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Créarc, 8 rue Pierre Duclot 38000 Grenoble France +33 (0)4 76 01 01 41 http://www.crearc.fr email : [email protected] 2011 2011 23 èmes Rencontres du Jeune Théâtre Européen

20112011 - Créarc · ticipants, Anita, hongroise, et Sylvain, français, revien-nent avec nous cette année pour rédiger des articles. Ils ... historique qui nous man-quait, une

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Créarc, 8 rue Pierre Duclot 38000 Grenoble – France

+33 (0)4 76 01 01 41 – http://www.crearc.fr – email : [email protected]

20112011

23èmes Rencontres du Jeune Théâtre Européen

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Directeur de la Publication : Fernand Garnier

Comité de rédaction : Suzon Charbonnier, Thérèse Cousin, Jocelyne Jolibert, Michèle Marché, Renée Samson.

Responsables de l’Atelier Reportages : Jocelyne Jolibert, Suzon Charbonnier, Thérèse Cousin, Michèle Marché.

Membres de l’Atelier : Anita Fehèr, Ljubica Damevska, Monika Funke, Salima Taieb, Sylvain Becq.

SOMMAIRESOMMAIRE

- L’Atelier Reportages page 3

- Ouverture Officielle des 23èmes Rencontres page 5

Diversité des thèmes et des langages

Spectacles de rue

- Parade d’Ouverture -Marionnettes Géantes et batucada page 7

- En Quincontes page 8

- Le Spoutnik de Koukich page 9

- La Ballade du Romarin et de la Marjolaine page 10

Spectacles en salle

- Sho Kman page 11

- Don Quichotte, Chotte, Chotte, le Retour page 12

- Légende de la Table Ronde page 14

- La Kermesse Héroïque page 15

- Gli Scavalcamontagne page 17

- Qué Ves en el Espejo ? page 19

- La Mère page 20

- Le Malentendu page 21

- La Cité du Soleil page 22

- La Princesse et le Porcher page 24

- De par la Volonté du Brochet page 26

- Love Story made en Hungary page 27

- Les Bas-Fonds page 27

Brassage des pratiques et des idées

- Atelier « Jeu d’acteur » de Julie David : l’Inquisition page 29

- Atelier « Jeu d’acteur » Florin Ddilescu : Corne d’Abondance p.30

- Atelier « Chants et Travail sur la voix » de Nika Kossenkova page 31

- Atelier « Décors et Accessoires » (Art’Kor-D-Nations) page 32

- Ambiance de fête et de travail sur les pelouses du Musée page 33

- Répétition générale de la Parade de Clôture : Isabelle,

trois Caravelles et un Charlatan page 35

- Retrouvailles avec l’Algérie : Entretien avec Mohammed,

Dyhia,Salima et Lyès, comédiens page 38

- Les cafés-débats page 42

EditoEdito

Citoyens d’Europe…

Voici donc, à mi-parcours entre

les 23èmes Rencontres du Jeune

Théâtre Européen de juillet 2011 et

les 24èmes qui se tiendront en juillet

2012, un nouveau numéro de la

revue Reportage. Celui-ci rend compte du travail

réalisé durant l’atelier du même

nom qui s’est tenu chaque matin. Il

rend compte aussi de la diversité

des activités de la manifestation : ateliers, cafés-débats, parades,

entretiens et spectacles. Il témoigne

de la richesse extraordinaire de ce

carrefour des pédagogies et des

esthétiques de la création théâtrale

en Europe et autour de l’Europe. Il rappelle que dans une Europe en

crise, la culture et les valeurs qu’elle

véhicule et qui la structurent sont les

piliers indispensables à la construction

d’une vie démocratique authentique. Beaucoup se désespèrent de voir

l’Europe lointaine et distante de ses

citoyens. La revue Reportages témoigne

qu’à Grenoble, durant les Rencontres,

l’Europe est une expérience voulue et

vécue par ses citoyens. Merci à l’équipe de Reportages :

Suzon Charbonnier, Thérèse

Cousin, Jocelyne Jolibert, Michèle

Marché et Renée Samson qui, par

un travail de tous les instants, a

permis la réalisation de cette revue.

Le 8 décembre 2011. Fernand Garnier.

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A côté de la porte

d’AMAL, les jeunes se

pressent pour lire les listes

affichées. En cette période

de baccalauréat on pourrait

croire qu’ils cherchent leur

nom parmi ceux des

lauréats. Mais non, ce sont

les listes des Ateliers des

23èmes Rencontres du

Jeune Théâtre Européen.

Celle de l’Atelier Reportages

est très courte cette année :

cinq noms seulement !

C’est tout de suite un

plaisir de retrouver des

visages connus. Deux par-

ticipants, Anita, hongroise,

et Sylvain, français, revien-

nent avec nous cette année

pour rédiger des articles. Ils

aiment écrire, ils écrivent

avec aisance et talent, nous

savons d’avance qu’ils don-

neront de bons articles pour

la Revue Reportages.

Un autre plaisir est de

découvrir de nouveaux

participants : deux Russes,

une Algérienne. Nous

accueillerons plus tard dans la

semaine une jeune Slovène.

Malheureusement les deux

jeunes Russes ne resteront

pas dans cet atelier, n’ayant

pas réalisé qu’il allait falloir

écrire : l’un ne comprend pas

le français et, pour lui,

« reportage » signifie de

toute évidence « reportage

vidéo » ; l’autre parle

français mais, ne se sentant

pas d’écrire dans une langue

étrangère, préfère s’orienter

vers l’atelier « Batucada »

qui va le passionner. C’est

ainsi que cette année notre

groupe très réduit n’a pas

connu cette ambiance de

ruche des années pré-

cédentes. Les participants

ont échangé, certes, mais

de manière moins complète

et sans la passion et

l’effervescence que nous

avions appréciées les

années précédentes. En fin

de semaine, Monika est

venue nous épauler en

écrivant un article avec nous.

Alors des questions se

posent pour l’avenir. Ce

peu d’attirance vers

l’Atelier Reportages peut se

comprendre : les jeunes qui

viennent aux Rencontres

ont comme objectif premier

de faire du théâtre, et tout

ce qui permet de construire

un spectacle : l’écriture ne

tente que ceux qui, déjà,

choisissent de prendre du

temps pour écrire, ce qui

est rare ! Comment faire

évoluer l’Atelier Reportages

s’il n’apparaît même plus

évident qu’il signifie « Atelier

Reportages écrits » et si le

désir d’écrire n’existe plus que

chez 1% des participants ?

Comme pour, insi-

dieusement, nous signifier

« à quoi sert-il d’écrire ? »,

le lundi, deuxième jour

d’ateliers, surprise, la

porte est condamnée : un

immense échafaudage est

installé, car des ouvriers

se préparent à poser les

enseignes des différentes

associations de la maison.

Mais non, bien sûr, nous

ne nous laisserons pas

décourager !

Négociations, discussions

entre « chefs »… Nous devons

contourner le bâtiment et

entrer par la porte arrière

(celle des artistes ?), pour

pouvoir monter à notre

salle. Au travail !

L’ AtELIEr REPORTagEs L’ AtELIEr REPORTagEs

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Bien sûr, même en tout

petit comité, chaque jour

nous avons des impressions

à échanger sur les spectacles

vus la veille. Puis nous

commençons à écrire, au

stylo ou directement sur un

ordinateur, décidant parfois

d’attendre le prochain café-

débat afin d’enrichir encore

notre réflexion avant

d’achever notre article. Ce

moment de partage est

d’une grande importance

pour nous. Certains n’osent

pas prendre la parole

devant le grand groupe du

café-débat. A l’Atelier Re-

portages, on se sent plus à

l’aise. Entre nous, on peut,

sans gêne et sans crainte de

paraître trop naïf ou inculte,

dire ce qu’on n’a pas compris,

ou comment on a compris tel

ou tel passage d’un spec-

tacle. On peut aussi s’inter-

peller pour une petite ques-

tion grammaticale, ortho-

graphique, de vocabulaire ou

toute autre. Dans ces cas-là,

il peut arriver que l’on

« sèche » tous. La petite clé

3G nous permet de nous

connecter à Internet et tout

de suite nous apprendrons

tous ensemble un détail

historique qui nous man-

quait, une subtilité de la

grammaire française…

Nous lisons nos textes

à voix haute : en toute

simplicité, chacun reçoit

et propose de petites

retouches, des sugges-

tions pour compléter,

illustrer d’un exemple…

C’est informel, amical.

On se sent bien à

l’Atelier Reportages.

N’êtes-vous pas tenté de

nous rejoindre pour les

24èmes Rencontres en 2012 ?

Ensuite il restera à faire

des relectures plus at-

tentives. Enfin le travail de

mise en page pour notre

Revue Reportages, avec

choix des photos illustrant

chaque page.

Mais, au fait, à qui

s’adresse cette revue et qui

en sont les lecteurs ? Nous

serions heureux d’avoir des

retours de leur part : des

réactions, des réflexions,

des propositions...

Pour l’équipe Reportages,

Suzon

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Samedi 2 juillet, Mairie de Grenoble

Samedi deux juillet, il est

onze heures. Elles sont là,

devant l’immeuble de Amal,

les marionnettes géantes de la

troupe burkinabé des Grandes

Personnes, dominant du buste

et de la tête la foule des jeunes

qui les entourent. Tout le

monde attend la fin de la

réunion des responsables qui

donnera le signal du départ

vers l’Hôtel de Ville où doit

avoir lieu l’ouverture

officielle des Rencontres.

Enfin le cortège s’ébranle, dans

une ambiance de fête, et c’est à

cet instant précis, me semble-t-il, que les Rencontres com-mencent véritablement !

En tête démarrent les

musiciens, qui rythment la

marche au son du tam-tam et

des tambourins. Les marion-nettes les suivent, puis les

jeunes, qui frappent dans

leurs mains, autant pour

applaudir que pour accom-pagner la musique.

Nous retrouvons avec

plaisir le couple de marion-nettes qui n’en est pas à sa

première promenade dans les

rues de Grenoble : elle, dans

un costume de coupe

moderne, taillé dans un tissu

de pagne traditionnel vert et

violet ; lui, en vêtements

rayés bleu et blanc. A côté

d’eux, une troisième ma-rionnette, un énorme caméléon

qui roule des yeux globuleux ; en

Afrique cet animal est considéré

comme dangereux, ce qui

contraste avec les visages

bienveillants des deux

personnages qui avancent en

se balançant légèrement,

immenses et gracieux, ouvrant

les bas, puis les croisant sur

leur poitrine en s’inclinant

pour saluer un passant. Mais comment font-ils, les

comédiens qui les portent, si

petits sous le poids d’un

fardeau trois fois plus grand

qu’eux ? Ils ne cessent de

danser eux-mêmes, genoux

légèrement pliés. D’un

mouvement des reins, ils font

tourner leur marionnette, d’un

mouvement des bras tendus sur

les lourdes perches, ils

actionnent leurs mains, les font

s’étreindre, ou s’incliner et

saluer les badauds immobilisés

sur les trottoirs. Il faut traverser le Muséum,

et l’entrée est périlleuse : comment les marionnettes

passeront-elles la porte trop

basse ? Doucement elles

s’inclinent, ça y est, elles sont

passées, et tout le monde

Ouverture officielleOuverture officielle

des XXIIIdes XXIIIèmesèmes Rencontres Rencontres

du Jeune Théâtre Européendu Jeune Théâtre Européen

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applaudit. Une caresse au

passage pour l’éléphant de

pierre du Muséum, puis elles

doivent se faufiler pour passer le

portillon, traverser la rue,

s’incliner à nouveau sous la voûte

d’entrée de l’Hôtel de Ville. Joie,

danse, musique … les jeunes

restent un long moment dans la

cour autour des « Grandes

Personnes » si bien nommées, ne

pouvant se résoudre à interrompre

cet instant magique. Mais, à l’intérieur, les

édiles locaux nous attendent. Madame Baracettti, repré

-sentant le Maire de Grenoble,

salue tous ces jeunes venus de

pays si nombreux, parfois

éloignés, rassemblés à Gre-noble pour partager leur

amour du théâtre. Elle

rappelle que Grenoble, ville

multiculturelle, où cinquante

nationalités sont représentées,

est fière d’être un véritable

creuset, un « melting-pot ».

Cela fait partie de l’identité de

la ville, et pousse à inventer

constamment un dialogue

culturel. « Votre enthousiasme,

votre jeunesse », conclut-elle, « sont

la promesse de cet avenir-là. » Monsieur Payen, repré-

sentant du Président du Conseil

Général, salue la « belle entrée »

dans l’Hôtel de Ville des 200

Jeunes des Rencontres du Jeune

Théâtre Européen venus de si

loin à la rencontre du public

grenoblois. Il insiste sur

l’importance qu’attache le

Conseil Général à la vie

culturelle dans le département, et

particulièrement au soutien

accordé aux très nombreuses

activités théâtrales. La Brigade d’intervention

poétique du Crazzy Vaudan

offre ensuite une pause

artistique, et nous avons le

plaisir d’entendre les chants

apaisants des comédiens. Ce

sont des « mantras », chants

traditionnels indiens destinés à

« élever les âmes », accompagnés

de mime et de paroles poétiques. Fernand Garnier prend à

son tour la parole en souhaitant la

bienvenue à tous, de la part du

Créarc, de ses responsables et

nombreux bénévoles. Ces 23èmes

Rencontres prennent place,

explique-t-il, dans un projet de

trois années qui a fait l’objet

d’une convention signée avec

l’Union Européenne, centré sur

le thème « Les Métamorphoses

de l’Europe ». Il présente le

programme, dont la Parade de

clôture, préparée dans les ateliers

quotidiens, et le Grand Débat au

cours duquel les metteurs en

scène pourront exposer les

difficultés auxquelles se heurtent

artistes et animateurs culturels

dans leurs pays respectifs.

Sévères dans certains pays

européens comme la Grèce, ces

difficultés sont dramatiques pour

les Palestiniens du Freedom

Theatre de Jenine, présents aux

Rencontres, dont le responsable

et metteur en scène a été

assassiné il y a quelques mois. Il

évoque aussi le rôle important du

Réseau qui s’est constitué au

cours des années, et fait se

rencontrer les troupes d’un

point à l’autre de l’Europe tout

au long de l’année. Enfin il

remercie, en citant chacun, les

nombreux organismes et

associations qui permettent, par

leur aide concrète, aux

Rencontres d’exister. Cette cérémonie s’achève

par un très beau final, le chant

qu’Alberto, son compositeur,

nous fera entendre pour

clôturer les Rencontres durant

la Parade inspirée de la pièce

de Dario Fo « Isabelle, Trois

Caravelles et un Charlatan ». Le temps est venu de

profiter du buffet offert par la

Ville de Grenoble, avant de

poursuivre une journée qui

s’annonce bien remplie. Mais

il nous restera en tête durant la

suite des Rencontres le

précieux message, répété en

plusieurs langues par la

Brigade d’Intervention Poé-tique : « Ce que l’on donne

toujours nous revient », dont

quelqu’un, au cours d’un café-débat, nous apprendra la

suite : « Ce que tu gardes pour

toi est perdu à jamais ».

Thérèse

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Diversité des thèmes Diversité des thèmes

et des langageset des langages

Spectacles de rueSpectacles de rue

Oyez ! Oyez , braves gens ! Les voici revenus !

« Les », ce sont les 230

participants aux Rencontres du

Jeune Théâtre Européen…

Venus de 15 pays différents,

ils arpentent à nouveau les

rues de Grenoble, heureux de

se retrouver.

L’amour du théâtre qui les

rassemble fait augurer de belles

journées et de belles soirées riches

en événements et en émotions.

A travers les spectacles qui

seront offerts, et les ateliers où ils

auront le plaisir de créer

ensemble la Parade Finale, dont le

thème est « La découverte du

Nouveau Monde », ils vont

apprendre à se découvrir, voire à

se reconnaître ; à retrouver la

musicalité des langues ainsi que

la sensibilité culturelle de leurs

intervenants. Les thèmes des

pièces, ainsi que les mises en

scène et le jeu des acteurs seront

pour tous des sujets de

Parade d’ouverture Parade d’ouverture

Marionnettes Géantes et BatucadaMarionnettes Géantes et Batucada Avec les marionnettes géantes de la troupe Les Grandes Personnes

de Boromo – Burkina Faso et avec la Batucada du groupe BatukaVI de Grenoble - France

Sous les bannières du Jeune Théâtre Européen Samedi 2 juillet, départ Place Notre-Dame - 16h00

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questionnements, d’échanges et

de dialogues. Nous savons, dès

aujourd’hui, que les apports de

ces Rencontres seront nom-breux. Car, par delà le théâtre,

c’est une Europe fraternelle

qui va se mettre en marche,

une Europe qui veut commu-niquer avec le monde entier,

une Europe où les valeurs

humanistes sont la base des liens

qui ne manqueront pas de se

tisser pour un avenir meilleur.

