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This article was downloaded by: [University of Calgary] On: 16 September 2013, At: 13:57 Publisher: Routledge Informa Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK Scandinavian Journal of the Old Testament: An International Journal of Nordic Theology Publication details, including instructions for authors and subscription information: http://www.tandfonline.com/loi/sold20 A la recherche du “récit de l'Arche”: à la recherche de Saül. De Shilo à Gibea Christophe Lemardelé a a Laboratoire des Mondes sémitiques; Mondes sémitiques – UMR 8167, CNRS Délégation Paris A 27, rue Paul Bert, 94204, Ivry sur Seine Published online: 31 Aug 2012. To cite this article: Christophe Lemardelé (2012) A la recherche du “récit de l'Arche”: à la recherche de Saül. De Shilo à Gibea, Scandinavian Journal of the Old Testament: An International Journal of Nordic Theology, 26:1, 55-76, DOI: 10.1080/09018328.2012.704202 To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/09018328.2012.704202 PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of all the information (the “Content”) contained in the publications on our platform. However, Taylor & Francis, our agents, and our licensors make no representations or warranties whatsoever as to the accuracy, completeness, or suitability for any purpose of the Content. Any opinions and views expressed in this publication are the opinions and views of the authors, and are not the views of or endorsed by Taylor & Francis. The accuracy of the Content should not be relied upon and should be independently verified with primary sources of information. Taylor and Francis shall not be liable for any losses, actions, claims, proceedings, demands, costs, expenses, damages, and other liabilities whatsoever or howsoever caused arising directly or indirectly in connection with, in relation to or arising out of the use of the Content. This article may be used for research, teaching, and private study purposes. Any substantial or systematic reproduction, redistribution, reselling, loan, sub- licensing, systematic supply, or distribution in any form to anyone is expressly

A la recherche du “récit de l'Arche”: à la recherche de Saül. De Shilo à Gibea

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This article was downloaded by: [University of Calgary]On: 16 September 2013, At: 13:57Publisher: RoutledgeInforma Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK

Scandinavian Journal of the OldTestament: An InternationalJournal of Nordic TheologyPublication details, including instructions for authors andsubscription information:http://www.tandfonline.com/loi/sold20

A la recherche du “récit del'Arche”: à la recherche de Saül.De Shilo à GibeaChristophe Lemardelé aa Laboratoire des Mondes sémitiques; Mondes sémitiques– UMR 8167, CNRS Délégation Paris A 27, rue Paul Bert,94204, Ivry sur SeinePublished online: 31 Aug 2012.

To cite this article: Christophe Lemardelé (2012) A la recherche du “récit de l'Arche”:à la recherche de Saül. De Shilo à Gibea, Scandinavian Journal of the Old Testament: AnInternational Journal of Nordic Theology, 26:1, 55-76, DOI: 10.1080/09018328.2012.704202

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Vol. 26, No. 1, 55 76, 2012

© Taylor & Francis’ 2012 10.1080/09018328.2012.704202

A la recherche du “récit de l’Arche”: à la

recherche de Saül. De Shilo à Gibea

Christophe Lemardelé Laboratoire des Mondes sémitiques;

Mondes sémitiques – UMR 8167; CNRS Délégation Paris A

27, rue Paul Bert, 94204 Ivry sur Seine

Email: [email protected]

ABSTRACT: Depuis l’étude fameuse de Rost, le “récit de l’Arche” est

devenu une unité narrative indépendante dans le premier livre de Samuel. Les

travaux successifs ont toutefois peu à peu ruiné la cohérence de cette unité en

lui enlevant son aboutissement avec David à Jérusalem (2 S 6) et même en la

faisant commencer dès 1 S 2. S’il apparaît opportun de faire débuter le récit

avant 1 S 4, pour garder le contexte de Shilo et du prêtre Éli, on peut alors

tenter de le faire dès 1 S 1. Pour cela, il importe de lire le récit de naissance

de ce premier chapitre non comme étant celui de Samuel mais comme celui

de Saül. En effet, les indices littéraires de ce texte montrent que le nom

“Samuel” ne correspond pas au contexte narratif. Or, comme Samuel est

totalement absent du “récit de l’Arche” , on peut dès lors proposer une lecture

des premiers chapitres sans ce personnage, pas en délimitant des unités

narratives indépendantes mais en recherchant une strate rédactionnelle

ancienne. De cette manière, ce “récit de l’Arche” devient bien plus un “récit

d’accession au pouvoir de Saül” , récit qui nous mène de Shilo (1 S 1 ; 4) à

Gibea (1 S 7,1 ; 10 ; 14), en passant par Rama et son voyant anonyme (1 S 9).

Key words: Saül, Samuel, Arche, Shilo, Rama, Gibea, nazir

Depuis l’étude fameuse de Leonhard Rost,

1 le “récit de l’Arche” est devenu

un sujet célèbre et insoluble des études bibliques. L’étude eut le grand mérite

d’aborder les livres de Samuel sous l’angle des unités narratives et non plus

sous le seul angle de la théorie documentaire. Bien que l’unité narrative

dégagée par l’auteur―1 Samuel 4-6/2 Samuel 6―ait été bien souvent

conservée par ses successeurs,2 certains l’ont tout de même critiquée et ont

1. L. Rost, Die Überlieferung von der Thronnachfolge Davids, (BWANT, 42; Stutt-

gart, 1926).

2. A.F. Campbell, The Ark Narrative (1 Sam 4-6; 2 Sam 6): A Form-Critical and

Traditio-Historical Study, (SBLDS, 16; Missoula, 1975).

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proposé d’autres limites,3 jusqu’à contester le bien-fondé de cette hypothèse.

4

Désormais, on restreint le récit aux seuls passages de 1 Samuel étant donné

que la montée de l’Arche à Jérusalem ne paraît être qu’un ajout littéraire au

profit de David,5 cela en suivant l’étude critique de Schiklberger. L’origine

du récit, sa date et sa fonction sont très discutés et sont peut-être plus

importants. Mais nous voudrions, pour notre part, nous situer encore sur le

seul plan narratif afin de proposer une hypothèse bien différente et beaucoup

plus vaste que les analyses habituelles et que les lectures narratologiques

actuelles.6 Nous pensons en effet que le “récit de l’Arche” se rattache à la

légende de Saül,7 même, que ce récit fait partie de la légende au point de n’en

être qu’un aspect.

1. Le début du récit: 1 S 4, 1 S 2 ou 1 S 1?

Il était naturel pour Rost de faire commencer le récit en 1 Samuel 4 puisque

c’est dans ce chapitre que l’“Arche” ou le “coffre” (’rwn) de Yhwh apparaît

pour la première fois dans le livre. Cependant, comme le récit concerne le

temple de Shilo et le prêtre Eli, il semblait opportun à Miller et Roberts

d’inclure le chapitre 2, à l’exception du chant d’Hannah et des gloses

concernant Samuel. Dans cette optique, on ne considère alors l’Arche que

comme un élément du temple que l’on amena sur le champ de bataille, ce qui

permet de comprendre pourquoi il n’en est pas fait mention auparavant. Si les

deux auteurs ne sont pas allés jusqu’à inclure le chapitre 1, c’est parce qu’ils

ont considéré qu’il s’agissait du récit de naissance de Samuel et qu’il ne

pouvait donc être inclus dans le “récit de l’Arche.” Cependant, il y est bien

question d’Eli et de ses fils, prêtres au temple de Shilo, et Samuel n’est

mentionné qu’une fois, lorsqu’Hannah prononce son nom. Or les spécialistes

des livres de Samuel savent bien comme il y a un doute sur le nom de

l’enfant dans ce premier chapitre. S’il s’avère que l’enfant n’est pas Samuel,

et comme le récit se situe à Shilo, il n’est donc pas absurde d’émettre

l’hypothèse que le “récit de l’Arche” commençait en 1 Samuel 1.

Si nous devons considérer que le récit de l’Arche a son origine sur le site

cultuel de Shilo, alors nous ne pouvons faire finalement autrement que

d’interroger le chapitre 1 du livre. Car, en effet, le récit ne devient

précisément un “récit de l’Arche” que lorsqu’il s’agit d’amener le dieu Yhwh

3. F. Schicklberger, Die Ladeerzählungen des ersten Samuel-Buches, Eine

literaturwissenschaftliche und theologiegeschichtliche Untersuchung, (FB, 7),

Würzburg, 1973); P.D. Miller, J.J.M. Roberts, The Hand of the Lord: A Reassess-

ment of the “Ark Narrative” of 1 Samuel (Baltimore-London, 1977).

4. K.A.D. Smelik, “The Ark Narrative Reconsidered,” M.J. Mulder, A.S. van der

Woude (eds), News Avenues in the Study of the Old Testament, (OTS, 25; Leiden,

1989), pp. 128-144.

5. K. van der Toorn, C. Houtman, “David and the Ark,” JBL 113 (1994), pp. 209-

231.

6. K. Bodner, “Ark-Eology: Shifting Emphases in ‘Ark Narrative’ Scholarship,” CBR

4 (2006), pp. 169-197.

7. C. Lemardelé, “Saül le nazir ou la légende d’un roi,” SJOT 22 (2008), pp. 47-62.

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sur un lieu de bataille en dehors de la localité. Auparavant, il est seulement

question du lieu de culte de Yhwh. Autrement dit, il n’y aurait pas vraiment à

l’origine un “récit de l’Arche” mais un récit plus ample concernant le dieu de

Shilo qui ne devient un “récit de l’Arche” que lorsque ce dieu quitte son

temple. Le “récit de l’Arche” est donc en quelque sorte une vue de l’esprit et

est avant tout un “récit de Yhwh des armées” (ṣb’wt), expression exprimant

la puissance du dieu8. Cette expression se retrouve d’ailleurs à deux reprises:

en 1 S 1,11, au moment où Hanna prononce son vœu à ce dieu, et en 1 S 4,4,

lors de la sortie du dieu de son temple avec la description de son trône décoré

de Kerubîm. Par la suite, ni les Kerubîm ni la mention de Yhwh des armées

ne sont présentes.

