2017 : Le réveil citoyen

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    Introduction

     Ah, si le monde fonctionnait selon les principes d’une recette decuisine, comme tout serait simple ! Un monde bien prévisible, oùil suffirait de choisir les bons ingrédients et de suivre les indicationsfournies pour obtenir à chaque fois le même plat, celui qui corres-pond à la photographie dans le livre.

    Quand j’écoute les hommes politiques, participe à leurs réunions,ou échange en direct avec eux, je vois que c’est à cela qu’ils rêventtous : une pincée de TVA en plus ou en moins, le mélange savam-ment dosé de trois taxes précédemment autonomes, la fusion de cesdeux agences, un plan pour la relance de telle ou telle industrie, denouvelles aides fiscales pour le logement, la nième refonte de l’ap-prentissage de la lecture... et le miracle devrait surgir ! Comme dans

    un tour de magie, les lapins de la croissance, de la chute du chômageet du bonheur social vont surgir du chapeau du Maître Queux.

    Car, autre caractéristique bien française, chacun de nos politiques sesent l’âme d’un grand chef : non seulement, ils s’imaginent capablesde maîtriser l’incertitude, mais ils se voient en un Paul Bocuse ouun Alain Ducasse de la politique. Un sauveur, un homme miracle. À leur décharge, la nostalgie du général de Gaulle rivalise dans lescouloirs de notre démocratie avec celles plus lointaines de Napoléon

    ou de Louis XIV, quand ce n’est pas de Vercingétorix.Bref, si la France ne va pas aujourd’hui, c’est soit parce que l’onn’applique pas la bonne recette, soit parce que le chef n’est pas lebon, ou le plus souvent dans l’esprit de tous, à cause des deux. Carc’est bien ce que l’on attend d’un grand chef : trouver et appliquerla bonne recette. Même Marine Le Pen prend des élans gaulliens,quand elle ne s’incarne pas en une Jeanne d’Arc mâtinée d’une Asté-

    rix en jupons partie à la reconquête du monde. Le soir, dans lestréfonds de la cuisine de l’hôtel particulier familial à Saint-Cloud,

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     je l’imagine avec son Panoramix de père, en train de concocter une

    potion magique. Du moins jusqu’à un passé récent... Tous des sau-veurs quoi !

    Mais est-ce bien raisonnable de penser et d’agir ainsi ? Commentcroire que, dans notre monde hypercomplexe, la solution pourraitvenir d’en haut, d’un chef accompagné d’un aéropage, fût-il le pluscompétent ? La France s’est certes construite grâce à la centralisationet une conception jacobine du pouvoir, mais ne serait-il pas tempsde comprendre qu’il faut changer de paradigme ? Ne faut-il pas

    renverser la table pour ne pas être emporté par les mouvements encours ? N’est-il pas urgent de redonner la parole à nos territoires etde bâtir notre avenir collectif sur un logique ascendante ?

    Seulement pour amorcer une telle révolution copernicienne, fau-drait-il encore avoir pris le temps d’approfondir la compréhensiondes logiques et des forces qui sous-tendent l’évolution de notremonde : ne plus faire du zapping intellectuel ; ne plus s’appuyer sur

    une connaissance superficielle et acquise depuis des bureaux tou- jours situés à quelques hectomètres de la Seine ; se plonger dansle temps long, celui dans lequel baigne l’histoire de l’humanité, etsecondairement celle de la France, pour avoir une chance de perce-voir pourquoi aucune potion ne peut être magique.

    Drôle de pari, me direz-vous, que de vouloir éclairer le temps néces-sairement court des politiques par des temps longs : à quoi bonsavoir où va un fleuve et d’où il vient, quand on ne va naviguer

    qu’entre deux ponts ? Du temps perdu ! Restons focalisés sur l’ins-tantané, sur la distance par rapport à la rive, sur la présence ou nond’un récif, sachons éviter ce tourbillon menaçant et saisir ce courantporteur, et tout ira bien. Telle est la logique de la pensée politique :elle ne se préoccupe de savoir ni d’où nous venons, ni où nous al-lons, elle ne s’intéresse qu’à la vague immédiate. La seule questionsur laquelle se concentre son expertise est : « comment gagner ouperdre une élection ? » Autocentrage des politiques.