Mais pour l’heure, l’esprit

est à la fête ! Le son des

djembés de la Batuka VI

résonne dans les rues. Ce

groupe enthousiaste dans

lequel se côtoient des enfants

et leurs parents, mène la danse

ou plutôt la Parade des

participants aux Rencontres.

Et c’est d’un pas joyeux qu’ils

déambulent dans les rues de

Grenoble, sous les bannières

du Jeune Théâtre Européen.

Sous l’œil à la fois émerveillé

et craintif des enfants, les

marionnettes géantes du

Burkina Faso dansent et

tourbillonnent dans ce

cortège en liesse, donnant une

idée de l’ampleur de ces

23èmes Rencontres qui, une

fois encore, vont embraser les

cœurs et la ville.

Jocelyne

Après la Parade d’Ouver-ture, les Québécois débutent, avec

leurs quatre contes, la longue liste

de spectacles que nous allons voir

durant toute la semaine.

Justement, cette parade est

en retard, et les spectateurs

installés sur la Place d’Agier s’im-patientent un peu.

Alors, les treize acteurs

exécutent devant nous des

exercices d’assouplissement,

des acrobaties, répètent le chant

« En passant par les Épinettes »

qui va ponctuer le spectacle.

Puis, ils entament sur scène et

avec le public, un jeu de ballon

fictif qu’on se lance et se

relance avec cris et

applaudissements pour saluer

les prouesses imaginées.

Et quand la parade arrive

enfin, les spectateurs sont là,

déjà attentifs.

« En Quincontes », ce sont

des contes écrits par quatre

comédiens du groupe, d’après de

vieilles légendes.

Pas de décor, sinon celui de la

belle Place d’Agier, des costumes

simples : débardeurs blancs, jeans et

bretelles pour tout le monde, et très

peu d’accessoires.

Les acteurs nous racontent

l’histoire de l’homme le plus

fort du monde, sauf en conquête

amoureuse, celle du bûcheron

Titange qui voulait voyager,

celle de Rose Latulipe qui

n’écoute pas son père et danse

toute la nuit avec des inconnus,

et enfin celle d’Alexis le facteur

à la cervelle d’oiseau.

Ces histoires sont jouées,

mimées avec beaucoup d’énergie

et d’expression corporelle. Les

voix sont puissantes, les mots

bien articulés, et font passer le

texte, malgré le vent et les

cloches de l’église. Le public est

souvent moins attentif en plein air

qu’en salle. Cependant, la

fraîcheur, le charme et le

dynamisme de ces jeunes

Québécois nous ont permis de

suivre jusqu’au bout ce

spectacle peut-être un peu long

pour une manifestation de rue.

Michèle

En En QuincontesQuincontes

Par la Troupe de Monsieur Touche à Tout de Saint-Hyacinthe - Canada

Création et mise en scène collective

Spectacle en français - Samedi 2 juillet, Place d’Agier - 17h00

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« On chante, on danse », en

effet, avec le groupe Nouvelle

Génération de Moscou.

Contrairement à leur nom,

c’est en habits traditionnels,

chantant des chansons russes

que les comédiens font leur

entrée place d’Agier, se

faufilant parmi un public déjà

installé par terre devant la scène

en plein air. D’un geste

généreux et festif, ils distribuent

des petits gâteaux salés pour

inviter tout le monde à

participer à la célébration du

mariage de Vania et Liouba

dans le petit village de Koukich. Au début, le mariage se

déroule comme prévu : on signe

l’acte de mariage, on boit un

verre à la santé du jeune couple,

on danse, on se bagarre, comme

en témoigne une série de

tableaux énergiques et

loufoques. Le tout est ponctué -on s’y attendait bien-, par les

cris « PHOTO ! PHOTO ! » du

photographe qui immortalise

inlassablement les moments

importants. Comme ceux,

complètement fous, quand

certains spectateurs arrachés à

leur confort par les comédiens

sont appelés sur scène pour une

danse commune, et avec aussi, bien

sûr, quelques photos de groupe.

Jusqu’ici, on comprend.

Mais soudain l’histoire dévie,

suite à la folle idée que Vania

devienne cosmonaute et soit

lancé dans l’espace dans une

fusée qui fonctionne avec… de la

vodka ! A partir de ce moment-là,

ce qu’on pensait être une farce

représentant un mariage

quelconque débouche sur

l’absurde. Grimpant finalement

sur une échelle avec une fusée en

carton sur le dos et un seau sur la

tête (signé RJTE, clin d’œil aux

Rencontres) Vania se lance,

tandis que son épouse de

quelques instants et les invités lui

font un dernier signe d’adieu.

Une drôle de fin, dites-

vous ? Mais… c’est bien

l’année internationale de la re-cherche aérospatiale, ne le

saviez-vous pas ? Anita

Le Spoutnik de KoukichLe Spoutnik de Koukich

Par le groupe Nouvelle Génération de Moscou - Russie

Création collective, mise en scène de Nika Kossenkova assistée de Cyril Griot

Spectacle en russe et en français Samedi 2 juillet, Place d’Agier - 18h

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La Ballade du Romarin et de la MarjolaineLa Ballade du Romarin et de la Marjolaine

Par l’Accademia Teatrale Europea de Rome - Italie Mise en scène de Mariagiovanna Rosati-Hansen, assistée de Nicoletta Vicentini et Alberto Ferraro Spectacle en italien - Samedi 2 juillet, Place d’Agier - 22h00

Sur la scène extérieure de

la place d'Agier, la façade

arrière de l'église Saint-André

se prête parfaitement à

l'ambiance du spectacle

présenté. Les murs de pierre

reflètent la lumière des

éclairages et absorbe les

ombres des comédiens,

mettant en valeur leurs

silhouettes masquées. Si les

spectateurs sont inégalement

perturbés par les festivités

alentours - témoignage de la

cohabitation de deux mondes

bien distincts dans l'espace

public -, ils peuvent sans peine

se laisser emporter par cette

mise en scène légère dans un

spectacle ô combien vivant.

La qualité de l'interprétation

et de la mise en scène permet

la compréhension d'une his-toire classique, même pour un

public non-italophone.

Des costumes éclatants et de

magnifiques masques grotesques

revêtus par des comédiens

énergiques aux techniques corpo-relles et gestuelles parfaitement

maîtrisées, donnent une fluidité

captivante à l'ensemble. Un

Arlequin souple et facétieux qui

déjoue les convoitises de la

noble cour envers les damoi-selles. Un Pantalone courbé,

piétinant, à la voix éraillée, qui

tente de rappeler les conve-nances nécessaires à l'obtention

des grâces de sa progéniture.

Un Don Tiburzio qui affirme

son ego par son statut nobiliaire

et une mise en avant prononcée

de ses attributs virils. Un

Léandre naïf et attachant. Une

Léonore et une Colombine,

ravissantes élues paralysées

devant les décisions de ces

messieurs, à moins que leur

finesse d'esprit ne renverse

l'apparente domination mas-culine pour parvenir à un amour

désiré. Au final de scènes

rocambolesques, les amours se

forment, laissant dépité le plus

vaniteux d’entre eux. Le

spectacle s'achève dans un air

de fête, de chants et de guitares,

entraînant le public dans une

frivolité partagée. C'est un authentique spectacle

de Commedia dell'Arte, que nous

a dévoilé l'Academia Teatrale

Europea di Roma, dont on

retrouve tous les ingrédients,

dont ces agréables senteurs de

basilic et de « Rinascimento »,

et qui nous plonge en d'autres

époques et d'autres lieux.

Sylvain

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Des mélopées, dans un

langage inconnu, nous accueil-lent dans la salle du théâtre

145. On ne distingue pas tout

de suite les corps immobiles,

vêtus de noir, qui sont allongés,

sur les deux côtés de la scène. Soudain, dans un bruit

de crépitement de mitrail-lettes, ces corps jaillissent

dans la lumière zébrée qui

fuse d’un projecteur au sol.

Le décor est campé ! Celui de

la guerre et de la violence. Six danseurs courant dans

tous les sens, hurlent, affolés.

Leurs cris nous agressent

comme des coups de poings. Le

rythme est rapide, saccadé,

déstabilisant. Suivent des

lamentations, des plaintes, des

bruits stridents. Des corps

torturés se tordent au sol. Des

visages grimaçants expriment la

douleur. La respiration suspendue,

on se sent pris dans un engrenage

de souffrance et de peur. Dans une lumière tamisée,

apparaît un homme, en tenue

militaire, un béret sur la tête,

dont le visage, maquillé de

traits noirs, symbolise

l’animalité du personnage, sa

cruauté, son côté prédateur. Il

circule au milieu des corps, le

regard dur. Les coups pleuvent.

Puis, satisfait, l’homme sort

une pomme de la poche de sa

chemise, croque dedans, la jette

et s’en va. Tels des chiens

affamés, les malheureux

prisonniers se précipitent sur

elle et se battent. Une période d’accalmie

permet au spectateur de

souffler. Dans une musique

douce et mélancolique, la vie

reprend son cours. Chaque

danseur retrouve les gestes du

quotidien, ceux de différents

métiers. Ces gestes se

transforment petit à petit en

une danse, dans un jeu de

foulards blancs. Un danseur,

cependant, se distingue du

groupe par son écharpe rouge,

et entame une danse

langoureuse, belle, sensuelle.

Agressés par cette différence,

les autres commencent son

lynchage avant de le livrer à la

police. Hurlements !

Dans les scènes qui suivent,

trahison, corruption, abus de pouvoir,

mépris de l’être humain, sont

dénoncés avec la même violence.

Deux scènes sont parti-culièrement fortes : celle où un

jeune homme subit des

brimades avant d’être enrôlé de

force dans l’armée et de devenir

à son tour le méchant qui les

infligera. La deuxième scène est celle

de l’apparition d’une femme

voilée, en chaussures roses à

très hauts talons, qui se révèle

être le geôlier travesti, jouant

méchamment avec les

fantasmes des hommes et

révélant par là aussi son

mépris de la femme. Face à la tyrannie, la révolte

gronde cependant. Des

manifestants agitant des dra-peaux sont vite réprimés.

Dans un halo de lumière

opaque et une musique

triomphante, l’oppresseur se

dresse, écrasant le peuple

laborieux courbé au sol.

Sho KmanSho Kman

Par le Freedom Theatre de Jénine - Palestine Création collective, mise en scène de Nabil W.O. Alraee

Spectacle en arabe - Samedi 2 juillet, Théâtre 145 - 20h30

Spectacles en salleSpectacles en salle

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. 12 .

On souhaiterait voir dans

la dernière image, celle où

les acteurs courent sur

scène, une lueur d’espoir.

Mais y est-elle vraiment ?

Que de décharges émo-tionnelles dans ce spectacle

coup de poing ! Quand on

sait que c’est avant cette

création que le metteur en

scène du Théâtre de la

Liberté à Jenine, Juliano

Mer Khamis, a été assassiné,

on comprend que cette pièce

joue un rôle de catharsis

contre la douleur, la haine,

le désespoir. Elle nous offre

un remarquable travail

d’acteurs à la gestuelle

précise et puissante. La

mise en scène, les lumières

et les musiques accom-pagnent de façon très

efficace ce spectacle dont on

ne sort pas indemnes ! Jocelyne

Ce spectacle, d'une

intensité remarquable, par-vient à effectuer la prouesse

inattendue -peut-être naïvement- de ne pas se lamenter sur le sort et

le vécu des comédiens et de leur

peuple. Il donne une portée

générale à la violence et au mépris. Car on ne peut pas oublier

la souffrance de l'histoire du

peuple palestinien, relatée à

travers le monde depuis des

décennies. Si cette

représentation s'en inspire

profondément, ce n'est pas

seulement cela. Elle nous

interpelle. C'est un cri. Mais

c'est aussi la thérapie de ces

jeunes artistes, même si ce

n’est pas l'objectif initial de

leur formation.

La présence de ces jeunes,

issus d'une partie du monde

délégitimée sur le plan

politique international, est

un honneur pour l'évènement

théâtral grenoblois. Non

seulement, ils nous amènent

la réalité de leur vécu – avec

un talent artistique évident –

mais ils nous permettent de

donner une place à part

entière à la Palestine,

territoire à la recherche d'une

reconnaissance politique.

Faisant fi des questions

géopolitiques, ils s'intègrent

avec leur personnalité au

même titre que d'autres

troupes issues d'États-Nations reconnus comme

tels. Sans distinction. Et ils

forcent le respect par la

démonstration de leur

courage, brisant les carcans

qui les enserrent. Ils font la preuve de

l'exutoire que peut être le

théâtre pour prendre de la

distance par rapport à la

réalité, « de sortir du

présent » comme l'a exprimé

Nabil Alrae, leur metteur en

scène. Un présent pourquoi

pas perçu comme une

prison : le lapsus entre les

deux termes peut être un

symbole révélateur. Certes, si quelques mo-

ments de rires seront

possibles, il n'y aura pas de

fin heureuse. Car le fait de

sortir de la réalité n'efface

pas la souffrance. Elle

revient sans cesse. On s'en

écarte. On l'oublie l'espace

d'un instant, mais elle revient

à nous, parfois plus fortement.

Ainsi, nous ne pouvons que

remercier les Palestiniens

d'être là. Nous ne pouvons

qu’écouter en silence ce qu'ils

ont à exprimer. Et nous ne

pouvons que les encourager à

continuer. Face à une situation

qui nous dépasse, nous ne

pouvons que méditer avec eux

sur ce cri de douleur... Sylvain

PostPost--scriptum à Sho Kman : scriptum à Sho Kman : un simple hommageun simple hommage

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Don Quichotte est de

retour. Parce qu’un personnage

ne meurt pas tant que l’on se

souvient de lui, tant qu’on en

parle, tant que le message qu’il

véhicule reste pertinent et

révélateur. Dans le spectacle du

groupe Mimesis du Collectif

1984, Don Quichotte refait

surface avec des histoires on ne

peut plus actuelles. Untel, homme de notre

époque, rencontre Don

Quichotte et Sancho Pança dans

un contexte volontairement

abstrait. Sur une scène

découpée de lumière, un chœur

accompagne et ponctue le

déroulement de l’histoire ; des

comédiens en émergent et s’y

confondent à tour de rôle. De la

fumée entre en scène : on brûle

les livres pour empêcher les

hommes de rester conscients de

leur humanité. Don Quichotte

s’indigne, mais notre homme ne

comprend pas. Don Quichotte

lui confie alors un livre qu’il

lira attentivement sur le devant

de la scène sous une faible

lumière. La première histoire : le

dilemme de l’homme qui a

faim… Sur un banc, une

personne de bonne condition et

une femme SDF se retrouvent

côte à côte. La première accepte

de partager son sandwich avec

l’autre, à condition que cette

dernière accepte de donner une

gifle à un inconnu. Celle-ci,

poussée par la faim, est sur le

point d’exécuter ce qu’on lui

demande, mais finalement n’y

arrive pas, malgré les

provocations incessantes de

l’autre. Quand elle comprend

que son plaisir ne sera pas

comblé, irritée, la femme au

sandwich décide de s’en aller et

jette les restes. La SDF récupère

timidement la nourriture dans la

poubelle astucieusement

représentée par un comédien.

Terminant sa lecture, le

personnage s’interroge sur ce

qu’il vient de lire, et nous aussi. La deuxième histoire est, à

mon avis, l’apogée du

spectacle. Un homme noir,

intégré dans la société

occidentale, demande l’heure à

un autre noir habillé en boubou.