Il en va plus ou moins de même avec Samuel. Il est reconnu depuis

longtemps que ce dernier est étranger au “récit de l’Arche.” Mais on

présuppose toujours une haute antiquité pour ce personnage et l’on pense que

le récit fut inséré dans l’Histoire deutéronomiste9. On peut toutefois retourner

le raisonnement et faire l’hypothèse que Samuel fut inséré dans un récit le

précédant. Il n’est pas difficile de le supposer car il est à peine présent dans

les deux premiers chapitres et disparaît totalement au quatrième pour ne

revenir qu’au septième chapitre. Quant au chapitre 3, c’est un récit relatant la

vocation prophétique de Samuel à la manière d’un conte. Le récit ne fait donc

aucunement référence au phénomène prophétique tel qu’il existait dans le

Proche-Orient ancien dès le deuxième millénaire, il est bien plus une pure

création littéraire insérée à cet endroit.10

La nécessité de créer une telle fable

obéissait à un but précis: il fallait faire de ce récit centré sur Shilo le récit de

la naissance et de la vocation de Samuel.

Ainsi, si l’on conçoit que le “récit de l’Arche” recouvre non plus les

chapitres 4 à 6 mais les chapitres 1 à 6―sans le conte du chapitre 3 propre à

la “légende” de Samuel11

―, il importe d’expliquer ce que les chapitres 1 à 2

racontaient à l’origine. Tout d’abord, le chapitre 1 est un récit qui n’est pas

8. S. Kreuzer, “Zebaoth – der Thronende,” VT 56 (2006), pp. 347-362 ; au même titre

que le dieu syrien Resheph (Rashpu) mentionné avec la même épithète dans un texte

ugaritique (ršp ṣb’i): J. .H. Choi, “Resheph and YHWH ṢĔBĀ’ÔT,” VT 54 (2004),

pp. 17-28.

9. T.C. Römer, The So-Called Deuteronomistic History. A Sociological, Historical

and Literary Introduction (London-New York, 2007), pp. 144-145.

10. Nous devons distinguer “the ancient Hebrew prophecy,” et “the biblical prophe-

cy,”: M. Nissinen, “What is Prophecy? An Ancient Near Eastern Perpective,”

J. Kaltner, L. Stulman, Inspired Speech. Prophecy in the Ancient Near East, London-

New York, 2004, pp. 17-37. Pour une étude détaillée des catégories de prophètes

effectifs, voir F.J. Gonçalves, “Les ‘prophètes écrivains’ étaient-ils des nby’ym?,”

P.M. Michèle Daviau, J.W. Wevers, M. Weigl, The World of the Arameans I. Bibli-

cal Studies in Honour of Paul-Eugène Dion, (JSOTS 324; Sheffield, 2001), pp. 144-

185.

11. Appartenant donc à la “composition dtr,” comme les chapitres 7, 8 et 12:

C. Nihan, D. Nocquet, “1-2 Samuel,” T. Römer, J.-D. Macchi, C. Nihan (éd.),

Introduction à l’Ancien Testament (Genève, 2004), pp. 291-292.

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idéologique. En effet, cette naissance de “Samuel” n’est accompagnée

d’aucune annonce le concernant, il n’y a même aucune connotation

messianique comme celles que l’on trouve à la fin du chant de Hannah

(1 S 2,10) et dans l’oracle contre le prêtre Eli (1 S 2,27-36).12

La seule

annonce faite au sujet de l’enfant est qu’il est voué nazir par sa mère

(1 S 1,11). C’est un détail textuel fortement débattu puisque le TM, la LXX

et 4QSama diffèrent à ce sujet. Cependant, Flavius Josèphe ne fait aucune

différence avec Samson lorsqu’il présente Samuel, il les décrit tous deux

comme des “nazirs”13

(AJ V, 285 et 347) et, surtout, la version hébraïque du

livre de Ben Sira atteste la présence du terme pour désigner Samuel.14

Nous

devons en conclure que ce titre fut progressivement effacé des versions au

point de disparaître dans la version grecque de Ben Sira, il n’en subsiste plus

que des traces textuelles―dotos dans la LXX15

et nazir au verset 22 de

4QSama.

Cette disparition progressive s’explique par le fait que le titre de nazir ne

convenait pas à Samuel. Cela explique aussi pourquoi le débat textuel à ce

sujet est si controversé. En fait, le problème est surtout littéraire et concerne

le nom même de l’enfant. Lorsque Hannah vient acquitter son vœu au temple

de Shilo, ce n’est plus le vocabulaire du don qui domine mais celui de la

demande: “je le donne à Yhwh tous les jours qu’il est, lui, demandé pour

Yhwh” (1 S 1,28). D’une part, ce que l’on traduit par “donner/céder” est le

verbe šā’al au factitif (hifil), d’autre part, ce que l’on traduit par “demandé”

est le participe du même verbe qui se lit šā’ul. Ainsi, lorsque l’on se reporte

au verset 20, au moment où l’enfant naît, on comprend mieux pourquoi le

nom du garçon ne correspond pas à son étiologie: “elle l’appela du nom de

Samuel (šmw’l) car [dit-elle]: “de Yhwh je l’ai demandé (š’ltyw).” Or šemû’él

12. A la différence d’un récit “deutéronomiste,” ou “sacerdotal,” 1 Sam 1 ne

comporte pas de sommaire historique: T. Römer, “Résumer l’histoire en l’inventant.

Formes et fonctions des “sommaires historiques” de l’Ancien Testament,” RThPh

125 (1993), pp. 21-39.

13. Plus exactement comme des “prophètes,” car, ayant décrit le vœu de nazir selon

Nombres 6 (AJ IV,72), Josèphe voyait une contradiction dans les textes bibliques. En

effet, le rite votif obligeait celui qui s’était voué à raser sa chevelure alors que les

récits concernant Samson et Samuel indiquent que le rasoir ne devait pas monter ou

passer sur leur tête. Pour la distinction entre les deux rites, l’un votif et tardif et

l’autre, de l’ordre d’une “consécration,” et plus archaïque, voir notre étude “Être

nazir: du guerrier yahwiste au vœu cultuel du judaïsme ancien,” RHR 224 (2007),

pp. 275-288.

14. P.C. Beentjes, The Book of Ben Sira in Hebrew. A Text Edition of All Extant

Hebrew Manuscripts and a Synopsis of All Parallel Hebrew Ben Sira Texts, (VTS,

60; Leiden, 1997), p. 83.

15. Avant d’être translittéré (naziraios), le terme a eu des traductions diverses en

fonction du contexte: “chef,” en Gn 49, 26, “vœu,” et “pur,” en Nb 6, “glorifié,” en

Dt 33,16, “consacré,” en Am 2,11-12. Le champ sémantique du don étant très présent

en 1 S 1,11―“si tu donnais à ta servante… alors je le donnerais…,”―il est logique

que le traducteur ait choisi “donné,”.

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signifie “son nom est El” et n’a donc rien à voir avec le vocabulaire de la

demande. Tous ces éléments montrent bien que le garçon avait pour nom

Saül à l’origine16

: le “demandé.” Ainsi, en ne séparant pas le problème

textuel (nazir) du problème littéraire reposant sur le nom de l’enfant,17

on

trouve une solution aux deux18

: 1 S 1 était à l’origine le récit de naissance de

Saül, voué par sa mère à être un nazir comme Samson.19

Il est donc vraisemblable que le récit d’origine de 1 S 1 ait été peu changé,

si ce n’est pour remplacer le nom Saül par celui de Samuel. Il n’en va pas de

même avec le chapitre suivant. Tout d’abord, le chant de reconnaissance de

Hannah―au départ votif: 1 S 2,9 (LXX)20

―a pu être inséré pour donner une

coloration messianique au récit sans en perturber le déroulement rituel21

. Il en

va de même pour l’oracle de l’homme d’Elohim en fin de chapitre22

, mais

aussi de la faute des fils d’Eli car elle ne se comprend qu’en lien avec le

messianisme. On ne peut confondre les strates rédactionnelles concernant Eli

et ses fils et celles concernant Samuel car le messianisme évoqué ne fait pas

intervenir un prophète mais un “homme de Dieu,” et un prêtre (2,35). Ce

premier rédacteur messianique est intervenu dans le récit d’origine en

ajoutant l’essentiel du chapitre 2 où il est tant question d’Eli et plus encore de

ses fils. Pour rendre sa linéarité au récit, il a été contraint d’insérer deux

interpolations évoquant les deux fils d’Eli dans chacun des deux chapitres

qu’il séparait (1,3 et 4,4).

Pour ce qui est de Samuel dans ce chapitre 2, il n’a qu’une présence plus

ou moins allusive. Les passages qui font mention de son service au temple

interrompent le récit général (1 Sam 2,11.18-21.26) et manquent de

16. I. Hylander, Der Literarische Samuel-Saul-Komplex (I. Sam. 1-15). Traditions-

geschichtlich Untersucht (Uppsala, 1932), pp. 11-39 ; J. Dus, “Die Geburtslegende

Samuels I Sam. 1,” RSO 43 (1968), pp. 163-194 ; P.K. McCarter, I Samuel, (AB, 8;

New York, 1980), pp. 64-66.

17. Comme le fait M. Tsevat, “Die Namengeburg Samuels und die

Substitutionstheorie,” ZAW 99 (1987), pp. 250-254 ; “Was Samuel a Nazirite ?,”

M. Fishbane, E. Tov (eds), Sha‘arei Talmon: Studies in the Bible, Qumran, and the

Ancient Near East Presented to Shemaryahu Talmon (Winona Lake, 1992), pp. 199-

204.

18. C. Lemardelé, “Saül le nazir,” pp. 48-50.

19. C. Lemardelé, “Samson le nazir: un mythe du jeune guerrier,” RHR 222 (2005),

pp. 259-286.

20. “Exauçant celui qui fait un vœu [didoùs eukhēn tōi eukhoménōi]”; “La LXX de

2,9 est en contact étroit avec celle de 1,11: eukhē ne se rencontre en 1 R qu’en

1,11.21 et 2,9 ; eúkhomai uniquement en 1,11 et 2,9: M. Lestienne, Premier livre des

Règnes, (BA 9.1; Paris, 1997), pp. 140-141.

