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A la Recherche de l’Arbitraire. Du Droit a laSemiotique et Retour
Stefan Goltzberg
Published online: 29 June 2012
� Springer Science+Business Media B.V. 2012
Abstract La notion d’arbitraire s’est imposee en theorie du droit—ou il est question
des moyens d’eviter l’arbitraire du juge ou du souverain—et en semiotique, ou la these
de l’arbitraire du signe est associee a Saussure, un des peres de la ‘‘semiologie’’.
Pourtant, aucune definition positive n’existe de l’arbitraire, ou du moins aucune ne
s’est encore valablement imposee. Le present article se propose de trouver les raisons
pour lesquelles un concept si present dans la theorie patit d’un tel manquement.
Keywords Argumentation � Theorie du droit � Semiotique � Semiologie �Linguistique � Philosophie du langage
La notion d’arbitraire1 s’est imposee en theorie du droit2—ou il est question des
moyens d’eviter l’arbitraire du juge ou du souverain—et en semiotique, ou la these
de l’arbitraire du signe est associee a Saussure [1, 24, 17], un des peres de la
‘‘semiologie’’.3 Il est necessaire de justifier le choix de l’approche. Ce n’est pas
seulement a la nature de l’arbitraire que sont consacrees les pages suivantes, mais
egalement a la description de l’usage qui est fait du mot ‘‘arbitraire’’. Cette approche
S. Goltzberg (&)
Centre Perelman de philosophie du droit, Universite Libre de Bruxelles (ULB), Bruxelles, Belgium
e-mail: [email protected]
1 Je remercie pour leur relecture attentive Noemie Benchimol, Hugo Hardy, Jean-Yves Pranchere,
Yohann-Samuel Rimokh, ainsi que les evaluateurs anonymes.2 Il est indispensable de distinguer le droit comme ensemble de regles et de pratiques et la theorie du
droit, qui est une theorie de ces regles et pratiques. Dans le cadre de cet article, nous nous interesserons a
la theorie du droit uniquement, meme dans les cas ou nous utilisons le mot ‘‘droit’’ tout court.3 Peu importe pour notre propos que Saussure designait par semiologie ce que nous appelons par le terme
de semiotique. L’opposition ne sert qu’a classer les courants: on parle en effet typiquement de
‘‘semiotique’’ americaine et de ‘‘semiologie’’ francaise.
123
Int J Semiot Law (2013) 26:543–554
DOI 10.1007/s11196-012-9272-y
partiellement metalinguistique autorise a rapprocher des theories—du droit et
semiotique—qui ne semblent pas d’emblee avoir en commun sur ce theme autre
chose que l’usage d’un mot. En effet, loin de reposer sur un rapprochement
superficiel, notre choix porte sur le fait que le mot ‘‘arbitraire’’ fonctionne de
maniere analogue dans ces deux domaines. En l’occurrence, aucune definition
positive n’existe de l’arbitraire, ou du moins aucune ne s’est encore valablement
imposee. Le present article se propose de trouver les raisons pour lesquelles un
concept si present dans ces theories patit d’un tel manquement.
Le plan de cet article est le suivant. Il s’agit de se demander: qu’est-ce que
l’arbitraire d’une maniere generale? Ensuite, cette notion est analysee en
semiotique, puis en theorie du droit. Comme explique plus haut, la raison d’etre
de ce rapprochement tient dans l’usage que font les theoriciens d’un terme-cle non
defini: le terme ‘‘arbitraire’’. Notre approche est donc bel et bien attentive au
moins autant au mot qu’a la chose decrite. En semiotique, c’est la question de
l’arbitraire du signe qui est retenue et donc du lien entre signifie et signifiant. La
these de l’arbitraire du signe a fait l’objet de critiques dont la pertinence ebranle
ce qui pourrait autrement devenir un dogme non questionne. Apres la semiotique,
c’est le monde du droit—et plus generalement de l’etude de la prise de decision—
qui est etudie. Ici, l’arbitraire caracterise certaines decisions de justice ne
satisfaisant pas a des criteres precis. En revanche, ce qui est moins precis, c’est, a
nouveau, la realite que recouvre le terme ‘‘arbitraire’’. Ces deux disciplines—la
semiotique et le droit—sont alors comparees dans leur traitement theorique de
l’arbitraire. Le probleme lie a l’absence de definition de l’arbitraire recoit une
reponse—a la faveur d’une nouvelle analyse semantique du terme ‘‘arbitraire’’. Le
probleme de l’introuvable definition de l’arbitraire est alors generalise a d’autres
notions.
1 Qu’est-ce que l’arbitraire?
Si l’on ne sait pas au juste ce qu’est l’arbitraire, il est remarquable que l’on sache
exactement ce qu’il n’est pas: tant en theorie du droit qu’en semiotique, l’arbitraire
est defini negativement, en l’occurrence le plus souvent comme l’oppose de la
motivation. Une comparaison de ces deux disciplines permettra de preciser le
fonctionnement de notre notion.