Celui-ci répond avec un accent

africain que le premier prétend

ne pas comprendre. Le second

s’indigne à juste titre du mépris

avec lequel il est traité, et la

tension monte. Intervient aussi

une tierce personne qui cherche

à modérer la dispute de plus en

plus vive qui est à deux doigts de

dégénérer en bagarre. Ce « Belge

de souche » de couleur noire s’est

tellement coupé de ses origines

qu’il refuse toute ressemblance

entre lui et l’Africain. Finalement,

on lui fait prendre conscience de

l’enfant en lui qui pleure encore,

qui a peur, qui a mal… Alors, dans

un moment d’une émotion

inoubliable, il commence à

chantonner la berceuse africaine

que lui chantait sa mère. La troisième histoire est

celle d’un policier qui arrête un

sans-papiers. Il est inflexible

quand celui-ci l’implore de le

laisser s’en aller. Très vite on

perçoit son secret : il rêve de

pouvoir se marier, mais cela lui

semble impossible à réaliser. Sa

« victime » qui cherche à

s’évader de la situation lui

propose de l’aider à trouver

quelqu’un. Le policier commence

à croire à cette possibilité : on

Don Quichotte, chotte, chotte, le retourDon Quichotte, chotte, chotte, le retour

Par le groupe Mimesis du Collectif 1984 de Bruxelles - Belgique Texte et mise en scènede Catherine Brescheau,

assistée de Nihale Touati Spectacle en français - Dimanche 3 juillet, Espace 600 - 16h30

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découvre soudain en lui un

homme fragile et seul. Arrive

une demoiselle, il lui prête son

bras, et sous l’encouragement

de l’autre, il lui demande sur le

champ sa main. Mais la jeune

fille refuse, son rêve s’effondre.

Blessé, il redevient un homme

de pouvoir amer et impassible,

même plus cruel qu’avant de

par son rêve brisé. Parallèlement à cette lec-

ture, Don Quichotte voit aussi

son amour refusé par sa

Dulcinée, une prostituée qui,

dans un monologue touchant

et poétique, explique que cet

amour pur la blesse plus que

n’importe quelle cruauté et

que de toute façon, cet amour

arrive trop tard. Elle s’en va

sans pitié, laissant Don

Quichotte face à la froide

réalité qui est la nôtre et

contre laquelle, de plus en

plus fatigué, il combat et

combattra toujours.

Ce spectacle, qui donne

amplement à réfléchir, mais qui

faisait aussi sourire à bien de

reprises, était un plaisir à suivre

grâce à une scénographie

épurée et un jeu d’acteur de

qualité, où le jeu collectif

discipliné laissait émerger

autant de personnages aussi

inoubliables les uns que les

autres. Anita

Ambitieux. Mettre en

scène pareille légende est loin

d'être un exercice évident. On

pourra dire que la repré-sentation est un peu longue.

C'est vrai, c'est long. Mais une

épopée saurait-elle être

écourtée ? Et l'on imagine déjà

les choix cornéliens qui ont dû

être faits pour mettre en scène

un tel spectacle. La légende du

roi Arthur et la reine

Guenièvre, les chevaliers de la

Table Ronde, Excalibur, Merlin

l'Echanteur, la Dame du Lac,

Tristan et Iseult, Lancelot du

Lac, la forêt de Brocéliande,

Mordret, le château de

Camaaloth... et le Graal, trônant

au fond de la scène. Recueil

quasiment exhaustif des

légendes celtiques, cette

représentation a plongé la salle

dans l'ambiance magique des

classiques de la littérature

médiévale d'Europe occidentale

pendant près de deux heures

durant lesquelles la présence

scénique des comédiens est

sans interruption.

Légende de la Table RondeLégende de la Table Ronde

Par l’Atelier de Réalisation Théâtrale du Créarc de Grenoble - France Adaptation de textes de T. Dorst, F. Delay et J. Roubaud,

mise en scène de Romano Garnier Spectacle en français - Dimanche 3 juillet, Théâtre 145 - 20h30

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L'adaptation du texte nous

déroute dès le début par des

anachronismes et absurdités

désopilantes, comme les

paiements en euros et autre la

naissance d'un enfant déjà

adulte, parlant et conscient,

l'invention du pique-nique ou

encore cette série de tentatives

pour arracher Excalibur à sa

pierre par tous les moyens –

même la tronçonneuse. La

grande qualité de ce spectacle

réside dans l'ingéniosité de la

mise en scène et la justesse de

l'interprétation des comédiens.

La tour qui menace de

s'effondrer, ou le dragon formé

par le mouvement des acteurs,

sont des moments forts de la

pièce. De même, le bûcher, et la

forêt mystérieuse de

Brocéliande avec ses arbres

mouvants, font partie des

images symbolisées dans un

réalisme remarquable. L'énergie des comédiens

n'a d'équivalent que la

succession dynamique des

tableaux qui nous plongent

dans des ambiances sans cesse

renouvelées. Les lumières, la

musique et les chorégraphies

transportent le spectateur dans

des univers variés. Quelques

scènes de la vie quotidienne

sont dévoilées. Puis on oscille

d'un registre à l'autre, tantôt

aventureux, tantôt maléfique,

parfois comique, voire bur-lesque, mais aussi romantique

et sensuel, et, pour finir,

tournant au tragique. Certes, la représentation

s'essouffle un peu au fil de

l'histoire. Les moments cocasses

se font plus rares pour s'effacer

totalement. La tragédie s'impose

dans la chaleur accablante du

théâtre. Mais les comédiens sont

toujours là, faisant oublier qu’ils

sont une troupe d'amateurs. Sylvain

Dans la Flandre du XVIIème

siècle, les habitants d’un village

sont terrifiés à l’idée du passage

de l’armée espagnole dans leur

ville. Le souvenir d’une guerre

violente est encore vif dans les

esprits, aussi cherche-t-on à

détourner l’attention du duc et de

son escorte par la ruse. Ce sont les femmes qui

prennent en main le pouvoir car

leurs hommes sont lâches : elles

décident de séduire les Espagnols

par n’importe quels moyens,

tandis qu’on prétendra que le

bourgmestre est mort et que le

village est en deuil. Finalement,

elles mènent par le bout du nez

non seulement les uns, mais aussi

les autres, en y prenant un

malicieux plaisir. Femmes

délaissées, insatisfaites, qui

trouvent, grâce à leur présence

d’esprit et leurs charmes,

comment transformer à leur

avantage la faiblesse des hommes.

C’est l’histoire classique

d’Aristophane, Lysistrata, que

l’on reconnaît dans le film de

Jacques Feyder, qui est adaptée

pour la scène par les Théâtreux de

La Kermesse HéroïqueLa Kermesse Héroïque

Par Les Théâtreux de Ljubljana - Slovénie Adaptation du film de Jacques Feyder, mise en scène de Julie David

Spectacle en français - Lundi 4 juillet, Espace 600 - 16h30

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Ljubljana, dans la mise en scène

de Julie David. A saluer, avant tout, l’audace,

l’investissement et l’énergie des

comédiens. Ils se prêtent à un jeu

débridé aux nombreuses allusions

sexuelles avec une joie d’être sur

scène et une complicité qui ne

manquent pas d’enchanter le

spectateur… Mention spéciale

pour la scène de danse collective ! Dans leurs habits gris, sans

couleurs, et avec très peu de

décors, ils nous tracent un

tableau intemporel sur la relation

des hommes et des femmes,

mais ce avec une ironie aigüe.

Les hommes apparaissent cari-caturaux… Inoubliable, le mo-

ment où l’armée espagnole quitte

la ville sur ses chevaux invisibles. Pour d’autres, cependant,

ce sont justement les femmes

qui semblent être carica-turales, réduites à utiliser

leurs charmes pour manipuler

le monde masculin et se

révolter contre la soumission.

Pour d’autres personnes

encore, les deux sexes sont

pareillement « maltraités »,

présentés comme étant

condamnés à un combat

perpétuel, incapables de s’unir

pour parvenir à des fins

communes. Ce spectacle soulève donc le

débat sur différents points. On

s’interroge d’une part sur le

message que le parti pris véhicule

sur la guerre des sexes, d’autre part

il nous fait réfléchir à la

problématique de la représentation

de la violence sur scène. Le

spectacle commence par une scène

de guerre : de longs cris nous

parviennent des coulisses, des

hommes et des femmes en blanc

surgissent de partout pour se faire

massacrer par des soldats dans un

sanglant assaut. Les femmes sont

violées, égorgées sous nos yeux.

Est-ce trop, est-ce nécessaire ? La

question est ouverte. Selon

certaines opinions, cette violence,

représentée au théâtre, agresse

encore plus le spectateur que

lorsqu’elle est vue à la télé, où elle

perd de sa réalité à force d’être

transmise par un media souvent

cynique. Pour d’autres au

contraire, cette représentation

n’égale en rien les images dont on

nous assaille dans nos quotidiens.

Comme nous l’avons appris au

café débat du lendemain, il y a eu

de la part de la troupe, en effet, une

volonté de faire une allusion à

l’actualité des révolutions arabes,

et à l’attitude révoltante de la

télévision impudique qui ne

respecte rien. Ainsi, dans cette

scène comme dans la vie, arrive le

reporter avec un micro en main

pour commenter en direct viols et

meurtres. C’est un clin d’œil

critique sur notre société actuelle,

mais aussi une clef de lecture

déroutante, car cette première

scène est très éloignée par sa

cruauté et son réalisme de la suite,

qui se joue dans un registre de la

farce, drôle et aimable. Cette scène

voulait nous faciliter l’entrée dans

le spectacle… Mais peut-être le

ton était-il trop fort pour

l’ensemble de ce qui s’en suivait?

Les avis sont partagés. C’est un spectacle, en tous cas,

qui se prête à la réflexion. Anita

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Nous voilà au Théâtre 145.

Nous attendions une troupe, et

finalement nous avons eu droit

à un monologue d’une grande

performance théâtrale, mettant

en scène l’Histoire et les

souffrances du peuple italien.

Le metteur en scène, mais ici

comédien Marco Pernich nous

conte l’histoire, de 1861 à nos

jours, de l’Italie, qui fête en

2011 le 150ème anniversaire de

son Unité. Il passe en revue plusieurs

étapes : fin de la monarchie,

Garibaldi, la Révolution,

l’émergence du communisme,

le régime fasciste de Mussolini,

la Résistance, le terrorisme

avec l’attentat de Bologne et

ses 80 morts, perpétré par

l’extrême droite. Puis c’est

l’assassinat du premier

ministre Aldo Moro par les

Brigades Rouges de l’extrême

gauche. Il va enfin jusqu’au

régime capitaliste de

Berlusconi qui instaure une

République-paillettes et la

décomposition des valeurs

républicaines italiennes. Ce qui ressort le plus dans

cette histoire, c’est la

corruption à tous les niveaux de

l’État, et l’importance de la

mafia dans ce pays. Elle est

aussi liée à de grands

événements internationaux, tels

que la destruction des Tween

Towers le 11 septembre 2001. A côté de Marco Pernich, se

trouvent un violoniste, un

pianiste et une chanteuse, qui

vont l’accompagner tout au long

du déroulement du spectacle. J’ai

trouvé les musiques et les chants

particulièrement bien choisis

pour illustrer les différents états

d’âme du comédien. C’est une grande leçon de

théâtre, à la fois dans le jeu de

l’acteur et l’utilisation des

accessoires. Par exemple,

l’usage des chapeaux pour

représenter différents per-sonnages, est très inventif et

significatif. Mais certains jeunes

participants aux Rencontres

ont trouvé ce spectacle un peu

trop classique ; ils l’ont vécu

comme un cours d’Histoire.

Salima

Gli ScavalcamontagneGli Scavalcamontagne

Par le Studio Novecento de Milan - Italie Texte et mise en scène de Marco Pernich

Spectacle en italien - Lundi 4 juillet, Théâtre 145 - 20h30

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Avec le concours d’un

violoniste, d’un pianiste et

d’une chanteuse, dont la pré-

sence sur scène fait de la mu-

sique une composante essen-

tielle de la création théâtrale,

à l’aide de quelques chapeaux

et autres modestes acces-

soires, Marco Pernich nous

entraîne dans une chevauchée

effrénée à travers l’histoire de

l’Italie contemporaine. Non, cette entrée en ma-

tière me semble rendre

compte insuffisamment de la

pièce. Je reprends : avec le

concours d’un violoniste, d’un

pianiste et d’une chanteuse… Marco Pernich met en

scène une troupe d’acteurs

itinérants (qu’on appelait au-

trefois le « chevauche-montagnes »). A l’heure où,

en 2011, l’Italie fête le 150ème

anniversaire de son unité,

cette troupe raconte l’histoire

de l’Italie de 1861 à nos jours.

L’originalité de la démarche

me semble être là, dans cette

étroite et passionnante rela-

tion qui se construit devant les

spectateurs entre l’histoire

d’une troupe, née la même

année que le Royaume d’Ita-

lie, et l’histoire pleine de re-

bondissements du pays lui-même. Rien n’a été oublié

dans ce récit d’une aventure

théâtrale partie prenante de

son temps, avec une allusion

appréciée à la tenue des 1ères

Rencontres du Jeune Théâtre

Européen quelques mois seu-

lement avant la chute du mur

de Berlin. Immense espoir de

liberté soufflant à travers

l’Europe ! Le théâtre partie inté-

grante de l’Histoire, l’Histoire

comme un théâtre, telle sont

les deux faces de cette rela-

tion intime entre l’Histoire et

le Théâtre que Marco Pernich

vit avec une rare intensité, en

tant qu’artiste, metteur en

scène et ici comédien, mais

aussi comme citoyen amou-

reux d’Histoire, et passionné

par celle de son pays. A sa

suite, avec la tête et avec le

cœur, avec l’intelligence et

avec les tripes, je me suis lais-

sée entraîner dans cette créa-

tion qui montrait comment

l’art, en nous faisant entrer

dans la complexité des êtres

humains, peut nous aider à

comprendre un peu mieux

l’extrême complexité des phé-

nomènes historiques. Thérèse

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Le spectacle proposé par la

troupe de Barcelone, a débuté

par une explication de ce que

nous allions voir, à savoir un

aperçu de la technique théâtrale

du Théâtre Forum créé par

Augusto Boal. Jordi Forcadas,

le metteur en scène, nous

explique que, dans ce théâtre-là, au lieu d’apporter des

réponses, on pose des questions,

et que, leur pièce n’étant pas

terminée, il demanderait, à la fin

de la représentation, la

participation du public. Mais avant, Jordi a tenu à

remercier le directeur et

l’équipe du Crearc qui ont

permis aux jeunes de sa troupe

de participer à ces Rencontres.

Avec ses comédiens, il a

également rendu hommage aux

trois acteurs qui, faute de papiers

en règle, n’ont pu obtenir

l’autorisation de venir à

Grenoble. Les acteurs, immobiles

sur le devant de la scène, avec

des gestes d’empathie propres à

chacun, répètent, dans leur

langue d’origine, qu’ils con-tinueront le combat.

Le thème de la pièce est

celui d’une jeune fille,

Cynthia, qui a réussi sa vie, est

heureuse et revendique sa

liberté de pensée et de choix, et

en particulier celui de ne pas se

marier avec le jeune homme, à

la peau noire, avec lequel elle

vit. La scène où elle refuse

l’alliance que son ami lui offre

et qui entraîne entre eux une

querelle basée sur la jalousie,

est très drôle et très réussie et

déclenche les rires. On apprend aussi que pour

des raisons de traditions et de

différences de culture, Cynthia

a coupé les ponts avec sa

famille. On découvre par

ailleurs qu’elle a un frère,

chouchou du père, en qui celui-ci a mis tous ses espoirs. Or, ce

jeune homme est loin de répondre

à l’image que sa famille a de lui.

L’annonce de l’arrivée de ce père à

Barcelone est pour lui une

véritable catastrophe. Aussi va-t-il supplier sa sœur de passer par

dessus ses rancœurs, d’accepter

d’héberger leur père et de lui

prêter, à lui, argent et voiture, afin

de pouvoir aller chercher celui-ci à

l’aéroport. Pendant le trajet du

retour, les questions du père et les

mensonges du fils entraînent des

quiproquos qui provoquent le rire. Plus loin, un autre épisode

est particulièrement comique : le père, découvrant dans un

premier temps que celui qu’il

considère comme « le mari » de

sa fille, (Daniel, « un Français

de France ») est noir, le rejette

comme gendre. Mais, apprenant

que celui-ci est informaticien,

il change rapidement d’attitude

et dit à sa fille : « Ce gars-là

est pour toi. ». Malgré les rires et les

situations cocasses, le thème est

sérieux et correspond à des

situations dramatiques que

vivent de nos jours des jeunes

d’origines différentes. Cynthia

Qué Ves en el Espejo?Qué Ves en el Espejo? Par le Forn de Teatre Pa’tothom de Barcelone - Espagne

Création collective, mise en scène de Jordi Forcadas Spectacle en espagnol - Mardi 5 juillet, Espace 600 - 16h30

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cherche à se dégager de

l’engrenage de la tradition, et

se bat pour la réalisation de ses

souhaits par rapport à son père

mais aussi dans son couple.

