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MERCREDI 19 JUILLET 2017 73 E ANNÉE– N O 22554 2,50 €– FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR― FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO Algérie 220 DA, Allemagne 3,00 €, Andorre 3,00 €, Autriche 3,10 €, Belgique 2,70 €, Cameroun 2 100 F CFA, Canada 5,20 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 100 F CFA, Danemark 33 KRD, Espagne 2,90 €, Finlande 4,50 €, Gabon 2 100 F CFA, Grande-Bretagne 2,40 £, Grèce 3,00 €, Guadeloupe-Martinique 2,90 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,90 €, Italie 2,90 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,70 €, Malte 2,70 €, Maroc 17 DH, Pays-Bas 3,00 €, Portugal cont. 2,90 €, La Réunion 2,90 €, Sénégal 2 100 F CFA, Slovénie 2,90 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,90 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,10 DT, Afrique CFA autres 2 100 F CFA Science & médecine Gaston, génie créateur 2 PAGES Russie 1917 Le jour où le tsar a abdiqué Le 2 mars 1917, la Douma prend le pouvoir. Nicolas II se retire. C’est la fin du régime impérial PAGE 23 Scènes de crime Les logiciels enquêteurs PAGE 21 Têtes brûlées Jérôme Lavrilleux Retour à Saint- Tropez Le port de l’envie PAGE 28 L’acteur principal du feuilleton Bygmalion se confie PAGES 24-25 L’été ENQUÊTE SUR LE QUOTIDIEN D’UNE MAISON DE RETRAITE « ON NE LES MET PAS AU LIT, ON LES JETTE » En grève depuis 110 jours, les aides-soignantes de l’Ehpad de Foucherans (Jura) décrivent leur travail à Florence Aubenas Elles soulignent le manque de moyens, les soins aux personnes âgées qu’on ne peut assurer faute de temps Une situation loin d’être isolée : « Le système entier génère des formes de maltraitance », estime un responsable, qui dénonce le déni des politiques PAGE 14 DANS LES RUINES DE MOSSOUL Dans la vieille ville de Mossoul, le 29 juin, près du minaret détruit par l’EI. LAURENT VAN DER STOCKT POUR « LE MONDE » De nombreuses familles ont tout perdu dans les combats qui ont ravagé la ville Hélène Sallon a ren- contré ces habitants qui expriment leur amertume et s’interro- gent sur leur avenir PAGE 4 LE REGARD DE PLANTU Nucléaire Le responsable du site de Bure revient sur les enjeux du projet PAGE 10 Cinéma Nolan et la bataille de Dunkerque : spectaculaire et lacunaire PAGE 15 Economie Les Etats généraux de l’alimentation s’ouvrent dans un contexte tendu PAGE 11 « Je voltige », dit le Français. Troisième du classement, le coureur rêve de prendre le maillot jaune dans les Alpes PAGE 13 Tour de France Romain Bardet vers les cimes POLOGNE : L’ÉTAT DE DROIT EN DANGER PAGE 27 NOS INFORMATIONS PAGE 5 1 ÉDITORIAL Territoires Macron veut que les collectivités fassent des économies PAGE 8 ACTUELLEMENT LE JOURNAL DU DIMANCHE LE POLAR DE L’ANNÉE. AUJOURD’HUI EN FRANCE LE PARISIEN L’OBS PREMIÈRE Excellent. Haletant. Ne ratez pas ce film immense. Passionnant. LE MONDE Quel thriller! Un thriller politique captivant. TÉLÉRAMA Incroyablement jouissif. ELLE un film de TARIK SALEH

2 PAGES ENQUÊTE SUR LE QUOTIDIEN D’UNE MAISON DE …annesophiepelletier.eu/upload/Presse/le_monde_opalines.pdfScience & médecine Gaston, génie créateur 2 PAGES Russie 1917 Le

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MERCREDI 19 JUILLET 201773EANNÉE– NO 22554

2,50 €– FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR―

FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Algérie 220 DA, Allemagne 3,00 €, Andorre 3,00 €, Autriche 3,10 €, Belgique 2,70 €, Cameroun 2 100 F CFA, Canada 5,20 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 100 F CFA, Danemark 33 KRD, Espagne 2,90 €, Finlande 4,50 €, Gabon 2 100 F CFA, Grande-Bretagne 2,40 £, Grèce 3,00 €, Guadeloupe-Martinique 2,90 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,90 €, Italie 2,90 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,70 €, Malte 2,70 €, Maroc 17 DH, Pays-Bas 3,00 €, Portugal cont. 2,90 €, La Réunion 2,90 €, Sénégal 2 100 F CFA, Slovénie 2,90 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,90 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,10 DT, Afrique CFA autres 2 100 F CFA

Science & médecineGaston, génie

créateur2 PAGES

Russie 1917Le jour où le tsar

a abdiquéLe 2 mars 1917, la Douma

prend le pouvoir. Nicolas II se retire. C’est la fin du régime impérial

PAGE 23

Scènes de crime

Les logiciels

enquêteursPAGE 21

Têtes brûlées

Jérôme Lavrilleux

Retour à Saint-Tropez

Le port de l’envie

PAGE 28

L’acteur principal du feuilleton Bygmalion

se confie

PAGES 24-25

L’étéENQUÊTE SUR LE QUOTIDIEN D’UNE MAISON DE RETRAITE

« ON NE LES MET PAS AU LIT, ON LES JETTE »

▶ En grève depuis 110 jours, les aides-soignantes de l’Ehpad de Foucherans (Jura) décrivent leur travail à Florence Aubenas ▶ Elles soulignent le manque de moyens, les soins aux personnes âgées qu’on ne peut assurer faute de temps▶ Une situation loin d’être isolée : « Le système entier génère des formes de maltraitance », estime un responsable, qui dénonce le déni des politiquesPAGE 14

DANS LES RUINES DE MOSSOUL

Dans la vieille ville de Mossoul, le 29 juin, près du minaret détruit par l’EI. LAURENT VAN DER STOCKT

POUR « LE MONDE »

▶ De nombreuses familles ont tout perdu dans les combats qui ont ravagé la ville▶ Hélène Sallon a ren-contré ces habitants qui expriment leur amertume et s’interro-gent sur leur avenir

PAGE 4

LE REGARD DE PLANTU

NucléaireLe responsable du site de Bure revient sur les enjeux du projetPAGE 10

CinémaNolan et la bataille de Dunkerque : spectaculaire et lacunaire PAGE 15

EconomieLes Etats généraux de l’alimentation s’ouvrent dans un contexte tenduPAGE 11

« Je voltige », ditle Français. Troisièmedu classement, le coureur rêve de prendre le maillot jaune dans les AlpesPAGE 13

Tour de FranceRomain Bardet vers les cimesPOLOGNE : L’ÉTAT

DE DROIT EN DANGERPAGE 27

NOS INFORMATIONS PAGE 5

1É D I T O R I A L

TerritoiresMacron veut que les collectivités fassent des économiesPAGE 8

ACTUELLEMENT

LE JOURNAL DU DIMANCHELE POLAR DE L’ANNÉE.

AUJOURD’HUI EN FRANCE

LE PARISIEN L’OBSPREMIÈRE

Excellent.Haletant.Ne ratez pas ce film immense.

Passionnant.LE MONDE

Quel thriller!

Un thriller politiquecaptivant.

TÉLÉRAMA

Incroyablementjouissif.

ELLE

un film de TARIK SALEH

Page 2: 2 PAGES ENQUÊTE SUR LE QUOTIDIEN D’UNE MAISON DE …annesophiepelletier.eu/upload/Presse/le_monde_opalines.pdfScience & médecine Gaston, génie créateur 2 PAGES Russie 1917 Le

2 | INTERNATIONAL MERCREDI 19 JUILLET 2017

0123

La proposition de la Coréedu Sud d’entamer despourparlers entre militai-res afin de réduire la ten-

sion le long de la zone démilitari-sée (DMZ) qui sépare les deuxpays est la première tentative du président sud-coréen, Moon Jae-in, élu en mai, de réouverture de canaux de communication en-tre Pyongyang et Séoul. Le vice-ministre de la défense, Suh Choo-suk, a proposé, lundi 17 juillet, queces négociations aient lieu dès vendredi 21 à Panmunjom, seullieu de contact entre les deux payssitué au milieu de la DMZ, afin de mettre fin aux « activités hostiles »de part et d’autre de celle-ci.

Toutes les communications for-melles entre les deux Corées ont

été rompues depuis décem-bre 2015 et des déluges de décibelsde la propagande des deux partiesont repris le long de la DMZ. Leprésident Moon a suggéré que les « activités hostiles » le long de la DMZ prennent fin le 27 juillet, an-niversaire de l’armistice de 1953.

En milieu de journée, mardi,Pyongyang n’avait pas répondu à la proposition de Séoul. Même sile Nord met des conditions à ces pourparlers, cette initiative té-moigne de la volonté du prési-dent Moon Jae-in de reprendre ledialogue intercoréen, comme il l’a promis au cours de sa campa-gne électorale.

En mai 2016, le dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un, avait déjà proposé des pourparlers entremilitaires. Mais sa propositionavait été rejetée par Séoul. Aquelles conditions le régime dePyongyang acceptera-t-il cette fois de reprendre le dialogue ?En 2015, il avait demandé la sus-pension des exercices militaires conjoints de la Corée du Sud etdes Etats-Unis (que Pyongyangconsidère comme une prépara-tion à une invasion) ainsi que l’arrêt de la propagande de Séoulle long de la DMZ.

Inquiétude de l’opinion

Soutenue par l’Union euro-péenne, cette proposition faitsuite à celle, annoncée la veille,de la Croix-Rouge sud-coréennede reprendre des négociationsen vue de la réunion des famillesséparées par la guerre de Corée(1950-1953). La prochaine ren-contre pourrait avoir lieu en oc-tobre lors de la fête tradition-nelle des moissons (chusok), cé-lébrée dans les deux pays, aucours de laquelle il est renduhommage aux ancêtres.

La droite sud-coréennecondamne l’initiative du prési-dent Moon dont elle estime qu’elle va affaiblir le front des pays favorables à une pression ac-crue sur le régime de Pyongyang

et sur la Chine. Elle est, en revan-che, bien accueillie par la majoritéde l’opinion, inquiète du regain de tension dans la péninsule à la suite du tir d’essai, le 4 juillet, d’unmissile intercontinental, suscep-tible en théorie d’atteindre le ter-ritoire des Etats-Unis.

Les relations intercoréennessont tombées à leur niveau le plus bas sous la présidence de Park Geun-hye (de février 2013 à mars 2017), déchue depuis de ses fonctions et emprisonnée pour une vaste affaire de corruption. Tout contact entre les deux pays a été rompu en décembre 2015 avec la fermeture par Séoul de la zone industrielle conjointe de Kaesong (en République populaire démo-cratique de Corée, RPDC) où avaient investi 124 PME sud-co-réennes qui employaient 54 000 employés nord-coréens. Un effet plus grave du regain d’animosité entre les deux pays a été la suspen-

sion de la ligne de communica-tion directe entre les commande-ments des deux pays destinée à éviter qu’un incident ne dégénère.

Les rencontres entre les famillesséparées par la guerre ont été elles aussi suspendues depuis 2015. Au Sud, 60 000 personnes au soir de leur vie attendent ce moment. L’organisation de ces retrouvailles pourrait donner lieu à d’âpres né-gociations. Dans le passé, la RPDC avait mis une condition à une

nouvelle rencontre : le renvoi au Nord de la douzaine d’employées d’un restaurant nord-coréen en Chine qui ont fait défection au Sudavec le directeur de l’établisse-ment en 2016. Pyongyang estime qu’elles ont été enlevées.

L’initiative de Séoul de rouvrirdes canaux de dialogue avecPyongyang intervient alors que leConseil de sécurité des Nations unies discute de nouvelles sanc-tions à l’encontre de la Corée du Nord et que les Etats-Unis s’enprennent à des entreprises et ban-ques chinoises accusées de conti-nuer à entretenir des liens avecPyongyang. Sans paraître se déso-lidariser de cette politique, le président Moon Jae-in joue de lamarge de manœuvre qu’il s’estménagée au cours de ses entre-tiens, fin juillet, avec le présidentDonald Trump en faisant insérer dans le communiqué commun la nécessité d’un dialogue.

A Panmunjom (Corée du Sud), seul point de contact entre les deux Corées, le 9 juillet, on accroche des rubans pour appeler de ses vœux la réunification. AHN YOUNG-JOON/AP

Toutes les

communications

formelles entre

les deux Corées

ont été rompues

depuis

décembre 2015

La Corée du Sud et les Etats-Unisont des approches opposées sur laquestion nord-coréenne : la pre-mière est favorable à des négocia-tions, les seconds à la pression. Aucours du sommet, les questions qui fâchent ont été éludées. Le président Moon a paru endosser la position dure de Donald Trump, bien qu’il soit convaincu de son inefficacité.

Habilement, M. Moon proposede relancer le dialogue avec le Nord, non en matière de coopéra-tion économique (en risquantainsi de paraître se désolidariserde la politique des sanctions), mais sur des questions militaires et humanitaires, spécifiques auxdeux Corées. Un premier pas « pour amorcer un cycle vertueux dans les relations intercoréenneset la crise nucléaire », estime le mi-nistre sud-coréen de l’unification,Cho Myong-gyon. p

philippe pons

l’union européenne (ue) espère jouerun rôle de médiatrice pour tenter de désa-morcer la situation « particulièrement criti-que », selon un diplomate bruxellois, quecrée la multiplication des initiatives mili-taires de la Corée du Nord. C’est, du moins,l’avis de certains pays membres, la Suède en tête. Dans l’entourage de la haute repré-sentante, Federica Mogherini, on évoque « la disponibilité à engager un dialogue ».

Plusieurs capitales, au premier rang des-quelles Paris, craignent que l’initiative ne soit instrumentalisée par le régime dicta-torial de Pyongyang. Mme Mogherini ne parle pas, dès lors, d’une initiative euro-péenne, mais d’un soutien à une initiative régionale, lancée par la Corée du Sud etson président, Moon Jae-in, favorable à une reprise du dialogue. Mais elle mise surla relative neutralité de l’UE dans ce dos-sier et sur le fait que sept pays membres, dont l’Allemagne et le Royaume-Uni,conservent des ambassades à Pyongyang.

Lundi 17 juillet, les ministres des affairesétrangères des Vingt-Huit, réunis à Bruxel-

les, n’ont pas clairement prôné un engage-ment européen. Ils ont évoqué l’hypo-thèse d’une négociation, mais couplée àun réexamen de la politique de sanctions àl’égard de la Corée du Nord. Ils ont égale-ment estimé que les récentes actions du régime, dont le tir d’un missile à portée in-tercontinentale, le 4 juillet, « constituent des violations flagrantes des obligations in-ternationales ». Ils invitent Pyongyang à « s’abstenir de toute nouvelle provocation ».

Négociations secrètes

Les Européens prônent aussi la vigilance face à un régime qui multiplie les activités « pour engranger des devises fortes » afin desoutenir ses programmes d’armement. En fait, l’UE négocie discrètement depuis plu-sieurs semaines, avec la Corée du Sud maisaussi avec Pékin. Le dossier nord-coréen a été abordé en juin à Bruxelles, lors de la vi-site du premier ministre chinois, Li Ke-qiang. L’UE a aussi convié Wu Dawei, l’en-voyé spécial chinois pour le dossier co-réen, à une prochaine rencontre.

Les services de Mme Mogherini s’alarmentde certains propos du président américain, Donald Trump, et disent vouloir éviter unconflit militaire. Or, si elle doit être approu-vée par les capitales européennes, une ini-tiative de Mme Mogherini se doit d’être sou-tenue par Washington pour réussir. Les Etats-Unis ne cachent pas leur scepticisme à l’égard du rôle de Bruxelles et de Pékin.

M. Trump a, par ailleurs, critiqué l’accordsur le nucléaire iranien, pour lequel l’UE s’est fortement impliquée en 2015. Il sem-ble redouter que toute initiative visant à re-nouer un dialogue avec la Corée du Nord n’entrave ses propres démarches pour ob-tenir un démantèlement complet de son arsenal. Le Wall Street Journal a évoqué ré-cemment les négociations secrètes que Washington mènerait depuis un an avec le régime nord-coréen pour établir un canaldiplomatique direct. Le département d’Etataurait, par ailleurs, tenu des réunions sur lesujet avec des officiels chinois. p

jean-pierre stroobants

(bruxelles, bureau européen)

La diplomatie européenne veut jouer les intermédiaires

Séoul propose à Pyongyang de dialoguerLe président sud-coréen, Moon Jae-in, veut reprendre les discussions sur les questions militaires

LE CONTEXTE

« RAYON DE SOLEIL »Le président sud-coréen, Moon Jae-in, juge que la politique de fermeté menée depuis dix ans par les conservateurs Lee Myung-bak (2008-2013) et Park Geun-hye (2013-2017) n’a pas empêché le développement nu-cléaire du Nord et a conduit à la disparition progressive de tous les canaux de communication avec Pyongyang. Du temps des présidents Kim Dae-jung (1998-2003) et Roh Moo-hyun (2003-2008), aime rappeler Moon Jae-in, qui fut un proche de M. Roh, « les relations inter-coréennes ont progressé sans crainte d’une nouvelle guerre ». L’époque était à la politique du « rayon de soleil » (« sunshine po-licy ») – instaurée par M. Kim et poursuivie malgré les réticen-ces américaines par M. Roh – et aux pourparlers à six (Etats-Unis, Chine, les deux Corées, Russie, Japon) sur la dénucléarisation de la Corée du Nord.

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0123MERCREDI 19 JUILLET 2017 international | 3

Trump dans l’impasse sur la réforme du système de santé d’ObamaLes républicains sont incapables de trouver une majorité sur le texte

san francisco - correspondante

L ançant une semaine de pro-motion du « made in Ame-rica », lundi 17 juillet à

Washington, Donald Trump pro-mettait encore de « surprendre » ses compatriotes en obtenant du Congrès le passage de la réforme de la santé, sur laquelle repose toutle début de son mandat. « Nous sommes en train d’y arriver, ça va marcher, assurait-il. Ça va être un grand jour pour l’Amérique. »

Le grand jour devra attendre.Quelques heures après la déclara-tion présidentielle, deux nou-veaux sénateurs républicains ont annoncé leur opposition au texte.Il s’agit des conservateurs Mike Lee (Utah) et Jerry Moran (Kan-sas). Les deux hommes ont an-noncé leur décision simultané-ment afin de ne pas apparaître, l’un ou l’autre, comme l’élu qui aurait fait échouer le projet sur le-quel les républicains sont concen-trés depuis sept ans : « abroger etremplacer Obamacare », la ré-forme phare du président démo-crate adoptée en 2010.

La défection des deux sénateurs,suivant celle du chef de file liber-tarien Rand Paul (Kentucky) et de la modérée Susan Collins (Maine),

empêche l’examen du texte, qui nécessitait 50 voix. Le chef de file des 52 républicains, Mitch McCon-nell, a constaté qu’il n’avait pas lesoutien nécessaire pour faire pas-ser la motion procédurale qui aurait ouvert le débat. « L’effortpour abroger et remplacer immé-diatement la faillite qu’est Obama-care ne sera pas couronné de suc-cès », a-t-il concédé.

L’échec illustre les fractures ducamp républicain. Pour les parti-sans du « tout marché », le projet du Sénat ne réduit pas assez la partde l’Etat et des subventions publi-ques. Les modérés déplorent qu’il laisse de côté des millions d’Améri-cains désargentés. L’ensemble des républicains avaient commencé à prendre peur devant l’opposition générale suscitée par le projet, des professionnels de la santé à l’asso-ciation des retraités, et jusqu’aux compagnies d’assurance.

Recommencer de zéro

Le 14 juillet, le vice-président, Mike Pence, avait tenté de vaincre les réticences des gouverneurs réunis à Providence (Rhode Is-land). Sans grand succès, même parmi les conservateurs : si la ré-forme rend aux Etats l’initiative du système d’assurance santé, elle

supprime les subventions qui leuront été octroyées par l’Obamacare pour étendre le régime qui couvre les plus pauvres (Medicaid).

Alors que M. McConnell essayaitde passer en force, un coup de théâtre est survenu le 14 juillet quand John McCain, l’un des doyens du Sénat, a dû être opéré en urgence pour un caillot sous la boîte crânienne. En l’absence de la cinquantième voix, le leader du Sénat a été contraint, une nouvellefois, à reporter le vote.

M. Trump n’a pas renoncé.Après la défection des sénateurs,il a appelé les républicainsà « abroger » immédiatement l’Obamacare, sans attendre de sa-voir par quoi le remplacer. Pour lasuite, il conseille de recommen-cer à zéro. Son fidèle allié Mitch McConnell a annoncé qu’il sou-mettrait cette idée au vote du Sé-nat, mais avec un délai de deux ans avant que l’abrogation prenne effet. Une mesure à forte charge symbolique pour les répu-blicains, à un an des élections de mi-mandat, mais qui déstabilise-rait le secteur des compagniesd’assurance et laisserait quelque30 millions de personnes sans couverture santé. p

corine lesnes

Le piratage de l’agence de presse qatarie attribué aux EmiratsUne fausse dépêche publiée en mai avait ouvert une crise dans le Golfe

La crise entre Etats du Golfea bien été précipitée parun piratage informatique.Citant des responsables

du renseignement américain res-tés anonymes, le Washington Post a affirmé, dimanche 16 juillet, avoir pris connaissance d’infor-mations selon lesquelles ce sont des dirigeants émiratis qui ont or-donné le piratage de l’agence de presse qatarie QNA, le 23 mai.

Le lendemain, celle-ci avait dif-fusé une dépêche dans laquelle l’émir qatari, Tamim Ben Hamad Al-Thani, dénonçait l’hostilité am-biante à l’égard de l’Iran (« une puissance islamique »), faisait l’éloge du Hezbollah libanais (« un mouvement de résistance ») et dé-fendait la présence des troupes américaines sur son sol comme une garantie « contre les convoiti-ses de certains de ses voisins », en allusion aux différends territo-riaux qui l’opposent à l’Arabie saoudite. Vécues comme des saillies inacceptables et un casus belli par Riyad et Abou Dhabi, ces déclarations attribuées à l’émir du Qatar avaient enflammé la région même si, dès le 25 mai, Doha avait fait savoir que son agence de presse avait été piratée par des « entités inconnues ». Des experts du FBI, intervenus pour aider le Qatar à enquêter sur cet incident, avaient eux aussi acquis la certi-tude que QNA avait été piratée, se-lon le Washington Post.

Deux semaines plus tard, le5 juin, l’Arabie saoudite et les

Emirats arabes unis rompaient leurs liens diplomatiques et fer-maient leurs frontières avec le Qatar, accusé de financer le terro-risme et de soutenir l’Iran, leurgrand rival régional.

Sans surprise, Doha a dénoncé lepiratage supposé de son agence depresse par son voisin : « Les infor-mations publiées par le Washing-ton Post, qui révèlent l’implication des Emirats arabes unis et de hauts responsables émiratis dans le pira-tage de l’agence de presse du Qatar,prouvent sans équivoque que ce piratage criminel a eu lieu », acommenté le gouvernement qa-tari dans un communiqué publié lundi 17 juillet.

Nouvelles mesures restrictives ?

Les Emirats arabes unis ont, eux, réfuté ces accusations : « L’infor-mation du Washington Post selon laquelle nous avons piraté les Qata-ris est elle aussi inexacte », a déclaréAnouar Gargash, ministre émirati des affaires étrangères, s’expri-mant lundi devant le cercle de ré-flexion Chatham House, à Lon-dres. M. Gargash a même promis que « certaines vis allaient être ser-rées », en faisant allusion à de nou-velles mesures restrictives contre le Qatar, sans en préciser la teneur.

Mais ces révélations tombentmal pour les Emirats, l’Arabie saoudite et leurs dirigeants respec-tifs, Mohammed Ben Zayed Al-Na-hyan, le prince héritier d’Abou Dhabi, et Mohammed Ben Sal-man, désormais prince héritier

d’Arabie saoudite, associés dans un triple combat contre l’Iran, les Frères musulmans, et le Qatar, donc. Qu’ils ne sont pour l’instant pas parvenus à faire plier.

Profitant du blanc-seing appa-rent donné par le président améri-cain, Donald Trump, lors de sa vi-site à Riyad, le 21 mai, les deux hommes ambitionnaient de met-tre au pas leur turbulent petit voi-sin en l’obligeant à prendre ses dis-tances avec l’Iran et à couper ses liens avec les Frères musulmans, que Doha soutient et dont ils re-doutent l’influence sur leur opi-nion publique. Ils avaient, à cette fin, adressé à Doha une liste de treize demandes, dont une réduc-tion drastique de ses relations di-plomatiques avec Téhéran, l’ex-pulsion de tous les opposants hé-bergés par le Qatar et la fermeture de la chaîne Al-Jazira.

Mais Washington s’est fait, de-puis, beaucoup plus conciliant vis-à-vis de Doha. Les Etats-Unis et le Qatar ont même signé, le11 juillet, dans le cadre de la visite du chef de la diplomatie améri-caine, Rex Tillerson, un accord vi-sant à empêcher le financement du terrorisme, et aussi à tenter de mettre fin à la crise diplomatique dans le Golfe.

Rex Tillerson a estimé à cette oc-casion que le Qatar avait adopté des positions tout à fait « raisonna-bles » sur le contentieux diploma-tique qui l’oppose à ses voisins. Un désaveu pour Riyad et Abou Dhabi. Ce type de déclarations « a

convaincu les Qataris qu’ils n’avaient pas été lâchés par Washington. Doha a dès lors suffi-samment de ressources pour te-nir », estime Stéphane Lacroix, spécialiste du monde arabe et chercheur au Centre d’études et derecherches internationales (CERI) de Sciences Po. Le duo saoudo-émirati aurait également sous-es-timé la réaction de la Turquie, qui apris fait et cause pour son allié qa-tari. Alors que le front anti-Qatar réclamait, entre autres, la ferme-ture de la base militaire turque quel’émirat abrite sur son territoire, Ankara a fait savoir qu’il n’avait nullement l’intention de se plier à cette injonction et y a même dépê-ché symboliquement des renforts.

La Turquie a rappelé qu’elle avaitelle aussi des coups à rendre, souli-gne Stéphane Lacroix : « Ankara est convaincu que les Emirats ara-bes unis ont financé la tentative de coup d’Etat qui a visé Recep Tayyip Erdogan les 15 et 16 juillet 2016. » « Et si, vu de Riyad, le Qatar, c’est le Luxembourg de la région, il n’en est pas de même de la Turquie. Erdo-gan est même plutôt perçu comme une puissance, quelqu’un qui sait prendre des décisions, ajoute M. Lacroix. Nous n’en sommes pas là, mais, si la crise se prolonge, nouspourrions assister à une recompo-sition des alliances, avec un bloc turco-qatari maintenant de bonnesrelations avec l’Iran face à un Con-seil de coopération du Golfe [CCG, le club des pétromonarchies du Golfe] affaibli. » Soit l’exact inverse du but initial recherché par l’Ara-bie saoudite et les Emirats.

« Personne n’a donc intérêt à ceque cela dégénère », conclut M. Lacroix. Le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a d’ailleurs appelé lundi depuis Abou Dhabi, où il achevait une tournée de deux jours dans la région du Golfe, à l’apaisement : « La crise doit se dénouer au sein des pays du CCG. » Un vœu pieux, pour l’instant. p

madjid zerrouky

« Si la crise

se prolonge,

nous pourrions

assister à une

recomposition

des alliances »

STÉPHANE LACROIX

CERI de Sciences Po

L’entreprise familiale de Jared Kushner a échoué à obtenir un contrat au QatarPeu de temps avant que Donald Trump soutienne dans un premier temps les griefs de l’Arabie saoudite envers le Qatar, l’entreprise fa-miliale du gendre et conseiller du président américain, Jared Kus-hner, a fait une cour assidue au petit émirat gazier, en la personne de son ex-premier ministre, qui dirige un fonds d’investissement privé. Son espoir était de décrocher un investissement de 500 mil-lions de dollars (434 millions d’euros) pour la construction d’une tour à Manhattan, selon le magazine The Intercept. Ces négocia-tions ont été confirmées par le porte-parole de M. Kushner.

VENEZUEL ADonald Trump met en garde Nicolas MaduroLe président américain, Do-nald Trump, a sommé, lundi 17 juillet, son homologue vé-nézuélien, Nicolas Maduro, de retirer son projet de Cons-tituante sous peine de « me-sures économiques fortes », au lendemain de la consultation symbolique de l’opposition qui a vu 7,6 millions de Véné-zuéliens se prononcer pour son retrait. « Les Etats-Unis ne resteront pas immobiles pen-dant que le Venezuela s’effon-dre », a indiqué Donald Trump. L’opposition vénézué-lienne a appelé lundi à une grève générale jeudi. – (AFP.)

TURQUIELa directrice d’Amnesty International maintenue en prisonLa justice turque a décidé de maintenir en détention pro-visoire la directrice locale de l’ONG Amnesty Interna-tional, Idil Eser, et cinq autres militants des droits de l’homme, a indiqué mardi 18 juillet le quotidien Hür-riyet. Ils ont été arrêtés le 5 juillet dans le cadre de la répression menée depuis le coup d’Etat manqué de juillet 2016. Le ministère pu-blic avait requis lundi leur maintien en détention dans l’attente de leur procès. Les militants doivent être jugés pour appartenance à une or-ganisation terroriste. – (AFP.)

VISAG

ESVIL

LAGES

©AG

NÈSVAR

DA-JR

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AMAR

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IALAN

IMALS

2016-

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7.

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MATTHIEU CHEDID DIT -M-

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4 | international MERCREDI 19 JUILLET 2017

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L’amertume des habitants de Mossoul-OuestCinq mois de combats contre l’EI ont provoqué la destruction de quartiers entiers de la ville irakienne

mossoul (irak) - envoyée spéciale

On est allé se coucher unsoir avec le gouverne-ment. On s’est réveilléle lendemain avec

l’[organisation] Etat islamique.L’EI nous a volé nos maisons et nosvoitures. On a perdu plus encoreavec la libération. Tout est détruit : nos maisons, notre patrimoine,nos mosquées, nos hôpitaux, notreuniversité. On n’a plus de travail,plus d’avenir. » La voix chevro-tante, Ali Nachwan ne peut pas contenir la colère qui le gagne à l’évocation de la désolation dans laquelle a été laissé l’ouest de Mossoul après cinq mois de com-bats entre les forces irakiennes et les combattants de l’EI.

Autour de lui, dans l’assistanceréunie comme chaque matindans l’échoppe de thé d’AbouHammoudi, sur la grande ave-nue de Bagdad, dans le quartier de Mossoul Al-Djadida, les hom-mes ne trouvent rien à y redire. Le conducteur de camions de 25 ans montre le canapé del’autre côté de la rue sur lequel ildit dormir tous les soirs. « Toutema famille a été tuée dans une frappe aérienne sur notre mai-son », explique-t-il, incapable de se souvenir de la date. « C’était le 17 mars », répondent en chœurles autres hommes.

« La maison d’Ali et la nôtre ontété touchées dans une frappe. Toutle pâté de maisons a été détruit. Quatorze immeubles d’un coup.

Trois cent cinquante personnes sont mortes alors qu’il n’y avait pas plus de dix combattants », pré-cise Raad, un ouvrier de 48 ans, sauvé des décombres avec safemme et ses sept enfants.

Contrairement à l’est de Mos-soul, largement épargné par lescombats qui y ont fait rage d’oc-tobre 2016 à janvier, certains quartiers sur l’autre rive du Tigreont été presque entièrement dé-truits dans la bataille engagée de-puis le 19 février.

« Un désastre humain »

Face à la résistance de plus en plusacharnée des djihadistes, retran-chés parmi les habitants utilisés comme boucliers humains, les frappes aériennes de la coalition internationale et les tirs d’artille-rie des forces irakiennes se sontfaits plus intenses. La vieille ville, devenue la forteresse de l’EI, a été détruite à plus d’un tiers – soit près de 5 000 habitations – dans les combats entre mi-juin et mi-juillet, selon les observations réa-lisées par images satellite par l’UNHabitat. Dans le reste de la ville, 10 000 autres habitations ont étédétruites, surtout à l’Ouest.

« C’est une destruction massive.Un désastre humain. Cela va pren-dre du temps de faire le décomptede toutes les victimes. Il y a encore beaucoup de corps sous les rui-nes », lâche Othman Hamed Latif, un marchand de boiseries de60 ans et père de huit enfants, quine cache pas sa « déprime ».

lement détruit. » Les militairesévoquent les pertes de plus enplus sévères subies côté gouver-nemental et la volonté d’avancerrapidement pour éviter les con-tre-attaques de l’EI et libérer lescivils affamés par des mois desiège pour justifier le déluge defeu qui s’est abattu sur l’ouest de Mossoul. Mais, leurs explicationsne satisfont pas les habitants.

« Rendre aux gens leur dignité »

« La plupart des destructions ont été causées par les forces irakien-nes. Pour elles, Mossoul n’étaitplus une ville, seulement une sériede coordonnées GPS à transmet-tre aux avions de la coalition. Sij’avais su que ce serait cela, la pré-tendue libération, j’aurais préféréne pas être libéré », confie, amer,Qassem Al-Charifi, un fonction-naire du ministère de l’électricité

de 43 ans. Othman Hamed Latifabonde en son sens : « Le gouver-nement nous a injustement trai-tés. Il nous a dit de rester cheznous, en nous faisant croire que ceserait une bataille rapide et facile.On aurait pu s’enfuir si on avait suavant qu’il en serait ainsi. »

Le premier ministre, Haïder Al-Abadi, a promis que la reconstruc-tion débuterait rapidement. « Pour transformer les gains de la victoire militaire en stabilité, sécu-rité, justice et développement, le gouvernement devra tout faire pour rendre aux gens leurs vies dans la société et leur dignité », lui a enjoint l’envoyé des Nationsunies pour l’Irak, Jan Kubis.

Plus de 800 000 personnes ontété déplacées par les combats à l’ouest, selon l’ONU. Alors que l’estde Mossoul bouillonne déjà d’ac-tivités et de commerces, la recons-

truction de l’ouest, plus pauvre et davantage marqué par les années de défiance entre la population à majorité sunnite et les autorités chiites de Bagdad qui ont suivi l’invasion américaine de 2003, re-vêt un fort enjeu politique.

Dans les conversations, l’argu-ment confessionnel ne tarde ja-mais à ressurgir. « Depuis le début, c’est le plan prévu par les Etats-Unis, Israël et l’Iran : éradiquer la communauté sunnite », croit, comme beaucoup, Ali Nachwan. Qassem Al-Charifi n’est pas loin depenser la même chose : « C’est comme les Américains, c’est ainsi que les politiciens chiites se vengentdes sunnites. Maintenant, les forcesde sécurité ont le dessus sur la po-pulation. Vous ne pouvez exprimer aucune critique, sinon ils vous di-sent que vous êtes avec l’EI. » p

hélène sallon

Dans un quartier détruit de Mossoul, le 29 juin. LAURENT VAN DER STOCKT POUR « LE MONDE »

L’épilogue de la bataille entaché par des accusations d’exactions de l’arméeDes vidéos montrent des soldats battant et exécutant des membres présumés de l’EI

mossoul (irak) - envoyée spéciale

O fficiellement, la bataillede Mossoul s’est achevéelundi 10 juillet au soir

avec l’annonce, par le premier mi-nistre irakien, Haïder Al-Abadi, dela « victoire totale » des forces gou-vernementales contre l’organisa-tion Etat islamique (EI). Les forces irakiennes ayant pris pied dansl’ensemble des secteurs de la ville,la métropole du nord de l’Irak est considérée « libérée ». Quant auxopérations de « sécurisation » pour traquer les derniers djiha-distes, terrés dans les ruines de la vieille ville, elles ne devaient être qu’une formalité.

Mais, une semaine après la pro-clamation de la victoire, la succes-sion des annonces sur de nouvel-les captures et contre-offensives djihadistes suggère que les forces gouvernementales rencontrent plus de difficultés que prévu à soumettre les derniers combat-tants, dont le nombre ne semble pas se tarir.

Du fait du black-out médiatiqueimposé depuis le 11 juillet sur la vieille ville, les journalistes sont cantonnés à observer, à distance, les hélicoptères et l’artillerie pi-lonner la ville, notamment les secteurs de Chahwan et Qaliyat, dévolus à l’armée.

L’imposition de ce black-out in-quiète d’autant plus les organisa-tions de défense des droits de l’homme qu’au lendemain de

l’annonce de la libération quatre vidéos montrant des exactions,présumément perpétrées par des membres de l’armée et de la po-lice fédérale contre des personnessuspectées d’appartenance à l’EI, ont été repérées sur les réseauxsociaux par l’ONG Human RightsWatch (HRW).

Ces vidéos « semblent montrerdes soldats irakiens et des policiersfédéraux battre et exécuter des dé-tenus », a indiqué l’ONG dans uncommuniqué, le 13 juillet.

Sanctions sévères

Dans l’une d’elles, des hommes vêtus d’un uniforme de l’armée irakienne battent violemment descombattants de l’EI dans une pièce. Un homme est traîné jus-qu’au bord d’un escarpement au-dessus du Tigre. Les soldats le jet-tent dans le vide et lui tirent des-sus. D’autres soldats tirent sur les corps de deux hommes déjà pré-sents en contrebas, ainsi que sur un quatrième homme au sol.

HRW dit avoir localisé le lieu de tournage de la vidéo avec des ima-ges satellites, mais pas celui des trois autres.

Ces dernières montrent deshommes en uniformes de l’armée et de la police fédérale tabasser desdétenus. L’une d’elles, titrée « Nos héros de la 16e division de l’armée irakienne exécutant le reste des ter-roristes de Daech dans la vieille ville », montre un homme en uni-forme de l’armée abattre un homme désarmé, agenouillé de-vant une voiture.

« Dans les dernières semaines dela bataille de Mossoul, j’étais aux premières loges pour constater que l’armée voulait terminer les opéra-tions au plus vite », a témoigné Bel-kis Wille, enquêtrice de HRW en Irak. Cela s’accompagnait par « ce qui semble être une baisse de leur respect pour les lois de la guerre », a-t-elle ajouté, appelant le premier ministre irakien à enquêter sur cesabus présumés.

Les autorités ont promisl’ouverture d’enquêtes. « Nous avons suspendu certaines des troupes montrées dans ces photos et une enquête est en cours », a as-suré, le 13 juillet, le général Saad Maan, porte-parole du ministère de l’intérieur, à des journalistes. De son côté, le porte-parole de l’armée, le général Yahia Rassoul,a promis que toute personne prise en train de commettre des violations des droits de l’homme« sera militairement comptable de ses actes ».

Une enquête avait déjà été an-noncée, en mai, après la publica-tion par l’hebdomadaire allemandDer Spiegel d’un reportage dans le-quel le photographe irakien Ali Ar-kady affirmait, photos à l’appui, que des membres de la Force d’in-tervention rapide, qui dépendent du ministère de l’intérieur, avaient« torturé, violé et tué des gens » lors de la bataille de Mossoul sur la base de « vagues soupçons » con-cernant leurs liens avec l’EI. p

hé. s.

« Nous avons

suspendu

des troupes

et une enquête

est en cours »

GÉNÉRAL SAAD MAAN

porte-parole du ministèreirakien de l’intérieur

Selon les estimations de l’orga-nisation non gouvernementaleAirwars, basée à Londres, les frap-pes de la coalition auraient fait5 805 morts parmi les civils entre le 19 février et le 19 juin. D’autres, dont le nombre est encore impos-sible à établir, ont été tués par les snipers, les obus et les pièges ex-plosifs de l’EI. Le bilan des perteshumaines devrait être lourd dans la vieille ville, lieu des combats lesplus violents, où les pompiers de la défense civile ont entamé l’ex-traction des corps des décombres.

« Il n’y avait pas d’autre moyende procéder, assure le général Sami Al-Aridhi, des forces antiter-roristes irakiennes. Les Améri-cains auraient dit : “On détruittout et après, on se bat.” Ce n’estpas ce que l’on a fait. Croyez-moi,si l’on avait utilisé toute notreforce de frappe, ça aurait été tota-

Un musée américain va devoir rendre des objets pillés en Irak

S ur la scène politique américaine, la compagnie HobbyLobby était jusqu’à présent connue surtout pour unprocès très médiatisé contre la réforme de la santé de

Barack Obama. Les fondateurs de la chaîne de magasins de loi-sirs créatifs, des évangéliques militants, refusaient de fournir àleurs employés une assurance-maladie remboursant le stérilet ou la pilule du lendemain. En 2014, la Cour suprême leur a donné raison, au nom de la liberté religieuse.

Hobby Lobby est aussi un succès commercial. Ouverte parDavid Green en 1972 dans l’Oklahoma, au cœur de l’Amériquedes valeurs chrétiennes, la chaîne emploie maintenant plus de 13 000 employés dans 41 Etats. Les magasins n’ouvrent pas le dimanche et les consommateurs sont bercés de rock chrétien.

La famille Green est aussi à l’initiative du Musée de la Bible quidoit ouvrir en novembre à Washington. Steve, le fils du fonda-teur, a donné lui-même au musée treize fragments des rouleauxde la mer Morte et une partie de la col-lection qu’il accumule depuis 2009.

Depuis le 6 juillet, Hobby Lobby fi-gure de nouveau dans la chronique ju-diciaire, mais à son détriment. Le mi-nistère de la justice lui reproche d’avoir acheté, en 2010, plus de 5 500 objets antiques volés en Irak à la faveur de l’in-vasion américaine et de la guerre civile – pour 1,6 million de dollars (1,4 milliond’euros) –, aux fins de remplir les vitri-nes du musée. Selon l’enquête, les exportateurs, situés aux Emi-rats arabes unis ou en Israël, avaient étiqueté « échantillons » ou « céramique faite à la main » ce qui était en fait des tablettes mé-sopotamiennes portant des fragments d’écriture cunéiforme.

La justice n’a pas été convaincue par l’argument de la bonnefoi. Elle a reproché aux dirigeants de Hobby Lobby d’avoir ignoré les « drapeaux rouges », d’autant qu’un expert les avait mis en garde sur le pillage des musées irakiens.

Aux termes d’un règlement présenté devant la justice, lachaîne de magasins a accepté de restituer les milliers d’objets eta été condamnée à une amende de 3 millions de dollars.

Selon de nouvelles révélations diffusées par NBC le 13 juillet,ce n’était pas la première fois que la famille Green faisait l’ac-quisition d’objets interdits d’importation aux Etats-Unis. Con-cernant ceux-ci, Hobby Lobby a indiqué ne pas pouvoir resti-tuer les objets, qui ont été « disséminés ». Où ? Les vitrines du Musée de la Bible seront étudiées de près… p

corine lesnes (san francisco, correspondante)

LES ÉVANGÉLIQUES IMPLIQUÉS VOULAIENT ENRICHIR LEUR « MUSÉEDE LA BIBLE »

Les Forces démocratiques syriennes suspectées de crimes de guerre à RakkaAlors qu’Amnesty International a réclamé, le 11 juillet, la création d’une commission indépendante sur les crimes qui ont pu être commis contre les civils à Mossoul, c’est au tour des Forces dé-mocratiques syriennes (FDS) d’être suspectées de « crimes de guerre » à Rakka, en Syrie. En cause, une vidéo filmée par des membres supposés des FDS dans laquelle ils exécutent des hom-mes présentés comme des prisonniers de l’organisation Etat isla-mique. Les FDS affirment avoir diligenté une enquête.