2 L’arbitraire du Signe
Depuis au moins le Cratyle de Platon, la question philosophique s’est posee de
savoir si les mots de la langue ressemblaient ou non a la realite qu’ils designaient
[12]. Le cratylisme pose que les mots sont motives, alors que Saussure est le garant
de l’arbitraire du signe [25]. Pourtant, cette opposition, entre le mot et la chose chez
Platon et entre le signifie et le signifiant chez Saussure, n’est pas du tout symetrique.
Il est en effet tres different de parler du rapport entre les mots et le monde et entre
les mots et les notions qu’ils vehiculent. Dans le triangle semiotique, on distingue le
544 S. Goltzberg
123
signifiant (l’image phonique du mot), le signifie (la notion) et le referent (l’objet que
designe le mot). La semiotique, et plus particulierement la linguistique saussuri-
enne, est batie sur l’etude du signe linguistique dans une relation binaire signifie/
signifiant. [3]. Il faut rappeler que Saussure a exclu le monde de son etude du signe.
C’est de ce dernier seul que s’occupe la semiotique saussurienne. L’arbitraire du
signe designe le rapport entre le signifie (la notion) et le signifiant (l’image
phonique) et ne porte pas du tout sur le lien qui existerait entre le signifiant et le
referent. Saussure oppose le signe linguistique au symbole, dans lequel il resterait
une part de motivation. Par ailleurs, il existe un phenomene linguistique qui semble
contredire l’arbitraire du signe: l’onomatopee [5]. Celle-ci est un mot qui imite, qui
ressemble en quelque sorte, a un phenomene acoustique. ‘‘Plouf’’ est l’onomatopee
qui designe l’evenement parfois tragique d’un objet qui tombe dans un liquide. Mais
Saussure explique que l’onomatopee est un fait relativement marginal et que,
d’ailleurs, le fait que les onomatopees varient d’une langue a l’autre limite plus
avant le caractere motive de ces mots.
L’arbitraire du signe a joui d’un tres grand prestige non seulement dans les
sciences du langage, mais plus generalement en sciences humaines, d’autant que la
linguistique en est devenue pendant des annees une discipline phare, source de
concepts fondamentaux. En sociologie, en anthropologie et en ethnologie notam-
ment, mais egalement en narratologie et en psychanalyse, l’arbitraire du signe a
oriente de nombreuses recherches [9]. Cela dit, l’arbitraire du signe a fait l’objet de
critiques plus ou moins frontales et qui ont tantot ebranle l’edifice saussurien, tantot
tente de le detruire completement. Nous parlerons de deux d’entre elles, l’une
menee par Benveniste, l’autre par Toussaint.
Emile Benveniste [4] a suivi de pres le raisonnement de Saussure et a decele une
faille, qui a fait trembler les fondations de la semiotique saussurienne, mais qui l’a
finalement laissee comme intacte. Dans un article de 1939, intitule ‘‘Nature du signe
linguistique’’ [4], Benveniste souleve une difficulte de taille dans le texte de
Saussure. Celui-ci avait developpe la these de l’arbitraire du signe, selon laquelle le
rapport entre signifiant et signifie est totalement arbitraire. Or, d’apres Benveniste,
lorsque Saussure parle du rapport arbitraire entre le signifiant bof, qui est associe au
signifie ‘‘bœuf’’, il a recours a un troisieme terme, qui n’est ni le signifiant ni le
signifie, mais la realite elle-meme. Si tel est le cas, Saussure contredit la decision
qu’il avait prise de mettre la realite en dehors du questionnement sur le
fonctionnement du signe. Il faut dire a la decharge de Saussure que Benveniste
decrit chez le linguiste genevois un recours ‘‘inconscient et subreptice’’ a la realite
[4, p. 50]. Que vaut l’accusation d’avoir pense a son insu a un terme que l’on s’etait
promis de ne pas invoquer? Il n’est pas certain que la critique atteigne la these. En
revanche, Benveniste poursuit en remettant en cause la notion meme d’arbitraire de
la facon suivante: ‘‘Decider que le signe est arbitraire parce que le meme animal
s’appelle bœuf en un pays, Ochs ailleurs, equivaut a dire que la notion de deuil est
‘arbitraire’ parce qu’elle a pour symbole le noir en Europe, le blanc en Chine.’’