Son choix est lourd à porter,

car lorsque sa conscience lui

demande de se regarder dans

un miroir, et de dire ce qu’elle

voit, elle se voit comme la sœur

de ce frère qui dépend

tellement d’elle. Elle se voit

comme la fille de ce père

traditionnel qui lui refuse sa

liberté. Elle se voit comme la

mère des enfants de Daniel qui

lui demande de l’épouser. Mais

lorsqu’elle regarde le public,

elle ne voit rien. Elle est libre.

Quand le spectacle s’arrête,

le metteur en scène prend la

parole pour nous mettre dans

les conditions de la démarche

d’Augusto Boal. « Maintenant, dit-il, pour

faire avancer la réflexion, je vais

vous poser une question : Que

devrait faire Cynthia pour

changer les choses et par exemple

se faire entendre de son père ? Qui

a une solution à propo-ser ? sachant que cette solution ne

doit pas être apportée par des

paroles mais en « modelant » les

comédiens, en leur donnant une

image et en leur faisant prendre

des attitudes de lutte par rapport à

leurs problèmes. »

Deux participantes des

Rencontres se prêtent au jeu et

la pièce se termine par le

tableau que l’une d’elle a créé. Merci à Jordi et aux

acteurs d’avoir proposé un

spectacle sur les problèmes de

tradition et de relations

familiales à travers la méthode

très intéressante et reconnue

d’Augusto Boal, celle du théâtre-forum. Cependant j’aurais aimé,

pour enrichir notre réflexion, que

l’on aille plus loin et l’on accorde

un peu plus de temps à la

recherche de propositions finales.

Jocelyne

La MèreLa Mère Coproduction École de Théâtre Machulsky (Varsovie - Pologne)

et Créarc (Grenoble - France) Texte de Stanislav Witkiewicz, mise en scène d’Anna Dziedzic

C’est l’histoire de Léon,

mégalomane effrayant. A

l’époque de la naissance du

fascisme, Léon est opposé à la

démocratie, au syndicalisme, au

communisme… Nihiliste, il veut

changer le monde.

Il est adulé par trois

femmes avec qui il entretient

des rapports passionnels,

voire incestueux, et qu’il

n’hésite pas à exploiter pour

profiter sans scrupules de

leurs bienfaits.

Il s’agit tout d’abord de sa

mère, vieille aristocrate

déchue, qui s’épuise à tricoter

pour lui fournir des subsides,

de sa compagne qui se

prostitue pour lui, et d’une

vieille bourgeoise aisée qui

l’entretient elle aussi. Le

thème du vampirisme

réapparaît tout au long de la

pièce, chaque personnage

aspirant les forces vitales de

l’autre. « Je redoute le

moment où tu comprendras

que toute ta vie se résume à

moi seule » s’inquiète la

mère.

La gouvernante de la mère

nous semble, parmi tous les

personnage, le seul montrant

des émotions saines et sincères. Bien que devenu riche, Léon

continue à se complaire dans des

activités louches, la drogue,

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l’espionnage et la vente de

secrets d’état, la débauche. Pour ce spectacle, pas de décor,

seulement cinq tabourets que l’on

déplace au gré des besoins des

acteurs. La représentation est donnée

à la fois par des Polonais, en

polonais, et par des Français, en

français. Au fur et à mesure du

déroulement de la pièce, chaque

rôle est interprété par des

comédiens différents.

Witkiewicz, romancier et

dramaturge polonais avant-gardiste, était également peintre

et photographe. Cela explique

sans doute le caractère très

visuel du spectacle, le goût

manifeste de la mise en scène

chez l’auteur de cette « pièce

répugnante en deux actes et un

épilogue », comme il la

nommait lui-même. Les acteurs

nous présentent des scènes très

évocatrices. Par exemple le

numéro de séduction de la

jeune femme jouant avec son

gilet rouge, rare tache de

couleur dans ce monde bien

noir. Ou encore, l’exécution,

sous l’emprise de la cocaïne, de

danses psychédéliques et éro-tiques accompagnées d’échar-pes tricotées (en rappel du

travail de la mère). La scène où Léon voit en

rêve les gestes d’amour de ses

parents au moment de sa

conception, nous rappelle que

nous avons tous des souvenirs

inconscients de notre vie avant

la naissance. La révélation que

son père était un criminel, puis

la mort de sa mère suite à une

overdose de cocaïne, précipitent

Léon dans la déchéance

complète. Nous avons trouvé par-

ticulièrement intéressante la

collaboration entre une troupe

française et une troupe

polonaise, qui ont réussi, en très

peu de temps, à monter ensemble

ce spectacle très abouti.

Michèle et Suzon

Cette pièce est une

traduction russe du texte de

Camus.

L’histoire se passe quelque

part en Europe, dans un pays

gris, froid, brumeux .Là, deux

femmes aubergistes, la mère et

la fille, tuent certains de leurs

clients qui leur paraissent

riches, et récupèrent leur argent

pour pouvoir partir vers leur

eldorado, un pays où il y aurait

la mer et le soleil.

La mère, fatiguée, voudrait

arrêter tous ces crimes :

« J’aspire à la paix, à un peu

d’abandon », dit-elle. Martha,

sa fille, veut continuer une

dernière fois encore, afin

d’assurer les revenus dont elle a

besoin pour réaliser ses rêves.

Mais un jour, Jan, le fils,

frère de Martha, qui, vingt ans

plus tôt, avait fui ce pays et sa

famille, revient. Et là, c’est le

drame.

Il ne se présente pas,

espérant que sa mère le

reconnaîtra.: « Une mère

reconnaît toujours son fils,

Le MalentenduLe Malentendu

Par le groupe de théâtre Zimniy de Moscou - Russie Texte d’Albert Camus, mise en scène de Rousaleev Andrey

Spectacle en russe - Mercredi 6 juillet, Théâtre Prémol - 16h30

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c’est le moins qu’elle puisse

faire. ». Il souhaite aussi renouer

avec son pays et sa famille : « On

ne peut pas être heureux dans

l’exil ou dans l’oubli… On ne

peut pas toujours rester un

étranger… Un homme a besoin

de bonheur, il est vrai, mais il a

besoin aussi de trouver sa

définition… Le bonheur n’est pas

tout, et les hommes ont leur

devoir. » Toutefois, le processus iné-

luctable du crime se poursuit.

Malgré les réticences de la

mère, Martha empoisonne celui

qui est son frère. Et ce n’est

qu’en trouvant les papiers de Jan

dans ses poches, que les deux

femmes découvrent qui il est. La mère décide alors de se

suicider : « L’amour d’une

mère pour son fils est

maintenant ma certitude… Cet

amour est assez beau, puisque

je ne peux vivre en dehors de

lui. » Martha réalise alors que

sa mère ne l’a jamais vraiment

aimée. « Celle-ci est ma fille,

dit la mère, elle m’a suivie tout

au long de ce temps, et sans

doute c’est pourquoi je la sais

ma fille. Sans cela, elle aussi

serait oubliée. » Martha, devient alors très

dure. Elle repousse Maria, la

femme de Jan, qui attendant

celui-ci près de l’auberge,

s’inquiète du non-retour de son

mari. Désespérée, elle décide

aussi de se suicider. Maria

implore Dieu de l’aider, mais

celui qui lui répond, lui

dit : « Non ! ». Dernière réplique

implacable et significative.

Le texte de Camus est très

riche. Tant de choses sont dites

et dans une langue si belle,

qu’on peut trouver dommage

d’en résumer certains passages

sous prétexte qu’il n’y a pas

d’action. Mais nous savons que

pour une troupe de théâtre, le

choix du spectacle à présenter

dans le cadre des Rencontres du

Jeune Théâtre Européen est

difficile, puisqu’il faut tenir

compte du problème de la

compréhension de la langue. Il

faut donc trouver des moyens

de communication, non

verbaux, qui puissent être

compris par tous.

Dans « Le Malentendu », ce

n’est pas l’histoire qui est

importante, mais ce sont les

idées, les mots, les analyses

psychologiques qui en font la

richesse. Pour des acteurs

jouant en russe, tout cela n’est

pas facile à partager avec un

public plutôt anglophone ou

francophone. Mais en ce qui me concerne, ce

spectacle m’a donné envie de

relire ce texte, ce que j’ai fait

avec un plaisir toujours aussi vif.

Michèle

La Cité du SoleilLa Cité du Soleil Par le Théâtre de la Colline de Tizi-Ouzou - Algérie

Texte de Mouloud Mammeri, mise en scène de Hamid Aouameur

Spectacle en arabe - Mercredi 6 juillet, Théâtre 145 - 20h30

La Cité du Soleil, c’est un

texte de Mouloud Mammeri : Une réflexion philosophique

complexe autour du thème de

l’émancipation des hommes

dans la société, par la

recherche de la Vérité.

Sur scène, un magnifique

décor attend les spectateurs : des objets laissés ça et là,

comme autant de promesses ; des pancartes annonçant

« liberté », « bonheur » à

telle ou telle distance en

kilomètres, des instruments... En attendant que tous

s’installent, nous n’avons déjà

qu’une envie, celle de se

laisser enchanter par le

groupe algérien du Théâtre

de la Colline.

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Commence alors un récit, lu

par un personnage aveugle à

l’avant de la scène. Histoire dans

l’histoire, nous découvrons

bientôt un sage qui cherche à

conscientiser les habitants de son

village en prêchant. Il expose ses

idées dans de longs monologues

où certains habitants, joués par

les jeunes comédiens, inter-viennent pour donner les

répliques qui lui permettent de

continuer le fil de sa pensée. En

fond de scène se déroule le

quotidien : les villageois vont,

viennent, s’affairent à leurs

tâches journalières, mangent,

s’indignent, s’extasient. La particularité de ce

spectacle est sa composition

hors du commun . La troupe

avait demandé au début des

Rencontres si certains parti-cipants n’auraient pas envie de

les accompagner sur scène pour

jouer les villageois. Plusieurs

personnes s’étant proposées

pour cette aventure, les

comédiens algériens ont été

rejoints sur scène par des

personnes d’Italie, de France,

de Belgique et d’Allemagne.

Cette situation surprenante

a créé une excitation dans le

public dès les premiers instants.

On était curieux de découvrir

ses camarades sous un autre

jour. Cependant, malgré l’effort

soutenu des comédiens, le

spectacle a dévié. La réaction

du public dans la salle du

Théâtre 145 a donné lieu à un

débat violent le lendemain. En effet, plusieurs per-

sonnes avaient quitté la salle,

certaines découragées par le

texte philosophique de la

pièce, d’autres déçues par le

manque d’action scénique,

d’autres encore indignées par

l’absence de direction des

acteurs ou au contraire

choquées par l’irrespect du

public envers le spectacle. Une chose est sûre : même

si les comédiens allaient et

venaient sur scène ne sachant

pas trop quoi faire, appa-remment laissés pour compte

par le metteur en scène, il s’est

développé sous nos yeux un

deuxième spectacle dans le

spectacle à l’arrière de la

scène : celui de nos amis

cherchant à contrebalancer la

fragilité de leur situation.

Malheureusement pour les

comédiens algériens, cette

situation scénique improvisée

est devenue petit à petit plus

intéressante à regarder que le

monologue moralisateur à

l’avant de la scène. Mon grand regret est que la

scène installée avec tant de goût et

si peuplée d’objets passionnants

n’ait finalement que peu servi, tout

comme les comédiens-villageois

dont la présence scénique n’était

en réalité pas vraiment justifiée. Je

regrette aussi que le bel effort

fourni par les comédiens algériens

n’ait pas eu plus de fruits, car ils

ont vraiment tout donné jusqu’au

bout, malgré les rires déconcertants

des spectateurs. Il est possible qu’un tel

propos politico-philosophique,

dépouillé de presque tout jeu

théâtral, ait été un trop grand

défi dans un milieu aussi

international et jeune.

Anita

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Ce spectacle ayant fait l’ob-

jet d’un débat animé au cours

du café-débat du lendemain, je

souhaite exprimer mon point de

vue sur un des éléments ma-

jeurs de la controverse. Je fais partie de ceux qui ont

aimé ce spectacle, qui ont ri

pendant la première partie, et

qui n’en ont point honte ! Mais, rire ou ne pas rire, est-

ce la bonne question ? On peut rire, et percevoir en

même temps le tragique qui

s’exprime à travers le choix dé-

libéré de la dérision. Parfois

même celui-ci peut faire ressor-

tir encore mieux le côté tra-

gique de la condition humaine.

Il m’a semblé que c’était bien

le choix adopté sur le plateau,

pour mettre en scène le Sage,

un personnage en qui s’incarne

ici un problème universel, celui

de la transmission. Certes ses

intentions sont nobles, son dis-

cours est beau, et son message

authentique. Mais suffit-il, pour

se faire entendre et ouvrir les

cœurs, pour former de véri-

tables citoyens, de prêcher en

s’enfermant dans son discours

tout en hérissant constamment

son public par des reproches

qu’il ne comprend pas ?

L’échec pathétique de cette

attitude du Sage m’est apparu

très bien servi par le jeu de l’ac-

teur au-delà d’un certain effet

comique volontaire. Le rire s’est prolongé en

voyant le désarroi croissant du

peuple, de plus en plus pertur-

bé et frustré, que l’errance des

acteurs rendait particulière-

ment visible. Mais en me laissant porter

par le déroulement du spectacle,

mon rire s’est tari devant la

double tragédie qui se déroulait

sous nos yeux : celle de l’em-

prise croissante des ennemis du

Sage sur le peuple, et celle des

acteurs livrés à eux-mêmes du

fait d’une mise en scène ab-

sente ou désinvolte (pourquoi

avoir, par exemple, représenté

le singe par un ours en pe-

luche ?), mais réussissant mal-

gré tout et grâce à leur seul ta-

lent, à donner du sens à leur

errance. Dans cette deuxième

partie, le texte, qui devenait de

plus en plus fort, a été porté par

un jeune acteur qui incarnait le

personnage du Sage, emprison-

né et persécuté, avant d’être mis

à mort… « J’ai les membres

entravés, mais ma parole est

libre ! » s’écrie-t-il en levant

ses poignets enchaînés, avant

d’ajouter, en s’effondrant

« Pourquoi m’abandonnez-vous,

mes frères ? ». Image forte, pa-

roles bouleversantes, qui m’ont

évoqué tant d’artistes, de mili-

tants ou simples citoyens en tous

temps et en tous lieux, prêts à

donner leur vie pour la liberté. Merci aux acteurs qui, dans

un contexte difficile pour eux,

se sont investis dans ce spec-

tacle et nous ont fait découvrir

le texte magnifique de Mouloud

Mammeri. Je dois dire cependant que je

fais partie des « chanceux » qui

ont pu comprendre et entendre

aisément ce texte, ce qui n’était

pas le cas d’une bonne partie du

public. On ne cessera donc de le

répéter : un spectacle qui repose

en grande partie sur le texte pose

problème dans des Rencontres

Internationales et multilingues

comme les nôtres. Thérèse

La Princesse et le PorcherLa Princesse et le Porcher

Par l’Amifran d’Arad - Roumanie Texte de Dumitru Solomon, adaptation de Liana Didilescu,

mise en scène de Florin Didilescu Spectacle en français - Jeudi 7 juillet, Théâtre Prémol - 16h30

Le prince d’un tout petit

royaume s’enhardit à demander

la main de la fille de l’empereur

voisin. Mais la princesse rejette

ses cadeaux car tout ce qui n’est

pas artificiel lui fait horreur : la

rose merveilleuse, pas plus que

le rossignol au chant divin, ne

peuvent lui plaire ! Elle refuse

de recevoir le prince. Celui-ci

se barbouille alors le visage, et

se fait embaucher comme por-

cher au château de l’empereur.

Il fabrique une marmite garnie

de clochettes, qui chante et a le

pouvoir de faire connaître tous

les plats cuisinés dans le pays.