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Le gouvernement ultraconservateur harcèle les journalistesTomasz Piatek est poursuivi devant un tribunal militaire pour une enquête critique sur le ministre de la défense

varsovie - correspondance

A près avoir repris en mainles médias publics dèsson arrivée au pouvoir,

en novembre 2015, le gouverne-ment ultraconservateur polonais accroît sa pression sur les médias privés et sur les journalistes. Le ministre de la défense, AntoniMacierewicz, a déposé une plaintedevant le bureau militaire du par-quet général de Varsovie contre le journaliste d’investigation To-masz Piatek, du quotidien de cen-tre-gauche Gazeta Wyborcza.

En cause : un livre publié par lejournaliste (« Macierewicz et ses secrets »), fruit de dix-huit mois d’enquête, qui met en lumière les liens entre le ministre de la dé-fense avec des personnes liéesaux intérêts russes et aux servicesde renseignement moscovites.

Fait notable, le ministre neporte pas plainte pour diffama-tion, mais pour « recours à la force

ou à la menace contre un fonc-tionnaire », « insulte ou humilia-tion d’un organe constitutionnel »et « attaque illégale à l’encontre d’un représentant public ». Envertu du code pénal polonais, le journaliste encourt jusqu’à trois années de prison.

« Dénonciateur bolchevique »

« Il y a encore deux ans, il aurait étéinimaginable qu’un journaliste puisse être traduit devant un tribu-nal militaire, confie Tomasz Pia-tek au Monde. Je me sens menacé, mais, au-delà de ma personne, il s’agit de faire peur à toute la pro-fession. En présentant ce genre d’accusations absurdes, le ministrede la défense me donne raison, car à aucun moment il n’est question de plainte pour diffamation oupour des mensonges supposés. »

Le journaliste a également faitl’objet de violentes attaques de lapart de la télévision publique etdes médias proches du parti au

pouvoir, le PiS (Droit et justice). Ila notamment été qualifié de« dénonciateur bolchevique », etattaqué pour son engagementen faveur des droits des minori-tés sexuelles, ou encore pourson addiction passée aux stupé-fiants et à l’alcool.

Dans une lettre ouverte à An-toni Macierewicz, Reporters sans frontières (RSF) et d’autres ONGl’appellent à renoncer immédia-tement aux poursuites pénales engagées contre Tomasz Piatek.

« Le fait de traduire un journalistedevant une juridiction militaire etde le menacer d’une peine de pri-son constitue une forme d’intimi-dation et porte gravement atteinteà la liberté de la presse et de tousceux qui émettent des critiques à l’égard des autorités, affirme Pau-line Adès-Mével, responsable du bureau Union européenne de RSF. Nous appelons les institutionseuropéennes à condamner sans détour ces poursuites. »

M. Macierewicz ne s’est pas en-core expliqué en détail sur les ac-cusations à son encontre ou en-vers ses proches contenues dans le livre de Tomasz Piatek. Le secré-taire d’Etat à la défense, Michal Dworczyk, a qualifié l’ensemblede ces publications de « tissu de mensonges et de calomnies ».

Le journal allemand FrankfurterAllgemeine Zeitung, de son côté, a récemment dévoilé les liens entrele vice-ministre de la défense, Bar-tosz Kownacki, et le parti Zmiana

(« changement »), financé par leKremlin. Le quotidien révèle no-tamment que M. Kownacki a été, en 2012, à l’invitation d’une orga-nisation pro-Kremlin, observa-teur international durant l’élec-tion présidentielle en Russie. « La situation est si absurde qu’il est dif-ficile de la commenter, s’est dé-fendu M. Kownacki à la télévision publique. J’ai été observateur en Russie lors des élections en 2012.Les organisations qui m’y ont en-voyé étaient légales. »

« La pire des manières »

La télévision publique polonaisea également attaqué, le 14 juillet,la correspondante à Bruxelles dela télévision Polsat, Dorota Bawo-lek. Dans une question à un por-te-parole de la Commission euro-péenne, la journaliste s’étonnait que celui-ci refuse de commen-ter la réforme controversée dusystème judiciaire polonais, una-nimement décriée par les juris-

Dorota Bawolek,

correspondante

à Bruxelles

de la chaîne

Polsat, a essuyé

un torrent

de menaces

l’épisode a contribué à nourrir les in-terrogations autour d’Antoni Macierewicz. Dans la nuit du 17 au 18 décembre 2015, un mois après l’arrivée du PiS au pouvoir et sur ordre du tout nouveau ministre de la défense, la gendarmerie polonaise perqui-sitionne le Centre d’expertise et de contre-espionnage de l’OTAN (CEK), installé de-puis peu à Varsovie. L’institution a été mise en place conjointement par les auto-rités polonaises et slovaques après l’inva-sion russe de la Crimée. Son objectif : la coordination et la récolte d’informationsdans le cadre des menaces d’espionnage relatives au conflit en Ukraine, et plus gé-néralement la prévention de toute menacenon conventionnelle sur le flanc est de l’Alliance. Le CEK était alors en attente d’ac-créditation formelle de l’OTAN.

L’opération nocturne est dirigée par deshommes de confiance du ministre de la défense. L’équipe force les coffres-forts, prend matériel, documents, archives, et s’empare jusqu’aux biens personnels desemployés. Ni le directeur du centre ni lesalliés ne sont prévenus. « Nous sommes ac-tuellement témoins d’une série d’actions atypiques que je ne peux pas accepter,écrira, dans un courrier officiel à M. Ma-cierewicz, le ministre slovaque de la dé-

fense, Martin Glvac. Je nie fermement tou-tes les affirmations (…) selon lesquelles la perquisition de nuit aurait été discutéeavec la partie slovaque. »

« Cette perquisition était purement illé-gale, en dehors de toute procédure, expli-que un ancien cadre des renseignementsmilitaires, qui a œuvré à la mise enplace du CEK. Aucun procureur n’était pré-sent, aucun témoin indépendant, et plu-sieurs personnes présentes sur les lieuxn’étaient pas habilitées à pénétrer dans ce genre de bâtiments. »

« La Pologne cesse d’être un allié »

Deux mois plus tard, le ministère de la dé-fense a réagi en affirmant que les fonction-naires auraient « empêché des tentatives d’utiliser le CEK (…) pour réaliser des actions à caractère illégal par un groupe d’anciens officiers ». Le ministère les a notamment accusés de « collaboration illégale avec le FSB », les services de renseignement russes.

Aujourd’hui, le CEK fonctionne de nou-veau. Même s’il a obtenu l’accréditationformelle de l’OTAN, certains alliés, dont les Etats-Unis, ont pris leurs distances. « Lecentre fonctionne mais il ne s’y passe plusrien, confie un ancien cadre du renseigne-ment. Le ministre a conduit des purges

massives au sein du renseignement mili-taire, plaçant des hommes pour qui la loyauté prime sur la compétence. Nos servi-ces de renseignement sont à vrai dire para-lysés et non opérationnels. La coopérationavec les alliés est rompue. »

Ce que confirme une note du MI6, le ren-seignement extérieur britannique, citée par l’hebdomadaire polonais Polityka en avril : « Les effets des purges conduites ac-tuellement par les autorités polonaises sontdes tentatives d’infiltration massives de la part des services de renseignement russes, qui veulent introduire un maximum de leurs hommes au sein de l’administrationpolonaise. La Pologne cesse d’être un allié face aux défis russes et devient une menace pour toute notre communauté. »

Selon Tomasz Siemoniak, ministre de ladéfense de 2011 à 2015 dans le gouverne-ment de la Plate-Forme civique (PO), « lecomportement des hommes de Macie-rewicz laisse à penser que l’objectif de l’opé-ration était la recherche de documents. Ma-cierewicz pouvait penser que les fonction-naires du centre se comportaient commelui-même dans le passé, quand il mettait àl’abri certains documents importants pourses besoins personnels ». p

j. iw.

Une étrange perquisition dans un centre affilié à l’OTAN

tes comme une atteinte au prin-cipe de séparation des pouvoirs.

« Les médias privés, depuis le dé-but des gouvernements du parti Droit et justice, font beaucoup pour parler des changements en Pologne de la pire des manières, surtout à l’étranger », a commentéle présentateur de la chaîne d’in-formation en continu TVP Info, avant de diffuser à l’antenne l’in-tervention de la journaliste.

Cette dernière a essuyé par lasuite un torrent de menaces surles réseaux sociaux, dont de nom-breuses menaces de mort. La jour-naliste a été accusée de « trahi-son », d’« attaque envers la Polo-gne » et de travailler « sur com-mande politique ». Ces attaques sont récurrentes vis-à-vis des jour-nalistes polonais qui critiquent la politique du gouvernement ultra-conservateur. Certaines d’entre el-les ont été relayées par des cadres de la majorité du PiS. p

j. iw.

Pologne : les accointances russes d’un ministre-cléTrès antirusse, Antoni Macierewicz, chargé de la défense, est pourtant en lien avec des proches de Moscou

varsovie - correspondance

Le ministre polonais de ladéfense, Antoni Macie-rewicz, manie la rhétori-que antirusse avec verve

et passe pour un des plus farou-ches opposants à la politique duKremlin. Historiquement prochede la droite nationaliste et ultra-catholique, M. Macierewicz s’estforgé une réputation contro-versée. Appuyé par le présidentdu parti Droit et justice (PiS), Ja-roslaw Kaczynski, il entend prou-ver que le crash de l’avion pré-sidentiel polonais à Smolensk en Russie, le 10 avril 2010, est lefruit d’un attentat fomenté par le Kremlin avec la complicitédu gouvernement de DonaldTusk, aujourd’hui président duConseil européen.

Mais à Varsovie, plusieurs arti-cles relèvent la proximité de cetancien militant de Solidarnoscavec des personnalités qui sontbien loin d’être hostiles à la Rus-sie de Vladimir Poutine. Le Monde a enquêté sur les élé-ments les plus troublants.

M. Macierewicz a fait du Centrenational d’études stratégiques (NCSS), un think tank de tendancenéoconservatrice, une pépinière pour les cadres du ministère de la défense. Certaines de leurs analy-

ses ne reflètent pourtant pas la doxa du gouvernement polonais sur la Russie. Krzysztof Gaj et Grzegorz Kwasniak, les auteursd’un rapport contesté sur la dé-fense territoriale commandé par le ministère, se sont illustrés par des déclarations publiques re-mettant en cause la crédibilité de l’OTAN et même soutenant l’in-tervention russe en Ukraine.

Le directeur du NCSS, Jacek Ko-tas, qui a été vice-ministre de ladéfense aux côtés de M. Macie-rewicz dans les années 2006-2007, est un proche de Robert Szustkowski, un homme d’affai-res lié à des intérêts russes dans des secteurs à caractère stratégi-que, comme la finance. Jusqu’à ré-cemment, M. Szustkowski était chargé d’affaires à Moscou pour la République de Gambie.

Sponsor officieux

M. Szustkowski possède legroupe immobilier Radius, etM. Kotas a présidé le conseil d’ad-ministration de la société mère.Radius compte une myriade de fi-liales, dont certaines enregistréesà Chypre et dans des paradis fis-caux. La NCSS a longtemps eu sonsiège dans des locaux du groupeRadius. En 2006, lors de son pas-sage au ministère de la défense, M. Kotas avait obtenu des servi-ces de M. Macierewicz un certifi-cat de sécurité l’autorisant à accé-der à des documents classés con-fidentiels. M. Kotas, qui est aussiorganisateur, depuis les années2000, du Forum économique de Krynica, qualifie ces accusationsd’« absurdes ». « Ni moi ni le NCSSn’avons aucun lien avec la Rus-sie », soutient-il dans la presse. M. Kotas n’a pas souhaité répon-dre à nos questions.

Autre étrange fréquentation :dans l’entourage du ministre de la défense, Robert Lusnia est un homme d’affaires fortuné, spon-sor officieux des activités politi-ques de M. Macierewicz depuis1989. M. Lusnia est un proche col-laborateur de Konrad Rekas, le vi-ce-président du parti pro-pouti-nien Zmiana (« changement »).Cette structure, financée parMoscou, plaide officiellement pour une « réorientation de la po-litique étrangère de la Pologne » etpour un rapprochement avec les voisins russe et biélorusse. Le président de ce parti, MateuszPiskorski, a été arrêté en mai 2016par l’Agence de sécurité inté-rieure polonaise (ABW) et accusé d’espionnage pour le compte dela Russie. Konrad Rekas a été undes cadres de l’éphémère parti

eurosceptique du Mouvement patriotique, fondé par AntoniMacierewicz en 2005.

L’un des épisodes qui fondentles inquiétudes sur M. Macie-rewicz est son rôle en 2006, sous le premier gouvernement du PiS, dans la liquidation des Services d’information militaire (WSI) – le renseignement de l’armée –, alors qu’il était vice-ministre de la dé-fense chargé du renseignement. Al’époque, il existait un consensus politique sur le fait que ce service, hérité de l’époque communiste, devait être réformé, mais la déci-sion de rendre public le rapport dedémantèlement du WSI, commu-nément appelé « Rapport Macie-rewicz », a tourné au scandale. « Lapublication de ce rapport a consi-dérablement affaibli nos services de renseignement. Ce document aurait dû être classé secret défense et ne jamais voir la lumière dujour », explique Bogdan Klich, mi-nistre de la défense du gouverne-ment Tusk entre 2007 et 2011.

Selon un ancien haut gradé durenseignement militaire, « ce rap-port fut un cadeau inestimablepour les services de renseignement ennemis. Macierewicz y a dévoilé de manière précise les méthodes defonctionnement de notre rensei-gnement militaire, mais aussi les noms de nos agents, de nos infor-

mateurs, les détails des opérations en cours, notamment en Afghanis-tan. Cette publication a eu des con-séquences très graves. Plusieurs de nos informateurs sur le terrain, dé-masqués, ont perdu la vie ».

Avant même que ce rapport soitpublié, M. Macierewicz en avaitcommandé la traduction enrusse. Cette mission avait été con-fiée à Irina Obuchova, citoyennerusse naturalisée polonaise, quin’était pas assermentée mais bé-néficiait d’un laissez-passer pourentrer au Service de contre-es-pionnage militaire (SKW). « Pour traduire ce genre de documentsensible, il faut non seulement êtreassermenté par le ministère de la défense, mais aussi être contrôlépar les services de sécurité, qui pas-sent au peigne fin les moindres dé-tails de votre existence », explique un haut responsable militaire.

Pourtant, l’examen de la carrièrede l’intéressée pose plusieurs questions. Dans les années 1980, Mme Obuchova travaillait à Mos-cou dans l’agence de voyage offi-cielle de l’Union soviétique, Intou-rist. Elle s’occupait des groupes de touristes étrangers, particulière-ment des délégations d’écrivains polonais visitant l’URSS.

« A l’époque de la guerre froide,l’agence Intourist était contrôlée par le KGB. C’était à vrai dire une

entreprise de couverture du ren-seignement russe », explique Vin-cent V. Severski, écrivain etlieutenant-colonel retraité desrenseignements généraux polo-nais. « Une personne ayant tra-vaillé dans cette institution nedevrait pas franchir la porte de notre ministère de la défense »,relève ce fin connaisseur durenseignement russe.

« Attaques personnelles »

En 1989, Mme Obuchova s’est ins-tallée en Pologne et s’est rappro-chée de Solidarnosc. Elle a épouséle critique littéraire Marek Zie-linski, proche de l’entourage d’An-toni Macierewicz, qui entama, après la chute du communisme,une carrière de diplomate.

Sous la précédente majorité decentre-droit, le Service de contre-

« Soupçonner

le ministre

de coopération

avec la Russie

n’a rien à voir

avec les faits »

LE MINISTÈRE DE LADÉFENSE POLONAIS

espionnage militaire a enquêté, deux années durant, sur le casde Mme Obuchova, sans parvenir àdes résultats concluants. Aujour-d’hui, les cadres responsables decette enquête ont été démis de leurs fonctions et font l’objet depoursuites judiciaires de la part du ministère de la défense. En 2014, M. Macierewicz avait ex-pliqué que la traduction de ce rap-port avait été effectuée « pour lebesoin de chercheurs et de scienti-fiques étrangers ».

« Soupçonner le ministre de ladéfense Antoni Macierewicz de lien avec les services de renseigne-ment ou de coopération avec laRussie n’a rien à voir avec les faits, comme nous l’avons communiquéà maintes reprises », réplique dansun communiqué le ministère de la défense, sans répondre en dé-tail aux questions du Monde. « In-dépendamment de ces attaquespersonnelles à l’encontre du minis-tre et de ses adjoints, l’actuelle di-rection du ministère va continuer son service, dont le but est de pren-dre soin de la sécurité de la Polo-gne et de ses citoyens », poursuit leministère, en rappelant qu’il a at-taqué en justice le quotidien Ga-zeta Wyborcza et son journalisteTomasz Piatek, auteur d’un livresur M. Macierewicz. p

jakub iwaniuk

LE PROFIL

Né en 1948, Antoni Macierewicz a participé aux manifestations étudiantes de mars 1968 contre le régime communiste. Dans les années 1970, il est membre du Comité de défense des ouvriers (KOR), puis de Solidarnosc. Il devient ministre de l’intérieur en 1991, mais quitte son poste au bout d’un an seulement, après avoir créé la polémique en publiant une listede collaborateurs supposés de la police secrète communiste, dont Lech Walesa. Surnomméle « Liquidateur », il revientau pouvoir en 2006, et fait un grand ménage dans les servicessecrets. Ministre de la défense depuis 2015, il a superviséune purge dans l’armée.

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6 | FRANCE MERCREDI 19 JUILLET 2017

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Pierre de Villiers, un chef d’état-majordans la tourmente

Après le recadrage du 14 juillet, le général a eu un entretien lundi avec le président avant de réunir ses grands adjoints de l’armée de terre, de l’air et de la marine

Emmanuel Macron et Pierre de Villiers, sur les Champs-Elysées à Paris, le 14 juillet.JEAN CLAUDE

COUTAUSSE/FRENCH

POLITICS POUR « LE MONDE »

Le président à contretemps de l’institution militaireLa crise ouverte sur la question du budget et les propos d’Emmanuel Macron vont affecter durablement les armées

ANALYSE

E xcès d’autorité », « erreur deméthode », « malentendu »,« gâchis ». Les mots des ac-

teurs politiques et militaires de la défense pour analyser la crise ouverte depuis le 14 juillet entre le président de la République et le chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers, sur la question du budget, reflètent une grande déception. La perception est que leprésident agit à contretemps avec l’institution, et que les armées seront durablement secouées par cet accès de défiance.

En 2016, tirant les conséquencesdes menaces posées par le terro-risme et le retour agressif de la puissance russe, l’exécutif dirigé par François Hollande avait pris une décision historique, celle de stopper les coupes humaines et budgétaires imposées de façon continue aux armées depuis la fin de la guerre froide. L’effort de dé-

fense est passé de l’ordre de 4 % duproduit intérieur brut (PIB) dans les années 1980 à 1,78 % en 2017. « On avait enfin réalisé qu’il était vi-tal pour les armées de financer le programme de modernisation lancé il y a trente ans et d’arrêter cette spirale d’effondrement », écrit, lundi 17 juillet, le colonel Mi-chel Goya, un commentateur très écouté du milieu. Les militaires, résignés à obéir au « court-ter-misme » des politiques, avaient, sans naïveté, retrouvé foi en une certaine parole dirigeante.

A leurs yeux, le nouveau chef del’Etat avait bien, comme le vante l’Elysée, fait un « carton plein » ré-galien en allant visiter les troupes dès son investiture. Emmanuel Macron est de nouveau attendu jeudi 20 juillet, pour son deuxième déplacement auprès des forces de la dissuasion sur la base aérienne nucléaire d’Istres.

Nombre d’officiers sont admi-ratifs de la façon dont il a réussi à

remettre en avant la France sur lascène internationale. Ils saluent le volontarisme affiché au Sahelpour pousser les pays de la régionà prendre leurs responsabilitésen matière de sécurité. La récep-tion de Vladimir Poutine à Ver-sailles. Ou encore l’invitation de Donald Trump pour le 14-Juillet,un défilé dédié au centenaire del’entrée en guerre des Etats-Unis. Les armées travaillent de façon plus proche que jamais avec levieil allié sur le front des opéra-tions de contre-terrorisme.

Le candidat Macron avait aussi,dès la campagne, endossé les ba-ses d’un effort de défense à 2 % du PIB en 2025, moyennant de nou-velles réformes : modernisation de la dissuasion, nécessité de com-bler les manques d’équipements, mise en cohérence du budget avecle niveau des opérations en cours. Il avait promu la nécessité d’un plan d’amélioration de la condi-tion des personnels. Certes, la mi-

nistre Sylvie Goulard avait suscité une certaine réserve en raison de ses convictions très europhiles, dans un milieu où l’on mesure de façon concrète sur le terrain la piè-tre réalité de la coopération. Flo-rence Parly, une connaisseuse des rouages de l’administration de l’Etat et du budget, néophyte dans le domaine de la défense, laisse une marge de manœuvre que peu-vent apprécier les généraux.

« C’est Sedan ! »

La décision du gouvernement de ne pas cofinancer comme prévu lacharge de 1,3 milliard d’euros des opérations extérieures est un si-gnal désastreux, même si l’état-major sait qu’il s’agit de la seule li-gne sur laquelle il est possible de ponctionner des crédits à ce stade de l’année budgétaire. Les appels aux « efforts de tous » du porte-pa-role, Christophe Castaner, sont inaudibles. « Non seulement les ar-mées assument 20 % des coupes dé-

cidées le 11 juillet, tandis que l’édu-cation nationale passe au travers de la tempête », fait valoir un offi-cier général, mais les primes et les recrutements de soldats déjà déci-dés ne sont pas financés. Quant à l’appel réactif au « sens du devoir » lancé par le président Macron le 13 juillet, il est considéré comme méprisant par beaucoup. « Le sys-tème ne tient que par l’adhésion despersonnels », souligne un fonc-tionnaire gouvernemental.

L’Elysée a beau indiquer que lerecadrage présidentiel s’adressait autant aux industriels de l’arme-ment qu’à l’administration des fi-nances, pour rompre avec le jeu depression dans lequel certains avaient pu s’engouffrer sous la présidence faible de François Hol-lande, peu y croient. Pis, il devient difficile de croiser des interlocu-teurs convaincus qu’Emmanuel Macron parviendra à tenir l’enga-gement des 2 %. « Les officiers dou-tent même que l’on obtiendra fina-

lement les 11 000 hommes sup-plémentaires promis en 2016 à la force opérationnelle terrestre », s’inquiète un cadre de l’armée de terre. « Il n’y a dans le fond guère desurprise, mais sans doute quand même un peu de déception tant est grand le décalage entre les promes-ses ou la posture et la médiocrité dela réalité », écrit Michel Goya.

« Macron s’est mis dans la situa-tion de Napoléon III, de devoir as-sumer le prochain désastre. C’est Sedan ! », a-t-on entendu jeudi 13 juillet. Il reste la perspective de la « revue stratégique » à la fin de l’année. Elle doit permettre au pré-sident de mettre en cohérence les ambitions françaises avec les moyens disponibles. Le clash du 14 juillet vient du fait que les chefs militaires ont assumé de dire qu’ils ne pouvaient plus prendre en charge leurs responsabilités à moins d’arrêter certaines opéra-tions, au Sahel, ou ailleurs. p

n. g.

C R I S E E N T R E M A C R O N E T L’A R M É E

garder ses hommes en face. Il se sent le pre-mier responsable de l’état de l’armée, et c’est ce sentiment qui l’a conduit à exiger,parfois de façon maladroite, mais toujoursavec son cœur, qu’on fasse tous les efforts nécessaires pour ceux qui sont sur le ter-rain. » Plus de 50 % des militaires disentéprouver des difficultés sérieuses à conci-lier vie professionnelle et vie familiale, « c’est un phénomène nouveau », disait-il non sans inquiétude récemment.

Père de six enfants, né le 26 juillet 1956,en Vendée, le général n’a pas renié la foi catholique de sa famille, tout en gardantune distance toute républicaine avec son frère, l’homme politique souverai-niste Philippe de Villiers. Après Saint-Cyr, il a commandé les dragons à Hague-nau, puis le 501e régiment de chars decombat de Mourmelon et connu lesopérations du Kosovo en 1999. Mais c’estdans sa deuxième partie de carrière, au

Les militaires étaient dans l’ex-pectative, lundi 17 juillet,après le recadrage du chefd’état-major des armées,Pierre de Villiers, par le prési-dent Emmanuel Macron à la

veille du défilé du 14-Juillet. Les deux hommes se sont parlé lundi à 16 heures à l’Elysée. Dans la foulée, le général a réunidans ses bureaux de Balard ses grands su-bordonnés de l’armée de terre, de l’air etde la marine, à qui il avait promis de faire part de ses décisions.

De son arme, la cavalerie, Pierre de Vil-liers a gardé le langage. « Je ne me laisseraipas baiser comme ça ! », a-t-il osé, le 12 juillet 2017, devant les députés de la commission de la défense, après l’an-nonce par Bercy d’une réduction budgé-taire surprise de 850 millions d’euros. Lesmots sincères, prononcés dans une réu-nion à huis clos, lui ont cette fois coûté cher. En retour, ceux du président Ma-cron ont été durs, dans la soirée du 13 juillet, au ministère. « Je considère qu’il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique », « j’aime le sens du de-voir », « j’aime le sens de la réserve ». Le gé-néral bataillait depuis des mois pour que le budget des armées reparte durable-ment à la hausse, et s’était convaincuqu’Emmanuel Macron allait tenir l’enga-gement de porter l’effort de défense à 2 % du PIB. Pour lui, le recadrage est plusqu’un coup de massue.

« C’est un officier de cavalerie classique,avec un certain goût pour le franc-parler, et sa formule lancée devant la commissionde la défense est typique de l’homme decheval », commente le général HenriBentégeat, qui l’a précédé à ce poste.

« UN HOMME CONVAINCU »

Pierre de Villiers n’était pas dans son élé-ment naturel, mais tout à son affaire, ainsi, ce dimanche 8 mars 2015, en pas-sant en revue les marins du porte-avions Charles-de-Gaulle. « C’est bien ! Vous avez de la gueule ! », leur a-t-il lancé. Le navirecroisait dans le Golfe au large de Bahreïn, et le chef d’état-major était satisfaitd’avoir invité à son bord son homologue américain, Martin Dempsey, en pleine guerre contre l’organisation Etat islami-que. « Ceux qui disent que la France est dé-classée sur la scène internationale n’y connaissent rien ! », s’animait-il.

« Pierre de Villiers est surtout un hommeconvaincu, sincère, intelligent », déclare le général Bentégeat. « Il a eu un certain pana-che à tonner ainsi sur la place publique : “Il faut de l’argent pour la défense !” » Pour cet ami, « le plus important, au fond, est qu’il a réintroduit le chef d’état-major des armées sur la place publique. Il a redonné une visibi-lité aux armées, et fait entendre une parole de chef militaire qui avait disparu ».

Le sénateur socialiste Daniel Reiner se-rait « très peiné » si le général partait. « Il m’a toujours dit qu’il voulait pouvoir re-

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0123MERCREDI 19 JUILLET 2017 france | 7

« NOUS SOMMES AU BORD DE LA RUPTURE. PARFOIS,

EN TANT QUE CHEF DES OPÉRATIONS, JE

RENONCE À CERTAINES CIBLES PAR INSUFFISANCE

DE CAPACITÉS »PIERRE DE VILLIERS

général

Macron face aux premières tensionsArmée, enseignement supérieur, collectivités… L’épreuve de vérité débute pour la présidence

A près l’euphorie de la vic-toire et l’état de grâce despremières semaines,

l’épreuve de vérité commence pour Emmanuel Macron. A l’aisesur le plan international, le chef del’Etat voit se multiplier les foyers de crises intérieures, provoqués par l’annonce gouvernementale, la semaine dernière, d’un serrage de vis budgétaire global en 2017, avec une baisse prévue de 4,5 mil-liards d’euros des dépenses de l’Etat. Défense, enseignement su-périeur, collectivités territoria-les… les critiques affluent.

La première fronde du quin-quennat Macron n’est pas venue de là où on l’attendait. Alors que beaucoup prédisaient des contes-tations rapides à la politique prési-dentielle sur le front social, à l’oc-casion de la réforme du code du travail menée par ordonnances, c’est du champ militaire que la dé-fiance s’est exprimée.

En annonçant une coupe de850 millions d’euros dans le bud-get 2017 de la défense, Emmanuel Macron et son gouvernement ont provoqué un large mécontente-ment dans les rangs militaires, au point que la « Grande Muette » est sortie de sa réserve pour critiquer, par la voix du chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers, les choix de l’exécutif. Quelle que soit son issue – départ ou maintien du général de Villiers – le bras de fer entamé depuis quelques jours en-tre le haut gradé et la présidence, devrait laisser des traces dans les futures relations de confiance en-tre les armées et le Château.

Pour la défense, les économiesréclamées dès cette année sont d’autant plus dures à digérer que le candidat, devenu le président Macron, avait multiplié les si-gnaux favorables en direction desmilitaires avant et après l’élection présidentielle. Durant la campa-gne, il avait séduit les treillis en rappelant sans cesse qu’il consa-crerait 2 % du PIB à l’effort de dé-fense d’ici à 2025. L’objectif est maintenu, mais il ne laissait pas présager à l’époque aux militaires que des sacrifices budgétaires se-raient nécessaires au préalable.

Terrains minés

Le même sentiment d’une douchefroide existe dans l’enseignement supérieur et la recherche. Alors que le candidat Macron avait pro-mis de sanctuariser les budgets de ces deux secteurs, l’annonce, la se-maine dernière, de l’annulation de331 millions d’euros de crédits pour 2017 a provoqué la colère des syndicats d’étudiants et de profes-seurs. Une perte qui tombe au plus mauvais moment, alors que le gouvernement a dû entamer lundi 17 juillet une concertation pour réformer au plus vite le sys-tème d’entrée à l’université.

La plate-forme informatiqued’Admission post-bac ne permet plus en effet d’absorber la démo-graphie étudiante en pleine crois-sance. Résultat, près de 87 000 ba-cheliers attendent toujours une place en faculté. « Un énorme gâ-chis », a reconnu lundi la ministre de l’enseignement supérieur Fré-dérique Vidal, qui pourrait provo-

quer des tensions lors de la pro-chaine rentrée universitaire.

Troisième terrain miné pour legouvernement : les économies ré-clamées aux collectivités territo-riales. Si les associations d’élus se sont félicitées de la méthode d’un « pacte » entre l’Etat et les collecti-vités locales, annoncé lundi par l’exécutif à l’occasion de la Confé-rence nationale des territoires, les restrictions financières deman-dées par le gouvernement ne pas-sent toujours pas.

Les collectivités vont devoir réa-liser 13 milliards d’euros d’écono-mies d’ici à 2022, soit 3 milliards de plus que prévu dans le pro-gramme présidentiel d’Emma-nuel Macron. Cette réduction des dépenses, dénoncée par la droiteet la gauche, est rendue encoreplus compliquée par la suppres-sion de la taxe d’habitation pour 80 % des contribuables dès 2018, réaffirmée lundi par le chef de l’Etat et par le premier ministre Edouard Philippe devant le Sénat. Un calendrier trop précipité et un manque à gagner trop important pour de nombreux élus locaux. Etce n’est pas l’engagement de M. Macron d’avancer de deux ans,de 2022 à 2020, la couverture de tout le territoire en Internet hautdébit qui leur fera avaler la pilule.

Plus les jours passent, plus le duoexécutif est contraint de sortir de l’ambiguïté de son double dis-cours devant le Congrès à Ver-sailles, le 3 juillet, pour le présidentde la République, et le lendemain devant l’Assemblée nationale, pour le chef du gouvernement. Peu précis devant les parlementai-res, MM. Macron et Philippe doi-vent désormais détailler leurs choix budgétaires pour atteindre un déficit public à 3 % du PIB à la fin de l’année et préparer le projet de loi de finances 2018. Une in-jonction réclamée à la fois par les milieux économiques et par l’opi-nion publique.

Le chef de l’Etat et ses prochespréfèrent assumer pour ne pas donner l’impression de flou ou d’hésitation qui a tant desservi François Hollande lors du précé-dent quinquennat. « Macron a été élu parce qu’il a transgressé sur beaucoup de sujets pendant la campagne. Si une fois au pouvoir, ilse met à tergiverser comme Hol-lande, il va le payer cher auprès des Français », estime un conseiller gouvernemental qui ajoute « si on ne fait pas les réformes tout de suite, on ne les fera jamais ». Une volonté d’agir et de trancher, qui présente néanmoins un risque, ce-lui d’ouvrir plusieurs fronts explo-sifs en même temps. p

bastien bonnefous

« SI, UNE FOIS AU POUVOIR,MACRON TERGIVERSE COMME HOLLANDE, IL VA LE PAYER CHER

AUPRÈS DES FRANÇAIS », ESTIME UN CONSEILLER

GOUVERNEMENTAL

contact du monde politique, qu’il a connu les batailles les plus rudes.

Après avoir été chef du cabinet militairedu premier ministre François Fillon, il afailli, en 2010, rejoindre l’Elysée. Donné gagnant pour le poste de chef d’état-ma-jor particulier du président de la Républi-que par Nicolas Sarkozy lui-même, il s’est vu in extremis souffler la place par le gé-néral Benoît Puga, un légionnaire au pro-fil très opérationnel. Le général de Villiersest, comme Puga, le fils d’un officier pro-Algérie française. Son père, Jacques, pu-pille de la Nation, médaillé de la Résis-tance, avait été incarcéré après la guerred’Algérie pour son implication dans lesactivités de l’OAS.

MANQUE DE VISION

Il deviendra donc major général des ar-mées, le numéro deux, avant de devenir le chef d’état-major interarmes, en 2014. Un choix de compétence, diront les spé-cialistes de la défense, même si certains lui reprochent un manque de vision stra-tégique. « C’est un planificateur, un budgé-taire, de ceux pour qui le cœur de tout estd’assurer la prévision des effectifs et deséquipements, le socle sur lequel on peut construire », précise Henri Bentégeat.

Il en fallait un, pour mettre en œuvre lesréformes brutales du moment : plus de50 000 suppressions de postes décidéesentre 2008 et 2014, avec des programmes d’armements réduits au minimum vital d’une puissance militaire complète. Les opérations, elles, seront plus denses quene l’avait envisagé l’équipe du ministre Jean-Yves Le Drian en 2012-2013. « Ce qui justifie le discours du chef d’état-major sur les moyens, c’est que l’on fait la guerre, et sérieusement, vraiment. Les risques sont beaucoup plus élevés que par le passé, et l’usure aussi », explique le général Benté-geat. Les armées ont répondu au prix de lasurchauffe et d’une dégradation de la dis-ponibilité des équipements.

Le président François Hollande était dé-terminé à ne pas faire de quartier avec l’ennemi terroriste, fût-il un Français parti pour l’Irak ; et le général a su mettre la force à disposition de l’exécutif. Mais cedisciple de la pensée du philosophe René Girard a aussi passé ses messages : « Ga-gner la guerre n’est pas gagner la paix », écrit-il dans une longue tribune donnée au Monde, le 21 janvier 2016. « ManuelValls ironisait sur “ceux qui invoquent lesgrandes valeurs en oubliant qu’on est enguerre”. Comme s’il s’agissait de faire laguerre n’importe comment, quitte à deve-nir aussi barbares que les djihadistes que l’on combat ! C’est ce risque que pointe le chef d’état-major : face au terrorisme, nousdevons nous garder de tomber dans le mi-métisme », salue alors Jean-Claude Guille-baud dans La Croix.

Le sport, le football et la course, est ce qui« [lui] permet de rester calme en toutes cir-constances », dit-il. « Avec la gravité des dé-cisions que j’ai à prendre, le sport est mon régulateur. » En septembre 2016, il se cassela cheville lors d’un match caritatif en fa-veur des soldats blessés, auquel partici-paient aussi le premier ministre Manuel Valls et le chanteur M. Pokora. Invité de l’émission « Stade bleu », début 2017,

il confie : « Pour être en opération aujourd’hui, dans un sous-marin, dans un avion, par 50 °C en plein désert, il faut êtreen bonne forme physique. » Et d’ajouterque le sport a toujours été un élément de son commandement. « Après le sport, il y atoujours le moment où l’on se retrouve tousensemble. Ces moments-là soudent, c’est le supplément d’âme qui fait que l’on est ca-pable d’aller au combat pour la victoire ! »

UNE CRISE QUI DÉPASSE SA PERSONNEPour décrocher la victoire budgétaire des2 %, il a cherché une pédagogie, en direc-tion du grand public. « Il faut appeler un chat un chat : l’effort à consentir est globa-lement de 2 milliards par an », a-t-il martelédevant les parlementaires. Début 2017, il convainc les candidats à la présidentielle, dont Emmanuel Macron, d’adopter l’ob-jectif. Drones, avions, hélicoptères man-quent. « Nous sommes au bord de la rup-ture. Parfois, en tant que chef des opéra-tions, je renonce à certaines cibles par insuf-fisance de capacités », argumente-t-il.

Sous la Ve République, aucun chef d’état-major interarmées n’a démissionné si l’onexcepte le général Jean Olié en 1961, dont les fonctions n’étaient pas comparables. Mais pour l’historien Philippe Vial, la crisedu 14 juillet 2017 dépasse la personne de Pierre de Villiers. « L’autorité militaire es-time que le compte n’y est pas et se cabre, mais sa réaction ne peut être comprise quecomme l’aboutissement de dynamiques profondes inscrites dans la durée. » Selon l’universitaire, « le problème est celui du modèle d’armée né de la professionnalisa-tion il y a vingt ans. Depuis, les responsa-bles de l’exécutif n’ont pas mis leurs dis-cours en cohérence avec la réalité desmoyens qu’ils ont donnés aux armées. Cepassif est au centre de cette crise ». « Ce sontnos armées, la France, qui m’intéressent, confiait récemment au Monde Pierre de Villiers. Le pouvoir, je m’en fous. » p

nathalie guibert

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La baisse du budget consacré aux droits des femmes inquiète les associationsUne lettre a été adressée au premier ministre et à la secrétaire d’Etat, le 17 juillet

A près avoir « dragué » lesassociations féministespendant sa campagne,

Emmanuel Macron semble pren-dre ses distances. Exit le « minis-tère plein et entier des droits des femmes », qui s’est soldé par un se-crétariat d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, rattachéau premier ministre. Les promes-ses sur l’égalité hommes-femmes, grande cause nationale du quin-quennat, semblent avoir été sup-plantées par une autre promesse de campagne, celle d’économiser 60 milliards d’euros sur cinq ans.

Alors que les budgets sont entrain d’être finalisés dans les mi-nistères, des associations féminis-tes s’inquiètent d’une restrictiondrastique dans l’enveloppe al-louée aux droits des femmes. Le Journal du dimanche a évoqué, le 16 juillet, une coupe de 25 %, soitun budget qui passerait à 20,1 mil-lions d’euros. Selon un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, le budget

alloué aux droits des femmes s’éle-vait à 29,6 millions d’euros en 2016(0,05 % du budget global de l’Etat).

« Cela n’a pas de sens de faire deséconomies sur un budget aussi ri-dicule », s’alarme Marilyn Bal-deck, déléguée générale de l’Asso-ciation européenne contre lesviolences faites aux femmes au travail (AVFT), qui évoque ces mê-mes chiffres, obtenus « de ma-nière officieuse mais de sources en lien avec le ministère ». Pour obte-nir une réponse formelle, une vingtaine d’associations, ainsique l’ex-ministre chargée des droits des femmes Laurence Ros-signol, ont adressé, lundi 17 juillet,une lettre au premier ministre, Edouard Philippe, et à la secré-taire d’Etat, Marlène Schiappa.

« Eviter les abus »

Le secrétariat « dément formelle-ment le chiffre des 25 % » maisconfirme « des économies néces-saires », précisant que les arbitra-ges seront rendus d’ici à la fin

juillet. Le cabinet tente toutefois de minimiser ces coupes, en sou-lignant que la dimension inter-ministérielle du secrétariat d’Etat permettra que des projets por-tant sur les droits des femmes soient financés par d’autres mi-nistères et précise que « la grande cause nationale, financée par l’Elysée et Matignon, apportera unbudget supplémentaire pour le droit des femmes ».

De l’aveu du secrétariat d’Etat,une baisse du budget semble tou-tefois inévitable. « Pour éviter lesabus », il compte passer au peigne

Câlinés par Macron, les élus locaux craignent un « marché de dupes »Lors de la Conférence des territoires, lundi, le chef de l’Etat a annoncé sa volonté de voir les dépenses des collectivités baisser de 13 milliards

Et Jupiter devint « giron-din ». En installant, lundi17 juillet, au Sénat, la Con-férence nationale des

territoires (CNT), qui doit réunir deux fois par an l’Etat et les collec-tivités locales, Emmanuel Ma-cron a réalisé une promesse de campagne et accédé à une reven-dication longtemps portée parles élus locaux. Grâce à cette ins-tance qu’il veut « d’échange, de concertation et de décision », lechef de l’Etat entend placer les relations entre eux et l’exécutif sous le signe « de la confiance etdu respect réciproque ».

En mettant au point cette nou-velle « méthode », il espère les con-vaincre de l’accompagner dans la réduction des déficits publics. L’objectif est que les collectivités locales consentent à baisser leurs dépenses sur cinq ans, non pas de 10 milliards d’euros, comme prévu avant son élection, mais « de13 milliards », a-t-il indiqué, lundi.

M. Macron espère à terme désa-morcer leur hostilité à son projetd’exonération de la taxe d’habita-tion pour 80 % des contribuables.Des « négociations » au sein de cette CNT émergeront « un pactegirondin » et de nouvelles « rela-tions financières » entre « l’Etat et les territoires », a-t-il promis.

« On ne tire pas sur le Père Noël »

Pour parvenir à ses fins, le chef del’Etat a pris soin de multiplier les bonnes nouvelles. Devant quel-que 300 élus, il s’est engagé à met-tre un terme à la fermeture declasses dans les écoles primairesen zone rurale. Il a annoncé la création d’une agence de la cohé-sion territoriale pour soutenir les projets dans les territoires péri-phériques. Une « loi d’orientation sur les mobilités » doit « associer à chaque projet de transports un fi-nancement ». Et une loi sur le loge-ment doit permettre de faire bais-ser les prix de l’immobilier dansles agglomérations parisienne, lyonnaise et marseillaise.