21. Nous avons dans ce récit toute la procédure rituelle du vœu antique, de la prière à

l’accomplissement, accompagné d’un sacrifice et d’un chant d’action de grâce:

C. Lemardelé, “De l’aveu aux vœux: le rite tôdāh d’exaltation,” BN 137 (2008),

pp. 5-16.

22. “Les portraits des hommes de Dieu brossés par l’AT sont des créations de la

tradition ou des ‘historiens’ bibliques,” F.J. Gonçalves, “Les ‘prophètes écrivains’,”

p. 168.

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cohérence littéraire. En effet, Hannah revient voir son fils au temple et elle

devient alors particulièrement féconde. On observe notamment dans ces

versets, l’emploi de l’accompli avec waw inversif, ce qui est moins habituel

pour une narration et indique que le rédacteur a voulu intégrer des faits jugés

antérieurs à ceux racontés: wehāyāh au lieu de way

ehî.

23 De même, de

manière assez grossière, on voit qu’il y a une reprise du vocabulaire de

1 Sam 1 par la mention du “sacrifice des jours” et de l’expression “de jours

en jours” (v. 19), ainsi que par l’insistance redondante sur le radical š’l

(v. 20). Il est donc probable qu’avant l’insertion de Samuel en 1 S 1, l’enfant

ne restait pas au temple mais retournait avec ses parents à Rama. Il est vrai

que le verset 22 de 1 Sam 1 affirme avec force que l’enfant demeurerait au

temple (TM et LXX): “il sera présenté devant Yhwh et il restera là pour

toujours.” Mais 4QSama insiste à cet endroit sur le fait qu’il sera “nazir pour

toujours tous les jours” et le texte manque pour savoir s’il était dit qu’il

resterait au temple. Les auteurs reconstruisent généralement le verset en

complétant avec les autres versions: “et il restera devant [Yhwh, et il restera

là pour toujours], et je le donnerai nazir pour toujours tous les jours.”24

Le

texte restitué apparaît bien répétitif et il semble y avoir une concurrence entre

les deux fonctions attribuées au garçon. Comme Hannah n’indiquait

nullement qu’il serait “consacré” au temple dans son vœu et comme les

versets 22-23 sont un peu obscurs et ont de nombreuses variantes, on peut

émettre une hypothèse: le verset 22 a été harmonisé en fonction de la suite du

récit en 1 Sam 2-3 et seul 4QSama comporte encore la leçon ancienne. Il

paraît d’ailleurs normal qu’Hannah rappelle sa promesse lors de

l’acquittement de son vœu. Quoi qu’il en soit, il s’agissait pour le rédacteur

faisant intervenir Samuel de le faire grandir progressivement et, donc, de

rappeler sa présence ponctuellement puisqu’il n’était pas l’objet du récit sur

la maison d’Eli.

La reconstruction que nous proposons est relativement simple si l’on

distingue les strates rédactionnelles visibles dans ce début de livre:

A) un “récit de l’Arche” ou, plutôt, un récit du dieu de Shilo, sobre

idéologiquement et qui ne fait intervenir la divinité que par le “miracle” (pl’)

votif25

(1 S 1) et par un miracle guerrier qui n’advient finalement pas (1 S 4).

B) une rédaction messianique jugeant négativement Eli, le prêtre de Shilo,

inventant et accusant dans ce but ses deux fils; Yhwh parlant par

23. A. Nicacci, The Syntax of the Verb in Classical Hebrew Prose, (JSOTS. 86; Shef-

field, 1990) (Jérusalem, 1986), pp. 29-34.

24. F.M. Cross, D.W. Parry, R.J. Saley, E. Ulrich, 1-2 Samuel. Qumran Cave 4 XII,

(DJD XVII; Oxford, 2005), p. 30.

25. “Elqanah connut sa femme et Yhwh se souvint d’elle,” (1 S 1,19). On retrouve ce

même radical dans l’histoire de la conception de Samson (Jg 13,18-19): le messager

de Yhwh se dit “prodigieux,” (pl’y) et Yhwh est le dieu qui “fait des prodiges,” (mpl’

l‘śwt). Pour cet aspect proprement cultuel de l’action divine, voir notre étude “Le

verbe pālā’ et la pratique des vœux,” RB 111 (2004), pp. 481-498.

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l’intermédiaire d’un homme d’Elohim anonyme et choisissant un prêtre

comme intermédiaire messianique (1 S 2).

C) une seconde rédaction messianique faisant intervenir le personnage de

Samuel ; Yhwh parlant directement au jeune homme et le choisissant en tant

que prophète pour être son intermédiaire messianique (1 S 3).

A) “récit de l’Arche”

1 S 1*: conception du nazir Saül au temple de Shilo―1 S 4*: bataille contre

les Philistins et perte du dieu de Shilo

B) Strate messianique 1: la maison d’Eli est coupable

1 S 2*: chant à la gloire de Yhwh et de son roi et messie―faute des fils d’Eli

et oracle contre la maison d’Eli [interpolations en 1 S 1,3 et 4,4 rappelant les

fils d’Eli]

C) Strate messianique 2: Samuel le prophète

1 S 3: Yhwh se révèle à Samuel et revient (?) à Shilo26

[interpolations en

1 S 1,20 et 24: le nom de l’enfant devient Samuel et ce dernier n’est plus

voué nazir mais voué à rester au temple comme servant

en 1 S 2,11.18-21 et 26: l’enfant grandit au temple]

2. Le corps du récit: 1 S 4-6

Les chapitres 4 à 6 sont donc considérés comme formant le corps du “récit de

l’Arche” . Il faut pourtant en retirer les premiers mots car il est dit que la

parole de Samuel s’adressa à tout Israël. Nous avons là une petite glose

éditoriale “deutéronomiste”27

chargée d’indiquer la présence de Samuel

même en son absence: Samuel disparaît après 4,1 pour ne réapparaître qu’en

7,3. On en trouve une autre en 4,18b où il est précisé qu’Eli avait jugé Israël

pendant vingt ans, ce qui suppose une relecture du texte en fonction du livre

des Juges. A part ces quelques gloses, il ne semble pas qu’il y ait de troisième

strate rédactionnelle dans cet ensemble narratif, excepté peut-être à la toute

fin du chapitre 6.

En ce qui concerne les deux autres strates, il est plus délicat de distinguer

ce qui appartient au récit de base et ce qui peut être attribué à la première

strate messianique ou à toute autre strate, sans parler de gloses probables

étant donné les écarts existant entre le TM et la LXX concernant l’Arche elle-

même.28

Quoi qu’il en soit, il nous semble impossible de considérer le tout

26. En 1 S 3,21, de manière paradoxale, il est précisé que Yhwh était à nouveau à

Shilo par la présence de Samuel alors que, pourtant, l’Arche n’a pas encore été

enlevée par les Philistins: le rédacteur insérant Samuel a peu d’intérêt pour le “récit

de l’Arche.”

27. D’ailleurs absente de la LXX, ce qui permet de conclure à une addition ultérieure

à la traduction du texte en grec, comme c’est le cas pour une partie des plus du texte

pré-massorétique en 1 S 17-18 – voir notre étude à paraître “Les légendes fabriquées

de David. Variantes textuelles et tensions littéraires en 1 Samuel 16-18.”

28. M. Lestienne, Premier livre des Règnes, pp. 161-162.

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62 Christophe Lemardelé

comme appartenant à un “récit de l’Arche.”29

Si l’on s’appuie sur les

remarques précédentes concernant la première strate messianique, on peut

déjà opérer un premier tri: tout ce qui concerne les fils d’Eli et tout rappel du

mythe exodique doit relever de cette strate. Il en est ainsi pour les versets 4,

7-9 dans lesquels les Philistins prennent paradoxalement peur et semblent

connaître les fléaux frappant les Egyptiens. En effet, lorsqu’ils sont frappés

eux-mêmes de fléaux divins (1 S 5), ils n’évoquent pas les plaies d’Egypte

car ils n’ont pas de raison de les connaître. Celles-ci le sont plus loin, en 6,6-

7, mais à la manière de 1 S 2,27 en mentionnant le Pharaon. Pour ce qui est

des fils d’Eli, on peut suggérer que leur mention en 4,4.11.17 est le résultat

d’interpolations survenant d’ailleurs en fin de verset.

Il en est vraisemblablement de même concernant la péricope de 1 S 4,12-

18a. En effet, au lieu de poursuivre le récit, on en revient à Shilo pour

s’appesantir sur le triste sort du prêtre Eli. Par ailleurs, la mention d’un

Benjaminite à cet endroit surprend tant il n’y a pas de caractérisation tribale

de cette sorte―pas même en 1 S 1,1―dans le récit. La péricope qui suit

(vv. 19-22) est vraisemblablement à attribuer au même rédacteur car il s’agit

encore de jeter l’opprobre sur la maison d’Eli: la femme de l’un des fils,

Pinhas, donne naissance à un enfant nommé “Sans-gloire” (’î-kābôd/Ouai).

Ainsi, l’Arche n’a plus de raison de revenir à Shilo puisque la gloire de

Yhwh a émigré définitivement (v. 22)―au profit de Jérusalem (2 S 6)?

Il en ressort que si l’on isole en 1 S 4 un récit primitif ne comportant ni

allusions à Eli et ses fils ni renvois au mythe exodique, c’est-à-dire à un récit

comportant peu de dialogues et de péricopes romancées, on obtient un

substrat restreint: vv. 1b-4a.5-6.10. Il n’est pas utile de garder le début du

verset 11 car 1 S 5,2 se rattache facilement à la défaite israélite de 1 S 4,10:

“Et les Philistins prirent l’Arche d’Elohim”―5,1 est un ajout rédactionnel

dont le but est de rappeler la perte de l’Arche et la défaite à Eben-Ezer après

la longue digression opérée par les deux péricopes.30

Les chapitres 5 et 6 peuvent être analysés ensemble bien que le 6 semble

quelque peu surchargé d’additions: par exemple, la présence de lévites à

Beth-Shemesh est suspecte. Il y a par ailleurs une tension entre la fin du

chapitre 5 qui conclut à un renvoi de l’Arche et le début de 6 qui signale que

Yhwh resta encore pendant sept mois en terre philistine. Il y a aussi une

contradiction entre l’appel systématiquement fait aux princes de la Pentapole

philistine dans le chapitre 5 et le recours aux prêtres, aux devins et aux

“enchanteurs/augures”31

en 6,2. D’une part, ces derniers sont mentionnés

dans le mythe exodique,32

d’autre part, on passe d’une réponse politique et

29. P.D. Miller, J.J.M. Roberts, The Hand of the Lord, pp. 60-75.

30. A. Caquot, P. de Robert, Les livres de Samuel, (CAT, VI; Genève, 1994), p. 90.

31. Epaoidous dans la LXX et m‘wnnym dans 4QSama, le TM ne mentionnant que

les deux premiers.