La princesse reconnaissant la

chanson, veut acheter la mar-

mite. « Je veux dix baisers de la

princesse », c’est le prix de la

marmite, que la princesse,

d’abord horrifiée -« Mais, c’est

un homme ! »- finit par accepter

de payer à condition d’être ca-

chée derrière ses dames d’hon-

neur. Le porcher confectionne

ensuite un instrument de mu-

sique. Les cent baisers deman-

dés sont un prix qui la scanda-

lise. Pourtant elle cède, en exi-

geant encore d’être dissimulée.

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Mais l’empereur la dé-

couvre et, furieux, la déshé-

rite. Le porcher, ému par le

chagrin de la princesse efface

son maquillage et s'avance

dans ses habits princiers… L’originalité de ce conte

est le caractère particulier de

la princesse qui n’aspire qu’à

ce qui est factice, une prin-

cesse qui préfère avoir

qu’être, qui s’intéresse davan-

tage aux objets qu’aux per-

sonnes. On peut espérer qu’à

la fin de l’histoire elle com-

prenne enfin la réelle richesse

de l’authenticité des senti-

ments. C’est une fin heureuse

qu’a choisie le traducteur rou-

main du texte d’Andersen,

transposé ensuite en français. Chaque année, je suis

ébahie par le travail fourni par

Florin Didilescu et son groupe

de jeunes pour atteindre un

pareil niveau de qualité de

spectacle. Ce qui me frappe tout

d’abord, c’est l’énergie de

cette sympathique équipe. Le

rythme ne faiblit pas un ins-

tant : ça saute, ça virevolte,

c’est joyeux, parfois attendris-

sant de fraîcheur… Les tentures blanches

portant de soigneux dessins

au trait noir, percées pour

faire apparaître les visages et

les mains des différents person-

nages, sont une judicieuse trou-

vaille. Les nombreux person-

nages qui accompagnent les

héros de l’histoire s’y cachent

ou y font des apparitions

d’une extrême drôlerie. Nous

sommes sous le charme… J’ai trouvé très savou-

reuse la manière de jouer avec

les mots, en utilisant des

« expressions toutes faites »

de notre langue. La traduc-

tion française est effectuée

avec tant d’intelligence

qu’elle permet de percevoir

ce jeu comme des clins d’œil

aux spectateurs franco-

phones, même si ce n’était

pas l’objectif. Les jeunes de la troupe

dirigée par Florin Didilescu

n’ont pas plus que 15 et 16

ans, mais on les sent déjà

prêts à devenir de véritables

professionnels du théâtre. Le soir même, nous

avons assisté à la pièce russe

« De par la Volonté du Bro-

chet ». Deux spectacles dans

le même registre, deux

belles envolées théâtrales

pour une même journée !

Suzon

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Un grand spectacle ! Mélange harmonieux de claquettes Et de danses de Russie et d’ailleurs,

Plein d’amour et d’humour.

D’emblée climat de poésie. Magie de la fable

Avec des animaux de la ferme, Qui rappellent l’enfance,

Langage très simple et universel.

Conte où le brochet magicien d’Émilien fait des miracles, Et permet à ce jeune paysan poète amoureux

De conquérir sa princesse.

Décor-patchwork de tissus délicats Campant la Sibérie,

Sur tons de blanc et de vert. Un émerveillement pour les yeux !

Merci aux admirables comédiens aux multiples talents ! Et merci à Sergueï, leur metteur en scène,

Pour ce plaisir partagé par l’ensemble des participants aux Rencontres.

L’équipe de Reportages

De par la Volonté du BrochetDe par la Volonté du Brochet

Par le Théâtre Lytseiski d’Omsk - Russie Texte de Tatiana Chiriaeva, d’après un conte traditionnel russe,

mise en scène de Sergueï Timofeev Spectacle en russe - Jeudi 7 juillet, Théâtre 145 - 20h30

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Love Story made in HungaryLove Story made in Hungary

Par le Ures Tér de Pécs - Hongrie d’après Love Story d’Erich Segal, mise en scène de Ákli Krisztián, Kőrösi Márk et Kőrösi Boldizsár

Spectacle en français - Vendredi 8 juillet, Théâtre Prémol - 16h30

Ce spectacle est une

adaptation du livre Love Story qui

a aussi fait l’objet d’un film

américain en 1971. Le livre

raconte la triste histoire d’amour

entre deux jeunes, Jennifer et

Olivier, issus de deux milieux so-ciaux complètement différents.

Le groupe hongrois a opté

pour une approche opposée à

celle du film sentimental et

mélodramatique. La grande

sobriété que les jeunes acteurs

ont montrée sur la scène a

apporté une touche de

nouveauté. En s’attachant aux

traits essentiels des personnages

principaux, par exemple les

parents d’Olivier, ainsi qu’à

l’amour inconditionnel et à la

séparation par la mort, le

groupe a réussi à créer un

ensemble très solide jusqu’au

bout de la pièce. Les jeunes acteurs ont

présenté le parallèle entre le

théâtre et le cinéma à travers

une mosaïque d’images, de

tableaux et de diverses

techniques de communication

avec le public. Par exemple, le

match de football mimé, le café

bu auprès des spectateurs dans

les gradins, l’image de

l’enfance des personnages

apparaissant sur un écran… Le spectacle a été, à

l’origine, créé pour le Festival

de la Francophonie à Pécs, ce

qui explique sa durée un peu

courte. Pourtant, dans les trente

minutes qu’il ne devait pas

dépasser, le groupe a réussi à

attirer l’attention des

spectateurs grâce à son

approche innovante. Bref, un

spectacle qui ouvre des pistes

pour explorer une plus grande

expressivité. Ljubica

Les BasLes Bas--FondsFonds

Par le PH-Theatergruppe d’Heidelberg - Allemagne Texte de Maxime Gorki, mise en scène de Chistian Verhoeven

assisté de Josefina Saab et Sebastian Lausen

Spectacle en allemand -Vendredi 8 juillet, Théâtre 145 - 20h30

Une musique sombre

envahit la salle de lourdes

basses rythmiques. Deux

personnages vêtus de cuir

noir, entrent en scène en

affichant une agressivité et une

vulgarité ostensibles. D'autres

les rejoignent, pénétrant en

rampant dans ces lieux hostiles

que sont les bas-fonds, comme

surgis d’un soupirail. Les

scènes se succèdent pour

montrer l'ambiance glauque de

ce que l'on nomme aussi

l'underground, cet espace

souterrain, situé dans les caves

et les squats habités par les

marginaux, les exclus, les

rejetés, tous ces déviants bannis

de la société bourgeoise et

conformiste.

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Les Bas-Fonds de Maxime

Gorki est une pièce dénonçant

l'embourgeoisement d'une société

russe en plein essor économique

au début du vingtième siècle.

Cette société qui ne laisse la

place aux plus démunis que

dans ses marges, dans des

espaces reclus et confinés. Faut

-il voir dans le choix du metteur

en scène allemand une

réactualisation de cette œuvre

critique, à notre époque où

l'austérité, impulsée par la

politique allemande, marque

l'économie européenne ? L'interprétation et la mise

en scène sont justes, et phy-siquement impressionnantes,

même si l'on peut regretter que

les aspects caricaturaux et tout

-puissants des personnages

mettent une distance avec les

spectateurs. De même, la

compréhension est parfois

laborieuse et l'histoire peut

sembler confuse pour les non-germanophones, malgré les

efforts effectués pour

introduire quelques phrases en

français, en espagnol et en

anglais. Toutefois, la globalité

est explicite et claire,

notamment par l'introduction

de tableaux, qui présentent

chaque fois les personnages

principaux.

Au milieu de cette tragédie

sociale, un personnage optimiste

apparaît pour alléger la lourdeur

de leurs pauvres existences. Et

comme l'espoir, sa présence est

inconsistante, marquée par des

allées et venues : éphémères

espérances favorisées par les

rêves et les drogues qui laissent

place à des retours à la réalité

d'autant plus désespérants.

L'optimisme prend alors une

allure de leurre, une illusion qu'il

est préférable de fuir.

Sylvain et Ljubica

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Brassage des pratiques Brassage des pratiques

et des idées et des idées

La Parade de clôture se

prépare. Je suis dans le parc du

musée, à l’écoute du travail

d’atelier mené par Julie David,

metteur en scène de la troupe

belge. Le groupe a la

responsabilité de la

chorégraphie de la scène de

l’Inquisition. « Les fois précédentes, me

dit Julie, nous avons travaillé

sur le corps, et la découverte de

l’autre à travers le contact, le

regard et l’écoute. Aujourd’hui,

nous faisons un travail sur la

voix et une sensibilisation à

l’univers sonore. » Les seize participants à

l’atelier sont divisés en deux

groupes. Les membres de l’un

sont assis par terre, les yeux

fermés. Les autres leur tournent

autour, tantôt leur susurrant des

choses à l’oreille, tantôt les

agressant par des paroles fortes.

Puis dans un jeu de va-et-vient,

ils s’éloignent ou se rap-prochent, en utilisant à dif-férents niveaux de sonorité, des

mots incompréhensibles, sorte

de verbiage théâtral appelé

« gromelot » Dans un deuxième temps,

les rôles sont inversés. En véritable chef d’or-

chestre, Julie, avec des signes

énergiques et précis, mène la danse. -« Qu’avez-vous ressenti ? » de-mande-t-elle après cet exercice. « - De la peur… - Un plaisir presque sensuel…

- Moi j’ai eu l’impression d’en-tendre des essaims d’abeilles ! … - Et moi d’être dans une cour

d’école ! … - Moi dans un hall de gare ! »

« Le rôle de cet exercice,

m’explique Julie, est de

déclencher des émotions et de

développer l’imaginaire. » Après une pause-cigarette-

boisson, l’exercice suivant

permet la mise en pratique de

tout ce qui a été appris. La consigne est d’aller

d’un point à un autre, en

emmenant un condamné à mort

au bûcher et en utilisant le plus

de moyens théâtraux possibles.

Les participants, divisés en 3

petits groupes, ont 20 minutes

de réflexion. Dans les trois scènes qui

nous ont été proposées, où l’un

des personnages devient la

proie des autres, j’ai vu des

rythmes différents dans la

progression, des techniques

d’approche diverses révélant la

sauvagerie de certains agres-seurs, la traitrise ou la perver-sité des autres. J’ai senti la peur

que déclenchaient chez la

victime les cris ou les

imprécations et j’ai éprouvé de

l’empathie à son égard. A

travers mes émotions, j’ai eu la

preuve que cet atelier avait déjà

porté ses fruits et que la

formation proposée par Julie

était bien assimilée. Le jeu du « samouraï » qui

consiste à frapper l’autre de ses

mains jointes et de ses deux

bras tendus a libéré énergie et

tension et c’est joyeux et

satisfaits que les membres de ce

groupe se sont dirigés vers le

restaurant des Éléphants.

Jocelyne

Atelier «Atelier « Jeu d’acteurJeu d’acteur » » -- l’ Inquisitionl’ Inquisition (Julie David)

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Atelier «Atelier « Jeu d’acteurJeu d’acteur »»

Corne d’AbondanceCorne d’Abondance

(Florin Didilescu)

L’atelier de Florin a lieu

dans les jardins du Musée de

Grenoble, sous un ciel sans

nuages et avec un vent léger

qui me fait du bien. Des exercices d’échauffe-

ment créent l’ambiance au

sein de ce groupe de huit per-

sonnes venues de divers pays.

Quel plaisir de sentir tout de

suite une bonne ambiance et

un climat détendu entre les

jeunes ! C’est ainsi qu’un étu-

diant slovène joue le rôle

d’interprète (en anglais) au-

près du Palestinien qui ne

comprend pas le français

qu’utilise Florin. Le groupe se met en cercle.

1) Florin lance une balle de

tennis à un participant en di-

sant : « Je m’appelle Florin,

et toi ? » La balle fait le tour

du cercle, à la même vitesse,

puis le nombre de balles est

augmenté (jusqu’à quatre).

Florin explique que le but de

l’exercice est « la réaction »

et que, « sur scène, il faut tou-

jours faire attention à tout et

à tous. » 2) L’exercice suivant se

passe en deux temps. - jeter une à trois balles avec

changement de personne et de

direction (mouvement dans

l’espace) - passer la balle sans que les

autres s’en aperçoivent. 3) Dans un troisième exer-

cice, chaque personne dit son

nom et une phrase dans sa

langue et avec des gestes. Un

participant, au milieu du

cercle, répète les gestes d’un

autre participant. Le groupe

doit trouver le nom de la per-

sonne à laquelle « appar-tiennent » ces gestes. 4) Une personne au milieu du

cercle, imite la gestuelle ca-

ractéristique d’un autre parti-

cipant. Les autres doivent de-

viner qui est cette personne. 5) Tous les participants se

regardent, attentivement, puis

se retournent, se tournant le

dos. Un des participants doit

alors décrire les vêtements et

l’allure de quelqu’un du

cercle. Le but de cet exercice

étant d’être réciproquement

attentif aux autres. 6) Les participants se regrou-

pent par deux, face à face. -L’un des deux joue le rôle du

sculpteur et fait «l’autoportrait

du matériel» que représente

l’autre. - Dans un deuxième temps, il

faut trouver un titre et une

phrase pour la sculpture :

exemple : « I am number one »

ou « Yo yo ! » Puis on change les rôles. 7) Florin met quatre objets

en ligne (ici les balles). La

consigne est de prendre

chaque objet dans la main

en exprimant quatre émo-

tions, et états d’âme diffé-

rents. Les autres doivent

donner une interprétation.

Je remarque que quelques

jeunes inventent une « vraie »

petite histoire. Quelle fascina-

tion de les voir si créatifs ! Après une pause de quel-

ques minutes, la deuxième

partie de l’atelier est orientée

vers la préparation de la Pa-

rade. Florin parle de Dario Fo,

raconte le contenu de la pièce,

explique les évènements his-

toriques. J’admire sa capacité

didactique, sa méthode, mer-

veilleuse maïeutique… Il fait

parler les jeunes sur ce qu’ils

savent déjà et répond à leurs

questions. Le groupe déve-

loppe idées et propositions

pour le char de la « corne

d’abondance » toujours sous

l’aspect : « Comment arrive-

rons-nous à les transmettre au

public ? » Mais là, je ne vous donne-

rai pas beaucoup de détails ! Vous verrez par vous-même !

Monika

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Quand j’arrive dans cet

atelier, Nika vient de com-mencer son travail avec douze

participants venus d’au moins

neuf pays différents. Le premier exercice porte

sur le « son ». « Où va le son

qui sort de notre corps ? » Pour illustrer la réponse,

une jeune fille, debout dans

l’hémicycle, un pot de métal

renversé dans les mains, capte

le son prononcé par les autres

jeunes en face d’elle. L’exer-cice s’exécute en prononçant

des chiffres de un à dix, chacun

dans sa langue maternelle. Les

chiffres énoncés doivent être

accompagnés d’un mouvement

du bras droit en direction du

pot « accueillant » et, si pos-sible, d’un saut.

Nika souligne l’importance

du schéma de groupe. Chaque

individu prend le son de l’autre

car « on apprend surtout à partir

des erreurs de chacun » dit Nika. Il faut suivre des yeux son

propre son, mais aussi « regarder »

celui de l’autre (importance du

regard dans la communication). Le deuxième exercice traite

de « comment les consonnes

habitent le corps ». Nika donne

des exemples concrets (les

muscles, le squelette, les

bâillements, …) Les consonnes sonores (R,

L, M) habitent la colonne

vertébrale. « R » c’est le son

matinal qui nous réveille. Mais

aussi le son agressif (la guerre,

de krieg, un chien féroce (des

exemples sont donnés dans

différentes langues.) « M » est

le son « goûteux » utilisé dans

les écoles italiennes, et tradi-tionnellement dans beaucoup de

civilisations au niveau du chant. On peut envoyer le son dans

la colonne vertébrale (Nika

montre différents exercices

physiques individuels et à

deux). Le groupe entier fait la

spirale des hauts et des bas sur

cette consonne « M », et une

vraie musique est créée. « L » habite la partie inté-

rieure de la cuisse. C’est un son

puissant, très musical –le son

total (absolu ?) dans toutes les

langues. Le groupe chante « la,

la, la » dans différents niveaux de

tonalité. Nika répète qu’il faut

« écouter » l’autre, partager, être

en accord avec sa voix.

