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Bibliographie - Histoire Romaine Histoire Romaine - traduction M. Nisard (1864) Livre I - Des origines à la chute de la royauté 1. Préface (1) Aurai-je lieu de m'applaudir de ce que j'ai voulu faire, si j'entreprends d'écrire l'histoire du peuple romain depuis son origine ? Je l'ignore; et si je le savais, je n'oserais le dire, (2) surtout quand je considère combien les faits sont loin de nous, combien ils sont connus, grâce à cette foule d'écrivains sans cesse renaissants, qui se flattent, ou de les présenter avec plus de certitude, ou d'effacer, par la supériorité de leur style, l'âpre simplicité de nos premiers historiens. (3) Quoi qu'il en soit, j'aurai du moins le plaisir d'avoir aidé, pour ma part, à perpétuer la mémoire des grandes choses accomplies par le premier peuple de la terre; et si parmi tant d'écrivains mon nom se trouve perdu, l'éclat et la grandeur de ceux qui m'auront éclipsé serviront à me consoler. (4) C'est d'ailleurs un ouvrage immense que celui qui, embrassant une période de plus de sept cents années, et prenant pour point de départ les plus faibles commencements de Rome, la suit dans ses progrès jusqu'à cette dernière époque où elle commence à plier sous le faix de sa propre grandeur : je crains encore que les origines de Rome et les temps les plus voisins de sa naissance n'offrent que peu d'attraits à la plupart des lecteurs, impatients d'arriver à ces derniers temps, où cette puissance, dès longtemps souveraine, tourne ses forces contre elle-même. (5) Pour moi, je tirerai de ce travail un grand avantage; celui de distraire un instant du spectacle des maux dont notre époque a été si longtemps le témoin, mon esprit occupé tout entier de l'étude de cette vieille histoire, et délivré de ces craintes qui, sans détourner un écrivain de la vérité, ne laissent pas d'être pour lui une source d'inquiétudes. (6) Les faits qui ont précédé ou accompagné la fondation de Rome se présentent embellis par les fictions de la poésie, plutôt qu'appuyés sur le témoignage irrécusable de l'histoire : je ne veux pas plus les affirmer que les contester. (7) On pardonne à l'antiquité cette intervention des dieux dans les choses humaines, qui imprime à la naissance des villes un caractère plus auguste. Or, s'il est permis à un peuple de rendre son origine plus sacrée, en la rapportant aux dieux, certes c'est au peuple romain; et quand il veut faire du dieu Mars le père du fondateur de Rome et le sien, sa gloire dans les armes est assez grande pour que l'univers le souffre, comme il a souffert sa domination. (8) Au reste, qu'on rejette ou qu'on accueille cette tradition, cela n'est pas à mes yeux d'une grande importance. (9) Mais ce qui importe, et doit occuper surtout l'attention de chacun, c'est de connaître la vie et les moeurs des premiers Romains, de savoir quels sont les hommes, quels sont les arts qui, dans la paix comme dans la guerre, ont fondé notre puissance et l'ont agrandie; de suivre enfin, par la pensée, l'affaiblissement insensible dé la discipline et ce premier relâchement dans les moeurs qui, bientôt entraînées sur une pente tous les jours plus rapide, précipitèrent leur chute jusqu'à ces derniers temps, où le remède est devenu aussi insupportable que le mal. (10) Le principal et le plus salutaire avantage de l'histoire, c'est d'exposer à vos regards, dans un cadre lumineux, des enseignements de toute nature qui semblent vous dire : Voici ce que tu dois faire dans ton intérêt, dans celui de la république; ce que tu dois éviter, car il y a honte à le concevoir, honte à l'accomplir. (11) Au reste, ou je m'abuse sur mon ouvrage, ou jamais république ne fut plus grande, plus sainte, plus féconde en bons exemple : aucune n'est restée plus longtemps fermée au luxe et à la soif des richesses, plus longtemps fidèle au culte de la tempérance et de la pauvreté, tant elle savait mesurer

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  • Bibliographie - Histoire Romaine

    Histoire Romaine

    - traduction M. Nisard (1864) Livre I

    - Des origines la chute de la royaut

    1. Prface

    (1) Aurai-je lieu de m'applaudir de ce que j'ai voulu faire, si j'entreprends d'crire l'histoire du peuple romain depuis son origine ? Je l'ignore; et si je le savais, je n'oserais le dire, (2) surtout quand je considre combien les faits sont loin de nous, combien ils sont connus, grce cette foule d'crivains sans cesse renaissants, qui se flattent, ou de les prsenter avec plus de certitude, ou d'effacer, par la supriorit de leur style, l'pre simplicit de nos premiers historiens. (3) Quoi qu'il en soit, j'aurai du moins le plaisir d'avoir aid, pour ma part, perptuer la mmoire des grandes choses accomplies par le premier peuple de la terre; et si parmi tant d'crivains mon nom se trouve perdu, l'clat et la grandeur de ceux qui m'auront clips serviront me consoler. (4) C'est d'ailleurs un ouvrage immense que celui qui, embrassant une priode de plus de sept cents annes, et prenant pour point de dpart les plus faibles commencements de Rome, la suit dans ses progrs jusqu' cette dernire poque o elle commence plier sous le faix de sa propre grandeur : je crains encore que les origines de Rome et les temps les plus voisins de sa naissance n'offrent que peu d'attraits la plupart des lecteurs, impatients d'arriver ces derniers temps, o cette puissance, ds longtemps souveraine, tourne ses forces contre elle-mme. (5) Pour moi, je tirerai de ce travail un grand avantage; celui de distraire un instant du spectacle des maux dont notre poque a t si longtemps le tmoin, mon esprit occup tout entier de l'tude de cette vieille histoire, et dlivr de ces craintes qui, sans dtourner un crivain de la vrit, ne laissent pas d'tre pour lui une source d'inquitudes. (6) Les faits qui ont prcd ou accompagn la fondation de Rome se prsentent embellis par les fictions de la posie, plutt qu'appuys sur le tmoignage irrcusable de l'histoire : je ne veux pas plus les affirmer que les contester. (7) On pardonne l'antiquit cette intervention des dieux dans les choses humaines, qui imprime la naissance des villes un caractre plus auguste. Or, s'il est permis un peuple de rendre son origine plus sacre, en la rapportant aux dieux, certes c'est au peuple romain; et quand il veut faire du dieu Mars le pre du fondateur de Rome et le sien, sa gloire dans les armes est assez grande pour que l'univers le souffre, comme il a souffert sa domination. (8) Au reste, qu'on rejette ou qu'on accueille cette tradition, cela n'est pas mes yeux d'une grande importance. (9) Mais ce qui importe, et doit occuper surtout l'attention de chacun, c'est de connatre la vie et les moeurs des premiers Romains, de savoir quels sont les hommes, quels sont les arts qui, dans la paix comme dans la guerre, ont fond notre puissance et l'ont agrandie; de suivre enfin, par la pense, l'affaiblissement insensible d la discipline et ce premier relchement dans les moeurs qui, bientt entranes sur une pente tous les jours plus rapide, prcipitrent leur chute jusqu' ces derniers temps, o le remde est devenu aussi insupportable que le mal. (10) Le principal et le plus salutaire avantage de l'histoire, c'est d'exposer vos regards, dans un cadre lumineux, des enseignements de toute nature qui semblent vous dire : Voici ce que tu dois faire dans ton intrt, dans celui de la rpublique; ce que tu dois viter, car il y a honte le concevoir, honte l'accomplir. (11) Au reste, ou je m'abuse sur mon ouvrage, ou jamais rpublique ne fut plus grande, plus sainte, plus fconde en bons exemple : aucune n'est reste plus longtemps ferme au luxe et la soif des richesses, plus longtemps fidle au culte de la temprance et de la pauvret, tant elle savait mesurer

  • ses dsirs sa fortune. (12) Ce n'est que de nos jours que les richesses ont engendr l'avarice, le dbordement des plaisirs, et je ne sais quelle fureur de se perdre et d'abmer l'tat avec soi dans le luxe et la dbauche. Mais ces plaintes ne blesseront que trop, peut-tre, quand elles seront ncessaires; ne commenons donc pas par l ce grand ouvrage. (13) Il conviendrait mieux, si l'historien avait le privilge du pote, de commencer sous les auspices des dieux et des desses, afin d'obtenir d'eux, force de voeux et de prires, l'heureux succs d'une si vaste entreprise.

  • Bibliographie - Histoire romaine

    2. La prhistoire lavinate et albaine jusqu' la fondation de Rome ([I, 1] [I, 6])

    ne [I, 1] (1) C'est d'abord un fait assez constant, qu'aprs la prise de Troie la vengeance des Grecs, s'tant exerce sur le reste du peuple troyen, ne respecta qu'ne et Antnor, soit que le droit d'une ancienne hospitalit les protget, soit que les conseils qu'ils avaient toujours donns, de rendre Hlne et de faire la paix, engageassent le vainqueur les pargner. (2) C'est encore une chose universellement connue, qu'aprs diverses aventures, Antnor, la tte d'une troupe nombreuse d'Hntes, qui, chasss de la Paphlagonie par une sdition, et privs de leur roi Pylmne, mort sous les murs de Troie, cherchaient un chef et une retraite, pntra jusqu'au fond du golfe Adriatique, (3) et que, chassant devant eux les Euganens, tablis entre la mer et les Alpes, les Hntes, runis aux Troyens, prirent possession de leur territoire. Le lieu o ils descendirent d'abord a conserv le nom de Troie, ainsi que le canton qui en dpend, et toute la nation forme par eux porte le nom de Vntes. (4) ne, rejet de sa patrie par la mme catastrophe, mais destin par le sort fonder de bien plus grandes choses, arriva d'abord en Macdoine, passa de l en Sicile, d'o, cherchant toujours une patrie, il vint aborder avec sa flotte au rivage de Laurente, appel aussi du nom de Troie. (5) peine sur cette plage, les Troyens, auxquels une si longue navigation sur ces mers, o ils erraient depuis tant d'annes, n'avait laiss que des armes et des vaisseaux, se rpandent dans les campagnes pour chercher du butin, lorsque le roi Latinus et les Aborignes, qui occupaient alors le pays, accourent en armes de la ville et les alentours, pour repousser l'agression de ces trangers. (6) Suivant les uns, ce ne fut qu'aprs une dfaite que Latinus fit la paix et s'allia avec ne. (7) Suivant d'autres, les armes taient en prsence, et on allait donner le signal, lorsque Latinus s'avana entour de l'lite des siens, et invita le chef de ces trangers une entrevue. Il lui demanda quelle tait leur nation, d'o ils venaient, quel malheur les avait exils de leur pays, et quel projet les amenait sur les rivages Laurentins. (8) Lorsqu'il eut appris qu'ils taient Troyens, que leur chef tait ne, fils d'Anchise et de Vnus, et que, fuyant leur patrie et leurs maisons en cendres, ils cherchaient un asile et un emplacement pour y btir une ville, pntr d'admiration l'aspect de ce peuple glorieux et de celui qui le conduisait, les voyant d'ailleurs disposs la guerre comme la paix, il tendit la main ne, pour gage de leur future amiti. (9) Le trait se fit alors entre les chefs, et les armes se rapprochrent; ne devint l'hte de Latinus, et, dans son palais, l'autel de ses dieux pnates, Latinus, pour resserrer par des noeuds domestiques l'union des deux peuples, lui donna sa fille en mariage. (10) Cette alliance affermit les Troyens dans l'esprance de voir enfin un tablissement durable fixer leur destine errante. Ils btissent une ville. ne la nomme l.avinium, du nom de sa nouvelle pouse. (11) De ce mariage naquit bientt, comme du premier, un fils qui reut de ses parents le nom d'Ascagne. [I, 2] (1) Les Aborignes et les Troyens eurent une guerre commune soutenir. Turnus, roi des Rutules, qui Lavinie avait t promise avant l'arrive d'ne, indign de se voir prfr un tranger, avait la fois dclar la guerre Latinus et ne. (2) Aucune des deux armes n'eut s'applaudir de l'issue du combat : les Rutules furent vaincus; la victoire cota aux Aborignes et aux Troyens leur chef Latinus. (3) Turnus et les Rutules, se dfiant de leur fortune, cherchent un appui dans la puissance alors trs florissante des trusques et de leur roi Mzence. Ce prince, qui ds l'origine avait tabli le sige de son empire Caer, ville fort opulente, n'avait pas vu sans ombrage s'lever une cit nouvelle : croyant bientt la sret des peuples voisins menace par le rapide accroissement de la colonie troyenne, ce fut sans rpugnance qu'il associa ses armes celles des Rutules. (4) Press de faire face une ligue si formidable, ne, pour s'assurer contre elle du dvouement des