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    Un des premiers objectifs de cet essai est de montrer que cette dé-

    marche fait fausse route, car c’est au contraire en comprenant d’oùl’on vient et où l’on va, que l’on peut s’inscrire efficacement dansun courant ou s’y opposer. Sinon, tout action est vaine et on estballotté par les évènements. Sans vision, l’agilité est dangereuse etcontreproductive : elle n’est qu’agitation. L’hyperactivité de NicolasSarkozy a bien peu construit, la passivité optimiste de François Hol-lande non plus. Une troisième voie est possible et nécessaire.

    Compréhension du passé, analyse dynamique de la situation et

    identification des futurs possibles sont indissociables : mettre enperspective le présent, se donner des clés de lecture, identifier lesruptures, actualiser sa compréhension, trouver des marges de ma-nœuvre, s’engager, faire des choix responsables. Sans cela, les poli-tiques jouent au loto l’avenir de l’humanité.

    Une des clés que je vais vous proposer est l’acceptation de l’incerti-tude : non seulement elle est irréductible, mais son accroissements’accélère. Autre clé, celle de l’émergence d’un monde tissé deconnexions fines et multiples, où les limites se fondent et s’effacent,où la proximité n’est plus tant spatiale que sémantique et intellec-tuelle : mon proche n’est plus seulement mon voisin physique maissouvent celui avec qui je vibre à distance. Drôle de toile dans laquelleles gestes et les mouvements des politiques s’emmêlent, comme desinsectes pris au piège d’un monde qui les dépasse.

     Au sein de cette toile, la France est dans une situation paradoxale :

    alors qu’elle a dans ses mains tous les éléments pour tirer parti dela dynamique mondiale, elle agit trop souvent à contretemps. Desexemples : elle est choisie par Facebook pour son nouveau centremondial sur l’intelligence artificielle, mais endure un chômage demasse sans cesse croissant ; elle est en situation pour être un descarrefours européens, et donc mondiaux, mais les peurs s’y déve-loppent et elle se recroqueville, rêvant d’un retour au village gauloisd’Astérix. Or ce rêve n’en sera pas un, car il tournera au cauche-

    mar : à vouloir trop se protéger, la France s’exclura. La vie est dansl’échange, et la mort le rendez-vous certain de la fermeture.

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    Réveillons-nous quand il en est encore temps : nous avons tout pour

    réussir, car, pour reprendre l’expression de Denis Payre1

    , « La Franceest un champion qui s’ignore ». Mais être champion dans un mondeen compétition ne se fait ni sans effort, ni en regardant le futur dansun rétroviseur. Il nous faudra le courage de nous remettre en causeet de repenser notre projet collectif ; le courage de sortir du tas despaghettis entremêlés que sont devenues nos organisations collec-tives ; le courage de comprendre que rien ne nous est dû ; le courageenfin d’abandonner notre tendance à l’autosatisfaction.

     Attention, si nous ne nous réveillons pas rapidement, nous n’auronsplus aucune chance de redevenir un champion. En effet, il est dan-gereux de croire que le pire est derrière nous, et que grâce à un ali-gnement miraculeux des planètes, la France s’en sortira facilement.Non, car la transformation numérique ne fait que commencer, et,pour reprendre une expression devenue à la mode, « l’ubérisation »2 est à nos portes : si la France n’amorce pas rapidement une transfor-mation profonde, si elle reste lestée d’une dette qui ne fait que s’ac-croître, si elle continue à dépenser inefficacement l’argent public,si elle conserve des organisations rigides et pyramidales, elle seraemportée par le tsunami qui s’annonce.