M. Macron s’est engagé à don-ner plus de « liberté aux territoi-res ». Il s’est dit favorable à la sup-pression de la généralisation sys-

tématique au bout de deux ans de toute « expérimentation » me-née par un échelon local. Cetteréforme pourrait permettre, parexemple, à une région d’expéri-menter une écotaxe sans obligerles autres conseils régionaux à l’imiter. Il s’est dit prêt à accor-der aux préfets un plus grandpouvoir « d’adaptation » des poli-tiques publiques nationales àleurs territoires.

Le président a aussi promis defavoriser « les regroupements » entre collectivités qui le souhai-tent « partout où ils seraient con-formes à l’intérêt général ». Il a profité de l’occasion pour annon-cer la tenue à l’automne d’une« conférence territoriale » sur le Grand Paris qui permettra, a-t-il dit, d’engager « une simplification des structures » institutionnelles.

Selon une source gouverne-mentale, M. Macron préconisera la suppression des départements

de la petite couronne et réfléchità un élargissement du périmè-tre de la métropole du Grand Pa-ris, qui n’irait pas jusqu’à épou-ser celui de la région Ile-de-France. Un dessein qui nécessite-rait une loi spécifique.

« On ne tire pas sur le PèreNoël ! », s’est incliné, à l’issue du discours présidentiel, François Baroin, président (LR) de l’Asso-ciation des maires de France(AMF). Satisfait d’entendre parlerde « ruralité », Vanik Berberian, président de l’Association des maires ruraux de France, s’esttoutefois alarmé de la volonté,énoncée pour la première foispar M. Macron, de « réduire lenombre d’élus locaux ». Le chef del’Etat s’est justifié en évoquant labaisse annoncée du nombre deparlementaires. « Nos conci-toyens ne comprendraient pas cetraitement différencié », a-t-il glissé sans plus de précision.

Effort exorbitant

Mais, pour satisfaits qu’ils soient de la plupart de ces annonces, les présidents d’association n’ontpas rendu les armes sur le front fi-nancier et fiscal. « Je vous fais con-fiance pour participer à la baisse des déficits publics », les a exhor-tés M. Macron. Tout en les met-tant en garde : pour « celles et ceuxqui ne joueront pas le jeu, il y aura un mécanisme de correction l’an-née prochaine », a-t-il prévenu.

Le chef de l’Etat a réitéré son en-gagement de ne pas procéder « à une baisse brutale des dotations », réclamant en échange « une res-

ponsabilité financière partagée ». Peine perdue, d’autant que l’effortrehaussé à 13 milliards d’eurosleur paraît exorbitant. En consen-tant 9,4 milliards d’euros d’éco-nomies sur les trois dernières an-nées, « les collectivités ont déjàcontribué pour moitié à la réduc-tion de la dette publique », a indi-qué Olivier Dussopt, président (PS) de l’Association des petites villes de France.

« Contradiction »

L’exonération de la taxe d’habita-tion, qui sera amorcée dès le pro-jet de loi de finances pour 2018,suscite le même rejet. « Macron fait des cadeaux aux Français sur notre dos. Il ferait mieux de ne pas vouloir augmenter la CSG [contri-bution sociale généralisée] », fait valoir Philippe Laurent (UDI), nu-méro trois de l’AMF.

« Si la suppression de la taxe d’ha-bitation est compensée par l’Etat sous forme de dégrèvements, ce sera un moindre mal, a consenti M. Baroin, en revanche, si c’est par compensation, aucun élu n’y croiraet ce sera un marché de dupes. » Enouverture de la conférence, le pre-mier ministre, Edouard Philippe, s’est engagé à lancer « une ré-flexion d’ensemble sur le système de financement des collectivités ». « Le système n’est pas un bon sys-tème », a-t-il estimé.

M. Macron a promis, de soncôté, de créer « une commission »pour réfléchir à « une remise à platde la fiscalité locale », allant jus-qu’à envisager « la possibilité d’un partage d’un impôt national » avec les collectivités, tel que laCSG ou la contribution pour le remboursement de la dette so-ciale (CRDS). Mais les élus ont eu beau jeu de déplorer « la contra-diction » entre la « précipitation » de la suppression de la taxe d’ha-bitation et l’intention d’engager dans la durée une réflexion glo-bale sur la fiscalité. « C’est à se de-mander si le pacte girondin n’est pas un pacte léonin », a ironisé An-dré Laignel, président (PS) du Co-mité des finances locales et nu-méro deux de l’AMF. p

béatrice jérôme

« Macron fait

des cadeaux

aux Français

sur notre dos.

Il ferait mieux

de ne pas vouloir

augmenter

la CSG »

PHILIPPE LAURENTresponsable de l’Association

des maires de France

« Ça n’a pas

de sens de faire

des économies

sur un budget

aussi ridicule »

MARILYN BALDECKresponsable associative

Le plan très haut débit accéléré

Désireux d’accentuer la pression sur les opérateurs télécoms, Emmanuel Macron a accéléré le calendrier du plan très haut débit, afin de « parvenir à une couverture du territoire d’ici à la fin de l’année 2020 » et « non plus 2022 », a lancé le chef de l’Etat. Le but : s’assurer que cet objectif soit atteint avant la fin de son mandat. Cette sortie fait écho à une réunion qui s’est tenue le 7 juillet entre Jacques Mézard, le ministre de la cohésion des territoires, Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free. A cette occasion, il a été demandé aux quatre opérateurs de présenter en septembre une feuille de route permettant d’accélérer la cadence. Dans le cas contraire, des mesures de rétorsion seraient prises, ont affirmé les pouvoirs publics.

D es économies de 10 mil-liards d’euros ? Non, de13 milliards ! Et voilà ré-

sumée la première conférence nationale des territoires, celle del’ère Macron, qui s’est tenue lundi17 juillet au Sénat. Etriquée forcé-ment, car à vouloir se repasser le mistigri des coupes budgétaires depuis que la crise des subprimesde 2009 a fait bondir la dette pu-blique, l’Etat et les collectivités lo-cales ne cessent de passer à côté du sujet principal : la fracture ter-ritoriale, celle qui coupe la France en deux, nourrit l’abstention, ali-mente le vote lepéniste et faitdouter de la devise républicaine : liberté, égalité, fraternité !

La faille est apparue avec unetelle netteté, au lendemain de l’élection présidentielle, qu’on se demande pourquoi cette pre-mière conférence n’a pas été ex-clusivement dédiée à la cohésion du territoire, devenue grande cause démocratique, en raison des dégâts constatés. La coupuresépare les grandes métropoles, deplain-pied dans la mondialisa-tion, et les petites villes qui se dé-peuplent, les zones périurbaines et les campagnes qui subissent la fermeture des services publics ouleur éloignement, sans compter le désarroi des anciennes régions industrielles comme le Nord et le Grand Est. D’un côté le vote Ma-cron, de l’autre le vote Le Pen etune urgente obligation à réconci-lier les deux France.

Opération « ressouder »

Au lieu de quoi, quelques indices seulement se sont glissés dans l’interstice du grand marchan-dage budgétaire et fiscal qui pré-side aux relations entre l’Etat et les élus locaux, par exemple l’an-nonce de la création d’une pro-chaine Agence nationale de la co-hésion des territoires. Ou encore la promesse que l’ensemble de la France serait couverte en haut et très haut débit d’ici à la fin de l’an-née 2020. Mais de plan d’ensem-

ble point, comme si le chef del’Etat n’y voyait pas encore suffi-samment clair pour s’autoriser à donner une franche direction. Après le big bang territorial dé-crété sous le précédent quinquen-nat, trois acteurs peuvent préten-dre au leadership de l’opération« ressouder les territoires » : l’Etat, d’abord, à travers l’action du mi-nistre de la cohésion des territoi-res, mais, surendetté, il est con-traint de réduire la voilure et souf-fre de ne plus disposer, comme par le passé, d’un puissant outild’aménagement du territoire à ses côtés ; les régions ensuite, qui sont passées de 22 à 13, impulsent le développement économique et la formation professionnelle, mais n’ont pas encore arraché toutes les prérogatives auxquellescertaines voudraient prétendre, comme, par exemple, prendre le contrôle du placement des chô-meurs ; les grandes métropoles enfin, qui créent autour d’elles un tel appel d’air qu’elles ont com-mencé à absorber les départe-ments alentours.

Emmanuel Macron aurait pudonner les clés à tel ou tel chef de file, il a préféré les mettre en com-pétition, en pariant sur l’énergie et la créativité des acteurs locaux,avec des mots-clés comme « con-trats », « délégations de pouvoir », « expérimentations » qui, si l’oncomprend bien, ne seront pas les mêmes partout. Le pari est clair :que le plus innovant gagne ! Il est aux antipodes de la France jaco-bine héritée de Bonaparte etouvre la voie à une organisation du territoire plus girondine, moins uniforme, susceptible de redonner quelque influence à despotentats locaux moins nom-breux mais plus puissants. Compte tenu de la gigantesque méfiance qui s’est installée entre l’Etat et les collectivités locales,c’était sans doute la seule façon de réintroduire un peu de jeu. Mesdames et Messieurs les éluslocaux, à vous de jouer ! p

CHRONIQUEPAR FRANÇOISE FRESSOZ

Le pari « girondin »du président

CODE DU TRAVAILMélenchon annonce un rassemblement le 23 septembre, à ParisJean-Luc Mélenchon a an-noncé, lundi 17 juillet, l’organi-sation d’un « rassemblement populaire », le 23 septembreà Paris, pour protester contre la réécriture du code du travailpar ordonnances, dénonçant de nouveau un « coup d’Etatsocial ». – (AFP.)

« Tout va se jouer en août », pour Jean-Claude MaillyJean-Claude Mailly considère, au sujet de la réforme du code du travail, que « tout va se jouer en août », lorsque le gou-vernement dévoilera le con-tenu des ordonnances. « Sur beaucoup de points, on estencore dans le flou », ajoutele secrétaire général de FO, dans un entretien au Parisien du mardi 18 juillet.

GAUCHELe PS va lancer une « grande consultation »La direction collégiale provi-soire du PS, qui s’est réunie, lundi 17 juillet, pour la pre-mière fois depuis sa forma-tion, a décidé de lancer une « grande consultation » auprès de ses militants et sympathi-sants dans les « quinze pro-chains jours », par le biais d’une plate-forme numérique. Le but est de nourrir la ré-flexion de la nouvelle direc-tion, chargée d’élaborer une feuille de route pour la refon-

dation du PS jusqu’à un congrès qui pourrait se tenir au printemps 2018. – (AFP.)

FAITS DIVERSIlle-et-Vilaine : une femme séquestrée depuis plusieurs moisUn homme de 27 ans a été mis en examen et écroué, lundi 17 juillet, pour « violen-ces » et « séquestration » à l’en-contre de sa femme. Agée de 28 ans, elle a été découverte, samedi, à leur domicile de Vi-tré (Ille-et-Vilaine) où elle dit avoir été retenue de force pen-dant plusieurs mois. Un exa-men médical a confirmé que la victime « présentait de nom-breuses traces de coups et de violences récentes au visage et aux mains mais également des fractures plus anciennes évoca-trices de violences habituel-les », selon le procureur de la République de Rennes, Nicolas Jacquet. – (AFP.)

FAMILLEAprès une séparation, l’homme garde plus souvent le logement conjugalQuand un couple se sépare, dans trois cas sur quatre, l’un des conjoints garde le loge-ment conjugal, et dans 43 % des cas, c’est l’homme (contre 32 % pour la femme), selon une étude de l’Insee publiée lundi 17 juillet. Cette propor-tion monte à 47 % (contre 28 % pour les femmes) lorsqu’il s’agit d’un couple sans enfant. – (AFP.)

fin chaque demande de subven-tion. « Il n’y aura plus de reconduc-tions automatiques », résume lecabinet. La priorité sera donnée aux associations « dont l’objet est l’accueil des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles ».

L’AVFT, qui bénéficie de subven-tions depuis vingt ans et rappelle qu’elle participe à une mission pour laquelle elle a été mandatée par l’Etat, évoque « une situation deblocage inédite ». Si Mme Schiappa abien signé la convention 2017-2019avec l’association, celle-ci n’a tou-jours pas reçu la première tranche de subventions, censée être al-louée depuis juin. Même inquié-tude à la fédération Gams (Groupe femmes pour abolition mutila-tions sexuelles et des mariages for-cés) : « L’Etat nous délègue une par-tie de ce qui doit être fait par les ser-vices publics parce que nous avons une expertise sur le domaine. Il fautque nous puissions continuer à remplir cette mission. » p

cécile bouanchaud

Page 9: 2 PAGES ENQUÊTE SUR LE QUOTIDIEN D’UNE MAISON DE …annesophiepelletier.eu/upload/Presse/le_monde_opalines.pdfScience & médecine Gaston, génie créateur 2 PAGES Russie 1917 Le

0123MERCREDI 19 JUILLET 2017 france | 9

Les juristes vent debout contre la loi antiterroristeL’examen du texte qui permet la sortie de l’état d’urgence tout en conservant certaines mesures s’ouvre au Sénat

Vingt mois après l’ins-tauration, dans la nuitdu 13 au 14 novem-bre 2015, de l’état d’ur-

gence pour une durée de douze jours, et après six lois de proroga-tion, le Sénat devait commencer, mardi 18 juillet, l’examen du pro-jet de loi destiné à permettre de sortir de ce régime d’exception.

« Je rétablirai les libertés des Fran-çais en levant l’état d’urgence à l’automne [2017], parce que ces li-bertés sont la condition de l’exis-tence d’une démocratie forte », a ainsi justifié Emmanuel Macron, le 3 juillet, devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles. Le président de la République avait demandé, à peine arrivé à l’Elysée, de préparer un projet de loi pour organiser cette sortie. Le premier ministre Edouard Philippe avait confirmé vouloir mettre fin à l’étatd’urgence qui comporte « des me-sures extrêmement dérogatoires au droit commun ». Ainsi était né leprojet de loi « renforçant la sécuritéintérieure et la lutte contre le terro-risme » défendu par le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb.

Ce texte provoque une levée deboucliers d’une rare unanimité chez les professionnels du droit. Un appel intitulé « Banalisation de l’état d’urgence : une menace pour l’Etat de droit », a été publié le 12 juillet par Mediapart et Libéra-tion sous la signature de 300 uni-versitaires et chercheurs.

Ce texte, qui rallie aujourd’huiplus de 500 personnalités du droit, dénonce un projet de loi qui « hypothèque les libertés de tous de manière absolument inédite » en

« proposant d’inscrire dans le droit ordinaire les principales mesures autorisées à titre exceptionnel dans le cadre de l’état d’urgence ».

Mireille Delmas-Marty, profes-seur honoraire au Collège de France, affirme dans une tribune publiée lundi 17 juillet par Libéra-tion que faire de la prévention du terrorisme « un objectif répressif en soi marque une rupture, conduisant d’une société de respon-sabilité à une société de suspicion ». Elle dénonce en particulier l’évolu-tion du droit pénal qui impose des mesures « à une personne non pas pour la punir d’un crime qu’elle a commis, mais pour prévenir ceux qu’elle pourrait commettre ».

De fait, certaines mesures em-blématiques de l’état d’urgences’apprêtent à entrer, sousune forme aménagée, dans le droit commun. L’assignation nesera plus « à résidence » mais à l’échelle d’une commune, et elledevra tenir compte des obliga-tions familiales et professionnel-les de la personne touchée. Cettemesure, en temps normal à la dis-position de la justice, pourra dé-sormais être décidée par le minis-tre de l’intérieur, comme pen-dant l’état d’urgence.

« Etat d’urgence permanent »

Les perquisitions administratives y compris de nuit, pudiquement rebaptisées « visites », décidées par les préfets, entrent également dans le droit commun à la condi-tion que le juge des libertés et de ladétention spécialisé en matière de terrorisme à Paris délivre à chaquefois un feu vert préalable.

Pour parer aux critiques dénon-çant un glissement vers « un état d’urgence permanent », le chef de l’Etat avait précisé à Versailles que « ces dispositions nouvelles qui nous renforceront encore dans no-tre lutte (…) devront viser explicite-ment les terroristes à l’exclusion de tous les autres Français ». Une telle affirmation soulève des questions pratiques et théoriques.

Sur le plan pratique, commentdistinguer les terroristes « de tous les autres Français » ? Ni la loi ni la jurisprudence ne définissent ce qu’est un terroriste. Le code pénal liste en revanche un grand nom-bre d’infractions qui peuvent être rattachées à une qualification ter-roriste. Un simple vol peut ainsi être qualifié d’acte de terrorisme dès lors qu’il est en relation avec « une entreprise individuelle ou col-lective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’inti-midation ou la terreur ».

Les mesures préventives de po-lice administrative prévues dans

que Jacques Toubon, le Défenseur des droits, a évoqué dans Le Monde du 24 juin à propos de ce texte « une pilule empoisonnée » pour la cohésion nationale.

Sur le plan des principes, le rai-sonnement du gouvernement in-duit que tous les citoyens et tousles justiciables ne seraient pluségaux devant la loi. Puisque des« mesures extrêmement déroga-toires » deviendraient accepta-bles dans le droit commun dèslors qu’elles ne s’appliquent qu’àune partie de la population.

« Dangerosité supposée »

Olivier Cahn, chercheur en droit pénal au laboratoire CESDIP-CNRS, y voit la diffusion de la no-tion de « droit pénal de l’ennemi » définie dans les années 1980 par lejuriste allemand Günther Jakobs. Selon cette doctrine, les personnesconsidérées comme ennemies de la nation n’auraient plus les mê-mes droits que les autres. « C’est unbasculement vers une sous-catégo-rie de personnes qui ne seraient plus citoyens », explique M. Cahn.

Selon lui, les trois conditions po-sées par M. Jakobs à l’existence d’un droit pénal de l’ennemi ont

été remplies au fil des ans par l’évolution de la législation antiter-roriste française : il s’agit d’un droit pénal préventif (la simple in-tention est criminalisée), la procé-dure pénale appliquée est déroga-toire au droit commun (techni-ques d’enquêtes intrusives, garde à vue, juridiction spécialisée, etc.), la sévérité des sanctions ne res-pecte plus le principe de propor-tionnalité des peines (prescrip-tion, perpétuité réelle, etc.).

Pour M. Cahn, le gouvernementactuel franchit une nouvelle étape avec ce « droit administratif de l’en-

nemi » où l’on prend en compte la « dangerosité supposée » d’une personne, mais dont seul le minis-tère de l’intérieur serait juge.

« Le droit pénal de l’ennemi, endistinguant citoyens et ennemis,sonne le glas de l’universalité desdroits et libertés fondamentaux », écrit Christine Lazerges, prési-dente de la CNCDH, dans la Revue de science criminelle. Elle constateainsi une « dissociation du fonde-ment de la répression, la culpabi-lité ne s’adresse qu’au citoyen, la dangerosité justifie la condamna-tion de l’ennemi ».

Loin d’être rassurés par le can-tonnement officiel de ce nou-veau droit aux « terroristes », etmême si ce projet de loi n’instau-rait ces mesures que pour unedurée de quatre ans comme lesouhaite le Sénat, les juristes s’in-quiètent de la contamination dudroit commun et partant, de la modification profonde de l’Etat de droit. De fait, on ne compteplus les mesures législatives pro-visoires pérennisées ni celles cir-conscrites à une situation dont lepérimètre a été élargi au gré des préoccupations politiques. p

jean-baptiste jacquin

le projet de loi ne concernent pas les personnes à l’égard desquelles la justice a de quoi ouvrir une pro-cédure. « Ce ne sont pas les poseursde bombes qui sont assignés à rési-dence », résume Serge Slama, du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux (Uni-versité Paris-Nanterre).

Les personnes soupçonnéesd’une simple apologie du terro-risme ou celles qui ont par exem-ple tenté de rejoindre la Syriesans jamais y mettre les pieds ouqui ont donné de l’argent à unepersonne qui a tenté de s’y rendresont déjà toutes « judiciarisées » et pour certaines d’entre ellescondamnées à de nombreuses années de prison ferme.

Qui sont alors les « terroristes »visés par ce projet de loi ? Des per-sonnes dont le comportement in-quiète les services de renseigne-ment, mais sont à un stade flou, encore plus en amont d’une éven-tuelle intention terroriste. Le codepénal permet déjà d’incriminer « les actes préparatoires d’actes préparatoires », pour reprendre le terme de la Commission natio-nale consultative des droits de l’homme (CNCDH). C’est pour cela

En cinq ans, neuf lois pour renforcer l’arsenal pénal et administratifUn délit de consultation de sites djihadistes, la peine de perpétuité réelle et la surveillance des données individuelles ont été introduits

D ès le début du quinquen-nat de François Hollande(2012-2017), l’arsenal lé-

gislatif a été renforcé en réaction aux tueries perpétrées par Moha-med Merah, en mars 2012. En cinqans, à l’occasion de lois spécifi-ques ou dans des textes connexes,le code pénal s’est considérable-ment étoffé et durci, ainsi que les outils de surveillance à la disposi-tion de l’administration.

Loi du 21 décembre 2012 Avec laloi sur la sécurité et la lutte contrele terrorisme, l’infraction d’apolo-gie ou de provocation au terro-risme quitte la loi sur la presse de 1881. Elle peut justifier une garde àvue et sa prescription passe de trois mois à un an. La justice peut condamner un Français pour des actes terroristes commis à l’étranger ou la participation à un camp d’entraînement. Création

d’une infraction de recrutement en vue de participer à un groupe-ment terroriste.

Loi du 18 décembre 2013 A l’occa-sion de la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019, la collecte des données deconnexions (factures téléphoni-ques détaillées, historique desutilisateurs d’un site ou d’une messagerie électronique) et les in-terceptions de sécurité (les écou-tes téléphoniques) opérées par lesservices de renseignement sont élargies et précisées.

Loi du 13 novembre 2014 La loirenforçant la lutte contre le terro-risme crée le délit d’entreprise in-dividuelle à caractère terroriste, qui permet d’incriminer « l’acte préparatoire d’un acte prépara-toire ». Le ministre de l’intérieur peut prononcer des interdictions

de sortie du territoire et retirer le passeport et la carte d’identité de la personne concernée. Créationd’un blocage administratif de si-tes Internet faisant l’apologie du terrorisme.

Loi du 24 juillet 2015 Grâce à laloi sur le renseignement, les ser-vices accèdent à une sur-veillance de masse par les boîtesnoires intégrées aux réseauxInternet afin de détecter descomportements suspects, ainsiqu’aux antennes « IMSI catcher »qui « aspirent » les données decommunications dans un péri-mètre donné.

Loi du 30 novembre 2015 La loisur la surveillance des communi-cations internationales permet de cibler des individus ou des groupes de personnes installéesà l’étranger et d’intercepter des

communications dont l’une des terminaisons au moins n’est pas située en France.

Loi du 22 mars 2016 La loi sur lestransports collectifs autorise les agents de la RATP et de la SNCF à procéder à des palpations de sécu-rité, des fouilles de bagages et des inspections visuelles de façon gé-nérale et aléatoire. Des enquêtes administratives sont prévues surles personnes occupant des em-plois sensibles au sein des entre-prises de transport.

Loi du 3 juin 2016 La loi sur lecrime organisé, le terrorisme et leur financement instaure une« peine de perpétuité réelle »pour les terroristes en portant lapériode de sûreté à trente ans.Elle prévoit un contrôle admi-nistratif (assignation à résidence et déclaration de moyens de

communication) pour les per-sonnes qui se sont rendues ouont manifesté l’intention de serendre sur des théâtres d’opéra-tions terroristes et la création desdélits de consultation habituelle de sites djihadistes et d’entrave au blocage des sites Internet ter-roristes. Le parquet a le droit de recourir dans les enquêtes anti-terroristes aux perquisitions denuit, aux antennes « IMSI cat-cher », à la pose de micros ou decaméras chez des particuliers etla police peut retenir une per-sonne quatre heures sans avocatpour des vérifications. Policiers et gendarmes ont le droit de neu-traliser un individu armé venantde commettre plusieurs meur-tres ou tentatives et qui se pré-pare à en commettre d’autres.

Loi du 21 juillet 2016 Avec laloi prorogeant l’état d’urgence et

renforçant la lutte antiterroriste,les personnes condamnées pourdes faits en lien avec le terro-risme sont exclues du régime deréduction de peine. Les peinespour les infractions criminellesd’association de malfaiteursen relation avec une entrepriseterroriste passent de vingt àtrente ans de prison. La loi créeune peine complémentaireautomatique d’interdiction duterritoire pour les étrangerscondamnés pour terrorisme. Lespréfets peuvent désormais,comme les procureurs, autoriserdes contrôles d’identité et desfouilles des véhicules.

Loi du 28 février 2017 La loi sur lasécurité publique réintroduit le délit de consultation habituelle de sites terroristes, censuré par le Conseil constitutionnel. p

j.-b. j.

Les ennemis

de la nation

deviendraient

« une sous-

catégorie de

personnes qui ne

seraient plus

citoyens », pointe

le chercheur

Olivier Cahn

LE CONTEXTE

« DÉRIVE »La commission des lois du Sénat, qui a examiné le projet de loi sur la sécurité intérieure, mercredi 12 juillet, a largement rogné les mesures proposées par le gou-vernement afin de limiter « les ris-ques d’une dérive sécuritaire ». Les trois mesures phares (assignation dans la commune, bracelet élec-tronique et perquisition adminis-trative) seraient expérimentales, avec une application limitée pour quatre ans. Le renouvellement de ces mesures serait décidé par un juge judiciaire et non l’admi-nistration. La disposition permet-tant au ministre de l’intérieur d’obliger une personne à déclarer ses numéros et identifiants de communication a été supprimée.

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10 | planète MERCREDI 19 JUILLET 2017

0123

« Le projet de Bure se poursuivra sans coup d’arrêt »Pierre-Marie Abadie, le responsable des déchets nucléaires, évoque le report d’un an de la demande d’autorisation

ENTRETIEN

Nommé en 2014 à latête de l’Agence natio-nale pour la gestiondes déchets radioac-

tifs (Andra), chargée d’aménager à Bure, dans la Meuse, un centre industriel de stockage géologique (Cigéo) pour les résidus nucléai-res français à haute activité et à vie longue, Pierre-Marie Abadie revient sur les enjeux et le calen-drier d’un projet en butte à une contestation croissante.

L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire a publié un avis selon lequel la sûreté du futur centre d’enfouisse-ment de Bure n’est pas complè-tement démontrée, notamment quant au risque d’incendie. Allez-vous modifier vos plans ?

L’IRSN a expertisé le « dossierd’options de sûreté » que nous avons remis au printemps 2016 etqui est, par définition, évolutif. Cette expertise conclut que le pro-jet a globalement atteint une ma-turité technique satisfaisante, tout en se focalisant sur les pointsparticuliers pour lesquels descompléments de démonstrationde sûreté doivent être apportés. C’est le cas du risque d’incendie associé aux déchets bitumineux qui, en l’état, ne peuvent pas être stockés dans Cigéo.

Le sujet est identifié de longuedate mais il relève d’abord de la filière nucléaire, c’est-à-dire des producteurs de déchets eux-mê-mes. Il concerne des effluents (des boues) issus du traitement du combustible qui, par le passé, ont été placés dans un enrobage de bi-tume et pour lesquels un emballe-ment thermique susceptible de propager un incendie, en cas de départ de feu, ne peut être totale-ment exclu. Ces déchets sont aujourd’hui pour la plupart entre-posés sur le site de Marcoule, dans le Gard. Ils représentent 18 % des « colis », les fûts de déchets qui doi-vent être stockés à Bure.

Deux options sont possibles :pour l’Andra, optimiser les dispo-sitifs de stockage de ces déchets pour se prémunir contre le risqued’incendie, ou pour les produc-teurs, définir un procédé permet-tant de neutraliser la réactivitéthermique des enrobés, par vitri-fication par exemple. Nous allons travailler sur ces deux voies pour

retenir la meilleure stratégie dansle projet, tel que nous le présente-rons dans la demande d’autorisa-tion de création adressée à l’Auto-rité de sûreté nucléaire (ASN), qui sera décisionnaire.

Cette demande devait interve-nir courant 2018. Le calendrier sera-t-il tenu ?

Nous n’avons pas le couteausous la gorge, à la différence d’autres pays dont les installa-tions temporaires de déchets ra-dioactifs arrivent à saturation. En France, ils sont entreposés sur dif-férents sites nucléaires, dans des conditions sûres et contrôlées.

Mais la loi nous a confié la ges-tion de ces déchets et nous vou-lons avancer étape après étape,sans précipitation mais sans coupd’arrêt. Le projet Cigéo va donc se poursuivre avec persévérance, calme, méthode et rigueur.

Nous prévoyons désormais dedéposer la demande d’autorisa-tion de création de Cigéo à la mi-2019. Nous nous donnons douze mois de plus car, à mi-chemin de

L’Autorité environnementale vient d’exiger une étude d’impact pour des défriche-ments et des forages avant le chantier. Avec quelles conséquences ?

Cette étude d’impact, que nousallons mener, n’est pas liée au défrichement mais à la réa-lisation de treize forages pro-fonds d’une durée de plus d’un an, destinés à caractériser lesous-sol. Ces opérations pour-ront être différées ou dépla-cées. Cela ne bloque pas l’avance-ment du projet.

Vous vous heurtez pourtant à la radicalisation d’opposants qui revendiquent à la fois un « ancrage dans le territoire » et des actes de « sabotage »…

Je fais la part des choses. Il existeune opposition « historique », quisoulève un débat légitime sur la gestion des déchets radioactifs, car les enjeux éthiques sont lourds et les échelles de temps longues, sur au moins quatre gé-nérations. Depuis dix-huit mois est apparue une contestationbeaucoup plus radicale. Elle prendla forme de recours juridiques sys-tématiques qui font désormais partie de la vie des grands projets. Mais elle se manifeste aussi par des violences inacceptables, à l’en-contre des installations de l’Andra et de ses salariés, mais aussi d’en-treprises extérieures, d’élus etd’habitants. C’est une évolution dangereuse, portée par une contestation plus systématique de la société, qui n’apporte rien audébat sur les déchets radioactifs.

J’ajoute que vouloir faire du pro-jet Cigéo un levier pour sortir du

nucléaire, comme l’espèrent desopposants, est une erreur. Car les déchets sont déjà là et il faut les gérer. Le stockage géologique est aujourd’hui la meilleure option.

En revanche, Cigéo n’épuise pasle débat sur l’opportunité de poursuivre ou non le nucléaire, ycompris sous l’angle des déchets.Pour notre part, nous ne nouslaisserons pas détourner de no-tre mission, que nous souhai-tons mener de plus en plus en « coconstruction » avec les élus etles habitants.

Vous avez été reçu, le 12 juillet, par le ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, qui veut « étudier davantage » le dossier de Bure. Que lui avez-vous dit ?

Qu’il importe aujourd’hui quela continuité du projet Cigéo soit assurée et que l’Etat réaffirme sonsoutien aux territoires et aux po-pulations, y compris en termes demaintien de l’ordre public. p

propos recueillis par

pierre le hir

Le laboratoire souterrain de Bure. Il permet d’analyser les argiles destinées à recevoir les déchets radioactifs. CYRIL ENTZMANN/DIVERGENCE

l’avant-projet détaillé, nous de-mandons à nos ingénieurs et aux bureaux d’ingénierie d’intégrerles variantes étudiées et les amé-liorations réalisées au cours des derniers mois. Il ne s’agit pas d’unreport lié à l’avis de l’IRSN, mais d’un choix d’approfondissement du projet, permettant des écono-mies substantielles avec la même exigence de sûreté.

Quelles seront ensuite les échéances avant la mise en service du centre de stockage ?

La demande d’autorisation decréation de Cigéo sera soumise àl’ASN en 2019. Après instructionet enquête publique, le gouver-nement pourrait prendre le dé-cret autorisant la création de l’installation vers 2022. La cons-truction commencera alors pardes essais de mise en service pro-gressive vers 2026 ou 2027, pourune phase industrielle pilote d’une dizaine d’années. Nous nesommes pas à six mois près.L’important est de maintenir une dynamique.

Un bébé sur dix non vacciné dans le mondeLa vaccination éviterait de 2 à 3 millions de morts chaque année, selon l’OMS

D ans le monde, 12,9 mil-lions d’enfants de moinsd’un an, soit près d’un

sur dix, n’ont reçu aucun vaccin en 2016, selon les données con-jointes publiées lundi 17 juillet parl’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Fonds des Na-tions unies pour l’enfance(Unicef). Ces enfants sont donc particulièrement exposés à trois maladies potentiellement mor-telles : la diphtérie, le tétanos et la coqueluche. Autre chiffre inquié-tant : parmi les enfants ayant reçula première dose de ces vaccins, environ 6,6 millions n’ont pascomplété la séquence des trois doses initiales DTCoq et ne béné-ficient pas d’une protection suffi-sante. La vaccination éviterait en-tre 2 et 3 millions de morts cha-que année dues à la diphtérie, au tétanos, à la coqueluche ou à larougeole, selon l’OMS.

Depuis 2010, le taux de vaccina-tion des nourrissons stagne à86 %, loin encore de l’objectif de90 % fixé par le Plan d’action mondial pour les vaccins 2011-

2020. Mais globalement, les don-nées de l’OMS et de l’Unicef mon-trent que 130 des 194 Etats mem-bres de l’OMS ont atteint, voire dé-passé, le taux national de 90 % de vaccination DTCoq chez les nour-rissons. Un succès indéniable, d’autant que, comme le souligneTies Boerma, directeur du dépar-tement statistiques sanitaires etsystèmes d’information à l’OMS, dans la préface au rapport « Stateof Inequality : Childhood Immu-nization », les taux de vaccinationne diffèrent quasiment plus entregarçons et filles.

A l’inverse, dans les 64 pays res-tants, 10 millions de nourrissons auraient besoin d’être vaccinés

pour atteindre une couverture de90 %. « La plupart des enfants qui restent non vaccinés sont les mê-mes que ceux qui sont les laissés-pour-compte du système de santé », selon le docteur Jean-Ma-rie Okwo-Bele, directeur de la vac-cination, des vaccins et des pro-duits biologiques à l’OMS.

Pays en conflit

En effet, sur la cible des 10 mil-lions de nourrissons qu’il fau-drait vacciner pour atteindre la couverture de 90 %, 7,3 millions vivent dans un environnement précaire ou de crise humanitaire, notamment des pays touchés pardes conflits. Significativement,« quatre millions d’entre eux setrouvent dans trois pays : Afgha-nistan, Nigeria et Pakistan, où l’ac-cès aux services de vaccination courante est décisif pour parvenir et maintenir l’éradication de la po-liomyélite », estime l’OMS.

Huit pays n’atteignaient pas unecouverture vaccinale DTCoq de 50 % : Guinée équatoriale, Nigeria, République centrafricaine, Soma-

lie, Soudan du Sud, Syrie, Tchad et Ukraine. Néanmoins, l’OMS attire l’attention sur les inégalités per-sistantes au sein d’un même pays. Comme le remarque Ties Boerma, même dans des pays présentant un taux de couverture élevé, on re-trouve des écarts importants se-lon le niveau socio-économique etle niveau d’éducation. Le rapport précise ainsi que le Nigeria est le pays ayant la plus grande marge d’amélioration : si les inégalités de vaccination, liées à des facteurs économiques, étaient éliminées, le taux de couverture progresse-rait de 40 points. Pour l’Ethiopie, leLaos et la République centrafri-caine, la marge de progression est d’au moins 25 points.

Rappelant que plus de la moitiéde la population mondiale vit dans des zones urbaines, notam-ment dans des bidonvilles enAfrique et en Asie, le rapport sou-ligne que les « pauvres urbains » représentent le groupe le plus ex-posé à la sous-immunisation ou àla non-immunisation. p

paul benkimoun

« Vouloir faire

du projet

un levier pour

sortir du

nucléaire est

une erreur : les

déchets sont là,

il faut les gérer »

LES DATES

1991Une loi demande à l’Agence pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) d’étudier la possibilité d’un stockage en formation géo-logique profonde pour les résidus à haute activité et à vie longue.

1998Bure (Meuse) est choisi pour re-cevoir un laboratoire souterrain.

2019Demande d’autorisation pour créerle stockage Cigéo dans une couche d’argile profonde de 500 mètres, pour les 85 000 m3 de déchets pro-duits et prévus en France.

2026 OU 2027Mise en service du stockagede Bure, rempli sur un siècle.

VERS 2145Obturation définitivedes ouvrages souterrains.

Les taux

de vaccination

ne diffèrent quasiment plusentre garçons

et filles

INCENDIESImportants feux de forêt dans plusieurs paysLes incendies font rage dans le monde. Près de 39 000 per-sonnes ont dû être évacuées depuis une semaine en Co-lombie-Britannique, dans l’Ouest canadien, en proie à de gigantesques feux. Le Portugal est également de nouveau at-teint : 2 800 pompiers étaient à pied d’œuvre, lundi 17 juillet, pour combattre plusieurs foyers dans le nord et le centredu pays. En Italie, ce sont plus de 1 000 foyers d’incendie qui menacent plusieurs régions, le Lazio, où se trouve Rome, la Campanie, la Toscane, la Cala-bre et les Pouilles. Le Monté-négro a quant à lui demandé l’aide internationale, tandis que les flammes sont parve-nues à la banlieue de Split, en Croatie. – (AFP.)

SÉCHERESSEPeu d’eau dans les nappes phréatiques françaisesLes trois quarts des nappes phréatiques de France pré-sentent un niveau « modéré-ment bas à très bas » du fait d’une recharge hivernale dé-ficiente, a indiqué, 1 lundi 17 juillet, le Bureau de recher-

ches géologiques et minières (BRGM). Parmi les secteurs les plus touchés : la vallée du Rhône au sud de Lyon, ainsi que les nappes de la craie champenoise, du bassin Adour-Garonne et des calcai-res jurassiques de Lorraine. Au total, près de neuf points sur dix sont désormais à la baisse, note le BRGM, pour qui cette situation « n’est pas totalement inhabituelle mais précoce ». – (AFP.)

ACCIDENT MARITIMEUn navire échouésur un récif enNouvelle-CalédonieDes opérations d’envergure sont en cours en Nouvelle-Calédonie pour renflouer un porte-conteneurs de 184 mè-tres qui s’est échoué, le 12 juillet, sur un récif dans le parc marin de la mer de Co-rail. La priorité est de pomper les 750 tonnes de fioul lourd présentes dans les cales du Kea Trader, un bâtiment avec 700 conteneurs à son bord, battant pavillon maltais et appartenant à l’armateur bri-tannique Lomar Shipping. Il n’y a pas de « danger immi-nent » de pollution, selon le commandant de la zone maritime. – (AFP.)

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0123MERCREDI 19 JUILLET 2017 ÉCONOMIE & ENTREPRISE | 11

Du paysan à l’assiette, un modèle à revoirRevenus des agriculteurs et qualité de la nourriture sont au menu des Etats généraux de l’alimentation

Les Etats généraux de l’ali-mentation sont sur la li-gne de départ. La journéede lancement a été pro-

grammée le jeudi 20 juillet. Une date dictée par l’agenda chargé d’Emmanuel Macron, qui clôtu-rera cet événement. Un discours très attendu. Tout le monde sou-haite connaître les ambitions tra-cées par ces Etats généraux, pro-messe de campagne du candidat à la présidentielle.

Dans l’invitation adressée à tou-tes les parties prenantes, lundi 17 juillet, quatre objectifs sont mis en exergue. « Relancer la création de valeur et en assurer l’équitable répartition », « permettre aux agri-culteurs de vivre dignement de leur travail par le paiement de prix justes », « accompagner la transfor-mation des modèles de production afin de répondre davantage aux attentes et aux besoins des consommateurs » et « promouvoir les choix de consommation privilé-giant une alimentation saine, sûre et durable ». De quoi planter le ca-dre général.

Pour le discours de la méthode,la parole sera donnée à Stéphane Travert, ministre de l’agriculture. Ilprésentera le déroulé et le calen-drier de ces Etats généraux lors du conseil des ministres du mercredi 19 juillet, la rue de Varenne ayant été chargée de coordonner les tra-vaux. Mais le cercle s’est très vite agrandi à de nombreux ministè-res, de l’économie à la transition écologique, de la santé aux affaireseuropéennes. C’est d’ailleurs à Bercy qu’est organisée la journée de lancement, dont le discours d’ouverture sera prononcé par le premier ministre, Edouard Phi-lippe, et dont les débats seront rythmés par l’intervention de qua-tre ministres, M. Travert, mais aussi Agnès Buzyn (santé), Nicolas Hulot (transition écologique) ainsique l’hôte des lieux, Bruno Le Maire, ex-ministre de l’agriculture de Nicolas Sarkozy.

Après négociations et concerta-tions, le déroulé des travaux a été fixé. Les Etats généraux vont s’or-ganiser autour de deux chantiers. Le premier consacré à la création et à la répartition de la valeur. Le second se penchant sur la ques-tion de l’alimentation. Les débats seront menés au sein de quatorze ateliers thématiques, sept pour le premier chantier, six pour le se-cond, plus un atelier transversal consacré à l’innovation.

La question de la constitutiondes tours de table a été âprement discutée. Les ONG demandaient à être représentées dans l’ensemble des ateliers quand les profession-nels souhaitaient se réserver les discussions du premier chantier, de par sa teneur économique. Fi-nalement des collèges vont être constitués pour qu’acteurs écono-miques, ONG et associations, élus, partenaires sociaux, représen-tants de l’Etat et experts aient voixau chapitre. Leur poids respectif devrait varier en fonction des thè-mes abordés dans les ateliers, maisle savant dosage est encore en pré-paration.

Consultation publique cet été

L’étau du calendrier a, lui, été un peu desserré. Initialement, le pre-mier chantier devait démarrer fin juillet. Finalement, il débutera fin août. Entre-temps, une consulta-tion publique va être lancée dans la torpeur estivale. Les citoyens

sont donc censés se mobiliser pour exprimer leurs avis, leurs so-lutions ou leurs attentes sur la pla-te-forme Egalimentation.gouv.fr. Leur devoir de vacances s’articule autour de trois thèmes : favoriser une chaîne de production agroali-mentaire plus durable et pluséquitable, promouvoir une con-sommation plus saine, plus sûre et plus respectueuse de l’environ-nement, enfin concilier compéti-tivité internationale et respect desenjeux sociétaux. Les ateliers dé-buteront donc, eux, à la rentrée. Le premier chantier durera un mois jusqu’à fin septembre, suividu second qui se déroulera sur deux mois entre début octobre et fin novembre.

Un calendrier qui s’était donnépour objectif d’apporter des pre-miers éléments de réponse avant l’ouverture des négociations com-merciales entre industriels et dis-tribution qui, comme chaque an-née, commencent début octobre.

Un processus fixé par la loi de mo-dernisation de l’économie (LME) qui régit les relations souvent con-flictuelles entre fabricants et en-seignes depuis 2008. La guerre desprix à laquelle se livrent la distri-bution et la puissance des centra-les d’achat qui n’ont cessé de fu-sionner est dénoncée pour ses ef-fets pervers. « Elle a provoqué la perte de 850 millions à 1 milliard d’euros de valeur ajoutée pour la fi-lière alimentaire », estime Jean-Philippe Girard, président de l’As-sociation nationale des industries agroalimentaires (ANIA). Une pression sur les prix qui se réper-cute sur les agriculteurs.

