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This article was downloaded by: [University of Calgary]On: 16 September 2013, At: 13:57Publisher: RoutledgeInforma Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK
Scandinavian Journal of the OldTestament: An InternationalJournal of Nordic TheologyPublication details, including instructions for authors andsubscription information:http://www.tandfonline.com/loi/sold20
A la recherche du “récit del'Arche”: à la recherche de Saül.De Shilo à GibeaChristophe Lemardelé aa Laboratoire des Mondes sémitiques; Mondes sémitiques– UMR 8167, CNRS Délégation Paris A 27, rue Paul Bert,94204, Ivry sur SeinePublished online: 31 Aug 2012.
To cite this article: Christophe Lemardelé (2012) A la recherche du “récit de l'Arche”:à la recherche de Saül. De Shilo à Gibea, Scandinavian Journal of the Old Testament: AnInternational Journal of Nordic Theology, 26:1, 55-76, DOI: 10.1080/09018328.2012.704202
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Scandinavian Journal of the Old Testament
Vol. 26, No. 1, 55 76, 2012
© Taylor & Francis’ 2012 10.1080/09018328.2012.704202
A la recherche du “récit de l’Arche”: à la
recherche de Saül. De Shilo à Gibea
Christophe Lemardelé Laboratoire des Mondes sémitiques;
Mondes sémitiques – UMR 8167; CNRS Délégation Paris A
27, rue Paul Bert, 94204 Ivry sur Seine
Email: [email protected]
ABSTRACT: Depuis l’étude fameuse de Rost, le “récit de l’Arche” est
devenu une unité narrative indépendante dans le premier livre de Samuel. Les
travaux successifs ont toutefois peu à peu ruiné la cohérence de cette unité en
lui enlevant son aboutissement avec David à Jérusalem (2 S 6) et même en la
faisant commencer dès 1 S 2. S’il apparaît opportun de faire débuter le récit
avant 1 S 4, pour garder le contexte de Shilo et du prêtre Éli, on peut alors
tenter de le faire dès 1 S 1. Pour cela, il importe de lire le récit de naissance
de ce premier chapitre non comme étant celui de Samuel mais comme celui
de Saül. En effet, les indices littéraires de ce texte montrent que le nom
“Samuel” ne correspond pas au contexte narratif. Or, comme Samuel est
totalement absent du “récit de l’Arche” , on peut dès lors proposer une lecture
des premiers chapitres sans ce personnage, pas en délimitant des unités
narratives indépendantes mais en recherchant une strate rédactionnelle
ancienne. De cette manière, ce “récit de l’Arche” devient bien plus un “récit
d’accession au pouvoir de Saül” , récit qui nous mène de Shilo (1 S 1 ; 4) à
Gibea (1 S 7,1 ; 10 ; 14), en passant par Rama et son voyant anonyme (1 S 9).
Key words: Saül, Samuel, Arche, Shilo, Rama, Gibea, nazir
Depuis l’étude fameuse de Leonhard Rost,
1 le “récit de l’Arche” est devenu
un sujet célèbre et insoluble des études bibliques. L’étude eut le grand mérite
d’aborder les livres de Samuel sous l’angle des unités narratives et non plus
sous le seul angle de la théorie documentaire. Bien que l’unité narrative
dégagée par l’auteur―1 Samuel 4-6/2 Samuel 6―ait été bien souvent
conservée par ses successeurs,2 certains l’ont tout de même critiquée et ont
1. L. Rost, Die Überlieferung von der Thronnachfolge Davids, (BWANT, 42; Stutt-
gart, 1926).
2. A.F. Campbell, The Ark Narrative (1 Sam 4-6; 2 Sam 6): A Form-Critical and
Traditio-Historical Study, (SBLDS, 16; Missoula, 1975).
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proposé d’autres limites,3 jusqu’à contester le bien-fondé de cette hypothèse.
4
Désormais, on restreint le récit aux seuls passages de 1 Samuel étant donné
que la montée de l’Arche à Jérusalem ne paraît être qu’un ajout littéraire au
profit de David,5 cela en suivant l’étude critique de Schiklberger. L’origine
du récit, sa date et sa fonction sont très discutés et sont peut-être plus
importants. Mais nous voudrions, pour notre part, nous situer encore sur le
seul plan narratif afin de proposer une hypothèse bien différente et beaucoup
plus vaste que les analyses habituelles et que les lectures narratologiques
actuelles.6 Nous pensons en effet que le “récit de l’Arche” se rattache à la
légende de Saül,7 même, que ce récit fait partie de la légende au point de n’en
être qu’un aspect.
1. Le début du récit: 1 S 4, 1 S 2 ou 1 S 1?
Il était naturel pour Rost de faire commencer le récit en 1 Samuel 4 puisque
c’est dans ce chapitre que l’“Arche” ou le “coffre” (’rwn) de Yhwh apparaît
pour la première fois dans le livre. Cependant, comme le récit concerne le
temple de Shilo et le prêtre Eli, il semblait opportun à Miller et Roberts
d’inclure le chapitre 2, à l’exception du chant d’Hannah et des gloses
concernant Samuel. Dans cette optique, on ne considère alors l’Arche que
comme un élément du temple que l’on amena sur le champ de bataille, ce qui
permet de comprendre pourquoi il n’en est pas fait mention auparavant. Si les
deux auteurs ne sont pas allés jusqu’à inclure le chapitre 1, c’est parce qu’ils
ont considéré qu’il s’agissait du récit de naissance de Samuel et qu’il ne
pouvait donc être inclus dans le “récit de l’Arche.” Cependant, il y est bien
question d’Eli et de ses fils, prêtres au temple de Shilo, et Samuel n’est
mentionné qu’une fois, lorsqu’Hannah prononce son nom. Or les spécialistes
des livres de Samuel savent bien comme il y a un doute sur le nom de
l’enfant dans ce premier chapitre. S’il s’avère que l’enfant n’est pas Samuel,
et comme le récit se situe à Shilo, il n’est donc pas absurde d’émettre
l’hypothèse que le “récit de l’Arche” commençait en 1 Samuel 1.
Si nous devons considérer que le récit de l’Arche a son origine sur le site
cultuel de Shilo, alors nous ne pouvons faire finalement autrement que
d’interroger le chapitre 1 du livre. Car, en effet, le récit ne devient
précisément un “récit de l’Arche” que lorsqu’il s’agit d’amener le dieu Yhwh
3. F. Schicklberger, Die Ladeerzählungen des ersten Samuel-Buches, Eine
literaturwissenschaftliche und theologiegeschichtliche Untersuchung, (FB, 7),
Würzburg, 1973); P.D. Miller, J.J.M. Roberts, The Hand of the Lord: A Reassess-
ment of the “Ark Narrative” of 1 Samuel (Baltimore-London, 1977).
4. K.A.D. Smelik, “The Ark Narrative Reconsidered,” M.J. Mulder, A.S. van der
Woude (eds), News Avenues in the Study of the Old Testament, (OTS, 25; Leiden,
1989), pp. 128-144.
5. K. van der Toorn, C. Houtman, “David and the Ark,” JBL 113 (1994), pp. 209-
231.
6. K. Bodner, “Ark-Eology: Shifting Emphases in ‘Ark Narrative’ Scholarship,” CBR
4 (2006), pp. 169-197.
7. C. Lemardelé, “Saül le nazir ou la légende d’un roi,” SJOT 22 (2008), pp. 47-62.
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sur un lieu de bataille en dehors de la localité. Auparavant, il est seulement
question du lieu de culte de Yhwh. Autrement dit, il n’y aurait pas vraiment à
l’origine un “récit de l’Arche” mais un récit plus ample concernant le dieu de
Shilo qui ne devient un “récit de l’Arche” que lorsque ce dieu quitte son
temple. Le “récit de l’Arche” est donc en quelque sorte une vue de l’esprit et
est avant tout un “récit de Yhwh des armées” (ṣb’wt), expression exprimant
la puissance du dieu8. Cette expression se retrouve d’ailleurs à deux reprises:
en 1 S 1,11, au moment où Hanna prononce son vœu à ce dieu, et en 1 S 4,4,
lors de la sortie du dieu de son temple avec la description de son trône décoré
de Kerubîm. Par la suite, ni les Kerubîm ni la mention de Yhwh des armées
ne sont présentes.
Il en va plus ou moins de même avec Samuel. Il est reconnu depuis
longtemps que ce dernier est étranger au “récit de l’Arche.” Mais on
présuppose toujours une haute antiquité pour ce personnage et l’on pense que
le récit fut inséré dans l’Histoire deutéronomiste9. On peut toutefois retourner
le raisonnement et faire l’hypothèse que Samuel fut inséré dans un récit le
précédant. Il n’est pas difficile de le supposer car il est à peine présent dans
les deux premiers chapitres et disparaît totalement au quatrième pour ne
revenir qu’au septième chapitre. Quant au chapitre 3, c’est un récit relatant la
vocation prophétique de Samuel à la manière d’un conte. Le récit ne fait donc
aucunement référence au phénomène prophétique tel qu’il existait dans le
Proche-Orient ancien dès le deuxième millénaire, il est bien plus une pure
création littéraire insérée à cet endroit.10
La nécessité de créer une telle fable
obéissait à un but précis: il fallait faire de ce récit centré sur Shilo le récit de
la naissance et de la vocation de Samuel.
Ainsi, si l’on conçoit que le “récit de l’Arche” recouvre non plus les
chapitres 4 à 6 mais les chapitres 1 à 6―sans le conte du chapitre 3 propre à
la “légende” de Samuel11
―, il importe d’expliquer ce que les chapitres 1 à 2
racontaient à l’origine. Tout d’abord, le chapitre 1 est un récit qui n’est pas
8. S. Kreuzer, “Zebaoth – der Thronende,” VT 56 (2006), pp. 347-362 ; au même titre
que le dieu syrien Resheph (Rashpu) mentionné avec la même épithète dans un texte
ugaritique (ršp ṣb’i): J. .H. Choi, “Resheph and YHWH ṢĔBĀ’ÔT,” VT 54 (2004),
pp. 17-28.
