Upload
others
View
2
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
APROPOSDEL’AUTEUR
Jodi Thomas, auteur dont les romans figurent régulièrement sur la liste desmeilleures ventes duNewYorkTimes,aimeplacerseshistoiresauTexas,sarégionnatale,oùellevittoujours.DiplôméedelaTexasTechUniversity,elletravaillecommeconseillèreconjugaleetfamiliale,etestécrivainrésidentàlaWestTexasA&MUniversity.
1
JubileeHamiltonNovembre2009
SouslesfenêtresdubureaudeJubileeHamilton,GeorgetownStreetn’étaitplusunejoliealléeenbriques,maisunerivièredeboue.
—Pourquoifaut-iltoujoursqu’ilpleuvelejourdesélections?demanda-t-elleauportraitgrandeurnaturedesoncandidat.
Lapoignéedevolontairesdemeurésdans le localdecampagnerangeaient leurbureau.LescrutinétaitclosdepuisàpeineuneheureetlepoulaindeJubileeavaitdéjàétédéclaréperdant.
Amoinsquecenesoitelle,lagrandeperdante.Deuxmoisplustôtsoncompagnon,l’hommeaveclequelelleenvisageaitdefairesavieetdemettreaumondelesdeuxenfantsetdemiderigueur,luiavaitditadieu.Enlaqualifiantde«bourreaudetravailégocentrique».Danslafoulée,Davidl’avaitaccuséed’êtrefroide,insensible,inconséquente,autocentrée…
Commeelles’insurgeait,ilavaitposéunequestion,uneseule:—Ladatedemonanniversaire,Jub?Elleavaitcroisélesbras,manièredeluisignifierqu’ellen’entreraitpasdanscespetitsjeux.Mais
cettefois,sonamantautempéramentsidouxetconciliantn’avaitpascédé.—Alors?Illafixait,lecœurbrisé.Commeellenerépondaitpas,ilavaitinsisté.—Noussommesensembledepuistroisans.Madated’anniversaire,s’ilteplaît?—19février,avait-ellelancéaujugé.—Raté.Davidavaitramassésonattaché-caseavantdesedirigerverslaporte.—Je reviendrai cherchermes affaires après les élections.Tun’aurasmêmepas le tempsdeme
tenirlaported’icilà.Adirevrai,letempsluiavaitmanquéaussipoursedésolerdel’absencedeDavid.Elleavaitune
campagneélectoraleàgérerettravaillaittantqu’elleavaitprisl’habitudededormiraulocalunenuitsurdeux. Quelque part au cours des semaines suivantes, David était passé à l’appartement boucler sesbagages.Un jour elle avait trébuché sur unemontagne de cartonsmarqués «D » en rentrant. Elle sesouvenaitseulementdes’êtrefélicitéesurlemomentqu’ilaitlaisséseshabitsàelledanslapenderie.
Quelquesjoursplustard,les«D»avaientdisparuetuneclétraînaitsurlecomptoir.Pasletempsderegrettersondépartniceluidesescartons.Elleavaitsongéàpleurer,puiss’était
épargnécettepeine.D’autrespetitscopainss’étaientvolatilisésdelamêmemanièreparlepassé.Deuxà
l’université,unautreavantDavidalorsqu’ellehabitaitdéjàWashington.Dutempspourl’amour,elleenauraitplustard.Pourlemoment,àvingt-sixans,elleavaitunecarrièreàconstruire.Letravailoccupaittoutesavie,depuistoujours.Leshommesn’étaientquedesextradontellepouvaitparfaitementsepasser.C’étaitàpeinesielleavaitremarquélecourrierquis’accumulait,oul’affichettesurlaporteindiquantqu’elleavaitsixsemainespourlibérerleslieux.
Puis lapluieétaitarrivée.Lesélectionsavaient livré leurverdict.Soncandidatavaitperdu.Elleavaitperdu.A l’aube, ellen’auraitplusde travail.NideDavidpour l’attendreà lamaison,prêt à laconsoler.
Satroisièmedéfaitecommedirectricedecampagne.Troisessais,aprèsquoi,terminé!Elle sortit seule sous la pluie, se moquant de se faire tremper. Tout ce temps investi, pour se
retrouver lesmainsvides…Lecandidatpour lequelelles’étaitbattueavec tantd’acharnementn’avaitmêmepasdaignélacontacteràl’issueduscrutin.
Enpénétrantdanscetappartementquiressemblaitdavantageàunboxqu’àunfoyer,désormais,ellenes’étonnapasquel’électriciténefonctionneplus.C’étaitDavidquis’étaittoujoursoccupédesdétailsmineurscommelesfacturesàrégler.
Elles’assitsuruncartonettenditlamainverssontéléphoneavantdes’apercevoirqu’ellen’avaitpersonneàappeler.Pasd’amis.Pasdecopainsd’écoleaveclesquelselleseraitrestéeenrelation.Toussescontactsétaientprofessionnels,hormistroispersonnesdesafamille.Ellefitdéfilerlesnomsjusqu’àHamilton.
Premiernuméro,sesparents.Ilsneluiavaientplusadressélaparoledepuisqu’elleavaitmanquélemariagedesasœur.Ellehaussalesépaules.Vraiment,témoindelamariée,quelleimportance?
LesnocesdeDestinyavaientétéuneréussite,detoutefaçon.ElleavaitvulesphotospostéessurFacebook.Aurait-elle fait l’effortdes’yrendre,elle, lasœur tropgrande, tropmaigre,auraitgâché laperfectiondeDestiny.
Ellefitdéfilerlaliste.Destiny.Sonaînéedesixans,toujoursplusjolie,toujoursplusintelligente,jamaisdemandeusedesacompagnie.
Des images de l’enfance lui revinrent par flashs.Alors qu’elle avait trois ans,Destiny lui avaitcoupélescheveuxras.Elleenavaitcinqlorsquesasœurluiavaitracontéqu’elleavaitétéadoptée,septlorsqu’ellel’avaitabandonnéedansleparc,etdix,lejouroùelleavaitlacérélesrouesdesonvélopourl’empêcherdelasuivre.
Oh !Et n’oublions pas nonplus le jour de ses premières règles, où sa grande sœur lui avait ditqu’elleallaitmourir.Toutelafamilleavaitriauxéclatsenapprenantqu’elleavaitrédigésontestamentàdouzeans.
Lesflashss’éteignirentbrutalementenmêmetempsquetoutevelléitédeparleravecDestinydontelleignoraitmêmelenomd’épouse.
Si lesgrandessœurs semesuraient suruneéchelledezéroàdix,Destiny récolteraitunnégatifàdeuxchiffres.
TroisièmeHamiltondesalistedecontacts,sonarrière-grand-père.Elleavaitpasséchezluil’étédesesonze ansparceque sesparents souhaitaient faire la tournéedesuniversités avant d’en choisir unepourDestiny.Ilsavaienttousagitélamainensouriantaprèsl’avoirdéposéechezGrandpaLevycommeunanimaldecompagnieenvahissant.
Deux semaines plus tard, ils avaient téléphoné pour annoncer qu’ils ne pourraient pas venir lachercher,àcaused’unepannedevoiture.Huitjoursaprès,ilyavaituneautreuniversitéàvisiter.PuissonpèreavaitsouhaitéattendrededisposerdecongéspourqueletrajetduKansasauTexaspèsemoinssurlafamille.
Letempsqu’ilssedécidentàrevenir,elleavaitmanquélesdeuxpremièressemainesd’école,maiselles’enfichait.Elleyseraitvolontiersrestéedéfinitivement,dansceranch.
GrandpaLevyétaitunvieuxgrincheux.Mêmeàonzeans,elleavaitsentiquelafamillenel’aimaitpas et se désintéressait totalement de sa ferme sansvaleur et des terres arides sur lesquelles il vivaitdepuissanaissance.GrandpaLevyparlaitlabouchepleine,juraitplusquepermischezlesméthodistes,selavaitunefoisparsemaineetseplaignaitdetout,saufd’elle.
Elle se souvint que ses parents avaient à peine pris le temps de couper le moteur en venant larécupérer.GrandpaLevynel’avaitpasserréedanssesbras,maissamainnoueuseetrêches’étaitancréesursonépaulecommes’ilsupportaitmaldelalaisserpartir.Cegesteavaitsignifiédavantagepourellequetouteslesparolesqu’ilauraitpuprononcer.
Ellen’avaitconfiéàpersonneàquelpointGrandpaLevys’étaitmontréformidableavecelle.Illuiavaittrouvéunchevaletapprisàmonter,etelleavaitpassétoutl’étéàsescôtés.Aramasserdesœufs,mettredesveauxaumonde,fairelesfoins.Pourlapremièrefoisdesavie,personneneluireprochaitdetoutfairedetravers.
Ellecontemplafixementlenuméroaffichéàl’écran.Ellen’avaitpasparléàsonarrière-grand-pèredepuisNoël.Apeineavait-elleentendusavoixrâpeusequ’elleétaitredevenueunepetitefille,pouffantetluiconfiantdessoucisfutilesdontiln’avaitsansdouterienàfaire.Maisilavaitécoutéetaccueillichacunedesestiradesrageusesd’un«Tutrouverasunesolution,petite!LeBonDieunet’apasdonnécettecervellepourrien!».
Une envie irrépressible lui vint deparler avec lui, là, tout de suite, pour lui dire qu’elle n’avaittrouvéaucunesolution.
L’appellancé,elleécoutalessonneriesenimaginantletéléphoneaccrochéaumurentrelacuisineetlesalonrésonneràtraversleschambresvidesetlescouloirspoussiéreux.Ilvivaituniquementdanslesdeuxpièceslesplusprochesdelacuisineetlaissaitlesautresdormir,disait-il.
—Réponds,Grandpa!murmura-t-elle,tantelleavaitbesoindesavoirquequelqu’unétaitlà-bas,présentpourelle.
Cesoir,elleavaitl’étrangeetterrifiantesensationd’êtreladernièrepersonneenviesurterre.A la vingtième sonnerie, elle raccrocha à contrecœur. Son arrière-grand-père ne possédaitmême
pasderépondeuretn’avaitprobablementjamaisentenduparlerdesportables.Peut-êtresetrouvait-ilàl’écurie ou plus loin, du côté du corral, là où logeaient du printemps à l’automne les cow-boys quitravaillaientpourlui.Amoinsqu’iln’aitprisladeux-voiesverslavillepoursasortiemensuelle,auquelcasils’étaitarrêtéaupetitcafédeCrossroadspourdîner.IlétaitsûremententraindecommanderunedoublepartdetarteàDorothy,àcetteheure.
Jubileeregrettadenepasêtreattabléedansleboxenfacedelui…Danslalueurduréverbèredevantlafenêtre,elletraversalesalonjusqu’àlacheminéeetallumales
bûches.Etrangecommeaprèsplusdequinzeansilluimanquaitencore,alorsquepersonned’autreneluiavaitjamaismanqué.Deslonguesannéespasséesavecsesparentsn’émergeaientquederarestranchesdevie,tandisquechaquedétaildecetété-làs’étaitincrustédanssamémoire.