[4, p. 51]. Ici, Benveniste souleve une difficulte inherente a la notion d’arbitraire: il
n’est pas suffisant de relever une difference, une contingence, pour en deduire une
relation arbitraire. Plutot que de lien arbitraire, il prefere des lors parler de necessite:
‘‘Entre le signifiant et le signifie, le lien n’est pas arbitraire; au contraire, il est
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123
necessaire.’’ [4, p. 51] Cette necessite tient dans le fait que, au sein d’une langue, il
n’est pas possible d’imaginer que tel signifiant puisse etre lie a un autre signifie. ‘‘Ce
qui est arbitraire, c’est que tel signe, et non tel autre, soit applique a tel element de la
realite’’ [4, p. 52]. Resumons la position de Benveniste: le lien entre signifie et
signifiant n’est pas arbitraire mais necessaire. En revanche, ce qui est arbitraire,
c’est le lien entre signifiant et le referent. La these saussurienne de l’arbitraire
semble donc refutee. Pour autant, il se montre ensuite plutot clement dans son
jugement, puisqu’il ecrit: ‘‘Le merite de cette analyse n’est donc en rien diminue,
mais bien renforce’’ (p. 53) et se veut rassurant dans sa conclusion: c’est ‘‘peut-etre
le meilleur temoignage de la fecondite d’une doctrine que d’engendrer la
contradiction qui la promeut’’ (p. 55). Ainsi, c’est au moins une mise en garde
serieuse qui nous a ete offerte par Benveniste, non pas tant sur la theorie de
Saussure—qu’il dit ne pas remettre fondamentalement en question—que sur
l’opportunite de la notion d’arbitraire pour designer le rapport entre signifie et
signifiant.
Une deuxieme critique de l’arbitraire saussurien, si elle n’est pas aussi connue
que celle de Benveniste, n’en est pas moins severe. Maurice Toussaint mene une
charge directement dirigee contre la these de l’arbitraire [26]. S’inscrivant dans le
sillage de la pensee de Gustave Guillaume, il s’eleve resolument contre la possibilite
d’un arbitraire linguistique. Selon lui, l’arbitraire du signe est le nom qui est donne a
une ignorance, celle du lien entre signifie et signifiant. ‘‘Si je ne parviens pas a
deceler un rapport entre signifie et signifiant a l’aide d’une theorie du signifie,
j’essaierai d’en construire une autre avant de conclure que le signe est peut-etre
arbitraire’’ [26, p. 35]. La these saussurienne ne serait donc pas tant demontree
positivement qu’assertee peremptoirement. Negativement, il considere que l’exi-
gence de motivation des termes est demesuree. Ainsi, le ‘‘concept d’arbitrarite du
signe est sous-tendu par une conception simpliste de la non-arbitrarite’’ [26, p. 36].
En d’autres termes, le linguiste saussurien, puisqu’il ne trouve pas une ressemblance
totale, c’est-a-dire une iconicite parfaite, conclura a l’arbitraire du lien: ‘‘Une non-
arbitrarite qui n’est pas omnipresente et inconditionnelle est une arbitrarite’’
[26, p. 36]. Toussaint sape donc la demonstration saussurienne, en denoncant le fait
que c’est ici d’une absence d’elements de preuves, d’une ignorance, que l’on infere
une these pourtant tres forte. Il va jusqu’a retorquer qu’il est ‘‘arbitraire de penser
que signifie et signifiant sont inseparables mais sans liens’’ [26, p. 70]. Positivement,
il propose de poursuivre les efforts de Jakobson, qui avait commence a remettre en
question l’arbitraire du signe, en particulier dans le langage poetique, terreau
favorable a l’iconicite phonique [14]. Toussaint generalise a tout le langage les
propos que Jakobson tenait sur le langage poetique et ecrit qu’un ‘‘signifie induit un
signifiant articulatoire analogique’’ [26, p. 116]. Dans ce dessein, il se propose de
reconcilier la linguistique avec la biologie et d’une maniere plus generale avec le
materialisme. Il defend donc ‘‘une these de la non-arbitrarite du signe a l’interieur
d’une linguistique aux presupposes materialistes […]; le principe de l’arbitrarite du
signe est une manifestation de l’immaterialisme’’ [26, p. 89]. Il souhaite donc
remplacer l’immaterialisme saussurien (du a la mise entre parenthese du monde) par
un materialisme du signifiant et du signifie, c’est-a-dire par une vision biologique de
l’activite linguistique. Le monde, que Saussure avait exclu de son approche
546 S. Goltzberg
123
semiotique, contient egalement, selon Toussaint, les mots et les idees. La partie
positive de son livre passe par une mise en lumiere de nombreuses ressemblances,
de motivations de signifiants que l’on croirait a priori depourvus de liens avec leurs
signifies.4 Il n’est pas necessaire ici de reprendre ses longues demonstrations. Qu’il
nous suffise de conclure aux manquements dans la demonstration saussurienne de
l’arbitraire du signe. Toussaint a clairement montre les glissements indus de l’ecole
structurale sur ce point.5
Si les objections de Benveniste et de Toussaint ne mettent pas necessairement a
mal la recevabilite de la these de l’arbitraire du signe, force est du moins de
constater que celle-ci meriterait une demonstration plus serree. Le point qui nous
interesse le plus est que l’adjectif ‘‘arbitraire’’ a ete choisi pour designer une
absence de rapport. Comme rien ne permettait de decrire ce rapport entre signifie et
signifiant, il a ete conclu que ce rapport n’etait precisement motive par rien au
monde et qu’il etait de ce fait arbitraire.
