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D/ L’extraordinaire, l’invraisemblable et l’incongru Claude Lalanne, « Le chou de Milan » (bronze), 2016 Londres, Regent’s Park (exposition temporaire « Frieze Sculpture Park 2016 »/Galerie Ben Brown Fine Arts) Photographié le 20 octobre 2016, © Bruno Rigolt Mots clés : extraordinaire, bizarre, farfelu, biscornu, excentrique, baroque, absurde, étrange, invraisemblable, incroyable, extravagant, fantasmagorique, choquant, déplacé, dissonant, impertinent, inadéquat, inconvenant, incorrect, indécent, inopportun, insolent, irrévérencieux, malséant, messéant, monstrueux, répugnant, saugrenu…

Web viewCette mystérieuse formule magique qui nous faisait frissonner de peur et de plaisir quand nous étions petits, a laissé un adjectif populaire qui désigne

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D/ Lextraordinaire, linvraisemblable et lincongru

Claude Lalanne, Le chou de Milan (bronze), 2016

Londres, Regents Park (exposition temporaire Frieze Sculpture Park 2016 /Galerie Ben Brown Fine Arts)Photographi le20 octobre 2016, Bruno Rigolt

Mots cls : extraordinaire, bizarre, farfelu, biscornu, excentrique, baroque, absurde, trange, invraisemblable, incroyable, extravagant, fantasmagorique, choquant, dplac, dissonant, impertinent, inadquat, inconvenant, incorrect, indcent, inopportun, insolent, irrvrencieux, malsant, messant, monstrueux, rpugnant, saugrenu

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AbracadabraCette mystrieuse formule magiquequi nous faisait frissonner de peur et de plaisir quand nous tions petits, a laiss un adjectif populaire qui dsigne prcisment une chose extraordinaire, autant incohrente, invraisemblable quincroyable : abracadabrant *. Le CNTRL dfinitainsi le terme :trange et compliqu, jusqu lincohrence ou au dlire ; totalement incomprhensible . Par ses connotations de bizarrerie et de fantaisie, ladjectif abracadabrant introduit ainsi le pouvoir de la fiction dans la ralit.

|*| Arthur Rimbaud, dans Le cur supplici (1871), a mme cr le terme abracadabrantesque ( flots abracadabrantesques, / Prenez moncur ), mais avec des connotations particulirement sombres et tourmentes comme le suggre le titre du pome.

Endrglant les normes qui rgissent le pensable et limpensable, lartiste nefait-il pas croire lincroyable, concevoir linconcevable,chapper au quotidien et la norme par le seul pouvoir de limagination cratrice ? Comme nous le verrons un peu plus loin, cest surtout partir du XIXe sicleavec leromantisme, que la priorit du surnaturel sur le rel, le merveilleux, la fantaisie et lexcentricit sontdevenus deslmentsartistiques part entire qui se sontaffichs comme descomposantes esthtiques essentielles dans le champ culturel.

Contre la prtention lobjectivit scientifique, lextraordinaire postule donc le dcalage, lcart, lextravagance, lexcentricit, le farfelu, la folie ou lexcs. Lexcentrique est ainsi une personnalit singulire, bizarre, irrationnelle ouincongrue.

Lunivers totalement surralistede lartiste amricaine Nancy Fouts

Si le terme prend frquemment, dansle senscommun, une coloration quelque peu ngative lexcentrique serait une sorte de fou dont lexhibitionnisme forc conduirait un non-sens social et moral lextraordinaire, parce quil est en opposition un certain formalisme et aux habitudes reues, est du domaine de loriginal, de lextravagant. Ilexplore ainsi des univers oniriques, insolites voire cauchemardesques.

Dcouvrez dautres crations de Nancy Fouts sur son site.

FARFELU, UE, adj.(CNRTL)

A. [Appliqu une pers.] Dont le comportement ou la conduite surprend par le ct bizarre, inattendu, saugrenu.Synon. fantasque, hurluberlu, loufoque (fam.).Une sorte de savant farfelu et irresponsable (Nouvel Observateur, 24 janv. 68 ds Gilb.1971, p. 201).

Emploi subst. Personne trs originale, fantaisiste. Le commissaire dit que ce farfelu passait le plus clair de son temps au fond de la brousse (Gary, Les Racines du ciel,1956,ds Gilb. 1971 p. 202).

B. [Appliqu une action, une ide, une ralisation de lhomme] Qui est dict par un got de la bizarrerie, de lirrationnel. Synon. saugrenu, trange.Lchec dun projet farfelu (Arnoux, Double chance,1958, p. 214).

Pj. Absurde, stupide. Ses jugements sont dun arbitraire farfelu; il condamne lnide, mais accepte lesGorgiques (Marrou, Connaiss. hist.,1954, p. 138).

Par dfinition, la socit cest limitation. Lexcentricit au contraire suppose une singularisation, elleclbre lerrance, la priphrie ; elle cherche lallgorie autant que la raret, lebaroque et le got du merveilleux Elle est ce qui est inattendu, inhabituel, incongru, excentrique.Le non-conformisme pendant la Renaissance a ainsi favoris la subversion la plus vive, et un profond dcentrement des codes culturels, au point que lon peut parler dune vritable contre-culture, dnonce alors comme une imposture._

Parodie, burlesque et satire des institutions chez Rabelais

Il nous faut ici parler des crits rabelaisiens (voyez aussi le cours 1-A )Servis par une langue protiforme et par un trs grand art du portrait satirique, ils sont un mlange de sagesse, de bien-fond, de gravit ; mais aussi de bouffonnerie, dexcentricit et de drision, comme en tmoigne le dernier ouvrage de Rabelais,Le Quart livre(1548-1552), parodie dsopilante des chroniques chevaleresques et historiques du XVIe sicle. Je vous laisse dcouvrir le fameux pisode de la guerre contre les andouilles :