32. La référence peut même être directe: “La mention des “enchanteurs” est

vraisemblablement amenée par celle de la sortie d’Egypte et de l’alourdissement du

cœur de Pharaon au v. 6: les enchanteurs sont mentionnés cinq fois en Ex 7-8, et

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A la recherche du “récit de l’Arche”: à la recherche de Saül 63

religieuse à une réponse totalement religieuse, voire superstitieuse. Si le

recours aux spécialistes du sacré s’avérait secondaire, alors il faudrait

distinguer dans ce récit ce qui relève de l’action divine et ce qui relève du

fléau divin et des rites prophylactiques qu’il implique.33

Il y a en effet une

grande différence entre la statue d’un dieu qui tombe à cause d’un autre et les

maladies frappant les hommes.

En retenant comme indice l’appel aux satrapes dès 5,8, qui survient trop

tôt,34

on pourrait en déduire que le récit originel ne concernait que la ville

d’Ashdod. En demandant aux princes des Philistins ce qu’il convient de faire,

on pourrait s’attendre en effet à ce qu’ils aient une réponse décisive comme

en 5,11: “renvoyez l’Arche du Dieu d’Israël et qu’il demeure à son lieu.”

Cette réponse est contradictoire avec le début du chapitre 6 mais elle n’est

pas plus en accord avec ce qui précède. Car on ne comprend pas pourquoi

l’Arche passe d’Ashdod à Gath et de Gath à Eqron (TM) ou à Ashqelon

(LXX). Le récit se veut répétitif comme l’est un conte35

mais en oubliant

deux cités philistines: Gaza et, selon la version,36

Ashqelon ou Eqron. De

même, l’appel aux satrapes est mentionné quand l’Arche se trouve à Ashdod

et dans la troisième ville mais pas dans la seconde. Enfin, si le TM précise

que les princes décident d’envoyer l’Arche à Gath, dans la LXX, ce sont les

gens de Gath eux-mêmes qui proposent d’accueillir la divinité étrangère. On

pourrait donc penser que le récit fut relu et prolongé de manière à “faire

tourner” la divinité étrangère dans les villes philistines.

De notre point de vue, l’ensemble des chapitres 5-6 a été récrit par

l’auteur de la première strate messianique. La mention même des “princes”

est sujette à caution car elle suggère déjà les pérégrinations de l’Arche dans

les cinq villes philistines. Au départ, il y a l’histoire d’un dieu battu sur le

champ de bataille et capturé par l’ennemi. Mais le dieu vaincu se révèle

finalement plus fort que le dieu vainqueur une fois dans le temple de ce

dernier. Ensuite, le récit a été amplifié pour frapper un peuple, les Philistins.

Cette récriture complète de ces deux chapitres explique sans doute pourquoi

il y a une grande souplesse concernant le nom de l’Arche―de Yhwh et

d’Elohim―et pourquoi l’épiclèse Sebaot (1,3.11 et 4,4) disparaît. C’est en

effet “un homme d’Elohim” qui intervient en 1 S 2,27 pour rappeler à Eli le

l’alourdissement du cœur de Pharaon deux fois (Ex 8,11.28),” M. Lestienne, Premier

livre des Règnes, p. 177.

33. C. Lemardelé, “Une solution pour le āšām du lépreux,” VT 54 (2004), pp. 208-

215.

34. C’est pourquoi Josèphe omet cette mention dans son texte: voir le commentaire

d’Etienne Nodet dans son édition de Flavius Josèphe, Les Antiquités juives III: Livres

VI et VII (Paris, 2001), p. 4, n. 1.

35. Voir ces aspects répétitifs dans le mythe de Samson: C. Lemardelé, “Du jeune

héros aux jeunes guerriers: de Samson aux baḥûrîm,” M. Langlois (éd.), Le jeune

héros. Recherche sur la formation et la diffusion d’un thème littéraire au Proche-

Orient ancien, (Orbis Biblicus et Orientalis), Fribourg-Göttingen, pp. 205-224.

36. On retrouve la même “confusion,” entre Eqron (TM) et Ashqelon (LXX) en

1 S 17,52.

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fléau qui toucha le Pharaon et les Egyptiens. La parenté thématique et

lexicale entre 1 S 2 et 1 S 5-6, si elle n’est pas flagrante, est tout de même

évidente.

Il semble en être autrement en ce qui concerne la toute fin du chapitre 6

(vv. 17-21). En effet, il y a d’abord une répétition inutile des offrandes

réparatrices des Philistins, puis une profanation peu évidente des habitants de

Beth Shemesh, ce qui peut surprendre après le fléau divin. On peut en effet

comprendre que des étrangers soient frappés par le dieu d’Israël, mais pas des

Israélites. D’ailleurs, la profanation n’est pas tout à fait la même dans le TM

et dans la LXX puisque le premier parle d’hommes ayant regardé dans

l’Arche tandis que la seconde parle des fils de Iékhonas (Yoyakîn ?)37

qui

n’ont pas fêté l’arrivée de Yhwh. Il faut ajouter à cela l’étrange verset 20 qui

fait l’effet d’une transition artificielle: “qui pourra se tenir devant Yhwh, ce

Dieu saint ?”, c’est-à-dire que les réviseurs ont éprouvé le besoin d’expliquer

pourquoi l’Arche ne resta pas à Beth Shemesh mais fut en possession des

gens de Qiryat-Yearim.

Nous optons donc pour un récit originel restreint et presque totalement

recouvert par la première strate messianique. Ce récit consistait à relater la

capture de Yhwh par les Philistins (1 S 4,1-10) afin d’en faire un dieu soumis

à Dagon dans le temple d’Ashdod.38

Sans doute le dieu israélite fut-il renvoyé

après qu’il eut brisé la statue du dieu philistin. La question qui reste est: où

précisément ?

A) “récit de l’Arche”

1 S 4, 1-10: bataille à Eben-Ezer contre les Philistins―1 S 5*: Yhwh dans le

temple de Dagon à Ashdod

B) Strate messianique 1: 1 S 4,11-22: malédiction sur Eli sa maison et sa

descendance―1 S 5-6*: fléau sur les Philistins

C) Strate messianique 2: Samuel le prophète et “profanation” à Beth

Shemesh [interpolations en 1 S 4,1 (TM) et 18b ; 1 S 5, 1 ; 1 S 6,17-21]

3. La fin du récit: 1 S 7 ou 1 S 14 ?

En 1 S 5,11, il est dit que le dieu d’Israël doit être renvoyé pour demeurer en

son lieu. Mais Yhwh Sebaot ne retourne pas à Shilo. Après son transit par

Beth Shemesh, le dieu se retrouve à Qiryath-Yearim. Un problème se pose

toutefois: si 1 S 6,21 et 1 S 7,2 établissent ce fait―“Descendez et faites-la

monter chez vous”; “l’Arche demeurait à Qiryat-Yearim”―, 1 S 7,1 le

contredit: “Et les hommes de Qiryat-Yearim vinrent et firent monter l’Arche

de Yhwh. Ils l’amenèrent dans la maison d’Abinadab sur la colline.” La

difficulté et la tension entre les versets vient du fait que la LXX traduit ainsi

37. Ce qui semble être une allusion aux derniers temps du royaume de Juda:

M. Lestienne, Premier livre des Règnes, p. 185.

38. La présence de Dagon à Ashdod n’est pas sans faire penser à la présence de ce

dieu à Gaza à la fin de l’histoire de Samson (Jg 16): quelle que soit la cité, il s’agit

toujours de la “Philistie,” et de son dieu.

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A la recherche du “récit de l’Arche”: à la recherche de Saül 65

alors que le TM dit: “à Gibea (bgb‘h).” Evidemment, on pourrait penser que

la colline en question soit le haut-lieu cultuel de la localité comme c’est le cas

en 1 S 9,13. Mais le voyant de ce récit, comparable au prêtre puisqu’il a un

rôle sacrificiel, n’y a pas sa demeure et, surtout, le vocabulaire diffère: byt

dans un cas, bmh dans l’autre.

Un autre problème vient s’ajouter à la tension entre ces versets: le récit de

l’Arche n’a pas de prolongement, il se termine là puisque la thèse ancienne le

faisant reprendre en 2 S 6 n’est guère envisageable désormais. Cela

signifierait donc qu’il a été interrompu car on ne peut pas raisonnablement

penser que la perte de l’Arche de Shilo par les Israélites termine son parcours

à Qyriat-Yearim39

, localité sans grande importance historique, tant du point

de vue politique que du point de vue religieux.40

On peut observer que ce

récit était déjà interrompu au moment de sa reprise en 2 S 6,2-4 puisque ce

texte ne mentionne pas autre chose que ce qu’il y a en 1 S 7,1, sans même

mentionner Qyriat-Yearim. Soit l’importance de cette localité était tellement

moindre que le rédacteur n’a pas jugé utile de préciser le lieu d’où venait

l’Arche, soit, au moment de la reprise, 1 S 7,2 n’existait pas et le rédacteur

lisait seulement que les gens de Qyriat-Yearim étaient venus chercher

l’Arche à Beth-Shemesh pour la monter jusqu’à la maison d’Abinadab située

sur la colline. En effet, seul 1 S 7,2 précise explicitement que l’Arche était à

Qyriat-Yearim.