La construction de la voix

signifie un « travail intérieur »

de chaque être humain. Pour

être une personne ouverte il

faut « libérer » sa voix. Suivent quelques conseils

pratiques pour « l’hygiène de la

voix : bâiller, se battre la

poitrine sur le ton « M,M,M »

se masser le nez avec les

doigts, pour installer le souffle

du nez. L’atelier se termine par un

travail du groupe en cercle. Il

s’accompagne d’un mouve-ment des pieds et d’ono-matopées, telles que « inena-hama », « nubehu ».

Avec Nika, les jeunes créent

une mélodie, et je suis émerveillée

par le « tapis de sons » qui se

déroule devant moi. Merci Nika !

Monika

Atelier «Atelier « Chants et travail sur la voixChants et travail sur la voix »» (Nika Kossenkova)

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Atelier «Atelier « Décors et accessoiresDécors et accessoires »» (Art’ Kor-D-Nations)

10h30 : l'odeur du café sur

le parking du campus, quelques

bruits de visseuses et coups de

marteau. La journée semble

commencer doucement. C'est

parce qu'elle sera longue, cette

journée, comme le fut la

précédente.

Le déploiement de matériel

et les heures de travail pour

l'atelier décor sont impres-sionnants. Des tentes ont été

montées pour abriter l'outillage

et les matériaux, les chars en

cours de construction -des

voitures dépouillées, rafistolées

avec des rajouts- des semi-

remorques de stockage et d'habitat

provisoire. C'est un véritable

chantier que la compagnie Tout-en

-Vrac a mis en place pour préparer

le défilé final. Un chantier

prometteur pour une parade qui ne

devrait pas passer inaperçue dans

la ville de Grenoble. Sylvain

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Reportage «Reportage « ATELIERSATELIERS »:»:

AMBIANCE DE FêtE ET DE TRAVAIL AMBIANCE DE FêtE ET DE TRAVAIL

SUR LES PELOUSES DU MUSéESUR LES PELOUSES DU MUSéE

Aujourd’hui j’ai décidé

d’aller observer le travail des

Ateliers, ce qui est toujours un

grand plaisir, mais partout je

me heurte à porte close.

Déception ! Puis une idée me

vient : demain, c’est la Parade

et son « final » au Théâtre de

verdure, peut-être sont-ils partis

répéter sur place ? Exact ! Il y a beaucoup de

monde ce matin sur les

pelouses qui entourent le musée

de peinture. Jeunes des

Rencontres parlant toutes les

langues, passants et touristes se

côtoient sous le soleil estival. Au loin je vois les apprentis

artistes de la rue s’exercer, sous

la direction de Martin, à jongler

en mesure avec leurs bâtons.

Mais je suis arrêtée par un jeune

Québécois : « Madame, je vous

implore ! Vous avez de l’argent ?

Vous voulez de l’or ? Approchez,

approchez ... » Pas de doute, il s’agit de

l’atelier « Jeu d’acteur, la soif

de l’or » ! D’ailleurs Magia est

là, qui les observe d’un regard

tendre. « Ma chère, vois comme

ils sont intelligents, obser-vateurs, disciplinés... Ils sont

merveilleux ! » Intriguée, une vieille dame à

cheveux blancs s’est invitée dans

le groupe. Les jeunes acteurs

gesticulent. Ils tendent goulûment

leur bouche ouverte à l’or que

l’on y déverse, puis aussitôt se

tordent dans des convulsions, et,

l’un après l’autre, tombent à

terre. Interdite, la vieille dame ne

sait que faire ...

Près du stabile de Calder,

Jordi est lancé dans de grandes

explications, qu’il fait à son

groupe en anglais, et il mime

les gestes à accomplir. Larguée

par le groupe de Magia, la

vieille dame prend tout de suite

sa place dans le cercle. Un des

garçons m’y invite aussi, il veut

me vendre une jeune esclave

blonde. Voyant mon carnet et

mon stylo, en bon commerçant,

il improvise : « Vous savez, elle

aussi elle sait très bien

écrire ! » J’entre dans le jeu

mais, voyant l’air un peu

hagard de la proie qu’il m’offre,

je prends le parti de répondre

que suis contre l’esclavage, et

j’essaye de la réconforter en lui

disant de garder courage, car

dans quelques siècles l’escla-vage sera aboli... Puis arrivent

Fernand et Romano, aussitôt

sollicités. Fernand entre dans la

peau d’un acheteur d’esclaves

et lui demande, avec le plus

grand sérieux, d’ouvrir la bouche

pour vérifier sa dentition... Éclat

de rire général !

Drôle de reportage ! Je

savoure. Et je constate autour de

moi que partout on s’amuse bien,

mais qu’en même temps chacun

est attentif et s’efforce de donner

le meilleur de lui-même. Je continue mon tour, et

maintenant j’entends distinc-tement la voix de Martin :

« Four, five, six ... ». Les gestes sont compris, la

mesure est tenue, mais ce

n’est pas encore tout à fait çà,

et, pour atteindre la per-fection, les gestes sont

répétés, inlassablement. Tout à l’heure je constaterai

qu’ils seront les derniers à

quitter les lieux. A la recherche de l’atelier de

Serguei, que je ne trouverai

d’ailleurs pas (c’est dommage, je

ne verrai pas la répétition du le

procès de Christophe Colomb), je

contourne le musée. Par

derrière, d’autres groupes sont

en plein travail aussi.

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Autour d’Alberto, les jeunes

sont nombreux. Bien sûr, avec

leurs masques et leurs nez

pointus, il s’agit de l’atelier

Commedia dell’Arte. En rang,

le groupe s’avance en voci-férant, en martelant le sol.

Alberto les dirige comme un

chef de chœur qui frapperait

dans ses mains. « Oh ! ah !

oh ! ». Un chant s’élève, qui

scande la marche, et peu à peu

émerge de tout ce tapage un

mot qui finit par triompher, repris

par tous : « Libertà ! Libertà ! »

Alberto ne lâche pas son groupe

du regard, faisant reprendre un

geste, un cri, un slogan... « Libertà !» le mot m’em-

poigne ! il me semble aussi

entendre un air connu de « Ah ! ça ira, ça ira... » mélangé à ces

chants italiens. En effet,

m’explique Alberto durant la

pause, il s’agit d’un chant

populaire d’Italie du sud, qui

évoque la Révolution Française

et sa « Carmagnole ».

Un petit oiseau sautille dans

l’herbe, heureux d’être là, hochant

la tête comme pour approuver les

propos d’Alberto... Il me reste encore un groupe

à voir ; malheureusement il est

midi, et je ne saisirai que les

derniers échanges : « Continuez sur le bruit, sur

l’univers sonore ... la mort

arrive ... extase ! » dit Julie. Les comédiens arrivent, ils se

poussent, Julie les stimule. À

deux minutes de la fin, ils sont

tous ensemble au maximum de la

concentration... « Magnifique !... A demain, à 9 heures 30 sur le

campus ! ». « Merci Julie », répondent-ils

spontanément, manifestement

heureux de leur matinée. Julie l’est aussi, ses yeux

brillent. « Ils sont concentrés,

c’est très bien ». C’est sûr, demain nous

verrons sur scène une

Inquisition qui va nous faire

trembler ! En les voyant se

disperser sans attendre, rede-venir des jeunes un peu affamés

à cette heure-ci, comme il est

normal, j’admire une fois de

plus le travail du comédien,

capable de s’investir appa-remment en une seconde dans

un rôle, et de le quitter aussi

aisément en un instant. Au moment où nous nous

quittons, un passant m’accoste,

il a regardé lui aussi la scène.

« Qu’est-ce qu’ils font ici, tous

ces jeunes ? A un moment, j’ai

eu peur, ils ont commencé à se

taper dessus... » Lorsque je lui

explique qu’il s’agit de

répétitions d’acteurs, et que je

l’invite à venir voir demain la

Parade dans les rues de

Grenoble, il est rassuré et

intéressé. Mais je me dis qu’il y

a malheureusement encore du

travail à faire pour que les

Rencontres du Jeune Théâtre

Européen soient bien connues

des Grenoblois !

Thérèse

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Longtemps en amont, la

Parade de Clôture a été conçue

comme l’aboutissement des

Rencontres et de la réflexion sur

le Nouveau Monde, à travers la

pièce de Dario Fo sur les trois

voyages de Christophe Colomb et

sa découverte de l’Amérique.

Elle a été pensée, par les

responsables du Créarc, puis

proposée et débattue avec les

metteurs en scène qui seraient

présents aux 23èmes Rencontres. Tous les matins, depuis leur

arrivée, les participants aux

Rencontres, sous la houlette de

leurs « maîtres », ont travaillé

dur, pour mettre en place, dans

l’atelier qu’ils ont choisi, leur

conception d’une scène extraite

de l’œuvre de Dario Fo ou/et de

son accompagnement musical.

Celle-ci serait révélée aux

spectateurs, au moment de la

Parade. C’est ainsi que depuis

l’atelier Reportages, au 2ème étage

d’Amal, nous avons pu entendre

plusieurs fois, le groupe de

l’atelier « voix » mené par Nika

répéter sur la terrasse d’en-dessous. Les beaux chants et

mélopées censés être ceux des

esclaves, sont venus distraire, de

façon fort agréable, notre travail

d’écriture.

Ce matin, jour de la Parade,

le rendez-vous de tous les

ateliers est donné au Campus.

Dès mon arrivée, je note, sous

les arbres majestueux qui abritent

le parking Fauré, un nombre déjà

conséquent de participants et de

metteurs en scène. Mais ce qui

attire tout de suite mon attention,

c’est l’impressionnant matériel,

capharnaüm de machines infer-nales, de ceux qui ont la

responsabilité des chars de la

Parade : la compagnie « Tout en

Vrac ». Elle porte bien son

nom ! Car dans la « cuvette »

qu’ils occupent, entre deux

Répétition générale

de la Parade de clôture :

Isabelle, trois Caravelles et un CharlatanIsabelle, trois Caravelles et un Charlatan Une coproduction Créarc – Tout en Vrac d’après le texte de Dario Fo,

en collaboration avec Art'Kor-D-Nations et l’ESCA Avec les 220 jeunes comédiens des Rencontres

Direction artistique : Fernand Garnier, Romano Garnier, Nicolas Granet Avec le collectif international des artistes et des metteurs en scène

Spectacle en français et en dix langues - Samedi 9 juillet, départ Place Félix Poulat - 21h30

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monticules herbeux, j’aper-çois un énorme camion-caravane, des toiles de tentes

abritant des cartons, et autre

matériel, des stands protégés

de bâches bleues, des tables

recouvertes de peintures, des

chaises, de vieilles voitures

poussiéreuses et cabossées

qu’on verrait bien à la casse,

une vaste tenture rouge

accrochée aux montants

métalliques d’une de ces

voitures et un échafaudage de

cubes gris, qui, me dit-on,

sera la pyramide surmontant

la baignoire d’Isabel de

Castille. Je remarque aussi, à des

endroits divers, un tracteur, un

fenwick sur lequel se tient un

mannequin, en chemise blanche

et sans tête, assis sur une

chaise, dont je découvre, en

m’approchant, la tête aux

cheveux blonds, posée sur le

sol métallique. A l’aide d’un

large entonnoir, une machine

gave ce corps de « fausses »

pépites, symbolisant ainsi la

soif de l’or éprouvée par les

aventuriers espagnols et la Cour

d’Espagne. Maggia, qui a en

charge la présentation de cette

scène me dit en passant : « J’ai

pris beaucoup de plaisir avec

les jeunes de mon atelier,

Polonais, Québécois, Pales-

tinien, Espagnol…) avec les-quels j’ai eu de telles

discussions philosophiques - Qui suis-je ? Que faire en ce

monde avec mon âme ? - que

j’ai eu l’impression de

remplacer Socrate. Et j’ai senti

chez eux un grand désir

d’utiliser le théâtre pour faire

avancer la réflexion sur le

monde d’aujourd’hui et de

demain. » A mesure que je progresse,

d’autres éléments attirent mon

regard, dont un gros cube,

recouvert de velours rouge,

avec des niches sur les côtés. Je

vais apprendre qu’il permettra

de « mettre en vitrine » des

prostituées. Soudain, un peu

plus loin, quelque chose est en

train de s’agiter, qui, petit à

petit, prend forme, sous le

souffle de l’hélium. Il s’agit

d’un monstre marin, aux yeux

globuleux, une pieuvre aux longs

tentacules blancs, qui s’agitent

dans le vent léger qui est le

bienvenu, en cette journée qui

s’annonce chaude. Puis je reconnais Serguei,

metteur en scène, et je

m’approche. Des juges, que je

verrai un peu plus tard, portant

un capuchon beige sur la tête,

avancent en une procession

solennelle, sur les sons

cadencés de la Batucada.

Lorsqu’ils s’arrêtent, j’entends

Max, sorte de « procureur de la

Cour », faire le jugement de

Christophe Colomb, à qui l’on

reproche trois choses : sa

lâcheté, sa brutalité avec les

marins et son abus de pouvoir.

Pour de tels « crimes » il sera

condamné à 97 ans de prison. Sur mon chemin, je passe à

côté d’une structure métallique

qui représentera la caravelle de

Christophe Colomb. Sur un autre

char, de nombreuses ampoules

suspendues à deux antennes

métalliques annonceront, je

suppose, la fin de la parade.

J’imagine qu’un générateur

électrique les suivra de près. Non loin de là, un groupe de

jeunes filles entoure Jean-Luc,

leur responsable, qui leur fait

travailler la rapidité avec

laquelle, en faisant une chaîne,

elles vont devoir grimper les

escaliers de la pyramide

aperçue plus tôt, afin de

remplir la baignoire de la Reine

Isabelle de seaux de « sang ».

C’est un bon exercice auquel

elles se prêtent avec aisance. Jean

-Luc les prévient

cependant : « Ce soir vous serez

à ramasser à la petite cuillère ! » A ceux qui vont représenter

les docteurs de la loi et

l’obscurantisme, il dit :

« Essayez de trouver des lunettes,

des pendules, des équerres… tout

ce qui donnait l’air docte ! » Derrière le grand camion,

j’aperçois Jordi, autre metteur

en scène, et son groupe, qui

s’essaient à modeler des person

-nages : Prostituées, esclaves,

etc… Les participants sont en

cercle étroit, dos à dos. L’un

d’eux, se détachant du groupe,

fait un tour sur lui-même et

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s’arrête, le dos contre celui

d’un autre participant. Celui-ci,

de ses mains, s’empare de la

tête qu’il a sous les yeux et

essaie de la façonner à son

idée. Son modèle reste ainsi,

immobile. La répétition de chaque

atelier se fait dans une

cacophonie de sons divers,

allant de musiques variées aux

cris ou aux sons agressifs de

scies électriques ou de moteurs

etc… mais rien ne semble gêner

qui que ce soit. Chacun

continue ce qu’il a à faire. Ainsi

Alberto, chanteur italien, et

auteur des remarquables

masques de cuir de la

Commedia Del Arte, entonne

avec son groupe de comédiens-charlatans, une chanson joyeuse,

qui, au son d’un tambourin et

d’un claquement des mains, était

censée attirer le public. Puis c’est

« La Carmagnole » qu’ils

répéteront tous ensemble, cette

chanson révolutionnaire qui

amènera une lueur d’espoir à la

fin du spectacle. Au fur et à mesure que

j’avance, je ressens une profonde

admiration pour ces metteurs en

scène qui dispensent si

généreusement leur savoir, et une

grande sympathie pour tous les

participants que je vois, autour

d’eux, attentifs, heureux,

enthousiastes. Je sais que la

Parade sera réussie mais je sais

surtout que ces ateliers auront

amplement joué le rôle de

cohésion qui leur est alloué,

créant le lien chaleureux et

fraternel entre ces jeunes venus

de si nombreux pays. Quelle

merveille que la conception de

ces Rencontres !

Jocelyne

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Entre l’Algérie et les Rencontres du Jeune Théâtre

Européen les relations sont anciennes et profondes,

puisqu’une troupe d’Alger et Mostaganem était présente dès

les premières Rencontres, en 1989. Depuis, le théâtre algérien

a été représenté encore sept fois,

et c’est avec grand plaisir que

nous avons vu revenir le Théâtre

de la Colline de Tizi-Ouzou. Plusieurs raisons me

rendaient impatiente d’inter-viewer les jeunes comédiens.