A mesure que le feu prenait autour des bûches enveloppées de papier journal, la lumière desflammessemitàlécherlescartonsetlesmursnusdesonappartement.Elledénichaunedemi-bouteilledevindans le réfrigérateur tièdeetun sachetdebonbonsqu’ellen’avaitpaspudonner àHalloween,puisqu’ellen’étaitpaschezellecesoir-là.Blottieprèsdufeudanssonsalonplongédanslapénombre,elle entreprit d’ouvrir son courrier.Laplupart du temps, les enveloppes finissaient à lapoubelle sansmêmeavoirétédécachetées.Despublicités.Deslettresd’inconnus.Descataloguesbourrésd’objetsdontellen’avaitnibesoinnienvie.
Unàun,ellejetalespapiersaufeuenmêmetempsquesesespoirsetsesrêvesd’unecarrièrededirectricedecampagne.
Dansladernièrepile,uneenveloppeblanchegrandformatportantsonnomécritàlamainattirasonattention.Lecachetattestaitunenvoiremontantàplusd’unmois.Cen’étaitriend’important,sûrement,
sinonquelqu’unl’auraitcontactéepartéléphone…Mais,lacuriositél’emportant,elleouvritl’enveloppe.Deslarmessilencieusesdévalèrentsesjouesàlavuedel’en-tête.Ellesemitàlireletestamentde
LevyHamilton.Motaprèsmot.Avoixhaute.Pourassimilerlavérité,sidouloureusesoit-elle.Ladernièrepageétaitunelettregriffonnéesurlepapieràlettresd’uneétudenotariale.
MademoiselleHamilton,Levyestmortilyadeuxmois.N’ayantpujoindreaucunmembredelafamille,nousl’avonsenterré sur sa propriété, conformément à sa requête. Lorsqu’il vous a désignée commeuniquehéritièreduLoneHeartRanch,ilm’aditquevoussauriezquoifairedecettevieillemaison.J’espèrequecettelettrefiniraparvousparvenir.Mercidemecontacterdèsvotrearrivée.
Jubileeretournal’enveloppe.Onl’avaitfaitsuivreàdeuxreprisesavantqu’ellearriveàbonport.Ellemitdecôtéletestamentetsemitàpleurer.Elleversatoutesleslarmesdesoncorpspourle
seulêtrehumainquil’aitréellementaimée.Leseulaussiqu’elleaitréellementaimé.L’aubevenue, elle rassemblacequi lui restaitdevêtements, contactaungarde-meublespourque
l’onvienneladébarrasserdescartonsetquittasavieàWashington,chargéed’uneuniquevaliseetd’unattaché-casevide.
ElleiraitpasserNoëlchezsesparents.Elles’efforceraitderecueillirlespièceséparpilléesdesapersonnepourvoirs’ilyavaitencoremoyendereconstituerlepuzzle.Mais,qu’elleyparvienneounon,ellerepartiraitensuitedezérolàoùleventsoufflaitnuitetjour,oùlaterresèches’invitaitdansl’assietteàchaquerepas.Elleavaitpasséàpeinequelquesmoislà-bas,maisleLoneHeartRanchétaitpeut-êtrebienleseulendroitoùelles’étaitsentiechezelledetoutesavie.
2
CharleyCollinsFévrier2010
—Remets-nousça,Charley!Uneautretournéegénérale!Legamindel’autrecôtéducomptoiravaitàpeinel’âgelégalpourconsommerdel’alcool,maisson
rireétaitfortetsavoix,assurée.—C’estlaSaint-Valentinetaucundenousn’aderencard.Aboire!CharleyCollinsjuratoutbas.Cesivrognes—desétudiants!—avaientdéjàleurcompte,maisil
seraitrenvoyés’ilnelesservaitpas,etilnepouvaitpassepermettredeperdresonjob.Cebarsombreetpoussiéreux,cen’étaitpasgrand-chose,maisilluiassuraittoutaumoinsdequoimangeretremplirleréservoirdesonpick-up.
—Tuseraispas le frèredeReidCollins,parhasard?demanda leseulgarçonencoreenétatdeparlersansbaver.Tuluiressembles…Enplusgrand,unpeuplusvieuxaussi,peut-être.T’aslesmêmescheveuxquelui,marron-rouge.GenrelabouedelaRedRiver,tuvois?
AvantqueCharleyaitpurépondre,undesescamaradessecoualatêteavecardeur.—UnfrèredeReid,barman?Turigoles!LesCollinssontriches.Amillions!Ilsontplusdeterres
qu’uncow-boypeutentraverserenunejournée.Charleys’éloignavers l’extrémitéducomptoirdans l’espoirdese faireoublier. Ilsavaientparlé
desfemmestoutelasoiréed’unefaçonabjecte,maisqu’ilscontinuentdonc!C’étaittoujoursmieuxquedelesentendreparlerdelui.
Maislegarçonleplussobrepoursuivitd’unevoixjusteassezsonorepourqu’elleparvienneàsesoreilles:
—ParaîtqueReidaunfrèreaîné.Deuxansdeplus.PapaCollinsl’adéshérité!J’entendsencoreReid raconter que son père avait fait venir des hommes en armes pour l’escorter jusqu’à la sortie duranchcommeuncriminel.DavisCollinsaditcejour-lààsonproprefilsques’ilremettaitunjourlespiedssursesterres,ilseferaitdescendrecommeunintrus!
Charleyramassaunecaissedebouteillesdebièrevidesetsortit.Ilenavaitassezentendu!Quelquespasauraientsuffipourfuirlesodeursetlebrouhahadubar.Ilmarchanéanmoinsjusqu’au
boutde l’allée,posa lacaisseprèsdespoubelleset s’abîmadans lacontemplationdu terrainvagueàl’arrièreduTwoStepSalooneninspirantprofondément.Del’airfrais,del’espaceetdusilence,voilàcequ’illuifallait.Ilétaitfaitpourlesgrandsespaces.Commentdiableallait-ilsurvivreentravaillantdansunbaràbière,surtoutenlogeantjusteau-dessus,dansunminusculestudio?Iln’enavaitpaslamoindreidée.
Dèsqu’ilessayaitdeseconvaincrequelasituationnepouvaitpasempirer,lesennuissemettaientàpleuvoir.
Les yeux levés sur la pleine lune, il éprouva soudain une furieuse envie de jurer.Ou encore deboire,pouroublier.Seulement,jurern’étaitpasunehabitudetrèssalutaireetl’alcoolétaitau-dessusdesesmoyens.
Ilnepouvaitpasdémissionner.Ilnepouvaitpasfuirnonplus.Passansunminimumd’argentdecôtépoursereconstruireailleurs.Ailleurs?Etpouryfairequoi,aujuste?CecoinprécisduTexas,autourdeCrossroads,étaitdanssonsang.Ilsesentaitchezlui,ici,quandbienmêmelamoitiédelapopulationàcentkilomètresàlarondesemblaits’évertueràlechasser.
Tel unmineur aspirant une dernière bouffée d’air avant de replonger dans le trou, il emplit sespoumonsetfitdemi-tour.
Une femme se tenait dans l’ombre, près de la porte de derrière. Grande, une silhouetteirréprochable,delongscheveuxbrunsflottantsursesépaulesdanslabrisecommeunecape.Uninstant,Charleysesurpritàespérerqu’ellenesoitqu’unfantôme.Depuisquelquetemps,lesespritsl’effrayaientmoinsquelesfemmes.
Ens’approchant,ildistinguasonvisage.—Bonsoir,Lexie.Tuchercheslestoilettes,peut-être?Ellelaissaéchapperunrireunpeurauque,sexyendiable.Atrenteanspassés,l’anciennereinede
beautén’avaitrienperdudesoncharme.Ill’avaitvueentrerdanslebaruneheureplustôtaubrasd’untypeencostumeetbottesflambantneuvesquin’avaientsûrementjamaisconnulaboue.
—Jet’aisuivijusqu’ici,Charley.Elleattendit,telleunearaignéeguettantlepapillondestinéàseprendredanssatoile.—On ne t’a jamais dit que tu étais sacrément séduisant ? Grand, mince, des yeux bleu azur…
J’essayaistoutàl’heuredemeconcentrersurmonprochainépoux,maisjenevoyaisquetoi.Unmélangeparfaitdeprincecharmantetdebadboy.Jedevinetoujours,àsafaçondebouger,siunhommevaêtredouéaulit,ettueslesex-appealincarné,mongrand!
Charleysongeaàprotester.Lexiedevaitêtreaveugle ! Ilnes’étaitpascoupé lescheveuxdepuisdeuxbonsmois,nirasédepuisquatrejours,etvoilàdeuxnuitsqu’ildormaitaveclejeanetlachemisequ’ilportaitcesoir.
—J’aidéjàentenducessornettes,marmonna-t-il.Madernièrebelle-mèreendatem’aexpliquéquej’étaisirrésistibleenvironuneheureavantquemonpèremedéshérite.
Lexieserapprochadelui.—Cetteheure-làadûêtre…torride,non?Ilneréponditpas.Aquoibonentrerdanslesdétails,lamoitiédelavilleétaitdéjàaucourant.Il fichait sa vie en l’air depuis le lycée. Les grenouilles étaient plus futées que lui, dans leurs
relationsaveclesexeopposé.Ilétaitendernièreannéed’universitélorsquesonpère,lepuissantDavisCollins,avaitfiniparcraquer.
Pourunefoisqu’ilrentraitquelquesjoursauranchpendantlescongésdeNoël!Ils’étaitrésoluàtenterdediscuteraumoinsunefoisavecsonpèredesesprojetsd’aprèsdiplôme.Ilrêvaitdegérerlesterresquiappartenaientàsafamilledepuisplusdecentansetilétudiaitpourcela.Ilneluirestaitqu’unpetitsemestreàaccomplir,etsonpèresemblaitprêtàpasserlerelaispourselibérerdutempsetcourirlemondeavecsatoutedernièreépouse,aussiravissanteetaussiidiotequelesprécédentes.
C’était laquatrièmede lasérie.Elleétaitassez jeunepourêtresafille,etCharley,quidesavien’avaitjamaisrepoussélesavancesd’unejoliefemme,nel’avaitpasdécouragéelorsqu’elleétaitvenueletrouverdanssachambre,vêtueentoutetpourtoutd’unshortyensoie.Ellen’avaitpasprononcéunmot.Elleavaitsimplementrefermélaportederrièreelleetluiavaitsouri.
Lasuiteétaitconnuedetous…DavisCollinslesavaitsurprisensembleetavaitchassésonfilsaînédu ranch familial. Il avait fait emballer puis charger dans un camion l’intégralité du contenu de sachambre, plus son cheval. Puis quelques-uns de ses cow-boys s’étaient chargés de livrer le tout àl’université.
