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Les espaces périurbains et ruraux du SDRIF 35 Les pressions qui sont à l’œuvre tendent à dominer les orientations exprimées par le SDRIF. Cela invite à évaluer la force des prescriptions inscrites dans le schéma. Les nuisances liées à la concentration urbaine au sein d’une très grande agglomération nourrissent l’émergence d’opinions favorables à un freinage très énergique de la croissance francilienne, tant en matière d’habitat que d’activité. Mais l’ambition légitime du rayonnement international et la valorisation des atouts de la région orientent vers une poursuite du développement. La contradiction n’est qu’apparente ; dans des pays d’Europe où l’espace est rare, le développement économique n’a pas été entravé par les contraintes les plus exigeantes dictées par la recherche d'une utilisation économe et équilibrée du sol ; bien plus, pourrait-on faire remarquer, la qualité des aménagements des espaces ouverts améliore le patrimoine collectif et renforce l’attractivité du territoire. 20 Cinq communes (et peut-être bientôt sept) ont constitué en juin 2003 une association en vue d’un projet agricole commun dont le premier objet est le maintien de l’activité agricole sur leur territoire. 3 Orientations pour une utilisation économe et équilibrée de l’espace 3.1 Vers la consolidation de la ceinture verte 3.1.1 Évolutions voulues et évolutions subies La prise en considération de la rareté de l’espace agricole, naturel et forestier a conduit le SDRIF à privilégier des orientations économes en matière de consommation de ces espaces : au centre, par la reconstruction de la ville sur la ville, dans la ceinture verte, par le maintien d’activités agricoles et forestières au cœur de l’urbanisation, avec respect de tailles critiques minimales (2000 hectares en grandes cultures par exemple) destinées à assurer la viabilité économique des activités protégées, dans la couronne rurale, par le développement modéré des bourgs et villages et par la protection des espaces paysagers et des milieux sensibles. Dans l’Essonne, la mise en application de ces principes conduit, à titre d’exemple: à valoriser les opportunités de développement dans la ceinture verte, en s’appuyant notamment sur les points forts que constituent le secteur de Saclay en matière de « sciences dures » et celui d’Evry avec le Génopole en matière de sciences biologiques; ceci revient à renforcer la polarisation stratégique au sein de l’espace départemental, à mettre l’accent sur la protection des milieux naturels dans le sud et l’Ouest du département, avec la mise en place du parc naturel régional du Gâtinais et plusieurs projets de classement de sites de vallées, sans oublier des initiatives locales récentes comme, par exemple, celle des Villes Maraîchères du Hurepoix 20 . Illustrée ainsi, cette stratégie présente un caractère positif. Généralisée sans projet particulier à un territoire qui n’offre pas les atouts réunis par ce secteur de l’Essonne, elle montre deux limites : Le coût élevé de la reconstruction de la ville sur la ville favorise le report du développement sur la ceinture verte, au-delà des villes nouvelles ce que vérifie l’analyse démographique des départements de grande couronne dans leur partie la plus proche du

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Les espaces périurbains et ruraux du SDRIF

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Les pressions qui sont à l’œuvre tendent à dominer les orientations exprimées par le SDRIF. Cela invite à évaluer la force des prescriptions inscrites dans le schéma.

Les nuisances liées à la concentration urbaine au sein d’une très grande agglomération nourrissent l’émergence d’opinions favorables à un freinage très énergique de la croissance francilienne, tant en matière d’habitat que d’activité. Mais l’ambition légitime du rayonnement international et la valorisation des atouts de la région orientent vers une poursuite du développement. La contradiction n’est qu’apparente ; dans des pays d’Europe où l’espace est rare, le développement économique n’a pas été entravé par les contraintes les plus exigeantes dictées par la recherche d'une utilisation économe et équilibrée du sol ; bien plus, pourrait-on faire remarquer, la qualité des aménagements des espaces ouverts améliore le patrimoine collectif et renforce l’attractivité du territoire.

20 Cinq communes (et peut-être bientôt sept) ont constitué en juin 2003 une association en vue d’un projet agricole commun dont le premier objet est le maintien de l’activité agricole sur leur territoire.