Or, les Etats généraux de l’ali-mentation s’ouvrent dans un contexte tendu pour nombred’exploitants agricoles. La publi-cation des comptes de l’Agricul-ture 2016 l’a prouvé. Le résultat net par actif non salarié a baisséde près de 22 % par rapport à 2015 et la valeur brute de la branche

agricole de 8,4 %. Cet été, la ten-sion monte dans les vergers. En cause, « une crise du marché desabricots comme nous n’en avons jamais connu », affirme Luc Bar-bier, président de la Fédérationnationale des producteurs de fruits. En cause, une maturité pré-coce et une concurrence espa-gnole féroce. « Ils envoient des ca-mions sans prix ni bons de com-mandes. Ce sont des prix après-vente, une pratique interdite. Nousavons alerté la DGCCRF [Directiongénérale de la concurrence] maisleurs moyens de contrôle ne sont

Un rendez-vous pour réconcilier agriculture et environnementLes associations écologiques espèrent placer la santé, le climat, l’usage des pesticides et des engrais et la condition animale au cœur des débats

I ls représentent un enjeu es-sentiel pour Nicolas Hulot.Les Etats généraux de l’ali-

mentation, qui s’ouvrent jeudi 20 juillet à Paris et dont les discus-sions vont durer plusieurs mois avec la tenue de quatorze ateliersdès la fin août, vont constituerpour le ministre de la transition écologique et solidaire, un test de sa capacité à peser sur les choixpolitiques du gouvernement, au-delà du strict périmètre de son ministère.

Ce rendez-vous imaginé par lemilitant écologiste sous le nomde « Grenelle de l’alimentation » et repris par Emmanuel Macron dans son programme présiden-tiel doit, espère-t-il, « réconcilier agriculture et environnement ». Dans sa feuille de route transmiseau premier ministre, le 15 juin, M. Hulot évoque un « enjeu de civili-sation ».

Si des tensions entre le minis-tère de l’agriculture, chargé de l’événement, et celui de la transi-

tion écologique et solidaire, étaient palpables lors de la phase préparatoire des Etats générauxsur la question du pilotage et desobjectifs, l’affrontement ne sem-ble plus de mise. A l’occasion d’une visite au siège de l’Institutnational de la recherche agrono-mique (INRA), à Versailles (Yveli-nes), le 10 juillet, les deux minis-tres, Stéphane Travert et Nicolas Hulot, ont insisté sur leur plaisir de « travailler ensemble ». « Je suis sûr qu’on va sortir par le haut avec les impératifs qui animent le mi-

nistère de l’agriculture, c’est-à-dire redonner de la sécurité économi-que aux agriculteurs, et répondreaux demandes des consomma-teurs d’avoir une alimentation dif-férente », a déclaré M. Hulot.

Mais le plus dur reste à faire et laréflexion sur un nouveau modèle agricole, en lien avec les préoccu-pations sanitaires et environne-mentales, est encore à construire. L’agriculture, menée de manière trop intensive, est, en effet, res-ponsable des nombreux maux,qui affectent la planète : pollutiondes eaux et des sols, exposition aux pesticides, épuisement des ressources, destruction des habi-tats et de la biodiversité ou encoreémissions de gaz à effet de serre – elle y contribue à hauteur de 20 %en France. Ils ont un coût pour lasociété, 54 milliards d’euros paran, par exemple, pour traiter les excédents d’agriculture et d’éle-vage dissous dans l’eau.

Et si les ONG saluent cette occa-sion de « mettre tous les acteurs

autour de la table sur un thème quisuscite de fortes attentes », elles s’inquiètent des débouchés decette grand-messe. Va-t-elle re-tomber comme un soufflé ou aboutir à des engagements politi-ques concrets ? Dans une lettreadressée au président de la Répu-blique, le 13 juillet, quarante et une associations appellent Em-manuel Macron à annoncer la te-nue d’une « phase de négociation politique » à l’issue des deux chan-tiers, afin de « trancher sur les su-jets transversaux » et les « dissen-sus issus des différents ateliers ».

« Mesures claires »

« Aboutir à un agenda des solu-tions ne sera pas suffisant. Il faut adopter des mesures claires et am-bitieuses, assorties d’outils politi-ques et financiers, c’est-à-dire une feuille de route qui aille plus loin que les engagements du candidat Macron », avertit Amandine Le-breton, directrice du pôle scientifi-que et technique à la Fondation

pour la nature et l’homme créée par Nicolas Hulot. Elle en veut pour preuve le Grenelle de l’envi-ronnement, qui s’était achevé en 2007 par deux journées d’arbi-trages politiques présidées par Ni-colas Sarkozy.

C’est aussi le souhait de la Confé-dération paysanne dont le secré-taire national, chargé de l’élevage, Nicolas Girod, insiste sur la néces-sité d’un pilotage politique de l’ini-tiative. « La présence de parlemen-taires, que nous réclamions, est de bon augure, car on peut espérer desdébouchés législatifs », explique-t-il. Il n’y a pas, pour lui, de sépara-tion dans les débats entre la créa-tion et la répartition de la valeur etles questions environnementales. « Il faut donner aux paysans la chance et les moyens de pouvoir penser un changement du système,avance M. Girod. Mais cette valeur ajoutée doit-elle servir à faire gros-sir une exploitation agricole, ache-ter plus de matériel, ou peut-elle contribuer à passer à un mode de

production plus vertueux et respec-tueux de l’environnement ? »

Sur le fond, les ONG regrettentl’absence, dans le programme – qui n’avait toujours pas été rendu public lundi soir –, de certains« enjeux cruciaux », dont la santé environnementale, l’adaptation aux changements climatiques, la condition animale ou la préserva-tion de l’environnement marin. « Il manque surtout un atelier pourdécider vers quel horizon nous nous dirigeons », note Cyrielle Denhartigh, responsable agricul-ture et alimentation au Réseau ac-tion climat. A l’opposé de la FNSEA, l’ONG aspire à « modifier de manière profonde et systémi-que » notre modèle agricole et ali-mentaire, ce qui passe notam-ment par la réduction du cheptel français, la diminution de la con-sommation de protéines anima-les et la quasi-suppression des en-grais et des pesticides. p

rémi barroux

et audrey garric

Le résultat net

par actif non

salarié a baissé

de près de 22 %

par rapport

à 2015

pas suffisants », explique M. Bar-bier.

Il y a un an, les éleveurs laitiers,pénalisés par des prix non rému-nérateurs depuis mi-2015, mani-festaient et s’en prenaient à Lacta-lis. Cette fois, le géant laitier a pris les devants affirmant être prêt à payer 360 euros la tonne de lait en septembre (contre 340 euros la tonne en juillet) et lançant la balle à la distribution juste avant les états généraux. De quoi alimenter les débats sur le partage de la va-leur et la rémunération des agri-culteurs. « Tous nos efforts de pro-ductivité sont absorbés par l’aval. Le dogme du prix bas fragilise les fi-lières et fait un appel d’air pour le low cost du monde entier », estime Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, qui prône dans l’immé-diat des mesures très pragmati-ques comme l’encadrement des promotions et la révision du seuil de revente à perte. p

laurence girard

INFOGRAPHIE LE MONDE

SOURCES : CHAMBRES D’AGRICULTURE ; AGRESTE, MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE ET DE L'ALIMENTATION

Le nombre d’exploitations agricoles n’a cessé de baisser

Des grandes disparités de revenus selon le type d’activité

EVOLUTION DU NOMBRE D’EXPLOITATIONS

434 000

2 082 000

1 240 000

664 000

1960 1980 2000 2015

138 600Petites

(production brute standard inférieure

à 25 000 euros par an)

295 700Moyennes

et grandes

RÉPARTITION DES EXPLOITATIONS SELON LA TAILLE, EN 2015

Autres

herbivores

Bovins lait

Bovins viande

Cérales, grandes cultures

Fruits

Ovins,

caprinsPolyculture

Viticulture

Volailles

Autres élevageshors-sol 1,8

Bovins

mixtes 2,2

Horticulture 1,8

Maraîchage 1,3

Porcins 1,3

14,4

10,4

3,8

3,2

6,2

5,1

24 % 12,8

11,7

RÉPARTITION DES 434 000 EXPLOITATIONS EN 2015, EN %

c’est le nombre d’agriculteurs en 2016

ils étaient 2 fois plus nombreux en 1988

701 900

Céréales,

grandes cultures

Maraîchage,

horticulture

Viticulture

Bovins lait Bovins viande

Bovins mixtes

Ovins et caprins Porcins Volailles

Polyculture

2000 2010 2015

24,1

47,6

24,4 24,5 26,737,2 34,838,6

53,4

17,825,7

17,7

18,630,5

20,3

1829,5 24,2*

16,1 15,7 19,1

16,8 23,3 21

12,5 19,6 21,629,8

3624,2*

24,1

47,6

24,4

* Pour porcins et volailles même catégorie en 2015

REVENU MOYEN D’UN EXPLOITANT TRAVAILLANT À TEMPS PLEIN DANS UNE MOYENNE OU GRANDE EXPLOITATION, EN MILLIERS D'EUROS COURANT

Si les ONG

saluent

l’initiative, elles

s’inquiètent

des débouchés

réels de cette

grand-messe

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12 | économie & entreprise MERCREDI 19 JUILLET 2017

0123

Le FMI gagné par la « macronmania »Réforme du marché du travail, baisse des déficits… L’institution salue les mesures lancées par l’exécutif français

L e Fonds monétaire interna-tional (FMI) serait-il gagnépar une forme de « macron-

mania » ? Rarement l’institutionde Washington aura employé, à l’égard de la France, un ton si élo-gieux qu’en présentant, lundi 17 juillet, sa dernière évaluation de l’économie hexagonale.

Tous les ans, les équipes duFonds se livrent au même exer-cice : prendre le pouls de l’écono-mie française et lister des recom-mandations destinées au gouver-nement. Cette fois-ci, il s’agissait surtout d’en savoir davantage sur la stratégie de réformes portée parla nouvelle équipe au pouvoir, sous la houlette du président Em-manuel Macron.

Verdict ? « Ce programme est am-bitieux, complet mais également équilibré », a complimenté Chris-tian Mumssen, qui a dirigé la mis-sion d’évaluation en France. In fine, il « pourrait fortement contri-buer à résoudre les défis économi-ques auxquels la France se heurte de longue date », affirme même le Fonds dans son résumé de fin de mission, citant les « déséquilibres budgétaires persistants », le « chô-mage élevé » et la « faible compéti-tivité externe ».

Si souvent montrée du doigtpour sa dette pléthorique ou le niveau de ses dépenses publiques – les plus élevées au sein de l’Union européenne –, la France obtient cette fois un satisfecit en matière de politique budgétaire.Les annonces de premières coupeset la mise à la diète des ministères peuvent bien susciter la grogne au sein de l’opinion et dans l’oppo-sition. Le FMI, lui, approuve plei-nement la volonté affichée par le gouvernement de faire passer le déficit public sous la barre des 3 % du produit intérieur brut (PIB) cette année.

« Un effort majeur de réductiondes dépenses est nécessaire dès le début », abonde l’institution diri-gée par la Française Christine La-garde. Ses experts brandissent, à l’appui, le dernier audit de la Cour des comptes pointant une sous-

estimation des dépenses de l’Etat par le dernier gouvernement. Même encouragement sur la ré-forme du marché du travail, jugée « vaste et ambitieuse ». Le FMI valide la méthode choisie pour le premier chantier social du quin-quennat, la réforme du droit du travail, que le gouvernement veut faire avancer vite en procédant parordonnances.

D’ores et déjà, il se félicite aussidu projet de refondation de l’ap-prentissage et de la formation pro-fessionnelle. Des mesures « essen-tielles » dans un pays où « le chô-mage touche de manière dispro-portionnée les jeunes et les travailleurs peu qualifiés ». Quant aux réformes ciblant la fiscalité des entreprises, les revenus du capital et du travail, « elles de-vraient stimuler les investisse-ments et la croissance de l’emploi ».

Quelques conseils

Le FMI pècherait-il par excès d’op-timisme ? « Tout est basé sur le pro-gramme que nous avons vu », ré-pond M. Mumssen, disant avoir été « impressionné » par « la nou-velle énergie » manifestée par ses interlocuteurs en France. Pendantquinze jours, les membres du Fonds ont rencontré le gouverne-ment, le Trésor, la Banque de France, mais aussi les partenaires sociaux (Medef et CFDT), des en-treprises et des think tanks.

L’institution ne se prive pasd’adresser des conseils à Paris : in-clure tous les niveaux des admi-nistrations publiques dans les ré-formes, poursuivre la modération salariale, stimuler la concurrence dans le secteur des services…

Mais quoi qu’il en soit, « le solidemandat politique et l’amélioration de la conjoncture économique (…) offrent une opportunité exception-nelle pour engager un tel paquet deréformes courageuses et complè-tes », assure le Fonds, qui a relevé sa prévision de croissance : celle-ci devrait atteindre 1,5 % (au lieu de 1,4 %) cette année et accélérer l’an prochain. p

marie de vergès

Boost, la compagnie à bas coût d’Air France, va pouvoir décollerL’entreprise espère être de nouveau compétitive face aux compagnies low cost et du Golfe

L e PDG d’Air France-KLM,Jean-Marc Janaillac, peutpartir en vacances tran-

quille. Les pilotes ont enfin donnéleur imprimatur à Boost, la futurecompagnie à bas coûts d’Air France. Le résultat du référen-dum, organisé par le Syndicat na-tional des pilotes de ligne (SNPL)et publié lundi 17 juillet, a été sansappel. A 78,2 %, les adhérents dusyndicat majoritaire chez les pilo-tes ont très largement approuvéla création de Boost. Ils ont choisi le projet proposé par la directionde la compagnie. Une minorité, 16,4 %, ont apporté leurs suffragesà la proposition alternative con-coctée par le SNPL pour permettre« la création de la nouvelle compa-gnie mais avec de meilleures ga-ranties concernant la relocalisa-tion de l’activité vers la France », aprécisé le syndicat. In fine, seuls5,4 % des adhérents du SNPL se sont prononcés contre tout ac-cord, a fait savoir, lundi, la direc-tion du syndicat.

Dès la publication des résultats,lundi, le PDG d’Air France-KLM s’est félicité du feu vert des pilotes.« Je salue l’esprit de responsabilité dont ont fait preuve les pilotes d’Air France. Cet accord est le résultat d’une négociation longue, qui a abouti à un compromis équilibré favorable aux intérêts de l’entre-prise et de tous ses salariés », a-t-il indiqué. Fidèle à sa parole, Phi-lippe Evain, président du SNPL, a

fait savoir qu’il signerait « dans les toutes prochaines heures » le projetd’accord négocié avec la direction.

Désormais, rien ne s’opposeplus à l’envol des premiers avions aux couleurs de Boost prévu en octobre. Un démarrage attendu avec impatience par la directiond’Air France. En effet, Boost est la pièce maîtresse de la stratégie de relance de la compagnie, baptisée« Trust Together », imaginée par Jean-Marc Janaillac. La manœuvre du PDG est simple : re-lancer la compétitivité de certai-nes lignes déficitaires d’Air France, sur le moyen-courriercomme sur le long-courrier, enbaissant de 15 % à 20 % les coûtsd’exploitation de la compagnie sur ces destinations. En pratique,Boost devrait permettre à Air France d’être à nouveau compéti-tive face à Ryanair et consorts sur

le moyen-courrier, comme faceaux compagnies du Golfe sur les destinations long-courriers.

Trois ans de guerre de tranchées

Une stratégie à laquelle les pilotesne se sont pas opposés. La preuve,en février, ils avaient déjà ap-prouvé à la majorité (58,1 %) lacréation d’une filiale à bas coûts comme Boost. En revanche, le SNPL a longuement bataillé pourobtenir, à l’occasion du lance-ment de Boost, un rééquilibrage de l’activité entre Air France etKLM. Selon les décomptes du syn-dicat, la balance penche de plus en plus vers les Pays-Bas au détri-ment de la compagnie française.

« Nous ne pouvons pas laisserl’entreprise continuer à avantagerla partie hollandaise », a déploré lepatron du syndicat. Selon lui, l’écart s’accroît entre les deux

compagnies. « En cumulé, depuis 2017, la croissance en sièges au ki-lomètre offert (SKO) n’a progresséque de 1,2 % chez Air France alors que dans le même temps elle a crû de 6 % chez KLM », fait-il savoir.Selon lui, le fossé ne fait que se creuser, notamment en termes detrafic passagers. En juin, note lepatron des pilotes, « il a augmentéen moyenne de 4,1 % chez Air France, soit + 3,3 % pour le long-courrier et + 6,8 % pour le moyen-courrier ». Très loin des perfor-mances de KLM, qui a bénéficié d’« une hausse moyenne de son trafic passagers de 6,5 %, soit + 6,3 % pour le long-courrier et + 7,5 % pour le moyen-courrier ».

Pour combler l’écart, la direc-tion et le syndicat se sont mis d’accord sur une trajectoire de rééquilibrage de l’activité entre Air France et KLM qui court jus-qu’en 2026. Des pénalités finan-cières sont prévues si Air Francene tient pas ses engagements. Mais, au grand dam du SNPL, AirFrance n’a pas accepté d’en fixer lemontant au-delà de 2022.

Il n’empêche, avec ce vote mas-sif en forme de plébiscite, les pilo-tes et la direction ont soldé trois années de guerre de tranchées. « Après ce grand accord avec les pi-lotes, nous entrons dans une nou-velle ère », se réjouit Air France. Elle veut croire « à un changementdu climat social ». p

guy dutheil

Un tandem franco-espagnolà la tête de Fnac DartyEnrique Martinez assurera la marche des affaires du groupe pendant que Jacques Veyrat s’occupera des sujets de gouvernance

Deux fauteuils pour un.Le conseil d’adminis-tration de Fnac Dartya entériné lundi

17 juillet la nomination à la prési-dence non exécutive de JacquesVeyrat, investisseur dans des en-treprises à travers sa holding Im-pala, et d’Enrique Martinez, l’ac-tuel directeur général de la Fnac en Europe du Nord (France, Belgi-que, Suisse), au poste de directeur général. Ce choix traduit une vo-lonté de « continuité managé-riale », a souligné le conseil.

Le tandem succède à AlexandreBompard, PDG de la Fnac depuis 2011, dont le départ pour prendre la tête de Carrefour avait été offi-cialisé le 9 juin. M. Martinez, che-ville ouvrière du rapprochement

entre Fnac et Darty, faisait alors fi-gure de favori. Sa présence avait d’ailleurs rassuré la famille Pi-nault, actionnaire de Fnac Darty, qui ne s’était pas opposée au dé-part de M. Bompard, un an seule-ment après que ce dernier a lancé l’agitateur culturel dans la plus im-portante acquisition de son his-toire. De l’avis des gens qui le cô-toient, le nouveau directeur géné-ral « n’a pas peur de prendre des dé-cisions », a une « forte capacité d’entraînement des équipes » et est « respecté dans le secteur ».

Avec son fort accent qui ne laisseplaner aucun doute sur ses origi-nes espagnoles, M. Martinez con-naît bien l’entreprise, dans la-quelle il a passé les dix-neuf der-nières années. Entré en 1998 à la Fnac pour implanter l’enseigne auPortugal après avoir dirigé des magasins Toys’R’Us dans la pé-ninsule Ibérique, il est nommé dix ans plus tard, en 2008, patron de la Fnac pour l’Espagne, le Por-tugal, le Brésil, avant de prendre ladirection générale en 2012 de laFrance puis de l’Europe du Nord(France, Belgique, Suisse).

Polytechnicien

Pour autant, si M. Martinezs’avère un « excellent opération-nel, il est moins familiarisé avec les sujets de gouvernance, les rela-tions avec les investisseurs ouavec les pouvoirs publics quiconstituent l’autre volet d’une fonction de PDG », relate un bonconnaisseur de la situation. On serappelle que M. Bompard avaitmené une campagne soutenue auprès des pouvoirs publics enfaveur du travail du dimanche,avant son extension par la loi Ma-cron d’août 2015…

D’où l’idée de dissocier les fonc-tions et d’adjoindre au directeur général un président non exécutif. Le comité des nominations présidépar Nonce Paolini (ex-TF1) a ainsi recherché en priorité un candidat au sein même du conseil d’admi-nistration. Le choix s’est vite porté sur M. Veyrat, qui avait rejoint en tant que président du comité d’audit le conseil d’administration concocté par Artémis – la holding de la famille Pinault – et Alexandre Bompard en vue de l’introduction en Bourse de la Fnac en 2013.

La famille Pinault connaît bien lepolytechnicien pour avoir investi àses côtés dans la start-up LDCom, aux origines de Neuf Cegetel, re-vendu en 2007 à SFR. M. Veyrat et M. Bompard sont par ailleurs amisde longue date. Lorsqu’il dirigeait Neuf Cegetel, M. Veyrat apercevait par la fenêtre de son bureau… M. Bompard lui-même chez Ca-nal+. En 2011, quand M. Bompard quittait Europe 1 pour relever le défi du redressement de la Fnac, M. Veyrat créait Impala, sa holdingd’investissement, deux ans après le décès de son mentor Robert Louis-Dreyfus. Le financier ama-teur d’actifs industriels a, depuis, misé sur l’imprimeur (CPI), le fa-bricant de cloisons (Clestra) ou en-core le corsetier (Maison Lejaby). Juste avant la mise en Bourse de

Fnac, M. Veyrat avait monté un projet de reprise de la Fnac par LBO(leveraged buy-out ou rachat par ladette), en association notamment avec Xavier Niel (fondateur de Freeet actionnaire à titre individuel du Monde) et M. Bompard. Mais Fran-çois-Henri Pinault avait préféré distribuer des actions Fnac à ses actionnaires. Bien lui en a pris car le groupe – dont il détient 25 % du capital – vaut dix fois plus cher…

Difficile d’imaginer que M. Vey-rat va rester longtemps président de Fnac Darty, même s’il a démis-sionné du conseil d’Eurazeo et s’apprête à quitter un autre « board » afin d’aménager son temps. Fin 2016, M. Veyrat avait montré son ambition en réunis-sant des fortunes hexagonales, de Bernard Arnault aux héritiers Louis-Dreyfus en passant par Ni-cole Bru (ex-laboratoires UPSA), autour d’un projet de rachat de Morpho (sécurité et biométrie). C’est Advent qui l’avait emporté pour 2,8 milliards d’euros…

Rien n’empêche toutefois le diri-geant de jouer un jour le rôle éven-tuel d’investisseur dans FnacDarty. Si l’objectif reste d’assurer la stabilité à court terme du distri-buteur, le temps de finaliser l’inté-gration de Darty, la consolidation est loin d’être achevée dans un secteur qui peine à résister à Ama-zon. Or, cela va aller vite. L’objectifde 130 millions d’euros annuels desynergies a été avancé d’un an et sera réalisé dès 2018, dont au moins la moitié à fin 2017. A l’automne, un nouveau plan stra-tégique va être concocté. Et qui ditnouvelle trajectoire dit souvent nouveaux actionnaires… p

isabelle chaperon

et cécile prudhomme

Le duo succède

à Alexandre

Bompard,

désormais

à la tête

de Carrefour

Les pilotes de Hop ! très fatigués

Les pilotes de Hop !, la filiale d’Air France, seraient-ils dans un état de « fatigue générale préoccupante » ? C’est la conclusion de l’ex-pertise remise au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail et présentée le 14 juin. Elle fait état de « risques psycho-sociaux en forte augmentation » depuis la fusion des compagnies Regional, Brit Air et Airlinair, qui a donné naissance à Hop ! en 2016. L’enquête, qui a alimenté le mouvement de grève qui s’est achevé mardi, s’appuie sur un questionnaire auquel ont ré-pondu 396 pilotes sur 900. « Ce rapport est en cours d’étude », mais « nous n’avons pas à ce jour constaté de hausse des arrêts maladie, ou de dégradation des indicateurs en termes de sécurité des vols », a indiqué Alain Malka, directeur adjoint de la compagnie.

LES CHIFFRES

7,41C’est, en milliards d’euros, le chiffre d’affaires réalisé en 2016 par le groupe Fnac-Darty.

130C’est, en millions d’euros, le montant des synergies que compte générer le groupe grâce à la fusion entre les deux enseignes d’ici à fin 2018. Au moins la moi-tié doit être réalisée cette année.

664C’est le nombre de magasins Fnac et Darty (intégrés ou en franchise). L’entreprise comptait un peu plus de 26 000 salariés en 2016.

FINANCEUne nouvelle amende pour BNP ParibasLundi 17 juillet, la Réserve fé-dérale américaine a annoncé avoir infligé une amende de 246 millions de dollars (214 millions d’euros) à BNP Paribas pour pratiques dou-teuses sur le marché des chan-ges entre 2007 et 2013. La banque française a déjà provisionné cette somme. Le 24 mai, elle avait déjà été condamnée à une amende de 350 millions de dollars. – (AFP.)

MÉDIASNetflix passe le cap des 100 millions d’abonnésLe service américain de vidéo en ligne Netflix a annoncé, lundi 17 juillet, que le nombre de ses abonnés, en forte hausse, a pour la première fois dépassé la barre des 100 millions au deuxième trimestre. Ces derniers sont désormais plus nombreux à l’international qu’aux Etats-Unis. Le bénéfice net s’élève au deuxième trimestre à 66 millions de dollars, en hausse de 61 % sur un an.

TÉLÉCOMSEricsson dans la tourmenteEricsson vient d’essuyer une nouvelle perte de 1 milliard de couronnes au deuxième trimestre (105 millions d’euros), pour un chiffre

d’affaires en repli de 8 %, à 49,9 milliards de couronnes. L’équipementier suédois va en conséquence accroître à 10 milliards de couronnes son programme de réduction des coûts annuel d’ici 2018.

PHARMACIENovartis : bénéfice net en baisseLe géant pharmaceutique suisse Novartis a publié, mardi 18 juillet, un bénéfice net en baisse de 5 %, à 3,6 milliards de dollars sur les six premiers mois de l’année. Son chiffre d’affaires s’est replié de 1 %, à 23,7 milliards de dollars, malgré la crois-sance de 6 % des volumes. Le groupe souffre de la concur-rence des génériques et de la pression sur les prix. – (AFP.)

COMMERCEWashington expose ses objectifs de renégociation de l’AlenaLes Etats-Unis ont dévoilé, lundi 17 juillet, leur stratégie de renégociation de l’Accord de libre-échange nord-améri-cain (Alena), et annoncé que priorité serait donnée à la réduction du déficit commer-cial. Washington entend, en outre, pour la première fois dans un traité américain, y in-clure une disposition contre toute manipulation de devi-ses de la part des partenaires commerciaux. – (Reuters.)

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0123MERCREDI 19 JUILLET 2017 | 13

SO

UR

CE

: A

SO

km

Le Puy-en-Velay Romans-sur-Isère

165 kmMARDI 18 JUILLET PLAINE16e ÉTAPE

13 h 40

Catégorie de l’ascension (XX h XX : passage au plus tôt)

km

17 h 10

165 km

La Mure Serre-Chevalier

183 kmMERCREDI 19 JUILLET MONTAGNE17e ÉTAPE

12 h 20

Catégorie de l’ascension (XX h XX : passage au plus tôt)

km

17 h 17

2

183

4

65

15 h

03

Col du Rouvey

3

20,5

14 h

06

Côte de Boussoulet

Sprint

Chantemerle-les-Blés

121,5

16 h 15 HC

78,5

14 h

39

Col de la

Croix-de-Fer

2

30

13 h

11

Col d’Ornon

1

132,5

16 h

01

Col du

Télégraphe

HC

155

16 h

49

Col du

Galibier

Sprint

Allemont

47,5

13 h 31

C L A S S E M E N TVAINQUEUR DE LA 15 ° ÉTAPEBauke Mollema | Pays-Bas - Trek-Segafredo

1 Christopher Froome Royaume-Uni - Team Sky

64 h 40’ 21”

à 18”2 Fabio Aru Italie - Astana Pro Team

3 Romain Bardet France - AG2R La Mondiale

à 23”

CLASSEMENT GÉNÉRAL

Romain Bardet veut prendre de l’altitudeEn confiance, le Français aborde les étapes alpines avec une poignée de secondes de retard sur Froome

le puy-en-velay (haute-loire) -

envoyé spécial

Je voltige ! » Cette sensationde caresser les pédales dansles cols, pour laquelle vit Ro-main Bardet, ne se partagequ’en petit comité. Il l’a con-

fiée à son ami Mikaël Cherel dans les jours précédant le Tour de France, alors qu’il passait au che-vet de son coéquipier et confi-dent, blessé pour l’été. Romain Bardet peut se sentir voler : il pe-sait au départ de l’épreuve 62 ki-los – pour 1,84 m –, soit trois kilos de moins que son poids référencésur le site de l’équipe AG2R-La Mondiale. Le Français n’a jamaisété aussi léger, d’une maigreurqui nécessiterait une consulta-tion en urgence chez le psycholo-gue s’il n’était sportif de haut ni-veau. Le rapport entre le poids et la puissance développée est la clé de la performance des grimpeurs,et Romain Bardet semble l’avoir trouvée sur ce Tour : troisième du classement général à vingt-troissecondes de Christopher Froomeà cinq jours de l’arrivée à Paris et vainqueur d’étape à Peyragudes,dans les Pyrénées, il entretient l’espoir de devenir le premier Français vainqueur de la Grande Boucle depuis Bernard Hinault, en 1985. « Ça m’a fait sourire, parcequ’il n’a pas peur d’afficher ses pré-tentions, glisse Mikaël Cherel. Saphilosophie, c’est de se dire : “J’ai tout fait comme il fallait”. Je le trouve extrêmement serein, plusconfiant encore que l’an dernier peut-être, car la préparation a été optimale cette année. »

Sa saison avait pourtant com-mencé à l’envers, par une maintrop longtemps posée sur une portière : après une chute sur la première étape de Paris-Nice, Ro-main Bardet se laisse tracter à plu-sieurs reprises par la voiture AG2R. Une tricherie sanctionnée par le jury d’une mise hors-course. Pour les mêmes faits, en 2015, Vincenzo Nibali avait été vilipendé. L’image de Romain Bardet est à peine écornée, grâce àun rapide mea culpa, mais l’épi-sode perturbe le coureur et son début de saison.

« Une bonne claque »

La pression aurait-elle, finale-ment, une prise sur le deuxièmedu Tour de France 2016 ? Cejour-là, l’homme tout en contrôle a fait place au coureur ambitieux, persuadé que Paris-Nice pouvait enfin lui sourire. « Il a été blessé dans son orgueil et sensible au fait qu’il n’avait pas maîtrisé la situa-tion, analyse son entraîneur, Jean-Baptiste Quiclet. Il s’est laissé sub-merger par l’enjeu, car il goûtait pour la première fois à un nouveaustatut. » « Une bonne claque », complète Julien Jurdie, directeursportif qui accompagne Romain Bardet toute l’année. Son pro-gramme est bouleversé et le Fran-çais se voit contraint de s’alignersur des courses d’une semainequi le desservent, se jouant lors decontre-la-montre qui ne consti-tuent pas son terrain de prédilec-tion. L’Auvergnat ne gagne pas.Pourtant, les indicateurs sontbons. Malgré un Critérium du Dauphiné moins clinquant

qu’en 2016 (6e contre 2e), son en-tourage est animé d’une con-fiance qui tient aussi à la réputa-tion d’infaillibilité du leaderd’AG2R. Il ne s’est vraiment raté qu’une seule fois : en 2015, lorsd’une étape caniculaire dans lesPyrénées, le « moteur » exploseau lendemain d’une journée de repos mal gérée. Neuf jours plus tard, Romain Bardet remporteune étape dans les Alpes. C’estaussi la raison pour laquelle son équipe l’a déjà prolongé jus-qu’en 2020 : l’embourgeoisement ne semble pas une menace.

« Contrairement à Jean-Christo-phe Péraud, qui savait, au fond delui, que toutes les étoiles s’étaientalignées pour sa deuxième place sur le Tour 2014, Romain n’a paspris le podium comme un aboutis-sement, assure Jean-Baptiste Qui-clet. Au début de l’hiver, j’ai sentiqu’il s’interrogeait, puis il a franchiun cap en termes d’ambitions : ilétait prêt à affronter l’adversité. »

Le Français doit se rendre àl’évidence : cette Boucle de Düs-seldorf à Paris, avec ses passages en moyenne montagne, des éta-pes difficilement contrôlables et surtout un faible kilométrage encontre-la-montre, semble tailléepour lui. Les arrivées en valléeainsi que le final pentu de laplanche des Belles-Filles ou de Peyragudes le poussent à tra-vailler son explosivité.

Il répète aussi l’expérience dustage en altitude, où se trouveraitl’une des clés de sa montée en puissance d’une année surl’autre. D’abord seul avec son père, en 2014, puis avec de plus enplus de coéquipiers et d’entraî-

ges est sensible, en cyclisme, maisRomain Bardet assume avoir passé des nuits en chambre hy-poxique, les plus récentes après leCritérium du Dauphiné, pour pro-longer les bénéfices de ses séjoursespagnols. Courant chez les spor-tifs d’endurance de très haut ni-veau, le procédé, qui permet de re-créer dans une pièce les condi-tions de l’altitude, est autorisé parl’Agence mondiale antidopage, bien que sa commission éthique l’ait jugée, en 2006, contraire à « l’esprit du sport ». L’Italie le pros-crit. La chambre hypoxique a fait l’objet de discussions entre Ro-main Bardet et Samuel Bellenoue,tous deux gênés aux entournurespar cette question éthique. Ils ont tranché en sa faveur.

Romain Bardet assume cettecourse à l’armement. La certi-tude d’avoir mis en œuvre cequ’il fallait pour gagner est unprérequis à sa performance.« Pour moi, c’est la tête qui com-mande », disait-il lorsque LeMonde l’avait rencontré avant leTour, en compagnie de l’écrivain Olivier Haralambon. Il évoquaitalors « le principe de sublima-tion », selon lequel le cerveaupeut faire aller le corps au-delà deses frontières naturelles.

Ce jour-là, à l’entraînement, ilavait « joué avec la pente » du col du Galibier et approché « l’état degrâce ». Pris conscience, en somme, de ce à quoi pourrait res-sembler son Tour de France devoltigeur. Romain Bardet n’a ja-mais clamé publiquement sondésir de gagner le Tour. L’affir-mation serait sans doute perçuecomme présomptueuse. Il y a

Romain Bardet célèbre sa victoire lors dela 12e étape du Tourde France, entre Pau et Peyragudes, le 13 juillet.PHILIPPE LOPEZ/AFP

neurs, Romain Bardet investit uncentre d’entraînement de laSierra Nevada, en Espagne, pourdormir en altitude et s’entraîneren bas. Le processus améliore lacirculation de l’oxygène pendantquelques semaines. Il offre à Ro-main Bardet, selon les calculs deson entraîneur et spécialiste de l’altitude, Samuel Bellenoue, ungain de 3 % de puissance maxi-male sur des efforts de dix àtrente minutes, qu’il peut aussi répéter plus facilement.

Buffet de légumes en conserves

Certains s’y sont brûlés les doigtsparce que mal encadrés ou n’ont plus jamais voulu mettre les pieds là-haut, l’endroit leur sem-blant inconciliable avec le plaisirde rouler. Romain Bardet, lui, l’aréclamé, malgré le buffet de légu-mes en conserves qui l’attendchaque soir, à 2 400 mètres, aprèsune journée d’efforts. « C’est ex-trêmement contraignant, mais çapaye, dit Mikaël Cherel. Les stagesd’altitude ont remplacé les cures d’EPO du vélo d’autrefois. »

Ce qui touche aux globules rou-

« Dès lors qu’il

avait réussi

à faire podium,

il devait avoir

la perspective de

prendre un jour

le maillot jaune »

JEAN-BAPTISTE QUICLETson entraîneur

peut-être la crainte, aussi, debrouiller l’image du coureur en-thousiaste, instinctif, attentif à lamanière. « Entre la communica-tion officielle et ce qu’il se dit danssa tête, il y a un décalage, admetJean-Baptiste Quiclet. La réalité,c’est qu’il avait à cœur de faire lemieux possible sans avoir la certi-tude de pouvoir le faire. Mais lavictoire dans le Tour, c’est quel-que chose qui sommeille en lui. Ilest très sensible au plaisir de lapratique, mais il a aussi un côtérationnel : dès lors qu’il avaitréussi à faire podium, il devaitavoir la perspective de prendreun jour le maillot jaune. C’est ce qui le motive à pousser les murs àl’entraînement. »

« Comme deux classiques »

Depuis le départ de Düsseldorf, ses coéquipiers le trouvent, selon les mots d’Alexis Vuillermoz,« beaucoup plus apaisé, serein etdétendu ». « On essaye de prendre une partie de sa charge mentale, etlui sait laisser le stress de la journéederrière lui, complète le Belge Jan Bakelants. Et ça, ça vient quand tu es en bonne condition. »

Ses performances dans le contre-la-montre inaugural et sur la mon-tée sèche vers la planche des Bel-les-Filles, deux exercices dans les-quels il n’est pas forcément le plus à son aise, ont renforcé ses certi-tudes. Le comportement de son équipe, le deuxième meilleur col-lectif du Tour derrière Sky, aussi. Lemeilleur est à venir, assure Jean-Baptiste Quiclet : « Dans le schéma qu’on s’était imaginé, sans forcé-ment envisager qu’il soit tout de-vant, on misait tout sur cette der-

nière semaine, comme l’an der-nier. » Romain Bardet l’a dit sousune tonnelle au Chambon-sur-Li-gnon (Haute-Loire), où il passait la journée de repos, lundi 17 juillet : « La course sera décidée sur l’Izoard. (…) C’est peut-être l’enchaî-nement des deux étapes des Alpes qui aidera à y créer des écarts. » Pour cette raison, il entend courir les 17e et 18e étapes, mercredi et jeudi, « comme deux classiques ».

Son profil endurant lui permetde répéter les efforts, même en troisième semaine, et le Français apprécie de courir au-dessus de2 000 mètres – le Galibier, som-met du Tour abordé mercredi,culmine à 2 642 mètres –, où l’oxy-gène est plus rare et les repères physiologiques bouleversés.Bien sûr, la différence aurait pu – dû ? – être faite ailleurs. S’il finittout près du maillot jaune, sansdoute s’interrogera-t-il sur cer-tains de ses choix tactiques, comme celui de ne pas attaquer dans le col de Peyra Taillade, di-manche, au moment où Christo-pher Froome était distancé.

Il a sur le dos une ardoise vir-tuelle, un écart que devrait creu-ser le Britannique dans le contre-la-montre de samedi à Marseille. Bardet dit ne pas faire de projec-tions, mais Samuel Bellenoue fait « une estimation sage d’une mi-nute et trente secondes perduessur vingt-deux kilomètres ». Le grimpeur de Brioude finirait au pied du podium qu’il n’en serait pas fâché, affirme-t-il, lui qui« trouve un peu grossière la satis-faction de soi qu’amène le succès ».Faut-il le croire ? p

clément guillou

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14 | enquête MERCREDI 19 JUILLET 2017

0123

« Vous avez vu comme

elles sont fatiguées ? »Depuis le 3 avril, dans la maison de retraite Les Opalines, à Foucherans, dans le Jura, une dizaine d’aides-soignantes mènent la plus longue grève de France, dans un silence national absolu

florence aubenas

C’était un matin comme lesautres. Il était 7 heures ensalle de relève, le débutdu service, les filles setenaient prêtes dans leuruniforme blanc. Quel-

qu’un croit se souvenir que l’une pleurait déjà, mais pas très fort. Personne n’y faisait attention, l’habitude. La question rituelle est tombée : « Est-ce que vous êtes au complet ? »

La réponse, elles la connaissent toutes, auxOpalines, un Ehpad (établissement d’héber-gement pour personnes âgées dépendantes) à Foucherans, dans le Jura. Chaque jour ou presque, les équipes d’aides-soignantes tour-nent en sous-effectif, pas de remplacement,ni des absentes ni des malades. Et toutes savent comment ça se passe dans ces cas-là derrière les portes fermées des chambres, cequ’il leur faudra faire pour boucler le service à temps. Une deuxième fille s’est mise à pleu-rer. C’était un matin comme les autres auxOpalines, mais peut-être le matin de trop.Depuis le 3 avril, une dizaine d’aides-soignantes mènent la grève la plus longue deFrance dans un silence national absolu.

Aux Opalines de Foucherans, 77 résidents, ilfaut savoir où on est. Certains ont vendu leurmaison pour entrer ici. « Maman a élevé huit enfants seule, on voulait le mieux pour elle. Ona attendu une place deux ans », raconte unefonctionnaire. Dans cet établissement privé,les prix surplombent ceux de la région : 2 500 euros par mois, contre 1 800 enmoyenne. Le bâtiment a belle allure, inau-guré il y a cinq ans, un jardin, de vastes cham-bres. Dans la salle à manger – on ne dit pas le réfectoire –, le personnel porte nœudpapillon et chemise blanche, on sert du vin en carafe et l’apéritif le dimanche.

« Quand papa est arrivé, il était ébloui. Ilrépétait : “C’est plus beau qu’un hôtel !” », dit un fils. Lui se souvient pourtant d’impres-sions fugitives, des sonnettes appelant dansle vide, un lit resté souillé, le pas-le-temps, le pas-toujours-très-net. « Mais dans ces endroits-là, on ne pose pas vraiment de ques-tions et on n’a pas vraiment de réponses.Chacun regarde ailleurs, espérant se convain-cre qu’on ne pourrait pas mieux faire. » A Fou-cherans, aucun mauvais traitement n’a d’ailleurs été signalé, ni rien d’exceptionnel. Le tragique est là, d’une certaine façon : c’estla vie quotidienne dans un Ehpad qu’une poi-gnée de filles à bout de souffle vient soudain de mettre à nu.

HISTOIRES TERRIBLES ET MINUSCULES

Sur le parking de l’établissement, un vent brû-lant secoue la tente des grévistes. On dit « les filles » bien qu’il y ait aussi un garçon, tant lemétier est estampillé « boulot de femme », avec son lot d’ingratitudes et ses salaires au plancher : 1 250 euros net à Foucherans, pour des journées de dix heures et deux week-endstravaillés. « Les filles », donc, s’efforcent de paraître vaillantes, mais on les sent à cran à plus de trois mois de grève, balançant del’euphorie au désespoir. A ce stade d’épuise-ment, elles se sont mises à raconter ce qu’on ne partage pas d’habitude, ou alors seule-ment entre soi, et encore pas toujours.