3 Theorie du Droit
Les theoriciens du droit se sont penches sur un theme ou apparaıt systematiquement
la condamnation de l’arbitraire: il s’agit du jugement judiciaire. En effet, celui-ci
oscille entre le respect de la regle et la marge de manœuvre du juge [10]. Roscoe
Pound considere cette opposition comme inherente a la theorie du droit: ‘‘Almost all
the problems of jurisprudence come down to a fundamental one of rule and
discretion’’ [21 p. 54]. Il poursuit en appelant de ses vœux un equilibre entre ces
deux poles: entre le respect de la loi (dont le fetichisme est le formalisme) et le
pouvoir discretionnaire du juge (dont l’abus est l’arbitraire). Depuis deux siecles, en
France notamment, le juge est tenu de motiver sa decision [19], dans le but d’ecarter
l’arbitraire. Ainsi, un jugement qui n’est pas motive sera dit arbitraire. Cette
opposition requiert une explication.
La motivation du jugement recouvre en fait deux realites distinctes. Premier-
ement, la motivation peut etre definie comme le texte qui justifie la decision, en
vertu d’une disposition legale. Deuxiemement, la motivation peut designer la raison
elle-meme, qui peut etre ou ne pas etre rendue explicite dans la motivation au
premier sens. Or, si l’arbitraire est defini comme immotive, il y a donc deux
arbitraires differents possibles: le juge qui ne motive pas la decision et le juge dont
la motivation—rendue explicite ou non—est mauvaise. Pour bien faire comprendre
cette difference, prenons deux cas fictifs.
Dans le premier, considerons un juge qui prononce une decision que vous
considerez comme juste. Imaginons ensuite que cette decision n’est pas accompa-
gnee d’une motivation au sens premier, c’est-a-dire que la decision n’est pas
assortie de la disposition legale sur laquelle le juge est cense s’etre appuye (En vertu
4 Buhler a minimise la presence de la motivation et donc des onomatopees dans la langue, a la faveur
d’une reduction des onomatopees aux imitations acoustiques de phenomenes acoustiques, alors que
Toussaint semble integrer dans les faits de motivation les imitations acoustiques de phenomenes non
acoustiques. Sur cette distinction, voir [5].5 Voir encore Toussaint p. 66 sur [7], p. 171, passage qui n’a pas ete modifie dans [8].
A la Recherche de l’Arbitraire 547
123
de l’article 8…). Est-ce que la decision est arbitraire? Est-ce que, bien que, par
hypothese, la decision est juste, celle-ci peut etre appelee arbitraire? Repondre
affirmativement est possible, mais a condition de reduire la notion d’arbitraire a une
dimension strictement procedurale. Dans le deuxieme cas fictif, un juge motive
explicitement sa decision, mais cette decision est injuste—pour une raison que nous
laissons en suspens. Est-ce que sa decision est juste—echappe-t-elle a l’arbitraire—
par cela seul qu’une ligne suit la decision et contient une disposition legale?
Repondre affirmativement heurterait le bon sens. En effet, il ne suffit pas qu’une
disposition soit citee pour que, automatiquement, la decision devienne juste.
Afin de dissiper quelque peu le flou qui accompagne la notion d’arbitraire, il ne
sera pas inutile d’en preciser la definition et, le cas echeant, la connotation. Le terme
‘‘arbitraire’’, en philosophie du droit, est susceptible de deux interpretations: l’une
etymologique et l’autre plus courante. Lalande precise du nom commun ‘‘arbitraire’’
qu’il est toujours pejoratif, et de l’adjectif ‘‘arbitraire’’, il dit ceci: ‘‘Qui depend
uniquement d’une decision individuelle, non d’un ordre pre-etabli ou d’une raison
valable pour tous.’’ Il ajoute: ‘‘Sauf dans quelques cas tres rares, tels que ‘choisir
une valeur arbitraire’ (en mathematique), le mot a toujours un import pejoratif, et le
plus souvent tres energique’’ [15]. Lalande est categorique: la connotation est
pejorative. Pour autant, il existe egalement un emploi etymologique d’‘‘arbitraire’’:
est arbitraire ce qui depend de la seule volonte, qui n’est pas lie par l’observation
des regles. Cet emploi neutre, rare d’apres Lalande, est defendu par certains auteurs.