3 Orientations pour une utilisation économe et équilibrée de l’espace

3.1 Vers la consolidation de la ceinture verte

3.1.1 Évolutions voulues et évolutions subies

La prise en considération de la rareté de l’espace agricole, naturel et forestier a conduit le SDRIF à privilégier des orientations économes en matière de consommation de ces espaces : • au centre, par la reconstruction de la ville sur la ville, • dans la ceinture verte, par le maintien d’activités agricoles et forestières au cœur de

l’urbanisation, avec respect de tailles critiques minimales (2000 hectares en grandes cultures par exemple) destinées à assurer la viabilité économique des activités protégées,

• dans la couronne rurale, par le développement modéré des bourgs et villages et par la protection des espaces paysagers et des milieux sensibles.

Dans l’Essonne, la mise en application de ces principes conduit, à titre d’exemple:

• à valoriser les opportunités de développement dans la ceinture verte, en s’appuyant

notamment sur les points forts que constituent le secteur de Saclay en matière de « sciences dures » et celui d’Evry avec le Génopole en matière de sciences biologiques; ceci revient à renforcer la polarisation stratégique au sein de l’espace départemental,

• à mettre l’accent sur la protection des milieux naturels dans le sud et l’Ouest du département, avec la mise en place du parc naturel régional du Gâtinais et plusieurs projets de classement de sites de vallées, sans oublier des initiatives locales récentes comme, par exemple, celle des Villes Maraîchères du Hurepoix20.

Illustrée ainsi, cette stratégie présente un caractère positif. Généralisée sans projet particulier à un territoire qui n’offre pas les atouts réunis par ce secteur de l’Essonne, elle montre deux limites :

• Le coût élevé de la reconstruction de la ville sur la ville favorise le report du

développement sur la ceinture verte, au-delà des villes nouvelles ce que vérifie l’analyse démographique des départements de grande couronne dans leur partie la plus proche du

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centre. Cette orientation hypothèque gravement à terme, la pérennité de l’espace agricole et forestier de la ceinture verte. Il est illusoire de considérer qu’une réduction modérée, uniforme et continue des espaces agricoles et naturels puisse conduire à de nouveaux états d’équilibre de l’agriculture. La difficulté d’assurer le maintien de certains secteurs agricoles de faible étendue, au cœur de la zone urbaine, illustre de manière constante que ce processus engendre le décrochage de l’activité agricole et avec lui une évolution incertaine et mal contrôlée des terrains s’ils ne sont pas aussitôt affectés à un nouvel usage. Or le maintien de ces espaces naturels participe de la qualité de la ceinture verte, lui donne une attractivité interne et en fait un élément d’attractivité de l’Île-de-France.

• Le développement actuel de la couronne rurale présente un caractère exclusivement

résidentiel générant des contraintes en termes de déplacements quotidiens et de localisation des services à la personne ; il crée des difficultés financières aux communes, qui ne sont pas en mesure de faire face à la demande de services et d’équipements requis par l’afflux de populations nouvelles.

Ainsi, l’évolution spontanée pourrait-elle conduire à la disparition de la ceinture verte, avec comme conséquences, une baisse de la qualité du cadre de vie dans l’agglomération centrale et un développement anarchique de la couronne rurale. Une reprise de l’économie et de la démographie rend ce scénario probable. Or il est inacceptable compte-tenu des choix antérieurement consentis par la collectivité sur la base d’orientations volontaristes (les villes nouvelles par exemple), confirmés par le SDRIF de 1994, et actualisés par la contrainte de durabilité du développement.

3.1.2 Organiser et polariser le développement de la couronne rurale

Face à la forte différenciation du territoire et aux stratégies économiques et résidentielles, faut-il se contenter de coupler une politique de développement des points forts et une volonté de protection indifférenciée des espaces naturels ? Pour autant qu’il est consommateur d’espace, il serait souhaitable d’orienter le développement futur dans les espaces les plus riches en potentialités de développement, c’est-à-dire dans la couronne rurale, pour organiser une polarisation de ces territoires autour des villes moyennes. Une telle orientation se situerait dans le prolongement de celle qui a conduit, il y a quelques décennies, à inventer les villes nouvelles dans la couronne périurbaine, associées à la ceinture verte. Par une telle option, la reconstruction de la ville sur la ville et avec elle la densification, d’une part, et la maîtrise des coupures assurées par la ceinture verte, d’autre part, pourraient regagner en crédibilité. Ainsi renouvelé, l’objectif d’équilibre voulu et préparé par les générations précédentes de planificateurs serait réaffirmé de manière convaincante.