9. T.C. Römer, The So-Called Deuteronomistic History. A Sociological, Historical
and Literary Introduction (London-New York, 2007), pp. 144-145.
10. Nous devons distinguer “the ancient Hebrew prophecy,” et “the biblical prophe-
cy,”: M. Nissinen, “What is Prophecy? An Ancient Near Eastern Perpective,”
J. Kaltner, L. Stulman, Inspired Speech. Prophecy in the Ancient Near East, London-
New York, 2004, pp. 17-37. Pour une étude détaillée des catégories de prophètes
effectifs, voir F.J. Gonçalves, “Les ‘prophètes écrivains’ étaient-ils des nby’ym?,”
P.M. Michèle Daviau, J.W. Wevers, M. Weigl, The World of the Arameans I. Bibli-
cal Studies in Honour of Paul-Eugène Dion, (JSOTS 324; Sheffield, 2001), pp. 144-
185.
11. Appartenant donc à la “composition dtr,” comme les chapitres 7, 8 et 12:
C. Nihan, D. Nocquet, “1-2 Samuel,” T. Römer, J.-D. Macchi, C. Nihan (éd.),
Introduction à l’Ancien Testament (Genève, 2004), pp. 291-292.
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idéologique. En effet, cette naissance de “Samuel” n’est accompagnée
d’aucune annonce le concernant, il n’y a même aucune connotation
messianique comme celles que l’on trouve à la fin du chant de Hannah
(1 S 2,10) et dans l’oracle contre le prêtre Eli (1 S 2,27-36).12
La seule
annonce faite au sujet de l’enfant est qu’il est voué nazir par sa mère
(1 S 1,11). C’est un détail textuel fortement débattu puisque le TM, la LXX
et 4QSama diffèrent à ce sujet. Cependant, Flavius Josèphe ne fait aucune
différence avec Samson lorsqu’il présente Samuel, il les décrit tous deux
comme des “nazirs”13
(AJ V, 285 et 347) et, surtout, la version hébraïque du
livre de Ben Sira atteste la présence du terme pour désigner Samuel.14
Nous
devons en conclure que ce titre fut progressivement effacé des versions au
point de disparaître dans la version grecque de Ben Sira, il n’en subsiste plus
que des traces textuelles―dotos dans la LXX15
et nazir au verset 22 de
4QSama.
Cette disparition progressive s’explique par le fait que le titre de nazir ne
convenait pas à Samuel. Cela explique aussi pourquoi le débat textuel à ce
sujet est si controversé. En fait, le problème est surtout littéraire et concerne
le nom même de l’enfant. Lorsque Hannah vient acquitter son vœu au temple
de Shilo, ce n’est plus le vocabulaire du don qui domine mais celui de la
demande: “je le donne à Yhwh tous les jours qu’il est, lui, demandé pour
Yhwh” (1 S 1,28). D’une part, ce que l’on traduit par “donner/céder” est le
verbe šā’al au factitif (hifil), d’autre part, ce que l’on traduit par “demandé”
est le participe du même verbe qui se lit šā’ul. Ainsi, lorsque l’on se reporte
au verset 20, au moment où l’enfant naît, on comprend mieux pourquoi le
nom du garçon ne correspond pas à son étiologie: “elle l’appela du nom de
Samuel (šmw’l) car [dit-elle]: “de Yhwh je l’ai demandé (š’ltyw).” Or šemû’él
12. A la différence d’un récit “deutéronomiste,” ou “sacerdotal,” 1 Sam 1 ne
comporte pas de sommaire historique: T. Römer, “Résumer l’histoire en l’inventant.
Formes et fonctions des “sommaires historiques” de l’Ancien Testament,” RThPh
125 (1993), pp. 21-39.
13. Plus exactement comme des “prophètes,” car, ayant décrit le vœu de nazir selon
Nombres 6 (AJ IV,72), Josèphe voyait une contradiction dans les textes bibliques. En
effet, le rite votif obligeait celui qui s’était voué à raser sa chevelure alors que les
récits concernant Samson et Samuel indiquent que le rasoir ne devait pas monter ou
passer sur leur tête. Pour la distinction entre les deux rites, l’un votif et tardif et
l’autre, de l’ordre d’une “consécration,” et plus archaïque, voir notre étude “Être
nazir: du guerrier yahwiste au vœu cultuel du judaïsme ancien,” RHR 224 (2007),
pp. 275-288.
14. P.C. Beentjes, The Book of Ben Sira in Hebrew. A Text Edition of All Extant
Hebrew Manuscripts and a Synopsis of All Parallel Hebrew Ben Sira Texts, (VTS,
60; Leiden, 1997), p. 83.
15. Avant d’être translittéré (naziraios), le terme a eu des traductions diverses en
fonction du contexte: “chef,” en Gn 49, 26, “vœu,” et “pur,” en Nb 6, “glorifié,” en
Dt 33,16, “consacré,” en Am 2,11-12. Le champ sémantique du don étant très présent
en 1 S 1,11―“si tu donnais à ta servante… alors je le donnerais…,”―il est logique
que le traducteur ait choisi “donné,”.
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A la recherche du “récit de l’Arche”: à la recherche de Saül 59
signifie “son nom est El” et n’a donc rien à voir avec le vocabulaire de la
demande. Tous ces éléments montrent bien que le garçon avait pour nom
Saül à l’origine16
: le “demandé.” Ainsi, en ne séparant pas le problème
textuel (nazir) du problème littéraire reposant sur le nom de l’enfant,17
on
trouve une solution aux deux18
: 1 S 1 était à l’origine le récit de naissance de
Saül, voué par sa mère à être un nazir comme Samson.19
Il est donc vraisemblable que le récit d’origine de 1 S 1 ait été peu changé,
si ce n’est pour remplacer le nom Saül par celui de Samuel. Il n’en va pas de
même avec le chapitre suivant. Tout d’abord, le chant de reconnaissance de
Hannah―au départ votif: 1 S 2,9 (LXX)20
―a pu être inséré pour donner une
coloration messianique au récit sans en perturber le déroulement rituel21
. Il en
va de même pour l’oracle de l’homme d’Elohim en fin de chapitre22
, mais
aussi de la faute des fils d’Eli car elle ne se comprend qu’en lien avec le
messianisme. On ne peut confondre les strates rédactionnelles concernant Eli
et ses fils et celles concernant Samuel car le messianisme évoqué ne fait pas
intervenir un prophète mais un “homme de Dieu,” et un prêtre (2,35). Ce
premier rédacteur messianique est intervenu dans le récit d’origine en
ajoutant l’essentiel du chapitre 2 où il est tant question d’Eli et plus encore de
ses fils. Pour rendre sa linéarité au récit, il a été contraint d’insérer deux
interpolations évoquant les deux fils d’Eli dans chacun des deux chapitres
qu’il séparait (1,3 et 4,4).
Pour ce qui est de Samuel dans ce chapitre 2, il n’a qu’une présence plus
ou moins allusive. Les passages qui font mention de son service au temple
interrompent le récit général (1 Sam 2,11.18-21.26) et manquent de
16. I. Hylander, Der Literarische Samuel-Saul-Komplex (I. Sam. 1-15). Traditions-
geschichtlich Untersucht (Uppsala, 1932), pp. 11-39 ; J. Dus, “Die Geburtslegende
Samuels I Sam. 1,” RSO 43 (1968), pp. 163-194 ; P.K. McCarter, I Samuel, (AB, 8;
New York, 1980), pp. 64-66.
17. Comme le fait M. Tsevat, “Die Namengeburg Samuels und die
Substitutionstheorie,” ZAW 99 (1987), pp. 250-254 ; “Was Samuel a Nazirite ?,”
M. Fishbane, E. Tov (eds), Sha‘arei Talmon: Studies in the Bible, Qumran, and the
Ancient Near East Presented to Shemaryahu Talmon (Winona Lake, 1992), pp. 199-
204.
18. C. Lemardelé, “Saül le nazir,” pp. 48-50.
19. C. Lemardelé, “Samson le nazir: un mythe du jeune guerrier,” RHR 222 (2005),
pp. 259-286.
20. “Exauçant celui qui fait un vœu [didoùs eukhēn tōi eukhoménōi]”; “La LXX de
2,9 est en contact étroit avec celle de 1,11: eukhē ne se rencontre en 1 R qu’en
1,11.21 et 2,9 ; eúkhomai uniquement en 1,11 et 2,9: M. Lestienne, Premier livre des
Règnes, (BA 9.1; Paris, 1997), pp. 140-141.
21. Nous avons dans ce récit toute la procédure rituelle du vœu antique, de la prière à
l’accomplissement, accompagné d’un sacrifice et d’un chant d’action de grâce:
C. Lemardelé, “De l’aveu aux vœux: le rite tôdāh d’exaltation,” BN 137 (2008),
pp. 5-16.
22. “Les portraits des hommes de Dieu brossés par l’AT sont des créations de la
tradition ou des ‘historiens’ bibliques,” F.J. Gonçalves, “Les ‘prophètes écrivains’,”
p. 168.
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cohérence littéraire. En effet, Hannah revient voir son fils au temple et elle
devient alors particulièrement féconde. On observe notamment dans ces
versets, l’emploi de l’accompli avec waw inversif, ce qui est moins habituel
pour une narration et indique que le rédacteur a voulu intégrer des faits jugés
antérieurs à ceux racontés: wehāyāh au lieu de way
ehî.