  • Aborignes, voulut runir sous le mme nom deux peuples dj soumis aux mmes lois; il les confondit sous la dnomination commune de Latins. (5) Ds ce moment les Aborignes ne le cdrent aux Troyens ni en fidlit ni en zle pour ne : fort de ces dispositions, ne, avec ces deux peuples dont l'union se resserrait chaque jour, osa braver la puissance des trusques, qui remplissaient alors du bruit de leur nom la terre et la mer dans toute la longueur de l'Italie, depuis les Alpes jusqu'au dtroit de Sicile; et bien qu'il et pu, l'abri de ses murailles, tenir tte l'ennemi, il fit sortir ses troupes et prsenta le combat. (6) La victoire resta aux Latins; mais c'est l que se terminrent les travaux mortels d'ne : de quelque nom qu'il soit permis de l'appeler, il est enseveli sur les bords du Numicius : on le nomme Jupiter Indigte. Fondation d'Albe-la-Longue; la srie des rois albains (1) Ascagne, fils d'ne, n'tait pas encore en ge de rgner : toutefois il atteignit la pubert sans que son pouvoir et souffert d'atteinte. La tutelle d'une femme (tant Lavinie avait de force d'me) suffit pour conserver aux Latins leur puissance, et cet enfant le royaume de son aeul et celui de son pre. (2) Je ne dciderai point (car comment certifier des faits d'une si haute antiquit ?) si c'est bien d'Ascagne qu'il s'agit, ou d'un autre enfant n de Creuse, avant la chute de Troie, et qui accompagna son pre dans sa fuite; de celui enfin qui portait le nom d'lule, et auquel la famille Julia rattache son origine. (3) Cet Ascagne donc (quelle que soit sa mre et le lieu de sa naissance, il est certain qu'il tait fils d'ne), voyant la population de Lavinium s'augmenter l'excs, laissa cette ville, dj florissante et considrable pour ces temps-l, sa mre ou sa belle-mre, et alla lui-mme fonder, au pied du mont Albain, une ville nouvelle, qui, tendue en long sur le flanc de la montagne, prit de cette situation le nom d'Albe-la-Longue. (4) Entre la fondation de Lavinium et l'tablissement de cette colonie sortie de son sein, il s'tait coul environ trente ans. Et dans cet intervalle cet tat avait pris un tel accroissement, surtout par la dfaite des trusques, qu' la mort mme d'ne, et ensuite pendant la rgence d'une femme et l'apprentissage que faisait son jeune fils de l'art de rgner, ni Mzence et ses trusques, ni aucun autre peuple voisin n'osrent remuer. (5) Le trait de paix avait tabli pour limite entre les trusques et les Latins, le fleuve Albula, aujourd'hui le Tibre. (6) Ascagne a pour successeur Silvius son fils, n, je ne sais par quel hasard, au fond des forts. (7) Il est pre d'ne Silvius, qui a pour fils Latinus Silvius. Celui-ci fonda quelques colonies; ce sont les Anciens Latins; (8) et depuis ce temps, Silvius resta le surnom commun de tous les rois d'Albe. Puis se succdent de pre en fils, Alba, Atys, Capys, Captus, Tibrinus : celui-ci se noie en traversant le fleuve Albula, auquel il donne son nom, devenu si clbre dans la postrit. (9) Tibrinus a pour fils Agrippa, qui lui succde et transmet le trne Romulus Silvius. Ce Romulus, frapp de la foudre, laisse le sceptre aux mains d'Aventinus. Ce dernier, enseveli sur la colline qui fait aujourd'hui partie de la ville de Rome, lui donna son nom. (10) Procas, son successeur, pre de Numitor et d'Amulius. lgue Numitor, l'an de ses fils, l'antique royaume de la race des Silvius. Mais la violence prvalut sur la volont d'un pre et sur le respect pour le droit d'anesse. (11) Amulius chasse son frre, et monte sur son trne : et, soutenant un crime par un nouveau crime, il fait prir tous les enfants mles de ce frre : sous prtexte d'honorer Rha Silvia, fille d'Amulius, il en fait une vestale; lui te, en la condamnant une ternelle virginit, l'espoir de devenir mre. Romulus et de Rmus : naissance, enfance, premiers exploits (1) Mais les destins devaient sans doute au monde la naissance d'une ville si grande, et l'tablissement de cet empire, le plus puissant aprs celui des dieux. (2) Devenue par la violence mre de deux enfants, soit conviction, soit dessein d'ennoblir sa faute par la complicit d'un dieu, la Vestale attribue Mars cette douteuse paternit. (3) Mais ni les dieux ni les hommes ne peuvent soustraire la mre et les enfants la cruaut du roi : la prtresse, charge de fers, est jete en prison, et l'ordre est donn de prcipiter les enfants dans le fleuve. (4) Par un merveilleux hasard, signe clatant de la protection divine, le Tibre dbord avait franchi ses rives, et s'tait rpandu en tangs dont les eaux languissantes empchaient d'arriver jusqu' son lit ordinaire; cependant, malgr leur peu de profondeur et la tranquillit de leur cours, ceux qui excutaient les ordres du roi les jugrent encore assez profondes pour noyer des enfants. (5) Croyant donc remplir la commission royale, ils les abandonnrent aux premiers flots, l'endroit o s'lve aujourd'hui le figuier Ruminal, qui porta, dit-on, le nom de Romulaire. (6) Ces lieux n'taient alors qu'une vaste solitude. S'il faut en croire ce qu'on rapporte, les eaux, faibles en cet endroit, laissrent sec le berceau flottant qui portait les deux enfants : une louve

  • altre, descendue des montagnes d'alentour, accourut au bruit de leurs vagissements, et, leur prsentant la mamelle, oublia tellement sa frocit, que l'intendant des troupeaux du roi la trouva caressant de la langue ses nourrissons. Faustulus (c'tait, dit-on, le nom de cet homme) les emporta chez lui (7) et les confia aux soins de sa femme Larentia. Selon d'autres, cette Larentia tait une prostitue qui les bergers avaient donn le nom de Louve; c'est l l'origine de cette tradition merveilleuse. (8) Telles furent la naissance et l'ducation de ces enfants. peine arrivs l'ge de l'adolescence, ils ddaignent l'oisivet d'une vie sdentaire et la garde des troupeaux; la chasse les entrane dans les forts d'alentour. (9) Mais, puisant dans ces fatigues la force et le courage, ils ne se bornent plus donner la chasse aux btes froces; ils attaquent les brigands chargs de butin, et partagent leurs dpouilles entre les bergers. Une foule de jeunes ptres, chaque jour plus nombreuse, s'associe leurs prils et leurs jeux. [I, 5] (1) Ds ce temps-l, la fte des Lupercales tait clbre sur le mont Palatin, appel d'abord Pallantium, de Pallante, ville d'Arcadie. (2) C'est l qu'vandre, un des Arcadiens tablis longtemps auparavant dans ces contres, avait institu, d'aprs la coutume de son pays, cette solennit, o des jeunes gens, emports par l'ivresse d'une joie licencieuse, couraient tout nus en l'honneur de Pan, protecteur des troupeaux, et que les Romains ont appel depuis du nom d'lnuus. (3) Au milieu de ces ftes, dont la clbration avait t annonce, surpris l'improviste par les brigands furieux de l'enlvement de leur butin, Romulus se dfend avec vigueur, Rmus est pris; ils livrent leur prisonnier au roi Amulius, et le noircissent ses yeux. (4) Ils l'accusent surtout de faire, avec son frre, des incursions sur les terres de Numitor, et d'y conduire au pillage, comme en pays ennemi, une troupe arme de jeunes vagabonds. Rmus est donc livr la vengeance de Numitor. (5) Ds le commencement, Faustulus s'tait flatt de l'esprance que ces nourrissons taient de sang royal; car l'ordre donn par le roi, d'exposer des enfants nouveau-ns, tait connu de lui, et l'poque o il les avait recueillis concidait avec cette circonstance; mais il n'avait pas voulu rvler ce secret avant le temps, moins que l'occasion ou la ncessite ne le fissent parler : (6) la ncessit arriva la premire. Cdant la crainte, il dvoile Romulus le secret de sa naissance. Le hasard avait voulu que, de son ct, Numitor, matre de la personne de Rmus, apprit que les deux frres taient jumeaux, et qu' leur ge, leur noble fiert, le souvenir de ses petits-fils se rveillt dans son coeur; force de questions il touchait la vrit et n'tait pas loin de reconnatre Rmus. (7) Ainsi de tous cts un complot s'ourdit contre le roi. Romulus, trop faible pour agir force ouverte, se garda bien de venir la tte de ses ptres; il leur ordonne de se rendre au palais une heure convenue et par des chemins diffrents; l ils tombent sur le roi : la tte des gens de Numitor, Rmus leur prte main-forte, et Amulius est massacr. [I, 6] (1) la faveur du premier trouble, Numitor va s'criant que l'ennemi a pntr dans la ville, qu'il assige le palais, et il en carte la jeunesse albaine en l'envoyant occuper et dfendre la citadelle; puis, quand il voit les jeunes vainqueurs accourir en triomphe aprs ce coup de main, il convoque une assemble, rappelle les attentats de son frre contre sa personne, l'origine de ses petits-fils, leur naissance, comment ils ont t levs, quels indices on les a reconnus, et il annonce la mort du tyran, et s'en dclare l'auteur. (2) Les jeunes frres se prsentent au milieu de l'assemble la tte de leur troupe, saluent roi leur aeul, et la multitude entrane lui en confirme, par d'unanimes acclamations, le titre et l'autorit.

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    3. La fondation de Rome et le rgne de Romulus ([I, 6] [I, 16])