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Les espaces périurbains et ruraux du SDRIF

Le développement des pôles de croissance au sein de l’espace rural permettrait un rééquilibrage au sein du territoire régional dans une certaine « biodiversité territoriale » qui présenterait de l’espace rural localement urbanisé l’image inversée de l’espace périurbain au sein duquel agriculture, nature et forêt seraient localement protégées durablement. Ainsi, à la nécessité d’une taille critique destinée à assurer la faisabilité économique de la protection des espaces agricoles et forestiers en zone périurbaine, répondrait la nécessité d’une masse critique des pôles de développement en zone rurale afin d’assurer une dynamique de croissance suffisante pour soutenir une densification raisonnée des espaces déjà urbanisés. Le développement durable de la zone rurale implique que les communes s’efforcent de supprimer la concurrence qu’elles exercent les unes avec les autres et qu’elles s’engagent dans des stratégies de développement cohérentes à des échelles territoriales suffisantes. En effet, la dispersion des zones d’activités ainsi que l’absence de stratégie à moyen et à long terme présente un triple inconvénient : • affaiblissement de la position des communes vis à vis des demandeurs potentiels, • création coûteuse d’une offre ne répondant pas nécessairement aux besoins des acteurs

économiques, • mitage de l’espace et ponction accrue sur l’espace agricole et naturel. La solution du problème passe logiquement par un regroupement des zones d’activité dans le cadre d’une stratégie cohérente de développement polarisé. L’intercommunalité constitue à terme un cadre institutionnel pour cette stratégie, grâce au partage de ressources fiscales qu’elle induit, rendant par là même sans objet une éventuelle concurrence intercommunale. La « coopération intercommunale de projet » devrait permettre d’avancer dans la voie d’une stratégie commune et de penser le développement de manière cohérente, tout en lançant une dynamique susceptible d’aboutir à une coopération opérationnelle. Elle implique un accompagnement par une ingénierie de développement local

P. VANACKER / IAURIF : Paysage agricole et croissance urbaine – Chessy-Marne-la-Vallée (77)

4ème prix ex-aequo de la catégorie « agriculteurs » du concours photos « Paysages agricoles d’Ile-de-France, Regards croisés » organisé par l’IAURIF et ses partenaires-2003

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Les espaces périurbains et ruraux du SDRIF

La mise en place de pays, outil souvent considéré comme destiné aux zones en retard de développement, pourrait se révéler adaptée au contexte de la zone rurale francilienne, dont le retard n’est que qualitatif et relatif en comparaison de la dynamique de la zone d’urbanisation dense. Faut-il d’ailleurs parler de retard ? Les organisations communales ou intercommunales qui redéfinissent leur projet de villes en considérant leur agriculture comme structurante (Vernouillet, Communauté d’agglomération du Plateau de Saclay, projet intercommunal du Triangle Vert des Villes Maraîchères du Hurepoix) le font aussi avec l’idée de renforcer leur singularité rurale par rapport aux entités urbaines voisines. Le pays en région périurbaine aurait alors autant de modernité, en offrant la permanence d’une campagne, à la fois appui d’un développement local, ouverture aux cités voisines et facteur fort de durabilité. Les trois parcs naturels régionaux (PNR) existants et le quatrième en projet, qui couvrent près de 20% de la couronne rurale, contribuent à structurer et à dynamiser l’espace rural francilien, en complémentarité de l’armature urbaine et des pays émergents. Une cohérence est à rechercher entre les pôles ruraux et urbains de la couronne rurale ; les partenariats noués par les PNR franciliens sous la forme de conventions avec les villes portes en sont une illustration.

Ainsi pourra-t-on permettre une détente foncière sur les espaces périurbains les plus fragiles, notamment ceux de la ceinture verte, et espérer réaliser un équilibre stable sur cette zone stratégique pour la qualité et l’attractivité de la région.

