172

5.DECOLONISATION

Embed Size (px)

DESCRIPTION

BONNE LECTURE

Citation preview

  • Histoire gnrale de l'Afrique tudes et documents

  • Dj parus dans cette collection :

    1. Le peuplement de l'Egypte ancienne et le dchiffrement de l'criture mrotique 2. La traite ngrire du X V au XIX" sicle 3. Les contacts historiques entre l'Afrique de l'Est, Madagascar et l'Asie du Sud-Ouest par les

    voies de l'ocan Indien 4. L'historiographie de l'Afrique australe 5. La dcolonisation de l'Afrique. Afrique australe et Corne de l'Afrique

  • L a dcolonisation de l'Afrique :

    Afrique australe et Corne de l'Afrique

    Documents de travail et compte rendu de la runion d'experts tenue Varsovie (Pologne) du 9 au 13 octobre 1978

    Les Presses de l'Unesco

  • Publi en 1981 par l'Organisation des Nations Unies pour l'ducation, la science et la culture 7, place de Fontenoy, 75700 Paris

    Imprim par Tardy Quercy (S.A.) Cahors

    ISBN 92-3-201834-9 dition anglaise 92-3-101834-5

    Unesco, 1981

  • Prface

    E n 1964, la Confrence gnrale de l'Unesco, dans le cadre des efforts dploys par l'Organisation pour favoriser la comprhension mutuelle des peuples et des nations, a autoris le Directeur gnral prendre les mesures ncessaires en vue de l'laboration et de la publication d'une Histoire gnrale de l'Afrique.

    Des colloques et des rencontres scientifiques consacrs des sujets connexes ont t organiss au titre des travaux prparatoires. Les communications prsentes et les changes de vues qui ont eu lieu sur toute une srie de sujets lors de ces runions constituent les lments d'une documentation scientifique de grande valeur laquelle l'Unesco se propose d'assurer la plus large diffusion possible en la publiant dans le cadre d'une collection intitule Histoire gnrale de l'Afrique. tudes et documents .

    L e prsent ouvrage, qui constitue le cinquime volume de cette collection, contient les communications prsentes lors de la Runion d'experts sur la dcolonisation de l'Afrique australe Corne de l'Afrique tenue Varsovie (Pologne) du 9 au 13 octobre 1978. O n y trouvera galement le compte rendu des dbats auxquels ces communications ont donn lieu.

    Les auteurs sont responsables du choix et de la prsentation des faits figurant dans cet ouvrage ainsi que des opinions qui y sont exprimes, lesquelles ne sont pas ncessairement celles de l'Unesco et n'engagent pas l'Organisation.

    Les appellations employes dans cette publication et les donnes qui y figurent n'impliquent de la part de l'Unesco aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires, villes ou zones, ou de leurs autorits, ni quant au trac de leurs frontires ou limites.

  • Table des matires

    Introduction 9

    Premire partie. La dcolonisation de l'Afrique australe

    Les tats africains indpendants et la lutte pour l'Afrique australe, par Ali A . Mazrui 13 Le rle des mouvements de libration dans la lutte pour l'Afrique australe, 1955-1977, par Elleck K . Mashingaidze 25 La position de l'Afrique du Sud, par E . L . Ntloedibe (Pan-African Congress) 35 L'Afrique du Sud face ses dfis, par E d m o n d Jouve 47 Zimbabwe : le Rglement interne dans son contexte historique, par David Chanaiwa 73

    Deuxime partie. La dcolonisation de la Corne de l'Afrique

    La dcolonisation dans la Corne de l'Afrique et les consquences des aspirations des Somalis l'autodtermination, par Said Yusuf Abdi 108 La persistance de la culture nationale en Somalie pendant et aprs l'poque coloniale : l'apport des potes, des dramaturges et des compilateurs de la littrature orale, par B . W . Andrzejewski 121 La dcolonisation de l'Ethiopie, par Richard Pankhurst 135 No-colonialisme ou dcolonisation ?, par Hagos G . Yesus 151

    Troisime partie. Compte rendu des dbats de la runion d'experts

    Annexes

    1. Allocution du reprsentant du Directeur gnral de l'Unesco 175 2. Liste des participants 179

  • Introduction

    A u cours de sa quatrime session plnire tenue Nairobi en avril 1978, le Comit scientifique international pour la rdaction d'une Histoire gnrale de l'Afrique a exprim le v u qu'une runion d'experts ft consacre l'examen des problmes relatifs la dcolonisation dans deux rgions de l'Afrique o les situations paraissaient particulirement embrouilles. Cette runion devait avoir pour but de fournir des informations et des directives au directeur du volume VIII de YHistoire gnrale de l'Afrique et au Comit scientifique international, en vue de l'laboration finale de la table des matires et de la rdaction de ce volume : L'Afrique depuis 1935 .

    L a Commission nationale polonaise pour l'Unesco a rpondu au v u du Comit scientifique international en assurant, en liaison avec l'Universit de Varsovie et le Secrtariat de l'Unesco, la prparation de cette runion, qui s'est tenue dans la capitale de la Pologne. A cette occasion, le Comit scientifique international a exprim sa profonde gratitude la Commission nationale polonaise ainsi qu' l'Universit de Varsovie.

    Dans la premire partie de cet ouvrage sont groups les documents de travail prpars pour la runion et portant plus spcialement sur la dcolonisation de l'Afrique australe, en commenant par une communication d'Ali A . Mazrui, directeur du volume VIII de YHistoire gnrale de l'Afrique, qui a fourni le point de dpart des discussions sur ce thme. Le rle des mouvements de libration dans la lutte pour l'Afrique australe est ensuite tudi par Elleck K . Mashingaidze, cependant que E . L . Ntloedibe, m e m b r e du Comit central du Pan-African Congress, analyse le statut juridique de l'Afrique du Sud depuis l'adoption, par le Parlement britannique, du South Africa Act de 1909. La communication d ' E d m o n d Jouve traite notamment de l'attitude des organisations internationales et des puissances trangres vis--vis de l'Afrique du Sud. Quant David Chanaiwa, il apporte d'importants lments l'histoire du Zimbabwe .

    La deuxime partie du volume rassemble les documents de travail portant sur le problme de la dcolonisation de la Corne de l'Afrique. Said Yusuf Abdi retrace l'histoire de la Somalie depuis la conqute coloniale europenne, et B . W . Andrzejewski montre comment la culture Somalie a pu

  • se conserver pendant et aprs l'poque coloniale grce l'apport des potes, des dramaturges et des compilateurs de la posie orale. Dans sa communication, Richard Pankhurst fait l'historique de la dcolonisation de l'Ethiopie de 1940 1955. Enfin, Hagos G . Yesus, analysant les rapports entre no-colonialisme et dcolonisation, met en garde contre une dcolonisation qui ne serait en fait qu'un no-colonialisme dguis. L e spectacle de cette rdition du dpeage de l'Afrique, dclare-t-il, est offert tous ceux qui ont des yeux pour voir. Mais voil, il y a aussi le spectre de la rsistance et de la rvolution qui les hante tous tant qu'ils sont.

    O n trouvera dans la troisime partie de l'ouvrage le compte rendu des dbats de la runion d'experts.

  • Premire partie L a dcolonisation de l'Afrique australe

  • Les tats africains indpendants et la lutte pour l'Afrique australe

    Ali A . Mazrui

    Le soutien apport par les tats africains indpendants aux mouvements de libration de l'Afrique australe a souvent t sous-estim. Certes, si l'on ne considre que leur aide financire, et plus encore si l'on ne tient compte que de leur assistance militaire et paramilitaire, le rle de ces tats peut, premire vue, sembler assez modeste. Leur appui n'en a pas moins eu de vastes rpercussions et les mouvements de libration lui doivent en grande partie l'indispensable lgitimit diplomatique qu'ils ont progressivement acquise.

    Vincent B . Khapoya 1 a distingu neuf formes d'aide apportes par les tats africains aux mouvements de libration : a) l'offre d'un asile aux exils politiques ; b) la possibilit donne ces mouvements d'ouvrir des bureaux de reprsentation ; c) la fourniture des moyens ncessaires leurs activits militaires et paramilitaires ; d) le versement de contributions exception-nelles au Comit de libration de l'Organisation de l'Unit africaine ; e) le versement de contributions ordinaires ce m m e comit ; f) la prise ou le soutien d'initiatives visant unifier les divers mouvements de libration d'un m m e pays (par exemple, la Z imbabwe African Peoples' Union et la Z i m b a b w e African National Union, ou encore les trois mouvements de l'Angola, avant l'accession l'indpendance) ; g) le refus de tout dialogue avec l'Afrique du Sud ; h) l'hbergement des rfugis non politiques des zones touches par les combats ; et enfin i) l'apport d'une aide supplmen-taire sous la forme, par exemple, de concours financiers, de fournitures mdicales ou de moyens de formation.

    Vincent B . Khapoya a sous-estim l'important soutien diplomatique apport par les tats africains dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies et sur la scne politique mondiale, appui qui a contribu saper la lgitimit des rgimes minoritaires blancs d'Afrique australe et renforcer celle des mouvements qui se sont dresss contre eux.

    Il est presque certain en effet que, sans l'appui international des tats

    1. Vincent B . Khapoya, Determinants of African support for African liberation movements, a comparative analysis . Journal of African studies, vol. 3, n 4, hiver 1976, p. 469-489.

  • 14 Ali A. Mazrui

    africains, le Royaume-Uni aurait pu tre tent bien plus tt de composer avec la Rhodsie de Ian Smith. Si l'action diplomatique africaine n'avait pas t largement solidaire l'gard de toutes ces questions, les tats-Unis auraient aussi pu juger opportun de prserver le statu quo ante en Afrique australe. Et, sans les vastes pressions exerces par l'Afrique sur le plan international, la France n'aurait pas mis un terme ses ventes de matriel militaire l'Afrique du Sud et l'Organisation des Nations Unies n'aurait pas eu la volont politique de dcrter, en 1977, un embargo sur les fournitures d'armes l'Afrique du Sud.

    Souverainet raciale et juridiction continentale Quel est le dnominateur c o m m u n de l'attitude des tats africains l'gard de la question d'Afrique australe, et dans quelle mesure leurs positions diffrent-elles ?

    D e toute vidence, il serait naf d'expliquer leur soutien unanime la libration de l'Afrique australe par un attachement gnral la cause des droits de l ' homme . N o m b r e des tats qui militent trs activement en faveur de la libration de l'Afrique australe de l'Ouganda d'Idi A m i n D a d a la Guine de Skou Tour ne portent-ils pas gravement atteinte ces m m e s droits sur leur propre territoire ?

    Il serait presque aussi naf d'affirmer que leur engagement repose sur leur adhsion au principe du gouvernement de la majorit , si nous entendons par l une forme de gouvernement qui donne priodiquement aux citoyens la possibilit de choisir leurs dirigeants par la voie d'lections libres. E n effet, pratiquement aucun des tats africains n'applique dmocratique-ment ce principe la conduite de ses affaires internes.