L’une commence, tout doux : « Le matin, onles lève sans leur demander leur avis. On sait déjà qu’on n’aura pas le temps : quinze minu-tes pour la toilette, l’habillement, le petitdéjeuner, les médicaments. Alors, il faut choi-sir. Est-ce qu’on lave les cheveux ? Ou les dents ?La douche hebdomadaire, c’est rare qu’on la tienne. » Certains résidents sont nourris à lacuillère, des plats mixés. « Il m’arrive d’en avoir cinq ou six en même temps », dit unegrande brune. Elle tend les bras, mimant le buste qui pivote à toute allure. « J’ai l’impres-sion de faire du gavage. »

Et d’un coup, le piquet de grève ressemble àun confessionnal dans la fumée des cigaret-tes. « Quand je rentre à la maison, je suis une pile électrique, explique une autre. Je me sens mal d’avoir dit à celui-là : “Dépêchez-vous !” Comment il peut faire, il a 90 ans ! On cau-tionne. Je culpabilise. » Les images se mettent à défiler sous la tente des grévistes, les cou-ches qu’on change alors que le résident est debout, en train d’avaler son goûter. Tenir lacadence, toujours. Une autre raconte l’an-goisse qui monte à mesure que le soir tombe dans les chambres des Opalines. « Vous serez là demain ? », demande un homme à l’aide-soignante. Il est dans les choses graves, il veutraconter. La « fille » répond : « Je reviens toutde suite. » Bien sûr, elle ne revient pas. « On ne

fait que leur mentir. » Temps du coucher : 3 min 41. « On ne les met pas au lit, on les jette. » Il faut trouver la bonne distance, ne pas s’attacher, recommandent les forma-teurs. « C’est difficile. On vit dans leur intimité,on leur lave le sexe », dit l’une. Elle se souvientde l’enterrement d’un résident, où elle en avait appris davantage sur lui ce jour-là que pendant ses années à l’Ehpad.

Il serait rassurant de voir Foucheranscomme une exception. Pas du tout. Il se situe dans la moyenne nationale, avec environ 55 professionnels pour 100 résidents. Pas suf-fisant. Tout le monde sait qu’il en faut au moins 80. C’est le cas en Allemagne ; la Suisse ou les pays nordiques en sont à 1 pour 1. La France, en revanche, n’a entériné aucune norme – question de budget –, et le secteur compte plus d’accidents et de maladies pro-fessionnels que le BTP. Sous la tente des grévis-tes, une dame dépose en solidarité un sac de courses, pris au supermarché en face. Depuis trois mois, « les filles » vivent de collectes et decolis alimentaires. Elles ont de 20 à 50 ans.

A Foucherans, des résidents appellent lesaides-soignantes « les courants d’air ». Des surnoms circulent, « la libellule » ou « la dan-seuse étoile ». « Vous avez vu comme elles sont fatiguées ? C’est à cause de nous. J’aihonte », dit madame Z., 91 ans. Parfois, elle voudrait qu’on la conduise aux toilettes : « Je vois qu’elles n’en peuvent plus. Alors je faisdans ma couche. » Mais surtout, ne rien dire aux enfants. Ne pas les inquiéter. Mon-sieur D., 83 ans, est le seul à pousser le déam-bulateur jusqu’au piquet de grève. « On sait que vous allez les voir », lui aurait glissé l’enca-drement. Lui se récrie : « C’est mon droit. »Certains auraient été convoqués pour avoir témoigné. « A table, personne n’en parle, on n’a pas de voix là-dedans », dit monsieur D.

Et à leur tour, les résidents évoquent les his-toires terribles et minuscules, qui forment icileur univers. « Ceux dont les proches rouspè-tent arrivent à se faire entendre. Mais quand on est tout seul, sans visite, sans famille, on n’existe pas », dit l’une. Pour l’inauguration del’Ehpad, en 2012, « les huiles du département avaient été invitées à boire le champagne.Nous, on était parqués au premier étage sansune cacahuète. Rien de grave, bien sûr, mais ça

donne une idée de notre place ici », raconte unautre. Un grand soir, pourtant, reste dans les mémoires : « la révolte des raviolis ». Deux repas de suite, des raviolis avaient été servis, « et en petite quantité », se souvient unedame. Toute la salle à manger avait posé la fourchette. « On était fières d’eux », dit uneaide-soignante. Pour pallier le débrayage, desvacataires ont été réquisitionnés et 14 rési-dents transférés provisoirement.

Au-delà des Opalines, « c’est le systèmeentier qui génère des formes de maltraitance,une situation totalement niée par notre société », explique Pascal Champvert, del’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA). « Je ne vous dirai pas le nombre de politiques qui m’ont expli-qué : “Je ne veux pas le voir, ça me fait trop peur.” » En 2012, une proposition avait faitscandale : Jean-Marie Delarue, alors contrô-leur des lieux de privation de liberté, reven-diquait d’inspecter les Ehpad, comme les pri-sons ou les hôpitaux psychiatriques.« Un risque important existe d’atteintes aux droits fondamentaux, y compris involontai-res », plaide Delarue aujourd’hui encore. Re-fus du gouvernement.

QUESTIONS DE PRINCIPES

Dans le bureau de Véronique Steff, directrice de Foucherans, on entend gazouiller lesoiseaux dans la volière et la télé dans le salon.La directrice est à cran. Elle reconnaît « un planning tendu » depuis des mois, « une fati-gue des salariées ». Deux postes d’aides-soignantes ont été créés pour tenter d’apai-ser la grève, grâce à Pierre Pribile, directeurgénéral de l’Agence régionale de santé, quifinance le volet médical des Ehpad, y comprisprivés. De leur côté, « les filles » ont aban-donné une revendication : 100 € d’augmen-tation par mois. Les pourparlers buttentencore sur la prime du dimanche, fixée à 23 €,même pas de quoi faire garder les enfants. Les grévistes demandent qu’elle soit doublée.« Ce n’est pas grand-chose », laisse tomber Philippe Gevrey, directeur général de la SGMR-Opalines, dans une interview au Pro-grès (il n’a pas répondu au Monde). Mais il y voit une affaire de principes. Huitièmegroupe privé français, la SGMR a prévu des

négociations globales pour ses 46 Ehpad àl’automne : pas question de lâcher quoi que ce soit avant. Un accord sur une « indemnitéexceptionnelle » pourrait débloquer la situa-tion. « Les grévistes y sont d’autant plus atta-chées qu’elles veulent la reconnaissance par ladirection qu’elles en ont bavé », explique la préfecture. Les filles demandent 600 €. La SGMR bloque : ce sera 375 € ou rien.

« On ne se bat plus seulement pour les sous,mais pour la dignité », dit Anne-Sophie Pelle-tier, porte-parole du mouvement. Long-temps, aux Opalines, les filles ne se plai-gnaient même pas entre elles, par peur d’un conseil disciplinaire. Quand elles ont osé le mot « grève », au printemps, « la coordinatricea posé son stylo et elle a rigolé », se souvient l’une. Puis un cadre leur a lancé : « Vous n’aurez rien, ni aujourd’hui ni demain ni jamais. » Anne-Sophie Pelletier reprend : « On ne s’est pas senties écoutées. » Les autres la regardent comme si elle avait traversé la lignede feu : « Anne-Sophie est cramée. Qu’est-ce quilui arrivera après la grève ? Et à nous toutes ? »

Ici, on se souvient de Melissa, employéemodèle, virée en 2015, qui comptait monter une section CGT. « Je n’ai pas pleuré devant eux,j’ai attendu d’être dans la voiture », dit Melissa. A Foucherans, seules des salariées en CDI font grève, mais aucune parmi la dizaine en CDD. Cynthia ne se le serait pas permis non plus, à l’époque où elle bossait là. D’août 2012 à février 2015, elle a enchaîné 79 contrats précai-res. Sans permis, sans diplôme, elle ne disait jamais non. Elle a même fini sa vacation le jour de son licenciement, pour une histoire deplanning. « Il faut s’écraser. On est des pions », dit Cynthia. Les prud’hommes lui ont donné raison, à Melissa aussi. D’autres Ehpad ont déjà fait grève, sans fédérer de revendications nationales. A Foucherans, la CGT et la CFDTont apporté leur soutien.

Sous la tente, les filles parlent de vocation.« On aime notre travail. » Et puis, il y a les crédits de la maison, de la voiture. « Ailleurs, ilfaudrait repartir en CDD, ça fait peur. » La grève vient de passer les cent jours, leurs familles en ont pris un coup. Les filles ont envoyé un SOS à la préfecture. « Qu’est-ce qu’ilfaudrait faire, maintenant ? Qu’une de nous sesuicide sur le parking ? » p

Piquet de grève devant la maison de retraite Les Opalines, à Foucherans (Jura), le 16 juin. ARNAUD FINISTRE POUR « LE MONDE »

« ON NE SE BAT PLUS SEULEMENT POUR LES SOUS,

MAIS POUR LA DIGNITÉ »

ANNE-SOPHIE PELLETIERporte-parole

du mouvement

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0123MERCREDI 19 JUILLET 2017 CULTURE | 15

Un déluge de bombes hors solChristopher Nolan reconstitue l’opération « Dynamo » de façon spectaculaire, mais lacunaire

DUNKERQUEppvv

Memento, Batman,Inception, Interstel-lar : on ne rappel-lera pas ici qui est

Christopher Nolan. Un faiseur de succès planétaires commeHollywood les affectionne. Parailleurs, un curieux mélange de lourdeur et de sophistication for-melle. C’est peu dire qu’on l’atten-dait sur Dunkerque. Gageure d’un film de guerre à une époque oùseuls les super-héros semblent pouvoir casser la baraque. Défi de la seconde guerre mondiale enparticulier, période balisée s’il en est. Enfin, risque d’un film à 200 millions de dollars (175 mil-lions d’euros) avec des milliers de figurants, tourné en France sur les lieux mêmes de l’action, en70 mm par surcroît.

Petite minute pédagogique pouren situer l’enjeu : l’originalité de la bataille de Dunkerque, aujourd’hui oubliée, est d’être unedébâcle qui porte en germe la future victoire. Commencée le 10 mai 1940, la bataille de Francetourne rapidement à la déconfi-ture pour les Alliés. Encerclésaprès la percée allemande de Sedan, 400 000 soldats sont pris au piège dans la poche de Dun-kerque. Du 26 mai au 4 juin, 300 000 d’entre eux parvien-dront, sous un déluge de bombes et de feu, à monter in extremis à bord d’une myriade d’embarca-tions militaires, mais plus encoredans celles réquisitionnées aux civils, pour gagner l’Angleterre et ypoursuivre la guerre contre le IIIe Reich. C’est littéralement au cœur de cette opération, nommée« Dynamo », que nous entraîne le film de Christopher Nolan.

Dunkerque, en effet, plutôt qu’unfilm de guerre classique, est un film de survie (survival). Son poussé au maximum, impacts desbombes et des balles sifflant aux oreilles des spectateurs, format plus grand et plus vibrant que nature, couleurs sombres et pay-sages d’apocalypse, caméra embarquée dans les situations les plus atroces, partition omnipré-sente et une fois de plus remarqua-ble d’Hans Zimmer tendant vers lamusique industrielle. Nolan joue, en virtuose, de cette approche im-mersive. Sur terre, sur mer ou dansles airs, il s’agit de faire intime-ment ressentir au spectateur ce que c’est que d’être un soldat trans-formé, par la nature des opéra-tions militaires et du terrain, en une cible permanente. Mitraillage d’hommes à découvert sur les plages par l’aviation, bombarde-

ments de destroyers chargés d’hommes et sombrant comme des fétus de paille, torpillage des bateaux transformés en pièges mortels, duels aériens où la mort fuse sans qu’on la voie. Une im-pression de nasse mortelle, d’as-phyxie et de terreur prend à la gorge, dont le film mettra, à des-sein, très longtemps à sortir. Sa construction narrative accentue ce sentiment, utilisant le montage alterné et la décomposition cu-biste d’un événement montré de manière désynchronisée, sous desangles diffractés.

Vision parcellaire

Du seul point de vue de cette sen-sation transmise, Dunkerque serait une réussite. Le problème est qu’un survival peut aussi bien se tourner dans un ascenseur, et que Christopher Nolan manque à honorer les obligations ducontexte dans lequel il s’est plu à plonger le sien. La représentation

de la guerre exige l’intelligence de ses complexités et l’attention por-tée à la personne humaine dont elle est la négation. Rien de tel ici, au premier chef sur le plan drama-turgique. Peu de dialogues, pas da-vantage de personnages, au sens plein du terme. Des figures, tout au plus, qui viennent au mieuxorner une esthétique de la sensa-tion, certes intense, et un art de la fresque, certes magnifique, dont ils ne sont jamais le centre.

Autre réserve, touchant cettefois à la vision parcellaire du film.La bataille de Dunkerque est en effet, ici, une histoire purement anglaise. Une dizaine de secondesconsacrées à un groupe de soldatsfrançais, au demeurant peu amè-nes, défendant la ville, quelquesautres dévolues à un second rôledéguisé en soldat anglais pourfuir le massacre, ne font pas le compte de l’implication française indispensable à cette folle évacua-tion. Sans doute les Allemands ne

sont-ils jamais montrés non plus, autrement qu’à travers leur puis-sance de feu. Sans doute encorene peut-on nier à un créateur ledroit de focaliser son point de vuesur ce que bon lui semble. Tant que ce point de vue, du moins, ne dénature pas la réalité qu’il pré-tend représenter.

Où sont, dans ce film, les120 000 soldats français égale-ment évacués de Dunkerque ? Où sont les 40 000 autres qui se sont sacrifiés pour défendre la ville

face à un ennemi supérieur en armes et en nombre ? Où sont les membres de la première arméequi, abandonnés par leurs alliés estimant la partie perdue, empêchent néanmoins, à Lille, plusieurs divisions de la Wehr-macht de déferler sur Dunker-que ? Où est même Dunkerque, à moitié détruite par les bombarde-ments, mais rendue ici invisible ?

Ce tropisme anglo-saxon, quifait de Dunkerque la condition dela pugnace survie de l’Angleterreet la promesse de la future libéra-tion du continent avec le secours des Etats-Unis, n’est évidemmentpas contestable d’un point de vuerétrospectif. Il ne faudra pas long-temps, en effet, pour que laFrance, tombée sous la coupe nazie et confiée à la tutelle de Pétain, s’engage sur la voie de la collaboration. A la date de Dun-kerque, toutefois, rare momentde cette guerre qui honore l’hé-roïsme de l’armée française, ce

« En Angleterre, l’esprit de Dunkerque est un mythe national »Le réalisateur Christopher Nolan revient sur la bataille historique, négligée en France, qui a inspiré son film

ENTRETIEN

R évélé avec Memento,en 2000, Christopher No-lan est devenu, grâce à des

succès comme Inception (2010), sa trilogie Batman, ou Interstel-lar (2014), un des réalisateurs les plus puissants d’Hollywood. Dunkerque est son quatorzième long-métrage.

Dans chacun de vos films, vous explorez un nouveau genre, tout en semblant vou-loir en repousser les limites…

Je n’ai pas l’impression de pen-ser en termes de genre, même si jecomprends que mes films puis-sent donner ce sentiment. Pour moi, ce qui compte, c’est raconter une histoire. Le genre, au fond, est

une notion que je combats. Dun-kerque ne pouvait pour moi être un film de guerre. Il fallait que je puisse l’aborder comme un thriller, raconté comme une his-toire de survie.

Interstellar est clairement unfilm de science-fiction, mais j’ai voulu l’envisager comme un filmd’aventure, dans la veine du Tré-sor de la Sierra Madre, de John Huston. Quant à la trilogie Bat-man, The Dark Knight, je l’ai faiteà un moment où les films de superhéros ne constituaient pasencore un genre – et je ne suis passûr qu’ils en constituent un, tant le spectre qu’ils recouvrent estdevenu énorme. J’ai imaginé lepremier comme un récit des origines, avec une trame roman-tique du type Le Comte de Monte-

Cristo, le second comme une his-toire criminelle à la Heat deMichael Mann, et le troisième comme une épopée historiquerévolutionnaire…

Que représente l’histoire de « Dunkerque » pour vous ?

C’est une histoire avec laquellej’ai grandi. Une des plus fantasti-ques qui soient. En Angleterre, elle fait partie de la culture. L’es-prit de Dunkerque est un mythe national, qui se raconte commeun conte de fées. Je ne vois pas avec quoi comparer sa place dans l’imaginaire national, sinon avecle 11-Septembre, tel qu’il aura inté-gré la culture américaine dans une cinquantaine d’années.

Dans les films hollywoodiens,son influence est considérable,

alors que les Américains ontoublié ce que c’était.

Dans le premier Spider-Man deSam Raimi, par exemple, quand tous les New-Yorkais viennent aider Spider-Man à remporter la partie à la fin, ou dans Indepen-dence Day, de Roland Emmerich, où il y a un moment similaire. AuxEtats-Unis, Dunkerque est un épi-sode à peu près oublié. Ce n’était pas le cas au lendemain de la guerre. Il est au cœur de Madame Miniver, de William Wyler, Oscar du meilleur film en 1943. Ou en-core de The Snow Goose, une nou-velle de Paul Gallico, qui connut un immense succès lors de sa pu-blication dans le Reader’s Digest.

En France, Dunkerque reste un épisode largement oublié…

Au Musée de Dunkerque, trèspeu de choses sont consa-crées à l’évacuation. L’Occupa-tion y tient une place beaucoupplus importante. Il y a pourtanteu un héroïsme et un esprit de sacrifice incroyables chez lesFrançais. Les récits anglais onttendance à l’ignorer.

Les Français, eux, ne veulentpas regarder cette histoire. Ils la considèrent comme une dé-faite – et non pas, commeWinston Churchill, « une victoiredans la défaite ».

Vous sentiez-vous une respon-sabilité vis-à-vis de ce refoule-ment de l’histoire ?

Absolument ! C’est pour celaque j’ai tenu à montrer des sol-dats français sur les barricades,

même si beaucoup de ceux qui tenaient le périmètre étaientanglais. Mais aussi les Françaisqui tentent de monter sur les ba-teaux et sont rejetés à la mer.

Il y a encore ce détail très impor-tant pour moi – même si je ne de-vrais pas en parler parce qu’il« spoile » l’histoire du Françaisqui reste sur le bateau, seul à bou-cher les trous. C’est une allégorie de l’armée française dans cette vaste opération d’évacuation. C’est le résultat des voyages d’étude que j’ai faits en France, oùje me suis plongé dans les récits historiques. C’est vraiment une histoire très compliquée, dont j’aitenté de rendre compte par de petites métaphores. p

propos recueillis par

isabelle regnier

Plus qu’un film de guerre, le « Dunkerque » de Christopher Nolan est un « survival », un film de survie. MELINDA SUE GORDON/WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC.

Où sont,

dans ce film, les

120 000 soldats

français

également

évacués

de Dunkerque ?

point de vue ne vaut pas encore. Un autre film qui aurait entreprisd’évoquer ce sursaut du déses-poir, en même temps que ce moment shakespearien de diver-gence entre les états-majors fran-çais et anglais, eût été pathéti-que et passionnant. ChristopherNolan – de père anglais, de mèreaméricaine, d’obédience hol-lywoodienne – a choisi quant à luide venir tourner jusqu’en France,d’y faire pleuvoir la manne d’unblockbuster, d’y mener une pro-motion d’enfer, mais pour mieuxl’ignorer, in fine, dans son film.Sauf son respect et la dette éter-nelle que la France doit à ses libérateurs, il y a là comme une cinglante impolitesse, une na-vrante indifférence. p

jacques mandelbaum

Film américain de Christopher Nolan. Avec Fionn Whitehead, Tom Hardy, Mark Rylance, Kenneth Branagh (1 h 47).

pppp CHEF-D'ŒUVRE pppv À NE PAS MANQUER ppvv À VOIR pvvv POURQUOI PAS vvvv ON PEUT ÉVITER

Page 16: 2 PAGES ENQUÊTE SUR LE QUOTIDIEN D’UNE MAISON DE …annesophiepelletier.eu/upload/Presse/le_monde_opalines.pdfScience & médecine Gaston, génie créateur 2 PAGES Russie 1917 Le

16 | culture MERCREDI 19 JUILLET 2017

0123

ENTRETIEN

La vie de Roger Cormanremplit à elle seule unchapitre entier du ci-néma américain. Baptisé

le « roi de la série B », il a réalisé, en seulement deux décennies,une soixantaine de films à petitbudget touchant à tous les gen-res (western, épouvante, science-fiction, film de gangsters), distri-bué des grands noms du cinémaeuropéen aux Etats-Unis (Fellini,Resnais, Bergman), produit plusde 400 films et lancé la carrièrede toute une génération de ci-néastes, acteurs et scénaristes :Joe Dante, Scorsese, Coppola,Monte Hellman, Jack Nichol-son… Roger Corman était l’invitéd’honneur du 28e Festival inter-national du film de Marseille (FID Marseille) – qui s’est tenu du11 juillet au 17 juillet –, dans le ca-dre de laquelle une large rétros-pective lui était consacrée.Agé de 91 ans, il se prête toujoursaussi élégamment à l’exercice del’entretien.

Vous faites partie de la dernière génération qui n’apas fait d’école de cinéma ; comment avez-vous appris la mise en scène ?

J’ai commencé à faire des criti-ques de cinéma dans le journal demon université. Quand je me suislancé dans le cinéma, ma forma-tion d’ingénieur m’a énormé-ment aidé pour toute la partie technique. C’était beaucoup plus difficile d’apprendre la directiond’acteur ; j’ai donc fait une école d’art dramatique, non pas pour devenir acteur, mais pour appren-dre à diriger.

Comment fait-on un film en deux jours ou avec seulement 500 dollars ?

Le secret, c’est la préparation.Vous savez ce que vous allez fil-mer, vous discutez étroitementavec les acteurs. Quand vous arri-

vez sur le plateau, vous ne vous di-tes pas : où je mets la caméra ?, vous savez quoi faire. Bien sûr, vous ne suivez pas vos plans à100 %, mais vous êtes préparé à tous les imprévus.

La limite de temps ou d’argent semble être chez vous un motif d’excitation plus que de frustration…

Oui, tout à fait. La plupart demes films ont été réalisés en trois semaines, autant dire que jen’avais pas le temps d’être frustré !Pour moi, il y a deux types de ci-néastes : les sprinteurs et les cou-reurs de fond. Je fais partie des sprinteurs.

Vos films ne coûtaient rien et marchaient très bien : on dirait que ce rapport s’est inversé…

C’est une situation malheu-reuse. A l’époque, mes films à pe-tit budget sortaient dans toutes les salles. Aujourd’hui, les films à 100 millions, voire 200 millionsde dollars accaparent tout. Il y a encore quelques films à petit bud-get qui arrivent à se faire une place. Le cinéma a toujours été un art et un business, mais aujourd’hui, la balance penchedavantage du côté du business.

Avez-vous arrêté le cinéma parce que vous estimiez que

le cinéma et le public changeaient ?

Je venais de tourner unesoixantaine de films en dix ans,j’étais tout simplement fatigué.Je me suis dit que j’allais prendreune année sabbatique.

Très vite, je me suis ennuyéet j’ai lancé ma société de pro-duction et de distribution. C’estdevenu un tel succès que je n’ai pas eu l’occasion de revenir àla réalisation.

De tous les cinéastes que vous avez lancés, lequel, selon vous, est resté fidèle à ce que l’on pourrait appeler un « esprit Corman » ?

Je pense spontanément à unréalisateur qui, de prime abord, ne donne pas le sentiment d’avoirété fidèle à un « esprit Corman »,c’est James Cameron. Titanic(1997) et Avatar (2009) sont lesfilms les plus chers de l’histoire du cinéma. Mais, lorsqu’on les re-garde, on se rend compte qu’il adépensé l’argent de façon très in-telligente. Cameron fait les films les plus chers du monde, mais il reste fidèle à ce qu’il a appris sur des films à petit budget. Je trouve que les cinéastes d’aujourd’hui se préoccupent un peu trop des ef-fets spéciaux au détriment despersonnages. James Cameron ar-rive à allier les deux : des effets

spéciaux merveilleux tout en conférant une épaisseur au récit et aux personnages.

Vous avez toujours dit que « The Intruder » (1962), l’histoire d’un homme qui arrive dans une ville du sud des Etats-Unis pour exacerber le racisme de la population, était le film dont vous étiez le plus fier. Pourquoi ?

C’est probablement le film leplus proche de ce qu’on appelle unfilm d’auteur. Je voulais parler de la situation raciale dans le Sud. La critique a été très élogieuse, mais c’était la première réalisation pour laquelle j’ai perdu de l’ar-gent, pour deux raisons : j’étais si concentré sur le message et sur mon propre point de vue que j’ai oublié d’en faire un film divertis-sant. Je pense que le public ne vou-lait pas voir de film sur ce sujet.

Un homme qui exalte le pire du peuple américain : c’est toujours d’actualité, non ?

Absolument, et ça ne concernepas seulement les Américains ; il y a des gens comme ça dans tousles pays.

Qu’avez-vous aimé récemment au cinéma ?

J’aime les films de ChristopherNolan, que je trouve très inventif. J’apprécie également George Miller : il a compris comment faire un film d’action très diver-tissant. Quand je l’ai rencontré, il m’a dit qu’il avait vu Death Race2000 (Paul Bartel, 1975) – que j’ai produit – et s’était dit : je peux faire un film comme ça. Je lui ai répondu : « Tu l’as fait, Death Race 2000 est un bon film mais Mad Max est bien meilleur ! »

Quel conseil donneriez-vous à un jeune cinéaste et à un jeune producteur ?

Le producteur est plus impor-tant aux Etats-Unis qu’en Europe mais, personnellement, je rejoins l’avis des critiques de la Nouvelle Vague qui défendaient la préémi-nence du réalisateur. Néanmoins,il faut que le producteur et le réali-sateur travaillent en une collabo-ration plus étroite : il n’y a que cela qui peut aider les films. p

propos recueillis par

murielle joudet

Un conducteur surdoué branché sur les tubes de l’étéLe réalisateur Edgar Wright réussit un film charmant et désinvolte autour d’un jeune as du volant, mercenaire et amoureux

BABY DRIVERppvv

C omme il y a des tubes del’été, il y a des films dontla légèreté, le cool, la vi-

bration sexy paraissent calibrés pour la belle saison. Avec lecocktail vieux comme le cinémaqu’il propose, tonique dosagede courses-poursuites, de senti-ments violents, de jeunes et jolisacteurs frais émoulus de leurspremiers pop-corn movies, soute-nus par quelques vieilles stars au

pedigree solide, Baby Driver est de ceux-là. Et sa bande originalesavoureuse, modelée dansun bel éclectisme pop, ne nuitpas à l’affaire.

Argument premier du film, lamusique est ce qui protège lejeune Baby (adorable Ansel El-gort, vu dans Nos étoiles contrai-res et la saga Divergente) de la vio-lence du monde, tout en expri-mant ses états d’âme. Conduc-teur surdoué acoquiné malgré luiavec un parrain de la mafia quil’emploie pour des braquages dehaut vol, il ne quitte jamais ses

écouteurs. Ni lorsqu’il conduit etque ses playlists viennent stimu-ler son adrénaline. Ni lorsque, aumoment du partage du butin, ilreste en retrait des conversationsde ses complices.

La musique comme aiguillon

Baby est un surdoué, déjà arrivéau stade du vieux gangster qui s’apprête à raccrocher les gants une fois accompli son derniertour de piste, un ultime braquagepour rembourser la dette qui lelie à son patron. Après quoi ilcompte bien se ranger des voitu-

res. Et, pourquoi pas, convoler avec la jolie serveuse du diner oùil a ses habitudes (charmante LilyJames), qui partage son amour dela route et de la musique pop.

Dans Baby Driver, il y a « drive »et le film s’assume comme une variation tendre et ludiqueautour du Drive de NicolasWinding Refn, dont il reprend leséléments : le conducteur infailli-ble, mercenaire et taiseux, lecoup de foudre amoureux, lamusique comme aiguillon dela mise en scène, une approchetrès graphique, tendant parfois

vers l’abstraction… Tout en en re-tournant comme un gant l’espritde sérieux, pour le meilleur et pour le pire.

Pour le meilleur parce qu’enmultipliant les niveaux de récit, ils’offre la liberté de changer de braquet, de dévier régulièrementdes rails sur lesquels on le croyaitlancé. Plus encore parce que, au-delà de son côté cool, il assumeun romantisme brûlant qu’on nepensait plus retrouver dans le ci-néma d’action américain con-temporain. Mais cette profusion narrative semble parfois embar-

Sandra Knight et Jack Nicholson dans « The Terror » (1963). RUE DES ARCHIVES/RDA

« Les cinéastes

d’aujourd’hui se

soucient trop des

effets spéciaux

au détriment des

personnages ;

James Cameron

arrive à allier les

deux »

le genre documentaire raconte tou-jours deux histoires : celle d’un sujet ob-servé et celle d’un regard. Mais un regard qui est toujours à la hauteur de son sujet,ni trop écrasant ni trop à la traîne, juste à la bonne distance, dansant, s’enroulantet rêvant à ce qu’il filme. C’est ce que les plus beaux films de cette 28e édition du Festival international de cinéma deMarseille, qui se tenait du 11 au 17 juillet, nous ont rappelé. Retour sur trois re-gards marquants.

Clément Cogitore (Ni le ciel ni la terre)s’invite à Braguino, hameau qui donne son titre au film, au cœur de la taïga sibé-rienne, où vit une communauté de VieuxCroyants, secte qui obéit à ses propreslois et est en contact direct avec la nature.Cela pourrait être une existence édéni-que si seulement ne sévissaient pas, de

l’autre côté du fleuve, les Kiline, enne-mis jurés des Braguine.

Autour de cette matière digne d’unwestern, Cogitore extirpe des images vi-brantes et primitives de jeu d’enfant, de chasse et de forêt magique. Des têtes blondes vêtues de vêtements multicolo-res, une petite fille dans sa belle robechaussée des pattes de l’ours qu’on vient de découper comme un fruit dans la scène précédente, un ennemi qu’on ne cesse d’évoquer mais qui ne se montre ja-mais. On est là aux origines du geste ciné-matographique, entre songe et cauche-mar, entre innocence et cruauté, entre jeu d’enfant et guerre d’adulte, sans quejamais le regard du cinéaste ne donne le sentiment de se perdre dans des volutes de formalisme éthéré, restant toujours en prise directe avec la communauté

qu’il filme, libérant simplement les tor-rents de poésie qu’elle recèle. Toto est un petit marcassin que Madeleine accueille chez elle. Vincent, lui, est obsédé par les singes qu’il part observer en Inde.

Profondément sensuel

Va, toto !, de Pierre Creton, est l’histoire d’hommes et de femmes filmés comme des machines désirantes qui se bran-chent, se connectent par le coup de fou-dre à d’autres êtres, quels qu’ils soient. Moins documentaire que journal de bordqui circule entre plusieurs fables, Va, Toto ! donne à sentir cette profonde éga-lité entre tous les êtres, comme si le monde n’était qu’une immense cohabi-tation de plantes, d’hommes, d’animaux,intimement liés entre eux par des affects – split screens, voix off et sens profond du

cadre en font un objet formel d’une grande tenue et profondément sensuel.

Dans Retour à Genoa City (prix ducourt-métrage à la Quinzaine des réalisa-teurs), Benoît Grimalt tire le portrait de sagrand-mère et de son grand-oncle à tra-vers le plus long feuilleton de l’histoire dela télévision, Les Feux de l’amour. La vie demémé et oncle Thomas paraît bien mo-notone à côté de celle, pleine d’absurdes rebondissements, des personnages de la série. Peu à peu, ce ne sont plus mémé et oncle Thomas qui regardent la télé, mais elle qui les scrute de concert avec le ci-néaste. La grande drôlerie du film débou-che sur une profonde émotion : les deux fidèles spectateurs ont disparu, et le poste de télévision, orphelin de leur re-gard, se met à s’animer et les réclame. p

m. j.

A Marseille, trois documentaires qui rêvent à ce qu’ils filment

rasser le metteur en scène, qui neporte pas le même soin à toutesses scènes, à tous ses personna-ges. Si elle reflète une approcherelativement superficielle de la mise en scène, cette désinvolturefait aussi le charme, aussi sucré qu’évanescent, de ce sympathi-que petit film. p

isabelle regnier

Film américain d’Edgar Wright. Avec Ansel Elgort, Lily James, Kevin Spacey, Jon Hamm, Jamie Foxx, Jon Bernthal, Eiza Gonzalez (1 h 53).

Roger Corman : « Je fais partie des sprinteurs »Le cinéaste américain à l’œuvre prolifique était l’invité du Festival international du film de Marseille

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0123MERCREDI 19 JUILLET 2017 culture | 17

Dans les non-dits de l’enfanceCarla Simon évoque la nouvelle vie d’une fillette qui vient de perdre sa mère

ÉTÉ 93ppvv

Le premier long-métragede la Catalane Carla Si-mon peut se présentercomme la chronique esti-

vale d’une petite fille de 6 ans dont les parents sont morts. Ceserait pourtant passer à côté du film que de le réduire à un sujet aussi écrasant. La beauté de ce coup d’essai tient à ce que l’on ne sait, de prime abord, pas bien dequoi il retourne. Son véritable su-jet, beaucoup plus secret, se situe dans les interstices du film, et nese précise que dans la durée, bien qu’un indice nous soit donné dès la première scène, lorsque l’on dé-couvre la petite Frida jouant avec d’autres gamins dans une rue deBarcelone. L’un d’eux lui lance :« Pourquoi tu ne pleures pas ? »Question apparemment anodine qui trouvera un écho boulever-sant à l’autre extrémité du film.

Le parti pris de Carla Simon seprésente avec l’évidence et la force de sa simplicité : filmer à hauteur d’enfant. La caméra s’ar-rime donc à Frida, sans nous ex-pliquer le bouleversement que l’on perçoit autour d’elle. Les « grands » s’affairent, on range tout comme en vue d’un démé-nagement, on s’échange des mes-ses basses. Voilà Frida subitementtransbahutée de la ville à une grande maison de campagne,auprès d’une nouvelle famille,constituée de son oncle Esteve, desa tante Marga, et de leur petitefille de 3 ans, Anna. En se rangeantdu côté de l’enfant, la mise enscène adopte son point de vue parcellaire et incomplet sur lesévénements. Nous ne devinons que par bribes qu’elle a perdu ses parents. Les carences du récitrenvoient évidemment au non-dit que les adultes font peser sur l’enfant, à ce qu’ils lui taisent en pensant l’épargner.

Entre souvenirs et latences

Le récit se cale ensuite sur l’écou-lement ordinaire des vacancesd’été. Le temps passé à jouer de-hors, les baignades, les repas en famille, les fêtes de village et lesbals populaires. Des faits anodins dont Carla Simon s’empare en bloc comme d’une matière affec-tive, qui se teinte de la qualité ré-trospective du souvenir (l’actionse déroule dans les années 1990, évoquant la propre enfance de la réalisatrice). Le film se vit à la fois comme une célébration du mo-ment présent et des impressions qu’il délivre (la nature bruissante,la chaleur du soleil, les saveurs, la musique), mais aussi comme le flottement d’une douleur sus-pendue qui tarde à s’affirmer.

En effet, Frida ne paraît pas fran-chement affectée par la mort de sa mère ; elle l’est indirectement.Cette mort ne cesse de se rappelerincidemment à elle, dans la pré-venance ostensible des adultesou dans le suivi médical dont elle fait l’objet. La violence d’une telle disparition rejaillit par bouffées soudaines dans le comportementde la petite fille, plein de brusque-ries et de gestes inconsidérés, no-tamment envers Anna, sa cadette,qu’elle met en danger plus d’unefois. Le film doit beaucoup de sa vérité psychologique à son obser-vation patiente des deux fillettes, très jeunes actrices que CarlaSimon laisse vivre devant la ca-méra au cours de longues prises alertes, sculptées dans une image aux contrastes solaires.

Le film décrit surtout l’apprivoi-sement mutuel entre les mem-bres d’un foyer recomposé par la force des choses. En effet, l’atti-tude revêche de la petite fille sus-cite la crispation croissante de sesparents de substitution, peut-êtrebientôt leur rejet. La mise en scène prête attention aux ajuste-ments affectifs de chacun, tou-jours susceptibles de se renverser.

La résolution du film passe par la conquête d’un espace de confi-dence entre l’enfant et l’adulte, comme par la possibilité de nom-mer enfin les douleurs enfouies.

A terme, Eté 93 s’avère un beaufilm sur les puissances du refou-lement. Le travail imperceptible

qui s’opère dans la psyché deFrida n’est autre que le lent et tor-tueux cheminement d’une émo-tion contenue qui finit par éclaterau grand jour. Elle se commu-nique au spectateur au terme d’une épopée affective où le para-dis perdu de l’enfance et les cimes

du désespoir n’auront jamaisparu aussi proches. p

mathieu macheret

Film espagnol de Carla Simon. Avec Laia Artigas, Paula Robles, Bruna Cusi, David Verdaguer (1 h 34).

La jeune Frida (Laia Artigas) et ses nouveaux parents, Esteve (David Verdaguer) et Marga (Bruna Cusí). PYRAMIDE

DISTRIBUTION

Moi, moche et méchant 3 2 806 000 877 ↓ – 42 % 2 734 940

Spider-Man : Homecoming 1 802 255 808 802 255

The Circle 1 121 473 307 121 473

Transformers 3 116 090 829 ↓ – 52 % 1 246 271

Baywatch 4 97 101 619 ↓ – 41 % 1 404 491

Wonder Woman 6 62 378 375 ↓ – 43 % 2 061 306

Mission Pays basque 1 55 122 287 55 122

Pirates des Caraïbes 8 50 208 347 ↓ – 34 % 3 481 099

La Momie 5 50 000 405 ↓ – 45 % 1 307 663

Le Caire confidentiel 2 47 364 126 ↓ – 12 % 121 892

Nombrede semaines

d’exploitationNombre

d’entrées (*)Nombre

d’écrans

Evolutionpar rapport

à la semaineprécédente

Totaldepuis

la sortie

AP : avant-premièreSource : « Ecran total »

* EstimationPériode du 12 au 16 juillet inclus

L’arrivée de Spider-Man n’y a rien fait : pour sa deuxième semaine d’exploitation, Moi moche et méchant 3 se maintient en pole position. Avec 806 000 entrées, il avance d’un pas assuré.Le sixième opus des aventures de l’homme-araignée a beau avoir séduit les critiques, il doit se contenter de la seconde place. Dansce contexte estival, où la fréquentation reste globalement à la peine, ceux qu’on a coutume de désigner comme les « grands auteurs » s’en tirent moins mal que les autres. Si fatigués soient-ils, Terrence Malick, avec l’éprouvant Song to Song, et Emir Kusturica, avec le caricatural On the Milky Road, prouvent qu’ils ont encoreun vivier de fidèles.

LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE

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NE K Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde. fr

ppvv À VOIRLa Région sauvageFilm mexicain, danois, français, allemand, norvégien et suisse, d‘Amat Escalante (1 h 39).Le jeune réalisateur mexicain Amat Escalante introduit dans son univers néo-bunuelien un élément nouveau, le fan-tastique, par le biais d’une bête venue de l’espace, qui sembleprogrammée pour le plaisir. Ce qui n’empêche pas les accidents mortels, la créature se lassant assez vite. Si le cœur du filmd’Escalante se trouve dans l’antre de la bête, une certainefaiblesse dramaturgique touche, en revanche, au dispositifhumain qu’il dispose à son entour. Manquent des personnages et des rapports humains un peu plus complexes autour d’une idée très séduisante qui peut, à elle seule, valoir le détour. p j. ma.

pvvv POURQUOI PASAfrika Corse, les aventuriers du trésor nazi perduFilm français de Gérard Guerrieri (1 h 30).Rapporté par Rommel en Allemagne, le trésor de l’Afrika Korps, fruit du pillage de l’Afrique du Nord par les nazis, s’était égaré en Corse. Trois frères l’apprennent à la mort de leur mère, en 1974, et l’un d’eux est le fruit des amours de la dame avec un officier nazi, partant le légataire dudit trésor. Mais lequel ? Ce suspense lance le troisième long-métrage de Gérard Guerrieri, roi du cinéma bis insulaire, lui-même légataire de l’esprit de l’immarcescible Claude Zidi (Les Bidasses en folie),relevé par un zeste de Guillermo del Toro. Goût du navrantet distanciation exigée. p j. ma.

BarrageFilm luxembourgeois et belge de Laura Schroeder (1 h 50).Ce second film d’une metteuse en scène luxembourgeoiseofficiant autant au cinéma qu’au théâtre, offre une curieuse plongée dans les méandres de la relation mère-fille. Après dix ans d’absence, une jeune femme enlève sa fille et s’en-ferme quelques jours avec elle dans un chalet de famille, au bord d’un lac. Si la première partie est intrigante, révélant unefolie inquiétante dans le personnage de la mère, le film semble ne pas savoir quoi en faire et tourne bientôt à vide. p m. ma.

Tom of FinlandFilm finlandais, danois, suédois, allemand, américain, de Dome Karukoski (1 h 56).Quelques années avant que Scorpio Rising, de Kenneth Anger, ne consacre sur pellicule l’érotique du motard cuir tout en muscles, un dessinateur finlandais, Tom Holland, lui avait donné sa forme originale. Ses dessins allaient faire le tourdu monde, mettant le feu aux poudres de l’imaginaire des gays dans le monde entier. En retraçant le parcours de ce personnage, depuis la seconde guerre mondiale où il combat-tit sur le front russe, officier d’une armée finlandaise alliée avec les nazis, jusqu’à sa célébration à San Francisco et ailleurs comme héros de la libération homosexuelle, ce biopic ne rend justice ni à son personnage ni à la vitalité de cette révolution, dont il fut l’une des grandes icônes. p i. r.

Un vent de libertéFilm iranien de Behnam Behzadi (1 h 24).Célibataire, Niloofar, 35 ans, vit à Téhéran avec sa mère qui souffre de problèmes respiratoires. Son frère et sa sœur choi-sissent d’emmener celle-ci vivre à la campagne avec Niloofar.Cette dernière, jusque-là docile, va se révolter contre cettedécision, qui suppose qu’une femme célibataire n’a rien de mieux à faire que de s’exiler à la campagne. Si Un vent de liberté trouve un moyen habile de traiter dans une même trame narrative de problématiques sociétales (pollution, statut des femmes célibataires en Iran), le film finit par un peu tropsystématiser son dispositif. Lorgnant du côté du cinémavolubile d’Asghar Farhadi, Behnam Behzadi finit par neproposer qu’une correcte imitation. p m. j.

NOUS N’AVONS PAS PU VOIRLa ColleFilm français d’Alexandre Castagnetti (1 h 31).

Sales gossesFilm français de Frédéric Quiring (1 h 28).

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18 | culture MERCREDI 19 JUILLET 2017

0123

Derrière la belle façade en verre, la tragédieSimon Stone donne, dans le « in » d’Avignon, un spectacle écrit à partir des pièces d’Henrik Ibsen

THÉÂTREavignon - envoyée spéciale

La vedette, c’est elle : unebelle maison de verre, debois et de métal, quitrône au milieu de la

cour du lycée Saint-Joseph, undes lieux emblématiques du Fes-tival d’Avignon. C’est elle, encore,qui donne son titre au spectacle –Ibsen Huis (« La Maison d’Ibsen »)– que présente Simon Stone, lejeune metteur en scène qui monte, Australien d’origine,mais qui travaille principale-ment à Amsterdam, avec Ivo vanHove et sa troupe, et vient pour lapremière fois à Avignon. Et c’est elle, avec ses habitants, les fabu-leux acteurs du Toneelgroep Amsterdam, qui a été très ap-plaudie samedi 15 juillet, lors de la première d’Ibsen Huis.