Charleyavaitvusescomptesetsescartesdecréditbloquésavantmêmelenouvelan.Ilavaitétécontraintde lâcher lescoursdu jourau lendemainpour se trouverd’urgenceunemploiàplein-temps.Adieusonrêvedediplôme! Ilétait rentréàCrossroads,oùvivaientencoreses raresvraisamis.Cesderniers luiavaientproposéde l’aide,maisauboutd’unmoment il s’était sentiobligédeprendresesdistances.Deseconstruireunevieseul.Parfois,mêmeunjobpourrietunlogementtoutaussiminableétaientpréférablesàlacharité.
AceciprèsqueLexieneluioffraitpasexactementlacharité,cesoir.—Qu’est-cequetufabriquesenville,Lexie?—J’essaiedemedébarrasserdelavieillebicoqueenruinedematante.Tuconnaisquelqu’unqui
voudraitmel’acheter?Elleestimmense.—Non.—Aquelleheureest-ceque tu finis tonservice,Charley?Onpourrait s’amuser,aprèsminuit…
MonchéridoitrepartirpourDallasd’uninstantàl’autreetjevaismeretrouvertouteseule.—Mercidetaproposition,maisjenesuispasintéressé,répondit-ilendégageantsonbrasdecelui
deLexiequis’étaitfurtivementenrouléautour.Uneautrefois,peut-être.Ilcourutpresquejusqu’àlaportedubar,replongeanttêtelapremièredanslebruitetlesodeurs.Un
enfermoinsredoutablequeceluiquivenaitdeluiêtreproposé!Trèsoccupéaucomptoir,ilneluiprêtaaucuneattention.Aunmoment,illevalesyeuxetvitquela
tablequ’elleoccupaitétaitvide.Lexieétaitunpoisondontiln’avaitvraimentpasbesoinencemoment.Les heures passèrent. Le silence se fit peu à peu dans le bar, à mesure que disparaissaient les
buveurs.Lesderniersverresessuyés,Charleymontaaupremierétageetsaluaenpassantlepropriétaire,IkePerez.
—DisàDanieladedescendreenvitesse,ordonnacedernier.Jen’aipasenvied’attendre.Letonétaitplusrevêchequenature,maisCharleynes’enémouvaitpas.Perezétaitl’unedesrares
personnesenvilleàluiavoirdonnéunechance.Lesjobssaisonnierssurunejournéenemanquaientpas,maisc’étaitunemploistablequ’illuifallait.Iltravaillaiticitouslesweek-endscontreunepaieetuntoitassurés,simodestessoient-ils.
Ilfrappaàlaportedechezlui.Daniela,quinzeans,luiouvritensefrottantlesyeux.—Jesais,marmonna-t-elle.Papaestprêtàpartir…— La petite princesse dort ? demanda-t-il en passant devant l’adolescente qui avait déjà
probablementatteintsatailledéfinitive,avecsonmètresoixante.Endépitdesonjeuneâge,Danielafaisaitunebaby-sittertrèscorrecte.—Oui.J’aiunenouvellestratégie,annonçaDanielaenpouffant.Jelalaisseregarderlatélévision
jusqu’à ce qu’elle s’endorme. Sinon, elle n’arrête pas de parler ! Cette gamine a une imaginationincroyable!
Charleysouritetluitenditsonsacàdosenmêmetempsqu’unbilletdedixdollars,soitlamoitiédesespourboiresdelasoirée.
—Merci,Daniela.—Maisderien.Jepréfèreêtreiciplutôtqu’àlamaison,àaidermamanàcuisinerpourleweek-
end.Elledescenditbruyammentl’escaliertandisqu’ilrefermaitlaporte.—Bonnenuit,monsieurCollins!Auweek-endprochain!
Charleyretirasesbottesetpénétradans lapetitechambresur lapointedespieds.Uneminusculeveilleuse éclairait juste assez la pièce pour qu’il distingue la bosse dans le lit. Il s’assit à côté avecprécautionetserralepetitcorpscontrelui,savourantsadouceodeuretlasoiedesescheveux.
—Bonnenuit,mapuce,chuchota-t-il.Jet’aimeetjet’aimeraitoujours.Lillies’étirapourglisserunbrasautourdesoncou.—Moiaussi,papa,murmura-t-elle,toutensommeillée.Il la berça tendrement jusqu’à ce qu’elle se rendorme, puis il passa dans le salon, récupéra la
couvertureetl’oreillerrangésderrièrelecanapéetcalatantbienquemalseslonguesjambesentrelescoussins.
Ilsourit.Lillieincarnaitl’exception,leseulcadeauducielparmilesmultipleserreursqu’ilavaitcommises dans sa vie. Six ans plus tôt, en apprenant que sa petite amie était enceinte, son père avaitpiquéuneviolentecolère.Ets’ilavaitfiniparconsentiraumariage,iln’avaitjamaisconviéSharonniLillieauranch—iln’avaitmêmejamaisvusonuniquepetite-fille!
Unanaprès lanaissancedeLillie,Sharon l’avaitquitté, clamantque lamaternitén’étaitpas sonstyle. En annonçant qu’il comptait garder le bébé, Charley avait de nouveau essuyé les foudrespaternelles.Sonpèreavaittoutefoisacceptédeprendreenchargesesfraisdescolarité.Etriend’autre.«Elleesttonerreur,paslamienne!»,avait-ilsimplementdéclaré.
Charley s’était donc retrouvé à travailler trente heures par semaine en plus d’un temps plein àl’université.LesparentsdeSharonavaientacceptédegarderLilliependantsesraresvisitesauranch.
Il avait tenu presque deux années en s’occupant seul de Lillie. Le diplôme lui tendait les bras.Ensuite,ilauraitpuoubliersafamillepourseconsacreràLillieetauranch.Sonpèreluienauraitremisles clés avant d’aller s’installer définitivement à Dallas, peut-être même aurait-il fini par accepterLillie…
Maisunefoisdeplus, ilavait toutfichuenl’air.Sonintentionn’avait jamaisétédes’envoyerenl’airaveccetteidiotedequatrièmebelle-mère…jusqu’àcetinstantfatidiqueoùelleétaitentréedanssachambre.Sacervelleavaitdisjoncténet.
Quittantsonlitdefortunesurlecanapé,ilallaprendreunebouteilled’eaudansleréfrigérateur.Cesatané parquet craquait si bruyamment sous ses pas qu’il craignait toujours de réveiller sa petiteprincesse…
Ni l’eauni lesdeuxcachetsd’aspirinequ’ilavalane l’empêchèrentderessasserses fautes. Il sesouvintd’avoird’abordespéréquesonpère secalmerait, luiqui sevantait si souventdecocufier lesautres.Ilcomptaitaussibouclersonderniersemestred’études,àl’époque.C’étaitavantquelerèglementdes frais de scolarité ne soit brutalement stoppé. Il s’était alors démené pour rassembler la sommenécessaire,maisLillieétaittombéemalade,etentreleshonorairesdumédecinetlesjournéesdetravailmanquées pour s’occuper d’elle, impossible de joindre les deux bouts. Il avait obtenu un congé àl’université,dans l’idéed’yretournerdèsquesasituationseseraitstabilisée.Seulementuneenfantnepouvaitpasdormirlongtempsdansunevoitureetsenourrirdeplatsàemporter.D’autantquesavoitureavaitfiniàlafourrière…
Ilavaitdoncrenoncéàsurvivreenrestantàl’université.Aprèsavoirempruntédequois’acheterunvieuxpick-up,ilétaitrentréàCrossroads.Aujourd’hui,Lillieavaitcinqansetiln’étaittoujourspasprèsdeterminersonderniersemestre.Encoremoinsderemettredel’ordredanssavie.
Il fixaobstinément le plafond comme si la réponse à sesproblèmespouvait s’y trouver.Enpureperte.
Ilavait faitunecroixdéfinitivesur les femmes.Cequ’ilavait faitavecsabelle-mèren’étaitpasprèsdes’effacerdestablettes,quandbienmêmesonpèreconvolaitaujourd’huiavecsonépousenumérocinq.Lesgensd’iciavaientlamémoirelongue…Charleyselevaitdoncchaquematinpourallerfairelelarbinchezlesautresouendossersatenuedebarman,qu’ildétestait.Cela,pourLillie.
Lillie…Ilsereleva,cettefoispourallerlavoir,chosequ’ilfaisaitchaquenuit,épuiséoupas.Aprèsavoirremontélacouverturesursonépaule,ilretournasecoucher,tranquillisé.La première année, se souvint-il, Lillie avait pleuré en réclamant samère. Il avait décidé alors
qu’ellenepleureraitjamaisàcausedelui.Ilresteraitauprèsd’elleetellenecesseraitjamaisd’êtresafillechérie,quellesquesoientleserreursqu’ellepourraitcommettreàl’avenir.
Danslecalmedeceminusculeappartementau-dessusdubar,ilsemitàcompterlesjobsqu’ilavaitdécrochéspourlasemaineàvenir.Deuxjournéesdesuitesurdeuxranchsdifférents,deslivraisonspourlaquincailleriemercredi,manutentionàl’épicerietouslesmatinspossibles.
Les parents de son ex-femme, Ted et Helen Lee, l’aidaient de leur mieux pour Lillie. Ilsl’emmenaientàl’écolelesmatinsoùildevaitpartiravantl’aubeetallaientlachercherlesjoursoùilnepouvaitquittersontravailàtemps.Maischaquesoir,iltenaitàlaborderlui-même.
Debravesgens,lesLee.Ilsn’avaientaucunenouvelledeleurfilledepuisplusd’unan,etencore,parunesimplecartepostalelesinformantqu’elledéménageaitàLosAngeles.Ilsn’avaientpasdegrosmoyens,maisilsétaientbonsavecluietavecLillie.Certainsjours,ilsedisaitquelafilletteétaitleurseulrayondesoleil.
Unsourireluivintaumomentdes’assoupir.Unrendez-vousréguliertrèsspéciall’attendaitdemainmatin.Ledimanche,ilpréparaittoujoursdespancakesavecLillie,puisilssellaientleponeydesafilleetsonproprechevalpourallersepromenerdansleRansomCanyondansl’airencorefraisdupetitjour.Ilsdiscutaientetriaienttoutenchevauchant.Illuiracontaitdeshistoiresqu’iltenaitdesongrand-pèresurl’époqueoùlesLonghornetlesmustangstraversaientcesterres.
Pendantlespauses,ellelesuppliaitderaconterencore.Lesgrandstroupeauxdebisonssurtoutlafascinaient,avecleurspiétinementsquifaisaienttremblerlesol.Elleposaitlamainsurlaterreetjuraitqu’elle pouvait sentir le troupeau approcher…Charley riait avec elle et, l’espace d’unmoment, il sesentaitriche.
3
Jubilee22février
L’aubeselevaitàpeinesurleLoneHeartRanchlorsqueJubileeentenditlepremiercoupfrappéàlaportedederrière,aurez-de-chaussée.
—Allez-vous-en!cria-t-elleenremontantdrapetcouverturesursatête.Quelmanquedesavoir-vivre!Ellefermalesyeuxtrèsfort,commesicelapouvait l’obligeràse
rendormir. Personne, dans ces contrées plates et désolées, ne comprenait donc qu’elle était en pleinedépressionnerveuseetqu’ellen’avaitaucuneenvied’êtredérangée?
