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10 | débats MARDI 7 AVRIL 2015 0123 L’ affaire Heidegger » lancée en 2014 avec la découverte de passages anti- sémites dans les Cahiers noirs, le journal de pensée du philosophe destiné à la publication, est en train de connaître de nouveaux développements. Aurait-on pu apporter plus tôt la preuve de l’antisémi- tisme massif du philosophe Martin Heideg- ger ? Telle est la question que se pose à son tour la maison qui a publié l’édition inté- grale controversée, Vittorio Klostermann – et qui réclame à présent des comptes aux di- recteurs de publication. Il semble mainte- nant que la réception de cette philosophie, si importante notamment pour la vie intel- lectuelle française d’après-guerre, qui en a fait le fondement de sa critique de la moder- nité, se soit faite sur la base d’un texte tron- qué, minimisant entre autres l’engagement nazi, entièrement à reconstituer par des chercheurs indépendants. ger qui constitue la base d’innombrables arti- cles et livres publiés par la recherche interna- tionale, tenté de présenter un philosophe ex- purgé de la doctrine nationale-socialiste ? Les erreurs que l’on vient de mettre au jour dans l’édition « définitive » publiée depuis 1975 ne sont-elles que la fameuse partie émergée de l’iceberg ? Ce ne sont pas des questions érudites réser- vées aux experts de l’édition. Après la publi- cation si tardive des Cahiers noirs et les inter- rogations suscitées par l’édition intégrale, il est légitime de réclamer que les rapports avec le fonds soient enfin clarifiés, c’est-à-dire, avant tout, que la recherche puisse y avoir un accès illimité. ŒUVRE COULÉE DANS UN SEUL MOULE C’est ce qu’a entre autres exigé avec verve, il y a peu, le philosophe Rainer Marten, l’un des derniers élèves de Heidegger. Jusqu’ici, aux Archives littéraires de Marbach, on ne peut consulter que les manuscrits des volumes déjà parus, issus du fonds de la famille. Il faut savoir que l’intégrale de Heidegger n’est pas une édition historico-critique. Les différen- tes versions des textes, les transformations ultérieures des œuvres par le philosophe lui- même ou celles qui, par exemple, ont dé- coulé des copies effectuées par son frère, Fritz, ne sont pas documentées. Depuis des décennies, on établit au con- traire en petit comité une édition dans la- quelle l’œuvre est comme coulée dans un seul moule. Arnulf Heidegger, petit-fils et ac- tuel curateur de la succession de Martin Hei- degger, a une nouvelle fois défendu les res- trictions d’accès au fonds, protégé par le droit d’auteur. Ceux qui plaident pour une édition qui sa- tisfasse à des normes scientifiques adéqua- tes n’ont hélas rencontré aucun écho à ce jour. Mais, aujourd’hui, la maison d’édition Vittorio Klostermann elle-même craint ma- nifestement que cette intégrale ne finisse par lui poser de très gros problèmes. Il y a quelques jours, l’éditeur a écrit à tous les di- recteurs de publication chargés des recueils de textes de Heidegger remontant aux an- nées 1930 et 1940 une lettre exprimant une singulière inquiétude. La maison d’édition, y lit-on, a reçu « après la publication des Cahiers noirs (…) plusieurs demandes visant à savoir pourquoi l’antisé- mitisme de Martin Heidegger n’est pas ap- paru plus tôt dans les volumes de l’édition in- tégrale ». Klostermann ne se réfère pas seule- ment aux découvertes récentes, mais aussi à un singulier lapsus : « Dans le volume 39 (Les Hymnes de Hölderlin : “La Germanie” et “Le Rhin”) », on a « interprété à tort comme Na- turwissenschaft” [sciences de la nature] une abréviation “N. soz” [national-socialiste]. Cette erreur de lecture s’est maintenue jusque dans l’édition actuelle, la troisième. » Or, fait remarquer Vittorio E. Klostermann, les ma- nuscrits des volumes parus dans le cadre de l’édition intégrale sont désormais accessi- bles à la recherche dans les locaux des Archi- ves littéraires de Marbach. Une situation que l’on juge menaçante : « Les découvertes de ces derniers temps font craindre que l’on ne cherche d’autres anoma- lies dans l’édition intégrale. Toute divergence importante qui pourrait être relevée et exploi- tée par des tiers mettrait la maison d’édition et le directeur de publication sur la défensive et pourrait entamer globalement la réputation de cette édition. » Pour l’éviter, la maison d’édition aimerait visiblement se donner des armes. « ERREURS DE LECTURE » Tous les directeurs de publication ayant par- ticipé à l’édition des textes de l’époque nazie doivent désormais faire savoir « s’ils ont eu connaissance, le cas échéant, de divergences problématiques entre les manuscrits et les co- pies autorisées, s’il y a eu des coupes faites après coup ou, éventuellement, des erreurs de lecture découvertes par la suite ». Certains des directeurs de publication considèrent cette lettre comme un véritable affront : s’il y avait des « divergences problématiques », des « coupes faites après coup » et des « erreurs de lecture », les directeurs de publication en porteraient forcément au moins une part de responsabilité, peut-être même les auraient- ils commises personnellement. C’est un épisode sans doute sans précédent dans l’histoire de l’édition allemande : les di- recteurs de publication sont priés d’avouer de leur plein gré s’ils ont pratiqué