du pouvoir de la mobilisation. n

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Vicissitudes du cycle de négociations commerciales multilatérales engagé à Doha en 2001, lenteur des négo-ciations sur le climat et tentative de faire émerger le G20 comme struc-

ture première de gouvernance, l’année 2011 a diversement mis en relief le besoin de gouver-nance mondiale comme les difficultés de sa mise en œuvre. Chacun de ces trois exemples illustre finalement les limites de l’architecture actuelle de gouvernance, faite d’un enche-vêtrement d’organisations multilatérales, de dynamiques de club et d’approches unilaté-rales ou bilatérales.

Négociations par cercles concentriques à l’OMCUn commerce relativement ouvert, et sans discrimination, peut être considéré comme un bien public mondial : les qualités d’ouver-ture et de non-discrimination profitent à tous les pays sans rivalité possible, tandis que les possibilités d’exclusion d’un fournisseur de ce bien restent limitées – à tout le moins au sein de l’institution qui en garantit la provi-sion, l’Organisation mondiale du commerce (OMC). À ce titre, 2011 marque les dix ans du cycle de négociations à l’OMC entamées à Doha, avec un résultat pour l’instant déce-vant. Certes, le précédent cycle (Uruguay)

Apprentissage et expérimentations dans la gouvernance des biens publics mondiauxPierre JACQUET, AFD Tancrède VOITURIEZ, Iddri

avait aussi été fort long – près de neuf ans (1986-1994). Le problème aujourd’hui est non seulement celui de la durée, mais surtout celui du manque de perspectives. Les modalités de négociation sont-elles en cause ou l’agenda n’est-il pas le bon ?

Après l’échec de la réunion de Cancún en 2003, Pascal Lamy – alors Commissaire européen au Commerce – avait proposé un ensemble d’améliorations, « modestes mais réalisables », en tout premier lieu sur la préparation et la gestion des conférences ministérielles. Parvenu à la direction de l’OMC deux ans plus tard, Pascal Lamy a mis en œuvre ses recommandations. Les minis-térielles ont été préparées plus en amont, les plages de négociation étendues et un format nouveau est apparu, la « mini-ministérielle », réunissant un groupe consultatif d’États membres. Représentant la diversité des points de vue, ces rencontres s’efforcent d’aplanir leurs différences avant de soumettre le fruit de leurs négociations à des groupes de pays de plus en plus nombreux (pour parvenir à une convergence de vues de plus en plus large) selon l’approche dite « concentrique » de la construction d’un consensus.

L’approche par « cercles concentriques » et la préparation des textes de négociation très en amont au sein de neuf groupes thématiques

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dédiés aux questions d’accès au marché 1�

ont été tout près de déboucher sur un texte d’accord en juillet 2008. L’Inde et les États-Unis ne sont toutefois pas parvenus à s’entendre sur les mesures de sauvegarde spéciale en matière agricole. La règle de l’engagement unique (single undertaking) selon laquelle « rien n’est convenu tant que tout n’est pas convenu » écar-tait de fait toute possibilité d’accord global.

Des difficultés procéduralesÀ l’initiative des pays les moins avancés (PMA), et avec le renfort des Basic (Brésil, Afrique du Sud, Inde, Chine), notamment la Chine, les pays membres ont tenté durant les six premiers mois de 2011 de préparer un « paquet restreint » incluant des sujets favorables aux PMA : accès aux marchés extérieurs libre de droits et de quotas, traitement préférentiel en matière de services et élimination « ambitieuse et rapide » des subventions au coton. Las, l’idée a été abandonnée en juillet 2011, faute de soutien américain, au motif qu’un préaccord partiel obérerait les chances d’obtenir un accord complet dans la foulée, les négociations s’épui-sant d’elle-même après un premier succès.

Le problème est-il donc plus substantiel que procédural ? Conçue comme une machine à accroître l’accès aux marchés par échange réciproque de baisses de droits de douane, l’OMC met un principe central – la récipro-cité – au service d’un objectif unique – l’effi-cacité. Rebaptisé « cycle du développement » quelques semaines après son lancement, le cycle de Doha autorise dans les faits les pays en développement (PED) à déroger au principe de réciprocité en libéralisant « moins » leur propre marché que leurs partenaires commerciaux de l’OCDE. Tout cela pourrait paraître inefficace au sens des avantages comparatifs considérés d’un point de vue statique : les plus grands gisements d’efficacité résident en effet dans la

1. Il s’agit des groupes de négociation sur l’accès au marché ; sur les règles (mesures antidumping, subventions, accords commerciaux régionaux) ; l’agriculture et son sous-comité coton ; les services ; les indications géographiques et le système multilatéral d’enregistre-ment de la propriété intellectuelle ; l’environnement ; le règlement des différends ; les questions de mise en œuvre en suspens ; le traite-ment spécial et différencié des pays en développement.

libéralisation des marchés dits « du Sud » où les protections tarifaires sont en moyenne plus élevées qu’au « Nord ».

Par ailleurs, le pari fait par les États membres de l’OMC à la naissance de l’organisation était que le bilatéralisme n’était pas un frein au multilatéralisme. Tout au contraire, il l’encou-rageait, le facilitait et le précédait. L’idée n’était pas idiote : en facilitant l’apprentissage mutuel, ces négociations pouvaient aider à la conclusion d’accords globaux entre parties mieux informées des conditions et contraintes rencontrées dans les différents pays. L’impasse actuelle des négociations multilatérales est donc aussi celle de ce mode d’apprentissage : le bilatéralisme ne permet pas l’émergence d’une intelligence collective pour définir les contours d’un accord négociable à 153 pays.

Définir le collectif au G20Dans la foulée de la présidence coréenne en 2010, la présidence française du G20 en 2011 a poursuivi un agenda particulièrement ambitieux, visant à transformer l’organe de gestion de crise en structure de gouvernance des grands sujets économiques mondiaux : sécurité alimentaire, stabilité et régulation financières, réforme du système monétaire international, régulation et transparence des marchés, paradis fiscaux, régulation sociale de la mondialisation, développement, etc.

Cette nécessaire transformation impose de surmonter une sorte de confusion des genres. La gestion de crise, faite de réponses de court terme, n’appelle pas la même démarche que la prévention des crises ; à savoir la double capacité, dans la durée, à réduire la probabilité de nouvelles crises et à préparer la réponse à celles qui ne manqueront pas de se produire. Cette tension entre le court et le plus long terme est au cœur d’un hiatus permanent entre les avancées, lentes mais réelles, que permet le G20, et la perception d’insuffisance, voire d’échec, véhiculée par de nombreux commen-tateurs déçus.

Pourtant, le G20 innove doublement par rapport au G8 : d’une part, sa légitimité est plus grande, puisqu’il associe un nombre plus important de pays dont les grands émergents.

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D’autre part, sa pertinence est également supérieure, puisque la plupart des problèmes d’action collective internationale ne peuvent aujourd’hui être abordés sans une participa-tion active des pays en développement, en particulier ces pays émergents. Cependant, il se heurte à plusieurs problèmes.

Tout d’abord, sa légitimité reste partielle et incomplète. La liste des membres résulte de la formation de ce groupe en 1999, sous un format de réunion des ministres des Finances et des gouverneurs de Banques centrales sous l’égide du Fonds monétaire international (FMI), à un moment où le rétablissement de la stabilité financière internationale nécessitait un élargissement du G7. C’est à partir de 2008 que sont instaurées les réunions au sommet, puis en 2009 à Pittsburgh que les chefs d’État désignent le G20 comme « le forum prioritaire de [leur] coopération économique internatio-nale » (paragraphe 19 de la déclaration). Mais si le G20 représente près des deux tiers de la population mondiale, et pas loin de 90 % du

PIB mondial, il n’en reste pas moins que ceux qui en sont exclus ne considèrent pas ses déci-sions comme légitimes ou exécutoires.

Il y a de fait une tension irréductible entre l’impératif de légitimité et la nécessité de struc-turer l’action collective à partir d’une force d’initiatives, qui relève plutôt d’une approche de type « club ». L’une des caractéristiques de la présidence française a été d’ouvrir le plus possible les réunions du G20, non seulement à l’ensemble des institutions multilatérales, mais aussi à des pays non membres et de pousser à la prise en compte de thèmes d’ampleur glo-bale. Ensuite, la visibilité du G20 et l’existence de sommets au plus haut niveau créent un impératif de résultats de court terme qui entre en conflit avec le besoin de gouvernance dans la durée. Les sommets cristallisent l’attention et l’on en attend des décisions marquantes, susceptibles de résoudre des problèmes, plutôt que simplement des approches nouvelles et coordonnées. La sécurité alimentaire est un cas d’école : c’est un défi de long terme, qui appelle

Le bilatéralisme se porte bienR

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Le monde connaît depuis les années 1990 un effort important de création d’institutions collectives à la hauteur des différents défis globaux identifiés – environnementaux comme économiques. Cependant, cette gouvernance reste d’abord le fait d’États qui peuvent préférer, comme ici dans le cas du commerce, des accords bilatéraux et régionaux, avec leurs rapports de force, leurs incertitudes, à des règles globales, universelles et prédictibles.

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des actions conjointes dans la durée. En 2011, le G20 a initié en la matière un certain nombre de démarches (voir chapitre 12) ; mais l’impact de ces mesures ne saurait être immédiat, et elles n’excluent malheureusement pas qu’il y ait de nouvelles alertes alimentaires en 2012 et au-delà. On retrouve l’hiatus entre l’urgence de court terme et les actions de long terme mentionnées ci-dessus. Enfin, la succession des présidences nationales et de travaux engagés sur une base calendaire crée un biais en faveur du renouvellement annuel des sujets traités et requiert un effort pour assurer la continuité de l’action et de son suivi. L’existence d’une Troïka, composée de la présidence actuelle du G20 et des deux présidences passées et à venir, susceptible d’assurer la continuité des priorités a été institutionnalisée par le Sommet de Cannes.

Force de proposition collectiveAinsi, l’idée que le G20 soit un « directoire » de l’économie mondiale est inadaptée. Il s’agit plutôt d’un lieu favorisant l’émergence d’une vision politique partagée, d’objectifs communs qui orienteront ensuite les actions nationales, publiques et privées. Il peut ainsi assumer une fonction d’orientation politique qui fait aujourd’hui largement défaut et s’affirmer comme une force de proposition collective, et non comme une enceinte formelle de décisions exclusives.

Tant le basculement des pouvoirs à l’œuvre dans l’économie mondiale que l’émergence d’urgences dans l’action collective interna-tionale appellent au retour d’un débat sur la « grande politique ». Celle qui pose les valeurs communes et une vision partagée, par oppo-sition à la « petite politique » qui, à l’intérieur d’un cadre donné, va gérer les inévitables diffé-rends entre pays. Mais ce rôle, nécessaire pour le G20, n’est pas aujourd’hui explicitement formulé.

Au total, le G20 apparaît comme une réponse utile, mais encore insuffisante, aux besoins de gouvernance mondiale. En 2011, le G20 a contribué à faire de la surveillance macroéconomique internationale un sujet d’intérêt collectif. Sans résoudre directement

les problèmes, c’est un premier pas, le seul vraiment réaliste à ce stade, qui renforce au demeurant le mandat de surveillance dévolu au FMI. Sur la sécurité alimentaire et la vola-tilité des prix agricoles, le G20 a eu le mérite de partager au plus haut niveau le diagnostic conjoint établi par les institutions multilaté-rales et d’engager un ensemble de démarches collectives et coordonnées, qui faisaient défaut jusqu’à présent.

Le défi est donc double : assurer le suivi et la cohérence des engagements pris dans la durée (et non plus seulement d’un G20 à l’autre) et assumer un rôle de leadership politique pour coordonner les actions d’un ensemble d’acteurs, au premier rang desquels les gou-vernements et les institutions multilatérales (Banque mondiale, FMI, OMC, Nations unies) et régionales.

Apprentissage et expérimentation : le cas exemplaire du climatLes négociations sur le changement climatique se sont achevées à Durban en décembre 2011 par un compromis politique (la « plateforme ») autour d’un accord global de réduction des émissions de gaz à effet de serre dont la forme juridique sera « un protocole, un autre instru-ment légal ou une solution concertée ayant une force légale ». Une seule option devra être choisie en 2015, pour application en 2020. Au-delà du choix des mots, l’accord politique marque la disparition d’un principe structu-rant les négociations jusqu’à présent – et expli-quant en grande partie leur lenteur et leur inachèvement : le principe de responsabilité commune et différenciée (RCD). Il n’y est pas fait mention dans la « plateforme ». Tous les pays, quel que soit leur niveau de développe-ment, doivent se préparer à négocier des objec-tifs contraignants de réduction d’émissions pour 2030. Caillou dans la chaussure des négo-ciateurs à l’OMC, la différentiation entre pays n’est plus un préalable en matière de climat. La fin de la discrimination (positive) a même été une clef du compromis de Durban.

Après l’impasse du processus onusien orga-nisé selon le principe RCD et rendu manifeste à la Conférence de Copenhague en 2009, la

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négociation climatique semble apprendre de ses errements et redécouvrir les vertus de l’ap-prentissage. Rétrospectivement, Copenhague n’est pas l’échec que l’on a lu – ou alors ce fut un échec fertile, qui a créé un mouvement que prolonge Durban aujourd’hui. Étrangère aux canons juridiques puisqu’elle n’est ni un accord, ni une déclaration, ni quoi que ce soit de répertorié en droit, la plateforme de Durban consacre une certaine rationalité procédurale qui privilégie le processus au résultat. Mieux vaut un accord que pas d’accord, nous dit la « plateforme », même si le prix à payer est un réchauffement climatique supérieur à celui produit par le meilleur accord selon les sciences du climat, sachant que ce dernier est encore politiquement inaccessible.

La dynamique à l’OMC est diamétralement opposée : mieux vaut ne pas obtenir d’accord plutôt qu’un mauvais accord – avec pour résultat qu’aucun accord ne survient… Là où la négociation climatique paraissait « ringarde », engoncée dans sa bureaucratie onusienne, on constate après Copenhague, Cancún et Durban une dynamique qui a disparu de l’OMC. Les positions se sont inversées. L’OMC est aujourd’hui silencieuse et comme inerte, se bornant à éviter le pire, à savoir le retour au protectionnisme unilatéral des années 1930. Ce qui n’est déjà pas si mal, comme le souligne son secrétariat.

Le temps du réalismeVoilà qui dessine peut-être un nouveau socle pour la gouvernance mondiale. Après la

décennie sociale-démocrate des années 1990 et l’ère des biens publics mondiaux, les diffé-rents pays semblent en rabattre de leurs ambi-tions collectives au profit d’une démarche plus frustrante, mais aussi plus réaliste en évitant le tout ou rien. Il ne s’agit plus de limiter à 2 °C la hausse des températures, mais d’éviter une augmentation de + 4 °C ou + 5 °C, au moins dans un premier temps. Il ne s’agit plus de baisser les droits de douane mais d’éviter les guerres commerciales. On ne supprime pas le risque de catastrophe financière ou alimen-taire ; on s’organise pour agir au plus vite et limiter les dégâts. L’état de la gouvernance à l’OMC, au G20 et à la Convention climat éclaire le basculement politique que les pays émer-gents sont en train de produire, en vertu du basculement économique qui le précède déjà. On ne produit plus de biens publics mondiaux dans le sens d’un surcroît de bien-être qui, par compromis et intérêt bien partagé, vien-drait s’ajouter à l’existant. On traite plutôt de maux secrets : dégâts climatiques extrêmes redoutés et inconnus ou tentations protection-nistes et souverainistes que chaque gouverne-ment possède au fond de soi. De la gouver-nance mondiale comme un grand divan, où chaque pays viendrait régler ses problèmes domestiques en les énonçant à haute voix. Mais aussi comme un lieu de gestion collec-tive des affaires courantes. Soit un socle utile, qui renforce encore l’intérêt qu’il y aurait à voir le G20 émerger comme une enceinte poli-tique de définition de visions partagées et d’impulsion pour l’action commune. n

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La Conférence des Nations unies sur le développement durable, dite « Rio+20 », a été proposée par le président brésilien Lula da Silva lors de la 64e Assemblée générale des

Nations unies à l’automne 2009. Cette assem-blée en a défini les thèmes et donné une inter-prétation très précise. Ce sera une conférence sur « l’économie verte dans le contexte du développement durable et de l’éradication de la pauvreté ». Elle devra tirer le bilan des engagements pris au Sommet de la Terre de Rio en 1992 et identifier les lacunes à combler, proposer les moyens de développer l’économie verte et définir le cadre institutionnel du déve-loppement durable.

Rio+20 : une mise en œuvre difficileL’organisation de la Conférence a été confiée au département économique et social des Nations unies, son directeur général, Sha Zukang, en étant le secrétaire général. Deux coordinateurs exécutifs ont été nommés : Brice Lalonde, ancien ministre français de l’Environnement et ex-ambassadeur fran-çais pour le changement climatique et Elizabeth Henrietta Thompson, ancienne ministre de l’Environnement de la Barbade. Contrairement au Sommet de la Terre où ces fonctions étaient rassemblées autour de Maurice Strong, la Conférence Rio+20 part avec un certain handicap, les responsabilités étant dispersées. Autre obstacle de poids : aucun budget spécifique n’a été voté par les États membres.

Processus de Rio : bilan et perspectivesLucien CHABASON, Iddri Henry DE CAZOTTE, Secrétariat de la Conférence des Nations unies sur le développement durable

La préparation de Rio+20 n’a véritablement pris son envol qu’une fois les élections brési-liennes passées et Dilma Roussef élue à la tête d’un nouveau gouvernement au début de 2011. De fait, le comité organisateur brésilien, pré-sidé par son ministère des Affaires étrangères, n’a été mis en place qu’en juin 2011, soit moins d’un an avant la Conférence. Du côté des États membres, le premier comité préparatoire, co-présidé par la Corée et Antigua-et-Barbuda, s’est tenu en mai 2010, suivie par une première intersession en janvier 2011 à New York, avec un grand retard. Parallèlement, d’autres initia-tives portées par Ban Ki-moon, secrétaire géné-ral des Nations unies, comme le High Level Panel on Global Sustainability, sont venues contribuer à la dynamique autour de Rio+20, mais en brouillant un peu les messages.

De leur côté, les pays en développement (PED) ont accueilli avec une grande circons-pection la notion d’économie verte, y voyant une initiative portée surtout par les pays industrialisés pour imposer de nouvelles barrières au commerce et favoriser ainsi leurs entreprises et leurs technologies pour de nouveaux marchés au Sud. Les pays émergents pourtant très concernés par l’économie verte, et parfois très engagés, comme la Chine ou l’Inde, n’en ont pas défendu les principes très activement, préférant rester solidaire des PED, de façon opportuniste. Ce débat s’est exacerbé autour de la définition même d’économie verte, conduisant à des prises de position passionnées, allant même jusqu’au rejet du terme. Par exemple, les pays de la

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Commission économique des Nations unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepal) ont refusé de reprendre le concept d’économie verte de crainte qu’il n’affaiblisse les principes du développement durable, durement acquis en 1992.

L’impossible bilan ?L’autre sujet de discorde a été celui de l’ana-lyse des lacunes dans la mise en œuvre des engagements de Rio, certains pays souhaitant que la communauté internationale soit mise devant ses obligations non tenues avant de commencer à étudier tout autre agenda.

Mais est-ce l’ampleur du sujet et son ambition peut-être excessive qui découragent la production régulière et exhaustive d’un bilan ? Ou bien, comparés aux objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), les objectifs fixés dans le domaine du déve-loppement durable sont-ils plus flous, moins concentrés, moins cohérents et se prêtent-ils plus difficilement à une analyse précise ? De fait, l’Agenda 21 (plan d’action adopté à Rio en 1992) englobe tant de sujets économiques, sociaux et environnementaux que publier son bilan reviendrait à passer en revue l’essentiel de l’activité des organisations spécialisées des Nations unies, des gouvernements et d’autres acteurs encore.

La Déclaration de Rio de 1992 se présente comme un ensemble de principes relative-ment novateurs et dont la mise en œuvre s’est révélée parfois audacieuse et souvent problématique. Elle a placé l’homme, et non la nature, au centre du développement durable (Principe 1) et affirmé les droits souverains des États à la gestion des ressources de leur espace (Principe 2). Cette affirmation des souveraine-tés nationales et de la priorité au développe-ment fait aujourd’hui encore pleinement sentir ses effets dans les négociations internationales sur le climat et la biodiversité, et représente un véritable tournant par rapport à la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement de Stockholm (1972). En effet, au cours des années 1980, s’il était devenu clair que les négociations environnementales ne pouvaient plus ignorer les questions de

développement, il n’avait pas été envisagé, au moins au sein des ONG d’environnement, que le Sommet de Rio marquerait en réalité le début de la perte d’autonomie juridico-politique de la question environnementale et sa subordination de fait aux impératifs de développement.

En outre, la vision anthropocentrique du développement durable impulsée par la Déclaration de Rio a été confirmée, en 2005, avec la publication de l’Évaluation des écosys-tèmes pour le Millénaire, dont l’objectif était « d’évaluer les conséquences des changements écosystémiques sur le bien-être humain, et d’établir la base scientifique pour mettre en œuvre les actions nécessaires à l’amélioration de la conservation et de l’utilisation durable de ces systèmes, ainsi que de leur contribution au bien-être humain ». La popularisation de la notion de « services écosystémiques » et la ten-tative de leur évaluation économique dans le cadre du rapport The Economics of Ecosystems and Biodiversity (2008-2010), a également contribué à favoriser cette orientation.

Par leur force, leur clarté et leur évidence, et malgré leur portée parfois problématique, les principes de la Déclaration de Rio se sont largement imposés dans le droit international et les droits nationaux : principe de responsa-bilité commune mais différenciée, principe de précaution, principe de responsabilité et de réparation et principe d’accès à l’information et de participation. Il reste à leur donner un caractère d’effectivité et à combler les vides encore béants dans les domaines de la respon-sabilité et de la réparation, ainsi que dans le droit à la participation.

Innovations institutionnellesLa création de la Commission du dévelop-pement durable (CDD) en 1993, placée auprès du Conseil économique et social des Nations unies, et qui est chargée du suivi de la mise en œuvre de l’Agenda 21 a constitué la principale nouveauté institutionnelle consécu-tive au Sommet de Rio. Mais cette institution, stratégique pour le développement durable, est marquée par des dysfonctionnements : absence d’implication des ministères en dehors

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de ceux de l’Environnement, faible intérêt des grandes agences en charge des questions économiques et inexistence de liens entre les recommandations de la CDD et les autres centres de décisions des Nations unies.

D’autres évolutions institutionnelles se sont, elles, avérées plus favorables, notamment : la meilleure prise en charge des enjeux environnementaux par de grandes agences comme la Banque mondiale, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) ou la FAO ; la pérennisation du Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et l’extension de son champ d’intervention ; la meilleure structuration des questions relatives à l’eau et aux océans au sein de l’ONU ; le – modeste – renforcement du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) ; une implication active des commissions écono-miques régionales ou encore le développement des structures dédiées à l’évaluation et aux interfaces science/politique comme le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) ou la Plateforme scientifique intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES).

Toutefois, les faiblesses de la gouvernance internationale du développement durable restent un constat suffisamment partagé pour que la question ait été identifiée comme étant l’un des deux thèmes de travail du Sommet Rio+20 sous le titre « pilier institutionnel du développement durable ».

Sur ce point, il est assez vite apparu que deux questions complémentaires devaient être posées.

1. La gouvernance mondiale de l’environ-nement : les pays oscillent entre la position française et européenne poussant à la création d’une Organisation mondiale de l’envi-ronnement, et une position plus réaliste et progressive visant au renforcement du PNUE, sans nouveau traité, par une simple décision de l’Assemblée générale des Nations unies. Il reste toutefois à définir les principes de ce que seraient les missions de ce PNUE renforcé.

2. L’insertion du concept de développement durable dans la gouvernance économique et sociale des Nations unies : cela revient à acter

le fait que l’organisation, pensée en 1946, n’est plus armée aujourd’hui pour faire face aux défis du xxie siècle. Deux options ont été évoquées : une réforme du Conseil économique et social, qui intégrerait l’environnement, et la création d’un Conseil du développement durable, sur le modèle de Conseil des droits de l’homme, qui absorberait les « ruines » de la Commission du développement durable. Ouvert aux acteurs de la société civile, ce Conseil du développement durable pourrait mettre en place une revue par les pairs des stratégies de développement durable menées par les principaux acteurs ou coalitions d’acteurs, et non pas seulement par les États. Si une participation paritaire de la société civile était acquise, il y aurait ainsi créa-tion d’un Forum ouvert de débat stratégique. Autre avantage, la liaison avec les initiatives de développement du G20 pourrait alors s’en trouver simplifiée.

Les moyens d’une économie verteLe thème de l’économie verte est l’occa-sion d’un débat entre ceux qui acceptent une économie globale régulée et ceux, notamment les États-Unis, confrontés à un Congrès hostile à toute forme de multilatéralisme. L’économie verte ne pourra se développer progressive-ment que si des politiques publiques favorables étaient mises en place, conduisant les diffé-rents acteurs à prendre des initiatives en vue de résultats tangibles. Un débat relativement ésotérique est né entre les pays acceptant l’idée de l’itinéraire ou du parcours (pathway) et ceux refusant toute feuille de route (roadmap) internationale. Ils préfèrent l’idée de la boîte à outils (toolbox) dans laquelle chaque pays pourrait piocher selon ses besoins et ses prio-rités. Après moult discussions, la notion d’iti-néraire permet d’offrir des marges de liberté suffisante aux pays, et peut les encourager à adopter des politiques de développement nationales durables autour de références vali-dées internationalement. À titre d’exemple, les États pourraient décider de lancer des poli-tiques d’économies d’énergie, de mettre en place une comptabilité nationale verte, d’in-troduire la valorisation des services écosys-témiques dans leurs politiques agricoles, de

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réviser les subventions aux énergies fossiles, d’encourager certaines filières vertes, etc. Tout ceci au sein d’un cadre d’objectifs avec des dates et des références communes.

S’agissant d’une conférence tournée vers le développement, qui a pour ambition d’intégrer l’économique, le social et l’environnemental, la question des moyens de mise en œuvre sera un sujet fondamental : existe-t-il des ressources budgétaires additionnelles pour financer les nouveaux engagements à venir ? Or un changement de modèle économique vers un développement durable nécessite des ressources qui impliquent une réorientation des politiques d’investissement publiques et privées existantes, sur de longues années, sans commune mesure avec les moyens de l’aide au développement, même augmentés des fonds additionnels du financement climat. Une pro-position nouvelle consisterait à construire des plateformes collaboratives locales où les poli-tiques de développement durable nationales seraient confrontées aux acteurs publics et privés, industriels et financiers, et de la société civile. Cette notion de plateforme collaborative que les bailleurs de fonds traditionnels pour-raient appuyer serait un progrès par rapport à un schéma où priment la concurrence des acteurs internationaux et l’incohérence des stratégies.

Remettre l’environnement au cœur des objectifsSi les Sommets de Rio puis de Johannesburg ont voulu affirmer la nécessité et la possibilité d’un développement démographique, économique

et social compatible avec la protection de l’en-vironnement global, les résultats ne sont guère probants. Les évolutions sont plus que préoc-cupantes en matière de climat, de biodiversité, d’environnement marin et d’utilisation des sols, des forêts et de l’eau douce. Le modèle de développement économique encouragé au début des années 1990 a incontestablement produit des effets en termes de croissance économique et d’amélioration des conditions de vie pour une partie de la population des PED mais, comme l’indique le secrétaire général des Nations unies dans son premier rapport pour Rio+20 (2010), « le pilier environnemental est peut-être celui qui a connu les progrès les plus lents. Globalement, la pression sur les écosys-tèmes continue de croître. »

Est-ce le fait d’objectifs trop peu ambitieux adoptés à Rio puis à Johannesburg ? Est-ce la faiblesse et la fragmentation des institutions environnementales à l’échelle nationale et internationale ? Est-ce lié à l’absence de vision et de volonté quant à la mise en œuvre des changements majeurs dans le niveau et les modes de consommation pourtant nécessaires à une protection effective de l’environne-ment ? Toujours est-il que les pays émergents reproduisent les modèles de développement économique et territorial qu’ont connu les pays riches, modèles que ceux-ci s’emploient à défendre avec acharnement.

En définitive, à la veille de la Conférence Rio+20, rien n’indique que l’environnement quittera son statut de préoccupation subor-donnée aux nécessités d’un développement qui, pour le moment, n’a rien de durable. n

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DOSSIER 2012

Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ?

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a fin des années 2000 a vu le retour du thème de l’agricul-ture dans les débats internationaux. Il fait l’objet d’une multi-tude d’ateliers, de publications de documents techniques et de programmes lancés par des ONG, des États ou des organisations internationales. Un consensus s’est installé et pointe l’urgence d’investissements massifs dans le secteur agricole qui serait (re)devenu l’un des moteurs principaux du développement, comme celui de la lutte contre la pauvreté et de la sécurité alimentaire.

Mais que recouvre ce consensus ? Les débats internationaux recèlent une grande diversité de points de vue, et la notion même de sécurité alimentaire est protéiforme. Comme l’expliquent Laurence Tubiana et Noura Bakkour dans le premier chapitre, elle peut être comprise en tant qu’enjeu de pauvreté et d’accès à la nourriture, de quantité ou de qualité des aliments, de sécurité – particulièrement dans les régions en prises à des crises poli-tiques de grande ampleur –, etc. Elle est aujourd’hui plus que jamais un enjeu

Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ?

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Viviane GRAVEY, Institut du développement durable et des relations internationales, France Raphaël JOZAN, Agence française de développement, France Sébastien TREYER, Institut du développement durable et des relations internationales, France

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de gouvernance internationale, à part égale avec les changements environne-mentaux globaux et la crise économique, comme le souligne l’intérêt que lui a accordé le G20 depuis 2010.

Les enjeux alimentaires et agricoles ne doivent pas être réduits à la seule dimen-sion de production agricole (chapitre 2). Recherche agronomique mondiale (chapitre 9), accès aux et utilisations des ressources naturelles (chapitres 6 et 7), industries agroalimentaires (chapitre 11), modes de consommation (notam-ment notre consommation de produits animaux, focus p. 204-206, et biolo-giques, focus p. 165-168) et emploi agricole (chapitres 3 et 4) : ce dossier invite à appréhender ces enjeux dans leur complexité. La question de la production agricole reste centrale. Si l’idée d’une hausse des investissements en agriculture est de plus en plus répandue, et si plusieurs pays ou régions semblent offrir des opportunités pour investir sur les terres agricoles, les débats sont cependant vifs sur les modèles agricoles et les modalités de politiques agricoles à choisir.

Selon les pays et les régions, les enjeux sont différents. Regards sur la Terre invite à les découvrir, sur les cinq continents : aux États-Unis et en Europe (focus p. 325-328 et p. 329-332), mais aussi en Inde (focus p. 257-260), en Chine (chapitre 5), en Amérique latine (chapitre 4, focus p. 298-300) et en Afrique. Au-delà des sphères nationales, ce livre présente deux tendances fortes : d’une part, l’importance croissante des acteurs privés (chapitres 13 et 15) et ONG ; d’autre part, la recomposition de la gouvernance mondiale (chapitres 12 et 15 ; focus p. 298-300 et p. 343-346).

L’effervescence actuelle du sujet tient autant à l’urgence des défis qu’à leur appropriation par une multitude d’acteurs, dotés d’intérêts et valeurs contradic-toires. La thématique recouvre des problèmes complexes qui lient les échelles globales et locales, et des enjeux de court et long terme qui suscitent contro-verses et débats, dont les termes et les significations sont précisés dans ce dossier.

L’agriculture comme moteur du développement ?La fin des années 2000 a vu l’émergence d’un agenda « d’agriculture pour le développement ». Les pays en développement, dans leurs politiques internes, et les pays développés, dans leurs politiques de développement, ont été invités à considérer l’agriculture comme un moteur majeur du développement. Cet agenda est particulièrement mis en avant dans le Rapport pour le développe-ment de la Banque mondiale de 2008 [Banque mondiale, 2007] qui insiste sur le rôle de l’agriculture aux différentes « étapes » du développement, calquées sur la séquence historique observée dans les régions développées du monde : un passage progressif d’une économie basée sur l’agriculture à l’industrie puis aux services, et du rural à l’urbain. L’agriculture jouerait un rôle initial et moteur par ses gains de productivité qui permettent l’accumulation puis les transferts de

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main-d’œuvre et de capitaux d’un secteur à l’autre, parallèlement à l’augmen-tation des niveaux de vie et à la croissance et la diversification de la demande : seule une minorité peut rester et se spécialiser dans l’agriculture (généralement la mieux dotée en facteurs de production), la majorité étant absorbée par des activités non agricoles et industrielles, le plus souvent en migrant vers les villes.

Ces trois mouvements – spécialisation agricole, diversification rurale, migra-tions – sont présentés comme les sorties possibles de la pauvreté rurale, mais « la question de la viabilité de ces options de sortie n’est pas véritablement débattue », selon Bruno Losch (chapitre 3), et « les transitions passées ont eu lieu à d’autres moments historiques ». La période de mondialisation actuelle, marquée par le retrait de l’État, la libéralisation commerciale, les sauts technologiques en matière de communications, a profondément changé la donne. Les pays caractérisés par la faiblesse de leur changement structurel et les plus dépendants du secteur agri-cole, comme le sont de nombreux pays africains, sont confrontés aux contraintes d’une forte concurrence, à l’instabilité de l’environnement économique inter-national et aux conséquences du changement global, réduisant drastiquement leurs marges de manœuvre. La plupart de la main-d’œuvre agricole de ces pays travaille toujours sur des petites exploitations, où la production est manuelle et peu ou pas motorisée, et ne permet pas de subvenir à l’ensemble des besoins des familles. Si certains actifs migrent vers les centres d’activités, ils ne cèdent pas pour autant leur terre à des systèmes plus productifs. Un noyau familial reste sur place, au village, et entretient une pluriactivité. Il conduit une production alimentaire de subsistance et offre une main-d’œuvre à bas prix à des filières de production agricole mondialisée, comme cela est décrit dans un village turc pour la production de coton (chapitre 10). Il n’y a pas de transfert mécanique de main-d’œuvre de l’agriculture vers l’industrie, mais plutôt le risque d’une spirale néga-tive qui enferme une grande partie de la population dans la pauvreté.

La faible productivité des exploitations existantes en Afrique, dans les pays de l’Europe de l’Est et d’Asie centrale ou dans certaines régions d’Amérique latine, a pour conséquences de grandes opportunités de développement. L’agriculture de ces régions, si elle est proprement modernisée (concentration des unités de production, motorisation de la production, et une place centrale accordée à l’innovation technologique), pourra fortement contribuer à relever les défis alimentaires exposés par les exercices de prospectives à l’horizon 2050 (focus p. 136-139). Cependant, si la transformation des structures de production et l’amélioration de leur productivité restent un enjeu majeur, un travers serait de ne se focaliser que sur certaines exploitations productrices de commodités. Les « opportunités » viendraient alors répliquer les déséquilibres du dévelop-pement d’hier. Le dossier démontre l’importance d’un tissu diffus d’acteurs économiques de très petite échelle dans la production, la transformation et la

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distribution, qui pourraient avoir en main certaines des clés du développement et l’avenir de la sécurité alimentaire (chapitre 2 notamment), comme c’est le cas de l’agriculture urbaine et périurbaine qui contribue à approvisionner les villes d’Afrique, et reste pourtant délaissée des politiques agricoles et alimen-taires (focus p. 179-182). Offrir à ce secteur une attention soutenue est un défi important, tant en terme d’investissements que de programmes de formation.

Mais l’agriculture durable ne peut se construire que dans une croissance économique qui embrasse à la fois les secteurs agricoles et industriels, les terri-toires ruraux et urbains, et stimule une croissance de productivité pour les deux types d’espace, pensés ensemble. L’équation du développement, nous expliquent Xinshen Diao et ses coauteurs (chapitre 4), reste spécifique à chaque pays, à leur économie géographique et aux interrelations entre secteurs et entre terri-toires. Ces évolutions en interaction peuvent se faire aux dépens d’une zone, comme l’illustre le développement industriel chinois qui n’a été rendu possible que par un certain délaissement des zones rurales (chapitre 5) : le défi est alors de repenser un développement plus équilibré. On comprend que le défi agricole est posé non seulement en Afrique, mais aussi aux pays émergents, en Amérique latine (chapitre 14) et en Inde (focus p. 257-259), où les transformations struc-turelles en cours sont majeures. Il en est de même en Europe ou aux États-Unis (focus p. 325-328) : le défi d’un développement territorial équilibré est égale-ment posé, alors que la part de l’agriculture dans le produit intérieur brut ne cesse de chuter, tout comme la population agricole.

Les contraintes environnementales sur les trajectoires agricoles à long termeOutre l’augmentation globale de la production, l’agriculture s’était aussi vue confier le rôle de moteur de développement pendant la période de la révolu-tion verte, et des leçons peuvent être tirées de cette expérience, dont on connaît aujourd’hui les impacts négatifs en termes environnementaux et sociaux (focus p. 257-259). Au-delà des limites inhérentes à ce modèle, les problèmes de disponibilité des ressources, la dégradation du capital naturel et d’autres menaces environnementales comme le changement climatique changent la donne et contraignent fortement les trajectoires agricoles futures.

Le problème socio-économique présenté plus haut se complexifie encore avec l’accès aux ressources naturelles. La rareté des ressources naturelles est une ques-tion très présente dans les processus politiques, comme le montre la stratégie européenne pour une Europe efficace dans son usage des ressources (a Resource Efficient Europe). Derrière cette idée de raréfaction des ressources, le piège de certains exercices de prospective énoncés plus haut serait de ne mettre l’accent que sur le besoin d’augmentation de la production et de la productivité, sans

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s’interroger sur l’ensemble des dimensions sociales, environnementales, mais aussi économiques de ces trajectoires de transformation. Pour répondre aux défis agricoles et alimentaires, on voit fréquemment les États ouvrir massivement des terres « disponibles » à des investisseurs en nombre croissant qui prennent des positions sur des actifs agricoles, absorbés par les opportunités offertes par l’Afrique, l’Ukraine, la Russie, le Kazakhstan ou le Brésil, pour ne citer que quelques-unes des cibles privilégiées. Selon le rapport Landmatrix [Anseeuw et alii, 2012], plus de 70 millions d’hectares auraient fait l’objet de transactions depuis 2006.

Certains louent cette spirale positive où les entreprises, les États et les bailleurs répondent positivement aux enjeux. D’autres dénoncent la prise de pouvoir de multinationales ou de puissants acteurs économiques (nationaux ou étrangers) sur des actifs agricoles et naturels, qui ont souvent pour conséquence une accé-lération des prélèvements en eau pour l’irrigation, tout comme une poursuite de la déforestation. Ceci laisse craindre des impacts importants sur les équilibres du climat à l’échelle mondiale et sur la biodiversité, mais aussi sur les ressources naturelles locales dont dépendent d’autres acteurs. Le problème environnemental se décline encore plus directement en un conflit d’accès aux ressources lorsque les terres « disponibles » sont en fait utilisées par des populations locales expropriées.

Face à la course aux terres, la question de leur rareté semble bien posée. Laurence Roudart démontre (focus p. 229-232) que les surfaces agricoles vont pouvoir s’étendre et qu’il n’y a pas de rareté globale, même si la dégradation des sols pourrait à terme devenir préoccupante, mais il y a bien des situations de rareté à l’échelle régionale et locale qui peuvent être aiguës. C’est aux États qui en disposent d’utiliser à bon escient cette marge de manœuvre de terres disponibles pour développer une agriculture durable, intégrant pleinement les contraintes sociales et environnementales. L’implication des organisations paysannes et professionnelles doit être assurée dans les débats, et les engagements d’inves-tissements être bien spécifiés pour qu’il ne s’agisse pas simplement d’un trans-fert de droit de propriété et que les transactions se concrétisent réellement en des investissements.

L’augmentation des rendements à l’hectare permettrait-elle de contenir l’ex-pansion des surfaces cultivées et de réduire ainsi l’impact environnemental ? Dans le cas de la déforestation en Indonésie, Anne Booth et ses coauteurs (chapitre 7) montrent que cette proposition résiste mal à une analyse écono-mique. On observe certes une réussite des efforts d’augmentation de la producti-vité pour les cultures vivrières et commerciales, mais la déforestation galopante n’est pas pour autant contenue. Cela confirmerait, selon les auteurs, la nécessité de politiques publiques d’accompagnement pour combiner les deux objectifs de production agricole et de maîtrise de l’expansion des terres cultivées.

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La « rareté » des terres n’est pas, et de loin, le seul enjeu environnemental qu’il va falloir surmonter. Outre la raréfaction de l’eau, ou celle des énergies fossiles, un ensemble de problèmes environnementaux semble se combiner et aboutir à un défi véritablement systémique pour l’agriculture qui suppose des solutions innovantes. L’amélioration de l’efficacité de l’usage de chacune des ressources (en eau, en sol, en énergie) semble ne pouvoir constituer qu’une partie de la réponse.

Uno Svedin (chapitre 6) souligne que, dans notre ère de l’Anthropocène où les changements environnementaux attribuables à l’homme (évolutions clima-tiques, modifications des cycles de l’azote, du phosphore…) sont désormais d’une ampleur comparable aux changements géologiques, les changements agricoles ont fortement contribué à cet impact global des activités humaines sur l’ensemble des cycles naturels. Nous sommes aujourd’hui au-delà de ce que certains scientifiques comme Johan Rockström et Uno Svedin définissent comme un « espace sûr pour l’humanité » (chapitre 6), et la poursuite de nos modèles agricoles et alimentaires actuels continue à nous en éloigner. Le chan-gement climatique en particulier, comme le montre Jean-François Soussana (chapitre 8), vu le défi qu’il pose en termes de résilience des systèmes agri-coles, nous pousse à repenser profondément l’agriculture. De nombreuses inno-vations seront nécessaires pour inventer une agriculture intelligente, inten-sive en connaissances et résiliente, capable d’augmenter sa productivité tout en étant respectueuse de l’environnement. Mais le lancement de ce que Michel Griffon [2006] appelle une « révolution doublement verte » ne sera pas simple tant ses modalités sont l’objet de débats et de controverses. Benoît Labbouz et Sébastien Treyer (chapitre 9) soulignent que la mise en place d’une agricul-ture durable et résiliente ne se fera pas sans innovation, mais les débats actuels autour du nouveau paradigme d’innovation agronomique (nouvelle révolution verte, agro-écologie…) montrent qu’il faudra changer en profondeur le fonc-tionnement et les priorités actuels de la recherche agronomique mondiale. Cela nécessite de repenser radicalement l’innovation pour faire une place véritable aux agriculteurs, qui sont eux-mêmes producteurs de savoirs spécifiques au contexte local, savoirs indispensables pour respecter au mieux les contraintes du milieu et valoriser le capital culturel et naturel des territoires. Lieux stra-tégiques des choix socio-techniques globaux, les instances d’orientation de la recherche agronomique mondiale hésitent encore à s’engager dans une véri-table transition.

Des tissus économiques complexes et mondialisésLes trajectoires agricoles dans les différentes régions du monde sont reliées entre elles par les marchés internationaux qui cristallisent les critiques et les espoirs. Par l’analyse des filières agro-industrielles qu’il propose, le dossier

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permet de mieux mesurer la complexité du tissu économique, les rapports de force et les multiples scènes où se jouent les transactions à prendre en compte pour résoudre l’équation de l’agriculture durable.

Dans le système agro-industriel qui s’internationalise toujours plus, tout au long des circuits de transformation, les processus industriels fonctionnent en flux tendus et se construisent sur des chaînes logistiques où les approvisionnements doivent être sécurisés et tracés (chapitre 11). Les caractéristiques techniques des matières premières et des produits doivent répondre à une multitude de normes qui sont tout autant des règles sanitaires que des standards industriels relatifs à la produc-tion de masse ou au fonctionnement des chaînes de distribution. Les marchés sont multiples et prennent bien plus la forme de réseaux technico-économiques parti-culièrement segmentés et spécialisés, produit par produit. Ils n’en finissent pas de se diversifier avec l’émergence d’une économie de la qualité construite autour de labels et appellations d’origine contrôlée (focus p. 311-313) qui ne remettent pas en cause les développements à l’œuvre. La demande des consommateurs en produits non standardisés entre en résonance avec les caractéristiques actuelles des déve-loppements industriels (standardisation, innovation, etc.).

Cette économie agroalimentaire a deux conséquences majeures. La première se traduit par une structuration autour d’oligopoles où une poignée de firmes contrôle près des trois-quarts du marché. Dix pays concentrent 85 % de la production mondiale de l’industrie agroalimentaire et 70 % des salariés. Certes, à la suprématie des grands pays riches (États-Unis, France, Allemagne et Japon) succède, dès le début des années 2000, un partage du leadership mondial avec les émergents (Chine, Russie, Brésil et Inde), sans que ces évolutions ne changent la structuration générale des marchés. La seconde conséquence est la création d’un coût d’entrée toujours plus important pour pénétrer ces réseaux et la redistribution de la valeur le long de ces réseaux. L’industrie agroalimentaire se tertiarise et dépense désormais plus en marketing qu’en matières premières agricoles, défavorisant les petits producteurs.

Cette dynamique donne la mesure des difficultés des pays non industrialisés à s’arrimer à l’économie agricole mondialisée. Les possibilités d’accès aux marchés dépendent de l’échelle de la production, des moyens logistiques et de l’accès aux informations. Les producteurs du Sud, comme ceux des pays d’Europe de l’Est, disposent rarement de ces moyens. Une entreprise bien positionnée sur les marchés internationaux peut plus facilement investir dans la transforma-tion et la commercialisation, mais aussi dans la production directe, alors que les producteurs locaux non intégrés à des filières peuvent très difficilement le faire. Cette analyse permet de mieux comprendre l’importance des efforts consentis par les gouvernements de certains pays en développement pour attirer les grands acteurs de l’industrie agroalimentaire sur leur territoire. Alors que les

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leviers de l’action publique se sont réduits comme peau de chagrin depuis les années 1980 face à la concurrence internationale, l’accès aux ressources natu-relles reste bien souvent le seul levier qui puisse être actionné par les gouver-nements pour la promotion de leur territoire auprès de nouveaux financeurs potentiels.

Mais d’autres schémas existent afin de connecter production locale et marchés régionaux et internationaux sans toutefois exclure les petits producteurs locaux. On voit ainsi émerger dans de nombreux pays des initiatives construites autour des signalisations de qualité de produits de terroirs à valeur ajoutée. La mise en place des appellations d’origine pour la valorisation de l’huile d’olive sur la rive Sud de la Méditerranée démontre que ces expériences fonctionnent si elles s’inscrivent dans un cadre global (focus p. 311-313), avec la participa-tion de tous les opérateurs de la filière et l’intervention de puissants acteurs du marché. En Amérique latine, des mécanismes sont inventés pour articuler les agro-industries avec des microentreprises fournisseuses. C’est ce que proposent les « programmes de fournisseurs » au Mexique et au Chili : les grandes entre-prises agroalimentaires sont capables de fournir de l’assistance technique à des petites et moyennes entreprises qui opèrent dans tous les secteurs productifs. Ces mécanismes sont particulièrement bien adaptés à la réalité d’un secteur agricole très fragmenté et aux exigences d’approvisionnement du secteur agro-industriel (focus p. 286-288). Sans créer de distorsion sur le marché, une rela-tion gagnant-gagnant est établie entre distributeurs et producteurs. Finalement, comme le suggère Jean-Louis Rastoin (chapitre 11), alors que le modèle agro-indutriel tertiarisé s’impose par son efficacité économique, sa durabilité néces-site sa cohabitation avec un modèle alternatif fondé sur la proximité et sur des réseaux de petites entreprises qui valorisent le patrimoine naturel et culturel spécifique des territoires.

Encadrer l’effervescence autour des questions agricolesLa crise actuelle, marquée par une hausse des prix des matières agricoles et de leur volatilité (chapitre 12), ouvre une fenêtre d’opportunité pour enclencher des dynamiques de développement plus durable qui ne fassent pas l’impasse sur le développement agricole et rural. On voit de nombreux pays en développement augmenter leur budget « agriculture » (chapitre 4). Le « retour » à l’agriculture est synonyme, pour ces pays, d’une stratégie de développement plus endogène, pour valoriser une main-d’œuvre sous-occupée localement et des ressources naturelles dont la valeur avait été occultée par un accès facilité au capital financier avant la crise. Dans les pays du Nord, le temps est aussi à la réforme, comme l’illustre le futur Farm Bill américain (2012) et la future Politique agri-cole commune (PAC) européenne (2014). À côté de ces initiatives nationales, la

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mobilisation internationale, illustrée par la manière dont le G20 a mis la vola-tilité des prix agricoles au cœur de son agenda 2011, mais aussi par la réforme du Comité pour la sécurité alimentaire de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organization, FAO) (focus p. 343-345), dénote d’une prise en compte plus importante de la part des bailleurs.

Cette fenêtre d’opportunité ne se limite pas à un retour de l’agricul-ture à l’agenda des agences de développement. De fait, ce « retour », comme l’« abandon » qui l’aurait précédé selon le rapport de la Banque mondiale [Banque mondiale, 2007], paraissent souvent tous deux exagérés. Ainsi, l’ana-lyse statistique proposée par François Pacquement (focus p. 152-154) montre que l’agriculture a toujours gardé une place importante dans l’agenda des bail-leurs de fonds. Il paraît essentiel de remarquer que cette fenêtre d’opportunité réside en fait dans une conjugaison de contraintes : hausse des prix, hausse des risques et changements environnementaux, progression démographique continue, question de l’emploi agricole, etc., qui toutes ensemble contribuent à une remise en cause des modèles agricoles et alimentaires actuels.

Cette fenêtre d’opportunité invite donc à poser la question du changement de l’agriculture. Non pas pour se demander s’il faut un changement, puisqu’il semble nécessaire pour répondre aux enjeux actuels, mais bien quel sens lui donner, pour quelle définition d’une agriculture et d’une alimentation durables. Les différentes parties du dossier soulignent des tensions contradictoires : d’un côté l’effervescence que connaissent les questions agricoles et alimentaires depuis le milieu des années 2000, de l’autre les difficultés à réformer les poli-tiques agricoles et à changer les manières de produire, mais aussi de trans-former et de consommer.

Les politiques à l’œuvre aujourd’hui peinent à s’éloigner d’un projet de moder-nisation conventionnelle de l’agriculture. Malgré les critiques sur ses impacts environnementaux et sociaux, le soutien à l’agriculture conventionnelle reste dominant, que ce soit en Inde (focus p. 257-259), ou en Europe et aux États-Unis, ce que rappellent justement Antonin Vergez et Simon Liu (focus p. 325-328) qui analysent l’intégration des critères de durabilité par les politiques publiques des deux principaux acteurs agricoles de la planète. Henri Nallet (focus p. 329-331) souligne l’opportunité unique de refonder la politique agricole commune de l’Union européenne sur des bases durables, mais aussi la difficulté d’un exer-cice qui se fera plus que jamais sous de fortes contraintes budgétaires. Cette opportunité – et cet impératif – de réforme se fait aussi pleinement sentir en Amérique latine. Depuis le début des années 2000, les politiques y connaissent une profonde refonte, se voulant plus participatives et prenant en compte tous les acteurs des filières agroalimentaires.

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Malgré ce retour en force – en cours, attendu – des politiques agricoles, la définition d’une agriculture durable pourrait de fait bien échapper aux acteurs publics (chapitre 13). Les normes d’origines privées (ou associatives) définissent de plus en plus les contours de la durabilité des modèles de productions agri-coles internationaux. L’importance croissante d’acteurs privés dans la définition des orientations de l’agriculture mondiale n’est pas sans danger, alerte Olivier De Schutter (chapitre 15), et nécessite d’être encadrée au niveau national – particulièrement dans les pays en développement qui manquent aujourd’hui de politiques fortes sur ce sujet – et au niveau international par une réforme et un approfondissement de la gouvernance mondiale.

Or, l’état actuel de la gouvernance mondiale des questions agricoles est peu encourageant. Au-delà de la mise en place d’un Comité de la sécurité alimen-taire réformé (focus p. 343-345), les négociations à l’OMC stagnent. Les « princi-pales composantes d’un accord sont sur la table », nous dit Michel Petit : élimina-tion des subventions aux exportations, réductions sensibles des tarifs et autres obstacles à l’accès aux marchés intérieurs, réduction des soutiens internes à l’agriculture des pays riches. Mais, aujourd’hui, les perdants d’un tel accord sont bien plus mobilisés que les gagnants, empêchant toute conclusion du cycle de Doha. Un autre exemple est apporté par les négociations agricoles du G20. Celles-ci marquent une mise à l’agenda des questions agricoles au plus haut niveau – impensable il y a quelques années. Et si on peut noter d’intéressantes avancées, les décisions du G20 ont réussi à donner les moyens d’éteindre l’in-cendie actuel, mais il n’est pas assuré, face aux enjeux rappelés dans ce dossier, que les outils, instruments et engagements pour le développement agricole que les différents États ont été d’accord pour négocier permettront réellement de prévenir d’autres futures crises (chapitre 12).

À la croisée des enjeux de développement, de sécurité alimentaire, d’envi-ronnement, les transformations du secteur agricole sont au cœur des enjeux mondiaux de développement durable. Pour accompagner ces changements vers plus de durabilité, ce dossier nous apprend combien il est essentiel de réussir à changer nos représentations de l’agriculture et les visions guidant les projets de transformation et de régulation du secteur. n

Anseeuw W. et alii, janvier 2012, Land Rights and the Rush for Land. Findings of the Global Commercial Pres-sures on Land Research Project, Rome, International Land Coalition.

Banque mondiale, 2007, Rapport mondial sur le déve-loppement 2008. L’agriculture au service du développe-ment, New York, Banque mondiale.

Griffon M., 2006, Nourrir la planète. Pour une révolu-tion doublement verte, Paris, Odile Jacob.

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Pays et régions couverts par ce dossier

L’enjeu de ce dossier est de couvrir à la fois les questions globales liées à l’alimentation et à l’agriculture, tout en dégageant les spécificités régionales les plus significatives.

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L’humanité pourra-t-elle se nourrir en 2050 ? Une explosion récente des prospectives

Sébastien TREYER, Institut du développement durable et des relations internationales, France

Depuis le début des années 2000, des rapports prospectifs de plus en plus nombreux ont cherché à explorer les futurs possibles du système alimen-

taire mondial et notamment des grands équilibres entre la croissance de la demande alimentaire (et des autres demandes de biomasse agricole pour l’énergie, l’ali-mentation animale ou les fibres comme le coton) et les possibilités d’augmentation de la production agricole. À l’origine de ce foisonnement, le diagnostic de la fin d’une période, celle de la révolution verte qui avait permis d’aug-menter les rendements de manière spectaculaire dans les quarante dernières années et qui montre des signes d’essoufflement (indices de stagnation des rendements là où ils avaient beaucoup augmenté, impacts de l’agricul-ture sur l’environnement, risques liés aux conséquences du changement climatique sur les productions futures, accès inégal aux technologies…). Face à ces incertitudes sur la production, le défi démographique reste encore très important (passer de 6 à 9 milliards d’habitants entre 2000 et 2050, disent les projections médianes). De plus, les transitions nutritionnelles tendent à augmenter l’apport calorique total par habitant ainsi que la part qu’y prennent les produits animaux, chaque calorie d’origine animale nécessitant elle-même de produire entre trois et dix calories végétales pour l’alimentation animale. Les raisons de s’inquiéter paraissent claires, mais il s’agit surtout de réussir à explorer de manière rigoureuse et structurée les différents scénarios possibles et l’ampleur des défis, pour éviter d’en tirer des conclusions trop rapides. Cette explosion de scénarios prospectifs a couru le risque d’être accusée d’un biais malthusien, occultant, par leur focalisation sur les limites de l’offre agricole globale, des questions régionales ou locales prioritaires ou des dimensions non représentées. Que nous disent réellement ces scénarios ?

Tout d’abord, le scénario le plus cité dans les médias est le scénario de référence de la FAO, qui met l’accent

sur une augmentation de 70 % des disponibilités ali-mentaires globales entre 2005 et 2050, correspondant à la poursuite des tendances alimentaires et démogra-phiques, et à des hypothèses jugées crédibles en termes d’augmentation de la production dans les différentes régions du monde, sous réserve qu’un effort important d’investissement ait lieu sur la période. Ce scénario est convergent avec les autres scénarios tendanciels. Le mes-sage est cependant subtil : l’ampleur du défi est impor-tante, mais elle reste moindre que les réalisations des qua-rante dernières années au cours desquelles la production globale a augmenté de 150 %. Et surtout, la majeure par-tie de cette augmentation de la production doit interve-nir dans les pays en développement, parce que la question de la sécurité alimentaire ne peut pas être réduite à l’équi-libre mondial entre offre et demande alimentaire : pour garantir l’accès des ménages aux produits alimentaires, l’augmentation de la production agricole dans les pays les moins avancés constitue une contribution essentielle à l’amélioration des revenus et aux ressources de la pro-duction vivrière. Ces scénarios présentent une telle aug-mentation de la production comme une condition néces-saire. Elle n’est cependant pas suffisante, puisque l’impact de l’augmentation de la production d’un pays sur les reve-nus dépend d’un ensemble d’autres facteurs, et notam-ment des inégalités et des autres secteurs de l’économie.

Les scénarios de rupture soulèvent de leur côté une série de questions très utiles sur les inflexions possibles par rapport à ces scénarios tendanciels. La première de ces questions concerne les possibilités de ne pas consi-dérer l’augmentation de la demande alimentaire comme jouée d’avance et notamment la convergence des régimes alimentaires vers le modèle occidental actuel. Plusieurs scénarios explorent une stabilisation de la disponibilité alimentaire moyenne par personne autour de 3 000 kilo-calories par jour et par personne, et des réductions plus ou moins fortes de la part de produits animaux dans les

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Les scénarios tendanciels – proches du scénario standard de la FAO – coexistent avec des scénarios de rupture soulignant des marges de manœuvre et de changements ou de nouveaux risques. 137

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Équilibre global entre demande et offre alimentaire en 2050 : quels scénarios ?R

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régimes alimentaires. Pour justifier de telles ruptures par rapport à la tendance, ces scénarios évoquent non seu-lement la diminution des gaspillages chez le consomma-teur et les effets possibles des politiques et recomman-dations nutritionnelles, mais aussi des transformations plus profondes des filières alimentaires qui permet-traient de ne pas conduire toute l’humanité aux modes de consommation occidentaux. Face à l’impératif d’une aug-mentation de 70 % de la production végétale, d’autres scénarios indiquent une croissance nécessaire de seu-lement 30 %. À l’inverse, un scénario de rupture cher-chant à maximiser la demande en supposant que toutes

les régions du monde consommeront autant de viande que les pays occidentaux conduit à un résultat très comparable aux scénarios tendanciels, pourtant censés ne pas faire des hypothèses maximalistes sur la demande. Il y a donc bien une marge de discussion par rapport à ce qui est couramment vu comme une tendance incompres-sible de la demande.

Une autre question importante concerne les doutes sur les hypothèses de croissance des rendements, par-fois très optimistes, formulées dans les scénarios tendan-ciels : ces hypothèses sont-elles robustes face aux impacts potentiels du changement climatique, à la dégradation

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OCDESurfaces cultivées

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Afrique subsahar.Surfaces cultivées

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AsieSurfaces cultivées

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Les défis agricole et alimentaire en 2050 par grandes régions du monde : leçons de l’exercice AgrimondeR

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Les défis agricole et alimentaire en 2050 par grandes régions du monde : leçons de l’exercice AgrimondePar grandes régions du monde, deux scénarios contrastés (AGO, scénario tendanciel, et AG1, scénario de transition vers l’agro-écologie et la maîtrise de la demande alimentaire) font des hypothèses cohérentes d’ordres de grandeur des demandes alimentaires et des productions agricoles. En Asie et en Afrique du Nord-Moyen-Orient, les scénarios montrent les limites du potentiel de production face à la poursuite de la croissance démographique (même si AGO imagine la poursuite d’une explosion des rendements agricoles en Asie, et AG1 souligne la possibilité que les régimes alimentaires n’y atteignent pas les sommets atteints en Occident). En OCDE, en Amérique latine et dans les pays de l’ex-URSS, le potentiel d’augmentation de la production est encore important (augmentation des surfaces cultivées, des rendements) face à une demande peu croissante ou maîtrisée. En Afrique subsaharienne, malgré le potentiel d’accroissement de la production, la vitesse de croissance de la population et donc de la demande, ne serait-ce que pour atteindre un niveau minimum de disponibilité alimentaire par habitant, constitue un défi majeur, qui pourrait rendre cette région dépendante des importations si l’amélioration de la productivité agricole n’est pas assez rapide.

de l’environnement (eau, biodiversité), à la raréfaction de certaines ressources minérales comme le phosphore ou l’énergie fossile ? Derrière ces chiffres se cache une controverse majeure sur les modèles techniques en agri-culture (révolution verte, ou doublement verte, voir cha-pitre 9 et focus p. 257-259), et des paris très différents sur les promesses des différentes technologies futures. Face aux scénarios tendanciels très optimistes, dont on peut questionner la durabilité des hypothèses faites, même avec l’appui des biotechnologies, on trouve aussi des scénarios qui peuvent paraître trop pessimistes (Agri-monde 1), faisant des hypothèses trop prudentes de

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Amérique latineSurfaces cultivées

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Moyen-OrientAfrique du NordSurfaces cultivées

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croissance des rendements à cause des contraintes clima-tiques, plus faibles même que celles du scénario repous-soir d’échec des politiques agricoles. On note cependant que tous les scénarios, même ceux faisant des hypothèses prudentes sur les rendements, convergent sur une aug-mentation faible ou modérée des surfaces cultivées : une telle augmentation paraît donc certaine, vu la pression de la demande, mais les scénarios font des hypothèses convergentes sur les problèmes d’infrastructures et d’or-ganisation, notamment foncière et sociale, pour mettre en culture de nouvelles terres.

Les différents scénarios soulèvent des enjeux spéci-fiques à chaque grande région du monde : d’un côté, des régions comme l’Asie ou l’Afrique du Nord-Moyen-Orient que leur potentiel de production limité risque d’instal-ler dans une dépendance aux importations alimentaires, et pour lesquelles les limites du développement agricole pourraient poser à la fois des problèmes d’emploi et d’ac-cès des plus pauvres à l’alimentation. Malgré son poten-tiel d’augmentation de la production agricole, l’Afrique subsaharienne pourrait se retrouver dans cette catégorie si l’augmentation rapide de la productivité agricole n’est pas garantie. De l’autre, des régions (OCDE, Amérique latine, ex-URSS) où existe un potentiel de croissance de la production et qui pourraient se jeter dans une course à la compétitivité pour nourrir le monde, mais où seront for-tement mises en débat les questions de disponibilité et de rémunération de la main-d’œuvre agricole et surtout d’im-pact environnemental de la croissance de la production.

Enfin, plusieurs de ces scénarios mettent en avant l’im-portance de facteurs de changement ou d’inertie qui ne sont pas quantifiés pour le moment : rapports de pouvoir, notamment au sein des filières, questions d’emploi dans les espaces ruraux et des migrations… n

Source : données compilées par l’auteur.

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La sécurité alimentaire, au même titre que le changement climatique ou que la crise économique actuelle, est une question systémique rendant nécessaire une coordination globale. Assurer la sécurité alimentaire pour tous nécessite de réinvestir en agriculture, mais ces investissements doivent être fondés sur le développement durable et la bonne gouvernance.

L’agriculture dans le contexte mondialLa hausse des prix des matières premières de 2008-2009 a remis au sommet de l’agenda international la question de la sécurité alimen-taire. Depuis la fin des années 1990, celle-ci était présentée comme une question essentiel-lement nationale, le marché mondial devant assurer les ajustements globaux entre l’offre et la demande. Depuis, cette question natio-nale est devenue un problème international exigeant des solutions coordonnées.

Le retour de l’agriculture en tant qu’enjeu mondialQuand les marchés mondiaux des matières premières alimentaires ont flambé en 2008, principalement en raison de la demande accrue des pays en développement, mais aussi à cause de la concurrence dans l’utilisation des ressources avec la production de biocarburants de première génération [Godfray, 2010], un certain nombre d’experts ont suggéré que la flambée des prix alimentaires annonçait une

période de hausse et d’augmentation de la volatilité de ces prix, les marchés des produits agricoles devenant de plus en plus intercon-nectés avec les marchés financiers. Cette crise n’était pas considérée comme conjoncturelle, mais comme une préfiguration de nouvelles tendances majeures. En effet, contrairement à ce qui s’était passé pour les grandes crises anté-rieures liées aux marchés, notamment celles de 1951 et de 1974, le repli des cours, qui a été très brutal en raison de la crise économique mondiale, n’a été que de courte durée. Les prix des matières premières (en particulier agri-coles) ont recommencé à croître dès la fin 2010 et sont restés soumis à une volatilité impor-tante. Cette hausse des prix a provoqué des « émeutes de la faim » dans un certain nombre de pays tout autour du monde, ouvrant une période d’instabilité politique et augmentant le nombre de personnes souffrant de la faim et de malnutrition au niveau mondial.

Les pays ont réagi à cette hausse des prix en essayant d’isoler les marchés locaux de

Laurence TUBIANA, Iddri Noura BAKKOUR, Institut du développement durable et des relations internationales, France

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Chapitre 1Agriculture et sécurité alimentaire : prendre la mesure d’un défi global

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l’instabilité internationale, parfois par la restriction des exportations pour donner la préférence aux consommateurs locaux, renforçant ainsi les tensions sur les marchés mondiaux. La sécurité alimentaire n’était plus une question nationale, mais une crise alimen-taire mondiale présente sur l’agenda de chaque gouvernement.

Cette mondialisation de  facto de la crise alimentaire s’est traduite sur la scène poli-tique. L’ordre du jour du G8 et du G20 inclut cette question depuis 2008 : la présidence française en a même fait un point important des résolutions de novembre 2011 en créant un Partenariat mondial pour l’agriculture, l’ali-mentation et la nutrition. Le secrétaire général des Nations unies, quant à lui, a pris plusieurs initiatives dont la création de la High Level

Ce qu’on sait de la faim

Les médias retiennent généralement, comme une barrière symbolique, le chiffre d’un milliard de personnes souffrant de la faim. Si la méthode utilisée par la FAO pour calculer ce chiffre est aujourd’hui discutée, on sait que le chiffre absolu de la population sous-alimentée reste supérieur au premier des huit objectifs du Millénaire pour le développement – diviser par deux la proportion de la population souffrant de la faim entre 1990 et 2015. On peut néanmoins saluer les efforts faits pour éviter que la part de la population sous-alimentée augmente au même rythme que la population mondiale totale, avec des enjeux propres à chaque région : malgré la révolution verte, beaucoup de pauvres en Asie souffrent encore de la faim ; en Amérique latine, des programmes spéci-fiques semblent avoir porté leurs fruits ; en Afrique, l’enjeu reste avant tout démographique ; dans les pays développés, la croissance d’inégalités génère des situations de sous-alimentation mal référencées dans les statistiques globales.

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Task Force on Food Security et la nomination d’un représentant spécial. Enfin, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agri-culture (Food and Agriculture Organization, FAO) a engagé une réforme et une relance de son Comité de la sécurité alimentaire 1.

Cette crise est venue s’ajouter à d’autres préoccupations plus structurelles, notamment la capacité de réponse des agricultures mondiales à la demande à moyen et long terme, la baisse de l’aide publique au développement et des fonds nationaux dédiés à l’agriculture, l’impact du changement climatique, la situation des exclus de la mondialisation et du « milliard d’en bas » que constituent les plus pauvres et la non-durabi-lité des modèles de consommation alimentaire.

1. Pour plus de détails, voir p. 343-345.

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Ce panorama forme un ensemble d’éléments convergents qui font aujourd’hui de la sécurité alimentaire un problème global au même titre que les problèmes d’environnement ou d’insta-bilité des marchés financiers.

La transformation de l’agriculture dans tous les pays développés, émergents et en développement est une des conditions de la sortie de cette crise systémique. Elle peut jouer un rôle clé dans la réduction de la pauvreté et des inégalités à travers le développement des zones rurales et le soutien aux plus petits producteurs. De nombreux travaux ont montré l’impact positif de la réduction des inégalités sur la croissance économique. Or, le dévelop-pement de l’agriculture et des zones rurales est une composante efficace de la réduction des inégalités non seulement parce qu’elle est, en tant que telle, une base matérielle de vie et la source de sécurité alimentaire pour une part considérable de la population mondiale, mais aussi parce qu’elle produit des impacts structurels positifs sur le capital humain, la santé et l’éducation. Elle reste un moteur de la croissance économique, même dans les pays développés, comme le montre le cas de l’Irlande éprouvée par la crise financière et qui se relance à travers ses exportations agricoles.

Mais la relance de la production agricole, qui a historiquement largement bénéficié aux consommateurs à travers la baisse des prix, doit se penser aujourd’hui dans un contexte nouveau, en dehors du cadre de la révolution verte : celui de l’enveloppe globale des res-sources naturelles et de la maîtrise des impacts de la production sur l’environnement.

Certes, ces ressources – eau, terres arables, minéraux et plus globalement fertilité des sols – ne sont pas rares ou en voie d’épuise-ment partout. Certaines sont renouvelables dans la mesure où les pratiques humaines en font un usage raisonné. Mais le constat global est le même : une utilisation plus intensive des ressources naturelles n’est pas durable pour faire face à la demande croissante de produits alimentaires, même si de nombreuses incerti-tudes demeurent sur les évolutions complexes des écosystèmes et la durabilité des modes de production alternatifs.

Que recouvre la notion de sécurité alimentaire ?Le fait que la sécurité alimentaire devienne une question globale ne signifie pas qu’une action internationale coordonnée puisse faci-lement être entreprise car les visions de cette sécurité ne se recouvrent pas nécessairement.

La sécurité alimentaire dispose d’une défini-tion « canonique » adoptée au Sommet mon-dial de l’alimentation de 1996 et confirmée en 2002 : « La sécurité alimentaire est concrétisée lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active. »

En fait, la sécurité alimentaire est une notion à multiples facettes. Au moins quatre dimensions, parfois complémentaires, parfois dissociées, sont présentes dans les discussions internatio-nales : la question de l’auto-approvisionnement en biens de base (self-sufficiency), question parti-culièrement sensible pour les pays lourdement dépendants des importations de produits de base étant en état d’insécurité alimentaire en temps de pénurie mondiale ; la question de la malnutrition et de la faim, à la fois structurelle (les couches les plus défavorisées des popula-tions urbaines et rurales dans les pays pauvres, émergents ou développés) et conjoncturelle ou spécifique (les situations d’États en faillite, de guerre civile, d’accidents climatiques et de production) (food  security) ; la dimension de sécurité alimentaire (food  safety) ; et enfin la qualité nutritionnelle des aliments, leur spéci-ficité culturelle et alimentaire dans des espaces donnés.

De ces quatre dimensions, ce sont les deux premières qui font plus souvent l’objet du débat international et de l’intervention politique ; les deux dernières, qui impliquent des acteurs différents, ne doivent cependant pas être oubliées tant les questions de malnutrition et de mauvaise qualité des aliments transformés prennent aujourd’hui de l’importance.

Cette diversité des approches explique l’accent mis sur des modes d’action différents selon les institutions et acteurs qui les portent.

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La vision fondée sur la question de la dis-ponibilité et donc de la production agricole – condition nécessaire, mais non suffisante, puisqu’il reste à garantir l’accès à cette pro-duction – est principalement défendue par la FAO et les institutions de la recherche agricole mondiale, créées dans le sillage de la révolu-tion verte.

Une vision alternative fondée sur la notion de droit à l’alimentation liée à la Déclaration universelle de 1948, puis le développement des droits économiques et sociaux, est portée par les Nations unies et un nombre croissant d’ONG. Certains pays, notamment l’Inde et le Brésil, l’ont traduite dans leur droit national 2. La sécurité alimentaire, vue comme la lutte

2. Cette vision est développée par Olivier De Schutter dans le cha-pitre 15.

contre la faim et la malnutrition, un des objectifs du Millénaire, fait partie intégrante des politiques de réduction de la pauvreté. Ce point de vue prévaut au sein des agences de développement des Nations unies, et en tout premier lieu la Banque mondiale, une forte corrélation étant observée entre la faim et le développement. Le Rapport 2008 sur le déve-loppement mondial [Banque mondiale, 2007] a été le premier à accorder de l’importance à l’agriculture en vingt ans, identifiant une « décennie de négligence de l’agriculture ».

Mais la sécurité alimentaire a aussi été partie prenante du débat sur la libéralisation des échanges agricoles et les interventions des politiques publiques sur les marchés. Ce débat n’est pas clos, même si avec la paralysie des négociations commerciales à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), il a été mis

Au xxe siècle, le discours rela-tif aux politiques alimentaires tournait essentiellement autour de la faim et des problèmes de disponibilité alimentaire dans le monde en développement. De réelles avancées ont été faites dans les domaines du transfert de la recherche, du développe-ment et de la technologie entre les années 1940 et 1970, qui ont augmenté la production agri-cole à travers le monde. Ces pro-grès ont été mesurés en termes d’approvisionnement à moindre coût de plus de nourriture pour plus de personnes. Les augmen-tations de la production agri-cole favorisées par la révolu-tion verte sont souvent créditées d’avoir contribué à éviter une famine généralisée, et d’avoir permis de nourrir des milliards de personnes. Alors que l’impact de la révolution verte a été signi-ficatif en Asie (principalement pour les petits exploitants et

les consommateurs) et en Amé-rique latine (surtout pour l’agri-culture à plus grande échelle), il a été relativement faible en Afrique, non pas parce que le taux de production n’a pas aug-menté, mais parce qu’il n’a pas pu suivre le taux de croissance de la population. Ainsi, alors que la révolution verte a cer-tainement apporté un éclairage utile et mérite incontestable-ment une attention particulière pour tirer des enseignements, elle n’a pas résolu le problème suivant : comment alimen-ter une population qui devrait atteindre 9 milliards d’habitants en 2050 ?Alors que le nombre de per-sonnes sous-alimentées a dimi-nué constamment depuis les années 1970, il a recommencé à augmenter à partir du milieu des années 1990. Aujourd’hui, les statistiques montrent une aggravation dévastatrice de

la faim et de la malnutrition. Selon la FAO, qui mesure la « sous-alimentation » pour esti-mer la sécurité alimentaire dans le monde, 925 millions de personnes étaient sous-alimen-tées en 2010, chiffre qui repré-sente 13,6 % d’une population mondiale s’élevant à 6,8 mil-liards d’habitants, et presque toutes ces personnes sous-ali-mentées se trouvent dans les pays en développement [FAO, 2011a]. Ce chiffre de « sous-ali-mentation » a augmenté depuis le milieu des années 1990, en partie à cause de la crise éco-nomique mondiale actuelle, en partie parce que l’agriculture a été négligée par les gouver-nements et agences internatio-nales, notamment pour les très pauvres ; mais plus particuliè-rement, cette augmentation est due à la croissance significative des prix des denrées alimen-taires ces dernières années.

La disponibilité alimentaire et les tendances historiques de la sous-alimentation

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en sourdine. La question a refait surface, cependant, avec la vague de contrôle des exportations au moment de la crise de 2008, témoignant de la fragilité, en cas de crise, du système d’échanges. Enfin, la sécurité alimen-taire est aussi l’objectif poursuivi par les orga-nisations humanitaires intergouvernementales et grandes ONG dans les situations de crise et l’insécurité alimentaire est considérée comme un facteur de déstabilisation politique en termes de migrations, de troubles politiques et de changements de régime, de subversion et de terrorisme. En cela, elle représente un enjeu de sécurité au sens traditionnel du terme.

La diversité de ces approches et la fragmen-tation des institutions et des acteurs qui les portent ne facilitent pas une action globale au moment même où il faut en repenser les princi-paux piliers : la production agricole, les enjeux environnementaux, les enjeux d’équité et de stabilité. Il faut reconnaître, cependant, que la question des interactions entre les différentes facettes du problème est au centre de beaucoup de travaux et de propositions de solutions, dans la recherche comme dans les politiques publiques. Même si chaque institution ou groupe d’acteurs donne la priorité à une seule dimension, la complexité des interactions est reconnue par tous : un exemple est la manière dont les institutions de développement, et les plus spécialisées comme la FAO, considèrent les préoccupations environnementales parallè-lement aux objectifs de production.

De même, les interrelations verticales font l’objet de réflexions spécifiques. La question de la sécurité alimentaire se déploie à différents niveaux : international (par exemple, le régime commercial ou les efforts coordonnés d’aide

L’agriculture et l’économie

La part de l’agriculture dans l’économie et dans la population active varie largement selon les pays. Le secteur reste économiquement important, notamment en Afrique, même si la comparaison entre l’Éthiopie et le Gabon, par exemple, montre un profil très différent en termes d’emplois créés. Même dans les pays qui ont encore une forte main-d’œuvre agricole rurale comme l’Éthiopie et le Kenya, la structure agricole elle-même et les liens avec les autres sec-teurs expliquent la contribution différente du secteur à la création de richesses nationales. Enfin, de grands pays économiquement importants comme l’Inde ou la Chine, où le secteur agricole repré-sente une faible part du PIB, conservent une part importante de leur population active en agriculture. L’ensemble de ces facteurs témoigne de la difficulté d’aborder globalement la question agricole ou de proposer des stratégies pour l’avenir.

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au développement pour l’agriculture notam-ment) ; régional (les régions ont des situations de vulnérabilité spécifiques et des dispositifs institutionnels propres) ; national (avec des politiques particulières concernant tant les droits que la disponibilité ou l’accessibilité) ; et, enfin, local (les situations d’insécurité ali-mentaire sont toujours liées à des territoires, des ressources et des populations spécifiques). Ces niveaux interagissent entre eux avec l’inté-gration croissante des économies à l’économie mondiale : par exemple, les investissements internationaux croissants et souvent contestés dans les achats de terres agricoles.

Il faut aussi tenir compte de la complexité, voire de la complexification, des relations entre les acteurs de la filière alimentaire : la révolution alimentaire de la fin du xxe siècle s’est caractérisée par des changements radi-caux dans l’ensemble du système alimentaire. D’importants moteurs et obstacles pour les changements des systèmes agricoles échappent à la production primaire, et concernent la chaîne d’approvisionnement en aval et les services de recherche et de développement en amont.

L’agriculture au cœur du développement durableL’agriculture figure en tête des priorités mondiales, car c’est à la fois un secteur forte-ment touché par les changements globaux (changement climatique, dégradation des ressources en eau, espèces envahissantes…) et un moteur important de ces changements, en raison de ses impacts sur l’environnement. À titre d’exemple, les acteurs du secteur agricole eux-mêmes préconisent que les négociations sur le climat prennent en compte le secteur, notamment pour ce qui concerne le finance-ment de l’adaptation, mais aussi pour les actions d’atténuation (comme cela a été le cas lors de la Journée de l’agriculture et du développement rural à Durban, CdP17, le 3 décembre 2011 3).

Il est de plus en plus admis qu’en raison de la rareté croissante des ressources, du changement climatique et des préoccupations relatives aux coûts environnementaux, un

3. Pour plus de détails, voir p. 243-245.

statu quo dans l’utilisation des ressources natu-relles par l’agriculture n’est pas envisageable [McIntyre et alii, 2009]. Les options possibles pour l’avenir de l’agriculture doivent donc être évaluées par rapport à ces nouvelles données fondamentales.

Il est essentiel d’augmenter la productivité de l’utilisation des ressources. Cela peut se traduire par l’optimisation de la productivité des terres, l’efficacité de l’utilisation de l’eau, mais également par la réduction de l’utilisa-tion d’intrants extérieurs, minimisant ainsi la dépendance vis-à-vis des ressources non renouvelables comme l’énergie fossile, et réduisant aussi les impacts environnementaux. L’augmentation de la productivité est égale-ment liée à une meilleure « fermeture » des cycles naturels sur eux-mêmes (carbone, eau, azote, phosphore, matières organiques pour la fertilité des sols…) à l’échelle de l’écosystème, ce qui réduirait en outre le besoin d’intrants externes et les impacts sur l’environnement.

La résilience au changement climatique et, en général, aux risques et aux chocs envi-ronnementaux est également un élément clé pour la viabilité de long terme de l’agriculture, en particulier pour les agriculteurs les plus vulnérables.

En pratique, l’accès des petits exploitants pauvres aux technologies permettant d’amé-liorer la productivité et la résilience représente un défi majeur : l’accessibilité des technologies et le soutien public pour investir dans l’amélio-ration de la productivité joueront également un rôle clé.

L’agriculture est de nouveau à l’ordre du jour, et l’on peut espérer une nouvelle dyna-mique d’investissements : mais les défis actuels et émergents sont tels qu’il est important de choisir les bonnes orientations pour utiliser au mieux ces investissements.

Repenser l’agriculture mondialeMaintenant que l’agriculture retrouve sa juste place au sommet de l’agenda international, la question clé est de définir les types de systèmes agricoles dans lesquels il convient d’investir. Étant donné l’importance capitale de la nour-riture pour le bien-être et la stabilité sociale

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et politique, il est probable que les gouverne-ments et autres organisations voudront encou-rager la production alimentaire au-delà de la simple stimulation de mécanismes de marché.

La nature des retours sur investissement – en général à long terme – pour de nombreux aspects de la production alimentaire, l’impor-tance des politiques en faveur de la durabilité et de l’équité plaident également contre le fait de s’appuyer uniquement sur les solutions de marché. Alors, comment produire plus de nourriture durablement ?

Poursuivre aujourd’hui le modèle moderne dominant d’une agriculture à grande échelle hautement mécanisée et consommatrice d’intrants, et l’étendre à de nouvelles zones où la production alimentaire devra augmenter à l’avenir, n’est tout simplement plus une option, puisque nous nous heurtons à des

limites naturelles [Buck et Sherr, 2011]. Pour déployer le potentiel de l’agriculture et per-mettre un développement durable, il faudra changer nos modèles actuels pour des modèles capables de produire des résultats sociaux, économiques et environnementaux positifs à des échelles multiples.

Les politiques agricoles ont grandement besoin de réformes, et cela s’applique à la fois aux pays du Nord et du Sud. Les contraintes sont fortes et nombreuses mais les opportuni-tés aussi.

Les défisDu côté de la demande comme de l’offre, l’agriculture est confrontée à une multitude de défis. En ce qui concerne la demande, ces défis englobent la sécurité alimentaire et nutritionnelle, la croissance démographique,

La consommation d’engrais est croissante à l’échelle mondiale (+ 14 % entre 2002 et 2009), un chiffre qui recouvre des situations contrastées : la diminution du recours aux engrais dans les pays les plus développés ne contrebalance pas la forte augmentation de leur utilisation en Asie ou en Europe de l’Est. La consommation d’intrants en Afrique subsaharienne reste par ailleurs très faible, témoignant plus d’un manque de ressources financières des acteurs agricoles que d’un choix motivé par des raisons écologiques.

Quels engrais pour quelles agricultures ?R

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l’évolution de la demande liée à l’augmenta-tion des revenus et l’utilisation des cultures vivrières pour la production de biocarbu-rants, en plus de l’émergence de l’agriculture (aliments, terre) en tant que marchandise d’in-vestissement négociée au niveau mondial.

Selon la FAO, la production alimentaire devra augmenter d’au moins 70 % d’ici 2050 pour répondre aux besoins d’une population en expansion et à l’évolution des régimes alimentaires [FAO, 2011b].

Cette situation fragile de la sécurité alimen-taire mondiale est en partie due aux différentes pressions liées à la hausse des prix, la spécula-tion sur les marchés des produits agricoles ou la pression croissante des biocarburants, mais c’est aussi, et peut-être plus fondamentale-ment, le reflet de décennies de sous-investis-sement et de mauvais investissements dans le secteur agricole, tant par les gouvernements que par les bailleurs. Les gouvernements des pays à faible revenu où l’économie repose sur l’agriculture n’ont consacré qu’environ 4 % de leurs budgets nationaux à l’agriculture [Banque mondiale, 2007] et les bailleurs de fonds ont diminué la part de l’aide publique au développement (APD) pour l’agriculture, passée d’un maximum de 18 % en 1979 à un minimum de 3,5 % en 2004 [Banque mon-diale, 2007].

Du côté de l’offre, les défis rencontrés par l’agriculture incluent la disponibilité limitée en terres, eau, intrants minéraux et main-d’œuvre en milieu rural, ainsi que la vulnérabilité croissante de l’agriculture au changement climatique. Certains diront qu’il y a beaucoup de terre et d’eau dans le monde, mais que nous n’utilisons tout simplement pas efficacement les ressources. La Banque mondiale estime à plus de 200 millions d’hectares les surfaces dégradées et sous-utilisées en Afrique pouvant être mises en production. Les rendements des principales cultures céréalières en Afrique pourraient faci-lement être doublés, voire triplés.

Les opportunitésBeaucoup de nouvelles opportunités émergent pour l’agriculture. Elles supposent la sensibi-lisation accrue des gouvernements, l’intérêt

des bailleurs pour soutenir et investir dans le développement de l’agriculture dans les pays à faible revenu, l’intérêt croissant des inves-tisseurs privés dans l’agriculture durable et l’augmentation de la demande des consomma-teurs pour des aliments produits de manière durable. De nouveaux marchés dynamiques, de profondes innovations technologiques et institutionnelles et de nouveaux rôles pour l’État, le secteur privé et la société civile, tout cela caractérise le nouveau contexte pour l’agriculture.

Afin de saisir ces opportunités, il est néces-saire de poursuivre la recherche agricole et de mieux appliquer les résultats déjà obtenus. Actuellement, ni les centres internationaux de recherche du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (Consultative Group for International Agricultural Research, CGIAR), ni les centres de recherche natio-naux ne sont suffisamment financés. Sur le plan positif, de nouveaux acteurs comme la Fondation Gates entrent en jeu et soutiennent financièrement la recherche agricole.

Il existe de multiples possibilités d’innova-tion dans les technologies et pratiques agri-coles, allant des innovations au niveau des semences grâce à l’amélioration génétique (sélection assistée par marqueurs, OGM) aux innovations à l’échelle des exploitations avec une meilleure intégration agronomique des principes écologiques, en passant par les inno-vations reliant les agriculteurs aux marchés (telles que les applications informatiques). À l’heure actuelle, il n’y a pas de consensus mondial sur le niveau ou le type d’innovation susceptible de produire les meilleurs résultats à faibles coûts de mise en œuvre 4.

Pourtant, comme le note Olivier De Schutter [2011], transformer l’agriculture en un modèle durable, à faible émission de carbone et per-mettant de préserver les ressources, qui soit axé sur les petits exploitants, ne se fera pas par hasard, mais seulement à dessein. Pour réussir cette transition, il faudra une forte volonté politique aux niveaux nationaux et une grande coopération internationale ainsi qu’un

4. Cette discussion est développée dans le chapitre 9.

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ensemble de politiques de soutien et d’inves-tissements publics dans les infrastructures, les services de recherche et de développement agricoles et la création de conditions écono-miques propices, notamment de marchés plus équitables.

Nouveaux fondamentaux et objectifs politiquesRendre l’agriculture plus efficace pour soutenir une croissance durable et réduire la pauvreté commence par un climat sociopoli-tique favorable, une gouvernance adéquate et de solides fondamentaux macroécono-miques. Cela nécessite ensuite la définition d’un agenda pour une transition vers une agriculture durable, agenda et transition qui peuvent différer radicalement d’un pays à l’autre. Ce défi est mondial et concerne tous les types d’agriculture, mais il sera relevé différemment par les pays qui ont déjà fait l’objet d’une industrialisation de l’agriculture après la Seconde Guerre mondiale ou par la révolution verte des années 1960 à 1980 (pays de l’OCDE, Asie, Amérique latine), et par les pays dont l’agriculture reste essen-tiellement « traditionnelle », c’est-à-dire à faibles intrants, avec forte main-d’œuvre et modèles extensifs. Ces différentes agricul-tures sont confrontées, dans chaque région, à des conditions divergentes de l’offre et de la demande.

Mais, face à ce défi mondial, quatre nou-veaux principes fondamentaux doivent être considérés. Le premier est la nécessité d’avoir un impact non seulement sur l’agriculture mais sur toute la chaîne alimentaire : fabricants d’in-trants, chercheurs, agriculteurs, agro-indus-tries, distributeurs et consommateurs sont tous concernés et la durabilité de l’agriculture ne peut être obtenue sans une prise en compte de la durabilité du système alimentaire plus large. Les articulations entre les différentes étapes de la chaîne de valeur doivent être améliorées, avec de meilleures conditions d’entrée et d’accès au marché, de nouveaux types de liens entre producteurs et consommateurs, et des chaînes de valeur globalement plus efficaces minimisant les pertes.

Le deuxième principe fondamental est le rôle des agriculteurs. Il est nécessaire d’autonomiser les agriculteurs en tant qu’acteurs clés de cette transition : pour s’assurer que les résultats de la recherche atteignent bien les champs, les agri-culteurs ont besoin de participer au processus d’innovation ; les choix des technologies agri-coles et des voies de transition doivent pouvoir assurer des emplois décents. Les organisations d’agriculteurs peuvent constituer un outil pré-cieux pour les mobiliser et doivent être dévelop-pées dans ce sens. Mais de nouvelles méthodes d’identification des priorités de recherche, d’intégration des compétences des agriculteurs et de transmission des connaissances et des innovations sont aussi essentielles.

Le troisième nouveau principe concerne l’interaction entre l’agriculture et les autres secteurs économiques. Un programme d’« agri-culture au service du développement » ne fonc-tionnera que si les liens entre l’agriculture et les autres secteurs économiques sont favorisés

Enfin, le quatrième consiste à encourager les investissements privés aux côtés de l’interven-tion publique en agriculture, et de superviser ces nouveaux investissements pour s’assurer qu’ils tiennent compte des besoins des petits exploitants.

Reconstruire un scénario d’économie verte avec l’agriculture durableIl n’existe pas de solution unique, mais un élément clé doit être un cadre à l’échelle appropriée pour prendre les décisions poli-tiques et de gouvernance. Ce cadre aidera à son tour à assurer que toute initiative de dévelop-pement économique fondée sur l’agriculture sera véritablement durable, discutée et validée de manière démocratique et transparente, en évitant les situations de rentes injustes ou le déni de droits. L’intervention publique sera nécessaire pour corriger les défaillances du marché (en particulier les externalités environ-nementales, positives ou négatives), construire des filets de sécurité et investir dans les infrastructures.