    Fondation de Rome [I, 6] (3) Numitor ainsi replac sur le trne d'Albe, Romulus et Rmus conurent l'ide de fonder une ville aux lieux tmoins de leurs premiers prils et des soins donns leur enfance. La multitude d'habitants dont regorgeaient Albe et le Latium, grossie encore du concours des bergers, faisait esprer naturellement que la nouvelle ville clipserait Albe et Lavinium. (4) ces projets d'tablissement vient se mler la soif du pouvoir, mal hrditaire chez eux, et une lutte monstrueuse termine un dbat assez paisible dans le principe. Ils taient jumeaux, et la prrogative de l'ge ne pouvait dcider entre eux : ils remettent donc aux divinits tutlaires de ces lieux le soin de dsigner, par des augures, celui qui devait donner son nom et des lois la nouvelle ville, et se retirent, Romulus sur le mont Palatin, Rmus sur l'Aventin, pour y tracer l'enceinte augurale. [I, 7] (1) Le premier augure fut, dit-on, pour Rmus : c'taient six vautours; il venait de l'annoncer, lorsque Romulus en vit le double, et chacun fut salu roi par les siens; les uns tiraient leur droit de la priorit, les autres du nombre des oiseaux (2) Une querelle s'ensuivit, que leur colre fit dgnrer en combat sanglant; frapp dans la mle, Rmus tomba mort. Suivant la tradition la plus rpandue, Rmus, par drision, avait franchi d'un saut les nouveaux remparts levs par son frre, et Romulus, transport de fureur, le tua en s'criant : "Ainsi prisse quiconque franchira mes murailles." (3) Romulus, rest seul matre, la ville nouvelle prit le nom de son fondateur. Le mont Palatin, sur lequel il avait t lev, fut le premier endroit qu'il eut soin de fortifier. Dans tous les sacrifices qu'il offrit aux dieux, il suivit le rite albain; pour Hercule seulement, il suivit le rite grec tel qu'vandre l'avait institu. Hercule et Cacus (4) C'est dans cette contre, dit-on, qu'Hercule, vainqueur de Gryon, amena des boeufs d'une beaut merveilleuse; aprs avoir travers le Tibre la nage, chassant son troupeau devant lui, il s'arrta sur les rives du fleuve, dans de gras pturages, pour refaire et reposer ses boeufs; et, lui-mme, fatigu de la route, il se coucha sur l'herbe : (5) l, tandis qu'appesanti par le vin et la nourriture, il dormait d'un profond sommeil, un ptre du canton, nomm Cacus, d'une force redoutable, sduit par la beaut de ces boeufs, rsolut de dtourner une si riche proie. Mais, comme il craignait qu'en les chassant droit devant lui, leurs traces ne conduisissent leur matre sa caverne lorsqu'il les chercherait, il choisit seulement les plus beaux, et les saisissant par la queue, il les trane reculons dans sa demeure. (6) Hercule, s'veillant aux premiers rayons de l'aurore, regarde son troupeau, et s'apercevant qu'il lui en manque une partie, il va droit la caverne voisine, dans l'ide que les traces y conduiraient. Toutes se dirigeaient en sens contraire, aucune n'allait d'un autre ct : dans le trouble o l'incertitude jetait ses esprits, il s'empresse d'loigner son troupeau de ces dangereux pturages. (7) Au moment du dpart, quelques gnisses marqurent par des mugissements, comme c'est l'ordinaire, leur regret d'abandonner leurs compagnes; celles que l'antre recelait rpondirent, et leur voix attira de ce ct l'attention d'Hercule. Il court la caverne : Cacus s'efforce de lui en disputer l'entre, implorant, mais en vain, le secours des bergers; il tombe sous la redoutable massue. (8) vandre, venu du Ploponnse chercher un asile dans ces nouvelles contres, les gouvernait bien plus par son ascendant que par l'effet d'une autorit relle. Il devait cet ascendant la connaissance de l'criture, merveille toute nouvelle pour ces nations ignorantes des arts; et plus encore la croyance rpandue sur sa mre Carmenta, qu'on regardait comme une divinit, et dont les prdictions, antrieures l'arrive de la Sibylle en Italie, avaient frapp ces peuples d'admiration. (9) Attir par le concours des pasteurs assembls en tumulte autour de cet tranger, que leurs cris

  • dsignaient comme un meurtrier, il apprend en mme temps et le crime et la cause qui l'a fait commettre. Puis, frapp de l'air auguste du hros, et de la majest de sa taille, si suprieure celle des hommes, il lui demande qui il est. (10) peine a-t-il appris son nom, celui de son pre et de sa patrie : "Fils de Jupiter, Hercule, s'crie-t-il, je te salue; ma mre, fidle interprte des dieux, m'a prdit que tu devais augmenter le nombre des habitants de l'Olympe, et qu'en ces lieux s'lverait en ton honneur un autel destin recevoir un jour de la plus puissante nation du monde le nom de Trs-Grand, et dont tu rglerais toi-mme culte." (11) Hercule, lui tendant la main, rpond qu'il accepte le prsage, et que, pour accomplir les destines, il va dresser un autel et le consacrer. (12) Il choisit alors la plus belle gnisse de son troupeau, et le premier sacrifice est offert Hercule. Les Potitii et les Pinarii, les deux familles les plus considrables du canton, choisis pour ministres du sacrifice, prennent place au banquet sacr. (13) Le hasard fit que les Potitii seuls assistrent au commencement du festin, et qu'on leur servit la chair de la victime : elle tait consomme l'arrive des Pinarii, qui prirent part au reste du banquet : c'est l'origine de l'usage, perptu jusqu' l'extinction de la famille Pinaria, qui lui interdisait les prmices des victimes. (14) Les Potitii, instruits par vandre, restrent pendant plusieurs sicles les ministres de ce culte, jusqu'au moment o, ayant abandonn des esclaves ces fonctions hrditaires dans leur famille, ils prirent tous en expiation de leur sacrilge. (15) De tous les cultes institus alors par Romulus, ce fut le seul qu'il emprunta aux trangers : il applaudissait ds lors cette apothose du courage, dont les destins lui prparaient l'honneur. Organisation de Rome et raptus uirginum [I, 8] (1) Les crmonies religieuses rgulirement tablies, il runit en assemble gnrale cette multitude dont la force des lois pouvait seule faire un corps de nation, et lui dicta les siennes : (2) et persuad que le plus sr moyen de leur imprimer un caractre sacr aux yeux de ces hommes grossiers, c'tait de se grandir lui-mme par les marques extrieures du commandement, entre autres signes distinctifs qui relevaient sa dignit, il affecta de s'entourer de douze licteurs. (3) On pense qu'il rgla ce nombre sur celui des douze vautours qui lui avaient prsag l'empire; mais je partage volontiers le sentiment de ceux qui, retrouvant chez les trusques, nos voisins, l'ide premire des appariteurs et de cette espce d'officiers publics, comme celle des chaises curules et de la robe prtexte, pensent que c'est dans leurs coutumes qu'il faut rechercher aussi l'origine de ce nombre. Ils l'avaient adopt parce que les douze peuples qui concouraient l'lection de leur souverain fournissaient chacun un licteur son cortge. (4) Cependant la ville s'agrandissait, et son enceinte s'largissait chaque jour, mesure plutt sur ses esprances de population future que sur les besoins de sa population actuelle. (5) Mais pour donner quelque ralit cette grandeur, Romulus, fidle cette vieille politique des fondateurs de villes qui publiaient que la terre leur avait enfant des habitants, ouvre un asile dans ce lieu ferm aujourd'hui par une palissade qui se trouve la descente du Capitole, entre les deux bois. (6) Esclaves ou hommes libres, tous ceux qu'excitent l'amour du changement viennent en foule s'y rfugier. Ce fut le premier appui de notre grandeur naissante. (7) Satisfait des forces qu'il avait conquises, Romulus les soumet une direction rgulire : il institue cent snateurs, soit que ce nombre lui part suffisant, soit qu'il n'en trouvt pas plus qui fussent dignes de cet honneur. Ce qui est certain, c'est qu'on les nomma Pres, et ce nom devint leur titre d'honneur; leurs descendants reurent celui de Patriciens. [I, 9] (1) Dj Rome tait assez puissante pour ne redouter aucune des cits voisines; mais elle manquait de femmes, et une gnration devait emporter avec elle toute cette grandeur : sans espoir de postrit au sein de la ville, les Romains taient aussi sans alliances avec leurs voisins. (2) C'est alors que, d'aprs l'avis du snat, Romulus leur envoya des dputs, avec mission de leur offrir l'alliance du nouveau peuple par le sang et par les traits. (3) "Les villes, disaient-ils, comme toutes les choses d'ici-bas, sont chtives leur naissance; mais ensuite, si leur courage et les dieux leur viennent en aide, elles se font une grande puissance et un grand nom. (4) Vous ne l'ignorez pas, les dieux ont prsid la naissance de Rome, et la valeur romaine ne fera pas dfaut cette cleste origine; vous ne devez donc pas ddaigner de mler avec des hommes comme eux votre sang et votre race." (5) Nulle part la dputation ne fut bien accueillie, tant ces peuples mprisaient et redoutaient la fois pour eux et leurs descendants cette puissance qui s'levait menaante au milieu

  • d'eux. La plupart demandrent aux dputs en les congdiant : "Pourquoi ils n'avaient pas ouvert aussi un asile pour les femmes ? Qu'au fond c'tait le seul moyen d'avoir des mariages sortables." (6) La jeunesse romaine ressentit cette injure, et tout sembla ds lors faire prsager la violence. Mais, dans la pense de mnager une circonstance et un lieu favorables, Romulus dissimule son ressentiment et prpare, en l'honneur de Neptune questre, des jeux solennels, sous le nom de Consualia. (7) Il fait annoncer ce spectacle dans les cantons voisins, et toute la pompe que comportaient l'tat des arts et la puissance romaine se dploie dans les prparatifs de la fte, afin de lui donner de l'clat et d'veiller la curiosit. (8) Les spectateurs y accourent en foule, attirs aussi par le dsir de voir la nouvelle ville, surtout les peuples les plus voisins : les Cniniens, les Crustuminiens, les Antemnates. (9) La nation entire des Sabins vint aussi avec les femmes et les enfants. L'hospitalit leur ouvrit les demeures des Romains, et la vue de la ville, de son heureuse situation, de ses remparts, du grand nombre de maisons qu'elle renfermait, dj ils s'merveillaient de son rapide accroissement. (10) Arrive le jour de la clbration des jeux. Comme ils captivaient les yeux et les esprits, le projet concert s'excute : au signal donn, la jeunesse romaine s'lance de toutes parts pour enlever les jeunes filles. (11) Le plus grand nombre devient la proie du premier ravisseur. Quelques-unes des plus belles, rserves aux principaux snateurs, taient portes dans leurs maisons par des plbiens chargs de ce soin. (12) Une entre autres, bien suprieure ses compagnes par sa taille et sa beaut, tait, dit-on, entrane par la troupe d'un snateur nomm Talassius; comme on ne cessait de leur demander qui ils la conduisaient, pour la prserver de toute insulte, ils criaient en marchant : ' Talassius'. C'est l l'origine de ce mot consacr dans la crmonie des noces. (13) La terreur jette le trouble dans la fte, les parents des jeunes filles s'enfuient frapps de douleur; et, se rcriant contre cette violation des droits de l'hospitalit, invoquent le dieu dont le nom, en les attirant la solennit de ces jeux, a couvert un perfide et sacrilge guet-apens. (14) Les victimes du rapt partagent ce dsespoir et cette indignation; mais Romulus lui-mme, les visitant l'une aprs l'autre, leur reprsente "que cette violence ne doit tre impute qu' l'orgueil de leurs pres, et leur refus de s'allier, par des mariages, un peuple voisin; que cependant c'est titre d'pouses qu'elles vont partager avec les Romains leur fortune, leur patrie, et s'unir eux par le plus doux noeud qui puisse attacher les mortels, en devenant mres. (15) Elles doivent donc adoucir leur ressentiments, et donner leurs coeurs ceux que le sort a rendus matres de leurs personnes. Souvent le sentiment de l'injure fait place de tendres affections. Les gages de leur bonheur domestique sont d'autant plus assurs, que leurs poux, non contents de satisfaire aux devoirs qu'impose ce titre, s'efforceront encore de remplacer auprs d'elles la famille et la patrie qu'elles regrettent." (16) ces paroles se joignaient les caresses des ravisseurs, qui rejetaient la violence de leur action sur celle de leur amour, excuse toute puissante sur l'esprit des femmes. Les guerres qui s'ensuivent directement, surtout celle des Sabins [1, 10] (1) Elles avaient dj oubli leur ressentiment lorsque leurs parents, plus irrits que jamais, et les habits souills en signe de deuil, soulevaient les cits par leurs plaintes et leurs larmes. Leur dsespoir ne se renfermait pas dans les murs de leurs villes; ils se rassemblaient de toutes parts auprs de Titus Tatius, roi des Sabins. Le nom de ce prince, objet de la plus haute considration dans ces contres, attirait autour de lui leurs envoys. (2) Les Cniniens, les Crustuminiens et les Antemnates taient au nombre des peuples qu'avait frapps cet outrage. Tatius et ses Sabins leur parurent trop lents prendre un parti. Ces trois peuples se liguent pour une guerre commune. (3) Mais les Crustuminiens et les Antemnates taient encore trop lents se lever au gr des Cniniens et de leur impatiente vengeance; seuls avec leurs propres forces, ceux-ci envahissent le territoire romain. (4) Mais, tandis qu'ils pillaient en dsordre, Romulus vient leur rencontre avec son arme. La facile victoire qu'il remporte leur apprend que la colre sans la force est toujours impuissante. Il enfonce leurs rangs, les disperse, les poursuit dans leur droute, tue de sa main leur roi, et se pare de sa dpouille. La mort du chef ennemi lui livre la ville. (5) Au retour de son arme victorieuse, Romulus, qui, au gnie des grandes choses alliait l'habilet qui les fait valoir, suspend un trophe dispos cet effet les dpouilles du roi mort et monte au Capitole. L il les dpose au pied d'un chne consacr par la vnration des pasteurs, en fait hommage Jupiter, et trace l'enceinte d'un temple qu'il ddie ce dieu sous un nouveau surnom : (6)