    E n fait, l'engagement des tats africains est fond sur deux exigences qui, pour tre dissimules sous des appellations diffrentes, n'en correspon-dent pas moins aux deux principes suivants.

    Tout d'abord, le principe de souverainet raciale, qui n'exclut certes pas la notion de gouvernement de la majorit , mais non pas au sens que lui donnent les libraux, pour lesquels l'expression implique l'organisation priodique d'lections afin de dgager la volont de la majorit. E n l'occurrence, la souverainet raciale signifie qu'une socit ne devrait pas tre domine par une minorit d'une race trangre et que ses dirigeants devraient, dans la mesure du possible, appartenir une race ou une ethnie reprsentative. L'expression domination trangre ne dsigne donc pas seulement la domination d'un tat-nation tranger, elle s'applique aussi toute domination exerce par une minorit raciale ou ethnique d'origine trangre. Si les rgimes blancs d'Afrique australe sont tenus pour illgitimes, c'est en partie parce qu'ils sont incompatibles avec le principe de souverainet raciale.

  • Les tats africains indpendants et la lutte pour l'Afrique Australe

    15

    Le second principe sur lequel se fonde la position des tats africains l'gard de la question de l'Afrique australe est celui de la juridiction continentale. O n peut y voir une version africaine de la doctrine de M o n r o e puisqu'il signifie la volont de s'opposer toute ingrence trangre dans les affaires africaines et de consolider l'autonomie de chaque tat africain aussi bien que celle du continent. Il dcoule de ce principe que, s'agissant des affaires africaines, l'initiative appartient d'abord aux Africains eux-mmes .

    E n raison de l'importance qu'ils attachent aux principes de la souverainet raciale et de la juridiction continentale, les tats et les mouvements africains, surtout depuis les annes cinquante, s'efforcent d'instaurer deux formes de solidarit : tout d'abord le panafricanisme de libration et ensuite le panafricanisme d'intgration. Dans le premier cas, l'objectif est de rduire les ingrences trangres dans les affaires africaines et, dans le second cas, d'encourager les Africains former des fdrations ou des ensembles conomiques plus vastes. Le panafricanisme de libration vise notamment mettre en chec les puissances trangres au continent, tandis que le panafricanisme d'intgration aspire rassembler les Africains.

    Jusqu' prsent, le panafricanisme de libration a nettement mieux russi, dans l'ensemble, que le panafricanisme d'intgration. L'un aprs l'autre, les tats africains sont du moins parvenus mettre un terme au colonialisme politique et accder la souverainet formelle. Plusieurs autres pays sont alls plus loin dans la voie d'une libration conomique. Et la lutte engage d'abord contre la domination portugaise en Afrique, et plus rcemment contre d'autres formes de la domination de minorits blanches en Afrique australe, a connu ses heures de triomphe.

    E n revanche, sur le plan de l'intgration, le panafricanisme est all d'chec en chec, de la dislocation des ensembles fdraux qui s'taient constitus, tel l'clatement de la Fdration du Mali en 1960, la dsintgration de la C o m m u n a u t de l'Afrique de l'Est, qui avait regroup, jusqu'en 1977, le Kenya , la Tanzanie et l'Ouganda au sein d'un systme de coopration rgionale fortement structur.

    E n rsum, au cours de cette deuxime moiti du xx e sicle, les Africains ont bien mieux russi s'unir pour repousser le colonialisme que pour se rapprocher les uns des autres.

    E n Afrique australe, ces deux formes de panafricanisme ont t parfois antagonistes. Par exemple, la Fdration des Rhodsies et du Nyassaland semblait pouvoir former le point de dpart d'un mouvement d'intgration, une fois la domination trangre limine ; pourtant, dans la mesure o la domination blanche tait dj omniprsente, la solidarit panafricaine s'est manifeste davantage dans la lutte contre cette domination que dans les efforts visant prserver l'unit de trois territoires coloniaux.

    D ' u n e faon analogue, l'tat sud-africain aurait pu servir les objectifs

  • 16 Ali A. Mazna

    long terme du panafricanisme d'intgration s'il avait incorpor, c o m m e il fut tent de le faire, le Sud-Ouest africain (Namibie). Mais, l'Afrique du Sud tant elle-mme aux mains d'un gouvernement blanc et raciste, l'absorption de la Namibie se serait traduite par une expansion et une consolidation de l'apartheid.

    D'autre part, l'apartheid, par son projet de cration de homelands (foyers nationaux), tend fractionner l'Afrique du Sud en diffrentes composantes culturelles, mouvement amorc en 1976 avec l'indpendance du Transkei. C e projet de homelands noirs spars va heureusement rencontre des deux formes de panafricanisme. Il compromet la libert m m e de ces foyers nationaux, et plus forte raison celle de leurs citoyens qui travaillent dans une Afrique du Sud place sous la domination blanche ; il vise en outre diviser profondment les populations noires d'Afrique du Sud au m o m e n t m m e o leurs perspectives de solidarit sont meilleures que jamais.

    Pour leur part, les tats de la ligne de front , c'est--dire le Mozambique , le Botswana, la Zambie, l'Angola et la Tanzanie, ont sans aucun doute jou un rle important dans l'dification du panafricanisme de libration. A travers l'action entreprise pour atteindre cet objectif, certains d'entre eux ont aussi connu une amorce d'intgration rgionale. Ainsi la construction d'une voie ferre entre la Tanzanie et la Zambie, qui rpondait en partie aux besoins des luttes de libration, a t l'origine d'un resserrement des relations, sur le plan conomique et social, entre ces deux pays. L a fermeture de la frontire entre la Rhodsie et la Zambie a, d'une part, affaibli les liens entre ces deux pays et, d'autre part, incit la Zambie se rapprocher de ses voisins du Nord.

    Les relations entre la Tanzanie et le Mozambique sont entres dans une nouvelle phase lorsque le Mozambique a entrepris de se librer de la domination portugaise et elles pourraient devenir beaucoup plus troites l'avenir. Certains observateurs vont jusqu' penser que le Mozambique et la Zambie pourraient un jour tre plus troitement associs la Tanzanie que celle-ci ne l'a jamais t avec le Kenya pendant les quinze premires annes qui ont suivi son accession l'indpendance.

    C'est dire que la participation des tats africains la libration de l'Afrique australe a eu des rpercussions sur ces tats eux-mmes et sur les relations qu'ils entretiennent entre eux, indpendamment de l'issue des luttes de libration.

    Cependant le degr d'engagement des tats africains dans les luttes pour l'Afrique australe varie considrablement, quoi que nous ayons dit de leur adhsion aux principes de souverainet raciale et de juridiction continentale, adhsion dont l'intensit varie forcment, elle aussi, d'un pays l'autre. Jusqu'o un tat africain acceptera-t-il de s'engager dans

  • Les tats africains indpendants et la lutte pour l'Afrique Australe

    17

    l'entreprise c o m m u n e de libration de l'Afrique australe ? La rponse dpend de plusieurs facteurs, dont certains peuvent tre propres l'tat considr et ne jouer aucun rle dans les autres pays.

    Nous devons donc maintenant nous interroger sur les lments qui dterminent l'importance du soutien apport par les tats africains la lutte pour l'Afrique australe.

    Distance, valeurs et personnalit

    Parmi les cinq facteurs les plus importants, nous citerons en premier lieu la distance qui spare chacun des tats africains des zones librer. C e facteur a certainement jou un rle dans la formation du groupe des tats dits de la zone du front , m m e si leur situation aux frontires m m e s de l'Afrique australe n'est videmment que l'une des causes de leur militantisme politique ; l'expression de zone du front correspond en fait un concept gopolitique. Jusqu'au coup d'tat de Lisbonne, la Tanzanie et la Zambie taient les principaux pays limitrophes de la zone que formait alors l'Afrique australe soumise la domination des Blancs. Vincent B . Khapoya les a placs au premier rang des pays africains pour l'aide apporte l'Afrique australe.

    Depuis l'effondrement de l'empire portugais, la suite du coup d'tat de Lisbonne (avril 1974), deux autres pays assez progressistes participent trs activement la libration des zones encore asservies : le Mozambique, qui est devenu la base de la fraction militaire la plus importante des combattants du Zimbabwe, et l'Angola, qui joue un rle de plus en plus dcisif dans la lutte pour la libration de la Namibie.

    Mais la distance gographique n'est qu'une forme d'loignement parmi d'autres. Il faut tenir compte aussi des diffrences culturelles, surtout si l'on se rfre la diversit des hritages coloniaux. C'est le problme de la distance goculturelle. valuant, avant le coup d'tat de Lisbonne, l'aide apporte aux mouvements de libration, Vincent B . Khapoya constatait que les douze pays dont l'appui tait le plus faible taient presque tous francophones. La situation n'a gure chang depuis la rvolution portugaise et, dans l'ensemble, l'Afrique francophone soutient moins activement le panafricanisme de libration que ne le fait l'Afrique de langue anglaise.

    La proximit gographique de l'Afrique d'expression portugaise et du reste de l'Afrique australe contraste avec leur loignement culturel, du moins en ce qui concerne les lites, car il en va peut-tre diffremment, pour les masses, que rapprochent les cultures indignes. Sur les cinq tats de la zone du front, trois sont anglophones (la Zambie, le Botswana et la Tanzanie) et il est pratiquement certain que les territoires qui restent librer de la

  • 18 Ali A. Mazrui

    domination blanche viendront tous s'ajouter au groupe anglophone lorsque les Noirs y auront repris le pouvoir ; il s'agit du Z imbabwe (Rhodsie), de la Namibie (encore que pour l'instant l'anglais y soit clips par l'afrikaans et l'allemand) et, enfin, de l'Afrique du Sud elle-mme. Le Malawi, qui est lui aussi anglophone, participe moins activement aux luttes de libration.

    Il y a en outre les diffrences culturelles qui sparent l'Afrique arabe de l'Afrique noire et, dans ce cas, loignement gographique et loignement culturel semblent se renforcer. Pourtant, aussi paradoxal que cela puisse paratre, l'aide apporte par l'Afrique arabe la libration de l'Afrique australe a, dans l'ensemble, t bien suprieure la moyenne . L'Algrie et l'Egypte se sont tout particulirement distingues cet gard. Seuls les tats de la zone du front ont fait plus encore que l'Algrie et aucun tat arabe, jusqu' prsent, ne s'est class dans le quart infrieur des pays participant aux luttes de libration.

    II faut aussi prendre en considration les diffrences idologiques qui peuvent sparer chacun des tats africains et le mouvement de libration dans son ensemble. Ainsi, la Guine de Skou Tour, bien que francophone, fournit une aide suprieure celle de pays anglophones c o m m e le Kenya et la Sierra Leone.

    Dans l'ensemble, les rgimes qui se situent la gauche de l'ventail idologique africain peuvent tre rputs plus actifs dans les luttes de libration, si l'on en juge du moins d'aprs le ton de leurs discours et leur activisme diplomatique dans toutes les runions internationales.