D’une part, le contexte

international de ce début d’été

2011, marqué par l’explosion

d’un « printemps arabe »,

révélait l’existence d’une

jeunesse bouillonnante du désir

de changer les choses dans

plusieurs pays arabo-musulmans

(Tunisie, Égypte, Libye,

Yémen....). Ce grand mouvement

des peuples, étrangement,

paraissait passer à côté de

l’Algérie, restée calme jusqu’à

maintenant. D’autre part le spectacle présenté par nos amis

du Théâtre de la Colline, dont Anita a présenté dans cette revue

une remarquable analyse, révélait à la fois un grand

désarroi, provenant d’une direction insuffisante, et, chez les

jeunes comédiens qui

s’efforçaient de surmonter cette

situation difficile, un courage qui

forçait le respect. Autant de

raisons de solliciter la parole de

ces jeunes sur leur rapport au

théâtre, leur vie quotidienne, et

la façon dont ils voient le présent

et l’avenir de leur pays... y

compris la condition des femmes.

Car la vision de ces jeunes filles

algériennes souriantes, à l’aise

dans leurs belles robes colorées

m’avait particulièrement frappée

dès le premier jour où, nous

dirigeant ensemble vers l’Espace

600, à la Villeneuve, nous avons

croisé, parmi d’autres jeunes filles

voilées, une petite fille de cinq ou

six ans, enveloppée de noir des

pieds à la tête, aux côtés de son père... Quel contraste !

Réaliser une interview est

chose difficile durant les

Rencontres du Jeune Théâtre

Européen : le programme chargé,

auquel s’ajoutent les répétitions

et des sollicitations diverses,

laisse peu de place pour les

rendez-vous nécessaires. Le désir

de se rencontrer étant réciproque,

nous avons fini par y parvenir, en

plusieurs fois, sur un coin de

table durant un repas de midi aux

« Éléphants », d’où le caractère

un peu décousu des propos

récoltés. Une impression

d’ensemble se dégage cependant

de ces entretiens : lucides, très

critiques sur une société qu’ils

jugent désespérément muselée et

passive, ces jeunes font preuve

d’une grande détermination dans

leurs choix. Une première rencontre

avec Mohammed, responsable

du groupe et co-metteur en

scène, me permet d’en

apprendre davantage sur les

origines et les choix du

Théâtre de le Colline. Peu considéré durant les

premières années qui ont suivi

l’indépendance, m’apprend-il, le

théâtre algérien prend son essor

dans les années soixante-dix,

selon une orientation définie par

Kateb Yacine. Ecrivain algérien

d’expression française, celui-ci

est déjà connu dans le monde

entier pour ses romans et pièces

de théâtre (dont « le cadavre

encerclé »). A contre-courant de

la tendance qui privilégie, en

Algérie, l’arabe littéraire, et ne

Retrouvailles avec l’Algérie :Retrouvailles avec l’Algérie :

Entretien avecEntretien avec

Mohammed, dyhia et lyès,Mohammed, dyhia et lyès,

Comédiens du théâtre de la colline de tiziComédiens du théâtre de la colline de tizi--ouzououzou

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rend les œuvres accessibles qu’à

une élite, Kateb Yacine fait le

choix de l’arabe parlé. C’était la

seule langue apte à toucher un

public populaire, un public de

travailleurs. En même temps,

brisant tous les tabous tant sur les

formes d’expression que sur les

thématiques, il n’hésite pas à

aborder des sujets jusque là

interdits, comme la religion, le

droit des femmes, l’émigration,

ou l’histoire et l’identité du pays.

« Il faut sortir le théâtre des structures étroites où il a été

confiné », dit-il souvent.

Présentés non seulement dans des

théâtres et des centres culturels,

mais aussi des universités et des

entreprises, ses spectacles

connaissent un immense succès. C’est dans ce contexte qu’est

créé, à Tizi-Ouzou, en Kabylie,

en 1989, le Théâtre de la Colline.

Résolument tourné vers le public

populaire et vers la formation des

jeunes, il commence à faire

travailler des lycéens. Sans

moyen, mais dotée d’une bonne

faculté d’adaptation, la troupe

joue dans n’importe quel lieu

fréquenté, écoles, centres de

vacances, dans les rues et sur les

places de village. « Et même chez

moi ! » précise Mohammed. Dans

le même esprit que Kateb Yacine,

les créateurs du théâtre de la

Colline se tournent vers la langue

parlée en Kabylie, le berbère,

plus ou moins mélangé à l’arabe,

compris partout en Algérie. Ils ne

répudient pas pour autant la

culture et la langue française, qui

jouissent en Kabylie d’une

audience particulière. Adaptées et

traduites dans cette langue, ils

n’hésitent pas à présenter des

pièces de Molière. « Et cela a

très bien accroché partout »,

constate Mohammed, dont le

public grenoblois avait apprécié

en 1994, lors des 6° Rencontres,

« Si-Lahlu », adapté du

« Médecin malgré lui ». « Le

théâtre de Molière est un

instrument de dialogue avec le

public d’une puissance ex-

traordinaire. Transposé dans le

monde contemporain, Molière

nous parle de tout ce que nous

connaissons bien : les médecins

incompétents, les faux prophètes,

les religieux hypocrites... Évi-demment cela ne plaît pas aux

islamistes, qui nous l’ont fait savoir en nous envoyant des cailloux sur

scène, enveloppés dans un message

où il était écrit : la culture, c’est

bien, mais il ne faut pas toucher aux valeurs de l’islam !». Malgré

ces menaces, la pièce « Si-Lahlu »

a été jouée une bonne centaine de

fois en Algérie. A l’inverse, « La Cité du

soleil », la pièce de Mouloud

Mammeri présentée cette année

durant les 22èmes Rencontres, a

été jouée en français. Pour

justifier ce choix, Mohammed

rappelle que « Kateb Yacine n’a

cessé de le dire : le français, c’est

notre butin de guerre. Les

Français sont partis, mais ils

nous ont laissé la langue

française ». Trois jours plus tard, deux

jeunes comédiens nous

rejoignent, Dyhia et Lyès, et

deux jours plus tard, je

rencontrerai aussi Salima. Tour de table de

présentation : Dyhia est

étudiante en Lettres et en

Langue française, Lyès a

achevé une formation dans la

banque et gagne sa vie comme

photographe, Salima est dans

une école d’ingénieurs en

électronique, et Mohammed

lui-même, pour vivre, fait la

comptabilité de diverses

entreprises artisanales. Ceci

illustre parfaitement un

phénomène majeur : aujour-d’hui, la pratique du théâtre

est très difficile en Algérie. Mohammed m’explique

qu’après les débuts prometteurs,

malgré l’absence d’encouragement

de la part des autorités du pays,

mais stimulé par l’exemple de

Kateb Yacine, comme il vient de

le dire, le théâtre algérien s’est

heurté à de réelles difficultés à la

fin des années 80, et surtout dans

les années 90. La montée de

l’intégrisme musulman plonge

alors le pays dans un climat

d’intolérance, de peur et de mort : c’est la « décennie noire »,

tristement célèbre, durant laquelle

il n’y a aucune place pour la

culture, dont le questionnement

est devenu gênant. La société se

ferme, se bloque. Cette tendance

à l’autarcie sous le contrôle

d’une conception exacerbée de

l’Islam, vient en fait de

beaucoup plus loin; selon lui

elle remonte aux années

cinquante, et même peut-être

auparavant. Aujourd’hui elle est

tellement enracinée dans la

société que, si les jeunes filles,

en particulier, ont tant de

difficultés pour devenir

comédiennes, ce n’est pas le

pouvoir qui les en empêche, ce

sont leurs grands frères. « Chez nous », dit Lyès, « être

artiste, ce n’est pas un métier,

c’est juste une passion ... Le théâtre est complètement déva-lorisé. Ceux qui s’y consacrent

sont méprisés, on croit qu’ils sont

incapables de faire autre chose. ». On sent pourtant que

l’argument n’est pas de taille à

l’arrêter. Dans « La cité du

soleil », il a joué avec

enthousiasme le rôle du bateleur,

du musicien, « le dernier rêveur »

obstiné à jouer de la flûte pour

apporter la beauté dans une

société qui ne l’écoute pas. Il est

donc condamné à disparaitre.

« Ce rôle », dit-il, « je l’ai voulu,

j’y tenais énormément, et je l’ai

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beaucoup travaillé, surtout

l’aspect musical.... mon

personnage est écrasé par une

société ravagée par le goût du

spectacle facile (ce que

représente le singe), qui ne demande qu’à s’amuser ; je

trouve que cette pièce donne une bonne représentation de ce qui se

passe aujourd’hui chez nous. ». Tu veux dire que cette

pièce de Mouloud Mammeri,

qui met en scène un pouvoir

arrogant et autoritaire, et un

peuple passif, prêt à se laisser

séduire par les beaux

discours, est un reflet exact de

la situation que vit,

aujourd’hui, le peuple

algérien ? Vous partagez tous

cette vision désespérée ?

La réponse à ma question

vient rapidement, nette et sans

appel. Lyès confirme ses propos

en ajoutant « le drame, c’est que

cinquante années après

l’indépendance, l’Algérie n’a

résolu aucun de ses problèmes

de fond : ni celui du régime

politique, ni ceux de l’économie,

de la langue et de la politique

culturelle, ni la place de la

religion ». Dyhia évoque sur un ton

désabusé le poids de la

corruption généralisée : « nous

avions choisi des gens pour nous représenter, mais ils se sont tous

laissé acheter par l’argent en

oubliant le peuple ». Mohammed remonte aux

années 80, lorsqu’on a vu se

développer en Algérie « un

mouvement intégriste qui a

gangréné la société », et une

victoire électorale que tout le

monde a vu venir, sauf les

militaires au pouvoir. Restés

« aveugles et sourds », ils ont

laissé faire. En 1992, réalisant

enfin la menace, ils ont invalidé

les élections dont le résultat

aurait installé en Algérie « un

régime de talibans », mais

ensuite ils n’ont rien fait, « ils ont

été incapables de proposer une

alternative à l’islamisme ». Quant à Salima, deux jours

plus tard, elle sera encore plus

radicale : « On ne cesse de nous dire que l’Algérie nage dans le

bonheur, mais je crois que personne ne va dire qu’il est

d’accord avec çà ». Elle évoque

la flambée des prix des produits

de première nécessité, les lacunes

de l’enseignement, où trop de

professeurs sont incompétents,

les nombreux jeunes sans emploi

qui décident de quitter l’Algérie

dans des conditions souvent

périlleuses, et cite la phrase

prononcée par l’un d’entre eux,

publiée dans un journal : « je

préfère qu’un poisson mange ma

chair, plutôt que d’être enterré

en Algérie, car je ne suis plus un

vivant ». Quant à elle, elle

conclut : « Moi je préfère rester

en Algérie, où j’ai mes

appartenances, mais il faudra

que les choses changent !

Aujourd’hui c’est considéré

comme un délit de quitter

l’Algérie, mais ce sont nos

gouvernants qui devraient le

faire ! ». Il y a des moments où le stylo

tombe des mains du « reporter »,

où il hésite à noter ce qu’il a

entendu, tant les suites risquent

d’être graves pour celui qui est

en train de s’épancher à son

oreille attentive. C’est

exactement ce qui m’arrive, et je

fais part de mon inquiétude :

mais... je peux vraiment écrire

tout cela ? Êtes-vous d’accord

pour que ce que vous venez de

dire soit publié dans la

brochure Reportages ? N’est

ce pas trop dangereux ?

Eh bien oui, on me répond que

je peux l’écrire, on m’y encourage

même, malgré l’autoritarisme du

pouvoir, malgré les intégristes, et,

ajoute Lyès, « le terrorisme qui est

toujours là ».

Mohammed évoque ces mots

prononcés par le journaliste et

écrivain Tahar Djaout trois

semaines avant son assassinat, en

mai 1993: « Si tu parles, tu

meurs, si tu te tais, tu meurs. Alors dis, et meurs ! »

A cette époque, la mort était

en effet un risque courant.

Auparavant, déjà sous la

présidence de Boumediene, il

suffisait d’être pris par la police

avec un tract en berbère dans sa

poche pour écoper de six mois de

prison ! Maintenant les temps ont

changé, il règne une relative

liberté d’expression, mais elle

tourne à vide ; « Les autorités

sont tellement sûres de leur

pouvoir, que maintenant elles

laissent dire ! et cela n’a aucun

effet sur le régime. ». Il n’empêche, je reste sans

voix devant la leçon de courage

que nous donnent nos amis

algériens : manifestement, ils

n’ont plus peur. Une question me brûle alors

les lèvres : que pensez-vous de

ce mouvement du « printemps

arabe » qui s’étend de plus en

plus sur la rive sud de la

Méditerranée ? Comment est-il perçu en Algérie, où la rue

semble encore étonnamment

calme, malgré tous les

problèmes que vous évoquez ?

C’est Lyès qui répond à ma

question, et tout est dit : « oui bien

sûr, c’est très intéressant ce qui se

passe là-bas. Mais chez nous le

soulèvement a commencé bien avant ... ce qui s’est passé en

Tunisie, c’est ce qui s’est passé

chez nous dans les années 80, et

cela a ouvert les yeux des non-Kabyles. Car en Kabylie, nous nous soulevons tous les dix ans

environ ! Encore en 2001 nous

nous sommes révoltés contre le

pouvoir, la corruption, et le

système de répression qui s’est

déployé avec violence : 125 morts

et de nombreux disparus, une

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vraie tuerie... On criait « système

dégage, la jeunesse s’engage !» Et la condition des femmes,

en Algérie, comment évolue-t-elle ? Quand je vous vois avec

vos belles robes et votre

liberté d’allure, c’est une belle

image de la femme algérienne

que vous donnez !

Toutes les deux, en effet,

portent les vêtements colorés

traditionnels des femmes kabyles. Dihya sourit, cette remarque

lui plait, mais elle veut aller

directement au cœur du

problème : « je suis musulmane,

mais selon moi, la foi, c’est dans

le cœur. Dans notre pays le voile

se répand, c’est comme une

épidémie. Mais beaucoup de

femmes qui le portent cherchent

à en détourner le sens, en

laissant s’échapper quelques

mèches de cheveux, ou en

montrant un jean bien ajusté ». Salima parle du milieu

étudiant, qu’elle connaît bien.

«En Algérie, la jeunesse veut des

changements dans tous les

domaines. Les étudiants essaient

de s’organiser en comités, et

même de coordonner ces comités

sur le plan national. » Le

pouvoir essaye de les contrer, et

les islamistes aussi. Il y a une

organisation islamiste présente

dans les campus et les cités

universitaires, très active, qui

organise des fêtes religieuses,

distribue des livres, aide les gens,

célèbre même les naissances,

organise des réunions, et diffuse

ses idées et ses normes : «Je vois des jeunes filles arriver aux

cours en hidjab, certaines me

semblent le faire par obligation.

On peut considérer que la menace est grave, mais ce qui

s’est passé durant « la décennie noire » de la fin des années 80-90, où beaucoup d’intellectuels,

d’artistes, de journalistes ont été assassinés, nous a rendus

vigilants. Actuellement, avec

toute cette jeunesse qui étudie ou

qui sort de l’Université, la

société évolue : on voit des filles

louer ensemble un appartement

en ville pour étudier ou

travailler, des femmes accéder à

des métiers nouveaux pour elles

(comme la police), des jeunes

contester le mariage arrangé par

leurs familles. En général les

mères soutiennent leurs filles.

Avec le brassage d’idées qui

existe à l’Université, le

changement finira par s’imposer

de lui-même. Moi, en tous cas, je

vais tenir bon, poursuivre ce

combat, ça ne me fait pas peur. » Quant à ce qui se passe ici,

dans un quartier comme la

Villeneuve de Grenoble, cela lui

parait tout-à-fait différent. « J’ai regardé une de ces jeunes filles

qui portait le hidjab : elle faisait

l’intéressante, elle provoquait ; en fait j’ai senti qu’elle allait

mal, qu’elle se cherchait des

repères... » « Moi, algérienne, je me sens

parfaitement bien dans les Rencontres du Jeune Théâtre

Européen. », ajoute Salima.