  • "Jupiter Frtrien, s'crie-t-il, c'est toi qu'un roi vainqueur offre ces armes d'un roi, et qu'il consacre le temple dont sa pense vient de mesurer l'enceinte. L seront dposes les dpouilles opimes que mes descendants, vainqueurs mon exemple, arracheront avec la vie aux rois et aux chefs ennemis." (7) Telle est l'origine de ce temple, le premier dont Rome ait vu la conscration. Dans la suite, les dieux ont voulu ratifier la prdiction des fondateurs du temple, en appelant ses descendants l'imiter, sans permettre toutefois qu'elle s'tendt trop, de peur de s'avilir. Dans un si grand nombre d'annes remplies par tant de guerres, on ne remporta que deux fois les dpouilles opimes, tant la fortune fut avare de cet honneur. [I, 11] (1) Tandis que les Romains sont ces solennits religieuses, les Antemnates saisissent l'occasion, et envahissent leurs frontires abandonnes. Une lgion romaine s'y porte aussitt, et surprend l'ennemi dispers dans la campagne. (2) la premire attaque, au premier cri de guerre, les Antemnates sont mis en fuite, leur ville prise. Alors Hersilie, femme de Romulus, obsde par les supplications de ses compagnes enleves, profite de l'enivrement d'une double victoire pour supplier le vainqueur de faire grce leurs parents et de les recevoir dans la ville naissante : c'est le moyen, suivant elle, d'en accrotre la puissance par la concorde. Elle l'obtient sans peine. (3) Il marche ensuite contre les Crustuminiens qui venaient l'attaquer; mais ceux-ci, dj dcourags par les revers de leurs allis, font encore moins de rsistance. (4) On envoya des colonies chez les uns et chez les autres. Il se prsenta plus de monde pour Crustuminum, cause de la fertilit du pays; tandis que de frquentes migrations, de la part surtout des familles appartenant aux femmes enleves, venaient de ces lieux mmes grossir la population romaine. (5) La dernire guerre fut celle des Sabins; ce fut aussi la plus srieuse : car ce peuple agit sans prcipitation ni colre; ses menaces ne prcdrent point l'agression; (6) mais sa prudence ne rejeta point les conseils de la ruse. Spurius Tarpius commandait dans la citadelle de Rome. Sa fille, gagne par l'or de Tatius, promet de livrer la citadelle aux Sabins. Elle en tait sortie par hasard, allant puiser de l'eau pour les sacrifices. (7) peine introduits, les Sabins l'crasent sous leurs armes, et la tuent, soit pour faire croire que la force seule les avait rendus matres de ce poste, soit pour prouver que nul n'est tenu la fidlit envers un tratre. (8) On ajoute que les Sabins, qui portaient au bras gauche des bracelets d'or d'un poids considrable et des anneaux enrichis de pierres prcieuses, taient convenus de donner, pour prix de la trahison, les objets qu'ils avaient la main gauche. De l, ces boucliers qui, au lieu d'anneaux d'or, payrent la jeune fille, et qui l'ensevelirent sous leur masse. (9) Selon d'autres, en demandant aux Sabins les ornements de leurs mains gauches, Tarpia entendait effectivement parler de leurs armes; mais les Sabins, souponnant un pige, l'crasrent sous le prix mme de sa trahison. [I, 12] (1) Quoi qu'il en soit, ils taient matres de la citadelle. Le lendemain, l'arme romaine, range en bataille, couvrait de ses lignes l'espace compris entre le mont Palatin et le mont Capitolin. Les Sabins n'taient point encore descendus sa rencontre, que, dj transporte par la colre et le dsir de reprendre la place, elle s'lance sur la hauteur. (2) De part et d'autre les chefs animent les combattants; c'tait Mettius Curtius du ct des Sabins; du ct des Romains, Hostus Hostilius. Celui-ci, plac au premier rang et malgr le dsavantage de la position, soutenait les siens de son audace et de son courage; (3) mais peine fut-il tomb que l'arme romaine plie tout coup, et est refoule jusqu' la vieille porte du Palatin. Entran lui-mme par la multitude des fuyards, Romulus lve ses armes vers le ciel : (4) "Jupiter, s'crie-t-il, c'est pour obir tes ordres, c'est sous tes auspices sacrs qu'ici, sur le mont Palatin, j'ai jet les fondements de cette ville. Dj la citadelle, achete par un crime, est au pouvoir des ennemis; eux-mmes ont franchi le milieu du vallon, et ils avancent jusqu'ici. (5) Mais toi, pre des dieux et des hommes, repousse-les du moins de ces lieux; rends le courage aux Romains, et suspends leur fuite honteuse. (6) Ici mme je te voue, sous le nom de Jupiter Stator, un temple, ternel monument du salut de Rome prserve par la protection puissante." (7) Il dit; et, comme il et senti sa prire exauce : "Romains, poursuit-il, Jupiter trs bon et trs grand ordonne que vous vous arrtiez et que vous retourniez au combat." Ils s'arrtent en effet, comme s'ils obissaient la voix du ciel. Romulus vole aux premiers rangs. (8) Mettius Curtius, la tte des Sabins, tait descendu de la citadelle, et avait poursuivi les Romains en droute dans toute la

  • longueur du Forum. Il approchait dj de la porte du Palatin, et criait : "Ils sont vaincus, ces htes perfides, ces lches ennemis; ils savent enfin qu'autre chose est d'enlever des jeunes filles, autre chose de combattre des hommes." (9) cette orgueilleuse apostrophe, Romulus fond sur Mettius avec une troupe de jeunes gens des plus braves. Mettius alors combattait cheval; il devenait plus facile de le repousser. On le poursuit, et le reste de l'arme romaine, enflamm par l'audace de son roi, enfonce les Sabins leur tour. (10) Mettius, dont le cheval est pouvant par le tumulte de la poursuite, est jet dans un marais. Le danger qui environne un personnage aussi important attire l'attention des Sabins. Les uns le rassurent et l'appellent, les autres l'encouragent, et Mettius parvient enfin s'chapper. Le combat recommence au milieu du vallon; mais l encore l'avantage demeure aux Romains. [I, 13] (1) Alors, les mmes Sabines, dont l'enlvement avait allum la guerre, surmontent, dans leur ds, espoir, la timidit naturelle leur sexe, se jettent intrpidement, les cheveux pars et les vtements en dsordre, entre les deux armes et au travers d'une grle de traits : elles arrtent les hostilits, enchanent la fureur, (2) et s'adressant tantt leurs pres, tantt leurs poux, elles les conjurent de ne point se souiller du sang sacr pour eux, d'un beau-pre ou d'un gendre, de ne point imprimer les stigmates du parricide au front des enfants qu'elles ont dj conus, de leurs fils eux et de leurs petits-fils. (3) "Si cette parent, dont nous sommes les liens, si nos mariages vous sont odieux, tournez contre nous votre colre : nous la source de cette guerre, nous la cause des blessures et du massacre de nos poux et de nos pres, Nous aimons mieux prir que de vivre sans vous, veuves ou orphelines." (4) Tous ces hommes, chefs et soldats, sont mus; ils s'apaisent tout coup et gardent le silence. Les chefs s'avancent pour conclure un trait, et la paix n'est pas seulement rsolue, mais aussi la fusion des deux tats en un seul. Les deux rois se partagent l'empire, dont le sige est tabli Rome. (5) Ainsi, la puissance de Rome est double. Mais, pour qu'il soit accord quelque faveur aux Sabins, les Romains prennent, de la ville de Cures, le surnom de Quirites. En tmoignage de ce combat, le marais dans lequel Curtius faillit d'tre englouti avec son cheval fut appel le lac Curtius. (6) Une paix si heureuse, succdant tout coup une guerre si dplorable, rendit les Sabines plus chres leurs maris, leurs pres, et surtout Romulus. Aussi, lorsqu'il partagea le peuple en trente curies, il les dsigna par le nom de ces femmes. Leur nombre surpassait sans doute le nombre des curies; mais la tradition ne nous a point appris si leur ge, leur rang, celui de leurs maris, ou le sort enfin dcidrent de l'application de ces noms. (8) la mme poque, on cra trois centuries de cavaliers, appeles, la premire, Ramnenses, de Romulus; la seconde, Titienses, de Titus Tatius. On ignore l'tymologie de Lucres, nom de la troisime. Depuis ce temps, non seulement la souverainet fut commune aux deux rois, mais elle fut aussi exerce par l'un et l'autre dans une parfaite harmonie. Les dernires guerres de Romulus (Lavinates, Viens, Fidnates) [I, 14] (1) Quelques annes aprs, des parents du roi Tatius ayant maltrait les dputs des Laurentins, ce peuple rclama, au nom du droit des gens. Mais le crdit et les sollicitations des agresseurs eurent plus de succs auprs de Tatius; (2) aussi leur chtiment retomba-t-il sur sa tte. Il tait venu Lavinium pour la clbration d'un sacrifice solennel; il y fut tu au milieu d'un soulvement. (3) Romulus ne montra pas, dit-on, dans cette circonstance, toute la douleur convenable, soit qu'il n'et partag le trne qu'avec regret, soit que le meurtre de Tatius lui part juste. Il ne prit pas mme les armes; seulement, comme l'outrage reu par les dputs voulait tre expi, Rome et Lavinium renouvelrent leur trait. (4) Mais cette paix inspira peu de confiance. Un autre orage plus menaant clatait presque aux portes de Rome. Le voisinage de cette ville, dont la puissance grandissait chaque jour, inquitait les Fidnates : sans attendre qu'elle ralise tout ce que semble lui promettre l'avenir, ils commencent lui faire la guerre. Ils arment leur jeunesse, la mettent en campagne, et dvastent le territoire qui est entre Rome et Fidnes. (5) De l, ils tournent vers la gauche, parce que, sur la droite, le Tibre leur opposait un obstacle, et sment devant eux la terreur et la dsolation. Les habitants des campagnes fuient en tumulte, et leur retraite prcipite dans Rome y porte la premire nouvelle de l'invasion. (6) L'imminence du pril n'admettait pas de retard. Romulus alarm fait sortir son arme, et vient camper un mille de Fidnes. (7) L, il laisse une garde peu nombreuse et se remet en marche avec