3.1.3 Consolider la ceinture verte

La ceinture verte, qui contribue à la respiration de l’agglomération centrale et au rayonnement international de l’Île-de-France, demeure l’enjeu majeur ; les prochaines années rendront compte de la capacité collective à avoir respecté les objectifs des fondateurs de la planification spatiale de l’Île-de-France. Sa préservation en tant qu’entité n’est pas compatible avec une reprise à la hausse des évolutions économique et démographique au niveau que prévoyait le SDRIF sauf mise en place d’une protection élevée qui repose sur des prescriptions positives. La quasi-continuité d’urbanisation entre l’agglomération centrale et les villes nouvelles instruit assez sur l’insuffisance de prescriptions qui ne s’attaquent qu’indirectement au sujet. Le principe de reconstruire la ville sur la ville ne devrait pas uniquement s'appliquer à la ville dense mais devrait aussi concerner les espaces périurbains où l’urbanisation s’est effectuée souvent d’une manière très consommatrice d’espace et sans projet cohérent d’urbanisme. Cette reconstruction devrait alors se traduire par une densification et une amélioration de la qualité urbaine des espaces déjà bâtis. Mais c’est en affirmant le caractère stratégique, au sens de l’équilibre général du territoire, d'une limite d’urbanisation définie à l’échelle du mètre ou de la parcelle ou d'une entité d’espace naturel définie avec la même précision, que l’on contrôlera effectivement le développement de l’urbanisation. Le caractère proclamé intangible de la limite valorisera le front urbain qui tirera ainsi un parti qualitatif de la proximité de l’espace ouvert et suscitera l’appropriation de cet espace par la population. Ce meilleur contrôle passe par une capacité de maîtrise foncière publique accrue. Le succès de la reconstruction de la ville sur la ville et la capacité à concentrer le développement de la zone rurale dans des formes urbaines ramassées appellent sur un dispositif d’intervention publique assurant de manière crédible la pérennité des espaces naturels à la frontière marquée par le

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Les espaces périurbains et ruraux du SDRIF

document d’urbanisme et enrayant toute possibilité d’évolution vers le mitage. Cette capacité est particulièrement requise dans la ceinture verte. La région, par son Agence des espaces verts, établissement public régional à caractère administratif, a acquis dans ce domaine une expérience reconnue et a démontré l’efficacité d’une action foncière comprenant veille, acquisition et portage. Par l’utilisation des droits de préemption sur les espaces agricoles et naturels classés comme tels dans les documents d’urbanisme, l’agence, en coopération avec les communes, contribue très efficacement à neutraliser les anticipations foncières, et par là, à consolider des espaces en limite d’urbanisation. La réalisation des objectifs fixés doit s’appuyer sur des outils opérationnels de cette nature ajustés aux dimensions spatiales et temporelles des problèmes identifiés plus haut. Deux voies s’offrent à la réflexion21 : utiliser les droits de préemption existants sur les espaces agricoles et naturels, notamment

ceux de la SAFER, en améliorant les moyens dédiés pour disposer de cet outil d’intervention au service d’une politique de protection.

créer un outil foncier, du type établissement public foncier, de niveau régional, disposant d’une ressource fiscale propre en charge de mettre en œuvre les différents aspects de la stratégie définie ci-dessus.

Il y a, avec l’entrée de la région comme acteur principal de la planification régionale, une nouvelle perspective de régulation. Sa capacité à contribuer à une maîtrise foncière publique est d’ores et déjà démontrée. Elle pourrait s’appliquer efficacement à cet enjeu stratégique dont dépend la qualité de la vie en Île-de-France et l’ attractivité de la région.

Une affirmation de limites intransgressibles, une notification de prescriptions quantifiées sur des secteurs prédéfinis et un accroissement de la maîtrise foncière sont nécessaires pour corriger une évolution qui porte en germe la dissolution de la ceinture verte et pour structurer le développement en couronne rurale à partir de pôles identifiés.

21 Une nouvelle disposition du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux permettra aux régions, si elle est adoptée, de créer en accord avec les communes, des périmètres de protection et d’aménagement. Les régions y disposeront d’un droit de préemption afin d’assurer une veille foncière et le maintien d’une activité agricole. Un établissement public à caractère industriel et commercial pourra être créé à cette fin. La SAFER pourra être mandatée à cet effet.