—Ouvrezlaporte,mademoiselle!Unhommehurlaitsoussesfenêtres.—Non!répondit-elle.—D’accord.Jelaisselesprovisionssurleseuil.Maisellesserontgâchéesavantmidi…—Desprovisions?Elles’assitdanslelit.—Amanger?Elleavaitquittélamaisondesesparentsilyaquelquesjoursavecàpeinequelquesbâtonnetsde
carotteetdesbarresprotéinéesdansl’estomacavantdes’arrêterenfindanslapetitevilledeCrossroadspourseravitailler.L’épicierrevêchel’avaitpresséedechoisir.L’heuredefermetureapprochait.
Aumomentderéglerlanote,elleavaitrépondudistraitementàsesquestions.Enapprenantqu’elleétait l’arrière-petite-fille de Levy Hamilton, il avait marmonné des instructions pour emprunter unprétenduraccourcijusqu’auLoneHeartRanch.
En fait de raccourci, elle avait errédesheures surdespetites routes secondaires sans croiser lemoindre panneau indicateur nimême une borne kilométrique ! En arrivant enfin au ranch, elle s’étaitaperçue qu’elle avait perdu ses provisions en cours de route. La banquette arrière de la voiture, surlaquelleellecroyaitlesavoirposées,étaitvide.
C’étaitdeuxjoursplustôt.Oupeut-êtretrois…Desjourspassésàpleurer,àparlertouteseuleetàerrer dans une vieille bicoque immense bourrée de bibelots que personnene se donnerait la peine demettre en vente dans un vide-greniers. Elle avait fait durer sesM&M’s le plus longtemps possible lepremier jour.Avalédespêchesausiropledeuxième—laseuleboîtequi traînaitsur l’étagère.Aprèsquoi,elleavaitdécidédedormirjusqu’àcequemorts’ensuive.
DescauchemarssurlescongésdeNoëlpasséschezsesparentslaréveillaientensursautdetempsàautre.Samèrel’abreuvantdeconseils.Sonpèrelacomparantàsasœursiparfaite.EtDestinysurgissant,
tellelaméchanteféepouréblouirsonmonde.Commesiunrichemarietunevoitureneuvenesuffisaientpas,elleavaitaussiamenésesjumeauxadorables.Destinyavaittoujoursfaitduzèle…
Terréedanssachambred’enfant,Jubileeavaitvusamèresurgirsurleseuil,unelistedesemploisdisponiblesdanslarégionàlamain.
—Tudoistefixerunbut,Jub,avait-elledécrétéd’untonsansappel.Cen’estpasnormaldenepasavoir d’objectifs dans la vie, et en cette seconde,monobjectif àmoi est de faire en sorteque tu t’entrouvesun!
Alavérité,Jubileen’enavaitqu’unentêteàcemoment-là:partirloin.Cequ’elleavaitfait,séancetenante. Elle avait bouclé son sac et quitté lamaison pendant que samère continuait à l’abreuver deconseilsetdecritiquesdepuisleperron.
—Alors,mademoiselle?Lavoixdel’hommeinterrompitlecoursdesessouvenirsdésagréables.Ellevoulutselever,maissajambegauchesepritdansledrap.Elletombadulitetpoussaunpetit
cridedouleur.—Çava?criasonvisiteur.—J’arrive!Ellefourrageadanssonuniquesacdevoyagepourdénicherquelquechosedepropreàenfiler.Siellemourait,quelqu’unseraitobligéde laversesvêtementspour l’enterrer.Ellen’avaitmême
pasunepairedechaussettespropres!Toutcequ’ellepossédait,hormisunsacd’habitscrasseux,étaitstockédansunentrepôtdepuisnovembredernier.
—Amanger,répéta-t-elle,raflantuntissuauhasarddecraintequesonvisiteuretlesprovisionsnes’évanouissentdanslanature.
Delavraienourriture.Deslégumesverts!Desfruits!Desdouceurssucrées!Elletitubajusqu’àlafenêtretoutens’habillant.
—Oùavez-voustrouvémesprovisions?lança-t-elle.—Vouslesavezlaisséesdanslepanierdel’épiceriedeCrossroadsilyadeuxjoursetdemi!L’hommebeuglait,visiblementirrité.—L’épicierlesagardéesaufrais,pensantquevousalliezrevenir.Commevousnereveniezpas,il
m’aembauchépourvousleslivrer.Elle se redressa pour enfiler un vieil imperméable kaki en guise de peignoir et de vieilles
chaussettes extirpées d’un des tiroirs deGrandpaLevy. L’une arborait une bande rouge à la cheville,l’autredesrayuresbleues,maisquis’ensouciait?
Ensepenchantparlafenêtre,ellen’aperçutqueledessusd’unvieuxstetson.—Je lesaioubliées?J’aicruqu’elless’étaientévaporéesquandjemesuisperdue,ouqu’elles
étaient tombéesàcausedesbossessur la route.Jenesuispas retournéeà l’épicerieparceque j’étaissûredenepasretrouverlechemindelaville.J’airoulédesheuresavantd’arriverici,etencore,parleplusgranddeshasards!
L’hommelevalesyeuxetgrommela:—Vousvoulezbienmeracontervotrevieplustard?J’aimeraisposercesprovisionsquelquepart.Ilbaissalavoix,maisJubileel’entenditdistinctementmarmonner:—Vousêtesàvingtkilomètresdelaville,pasdanslajungleamazonienne.Elledescendit l’escalier et s’approcha lentementde laporte sur lapointedespieds, attrapantau
passageunvieuxparapluie,unearmecommeuneautreencasd’agression.L’imperméablen’atteignaitpassesgenoux,maiselleseraitbienobligéedefaireavec.
Elleentrouvritlaporteetseretrouvafaceàunséduisantcow-boyenbottes,jeanetchemiseuséesouslestetson.
—VousêtesbienJubileeHamilton?
—Commentlesavez-vous?—Vousavezoubliéaussivotrecartedecréditaumagasin,répondit-ilensouriant.Illaconsidérauninstantavantd’ajouter:—Vous lesvoulez, cesprovisions,oupas?Sioui, il va falloirouvrirunpeuplus largement la
porte.Sinon,jeretourneenville.Ellelevasonparapluie.—Qu’est-cequimeditquevousn’êtespasicipourmevoler?Oumevioler?Leregardducow-boyglissadeschaussettesdépareilléesornéesd’untrouaugrosorteildroitàses
cheveuxblondsforcémentsalesethirsutes.—C’estasseztentant,mademoiselle,maisj’aifaitunecroixsurlesfemmes.Uneautrefois,peut-
être.Quantàvousvoler,ceseraitdéjàfait.J’aivotrecartedecrédit.Jubilees’écartalentementetluifitsigned’entrer,d’ungestedesomnambule.—Cettefermeestàmoi,voussavez.—C’estcequej’aicrucomprendre,dit-ilenfranchissantleseuil,lespremierssacsdanslesmains.
Etc’estunranch,pasuneferme.—Quelleimportance,murmura-t-elle,hochantbrièvementlatêteenguisedesalut.Lecow-boysedirigeadroitverslacuisinesansluiaccorderunregard.—LevieuxLevy estmort il y a plusieursmois, dit-il. J’ai entendudire que c’était son arrière-
petite-fille, venue de la grande ville, la nouvelle propriétaire de cette maison et de toutes les terresautour.Envoyantlenomsurvotrecarte,jesavaisoùlivrerlesprovisionsavantmêmequel’épiciermedonnel’adresse.VousêtesleportraitcrachédeLevy.
Jubileeseredressa.—C’estvrai?Elle avait gardé le souvenir d’un vieux monsieur courbé, chauve, à la peau si tannée qu’elle
ressemblaitàducuir…—Oui.C’estfou.Lecow-boynes’étaittoujourspasretourné,sibienqu’ilnevitpaslagrimacequ’elleluidécochait.Ellelerejoignitdanslacuisine.—Vousconnaissiezmonarrière-grand-père?Vousconnaissezcettemaison?—Biensûr.Jevenaisparfois luidonneruncoupdemain.Iln’avaitpluslaforcedefairegrand-
chose,maisilm’expliquaitpatiemmentcommentprocéder.Etilpayaitbien.Ilsortitchercherlasuite.Jubilee le suivit comme un petit chien. Elle était encore trop fatiguée pour faire travailler son
cerveau.Appuyéesursonparapluie,ellesebornaàl’observer.Enapportantlesdernierssacs,ilretirasonchapeauethochapolimentlatêtecommeavaitdûlelui
apprendresamère.—MonnomestCharleyCollins.Jevousprésentemescondoléances.LevieuxLevyvamemanquer.
Ilatoujoursétébonavecmoi.—Quelgenredetravailvousconfiaitmonarrière-grand-père?CharleyCollinshaussalesépaules.— Il gérait une cinquantaine de têtes de bétail. Je l’aidais pour lemarquage au printemps et le
rassemblementenautomne.L’annéedernière, je l’aiaidéàsemersaprairiedeprintemps. Ilétaitdéjàtropaffaiblipourgrimperdanslacabinedutracteuraumomentdelarécolte,maisj’aiveilléàcequelefoinsoitrentrédanslagrange.
Illaconsidérauninstantd’unœilcritique.—Avez-vousidéedelamanièredontsegèreunranchdecettetaille,MaryPoppins?Iln’estpas
immense,maisletravailnemanquerapas.
—Non.Pourquoiest-cequevousm’appelezMaryPoppins?—C’étaitça,oul’oursPaddington.Avecunimperméable,unparapluieetceschaussettesaffreuses,
vousêtesfinprêtepourHalloween.CharleyCollinssefenditlentementd’unsouriredestinésûrementàladéstabiliser.Avecdeshabits
neufsetdesbottesmoinséraflées,cegarçonauraitpuposerpourdesmagazines.Elle le toisa d’un air sévère. « Bien tenté, cow-boy, mais oublie ! Je suis vaccinée contre les
charmeurs.»—Dansunendroitcommecelui-ci,ilyatoujoursquelquechoseàfaire,reprit-ilenrecouvrantson
sérieux.Quandonafinidecultiverlaterrepourassurerdescéréalespourl’hiver,oudes’occuperdubétail,ilfautencoreentretenirlesclôturesetlematériel.Sivousavezdesanimaux,ilfautlespasserenrevuetouslesjours.Lesclôturesexigentdesréparationsconstantes,carlamoindrepluieendétruitunepartie,doublantlachargedetravail.
—C’estbiencequejecraignais…Ellese frotta lecrânesoussescheveuxenbataille.Elleavait l’impressionquedepetiteschoses
rampantesyavaientéludomicilependantsonsommeil.CharleyCollinslaregardaitcommes’ilavaituneextraterrestreenfacedelui.—Voussavez,mademoiselle,vousavezdéjàquatremoisderetard.Vousdevriezsongeràvendreet
àretournerdanslagrandeville.Unebonnedizained’hommesseraientnécessairespourprépareràtempsceranchpourleprintemps.