Un pays souhaitant mettre en place un agenda « agriculture au service du dévelop-pement » doit définir ce qu’il faut faire et la

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façon de le faire. Savoir que faire nécessite un cadre politique ancré sur le comportement des acteurs : les producteurs et leurs organisations, le secteur privé dans les chaînes de valeur et l’État. La façon de le faire nécessite une gou-vernance efficace pour mobiliser le soutien politique et la capacité de mise en œuvre, là encore sur la base du comportement des acteurs : l’État, la société civile, le secteur privé, les bailleurs et les institutions mondiales.

Pour utiliser l’agriculture comme un moteur de développement et un fournisseur de biens publics, tels que la protection de l’environne-ment et la gestion durable des ressources natu-relles, ou encore d’aliments de haute qualité, un pays a besoin d’un programme cohérent et complet.

La capacité d’assurer la paix sociale et un système de gouvernance légitime au sein d’un environnement macroéconomique sain est une condition nécessaire pour la réussite de tout plan pour l’agriculture. Ce postulat de base a trop souvent fait défaut dans les pays agricoles jusqu’au milieu des années 1990, notamment en Afrique subsaharienne. Le programme agricole devra être écologique-ment viable à la fois pour réduire l’empreinte environnementale de l’agriculture et pour soutenir la croissance future de l’agriculture. Dans cette perspective, il est essentiel et aussi important de profiter des connaissances locales que des progrès de la science et de la technologie, biosciences, TIC, écologie.

Le modèle doit être spécifique à chaque pays et ses conditions naturelles et s’adapter aux projets et capacités des acteurs locaux à travers une large participation. Enfin, le suivi des progrès de mise en œuvre, en assurant une capacité administrative adéquate, est aussi important que la conception des politiques.

Le nouvel intérêt suscité par les questions de l’agriculture ne se limite pas, ou ne devrait pas se limiter, aux pays en développement et à un agenda pour une « agriculture au service du développement ». L’agriculture – et tous les stades de nos systèmes alimentaires – doit jouer un rôle dans la réalisation du développe-ment durable dans les pays du Nord comme du Sud (comme l’illustre l’initiative Économie

verte et agriculture de la FAO, ou la Stratégie pour une croissance verte de l’OCDE).

Les pays du Nord doivent repenser leurs poli-tiques agricoles à travers le spectre de la dura-bilité (et également l’efficacité des politiques publiques), car les signaux des marchés et le sou-tien public représentent toujours une incitation pour des pratiques agricoles non durables trop souvent à travers des subventions nuisibles à l’environnement et à l’emploi. L’agriculture peut fournir des biens et des services environnemen-taux en même temps que des biens alimentaires, mais les sociétés doivent être prêtes à payer pour leur existence. Cela doit se faire en cohérence avec nos engagements internationaux (com-merce, changement climatique, etc.). Dans la mise en œuvre des changements majeurs néces-saires, les pays sont souverains et choisiront leurs propres options ; mais les défis de durabilité dans les trois dimensions (économique, sociale et environnementale) font qu’il est important d’évaluer les stratégies choisies, et de réaliser que la voie du développement durable peut être étroite étant donné les défis. Quels que soient les choix, les fondamentaux doivent être justes.

Les consommateurs et les entreprises doivent également agir aux côtés des gou-vernements et des agriculteurs. Les entre-prises, en particulier, doivent appliquer une gouvernance d’entreprise responsable dans leurs activités de base, à la fois en amont et en aval de la production alimentaire. Elles peuvent jouer un rôle crucial en tant que fournisseurs d’intrants pour l’agriculture : la durabilité de la production agricole implique une utilisation durable des intrants. De même, en tant que transformateurs de produits agricoles, les entreprises sont responsables de la qualité et de la composition nutritionnelle, ainsi que du contenu de leurs campagnes de communication, qui jouent un rôle croissant dans la consommation alimentaire. Elles font partie de la solution, et ce d’autant plus que les grands groupes mondiaux de production et de distribution alimentaire façonnent les choix des consommateurs. Dans un monde où l’obésité et la malnutrition touchent un grand nombre de personnes pauvres, les entreprises ne peuvent ignorer l’impact de leurs politiques.

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Enfin, le besoin d’un débat mondial sur les futurs modèles de consommation est pressant. Même si la diversité de la consommation alimentaire est grande et, nous l’espérons, le restera, les tendances non durables doivent être évaluées. Comme pour les habitudes de consommation énergétiques, la voie occiden-tale moderne de consommation élevée de viande basée sur une utilisation très inefficace de l’énergie et des ressources naturelles ne peut pas être suivie par une population de 9 milliards d’habitants. Une discussion mon-diale sur ce sujet est inévitable.

La mondialisation a joué un rôle majeur, tant positif que négatif, pour la sécurité alimentaire ; désormais, aucune solution ne peut être déployée au seul niveau national. Les différentes visions du rôle de l’agriculture et de l’alimentation devront trouver un terrain d’entente, loin de la fracture commerciale tra-ditionnelle. Réintroduire dans la discussion les

Banque mondiale, 2007, Rapport sur le développement dans le monde 2008 : l’agriculture au service du développement, Washington D. C., Banque mondiale.

Buck L. et Scherr S., 2011, “Moving Ecoagriculture into the Mainstream”, in Nierenberg D. et Halweil B., State of the World, Innovations that Nourish the Planet, a Worlwatch Ins-titute Report on Progress Toward a Sustainable Society. Dis-ponible sur : www.gcsu.edu/adp/docs/State_20of_20the_20World_20Innovations_20that_20Nourish_20the_20Planet_1_.pdf 5 (consulté le 19/01/2012)

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R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

différentes composantes, notamment les biens publics locaux et mondiaux que l’agriculture durable peut produire, est certainement une avancée positive.

Les gouvernements devront faire face à un paradoxe. Assurer la sécurité alimentaire est, et a été dans l’histoire de tout régime poli-tique, une responsabilité des gouvernements et un élément de leur légitimité. En tant que telle, c’est une composante importante de leur souveraineté et des exemples tragiques, comme la famine en Corée du Nord, montrent combien les gouvernements ont considéré la sécurité alimentaire comme faisant partie de leur domaine exclusif. Mais, en raison des interactions mondiales, allant du changement climatique à l’instabilité des marchés, le plein exercice de la souveraineté, dans ce cas et dans beaucoup d’autres comme le contrôle des maladies ou le réchauffement planétaire, exige une action et une coordination mondiales. n

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US L’aide confrontée

à la question agricoleFrançois PACQUEMENT, Agence française de développement, France

À l’origine chargée d’assurer le relais de la mise en valeur coloniale et de servir d’auxiliaire dans la guerre froide, l’aide publique au développement

(APD) a connu des changements significatifs pendant les années 1990 où il lui a fallu se donner une nouvelle raison d’être dans une période de globalisation étendue. La solidarité internationale a été réaffirmée dans les objectifs formulés en commun par les donateurs et par sa mobilisation croissante pour permettre aux pays en développement de contribuer aux politiques globales qui se mettent en place (maladies infectieuses, climat, etc.). L’aide à l’agriculture est emblématique de ces évolutions : elle se présente désormais comme une contribution tantôt aux défis globaux du développement durable, tantôt à la démarche de solidarité (lutte contre la pauvreté, réduction de la faim). Malgré les fluctua-tions du discours sous-jacent, l’agriculture occupe une place de choix dans les activités des bailleurs de fonds. Si la perception générale tend à déplorer sa baisse au cours des vingt dernières années, comment évolue-t-elle concrètement ?

À partir de données statistiques et d’une analyse sommaire des stratégies de grands bailleurs de fonds, ce focus réunit quelques éléments d’analyse qui permettent de nuancer les perceptions.

Que revêt l’aide à l’agriculture ? L’agriculture est un secteur à part. Cela tient, d’une part, à la place des productions agricoles dans les négocia-tions commerciales multilatérales, avec immédiatement un problème de cohérence : peut-on d’une main aider une activité et de l’autre apporter diverses restrictions à l’écoulement de ses produits ? D’autre part, notamment à compter des années 1970, les crises alimentaires et leur traitement médiatique suscitent l’émotion, tout en met-tant en évidence les limites des marchés, délocalisés et abstraits, comme de l’intervention publique.

Globalement, alors que l’aide se répartit plutôt selon un ratio 1/3 multilatéraux – 2/3 bilatéraux depuis les années 1970, les multilatéraux sont proportionnellement plus engagés dans le secteur agricole, où leur part passe à 40 %, ratio relativement stable, malgré des fluctuations (dues au fait qu’il s’agit d’engagements et non de décais-sements). Les principaux bilatéraux sont le Japon, les États-Unis et la France qui, ensemble, en représentent au moins 50 % au cours des quinze dernières années. Alors que le soutien de la France est stable autour des 10 % de l’aide totale à l’agriculture depuis 1995, l’aide américaine est en forte hausse, passant d’un peu plus de 5 % à près de 30 %, là ou l’aide japonaise baisse graduellement de 40 % à moins de 15 %.

La perception de la baisse de l’aide à l’agriculture n’est pas dépourvue de fondementL’analyse des statistiques d’APD, issues des données de référence du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE, permet de mettre en évidence quelques grandes tendances 1.

La part de l’agriculture dans l’APD connaît une baisse régulière jusqu’à un point bas en 2007. Cette tendance doit être examinée au regard de celle des autres sec-teurs : elle est un sous-secteur des secteurs productifs, mais elle peut bénéficier de programmes d’infrastruc-tures qui sont comptabilisées séparément.

L’évolution de ces grands secteurs permet de distin-guer trois périodes : a. jusqu’en 1973, la répartition sec-torielle est instable ; d’abord élevée, la part des secteurs

1. L’analyse statistique de l’APD bute sur plusieurs difficultés. Première-ment, elle n’offre qu’une vision partielle de l’aide : les données ne com-prennent pas les contributions des banques de développement qui, comme la Banque mondiale, jouent un rôle prééminent. Deuxièmement, les don-nées restent très globales, n’entrant pas dans les formes de contributions aux secteurs identifiés. Troisièmement, les données sectorielles reposent sur les seuls engagements, qui donnent lieu à des décaissements parfois plus tardifs et de montants inférieurs aux prévisions.

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productifs diminue au profit des investissements en services et infrastructures sociaux et « autres » qui regroupent diverses activités difficiles à allouer par sec-teur ; b. de 1973 à 1989, les dynamiques se stabilisent : les investissements en services et infrastructures éco-nomiques progressent ; c. à partir des années 1990, on observe une hausse des opérations multisectorielles et transversales ainsi que des secteurs sociaux, qui précède la formulation puis l’adoption en 2000 des objectifs du Millénaire pour le développement, au détriment des sec-teurs productifs et, dans une moindre mesure, des infras-tructures et services économiques, conformément aux restrictions introduites sur l’aide liée à ces secteurs avec l’accord d’Helsinki [Pacquement, 2009].

La part substantielle du secteur « multisectoriel/transversal » dit clairement l’incertitude attachée à la répartition sectorielle et conduit à fortement relativi-ser la baisse de l’aide à l’agriculture. Au sein des seuls secteurs productifs, qui n’épuisent sans doute pas l’aide à l’agriculture, la part de l’agriculture est dominante depuis 1975 et dépasse les 60 % à partir de 1983 ; elle croît ensuite jusqu’en 1999 puis fluctue pour dépasser les 70 % en fin de période. S’agissant des fluctuations, il

faudrait, pour les comprendre, examiner à quelles pro-ductions a profité l’aide aux politiques commerciales, en faveur de laquelle semble s’opérer une partie de la réallocation sectorielle.

ConclusionAu total, si l’analyse statistique peine à saisir les compo-santes sectorielles de l’aide sur une longue période, elle fait néanmoins ressortir que l’aide à l’agriculture est une composante très significative des contributions des bail-leurs de fonds : dans une tendance générale à la baisse de l’aide aux secteurs productifs, l’aide à l’agriculture résiste globalement. En outre, ses divers changements de paradigme peuvent jouer dans le sens d’un rattache-ment à des secteurs différents. Fonder l’idée d’un certain retour de l’agriculture dans l’agenda des agences d’aide à partir d’une seule lecture statistique méconnaît les aléas de leur construction ; l’agriculture a toujours gardé la faveur des bailleurs de fonds, pour qui le monde rural reste tout à la fois un foyer de pauvreté et une promesse de développement d’autant plus stimulante que les résultats en sont plus aisément perceptibles, en termes de commerce extérieur par exemple. n

R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

Banque mondiale, Groupe d’évaluation indépendant, 2007, « L’assistance globale de la Banque mondiale et son évaluation », Washington D. C., Banque mondiale.

Pacquement F., 2009, « Bâtir des politiques globales : l’aide au développement, source d’inspiration ? », Afrique contemporaine, 3, no 231.

Système de notification des pays créanciers, 2009, Activités d’aide dans le secteur de l’agriculture 2002-2007, Paris, Publica-tions de l’OCDE.

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Elle revêt deux formes complémentaires : – l’aide au secteur agricole et au développement rural, selon les méthodes habituelles de l’aide à l’in-vestissement, de l’aide-projet au financement plus global de politiques sectorielles ;– un mécanisme assurantiel de soutien aux recettes d’exportation des produits agricoles (pour faire face aux fluctuations de cours ou aux déficits quantita-tifs des récoltes sous l’effet d’un choc climatique par exemple) avec l’aide européenne (STABEX pour les pays ACP et COMPEX pour les autres).À cela s’ajoutent : – les contributions à la recherche agronomique inter-nationale soit via des centres de recherches natio-naux (France, Royaume-Uni), soit via des finance-ments aux centres internationaux du CGIAR, soit par des institutions telles la FAO et la Banque mondiale, même si les rapports emblématiques de cette dernière sur le développement dans le monde n’abordent la question qu’à trois occasions (en 1982, 1986 et 2007) ; – les apports aux conditions du marché et non comp-tabilisés dans l’aide, principalement des banques de développement (aux conditions du marché).

Qu’est-ce que l’aide à l’agriculture ?

Le parent pauvre de l’aide bilatérale ?

L’aide à l’agriculture et l’aide alimentaire n’ont jamais représenté plus que 20 % du total des aides bilatérales allouées aux pays en développement. Depuis le milieu des années 1990, leur part est particulièrement réduite (moins de 10 % du total) et stagnante. La légère reprise enregistrée depuis 2006 en réponse aux crises alimentaires n’a pas amené leur part à plus de 8 % du total.

L’aide à l’agriculture n’a jamais constitué un investissement majeur et stratégique des bailleurs de fonds bilatéraux. C’est l’aide aux infra-structures sociales, économiques et de service qui prédomine depuis plusieurs décennies. Les crises alimentaires enregistrées depuis le milieu des années 2000 n’ont pas réellement changé la donne.

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L’agriculture n’est pas un secteur stratégique

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Les aides à la production agricole se maintiennent plutôt bien

Au sein des secteurs productifs dont l’aide est en perte de vitesse au profit des infrastructures et services, le secteur agricole se maintient bien. Les coopérations en matière de politique commerciale ou de dévelop-pement du tourisme, sujets plus récents, restent des axes minoritaires.

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Chapitre 2La crise alimentaire : une recomposition du jeu d’acteurs

La crise alimentaire est avant tout une crise de pauvreté et non une crise de la production agricole mondiale. Si on voit les acteurs traditionnels du secteur agricole agiter les prospectives malthusiennes, c’est pour tenter de trouver une nouvelle légitimité face à la montée de nouveaux acteurs dans les espaces de la gouvernance de la sécurité alimentaire.

En chinois, le terme crise s’ex-prime par l’association de deux signes : danger (wei) et oppor-tunité (ji) (ci-contre). Dans ce que de nombreux observateurs

appellent la crise alimentaire, depuis 2008, le danger est celui de la souffrance, sonore et silencieuse, des populations vulnérables affectées par la hausse des prix. L’opportunité est l’ouverture d’un espace de parole où de multiples acteurs s’expriment pour défendre des opinions sur le traitement de la crise, revendiquer des droits ou légitimer des posi-tions dans le jeu institutionnel. On ne compte plus les sommets de plus ou moins haut niveau, les colloques, les tables rondes sur le thème de la sécurité alimentaire. On ne compte plus les émissions de télévision ou de radio sur le sujet. Depuis 2008, pas moins de dix ouvrages ont été publiés en France sur la question de nourrir le monde, les hommes ou l’humanité 1.

1. Ouvrages de Barnier, Brunel, Charvet, Dorin et alii, Ghersi, Gleizes et alii, Griffon, Parmentier, Fumey, Petit, Rastoin, Thinard, Worldwach Institute, Guillou et Matheron.

À bien des égards, ce qui se joue depuis 2008 sur la sécurité alimentaire n’est pas complètement nouveau. Et la crise est, d’ailleurs, pour certains

observateurs, la manifestation d’une fin de cycle de désinvestissement dans l’agriculture, comme observé dans les années 1950 ou les années 1970 [HLPE, 2011]. L’histoire ne ferait donc que se répéter. À la différence que le monde a quand même changé entre-temps et que la nouvelle pièce qui s’invente voit son casting considérablement élargi.

C’est de cette nouvelle scène de discours et d’actions que cette contribution souhaite rendre compte. Elle rappelle d’abord que la crise des prix n’est pas liée à un essoufflement de l’offre et que la crise alimentaire est avant tout une crise de la pauvreté. Elle montre ensuite comment de nouveaux acteurs, tant à l’échelle internationale qu’à l’échelle locale, sont apparus dans le champ de la sécurité ali-mentaire. Elle conclut sur l’importance crois-sante des acteurs non étatiques, société civile, ONG, médias et secteur privé, dans les espaces de gouvernance de la sécurité alimentaire.

Nicolas BRICAS, Benoît DAVIRON, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, France

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Sécurité alimentaire et production agricoleIl y a un paradoxe entre la façon dont la conception de la sécurité alimentaire a évolué depuis trente ans vers une reconnaissance de son caractère multifactoriel et multisectoriel, et la façon dont elle est aujourd’hui souvent réduite à la seule dimension des disponibilités alimentaires.

La définition de la sécurité alimentaire issue de la Conférence mondiale sur l’alimentation de 1976 insistait sur les disponibilités alimentaires et leur risque d’insuffisance face à une augmen-tation de la demande. Cette demande était sur-tout vue comme une question démographique à une époque où la stabilisation de la population mondiale apparaissait lointaine ou au moins au délai hypothétique. Cette définition intervenait dans un contexte particulier, similaire sur certains points à celui que l’on connaît depuis 2008 : des accidents climatiques qui affectaient la production, une flambée des cours du pétrole et une flambée des prix des céréales sur les mar-chés internationaux. Avec les courbes malthu-siennes et les pics de prix en tête, l’augmentation de la production agricole et la régulation des marchés, notamment par les stocks de sécurité, étaient les deux grandes formes de réponse qui apparaissaient. Quarante ans après, alors que l’augmentation de la demande s’accélère, en particulier avec les nouveaux débouchés éner-gétiques de la biomasse, que se succèdent des accidents climatiques et que les prix flambent à nouveau, il n’est donc pas étonnant que les solutions d’hier réapparaissent.

Comme par le passé, les prospectives alimentaires sont mobilisées dès qu’il s’agit d’attirer l’attention sur l’importance du secteur agricole. Un des intérêts de cet outil est en effet de mettre en évidence, comme l’avait fait Malthus, l’augmentation toujours plus rapide de la demande alimentaire par rapport à celle de l’offre agricole. Toutes concluent toujours au nécessaire effort d’augmentation de l’offre agricole par des investissements dans la recherche et dans les infrastructures, par exemple dans l’irrigation.

Historiquement, c’est d’une part, par une accélération de la croissance de l’offre, en

particulier par la révolution verte, et d’autre part, par la modération de la demande via le contrôle démographique que cette équa-tion a été résolue. L’évolution des régimes alimentaires était considérée tendancielle avec l’accroissement démographique, le développement économique et l’urbanisation. Aujourd’hui, les prospectives récentes conti-nuent de conclure au besoin d’accélérer la croissance de l’offre. Seules certaines d’entre elles abordent franchement la question des régimes alimentaires, et notamment de leur composition en produits animaux, et envi-sagent des scénarios contre-tendanciels de réduction de la demande [Paillard et alii, 2010 ; Foresight, 2011].

Pourtant, la définition de la sécurité alimen-taire a profondément évolué, en particulier avec les apports décisifs d’Amartya Sen et la mise en avant de la notion d’« accès » : le tout n’est pas de produire plus, il faut d’abord que chaque individu puisse accéder aux moyens de produire et/ou de consommer. D’une question purement agricole, on bascule ainsi vers une question de capabilités, de pouvoir d’achat et donc de pauvreté. La définition adoptée lors du Sommet mondial de l’alimentation de 1996, et toujours consensuelle aujourd’hui, rend compte de cet accent mis sur l’accès et non plus seulement sur les disponibilités. Et c’est ce basculement qui explique l’entrée en scène d’institutions non plus dédiées seulement à la production agricole, mais plus largement au développement économique, comme la Banque mondiale.

Pourtant, avec la crise des prix et avec l’insis-tance de mettre en avant les projections à l’ho-rizon 2050, on observe le retour d’une vision de la sécurité alimentaire réduite à l’équilibre entre offre et demande. Le spectre malthusien ressort dans les médias et discours politiques alors que tous les chiffres le montrent : il n’y a pas aujourd’hui de crise de la production agricole mondiale. À l’échelle de la planète, la production agricole mondiale poursuit son accélération et n’a jamais été aussi forte, et la croissance des disponibilités alimentaires par habitant n’a pas ralenti depuis les dernières années.

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À l’échelle d’une région considérée en insé-curité alimentaire, l’Afrique subsaharienne, la consommation apparente en céréales a également augmenté, même au cours des dernières années de crise, et ce, grâce à une augmentation de la production.

S’il y a eu crise alimentaire, c’est parce que les prix internationaux du pétrole, des céréales et des huiles ont augmenté rapidement, touchant une population paupérisée qui s’est notamment accumulée dans les villes. Et si ces prix ont augmenté, ce n’est pas tant du fait d’un déficit de production mais plutôt d’une accélération de la demande, en particulier pour les usages non alimentaires (humaine et animale) et la production d’agrocarburants (repère 1).

Sur un marché plus tendu, et avec des stocks mondiaux réduits, des accidents climatiques ont entraîné une hausse des prix. À celle-ci se sont ajoutées, d’une part, une spéculation sur les marchés dérivés des matières premières agricoles et, d’autre part, des mesures de restriction des exportations de certains pays, provoquant alors, en plus d’une hausse, une flambée des prix.

Si l’on se réfère à ce contexte, les acteurs parties prenantes de cette crise ne se limitent donc pas aux agriculteurs, loin s’en faut.

Des acteurs diversifiésSont d’abord directement concernés par la hausse des prix les opérateurs des marchés inter-nationaux, traders, bookers, courtiers, analystes financiers, banques, etc. Une partie d’entre eux a des liens avec le secteur agricole utilisant les marchés à terme pour se couvrir sur les risques pris. Mais ils sont plutôt issus des mondes du commerce et de la finance, évoluant dans une sphère relativement autonome d’un milieu agricole qu’ils fréquentent peu. Leurs outils sont complexes, mal connus du secteur agro-alimentaire qui considère cette financiarisation comme une opacification du fonctionnement du marché. Et c’est en partie ce qui explique les difficultés du débat sur le rôle controversé de la spéculation sur ces marchés. L’information est difficile à obtenir, les connexions avec les professionnels sont devenues rares.

Les producteurs d’agrocarburants se joignent désormais aux rangs des acheteurs de matières premières agricoles, contribuant à tendre le marché. Non seulement leur demande devient importante et contribue directement à la hausse des prix des huiles et du maïs et, par consé-quent, des autres céréales substituables, mais ils sont également des acheteurs ou loueurs de terres agricoles pour les cultures énergétiques. Ces acteurs contribuent également à connecter les marchés de matières premières agricoles et de l’énergie car leur compétitivité dépend des prix du pétrole. Facteur d’instabilité des marchés agricoles, cette interconnexion est un phénomène nouveau qui élargit le cercle des acteurs déterminants la sécurité alimentaire à ceux du secteur de l’énergie.

Également directement concernés par les prix alimentaires, les États jouent encore un rôle de régulateurs sur les flux et les prix dans les interfaces avec le marché international. Durant la crise de 2008, leur intervention a été déterminante pour atténuer les flambées de prix aux consommateurs de leurs pays. De nombreux gouvernements ont ainsi décidé de réduire les taxes sur les importations ali-mentaires qu’ils pratiquaient, bien que cette variation soit non conforme aux accords de l’OMC qui prohibe l’usage des taxes variables. Une telle mesure a représenté un effort finan-cier important pour ces pays, entre 480 et

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Les céréales et les huiles végétales, plus seulement pour l’alimentation

Les utilisations non alimentaires des céréales et des huiles végétales, croissantes depuis les années 1960, ont connu durant la dernière décennie une réelle explosion : + 7,6 % pour les céréales, + 9,1 % pour les huiles par an. Une réelle compétition pour l’approvisionnement des marchés alimentaires.

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880 millions d’euros de pertes fiscales pour les seuls huit pays de l’Union monétaire ouest-afri-caine (UEMOA) en 2008 [Soulé et alii, 2008]. En parallèle, de nombreux pays ont également interdit ou restreint les exportations de pro-duits alimentaires, craignant une fuite de leur production vers le marché international et du coup une hausse des prix sur leur marché intérieur. Ces mesures, lorsqu’elles ont été pratiquées par des pays largement agro-expor-tateurs, ont eu pour effet de raréfier l’offre et de faire monter les prix internationaux.

Dans le cas des réductions de taxes comme des restrictions d’exportations, ce qui est manifeste est une affirmation de la souverai-neté des États pour gérer la crise, même si les mesures qu’ils mettent en œuvre apparaissent contradictoires avec celles élaborées au niveau international ou font l’objet de critiques de la communauté internationale. Même si, comme nous y reviendrons, l’échelle plus globale de gouvernance s’est affirmée avec la crise, les États qui avaient été mis à mal par un quart de siècle de libéralisation s’avèrent finalement revenir sur scène avec un rôle important.

Plus encore qu’au moment de la crise des prix des années 1970, les États ne sont pas les principaux protagonistes de la régulation des marchés domestiques dans les pays en déve-loppement et notamment en Afrique. Après avoir été longtemps suspectés de seulement s’enrichir sur le dos des consommateurs et

des petits producteurs, les opérateurs privés, commerçants et transformateurs, ont fini par être reconnus pour leur capacité à approvi-sionner des marchés de consommation en croissance rapide.

Les acteurs locaux du secteur agroalimentaireLe cas de l’Afrique, continent qui ne cesse d’at-tirer l’attention pour sa part encore importante de population considérée en insécurité alimen-taire, est intéressant. Son évolution récente bouscule en effet certaines idées reçues. Ainsi, contrairement à ce qu’on lit souvent, l’alimen-tation y est largement dominée par les produits locaux. Pour l’ensemble du continent, pourtant souvent présenté comme fortement dépendant des importations de céréales, on peut calculer sur la base des données de la FAO que le blé et le riz importés n’apportent que 12,2 % des calories disponibles. Si les importations repré-sentent 61,7 % des disponibilités alimentaires en blé du continent, la proportion est beau-coup plus faible pour le riz (39,5 % 2). De tels chiffres conduisent à relativiser la part prépon-dérante, pour ne pas dire exclusive, qu’oc-cupent les céréales dans le débat sur la sécurité alimentaire. La ration calorique moyenne pour l’ensemble du continent africain est nettement diversifiée (repère 2). En comparaison avec celle du monde, elle est nettement plus pauvre en calories d’origine animale (8 % des apports, contre 19 % pour la moyenne mondiale).

Les amylacés (céréales, racines, tubercules et plantains) représentent en Afrique 70 % des disponibilités caloriques, alors qu’ils n’en totalisent que 52 % dans le monde, avec des répartitions selon les produits très variables selon les pays : certains sont dominés par les céréales, d’autres par les racines et tubercules (manioc, igname, patate douce, etc.). En proportion des apports caloriques, ces racines et tubercules sont ainsi plus de trois fois plus importantes en Afrique que dans le monde.

Certes, la situation est différente dans les villes, plus consommatrices de produits

2. Données FAOStat pour la ration calorique moyenne en Afrique 1997-2007.

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La ration alimentaire moyenne en Afrique par personne est légèrement inférieure à la moyenne mondiale. La part des céréales et ses tubercules locales, du maïs et du riz, témoignent en outre de la résistance des modes d’alimentation traditionnels.

Les spécificités de l’alimentation africaine

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importés : le riz asiatique, le blé européen ou américain y ont conquis des parts importantes de marché. Mais la part de ces produits dans l’ensemble du marché alimentaire urbain reste limitée, sauf dans des cas particuliers comme Dakar, toujours cité en exemple, mais peu représentatif du reste du continent. De récentes enquêtes sur les dépenses des ménages urbains menées en 2008 dans les capitales des pays de l’UEMOA (Abidjan, Bamako, Bissau, Cotonou, Dakar, Lomé, Niamey, Ouagadougou) conduisent à relativiser le discours souvent entendu de villes nourries d’importations (repère 3).

En valeur économique, les céréales impor-tées y totalisent 22 % du marché alimentaire contre 14 % pour les riz, maïs, mil, sorgho, manioc, igname et plantain et autres amylacés produits localement. Mais ces produits de base qui fournissent le support calorique de la ration des plus pauvres ne représentent qu’un gros tiers (36 %) du marché alimen-taire de ces huit villes. Les produits animaux, viandes, poissons et produits laitiers totalisent un petit tiers (28 %), et les autres produits, huiles, fruits, légumes, sucres, condiments et boissons, représentent un marché équivalent à celui des amylacés (36 %).

Les villes sont ainsi devenues un véritable débouché pour la production agricole locale, débouché qui dépasse en valeur désormais partout les marchés agricoles d’exportation. Non seulement les cultures autrefois dites « vivrières », et qui étaient essentiellement autoconsommées, sont devenues des cultures commerciales, mais il s’est aussi développé un secteur d’intermédiation – collecte, condi-tionnement, transport, transformation, distri-bution – qui ravitaille les villes en produits de plus en plus variés. La demande alimentaire urbaine s’oriente en effet vers des produits de plus en plus transformés (farines, semoules, granules, pâtes fermentées, cossettes séchées, huiles), conditionnés, dont la production, le transport et la commercialisation occupent des millions d’actifs. Le seul secteur de la restauration urbaine représente, pour les huit capitales des pays de l’UEMOA, 24 % du marché alimentaire, soit un milliard d’euros

par an. En amont et en aval des commerçants, ce secteur est mal reconnu par les pouvoirs publics parce que diffus, « informel », large-ment tenu par les femmes et souvent jugé comme un produit du sous-développement. Délaissé des politiques de formation profes-sionnelle, exclu des systèmes de crédit ban-caire, non pris en compte dans l’élaboration des réglementations sanitaires, bien souvent pourchassé par les autorités municipales, ce secteur nourrit la grande majorité de la population en aliments à faibles coûts qui correspondant aux habitudes alimentaires de la population. Loin de ne reproduire que les traditions culinaires villageoises, ce secteur innove constamment et contribue à inventer une modernité alimentaire urbaine qui n’emprunte que bien peu aux modèles occidentaux. Ce secteur apparaît, de plus, comme l’un des principaux secteurs créateurs d’emplois, en particulier pour les populations vulnérables, et l’un des maillons stratégiques de la sécurité alimentaire [Broutin et Bricas, 2006 ; Banque mondiale, 2007].

Les villes africaines ont connu depuis un demi-siècle une croissance démographique à un rythme particulièrement rapide. Elles comptaient 33 millions d’habitants en 1950. Elles en comptent aujourd’hui environ 420 millions. Et, malgré ce rythme, elles n’ont jamais connu de rupture d’approvisionnement

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L’Afrique dépend de ses importations de céréales, mais pas seulement

Les importations de céréales représentent environ 20 % des dépenses des ménages urbains d’Afrique de l’Ouest. Un poids important mais néanmoins relatif au moment de peser les facteurs de l’insécurité alimentaire : les produits locaux continuent de former la base de l’alimentation.

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alimentaire, sauf en cas de guerre, tant s’est multiplié et organisé ce secteur agroali-mentaire de l’intermédiation. Il est en évolution comme on peut le constater dans les plus grosses villes. L’émergence d’une classe moyenne commence à générer un nouveau type d’entreprises, souvent plus formelles, mécanisées, proposant des produits à plus haute valeur ajoutée, de qualité plus contrôlée, conditionnés dans des emballages qui per-mettent de rivaliser, dans les libres services, avec les produits industriels classiques. Ils sont le fait de nouveaux entrepreneurs, souvent des femmes, qui commercialisent non seulement sur les marchés urbains, mais aussi à l’exporta-tion pour le marché de la diaspora en Europe ou en Amérique du Nord. Les commerçants, désormais davantage reconnus comme acteurs économiques, s’organisent pour bénéficier de certificats d’entrepôts et de crédits bancaires. En Afrique de l’Est, ils ont créé des bourses où s’échangent déjà des contrats à terme. Ils négocient désormais, pour les plus gros d’entre eux, avec les pouvoirs publics. Leur rôle durant la crise est cependant controversé. Ils semblent avoir contribué à atténuer les hausses de prix en réduisant leurs marges. Mais ils sont suspectés de maintenir des prix élevés depuis la fin des flambées des prix et les suspicions de spéculation dont ils font l’objet ne se sont pas atténuées.

Cette évolution, et surtout la prise de conscience de l’importance démographique des marchés urbains, sur un continent où la croissance économique est forte, attirent l’attention des investisseurs étrangers. Après l’Amérique latine et l’Asie, l’Afrique est un continent où prospectent activement les entre-prises multinationales de l’agroalimentaire. Dans les pays où se développe une classe moyenne, elles investissent dans le secteur de la transformation industrielle et de la grande distribution. Les supermarchés se multiplient, plutôt en Afrique de l’Est et australe et encore timidement en Afrique de l’Ouest et centrale. L’Europe, longtemps dominante dans ces investissements, est aujourd’hui en concur-rence avec la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud.

Au bout de la chaîne alimentaire, le dernier acteur que représentent les consommateurs s’est pour la première fois manifesté bruyam-ment lors des émeutes de 2008. La croissance de la population, encore rapide dans les pays dont la transition démographique n’est pas achevée, et l’urbanisation, elle aussi rapide, mettent sur le marché du travail environ 20 à 30 000 jeunes par an et par million d’habitants. Et ce rythme se poursuivra dans les vingt années à venir [Beaujeu et alii, 2011]. L’emploi n’a pas suivi, loin s’en faut, et des millions de jeunes (63 % de la population africaine a moins de 25 ans) sont venus s’entasser dans les villes qui, malgré les difficultés, continuent d’apparaître comme des espaces de plus grandes opportunités que le milieu rural. Seuls les pays qui ont massivement investi dans des infrastructures rurales de transport, de communication, de santé, d’éducation, d’accès à l’eau, etc., ont réduit la pression migratoire vers les villes.

En 2008, puis en 2010 et 2011, les émeutes de la vie chère, que les médias ont appelées les « émeutes de la faim », ont été le fait d’une population urbaine désespérée par son manque de perspective, qui a épuisé sa capacité de résistance aux années de crises qui se sont succédé, et excédée par les régimes politiques en place accusés de n’en faire pas assez pour créer des emplois et garantir une plus équitable répartition des ressources. Dans la plupart des cas, les émeutes ont en effet pris corps dans des villes à forte tension sociale, la hausse des prix du pétrole d’abord, puis de quelques aliments emblématiques ayant mis le feu aux poudres.

Les médias ont également joué un rôle dans le caractère simultané des émeutes et dans la création de ce qui s’est appelé alors la « crise alimentaire ». La généralisation de la télévi-sion et d’Internet a en effet rapproché chaque citoyen, tenu au courant instantanément des événements du monde. La chute du gouverne-ment haïtien en avril 2008 sur fond de hausse des prix a été connue instantanément dans toute l’Afrique et a généré des manifestations qui visaient le même objectif. Ces émeutes de la vie chère ne sont pas un phénomène

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Curieusement, au-delà des émeutes dites « de la faim », on sait en fait peu de chose sur la transmission des hausses des prix internationaux sur les marchés domestiques et leurs effets sur les comportements des ménages. Rares sont les cas où les dispositifs statistiques suivent les consommateurs. Les systèmes de prévention des crises alimentaires sont presque tous ruraux et surveillent les pluies, les attaques de préda-teurs agricoles, les volumes de production et les prix. La FAO calcule d’ailleurs encore le nombre de personnes en insécu-rité alimentaire dans le monde sur la base d’une estimation des disponibilités alimentaires et prend en compte de façon fruste les revenus et le pouvoir d’achat des populations rurales et urbaines. C’est ainsi qu’elle déclare une forte augmenta-tion de la population en insécu-rité alimentaire à partir de 2008 et annonce le franchissement symbolique du seuil du milliard d’habitants qui « ont faim », avec pour but de frapper les esprits et d’obtenir un mandat pour gérer la crise. Le choix de l’indicateur n’est pas neutre : en s’appuyant sur les disponibilités alimentaires, le traitement de la crise s’oriente vers une relance de la production : distribution d’engrais et de semences, inci-tations à un nouvel investisse-ment dans l’agriculture au nom du défi de nourrir les 9 milliards

d’habitants attendus pour 2050. Curieusement, le Sommet de haut niveau organisé par la FAO à Rome en juin 2008 ne dit pas un mot sur la pauvreté et n’ap-pelle qu’à relancer la produc-tion agricole [Bricas et Davi-ron, 2008]. En réaction à cette façon de ramener l’insécurité alimentaire à un problème de disponibilité, se sont développées d’autres approches. Ces dernières ne cherchent plus à mesurer objec-tivement cette insécurité mais, dans la lignée des propositions de S. Maxwell, s’appuient sur la façon dont elle est ressentie par la population. Le calcul ne se fait plus sur la base de statis-tiques de production, des indi-cateurs de répartition des reve-nus ou des données de prix, mais sur de vastes enquêtes auprès de la population. Ce qui est nouveau est l’arrivée dans ce domaine de données non plus publiques mais privées : à l’échelle locale, les ONG, les projets de développement ou humanitaires produisent leurs propres données généralement indépendamment des appa-reils statistiques nationaux lais-sés à l’abandon [Dury et alii, 2010]. À l’échelle nationale, certaines ONG couvrent une telle étendue géographique que leurs données font référence et sont utilisées par la FAO. À l’échelle internationale, appa-raissent des enquêtes réalisées dans plusieurs pays, soit par des

instituts de sondage privés, soit par des ONG. La société Gallup mesure ainsi depuis 2007, dans plus de 100 pays et sur la base de gros échantillons, l’insécu-rité alimentaire ressentie, et conclue à une amélioration de la situation à l’échelle mondiale [Headey, 2011]. Du fait de la hausse rapide des revenus dans les grands pays émergents et du fait de la hausse des prix des matières premières agricoles pour les producteurs, le nombre de personnes qui ont manqué d’argent pour acheter à man-ger aurait nettement baissé. Une enquête Oxfam Interna-tional réalisée dans plusieurs dizaines de pays auprès de plus de 16 000 personnes révèle que la hausse des prix aurait changé les comportements ali-mentaires [Oxfam Internatio-nal, 2011]. Si toutes ces don-nées, autant que celles de la FAO, doivent être utilisées avec prudence, elles révèlent cette double vision de la sécurité ali-mentaire, soit par les disponibi-lités, soit par la pauvreté. Mais elles révèlent aussi et surtout un jeu d’acteurs où le choix des indicateurs mobilisés dans l’ar-gumentation permet d’orienter le débat. Au-delà des questions techniques et méthodologiques sur les indicateurs, questions largement débattues dans les enceintes nationales, régionales ou internationales, se jouent les luttes d’influence entre les acteurs pour gérer la crise.

Des lectures et des comptages divergents sur les effets de la crise des prix

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nouveau. Le monde en a connu auparavant, souvent localisées, et considérées alors comme des mouvements essentiellement internes. Ce qui est nouveau, c’est la simultanéité de ces émeutes, une trentaine en quelques semaines, en Afrique, en Asie et en Amérique. Et c’est ce qui a ressemblé à une épidémie qui a fait craindre aux instances internationales, notamment les Nations unies, un risque de déstabilisation mondiale.

Une multitude d’initiatives innovantesC’est sur cette crainte que la communauté internationale s’est mobilisée. Se sont succédé ainsi plusieurs sommets de chefs d’État ou de gouvernements pour tenter d’apaiser la crise. Alors que les instances en charge de la sécurité alimentaire étaient devenues peu visibles et peu actives pour placer cette question au sommet de l’agenda, la crise de 2008 a eu pour effet d’ouvrir le jeu d’acteurs et de réformer ces insti-tutions. Deux mouvements simultanés et appa-remment contradictoires peuvent se lire dans la multiplication des initiatives institutionnelles.

Le premier, comme on l’a évoqué précédem-ment, est la réaffirmation de la souveraineté des États pour gérer la crise. Elle prend la forme de l’utilisation de politiques commer-ciales (réduction des taxes aux importations et blocages d’exportations) et, pour certains pays disposant de ressources agricoles insuf-fisantes, d’acquisitions de terres à grande échelle dans d’autres pays pour sécuriser leurs approvisionnements. La flambée des prix a eu pour effet une crise de confiance dans les marchés internationaux pour sécuriser les approvisionnements. Certains pays ont eu de vraies difficultés à acheter du blé ou du riz sur le marché international et tentent désormais de diversifier leurs modes d’approvisionne-ment : relance de la production nationale, production à l’étranger en plus des achats sur le marché. Le cycle de Doha est interrompu fin 2008 par la position assumée de certains pays de ne pas faire de compromis commerciaux pour assurer la sécurité alimentaire de leur population. En 2011, l’OMC est en panne et la perspective d’un accord international apparaît très incertaine à court terme.

S’il y a affaiblissement de ces accords et de ces institutions internationales, apparaissent parallèlement de nouvelles instances globales ou réformes des anciennes : une équipe spé-ciale de haut niveau sur la crise mondiale de la sécurité alimentaire (généralement désignée à partir de son acronyme anglais HLTF, High Level Task Force on the Global Crisis of Food Security), Comité pour la sécurité alimentaire mondiale réformé, Scaling Up Nutrition (SUN), etc. Une des caractéristiques de l’évolution de ces instances est l’entrée en scène des acteurs non étatiques : ONG et entreprises privées multinationales. La faiblesse des financements publics, qui devient patente avec la crise finan-cière, conduit à placer des espoirs dans les financements privés. Le SUN, dans le domaine de la nutrition, se dote d’un budget conséquent pour financer des actions. La Fondation Gates y est très active ainsi que les entreprises de fourniture de compléments alimentaires.

Quelles leçons tirer de cette entrée en scène de nouveaux acteurs ?Depuis 2008, les acteurs traditionnels du secteur agricole (syndicats, ministères, FAO, entreprises d’agrofourniture) se servent de la crise alimentaire pour tenter de retrouver une nouvelle légitimité, agitant à nouveau les prospectives malthusiennes. Elles sont toujours efficaces pour remobiliser en mettant en avant la question de l’équation future entre offre et demande. Un glissement sémantique rend compte de cette tentative : ces acteurs ne parlent pas de sécurité alimentaire mais de nourrir le monde, ou de sécurité alimentaire globale ou mondiale.

Certes, la production agricole a un rôle important à jouer, en particulier dans les zones où elle suffit à peine à couvrir les besoins alimentaires et monétaires. Mais la reconnais-sance du caractère multisectoriel de la sécurité alimentaire appelle à reconsidérer le rôle de l’agriculture en élargissant son mandat bien au-delà de celui de fournir suffisamment de biomasse. Elle joue un rôle dans la création d’emplois, dans la santé et la nutrition, dans la stabilité des prix et des revenus, dans la culture, et doit également être évaluée sur

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ces fonctions. Mais puisque ces fonctions sont importantes, tous les autres secteurs qui y contribuent le sont aussi.

La crise alimentaire a ouvert un espace de recomposition de la gouvernance avec non pas une simple poursuite de la montée en puissance du niveau global, mais un double mouvement où les États ont repris un poids que les politiques de libéralisation tendaient à leur faire perdre. Le jeu d’acteurs est du coup plus complexe. D’autant que de nouveaux acteurs ont pris une importance considérable : d’une part, les entre-prises privées, de l’amont agricole – semences, engrais, produits phytosanitaires –, à la trans-formation agroalimentaire jusqu’à l’aval des filières avec la grande distribution ; d’autre part, les ONG. Mais la prégnance de ces acteurs non étatiques ne se limite pas à l’offre agricole. Elle s’étend aussi aux systèmes d’information – sur l’insécurité alimentaire ressentie, sur les prix, sur les images satellitaires –, y compris mondiaux, avec des conséquences que l’on maîtrise encore mal.

In fine, les grands absents de la gouvernance de la sécurité alimentaire sont les mangeurs eux-mêmes, pour ne pas parler de consomma-teurs, une bonne partie d’entre eux autocon-sommant une partie de leur production. Mis à part en 2008 où, au travers des émeutes, ils se sont fait entendre, ce sont les grands silencieux du débat. Ils ne sont approchés que par le biais d’enquêtes dont les méthodologies orientent le regard. Selon que l’on mesure le degré de satisfaction des besoins objectifs, le pouvoir d’achat ou l’opinion, on ne rend pas compte

de la même façon des attentes des mangeurs. Ils sont approchés aussi par le biais de repré-sentants : les États ou les collectivités locales, les associations de consommateurs voire la grande distribution qui revendique de pouvoir parler au nom de ses clients. La légitimité de ces institutions est évidemment discutable. Mais ce qui frappe, dans tous les cas, est le fait que le regard se focalise seulement sur les mangeurs vulnérables ou pauvres. Certes, leur situation est critique et s’est fragilisée depuis la hausse des prix si l’on écoute les institutions en charge des filets de sécurité. L’attention à leur égard est bien sûr incontestable : ce sont eux qui souffrent. Ce sont leurs enfants dont la santé et donc l’avenir risquent d’être compromis. Si les plus vulnérables, parce que souvent silencieux, doivent attirer l’attention, plus généralement les populations pauvres ne doivent pas être oubliées. La détérioration de leur pouvoir d’achat et de leur résilience peut les faire basculer dans des situations explo-sives. Cela dit, aucune attention n’est portée aux gagnants de la crise alimentaire ; car il y en a bien sûr ! Les prix élevés, le dévelop-pement des agrocarburants, les acquisitions de terre à grande échelle, les investissements dans l’agroalimentaire bénéficient à certains acteurs qui s’enrichissent durant les crises. Et, plus généralement, la surconsommation des pays riches et leur demande qui apparaît toujours infinie dans un monde de ressources fossiles qui se raréfient, apparaissent comme une partie du problème et méritent que l’on commence à s’y intéresser. n

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Mobilisations citoyennes pour une évolution des systèmes alimentaires en Thaïlande

Wallapa VAN WILLENSWAARD, Green Market Network, Thaïlande

Au fil des siècles, l’agriculture a lentement évolué pour devenir un secteur de l’industrie sous l’effet de facteurs comme l’enclosure [Shiva,

2005], la révolution industrielle, la croissance urbaine, l’exode rural, l’émergence d’États-nations modernes et la concurrence économique internationale. Les chan-gements survenus après la Seconde Guerre mondiale ont finalement défini le paysage agricole actuel : les industries de guerre se sont converties à la fabrication de produits agrochimiques, le pétrole a été considéré comme inépuisable et les politiques internationales de développement ont remplacé le colonialisme, luttant contre la pauvreté et les famines au moyen de stratégies ambitieuses comme la révolution verte.

La grande question est de savoir si les défis actuels de l’agriculture, notamment la crise économique de 2008, le pic pétrolier, la crise alimentaire, les changements clima-tiques, la pression démographique et l’accroissement des inégalités entraîneront la poursuite de l’industrialisation ou un changement fondamental de cap. Une autre voie pos-sible est la création de réseaux de petites fermes biologiques, soutenue par des technologies durables, pouvant garantir la sécurité alimentaire à long terme plus efficacement que les approches mécanistes et d’exploitation. Ce focus examine le potentiel d’une telle approche « alternative », en mettant l’accent sur le mouvement biologique en Thaïlande.

Origines de l’agriculture biologique en Thaïlande et motivation des consommateursEn Asie, le mouvement pour une alimentation alterna-tive a vu le jour en 1982 avec la fondation du réseau Pes-ticide Action Network (PAN). Les superficies certifiées biologiques ou en conversion sont aujourd’hui estimées à 18 895 hectares en Thaïlande, cultivées par environ 5 000 agriculteurs biologiques 1.

1. Voir le site : www.organic-world.net

Le mouvement biologique se soucie autant de la santé humaine que de l’environnement. En termes de santé, le lobby biologique remet en question la valeur nutritive des aliments produits de manière conventionnelle et s’inquiète des résidus chimiques. Les préoccupations environnemen-tales incluent la contamination par les produits agrochi-miques, la résistance aux pesticides, la baisse de ferti-lité des sols, la dégradation du paysage, la déforestation et la perte de biodiversité. Ces menaces environnemen-tales ont conduit au soutien croissant de « l’agro-écolo-gie » [Altieri, 1995] en Thaïlande, une approche préco-nisée par des groupes environnementaux comme BioThai.

Certains consommateurs achètent aussi des aliments biologiques par souci des impacts éventuels des produits agrochimiques sur la santé des agriculteurs. En Thaï-lande, la plupart des agriculteurs sont pris au piège de l’endettement en raison de leur incapacité à récupérer leur investissement initial en produits chimiques, engrais artificiels et semences hybrides. Ils souffrent aussi d’iné-galité, d’un manque d’accès direct aux marchés et de positions de négociation injustes.

Pour prendre compte de ces problèmes, la Fédéra-tion internationale des mouvements d’agriculture biolo-gique (IFOAM 2) a ajouté le terme « commerce équitable » à sa liste de normes. Toutefois, les groupes d’agricul-teurs, comme l’Assemblée des Pauvres en Thaïlande et le mouvement international La Via Campesina restent les principaux organismes de défense des droits des petits agriculteurs. Les petits groupes d’action positive sont importants à l’échelle régionale, notamment le réseau de consommateurs Community Supported Agriculture (CSA, l’équivalent des AMAP) de Bangkok qui sécurise le revenu des agriculteurs grâce à une avance annuelle.

2. Réseau international de producteurs biologiques, d’associations de consommateurs, de commerçants et de chercheurs, créé en 1972 à Versailles, France.

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Une autre motivation pour les consommateurs de pro-duits biologiques est la volonté d’un changement socié-tal, économique et politique. Ils cherchent ainsi une « transformation » ou un changement systémique, carac-térisé par le holisme critique et la célébration de l’inté-grité culturelle.

Le réseau Green Market, basé à Bangkok, est pionnier de ce mouvement de transformation. Il est également à l’origine de la School for Wellbeing Studies, think tank indépendant et plateforme de recherche-action guidée par des militants, notamment Sulak Sivaraksa, Vandana Shiva et Helena Norberg-Hodgea.

Fonctionnement du réseau Green Market Les organisations professionnelles de l’Association thaïlandaise des négociants biologiques (TOTA) se concentrent surtout sur les exportations vers l’Eu-rope, les États-Unis et le Japon, et sur les plats cuisinés haut de gamme. Le gouvernement thaïlandais recon-naît l’importance de l’agri culture biologique pour l’éco-nomie et cherche à encourager l’industrie d’exportation. Le réseau Green Market, quant à lui, cible le marché inté-rieur de produits moyen et bas de gamme, en facilitant la mise en réseau entre producteurs, responsables commer-ciaux et consommateurs éthiques et est peu soutenu par le gouvernement.

Le changement de paradigme préconisé par les défen-seurs de l’agriculture biologique est que le prix des pro-duits biologiques n’est pas trop élevé, mais que celui des aliments conventionnels est trop bas si l’on tient compte

des « externalités » et subventions gouvernementales cachées. Ce changement nécessite que les consomma-teurs soient prêts à consacrer une plus grande part de leur budget aux dépenses alimentaires directes.

Implication pionnière des hôpitauxLe mouvement biologique thaïlandais tente d’impli-quer les hôpitaux dans l’utilisation d’aliments biolo-giques dans leurs cuisines et restaurants. Ce projet pilote, auquel participent cinq hôpitaux de Bangkok et une cen-taine d’agriculteurs biologiques, cherche à instaurer une coopération directe pour aider à bâtir des réseaux com-munautaires et promouvoir de meilleures pratiques afin d’évoluer progressivement vers des modes de production agricole plus durables. Les hôpitaux peuvent réduire le coût des aliments biologiques en s’approvisionnant loca-lement par l’intermédiaire des systèmes de garantie par-ticipatifs et en composant des menus saisonniers.

Mais cette approche se heurte aux règles d’approvi-sionnement que les hôpitaux publics thaïlandais doivent respecter et aux fortes pressions qu’ils subissent pour fonctionner avec des fonds limités. Pour intégrer plei-nement les hôpitaux dans des économies locales basées sur la production biologique, un changement de para-digme supplémentaire est nécessaire, identique à celui des entreprises qui doivent assumer pleinement leurs responsabilités sociales.

Nouveaux systèmes alimentaires et mouvement de transformationLes chercheurs de la School for Wellbeing Studies sou-tiennent l’approche pragmatique du réseau Green Mar-ket. Cette école, issue de réflexions entre la Thaïlande et le Bhoutan sur le bonheur national brut (BNB), a orga-nisé en 2009 un débat public avec le prix Nobel d’éco-nomie Joseph E. Stiglitz sur les résultats de la Commis-sion Stiglitz-Sen-Fitoussi qui a étudié la pertinence du PIB pour la performance économique et le progrès social [Stiglitz, Sen et Fitoussi, 2010].

L’indice BNB a révélé les divisions sociales qui existent au Bhoutan, en montrant le décalage des niveaux de bonheur entre la capitale Thimphu et les zones rurales – tandis qu’en Thaïlande, le fossé urbain/rural a été à l’origine de manifestations de rue. Les deux principales sources d’insatisfaction rurale sont les lois relatives aux terres et aux biens, et les droits de propriété intellectuelle des semences. Malheureusement, en Asie, les gouverne-ments traitent souvent l’agitation rurale par des incitatifs

Green Market

Green Market se compose d’un réseau de magasins « verts » indépendants à Bangkok ; soutient les pro-jets de CSA, où les consommateurs paient les agri-culteurs à l’année en échange d’une quantité heb-domadaire de produits biologiques ; organise des visites de fermes pour sensibiliser, développer les connaissances et la compréhension et former des réseaux de qualité garantie ; organise des marchés hebdomadaires dans les bureaux et apporte un sup-port de gestion pour les producteurs et transfor-mateurs locaux ; organise des marchés hebdoma-daires dans les hôpitaux et soutient les producteurs locaux dans leurs efforts d’approvisionnement des hôpitaux ; organise le salon annuel Green Fair et d’autres salons plus petits.

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Incitations sociales au changement dans les années 1970 et 2010 Incitations des années 1970 Défis des années 2010

IFOAM (International Federation of Organic Agriculture Movements)

« L’agriculture biologique peut nourrir le monde »

Club de RomeHalte à la croissance

Gouvernance globale m Changement climatique – Développement durable m Questions de population m Écologisation de l’industrie, « croissance verte » m Plein emploi

E.F. SchumacherSmall Is Beautiful - une société à la mesure de l’homme

Économie bouddhiste m Efficacité de la consommation m Passage de la promotion de la satisfaction à l’altruisme m Économie de voie moyenne : économie de partage m Propriété commune (le mouvement des « commons ») m Plein engagement

Bonheur national brut (BNB)Quatre piliers : m promotion de la culture m bonne gouvernance m développement économique équitable m préservation de l’environnement

m Indice BNB et indices de bien-être m Bien-être subjectif comme bien public m Débat sur le PIB mondial (Stiglitz-Sen-Fitoussi) m Comptes nationaux du bien-être m Prise en compte des impacts environnementaux, sociaux et culturels m Détecter et annuler les externalités

Fondation Sathirakoses Nagapradipa créée en 1968 par Sulak Sivaraksa m entreprise sociale Suan Nguen Mee Ma 2001 m Réseau Green Market

« Alternatives à la consommation » m Rassembler les agriculteurs et les consommateurs attentifs m Agriculture biologique : cœur de la transformation globale m Santé préventive : Politique de santé et rôle des hôpitaux pour la sécurité alimentaire > qualité des aliments

Développement tripartite > La nouvelle « troisième voie » > scénario de la société du bien-être

Source : tableau des auteurs.

à court terme et des politiques populistes, plutôt que par la mise en œuvre de changements structurels majeurs. La School for Wellbeing Studies répond à la crise alimen-taire en misant sur la qualité et la sécurité alimentaires à travers la préservation des sols et la création de com-munautés agricoles dynamiques. Elle vise à relancer le débat sur la « troisième voie » [Giddens, 2001] à partir de trois scénarios de base : le premier guidé par les prin-cipes socialistes et communistes, le deuxième par le néo-libéralisme et le troisième tentant de définir une alterna-tive, appelé provisoirement scénario Société du bien-être [International Exchange Platform, 2011]. L’agri-culture biologique est au cœur de ce scénario qui vise à tisser des liens entre les qualités de chaque scénario.

Le scénario Société du bien-être trouve un écho dans l’« économie verte 3 ». Il exhorte les citoyens, les gouver-

3. Comme préconisée par le PNUE dans la perspective de Rio+20.

nements et les entreprises à relancer les valeurs fonda-mentales des sociétés en bonne santé : prendre soin des personnes, des communautés et de la terre. Il préco-nise la mise en œuvre de systèmes alimentaires qui pré-servent une bonne qualité de vie, tout en respectant l’in-tégrité de la nature.

Ces principes de base 4 peuvent aider à appréhender d’autres aspects des sociétés complexes, permettant une transformation sociétale, économique et politique pro-gressive. Plusieurs tentatives de transformation de ce type sont déjà apparues à divers moments de l’histoire humaine, souvent en réponse à des signaux d’alerte. Ce changement est désormais urgent et doit commencer par une modification des systèmes de production alimen-taire. n

4. Note de l’IFOAM, The Role of Smallholders in Organic Agriculture.

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Chapitre 3Agriculture et transition à l’heure de la mondialisation

La question de la contribution de l’agriculture au développement économique se heurte au concept même de « développement » fondé sur une lecture partielle de la transition économique occidentale. Pour les pays d’Afrique subsaharienne, la question cruciale est leur capacité à générer suffisamment d’activités – notamment agricoles et rurales – pour absorber une population croissante.

Longtemps absente des discussions sur le développement économique, l’agri-culture est revenue sur le devant de la scène avec la parution du Rapport 2008 de la Banque mondiale pour le

développement (RDM2008) fin 2007. Elle coïn-cida avec la brutale flambée des cours des prix agricoles de 2007-2008 qui déclencha des interventions multiples et disparates des gouvernements, rappelant combien l’agricul-ture – de par sa fonction centrale d’alimenta-tion des hommes – reste une « affaire d’État » [Coulomb et alii, 1990]. Ces événements sont venus faire écho aux débats sur le change-ment climatique et ses conséquences globales (Sommet de Copenhague de 2009), ramenant sur le devant de la scène des débats qui avaient été oubliés depuis les années 1970 et les posi-tions alarmistes du Club de Rome.

Nourrir un monde de 9 milliards d’hommes à l’horizon 2050 de façon durable dans un environnement naturel fragilisé est bien sûr une question agricole, même si d’autres champs d’action apparaissent incontournables (modes de consommation, sources d’énergie ou incorporation des coûts environnementaux). Cependant, ramener la question agricole à la seule question alimentaire revient à nier la mul-tifonctionnalité de l’agriculture 1. L’agriculture ne fait pas que produire des aliments ou des matières premières ; elle a aussi, du fait de son rapport particulier à l’espace, aux territoires et aux modes de vie, des rôles économiques, sociaux, culturels et environnementaux, assu-rant à la fois des fonctions marchandes et non marchandes [Groupe Polanyi, 2008].

Cette réduction du débat fait oublier la contribution majeure de l’agriculture au

1. La reconnaissance de la multifonctionnalité reste contestée comme l’illustre l’opposition à l’OMC entre Union européenne et États-Unis et groupe de Cairns [Losch, 2004].

Bruno LOSCH*, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, France

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* Les arguments développés dans ce chapitre s’appuient largement sur les travaux conduits dans le cadre du programme RuralStruc (voir encadré). Ils sont propres à l’auteur et n’engagent ni la Banque mon-diale, ni les autres bailleurs de fonds du programme.

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développement. Car même si le RDM2008 a rouvert la voie en insistant sur le rôle de l’agri-culture aux différentes « étapes » du dévelop-pement, celle-ci reste semée d’obstacles pour deux raisons principales. La première, conjonc-turelle, renvoie aux réalités changeantes de l’actualité qui influent sur les préoccupations des décideurs. La gestion de la crise financière débutée fin 2008 mobilise les énergies sur des échéances de court terme, loin de l’horizon 2050. Parallèlement, les thématiques du débat international évoluent et, après un RDM2008 agricole, le RDM2009 a mis l’accent sur l’impor-tance des densités et de l’urbanisation [Banque mondiale, 2008], tandis que l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi) rappelait l’importance de l’industriali-sation [UNIDO, 2008].

La seconde raison, plus fondamentale, concerne le concept même de « développement ». Forgé au sortir de la Seconde Guerre mondiale, et marqué par la décolonisation, le développement est ancré dans la notion de rattrapage selon des étapes, formalisées entre autres par l’économiste Walt W. Rostow, correspondant à la voie tracée par l’Europe de l’Ouest et ses projections outre-mer (en premier lieu les États-Unis) au cours des xixe et xxe siècles. « Croyance occidentale », selon Rist [1996], qui s’accapare l’histoire du monde en volant l’histoire des autres – comme le rappelle Goody [2006] – le développement est, de par ses fondations, de nature évolutionniste et les États dits « émergents » sont ceux dont le déve-loppement se rapproche du modèle de croissance occidental [Gabas et Losch, 2008]. Une telle vision, en se focalisant sur les étapes franchies par une entité territoriale (généralement un État pensé en État-nation), oublie le rôle central des relations entre le national et l’international, entre les processus internes et les conditions du « reste du monde », pourtant déterminants pour comprendre les dynamiques de changement, notamment les rapports de force et les marges de manœuvre possibles des acteurs locaux 2.

2. Vision renforcée par le recours généralisé aux « indicateurs de développement » (i. e. objectifs du Millénaire) contribuant à focaliser l’attention sur des objectifs de niveau interne et à segmenter le débat entre champs thématiques en ignorant la question de la viabilité des processus et de leur articulation.

À cet égard, quel est le rôle de l’agriculture, en particulier pour des pays caractérisés par la faiblesse de leur changement structurel et qui sont les plus dépendants de leur secteur agricole ? C’est l’angle d’analyse retenu dans ce chapitre qui, après ce rappel introductif sur les modalités du débat, insistera sur le modèle canonique du scénario évolutionniste et les particularités historiques des transitions pas-sées. La situation structurelle des late  deve-lopers, plus spécifiquement de l’Afrique subsaharienne (ASS), sera ensuite examinée en mettant en évidence les défis d’une double transition (économique et démographique) à l’heure de la mondialisation et sous contrainte des changements globaux. On abordera enfin la situation particulière de l’agriculture et des obstacles à la diversification agricole et rurale, avant de conclure sur des choix néces-saires en termes de politiques publiques.

Le scénario évolutionniste et ses omissionsSelon la séquence historique observée dans différentes régions du monde et confirmée par l’évidence statistique [Timmer, 2009], le processus classique de transition économique consiste au passage progressif d’une économie basée sur l’agriculture à l’industrie puis aux services, et du rural à l’urbain. Cette transfor-mation structurelle est rendue possible par les gains de productivité qui permettent l’accu-mulation puis les transferts de main-d’œuvre et de capitaux d’un secteur à l’autre, parallè-lement à l’augmentation des niveaux de vie et à la croissance et la diversification de la demande.

L’agriculture joue donc un rôle initial et moteur, qui s’accompagne d’une sortie mas-sive des actifs du secteur. Seule une minorité peut rester et se spécialiser dans l’agriculture (généralement la mieux dotée en facteurs de production), alors que la grande majorité doit s’employer dans d’autres activités non-agri-coles, dans les zones rurales et le plus souvent en migrant vers les villes, d’autres régions ou l’étranger. Ces trois options – spécialisation agricole, diversification rurale, migrations – restent celles du RDM2008 qui les présente

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comme les sorties possibles de la pauvreté rurale. Pourtant, si le rapport rappelle le carac-tère composite des solutions, la question de la viabilité de ces options de sortie aujourd’hui n’est pas véritablement débattue, alors que les transitions passées ont évidemment eu lieu à d’autres moments historiques 3.

Cette approche comporte trois omissions majeures. Tout d’abord, la transition euro-péenne qui sert de référence – au-delà de processus longue durée liés au développement du capitalisme marchand – s’est nourrie d’un ordre géopolitique mondial caractérisé par l’expansion de la domination de l’Europe ou de celle des États qui en sont issus (les États-Unis). Cette domination de l’Occident a faci-lité son développement industriel grâce – on l’oublie trop souvent – aux marchés captifs et à l’élimination de la concurrence asiatique [Bairoch, 1997 ; Grataloup, 2007].

Ensuite, les surplus de main-d’œuvre issus de la modernisation agricole ne trouvant pas de débouchés dans les industries naissantes ont en grande partie été absorbés par des migrations internationales de grande ampleur vers les « nouveaux mondes », produits de l’expansion de l’Europe 4. Cet ajustement par les migrations européennes a été décisif et a fortement contribué à forger l’état du monde actuel.

Enfin, ces transitions occidentales ont été fondamentalement marquées par une vision nationale du développement, qui a connu une phase d’expansion généralisée des années 1930 à la fin des années 1970 – soit le début de la période actuelle de mondialisation. Les objec-tifs étaient alors de consolider l’État-nation et de développer les marchés intérieurs, grâce à des politiques publiques volontaristes, notam-ment d’import-substitution. C’est la voie suivie dès l’entre-deux-guerres par la plupart des pays d’Amérique latine – constitués en tant qu’États depuis plus d’un siècle –, puis par

3. Le RDM2008, bien qu’intitulé « Agriculture pour le développe-ment », opère un glissement sémantique en s’attachant à la sortie de la pauvreté rurale, compliquant ou empêchant une attention appro-fondie aux processus de transition.

4. Ces « migrations blanches » [Rygiel, 2007] ont concerné environ 60 millions d’Européens entre 1850 et 1930.

les pays asiatiques à partir des années 1950. Cette vision nationale a été renforcée par les soutiens externes de la guerre froide sous forme de programmes d’aide massifs aux pays qui étaient considérés comme stratégiques face à la poussée communiste (Corée du Sud, Taiwan, Singapour mais aussi Inde et de nom-breux pays latino-américains).

La situation très particulière de l’Afrique subsaharienneLa période de mondialisation actuelle, carac-térisée par le retrait de l’État, la libéralisa-tion commerciale, les sauts technologiques en matière de communications, a bien sûr profondément changé la donne pour les pays les moins avancés dans leur processus de chan-gement structurel et, en premier lieu en ASS, dernière région du monde à s’engager dans sa transition économique et démographique.

Les États africains sont parmi les derniers venus sur la scène internationale, étant nés pour la plupart au début des années 1960 sur les fondations des territoires coloniaux européens. Ils bénéficient des avantages des late  developers (progrès technique, apprentis-sages passés) et des opportunités du nouveau régime de croissance mondial (ouverture commerciale et accès à de nouveaux marchés). Mais ils sont confrontés aux contraintes d’une forte concurrence – qui met en évidence des asymétries mondiales croissantes –, à l’insta-bilité de l’environnement économique inter-national et aux conséquences du changement global, réduisant drastiquement leurs marges de manœuvre.

Une transition économique embryonnaireCinquante ans après les indépendances, les économies d’ASS restent marquées par le poids du secteur agricole dans le produit intérieur brut (PIB), dans le commerce exté-rieur et surtout, et c’est trop souvent sous-estimé, dans la structure de l’emploi : avec une moyenne de 65 % des actifs pour le sous-continent (hors Afrique du Sud) et de 75 à 85 % pour de nombreux pays, l’agri culture reste la principale source d’activité et de revenus des ménages.

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Source : Banque mondiale, 2009, World Development Indicators.

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Afrique subsaharienne

Part de l’agriculture dansl’économie (% du PIB)

Part de l’industrie dans l’économie(% du PIB)

La singularité permanente des économies africaines*

Malgré une rapide urbanisation, la structure des économies d’Afrique subsaharienne a très peu évolué au cours des dernières décennies. Une trajectoire très différente de celle suivie par d’autres régions du monde, comme l’Asie de l’Est et du Sud-Est. *Les pays d’Amérique latine aux transitions plus anciennes ne figurent pas dans ces schémas.

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Le phénomène le plus frappant réside dans la grande inertie structurelle des économies d’ASS, alors que leur population a pourtant fait preuve d’une très forte mobilité : avec un taux qui approche les 40 %, la population urbaine a été multipliée par 12 depuis 1960 sans que pour autant une dynamique d’indus-trialisation ait été engagée. Cette urbanisation sans industries contraste avec les autres régions en développement, notamment l’Asie, où les changements économiques ont été très rapides (repère 1).

Ainsi, faute d’un secteur manufacturier dynamique, la croissance de la population active en ASS a d’abord été absorbée par l’agri-culture et par le secteur informel urbain 5, qui a joué un rôle complémentaire d’amortisseur sans permettre une véritable dynamique de croissance : faible productivité, sous-emploi,

5. Il représente de 30 à 45 % du PIB non agricole et de 70 à 90 % de l’emploi total non-agricole.

précarité, bas revenus constituent souvent des trappes à pauvreté attestée par une urbanisa-tion de bidonvilles [UN-Habitat, 2003].

Avec des marchés intérieurs éclatés par le morcellement en 42 États (pour la partie continentale) et une demande solvable contrainte par l’importance de la pauvreté, la croissance des économies d’ASS reste fortement dépendante de l’extérieur. Ces caractéristiques, associées à une faible pro-ductivité économique globale (liée au poids du secteur agricole et de l’informel), à une instabilité politique fréquente ainsi qu’à une forte croissance de la population expliquent la très faible progression du PIB par habitant et sa grande volatilité. La forte croissance des dernières années – avant la crise finan-cière – doit donc être analysée avec un recul historique suffisant. À quelques exceptions, cette croissance a d’abord été « tirée » par le boom des matières premières et du commerce et n’a pas infléchi « l’anémie structurelle » du

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La cruciale intégration économique des jeunes

L’Afrique subsaharienne a devant elle un grand défi démographique et économique. D’ici 2025, 330 millions de jeunes Africains entreront sur le marché du travail. Saisir ce dividende démographique et construire une économie qui sera capable de les intégrer sera la clé de la croissance et de la stabilité politique et sociale du continent.

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sous-continent 6. Cette situation spécifique à l’ASS s’explique par les conditions historiques d’insertion du continent dans l’économie mondiale (tutelle coloniale contraignante et tardive) et la jeunesse des États africains. Rattrapés par la mondialisation et l’ajustement structurel, ils n’ont pas, à l’instar des pays asiatiques et latino-américains, engagé des politiques volontaristes de modernisation et corrigé leurs propres erreurs de gestion.

Une transition démographique inachevéeCette faiblesse de la transformation des écono-mies africaines est d’autant plus critique que l’ASS est la dernière région du monde à s’être engagée dans son processus de transition

6. Les récents plaidoyers en faveur des « lions d’Afrique » [McKinsey, 2010] doivent être pris avec précaution car ils incluent les pays d’Afrique du Nord et l’Afrique du Sud qui représentaient 62 % du PIB continental en 2008.

démographique. Or celui-ci reste encore large-ment inachevé : après quatre décennies de forte croissance de la population (supérieure à 2,5 % par an – à l’exception des pays les plus touchés par la pandémie du sida), la baisse de la natalité tarde encore à se manifester et la population doublera d’ici à 2050, avec au moins 900 millions d’habitants supplémen-taires selon les Nations unies. Cette évolution se traduira par un changement de la struc-ture démographique avec une forte augmen-tation de la taille de la population active – et donc de la demande d’emplois –, puis par une évolution progressive du taux d’activité. Ce taux, qui exprime le rapport actifs sur inac-tifs, avait été proche de 1 dans les années 1980 et 1990 (contre 2 à la même période en Asie de l’Est), constituant alors un handicap écono-mique majeur au plus fort de l’ajustement structurel. Sa progression soutenue, jusqu’au-delà de 2050, va représenter une opportunité

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unique en termes de croissance. Mais, pour que ce « dividende démographique » puisse jouer pleinement son effet levier, il devra être accompagné d’une augmentation très signi-ficative de l’investissement productif, de la capacité d’innovation et de la productivité.

La question cruciale pour l’ASS est donc celle de sa capacité à générer suffisamment d’activités et d’emplois à même d’absorber la croissance rapide de sa population active. Aujourd’hui, les cohortes annuelles de jeunes arrivant sur le marché du travail sont de l’ordre de 17 millions pour l’ensemble de l’ASS. Elles seront environ 25 millions en 2025 (repère 2), ce qui n’est pas une hypothèse, ces nouveaux actifs étant déjà nés. Au total, dans les quinze prochaines années, les économies d’ASS devront accueillir 330 millions de nouveaux actifs (soit la population actuelle des États-Unis). Il s’agit d’un défi majeur porteur de pressions économiques, sociales et politiques considérables. Les révolutions arabes l’ont rap-pelé brutalement et ont ramené l’emploi des jeunes dans les préoccupations prioritaires des dirigeants africains (Sommet des chefs d’État de l’Union africaine de janvier 2011).

Un rôle central pour l’agriculture africainePour répondre aux défis de son changement structurel, l’ASS dispose certes de nombreux

avantages naturels (ressources minérales, disponibilité en terres, population jeune) et comparatifs (faible coût de la main-d’œuvre) ; mais ceux-ci sont très largement contrariés par les contraintes liées aux importants retards en matière de biens publics, de capital humain, d’infrastructures productives, qui induisent et sont accompagnés par de nombreuses imper-fections et incomplétudes de marché.

Le récent boom des investissements directs étrangers (IDE), notamment de la part des grands pays émergents (Chine, Brésil) attirés par les atouts du continent, reste largement cantonné à l’exploitation des ressources et aux infrastructures qui y sont liées. La fai-blesse du capital privé local et des ressources publiques et les limites de l’APD rendent dif-ficiles un traitement simultané de toutes les autres contraintes. Or, il apparaît clairement que l’ASS ne pourra pas compter à court et moyen terme sur la soupape de sécurité des migrations internationales, à l’instar des migrations de masse qui ont accompagné les transitions européennes entre le milieu du xixe siècle et les années 1920 7. Par ailleurs, s’il existe probablement une place pour

7. L’exemple du Mexique ou du Maroc, comptant 10 % de leurs ressortissants à l’extérieur, n’est pas reproductible : à proportion égale, plus de 80 millions d’Africains au sud du Sahara seraient voués à l’exil.

Le programme RuralStruc sur les changements structurels des économies rurales dans la mondialisation est né d’une ini-tiative conjointe de la Banque mondiale, de la Coopération française (AFD, ministères de l’Agriculture et des Affaires étrangères, Cirad) et du Fonds international de développement agricole (Fida). Lancé en 2006, le programme a réuni sept équipes nationales – Mexique, Nica-ragua, Maroc, Sénégal, Mali, Kenya et Madagascar – dans un

dispositif comparatif en deux phases (2006-2007 et 2007-2010), destiné à mettre en évi-dence la diversité des processus de changements et les modali-tés d’adaptation des ménages ruraux, grâce notamment à la réalisation d’enquêtes auprès de 8 000 ménages dans 26 régions des pays concernés. La dissémi-nation des résultats au niveau national mais aussi auprès des organisations régionales et de la communauté des bailleurs de fonds permettent d’alimenter le

débat sur les politiques de déve-loppement et la place particu-lière du secteur rural dans le changement structurel des pays en développement.

Pour en savoir plus :Losch B., Freguin-Gresh S. et White E., 2011, Rural Transforma-tion and Late Developing Countries in a Globalizing World. A Comparative Analysis of Rural Change, Synthesis of the RuralStruc Program, Washing-ton D. C., Banque mondiale. Disponible sur : www.worldbank.org/afr/ruralstruc

Le programme RuralStruc : une approche comparative de la diversification rurale

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l’industrialisation des pays à faible revenu [UNIDO, 2008], et si la révolution des tech-nologies de l’information ouvre de nouvelles perspectives pour les services, ces change-ments seront lents du fait de l’ampleur des handicaps.

Il apparaît ainsi que, pour la majorité des pays d’ASS, les progrès de leur base agricole resteront essentiels pour l’évolution des deux prochaines décennies qui vont connaître une extraordinaire poussée du nombre de jeunes actifs. 200 millions sur les 330 millions de jeunes actifs attendus d’ici 2015 seront en zone rurale si les tendances de répartition de la population entre villes et campagnes sont maintenues. Cette poussée des actifs devra trouver à s’employer dans le monde rural au risque de venir accroître la pression déjà diffici-lement gérable de la seule croissance urbaine. Et l’agriculture devra jouer un rôle majeur sachant que c’est avant tout la croissance des revenus agricoles – une leçon des transitions passées – qui suscite une demande rurale géné-ratrice d’autres activités rurales non agricoles.

Des contraintes structurelles à la croissance agricoleL’agriculture africaine reste contrainte dans son développement par plusieurs blocages qui sont bien connus : coûts de transaction élevés, absence de crédit et d’approvisionnement,

aléas de commercialisation, manque d’infor-mation et de formation, etc. La stagnation de la productivité agricole globale a été accrue par la chute de l’investissement public dans l’agri-culture – États et agences d’aide confondus – une conséquence des options d’ajustement des vingt-cinq dernières années.

Toutefois, si ces différents constats renvoient à l’environnement économique et institution-nel, la situation des ménages agricoles et ruraux est moins souvent prise en compte. Les enquêtes de ménages conduites par le programme RuralStruc (voir encadré) confirment l’ampleur de la pauvreté rurale (75 % des ménages enquêtés ont des revenus globaux inférieurs à 2 dollars/jour/personne et 40 % ont des reve-nus inférieurs à 1 dollar/jour/personne) ; mais elles révèlent également l’importance du risque et de l’insécurité économique voire alimentaire (confirmée en convertissant les revenus moyens en kilocalories par équivalent-adulte).

Plus spécifiquement, les résultats du pro-gramme permettent de mettre en évidence l’importance de la relation entre revenus des ménages et diversification des activités qui détermine le rythme et l’ampleur de la trans-formation rurale. En effet, l’importance du risque économique pour des ménages confron-tés à une pauvreté durable et la faiblesse des revenus existants bloquent les possibilités d’investissement et d’innovation qui pèsent

Gérer les risques – Des stratégies familiales

Selon les contextes, les ménages ruraux doivent gérer différents risques – climatique, économique et parfois alimentaire – face auxquels ils recourent souvent à des stratégies de diversification. Au-delà d’un certain seuil de revenus permettant de mieux gérer les aléas et qui correspond souvent à un meilleur environnement économique et institutionnel, ils sont en mesure de se spécialiser et d’investir, contribuant ainsi au dynamisme régional.

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Repenser les interventions en milieu rural

structurellement sur la productivité et les perspectives d’accroissement des résultats agricoles.

Le repère 3 représente de façon stylisée une évolution en U inversé où les ménages à faible revenu sont cantonnés dans une spécialisation dans l’agriculture de subsistance. La crois-sance des revenus agricoles permet d’accéder progressivement à d’autres sources de revenus offertes par l’émergence d’une demande rurale qui, en réduisant les risques, permet ensuite une spécialisation des ménages dans un secteur agricole plus directement orienté vers le mar-ché (avec une baisse de l’autoconsommation), mais aussi dans d’autres secteurs d’activités non agricoles (production et services).

Les régions d’ASS qui ont fait l’objet d’enquêtes du programme RuralStruc sont presque exclusivement situées à l’étape

initiale du processus. Les revenus ruraux sont caractérisés par le poids structurel des revenus agricoles dont une part importante correspond à l’autoconsommation. Et si la diversification dans d’autres activités en dehors de l’exploita-tion agricole est généralisée et souvent forte, elle concerne essentiellement des activités de complément, peu rémunératrices (« petits bou-lots » dans le commerce et les services, salariat agricole occasionnel), qui ne permettent pas de sortir de la précarité et de déboucher vers une diversification rurale véritable.

Des orientations pour les politiques publiquesCes résultats suggèrent plusieurs orienta-tions en termes de politiques publiques. Vue l’ampleur des contraintes auxquelles font face les agricultures africaines, égrener la longue

Au-delà de sa contribution à une meilleure connaissance du monde rural et de la situation des ménages ruraux dans les différents pays étudiés, le pro-gramme RuralStruc interpelle les donateurs sur leurs pratiques. Ses résultats confirment plu-sieurs réalités que les décideurs peinent à intégrer dans leurs stratégies.La première est l’arrivée mas-sive sur le marché du travail de jeunes majoritairement issus du monde rural. Pourtant, la com-munauté des donateurs ne rai-sonne guère l’agriculture comme secteur d’emplois. Nos modèles de modernisation, pensés à par-tir des trajectoires des pays du Nord, visent à améliorer la renta-bilité de la production, des inves-tissements et du travail sans prise en compte de l’emploi. Comment gagner en productivité globale sans trop sacrifier l’emploi ?

Une autre réalité est l’am-pleur et le niveau de pauvreté en milieu rural, en particulier dans les pays d’Afrique subsaha-rienne. Non seulement la pau-vreté touche une large partie des ménages, mais elle est sou-vent grave avec des parts impor-tantes de la population vivant sous le seuil d’extrême pauvreté. En cela, rien de nouveau et la littérature sur le sujet est abon-dante. Mais nos modes d’inter-vention ne nous éloignent-ils pas de ces populations majoritaires dans les pays les plus pauvres ? En effet, les financements du développement sont de plus en plus souvent orientés vers des investissements économiques avec une rentabilité rapide et la recherche de résultats visibles. Mais peut-on demander à des ménages aussi pauvres, dont la première préoccupation est d’assurer leur alimentation,

d’investir, d’adopter de nou-velles techniques et de s’enga-ger dans de nouvelles produc-tions ? Un accompagnement par la mise en place de filets sociaux ne peut suffire. Des actions de long terme alliant biens publics, investissements productifs col-lectifs et appuis aux activités économiques individuelles sont aussi nécessaires.RuralStruc apporte aussi des informations moins bien par-tagées. Ses résultats montrent clairement que la préoccupa-tion de sécurité alimentaire tra-duite par l’autoconsommation reste déterminante dans les stra-tégies des exploitants, y com-pris dans les régions considé-rées comme plus favorisées. Ce constat invite à redonner la prio-rité aux cultures vivrières pour réduire le niveau de risque et débloquer la capacité d’innova-tion. Or, les agences d’aide et la

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Repenser les interventions en milieu rural

liste des thèmes d’intervention possibles ne permet pas la sélectivité indispensable pour prendre en compte les limitations évidentes de moyens, même en mettant l’agriculture au premier plan. Le réalisme impose de cibler des axes prioritaires d’action correspondant aux contraintes les plus fortes.

L’hétérogénéité des situations – un autre résultat important de RuralStruc – implique un réinvestissement dans l’analyse des contextes (enquêtes, études régionales) nécessaire à l’éta-blissement de bilans-diagnostics préalables à la préparation de stratégies d’action. Le soutien à l’élaboration de politiques publiques concer-tées apparaît ainsi indispensable pour définir les programmes adaptés, mais il est cependant possible de mettre en avant trois priorités.

La première correspond au nécessaire soutien aux agricultures familiales (par

opposition à l’agriculture managériale). Au-delà du faux débat sur le small scale versus large scale 8, les agricultures familiales sont les plus inclusives car correspondant à la quasi-totalité des agricultures africaines. Elles possèdent de nombreux atouts en termes de productivité et de compétitivité [Banque mondiale, 2009] et offrent un potentiel considérable en matière d’absorption des nouveaux actifs (qu’il s’agisse de mise en valeur du potentiel foncier ou de techniques d’intensification à fort contenu en travail).

La deuxième priorité concerne l’appui au développement des cultures dites vivrières. Ce

8. La crise des prix agricoles et le « landgrabbing » ont brouillé le débat, le focalisant sur la question de tailles d’exploitations adéquates [Collier, 2009] alors que l’enjeu concerne le modèle de développe-ment agricole le plus à même de faciliter le processus de transition et d’offrir de l’emploi.

recherche ont souvent donné priorité aux cultures d’exporta-tions qui sont certes porteuses en termes de débouchés et de revenus mais souvent moins inclusives, alors que les cultures alimentaires concernent le plus grand nombre tout en bénéfi-ciant de marchés domestiques et régionaux à très forte croissance.Le programme apporte égale-ment un éclairage nouveau sur les dynamiques de diversifica-tion – spécialisations qui sont au cœur du processus de transfor-mation des économies rurales. Il révèle que la diversification des revenus des ménages reste mar-quée par une logique d’adapta-tion qui ne permet pas obligatoi-rement de sortir de la pauvreté. La diversification est le plus souvent une stratégie de ges-tion du risque dont les revenus sont contraints par la faiblesse de l’offre locale en emplois non

agricoles, conséquence d’une demande rurale insuffisam-ment stimulée par les revenus agricoles.Au-delà d’éléments de com-préhension issus des études menées dans les pays, Rural-Struc souligne notre difficulté à penser les transitions agri-coles, les transitions écono-miques et la différenciation en dehors des modèles évolution-nistes séquentiels traditionnels du développement. Ses résul-tats nous poussent à accepter la diversité des trajectoires sou-lignées par la grande hétéro-généité des situations et justi-fient un approfondissement de nos connaissances des proces-sus de transformation en cours. Ces constats plaident de fait en faveur du renforcement des sys-tèmes statistiques locaux et de la collecte de données primaires afin de prendre en compte cette

diversité et de mieux com-prendre les mécanismes de diffé-rentiation et de développement au plus près des réalités locales. Pour mieux impulser, orienter et accompagner les transfor-mations nécessaires sans pour autant « promouvoir » des solu-tions universelles, il est indis-pensable de disposer d’analyses précises et concrètes. Afin que le financement de la transfor-mation des économies rurales réponde aux objectifs d’éradi-cation de la misère, de soutien de l’emploi et d’une agriculture durable, il vaut mieux partir d’une connaissance des réalités que d’une trajectoire de moder-nisation de l’agriculture calquée sur celle ayant eu lieu dans les pays du Nord et dont les exter-nalités sociales et environne-mentales sont désormais mieux évaluées.

Marie-Cécile THIRION, AFD

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choix n’est évidemment pas exclusif et il existe d’autres opportunités de productions, offrant notamment de meilleures rémunérations. Mais les cultures vivrières concernent le plus grand nombre ; l’amélioration de leur rende-ment et de leur développement permettent de faire sauter le verrou des risques alimentaire et économique et de faciliter l’investissement et la diversification vers des activités non agricoles ; elles disposent enfin d’un potentiel de marché considérable au niveau du conti-nent du fait de la croissance démographique et urbaine tout en offrant des possibilités de transformation locale des produits.

La troisième priorité porte sur le nécessaire renforcement du niveau local qui est la condi-tion nécessaire pour la consolidation de la diversification rurale et simultanément pour le ralentissement de processus de concen-tration urbaine difficilement gérable. La densification des relations villes-campagnes passe par une meilleure provision en biens publics, infrastructures et services au niveau des bourgs ruraux et petites villes, essentielle pour le développement des activités agricoles et non agricoles et des réseaux locaux, qui constituent un moyen d’adaptation aux réali-tés d’une économie mondialisée. n

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USAgriculture urbaine, institutions

et développement au MalawiDavid MKWAMBISI, université du Malawi, MalawiFraser EVAN, Andrew DOUGILL, université de Leeds, Royaume-Uni

La croissance rapide de la population urbaine dans les pays en développement a aggravé la pauvreté absolue et relative [ONU, 2002 ; Cohen, 2002] qui,

au-delà de l’insuffisance de revenus, inclut des dimen-sions économiques, sociales et de gouvernance. Dans ce contexte, l’agriculture urbaine peut constituer une opportunité pour les plus pauvres et les plus marginali-sés [Mougeot, 2005].

Encore largement informelle, l’agriculture urbaine aide à améliorer les moyens de subsistance dans les villes d’Afrique subsaharienne. D’après les estimations, les fermes situées en zone urbaine et périurbaine per-mettent d’alimenter environ 700 millions de citadins dans le monde [FAO, 2005], et jusqu’à 40 % de la popu-lation urbaine d’Afrique pratique l’agriculture urbaine [Mougeot, 1994]. Cette activité permet de nourrir les agriculteurs urbains et représente un gisement d’emploi [Foeken, Sofer et Mlozi, 2004].

L’agriculture urbaine utilise par ailleurs les déchets solides et le « fumier humain » (humanure) issu de toi-lettes à assainissement écologique, ce qui réduit les problèmes liés à la forte densité de population à faible revenu des villes, et permet en outre d’obtenir des rende-ments plus élevés que les engrais minéraux.

Malgré son potentiel, l’agriculture urbaine reste cependant peu utilisée pour lutter contre la pauvreté, et les ménages aux revenus élevés et intermédiaires en sont les principaux bénéficiaires. En effet, la pauvreté urbaine n’est pas la priorité des politiques de développement, qui portent davantage sur les questions rurales, sous forme d’aide technique ou financière aux agriculteurs et aux ménages des régions rurales [IIED, 2001 ; Satter-thwaite, 2001]. D’après Pothukuchi et Kaufman [1999], les systèmes alimentaires urbains sont en outre masqués

par des problèmes liés au logement, au transport, à l’em-ploi ou à l’environnement.

Ce focus vise à analyser l’échec des institutions for-melles et informelles pour soutenir l’agriculture urbaine, et les options possibles pour améliorer la contribution de l’agriculture urbaine et périurbaine à la réduction de la pauvreté et la sécurité alimentaire.

L’échec des institutions officielles et informellesEn général, les institutions officielles ne soutiennent pas l’agriculture urbaine. C’est vrai pour le Malawi mais aussi pour d’autres pays d’Afrique subsaharienne tels le Kenya [Mougeot, 2005]. Les responsables de l’aména-gement urbain n’ont pas le mandat ou les compétences nécessaires pour fournir un appui technique aux agricul-teurs urbains.

Dans les rares villes où les régimes de propriété fon-cière intègrent l’agriculture urbaine, seules les fermes commerciales à fort potentiel d’exportation sont ciblées. À Lilongwe, par exemple, l’absence d’attribution offi-cielle de terres aux petits agriculteurs a entraîné l’ex-ploitation illégale de terres écologiquement fragiles non protégées.