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Les espaces périurbains et ruraux du SDRIF

R. KERSANTE / IAURIF : Tours et jardins du clos Saint Larzan – Stains (93) 1er prix de la catégorie « agriculteurs » du concours photos « Paysages agricoles d’Ile-de-France, Regards croisés » organisé par l’IAURIF et ses partenaires-2003

C.MILHAU / IAURIF : Raies et rails – les citadins en campagne – Montereau (77)

3ème prix de la la catégorie « citadins » du concours photos « Paysages agricoles d’Ile-de-France, Regards croisés » organisé par l’IAURIF et ses partenaires-2003

J. REGNAULT / IAURIF – Chavenay (78)

4ème prix de la la catégorie « agriculteurs » du concours photos « Paysages agricoles d’Ile-de-France, Regards croisés » organisé par l’IAURIF et ses partenaires-2003

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Les espaces périurbains et ruraux du SDRIF

3.2 Vers des espaces naturels de projets

Cependant, le futur SDRIF ne pourra pas se contenter de prescriptions spatiales, insuffisantes à elles seules à contrarier le déclin progressif d’une activité affectée dans ses conditions classiques d’épanouissement. Répondre à la demande de qualité de la vie des Franciliens et satisfaire leur demande d’espaces ouverts, que seule l’agriculture et la forêt dispensent à des coûts acceptables exige une attitude très volontariste confirmée par des options claires. Ceci appelle une démarche de construction de territoire à laquelle l’agriculture d’Île-de-France doit participer par l’adoption d’une nouvelle approche, celle d’un processus de qualification de l’agriculture dans la construction des territoires. Une chose est en effet de laisser une place à l’agriculture dans les documents d’urbanisme, une autre est d’en exposer le sens et le fonctionnement, dans un contexte porteur d’un double antagonisme :

• historique parce que la ville s’est construite sur l’espace rural et que ce processus est toujours actif.

• culturel, parce que les citadins, étrangers au monde rural pour l’immense majorité, se font de l’agriculture une image idéalisée et passéiste qui ne correspond pas à l’agriculture contemporaine.

Les documents d’urbanisme commencent à maintenir des espaces durablement ouverts, mais manquent souvent d’une analyse du sens local de ces espaces; leurs rédacteurs emploient encore des expressions floues comme "poumon vert", sans s’interroger sur la durabilité des systèmes socioéconomiques qui les sous-tendent. Cette situation crée des difficultés aux élus locaux, porteurs légitimes du projet urbain. En effet :

• ils sont soumis à des réélections périodiques : les équipes successives peuvent considérer le même espace, soit en tant que vide urbain soit en tant que site structurant. Or, un projet sur l’agriculture n’implique pas de changement directement palpable ni d'actions irréversibles sur l’espace à la différence de l’implantation de résidences ou d’activités.

• ils ignorent le plus souvent les qualités que doit posséder un espace ouvert agricole

pour être attractif au monde urbain, tout en permettant un fonctionnement normal des exploitations agricoles.

S’il est dorénavant admis que l’agriculture est pertinente comme outil de gestion d’espaces ouverts, la reconquête du territoire par l’agriculture passe certes par une détente foncière, mais elle requiert l’approfondissement de son sens pour la ville avec ses activités et ses habitants. Il s’agit d’organiser la multifonctionnalité de l’agriculture : production de biens primaires, fourniture de services (accueil à la ferme, vente sur l’exploitation…), gestion des paysages aussi bien pour elle-même (la plupart des diversifications d'activités s’appuient sur un cadre rural) et que pour les citadins amateurs de campagne.

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Les espaces périurbains et ruraux du SDRIF

J . de GIVRY / IAURIF : Une des dernières portes de l’ancien grand parc de chasse de Louis XIV, Toussus-le-Noble / Plateau de Saclay (78) 4ème prix ex-aequo de la la catégorie « citadins » du concours photos « Paysages agricoles d’Ile-de-France, Regards croisés » organisé par l’IAURIF et ses partenaires-2003

JL. GLORIEUX / IAURIF – Périgny sur Yerres (94) 4ème prix ex-aequo de la la catégorie « agriculteurs » du concours photos « Paysages agricoles d’Ile-de-France, Regards croisés » organisé par l’IAURIF et ses partenaires-2003

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Les espaces périurbains et ruraux du SDRIF

3.2.1 Une expérience d’agriculture territoriale déjà acquise : deux exemples franciliens

Il existe en Île-de-France deux territoires dont l’organisation s’est révélée exemplaire et durable : le projet « Science et Agriculture» sur le plateau de Saclay et la zone agritouristique de Saint-Leu, à Périgny-sur-Yerres.