—Jereste.Ellerelevalementonetcroisasonregardazur.Riennel’obligeaitàavoueràcetinconnuqu’elle
n’avaitnullepartoùaller.Ill’avaitd’ailleursdéjàcompris,peut-être.—Danscecas,jevoussouhaiteboncourage,mademoiselleHamilton.Elles’ébrouapours’éclaircirlesidéesetfitunpasverssadernièrechance.—Voudriez-voustravaillerpourmoi?lança-t-elle.JevousverseraislemêmesalairequeGrandpa
Levy.Pourtoutvousdire,jenesaispasparoùcommencer,maisilfautquejemedébrouillepourqueçafonctionne,ici.
Quitteàylaissertoutesseséconomies…—Jenesaispas,répondit-ilensecouantlatête.Larouteestlonguejusqu’icietjen’aiqu’unjour
delibre,deuxaumaximum,parsemaine.Celanesuffirajamaispourfaireladifférenceici.Etpourvenirleweek-end,ilfaudraitquejelaissetombermonjobdebarman.Cequimeferaitperdrelelogementquivaavec.
Jubileeavaitsuffisammentreprissesespritspourdevinerquecethommeétaitentraindenégocier,etnonderefusersonoffre.
—Ilyaunemaisonprèsdescorrals.Quandj’étaispetite,unouvrieretsafemmeylogeaient.Jenesaispasdansquelétatelleestaujourd’hui.Sivoustravaillezpourmoicinqjourssursept,jevousdonnecinqdollarsdeplusdel’heurequeLevy,etjevouslaisselamaison.
Elleavaitconsciencededevoirsemontrergénéreuse,carquiaccepteraitdetravaillerlaterredansuntrouperduaumilieudenullepart?
Ellenesavaitpasgrand-chosedeceCharleyCollins,seulementqu’ilétaithonnête—sanscela,ilne lui aurait pas rapporté ses provisions et encoremoins sa carte de crédit. En outre, c’était un bontravailleur, puisque Grandpa Levy faisait régulièrement appel à lui. Et le ranch lui était familier.Toutefois,sonoffred’emploinesemblaitpasparticulièrementleréjouir.
***
—Ya-t-ilunarrêtducarderamassagescolairedanslecoin?demanda-t-il.
—Aucuneidée.Vousavezdesenfants?—Une fille.Si je travaillaispourvous, jeme réserveraisdu tempspour l’emmener à l’école et
lorsqu’elleseraitici,jetravailleraisprèsdelamaisonpourgarderunœilsurelle.Jubileebalayadesyeux lesalentoursproches. Ilyavait suffisammentde travailàportéedevoix
pourleteniroccupépendantdesmois.—Çameva,dit-elle.—Ilfaudraitaussiquej’installemesdeuxchevauxàl’écurie.Iljetaunregardpar-dessussonépauleetajouta:—Aumoins,elleestenbonétat.—Pasdeproblème.Ilyadelaplace.Unedizainedestalles.Illafixadelonguessecondesavantdeseprononcer.—Dixdollarsdeplusdel’heure,dit-ilenfin,etvousavezuncontremaîtreaulieud’unsimplecow-
boy. Je fournis mon propre cheval ainsi que l’équipement. Je vous compterai cinquante heures parsemaine,mais j’irai toujoursauboutdemon travail. J’embaucheraiaussideshommessinécessaireetvousleurverserezlesalaireenvigueur.
Jubilee songea à lui faire remarquer que dix dollars supplémentaires, c’était tout de mêmebeaucoup,maisavait-ellelechoix?Seséconomiesétaientconséquentes,lestraitesdesavoitureréglées.Alors…Autanttoutmisersurceranch.
Elleacquiesçaensilence.CharleyCollinsremitsonchapeau.—Jeviendraim’installerenfind’après-midietnousnousverronsaupetitdéjeunerdemain.Nous
décideronsensembleparoùcommencer.—Aupetitdéjeuner?—C’étaitnotrehabitude,avecLevy.Luietmoionpréparaitunprogrammependantlepetitdéjeuner
et je restais ensuite sur le ranch jusqu’à ce que le travail soit bouclé ou la journée terminée. Unproblème?
—Non.—Voussavezcuisiner?—Non,maisçanedoitpasêtresorcier.Ilsourit.Jubileepritalorsconsciencequ’ilétaittrèsjeune,unanoudeuxdemoinsqu’elle,peut-
être.Maislapointed’acierdanssonregardneluiéchappapas.Cegarçonn’avaitpaseulaviefacile,etiln’accordaitsûrementpassaconfianceàn’importequi.
Celaluiconvenaitd’autantmieuxqu’ellepartageaitcesentiment.—J’apporteraiquelquesboîtesdecéréalesetdu lait,dit-il.Vous,préparez lecafé.Demainnous
établironsleprogramme.Ellesoutintsonregard.—Dites,vousm’aiderezàfairetournerceranch?C’estunpeumadernièrechance…Ilhochalatête.—Jevousaiderai,maisilfaudraquevousportiezdesvêtementsnormaux,mademoiselle.Lesgens
d’icirisquentdevousenvoyerdirectementchezlesfous,sivousvouspromenezdanscettetenue.— Je saurai m’en souvenir, monsieur Collins, assura-t-elle en s’efforçant de ne pas réagir à
l’insulte.Elle faillit ajouter qu’elle n’était pas douée en amitié, de manière à décourager d’emblée les
familiarités.Peut-êtredevraient-ilss’enteniràdesrapportsformels?Elleneluiraconteraitpasgrand-chose,ils’abstiendraitdelaconseillersursesgoûtsvestimentaires.
Leurrelationresteraitd’ordrestrictementprofessionnel.Luiaussipréféraitqu’ilensoitainsi,ellelesentait.
Unefoisseule,elleretournasecoucherenseremémorantlespetitsdéjeunersservisparsonarrière-grand-père aux aurores. Son dernier vœu avant de s’assoupir — et après avoir englouti une demi-douzaine de fruits et un paquet entier de cookies ! — fut que les entrevues quotidiennes entre soncontremaîtretoutneufetellesedéroulentplutôtautourd’unbrunchtardif.Ilseraitforcémentd’accord,après tout, c’était elle la patronne. Oui, elle ferait ça. Imposer quelques règles devait être dans sescapacités.
4
ThatcherJones23février
ThatcherJonesfonçaitsurlaterremalentretenuedelaroutecommes’ilétaitauxcommandesd’unemonoplace de compétition, et non un ado trop jeune encore pour décrocher son permis. Une vieillepancarterouilléemarquaitl’entréed’unranchnomméLoneHeart,avecunboutdeferrailleenformedecœurquipendaitentravers.
Il leva un peu la botte de l’accélérateur. Lui et son pick-up Ford 1963, ils seraient sûrement deretouravantlapluie.Pluspersonnen’habitaitceranch.Entreretsortirsanssefaireremarquerseraitunjeud’enfant.
Quatre mois qu’il surveillait ce nid de crotales sous la grille de la barrière canadienne. Desnouveaux venus s’installaient près du défilé, ses deux cents dollars lui fileraient sous le nez, s’il nepassait pas très vite à l’action. Pour ne rien arranger, une tempête arrivait par le nord, alors que lajournéeétaitplutôtchaudepourunmoisdefévrier.
Lavoituredepatrouilledéboîtadenullepartetserabattitpileenfacedelui.Illâchaunchapeletdejuronsenfreinantàmortetsepenchaparlavitrepourhurler:
—Bonsang,shérif,dégagez!J’aidesfreinspourris!DanBrigmannebougeapas.EtThatcherétaitbienplacépoursavoirqu’ilétaitinutiled’essayerde
convaincreunpolicierdechangerd’avis.Surtoutcelui-là!Ilenfonçalapédaleàdeuxpieds,maisduttoutdemêmesedéportersurlebas-côtépouréviterla
collision.Le vieux pick-up ayant enfin stoppé sa course dans un bruit de ferraille, il s’en extirpa, lamain
crispée sur un sac de jute, et semit aussitôt à brailler, lui qui arrivait pourtant à peine à l’épaule deBrigman:
—Vous voulez nous tuer tous les deux ou quoi, shérif ? J’ai pas vécu quatorze ans pourmourirencastrédansunevoituredepatrouille!
Leshérifcroisalesbrasetdemandaposément:—Qu’est-cequetuasdanscesac,petit?Onluiavaitditplusieursfoisdenepaschasserlesserpentshorsdesesterres,maisécoutern’était
passonfort.L’honnêteté,encoremoins.— Des bouses de vache, répondit-il sans sourciller. Les scouts sont en train de faire une
démonstration, là-bas dans le canyon, pour expliquer comment on les utilise pour se chauffer pendantl’hiver.Ça,c’estjusteducarburantpourleurfeu.
Brigmanjetaunregardausac.Thatcherfitunebrèveprièrepourqueriennegigoteàl’intérieur.—Jetel’aidéjàdit,petit,lachasseauxcrotalesn’estpasunesaineoccupationpourunadolescent.—C’estdesbousesdevache,shérif.Jelejure!Brigmansecoualatêteensoupirant.—Cequiestsûr,c’estqueçasentmauvaispourtoi!Faisdoncunnœudbienserréetrangecesac
surleplateaudetonpick-up.Nonseulementtun’aspasl’âgedeconduire,maistutraînesaumilieudenulle part pour chasser des serpents avec un véhicule qui n’aura peut-être même pas la force de teramenercheztoi!Tupeuxmourirdedixfaçonsdifférentes,avantd’arriveràbonport.
—Jesuisassezgrandpourtenirunvolant,protestaThatcher.J’aipassél’âgedem’asseoirsurunecouverturepourarriveràlahauteurdelavitre,etpuislachasse,c’estpasdangereux.Jechassedepuisquej’aidixans.Suffitdes’agiterenarrivantsureux,commeçailsvoientjusteuntructroubleetpasuneciblesolide.
—Quit’aracontéça?—Mongrand-père.Unvieuxfouquitremblaittoutletemps,tellementils’étaitfaitmordresouvent,
répondit-il,clind’œilàl’appui.—Montedanslavoiture,répliquaBrigmansansl’ombred’unsourire.Jeteramènecheztoi.Mais,
ThatcherJones,jetejurequetun’aspasintérêtàmecroiserdenouveausurcettepiste,nisurn’importequelleautreroutedececomté!
Thatchersedirigeaverslavoituredepatrouille.—C’estpasjuste,shérif.Vousaviezditquejepouvaisconduiresurlespetitesroutesau-delàdela
111.—Oui,maismonpetitdoigtmeditquetuasdûtraverseraumoinsquatreautresroutesetmêmeune
autoroutepourarriveraussiloindecheztoi.—Vousavezpasdepreuves.Il noua le sac et le jeta sur le plateau du pick-up, saisi d’une impression particulièrement
désagréablededéjà-vu.—Vouspouvezpasm’arrêtersivousmevoyezpasentraindefairequelquechose!ajouta-t-ilpour
fairebonnemesure.—Exact.C’estpourçaquejeteraccompagnecheztoi.Thatcherfourrasesdoigtssalesdanssatignassebruneencorepluscrasseuse.Iln’avaitmêmepas
réussiàatteindreleranchHamilton.Bonsang!Lesserpentsauraientprisaumoinsdeuxmètres,letempsqu’ilrevienne!Ilsoupira,sachantqueBrigmannelelâcheraitpas.