Récit de l’Arche interrompu, versets contradictoires, où donc l’Arche

pouvait-elle se situer en dernier ressort? La solution peut venir du terme

“traduit” par “colline” dans la LXX. En effet, il n’y a pas de raison

interdisant d’interpréter gb‘h comme un nom propre: Gibea, la ville de

Gibea.41

Or Qyriat-Yearim est environ à mi-chemin entre Beth-Shemesh et

Gibea et l’on peut penser que les gens de cette localité n’ont eu pour seule

fonction que celle de monter l’Arche dans la région des collines―qui plus

est, sur l’un des points les plus hauts42

―, en plein “territoire yahwiste,” non

dans une zone intermédiaire. La question qui survient immédiatement est:

pourquoi Gibea et non Shilo ? Certes, cette dernière localité était située bien

39. K. van der Toorn, C. Houtman, “David and the Ark,” pp. 221-222, contrairement

à P.D. Miller, J.M. Miller, The Hand of the Lord, pp. 25-26.

40. Contrairement à J. Blenkinsopp, “Kiriath Yearim and the Ark,” JBL 88 (1969),

pp. 143-156 et, dernièrement, à M. Leuchter, “The Cult at Kiriath Yearim: Implica-

tions from the Biblical Record,” VT 58 (2008), pp. 526-543.

41. Pour une discussion concernant l’emplacement archéologique de Gibea, voir

S.S. Brooks, “From Gibeon to Gibeah: High Place of the Kingdom,” dans J. Day

(ed), Temple and Worship in Biblical Israel, (LHBOTS, 422; London-New York,

2005), pp. 40-59 ; W.M. Schniedewind, “The Search for Gibeah: Notes on the His-

torical Geography of Central Benjamin,” A.M. Maeir, P. de Miroschedji (eds), “I

Will Speak the Riddle of Ancient Times”. Archaeological and Historical Studies in

Honor of Amihai Mazar, vol. 2 (Winona Lake, 2006), pp. 711-722.

42. 838 mètres d’altitude si l’on identifie le site de Tell el Fûl―ce qui semble le plus

probable―comme étant Gibea: W.M. Schniedewind, “The Search for Gibeah,”

p. 722.

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66 Christophe Lemardelé

plus au nord, mais il y a vraisemblablement une volonté philistine de ne pas

faire retourner la divinité ennemie dans son temple. Gibea pouvait être

choisie par eux pour une raison bien simple: rendre la divinité tout en gardant

le contrôle sur elle. En territoire israélite libre, Yhwh était une arme de

guerre, en territoire philistin, un fléau, il suffisait donc qu’il fût en territoire

israélite occupé. Or Gibea est précisément le lieu où il y avait une garnison

philistine (1 S 10,5 ; 13,3-4).

Le terme nṣyb désigne un poste militaire. Si la LXX a pu le traduire par

anastêma (construction), le terme est surtout transcrit en 1 Règnes, comme

s’il s’agissait d’un nom propre: Nasib l’étranger au lieu de la garnison des

Philistins. 1 S 10,5 a même un doublet en grec à moins que l’on ait traduit à

deux reprises (?): “tu entreras sur la colline de Dieu [ou Gibea d’Elohim], là

où est la construction des Étrangers, où est Nasib l’Étranger.” La

transcription grecque est en fait présente dès 1 S 1,1 où il est dit qu’Elqanah

n’est pas descendant de Suph d’Ephraïm, mais provenant du Nasib

d’Ephraïm. Si l’on peut toujours supposer une corruption du modèle hébreu

pour expliquer la “traduction” grecque,43

la lectio difficilior de la LXX

pourrait toutefois être retenue puisque l’on retrouve le terme plus loin.

Auquel cas il faudrait considérer le terme nṣyb comme structurant pour

l’ensemble du récit, c’est-à-dire qu’Elqanah venait de Ramataïm

Suphim―littéralement: les deux hauteurs de Suph, conformément à la

description de Rama en 1 S 9,11-12, la ville en hauteur et le haut lieu cultuel

–, ville garnison à la frontière d’Ephraïm, faisant en quelque sorte face à la

garnison philistine de Gibea. Si Rama porte bien son nom puisque cela

signifie hauteur, a également une connotation dans ce sens puisque

le terme veut dire “guetteurs”―comme en 1 S 14,16 lors de la bataille contre

les Philistins: les guetteurs de Saül. D’ailleurs, l’hébreu de 1 S 1,1 n’est guère

cohérent en parlant de “fils de Suph” car ce nom désigne un pays et non une

personne. En 1 S 9,4, lorsque Saül et son serviteur cherchent les ânesses, ils

traversent trois pays: Shalisha, Shaalim et Iakim44

, dans les monts d’Ephraïm.

Au verset suivant, Saül prend la décision de rentrer chez lui alors qu’ils

arrivent précisément au pays de Suph. On peut donc poser l’hypothèse

suivante: si le récit de naissance est celui de Saül en 1 S 1, on peut penser que

l’ascendance mentionnée était la sienne et que la seule modification a dû

porter sur le nom de l’enfant, que Saül était de Rama du pays de Suph, ville-

garnison des Ephraïmites/Israélites. Et c’est de là d’où il part pour chercher

les ânesses égarées de son père et, ne les trouvant pas, rentre chez lui en 1 S 9

afin de consulter le voyant―“est-ce que le voyant est ici ?” (v. 11)―qui lui

annoncera son départ en 1 S 10 pour Gibea, son départ et non son retour car

ce n’est pas le verbe šwb qui est utilisé mais bw’ (arriver): “tu arriveras à

Gibea d’Elohim, là il y a une garnison de Philistins” (v. 5).

43. M. Lestienne, Premier livre des Règnes, p. 127.

44. En suivant LXXB car le TM propose Benjamin qui ne correspond pas au terme

“pays,”: ’rṣ/gê.

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Ainsi, le récit qui commence au centre cultuel de Shilo se trouve

également construit autour de deux villes-garnisons proches l’une de l’autre:

Rama d’un côté, Gibea de l’autre. La première a des guetteurs israélites, la

seconde des soldats philistins. Il est vraisemblable de penser que Saül va de

l’une vers l’autre. Si le récit final de 1 S 9 fait tout pour nous donner à penser

que Saül est de Gibea―ascendance benjaminite (v. 1), interpolations

nombreuses en fonction de Samuel (v. 9: le prophète s’appelait avant

voyant)―, les signes que le voyant énonce au jeune héros ne suggèrent pas

qu’il rentre chez lui. La question qui se pose est: pourquoi le voyant envoie-t-

il Saül à Gibea s’il ne rentre pas chez lui ? Tout simplement parce que

l’Arche divine s’y trouve comme le laisse entendre 1 S 7,1 et ce que confirme

1 S 14,18: dans la bataille contre les Philistins, Saül ordonne au prêtre

d’apporter l’Arche (’rwn) d’Elohim, ce qui crée immédiatement la panique

dans le camp philistin (vv. 19-20). Or, si Saül a Yhwh à ses côtés, c’est parce

qu’il a frappé la garnison philistine de Gibea (1 S 13,3-4).

Évidemment, tous ces éléments apparaissent éparpillés tant les récits ont

été relus, prolongés, détournés, harmonisés. Par exemple, la mention de

l’Arche au chapitre 14 a presque disparu puisque la LXX “traduit” par

l’éphod oraculaire, cela afin d’harmoniser son texte45

avec le verset 3 où

l’hébreu a bien le terme ’pwd et non ’rwn. Autre exemple, Jonathan semble

avoir un rôle déterminant dans le récit final car c’est lui qui frappe la

garnison philistine au chapitre 13 et qui attaque en premier les Philistins avec

son serviteur au chapitre suivant. Mais, d’une part, l’attaque de Jonathan en

1 S 14 n’est qu’une escarmouche comparée à la bataille finale avec l’Arche,

d’autre part et surtout, 1 S 13,3-4 est contradictoire: “Et Jonathan frappa la

garnison des Philistins qui était à Gibea (…). Et Saül a fait sonner du cor

(šwpr) dans tout le pays (…). Et tout Israël entendit qu’on disait: Saül a

frappé la garnison des Philistins…” . Si Samuel recouvre le nom de Saül dans

le premier chapitre, il semble bien que ce soit Jonathan cette fois. Car si Saül

souffle dans le shophar, c’est sans doute pour appeler à la révolte générale

après son exploit―d’autant plus que son fils est totalement absent du récit

avant cette action.

Faire le lien comme nous venons de le faire entre 1 S 7,1 et 1 S 10 et 13 à

partir du terme gb‘h, à comprendre comme étant la cité de Gibea, et à partir

du mot-clé “garnison” nous a permis de retourner à 1 S 1, puis d’aboutir à

1 S 14 avec l’autre mot-clé presque perdu: “Arche” . Cela nous conduit à

répondre à la question posée: le récit de l’Arche ne se terminait pas en 1 S 7,

1 mais en 1 S 14,18, tout du moins provisoirement. Et cela peut paraître assez

limpide si l’on accepte le fait que Yhwh fut amené à Gibea par les gens de

Qiryat-Yearim, ville où se situait Saül au moment de la bataille avec les

Philistins (1 S 14,2). Si ce type de lecture pose et posera problème à bon

nombre d’exégètes, c’est parce qu’il y a beaucoup de matière textuelle à

élaguer afin de retrouver le récit originel. En même temps, qui peut se

45. K. van der Toorn, C. Houtman, “David and the Ark,” pp. 210-211.

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68 Christophe Lemardelé

satisfaire du texte actuel46

, et notamment d’un récit de l’Arche qui n’aboutit

pas et dont la fonction narrative est très loin d’être claire ?