3.2.1.1.1 Saclay Ce plateau doit à ses difficultés d’accès de n’avoir pas connu l’urbanisation précoce des vallées voisines (de Chevreuse et de la Bièvre). Son parcours urbanistique a été remarquable depuis 35 ans : après avoir été le lieu d’un projet de ville nouvelle, il a été classé par le SDAURIF en zone naturelle d’équilibre (ZNE). Le SDRIF en fait un maillon de la ceinture verte, géré désormais par la communauté d’agglomération du plateau de Saclay (DIPS). La multifonctionnalité de l’agriculture a été validée : elle est toujours productrice de denrées agricoles, mais constitue aussi le cadre vert et paysager du plateau. Le premier des sept principes du plan d’action affirme très explicitement le maintien du paysage agricole moderne. Différentes actions renforcent ce projet agricole : la région, avec le concours de la SAFER, a acquis plusieurs centaines d’hectares de terres, qu’elle a louées par bail à long terme à plusieurs agriculteurs, le DIPS a restauré le réseau de drainage, amélioré la circulation des engins agricoles, soutenu un itinéraire de découverte de l’agriculture, etc.. En bref, la consolidation de l’agriculture est réelle, restaurant la confiance des agriculteurs. Mais il est aussi très important d’identifier le processus de qualification du projet de la CAPS, Science et Agriculture, avec le mot clé unique de modernité. Ces deux entités sont devenues mutuellement nécessaires : • la science (recherche et éducation), moderne par nature, donne au plateau une identité spécifique

nouvelle ; les institutions scientifiques ont besoin d’un cadre agréable ; • l’agriculture continue d’affirmer sa modernité (systèmes de culture et nouveaux marchés) tout en

apportant les aménités de l’espace qu’elle organise. Entre ces deux pôles, les unités agricoles relevant d’institutions scientifiques constituent un lien original et spécifique.

3.2.1.1.2 Périgny-sur-Yerres Ce qui, à Périgny-sur-Yerres, aurait pu apparaître à l'origine à contre-courant de l'actualité, créer un espace maraîcher, est devenu un projet novateur, désormais partagé par des agriculteurs. La politique du maire a été de maintenir la qualité du cadre rural qui avait attiré les nouveaux habitants dans les années 60. Agronome de formation, il a su identifier clairement la responsabilité créatrice de l’agriculture et a lutté pour maintenir la présence de l’agriculture au domaine Saint-Leu qui jouxte la partie urbanisée de la commune. Soutenu par des organisations publiques et professionnelles et grâce à des aménagements (drainage, forage) et à l’état groupé du parcellaire, ce projet a intéressé les maraîchers expropriés de la vallée de la Marne. Ceux-ci ont alors investi durablement dans leur outil de travail (par exemple, en édifiant littéralement un sol maraîcher à partir du sol initial de grande culture). Le maire a également voulu qu’au-delà de la production légumière, cette zone maraîchère soit ouverte au public local comme lieu de récréation (aménagement d’allées bien séparées des parcelles cultivées) et lieu d’éducation (construction de bâtiments d’accueil scolaire). La zone maraîchère est d’emblée née multifonctionnelle. Ces deux cas sont porteurs de nombreux enseignements. L’enjeu est de définir avec les agriculteurs un sens urbain original à donner aux espaces agricoles. L’implication de l’agriculture génère de fortes synergies : les citadins locaux disposent d’un espace infiniment

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Les espaces périurbains et ruraux du SDRIF

plus vaste que celui procuré un parc public ordinaire, et le coût pour les finances locales reste mesuré, d’autres activités économiques peuvent se développer dans ce cadre rural22. Les élus locaux ont su porter durablement ces projets. Les agriculteurs ne sont pas les initiateurs, mais leur participation est nécessaire. Aussi, les élus ont-ils cherché à ce qu’ils disposent de conditions correctes pour le fonctionnement de leurs exploitations et soient suffisamment assurés de l’avenir pour investir. Enfin, le soutien des administrations publiques, la région et l'Etat, a été également assuré en permanence.

Les agriculteurs avaient souvent intégré à leur réflexion stratégique la capacité à déplacer leurs exploitations à terme : • les maraîchers de Périgny-sur-Yerres ne voyaient dans ce lieu qu’une étape nouvelle de

leur migration historique : avant-hier à Maisons-Alfort, hier à Créteil, aujourd’hui à Périgny-sur-Yerres, demain à Brie-Comte-Robert !

• plusieurs céréaliers de Saclay ont assuré leur avenir d’entreprise par le contrôle de terres hors du plateau (de l’Île-de-France à l’Europe orientale !).