—Ons’arrêteauDairyQueenenpassant,shérif?—Procédurepolicièrestandard,petit.Doubleburger,réponditBrigmanendémarrant.Commentva
tamère?—Morteencoreunefoislasemainedernière.Brigmanletoisasansmotdire.—ElleétaitaucampmeetingsurlesPeaux-Rougesdel’Oklahoma.Leprêtrel’apayéecentdollars
àchaqueservicepourqu’elleflancheetlaissel’EspritSaintlasauver.Pastropmal,commeboulot.Ellese fait aussi vingt-cinq dollars pour parler en langues bizarres et cinquante pour arriver avec desbéquilles.
Brigmanfronçalessourcils.—Hé!C’estpasinterditparlaloi,shérif!Thatchervoyaitplutôtçacommeunspectacledefoireoùsamèrefaisaitleshow.Ilchangeadesujet
avantqueBrigmansemetteàluiposerd’autresquestionssursamère.—Sionmevolemonpick-up,shérif,ceseravotrefaute.Brigmansourit.
—Lesvoleursneserontpasdifficilesàretrouver,petit.Ilsmourrontsurlarouteaprèsavoirouvertcesacsurleplateau.Morduspardesbousesdevache.Etrangefaçondemourir…
Letrajetjusqu’àCrossroadss’effectuaensilence.Leshérifluiferaitencorelaleçons’ils’avisaitd’ouvrirlabouche.LessermonsinterminablesdeBrigman,personnen’avaitenviedelessubir.
Aumomentprécisoùl’employéeleurtendaitleursburgersparlavitre,unéclairfenditlecieletletonnerresemitàgronderdanslevent.
—Latempêtearrivetôt,marmonnaThatcher.Sa vie quotidienne à lui, comme celle de la plupart des fermiers, dépendait de lamétéo. Il était
toujours étonné de voir les gamins de la ville sortir comme des poules sans se soucier de ce qui sepassaitdanslecielau-dessusdeleurstêtes.Silapluieoulaneigesemettaientàtomber,ilsprenaientçacommeuneplaiedivinecibléesureuxetnonlecoursnatureldeschoses.
—Sionallaitlesmangerdansmonbureau,petit?proposaBrigmanenbifurquantversMainStreet.—Pasunemauvaiseidée,shérif.J’aivucommentvousroulezsouslapluie.Çacraint.Quelquesminutesplus tard, ilspiquèrentunsprintsous ledélugepourentrerdans lesbureauxdu
comtéavantd’êtrecomplètementtrempés.Ils passèrent devant la réception tenueparPearlyDaydans le grandhall et se dirigèrent vers le
bureaudeBrigman,quicomprenaitdeuxpièces.Pearly gérait l’accueil pour tous les bureaux hébergés par ce bâtiment de deux étages en tout et
régulaitaussilesappelsd’urgenceàCrossroads,qu’elletransféraitsursonportableaprès17heures.Encasdeproblème,onnecriaitpas:«Appellele911!»,mais:«AppellePearly!».
Et,àcetteheure,cettefemmeconnuecommeleloupblancétaitdéjàrepartie,enlaissantsonbocaldebonbonssanssurveillance…
Brigmandégageauncoindesatabledetravailetyposalesburgers.—Jedoisécoutermesmessages,dit-il.Vas-y,attaque.Thatchermorditdanssonhamburgerpendantqueleshérifprenaitconnaissancedesappelsarrivés
ensonabsence.Riendetrèspassionnant.Unevoixdefemmehurlantquesonchienavaitdisparuetqu’onl’avait sûrementkidnappépendantqu’elleétaitaubingo.Unhommesignalantque lepontausudde lasortiedel’Interstate40prèsdeBaileyseraitsubmergés’iltombaitplusdecinquantemillimètresd’eau.Unautreseplaignantquesavoitureétaitverrouilléeavecsesclésàl’intérieuretl’uniqueserrurierdelaville,injoignable.
Unseulappelparaissaitsérieux.Unsoupçondetraficdestupéfiantssurl’Interstate.Pasnouveau,seditThatcher.Ladroguecirculaitcourammentprèsdechezlui,surlesterresrocailleusesquiserpentaiententre lescanyonset lesplainesfermièresetqu’onsurnommaitpar ici« lesFailles».Lesolétait tropinégal pour de vastes plantations, trop stérile presque partout pour l’élevage, mais cerfs et moutonssauvagescohabitaientlàsansproblèmeaveclescochonsetlesdindonssauvages.EtaussiaveclesplusbarjotsdesTexans,ceuxquin’avaientaucuneenvied’êtredérangés;jadisleshors-la-loi,aujourd’huilesracailles, lesvieuxhippies,ouencorelestoxicos.Si l’envievenaitaushérifd’allerfrapperàlaported’unmobilehomeoud’unecabane,illuifaudraitunbusentierpourembarquerlessuspects…
Thatcherregardaleshérifprendredesnotestoutenfinissantsonburger,tandisquelapluieclaquaitsurletoitentôledelagaleriedevantlesfenêtres.
Aunmoment,Brigmandécachetaunelettreetsourit.Letexten’étaitsûrementpaslongsurl’uniquefeuille de papier, car trois secondes plus tard il replia la lettre, déverrouilla le dernier tiroir de sonbureauetlafourradedans.
Une déclaration d’amour ? se demanda Thatcher. Parce que s’il s’agissait de menaces de mort,Brigmann’aurait jamaissouri.Maisquipouvaitbienenvoyerdesmotsdouxàuntypecommelui?Leshérifétaitcélibataireetpouvaitàlarigueurparaîtreséduisantdanslegenreennuyeux,respectueuxdelaloi…Delààimaginerqu’ilreçoivecegenredelettres!
Bah!Lesshérifset lesprofesseurs,dansunepetiteville,c’étaitcommelafamilleroyale, tout lemondeleurfaisaitdescourbettes.Cette lettren’étaitpeut-êtrequ’uneoffrecommerciale,uncouponderéduction.
Brigmanrelevalesyeuxsurluicommes’ilprenaitsubitementconsciencedesaprésence.—Tamèrevas’inquiéterpourtoi,petit.Dommagequ’ellen’aitpasletéléphone.Thatcheracquiesça,maisilsavaitquesamèreneseraitpasinquiète.Elleavaitunerègled’or:àla
premièregouttedepluie,ellecommençaitàboire.Lorsqu’ilarriveraitchez luicesoir,elleserait soitcomplètement ivre, soit partie.Un de ses petits amis travaillait sur les chantiers routiers, si bien quechaqueaverseétaitunefêtepourlui.
Pendantqueleshérifpassaitquelquescoupsdefil,Thatcherdéballalesecondburgergéantdoublefromage. Froide, la viande graisseuse serait immangeable. Il rendrait service au shérif en l’avalantpendantqu’elleétaitencorechaude.
Ilenfournaitladernièrebouchéelorsquelaporteduhalls’ouvritàlavolée.Penchéenarrièresursachaise,ilsedévissalecoupourvoircequisepassait.Unhommeettroisenfantspassaientencourantdevantlaréception.
Brigmanselevaetsortitàleurrencontre.Thatchernebougeapas,sirotantsonsoda,lesyeuxetlesoreillesgrandsouverts.
—Shérif!déclaral’hommed’unevoixtremblante.Nousvenonssignalerunmeurtre!Les troisenfants, tous trempés jusqu’auxos,hochèrent la tête.Ungarçonquidevaitavoirhuitou
neufans,etdeuxfillesdontl’uneavaitàpeuprèsl’âgedeThatcher.— Attrape les couvertures qui sont derrière mon bureau ! lui ordonna Brigman par-dessus son
épaule.ThatcherregardaautourdeluipourvoirsiBrigmans’étaitparhasardadresséàquelqu’und’autre
mais,pasdechance,ildutredressersachaiseetobéir.Lorsqu’ilarrivadans lehall, lescouverturesdans lesbras, l’hommeétait en traindedébiter son
histoire à toute allure. Il sepromenait avec ses enfantsdans le canyonau coucherdu soleil lorsqu’ilsétaient tombés sur un cadavre enveloppédans ce qui ressemblait à de vieux sacs à grains en toile dejute…
ThatchertressaillitlorsqueBrigmanluilançaunregardàdécouperunetôleàdixmètres.—Nemeregardezpascommeça,shérif!lança-t-ild’unevoixsuraiguëqu’ilreconnutàpeinelui-
même.Jeramassejustedesbouses,moi.J’aituépersonne!Leshériflevalesyeuxauciel.—Passe-nouslescouvertures,petit.Tandisquel’hommecontinuaitàparler,Thatcherprocédaàladistribution.Ladernièrecouverture,
illadépliapourladéposerdirectementsurlesépaulesdelafillelaplusâgée,dontlechemisierétaitsimouillé…quelesbonnetsdusoutien-gorgesevoyaientautravers.
Thatchers’efforçadedétournerlesyeuxetéchoualamentablement.Sesseinsétaientpetits,maistoutdemême,elleétaitassezvieillepourleremplir,cesoutien-gorge.
—Merci,murmura-t-ellecommelacouvertureetlebrasdeThatchers’enroulaientautourd’elle.—Pasdequoi.Relevantlatête,ilcroisalesyeuxvertslesplusbeauxqu’ilaitjamaisvus.Jusqu’àcejour,sionl’avaitinterrogésursongoûtpourlesfilles,ilauraitjuréqu’ils’entiendraità
distancesaviedurant.Aucollègepersonnen’avaitunmotaimablepour legarçonlepluspauvreet lemoinsdoué,etlaplupartdesfillesneleregardaientmêmepas.Ayantprislaporteplusieursfoisàl’écoleprimairepourdesbagarres,dèssonentréeaucollègeilavaitdécidéd’ignorertoutlemondeetdesécherleplusdecourspossible.
Maiscettefille,là,persistaitàluisourirecommesirienneclochaitchezlui.
Etiln’avaitaucuneenviedes’enéloigner.—Tuasvulecadavre?chuchota-t-il.Ellesecoualatête.—J’aivu lesac. Ilyavaitdes tachesmarrondessus.Dusang, jecrois.Monpèrenenousapas
laissésapprocher.Thatchersongeaàtoutlesangqu’ilavaitvudanssavie.Ilavaittuédesanimauxpourlesmanger
dèssixouseptans.Nettoyésamèreplusd’unefoisquandundesesmaris la tabassait.Vusonpropresanggicleràchaquebattementdecœurunjouroùilétaittombéd’unarbre.Maisriendetoutcelan’avaitd’importancemaintenant.