Franois Rabelais

La guerre contre les andouilles

Quand ces Andouilles approchrent et que Pantagruel aperut comment elles dployaient leurs bras et commenaient dj se prparer attaquer, celui-ci envoya Gymnaste entendre ce quelles voulaient dire et savoir pourquoi elles voulaient sans hsitation guerroyer contre leurs vieux amis, qui navaient rien dit ni fait de mal. Gymnaste fit une grande et profonde rvrence en arrivant devant les premires ranges, et il scria aussi fort quil le pouvait pour dire : Nous, nous, nous sommes tous vos vos vos amis, et votre servi vi vice. Nous sommes des amis de Mard Mard Mardigras, votre vnrable dirigeant . Je me suis laiss dire depuis, par plusieurs tmoins, quil dit alors Gradimars au lieu de Mardigras. Quoi quil en soit, ce mot un gros Cervelas sauvage et dodu qui conduisait la premire ligne de leur bataillon fit le geste de vouloir le saisir la gorge. Par Dieu (dit Gymnaste) tu ny entreras que si je te coupe en tranches : car tu es fichtrement trop gras pour y entrer en un seul morceau . Alors il tire son pe Baise-mon-cul (cest comme cela quil lappelait) deux mains, et tranche le Cervelas en deux morceaux. Crdieu quil tait gras ! Il me rappelle le gros taureau de Berne qui a t tu Marignan lors de la dfaite des Suisses. Croyez moi, il navait pas loin de quatre doigts de lard sur le ventre.

Aprs quil a tu ce Cervelas cervel, les Andouilles attaquent Gymnaste et le terrassent mchamment, mais Pantagruel et ses hommes courent son secours. Alors commence le combat martial ple-mle. Raflandouille rafle les Andouilles, Tailleboudin taille les Boudins, Pantagruel brise les Andouilles aux genoux. Frre Jean se tient silencieux, cach dans sa Truie de Troie (do il peut tout voir), quand les Godiveaux qui taient en embuscade sattaquent Pantagruel en poussant de grands cris. En voyant ce dsarroi et ce tumulte, Frre Jean ouvre les portes de sa Truie, et sort avec ses fidles soldats, les uns portant des broches de fer, les autres tenant landiers, couvercles, poles et pelles, cocottes, grills, faitouts, tenailles, balais, pinces, marmites, mortiers, pilons, tous en ordre comme des brleurs de maison, hurlant et criant tous ensemble pouvantablement. Nabuzardan ! Nabuzardan ! Nabuzardan ! Par de tels cris dmeute, ils choquent les Godiveaux, et traversent les Saucissons. Les Andouilles saperoivent soudain de larrive de renforts, et prennent leurs jambes leur cou, comme si elles avaient vu tous les Diables. Elles tombent comme des mouches sous les coups de bedaine de Frre Jean. Ses soldats ne font pas de quartier. Cela faisait piti voir. Le camp tait tout couvert dAndouilles mortes ou blesses. Et le conte dit que, si Dieu ny avait pas veill, toute la gnration Andouillique aurait t extermine par ces soldats de cuisine. Mais il se produisit alors un vnement merveilleux, dont vous croirez ce que vous voudrez. Du ct de la Tramontane, un grand, gras, gros, gris pourceau arriva en volant, avec des ailes longues et amples comme celles dun moulin vent. Il portait des plumes dun rouge cramoisi, comme celles dun flamant rose. Il avait des yeux rouges et brillants comme ceux dun rubis, des oreilles vertes comme une meraude, les dents jaunes comme un topaze, la queue longue et noire comme du marbre, les pieds blancs et diaphanes comme des diamants, et ils taient palms comme ceux des oies. Il portait un collier dor autour du cou sur lequel figuraient des lettres grecques, dont je ne pus lire que deux mots, YS ATHINAN. Ce cochon en apprend Minerve !

Il faisait beau et clair. Mais larrive de ce monstre, il y eut vers louest un coup de tonnerre si fort que nous en sommes rests tous tonns. Les Andouilles qui laperurent jetrent tout coup leurs btons et leurs armes terre, elles se mirent toutes genoux, en levant bien haut leurs mains jointes sans dire un mot, comme si elles ladoraient. Frre Jean avec ses hommes frappait toujours et embrochait les Andouilles. Mais sur un ordre de Pantagruel, on sonna la retraite et tous les combats cessrent. Le monstre ayant vol et revol plusieurs fois au-dessus des deux armes arrosa la terre de plus de vingt-sept tonneaux de moutarde, puis il disparut en volant, et en criant sans cesse Mardigras, Mardigras, Mardigras .

Franois Rabelais Quart livre, Chapitre 41 La guerre contre les Andouilles 1548-1552

Dans ce rcit droutant qui met mal la culture savante autant que ldifice officiel, larhabilitation du bas corporel, la parodie, la folie, la bizarrerie, le dcalage incongru deviennent source denseignement, ainsi que lavait bien montr en 1970 le clbre critique russe Mikhal Bakhtine pour qui le rire a une profonde valeur de conception du monde, cest une des formes capitales par lesquelles sexprime la vrit sur le monde dans son ensemble, sur lhistoire, sur lhomme ; cest un point de vue particulier et universel sur le monde, qui peroit ce dernier diffremment, mais de manire non moins importante (sinon plus) que le srieux .

1. Mikhal Bakhtine, Luvre de Franois Rabelais et la culture populaire au Moyen-ge et sous la Renaissance, Paris Gallimard1970 pour la traduction franaise.

Nous pourrions voquer aussiNasr Eddin Hodja, oulma mythique des contes folkloriques turcs, sorte de fou sage et faux-naf prodiguant des enseignements tantt absurdes tantt