    Dans le m m e ordre d'ides, il faut mentionner encore la part du nationalisme dans l'orientation idologique globale de chaque rgime africain. Il convient ici d'tablir une distinction entre nationalisme militant et nationalisme sympathisant. Il s'agit, dans le premier cas, de pays prts s'engager directement dans la lutte pour des objectifs patriotiques, partisans de solutions radicales et moins enclins au compromis.

    Dans le second cas, il s'agit de pays qui laissent d'autres le soin de prendre les armes et parfois m m e la dcision d'engager le combat, mais qui peuvent nanmoins se sentir assez proches de ceux qui se battent pour leur apporter un soutien moral, voire matriel. Le nationalisme militant est le cri de guerre de ceux qui participent directement la lutte, tandis que le nationalisme sympathisant s'apparente davantage aux encouragements de spectateurs enthousiastes. L e premier a trs souvent besoin de combattants pour dfendre la terre des anctres et le deuxime a besoin de supporters pour soutenir le moral des combattants.

    Le degr d'engagement des tats africains dans la libration de l'Afrique australe va du nationalisme sympathisant, assez indcis et parfois ambivalent, de la Cte-d'Ivoire au nationalisme de plus en plus militant dont fait preuve la Zambie l'gard de la Rhodsie. Dans la pratique, la politique

  • Les tats africains indpendants et la lutte pour l'Afrique Australe

    19

    des tats africains vis--vis de l'Afrique australe dpend en partie de l'intensit de leur nationalisme.

    Cinquime facteur dterminant : la personnalit du chef de l'tat. Les positions assez accommodantes qu'a prises le Malawi de Hastings Banda tiennent en partie des facteurs gopolitiques, c'est--dire la vulnrabilit qui dcoule de la proximit de pays dirigs par des Blancs, et en partie aussi la faiblesse de son conomie, qui a m m e rendu pendant assez longtemps le pays tributaire de l'accs de ses travailleurs aux mines d'Afrique du Sud ; elles tiennent enfin la personnalit et au caractre de Banda.

    Le cas d'Idi A m i n D a d a offre un exemple plus net encore de l'influence que peut exercer la personnalit du chef de l'tat sur la politique d'un pays. Lorsqu'il accda au pouvoir, en 1971, le prsident de l'Ouganda se dclara rapidement partisan d'un dialogue entre tats noirs et Afrique du Sud pour tenter de rsoudre la question de l'Afrique australe. Pourtant, bien avant qu'il devienne, en 1975, prsident de l'Organisation de l'unit africaine, sa position vis--vis de l'Afrique australe tait devenue celle d'un nationaliste militant, si l'on en juge du moins d'aprs ses dclarations et son activisme diplomatique. C e tournant, amorc en 1972, refltait surtout les ractions personnelles d'Idi A m i n Dada ; mais, s'il a maintenu cette politique, c'est pour d'autres raisons, dont la satisfaction d'tre considr c o m m e l'un des tribuns de la lutte du tiers m o n d e contre l'imprialisme.

    D e m m e , les positions prises par Houphout-Boigny l'gard de l'Afrique australe tiennent aussi sa personnalit. Le prsident de la Cte-d'Ivoire se considre c o m m e le porte-parole de la modration, de la conciliation et d'un pragmatisme clair dans les affaires africaines, conviction qui l'a amen miser rsolument sur une politique de dialogue et de dtente entre les tats noirs et l'Afrique du Sud.

    Certains pourraient toutefois se demander dans quelle mesure la politique ivoirienne traduit moins les prfrences du chef de l'tat que l'influence de la France, ce qui nous amne examiner tous les facteurs pouvant influencer indirectement la position des tats noirs vis--vis de l'Afrique australe.

    Facteurs indirects

    Par facteurs indirects, nous entendons ceux qui ne sont pas directement lis la question de la libration proprement dite. Dans quelle mesure, par exemple, l'aide reue des pays occidentaux influence-t-elle la position prise par un tat africain indpendant l'gard des mouvements de libration d'Afrique australe ? E n fait, la corrlation entre le volume de l'aide occidentale et l'appui apport aux mouvements de libration est trs faible.

  • 20 Ali A. Mazrui

    Ainsi, bien que la Zambie et le Malawi aient reu approximativement la m m e assistance des pays occidentaux au cours des dix dernires annes, la Zambie a t l'un des tats les plus acquis la cause de la libration, tandis que le Malawi a souvent eu tendance collaborer avec les rgimes minoritaires blancs.

    Dans quelle mesure, d'autre part, le volume de l'aide reue de l'Union sovitique influence-t-il les relations des pays africains avec les mouvements de libration ? Si l'on constate qu'un pays recevant une aide importante de l'Union sovitique apporte aussi une aide importante aux mouvements de libration d'Afrique australe, cette corrlation peut tenir d'abord la convergence de leurs options idologiques. E n d'autres termes, ce sont les m m e s raisons idologiques qui peuvent amener un pays, d'une part, intensifier ses relations avec l'Union sovitique et, d'autre part, soutenir les mouvements de libration d'Afrique australe.

    Tous les facteurs mentionns ci-dessus sont exognes, c'est--dire qu'ils dcoulent ou dpendent en partie de liens tablis avec des puissances trangres au continent africain.

    Il arrive parfois galement qu'un pays tranger l'Afrique dtermine sa politique africaine en fonction de ses relations avec d'autres rgions du m o n d e , elles aussi extrieures au continent africain. L'exemple de la Chine est particulirement frappant ce propos, sa politique africaine tant essentiellement fonction de sa politique vis--vis de l'Union sovitique. Tel a t tout particulirement le cas pendant les annes soixante-dix, poque o la Chine a gnralement ripost aux initiatives africaines de l'Union sovitique en choisissant ses amis parmi les adversaires de ce pays. C'est dire que les facteurs exognes de cet ordre sont foncirement trangers au continent.

    Existe-t-il en outre des facteurs indirects, mais nanmoins lis aux affaires du continent africain ? Sans aucun doute, mais parfois sous une forme extrmement subtile. Ainsi, en 1976 et en 1977, l'attitude du Kenya l'gard du Z i m b a b w e a parfois t influence par ses rapports avec la Rpublique-Unie de Tanzanie. Irrits par celle-ci ou jaloux de son statut d'Etat de ligne de front, certains lments au moins du gouvernement de Nairobi ont parfois soutenu avec moins d'enthousiasme la cause de l'Afrique australe.

    L'aide apporte par les pays arabes l'Afrique australe est elle aussi influence par des facteurs indirects mais, d'une faon gnrale, la corrlation est la fois d'ordre continental, c'est--dire lie aux affaires africaines, et d'ordre extracontinental puisqu'elle est lie l'ensemble du conflit isralo-arabe. Les Arabes ont eu besoin de l'appui diplomatique des Africains dans leurs efforts pour isoler Isral et de l'appui des voix africaines au sein des organisations internationales pour faire reconnatre plus largement la lgitimit de la cause palestinienne.

  • Les tats africains indpendants et la lutte pour l'Afrique Australe

    21

    Certains des tats arabes les plus progressistes auraient de toute faon soutenu la lutte de libration des Noirs d'Afrique australe. Mais, en s o m m e , un systme d'change s'est tabli entre les tats arabes et les tats africains, les uns ayant besoin d'un appui contre Isral et les autres d'une aide contre les rgimes blancs d'Afrique australe.

    Tous ces facteurs, qu'ils soient ou non extrieurs au continent africain, jouent parfois en sens oppos et nous devons examiner maintenant quelques-unes de ces contradictions.

    Rapports dialectiques au niveau rgional et a u niveau mondia l

    Ces rapports dialectiques sont en partie la consquence des tensions que connaissent les pays ayant rcemment accd l'indpendance, partags qu'ils sont entre la persistance de l'hritage imprialiste et les aspirations de leurs dirigeants une autonomie totale.

    La contradiction est particulirement frappante au Mozambique. Il ne fait gure de doute que ce pays, sous l'impulsion du nouveau gouvernement marxiste-lniniste qui le dirige depuis son accession l'indpendance, milite en faveur de la libration de l'Afrique australe et aussi d'autres rgions du continent. Cet engagement rvolutionnaire s'accompagne cependant d'une trs forte dpendance par rapport l'conomie sud-africaine. Le gouverne-ment reoit une aide, en or et en devises, correspondant sa part de l'exploitation des mineurs mozambicains employs en Afrique du Sud.

    Le Mozambique accueille les combattants du Front patriotique de libration du Zimbabwe et pourtant ce m m e gouvernement rvolutionnaire doit faire preuve de beaucoup de circonspection dans ses relations avec le rgime raciste de Pretoria.

    C e sont ces rapports dialectiques entre la dpendance et la rvolution, entre les squelles de l'imprialisme et les aspirations la justice sociale, qui mettent presque tous les tats de la ligne de front dans une situation paradoxale et difficile. Le Botswana connat le m m e dilemme, bien que sous une forme un peu diffrente. Quant la Zambie, les efforts qu'elle a dploys pour se rendre moins tributaire de la Rhodsie, aprs la dclaration unilatrale d'indpendance de Ian Smith, l'ont amene aussi dpendre davantage de l'Afrique du Sud sur le plan conomique et, dans une certaine mesure, sur le plan de son infrastructure.

    L'Angola, c o m m e nous le verrons plus loin, a choisi une autre forme de dpendance. La Tanzanie elle-mme, alors m m e qu'elle prenait une part plus grande dans les dernires phases de la lutte pour la libration de l'Afrique australe, a tempr certaines orientations de sa politique

  • 22 Ali A. Mazrui

    intrieure. L'ardeur rvolutionnaire qui avait marqu la fin des annes soixante c o m m e n c e faiblir, tandis que le gouvernement s'efforce d'obtenir une aide conomique du m o n d e occidental. Les rapports dialectiques entre dpendance et libration psent presque aussi lourd Dar es Salaam qu' Maputo .

    Quant aux rapports dialectiques au niveau mondial, ils engagent les superpuissances elles-mmes. La rivalit imprialiste de l'Union sovitique et des tats-Unis ouvre de nouvelles perspectives la libration de l'Afrique australe, maintenant que l'empire portugais s'est effondr. E n dernire analyse, l'Union sovitique est une puissance tout aussi dominatrice que les tats-Unis. Cependant, le fait que l'Afrique australe soit devenue l'enjeu des rivalits des superpuissances offre de nouvelles possibilits que les opprims pourraient parfois exploiter.

    La premire grande rue vers l'Afrique fut dclenche j>ar la Confrence de Berlin, en 1884-85, et la seconde par le coup d'Etat de Lisbonne, en avril 1974, et par les consquences qu'il a eues. Lorsque le dernier des grands empires europens d'autrefois, l'empire portugais, s'est croul, de nouvelles possibilits sont apparues en Angola. Les Etats-Unis taient paralyss par les squelles de la guerre du Viet N a m et du Watergate et ne pouvaient faire approuver par le Congrs une intervention en Angola. L'Union sovitique, profitant de l'occasion, est intervenue aux cts des Cubains pour aider les marxistes angolais conqurir le pays.