Ainsi, Carbonnier ecrit: ‘‘On entend par arbitraire, dans une acception technique a
laquelle il ne faut preter aucune nuance de denigrement, la volonte pure soit d’un
legislateur, soit d’un juge’’ [6 p. 349]. Aucune nuance de denigrement, voila qui
contredit le caractere pejoratif que Lalande associe a l’arbitraire. Carbonnier ajoute
qu’un ‘‘noyau resistera toujours a l’explication causale’’: il veut dire qu’en decrivant
le droit, tel qu’il se fait, il ne sera pas possible d’expliquer causalement toutes les
etapes suivies par le juge lors de sa prise de decision. Fort bien, mais ce qui resiste a
l’explication causale, est-ce l’arbitraire ou est-ce plus sobrement l’usage de la
liberte? Il apparaıt clairement qu’il est plus precis de parler de liberte que d’un
usage arbitraire de celle-ci. Outre Carbonnier, Drieu Godefridi suggere egalement
une conception axiologiquement neutre de l’arbitraire: ‘‘L’arbitraire n’est pas un
concept moral; ou plutot, il peut l’etre, mais secondairement: l’arbitraire est d’abord
un concept formel, qui designe ce qui, n’etant pas conforme a une norme
preexistante, est le fruit de la souveraine volonte de son auteur.’’ [28] L’arbitraire ne
serait un concept moral que secondairement. On peut supposer que si l’arbitraire
peut se voir charge d’une connotation negative, c’est en vertu d’un mauvais usage
de cette souveraine liberte. Enfin, un troisieme exemple d’usage neutre de
l’arbitraire nous conduit a la pensee de Carl Schmitt. Celui-ci, dans un texte de
1912, Gesetz und Urteil, se penche sur le fonctionnement de la decision de justice et
ecrit que tout droit renferme ‘‘quant au contenu, un moment arbitraire’’ [13, p. 349].
Herrera ajoute tout de suite, comme pour temperer la revendication schmittienne de
l’arbitraire, que ‘‘la decision exprime ici un element arbitraire dans le droit’’, alors
que l’on aurait pu y voir une torsion a tout ce que le droit est cense defendre. En
quelque sorte, l’ajout de Herrera confirme le risque avere de voir l’arbitraire connote
negativement.
548 S. Goltzberg
123
Nous pourrions multiplier les citations ou ‘‘arbitraire’’ est propose par les auteurs
comme une notion neutre. Nous allons plutot nous concentrer sur les citations des
auteurs condamnant l’arbitraire. Nous parlerons en particulier de Chaım Perelman,
qui a bati son œuvre en philosophie du droit pour lutter contre l’arbitraire, apres
quoi la notion d’arbitraire fera l’objet d’une analyse semantique.
Perelman est un des auteurs qui ont le plus severement critique le positivisme
juridique—en particulier l’image qu’il s’en faisait. Le positivisme rejette de la
sphere du droit et de la theorie du droit toutes les valeurs, a l’exception, selon
Perelman, de la securite juridique, transformee en dogme. Perelman se veut
pluraliste en termes de valeurs, au sens ou il reconnaıt, au cote de la securite
juridique, une multiplicite de valeurs: la justice, l’interet general, l’egalite, valeurs
qui lui permettent le cas echeant de temperer l’enonce de la loi. Le droit defend des
valeurs qui ne se limitent pas a ce qui est enonce par la loi, ni meme a l’esprit de la
loi. C’est l’esprit du droit dans son ensemble qui doit guider le juge dans sa
decision. Aussi, le juge est-il tenu d’echapper a deux fautes redhibitoires: l’une
consiste a limiter a la loi les sources du droit et a faire fi des valeurs qui sous-tendent
le droit; l’autre est de verser tout bonnement dans l’arbitraire. Afin d’eviter au juge
de se prononcer arbitrairement, la loi l’oblige a motiver ses decisions. La motivation
a pour fonction, selon Perelman, de conjurer l’arbitraire.6 On peut meme dire que
toute la theorie perelmanienne de l’argumentation juridique vise ce but. L’etude des
topiques juridiques, des principes generaux du droit, de la presomption, des fictions
juridiques a pour vocation d’assouplir la vision positiviste et de concilier le respect
de la loi—et donc de la valeur de securite juridique—et l’esprit du droit, tel qu’il se
manifeste par les diverses valeurs ethiques qui animent le droit [18, p. 175].
Examinons de plus pres en quels termes Perelman se propose de lutter contre
l’arbitraire. Commencons par nous assurer que Perelman y voit bien une
connotation negative. Citant une maxime: L’arbitraire est interdit, il ecrit qu’elle
‘‘limite le pouvoir discretionnaire, qui ne peut s’exercer d’une facon deraisonnable’’
[18, p. 93]. En outre, ‘‘le role du juge est de trouver une solution qui soit
raisonnable, acceptable, c’est-a-dire ni subjective ni arbitraire’’ [18, p. 162].
L’arbitraire, qui est interdit, est appose a la notion de subjectivite. S’il est proche
d’un jugement subjectif, le jugement arbitraire demande encore a etre precise dans
sa specificite. Voici un passage assez long, mais qui contient tous les elements pour
cerner la notion :
‘‘Le plus souvent, le juge exercera son pouvoir moins par une reinterpretation
explicite de la loi, que par sa maniere de qualifier les faits. Il possede a cet
egard une marge d’appreciation, mais il ne peut pas exercer son pouvoir d’une
maniere arbitraire.