On peut classer, là encore, cette matière en deux catégories: des textes

apparentés au “Deutéronomiste,” qui concernent Samuel, et des textes

antérieurs mais qui ne sont peut-être plus seulement d’une strate messianique

tant les indices de cet ordre disparaissent au profit essentiellement d’un

personnage: Jonathan. Or Jonathan est le personnage qui permet de voir la

relecture du récit général en fonction de David. Les chapitres 13 et 14 ont

donc vraisemblablement été relus par un rédacteur voulant rattacher la geste

de Saül à celle de David47

car Samuel en est absent. Pour ce qui est de la

strate messianique 2, il est aisé de retirer les chapitres 7―excepté le premier

verset –, 8 et 12, considérés de plus en plus comme très secondaires48

, surtout

le chapitre 12 qui contient un véritable résumé du récit biblique général

(vv. 6-15). Pour le reste, c’est plus délicat. Les chapitres 9 et 10 ont été

modifiés au point de comporter une véritable réorientation en fonction de

Samuel. Seuls les versets 6-10 du chapitre 9 pourraient tout de même se

rattacher à la strate messianique 1 car on retrouve l’expression “l’homme de

Dieu” (’š ’lhym), mais sans le verset 9 qui explique a posteriori que le

“voyant” (r’h) s’appelait autrefois “prophète” (nby’), révélant ainsi la nature

originelle du texte et ses deux relectures: voyant―homme de Dieu―

prophète (Samuel). Il nous faudra tenter d’éclaircir la construction de ces

passages et même retrouver les chaînons manquants.

A) Indices d’un “récit de l’Arche”

1 S 7,1: l’Arche est menée à Gibea par les gens de Qyriat Yearim

―1 S 14,18: l’Arche est en possession de Saül qui combat les Philistins à

Gibea

1 S 10,5: une garnison philistine à Gibea―1 S 13,3-4: Saül frappe la

garnison philistine de Gibea

B) Strate messianique 1: 1 S 9,6-8.10: le voyant est appelé “homme

d’Elohim”

[Strate intermédiaire (davidique): 1 S 13-14*: Saül, Jonathan et les Philistins]

C) Strate messianique 2: 1 S 7,2-17: Samuel sacrifie à Mispa; 1 S 9-10:

Samuel devient le voyant de Rama

[Ajout messianique 1: Samuel âgé opposé à la royauté (1 S 8)]

46. Sauf exception: “There are no signs of redactional activity in 1 Samuel 1-8, in all

probability, it is an entirely authorial creation,” (?), S. Frolov, The Turn of the Cycle.

1 Samuel 1-8 in Synchronic and Diachronic Perspectives, (BZAW, 342; Berlin-New

York), p. 203.

47. Voir notre étude, “Les légendes fabriquées de David,”.

48. “Ces textes ont une fonction de structuration et d’organisation du récit tout à fait

essentielle, et ce sont eux qui permettent le mieux de comprendre et d’analyser

l’intention de la composition dtr en 1-2 S ; il s’agit de 1 S 3; 7; 8; 12, ainsi que

2 S 7,” C. Nihan, D. Nocquet, “1-2 Samuel,” T. Römer, J.-D. Macchi, C. Nihan,

Introduction à l’AT, p. 291.

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[Ajout messianique 2: Samuel résume l’histoire d’Israël (1 S 12)]

4. Les chaînons manquants: 1 S 9-10

Lorsque l’on attribue les chapitres 7―excepté le verset 1―et 8 à des

rédacteurs postérieurs au “récit de l’Arche,” l’horizon se dégage pour relier

ce récit à celui de Saül. En effet, l’écart paraît moins important entre 1 S 1,4-

6 et 9-10 une fois retiré tout ce qui concerne Samuel: le récit commence par

Saül (sa naissance) et revient à Saül (sa jeunesse), ce qui fait du récit de

l’Arche un récit dans le récit et non un document indépendant.49

Puisque la

“fin” du récit n’est guère satisfaisante en 1 S 7,1 et puisque l’on retrouve

l’Arche en 1 S 14, il faut se demander quelle est la nature de la relation entre

le voyant et Saül. Dans le texte final très embrouillé―toute la fin du chapitre

9 concerne la rencontre de Saül et de Samuel sans que celle-ci aboutisse―et

surchargé d’interpolations apportant des tensions―par exemple, la question

de Samuel et la réponse de Saül aux versets 20b-21 devancent de manière

inattendue l’onction du chapitre suivant―, on lit que “Samuel” annonce trois

signes au jeune homme: près de la tombe de Rachel (?), deux hommes lui

diront que les ânesses de son père ont été retrouvées―tension avec

1 S 9,20―, près du chêne de Tabor (?), trois hommes partant sacrifier à

Bethel le ravitailleront, puis il arrivera à Gibea et rencontrera une bande de

prophètes (1 S 10,2-6). Ces prophètes n’ont rien à voir avec Samuel car,

selon la distinction faite par Nissinen, ils sont conformes à “the ancient

Hebrew prophecy,” tandis que Samuel n’est qu’une émanation de “the

biblical prophecy.”50

Leur description dans ce passage les rapproche

d’ailleurs des prophètes mésopotamiens que l’on connaît notamment par les

documents de Mari51

. Ceci prouve assez que ces trois “signes” (’twt/sêmeia)

appartiennent à la strate la plus ancienne du récit.52

Ce récit des trois signes est strictement encadré par deux relectures

messianiques distinctes: au verset 1, Samuel oint Saül, et au verset 8, il est dit

que Saül ira immédiatement à Gilgal pour sacrifier après avoir rencontré les

prophètes de Gibea. La mention de l’onction et la destination de Gilgal sont

contradictoires car, plus loin, il est question d’une “nouvelle” onction de Saül

dans cette localité (1 S 11,12-15). Il semblerait donc que la suite de la

relecture du chapitre 10―strate messianique 2―n’ait pas eu Gilgal comme

lieu d’arrivée pour Saül mais Mispa comme en 1 S 7,2ss. En effet, les trois

signes se réalisent, bien que le dernier ait été détourné, et Samuel convoque

tout le peuple en ce lieu afin de lui présenter le roi oint. Les interpolations

mentionnant Gilgal et Samuel, ainsi que l’“obsession” d’y offrir des

49. K. van der Toorn, C. Houtman, “David and the Ark,” p. 225.

50. M. Nissinen, “What is Prophecy ?” pp. 28-31.

51. F.J. Gonçalves, “Les ‘prophètes écrivains’,” p. 167.

52. Voir les remarques de J. Vermeylen, La loi du plus fort: histoire de la rédaction

des récits davidiques de 1 Samuel 8 à 1 Rois 2, (BETL; 154; Louvain, 2000), pp. 26-

27.

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sacrifices―encore en 1 S 13,4b.7b-15―sont donc à attribuer à un ajout

messianique tardif.

Mais si le “récit des trois signes” a tourné court, cela ne tient pas à cet

ajout en fonction de Gilgal, car le récit est interrompu pour l’assemblée de

Mispa (1 S 10,17-27). Or, dans cette version, on ne sait absolument pas ce

que Saül a réalisé à Gibea. Si les deux premiers signes ont une

signification―clore la recherche des ânesses et ravitailler le jeune homme―,

le troisième semble ne pas avoir de sens particulier. En effet, Saül rencontre

bien les prophètes, prophétise avec eux et passe pour un fou auprès de

badauds qui le connaissent (?), pour finir par échoir chez son oncle―et

pourquoi pas son père ?―qui lui demande où sont les ânesses et ce que lui a

dit Samuel (?). Ces versets 11 à 16 semblent bien avoir détourné le fleuve

narratif de son cours. Or la solution du troisième signe se lit pourtant bien au

verset 7: “Fais pour toi ce que ta main trouvera parce qu’Elohim est avec

toi.” Et comme cette annonce est précédée de: “l’esprit de Yhwh fondra sur

toi et tu entreras en transe avec eux, tu seras changé en un autre homme”

(v. 6), on peut facilement relier cette transe due à l’esprit de Yhwh à deux

éléments: d’une part au statut de nazir de l’enfant à naître (1 S 1,11 [LXXB]

et 22 [4QSama]), d’autre part au coup de force du héros contre la garnison

philistine (1 S 13,3-4).53

A l’instar de Samson, l’esprit (rwḥ) divin ne fait pas

de Saül un prophète―Amos 2,11-12 évoque les prophètes et les nazirs

habités par cet esprit54

―mais lui permet de s’exalter au point d’entrer en

fureur et d’accomplir un exploit héroïque―comme Samson, Saül a la narine

qui brûle de colère (Jg 14,19/1 S 11,6). Mais alors que faisait-il au milieu de

prophètes ? Sans doute faut-il alors comprendre cela comme une ruse propre

au jeune guerrier55

lui permettant d’approcher au plus près de la garnison

philistine sans éveiller de soupçons.

Les relectures des chapitres 9-10 et 13-14 sont nombreuses et l’on y

décèle des interpolations diverses en fonction de Samuel―mention de Mispa,

puis de Gilgal―et en fonction de David―rôle attribué à Jonathan.56

S’il

paraît difficile d’aller au-delà de la récolte de quelques indices, cela nous

semble suffisant pour établir que le “récit de l’Arche” était surtout le récit de

l’accession au pouvoir de Saül. Le but du récit n’est donc pas l’Arche de

Yhwh pour elle-même mais son utilisation guerrière par les Israélites/

Ephraïmites. Or si l’échec est patent en 1 S 4, en l’absence de héros

suffisamment exalté et exaltant, le succès est complet en 1 S 14, grâce à la

présence de l’Arche sur le champ de bataille, grâce avant à l’esprit divin qui a

pu saisir le nazir Saül pour reprendre possession de l’Arche: l’action de

53. Pour l’argumentation textuelle et littéraire concernant la relation Saül – nazir –

esprit de Yhwh, voir notre article “Saül le nazir,” pp. 48-55.

54. C. Lemardelé, “Être nazir,” pp. 280-281.

55. C. Lemardelé, “Du jeune héros aux jeunes guerriers,” pp. 209-215.

56. Voir O. Kaiser, “Der historische und der biblische König Saul (Teil II),” ZAW

123 (2011), pp. 1-14.

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Yhwh est donc interne et aboutit à la transe (prophètes, nazir) ou externe et

destructrice (Arche).