23 De même, de
manière assez grossière, on voit qu’il y a une reprise du vocabulaire de
1 Sam 1 par la mention du “sacrifice des jours” et de l’expression “de jours
en jours” (v. 19), ainsi que par l’insistance redondante sur le radical š’l
(v. 20). Il est donc probable qu’avant l’insertion de Samuel en 1 S 1, l’enfant
ne restait pas au temple mais retournait avec ses parents à Rama. Il est vrai
que le verset 22 de 1 Sam 1 affirme avec force que l’enfant demeurerait au
temple (TM et LXX): “il sera présenté devant Yhwh et il restera là pour
toujours.” Mais 4QSama insiste à cet endroit sur le fait qu’il sera “nazir pour
toujours tous les jours” et le texte manque pour savoir s’il était dit qu’il
resterait au temple. Les auteurs reconstruisent généralement le verset en
complétant avec les autres versions: “et il restera devant [Yhwh, et il restera
là pour toujours], et je le donnerai nazir pour toujours tous les jours.”24
Le
texte restitué apparaît bien répétitif et il semble y avoir une concurrence entre
les deux fonctions attribuées au garçon. Comme Hannah n’indiquait
nullement qu’il serait “consacré” au temple dans son vœu et comme les
versets 22-23 sont un peu obscurs et ont de nombreuses variantes, on peut
émettre une hypothèse: le verset 22 a été harmonisé en fonction de la suite du
récit en 1 Sam 2-3 et seul 4QSama comporte encore la leçon ancienne. Il
paraît d’ailleurs normal qu’Hannah rappelle sa promesse lors de
l’acquittement de son vœu. Quoi qu’il en soit, il s’agissait pour le rédacteur
faisant intervenir Samuel de le faire grandir progressivement et, donc, de
rappeler sa présence ponctuellement puisqu’il n’était pas l’objet du récit sur
la maison d’Eli.
La reconstruction que nous proposons est relativement simple si l’on
distingue les strates rédactionnelles visibles dans ce début de livre:
A) un “récit de l’Arche” ou, plutôt, un récit du dieu de Shilo, sobre
idéologiquement et qui ne fait intervenir la divinité que par le “miracle” (pl’)
votif25
(1 S 1) et par un miracle guerrier qui n’advient finalement pas (1 S 4).
B) une rédaction messianique jugeant négativement Eli, le prêtre de Shilo,
inventant et accusant dans ce but ses deux fils; Yhwh parlant par
23. A. Nicacci, The Syntax of the Verb in Classical Hebrew Prose, (JSOTS. 86; Shef-
field, 1990) (Jérusalem, 1986), pp. 29-34.
24. F.M. Cross, D.W. Parry, R.J. Saley, E. Ulrich, 1-2 Samuel. Qumran Cave 4 XII,
(DJD XVII; Oxford, 2005), p. 30.
25. “Elqanah connut sa femme et Yhwh se souvint d’elle,” (1 S 1,19). On retrouve ce
même radical dans l’histoire de la conception de Samson (Jg 13,18-19): le messager
de Yhwh se dit “prodigieux,” (pl’y) et Yhwh est le dieu qui “fait des prodiges,” (mpl’
l‘śwt). Pour cet aspect proprement cultuel de l’action divine, voir notre étude “Le
verbe pālā’ et la pratique des vœux,” RB 111 (2004), pp. 481-498.
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A la recherche du “récit de l’Arche”: à la recherche de Saül 61
l’intermédiaire d’un homme d’Elohim anonyme et choisissant un prêtre
comme intermédiaire messianique (1 S 2).
C) une seconde rédaction messianique faisant intervenir le personnage de
Samuel ; Yhwh parlant directement au jeune homme et le choisissant en tant
que prophète pour être son intermédiaire messianique (1 S 3).
A) “récit de l’Arche”
1 S 1*: conception du nazir Saül au temple de Shilo―1 S 4*: bataille contre
les Philistins et perte du dieu de Shilo
B) Strate messianique 1: la maison d’Eli est coupable
1 S 2*: chant à la gloire de Yhwh et de son roi et messie―faute des fils d’Eli
et oracle contre la maison d’Eli [interpolations en 1 S 1,3 et 4,4 rappelant les
fils d’Eli]
C) Strate messianique 2: Samuel le prophète
1 S 3: Yhwh se révèle à Samuel et revient (?) à Shilo26
[interpolations en
1 S 1,20 et 24: le nom de l’enfant devient Samuel et ce dernier n’est plus
voué nazir mais voué à rester au temple comme servant
en 1 S 2,11.18-21 et 26: l’enfant grandit au temple]
2. Le corps du récit: 1 S 4-6
Les chapitres 4 à 6 sont donc considérés comme formant le corps du “récit de
l’Arche” . Il faut pourtant en retirer les premiers mots car il est dit que la
parole de Samuel s’adressa à tout Israël. Nous avons là une petite glose
éditoriale “deutéronomiste”27
chargée d’indiquer la présence de Samuel
même en son absence: Samuel disparaît après 4,1 pour ne réapparaître qu’en
7,3. On en trouve une autre en 4,18b où il est précisé qu’Eli avait jugé Israël
pendant vingt ans, ce qui suppose une relecture du texte en fonction du livre
des Juges. A part ces quelques gloses, il ne semble pas qu’il y ait de troisième
strate rédactionnelle dans cet ensemble narratif, excepté peut-être à la toute
fin du chapitre 6.
En ce qui concerne les deux autres strates, il est plus délicat de distinguer
ce qui appartient au récit de base et ce qui peut être attribué à la première
strate messianique ou à toute autre strate, sans parler de gloses probables
étant donné les écarts existant entre le TM et la LXX concernant l’Arche elle-
même.28
Quoi qu’il en soit, il nous semble impossible de considérer le tout
26. En 1 S 3,21, de manière paradoxale, il est précisé que Yhwh était à nouveau à
Shilo par la présence de Samuel alors que, pourtant, l’Arche n’a pas encore été
enlevée par les Philistins: le rédacteur insérant Samuel a peu d’intérêt pour le “récit
de l’Arche.”
27. D’ailleurs absente de la LXX, ce qui permet de conclure à une addition ultérieure
à la traduction du texte en grec, comme c’est le cas pour une partie des plus du texte
pré-massorétique en 1 S 17-18 – voir notre étude à paraître “Les légendes fabriquées
de David. Variantes textuelles et tensions littéraires en 1 Samuel 16-18.”
28. M. Lestienne, Premier livre des Règnes, pp. 161-162.
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comme appartenant à un “récit de l’Arche.”29
Si l’on s’appuie sur les
remarques précédentes concernant la première strate messianique, on peut
déjà opérer un premier tri: tout ce qui concerne les fils d’Eli et tout rappel du
mythe exodique doit relever de cette strate. Il en est ainsi pour les versets 4,
7-9 dans lesquels les Philistins prennent paradoxalement peur et semblent
connaître les fléaux frappant les Egyptiens. En effet, lorsqu’ils sont frappés
eux-mêmes de fléaux divins (1 S 5), ils n’évoquent pas les plaies d’Egypte
car ils n’ont pas de raison de les connaître. Celles-ci le sont plus loin, en 6,6-
7, mais à la manière de 1 S 2,27 en mentionnant le Pharaon. Pour ce qui est
des fils d’Eli, on peut suggérer que leur mention en 4,4.11.17 est le résultat
d’interpolations survenant d’ailleurs en fin de verset.
Il en est vraisemblablement de même concernant la péricope de 1 S 4,12-
18a. En effet, au lieu de poursuivre le récit, on en revient à Shilo pour
s’appesantir sur le triste sort du prêtre Eli. Par ailleurs, la mention d’un
Benjaminite à cet endroit surprend tant il n’y a pas de caractérisation tribale
de cette sorte―pas même en 1 S 1,1―dans le récit. La péricope qui suit
(vv. 19-22) est vraisemblablement à attribuer au même rédacteur car il s’agit
encore de jeter l’opprobre sur la maison d’Eli: la femme de l’un des fils,
Pinhas, donne naissance à un enfant nommé “Sans-gloire” (’î-kābôd/Ouai).
Ainsi, l’Arche n’a plus de raison de revenir à Shilo puisque la gloire de
Yhwh a émigré définitivement (v. 22)―au profit de Jérusalem (2 S 6)?
Il en ressort que si l’on isole en 1 S 4 un récit primitif ne comportant ni
allusions à Eli et ses fils ni renvois au mythe exodique, c’est-à-dire à un récit
comportant peu de dialogues et de péricopes romancées, on obtient un
substrat restreint: vv. 1b-4a.5-6.10. Il n’est pas utile de garder le début du
verset 11 car 1 S 5,2 se rattache facilement à la défaite israélite de 1 S 4,10:
“Et les Philistins prirent l’Arche d’Elohim”―5,1 est un ajout rédactionnel
dont le but est de rappeler la perte de l’Arche et la défaite à Eben-Ezer après
la longue digression opérée par les deux péricopes.30
Les chapitres 5 et 6 peuvent être analysés ensemble bien que le 6 semble
quelque peu surchargé d’additions: par exemple, la présence de lévites à
Beth-Shemesh est suspecte. Il y a par ailleurs une tension entre la fin du
chapitre 5 qui conclut à un renvoi de l’Arche et le début de 6 qui signale que
Yhwh resta encore pendant sept mois en terre philistine. Il y a aussi une
contradiction entre l’appel systématiquement fait aux princes de la Pentapole
philistine dans le chapitre 5 et le recours aux prêtres, aux devins et aux
“enchanteurs/augures”31
en 6,2. D’une part, ces derniers sont mentionnés
dans le mythe exodique,32
d’autre part, on passe d’une réponse politique et
29. P.D. Miller, J.J.M. Roberts, The Hand of the Lord, pp. 60-75.
30. A. Caquot, P. de Robert, Les livres de Samuel, (CAT, VI; Genève, 1994), p. 90.
31. Epaoidous dans la LXX et m‘wnnym dans 4QSama, le TM ne mentionnant que
les deux premiers.