l’omission ou la manipulation – et pourraient donc dé- sormais craindre qu’on leur fasse porter l’es- sentiel de la faute si l’on devait, à l’avenir, dé- nicher d’autres « erreurs de lecture ». Alors qu’en réalité l’édition est le fruit de décennies d’interaction entre la maison qui édite l’inté- grale, les directeurs de publication et la fa- mille Heidegger. Le procédé indigne surtout les chercheurs qui ont mené leur travail d’édition en dé- ployant autant de science que de conscience et auxquels on demande à présent de se justi- fier. Les directeurs de publication sont aussi explicitement priés d’entrer en contact avec la maison d’édition s’ils devaient ne pas avoir commis d’« erreurs de lecture ». (« Veuillez aussi m’informer si vous n’avez aucun élé- ment de ce type à transmettre. ») La maison considère donc sa propre édi- tion avec méfiance et réclame des explica- tions – uniquement en interne, cependant – à ses directeurs de publication. C’est tout à fait compréhensible. Mais n’est-ce pas la faute de la maison d’édition elle-même si l’on a négligé d’établir des normes transparentes et contraignantes pour ces volumes ? Même une des directrices de publication de l’édi- tion intégrale, la philosophe Marion Heinz, regrettait récemment que les chercheurs avancent dans le noir : « Personne ne sait où des passages ont été coupés, où l’on a intégré des éléments des textes d’accompagnement ou des textes ultérieurs. Nous n’avons aucune base fiable (…) pour explorer et juger la philo- sophie de Heidegger. » Le reproche n’est pas mince après quarante ans de travail éditorial, si l’on songe que des pans importants de la philosophie récente, notamment la philosophie existentialiste et poststructuraliste en France, reposent sur l’exégèse de l’œuvre de Heidegger. On le sait, Heidegger n’avait que mépris pour l’opinion publique moderne. Le « On », le « bavar- dage », la manie de « l’occupation » mena- çaient selon lui une vie authentique et orien- tée vers la vérité. La critique abyssale de la modernité qui fonde jusqu’à ce jour, et à juste titre, la gloire de Heidegger ne peut certainement pas faire office de ligne directrice pour une édition in- tégrale de ses œuvres. La meilleure chose à faire serait de mettre en place une commis- sion de personnes extérieures et, pour le moins, d’établir des normes permettant d’entreprendre une vérification des volu- mes. Car il ne s’agit justement pas de mania- ques des techniques de l’édition traitant un problème de détail, mais de chercheurs du monde entier qui ont tout de même de bon- nes raisons de vouloir savoir avec quelle fré- quence le « national-socialisme » est devenu chez Heidegger la « science de la nature ». p Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni. © Die Zeit CEUX QUI PLAIDENT POUR UNE ÉDITION QUI SATISFASSE À DES NORMES SCIENTIFIQUES ADÉQUATES N’ONT HÉLAS RENCONTRÉ AUCUN ÉCHO À CE JOUR Cessez de cacher le nazisme de Heidegger ! L’œuvre du philosophe allemand, qui a inspir é tant de penseurs français, a été systématiquement expurgée de ses passages nazis et antisémites par ses héritiers. Il est temps qu’une édition vraiment critique de ses ouvrages voie le jour Adam Soboczynski est écrivain et essayiste, auteur de « Survivre dans un monde sans pitié » (Belfond, 2011) par adam soboczynski L’ an passé, les Cahiers noirs de Martin Heidegger (1889- 1976), le philosophe alle- mand le plus influent du XX e siècle, ont semé la cons- ternation dans le monde en- tier, non seulement parce que l’on a décou- vert que ces notes trouvées dans ses archives contiennent des passages grossièrement an- tisémites, mais aussi parce qu’elles apportent une justification philosophique à l’antisémi- tisme. Dès lors, même avec la meilleure volonté, on ne pouvait plus maintenir l’argumenta- tion selon laquelle, si Heidegger avait certes été, pour une brève période, partisan des na- zis, son œuvre était en revanche restée relati- vement à l’abri des conceptions nationales- socialistes. On était bien forcé de se poser la question : pourquoi, dans les plus de quatre- vingts volumes de l’édition intégrale, dans tous les écrits qui avaient paru jusqu’ici, n’avait-on donc trouvé aucun passage massi- vement antisémite du même type ? Les Ca- hiers noirs étaient-ils donc le seul lieu où Hei- degger fût démasqué ? Depuis des mois couve le scandale – peut-on utiliser une autre expression ? Les indices semblent se multiplier : les connota- tions nationales-socialistes pourraient avoir été supprimées dans l’édition intégrale pu- bliée par le Vittorio Klostermann Verlag, mai- son d’édition francfortoise petite, mais re- nommée. Au mois de novembre 2014, dans Die Zeit, le journaliste Eggert Blum relatait en détail les anomalies de l’édition, par exemple le fait que la phrase d’un manuscrit où Hei- degger pérorait sur la « prédestination de la juiverie à la criminalité planétaire » n’avait pas été imprimée, à la demande du directeur de publication, Friedrich-Wilhelm von Herr- mann, et du fils de Martin Heidegger, Her- mann. On a aussi constaté que Martin Heidegger avait apporté, après coup, des modifications à sa conférence sur « L’Epoque des “concep- tions du monde” » (Chemins qui ne mènent nulle part, Gallimard, 1962). Depuis, le doute est installé : a-t-on, dans l’édition de Heideg-