Ce spectacle ambitieux, quitient ses promesses sur le plan théâtral, peut susciter des réser-ves sur le fond. Il ne faut pas trop ychercher Henrik Ibsen, du moins pas comme on pourrait le croire, au vu du titre du spectacle. Legrand dramaturge norvégien, et

notamment ses pièces Solness leconstructeur, Le Canard sauvage et Les Revenants, a bien servi depoint de départ à Ibsen Huis, maisil ne s’agit pas ici d’un montage deses textes. Simon Stone, en com-pagnie de ses acteurs, a écrit son propre spectacle.

D’une époque à l’autre

C’est la vie d’une famille que l’on découvre, derrière les parois de verre de la maison, qui est cons-truite sur un plateau tournant, et laisse ainsi voir alternativement ses différentes pièces, jouant dece qui est montré et de ce qui est caché. Cette famille tourne autour d’un personnage dévo-rant et pervers, Cees Kerkman. C’est lui qui a construit, en 1964, cette maison révolutionnaire,inspirée par toute une histoire de la modernité architecturale. De-puis, il est devenu un architectecélèbre et couvert de prix, et unogre qui a fait de sa maison, qui aurait dû être un havre de bon-heur, le foyer de la tragédie.

En trois actes, le paradis, le pur-gatoire et l’enfer, le voile se lèvepeu à peu sur les secrets de fa-

mille, les ravages de la cruauté, dunon-dit et de la culpabilité, et la malédiction qui enchaîne une gé-nération à l’autre. La pièce est bâ-tie autour de l’affrontement tita-nesque, quasi mythologique, en-tre Cees Kerkman et sa nièce, Ca-roline, une figure de femme absolument magnifique, une hé-roïne aussi ravagée que détermi-née à dire la vérité qui se cache derrière la belle façade en verre dela maison au bord de la mer.

Simon Stone passe avec virtuo-sité d’une époque à l’autre, en

d’incessants allers-retours tem-porels entre 1964 et 2017. S’ilraconte sa propre histoire, il le fait bien dans la maison de théâ-tre édifiée par Henrik Ibsen. Le dramaturge norvégien avait fait entrer la tragédie, avec sesdieux et ses héros, dans les sa-lons et les chambres à coucherde la bourgeoisie du XIXe siècle.Simon Stone la fait pénétrer dans les maisons en kit, avecleurs open spaces de rigueur, de notre modernité.

L’architecture est, bien en-tendu, ici une métaphore de l’artdramatique, et Simon Stone s’attache à montrer comment la maison Ibsen peut être un foyer pour un théâtre psychologiqued’aujourd’hui. Et c’est là que le bâtblesse – un peu. La maison est parfaitement construite – sa-luons au passage la scénographe qui l’a conçue, Lizzie Clachan –,mais n’a-t-elle pas la légèreté de beaucoup d’édifices contempo-rains ? Le texte de la pièce appa-raît par moments bien bavard et trivial, et sa psychologie un peutrop appuyée. L’écriture collec-tive, à partir d’improvisationsmenées sur le plateau, tellement

à la mode aujourd’hui, ne rem-place pas toujours un véritable auteur, un poète de la scène comme l’était Henrik Ibsen. On aimerait ne pas penser qu’il y a quand même là-dedans un petit côté tragédie en kit…

Un monstre

Heureusement, la force théâtrale, la dimension du mythe et dudestin, est ramenée par les ac-teurs, ces comédiens du Toneel-groep Amsterdam, qui formentaujourd’hui une des meilleures troupes d’Europe. Des acteurs monstres, des bêtes, des athlètesaffectifs de premier ordre, en tête

desquels s’inscrit, ici, Janni Gos-linga, qui fait de Caroline un per-sonnage inoubliable dans sa rage d’embrasser la vie malgré ce qu’elle peut avoir de plus sordideet de plus destructeur.

Et puis il y a Hans Kesting, dansle rôle de Cees Kerkman. Il a joué Richard III, sous la direction d’Ivovan Hove, et Max Aue, le nazi des Bienveillantes, de Jonathan Littell, sous celle de Guy Cassiers. Il est l’acteur qui, de nos jours, incarne avec un cocktail inédit de puis-sance et de sensibilité la part d’hu-main qui se loge dans les person-nages les plus abjects. Il donneraitune dimension shakespearienne à n’importe quel monstre ordi-naire. Et c’est ce qu’il est, Cees Ke-rkman : un monstre – presque – ordinaire, comme il en existe dans nombre de familles, depuis la nuit des temps et du théâtre. p

fabienne darge

Ibsen Huis (La Maison d’Ibsen), d’après Henrik Ibsen, par Simon Stone. Cour du lycéeSaint-Joseph, à 21 heures, jusqu’au 20 juillet.Tél. : 04-90-14-14-14. Durée : 3 h 45. En néerlandais surtitré.

De gauche à droite : Celia Nufaar, Hans Kesting et Maria Kraakman devant la « maison d’Ibsen ». FRANCK PENNANT/AFP

La pièce est bâtie

autour

de l’affrontement

titanesque, quasi

mythologique,

entre

Cees Kerkman

et sa nièce

« Les Bonnes », de Jean Genet, passées à la moulinette de la modernitéAu Festival d’Avignon, la metteuse en scène britanniqueKatie Mitchell réécrit la pièce et la noie sous les poncifs

THÉÂTREavignon, envoyée spéciale

I l y a des spectacles qui repré-sentent une prétendue « mo-dernité » d’aujourd’hui et

peuvent, pour cette raison même, aller de festival en festival. Ils ne fe-ront de mal nulle part. Ni de bien. Et seront vite oubliés. Les Bonnes entrent dans cette catégorie. C’est une création de la Britannique Katie Mitchell, qui a travaillé avec des acteurs du Toneelgroep d’Amsterdam. Elle réunit tous les travers de la « modernité ».

Le premier tient au texte. Dans leprogramme du spectacle, il est écrit qu’il est « de » Jean Genet.« D’après » Jean Genet eût été plus juste, car Katie Mitchell prend beaucoup de libertés avec la pièce, qu’elle réécrit en partie, dans un langage commun. Ce faisant, elle nous prive d’un style admirable, difficilement dissociable du pro-pos : un jeu de rôle vertigineux surla domination, le désir d’ordre et le fantasme du meurtre, à travers les relations entre deux domesti-ques et leur très riche patronne.

Second point : Katie Mitchelltranspose la pièce aujourd’hui, àAmsterdam. Pour la metteuse en scène, Claire et Solange, les sœurs,sont des émigrées venues de Pologne, des exploitées dans l’Eu-rope d’aujourd’hui – voilà pourl’intention bien-pensante. Claireet Solange parlent entre elles leur langue maternelle, et passent au néerlandais quand elles sont avecMadame, qui n’est pas une femme, mais un travesti.

Une Madame d’un bon 1,80 mRien de nouveau sous le soleil. Madame a déjà été jouée par un travesti (ou même les deux sœurs). La nouveauté, c’est la jus-tification de Katie Mitchell : « Laféministe en moi se refusait à ra-conter l’histoire d’une femme op-primant d’autres femmes », dé-clare la metteuse en scène. Lesbras vous en tombent, comme tombent les masques des justifi-cations de Katie Mitchell envoyant le spectacle.

Tout se passe dans une grandechambre blanche et luxueuse,avec un dressing, où Katie Mit-

chell déroule ses intentions demise en scène avec un savoir-faire indéniable. Mais ce savoir-faire ne dérange pas l’esprit du spectateur. Habillages, désha-billages, jets de mots empreintsd’une psychologie à des années-lumière du strip-tease macabre de Jean Genet ; effets appuyés dela domination d’une Madamed’un bon 1,80 m sur des bonnesen blouse Nylon… Même dans laviolence, et malgré le talent destrois comédiens, tout est lisse, et tout glisse sur le terrain de cette « modernité » en vogue qui en-tend refléter la dureté de la so-ciété d’aujourd’hui, mais ne faitque la reproduire confortable-ment. p

brigitte salino

De Meiden (Les Bonnes),de Jean Genet. Mise en scène : Katie Mitchell. Avec Thomas Cammaert, Marieke Heebink, Chris Nietvelt. L’Autre Scènedu Grand Avignon, à Vedène.Tél. : 04-90-14-14-14. De 10 €à 19 €. Les 20 et 21, à 15 heures. En néerlandais et polonais surtitré.

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0123MERCREDI 19 JUILLET 2017 télévisions | 19

HORIZONTALEMENT

I. Agréablement pour tout le monde.

II. Aller à l’encontre et à la rencontre.

Embarrasse certains mais pas la diva.

III. Leurs branches se déploient dans

les fonds. Ses fonds n’ont pas encore

délivré tous leurs secrets. IV. Sur la

portée. Fait des tours et des détours.

V. Ouvre les portes du travail. Fît des

tractions. VI. Manquer son but. Les

corps y sont libres, les têtes chargées.

VII. Jeune berger aimé de Cybèle.

Mise en place. VIII. Ruban africain.

Plaisant à lire. Pour maintenir en ve-

nant de la droite. IX. Limon des pla-

teaux. Dieu Lune vénéré à Ur. Bout de

gland. X. Préparées pour produire.

Avant la distribution.

VERTICALEMENT

1. Encadre l’ouverture. 2. Petite perte

de temps. 3. Dehors sous la Coupole.

Pour écrire ou tuer. 4. Ont disparu de

nos prairies et forêts. Introduit la li-

cence. Personnel. 5. On y met le pied

avant de partir. Enzyme. 6. Joliment

coloré. Préposition. 7. Facilite la trac-

tion. Dans les bourses romaines. 8. A

quitté le théâtre pour rejoindre les

franciscaines. Queue de persil. 9. Pos-

sessif. Prépare la planche. 10. Coupe

du monde. 11. Refus chez Vladimir P.

Tombe froidement. 12. Sur trois

temps dans les Pouilles.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 17 - 166

HORIZONTALEMENT I. Impraticable. II. Maradona. Aux. III. Ploient. Ob.

IV. Etc. RER. Sade. V. Nées. Riss. Rr. VI. Sedan. Gourât. VII. Urinal. Epi.

VIII. Bar. Gynécées. IX. Liège. Tillée. X. Ensorceleuse.

VERTICALEMENT 1. Impensable. 2. Maltée. Ain. 3. Procédures. 4. Rai. Sar.

Go. 5. Ader. Niger. 6. Toner. NY. 7. Intrigante. 8. CA. Soleil. 9. Ossu. Clé.

10. Baba. Réélu. 11. Lu. Drapées. 12. Expertisée.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

GRILLE N° 17 - 167

PAR PHILIPPE DUPUIS

SUDOKUN°17-167

7 2 3

5 8 9

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3 2 9 8 5 1 6 7 4

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M E R C R E D I 1 9 J U I L L E T

TF1

21.00 Blindspot

Série créée par Martin Gero. Avec Jaimie Alexander, Sullivan Stapleton, Rob Brown, Audrey Esparza(EU, saison 2, ép. 1 à 3/22).23.30 Flash

Série créée par Greg Berlanti, Andrew Kreisberg et Geoff Johns. Avec Grant Gustin, Candice Patton, Danielle Panabaker(EU, S3, ép. 1 à 3/23).

France 2

20.55 Boulevard du Palais

Série créée par Marie Guilmineau. Avec Anne Richard, Jean-François Balmer (Fr., 2014 et 2013, 2x100).

France 3

20.55 Des racines et des ailes

Passion patrimoine :Sur les rives de la CharenteMagazine présentépar Carole Gaessler23.25 Un temps de réflexion

Documentaire de Juliette Touin(Fr., 2016, 55 min).

Canal+

21.00 Elvis & Nixon

Comédie de Liza Johnson.Avec Michael Shannon, Kevin Spacey, Colin Hanks(EU, 2016, 80 min).22.20 L’Emission d’Antoine

Divertissement animépar Antoine de Caunes.

France 5

20.50 Une vie de chaton

Documentaire de Jackie Garbuttet Daniel Wan (GB, 2016, 85 min).23.25 Au cœur du cerveau

Avec le neurologue David Eagleman (GB, 2015, 45 min).

Arte

20.50 Her

Comédie dramatique de Spike JonzeAvec Joaquin Phoenix, Amy Adams et la voix de Scarlett Johansson(EU, 2014, 115 min).22.50 La Fiesta

Spectacle d’Israel Galvanen direct d’Avignon.

M6

21.00 Zone interdite

Vendeurs sur les marchés de l’été : deux mois pour réussir.Magazine présentépar Ophélie Meunier.

La famille très sexuelle de « Casual »La saison 3 de la série créée par Zander Lehmann est jugée meilleure que la précédente

CANAL+ SÉRIESMERCREDI 19 – 23 H 20

SÉRIE

Les deux séries familialesnord-américaines « feelgood » du moment sontThis Is Us, créée par Dan

Fogelman, et Casual, de Zander Lehmann. Après une deuxième diffusion par le Groupe Canal+(Canal+ après Canal+ Séries), la première saison de This Is Us con-firme qu’elle est un mélodrame larmoyant qui plaît d’autant plus à un large public que les identi-fications qu’elle propose au télé-spectateur sont multiples et d’unebien-pensance à l’irritante facilité.

En revanche, le trio composé,dans les trois saisons de Casual, par Alex (Tommy Dewey), sa sœur Valerie (Michaela Watkins) et Laura, la fille (Tara Lynne Barr)de cette dernière, est infiniment plus riche, plus subtil et, surtout,beaucoup plus dérangeant dansses comportements libertaires : à part le frère (qui jusqu’à main-tenant reste inflexiblement hété-rosexuel et n’a tenté qu’un « planà trois », mais non triangulaire),les deux femmes sont tentées parla relation avec une personne demême sexe.

Les allers-retours temporels deThis Is Us finissaient par agaceret semblaient une manière dedélayer le récit, dès lors quel’immense succès de sa première

saison a conduit la chaîne NBC àen commander immédiatementdeux autres ; le récit de Casual, qui continue calmement et li-néairement sa progression, nepratique pas les coups de théâtreet les ficelles trop attendus maisparvient, grâce au développe-ment par petites touches deson propos, lui aussi, mais de manière autrement convain-cante, à offrir des points d’identi-fication multiples.

L’agaçant rôle d’homme-enfanttrentenaire incarné par TommyDewey trouve un renouvellementbienvenu en ce qu’il est mis à l’épreuve dans sa vie profession-nelle et… sexuelle : Alex en pince pour une collègue de travail (quise trouve être aussi la directrice des relations humaines de la start-up où ce trentenaire fait presque office de vieux…). Mais, une fois au lit, l’expression de sa libido est en panne…

Valerie, psychanalyste de métiermais toujours psychologique-ment aux abois à la suite de son divorce, continue ses galipettes d’un soir où il lui arrive de se comporter comme le font beau-coup d’hommes amateurs de ren-contres « Kleenex » – plus élégam-ment dites « sans lendemain » (casual sex, « sexualité libre », en anglais – d’où le titre).

Mais elle retrouve Jack (KyleBornheimer), un amant croisé au

cours de la précédente saison, aveclequel elle semble pouvoir faire la paire et découvre des secrets fami-liaux assez bouleversants. Laura, sa fille, qui, encore mineure, avait déjà en elle une sorte de cynismebadin qui la protégeait de sa sexua-lité précoce et incertaine, tombe amoureuse (d’une femme).

Des dialogues joliment écrits

On ne dira pas que la saison 3 de Casual est ce qu’on a vu de plus ac-compli ces derniers mois dans le domaine de la série, loin de là.Mais si certaines scènes, voire cer-tains épisodes dans leur entier, peuvent ennuyer, son tempo réussit, avec de petits riens fine-ment ressentis et des dialogues jo-liment écrits, à soutenir l’intérêt.

Les dix premiers épisodes destreize que compte cette saison 3 de Casual, diffusée par Canal+ Sé-ries depuis le 24 mai (24 heuresaprès la diffusion aux Etats-Unis),assurent en tout cas qu’elle est meilleure que la précédente. Unequatrième saison n’a à ce jour pasété confirmée par le site de vi-sionnage à la demande Hulu. On dira cependant qu’elle ne nousparaît pas indispensable. p

renaud machart

« Casual », saison 3,série créée par Zander Lehmann.Avec Michaela Watkins, Tommy Dewey, Tara Lynne Barr, Nyasha Hatendi… (EU, 2016, 13 × 26 min).

Alex (Tommy Dewey), Rae (Maya Erskine) et Valerie (Michaela Watkins). LIONSGATE/HULU

Avortement : le cœur et la raisonQuatre femmes, sur le point de recourir à l’IVG, confient leurs doutes, leurs questionnements et leurs sentiments

FRANCE 3MERCREDI 19 – 23 H 25

DOCUMENTAIRE

C’ est un documentaireque devraient regarderceux qui pensent que,

depuis la loi sur l’interruption vo-lontaire de grossesse (IVG), l’avor-tement est devenu une chose ano-dine pour les femmes qui y ont re-cours. On les a encore entendus à l’occasion de la mort de Simone Veil (1927-2017). Le titre du film de Juliette Touin, Un temps de ré-

flexion, vaut autant pour eux que pour les femmes – auxquelles la loi n’impose plus ce délai de ré-flexion. Ce qui n’empêche ni les pressions ni les hésitations.

Les femmes qui témoignentsont toutes préoccupées, voire an-goissées, par le geste qu’elles vontfaire. L’une ne se sent pas assez mature, l’autre, 17 ans, ne saurait pas s’occuper d’un enfant. En en-tendant ces propos, certains peu-vent se demander pourquoi elles n’ont pas agi en amont, avec la contraception. Mais on apprend,

au planning familial, que les « troisquarts des femmes qui avortent avaient un moyen de contracep-tion. Mais ce n’est pas zéro risque ».

La plus émouvante des interve-nantes est une jeune femme qui vient avec son compagnon. Ils ont pris la décision ensemble. La jeunefille pleure. Elle « aime déjà beau-coup ce bébé ». Mais elle ne pour-rait pas l’élever. « Le fait de savoir que je ne vais pas le tenir dans mes bras me fait mal. Mais je sais aussi qu’il n’aurait pas été heureux comme je l’aurais voulu. »

Quand elle est avec le médecinqui va procéder à l’intervention, toujours avec son compagnon, elle a peur. « Est-ce qu’un jour je ne vais pas le payer ? » « Beaucoup disent que c’est une mauvaise chose. » Le médecin lui explique que grâce à la loi Veil, « au lieu de seretrouver seule à faire des choses dangereuses, on est en sécurité ».

Une autre annonce la nouvelle àune amie au téléphone : « Ta mère et ta grand-mère sont au courant ! Mes parents, moi, ils m’auraient déchirée. » « Mais ma grand-mère

quand elle l’a fait, ça n’était pas autorisé. » Elle est certainement heureuse que sa petite-fille échappe à ce qu’elle a dû endurer.

Et puis, il y a la mère du petit Os-car, 15 mois. Elle est encore en-ceinte. Trop tôt. « On a une vie de famille heureuse. C’est pour ça que c’est un crève-cœur. Et ç’aurait pu être une fille. Non, il ne faut pas y penser »… p

josyane savigneau

Un temps de réflexion, de Juliette Touin (Fr., 2016, 55 min).

V O T R ES O I R É E

T É L É

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SADurée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).

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20 | disparitions & carnet MERCREDI 19 JUILLET 2017

0123

Gilles MénageAncien préfet

C’est lui qui a géré lapart d’ombre deFrançois Mitterrand– lourde tâche, à la-

quelle, au nom de la raison d’Etat, il a incontestablement pris quel-que plaisir. Gilles Ménage, grand gaillard, un peu encombré dans une enveloppe trop ronde pourune intelligence si aiguë, avait un goût profond du secret, l’habi-tude d’être obéi, et un zeste par-fois de lassitude et de mépris. Di-recteur de cabinet du président dela République de 1988 à 1992, il a été, bien qu’il s’en soit toujours défendu, le maître d’œuvre des écoutes de l’Elysée. Il a finalementété condamné, en 2005, à six mois d’emprisonnement avecsursis et 5 000 euros d’amendepour « atteinte à l’intimité de la vie privée », un jugement con-firmé en cassation, en 2008.

La condamnation était mo-deste, mais la peine sévère, et Gilles Ménage ne s’en est jamaisrelevé. « C’est un homme qui ne se résume pas à ça, a protesté un deses proches, il a payé un peu pour le système », et singulièrement pour François Mitterrand. Il estmort dans l’ombre, un peu oublié déjà, mercredi 5 juillet, le jourmême de ses 74 ans.

La carrière est classique. Scien-ces Po, l’ENA, directeur de cabinet du préfet de Tarn-et-Garonne, puis du préfet de région. Préfet dela Haute-Vienne, il est nomméen 1974 conseiller technique du secrétaire d’Etat aux postes et té-lécommunications (déjà), avantd’en devenir chef, puis directeurde cabinet. Un an plus tard, il est chargé de mission auprès du pré-fet de Paris, puis, en 1977, direc-teur de cabinet du secrétaire général de la préfecture. En 1981,André Rousselet, directeur de cabinet de François Mitterrand,appelle le jeune sous-préfet comme conseiller. En 1982, il de-vient directeur adjoint de cabinet,puis directeur de cabinet de l’Ely-sée, le 20 juin 1988.

Il plonge très vite dans le bainalors que l’été 1982 est secoué par une première vague d’attentats. François Mitterrand impose la création de la cellule antiterroriste de l’Elysée, sorte de corps franc sous le commandement du gen-darme Christian Prouteau, dont Gilles Ménage doit suivre les acti-vités, et bientôt les dérapages. Le plus fameux intervient le 28 août 1982 avec l’arrestation des Irlandais de Vincennes, où il appa-raît que la cellule a placé des explo-sifs dans leur appartement pour justifier son intervention.

La tempête arrive dix ans plustard, avec la révélation par Libéra-

tion, en 1993, d’une centained’écoutes illégales, entre le 6 jan-vier 1983 et le 9 janvier 1986 – jus-qu’à la cohabitation. Gilles Mé-nage assure sans broncher « tout ignorer » de ces pratiques, mais sa défense s’effondre lorsque est dé-couverte une note de sa main où il demande « que l’on “s’occupe” sérieusement de l’avocat Me An-toine Comte », défenseur des Ir-landais. « 46 ? ! », écrit en marge la cellule – 46 étant le code habituel des écoutes administratives.

Au service de Mitterrand

En avril 1997, Gilles Ménage, aprèss’être abrité quatre ans derrière le secret défense, reconnaît qu’ont bien été écoutés « un avocat, desjournalistes et des écrivains ». Le plus surveillé (662 conversations)est Edwy Plenel, au Monde (et aujourd’hui président de Media-part), à la demande de François Mitterrand lui-même. Gilles Mé-nage voyait même dans le journa-liste… un agent de la CIA. Jean-Edern Hallier, qui menaçait de rendre publique l’existence deMazarine, la fille cachée du prési-dent, a été lui aussi longuement écouté, comme 150 autres per-sonnes, de Carole Bouquet à Me Francis Szpiner, le propre avo-cat de Christian Prouteau.

L’ancien directeur de cabinet,qui craint bientôt de porter le cha-peau à lui tout seul, assure alors que c’est tout « l’appareil d’Etat »qui a fait les écoutes, ministère dela défense et cabinet de l’Elysée in-clus. Mais, pendant dix ans, c’estbien lui qui a cherché, en traquantles fuites, à « restaurer la primautéde l’Etat face à certains désordres nés de la progression du journa-lisme d’investigation », comme il l’écrit dans son austère mémorial,L’Œil du pouvoir (Fayard).

De 1992 à 1995, Gilles Ménageest nommé à la présidence d’EDF ;il est ensuite candidat mal-heureux aux municipales à Pen-ne-d’Agenais (Lot-et-Garonne), avant de devenir, à partir de 2003,secrétaire général de l’InstitutFrançois-Mitterrand, lui qui a tou-jours confondu le service de l’Etatet celui de son chef. p

franck johannès

5 JUILLET 1943 Naissance à Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine)1988 Directeur de cabinet à l’Elysée1992-1995 Président d’EDF2005 Condamnation dans le procès des écoutes5 JUILLET 2017 Mort le jour de ses 74 ans

En 2005. JOEL SAGET / AFP

Société éditrice du « Monde » SAPrésident du directoire, directeur de la publicationLouis DreyfusDirecteur du « Monde », directeur délégué de lapublication,membre du directoire Jérôme FenoglioDirecteur de la rédaction Luc BronnerDirectrice déléguée à l’organisation des rédactionsFrançoise TovoDirecteur de l’innovation éditoriale Nabil WakimDirecteurs adjoints de la rédaction Benoît Hopquin,Marie-Pierre Lannelongue, Virginie Malingre,Cécile PrieurDirection éditoriale Gérard Courtois, Alain Frachon,Sylvie KauffmannRédaction en chef numériquePhilippe Lecœur, Michael SzadkowskiRédaction en chef quotidienMichel Guerrin, Christian MassolDirecteur délégué au développement du groupeGilles van KoteDirecteur du développement numériqueJulien Laroche-JoubertRédacteur en chef chargé des diversificationséditoriales Emmanuel DavidenkoffChef d’édition Sabine LedouxDirecteur artistique Aris PapathéodorouPhotographie Nicolas JimenezInfographie Delphine PapinMédiateur Franck NouchiSecrétaire générale du groupe Catherine JolySecrétaire générale de la rédaction Christine LagetConseil de surveillance Pierre Bergé, président,Sébastien Carganico, vice-président

AU CARNET DU «MONDE»

Décès

Saint-André-les-Alpes. Nice. Paris.Yane Honnorat,

sa sœur,Elisabeth Cornet,

sa nièce,et sa famille

Henri et François Novel,ses neveuxet leurs familles,

Monique Siméon, Christian Graeffet leurs familles,

Simone Pergetet sa famille,

Eliane et Jacques Rouvieret leur famille,ont la douleur de faire part du décès de

M. Jean HONNORAT,ministre plénipotentiaire,

oficier de la Légion d’honneur,ambassadeur de France,

survenu à Dignes-les-Bains,le 12 juillet 2017,à l’âge de quatre-vingt-treize ans.

Les obsèques religieuses ont eu lieuce mardi 18 juillet, à 14 h 30, en l’églisede Saint-André-les-Alpes, suiviesde l’inhumation à l’ancien cimetièredu village.

Ni leurs ni couronnes.Cet avis tient lieu de faire-part.

Sylvie Jullien,sa mère,

Nicole, Gilbert, Alain, Rémi, Marc,Emmanuelle et Véronique,ses frères et sœurs,leurs conjoints et leurs enfants,ont la tristesse de faire part du décès de

Laurent JULLIEN,le 14 juillet 2017.

Les obsèques auront lieu jeudi20 juillet, à 14 heures, au crématoriumde Villetaneuse.

Jean-François et Jacques,ses ils,

Anita,son épouse,ont la tristesse d’annoncer le décès de

André LAROUZÉE,chevalier

dans l’ordre des Palmes académiques,survenu le 14 juillet 2017,dans sa quatre-vingt-cinquième année,des suites d’une longue maladie faceà laquelle il a assuré jusqu’au bout.

Son corps repose au funérariumd’Arnay-le-Duc.

Une bénédiction aura lieu en l’églisede Créancey (Côte-d’Or), le mercredi19 juillet, à 15 heures, avant soninhumation.

Catherine et Robert Philip,Nicole et Antoine Lonnet,Philippe Lonnet,

ses enfants,Marie-Pierre, François,Simon et Aude, Germain et Manue,

Élise, Pierre,ses petits-enfants,

Rémi, Carmen, Agathe, Nicolas,ses arrière-petits-enfants,

Françoise,qui l’a accompagnée jusqu’à la in,

ont la tristesse d’annoncer le décès de

Mme Francine LONNET,survenu à Paris, le 14 juillet 2017,dans sa quatre-vingt-dix-huitième année.

Selon sa volonté, les obsèques ont eulieu dans la plus stricte intimité familiale.

Les éditions MagnardDilisco Diffusion et Distribution,

Le groupe Albin Michel,

ont la tristesse de faire part du décès de

Louis MAGNARD,président-directeur général

des Éditions Magnard (1973-1993),

survenu le dimanche 9 juillet 2017,à Trouville-sur-Mer.

La cérémonie religieuse et l’inhumationont eu lieu, selon ses vœux, dans l’intimité,le 17 juillet, à Sèvres (Hauts-de-Seine).

Ils s’associent à la douleur de safamille.

Paris. Trouville-sur-Mer (Calvados).

Claudie Magnard-Brunet,son épouse,

Bertrand, Isabelle, Stéphane,ses enfants,et leurs conjoints,

Léonard, Sara, Albertine,Paul et Claude,Lola, Gabrielle,

ses petits-enfants,

Thérèse Roche,Elisabeth Desbeaux (†),Michel, Éric, Benjamin-Patrice,

ses sœurs et frères,François Roche,Yves Desbeaux (†),Bernard et Elisabeth Brunet,

ses beaux-frères et belle-sœur,

Ses neveux, nièces,petits-neveux et petites-nièces,

Les familles Brunet, Roche, Desbeaux,Cahen,

Ses amis,

ont la tristesse de faire part du décès de

Louis MAGNARD,président-directeur général

des Éditions Magnard (1973-1993),chevalier de la Légion d’honneur,

chevalier de l’ordre national du Mérite,lieutenant-colonel de réserve,

survenu le dimanche 9 juillet 2017,à Trouville-sur-Mer,dans sa quatre-vingt-quatrième année.

La cérémonie religieuse et l’inhumationont eu lieu, selon ses vœux, dans l’intimité,le lundi 17 juillet, à Sèvres (Hauts-de-Seine).

Cet avis tient lieu de faire-part.

[email protected]

Les Éditeurs d’Education

expriment leur profonde émotion,à l ’ annonce de l a d i s pa r i t i on ,le 9 juillet 2017, de

Louis MAGNARD,PDG des Editions Magnard,

de 1973 à 1993et membre fondateur, en 1985,de l’association Savoir Livre,

devenue aujourd’huiles Editeurs d’Education.

Saluant son engagement décisifau service du livre scolaire, ses collègueset confrères présentent leurs plussincères condoléances à sa familleet à ses proches.

Zoé et Marine Malberg,ses petites-illes,

Catherine Vieu-Charier,sa compagne,

ont la douleur de faire part du décès de

M. Henri MALBERG,ancien président du groupe communiste

au Conseil de Pariset dirigeant communiste,

survenu le 13 juillet 2017, à Paris.

Ses obsèques auront lieu le samedi22 juillet, à 11 h 30, au mur des Fédérésdu cimetière du Père-Lachaise, 71, ruedes Rondeaux, à Paris 20e.

Laurent, Anne-Sophie et Dominique,ses enfants,

Jérémy, Grégoire, Guillaume, Hélèneet Vincent,ses petits-enfants,

Ses arrière-petits-enfants,Eve-Marie Rokseth,

sa belle-sœurEt toute la famille,

ont la tristesse de faire part du décès de

André PADOUX,directeur de recherches honoraire

au CNRS,

survenu à Paris, le 16 juillet 2017,dans sa quatre-vingt-dix-huitième année.

Les obsèques auront lieu dans l’intimitéfamiliale.

« Au commencement était la Parole,et la Parole était avec Dieu,

et la Parole était Dieu. »Jean 1:1.

Cet avis tient lieu de faire-part.

15, rue Séguier,75006 Paris.

Arles.

Sa femme,Ses enfantsEt ses belles-illes,Ses petits-enfants,Ses arrière-petits-enfants,

Les famil les Rabaud, Renouf ,Dautheville-Guibal et Du Pasquier,

ont la tristesse d’annoncer le décès du

docteur Paul RABAUD,survenu à son domicile, le 12 juillet 2017.

L’inhumation a eu lieu à Cliousclat(Drôme).

Claude,sa femme,

Agnès et Elsa,ses illes,

Didier,son gendre,

Rémi, Alice et Enkhe,ses petits-enfants,

Ses parentsEt ses idèles amis,

ont la douleur de faire part de décès de

Louis RAYMOND,dit Raymond,

photographe, spéléologueet préhistorien passionné.

à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.

Victime d’un terrible incendie,il a affronté et surmonté durant de longsmois l’épreuve de ses brûlures avecdignité, ténacité et un immense courage.Sa guérison était toute proche, maisson cœur a lâché subitement au matindu 12 juillet 2017.

Son ouverture d’esprit, son honnêtetéintellectuelle, sa bienveillance, sa curiosité,son humour, sa distraction légendaireont enchanté nos cœurs.

Ses obsèques civiles auront lieule 22 juillet, à 11 h 30, au cimetièrede Saint-Paul à Pujos (Haute-Garonne),dans ce Comminges qui l’a vu grandiret qu’il chérissait tant.

Contact : [email protected]

Toute sa famille,Son frère,Sa nièce, ses neveux,Ses petites-nièces et petits-neveuxAinsi que ses proches

et ses compagnons de route,

ont la douleur de faire part du décès de

IsabelleSADOYAN BOUISE,

survenu à l’âge de quatre-vingt-neuf ans.

Les obsèques ont eu lieu en l’Égliseapostolique arménienne Saint-Jacques,295, rue André Philip, Lyon 3e, le lundi17 juillet 2017.

L’inhumation a eu lieu au cimetièrede Saint-Hilaire-de-Brens (Isère).

Condoléances sur registre.

PF. ANI Décines Charpieu.Tél. : 04 78 23 11 19.

Les familles Lelorrain, Cardinaudet Steyaert,

Ses petits-enfantsEt ses arrière-petits-enfants,Mme Locatelli « Tita »,

ont la tristesse de faire part du décès,le 6 juillet 2017, dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année, de

Mme Marguerite STEYAERT,née JAMOIS,

chevalierdans l’ordre des Palmes académiques.

Ses obsèques ont eu lieu dans l’intimitéfamiliale, dans sa paroisse de Notre-Damedu Perpétuel Secours, Paris 11e.

Louis-Albert Steyaert et Sylvia Favre,7, rue Erard,75012 Paris.Anne-Marie et Didier Lelorrain,21, boulevard Victor Hugo,93400 Saint-Ouen.Marie-Hélène et Bernard Cardinaud,111, avenue Charles Dulos,92270 Bois-Colombes.

Commémoration

Commémoration de la déportationdes Juifs de France par l’association« Les Fils et Filles des Déportés Juifsde France » et le Mémorial de la Shoah,avec le soutien de la Fondation pourla Mémoire de la Shoah.

Cérémonies à la mémoire des827 déportés du convoi n° 8 partis, il y a75 ans , d’Angers pour le campd’extermination d’Auschwitz-Birkenau.

Jeudi 20 juillet 201712 heures : Cérémonie au Mémorial

de la Shoah, Paris 4e.

12 heures : Cérémonie au CentreSaint-Jean, 36, rue Barra à Angers.Départ en car du Mémorial de la Shoah,à 8 h 15.

Lecture des noms des déportésdu convoi n° 8.

Renseignements et inscriptions :Tél. : 01 53 01 17 18.Email : [email protected]

Page 21: 2 PAGES ENQUÊTE SUR LE QUOTIDIEN D’UNE MAISON DE …annesophiepelletier.eu/upload/Presse/le_monde_opalines.pdfScience & médecine Gaston, génie créateur 2 PAGES Russie 1917 Le

0123MERCREDI 19 JUILLET 2017 | 21

L’intelligence artificielle s’insinue dans l’analyse criminelleSCÈNES DE CRIME 1|6 Les logiciels qui aident les enquêteurs dans les dossiers complexes gagnent en autonomie

Il y a encore cinq semaines, Anacrim nedisait rien à personne. Et puis le 14 juin,l’affaire Grégory a rebondi, avec unenouvelle piste, de nouveaux témoins,

des mises en examen. Le responsable de ce coup de théâtre, trente-deux ans après la découverte du corps de l’enfant dans la Volo-gne ? « Le logiciel Anacrim », a clamé le chœur des observateurs. C’est lui qui avait pointé certaines contradictions et désigné les sus-pects oubliés. Après les empreintes digitales, les analyses balistiques, les écoutes télépho-niques et les traces ADN, la police scientifi-que opérait sa nouvelle révolution.

Dans son bureau flambant neuf du pôlejudiciaire de la gendarmerie nationale (PJGN), à Cergy-Pontoise, la lieutenante Léa Jandot, chef du département des sciences de l’analyse criminelle, ne cache pas sa frustra-tion. D’abord, Anacrim n’est pas un logiciel. « C’est une méthode de travail qui permet devisualiser les éléments importants dansl’ensemble des données contenues dans une enquête criminelle », indique-t-elle. Le logiciels’appelle ANB, pour Analyst’s Notebook, une solution informatique créée dans les années 1990 par une société canadienne, rachetée depuis par IBM. Ensuite, elle n’est pas tout à fait révolutionnaire. « Les Américains ont commencé à employer cette méthode dans lesannées 1970, puis les Anglais s’y sont mis et lesBelges, chez qui nous nous sommes formés », ajoute son collègue Christophe Krucker, ana-lyste criminel depuis vingt ans.

Surtout, « ce n’est pas un logiciel miracle,poursuit la gendarme. Ce sont les analystes et les enquêteurs qui trouvent les solutions. La machine est là pour nous assister dans lesdossiers particulièrement volumineux ou complexes. Nous permettre d’aller chercher l’information partout où elle se trouve et évi-ter d’être submergés ». Pour éviter la noyade,d’abord gonfler le gilet de sauvetage. Autre-ment dit, nourrir la machine. Les quelque350 analystes répartis partout en France– dont 10 au pôle national, à Paris – doivent reprendre chaque pièce du dossier et enextraire les informations importantes. Constatations, expertises, témoignages,interrogatoires, écoutes téléphoniques…Chaque détail factuel potentiellement utile est intégré. Un travail de fourmi, fastidieux et solitaire.

Tableau tentaculaire

ANB digère le tout et construit deux bases de données : l’une relationnelle, l’autre événe-mentielle. La première tisse un réseau entre tous les protagonistes – hommes et objets – du dossier. « Des rapprochements apparais-sent, que nous n’avions pas forcément soup-çonnés », précise Christophe Krucker. Et le

major d’exposer le tableau tentaculaire d’un trafic d’étrangers en situation irrégulière impliquant des dizaines de malfaiteurs répartis sur plusieurs pays des Caraïbes. « C’est complexe, mais sans un tel schéma, c’estincompréhensible », assure-t-il.

La deuxième base fabrique les « lignes devie » des « entités ». Personnes, véhicules, lieux, objets sont suivis au cours du temps. Travaux pratiques avec l’affaire Grégory ? « Le dossier est en cours », s’excuse Léa Jandot. Christophe Krucker prend le relais avec l’affaire dite du petit Valentin, retrouvé mort en 2008, à Lagnieu (Ain), le corps lardé de coups de couteau. « Un témoin était passé sur les lieux du crime à 23 h 45 sans voir le corps. Unautre avait entendu des cris d’enfant entre

23 h 50 et minuit. Pour les enquêteurs, le meur-tre avait eu lieu entre 23 h 45 et minuit, ce quiles orientait vers une piste familiale. » Appelé sur place, l’analyste criminel s’oblige à « tout regarder avec un œil neuf ». Et découvre qu’une ampoule brille plus fort que les autres. « Elle avait été changée. Le soir ducrime, elle était grillée. Le témoin ne pouvait donc pas voir le corps. » Frise temporelle à l’appui, il avance l’heure du crime de vingt minutes, ce qui conduit à réexaminer les images vidéo d’un distributeur de billets et découvrir un couple de marginaux itiné-rants, condamnés depuis. Et le cri ? « C’était celui de l’enfant qui avait découvert le corps. »

Francis Heaulme, Patrice Alègre, les dispa-rus de l’Yonne, la tuerie de Chevaline… Désor-mais, les gendarmes passent toutes leurs affaires de tueurs en série ou de réseaux ten-taculaires au filtre du logiciel. D’abord pour aider les enquêteurs à y voir clair. « On a dis-culpé des mis en cause, démonté des légen-des », insiste Christophe Krucker. Mais aussi pour faire œuvre de pédagogie auprès des magistrats et des jurés.

Le logiciel ne cesse de s’améliorer. Désor-mais, il rapproche les « entités concordantes »

(un même nom orthographié différemment, un compte en banque ou un téléphone avec ou sans le préfixe). Il représente par histo-grammes les statistiques d’activités (télépho-nes). Il analyse les intervalles temporels.

Mais le rêve se trouve ailleurs, deux étagesplus bas. Depuis six mois, cinq officiers et deux sous-officiers, tous ingénieurs, ont été regroupés dans un « département science des données » pour tenter d’automatiser la saisie. « La machine doit donc pouvoir lire les pièces de procédure, comprendre la nature des entités– personnes, noms, numéros de téléphone, adresses, dates et heures… –, les mettre en rela-tion et proposer des liens que les enquêteurs devront établir en procédure », explique le capitaine Nicolas Valescant. Potentiellement, une économie de temps considérable réaliséegrâce à l’intelligence artificielle et à la méthode dite de l’apprentissage profond, qui permet à la machine de construire son envi-ronnement en absorbant de nouvelles connaissances. « Le développement n’est pas achevé mais d’ici quelques mois, nous devrionspouvoir l’expérimenter », poursuit l’officier.

En Grande-Bretagne, la police des WestMidlands (centre de l’Angleterre) se prépare à tester Valcri. Ce système, conçu à l’univer-sité du Middlesex à Londres, peut lire aussibien les rapports de police et les expertises que les notes manuscrites des policiers, les vidéos de surveillance ou les relevés auto-matiques de plaques minéralogiques. Il en propose ensuite à l’analyste une synthèse sur deux écrans tactiles. Pour son apprentis-sage, Valcri a pu profiter de trois années de données anonymisées des policiers.

Pointer des incohérences, proposer deshypothèses mais aussi rapprocher des crimes éloignés dans le temps ou dans l’espace : les chercheurs anglais s’estiment « près du but ». « Nous nous concentrons désormais sur la boîte de montage, indique Neesha Kodagoda, chercheuse en informatique à l’université londonienne. L’analyste pourra y privilégier ses pistes de travail et même exprimer des dou-tes sur un résultat et voir les conséquences sur la chaîne d’hypothèses. » Un module devrait également proposer une répartition des tâches entre enquêteurs.

Restera à lever l’anonymat pour expéri-menter le dispositif en situation réelle. Et vaincre les préventions. « Nous acceptons10 % d’erreur humaine mais refusons1 % d’erreur à la machine », constate Nicolas Valescant. Pour l’analyse criminelle, l’heurede vérité approche. p

sandrine cabut et nathaniel herzberg

La semaine prochaine : le portrait-robot génétique.