32. La référence peut même être directe: “La mention des “enchanteurs” est
vraisemblablement amenée par celle de la sortie d’Egypte et de l’alourdissement du
cœur de Pharaon au v. 6: les enchanteurs sont mentionnés cinq fois en Ex 7-8, et
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religieuse à une réponse totalement religieuse, voire superstitieuse. Si le
recours aux spécialistes du sacré s’avérait secondaire, alors il faudrait
distinguer dans ce récit ce qui relève de l’action divine et ce qui relève du
fléau divin et des rites prophylactiques qu’il implique.33
Il y a en effet une
grande différence entre la statue d’un dieu qui tombe à cause d’un autre et les
maladies frappant les hommes.
En retenant comme indice l’appel aux satrapes dès 5,8, qui survient trop
tôt,34
on pourrait en déduire que le récit originel ne concernait que la ville
d’Ashdod. En demandant aux princes des Philistins ce qu’il convient de faire,
on pourrait s’attendre en effet à ce qu’ils aient une réponse décisive comme
en 5,11: “renvoyez l’Arche du Dieu d’Israël et qu’il demeure à son lieu.”
Cette réponse est contradictoire avec le début du chapitre 6 mais elle n’est
pas plus en accord avec ce qui précède. Car on ne comprend pas pourquoi
l’Arche passe d’Ashdod à Gath et de Gath à Eqron (TM) ou à Ashqelon
(LXX). Le récit se veut répétitif comme l’est un conte35
mais en oubliant
deux cités philistines: Gaza et, selon la version,36
Ashqelon ou Eqron. De
même, l’appel aux satrapes est mentionné quand l’Arche se trouve à Ashdod
et dans la troisième ville mais pas dans la seconde. Enfin, si le TM précise
que les princes décident d’envoyer l’Arche à Gath, dans la LXX, ce sont les
gens de Gath eux-mêmes qui proposent d’accueillir la divinité étrangère. On
pourrait donc penser que le récit fut relu et prolongé de manière à “faire
tourner” la divinité étrangère dans les villes philistines.
De notre point de vue, l’ensemble des chapitres 5-6 a été récrit par
l’auteur de la première strate messianique. La mention même des “princes”
est sujette à caution car elle suggère déjà les pérégrinations de l’Arche dans
les cinq villes philistines. Au départ, il y a l’histoire d’un dieu battu sur le
champ de bataille et capturé par l’ennemi. Mais le dieu vaincu se révèle
finalement plus fort que le dieu vainqueur une fois dans le temple de ce
dernier. Ensuite, le récit a été amplifié pour frapper un peuple, les Philistins.
Cette récriture complète de ces deux chapitres explique sans doute pourquoi
il y a une grande souplesse concernant le nom de l’Arche―de Yhwh et
d’Elohim―et pourquoi l’épiclèse Sebaot (1,3.11 et 4,4) disparaît. C’est en
effet “un homme d’Elohim” qui intervient en 1 S 2,27 pour rappeler à Eli le
l’alourdissement du cœur de Pharaon deux fois (Ex 8,11.28),” M. Lestienne, Premier
livre des Règnes, p. 177.
33. C. Lemardelé, “Une solution pour le āšām du lépreux,” VT 54 (2004), pp. 208-
215.
34. C’est pourquoi Josèphe omet cette mention dans son texte: voir le commentaire
d’Etienne Nodet dans son édition de Flavius Josèphe, Les Antiquités juives III: Livres
VI et VII (Paris, 2001), p. 4, n. 1.
35. Voir ces aspects répétitifs dans le mythe de Samson: C. Lemardelé, “Du jeune
héros aux jeunes guerriers: de Samson aux baḥûrîm,” M. Langlois (éd.), Le jeune
héros. Recherche sur la formation et la diffusion d’un thème littéraire au Proche-
Orient ancien, (Orbis Biblicus et Orientalis), Fribourg-Göttingen, pp. 205-224.
36. On retrouve la même “confusion,” entre Eqron (TM) et Ashqelon (LXX) en
1 S 17,52.
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fléau qui toucha le Pharaon et les Egyptiens. La parenté thématique et
lexicale entre 1 S 2 et 1 S 5-6, si elle n’est pas flagrante, est tout de même
évidente.
Il semble en être autrement en ce qui concerne la toute fin du chapitre 6
(vv. 17-21). En effet, il y a d’abord une répétition inutile des offrandes
réparatrices des Philistins, puis une profanation peu évidente des habitants de
Beth Shemesh, ce qui peut surprendre après le fléau divin. On peut en effet
comprendre que des étrangers soient frappés par le dieu d’Israël, mais pas des
Israélites. D’ailleurs, la profanation n’est pas tout à fait la même dans le TM
et dans la LXX puisque le premier parle d’hommes ayant regardé dans
l’Arche tandis que la seconde parle des fils de Iékhonas (Yoyakîn ?)37
qui
n’ont pas fêté l’arrivée de Yhwh. Il faut ajouter à cela l’étrange verset 20 qui
fait l’effet d’une transition artificielle: “qui pourra se tenir devant Yhwh, ce
Dieu saint ?”, c’est-à-dire que les réviseurs ont éprouvé le besoin d’expliquer
pourquoi l’Arche ne resta pas à Beth Shemesh mais fut en possession des
gens de Qiryat-Yearim.
Nous optons donc pour un récit originel restreint et presque totalement
recouvert par la première strate messianique. Ce récit consistait à relater la
capture de Yhwh par les Philistins (1 S 4,1-10) afin d’en faire un dieu soumis
à Dagon dans le temple d’Ashdod.38
Sans doute le dieu israélite fut-il renvoyé
après qu’il eut brisé la statue du dieu philistin. La question qui reste est: où
précisément ?
A) “récit de l’Arche”
1 S 4, 1-10: bataille à Eben-Ezer contre les Philistins―1 S 5*: Yhwh dans le
temple de Dagon à Ashdod
B) Strate messianique 1: 1 S 4,11-22: malédiction sur Eli sa maison et sa
descendance―1 S 5-6*: fléau sur les Philistins
C) Strate messianique 2: Samuel le prophète et “profanation” à Beth
Shemesh [interpolations en 1 S 4,1 (TM) et 18b ; 1 S 5, 1 ; 1 S 6,17-21]
3. La fin du récit: 1 S 7 ou 1 S 14 ?
En 1 S 5,11, il est dit que le dieu d’Israël doit être renvoyé pour demeurer en
son lieu. Mais Yhwh Sebaot ne retourne pas à Shilo. Après son transit par
Beth Shemesh, le dieu se retrouve à Qiryath-Yearim. Un problème se pose
toutefois: si 1 S 6,21 et 1 S 7,2 établissent ce fait―“Descendez et faites-la
monter chez vous”; “l’Arche demeurait à Qiryat-Yearim”―, 1 S 7,1 le
contredit: “Et les hommes de Qiryat-Yearim vinrent et firent monter l’Arche
de Yhwh. Ils l’amenèrent dans la maison d’Abinadab sur la colline.” La
difficulté et la tension entre les versets vient du fait que la LXX traduit ainsi
37. Ce qui semble être une allusion aux derniers temps du royaume de Juda:
M. Lestienne, Premier livre des Règnes, p. 185.
38. La présence de Dagon à Ashdod n’est pas sans faire penser à la présence de ce
dieu à Gaza à la fin de l’histoire de Samson (Jg 16): quelle que soit la cité, il s’agit
toujours de la “Philistie,” et de son dieu.
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alors que le TM dit: “à Gibea (bgb‘h).” Evidemment, on pourrait penser que
la colline en question soit le haut-lieu cultuel de la localité comme c’est le cas
en 1 S 9,13. Mais le voyant de ce récit, comparable au prêtre puisqu’il a un
rôle sacrificiel, n’y a pas sa demeure et, surtout, le vocabulaire diffère: byt
dans un cas, bmh dans l’autre.
Un autre problème vient s’ajouter à la tension entre ces versets: le récit de
l’Arche n’a pas de prolongement, il se termine là puisque la thèse ancienne le
faisant reprendre en 2 S 6 n’est guère envisageable désormais. Cela
signifierait donc qu’il a été interrompu car on ne peut pas raisonnablement
penser que la perte de l’Arche de Shilo par les Israélites termine son parcours
à Qyriat-Yearim39
, localité sans grande importance historique, tant du point
de vue politique que du point de vue religieux.40
On peut observer que ce
récit était déjà interrompu au moment de sa reprise en 2 S 6,2-4 puisque ce
texte ne mentionne pas autre chose que ce qu’il y a en 1 S 7,1, sans même
mentionner Qyriat-Yearim. Soit l’importance de cette localité était tellement
moindre que le rédacteur n’a pas jugé utile de préciser le lieu d’où venait
l’Arche, soit, au moment de la reprise, 1 S 7,2 n’existait pas et le rédacteur
lisait seulement que les gens de Qyriat-Yearim étaient venus chercher
l’Arche à Beth-Shemesh pour la monter jusqu’à la maison d’Abinadab située
sur la colline. En effet, seul 1 S 7,2 précise explicitement que l’Arche était à
Qyriat-Yearim.
Récit de l’Arche interrompu, versets contradictoires, où donc l’Arche
pouvait-elle se situer en dernier ressort? La solution peut venir du terme
“traduit” par “colline” dans la LXX. En effet, il n’y a pas de raison
interdisant d’interpréter gb‘h comme un nom propre: Gibea, la ville de
Gibea.41
Or Qyriat-Yearim est environ à mi-chemin entre Beth-Shemesh et
Gibea et l’on peut penser que les gens de cette localité n’ont eu pour seule
fonction que celle de monter l’Arche dans la région des collines―qui plus
est, sur l’un des points les plus hauts42
―, en plein “territoire yahwiste,” non
dans une zone intermédiaire. La question qui survient immédiatement est:
pourquoi Gibea et non Shilo ? Certes, cette dernière localité était située bien
39. K. van der Toorn, C. Houtman, “David and the Ark,” pp. 221-222, contrairement
à P.D. Miller, J.M. Miller, The Hand of the Lord, pp. 25-26.