A) “récit de l’Arche/Accession au pouvoir de Saül”

1 S 9*: Saül recherche les ânesses dans les monts d’Ephraïm―1 S 10,2-7: le

voyant envoie Saül le nazir en mission à Gibea

1 S 10*: Saül saisi par l’esprit de Yhwh au milieu de prophètes frappe la

garnison philistine

C) Strate messianique 2: 1 S 10,9-16: l’exploit de Saül est dissimulé;

1 S 10,17-27: le jeune homme oint par Samuel (1 S 10,1) est confirmé roi à

Mispa

[Ajouts messianiques: Saül doit sacrifier à Gilgal en présence de Samuel

(1 S 10,8; 11,12-15 et 13,4b.7b-15)]

5. Et le héros devint roi: 1 S 13-14 et 1 S 11

La lecture du “récit de l’Arche” dans le récit général de 1 Samuel n’a guère

de sens. En effet, ce récit semble se perdre dans les diverses strates

messianiques, strates qui ont pour but d’aboutir à la royauté légitimée par

l’onction du prophète choisi par Yhwh. Il n’a guère de sens dans le récit

général d’autant plus que le personnage de Samuel en est absent. La solution

semblait donc être le récit indépendant à l’origine, l’unité narrative de Rost.

Mais cette hypothèse n’a plus vraiment de sens non plus depuis qu’on a jugé

à juste titre que la poursuite et la fin du récit en 2 S 6 n’était pas compatible

avec 1 S 4-7―l’écart entre les deux ensembles textuels était d’ailleurs

autrement plus important que ceux présents dans mon hypothèse. Or, donc,

nous nous retrouvons avec un embryon narratif qui n’a ni motif clair ni

aboutissement décelable. C’est pourquoi nous proposons de situer le “récit de

l’Arche” dans un récit plus large, comme faisant intrinsèquement partie de la

strate narrative la plus ancienne de 1 Samuel, soit le “récit de l’Accession au

pouvoir de Saül” . Ce récit ou, pour mieux dire, cette légende avait pour

objectif de raconter l’avènement de la royauté en Israël ou, plus simplement,

le surgissement d’un chef en Ephraïm s’imposant comme despote à d’autres

tribus. Mais ce récit n’avait rien de messianique, nulle onction, nul prophète

pour légitimer la royauté devant le peuple. Cependant, en tant que légende, il

comporte bien des éléments qui dérogent à toute compréhension historique

du récit: naissance après un vœu d’un enfant spécial (nazir)―capture d’un

dieu―rétrocession de ce même dieu―signes d’un voyant―exploit du héros

jeune―bataille victorieuse avec le dieu.

Cette légende se comprend aussi géographiquement. Les parents du futur

roi habitent les collines d’Ephraïm, à Rama, et se rendent plus au nord, à

Shilo, pour rendre un culte à Yhwh des armées―ils ne vont pas à Beth El

comme les trois hommes que Saül rencontre plus tard―car la légende relève

d’un milieu polythéiste. Les tribus israélites―ou les clans éphraïmites?

―sont sous pression philistine et comptent sur leur divinité guerrière pour

vaincre leur ennemi. Mais le dieu est vaincu et quitte les collines pour la

plaine littorale à Ahsdod. Yhwh se montrant plus fort que Dagon, les

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Philistins finissent par lui faire prendre le chemin du retour et ce sont les

habitants de Qiryat Yearim qui lui font monter les collines pour l’installer à

Gibea. Pendant ce temps, l’enfant demandé à Yhwh au temple de Shilo

grandit à Rama, non loin de Gibea. Quand son père l’envoie chercher ses

ânesses, il ne les trouve pas car il part du mauvais côté. Nous comprenons

mal pourquoi le héros doit chercher des ânesses, si ce n’est en y décelant une

connotation royale: “le roi oriental chevauchait un âne.”57

En revenant à

Rama, le voyant lui dit de quel côté aller, au sud, pour se rendre à Gibea

affronter la garnison philistine. Et c’est de là qu’il livre une bataille décisive

contre les Philistins, lui le champion de Yhwh.

En ce qui concerne cette bataille, il est assez aisé de faire le tri des

informations. Quand on restreint les chapitres 13-14 aux seules actions de

Saül, retirant donc les versets mentionnant Gilgal et surtout les épisodes

intégrant Jonathan―bref, ce qui complique considérablement la localisation

des armées en présence58

―, les choses deviennent plus claires: la bataille se

prépare en “13” et a lieu en “14,” les Philistins occupent Mikmas au nord-

ouest de Gibea (13,5) et Saül cette dernière localité (14,2): “Saül était assis à

l’extrêmité de Gibea,” Alors que si l’on lit le texte actuel, Saül est tantôt à

Mikmas (13,2), tantôt à Gilgal (13,7b), tantôt à Geba (13,16) et enfin à

Gibea. Le rédacteur qui a inséré les épisodes concernant Jonathan a généré

beaucoup de confusions en accumulant les noms de lieux et en accentuant la

puissance destructrice des Philistins par un vocabulaire subjectif. En effet, il

ne s’agit plus seulement d’une armée avec des chars et des cavaliers, mais

d’un “dévastateur,” donc d’un corps de destruction, se divisant en

commandos dans trois directions distinctes avec des noms significatifs

(13,17-18). Le recours à des toponymes, même pour des lieux impossibles à

identifier, se retrouve en 14,4-5, quand Jonathan et son écuyer s’apprêtent à

attaquer entre Mikmas et Geba. Ce rédacteur a apporté également une

confusion lourde de conséquences en mentionnant pour la première fois cette

dernière localité, située au nord-ouest de Gibea, précisément entre Gibea et

Mikmas59

. En effet, il y a une probable inversion des termes en 13,2-3, seul

passage où la LXX a traduit Gibea par Gabee et Geba par “colline.”60

Cette

inversion dans le TM s’explique sans doute par l’attribution de l’exploit de

Saül à Jonathan au verset 3. C’est cette confusion sur les deux noms de

localités qui a conduit Arnold a identifié Gibea à Jeba/Geba et non à Tell-el-

Ful,61

contre le consensus général et l’identification première d’Albright.

57. S. Lafont, “Nouvelles données sur la royauté mésopotamienne,” RHDFE 73

(1995), pp. 473-500 (482-483).

58. G. Hentschel, Saul. Schuld, Reue und Tragik eines Gesalbten, (BG. 7; Leipzig,

2003), pp. 65-66.

59. Ibid., p. 73.

60. M. Lestienne, Premier livre des Règnes, p. 113.

61. P.M. Arnold, Gibeah: The Search for a Biblical City, (JSOTS. 79; Sheffield,

1990), pp. 54-60.

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Si le chapitre 13 peut être considérablement réduit en ce qui concerne sa

strate d’origine, il en est de même avec le suivant. En effet, ce chapitre a été

relu et augmenté par le même rédacteur pro-davidique, en faisant de Jonathan

l’artisan de la victoire contre les Philistins (vv. 4-17), en ajoutant la péricope

sur le sacrilège du même Jonathan (vv. 24-30), la péricope du sacrilège du

peuple (vv. 31-35) et la péricope du “sacrifice” de Jonathan par son père

(vv. 36-46), toutes très défavorables à Saül et émanant peut-être de rédacteurs

ultérieurs. Il reste cependant à la fin du chapitre, la notice sur le règne de Saül

qui doit être ancienne et qui devait à l’origine subvenir après la défaite et la

mort du roi sur le mont Gilboa (1 S 31).

Dans cette reconstruction, le chapitre 11―la première partie, faisant état

d’un récit archaïque concernant Saül―n’a guère sa place, sinon à la suite de

cette légende, c’est-à-dire après la bataille contre les Philistins des chapitres

13-14. Et cela pour une raison simple: les gens de Yabesh de Galaad qui font

appel à Saül le font plus ou moins à titre d’étrangers puisqu’ils se situent de

l’autre côté du Jourdain, sous domination ammonite, et qu’ils feront partie de

son royaume après sa mort (2 S 2,9). D’ailleurs, la fin provisoire du récit de

Saül mentionne bien l’action de ce héros se taillant un royaume à force de

batailles vers le nord à partir de Gibea, donc en territoires jordaniens et

transjordaniens (1 S 14,47-52). Il semblerait que la limite ait été pour lui Beth

Shan, tenue par les Philistins et semble-t-il pas avec une simple garnison

comme à Gibea (1 S 31). On peut par ailleurs considérer que le chapitre 11

ait été celui du passage du statut de héros―ou de “juge” , comme le suggère

1 S 12,12―à celui de roi, car en massacrant ses vaches pour montrer aux

Israélites de quoi il était capable, il imposait à tous son pouvoir, tel un

despote s’imposant par la force et proposant des liens de dépendance en

assurant protection et assistance.62

L’épisode de 1 S 11,5-7 renvoie aux exploits de Samson, pareillement

possédé par l’esprit divin, c’est la dimension héros-nazir. Mais il renvoie

aussi à l’épisode de la concubine du lévite en Juges 19, où ce dernier découpe

le cadavre de sa femme en douze morceaux pour appeler à la guerre contre

Gibea. La différence tient au fait que Saül se comporte en chef en agissant

ainsi et qu’il n’est pas précisé douze morceaux pour les douze tribus. On peut

penser qu’il manque des éléments à la légende et que Saül s’était installé à

Gibea après avoir vaincu les Philistins. De là, il pouvait asseoir un pouvoir

relatif sur d’autres tribus et convoquer “Israël” pour partir au combat. Mais

on ne peut à la suite de cela considérer Gibea comme sa capitale car les

fouilles de Tell-el-Ful n’ont rien révélé de décisif quant à l’existence de

fortifications.63

Il est possible que ce roitelet allât de place en place avec ses

62. E. Pfoh, “Dealing with Tribes and States in Ancient Palestine,” SJOT 22 (2008),

pp. 86-113; N.P. Lemche, “From Patronages Society to Patronage Society,” V. Fritz,

P.R. Davies (eds), The Origins of the Ancient Israelite States, (JSOTS, 228; Shef-

field, 1996), pp. 106-120.

63. I. Finkelstein, « Tell el-Ful Revisited : The Assyria and Hellenistic Periods (With

a New Identification) », PEQ 143 (2011), pp. 106-118.

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guerriers, cherchant peut-être une cité suffisamment riche et grande pour s’y

installer, et son choix se porta peut-être pour sa perte sur Beth Shan.