—Jesuisdésoléquetuaiesdûvoirunechosepareille,dit-iltoutbasàlafilleauxyeuxverts.—Ilaétéassassiné,répondit-ellesurlemêmeton.—Tuenessûre?Ilapusesuicider.C’estdéjàarrivé.Ilyaaussiparfoisdesaccidentsmortels,là-
basdanslecanyon.Lesyeuxdelafilles’emplirentdelarmes.—Est-cequelesgensquisesuicidentouquimeurentd’unaccidentsefourrentdansdessacs?—Pasfaux,marmonnaThatcherenhochantlatête.C’estalorsquesurvintl’inimaginable.Leshérifétaitautéléphoneentraind’appelerdesrenforts,
Pearlyvenaitd’arrivertoutessouffléepourprendreladéclaration,leventgiflait lesfenêtrescôténordavecdeshurlementssinistres…
Etaubeaumilieudecechaos,lafilletenditlamainetpritlasienne.Commesielleavaitbesoindelui.Commes’ilétaitsonrocdanslatempête.
***
UneheureplustardThatcher,frigorifiésouslapluie,observaitleshérifàl’œuvresurlascènedecrime.Commeilavaitinsistépourvenir,ilavaitreçul’ordredetenirunegrosselampelelongdusentiermenantà l’endroitoù lecadavreavaitétédécouvert.Pasplus.Juste tenir la lampe,commes’iln’étaitqu’unréverbère!Maisbon.C’étaitmieuxquerien.
Le coroner du comté était arrivé de Lubbock pour constater le décès. Un peu excessif, songeaThatcher.Lui-même,quisetenaitàdixmètres,voyaitbienquelegarsétaitmortetbienmort.
—Jedirai«mortdecauseindéterminée»!crialecoroner.Thatcherfaillitluicrierenretourquel’énormeentaillesurlatêtedutypeemballédanslatoilede
jute offrait un assez bon indice de la façon dont il avait trouvé lamort. Ce qui restait de son visageévoquaitirrésistiblementElephantMan…
—Retournedanslavoiture!luiordonnaBrigmanens’engageantdanslamontée.—Oui,shérif,réponditThatchersansbougerd’unpouce.Cetteaffaireétaitbientropintéressantepourqu’ilailleseterrerdanslavoiture.Passûrqu’ilsoit
capableun jourde faire leboulotdu shérif,mais il décidade se renseigner sur lavoieà suivrepourdevenircoroner.Çanesemblaitpastropdur.
Quelleidéed’abandonneruncadavredansleRansomCanyon,songea-t-il, tandisqueleshommessoulevaient lecorpsetentamaient le lent trajetdu retourdans lecanyon.Le fosséaubordde la routeauraitétéplussimple.
Un policier particulièrement costaud du comté de Lubbock s’approcha de lui par-derrière et luibraquaunelampesurlafigure.
—Qu’est-cequetufaislà,gamin?Thatchersourit.
—Onm’ademandéd’aideràl’enquête.Etvous,qu’est-cequevousfaiteslà?—TuesThatcherJones.Tuesmêlédeprèsoudeloinàcettehistoire?—Non.Etvous,agentWeathers?Thatcheravaitprisl’habitudedemémoriserlenomdechaquepolicierqu’ilcroisait.Ilavaitvuune
foisWeathersauxprisesavecdeuxivrognesdanslebureaudeBrigman.Ilsn’avaientpaseuletempsdefairelesprésentations.
LeshérifsurgitaumomentoùWeatherss’apprêtaitàl’empoigner.—TuconnaisThatcher?Weathersacquiesça.—Ilm’a…—Nedisrien,lecoupaBrigman.J’aidéjàdeviné,etj’ailesmainspleinespourlemoment.Thatcher décocha un grand sourire à l’agent Weathers et suivit Brigman jusqu’à la voiture de
patrouille.—Jerestedansvotrecomtédorénavant,shérif,assura-t-ilunefoisàl’intérieur.Lesflicsdetaille
petite, moyenne ou grande me dérangent pas, d’habitude, mais celui-là, il est surdimensionné denaissance.C’estpasnaturel.
Brigmanéclataderire.—C’estréconfortantdesavoirquetun’enfreindraspaslaloin’importeoù,petit.MaisWeathersest
unbongars.Toujoursprésentquandj’aibesoindelui.
5
Jubilee24février
La pluie arriva une heure avant le coucher du soleil, exactement comme la veille, et tomba sansdiscontinuerjusqu’àlanuitnoire.Laterre,assoifféedepuissilongtemps,semblaitnepassavoircommentabsorbercettemanne.Deslacsminiaturesseformaientdanstouslescoins.L’eau,soudain,étaitpartout.Peuprofonde,maisomniprésente.
Jubileen’avaitpas lesouvenird’avoirconnupareille tempête.Deséclairssiaveuglantsque l’onsentait le feu claquer dans l’air…Des rugissements de tonnerre secouant terre et ciel…La nature sedéchaînaitcommepourannonceraumondelafindesmoisdesécheresse.
Jubileeavaitpassélajournéeàguetterlemoteurd’uncamion,dansl’espoirfouquesescartonsdevêtements,delivresetdefournituresdebureauarriveraientdanslajournée.Toujours,depuissapremièreannée d’université, elle avait aménagé un bureau chez elle. Si grand que soit le désordre du mondeextérieur,toutavaitsaplacedansdesdossiersétiquetésouunmeubleàtiroirs.
Seulement voilà, entre midi et le début de la tempête, elle n’avait aperçu qu’une voiture sur laroute : celledushérif.Son ranchse trouvaitdoncsur le trajetde lapatrouille,maisellene se sentaitguère plus rassurée pour autant. Très peu de véhicules convergeaient vers ce secteur, sûrement, àl’exceptionnotableducamiondelivraisoncenséarriveraujourd’hui…
Elle mesurait un peu tard le peu de valeur de ses maigres possessions. Ses vieilles poêles etcasserolesd’étudianteétaientpartiesauxbonnesœuvresl’andernieraumomentdesonemménagementavecDavid,quiavaitunebatteriedecuisinecomplète—etqui,biensûr,étaitrepartiavec.Davidavaitd’ailleursaussifournilesmeublespourtoutl’appartement.Ellen’avaitachetéqu’unetabled’occasionàglisserdanslecoindelasalleàmanger,sibancalequ’ilfallaitlacaleravecunlivre.Ilavaitjugécelachampêtre…
AsondépartdeWashington,latableavaitfinidirectementàlapoubelle.Etmoinsd’unedizainedecartonsautotalavaientétéconfiésauxdéménageurs.
Lessouvenirsd’uneviequ’elleavaitcruehonorablerôdaientdanslapartobscuredesonesprit,telsdesspectresgrisâtres.Sielleenavaiteulapossibilité,ellelesauraitjetés,euxaussi.Commentpouvait-elle détenir si peu d’objets dignes d’être conservés, après vingt-six ans d’existence ?Durant les cinqannéesquiavaientsuivil’université,riend’autren’avaitcomptépourellequesontravail,etauboutducompte,celaaussicomptaitpourpresquerien.
Elle était de ces gens dont le nom pouvait s’effacer du grand tableau de la vie sans que nul leremarque.Davidn’avaitpascherchéàlacontacterdepuissondépart,desmoisplustôt.Sesparentsne
s’étaientpasdonnélapeinedeprendredesesnouvelles,poursavoirsielleétaitbienarrivéeauTexas.Sielledisparaissait,ilnesetrouveraitpersonnepourlancerunavisderecherche…
L’idée la traversaque, si elle avait noté l’évolutionde sa croissance surunmontantdeporte, lacourbeauraitplongéaulieudesuivreuneligneascendante.Lorsqu’elleavaitlâchéunecarrièrequ’elleavait imaginéebrillante,pasuneseulepersonnen’étaitpassée lasaluer.Pasdefêted’adieupourelle,pasdegâteau,pasmêmeunecarte.
Plantéedanslecouloirdelamaisondesonarrière-grand-pèrequiétaitdevenuesonuniquefoyer,elle se demanda si sa situation pouvait encore empirer. L’inconnu qu’elle venait d’embaucher commecontremaître avait dit pendant le petit déjeuner— composé de lait et de céréales—qu’il finirait des’installeraujourd’huietqu’ilsferaientletourdupropriétaireensembledemain.Maisaveccedélugequitransformaittoutenboue,ilsnepourraientsûrementpassemettreautravailavantunebonnesemaine…
Etpuis,quelleimportance?Elleavaitprogramméavecsoinsadernièrevie,ettouts’étaiteffondrécommeunchâteaudecartes.Aquoibons’embêteràplanifiercelle-ci?
Peut-être devrait-elle aller au rebours du conseil maternel et s’abstenir pendant un moment depoursuivreunobjectif.Avecquarantemilledollarsenbanque,sanscomptersonhéritage,elleavaitlesmoyensdeselacoulerdoucequelquetemps.Etsielleattendaitsimplementqu’unobjectifseprésenteàelleparhasard,pourchanger?
Ellen’avaitaucuneidéedecequ’ellefabriquaitauTexas.Aussibien,pourcequ’elleensavait,sonnouveaucontremaîtrepouvaitêtre leserialkiller local. Ilneluiavaitpasvolésacartedecrédit,soit,maisquisait,sonhobbyétaitpeut-êtrelemeurtre?
— Réfléchis, Jub. Combien de chances pour que le livreur de l’épicerie, barman à ses heuresperdues,sachegéreruneferme?Ahnon,pardon,unranch.
Il possédait un cheval, toutefois. Etait-ce vraiment un bon point pour lui ? Que faisait-on d’uncheval,quandonlogeaitau-dessusd’unbar?Lalogiquen’étaitpeut-êtrepassonfort.Ilavaitleregardleste,néanmoins.Unregarddebriseurdecœurs.
Soncœuràellenerisquait rienen toutcas.Etpourcause!De l’avisde troisdesespetitsamissérieuxsurquatre,ellen’enavaitpas!Majoritéfaisantloi…
Aprèslepetitdéjeuner,CharleyCollinss’étaitéclipsépourréapparaîtreenmilieud’après-midiauvolantd’unpick-up remplidecartonset tirantunvanqui abritaitunchevalgéant ainsiqu’un très joliponey.
N’ayantriendemieuxàfaire,Jubilees’étaitaccordéunepausedanssadépressionpourl’observertandis qu’il transférait ses cartonsdans la petitemaisonprèsdu corral.A sa façonde bouger, tout ensouplesse,etsesgestesdéliés,ondevinaitunhommetrèsàl’aisedanssoncorps.
Elleavaitpensésortirpourleregarderdeplusprès,voireluidonneruncoupdemain,seulementseshabitsétaienttousd’unesaletérépugnante.Cethommeenbootsuséesetchemiseraccommodéeavaitcarrément froncé les sourcils lorsqu’elle l’avait accueilli vêtue d’une autre paire de chaussettes deGrandpa Levy et d’une de ses chemises à manches longues nouée à la taille. Par pur respect desconvenances,elleavaitaussienfiléuncaleçontoutneufdesonarrière-grand-pèreenguisedeshort.
Visiblement,Charleyignoraittoutdecettenouvelletendance.Elleavaitessayédeluiexpliquerquetoutesagarde-robeétaitemballéedansdescartons,maiselle
doutaitquesestailleursbleumarineluiplaisentdavantage.Sestenuesdécontractéesserésumaientàtroisjeansetunedemi-douzainedeT-shirtsetdébardeurs, tousmaculésdesauceou trop froisséspourêtreportés.