40. Contrairement à J. Blenkinsopp, “Kiriath Yearim and the Ark,” JBL 88 (1969),
pp. 143-156 et, dernièrement, à M. Leuchter, “The Cult at Kiriath Yearim: Implica-
tions from the Biblical Record,” VT 58 (2008), pp. 526-543.
41. Pour une discussion concernant l’emplacement archéologique de Gibea, voir
S.S. Brooks, “From Gibeon to Gibeah: High Place of the Kingdom,” dans J. Day
(ed), Temple and Worship in Biblical Israel, (LHBOTS, 422; London-New York,
2005), pp. 40-59 ; W.M. Schniedewind, “The Search for Gibeah: Notes on the His-
torical Geography of Central Benjamin,” A.M. Maeir, P. de Miroschedji (eds), “I
Will Speak the Riddle of Ancient Times”. Archaeological and Historical Studies in
Honor of Amihai Mazar, vol. 2 (Winona Lake, 2006), pp. 711-722.
42. 838 mètres d’altitude si l’on identifie le site de Tell el Fûl―ce qui semble le plus
probable―comme étant Gibea: W.M. Schniedewind, “The Search for Gibeah,”
p. 722.
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plus au nord, mais il y a vraisemblablement une volonté philistine de ne pas
faire retourner la divinité ennemie dans son temple. Gibea pouvait être
choisie par eux pour une raison bien simple: rendre la divinité tout en gardant
le contrôle sur elle. En territoire israélite libre, Yhwh était une arme de
guerre, en territoire philistin, un fléau, il suffisait donc qu’il fût en territoire
israélite occupé. Or Gibea est précisément le lieu où il y avait une garnison
philistine (1 S 10,5 ; 13,3-4).
Le terme nṣyb désigne un poste militaire. Si la LXX a pu le traduire par
anastêma (construction), le terme est surtout transcrit en 1 Règnes, comme
s’il s’agissait d’un nom propre: Nasib l’étranger au lieu de la garnison des
Philistins. 1 S 10,5 a même un doublet en grec à moins que l’on ait traduit à
deux reprises (?): “tu entreras sur la colline de Dieu [ou Gibea d’Elohim], là
où est la construction des Étrangers, où est Nasib l’Étranger.” La
transcription grecque est en fait présente dès 1 S 1,1 où il est dit qu’Elqanah
n’est pas descendant de Suph d’Ephraïm, mais provenant du Nasib
d’Ephraïm. Si l’on peut toujours supposer une corruption du modèle hébreu
pour expliquer la “traduction” grecque,43
la lectio difficilior de la LXX
pourrait toutefois être retenue puisque l’on retrouve le terme plus loin.
Auquel cas il faudrait considérer le terme nṣyb comme structurant pour
l’ensemble du récit, c’est-à-dire qu’Elqanah venait de Ramataïm
Suphim―littéralement: les deux hauteurs de Suph, conformément à la
description de Rama en 1 S 9,11-12, la ville en hauteur et le haut lieu cultuel
–, ville garnison à la frontière d’Ephraïm, faisant en quelque sorte face à la
garnison philistine de Gibea. Si Rama porte bien son nom puisque cela
signifie hauteur, a également une connotation dans ce sens puisque
le terme veut dire “guetteurs”―comme en 1 S 14,16 lors de la bataille contre
les Philistins: les guetteurs de Saül. D’ailleurs, l’hébreu de 1 S 1,1 n’est guère
cohérent en parlant de “fils de Suph” car ce nom désigne un pays et non une
personne. En 1 S 9,4, lorsque Saül et son serviteur cherchent les ânesses, ils
traversent trois pays: Shalisha, Shaalim et Iakim44
, dans les monts d’Ephraïm.
Au verset suivant, Saül prend la décision de rentrer chez lui alors qu’ils
arrivent précisément au pays de Suph. On peut donc poser l’hypothèse
suivante: si le récit de naissance est celui de Saül en 1 S 1, on peut penser que
l’ascendance mentionnée était la sienne et que la seule modification a dû
porter sur le nom de l’enfant, que Saül était de Rama du pays de Suph, ville-
garnison des Ephraïmites/Israélites. Et c’est de là d’où il part pour chercher
les ânesses égarées de son père et, ne les trouvant pas, rentre chez lui en 1 S 9
afin de consulter le voyant―“est-ce que le voyant est ici ?” (v. 11)―qui lui
annoncera son départ en 1 S 10 pour Gibea, son départ et non son retour car
ce n’est pas le verbe šwb qui est utilisé mais bw’ (arriver): “tu arriveras à
Gibea d’Elohim, là il y a une garnison de Philistins” (v. 5).
43. M. Lestienne, Premier livre des Règnes, p. 127.
44. En suivant LXXB car le TM propose Benjamin qui ne correspond pas au terme
“pays,”: ’rṣ/gê.
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Ainsi, le récit qui commence au centre cultuel de Shilo se trouve
également construit autour de deux villes-garnisons proches l’une de l’autre:
Rama d’un côté, Gibea de l’autre. La première a des guetteurs israélites, la
seconde des soldats philistins. Il est vraisemblable de penser que Saül va de
l’une vers l’autre. Si le récit final de 1 S 9 fait tout pour nous donner à penser
que Saül est de Gibea―ascendance benjaminite (v. 1), interpolations
nombreuses en fonction de Samuel (v. 9: le prophète s’appelait avant
voyant)―, les signes que le voyant énonce au jeune héros ne suggèrent pas
qu’il rentre chez lui. La question qui se pose est: pourquoi le voyant envoie-t-
il Saül à Gibea s’il ne rentre pas chez lui ? Tout simplement parce que
l’Arche divine s’y trouve comme le laisse entendre 1 S 7,1 et ce que confirme
1 S 14,18: dans la bataille contre les Philistins, Saül ordonne au prêtre
d’apporter l’Arche (’rwn) d’Elohim, ce qui crée immédiatement la panique
dans le camp philistin (vv. 19-20). Or, si Saül a Yhwh à ses côtés, c’est parce
qu’il a frappé la garnison philistine de Gibea (1 S 13,3-4).
Évidemment, tous ces éléments apparaissent éparpillés tant les récits ont
été relus, prolongés, détournés, harmonisés. Par exemple, la mention de
l’Arche au chapitre 14 a presque disparu puisque la LXX “traduit” par
l’éphod oraculaire, cela afin d’harmoniser son texte45
avec le verset 3 où
l’hébreu a bien le terme ’pwd et non ’rwn. Autre exemple, Jonathan semble
avoir un rôle déterminant dans le récit final car c’est lui qui frappe la
garnison philistine au chapitre 13 et qui attaque en premier les Philistins avec
son serviteur au chapitre suivant. Mais, d’une part, l’attaque de Jonathan en
1 S 14 n’est qu’une escarmouche comparée à la bataille finale avec l’Arche,
d’autre part et surtout, 1 S 13,3-4 est contradictoire: “Et Jonathan frappa la
garnison des Philistins qui était à Gibea (…). Et Saül a fait sonner du cor
(šwpr) dans tout le pays (…). Et tout Israël entendit qu’on disait: Saül a
frappé la garnison des Philistins…” . Si Samuel recouvre le nom de Saül dans
le premier chapitre, il semble bien que ce soit Jonathan cette fois. Car si Saül
souffle dans le shophar, c’est sans doute pour appeler à la révolte générale
après son exploit―d’autant plus que son fils est totalement absent du récit
avant cette action.
Faire le lien comme nous venons de le faire entre 1 S 7,1 et 1 S 10 et 13 à
partir du terme gb‘h, à comprendre comme étant la cité de Gibea, et à partir
du mot-clé “garnison” nous a permis de retourner à 1 S 1, puis d’aboutir à
1 S 14 avec l’autre mot-clé presque perdu: “Arche” . Cela nous conduit à
répondre à la question posée: le récit de l’Arche ne se terminait pas en 1 S 7,
1 mais en 1 S 14,18, tout du moins provisoirement. Et cela peut paraître assez
limpide si l’on accepte le fait que Yhwh fut amené à Gibea par les gens de
Qiryat-Yearim, ville où se situait Saül au moment de la bataille avec les
Philistins (1 S 14,2). Si ce type de lecture pose et posera problème à bon
nombre d’exégètes, c’est parce qu’il y a beaucoup de matière textuelle à
élaguer afin de retrouver le récit originel. En même temps, qui peut se
45. K. van der Toorn, C. Houtman, “David and the Ark,” pp. 210-211.
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satisfaire du texte actuel46
, et notamment d’un récit de l’Arche qui n’aboutit
pas et dont la fonction narrative est très loin d’être claire ?
On peut classer, là encore, cette matière en deux catégories: des textes
apparentés au “Deutéronomiste,” qui concernent Samuel, et des textes
antérieurs mais qui ne sont peut-être plus seulement d’une strate messianique
tant les indices de cet ordre disparaissent au profit essentiellement d’un
personnage: Jonathan. Or Jonathan est le personnage qui permet de voir la
relecture du récit général en fonction de David. Les chapitres 13 et 14 ont
donc vraisemblablement été relus par un rédacteur voulant rattacher la geste
de Saül à celle de David47
car Samuel en est absent. Pour ce qui est de la
strate messianique 2, il est aisé de retirer les chapitres 7―excepté le premier
verset –, 8 et 12, considérés de plus en plus comme très secondaires48
, surtout
le chapitre 12 qui contient un véritable résumé du récit biblique général
(vv. 6-15). Pour le reste, c’est plus délicat. Les chapitres 9 et 10 ont été
modifiés au point de comporter une véritable réorientation en fonction de
Samuel. Seuls les versets 6-10 du chapitre 9 pourraient tout de même se
rattacher à la strate messianique 1 car on retrouve l’expression “l’homme de
Dieu” (’š ’lhym), mais sans le verset 9 qui explique a posteriori que le
“voyant” (r’h) s’appelait autrefois “prophète” (nby’), révélant ainsi la nature
originelle du texte et ses deux relectures: voyant―homme de Dieu―
prophète (Samuel). Il nous faudra tenter d’éclaircir la construction de ces
passages et même retrouver les chaînons manquants.