  • toutes ses forces. Il en met une partie en embuscade dans des lieux couverts de broussailles, et marche ensuite avec la plus grande partie de son infanterie et toute sa cavalerie. Ce mouvement, opr avec une apparence de bravade et de dsordre, et les incursions de la cavalerie jusque sous les portes de la ville, attirent les ennemis : c'tait l ce que voulait Romulus. Des charges de cavalerie rendirent aussi plus naturelle la fuite que ses soldats devaient simuler. (8) En effet, tandis que les cavaliers excutent leurs manoeuvres, et qu'ils semblent hsiter entre le dsir de fuir et l'honneur de combattre, l'infanterie lche pied : aussitt les Fidnates ouvrent les portes de la ville; ils affluent dans la plaine, se jettent en masse sur l'arme romaine, la chassent devant eux, et entrans par l'ardeur d'une poursuite acharne, s'engagent dans l'embuscade. (9) Mais les soldats romains qui l'occupent se montrent tout coup, fondent sur eux, et les prennent en flanc; ceux-ci s'pouvantent, et la rserve du camp, qui s'branle son tour, accrot encore leur frayeur. L'effroi, qui les frappe de toutes parts, laisse peine Romulus et sa cavalerie le temps de faire volte face; ils prennent la fuite; (10) et, comme cette fuite est relle, ils regagnent la ville avec plus de dsordre et de prcipitation qu'ils n'en avaient mis poursuivre ceux qui ne fuyaient que par artifice; (11) mais ils n'chappent pas davantage l'ennemi. Les Romains les poussent l'pe dans les reins, et, avant qu'on ait eu le temps de refermer les portes, vainqueurs et vaincus entrent ensemble, comme si ce n'tait qu'une seule arme. [1, 15] (1) Des Fidnates, le feu de la guerre se communique aux Viens, lesquels, descendant comme eux des trusques, taient lis leur cause par la communaut d'origine, et par l'irritation de leur dfaite; outre qu'ils songeaient avec crainte la proximit d'une ville dont les armes devaient menacer tous les voisins. Ils se rpandent donc sur ses frontires, plutt pour s'y livrer au pillage, que pour y faire une guerre en rgle. (2) C'est pourquoi ils ne se fixent nulle part, ils n'attendent pas l'arme romaine. Chargs de butin, ils reviennent Vies. Les Romains, trouvant la campagne libre, se disposent nanmoins provoquer un engagement dcisif; ils passent le Tibre, et plantent leur camp. (3) la nouvelle de leurs prparatifs et de leur marche sur la ville, les Viens sortent et s'avancent la rencontre de l'ennemi. Il leur semblait plus convenable de vider la querelle dans une bataille, que de se retrancher derrire des murs, et d'y combattre pour leurs foyers. (4) Dans cette circonstance, Romulus, ddaignant la ruse, vainquit avec l'aide seule de ses troupes dj vieillies au mtier de la guerre. Il poursuivit les Viens battus jusque sous leurs remparts, et n'essaya pas d'assiger leur ville, doublement forte par ses murailles et par sa position. Il revint sur ses pas, et ravagea le pays, plutt pour user de reprsailles que par amour du butin. (5) Ces dvastations, jointes la perte de la bataille, achevrent la ruine des Viens. Ils envoient des dputs Rome, et proposent la paix; une trve de cent ans leur est accorde, mais au prix d'une partie de leur territoire. La mort de Romulus [I, 15] (6) Tels sont, peu prs, les vnements militaires et politiques du rgne de Romulus. Ils s'accordent assez avec l'opinion de la divinit de l'origine de ce roi, et ce qu'on a crit touchant les circonstances miraculeuses qui suivirent sa mort. Rien ne dment cette opinion, surtout si l'on considre le courage que dploya Romulus dans le rtablissement de son aeul sur le trne, son projet gigantesque de btir une ville, et son habilet la rendre forte, par le parti qu'il savait tirer, soit de la paix, soit de la guerre. (7) Cette force, qu'elle recevait de son fondateur, Rome en usa si bien, que, depuis ces premiers progrs, sa tranquillit, pendant quarante ans, ne fut jamais trouble. (8) Romulus fut cependant plus cher au peuple qu'au snat; mais il tait surtout aim des soldats. Il en avait choisi trois cents, qu'il appelait Clres, pour garder sa personne, et il les conserva toujours, non seulement durant la guerre, mais encore pendant la paix. [I, 16] (1) Aprs ces immortels travaux, et un jour qu'il assistait une assemble, dans un lieu voisin du marais de la Chvre, pour procder au recensement de l'arme, survint tout coup un orage, accompagn d'clats de tonnerre, et le roi, envelopp d'une vapeur paisse, fut soustrait tous les regards. Depuis, il ne reparut plus sur la terre. (2) Quand l'effroi fut calm, quand l'obscurit profonde eut succd un jour tranquille et pur, le peuple romain, voyant la place de Romulus inoccupe, semblait peu loign de croire au tmoignage des snateurs, lesquels, demeurs prs du

  • roi, affirmaient que, pendant l'orage, il avait t enlev au ciel. Cependant, comme si l'ide d'tre jamais priv de son roi l'et frapp de terreur, il resta quelque temps dans un morne silence. (3) Enfin, entrans par l'exemple de quelques-uns, tous, par acclamations unanimes, saluent Romulus, dieu, fils de dieu, roi et pre de la ville romaine. Ils lui demandent; ils le conjurent de jeter toujours un regard propice sur sa postrit. (4) Je suppose qu'il ne manqua pas alors de gens qui accusrent tout bas les snateurs d'avoir dchir Romulus de leurs propres mains; le bruit mme s'en rpandit, mais n'acquit jamais beaucoup de consistance. Cependant l'admiration qu'il inspirait, et la terreur du moment, ont consacr le merveilleux de la premire tradition. (5) On ajoute que la rvlation d'un citoyen vint fortifier encore cette croyance. Tandis que Rome inquite dplorait la mort de son roi, et laissait percer sa haine contre les snateurs, Proculus Julius, autorit grave, dit-on, mme propos d'un fait aussi extraordinaire, s'avana au milieu de l'assemble, et dit : (6) "Romains, le pre de cette ville, Romulus, descendu tout coup des cieux, m'est apparu ce matin au lever du jour. Frapp de terreur et de respect, je restais immobile, tchant d'obtenir de lui, par mes prires, qu'il me permt de contempler son visage : (7) "Va, dit-il, annoncer tes concitoyens que cette ville que j'ai fonde, ma Rome, sera la reine du monde; telle est la volont du ciel. Que les Romains se livrent donc tout entiers la science de la guerre; qu'ils sachent, et aprs eux leurs descendants, que nulle puissance humaine ne pourra rsister aux armes de Rome." ces mots, continua Proculus, il s'leva dans les airs. (8) Il est tonnant qu'on ait si facilement ajout foi un pareil discours, et aussi combien la certitude de l'immortalit de Romulus adoucit les regrets du peuple et de l'arme.

  • Bibliographie - Histoire Romaine

    4. Numa Pompilius ([I, 17] [I, 21])

    Le premier interrgne et l'avnement de Numa Pompilius [I, 17] (1) Cependant l'ambition du trne et les rivalits agitaient le snat. Nul, parmi ce peuple nouveau, n'ayant encore de supriorit constate, les prtentions ne s'levaient pas encore entre les citoyens; la question se dbattait entre les deux races de peuple. (2) Les Sabins d'origine, qui depuis la mort de Tatius n'avaient pas eu de roi de leur nation, et qui, dans cette socit fonde sur l'galit des droits, craignaient de perdre ceux qu'ils avaient l'empire, exigeaient que le roi ft lu dans le corps des Sabins. Les vieux Romains, de leur ct, repoussaient un roi tranger. (3) Cependant ce conflit de volont n'empchait pas les citoyens de vouloir unanimement le gouvernement monarchique. On ignorait encore les douceurs de la libert. (4) Mais cette ville sans gouvernement, cette arme sans chef, environnes d'une foule de petits tats toujours en fermentation, faisaient craindre aux snateurs l'attaque imprvue de quelque peuple tranger. On sentait le besoin d'un chef, mais personne ne pouvait se rsoudre cder. (5) Enfin, il fut convenu que les snateurs, au nombre de cent, seraient partags en dix dcuries, dont chacune devrait confrer l'un de ses membres l'exercice de l'autorit. La puissance tait collective : un seul en portait les insignes, et marchait prcd des licteurs. (6) La dure en tait de cinq jours pour chaque individu et tour de rle. La royaut resta ainsi suspendue pendant un an, et l'on donna cette vacance le nom d'interrgne, encore en usage aujourd'hui. (7) Le peuple, alors, se plaignit vivement de ce qu'on et aggrav sa servitude, et qu'au lieu d'un matre il en eut cent. Il paraissait dcid ne plus souffrir dsormais qu'un roi, et le choisir lui-mme. (8) Les snateurs conclurent de ces dispositions du peuple qu'ils devaient rsigner volontairement les pouvoirs qu'on allait leur arracher. (9) Mais, en abandonnant au peuple la toute-puissance, ils en retinrent effectivement plus qu'ils n'en accordaient; car ils subordonnrent l'lection du roi par le peuple la ratification du snat. Cette prrogative usurpe s'est perptue jusqu'ici dans le snat, pour la sanction des lois et les nominations aux emplois de la magistrature; mais ce n'est plus qu'une formalit vaine. Avant que le peuple aille aux voix, le snat ratifie la dcision des comices, quelle qu'elle soit. (10) Mais, cette poque, l'interroi convoqua l'assemble, et dit : "Romains, au nom de la gloire, du bien-tre et de la prosprit de Rome, nommez vous-mmes votre roi : tel est le voeu du snat. Nous ensuite, si vous donnez Romulus un successeur digne de lui, nous ratifierons votre choix." (11) Le peuple fut si flatt de cette condescendance, que, pour ne pas tre vaincu en gnrosit, il se contenta d'ordonner que l'lection serait dfre au snat. [I, 18] (1) Dans ce temps-l vivait Numa Pompilius, clbre par sa justice et par sa pit. Il demeurait Cures, chez les Sabins. C'tait un homme trs vers, pour son sicle, dans la connaissance de la morale divine et humaine. (2) C'est tort qu' dfaut d'autre on lui a donn pour matre Pythagore de Samos. Il est avr que ce fut sous le rgne de Servius Tullius, plus de cent ans aprs Numa, que Pythagore vint l'extrmit de l'Italie, dans le voisinage de Mtaponte, d'Hracle et de Crotone, tenir une cole de jeunes gens vous au culte de ses thories. (3) Et mme en admettant qu'il et t contemporain de Numa, de quels lieux et-il attir des hommes pris de l'amour de s'instruire ? par quelle voie le bruit de son nom tait-il arriv jusque chez les Sabins ? quelle langue l'aidait communiquer? et comment enfin un homme seul aurait-il pu pntrer travers tant de nations, aussi diffrentes de moeurs que de langage ? (4) Je pense plutt que Numa puisait en lui mme les principes de vertu qui rglaient son me, et que le complment de son ducation fut moins l'effet de ses tudes dans les coles philosophiques trangres, que de la discipline mle et rigoureuse des Sabins, la nation la plus austre de l'antiquit. (5) ce nom de Numa, et bien que l'lection d'un roi parmi les Sabins dt sembler constituer la

  • prpondrance de ce peuple, personne, parmi les snateurs romains, n'osa prfrer un tel homme, ni soi, ni tout autre de son parti, snateur ou citoyen, et tous, sans exception, dcernrent la couronne Numa Pompilius. (6) Mand Rome, il voulut, l'exemple de Romulus, qui n'avait jet les fondements de la ville et pris possession de la royaut qu'aprs avoir consult les augures, interroger les dieux sur son lection. Un augure, qui dut cet honneur de conserver perptuit ce sacerdoce public, conduisit Numa sur le mont Capitolin. L, il fit asseoir sur une pierre le nouveau roi, la face tourne au midi, (7) et lui-mme, ayant la tte voile, et dans la main un bton recourb, sans noeuds, appel 'lituus', prit place sa gauche. Alors, promenant ses regards sur la ville et la campagne, il adressa aux dieux ses prires; il traa en ide des limites imaginaires l'espace compris centre l'Orient et l'Occident, plaant la droite au midi et la gauche au nord; (8) puis, aussi loin que sa vue pouvait s'tendre, il dsigna, en face de lui, un point imaginaire. Enfin, prenant le 'lituus' dans la main gauche, et tendant la droite sur la tte de Numa, il pronona cette prire : (9) "Grand Jupiter, si la volont divine est que Numa, dont je touche la tte, rgne sur les Romains, apprends-nous cette volont par des signes non quivoques, dans l'espace que je viens de fixer." (10) Il dfinit ensuite la nature des auspices qu'il demandait, et lorsqu'ils se furent manifests, Numa, dclar roi, quitta le temple. Les ralisations de Numa [I, 19] (1) Dsormais matre du trne, Numa voulut que la ville naissante, fonde par la violence et par les armes, le ft de nouveau par la justice, par les lois et la saintet des moeurs : (2) et comme il lui semblait impossible, au milieu de guerres perptuelles, de faire accepter ce nouvel ordre de choses des esprits dont le mtier des armes avait nourri la frocit, il crut devoir commencer par adoucir cet instinct farouche, en le privant par degrs de son aliment habituel. Dans ce but, il leva le temple de Janus. Ce temple, construit au bas de l'Argilte, devint le symbole de la paix et de la guerre. Ouvert, il tait le signal qui appelait les citoyens aux armes; ferm, il annonait que la paix rgnait entre toutes les nations voisines. (3) Deux fois il a t ferm depuis le rgne de Numa, la premire, sous le consulat de Titus Manlius, la fin de la premire guerre punique; la seconde, sous Csar Auguste, lorsque, par un effet de la bont des dieux, nous vmes, aprs la bataille d'Actium, la paix acquise au monde, et sur terre et sur mer. (4) Quand donc Numa l'eut ferm, quand par des traits et par des alliances il eut consomm l'union entre Rome et les peuples circonvoisins, quand il eut dissip les inquitudes sur le retour probable de tout danger extrieur, il redouta l'influence pernicieuse de l'oisivet sur des hommes que la crainte de l'ennemi et les habitudes de la guerre avaient contenus jusqu'alors. Il pensa d'abord qu'il parviendrait plus aisment adoucir les moeurs grossires de cette multitude et dissiper son ignorance, en versant dans les mes le sentiment profond de la crainte des dieux. (5) Mais ce but ne pouvait tre atteint sans une intervention miraculeuse. Numa feignit donc d'avoir des entretiens nocturnes avec la desse grie. Il disait que, pour obir ses ordres, il instituait les crmonies religieuses les plus agrables aux dieux, et un sacerdoce particulier pour chacun d'eux. (6) Avant tout, il divisa l'anne suivant les cours de la lune, en douze mois; mais comme chaque rvolution lunaire n'est pas rgulirement de trente jours, et que par consquent l'anne solaire et t incomplte, il suppla cette lacune par l'interposition des mois intercalaires, et il les disposa de telle faon que tous les vingt-quatre ans, le soleil se retrouvant au mme point d'o il tait parti, chaque lacune annuelle tait rpare. (7) Il tablit aussi les jours fastes et les jours nfastes, car il pressentait dj l'utilit de suspendre parfois la vie politique. [I, 20] (1) Il songea ensuite crer des prtres, quoiqu'il remplt lui-mme la plupart des fonctions qu'exerce aujourd'hui le flamine de Jupiter. (2) Mais il prvoyait que cette cit belliqueuse compterait plus de princes semblables Romulus qu' Numa, de princes faisant la guerre et y marchant en personne; et, de peur que les fonctions de roi ne gnassent les fonctions de prtre, il cra un flamine, avec mission de ne jamais quitter les autels de Jupiter, le revtit d'insignes augustes, et lui donna la chaise curule pareille celle des rois. Il lui adjoignit deux autres flamines, l'un consacr Mars, l'autre Quirinus. (3) Il fonda ensuite le collge des Vestales, sacerdoce emprunt aux Albains, et qui n'tait point tranger la famille du fondateur de Rome. Il leur assigna un revenu sur l'tat, afin de les enchaner exclusivement et toujours aux ncessits de leur ministre : le voeu