    Cependant, le succs de l'opration mene par l'Union sovitique, Cuba et le M o u v e m e n t populaire de libration de l'Angola ( M P L A ) a cr un climat nouveau en Afrique australe et rendu les pays occidentaux conscients de la ncessit et de l'urgence de trouver une solution aux problmes de l'Afrique australe avant que le marxisme remporte d'autres succs. E n fait, la concurrence des imprialismes facilitait l'ensemble des luttes africaines et le dfi de l'Union sovitique et de Cuba montrait aux pays occidentaux la ncessit d'instaurer la justice raciale. L'appui apport par les pays occidentaux l'embargo des Nations Unies sur les ventes d'armes l'Afrique du Sud, pour ambivalent qu'il soit et tout incertain qu'il puisse tre, aurait lui-mme t inconcevable avant l'effondrement de l'empire portugais et le triomphe du M P L A .

    M m e le rle que joue Cuba en Afrique n'est pas exempt de contradictions. Cuba est indiscutablement un modle rvolutionnaire, un modle d'une importance particulire pour bon nombre de pays du tiers m o n d e , et l'exemple d'un petit pays qui a russi se transformer en dpit de l'hostilit et de l'opposition de ses trente voisins de l'hmisphre occi-dental.

    Cependant, ce m m e pays, symbole de la rvolution et de la libration, commence jouer en Afrique un rle quelque peu dominateur. L'issue des

  • Les tats africains indpendants et la lutte pour l'Afrique Australe

    23

    guerres civiles africaines est dtermine en partie L a Havane , de m m e que les rivalits inter africaines, en Afrique australe et dans la Corne de l'Afrique, sont arbitres en partie par les troupes cubaines. L'lot de rvolution de la rgion des Carabes est en mesure d'exercer une influence, par-del des milliers de kilomtres, sur les affaires d'un continent balkanis.

    Mais, si le rle de C u b a dans d'autres rgions du continent n'est peut-tre pas sans ambigut, en Afrique australe, C u b a a jusqu' prsent contribu prparer la voie une limination gnrale de la domination blanche. L a lutte n'est certainement pas termine mais, pour ce qui est de l'quation sud-africaine, en tout cas, C u b a est en dernire analyse un facteur de libration.

    Conclusion

    Nous venons d'essayer de situer le rle des tats africains dans la lutte pour l'Afrique australe, tant l'chelle du continent qu' celle du m o n d e . N o u s avons tent aussi de dfinir l'influence de facteurs trs divers puisqu'ils peuvent tre aussi bien d'ordre gopolitique que culturel, idologique ou m m e personnel, dans la politique des Etats africains indpendants.

    Les tats noirs indpendants, grce notamment au soutien des tats arabes, ont jou un rle dterminant dans la cration d'un climat gnral hostile aux rgimes minoritaires blancs du continent africain et favorable aux appels imprieux la justice raciale et l'autodtermination.

    L'Afrique du Sud pourrait bien reprsenter, dans l'histoire de l'humanit, le dernier bastion du racisme rig en institution. D'autres formes de discrimination persisteront probablement pendant longtemps encore, de m m e que d'autres formes de racisme. Mais l'ide de grouper les enfants, selon leur race, dans des coles diffrentes, d'obliger les adultes de race diffrente occuper des compartiments spars dans les autobus et dans les trains, de leur interdire de choisir un conjoint appartenant une autre race, d'organiser l'lectorat selon des critres raciaux, toutes ces formes anciennes du racisme institutionnalis pourraient bien connatre leurs derniers m o m e n t s en Afrique australe.

    C e climat nouveau est l'origine aussi du large consensus que la communaut internationale est parvenue opposer aux rgimes minoritaires blancs d'Afrique australe. Il pourrait s'agir l de l'une des premires grandes contributions des pays non occidentaux et non blancs la morale internationale et au droit international. Il fut un temps o le racisme n'tait pas rejet par le droit international parce que celui-ci tait essentiellement fond sur les valeurs et les options occidentales. Il fut un temps aussi o les pays occidentaux ne voyaient dans la politique d'apartheid de l'Afrique du Sud qu'un problme d'ordre strictement interne. Mais la solidarit des pays

  • 24 Ali A. Mazrui

    africains, soutenus par d'autres pays du tiers m o n d e , a progressivement contraint jusqu'aux plus conservatrices des capitales occidentales consid-rer le racisme sud-africain non seulement c o m m e inacceptable au regard de la morale individuelle, mais aussi c o m m e un problme justifiant une action internationale. Refuser de vendre des armes l'Afrique du Sud a t en soi une forme d'action qui a permis au m o n d e d'avancer d'un pas vers cet idal : l'limination tout le moins des formes les plus flagrantes et les plus institutionnalises du racisme.

    Dans la lutte m e n e pour convaincre le m o n d e entier d'liminer ces formes de racisme, les tats africains indpendants ont jou un rle dcisif et indispensable. C'est eux qu'il incombait de prendre l'initiative d'un changement, de s'lever sans relche contre le maintien du statu quo ante et de se situer au cur de la mle.

    L e combat continue mais les chances de victoire finale sont bien meilleures depuis quelques annes. La seconde guerre mondiale a affaibli les empires europens, contribuant ainsi acclrer l'accession l'indpendance des anciennes colonies. L a guerre du Viet N a m a affaibli les tats-Unis, auxquels il est ainsi devenu plus difficile de maintenir le statu quo ante en Afrique australe. Mais, si ces guerres ont affaibli les forces de domination, c'est des coloniss eux -mmes que devait venir la volont de se librer. E n Afrique australe, le combat se droule maintenant de fort en fort, de village en village et, lorsque l'Afrique du Sud elle-mme succombera aux assauts des forces rvolutionnaires, il gagnera chaque rue et chaque ruelle.

    A ce stade, la lutte doit videmment tre mene avant tout par les populations noires d'Afrique du Sud. Cependant, les tats africains continueront de jouer un rle dterminant pour mener son terme la longue marche vers la souverainet raciale et la juridiction continentale.

  • Le rle des mouvements de libration dans la lutte pour l'Afrique australe, 1955-1977

    Elleck Kutakunesu Mashingaidze

    Il n'est peut-tre pas possible de donner de l'Afrique australe une dfinition qui soit universellement acceptable. Depuis quelque temps, on dfinit l'Afrique australe c o m m e regroupant l'Afrique du Sud, les royaumes du Lesotho et du Swaziland, la Namibie (Sud-Ouest africain), la Rpublique du Botswana, la Rpublique populaire d'Angola, le Zare, la Zambie, le Malawi, le Mozambique et le Z imbabwe (Rhodsie)1. L'inclusion de la Rpublique-Unie de Tanzanie dans l'Afrique australe se justifie aussi par le rle essentiel jou par ce pays dans la lutte actuelle pour la libration de cette rgion2. Quelle que soit la dfinition retenue, il faut bien admettre que le concept d'Afrique australe ne saurait tre statique. A u x fins du prsent expos, c'est la dfinition ci-dessus que nous adopterons. Cette vaste rgion a t occupe par le R o y a u m e - U n i , le Portugal, la Belgique et l'Allemagne, dont les immigrants blancs ont colonis et soumis les tats africains, petits et grands, une domination coloniale qui devait durer des sicles. Les objectifs et les effets du rgime colonial ont t diffrents videmment, d'un pays l'autre, selon les colonisateurs et les ractions des coloniss. Quelles qu'aient t les diffrences dans les objectifs et les effets, un fait demeure cependant : le colonialisme a t tabli pour servir et favoriser les intrts des colonisateurs aux dpens de ceux des peuples soumis. Les structures des gouvernements coloniaux, leurs lois et leurs institutions conomiques avaient toutes t soigneusement conues dans le dessein dlibr d'exploiter les ressources humaines et naturelles des diverses possessions coloniales ; c'est ainsi qu'en Afrique du Sud, en Rhodsie, en Angola et en Namibie les Africains furent expropris de leurs terres et obligs de s'installer dans ces zones surpeuples et dfavorises, gnralement connues sous le n o m de

    1. Cette dfinition est celle qui a t adopte par le Comit d'organisation de la confrence internationale sur l'histoire de l'Afrique australe, Universit nationale du Lesotho, ler-8 aot 1977. Voir galement : Note de la rdaction, Mohloni, Journal of Southern African historical studies, vol. II, M o n j a Printing W o r k s , 1978.

    2. Le prsident de la Rpublique-Unie de Tanzanie, Julius Nyerere, est prsident et porte-parole des prsidents des pays de la ligne de front directement intresss par la lutte de libration au Z i m b a b w e , en Namibie et en Afrique du Sud.

  • 26 Elleck Kutakunesu Mashingaidze

    rserves . Dans ces pays, l'expropriation des Africains sur une vaste chelle entrana la cration d'une classe sans terres, contrainte de travailler dans les exploitations agricoles des colons blancs, dans les mines et les usines des industriels blancs des centres urbains, qui recherchaient une main-d'uvre non qualifie. L'exploitation de cette main-d'uvre bon march et demi servile tait une condition essentielle de la prosprit des capitalistes blancs de la rgion. L'exploitation des travailleurs noirs, commence en Afrique du Sud sous la domination britannique, a maintenant atteint la perfection sous le rgime actuel : la discrimination raciale rencontre de la majorit noire, le systme des bantoustans, celui de la main-d'uvre migrante, la brutalit policire institutionnalise contre la population noire opprime constituent les piliers du colonialisme afrikaner.

    Nationalisme africain et dcolonisation Vers le milieu des annes soixante, la situation avait considrablement volu dans la plupart des pays de la rgion. E n 1968, l'exception de l'Afrique du Sud, de la Rhodsie, de la Namibie, de l'Angola et du Mozambique , les autres pays se trouvaient dcoloniss et taient dirigs par des gouvernements nationaux. L e premier tablir un gouvernement national fut, en 1960, le Congo-Lopoldville (aujourd'hui Zare), suivi par le Tanganyika en 1961. Avec l'croulement final de la Fdration domine par les Blancs de Rhodsie et du Nyassaland en 1963, le Malawi et la Zambie devinrent leur tour indpendants en 1963 et 1964 respectivement. L'anne 1966 vit les deux anciennes possessions britanniques du Bechuanaland et du Basutoland prendre rang d'Etats souverains, sous le n o m de Botswana et de Lesotho. L'anne 1968 a m e n a l'indpendance du Swaziland.