A) Indices d’un “récit de l’Arche”
1 S 7,1: l’Arche est menée à Gibea par les gens de Qyriat Yearim
―1 S 14,18: l’Arche est en possession de Saül qui combat les Philistins à
Gibea
1 S 10,5: une garnison philistine à Gibea―1 S 13,3-4: Saül frappe la
garnison philistine de Gibea
B) Strate messianique 1: 1 S 9,6-8.10: le voyant est appelé “homme
d’Elohim”
[Strate intermédiaire (davidique): 1 S 13-14*: Saül, Jonathan et les Philistins]
C) Strate messianique 2: 1 S 7,2-17: Samuel sacrifie à Mispa; 1 S 9-10:
Samuel devient le voyant de Rama
[Ajout messianique 1: Samuel âgé opposé à la royauté (1 S 8)]
46. Sauf exception: “There are no signs of redactional activity in 1 Samuel 1-8, in all
probability, it is an entirely authorial creation,” (?), S. Frolov, The Turn of the Cycle.
1 Samuel 1-8 in Synchronic and Diachronic Perspectives, (BZAW, 342; Berlin-New
York), p. 203.
47. Voir notre étude, “Les légendes fabriquées de David,”.
48. “Ces textes ont une fonction de structuration et d’organisation du récit tout à fait
essentielle, et ce sont eux qui permettent le mieux de comprendre et d’analyser
l’intention de la composition dtr en 1-2 S ; il s’agit de 1 S 3; 7; 8; 12, ainsi que
2 S 7,” C. Nihan, D. Nocquet, “1-2 Samuel,” T. Römer, J.-D. Macchi, C. Nihan,
Introduction à l’AT, p. 291.
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A la recherche du “récit de l’Arche”: à la recherche de Saül 69
[Ajout messianique 2: Samuel résume l’histoire d’Israël (1 S 12)]
4. Les chaînons manquants: 1 S 9-10
Lorsque l’on attribue les chapitres 7―excepté le verset 1―et 8 à des
rédacteurs postérieurs au “récit de l’Arche,” l’horizon se dégage pour relier
ce récit à celui de Saül. En effet, l’écart paraît moins important entre 1 S 1,4-
6 et 9-10 une fois retiré tout ce qui concerne Samuel: le récit commence par
Saül (sa naissance) et revient à Saül (sa jeunesse), ce qui fait du récit de
l’Arche un récit dans le récit et non un document indépendant.49
Puisque la
“fin” du récit n’est guère satisfaisante en 1 S 7,1 et puisque l’on retrouve
l’Arche en 1 S 14, il faut se demander quelle est la nature de la relation entre
le voyant et Saül. Dans le texte final très embrouillé―toute la fin du chapitre
9 concerne la rencontre de Saül et de Samuel sans que celle-ci aboutisse―et
surchargé d’interpolations apportant des tensions―par exemple, la question
de Samuel et la réponse de Saül aux versets 20b-21 devancent de manière
inattendue l’onction du chapitre suivant―, on lit que “Samuel” annonce trois
signes au jeune homme: près de la tombe de Rachel (?), deux hommes lui
diront que les ânesses de son père ont été retrouvées―tension avec
1 S 9,20―, près du chêne de Tabor (?), trois hommes partant sacrifier à
Bethel le ravitailleront, puis il arrivera à Gibea et rencontrera une bande de
prophètes (1 S 10,2-6). Ces prophètes n’ont rien à voir avec Samuel car,
selon la distinction faite par Nissinen, ils sont conformes à “the ancient
Hebrew prophecy,” tandis que Samuel n’est qu’une émanation de “the
biblical prophecy.”50
Leur description dans ce passage les rapproche
d’ailleurs des prophètes mésopotamiens que l’on connaît notamment par les
documents de Mari51
. Ceci prouve assez que ces trois “signes” (’twt/sêmeia)
appartiennent à la strate la plus ancienne du récit.52
Ce récit des trois signes est strictement encadré par deux relectures
messianiques distinctes: au verset 1, Samuel oint Saül, et au verset 8, il est dit
que Saül ira immédiatement à Gilgal pour sacrifier après avoir rencontré les
prophètes de Gibea. La mention de l’onction et la destination de Gilgal sont
contradictoires car, plus loin, il est question d’une “nouvelle” onction de Saül
dans cette localité (1 S 11,12-15). Il semblerait donc que la suite de la
relecture du chapitre 10―strate messianique 2―n’ait pas eu Gilgal comme
lieu d’arrivée pour Saül mais Mispa comme en 1 S 7,2ss. En effet, les trois
signes se réalisent, bien que le dernier ait été détourné, et Samuel convoque
tout le peuple en ce lieu afin de lui présenter le roi oint. Les interpolations
mentionnant Gilgal et Samuel, ainsi que l’“obsession” d’y offrir des
49. K. van der Toorn, C. Houtman, “David and the Ark,” p. 225.
50. M. Nissinen, “What is Prophecy ?” pp. 28-31.
51. F.J. Gonçalves, “Les ‘prophètes écrivains’,” p. 167.
52. Voir les remarques de J. Vermeylen, La loi du plus fort: histoire de la rédaction
des récits davidiques de 1 Samuel 8 à 1 Rois 2, (BETL; 154; Louvain, 2000), pp. 26-
27.
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sacrifices―encore en 1 S 13,4b.7b-15―sont donc à attribuer à un ajout
messianique tardif.
Mais si le “récit des trois signes” a tourné court, cela ne tient pas à cet
ajout en fonction de Gilgal, car le récit est interrompu pour l’assemblée de
Mispa (1 S 10,17-27). Or, dans cette version, on ne sait absolument pas ce
que Saül a réalisé à Gibea. Si les deux premiers signes ont une
signification―clore la recherche des ânesses et ravitailler le jeune homme―,
le troisième semble ne pas avoir de sens particulier. En effet, Saül rencontre
bien les prophètes, prophétise avec eux et passe pour un fou auprès de
badauds qui le connaissent (?), pour finir par échoir chez son oncle―et
pourquoi pas son père ?―qui lui demande où sont les ânesses et ce que lui a
dit Samuel (?). Ces versets 11 à 16 semblent bien avoir détourné le fleuve
narratif de son cours. Or la solution du troisième signe se lit pourtant bien au
verset 7: “Fais pour toi ce que ta main trouvera parce qu’Elohim est avec
toi.” Et comme cette annonce est précédée de: “l’esprit de Yhwh fondra sur
toi et tu entreras en transe avec eux, tu seras changé en un autre homme”
(v. 6), on peut facilement relier cette transe due à l’esprit de Yhwh à deux
éléments: d’une part au statut de nazir de l’enfant à naître (1 S 1,11 [LXXB]
et 22 [4QSama]), d’autre part au coup de force du héros contre la garnison
philistine (1 S 13,3-4).53
A l’instar de Samson, l’esprit (rwḥ) divin ne fait pas
de Saül un prophète―Amos 2,11-12 évoque les prophètes et les nazirs
habités par cet esprit54
―mais lui permet de s’exalter au point d’entrer en
fureur et d’accomplir un exploit héroïque―comme Samson, Saül a la narine
qui brûle de colère (Jg 14,19/1 S 11,6). Mais alors que faisait-il au milieu de
prophètes ? Sans doute faut-il alors comprendre cela comme une ruse propre
au jeune guerrier55
lui permettant d’approcher au plus près de la garnison
philistine sans éveiller de soupçons.
Les relectures des chapitres 9-10 et 13-14 sont nombreuses et l’on y
décèle des interpolations diverses en fonction de Samuel―mention de Mispa,
puis de Gilgal―et en fonction de David―rôle attribué à Jonathan.56
S’il
paraît difficile d’aller au-delà de la récolte de quelques indices, cela nous
semble suffisant pour établir que le “récit de l’Arche” était surtout le récit de
l’accession au pouvoir de Saül. Le but du récit n’est donc pas l’Arche de
Yhwh pour elle-même mais son utilisation guerrière par les Israélites/
Ephraïmites. Or si l’échec est patent en 1 S 4, en l’absence de héros
suffisamment exalté et exaltant, le succès est complet en 1 S 14, grâce à la
présence de l’Arche sur le champ de bataille, grâce avant à l’esprit divin qui a
pu saisir le nazir Saül pour reprendre possession de l’Arche: l’action de
53. Pour l’argumentation textuelle et littéraire concernant la relation Saül – nazir –
esprit de Yhwh, voir notre article “Saül le nazir,” pp. 48-55.
54. C. Lemardelé, “Être nazir,” pp. 280-281.
55. C. Lemardelé, “Du jeune héros aux jeunes guerriers,” pp. 209-215.
56. Voir O. Kaiser, “Der historische und der biblische König Saul (Teil II),” ZAW
123 (2011), pp. 1-14.
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Yhwh est donc interne et aboutit à la transe (prophètes, nazir) ou externe et
destructrice (Arche).
A) “récit de l’Arche/Accession au pouvoir de Saül”
1 S 9*: Saül recherche les ânesses dans les monts d’Ephraïm―1 S 10,2-7: le
voyant envoie Saül le nazir en mission à Gibea
1 S 10*: Saül saisi par l’esprit de Yhwh au milieu de prophètes frappe la
garnison philistine
C) Strate messianique 2: 1 S 10,9-16: l’exploit de Saül est dissimulé;
1 S 10,17-27: le jeune homme oint par Samuel (1 S 10,1) est confirmé roi à
Mispa
[Ajouts messianiques: Saül doit sacrifier à Gilgal en présence de Samuel
(1 S 10,8; 11,12-15 et 13,4b.7b-15)]
5. Et le héros devint roi: 1 S 13-14 et 1 S 11
La lecture du “récit de l’Arche” dans le récit général de 1 Samuel n’a guère
de sens. En effet, ce récit semble se perdre dans les diverses strates
messianiques, strates qui ont pour but d’aboutir à la royauté légitimée par
l’onction du prophète choisi par Yhwh. Il n’a guère de sens dans le récit
général d’autant plus que le personnage de Samuel en est absent. La solution
semblait donc être le récit indépendant à l’origine, l’unité narrative de Rost.