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2015 SoboczynskiCessez de cacher le nazisme de HeideggerLeMonde

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  • 10 | dbats MARDI 7 AVRIL 20150123

    L affaire Heidegger lance en 2014avec la dcouverte de passages antismites dans les Cahiers noirs, lejournal de pense du philosophe destin la publication, est en train de connatre de nouveaux dveloppements. Aurait-on pu apporter plus tt la preuve de lantismi-tisme massif du philosophe Martin Heideg-ger ? Telle est la question que se pose son tour la maison qui a publi ldition int-grale controverse, Vittorio Klostermann et qui rclame prsent des comptes aux di-recteurs de publication. Il semble mainte-nant que la rception de cette philosophie, si importante notamment pour la vie intel-lectuelle franaise daprs-guerre, qui en a fait le fondement de sa critique de la moder-nit, se soit faite sur la base dun texte tron-qu, minimisant entre autres lengagement nazi, entirement reconstituer par des chercheurs indpendants.

    ger qui constitue la base dinnombrables arti-cles et livres publis par la recherche interna-tionale, tent de prsenter un philosophe ex-purg de la doctrine nationale-socialiste ? Leserreurs que lon vient de mettre au jour dans ldition dfinitive publie depuis 1975 ne sont-elles que la fameuse partie merge de liceberg ?

    Ce ne sont pas des questions rudites rser-ves aux experts de ldition. Aprs la publi-cation si tardive des Cahiers noirs et les inter-rogations suscites par ldition intgrale, il est lgitime de rclamer que les rapports avecle fonds soient enfin clarifis, cest--dire,avant tout, que la recherche puisse y avoir unaccs illimit.

    UVRE COULE DANS UN SEUL MOULECest ce qua entre autres exig avec verve, il ya peu, le philosophe Rainer Marten, lun des derniers lves de Heidegger. Jusquici, aux Archives littraires de Marbach, on ne peut consulter que les manuscrits des volumes dj parus, issus du fonds de la famille. Il fautsavoir que lintgrale de Heidegger nest pas une dition historico-critique. Les diffren-tes versions des textes, les transformations ultrieures des uvres par le philosophe lui-mme ou celles qui, par exemple, ont d-coul des copies effectues par son frre,Fritz, ne sont pas documentes.