    Derrire cette impressionnante dcolonisation, il y avait eu dans les diffrents secteurs la force du nationalisme africain. Certes, l'apparition et la monte du nationalisme africain sont directement lies au colonialisme et l'exploitation capitaliste des populations noires par les immigrants blancs. L'oppression politique et culturelle exerce par les colonisateurs et l'exploitation conomique par le capital tant local qu'international avaient produit leurs effets sur les populations africaines. L a pauvret rgnait chez les Africains et leur niveau de vie se dtriorait, en particulier dans les zones urbaines et industrielles. Il en rsultait parmi les opprims un mcontente-

    1. Les native reserves (rserves d'indignes) amnages dans les pays domins par des colons blancs, c o m m e la Rhodsie du Sud, l'Afrique du Sud et le Sud-Ouest africain, avaient plusieurs raisons d'tre : maintenir les communauts africaines dans des zones o elles pouvaient tre plus facilement contrles, les sparer des Blancs, crer des rservoirs illimits de main-d'uvre bon march ou semi-servile appele travailler dans les exploitations agricoles des colons blancs, dans les mines et les usines.

  • Le rle des mouvements de libration dans la lutte pour l'Afrique australe, 1955-1977

    27

    ment gnral qu'attisait encore le fait de savoir que c'tait leur sueur et parfois m m e leur sang que les colons devaient leur niveau de vie lev. Les Africains commenaient protester contre la faon dont ils taient traits par leurs oppresseurs et exploiteurs.

    L e nationalisme africain tel que nous le connaissons aujourd'hui est donc insparable de la prise de conscience noire. Les Africains c o m m e n c -rent se sentir opprims et exploits en raison simplement de la couleur de leur peau. L e nationalisme africain se manifesta et s'exprima alors de multiples faons : les manuvres noirs, par exemple, exigeaient d'tre traits en tres humains et d'tre pleinement reconnus en tant que travailleurs par leurs employeurs et exploiteurs ; les chrtiens et prtres noirs exigeaient d'tre mis sur le m m e pied que les chrtiens et missionnaires blancs ; les simples villageois de districts reculs demandaient que leurs administrateurs coloniaux coutent leurs avis sur la manire dont les Africains voulaient tre gouverns. Cette opposition au rgime colonial et ses structures finit par s'exprimer plus ouvertement et plus loquemment par l'intermdiaire d'organisations telles que syndicats, organisations religieuses africaines indpendantes, associations culturelles, et parfois m m e de groupes politiques organiss de faon encore assez floue. Ces organisations furent les vritables prcurseurs des mouvements politiques nationalistes tels qu'ils se sont dvelopps par la suite dans les divers pays de l'Afrique australe1. Plus les autorits coloniales cherchaient touffer ce ferment de nationalisme africain par des tactiques brutales, plus les partis nationalistes africains se dveloppaient et mieux ils s'organisaient.

    Si le nationalisme africain a russi dcoloniser le Zare, la Tanzanie, le Malawi, la Zambie , le Lesotho, le Botswana et le Swaziland, il a t en revanche tenu en chec dans d'autres pays de la rgion : en Afrique du Sud, en Namibie, en Angola, au Z i m b a b w e (Rhodsie) et au Mozambique . Les gouvernements minoritaires blancs de ces pays taient en effet rsolus lutter pour la survie du type de colonialisme qu'ils reprsentaient. D ' u n e certaine faon, on peut avancer qu'il rgnait dans ces pays des types de colonialisme diffrents de ceux qui existaient ailleurs dans la rgion. Ainsi, depuis que le R o y a u m e - U n i , en 1910, avait abandonn les intrts des peuples noirs d'Afrique du Sud, il s'tait instaur dans ce pays une sorte de colonialisme interne en vertu duquel les colonisateurs (la minorit blanche) vivaient dans le m m e pays que les coloniss (la majorit noire) et prtendaient en faire partie2. Si presque personne ne conteste les prtentions des Blancs tre considrs c o m m e sud-africains, beaucoup cependant refusent de leur reconnatre de ce fait le droit de soumettre la population

    1. Le premier d'entre eux fut le South African National Congress, fond en 1912. 2. H . Walpole, The theory of internal colonization : the South African case .

  • 28 Elleck Kutakunesu Mashingaidze

    noire leur exploitation conomique et leur oppression politique et culturelle. La minorit blanche a cr des frontires au sein d'un m m e tat afin de sparer les zones occupes par la population noire de celles o elle vit elle-mme. Ces zones sont maintenues dans un sous-dveloppement permanent, tandis que les zones blanches se dveloppent pleinement grce la main-d'uvre noire. Les Africains sont politiquement et culturellement exploits.

    Le cas de la Rhodsie est assez comparable celui de l'Afrique du Sud. O n peut dire qu'il y existe une forme de colonialisme interne. Depuis 1923, avec l'encouragement et l'approbation tacite des Britanniques, les immi-grants blancs ont adopt une position et des pratiques de colonisateur interne. Ils ont fait tout ce qui tait en leur pouvoir pour empcher tout dveloppement pacifique d'une communaut ou d'une socit interraciale au Zimbabwe . C'est ainsi que Blancs et Noirs se trouvent maintenant organiss en deux nations au sein d'un m m e tat1 dans lequel la nation blanche, c o m m e en Afrique du Sud, colonise, opprime et exploite la nation noire.

    Le cas de l'Angola et du Mozambique est diffrent. Dans ces deux pays, la puissance coloniale, le Portugal, n'avait pas la moindre intention de renoncer ses colonies. Elle continuait opprimer et exploiter ses sujets africains tout en maintenant le mythe d'une civilisation multiraciale ou luso tropicale , selon lequel le Portugal ne possdait pas de colonies, mais des provinces africaines. Aussi les ressortissants du Portugal tablis en Angola et au Mozambique n'taient-ils pas considrs c o m m e des colons mais c o m m e des citoyens portugais vivant dans les provinces portugaises d'outre-mer.

    Inquiets des changements qui intervenaient ailleurs en Afrique, les minorits de colons d'Afrique du Sud, de Namibie, du Zimbabwe , d'Angola et du Mozambique se prparrent non pas suivre le courant, mais au contraire s'y opposer. Leurs gouvernements devinrent encore plus racistes. C'est ainsi que, cherchant dsesprment empcher ou enrayer au Zimbabwe une volution invitable, le rgime de la minorit blanche de Rhodsie dcrta illgalement l'indpendance du pays en novembre 1965. Lorsqu'en 1966 l'Assemble gnrale des Nations Unies demanda l'Afrique du Sud de confier la Namibie l'Organisation internationale afin que le peuple de Namibie puisse accder l'indpendance, non seulement l'Afrique du Sud brava l'injonction qui lui avait t faite, mais elle fit un pas de plus en annexant le pays.

    Autres signes du dsespoir et de l'inquitude des oppresseurs racistes : le dveloppement d'une coopration militaire entre les rgimes blancs d'Afrique du Sud, de Rhodsie, du Mozambique et de l'Angola et la

    1. R . Gray, Two nations, Oxford University Press, 1960.

  • Le rle des mouvements de libration dans la lutte pour l'Afrique australe, 1955-1977

    29

    recrudescence de la violence policire institutionnalise rencontre des populations opprimes de ces pays.

    Les mouvements de libration Les mouvements nationalistes africains ne tardrent pas comprendre que les gouvernements d'Afrique du Sud, de Rhodsie et du Portugal taient bien dcids s'opposer avec vigueur toute volution dmocratique et pacifique en Afrique du Sud, en Rhodsie, en Angola et au Mozambique . Les partis nationalistes des divers pays se rendirent compte aussi que les rgimes de la minorit blanche perfectionnaient leur appareil policier et militaire afin d'craser brutalement toute opposition au statu quo. Le dclenchement d'un changement politique dans les cinq pays concerns tait manifestement une tche qui dpassait les moyens du nationalisme africain et des organisations auxquelles son dynamisme avait donn naissance. Mais, chose plus importante encore, les populations intresses acquirent rapide-ment la conviction de plus en plus forte que les pressions et l'agitation politiques normales ne pourraient jamais branler la position de leurs oppresseurs1.

    Pour ceux des nationalistes qui savaient prvoir, il tait aussi devenu clair, ds le dbut des annes soixante, qu'en raison de l'importance et de la complexit des enjeux la solution ne pouvait pas tre une simple dcolonisation. C e qu'il fallait en Afrique du Sud, en Rhodsie, en Angola, en Namibie et au Moza m b i q u e , c'tait une libration totale. Alors que dans les autres pays de la rgion la dcolonisation avait t obtenue par les partis nationalistes africains, cette libration totale exigerait des organisations politiques d'une tout autre nature, armes d'une idologie entirement nouvelle. Ces organisations nouvelles, ce furent les mouvements de libration qui, la fin des annes soixante, taient de loin les forces les plus importantes engages dans les luttes menes en Angola, au Mozambique , en Namibie, au Z i m b a b w e et en Afrique du Sud. Dans la plupart des cas, les mouvements de libration rsultaient de la transformation des anciennes organisations nationalistes des diffrents pays que les conditions matrielles objectives avaient rendue invitable.

    D ' u n point de vue strictement historique, c'est donc un anachronisme de parler du rle que les mouvements de libration auraient jou dans la lutte mene en Afrique australe avant les annes soixante ; peut-tre faut-il le situer au milieu de cette dcennie. Je pense en outre qu'il est tout aussi erron de prsenter les changements politiques spectaculaires qui sont

    1. E . Mondlane, The struggle for Mozambique, rimpression, p. 121, Penguin Library, 1970.

  • 30 Elleck Kutakunesu Mashingaidze

    intervenus au cours des annes soixante dans des pays c o m m e le Zare, la Tanzanie, le Malawi, la Zambie, le Lesotho, le Botswana et le Swaziland c o m m e une libration totale. Il convient de faire une distinction entre les organisations nationalistes et les mouvements de libration. M m e s'ils sont troitement apparents, les processus de changement que ces deux types de forces ont crs dans la rgion doivent tre nettement distingus dans l'analyse. Le nationalisme africain, force dominante depuis la fin de la deuxime guerre mondiale jusqu'au milieu des annes soixante, a dclench un processus de dcolonisation. Les mouvements de libration, facteur dominant depuis les annes soixante, ont cherch et cherchent encore provoquer bien plus qu'une dcolonisation : leur objectif est une libration totale.

    Les activits des partis nationalistes africains ont oblig les gouverne-ments coloniaux accorder l'indpendance politique aux peuples du Zare, de la Tanzanie, du Malawi, de la Zambie , du Lesotho, du Botswana et du Swaziland. C e processus de dcolonisation s'est accompagn de changements : formation de gouvernements nationaux dirigs par des prsidents ou des souverains autochtones, adoption d'une nouvelle Constitu-tion, d'hymnes et de drapeaux nationaux, parfois m m e amlioration des conditions de vie de la population et dveloppement des possibilits d'accs l'ducation. Il faut cependant bien admettre que, dans la plupart des cas, ces changements ou ces progrs n'ont pas t suivis ni accompagns d'une transformation totale de la socit, de ses valeurs, des structures sociales, des institutions ni, bien entendu, des rapports de production. L'une des rares exceptions est la T A N U , dans la Rpublique-Unie de Tanzanie, qui s'est efforce, depuis l'indpendance m m e , de se transformer de simple organisation nationaliste en un parti rvolutionnaire rsolu introduire des changements rvolutionnaires dans la vie conomique et sociale de la Tanzanie. La plupart des pays indpendants d'Afrique n'ont gure cherch, pour ne pas dire jamais, modifier les systmes et structures politiques, sociaux et conomiques dont ils avaient hrit du rgime colonial. Dans les rapports de production, par exemple, les travailleurs sont toujours subordonns l'entreprise capitaliste qui s'enrichit leurs dpens. Les rapports avec les anciens matres coloniaux continuent tre caractriss par une dpendance conomique qui tend souvent priver les tats africains de leur droit d'adopter et de suivre, sur le plan extrieur, des politiques et des positions indpendantes dans les grands dbats et problmes internationaux.