Mais cette hypothèse n’a plus vraiment de sens non plus depuis qu’on a jugé
à juste titre que la poursuite et la fin du récit en 2 S 6 n’était pas compatible
avec 1 S 4-7―l’écart entre les deux ensembles textuels était d’ailleurs
autrement plus important que ceux présents dans mon hypothèse. Or, donc,
nous nous retrouvons avec un embryon narratif qui n’a ni motif clair ni
aboutissement décelable. C’est pourquoi nous proposons de situer le “récit de
l’Arche” dans un récit plus large, comme faisant intrinsèquement partie de la
strate narrative la plus ancienne de 1 Samuel, soit le “récit de l’Accession au
pouvoir de Saül” . Ce récit ou, pour mieux dire, cette légende avait pour
objectif de raconter l’avènement de la royauté en Israël ou, plus simplement,
le surgissement d’un chef en Ephraïm s’imposant comme despote à d’autres
tribus. Mais ce récit n’avait rien de messianique, nulle onction, nul prophète
pour légitimer la royauté devant le peuple. Cependant, en tant que légende, il
comporte bien des éléments qui dérogent à toute compréhension historique
du récit: naissance après un vœu d’un enfant spécial (nazir)―capture d’un
dieu―rétrocession de ce même dieu―signes d’un voyant―exploit du héros
jeune―bataille victorieuse avec le dieu.
Cette légende se comprend aussi géographiquement. Les parents du futur
roi habitent les collines d’Ephraïm, à Rama, et se rendent plus au nord, à
Shilo, pour rendre un culte à Yhwh des armées―ils ne vont pas à Beth El
comme les trois hommes que Saül rencontre plus tard―car la légende relève
d’un milieu polythéiste. Les tribus israélites―ou les clans éphraïmites?
―sont sous pression philistine et comptent sur leur divinité guerrière pour
vaincre leur ennemi. Mais le dieu est vaincu et quitte les collines pour la
plaine littorale à Ahsdod. Yhwh se montrant plus fort que Dagon, les
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Philistins finissent par lui faire prendre le chemin du retour et ce sont les
habitants de Qiryat Yearim qui lui font monter les collines pour l’installer à
Gibea. Pendant ce temps, l’enfant demandé à Yhwh au temple de Shilo
grandit à Rama, non loin de Gibea. Quand son père l’envoie chercher ses
ânesses, il ne les trouve pas car il part du mauvais côté. Nous comprenons
mal pourquoi le héros doit chercher des ânesses, si ce n’est en y décelant une
connotation royale: “le roi oriental chevauchait un âne.”57
En revenant à
Rama, le voyant lui dit de quel côté aller, au sud, pour se rendre à Gibea
affronter la garnison philistine. Et c’est de là qu’il livre une bataille décisive
contre les Philistins, lui le champion de Yhwh.
En ce qui concerne cette bataille, il est assez aisé de faire le tri des
informations. Quand on restreint les chapitres 13-14 aux seules actions de
Saül, retirant donc les versets mentionnant Gilgal et surtout les épisodes
intégrant Jonathan―bref, ce qui complique considérablement la localisation
des armées en présence58
―, les choses deviennent plus claires: la bataille se
prépare en “13” et a lieu en “14,” les Philistins occupent Mikmas au nord-
ouest de Gibea (13,5) et Saül cette dernière localité (14,2): “Saül était assis à
l’extrêmité de Gibea,” Alors que si l’on lit le texte actuel, Saül est tantôt à
Mikmas (13,2), tantôt à Gilgal (13,7b), tantôt à Geba (13,16) et enfin à
Gibea. Le rédacteur qui a inséré les épisodes concernant Jonathan a généré
beaucoup de confusions en accumulant les noms de lieux et en accentuant la
puissance destructrice des Philistins par un vocabulaire subjectif. En effet, il
ne s’agit plus seulement d’une armée avec des chars et des cavaliers, mais
d’un “dévastateur,” donc d’un corps de destruction, se divisant en
commandos dans trois directions distinctes avec des noms significatifs
(13,17-18). Le recours à des toponymes, même pour des lieux impossibles à
identifier, se retrouve en 14,4-5, quand Jonathan et son écuyer s’apprêtent à
attaquer entre Mikmas et Geba. Ce rédacteur a apporté également une
confusion lourde de conséquences en mentionnant pour la première fois cette
dernière localité, située au nord-ouest de Gibea, précisément entre Gibea et
Mikmas59
. En effet, il y a une probable inversion des termes en 13,2-3, seul
passage où la LXX a traduit Gibea par Gabee et Geba par “colline.”60
Cette
inversion dans le TM s’explique sans doute par l’attribution de l’exploit de
Saül à Jonathan au verset 3. C’est cette confusion sur les deux noms de
localités qui a conduit Arnold a identifié Gibea à Jeba/Geba et non à Tell-el-
Ful,61
contre le consensus général et l’identification première d’Albright.
57. S. Lafont, “Nouvelles données sur la royauté mésopotamienne,” RHDFE 73
(1995), pp. 473-500 (482-483).
58. G. Hentschel, Saul. Schuld, Reue und Tragik eines Gesalbten, (BG. 7; Leipzig,
2003), pp. 65-66.
59. Ibid., p. 73.
60. M. Lestienne, Premier livre des Règnes, p. 113.
61. P.M. Arnold, Gibeah: The Search for a Biblical City, (JSOTS. 79; Sheffield,
1990), pp. 54-60.
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Si le chapitre 13 peut être considérablement réduit en ce qui concerne sa
strate d’origine, il en est de même avec le suivant. En effet, ce chapitre a été
relu et augmenté par le même rédacteur pro-davidique, en faisant de Jonathan
l’artisan de la victoire contre les Philistins (vv. 4-17), en ajoutant la péricope
sur le sacrilège du même Jonathan (vv. 24-30), la péricope du sacrilège du
peuple (vv. 31-35) et la péricope du “sacrifice” de Jonathan par son père
(vv. 36-46), toutes très défavorables à Saül et émanant peut-être de rédacteurs
ultérieurs. Il reste cependant à la fin du chapitre, la notice sur le règne de Saül
qui doit être ancienne et qui devait à l’origine subvenir après la défaite et la
mort du roi sur le mont Gilboa (1 S 31).
Dans cette reconstruction, le chapitre 11―la première partie, faisant état
d’un récit archaïque concernant Saül―n’a guère sa place, sinon à la suite de
cette légende, c’est-à-dire après la bataille contre les Philistins des chapitres
13-14. Et cela pour une raison simple: les gens de Yabesh de Galaad qui font
appel à Saül le font plus ou moins à titre d’étrangers puisqu’ils se situent de
l’autre côté du Jourdain, sous domination ammonite, et qu’ils feront partie de
son royaume après sa mort (2 S 2,9). D’ailleurs, la fin provisoire du récit de
Saül mentionne bien l’action de ce héros se taillant un royaume à force de
batailles vers le nord à partir de Gibea, donc en territoires jordaniens et
transjordaniens (1 S 14,47-52). Il semblerait que la limite ait été pour lui Beth
Shan, tenue par les Philistins et semble-t-il pas avec une simple garnison
comme à Gibea (1 S 31). On peut par ailleurs considérer que le chapitre 11
ait été celui du passage du statut de héros―ou de “juge” , comme le suggère
1 S 12,12―à celui de roi, car en massacrant ses vaches pour montrer aux
Israélites de quoi il était capable, il imposait à tous son pouvoir, tel un
despote s’imposant par la force et proposant des liens de dépendance en
assurant protection et assistance.62
L’épisode de 1 S 11,5-7 renvoie aux exploits de Samson, pareillement
possédé par l’esprit divin, c’est la dimension héros-nazir. Mais il renvoie
aussi à l’épisode de la concubine du lévite en Juges 19, où ce dernier découpe
le cadavre de sa femme en douze morceaux pour appeler à la guerre contre
Gibea. La différence tient au fait que Saül se comporte en chef en agissant
ainsi et qu’il n’est pas précisé douze morceaux pour les douze tribus. On peut
penser qu’il manque des éléments à la légende et que Saül s’était installé à
Gibea après avoir vaincu les Philistins. De là, il pouvait asseoir un pouvoir
relatif sur d’autres tribus et convoquer “Israël” pour partir au combat. Mais
on ne peut à la suite de cela considérer Gibea comme sa capitale car les
fouilles de Tell-el-Ful n’ont rien révélé de décisif quant à l’existence de
fortifications.63
Il est possible que ce roitelet allât de place en place avec ses
62. E. Pfoh, “Dealing with Tribes and States in Ancient Palestine,” SJOT 22 (2008),
pp. 86-113; N.P. Lemche, “From Patronages Society to Patronage Society,” V. Fritz,
P.R. Davies (eds), The Origins of the Ancient Israelite States, (JSOTS, 228; Shef-
field, 1996), pp. 106-120.
63. I. Finkelstein, « Tell el-Ful Revisited : The Assyria and Hellenistic Periods (With
a New Identification) », PEQ 143 (2011), pp. 106-118.
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guerriers, cherchant peut-être une cité suffisamment riche et grande pour s’y
installer, et son choix se porta peut-être pour sa perte sur Beth Shan.