    Prenons conscience de l’urgence et de l’existence de solutions. N’at-tendons pas comme le chêne dans la célèbre fable de La Fontainede nous retrouver déracinés par l’orage qui arrive. Retrouvons dela souplesse pour profiter de la force du vent et de notre position

    exceptionnelle. Autre caractéristique de nos Maîtres Queux politiques, ils ne s’inté-ressent pas au comment et détestent dire à l’avance ce qu’ils vontfaire. À quoi bon, tant que l’on n’est pas sûr d’être élu ? Pour eux,

    1 Créateur d’entreprises à succès et Président fondateur de Nous Citoyens.

    2 Expression issue des conséquences de la montée en puissance de start-ups comme Uberqui remettent en cause des entreprises ou des métiers existants en transformant complètement

    l’organisation du marché et la chaîne de la valeur : être « ubérisé » signifie être menacé dedisparition, ou a minima  voir son importance fortement réduite, comme les taxis avec Uber.C’est en se sens que l’on peut parler d’un risque d’ « ubérisation » de la France.

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    l’ordre est clair : d’abord l’élection, ensuite l’action. « Construisons

    un programme pour être élu, pour le reste on verra après », se mur-murent-ils au quotidien. Comme si l’intendance suivait toujours... Avec une durée des mandats qui se raccourcit, la question de leurréélection se pose de plus en plus tôt. Encore un peu, et ils arri-veront à une situation « idéale » où les programmes pour être élus’enchaîneront continûment. Nirvana de la communication poli-tique, le découplage parfait entre les politiques et le réel sera atteint.

    Imaginez un candidat à la reprise d’une entreprise en difficulté qui

    serait incapable de présenter un quelconque plan d’action : « Faites-moi confiance : en trois ans, je doublerai le chiffre d’affaires, divi-serai par deux les coûts tout en relançant l’emploi et l’innovation,et atteindrai une marge opérationnelle de plus de 40 %. Comment,me demandez-vous ? On verra bien ! » Voilà nos hommes poli-tiques : ils nous demandent un chèque en blanc.

    Pour justifier leur attitude, ils s’abritent derrière une affirmation :

    « La seule façon d’être élu est de dire aux électeurs ce qu’ils sontprêts à entendre, et non pas ce qu’il faut faire. ». Seulement, ceux-cisont de moins en moins dupes et de plus en plus désengagés vis-à-vis des politiques qu’ils qualifient de menteurs.

    Mais, ces derniers, sont-ils vraiment des menteurs ? Non, je croisque la réalité est pire : ils n’ont, sauf de rares exceptions, aucune idéeconcrète et réelle de ce qu’ils feront s’ils sont élus. La démonstrationla plus nette et la plus récente vient du documentaire de Patrick

    Rotman, Le Pouvoir : tourné dans les ors du Palais de l’Élysée, lorsdes premiers mois de la présidence de François Hollande, c’est unemise en abyme de l’impréparation, l’improvisation et l’amateurismedes équipes élyséennes, du gouvernement et de leur Maître Queux.C’est flagrant tout au long du film, et d’autant plus que ce n’est pasintentionnel : on sent bien que Patrick Rotman ne se veut ni juge,ni accusateur. Il se contente de filmer ce qu’il voit, et nous faireentendre ce qui est dit.

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    Et voilà un Président qui avoue : « Je ne pensais pas que la situation

    de la France était si grave. » Mais sur quelle planète avait-t-il vécu lesannées précédentes ? Est-ce que la rue de Solferino l’avait à ce pointisolé de la réalité de son propre pays ? N’avait-il donc rencontréaucun Français pendant sa campagne, aucun dirigeant d’entreprise,aucun économiste ? N’avait-il jamais quitté l’Hexagone ? Shanghai,Singapour, Bangalore, ou Palo Alto n’étaient-ils pour lui que despoints théoriques sur une mappemonde ?

    Un peu plus loin, son Secrétaire général, Pierre-René Lemas, lui in-dique qu’il va falloir faire des économies dans la dépense publique,mais que ce ne sera pas facile. Sic ! Et François Hollande de complé-ter : « Cela comprend aussi les dépenses des collectivités locales et lesdépenses sociales, n’est-ce pas ? » Oui, bravo, remarque pertinente etexacte. À l’oral de l’ENA que vous avez jadis brillamment intégrée,vous auriez la note maximale. Simplement, Monsieur François Hol-lande, vous n’êtes plus un étudiant mais le Président de la France.