Une autre cause du manque de soutien à l’agriculture urbaine est l’affaiblissement de l’autorité traditionnelle des chefs de village, voie habituelle de l’aide au déve-loppement. Par ailleurs, en raison de la très forte mobi-lité des citadins, la population cible des politiques d’aide change constamment, ce qui rend plus difficile le soutien au développement urbain.

Toutefois, les réseaux sociaux informels apportent un soutien institutionnel essentiel, particulièrement impor-tant pour compenser l’absence de contrôle des pro-duits et services agricoles en zone urbaine : mauvaises

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conditions de stockage des semences et engrais sur les marchés de rue non réglementés ; non certification de la plupart des intrants agricoles entraînant des problèmes phytosanitaires ; mélange d’intrants certifiés et non cer-tifiées, ce qui dénature les contenus et réduit le rende-ment des cultures.

Ainsi, la plupart des agriculteurs urbains appar-tiennent à une organisation confessionnelle participant à des mouvements politiques locaux, des groupes de sécu-rité de quartier et des groupes sociaux informels. Bien qu’aucun de ces groupes ne soutienne activement l’agri-culture urbaine, ils sont idéalement placés pour le faire, en particulier les organisations confessionnelles, très res-pectées de leurs communautés.

Les organisations confessionnelles malawiennes inter-rogées participent au développement urbain à travers l’économie domestique, l’alphabétisation des adultes ou le soutien aux jeunes, mais aucun projet ne concerne la sécurité alimentaire. Certaines d’entre elles ne

souhaitent pas s’engager dans un travail générateur de revenus. En outre, elles ne disposent pas des fonds néces-saires pour recruter des agents de vulgarisation ou inves-tir dans des écoles d’agriculture, par exemple. Certains dirigeants ont souligné que l’attribution de titres fon-ciers représentait la clé de l’agriculture urbaine ; d’autres qu’ils la considéraient comme une distraction indésirable des questions spirituelles et sociales.

Les réponses politiques possiblesCompte tenu des avantages qu’elle offre, l’agriculture urbaine devrait donc être encouragée par les gouver-nements. Pour cela, les organisations confessionnelles, qui sont, dans de nombreux pays, l’un des rares types d’institutions actives en zones urbaines, devraient élargir leur portée et s’engager dans de nouvelles acti-vités, tandis que les gouvernements devraient décen-traliser les ressources vers ces groupes. En parallèle, un soutien public formel serait également nécessaire

Une agriculture urbaine, deux mondes

Au sein même de l’activité agricole urbaine, des acteurs disposant de moyens financiers, techniques ou commerciaux très différents, coexistent. La précarité économique des producteurs recoupe ici le niveau de formation mais aussi le genre : une complexité que devrait prendre en compte toute politique de soutien au secteur.

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Une étude de cas sur l’agriculture urbaine, réalisée par David Mkwambisi au Malawi en 2005 illustre bien la situation en Afrique. Deux catégories de producteurs ont été identifiées : les agriculteurs riches (habituelle-ment des hommes), qui produisent sur de grandes par-celles, dont ils sont propriétaires ; et les agriculteurs plus pauvres, souvent issus de ménages dirigés par des femmes, qui exploitent des parcelles beaucoup plus petites afin de produire des aliments et de générer des revenus. La première catégorie consomme la majorité de sa production, à fort rendement, et emploie géné-ralement d’autres personnes pour vendre le bétail ou l’excédent produit.La principale culture au Malawi est le maïs, qui s’ac-compagne d’une production de tabac, manioc, patate douce, canne à sucre et légumes. Les terres agricoles sont louées ou en propriété publique ou privée, géné-ralement divisées en parcelles de moins de 0,5 hectare Entre 23 et 50 % du panier alimentaire des ménages urbains à faible revenu est issu de l’agriculture urbaine.Les ménages interrogés produisent 228 kg d’équi-valents céréales par habitant en moyenne, soit bien plus que la recommandation du gouvernement qui

est de 181 kg/habitant [Mkwambisi, Fraser et Dou-gill, 2011]. Ils pourraient donc subvenir entièrement à leurs besoins grâce aux aliments cultivés sur des par-celles urbaines. L’agriculture urbaine est également essentielle pour réduire les problèmes liés aux déchets urbains solides : plus de dix tonnes de déchets orga-niques sont compostées par jour pour la production alimentaire urbaine et périurbaine. L’étude montre, par ailleurs, que l’agriculture urbaine offre un potentiel de création d’emploi, notamment par la production de biens manufacturés, la fourni-ture d’aliments pour le bétail et l’utilisation de fumier. Ainsi, 17 % des ménages ont perçu un salaire sur une ferme urbaine au Malawi. Cela fait de l’agricul-ture urbaine la deuxième source de revenu pour l’en-semble des ménages interrogés après l’emploi régulier [Mkwambisi, Fraser et Dougill, 2011]. L’agriculture urbaine assure également une importante hausse de revenus, en particulier dans les ménages dirigés par les femmes pratiquant l’élevage de bétail et de volaille. Cependant, ces pratiques sont peu répandues et reçoivent peu d’attention de la part des décideurs politiques.

L’agriculture urbaine au Malawi

pour aider les plus pauvres à développer des compé-tences en agriculture urbaine et contribuer à réguler le marché.

La diffusion d’information sur les technologies de traitement après récolte pourrait garantir la disponibi-lité de nourriture toute l’année, stabiliser les prix, créer des emplois et tisser des liens solides entre les agricul-teurs et l’industrie. Le secteur bénéficierait également du développement de l’agriculture sous contrat, liant les agriculteurs avec des organisations de commercia-lisation. Le renforcement des capacités pour les agri-culteurs pauvres en milieu urbain, en particulier les femmes, est aussi déterminant. Enfin, la mise en place de forums alimentaires urbains serait bénéfique : ils

jouent un rôle de centres d’information, influençant les politiques et encourageant la collaboration entre acteurs.

Un autre objectif politique est le développement de marchés urbains efficaces du travail agricole. En fonc-tionnant comme des entreprises, avec une production variée tout au long de l’année, l’agriculture urbaine pourrait offrir davantage d’opportunités d’emploi.

Si l’agriculture urbaine reçoit l’attention politique qu’elle mérite de la part d’institutions formelles et infor-melles, elle devrait permettre de réduire la pauvreté, accroître la sécurité alimentaire, créer des emplois, contrô-ler les problèmes environnementaux, améliorer la fertilité des sols et limiter les coûts de gestion des déchets. n

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Chapitre 4Agriculture et développement économique en Afrique : les termes du débat

La controverse sur la place de l’agriculture dans le développement est toujours vivace. Deux visions, agro-optimistes et agro-pessimistes, s’opposent quant au rôle que peut jouer l’agriculture comme moteur de croissance et de transformation économique, ainsi que sur la place des petites exploitations familiales. Cette opposition est particulièrement vive en Afrique, continent encore majoritairement agricole.

Le débat sur l’importance de l’agricul-ture pour la croissance et la transfor-mation économique, ainsi que sur la place des petites exploitations agri-coles, se joue entre deux camps. D’un

côté, les agro-optimistes insistent sur le rôle positif de l’agriculture dans la croissance et défendent souvent en même temps les petites exploitations. De l’autre, les agro-pessimistes, s’ils ne sont pas toujours contre la promotion de l’agriculture commerciale, s’interrogent sur la pertinence des petites exploitations et consi-dèrent le développement agricole national comme insignifiant pour la sécurité alimen-taire, estimant que l’industrie et les importa-tions doivent être prioritaires.

Ce chapitre porte sur l’Afrique subsaha-rienne. Après une présentation des débats sur le rôle de l’agriculture dans le développement

économique, nous analyserons en détail les cas de l’Éthiopie et du Ghana, avant de conclure par une brève discussion sur les opportunités et les défis de la transformation de l’agriculture africaine.

Les termes du débatD’un point de vue historique, théorique et empirique, il existe peu de controverses sur l’importance de l’agriculture pour lutter contre la pauvreté en Afrique. Une réduction de la pauvreté de grande ampleur ne se fera en effet pas sans croissance du secteur agricole, car, dans la plupart des pays africains, plus d’un tiers de la population active (parfois jusqu’à 50 %) pratique l’agriculture, et la contribution de la production agricole au panier de consom-mation des populations les plus pauvres est majeure. Ce qui reste toutefois un défi, et

Xinshen DIAO, Elizabeth ROBINSON, Shashidhara KOLAVALLI, Vida ALPUERTO, International Food Policy Research Institute, États-Unis

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peut-être sans surprise une source de désac-cord, est la façon de transformer l’agriculture africaine, essentiellement composée de petites exploitations. Cette transformation nécessite le développement d’une agriculture non tradi-tionnelle (souvent orientée vers l’exportation), mais aussi la mutation de l’agriculture tradi-tionnelle, caractérisée par la fabrication des mêmes produits depuis des générations. Si les exemples de réussite de l’agriculture tournée vers l’exportation sont de plus en plus courants en Afrique [lire par exemple Reardon et alii, 2009], leur développement et réplication pour inclure les petites exploitations agricoles tradi-tionnelles orientées vers le marché national est loin d’être acquis.

Ce débat sur les trajectoires de trans-formation du secteur agricole en Afrique renvoie aux liaisons entre le développement agricole et la croissance économique. Albert Hirschman introduit ce concept de liaison, selon lequel l’investissement dans un secteur peut avoir des effets bénéfiques non pas sur ce seul secteur mais sur d’autres secteurs liés (par exemple, pour une industrie, sur les industries situées en amont et en aval), et donc sur l’économie en général [Hirschman, 1958]. À la fin des années 1950, on supposait que les leviers économiques nécessaires, sus-ceptibles d’entrainer d’autres secteurs à leur suite, devaient être les industries modernes, l’agriculture étant perçue comme un secteur traditionnel voué à disparaître. En effet, on peut s’attendre à ce que l’agriculture de subsistance ait peu de liaisons avec les autres secteurs économiques, car elle n’utilise géné-ralement presque pas d’intrants modernes produits par les secteurs non agricoles.

Cependant, la révolution verte des années 1960 et 1970 en Asie a balayé l’image d’une agriculture traditionnelle cantonnée au rôle de développement passif. Elle a révélé la possibilité de transformer l’agriculture grâce à des technologies scientifiques adaptées aux conditions écologiques d’un pays. Le « modèle d’innovation induite » défendu par Hayami et Ruttan [1985] souligne l’importance du changement technique pour la croissance agricole, mais aussi que ce changement est

souvent endogène au système économique d’un pays. Comme la révolution verte et le modèle d’innovation induite l’ont montré, la croissance de la productivité agricole nécessite de tisser des liens entre secteurs agricole et non agricole. En introduisant des liaisons de consommation, Johnston et Mellor [1961] ont les premiers fait entrer la notion de liaisons dans l’économie générale, dont l’agriculture est une composante majeure.

Le repère 1 résume les principaux points de divergence entre optimistes et pessimistes agri-coles, qui s’opposent essentiellement sur leur vision de l’évolution des petites exploitations. En analysant le rôle de l’agriculture dans le développement à travers l’histoire, Barrett et alii [2010] concluent que les perspectives des années 1960 restent pertinentes aujourd’hui. Gollin [2010] montre que le développement agricole est essentiel pour la croissance éco-nomique des pays densément peuplés ayant un accès limité aux marchés internationaux, car l’importance de la croissance induite par l’agriculture dépend de la possibilité d’importer des aliments et de son coût. Dercon [2009] fait valoir que l’agriculture est essentielle pour la croissance économique des pays africains enclavés, pauvres en ressources, mais pas pour les pays riches, côtiers ou bien situés. De Janvry [2010] souligne l’importance des coûts engen-drés par le fait d’avoir négligé l’agriculture dans les pays en développement dans les années 1980 et 1990, faisant le lien entre le regain d’attention accordée à l’agriculture et les récentes crises économiques, sociales et environnementales des années 2000. De son point de vue, le rôle de l’agriculture pour le développement doit être redéfini, car ses fonctions sont désormais multiples et les contextes de mise en œuvre ont radicalement changé. Si le nouveau paradigme de l’agriculture au service du développement reste incomplet, la mise en œuvre d’une agricul-ture repensée en faveur du développement est essentielle et urgente en Afrique.

Liaisons agricoles et non agricoles en Éthiopie et au GhanaL’idée selon laquelle le rôle de l’agriculture dans le développement diffère d’un pays

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Controverses et débatsSujet Agro-optimistes Agro-pessimistes

Rôle de l’agriculture dans la croissance

L’agriculture est le moteur de croissance le plus efficace pour développer l’économie et lutter contre la pauvreté [Timmer, 1988 ; Gollin et alii, 2002 ; Tiffin et irz, 2006].

Le lien de causalité pourrait aller de la croissance économique à la croissance agricole [Dercon, 2009] ou de la croissance non agricole à l’amélioration de la productivité agricole [GarDner, 2000].

Importance des liaisons

La croissance agricole crée des liaisons de production et de consommation plus fortes en aval et en amont que la croissance non agricole. L’agriculture présente ainsi les effets multiplicateurs les plus élevés, produisant plus de croissance économique durant les premiers stades de l’industrialisation [JohnsTon et mellor, 1961 ; Diao et alii, 2007].

Les preuves du démarrage de la croissance dans les petites exploitations agricoles à partir de la recherche de « liaisons » sont plus faibles qu’il est souvent suggéré, et les méthodes utilisées ne peuvent pas établir de causalité ni identifier les sources de la croissance agricole [collier et Dercon, 2009].

Petites exploitations agricoles

Les petits exploitants dominent l’agriculture africaine et plus d’attention devrait être portée à améliorer leur productivité et leur rentabilité [Banque monDiale, 2007]. Beaucoup sont ache-teurs nets de denrées alimentaires, et l’augmentation de leur productivité contribue directement à la croissance des revenus et à la sécurité alimentaire [Byerlee et De Janvry, 2009].

Défendre une agriculture de petites exploitations tient du « populisme romantique » incompatible avec le développement économique. Cette agriculture représente un secteur arriéré offrant une gamme réduite d’activités économiques avec peu de marges pour maintenir des moyens de subsistance décents et générer de la croissance [collier, 2008].

Marchés et commerce

Une stratégie alimentaire basée sur le commerce est difficile en Afrique où les coûts de transports élevés empêchent la commercialisation d’aliments de base d’importantes populations. La production des petits exploitants est essentielle pour faire face à la crise alimentaire mondiale et aux problèmes de change. La remplacer par des importations n’est pas viable [Banque monDiale, 2007].

La plupart des agriculteurs africains ont un meilleur potentiel commercial sur les marchés intérieurs et régionaux d’aliments de base. Les revenus agricoles y augmenteront plus que sur les marchés de niches ou d’export [Diao et hazell, 2004].

La disponibilité en produits alimentaires bon marché importés permet aux pays africains de contourner le développement agricole et de consacrer plus de ressources au secteur manufacturier et à l’exportation de cultures de rente ou de produits non agricoles pour une croissance plus rapide [Dercon, 2009].

Les marchés intérieurs de produits alimentaires de base sont limités en Afrique et une augmentation de la production peut entraîner une baisse des prix à des niveaux rendant l’agriculture peu attrayante par rapport aux activités concurrentes [ellis et harris, 2004 ; ellis, 2005].

Rural-urbain Les activités primaires et l’agroalimentaire resteront longtemps en Afrique parmi les sous-secteurs aux meilleurs avantages comparatifs, le développement d’activités de fabrication restant plus difficile que celui de l’agriculture [Banque monDiale, 2007].

L’économie urbaine africaine ne génère pas suffisamment d’emplois pour la population rurale. Les activités manufacturières ont stagné (voire reculé). Le surplus de main-d’œuvre en milieu rural est peu qualifié et a de faibles niveaux d’éducation [Gollin, 2010].

Lorsque la migration vers les zones urbaines est utilisée comme stratégie d’adaptation, les emplois non agricoles sont souvent informels, risqués et de faibles rendements [ThirTle et alii, 2001]. Une migration motivée par le désespoir plutôt que par la croissance de la productivité agricole, abaisse les salaires et dépeuple les zones rurales des acteurs innovants. Si elle peut brièvement soulager l’extrême nécessité, elle réduit rarement la pauvreté chronique [lipTon, 2005].

Il est plus productif d’investir dans d’autres secteurs que l’agriculture : pour les pays riches, dans les ressources naturelles extractives ; pour les économies côtières et bien localisées, dans le « progrès industriel » [nDulu et alii, 2008].

Le dynamisme urbain stimule davantage la croissance en créant des emplois dans les secteurs manufacturiers et des services, permettant un arrêt de l’activité agricole, un accès à des emplois mieux rémunérés et une réduction de la vulnérabilité de l’agriculture face à la saisonnalité et aux risques [Dercon, 2009]. Le refus de profiter de la transition rurale-urbaine et les politiques qui « enferment dans l’agriculture » ont bloqué le processus de développement [ellis, 2005].

Les investissements publics en zones rurales devraient cibler la santé et l’éducation pour faciliter l’accès des migrants aux grandes villes [Dercon 2009 ; ellis et harris 2004]. La migration urbaine donne accès aux ménages ruraux, dont les revenus basés sur l’agriculture stagnent aux bénéfices de la croissance [ellis et harris, 2004].

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à l’autre fait consensus. Des évaluations à l’échelle nationale sont donc nécessaires. Nous présentons ici les cas de deux pays africains très différents, en nous concentrant sur les liaisons agricoles et non agricoles afin de comprendre le rôle de l’agriculture dans le développement.

L’Éthiopie et le Ghana sont révélateurs des contrastes qui existent en Afrique. L’Éthiopie est un pays enclavé, pauvre en ressources naturelles autres que les terres agricoles et aux premiers stades de sa transformation éco-nomique. L’agriculture commerciale à grande échelle étant rare, ce sont les petites exploita-tions qui doivent être le moteur de la croissance agricole. En revanche, le Ghana est un pays côtier bien situé qui bénéficie du commerce avec l’Europe. En raison notamment d’amélio-rations récentes de ses infrastructures, il a le potentiel de développer des services axés sur l’exportation. Le Ghana est donc un exemple type de pays qui, d’après les agro-pessimistes, devrait se concentrer sur le développement de l’industrie orientée vers l’exportation plutôt que sur l’agriculture.

Le cas de l’ÉthiopieAvec seulement 15 % de sa population vivant en zone urbaine, l’Éthiopie demeure l’une des économies les moins urbanisées et les plus agraires au monde (repère 2). Sauf pour le café, les graines de sésame, les cuirs animaux et quelques autres produits agricoles primaires, l’économie alimentaire nationale demeure isolée des marchés mondiaux par des coûts élevés de transport et de commer-cialisation. L’agriculture est dominée par des aliments de base cultivés localement et non négociés internationalement comme le teff, le sorgho et l’orge. Le pays n’a pas de ressources minérales et les biens et services exportés ne représentent qu’environ 13 % du PIB, un taux beaucoup plus bas que dans la plupart des pays africains. Les principales importations indus-trielles sont le carburant, les engrais et autres produits chimiques.

D’après les agro-optimistes, le caractère fermé de l’économie éthiopienne est à l’origine des forts effets de liaisons du secteur agricole. L’Éthiopie étant isolée des marchés mondiaux

et principalement agraires, quand la crois-sance agricole permet d’augmenter le revenu des agriculteurs, ces derniers achètent plus de produits et services non agricoles produits localement. Ainsi, il existe de fortes liaisons de consommation entre ces deux secteurs. L’économie étant fermée, le prix des denrées alimentaires diminue également quand la production agricole s’accroît. Par conséquent, lorsque la croissance est dirigée par la produc-tivité agricole, les agriculteurs qui adoptent des pratiques productives en bénéficient, tandis que les acheteurs nets ruraux et les ménages urbains profitent de la baisse des prix alimentaires, et augmentent ainsi leur demande en biens agricoles et non agricoles. Cette baisse des prix est bénéfique pour les secteurs non agricoles en ce qu’elle réduit les coûts du travail. Si cet effet de liaison classique s’est affaibli dans de nombreux pays en déve-loppement en raison de la mondialisation, il reste dominant en Éthiopie.

Les agro-optimistes pensent que les carac-téristiques géographiques de l’Éthiopie, vaste pays aux conditions agro-écologiques variées, expliquent aussi les forts effets de liaison agricoles. Le commerce intérieur est actif et les marchés ont bénéficié d’améliorations récentes des infrastructures routières et des politiques en faveur du marché. Les augmentations de la production agricole locale créent des opportunités de développement des services liés à l’agriculture comme la transformation, le stockage et le commerce. Ainsi, l’Éthiopie a connu récemment une croissance rapide de son économie de services, comme cela s’est produit en Inde pendant la révolution verte [Hazell et Haggblade, 1991].

L’Éthiopie disposant d’une main-d’œuvre abondante, les agro-pessimistes mettent en avant la possibilité de développer un fort secteur manufacturier intensif en main-d’œuvre [Ellis et Harris, 2004 ; Ellis, 2005]. Mais le faible coût du travail n’est qu’un des nombreux prérequis au développement d’une industrie, et les coûts importants de transports (domestiques et internationaux) auxquels doit faire face l’activité économique en Éthiopie annulent cet avantage.

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Le Ghana et l’Éthiopie sont deux pays très différents dans leur situation géographique, leur connexion à l’extérieur, leur organisation spatiale ou leurs infrastructures. Ils illustrent ainsi la multiplicité des modèles de développement agricole et la diversité des raisons – économiques mais aussi sociales ou environnementales – qui justifient des politiques fortes d’investissement dans le secteur.

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Il est d’autant plus important de pousser à une croissance agricole pour satisfaire une demande alimentaire accrue, car les popula-tions des petites villes consomment principa-lement des produits agricoles locaux moins chers que les produits importés. Si l’économie d’Addis Abeba semble capable de se dévelop-per indépendamment de l’agriculture, c’est déjà l’une des plus grandes villes africaines et l’augmentation du coût de la vie liée à l’essor des importations alimentaires réduirait les bénéfices du développement industriel, souli-gnant la nécessité de préserver et augmenter la production agricole locale. Le lien traditionnel entre salaires urbains et productivité agricole reste donc fort [Banque mondiale, 2007].

Les effets de liaison de l’agriculture ont for-tement orienté la Stratégie d’industrialisation pilotée par le développement agricole (ADLI) en Éthiopie, qui vise à « transformer struc-turellement la productivité de l’agriculture

paysanne et rationaliser et reconstruire le sec-teur manufacturier, en utilisant intensivement les ressources naturelles et la main-d’œuvre du pays » [GOE, 1993]. Cette stratégie est au cœur du programme de développement du gou-vernement lancé depuis 1993, faisant l’objet de réajustements à mesure de la meilleure compréhension du rôle de l’agriculture dans la croissance, comme en témoigne le Plan d’accélération du développement durable pour mettre un terme à la pauvreté en Éthiopie de 2005 [MoFED, 2005].

Malgré les défis liés à la croissance démographique importante et rapide et aux ressources foncières limitées et dégradées, des investissements et des décisions politiques ont récemment eu un fort impact sur le dévelop-pement agricole. Depuis 2004, l’agriculture éthiopienne, comme l’ensemble de l’économie, a connu la croissance la plus rapide et la plus forte de l’histoire du pays, avec un taux annuel

Agriculture et développement : des liaisons profondes

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moyen d’environ 10 % entre 2005 et 2009. L’agriculture représente 40 % de l’économie éthiopienne, aussi sa contribution directe à la croissance du pays est majeure. Cependant, elle bénéficie aussi indirectement aux secteurs non agricoles, comme le montre l’application du modèle d’équilibre général calculable (EGC) pour l’Éthiopie [Dorosh et Thurlow, 2010]. La simulation représentée dans le repère 3 indique qu’un ralentissement de la croissance agricole affecterait négativement la croissance des secteurs non agricoles, 70 % de la baisse de croissance globale observée étant directement lié à l’agriculture, tandis que le reste résulte des liaisons avec l’agriculture qui affectent négativement les autres secteurs. En revanche, lorsque la croissance non agricole ralentit, seulement 20 % de la baisse de la croissance globale résulte d’effets de liaisons entre les secteurs non agricoles et agricoles. On peut donc en conclure que la croissance agricole a directement contribué à la récente période de forte croissance économique en Éthiopie, tout en stimulant indirectement la croissance des secteurs non agricoles par ses effets de liaison.

L’effet de la croissance agricole sur la réduc-tion de la pauvreté est moins controversé. Notre analyse EGC suggère qu’un ralentisse-ment de la croissance agricole entraîne un taux de pauvreté beaucoup plus élevé qu’un ralentissement similaire de la croissance non agricole (repère 2).

L’exemple du GhanaLe Ghana a longtemps été considéré comme l’une des « vedettes » de l’Afrique subsaha-rienne [Coulombe et Wodon, 2007]. Au cours des trente dernières années, le pays a connu une croissance positive du PIB par habitant chaque année, phénomène très inhabituel dans le monde [Breisinger et Diao, 2008]. La croissance économique soutenue a non seulement permis d’augmenter le revenu par habitant jusqu’à plus de 1 000 dollars améri-cains ces dernières années, mais a aussi aidé le pays à réduire son taux de pauvreté de 51,7 % en 1991/1992 à 28,5 % en 2005/2006 [GSS, 2007]. Le taux de croissance du Ghana s’est encore accéléré après 2006, il est donc prévu

que le pays atteigne l’objectif du Millénaire pour le développement 1 et divise par deux son taux de pauvreté des années 1990 avant 2015 [Kolavalli et alii, 2011].

Cette croissance régulière s’est accompa-gnée d’une urbanisation rapide. En 2009, environ la moitié de la population vivait en zone urbaine. Toutefois, le développement industriel urbain a été lent et les efforts du gou-vernement pour le promouvoir ont largement échoué. Après l’indépendance, une stratégie de développement menée par l’État a permis la création de plusieurs grandes entreprises industrielles, mais peu ont survécu à l’heure de la libéralisation et de la mondialisation. La part de l’agriculture dans l’économie a été remplacée par des services informels, tandis que l’industrie stagnait. Aussi, la question fondamentale pour le Ghana n’est pas de savoir si le pays doit développer son secteur industriel, mais quel doit être le rôle de l’agriculture dans un tel développement. Ce rôle potentiel est examiné ci-dessous par une analyse des agro-industries.

La transformation agroalimentaire repré-sente 60 à 70 % de l’industrie du Ghana, qui dans son ensemble contribue à moins de 10 % du PIB [Breisinger et alii, 2009]. Elle concerne les aliments de base, les textiles, les meubles et autres produits du bois. Globalement, le sec-teur agricole national peut fournir les matières premières nécessaires.

Si la transformation des aliments tradi-tionnels – souvent à petite échelle et infor-melle – existe depuis longtemps au Ghana, la consommation d’aliments transformés par les industries formelles s’est rapidement dévelop-pée, stimulée par la hausse des revenus, l’urba-nisation et l’augmentation du coût d’opportu-nité du temps des femmes [Reardon, 2009]. En conséquence, il y a plus d’opportunités de développer la transformation agroalimentaire visant à satisfaire la demande locale, sans le niveau de compétitivité requis pour l’exporta-tion. Toutefois, l’augmentation de la demande intérieure en aliments transformés est souvent satisfaite par des produits importés, en raison de la libéralisation des échanges [Robinson et Kolavalli, 2010]. Cette tendance est non

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seulement un défi pour le développement des industries agroalimentaires, mais elle menace également le secteur agricole.

L’état de l’industrie agroalimentaire au Ghana a été analysé par Robinson et Kolavalli [2010]. En étudiant le cas de la transformation de la tomate, ils ont montré que la capacité de production, nettement sous-utilisée, n’était pas une contrainte pour le développement. Cependant, les consommateurs préfèrent la pâte de tomates importée et la production des petits exploitants stagne, car la productivité et la qualité des tomates fraîches sont trop faibles pour assurer un approvisionnement régulier à des prix compétitifs. Ainsi, le développement de l’agro-industrie comme première étape de l’industrialisation en Afrique dépend avant tout de la productivité agricole.

L’exemple de la tomate n’est pas unique, et l’Afrique connaît de nombreux échecs de transformation alimentaire à grande échelle. Par exemple, à l’exception du cacao, le Ghana est devenu récemment importateur net de pro-duits agricoles primaires et de produits agroa-limentaires transformés. Environ un tiers des devises issues de l’exportation de cacao sert à payer les produits agricoles importés, dont beaucoup pourraient être produits localement. Les importations de riz (entre 60 et 70 % de la consommation) et de viande de volaille (entre 80 et 90 % de la consommation) ont bondi après la libéralisation du marché intérieur et l’abaissement des barrières à l’importation au début des années 1990 ; et les importations de légumes et produits oléagineux transformés ont augmenté en moyenne de 20 % par an au cours de la dernière décennie. Les pro-ducteurs locaux ne peuvent rivaliser avec les importations et réduisent ou modifient leur production [MAE, 2009]. Comme la demande pour la plupart des aliments importés varie considérablement en fonction des revenus, ces importations devraient continuer à aug-menter en l’absence de production nationale concurrentielle.

Une agriculture compétitive devrait donc être en mesure de pénétrer le secteur indus-triel grâce à la transformation alimentaire. Toutefois, si la productivité agricole stagne, le

développement des entreprises agroalimen-taires sera limité, car les produits transformés importés moins chers se substitueront aux matières premières agricoles non exportées. En effet, avec la mondialisation, l’agriculture et l’industrie sont devenues de plus en plus intégrées et interdépendantes, c’est pourquoi l’industrie africaine devrait être un mécanisme de transformation des produits agricoles et non pas de remplacement de l’agriculture.

Opportunités et défis pour l’évolution de l’agriculture africaineLes gouvernements de nombreux pays afri-cains sont en désaccord avec les agro-pessi-mistes et remettent l’accent sur l’agriculture au service du développement. Par ailleurs, plus de trente pays africains subsahariens avaient, dès 2010, signé le Programme détaillé pour le déve-loppement de l’agriculture africaine et accepté d’augmenter les dépenses publiques agricoles à hauteur de 10 % du budget total du gouverne-ment. Dix pays ont déjà atteint cet objectif. Les donateurs et les partenaires du développement croient également en l’importance de l’agricul-ture pour la croissance économique, la sécu-rité alimentaire et la réduction de la pauvreté en Afrique, aussi devons-nous profiter de cette occasion pour nous engager de façon irréver-sible dans le choix de l’agriculture comme moteur de croissance [Brooks, 2010].

Il est encourageant de noter que les perfor-mances agricoles se sont récemment amélio-rées en Afrique. Mais la majorité du surplus de production résulte de l’augmentation des surfaces cultivées, plutôt que d’une meil-leure productivité ou de l’utilisation accrue d’intrants modernes.

Les défis de l’Afrique sont considérables et, à certains égards, uniques dans l’histoire du monde, avec des transitions économiques et démographiques simultanées dans un contexte de mondialisation et de changement climatique [Naylor, 2011]. Alors que les pays africains ont beaucoup à apprendre de l’exemple de l’Asie, la révolution verte africaine sera différente étant donné que le continent fait face à des conditions initiales (rôle de l’État, acuité du problème alimentaire) et un

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contexte international (mondialisation des échanges agricoles, changement climatique) très différents.

La transformation du secteur agricole est difficile et il n’existe pas de formule magique. La leçon la plus importante à tirer de la révolution verte asiatique est probablement qu’un engagement politique sérieux sur le long terme est indispensable. Les bénéfices ne suivront que si l’effort est suffisamment grand, concerté et soutenu [De Janvry, 2010]. La révolution verte asiatique a eu lieu grâce à l’engagement actif et cohérent du gouvernement dans l’adoption de technolo-gies et dans le processus de transformation (par exemple, les pays asiatiques bénéficient souvent d’un système de vulgarisation agri-cole efficace). Si l’on considère que le secteur privé devrait diriger le développement de l’industrie agroalimentaire en Afrique, cela

signifie que l’engagement des pouvoirs publics africains dans l’amélioration de la productivité agricole serait différent, posant les questions suivantes : que doit faire le gouvernement, comment doit-il le faire et quelles sont les conditions requises pour la révolution institutionnelle des petites exploi-tations agricoles ?

Il existe plus d’un chemin pour réussir la transformation de l’agriculture africaine. Les erreurs sont inévitables et les leçons devront être tirées. Le succès de l’agriculture d’exportation, à l’initiative du secteur privé en particulier, a été encourageant. Reste à savoir si cet exemple peut s’appliquer à une agriculture traditionnelle principalement tournée vers le marché intérieur. Une étude critique des expériences par secteur et par pays est nécessaire afin de construire des cadres d’analyse appropriés. n

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Les investissements agricoles massifs en Afrique, moteurs du développement ?

Vatché PAPAZIAN, Agence française de développement, France

Réinvestir dans l’agriculture, doubler sa production, en assurer l’accès, sont autant de facettes du consen-sus actuel visant à assurer la sécurité alimentaire

de 9 milliards d’humains en 2050. Mais ce consensus ne répond pas aux questions suivantes : quels investissements privilégier ? Quelles exploitations favoriser (petites, grandes, familiales ou managériales) ? Comment déve-lopper une agriculture permettant l’atteinte de la sécurité alimentaire et une réponse aux défis environnementaux, politiques et sociaux actuels ?

Depuis 2008 et la publication du rapport de l’ONG GRAIN, ainsi que l’annonce de l’appropriation par l’entre-prise coréenne Daewoo logistics de 1,7 million d’hectares à Madagascar, l’accaparement de terres dans les pays du Sud par des investisseurs étrangers est un sujet d’actualité. Il a motivé des initiatives diverses produisant de nombreuses publications 1, et amenant l’émergence de principes consen-suels devant encadrer ces pratiques : reconnaissance des droits, sécurisation des agricultures familiales, responsa-bilisation des investisseurs. Certaines ONG de plaidoyer trouvent ces déclarations de principes insuffisantes et peu opérationnelles, Oxfam International appelant même à un moratoire. Dans les faits, plusieurs pays du Sud offrent aux investisseurs d’importantes ressources foncières agri-coles, à moindre voire sans coût, dans l’espoir de stimuler la production, moderniser l’agriculture et assurer la sécu-rité alimentaire (repère 1). Ces initiatives inquiètent à juste titre paysannats et sociétés civiles, car semblant privilégier « grands investisseurs » (privés, nationaux et/ou étrangers) et non agricultures familiales.

Comment se manifestent ces positions et intérêts asy-métriques dans le cas particulier de la zone de l’Office du Niger (ON) ? La convoitise visant la zone du delta inté-rieur du fleuve Niger et ses terres irrigables fait du Mali,

1. Banque mondiale, FAO, Fida, UE, Coopérations bilatérales, ONG, think tanks.

au même titre que le Soudan ou Madagascar, un pays fré-quemment cité à ce sujet. Située au cœur du Mali, dans le delta mort du fleuve Niger en zone sud-sahélienne, la zone de l’ON s’étend sur plus de 2 millions d’hectares, et est l’un des plus anciens projets d’aménagement hydro-agricole en Afrique de l’Ouest initié par l’ingénieur français Émile Bélime en 1932. Aujourd’hui, ce sont des infrastruc-tures vieillissantes sur 100 000 hectares 2 de terres irri-guées, attribués à 35 000 exploitations familiales 3. Selon le Schéma directeur de développement de la zone ON de 2008 (SDDZON), 200 000 hectares supplémentaires pour-raient être irrigués moyennant de coûteux investissements (6 à 10 000 euros/hectare) et être affectés à la riziculture paysanne, mais les ressources publiques ne permettent pas de concrétiser ce plan. Au-delà de ce potentiel aménagé ou aménageable, le reste de la zone ON fait partie du Domaine national, et reste régi par les règles coutumières, malgré le décret de gérance en confiant la gestion à l’ON. Ces zones sont à vocation essentiellement pastorale (éleveurs trans-humants), comptant une petite agriculture (mil/sorgho en culture pluviale) et pêcherie.

Le Mali justifie le recours à de nouvelles sources et modes de financements (investisseurs privés, fonds sou-verains) devant permettre la production de céréales, oléa-gineux, agrocarburants pour le marché intérieur. Ces der-nières années, près de 800 000 hectares de terres dans la zone ON (soit 8 à 10 fois la superficie aménagée depuis les années 1930) ont fait l’objet de demandes et d’attributions provisoires à différents types d’acteurs privés et de fonds souverains.

Qui sont les attributaires ? Selon l’ON, les 800 000 hec-tares ayant fait l’objet de demandes d’attribution sont répartis entre privés nationaux et investisseurs étrangers,

2. 55 000 hectares aménagés en 1950.

3. 420 000 personnes y vivent, sur des exploitations de 2-3 hectares à faible outillage. Ils paient 100 euros/hectares/an de redevance à l’ON.

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sur 400 000 hectares chacun. Les demandes formulées par les privés nationaux (90 % des demandes) portent sur des petites superficies (1 à 5 hectares pour 38 % des deman-deurs) et pour une dizaine d’entre eux sur des superfi-cies supérieures à 500 hectares. Parmi les investisseurs étrangers (périmètres compris entre 500 et 100 000 hec-tares), on compte des fonds souverains, des entreprises parapubliques (Malibya 4), des sociétés chinoises, des institutions bilatérales ou régionales, des agro-indus-tries sucrières comme Sosumar, etc. Le gouvernement malien est à l’origine et/ou participe aux projets Malibya ou Sosumar, gardant en théorie un certain contrôle de la situation. L’absence de transparence de ces grandes attri-butions de terres envenime les débats nationaux sur le foncier. Les organisations paysannes et la société civile se passionnent pour le sujet et ont organisé à Nyeleni (Sélin-gué), en novembre 2011, une conférence internationale

4. Société libyenne attributaire de 100 000 hectares. Le contenu de l’accord entre le Mali et Malibya n’est pas connu.

(« Stop à l’accaparement des terres ») avec l’aide, entre autres, de La Via Campesina. Mais où en est la mise en valeur réelle ? Pour passer d’une attribution provisoire à un bail (ordinaire de trente ans ou emphytéotique de cinquante ans), les promoteurs privés doivent présen-ter des études de faisabilité, d’impact environnemental et social, et un plan de financement. À ce stade, près de 250 000 hectares disposent de baux, des grands privés nationaux et étrangers ayant pu mener les études deman-dées et disposant de plans de financement opérationnels.

Les réalisations d’investisseurs nationaux sont plus rares, freinées par un difficile accès à l’eau et aux finance-ments. Ainsi, une part importante des attributaires provi-soires n’obtiendra pas de bail : au cours de l’année écou-lée, l’ON a déjà annulé 200 000 hectares d’attributions provisoires, notamment à des petits privés nationaux. Mais dans tous les cas, quand les travaux commencent, on assiste à des contestations pouvant dégénérer entre investisseurs et occupants ou usagers des lieux se récla-mant d’une autre légitimité sur ces terres.

Afrique, entre investissement et accaparement

Les données en matière de transactions foncières restent difficilement accessibles. Les dernières estimations arrivent néanmoins à plus de 34 millions d’hectares de terres agricoles sous contrat en Afrique, mais le total pourrait être quatre fois plus important. Ces terres sont dédiées à des usages variés - biocarburants, plantations forestières... - et pour seulement 13 % à des usages alimentaires. Des investissements importants donc, mais qui ne profitent que très marginalement aux besoins de l’agriculture familiale africaine.

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Exploitations familiales et investisseurs privés : des perspectives divergentes La situation foncière ainsi créée se caractérise par une bipolarisation conflictuelle. D’un côté, les exploitations familiales, installées sur des périmètres irrigués aména-gés par l’État, de petite taille, attributaires de contrats annuels révocables (si non paiement de la redevance de 100 euros/hectare/an) ou de permis d’exploitation sans valeur juridique, dont les charges de production grèvent la capacité d’évoluer ou d’investir. De l’autre, les nouveaux investisseurs accédant à la terre et à l’eau, via des contrats signés avec l’État ou des baux à valeur juridique accordés par l’ON, devant assurer les aména-gements terminaux et s’acquitter d’une contribution à l’entretien du réseau hydraulique primaire de 3 euros/hectare. Tout se passe comme si le statut d’investisseur potentiel ouvrait à celui qui peut mobiliser le finance-ment nécessaire à l’aménagement (8 000 euros/hectare en moyenne) tout un champ du possible, qui est fermé aux exploitations familiales confinées dans un statut de pauvre/« récipiendaire », disqualifiées d’avance et n’étant pas reconnues comme « privés » potentiels.

Dans cette région du Mali, la valeur des terres se mesure à l’aune de l’eau qu’elles peuvent espérer rece-voir. De par l’absence de données satisfaisantes, les attri-butions des terres par l’ON ou l’État n’ont pas été faites en fonction de la disponibilité en eau. Il est vraisemblable, dans ce contexte, que l’accès à la ressource en eau en sai-son sèche cristallise une nouvelle ligne de fracture entre « les premiers servis » (qui se trouvent en tête de réseau comme les industries sucrières, grandes consommatrices d’eau), ceux dont le contrat stipule une fourniture privilé-giée d’eau et les exploitations familiales situées en bout de réseau. Au bout de soixante-dix ans, la capacité de régu-lation publique et les compétences propres à l’ON, ges-tionnaire de l’eau et du foncier pour le compte de l’État, sont toujours les conditions déterminantes du deve-nir de la zone, tant en termes de développement que de

prévention de conflits sociaux potentiels, occasionnés par un accès asymétrique à la terre et à l’eau.

Quels choix fonciers et hydrauliques inclusifs pour développer les investissements dans l’agriculture ?Conscient de ces enjeux, le Mali a engagé pour la zone ON un projet de relecture du Décret de gérance des terres 5, d’élaboration d’un schéma directeur hydraulique et de mise au point de modèles évolutifs d’exploitations fami-liales « modernes » viables économiquement. Tout effort de convergence entre ces deux « moteurs de développe-ment » (agricultures familiales et investissements privés) est utile pour apaiser les conflits latents. C’est ainsi que les controverses sur les attributions foncières massives ou les facilités accordées aux grands privés pourront être dépas-sées et les questions fondamentales ouvertes et traitées : quels modèles de développement inclusif de la zone de l’ON et par extension du Mali agricole ? Comment conci-lier les objectifs de développement de la zone et la paix sociale ? Le Mali, comme d’autres pays de la sous-région, se trouve pris dans l’engrenage d’une problématique foncière qui ouvre des questions de gouvernance des ressources et de multiplicité de droits s’exerçant dessus. Des choix fon-ciers opportuns pourront témoigner des efforts de réduc-tion des asymétries qu’un pays peut engager, en phase avec les Directives volontaires sur la gouvernance responsables de la tenure des terres et des autres ressources naturelles proposées au Comité pour la sécurité alimentaire (CSA) en octobre 2011. Les autres acteurs concernés (investisseurs, sociétés civiles, partenaires techniques et financiers) n’au-ront d’autre option que de « choisir leur camp » et d’adap-ter leur action ou leurs appuis pour aller dans le sens de ces efforts ou d’aller rechercher des terres ailleurs. n

5. Appuyé par les partenaires techniques et financiers du Mali (Banque mondiale, France, Pays-Bas, Union européenne) et en concertation avec les exploitants agricoles.

R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

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GRAIN, 2008, Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière. Disponible sur : www.grain.org/article/entries/140-main-basse-sur-les-terres-agricoles-en-pleine-crise-alimentaire-et-financiere

IIED, FAO, Fida, 2009, Land Grab or Opportunity? Agricultu-ral Investment and International Land Deals in Africa (Lorenzo

Cotula, Sonja Vermeulen, Rebeca Leonard et James Keeley).

Office du Niger, mai 2010, Situation des attributions de terres en bail dans la zone Office du Niger (rapport interne).

Oxfam International, septembre 2011, Terres et Pouvoirs : le scandale grandissant qui entoure la nouvelle vague d’investisse-ments fonciers. Disponible sur : www.oxfamfrance.org/IMG/pdf/Oxfam_Terres_et_Pouvoirs_22092011.pdf

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Chapitre 5Terre, paysans et migrants : au cœur du développement chinois

La réforme rurale a façonné le modèle de développement chinois, en contribuant au faible coût de la main-d’œuvre non qualifiée, et donc à la compétitivité de l’industrie d’exportation. De nombreux défis restent à relever pour assurer la modernisation des campagnes, alors que l’agriculture doit nourrir une population croissante et de plus en plus riche.

Au cours des trois dernières décen-nies, la Chine s’est développée à un rythme rapide. Entre 1981 et 2001, le nombre d’individus vivant avec moins d’un dollar par jour a

diminué de 400 millions [Chen et Ravallion, 2004]. Ce succès est en grande partie dû à la réforme rurale. Alors que le pays était en pleine croissance, la production agricole et les droits fonciers ont subi des changements profonds. Dans le même temps, l’exode rural est resté strictement réglementé, ce qui a conféré aux personnes migrant des campagnes vers les villes un rôle économique et social très particu-lier, et a façonné le modèle de développement chinois, en contribuant au faible coût de la main-d’œuvre non qualifiée, et donc à l’attrac-tivité de l’industrie d’exportation. Cependant, de nombreux défis restent à relever dans les campagnes en raison de ces contraintes sur les migrations vers les villes, qui ont pour consé-quences de limiter les envois de fonds vers les campagnes et la modernisation des zones

rurales, tandis que simultanément, l’agricul-ture doit nourrir une population croissante et de plus en plus riche.

Dans ce chapitre, nous décrivons l’agriculture et les terres agricoles en Chine, et analysons leurs liens avec le modèle de développement chinois.

Nous commencerons par présenter les traits caractéristiques de l’agriculture et des cam-pagnes chinoises, avant de nous intéresser au phénomène de l’exode rural, puis aux tensions foncières générées par le développement. Nous conclurons par l’évocation des défis auxquels les politiques agricoles chinoises sont aujourd’hui confrontées.

L’agriculture chinoise : géographie, histoire et institutionsAprès des siècles d’évolution progressive, l’agri-culture chinoise a fait l’objet d’une expérience radicale de collectivisme à partir de 1949. Une décollectivisation partielle a débuté en 1978, créant un système institutionnel unique.

Maëlys DE LA RUPELLE, facultés universitaires Notre-Dame de la Paix, Belgique Li SHI, université normale de Pékin, Chine Thomas VENDRYES, université Paris-Sud, France

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Les campagnes chinoises traditionnellesÀ partir de la dynastie des Han (de 206 av. J.-C. à 220 ap. J.-C.), structure de la Chine impériale correspond assez bien au concept de « despo-tisme oriental » [Wittfogel, 1957] : une société agricole organisée par un État bureaucratique.

Cela peut paraître paradoxal, car les carac-téristiques géographiques et climatiques de la Chine ne sont pas particulièrement favorables à l’agriculture. Seulement 15 % de la superficie totale est cultivable [Naughton, 2007], dont la majeure partie se situe à l’est, où la terre est de faible altitude et exposée à l’air humide de la « mousson » des mers asiatiques. Malgré ces conditions difficiles, la Chine a été et reste l’une des régions les plus densément peuplées au monde. À l’est, la densité de population atteint aujourd’hui 260 habitants par km2, soit six fois la moyenne mondiale [Naughton, 2007]. Un travailleur agricole cultive seulement cinq mu en moyenne, l’équivalent du tiers d’un hectare [Maddison, 2007]. Cette exploitation intensive des rares terres agricoles nécessite des inves-tissements massifs dans les infrastructures et l’utilisation de techniques très intensives en main-d’œuvre [Naughton, 2007]. On considère généralement que l’agriculture chinoise a béné-ficié de l’émergence précoce d’une bureaucratie centralisée [Maddison, 2007]. En effet, comme l’agriculture constituait la principale base de la fiscalité, elle a été fortement soutenue par les fonctionnaires à travers, par exemple, des pro-jets hydrauliques ou la diffusion de nouvelles techniques. Le développement des échanges à l’échelle de la Chine explique également le caractère fortement commercialisé de l’agricul-ture [ibid.]. Toutefois, les agriculteurs chinois n’étaient pas plus riches que leurs homologues d’autres régions du monde [ibid.] et ce n’est qu’au prix d’un travail laborieux qu’ils pou-vaient gagner un revenu de subsistance. Dans un contexte de misère généralisée, les paysans étaient souvent endettés auprès des proprié-taires locaux et la propriété foncière était généralement concentrée [Naughton, 2007].

L’expérience maoïsteC’est dans ce contexte, et après des décen-nies de guerres civiles et étrangères, que le

Parti communiste chinois (PCC) a fondé la République populaire en 1949, grâce à des straté-gies de soutien du milieu rural plutôt qu’urbain.

Les premières politiques ont été très favo-rables aux citoyens des campagnes. Une vaste réforme foncière a permis la redistribution de la moitié de la superficie totale des terres [Lardy, 1987] à 300 millions de paysans pauvres, et les agriculteurs ont reçu des droits privés étendus sur leurs parcelles. La stabilisation politique a également entraîné une augmentation signifi-cative de la production agricole [ibid.].

Mais cette embellie a été de courte durée et le PCC, sous l’impulsion de Mao Zedong, a ensuite décidé d’accélérer radicalement la collectivisation de l’agriculture et d’établir une planification économique de style soviétique, visant à transférer un maximum de ressources de l’agriculture vers les secteurs industriels [ibid.]. Le pic de cette politique a été atteint pendant le Grand Bond en avant (1958-1961). La société a été organisée en Communes popu-laires, rassemblant en moyenne 5 500 ménages. Dans les zones rurales, les règlements des com-munes couvraient les menus détails de la vie quotidienne, à tel point que même la possession d’ustensiles de cuisine privés était interdite. Les résultats ont été catastrophiques, et la famine consécutive a tué entre 25 et 30 millions de personnes [Naughton, 2007].

Des ajustements majeurs du système ont alors été décidés. Les « 60 articles sur l’agri-culture », approuvés par le PCC en 1961 et qui ont prévalu jusqu’en 1978, ont mis en place une collectivisation à petite échelle centrée autour de brigades de production, regroupant de 45 à 50 ménages, avec une tolérance pour l’existence de parcelles individuelles et de marchés privés [Lardy, 1987].

Ces réformes ont permis de stabiliser la situation dans les zones rurales, mais toujours en favorisant l’industrie et les zones urbaines. En 1978, l’industrie lourde était nettement plus développée que les autres secteurs, notamment l’industrie légère, les services et, surtout, l’agriculture. Le statut des travailleurs des usines d’État et des entreprises urbaines était favorisé de façon disproportionnée. Au début de l’ère de la réforme, la structure duale de

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l’économie et de la société chinoises était donc très prononcée.

Les réformes et le « système de responsabilité des ménages »En 1978, lorsque Deng Xiaoping est devenu chef de l’État, la Chine était encore un pays essen-tiellement rural (82 % de la population) et agri-cole (70 % des actifs) [Naughton, 2007]. Mais les revenus réels en milieu rural étaient très faibles, surtout par rapport aux zones urbaines.

Des politiques visant à accroître les revenus en milieu rural ont donc été adoptées [Vendryes, 2010] : les prix des produits agricoles fixés par l’État ainsi que la production d’intrants agri-coles ont été augmentés, tandis que le champ de l’économie privée a été étendu.

La principale évolution, cependant, est venue d’expériences locales : certaines localités ont accordé aux ménages ruraux des droits d’usage sur des parcelles spécifiques, posant ainsi le principe du « système de responsabilité des ménages » [ibid.], qui s’est rapidement propagé à travers la Chine et prévaut encore aujourd’hui. Ce système a été officiellement reconnu dans la Constitution de 1982, la loi de 1986 sur la ges-tion des terres et une série de documents no 1 de 1982 à 1986 1. Une deuxième vague de lois et de règlements sur cette question a été mise en place avec la révision de la loi sur la gestion des terres en 1998, suivie par la loi de 2002 sur les contrats fonciers en zones rurales et la loi de propriété de 2007, avec en parallèle une série de documents no 1 de 2004 à 2011.

Le principe du système est simple : les terres agricoles restent la propriété des collectivités locales, et les ménages ruraux se voient accorder des droits d’usage des terres. Officiellement, ces droits d’usage individuels sont sûrs et stables sur le long terme. Leur durée, qui était initia-lement fixée à 15 ans, a été prolongée à 30 ans en 1997 et, depuis la loi de propriété de 2007, elle est devenue perpétuelle. La seule limitation officielle est que les agriculteurs ne peuvent pas

1. Les documents SCNPC et CCPCC sont publiés chaque année par les autorités centrales, indiquant des directives politiques et admi-nistratives. Le « document n° 1 », premier publié, indique la priorité politique de l’année.

utiliser leurs parcelles pour des activités non agricoles.

Deux réformes institutionnelles connexes ont été réalisées à la fin des années 1990 et au début des années 2000 [ibid.]. Premièrement, la révi-sion, en 1998, de la loi organique sur les comités villageois a permis d’organiser des votes au niveau des villages, les autorités élues étant chargées des affaires locales, en particulier de la gestion des terres. Deuxièmement, entre 1998 et 2002, la fiscalité agricole a été mise sous contrôle strict par la réforme « Fei Gai Shui » (« transformer les frais en taxes »), avant d’être supprimée en 2005-2006. Ces réformes ont eu pour but de limiter la puissance des cadres locaux et leur incitation à contrôler l’attribution des terres.

Cependant, malgré ces améliorations, les saisies administratives de parcelles et les réallocations collectives de terres sont restées fréquentes, tandis que les marchés fonciers demeurent très limités. Ainsi, les droits d’usage individuels des terres sont beaucoup moins sûrs et durables que le gouvernement central ne le projette.

Depuis 1978, les politiques agro-industrielles ont été profondément modifiées pour soutenir le développement agricole, donnant un nouvel élan spectaculaire à la révolution verte initiée au milieu des années 1970 [Naughton, 2007]. Ainsi, les travaux d’irrigation ont été considé-rablement étendus, l’utilisation de produits chimiques et d’engrais fortement développée, tandis que la mécanisation et l’usage de nou-velles graines hybrides à haut rendement se sont généralisés dans toute la Chine. À la fin des années 1990, les bases de la modernisation de l’agriculture chinoise, c’est-à-dire son insertion dans un vaste secteur agro-industriel, sont solidement posées.

« Quitter l’agriculture, mais pas la campagne » : les contraintes pesant sur les citoyens rurauxÀ partir de 1978, la Chine a encouragé l’in-dustrialisation rurale, incitant les paysans à « quitter la terre, mais pas la campagne » et appli-quant des limites strictes à l’exode rural vers les grandes villes. Cependant, le ralentissement du

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développement des « entreprises de bourgs et de villages » depuis le milieu des années 1990 remet en question les politiques de migration.

Contraintes sur la migration ruraleLe démantèlement des Communes populaires rurales en 1984 a allégé les contraintes sur l’allo-cation du travail des habitants des campagnes, permettant ainsi l’émergence de l’exode rural. En 1989, le nombre de travailleurs migrants s’élevait à 30 millions et ils étaient 145 millions en 2009 [Chan, à paraître], soit un quart de la population active rurale 2. De manière prévi-sible, le flux migratoire s’est surtout dirigé vers les villes de la Chine orientale, plus industria-lisée et développée [ibid.].

Cependant, la majorité des migrants ne s’ins-talle pas de manière permanente. Tout d’abord, en l’espace d’une année, la plupart d’entre eux changent de destination, ou reviennent chez eux pour participer aux activités familiales. Ensuite, ils retournent généralement dans leur village d’origine après quelques années de migration. En effet, un ensemble de mesures politiques a été mis en place pour empêcher les populations rurales de s’installer définiti-vement dans les zones urbaines, ce qui limite l’urbanisation d’une manière unique. Bien que le taux d’urbanisation chinois soit passé de 29 % en 1978 à 49,7 % en 2010 [Bureau national des statistiques de Chine, 2010], il reste beaucoup plus faible que dans les autres pays au même niveau de développement [Chang et Brada, 2006]. Ce « paradoxe de la sous-urbanisation croissante de la Chine » [ibid.] doit beaucoup au système d’enregistre-ment des ménages chinois, ou hukou. Depuis les années 1950, le hukou classe la population chinoise selon deux critères : l’activité et le lieu de résidence [Naughton, 2007]. En ce qui concerne l’activité, les ménages peuvent avoir un statut agricole ou non-agricole. Les ménages agricoles ont le droit d’exploiter des parcelles de terre, tandis que les ménages non agricoles

2. Liés aux déséquilibres en matière de développement, les flux migratoires relient les régions pauvres de l’Ouest aux zones urbaines et dynamiques de l’Est. Par ailleurs, d’importantes migrations ont aussi lieu à l’intérieur des régions.

bénéficient d’un accès subventionné à l’éduca-tion, la santé, l’emploi et le logement dans les villes. Le lieu de résidence définit l’endroit où ces bénéfices peuvent être obtenus. Dans les années 1960 et 1970, le hukou était une des pierres angulaires de la collectivisation et de la planification économique, rendant impossible les migrations individuelles. Après 1978, le démantèlement des Communes populaires rurales et la mise en place d’un permis de résidence temporaire et d’une carte d’identité ont conféré un statut juridique aux travailleurs ruraux présents dans les villes (1984-1985), tan-dis que la fin du rationnement des céréales en 1992 a progressivement atténué les contraintes en matière de migration. Pourtant, les droits et devoirs encore associés au hukou rendent la vie urbaine extrêmement difficile et coûteuse pour les travailleurs ruraux. En outre, il est toujours très difficile pour un travailleur agricole d’obte-nir un hukou urbain et les candidatures sont soumises à des quotas à l’échelon municipal.

Outre le hukou, les droits fonciers limitent aussi l’exode rural. Comme les agriculteurs ne peuvent pas vendre leurs terres ou les utiliser comme garantie pour emprunter, il est difficile pour ceux qui n’ont pas de capital de quitter l’agriculture et de démarrer une activité non agricole. Par ailleurs, les émigrants risquent de perdre certaines de leurs parcelles, car les collectivités ont le droit de redistribuer les terres des agriculteurs absents aux villageois présents, ou même de s’en emparer pour leur propre bénéfice. Cette insécurité sur les droits fonciers freine la migration, car les travailleurs migrants craignent de perdre leurs terres et ont donc tendance à limiter leurs absences [de la Rupelle et alii, 2009].

Conséquences pour le développementLes institutions chinoises de réglementation du foncier et des migrations ont façonné le déve-loppement du pays : les populations rurales ont tendance à migrer peu et pour de courtes périodes, les ménages peuvent difficilement quitter l’agriculture et le rythme d’urbanisation est relativement lent. Le transfert de la popula-tion active du secteur agricole vers des activités urbaines est donc rendu possible, sans pour

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autant générer une urbanisation incontrôlée ou une chute soudaine de la production agricole. Le hukou segmente aussi le marché du travail, car les détenteurs d’un hukou agricole travail-lant dans les villes n’ont pas les mêmes droits que leurs homologues urbains. Cela a contribué à limiter l’augmentation des salaires et à main-tenir la compétitivité des secteurs orientés vers l’exportation [Chan, à paraître].

Le système de propriété collective des terres, avec redistributions périodiques, joue par ail-leurs un rôle d’assurance pour les travailleurs migrants qui n’ont qu’un accès limité au système d’assurance sociale ou au marché du crédit [Murphy, 2002]. Bien que l’agriculture ne soit pas très rentable, l’accès à la terre garantit au moins un revenu de subsistance aux ménages ruraux. Par exemple, après la crise financière, de nombreux travailleurs licenciés sont tout simplement retournés dans leurs foyers en milieu rural [Kong, Meng et Zhang, 2009].

Ces institutions, en limitant l’émigration et les droits des migrants ruraux, ont cependant des effets négatifs sur le développement rural. Premièrement, l’industrialisation rurale ayant ralenti depuis le milieu des années 1990 et les marchés du crédit ruraux demeurant sous-développés, la migration constitue une voie d’accès essentielle aux emplois non agricoles et au capital [Murphy, 2002]. Deuxièmement, les migrants de retour deviennent des acteurs clés du développement rural, apportant non seulement de l’argent mais aussi compétences et réseaux [ibid.]. Troisièmement, comme les migrants ruraux sont limités aux emplois « 3-D » (pour dirty, dangerous and difficult, c’est-à-dire « sales, dangereux et difficiles ») et n’ont pas accès à l’enseignement public des villes, ils ont tendance à réduire leurs investis-sements dans l’éducation des enfants [Chan, à paraître]. Quatrièmement, l’insécurité liée aux droits fonciers freine l’investissement productif dans l’agriculture [Vendryes, 2010]. Enfin, et c’est peut-être le plus important, les conflits sur les terres agricoles et le statut de « seconde classe » des populations rurales ont suscité de profonds sentiments d’injustice menant à des troubles sociaux [Ding, 2007 ; Chan, à paraître]. Ces tensions renvoient à

un problème beaucoup plus important auquel l’agriculture doit faire face : une pression foncière multiforme.

Tensions sur les terres agricolesLe développement très rapide de la Chine a considérablement amplifié les enjeux pesant sur l’utilisation des terres. Les pressions indus-trielles et commerciales, ainsi que les préoc-cupations écologiques, remettent en cause le développement de l’agriculture, même si la production agricole est un objectif politique essentiel.

Une pression double : développement industriel et préoccupations écologiquesAu cours des trente dernières années, la Chine a connu un développement économique très rapide et une proportion importante de la population active a quitté l’agriculture : 70 % des actifs travaillaient dans le secteur primaire en 1978, contre bien moins de 50 % depuis 2004 [Naughton, 2007].

Ce développement industriel et urbain a généré une très grande demande en terres, exerçant une forte pression sur les terres agricoles, en particulier en périphérie des villes les plus développées. Le développement de l’imagerie satellitaire dans les années 1990 a permis d’observer de près les changements d’utilisation des terres, révélant sans surprise une augmentation considérable des terrains construits. On estime que la superficie totale de terrains bâtis en Chine a augmenté d’un quart entre 1986 et 2000 [Deng et alii, 2006].

Cette tendance a réduit la surface des terres arables et créé des tensions sociales intenses, car les agriculteurs n’ont pas le droit de modifier l’uti-lisation des parcelles agricoles qui leur sont attri-buées. Seul l’État peut officiellement posséder des terres non agricoles, et donc une modification de l’utilisation des terres implique un changement de propriété foncière [Ding, 2007].

Le cœur du problème est le fait que la compen-sation offerte aux agriculteurs dont les parcelles sont saisies est souvent bien inférieure aux bénéfices tirés du changement d’utilisation des sols [ibid.], phénomène responsable de la multi-plication récente des conflits en milieu rural.

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La réponse légale à ces conflits a jusqu’ici été très insuffisante. La loi sur la gestion des terres de 1998 exige que les saisies se fassent « dans l’intérêt public » (article 2), et la loi de 2002 sur les contrats fonciers en milieu rural oblige les autorités à donner une « juste compensation » aux agriculteurs expropriés (article 16). Ces deux lois, pas suffisamment précises, laissent la porte ouverte à de nombreux abus locaux. C’est probablement aujourd’hui le problème le plus important pour la soutenabilité sociale et éco-nomique du développement agricole en Chine.

Des préoccupations écologiques croissantes ont par ailleurs conduit les autorités à prendre des mesures de protection des sols, en particu-lier pour compenser la perte de terres agricoles dues à l’érosion et à la désertification. Les don-nées montrent que ces préoccupations ont une base bien réelle : par exemple, sur la période 1991-2002, on estime que la dégradation des

ressources foncières a conduit à une perte nette de 19,66 millions d’hectares de terres agricoles [Qu et alii, à paraître].

Depuis le début des années 1990, d’impor-tantes mesures politiques ont été mises en œuvre pour lutter contre ce phénomène. La loi sur l’eau et la conservation des sols de 1991 interdit l’exploitation des terres ayant une pente supérieure à 25°. Elle a été suivie en 1998 et 1999 par deux programmes extrêmement ambitieux : le Programme de protection des forêts naturelles (Natural Forest Protection Project, NFPP) et le Programme sur la conversion des terres en pente3 (Sloping Land Conversion Program, SLCP) [ibid.]. Le NFPP a permis une aug-mentation de 1,72 million d’hectares de forêt, tandis que le SLCP vise à reconvertir toutes les terres en pente et à aider les agri-culteurs à adopter des modes de production plus durables. Contrairement au NFPP, la participation des ménages à la SLCP est volontaire, et les agriculteurs qui conver-tissent des parcelles en forêt ou en prairies reçoivent une indemnisation importante. L’indemnisation proposée par l’État est signi-ficative, et suffisamment élevée pour avoir attiré le consentement volontaire de plus de 32 millions de ménages entre 1999 et 2006 [ibid.]. Les résultats ont été satisfaisants : fin 2006, 9 millions d’hectares avaient été convertis dans le cadre de la SLCP. Les conséquences écologiques ont également été encourageantes, avec une réduction de l’érosion, une amélioration de la qualité du sol et une protection des ressources en eau.

Cependant, ce succès s’est fait au prix d’une pression croissante sur les sols agricoles, car les parcelles sont reconverties en forêts et prairies.

Diminution des surfaces agricoles et réaction de l’ÉtatLe développement industriel et urbain et les programmes écologiques augmentent consi-dérablement la pression sur la disponibilité des terres. À mesure que celle-ci diminue, la valeur

3. Avec une pente supérieure à 15° dans le nord-ouest de la Chine et supérieure à 25° ailleurs.

Importer pour économiser les terres

La Chine importe principalement des produits agricoles demandant la mobili-sation de grandes étendues de terres : soja et dérivés, huile de palme, coton, colza, produits d’élevage. Les terres nationales sont en effet réservées à la production de céréales.

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des terres augmente pour les utilisations non agricoles, commerciales ou industrielles.

Les études basées sur l’imagerie satellitaire mentionnées plus haut confirment que les terres agricoles sont confrontées à de fortes pressions. Si la superficie totale des terres agricoles n’a pas forcément diminué, c’est uniquement parce que les activités agricoles ont été déplacées sur des sols moins produc-tifs. Certaines études [Deng et alii, 2006] estiment que la baisse de qualité des terres agricoles a été pratiquement compensée par l’augmentation des surfaces entre 1986 et 2000. Cependant, la plupart des études plus récentes [Vendryes, 2010] montrent que la diminution de la superficie des terres agricoles s’est accélérée depuis le début du xxie siècle, malgré l’exploitation de nouvelles ressources dans des régions agricoles marginales. Il est donc probable que les futures pertes de qua-lité des terres ne seront plus compensées par les augmentations de surfaces.

En raison des préoccupations sur ce sujet, les autorités chinoises ont lancé au milieu des années 1990 des mesures de protection des terres agricoles afin de limiter la diminution de la superficie de terres arables cultivées [Vendryes, 2010]. En 1994, les règlements sur la protection des « terres agricoles de base » visaient à identifier les terres de qualité supérieure à la moyenne et à les protéger en soumettant tout changement d’utilisation à l’approbation des autorités provinciales ou nationales. En 1998, la portée de ces règle-ments a été élargie pour inclure toutes les terres agricoles soumises à la loi révisée de gestion des terres, avec pour objectif contrai-gnant une absence de diminution nette des terres agricoles. Enfin, en 2008, le ministère du Territoire et des Ressources a fixé pour les terres arables chinoises un seuil minimal de 1,8 milliard de mu (120 millions d’hectares) 4. Cependant, en termes de ressources foncières réelles, la Chine se rapproche déjà dangereu-sement de cette « ligne rouge ».

4. Ministère du Territoire et des Ressources de la RPC, Communiqué on Land Ressources of China 2007. Disponible en ligne sur : www.mlr.gov.cn/mlrenglish/communique/2007/

Production agricole actuelle et défis à venirLa production agricole aujourd’huiAu cours du xixe siècle, la Chine a connu telle-ment de famines et de crises alimentaires que dans les années 1920, les géographes l’ont baptisée la « terre de la famine » [Mallory, 1926]. Un siècle plus tard, la Chine semble bien loin de cette description. Néanmoins, l’approvi-sionnement en nourriture et l’autosuffisance en céréales, en particulier, demeurent des priorités nationales. Le gouvernement chinois a constam-ment souligné que le pays devait rester indépen-dant des marchés mondiaux en ce qui concerne l’alimentation de sa population. Cette intention a été encore rappelée en mars 2011, lorsque le vice-Premier ministre chinois Hui Liangyu a déclaré que la Chine devait défendre sa poli-tique d’autosuffisance alimentaire5. En consé-quence, l’accent est fortement mis sur la produc-tion de céréales, comme l’illustre le repère 1.

Avec cette volonté politique, la Chine a été capable d’atteindre un niveau limité d’autosuf-fisance [United States International Trade

5. Xinhua, “China upholds policy of food self-sufficiency”, China Daily, 26 mars 2011.

Les exportations agricoles chinoises sont constituées avant tout de produits intensifs en travail : conserves, préparations, produits transformés.

Exporter du travail agricole

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Commission, 2011]. Cependant, après son accession à l’OMC en 2001, le pays a été obligé d’ouvrir, dans une certaine mesure, son marché agricole, et depuis lors, le niveau de libéralisation a considérablement augmenté. Le commerce a, sans surprise, suivi la loi de l’avantage compara-tif : les repères 1 et 2 montrent que la Chine, qui dispose d’une main-d’œuvre abondante mais de ressources foncières limitées, a importé des produits nécessitant beaucoup de terre (le soja par exemple) et exporté des produits à forte intensité de main-d’œuvre (par exemple, les aliments préparés, les fruits et légumes). Les seules exceptions à cette tendance générale sont les céréales, dont le commerce est strictement contrôlé en raison de la pression politique pour l’autosuffisance. Les importations de céréales restent donc fortement dépendantes des politiques gouvernementales. Par exemple, en 2010, la Chine a pour la première fois importé environ 2 millions de tonnes de maïs et de blé des États-Unis, puis 116 000 tonnes de maïs supplémentaires en mars 2011, provoquant une augmentation de 11 % des prix mondiaux 6. Cette augmentation des importations peut s’expliquer en partie par la faiblesse des prix internationaux, mais d’autres facteurs, comme la croissance de la production chinoise de porcs, sont aussi responsables.

Les défis à venirL’agriculture doit répondre aux objectifs contradictoires de l’augmentation de la produc-tivité et de la protection de l’environnement. Tandis que le revenu par habitant chinois ne cesse d’augmenter, les habitudes alimentaires changent et la demande en viande et en poisson s’accroît. En 1980, la consommation moyenne de viande par habitant était de 20 kg par an [Fuller, Tuan et Wailes, 2002], un chiffre qui avait atteint 52,4 kg par habitant 7 au début des années 2000.

Ces changements augmentent également la demande en céréales et en eau pour le bétail, ce

6. “China buys corn after long break”, The Wall Street Journal, 19 mars 2011.

7. En 2002, la consommation de viande par habitant était de 13 kg en Afrique subsaharienne, de 27,8 kg en Asie (Moyen-Orient exclu), de 82 kg au Brésil et de 124,8 kg aux États-Unis (source : FAO).

qui rend plus difficile l’objectif d’autosuffisance alimentaire et intensifie la pression déjà très forte sur les ressources en eau [Naughton, 2007].

L’augmentation de la productivité agricole est aussi problématique car la Chine dépend déjà beaucoup des engrais – le pays utilise 35 % des engrais azotés appliqués dans le monde [Greenpeace, 2010] –, contribuant ainsi à augmenter de manière préoccupante le niveau de pollution. En témoigne le premier recensement national des sources de pollution effectué en 2010 qui, pour la première fois, a pris en compte les effluents agricoles et les rejets d’enfouissement. Il est apparu que la contamination en milieu rural 8 était beaucoup plus élevée que précédemment estimé. Ainsi, le recensement a montré que la pollution de l’eau est en réalité deux fois plus importante que les chiffres jusqu’alors avancés. L’agriculture s’avère responsable de 67 % des rejets de phos-phore et de 57 % des rejets d’azote à l’échelle nationale 9.

Les pénuries d’eau et les incidents de pollu-tion soulèvent des questions complexes, liées à la fois à l’application des réglementations environnementales, aux tensions entre les différents niveaux de gouvernement et, plus généralement, à la lutte contre la corruption.

Des problèmes similaires se posent dans l’industrie alimentaire, qui a connu ces der-nières années une multiplication des scan-dales de contamination [Ni et Zeng, 2009]. L’exemple le plus spectaculaire s’est produit en 2008 lorsque de la mélamine ajoutée au lait a intoxiqué 300 000 enfants, entraînant six décès. Des politiques plus strictes ont par la suite été adoptées : depuis mai 2011, une directive de la Cour suprême punit de la peine de mort les cas de contamination alimentaire mortelle 10. Néanmoins, des contrôles de qua-lité plus efficaces sont nécessaires, d’autant que les restrictions auxquelles les médias

8. “China says water pollution doubles official figures”, China Daily, 10 février 2010.

9. Watts J., “Chinese farms cause more pollution than factories, says official survey”, The Guardian, 9 février 2010.

10. Demick B., “China wrestles with food safety problems”, Los Angeles Times, 26 juin 2011.

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sont confrontés entravent la diffusion de l’information sur les scandales sanitaires 11.

La demande chinoise accrue en terres et en eau soulèvera certainement de nombreuses questions géopolitiques, qui auront à l’ave-nir des implications dans le monde entier. Au moins trois enjeux devraient figurer à l’agenda international : l’extension de la

11. Fangshuo B.,“Food won’t be safe unless journalists are”, Econo-mic Observer, 22 juin 2011. L’auteur présente le projet du ministère de la Santé de « mettre sur liste noire les journalistes qui trompent le public sur les problèmes de santé » tandis que les ministères de la Sécurité alimentaire et de la Santé organisaient une conférence sur les additifs alimentaires.

superficie disponible pour la Chine par l’achat de terres agricoles à l’étranger, en particulier en Afrique ; l’impact de l’augmentation de la consommation chinoise de viande sur les ressources mondiales en eau (en 2008, la Chine était déjà le premier importateur d’eau virtuelle [Chenoweth, 2008], c’est-à-dire d’eau utilisée pour produire des denrées alimentaires et des marchandises importées) ; et, enfin, dans le cas d’une demande croissante en céréales se traduisant par des importations accrues, les répercussions d’une augmentation globale des prix des céréales sur l’équilibre socio-économique mondial. n

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US Évolution des habitudes alimentaires

en Inde et en ChineZhang-Yue ZHOU, Hong-Bo LIU, School of Business, James Cook University, AustralieVasant P. GANDHI, Indian Institute of Management, Inde

Nourrir les populations de l’Inde et de la Chine est un défi qui intéresse depuis longtemps les penseurs et chercheurs du monde entier. En 2010, ces deux

pays comptaient respectivement 1,19 et 1,34 milliard d’habitants, soit environ deux cinquièmes de la popu-lation mondiale. D’après les prévisions, ces chiffres continueront à augmenter, dépassant au total 3 milliards d’habitants en 2050. Jusqu’à présent, la production ali-mentaire nationale a permis de nourrir ces populations. Cependant, l’évolution rapide des modes de consom-mation liée au développement économique soulève de nombreuses questions : dans quelle mesure les habitudes de consommation changent-elles ? Ces changements augmentent-ils la demande en nourriture et en aliments de meilleure qualité ? L’Inde et la Chine pourront-elles continuer à produire assez de nourriture ? Quel sera l’impact des nouveaux modes de consommation sur les marchés mondiaux et la sécurité alimentaire ?

Des habitudes alimentaires en mutation depuis 20 ansLes dépenses alimentaires ont sensiblement augmenté dans les deux pays depuis les années 1970. Toutefois, la proportion du revenu consacrée à l’alimentation, ou coef-ficient d’Engel, est en déclin, comme le montre le repère 1. Les coefficients d’Engel chinois sont inférieurs à ceux de l’Inde, et sont plus élevés en zone urbaine qu’en zone rurale dans les deux pays. En 2005, les ruraux, en Chine et en Inde, ont dépensé respectivement 125 dollars et 84 dollars par habitant et par an pour leur alimentation, tandis que les dépenses correspondantes des citadins s’élevaient à 356 dollars et 122 dollars. Ainsi, les dépenses alimentaires des Chinois ruraux et urbains sont plus éle-vées que celles de leurs homologues indiens, mais l’écart entre urbains et citadins est plus important en Chine.

En Chine comme en Inde, la consommation est mar-quée par l’évolution de la composition du panier alimen-taire. La part des céréales, par exemple, a fortement baissé (repère 2). Une même tendance se dégage en Chine : en 1978, la part des céréales dans les dépenses alimentaires était de 65 % pour les ruraux et 22 % pour les consomma-teurs urbains ; elle avait diminué de 8 % en 2009 pour les citadins (données non disponibles en milieu rural).

En revanche, l’Inde a connu une hausse de la consom-mation de produits animaux, dont les dépenses dépassent désormais la part des céréales dans le panier alimentaire urbain (mais pas rural) (repère 2). Des données compa-rables ne sont pas disponibles pour la Chine, mais une évo-lution similaire est probable.

La particularité de l’Inde étant la prédominance du lacto-végétarisme, le lait est le principal produit d’origine ani-male consommé et la consommation de viande reste faible. Ce n’est pas le cas en Chine, où la viande de porc est par-ticulièrement appréciée. Cependant, ces préférences his-toriques commencent à évoluer avec la diversification des régimes alimentaires. Par exemple, la consommation de poulet, de chèvre et – dans une moindre mesure – de bœuf a considérablement augmenté en Inde, et celle de poisson et de produits laitiers croît rapidement en Chine urbaine.

La demande en produits animaux varie beaucoup sui-vant les régions, en raison notamment des différences de revenus, des habitudes alimentaires et de la disponibilité des produits. En Chine par exemple, la répartition géogra-phique de certains groupes ethniques minoritaires explique les différences régionales de consommation des produits laitiers, du bœuf et du mouton.

Les moteurs du changement De nombreux facteurs sont à l’origine des changements alimentaires en Inde et en Chine. Le plus important est

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la hausse des revenus qui s’accompagne, comme par-tout dans le monde, d’une réduction de la consomma-tion d’aliments d’origine végétale au profit d’aliments plus coûteux, notamment d’origine animale.

L’urbanisation a également une influence considé-rable car les citadins tendent à consommer moins de céréales et plus de produits animaux. Ce facteur est de plus en plus important : le niveau d’urbanisation est passé de 20 % en 1980 à 50 % en 2010 en Chine et, durant la même période, de 23 % à 30 % en Inde.

L’augmentation des revenus et l’urbanisation entraînent des changements majeurs de style de vie, qui sont eux-mêmes une autre cause de modifica-tion de régime alimentaire. Par exemple, il devient plus populaire en Chine de manger au restaurant, prendre des vacances et acheter des plats préparés ; en Inde, les jeunes actifs sortent davantage au restau-rant et achètent des plats cuisinés. L’augmentation des échanges culturels est aussi un facteur de chan-gement, les citoyens indiens et chinois étant de plus en plus influencés par les autres cultures, et attirés par des aliments non traditionnels – par exemple le bœuf en Inde, ou les produits laitiers en Chine, dont la consommation augmente dans les deux cas.

Enfin, les progrès réalisés dans la production et la commercialisation des aliments, notamment l’introduc-tion du transport moderne respectant la chaîne du froid et les conditions de stockage, améliorent la disponibilité des aliments. L’émergence et la multiplication des super-marchés, particulièrement rapide en Chine, jouent éga-lement un rôle majeur.

Ces différents moteurs continueront à exercer leur influence dans un avenir proche. La consommation de produits animaux en milieu rural finira par s’aligner sur celle des villes dans les deux pays. Tout laisse à penser que les progrès liés à la commercialisation rendront les produits alimentaires plus largement disponibles dans toute la Chine et l’Inde. Par ailleurs, les consommateurs des deux pays seront de plus en plus demandeurs de pro-duits plus sûrs et de meilleure qualité.

Comment répondre à la demande de demain ? Les recherches menées par les auteurs, ainsi que les conclusions d’autres études [par exemple Bhalla, Hazell et Kerr, 1999 ; Zhou et Tian, 2005], montrent que l’Inde et la Chine devraient fournir des quantités de céréales suffisantes pour répondre à la demande inté-rieure dans les années à venir ; cependant, leur capa-cité à produire suffisamment de produits animaux est incertaine. Les gouvernements des deux pays ont sou-ligné l’importance de l’autosuffisance en céréales. En Inde, l’objectif principal de la Mission nationale de

La prime aux urbains Moins de céréales, plus de protéines

En Inde comme en Chine, la part du revenu allouée aux dépenses alimen-taires n’a cessé de se réduire, témoignant de l’augmentation globale des revenus moyens des deux populations. Elle est cependant plus importante pour les ruraux, dont les revenus restent limités, que pour les urbains. On voit même en Inde l’écart entre les deux populations s’accroître.

L’évolution du panier alimentaire indien est représentatif de celle de beaucoup de pays émergents : l’augmentation du niveau de vie se traduit par une consommation moindre de céréales, même en zone rurale, et une augmentation de la consommation de protéines animales.

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sécurité alimentaire (NFSM) en 2007 est « d’augmen-ter durablement la production et la productivité de blé, de riz et de légumineuses afin d’assurer la sécurité ali-mentaire du pays » [Gouvernement de l’Inde, 2007]. Le NFSM s’est ainsi engagé à accroître la production natio-nale d’un total de 20 millions de tonnes d’ici à la fin du onzième Plan quinquennal, en 2012. En 2008, le gouver-nement chinois a publié son « Plan national à moyen et long terme sur la sécurité céréalière (2008-2020) », dont l’objectif est d’atteindre une autosuffisance de 95 % pour les principales céréales de base (autosuffisance en riz et en blé, quasi-autosuffisance en maïs) [Gouvernement de la Chine, 2008]. Grâce au soutien renforcé du gou-vernement chinois, la production céréalière a progres-sivement augmenté au cours des sept dernières années, atteignant 546 millions de tonnes en 2010.

Il semble donc que, bien que confrontés à des défis majeurs liés à l’urbanisation, l’industrialisation, l’épui-sement des ressources et la dégradation de l’environ-nement, l’Inde et la Chine comptent bien répondre, en grande partie, aux demandes croissantes en céréales par la production nationale dans les prochaines années. L’autosuffisance en céréales de l’Inde sur le long terme semble, en revanche, plus problématique en raison de la diminution des ressources (ressources foncières limi-tées et pénurie d’eau croissante) qui s’accompagne d’une augmentation de la population [Gandhi, Zhou et Mul-len, 2004]. La Chine est plus à même de rester autosuf-fisante en céréales sur le long terme, notamment parce

que sa population devrait commencer à baisser aux alen-tours de 2035. La Chine ne devrait donc pas avoir un effet direct majeur sur les marchés mondiaux, en particulier pour le riz et le blé.

Cependant, les deux pays auront des difficultés majeures à produire assez d’aliments d’origine animale pour répondre aux besoins croissants. En Inde, il fau-drait un essor sans précédent de l’industrie animalière pour éviter de grands écarts entre l’offre et la demande en nombreux produits carnés (sauf le poulet), ainsi qu’en œufs et en produits laitiers [Gandhi et Zhou, 2010]. En Chine, selon Jinxia Wang [2010], la pénurie de viande et d’œufs, et donc le recours aux importations, ne devrait pas avoir lieu avant 2025 ou 2030. La Chine a toute-fois déjà connu des pénuries de produits laitiers et a eu recours à l’importation, et ce phénomène risque de continuer.

Par ailleurs, la projection de Wang est basée sur l’hypo-thèse que la Chine disposera de suffisamment d’aliments pour nourrir ses animaux, ce qui ne sera pas forcément le cas. En 2010, la Chine a importé 55 millions de tonnes de soja (dont 85 % pour l’alimentation animale) et 1,5 mil-lion de tonnes de maïs. Trois millions de tonnes de farine de maïs ont également été importées en 2010. À l’avenir, il reste à savoir si la Chine aura besoin d’importer de l’ali-mentation animale, des produits animaux ou du bétail et en quelles quantités. Quelles que soient les mesures qui seront prises par la Chine et l’Inde, leur impact sera majeur sur la situation alimentaire mondiale. n

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Chapitre 6Quel avenir pour l’agriculture dans le contexte mondial de l’« Anthropocène » ?

Alors que nous entrons dans l’« Anthropocène », la question de l’impact des activités humaines, et notamment de l’agriculture, sur le système planétaire se pose de plus en plus. Quelles sont les « limites de la planète » et comment peut-on assurer « un espace sûr pour l’humanité » ?

L’agriculture et les systèmes alimen-taires mondiaux actuels sont carac-térisés par une incapacité à assurer la sécurité alimentaire pour tous, comme l’illustre par exemple l’actuelle période

de volatilité des prix, tout en exerçant une pression croissante sur l’environnement. Les défis à relever peuvent sembler très ambitieux pour un secteur longtemps considéré comme conventionnel et limité, et qui n’est que récem-ment revenu sur le devant de la scène ; cepen-dant, il est essentiel de s’y attaquer fermement pour faire face aux enjeux alimentaires à venir. Aussi, de plus en plus, un large consensus apparaît autour de l’idée que le plus grand défi du xxie siècle sera probablement la production de quantités suffisantes d’aliments de qualité pour les hommes et les animaux, de fibres et de combustibles, et cela de manière durable.

Comme nous le verrons, les pratiques agri-coles modernes ont contribué à l’avènement

de l’« Anthropocène », nouvelle ère géologique caractérisée par le fait que le comportement humain, et non pas les processus naturels de la Terre, est aujourd’hui la principale force motrice des changements systémiques (chan-gements climatiques, perte de biodiversité, etc.). En acceptant que l’agriculture est au centre de l’interférence humaine dans les cycles naturels (phosphore, azote, eau, etc.), ce chapitre souligne la nécessité de réformer profondément les systèmes agricoles et ali-mentaires dans les prochaines années si nous voulons vivre sans transgresser les limites pla-nétaires [Rockström et alii, 2009], en agissant à l’intérieur d’un « espace d’opération sûr pour l’humanité ».

Vivre dans une nouvelle ère géologique : l’« Anthropocène »Il est important de s’inscrire dans une échelle temporelle relativement longue pour

Uno SVEDIN, Stockholm Resilience Centre, Suède

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envisager les possibilités d’avenir pour l’agri-culture – et donc pour l’humanité – dans les 50 et 100 prochaines années. La situation actuelle semble caractérisée par une période de chan-gements rapides dans l’histoire du dévelop-pement de l’espèce humaine. Cette nouvelle ère est marquée par le fait que les activités humaines risquent de nous sortir des cadres familiers dans lesquels nous avions appris à vivre pendant les dix mille dernières années (époque souvent appelée « Holocène »). Durant l’Holocène, des conditions très favo-rables et exceptionnellement stables ont prévalu, permettant aux humains de se déve-lopper et de prospérer. Cette stabilité a, par exemple, permis de développer l’agriculture, innovation majeure de la civilisation.

Toutefois, des signes forts suggèrent désor-mais que nous sommes sur le point de sortir de ce cadre de conditions stables. Le prix Nobel de chimie Paul Crutzen et d’autres scienti-fiques, notamment Will Steffen [Crutzen et Stoermer, 2000 ; Crutzen, 2002 ; Steffen et alii, 2004, 2007, 2011 ; Richardson et alii, 2009], ont attiré l’attention sur un ensemble de phénomènes accélérés et interconnectés relatifs aux changements environnementaux planétaires au cours du demi-siècle dernier, notamment la croissance exponentielle de la population mondiale, le changement climatique, etc. Ces processus auraient pour origine le début de la révolution industrielle, vers le milieu du xviiie siècle, mais ils se sont considérablement accélérés après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Nous serions donc confrontés à un changement structurel majeur et permanent – mais parfois insuffisamment reconnu. En termes qualitatifs, cette période existant depuis déjà au moins 50 ans, nous avons désormais suffisamment de recul pour affirmer que cette nouvelle ère justifie un nouveau nom, et le terme « Anthropocène » a été suggéré par certains universitaires. Comme indiqué précé-demment, cette époque se caractérise par le fait que, pour la première fois dans l’histoire de la Terre, l’influence de l’être humain est devenue dominante sur les mécanismes planétaires.

L’influence anthropique – ou interférence – a désormais atteint un niveau tel qu’aucun

cycle naturel – carbone, azote, eau, etc. – n’y échappe. Dans la plupart des cas, le compor-tement humain est lié à ces cycles, et a des impacts sur eux, à tel point qu’ils ne peuvent être considérés comme indépendants de la sphère humaine. Ainsi, les êtres humains agissent à l’échelle planétaire comme une force collective de causalité, préparant le ter-rain pour la plupart des processus terrestres. Toutefois, cet impact accru des humains sur leur environnement n’a pas encore fait l’objet d’un niveau correspondant de responsabilité (ni de capacité institutionnelle, technique ou sociale nécessaire pour y faire face).

L’exemple qui illustre le mieux cette situation émergente est bien sûr le défi du changement climatique. Créé à la fin des années 1980, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a proposé une évaluation étape par étape du degré de distinc-tion et de visibilité de l’interférence humaine sur le climat. La contribution du Giec a été très importante dans les discussions politiques visant à déterminer si, et comment, la société devait intervenir en mettant en œuvre des mesures d’atténuation et d’adaptation. La société décidera d’adopter, ou non, des mesures en fonction du niveau de consensus atteint sur la prédominance de l’influence humaine sur les changements climatiques observés. Si la recherche montre que l’impact de l’élément humain est suffisamment fort, parmi les explications consolidées, alors cela représente une forte motivation pour renforcer les contre-mesures, surtout compte tenu des risques liés au maintien du niveau actuel d’émissions de gaz à effet de serre. Ces causes sont alors en principe entre les mains de l’humanité 1.

La dernière évaluation du Giec en 2007 (qua-trième évaluation) a clairement montré que les processus anthropiques constituaient un facteur important dans les données empiriques (repère 1). Ce diagramme du Giec présente des données relatives aux changements de

1. Les évolutions récentes des négociations internationales sur le changement climatique montrent que l’action a commencé à plu-sieurs niveaux et en utilisant une grande variété de moyens, mais pas encore à l’échelle préconisée par le Giec.

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température dans les grandes régions du monde, tout en montrant trois graphiques agrégés présentant le développement d’une anomalie de température de 1900 à 2000. La figure inférieure gauche présente la moyenne mondiale. Le principal intérêt est de réfléchir sur la façon dont les résultats de deux types de modèles de simulation climatique différents soutient la comparaison avec les observations réelles. La bande foncée montre les modèles qui ne prennent en compte que le forçage naturel, tandis que la courbe claire comprend égale-ment le forçage anthropique. On voit bien que les résultats des modèles de simulation « com-binés » offrent l’ajustement le plus raisonnable par rapport aux données réelles. Cette relation est vraie à la fois pour les données agrégées et pour chacun des graphiques par continent.