    Depuis des dcennies, on tablit au con-traire en petit comit une dition dans la-quelle luvre est comme coule dans unseul moule. Arnulf Heidegger, petit-fils et ac-tuel curateur de la succession de Martin Hei-degger, a une nouvelle fois dfendu les res-trictions daccs au fonds, protg par ledroit dauteur.

    Ceux qui plaident pour une dition qui sa-tisfasse des normes scientifiques adqua-tes nont hlas rencontr aucun cho ce jour. Mais, aujourdhui, la maison dditionVittorio Klostermann elle-mme craint ma-nifestement que cette intgrale ne finisse par lui poser de trs gros problmes. Il y a quelques jours, lditeur a crit tous les di-recteurs de publication chargs des recueils de textes de Heidegger remontant aux an-nes 1930 et 1940 une lettre exprimant une singulire inquitude.

    La maison ddition, y lit-on, a reu aprsla publication des Cahiers noirs () plusieursdemandes visant savoir pourquoi lantis-mitisme de Martin Heidegger nest pas ap-paru plus tt dans les volumes de ldition in-

    tgrale . Klostermann ne se rfre pas seule-ment aux dcouvertes rcentes, mais aussi un singulier lapsus : Dans le volume 39 (LesHymnes de Hlderlin : La Germanie et Le Rhin) , on a interprt tort comme Na-turwissenschaft [sciences de la nature] uneabrviation N. soz [national-socialiste].Cette erreur de lecture sest maintenue jusque dans ldition actuelle, la troisime. Or, faitremarquer Vittorio E. Klostermann, les ma-nuscrits des volumes parus dans le cadre de ldition intgrale sont dsormais accessi-bles la recherche dans les locaux des Archi-ves littraires de Marbach.

    Une situation que lon juge menaante : Les dcouvertes de ces derniers temps fontcraindre que lon ne cherche dautres anoma-lies dans ldition intgrale. Toute divergence importante qui pourrait tre releve et exploi-te par des tiers mettrait la maison ddition etle directeur de publication sur la dfensive etpourrait entamer globalement la rputationde cette dition. Pour lviter, la maisonddition aimerait visiblement se donner desarmes.

    ERREURS DE LECTURE Tous les directeurs de publication ayant par-ticip ldition des textes de lpoque nazie doivent dsormais faire savoir sils ont euconnaissance, le cas chant, de divergences problmatiques entre les manuscrits et les co-pies autorises, sil y a eu des coupes faites aprs coup ou, ventuellement, des erreurs de lecture dcouvertes par la suite . Certains desdirecteurs de publication considrent cette lettre comme un vritable affront : sil y avaitdes divergences problmatiques , des coupes faites aprs coup et des erreursde lecture , les directeurs de publication en porteraient forcment au moins une part de responsabilit, peut-tre mme les auraient-ils commises personnellement.

    Cest un pisode sans doute sans prcdentdans lhistoire de ldition allemande : les di-recteurs de publication sont pris davouerde leur plein gr sils ont pratiqu lomission ou la manipulation et pourraient donc d-sormais craindre quon leur fasse porter les-sentiel de la faute si lon devait, lavenir, d-nicher dautres erreurs de lecture . Alorsquen ralit ldition est le fruit de dcenniesdinteraction entre la maison qui dite lint-grale, les directeurs de publication et la fa-mille Heidegger.

    Le procd indigne surtout les chercheurs

    qui ont men leur travail ddition en d-ployant autant de science que de conscience et auxquels on demande prsent de se justi-fier. Les directeurs de publication sont aussiexplicitement pris dentrer en contact avec la maison ddition sils devaient ne pas avoircommis d erreurs de lecture . ( Veuillez aussi minformer si vous navez aucun l-ment de ce type transmettre. )

    La maison considre donc sa propre di-tion avec mfiance et rclame des explica-tions uniquement en interne, cependant ses directeurs de publication. Cest tout fait comprhensible. Mais nest-ce pas lafaute de la maison ddition elle-mme si lona nglig dtablir des normes transparentes et contraignantes pour ces volumes ? Mme une des directrices de publication de ldi-tion intgrale, la philosophe Marion Heinz, regrettait rcemment que les chercheurs avancent dans le noir : Personne ne sait odes passages ont t coups, o lon a intgrdes lments des textes daccompagnement ou des textes ultrieurs. Nous navons aucune base fiable () pour explorer et juger la philo-sophie de Heidegger.