A) “récit de l’Accession au pouvoir de Saül”

1 S 13*: Saül sonne la révolte contre les Philistins―1 S 14*: Saül combat de

Gibea et vainc l’ennemi grâce à Yhwh

1 S 11,1-11: Saül s’impose comme despote et protecteur

1 S 14,47-51: notice sur le règne de Saül

[Strate intermédiaire (davidique): 1 S 13,1-2.16-18 ; 14,1.4-17: Jonathan

devient le protagoniste essentiel de la bataille contre les Philistins]

[Péricopes successives contre Saül: 1 S 14,24-30.31-35.36-46]

6. L’ensemble du récit: de 1 S 1.4-7 à 1 S 9-10; 13-14.11

Avec cette légende royale trouvant son aboutissement dans une garnison

militaire ennemie (Gibea), nous sommes proches des récits concernant David

autour d’Hébron puis de Jérusalem. Mais le fait qu’elle prenne son origine

dans un centre cultuel―certes, yahwiste et non “élohiste”―nous ramène

aussi au cycle de Jacob longuement étudié par Albert de Pury.64

Il s’agit tout

autant d’une légende royale que d’un hieros logos concernant une divinité

particulière. Car les deux premiers fils de Saül ont des noms yahwistes:

Yônātān et son deuxième fils Yišwî (1 S 14,49)―Ishboshet/Ishbaal étant

dépréciatifs en 2 S 4 et 1 Ch 8,3365

. En ce qui concerne Yišwî ou ’Κ-wî, il

faut très vraisemblablement voir une corruption par inversion des deux lettres

du suffixe: yw―yhwh―au lieu de wy. En effet, la LXX a comme leçon

Iessiou, soit ’Κ-yô, “homme de Yhwh.”66

Alors que des six fils de David nés

à Hébron (2 S 3,2-5), trois ont un nom yahwiste―si l’on compte le second

comme étant Dalouia (LXX) et non Kileab –, des nombreux fils nés à

Jérusalem (2 S 5, 14-16), cette prééminence ne se retrouve pas, elle est plutôt

en faveur du dieu El et du dieu de la cité, Shalem, qui se retrouve en Salomon

mais aussi dans le nom d’un des premiers fils: Absalom. Saül était donc sans

doute plus le champion de Yhwh que David.67

Quoi qu’il en soit, surtout en

ce qui concerne les noms des fils du second, l’onomastique révèle le

polythéisme ambiant.

Légende royale et yahwiste de Saül

1 S 1*: l’enfant “demandé” (šw’l) est voué nazir à Yhwh des armées, dieu de

Shilo

1 S 4*: les Israélites/Ephraïmites perdent une bataille contre les Philistins qui

capturent leur dieu

64. A. de Pury, “Situer le cycle de Jacob. Quelques réflexions, vingt-cinq ans plus

tard,” A. Wénin (ed.), Studies in the Book of Genesis. Literature, Redaction and

History (BEThL, 155; Leuven 2001), pp. 213-241.

65. M. Lestienne, Premier livre des Règnes, pp. 267-268.

66. A. Caquot, P. de Robert, Les livres de Samuel, p. 160.

67. K. van der Toorn, “Saul and the Rise of Israelite State Religion,” VT 43 (1993),

pp. 519-542.

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A la recherche du “récit de l’Arche”: à la recherche de Saül 75

1 S 5*: Yhwh s’impose à Dagon dans son propre temple

1 S 6*: Yhwh regagne la région des collines dans la garnison philistine de

Gibea

1 S 9*: le jeune Saül recherche les ânesses “royales” dans les collines

d’Ephraïm

1 S 10*: le voyant de Rama envoie le nazir possédé de l’esprit de Yhwh à

Gibea

1 S 13*: Saül sonne la révolte après avoir vaincu la garnison philistine

1 S 14*: “Armé” de l’Arche divine, il met en déroute l’armée ennemie

Prolongements de la légende: 1 S 11: Saül devient le protecteur de tribus

non-éphraïmites ; 1 S 31: dernière bataille et mort de Saül au nord de son

royaume contre les Philistins ; 1 S 14 (fin): notice sur le règne de Saül.

7. Etymologie et datation

Evidemment, la question de la datation de cette légende est cruciale, de

même que son origine. Mais il nous faut avant tenter d’éclairer un détail: la

signification du terme traduit par “Arche.” Van der Toorn et Houtman ont

suggéré que l’Arche était finalement portée sur le champ de bataille (1 S 4 et

14) comme on portait les statues des dieux en Mésopotamie68

et Römer a

affirmé que l’aniconisme n’était pas originel, qu’ainsi Yhwh avait été

représenté dans les différents temples où on lui rendait un culte.69

La

traduction du terme ’rwn tient en effet à la description qui en est faite dans le

livre de l’Exode: kibôtos (LXX), arca (Vulgate), “coffre” . La traduction est

impropre car elle s’appuie sur une conception aniconique de Yhwh et sur une

conception de ’rwn comme étant le réceptacle des commandements divins

(’rwn h‘dwt). Il y a donc un anachronisme à traduire le terme par “arche” ou

“coffre” puisque le récit identifié en 1 Samuel doit être bien antérieur aux

textes exodiques sacerdotaux (Ps).

70 Certes, la signification de “coffre”

semble renforcée par l’attribution du terme au cercueil de Joseph (Gn 50,26)

mais les récits concernant ce “patriarche” étant très tardifs, on peut tout

simplement en déduire que ’rwn avait totalement pris ce sens nouveau au

point d’être désormais détaché du contexte sacré de l’alliance avec Yhwh.

L’étymologie de ’rwn n’est pas établie,71

nous pouvons au mieux en

déduire qu’il désignait un objet de culte. Si nous ne trouvons pas d’équivalent

du terme ailleurs, en akkadien notamment, on peut toutefois le rapprocher du

radical ’rw/y désignant dans diverses langues sémitiques un animal sauvage72

68. K. van der Toorn, C. Houtman, “David and the Ark,” pp. 215-216.

69. T. Römer, “Y avait-il une statue de Yhwh dans le premier temple de

Jérusalem ? Enquêtes littéraires à travers la Bible hébraïque,” Asdiwal 2 (2007),

pp. 41-58.

70. J.-D. Macchi, “Exode,” T. Römer, J.-D. Macchi, C. Nihan, Introduction à l’AT,

pp. 173-185.

71. H.-J. Zobel, “’arôn,” TDOT I (1974), pp. 363-374.

72. D. Cohen, Dictionnaire des racines sémitiques, I, Paris-La Haye, 1970, p. 32 ;

L. Koehler, W. Baumgartner, The Hebrew and Aramaic Lexion of the Old Testament,

I (Leiden-New York-Köln, 1994), p. 87.

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Page 24: A la recherche du “récit de l'Arche”: à la recherche de Saül. De Shilo à Gibea

76 Christophe Lemardelé

et en hébreu un “lion.” L’hypothèse est fragile mais elle permettrait de rendre

compte d’un objet cultuel représentant vraisemblablement une divinité. Or

Yhwh des Armées pouvait bien être figuré telle une bête sauvage, guerrière,

soit représenté en lion ou plus probablement en taureau. En effet, la tribu de

Joseph (Ephraïm et Manassé) reçoit deux qualificatifs: nazir de Yhwh et

premier-né du taureau (Dt 33,16-17). Cette hypothèse d’une statue divine

sous forme animale n’est d’ailleurs peut-être pas la seule possible puisque

Yhwh semblait être accompagné de quadrupèdes ailés appelés kerubîm. Dans

la conception ancienne de ces “chérubins,”73

il est possible qu’une statuaire

représentant une divinité anthropomorphe accompagnée de ses monstres ailés

ait fini par être désignée ainsi. Autrement dit, ’rwn ne désignerait pas tant la

divinité mais la statue dans son ensemble et plus particulièrement des lions

ailés.

Ces aspects archaïques du récit ne peuvent nous conduire à le dater de

l’Exil comme le fit Ahlström74

car, ainsi relu, il ne correspond plus à ce

contexte. Le dater précisément semble à première vue impossible. Nous nous

contenterons de dire qu’il émanait probablement du royaume d’Israël, à l’état

de légende orale peut-être d’abord, puis écrite. Il est difficile de dire si le roi

Saül a vraiment existé75

. Quoi qu’il en soit, l’exploit conté dans ce récit ne

peut être qualifié d’historique, sans doute put-il servir à glorifier un autre roi

israélite lui-même champion de Yhwh―Yehu à la fin du IXe siècle

76?

Ensuite, le récit a été récupéré au profit de David―il a été joint à 1 S 17,

avant les rédactions des chapitres 15 et 16―77

, donc relu dans une optique

royale judéenne, pour après être orienté en fonction d’une idéologie

messianique, dans un premier temps pour critiquer le temple de

Shilo―idéologie favorable à Jérusalem (2 S 6)―, dans un second temps pour

faire d’un “prophète” la figure centrale du récit, seul représentant digne de

Yhwh, donc dans une optique théocratique. Ainsi, si l’origine du récit peut se

situer dans le royaume du nord autour du VIIIe siècle, sa dernière

interprétation en Judée peut, quant à elle, être de l’époque hellénistique.

73. A. Wood, Of Wings and Wheels. A Synthetic Study of the Biblical Cherubim,

(BZAW, 385; Berlin-New York, 2008).

74. G.W. Ahlström, “The Travels of the Ark: A Religio-Political Composition,”

JNES 43 (1984), pp. 141-149.

75. Seuls les lieux mentionnés sur l’inscription du pharaon Sheshonq Ier

indiqueraient une entité israélite dans cette région des hautes terres dans la deuxième

moitié du Xème siècle: I. Finkelstein, “From Canaanites to Israelites: When, How

and Why ?,” E. Gabba (ed.), Recenti tendenze nella ricostruzione della storia antica

d’Israele (Roma, 2005), pp. 11-27. Une hypothèse bien plus osée pourrait être

proposée: puisque Sheshonq a clos sa campagne militaire à Beth-Shan, la bataille du

mont Gilboa, à proximité contre les Philistins, ne pourrait-elle pas être l’écho d’une

bataille perdue contre les Egyptiens ?

76. Même si là aussi, les relectures réorientant le récit sont nombreuses:

E. Würthwein, “Die Revolution Jehus. Die Jehu-Erzählung in altisraelitischer und

deuteronomistischer Sicht,” ZAW 120 (2008), pp. 28-48.

77. C. Lemardelé, “Les légendes fabriquées de David,”.

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