En droit, aucun pouvoir, que ce soit le pouvoir discretionnaire de l’admin-
istration, juge de l’opportunite et de l’interet general, que ce soit celui du juge
du fond […] ou celui d’un particulier a qui, par convention, une tache
6 On peut relever que selon Frederic Zenati-Castaing, le but de la motivation, dans le chef des
revolutionnaires, n’est pas tant de limiter l’arbitraire que d’imposer aux juges le regne de la loi [27].
A la Recherche de l’Arbitraire 549
123
d’appreciation ou de repartition est confiee, ne peut s’exercer d’une facon
arbitraire, c’est-a-dire deraisonnable.’’ [19]
Dans ce passage, deux moments peuvent etre releves. La fin du texte identifie
explicitement arbitraire a deraisonnable: le jugement arbitraire est donc subjectif et
deraisonnable. Par ailleurs, une opposition est particulierement eclairante. Perelman
ecrit que le juge possede une marge d’interpretation mais qu’il ne peut pas exercer son
pouvoir de maniere arbitraire. Le marqueur ‘‘mais’’ indique que la marge d’interpre-
tation presente une limite au-dela de laquelle on ne peut pas aller. En d’autres termes,
ce passage nous enseigne que celui qui pose un jugement arbitraire fait plus que celui
qui possede une marge d’interpretation et que ce depassement est proscrit.
Il nous faut a present franchir un pas supplementaire. Nous avons etabli que selon
Perelman, le jugement arbitraire etait subjectif, deraisonnable et debordait le champ
de la marge—legitime—d’interpretation. C’est sur ce point que nous souhaitons a
present proposer une analyse semantique de l’adjectif ‘‘arbitraire’’. Il est acquis qu’il
se situe sur la meme echelle argumentative que ‘‘subjectif’’, ‘‘libre’’ ou ‘‘possedant
une marge d’interpretation’’. Sachant que le terme ‘‘arbitraire’’ est situe plus haut que
‘‘libre’’ sur l’echelle argumentative (puisque ‘‘arbitraire’’ presuppose ‘‘libre’’ alors
que l’inverse n’est pas vrai), deux possibilites sont a envisager: ‘‘arbitraire’’ signifie
‘‘tres libre’’ ou ‘‘trop libre’’. Tous les deux peuvent etre introduits par ‘‘voire’’, qui
precede toujours un concept situe plus haut sur l’echelle argumentative. On dira
‘‘libre, voire tres libre’’ ou encore ‘‘libre, voire trop libre’’, alors que l’on ne peut pas
dire ‘‘tres libre, voire libre’’ ni ‘‘trop libre, voire libre’’. En revanche, une difference
les oppose, puisque ‘‘tres’’ n’introduit pas de jugement de valeur, alors que tout
concept introduit par ‘‘trop’’ est par le fait meme disqualifie.7 Nous voudrions
proposer de le decomposer non pas en ‘‘tres subjectif’’, ‘‘tres libre’’, mais en ‘‘trop
subjectif’’, ‘‘trop libre’’. Un indice du fait que la notion d’arbitraire est composee de
‘‘trop’’ se trouve dans sa proximite avec l’idee de caprice que le Petit Robert definit
comme une ‘‘determination arbitraire, envie subite et passagere, fondee sur la
fantaisie et l’humeur’’. Francis Bacon met en garde contre l’arbitraire: ‘‘Que sous
aucun pretexte, les cours pretoriennes n’aient le droit de juger contre un statut formel;
car, si cela arrivait, le juge deviendrait un veritable legislateur et tout dependrait de
son caprice’’. Le mot que le traducteur traduit par ‘‘caprice’’ est ‘‘ex arbitrio’’, alors
qu’il traduisait dans le paragraphe precedent ‘‘ad arbitrium’’ par ‘‘arbitraire’’ [2].
Si ‘‘arbitraire’’ contient ‘‘trop’’ dans son noyau semantique, a la maniere des mots
‘‘excessif’’, ‘‘abusif’’, ‘‘exagere’’, cela permet d’expliquer un phenomene interes-
sant: Perelman s’est toujours eleve contre l’arbitraire8 comme l’une des deux erreurs
a eviter—avec le formalisme. Mais ses ennemis intellectuels egalement. En effet,
les positivistes juridiques ont erige la securite juridique en dogme, dans le but precis
d’echapper a l’arbitraire: pouvoir prevoir la loi applicable et ses sanctions limite
fortement l’arbitraire du juge ou du souverain. Perelman a reintegre les valeurs au
sein du jugement judiciaire, afin de ne pas sombrer dans le formalisme, la ou Kelsen
7 Il est vrai que certaines expressions laudatives comme Il est trop ou il est trop mignon constituent des
contre-exemples, mais ils sont marginaux.8 Il dit notamment: ‘‘Or, en 1944, quand j’ai redige cette premiere etude sur la justice, je considerais les
jugements de valeur comme entierement arbitraires’’ [18].