    Le reproche nest pas mince aprs quaranteans de travail ditorial, si lon songe que des pans importants de la philosophie rcente,notamment la philosophie existentialiste et poststructuraliste en France, reposent surlexgse de luvre de Heidegger. On le sait, Heidegger navait que mpris pour lopinion publique moderne. Le On , le bavar-dage , la manie de loccupation mena-aient selon lui une vie authentique et orien-te vers la vrit.

    La critique abyssale de la modernit quifonde jusqu ce jour, et juste titre, la gloire de Heidegger ne peut certainement pas faire office de ligne directrice pour une dition in-tgrale de ses uvres. La meilleure chose faire serait de mettre en place une commis-sion de personnes extrieures et, pour le moins, dtablir des normes permettantdentreprendre une vrification des volu-mes. Car il ne sagit justement pas de mania-ques des techniques de ldition traitant unproblme de dtail, mais de chercheurs dumonde entier qui ont tout de mme de bon-nes raisons de vouloir savoir avec quelle fr-quence le national-socialisme est devenu chez Heidegger la science de la nature . p

    Traduit de lallemand par Olivier Mannoni. Die Zeit

    CEUX QUI PLAIDENT POUR UNE DITION

    QUI SATISFASSE DES NORMES SCIENTIFIQUES

    ADQUATES NONT HLAS RENCONTR

    AUCUN CHO CE JOUR

    Cessez de cacher le nazisme de Heidegger !Luvre du philosophe allemand, qui a inspirtant de penseurs franais, a t systmatiquement expurge de ses passages nazis et antismites par ses hritiers.Il est temps quune dition vraiment critiquede ses ouvrages voie le jour

    Adam Soboczynski estcrivain et essayiste, auteur de Survivre dans un monde sans piti (Belfond, 2011)

    par adam soboczynski

    Lan pass, les Cahiers noirs deMartin Heidegger (1889-1976), le philosophe alle-mand le plus influent duXXe sicle, ont sem la cons-ternation dans le monde en-

    tier, non seulement parce que lon a dcou-vert que ces notes trouves dans ses archives contiennent des passages grossirement an-tismites, mais aussi parce quelles apportentune justification philosophique lantismi-tisme.

    Ds lors, mme avec la meilleure volont,on ne pouvait plus maintenir largumenta-tion selon laquelle, si Heidegger avait certes t, pour une brve priode, partisan des na-zis, son uvre tait en revanche reste relati-vement labri des conceptions nationales-socialistes. On tait bien forc de se poser la question : pourquoi, dans les plus de quatre-vingts volumes de ldition intgrale, dans tous les crits qui avaient paru jusquici, navait-on donc trouv aucun passage massi-vement antismite du mme type ? Les Ca-hiers noirs taient-ils donc le seul lieu o Hei-degger ft dmasqu ?

    Depuis des mois couve le scandale peut-on utiliser une autre expression ? Les indices semblent se multiplier : les connota-tions nationales-socialistes pourraient avoir t supprimes dans ldition intgrale pu-blie par le Vittorio Klostermann Verlag, mai-son ddition francfortoise petite, mais re-nomme. Au mois de novembre 2014, dans Die Zeit, le journaliste Eggert Blum relatait en dtail les anomalies de ldition, par exemple le fait que la phrase dun manuscrit o Hei-degger prorait sur la prdestination de la juiverie la criminalit plantaire navaitpas t imprime, la demande du directeur de publication, Friedrich-Wilhelm von Herr-mann, et du fils de Martin Heidegger, Her-mann.

    On a aussi constat que Martin Heideggeravait apport, aprs coup, des modifications sa confrence sur LEpoque des concep-tions du monde (Chemins qui ne mnent nulle part, Gallimard, 1962). Depuis, le douteest install : a-t-on, dans ldition de Heideg-