     À ce titre, vous êtes censé avoir un projet. Mais cet échange montreque ni lui, ni Lemas n’avaient réfléchi avant à ce qu’il faudrait faire.Probablement trop occupés à se faire élire pour cela.

    Résumons : les deux premiers dirigeants du pays – car dans le fonc-tionnement de la Cinquième République, le Secrétaire général del’Élysée dispose de pouvoirs considérables –, découvrent la réalité enmarchant, et improvisent au gré de leurs imaginations. Ainsi Fran-

    çois Hollande n’a pas menti aux Français : il n’avait simplementaucune idée de ce qu’il ferait, si jamais il était élu. Son seul projetétait de l’être. L’élection comme but, et non pas comme moyen...ainsi que ses prédécesseurs.

     À contre-courant, voilà donc un deuxième objectif de ce livre : s’in-téresser non pas à comment être élu, mais à ce qu’il conviendrait defaire si jamais on l’était. Avec l’idée absurde que c’est ainsi qu’il fautraisonner, et que c’est peut-être aussi la meilleure façon d’être élu !Cet essai propose non pas un plan d’actions détaillé, car celui-ci doit

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    être co-construit avec les citoyens, mais un cocktail de raisons d’agir,

    de principes et méthodes à suivre, et finalement une proposition desocle. Il s’intéresse autant au comment qu’au quoi ou au pourquoi.

     Je me suis focalisé sur les thèmes essentiels pour enclencher cettetransformation : les conditions pour donner naissance à une Répu-blique citoyenne, la modification de nos organisations collectives,les modalités d’une nouvelle politique économique, comment fairede l’insertion par le travail une priorité et mettre fin à la fragmenta-tion de notre société, ainsi que la méthode pour rendre cette trans-formation effective3.

    Les évènements tragiques du vendredi 13 novembre 2015 montrentla nécessité d’accroître notre capacité à agir et de retisser des soli-darités positives entre nous tous pour stopper la désintégration encours :

    – À force de laisser le chômage gangréner notre société et l’édu-

    cation ne plus être le ciment du vivre ensemble, notre sociétéest malade d’un double cancer. Y mettre fin doit être une prio-rité majeure, car l’intégration est la seule réponse pertinente etdurable aux crises actuelles.

    – À force de ne pas avoir entrepris une réelle refondation de nosinstitutions, nous en avons laissé déraper les coûts, entamantlourdement notre souveraineté et notre marge de manœuvreprésentes et surtout futures. Résultat : nous avons de moins enmoins de moyens pour les missions régaliennes de l’État, et doncpour notre sécurité.

    3 Ces développements s’inscrivent dans la droite ligne des réflexions de Nous Citoyensdont j’ai assuré la coordination, et notamment ceux intitulés Efficacité de la dépense

     publique   (www.nouscitoyens.fr/wp-content/uploads/2014/07/Transformer-la-France-VF.pdf) et 6 propositions pour diviser le chômage par deux (www.nouscitoyens.fr/wp-content/uploads/2014/10/Emploi-Synthèse-web-VF.pdf). Cet essai n’est pas exhaustif et ne sont

    notamment pas abordés des sujets importants comme l’environnement, l’énergie, la cultureou encore la défense nationale et la politique étrangère. Ces manques devront être comblésdans le cadre de l’élaboration de tout projet pour 2017.

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    – À force de diverger vis-à-vis de nos voisins, la construction de

    politiques communes est de plus en plus difficile. Or compte-tenu des enjeux et des risques mondiaux, il est illusoire de croireque nous pourrons y faire face seuls.

    Il est temps, plus que temps d’agir : 2017 doit sonner le réveilcitoyen.

    Ce livre est tout à la fois un appel à cette prise de conscience, uneamorce de diagnostic et une proposition de chemin pour agir.

    Comme tout ne pourra pas être changé en cinq ans, comme dix ansseront a minima  nécessaires pour transformer en profondeur notrepays, il faut engager les réformes structurelles le plus tôt possible,c’est-à-dire dès le début du prochain quinquennat.