Mais ils sont désormais assurés de rester et continuent de développer leurs exploitations que souvent leurs enfants reprennent : certains restent sur leurs marchés traditionnels, d’autres se diversifient en fonction de leurs préférences, de leur esprit d’entreprise, etc.. On remarque d’ailleurs que la multifonctionnalité de l’espace agricole n’implique pas nécessairement un changement d’activité des agriculteurs : l’une de ses expressions véritables est que les agriculteurs produisent le paysage agricole attendu du projet urbain. Ils ne sont pas rémunérés directement pour cette production, mais la collectivité prend logiquement en charge les aménagements nécessaires à la pérennité de leur activité.

3.2.2 Les appartenances de l’agriculture périurbaine : filières et territoires

Toute exploitation relève d’une filière économique, caractérisée par la succession des acteurs de l’élaboration des produits agricoles (biens et services) et de leur mise à disposition sous forme élaborée aux consommateurs. A ce titre, l’agriculture, clairement reconnue depuis l’époque du SDAURIF comme une activité économique majeure, a besoin que soient maintenues les conditions nécessaires à son fonctionnement technico-économique, et notamment la sécurité des biens et des productions, la libre circulation entre les lieux de la production (siège et champs) et de la commercialisation, la garantie foncière à long terme. Par ailleurs, par la localisation de son parcellaire et de son siège, toute exploitation établit une relation qui prend de plus en plus d’importance avec la société contemporaine ; le fait nouveau est que ce territoire, jadis rural, est maintenant urbain. Les documents de planification insistent de plus en plus sur ces nouvelles fonctions : le SDRIF exprime l’attente, dans la ceinture verte, d’une agriculture de proximité, qui contribue au cadre vert et paysager du noyau central, fasse obstacle à l’étalement urbain et offre un territoire de détente aux citadins. Ces deux appartenances sont clairement distinctes, voire indépendantes. Le maintien et le développement de la position des agriculteurs sur des marchés de plus en plus internationaux leur imposent de maintenir leur capacité de concurrence (réduction des coûts de production, amélioration de la qualité intrinsèque, reconnaissance de paramètres commerciaux tels que la réputation, l’originalité, etc.). Jusqu’à maintenant, ce sont les grands marchés qui ont produit l’essentiel de la rémunération des agriculteurs, les différentes formes de primes participant du 22 On note, par exemple, qu’un hôtel spécialisé dans l’accueil de séminaires, intègre l’image de l’agriculture à sa publicité.

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Les espaces périurbains et ruraux du SDRIF

produit brut parcellaire. La stratégie classique, logique d’un point de vue agricole, était de s’éloigner du contexte urbain, même dans le cas de producteur-vendeur ou de producteur-organisateur de cueillette. La population citadine locale fait d’un espace agricole son propre territoire si elle peut développer des relations spécifiques avec lui : reconnaissance de sa valeur patrimoniale, appréciation de son paysage, pratiques récréatives dans son espace, intérêt pour ses produits et ses différents services, certitude de la qualité de son environnement écologique23, etc.. C’est ce qui a été à l’origine du concept de « terroir urbain paysager » (G. Larcher)24 : un produit de terroir résulte en effet d’un savoir-faire local et d’une reconnaissance sociale ; en périurbain, ce produit de terroir est d’abord le paysage. Autant la nature des enjeux s’éclaircit de nos jours par grandes catégories (environnement, paysage, intégration sociale, etc.), autant la nature des coordinations sociales est encore floue et discutée entre les producteurs et les utilisateurs du territoire. Plusieurs points sont à approfondir pour mieux conceptualiser la notion d’agriculture de proximité dans les documents d’urbanisme: • les instruments de cette coordination : le développement des associations locales où figurent les agriculteurs du territoire et les élus, voire d’autres acteurs locaux, va dans ce sens25 ; • l’identification de la valeur économique de tous les co-produits de l’activité agricole (externalités), et leur incorporation à l’évaluation de la richesse produite par l’exploitation. • l’amélioration de la qualité environnementale des systèmes de culture.

23 Cette appartenance est l’enjeu de politiques publiques de longue date : la création de l’indemnité spéciale montagne en 1975 visait essentiellement la conservation de territoires montagnards en risque d’abandon. Le développement ultérieure de ces régions a montré la sagesse anticipatrice de cette politique. 24 « Les terroirs urbains et paysagers : pour un nouvel équilibre des espaces périurbains », par Gérard Larcher, sénateur, dans Les rapports du Sénat, n°415, 1997-1998. 25 Il en existe au moins cinq en Ile-de-France à ce jour : Saclay, Vernouillet, Sénart, le Hurepoix maraîcher au sud de Massy et les plateaux agricoles à l’est d’Evry.