« LA MACHINENOUS PERMET

D’ALLER CHERCHER L’INFORMATION

PARTOUT ET D’ÉVITER D’ÊTRE SUBMERGÉS »

CHRISTOPHE KRUCKERanalyste criminel

Le gaffophone, appeau à avalanches ?GASTON, GÉNIE CRÉATEUR 1|5 A l’occasion des 60 ans du personnage de Franquin, petite relecture de ses inventions à la lumière de la science

GASTON LAGAFFE n’aurait pas dû venir jouer du gaffophone au milieu des montagnes en hiver ! L’instru-ment a déclenché une énorme ava-lanche dont notre antihéros n’a échappé que de justesse. Ce désas-tre paru dans Lagaffe nous gâte (album no 8, 1970) n’est qu’une des nombreuses catastrophes provo-quées par la monstrueuse invention de Gaston – un instrument hybride entre une harpe africaine et une caisse de résonance en bois et peaux tendues, au son abominable.

Pourtant, au risque de décevoir les fans de Franquin, son créateur, aucune des calamités provoquées par le gaffophone n’est possible, hormis les atteintes au bon goût musical. En effet, la puissance de l’instrument est bien trop faible pour déclencher tous ces dégâts. Même erreur chez Hergé : dans l’al-bum de Tintin Le Temple du soleil, le capitaine Haddock crée une ava-lanche par un simple éternuement.

Deux chercheurs suisses ont démonté ces mythes des sons capables de déclencher des avalan-ches dans un article de 2009. Ben-jamin Reuter et Jürg Schweizer, de

l’Institut de recherche sur la neige et les avalanches de Davos, en Suisse, ont comparé les différentes causes possibles de départ de cou-lées de neige, et calculé la pression

exercée par une explosion, un bang supersonique et des cris. Résultat : les cris créent des pressions au moins cent fois plus faibles que les autres sources de pression, et

restent largement insuffisants pour entraîner une avalanche.

« Il faut une surpression d’au moins 200 pascals, correspondant à la pression exercée par une masse

de 20 kilogrammes sur une surface d’un mètre carré, dans une zone à risque, rappelle Pierre-Olivier Mattei, chercheur CNRS au labora-toire de mécanique et d’acoustique de Marseille. Or, un cri puissant de 100 décibels ne crée une pression que de 2 pascals. Même un avion au décollage, qui émet un son – insou-tenable lorsqu’on est près – de 140 décibels, est incapable de met-tre la neige en mouvement. Aucun son n’atteint 200 décibels, sauf celui des avions passant le mur du son. » D’ailleurs, les hélicoptères qui déposent les pisteurs chargés de sécuriser les pistes ne déclenchent pas d’avalanche. En revanche, un enfant de quelques dizaines de kilos qui skie sur la neige fragile crée assez de pression pour être à l’origine d’une avalanche.

Le gaffophone pourrait-il être lar-gement plus bruyant que les cris étudiés par les chercheurs suisses ?

Même si certaines sonorités sont tellement désagréables à nos oreilles qu’elles nous donnent l’impression d’être très puissantes, les énergies mises en jeu sont très faibles. Le gaffophone n’étant pas électrifié, la puissance créée par Gaston lorsqu’il pince la corde correspond à celle du mouvement de son doigt de quelques millimè-tres sur la corde. Soit quelques milliwatts, qui ne suffiraient pas à alimenter une lampe de poche. D’autant qu’il ne s’agit pas d’un instrument à corde frottée, où l’on produit constamment de l’énergie, mais à corde pincée, où l’énergie décroît dès que le son est émis.

Alors d’où vient ce mythe des sons à l’origine des avalanches ? Pour les chercheurs suisses, « en période de g rande instabilité, lors-que les avalanches sont fréquentes, il peut arriver qu’un cri coïncide avec le départ d’une avalanche, mais cela ne signifie pas que le cri en est à l’origine. » p

cécile michaut

La semaine prochaine :la machine à bilboquet.

CHRISTELLE ENAULT

L’été des sciences

Vignette tirée de l’album

de Franquin « Lagaffe

nous gâte » (Dupuis, 1970).

Page 22: 2 PAGES ENQUÊTE SUR LE QUOTIDIEN D’UNE MAISON DE …annesophiepelletier.eu/upload/Presse/le_monde_opalines.pdfScience & médecine Gaston, génie créateur 2 PAGES Russie 1917 Le

22 | MERCREDI 19 JUILLET 2017

0123

Un film encodé et stocké dans le génome de bactéries

Mâle dominant, une affaire de neuronesUne équipe chinoise est parvenue, chez la souris, à transformer un individu dominé en mâle alpha, avide de pouvoir, en activant un petit réseau de cellules dans le cortex

Dans l’imaginaire collectif,c’est une question de testos-térone. Mais les chosess’avèrent plus subtiles. Il

s’agirait d’abord, en réalité, d’une affairede neurones. Une histoire vieillecomme Hérode, en tout cas. Elle se joue sur le théâtre de la domination sociale.Son héros ? Le mâle dominant. Sur tou-tes les scènes du monde, elle donne à voir une lutte de pouvoir fascinante, monotone et vitale, chez presque toutesles espèces animales. Son enjeu final, auplan évolutif, est toujours le même : transmettre, aux générations futures, les gènes des mâles à succès – censés être les plus profitables à l’espèce.

Chez la souris, c’est un tout petit cir-cuit de neurones qui gouverne ce com-portement de « mâle alpha », montre une étude publiée dans la revue Science le 14 juillet. Une vidéo percutante, sur le site du journal, illustre ce jeu de pouvoir.Tout en révélant son déterminisme cérébral, manipulable. Car la stimula-tion répétée de ce réseau de neurones, chez le rongeur, transforme durable-ment un mâle dominé en dominant.

Dans ce film de 29 secondes, deuxsouris noires s’affrontent. Un combat de type « Guerre des étoiles ». Leursabre laser ? Une longue fibre optique,plantée dans leur cerveau. Les voici quis’avancent, face à face, en se faufilant dans un tube de plastique transparent.A gauche, le mâle alpha (mâle de rang 1). A droite, un mâle de rang 3 – unindividu subordonné, asservi, dans la hiérarchie sociale implacable qui gou-verne le monde des rongeurs commedes primates.

Offensive victorieuse

Voici maintenant nos deux souris nez à nez, têtes baissées. Elles se figent, se flai-rent. En garde ! Très vite, le mâle de gau-che glisse sa tête sous l’animal de droite.Puis il le pousse continûment, irrépres-siblement, vers la sortie. La souris dedroite tente de faire front. Mais elle ne peut résister à cette offensive impé-rieuse, conquérante, victorieuse.

Perdre un combat, cependant, ce n’estpas perdre la guerre ! La suite le prouve. Soudain, le sabre laser de la souris de droite s’illumine de bleu, par éclairs, une dizaine de fois. Et alors ? « L’espoirchangea de camp, le combat changea d’âme » (Hugo, L’Expiation, 1853). Ces flashs bleus ont activé un fin réseau de neurones, dans le cortex préfrontal del’animal, la zone la plus évoluée du cer-veau. Comment ? Grâce à une techniquede pointe, l’optogénétique : la lumièrebleue stimule des neurones précis, bien identifiés, manipulés génétiquement pour répondre à ce stimulus.

Que se passe-t-il alors ? La lutte, entrenos souris, devient ardente et noire. Armé de son laser bleu, le « Dark Vador »

de droite change soudain de visage. Et le voilà qui tient tête à son adversaire, résiste, cède trois pouces de terrain. Il reprend du poil de la bête, s’arc-boute, repousse son oppresseur patte à patte, museau contre museau. Au bout du compte, il boute le despote hors du tube.Signant la déroute de celui-ci.

Ainsi donc, l’activation d’un seulréseau de neurones, dans une zone du cortex, suffit à transformer un mâle dominé en dominant. Angela Sirigu, neuroscientifique au CNRS à Lyon (également contributrice du cahier « Science & médecine »), salue une « jolie étude, très bien faite ».

La prouesse, précisons-le, n’a été pos-sible que grâce à un premier exploit de cette équipe chinoise, associant les uni-versités de Shanghaï et de Zhejiang. Les auteurs ont enregistré l’activité électri-que de 342 neurones individuels, chez 22 souris de différents « rangs sociaux »,dans le cortex préfrontal dorsomédian, connu pour réguler la dominance sociale. Et ce, pendant que ces rongeurs se livraient, dans le tube de plastique, à différents comportements de soumis-sion (retrait, passivité) ou de domi-nance (poussée, résistance). Ils ont ainsiidentifié 31 neurones activés durant les comportements de poussée ; et 25 neu-rones, durant les comportements de

résistance. Au final, 11 neurones sem-blaient spécifiquement activés à la foisdurant les comportements de poussée et de résistance. « Onze neurones, cela semble très peu ! », note Angela Sirigu.

Mais ce n’est pas tout. Une des forcesde cette étude est de décrypter le proces-sus en jeu dans « l’effet victoire », bien connu des spécialistes en éthologie ani-male. « Dans la plupart des espèces sociales, l’atteinte du sommet de la hiérar-chie sociale est fortement influencée par la force mentale et par différents traits de personnalité, comme le courage, la persé-vérance et la motivation, mais aussi par l’histoire des victoires précédentes. Aprèsune première victoire, les animaux aug-mentent leur chance de succès ultérieur », expliquent les auteurs.

Neurones du cortex

Ils ont d’abord montré que l’inhibitiondu réseau de neurones du cortex pré-frontal, à l’aide d’une drogue, la CNO(clozapine-N-oxide), administrée parun adénovirus ciblant ces cellules, sup-prime dans les heures qui suivent les comportements de dominance. D’où lamise en déroute des mâles dominants.A l’inverse, l’activation spécifique de ceréseau, par optogénétique, déclenche sur-le-champ des comportements de suprématie sociale. Cela conduit, dans

90 % des cas, à une victoire sur des mâles précédemment dominants. Sansaffecter les performances motrices desanimaux ou leur niveau d’anxiété, pré-cisent les auteurs.

Mieux encore : la stimulation de ce cir-cuit de neurones, un jour donné, amé-liore les performances de l’animal les jours suivants, même en l’absence de nouvelles stimulations. « Le renforce-ment des synapses de ce circuit, qui relie lethalamus au cortex préfrontal, explique cet effet victoire », notent les auteurs. Au final, les souris bénéficiant de six stimu-lations (ou plus) provoquant une victoireconservent leur nouveau statut de mâle alpha. En revanche, la plupart des souris recevant cinq stimulations (ou moins) reviennent à leur rang social antérieur.

Angela Sirigu cite un autre exemple ducaractère adaptable des comportementsde dominance. « Une étude française a montré que, lorsque des singes observentun congénère non dominant ouvrir une boîte, qui lui délivre de façon répétée une récompense, ce dernier va acquérir un statut de dominant. » Et chez l’homme ? « La soif de dominer s’éteint la dernière dans le cœur de l’homme », notait Nico-las Machiavel (Le Prince, 1513). Ce réseau de neurones, chez les accros au pouvoir, est-il aussi suractivé ? p

florence rosier

I nsérer un film dans le gé-nome de micro-organismes.L’idée peut sembler saugre-

nue. Elle cache en réalité un potentiel d’applications considé-rable et un véritable exploit scien-tifique. Seth Shipman et ses collè-gues de la faculté de médecine d’Harvard (Boston, Massachu-setts) et du Wyss Institute de l’uni-versité Harvard y sont parvenus. Ils rapportent, dans Nature du 12 juillet, avoir codé des images numériques dans une population de bactéries. Ils ont, pour cela, uti-lisé le système Crispr, connu pour cibler une zone spécifique de l’ADN, la couper et y insérer la séquence souhaitée.

Cet outil d’édition du génomedérive d’un système naturel de

défense des bactéries contre des virus (phages). Lorsqu’elle est attaquée, la bactérie découpe legénome de son adversaire et insère des petits fragments de son ADN dans son propre génome, à un endroit précis, situéentre les nombreux motifs de séquences répétées – les fameux Crispr. Le germe dispose ainsid’un modèle pour reconnaîtreson agresseur. Et ainsi de suite avec chaque nouveau virus : si ellesurvit, la bactérie intègre de nou-veaux fragments. Elle se construitainsi une immunité multiple.

Pour stocker des données,l’équipe dirigée par George Church, star mondiale de la biolo-gie de synthèse, a exploité la capa-cité du système Crispr à aligner de

façon chronologique ces séquen-ces ADN étrangères. Les scientifi-ques ont ainsi codé cinq images d’un film tourné en 1878 par le photographe Eadweard Muy-bridge montrant une cavalière chevauchant un cheval au galop. La teinte de chaque pixel a été codée sous la forme d’une sé-quence ADN. Pour ce faire, les scientifiques ont converti les don-nées informatiques, suites de 0 et de 1, en un code génétique com-posé des bases A, T, C et G. Par ailleurs, chaque pixel était associé à un code-barres indiquant la posi-tion du pixel dans l’image.

Les chercheurs ont ainsi cons-truit des fragments d’ADN ressem-blant à s’y méprendre aux séquen-ces que Crispr intègre pour com-

battre les phages. Et ils ont introduit des centaines de ces séquences dans une population debactéries E. coli, à raison d’une image par jour pendant cinq jours.

Précision de 90 %

Allait-on pouvoir récupérer l’infor-mation, donc repasser de l’ADN aux images ? Dans la mesure où Crispr ajoute de façon ordonnée les séquences d’ADN dans le génome bactérien, la position de chacune d’elles permettait de déterminer à quelle image elle appartenait. Les scientifiques ont alors séquencé les régions d’inté-rêt, puis ils ont converti l’informa-tion génétique en données numé-riques. Pour reconstituer les ima-ges, il leur a toutefois fallu opérer

de multiples comparaisons au sein de la population bactérienne. En effet, aucune bactérie n’intègre la totalité des fragments. L’infor-mation se trouve répartie dans la colonie bactérienne.

Les chercheurs font état d’uneprécision de plus de 90 %, tant dans la reconstruction de chaque image que de leur ordre. Pour éprouver leur stratégie, les biolo-gistes ont introduit les fragments d’ADN correspondant aux images dans l’ordre inverse. Après séquen-çage et conversion des séquences génétiques en données numéri-ques, ils ont retrouvé un cheval galopant… à reculons. L’équipe espère appliquer sa découverte aux cellules humaines. L’objectif ultime serait de se servir de l’ADN

comme d’un disque dur pour conserver la trace de l’expression de gènes, requis, par exemple, lors de la différenciation des neurones.Ou pour enregistrer de précieuses informations sur l’environnementdans lequel des cellules évoluent afin d’être renseigné sur la pré-sence de polluants chimiques ou agents infectieux. Dans Nature, Victor Zhirnov (Durham, Caroline du Nord), qui n’a pas participé aux travaux, n’hésite pas à qualifier ceux-ci de « révolutionnaires ». Il compare cette avancée au « pre-mier vol d’un aéronef en 1903 », qualifié à l’époque de « simple curiosité ». « Dix ans plus tard, on avait des avions presque comme ceux d’aujourd’hui », conclut-il. p

marc gozlan

ZOOLOGIEL’araignée de mer s’oxygène grâce à ses intestinsLes faibles contractions du muscle cardiaque de l’araignée de mer peinent à faire circuler l’hémolym-phe – l’équivalent du sang chez les arthropodes – au-delà de son abdomen. Des chercheurs améri-cains ont découvert que les mou-vements intestinaux étaient en réalité les principaux responsables du transport des fluides jusqu’aux extrémités des membres de l’animal. Ils ont pour cela étudié douze espèces de pycnogonides, arthropodes marins au corps réduit mais aux très longues pat-tes, dans lesquelles se prolongent les intestins. Leurs contractions assurent le transport de l’hémo-lymphe et de l’oxygène dans tout l’organisme, en l’absence d’organe respiratoire spécifique.> Woods et al., « Current Biology », 10 juillet.

CANCERUne nouvelle thérapie sur mesure pour des leucémiesC’est une nouvelle piste thérapeu-tique pour la leucémie lymphoïde chronique (LLC), la plus fréquente des leucémies de l’adulte. Dans une étude préliminaire incluant 24 patients avec une LLC résistante aux traitements habituels, une immunothérapie par cellules CAR-T a induit une régression des tumeurs ganglionnaires dans 70 % des cas. Cette approche consiste à traiter un malade avec ses propres lymphocytes T, modifiés généti-quement, pour s’attaquer à une protéine de surface des cellules cancéreuses. Cette thérapie a déjà obtenu des résultats spectaculai-res dans d’autres tumeurs liqui-des. Elle est toutefois responsable d’effets indésirables aigus sévères.> Cameron T. et al., « Journalof Clinical Oncology », 17 juillet.

GRIPPELe Tamiflu n’est plus essentiel pour l’OMSUn éditorial du BMJ revient sur la décision de l’Organisation mon-diale de la santé (OMS) de retirer l’oseltamivir (Tamiflu) de sa liste des médicaments essentiels. Son comité d’experts a pris en compte des données supplémentaires sur ses effets négatifs et l’absence de données additionnelles sur des bénéfices. L’épidémiologiste américain Mark Ebell rappelle que la Food and Drug Administration (FDA) avait conclu qu’il n’y avait pas de preuve d’une réduction des complications, des hospitalisa-tions ou de la mortalité. Il souligne que de l’argent a été mobilisé pour constituer des stocks d’oseltamivir au détriment d’autres priorités de santé.> Ebell MH, « BMJ », 13 juillet.

T É L E S CO P E

b

Deux souris noires s’affrontent. Le mâle dominant, à gauche, tient l’avantage. Après activation d’un réseaude neurones du cortex, la souris de droite repousse le mâle alpha hors du tube. ZHEJIANG UNIVERSITY

Des travaux américains confirment les capacités de l’ADN bactérien à conserver des informations. Le disque dur du futur ?

L’été des sciences

Page 23: 2 PAGES ENQUÊTE SUR LE QUOTIDIEN D’UNE MAISON DE …annesophiepelletier.eu/upload/Presse/le_monde_opalines.pdfScience & médecine Gaston, génie créateur 2 PAGES Russie 1917 Le

0123MERCREDI 19 JUILLET 2017 | 23

2 mars 1917 Le jour où le tsar a abdiquéRUSSIE 1917 2|6 L’historien Marc Ferro déroule le film de la révolution russe. Arrêt sur image sur les quelques jours où, dans un climat d’insurrection, l’Assemblée russe prend le pouvoir, signant la fin du régime impérial

Février 1917. Les quatrejours de manifestationsd’ouvrières et d’ouvriersdans la capitale Petrograd

(aujourd’hui Saint-Pétersbourg) ont été réprimés dans le sang. Le peuple ne voit pas d’issue. Léon Trotski sait, au contraire, le mou-vement irréversible. Il l’écrira dansson Histoire de la révolution russe (1932) : « Au lendemain du mas-sacre qui avait fait quelque 200 victimes, ce 26 février [11 mars dans notre calendrier grégorien], les ouvriers imaginaient la solu-tion du problème de l’insurrection bien plus lointaine qu’elle ne l’était en réalité. » Car la poussée des ouvriers coïncide avec l’insurrec-tion des soldats, qui sortent des ca-sernes pour descendre dans la rue.

Une mutinerie de soldats a lieudans la nuit du 26 au 27 février contre les officiers qui leur ont or-donné de tirer sur le peuple. Quand le capitaine Lachkevitch, du régiment Pavlovski, passe dans le corridor de la caserne et qu’il lance son salut, « bonjour frères », un hourra éclate comme il a été convenu. Soupçonneux, Lachke-vitch demande : « Qu’est-ce que cela signifie ? » « C’est un signal pour désobéir à vos ordres », ré-pond le soldat Martov. « Va-t’en pendant que tu es sauf », lui crient alors les soldats. « Fixe ! », crie Lach-kevitch. En vain. Un coup de feu part d’une fenêtre, et Lachkevitch tombe, mort.

Les soldats rencontrent des ma-nifestants qui se rendent au palais de Tauride, siège de la Douma. « Ils sont sans officiers », crient les ma-nifestants. Des fraternisations suivent. Un autre cortège se dirige vers l’arsenal et se saisit de 40 000 fusils, selon le témoignagedu poète Alexandre Blok.

De leur côté, des soldats mar-chent vers la résidence du tsar, le palais d’Hiver, musique en tête. Le comte de Chambrun, diplomate français, voit le pavillon impérial tomber lentement aux mains des insurgés. Tirée par une main invi-sible, une cotonnade rouge flotte bientôt sur le palais. Au milieu del’après-midi, les manifestants arri-vent au palais de Tauride, où les députés sont face à un dilemme :

faut-il descendre dans la rue pour se mêler à la foule ? Former corps pour se présenter dignement ? Même ceux qui ont bataillé contrel’autocratie comprennent le pou-voir de la rue. Les mencheviks Ma-tveï Skobelev et Nicolas Tchéidzé accueillent les manifestants. Poi-gnées de main. Rien de plus.

« Arrêtez les ministres »

Sauf qu’un député se distingue. Alexandre Kerenski, un trudovik (socialiste-populiste, modéré), un des chefs de l’opposition à la Douma, est bien décidé à prendre la tête des partisans de la démocra-tie contre ceux de la bourgeoisie. Il le raconte ainsi : « C’est alors, que,tel que j’étais, sans pardessus, sans chapeau, je m’élance au-devant de ces soldats que j’avais espérés si longtemps. Les gardiens effarés se tenaient sur le portail. Je souhaitais la bienvenue à tous les soldats au nom de la Douma et en mon nom propre, leur union pouvant seule sauver la situation » « Que faut-il faire ? Que faut-il faire ? Arrêtez les ministres, prenez les postes, les téléphones et les gares. »

« Bon dieu, on se décide enfin ! »,s’exclame quelqu’un. Arrive alors à la Douma « le groupe ouvrier », avec notamment le leader men-chevik Gvozdev et Khroustalev-Nosar, l’ancien président du so-viet de 1905. Puisque le président de la Douma, Mikhaïl Rodzianko, a déclaré que la principale tâcheest de « remplacer l’ancien régime par un nouveau gouvernement », ils estiment que leur place est iciet qu’ils doivent se constituer en soviet. Ils demandent à Kerenskide « s’entremettre pour qu’ilspuissent s’installer quelque part ». Réponse de Rodzianko : « Vous pouvez rester. » Et ils sont restés… « Ainsi, ce fut par notre collabora-tion qu’un petit groupe d’inconnusput s’installer dans la salle 13 et se

proclamer soviet », commente le prince Mansyrev, monarchiste, membre de la Douma.

Ce pré-soviet invite alors les usi-nes, par l’intermédiaire d’un co-mité de journalistes, à envoyer desdélégués pour la séance d’inaugu-ration du soir. Soit 1 pour 10 000 ouvriers pour les grandes entre-prises et 1 par usine pour les plus petites. Arrivé en retard, le bolche-vik Alexandre Chliapnikov ob-serve cependant que dans ce pré-soviet il y a des militants mais pas d’ouvriers… Plus que la création d’un soviet, il juge nécessaire la mise en place d’un gouvernement révolutionnaire. Bref, au moment décisif où va se réunir un soviet, ses fondateurs sont déjà divisés.

Une minorité, qui réunit des par-tis de gauche – mencheviks mais aussi socialistes populistes et so-cial-révolutionnaires –, considère qu’il s’agit d’une révolution bour-geoise et qu’il faut donc laisser la Douma constituer un gouverne-ment – et si les socialistes y partici-pent, ce sera un succès. Mais la majorité révolutionnaire, plus dure, critique cette façon de voir. Pour eux, tant que la Russie n’a pasles moyens d’accomplir une véri-table révolution socialiste, une participation au gouvernement ne peut que berner les travailleurs.Il faut attendre au moins que la Russie s’adosse à une Europe so-

cialiste. Donc, que la Douma prenne seule le pouvoir, et que les révolutionnaires s’assurent de quelques garanties pour que l’on puisse ultérieurement franchir l’étape suivante de la révolution.

Et puis, à l’extrême gauche, uneminorité d’anarchistes, bolchevikset mencheviks, tels Constantin Iourenev et Trotski, juge qu’il est absurde que les masses rétrocè-dent le pouvoir, puisqu’elles le contrôlent déjà… Dès le 3 mars, certains bolcheviks font acclamer le slogan « Tout le pouvoir aux soviets » – il s’agit d’un pluriel, ces soviets étant bientôt plusieurs centaines. Mais, à la réunion du soviet de Petrograd, le 27 février, la délégation bolchevik se rallie à la thèse de la non-participation avec soutien conditionnel à un gouver-nement « bourgeois ».

Le gouvernement a disparu

A la Douma, au regard de sa composition, les loyalistes l’em-portent, mais, faute de réponse du tsar aux appels de Rodzianko et à son refus d’accepter la démission du premier ministre Nicolas Golitsyne, les députés décident d’accomplir un geste révolution-naire. Ils créent un comité pour le rétablissement de l’ordre et les rap-ports entre les institutions et les personnalités, dont le nom même constitue un programme. Car il n’y a plus de pouvoir. Le gouverne-ment a disparu, les ministres ont fui, les policiers se cachent. Le mi-nistre de la guerre, Belaïev, disposede seulement 1 500 à 2 000 sol-dats pour organiser la résistance autour de l’Amirauté, en attendant des renforts. Mais quels renforts ?

Les bruits les plus fous courentdans la ville : elle serait abandon-née pour être mieux reprise par la force, comme Budapest en 1848-1849 ; le grand-duc Nicolas, oncle du tsar et ancien chef de l’armée

impériale, marcherait sur la capi-tale, etc. C’est dans ce climat que s’ouvre la séance du soviet, vers 21 heures, au milieu de chahuts dé-sordonnés émanant de soldats, d’élus des usines, de participants aux soulèvements. Les mandatés se présentent, élus ou désignés, pour confirmer le bureau provi-soire constitué à 15 heures, grossi du praesidium : Tchéidzé, men-chevik, président ; Kerenski et Skobelev, vice-présidents ; Soko-lov, Gvozdev, Grinevic, secrétaires.

Une fois ce bureau constitué,qu’il juge non représentatif, le bol-chevik Chliapnikov propose d’y adjoindre deux membres de cha-cune des grandes organisations que le pays compte, soit une dou-zaine, proposition acceptée par l’assemblée. C’est ainsi que la direction du soviet de Petrograd voit son bureau colonisé par les re-présentants des partis, des syndi-cats, etc. Et que les indépendants, vrais animateurs de la création du soviet, tels Sokolov ou Kape-linski, sont écartés.

Le jour suivant, Pavel Milioukovannonce au Comité exécutif du so-viet que la Douma a pris le pou-voir. Il propose que deux mem-bres du soviet participent à ce gou-vernement provisoire : mais par 13 voix contre 8, cette participa-tion est rejetée. Le soviet reconnaîtnéanmoins la légitimité du gou-vernement que préside le prince Gueorgui Lvov, mais il ne le sou-tiendra que « dans la mesure où ce-lui-ci appliquerait un programme qui aurait son accord ». Or, les sol-dats font savoir qu’ils n’obéiront qu’aux ordres du soviet…

Les dirigeants de la Douma insis-tent pour que Tchéidzé et Kerenskientrent au gouvernement. Le pre-mier refuse, le second accepte. Il a su s’interposer pendant que des manifestants commencent à lyncher deux ministres arrêtés :

Février 1917,à Petrograd. Cette image du photojournaliste Iakov Steinberg immortalise la toute jeune milicedu peuple, lorsde l’attaque contre le quartier général de la police.ADOC-PHOTOS

« Nous faisons une révolution pour nous libérer, pas pour frapper à no-tre tour. » Il le redit quelques mois plus tard, quand on lui reproche dene pas arrêter Lénine.

Au soir du 27 février, deux incon-nues pèsent sur le sort de la révolu-tion : l’attitude de Nicolas II et cellede l’état-major. Le généralissime Mikhaïl Alexeïev avertit le tsar qu’il charge le général Nicolaï Iva-nov de rétablir le calme dans la ca-pitale. Mais ses troupes s’égaillent quand elles apprennent que la ré-volution l’a emporté à Petrograd.

Sauver la dynastie

Quant au général Alexeïev, il juge que pour sauver le frère du tsar, le grand-duc Michel, et la dynastie, il faut sacrifier le tsar Nicolas. Il in-vite alors les commandants des huit armées à envoyer au tsar des télégrammes lui recommandant l’abdication. Hormis Alexeï Evert, les sept autres généraux d’empire répondent positivement.

Ayant bien reçu les sept télé-grammes, Nicolas II n’essaie pas derésister et abdique le 2 mars [15 mars]. Son fils Alexis ayant une maladie incurable, il choisit son frère Michel comme successeur. Les deux délégués de la Douma sont surpris que Nicolas abdique aussi vite… « Il s’était démis de l’em-pire comme un commandant [l’aurait fait] d’un escadron de ca-valerie », dira l’un d’eux. Dans son carnet, le tsar note pourtant : « Je quitte Pskov l’âme oppressée de ce que je viens de vivre. Tout autourde moi, ce n’est que trahison, lâ-cheté, fourberie. » p

marc ferro

Prochain article : Et le peuple reprit la main.L’intégralité de ce récit sera publiée dans le hors-série du « Monde », « 1917, la Révolution russe », à paraître le 7 septembre.

« LE TSAR S’ÉTAIT DÉMIS DE L’EMPIRE

COMMEUN COMMANDANT

L’AURAIT FAIT D’UN ESCADRONDE CAVALERIE »

UN DÉPUTÉ DE LA DOUMA

L’été en séries

Page 24: 2 PAGES ENQUÊTE SUR LE QUOTIDIEN D’UNE MAISON DE …annesophiepelletier.eu/upload/Presse/le_monde_opalines.pdfScience & médecine Gaston, génie créateur 2 PAGES Russie 1917 Le

24 | MERCREDI 19 JUILLET 2017

0123

« JE SAIS QU’ON ME REPROCHE D’AVOIR

BRISÉ L’OMERTA. ILS SONT SI PEU

HABITUÉS À ASSUMER

LES CONSÉQUENCES DE LEURS ACTES…

ALORS, IL ME FALLAIT PAYER. CHER »

Il a triché, certes, mais de bonne foi. Pourla « cause ». Il assume ses actes, comparaîtrasans crainte devant le tribunal correction-nel de Paris, et ses anciens amis peuvent déjà s’inquiéter. Trois ans plus tard, l’émo-tion est toujours là, en tout cas. Mais cettefois, donc, Jérôme Lavrilleux semble prêt au« lâcher-prise ». « Comment ça s’est passé ? a-t-il commencé. Eh bien, disons qu’à un mo-ment, je décide de dire stop, parce que je sensque je suis en train de partir sur un tobog-gan. Je suis assez con pour être loyal, or j’ai vu que celui qui allait se faire lyncher, c’étaitJean-François Copé. »

Dimanche 25 mai 2014. Jour d’électionseuropéennes. Ce devrait être un grand moment pour Jérôme Lavrilleux, qui s’ap-prête à entrer au Parlement européen en sa qualité de tête de liste UMP dans le Nord-Ouest. Mais l’affaire Bygmalion truste la « une » des journaux depuis plusieurs se-maines. De graves anomalies ont été détec-tées dans les comptes de la société d’événe-mentiel dirigée par Bastien Millot, un pro-che du duo Copé-Lavrilleux, chargée d’orga-niser la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012. Une campagne dont le di-recteur adjoint, Jérôme Lavrilleux, réputé àl’UMP pour sa force de travail et sa discré-tion, a été le maître d’œuvre.

Depuis son déclenchement, début 2014, l’af-faire Bygmalion est présentée comme une affaire Copé : le député et maire de Meaux sevoit accusé d’avoir siphonné les caisses de l’UMP avec ses amis de Bygmalion pour se constituer un trésor de guerre. Une histoire un peu trop belle, que les révélations de Libération, le 14 mai 2014, viennent battre en brèche. Le scandale ne cesse alors de prendre de l’ampleur. S’y ajoutent des sous-enten-dus graveleux, sur fond de guerre Copé-Fillonpour le contrôle de l’UMP. Les anticopéistes, sarkozystes comme fillonistes, activent leurs puissants réseaux pour inoculer leur poison, répandant rumeurs et calomnies, jusqu’à présenter l’homosexualité – jamais revendi-quée – de Bastien Millot et de Jérôme Lavrilleux comme la clé de l’histoire.

IDÉES NOIRES ET NŒUD COULANT

Alors Lavrilleux, détenteur d’un secret troplourd à porter, va craquer. « Le diman-che après-midi, je vois que ça se barre encouilles ; ça, je ne le supporte pas. Physique-ment. On peut m’accuser de tout, mais sous-entendre que j’ai pris du fric, que je l’ai faitavec un de mes meilleurs amis, BastienMillot, voire qu’on coucherait ensemble, cequi a été dit, en off, par Sarko et plein demonde, ou encore que Copé s’est fait son tré-sor de guerre, qu’il a détourné de l’argent… Jeme dis : “Je veux bien crever, mais que ce soitpour la vraie raison.” »

A 17 h 30, Lavrilleux contacte BFM-TV : il estprêt à parler. La journaliste Ruth Elkrief l’in-vite pour le lendemain, en direct à 19 heures.« Je ne préviens personne, ni Copé ni qui que cesoit, reprend Lavrilleux. Je me dis : “C’est la finpour moi, mais au moins j’aurai dit les cho-ses.” Raconter des bobards à la télé, je l’ai faitdes dizaines de fois, on est payé pour faire çaquand on est directeur de cabinet ! »

La suite est connue. Lavrilleux vide sonsac en prime time. En pleurs, il explique

comment, pour justifier l’injustifiable, à savoir des dépenses pharaoniques, lescomptes de campagne de Sarkozy ont étésciemment truqués via des fausses factu-res entre l’UMP et Bygmalion. Lavrilleux prend tout sur lui, affirme notammentn’avoir, pour le protéger, jamais informéJean-François Copé. Autant de révéla-tions qui seront validées ensuite par l’en-quête judiciaire. Ce lundi 26 mai 2014 au soir, il n’y a plus d’affaire Copé, mais unenouvelle affaire Sarkozy.

« L’émotion et les larmes, c’est parce que jesuis fatigué, se souvient Lavrilleux. Aumoment où je révèle les choses, j’ai l’impres-sion de me regarder, et je me dis que c’est lafin de ma vie actuelle. Au fur et à mesure, je m’aperçois qu’il n’y aura pas de retour enarrière possible. » Les confessions deLavrilleux déclenchent un séisme. Le toutnouveau député européen quitte le plateaude BFM-TV par une sortie discrète. Il repart en direction de l’Aisne. Dans un état second.« Là où je mets normalement une heure et demie, j’ai mis presque quatre heures ! Parce que j’ai pleuré tout le long de la route, mon téléphone sonnait sans arrêt, sans arrêt, jen’ai répondu à personne. »

Arrivé chez lui, Lavrilleux fait, selon sespropres mots, ce qu’il n’aurait pas dû faire, à savoir allumer les chaînes d’info en continu. Il est autour de minuit, il regarde BFM-TV. « Jetombe sur ces éditorialistes, vous savez, cestypes qui tous les jours donnent leur avis sur un sujet différent, les succès de Zidane, labimbo qui a essayé de poignarder son mec oul’affaire Bygmalion… Comment ils font pour dire autant de conneries sur autant de sujets en si peu de temps ? Et il y en a un qui dit, àpropos de moi : “Une chose est sûre, c’est que ce soir il y aura eu un mort.” Le présenta-teur, gêné, répond : “Enfin, façon de parler…”Et l’autre reprend : “Oui, oui, façon de parler… Quoique.” Ça, je l’ai dans la tête. Je l’aurai toujours dans la tête. »

Lavrilleux ne trouve pas le sommeil. Mardimatin, les idées noires se bousculent. Tra-qué, il reste cloîtré chez lui. Ses parents, à dixkilomètres de là, sont aussi harcelés par les médias. « Une journaliste brandit un microsous le nez de mon père : “Alors, ça fait quoi d’être le père d’un voyou ?” Bref, je suis en trainde tuer toute ma famille… » Les appels se mul-tiplient, les textos s’empilent.

Jérôme Lavrilleux marque une pause,déglutit. Il poursuit, d’une voix légèrementtremblante, les yeux humides. « Je me suis dit : “Je n’en peux plus, j’arrête.” Chez moi, j’aiune grange, alors j’y suis allé. Là, j’ai pris unegrosse corde, et je l’ai passée sur une pou-tre… » Son portable vibre encore. Deux SMS.Des journalistes. Le premier, de l’AFP, luidit de tenir bon. Inutile, sa décision est prise. Il fait un nœud coulant. « Et puis je re-çois un texto de Ruth Elkrief, qui me dit : “Jé-rôme, ça doit être très dur, mais il fera beaudemain.” Et là… Il fera beau demain… Cettephrase, je crois que toute ma vie je ne… »Trop ému, Jérôme Lavrilleux ne parvientpas à finir sa phrase. Il avale une grande bouffée d’air et lâche : « Et je laisse la cordesur la poutre. Ça s’est vraiment joué à pasgrand-chose… » Ruth Elkrief nous a con-firmé l’existence de ce SMS : « J’avais appris

Jérôme Lavrilleux En liberté non surveillée

TÊTES BRÛLÉES 2|6 Ce sont des personnages hauts en couleur, controversés et volontiers provocateurs dans leurs domaines respectifs. Ils font tellement parler que nous avons décidé de leur donner la parole. Aujourd’hui, l’acteur principal du feuilleton Bygmalion et ex-bras droit de Jean-François Copé

qu’il n’allait pas bien depuis l’interview, çam’avait touchée. Je me devais d’être à la hau-teur humainement, pas seulement profes-sionnellement », confie-t-elle.

Curieux, quand même : Lavrilleux doit lavie à ceux qui ont failli la lui prendre, cesmédias sur lesquels il porte aujourd’hui un regard sévère. « Je juge ce petit universpolitico-médiatique parisien comme lesFrançais : ils sont en train de le balayer. Tousces gens, c’est de l’endogamie, une petite élitequi prospère dans l’entre-soi… » Il a en lignede mire certains de ces journalistes accrosaux plateaux télé et qu’il connaît par cœur :« Je les avais deux fois par jour au téléphone lorsque j’étais “dircab” de Copé, pff… Vousleur vendez n’importe quoi, ils ne vérifientrien de rien ! Rien ! »

Jérôme Lavrilleux est un homme sansentraves désormais. En liberté non sur-veillée. Fini la langue de bois, les accordsd’appareil, les tartufferies du monde politi-que, les hypocrisies de la planète médiati-que… Il passe son temps entre Strasbourg, Bruxelles et Saint-Quentin, où il tient à ren-trer tous les soirs, quitte à faire plus de qua-tre heures de voiture par jour. Rejeté par son ancienne famille politique, il s’épa-nouit au Parlement européen, où il se sentapprécié. « Bon, y a que Mélenchon… Ça nousarrive de prendre la voiture ensemble, c’estétonnant, il est toujours mal luné. C’estcomme la pub Orangina : “Mais pourquoi est-il si méchant ? Parce que !” Sinon, mêmeles mecs du FN sont assez sympas avec moi.Et Vincent Peillon ! J’ai envoyé des dizaines degens lui défoncer la gueule sur les plateaux télé lorsqu’il était ministre de l’éducation, ehbien ce mec est adorable. A-do-ra-ble. En fait,les types ne sont pas dupes… »

ENCORE DES SECRETS À LIVRER

Les épreuves lui ont permis de faire le tri dans ses relations. Parfois de manière sur-prenante. Avec Rachida Dati, par exemple,l’ex-garde des sceaux de Nicolas Sarkozy, le courant passe plutôt bien, très bien même.« Dati, elle est hallucinante, elle est tout sauf conne, c’est un roman à elle seule… Quand elle s’emplafonne avec Hortefeux, il devientvanille-fraise. Et, avec moi, elle a vraimentété très correcte. » Il se souvient toutefoisd’une discussion animée, peu après avoirfait part au Monde, le 29 septembre 2016, deses soupçons sur le financement de lacampagne de Sarkozy, celle de 2007 cettefois, évoquant notamment la circulation d’espèces au QG de campagne.

« Rachida m’a pompé l’air : “C’est de ta faute,pourquoi t’as raconté ça au Monde ?” Je lui dis : “T’en as touché, du liquide, toi ?” Elle merépond : “Mais non !” “Alors, quel est le pro-blème ?” » Le problème, c’est que les révéla-tions de Lavrilleux ont fortement intéresséles juges chargés de l’affaire libyenne, don-nant des sueurs froides aux sarkozystes. Courant juin, les policiers se sont mêmedéplacés à Saint-Quentin pour l’interroger une nouvelle fois, comme témoin. A charge.

Car ces derniers mois, aiguillés parLavrilleux, les enquêteurs ont multiplié les auditions, convoquant à tour de bras les « petites mains » de la campagne de 2007, sur la piste des valises de billets… Et ils ont

L’été en séries

L’exécuteur » ne fait plus peur,à cet instant. C’est un hommeaux yeux embués, la voix cas-sée par l’émotion, qui nousfait face dans son petitbureau du Parlement euro-

péen de Strasbourg. Jérôme Lavrilleux, l’ex-préposé aux basses œuvres de Jean-François Copé, le « dircab » sans états d’âme, est aujourd’hui un type en morceaux, qui tente de se reconstruire. Un repenti. « Je suis passé dans la lessiveuse, résume-t-il. J’ai personnel-lement, moralement, physiquement, payé.Bien plus que ce que prévoit le code pénal. »

Lavrilleux est un cas à part en France, etmême ailleurs. Il n’existe pas, dans le mondepolitique récent, d’exemple aussi frappantd’une rédemption par la parole, la vérité. Sa vérité, en tout cas. D’habitude, quand on en-tend briser une sorte de pacte du silence, on vous promet un poste, une gratification. Dequoi calmer vos ardeurs. Jérôme Lavrilleux, lui, a choisi de disparaître, volontairement, d’oublier avantages et défraiements, de s’exi-ler en rase campagne. Mais avant, atypique jusqu’au bout, il veut dire, révéler, choquer. Ila toute sa place dans cette série consacrée aux « disruptifs ». Comme s’il s’était enfin débarrassé d’oripeaux trop encombrants, etqu’il lui fallait expier, sans fin. A ses risques et périls. Il faut l’écouter. Il vient de si loin.

Devenu l’acteur principal du feuilletonBygmalion, ce scandale politico-financier qui n’a pas peu contribué, en 2014, à l’implo-sion de l’UMP, l’exécuteur a été à son tour exécuté. Moins par la justice que par ses anciens amis politiques, outrés par sesaveux livrés sur un plateau, celui de BFM-TV, un soir de mai 2014.