  • de virginit et d'autres distinctions achevrent de leur imprimer un caractre vnrable et sacr. (4) Il institua aussi en l'honneur de Mars Gradivus douze prtres, sous le nom de saliens; il leur donna pour insignes la tunique brode, recouverte, sur la poitrine, d'une cuirasse d'airain; leurs fonctions taient de porter les boucliers sacrs qu'on nomme anciles, et de courir par la ville en chantant des vers et en excutant des danses et des mouvements de corps particulirement affects cette solennit. (5) Il nomma grand pontife Numa Marcius, fils de Marcus, snateur; il lui confia la surveillance de tout ce qui tenait la religion. Par des rglements consigns dans des registres spciaux, il lui confra la prrogative de diriger les crmonies religieuses, de dterminer la nature des victimes, quels jours et dans quels temples elles seraient immoles, quels fonds subviendraient toutes ces dpenses, (6) et enfin, la juridiction sur tous les sacrifices clbrs soit publiquement, soit dans l'intrieur des familles. Ainsi, le peuple savait o venir puiser des lumires, et la religion ne courait pas le risque d'tre offense par l'oubli des rites nationaux et l'introduction des rites trangers. (7) Le grand pontife ne rglait pas seulement les sacrifices aux dieux du ciel, mais encore les sacrifices aux dieux mnes, et les crmonies funraires, et il apprenait aussi distinguer, parmi les prodiges annoncs par la foudre et d'autres phnomnes, ceux qui demandaient une expiation. Pour obtenir des dieux la connaissance de ces secrets, Numa ddia, sur le mont Aventin, un autel Jupiter Elicius, et consulta le dieu par la voie des augures, sur les prodiges qui taient dignes d'attention. [I, 21] (1) Ces expiations, ces rapprochements intimes entre le peuple et les ministres de la religion, cette tendance nouvelle des esprits vers les exercices pieux, firent perdre cette multitude ses habitudes de violence et tomber ses armes; et la constante sollicitude des dieux, qui paraissaient intervenir dans la direction des destines humaines, pntra les coeurs d'une pit si vive, que la foi et la religion du serment, dfaut de la crainte des lois et des chtiments, eussent suffi pour contenir les citoyens de Rome. (2) Tous, d'ailleurs, rglaient leurs moeurs sur celles de Numa, leur unique exemple; aussi les peuples voisins, qui jusqu'alors avaient vu dans Rome, non pas une ville, mais un camp plant au milieu d'eux pour troubler la tranquillit gnrale, se sentirent peu peu saisis pour elle d'une telle vnration, qu'ils eussent considr comme un sacrilge la moindre hostilit contre une ville occupe tout entire au service des dieux. (3) Plus d'une fois, sans tmoins, et comme s'il se ft rendu une confrence avec la desse, Numa se retirait dans un bois, travers par une fontaine dont les eaux intarissables s'chappaient du fond d'une grotte obscure. Ce bois fut par lui consacr aux muses, parce qu'elles y tenaient conseil avec son pouse grie. (4) La Bonne Foi eut aussi un temple consacr elle seule. Numa voulut que les prtres de ce temple y allassent monts dans un char couvert, deux chevaux, et qu'ils eussent, pendant les crmonies, la main enveloppe jusqu'aux doigts; voulant dire que la bonne foi devait tre protge, et que la main en est le symbole et le sige. (5) Il institua beaucoup d'autres sacrifices, et les lieux destins leur clbration reurent des prtres le nom d'Arges. Mais la plus belle, la plus grande de ses oeuvres, fut d'avoir maintenu, pendant toute la dure de son rgne, la paix et la solidit de ses institutions. (6) Ainsi deux rois agrandirent successivement la cit romaine, l'un par la guerre, l'autre par la paix. Romulus avait rgn trente-sept ans, Numa quarante-trois. Rome alors tait puissante, et les arts dont elle tait redevable la fois la paix et la guerre, avaient perfectionn sa civilisation.

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    5. Tullus Hostilius ([I, 22] [I, 31])

    Avnement de Tullus Hostilius. La dclaration de guerre avec Albe [I, 22] (1) La mort de Numa ramena un interrgne. Mais le peuple lut roi Tullus Hostilius, petit-fils de cet Hostilius qui s'tait illustr contre les Sabins, dans le combat au pied de la citadelle. Le snat ratifia l'lection. (2) Ce prince, loin de ressembler son prdcesseur, tait d'une nature plus belliqueuse encore que Romulus. Sa jeunesse, sa vigueur et la gloire de son aeul, animaient son courage. Persuad qu'un tat s'nerve dans l'inaction, il cherchait de toutes parts des prtextes de guerre. (3) Le hasard voulut que des laboureurs des pays de Rome et d'Albe se livrassent les uns envers les autres des dprdations rciproques. (4) Albe alors tait gouverne par Caius Cluilius. Chaque parti envoya, presque dans le mme temps, des ambassadeurs pour demander rparation. Tullus avait ordonn aux siens d'exposer, avant tout, leur requte; il s'attendait un refus de la part des Albains, ce qui lui fournissait un lgitime sujet de guerre. (5) Les Albains mirent plus de lenteur dans la ngociation. Accueillis par Tullus, admis sa table, ils rivalisrent avec le prince de prvenance et de courtoisie. Dans cet intervalle, les dputs romains avaient prsent leurs rclamations, et sur le refus des Albains, ils leur avaient dclar la guerre pour le trentime jour. Tullus en est inform. (6) Il mande alors une confrence les dputs d'Albe, et les requiert d'expliquer le motif de leur voyage. Ceux-ci, ne sachant pas encore ce qui s'est pass, et afin de gagner du temps, allguent de vaines excuses : "C'est bien malgr eux qu'ils s'exposent dplaire Tullus; mais ils subissent la loi de leurs instructions. Ils viennent rclamer la restitution de ce qu'on leur a enlev, et, s'ils ne l'obtiennent, ils ont ordre de dclarer la guerre." (7) cela, Tullus rpond : "Annoncez donc votre roi que le roi des Romains atteste les dieux que celui des deux peuples qui le premier a ddaign de faire droit la requte des dputs doit tre responsable des consquences funestes de cette guerre." [I, 23] (1) Les Albains portent chez eux cette rponse. Des deux cts on se prpare avec ardeur la guerre. Ce conflit avait tout le caractre d'une guerre civile, car il mettait, pour ainsi dire, aux prises les pres et les enfants. Les deux peuples taient de sang troyen; Lavinium tirait son origine de Troie; Albe de Lavinium; et les Romains descendaient des rois d'Albe. (2) Cependant l'issue de la guerre rendit la querelle moins dplorable. On ne combattit point en bataille range; on dtruisit seulement les maisons de l'une des deux villes, et la fusion s'opra entre les deux peuples. (3) Les Albains envahirent les premiers, avec une arme formidable, le territoire de Rome. Leur camp n'en tait pas plus de cinq milles; ils l'avaient entour d'un foss, lequel fut, pendant quelques sicles, appel du nom de leur chef, 'le foss Cluilius', jusqu' ce que le temps et fait disparatre et la chose et le nom. (4) Cluilius, tant mort dans le camp, les Albains crent dictateur Mettius Fuftius. Mais le fougueux Tullus, dont l'audace s'tait accrue par la mort de Cluilius, s'en va publiant partout que la vengeance des dieux, aprs s'tre manifeste d'abord sur la personne du chef, menace de punir du crime de cette guerre impie quiconque porte le nom Albain. Puis, la faveur de la nuit, il tourne le camp ennemi, et envahit son tour le territoire d'Albe. (5) Ce coup de main fait sortir Mettius de ses retranchements. Il s'approche le plus possible de l'ennemi, et de l il envoie un missaire Tullus, avec ordre d'exposer au roi l'utilit d'une entrevue avant d'engager l'action; que s'il accorde cette entrevue, il a, lui Mettius, faire des propositions dont la teneur intresse Rome et Albe tout ensemble. (6) Tullus ne se refuse point l'entrevue, quoiqu'il en attende peu de fruit, et range son arme en bataille. Le mme mouvement s'excute parmi les Albains. Alors le gnral albain prend la parole : (7) "Des attaques injustes, dit-il, du butin enlev contre la foi des traits, rclam et non rendu, sont les causes de cette guerre. Ce sont celles du moins que j'ai entendu donner par notre roi Cluilius, celles que tu produiras sans doute aussi toi-mme, Tullus ! Mais, sans recourir des raisons spcieuses, et pour dclarer ici la vrit, je dis que l'ambition seule