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Les espaces périurbains et ruraux du SDRIF

3.2.3 Pour des stratégies d’aménagement des espaces agricoles et naturels

Si la ruralité agricole doit apparaître comme une des natures de la ville qui enrichit la communauté urbaine, le discours de la ville sur la nature est pluriel; à côté de l’agriculture, il engage d’autres formes d’espaces, chacun contribuant à une amélioration recherchée de l’habitabilité et la durabilité urbaine. Ce sont, entre autres :

• des espaces naturels, sensu stricto, soumis aux seules dynamiques ou équilibres écosystémiques hors l’homme ; ils sont rares en Île-de-France (quelques parcelles en forêt de Fontainebleau) ;

• des espaces naturels à l’évolution maîtrisée, afin de les maintenir à un stade donné d’évolution en vue d’un objectif (paysage ouvert, biodiversité maximale, accessibilité organisée au public) ;

• des jardins et parcs publics sensu stricto; • des espaces verts privés, du modeste jardin de pavillon aux parcs des châteaux ; • des forêts, à la valeur souvent patrimoniale, qu’elles soient ouvertes au public et

organisées pour la récréation (promenade, découverte de la nature, chasse, etc.) ou non (domaine patrimonial).

L’espace agricole domine largement les espaces ouverts ; cependant, les projets devront s’appliquer à valoriser toutes les facettes des espaces ouverts et à en exploiter les synergies. Dans la réflexion sur un schéma de cohérence territoriale, il est avantageux de combiner des espaces aux fonctionnalités diverses et essentiel de discuter des modalités d’articulation des espaces agricoles avec les autres espaces ouverts. C’est dans cette même optique qu’il conviendra de promouvoir des projets d’aménagement. De la sorte, la qualité des espaces ouverts se trouvera améliorée, ces espaces seront appropriés par les populations et perdront de ce fait le statut d’espaces intermédiaires disponibles par défaut.. L’expertise acquise par l’Agence des espaces verts dans ce domaine sera mobilisée avec profit. Un effort important se manifeste sur la délimitation des zones agricoles enclavées, sur la prise en compte de la valeur des aménités et sur la consommation urbaine des terres agricoles ; l’on doit cependant constater un manque de représentation quantitative des stratégies des exploitations agricoles en milieu périurbain. Or, l’ observation à l’échelle locale, révèle une remarquable capacité d’anticipation et d’invention de systèmes. Un observatoire des stratégies agricoles viendra utilement compléter le dispositif d’observation organisé à partir des différentes formes de spécialisation agricoles (grandes culture, arboriculture, maraîchage, etc.). Une ingénierie territoriale doit être mise en œuvre ; elle pourvoira au recensement des projets d’aménagement et des expériences de réseaux d’agriculteurs et d’élus à l’œuvre aujourd’hui pour construire les itinéraires techniques de la multifonctionnalité de l’agriculture et pour préparer les outils des contrats locaux au profit des territoires. Elle mobilisera pour les y associer les réflexions des paysagistes qui concourent à définir des formes urbaines incorporant tous les types de nature. Elle alimentera la réflexion des urbanistes sollicitée par l’inclusion d’espaces agricoles dans les territoires urbains ouverts. A partir d’une meilleure maîtrise de l’espace régional, assurée comme il a été recommandé plus haut, la vocation agricole et naturelle de territoires identifiés peut être fixée sur la longue période ; dès lors, l’association des agriculteurs à la construction des

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Les espaces périurbains et ruraux du SDRIF

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territoires garantira une tenue stable de l’espace et la fourniture de services diversifiés à la société urbaine. Les travaux préparatoires à l’élaboration du schéma de services collectifs des espaces naturels et ruraux (SSCENR) donnent de nouvelles bases à la définition d’espaces agricoles et naturels stratégiques.

D.PAPE / IAURIF : Du pain pour Paris – Cormeilles-en-Parisis (95)

4ème prix ex-aequo de la catégorie « citadins » du concours photos « Paysages agricoles d’Ile-de-France, Regards croisés » organisé par l’IAURIF et ses partenaires-2003.

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