    Q u ' e n est-il des changements introduits par les mouvements de libration ? Ds les annes soixante, les rgimes coloniaux d'Angola, du Mozambique , du Z i m b a b w e (Rhodsie), de Namibie et d'Afrique du Sud avaient pris conscience qu'ils n'avaient plus affaire aux anciennes organisa-tions nationalistes, m m e si dans certains cas les n o m s n'avaient pas chang.

  • Le rle des mouvements de libration dans la lutte pour l'Afrique australe, 1955-1977

    31

    L ' A N C et le P A C en Afrique du Sud, la S W A P O en Namibie, le M P L A en Angola, le Frelimo au Mozambique , la Z A N U et la Z A P U au Zimbabwe s'taient transforms en mouvements de libration rsolus conduire leurs pays respectifs l'indpendance par une voie diffrente de celle qu'avaient suivie les mouvements nationalistes mentionns ci-dessus. Pour bien comprendre pourquoi les mouvements de libration ont choisi cette voie diffrente, il faut se rendre compte que, tout en se rattachant historiquement ces organisations nationalistes, ils avaient ceci de diffrent qu'ils procdaient d'un phnomne rvolutionnaire *.

    Les mouvements de libration d'Afrique australe prsentent les caractristiques suivantes : a) ils sont sans exception et radicalement anti-imprialistes et anticapitalistes ; b) ils s'inspirent d'une idologie claire et bien dfinie en faveur de l'mancipation qui prconise la rupture complte avec les systmes et les structures politiques, conomiques et sociaux du colonialisme ; c) ce sont des mouvements de masse qui, par leur action, cherchent dlibrment impliquer toutes les couches sociales, en particulier les travailleurs et les paysans, qui sont considrs juste titre c o m m e une force rvolutionnaire potentielle dans le processus de libration ; d) le socialisme scientifique est la philosophie reconnue qui inspire tous les mouvements de libration de l'Afrique australe ; e) la lutte arme prolon-ge est unanimement admise c o m m e tant un instrument essentiel et indispensable du changement rvolutionnaire. C'est pour cette raison que chaque mouvement rvolutionnaire a constitu une aile militaire, appele arme de libration , arme rvolutionnaire ou encore force ou arme populaire de libration , dont les cadres se sont faits en m m e temps les missionnaires de l'idologie et du changement rvolutionnaires2. O n attend des combattants de la libert (ainsi appelle-t-on aussi les cadres militaires) qu'ils soient des h o m m e s et des femmes d'une troupe nouvelle, guids par des principes moraux et rvolutionnaires levs. Enfin, c o m m e M u b a k o l'a signal propos des mouvements de libration du Z i m b a b w e , les combattants des forces populaires, par leur formation spciale et leur exprience de l'action sur le terrain, exercent aussi cette influence radicale qui fixe les normes idologiques des partis dont le respect ou le non-respect par les politiciens de la gnration prcdente dterminera le succs ou l'chec de la carrire politique3 .

    A l'heure actuelle, non seulement les mouvements de libration ont accept la lutte arme c o m m e seule mthode raliste de nature provoquer

    1. S. V . M u b a k o , Aspects of the Zimbabwe liberation movement, 1966-1976, part I, Mohlomi, journal of Southern African historical studies, vol. II.

    2. E . K . Mashingaidze, The Southern African political scene from the 1960's , communica-tion presentee au Sminaire sur le service volontaire danois, Maseru, 28 juin 1978.

    3. M u b a k o , op. cit.

  • 32 Elleck Kutakunesu Mashingaidze

    un vritable changement politique et une libration nationale totale, mais ils en ont dmontr l'efficacit de faon convaincante lorsque le Frelimo et le M P L A , au terme de longues annes de combat, ont cras l'imprialisme et le colonialisme portugais. Pour la Z A N U et la Z A P U du Z imbabwe , pour la S W A P O , l ' A N C et le P A C en Namibie et en Afrique du Sud, ce n'est donc plus seulement une vue thorique de considrer que la libration nationale peut tre conquise sur le champ de bataille, contre n'importe quelle force coloniale, si brutale et bien quipe soit-elle. Ainsi, sous la conduite de leurs partis d'avant-garde, les peuples assujettis, opprims et exploits du Z i m b a b w e , de Namibie et d'Afrique du Sud sont plus dcids que jamais craser le colonialisme blanc et venir bout des gouvernements minoritaires blancs de Salibury et de Pretoria. Ils sont galement rsolus substituer des dmocraties populaires ces systmes politiques prims.

    L'apparition et le dveloppement des mouvements de libration, en particulier les victoires remportes par les partis socialistes de Mozambique et de l'Angola en 1974 et 1975 respectivement, ont branl l'imprialisme. A u milieu des annes soixante-dix, les activits du Frelimo, du M P L A , de la Z A N U et de la S W A P O notamment transformaient rapidement la rgion de l'Afrique australe en zone de conflits militaires et idologiques. Les enjeux taient de plus en plus levs et prenaient des dimensions de plus en plus vastes. La chute du colonialisme portugais au Mozambique et en Angola, puis l'acceptation sans rserve du socialisme par les peuples de ces deux pays ont conduit une intensification de l'engagement direct ou indirect des capitalistes occidentaux en vue de protger leurs intrts1. D e leur ct, pour sauvegarder leurs gains et leurs victoires socialistes, les peuples du Mozambique et de l'Angola ont d faire appel l'aide de leurs allis socialistes et progressistes, notamment l 'URSS et Cuba . Les mouvements de libration de Namibie, du Z i m b a b w e et d'Afrique du Sud sont eux aussi devenus de plus en plus tributaires des pays socialistes et progressistes, ayant besoin de leur aide matrielle pour poursuivre leur combat contre les rgimes de Salisbury et de Pretoria.

    E n 1977, deux faits taient donc devenus parfaitement clairs pour les partisans capitalistes des rgimes minoritaires blancs du Zimbabwe , de Namibie et d'Afrique du Sud. D ' u n e part, aucune force militaire, si puissante ft-elle, n'empcherait les travailleurs qui reoivent des salaires de famine, les opprims politiques et les habitants des bantoustans, des rserves tribales et des foyers surpeupls et misrables d'Afrique du Sud, de Rhodsie et

    1. Les Occidentaux ont tent d'aider les lments contre-rvolutionnaires de l'Angola pour faire chec au M P L A . L'Afrique du Sud, elle aussi, a jet le poids de ses armes contre le M P L A et le Frelimo, mais sans succs. Les manuvres amricaines par l'intermdiaire de la C I A ont galement chou.

  • Le rle des mouvements de libration dans la lutte pour l'Afrique australe, 1955-1977

    33

    du Sud-Ouest africain de s'identifier la cause de la libration. La coopration apporte aux combattants du Frelimo par les masses rurales durant la guerre contre le Portugal, l'appui prt au M P L A par les travailleurs de Luanda, le rle jou depuis 1972 par les masses rurales du Zimbabwe dans le soutien aux forces de la Z A N L A et de la Z I P R A , le soutien apport la S W A P O en Namibie, les meutes de Soweto (qui se sont tendues d'autres centres), en 1976, sont autant de faits qui tmoignent du caractre irrversible de la mare rvolutionnaire dans cette rgion.

    D'autre part, il n'tait plus question, dans cette m m e rgion, de la dcolonisation qu'opprims et oppresseurs jugeaient dj invitable. Il s'agissait maintenant de diluer les effets de la rvolution afin d'assurer la sauvegarde des intrts capitalistes au Zimbabwe et en Namibie et, du m m e coup, la protection de l'Afrique du Sud.

    Les rgimes minoritaires blancs avaient, semble-t-il, plac leurs espoirs dans ce qui a t depuis appel la deuxime phase de la dtente amorce en 1976. O r cette dtente a t compromise par l'intensification de la guerre de libration au Z imbabwe et en Namibie, o les forces populaires ont continu porter des coups trs durs aux forces racistes de Rhodsie et d'Afrique du Sud.

  • La position de l'Afrique du Sud

    E . L . Ntloedibe

    Introduction

    Le concept politique que nous appelons aujourd'hui Afrique du Sud a pris naissance le 31 mai 1910, date de l'adoption, par le Parlement britannique, du South Africa Act de 1909. Cette loi englobait dans l'Union sud-africaine 1 223 878 k m 2 de terres situes au-dessous de l'quateur, entre le 14e et le 22 e degr de latitude sud et entre le 17e et le 33e degr de longitude est, et en confiait la responsabilit administrative au gouvernement de coalition blanche form par les anciennes administrations coloniales des provinces du C a p , du Natal, du Transvaal et de l'tat libre d'Orange. A diffrentes poques de leur histoire coloniale, chacun de ces quatre lments constitutifs avait t dot d'un gouvernement responsable : la colonie du Cap en 1872, celle du Natal en 1893, le Transvaal en 1906 et l'tat libre d'Orange en 1907.

    La lutte du peuple africain d'Azanie n'a pas dbut cette poque et elle n'tait pas dirige essentiellement contre ce nouveau phnomne. A partir de cette priode, elle n'a fait que changer de forme pour faire face une situation politique nouvelle, mais elle a conserv fondamentalement la m m e nature. Nous considrons que l'octroi d'une prtendue indpendance unilatrale une minorit blanche trangre par le colonialisme britannique n'a pas t un acte de dcolonisation, mais plutt un transfert de l'autorit coloniale, qui a pris pour le gouvernement blanc la forme du statut de dominion. Il tait invitable que le pouvoir colonial dcoulant de ce statut s'exert par des pratiques des politiques et sgrgationnistes qui ne pouvaient que s'appuyer constamment sur la force arme. Il est alors devenu impratif d'institutionnaliser ces pratiques afin de leur donner tout le poids de la respectabilit, de la lgitimit et de la lgalit.