  • arme l'un contre l'autre deux peuples voisins, deux peuples unis par les liens du sang. (8) Si nous faisons bien ou mal, c'est ce dont je ne dcide pas; ce soin regarde les auteurs de la querelle. Quant cette guerre, comme chef des Albains, je dois la soutenir. Je veux, Tullius. te soumettre un simple avis. Nous sommes environns, toi et les miens, par la nation trusque; le danger est grand pour tous, plus grand mme pour vous; et vous le savez d'autant mieux que vous tes plus voisins. Les trusques sont tout-puissants sur terre, et plus encore sur mer. (9) Souviens-toi qu'au moment o tu donneras le signal du combat, ce peuple, les yeux fixs sur les deux armes, attendra que nous soyons puiss et affaiblis pour attaquer la fois le vainqueur et le vaincu. Puis donc qu'au lieu de nous contenter d'une libert assure, nous courons les chances de la servitude, en convoitant la conqute d'une domination douteuse; au nom des dieux, trouvons un moyen qui, sans dommage srieux pour les deux peuples et sans effusion de sang, puisse dcider enfin lequel des deux doit commander l'autre." (10) Tullus, bien que l'esprance de la victoire le rendt plus intraitable, agra nanmoins cette proposition. Mais, tandis que les deux chefs cherchaient ce moyen, la fortune prit soin de le leur fournir. La conclusion du premier trait et le combat des Horaces et des Curiaces [I, 24] (1) Il y avait par hasard dans chacune des deux armes trois frres jumeaux, peu prs de mme force et de mme ge. C'taient les Horaces et les Curiaces. L'exactitude de leur nom est suffisamment constate, et les annales de l'antiquit offrent peu d'actions aussi illustres que la leur. Toutefois cette illustration mme n'a pas prvalu contre l'incertitude qui subsiste encore aujourd'hui, de savoir quelle nation les Horaces, laquelle les Curiaces appartenaient. Les auteurs varient l-dessus. J'en trouve cependant un plus grand nombre qui font les Horaces Romains; et j'incline vers cette opinion. (2) Chacun des deux rois charge donc ces trois frres de combattre pour la patrie. L o sera la victoire, l sera l'empire. Cette condition est accepte, et l'on convient du temps et du lieu du combat. (3) Pralablement, un trait conclu entre les Romains et les Albains porte cette clause principale, que celui des deux peuples qui resterait vainqueur exercerait sur le vaincu un empire doux et modr. Dans tous les traits, les conditions varient; la formule de tous est la mme. (4) Voici l'acte de cette espce le plus ancien qui nous ait t transmis. Le fcial, s'adressant Tullus lui dit : "Roi, m'ordonnes-tu de conclure un trait avec le pre patrat du peuple albain ?" Et sur la rponse affirmative, il ajouta : "Je te demande l'herbe sacre. -- Prends-la pure, rpliqua Tullus." (5) Alors le fcial apporta de la citadelle l'herbe pure, et s'adressant de nouveau Tullus : "Roi, dit-il, me nommes-tu l'interprte de ta volont royale et de celle du peuple romain des Quirites ? Agres-tu les vases sacrs, les hommes qui m'accompagnent ? -- Oui, rpondit le roi, sauf mon droit et celui du peuple romain." (6) Le fcial tait Marcus Valrius : il cra 'pre patrat' Spurius Fusius, en lui touchant la tte et les cheveux avec la verveine. Le pre patrat prta le serment et sanctionna le trait. Il employa, cet effet, une longue srie de formules consacres qu'il est inutile de rapporter ici. (7) Ces conditions lues, le fcial reprit : "coute, Jupiter, coute, pre patrat du peuple albain; coute aussi, peuple albain. Le peuple romain ne violera jamais le premier les conditions et les lois. Les conditions inscrites sur ces tablettes ou sur cette cire viennent de vous tre lues, depuis la premire jusqu' la dernire, sans ruse ni mensonge. Elles sont, ds aujourd'hui, bien entendues pour tous. Or, ce ne sera pas le peuple romain qui s'en cartera le premier. (8) S'il arrivait que, par une dlibration publique ou d'indignes subterfuges, il les enfreignit le premier, alors, grand Jupiter, frappe le peuple romain comme je vais frapper aujourd'hui ce porc; et frappe-le avec d'autant plus de rigueur que ta puissance et ta force sont plus grandes." (9) Il finit l son imprcation, puis frappa le porc avec un caillou. De leur ct, les Albains, par l'organe de leur dictateur et de leurs prtres, rptrent les mmes formules, et prononcrent le mme serment. [I, 25] (1) Le trait conclu, les trois frres, de chaque ct, prennent leurs armes, suivant les conventions. La voix de leurs concitoyens les anime. Les dieux de la patrie, la patrie elle-mme, tout ce qu'il y a de citoyens dans la ville et dans l'arme ont les yeux fixs tantt sur leurs armes, tantt sur leurs bras. Enflamms dj par leur propre courage, et enivrs du bruit de tant de voix qui les exhortaient, ils s'avancent entre les deux armes. (2) Celles-ci taient ranges devant leur camp, l'abri du pril,

  • mais non pas de la crainte. Car il s'agissait de l'empire, remis au courage et la fortune d'un si petit nombre de combattants. Tous ces esprits tendus et en suspens attendent avec anxit le commencement d'un spectacle si peu agrable voir. (3) Le signal est donn. Les six champions s'lancent comme une arme en bataille, les glaives en avant, portant dans leur coeur le courage de deux grandes nations. Tous, indiffrents leur propre danger, n'ont devant les yeux que le triomphe ou la servitude, et cet avenir de leur patrie, dont la fortune sera ce qu'ils l'auront faite. (4) Au premier choc de ces guerriers, au premier cliquetis de leurs armes, ds qu'on vit tinceler les pes, une horreur profonde saisit les spectateurs. De part et d'autre l'incertitude glace la voix et suspend le souffle. (5) Tout coup les combattants se mlent; dj ce n'est plus le mouvement des corps, ce n'est plus l'agitation des armes, ni les coups incertains, mais les blessures, mais le sang qui pouvantent les regards. Des trois Romains, deux tombent morts l'un sur l'autre; les trois Albains sont blesss. (6) la chute des deux Horaces, l'arme albaine pousse des cris de joie : les Romains, dj sans espoir, mais non sans inquitude, fixent des regards consterns sur le dernier Horace dj envelopp par les trois Curiaces. (7) Par un heureux hasard, il tait sans blessure. Trop faible contre ses trois ennemis runis, mais d'autant plus redoutable pour chacun d'eux en particulier, pour diviser leur attaque il prend la fuite, persuad qu'ils le suivront selon le degr d'ardeur que leur permettront leurs blessures. (8) Dj il s'tait loign quelque peu du lieu du combat, lorsque, tournant la tte, il voit en effet ses adversaires le poursuivre des distances trs ingales, et un seul le serrer d'assez prs. Il se retourne brusquement et fond sur lui avec furie. (9) L'arme albaine appelle les Curiaces au secours de leur frre; mais, dj vainqueur, Horace vole un second combat. Alors un cri, tel qu'en arrache une joie inespre, part du milieu de l'arme romaine; le guerrier s'anime ce cri, il prcipite le combat, (10) et, sans donner au troisime Curiace le temps d'approcher de lui, il achve le second. (11) Ils restaient deux seulement, gaux par les chances du combat, mais non par la confiance ni par les forces. L'un, sans blessure et fier d'une double victoire, marche avec assurance un troisime combat : l'autre, puis par sa blessure, puis par sa course, se tranant peine, et vaincu d'avance par la mort de ses frres, tend la gorge au glaive du vainqueur. Ce ne fut pas mme un combat. (12) Transport de joie, le Romain s'crie : "Je viens d'en immoler deux aux mnes de mes frres : celui-ci, c'est la cause de cette guerre, c'est afin que Rome commande aux Albains que je le sacrifie." Curiace soutenait peine ses armes. Horace lui plonge son pe dans la gorge, le renverse et le dpouille. (13) Les Romains accueillent le vainqueur et l'entourent en triomphe, d'autant plus joyeux qu'ils avaient t plus prs de craindre. Chacun des deux peuples s'occupe ensuite d'enterrer ses morts, mais avec des sentiments bien diffrents. L'un conqurait l'empire, l'autre passait sous la domination trangre. (14) On voit encore les tombeaux de ces guerriers la place o chacun d'eux est tomb; les deux Romains ensemble, et plus prs d'Albe; les trois Albains du ct de Rome, quelque distance les uns des autres, suivant qu'ils avaient combattu. [I, 26] (1) Mais, avant qu'on se spart, Mettius, aux termes du trait, demande Tullus ce qu'il ordonne : "Que tu tiennes la jeunesse albaine sous les armes, rpond Tullus; je l'emploierai coutre les Viens, si j'ai la guerre avec eux." Les deux armes se retirent ensuite. Horatia et le procs de perduellio [I, 26] (2) Horace, charg de son triple trophe, marchait la tte des Romains. Sa soeur, qui tait fiance l'un des Curiaces, se trouve sur son passage, prs de la porte Capne; elle a reconnu sur les paules de son frre la cotte d'armes de son amant, qu'elle-mme avait tisse de ses mains : alors, s'arrachant les cheveux, elle redemande son fianc et l'appelle d'une voix touffe par les sanglots. (3) Indign de voir les larmes d'une soeur insulter son triomphe et troubler la joie de Rome, Horace tire son pe, et en perce la jeune fille en l'accablant d'imprcations : (4) "Va, lui dit-il, avec ton fol amour, rejoindre ton fianc, toi qui oublies et tes frres morts, et celui qui te reste, et ta patrie. Prisse ainsi toute Romaine qui osera pleurer la mort d'un ennemi." (5) Cet assassinat rvolte le peuple et le snat. Mais l'clat de sa victoire semblait en diminuer l'horreur. Toutefois il est tran devant le roi, et accus. Le roi, craignant d'assumer sur sa tte la responsabilit d'un jugement, dont la rigueur soulverait la multitude; craignant plus encore de

  • provoquer le supplice qui suivrait le jugement, convoque l'assemble du peuple : "Je nomme, dit-il, conformment la loi, des duumvirs pour juger le crime d'Horace." (6) La loi tait d'une effrayante svrit : "Que les duumvirs jugent le crime, disait-elle; si l'on appelle du jugement, qu'on prononce sur l'appel. Si la sentence est confirme, qu'on voile la tte du coupable, qu'on le suspende l'arbre fatal, et qu'on le batte de verges dans l'enceinte ou hors de l'enceinte des murailles." (7) Les duumvirs, d'aprs cette formule de la loi, n'auraient pas cru pouvoir absoudre mme un innocent, aprs l'avoir condamn. "Publius Horatius, dit l'un d'eux, je dclare que tu as mrit la mort. Va, licteur, attache-lui les mains." (8) Le licteur s'approche; dj il passait la corde, lorsque, sur l'avis de Tullus, interprte clment de la loi, Horace s'crie : "J'en appelle." La cause fut alors dfre au peuple. (9) Tout le monde tait mu, surtout entendant le vieil Horace s'crier que la mort de sa fille tait juste; qu'autrement il aurait lui-mme, en vertu de l'autorit paternelle, svi tout le premier contre son fils, et il suppliait les Romains, qui l'avaient vu la veille pre d'une si belle famille, de ne pas le priver de tous ses enfants. (10) Puis, embrassant son fils et montrant au peuple les dpouilles des Curiaces, suspendues au lieu nomm encore aujourd'hui le Pilier d'Horace : "Romains, dit-il, celui que tout l'heure vous voyiez avec admiration marcher au milieu de vous, triomphant et par d'illustres dpouilles, le verrez-vous li un infme poteau, battu de verges et supplici ? Les Albains eux-mmes ne pourraient soutenir cet horrible spectacle ! (11) Va, licteur, attache ces mains qui viennent de nous donner l'empire : va, couvre d'un voile la tte du librateur de Rome; suspends-le l'arbre fatal; frappe-le, dans la ville si tu le veux, pourvu que ce soit devant ces trophes et ces dpouilles; hors de la ville, pourvu que ce soit parmi les tombeaux des Curiaces. Dans quel lieu pourrez-vous le conduire o les monuments de sa gloire ne s'lvent point contre l'horreur de son supplice ?" (12) Les citoyens, vaincus et par les larmes du pre, et par l'intrpidit du fils, galement insensible tous les prils, prononcrent l'absolution du coupable, et cette grce leur fut arrache plutt par l'admiration qu'inspirait son courage, que par la bont de sa cause. Cependant, pour qu'un crime aussi clatant ne restt pas sans expiation, on obligea le pre racheter son fils, en payant une amende. (13) Aprs quelques sacrifices expiatoires, dont la famille des Horaces conserva depuis la tradition, le vieillard plaa en travers de la rue un poteau, espce de joug sous lequel il fit passer son fils, la tte voile. Ce poteau, conserv et entretenu perptuit par les soins de la rpublique, existe encore aujourd'hui. On l'appelle le Poteau de la Soeur. On leva un tombeau en pierre de taille, l'endroit o celle-ci reut le coup mortel. La guerre contre Vies et la trahison de Mettius Fuftius [I, 27] (1) La paix avec les Albains ne fut pas de longue dure. Le dictateur n'eut pas assez de fermet pour rsister la haine du peuple, qui lui reprochait d'avoir abandonn le sort de l'tat trois guerriers; l'vnement ayant tromp ses bonnes intentions, il eut recours la perfidie pour recouvrer la faveur populaire. (2) De mme qu'il avait cherch la paix dans la guerre, de mme il chercha la guerre dans la paix. Mais, trouvant dans les siens plus de courage que de force, il fait un appel aux autres peuples; il les pousse dclarer la guerre Rome, la lui faire ouvertement. Il se rserve, lui et aux siens, la facult de trahir, tout en conservant les apparences d'une union sincre. (3) Les Fidnates, colonie romaine, associent les Viens au complot; et, encourags par les assurances de Mettius, qui promettait de se joindre eux, ils prennent les armes, et se prparent la guerre. (4) Quand la rvolte a clat, Tullus donne ordre Mettius de venir avec ses troupes, marche ensuite aux ennemis, traverse l'Anio, et vient camper au confluent de cette rivire et du Tibre. Les Viens avaient pass le Tibre entre ce point et la ville de Fidnes. (5) Leurs lignes formaient l'aile droite, et se dployaient sur les bords du fleuve; l'aile gauche taient les Fidnates, plus rapprochs des montagnes. Tullus conduit ses soldats contre les Viens, et oppose les Albains au corps d'arme des Fidnates. Mettius n'tait pas plus brave que fidle; aussi, n'osant ni garder le poste qui lui est confi, ni passer ouvertement l'ennemi, il se rapproche insensiblement des montagnes. (6) Lorsqu'il se croit assez loin des Romains, il commande halte sa troupe; puis, ne sachant plus que faire, il dploie ses colonnes, pour gagner du temps. Son dessein tait de porter ses forces du ct o tournerait la fortune. (7) Les Romains, qui gardent leur position, s'tonnent d'abord d'un mouvement qui laisse leur flanc dcouvert; mais bientt un cavalier accourt toute bride informer Tullus que les Albains se