Il ne fait donc aucun doute que l’aspect anthropique doit non seulement être pris en compte, mais aussi que depuis 1950 environ,

cette composante anthropique du forçage cli-matique a été considérablement « renforcée » (sans tenir compte de cette augmentation, les résultats des modèles de simulation ne correspondent pas de façon satisfaisante aux changements de température observés). Il semble donc raisonnable de conclure que nous entrons en effet dans une nouvelle ère historique, qui peut légitimement être appelée l’Anthropocène.

La communauté internationale doit donc prendre des mesures décisives pour faire face à cette situation. Il est essentiel que tous les scé-narios pour 2025 et au-delà tiennent compte du forçage climatique d’origine anthropique.

Toutefois, il ne suffit pas de considérer uniquement le changement climatique, car ce début de l’Anthropocène n’est pas caractérisé par des interférences dans un seul cycle naturel – celui du carbone. Il est aussi particulière-ment important de comprendre comment les

Le changement climatique, une affaire humaineR

EPÈR

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Les travaux du Giec ont établi que la température moyenne du globe a augmenté entre 1990 et 2000 de 0,7°C. Les modélisations permettent en outre de démontrer l’influence de l’homme dans ces changements – sans les activités humaines, les variations de température pendant cette période auraient été beaucoup moins marquées.

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interactions évoluent entre ces différents cycles. La planète est un système naturel connecté et combiné, dans lequel les différents cycles natu-rels interagissent. Cette interconnexion peut s’illustrer par le transfert de matériau (pous-sières, eaux de ruissellement, etc.) de la terre vers les océans. Ces transferts sont à l’origine de la vie biologique dans les océans, qui crée à son tour une boucle de rétroaction climatique car la biologie marine influence la capacité d’absorption du dioxyde de carbone, modifiant ainsi la capacité de stockage de dioxyde de carbone réelle de l’atmosphère dont les niveaux deviennent inférieurs à ce qu’on aurait pu attendre. Ceci change à son tour les conditions climatiques, ce qui influe sur les précipitations. Ces interactions, à l’échelle régionale, sont les moteurs de boucles d’anticipation et de rétroaction entre les différents cycles naturels aux caractères complexes et dont l’étude par les scientifiques n’en est qu’à ses débuts, laissant

ouverte la possibilité de futures surprises. Ce qui est sûr, cependant, est que l’influence humaine sur ces interactions est croissante, notamment l’impact des pratiques agricoles. Dans les pays scandinaves, par exemple, le les-sivage de l’azote d’origine agricole vers la mer Baltique est à l’origine de l’eutrophisation. Un autre exemple est l’influence de l’agriculture et de la sylviculture dans le cycle du carbone en termes de capture, stockage et libération du dioxyde de carbone dans les différentes conditions mondiales.

Vers un espace d’opération sûr pour l’humanitéNous avons examiné l’influence majeure de l’être humain à l’échelle planétaire et régio-nale en matière de cycles naturels. Toutefois, ces impacts – et les possibilités d’interfé-rence délibérée dans les systèmes naturels – soulèvent des questions sur les restrictions

Les limites de la planète

Comme tout écosystème, la résilience de la planète Terre aux changements naturels ou anthropiques est importante mais pas illimitée. La surexploitation des ressources et les modifications des cycles naturels planétaires au-delà de certains seuils pourraient conduire à des effets catastrophiques pour l’humanité.

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2

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15

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Source : Rockström, I. et alii, 2009.

Limites soutenablesde la Terre

Dépassement de l’utilisationdes ressources par secteur

Niveau actuel des variables clés

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possibles de la portée de l’interférence des êtres humains avec ces cycles naturels. De telles considérations ont été prises en compte dans le cadre de plusieurs processus/méca-nismes/ressources interdépendants afin de déterminer dans quelle mesure « un espace sûr pour l’humanité » pouvait être défini, ou en d’autres termes pour étudier quelles peuvent être les limites d’interférence au sein desquelles le risque d’un changement systé-mique inattendu et excessif reste limité. Cet enjeu revêt une importance majeure, car les conséquences d’un non-respect de ces condi-tions sont potentiellement graves. Les liens de causalité entre un grand nombre de ces processus et leurs impacts ne sont pas clai-rement définis pour le moment. Cependant, ces phénomènes ont le potentiel inhérent de changer radicalement les conditions fondamentales de la vie humaine sur cette planète, par exemple en influençant de façon

drastique la vulnérabilité liée à la réduction de la sécurité alimentaire et d’autres risques.

Dans l’article mentionné plus haut publié en 2009 dans la revue Nature [Rockström et alii], les auteurs (parmi lesquels l’auteur de ce chapitre) ont abordé la possibilité d’identi-fier « un espace d’opération sûr pour l’huma-nité » compte tenu de l’aspect interconnecté des caractéristiques et des comportements non linéaires. Dans cette étude, neuf enjeux connectés ont été étudiés – notamment le changement climatique. Chaque enquête a permis de définir un panorama détaillé des risques (repère 2). Dans trois des neuf cas, l’humanité est déjà confrontée aujourd’hui à des menaces graves (c’est-à-dire qu’elle se rapproche d’une limite planétaire globale), ce qui est illustré dans le repère 2 par des segments rouges. Les trois zones parti-culièrement problématiques (c’est-à-dire impliquant un niveau élevé de menace) sont

L’agriculture parmi les secteurs les plus vulnérables

Plusieurs secteurs, dont l’agriculture et l’alimentation, seront profondément touchés par les impacts des changements climatiques dès que l’augmentation de température dépassera 1°C. Au-delà de 4°C, les ruptures peuvent être profondes, et il sera difficile d’imaginer des mesures d’adaptation.

REP

ÈRE

3

0 1 2 3 4 5 °C

Côtes

Changements de température moyenne annuelle planétaire par rapport à 1980-1999 (°C)

* majeures correspond ici à plus de 40% ** sur la base d’une élévation moyenne du niveau de la mer de 4,2 mm/an de 2000 à 2080

Eau

Écosystèmes

Alimentation

Santé

Centaines de millions de personnes affectées par un stress hydrique accru

L'affaiblissement de la circulationthermohaline modifie les écosystèmes

Baisse de la productivité descéréales dans certaines régions

Charge considérable des services sanitaires

Jusqu’à 30% des espèces endanger croissant d’extinction

Extinctions majeures*à travers le monde

Accentuation dublanchissement des coraux

Généralisationdu blanchiment des coraux

Mort des coraux à grande échelle

La biosphère terrestre tend à devenir une source nette de carbone lorsque:15% 40% des écosystèmes sont affectés

Redistribution des espèces, risques d'incendies de forêt

Impacts négatifs sur les petites exploitations, les agriculteurs de subsistance et les pêcheurs

Baisse tendancielle de la productivitédes céréales en basses latitudes

Baisse de productivité de toutesles céréales en basses latitudes

Augmentation tendancielle de la productivité decertaines céréales aux moyennes à hautes latitudes

Recrudescence des dommages dus aux inondations et aux tempêtesPerte d’environ 30% des marais côtiers**

Des millions de personnes supplémentairesrisquent chaque année une inondation côtière

Poids accru de la malnutrition, des syndromes diarrhéiques et des maladies cardiorespiratoires et infectieusesRecrudescence de la morbidité et de la mortalité par vagues de chaleur, inondations et sécheressesChangements dans la distribution des vecteurs de certaines maladies

Augmentation des disponibilités en eau dans les latitudes tropicales humides et dans les latitudes hautes

Baisse des disponibilités en eau et recrudescence des sécheresses dans les moyennes et basses latitudes semi-arides

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le changement climatique, le cycle de l’azote et l’érosion de la biodiversité.

Agriculture et limites planétairesLes trois secteurs fortement menacés ont tous des liens directs avec l’agriculture. De plus, l’agriculture est concernée par, et dépend de, plusieurs autres facteurs, par exemple le cycle du phosphore, la consommation mondiale d’eau douce et l’utilisation des terres – direc-tement ou indirectement. Ainsi, la capa-cité mondiale de production alimentaire et la possibilité de résilience à long terme des services environnementaux (liés à la produc-tion alimentaire à long terme et aux autres ressources renouvelables) sont toutes discu-tables en termes d’espace d’opération sûr. Les liens entre le changement climatique et l’agri-culture ont été présentés dans le rapport 2007 du Giec, en particulier dans les discussions relatives à la figure représentant le panorama des risques encourus par les différents secteurs dans différentes hypothèses de changement climatique (notamment en matière d’élévation de température).

Le repère 3 montre les conséquences de plusieurs hypothèses d’élévation des tempéra-tures moyennes globales : les impacts négatifs empirent fortement une fois le cap des 2°C dépassés (dans certains cas, comme celui des barrières de corail, de forts effets négatifs se font même sentir avant 2°C). Un réchauffe-ment supplémentaire conduit à une multi-plication et une intensification des impacts négatifs. Cette observation se confirme dans le secteur alimentaire, qui est confronté à des défis – tels que les changements de produc-tivité des sols – même à des réchauffements relativement faibles. Le repère souligne donc que le secteur alimentaire devra développer une capacité d’adaptation distincte même pour faire face à des « petites » variations de température. Au-delà d’une vision globale, il est important de prendre en compte les varia-tions dans chaque région, où les stress pour-ront être encore plus forts. Les débats actuels sur les perspectives pour 2050 indiquent que le risque de subir une élévation de la tem-pérature mondiale d’au moins trois degrés

en un demi-siècle est considérable. Aussi, il apparaît évident que l’agriculture (y compris la foresterie) sera gravement menacée par le changement climatique au cours de ce siècle. Cet enjeu constitue donc clairement l’un des principaux défis planétaires, puisqu’il a trait à la sécurité alimentaire mondiale.

Les changements climatiques régionaux ont aussi pour conséquences des modifications des zones écologiques qui s’accompagnent d’une évolution des préférences culturales, mais aussi de variations du spectre des risques biologiques qui affectent les cultures et les espèces animales. Le caractère erra-tique de ces phénomènes – et la baisse de stabilité des conditions, avec notamment une recrudescence de catastrophes naturelles imprévues – semble augmenter. La capacité sociale à résister à ces nouvelles conditions n’est pas encore suffisamment développée. Ainsi, de fortes indications montrent que la « résilience » du système socio-écologique combiné sera érodée.

Les enjeux ne sont pas seulement liés à l’évo-lution du climat, par exemple en termes de modification du cycle du carbone (et ses liens étroits avec l’agriculture et la sylviculture), mais concernent aussi d’autres cycles. En plus des conditions de l’eau (sous forme « verte », « bleue » ou autre), les cycles de l’azote et du phosphore présentent un lien intégral avec l’agriculture – tout comme la biodiversité [Chapin et alii, 2000 par exemple].

Le lien avec le cycle de l’eau est évident pour l’agriculture. Trop ou trop peu d’eau est très néfaste pour l’agriculture et ces deux aspects sont liés au changement climatique. Pour reprendre les propos de Wolfgang Ritter se référant aux rapports de prospective CPRA de la Commission européenne [Commission européenne, 2011] à l’occasion de la décla-ration de Budapest (mai 2011) sur la sécurité alimentaire, « l’eau est prélevée à un rythme croissant et le rapport entre surfaces irriguées et population diminue. Cela signifie que la production alimentaire mondiale dépend de plus en plus de la pluie, et le changement cli-matique réduit les taux de précipitations dans de nombreuses parties du monde ».

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Les cycles de l’azote (N) et du phosphore (P) sont également essentiels pour l’agriculture. Au sujet de la modification du cycle de l’azote par l’homme, l’article sur les « limites plané-taires » [Rockström et alii, 2009] souligne que : « Les activités humaines transforment désormais plus de N2 atmosphérique sous formes réactives que l’ensemble des processus terrestres combinés de la planète. » Cet azote réactif est utilisé comme engrais pour augmen-ter la production alimentaire, mais une grande partie de celui-ci ruisselle et pollue les cours d’eau et les zones côtières. Ce problème n’a pas été abordé au-delà du niveau local ou régional.

Le phosphore est un minéral fossile dont les ressources sont limitées, extrait par l’homme, et dont l’utilisation a pour conséquence des fuites en quantités accrues dans les sols et les cours d’eau, qui sont à l’origine de pollutions. Une préoccupation majeure – mise en avant dans l’article « limites planétaires » – est l’interaction croissante, en raison de l’inter-vention humaine, des cycles de l’azote et du phosphore, ce qui provoque l’eutrophisation (en particulier des proliférations d’algues) dans les rivières et les zones côtières, ainsi que l’anoxie (chute sévère des niveaux d’oxygène de l’eau, létale pour la vie aquatique) [Zillén et alii, 2008].

Le taux d’érosion de la biodiversité est un autre facteur associé, étroitement lié à l’agriculture. La perte de biodiversité « peut accroître la vulnérabilité des écosystèmes terrestres et aquatiques aux changements du climat et de l’acidité des océans, réduisant ainsi les niveaux limites sûrs pour ces proces-sus. Les taux actuels et prévus d’érosion de la biodiversité constituent le sixième événement d’extinction majeure dans l’histoire de la vie sur Terre – le premier qui soit spécifiquement dû aux impacts des activités humaines sur la planète » [Chapin et alii, 2000].

Vivre à l’intérieur des limites planétairesUn exposé présenté par l’initiative suédoise pour un réseau international agricole (Swedish International Agricultural Network Initiative, SIANI) souligne que l’agriculture couvre 40 % de la superficie totale des terres

libres de glace de la planète. Elle est respon-sable de 70 % de la consommation mondiale d’eau douce et émet plus de gaz à effet de serre que toute autre activité humaine. Elle emploie les trois quarts des personnes les plus pauvres du monde et nous nourrit tous. Elle représente le fondement de la civilisation humaine et c’est le point de convergence de la plupart de nos problèmes de développe-ment actuels comme la pauvreté, la faim, la dégradation environnementale et le chan-gement climatique. Il apparaît donc évident que si nous voulons relever ces défis plané-taires, nous devons certainement nous préoc-cuper de l’agriculture. Un consensus large et croissant se dégage donc sur le fait que le plus grand défi du xxie siècle devrait être la production de quantités suffisantes d’aliments pour les hommes et les animaux, de fibres et de combustibles, avec pour objectif de rester dans l’espace d’opération sûr défini par les dimensions environnementales interconnec-tées présentées ci-dessus.

La recherche innovante sera essentielle pour progresser sur la voie du développement durable tout en relevant le quintuple défi de produire plus de nourriture, de fibres et de combustibles sur des superficies limitées, pour une population mondiale qui continue de croître et modifie ses habitudes de consom-mation. Tout cela doit être réalisé en utilisant moins d’énergie et autres intrants disponibles en quantité limitée, tout en améliorant la capacité de résilience des écosystèmes et en explorant toutes les possibilités de s’adapter et/ou de contrôler le changement climatique.

Il est donc évident que nous devons apprendre à vivre dans les limites plané-taires, et pour y parvenir, nous aurons besoin de nouvelles formes de gouvernance, d’un nouveau modèle de développement écono-mique, d’un solide chemin de connaissance et d’éducation et de changements créatifs de comportements – c’est-à-dire une célébration de la créativité sous toutes ses formes. Tous ces éléments, et peut-être d’autres, sont nécessaires pour transformer le système agricole actuel et créer un nouveau rôle pour le secteur qui soit plus fortement basé sur les

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ressources biologiques. En d’autres termes, créer une nouvelle économie mondiale qui dépende plus des ressources biologiques et des services écosystémiques.

L’indispensable réforme agricole doit prendre en compte l’association de l’agri-culture, l’agroalimentaire et la nouvelle bioéconomie. Elle doit mettre en œuvre une approche basée sur les connaissances biologiques, chimiques, physiques, géolo-giques et géographiques, mais aussi intégrer simultanément une expertise permettant de comprendre et analyser le développement sociétal et le contexte culturel qui définit le cadre de ces efforts. Le besoin d’innovation – technique, mais aussi sociétale et institu-tionnelle – est également prégnant. Tout cela doit avoir pour fondement une volonté d’agir au service de l’être humain.

À un niveau plus « opérationnel », il convient d’insister sur les enjeux suivants : les articu-lations entre différents domaines politiques doivent être renforcées, par exemple entre les secteurs alimentaires et non alimentaires ; une plus grande coopération est nécessaire entre les secteurs de l’agriculture, l’énergie, l’industrie et la santé ; et les liens doivent être améliorés entre la microéconomie et la macroéconomie.

En ce qui concerne la recherche et l’innovation, les aspects suivants sont très importants : l’organisation institutionnelle de la recherche doit être repensée afin de prendre en compte les différents problèmes d’équilibre dans le système de production du savoir en ce qui concerne, par exemple, le calendrier, le financement et le déve-loppement de capital humain, ainsi que la promotion de solutions qui seront utiles à la prochaine génération. Un climat de confiance entre les différents acteurs impliqués est indispensable pour que le public comprenne et respecte l’effort concédé, dans un contexte de conflits normatifs et de tensions entre les différents intervenants. Le lien doit être plus fort entre les aspects de recherche, innova-tion, transfert, éducation et développement, dont l’articulation avec les politiques doit être améliorée.

À quoi faut-il être vigilant dans un monde en évolution et que faire ?Il est indéniable que les défis du prochain demi-siècle seront exceptionnels pour l’humanité. Cette certitude est soutenue par plusieurs études majeures, notamment le rapport International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development (2008), le rapport Agriculture at a Crossroads (2009), le programme de recherche strategique suédois Future Agriculture – Livestock, Crops and Land Use (université suédoise des sciences agricoles, 2010), ou plus récemment le rapport britan-nique The Future of Food and Farming (Bureau pour la science du gouvernement britannique, Londres, 2011). Il existe toutefois moins de certitudes sur la capacité à développer des solutions pertinentes et opportunes et à mobi-liser l’innovation à l’échelle de sociétés entières en vue de soutenir les indispensables transfor-mations. Il est possible que l’humanité ait la capacité de se mobiliser si elle se trouve au bord de très graves conséquences – qu’elle fasse preuve de l’aptitude nécessaire pour innover et transformer la société de manière équitable. Mais il est également possible que nous nous retrouvions – nous ou nos enfants – dans une situation conflictuelle grave, dans laquelle les individus se retirent dans leur propre « cour arrière » et montrent beaucoup moins de considération pour tout ce qui se passe dans le reste du monde – si une telle attitude est possible sur le long terme. Une stratégie de ce type est peut-être envisageable pour les popu-lations riches pendant une période limitée, mais il est probable que les événements natu-rels ou sociaux, sur une échelle que nous avons actuellement du mal à percevoir, finissent par exclure cette option.

Il semble que l’agriculture jouera un rôle de plus en plus important à l’avenir, et elle est confrontée à un besoin de s’adapter à une société qui doit s’appuyer davantage sur les ressources biologiques. Cette société doit établir les liens appropriés entre les milieux urbain et rural, faute de quoi le modèle de développement mondial ne sera pas fonc-tionnel dans un monde où la majorité de la population vit en agglomération urbaine. À

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cet égard, l’agriculture devra aussi peut-être faire face à de nouveaux défis, par exemple le besoin pour la production alimentaire de s’étendre géographiquement sur des zones actuellement considérées comme non rurales, c’est-à-dire les zones urbaines actuelles et futures. Ainsi, l’agriculture peut apparaître comme une activité variée, aux dimensions technologiques, sociales et de gestion, qui se diversifiera pour devenir

un modèle de fonctions symbiotiques exé-cutant les tâches nécessaires à la survie de la population mondiale – à la fois rurale et urbaine ; une population qui parallèlement atteindra 10 milliards d’habitants à la fin de ce siècle, et exprimera probablement aussi des besoins et des exigences accrus. Il reste à voir si d’ici là il sera possible de répondre à l’ensemble, ou même une partie, de ces nouvelles exigences. n

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R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

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La résistible ascension de la pénurie d’eau ou la construction sociale d’une « donnée naturelle » dans le bassin de la Garonne

Sara FERNANDEZ, Centre Alexandre Koyré, École des hautes études en sciences sociales, France

La pénurie d’eau n’est pas que le produit d’une obser-vation scientifique : elle est aussi largement une construction sociale et politique [Trottier, 2008].

C’est ce que montre l’analyse conjointe de la gestion et des sciences de l’eau dans le bassin de la Garonne, dont l’histoire révèle que la pénurie d’eau ne s’appuie pas sur des déterminismes inévitables.

La Garonne, un manque d’eau séculaire ?Déjà, en 1752, des marchands de Toulouse se plaignaient des difficultés que rencontraient leurs bateaux lors des étiages. Plus d’un siècle plus tard, en 1879, c’était l’Acadé-mie des sciences de Toulouse qui s’inquiétait du manque d’eau de la Garonne [Fernandez, 2009 : 19-25]. En 1996, pour la plupart des acteurs de la gestion de l’eau, « la Garonne est déficitaire, voire très déficitaire » [Comité de bassin Adour-Garonne, 1996]. Le 27 septembre 2009, Le Monde publiait un article sur l’impact du réchauffement climatique. Concernant l’eau, on pouvait y lire que : « […] les zones les plus touchées seraient les zones déjà concer-nées aujourd’hui par des déficits structurels comme le Sud-Ouest. » La Garonne manquerait donc d’eau depuis plus de deux siècles et demi, et cela semble loin d’être fini !

Le bassin de la Garonne se caractérise aujourd’hui par d’importants ouvrages hydrauliques. Depuis le début du xixe siècle, ce sont en particulier des acteurs décentrali-sés de l’État qui ont cherché à contrôler le fleuve et l’uti-lisation de ses eaux, d’abord pour la navigation puis pour l’irrigation et la production électrique, asseyant ainsi leur légitimité sur des projets de mise en valeur d’un ter-ritoire longtemps considéré comme arriéré [Fernandez, 2009 : 384-452]. Au milieu du xixe siècle, le problème des étiages de la Garonne fut reformulé pour soutenir la construction de canaux destinés à la navigation que le chemin de fer rendit désuets à peine leur construction achevée. L’irrigation devint alors l’argument justifiant la dépense publique engagée, permettant de valoriser des

terres incultes, « brûlées par le soleil » [Montet, 1840]. Pourtant, très peu d’irrigation sera effectivement prati-quée dans le bassin de la Garonne jusqu’aux années 1970, celle-ci ne concernant que les prairies, dans les vallées pyrénéennes et à l’amont de Saint-Martory, là où le pré-lèvement et le transport gravitaire de l’eau étaient faciles et demandaient peu d’investissements.

À partir des années 1950, les politiques hydrauliques agricoles et électriques se renforcèrent à l’échelle natio-nale, avec la création d’Électricité de France (EDF) et des Sociétés d’aménagement régional (SAR), dont la Compa-gnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG).

Dès les années 1960, des moyens significatifs, déployés de l’échelle locale à l’échelle européenne, permirent de constituer dans le bassin de la Garonne un véritable réseau sociotechnique autour de l’agriculture, impli-quant entreprises, coopératives, associations interpro-fessionnelles, organismes normalisateurs, consultants, ingénieurs d’État, chercheurs…, qui fabriquèrent la « vocation maïsicole » de ce territoire. Celle-ci occulta les besoins en eau de l’industrie, en particulier la pro-duction électrique (hydroélectricité et nucléaire) qui se développa pourtant largement entre les années 1950 et 1990 (repère 1).

Les Agences de l’eau françaises, créées en 1964 pour prélever des redevances liées à la pollution de l’eau à l’échelle de grands bassins versants et financer la restau-ration de la qualité de l’eau, n’ont eu qu’un pouvoir inci-tatif. Elles ont donc plutôt financé des ouvrages de dépol-lution ou d’augmentation des débits des cours d’eau, plutôt que la réduction des rejets ou de la demande en eau. Elles ont aussi privilégié des processus de com-mensuration 1 [Levin et Espeland, 2002] établissant des

1. La commensuration revient à quantifier des entités selon une même métrique pour permettre la comparaison, la hiérarchisation et le choix de l’une au détriment de l’autre.

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équivalences entre enjeux quantitatifs et qualitatifs. Sur la Garonne, l’Agence de l’eau Adour-Garonne (AEAG) formula ainsi le problème de la pollution comme celui d’un besoin de dilution des rejets des industries produc-trices de fertilisants qui, comme les filières agricoles et électriques, semblent avoir eu le pouvoir d’imposer leurs pratiques comme non négociables. Considérant leurs prélèvements ou émissions de polluants comme des don-nées d’entrée du problème, l’AEAG définit alors un débit minimum à laisser dans les cours d’eau en fonction du niveau maximum de concentration de polluants ne géné-rant pas de mortalité piscicole.

À la fin des années 1980, cependant, alors que les débits des cours d’eau étaient largement modifiés par les filières électriques et agricoles, la hausse de la fré-quence et de l’intensité des sécheresses se traduisit par une augmentation significative des tensions entre les dif-férents usagers de l’eau. L’environnement devenait alors un enjeu croissant à l’échelle nationale.

Les débits d’objectif d’étiage : d’un indicateur à sa transformation en « boîte noire » Au début des années 1990, l’AEAG réussit à enrôler EDF et les porte-parole de l’agriculture irriguée dans son sys-tème de règles en sécurisant des débits minimums ou « débits d’objectif d’étiage » (DOE), qui contribuèrent aussi implicitement à leur allouer davantage d’eau, justi-fiant de nouveaux barrages par la nécessité de maintenir la capacité de dilution des cours d’eau. Ce fut en particu-lier le cas du projet de barrage de Charlas. Depuis 1996, le DOE est défini comme « le débit au-dessus duquel la coexistence normale de tous les usages et le bon fonc-tionnement de l’environnement aquatique sont garan-tis et qui doivent ainsi être respectés chaque année pen-dant la période d’étiage avec des tolérances prédéfinies » [Comité de bassin Adour-Garonne, 1996].

Initialement promu par la CACG au début des années 1980 pour l’irrigation de territoires agri-coles sur la rive gauche de la Garonne, la vocation du

Contrôler l’eau

Depuis le début du xixe siècle, les modes de gouvernement de l’eau dans le bassin de la Garonne ont impliqué à la fois des dispositifs de gestion – infrastructures hydrauliques, indicateurs, arrangements contractuels, organismes de gestion, etc. – et des discours qui visent à les légitimer, le but ultime étant le contrôle de l’eau.

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projet de barrage de Charlas devint double dans les années 1990 puisque l’ouvrage devait aussi contri-buer à limiter les étiages sévères à l’amont de Tou-louse en été. L’intérêt général d’un tel projet fut alors au cœur d’une controverse intense, que le ministère de l’Environnement proposa de résoudre par une étude devant établir s’il y avait lieu de compenser un déficit « structurel » de la Garonne. Cette étude, étalée sur quatre ans, contribua activement à modi-fier la définition même des DOE. D’abord calculés en fonction d’objectifs de dilution de polluants, ils allaient devenir une notion exclusivement hydrolo-gique, fondée sur une estimation des « débits natu-rels reconstitués ».

D’un point de vue hydrologique, il était difficile de distinguer l’impact des différents usagers de l’eau au sein de la saison estivale sur les débits étant donné le nombre de barrages et de prélèvements d’eau, lar-gement distribués dans l’espace et dans le temps. On estima alors un débit naturel d’étiage moyen sur l’ensemble de l’été, en basant le calcul sur des séries statistiques qui éliminaient la distinction entre les périodes influencées par l’irrigation (jusqu’à fin août) et celles qui ne l’étaient pas (septembre-octobre). En évacuant le temps et les responsabilités, l’étude convainquit les représentants de l’État, EDF et la CACG qu’il était de leur intérêt de satisfaire les DOE de fin juin à fin octobre. Ainsi, le lien historique entre débit et dilution s’estompa dans le courant des années 1990 : les DOE, dont on n’évoquerait plus le mode de calcul, allaient devenir des objectifs pour eux-mêmes, une donnée d’entrée pour les gestion-naires de l’eau [Fernandez, 2009 : 297-320].

Aujourd’hui, la question de la construction du barrage de Charlas n’a pas encore été tranchée.

Entre-temps, les DOE sont devenus hégémoniques dans le bassin de la Garonne. C’est seulement en cherchant dans les archives que l’on peut mettre en évidence les hypothèses qui ont contribué à jus-tifier le besoin de maintenir de tels débits. Lorsque l’usine du grand producteur d’engrais AZF explosa à Toulouse en 2001 et ne fut pas reconstruite, per-sonne ne releva que le DOE à Portet-sur-Garonne avait été défini pour diluer la contribution d’AZF aux rejets d’azote dans le fleuve en cas de pollution accidentelle.

Le DOE n’est donc pas le seul indicateur de ges-tion possible, c’est surtout celui que l’AEAG a négo-cié avec des acteurs puissants à l’échelle du bassin et qui a servi de support à d’autres négociations pour le partage de la rente des politiques territoriales liées à l’eau. S’il visait d’abord à limiter les prélèvements d’eau, il est ensuite devenu un argument justifiant la construction de nouveaux barrages, puis une véri-table « boîte noire », c’est-à-dire un objectif en soi.

Comme toute observation et toute représentation de la nature, la pénurie d’eau de la Garonne se réa-lise nécessairement dans un contexte politique, éco-nomique et social particulier qui influence ce qui paraît important ou non, ce que l’on juge nécessaire de mesurer et comment [Forsyth, 2003]. Les indi-cateurs comme les DOE sont des « conventions » entre des acteurs hétérogènes qui servent de sup-port à des négociations qui les dépassent aussi lar-gement. La construction de la pénurie d’eau de la Garonne repose donc sur des relations de causalité spécifiques entre ouvrages hydrauliques, développe-ment agricole et développement économique, entre maîtrise de l’eau et construction des sciences et des techniques. n

R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

Comité de bassin Adour-Garonne, 1996, Schéma direc-teur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin Adour-Garonne.

Fernandez S., 2009, Si la Garonne avait voulu... Étude de l’étiologie déployée dans la gestion de l’eau de la Garonne, en explorant l’herméneutique sociale qui a déterminé sa construction, thèse de doctorat en sciences de l’eau, UMR G-Eau, AgroParisTech.

Forsyth T., 2003, Critical Political Ecology. The Politics of Environmental Science, London and New York, Taylor and Francis Group.

Levin P. et Espeland W. N., 2002, “Pollution Futures: Com-mensuration, Commodification and the Market for Air”, in Hoffman A. J. et Ventresca M. J., Organizations, Policy and the Natural Environment: Institutional and Strategic Perspectives, Stanford, Stanford University Press.

Montet (Ingénieur en Chef des Ponts-et-Chaussées), 1840, Mémoire sur un projet général d’emploi des eaux de la Neste, Ponts-et-Chaussées, Archives de l’École nationale des Ponts-et-Chaussées (C 197 (3) 3981).

Trottier J., 2008, “Water Crises: Political Construction or Physical Reality?”, Contemporary Politics, 14 (2), 197-214.

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Chapitre 7Intensification agricole et forêts : le cas de l’Indonésie

L’intensification agricole suffit-elle à réduire la déforestation ? Cette proposition résiste mal à une analyse économique. Par ailleurs, on observe en Indonésie une réussite des efforts d’augmentation de la productivité pour les cultures vivrières et commerciales. Mais le pays n’a pu contenir une déforestation galopante, confirmant la nécessité de politiques publiques d’accompagnement pour combiner les deux objectifs de production agricole et de maîtrise de l’expansion des terres cultivées.

Traditionnellement, l’agriculture et la forêt sont des formes concurrentes d’utilisation de la terre. La terre est un facteur de production rare, et sujet à de multiples usages : préser-

vation des écosystèmes forestiers, établis-sement de parcelles agricoles ou expansion urbaine notamment. Dans les régions tropi-cales, cette concurrence est particulièrement vive : entre 1980 et 2000, 83 % des nouvelles terres cultivées l’ont été au détriment des forêts [Gibbs et alii, 2010].

La disparition rapide des forêts tropicales a donc focalisé l’attention lors des négociations de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), conduisant à la création d’un mécanisme de

financement pour lutter contre la déforestation et la dégradation dans les pays en développe-ment (REDD + 1) à Cancún en 2010.

Les différents acteurs ont pris conscience que le sort des forêts tropicales dépendait for-tement des politiques agricoles. Le développe-ment agricole est donc analysé non seulement pour sa contribution positive à la sécurité alimentaire, mais aussi pour ses impacts néga-tifs sur les forêts, en particulier dans les pays en développement. La compatibilité entre ces

1. Réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation des forêts. Le « + » se réfère à la prise en compte de l’augmentation des stocks de carbone, par exemple via des pratiques sylvicoles appropriées ou des plantations. Son principe est de rémunérer les pays en développement et émergents via des contributions des pays industrialisés, par le biais d’un marché ou d’un fonds.

Anne BOOTH, université de Londres, Royaume-Uni Romain PIRARD, Institut du développement durable et des relations internationales, France Ahmad DERMAWAN, Heru KOMARUDIN, Center for International Forestry Research, Indonésie

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deux objectifs dépend considérablement des stratégies qui seront privilégiées pour l’agricul-ture mondiale.

La solution la plus couramment propo-sée pour combiner ces objectifs – sécurité alimentaire et préservation forestière – est l’intensification agricole, généralement consi-dérée comme une révolution verte basée sur de nouvelles variétés, des technologies à forte intensité de capital et l’utilisation d’intrants chimiques. L’hypothèse de Borlaug (land sparing) fournit le cadre théorique de cette solution : l’augmentation de la productivité par hectare limiterait l’expansion agricole, car moins de terres seraient alors nécessaires pour produire la même quantité de produits agri-coles. Soulignons toutefois que d’autres pistes de développement de l’agriculture existent au-delà de la révolution verte – notamment l’agriculture biologique ou l’agroforesterie pour l’approvisionnement des marchés locaux et la fourniture de services écosystémiques –, dont certaines sont capables d’entraîner égale-ment une hausse de la productivité à l’hectare.

Nous examinerons tout d’abord la théorie et la validation empirique de l’hypothèse de Borlaug. Nous présenterons ensuite une étude de cas en Indonésie, où nous analyserons quelle a été la stratégie agricole et comment la révolution verte a été menée, les technologies agricoles promues et les éventuels indices d’une vérification de l’hypothèse de Borlaug. La stratégie indonésienne REDD + concernant le palmier à huile sera aussi présentée afin d’évaluer le niveau de contribution attendu de l’intensification agricole aux politiques visant à alléger la pression sur les forêts.

Liens ambivalents entre itinéraires techniques agricoles et déforestationL’avenir des forêts tropicales dépend des poli-tiques publiques visant des secteurs de l’éco-nomie indirectement concernés au premier abord. Les politiques agro-foncières en sont un exemple : elles visent à modifier les pratiques agricoles, les régimes de propriété et d’utilisa-tion, entraînant des changements dont l’inten-sification agricole est une manifestation parmi d’autres.

Les fondements théoriques : l’hypothèse de BorlaugLe fait de minimiser les nouvelles surfaces culti-vées grâce à l’augmentation des rendements à l’hectare est appelé hypothèse de Borlaug, du nom d’un des pères de la révolution verte.

Bien que l’hypothèse paraisse d’abord évi-dente, elle repose en fait sur l’idée contestable que la production alimentaire augmentera jusqu’à ce que la demande initiale soit satisfaite. Ce n’est pas le cas, cependant, car les forces économiques sont un facteur déterminant : les décisions d’investissement sont prises par les agriculteurs – qu’ils soient des petits agriculteurs « traditionnels » ou des entrepreneurs apportant capital et techniques modernes pour cultiver de grandes parcelles – en réponse à des signaux-prix, tout en tenant compte de leurs propres besoins, débouchés et droits de propriété.

Sous l’angle économique, l’hypothèse de Borlaug peut donc être reformulée ainsi : l’aug-mentation des rendements conduit à une baisse du prix des commodités agricoles en raison du surcroît de l’offre par rapport à la demande, et donc de la rentabilité par hectare, conduisant au final à un ajustement de l’offre via une contraction relative des surfaces cultivées.

Les processus de prise de décision des agri-culteurs sont complexes et diverses, car de nom-breuses variables entrent en jeu (notamment l’intervention publique modifiant les prix). La meilleure façon d’aborder ce problème est de considérer de manière schématique deux niveaux d’analyse de l’expansion agricole en fonction des rendements : les niveaux micro et macroéconomiques.

Le niveau microéconomique fait référence aux décisions relatives aux nouvelles mises en culture, prises par des agents supposés rationnels et bien informés. Lorsque les agri-culteurs ont la possibilité d’écouler le surcroît de production, la rentabilité accrue conduit généralement à la mise en culture de nouvelles terres, ce qui va à l’encontre de l’hypothèse de Borlaug. Cela fut le cas lors des « booms des commodités » pour les marchés d’exportation, comme les bananes en Équateur [Wunder, 2001]. Cette tendance peut cependant être freinée par la nature imparfaite des marchés :

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la pénurie des facteurs de production locale-ment (main-d’œuvre ou capital disponibles), les coûts de transaction élevés pour l’adoption d’un nouveau mode de production ou la présence de risques pesant sur les décisions d’investissement.

Le niveau macroéconomique est celui du fonctionnement du système dans son ensemble. Il s’agit alors d’étudier les répercus-sions de l’adoption de nouvelles technologies agricoles au niveau national ou international. Par exemple, des répercussions économiques se produisent lorsque de nouveaux itinéraires techniques agricoles, et l’augmentation consé-cutive des rendements, se propagent au point que l’augmentation de l’offre (potentiellement via la diversification) entraîne une baisse des prix et une rentabilité moindre. Les migrations humaines jouent aussi un rôle crucial, comme le montre l’étude de cas indonésienne.

Au niveau macroéconomique, l’élasticité de la demande peut être décisive. En effet, l’exposé simple de l’hypothèse de Borlaug repose sur une demande fixée au départ. Satisfaire cette demande permettrait donc, en théorie, d’éviter de nouvelles mises en culture, car le surcroît de production n’aurait pas de débouchés. En réalité, la manière dont cette demande est satisfaite va déterminer son évo-lution. Mais d’autres facteurs l’influenceront également, comme l’existence d’un déficit alimentaire et l’élasticité de la demande (repère 1). Par exemple, si le niveau initial est atteint grâce à des gains de productivité et des coûts de production inférieurs par unité produite, la baisse des prix peut générer une augmentation mécanique de la demande. Ce phénomène est appelé « effet rebond » et se produit lorsque la demande est élastique (par exemple fluctue en réponse aux prix), ce qui

Liens discutables entre intensification et emprise agricoles

À l’échelle de l’exploitation À l’échelle de l’exploitationÀ l’échelle macro-économique

Avec l’adoption de nouveaux itinéraires techniques agricoles améliorant la productivité à l’hectare :

Situation 1Les coûts de productiond’une unité produite sont constants(ex. plus de travailpour utiliser toutesles possibilités dela zone cultivée)

Situation 2Les coûts de productiond’une unité diminuent(ex. système d’irrigationperformant)

Avec des marchés imparfaits(ex. pénurie de main-d’œuvreou accès difficile aux marchés),cette tendance est atténuée.

La demandeest inélastiqueet ne répond

qu’à des besoinsessentiels

La demande estélastique et

augmente lorsquele prix baisse

(« effet rebond »)

La demandeest inélastiqueet ne répond

qu’à des besoinsessentiels

La demande estélastique et

augmente lorsquele prix baisse

(« effet rebond »)

Incitations à l’expansionindéterminées

Accroissementdes incitations

Pas d’incitationparticulière

à l’expansiondes cultures

Incitationsà l’expansiondes cultures

Les surfacescultivées

régressent

Les surfacescultivées

augmentent

Résultatsincertains

Freins àl’expansion

Aucuneincitation

particulièreà l’expansion

Atténuationdes incitationsà l’expansion

Tendanceau maintien

des incitationsà l’expansion

Baisse des prix due à une

augmentationde l’offre

Les prix ont tendance

à se maintenir

Pas de déficitalimentaire

Déficit alimentaire

Pas de déficitalimentaire

Déficit alimentaire

Baisse des prix due à une

augmentationde l’offre

Les prix ont tendanceà se maintenir

Source : schéma de l'auteur.

Les travaux de Norman Borlaug avancent notamment l’idée que l’augmentation de la productivité à l’hectare réduit mécaniquement les superficies cultivées et protège donc les forêts. C’est oublier un ensemble de facteurs économiques, déterminant aussi bien les choix des agriculteurs que la possibilité de leur réalisation. Au final, ce lien est rarement observé au niveau global. Localement, il n’a quasiment pas de sens.

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est susceptible d’être le cas pour les besoins non essentiels.

Un autre facteur important est la diversifica-tion de la production. Non seulement l’agricul-ture peut produire des biens non alimentaires (huile pour les cosmétiques, coton pour les textiles, etc.), mais la production alimentaire peut aussi se diversifier considérablement jusqu’à créer une nouvelle demande. Tout ne se résume pas à une histoire de protéines et de produits de base : le « superflu » – c’est-à-dire les aliments non essentiels qui sont consommés en plus des besoins quotidiens – peut aussi jouer un rôle significatif.

Confirmation empirique d’hypothèses théoriques dans des circonstances très spécifiquesDeux articles récents sur l’hypothèse de Borlaug, que nous présentons brièvement, sont très intéressants.

Rudel et alii [2009] ont analysé l’hypothèse de Borlaug avec les données de 161 pays et 10 cultures sur la période 1970-2005. Ils

soulignent l’existence de deux forces contradic-toires résultant de l’intensification – des profits plus élevés par hectare et une baisse du prix de vente dû au surcroît de l’offre – et le besoin de tester laquelle a historiquement été la plus forte. Leur étude économétrique est d’abord menée de manière globale. Les tendances pour la période 1970-2005 indiquent des superficies qui augmentent moins vite que la population et le revenu par habitant. Cependant, l’étude ne révèle pas de corrélation significative entre la productivité des cultures et l’évolution globale des superficies. Par contre, une corrélation négative (qui concorde donc avec l’hypothèse de Borlaug) existe dans 34 pays pris séparé-ment à partir de 1900-2005. Il est intéressant de noter que des corrélations apparaissent lorsque les cultures sont analysées séparément, et non par pays ou groupes de pays. Ainsi, l’augmen-tation des rendements pour le blé et le café semble avoir engendré une baisse des surfaces allouées à ces cultures.

Tout l’intérêt de cette étude réside dans le fait que les tests ont été menés à différents niveaux

Pendant les deux premières décennies de l’indépendance indonésienne (à partir de 1949), l’agriculture a dominé l’économie (représentant la moitié du PIB, les deux tiers de la population active). En dépit d’une croissance des exporta-tions de minéraux, les produits agricoles représentaient encore près des deux tiers des recettes totales d’exportation, en parti-culier le caoutchouc. Si une par-tie des produits exportés prove-nait de grandes propriétés, les petits exploitants produisaient également dès le début des années 1960 de grandes quan-tités de caoutchouc et la majo-rité des cultures d’exportation secondaires comme le café, le coprah et le poivre. La culture

vivrière la plus importante était le riz, mais le maïs et le manioc étaient aussi largement consommés, en particulier dans les zones rurales pauvres. L’île la plus densément peuplée était Java, avec seulement 7 % des terres, mais 56 % de la super-ficie nationale sous culture de riz, et environ trois quarts des surfaces en maïs et manioc.En 2008, l’agriculture ne repré-sentait plus que 14 % du PIB et employait 40 % de la popu-lation active, beaucoup prati-quant également d’autres acti-vités. Les exportations agricoles représentaient moins de 20 % des exportations totales et l’huile de palme était devenue le principal produit exporté (plus d’un milliard de dollars en 2000

contre 12,4 milliards de dollars en 2008). La production de riz est passée de 12,4 millions de tonnes en 1961-1965 à 62,6 mil-lions de tonnes en 2008. Cette augmentation provient sur-tout de l’amélioration des ren-dements. La surface agricole des grandes propriétés repré-sentait près de 5 millions d’hec-tares, grâce à la croissance très rapide de la culture de palmiers à huile (4,1 millions d’hectares en 2008) et au caoutchouc. Les autres cultures de rente étaient essentiellement cultivées par les petits paysans. En 2008, les petites exploitations représen-taient 14,45 millions d’hectares de plantations forestières et de cultures saisonnières comme le tabac.

Développement agricole indonésien

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pour permettre aux auteurs d’identifier les zones où l’hypothèse de Borlaug peut être véri-fiée, afin de les étudier en détail pour identifier des facteurs qui n’apparaissent pas à l’étape éco-nométrique. Elle montre que les importations en substitution de la production domestique, ainsi que les programmes nationaux de conser-vation des terres jouent un rôle important. Par exemple, la conservation s’est imposée en Chine (programme “Grain for Green”) et aux États-Unis (“Conservation Reserve Program”) depuis les années 1990, avec des impacts sur les cultures de blé renforcés par la possibilité d’importer ce produit. Pour d’autres cultures, les aspects d’économie internationale sont primordiaux, comme pour Cuba où les surfaces cultivées en sucre ont diminué après la perte des marchés soviétiques, ou encore les cultures mexicaines de soja, maïs et blé affectées par la mise en œuvre de l’Accord de libre-échange nord-américain. Tous les cas illustrent donc le rôle crucial des politiques publiques, que ce soit pour l’environnement ou le commerce, pour limiter l’expansion agricole et donc vérifier l’hypothèse de Borlaug. Le cas de l’Indonésie est intéressant à cet égard, car les autorités n’ont pas sérieusement envisagé de telles interventions complémentaires, et le cou-vert forestier a décliné en dépit d’une révolution verte réussie.

Dans le second article, Ewers et alii [2009] ont également mené des études écono-métriques pour de nombreux pays et des cultures variées, arrivant à la conclusion que l’hypothèse de Borlaug est confirmée lorsqu’un certain nombre de conditions sont réunies. Cette étude a pris en compte la diversification agricole, en considérant le développement des cultures non essentielles et les biocarburants, et les changements alimentaires, notamment l’augmentation de la consommation de viande, qui menacent les effets positifs de l’intensifica-tion agricole.

La section suivante présente le cas de l’Indo-nésie, où les forêts sont fortement menacées et où, en dépit d’une révolution verte, la produc-tion alimentaire demeure un défi majeur.

La révolution verte en IndonésieDébats sur les politiques de 1960 à 2000Depuis les années 1950, les débats politiques en Indonésie ont tourné autour de trois princi-paux enjeux. Le premier était celui de la surpo-pulation rurale des îles intérieures de Java et Bali, alors que l’intensification agricole asso-ciée à l’absorption de main-d’œuvre, comme pratiquée depuis au moins la fin du xixe siècle, atteignait ses limites. Dans les années 1960, de nombreux experts agricoles ont en effet estimé que les rendements diminuaient et que l’utilisa-tion additionnelle de main-d’œuvre ne pouvait plus accroître les rendements sans l’utilisation de nouvelles technologies. Les rendements

de riz étaient notoirement plus faibles en Indonésie qu’à Taiwan et au Japon, et les économistes agricoles plaidèrent pour le déve-loppement de variétés à plus haut rendement et une utilisation accrue d’engrais chimiques.

Le deuxième enjeu était le poten-tiel d’implantation à grande échelle

sur les terres situées en dehors des régions den-sément peuplées de Java, Bali et Nusantara. Au début du xxe siècle, le gouvernement colonial hollandais avait mis en place la transmigration, c’est-à-dire le déplacement de foyers ruraux vers des zones à densité de population inférieure avec plus de terres arables « disponibles ». Cette politique s’est poursuivie, quoique de façon spasmodique, après 1950.

Le troisième sujet de débat politique concer-nait la possibilité pour les petits exploitants d’augmenter leur production de cultures de rente, mises en œuvre depuis des décennies à Sumatra, Kalimantan, Sulawesi et Maluku. L’enjeu était de diffuser auprès de toutes les petites exploitations de caoutchouc, aux ren-dements beaucoup plus faibles qu’en Malaisie, les connaissances sur les nouvelles variétés et les meilleures pratiques culturales.

Lorsque Suharto prit le pouvoir en 1966, il était entouré d’une équipe de technocrates prin-cipalement formés à Berkeley, appelée « mafia de Berkeley », pour le conseiller sur sa politique économique. Le développement agricole est devenu la priorité des dépenses publiques,

Les changements alimentaires menacent les

effets positifs de l’intensification

agricole.

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et le premier Plan quinquennal (1969-1974) a alloué des fonds considérables pour réhabiliter et développer les infrastructures rurales, 22 % des dépenses concernant des projets d’agriculture et d’irrigation [Department of information, 1974]. Si la place de l’agriculture était moindre dans les Plans quinquennaux suivants de l’ère Suharto, l’infrastructure rurale est demeurée une priorité. Par ailleurs, le programme de transmigration a reçu des fonds supplémentaires, en particulier dans le troisième Plan (1979-1984) : sur cette période, environ 366 000 familles ont été déplacées à Sumatra, Kalimantan, Sulawesi et Irian Jaya en tant que migrants subventionnés, ainsi que 170 000 migrants spontanés [Banque mon-diale, 1988].

Le programme de transmigration a provo-qué une hausse des populations hors de Java et a impliqué la mise en culture de nouvelles terres, qui ont inévitablement empiété sur les zones forestières, bien que la Direction générale des forêts ait souvent empêché les familles de s’installer sur les terres sous sa juridiction, boisées ou non. De grandes propriétés, en particulier dans le secteur de l’huile de palme, se sont également déve-loppées au détriment des forêts. Cependant, ces dégradations ont été concomitantes avec l’accélération des rendements des cultures vivrières, notamment le riz, dans la plupart des régions de l’archipel.

Croissance de la production agricole et expansion de la superficie cultivéeEntre 1960 et 2000, la production agricole indonésienne a augmenté de 3,5 % par an et de 4,8 % entre 1968 et 1992 [Fuglie, 2004 : tableau 5]. Ces taux sont rapides par rapport aux normes internationales, et les estimations de Fuglie suggèrent qu’au moins la moitié est due à la croissance de la productivité totale des facteurs, c’est-à-dire la croissance de produc-tion non liée à l’utilisation accrue d’intrants. Les productivités du travail et des terres ont augmenté de plus de 2 % par an entre 1968 et 1992. Après 1992, la croissance agricole a ralenti et la croissance de productivité est devenue négative. Fuglie avance plusieurs explications à cela, notamment la sécheresse provoquée par El Niño à la fin des années 1990, en même temps que l’effondrement macroéco-nomique massif de 1997-1998. Par ailleurs, au début des années 1990, les gains de producti-vité liés à la diffusion de variétés de l’Institut international de recherche sur le riz ont stagné, et un déclin général de l’aide gouvernementale agricole n’a pas permis de nouveaux investisse-ments en R&D.

La croissance rapide de l’agriculture vivrière dans les années 1970 et 1980, et en particulier de la production de riz, semble confirmer le potentiel de l’intensification. Une part considé-rable de la croissance est due à l’augmentation des rendements et à l’exploitation plus intensive des terres agricoles, résultant d’une meilleure irrigation. Comme le montre le repère 2, les rendements de riz ont plus que triplé entre les années 1960 et 1990, avec une augmentation considérable de l’utilisation d’engrais.

La superficie totale des terres cultivées a rapidement augmenté entre 1961-1965 et 1991-1995, en particulier pour les cultures vivrières de base (riz, maïs, manioc, patate douce, soja, sagou, etc.) en dehors de Java. Mais la croissance a aussi été rapide pour les cultures de rente (clous de girofle, café, huile de palme, caoutchouc et cacao) sur les petites exploi-tations. La superficie des grandes propriétés produisant de l’huile de palme a également augmenté (voir encadré). Toutes ces estima-tions doivent cependant être considérées avec

L’augmentation de la production de riz en Indonésie est largement corrélée à une forte hausse de l’utilisation d’engrais (méthodes de la révolution verte). Les rende-ments du riz indonésien ont augmenté de plus de 150 % depuis 1960, signe d’une intensification de la production.

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Le riz indonésien, succès de l’intensification

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L’extension des terres agricoles indonésiennesprécaution et les chiffres de Fuglie, basés sur des données nationales et de la FAO, pourraient être surestimés.

Par ailleurs, les superficies cultivées à Java ont diminué, surtout depuis les années 1980, en raison de la croissance rapide des zones urbaines et périurbaines. En dehors de Java, l’expansion des terres agricoles résulte de l’accroissement démographique, conduisant les paysans à utiliser davantage de terres pour les cultures vivrières et forestières, des pro-grammes d’aménagement du territoire et de l’expansion des grandes propriétés. Alors que le programme de transmigration a suscité de nombreuses critiques de la part des organisa-tions environnementales, il n’est à l’origine que d’une petite partie de la croissance des surfaces mises en cultures. Cette augmentation résulte surtout des populations locales cultivant plus de terres, ou des migrants non officiels s’instal-lant sans autorisation.

Impact des politiques agricoles sur le couvert forestierAu cours du xxe siècle, les agriculteurs indo-nésiens ont été très réceptifs aux signaux-prix nationaux et internationaux, ainsi qu’aux nouvelles technologies, et ont augmenté la production de cultures variées pour différents marchés. Jusqu’aux années 1980, les coûts envi-ronnementaux de la croissance agricole ont suscité peu d’attention. En ce qui concerne les cultures vivrières, le point de vue officiel était que la croissance de la plupart des productions résultait de l’augmentation des rendements et de l’exploitation plus intensive des terres.

Quel a donc été le moteur de la déforesta-tion, qui s’est accélérée dans les années 1980 et 1990 ? Pendant de nombreuses années, on pensait que l’agriculture itinérante était res-ponsable de la perte de forêt, mais l’arrivée des technologies plus sophistiquées d’imagerie par satellite a montré que les principaux acteurs de la déforestation étaient les grandes entreprises de plantation et les conglomérats forestiers. À la fin du siècle, la pression sur le gouvernement indonésien était forte pour conserver les forêts intactes et prendre en compte les conséquences de l’augmentation de la production agricole

non alimentaire. Cette croissance a eu pour moteur le développement de la production de palmiers à huile par des petits exploitants et les développeurs commerciaux, mais ces derniers portent l’entière responsabilité de la déforestation d’après un rapport de la Banque mondiale [Banque mondiale, 2001]. Puisque la demande mondiale d’huile de palme et d’autres huiles végétales continuera de croître, les pertes de forêts supplémentaires sont-elles inévitables ? Que dire des 15 millions d’hectares officiellement classés comme terres arables temporairement inutilisées [Statistics Indonesia, 2009 : 92] ? Que faut-il faire pour que leur exploitation agricole soit rentable ? Telles sont les questions auxquelles les déci-deurs politiques devront répondre dans les années à venir.

L’étude de cas indonésienne ne valide pas directement l’hypothèse de Borlaug, car de nombreux facteurs masquent les liens entre intensification et expansion agricole. Il est clair que les rendements ont augmenté rapidement durant la révolution verte, mais dans le même temps une diversification s’est produite avec notamment l’huile de palme. Le déficit alimen-taire initial a été comblé (l’autosuffisance en riz a été atteinte en 1984), alors que la crois-sance de la population et de l’économie a été spectaculaire, avec des impacts importants sur l’agriculture. Dans ce contexte, il est difficile de

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Les terres cultivées ont progressé de manière constante en Indonésie, faisant plus que doubler en quarante ans. Java (et Madura), île surpeuplée et centre socio-économique du pays ayant dès les années 1960 atteint ses limites, a vu ses superficies cultivées décroître dans la même période.

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déterminer si l’augmentation des rendements a permis de limiter l’expansion. L’étude de cas illustre parfaitement le caractère contradictoire de certaines politiques dans une perspective environnementale : alors que l’intensification était encouragée, les populations étaient dans le même temps transférées dans des zones boi-sées où les permis de plantations de palmiers à huile étaient également octroyés.

En tenant compte de ces complexités, la sec-tion suivante tente de déterminer si l’intensifi-cation peut permettre de combiner meilleure productivité et conservation des forêts, en abordant la question brûlante de l’expansion de surfaces en palmiers à huile.

La mise en œuvre de REDD + contre la déforestation : le cas des palmiers à huileBien que plusieurs initiatives soient en cours en Indonésie dans le cadre de REDD +, nous nous concentrons ici sur l’accord avec la Norvège dont l’impact attendu est probablement le plus important.

Le défi des palmiers à huileL’Indonésie est le premier producteur mondial d’huile de palme, un rang que le pays espère conserver en doublant sa production pour atteindre 40 millions de tonnes avec 16 millions d’hectares de plantations d’ici 2020, et une augmentation de la productivité pour appro-cher les niveaux de la Malaisie. Entre 1990 et 2010, l’Indonésie a multiplié sa production par huit, tandis que sur la même période la superficie cultivée est passée de 1,1 à 7,8 millions d’hectares. Les petits exploitants gèrent environ 40 % des plantations de palmiers à huile.

Les actions prévuesCes objectifs de production d’huile de palme sont cependant freinés par l’engagement de l’Indonésie auprès de la Norvège. En effet, une instruction présidentielle de mai 2011, appelée « moratoire », a suspendu l’émission de nouveaux permis d’exploitation forestière et agricole, notamment de plantations de palmiers à huile, sur les forêts primaires et les tourbières pendant au moins deux ans.

Certaines ONG ont critiqué ce moratoire, accusé d’être insuffisant face aux menaces contre les forêts. En effet, il a été démontré qu’il ne permet de protéger que 19 % des 45,3 mil-lions d’hectares de forêts primaires.

Le moratoire a également été critiqué par le secteur industriel. L’association indonésienne des producteurs d’huile de palme estime que l’expansion annuelle des terres consacrées au palmier à huile passera de 350 000 hectares à moins de 200 000 hectares dans les deux prochaines années.

Une grande confusion demeure quant à l’impact du moratoire, surtout compte tenu des conflits avec les initiatives de développement régional. Par exemple, en 2009, l’initiative Merauke Integrated Food and Energy Estate a été lancée dans la province de Nouvelle-Guinée pour sécuriser les ressources alimentaires et énergétiques. Initialement, le projet devait concerner 2 millions d’hectares, avec l’appui d’importants investissements étrangers et nationaux. Cependant, à la suite de pressions du public sur les dégâts environnementaux et

En mai 2010, la Norvège et l’Indonésie ont signé une LdI définissant un partenariat pour contri-buer à la réduction des émissions liées au déboi-sement, à la dégradation des forêts et à la conver-sion des tourbières. Il comprend trois phases : la préparation (2010), la transformation (2011-2013) et la mise en œuvre (à partir de 2014).Au moment de la rédaction de ce texte, les poli-tiques suivantes étaient en cours de développe-ment : la création de bases de données des terres dégradées à des fins de développement écono-mique, l’application des lois existantes contre l’exploitation et le commerce illégaux du bois et autres délits liés aux forêts, l’élaboration et la mise en œuvre de mesures appropriées pour régler les conflits fonciers et les demandes d’in-demnisation. La mesure phare est le « mora-toire » de deux ans suspendant tout nouveau permis de conversion des tourbières et des forêts naturelles.

Lettre d’intention (LdI) REDD+ entre la Norvège et l’Indonésie

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sociaux potentiels, le plan qui a fait l’objet d’un consensus ne concernait plus qu’1,2 million d’hectares.

Enjeux de l’intensification des plantations de palmiers à huileLe rapport de 2008 de l’Indonesian Forest Climate Alliance recommande une stratégie qui implique : la consolidation de la politique et des critères d’approbation pour la mise à dispo-sition de forêts convertibles pour le développe-ment des palmiers à huile ; la révision des plans d’optimisation des terres dégradées ; l’intensi-fication des plantations de palmiers à huile ; et l’interdiction de la pratique du brûlis pour la préparation des sols. Aucun de ces objectifs n’est facile à mettre en œuvre et le sujet de l’in-tensification a été peu abordé jusqu’à présent.

Les deux principaux défis du secteur du pal-mier à huile sont la faible productivité et l’accès limité au capital. Les grandes entreprises ont généralement leurs propres unités de R&D qui produisent des plants de grande qualité, tandis que les petits exploitants ont difficilement accès à de tels plants et manquent de soutien de base (par exemple d’infrastructures et d’engrais). La coopération entre les agriculteurs et les entreprises est souvent inefficace et la marge d’amélioration reste importante.

Pour résoudre ces problèmes, le gouverne-ment a lancé un programme de revitalisation qui prévoit d’aider à la création de 730 000 hec-tares de plantations de palmiers à huile en 2014. Ce programme permet aux petits planteurs d’accéder à un crédit à taux préférentiel, tout en fournissant des semences de qualité et des services de vulgarisation sur les méthodes de production et l’optimisation des ressources foncières.

Conclusion La complexité des liens entre la transformation des systèmes de production agricole et l’utili-sation des terres met en évidence la nécessité d’élaborer des politiques publiques de soutien afin de renforcer les effets positifs attendus en termes de conservation forestière. En effet, une analyse de l’accord entre l’Indonésie et la Norvège suggère que l’Indonésie ne porte

pas suffisamment d’attention à l’intensifica-tion comme moyen d’atteindre les objectifs REDD +, ce qui peut s’avérer problématique sur le long terme.

L’expérience montre que nous ne pouvons compter sur des changements spontanés dans les itinéraires techniques agricoles pour contri-buer à la conservation forestière. Par exemple, Boserup [1965] a montré que l’innovation spontanée entraînait généralement une inten-sification des ressources rares. Ceci signifie que les agriculteurs ont fortement tendance à adop-ter des systèmes extensifs lorsque la terre est abondante, afin de pallier la rareté des autres facteurs de production comme le travail et le capital. Cela est vrai tant pour les agriculteurs sur brûlis à Bornéo que pour les éleveurs bovins en Amérique latine. Aussi, en matière de défo-restation en Indonésie, le recours à l’innovation et l’adoption spontanée de nouveaux itinéraires techniques agricoles impliquerait d’accepter une augmentation des défrichements jusqu’à ce que la ressource ait presque disparu, et de dépendre ensuite des agriculteurs pour mettre en œuvre des mesures de conservation. Un cer-tain nombre d’outils de type macro sont donc nécessaires, par exemple une fiscalité appliquée au secteur agricole ou la création d’un réseau de diffusion des technologies.

Le principe de Paiements pour services environnementaux (PSE) constitue un outil à fort potentiel, par lequel les bénéficiaires (ou intermédiaires) d’un service environnemental passent des contrats volontaires avec les four-nisseurs de ce service en conditionnant leurs récompenses au maintien du service. Pour l’In-donésie, un PSE consisterait en mesures visant à conditionner le soutien à l’adoption de bons itinéraires techniques agricoles à l’absence de défrichement sur les terres avoisinantes. Les agriculteurs et propriétaires terriens bénéfi-cieraient de techniques capables d’augmenter leur production et revenus, et les conséquences néfastes par le défrichement pourraient être minimisées. Idéalement, un PSE permettrait de garantir les avantages (une augmentation de la production alimentaire), tout en atténuant les effets néfastes (expansion au détriment des forêts tropicales).

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Enfin, il est essentiel que l’« effet rebond » soit maîtrisé afin d’éviter que la consomma-tion augmente à la suite de la baisse des prix alimentaires. Il est parfois envisagé d’agir au niveau des régimes alimentaires dans le monde pour faire converger la demande par habitant, par exemple en réduisant la consommation de produits laitiers et de viande. Toutefois, il s’agit là d’un objectif extrêmement ambitieux et l’efficacité de programmes d’éducation

associés est incertaine. Néanmoins, des études de transition alimentaire permettent d’envisa-ger différents scénarios, par exemple la mise en place de modèles alternatifs dans l’industrie agroalimentaire [Paillard, Treyer et Dorin, 2010] ou la création de systèmes de taxation des produits agricoles en fonction de leur teneur en carbone, sur le mode des engagements pris dans le cadre de la Convention Climat [Zaks et alii, 2009]. n

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De nombreuses publications alertent sur la rareté des terres cultivables, leur dégradation, leur dimi-nution face au développement d’autres usages (liés

à l’urbanisation notamment), dans un contexte d’aug-mentation de la population humaine et de ses besoins [Millenium Ecosystem Assessment, 2005 ; Oldeman, Hakkeling et Sombroek, 1991]. Beaucoup plus rares sont les études ayant pour objectif d’évaluer les superfi-cies globales et régionales des terres cultivables, que ces terres soient effectivement utilisées ou non [Fischer et alii, 2002 ; Ramankutty, Hertel et Lee, 2005].

Dans ce domaine, quatre bases de données font référence :

– FAOStat, la base de la FAO, fournit des informa-tions sur les superficies cultivées ;

– la base de l’étude Global Agro-Ecological Zones (GAEZ), de l’International Institute for Applied Sys-tems Analysis (IIASA) et de la FAO renseigne sur les superficies cultivables ;

– la base du Center for Sustainability And the Glo-bal Environment (SAGE) de l’université du Wiscon-sin et la base de l’université McGill informent à la fois sur les superficies cultivables et sur les superfi-cies cultivées.

Dans ce focus, nous nous concentrerons sur la compa-raison des données des bases GAEZ et FAOStat.

Terres cultivables, terres cultivées : définitions et incertitudesL’étude GAEZ évalue l’aptitude des terres du monde à la culture de 154 variétés végétales, ainsi que les rende-ments accessibles selon trois grands modes de culture – « avancé », « amélioré », « traditionnel » – et selon qu’elle est pluviale ou irriguée. Elle classe les terres en cinq caté-gories : 1. terres très convenables si les rendements acces-sibles excèdent 80 % des meilleurs rendements constatés dans la zone climatique ; 2. convenables s’ils sont compris

entre 60 % et 80 % ; 3. modérément convenables entre 40 % et 60 % ; 4. marginalement convenables entre 20 % et 40 % ; 5. non convenables en dessous de 20 % [Fischer et alii, 2002].

La base GAEZ indique les superficies de terres cor-respondantes, ainsi que celles sous couvert forestier, et signale l’étendue des infrastructures.

La base FAOStat fournit quant à elle des estimations sur les superficies des « terres arables 1 » et des terres sous « cultures permanentes 2 », qui constituent ce que nous appelons « terres cultivées ».

Les bases FAOStat et GAEZ présentent bien sûr des incertitudes. Arthur Young, pédologue, juge que les terres cultivables seraient surestimées de 10 à 15 %, tan-dis que les terres cultivées seraient sous-estimées de 10 à 20 % [Young, 1999].

D’après ces deux bases, les terres actuellement culti-vées représentent près de 40 % des terres utilisables en culture pluviale (sans besoin d’irriguer) dans le monde, soit environ 1 560 millions d’hectares sur 4 150 millions. Cette proportion passerait à 53 % en tenant compte des erreurs maximums proposées par Young, soit 1 874 mil-lions d’hectares sur 3 529 millions.

Trois hypothèses d’extension des terres cultivées Présentation des trois hypothèsesConnaissant les superficies des différentes catégories de terres utilisables en culture pluviale (étude GAEZ), ainsi que les superficies de terres cultivées en 2005

1. « Terres affectées à des cultures temporaires, prairies temporaires à faucher ou à pâturer, cultures maraîchères et jardins potagers, et jachères temporaires (moins de cinq ans) » (FAO).

2. Les « cultures permanentes » sont semées ou plantées une fois, puis occupent le terrain pendant quelques années et ne doivent pas être replan-tées après chaque récolte annuelle comme le cacao, le café (FAO). Cette catégorie comprend les arbustes produisant fruits et fleurs, mais pas ceux destinés à produire du bois. 229

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USLes terres cultivables :

une ressource rare ?Laurence ROUDART, université libre de Bruxelles, Belgique

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(FAOStat), on peut calculer des possibilités théoriques d’extension des terres cultivées. Dans cette perspec-tive, on peut envisager trois hypothèses. La première, très restrictive, considère comme pouvant être mises en culture les terres très convenables, convenables et modérément convenables, sauf celles sous forêt et sauf les superficies nécessaires aux infrastructures urbaines et autres 3. La deuxième hypothèse, moins restrictive, y ajoute les terres peu convenables, hormis celles sous forêt. La troisième hypothèse, la moins restrictive, intègre en sus toutes les terres cultivables sous forêt, soit un tiers des forêts du monde.

Résultats et précautions d’interprétationSelon cette démarche, certains éléments tendent à surestimer les possibilités d’extension des superficies

3. Ces superficies sont calculées en augmentant de 50 % celles qui sont déjà consacrées à cet usage en 2000, proportionnellement à la croissance démographique jusqu’en 2050, ce qui tend à les surestimer.

cultivées. Elles auraient lieu principalement dans des zones actuellement classées comme « herbeuses », « arbustives » ou comme « prairies et pâturages perma-nents », se situant éventuellement dans des zones pro-tégées, sans que les données permettent de faire la part des unes et des autres ; et, pour être classée « conve-nable », il suffit qu’une terre soit cultivable avec l’une des 154 espèces considérées. Mais d’autres éléments tendent à les sous-estimer : l’étude GAEZ considère comme « non convenables à la culture » les terres à faible rendement et n’envisage pas de nombreux aménagements susceptibles de rendre certaines terres cultivables.

À l’échelle mondiale, l’extension des superficies cultivées ainsi calculée est respectivement : 1. environ 1 000 millions d’hectares, ce qui conduit à 1,7 fois plus qu’aujourd’hui ; 2. 1 450 millions d’hectares, soit 2 fois plus ; 3. 2 350 millions d’hectares, soit 2,5 fois plus.

Toutefois, les possibilités d’extension sont très diffé-rentes d’une région à l’autre (repère 1) : si elles sont par-ticulièrement élevées dès l’hypothèse 1 en Amérique du

Peut-on étendre les terres cultivées ?

À l’impératif d’augmenter la production agricole mondiale, on oppose souvent la limite des terres cultivables. Les trois hypothèses présentées ici indiquent différentes possibilités d’extension des terres cultivées et montrent que ces possibilités sont très inégalement réparties sur la planète.

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Sud et en Afrique subsaharienne, elles semblent prati-quement inexistantes en Asie : là, les superficies déjà cultivées excèdent celles qui seraient cultivées dans les trois hypothèses analysées. Cela signifie que pour ce continent au moins, les méthodes de l’IIASA tendent net-tement à sous-estimer l’aptitude des terres à la culture, et que les populations ont su aménager des terres pour les rendre cultivables (terrasses sur les terrains pentus, notamment).

L’étude GAEZ examine aussi les conséquences de sept scenarii de réchauffement climatique sur les superficies cultivables en blé, en maïs-grain et en riz : ils conduisent tous à une extension, faible (de 1 % à 6 %) des super-ficies cultivables en céréales à l’échelle du monde. Mais celles-ci diminueraient dans les pays en développement (1,3 % à 11 %), alors qu’elles augmenteraient de 11 % à 25 % dans les pays développés.

Développement agricole et politiques publiquesAinsi, d’après les données de l’IIASA et de la FAO, les terres utilisables en culture pluviale et non cultivées ne sont pas, et ne seront pas prochainement, une res-source rare à l’échelle de la planète, même si l’on exclut de la mise en culture toutes les forêts et toutes les zones actuellement protégées, et même si l’on prend en compte les effets plausibles du réchauffement cli-matique. Néanmoins, les terres cultivables non culti-vées sont une ressource bel et bien limitée, voire quasi-inexistante au Moyen-Orient et en Asie. De plus, seules des études écologiques, techniques, économiques et sociales locales peuvent permettre de savoir si les terres cultivables non cultivées sont effectivement disponibles pour la mise en culture, accessibles, et par qui elles seraient cultivables.

Il reste que les responsables de politiques publiques, nationales ou de coopération internationale, ayant trait à l’agriculture ont une marge de manœuvre quant au mode de développement agricole international qui sera privilégié. Une première voie, celle à laquelle prédis-posent la plupart des institutions en place, consiste à poursuivre les politiques et pratiques qui favorisent un mode de développement agricole concurrentiel, iné-gal et même contradictoire : une partie des unités de production du monde a connu une très forte augmen-tation de la productivité du travail et du rendement des cultures, tandis que des centaines de millions d’autres agriculteurs ont basculé dans la pauvreté, la sous-ali-mentation et éventuellement l’exode et l’émigration. À ces graves revers sociaux se sont ajoutés, dans certaines régions, des revers écologiques tels que la salinisa-tion, les pollutions, la perte de biodiversité… [IAASTD, 2008 ; Mazoyer et Roudart, 2006].

Dès lors que des superficies étendues peuvent être mises en culture dans de nombreuses régions du monde, une voie alternative peut être empruntée : promouvoir des agricultures diversifiées, à rendements relativement faibles, économes en intrants extérieurs et en énergies fossiles – voire n’en utilisant pas –, ayant peu d’effets négatifs sur l’environnement voire des effets positifs ; des agricultures assurant en même temps des moyens d’exis-tence décents aux presque 3 milliards de personnes qui constituent la population agricole mondiale, dans l’esprit de la révolution doublement verte.

Cette voie suppose de ne pas se tromper de problème. Le principal défi est bien d’ordre politique, économique et social : il s’agit de l’élaboration de politiques agricoles d’un nouveau genre, et non de la rareté des terres culti-vables. n

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Chapitre 8Changement climatique et sécurité alimentaire : un test crucial pour l’humanité ?L’agriculture mondiale est à un carrefour. Alors que l’impact du changement climatique sur la production alimentaire est déjà négatif, la demande agricole devrait augmenter de 70 à 100 % d’ici 2050. Ne pas y répondre renforcerait l’insécurité alimentaire, tandis que poursuivre sur la même trajectoire accélérerait les émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement du climat. Comment éviter la spirale pauvreté/faim/dégradation de l’environnement/conflits ? Comment développer une agriculture « intelligente » face au réchauffement climatique ?

Rien n’est plus important pour l’hu-manité et la stabilité des sociétés que l’accès à une nourriture suffi-sante et saine. L’un des grands défis du xxie siècle sera d’accroître l’offre

alimentaire pour répondre aux besoins d’une population mondiale qui devrait atteindre 9 milliards d’habitants en 2050, tout en déve-loppant le secteur agricole dans des limites environnementales compatibles avec celles de la planète [Rockström et alii, 2009].

Dans le monde, sur les 14 milliards d’hectares de terres libres de glace, 10 % sont cultivés et 25 % pâturés. Plus de 2 milliards de tonnes de céréales sont produites chaque année pour l’alimentation humaine et animale, fournissant

environ deux tiers de l’apport protéique direct et indirect total ; à peine 10 % de ce total est commercialisé au niveau international. La gestion des ressources est fondamentale pour atteindre les niveaux de production actuels : sur seulement 17 % des terres arables, les surfaces irriguées permettent de produire une part très importante des aliments (40 % des céréales) en consommant 2 500 milliards de m3 d’eau, soit 75 % de l’eau douce totale utilisée. L’agriculture est un facteur majeur de la dégra-dation des terres et des émissions de gaz à effets de serre (GES) d’origine anthropique, étant à l’origine de 25 % des émissions annuelles de CO2 (du fait de la déforestation), de 50 % de celles de méthane, et de plus de 75 % de celles

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La meilleure façon de prédire l’avenir, c’est de l’inventer. Steve Jobs

La planète peut pourvoir aux besoins de tous, mais pas à la cupidité de chacun. Mahatma Gandhi

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de protoxyde d’azote [Tubiello et alii, 2007]. Dans les régions tropicales, 80 % des nouvelles terres agricoles remplacent des forêts [Foley et alii, 2007], ce qui affecte la biodiversité et les principaux services des écosystèmes.

L’augmentation de la demande en terres accroît la pression sur la biodiversité et les res-sources naturelles. On estime que sur un tiers des terres cultivées, la couche arable se réduit plus rapidement que ne se forme un nouveau sol. Les sols africains auraient ainsi perdu 1 % de matière organique chaque année depuis 1960 [Clay, 2011], rendant inefficace l’apport d’engrais et d’eau, et réduisant les rendements, ce qui augmente la famine et la dépendance aux importations alimentaires. Des pénuries d’eau sans précédent, signes d’une surexploi-tation des nappes phréatiques, sont également plus fréquentes dans le monde développé (États-Unis, Australie, Europe méridionale). L’expansion et l’intensification de l’agriculture mettent en danger des espèces animales et végétales, notamment des centaines de plantes médicinales qui sont à la base de la pharmaco-pée mondiale.

Si les tendances actuelles concernant la démographie, l’économie et la consommation de produits animaux se poursuivent, la produc-tion agricole devra doubler. Les cultures et les pâturages devront alors s’étendre, en particu-lier en Afrique subsaharienne et en Amérique latine [Schmidhuber et Tubiello, 2007 ; AgriMonde, 2010], ce qui s’accompagnera d’une croissance des émissions mondiales de gaz à effet de serre et d’un réchauffement accru du climat susceptible de réduire le potentiel de production agricole.

La crise alimentaire mondiale du début du xxie siècleIl était encore récemment admis que nous avions plusieurs décennies de surplus alimen-taire – et de prix bas – devant nous. Cependant, contre toute attente, le prix mondial des céréales est devenu erratique avec des phases de forte hausse, comme au cours de deux des trois dernières années. Cette crise alimen-taire souligne notre mauvaise compréhension des interactions complexes entre systèmes

alimentaires, marchés et climat, interactions qui fragilisent la sécurité alimentaire mondiale.

En 2005-2006, période de croissance rapide de la demande en alimentation humaine et animale et en biocarburants, des événements météorologiques extrêmes ont affecté de grands exportateurs de céréales (sécheresse en Australie, inondations au Canada), rédui-sant la production céréalière mondiale de 10 %. Ce déficit, amplifié par des restrictions d’exportation dans des pays clés comme l’Inde et l’Argentine, a entraîné une hausse spectacu-laire des prix alimentaires entre 2007 et 2008, augmentant de 40 millions le nombre de personnes souffrant de faim chronique [FAO, 2008]. Des émeutes ont éclaté dans 48 pays, parfois à l’origine d’instabilités politiques.

Par la suite, un été 2010 exceptionnellement chaud en Europe orientale a entraîné des mau-vaises récoltes en Russie, ainsi que des incen-dies. Le pays a alors suspendu ses exportations, poussant les prix des céréales à un niveau record en février 2011, ce qui a contribué au déclenchement d’émeutes au Moyen-Orient et au printemps arabe.

Pourtant, la Terre fournit suffisamment pour satisfaire les besoins de tous les hommes. Le déficit calorique liée à la sous-alimentation représente moins de 10 % de la production mondiale. Si un milliard de personnes souffrent de la faim, un demi-milliard souffrent d’obésité. De plus, 40 % des céréales servent à nourrir le bétail et 6,5 % à produire des biocar-burants. Enfin, près de 40 % de la production alimentaire mondiale est perdue après récolte ou gaspillée [FAO, 2010].

La sensibilité de l’agriculture au changement climatiqueL’agriculture est intimement liée aux condi-tions climatiques et donc très exposée à ses évolutions. Le système climatique évolue dès maintenant en dehors des limites de sa variabi-lité naturelle au cours des derniers millénaires. Durant l’été 2003, une canicule et une séche-resse exceptionnelle en Europe ont provoqué une chute des rendements des cultures de 20 à 30 % et un déficit fourrager atteignant notam-ment 60 % en France. Dans les régions arides

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d’Afrique, les éleveurs nomades dépendent de leur bétail pour survivre. Ils déplacent leurs troupeaux en suivant la pluie à travers de vastes régions. Entre 1980 et 1999, de graves sécheresses ont causé la mortalité de 20 à 60 % du cheptel national de plusieurs pays arides d’Afrique subsaharienne [Giec, 2007]. Puis, en 2009-2011, la pire sécheresse depuis 60 ans a déclenché une crise humanitaire et alimen-taire qui pourrait affecter plus de 10 millions de personnes.

Le riz et le blé sont les cultures les plus importantes pour l’alimentation humaine. Leur rendement moyen a augmenté de près de 30 % par décennie des années 1960 à 1980. Mais cette hausse a été réduite de moitié pour le riz et limitée à seulement 10 % par décennie pour le blé depuis 1990. Depuis 10 à 20 ans, les rendements du blé stagnent dans les principaux pays européens. Le progrès génétique se poursuit, mais il est en partie compensé par les effets du stress thermique lors du remplissage du grain et de la sécheresse durant l’élongation des tiges [Brisson et alii, 2010]. Cette hypothèse a récemment été confirmée à l’échelle mon-diale par une analyse statistique montrant que les rendements du blé et du maïs ont probablement été réduits, respectivement, de 5,5 et 3,8 % depuis 1980 par rapport à une situation contrefactuelle sans évolution du climat [Lobell et alii, 2011].

Le risque de vivre plus d’étés chauds pour-rait fortement augmenter dans les quarante prochaines années, et ces étés chauds pour-raient devenir la norme d’ici à la fin du siècle, avec pour conséquences une production plus variable, des prix plus volatiles et une modi-fication des flux commerciaux [Lobell et alii, 2008]. Il est probable qu’à la fin du xxie siècle, les températures de la période de végétation dans la plupart des régions tropicales et sub-tropicales dépasseront les températures les plus extrêmes enregistrées entre 1900 et 2006 [Battisti et Naylor, 2009]. Si des adaptations majeures ne sont pas réalisées, les fortes tem-pératures saisonnières moyennes – affectant

négativement les rendements – constitueront un défi pour la production alimentaire future. L’amplification du cycle hydrologique liée au réchauffement climatique devrait conduire à une distribution plus inégale des précipitations entre régions et saisons, à des épisodes de précipitations plus intenses et, dans certaines régions, à des sécheresses prolongées [Giec, 2007a]. Il en résultera des risques accrus d’éro-sion des sols et de réduction de leur capacité à stocker l’eau et à fournir des nutriments.

Au cours des trente dernières années, des centaines d’expériences ont confirmé l’aug-mentation de la biomasse végétale et des ren-dements pour des concentrations atmosphé-riques en CO2 dépassant les niveaux actuels. Ainsi, les niveaux de CO2 prévus en 2050-2070 augmenteraient les rendements de 10 à 20 % pour les cultures des régions tempérées (blé et

riz) et de 0 à 10 % pour les cultures tropicales (maïs) [Tubiello et alii, 2007]. Cependant, dans les agricultures extensives des régions tropicales, de nombreux facteurs limitant, comme les températures élevées, les faibles concentrations en nutriments des sols, les sécheresses, les ravageurs et les adventices peuvent limiter l’effet positif du CO2 [Soussana

et alii, 2010]. Il y a donc de fortes incertitudes sur cet effet fertilisant à l’échelle mondiale, incertitudes qui tiennent aussi aux interactions avec l’ozone, un autre polluant atmosphérique qui a lui un impact négatif sur la production végétale [Tubiello et alii, 2007].

De plus, le changement climatique influence la fréquence, la prévalence et la gravité des maladies et des bio-agresseurs des végétaux [Kersebaum et alii, 2008]. Par exemple, dans les futures conditions climatiques, la pyrale du maïs risque d’établir des populations permanentes en Europe centrale, prolongeant ainsi sa niche climatique pour couvrir presque toutes les terres agricoles de la région. 60 % des épidémies humaines sont causées par des pathogènes animaux présents dans la nature ou dans les élevages domestiques. L’année 2010 a vu l’éradication de la peste bovine,

Les fortes températures saisonnières

moyennes constitueront un défi pour

la production alimentaire

future.

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maladie infectieuse qui a décimé les troupeaux depuis des millénaires. Néanmoins, ces der-nières années, plusieurs maladies vectorielles, parasitaires ou zoonotiques, ont (ré)émergé, avec d’importantes conséquences sanitaires, écologiques, socio-économiques et politiques. Par exemple, le virus de la fièvre catarrhale, qui touche les ovins et se déplace vers les zones tempérées d’Europe sous l’influence du réchauffement climatique [Arzt et alii, 2010].

Le réchauffement a aussi des impacts directs sur le bétail, qui répond aux températures élevées en diminuant son alimentation ce qui limite la production laitière, induit un déficit énergétique et réduit la fertilité et la longévité des vaches [King et alii, 2005]. En outre, les augmentations de la température de l’air et/ou de l’humidité peuvent affecter les taux de conception des animaux domestiques, en particulier pour les bovins, dont les principales saisons de reproduction sont le printemps et l’été.

Quels sont les impacts régionaux du changement climatique ?Les impacts du changement climatique varie-ront considérablement à l’échelle régionale, entraînant des modifications de la répartition des systèmes agricoles. Ainsi, dans le nord de l’Europe, l’augmentation des rendements et l’expansion des systèmes agricoles aux lati-tudes élevées devraient dominer, tandis que les handicaps liés à la pénurie d’eau et aux événe-ments météorologiques extrêmes (chaleur, sécheresse, tempêtes) prévaudront vraisem-blablement dans le sud de l’Europe [Bindi et Olesen, 2011]. Dans les pays nordiques et en Russie, le changement climatique pourrait se traduire par des hivers plus doux, permettant de développer les cultures d’hiver. Cependant, l’augmentation de la variabilité climatique et des événements météorologiques extrêmes pourrait retarder leur adoption pendant plusieurs décennies.

Par ailleurs, le changement climatique devrait avoir un effet notable sur la viticulture européenne, avec notamment des consé-quences négatives dans le sud de l’Europe, principalement en raison de la sécheresse

accrue et des effets thermiques cumulatifs pendant la saison de croissance. Inversement, dans les régions plus froides d’Europe centrale et occidentale les changements attendus seront bénéfiques non seulement pour la qualité du vin, mais aussi en permettant d’étendre la viticulture [Malheiro et alii, 2010].

L’adaptation au changement climatiqueFace aux risques climatiques et pour stabiliser les produits et revenus agricoles, les systèmes de production doivent devenir plus rési-lients, c’est-à-dire capables de bonnes perfor-mances en dépit des perturbations. Les agri-culteurs s’adaptent déjà au réchauffement climatique en faisant évoluer leurs pratiques agricoles (dates de semis, de récolte…) et en changeant de variétés végétales et de races animales. Les avantages de cette adaptation autonome peuvent être considérables pour certains systèmes agricoles en cas de change-ment climatique modéré. Améliorer la gestion du risque climatique en agriculture constitue aussi une stratégie d’adaptation de base, qui nécessite souvent la diversification des cultures et des systèmes d’élevage [Howden et alii, 2007].

Les petits exploitants, cultivateurs et éle-veurs, en particulier ceux qui sont situés dans des environnements difficiles, ont développé des stratégies de subsistance qui ont évolué (i) pour réduire la vulnérabilité globale aux chocs climatiques (stratégies préventives), et (ii) pour gérer leurs impacts ex post (stratégies palliatives) [Morton, 2007]. Le partage des risques au sein des familles et des commu-nautés rurales, ainsi que les mécanismes d’assurance, permettent de réduire la vulné-rabilité aux aléas climatiques et contribuent à l’adaptation.

Ces différentes stratégies d’adaptation auto-nome ne sont toutefois pas suffisantes pour faire face à des changements climatiques de grande ampleur. Un effort international d’adaptation de l’agriculture sera indispensable [Howden et alii, 2007]. Il s’agit tout d’abord d’engager des recherches pour créer dès que possible les variétés végétales et les races animales dont on aura besoin demain, car elles seront

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adaptées au climat des prochaines décennies. Il faut aussi envisager de bouleverser les pra-tiques agricoles pour concevoir des systèmes de cultures et d’élevage adaptés, résilients et éco-efficaces, tout en préservant les sols, l’eau et les ressources génétiques et en réduisant les émissions de GES.

De nombreuses innovations seront néces-saires. Il faudra développer l’ingénierie agro-écologique, qui passe notamment par une utilisation accrue de la diversité biologique aux échelles spatiales emboîtées du sol, de la parcelle et du paysage. Il faudra aussi développer les éco-technologies pour mieux collecter et économiser l’eau, pour réduire les émissions de GES, stocker du carbone dans les sols, produire de l’énergie de manière renouvelable et recycler les déchets. Des investissements accrus dans la protection contre les bio-agres-seurs et le contrôle des invasions biologiques seront nécessaires pour préserver la santé des plantes, des animaux et des humains. La télé-détection et les technologies de l’information (prévisions météorologiques saisonnières, géo-surveillance des cultures et agriculture de précision) permettront dans certains cas de limiter l’utilisation d’intrants tout en augmen-tant la productivité et la résilience. Cependant, le succès de ces technologies dépendra de leur efficacité technique et de leur taux d’adoption, deux facteurs limités dans de nombreuses régions en développement par la pauvreté, la faim, le manque de ressources financières, la dégradation environnementale et les conflits.

L’atténuation du changement climatiqueLes émissions mondiales de GES liées aux activités humaines ont fortement augmenté depuis l’époque préindustrielle, et notam-ment de 70 % entre 1970 et 2004. Sans mesures d’atténuation, la concentration du CO2 dans l’atmosphère terrestre pourrait atteindre environ 1 000 parties par million (ppm) à la fin de ce siècle et rester au-dessus de ce niveau pendant des millénaires. Dans ce scénario du pire, les températures moyennes

mondiales augmenteraient de plus de 5 °C d’ici la fin du siècle, avec des hausses régionales de plus de 10 °C, et continueraient à croître pendant des siècles, atteignant des niveaux bien supérieurs aux points de basculement de la plupart des écosystèmes et systèmes de production agricole [Schneider, 2009]. Des baisses soudaines et sévères de rendement des cultures entraîneraient une augmentation du nombre de réfugiés, menaceraient la sécurité alimentaire et déclencheraient des conflits

violents dans de nombreuses régions du monde.

Les activités humaines ont une grande influence sur le cycle global du carbone et utilisent environ 40 % de la productivité primaire nette liée à la photosyn-thèse [Rojstaczer et alii, 2001]. Globalement, environ 2 150 giga-tonnes de carbone sont stockées

dans les plantes et les sols. Les changements du climat et de l’utilisation des terres pour-raient en libérer une fraction dans le prochain siècle, ce qui aurait pour effet d’accélérer le changement climatique. Il est donc crucial de préserver ces stocks en évitant la déforestation, le retournement des prairies, la dégradation et l’érosion des sols.

En 2004, l’agriculture a contribué directe-ment à environ 14 % des émissions anthro-piques mondiales de GES, tandis que des changements d’utilisation des sols comme la déforestation contribuaient à hauteur de 17 %. Afin de limiter le futur réchauffement plané-taire à 2 °C, les émissions anthropiques de GES devront globalement diminuer d’au moins 50 % par rapport aux niveaux de 1990 d’ici 2050. L’agriculture n’est pas encore soumise à des plafonds d’émissions, bien que des plans d’action existent dans plusieurs pays.

Quantifier les émissions de GES provenant des activités agricoles est complexe. Tout d’abord, ces émissions sont très variables en raison du grand nombre d’agriculteurs individuels dans des conditions géographiques et climatiques très diverses, et leur mesure précise est difficile et coûteuse. Ensuite, l’incertitude scientifique est forte quant aux émissions de GES agricoles

Il faut concevoir

des systèmes de cultures et d’élevage

adaptés, résilients et

éco-efficaces.

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car elles impliquent une interaction complexe de facteurs comme le climat, le type de sol et les modes de production. Les options d’atténuation doivent améliorer l’éco-efficacité des systèmes agricoles en réduisant les émissions de GES par unité de produits végétaux ou animaux.