A) “récit de l’Accession au pouvoir de Saül”
1 S 13*: Saül sonne la révolte contre les Philistins―1 S 14*: Saül combat de
Gibea et vainc l’ennemi grâce à Yhwh
1 S 11,1-11: Saül s’impose comme despote et protecteur
1 S 14,47-51: notice sur le règne de Saül
[Strate intermédiaire (davidique): 1 S 13,1-2.16-18 ; 14,1.4-17: Jonathan
devient le protagoniste essentiel de la bataille contre les Philistins]
[Péricopes successives contre Saül: 1 S 14,24-30.31-35.36-46]
6. L’ensemble du récit: de 1 S 1.4-7 à 1 S 9-10; 13-14.11
Avec cette légende royale trouvant son aboutissement dans une garnison
militaire ennemie (Gibea), nous sommes proches des récits concernant David
autour d’Hébron puis de Jérusalem. Mais le fait qu’elle prenne son origine
dans un centre cultuel―certes, yahwiste et non “élohiste”―nous ramène
aussi au cycle de Jacob longuement étudié par Albert de Pury.64
Il s’agit tout
autant d’une légende royale que d’un hieros logos concernant une divinité
particulière. Car les deux premiers fils de Saül ont des noms yahwistes:
Yônātān et son deuxième fils Yišwî (1 S 14,49)―Ishboshet/Ishbaal étant
dépréciatifs en 2 S 4 et 1 Ch 8,3365
. En ce qui concerne Yišwî ou ’Κ-wî, il
faut très vraisemblablement voir une corruption par inversion des deux lettres
du suffixe: yw―yhwh―au lieu de wy. En effet, la LXX a comme leçon
Iessiou, soit ’Κ-yô, “homme de Yhwh.”66
Alors que des six fils de David nés
à Hébron (2 S 3,2-5), trois ont un nom yahwiste―si l’on compte le second
comme étant Dalouia (LXX) et non Kileab –, des nombreux fils nés à
Jérusalem (2 S 5, 14-16), cette prééminence ne se retrouve pas, elle est plutôt
en faveur du dieu El et du dieu de la cité, Shalem, qui se retrouve en Salomon
mais aussi dans le nom d’un des premiers fils: Absalom. Saül était donc sans
doute plus le champion de Yhwh que David.67
Quoi qu’il en soit, surtout en
ce qui concerne les noms des fils du second, l’onomastique révèle le
polythéisme ambiant.
Légende royale et yahwiste de Saül
1 S 1*: l’enfant “demandé” (šw’l) est voué nazir à Yhwh des armées, dieu de
Shilo
1 S 4*: les Israélites/Ephraïmites perdent une bataille contre les Philistins qui
capturent leur dieu
64. A. de Pury, “Situer le cycle de Jacob. Quelques réflexions, vingt-cinq ans plus
tard,” A. Wénin (ed.), Studies in the Book of Genesis. Literature, Redaction and
History (BEThL, 155; Leuven 2001), pp. 213-241.
65. M. Lestienne, Premier livre des Règnes, pp. 267-268.
66. A. Caquot, P. de Robert, Les livres de Samuel, p. 160.
67. K. van der Toorn, “Saul and the Rise of Israelite State Religion,” VT 43 (1993),
pp. 519-542.
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1 S 5*: Yhwh s’impose à Dagon dans son propre temple
1 S 6*: Yhwh regagne la région des collines dans la garnison philistine de
Gibea
1 S 9*: le jeune Saül recherche les ânesses “royales” dans les collines
d’Ephraïm
1 S 10*: le voyant de Rama envoie le nazir possédé de l’esprit de Yhwh à
Gibea
1 S 13*: Saül sonne la révolte après avoir vaincu la garnison philistine
1 S 14*: “Armé” de l’Arche divine, il met en déroute l’armée ennemie
Prolongements de la légende: 1 S 11: Saül devient le protecteur de tribus
non-éphraïmites ; 1 S 31: dernière bataille et mort de Saül au nord de son
royaume contre les Philistins ; 1 S 14 (fin): notice sur le règne de Saül.
7. Etymologie et datation
Evidemment, la question de la datation de cette légende est cruciale, de
même que son origine. Mais il nous faut avant tenter d’éclairer un détail: la
signification du terme traduit par “Arche.” Van der Toorn et Houtman ont
suggéré que l’Arche était finalement portée sur le champ de bataille (1 S 4 et
14) comme on portait les statues des dieux en Mésopotamie68
et Römer a
affirmé que l’aniconisme n’était pas originel, qu’ainsi Yhwh avait été
représenté dans les différents temples où on lui rendait un culte.69
La
traduction du terme ’rwn tient en effet à la description qui en est faite dans le
livre de l’Exode: kibôtos (LXX), arca (Vulgate), “coffre” . La traduction est
impropre car elle s’appuie sur une conception aniconique de Yhwh et sur une
conception de ’rwn comme étant le réceptacle des commandements divins
(’rwn h‘dwt). Il y a donc un anachronisme à traduire le terme par “arche” ou
“coffre” puisque le récit identifié en 1 Samuel doit être bien antérieur aux
textes exodiques sacerdotaux (Ps).
70 Certes, la signification de “coffre”
semble renforcée par l’attribution du terme au cercueil de Joseph (Gn 50,26)
mais les récits concernant ce “patriarche” étant très tardifs, on peut tout
simplement en déduire que ’rwn avait totalement pris ce sens nouveau au
point d’être désormais détaché du contexte sacré de l’alliance avec Yhwh.
L’étymologie de ’rwn n’est pas établie,71
nous pouvons au mieux en
déduire qu’il désignait un objet de culte. Si nous ne trouvons pas d’équivalent
du terme ailleurs, en akkadien notamment, on peut toutefois le rapprocher du
radical ’rw/y désignant dans diverses langues sémitiques un animal sauvage72
68. K. van der Toorn, C. Houtman, “David and the Ark,” pp. 215-216.
69. T. Römer, “Y avait-il une statue de Yhwh dans le premier temple de
Jérusalem ? Enquêtes littéraires à travers la Bible hébraïque,” Asdiwal 2 (2007),
pp. 41-58.
70. J.-D. Macchi, “Exode,” T. Römer, J.-D. Macchi, C. Nihan, Introduction à l’AT,
pp. 173-185.
71. H.-J. Zobel, “’arôn,” TDOT I (1974), pp. 363-374.
72. D. Cohen, Dictionnaire des racines sémitiques, I, Paris-La Haye, 1970, p. 32 ;
L. Koehler, W. Baumgartner, The Hebrew and Aramaic Lexion of the Old Testament,
I (Leiden-New York-Köln, 1994), p. 87.
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et en hébreu un “lion.” L’hypothèse est fragile mais elle permettrait de rendre
compte d’un objet cultuel représentant vraisemblablement une divinité. Or
Yhwh des Armées pouvait bien être figuré telle une bête sauvage, guerrière,
soit représenté en lion ou plus probablement en taureau. En effet, la tribu de
Joseph (Ephraïm et Manassé) reçoit deux qualificatifs: nazir de Yhwh et
premier-né du taureau (Dt 33,16-17). Cette hypothèse d’une statue divine
sous forme animale n’est d’ailleurs peut-être pas la seule possible puisque
Yhwh semblait être accompagné de quadrupèdes ailés appelés kerubîm. Dans
la conception ancienne de ces “chérubins,”73
il est possible qu’une statuaire
représentant une divinité anthropomorphe accompagnée de ses monstres ailés
ait fini par être désignée ainsi. Autrement dit, ’rwn ne désignerait pas tant la
divinité mais la statue dans son ensemble et plus particulièrement des lions
ailés.
Ces aspects archaïques du récit ne peuvent nous conduire à le dater de
l’Exil comme le fit Ahlström74
car, ainsi relu, il ne correspond plus à ce
contexte. Le dater précisément semble à première vue impossible. Nous nous
contenterons de dire qu’il émanait probablement du royaume d’Israël, à l’état
de légende orale peut-être d’abord, puis écrite. Il est difficile de dire si le roi
Saül a vraiment existé75
. Quoi qu’il en soit, l’exploit conté dans ce récit ne
peut être qualifié d’historique, sans doute put-il servir à glorifier un autre roi
israélite lui-même champion de Yhwh―Yehu à la fin du IXe siècle
76?
Ensuite, le récit a été récupéré au profit de David―il a été joint à 1 S 17,
avant les rédactions des chapitres 15 et 16―77
, donc relu dans une optique
royale judéenne, pour après être orienté en fonction d’une idéologie
messianique, dans un premier temps pour critiquer le temple de
Shilo―idéologie favorable à Jérusalem (2 S 6)―, dans un second temps pour
faire d’un “prophète” la figure centrale du récit, seul représentant digne de
Yhwh, donc dans une optique théocratique. Ainsi, si l’origine du récit peut se
situer dans le royaume du nord autour du VIIIe siècle, sa dernière
interprétation en Judée peut, quant à elle, être de l’époque hellénistique.
73. A. Wood, Of Wings and Wheels. A Synthetic Study of the Biblical Cherubim,
(BZAW, 385; Berlin-New York, 2008).
74. G.W. Ahlström, “The Travels of the Ark: A Religio-Political Composition,”
JNES 43 (1984), pp. 141-149.
75. Seuls les lieux mentionnés sur l’inscription du pharaon Sheshonq Ier
indiqueraient une entité israélite dans cette région des hautes terres dans la deuxième
moitié du Xème siècle: I. Finkelstein, “From Canaanites to Israelites: When, How
and Why ?,” E. Gabba (ed.), Recenti tendenze nella ricostruzione della storia antica
d’Israele (Roma, 2005), pp. 11-27. Une hypothèse bien plus osée pourrait être
proposée: puisque Sheshonq a clos sa campagne militaire à Beth-Shan, la bataille du
mont Gilboa, à proximité contre les Philistins, ne pourrait-elle pas être l’écho d’une
bataille perdue contre les Egyptiens ?
76. Même si là aussi, les relectures réorientant le récit sont nombreuses:
E. Würthwein, “Die Revolution Jehus. Die Jehu-Erzählung in altisraelitischer und
deuteronomistischer Sicht,” ZAW 120 (2008), pp. 28-48.
77. C. Lemardelé, “Les légendes fabriquées de David,”.
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