  • retirent en effet. Tullus, pouvant, fait voeu de consacrer Mars douze prtres saliens, et de btir un temple la 'Pleur' et la 'Peur'. (8) Il ordonne ensuite au cavalier d'une voix menaante, et assez haute pour tre entendue de l'ennemi, de retourner au combat, et de ne point s'alarmer; ajoutant que le mouvement des Albains s'excute d'aprs son ordre, pour prendre dos les Fidnates. Il lui commande en mme temps d'enjoindre aux cavaliers de tenir les lances hautes. (9) Cette manoeuvre habile drobait la plus grande partie de l'infanterie romaine la vue de la retraite des Albains. Quant ceux qui avaient aperu cette retraite, tromps par les paroles du roi, qu'ils croyaient sincres, ils en combattent avec plus d'ardeur. La terreur gagne les Fidnates. Ils avaient entendu aussi la rponse du roi, et l'avaient comprise; car, la plupart d'entre eux, ayant t dtachs de Rome pour fonder la colonie, savaient la langue latine. (10) Craignant que les Albains, descendus brusquement des hauteurs, ne leur coupent le chemin de la ville, ils lchent pied et tournent le dos. Tullus les presse, met en droute le corps des Fidnates, et revient avec plus d'audace contre les Viens, tourdis dj de la dfaite de leurs allis. Les Viens ne peuvent soutenir le choc; ils se dbandent et prennent la fuite. Mais le fleuve, qui coule sur leurs derrires, les arrte. (11) Arrivs sur ses bords, les uns jettent lchement leurs armes et s'lancent au hasard dans les flots, les autres, hsitant entre la fuite et le combat, sont gorgs au milieu de leurs irrsolutions. Dans aucune bataille les Romains n'avaient encore vers tant de sang ennemi. L'cartlement de Mettius Fuftius [I, 28] (1) Alors, l'arme albaine, qui tait demeure spectatrice du combat, descend dans la plaine. Mettius flicite Tullus de sa victoire, et Tullus le remercie avec bont. Pour assurer les heureux effets de cette journe, Tullus ordonne aux Albains de runir leur camp celui des Romains, et prpare, pour le lendemain, un sacrifice lustral. (2) Ds qu'il fait jour, et que tout est prt, il convoque, suivant la coutume, les deux armes une assemble gnrale. les hrauts, commenant l'appel par les derniers rangs, font avancer les Albains les premiers. Ceux-ci, curieux de voir ce qui allait se passer, et d'entendre la harangue du roi des Romains, se tiennent tout prs de sa personne. (3) La lgion romaine, aux ordres de Tullus, se range, tout arme, autour des Albains. Les centurions avaient ordre d'excuter avec promptitude tout ce qui leur serait command. (4) Tullus, alors, commence en ces termes: "Romains, si jamais, dans aucune guerre, vous avez d rendre grces d'abord aux dieux immortels, et ensuite votre courage, ce fut dans le combat d'hier. En effet, vous avez eu vous dfendre, non seulement contre les armes de vos ennemis, mais, chose bien plus dangereuse, contre la trahison et la perfidie de vos allis; (5) car, afin que vous ne demeuriez pas plus longtemps dans l'erreur, sachez que je n'avais point ordonn aux Albains de gagner les montagnes. Il est vrai que je feignis d'avoir donn cet ordre; mais c'tait par prudence, et pour ne pas vous dcourager, en vous dvoilant la dsertion de Mettius; c'tait encore pour effrayer les ennemis et les mettre en dsordre, en leur faisant croire qu'ils allaient tre envelopps. (6) Je n'accuse pas tous les Albains; ils ont suivi leur chef, comme vous m'auriez suivi moi-mme si j'avais voulu changer mes dispositions. Mettius seul a dirig le mouvement; Mettius, le machinateur de cette guerre, Mettius, le violateur du trait jur par les deux nations. Mais je veux dsormais qu'on imite son exemple, si je ne donne pas aujourd'hui, en sa personne, une clatante leon aux mortels." (7) Alors les centurions arms entourent Mettius. Tullus continue : "Pour le bonheur, la gloire, la prosprit du peuple romain, et de vous aussi, peuple d'Albe, j'ai rsolu de transporter Rome tous les habitants d'Albe, de donner le droit de cit au peuple, et aux grands le droit de siger au snat; de ne faire, en un mot, qu'une seule ville, un seul tat. Albe s'tait jadis partage en deux peuples. Eh bien ! qu'elle se runisse maintenant en un seul." (8) ces mots, les Albains, sans armes, au milieu de cette troupe arme, sont agits par des sentiments divers; mais, contenus par la terreur, ils gardent le silence. (9) Tullus reprend : "Mettius Fuftius, si tu pouvais encore apprendre garder la foi des traits, je te laisserais vivre, pour recevoir de moi cette leon; mais la perfidie est un mal incurable; que ton supplice enseigne donc aux hommes croire la saintet des lois que tu as violes. De mme que tu as partag ton coeur entre Rome et Fidnes, de mme ton corps sera partag, et ses lambeaux disperss." (10) On fait approcher ensuite deux chars, attels de quatre chevaux, et Tullus y fait lier Mettius. Les chevaux, lancs en sens contraire, entranent chacun, avec l'un des chars, les membres dchirs et sanglants de

  • Mettius. (11) Tous les regards se dtournent de cet horrible spectacle. C'tait le premier, et ce fut le dernier exemple, parmi les Romains, d'un supplice o les lois humaines aient t mconnues. C'est mme un de leurs titres de gloire d'avoir prfr toujours les chtiments plus doux. La destruction d'Albe et ses incidences sur Rome [I, 29] (1) Cependant on avait dj dtach la cavalerie, pour transporter Rome tous les habitants d'Albe. On y conduisit ensuite les lgions pour dtruire la ville. (2) leur entre, elles ne virent point ce tumulte ni cette terreur qui trouble d'ordinaire les villes conquises, lorsque les portes ont t brises, les murs renverss par le blier, et la citadelle emporte d'assaut; lorsque l'ennemi pousse des cris de mort, court et se rpand dans les rues, et porte partout le fer et la flamme; (3) une tristesse morne et silencieuse serrait tous les coeurs. On ne savait que laisser, que prendre; la crainte leur avait t le conseil. On s'interrogeait les uns les autres : ceux-ci restaient immobiles sur le seuil de leurs portes; ceux-l erraient l'aventure, au sein mme de leurs maisons, pour les revoir une dernire fois. (4) Mais quand la voix menaante des cavaliers leur enjoignit de sortir; quand le fracas des maisons abattues se fit entendre de toutes les extrmits de la ville; que la poussire, souleve de toutes parts et du milieu des ruines, enveloppa l'espace d'un nuage pais, chacun emporta prcipitamment ce qu'il put, et s'loigna, abandonnant ses lares, ses pnales, le toit sous lequel il tait n, sous lequel il avait grandi. (5) De longues files d'migrants remplissaient les rues. Le spectacle de leurs misres communes renouvelait leurs larmes; on entendait aussi des cris lamentables, ceux des femmes, surtout, lorsqu'elles voyaient, en passant, les temples des dieux investis de soldats, et les dieux eux-mmes qu'elles laissaient, pour ainsi dire, en captivit. (6) Ds que les Albains furent sortis, les difices publics, les maisons prives, furent indistinctement rass. Albe existait depuis quatre cents ans : une heure suffit sa dvastation et sa ruine. On pargna pourtant les temples des dieux; Tullus l'avait ainsi ordonn. [I, 30] (1) Cependant Rome s'augmentait des dbris de sa rivale, et doublait le nombre de ses habitants. Le mont Clius est ajout la ville; et, pour y attirer la population, Tullus y btit son palais et y fixe sa demeure. (2) Il veut aussi que le snat ait sa part dans l'agrandissement de l'tat, et il ouvre les portes de ce conseil auguste aux Tullius, aux Servilius, aux Quinctius, aux Geganius, aux Curiatius et aux Cloelius. Pour les membres du snat, devenus ainsi plus nombreux, Tullus fait construire un difice qu'il destine leurs assembles, et qu'on appelle encore aujourd'hui le palais Hostilius. (3) Enfin, pour que l'adjonction du nouveau peuple ft profitable en quelque chose tous les ordres de l'tat, il cre dix compagnies de chevaliers, choisis tous parmi les Albains. Il complte ainsi ses anciennes lgions, et il en forme de nouvelles, tires du sein de cette mme population. Guerre contre les Sabins [I, 30] (4) Alors, plein de confiance dans ses forces, il dclare la guerre aux Sabins, la nation la plus considrable cette poque, et la plus belliqueuse, aprs les trusques. Les deux peuples se plaignaient rciproquement de quelques injures, dont on avait inutilement demand la rparation de part et d'autre. (5) Tullus allguait que, prs du temple de Fronie, des marchands romains avaient t arrts en plein march; les Sabins, qu'on avait retenu quelques-uns de leurs concitoyens prisonniers Rome, quoiqu'ils se fussent rfugis dans le bois sacr. C'taient l les prtextes de la guerre. (6) Les Sabins, qui n'avaient pas oubli que Tatius avait transport Rome une partie de leurs forces, et que la puissance romaine venait encore de s'accrotre par la runion des Albains, cherchrent autour d'eux des secours trangers. (7) Voisins de l'trurie, ils confinaient au territoire des Viens, lesquels, domins encore par le ressentiment d'anciennes dfaites, n'taient que trop ports une rupture. Toutefois les Sabins n'en purent tirer que quelques volontaires; l'argent leur amena aussi quelques aventuriers de la dernire classe du peuple. La cit elle-mme ne leur fournit aucun secours, et (chose moins surprenante de la part de tout autre peuple), le respect pour la trve conclue avec Romulus arrta les Viens. (8) On faisait donc de part et d'autre les plus grands prparatifs Mais, comme le succs pouvait dpendre beaucoup de la promptitude avec laquelle on prviendrait l'ennemi, Tullus entre le premier sur le territoire des Sabins. (9) Un combat sanglant eut lieu prs de la fort Malitiosa. L'excellence

  • de leur infanterie, et surtout l'augmentation rcente de leur cavalerie, y servirent puissamment les Romains. (10) La cavalerie, par une charge soudaine, mit les Sabins en dsordre; ils ne purent ni soutenir le choc, ni se rallier, ni s'ouvrir un chemin pour fuir; on en fit un grand carnage. La mort de Tullus Hostilius [I, 31] (1) Rome gotait dj les fruits de cette victoire si glorieuse pour le rgne de Tullus, et pour elle si fconde, lorsqu'on annona au roi et aux snateurs qu'une pluie de pierres tait tombe sur le mont Albain. (2) Comme on avait peine croire ce prodige, on envoya sur les lieux pour s'en assurer. Ceux qui furent chargs de c