De nombreuses pratiques agricoles peuvent potentiellement réduire les émissions de GES, en particulier une meilleure gestion des terres cultivées et des pâturages ou la restauration des terres dégradées [Smith et alii, 2008]. D’autres approches pourraient jouer un rôle significatif : réduire l’excès de fertilisation azotée ; substituer les engrais azotés minéraux par la fixation biologique d’azote ; améliorer la nutrition des rumi-nants pour réduire le méthane issu de la fermentation entérique ; améliorer la gestion des effluents d’élevage. La séquestration du carbone dans les sols, en plus de réduire les émissions nettes agricoles, peut également jouer un rôle majeur dans la compensation des émissions de CO2 provenant d’autres secteurs. Le potentiel technique mondial d’atténuation de l’agriculture d’ici 2030, en considérant tous les gaz à effet de serre, est estimé à 5 500-6 000 Mt CO2-eq par an, et la moitié de ce potentiel pourrait être atteint en théorie pour des prix du carbone de 50 dol-lars par tonne de CO2-eq [Giec, 2007].

En outre, les émissions de GES peuvent être réduites en remplaçant les combustibles fossiles par des sous-produits agricoles (par exemple, du biogaz issu de la fermentation anaérobie de résidus de récolte et d’effluents d’élevage) et par des cultures énergétiques dédiées, comme des graminées pérennes ou des taillis à courte rotation. On estime que le potentiel économique d’atténuation de l’énergie de la biomasse provenant de l’agriculture est du même ordre de grandeur que celui de l’atténuation directe des GES dans le secteur agricole [Smith et alii, 2008]. Cependant, la production de biocarburants à partir de cultures alimentaires (souvent subventionnées) accroît la demande de terres cultivées, entraîne des changements d’usage des sols et contribue à la hausse des prix des matières premières agricoles. L’expansion

des biocarburants aux dépens des cultures alimentaires contribue ainsi à la déforestation et, de manière indirecte, aux émissions de CO2 de l’agriculture.

La sécurité alimentaire face au changement climatiqueEn 1996, le Sommet alimentaire mondial orga-nisé sous l’égide de la FAO a défini la sécurité alimentaire comme une « situation qui existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture saine, suffisante et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active » [FAO, 2002]. Cette définition comprend quatre dimensions clés : disponibilité, stabilité, accès et utilisation des aliments.

La première dimension concerne la capa-cité globale du système agricole à satisfaire la demande alimentaire.

La deuxième, la stabilité, est liée au risque que les individus perdent, de façon temporaire ou permanente, leur accès aux ressources nécessaires pour satisfaire leurs besoins. La variabilité du climat est l’une des causes d’instabilité.

La troisième dimension, l’accès, traite du droit des individus à disposer de ressources adéquates, ce qui englobe le pouvoir d’achat, les droits fonciers et les droits traditionnels des populations rurales à jouir d’une part des terres communes. Des millions de personnes sont sous-alimentées car elles n’ont pas accès à une alimentation suffisante. Elles vivent principalement dans les zones rurales des régions tropicales et leur vulnérabilité est accrue par les tendances socio-économiques, démographiques et politiques limitant leur capacité à s’adapter au changement climatique [Morton, 2007]. La majorité des populations rurales touchées par l’insécurité alimentaire consomment plus de calories qu’elles n’en produisent sur leurs terres et sont donc aussi vulnérables aux hausses de prix. Comme les zones les plus pauvres deviennent progressive-ment plus intégrées au marché, elles devraient améliorer globalement leurs revenus et leur

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productivité, au prix d’une plus grande vulné-rabilité aux chocs de prix.

La quatrième dimension, l’utilisation, englobe la sécurité alimentaire et les aspects qualitatifs de la nutrition, notamment les conditions sanitaires dans toute la chaîne alimentaire. Même les producteurs nets de denrées alimentaires ont souvent un apport calorique insuffisant, choisissant plutôt de dépenser de l’argent en sucre, viande et autres aliments coûteux [Naylor et Falcon, 2010]. Le changement climatique peut affecter la qualité des aliments : les cultures céréalières et fourragères, par exemple, ont des concentrations plus faibles en protéines et micronutriments si les concentrations atmos-phériques en CO2 augmentent [Easterling et alii, 2007].

À travers l’étude de scénarios plausibles, l’Institut international de recherche sur les poli-tiques alimentaires [IFPRI, 2010] suggère que les prix agricoles réels pourraient poursuivre leur augmentation pendant la première moitié du xxie siècle. La hausse de la demande alimentaire liée à la croissance démographique et à l’accrois-sement des richesses pourrait dépasser l’offre alimentaire étant donné les impacts négatifs du changement climatique. Dans un scénario optimiste (forte croissance des revenus et faible croissance démographique), les hausses de prix pourraient avoisiner 30 % pour le riz, mais jusqu’à 100 % pour le maïs dans un scénario de référence (revenus moyens et croissance démographique). Dans le cas improbable d’une stabilisation parfaite des GES (continuation du climat actuel dans le futur), la hausse des prix des céréales serait réduite de moitié.

L’étude a révélé d’autres impacts sur la sécu-rité alimentaire. Le changement climatique diminue le bien-être humain, en particulier parmi les plus pauvres, en augmentant la pro-portion d’enfants souffrant de malnutrition par rapport à un monde où la concentration atmosphérique des GES serait stabilisée. Avec une forte croissance du revenu par habitant et sans altération du climat, la disponibilité en calories dans les pays à faible revenu pourrait atteindre près de 85 % de celle des pays développés en 2050. En revanche, dans le

cas du scénario pessimiste, toutes les régions connaîtraient une baisse de la disponibilité en calories.

Vers des systèmes alimentaires intelligents face au climatL’agriculture intelligente face au climat est définie comme une agriculture qui augmente durablement la productivité et la résilience (adaptation), réduit les émissions de GES (atténuation) et améliore la sécurité alimen-taire et le développement [FAO, 2010]. Une intensification agricole durable permettrait de combler les déficits de rendement et d’aug-menter l’efficacité d’utilisation des ressources naturelles par l’agriculture, en particulier dans les pays en développement. Cette stratégie pourrait améliorer la sécurité alimentaire et contribuer à atténuer les changements clima-tiques en mettant un terme à la déforestation et à l’expansion de l’agriculture sur des écosys-tèmes sensibles. Des systèmes plus productifs et résilients peuvent également avoir des effets secondaires bénéfiques comme la séquestra-tion du carbone et des réductions de GES émis par unité de produit. Ces options gagnant-gagnant supposent de modifier la gestion de la biodiversité et des ressources naturelles (par exemple, conservation et restauration des sols, récupération et économies d’eau, utilisation accrue de la fixation biologique de l’azote et de systèmes intégrés comme l’agroforesterie, etc.). Toutefois, ces options sont actuellement limitées par les lacunes dans nos connais-sances, ainsi que par un certain nombre d’obs-tacles économiques et institutionnels.

Les changements alimentaires et les poli-tiques bioénergétiques peuvent contribuer au développement de systèmes alimentaires intelligents face au climat. Par exemple, passer d’une consommation de bœuf nourri au grain à celle de volaille, de porc ou de bœuf nourri à l’herbe et ne pas utiliser les cultures alimen-taires comme source de biocarburants pourrait considérablement améliorer la disponibilité mondiale de calories et réduire les impacts environnementaux de l’agriculture [Foley et alii, 2011]. Il s’agit aussi de réduire les pertes après récolte, par l’amélioration du stockage

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et du transport des aliments dans les pays en développement. Dans les pays industrialisés, ce sont principalement les gaspillages d’ali-ments dans la distribution et la consommation qu’il faudra limiter. Des systèmes alimentaires intelligents face au climat nécessiteront donc de repenser toutes les étapes de la chaîne alimentaire, allant d’une meilleure gestion des ressources naturelles par des systèmes agricoles résilients à l’éducation des consom-mateurs, en passant par des évolutions des infrastructures de stockage, transport, trans-formation et vente au détail.

Réinvestir dans les systèmes agricoles et ali-mentaires nécessitera des financements consi-dérables ainsi qu’une modification des accords commerciaux et réglementaires pour limiter la volatilité des prix, favoriser la transparence des marchés et encourager la coopération internationale dans le développement agricole et la protection de l’environnement rural.

ConclusionDans une large mesure, l’humanité contrôle désormais le destin de la biosphère mondiale et est confrontée à des choix cruciaux concer-nant son avenir. La poursuite du développe-ment dépend de notre capacité à protéger la biosphère en enrayant les émissions de GES et

en gérant les services écologiques et la biodi-versité pour que les systèmes alimentaires mondiaux soient compatibles avec les limites planétaires de notre environnement. Cela nécessitera un effort majeur d’éducation et des mécanismes d’assurance et de redistribution favorisant une stabilisation de la population et une amélioration de la sécurité alimentaire mondiale. L’humanité ne pourra peupler dura-blement la Terre et pourvoir aux besoins de tous qu’à condition de ne pas céder à la cupi-dité de chacun.

Aussi, les politiques devraient viser à : (i) augmenter les revenus des plus pauvres et leur accès à la nourriture, aux ressources naturelles et à l’éducation pour assurer une sécurité alimentaire durable face au change-ment climatique ; (ii) investir dans l’agricul-ture intelligente face au climat, l’éducation des consommateurs et la réduction des pertes et gaspillages ; (iii) repenser les accords commerciaux internationaux pour trouver des compensations aux effets différenciés du changement climatique selon les régions du monde et (iv) réduire les émissions de gaz à effet de serre et planifier l’adaptation de l’agri-culture afin de minimiser les effets néfastes du changement climatique sur la sécurité alimentaire [IFPRI, 2010]. n

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L’agriculture fait-elle l’objet de discussions au sein de la CCNUCC ?Depuis deux ans, le rôle de l’agriculture gagne une recon-naissance croissante, qui s’est manifestée par des docu-ments techniques, des ateliers, des activités des parties et des ONG. Dans les négociations sur la Convention, les premières discussions formelles sur l’agriculture sont apparues dans les débats sur l’atténuation. L’absence de discussions sur l’adaptation a créé de nombreuses ten-sions, en particulier de la part des pays en développe-ment qui la considèrent comme prioritaire dans les négo-ciations sur le changement climatique. Toutefois, comme il s’agissait du seul endroit où l’agriculture faisait l’ob-jet de débats formels, les parties en ont profité pour pas-ser, en l’espace de quelques mois, d’une vision étroite sur l’atténuation à une perspective beaucoup plus large comprenant l’adaptation. Le projet de décision qui en a résulté devait être adopté à Copenhague. Comme cela a échoué, nous avons passé les deux dernières années à essayer d’intégrer une décision sur l’agriculture dans l’accord-cadre.

Au cours des négociations post-Copenhague, le texte sur l’agriculture a considérablement changé. Autour du même noyau, de plus en plus d’enjeux ont été intégrés, certains déjà négociés se retrouvaient sortis du texte. Deux ans plus tard, un programme de travail officiel sur l’agriculture dans la Convention sur le changement cli-matique n’a toujours pas émergé, et la tâche devient de plus en plus difficile.

Deux objectifs contradictoires apparaissent : se mettre d’accord sur un texte de décision simple, dont la portée pourrait s’élargir via le programme de travail ; ou s’effor-cer de définir un texte compliqué visant à résoudre tous les problèmes dès le départ, mais sur lequel un accord est difficile.

Agriculture et négociations sur le changement climatique

Entretien avec Hayden MONTGOMERY, Premier secrétaire et conseiller spécial à l’ambassade de Nouvelle-Zélande à Paris, France

Pour l’instant, les négociations n’ont pas porté sur un sous-secteur agricole particulier, et la définition de l’agriculture est plutôt vague. Le Protocole de Kyoto la définit comme source de production de gaz à effet de serre (GES) autres que le CO2, comme l’oxyde nitreux provenant des sols ou le méthane du fumier. N’est pas inclus le carbone du sol qui, en vertu du Protocole de Kyoto, est classé dans l’utilisation des terres, le change-ment d’affectation des terres et la foresterie. Des restric-tions existent également quant à l’utilisation du carbone du sol pour générer des crédits au titre du Mécanisme de développement propre (MDP) du Protocole de Kyoto. L’agriculture n’a pas encore été définie dans cette nou-velle négociation sur la Convention, mais les parties considéreront probablement qu’elle comprend tous les gaz de la production agricole autres que le CO2 ainsi que le carbone des sols cultivés.

Quels sont les termes du débat sur l’agriculture, en particulier l’élevage, dans les négociations climatiques : y a-t-il des discussions sur une réduction directe de certaines productions ? Sur une production plus efficace ou plus intensive ?Réduire la production agricole n’est pas une option, la sécurité alimentaire est la priorité absolue pour tous et les négociations sur le climat doivent être considé-rées dans ce contexte. L’objectif ultime de la Convention précise que la production alimentaire ne doit pas être menacée.

L’efficacité et la productivité sont des facteurs très importants. En effet, l’atténuation dans le domaine de l’agriculture consiste surtout à rendre la production ali-mentaire plus efficace, augmentant ainsi la productivité agricole et la résilience des agriculteurs.

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Au sujet de l’intensification, je pense que l’ancien modèle « plus d’intrants, plus de produits » n’est plus viable. Que vous l’appeliez intensification durable, inten-sification écologique, gestion agro-écologique ou agri-culture durable, nous nous dirigeons vers un paradigme d’utilisation efficace des ressources mettant l’accent sur une meilleure utilisation des intrants. Il s’agit de pas-ser d’une production extractive à un système durable à long terme, et d’être aussi efficace que possible dans les limites du système naturel d’une exploitation.

La durabilité se limite-t-elle à l’efficacité carbone ?Sans surprise, l’accent a particulièrement été mis sur l’efficacité carbone, car ces négociations concernent le changement climatique, d’où la crainte que la durabilité ne soit réduite à cela. De plus, le changement climatique, et en particulier les GES, étant associé à un coût finan-cier, les pays exposés à ce coût cherchent à le limiter. Alors que d’autres enjeux de durabilité (comme l’éro-sion des sols, la pollution de l’eau) ne sont pas associés à des coûts économiques, bien qu’ils existent en termes de viabilité à long terme. Le débat commence toutefois à évoluer, avec leur prise en compte progressive.

Je pense que l’enjeu est mieux compris. Par exemple, au début de la discussion, le rapport Livestock Long Sha-dow, publié en 2006 par la FAO, a suscité des réactions négatives de la part du secteur de l’élevage. Mais, malgré ses limites, il a soulevé de nombreuses questions en ce qui concerne le climat, l’utilisation des terres ou de l’eau.

Les débats politiques formels, qui tardent parfois à intégrer les idées de la communauté scientifique, conviennent aujourd’hui que cela va au-delà d’une simple opposition entre intensif et extensif, petites et grandes exploitations, industriel et biologique. Aussi, dans les négociations, aucun système unique ne peut être considéré comme modèle d’excellence, car tout dépend de facteurs comme la localisation, le climat, le sol ou les races d’élevage. Dans certains cas, les systèmes plus intensifs présentent des avantages, dans d’autres ce sont les systèmes extensifs. Même si un intérêt particu-lier a été exprimé au sujet des petites exploitations et du besoin de considérer leurs vulnérabilités.

Je conviens qu’il faut être prudent, car tout dépend du contexte. Les performances de tous les systèmes peuvent être améliorées. Mais il ne faut pas se limiter aux GES, domaine où la marge d’amélioration est parfois faible, alors qu’il existe un potentiel de progrès considérable

dans la gestion de l’eau, le bien-être animal, la consom-mation ou la production d’énergie. Par exemple, main-tenir les systèmes de pâturage est important pour lutter contre le changement climatique, mais aussi pour l’éco-nomie rurale (en particulier dans les pays en développe-ment où l’agriculture joue encore un rôle important) ou pour des raisons sociales et culturelles.

Où se placent les pratiques agricoles entre l’atténuation et l’adaptation au changement climatique ?Les priorités des agriculteurs sont de nourrir leur com-munauté, générer des bénéfices, être en mesure de cultiver à nouveau l’année suivante, etc. Si une certaine pratique aide un agriculteur à être plus efficace, ou à continuer à cultiver sous un climat changeant, tout en augmentant le carbone du sol ou le rendement, alors il est difficile de dire s’il s’agit d’atténuation ou d’adapta-tion (c’est en réalité les deux à la fois), et c’est le cas de nombreuses pratiques agricoles. L’agriculture est liée à la terre et au climat ; c’est un système biologique que nous utilisons, et non pas un processus industriel, ce que nous devons garder à l’esprit.

Malheureusement, au vu du fonctionnement des négociations, plus de fonds seront probablement dispo-nibles pour ce qui est imparfaitement défini comme l’at-ténuation. L’adaptation semble très bien intégrée dans l’aide au développement, tandis que l’atténuation attire davantage l’attention de nouveaux fonds ou marchés. Le défi est de profiter de la dynamique entourant l’atténua-tion pour offrir à l’agriculture des avantages sur le plan de l’adaptation.

Quelles sont les possibilités pour les agriculteurs, en particulier dans les pays en développement, d’accéder aux crédits de carbone ?Je pense que la recherche de crédits de carbone doit être, au mieux, un dernier recours pour les agriculteurs vul-nérables. Les frais de vérification seront probablement supérieurs aux indemnités dont pourrait bénéficier un agriculteur aux revenus modestes. Et le fait de concen-trer les efforts sur cette vérification peut détourner du développement agricole « normal » qui, réalisé correc-tement, doit pouvoir faire plus pour le climat et l’agri-culteur sur le long terme. Les bonnes politiques – par exemple en termes de régime foncier, gestion des sols, amélioration de la santé animale et de la digestibilité des

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aliments, ou utilisation optimale d’engrais – sont béné-fiques pour les agriculteurs et le climat et aident à inté-grer le changement climatique dans le « développement normal de l’agriculture ».

Malgré les difficultés, la demande pour que l’agricul-ture engendre des crédits de carbone persiste, ce qui la met en avant et stimule l’investissement. On sait que les investissements dans la recherche ont chuté ces dix der-nières années et restent insuffisants, bien que les retom-bées pour la société soient grandes, mais la situation commence enfin à changer.

Même si l’absence de décision est frustrante, le fait que la discussion soit entrée dans le cadre des négociations a permis d’attirer l’attention sur l’agriculture pendant trois ans, ce qui a stimulé les débats et harmonisé les perspec-tives d’autres institutions comme les banques de déve-loppement, la communauté du développement rural agricole et la communauté des chercheurs. Beaucoup d’initiatives sont actuellement lancées, notamment l’Al-liance mondiale de recherche sur les GES en agriculture et l’initiative blé du G20. Les investissements dans l’agri-culture reprennent, de façon légèrement différente que dans le passé, avec une approche plus globale, mettant l’accent sur le bien public et la coopération pré-concur-rentielle entre secteurs public et privé.

Concernant les liens entre commerce et changement climatique, pensez-vous que le libre-échange permettrait de réduire les émissions de carbone ?Tout ce qui améliore l’efficacité de toute la chaîne de pro-duction alimentaire est bénéfique. Toutefois, supprimer les obstacles et l’inefficacité peut être politiquement et socialement difficile.

Mais le libre-échange est-il bon pour l’atténuation ? C’est une question compliquée. La réponse est beaucoup plus claire pour l’adaptation – faciliter la circulation de produits d’un endroit où ils peuvent être cultivés vers un endroit où ils ne le peuvent pas est bon pour la rési-lience du système alimentaire mondial. Cependant, en ce qui concerne l’atténuation climatique et le commerce, si vous importez des aliments d’un endroit où ils sont pro-duits moins efficacement qu’ils ne le seraient au niveau national, alors le libre-échange n’est pas bon pour l’atté-nuation. Mais si les produits alimentaires importés sont plus efficaces, alors il l’est.

Il n’existe aucune garantie, cependant, que la sup-pression des barrières commerciales permettra

d’atteindre cet objectif, ni qu’elle favorisera des importations plus efficaces du point de vue clima-tique. Même si, à court terme, cela va certainement promouvoir des importations plus efficaces économi-quement, éventuellement suivies de plus d’importa-tions efficaces du point de vue climatique. L’ouverture des marchés à des pays dont la production est actuel-lement moins efficace que celle de l’Union européenne ou des États-Unis, par exemple, encouragerait proba-blement les investissements agricoles, améliorant ainsi leur efficacité. À long terme, le système alimen-taire mondial deviendrait plus respectueux du climat et économiquement efficace. Cependant, il est diffi-cile de savoir en combien de temps la suppression des barrières commerciales deviendrait bénéfique pour l’atténuation.

Au carrefour entre politique climatique et commer-ciale, un autre facteur à considérer est la nature des politiques climatiques mises en œuvre. Si un aliment est produit dans une région où la politique climatique impose un prix aux émissions, ou lorsque ces émis-sions sont comptabilisées par le pays producteur, par exemple en vertu du Protocole de Kyoto, et que cette production est déplacée vers une région ne disposant pas de politique climatique, alors cela constitue une « fuite » et serait négatif pour l’atténuation du climat.

Un dernier mot ?L’attention relativement récente portée sur l’agriculture et le changement climatique ne doit pas détourner d’en-jeux agricoles plus fondamentaux, notamment des poli-tiques foncières saines, des subventions, des investis-sements suffisants dans la recherche agricole, qui ont tous des impacts profonds sur la production alimentaire. Nous avons trop souvent tendance à nous focaliser sur les « nouvelles technologies qui brillent », ignorant les pratiques connues qui, si elles étaient appliquées, pour-raient avoir un impact majeur sur l’efficacité des sys-tèmes agricoles. Je ne considère pas que le problème soit un manque de connaissances, mais plutôt une lacune de mise en œuvre. Non pas que nous n’ayons pas besoin de nouvelles technologies, mais nous ne devrions pas essayer de courir avant de savoir marcher. Comment adopter de nouvelles mesures d’atténuation spécifiques au climat sans commencer par intégrer les pratiques existantes pour améliorer la résilience et la rentabilité de l’agriculture, pour une production plus efficace dans la perspective de l’atténuation ? n

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Chapitre 9Recherche agricole : transitions stratégiques pour un système d’innovation mondial

La recherche agricole internationale est au cœur du débat sur l’avenir de l’agriculture et des systèmes alimentaires. Lieux stratégiques de choix d’innovations sociotechniques, ses instances de décisions se trouvent aujourd’hui face à deux options : adapter le modèle agricole de la révolution verte et les principes de recherche qui l’accompagnent ou opter pour le modèle de l’agro-écologie nécessitant alors une révolution tant agricole que scientifique.

Avant même la mobilisation politique incarnée par le Rapport sur le déve-loppement de la Banque mondiale consacré à l’agriculture en 2007, ou les initiatives internationales

suite à la flambée des prix agricoles en 2008 (G8, G20, etc.), la communauté scientifique s’est saisie depuis le début des années 2000 de la question de l’avenir de l’agriculture et de l’alimentation mondiales. Des exercices de prospective agricole comme l’Évaluation internationale des connaissances, sciences et technologies agricoles pour le développement (International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development, IAASTD) dirigé par Bob Watson (ancien président du Giec) ou des ouvrages comme celui de Michel Griffon [2006] posent une question typiquement malthusienne : dans un contexte de raréfaction des ressources

naturelles, de dégradation de la biodiversité et de changement climatique, l’offre alimentaire permettra-t-elle, en 2050, de nourrir une popu-lation mondiale toujours plus nombreuse ?

Même si elle prête à critiques, la perspective malthusienne a le mérite de mettre en discus-sion les paris différents que l’on peut faire sur les innovations et le rythme futur du progrès des sciences et des techniques, face aux situations de rareté et au changement environnemental global. Ces progrès seront-ils en mesure d’accroître la production agricole mondiale plus rapidement que ne se raréfieront les ressources et que ne croîtra la demande ? Selon qu’on réponde oui ou non, il devient essentiel soit de libérer le potentiel d’innovation pour augmenter la productivité agricole, soit de re-concevoir plus fondamentalement le fonctionnement des filières alimentaires pour agir autant sur la demande que sur l’offre [Freibauer et alii, 2011].

Benoît LABBOUZ, AgroParisTech / Centre international de recherche sur l’environnement, France Sébastien TREYER, Institut du développement durable et des relations internationales, France

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Dans les deux cas, la capacité à innover joue un rôle central. Les trajectoires technologiques en agriculture sont et seront intimement liées aux transformations économiques et sociales des systèmes de production et des territoires. Même s’il faut des innovations rapides, il est indispensable de débattre de manière trans-parente des choix et options technologiques et de leurs impacts sur nos sociétés. Même si le défi est global, les situations agricoles dans les différentes régions du monde sont très diverses : les systèmes d’innovation devront tenir compte de cette diversité. Pour cela, les systèmes de recherche des différentes régions du monde doivent disposer de capacités suffi-santes. Pour certains pays, principalement au

Sud, les systèmes de recherche et d’innovation ne sont pas encore développés, et ils sont largement dépendants des autres acteurs de la recherche agronomique à l’échelle internatio-nale : coopération de la recherche publique du Nord, recherche privée, mais aussi coordina-tion d’un système international de recherche…

Après un rapide historique du rôle de ce sys-tème de recherche international dans la moder-nisation agricole dite « révolution verte » dans de nombreux pays en développement depuis les années 1960, il convient de questionner les choix de priorités de recherche qui présideront à la capacité d’innovation de ce système, tant pour l’objet des recherches (quelles options technologiques ?), que pour l’organisation des pratiques de recherche (comment faire travailler les chercheurs avec les acteurs de terrain ?). La controverse sur les priorités du système international de recherche agro-nomique pour le développement est un des lieux stratégiques où se construisent les choix sociotechniques globaux qui structureront la capacité de l’humanité à se nourrir demain.

Acteurs historiques et émergentsL’institution de la recherche agricole interna-tionale qui cristallise le débat aujourd’hui est le Groupe consultatif pour la recherche agri-cole internationale (Consultative Group on International Agricultural Research, CGIAR) créé en 1971 sous l’égide de la Banque mondiale. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les fondations Ford et Rockefeller sont les principaux financeurs de quatre centres de recherche agricole (le CIMMYT au Mexique, l’IRRI aux Philippines, l’IITA au Nigeria et le CIAT en Colombie) pour permettre à ces pays d’augmenter leur production agricole à partir de l’amélioration variétale des principales céréales (blé, maïs, riz). Ils contribuent large-ment au mouvement de modernisation par la diffusion des innovations scientifiques, qu’on appellera par la suite « révolution verte » en Asie et en Amérique latine (encadré ci-contre), centré sur l’augmentation des rendements agricoles pour faire face à la croissance rapide de la demande. Mais c’est aussi implicite-ment une voie de sortie face aux contestations

La révolution verte a reposé sur un apport mas-sif d’intrants extérieurs (engrais chimiques, pesticides, herbicides, semences améliorées, irrigation et, souvent, mécanisation). Cette modernisation sur la base d’un paquet cohérent de technologies, focalisée sur la seule maximisa-tion des rendements, a consisté à simplifier des systèmes agricoles traditionnels dont la grande diversité – des espèces végétales et animales, et de leurs associations – constituait cependant un moyen de se prémunir de nombreux risques cli-matiques ou biologiques. La révolution verte a permis à la production agricole mondiale d’être multipliée par 2,5 entre 1960 et 2005, alors que la population ne faisait « que » doubler sur la même période. Ses techniques étaient surtout acces-sibles aux agriculteurs déjà suffisamment dotés en capital. Le transfert de ces technologies aux agriculteurs a nécessité un accompagnement par des politiques publiques agricoles, des subven-tions pour l’achat d’intrants, la construction d’in-frastructures, la modification des régimes fon-ciers… Bien que largement critiquée pour ses impacts sociaux ou environnementaux, la révo-lution verte constitue encore un modèle auquel se réfèrent des institutions comme l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Alliance for a Green Revolution in Africa, AGRA) pour moderniser l’agriculture en Afrique.

La révolution verte

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politiques réclamant la redistribution des terres. Ces quatre centres se distinguent des anciens centres coloniaux par l’importance accordée à la génétique et à l’hybridation des variétés à haut rendement.

Devant un besoin d’élargissement de la base de financement de ces centres et la persistance du risque de famine, la FAO, la Banque mon-diale et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) mettent en place une structure de coordination des recherches de ces centres, le CGIAR, chargée d’améliorer le fonctionnement d’un système international de recherche agricole qui se met en place progressivement et de mobiliser les bailleurs internationaux.

Les années 1980 et 1990 voient le nombre de centres du CGIAR passer de 4 à 18 puis 15 aujourd’hui (repère 1). Ces centres, répartis sur toute la planète, sont spécialisés dans différentes productions agricoles : certains

sur des cultures particulières, d’autres sur des techniques ou systèmes de production (irrigation, élevage, agroforesterie…) ou des types d’écosystèmes ou de zones climatiques (régions arides, agriculture tropicale…).

L’implantation des différents centres du CGIAR dans des pays ne disposant pas de centres de recherche agronomique perfor-mants est encore aujourd’hui controversée. Si ces centres ont permis la mise en place de pro-grammes de recherche, palliant ainsi l’absence de systèmes nationaux de recherche, ils n’ont cependant pas accompagné leur émergence dans les pays les moins avancés, semblant plutôt s’y substituer dans la durée.

En 2010, le CGIAR compte 65 membres (organisations internationales, États membres et fondations privées) qui financent ses 15 centres de recherche avec un budget annuel global en croissance de 696 millions de dollars. Depuis une vingtaine d’années, le CGIAR est

15 centres spécialisés au service de l’agriculture mondiale

La coopération internationale dans le domaine agricole s’est construite autour d’instruments de recherche spécialisés. Tous représentent des questions cruciales pour la sécurité alimentaire mondiale. Néanmoins, malgré le soutien de fonds publics comme privés, tous ne disposent pas de moyens égaux pour y répondre.

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tenu de faire une meilleure place aux voix des acteurs, notamment les représentants des agri-culteurs des pays du Sud, qui critiquent la trop grande place faite aux développements tech-nologiques de la révolution verte alors que ses conséquences sociales et environnementales négatives sont de plus en plus établies. Ce pro-cessus culmine depuis 2007 dans une phase de réforme de l’organisation, de ses financements, et du contenu des recherches, qui vise aussi à adapter les recherches aux nouveaux enjeux comme le changement climatique, à élargir encore les thèmes de recherche, à rendre plus transparent le fonctionnement du CGIAR et à améliorer l’efficacité de son utilisation des fonds des bailleurs.

Face au CGIAR, le Forum mondial de la recherche agricole (Global Forum on Agricultural Research, GFAR) a été lancé sous l’impulsion du Fonds international de développement agricole (Fida) en 1996, avec pour mission d’aider les systèmes nationaux de recherche agricole du Sud et les associations de producteurs à se faire entendre dans la commu-nauté de la recherche agricole internationale. Plateforme internationale de discussion des choix stratégiques pour la recherche agricole, à laquelle participent l’ensemble des parties prenantes concernées par l’avenir de l’agricul-ture, le GFAR représente 6 forums régionaux. Il s’appuie sur la FAO, le Fida et sur un groupe de bailleurs qui lui ont assuré un budget de 2,8 millions de dollars en 2009. Sa capacité à peser sur l’orientation des recherches du CGIAR est de plus en plus importante.

Dans ce panorama des systèmes de recherche agricole publique pour le développement, il ne faut pas oublier le rôle des instituts de recherche pour le développement des pays développés (y compris l’ex-URSS), dont les réseaux de chercheurs et les choix stratégiques ont contribué aux changements progressifs du CGIAR.

Par ailleurs, le Brésil, l’Inde et la Chine entrent à grands pas dans ce système de recherche agricole internationale : le large développement de leurs systèmes nationaux de recherche agronomique est attribué à un système de droits de propriété intellectuelle approprié (brevets, droits des phytogénéti-ciens…) et au rôle moteur des acteurs privés et des ONG pour l’orientation des investisse-ments [James, Pardey et Alston, 2008]. Ces trois pays représentaient 42 % des dépenses de la recherche agricole publique dans les pays en développement en 2000 (contre 25 % en 1981).

Les fondations privées s’impliquent de plus en plus dans les programmes interna-tionaux publics de recherche agricole. À titre d’exemple, leur part dans les ressources bud-gétaires du CGIAR est d’environ 11 % en 2010. En particulier, la Fondation Bill et Melinda Gates, outre son appui financier à AGRA et au Programme mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire (Global Agriculture

Les dépenses publiques et privées de la recherche agronomique

Malgré l’ampleur des enjeux, le financement de la recherche en agriculture et en agronomie ne représente depuis plusieurs décennies que 7 % des budgets publics accordés à la recherche. Si les pays du Sud ont fait des efforts plus marqués (20 % de leurs budgets de recherche), l’essentiel des financements reste apporté par les pays du Nord qui n’y consacrent que 5 % de leurs budgets recherche. De nombreux engagements pour inverser la tendance ont été pris ces dernières années et attendent leur traduction.

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and Food Security Program, GAFSP), créé fin 2009 en réponse à la flambée des prix agricoles du printemps 2008, est depuis 2010 officiellement membre financeur du CGIAR et s’est engagée à en devenir un des principaux bailleurs d’ici 2013. Par ailleurs, la recherche privée des entreprises de l’agrofourniture est également très présente : en 2005, la part de la recherche agricole privée atteint près de 40 % des dépenses totales. Ces investissements ne sont cependant pas homogènes à l’échelle de la planète, la recherche publique restant encore largement majoritaire dans les pays en développement (repère 2).

Le processus de réforme du CGIAR constitue une des arènes majeures dans lesquelles l’en-semble de ces acteurs débattent des priorités stratégiques pour la recherche agronomique à l’échelle globale, et notamment du nouveau modèle qui pourrait succéder à la révolution verte. Ce débat se cristallise aujourd’hui parti-culièrement autour de deux modèles candidats en controverse : « nouvelle révolution verte » contre agro-écologie.

« Nouvelle révolution verte » ou agro-écologie : deux modèles en controverseLe débat sur les orientations de recherche du CGIAR s’organise autour de deux grands modèles de référence, chacun issu d’une forme particulière de réponse aux critiques de la révolution verte. Ces modèles se distinguent par les itinéraires techniques et les pratiques agricoles qu’ils envisagent, par les réponses qu’ils apportent face à la disponibilité limitée des ressources, et par les limites ou défis qu’ils soulèvent.

La « nouvelle révolution verte » est censée avoir intégré les critiques sociales des premières révolutions vertes, qui avaient laissé de côté les agriculteurs les plus pauvres [Dorward et alii, 2004]. La révolution verte était intensive en capital (accès aux intrants, à la mécanisa-tion…) : la nouvelle révolution verte se veut également intensive en connaissances. Elle repose principalement sur les avancées de la génétique pour atteindre des objectifs simi-laires : améliorer les rendements, améliorer la résistance des plantes aux maladies, aux

sécheresses, aux ravageurs. De plus, elle met en place des mécanismes d’intervention publique forte ciblant en particulier la diffusion auprès des agriculteurs les plus pauvres.

Ce modèle prône un fort investissement dans le développement des différentes recherches en amélioration variétale. En se focalisant sur les connaissances produites en laboratoire, ce modèle, tout comme la précédente moderni-sation agricole, positionne les agriculteurs en aval des résultats de la recherche ainsi que des services de développement agricole et des fournisseurs d’intrants, dans une logique purement descendante. Celle-ci semble faire fi des travaux de sociologie des sciences mon-trant l’importance de formes d’association des bénéficiaires de la recherche très en amont des processus d’innovation pour une mise en œuvre efficace [Latour, 1989].

Par ailleurs, si la cible de ce nouveau projet de modernisation est bien constituée des petites exploitations familiales, les gains de productivité recherchés consistent bien à substituer le travail par le capital, et aboutiront ainsi à diminuer fortement la main-d’œuvre agricole, alors que la population active agri-cole est encore très importante (1 milliard de personnes en Asie ou encore 200 millions de personnes en Afrique subsaharienne), et ce, sans compter l’important accroissement démo-graphique qui a encore lieu dans ces espaces ruraux. À moins de croire à un décollage éco-nomique exceptionnel des autres secteurs de l’économie, cette trajectoire de modernisation risque de conduire en Afrique à un phénomène de chômage massif. Le modèle de la nouvelle révolution verte doit donc être interrogé sur sa capacité à faire émerger des pratiques suffisam-ment productives et suffisamment intensives en main-d’œuvre, notamment en s’inspirant de trajectoires de modernisation en Asie qui se sont moins appuyées sur la mécanisation qu’en Amérique latine, par exemple.

Enfin, si elles reposent sur le projet d’amé-liorer la productivité agricole vis-à-vis de tous les intrants (terre, eau, fertilisants) et ainsi à réduire aussi l’impact environnemental, les techniques de la nouvelle révolution verte restent encore largement dépendantes des

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énergies fossiles et vulnérables à d’autres types d’épuisement des ressources (le phosphore, par exemple) ou aux crises sociopolitiques et risques écologiques qui pourraient être liés au déploiement des biotechnologies.

À l’opposé de ce projet d’ajustement dans la continuité du paradigme de la révolution verte, l’agro-écologie propose un modèle en rupture pour l’innovation agricole. Une commission présidée par Gordon Conway pour le CGIAR a lancé en 1996 le concept de « révolution doublement verte », mais c’est en fait l’IAASTD [McIntyre et alii, 2009] qui constitue la meilleure base d’expertise sur laquelle repose la proposition d’un modèle agro-écologique comme alternative à la révolution verte et son avatar de la nouvelle révolution verte. Il repose sur une critique fondamentale du projet de modernisation qui était au cœur des change-ments technologiques précédents. Alors que la révolution verte souhaite moderniser l’agricul-ture traditionnelle en simplifiant les systèmes traditionnels et en les ouvrant à l’utilisation d’intrants extérieurs, souvent de synthèse, le projet de l’agro-écologie consiste à remettre les fonctionnements écologiques au centre des systèmes agricoles. Il les considère comme des agro-écosystèmes, dans lesquels l’optimisation des cycles naturels (de l’énergie, du carbone, de l’azote, du phosphore, de l’eau…) permet-trait de concevoir des systèmes plus productifs, mais aussi plus autonomes, mieux à même de faire face aux enjeux environnementaux futurs, bénéficiant de la complexité des connaissances des systèmes traditionnels et produisant, non seulement de la biomasse, mais aussi un ensemble de biens et de services (protection des ressources en eau, biodiversité, par exemple). En associant l’expertise scientifique de l’écologie et de l’agronomie, l’agro-écologie se constitue comme une trajectoire d’innova-tion distincte, illustrée dès aujourd’hui par des techniques variées comme le semis direct (sans labour), la protection intégrée des cultures en utilisant les prédateurs naturels des ravageurs, la rotation des cultures, ou encore les asso-ciations entre espèces végétales (céréales/légumineuses, arbres/cultures annuelles…) ou entre systèmes de cultures et systèmes

d’élevage. Dans ce modèle d’innovation, les agriculteurs sont eux-mêmes producteurs de connaissances : ces connaissances locales sont indispensables pour concevoir des systèmes agricoles innovants adaptés aux conditions écologiques (mais aussi socio-économiques) spécifiques d’un contexte local.

Il est probable, en dehors de techniques comme l’agriculture de conservation qui sont tout à fait compatibles avec de grandes exploitations mécanisées, que les systèmes innovants conçus par l’agro-écologie soient plus demandeurs en main-d’œuvre, offrant ainsi des possibilités d’emploi à l’importante population active agricole (comme l’indique le chapitre agricole du Rapport sur l’économie verte du PNUE [2011]), reste à vérifier que ces emplois pourront être suffisamment rétribués. Le succès futur du modèle de l’agro-écologie reposera en effet en partie sur sa capacité à concevoir des dispositifs techniques qui permettent de main-tenir des rendements suffisamment élevés (pour les pays du Nord ou émergents) et à assurer des hausses de rendement significatives (pour les pays où les rendements sont aujourd’hui encore faibles, comme en Afrique subsaharienne).

Alors que la révolution verte visait à s’affran-chir des conditions du milieu grâce aux intrants permettant d’atteindre en plein champ les performances de laboratoire, le modèle de l’agro-écologie est beaucoup plus lié aux condi-tions pédoclimatiques et écologiques locales. Ce modèle conduit donc à une diversification des produits par rapport à la révolution verte, et pro-bablement à une plus grande variabilité de ces produits, ce qui constitue encore un défi pour la mise en marché, face aux exigences de stabilité des transformateurs, des distributeurs et des standards de qualité, exigences concentrées sur un nombre réduit de produits primaires.

Ces deux modèles qui polarisent le débat actuel ne doivent pas occulter l’existence d’un large éventail de propositions pouvant être rat-tachées à l’un, à l’autre voire au deux. L’IAASTD présente un ensemble de modèles (agriculture biologique, écologique, résiliente…), illustrant des trajectoires d’innovation ne reposant pas uniquement sur les biotechnologies et l’amélioration variétale, mais sur l’innovation

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à l’échelle de tout l’écosystème agricole. Parmi eux, l’agriculture biologique se présente comme une véritable trajectoire d’innovation reposant comme l’agro-écologie sur l’amélioration du pilotage des cycles naturels des agro-écosys-tèmes, et non seulement sur le refus du recours aux intrants de synthèse. Ce refus focalise sur l’agriculture biologique une controverse sur sa capacité à produire suffisamment à l’échelle mondiale pour assurer la sécurité alimentaire, que ses promoteurs essaient de recadrer pour mettre en évidence ses avantages en matière d’accès local à l’alimentation. Les modèles d’agroforesterie présentés par Dennis Garrity du World Agroforestry Centre [Garrity et alii, 2011] ou bien le modèle « Ever-green » développé par M.S. Swaminathan [2004], père de la révolution verte indienne, reposent également sur de nouvelles manières de relier entre elles agronomie et écologie, dispositifs scientifiques traditionnels et connaissances profanes. Sur le terrain, ces modèles alternatifs peuvent s’hybrider plus ou moins avec celui de la nouvelle révolution verte. Mais en matière de systèmes d’innovation, ils conduisent à une remise en question profonde du mode de fonctionnement de la recherche.

Changements profonds des organisations et pratiques de la recherche et du développement agricolesLe schéma extrême de la recherche en labo-ratoire vise à conférer in  vitro de nouvelles propriétés à des organismes vivants (animaux ou végétaux), à les tester in  vivo puis à les diffuser, grâce aux services de conseil et de développement agricole, auprès des exploi-tants agricoles en même temps que les intrants permettant de rapprocher les conditions réelles de celles du laboratoire. Dans ce schéma, les agriculteurs sont les récepteurs passifs d’une connaissance élaborée ailleurs [Dockès et alii, 2011].

Les pratiques de recherche participative bouleversent complètement ce schéma, en intégrant non seulement les besoins des agri-culteurs, mais les agriculteurs eux-mêmes à tous les stades du processus de recherche, en

faisant appel à leurs connaissances empiriques propres, traditionnelles ou actuelles : m formulation du diagnostic sur les besoins

d’amélioration (des rendements, du sys-tème dans son ensemble, des revenus, du bien-être…) ;

m mobilisation conjointe de connaissances scientifiques (biologie, écologie, chimie, mais aussi économie, sociologie…), de concepts et connaissances intermédiaires produits dans d’autres situations d’innova-tion, et de connaissances locales pour identi-fier les possibilités d’amélioration et les solu-tions possibles ;

m expérimentation conjointe au sein des exploitations agricoles et en interaction avec les travaux de laboratoire ;

m validation et diffusion des innovations par les réseaux d’organisations agricoles et les autres réseaux sociaux locaux, en parte-nariat avec les services de développement agricole.Dans ce schéma, le rôle des services de déve-

loppement agricole est très étendu, devant à la fois contribuer à faire exprimer les besoins des agriculteurs, participer à l’expérimentation et concevoir leur rôle d’interface comme un processus d’interaction à double sens entre chercheurs et utilisateurs de la recherche, devenus eux-mêmes innovateurs. Les connais-sances des agriculteurs sont explicitées, reconnues et partagées, autant que celles des chercheurs, renouvelant ainsi le rôle des systèmes de formation eux-mêmes [Freibauer et alii, 2011]. Ce schéma de recherche partici-pative est incontournable pour les trajectoires d’innovation agro-écologiques visant le pilo-tage optimal des agro-écosystèmes dans leurs conditions spécifiques.

La capacité à transférer des innovations vers un grand nombre d’agro-écosystèmes diffé-rents est au cœur du modèle de la révolution verte, visant à adapter l’écosystème aux varié-tés améliorées, grâce aux apports d’intrants extérieurs [James, Pardey et Alston, 2008]. Pour l’agro-écologie, cette capacité de diffu-sion repose non pas sur le transfert des pro-duits de la recherche eux-mêmes, mais sur la diffusion des connaissances au sein du réseau

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de recherche et de développement. Alors que les économies d’échelles constituaient un moteur important pour le fonctionnement et la diffusion des innovations issues de la révo-lution verte, l’organisation de l’innovation par-ticipative repose nécessairement sur d’autres conceptions de l’économie de la connaissance, largement centrée sur le caractère public des connaissances produites.

Dans ces deux processus, recherches privées et publiques sont interdépendantes, mais prennent des formes et des modes d’organisa-tion différents (partenariat entre agriculteurs et entre leurs organisations et la recherche publique, partenariats entre recherche indus-trielle privée et services publics de recherche et développement). La recherche privée trouve sa place lorsque l’innovation peut être appropriable (droits de propriété intellectuelle, notamment sur les technologies mécaniques, chimiques, ou les biotechnologies). Les innovations à l’échelle des pratiques, des systèmes agricoles, des paysages agricoles et de leur organisation, que l’agro-écologie veut remettre au centre, ont une nature de bien public, qui incite moins la recherche privée à s’y intéresser [Pardey et alii, 2010 ; Vanloqueren et alii, 2009].

La controverse entre modèles techniques agricoles pourrait sembler trop polarisée entre des modèles qu’il suffirait de faire coexister. Mais elle est ancrée dans des changements profonds des pratiques et de l’organisation des systèmes de recherche, d’innovation, de développement et de formation, qui supposent de réfléchir aux moyens de piloter la transition d’un mode de fonctionnement à un autre.

Transitions dans l’ensemble du système alimentaire et dans les systèmes d’innovation : des choix stratégiques indispensablesLa controverse actuelle ne concerne pas seule-ment des pratiques agricoles émergentes, qu’il suffirait de combiner techniquement de manière optimale avec les pratiques issues de la nouvelle révolution verte. Ces modèles constituent en fait des trajectoires d’innova-tion distinctes, et le passage de l’une à l’autre est inséparable de modifications profondes des

filières à l’amont (conseil agricole, agrofour-niture) et à l’aval (collecte, transformation, mise en marchés), mais aussi de l’organisa-tion et du fonctionnement des systèmes d’in-novation, et de l’accompagnement par les poli-tiques publiques de ces transformations. Les choix stratégiques débattus pour la réforme du CGIAR ont donc un impact plus large que celui des 15 centres de recherche concernés.

Pour piloter une transition, il ne peut suffire de laisser toutes les options ouvertes : un tel non-choix stratégique fait l’impasse sur les rapports de force, la rigidité des structures et les résistances institutionnelles. On représente couramment les transitions dans les systèmes d’innovation sous la forme d’une remise en ques-tion d’un régime dominant (une configuration d’acteurs, des institutions, ayant des accès pri-vilégiés aux ressources et aux financements…) par des modèles émergents [Geels et Schot, 2007]. Au cours de la transition, le modèle dominant et les modèles émergents évoluent conjointement par leurs confrontations, jusqu’à ce qu’un de ces modèles redevienne dominant.

Le projet de modernisation de la révolution verte a marqué sa domination dans les pra-tiques agricoles, les nouvelles technologies recherchées, les politiques publiques et organi-sations privées mises en place pour assurer la performance de ce projet, la structuration des filières de l’agroalimentaire (allongement des chaînes de transformation, concentration des entreprises de transformation…), les pratiques de consommation alimentaire, etc.

Cette domination est mise en cause depuis de nombreuses années sans qu’on puisse affir-mer que la transition est engagée. Le modèle d’innovation agro-écologique est néanmoins devenu depuis quelques années, dans le débat mondial sur la recherche agronomique, un candidat sérieux à la succession.

Quelles politiques d’appui à l’innovation sont nécessaires pour piloter de telles tran-sitions ? En dehors de la nécessité d’assurer l’existence de niches pour l’émergence de nou-veaux modèles, ne faudrait-il pas choisir de soutenir un modèle particulier pour permettre une transition suffisamment rapide, face aux enjeux pressants de rareté des ressources et de

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changement global ? Ou bien offrir une prime indifférenciée à tous les modèles émergents, mais selon quels critères ? A-t-on le temps de laisser jouer les évolutions spontanées des systèmes de recherche et d’innovation ? En l’absence de réponse simple à ces questions, il s’agit bien de choix politiques qui opposent des visions contrastées des rapports entre les urgences environnementales et sociales actuelles et les différents modèles d’innova-tions. Ils font des paris opposés sur la rapidité des transitions dans les systèmes d’innovation, et sur le degré de proximité des crises environ-nementales, sociales et économiques.

Concrètement, piloter ces transitions consiste à permettre les transformations organisationnelles du système d’innovation, et des changements de répartition des res-sources financières, humaines et symboliques. La Conférence mondiale sur la recherche agronomique pour le développement (Global Conference on Agricultural Research for Development, GCARD) de 2010 a constitué une des étapes de cette « révolution en douceur ». Première conférence de ce type, et devant être reconduite tous les deux ans, la GCARD a semblé consacrer la capacité des systèmes nationaux de recherche et des agriculteurs des pays du Sud, bénéficiaires de ces efforts de recherche, rassemblés au sein du GFAR, de participer dès l’amont à la détermination des priorités du CGIAR. L’issue du processus de transition reste cependant encore très incer-taine. Les structures du CGIAR ont organisé à Pékin, en octobre 2011, un « Science Forum » leur permettant de réaffirmer leur place face ou aux côtés du GFAR, chacun revendiquant la capacité à produire les réflexions prospectives stratégiques indispensables aux réorientations. Par ailleurs, si la GCARD a semblé rassembler

autour du GFAR et du CGIAR l’ensemble des initiatives publiques et privées en matière de recherche agronomique nationale et interna-tionale, on ignore encore quel pourra être le poids futur des fondations, comme la Fondation Gates qui finance aujourd’hui largement le CGIAR dans une optique pragmatique recher-chant avant tout « l’impact », ou des systèmes nationaux de recherche des pays émergents, dont les ambitions internationales sont encore peu explicitées, ou encore de l’émergence attendue de systèmes de recherche nationaux ou régionaux dans les pays les moins avancés, particulièrement nécessaires pour la trajectoire d’innovation agro-écologique.

Ce régime de gouvernance de la recherche mondiale est encore en construction, en paral-lèle de la réforme du Comité sur la sécurité alimentaire de la FAO et son panel d’experts de haut niveau, ou bien du Traité de la FAO sur les ressources génétiques en agriculture, des Protocoles de Carthagène ou de Nagoya de la Convention sur la diversité biologique : mais les mêmes acteurs circulent entre ces arènes, véhiculant de l’une à l’autre les controverses sur les nouvelles modalités des relations entre science et société, qu’il s’agisse de la remise en question des choix technologiques, du rôle des experts, ou bien du fonctionnement participa-tif des systèmes d’innovation.

Loin d’être restreinte aux enceintes feutrées des politiques de la recherche, les transforma-tions de ce régime international de gouver-nance de la recherche agronomique pour le développement constituent donc aujourd’hui une des arènes conflictuelles dans lesquelles se discutent des choix stratégiques d’innovations qui dessinent à leur tour les trajectoires futures des systèmes agricoles et alimentaires de la planète. n

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USRepenser l’agriculture en Inde

après la révolution verteEntretien avec Dr. Seema PURUSHOTHAMAN, Ashoka Trust for Research in Ecology and the Environment, Inde

Dr. Seema Purushothaman est une scientifique indienne travaillant pour le Fonds Ashoka pour la recherche en écologie et environnement (ATREE),

à Bangalore. Ses domaines de recherche portent sur les services écosystémiques et leurs liens avec la crise alimentaire et agricole.

La révolution verte indienne sert de référence dans les débats sur l’opportunité d’une nouvelle révolution verte, notamment en Afrique subsaharienne. Mais comment évalue-t-on en Inde le bilan de la révolution verte ? Est-il question dans le futur d’adapter ce modèle ou bien de changer de modèle agricole ?Dans l’abondante littérature consacrée à l’évaluation de la révolution verte en Inde, trois aspects positifs font consensus. Premièrement, il est généralement admis que la révolution verte a joué un rôle important dans la pré-vention des famines dans les années 1970 et 1980, même si elle n’a pas eu pour conséquence la complète éradica-tion de la faim. Deuxièmement, la révolution verte a per-mis d’améliorer les infrastructures (irrigation, commer-cialisation, transport) dans de nombreuses zones rurales (même si les améliorations n’ont pas été uniformes). Troisièmement, elle a entraîné une augmentation de l’in-vestissement dans l’éducation et la recherche agricoles dans la plupart des régions.

Cependant, on y trouve aussi de nombreuses critiques. La première porte sur les disparités (rural/urbain, agricole/non agricole) qui ont été exacerbées par la répartition inégale des progrès technologiques en Inde. La deuxième critique concerne le choix de cibler un nombre limité de cultures, créant ainsi un déséquilibre de l’offre en céréales alimentaires qui par la suite a eu pour conséquence un déséquilibre nutritionnel en milieu

rural, avec une diminution spectaculaire de la quantité d’aliments riches en calories, protéines et vitamines. Le troisième problème est la focalisation sur un petit nombre de technologies, à savoir les engrais chimiques, les pesticides et l’irrigation. Cette approche centrée sur un nombre limité de cultures et de technologies n’est pas, selon M.S. Swaminathan 1, l’approche défendue dans les recherches ayant lancé cette révolution, mais pourrait être une conséquence involontaire de la diffusion des changements technologiques. Même si la révolution verte s’est axée sur la technologie, son impact et ses objectifs ont été affectés par de nombreux autres facteurs comme les infrastructures, la disponibilité en intrants et les autres mesures politiques.

Pour atteindre le niveau de progrès technologique exigé par la révolution verte, il a fallu créer des incita-tions, c’est-à-dire que les technologies nécessaires ont été subventionnées, donnant naissance à un quatrième problème : les subventions des intrants et de la produc-tion sont devenues partie intégrante de l’agriculture indienne. Les subventions ne sont pas seulement une charge budgétaire, mais elles avantagent également les industries agroalimentaires et les grandes exploitations de manière disproportionnée et, comme elles sont désé-quilibrées, leurs impacts sont négatifs sur la durabilité des systèmes agricoles.

L’évaluation de la révolution verte est-elle consensuelle ou controversée ?Pendant les années 1970 et 1980, la majorité de la littéra-ture scientifique mettait en avant les réussites de la révo-lution verte : adoption de nouvelles variétés, augmenta-tion de la production et diminution de la pauvreté rurale. Dans les années 1990, de plus en plus d’articles sur les

1. Un des pères de la révolution verte indienne.

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impacts négatifs ont été publiés, ouvrant le débat entre quatre groupes d’acteurs : (i) les agriculteurs, (ii) les ONG, (iii) les chercheurs et (iv) les décideurs politiques.

En ce qui concerne le premier groupe d’acteurs, 60 % de la population agricole indienne est constituée de petits agriculteurs disposant de moins de 2 hectares, pour qui l’importance de l’agriculture est liée à la fois à leur statut de consommateurs et de producteurs. Toutefois, les orga-nisations d’agriculteurs les plus influentes défendent des cultures spécifiques (canne à sucre, oignon, etc.) et comme les petits agriculteurs ont tendance à produire plus d’une culture, leurs voix ne sont généralement pas entendues dans ces organisations, au profit des lobbies puissants des plus gros agriculteurs. Ainsi, les paysans ne sont pas suffisamment représentés dans les débats agricoles nationaux. Par ailleurs, dans de nombreuses régions agroclimatiques de l’Inde, les petits agriculteurs continuent d’utiliser des technologies traditionnelles. Même s’ils ne sont pas strictement certifiés biologiques ou agro-écologiques, ils n’adoptent pas de pratiques à forte intensité d’intrants et utilisent les techniques de l’agriculture biologique en fonction de leurs besoins.

Le second groupe d’acteurs est celui des ONG, qui sont toutes très critiques envers les modèles et les politiques agricoles actuels, principalement en raison de leur coût très élevé. Sur cette question, les ONG sociales et envi-ronnementales se recoupent souvent. Les organismes bénévoles jouent un rôle important dans les débats agri-coles dans les médias, mais moins dans les universités ou dans les couloirs politiques où ils ne sont pas entendus.

Le troisième groupe est celui des chercheurs, que l’on peut subdiviser entre les chercheurs gouvernemen-taux (qui travaillent principalement dans les universités agricoles), les chercheurs d’entreprises et les chercheurs indépendants, notamment les membres d’ATREE ou de la fondation M.S. Swaminathan. Le travail des chercheurs gouvernementaux s’est de plus en plus rapproché de celui des chercheurs d’entreprises, et ils publient plus ou moins dans les mêmes revues. Les équipes de recherche indépendantes, bien que toujours minoritaires, essaient généralement d’intégrer dans leurs travaux des perspec-tives intersectorielles et interdisciplinaires.

Le quatrième groupe d’acteurs est celui des décideurs politiques. Alors que les politiques des États (ou pro-vinces) tentent de s’éloigner des méthodes de la révo-lution verte, les politiques décidées au niveau fédéral n’évoluent pas et maintiennent les mêmes subventions pour les engrais et l’irrigation que dans les années 1960.

Constitutionnellement, l’agriculture est une affaire gérée par les différents États. Ces derniers peuvent éla-borer des politiques agricoles et allouer des budgets, mais leur action entre en conflit avec les politiques cen-tralisées, notamment celles des subventions des engrais. Ainsi, dans les États comme Karnataka, Andhra, Pradesh ou Kerala, qui investissent dans l’agriculture durable, on assiste à la coexistence et la concurrence entre des poli-tiques aux objectifs opposés. Il n’est pas possible pour un État de s’exclure des politiques d’engrais, car tous les points de vente fournissent des engrais à un prix sub-ventionné. Aussi, la seule solution pour les États est de subventionner les engrais biologiques et les intrants durables, ce qui se fait de plus en plus.

Ces quatre groupes d’acteurs ont donc des approches différentes et défendent des trajectoires de développe-ment distinctes pour l’agriculture indienne, même si leurs positions évoluent progressivement. Par exemple, la commission nationale des agriculteurs a appelé à une nouvelle révolution verte, nuançant son objectif en affir-mant qu’il fallait tirer des leçons des erreurs de la pré-cédente révolution. Cela représente un véritable change-ment conceptuel.

Comment se présente le débat entre agriculture conventionnelle et agriculture écologique en Inde ? De quelle manière est-il associé aux questions sur l’emploi ?En Inde, l’approche conventionnelle de l’agriculture est largement dominante car elle reçoit un soutien fédéral et commercial, tandis que le courant agro-écologique implique principalement le secteur bénévole et les cher-cheurs indépendants.

Dans les zones rurales indiennes, les possibilités d’em-ploi sont limitées en dehors des fermes. L’agriculture est souvent l’unique source d’emploi, ce qui favorise les pra-tiques agricoles à forte intensité de main-d’œuvre dans un contexte de faible coût d’opportunité. Inversement, la productivité des petites exploitations agricoles est consi-dérée en termes de productivité par unité de travail, et non par hectare. Cela ne signifie pas que les petits agri-culteurs sont opposés à la technologie, mais qu’ils ont besoin de technologies appropriées qui prennent en compte leur situation.

Par ailleurs, l’Inde ne peut pas se permettre d’écar-ter de l’agriculture des millions de petits exploitants et leurs familles. Les villes indiennes ne peuvent plus faire face à l’afflux de travailleurs non qualifiés, car le

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développement urbain se fait à un rythme progressif. Les travailleurs non qualifiés ne trouveront pas d’emploi stable dans les secteurs des services ou de l’industrie.

Pour avancer, que faudrait-il faire en termes de réglementation et de législation ?En tant qu’universitaire, je ne peux pas faire de recom-mandations, mais seulement des suggestions fondées sur des extrapolations à partir de mes travaux de recherche. L’Inde a la possibilité de relever le défi de la durabilité agri-cole et alimentaire, mais doit pour cela disposer de poli-tiques axées sur les millions de petits agriculteurs qui veulent s’engager en tant que consommateurs et produc-teurs d’aliments. Ils ne vont pas à l’encontre du dévelop-pement. Ils souhaitent que leurs enfants soient éduqués et qu’ils puissent, s’ils le veulent, s’éloigner de ce secteur. Tou-tefois, cette ambition ne doit pas résulter de la détresse, mais naître en temps opportun dans le prolongement de l’acquisition de nouvelles compétences non agricoles.

Les politiques ne devraient pas ignorer les compé-tences traditionnelles et les particularités culturelles de ces petits agriculteurs. Par ailleurs, l’agriculture à petite échelle a la plus faible empreinte écologique. Par consé-quent, une trajectoire de développement alternative pour le secteur agricole pourrait représenter une oppor-tunité pour l’Inde de réduire ses émissions de carbone.

Alors comment mieux concevoir les politiques agri-coles pour tenir compte des petits exploitants ? Au moins trois domaines doivent être pris en considéra-tion. Les deux premiers concernent la commercialisation de la production et des intrants. Les petits agriculteurs sont constamment dans une situation défavorable s’ils dépendent entièrement des marchés car ils sont soumis à de nombreuses incertitudes, en particulier concernant leur production. L’enjeu est aussi d’obtenir de bons prix. Autrefois, le seul risque pour les agriculteurs indiens était lié à la mousson, maintenant ils doivent aussi parier sur les marchés mondiaux. Par ailleurs, comme les petits agriculteurs manquent d’infrastructures de stoc-kage et de commercialisation, ils ne peuvent pas béné-ficier de prix intéressants sur les marchés d’exporta-tion et ne peuvent donc pas en dépendre. Cette question doit être abordée par les politiques, en particulier parce

que le marché intérieur indien est vaste. Si le gouverne-ment pouvait atténuer le risque lié à la dépendance aux marchés locaux, cela contribuerait fortement à la dura-bilité du secteur des petites exploitations. Le deuxième point à traiter est la réduction de la dépendance à l’égard des intrants dont les prix varient selon le marché, afin de limiter les risques d’escalade des coûts. Le troisième point est la nécessité de gérer les risques climatiques, en proposant aux petits agriculteurs une assurance contre les variations climatiques.

Ce n’est que si ces trois points peuvent être traités avec succès qu’un quatrième facteur pourra être amélioré, à savoir la capacité à mobiliser des crédits et des prêts. L’ex-tension des facilités de crédits est nécessaire pour faire des petites exploitations des entreprises durables, mais cela doit s’accompagner d’un bon marché pour la pro-duction et d’assurances climatiques suffisantes. Sinon, l’extension des facilités de crédits, sans plafonds, mène-rait droit au désastre, comme en témoigne le grand nombre d’agriculteurs qui se suicident en Inde. Même s’il convient de souligner que les suicides d’agriculteurs ne sont pas toujours liés aux activités agricoles et aux prêts.

L’indispensable ensemble de mesures politiques doit donc être plus qu’une simple liste de mesures, mais doit être conçu de manière stratégique. Par ailleurs, la façon dont les politiques sont élaborées est aussi un enjeu essen-tiel. Le courant agro-écologique de gestion agricole a une vision très décentralisée de la mise en œuvre et de la for-mulation des politiques, et même du programme de recherche. Dans de nombreux cas, les priorités décidées au niveau central ne cadrent pas avec les réalités locales. Par exemple, la révolution verte a largement développé l’irrigation sur les terres agricoles sans évaluer les coûts et avantages par écosystème spécifique, conduisant parfois à une surirrigation, entre autres problèmes. C’est le résultat d’une démarche descendante qui consiste à imposer des technologies, sans que le processus d’extension ne prenne en compte les aspects locaux spécifiques, qui peuvent être essentiels pour la viabilité d’une technologie, ou tout au moins pour que son impact soit neutre. Ainsi, pour résu-mer, les politiques devraient cibler les petits exploitants, donner la priorité à l’atténuation des trois types de risques et fonctionner de manière décentralisée. n

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Le marché n’est pas uniquement le lieu où le prix est fixé, ni un simple lieu d’échange de marchandises. C’est aussi un lieu de pouvoir où les agriculteurs, en tant qu’agents relativement passifs de la négociation, assistent à la « fabrication » du prix. Ce chapitre vise à analyser l’interaction entre les champs et les marchés du point de vue des producteurs de coton.

Cette ethnographie décrit l’univers de la production et de l’échange du coton à Pamukköy, principal village coton-nier de la plaine de Söke, en Turquie occidentale. Notamment la façon

dont les agriculteurs mobilisent les ressources, travaillent avec les ouvriers agricoles, obtien- nent des crédits et vendent leur production. Si les agriculteurs se considèrent comme des acteurs actifs de l’économie politique rurale dans les champs de coton, ils estiment que le marché est dominé par les négociants et divers outils marchands qui affaiblissent leur position.

Étude des marchés agricoles : contexte historique Les théories de l’agriculture de la fin du xixe et du début du xxe siècle, en particulier inspi-rées par Marx, présentent les paysans comme une classe transitoire vouée à disparaître en raison de la rapidité de l’industrialisation et

de la modernisation. Après la Seconde Guerre mondiale, cette perception de l’agriculture s’est élargie pour inclure les motivations écono-miques de la paysannerie, les modes de produc-tion, les relations entre les agriculteurs et l’État ou les autres classes, et leur rôle dans le déve-loppement rural. Une documentation abon-dante s’est progressivement accumulée, notam-ment : des théories d’articulation, qui étudient la façon dont les acteurs urbains (comme l’État et les capitalistes) extraient une plus-value des agriculteurs ; des thèses de persistance, expli-quant les stratégies de survie des agriculteurs face à l’expansion mondiale du marché ou au capitalisme ; et des thèses de différenciation centrées sur le rythme de prolétarisation et de variation interne des producteurs ruraux. Dans ces travaux, les rapports capitalistes et les marchés sont, en général, implicitement considérés comme des facteurs extérieurs qui influencent la vie des agriculteurs, et la tâche

Koray ÇALISKAN, université de Bogaziçi, Turquie

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Chapitre 10Ethnographie de la production et de l’échange du coton dans un village turc

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du chercheur en sciences sociales est d’étudier le processus et les conséquences de cet impact.

Karl Polanyi, dans La grande transformation (1944), a réinterprété la signification des marchés, soulignant le rôle de l’État et des politiques dans leur définition dans la période moderne, et le rôle formateur des relations sociales dans les sociétés pré-modernes. Le défi pour la recherche est aujourd’hui d’analyser de façon empirique les processus par lesquels les prix se font dans des contextes concrets de marché.

Le coton est une matière première particu-lièrement adaptée pour étudier l’interaction entre le champ et le marché, à l’intersection entre l’échange et la production industrielle, financière et agricole, reliant plus d’un mil-liard de personnes à travers l’agriculture, le commerce et la fabrication de textiles. Chaque année, plus de 50 millions de paysans répartis dans 81 pays produisent environ 90 millions de balles de coton. Par rapport aux autres cultures commerciales – à l’exception de celles pouvant être consommées directement par l’agriculteur, comme le blé –, le coton couvre la plus grande surface de production dans le monde, devant la canne à sucre, le tournesol, le café et le tabac, et est la plus importante en termes de volume échangé. Chaque année, plus d’un tiers du coton produit traverse les frontières nationales, ce qui constitue la plus forte proportion de tous les marchés agricoles dans le monde. Historiquement, le commerce du coton a marqué le commerce mondial, la valeur de coton échangé étant deux fois plus importante que celle de l’or et l’argent cumulés à la fin du xixe siècle.

La production de coton à PamukköyCe chapitre décrit la façon dont les agriculteurs affrontent le marché quand ils vendent leur coton aux marchands privés ou à TARIS (Union des coopératives agricoles de commerciali-sation de figues, raisins secs, coton, olives et huile d’olive), la seule coopérative qui commer-cialise le coton dans l’ouest de la Turquie. Les agriculteurs ont une relation organique avec la coopérative, qu’ils ne considèrent pas comme un marchand. En revanche, les négociants en

coton et leurs bureaux sont considérés comme exogènes aux champs des agriculteurs. Comme le dit un agriculteur, « il s’y passe des choses », en se référant aux outils commerciaux et aux manières déployées par les marchands pour renforcer leurs positions de négociation. En tant qu’interface sociale et financière entre le champ et le marché, le prix est aussi un outil utilisé par les marchands, affaiblissant la posi-tion des agriculteurs.

Deux marchés sont importants pour l’agri-culteur producteur de coton : celui du travail et celui de l’échange de coton. Comme démontré plus bas, il n’existe pas de prix unique du coton, comme le laisse supposer l’indice des prix mon-diaux du coton, mais plutôt différentes formes de prix, produites par les agriculteurs, les mar-chands, l’État et les grands acteurs du marché mondial. Par conséquent, les prix se décident dans les sphères de pouvoir, parmi lesquelles le marché, où les agriculteurs sont des acteurs relativement impuissants de l’échange.

Un peu plus de 10 % de la production turque totale provient de la plaine de Söke, deuxième plaine cotonnière du pays. Située dans la province d’Aydın, la plaine se trouve dans les limites administratives de Söke, ville agro-industrielle située à 155 km à l’ouest d’Izmir. Le coton est la culture de rente la plus importante de la plaine. Depuis les montagnes de Samsun, en août, la plaine ressemble à une mer verte de coton, entourée par le lac Bafa, les montagnes Beflparmak et la mer Égée. Selon les sources, entre 4 010 et 6 152 agriculteurs cultivent du coton dans la plaine et vivent dans les villages et les villes ceinturant cette mer verte qui fournit des revenus non seulement aux producteurs de coton, mais aussi à des milliers d’ouvriers agricoles qui arrivent dans la plaine chaque année pour travailler dans les champs de coton.

Pamukköy compte 287 familles, dont seule-ment 257 passent toute l’année dans le village. À l’exception de sept familles, tous les résidents permanents du village cultivent le coton, leur principale source de revenus.

Selon le chef du village (muhtar), la popula-tion de Pamukköy s’élevait à 1 700 habitants au début des années 1980. La mise en œuvre des réformes néo-libérales dans les années 1980

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a augmenté l’exode vers les villes, réduisant ainsi la population à 734 habitants en 2001. Les 250 ménages de Pamukköy possèdent 249 hec-tares de terre, soit une superficie moyenne d’un hectare par famille ; 71 % d’entre eux possèdent des terres dans le village (repère 1). Les autres louent des terres pour la production de coton, généralement moins d’un demi hectare, ou occupent des emplois liés au coton. Ceux qui ne résident pas dans le village sont propriétaires de 14 % des terres du village.

La récolteLa vente du coton est la seule source de revenus pour les agriculteurs de Pamukköy. La récolte, qui a lieu entre fin septembre et mi-novembre, est l’étape qui nécessite la plus forte main-d’œuvre. Les agriculteurs abordent la saison de la récolte de trois différentes manières : m ceux qui ont suffisamment de main-d’œuvre

dans leurs foyers et relativement peu de terres à exploiter utilisent essentiellement des formes d’échange non monétaires du travail pendant la récolte. On peut présu-mer que les familles qui disposent de moins de 0,2 hectare de terre par membre actif comptent sur les seules forces du ménage ; or, même dans ce cas, elles ont recours au prêt de main-d’œuvre. Cependant, un ratio terre/nombre de membres du ménage plus élevé exige des formes d’échange de main-d’œuvre, monétaires ou non, dans le village ;

m les familles possédant plus de 0,2 hectare de terre par membre actif, mais qui n’ont pas assez d’argent pour embaucher des ouvriers, optent pour un système de partage du travail dans lequel quelques familles se réunissent pour travailler sur les terres de chacun. Dans de telles situations, les agriculteurs utilisent alors des méthodes complexes de contrôle du travail, appelées localement Ödek. Des familles de tailles différentes se réunissent pour mettre en commun leurs ressources, mais comme les capacités de chacun sont dif-férentes, l’excédent ou le déficit est couvert par de l’argent. Ces coopératives complexes constituent une forme de mise en com-mun du travail fréquemment utilisée dans de nombreux pays en développement où la

majorité des agriculteurs comptent sur le tra-vail domestique non rémunéré pour survivre. Elles sont d’une incroyable souplesse, dans la mesure où elles peuvent former un atelier en quelques heures et le dissoudre encore plus rapidement ;

m enfin, certains agriculteurs dépendent uni-quement d’une main-d’œuvre salariée. Par rapport aux premier et deuxième groupes, ce dernier groupe utilise des moyens moins complexes de contrôle du travail dans les champs. Les ouvriers sont payés en fonction du poids de coton qu’ils ramassent. La pau-vreté des travailleurs et leur absence de pou-voir syndical facilitent le contrôle du travail pour ceux qui ont assez de moyens pour les employer. Si une employée perd son emploi, elle ne peut pas attendre la récolte suivante sans emprunter de l’argent.La vitesse de cueillette du coton dépend

de la dextérité, de la détermination et de la santé du cueilleur. Ceux qui travaillent sur leurs propres champs peuvent travailler à un rythme plus tranquille. Ceux qui travaillent pour des amis ou des parents peuvent choisir de ne pas travailler dans des conditions boueuses difficiles. Les travailleurs les plus démunis et les plus pauvres, qui sont prin-cipalement des saisonniers migrants kurdes, sont obligés de travailler dans n’importe quelle condition.

Une famille de quatre membres actifs peut cueillir manuellement son coton en deux mois ou moins pour un champ ne dépassant pas 2 hectares. Avec l’aide de quatre travailleurs sai-sonniers, la même quantité peut être cueillie à

Propriété foncière à PamukköyHectares Nombre

de ménagesPourcentage

de ménages (%)Pourcentage cumulé

de ménages (%)

50 et plus 5 2 2

40-50 2 0,80 2,80

30-40 4 1,60 4,40

20-30 20 8 12,40

10-20 44 17,60 30

5-10 49 19,60 49,60

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Source : données compilées par l’auteur.

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la main en 12 à 15 jours ouvrables. En moyenne, les travailleurs ramassent 85 kg de coton-graine par jour.

La plupart des producteurs de coton de Pamukköy pratiquent le troc du travail et règlent la différence en argent comptant ou en coton grâce à divers mécanismes de mise en commun du travail. Qu’ils utilisent de l’argent ou non, tous ces processus d’échange dépendent fortement des positions sociales respectives des participants à l’échange. La superficie de terres possédée, le degré de pauvreté d’un ouvrier, les relations des agriculteurs et des ouvriers avec les chefs de gangs du travail, l’endettement des agriculteurs et les asymétries de pouvoir entre agriculteurs et ouvriers au moment de l’échange, tout cela joue un rôle dynamique sur le marché du travail. Quand la superficie des terres augmente, les agriculteurs ont tendance à s’appuyer davantage sur l’échange monétaire. Quand le niveau de pauvreté augmente, ils se trouvent en position de faiblesse vis-à-vis de ceux qui les embauchent. Pourtant, même les agriculteurs les plus puissants doivent faire face à la déresponsabilisation et la pauvreté une fois qu’ils entrent sur le marché d’échange du coton.

Pour analyser ce marché et la façon dont les champs et les marchés du coton se connectent à Pamukköy, il convient d’examiner la dynamique de l’échange de marchandises sur le terrain.

Le marché : échanger le coton à PamukköyLes économistes et sociologues néo-classiques décrivent les marchés comme des contextes de fabrication du prix et expliquent que les prix se font sur les marchés. Pour sortir de ce raisonne-ment circulaire, d’autres chercheurs ont tenté de démontrer que les prix et les marchés sont inté-grés et construits dans les contextes sociaux et culturels dans lesquels ils opèrent. Récemment, cependant, de nouvelles recherches en anthro-pologie économique et sociale ont commencé à étudier les marchés en tant qu’univers socio-techniques du point de vue de la fixation des prix. Ces études montrent que les prix sont produits dans la géographie spécifique des marchés où ils émergent à travers des relations de pouvoir. Malgré l’existence d’une forme

globalement acceptée des prix (par exemple, le dollar américain), chaque prix spécifique est le résultat d’une multiplicité de relations de pouvoir qui vont au-delà d’un simple rappro-chement entre l’offre et la demande [Callon, 1998 et Muniesa, 2000]. Chaque prix est un outil produit et déployé dans le contexte spéci-fique d’une relation d’échange. La fabrication des prix sur les marchés du coton de la plaine de Söke est conforme aux conclusions des études sur l’anthropologie des marchés. De la récolte à l’échange final de coton, des formes de prix catégoriquement différentes émergent selon les relations d’échanges de coton.

La fin de la récolte marque la dernière étape du cycle de vie du coton dans les villages comme Pamukköy. Les agriculteurs vendent l’intégra-lité de leur récolte avant le dernier jour d’oc-tobre. Deux principaux acheteurs de coton sont présents dans la plaine : la coopérative agricole TARIS, et des marchands privés qui possèdent également des usines d’égrenage. Comme le coton doit être égrené avant de pouvoir être vendu sur le marché institutionnalisé – comme la Bourse de marchandises d’Izmir (IME) –, la plupart des agriculteurs (sauf quelques grands propriétaires) sont exclus des marchés des fibres. L’échange du coton des agriculteurs de Pamukköy se fait en dehors du bâtiment de la Bourse. Il est possible de garder le coton-graine pour le vendre plus tard à un négociant, mais cela ne se produit que très rarement.

La vente immédiate de la récolte s’explique par la situation financière des agriculteurs. La culture du coton exige des agriculteurs qu’ils empruntent massivement, créant ainsi un besoin urgent de liquidités après la récolte. Les agricul-teurs possédant plus de 2 hectares emploient des ouvriers qu’ils payent quotidiennement en espèces, généralement en ayant recours à un emprunt. Plusieurs options s’offrent à eux pour trouver de l’argent. Ils choisissent souvent d’emprunter aux marchands propriétaires d’une usine d’égrenage, bien que les conditions soient proches de celles de la Banque d’État pour l’agriculture (Ziraat Bankas), et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, la banque exige que l’agriculteur ait des terres à son nom, ce qui n’est pas toujours le cas (un agriculteur

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peut par exemple être propriétaire d’un terrain officiellement enregistré comme propriété du village). Deuxièmement, les banques utilisent des moyens formels de communication écrite qui peuvent être consultés par quiconque fréquente les kahve. Le fait de ne pas avoir de ressources financières suffisantes pour cultiver son coton est déshonorant pour de nombreux agriculteurs et implique une perte de prestige.

La vente immédiate de la récolte s’explique également du fait des taux d’intérêt appliqués généralement par les « banquiers informels », taux au moins 5 % plus élevés que les taux ban-caires. Ils parviennent à acheter le coton de leurs clients moins cher, contribuant ainsi à la baisse temporaire de prix pendant et immédiatement après la récolte. Par ailleurs, quand ils achètent le coton de l’agriculteur endetté, ils ont souvent tendance à surpondérer le produit et à déclasser le rendement de l’égrenage du coton. Les agri-culteurs ne peuvent pas résister et leur vendent leur coton, car ils se sont engagés à payer leur dette immédiatement après la récolte. Sans soutien financier, les producteurs ne peuvent pas garder leur récolte jusqu’au moment où ils pourraient la vendre dans des conditions rela-tivement meilleures. L’abondance de coton et le besoin urgent de liquidités font baisser les prix entre fin septembre et début novembre. Cela ne serait pas différent s’ils choisissaient de vendre à TARIS, car la coopérative paie le prix du jour où les producteurs de coton apportent leur récolte.

Le prix des négociantsUne analyse des prix mensuels du coton révèle l’important écart de prix entre octobre et le reste de l’année. Entre septembre 1993 et août 2004, la moyenne de l’indice A de Cotlook, un indice des prix communément considéré comme le prix mondial au comptant du coton, était de 66,78 c/lb. La moyenne d’octobre était 63,78 c/lb. Soit un écart d’exactement 300 points : une différence assez importante pour que la Bourse de commerce de New York (NYBOT) impose officiellement un arrêt de la négociation. En effet, dans le marché du coton mondiale, reconnu par la NYBOT, un écart de 300 points est un signe institutionnel avéré de crise du marché.

L’indice A de Cotlook ne représente que dans une mesure limitée la déviation du prix. Il sous-estime probablement la variance car il intègre les perceptions des prix des négociants. L’IME révèle une différence plus alarmante. Le prix moyen d’octobre entre 1993 et 2004, y compris le prix de 2001, est de 65,23 c/lb, alors que la moyenne pour tous les autres mois est de 73,19 c/lb, ce qui représente une différence majeure de 796 points. C’est environ 8 cents pour chaque livre de coton, ce qui peut facilement être considéré comme une crise du marché si cela se passait dans le monde des marchands.

Les agriculteurs sont exclus des marchés des fibres parce qu’ils n’ont pas d’entrepôts pour stocker leur coton, de moyens financiers pour l’assurer, de moyens pour suivre les prix quotidiennement ou de pouvoir politique pour participer à la fixation des prix. Ces prix appartiennent au monde des négociants, des marchands, des courtiers et de quelques grands propriétaires. Par exemple, les prix du coton à l’IME, centre du marché du coton en Turquie, sont produits sous trois formes principales sur quatre marchés différents (voir encadré). Le prix du marché de l’IME est un indicateur permettant de fixer les prix individuels ; le prix de négociation sur le parquet est un dispositif de répétition que les marchands mettent en place pour sonder le marché afin de voir s’il est en hausse ou en baisse ; et les prix après parquet sont les prix réels du coton échangé sur le mar-ché, mais parce qu’ils ne sont pas affichés, per-sonne ne les connaît avec certitude. En résumé, le marché qui se dessine à Izmir comprend des prix multiples qui fonctionnent comme des dis-positifs « prothèses » utilisés par les négociants pour poursuivre leurs intérêts mercantiles. Les prix « prothèses » sont développés pour permettre de façonner les prix des transactions réelles, mais ne peuvent pas être utilisés pour échanger le coton réel ; ils sont utilisés pour définir les prix réels de l’échange de coton.

Les négociants pèsent aussi sur la fixation des prix en influençant chaque année les estimations de l’offre et de la demande. Ces estimations ont plus de poids dans la création de prix que leurs niveaux réels, car ces derniers

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Fabriquer et négocier les prix du coton à Izmir

ne sont connus qu’après l’achat et la vente sur le marché de tout le coton à la fin du mois d’octobre.

Trois principaux groupes aux motivations différentes – les marchands, la coopérative TARIS et les représentants du gouvernement – participent à la réunion du Groupe de travail permanent sur le coton où l’offre et la demande sont estimées chaque année (voir encadré).

Il semble que le poids des marchands soit déterminant dans ces estimations. Chaque année, les négociants parviennent à influencer la réunion de façon à produire une estimation plus élevée que les niveaux réels et, ainsi, réussissent à baisser les prix avant la récolte. Ces formations de prix ont peu de sens pour la grande majorité des agriculteurs, pour un certain nombre de raisons.

Tout d’abord, les termes « marchand » ou « négociant » ne sont utilisés qu’au singulier et dans un sens péjoratif. Les agriculteurs esti-ment en effet que les commerçants protègent leurs propres intérêts et ceux des producteurs de fils textile. Aussi, n’importe quel prix associé aux marchands, sous quelque forme que ce soit, est considéré avec suspicion, comme une façon d’obtenir de l’agriculteur le prix le plus bas possible. Ensuite, quel que soit le prix, la plupart des producteurs de coton sont soit bloqués dans des relations de créance avec les marchands, soit engagés à vendre leur coton à TARIS, car c’est la seule façon pour eux d’obtenir le crédit nécessaire pour continuer à produire. TARIS développe des crédits indirects – engrais, semences ou pesticides – pendant la saison des semis, et en déduit les coûts lorsque

Le prix du coton est fixé sous trois formes à l’IME : le prix de répéti-tion, le prix de transaction et le prix du marché. Ces formes de prix sont produites dans quatre espaces géographiques spéci-fiques du marché : le parquet, la négociation après parquet, la réu-nion du comité du prix de clôture et les réunions du groupe de tra-vail permanent sur de coton. Il convient de considérer les prix comme des prothèses déployées pour promouvoir des objectifs commerciaux différents. Ils sont fabriqués, produits et contes-tés par une multiplicité d’acteurs dans un processus de marché.Rendre ces processus transpa-rents peut permettre à ceux qui sont concernés par ces prix de participer plus activement à leur élaboration. Les interventions sur le marché sont permanentes. En conséquence, le laisser-faire acquiert un sens nouveau, car le fait de permettre à certains, mais pas à tous, de participer à

la formation du prix a des consé-quences directes sur les moyens de subsistance de ceux qui pro-duisent et consomment le coton, dont le prix est fabriqué dans le cadre de relations de pouvoir.La négociation sur le parquet, point d’entrée de l’étude sur l’échange du coton à Izmir, est limitée dans le temps et l’espace, les négociants se regroupant pen-dant dix minutes entre 12h20 et 12h30. C’est dans cet espace que « le théâtre du marché » a lieu. Les acteurs de ce théâtre produisent des prix de répétition, qui servent à échanger une quantité très limi-tée de marchandise, ce qui en fait une répétition pour le volume réel qui sera plus tard négocié hors parquet. Le prix du parquet est un dispositif de marché déployé et produit par les marchands pour renforcer leurs positions lors de la fabrication des prix de tran-saction réels. Le prix de répéti-tion est aussi un dispositif qui est à la fois un investissement pour

la négociation hors parquet et un prix de transaction réel, car du coton est échangé par son acceptation.Une fois cette première limite du marché franchie, littéralement en quittant le parquet à 12h30 et en entrant dans le deuxième espace du marché, l’après parquet, les négociants utilisent ces prix de répétition pour négocier les prix de transaction réels. Toutefois, les négociants, ainsi que leurs prix, sont éparpillés dans ce deuxième lieu du marché. Des centaines de prix, enregistrés ou non, se font dans cet espace, le plus dyna-mique du marché. Mais ce n’est pas encore l’endroit d’où émer-gera le prix du marché.À l’issue de la négociation d’après parquet, le prix du marché est formé lors de la réunion du comité du prix de clôture. Les membres de ce comité retirent le prix de marché le plus élevé et le prix plus bas de la liste qu’ils reçoivent de l’administration de

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Fabriquer et négocier les prix du coton à Izmir

les agriculteurs vendent leur production à la coopérative.

Si les marchands font baisser les prix, ils peuvent acheter plus de coton et le vendre moins cher. Non seulement la marge fait la différence, mais quand le prix du coton est bas, de plus en plus d’usines de textile achètent du coton à la place du polyester bon marché à base d’huile, contribuent ainsi davantage au revenu des marchands. Enfin, quand le prix diminue dans les campagnes, les marchands ont besoin de moins de capital pour acheter la marchandise, de sorte que leur valeur de report augmente en termes réels. Paradoxalement, la raison de l’augmentation du revenu des mar-chands peut conduire à la perte éventuelle de tous les profits. Plus ils font baisser les prix, plus il devient difficile pour les petits agriculteurs de

cultiver le coton – non seulement en raison de la contribution décroissante du coton dans leur revenu, mais aussi parce que les agriculteurs vendent leurs terres pour payer leurs dettes, perdant ainsi toute chance de cultiver le coton. Si ce processus se poursuit pendant plus de deux décennies, les terres seront regroupées entre un nombre limité de propriétaires et les prix « prothèses » pourront alors devenir plus pertinents dans les campagnes, non pas parce que les agriculteurs auront compris comment utiliser les marchés dérivés, mais parce qu’il ne restera plus de petits agriculteurs.

Le prix de l’agriculteurLe prix du coton pour un agriculteur n’est jamais le prix officiel affiché, qui n’est qu’une indica-tion de ce qu’il peut obtenir pour son coton.

l’IME, et calculent la moyenne arithmétique pondérée de tous les prix de transaction enregis-trés. Ainsi, le prix du marché n’est pas fixé par le rapprochement de la demande et l’offre, comme le suggère la théorie néo-classique des prix, mais résulte de l’applica-tion d’une formule mathématique sur un processus politique de déli-bération et de négociation, qui est affecté quotidiennement par le pouvoir du marché et les posi-tions des négociants.L’offre et la demande jouent éga-lement un rôle, mais encore une fois dans un cadre surprenant. Avant que les négociants n’en perçoivent les effets, les impacts de l’offre et de la demande sont négociés par des comités spécia-lement composés de bureaucrates du ministère de l’Agriculture, de négociants, d’économistes, d’in-génieurs agronomes, de quelques grands propriétaires et des fonc-tionnaires de TARIS, coopérative représentant les producteurs de

plus d’un quart du coton produit dans le pays. Quand le proces-sus de marché a lieu, les chiffres réels de l’offre et la demande ne sont pas connus avec certitude, et ne le seront qu’une fois que tout le coton aura été vendu. Les prix, sous leurs formes multiples, sont fabriqués avant que ces niveaux soient connus. Les perceptions de « ce que sera le marché » sont discutées et négociées, et les don-nées comme le volume d’appro-visionnement ou les coûts de production sont fabriquées, expli-quant ainsi davantage la façon dont les prix sont produits.Trois principaux groupes sont présents à ces réunions, avec trois motivations différentes qui expliquent leur approche des estimations de l’offre de coton. Le premier groupe est formé des négociants, des marchands et des courtiers, qui ont tous inté-rêt à ce que les prix baissent, car cette baisse leur permet d’échan-ger de plus grands volumes. En

conséquence, ils s’efforcent d’évi-ter une sous-estimation du niveau de production, car une prévision de baisse de production ferait augmenter les prix. La motiva-tion du deuxième groupe, formé par les grands propriétaires et des représentants des coopéra-tives, est opposée. Ils bénéficient évidemment de l’augmentation des prix et souhaitent donc évi-ter une surestimation du niveau de production, qui entraînerait la baisse des prix. Le troisième groupe, formé par des représen-tants ministériels, ne partage pas les mêmes préoccupations que les deux précédents groupes. Leur principal objectif est d’obtenir l’es-timation des niveaux d’approvi-sionnement en coton la plus pré-cise possible, car ce chiffre sert à répartir les subventions agricoles dans le budget annuel. Une sous-estimation conduirait à un déficit budgétaire, alors qu’une suresti-mation donnerait une impression d’inefficacité du gouvernement.

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« Le prix, c’est ce que j’ai dans la poche après avoir vendu ma récolte », déclare Numan, un cultivateur de coton qui a dû vendre sa produc-tion à un propriétaire d’usine d’égrenage à qui il avait emprunté de l’argent. Numan a reçu son argent en moins d’une heure, à la condi-tion qu’il « donne » son coton à ce négociant privé, après déduction de sa dette.