550 S. Goltzberg
123
a voulu les garder a bonne distance du jugement judiciaire, afin precisement que ce
dernier ne soit pas frappe au coin de l’arbitraire. Prenons un auteur reconnu comme
particulierement autoritaire: Joseph de Maistre. Celui-ci revendique la legitimite
d’un pouvoir absolu, dont il dit qu’il est ‘‘despotique’’, ‘‘inviolable’’, ‘‘invincible’’
[16, p. 159], ‘‘infaillible’’ (p. 167), mais des lors que Maistre critique un pouvoir, il
dit de lui qu’il est ‘‘arbitraire’’ (p. 174). Autrement dit, meme le penseur du pouvoir
absolu ne revendique pas pour le souverain le droit d’exercer un pouvoir arbitraire.
A propos de Joseph de Maistre, Jean-Yves Pranchere ecrit que pour les theoriciens
de l’absolutisme royal, ‘‘la puissance absolue du roi n’est pas une puissance
arbitraire’’ [22, p. 24]. Il y a plus: ‘‘l’autorite royale est d’autant mieux obeie qu’elle
n’est pas arbitraire’’ [22, p. 30]. Si le theoricien le plus enthousiaste de la monarchie
absolue rejette l’idee d’un pouvoir arbitraire, on peut en deduire que les theoriciens
d’une autorite moins absolue le feront d’autant plus.
4 Comparaison de l’arbitraire en Semiotique et en Theorie du Droit
En semiotique comme en theorie du droit, le point commun est que la notion
d’arbitraire n’a pas recu de definition positive, voire pas de definition du tout. Dans
les deux cas, arbitraire est oppose a motive, mais c’est la une pauvre consolation
pour quiconque attend de la clarte dans les fondements d’une theorie.9 La difference
entre les deux disciplines tient au caractere neutre de l’appellation ‘‘arbitraire’’ en
semiotique, alors que cette notion est connotee negativement en theorie du droit.
Pour ce qui est de la semiotique, s’il est vrai que Saussure se rejouit de ce que le
systeme de la langue—en particulier des langues europeennes—repose tout entier
sur des signes arbitraires, ce qui l’oppose au caractere primitif des langues extra-
europeennes, on ne peut pas dire que la notion meme d’arbitrarite soit condamnee. Il
en va tout autrement du jugement arbitraire, qui est systematiquement presente
comme mauvais, nuisible.
Il serait opportun de proposer un nouveau point commun qui integre meme les
differences entre l’arbitraire en semiotique et en theorie du droit. Dans les deux cas,
l’arbitraire est retif a la norme, laquelle est descriptive en linguistique et prescriptive
en droit.10 Plus precisement l’arbitraire est ce qui ne se laisse pas prevoir par la
norme. Ainsi, rien ne laisse prevoir—du point de vue saussurien du moins—que tel
signifiant est accole a tel signifie. De meme, la decision arbitraire est imprevisible,
de sorte que le principe de la previsibilite de la loi, lie a celui de la securite
juridique, subi une entorse lors de chaque decision de justice arbitraire. La notion
d’imprevisibilite par rapport a la norme rend compte de l’usage de l’arbitraire en
semiotique comme en droit. Il est donc essentiel et non pas contingent qu’un
theoricien du droit cherche a conjurer l’arbitraire, alors que la these de l’arbitraire
9 Malheureusement, ce sont souvent des auteurs differents qui traitent de l’arbitraire semiotique et de
l’arbitraire d’une decision. Joseph de Maistre, semble-t-il, se prononce sur les deux tableaux: du point de
vue semiotique, les mots ne sont pas arbitraires [23] et du point de vue de la decision du souverain, y
compris le Pape, la decision ne peut pas etre arbitraire non plus [23]. Il serait interessant de verifier si chez
les autres auteurs s’etant prononce sur ces deux questions, on trouve pareille correlation [3].10 Ici, il est question non pas de la theorie du droit, descriptive, mais du droit lui-meme.
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du signe n’est pas mue par une telle necessite: elle pourrait tout aussi bien etre
fausse.
5 L’Arbitraire introuvable
En semiotique comme en theorie du droit l’arbitraire est donc une categorie qui ne
recouvre pas tant un objet, une realite, qu’une absence: le signe arbitraire est celui
dans lequel la motivation du signifiant par le signifie est absente et en theorie du
droit la decision arbitraire est celle qui est depourvue de motivation (dans l’un des
deux sens distingues plus haut). La difference entre les deux noms d’absence tient
entre autres a ce que cette absence est un fait presente comme neutre en semiotique
alors que la decision judiciaire (ou politique) dite arbitraire est le plus souvent
condamnee comme telle. Des lors, on peut decrire le terme ‘‘arbitraire’’, en tout cas
pour ce qui est de son utilisation en droit, comme un terme nous indiquant quelle est
l’attitude du locuteur par rapport a l’action decrite (et decriee) comme arbitraire.
Lorsque je dis que telle decision est arbitraire, je dis qu’elle est abusive, excessive,
en l’occurrence, qu’elle abuse de la liberte, du pouvoir discretionnaire ou de la
marge de manœuvre legitime du juge.