Ce jour-là, le lundi 26 mai 2014 précisé-ment, l’impitoyable est devenu incontrôla-ble. Une tare rédhibitoire en politique. « Jesais qu’on me reproche d’avoir brisé l’omerta, confirme Lavrilleux. Ils sont si peu habitués àassumer les conséquences de leurs actes… Alors, il me fallait payer. Cher. La politique, c’est une force centrifuge. Si vous êtes au cen-tre, vous ne la ressentez pas, mais si vous vousen écartez un peu, on essaye de vous éjecter. » « On pense que je suis une cellule cancéreuse et que, pour que tout continue, il faut me dé-gager, assure-t-il encore. Certains vous dé-foncent mais vous envoient ensuite un petitSMS, quand même, parce qu’on ne sait ja-mais : “Qu’est-ce qu’il sait, Lavrilleux ?” On a prêté ces propos à Copé : “Ils sont fous de vou-loir faire la peau à Lavrilleux, c’est une gre-nade dégoupillée.” Donc, ils sont prudents… »

La voix fluette et légèrement nasillarde deJérôme Lavrilleux a commencé à s’érailler quand on lui a demandé de nous raconterces heures sombres où sa carrière a basculé.Et sa vie avec. On se souvenait de notre pre-mière rencontre, à l’été 2014, peu après qu’ilavait soulagé sa conscience en direct à la télé-vision. On n’avait pas oublié ce regard voilé au moment d’évoquer ses tourments intéri-eurs. Et sa réponse à une question sansdoute déplacée : « Avez-vous pensé au pire ? » Il avait inspiré longuement avant de lâcher, sur un ton à la fois caverneux et définitif :« Ça a été dur… » Il en était resté là, désireux de ne surtout pas s’épancher. A l’époque,l’urgence était de convaincre la justice.

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trouvé la trace de versements en liquide. « Je suis d’accord avec Nicolas Sarkozy, ironiseLavrilleux. La campagne de 2012 a coûté lamême chose que celle de 2007 ! Sauf que Bygmalion a été remplacé par des palettes de billets. Provenant de Libye, c’est ça ? »

On comprend mieux pourquoi JérômeLavrilleux a fait une croix sur sa carrière po-litique. Cet homme-là est désormais totale-ment en roue libre. Une vraie menace,donc. Car il n’a sans doute pas tout dit. Ses anciens amis devraient-ils craindred’autres révélations ?

Il sourit. « C’est intéressant comme ques-tion… » Un long silence s’installe. Hilare, il lance finalement : « Ce qui est très intéres-sant, c’est que je n’y réponde pas ! » L’après-midi touche à sa fin, Jérôme Lavrilleux doitentrer en session. Impossible d’en rester là, il a encore tant de choses à dire, de secrets àlivrer. Alors, on lui propose de dîner. Rien detel qu’un bon repas et quelques verres devin pour détendre l’atmosphère. Mais Jé-rôme Lavrilleux est tout sauf naïf. Attablédans un sympathique restaurant situé àl’ombre de la cathédrale de Strasbourg, ilnous voit venir de loin.

« Est-ce que je suis une grenade dégoupillée ?Je ne réponds pas à ces questions-là, vous avez essayé tout à l’heure, mais non, même en ayant bu un demi-verre de pinot », rigole-t-il. Reprenant son sérieux, il développe son pro-pos. « Vous savez, ce qui se passe est très violentquand même. Il y a des gens qui sont morts d’une crise cardiaque au bord du Danube, je

n’invente pas », glisse-t-il, faisant allusion à cetancien ministre du pétrole libyen, Choukri Ghanem, détenteur des secrets du régime de Kadhafi, retrouvé mort à Vienne en avril 2012.Donc Lavrilleux fait attention. « Il y a des en-droits, des régions où je ne vais pas. Quand je me rends à Paris pour voir mon avocat, je l’in-forme seulement la veille, et il ne sait pas à quelle heure précise je vais arriver. » Paranoïa ? Après tout, celui que certains, à l’UMP, sur-nommaient « Dark Vador » connaît bien « le côté obscur de la force ». Alors, il a fait de sa mémoire son assurance-vie.

RECONVERSION DANS L’HÔTELLERIE

Désinhibé, il porte un regard impitoyable sur ce microcosme politique dont il entend s’éloigner définitivement, à l’issue de sonmandat européen, en 2019. Il sait avoir été sacrifié sur l’autel sarkozyste. « Ils se sont dit :“Ils ont bien dû truander ; Copé, il a dû prendrede l’argent ; ses amis de Bygmalion, ils ont dû lui donner du fric.” Ils ont toujours tendance àprojeter leurs turpitudes sur les autres, c’est très sarkozyste, ça. » Ils ont bien essayé de luiexpliquer la bonne manière de se coulerdans le moule. Comme ce jour de juin 2014, lorsqu’il tombe sur Brice Hortefeux, dans lescouloirs du Parlement européen, à Bruxel-les. « Je dis à Hortefeux que je suis convoqué chez les flics pour une garde à vue. Il me répond : “Oh, moi, j’en ai vu souvent des poli-ciers, pour des tas de trucs. Il y a deux solu-tions : soit vous mentez, mais c’est très dur. Soit vous décidez de dire la vérité, c’est plus

simple, mais à la fin vous pouvez payer cher.” Finalement, j’ai choisi la seconde solution. »

Jérôme Lavrilleux a largué les amarres,irréversiblement. Même avec son mentor, Jean-François Copé, qu’il ne voit plus qu’oc-casionnellement. « Je le laisse faire ses conne-ries tout seul, il n’a plus besoin de moi pour ça », s’amuse-t-il. Blessé par les accusations dont il a été l’objet, il se console en observantles déboires de ceux qui avaient juré sa perte.« Tous ceux qui, au bureau politique de l’UMP,étaient chargés de m’exécuter sont soit pour-suivis dans des affaires, soit arrêtent leur car-rière politique. Fillon présidait cette réunion chargée de m’exclure pour atteinte à l’hon-neur du parti. C’est drôle quand même, non ? Lui, il est poursuivi pour avoir détourné de l’argent public à son profit ; ce n’est pas mon cas. Moi, je n’ai rien détourné, et ça, jusqu’à mon dernier souffle de vie, je le dirai. »

Même s’il lui reste encore près de deuxans de mandat, Jérôme Lavrilleux a tournéla page. Il prépare déjà l’après. Dans un an, ilmettra en vente sa maison de Saint-Quen-tin pour préparer son installation… en Dordogne, où il va louer des gîtes. En sereconvertissant dans l’accueil, le pestiféré de la politique française réalisera un vieuxfantasme. « J’ai toujours rêvé de faire ça,révèle-t-il. Deux choses m’ont toujoursfasciné, la politique et l’hôtellerie, allez sa-voir pourquoi. » Il aurait pourtant pu tenterune reconversion plus lucrative. « Je me re-fuse à rejoindre des boîtes de com ou de lob-bying, comme beaucoup. J’ai fait vingt ans

d’esclavage, donc je ne veux pas entrer dansvingt ans de prostitution. »

Amer, il raconte les obstacles qu’il a dû sur-monter pour obtenir les fonds nécessairesau financement de ces gîtes. « J’ai déposédes dossiers dans 31 banques, quatre ont été acceptés, et au dernier moment ils ont tousété refusés, dont un après une visite médi-cale attestant de mon excellente santé ! Mes parents m’ont prêté une partie de l’argent,je leur ai remboursé, et quelqu’un m’aprêté l’autre partie, mais à un taux d’intérêtlargement supérieur à la moyenne. Uncopain d’enfance, directeur d’une agence bancaire où le dossier avait été déposé, m’aconfié : “Tu es sur la liste noire, tu n’auras rien.” C’est violent… »

Dès qu’il a deux jours libres, il file en Dor-dogne pour retaper la vieille baraque.Moquette, poutres… Il fait tout lui-même,ou presque, aidé de son père, un ancien garagiste. Il brandit fièrement la photo d’une salle de bains qu’il vient de terminer, seul. Il a redécouvert le plaisir des choses simples. « Il n’y a pas de vie pendant la poli-tique, philosophe-t-il. La politique, c’est unedrogue, et j’ai été un drogué consentant. Vous avez l’impression d’être bien quand vous venez de prendre un shoot, mais êtes-vousheureux ? Je ne pense pas, on n’est pas censémourir de ce qui nous rend heureux. Et moi, la politique, j’ai failli en mourir… » p

gérard davet et fabrice lhomme

Prochain article : Cyril Hanouna.

« JE ME REFUSE À REJOINDRE

DES BOÎTES DE COM OU DE LOBBYING.

J’AI FAIT VINGT ANS D’ESCLAVAGE,

DONC JE NE VEUX PAS ENTRER

DANS VINGT ANS DE PROSTITUTION »

Jérôme Lavrilleux, à Bruxelles, le 20 juin. RICHARD DUMAS/AGENCE VU POUR « LE MONDE »

L’été en séries

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A utour des grands lacs du bois deBoulogne et dans les sentiers en-vironnants, tous les jours de la se-

maine et tous les week-ends, on peut ob-server deux types de sportifs – on ne dira pas « tribus » puisque ce terme est désor-mais tabou dans l’ethnologie du monde contemporain –, des coureurs, ou « run-ners », selon la terminologie à la mode, etdes marcheurs, seuls ou en petits groupes,qui se croisent ou se doublent en s’igno-rant mutuellement, bien que ces deux lo-comotions aient tant en commun. Les jeu-nes enfants acquièrent en général la mar-che au cours de la deuxième année de leurvie, ce mouvement permettant le déplace-ment du corps sur les deux pieds dans unedirection déterminée, puis, très rapide-ment, ils apprennent seuls à courir, mou-vement qui se démarque du précédent parsa vélocité et par le fait qu’il comporte unephase de suspension pendant laquelleseul un des deux pieds touche le sol. Sicourse et marche revendiquent la mêmeorigine et la simplicité de leur technique,elles se différencient immédiatement parleur vocabulaire : en course, on fait des foulées, en marche, des pas.

Au-delà de la différence dans la vitesse del’exercice, qui reste le marqueur premier, eten dépit d’une évidente proximité dansl’usage que l’on fait de son corps, course et marche sont pratiquées par des publics dif-férents ; elles sont porteuses de valeurs dif-férentes, qu’il s’agisse du rapport au temps,à l’espace, à soi-même et aux autres. En ce sens, il semble bien qu’il existe un esprit dela course et un esprit de la marche.

Observons donc sur le théâtre ensoleilléet arboré des lacs du bois de Boulogne cescoureurs et ces marcheurs. Leur appa-rence les oppose : pour les premiers et lespremières, des tenues près du corps, mul-ticolores, hommes et femmes-sandwichsarborant les maillots signés de leurs ex-ploits passés. Ils et elles sont générale-ment harnachés des objets de la moder-nité, écouteurs, instruments branchés etconnectés pour mesurer distance, allure, performance, et contrôler les battementsdu cœur. Ils et elles portent les dernières

paires de chaussures de course inventéespar les grandes marques, tantôt avec talonrenforcé, tantôt avec semelle très platepour imiter les Tarahumaras, célèbresIndiens mexicains qui courent de très lon-gues distances pieds nus.

Les marcheurs, eux, portent des tenuesplus chaudes, puisque, leur allure étant plus lente, la sudation vient plus tard qu’encourse, des vêtements plus modestes, moins techniques, relevant du bon sens, un anorak si la pluie menace, un sac à dos, une paire de chaussures semi-montantes qui tient la cheville et résiste à la pluie. Ac-crochés à leurs longs bâtons, annoncés de loin par le cliquetis, comme la crécelle deslépreux au Moyen Age, ils effectuent un circuit en devisant joyeusement, s’arrêtantpour consulter une carte (et non le GPS de leurs smartphones), sous la conduite d’un coach qui entrecoupe la marche de mouve-ments d’extension et d’assouplissement.

Jambiers contre brassières

La course déploie le rare espace public où l’objectif de la parité est atteint, les femmes étant désormais aussi nombreuses que les hommes. L’âge des participants s’étale sur un large spectre depuis la fin de la vingtainejusqu’à la fin de la soixantaine. En revan-che, les marcheurs aux bâtons sont de fa-çon massive des marcheuses qui semblentavoir franchi l’âge de la retraite. Postures des corps, apparence physique, geste spor-tif, recrutement sociologique, deux mon-des que tout sépare a priori. L’histoire de ces deux mouvements dont l’ancienneté

revient à celui de la course montre cepen-dant que derrière l’opposition coureur-marcheur s’abrite une variété de types et destyles qui parfois les rapprochent.

Le mouvement de la course à pied est né àla fin des années 1960 et, en quelque vingt ans, a conquis la France et la planète. Sonesprit initial s’inscrivait dans le courant hippie des Flower children, qui rompaient avec la routine du quotidien, se livraient à une course libre, goûtant un éveil sensoriel au monde, odeurs, couleurs, bruits des fou-lées au sol, s’affranchissant de la cendrée des stades et des diktats des fédérations sportives. Victime de son succès, la quin-quagénaire qu’est la course à pied se déve-loppe aujourd’hui dans un espace assez opposé à celui de ses débuts, lorsque les coureurs ont commencé à se mesurer surdes distances de plus en plus longues et à développer un esprit compétitif.

Loin du bénévolat des petits clubs qui or-ganisaient les premières courses dans les années 1980, la volonté de centaines de mil-liers de coureurs de se mesurer sur des par-cours de plus en plus longs, dont la célèbre distance du marathon, a conduit à l’institu-tionnalisation des courses qui deviennent des produits commerciaux. Un million de coureurs en 1995 ; aujourd’hui, quinze fois plus appartiennent désormais à l’ère du running : alors qu’il s’agit toujours de se dé-placer avec un pied en l’air durant un des deux temps, ce running incarne l’air indivi-dualiste du temps, « se retrouver », « se faire plaisir », « être soi-même ». La course est de-venue un style de vie avec son cortège de paraphernalia technique, face à une offre pléthorique de compétitions, depuis les ul-tratrails jusqu’aux courses « fun » qui font ramper les coureurs dans la boue ou traver-ser des douches colorées.

Les runners du bois de Boulogne appar-tiennent au groupe des coureurs ordinai-res, ceux qui s’adonnent régulièrement à leur sport et qui, à un moment ou un autre de leur vie, s’inscrivent à des courses. Dansl’ensemble, c’est la vélocité qu’ils recher-chent, et en cela, ils se distinguent des mar-cheurs ordinaires, qui, sans revendiquer né-cessairement la lenteur, ne cherchent pas à

se placer, selon l’expression à la mode, « hors de leur zone de confort ». Le contact avec la nature, la sociabilité de la conversa-tion lorsque la marche est enclenchée et que les pas se succèdent sans que le cerveauen ait conscience, le plaisir d’un effort phy-sique, même modeste, sont les messagesportés par l’activité de la marche qu’on qua-lifie aujourd’hui de « nordique ». Son his-toire est plus récente que celle de la course,et elle est l’objet d’un nouvel engouement. Elle se serait développée d’abord dans les pays scandinaves et aurait été importée en France à la fin des années 1990, ce que con-firment les vendeurs du Vieux Campeur.

Alors que les premiers coureurs portaientcasque et toque à l’image des jockeys, mais n’avaient pas de chevaux, ici ce seraient lesskis de fond qui auraient été remisés. Si la marche nordique a le vent en poupe, c’est largement dû à ces bâtons qui ont l’art de transformer une banale promenade en geste sportif. Ainsi la marche nordique se distingue-t-elle aussi de la course par la mise en œuvre du buste et des bras, qui doi-vent être tendus. Si les coureurs sont invitésà pomper sur leurs bras pour accélérer leur locomotion, ils doivent aussi maintenir leur torse bien droit pour permettre aux poumons de développer leur pleine capa-cité, et ce sont les jambes qui fournissent l’impulsion ; les marcheurs poussent sur lesbâtons, mobilisant davantage le haut du corps, qui se trouve propulsé vers l’avant. Jambiers contre brassières : l’allure, la pos-ture physique sont totalement différentes.

Activité hybride

Paradoxalement, la marche nordique, et plus encore ses cousins, la randonnée ou le trekking, ont fait leur le credo des Flowerchildren qui couraient dans les espaces de nature ; ce sont eux maintenant qui arpen-tent bois, forêts ou montagnes, alors que lescoureurs déferlent sur le bitume des mara-thons urbains ; ce sont eux qui célèbrent le renouveau d’un lien entre l’homme et la na-ture. Qu’un homme politique ait pensé à faire de la marche son slogan montre que cette activité est en résonance avec les va-leurs de la société contemporaine.

Cependant le mouvement de la marchesemble devoir déraper, victime comme la course de son succès, et se « sportiviser ». Contrairement aux années 1980, où les fé-dérations faisaient tout pour empêcher le développement des courses longues, cel-les-ci n’ont pas répété la même erreur afin de récupérer ces nouveaux adeptes. La mar-che nordique fait désormais partie de la Fé-dération française d’athlétisme et, signe de son institutionnalisation, dispose d’une re-vue trimestrielle, Marche nordique maga-zine, dont le numéro 1 est sorti en septem-bre 2014. Elle devient compétitive à son touren proposant des marathons.

Mais, entre course et marche nordique,voilà que s’insère une activité hybride, la marche rapide. Plus proche de l’esprit de la course, elle impose un tempo élevé (autour de 8 km/h). Il s’agit alors de se concentrer sur son allure afin d’épargner son souffle ; pas question de discuter avec son parte-naire comme dans une course à pied tran-quille ou une marche nordique. Contraire-ment à ces dernières, qui s’exécutent sans y penser, en marche rapide, c’est la volonté depousser toujours plus loin son corps, de te-nir sa jambe tendue qui prime. Nouveau venu, qui attire un public plus jeune, c’est le sport « tendance » qui prend sa place dans l’éventail des sports athlétiques. Et un mar-cheur rapide peut parfaitement dépasser un coureur ordinaire lent.

Telle la marche à raquettes qui apparaîtcomme un succédané du ski pour ceux qui redoutent la déchirure des ligaments croi-sés, la marche nordique serait-elle l’exu-toire des blessés de la course ? La marche ra-pide balayera-t-elle la course à pied ? Rien nepeut remplacer le rituel du petit galop do-minical entre copains et copines, ce que le terme « jogging » rend bien, qui associe à uneffort vite récompensé par les endomorphi-nes le plaisir d’une conversation à bâtonsrompus. Par tous les temps, en tous lieux, cette course développe l’estime de soi et le sentiment qu’en faisant du bien à son corps,c’est aussi à la société qu’on le fait. p

martine segalen

Prochain article : « Marcher, c’est mettre en scène la rupture ».

LE MOUVEMENT DE LA MARCHE SEMBLE DEVOIR

DÉRAPER, VICTIME COMME LA COURSE

DE SON SUCCÈS, ET SE « SPORTIVISER »

¶Martine Segalen est professeure émérite à l’université de Paris-Nanterre, elle a écrit de nombreux ouvrages sur la famille et est l’auteure d’un des premiers livres sur la course à pied, « Les Enfants d’Achille et de Nike. Eloge de la course à pied ordinaire » (Métailié), publié en 1994, qui vient d’être réédité avec une longue préface qui analyse les transformations de la course, depuis celle des « Flower children » jusqu’au mouvement contemporain du running.

« La marche et la course sont porteuses de valeurs différentes »

PENSER LA MARCHE 2|6 Née à la fin des années 1960 dans le courant hippie des « Flower children », la course à pied a conquis la planète, devenant un véritable business. La marche, qui se développe et se diversifie, aura-t-elle le même destin ?

ANNE-MARGOT RAMSTEIN

Six pas de côté

Fonction organique de l’espèce humaine, la mar-che est aussi une pratique sportive ou spirituelle, tou-ristique ou thérapeutique qui connaît de nombreux adeptes. Echappatoire au monde de la vitesse, pas de côté face au règne de la virtualité, la marche interroge notre actualité. En six épisodes, Le Monde donne la parole à des historiens randonneurs, des écrivains aventuriers, des philosophes flâneurs et des anthropologues marcheurs afin de comprendre pourquoi et comment la marche est devenue un véritable phénomène de société.

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0123MERCREDI 19 JUILLET 2017 débats & analyses | 27

L e gouvernement polonais et sa ma-jorité de droite nationaliste sont entrain de détruire l’Etat de droit

dans le pays. Ils procèdent méthodique-ment, avec détermination. Au bout de la route qu’ils ont prise depuis leur arrivéeau pouvoir en 2015, il y a ce qu’on appelle « la démocratie illibérale » : des élections, certes, mais plus aucun contre-pouvoir ; le suffrage universel, mais la fin de la séparation de l’exécutif, du judiciaire et du législatif. Un tel régime est incompati-ble avec l’appartenance à l’Union euro-péenne (UE).

Celle-ci sera vite mise au défi de se pro-noncer. Si le président polonais, Andrzej Duda, membre de la formation au pou-voir, le parti Droit et Justice (PiS), ne met pas son veto à une série de réformes que

la majorité vient d’adopter, ou qui vont l’être, c’en sera fini de l’indépendance de l’ordre judiciaire en Pologne. Le PiS para-chèvera la mise au pas, et à son serviceexclusif, de toutes les grandes institu-tions du pays – justice, haute fonction pu-blique, médias publics, organisations cul-turelles d’Etat et autres –, tout en harce-lant la presse indépendante.

Majoritaires à la Diète et au Sénat, lesdeux Chambres du Parlement, le PiS, en cette mi-juillet, a entrepris de soumettre la justice, à tous les niveaux de l’appareil judiciaire. Le PiS avait commencé fin2015, peu après sa large victoire aux élec-tions, en prenant le contrôle du Tribunal constitutionnel, la plus haute instance juridique du pays. Il prépare maintenant une loi qui prévoit une refonte de la Coursuprême, l’équivalent de la Cour de cassa-tion. Elle obligera tous les membres de la Cour à prendre leur retraite, le gouverne-ment n’y renommant que ceux qui lui plaisent ! Ce n’est pas anodin. Cette ins-tance est notamment chargée de valider les élections et les comptes de campagne des partis.

Il y a plus. Le PiS a voté le 12 juillet uneloi qui autorise le ministre de la justice à démettre de leurs fonctions tous les pré-sidents de tribunaux du pays et à nom-mer directement leurs successeurs. Cela fait partie d’un ensemble législatif qui tend à placer sous la tutelle de la majorité

politique le Conseil national de la magis-trature, chargé de la nomination et de la carrière des juges.

L’intention est claire : la justice doitobéir au politique. Professeurs de droit, hauts magistrats se sont mobilisés – ainsique des milliers de manifestants – pour supplier le président Duda de refuser deratifier une mise à mort de l’indépen-dance de la justice qui signerait la fin del’Etat de droit dans le pays. L’UE a dit son inquiétude. Elle attend la décision duchef de l’Etat. Mais il serait hypocrite de feindre la surprise.

Sous la houlette du président du parti,le très secret Jaroslaw Kaczynski, qui, pourvu d’un seul mandat de député, n’en tient pas moins les rênes du pays, lePiS s’est donné une mission : sortir la Po-logne de l’occidentalisme décadent que lui imposerait l’UE, ramener le pays à son identité catholique la plus fonda-mentale. M. Kaczynski ne cache pas qu’ilmène une bataille culturelle et idéologi-que, ce que les démocrates d’Europe de l’Ouest ont du mal à comprendre.

Au service de sa révolution, cet hommeveut un Etat fort, délesté de la machineriedes contre-pouvoirs qui caractérisent les démocraties « occidentales ». Il se diraitvolontiers inspiré par Dieu. La question est de savoir si un tel Etat a sa place dans une Europe qui puise, elle, son inspira-tion chez Montesquieu. p

POLOGNE : L’ÉTATDE DROIT EN DANGER

Macron l’enchanteur

Livres

Alors, comme ça, la France irait mieux par la seulemagie de Macron l’enchanteur ? Si c’est vrai-ment le cas, c’est que le mal n’était pas si grave,ou alors qu’il était dans la tête. La France a une

capacité inégalée à disserter sur son propre malheur. Mais quel est-il ce malheur ? A-t-il une quelconque réalité ? Deux livres, publiés en pleine campagne présidentielle, essaient d’en cerner les causes avec un bonheur inégal.

Pendant cette épuisante campagne, la France se dirigeaitvers ce que le journaliste Pierre Haski appelle un perfectstorm, une conjonction de calamités propres à créer une crise aux proportions inédites. L’auteur liste trois ruptures fondamentales. Primo, nous sommes devenus une puis-sance moyenne dans une Europe malade, un pays qui n’estplus maître de son destin. Secundo, les changements technologiques affectent notre univers personnel et pro-fessionnel, ébranlant les fondements de notre économie etde notre système social. Tertio, notre société est devenue multiculturelle, nos valeurs se métissent, la culture tradi-tionnelle n’est plus dominante. Résultat, la peur du déclas-sement et de la perte d’identité pousse une grande partiede la société dans les bras d’un populisme mortifère et nos-talgique. Face à ce repli sur soi sans projet ni perspective,Pierre Haski s’inspire de la pensée d’André Gorz, il plaide pour le « droit au bonheur », la sortie du productivisme et un changement complet de paradigme. Pas sûr qu’Emma-nuel Macron emprunte cette voie…

LE CAMP DES SECONDS

Le géopolitologue Pascal Boniface, lui, fait remonter le dé-clin à la deuxième moitié des années 2000, qui a vu la France passer de « pays le plus populaire du monde » à « celuiqui passe pour le plus islamophobe des pays occidentaux ». Tout y est lu à travers le prisme puissant, mais réducteur, dela relation à l’islam et au monde arabe. La partie la plus inté-ressante de son essai, qui n’est pas exempt de polémiquespersonnelles et de querelles politiciennes dont la France estjustement trop coutumière, est celle traitant du « paradis perdu de la diplomatie française ».

Dans la querelle entre occidentalistes atlantistes et réalis-tes gaullo-mitterrandiens, Boniface se situe dans le camp des seconds. Il reproche à Nicolas Sarkozy et à François Hol-lande d’avoir dilapidé l’acquis de Jacques Chirac, homme du non à la guerre en Irak de 2003 et héros de la « rue arabe », même si c’est bien ce dernier qui a opéré un virage atlantiste dans les dernières années de son deuxième mandat. Emmanuel Macron, dans sa première interview de politique étrangère, a mis en scène cette querelle, qui comporte une bonne part de caricature. Le nouveau prési-dent s’est revendiqué de l’héritage gaullo-mitterrandien degrandeur et d’équilibre entre les deux blocs que forme-raient les Etats-Unis et la Russie. Le problème, c’est que les blocs ont disparu et que les puissances ne défendent plus que leurs intérêts plutôt qu’une vision du monde, à commencer par les Etats-Unis de Donald Trump. Il ne restedonc à la France plus que l’Europe pour être grande. Et ça, Emmanuel Macron l’a bien compris. p

christophe ayad

LE DROIT AU BONHEURPierre Haski, Stock, 212 p., 18 €

L’esclavage était bien un crime contre l’humanitéLe 16 juillet 1802, Bonaparte rétablissait l’esclavage en Guadeloupe, assumant une grave régression du droit français. Or, les députés de la Convention avaient déjà défini cette pratique, abolie en 1794, comme un crime de lèse-humanité, explique l’historien Pierre Serna

Par PIERRE SERNA

L’ article 2 de la loi du 21 mai 2001dite « loi Taubira » stipule quel’esclavage est un crime contre

l’humanité. Quatre ans plus tard, l’arti-cle 4 de la loi du 23 février 2005 indique que « les programmes scolaires recon-naissent en particulier le rôle positif dela présence française en outre-mer ».Dès lors, la mobilisation des historiens contre cet aspect normatif de la loi, donnant un sens moral à l’histoire et en-joignant de l’enseigner, ne se fit pas at-tendre : le 25 mars 2005, deux textes – si-gnés par plusieurs historiens de renom, puis, le 13 avril, par la Ligue des droits de l’homme – demandent son abrogation,appuyée par des milliers de signatures.

Au même moment, l’historien Guy Per-villé mène la riposte, remettant en cause

la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité. Encore quel-ques mois, et un collectif d’historiens cé-lèbres signe le 13 décembre 2005 un appelà la « Liberté pour l’histoire », s’opposant à toute forme de loi qui confondrait, à l’aide de termes contemporains, mé-moire et histoire. Sont critiquées les lois de 1990, faisant du négationnisme un délit, les lois de janvier et mai 2001 re-connaissant le génocide des Arméniens et l’esclavage comme un crime contre l’humanité et, pour faire bonne mesure, la loi de février 2005.

Entre-temps, Olivier Grenouilleau, le12 juin 2005, dans le Journal du diman-che, remet en cause ce concept, décla-rant que le problème réside dans le terme choisi dans la loi Taubira, soit le « crime contre l’humanité » qui ne peut que pousser à la comparaison avec la

Shoah. Le sous-entendu est clair : la mi-nistre, en maniant l’anachronisme, a commis une faute grave en perturbantle travail des spécialistes. S’ensuivra une plainte posée contre M. Grenouilleau par un collectif d’associations. J’en parle tranquillement : je fus un des dix pre-miers historiens modernistes de l’uni-versité française à signer en faveur de sa liberté d’expression.

Reprenant le dossier huit ans plus tard,quelle ne fut pas ma surprise de consta-ter que le lendemain de l’abolition de l’esclavage par la Convention le 16 plu-viôse an II (4 février 1794) – en attendant le grand discours de Robespierre sur la Vertu et la Terreur qui a retenu les histo-riens, au point de ne pas lire le reste du procès-verbal de la séance –, un député, Roger Ducos, soulève un débat des plus passionnants. Non seulement l’escla-vage n’existait plus, mais les Africains et leurs descendants mis en servitude de-venaient de suite des citoyens.

UNE NOUVELLE QUALIFICATION

Mais comment qualifier alors les citoyens français qui possédaient encore des escla-ves, qui à Cuba, qui aux Etats-Unis ? Ils de-vaient renoncer, soit à la nationalité fran-çaise, soit à continuer d’asservir des êtres

humains. Un autre député, Thuriot, pro-che de Danton, soutient que le crime de l’esclavage est tellement grave qu’il mé-rite une nouvelle qualification. Il faut son-ger à la condamnation la plus grave, aprèscelle de lèse-majesté avant 1789 et celle de lèse-nation entre 1789 et 1792. Le député prononce alors l’expression « crime de lèse-humanité », anticipant le cadre juridi-que qui sera celui, adopté cent cinquante et une années plus tard, pour juger les crimes de guerre nazis. C’est à Pointe-à-Pi-tre, en Guadeloupe, le 4 février 2014, soit deux cent vingt ans après les faits, que j’ai présenté cette découverte, accessi-ble à tous dans les Archives parlemen-taires et développée ensuite dans un arti-cle de la Revue de l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHRF).

En 2001, Mme Taubira et ses conseillersn’ont fait aucun anachronisme. Il a fallu attendre la cérémonie du Panthéon le27 avril 2017, organisée par le Comité na-tional pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, présidé par Frédéric Régent,pour que nous rappelions, avec PatrickWeil, pionnier de ces études, qu’en 1794 pour la première fois et en 1848 pour la seconde fois, les notions de lèse-huma-nité avaient constitué, pour les législa-teurs, le moteur de l’abolition de l’escla-

vage. N’eût été le regrettable lapsus deFrançois Hollande confondant lèse-ma-jesté et lèse-humanité lors de la commé-moration du 10 mai, sûrement obnubilé par la présence à ses côtés du nouveauprésident de la République, EmmanuelMacron, la reconnaissance eût été par-faite, du parcours du concept de « crimecontre l’humanité » pour définir l’escla-vage, depuis 1794 et 1848, jusqu’en 2001 et pour finir en 2017.

Reste à l’enseigner dans toutes lesclasses de France. En rappelant la graverégression que fut au printemps 1802 lerétablissement de l’esclavage par Bona-parte. Ce n’est pas acquis au moment où bien des Français perçoivent une li-gne droite Napoléon, de Gaulle, et cer-tains y ajoutent même Emmanuel Macron… La République ferait mieuxd’enseigner l’intuition géniale du 5 plu-viôse an II, lorsque fut imaginé le con-cept de crime de lèse-humanité pour condamner l’esclavage ! p

JE T’AIMAIS BIEN TU SAIS !Pascal Boniface, Max Milo, 156 p., 16 €

¶Pierre Serna est professeur à l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne et membre de l’Institut d’histoire de la Révolution française.

CARTE BLANCHE – FABIO VISCOGLIOSI | Ordonnances estivales

Page 28: 2 PAGES ENQUÊTE SUR LE QUOTIDIEN D’UNE MAISON DE …annesophiepelletier.eu/upload/Presse/le_monde_opalines.pdfScience & médecine Gaston, génie créateur 2 PAGES Russie 1917 Le

28 | MERCREDI 19 JUILLET 2017

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Le port, premier hôtel de luxeRETOUR À SAINT-TROPEZ 2|6 Répartis en deux bassins, au cœur du village, il est l’un des plus réputés au monde et constitue une des principales ressources financière de la ville. Les anneaux s’y arrachent pour des milliers d’euros

saint-tropez (var) - envoyée spéciale

C’étaient les années1960 et Françoise Sa-gan s’écriait : « Il y adix yachts dans le

port ! Quelle horreur, je quitte Saint-Tropez. » Il y avait déjà plus d’une dizaine de bateaux de luxe amarrés au quai et l’écrivaine n’est pas partie. Ou, plus exacte-ment, elle a boudé un temps, puis elle est revenue. Aujourd’hui, lors-que l’on monte au sommet de la capitainerie, on distingue à peine l’agencement des maisons ocre etjaune qui forment un ruban co-loré le long de l’enclave. L’été, lesyachts, chaque année plus gros, plus chers, grignotent l’horizon. Lorsqu’on est riche et célèbre, on se doit d’être ici. Histoire de stan-ding, de se mesurer aux autres. Avant d’aller se poser ailleurs. Ces yachts sont les mêmes que ceux que l’on retrouve à Cannes, à Mo-naco, en Sardaigne ou à Capri, en Grèce ou en Croatie et dans les Ca-raïbes pour la saison d’hiver. Ils appartiennent à des familles royales, de grandes fortunes, des capitaines d’industrie, des vedet-tes du sport ou du cinéma.

Saint-Tropez et la plaisance deluxe sont devenus indissocia-bles. Les bâtisses flottantes, arbo-rant des pavillons de complai-sance des îles Anglo-Normandes,de Malte ou des Caraïbes, s’of-frent au regard des milliers de ba-dauds, venus passer la journée auvillage doré. « On travaille l’ego ici, sourit Claude Maniscalco, di-recteur de l’office du tourisme.Les gens se battent pour avoir lameilleure place, un anneau de-vant Sénéquier ou Le Bailli. »

Sur les ponts arrière des ba-teaux, les occupants entretien-nent le rêve, rient fort, débou-chent le champagne en musique,pieds nus toujours, mais en te-nue de soirée et haute joaillerie. Ils sont là pour se montrer. Aquelques mètres, sur la prome-nade, les familles s’agglutinent,commentent la taille des yachts, se moquent parfois de ceux qui s’y trouvent, mitraillent avec leurs téléphones portables, fontdes selfies. Ils sont tous acteurs d’une même pièce, celle du peu-ple scrutant la démesure, sans enêtre tout à fait dupes. Un cinémaqui fait vivre Saint-Tropez depuisdes décennies. Le port est unesource d’attractivité considéra-ble pour le village. Au cœur de la saison, le flot de visiteurs quoti-diens oscille entre 50 000 et70 000, avec des pointes à100 000 certains jours, pour unepopulation locale de 4 500 habi-tants. Une manne pour les mar-chands de glaces, de gaufres, de souvenirs divers, et pour les di-zaines de bars et de restaurants qui truffent les rues. Sans comp-ter les 9 millions d’euros de chif-fre d’affaires par an que le port lui-même génère. Jean-Pierre Tu-veri, le maire de la ville, qui aplacé cette anse maritime direc-tement sous sa tutelle depuis 2010, jubile : « Le port est le plus grand hôtel de Saint-Tropez. »

Trop de demandes, peu d’élus

Ce n’était pourtant pas sa desti-née initiale. Avant la création deSaint-Tropez, le port existaitdéjà. « Son histoire commencedans l’Antiquité, raconte l’histo-rien et directeur du Musée de lamarine, Laurent Pavlidis. C’était àl’origine une belle crique très pro-tégée du vent d’est, on y a retrouvéles vestiges d’une villa gallo-ro-maine qui servait de lieu de char-gement et de déchargement. » Le

village actuel est né à la fin du XVe siècle autour de cette anse, qui va progressivement devenir un port aménagé. Se développe alors, au XVIe siècle, au pied dumassif des Maures, une pêche cô-tière (thon et corail) qui fera la ri-chesse des Tropéziens.

Jusqu’au XVIIIe siècle, en plus dupetit cabotage le long des côtesprovençales, le commerce avec lesautres ports méditerranéens deMalte, d’Italie ou de l’Empire otto-man prend son essor. C’est aussi l’époque où les Tropéziens se lan-cent dans la construction navale.Le village devient le premier four-nisseur de trois-mâts de Mar-seille, avec la livraison de bateaux de 20 à 40 mètres de long. L’arri-vée des routes et des camions a tué l’activité de cabotage, qui a fortement décliné entre les deux guerres mondiales. Les chantiersnavals, qui ont fait la grandeur de Saint-Tropez, ne sont plus qu’un lointain souvenir.

Aujourd’hui, une poignée depointus – les barques tradition-nelles réservées à la pêche – sont encore regroupés dans un bras duquai. Le village continue à vivre de son port, mais la pêche appar-tient désormais au folklore. D’une centaine de pêcheurs en-core en activité au début duXXe siècle, il n’en reste actuelle-ment qu’une petite dizaine. « La nature ayant horreur du vide, et lapresqu’île restant un lieu préservé, le commerce de la pêche a été rem-placé par la plaisance, souligne Laurent Pavlidis. Et, comme c’est l’un des ports les plus connus du monde, cette activité reste le pharede l’économie tropézienne. »

Dès 1892, c’est par la mer, à bordde son bateau, l’Olympia, que lepeintre Paul Signac arrive au portet s’installe à Saint-Tropez. Le début d’une grande histoired’amour entre les plaisanciers et

le village. La plaisance se déve-loppe à grande vitesse dans les années 1960, et le rythme s’em-balle d’année en année.

La gestion du port est aujour-d’hui devenue un casse-tête. Trop de demandes, peu d’élus.Car sa capacité d’accueil est trèsrestreinte : l’ancien bassin, con-sacré à l’escale, ne peut contenirqu’une trentaine de gros yachts,et les bateaux ne peuvent dépas-ser 52 mètres sur le quai et 80 mè-tres sur la digue. Le nouveau bas-sin accueille la moyenne plai-sance. Les gigantesques maisonssur l’eau des milliardaires n’ontd’autre choix que de rester aularge, comme le Paloma de Vin-cent Bolloré ou le yacht du RusseRoman Abramovitch, qui me-sure 150 mètres après avoir étéagrandi afin de dépasser celui del’émir de Brunei.

Pour tous les autres, qui veu-lent s’amarrer au quai, la batailleest terrible. Les 734 anneaux quepropose le port ne suffisent pas.D’autant qu’un quart d’entreeux sont réservés aux associa-tions locales (club nautique, « bateaux verts » qui assurentune centaine de rotations parjour avec les communes avoisi-nantes). En 2016, 6 500 navires ont pu trouver place pour quel-ques nuits. 14 000 dossiers deréservation pour des bateauxallant de 18 à 75 mètres sont res-tés en souffrance.

« En pleine saison, mille bateauxsont à l’extérieur chaque nuit enattente d’un anneau », soupire le maire, Jean-Pierre Tuveri. Lesautorités portuaires ont dû fixer des règles pour éviter l’embolie et canaliser le mécontentement. Exit les contrats à l’année. Oupresque. Il subsiste des excep-tions (80), comme celle accordéeà la famille Signoles, propriétairedes malles Goyard, qui possède

une maison à Saint-Tropez. Cescontrats, la municipalité fait toutpour y mettre fin : à 15 000 eurosl’année par bateau, ils ne rappor-tent que trop peu d’argent à laville. Le deuxième type de con-trat est celui de longue duréeet concerne une centaine d’em-placements : pour 25 000 eurosles six mois, le propriétaire ou lelocataire d’un yacht peut aller etvenir quand bon lui semble. Quand il s’absente, le port peut sous-louer son anneau à quel-qu’un d’autre. Mais le plus renta-ble pour les autorités portuaires reste le passage.

Pour satisfaire le plus grandnombre, les visiteurs n’ont pas ledroit de rester plus de quatre jours d’affilée en pleine saison.Se relayent ainsi des personnali-tés qui suscitent des bousculadessur le quai, comme les habituésMagic Johnson, Elton John, ou le chanteur Seal, ainsi que des fa-milles du Golfe et de la jet-set mondiale. Certains sont prêts à tout pour contourner les règles : tentatives de corruption de fonc-tionnaires et pots-de-vin en toutgenre. Deux enquêtes de gendar-merie concernant des employésdu port sont d’ailleurs en cours.

Des pressions monumentales

Jean-François Tourret est le direc-teur du port. Il a été nommé par lemaire avec pour mission de met-tre fin aux pratiques douteuses. Ancien officier de marine, il a précédemment géré le port deBonifacio, en Corse, et veille au grain. « Certains propriétairesn’hésitent pas à essayer de grais-ser la patte de nos employésquand on leur dit que c’est com-plet. Seulement un tiers des ba-teaux entrent en pleine saison, cela induit des pressions monu-mentales », explique-t-il. Sans compter les interventions direc-

tes du ministère des affaires étrangères français, qui demanderégulièrement un anneau pourtel ou tel dignitaire étranger.

Dans le but de fidéliser les mil-liardaires, Jean-François Tourret acréé une carte VIP en or massifqui permet à ses détenteurs debénéficier de six jours consé-cutifs en juillet et en août. Ellecoûte 5 600 euros à l’achat puis 2 500 euros par an. Une somme dérisoire pour les milliardaires, qui ont parfois payé leur yacht plusieurs centaines de millionsd’euros. Avec cette carte, ils béné-ficient en outre d’un « créditplongeur » pour fixer les ancres etd’un accès au lounge de la capi-tainerie. Là encore, deux « amis » historiques de Saint-Tropez béné-ficient de faveurs : l’héritière liba-naise Lily Safra, qui installe sonyacht en dehors de toutes les rè-gles pour la durée de la saison, et Mohamed Al-Fayed, propriétaire du voilier Sakana. « Ils sont telle-ment sympathiques, s’exclame Jean-François Tourret. Nous les considérons comme des membres fondateurs du port ! »

Pour augmenter la capacité, lemaire envisage l’extension de lagare maritime en bâtissant un bassin technique qui accueilleraitchantiers et hangars, ce qui per-mettrait de créer des anneaux supplémentaires. Et de faire croî-tre un peu plus les recettes. Il aimerait commencer les travauxavant la fin de sa mandature,en 2020. Mais, face aux réticencesdes Tropéziens, qui craignent unedéfiguration du site, il avance prudemment. Deux de ses prédé-cesseurs ont proposé des projets d’agrandissement du port. Cela leur a coûté leur réélection. p

vanessa schneider

Prochain article :Plaisirs de jour, excès de nuits.

Le yacht de l’homme d’affaires égyptien Mohamed Al-Fayed, au port de Saint-Tropez, le 28 juillet 2015. AGENCE/BESTIMAGE

L’été en séries

CERTAINS SONT PRÊTS À TOUT POUR

CONTOURNER LES RÈGLES : TENTATIVES

DE CORRUPTION DE FONCTIONNAIRE

ET POTS-DE-VIN EN TOUS GENRES.DEUX ENQUÊTES

DE GENDARMERIE SONT EN COURS