Le prix que les agriculteurs reçoivent est toujours inférieur au prix qu’on leur propose. Pour obtenir le coton, les négociants pratiquent notamment le prêt illégal d’argent, mais tout en créant un cadre légal. Lorsque Numan a fait affaire avec le propriétaire de l’usine d’égrenage, le négociant lui a dit qu’il disposait d’un certain crédit bancaire dont il n’avait pas besoin à l’époque, et « comme il aimait beau-coup Numan », il lui a proposé d’utiliser cet argent. Le taux d’intérêt appliqué était même d’un point plus bas que celui des banques pri-vées. Il a vendu son argent, mais en prétendant qu’il servait d’intermédiaire entre la banque et l’agriculteur. « Habituellement, ils ne nous donnent jamais d’argent directement. Nous allons le chercher à la banque. C’est comme si la banque nous donnait de l’argent », explique Numan.

« Je sais que cela ne vient pas de la banque. Il [le prêteur] envoie une note à ses amis de la banque, m’autorisant à retirer de l’argent de son compte, et c’est son argent que je reçois. D’autres villageois ne le savent pas. Ils pensent que c’est la banque qui leur donne l’argent et que le fabrikacı est l’intermédiaire. Si le prêt passe par la banque, il y a des papiers, l’État, les tribunaux sont impliqués. Tout le monde sait que vous empruntez de l’argent dans le village, alors les autres villageois ne veulent pas travailler avec vous et se moquent. »

« La première chose qu’il [le fabrikacı] demande n’est pas la somme d’argent dont nous avons besoin, mais la superficie de champ que nous possédons. Parce qu’il ne récupérera pas l’argent, il me demandera mon coton à la place. »

« Un agriculteur ne peut pas vendre sa récolte à l’avance sans que le prix de TARIS soit appli-qué. Le prix proposé par le fabrikacı est celui de TARIS, mais le montant payé est toujours infé-rieur. Par exemple, le coton présenté ne plaît

jamais à l’égreneur. Le randıman [rendement d’égrenage] est tout dans le coton. Si le coton a plus de graines, il a moins de fibre. Donc je reçois moins d’argent si le randıman diminue. Le fabrikacı triche toujours avec l’égreneuse à rouleaux, trafiquant ses ciseaux afin qu’ils collectent un peu moins de fibre. Alors, il paie moins. Il joue aussi avec les balances. Le coton des agriculteurs pèse toujours moins lourd. Ils font de l’argent de cette manière aussi. »

Un ancien propriétaire d’usine d’égrenage confirme la description de Numan de la manière dont le coton est vendu sur le marché. Il commente : « Cette activité de la dette rend les riches plus riches, les pauvres plus pauvres. Mais que peuvent vraiment faire les agricul-teurs ? La Banque agricole n’accorde plus de crédit. La banque de TARIS a disparu. Les agriculteurs sont livrés à eux-mêmes. Leur vie est pleine d’imprévus, ils ont besoin d’argent, et généralement très rapidement. Qui a l’argent ? Les égreneurs. Ils n’aiment pas les agriculteurs les plus pauvres, ni les plus riches. Les pauvres n’ont rien à perdre ; les riches ont le pouvoir de résister. Ils veulent les agriculteurs qui produisent assez, mais n’ont pas d’argent pour financer leur activité. Ces agriculteurs ont aussi besoin d’eux, parce qu’ils veulent emprunter rapidement, et en cachette. Les égreneurs gardent le secret, et les agriculteurs perdent parfois leurs terres secrètement s’ils ne peuvent pas payer leur dette. »

Pour les agriculteurs qui ne sont pas endet-tés, les balances et les égreneuses à rouleaux sont généralement plus équilibrées.

Une étude de la formation des prix agricoles se doit aussi de mentionner la « performance d’acteur » des négociants, qui pèse lourdement contre les agriculteurs. Peu avant la récolte, un agriculteur sans problème financier a annoncé à quelques égreneurs son intention de vendre. « Initialement, tous pensaient que je voulais emprunter de l’argent. Ils étaient gentils avec moi, voulant m’aider comme un père. » Les attitudes ont changé cependant quand il leur a apporté des échantillons de son coton : « Ils l’ont regardé, ne l’aimaient pas, et pourtant souhaitaient toujours l’acheter. Ce sont de vrais acteurs, comme à la télévision. »

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Quand un riche négociant et un agricul-teur pauvre se retrouvent dans un contexte d’échange, le rapport de force joue contre ce dernier. Les négociants utilisent un langage auquel les agriculteurs sont peu habitués ; ils sont expérimentés dans l’achat et la vente et sont donc plus performants que les agricul-teurs ; et ils peuvent compter sur un coussin financier dans le cas où ils ne gagneraient pas la négociation. Ce n’est guère le cas des agriculteurs, qui vendent de petites quantités par rapport aux quantités que les négociants achètent au quotidien.

Savoir que les performances commerciales ne sont « que des jeux d’acteurs » n’aide pas les agriculteurs de Pamukköy. Les motivations de ces derniers sur le marché sont dominées par l’urgence de vendre leurs produits pour payer leurs dettes. Ils ne peuvent pas faire égrener leur coton et attendre une meilleure opportunité pour vendre leur marchandise. Ils ne peuvent pas se déplacer avec leur coton auprès de différents acheteurs potentiels, ni marchander pour trouver le meilleur acheteur. Pour les agriculteurs de Pamukköy, le marché n’est pas un lieu neutre où l’offre et la demande fixent le prix. C’est un lieu où ils sont des agents relativement impuissants de la relation d’échange qui transforme leur coton en argent. Cette conclusion suggère de repenser la relation entre le champ et le marché.

ConclusionPour les agriculteurs, le contact avec le marché implique de négocier et de se mettre d’ac-cord sur un prix dans le bureau du négociant, généralement situé dans l’usine d’égrenage détenue par le marchand lui-même.

Le prix du marché offert aux agriculteurs, agents relativement passifs de la négociation,

est défini avant l’échange. Les marchands consacrent beaucoup de temps à construire des réseaux pour influencer les prix, tandis que les agriculteurs passent tout leur temps disponible à cultiver du coton, employer ou mettre en commun la main-d’œuvre dans des coopératives, biner les champs ou cueillir du coton. Les agriculteurs n’ont pas le temps de mener à bien la politique du marché.

Le prix qui sert d’interface entre le terrain et le marché peut être considéré comme un résumé de toutes les contestations de pou-voirs qui ont lieu avant et pendant l’échange. Les études des relations rurales d’échange et de production doivent tenir compte de la nature spécifique de la fixation des prix sur le terrain et envisager les asymétries dans la façon dont les prix sont produits. Les prix ne sont pas définis par la demande et l’offre réelles ; ils sont comme des prothèses utili-sées par un groupe restreint de participants du marché. La recherche académique sur la production agricole et les échanges doit prendre en compte ces facteurs, ou risquer d’être partie prenante de l’univers politico-économique étudié.

En conclusion, les activités économiques dans les campagnes impliquent des jeux de pouvoir où des relations asymétriques sont tissées et entretenues par une multiplicité d’acteurs. Ces acteurs agissent dans une relation en chaîne de domination, de résis-tance et de négociation, de résistance et de négociation, aux contours essentiellement politiques. Un tel contexte politique ne peut se comprendre que si l’on accorde une attention ethnographique aux situations difficiles spécifiques des différents acteurs impliqués dans la production et l’échange de marchandises. n

Çaliskan K., 2007, “Price as a Market Device: Cotton Trading in Izmir Mercantile Exchange”, in Callon M., Millo Y. et Muniesa F., Market Devices, London, Blackwell, p. 241-260.

Callon M., 1998, The Laws of the Markets, London, Blackwell.

Muniesa F., 2000, “Performing Prices: The Case of Price Discovery Automation in the Financial Markets”, in Kal-thoff H., Rottenburg R. et Wagener H.-J., Oekonomie and Gesellschaft, Marburg, Metropolis.

Polanyi K., 1944, The Great Transformation, New York, Farrar & Rinehart.

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Formation du prix du riz à court et long terme : le rôle de la structure du marché dans la volatilité

Peter TIMMER, Center for Global Development, États-Unis

Le riz constitue l’aliment de base de près de la moitié de la population mondiale. La majorité des 440 mil-lions de tonnes métriques (mtm) d’équivalent riz

blanchi produites dans le monde (dont 90 % en Asie) est consommée à proximité du lieu de production. Toutefois, le marché international du riz est important et envoie dans le monde de forts signaux de prix, dont la volatilité est une source de préoccupation majeure.

Ce focus examine les causes particulières de la volati-lité du prix du riz, abordant les tendances de formation des prix et l’influence de la spéculation sur la flambée des prix du riz.

Les causes de la volatilité du prix du rizLe coefficient de variation des prix du riz est sou-vent le double de celui du blé ou du maïs. Il est diffi-cile de comprendre cette volatilité en raison de la nature même du marché : les prix du riz par pays sont stabi-lisés par l’écoulement des excédents ou l’augmenta-tion des importations pour combler les déficits. Ainsi, les décisions politiques des principaux pays asiatiques influencent directement l’offre et la demande mondiales [Timmer et Falcon, 1975].

La volatilité du prix du riz est également due à la struc-ture de la production de riz et aux tendances de commer-cialisation et de consommation en Asie. Des millions d’agriculteurs, négociants, transformateurs et détail-lants, ainsi que des milliards de consommateurs, mani-pulent une denrée qui peut être stockée pendant plus d’un an sous une forme consommable 1. Les anticipations de prix de ces acteurs du marché conditionnent les quan-tités produites, vendues, stockées et consommées.

1. L’oxydation des traces de son sur le riz blanchi peut réduire considérablement la durée de vie du riz stocké dans les tropiques.

La formation des prix alimentaires Comprendre les causes de la formation des prix ali-mentaires implique un modèle analytique empirique réfutable, basé sur les mécanismes de l’offre et de la demande, avec des prix d’équilibre dérivés des forces concurrentielles de base. Ces analyses statistiques ont été effectuées et la plupart des conclusions présentées ci-dessous sont basées sur leurs résultats 2.

L’évolution progressive de l’offre et de la demande peut provoquer une augmentation des prix, mais elle ne suffit pas à expliquer l’explosion des prix alimentaires de 2007 et 2008. Le modèle d’« offre de stockage » consti-tue une base d’interprétation de l’évolution des prix à court terme des marchandises stockables [Houthakker, 1987]. Il souligne le comportement interdépendant des spéculateurs et contrepartistes qui estiment les niveaux de stocks en fonction des quantités utilisées. Sur le court terme, ce modèle est utilisé pour comprendre la forma-tion des anticipations de prix, qui semblent déterminées par les comportements de prix des matières premières dans leur ensemble et des spécificités de chacune d’entre elles. Les grandes tendances des prix sont mesurées par différents indices, notamment l’indice des prix des matières premières du FMI. Ainsi, les négociants opérant sur le marché d’une matière première donnée suivront les mouvements de prix de l’ensemble des produits [San-ders et Irwin, 2008], qui semblent dirigés par des forces macroéconomiques fondamentales comme les taux de croissance économique, la valeur des devises internatio-nales et les taux d’inflation relatifs [Timmer, 2008].

Les négociants suivent également de près leur matière première spécifique. En effet, les stocks déterminent la formation des prix, une fois que la situation de la récolte

2. Cette étude (en anglais) peut être consultée à l’adresse suivante : http://ideas.repec.org/p/cgd/wpaper/172.html

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d’une culture est connue. Généralement, les prix à court terme des produits dont les données d’inventaire sont raisonnablement fiables varient en fonction de compor-tements d’approvisionnement inattendus. Les compor-tements de prix extrêmes des matières premières dont les données d’inventaire sont peu nombreuses, en parti-culier quand des stocks importants sont entre les mains de millions de petits agents (agriculteurs, négociants, consommateurs, etc.), sont causés par l’évolution rapide des anticipations de prix, qui ont pour effet la thésau-risation ou déthésaurisation du produit. La dynamique des prix à court terme pour le riz apparaît ainsi très diffé-rente de celle du blé ou du maïs.

Le rôle de la structure du marché dans les prix du rizL’équilibre entre production et consommation de riz est relativement favorable depuis 2005. Les substitutions à court terme entre le riz et d’autres aliments sont limitées,

et jusqu’à fin 2007, le marché du riz semblait en mesure d’éviter la flambée des prix subie par le blé, le maïs et les huiles végétales. Le marché à terme limité pour le riz a également rendu la spéculation financière moins attrayante.

Cependant, avec seulement 7 à 8 % de l’ensemble des échanges internationaux, le marché mondial du riz est très étriqué, ce qui le rend vulnérable aux fortes fluctua-tions de prix. De plus, le marché est concentré, la Thaï-lande, le Vietnam, l’Inde, les États-Unis et le Pakistan fournissant près de 80 % de l’offre disponible.

Cette structure particulière du marché explique-t-elle également la différence de tendances de prix à long terme par rapport aux deux autres céréales de base ? Seulement dans une faible mesure. Les fortes variations de l’écono-mie politique des prix mondiaux du riz conduisent les pays à se replier dans l’autarcie, et la conséquence de cette recherche d’autosuffisance des importateurs de riz est une production globale plus importante que prévue,

Le riz, un marché peu mondialisé

Contrairement aux autres céréales majeures, tels le blé ou le maïs, la production de riz est essentiellement consommée dans les pays producteurs. Le commerce ne représente ainsi que 7 % de la production mondiale.

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ce qui contribue à une baisse à long terme des prix mon-diaux. Mais d’autres facteurs (l’évolution technologique rapide, l’évolution des goûts…) peuvent expliquer que la tension entre l’offre et la demande de riz est moins forte que pour le blé et le maïs.

Le pic des prix des matières premières en 2007-2008Le potentiel de volatilité extrême s’explique par les aspects politiques et la structure du marché de la filière rizicole. Comprendre comment ces facteurs contribuent à la formation des anticipations de prix est essentiel pour saisir les causes immédiates de l’instabilité des prix du riz. Ces anticipations peuvent conduire à des « compor-tements spéculatifs déstabilisants » de la part de millions, voire milliards, d’acteurs du marché, et la formation des prix a ainsi une composante spéculative importante et déstabilisante.

En 2007, la limitation de l’offre alimentaire mondiale et la hausse des prix du blé, du maïs et des huiles végé-tales ont suscité des inquiétudes croissantes. Plusieurs pays asiatiques ont augmenté leurs stocks de riz pour se protéger contre de futures pénuries 3 et une spirale des prix cumulés s’est engagée.

En Inde, deuxième exportateur mondial de riz, la récolte de blé de 2007 a subi sécheresse et maladies, ce qui a conduit le pays à moins exporter son riz plutôt qu’à importer du blé. Une interdiction pure et simple des exportations de riz non basmati a suivi en avril 2008.

Les autres pays exportateurs ont suivi car les prix du riz ont bondi. Le ministre du Commerce du gouverne-ment de la Thaïlande – premier exportateur mondial de riz – a envisagé des restrictions d’exportations. En mars 2008, les prix du riz en Thaïlande ont bondi de 75 dollars par millions de tonnes, continuant à monter en flèche jusqu’au mois d’avril, pour atteindre 1 100 dollars par millions de tonnes.

Les consommateurs pauvres de nombreux pays impor-tateurs de riz, comme le Vietnam et les Philippines, ont été gravement touchés par cette volatilité des prix, d’autres pays comme l’Inde, la Chine et l’Indonésie, étant en mesure de protéger leurs populations par des restrictions d’exportation. Les dirigeants de ces pays ont fait valoir que la stabilité intérieure était plus importante que la stabilité

3. Voir Slayton [2009] pour une analyse détaillée et chronologique.

internationale 4, illustrant le fait que la stabilité du prix du riz est essentielle pour la stabilité politique et la croissance économique en Asie [Timmer et Dawe, 2007].

C’est un cercle vicieux : l’instabilité du marché mon-dial incite les pays à cesser d’importer et d’exporter du riz, ce qui a pour effet d’accroître encore l’instabilité et de provoquer des réactions politiques spontanées. Briser ce cycle nécessite des accords contraignants à long terme entre importateurs et exportateurs afin de reconstruire la confiance du marché. Toutefois, les pressions natio-nales ou internationales pour aboutir à de tels accords sont pratiquement inexistantes 5.

Le comportement de thésaurisation a été une com-posante essentielle de la hausse des prix du riz de 2007, tandis que la spéculation financière semble n’avoir joué qu’un petit rôle (en partie parce que les marchés à terme pour le riz sont limités). Ce sont les décisions prises par des millions de ménages, agriculteurs, négociants et de certains gouvernements qui ont déclenché une hausse soudaine de la demande et ont transformé une augmen-tation de prix progressive en explosion.

ConclusionLa structure du marché joue un rôle important dans la formation à court terme du prix du riz, en raison de l’or-ganisation très inhabituelle de l’économie mondiale du riz, composée de nombreux petits producteurs, négo-ciants, détaillants et consommateurs manipulant un pro-duit stockable à chaque étape.

Cette capacité de stockage très décentralisée est sou-mise aux variations des anticipations de prix à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement. Comme on ne dispose pas de données sur les stocks, leur impact sur la formation des prix du riz est imprévisible.

Les spéculateurs financiers sont très probablement responsables d’une partie de l’augmentation du prix du blé et du maïs. Mais la spéculation n’a pas provoqué la hausse des prix du riz, en raison de l’organisation dif-férente des marchés du riz, ainsi que des interventions gouvernementales.

4. La victoire écrasante du Parti du Congrès en Inde en mai 2009 le confirme.

5. Une voie à suivre pourrait être la création d’une zone de libre-échange pour le riz à l’initiative de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est. Si une telle zone pouvait inclure la Chine du Sud, le Bangladesh et l’Inde, la majorité des producteurs et consommateurs de riz du monde bénéficierait de prix plus stables, stabilisant ainsi l’ensemble du marché mondial du riz. L’Indonésie, qui a retrouvé son autosuffisance en riz, pourrait peut-être accueillir les discussions sur une telle initiative.

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Houthakker H.S., 1987, “Futures Trading”, in Eatwell J., Mil-gate M. et Newman P., The New Palgrave: A Dictionary of Econo-mics, vol. 2, London, MacMillan Press Ltd., p. 447-449.

Sanders D.H. et Irving S.H., juillet 2008, “Futures Imperfect”, New York Times. Disponible sur : www.nytimes.com/2008/07/20/opinion/20irwinsanders.html?_r=1&oref=slogin

Slayton T., 2009, “Rice Crisis Forensics: How Asian Govern-ments Carelessly Set the World Rice Market on Fire”, CGD Wor-king Paper 163, Washington D.C., Center for Global Develop-ment.

Timmer C. P., et Falcon W. P., 1975, “The Political Economy of Rice Production and Trade in Asia”, in Reynolds L., Agricul-ture in Development Theory, New Haven, Yale University Press, p. 373-408.

Timmer C. P., Falcon W. P. et Pearson S. R., 1983, Food Policy Analysis, Baltimore, Johns Hopkins University Press for the World Bank.

Timmer C. P. et Dawe D., 2007, “Managing Food Price Instabi-lity in Asia: A Macro Food Security Perspective”, Asian Economic Journal, vol. 21, no 1, p. 1-18.

Timmer C. P., 2008, “Causes of High Food Prices”, Asian Develop-ment Outlook Update, Manila, Asian Development Bank.

Le dénouement de positions spéculatives entraîne des chutes de prix rapides, jusqu’à épuisement des stocks excédentaires perçus. À l’exception de l’Inde, il semble que ce processus de déstockage à court terme ait pris fin en 2008, bien avant la nouvelle aug-mentation des prix mondiaux. La crise financière

internationale empêchera probablement d’autres aug-mentations rapides des prix du riz, mais l’équilibre entre l’offre et la demande pour les prochaines années suggère que les prix à l’exportation seront plus proches des 500 dollars la tonne que des 300 dollars la tonne de la période précédant la crise. n

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Chapitre 11L’industrie agroalimentaire au cœur du système alimentaire mondialL’efficacité économique du modèle agro-industriel tertiarisé se fait souvent au détriment de l’environnement, en générant des injustices sociales entre pays et entre acteurs des filières. La durabilité ne sera assurée que par sa cohabitation avec un modèle alternatif fondé sur la proximité et sur des réseaux de petites entreprises, qui valorisent le patrimoine naturel et culturel spécifique des territoires.

Àl’échelle de l’histoire de l’huma-nité, la transformation de matières premières agricoles périssables en denrées stockables et utilisables pour la préparation des repas (ce que

nous appelons aujourd’hui « industrie agroali-mentaire ») est une activité très ancienne. Elle est probablement née au néolithique, il y a environ 11 000 ans, en même temps que l’agri-culture et la sédentarisation, avec la fabrica-tion de farines et de semoules de céréales, de fromages et de boissons fermentées, le séchage et le fumage de viandes et poissons.

Cette activité est restée très longtemps inté-grée à la production agricole sous une forme artisanale et familiale. L’industrie agroalimen-taire (IAA), au sens contemporain du terme, n’est apparue que tardivement (xixe siècle) au cours de la révolution industrielle. Elle trouve son origine, comme d’autres secteurs (textile,

métallurgie), dans l’innovation technique : procédé d’extraction du sucre de betterave [Chaptal et Delessert, 1811], méthode de sté-rilisation thermique en conserverie [Appert, 1802], fabrication du chocolat [Meunier, 1824] en sont quelques exemples. Ce foisonne-ment d’innovations s’accompagne de nouvelles formes d’organisation de la production, avec le passage de l’artisanat aux manufactures indus-trielles. Les grandes firmes agroalimentaires (Nestlé en Suisse, Unilever aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, Liebig en Allemagne, etc.) apparaissent à la fin du xixe siècle ou au début du xxe. Toutefois, les structures de marché ne vont évoluer significativement qu’à partir de la Seconde Guerre mondiale [Rastoin, 2000].

Aujourd’hui, l’IAA se situe au cœur d’un très important complexe économique (le « système alimentaire ») dont la finalité est de nourrir les hommes, le plus souvent à travers des rapports

Jean-Louis RASTOIN, Supagro, France

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marchands [Rastoin et Ghersi, 2010]. La place des IAA dans les filières composant le système alimentaire est variable selon les pays. On observe cependant une convergence mon-diale vers un modèle agro-industriel tertiarisé, modèle au sein duquel l’IAA occupe une position-charnière stratégique que nous carac-tériserons dans un premier temps. Sur cette base, nous présenterons ensuite les tendances à la globalisation et à la financiarisation de ce modèle, pour enfin esquisser deux scénarios prospectifs de long terme pour les IAA.

Hétérogénéités et convergence des industries agroalimentairesL’IAA se situe, dans une très grande majo-rité de pays, au premier rang du vaste sous-ensemble des industries manufacturières, avec un poids variant de 10 à 30 %. Avec près de 4 000 milliards de dollars de production et plus de 25 millions de salariés en 2009, son impor-tance s’explique à la fois par une proximité

technique et économique avec l’agriculture (valorisation de matières premières basiques) et par une fonction de demande incontour-nable : l’alimentation.

Cependant, cette industrie est d’une grande hétérogénéité dans sa structure et dans l’espace géographique. L’IAA est composée de nombreuses filières (transformation des céréales, des oléagineux, des produits ani-maux, par exemple) dont les caractéristiques technologiques, économiques et managériales confèrent à chacune d’entre elles des spéci-ficités marquées. Par ailleurs, les contraintes agro-climatiques, de marché et de niveau économique font que les profils d’IAA sont variables selon les pays. En 2009, les pays à haut revenu (PHR), soit 16 % de la population mondiale, représentaient 64 % de la produc-tion en valeur de l’IAA mondiale (72 % du PIB mondial), tandis que les pays en développe-ment (PED) affichaient respectivement 32 % de la population et 6 % de la production.

Des industries agroalimentaires très contrastées

L’importance de la production des IAA n’est pas corrélée avec la taille de la population approvisionnée, mais plutôt avec le pouvoir d’achat et les capacités d’investissement d’un pays. Elle reste avant tout concentrée dans les pays riches.

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La dynamique de l’IAA est « plate » dans les pays riches, soutenue dans les pays émer-gents, et rapide dans les PED, ce qui confirme le caractère basique et démographique des marchés alimentaires : dans le processus de croissance économique, l’IAA constitue un secteur de démarrage dont l’avantage est de mobiliser peu de capitaux et beaucoup de travail et d’accompagner, par la baisse relative des coûts de production des aliments, l’essor des autres biens de consommation. Pourtant, la plupart des gouvernements négligent de stimuler ce secteur. Dans les PHR, la remarque reste valable, car si les besoins courants sont saturés et donc la demande stagne (marché « mature »), l’apparition d’exigences nouvelles (environnement, santé…) crée de potentiels relais de croissance économique pour l’IAA.

L’hétérogénéité de l’agroalimentaire demeure certes très forte, mais elle s’érode, comme dans la plupart des activités capitalistiques, sous la

pression de trois forces puissantes et interdé-pendantes : la concentration, la globalisation et la financiarisation.

Une concentration rapide dictée par les économies d’échelleDix pays concentrent 85 % de la production mondiale de l’IAA et 70 % des salariés. Fait notable, à la suprématie absolue des grands pays riches (États-Unis, Allemagne, France, Japon) a succédé, au début des années 2000, un partage du leadership mondial avec les pays émergents : Chine, Russie, Brésil, Inde.

La concentration doit aussi s’apprécier au niveau des entreprises. Selon nos calculs [Rastoin, 2008], si l’on considère les secteurs les plus avancés du point de vue de la tech-nologie et du marketing, comme par exemple les produits laitiers ultrafrais, les boissons non alcoolisées, les produits de grignotage, l’oligopole se réduit à une poignée de firmes

Les leaders mondiaux de l’agroalimentaire en 2009

À côté des acteurs historiques de l’agroalimentaire en Europe, aux États-Unis et au Japon, se développent aujourd’hui de grandes capacités de production dans les pays émergents. Des concurrents d’autant plus redoutables qu’ils n’ont pas encore atteint la productivité des pays du Nord.

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contrôlant près des ¾ du marché. Le profil moyen des firmes du top 10 de l’IAA témoigne de la taille et donc du pouvoir économique consi-dérable de ces entreprises : en moyenne près de 47 milliards de dollars de chiffre d’affaires (CA), 119 000 employés, résultat net d’environ 3,7 milliards de dollars, en 2007. À titre de comparaison, la première entreprise française, Danone, est au 12e rang, avec 17 milliards de dollars de CA (5 fois moins que le numéro 1 Nestlé) et 1,9 milliard de dollars de profit (6 fois moins que Nestlé). Notons que l’hégé-monie états-unienne reste une réalité : dans le top 15, 9 firmes sont américaines. Les quelque 8 000 filiales étran-gères des 100 premières firmes agroalimentaires mondiales sont largement présentes dans les pays émergents et les PED, ce qui accroît la concentration du capital agroalimentaire dans les PHR.

Les « franges » de cet oligo-pole sont peuplées de plus de 600 000 entreprises dans le monde – en majorité petites et moyennes entreprises (PME) et très petites entreprises (TPE) – qui « maillent » densément l’espace rural et périurbain, avec des produits « territo-rialisés » privilégiant souvent la qualité organo-leptique et les cultures locales [Noronha Vaz, Nijkamp et Rastoin, 2008]. Dans l’Union euro-péenne, les TPE (0 à 9 salariés) et les PME (10 à 249 salariés) représentaient en 2009 86 % des 360 000 entreprises de l’IAA, 63 % de l’emploi et 48 % du CA [CIAA, 2011].

Des performances économiques et technologiques élevéesLa concentration résulte de la recherche de compétitivité. Dans les systèmes alimentaires industrialisés, le marché de l’IAA est constitué majoritairement par la grande distribution (GD), elle-même très concentrée (dans l’Eu-rope occidentale, les ménages y font plus de 80 % de leurs achats alimentaires). La concur-rence entre firmes de la GD s’exerce principale-ment par les prix au consommateur et donc par les prix nets payés aux fournisseurs de l’agroa-limentaire. Il y a donc une obsession des gains

de productivité dans l’IAA poussant à dimi-nuer le coût unitaire fixe par l’augmentation de la taille des usines (économies d’échelle, substitution de la main-d’œuvre par mécani-sation et robotisation). Les progrès technolo-giques ont permis à la fois de réduire sensible-ment les pertes et d’améliorer les contrôles de qualité sanitaire des produits. Cette prouesse saint-simonienne a deux revers : la diminu-tion considérable des emplois (nombre de sites industriels divisés par quatre 1 et des effets négatifs sur l’environnement et la sécurité alimentaire). Partout, le processus de concen-

tration s’observe dans l’agricul-ture et l’IAA dès que les circuits de commercialisation se modi-fient, avec l’arrivée des chaînes de magasins de grande surface [Reardon et Minten, 2011]. Selon nos estimations, en 2010, 55 % de la population mondiale fréquente les supermarchés, s’insérant de fait dans un système alimentaire de type agro-industriel.

La concentration dans l’agroa-limentaire a une autre justification : l’exigence de sûreté alimentaire (non-toxicité des aliments). La crise de l’ESB (vache folle) du milieu des années 1990 et celles qui ont suivi (salmonellose, etc.) ont incité la GD à mettre en place des procédures de surveillance de qualité et de traçabilité très contraignantes au niveau de l’IAA. Aujourd’hui, le système alimentaire vit sous l’empire des normes (IFS, BRC, GlobalGap, etc.) élaborées en partie par la GD. Leur coûteuse application est un passage obligé pour les entreprises agroalimentaires souhaitant être référencées par la GD.

Enfin, la concentration assure le finance-ment des investissements immatériels (inno-vation et communication) qui permettent de gagner des parts de marché, grâce à l’effet de levier autorisé par la taille. Ces investissements sont considérables. Ainsi, la R&D représentait en 2008 environ 1,5 % du chiffre d’affaires

1. La stabilité des effectifs dans l’IAA est due aux petites entreprises compensant par la création d’emplois les destructions importantes au niveau des grands établissements de plus de 500 salariés.

Il y a une obsession

des gains de productivité dans l’IAA poussant à diminuer le coût unitaire fixe par l’augmentation de la taille des

usines.

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des grandes entreprises agroalimentaires de l’OCDE, tandis que, selon les produits, la publicité représente entre 5 et 15 % du prix final. Là encore, les effets d’échelle jouent et avantagent les grandes firmes.

La trajectoire historique de l’économie de marché fait qu’aujourd’hui, dans les PHR, l’IAA dépense plus en services (logistique et marke-ting principalement) qu’en matières premières agricoles. On est passé d’une structure moyenne de prix final d’un aliment « 40/A-40/I-20/S 2 » à « 20/A-30/I-50/S » en un peu plus d’un demi-siècle dans les pays européens : l’IAA est ainsi devenue une industrie tertiaire [Nefussi, 2004], étrange paradoxe ! En réalité, la struc-ture des coûts révèle d’une part l’évolution des comportements des consommateurs et d’autre part un « partage » de la valeur économique du bien reflétant les pouvoirs de marché des différents acteurs des filières.

Une industrie qui n’échappe pas aux lois d’airain de la globalisation et de la financiarisationEn dépit de ses nombreuses spécificités liées à l’exploitation de matériaux vivants, l’IAA tend à se banaliser et devient une industrie de biens de grande consommation mondialisée et pilotée par les marchés financiers, sans pour autant assurer la sécurité alimentaire.

Une globalisation rapide des marchés agroalimentairesLa globalisation se caractérise à la fois par une intensification des échanges internationaux de toute nature, par une nouvelle géopoli-tique de ces échanges et par des modifications en profondeur au plan managérial, impul-sant de nouveaux modes de gouvernance. L’IAA a accompagné ce mouvement beaucoup plus facilement que l’agriculture en raison de sa capacité à rendre stockables et transpor-tables des produits périssables (les matières premières agricoles).

La manifestation la plus visible de la glo-balisation est celle de la croissance soutenue

2. Parts en pourcentage des matières agricoles (A), transformation industrielle (I) et services (S) dans un produit alimentaire.

quoiqu’irrégulière du commerce international. Les exportations mondiales de produits agricoles et alimentaires ont ainsi été mul-tipliées par 4,4 dans les 30 dernières années pour avoisiner 1 000 milliards de dollars en 2009. Néanmoins, les commodités agricoles (matières premières de base) connaissent une progression beaucoup moins rapide que les produits transformés issus de l’IAA dans les échanges internationaux (dont l’exportation représente, en 2009, 40 % du commerce total des produits agricoles et alimentaires). L’Union européenne est la première puissance agroalimentaire mondiale avec 54 % des expor-tations et 49 % des importations mondiales de produits transformés. Les ¾ de celles-ci sont constitués de flux intra-communautaires, mais même en n’en tenant pas compte, la supréma-tie européenne se confirme : 31 % des expor-tations et 22 % des importations mondiales, loin devant le Mercosur (respectivement 20 % et 2 %) et l’Alena (10 % et 17 %). Néanmoins, la croissance rapide des exportations totales de produits alimentaires bruts et transformés de la « ferme du monde », le Brésil, et des autres pays émergents, remodèle inexorablement le panorama du leadership mondial.

Cette dynamique est cependant condition-née par l’achèvement du cycle de Doha dont l’objectif est de démanteler les protections tari-faires et les obstacles techniques au commerce pour les produits agricoles et de l’IAA. Dans un contexte d’enlisement des négociations, les accords régionaux et bilatéraux se mul-tiplient en aggravant souvent les distorsions internationales. La question géopolitique qui se pose alors est celle de l’évitement d’un duo-pole hégémonique États-Unis/Chine par une construction politique euro-méditerranéenne et africaine. Les avatars actuels de la gestion économique de la zone euro font douter d’une telle perspective à moyen terme.

La globalisation a également un impact sur l’organisation des activités productives. Depuis quelques années, un phénomène nouveau se développe : la répartition à travers le monde, selon les critères coûts/avantages, des activités fonctionnelles des grandes firmes, c’est-à-dire des services de recherche, de gestion des

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ressources humaines, d’informatique et de finance. Cette géostratégie est motivée par deux critères : la recherche de marchés en croissance et celle d’avantages en termes de coûts de production, ce qui explique les deux récentes vagues d’investissement en Europe centrale et orientale, et en Asie.

La question la plus controversée est ici celle de la délocalisation des unités industrielles en fonction des avantages concurrentiels. Cependant, ce mouvement ne bénéficie pas aujourd’hui aux PED, qui ne sont concernés que par 0,06 % (agriculture) à 2,8 % (agroa-limentaire) des investissements directs à

l’étranger (IDE). Au contraire, ces pays font encore les frais de cette stratégie de localisa-tion d’activités sur des sites avantagés par les coûts fixes unitaires et surtout l’organisation et la technologie, situés dans les pays riches ou émergents. À partir de ces sites, les produits sont exportés dans le monde entier, comme le montre l’exemple du poulet congelé standard américain ou brésilien inondant les marchés africains, détruisant les filières locales et faisant disparaître, à terme, le patrimoine culinaire régional.

La globalisation concerne aussi les risques sanitaires (vulnérabilité accrue aux pandémies

Des échanges dominés par le Nord

Si les exportations de produits agroalimentaires augmentent rapidement dans les pays émergents, et notamment le Brésil, les échanges agroalimentaires mondiaux hors-zone sont eux encore dominés par des acteurs du Nord : UE et Alena.

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Food miles, ACV et développement durable

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suite à la concentration de la production animale), les nuisances environnementales (pollutions et gaz à effet de serre), les orga-nisations professionnelles et les ONG. Les mouvements de contestation multi-pays sont de plus en plus fréquents et amplifiés par les technologies de la société numérique. Dans l’agroalimentaire, les crises déclenchent des réactions internationales plus ou moins bien coordonnées mais de plus en plus visibles, comme on a pu le constater lors de la flambée des prix de 2008.

L’impact de la financiarisation des grandes firmes agroalimentairesL’IAA n’a pas été épargnée par la financiarisa-tion de l’économie mondiale dans les trente dernières années : la plupart d’entre elles ont recours au marché boursier pour se financer. En conséquence, des fonds d’investissement, pratiquant le court-termisme et exigeant une rentabilité élevée, sont présents à leur capital 3. Ces deux indicateurs justifient des décisions souvent brutales d’achat ou de vente d’actions, ce qui génère une instabilité chronique, guère compatible avec l’activité agroalimentaire. En effet, cette activité est soumise aux aléas biolo-giques et climatiques et donc à un horizon temporel bien plus long que l’électronique ou l’industrie du vêtement. À ceci s’ajoute l’in-tervention de hedge  funds (fonds spéculatifs) sur les bourses commerciales internationales comme celle de Chicago, New York ou Londres qui traitent des commodités, avec des effets amplificateurs de volatilité (ainsi, en 2007 et 2008, les prix des céréales et oléagineux ont été triplés, puis divisés par deux). Ces soubre-sauts posent d’énormes problèmes tant aux agriculteurs qu’à l’agroalimentaire, en particu-lier aux petites structures.

Et les consommateurs ?L’agriculture et l’IAA ont un rôle essentiel à jouer dans la sécurité alimentaire des consom-mateurs. En effet, elles constituent, ensemble, le « cœur productif » de cette sécurité, avec une

3. Par exemple, dans le cas de Danone, le « noyau stable » d’action-naire est estimé à 5 % du capital.

contribution souhaitable à l’objectif défini par la FAO en 1996 d’assurer à tous une alimen-tation de qualité, en quantité suffisante et conforme aux cultures locales. Le défi global de nourrir une population croissante a bien été relevé voire dépassé dans les 50 dernières années, en termes quantitatifs, puisque les disponibilités alimentaires par habitant de la planète (2 800 kcal/jour/personne en 2007, soit 600 kcal/jour/personne au-dessus des besoins) dépassent aujourd’hui les besoins standard définis par les nutritionnistes. La croissance des disponibilités fournies par l’agriculture et l’IAA a été supérieure à celle de la démographie. De plus, à l’échelle mondiale, les risques de toxicité microbienne ont été fortement réduits par les progrès de la science, de la technologie et de l’organisation.

Toutefois, ce constat doit être nuancé : des disparités considérables existent entre pays et, au sein des pays, entre régions, dont certaines sont marquées par de lourds déficits alimen-taires, par des carences et/ou par des excès nutritionnels. Outre le milliard de personnes que la FAO a estimé souffrir de déficit calorique, les carences en oligoéléments (notamment

Une étude britannique [Smith et alii, 2005] a chiffré les externalités négatives des food miles ou « kilomètres alimen-taires » (9 milliards de livres sterling en 2002, soit 13 % de la valeur ajoutée du système alimentaire), avec une forte pro-portion du coût total imputable aux embouteillages (57 %) et un impact significatif en termes de santé publique (accidents, pollution et bruit : 30 %).Selon une étude américaine, en 1997, les émissions de gaz à effet de serre (GES) provenaient à 84 % de la production agricole et agroalimentaire et seulement à 6 % des trans-ports dans le système alimentaire [Weber et Matthews, 2008]. Il en résulte qu’acheter local permettrait au maximum d’économiser 4 à 5 % d’émissions de GES. Un changement des habitudes alimentaires, en substituant un jour par semaine la viande rouge et les produits laitiers par une autre source de protéines animales ou végétales, aurait le même impact. Fin-alement, les analyses de cycle de vie (ACV) environnementa-les et sociales apparaissent comme beaucoup plus pertinen-tes que les food miles pour évaluer les impacts des différentes filières de production et commercialisation des aliments.

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le fer) et en vitamines touchent 2 milliards de personnes dans le monde, entraînant des troubles de santé souvent irréversibles notam-ment chez les enfants [Delpeuch, Le Bihan et Maire, 2005]. En 2008, le surpoids 4 concernait 1,5 milliard de personnes et l’obésité 5 plus de 500 millions d’individus de plus de 20 ans [OMS, 2011]. Enfin, des présomptions scien-tifiques d’effets pathologiques sévères pèsent sur l’accumulation de métaux lourds et de résidus de l’agrochimie ou des ingrédients de synthèse dans les aliments [Schlosser, 2005].

On peut tirer de ce bilan une synthèse en demi-teinte pour l’IAA mondiale qui serait évidemment à nuancer selon les pays et les filières. Cette activité tournée vers le marché très basique de l’alimentation continue d’occu-per une place éminente dans les économies contemporaines. Cette place est confortée par des effets d’entraînement économiques

4. Indice de masse corporelle (IMC) égal ou supérieur à 25.

5. IMC égal ou supérieur à 30.

et sociaux en amont (agrofourniture et agri-culture), en aval (commercialisation) et en périphérie (industries et services liés comme les équipements et la logistique) : on estime qu’un emploi dans l’IAA « génère » en moyenne quatre emplois dans son environnement. Le modèle de production de masse fondé sur des économies d’envergure vers lequel convergent la plupart des pays permet une réduction importante des prix réels des aliments et amène une relative sécurité sanitaire alimentaire. Il s’accompagne cependant d’une redistribution des sites industriels induisant celle des bassins de production agricole et aggravant les asy-métries internationales et régionales. Autre conséquence discutable : l’uniformisation des diètes à travers des produits globaux standar-disés dont la consommation est incitée par un packaging et marketing dispensieux, souvent abusifs. Les incitations à l’achat et les déficits éducatifs entraînent dans les pays riches un gaspillage considérable, proche du tiers de la nourriture achetée [Ventour, 2008]. Enfin, les externalités négatives de l’IAA concentrée génèrent des coûts importants en termes de santé publique et d’environnement, qui ne sont à ce jour pas intégrés dans les comptes des entreprises, car pris en charge – à des degrés divers – par la collectivité. Il y a un énorme défi pour l’IAA qui pourrait, dans sa position d’interface entre une production agricole insuffisante (PED) ou fragilisée par la spécialisation et l’intensification (PHR) et un consommateur souvent mal nourri, jouer un rôle important au service de la SA mondiale.

Conclusion : vers une transition alimentaire « hybride » ?La combinaison de la pression des variables de changement (démographie en hausse, ressources naturelles et biodiversité en baisse, réchauffement climatique, crises socio-écono-miques) et des inflexions dans les cadres politiques et stratégiques justifient l’élabora-tion de deux scénarios prospectifs à l’horizon 2050 pour le système alimentaire mondial. Le premier est celui de la généralisation du modèle agro-industriel tertiarisé (MAIT), dans un contexte de continuité du capitalisme

Dans les PVD, et en particulier dans les PMA, la situation est radicalement différente. En effet, au fil du temps, on a vu émerger, dans la plupart des pays du monde, un système ali-mentaire dual, pour ne pas dire schizophrène. D’un côté un sous-ensemble tourné vers les classes moyennes et aisées des grandes métropoles urbaines et l’exportation qui reproduit le schéma agro-industriel ; de l’autre un sous-ensemble tra-ditionnel qui concerne la majorité de l’espace rural. Globa-lement dans ces pays, la population agricole est nombreuse, les prix alimentaires relatifs élevés (ils accaparent la majeure partie du revenu des ménages), un temps considérable est consacré par les femmes à la préparation des repas du fait du faible degré d’élaboration des produits alimentaires, l’inté-gration au commerce international reste faible en dehors de quelques rares commodities. Pour ces pays, la priorité est évi-demment de sortir de la pauvreté [Sen, 1981] par la moder-nisation de l’agriculture et la diversification des activités. Il est donc très important de combiner politiques agricoles et politiques alimentaires [Raoult-Wack et Bricas, 2002]. Ces pays doivent éviter de reproduire un modèle dont on aper-çoit aujourd’hui les limites et intégrer dans leurs politiques les objectifs du développement durable.

La question alimentaire dans les pays en voie de développement

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« libéral ». Le second scénario envisage la consolidation d’un modèle alternatif fondé sur la proximité (MAP) et des réseaux de PME/TPE, dans l’hypothèse du renforcement des politiques en faveur d’un développement local équilibré.

Dans le cadre du MAIT, on peut imaginer, à l’horizon 2050, que 500 000 exploitations agri-coles de 4 000 hectares 6 (agribusiness) et une centaine d’entreprises géantes des secteurs de l’agrofourniture, de l’industrie agroalimentaire, de la logistique et de la distribution assurent l’essentiel de la production et de la commer-cialisation des aliments. La combinaison d’un marché façonné par d’énormes budgets publicitaires et d’un intense lob-bying collusif des multinationales sur des questions transversales telles que les standards de qualité des produits, l’information du consommateur, la fiscalité, etc., assure à ces firmes le contrôle de la gouvernance mondiale du système alimentaire.

A  contrario, dans le MAP, les entreprises ont des dimensions réduites (micro-entreprises et PME) et donc des besoins en capitaux limités, ce qui leur permet de ne pas recourir aux marchés financiers et d’adopter des statuts juridiques plus transparents que les sociétés anonymes qui sont la règle dans le MAIT, mais aussi plus impliquant (contact direct avec les actionnaires et les salariés). En agriculture, c’est l’entreprise familiale qui prédomine (environ 50 millions). La taille des entreprises du MAP conduit à des technologies adaptées et à des formats d’usine réduits. Les formes d’organisation et le manage-ment des entreprises dans le MAP sont fondés sur le partage de ressources et de compétences à travers des réseaux d’entreprises de manière à réduire les coûts qui ne bénéficient pas des économies d’échelle comme dans le MAIT et à dégager des synergies entre acteurs.

La prospective du système alimentaire construite autour de deux scénarios contrastés

6. Moyenne théorique ne rendant pas compte des disparités interna-tionales subsistantes.

fait l’hypothèse que le MAIT n’est pas en mesure de répondre de façon satisfaisante aux préconisations du développement durable. En effet, si ce modèle parvient, globalement, à fournir des denrées à bas prix (efficacité économique), c’est souvent au détriment de l’environnement naturel (externalités néga-tives) et en générant des injustices sociales entre pays et, au sein des pays, entre acteurs des filières qu’ils soient producteurs, commer-çants ou consommateurs. De son côté, le scé-nario alternatif, s’il satisfait mieux à trois des exigences du développement durable (équité, environnement et gouvernance participative), pose problème en ce qui concerne la compé-

titivité économique et l’aptitude à fournir des aliments à bas prix 7.

Compte tenu des inerties tant des producteurs que des consom-mateurs et des limites inhérentes au système démocratique (l’hori-zon des politiciens est limité à la prochaine élection), l’évolution la plus probable du système alimen-taire est la poursuite d’un troi-sième scénario de cohabitation entre les deux modèles présentés,

avec une incertitude sur la consolidation et la croissance du schéma alternatif. En effet, un ajustement du modèle agro-industriel pour prendre en compte certaines des contraintes évoquées plus haut est déjà en cours.

Il est donc indispensable de réfléchir à la façon d’organiser la transition vers un nou-veau modèle de développement alimentaire « durable ». Ce modèle prendra probablement, à l’horizon de deux générations, une forme hybride combinant, selon les espaces géogra-phiques, les mentalités et les comportements, des configurations modernes (basées sur la globalisation) et post-modernes (basées sur l’ancrage territorial), du fait de l’extrême diversité des situations observées.

7. Le modèle quantitatif Agrimonde conduit à une conclusion majeure : dans deux scénarios contrastés s’apparentant aux modèles discutés ici, les ressources en biomasse agricole potentiellement mobilisables dans le monde permettent de satisfaire les besoins alimentaires de 9 milliards d’habitants à l’horizon 2050 [Paillard, Treyer et Dorin, 2010].

Il est donc indispensable

de réfléchir à la façon d’organiser

la transition vers un nouveau

modèle de développement

alimentaire « durable ».

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Pour aller vers une alimentation durable, on ne peut tabler sur une régulation par le seul marché. Une véritable politique alimen-taire doit être mise en place, qui n’est visible dans aucun pays du monde à ce jour. Une politique alimentaire doit être une incitation efficace à améliorer le régime nutritionnel. Elle est basée sur une modification du com-portement du consommateur par une édu-cation à entamer dès le plus jeune âge. Elle passe par une réflexion sur les allocations de ressources budgétaires (revalorisation du budget alimentaire) et de temps (augmenta-tion du temps domestique consacré à l’éla-boration des repas). Elle doit aussi guider la politique agricole et industrielle dans le sens de l’amélioration de la qualité nutritionnelle des produits vendus et du remodelage du modèle de production-commercialisation par une diversification et des circuits plus courts. Enfin, elle doit comporter un effort de R&D sur ces modèles, visant en particulier de nouveaux itinéraires techniques, paniers de produits et formats d’entreprises.

Une telle politique alimentaire implique une coordination régionale et une concertation

internationale. Compte tenu des dérives induites par la globalisation des marchés agricoles et agroalimentaires, on pourrait imaginer de « régionaliser la mondialisation » (c’est-à-dire envisager des mesures spécifiques dissuasives et incitatives aux frontières et au sein de macro-régions telles que l’Euro-Médi-terranée), afin de « relocaliser » les systèmes alimentaires. Il s’agirait alors de resserrer les distances entre lieux de production et lieux de consommation. La réhabilitation des filières courtes aurait pour avantages essentiels de maintenir (s’il est encore temps) la diversité des modèles de consommation (en les faisant évoluer vers une meilleure adéquation nutri-tionnelle), de stabiliser ou créer des activités et donc des emplois en zone rurale, dans la majorité des pays de la planète et de redonner du sens aux rapports entre producteurs et consommateurs � [Winter, 2003].

Le scénario alternatif nous invite à inven-ter un nouveau modèle agroalimentaire qui valorise le patrimoine historique spécifique de chaque société et de chaque territoire, avec les connaissances scientifiques et tech-niques de ce siècle. n

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À l’instar de leurs homologues d’autres régions, les petits agriculteurs d’Amérique latine et des Caraïbes ont dû affronter le marché de façon

isolée, soit au travers d’intermédiaires, soit en vendant directement leurs produits, souvent dans de très mau-vaises conditions. Néanmoins, depuis quelques années certaines stratégies publiques et privées émergent face à ce problème.

Organisation coopérativeL’approche traditionnelle a été d’associer les produc-teurs afin qu’ils arrivent unis sur le marché. Dans le cadre des processus de réforme agraire amorcés lors des années 1960, un grand nombre de coopératives furent créées, mais les conditions économiques et politiques difficiles traversées par la région dans les années 1980 et 1990 empêchèrent leur consolidation, et ce mal-gré quelques exceptions telles la coopérative laitière CONAPROLE (Uruguay), la Fédération des Caféiers de Colombie ou les centaines de coopératives agricoles impulsées par le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) au Brésil. Si cette approche reste valable sous certaines conditions, et particulièrement dans les zones rurales les plus isolées, elle a de sérieuses limites : les petits producteurs ont peu de capital, s’organisent dif-ficilement, et la compétition sur des marchés ouverts et changeants est très risquée pour eux.

« Enchaînements productifs » le long de la filière Face à l’approche traditionnelle, où les producteurs s’organisent seuls (avec le soutien de l’État) pour obte-nir de nouvelles technologies et vendre leur produc-tion, une stratégie alternative consiste à articuler les agro-industries déjà bien insérées dans le marché avec des micro-entreprises fournisseuses [Sotomayor et alii, 2011], générant ainsi un volume d’affaires dont pourront

bénéficier tant les communautés à bas revenus que les agro-industries.

Les Programmes de fournisseurs (PDF) sont un modèle de ces « enchaînements productifs ». Créés au Mexique (1997) et au Chili (1998) afin de fournir de l’as-sistance technique à des petites et moyennes entreprises fournisseuses, ces programmes, qui opèrent dans tous les secteurs productifs, s’adaptent particulièrement bien à la réalité d’un secteur agricole très fragmenté, et aux exi-gences d’approvisionnement du secteur agro-industriel.

Au Chili, les PDF sont mis en œuvre par la Corpora-ción de Fomento 1 (CORFO), un organisme public qui accorde des subventions aux agro-industries pour finan-cer de tels accords. En plus de jouer un rôle actif dans le processus de transfert de technologie, les agro-industries constituent aussi un marché pour la matière première, ce qui permet d’améliorer la compétitivité des chaînes de production. Des relations contractuelles stables entre les entreprises « ancres » et leurs fournisseurs créent des liens de confiance qui facilitent les processus de spé-cialisation et de complémentarité productive, profi-tables à tous les maillons. Entre 2002 et 2007, CORFO a financé 150 PDF concernant 3 800 petits et moyens four-nisseurs. Au Mexique, les PDF ont intégré 1 600 micro-entreprises fournisseuses entre 2003 et 2008. L’expé-rience mexicaine est reprise au Salvador, au Honduras ou en Colombie, sous la coordination de ministères, d’ONG ou de Chambres de commerce et d’industrie.

Une autre variante de cette approche est l’expérience des « business inclusifs » (negocios inclusivos, NI) actuel-lement développés par le ministère agricole équatorien, dans le cadre de sa stratégie de souveraineté alimentaire. Cette approche recherche explicitement une relation gagnant-gagnant entre les agro-industries (« entreprises

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Accès des petits agriculteurs aux marchés en Amérique latine : nouvelles approches pour une plus grande intégration sociale

Octavio SOTOMAYOR, Javier MENESES, Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, Chili

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ancres ») et les petits producteurs, afin d’insérer les familles paysannes à bas revenus dans de nouvelles acti-vités productives. L’objectif est de dépasser la philanth-ropie et la Responsabilité sociale des entreprises, et de créer des activités économiques pouvant s’autofinan-cer, viables dans la durée. D’autres expériences se déve-loppent au Pérou, en Colombie et Amérique centrale [Van Haeringen et De Jongh, 2010].

Dans les PDF, la relation est définie en fonction des besoins de l’entreprise ancre (l’approvisionnement en matière première), alors que dans l’approche des busi-ness inclusifs, la relation est définie symétriquement avec les producteurs dans une optique gagnant-gagnant. Alors que dans les PDF la création de valeur est cen-trée sur le produit, dans les business inclusifs il y a une recherche de co-création économique, centrée sur l’iden-tification des opportunités qui se présentent dans la communauté [Simanis et Hart, 2009], jusqu’à la réali-sation de joint-ventures. Au niveau opérationnel, les PDF se concentrent sur l’assistance technique, puisqu’ils éta-blissent une relation individuelle bilatérale entre les ser-vices de conseil agricole et les producteurs, là où les busi-ness inclusifs encouragent plutôt une forme associative, en établissant une relation entre le groupe des produc-teurs et l’entreprise. Par ailleurs, les NI vont jusqu’à la signature de contrats pour l’achat de matière première de la part des industries, en plus du crédit et de l’assis-tance technique.

Après plus de 10 ans de fonctionnement, les PDF ont démontré leur capacité à favoriser les processus d’inno-vation technique et de développement des petites exploi-tations. Les NI, encore à l’état de promesse, ont un grand

potentiel car ciblant un type d’enchaînement plus inté-gral. Néanmoins, les variations de prix peuvent générer des tensions entre les entreprises ancres et les produc-teurs, révélant des relations de dépendance et de domi-nation entre les acteurs. La valeur de l’approche des busi-ness inclusifs réside dans le fait que les deux parties se définissent comme des partenaires stratégiques, formali-sant ainsi un engagement explicite des entreprises ancres auprès des petits producteurs. Même ainsi, des relations de confiance entre les acteurs et des régulations bien conçues sont nécessaires, soit via des contrats (annuels et pluriannuels), des systèmes transparents d’analyse de qualité ou des mécanismes de règlement des différends.

Circuits courtsL’encouragement des circuits courts est une autre straté-gie utilisée pour améliorer la commercialisation, initiée en grande partie par des ONG, réseaux d’agro-écologie, institutions scolaires et universitaires et par des organisa-tions paysannes, de consommateurs et d’indigènes.

Les circuits courts restent une tendance émergente, matérialisée principalement avec la création de foires agricoles et de marchés écologiques ou bio, comme à Loja en Équateur ou Jalisco au Mexique. Néanmoins, la politisation de la question de la souveraineté alimentaire à la suite des hausses des prix des aliments en 2008 et 2011 mobilise les gouvernements. Dans ce contexte, trois nouvelles tendances émergent :

– l’impulsion de projets d’agriculture urbaine et périurbaine, dont on peut trouver des exemples de réussite en Argentine, Bolivie, Colombie, Cuba, Haïti et Uruguay, entre autres. En Argentine, par exemple, le

Une nouvelle approche productive

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USApproche traditionnelle :

les producteurs s’organisent pour accéder au marchéNouvelle approche : les producteurs s’articulent autour d’une agro-industrie pour accéder au marché

Assistance techniqueCrédits

ASSOCIATION DE

PRODUCTEURS

ENTREPRISE AGRO-INDUSTRIELLEAssistance technique,

crédits, contrats

Producteurs Producteurs

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Source : schéma des auteurs.

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Programme PRO HUERTA, financé par le ministère du Développement social, depuis plusieurs années, a sou-tenu 624 000 potagers familiaux, scolaires et commu-nautaires, ainsi que 125 000 fermes périurbaines. À Cuba, l’agriculture urbaine a joué un rôle clé pour assurer l’ac-cès de la population à l’alimentation, avec 3 000 hectares de potagers d’autoconsommation et plus de 1 000 hec-tares de parcelles, ainsi que des potagers intensifs sous serres ou à faible niveau d’intrants. Ces systèmes ont créé 384 000 emplois en 2005 [Herrera, 2009] ;

– la création de programmes d’achat public auprès de l’agriculture familiale : le cas le plus emblématique est celui du Programme « Faim zéro » (acquisition d’ali-ments de l’agriculture familiale) au Brésil, qui a per-mis de mettre en relation l’offre de l’agriculture fami-liale avec la demande des écoles publiques. Entre 2003 et 2008, le gouvernement fédéral a dépensé 1,18 milliard de dollars pour l’acquisition de près de 2 millions de tonnes d’aliments, avec une participation de 118 900 petits agriculteurs en 2008 [Veiga Aranha, 2010]. Ce pro-gramme dépend directement de l’engagement politique du gouvernement brésilien. La deuxième génération de ce programme, appelée Brasil sem Miseria (« Bré-sil sans misère »), dont l’objectif est d’éradiquer la pau-vreté extrême en quatre ans, maintient les programmes d’achats publics d’aliments auprès de l’agriculture fami-liale, et cherche à impliquer les supermarchés et le sec-teur privé en général ;

– le développement des modèles fermés de pro-duction locale : certaines coopératives créées par le

MST brésilien ont constitué de petites centrales de pro-duction d’éthanol de canne et d’huile de tournesol, pour l’utilisation directe dans leurs machines agricoles, pour les déplacements proches, ainsi que pour la commercia-lisation dans des circuits courts comme source de reve-nus. Ce modèle permet de boucler le cycle des matières premières (le résidu est réutilisé comme aliment pour le bétail), de s’approvisionner en énergie de manière auto-nome, d’obtenir l’autonomie économique et une réduc-tion des coûts, ainsi que de produire un petit revenu avec la vente des excédents pour les véhicules locaux.

L’affirmation du pouvoir de commande de l’État est une modalité qui a rencontré un grand succès au Brésil, et qui commence à être examinée dans d’autres pays de la région. Il est très important de signaler que, malgré ces tendances et d’autres initiatives émergentes, la ques-tion des circuits courts n’a pas été l’objet de politiques publiques.

ConclusionLa diversité de ces expériences illustre la recherche de nouvelles relations entre les petits producteurs et les marchés, constituant le principal défi de l’agriculture familiale. Les consommateurs eux-mêmes sont encore très peu présents dans ce processus. Même s’il existe quelques expériences (foires locales, vente directe à la propriété, vente par Internet, labels de qualité, entre autres), la relation directe entre producteurs et consom-mateurs pourrait connaître à l’avenir un nouveau déve-loppement. n

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Chapitre 12L’instabilité des prix agricoles : des vérités qui arrangent

La volatilité des prix agricoles est revenue sur le devant de la scène à partir de 2008. Depuis, économistes et politiques débattent des causes de celle-ci, avec au rang des accusés les biocarburants et les spéculateurs. Mais plutôt que de s’attaquer aux racines du problème, l’action politique – G20 en tête – semble se contenter d’en traiter les effets.

La hausse des prix des matières premières entre 2006 et 2008 puis durant l’hiver 2010-2011 a occupé dans les médias et les débats politiques une place que ces produits, pris dans leur

ensemble, avaient été dans l’impossibilité de reconquérir après les flambées historiques des cours en 1974 et 1979, concomitantes aux deux chocs pétroliers. Si les mouvements des prix agricoles sur les marchés internationaux avaient été l’objet d’attention depuis lors, c’était surtout parce que ceux-ci, en apparence, baissaient inexorablement. Après la parenthèse eupho-rique des années 1970, le monde, et en particu-lier le monde en développement, redécouvrait au tournant du siècle les tourments de l’excès.

Les crises de 2006-2008 et 2010-2011 reçoivent dans ce contexte un écho particu-lier. L’indice des prix des matières premières mesurées par le FMI, étalonné à la valeur 100 en 2005, monte à 130 en juillet 2006, dépasse 157 en novembre 2007 ; en juillet 2008, en moins de trois ans donc, il a plus que doublé et s’établit à 219. Après un recul pendant la crise

financière, il reprend de la vigueur et se fixe à 210 en mars 2011. Il valait tout juste 60, en moyenne, depuis 1992, année de sa création, jusqu’à 2004. Comment les politiques n’ont-ils pas pu prévoir un tel phénomène, et être ainsi pris au dépourvu par ses conséquences sur le revenu disponible et par le marché, lui-même incapable d’anticiper la rareté ?

Dans un sursaut collectif, les pays du G20 se sont emparés de cette question et ont privilégié à l’identification des causes de l’instabilité, le traitement de ses effets (encadré p. 290). Cette approche, à laquelle les réalistes accorderont leur blanc-seing, est motivée par un premier impératif d’action visible « deliver » et par le constat que les causes sont incertaines et controversées, et donc difficiles à cibler – en plus du fait qu’une action collective en amont de la crise était à peu près impossible à négocier. En somme, de nouvelles crises sont devant nous, l’essentiel est de pouvoir en limiter l’intensité et les effets.

Les conclusions du G20 agricole ont été accueillies très favorablement, parfois même

Tancrède VOITURIEZ, Institut du développement durable et des relations internationales et Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, France

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par des dithyrambes ; seuls quelques grin-cheux ont souligné que l’essentiel n’y était pas, et qu’à différer le traitement des causes, on obtenait certes un accord, mais un accord sans réelle portée. Ces derniers insistaient en particulier sur le fait que la responsabilité de la libéralisation des échanges était écartée, le rôle des biocarburants pas même mentionné, et les engagements contre la spéculation financière vagues et inconsistants 1.

Nous mettons ici en balance ces deux points de vue, en examinant les causes mises en avant par certaines institutions ou groupes d’acteurs

1. Voir par exemple les réactions en ce sens de la Confédération paysanne, Coordination rurale et le MoDEF ; pour un compte rendu succinct, se reporter notamment au site de La France agricole : www.lafranceagricole.fr/actualite-agricole/g20-agricole-reactions-syndicales-contrastees-sur-l-accord-du-23-juin-44757.html

depuis 2006 et, en regard, l’état de la connais-sance scientifique à leur sujet.

Les prix agricoles sont instables, et alors ?Deux termes sont tour à tour employés pour désigner les mouvements de prix sur les marchés de matière première agricole : l’instabilité (des marchés) et la volatilité (des prix). Une même mesure est en général utilisée, issue de la finance, qui renseigne sur la dispersion des variations de prix autour de leur moyenne. Plus cette disper-sion est importante, plus les grandes variations (« grandes » relativement à la moyenne) sont donc fréquentes, et plus le marché est instable et ses prix volatils (encadré p. 291).

Qu’un marché soit instable, que son prix soit volatile, ne pose pas de problème économique

Les ministres de l’Agriculture du G20, réunis les 22 et 23 juin 2011 à Paris, ont adopté un plan d’ac-tion sur la volatilité des prix ali-mentaires et sur l’agriculture. Ce plan d’action a été approuvé par les chefs d’État et de gouver-nement des pays industrialisés et émergents membres du G20 lors du Sommet du groupe réuni à Cannes en novembre 2011, et joint à leur déclaration. Le plan se déploie selon cinq axes :

1. Hausse de la production ali-mentaire. Il est prévu la mise en œuvre « d’une large palette d’actions pour stimuler la crois-sance agricole », le renforce-ment de la recherche et de l’innovation, avec, comme pre-mière étape, une « Initiative internationale de recherche pour l’amélioration du blé » (IRIWI) afin de coordonner les efforts de recherche sur cette culture, une augmentation des investissements publics et privés.

2. Information et transparence des marchés. Le G20 a décidé le lancement, au sein de la FAO, du « Système d’information sur les marchés agricoles » (Agricul-tural Market Information Sys-tem, AMIS), visant à encourager les principaux acteurs des mar-chés agroalimentaires à parta-ger leurs données, à améliorer les systèmes d’information exis-tants, à promouvoir une meil-leure compréhension partagée de l’évolution des prix alimen-taires et à promouvoir le dia-logue politique et la coopération.

3. Coordination politique inter-nationale. Le plan d’action pré-conise la mise en œuvre d’un « Forum de réaction rapide », placé au sein de la FAO. Ce mécanisme de réaction rapide comportera des représentants de haut niveau du G20 ; il devra permettre de prendre des déci-sions dans les meilleurs délais possibles en cas de chute de pro-duction dans un des grands États

producteurs et permettra aux pays de se consulter et de réagir collectivement. Toute décision en cas de crise sera prise dans le cadre de ce mécanisme de réac-tion rapide.

4. Réduction des effets de la vola-tilité des prix pour les plus vul-nérables. Les ministres se disent d’accord sur les objectifs, les principes, les modalités et le calendrier d’une boîte à outils de gestion des risques agricoles et de sécurité alimentaire. Ils soutiennent l’élaboration d’une proposition de système ciblé de réserves alimentaires humani-taires d’urgence (pour compléter les réserves alimentaires régio-nales et nationales existantes).

5. Régulation financière. Les ministres des Finances et les gou-verneurs des Banques centrales du G20 sont « fortement encou-ragés » à prendre les décisions appropriées pour une « meilleure régulation et supervision des marchés financiers agricoles ».

Les réponses du G20 agricole au problème de l’instabilité des marchés

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en soi. Ces phénomènes ne deviennent problématiques que lorsqu’ils sont source d’incertitude et de risque pour les opérateurs économiques (producteur, investisseur, acheteur) – un risque tel qu’ils modifient leur comportement et l’éloignent de ce qui est leur intérêt propre et celui de la collectivité. Des prix instables peuvent ne créer aucun risque. Soit parce que les opérateurs ne perçoivent pas le risque en question, soit parce qu’il existe des moyens de se prémunir contre celui-ci – au moyen d’assurances, par exemple. L’état du monde en comparaison duquel les pertes et gains économiques liés à l’instabilité sont mesurés n’est donc pas un monde où les prix sont stables, mais un monde où tous les risques sont assurables. Libre ensuite aux opérateurs de s’assurer ou non.

Lorsque les fluctuations des prix repré-sentent un risque non assurable, le producteur produit moins (que ce qu’il aurait produit dans une situation où le risque est nul ou assurable), l’investisseur investit moins. Au final, le consommateur est le premier perdant. En effet, à demande inchangée, ce qui est le cas dans l’agriculture où celle-ci est supposée peu sensible au prix, une moindre production se traduit par des prix plus élevés. Le consommateur supporte donc le coût du risque perçu par le producteur : il paie plus cher ses produits (qu’il ne les aurait payés en situation sans risque ou avec un risque assuré). Le marché transfère une partie du bien-être du consommateur vers le producteur via des prix plus élevés en moyenne (par rapport à un univers sans risque). L’instabilité est donc une machine à redistribuer. Signalons qu’il

existe un autre perdant : le producteur pauvre. Celui-ci est, empiriquement, plus hostile au risque (« averse ») que le producteur riche. Le producteur riche voit dans l’instabilité une opportunité de profit, le producteur pauvre une menace de faillite. Le producteur pauvre se détournera donc davantage que le producteur riche des cultures risquées. Il se prémunira ainsi contre les effets néfastes de l’instabilité – en ce qui le concerne, une baisse des prix –, mais il ne pourra pas tirer profit des effets bénéfiques pour lui – des revenus records lorsque les prix flambent. À l’intérieur de la sphère de la production, l’instabilité est donc aussi une machine à redistribuer. À redis-tribuer vers les riches, en l’occurrence.

Moralité, le risque (non couvert) lié à l’instabilité crée deux types de problèmes. Il est source d’inefficacité (on paie plus cher les produits en moyenne que dans un monde sans risque) et d’iniquité (il survient au détri-ment des ménages pauvres). Mais il n’a rien d’universel. Des mécanismes d’assurance sont développés dans certaines régions (OCDE et certains émergents, pour faire court) et moins dans d’autres (pays les moins avancés, PMA). À l’inverse, les ménages pauvres ruraux se rencontrent en proportion élevée dans certains endroits (PMA) et moins dans d’autres (OCDE). Ce qui est vrai des ménages est vrai aussi à l’échelle des pays. Un pays agro-exportateur peut gagner à l’instabilité, un pays agro-importateur sera perdant – il supportera le coût du risque, importera de l’inflation et divertira des ressources et de l’épargne vers l’achat de produits alimentaires, au détriment d’autres produits d’importation. Il apparaît

La mesure de la volatilité des prix

La mesure la plus courante de la volatilité sur longue période ou volatilité « historique annualisée » s’obtient par le calcul de l’écart-type des variations de prix (généralement exprimés en logarithme) sur une période donnée, multiplié par la racine carrée de la fréquence des observations :

Volatilité = σ S√T avec σ avec

et rt = ln (Pt) – ln(Pt-1), n le nombre d’observations, � la moyenne des variations des logarithmes des prix (rt) et T la fréquence des observations (252 en cas de données quotidiennes, 12 pour des données mensuelles etc.).

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alors que l’instabilité des marchés est d’abord un problème économique qui affecte les pauvres. C’est peut-être là sa seule universalité.

Les marchés sont-ils plus instables à cause de la libéralisation des échanges ?La hausse des cours (qu’il faut distinguer d’une hausse de la volatilité qui n’est, elle, que très relative) entre 2006 et 2008 puis en 2011 survient dans un contexte de mondialisation et de libéralisation des marchés suggérant que les deux phénomènes pourraient être liés 2. L’idée n’est pas absurde. Elle trouve même des réponses théoriques bien antérieures aux événements en question. Le problème est que ces réponses sont incompatibles entre elles.

La première « théorie » insiste sur les effets bénéfiques de la libéralisation des échanges agricoles sur l’instabilité. En concevant l’insta-bilité comme le résultat de chocs externes sur l’offre ou la demande (chocs météorologiques, mais également chocs ou « externalités » politiques avec l’instauration de mesures uni-latérales comme des subventions ou taxations des exportations, par exemple), l’intégration progressive des économies agricoles domes-tiques dans un grand marché globalisé atténue l’instabilité des prix par effet de compensation des chocs météorologiques (une bonne récolte dans un endroit du monde compense une mauvaise récolte dans un autre endroit du monde) et d’atténuation des chocs ou « exter-nalités » politiques (interdiction progressive des subventions et des taxes, par exemple). La libéralisation adoucit les chocs, en somme.

Les prix qui en résultent ne sont pas stables pour autant ; en théorie, on s’attend à ce qu’ils soient moins instables, à qu’ils se rapprochent de distribution de lois de probabilité connues et deviennent assurables en vertu de la loi des grands nombres. Ils sont donc plus « stables » dans le sens étroit de « plus assurables ». De fait, les prix mondiaux sont en général plus « assurables » avec les techniques financières classiques que les prix nationaux.

2. Cet argument est particulièrement saillant dans les positions d’organisations telles que la Confédération paysanne ou La Via Campesina.

Une théorie concurrente stipule que l’effet bénéfique de compensation des chocs en moyenne qu’apporte la mondialisation est contredit par les conséquences négatives du démantèlement des politiques publiques de stabilisation des prix intérieurs, corollaire de celle-ci. La disparition des politiques de prix garanti, élaborées dans les pays de l’OCDE après la Seconde Guerre mondiale (ou un peu avant dans le cas des États-Unis), accroît l’in-certitude et le risque pour le producteur, livré aux fluctuations des prix du marché. Faute de disposer de mécanisme d’assurance (ou de ne vouloir les utiliser au motif qu’elles sont payantes alors que les politiques publiques ne lui coûtaient rien), celui-ci se trompe dans ses décisions de production, produit trop ou ne produit pas assez, de sorte que les prix ne restent jamais à l’équilibre, s’ajustant sans cesse au gré de ses errements. L’instabilité est endogène. Elle crée le risque, qui crée l’erreur, laquelle crée l’instabilité.

Les deux théories sont valables. Aucun test empirique ne permet de les départager. Ce que l’observation empirique suggère en revanche, c’est que sur le temps long, rétrospectivement, les prix internationaux de la plupart des matières premières agricoles n’ont jamais été aussi instables que dans les années 1970, âge d’or des politiques agricoles. Ils n’ont, toujours pour la plupart d’entre eux, jamais été aussi stables que dans les années 1990, grande période de libéralisation interne et commerciale. Sur le temps très long, les résul-tats sont identiques. Les périodes de hausse de l’instabilité sont associées depuis 1700 à des périodes de restrictions des échanges interna-tionaux [Jacks et alii, 2010].

Ne peut-on pas trouver tout de même de responsabilités politiques à l’instabilité contemporaine – indépendamment de sa valeur historique relative ? Rappelons que les pays membres de l’OMC sont tombés d’accord en 1994 pour renoncer aux politiques de stabi-lisation des prix domestiques. L’idée était de ne plus stabiliser les marchés intérieurs mais les revenus. L’intervention publique devait progressivement abandonner la fixation de prix – le plancher – et privilégier l’aide directe

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au revenu – le chèque. Au producteur ensuite de se débrouiller dans ses choix d’épargne, d’investissement, comme n’importe quel entrepreneur (en réalité pas exactement n’importe quel entrepreneur car les PME ne reçoivent pas l’équivalent de 20 000 euros de subvention par actif en équivalent temps plein, ce qui est le cas en moyenne des agricul-teurs de l’OCDE). Deux conséquences étaient attendues de la libéralisation : que les prix domestiques soient plus instables (en raison de la suppression des politiques de stabilisa-tion domestique). Et que les prix mondiaux soient plus stables dans le sens défini plus haut, c’est-à-dire plus assurables. Était atten-due en somme une sorte de mise à niveau, de péréquation de l’instabilité, celle-ci pouvant être couverte par des instruments financiers (contrats à terme, options).

Le « paquet » des politiques agricoles de l’OMC est donc un ensemble constitué de libé-ralisation commerciale, de chèque au produc-teur pour faciliter la transition et de recours aux instruments financiers de couverture du risque. Ce paquet est inaccessible aux PED mais l’accord agricole de l’OMC n’a été rédigé ni par eux ni pour eux.

La gestion de l’instabilité par l’effet natu-rel de l’élargissement des marchés et du démantèlement des politiques publiques de stabilisation des prix est, de fait, discriminante « contre » les ménages et les pays pauvres qui n’ont accès ni aux aides directes ni aux instruments financiers de gestion de risque. Ils n’ont accès qu’aux marchés extérieurs, accès qui n’a pas la vertu de stabiliser leurs revenus contrairement aux deux autres éléments du « paquet ». On a dit que l’instabilité posait un problème fondamental d’inégalité ; son traite-ment contemporain également, si l’on se réfère au « paquet » de mesures institutionnalisées par l’accord agricole de l’OMC. Sans que les marchés agricoles soient plus instables à cause de la libéralisation, les ménages pauvres, eux, sont plus systématiquement exposés.

Les biocarburants sont-ils coupables ?La nouveauté du lien entre marchés de produits agricoles et marchés de l’énergie est

difficilement contestable. La hausse du besoin mondial d’importation de maïs a été concomi-tante à celle de la hausse de la demande inté-rieure de maïs aux États-Unis pour la produc-tion d’éthanol, qui se situe aujourd’hui à environ 29 % de la consommation de maïs de ce pays. Comme le souligne Collins [2008], l’expansion de la consommation de maïs pour la production d’éthanol s’est véritable-ment accélérée à partir de 2004-2005, avec la promulgation aux États-Unis de l’Energy Policy Act, en période de hausse marquée des cours du baril, avec l’objectif explicite d’accroître la part des biocarburants dans le « mix » énergé-tique du pays. Marchés agricoles et marchés de l’énergie sont donc liés par l’anticipation d’un prix élevé du baril et la nécessité de sécu-riser l’approvisionnement énergétique des États-Unis.

On retrouve pareille préoccupation en Europe dans le « paquet climat-énergie » adopté par le Parlement européen le 17 décembre 2008, lequel stipule que chaque État membre de l’Union doit atteindre l’objectif de 10 % de biocarburants dans la consommation d’énergie finale par les transports à l’horizon 2020. Cet objectif implique que 60 % des huiles végé-tales consommées en Europe le seront pour la production de biocarburant à cette date [Commission européenne, 2007]. Les données rétrospectives et de prospectives rassemblées par Goldman Sachs [Currie, 2007] montrent qu’il y a eu un « choc » de la demande énergé-tique adressée aux produits agricoles à compter de 2004, et l’anticipation légitime que la hausse de l’offre de biocarburants devrait persister.

Si l’on considère l’ensemble des céréales, des estimations du Département américain de l’agriculture (USDA) montrent que la demande de maïs américain pour la production d’éthanol entre pour dans la croissance de la demande mondiale de ces produits (contre ¼ pour la consommation animale et environ 45 % pour la demande alimentaire). Certains ont vu dans ce chiffre des raisons de relativiser la respon-sabilité de l’éthanol de maïs américain dans la hausse des cours mondiaux du blé et d’autres céréales – et in fine dans la hausse des cours agricoles considérés dans leur ensemble.

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Il est vrai que les données agrégées semblent dédouaner les biocarburants. D’après les estimations d’Agrimonde, projet de pros-pective mené par le Cirad et l’Inra, sur le total des calories végétales produites dans le monde, moins de 5 % sont destinées aux usages non alimentaires, dont font partie les agrocarburants. Selon l’Agence internationale de l’énergie, en 2005, 1 % des terres cultivées servaient à produire des agrocarburants rem-plaçant 1 % de notre consommation mondiale de carburants fossiles. Pour autant, la hausse annoncée de l’utilisation des céréales pour des agrocarburants accroît l’intérêt du marché des produits agricoles pour les spéculateurs financiers, de sorte que, selon Bricas et Bru [2008], « c’est plus l’anticipation de cette hausse de la demande qu’une hausse réelle qui contribue à expliquer la flambée des prix ». Par ailleurs, l’utilisation de données agrégées au niveau mondial minore immanquablement la part qu’occupe statistiquement la consom-mation énergétique de maïs nord-américain dans l’ensemble des céréales produites et consommées. « Ce ne sont pas les volumes actuels de produits agricoles destinés aux agrocarburants qui expliquent la hausse des prix, sauf localement chez les fournisseurs de maïs des États-Unis, principaux producteurs de ces carburants », selon les mêmes auteurs. Que le prix du maïs américain « flambe » en raison d’un accroissement de la demande énergétique peut suffire à faire s’aligner le prix du maïs dans divers lieux d’exportation ou d’importation dans le monde, le prix du maïs

américain restant le prix de référence dans les échanges internationaux. Si l’on accepte l’idée que les prix s’établissent à la valeur marginale des quantités échangées, le prix du maïs peut être dirigé par le prix de l’éthanol (américain) quand bien même celui-ci n’entre que pour une faible part dans les consommations moyennes ou agrégées à l’échelle du monde.

Si la hausse du prix du maïs américain, puis des céréales, s’explique par l’accroissement rapide de la demande intérieure de maïs pour la production de biocarburants, les discordances entre analyses concernent l’effet de contamination de la hausse des prix améri-cains à l’ensemble du monde et à d’autres pro-duits. Retenons ici, même si les chiffres sont contestables (en particulier en l’absence de contrefactuel solide), les ordres de grandeur des simulations quantitatives conduites pour situer la contribution de la hausse de l’offre de biocarburants de maïs américain dans l’accroissement des prix mondiaux agricoles durant l’épisode 2006-2007 (repère 1).

Retenons aussi que la tension provoquée par la raréfaction réelle et anticipée du maïs alimentaire sur le marché nord-américain a eu des effets directs sur les cours du soja et du blé, par substitution dans les assolements, laquelle a contribué à la hausse et à l’amplitude exceptionnelle des cours – même si la mesure exacte de cette contribution est impossible, tout comme sa mesure relative, en l’état des modèles mondiaux disponibles. Les politiques de biocarburants semblent être le dernier instrument de la souveraineté nationale en matière agricole. Leurs effets dépassant les frontières dans le cas des « grands pays », elles deviennent des objets de coordination multila-térale et avaient donc tout lieu d’être inscrites à l’agenda du G20 agricole.

La spéculation est-elle irresponsable ? Dans la version finale de sa communication sur les produits de base et les matières premières du 2 février 2011, la Commission européenne reconnaît l’existence d’une « corrélation forte entre les positions prises sur les marchés dérivés et les prix des matières premières elles-mêmes ». Cette affirmation remplace celle

La production de biocarburant de maïs américain a un impact sur les cours des céréales

Auteur Hausse expliquée Produits

Lipsky (2008) 70%40%

MaïsSoja

Collins (2008) 60 % Maïs

Rosegrant et alii (2008)

47 %26 %25 %

MaïsBléRiz

Selon des estimations convergentes, les politiques de biocarburant américain sont responsables d'au moins la moitié de la hausse des cours du maïs survenus entre 2006 et 2008. Les effets de ces politiques sont plus indirects et modérés sur des céréales complémentaires ou de substitution comme le soja, le blé et le riz.

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contenue dans une version précédente selon laquelle « il n’y a pas de preuve concluante d’une causalité entre la spéculation et les marchés dérivés [d’une part], et l’augmentation de la volatilité sur les marchés physiques [d’autre part] ». Pour concilier les exigences de régu-lation de la spéculation formulées par Nicolas Sarkozy, et les réticences d’Angela Merkel, la Commission a trouvé dans les « corrélations fortes » un compromis habile et prudent, qui démontre à quel point le rôle joué par la spécu-lation dans l’instabilité des prix des produits de base reste sensible, politiquement, et scienti-fiquement controversé. N’y a-t-il donc aucune preuve empirique de la responsabilité, ou de la neutralité, de la spéculation dans la flambée des cours des matières premières ? Nous resti-tuons ici les éléments les plus saillants que la science économique a pu produire sur le sujet depuis la flambée des prix de 2006-2008.

Ressortent de cette revue trois constats. Le premier est que la science économique ne fournit pas de modèle explicatif complet et cohérent de l’évolution observée des prix sur un marché, qu’il soit « spot » ou « à terme ». Le deuxième est que, pour combler cette lacune, les éléments empiriques à charge ou à décharge de la spéculation sont épars et sou-vent contradictoires. Enfin, et avec les précau-tions imposées par les deux précédents points, l’idée provisoire et fragile d’une responsabilité limitée des marchés de produits dérivés dans la hausse de l’instabilité semble l’emporter.

Qu’avons-nous appris de la crise de 2006-2008 ?La spéculation n’est qu’un facteur parmi la petite dizaine d’autres retenus par les cher-cheurs et les institutions internationales pour expliquer l’accroissement des prix et de la vola-tilité des marchés des produits de base après 2006. Elle est la plus médiatique aujourd’hui. L’importance prise par le sujet s’explique d’abord par les hésitations de la science écono-mique elle-même, incapable de mesurer conve-nablement, toutes choses égales par ailleurs, la contribution d’une variable isolément des autres, de sorte que l’on ne sait pas encore aujourd’hui quelle hiérarchie des causes a conduit au triplement des prix pour certains

produits 3. En second lieu, la dénonciation géné-rale dont la « spéculation » a été l’objet après l’éclatement de la bulle financière aux États-Unis, a par association désignée aussi bien la spéculation sur les subprimes que celle très ordinaire sur le prix à terme du blé ou du soja. Elle s’explique enfin par le retentissement qu’a connu le témoignage d’un gestionnaire de fonds d’investissement en juillet 2008. The Accidental Hunt Brothers – How Institutional Investors Are Driving Up Food and Energy Prices de Michael Masters et Adam White porte une charge impla-cable contre les investisseurs institutionnels spéculant à la hausse (c’est-à-dire systématique-ment long) sur les indices de matières premières comme le Goldman Sachs Commodity Index ou le Dow Jones-AIG Commodity Index.

Au cœur de l’argument de Masters et White figure le fait que la part des positions prises sur les marchés à terme par spéculateurs sur indice a connu un essor sans précédent entre 2005 et 2008 durant le « pic » des prix. En 1998, les physical hedgers ou « commerciaux » détenaient 77 % des positions d’achat prises sur les marchés à terme de matières premières, les spéculateurs traditionnels (« non commer-ciaux ») 16 % et les spéculateurs sur indice 7 %. En 2008, les proportions se sont renversées. Les opérateurs physiques détiennent 31 % des positions d’achat, les spéculateurs tradition-nels 28 % et les spéculateurs sur indice 41 %. Cette proportion peut approcher 70 % sur certains produits en particulier sur le blé et les produits d’élevage (repère 2).

Ce sont 2,7 millions de contrats à terme de matières premières qui ont été achetés par les spéculateurs sur indice entre 2003 et 2008, contre 1,4 million pour les spéculateurs tradi-tionnels et moins de 900 000 pour les hedgers. Il y a eu bulle, assènent Masters et White.

Corrélation n’est pas causalitéTout n’est pas si simple, cependant. Et pour reprendre le langage prudent de la Commission,

3. Une tentative d’intégrer dans un même modèle toutes les causes candidates à la hausse des cours est à porter au crédit de Gohin et Dronne [2008], dont le modèle toutefois ne parvient pas à expliquer, comme le signalent les auteurs eux-mêmes, près de la moitié des mouvements de prix observés.

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ce que nous enseignent Masters et White relève de la corrélation, et non d’une quelconque causalité. Des travaux du ministère de l’Agricul-ture français soulignent en particulier que l’ar-rivée des spéculateurs sur indice est antérieure de près de deux années à l’essor des cours, le nombre de positions ouvertes (contrats d’achat non dénoués) n’ayant pas varié, de surcroît, pendant la période de hausse [Courleux, 2008]. Des travaux économétriques sur les marchés à terme du Chicago Board of Trade suggèrent une causalité entre spéculation sur indice et hausse des prix dans le cas du soja – mais dans le cas du soja seulement – concluant ainsi qu’au total, les preuves d’une responsabi-lité de la spéculation sur indice dans les varia-tions de prix des matières premières entre 2006 et 2008 restent limitées [Gilbert, 2008a et b].

Une faiblesse objective de ces travaux est d’associer la « spéculation » à un intervenant

particulier de marché – le non commercial, par opposition au physical hedgers supposé lui acheter ou vendre à terme sans « spéculer ». L’achat ou la vente à terme, que ces opérations s’accompagnent ou non d’une transaction sur le marché physique, sont en soi « spéculatives », reflétant un pari ou une croyance sur l’évolu-tion future des cours. Ainsi, des intervenants systématiquement long ont rencontré des inter-venants systématiquement short, le fait que ces derniers soient des hedgers ou commerciaux ne les exonérant pas de l’intention de spéculer [Irwin et Merrin, 2009]. Tout juste peut-on déduire qu’une position systématique d’achat, telle qu’elle fut prise par les investisseurs sur indice entre 2005 et 2008, rend la demande de contrats insensible au prix – dans le jargon des économistes, on dit que la demande devient rigide. Et l’on sait qu’une demande rigide a cette faculté particulière de faire sur-réagir le marché, l’ajustement ne s’y faisant plus par les quantités (les quantités demandées ne varient pas, quels que soient les prix) mais par les prix.

Un dernier élément plus intuitif peut aider à cerner le rôle de la spéculation. Dans l’épisode actuel de hausse de prix des produits de base, nombre de facteurs causaux, ou supposés tels, que l’on rencontrait en 2006-2008 sont absents ou très sérieusement atténués : pas de ten-sions particulières sur le pétrole, toujours pas d’augmentation drastique des demandes des pays émergents ou destiné aux biocarburants, pas de craintes particulières d’explosion d’une bulle spéculative sur les marchés des actifs [Courleux et Lecoq, 2011]. S’il ne reste qu’un facteur, c’est forcément la « spéculation ». Peut-être est-ce le cas. Plutôt qu’à une intuition, on aurait cependant aimé se fier à des éléments de preuve plus consistants. Avant la prochaine crise, l’urgent pour une science économique prise au dépourvu est de se rendre utile dans un débat qui lui échappe complètement.

ConclusionNe sait-on vraiment rien sur les causes de l’ins-tabilité, qui justifient que l’on se concentre sur ses seuls effets ? Il existe un enjeu écono-mique à traiter les causes – selon l’argument de l’efficacité, tout « problème » doit être traité à

Le poids croissant du spéculateur sur indice

Selon les produits, entre 1/3 et 2/3 des achats à terme ont été effectués par des spéculateurs sur indice en 2008, contre moins de 10 % en moyenne dix ans auparavant. Une intervention croissante qui ne peut que renforcer la hausse des prix agricoles.

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sa racine. Il existe un enjeu moral de justice à traiter des effets puisque les plus pauvres sont les plus exposés. Le choix que semblent privi-légier les ministres de l’Agriculture du G20 est donc celui d’une coordination pour des raisons morales de justice, davantage que d’efficacité. Notre revue de littérature montre qu’il existe un parti pris réaliste derrière un tel choix. En effet, aucune étude n’isole un facteur responsable des bouffées d’instabilité que connaissent les marchés agricoles isolément d’un autre.

Pour autant, rien n’autorise à écarter les poli-tiques « perturbatrices » que sont les politiques de soutien aux biocarburants, en particulier nord-américaines, de même que les politiques de dérégulation des marchés financiers agri-coles depuis les années 1990, d’autant plus que la logique de la gouvernance actuelle des échanges agricoles (les règles de l’OMC) repose sur l’élimination des perturbations, créées sur les marchés extérieurs, par les politiques publiques quelles qu’elles soient. Le résultat provisoire du G20 agricole est incohérent de ce point de vue.