    Le statut de dominion confr au territoire rebaptis n'tait, notre avis, que le maintien ou la transplantation dans des conditions nouvelles du vieux concept de gouvernement responsable sgrgationniste et n'impli-quait aucun changement substantiel dans les rapports antrieurs. Dans la pratique, ce statut signifiait seulement que le gouvernement de coalition

  • 36 E. L. Ntloedibe

    blanche s'tait vu attribuer une part du gros capital britannique et confrer les pouvoirs officiels d'une autorit coloniale sur une population de sujets noirs dont la situation sociale ne se trouva nullement modifie par le changement constitutionnel . L a situation des Blancs ne changea pas davantage par rapport ce qu'elle tait du temps du gouvernement responsable . Ils conservrent leur position privilgie par rapport la population noire assujettie, afin de donner une lgitimit l'autorit despotique du gouvernement blanc et pour assumer leur responsabilit d'lecteur conscient et volontaire des valets du colonialisme britannique. L e devoir solennel des gouvernements blancs successifs fut ds lors de respecter et de dfendre cette fin la mthode d'incitation extravagante qui consistait acheter les Blancs en leur accordant des privilges. Lors du dbat sur le projet de loi qui devint par la suite le South Africa Act de 1909, le premier ministre britannique, Alfred Campbell-Bannerman, justifia la position de la C h a m b r e des c o m m u n e s en soulignant qu'il n'tait pas dans les habitudes des Britanniques de gouverner les Blancs c o m m e des peuples assujettis .

    L e cabinet du gouvernement de coalition blanche comprenait quatre ministres pour le C a p , trois pour le Transvaal, deux pour le Natal et deux pour l'tat libre d'Orange. L e caractre colonialiste de son autorit sur ses sujets noirs se manifestait dans ce qu'il appelait la politique indigne (native policy), caractrise par une administration sectaire l'gard des indignes, par une rpartition arbitraire de la proprit foncire et par des pratiques tyranniques en matire de travail. La politique indigne est un lment fondamental du colonialisme et la politique actuelle des foyers bantous du gouvernement raciste d'Afrique du Sud en est la version la plus rcente. Il n'existe de politique indigne dans aucun des tats africains indpendants qui sont e u x - m m e s les successeurs du pouvoir colonial, ce qui montre bien que ces gouvernements noirs ne sont pas des autorits coloniales. Ils possdent des ministres de l'intrieur , ou des affaires intrieures , c o m m e tous les tats souverains du m o n d e , mais aucun de leurs citoyens n'est soumis une politique indigne sgrgationniste. C'est l le principe fondamental de l'autodtermination qui permet de juger de la souverainet des peuples et des nations.

    C'est dans ce contexte que les Africains d'Azanie rclament un rexamen, un rajustement et une redfinition du statut juridique internatio-nal de l'Afrique du Sud raciste, en s'appuyant sur le principe du droit des peuples disposer d 'eux-mmes dans la mesure o ce droit les intresse et les concerne. Ils rejettent la thse selon laquelle ils constitueraient un peuple indpendant simplement victime d'une discrimination raciale ou ethnique, mais estiment au contraire qu'ils ont t privs, arbitrairement et par la force des armes, de leurs terres, et, partant, de leur existence en tant que nation, privs de leurs droits civiques par le refus arbitraire et tyrannique d'une libre

  • La position de l'Afrique du Sud 37

    et pleine participation aux affaires publiques de leur pays, privs des droits fondamentaux de l ' h o m m e par l'imposition de l'arbitraire dans ce pays. Tous ces actes commis par le rgime en place en Afrique du Sud constituent une violation flagrante, collective et mprisante du droit des Africains disposer d'eux-mmes, du caractre sacr de leur souverainet nationale et de l'intgrit territoriale de leur patrie bien-aime. Ces droits sacrs ne souffrent ni trahison ni compromis. Notre peuple ne saurait renoncer son destin national ni se rsigner l'asservissement, quels que soient les obstacles qui se dresseront sur son chemin. Son devoir national est de trouver une solution historique au problme des relations internes dans ce pays.

    Le statut actuel

    Il existe plusieurs interprtations du statut politique international actuel de l'Afrique du Sud. La premire est ce que nous pourrions appeler 1' optique de l'apartheid . Selon Chris Jooste1, le gouvernement actuel de l'Afrique du Sud s'est fix pour tche de rendre leur indpendance ceux qui ont t privs de la libert par le R o y a u m e - U n i et qui ont t placs en 1910 dans une situation d'assujettissement sous le gouvernement de l'union . La situation, telle que la conoit et la dfinit le rgime actuellement au pouvoir, est donc la suivante : Le gouvernement de l'union a t form en tant que gouvernement blanc charg d'administrer les anciennes rpubliques boers du Transvaal et de l'tat libre d'Orange, les anciennes colonies britanniques du Cap de Bonne-Esprance et du Natal, les territoires bantous annexs et incorpors l'Afrique du Sud britannique, ainsi que les populations non blanches vivant sur les territoires blancs, c'est--dire principalement les Indiens et les mtis qui vivent au Natal et dans la colonie du C a p 2 .

    Autre interprtation : le point de vue libral. Parlant de ce qu'elle appelle l'essentiel du problme racial, Ellen Hellman, du South African Institute of Race Relations, signale que l'Afrique du Sud a t compare aux autres puissances coloniales, ceci prs que ses sujets coloniaux vivent l'intrieur m m e des frontires de leur patrie , et elle ajoute : L'appareil gnral du colonialisme, tel qu'il s'tait dvelopp au dbut du xx e sicle, avait aussi t mis en place en Afrique du Sud. . . o les colons d'origine europenne dominaient les autochtones et ne les admettaient dans la socit blanche que dans la mesure o ils en avaient besoin c o m m e main-d'uvre bon march. L'historien Eric Walker3 ajoute pour sa part : La nouvelle union se vit attribuer le statut prestigieux mais mal dfini de dominion

    1. Chris Jooste, South African dialogue, p. 5, Johannesburg, McGraw-Hill. 2. Chris Jooste, op. cit., p. 4. 3. Eric Walker, History of Southern Africa, p. 538, Longmans, 1967.

  • 38 E. L. Ntloedibe

    britannique d'aprs-guerre [...] entreprit ce que seuls les hauts-commissaires britanniques avaient jusqu'alors tent : grer les affaires de l'Afrique du Sud dans leur ensemble.

    Sur le plan international, l'Afrique du Sud est considre c o m m e un tat indpendant et souverain . Il est vident qu'on se rfre par l la position internationale du gouvernement blanc de ce pays. La Dclaration universelle des droits de l ' h o m m e proclame catgoriquement que tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mmes . Chacun sait que les Africains d'Afrique du Sud vivent sous la domination d'un gouvernement minoritaire blanc qui leur dnie la souverainet nationale et viole l'intgrit territoriale de leur pays. Le droit des peuples disposer d'eux-mmes est un principe fondamental du droit international, qui s'applique au statut politique des populations autochtones vivant sur leur terre ancestrale. Le peuple africain d'Afrique du Sud ne jouit pas de ce droit et sa lutte pour la libration nationale repose sur son droit inalinable d'exercer ce droit sans entrave, sans restriction et en toute quitude. E n vertu de la Dclaration sur l'octroi de l'indpendance aux pays et aux peuples coloniaux, le m a n q u e de prparation dans les domaines politique, conomique ou social ou dans celui de l'enseignement ne doit jamais tre pris c o m m e prtexte pour retarder l'indpendance . L e dni de ce droit tant le signe manifeste d'un rgime colonial, la question de la lgalit du statut politique international actuel de l'Afrique du Sud n'est pas, selon nous, pertinente puisqu'elle mconnat la ralit objective.

    E n soulevant la question de la lgalit du statut international de l'Afrique du Sud, notre dsir est de dissiper les ambiguts qui l'entourent afin que la situation puisse tre value correctement. Nous avons dj cit une partie de la rsolution adopte par l'Assemble gnrale des Nations Unies sa 29e session propos de l'autodtermination, tandis que, dans une autre partie, l'Assemble exprimait son soutien la lutte lgitime du peuple opprim d'Afrique du Sud pour l'limination totale de l'apartheid . Nous tenons appeler l'attention sur deux autres rsolutions de l'Assemble gnrale des Nations Unies. Par sa rsolution 2787 ( X X V I ) de 1971, l'Assemble gnrale a confirm la lgitimit de la lutte des peuples qui combattent pour exercer leur droit disposer d'eux-mmes et se librer de la domination coloniale et trangre et de l'emprise trangre, notamment en Afrique australe, et en particulier de ceux du Z i m b a b w e , de Namibie, de l'Angola, du Mozambique , de Guine-Bissau, ainsi que du peuple palestinien, par tous les moyens en leur pouvoir qui sont compatibles avec la Charte des Nations Unies . E n outre, la rsolution 3103 (XXVIII), adopte par l'Assemble gnrale le 12 dcembre 1973, stipule ce qui suit : Les conflits arms o il y a lutte de peuples contre la domination coloniale et trangre et les rgimes racistes doivent tre considrs c o m m e des conflits

  • La position de l'Afrique du Sud 39

    arms internationaux au sens des conventions de Genve de 1949, et le statut juridique prvu pour les combattants dans les conventions de Genve de 1949 et les autres instruments internationaux doit s'appliquer aux personnes engages dans une lutte arme contre la domination coloniale et trangre et les rgimes racistes.

    L e mouvement de libration nationale du peuple d'Azanie considre que les Africains d'Azanie vivent sous le joug d'un gouvernement minoritaire blanc qui leur dnie la souverainet nationale et viole l'intgrit territoriale de leur patrie. C'est l une situation coloniale et la question de l'galit des h o m m e s est ici secondaire. Le droit des peuples disposer d'eux-mmes est un droit international et indivisible : il a la m m e signification en Azanie qu'en Namibie et au Z i m b a b w e , ou dans n'importe quelle autre partie de l'Afrique. Par consquent, pour le peuple d'Azanie, la question de la lgalit n'est pas pertinente puisqu'elle mconnat la ralit de notre situation.

    Pour nous, il ne fait aucun doute que la domination blanche en Afrique n'est pas seulement une question d'apartheid, mais qu'elle s'inscrit dans le cadre de l'exploitation locale et trangre du peuple africain.

    Le statut politique de la Rpublique d'Afrique du Sud actuelle est, selon nous, celui d'un pays colonial domin par le consortium imprialiste constitu par les investisseurs et leurs partenaires commerciaux, qui dtiennent plus de 80 % de la proprit prive en Afrique du Sud, en c o m m u n avec la bourgeoisie blanche dont le gouvernement est un lment important. L a principale contradiction de l'Azanie est donc celle qui a trait au contrle du pays et de ses richesses. Le pays, c'est la terre et ses habitants. Sa richesse, ce sont ses ressources naturelles et le travail de sa population. U n e grande partie du sol est constitue de roches anciennes et de sdiments continentaux riches en minraux. D'aprs les brochures destines aux touristes, ses ressources minrales illimites en font le pays le plus riche, et de loin, de toute l'Afrique. Selon le dernier recensement officiel, le pays compte environ 25 millions d'habitants, dont au moins 21 millions d'Africains. U n ministre du gouvernement raciste a indiqu rcemment, propos des prtendus foyers qui pour nous sont des rserves de main-d'uvre indigne , qu'ils constituaient une richesse permanente que ne possde aucun autre pays indpendant d'Afrique, savoir des ressources illimites en main-d'uvre.