Afin de mieux cerner le fonctionnement argumentatif du terme ‘‘arbitraire’’,
distinguons deux des fonctions que peuvent remplir un adjectif. Un adjectif peut etre
representationnel, c’est-a-dire descriptif, ou attitudinal, c’est-a-dire evaluatif. Dans
le premier cas, il decrit un etat du monde, dans le second cas, il transmet une
information quant a l’attitude adoptee par le locuteur qui decrit. Ainsi, dire de
quelqu’un qu’il est malade peut etre representationnel si l’on parle de sa grippe ou
attitudinal si l’on veut dire que son comportement est indecent. De meme, dire
d’une decision qu’elle est definitive peut soit decrire le fait que cette decision ne
peut pas etre remise en question, en vertu de telle loi par exemple, soit signifier que
l’on ne cedera pas, ou du moins pas facilement. Enfin, decrire une decision comme
arbitraire, cela peut signifier, dans l’usage representationnel de l’adjectif, que la
decision n’est pas accompagnee d’une motivation (ou encore que cette motivation
est pas suffisante) ou, dans l’usage attitudinal, que la personne a mal juge, en
l’occurrence a excede sa marge de manœuvre. Lorsque Perelman met au point une
theorie de l’argumentation juridique pour conjurer l’arbitraire, il ne parle pas
uniquement de la motivation formelle. Il utilise plutot ‘‘arbitraire’’ au sens
attitudinal: comme une condamnation. Cela explique pourquoi il ne pouvait pas y
avoir de definition non triviale d’arbitraire au sens attitudinal et evaluatif: une
definition releve necessairement d’une description neutre, chose impossible ici.
Ceci appelle une comparaison avec l’insulte. Une insulte est un segment
linguistique de type attitudinal. Je n’apprends rien, objectivement, lorsque j’entends
dire qu’untel est un imbecile. Je ne sais pas quelle action a ete commise, je sais
seulement que la personne qui me le dit n’apprecie pas la personne en question.
Mais contrairement au terme ‘‘arbitraire’’, dans le cas des insultes, il est manifeste
que l’usage est attitudinal et n’a pas pour vocation de decrire de facon
representationnelle. En somme, le terme ‘‘arbitraire’’ passe pour une categorie
representationnelle alors que—le plus souvent—il ne vehicule pas d’information qui
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ne soit pas deja contenue dans ‘‘discretionnaire’’. Or, il est important de savoir si le
comportement que l’on souhaite eviter (la decision arbitraire) est un type de
comportement objectif ou une caricature. Il est tres different d’annoncer que la
decision ne peut pas etre tres subjective—ce qui peut se discuter—et de dire que la
decision ne peut pas etre trop subjective—ce qui est vrai mais trivial.
La notion d’arbitraire n’est pas la seule qui presente ce trait d’etre une categorie
attitudinale qui, contrairement aux insultes, passe pour une categorie representa-
tionnelle. En d’autres termes, il ne s’agit pas du seul terme (parfois) vide
objectivement que les theoriciens sollicitent comme s’il designait un comportement
observable. On pourrait en effet signaler d’autres concepts de ce style: la
manipulation, la propagande, le populisme. Ces termes ne designent aucun
phenomene observable par un linguiste. Ils ont la portee exacte de l’ideologie
que les theoriciens plaquent sur leur objet d’etude. Il est d’autres termes qui
possedent un noyau de signification, qui presentent donc une disposition represen-
tationnelle, mais qui sont souvent utilises comme repoussoirs: comme le terme
‘‘fasciste’’ ou ‘‘positiviste’’. Il est necessaire de poursuivre les recherches qui
s’occupent de deceler les termes pretendument descriptifs, mais qui introduisent
subrepticement un jugement de valeur qui ne dit pas son nom.11 Si Perelman a
plaide pour une prise en compte des valeurs dans la theorie du droit, cela ne signifie
pas que l’on doive accueillir de bon gre les jugements valeurs caches dans une
theorie. Que la chose soit claire, il ne s’agit pas de proposer une theorie qui soit
wertfrei, denuee de considerations axiologiques, mais de ne pas se laisser
convaincre par des annonces qui s’averent tautologiques une fois que l’on prend
au serieux les mots qui les composent.
En linguistique, Toussaint a mis en question la viabilite de la these de l’arbitraire
du signe en soulignant qu’il ne s’agissait que de l’aveu de l’absence de
comprehension du lien qui existait entre signifiant et signifie. En droit et plus
generalement dans les disciplines qui s’occupent de la prise de decision, nous
esperons avoir mis au jour le fait que la qualification d’un jugement comme
arbitraire nous informe surtout sur l’attitude negative qu’adopte le locuteur a propos
du comportement dit arbitraire.
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11 Comme me l’a fait remarquer un des evaluateurs, Jerome Frank [11] a mis en question la notion de
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