Dans le cas des biocarburants comme dans celui des marchés à terme agricole, des positions

d’achat systématiques ont créé les conditions d’une instabilité des prix : les erreurs d’antici-pation ont été amplifiées par une demande qui s’est en quelque sorte rigidifiée. La mondiali-sation des échanges et la financiarisation des marchés auraient dû rendre cette demande plus élastique au prix qu’elle ne l’était jusque-là – les opérateurs bénéficiant d’opportunités accrues d’arbitrage, achetant ou vendant au gré des variations de celui-ci. Or, les spéculateurs sur indice ont été systématiquement acheteurs. Les producteurs d’éthanol également, en raison des subventions versées au secteur. La rigidité de la demande a amplifié les quelques déséqui-libres de production, qui rétrospectivement, n’avaient rien d’exceptionnel et ne justifiaient pas de tels mouvements de prix. Mettre à l’agenda agricole ces deux questions aurait été cohérent avec l’impératif que s’est donné le G20 de traiter l’instabilité des prix interna-tionaux comme un mal public global ; elle a finalement été traitée comme un problème de développement, connu et ancien, renonçant à reconnaître ce qu’elle pouvait receler comme nouveauté. n

Bricas N. et Bru E., 2008, La hausse des prix alimentaires au Sud : causes, conséquences, propositions. Disponible sur : www.cirad.fr/fr/actualite/communique.php?id=919

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R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

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US Peut-on réguler les marchés

agricoles ?Michel PETIT, Institut agronomique méditerranéen de Montpellier, France

Les débats actuels sur les marchés internationaux des produits agricoles sont révélateurs des grandes questions sur la situation de l’agriculture dans le

monde. L’actualité médiatique met en effet souvent l’accent sur la volatilité des prix ; mais à long terme, les principales interrogations sont différentes : comment assurer une production mondiale suffisante pour satis-faire les besoins de 9 milliards d’habitants environ en 2050 sans détruire les ressources naturelles (sols, eaux et biodiversité) sur lesquelles elle repose ? Dans quelles conditions pourra-t-on accéder à ces ressources ? Quelles en seront les conséquences sociales et politiques ? Qui seront les pourvoyeurs d’approvisionnement : les mar-chés intérieurs ou internationaux ? Quel sera l’avenir des centaines de millions de petits agriculteurs des pays pauvres ?

Les marchés agricoles, intérieurs et internationaux, et surtout la façon dont ils seront régulés, joueront sans nul doute un rôle crucial pour déterminer les réponses à ces questions. Or, dans ce domaine du commerce internatio-nal, on assiste à une régression paradoxale de la régula-tion puisque le consensus en faveur de la libéralisation progressive des échanges, incarné par le GATT et par des Rounds successifs jusqu’à l’accord de Marrakech en 1994, est maintenant fortement érodé. C’est pourtant sur la base de ce consensus qu’une régulation multilatérale des politiques publiques nationales affectant les mar-chés agricoles est née après 1994. L’échec ou la paralysie du cycle de Doha marque-t-il la fin de cette régulation ? D’autres régulations sont-elles envisageables ?

Paradoxes : croissance des échanges internationaux et paralysie à l’OMCLes négociations commerciales multilatérales lancées à Doha en 2001 semblent avoir définitivement échoué. La priorité donnée à la recherche d’un accord minimal à

trouver avant la fin 2011 n’a pas suffi à générer une mobili-sation suffisante et à obtenir le résultat espéré. Le blocage des négociations dans le domaine agricole a joué un rôle central dans la paralysie générale du cycle de négocia-tions. Pourtant, depuis plusieurs années, les principales composantes d’un accord dans ce secteur, qui marquerait un progrès sensible dans le sens d’une libéralisation des échanges, ou plus précisément d’un accroissement des disciplines limitant les distorsions de marchés résultant de politiques unilatérales, paraissent être « sur la table des négociations » de l’OMC : élimination des subventions aux exportations, réduction sensible des tarifs et autres obstacles à l’accès aux marchés intérieurs les plus attrac-tifs pour les exportateurs mondiaux, réduction impor-tante des soutiens internes à l’agriculture des pays riches. L’impossibilité de conclure illustre un premier paradoxe : aucun accord n’a pu être trouvé sur ce secteur alors que tous se sont entendus sur ses grandes lignes.

Deuxième paradoxe, les échanges commerciaux de produits agricoles et alimentaires continuent d’augmen-ter malgré la paralysie des négociations. De là à penser que ce qui est négocié à l’OMC est secondaire par rap-port aux principaux déterminants des échanges com-merciaux, il n’y a qu’un pas à franchir. D’autant plus que de nombreux acteurs, tels les grandes firmes multinatio-nales agroalimentaires, ne se sont pas beaucoup mobili-sés au cours des dernières années pour faire pression sur les négociateurs à l’OMC pour la conclusion d’un accord.

L’effritement d’un certain consensus libéralLa paralysie des négociations à l’OMC reflète l’effri-tement du consensus international d’origine occi-dentale en faveur de la libéralisation progressive des échanges. Ce consensus avait été à l’origine de la créa-tion du GATT en 1947, de celle de l’OMC en 1994 et du progrès continu de la libéralisation au cours des cycles

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successifs du GATT jusqu’en 1994. Les négociations à l’OMC à la fin des années 1990 et le lancement du cycle de Doha en 2001, malgré l’échec de la réunion ministé-rielle de Seattle en 1999, participaient du même élan. Celui-ci résultait d’un véritable repentir intellectuel à la fin de la Seconde Guerre mondiale de la part des res-ponsables des politiques économiques de l’entre-deux-guerres. Les erreurs des politiques économiques des pays occidentaux, ne prenant pas assez en compte des effets des décisions nationales unilatérales sur les autres pays, auraient retardé la sortie de la grande crise économique des années 1930 et ainsi favorisé, involontairement mais réellement, les régimes nazi et fascistes. Tel était le cas, par exemple, de la course au protectionnisme lancée par l’adoption de l’exorbitant tarif douanier, Taft Hartley, en 1930 aux États-Unis.

Plusieurs erreurs très communes dans l’interprétation du consensus en faveur de la libéralisation des échanges doivent être évitées. À aucun moment, il ne s’est agi de l’instauration du libre-échange intégral, contrairement à ce que disent souvent, de concert, les libéraux et les

altermondialistes. Aujourd’hui, plus de soixante ans après la création du GATT, la libéralisation des échanges est loin d’être complète et une telle libéralisation complète n’est même pas envisagée. C’est ainsi notamment qu’au-cune concession significative en matière d’accès aux mar-chés agricoles des pays les plus pauvres n’est à l’ordre du jour du Doha Round. Par ailleurs, ces procédures reflètent un grand pragmatisme, basé sur une conscience claire des obstacles politiques à toute libéralisation. Il est bien connu et reconnu que toute libéralisation des échanges implique des perdants, comme les producteurs de tel pro-duit protégé, souvent peu nombreux mais bien identi-fiés, conscients des risques qu’ils courent et donc faciles à mobiliser au plan politique ; et des gagnants, comme les consommateurs de ce produit, souvent nombreux mais peu mobilisables. D’où les longs délais d’ajustement habi-tuels et le caractère multisectoriel et multilatéral des négo-ciations, caractère qui tend à multiplier les coalitions pos-sibles et à éviter les polarisations trop abruptes des débats.

Toutes ces astuces de procédure ont bien marché pendant soixante ans et conduit à une libéralisation

La régulation mondiale du commerce achoppe sur l’agricultureR

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octobre 1947

avril-août1949

sept. 1950avril 1951

janvier - mai 1956

1er CYCLEGENÈVE23 pays

2e CYCLEANNECY33 pays

3e CYCLETORQUAY34 pays

4e CYCLEGENÈVE22 pays

5e CYCLEDILLON ROUND 35 pays

6e CYCLEKENNEDY ROUND48 pays

7e CYCLETOKYO (OU NIXON) ROUND99 pays

8e CYCLEURUGUAY ROUND125 pays

sept. 1960 juillet 1962

mai 1964 juin 1967

sept. 1973 avril 1979

sept.1986 avril 1994

janvier2002…

9e CYCLEDOHA ROUND151 pays

GATT OMCEntrée en vigueur le 1er janvier 1995

1999 Conférence de Seattle. La tentative de lancer un nouveau Round échoue, les gouvernements soumis à des pressions contradictoires de la société civile n’arrivent pas à se mettre d’accord.

2001 Lancement du 9e Round à Doha (Qatar) sous le nom de « Round pour le développement », reflétant le nombre accru de pays en développement parmi les membres de l’OMC.

2003 Conférence ministérielle de Cancun (Mexique). Un conflit portant principalement sur l’agriculture oppose les pays en développement, à la fois pays émergents et pays les moins avancés, aux pays riches soutenant leurs

agricultures. Résultat paradoxal : les États-Unis et l’Union européenne, dont l’opposition en matière agricole avait dominé les débats et négociations depuis des décennies, se retrouvent ensemble sur la défensive.

2004 Accord à Genève entre délégations des pays membres, sans les ministres, sur la façon de poursuivre les négociations.

2005 Conférence ministérielle de Hong Kong, qui avait été prévue pour conclure le Round : pas d’accord malgré l’engagement de l’Union européenne d’éliminer à terme les subventions aux exportations agricoles dans l’hypothèse d’un accord global.

2008 Conférence ministérielle de Genève : échec. Ostensiblement, à cause d’un conflit entre l’Inde et les États-Unis sur une clause permettant aux pays en développement de freiner les importations agricoles lorsque celles-ci augmentent brutalement. Plus profondément, le blocage résulte du fait qu’aucun gouvernement n’est prêt à faire de concessions significatives pour satisfaire les demandes de tel ou tel autre gouvernement sur l’agriculture ou sur les autres domaines en négociation.Depuis 2008, aucun progrès sur le fond.

Source : compilation de l’auteur.

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significative des échanges, ou plutôt à des disciplines limitant les marges de manœuvre des gouvernements pour éviter les décisions unilatérales causant les plus grandes distorsions de concurrence sur les marchés inter-nationaux. Toutefois, le secteur agricole n’a que tardive-ment été impliqué dans ce mouvement général : il a fallu l’adoption d’une profonde réforme de la politique agri-cole européenne en 1992 (dite « réforme MacSharry ») pour permettre la conclusion de l’Uruguay Round au GATT par les accords de Marrakech, incluant pour la pre-mière fois des engagements substantiels sur l’agriculture.

Mais, depuis cette date, le consensus s’est beaucoup effrité. Dans le domaine agricole, le mouvement alter-mondialiste, rassemblé autour de La Via Campesina, a fait de la lutte contre la libéralisation des échanges une des pièces maîtresses de ses revendications. Par ailleurs, et probablement plus significativement, rares sont les gouvernements négociant à l’OMC qui semblent prêts à faire des concessions substantielles afin d’atteindre un accord général. Les États-Unis, par exemple, sont paralysés par le conflit entre les secteurs exportateurs (céréales, soja) soucieux de conquérir de nouveaux mar-chés, et les secteurs protégés (coton, sucre, lait, etc.) refusant tout abandon des avantages acquis (subven-tions, aides). Quant aux pays émergents et aux pays les plus pauvres, ils sont unis par la conviction commune que les accords de Marrakech sont très inéquitables, car ils permettent aux pays riches de soutenir massivement leurs agricultures et de pérenniser ainsi de grandes dis-torsions de concurrence. Au total, pour aucun de ces pays la libéralisation multilatérale des échanges agri-coles semble être une priorité.

Quelles régulations de l’agriculture mondiale possibles au cours des prochaines décennies ?Tout d’abord, il faut bien souligner que la paralysie des négociations du Doha  Round ne signifie pas la fin de l’OMC. Les règles et procédures existantes continuent de s’imposer. Tel est le cas évidemment des accords de Mar-rakech. Tel est le cas aussi des procédures contentieuses, administrées par l’Organe de règlement des différends (ORD). Certes, la mise en œuvre des jugements est loin

d’être complète : un jugement défavorable au coton amé-ricain dans le cadre d’un différend avec le Brésil en 2005 n’est ainsi toujours pas appliqué. Mais dans d’autres cas les pressions exercées dans le cadre de l’OMC ont eu des impacts significatifs, comme lorsque l’Union européenne a profondément réformé sa politique sucrière suite à son différend avec le Brésil. Par ailleurs, même si le cycle de Doha échoue, d’autres négociations auront probablement lieu au sein de l’OMC, d’une part pour adapter les règles du commerce à un éventuel accord multilatéral de lutte contre le changement climatique, d’autre part pour har-moniser les résultats des multiples négociations bilaté-rales et régionales d’accords préférentiels. Ceux-ci ont proliféré au cours des années récentes, l’OCDE en dénom-brant 297 en vigueur ou en cours de négociation !

En outre, les récents débats et décisions du G20 agri-cole peuvent être interprétés comme des tentatives de régulations intergouvernementales nouvelles au-delà des négociations à l’OMC, mais avec des domaines de recouvrement importants, comme les éventuelles disci-plines sur les restrictions aux exportations. Il est encore trop tôt pour évaluer l’impact d’un accord de principe visant notamment à organiser une plus grande transpa-rence des marchés en mettant en commun les informa-tions sur les stocks (beaucoup dépendra des modalités d’application). Mais, au total, il s’agit bien de tentatives pour surmonter la paralysie des négociations à l’OMC et pour en dépasser le cadre strict.

Finalement, toute réflexion sur l’avenir des modes de régulations internationales des marchés agricoles doit prendre en compte l’émergence récente de mécanismes incluant une diversité d’acteurs de la société civile, du secteur privé et du secteur public, s’engageant sur des objectifs communs, notamment en termes de protec-tion de l’environnement, comme dans le cas de la « table ronde sur le palmier à huile ». Il s’agit bien de formes nouvelles de régulations puisque les firmes privées s’en-gagent à respecter des codes de conduite vertueuse, limi-tant leurs marges de manœuvre dans la recherche du profit, au nom de l’intérêt général porté par des organi-sations de la société civile, même si cette façon d’incarner l’intérêt général a des limites bien connues. n

R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

G20 France, 22 et 23 juin 2011, Déclaration ministérielle « Plan d’action sur la volatilité des prix alimentaires et sur l’agricul-ture », Paris, Réunion des ministres de l’Agriculture du G20.

Petit M., juillet-août 2005, « Les négociations agricoles à l’OMC : où en sont-elles ? Où vont-elles ? », Cahiers agricultures, 14, 4, p. 399-403.

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Chapitre 13Vers une agriculture durable ? Normes volontaires et privatisation de la régulation

« Agriculture biologique », « commerce équitable », produits « responsables »… les normes privées se sont multipliées pour encourager les producteurs agricoles dans une démarche volontaire de qualité. Combinées aux normes des distributeurs, ces démarches volontaires s’imposent comme points de passage obligés pour accéder au marché, et font office de référence pour les pouvoirs publics.

Ève FOUILLEUX, Centre national de la recherche scientifique et Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, France

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Dans un contexte global de libéralisa-tion généralisée et d’importance poli-tique accrue accordée aux enjeux dits de développement durable, l’agri-culture n’échappe pas à un phéno-

mène transversal de privatisation des normes. Répondant à une industrialisation croissante des modes de production agricole, à la multi-plication des pollutions massives d’origine agricoles et à une prise de conscience des conditions de travail des paysans et travail-leurs agricoles du « Sud », le thème du déve-loppement durable est de plus en plus visible. Parallèlement à la mise en place de politiques publiques et autres accords internationaux, des normes privées se sont multipliées dans l’ob-jectif affiché d’encourager les producteurs agri-coles à minimiser les impacts négatifs de leurs activités sur l’environnement et la société.

Correspondant à des objectifs et/ou sous- objectifs variables dans le champ du dévelop-

pement durable (agriculture biologique, com-merce équitable, enjeux sanitaires, production responsable, éthique, etc.), ces normes renvoient néanmoins à un dispositif institutionnel et procédural similaire. Basées sur des cahiers des charges de « bonnes pratiques » environnemen-tales et/ou sociales, elles sont souvent – mais pas systématiquement 1 – associées à des labels ou des mentions spécifiques sur les produits, qui permettent aux consommateurs de les repérer. Ces cahiers des charges sont adoptés volontai-rement par les producteurs (c’est pourquoi on parle de normes « volontaires »). Ces derniers sont ensuite contrôlés par des procédures dites de « certification par tierce partie » au cours desquelles un auditeur s’assure que les pratiques

1. On distingue les normes business to business, non visibles pour les consommateurs finaux mais servant d’assurance et de garantie de traçabilité entre les différents opérateurs des filières agroalimentaires, et les normes business to consumer, auxquelles est associé un label s’adressant au consommateur final.

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constatées sur l’exploitation sont conformes au cahier des charges. Si c’est le cas, ils bénéficient alors du label correspondant, qu’ils apposent sur leurs produits afin de mieux les vendre ou de sécuriser leurs débouchés.

Comme nous l’avons souligné ailleurs [Fouilleux, 2010], derrière le terme « normes volontaires privées 2 » se profilent divers dispositifs. À partir d’exemples empruntés au domaine agroalimentaire, la première partie de ce chapitre montre que, malgré cette variété, les normes ont une tendance à la convergence et à la transnationalisation. La seconde partie revient sur les débats autour de la limite public/privé que soulèvent les normes privées comme forme de régulation de plus en plus affirmée.

Petite histoire des normes volontaires privées transnationales Normes issues de l’agriculture biologiqueParmi les différents types de normes privées, certaines sont portées par des organisations à vocation politique et/ou sociale. C’est le cas de l’agriculture biologique, domaine dans lequel les normes portées par des groupes de producteurs alternatifs associés à des consommateurs engagés étaient initialement privées, puis ont été chapeautées par une réglementation publique en France (1981), dans l’Union européenne (1992) et dans le reste du monde (plus de 60 gouvernements en tout ont établi des règlements publics en agriculture biologique).

Parallèlement, des centaines de standards biologiques privés existent de par le monde, avec une importance variable en nombre d’agriculteurs impliqués et en volumes de produits concernés. Si l’agriculture biologique s’est initialement principalement structurée au sein de l’Union européenne et, de façon plus générale, dans les pays industrialisés, elle s’est progressivement étendue aux pays dits « du Sud », ou « en développement », principale-ment pour des productions exportées vers le marché européen puis américain.

2. De multiples normes volontaires publiques existent aussi, par exemple les indications géographiques en Europe, le Label rouge en France.

Les normes bio ont été les premières à se structurer au niveau international à travers l’In-ternational Federation of Organic Agriculture Movement (IFOAM), fondé en 1972 à l’initiative de l’association française Nature et Progrès, la Soil Association anglaise, une association d’agriculteurs biodynamiques danois et le Rodale Institute principal défenseur de l’agri-culture biologique aux États-Unis. L’IFOAM a joué un rôle important dans la diffusion de l’agriculture biologique dans le monde.

Tant par la mobilisation des associations de producteurs, celle des consommateurs, les interventions des États, des firmes et d’autres acteurs économiques, un véritable « secteur global de l’agriculture biologique » s’est ainsi progressivement institutionnalisé [Raynolds, 2004]. Avec un premier cahier des charges international formel – quoiqu’assez vague – établi en 1980 définissant la production biologique, l’instrument « norme volontaire » puis sa dimension connexe « certification par tierce partie » ont eu un rôle incontestablement structurant dans cette institutionnalisation et dans la consolidation d’un marché mondial de produits biologiques certifiés. Au départ, la certification s’est développée dans les groupes de producteurs qui avaient mis en place les premiers cahiers des charges ; les agriculteurs s’inspectaient les uns les autres sur une base volontaire, d’interconnaissance et de confiance. Puis, la forte augmentation des flux commerciaux et la diffusion de plus en plus importante du bio en grandes surfaces – qui sont aujourd’hui le principal lieu d’achat de ces produits en quantités loin devant les magasins spécialisés [Daviron et Vagneron, 2011] – ont conduit à l’affirmation de normes et pratiques de plus en plus orientées vers le marché, créant conflits et contradictions politiques jusqu’au sein de l’IFOAM.

En effet, la formalisation croissante des cahiers des charges – liée à l’impératif visant à fournir des critères et indicateurs facilement objectivables et mesurables par les certifica-teurs au cours de leurs audits – a progressi-vement dilué le projet initial des fondateurs de l’agriculture biologique qui soulignait la nécessité d’une approche systémique, holiste

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et ad hoc de l’exploitation agricole et des interactions homme-nature-agriculture. Et si des cahiers des charges moins formalisés et des systèmes de contrôle alternatifs sont encore tolérés par l’IFOAM, c’est désormais surtout la certification tierce qui est mise en avant, justifiée en référence aux demandes du marché et des États. Outre un standard IFOAM que les producteurs peuvent adopter directement, l’IFOAM propose aujourd’hui un système d’équivalence multilatérale (une sorte de méta-standard bio) auquel peuvent souscrire tous les standards biologiques, qu’ils soient publics ou privés, et apposer le logo IFOAM à côté de leur propre logo.

Normes de commerce équitableAutre exemple de norme volontaire privée initialement portée par des citoyens engagés en tant que projet explicitement politique : le commerce équitable. Ce mouvement s’est initialement structuré autour d’organisations militantes, basées principalement en Europe (et aux États-Unis), qui achetaient directement aux orga-nisations de producteurs situées dans les pays en développement des produits qu’elles vendaient ensuite aux consommateurs via un réseau de magasins de détail spécialisés. Ces magasins – les Magasins du monde – vendaient des produits qui portaient leur nom (Traidcraft, Oxfam, Solidaridad, Equal Exchange, Artisans du Monde), essentiellement constitués d’arti-sanat (en dehors de quelques produits agri-coles, dont le café notamment). Dans ce modèle, plutôt qu’un standard commun partagé et qu’un label certifié, les relations de confiance établies de longue date entre producteurs et acheteurs, ainsi que le lieu d’achat garantissaient le carac-tère équitable du produit pour le consomma-teur [Daviron et Vagneron, 2011]. Ce modèle est aujourd’hui incarné au plan global par la World Fair Trade Organization (WFTO) qui revendique une approche basée sur la confiance et l’évaluation par les pairs, dite « filière inté-grée », qu’elle considère comme mieux adaptée que la certification par tierce partie.

Mais ce modèle de magasins spécialisés a été fortement concurrencé depuis la fin des années 1980 par le développement d’une deuxième génération d’initiatives de commerce équitable, basée sur la standardisation et la certification par tierce partie. La fondation Max Haavelar, établie en 1988 aux Pays-Bas par un prêtre néerlandais et un cadre de l’ONG de développement néerlandaise Solidaridad, est considérée comme la première initiative de standardisation équitable. Grâce à la labellisa-tion et à la certification par tierce partie, leur objectif était de bénéficier d’un marché élargi en vendant les produits équitables en grandes surfaces, afin de générer un soutien accru au revenu des producteurs concernés dans les pays en développement [Raynolds et alii, 2007]. Le succès immédiat et très important de Max Haavelar auprès des consommateurs

a entraîné une multiplication d’initiatives de standardisation et une diversification considérable des acteurs porteurs de standards. Devant cette prolifération, a été créée en 1997, la Fair Trade Labelling Organisation (FLO) pour fédérer les organisations de com-merce équitable labellisées ; elle regroupe aujourd’hui 24 membres nationaux, dont 19 organisations

de standardisation ou labelling initiatives (qui couvrent 23 pays) et 3 réseaux de producteurs certifiés (en Afrique et en Amérique latine depuis 2004 ; en Asie depuis 2005). Outre le fait de représenter et promouvoir le dévelop-pement du commerce équitable, la principale activité de FLO consiste à formuler les diffé-rents cahiers des charges équitables par produit – autrement dit, là encore des méta-standards globaux – et à les réviser.

Normes distributeursIl faut ensuite évoquer un troisième type de normes volontaires privées particulièrement importantes dans le domaine agroalimentaire : les normes « distributeurs ». Elles n’ont rien à voir avec les normes biologiques ou équitables dans la mesure où elles ne concernent pas des marchés de « niche » mais le mainstream, ni ne

La formalisation croissante des cahiers

des charges a progressivement

dilué le projet initial de

l’agriculture biologique.

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sous-tendent de projet explicitement politique. Portés par les acteurs de la grande distribution, ce sont par exemple les normes GlobalGAP ou International Food Standard (IFS) 3. Les cahiers des charges GlobalGAP se déclinent par produit. Ils comprennent un ensemble d’éléments de base expressément exigés, ainsi que des éléments supplémentaires plus stricts, recommandés mais non obligatoires, définis-sant plusieurs « niveaux » de certification.

Les normes GlobalGAP ont été créées en 1997 sous le nom d’EurepGAP (« GAP » pour good agricultural practices) tout d’abord autour d’enjeux exclusivement liés à la qualité sanitaire. Ils sont le fruit de l’initiative des principaux acteurs de la grande distribution européenne impliquée dans le groupe de tra-vail Euro-Retailer Produce (EUREP), sous forte influence britannique, avec notamment les groupes Tesco et Sainsbury’s. S’étant ensuite éloignés des seules questions de sécurité sani-taire des aliments, les standards GlobalGAP affichent désormais des préoccupations de

3. Ces deux exemples sont européens, mais on retrouve la même situation aux États-Unis ou en Australie, par exemple, autour de normes similaires.

développement durable, sociales, environne-mentales et éthiques dans les options de leurs cahiers des charges.

Ces standards privés n’ont a priori pas de caractère obligatoire et restent théorique-ment d’application volontaire. Mais le fait qu’ils soient exigés par la totalité des grands distributeurs explique l’extension très rapide et très large de leur mise en œuvre. En réa-lité, sur de nombreux aspects, ces standards se sont substitués aux normes publiques [Jaffee et Henson, 2004]. D’ailleurs, du fait de l’étendue de leur application, les normes EurepGAP étaient souvent prises par les pays exportateurs vers l’Union européenne pour des dispositions publiques, et c’est pour éviter les confusions avec des normes publiques obligatoires que l’Union euro-péenne a fait pression pour que leur nom soit changé – ce qui fut fait pour GlobalGAP en septembre 2007. En outre, du fait de leur pouvoir de marché, les normes distributeurs font de plus en plus souvent référence pour les pouvoirs publics : elles servent parfois explicitement d’objectifs, voire de « base » à l’action publique nationale et internationale. Ainsi, pour favoriser la mise aux normes

Les normes distributeurs illustrent parfaitement les jeux de pouvoir que les normes volontaires peuvent provoquer au sein des filières. En effet, outre le fait qu’elles constituent un moyen pour les firmes de la distribution de se différencier par rapport aux compétiteurs, celles-ci s’en servent pour anti-ciper des évolutions réglemen-taires ou comme mode de ges-tion du risque, reporté sur les opérateurs d’amont [Henson, 2008]. Par ailleurs, l’exigence de normes spécifiques par les distributeurs, qui contrôlent la quasi-totalité du marché, consti-tue de réelles barrières à l’entrée

sur les marchés européens et représente un risque important d’exclusion des filières pour les petits producteurs, notam-ment des pays en développe-ment : s’ils ne sont pas de taille assez importante, ils ne peuvent supporter les coûts supplémen-taires induits par la certifica-tion – ou plutôt par les diverses certifications rendues néces-saires pour exporter – et sont évincés du marché. Ainsi, alors que GlobalGAP présente ses normes comme étant « égale-ment dans l’intérêt des produc-teurs », plusieurs travaux sou-lignent qu’elles permettent surtout aux grandes chaînes

de supermarchés d’accroître leur capacité de police, tout en réduisant leur charge directe de supervision et en minimi-sant leur responsabilité en cas de problème – les coûts étant reportés sur les producteurs et les transformateurs [Hata-naka et alii, 2005 ; Henson, 2008]. Ces normes et les pro-grammes publics les encoura-geant entraînent pour certains auteurs « une réinvention euro-péenne des relations alimen-taires coloniales » [Campbell, 2005], en incitant les produc-teurs des pays en développe-ment à exporter, au lieu de four-nir le marché local.

Des normes, dans l’intérêt de qui ?

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des exploitations et des pratiques des pro-ducteurs et « faciliter leur accès au marché », des formations sont financées et dispensées, des aides sont spécifiquement octroyées par les pouvoirs publics pour mettre en œuvre ces normes privées.

Normes durables multi-parties prenantesEnfin, une quatrième catégorie de normes a émergé dans les années 2000, à vocation explicitement « durable » ou « responsable ». Ces normes se caractérisent par les struc-tures de gouvernance qui les produisent, dont les processus de décision sont spécifiques, dits multi-stakeholders ou « multi-parties prenantes ». Les organisations de standardi-sation correspondantes sont souvent appelées « tables rondes ». Ces organisations reven-diquent un fonctionnement basé sur des processus inclusifs et participatifs présentés comme « démocratiques » car permettant à tous les acteurs impliqués ou concernés par la matière première en question et la filière (producteurs, financiers, importateurs, indus-tries de l’agroalimentaire, industriels d’amont, exportateurs, supermarchés, ONG sociales et environnementales) de donner leur avis et de coproduire la décision. Les tables rondes s’ap-puient sur une représentation équitable des différentes parties prenantes et sur des procé-dures participatives très précises et codifiées, et le mode d’interaction en leur sein est prin-cipalement fondé sur la recherche continue du consensus.

Mises en place initialement pour les forêts (Forest Stewardship Council, FSC, en 1993) puis la pêche (Marine Stewardship Council, MSC, en 1999), existant également pour les textiles ou les mines par exemple, les normes volontaires multi-stakeholders durables se sont multipliées dans la dernière décennie pour les matières premières agricoles d’origine tropi-cale échangées sur les marchés internationaux. On peut citer la table ronde pour l’huile de palme durable (RSPO, 2003) ou pour le soja responsable (RTRS, 2005), mais il en existe aussi pour la canne à sucre (BSCI, 2006), les agrocarburants (RSB, 2007), le coton (BCI, 2007), etc.

L’ISEAL, représentant global des standards environnementaux et sociauxCe rapide panorama montre la coexistence de différents types de normes (agriculture biologique, équitable, distributeurs, stan-dards durables), chacun étant marqué par une tendance à l’organisation inter(trans)national (IFOAM, FLO et WFTO, GlobalGAP). On peut d’ailleurs noter que cette tendance s’affirme malgré la concurrence objective existant entre différentes normes de même type : avant de se concurrencer sur le contenu exact des cahiers des charges, sur la faisabilité pratique des audits correspondant ou sur la recherche du maximum de clients potentiels sur un produit ou une région donnés, les orga-nisations de standardisation ont avant tout intérêt à coopérer pour s’affirmer en tant que forme de régulation crédible et efficace, donc légitime. Renforçant encore cette tendance à la convergence, on observe depuis le milieu des années 2000 la mise en place progres-sive d’une organisation transversale aux diffé-rents types de standards via l’émergence de l’ISEAL Alliance (International Social and Environmental Accreditation and Labelling Alliance).

L’ISEAL est une sorte d’équivalent fonc-tionnel de l’ISO (International Standards Organisation) spécialisé dans le domaine des standards volontaires environnementaux et sociaux, qui vise à fédérer et harmoniser les différents types de standards entre eux. Lancés en 1999 par des personnes issues de quatre organisations pionnières de la normalisation volontaire (FSC, IFOAM, FLO, MSC) pour contrer les risques de confusion et de baisse de crédibilité des standards, ses statuts formels ont été déposés en 2002 comme entreprise à but non lucratif. Elle regroupe aujourd’hui 12 orga-nismes de standardisation (et d’accréditation) membres de plein droit et 7 membres associés. Parmi eux, on retrouve tant des standards de commerce équitable (FLO, Utz certified) que GlobalGAP ou des standards tels le Common Code for the Coffee Community ou la Better Sugar Cane Initiative, ainsi que des organismes liés à l’agriculture biologique (IFOAM jusqu’à 2010, IOAS).

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L’ISEAL se présente comme « l’association globale du mouvement des standards environ-nementaux et sociaux », une « communauté de pratiques » dont l’objectif est de « créer un monde dans lequel la durabilité écologique et la justice sociale sont les conditions normales de la conduite des affaires ». La principale activité de l’ISEAL consiste à élaborer des « bonnes pratiques » à destination de ses membres (considérés comme des clients), qui sont autant de règles procédurales visant à produire de « bons » standards volontaires dans les domaines environnementaux et sociaux. L’ensemble de ces critères sont contenus dans des méta-standards (codes) visant à servir de guide aux membres pour développer leurs standards, les améliorer et les renforcer. Il y a quatre codes principaux : un « code d’éthique », un « code de bonnes pratiques pour l’élaboration des standards environnementaux et sociaux », un « code de bonnes pratiques pour l’évaluation des impacts des systèmes de standardisation dans les domaines sociaux et environnementaux » et un « code de vérifi-cation ». L’autre activité importante d’ISEAL consiste à faire la promotion des standards volontaires privés comme instruments de régulation efficaces, auprès des États, des orga-nisations internationales, des communautés académiques, etc.

Normes privées ou normes publiques : une frontière pas si claire…Malgré leur grande diversité, les normes que nous venons d’évoquer ont de nombreux points communs et reposent sur un même principe : la régulation par le marché. À travers son acte d’achat de produits certifiés, le consommateur est censé inciter à la mise en place de condi-tions de production plus justes socialement et plus respectueuses de l’environnement. Dans cette optique, la dimension réglementaire devient secondaire : c’est le marché qui oriente le type de pratiques productives. La mise en œuvre et le contrôle des normes reposent quasi exclusivement sur des acteurs privés : les certificateurs, organisations indépendantes accréditées par le porteur du standard. En tant que prestataire de service, l’organisme

certificateur est payé par le producteur pour contrôler la conformité de ses pratiques au cahier des charges de la norme concernée. Il pratique des audits et décide in fine d’accorder ou non le label correspondant. La certifica-tion par tierce partie donne lieu à une activité économique considérable et les certificateurs ont tout intérêt à la multiplication des normes volontaires [Djama et alii, 2011]. Publiques ou privées, la normalisation repose sur une forme de privatisation de la régulation.

Un autre élément frappant quand on étudie la prolifération des normes privées, c’est leur objectif déclaré de viser l’intérêt collectif, de produire du « bien public ». On peut ainsi voir dans l’empressement des organisations de standardisation à souligner le caractère « démocratique » de leurs processus de déci-sion comme un désir, sinon de substitution, du moins de mise en concurrence avec la décision publique en termes de légitimité. La rhétorique mettant en avant les avantages d’une prise en charge privée des questions environnemen-tales et sociales renvoie à une double filiation académique. En science politique, elle s’appuie sur les travaux les plus normatifs de l’école de la gouvernance globale, lesquels soulignent l’incapacité jugée tant structurelle que fonc-tionnelle des pouvoirs publics à prendre en charge les problématiques complexes liées à la globalisation et les bénéfices attendus d’une intervention accrue des acteurs privés dans le cadre de partenariats publics-privés [Reinicke, 1998]. En science de gestion, elle renvoie aux travaux sur la notion de responsabilité sociale des entreprises (RSE), qui conférerait aux firmes des avantages comparatifs cruciaux dans un contexte com-pétitif [Porter et Kramer, 2006]. Au point de rencontre entre ces deux corpus, une vaste littérature s’est développée sur les formes de gouvernance collaborative, qui propose des procédures idéales pour assurer des décisions légitimes autour d’un enjeu donné, basées sur des procédures multi partie-prenantes [Van Huijstee et Glasbergen, 2008 ; Zadek, 2008]. Ces modèles inspirent directement les standards durables évoqués plus haut ou les bonnes pratiques promues par ISEAL.

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Pourtant, des travaux de plus en plus nom-breux soulignent les limites de ces dispositifs en termes d’équité et d’inclusivité. L’observation empirique du fonctionnement des tables rondes « soja responsable » (RTRS) et « huile de palme durable » (RSPO) en fournissent une illustration patente. Leurs structures de gou-vernance rassemblent les différents opérateurs de la filière, censés délibérer entre eux pour décider des cahiers des charges et modalités de gestion des filières certifiées. Mais l’analyse révèle divers problèmes : surreprésentation parmi les membres présents de certaines caté-gories (l’industrie), ou de certaines nationali-tés (les Néerlandais notamment), mauvaise représentativité au sein de chaque catégorie (influence des ONG internationales par rapport aux ONG locales, absence de représentation directe des petits paysans), inégale répartition des ressources discursives entre acteurs (donc du poids dans la formation du consensus et la définition de ce qui est considéré comme discutable ou non) [Cheyns, 2011].

Par ailleurs, au-delà du discours, les normes privées sont à de nombreux égards liées aux pouvoirs publics. Nombre d’entre elles sont directement soutenues, notamment

financièrement, par les pouvoirs publics. L’International Financial Corporation (IFC) par exemple, branche de la Banque mondiale dédiée au financement du secteur privé, est directement membre de différentes tables rondes, et plusieurs de ses programmes de financement exigent la participation des entreprises bénéficiaires aux tables rondes pour allouer ses fonds. Divers États sont impli-qués également. Tous secteurs confondus, les coopérations bilatérales états-unienne, cana-dienne, britannique, allemande et suédoise sont particulièrement actives. Dans le domaine agricole, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Suisse jouent des rôles de premier plan. Les agences de coopération néerlandaises développent des programmes visant à encourager la durabilité du commerce international, comme la Sustainable Trade Initiative, qui passent notamment par la mise en place de standards volontaires privés transnationaux. L’Allemagne est aussi très fortement impliquée en faveur des standards durables depuis le début des années 2000 ; elle a directement participé au lancement de plusieurs tables rondes dont Common Code for the Coffee Community (4C) en association avec la coopération suisse.

Les différentes organisations de standardisation ne fonctionnent pas toutes de la même manière et certaines apparaissent tout de même plus réellement inclu-sives que d’autres. Par exemple, dans la RSPO les différents stades de la filière sont repré-sentés comme autant de parties-prenantes aux intérêts différents (cinq catégories) auxquelles s’ajoutent deux catégories d’ONG. Dans la RTRS, les ONG sociales et environnementales sont regroupées dans une seule catégorie « société civile » face à une catégorie « producteurs » et une catégorie « industrie ». La différence est ainsi notable entre

ces deux tables rondes et leur modèle institutionnel historique et (plus ou moins) théorique qu’est le Forest Stewardship Council (FSC). Le FSC est en effet organisé en trois chambres (« économique », « environne-mentale » et « sociale ») ayant un pourcentage de vote équivalent. Par rapport au FSC, la RSPO et la RTRS laissent donc une place beaucoup plus grande aux inté-rêts économiques au détriment des ONG dans la répartition formelle du nombre de sièges : 75 % des votes au board de la RSPO et 66,6 % dans le cas de la RTRS, contre seulement 33,3 % au FSC. De plus, au FSC, les

votes sont répartis au sein de chacune des chambres en 50 % pour les représentants du Sud et 50 % pour les membres du Nord, une distinction qui n’ap-paraît ni dans la RSPO, ni dans la RTRS, ni dans aucune autre initiative de standardisation durable de matières premières agricoles. Malgré leur carac-tère plus équitable, les disposi-tions du FSC sont souvent consi-dérées comme trop lourdes et inefficaces en termes de prise de décision par les acteurs des autres tables rondes, certains allant même jusqu’à les qualifier de psychotic democracy [Bart-ley et Smith, 2010, p. 360].

Des structures de gouvernance et des niveaux d’inclusion variables

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En parallèle, les agences nationales de coo-pération prennent également une part active à la défense des normes volontaires en tant qu’instrument de régulation. Des conférences visant tant à rassembler les différents acteurs de la communauté des standards durables qu’à faire la promotion de ces outils de régulation sont régulièrement organisées, comme à Berlin en 2006 et 2008, pour « étendre et approfondir les impacts positifs » des standards volontaires, et « en faire un phénomène mainstream ». Le terme de « changement de paradigme » (paradigm shift) est même employé. Enfin, des réseaux transnationaux institutionnalisés alliant pouvoirs publics et privés se multiplient autour de la question des standards volontaires privés. Nous en donnons ici trois exemples.

Le Trade Standard Practitioners Network (TSPN), lancé par la coopération allemande, l’USAID et la Banque mondiale, rassemble diverses organisations et institutions impli-quées dans des travaux de standard-setting ou de renforcement des capacités dans un domaine lié aux standards. Le TSPN est consti-tué de trois groupes de travail principaux. Le premier vise les décideurs des pays en dévelop-pement, notamment par l’intermédiaire d’un guide pour les amener à « comprendre la fonc-tion catalytique des standards volontaires pour le développement et leur rôle dans le succès des stratégies exportatrices ». Le second vise à « maximiser les impacts positifs des actions de coopération et d’assistance technique en lien avec les standards […] et à assurer la durabilité de ces impacts ». Il a pour objectif de définir une compréhension commune des impacts et des outils pour les mesurer. Ce type d’évaluation renvoie à des enjeux particulière-ment techniques, qui sont dans le même temps éminemment politiques : d’une part, la mesure de l’impact des standards est en dernier ressort ce qui peut permettre de les classifier en tant que « bon » ou « mauvais » instrument ; d’autre part, en fonction des critères retenus pour le calcul, sa valeur pourra être complètement différente. Le troisième groupe de travail du TSPN, essentiellement animé par l’IFC, vise spécifiquement le secteur privé des pays en développement, afin d’accroître l’engagement

de ses acteurs dans des initiatives de standards volontaires (entreprises internationales de ces pays s’approvisionnant sur les marchés internationaux, exportateurs des pays en développement, firmes nationales et interna-tionales fournissant sur une base commerciale des services en relation avec les standards volontaires – agences de certification, cabinets d’audit, firmes faisant de la formation). Cela renvoie à un enjeu de légitimation évident et à un problème récurrent pour les différents systèmes de standards : ceux-ci ne peuvent se développer que s’ils sont adoptés par les acteurs économiques sur le terrain. Tout un travail de persuasion est développé dans ce sens par leurs promoteurs.

Lancée en 2003 à l’initiative du think tank canadien International Institute for Sustainable Development (IISD) et de la Commission des Nations unies pour le commerce et le dévelop-pement (Cnuced), la Sustainable Commodity Initiative (SCI) défend les standards durables en tant que levier potentiel pour un change-ment de paradigme : “voluntary supply-chain approaches have the potential to establish a new paradigm for commodity production and trade”. Les projets se rapportant à la SCI rassemblent plusieurs dizaines d’organisations partenaires en tous genres (entreprises, agences de coopération et de développement, nombreux organismes de recherche, organisations inter-nationales, cabinets de consultants, TSPN, organisations de standardisation, ISEAL, certi-ficateurs, etc.) qui « soutiennent collectivement les initiatives visant à améliorer la durabilité du commerce international et des marchés globaux de matières premières ». Les enjeux de la SCI sont de glaner et de restituer le plus possible d’informations sur les systèmes de standards durables et de produire des connais-sances précises pour les perfectionner et les améliorer, en terme d’évaluation des impacts (Impact Assessments), de développement des capacités et formations (Capacity Building), de financements ou en encore de production d’information sur les standards (Reporting). L’ensemble de ces travaux poursuit égale-ment un but clairement et explicitement politique : influencer les pouvoirs publics afin

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qu’ils soutiennent et favorisent les standards durables.

Enfin, le projet Trade for Sustainable Development (T4SD) est porté par l’Inter-national Trade Center, organisme émanant conjointement de la Cnuced et de l’OMC. Il vise à établir une base de données complète sur l’ensemble des systèmes de standards durables existants, un programme de formation et un observatoire de recherche sur ce domaine. Si le T4SD se définit comme “a UN Sponsored Initiative Neutral Information Repository”, il fournit nombre d’exemples illustrant la dimen-sion politique de la fabrication de savoirs sur les standards durables et les relations concurren-tielles qui opposent parfois les organisations de standardisation entre elles. Ainsi, par exemple, au cours d’une réunion organisée à Amsterdam par l’ISEAL, la représentante du FSC allemand expliquait sa réticence vis-à-vis de la consti-tution de la base de données T4SD et son agacement de voir l’ISEAL presser ses membres de collaborer avec l’ITC : elle se méfiait de leur façon de mesurer les impacts et des critères qu’ils risquaient de retenir, susceptibles de

mettre son organisation en porte-à-faux par rapport à son principal concurrent, le PEFC. En effet, le PEFC certifiant un volume de bois plus important que le FSC mais sur la base d’un cahier des charges moins exigeant, si la perfor-mance des standards était mesurée sur la base des volumes de bois certifiés par exemple, cela reviendrait pour le FSC à apparaître comme moins performant, donc moins attractif pour les exploitants forestiers, et pourrait impliquer une perte de parts de marché.

Une telle multiplication de ces réseaux trans-nationaux alliant pouvoirs publics et privés – qui sont souvent très imbriqués – atteste de l’affirmation indéniable des standards volon-taires privés au plan global. Mais plus avant, et bien que les acteurs qui y sont impliqués aiment souligner que ces réseaux répondent avant tout à un « besoin de dialogue » et de « partage d’expériences » créé par la prolifération des normes, ce phénomène souligne une certaine inquiétude des pouvoirs publics d’avoir été mis un peu « hors-jeu » par le boom de ces instru-ments, et leur volonté de revenir dans la partie et de contrôler leur développement. n

La production de normes privées : une histoire très concurrentielle

D’abord sectorielles, les normes privées se sont élargies tant en termes de champs d’application qu’en nombre d’acteurs associés à leur production et à leur mise en œuvre. Les acteurs publics tentent aujourd’hui de reprendre la main sur ces normes en s’associant fortement à la production de savoirs sur ces normes.

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Normes multi-parties prenantes2007

20062005200319991993

Table-ronde agrocarburants durables (RSB) Table-ronde meilleur coton (BCI)Table-ronde meilleure canne à sucre (BSCI)Table-ronde soja responsable (RTRS)Table-ronde huile de palme durable (RSPO)Marine Stewardship Council (MSC)Forest Stewardship Council (FSC)

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Les signalisations de qualité comme instrument de valorisation de l’huile d’olive en Méditerranée

Annarita ANTONELLI, Institut agronomique méditerranéen de Bari, Italie Sébastien ABIS, Centre international pour les études agronomiques méditerranéennes avancées, France

L’évolution du secteur agroalimentaire a entraîné de profonds changements dans les politiques agricoles, les modèles de développement et les habitudes de

consommation. Cette dynamique s’articule autour de deux phénomènes : l’émergence d’une nouvelle culture de la consommation, avec des individus toujours plus influencés dans leurs achats par les caractéristiques intangibles des biens, et l’affirmation de deux types dif-férents d’agriculture, l’une avec une fonction purement productive, l’autre avec une fonction orientée vers la préservation de l’environnement. Dans ce contexte, la différenciation qualitative des productions, et en parti-culier des produits typiques, « expression des territoires de production », joue désormais un rôle stratégique.

C’est particulièrement le cas pour l’espace méditer-ranéen et sa filière oléicole [CIHEAM, 2011]. La culture de l’olivier y contribue à lutter contre l’érosion, à valori-ser les terres agricoles et à fixer les populations dans des zones difficiles d’accès. Cette activité génère des revenus, crée des emplois et participe au panier des exportations commerciales des pays. L’huile d’olive est donc un pro-duit phare de l’espace méditerranéen pour des raisons historiques, socioculturelles et économiques.

Face aux concurrences qui s’accélèrent et aux exi-gences croissantes des consommateurs en matière de qualité, la filière oléicole s’est progressivement moderni-sée en mettant l’accent sur la diversification des produits selon différents critères liés à l’histoire, à la spécificité des territoires, et à la recherche de nouvelles opportuni-tés d’exportation.

Les AOP : un mécanisme de sauvegarde, de différenciation et de développement Le système des Appellations d’origine protégée (AOP) et des Indications géographiques protégées (IGP) a été mis

en place en 1992 par l’Union européenne (Règlement (CEE) 2081/92) pour remplacer les systèmes nationaux et garantir aux consommateurs des caractéristiques et des propriétés conférant une valeur ajoutée aux produits. Il garantit également le respect de normes de base au moyen de la certification des systèmes d’assurance de la qualité, et permet de sauvegarder des productions typiques liées à l’origine dans un contexte de libéralisation croissante du commerce agricole. Le Règlement 2081/92 veut « favori-ser la diversification de la production agricole afin de réa-liser sur le marché, un meilleur équilibre entre l’offre et la demande » en insistant sur la composante territoriale.

Les processus de certification de la qualité ont pour principal objectif d’obtenir des revenus de différenciation, grâce à l’existence d’une marque collective qui atteste le respect d’un cahier des charges fixant un ensemble de conditions de qualité et de typicité devant être remplies par les huiles. Ces stratégies de différenciation consti-tuent l’un des principaux choix compétitifs permettant la sauvegarde de petites exploitations et entreprises agroa-limentaires situées en milieu rural, généralement en situation d’infériorité dans la lutte concurrentielle pour les produits indifférenciés, dont le marché est régi par des stratégies de domination par les prix et les coûts. Ces démarches représentent aussi un moyen efficace pour s’opposer à la présence croissante sur le marché de pro-duits provenant des nouveaux pays producteurs (États-Unis, Australie, Chili et Chine demain).

À la fin du xxe siècle, très peu de terroirs méditerra-néens mettaient en œuvre des stratégies de qualité dif-férenciée de leurs huiles : les régions oléicoles du centre et du nord de l’Italie ainsi que la région Paca en France et en Espagne où les dénominations d’origines agri-coles se développèrent en réponse à la crise oléicole des années 1970.

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Aujourd’hui, de nouvelles opportunités commerciales apparaissent, car l’image des huiles d’olive de qualité prend une connotation de plus en plus positive auprès des consommateurs des pays développés ainsi que des couches moyennes supérieures des pays émergents. Cer-tains segments de consommateurs personnalisent de plus en plus leur consommation en fonction des caracté-ristiques multifonctionnelles de l’huile de qualité (senso-rielles, environnementales, sociales).

Dans les principaux pays producteurs, l’huile d’olive est donc devenue le trait d’union entre une demande toujours plus segmentée et une offre de mieux en mieux articulée (huiles de terroir – notamment les AOP –, bio-logiques, de production intégrée, variétales, aromati-sées), mais pas toujours préparée aux exigences du mar-ché. L’huile d’olive représente un « bien d’expérience » – il faut l’expérience pour évaluer sa qualité –, et encore plus un « bien de croyance » : les consommateurs n’étant pas capables de connaître toutes les caractéristiques du produit, même après l’achat, ils doivent faire confiance

à la réputation du producteur ou à l’assurance d’une certification donnée par la loi. L’utilisation des appella-tions communautaires représente une stratégie efficace pour garantir aux consommateurs cette confiance et aux producteurs la possibilité de valoriser la qualité à des coûts soutenables (mutualisation des ressources avec les autres producteurs du territoire).

Dans les pays producteurs oléicoles, on assiste à une prolifération de nouvelles AOP d’huile d’olive : elles étaient 4 en 1993 puis 105 en 2010. En Espagne, de 2000 à 2008, on est passé de 7 à 28 AOP, mais les AOP ita-liennes prédominent largement (44 huiles AOP et 1 IGP), signe d’un fort dynamisme de l’oléiculture italienne qui trouve dans ces outils un moyen efficace de consolider le secteur en mettant en valeur la qualité et l’origina-lité de leurs produits. Une tendance similaire se retrouve dans l’oléiculture française, témoignant de la variété des régions productrices et ce, malgré sa très faible impor-tance (0,2 % de la production de l’UE). En 2010, une étude menée par le Conseil oléicole international (COI)

Huile d’olive : vers la labélisation d’une tradition méditerranéenne ?R

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La production et consommation d’huile d’olive est une caractéristique centrale des modèles agricoles et alimentaires méditerranéens. Si le nord de la Méditerranée, en particulier les pays du sud de l’Union européenne, représentent l’essentiel de la production et consommation, l’activité oléicole se développe actuellement hors de l’Union européenne, au sud et à l’est de la Méditerranée, et s’oriente graduellement vers une filière de qualité, sous AOC.

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a révélé que la plupart des appellations d’origine des huiles d’olives dans le monde sont enregistrées dans l’UE (19 concernent les olives de table et 101 les huiles d’olive). Parmi les pays méditerranéens non membres de l’UE, seuls le Maroc et la Turquie ont procédé à l’enregistre-ment de quelques produits, bien que le potentiel d’huiles susceptibles de bénéficier d’une reconnaissance d’ori-gine soit important [COI, 2010] (repère 1).

Les appellations d’origines, un modèle exportable à la rive sud de la Méditerranée ? Valoriser la qualité d’un produit représente un enjeu agricole important pour les pays méditerranéens, mais la pertinence de cette démarche est encore objet de débat. Si l’efficacité économique d’une telle stratégie pour cer-tains investisseurs ou groupements de producteurs ne fait pas doute, les filières oléicoles de ces pays présentent encore de nombreuses limites. La Tunisie, avec 5,9 % de part de marché en 2008-2009, est le troisième pays exportateur d’huile d’olive au monde après l’Espagne et l’Italie, et a multiplié ses efforts pour la promotion de son produit phare (en moyenne 40 % des exportations agroalimentaires nationales) et pour l’amélioration de sa qualité (à travers une politique de signalisation de la qualité) à partir des années 2000. Toutefois, la quantité exportée qui est véritablement conditionnée demeure insignifiante : derrière l’exemple souvent cité d’opéra-teurs italiens qui achètent en vrac l’huile tunisienne et la revendent dans des bouteilles estampillées Made in Italy, se pose le problème que la valeur ajoutée commerciale du produit n’est pas captée par les acteurs tunisiens.

La question est encore plus prégnante maintenant que la législation européenne impose depuis 2009 de mentionner l’origine « non communautaire » d’un pro-duit venant de pays tiers. L’objectif tunisien est de por-ter le taux d’exportation de l’huile d’olive conditionnée

de 1 % à 10 % à l’horizon 2011, et d’améliorer l’accès de l’huile d’olive tunisienne à de nouveaux marchés (États-Unis, Canada, Japon). Suite à la création d’un Fonds de promotion de l’huile d’olive conditionnée (FOPROHOC), le ministère de l’Industrie et de la Technologie a confié depuis 2007 au Centre technique de l’emballage et du conditionnement (PACKTEC) la réalisation d’une Cam-pagne de promotion générique de l’huile d’olive condi-tionnée. Mais ces démarches demeurent fragilisées par plusieurs handicaps (manque d’unités de conditionne-ment, faible organisation des acteurs, manque de noto-riété à l’échelle internationale).

Le cas du Maroc, seul pays de la rive sud à avoir enre-gistré une AOP huile d’olive (Tyout Chiadma), montre que cette expérience, déployée dans le cadre du Plan vert lancé en 2008, résulte d’un travail participatif mené par une équipe pluridisciplinaire regroupant chercheurs, agriculteurs, propriétaires des maâsras (huileries) et développeurs, et représente un cas pilote au niveau natio-nal. L’organisation des oléiculteurs au sein d’une associa-tion, la situation géographique particulière du périmètre irrigué de Tyout qui renferme plus de 12 000 oliviers cen-tenaires sur 100 hectares, la bonne maîtrise du site sur le plan de la gestion technique et du suivi, la volonté des agriculteurs et l’histoire culturelle du site sont autant de facteurs qui ont encouragé la réalisation d’un tel projet.

Les expériences actuelles montrent que la stratégie de signalisation de la qualité pour valoriser le produit fonc-tionne uniquement si elle s’inscrit dans le cadre global du développement agricole et rural et s’appuie sur une parti-cipation de tous les opérateurs de la filière (producteurs, transformateurs, exportateurs) et des acteurs publics, en vue d’apporter les innovations nécessaires pour garan-tir des produits de qualité et capturer une valeur ajoutée plus importante. À cela s’ajoute un effort nécessaire de sensibilisation du consommateur. n

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Chapitre 14Amérique latine et Caraïbes : reconstruire les politiques agricoles

Continent montant dans les échanges agricoles internationaux, l’Amérique latine rassemble une grande variété de productions et de modèles de production. Forte de cette diversité, cette région constitue un véritable laboratoire des politiques agricoles, permettant de s’interroger sur les formes et les échelles de régulation du secteur.

Un grand défi : moderniser une région diverse et hétérogèneDans leur rapport commun de 2009, la Cepal, la FAO et l’Institut interaméricain de coopé-ration pour l’agriculture (IICA) soulignent que « l’Amérique latine a un grand potentiel […] pour contribuer à la sécurité alimentaire globale, puisqu’elle est l’une des rares régions du monde avec une disponibilité suffisante en terres et en eau pour augmenter sa production agricole » [Cepal, FAO et IICA, 2009].

Néanmoins, des écarts notables existent entre les différents pays. Ainsi, parmi les États aux plus grands potentiels, le Brésil a de l’eau en abondance sur une importante partie de son territoire et d’immenses disponibilités en terres, avec plus de 68,5 millions d’hectares cultivés en 2008. Grâce à ces ressources, il est devenu le premier exportateur mondial de sucre, café, soja, jus d’orange, viande de volaille, viande bovine, tabac et éthanol, et cherche à atteindre le même niveau pour d’autres productions. Le secteur agricole,

déterminant pour l’économie du pays, a repré-senté 25,1 % du PIB en 2007 (activités de transformation comprises), 37 % des emplois et 36,4 % des exportations, avec une crois-sance annuelle continue de presque 5 % par an pendant la dernière décennie. L’Argentine est un autre grand exportateur agricole mondial, avec 33 millions d’hectares cultivés en 2008, dont 16,3 millions d’hectares de culture de soja transgénique. Certaines régions sont ainsi devenues des zones de monoculture, ce qui s’accompagne de risques sociaux et environne-mentaux. Le nombre de bovins en Argentine atteint les 50 millions, représentant, avec les 205 millions bovins brésiliens, 20 % du cheptel mondial.

À l’inverse, dans les pays des Caraïbes, la surface des terres disponibles est très réduite ; l’agriculture y joue donc un rôle moindre. Entre ces deux extrêmes se trouvent des pays comme la Colombie, l’Équateur, le Mexique, le Pérou, le Venezuela et les pays d’Amérique centrale, où l’agriculture continue à jouer

Adrián RODRÍGUEZ, Mônica RODRIGUES et Octavio SOTOMAYOR, Commission économique des Nations unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes, Chili

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un rôle économique important mais dont les structures agricoles sont très fragmentées.

Le repère 1 permet de distinguer trois prin-cipaux profils agricoles. Un premier groupe réunit les pays ayant une disponibilité de terre élevée et pour qui le secteur agricole a un poids

économique important (comme la Bolivie). Les exploitations peuvent y être plus ou moins imposantes, comme en Argentine ou au Brésil. Un deuxième groupe est composé de pays comme le Pérou, dont la taille plus réduite des exploitations conditionne un type d’agricul-ture plus intensive en emploi. L’évolution de ce groupe dans les années à venir sera probable-ment liée à la production de produits à haute valeur ajoutée, à l’inverse des pays du Cône Sud spécialisés dans les matières premières. Dans ce groupe, la production pour l’autocon-sommation est très importante en raison d’une forte agriculture paysanne et indigène. Enfin, l’agriculture des pays des Caraïbes présente de forts potentiels dans le domaine des fruits et légumes, tant pour le marché intérieur (et notamment le secteur touristique) que pour le marché états-unien très proche… Au-delà de la grande diversité des situations, la majorité des pays de la région se distinguent d’autres régions du monde par un potentiel significatif de production agricole et forestière (repère 2).

Les politiques ont une histoireLors de la décennie 1980, la région latino-américaine a initié un cycle de réformes insti-tutionnelles ayant en commun l’ouverture commerciale, la réduction de la présence de l’État, la dérégulation des marchés et la stabi-lisation macroéconomique. Au-delà des diffé-rences entre pays, on distingue trois grandes étapes [Sotomayor, Rodríguez et Rodrigues, 2011].

Première étape : ajustement structurel, démantèlement de l’appareil public L’objectif d’alors est la stabilisation écono-mique des pays au travers d’instruments macro et micro-économiques. Ce processus commence au Chili, au milieu des années 1970, avec l’interruption de la réforme agraire. La taille de l’appareil étatique est radicalement réduite, les prix agricoles libéralisés, l’ou-verture des marchés vers l’extérieur choisie. Dans cette période de politiques radicalement néolibérales, les institutions sanitaires sont néanmoins renforcées et certains instruments créés afin d’encourager les exportations, la

L’agriculture en Amérique latine, une variété de profils

Loin d’offrir un profil agricole unique, la taille moyenne des exploitations, la proportion de la surface du pays sous culture ou la part du PIB d’origine agri-cole soulignent la variété des trajectoires agricoles.

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Cette diversité régionale et natio-nale pose un certain nombre de dilemmes.m Augmenter la productivité de tous les secteurs, ou se concen-trer sur les secteurs les plus « viables » : il faut dépasser les oppositions entre agriculture de subsistance et agriculture com-merciale ou agriculture viable et agriculture non viable. Confron-tés aux grands contrastes entre les différents types d’exploita-tion agricole, certains soulignent que seule l’agriculture fami-liale paysanne doit être soute-nue, puisque l’agriculture indus-trielle n’a pas besoin du soutien de l’État. D’autres mettent l’ac-cent sur l’agriculture entrepre-neuriale et considèrent que l’agri-culture familiale est seulement un enjeu social, ignorant le potentiel productif et environnemental des petites exploitations. Plutôt que de choisir entre les deux secteurs, il s’agit d’adopter une approche globale permettant d’exploiter les synergies entre les différentes formes d’agriculture.m Exporter ou fournir le marché intérieur : les marchés intérieurs jouent un rôle très important, tout autant que les exportations, qui ont un effet de levier pour amé-liorer la compétitivité et impulser la croissance. Pour atteindre une mondialisation responsable, pre-nant en charge les secteurs affec-tés par l’intégration commerciale, les politiques publiques doivent, à la fois, exploiter le potentiel de chaque pays tout en modérant les risques et coûts liés aux processus d’ouverture.m Fournir des biens publics ou privés : un certain nombre de biens publics (information

statistique, infrastructures, etc.), produits pour tous et non pour un secteur spécifique, sont indis-pensables à l’amélioration de la compétitivité sectorielle. Sub-ventionner les biens privés (par exemple, l’utilisation d’engrais) peut également être légitime dans certains cas pour renfor-cer la compétitivité, même s’ils peuvent faire l’objet d’appropria-tion par des groupes spécifiques. Chaque pays doit réaliser ce choix politique en fonction de sa réa-lité économique, politique ou environnementale.m Biocarburants ou produc-tion alimentaire : l’essor relati-vement récent des biocarburants comme alternative énergétique a conduit à une concurrence crois-sante entre biocarburants, éle-vage et cultures alimentaires pour l’occupation des sols. Ceci a per-turbé le fonctionnement des mar-chés mondiaux, comme l’illustre (au moins partiellement) le choc des prix de 2008. Plusieurs études montrent que l’Amérique latine dispose de terres pour faire face à cette nouvelle demande, même si ces ressources ont aussi leur limite : une pression fon-cière excessive peut générer des déséquilibres alimentaires ou environnementaux.m Approche sectorielle ou sys-témique : les citoyens se sont départis de l’entière confiance (dans le progrès et les experts) qui les caractérisait jusqu’alors à la suite de l’expérience de l’encé-phalie spongiforme bovine et d’autres crises environnemen-tales. Les modèles productifs et les politiques publiques commencent à être objets de débat à l’exté-rieur du secteur agricole, auquel

participent de multiples acteurs : ministères de la Santé et de l’En-vironnement, organisations envi-ronnementales et de consomma-teurs, gouvernements régionaux et communautés locales.m Approche verticale ou par-ticipative : la formulation des politiques et la prise de décision selon une logique verticale peu consultative sont aujourd’hui profondément rejetées par les mobilisations citoyennes crois-santes. Dans plusieurs pays, des efforts ont été réalisés afin d’en-gager largement les agriculteurs et les citoyens dans la formula-tion des politiques, à travers l’ex-ploration de nouvelles formes de dialogue public et des modalités innovatrices de consultation et de participation.m Centralisme ou territoriali-sation : dans tous les pays de la région, les services publics liés à l’agriculture sont en restructu-ration. Pour mettre en œuvre les nouveaux principes et approches au domaine agricole et rural, l’uti-lisation du territoire comme unité de planification et de gestion constitue un levier important pour l’amélioration de la compétitivité.m Évaluation et re-conception ou inertie institutionnelle : les iner-ties institutionnelles sont généra-lement la conséquence de la faible capacité de changement et d’ap-prentissage des organisations. Elles peuvent être vaincues par la mise en place de dispositifs d’éva-luation (de la pertinence de la conception et de la mise en œuvre des stratégies), donnant ainsi une plus grande « rationalité tech-nique » aux politiques publiques.

Source : Sotomayor, Rodríguez

et Rodrigues, 2011.

Dilemmes stratégiques

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reforestation, et l’assistance technique aux petits agriculteurs. Dans le cas du Mexique, cette étape est marquée, d’une part, par l’ad-hésion en 1986 à l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et, d’autre part, par la fermeture des lignes spéciales de crédit pour le secteur agricole, la réduc-tion ou la fermeture des instituts publics de commercialisation ou d’assistance technique, et le confinement de la recherche agrono-mique aux instituts techniques et aux univer-sités. Le Brésil, de son côté, abandonne la poli-tique de substitution aux importations vers la fin des années 1980 et se lance dans un vaste plan de réformes, comprenant la stabilisation macroéconomique et des réformes structu-relles comme la privatisation des entreprises publiques, la dérégulation des marchés intéri-eurs et la réduction de la taille de certains orga-nismes publics sectoriels agricoles. En matière commerciale, le Brésil signe l’union doua-nière du Mercosur, réduit les tarifs douaniers et élimine plusieurs licences d’exportation et des barrières non-tarifaires pour le commerce agricole. Ces politiques, avec certaines spéci-ficités, sont aussi appliquées en Argentine, en Bolivie, en Colombie, en Équateur, au Pérou et d’autres pays d’Amérique centrale.

Deuxième étape : mise en place des systèmes actuels de développement agricoleL’objectif est la mise en place d’un système de développement transférant des ressources fiscales vers les producteurs pour améliorer leur productivité. Au Chili, cette période commence au milieu des années 1980, avec la création de programmes de transfert de tech-nologie pour moyens et grands producteurs, ainsi que des programmes d’accès aux techno-logies d’irrigation. L’arrivée de la démocratie en 1990 renforça le soutien à ces programmes et élargit substantiellement ceux qui ciblaient l’agriculture paysanne. Ensuite, la négociation et la signature du Mercosur (1996) conduisirent

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2Des agricultures de premier plan

Les pays d’Amérique latine et des Caraïbes ne sont pas les seuls grands acteurs agricoles du monde et ne jouent qu’un rôle marginal pour certaines productions centrales comme le blé ou le riz. Ils se classent néanmoins parmi les premiers pour certaines productions majeures, telles le soja, la viande de bœuf ou le lait.

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à la création de programmes de restauration des sols et d’innovation technologique, ainsi qu’à l’élargissement de programmes encou-rageant les exportations, etc. Au Mexique, la signature de l’Accord de libre-échange nord-américain mène à la création de PROCAMPO (1993), qui effectue des transferts financiers directs aux producteurs comme compensation des effets de l’ouverture commerciale. Cette politique se poursuit en 1996 avec la création du Programme d’appui à la commercialisation et de l’Alliance pour la campagne devenant les principaux programmes de développement et d’amélioration de la compétitivité du secteur.

Pendant cette période, le Brésil réalise plusieurs ajustements aux systèmes de fixa-tion des prix utilisés jusqu’alors, mais rendus inefficaces par l’échec des plans successifs de contrôle de l’inflation. En 1990, les marchés du blé et du café (intérieur et d’exportation) sont dérégulés. Dans la deuxième moitié des années 1990, les marchés de l’éthanol et du sucre de canne le sont également, et on introduit des améliorations du système de prix minimum garantis. L’accélération du processus de réforme agraire est accompagnée par la création du Programme de renforcement de l’agriculture familiale (PRONAF) et des poli-tiques s’adressant aux couches les plus défavo-risées du monde rural : crédit subventionné, formation et conseil agricole, promotion d’activités économiques ajoutant de la valeur à la production primaire.

D’autres pays de la région mettent en place de grands programmes de développement rural. Le Projet de développement rural intégré lancé en Colombie depuis le milieu des années 1970 est plusieurs fois modifié à partir de 1983. Le Programme de services agricoles provinciaux (PROSAP) est créé en 1992 en Argentine avec le soutien de la Banque mondiale et de la Banque interaméricaine de développement, afin de canaliser le transfert de ressources vers les provinces pour renforcer les services publics, améliorer les infrastructures de base et la gestion de l’eau. En 1998, ces efforts ont été complétés par la création du Projet de déve-loppement des petits producteurs agricoles (PROINDER), qui finance des investissements

non remboursables à petite échelle au profit des producteurs pauvres. La même démarche guide les projets territoriaux au Pérou dans les années 1980 et 1990, en particulier dans la zone andine, ainsi que la plateforme de services agricoles (information et statistique, santé, propriété des terres, irrigation et pauvreté) dans la zone de la côte où se situe l’agriculture entrepreneuriale et d’exportation.

Troisième étape : reconstruction-transformation institutionnelleDans cette période, ouverte au début des années 2000, les pays les moins avancés ont cherché à reconstruire les institutions secto-rielles pour assurer le bon fonctionnement du secteur. Dans les pays les plus avancés, le cycle de réformes structurelles se clôt, et on cherche à optimiser les dispositifs de politique secto-rielle par le perfectionnement des systèmes de développement préexistants et la création de nouveaux programmes et instruments.

Au Chili, cette étape est marquée par la création de l’Assurance agricole et de la bourse des produits et d’autres instruments comme les pôles technologiques. Au Mexique, l’évé-nement marquant est l’approbation en 2001 de la Loi de Développement rural durable, qui instaure des conseils de développement rural à l’échelle nationale, régionale, de la circonscription et municipale. Au Brésil, la création du Programme « Faim zéro » et du Conseil national de sécurité alimentaire et nutritionnelle, en 2003, a renforcé le dispositif politique visant la lutte contre la faim et contre la pauvreté. En Argentine, les ressources du PROSAP sont augmentées, ce qui élargit sa couverture, modifie les projets préexistants (par exemple, le Projet risque et assurance agricole), et crée de nouveaux instruments d’intervention, comme le Programme qualité des aliments argentins (PROCAL), créé en 2001. En Uruguay, le Fonds de reconstruction et de développement des fermes (FRFG) est créé en 2002, suivi d’une série de programmes de promotion de l’initiative économique, de réduction du fossé technologique et d’amé-lioration de la formation des producteurs et des techniciens. Au Pérou, cette période est

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marquée par la signature de nouveaux accords de libre-échange et par le perfectionnement des programmes de développement intégrés dans la région andine. Des démarches simi-laires sont mises en œuvre en Équateur, en Colombie, au Costa Rica et dans d’autres pays de la région.

Vers un dispositif plus efficace de politiques agricolesOrientation stratégique et gouvernabilité : programmes sectoriels et par filièresLa tendance générale dans la région est au perfectionnement des dispositifs de politique agricole à plusieurs niveaux. Au niveau macro-sectoriel, certains pays ont lancé des disposi-tifs participatifs, avec une vision à long terme, visant la conclusion d’accords politiques trans-versaux, comme le Plan stratégique agroa-limentaire et agro-industriel 2010-2016 en Argentine 1, et la Politique d’État 2010-2021 pour le secteur agroalimentaire et le développement rural au Costa Rica [MAG, 2010]. D’autres approches participatives cherchent à intégrer programmes gouvernementaux et coopération internationale : c’est le cas du Plan de déve-loppement rural du Nicaragua (PRORURAL), conçu grâce à un large processus de consul-tations auprès du secteur privé et de la coopé-ration internationale [MAGFOR, 2009]. Mais, dans d’autres pays, des plans sectoriels sont mis en place sans processus de consultation. C’est le cas des Programmes sectoriels de déve-loppement agricole et de la pêche élaborés au Mexique au début de chaque gouverne-ment [SAGARPA, 2007], le Plan d’agricul-ture familiale pour la période 2011-2014 au Salvador [MAG, 2011] et le Plan d’action stra-tégique du secteur agricole 2010-2014 au Panamá [MIDA, 2010]. Une dernière option consiste à créer des dispositifs régionaux de politique agricole, comme la Politique agri-cole de l’Amérique centrale 2008-2017 (PACA) lancée par le Belize, le Costa Rica, le Salvador, le Guatemala, le Honduras, le Nicaragua et le Panamá. Même si elle fait partie du processus d’intégration économique mis en œuvre à

1. Voir : www.minagri.gob.ar/SAGPyA/areas/PEA2/index.php

travers le Système d’intégration centraméri-caine (SICA), la conception d’une politique agricole commune vise le renforcement des institutions régionales publiques et privées, nécessaire à l’application de cette politique sectorielle [CAC-SICA, 2007].

Une autre tendance quasi générale est l’utilisation du concept « d’agro-chaînes » pour gérer les politiques sectorielles de l’amont à l’aval de filières spécifiques partant du principe que chaque filière est un univers particulier, avec ses propres acteurs, ses problèmes et ses enjeux. L’amélioration de la compétitivité de chaque secteur agricole national passe par un travail systématique sur les principales branches ou chaînes productives, nécessitant une coordination de tous les acteurs, selon des stratégies à moyen et long terme.

Dispositifs thématiquesSur la base de ces agendas sectoriels et par agro-chaînes, les pays d’Amérique latine ont déployé un ensemble de politiques agri-coles spécifiques [Sotomayor, Rodríguez et Rodrigues, 2011].

(1) La politique commerciale est un élément clé de la politique sectorielle agricole de chaque pays, puisqu’elle définit l’insertion de l’agriculture dans l’économie globale : le rôle assigné au secteur agricole dans la stratégie nationale de développement, le type de spécia-lisation productive, la forme d’insertion dans le processus de globalisation, l’identification des régions gagnantes et perdantes, la perspective d’une restructuration à long terme, nécessaire pour s’adapter à la globalisation. En fonction de ces choix, les gouvernements ont appliqué différentes stratégies d’accès aux marchés (accords de libre-échange, accords sanitaires, promotion commerciale, etc.), ainsi que des politiques tarifaires et d’autres mécanismes internes de défense commerciale. Ces choix ont aussi déterminé la conception d’autres régulations sectorielles et des politiques de développement de la production pour accélé-rer le changement structurel.

(2) Les politiques en matière de sciences et de technologies : les politiques en matière de science et de technologie mises en œuvre dans

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la région pour générer de nouvelles connais-sances, ont connu récemment des change-ments profonds. D’un modèle linéaire d’offre de technologies, où le secteur public jouait un rôle principal dans l’identification des priorités et dans les activités de recherche et dévelop-pement elles-mêmes, on est passé à un modèle composé d’une diversité d’acteurs publics et privés. Ces acteurs opèrent sur la base de subventions suscitant une demande en techno-logies (Argentine, Chili et Mexique), ou bien de dispositifs de coordination entre l’offre et la demande (Brésil). Ces systèmes d’innovation sont articulés avec les programmes d’assistance technique aux agriculteurs, implantés depuis longtemps. Plusieurs approches coexistent aujourd’hui pour le transfert de technologies : du développement agricole traditionnel aux approches par réseaux sociaux, en passant par les groupes horizontaux de pairs, les enchaî-nements productifs, l’agriculture de précision et les programmes d’assistance technique spécialisés dans la lutte contre la pauvreté.

(3) En matière d’accès à la terre, les inégali-tés sociales demeurent et font de cette question un problème politique toujours majeur et ce, malgré des structures agraires aujourd’hui plus dynamiques et fragmentées. Depuis son retour à la démocratie en 1985, le Brésil a entrepris une réforme agraire active (expropriations, achats directs, allocation de terres publiques et reconnaissance légale des terres occupées). D’autres pays ont choisi l’adjudication de terres de l’État, soit dans le cadre d’un programme de colonisation organisée, soit par la régularisa-tion d’une colonisation de fait sur les terres publiques. Une troisième option, les « Fonds pour les Terres », soutenus par la Banque mondiale, offrent du crédit pour l’achat de terres à des petits producteurs qui n’auraient pas accès au marché des capitaux. Décrits comme « des réformes agraires assistées par le marché », ils sont aussi critiqués pour leur coût élevé, et pour l’étroitesse du nombre de leurs bénéficiaires.

(4) Les premières initiatives de gestion des sols remontent au début du xxe siècle (programme de lutte contre la désertification, premières zones protégées par l’État. Dans un

deuxième temps, des projets de recherche se sont mis en place dans les Instituts nationaux de recherche agronomique (Inra), malgré des financements encore très limités. Dans une troisième étape, de véritables dispositifs de gestion des sols ont été développés : complexité croissante des thèmes et des instru-ments utilisés, promotion du semis direct (no tillage agriculture) comme nouveau paradigme productif, plus grande couverture des pro-grammes publics (comme les investissements publics dans la fertilité des sols).

(5) L’irrigation et la gestion de l’eau deviennent un enjeu de politique publique au début du xxe siècle. Dans les zones arides de la région (zone andine argentine, Chili cen-tral, vallées du Pérou, etc.), l’État commence alors à construire des ouvrages hydrauliques (réservoirs, canaux...). En général de taille moyenne, ils renforcent le réseau de canaux de l’époque coloniale. À partir des années 1960, la deuxième vague de programmes d’irrigation vise également la grande hydraulique, avec le soutien de la Banque interaméricaine de déve-loppement, de la Banque mondiale et d’autres institutions financières. Dans plusieurs pays, de grands réservoirs et d’autres ouvrages de régulation sont construits et gérés par l’État au travers d’organismes spécialisés (commissions ou districts d’irrigation). Dans un troisième temps, l’amélioration des infrastructures s’est accompagnée d’une optimisation de la gestion de l’eau grâce à une planification intersectorielle de l’irrigation, et des dispositifs innovateurs de gestion de la demande en eau (water footprints, systèmes de contrôle social, marchés de droits d’eau échangeables, techno-logies d’irrigation…).

(6) Biosécurité et innocuité. La réglemen-tation internationale pour la santé végétale et animale est devenue de plus en plus sévère pour inclure des enjeux d’innocuité (santé humaine), d’environnement et de bien-être animal. La question sanitaire est au cœur des négociations commerciales, générant parfois des barrières infranchissables. C’est pour cela qu’aux actions traditionnelles de défense du patrimoine phytosanitaire et vétérinaire réalisées par les services sanitaires, s’ajoutent

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de nouvelles tâches liées à la dimension inter-nationale du secteur agricole. Ceci alors même que les services sanitaires de la région ont sou-vent des budgets réduits, les confinant dans des interventions purement réactives d’urgence. Les politiques d’innocuité sont confrontées aux mêmes défis, puisque l’intensification des systèmes productifs pour produire davantage a augmenté l’utilisation d’engrais, de pesti-cides, de médicaments vétérinaires et d’autres substances pouvant rester dans la chaîne ali-mentaire. De plus, l’importance grandissante de la santé préventive dans la perception des consommateurs a conduit les gouvernements à imposer des exigences sanitaires de plus en plus importantes.

(7) Aux premières politiques de qualité, qui concernaient dans la région l’identité des marchandises (farine, huiles, ou autres) et ont donné plus tard naissance aux réglementa-tions sanitaires des aliments, se sont ajoutées différentes normes volontaires de qualité, visant la différenciation par rapport aux produits standard. Des registres de propriété industrielle ont récemment émergé : il existe déjà dans la région 42 appellations d’origine, 16 indications géographiques et 30 marques collectives. En outre, apparaissent d’autres labels de qualité, comme l’agriculture biolo-gique (pratiquement dans tous les pays), les labels de qualité supérieure (seulement au Mexique et en Argentine), ou le commerce équitable, développé depuis plusieurs années par des ONG et diverses organisations de petits producteurs dans la région.

(8) Dans la région, les systèmes financiers sont peu présents en milieu rural, malgré les efforts récents pour élargir leur champ d’action, à travers des organismes financiers dépendants des ministères de l’Agriculture et des banques de développement ciblant les micro-entreprises, comme au Brésil. Au Mexique et en Argentine, des banques publiques développent un système à deux étages, dans lequel elles transfèrent des fonds à des banques privées et à d’autres intermédiaires financiers, pour que ceux-ci puissent offrir du crédit aux micro-entrepre-neurs. Le développement de méthodologies

spécifiques pour les agriculteurs familiaux à plus basses ressources s’inscrit dans la lignée de la « révolution micro-financière », impulsée depuis les années 1970 par des structures non financières (ONG, coopératives et mutuelles), qui développent des produits financiers pour des clients traditionnellement laissés de côté. Actuellement, la supériorité du marché pour répondre de manière soutenue au nombre croissant de clients semble faire consensus. Ceci nécessite cependant des politiques, des interventions et des technologies capables de surmonter ou de compenser les principales défaillances des marchés financiers, grâce à des incitations pertinentes et de nouvelles architectures institutionnelles (coordination entre les banques de développement et d’autres entités publiques, soutien à des projets d’investissement et accompagnement technique pour organiser la demande de crédit des producteurs).

(9) Systèmes de stabilisation des prix. En Amérique latine et dans les Caraïbes, plusieurs pays avaient déjà mis en œuvre par le passé de grands programmes publics de commercialisa-tion et de contrôle des prix. La plupart ont été démantelés en vertu des réformes structurelles des années 1980, vu leur coût fiscal trop élevé et leur effet de distorsion sur l’économie. Néanmoins, certains pays comme le Brésil et le Mexique ont maintenu leurs systèmes, en évoluant vers des politiques publiques moins interventionnistes et moins onéreuses pour l’État. Plus généralement, face à l’inquiétude croissante concernant la volatilité des prix internationaux des produits agricoles, trois grands types de dispositifs politiques ont été développés : (i) subventions pour financer des opérations commerciales induites par l’État (ou des achats publics directs) et pour cofi-nancer la souscription des primes d’assurance sur les prix contractés par les producteurs dans des bourses de produits (Brésil, Mexique, Colombie) ; (ii) fonds de stabilisation des revenus par filières spécifiques, cofinancés par les producteurs et l’État (Colombie et Costa Rica) ; (iii) politiques de fourchettes de prix pour certains produits (Argentine, Chili, Colombie, Équateur, Pérou, Venezuela).

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(10) Assurances climatiques. L’assurance l’assurance agricole s’est traditionnellement peu développée dans la région, notamment à cause de la complexité de la vente d’actifs intangibles Plusieurs gouvernements sont en train de réaliser des efforts pour étendre l’uti-lisation de ces instruments, grâce à des sub-ventions de l’État pour les primes (Argentine, Brésil, Mexique…).

(11) Politique environnementale. Face aux ace aux défis globaux comme la pauvreté ou le changement climatique, et pour améliorer la compétitivité du secteur agroalimentaire, plusieurs pays de la région promeuvent une véritable transition de la politique agricole vers l’intégration totale des défis environnemen-taux. Cette intégration est complexe, composée des niveaux multiples et des différents thèmes techniques d’une politique environnementale. Les problématiques environnementales sont spécifiques aux conditions agro-écologiques, aux types d’agriculture et aux écosystèmes naturels de chaque région au sein des différents pays. Néanmoins, dans la plupart des pays, les ministères de l’Agriculture jouent un rôle actif dans la gestion des politiques publiques liées aux questions environnementales, et en particulier celles qui concernent l’atténuation et l’adaptation au changement climatique.

Inventer les politiques de demainL’hétérogénéité des structures agraires se maintient au sein de l’agriculture latino-améri-caine : parmi la diversité des types d’entre-prises productives, des micro-entreprises paysannes majoritaires en nombre gardent des niveaux de productivité très bas, conduisant à des revenus très faibles et à des niveaux élevés de pauvreté et d’exclusion. Pour réduire ces asymétries, les processus d’ouverture commer-ciale doivent être accompagnés de méca-nismes de protection, innovants et les moins coûteux possibles, face aux variations des prix mondiaux (des produits et services, des taux de change, taux et d’intérêt). Ces processus

doivent être accompagnés par un solide système de développement visant l’amélio-ration de la compétitivité sectorielle, la dura-bilité et l’inclusion sociale. Même si certains pays, comme l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, le Pérou ou le Mexique ont réussi à mettre en place certains de ces dispositifs, d’autres pays de la région souffrent de la très grande faiblesse institutionnelle des ministères de l’Agriculture, conséquence du démantèlement de l’État des années 1980 et 1990, due aux restrictions des ressources fiscales et/ou à l’application mécanique des recettes du « Consensus de Washington ».

La région connaît donc une grande diversité de logiques d’intervention. Certains pays disposent d’un dispositif de politique basique (recherche agronomique, santé, commerce), tandis que d’autres possèdent des dispositifs de développement intermédiaire, fondés sur des instruments comme le crédit, l’assistance technique, l’irrigation, la gestion des sols, et les politiques commerciales, sanitaires, de qualité et environnementales. Enfin, certains pays ont un système avancé de politiques, comprenant tous les instruments déjà cités, en plus des programmes de R&D, assurances climatiques et des mécanismes de stabilisation des prix à l’échelle de grandes chaînes productives.

Beaucoup de progrès restent cependant à accomplir et une nouvelle vaque de réformes est nécessaire. Il faut pour cela concevoir la région comme un grand espace d’innovation et d’expérimentation, dans lequel l’expé-rience réussie d’un pays puisse être appliquée à un autre, en faisant les adaptations néces-saires. Une bonne part de l’arsenal mondial des politiques publiques possibles se retrouve dans le large éventail des politiques agricoles de la région. L’Amérique latine et les Caraïbes sont donc globalement aussi en pointe que d’autres régions du monde : le système régional compte de nombreux innovateurs et de nombreuses expériences réussies et intéressantes. n

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CAC, SICA, avril 2007, “Política Agrícola Centroamericana 2008-2017. Una agricultura competitiva e integrada para un mundo global”, document pour consultation nationale et régionale.

Cepal, 6-7 décembre 2011, Seminario internacional « Polí-ticas para la agricultura en América Latina y el Caribe: competitividad, sostenibilidad e inclusión social », Santi-ago de Chile. Disponible sur : www.cepal.org/cgi-bin/get-Prod.asp?xml=/ddpe/noticias/noticias/4/45184/P45184.xml&xsl=/ddpe/tpl/p1f.xsl&base=/ddpe/tpl/top-botto-muda.xsl

Cepal, FAO, IICA, 2009, « Perspectivas de la Agricultura y del Desarrollo Rural en las Américas : Una Mirada hacia América Latina y el Caribe », San José de Costa Rica.

MAG, septembre 2010, « Política de Estado para el Sector Agroalimentario y el Desarrollo Rural Costarricense 2010-2021 », version préliminaire, San José. Disponible sur : www.mag.go.cr/Politica/index.html

MAG, 11 février 2011, « Plan de Agricultura Familiar. Período 2011-2014 », présentation Power Point, El Salvador.

MAGFOR, juillet 2009, « Plan Sectorial PRORURAL Incluyente 2010-2014 », Managua, Nicaragua.

MIDA, octobre 2010, « Plan de Acción Estratégico del Sector Agropecuario 2010-2014 », Panamá.

SAGARPA, 2007, « Programa Sectorial de Desarrollo Agro-pecuario y Pesquero 2007-2012 », Mexico, DF.

Sotomayor O., Rodríguez A. et Rodrigues M., 2011, « Competitividad, Sostenibilidad e Inclusión Social en la Agricultura: Nuevas Direcciones en el Diseño de Políticas en América Latina y el Caribe », Santiago du Chili, Cepal.

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Apprendre la durabilité : les politiques agricoles européenne et américaine

Antonin VERGEZ, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement et AgroParisTech, France Simon LIU, United States Department of Agriculture, États-Unis

Les États-Unis (EU) et l’Union européenne (UE) déploient des politiques agricoles (PA) depuis plus d’un demi-siècle. Dans un monde de plus en plus

façonné par les forces du marché, leur ampleur et péren-nité semblent exceptionnelles. Parfois louées, car elles incarneraient une régulation compatible avec le marché, elles sont aussi critiquées par les défenseurs de l’envi-ronnement, les contribuables, les consommateurs, les États membres (EM) ou fédérés, les pays tiers et même les producteurs agricoles, pourtant bénéficiaires. Elles (per)durent pourtant. Comment ont-elles évolué depuis 40 ans ? Les questions de durabilité (environnementale, sociale, économique) ont-elles été intégrées dans leur élaboration et mise en œuvre ? Dans quelle mesure, à quel rythme, et selon quels processus politiques ?

Aux EU, les lois cadre agricoles renouvelées environ tous les 5 ans sont connues sous le nom de Farm Bills (FB). Depuis la première FB de 1933, elles sont organisées en « titres ». Les préoccupations liées à la durabilité ont peu à peu été intégrées dans les titres « Coupons alimen-taires » (food stamps) en 1964 et 1977, « Conservation 1 » (des sols, des ressources et des zones naturelles) en 1985 et « Bioénergie » en 2002. L’agriculture durable ne fut tou-tefois définie pour la première fois que dans le FB de 1990 comme un système intégré de pratiques de production de végétaux et d’animaux qui, sur le long terme : 1) satisfait les besoins humains en aliments et en fibres ; 2) améliore l’état de l’environnement et des ressources naturelles ; 3) utilise de manière efficiente les ressources non renouve-lables et s’appuie sur les contrôles et cycles biologiques et naturels ; 4) soutient la viabilité économique des exploi-tations ; 5) améliore la qualité de vie des agriculteurs et de la société dans son ensemble.

1. Les programmes liés à l’environnement appartiennent au titre « Conser-vation ».

Dans les années 1980 et 1990, l’agriculture biologique, la R&D sur les alternatives aux intrants de synthèse et une politique de préservation des ressources et habitats naturels furent développées. Des politiques de limita-tion des pollutions diffuses dans les bassins versants se déployèrent dès les années 1980 : aux exploitants volon-taires de changer leurs pratiques, le ministère de l’Agri-culture proposait une assistance technique et financière via des paiements annuels sur 5 ans et un partage des coûts avec le niveau fédéral et le gouvernement local [Chuang Corcoran et Henderson, 1998]. Des rapports publiés par le Conseil national de la recherche partici-pèrent aux réflexions sur la durabilité (par exemple sur les résidus de pesticides et la santé des enfants et nou-veaux-nés en 1993).

Contrairement à la Politique agricole commune (PAC) de l’UE, la loi agricole américaine comprend un volet social lié à l’importante 2 aide alimentaire ciblée sur la population intérieure pauvre. Tout comme la PAC, elle a continuellement dû s’adapter aux règles de l’OMC et aux critiques intérieures (pointant le coût élevé pour le contribuable américain) en proposant des soutiens moins distorsifs et plus efficaces. La science écono-mique, dans son volet normatif, a joué un rôle important [Bureau, 2007] dans les réformes successives de ces PA de part et d’autre de l’Atlantique.

En Europe, le traité de Rome de 1957 fixa les objec-tifs de la PAC : accroissement de la production et de la productivité, amélioration du revenu des agriculteurs et approvisionnement des consommateurs européens à des prix raisonnables. Déployé dès 1962 dans les 6 États membres d’alors, le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), organe financier de la PAC,

2. 67 % des 189 milliards du FB en cours (2008-2012) sont alloués aux food stamps (coupons alimentaires échangeables en magasins).

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a catalysé la modernisation des structures de production et est intervenu sur les marchés à travers le système des prix garantis et des Organisations communes de marché (OCM 3�). La PAC atteignit ses objectifs mais fut victime de son succès dans les années 1980. Les prix garantis éle-vés incitaient à la surproduction, les stocks ont explosé (« montagnes » de viande, céréales, beurre, etc.). Des subventions à l’exportation permirent d’écouler ces sur-plus, mais le système fut dénoncé par le Royaume-Uni (comme incohérent et coûteux) et par des pays tiers dont les producteurs s’estimaient pénalisés. Des ONG et une partie du syndicalisme agricole soulignèrent également ses effets négatifs sur l’environnement.