    Depuis trente ans, la bourgeoisie blanche fait des efforts concerts pour renforcer sa position conomique dans le pays, mais l'imprialisme britannique conserve une position prpondrante dans les mines et le commerce puisqu'il dtient environ 97 % du capital minier, 94 % du capital industriel, 88 % du capital financier et 75 % du capital commercial. Cette puissance conomique est en grande partie concentre entre les mains de sept tablissements financiers qui contrlent plus d'un millier de grandes

  • 40 E. L. Ntloedibe

    socits et dont les ressources totales dpassent un milliard de livres, tandis que la part des autres intrts imprialistes occidentaux excde 1 800 millions de livres investis dans au moins 1 632 socits appartenant 13 pays capitalistes. L a Rpublique fdrale d'Allemagne a 132 socits oprant en Afrique du Sud, l'Australie 73, la Belgique 44, le Canada 15, les Etats-Unis 494, la France 85, l'Italie 21, le Japon 2, la Nouvelle-Zlande 3, les Pays-Bas 57, le R o y a u m e - U n i 630, la Sude 59 et la Suisse 171.

    Il n'est pas douteux que toutes les socits trangres oprant en Afrique du Sud respectent la politique indigne du gouvernement sud-africain et se conforment strictement aux lois qui en dcoulent. E n un mot, elles participent toutes l'apartheid et, inversement, c'est en leur n o m et dans leur intrt que l'apartheid est pratiqu. Nous affirmons que la politique indigne est applique dans l'intrt colonial de ces socits et, c o m m e pour le colonialisme britannique qui les a prcdes, leur instigation parce que l'Afrique du Sud est pour elles une semi-colonie qu'elles se partagent.

    Selon nous, la domination blanche est la forme prise par le colonialisme en Afrique du Sud. E n effet, les Africains sont actuellement soumis l'autorit coloniale du gouvernement raciste blanc, hritier depuis 1910 du colonialisme britannique. Les Britanniques ont exerc cette domination pendant toute la dure de l'occupation coloniale de notre pays et ils l'avaient eux-mmes hrite du pouvoir colonial raciste exerc par la Compagnie hollandaise des Indes orientales dont l'installation au Cap remonte au 6 avril 1652. Nous ferons ici une distinction entre le sectarisme du racisme blanc, qui n'est pas une contradiction historique fondamentale, et le despotisme, qui est un trait essentiel du colonialisme.

    Le premier gouvernement de l'union a t un gouvernement de coalition, le cabinet tant compos de quatre membres pour le C a p , trois pour le Transvaal, deux pour le Natal et deux pour l'tat libre d'Orange. A u Royaume-Uni , les affaires d'Afrique du Sud taient rgies par le Colonial Office et le Dominion Office. Ces deux organismes se scindrent en 1925 et l'Afrique du Sud tomba sous la juridiction du Dominion Office. A l'poque, la souverainet britannique tait reconnue. E n 1927, lors de la discussion au Parlement du Nationality and Flag Bill, le ministre de l'intrieur, D . F . Malan, estima que les ressortissants de l'union devaient aussi tre des sujets britanniques et constituer un petit cercle au milieu d'un grand2 . La Confrence impriale runie Londres en 1926 avait dclar que le R o y a u m e - U n i et les dominions avaient le m m e statut et n'taient nullement subordonns les uns aux autres . Les clauses correspondantes de

    1. Investment in apartheid, p. 9, Bruxelles, I C F T U . 2. Cape times, 24 fvrier 1927.

  • La position de l'Afrique du Sud 41

    la Dclaration Balfour qui fut adopte par la suite devaient figurer dans le Statut de Westminster adopt en 1931, qui accordait lgalement la libert d'action ceux des dominions qui le souhaitaient.

    Le gnral Hertzog, alors premier ministre, se flicita de ces dispositions, car elles consacraient l'indpendance souveraine et la libert dfinitive du pays1 . C e changement constitutionnel fut considr c o m m e liant le statut international du pays la question indigne . Jusqu'alors, les Britanniques estimaient que les intrts des Noirs devaient passer en premier l o les Blancs taient en minorit parmi une population nombreuse de Noirs 2. E n rponse l'appel du gnral Smuts, le gnral Hertzog aurait tabli, lors de la Confrence impriale, des contacts troits avec les dlgations des autres colonies, notamment celle du Kenya, en demandant que les gouvernements intresss se consultent avant que l'un d'eux n'adopte une politique indigne sensiblement diffrente de celle du gouvernement de l'union3 .

    Le Status Act de 1934 proclama que le Parlement de l'Union sud-africaine tait 1' organe lgislatif souverain sans le consentement duquel aucun monarque britannique futur (ou son reprsentant) ne pourrait agir sans l'avis, ou m m e contre l'avis, de ses ministres de l'union lors m m e que ce pouvoir tait prvu expressment ou implicitement, ni bnficier des conventions existantes qui lui donnaient le droit de convoquer, de proroger ou de dissoudre le Parlement . Le Coronation Oath Act de 1937 faisait obligation au roi de Grande-Bretagne de gouverner les Sud-Africains conformment aux statuts accepts par le Parlement de l'union et selon leurs propres lois et coutumes . Cette position fut celle qui prvalut jusqu'en 1961, poque o le docteur Verwoerd se spara du Commonwea l th et o la rpublique remplaa la monarchie. Jusque-l, le chef suprme avait t le roi de Grande-Bretagne agissant par l'intermdiaire de son reprsentant local, le gouverneur gnral. Le dernier gouverneur gnral de l'Afrique du Sud, Charles Roberts Swart, fut aussi le premier prsident de la Rpublique.

    La position du Royaume-Uni

    D e ce qui prcde, il ressort clairement qu'en 1910 le Royaume-Uni n'a pas accord l'Union sud-africaine son indpendance souveraine, en dehors des pleins pouvoirs en matire lgislative et du droit d' adopter des lois dans l'intrt de la paix, de l'ordre et d'une bonne administration , et ce, dans les

    1. Cape times, 28 fvrier 1931. 2. Africa and some world problems. 3. Cape times, novembre 1930.

  • 42 E. L. Ntloedibe

    limites assignes aux colonies. C'tait l la marque m m e d'un gouvernement responsable selon la pratique constitutionnelle britannique de l'poque. L'autorit coloniale sur la population noire confie au gouverneur gnral de l'Union sud-africaine au titre de la section 147 de la Constitution est claire et sans ambigut. Il est stipul en effet que la direction et la gestion des affaires indignes et des questions touchant spcialement ou diffremment les Asiatiques incombent, dans toute l'union, au gouverneur gnral en son Conseil, qui exerce tous les pouvoirs spciaux relatifs aux affaires indignes jusque-l dvolus aux gouverneurs des colonies ou exercs par eux en qualit de chefs suprmes des tribus indignes...

    Dans British Commonwealth, development of its laws and constitu-tions, South Africa , Hahlo et K a h n rappellent que le gouvernement britannique avait fait savoir de diverses manires qu'il ne rejetterait pas un accord conclu la Convention nationale blanche qui maintiendrait les dispositions coloniales en vigueur dans les diffrentes provinces en matire de droit de vote et qui exclurait les non-Blancs du Parlement. Ils concluent que le gouverneur gnral tait investi, en matire d'affaires indignes, des pouvoirs spciaux que dtenaient les gouverneurs des colonies . Ils ajoutent que le seul changement constitutionnel intervenu qui puisse donner l'impression que les liens rattachant l'union au colonialisme britannique s'taient rompus tait le fait que l'excutif de l'union, conformment la Convention britannique, assumait la prrogative royale et pouvait l'exercer par l'intermdiaire du gouverneur gnral sans en rfrer au souverain. A propos de l'indpendance souveraine, les Britanniques considraient que les relations entre les dominions et le gouvernement imprial ne pouvaient pas tre interprtes c o m m e un projet d'alliance entre Etats indpendants mais constituaient plutt une dclaration d'autonomie des diverses parties de l'empire .

    Cette thse fut avance alors m m e que le gnral sud-africain Hertzog saluait la Dclaration Balfour et le Statut de Westminster de 1931 c o m m e signifiant pour l'Afrique du Sud l'indpendance souveraine et la libert dfinitive du pays . L'analyse du gnral Hertzog fut prsente au R o y a u m e - U n i c o m m e renfermant plus de passion que de substance . Le secrtaire aux dominions dclara la C h a m b r e des c o m m u n e s que rien de fondamentalement nouveau n'tait intervenu ; les deux principes de la Dclaration Balfour taient l'galit politique des dominions au sein de l'empire et leur unit l'ombre de la couronne . L'unanimit ne s'tait m m e pas faite sur ce point au sein du gouvernement sud-africain. Le ministre de l'intrieur, D . F . Malan, qui avait pris l'initiative du Flag Bill, lequel tait cens reflter le nouveau statut , soutenait que le changement de drapeau refltait le statut national de l'union et l'unit de l'empire .

  • La position de l'Afrique du Sud 43

    L'volution du statut par voie de convention

    L'volution du statut des dominions britanniques par voie de convention s'est amorce la Confrence impriale de 1911, o il fut dcid que les dominions seraient consults, chaque fois que cela serait possible, avant que soit contracte toute obligation internationale susceptible de les toucher. Les dominions reconnaissaient pour leur part que le gouvernement imprial demeurait responsable en dernier ressort de l'laboration de la politique. La dclaration de guerre l'Allemagne, en 1914, fut accepte par les dominions c o m m e les liant eux-mmes automatiquement et leur participation la guerre conduisit la cration du Cabinet de guerre imprial au sein duquel ils taient reprsents.

    Lors de la Confrence de la paix tenue Paris en 1919, le Cabinet de guerre imprial se transforma en dlgation impriale, et les dlgus de chaque dominion, en vertu de leur rle durant la guerre, y reprsentaient en m m e temps leur propre pays. Ils signrent donc le trait de Versailles en tant que membres de la dlgation impriale et en qualit de reprsentants de leurs pays, devenant ainsi membres originaires de la Socit des Nations.

    L e Canada fut autoris en 1920 se doter d'une reprsentation diplomatique distincte Washington, l'tat libre d'Irlande en 1924 et l'Afrique du Sud en 1930, aprs que la Confrence impriale eut dcid d'accorder la libert d'action sur le plan international tous les dominions qui le souhaitaient. Ceux-ci ne bnficiaient pas pour autant d'un statut indpendant, m m e si certains h o m m e s d'tat des dominions (le gnral Hertzog, par exemple) le prtendaient . Les reprsentants consulaires des dominions se virent confrer le rang d'ambassadeur en 1943, commencer par le Canada, et les pays membres du Commonweal th devinrent membres originaires des Nations Unies aprs la deuxime guerre mondiale ; ils furent habilits conclure indpendamment des traits et crrent un ministre des affaires trangres au sein de leurs gouvernements respectifs.

    Auparavant, c'tait Whitehall qui s'occupait des affaires trangres de tout l'empire ; dornavant, chaque pays du Commonweal th se chargeait de ses propres relations extrieures.

    Le rapport de la Confrence impriale de 1930 indiqua