« Dans ce mélange de toutes les nationalités, dans les ateliers, les

débats, les fêtes sur le campus, il

y a une grande richesse

culturelle. Nous découvrons que

nos luttes et nos épreuves

trouvent un écho dans le monde

entier, et qu’entre jeunes nous

partageons des objectifs

communs. »

Propos recueillis par Thérèse

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Les cafésLes cafés--débatsdébats Que font-ils là, tous ces

jeunes et leurs metteurs en

scène, à l’heure la plus chaude

de la journée, entassés de

manière aussi inconfortable

dans la grande salle d’Amal ?

On les voit nombreux, et

assidus : environ quatre-vingts

présents chaque jour, parfois

plus de cent. Ils ont dégusté le

café ou le thé à la menthe, alors

qu’attendent-ils encore ? Seuls les

nouveaux venus aux Rencontres se

posent une telle question. Car

lorsqu’approchent 14 heures,

chacun sait ici que le débat du jour

va commencer.

« Un lieu où se disent les partis-pris esthétiques

des différentes troupes »

C’est en ces termes que

Fernand Garnier définit, au

début de la première journée, le

rôle et l’intérêt des Cafés-Débats. Nous verrons qu’il en

découle d’autres, tout aussi

importants, cependant

commençons par observer

comment se passe, le

lendemain du spectacle,

l’échange entre la troupe

concernée et son public. Les uns et les autres étant

tous « spectacteurs » (les

spectateurs du jour étant les

acteurs de la veille ou du

lendemain), le questionnement

nourri qui s’enclenche dès que

le signal en est donné est

toujours très direct et vise juste

et loin. On sent que chaque

question engage autant celui ou

celle qui la pose, que son

interlocuteur : « Pourquoi avoir choisi cette

histoire, qui est si loin de

nous ?Comment avez-vous

travaillé ? Avez-vous déjà joué

ce spectacle chez vous, ou a-t-il été conçu pour les

Rencontres ? L’exagération du

jeu des femmes sur scène était-elle voulue ? Pourquoi ce

spectacle, sur une histoire si

chargée en émotion, était-il joué sans émotion ? »

De même, les éloges

révèlent le sens d’un métier

partagé : on est toujours

sensible à « l’énergie des

comédiens, au vrai contrôle des

corps, au rythme soutenu d’un

bout à l’autre du spectacle, à

l’expressivité, l’excellente

occupation de l’espace, la beauté

des images, la juste place de la

musique » et, bien sûr, la maîtrise

des techniques déployées, mime,

danse, ou autres. Pas de discours construit,

une discussion libre en fonction

des préoccupations de chacun,

et forcément un peu décousue.

La pensée va et vient, sans

direction apparente, mais, de

façon souterraine, la réflexion

avance. Et certaines questions

émergent, parfois se répètent,

car la réponse, on le sent, ne

pourra jamais être définitive. La question de la violence au

théâtre, par exemple : comment doit-elle être montrée ? Dans quel but ? Dans « La Kermesse Héroïque »,

présentée par Les Théâtreux de

Ljubljana, elle parut à certains

caricaturale et peu convaincante.

Dans « Sho Kman », présenté par

le Freedom Theatre de Jénine, en

Palestine, la violence, omni-présente, ne lâchait pas un instant

les spectateurs : cris, coups,

images de domination et d’hu-miliation, tentatives toujours in-fructueuses de se libérer, lumière

et musique distillant l’angoisse ...

« Tout le temps, on retombait

dans le cauchemar ! » soupire le

lendemain un jeune spectateur,

encore marqué par le spectacle.

« Il y a de la violence, de la

colère, de la vengeance à

l’intérieur de chacun d’entre

nous et dans nos vies. Parfois

on se sent bloqué dans une

situation, alors on a besoin de se

défendre soi-même, un très bref

instant, on exprime l’espoir »,

répond un palestinien. Ainsi la

violence du spectacle a-t-elle pris

tout son sens, comme le reflet

nécessaire de la violence vécue

par les membres de la troupe. Enthousiasme,

polémiques... et leçons de théâtre

On s’enthousiasme parfois,

durant les cafés-débats, et il y

a de la joie à parler de

certains spectacles. Ce fut le cas dès le premier

débat pour les spectacles

présentés la veille au soir, en

plein air, avec un entrain

infatigable, autant par la Troupe

de Monsieur Touche à Tout de

Sainte Hyacinthe (Québec) que

par le groupe Nouvelle

Génération, de Moscou. « J’ai

adoré danser avec les gens sur

la place d’Agier, c’était comme

si la place tout entière était

devenue la scène », dit une

jeune comédienne, le regard

encore illuminé par la magie de

cette soirée d’été à l’issue de

laquelle acteurs, spectateurs et

badauds semblaient confondus

dans un joyeux mélange. Un

peu plus tard le Forn de teatre

Pa’tothom de Barcelone a

séduit, lui, par la façon dont le

metteur en scène, dans l’esprit

du « Théâtre de l’Opprimé »

auquel il se réfère, a tenu à

« poser des questions plus qu’à

apporter des réponses », et a

intégré le public dans le

processus de création pour

terminer le scénario. L’enchantement fut à son

comble l’avant-dernier jour,

lorsque fut évoqué le spectacle

des jeunes Roumains

d’Amifran, « La Princesse et le

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Porcher », une fable joyeuse et

ironique à la mise en scène

inventive. « Après ce spectacle,

tout le monde était heureux, se

sentait léger » dit un par-ticipant, à l’unisson d’un

auditoire qui n’a cessé, ce jour-là, de sourire, de rire et

d’applaudir. La même exci-tation joyeuse prévalut ensuite

pour évoquer la pièce jouée par

le Théâtre Lytseiski d’Omsk,

« De par la volonté du

Brochet », d’après un conte

traditionnel russe, dont la

poésie du propos et la qualité de

jeu des acteurs furent una-nimement saluées. « Depuis le

début des Rencontres nous nous

racontons nos difficultés, nous

réfléchissons à la construction

d’un nouveau monde, mais

votre spectacle me rassure et

me réconforte, car il montre que

l’on est encore capable de

rêver ! » déclare une jeune

spectatrice visiblement ravie.

En revanche les critiques du

public peuvent parfois être

sévères, et donner matière à

polémique. On reprocha, dans le spec-

tacle « Gli Scavalcamontagne »,

de Studio Novecento de Milan,

l’omniprésence de l’acteur-metteur en scène au détriment

des acteurs, et une évocation de

l’histoire de l’Italie « qui était

plus une leçon d’histoire que du

théâtre ». La polémique, avait

commencé, en fait, la nuit

précédente, entre les jeunes, de

façon spontanée, sur le Campus.

Durant un autre spectacle, où

les acteurs étaient à l’évidence

désorientés sur le plateau,

certains spectateurs avaient

manifesté leur mécontentement

de façon bruyante, allant pour

certains jusqu’à quitter la salle.

Cette attitude, finalement, fut

autant discutée que le spectacle

lui-même. Plusieurs participants

tinrent à rappeler qu’il existe,

au théâtre, et plus spé-cifiquement aux Rencontres,

une éthique à respecter : « on

peut aimer ou ne pas aimer

certaines choses, mais cela ne

donne pas le droit de manquer

de respect aux comédiens

comme hier, çà c’est

dégueulasse ! » s’indigne l’un

d’entre eux. Un autre jour, c’est

un jeune Québécois qui rappelle

de façon fort pertinente que « le

théâtre est un moyen de

communiquer. Il y a quelqu’un

qui parle, et quelqu’un qui

écoute. Mais si celui qui est là

pour écouter n’écoute pas, il ne

peut pas y avoir de

communication ». Il est certain que ces cafés-débats, durant lesquels chaque

troupe peut expliquer les

conditions parfois défavorables

dans lesquelles elle a dû

travailler (manque de moyens

matériels, absence de certains

comédiens, qu’il a fallu

remplacer au pied levé, maladie

ou problèmes spécifiques d’un

metteur en scène) permettent de

relativiser les critiques et de

dégager les problèmes de fond et

les vrais enjeux. C’est alors que l’intervention

d’un metteur en scène

transforme parfois le débat en

leçon de théâtre. Par cette expression, on

désigne habituellement les

connaissances plus théoriques

dont les jeunes peuvent faire leur

profit en écoutant les com-mentaires durant le café-débat.

Bien sûr, elles n’ont pas manqué,

comme celui sur la richesse

symbolique du poisson, qui en a

laissé plus d’un pantois, ou la

belle démonstration de la

Commedia dell’arte, ou la

découverte des lois du spectacle

de rue. Mais il se passe autre

chose aussi durant les cafés-débats, dont on parle moins, mais

tout aussi nécessaire, qui est de

l’ordre de l’évaluation entre

« maîtres et apprentis » de la

qualité de l’ouvrage achevé.

Un regard à la fois

bienveillant et exigeant

Enjambant les critiques

personnelles et les réactions à

l’emporte-pièce, l’intervention

d’un réalisateur remet, lorsque

cela est nécessaire, les choses

en place, en portant sur le

travail réalisé une appréciation

à la fois bienveillante et

exigeante. « Travaillez encore

pour gagner en expressivité...

Vous avez fait des erreurs en

utilisant les masques, voici ce

que vous auriez dû faire... »,

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sont, par exemple, des critiques

utiles. Cette appréciation est

d’autant plus importante qu’il

n’existe aux Rencontres ni

compétition, ni récompenses.

C’est un choix assumé. Mais

les jeunes ont besoin de savoir

comment leur travail est reçu,

et dans quelle direction ils

doivent travailler pour pro-gresser. Le café-débat leur livre

ces repères, l’idée étant que

l’on progresse à partir de ses

erreurs, une fois celles-ci

analysées et comprises. Intervenant dans un débat un

peu houleux sur un spectacle

controversé, l’animateur n’hésite

pas, un jour, à déclarer tout net

que le spectacle de la veille

était un exemple de ce qu’il ne

faut jamais faire, les comédiens

n’étant pas dirigés ! Du coup,

tout devient clair : mis en difficulté

sur le plateau par cette faille de la

direction d’acteurs, ceux-ci

peuvent parler de leur engagement

personnel dans le spectacle, et le

débat change de ton. Un autre jour, un intervenant

juge un spectacle « centré sur

un thème intéressant, mais un

peu amateur sur le plan

théâtral ». L’animateur montre

que l’expression n’est pas

anodine : « A travers cette

formule de l’amateur se pose la

question de l’apprentissage du

métier de comédien », dit-il.

« Il est très important de

pouvoir repérer les différentes

étapes de l’apprentissage. Ici,

nous avons vu un spectacle

« un peu vert », comme un fruit

pas encore mûr. Mais on voit

comment cela peut se

développer et devenir très

intéressant. ». Un réalisateur

enchaîne dans ce sens : « par

exemple, vous auriez pu mieux

intégrer tous les comédiens sur

le plateau, certains étaient un

peu marginalisés, et leurs

potentialités auraient pu être

mieux exploitées ». Il fait rire

tout le monde en se définissant

lui-même comme un « amateur

professionnel » ! Mais la

boutade est chargée de sens.

Elle met en évidence un

élément essentiel de « l’Esprit

des Rencontres » : en

choisissant délibérément de

faire dialoguer débutants et

comédiens plus expérimentés,

troupes lycéennes et futurs

professionnels, il est clair que

l’on néglige les étiquettes et

veut ignorer les barrières

établies. Un jeune de Barcelone

fera rire, lui aussi, en ayant ce

cri du cœur : « Mais nous, nous

ne sommes pas des acteurs,

nous sommes des gens

normaux ! » Et pourtant ils sont

là ensemble dans cette pièce, à

parler avec passion du théâtre

qui est une partie de leur vie.

A Grenoble le problème n’est

donc pas de se classer dans des

catégories, mais de faire, à son

échelle, du bon théâtre, comme

certaines troupes d’adolescents

montrent qu’il est possible de le

faire, et de réfléchir à ce que

signifie être un comédien.

« Comment avez-vous vécu le

processus de travail que vous venez

de décrire ? » est, par exemple, une

invite à approfondir ...

Ouverture au monde, à

autrui, et connaissance de soi En juillet 2011, les 23èmes

Rencontres se déroulent sur un

arrière-fond international dense

et agité : le Printemps Arabe, le

Mouvement des Indignés peuvent d’autant moins rester à

la porte des débats qu’ils sont

apportés par certains groupes

sur la scène grenobloise elle-même. Ils ont alors irrigué

amplement certains débats,

révélant combien les jeunes

troupes qui participent aux

Rencontres s’interrogent sur le

monde tel qu’ils le voient. Avec l’apport des spectacles

présentés par de jeunes

Palestiniens et de jeunes

Kabyles, il s’installa une sorte

de gravité dans les débats. Un

jeune Polonais dit aux

Palestiniens que leur spectacle

avait évoqué pour lui la vie

dans son pays à l’époque où le

Général Jaruzelski avait décrété

l’état de guerre. Une jeune

Italienne, très émue, dit que ce

qu’elle avait vu avait changé

quelque chose dans sa vie.

« C’est une question que je

pose à tout le monde », conclut-elle, « quelle est notre respon-sabilité dans le monde, en tant

que comédien ? » Un

Palestinien expliqua alors

qu’« en Palestine, faire du

théâtre, cela veut dire être

courageux, et ouvrir une voie

vers l’émancipation, car c’est

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dire quelque chose qui ne peut

pas être dit ailleurs ». Un autre

ajouta « Nous ne sommes pas

des stars de cinéma, nous

transmettons des messages,

nous tendons des ponts vers le

futur ». Un Algérien souligna

que « ce qui est remarquable,

c’est d’avoir parlé des aspects

dramatiques de la société

palestinienne, et pas seulement

du conflit israélo-palestinien ».

Une animatrice évoqua la mise

à distance des problèmes

brûlants effectuée par le théâtre,

qui permet ensuite de mieux les

vivre, et la « fonction de

thérapie » qui peut être celle du

théâtre. Mais un Palestinien

répondit que même si cela leur

avait fait du bien de s’exprimer,

leur but premier était d’abord la

création artistique, et ce fut, ce

jour-là, le mot de la fin. L’esprit des « Indignés », fait

de révolte devant les injustices

et de volonté de changer le

monde souffla par ailleurs indé-niablement sur ces 23èmes

Rencontres. Il s’accordait

d’ailleurs assez bien avec le

thème de ces Rencontres,

« Le Nouveau Monde », choisi

pourtant avant que des groupes

d’Indignés ne se manifestent

au premier plan de l’ac-tualité ! Comment voyons-nous le

monde d’aujourd’hui ? Dans quel

monde voulons-nous vivre ?

Quel rôle pouvons-nous jouer

pour construire un nouveau

monde ? Ces questions revinrent

souvent, sous des formes

diverses, au cours des débats. La création collective pré-

sentée par le groupe de Barcelone

en fournit une belle occasion. A

travers les amours difficiles entre

jeunes d’origine différente, ce

spectacle parle des problèmes liés

à l’immigration, à la complexité

des identités, problèmes connus

et vécus quotidiennement par les

membres d’une troupe aux

origines culturelles diverses.

Jordi, le metteur en scène,

explique avoir voulu faire le lien

entre le thème des 23èmes

Rencontres (« La Découverte

d’un Nouveau Monde »), la

réalité quotidienne des membres

du groupe, et « le Mouvement du

15 mai », celui des « Indignés »

espagnols. Dans le débat qui suit,

on s’interroge sur les rapports

entre opprimés et oppresseurs,

mis en scène avec une certaine

subtilité. De quel côté nous

situons-nous ? « Ce n’est pas simple de

répondre » dit Jordi, « car il y a

un poids culturel que je traîne en

moi. Dans certains cas

l’oppresseur et l’opprimé sont

tous les deux en moi ! » Pour mettre en scène le texte

de Maxime Gorki, « les Bas- Fonds » les comédiens de

Heidelberg dirent « s’être

inspirés de ce que l’on voit

dans les rues en Allema-gne aujourd’hui : la misère,

l’indifférence, la solitude, la

souffrance humaine, l’absence

de tout espoir », toutes choses

tragiques qu’ils ne vivent pas

eux-mêmes, mais qui les

choquent profondément. Une

occasion aussi, ajouta l’un

d’entre eux, « d’expérimenter le

côté sombre de soi-même » Ainsi, dans les deux cas, le

lien a été établi entre

l’ouverture à autrui et l’appro-fondissement de soi.

Entre plaisir et réflexion,

légèreté et gravité, les cafés-débats ont donc été, cette année

encore, d’une grande richesse, à

la mesure de tout ce qu’avaient

apporté les troupes elles-mêmes

sur la scène.

Thérèse