Cette PAC, jugée peu durable, a été réformée en 1992, 1999, 2003 et 2008. Ces réformes ont toutes tenté : 1) de rétablir dans l’UE un équilibre entre l’offre et la demande par les prix en (re)connectant les producteurs aux signaux de marché, et 2) de mieux prendre en compte des attentes « sociétales », non exclusivement agricoles. En 1992, pour limiter la surproduction et la dérive bud-gétaire, un changement de paradigme est proposé : bais-ser les prix d’intervention et compenser les agriculteurs par des aides directes au revenu. En 1999, la « multifonc-tionnalité de l’agriculture » est mise en avant. Les aides au développement rural, les mesures agro-environne-mentales (bien-être animal, préservation de la biodiver-sité, des sols, etc.) constituent le « second pilier » à côté des ambitions du traité de Rome. En 2003 et 2008, est entrepris le découplage des aides directes du premier pilier auparavant liées à la production et remplacées par un droit à paiement unique sans obligation de produire ; des préoccupations environnementales y sont intégrées par l’éco-conditionnalité 4� et la part relative du second pilier est augmentée.

Nouveaux acteurs, nouvelle agriculture ?Depuis 40 ans, si les concepts se renouvellent, le ciblage et les incitations changent et le potentiel distorsif des soutiens diminue. Le volume des transferts financiers, dans l’UE et aux EU, est globalement maintenu.

3. Aujourd’hui presque totalement démantelées, elles ont encadré la pro-duction pendant 30 ans, de manière plus ou moins forte selon les produits, en garantissant des prix supérieurs aux prix mondiaux et en stabilisant l’offre.

4. Le non-respect par un exploitant des bonnes conditions agro-environne-mentales (rotations des cultures, couverture minimale, etc.) ou des direc-tives européennes (environnement, bien-être animal, etc.) peut conduire à une diminution des aides directes.

Mais le périmètre des acteurs intervenant sur les PA s’agrandit et l’équilibre des forces se déplace, légère-ment. Les lobbys sectoriels, initialement très puissants dans l’élaboration et la mise en œuvre des PA, voient leur hégémonie partiellement contestée. Les négociations à l’OMC, accélérant la disparition des restitutions à l’ex-portation, en sont une illustration 5.

L’agriculture est peu à peu façonnée par des canaux autres que les politiques agricoles. Des distributeurs du secteur agroalimentaire devancent la législation pour satisfaire la demande de produits plus « verts » en contractualisant directement avec des producteurs agri-coles, voire des filières entières. Des villes innovent et complètent les solutions purement techniques par des démarches de gestion territoriale intégrée. Barraqué et Pincetl [2010] montrent que pour enrayer la « dégrada-tion de la qualité de l’eau dans les bassins d’alimenta-tion des captages d’eau potable, du fait de l’intensifica-tion de l’agriculture », des villes ou des acteurs privés peuvent passer des arrangements coopératifs avec les agriculteurs pour qu’ils modifient leurs pratiques. Ainsi, les villes de New York ou Munich rémunèrent des agri-culteurs pour des pratiques protégeant leurs réservoirs d’eau naturels, alors qu’en France, Perrier Vittel contrac-tualise directement 37 agriculteurs sur 3 500 hectares.

Ces acteurs nouveaux et hétérogènes promeuvent leurs propres critères de durabilité. Mais ils sont peu nombreux et leur puissance est limitée.

L’évolution des mécanismes institutionnels pourrait modifier les rapports de force. Aux EU, les lobbys agri-coles cherchent à influencer le Congrès et le Président, et doivent désormais tenir compte des ONG environnemen-tales et sociales [Orden, Blandford et Josling, 2008]. Le changement de majorité au Congrès en 2010, les défi-cits budgétaires et l’instabilité des marchés agricoles auront ainsi une forte influence sur le FB de 2012. Pour certains, le déséquilibre budgétaire en faveur du pre-mier pilier (en 2010, la PAC occupe 42 % du budget euro-péen, le premier pilier 75 % du budget de la PAC) montre la puissance du syndicalisme agricole ans l’UE. Le traité de Lisbonne (entré en vigueur en 2010) pourrait chan-ger la donne : l’agriculture est désormais, comme les autres secteurs, objet d’une codécision du Conseil et du Parlement. Ce dernier, seul organe élu directement par les citoyens européens, pourrait chercher à rémunérer la

5. Disparition annoncée de ces aides suite aux négociations OMC de Hong Kong en 2005.

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40 ans de politiques agricoles EU-UE

Farm Bill États-Unis

Politique agricole commune - Union européenne

2001-?OMC : cycle de Doha

voulant améliorer l’accès des pays du Sud aux marchés

agricoles

1933 m Agricultural

Adjustment Act, programme de soutien aux prix agricoles (maïs, blé et coton)

1980 m 1er Coordinateur

fédéral pour l’agriculture biologique

1985 m Recherche et

formation sur le programme LISA (Low-Input / Sustainable Agriculture) m Président Reagan :

« L’Amérique ne serait rien sans ses agriculteurs : ils sont la colonne vertébrale de ce pays et tout ce que nous faisons pour les aider aide notre pays et son avenir. »

1989 m Président Bush :

politique de « Zéro pertes nettes de zones humides »

Décennies 1980 et 1990

m Programmes de préservation des eaux douces m Programmes

de recherche et formation sur l’agriculture durable sur les alternatives aux intrants de synthèse

1991 m Directive Nitrates :

première directive environnementale européenne visant spécifiquement les activités agricoles

1990 m Food, Agriculture,

Conservation, and Trade Act

1996 m Federal Agriculture

Improvement and Reform Act

Années 2000 m Programmes

d’amélioration des infrastructures d’irrigation, de plantation d’arbres et de diversification des cultures pour améliorer la qualité de l’eau dans les bassins versants

2000 m Directive-cadre sur

l’Eau, fixant l’objectif de bon état des eaux (chimique et écologique) pour 2015

2002 m Farm Security and

Rural Investment Act

1986-1994OMC : cycle de

l’Uruguay incluant l’agriculture dans les

négociations

1957-58 m Traité de Rome et

résolution de Stresa fixant les objectifs de la PAC

1962 m Déploiement

de la PAC dans 6 pays

Années 1980 m Surproduction :

critiques internes et des pays tiers de la PAC

1984 m « I want my money

back » : M. Thatcher exige un rabais britannique au budget européen.

Contexte

1981 m Agriculture

and Food Act

1985 m Food Security Act

1992 m La PAC passe

du soutien des prix aux aides directes au revenu.

1999 m L’Agenda 2000

reconnaît la multifonctionnalité de l’agriculture et crée le second pilier : développement rural et mesures agri-environnementales.

2003 m Découplage

des aides directes : droit à paiement unique sans obligation de produire

2008 m « Modulation »

des aides en faveur du second pilier, éco-conditionnalité des aides du 1er pilier m Ratification du

Traité de Lisbonne : le Parlement européen co-décide en matière agricole

2013 m Élimination totale

des subventions à l’exportation

1964 m Food Stamp Act,

modifié en 1977 (simplification de l’éligibilité des ménages) et 1994 (amélioration de l’accès aux magasins de distribution)

2008 m Food, Conservation

and Energy Act

2008 m Financement

croissant de programmes environnementaux (zones humides, terres agricoles et pâturages), approvisionnement des cantines scolaires en produits frais et promotion de l’agriculture biologique m Adoption

du « Paquet Climat Énergie » qui aura des effets sur l’agriculture, notamment la production de biocarburants durables

Organisation mondiale du commerce

États-Unis

Union européenne

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Barraqué B. et Pincetl S., 2010, « Ressources naturelles : le retour du territoire », in « Dossier Villes : changer de trajec-toire » (chapitre 7), Regards sur la Terre 2010, Paris, Presses de Sciences Po.

Bureau J.-C., 2007, La politique agricole commune, Paris, La Découverte, coll. « Repères ».

Chatellier V. et Guyomard H., 2011, « Réformer la PAC dans un contexte budgétaire difficile », Problèmes économiques, no 3 022.

Chuang L., Corcoran E. et Henderson A., 1998, “Toward a Sustainable Agricultural Policy – Evolution in the Conservation Titles of the 1985, 1990, and 1996 Farm Bills”, Evaluating natural Resource Use in Agriculture, p. 85-113.

Orden D., Blandford D. et Josling T., 2008, Determinants of Farm Policies in the United States, 1996-2008, International Agri-cultural Trade Research Consortium.

production de biens publics via l’augmentation de la part du second pilier, plutôt que de soutenir directement le revenu des agriculteurs.

Enfin, des régulations non directement agricoles comme l’incorporation d’énergies renouvelables dans les transports (10 % en 2020 dans l’UE dans le paquet « climat-énergie » de 2008 ou les objectifs ambitieux de production de bioéthanol à partir de maïs aux EU) ont et auront des effets croissants sur l’agriculture et les marchés.

Aux EU et dans l’UE, un nombre croissant, mais encore faible, d’agriculteurs et d’éleveurs s’oriente vers des pratiques intégrées et innovantes plus durables.

Un long chemin reste à parcourir pour évaluer ces sys-tèmes et leur durabilité. Pour les futures PA (FB de 2012 et PAC 2014-2020), l’enjeu est de poursuivre l’intégra-tion des préoccupations liées à la durabilité : environ-nement local et global, équité intra et internationale et plus « classiquement » les revenus des agriculteurs et les prix aux consommateurs. Dans un contexte de gou-vernance multi-niveaux, le rôle de l’UE et du gouverne-ment fédéral américain pourrait être de coordonner la PA (participer et faire participer aux différentes étapes, veiller à une légitime diversité d’objectifs tout en limitant leurs contradictions, proposer des instruments efficaces) plutôt que de la contrôler totalement. n

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La réforme PAC 2013, une opportunité pour repenser les politiques agricoles ?

Entretien avec Henri NALLET, ancien ministre de l’Agriculture de François Mitterrand (1988-1990), aujourd’hui vice-président de la Fondation Jean-Jaurès

En quoi la réforme PAC 2013 est-elle une opportunité pour repenser les politiques agricoles ?La réforme actuelle est une opportunité pour les Euro-péens de redéfinir ce qu’ils entendent par politique agri-cole commune (PAC), c’est-à-dire quel type d’agriculture et de produits, quelle place dans les échanges internatio-naux et quels systèmes d’encadrement souhaités.

Le moment est opportun pour deux raisons. Première-ment, l’agriculture européenne, comme le reste de l’éco-nomie européenne, connaît une crise. Cette crise n’est pas seulement une crise d’ajustement des marchés, c’est la crise du modèle de développement agricole européen des quarante dernières années. Elle s’explique d’une part par une forte concurrence d’autres agricultures (par exemple, dans le domaine des grandes productions) et d’autre part par les conséquences dommageables de ce modèle sur les écosystèmes ainsi que sa contribution au change-ment climatique. Ceci rend nécessaire la mise au point de nouveaux modèles de développement. Deuxièmement, paradoxalement, contrairement à toutes les réformes pré-cédentes, cette présente réforme de la PAC ne se fait pas sous des contraintes internationales fortes (excédents ou négociations commerciales). Nous devons en profiter pour faire le travail calmement et à fond.

L’exercice le plus difficile de cette négociation sera cependant d’aboutir à des aides agricoles acceptables par la société, d’autant plus que cette négociation se tient dans un contexte de très grande tension sur les finances publiques.

Les discussions vont-elles se focaliser sur l’aspect budgétaire ?L’aspect budgétaire sera évidemment décisif, tout sim-plement parce qu’un certain nombre de pays, et non des moindres, seront en train d’administrer à leur population des programmes d’austérité. Prenons le cas français : dans

cette discussion sur la PAC, dont la France a été très large-ment bénéficiaire au cours des cinquante dernières années, notre pays sera dans une position inédite de contributeur net au budget communautaire. Cette situation contraindra la France à être prudente sur ses demandes, et l’Italie et l’Espagne seront dans une situation similaire.

Réformer une telle politique à 27 n’est pas simple. Si la discussion budgétaire se crispe parce qu’une mino-rité de blocage décide qu’on ne discute pas d’autre chose tant qu’on ne s’est pas mis d’accord sur la répartition des volumes d’aides, cela mettra en danger la réforme. Tout l’art des négociateurs consiste à faire en sorte que les discussions soient possibles, mais la crise de la zone euro va surdéterminer la négociation de la PAC et faire apparaître des conceptions totalement différentes de l’Union européenne (UE).

La proposition de la Commission de verdir une partie des aides du premier pilier va-t-elle dans le sens de vos recommandations ?Peut-être pas exactement. Sur le fond, je crois que l’ins-piration est à peu près la même, à savoir se demander quelle justification de l’aide aux agriculteurs on peut pré-senter aux contribuables. Les agriculteurs produisent des marchandises utiles à la population, mais ils produisent aussi des biens publics précieux pour la communauté. L’aménagement du territoire, la gestion de la faune et de la flore, etc. Beaucoup de biens publics ne sont pas rémunérés, ce qui justifie une aide publique, d’autant plus que nous savons que nous entrons dans une période où la tension sur l’appropriation du sol, qui reste un bien rare, sera de plus en plus forte, soit parce qu’à l’intérieur de nos communautés il y a d’autres usages demandeurs (usage urbain), soit parce que le changement climatique et la dégradation des sols vont créer une pression inter-nationale considérable sur les sols agricoles. Cette nou-velle justification de l’aide publique se trouve dans les

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propositions de la Commission, même si elle ne parle pas directement de biens publics. Mais la formulation actuelle de la Commission est malhabile, présentant cela comme une généralisation des mesures agri-environnementales, qui ont laissé un très mauvais souvenir aux agriculteurs car induisant une bureaucratie très complexe. Ce sera à la négociation d’améliorer ces propositions et le Commis-saire semble prêt à ça.

Ces propositions sont-elles à même d’amorcer la transition vers l’agriculture durable que vous appelez de vos vœux ?Les propositions vont dans ce sens, mais il faut aller bien plus loin, selon moi, que la seule généralisation des mesures agri-environnementales du deuxième pilier. Il s’agit d’encourager la transformation de toute l’agriculture européenne vers une agriculture plus durable, utilisant moins d’eau, d’engrais et de pesticides et pratiquantdes nouvelles techniques de labour. Il s’agit de généraliser l’agriculture raisonnée, écologiquement intensive selon l’expression de Michel Griffon. Cette orientation est déjà prise par de nombreux agriculteurs, coopératives, lycées agricoles. Ces acteurs n’attendent pas les circulaires minis-térielles pour changer, on voit déjà de très nombreuses ini-tiatives d’agriculture biologique, de préservation de races et d’espèces locales, de semis sans labour, etc. Le rôle de la PAC serait d’encadrer et d’encourager ce mouvement, avec des mesures simples et efficaces.

D’autres points vont dans le sens de plus de durabi-lité. D’une part, la reconnaissance par la PAC de la diver-sité de l’agriculture. Il ne faut plus opposer une forme d’agriculture à une autre. La durabilité, selon moi, c’est l’horizontalité, c’est la capacité à combiner un système productif tenant compte de la nature spécifique des sols, des climats, etc. Les gens qui ont eu des responsabili-tés dans les années 1960-1980, dont je fais partie, ont développé une agriculture très verticale, un modèle unique s’imposant partout, quel que soit le contexte. Il faut renoncer à cela. D’autre part, il faut régionaliser les aides. Nous ferions de grands progrès si au moins le second pilier, voire une partie du premier, était géré au niveau régional. Nous aurions ainsi une bien plus grande adhésion des agriculteurs, et la possibilité de combiner les structures communautaires, nationales et régionales aux organisations professionnelles agricoles. Ce qu’il faut faire, c’est donc la prise en charge des biens publics, la reconnaissance de la diversité et la régionali-sation des aides.

Enfin, le dernier aspect est de garder les outils aussi simples que possible. Nous savons ce qu’il faut faire depuis plusieurs années, mais nous peinons à avancer car une partie des agriculteurs considérait ces mesures comme étant punitives. On les critiquait, accusait, surveillait, on leur demandait de remplir des papiers et de se soumettre à un régime bureaucratique. Je pense que cette approche est une erreur : tout ce qui peut reposer sur des critères simples, et être efficace et contrôlable, doit être soutenu. Il y a bien sûr des risques de fraude, mais nous savons mettre en place des contrôles efficaces.

À côté de l’enjeu environnemental, qu’en est-il de l’emploi en agriculture ? La dimension emploi est-elle discutée aujourd’hui ?Les populations agricoles sont maintenant à un niveau tres bas, à l’exception de certains pays d’Europe centrale et orientale. On se pose par endroits la question non pas du maintien des populations, mais du maintien de la pro-duction, avec un retour à la friche tout à fait envisageable. Et cela en particulier dans les zones difficiles, les zones montagneuses. Sur ce point, la politique européenne a été positive. On a maintenu de manière artificielle au regard du marché des productions, comme l’élevage en zone de montagne, via des aides directes. Quand on se demande quelle agriculture nous souhaitons, il faut se demander si elle doit couvrir l’ensemble du territoire. Je pense que oui, et que dans les zones difficiles il faut inventer des aides spécifiques permettant l’installation de jeunes paysans dans des conditions normales. Cela ne pose pas de pro-blème technique, c’est une question politique.

Dans des pays comme la Pologne, la Roumanie, la Bul-garie, il faut accompagner le mouvement. Il y a un mouve-ment naturel, lié au vieillissement, de réduction des toutes petites exploitations. Nous n’avons pas aujourd’hui les moyens financiers que nous avions dans les années 1960, nous avions alors des aides à la formation de jeunes agri-culteurs et des indemnités viagères de départ. Il faut – tout en respectant la diversité – aller vers une certaine conver-gence compétitive.

Vous parliez dans votre ouvrage de nouveaux horizons pour l’agriculture européenne et la PAC. Qu’en est-il dans cette réforme ?Il n’y a rien sur l’horizon euro-méditerranéen de la PAC dans la réforme actuelle, mais la question est centrale. Il ne s’agit pas uniquement du développement de l’agri-culture dans ces pays-là, ni d’une simple question de

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La PAC : de la production au développement rural

Depuis le milieu des années 1980, le budget de la PAC, tant dans les instruments financés que dans son poids relatif dans le budget total de l’Union européenne, a profondément changé. À l’intérieur du premier pilier budgétaire, la régulation des prix agricoles européens et les subventions à l’export ont laissé la place à des paiements directs, graduellement découplés – c’est-à-dire séparés d’une obligation de production –, tandis que se dévelop-paient les aides du second pilier, consacré au développement rural et à l’environnement.

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calendrier de commercialisation. Il s’agit pour les Euro-péens d’être davantage présents pour le développement agricole des pays de la rive sud de la Méditerranée : par des prises de participation, des associations, des inves-tissements directs. Nous devrions discuter avec eux des moyens que l’UE pourrait mettre à leur disposition pour développer leurs propres agricultures. Sans idée de se par-tager les opportunités de production, « toi tu fais ceci, moi je fais cela », mais pour trouver de l’emploi localement, de la production agricole pour leurs marchés intérieurs et pour exporter vers l’Union. C’est à la portée de l’UE à 27 de se montrer plus accueillante dans le domaine agricole envers les pays du Sud. C’est ça le bon calcul économique, malgré les réticences de nombreux Européens. Plus nous achèterons des produits que ces pays produisent dans de meilleures conditions, avec des avantages comparatifs notamment climatiques, plus nous serons en mesure de leur vendre les produits que nous faisons mieux : céréales, élevage, produits agroalimentaires transformés.

D’autres chantiers à mettre sur la table ?La question de la réciprocité est un problème majeur non abordé par la réforme. Considère-t-on que l’agri-culture européenne soit définitivement ouverte, ou au contraire qu’elle mérite une part de protection quand ses concurrents ne sont pas dans les mêmes conditions ou ne s’imposent pas les mêmes exigences ? Certains grands pays agricoles peuvent non seulement nous concurrencer, mais mettre en danger sérieux nos pro-ductions : soja brésilien, viande bovine argentine, blé canadien. Ce débat est difficile, mais nécessaire, d’au-tant plus que l’absence de conclusion du cycle de Doha rouvre la question de la libéralisation du secteur agri-cole. La Commission n’a pas voulu aborder ces sujets difficiles et controversés. C’est une erreur, car les ques-tions liées à la protection de nos systèmes produc-tifs, agricoles et industriels se posent, et si les respon-sables politiques ne les abordent pas, les peuples les y contraindront. n

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Chapitre 15La sécurité alimentaire comme bien public global

Depuis trop longtemps, les politiques agricoles, énergétiques et de développement ont perdu de vue l’impératif de sécurité alimentaire. Pourtant, en tant que bien public global, la sécurité alimentaire doit être un objectif structurant pour la gouvernance mondiale. Mais une réforme de cette dernière n’est pas suffisante, et il faut prendre pleinement conscience du rôle que doivent jouer les politiques nationales et de l’importance croissante des acteurs privés.

Le constatAfin de comprendre la sécurité alimentaire comme bien public global, et la nécessité de coordination internationale qui en découle, il faut repartir de la crise des prix alimentaires de 2007-2008 et en dérouler le fil. Cette crise avait une série de causes immédiates 1. Certaines causes se situent du côté de l’offre de matières premières agricoles. Dans certaines régions, les récoltes de 2005 et de 2006 ont été faibles, en raison de phénomènes météorologiques, entraînant une première hausse des prix. Mais l’augmentation des prix de l’énergie, à la fois pour la production agricole et pour le trans-port d’intrants et des récoltes, a handicapé la possibilité pour les producteurs agricoles de répondre aux signaux des marchés. En outre, la croissance de la productivité agricole s’est

1. Pour une analyse de ces principaux facteurs, voir l’analyse que j’ai présentée en ma qualité officielle de Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, le 2 mai 2008 (disponible sur : http://www2.ohchr.org/english/issues/food/index.htm).

fortement ralentie depuis les années 2000 : la productivité par hectare a atteint sans doute un plafond dans beaucoup de régions des pays développés, et elle est demeurée stagnante dans quelques pays en développement (PED) en raison des difficultés qu’éprouvent ces producteurs à avoir accès au crédit et à des soutiens publics, ainsi que de la faiblesse des infrastructures rurales. L’augmentation des prix de l’énergie a par ailleurs signifié une augmentation des prix des engrais de synthèse, des pesticides, du transport et de la transformation des récoltes, créant un écart entre l’évolution des prix des denrées alimen-taires sur les marchés internationaux d’une part, les bénéfices pour les agriculteurs d’autre part : tandis que les prix des denrées commen-çaient à croître, les profits qui devaient en prin-cipe en découler pour les producteurs ont été largement absorbés par l’augmentation des coûts de production.

Du côté de la demande, l’augmentation des prix de l’énergie a conduit à une croissance

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de la demande de biocarburants – entraînant une augmentation des prix du maïs, puis du soja et de l’huile de palme – et à une pression accrue sur les terres arables, la production de récoltes pour l’alimentation ayant à subir la concurrence de la production de fourrage et de bioénergie 2. L’écart entre la croissance de la demande et la capacité de l’offre de matières premières agricoles a augmenté progressive-ment. Déjà en diminution à l’échelle mondiale depuis la fin des années 1990, les stocks se sont rétrécis dangereusement à partir de 2006. Dans ce contexte tendu, la spéculation a joué un rôle aussi bien sur les marchés physiques, comme notamment celui du riz [Slayton, 2009], que sur les marchés financiers des produits dérivés : il n’en fallait guère plus pour que le sentiment d’une rareté nouvelle débouche, au printemps 2008, sur la panique des opérateurs du marché, créant la brutale hausse des cours que chacun a encore en mémoire.

Ces causes sont connues, et il n’est pas nécessaire ici de s’y attarder davantage. Ce qu’il faut en revanche souligner, c’est que la crise a mis en lumière à la fois les incohérences de la gouvernance mondiale de la sécurité ali-mentaire – ou plutôt le prix de son absence – et la nécessité d’une coordination internationale renforcée pour y remédier. Car derrière les causes immédiates de l’augmentation des prix des matières premières agricoles se situent des évolutions plus structurelles. Trois évolutions en particulier sont à souligner.

Premièrement, depuis près de quarante ans, les investissements dans l’agriculture vivrière des PED ont été insuffisants. En Amérique latine et dans plusieurs pays d’Asie du Sud, les années 1960-1970 ont été caractérisées par le lancement d’une « révolution verte » misant sur une agriculture plus capitalisée, faisant appel à une irrigation massive, à la mécani-sation de la production agricole, à l’apport d’intrants externes – engrais chimiques et pesticides – et à la distribution de semences à haut rendement, développées dans des centres publics de recherche agronomique

2. 70 % de l’augmentation de la production de maïs entre 2004 et 2007 est allée à la production d’éthanol [Christiaensen, 2009 : 10].

[Borlaug, 2000 ; Holt-Gimenez et Patel, 2009 ; Shiva, 1991]. Un degré élevé de coopé-ration internationale a d’ailleurs caractérisé cette évolution, puisque la recherche publique développée, par exemple, au Mexique et aux Philippines, a bénéficié à un grand nombre de pays dans les deux continents concernés. En Afrique subsaharienne, en revanche, cette révolution technologique n’a pas eu lieu au cours de la même période : les agriculteurs ont été largement abandonnés à eux-mêmes, même si le souci de promouvoir les progrès de l’industrie et de garantir l’accès à des denrées alimentaires à bas prix pour les populations a conduit les gouvernements à accorder certains soutiens, y compris par des achats publics centralisés, afin de réaliser ces objectifs. Ces itinéraires très différents convergent sur un point : la pauvreté et l’inégalité dans les zones rurales ont augmenté, la direction du développement agricole ayant généralement favorisé les producteurs les mieux dotés en terre et en capital et reliés aux voies de com-munication, sans qu’une attention suffisante soit portée aux petits agriculteurs situés dans les zones enclavées ou travaillant sur des terres plus marginales. Dans un contexte dominé par la crainte de pénuries face à une forte croissance démographique, on a voulu miser sur le renforcement de l’efficience de la production agricole, sans accorder le même degré d’attention aux questions d’accès et de justice distributive. Le démantèlement quasi généralisé des interventions publiques dans le secteur agricole au cours des années 1980 et 1990, dû largement aux plans d’ajustement structurel imposés aux PED endettés, n’a fait qu’accentuer cette évolution : passés au crible de la libéralisation, seuls les producteurs les plus compétitifs ont pu émerger, beaucoup d’autres se trouvant confinés à l’agriculture de subsistance ou obligés de quitter l’agriculture pour gonfler les bidonvilles des grandes cités.

Deuxièmement, l’augmentation de la pro-duction agricole n’a pas résolu le problème de sécurité alimentaire. Grâce aux progrès de la révolution verte, la production agricole mondiale a augmenté au cours des cinquante dernières années. Et elle a crû partout, même

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si, en Afrique subsaharienne, la production n’a pas augmenté par rapport à la population (à cause de la forte croissance démographique), et les seuls gains de production ont été réalisés non par une augmentation des rendements par hectare mais par une extension des surfaces cultivées. Mais ces progrès concernant la disponibilité des matières premières agricoles ont été accompagnés d’une croissance de la pauvreté rurale, la petite agriculture familiale, dont dépend une majorité des populations rurales, n’ayant pas vu son sort s’améliorer, devant parfois faire face à une pression accrue sur les terres et les ressources en eau dont elle dépend, en raison de la concurrence exercée par l’agriculture plus fortement capitalisée et plus compétitive sur les marchés. On a donc produit la faim, en même temps qu’on a augmenté la production. Or, cet échec est aussi un échec de gouvernance, en cela que les poli-tiques publiques ont été conçues de manière technocratique, au départ d’un diagnostic incomplet des causes de la faim et n’ont pas été alignées sur l’objectif de l’amélioration de la sécurité alimentaire. Les investissements dans l’agriculture ont été excessivement tournés vers la promotion des cultures d’exportation ; insuffisamment attentifs aux impacts envi-ronnementaux et sociaux des avancées tech-nologiques ; et ils ont choisi des indicateurs de succès (l’augmentation de la production per capita, la croissance de la compétitivité ou l’accroissement des revenus d’exportations) qui ont orienté les choix vers des fins autres que la sécurité alimentaire [De Schutter, 2011].

Non seulement les politiques agricoles n’ont pas été indexées sur l’objectif de sécurité ali-mentaire, mais la libéralisation des échanges de produits agricoles et les politiques commer-ciales ont détourné les gouvernements de cet objectif. Les prescriptions macroéconomiques des années 1980 ont incité les gouvernements d’un grand nombre de PED à abaisser les droits à l’importation sur les denrées alimentaires. Ils y trouvaient un intérêt de court terme en favorisant l’accès de nourriture à prix abor-dable pour les populations urbaines. Mais les petits producteurs locaux, trop peu compétitifs

sur les marchés internationaux ou ayant des cultures vivrières non destinées à l’exporta-tion, ont subi la concurrence sur leurs propres marchés de produits fortement subventionnés par les pays de l’OCDE : la ruine des petits agriculteurs cherchant à écouler leur produc-tion sur les marchés locaux s’est accélérée 3. La conclusion, en 1994, de l’Accord de Marrakech instituant l’OMC n’a fait que confirmer ce qui, à cette date, se trouvait déjà acquis : l’abaisse-ment progressif des droits de douane sur les produits agricoles, incitant à la fois les PED à se spécialiser dans la production de matières premières agricoles et à dépendre de manière accrue des importations pour l’importation des produits alimentaires transformés. La division internationale du travail (DIT) que l’Accord codifie n’est pas nécessairement favorable aux pays les moins avancés. Surtout, elle a des impacts ambigus sur la sécurité alimentaire. Si certains gains d’efficience ont pu être réa-lisés, la dépendance de ces pays pauvres aux importations les rend vulnérables aux hausses de prix sur les marchés internationaux. La pauvreté dans les zones rurales a augmenté, et avec elle, mécaniquement, le nombre de personnes n’ayant pas accès à la nourriture à un prix abordable.

Enfin, troisièmement, les politiques énergé-tiques n’ont pas été aiguillées vers l’impératif de sécurité alimentaire. Depuis les années 1940, les systèmes alimentaires des pays de l’OCDE ont développé une forte dépendance aux éner-gies fossiles. La mécanisation de la production, l’utilisation d’engrais minéraux et de pesticides issus de l’industrie chimique, et l’allongement des chaînes d’approvisionnement – augmen-tant les coûts de transport et de conservation sur des longues distances – y ont contribué. La diffusion de la révolution verte dans les PED a étendu cette dépendance dans plusieurs régions importantes. Plus récemment, c’est le choix de miser sur les agrocarburants, étha-nol ou biodiesel produits à partir de plantes

3. En outre, cette situation a incité les organismes de coopération au développement, dans l’ensemble à se détourner progressivement de l’agriculture, considérée comme ne représentant pas un secteur d’ave-nir pour les PED [Banque mondiale, 2007 : 7]).

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(maïs, canne à sucre, betterave ou jatropha par exemple) qui a accentué la fusion entre les marchés de l’énergie et de l’agriculture. La conséquence est mécanique : lorsque les prix du pétrole ou du gaz augmentent, les cours des produits agricoles suivent le mouvement, et les prix des denrées alimentaires peuvent s’en trouver affectés 4 (repère 1).

En d’autres termes, la crise des prix ali-mentaires de 2007-2008 a mis en lumière non seulement la fragilité de certains pays pauvres, importateurs nets de denrées alimentaires, vulnérables aux hausses de prix, mais aussi le fait que les politiques agricoles, commerciales et énergétiques n’étaient pas alignées sur, voire portaient atteintes à, l’objectif de la sécurité alimentaire. Même l’aide alimentaire déployée au cours des trente dernières années avait parfois des effets pervers, déstabilisant des

4. Le débat sur ce point n’est pas clos.

marchés locaux déjà fragiles, en venant faire concurrence aux producteurs dans les régions bénéficiaires [FAO, 2006]. C’est du constat de ces incohérences qu’est venue l’idée d’une meilleure coordination internationale des dif-férentes politiques sectorielles ayant un impact sur la sécurité alimentaire à l’échelle nationale [Christiaensen, 2009].

La réforme de la gouvernance mondiale de la sécurité alimentaireLorsque les prix des denrées alimentaires ont explosé au printemps 2008, la réaction des agences des Nations unies a été de former, sous la présidence du Secrétaire général des Nations unies, une Équipe spéciale de haut niveau sur la crise mondiale de la sécurité alimentaire (généralement désignée à partir de son acronyme anglais HLTF, High Level Task Force on the Global Crisis of Food Security). La HLTF regroupe, sous l’égide de l’ONU et

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1Les prix des produits alimentaires n’augmentent pas seuls

Les prix des produits alimentaires n’ont cessé d’augmenter depuis 2000, avec une accélération de cette progression depuis 2008. Les prix des matières agricoles ont suivi quasiment la même évolution. Les uns comme les autres répercutent l’augmentation des prix d’autres ressources fondamentales, notamment celui du pétrole, conditionnant le coût de beaucoup d’intrants chimiques comme du transport des produits alimentaires.

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de la FAO, des représentants des agences onusiennes spécialisées (notamment le Fonds international pour le développement agricole, Fida, ou l’Unicef) ainsi que des institutions de Bretton Woods et de l’OMC.

La HLTF vise principalement à identifier pour les gouvernements une « palette d’op-tions » que ceux-ci sont encouragés à explorer afin de faire face à l’insécurité alimentaire, liée notamment à la hausse des prix : ces options sont énoncées dans un « cadre complet pour l’action » (Comprehensive Framework for Action), mettant en avant les différentes pistes que les États peuvent emprunter et les conséquences qui en découlent. C’est donc, dès fin avril 2008, une première tentative de coordination qui se met sur pied. Mais la HLTF reste un organe de concertation entre agences internationales. Ni les gouvernements, ni la société civile n’y sont représentés. Or, s’il faut un meilleur alignement des différentes politiques sectorielles qui ont un impact sur la sécurité alimentaire, il semble indispensable qu’une coordination intègre ces acteurs.

C’est cette coordination que tentera d’appor-ter à l’avenir le Comité de la sécurité alimen-taire mondiale (CSA ou CFS pour Committee for World Food Security). Formellement, celui-ci est simplement un comité de la FAO, créé en 1974, à la suite du premier Sommet mondial sur la sécurité alimentaire, afin de faire des propositions au Conseil de la FAO sur la base d’un examen des politiques relatives à la sécurité alimentaire mondiale. Mais la trente-cinquième session annuelle du CFS a été l’occasion de son ambitieuse réforme, avalisée par le Conseil de la FAO [CSA, 2009]. La réforme ambitionne de faire du CSA une instance de concertation entre l’ensemble des parties prenantes visant à contribuer à la sécu-rité alimentaire et à une meilleure nutrition, et à constituer la principale plateforme interna-tionale et intergouvernementale à cette fin.

Soulignons que le CSA n’est pas un forum de donateurs : il n’a pas pour vocation d’inciter les gouvernements des pays riches à prendre des engagements financiers visant à soutenir l’effort des PED envers leur agriculture. Il faut plutôt l’envisager comme un lieu où devra se

forger un consensus sur certaines questions d’intérêt commun à l’ensemble des régions du monde, situées au croisement des préoccu-pations de plusieurs agences internationales, et intéressant l’investissement public comme l’investissement privé. Or, c’est peut-être là – dans l’écart entre les ambitions affichées et la capacité de provoquer les évolutions jugées nécessaires – que se situe le principal point d’interrogation.

L’angle mort des réformes : le rôle de l’investissement privéSubsiste en effet un obstacle majeur à la pour-suite de la cohérence et des transitions néces-saires vers des systèmes agricoles et alimen-taires plus durables : les États les plus pauvres manquent de moyens budgétaires et ils ne sont pas en mesure de financer par eux-mêmes les politiques qu’ils souhaiteraient mettre en œuvre.

Cela les place d’abord dans une forte dépen-dance vis-à-vis des donateurs. Or, au cours des dernières années, la tendance des donateurs à imposer diverses exigences aux bénéficiaires sans coordination entre eux a été de plus en plus dénoncée en raison du fardeau que ceci imposait aux capacités administratives des gouvernements partenaires, et en raison de l’inefficacité de l’aide qui en découle [Easterly, 2006]. Le 2 mars 2005, la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement a été adoptée sous les auspices de l’OCDE pour tenter d’améliorer la qualité de l’aide. Elle a été approuvée par 122 gouvernements, la Commission européenne et 27 organisations. Les engagements qui y figurent sont axés sur cinq principes visant un changement d’orien-tation des politiques d’aide : l’appropriation nationale, l’alignement sur les priorités défi-nies au plan national, l’harmonisation entre donateurs, la gestion axée sur les résultats et la responsabilisation mutuelle [OCDE, 2007].

Mais, surtout, le manque de moyens bud-gétaires des pays les moins avancés signifie que ces pays sont fortement tributaires de l’arrivée d’investissements privés, pour le développement d’infrastructures de stockage ou de communication ou pour le soutien à la

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fourniture de biens privés – engrais, semences à haut rendement, ou pesticides – aux agricul-teurs. Cela place ces pays face à un dilemme : renoncer à ces investissements, c’est se priver de la capacité de financer des programmes de relance de l’agriculture qui ont trop longtemps été négligés ; mais vouloir accueillir ces investissements, c’est risquer de ne pouvoir les orienter vers les besoins les plus urgents, par exemple vers le soutien aux petits agriculteurs, situés dans les zones les plus reculées ou travaillant sur les terres les plus marginales – ceux justement qu’il faudrait le plus aider.

C’est en ces termes que l’on peut com-prendre le débat sur les investissements agri-coles à large échelle, qui a suscité beaucoup d’attention à partir de fin 2008 [De Schutter, 2011b]. Ces investissements prennent la forme d’achats ou de prise en location à long terme de grandes surfaces de terres arables dans les PED, aussi bien par des opérateurs privés (firmes agroalimentaires et fonds d’investis-sement) que par les gouvernements de pays relativement pauvres en ressources naturelles (soucieux de garantir la sécurité alimentaire à long terme de leurs propres populations en développant ailleurs des capacités de produc-tion agricole). Dans la mesure où ils visent à développer des cultures d’exportation sous la forme de grandes plantations relativement peu intensives en main-d’œuvre et contribuant peu à l’économie locale, mais utilisant les terres les plus riches et les mieux situées, ces investissements paraissent peu favorables à la sécurité alimentaire locale. Mais comment, sinon en accueillant ces investisseurs étran-gers, « développer » des terres qui autrement demeureraient sous-exploitées ?

Un dilemme de même nature concerne l’agri-culture contractuelle. Celle-ci consiste, pour les acheteurs de l’agroalimentaire à conclure des accords de long terme avec des producteurs, afin de se garantir une source d’approvision-nement stable en matières premières agricoles. En échange d’un engagement à fournir cet acheteur et à respecter ses exigences en matière de volumes, de délais de livraison et de cahier des charges, les producteurs se voient garantir un accès au marché ; ils reçoivent une certaine

assistance technique ; ils ont le plus souvent la possibilité d’acquérir les intrants nécessaires à la production à des prix en deçà des prix du marché, l’acheteur achetant ces intrants à des prix de gros et les redistribuant aux pro-ducteurs avec lesquels il a conclu des contrats d’approvisionnement. De tels accords semblent dans l’intérêt des deux parties. Ils dispensent le gouvernement de devoir lui-même fournir aux petits agriculteurs les services que l’acheteur dispense, intrants et assistance technique. Mais, en même temps, si les pouvoirs publics ne jouent pas un rôle actif dans l’orientation de ces investissements, les petits agriculteurs les plus marginalisés risquent d’être laissés de côté. Ces petits agriculteurs situés loin des voies de communication, disposent de parcelles trop petites (ce qui interdit de réaliser des économies d’échelle en investissant dans l’aménagement du terrain) et sont illettrés ou trop mal formés : pour toutes ces raisons, les coûts de transaction pour l’acheteur potentiel qui voudrait s’approvisionner auprès d’eux sont souvent trop élevés pour que des relations de long terme puissent se nouer [Key et Runsten, 1999 : 396]. Faut-il alors décourager les investis-seurs potentiels, dont l’arrivée ne favorisera pas une augmentation des revenus des agriculteurs les plus pauvres ? Ou bien faut-il au contraire les attirer, mais en encadrant leurs pratiques afin qu’elles contribuent aux stratégies de développement arrêtées au plan national dans le pays d’accueil ? Une relation de subsidiarité peut-elle se concevoir entre les rôles respectifs de l’investisseur privé et de l’État ?

L’émergence, depuis 2006, de l’Alliance pour une révolution verte pour l’Afrique (AGRA), illustre encore cette difficulté [Toenniessen, Adesina et Devries, 2008 ; Daño, 2007]. Créée avec le soutien des fondations privées Gates et Rockefeller (contribuant respective-ment 100 et 50 millions de dollars au départ), AGRA veut reproduire, en Afrique, la révolu-tion technologique dans l’agriculture opérée dans les années 1960 en Amérique latine et en Asie du Sud, tout en tirant les enseignements des conséquences environnementales néga-tives de la première révolution verte [Conway, 1997]. À cette fin, elle mise sur les breadbasket

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regions, les régions à fort potentiel agricole, où elle veut soutenir les agriculteurs par la four-niture d’intrants, notamment des semences de variétés à haut rendement : au cours de la période 2009-2012, 40 % de son soutien ira au Ghana, au Mali, au Mozambique et à la Tanzanie, qui sont des pays identifiés comme adéquats au regard de l’indicateur Doing Business de la Banque mondiale, c’est-à-dire ayant créé un environnement favorable à l’in-vestissement privé [AGRA, 2009 : 8 5]. L’objectif poursuivi est celui de la création de marchés qui, à terme, devront devenir viables : dans les treize pays où elle opère aujourd’hui, l’Alliance veut favoriser l’émergence d’« agriculteurs-entrepreneurs » qui pourront développer une agriculture suffisamment capitalisée pour encourager les fournisseurs privés d’intrants à les desservir et à investir dans une distribution à l’échelle régionale.

Le projet d’AGRA consiste à lever les obs-tacles à l’acquisition d’intrants par les petits agriculteurs (dont le pouvoir d’achat est trop faible pour intéresser les distributeurs d’intrants, surtout tenant compte des coûts de distribution liés à leur dispersion géogra-phique) ainsi qu’à leur accès aux marchés (obstacles liés à l’absence d’infrastructures adéquates, mais aussi d’informations sur les prix ou les attentes des acheteurs), et donc de relier ces agriculteurs aux marchés aussi bien comme acheteurs d’intrants que comme fournisseurs de produits agricoles. Cet accès aux marchés est défini comme la clé permet-tant la sortie de l’agriculture de subsistance, tournée essentiellement vers l’autoconsom-mation. C’est vers cet objectif que convergent les principaux programmes d’AGRA. Ceux-ci visent à soutenir 40 entreprises africaines de production de semences et 10 000 distribu-teurs (Program on African Seed Systems) ; à favoriser la création de marchés ruraux, de bourses de récoltes, et d’entrepôts (Market Access Program) ; à encourager un meilleur

5. Par ailleurs, 40 % du soutien d’AGRA ira à neuf autres pays (le Burkina Faso, l’Éthiopie, le Kenya, le Malawi, le Niger, le Nigeria, le Rwanda, l’Ouganda et le Zimbabwe), et 13 % supplémentaires iront à des opérations de sensibilisation sur l’ensemble du continent afri-cain ; 7 % iront aux frais de fonctionnement.

entretien des sols, en commençant par une cartographie des sols africains (SoilHealth Program) ; et à encourager les gouvernements africains à renforcer leur soutien à l’agriculture et à subventionner l’achat d’intrants (Policy and Partnership Program). En outre, AGRA collabore avec plusieurs partenaires. Ainsi, elle a annoncé, le 15 avril 2009, la création d’un fonds d’investissement agricole pour l’Afrique, mis en place conjointement par elle, par la Banque africaine de développement (BAfD) et le Fida, avec l’appui de l’Agence française de développement, et visant à mobiliser 500 mil-lions d’euros à l’appui de l’agro-industrie et des coopératives agricoles en Afrique.

Ce n’est pas le lieu ici de détailler ces projets et d’en proposer une évaluation, même som-maire. En revanche, il faut relever qu’un des défis attendant les gouvernements africains est, ici encore, celui de la cohérence. Les budgets à la disposition d’AGRA, que le secteur privé trouve un intérêt à soutenir, sont supérieurs à ceux dont disposent beaucoup de gouverne-ments africains pour la relance de leur agricul-ture : comment, dans ces conditions, garantir l’appropriation nationale des programmes ? Les priorités d’AGRA seront-elles conformes à celles fixées dans les politiques nationales des États ? Si AGRA bénéficie aux agriculteurs capables de se muer en « entrepreneurs », et progressivement d’opérer la transition vers une agriculture plus capitalisée attirant des inves-tisseurs privés, quel sera le sort des plus petits agriculteurs, qui ne sont pas adaptés à cette évolution ? Les pressions sur les terres et l’eau ne vont-elles pas s’accroître, et la concurrence entre agriculteurs ne va-t-elle pas finalement jouer au détriment justement de celles et ceux qu’il faudrait le plus aider – les plus pauvres, travaillant dans les zones agro-écologiques les plus défavorables, et qui ne sont pas en mesure de bénéficier de l’introduction de nouvelles technologies ?

Le rôle des stratégies nationalesUne question clé est dès lors celle de la coor-dination intersectorielle et de la cohérence entre l’investissement et l’aide au développe-ment, d’une part, et la fixation des priorités

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nationales, d’autre part. La déclaration adoptée par les ministres de l’Agriculture du G20 lors de la réunion tenue sous présidence française les 22 et 23 juin 2011 reconnaît à cet égard que les investissements dans l’agriculture « doivent entrer dans le cadre des plans d’investisse-ment élaborés par les pays eux-mêmes » (para-graphe 19). De même, la déclaration adoptée à Rome lors du Sommet mondial sur la sécu-rité alimentaire des 16-18 novembre 2009 iden-tifie comme le premier desdits « Principes de Rome » celui d’« investir dans des plans pris en charge par les pays, visant à affecter les ressources à des programmes et des partena-riats bien conçus et axés sur les résultats 6 ». L’Initiative de L’Aquila sur la sécurité alimen-taire, adoptée dans le cadre du G8 réuni les 8-10 juillet 2009, insiste également sur cette dimension de l’alignement des investissements sur les stratégies nationales.

Cette préoccupation d’une appropriation nationale figure également au cœur de l’ap-proche qui découle, pour les poli-tiques de développement agricole, du droit à l’alimentation. Après que les gouvernements réunis lors du Sommet mondial de l’alimen-tation de 1996 eurent lancé un appel à clarifier les exigences nor-matives du droit à l’alimentation, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CDESC) – groupe d’ex-perts indépendants chargé de la surveillance du respect du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels – a consacré une Observation générale au droit à l’alimentation, qui est venu en préciser les implications pour les gouvernements [CDESC, 1999]. Entre 2002 et 2004, un texte contenant un ensemble de recommandations portant sur la mise en œuvre du droit à l’alimentation a ensuite été négocié par les États au sein de la FAO : ce texte, les Directives volontaires

6. Les dirigeants de la planète réaffirment que « la responsabilité de la sécurité alimentaire incombe aux pays et que tout programme visant à relever les défis de la sécurité alimentaire doit être formulé, élaboré, pris en charge et conduit par les pays et prendre appui sur une concertation avec toutes les principales parties prenantes » [FAO, 2009 : 9].

à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate dans un contexte de sécurité alimentaire nationale, est adopté à l’unanimité des membres du Conseil de la FAO le 23 novembre 2004.

Comme l’Observation générale no 12 du CDESC, les directives sur le droit à l’alimenta-tion appellent à l’adoption de stratégies natio-nales définissant quelles mesures doivent être prises, par qui, dans quels délais, et moyennant quelles procédures. Pareilles stratégies natio-nales ou plans d’action visent à garantir que les ressources appropriées seront mobilisées. Elles visent à améliorer la coordination à travers différents départements ministériels, afin d’assurer que les causes multiples de la faim (reliées entre elles) seront écartées. Ces stratégies obligent à rendre des comptes : en assignant des rôles à chacun et en définissant les responsabilités, elles facilitent le travail des organisations de la société civile et d’autorités indépendantes – telles que les institutions

nationales des droits de l’homme ou les juridictions –, qui pourront exiger des pouvoirs publics qu’ils justifient leurs choix à la lumière du plan de route qui a été fixé. Ces plans d’action autorisent parfois des ombudsmen ou des institutions équivalentes à réagir à la passivité des autorités. Et ils

favorisent l’apprentissage collectif : dès lors que les progrès réalisés sont mesurés à l’aide d’indicateurs, les politiques qui échouent à pro-duire des résultats peuvent être corrigées à un stade précoce. Enfin, parce que ces stratégies doivent être conçues comme participatives et inclusives, elles sont une source de démocra-tisation de la décision, et elles garantissent que les décisions seront prises à la lumière des véritables besoins, tels qu’ils sont exprimés par les personnes concernées.

Les gouvernements doivent s’assurer que l’orientation de leurs politiques agricoles, mais aussi les choix qui sont faits dans les domaines du commerce international, des politiques énergétiques et de lutte contre le changement climatique, ou dans ceux de l’aide alimentaire ou de la coopération au développement,

Les États doivent se réapproprier la direction de

l’investissement dans

l’agriculture.

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convergent vers l’amélioration de la sécurité alimentaire. Et ils doivent se réapproprier la direction de l’investissement dans l’agri-culture, et ne pas laisser la définition des priorités à d’autres acteurs intéressés, tels les investisseurs, souhaitant s’approprier les meil-leures terres ou les fondations privées. Ces fondations sont en effet souvent convaincues que la transition vers une agriculture forte-ment capitalisée, reposant sur des agriculteurs connectés aux marchés, constitue la solution à l’absence de développement rural et à la pau-vreté qui affecte un nombre si important de petits agriculteurs pratiquant une agriculture familiale. La réforme de la gouvernance de la sécurité alimentaire a un rôle clé à jouer à cet égard, afin de favoriser cette convergence et afin de garantir cette appropriation. Il est urgent qu’au sein des PED, ceux surtout où l’agriculture a pris du retard et doit à présent être réinstallée au cœur des politiques de développement, les gouvernements acceptent de transformer leurs modes de gouvernance et élaborent ces stratégies nationales en accep-tant de se soumettre au contrôle de l’opinion publique et de partager le pouvoir avec les organisations paysannes. Réinvestir dans l’agriculture, ce n’est pas seulement s’assurer que la productivité agricole va augmenter

dans les régions où elle est demeurée basse, pratiquement inchangée depuis quarante ans. C’est aussi, par là, gagner le combat contre la pauvreté rurale, et donc lutter contre la faim et la malnutrition ; et c’est, par l’augmentation du niveau de vie des populations rurales dont le pouvoir d’achat est aujourd’hui insuffisant pour constituer un débouché pour les offreurs locaux de biens et de services, favoriser un développement de l’ensemble des secteurs économiques des pays très pauvres, à partir d’une régénération de l’agriculture [Adelman, 1984].

La réforme de la gouvernance interne doit s’accompagner de la réforme de la gouver-nance mondiale. La reconstitution du CSA, si elle débouche sur l’adoption d’un cadre stra-tégique mondial robuste contenant un agenda de réforme précis, constitue une promesse à cet égard. Ce cadre devrait inspirer l’action des différentes agences internationales réunies au sein du CSA, et il devrait orienter les rapports entre les gouvernements donateurs et leurs partenaires du Sud. Progressivement, ce à quoi doit tendre le cadre stratégique mondial, c’est à améliorer l’environnement international au sein duquel les pays pauvres pourront voir leurs efforts récompensés. C’est cette promesse qu’il nous faut à présent tenir. n

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Réforme du Comité de la sécurité alimentaire : opportunités pour la gouvernance mondiale ?

Sélim LOUAFI, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, France

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La Sécurité alimentaire internationale : une architecture fragmentéeLes crises des prix alimentaires de 2008 et de 2011 ont inscrit la question de la Sécurité alimentaire (SA) à un niveau élevé sur l’agenda international. Face à cette montée conjoncturelle, plusieurs institutions interna-tionales ont été interpellées et se sont mobilisées. Elles couvrent un large spectre d’arrangements institution-nels : agences intergouvernementales onusiennes (FAO, Fida, Pam), organisations internationales hors du cadre onusien (Banque mondiale, CGIAR), conventions ou traités intergouvernementaux sur certains aspects par-ticuliers de la SA (tels que la Convention internationale pour la protection des végétaux) ; initiatives ou pro-grammes internationaux tels que l’initiative du rappor-teur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimenta-tion ou celle du G8.

S’ajoute à ce paysage toute une série d’actions d’organi-sations ou de programmes intervenants à l’échelle transna-tionale tels que des organisations non gouvernementales, des firmes multinationales, ou encore des programmes de coopération régionale comme le CADDP en Afrique.

En fonction des mandats, des thématiques abordées ou des secteurs d’activités visés, les réponses restent toutefois partielles, concourant à une parcellisation des agendas au sein d’institutions ou d’initiatives aux dyna-miques différentes, mais dont les attributions et inten-tions se chevauchent parfois.

En l’absence de leadership affirmé d’une institution ou d’un État ou groupe d’États, cette fragmentation du pay-sage de la gouvernance globale de la SA donne l’impres-sion d’un « patchwork » problématique.

Les enjeux du Comité de la sécurité alimentaireC’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les enjeux de la réforme du Comité de la sécurité alimentaire (CSA). Le CSA a été créé à l’issue de la Conférence

mondiale sur l’alimentation de 1974, en pleine « crise ali-mentaire mondiale 1 », comme un forum d’analyse et de suivi des politiques dédié à tous les aspects de la SA dans le monde. Mais ce Comité n’est pas parvenu à engager les autres agences des Nations unies et la société civile dans ce processus, se cantonnant à un rôle technique, porté sur les aspects agricoles. Les crises alimentaires restent en effet imperturbablement pensées par ce Comité en termes de disponibilités dont le règlement passerait essentiellement par une augmentation de la production agricole. La FAO a pourtant développé, via des finance-ments extrabudgétaires, des programmes et autres initia-tives cherchant à établir des passerelles avec les enjeux socio-économiques (pauvreté, santé) et environnemen-taux (changement climatique, biodiversité) de la SA. Toutefois, ces travaux n’ont impacté que très faiblement le Comité dont l’influence sur l’agenda international de la SA reste aujourd’hui limitée.

La revitalisation du CSA s’inscrit dans la profonde réforme dans laquelle est engagée la FAO depuis 2005. Ce processus, inédit à l’échelle d’une agence des Nations unies, marque une reprise en main par les États membres d’une organisation jugée en perte de légiti-mité [McCalla, 2007 ; Lele, 2009]. La réforme du CSA impulsée par ces mêmes États membres, approuvée en octobre 2009, s’est matérialisée par une revalorisation statutaire du comité, son nouveau statut juridique lui permettant de communiquer ses décisions non seule-ment à la Conférence de la FAO mais également à l’As-semblée générale des Nations unies par l’intermédiaire du Conseil économique et social. L’objectif de cette revi-talisation du CSA vise à en faire « la principale plate-forme internationale et intergouvernementale ouverte, regroupant un large éventail de parties prenantes ayant

1. La conférence de 1974 faisait suite à une hausse des prix alimentaires après le choc pétrolier de 1971 [Maxwell, 1996].

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pris l’engagement de travailler ensemble de façon coor-donnée et à l’appui de processus impulsés par les pays pour l’élimination de la faim et la garantie de la SA et nutritionnelle de l’ensemble de l’humanité 2 ». Le CSA recherche donc la même légitimité que les conférences de Parties sur le changement climatique ou la biodiver-sité et appuie son ambition sur deux mécanismes prin-cipaux : une ouverture plus large à tous les porteurs d’enjeux et une mobilisation accrue de l’expertise.

Ouverture et expertise au sein du CSALa transformation du rôle relatif des États dans la gestion des affaires du monde est devenue un truisme dans la lit-térature sur les relations internationales [Stone, 2008]. La construction de règles internationales implique de plus en plus d’acteurs ou groupes d’acteurs qui n’exercent pas forcément (ou pas uniquement) leur influence via les canaux de la représentation nationale. Cette évolu-tion traduit une transformation plus qu’un affaiblisse-ment du rôle des États. La question de la SA n’échappe pas à cette évolution et la création d’un groupe consul-tatif au sein du CSA reflète cette mutation. Composé de représentants d’organisations non gouvernementales, d’organisations professionnelles, du secteur privé et des fondations, d’organisations internationales « sœurs » et « amies » et d’organisations financières internationales, ce groupe consultatif octroie une légitimité procédu-rale dont ne bénéficie plus la coordination intergouver-nementale seule. Elle permet surtout l’implication conti-nue de ces groupes d’acteurs, ne les cantonnant pas aux sessions plénières. Cette participation joue un rôle indé-niable dans l’accroissement de la transparence du proces-sus de prise de décision tout en assurant une représenta-tion la plus large des intérêts présents autour de la table. Elle augmente enfin la base de connaissances mobilisées (au-delà du seul domaine agricole et en son sein, de ses aspects liés à l’accroissement de la production) et ouvre la possibilité d’accroître l’apprentissage social à travers l’interaction répétée de ses membres.

Il est encore trop tôt pour mesurer l’impact d’une telle ouverture sur le processus de coordination et encore plus sur le problème à traiter. Néanmoins, le fort degré d’im-plication de certains types d’acteurs, tels les ONG, per-met d’apprécier cet impact [ETC, 2009 ; IPC, 2010]. Tra-ditionnellement exclues des discussions politiques, elles ont mis en place, à la demande du CSA, leur propre

2. Voir document CFS:2009/2 Rev 2, § 4, FAO, Rome.

mécanisme de coordination afin de renforcer leur légiti-mité et de peser davantage sur les débats. Dans la discus-sion sur l’accaparement des terres, elles ont poussé pour que la communauté internationale ne se contente pas des timides lignes directrices volontaires élaborées par les quatre organisations onusiennes (FAO, Fida, Cnuced et Banque mondiale). Lors de la session d’octobre 2010, le CSA a donc instauré un groupe de travail ouvert afin d’élaborer des principes d’investissement responsable. Celui-ci doit notamment bénéficier d’un travail de car-tographie de l’ensemble des initiatives existantes sur le sujet, d’un rapport d’expertise demandée au panel d’ex-perts de haut niveau et de la mise en place d’un processus de consultation large pour faire remonter des informa-tions, des données et des recommandations nouvelles. Sans pouvoir préjuger des débouchés de cette initiative, on peut penser qu’un tel processus n’aurait pas pu voir le jour sans la présence et l’implication des membres du groupe consultatif.

Le deuxième pilier de la revitalisation du CSA est lié à la mobilisation de l’expertise scientifique et technique. Partant du constat que la coordination internationale bute très souvent sur des diagnostics non consensuels et des controverses très fortes sur les solutions à mettre en œuvre, la mise en place d’un panel d’experts de haut niveau (influencé en partie par le modèle du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du cli-mat – Giec) est censé fournir au processus de décision politique internationale des données et recommanda-tions les plus objectives possibles. Ce panel est consti-tué d’un comité de pilotage constitué de 15 membres sélectionnés pour leur expérience et leur renommée internationale. Mais alors que l’enjeu principal du Giec était d’impliquer la communauté des sciences dures dans le champ du politique, la création du Panel d’ex-perts pour la SA doit surtout permettre de faire émerger des débats et des solutions habituellement « filtrées » par les intérêts – réels ou supposés – des institutions en place ou des États. Les deux premières thématiques dont ce panel d’expert a été mandaté sont la volatilité des prix agricoles et l’investissement responsables dans le foncier. Présentées lors de la trente-septième session du CSA d’octobre 2011, ces deux premières études sur des sujets fortement controversés ont révélé la valeur ajoutée qu’apporte une expertise moins soumise à des considérations politiques ou institutionnelles. Même si son impact sur l’élaboration de recommandations reste – sans surprise – encore limité pour l’instant,

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elle a déjà conduit aux dires de nombreux observateurs, à une amélioration de la qualité des discussions et des délibérations

Vers la construction de la sécurité alimentaire comme enjeu global ? Légitimité procédurale donc, par l’inclusion des acteurs concernés, et meilleure appréhension de la nature subs-tantielle des débats par le recours à un diagnostic spé-cialisé devraient conduire, au moins sur le papier, à rehausser et rendre plus effectif le débat politique et la coordination internationale. Pour autant, beaucoup d’obstacles restent à lever pour permettre de faire du CSA une plateforme réelle de coopération sur la SA.

Des obstacles tout d’abord liés à des aspects institu-tionnels susceptibles de saper les attendus de la réforme du CSA. En restant enchâssé au sein de la FAO, le CSA prend le risque de rabattre systématiquement, consciem-ment ou non, la question de la SA à sa dimension agri-cole. Les composantes nutritionnelles, commerciales, environnementales ou encore sociales (liées à la pau-vreté ou à la santé) restent sous-représentées malgré l’ouverture au sein du groupe consultatif ou la constitu-tion du panel d’expert. Il faudra encore un certain temps avant qu’un CSA inclus au sein d’une organisation spé-cialisée dans les questions agricoles et alimentaires, puisse asseoir sa légitimité sur ces domaines non direc-tement inclus dans son mandat.

Mais certains obstacles sont à rattacher à la nature même du problème à résoudre : si pour les questions environnementales, leur caractère global va de soi, il

n’en est pas de même pour la SA qui reste pensée comme un problème essentiellement national. Si l’on ajoute le manque de consensus sur le poids relatif à accorder aux différentes dimensions de la SA, il est particulièrement difficile de s’accorder sur ce sur quoi doit porter la coor-dination et, encore davantage, sur les outils et options politiques susceptibles d’apporter une valeur ajoutée par rapport à une situation où l’action collective globale reste faible voire absente.

Dans ce contexte, il est donc clair qu’à ce stade, per-sonne (État, groupe d’États ou institution internatio-nale) n’a la légitimité suffisante pour imposer un modèle unique d’action collective internationale. La fragmenta-tion actuelle risque donc de perdurer. Si le CSA apporte indéniablement déjà une valeur ajoutée en étant un lieu inédit où l’ensemble des porteurs d’enjeu puisse a minima échanger, s’informer et débattre des initiatives en cours, il faudra encore un certain temps et surmonter beaucoup d’obstacles pour qu’il devienne l’enceinte où se construit la SA comme enjeu global et s’élaborent des solutions qui font autorité sur l’ensemble des acteurs. Un investis-sement continu des États (au-delà des périodes de crises alimentaires mondiales), la construction de synergies avec les initiatives globales existantes (telles que celle du G20 ou de l’équipe spéciale de haut niveau du secrétaire général sur la crise mondiale de la SA), une place majeure accordée à l’expertise indépendante et une FAO capable de s’élever à la hauteur de l’enjeu, seront les détermi-nants clés pour que le CSA puisse peser durablement sur l’agenda international de la SA et avoir un impact effectif sur le traitement de la faim dans le monde. n

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Sébastien ABISAdministrateur et conseiller, Secrétariat général du Centre international des hautes études agronomiques méditerranéennes (CIHEAM), Paris, France. m Les signalisations de qualité comme instrument de valorisation de l’huile d’olive en Méditerranéep. 311-313

Vida ALPUERTOChargée d’étude, Development Strategy and Governance Division, International Food Policy Research Institute (IFPRI), Washington, États-Unis. m Agriculture et développement économique en Afrique : les termes du débatp. 183-191

Annarita ANTONELLIChercheur, Institut agronomique méditerranéen de Bari (IAMB-CIHEAM), Italie. m Les signalisations de qualité comme instrument de valorisation de l’huile d’olive en Méditerranéep. 311-313

Noura BAKKOURChargée de mission auprès de la Directrice, Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), Paris, France. m Agriculture et sécurité alimentaire : prendre la mesure d’un défi globalp. 141-151

Anne BOOTHProfesseur, Department of Economics, School of Oriental and African Studies (SOAS), université de Londres, Royaume-Uni. m Intensification agricole et forêts : le cas de l’Indonésiep. 219-228

Nicolas BRICAS Chercheur, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et membre de l’Unité mixte de recherche « Marchés, organisations, institutions et stratégies d’acteurs » (Moisa), Montpellier, France. m La crise alimentaire : une recomposition du jeu d’acteursp. 155-164

Koray ÇALISKANProfesseur assistant, département des Sciences politiques et des Relations internationales, université de Bogaziçi, Turquie. m Ethnographie de la production et de l’échange du coton dans un village turcp. 261-269

Lucien CHABASONConseiller auprès de la direction, Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), Paris, France. m Processus de Rio : bilan et perspectivesp. 117-121

Michel COLOMBIERDirecteur scientifique, Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), Paris, France. m Risques énergétiques : l’heure des choixp. 102-106

Benoît DAVIRONChercheur, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et membre de l’Unité mixte de recherche « Marchés, organisations, institutions et stratégies d’acteurs » (Moisa), Montpellier, France. m La crise alimentaire : une recomposition du jeu d’acteurs p. 155-164

Henry DE CAZOTTEConseiller auprès de Brice Lalonde, coordinateur exécutif de la Conférence des Nations unies sur le développement durable. m Processus de Rio : bilan et perspectivesp. 117-121

Maëlys DE LA RUPELLEPost-doctorante, Centre de recherche en économie du développement (FUNDP), Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix, Namur, Belgique. m Terre, paysans et migrants : au cœur du développement chinoisp. 195-203

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Olivier DE SCHUTTERRapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation. m La sécurité alimentaire comme bien public globalp. 333-342

Ahmad DERMAWANChercheur, Forests and Governance Programme, Center for International Forestry Research (CIFOR), Indonésie. m Intensification agricole et forêts : le cas de l’Indonésiep. 219-228

Xinshen DIAOChercheur principal, Development Strategy and Governance Division, International Food Policy Research Institute (IFPRI), Washington, États-Unis. m Agriculture et développement économique en Afrique : les termes du débatp. 183-191

Andrew DOUGILLProfesseur et Directeur, School of Earth and Environment, Faculty of Environment, université de Leeds, Royaume-Uni. m Agriculture urbaine, institutions et développement au Malawip. 179-182

Fraser EVANChercheur invité, School of Earth and Environment, Faculty of Environment, université de Leeds, Royaume-Uni. m Agriculture urbaine, institutions et développement au Malawip. 179-182

Sara FERNANDEZPost-doctorante, Centre Alexandre Koyré, École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Paris, France. m La résistible ascension de la pénurie d’eau ou la construction sociale d’une « donnée naturelle » dans le bassin de la Garonnep. 216-218

Ève FOUILLEUXDirecteur de recherche au CNRS, membre du Centre d’études politiques

de l’Europe latine (Cepel), université Montpellier I et chercheur associée au Centre de coopération internatio-nale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), membre de l’Unité mixte de recherche « Marchés, organisations, institutions et stratégies d’acteurs » (Moisa), Montpellier, France. m Vers une agriculture durable ? Normes volontaires et privatisation de la régulationp. 301-310

Jean-Luc FRANÇOISResponsable de la division Développement agricole et rural à l’Agence française de développement (AFD), Paris, France. m Crises alimentaires en Afrique : causes climatiques ou politiques ?p. 93-97

Vasant P. GANDHIProfesseur, Indian Institute of Management, Ahmedabad, Inde. m Évolution des habitudes alimentaires en Inde et en Chinep. 204-206

Viviane GRAVEYChercheur, Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), Paris, France. m Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ?p. 125-135

Emmanuel GUÉRINDirecteur du programme Climat, Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), Paris, France. m Après Fukushima, état des lieux du nucléaire dans le mondep. 88-92

Pierre JACQUETChef économiste, Agence française de développement (AFD), Paris, France. m Crises financière, alimentaires et agricoles : des opportunités pour changer ? p. 11-23

m La crise européenne de la dette publiquep. 98-101

m Apprentissage et expérimentations dans la gouvernance des biens publics mondiauxp. 112-116

Raphaël JOZANConsultant. m Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ?p. 125-135

Alain KARSENTYChercheur, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), Montpellier, France. m 2011 : année forestièrep. 83-87

Shashidhara KOLAVALLIChercheur principal, Development Strategy and Governance Division, International Food Policy Research Institute (IFPRI), Washington, États-Unis. m Agriculture et développement économique en Afrique : les termes du débatp. 183-191

Heru KOMARUDINChercheur, Forests and Governance Programme, Center for International Forestry Research (CIFOR), Indonésie. m Intensification agricole et forêts : le cas de l’Indonésiep. 219-228

Benoît LABBOUZDoctorant AgroParisTech, Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired), Nogent-sur-Marne, France. m Recherche agricole : transitions stratégiques pour un système d’innovation mondialp. 247-256

Thierry LATREILLEÉconomiste au département de la recherche de l’Agence française de développement (AFD), Paris, France. m Sous les pavés du printemps arabe, le chômagep. 107-111

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Hong-Bo LIUChargée de cours, School of Business, James Cook University, Townsville, Australie. m Évolution des habitudes alimentaires en Inde et en Chinep. 204-206

Simon LIUDirecteur de la National Agricultural Library, United States Department of Agriculture (USDA), États-Unis. m Apprendre la durabilité : les politiques agricoles européenne et américainep. 325-328

Bruno LOSCHÉconomiste, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), Montpellier, France, et coordonnateur du programme RuralStruc à la Banque mondiale. m Agriculture et transition à l’heure de la mondialisationp. 169-178

Sélim LOUAFIChercheur, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), membre de l’Unité mixte de recherche « Amélioration génétique et adaptation des plantes », Montpellier, France. m Réforme du Comité de la sécurité alimentaire : opportunités pour la gouvernance mondiale ?p. 343-345

Javier MENESESConsultant, Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepal), Chili. m Accès des petits agriculteurs aux marchés en Amérique latine : nouvelles approches pour une plus grande intégration socialep. 286-288

David MKWAMBISIChercheur, Département de gestion des ressources naturelles, Bunda College, université du Malawi, Lilongwe, Malawi.

m Agriculture urbaine, institutions et développement au Malawip. 179-182

Hayden MONTGOMERYPremier secrétaire, Ambassade de Nouvelle-Zélande à Paris, France, et Conseiller technique, Global Research Alliance on Agricultural Greenhouse Gases (GRA). m Agriculture et négociations sur le changement climatiquep. 243-245

Henri NALLETVice-président de la fondation Jean-Jaurès, Paris, France. m La réforme PAC 2013, une opportunité pour repenser les politiques agricoles ?p. 329-331

Rajendra K. PACHAURIDirecteur général de The Energy and Resources Institute (TERI), Delhi, Inde. m Crises financière, alimentaires et agricoles : des opportunités pour changer ?p. 11-23

François PACQUEMENTChargé de mission, Agence française de développement (AFD), Paris, France. m L’aide confrontée à la question agricole p. 152-154

Vatché PAPAZIANResponsable de programmes, Division Développement agricole et rural, Agence française de développement (AFD), Paris, France. m Les investissements agricoles massifs en Afrique, moteurs du développement ?p. 192-194

Michel PETITProfesseur et enseignant-chercheur associé, Institut agronomique méditerranéen de Montpellier (IAMM-CIHEAM), France. m Peut-on réguler les marchés agricoles ?p. 298-300

Romain PIRARDChercheur, Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), Paris, France. m 2011 : année forestièrep. 83-87

m Intensification agricole et forêts : le cas de l’Indonésiep. 219-228

Seema PURUSHOTHAMANChercheur, Ashoka Trust for Research in Ecology and the Environment (ATREE), Bangalore, Inde. m Repenser l’agriculture en Inde après la révolution vertep. 257-259

Jean-Louis RASTOINProfesseur émérite, Supagro, Montpellier, France. m L’industrie agroalimentaire au cœur du système alimentaire mondialp. 275-285

Olivier RAYChercheur, Direction de la prospective du ministère des Affaires étrangères et européennes, Paris, France. m Sous les pavés du printemps arabe, le chômagep. 107-111

Elizabeth ROBINSONChercheur invité, International Food Policy Research Institute (IFPRI),Washington, États-Unis. m Agriculture et développement économique en Afrique : les termes du débatp. 183-191

Mônica RODRIGUESÉconomiste, Equipo de la División de Desarrollo Productivo y Empresarial, Desarrollo Agrícola y Territorial Rural, Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepal), Chili. m Amérique latine et Caraïbes : reconstruire les politiques agricolesp. 315-324

Adrián RODRÍGUEZChef d’unité, Equipo de la División de Desarrollo Productivo y Empresarial, Desarrollo Agrícola

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350

y Territorial Rural, Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepal), Chili. m Amérique latine et Caraïbes : reconstruire les politiques agricolesp. 315-324

Laurence ROUDARTProfesseur, Institut de sociologie, Centre d’étude de la coopération internationale et du développement, université libre de Bruxelles, Belgique. m Les terres cultivables : une ressource rare ?p. 229-232

Andreas RÜDINGERChercheur, Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), Paris, France. m Après Fukushima, état des lieux du nucléaire dans le mondep. 88-92

Li SHIProfesseur, université normale de Pékin, Chine. m Terre, paysans et migrants : au cœur du développement chinoisp. 195-203

Octavio SOTOMAYORÉconomiste, Equipo de la División de Desarrollo Productivo y Empresarial, Desarrollo Agrícola y Territorial Rural, Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepal), Chili. m Accès des petits agriculteurs aux marchés en Amérique latine : nouvelles approches pour une plus grande intégration socialep. 286-288

m Amérique latine et Caraïbes : reconstruire les politiques agricolesp. 315-324

Jean-François SOUSSANADirecteur scientifique Environnement, Institut national de la recherche agronomique (Inra), Paris, France. m Changement climatique et sécurité alimentaire : un test crucial pour l’humanité ?p. 233-242

Uno SVEDINProfesseur et chercheur principal, Stockholm Resilience Centre, Suède. m Quel avenir pour l’agriculture dans le contexte mondial de l’« Anthropocène » ?p. 207-215

Peter TIMMERChercheur non résident, Center for Global Development, Washington, États-Unis. m Formation du prix du riz à court et long terme : le rôle de la structure du marché dans la volatilitép. 270-273

Sébastien TREYERDirecteur des programmes, Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), Paris, France. m Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ?p. 125-135

m L’humanité pourra-t-elle se nourrir en 2050 ? Une explosion récente des prospectivesp. 136-139

m Recherche agricole : transitions stratégiques pour un système d’innovation mondialp. 247-256

Laurence TUBIANADirectrice, Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), Paris, France. m Crises financière, alimentaires et agricoles : des opportunités pour changer ?p. 11-23

m Agriculture et sécurité alimentaire : prendre la mesure d’un défi globalp. 141-151

Wallapa VAN WILLENSWAARDPrésidente, Green Market Network, Bangkok, Thaïlande. m Mobilisations citoyennes pour une évolution des systèmes alimentaires en Thaïlandep. 165-168

Thomas VENDRYESPost-doctorant, Analyse des dynamiques industrielles et sociales

(Adis), université Paris-Sud, Paris, France. m Terre, paysans et migrants : au cœur du développement chinoisp. 195-203

Antonin VERGEZDoctorant au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), Montpellier, et à AgroParisTech, au sein de l’Unité mixe de recherche « Normes et régulation des marchés agricoles », Paris, France. m Apprendre la durabilité : les politiques agricoles européenne et américaine p. 325-328

Tancrède VOITURIEZDirecteur du programme gouvernance, Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), Paris, et chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), membre de l’Unité mixte de recherche « Marchés, organisations, institutions et stratégies d’acteurs » (Moisa), Montpellier, France. m Apprentissage et expérimentations dans la gouvernance des biens publics mondiauxp. 112-116

m L’instabilité des prix agricoles : des vérités qui arrangentp. 289-297

Zhang-Yue ZHOUProfesseur et Directeur de l’Asia Business Studies Program, School of Business, James Cook University, Townsville, Australie. m Évolution des habitudes alimentaires en Inde et en Chinep. 204-206

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351

A

ACP pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique

ACV analyse de cycle de vie

ADLI Agricultural Development Led Industrialization (Stratégie d’industrialisation pilotée par le développement agricole)

AEAG Agence de l’eau Adour-Garonne

AFD Agence française de développement

AGNU Assemblée générale des Nations unies

AGRA Alliance for a Green Revolution in Africa (Alliance pour une révolution verte en Afrique)

AIE Agence internationale de l’énergie

AIEA Agence internationale de l’énergie atomique

Alena Accord de libre-échange nord-américain

AMAP Association pour le maintien d’une agriculture paysanne

AMIS Agricultural Market Information System (Système d’information sur les marchés agricoles)

ANMO Afrique du Nord et du Moyen-Orient

AOP appellation d’origine protégée

APD aide publique au développement

APEC Asia-Pacific Economic Cooperation (Coopération économique pour l’Asie-Pacifique)

APN Assemblée populaire nationale

ASS Afrique subsaharienne

ATREE Ashoka Trust for Research in Ecology and the Environment (Fonds Ashoka pour la recherche en écologie et environnement, Inde)

B

BAfD Banque africaine de développement

Basic Brésil, Afrique du Sud, Inde, Chine

BCE Banque centrale européenne

BCI Better Cotton Initiative

BNB bonheur national brut

BP British Petroleum

BRC British Retail Consortium

BSCI Better Sugar Cane Initiative

C

C40 C40 Cities Climate Leadership Group

CA chiffre d’affaires

CACG Compagnie d’aménagement des Coteaux de Gascogne

CAD Comité d’aide au développement de l’OCDE

CAADP The Comprehensive Africa Agriculture Development Programme (Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine)

CCM Common Carbon Metric

CCNUCC Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques

CCPCC Comité central du Parti communiste chinois

CDB Convention sur la diversité biologique

CDD Commission des Nations unies sur le développement durable

CDESC Comité des droits économiques, sociaux et culturels

CdP Conférence des Parties

Cédéao Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest

CEE Communauté économique européenne

Cepal Commission économique des Nations unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes

CFS Committee on World Food Security (Comité de la sécurité alimentaire mondiale)

CGIAR Consultative Group on International Agricultural Research (Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale)

CIAT Centre international d’agriculture tropicale

CIFOR Center for International Forestry Research

CIHEAM Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes

CIMMYT Centro Internacional del Mejoramiento del Maíz y Trigo (Centre international d’amélioration du maïs et du blé, Mexique)

CIN Comité intergouvernemental de négociation (d’un accord international juridiquement contraignant sur le mercure)

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352

CIP Centre international de la pomme de terre

Cirad Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement

Cired Centre international de recherche sur l’environnement et le développement

CITES Convention on International Trade in Endangered Species of Wild Fauna and Flora (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction)

CLAMER Climate Change and European Marine Ecosystem Research (Projet de recherche sur le changement climatique et l’écosystème marin en Europe)

CMPFE Conférence ministérielle pour la protection des forêts en Europe

CNRS Centre national de la recherche scientifique

Cnuced Commission des Nations unies pour le commerce et le développement

CO2-eq équivalent CO2

COI Conseil oléicole international

COMPEX Compensation for Less Developed Countries (Compensation des pertes de recettes pour les pays les moins avancés)

CORFO Corporación de Fomento (Société de développement, Chili)

CP Comité permanent

CRED Centre de recherche sur l’épidémiologie des catastrophes de l’université catholique de Louvain (Belgique)

CSA Comité pour la sécurité alimentaire mondial

D

DOE débit d’objectif d’étiage

E

EGC équilibre général calculable

EITI Extractive Industries Transparency Initiative (Initiative pour la transparence des industries extractives)

EM États membres

EPR European Pressurized Reactor (Réacteur pressurisé européen)

ESB encéphalopathie spongiforme bovine

EU États-Unis

EurepGAP Euro Retailers Produce – Good Agriculture Practices

F

FAO Food and Agriculture Organization of the United Nations (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture)

FAOStat base de données de la FAO sur l’agriculture dans le monde

FB Farm Bills (États-Unis)

FEM Fonds pour l’environnement mondial

FEOGA Fonds européen d’orientation et de garantie agricole

Fida Fonds international de développement agricole

FLO Fairtrade Labelling Organisation

FMI Fonds monétaire international

FML Fonds multilatéral pour la mise en application du Protocole de Montréal

FOPROHOC Fonds de promotion de l’huile d’olive conditionnée

FRFG Fondo de reconstrucción y fomento de la granja (Fonds de reconstruction et de développement des fermes, Uruguay)

FSC Forest Stewardship Council

G

GAEZ Global Agro-Ecological Zones

GAFSP Global Agriculture and Food Security Program (Programme mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire)

GATT General Agreement on Tariffs and Trade (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce)

GCARD Global Conference on Agricultural Research for Development

GD grande distribution

GES gaz à effet de serre

GFAR Global Forum on Agricultural Research (Forum mondial de la recherche agricole)

G-FINDER Financement mondial de l’innovation sur les maladies négligées

Giec Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

GlobalGap Global Good Agricultural Practices

Gt gigatonne

GW gigawatt

Gwe gigawatt électrique

H

HCFC hydrochlorofluorocarbures

HFC hydrofluorocarbures

HLTF High Level Task Force on the Global Crisis of Food Security (Équipe spéciale de haut niveau sur la crise mondiale de la sécurité alimentaire)

I

IAA industrie agroalimentaire

IAASTD International Assessment of Agricultural Knowledge, Science, and Technology for Development (Évaluation internationale des connaissances, sciences et technologies agricoles pour le développement)

IAMB Institut agronomique méditerranéen de Bari

IAMM Institut agronomique méditerranéen de Montpellier

ICARDA International Center for Agricultural Research in the Dry Areas (Centre international de recherche agricole dans les zones arides)

ICLEI International Council for Local Environmental Initiatives (Conseil international pour les initiatives écologiques locales)

ICRAF World Agroforestry Centre (Centre international pour la recherche en agroforesterie)

ICRISAT Institut international de recherche sur les cultures des zones tropicales semi-arides

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353

Iddri Institut du développement durable et des relations internationales

IDE investissements directs étrangers

IEF International Energy Foundation (Forum international de l’énergie)

IFOAM International Federation of Organic Agriculture Movements (Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique)

IFPRI International Food Policy Research Institute (Institut international de recherche sur les politiques alimentaires)

IFS International Food Standard

IGP indication géographique protégée

IIASA International Institute for Applied Systems Analysis

IICA Institut interaméricain de coopération pour l’agriculture

IISD International Institute for Sustainable Development (Institut international de développement durable)

IITA Institut international d’agriculture tropicale, Nigeria

ILC International Land Coalition

ILRI International Livestock Research Institute (Institut international de recherche sur l’élevage, Kenya)

IMC indice de masse corporelle

IME Bourse de marchandises d’Izmir

INDAP Instituto de Desarrollo Agropecuario (Institut de développement agricole, Chili)

INES International Nuclear Event Scale (Échelle internationale des événements nucléaires)

INN illicite, non déclarée et non réglementée (pêche)

Inra Institut national de la recherche agronomique

IOAS International Organic Accreditation Service (Service international d’accréditation biologique)

IPBES International Science Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services d’écosystèmes)

IQOE International Quiet Ocean

Experiment (Expérience internationale de l’océan tranquille)

IRIWI International Research Initiative for Wheat Improvement (Initiative internationale de recherche pour l’amélioration du blé)

IRRI Institut international de recherche sur le riz, Philippines

ISAAA International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications (Service international pour l’acquisition des applications d’agro-biotechnologie)

ISEAL International Social and Environmental Accreditation and Labelling Alliance

ISO International Standards Organisation (Organisation internationale de normalisation)

IWMI International Water Management Institute (Institut international de gestion de l’eau, Sri Lanka)

L

LdI lettre d’intention

M

MAIT modèle agroindustriel tertiarisé

MAP modèle alternatif fondé sur la proximité

Marpol Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires

Mercosur Mercado Común del Sur (Marché commun du Sud, communauté économique qui regroupe plusieurs pays de l’Amérique du Sud)

MSC Marine Stewardship Council

MST Mouvement des travailleurs ruraux sans terre au Brésil

mtm millions de tonnes métriques

N

NEPAD The New Partnership for Africa’s Development (Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique)

NFPP Natural Forest Protection Project (Programme de protection des forêts naturelles)

NFSM National Food Security Mission (Mission nationale de sécurité alimentaire, Chine)

NI negocios inclusivos (business inclusifs)

NYBOT New York Board of Trade (Bourse de commerce de New York)

O

OCDE Organisation de coopération et de développement économiques

OGM organisme génétiquement modifié

OIT Organisation internationale du travail

OMC Organisation mondiale du commerce

OMD objectifs du Millénaire pour le développement

OMI Organisation maritime internationale

OMM Organisation météorologique mondiale

OMS Organisation mondiale de la santé

OMT Organisation mondiale du tourisme

ON Office du Niger

ONG organisation non gouvernementale

ONU Organisation des Nations unies

Onudi Organisation des Nations unies pour le développement industriel

OPEP Organisation des pays exportateurs de pétrole

ORD Organe de règlement des différends de l’OMC

ORGP Organisation régionale de gestion de la pêche

P

PA politique agricole

PAAC Politique agricole de l’Amérique centrale

PAC Politique agricole commune de l’Union européenne

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Paca Provence-Alpes-Côte d’Azur

PACKTEC Centre technique de l’emballage et du conditionnement

PAM Plan d’action mondial pour la conservation et l’utilisation durable des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture

PAM Programme alimentaire mondial

PAM Plan d’action pour la Méditerranée

PAN Pesticide Action Network

PCC Parti communiste chinois

PDF Programmes de fournisseurs

PED pays en développement

PEFC Programme for the Endorsement of Forest Certification (Programme de reconnaissance des certifications forestières)

PHR pays à hauts revenus

PIB produit intérieur brut

PM particulate matter (particules en suspension)

PMA pays les moins avancés

PME petites et moyennes entreprises

PNB produit national brut

PNUD Programme des Nations unies pour le développement

PNUE Programme des Nations unies pour l’environnement

PNUE-FI Initiative financière du PNUE

PPP partenariats public/privé

PRO HUERTA Programme de promotion de l’autoproduction d’aliments frais (Argentine)

PROCAL Programa de Control de Alimentos (Programme qualité des aliments argentins)

PROCAMPO Programa de Apoyos Directos al Campo (Programme de support direct aux fermiers, Mexique)

PROINDER Proyecto de Desarrollo de Pequeños Productores Agropecuarios (Projet de développement des petits producteurs agricoles, Argentine)

PRONAF Programa Nacional de Fortalecimento da Agricultura Familia (Programme de renforcement de l’agriculture familiale, Brésil)

PRORURAL National Rural Development Program for Productivity (Plan de développement rural, Nicaragua)

PROSAP Programa de Servicios Agrícolas Provinciales (Programme de services agricoles provinciaux, Argentine)

PSE Paiement pour services environnementaux

R

R&D recherche et développement

RCD Responsabilité commune et différenciée

RDC République démocratique du Congo

RDM08 Rapport 2008 de la Banque mondiale pour le Développement mondial

REDD Réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation des forêts (le dispositif REDD+ prend en compte la capacité de stockage de carbone des forêts, la bonne gouvernance et l’aménagement des forêts, et la protection de la diversité biologique et des services écosystémiques)

RSB Roundtable on Sustainable Biofuels (Table ronde pour les biocarburants durables)

RSPO Roundtable on Sustainable Palm Oil (Table ronde pour l’huile de palme durable)

RTRS Round Table on Responsible Soy (Table ronde pour le soja responsable)

S

SA sécurité alimentaire

SAR Sociétés d’aménagement régional

SCEQE Système communautaire d’échange de quotas d’émission

SCI Sustainable Commodity Initiative

SCNPC Standing Committee of the National People’s Congress (Comité du Congrès national du peuple, Chine)

SDDZON Schéma directeur de développement de la Zone Office du Niger

SEEMP Ship Energy Efficiency Management Plan (Plan de gestion de l’efficacité énergétique des navires)

SIANI Swedish International Agricultural Network Initiative (Initiative suédoise pour un réseau international agricole)

SICA Système d’intégration centraméricaine

Sida syndrome d’immunodéficience acquise

SLCP Sloping Land Conversion Program (Programme sur la conversion des terres en pente)

SOFI 2011 State of Food Insecurity in the World 2011 (L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde 2011)

SSI Sustainable Shipping Initiative

STABEX Stabilisation of Export Earnings (Système de stabilisation des recettes d’exportation pour les produits agricoles)

SUN Scaling Up Nutrition

SUSPLAN PLANning for SUStainability (Planification de la durabilité écologique, projet européen)

T

T4SD Trade for Sustainable Development

TARIS Union des coopératives agricoles de commercialisation de figues, raisins secs, coton, olives et huile d’olive (Turquie)

TEEB The Economics of Ecosystems and Biodiversity (Groupe de travail sur l’économie des écosystèmes et de la biodiversité)

TEPCO Tokyo Electric Power Company

TNT Transparency in Trade Initiative

TOTA Association thaïlandaise des négociants biologiques

TPE très petites entreprises

TPME très petites et moyennes entreprises

TSPN Trade Standard Practitioners Network354

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U

UE Union européenne

UEMOA Union économique et monétaire ouest-africaine

Unicef United Nations Children’s Fund (Fonds des Nations unies pour l’enfance)

UNIPP United Nations Indigenous Peoples’ Partnership (Partenariat des Nations unies pour les peuples autochtones)

UNISDR Agence des Nations unies pour la réduction des risques

UNODOC United Nations International Strategy for Disaster Reduction (Office des Nations unies contre la drogue et le crime)

UNU-EHS United Nations University - Institute for Environment and Human Security (Institut universitaire des Nations unies pour l’environnement et la sécurité humaine)

USAID United States Agency for International Development (Agence des États-Unis pour le développement international)

USDA US Department of Agriculture (Département américain de l’agriculture)

V

VCS Voluntary Carbon Standard

VIH virus de l’immunodéficience humaine

VPA accord de partenariat volontaire

W

WCI Western Climate Initiative

WFTO World Fair Trade Organization (Organisation mondiale du commerce équitable)

WRI World Resources Institute

WWF World Wildlife Fund (Fonds mondial pour la vie sauvage)

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Crédits photographiques

Couverture : Vignettes du haut (de gauche à droite) : © Sébastien Cailleux/Corbis – © Jan Butchofsky/Corbis – © P. Deliss/Godong/Corbis. Vignettes du bas (de gauche à droite) : © Alan Schein Photography/Corbis – © Wang Jianwei/Xinhua Press/Corbis – © Macduff Everton/Corbis.

Rabat de couverture (de haut en bas) : © Dominique Fradin – © Peter Allan/Interlinks Image – © TERI.

33 : © Scott Eustis, Nekton Research Lab, États-Unis – 39 : © Greenpeace/Supawadee Charoenpipatpimpa – 42 : © Robert Vincent – 46 : © David Crausby – 50 : © TimS/Flickr – 52 : © Kompania Piwowarska – 59 : © IFRC – 60 : © Margareth Simpson – 66 : © Martin Dam Christensen – 70 : © Adrian Fine (Banter) – 72 : © Mika Miskanen – 76 : © Leonard John Matthews.

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achevé d’imprimer

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