Demainmatin,elleluidemanderaitdebrancherl’eaupourlelave-lingederrièrelamaison.GrandpaLevylacoupaitsansdoutechaquefoisaprèsusage.Etquisaitoùavaitfinilesèche-linge?Elleavaitlevaguesouvenirdesonarrière-grand-pèresuspendantsonlingesurunecorde,derrièrelamaison.
ElleavaitregardéCharleydétacherlevanpourlegarerprèsdel’écurie,puisilétaitrepartijusteavant lapluie.Elle s’était alorsenfindécidéeà sortir sur lagaleriepourcontempler la tempête.Acemomentdecettejournéepasséeànerienfaire,ellen’étaitplustrèssûrequesavieflotteencore.Pasdecarrière.Pasd’amis.Pasdefamilledisposéeàluiadresserlaparole.
Mêmepourceranch,ellehésitait.Aubaineoumalédiction?Siellenel’avaitpasreçuenhéritage,elle aurait été obligée de se ressaisir et de repartir de zéro.Aprésent, elle pouvait rester unmomentterréedanssoncoin.Aattendre.Maisquoi?
Lentement,sonespritsemitàdanseravecl’orageàmesurequeleciels’assombrissait,etsesennuisdérivèrent peu à peu dans le lointain. Elle regarda la pluie former de minuscules ruisseaux dans lesornièrestracéesparlepick-updeCharley.Lebruitquefaisaientleschevauxdansl’écuriesemêlaitaucrépitement de l’eau glissant du toit jusque dans les jardinières mortes. Le monde virait au noir, àl’exception d’une unique lumière dans lamaison près du corral. Pourtant, elle répugnait à bouger oumêmeàallumerunelampe.
Cecocontisséparlanuitautourd’elleluifaisaitdubien.Elleavaitenvie,pourunefois,detrouverrefugedanslenéantdesonmonde.Deresterinvisibleunmoment.
La pluie finit par se calmer, cédant la place à une bruine légère et silencieuse. La tempête étaitpassée,maisJubileenebougeapaspourautant.
Despharessebraquèrentsurlamaison.Lepick-upblancdesoncontremaîtrecahotaitsuruneroutequiavaitdécidémentgrandbesoind’uneremiseenétat.
Lorsqu’il s’arrêta près du corral et éteignit ses phares, elle savait qu’il ne pourrait pas la voir,quandbienmêmeiltourneraitlesyeuxdanssadirection.
Ildépliasagrandecarcassesouslecrachinetrepeignamachinalementsatignassecouleurrouilleavantd’enfilersonchapeau.Enquelquessecondes,sachemisesetrouvaplaquéecontresoncorps.Mêmedanslapénombre,Jubileeputconstaterqu’iln’yavaitpasuneoncedegraissechezcethomme.Laseulemanièredont il sedéplaçaitautourduvéhicule témoignaitdesavigueur.Grand,minceetbeaucommeseuluncow-boypouvaitl’être.
Elle sourit. Pas si futé, tout demême… Il n’avait ni imperméable ni parapluie. Pourvu qu’il serévèleplusdouépourgérerunranchquepourseprotégerdelapluie!
Ilouvritlaportièrecôtépassager,sepenchaàl’intérieurdelacabine.Quelgenredechosesétait-ilallérécupérerenvilleparcettefindejournéepluvieuse?
Ilsoulevalentement,avecprécaution,unesortedepaquetenveloppédanssavestedetravailquisepliasursonépauleensemoulantcontrelui.
Puisiltraversalaboueàgrandspastranquilles,unemaincaléesurlepaquetcommepourletenirauplusprèsdesoncœur.
Immobile,Jubileevitalors,surpriseetémue,deuxbraspâlesetmincesglisserdesouslavesteets’enroulerautourdesoncou.
Ilavaitparléd’unepetitefille,lorsqu’ill’avaitinterrogéesurlecarscolaire.A la faveur d’un ultime éclair dans le lointain, elle découvrit Charley Collins sous un jour
totalementnouveau.Iln’avaitpeut-êtrepasgrand-chose,sesvêtementsétaientusésetsonpick-up, toutcabossé.Maisluipossédaitaumoinsunechosequ’ilchérissaitcommeuntrésor:safille.
Charley
Lapetitemaisonprèsducorralserévélapoussiéreuseettotalementvide,àl’exceptiond’unpoêleetd’unvieuxréfrigérateurencoreenétatdemarche,contre touteattente.Ellesemblaitdésertéedepuisdes lustres, mais quelqu’un, à une époque, l’avait aimée. Lesmoulures autour des portes avaient été
dessinéesàlamainavecsoin,commelesplacards.Etl’ossaturesemblaitsolide,detailleàrésisterauxpiresbourrasques.
Charleypassaunebonnepartiede lanuitànettoyer lesquatrepiècespendantqueLilliedormait.Ike,sonancienpatron,l’avaitaidéàdéchargerlepeudemeublesqu’ilpossédaitpendantquesafofolledenouvellepatronnefaisaitsansdoutesapetitesiestedumatin.Lepropriétairedubarn’avaitcessédeluiserinerqu’ilcommettaituneerreurenacceptantunjoboffertparunefemmequinetiendraitpassixmoisdans la région,mais à ce stadede savie,Charley sedisait qu’une erreurdeplusn’aurait guèred’importance.
Avec un logement gratuit et le double de la paie qu’il recevait jusque-là, il aurait la possibilitéd’économiser.Etd’échafauderdesplanspourlefutur.
Il avaitpréparé le litpourLillieavantd’aller lachercher.Pasquestionqu’ellevoie la saletédel’endroit.Asonréveil,leurnouvellemaisonseraitpropreetsapetitecuisinejouetinstalléedansuncoindusalon.
Vers 3 heures dumatin, le grandménage était enfin terminé.Lemobilier restaitmodeste pour unfoyer. Un seul canapé, un seul lit, une vieille commode que quelqu’un lui avait donnée l’annéeprécédente.Unepetitetableplianteavecquatrechaisespourlesrepasetunfauteuilàbasculeblancqu’ilavaitachetélejourdelanaissancedesafille.
Néanmoins, dans l’ensemble, le logement était plus spacieuxque l’appartement qu’ils occupaientjusque-là.Ilcomprenaitdeuxchambresàcoucher—quandbienmêmel’unedesdeuxétaitvide—ainsiqu’unegaleriesurledevant,oùLilliepourraitjouer,etuneautresurl’arrière,oùalleradmirerlecoucherdusoleil.
Après être allé voir Lillie, il sortit par la porte de derrière, sourire aux lèvres. De l’air frais.L’espaceouvert.Lesilence…Unjour,ilseraitpropriétaired’unranchsimilaire,maispourlemoment,travaillericiétaitcequ’ilpouvaitespérerdemieux.Fini,lesodeursdebaretlessoucisdefindemois.Désormais,avecunpeudechance,ilmettraitdecôtél’essentieldesonsalaire,etd’iciunan,peut-être,ilauraitgagnésuffisammentpours’acheterunemaisonàlui.
Ilavaitdiscutéavec lesparentsdeSharon.Tousdeuxretraitésmaintenant, ilssouhaitaientgarderLilliequelquesnuitsparsemaine,dumoinsjusqu’àl’été.Ilsavaientaussipromisd’allerlachercheràl’écolelesautresjoursencasdemauvaistempsoudeproblèmeavecletrajetducarscolaire.
Chez eux, l’ancienne chambre de Sharon avait été transformée en une salle de jeux pour Lillie,débordantedejouets.Iciellen’enavaitqu’unepoignée,maisCharleyferaitensortepourquecettefoissachambreressemblevraimentàcelled’unepetitefille.Ilnesavaitpastropcomments’yprendre,maisqu’importe,ilsedébrouillerait!
L’idéedenepluslabordertouslessoirslechagrinait,maisilmettraitàprofitcesdeuxnuitsoùelleresteraitenvillepourtravaillericijusqu’àlanuittombée.Deuxjournéesdequinzeheuresallégeraientlerestantdelasemaine.
Ceranchn’avaitguèredechancesdeprospérer.Ilcomptaitnéanmoinstoutmettreenœuvrepourl’yaider. S’ils parvenaient à traverser l’été sans encombre, il y aurait peut-être un petit espoir d’avenir.Encore fallait-il trouver un moyen de faire rentrer de l’argent frais dès à présent, pour couvrir lesdépenses.
Danslanuit,ilaperçutsoudainunimperméablekakiquitraversaitaupasdel’oielechampentrelamaisonprincipaleet lecorral.Ilcrutd’abordàunehallucination,uneréminiscenced’unvieuxfilmdeguerre…Puisildistinguadelonguesjambespâles,etcequiressemblaitàdeschaussettesblanches…
JubileeHamilton.Arpentant la terre boueuse en espaçant chaque pas d’unmètre comme pour lamesurer.
Unéclairzébraleciel.Dansl’airflottaitunparfumd’humidité, lapluienetarderaitpasàrefairesonapparition.Sapatronnefantasquepoursuivitsonpetitmanège,sescheveuxblonds trempésplaqués
sursoncrâne,sonmanteauflottantdanslevent.Ilsongeaàaller lachercher,avantdedéciderderester làpourl’observer.Quisait,safolieétait
peut-êtrecontagieuse.A3heuresdumatin,dehors,enpleinvent…Siellesefaisaitfoudroyer,ilseditqu’ill’enterreraitsurplaceetcontinueraitdefairetournerleranch.
Pour finir, l’épuisement au terme de cette longue journée de transition vers sa nouvelle viel’emporta. Il se faufila à l’intérieur de lamaison et referma la porte derrière lui, chassant résolumentJubileeHamiltondesespensées.
Uneheureplustardcependant,lesyeuxgrandsouvertsdanslesalonsilencieux,ilpensaittoujoursàelle. Quelque chose l’attirait vers elle, quand bien même il répugnait à l’admettre. Elle semblait siperdue.Siseule.Ellen’étaitpaslegenredefemmesdenatureàéveillersonintérêt,maistoutaufonddelui il avait envie de l’aider à faire tourner ce ranch.Ce travail qu’il avait accepté avant tout pour sesauverlui-même,ilsedevaitnéanmoinsdelemeneràbien.PassimplementpourLillieetlui,maisaussipourelle.
Jubilee Hamilton avait besoin de croire en quelque chose. De s’accrocher au rêve d’un ranchprospère.Oupeut-êtrejustedecroireenelle.
Unmotqu’elleavaitprononcétoutàl’heureluitournaitdanslatête.Elleluiavaitconfiéquec’étaitsadernièrechance.Puiselleétaitaussitôtrentréedanssacoquille,commesielleenavaittropdit.
Lesdernièreschances,çaluiparlait,etpourcause!C’étaitmêmeunterrainfamilierquiluicollaitàlapeau.
Il ferma lesyeux.Pourquoi se fairedes illusions ? Il n’avait riend’unpreuxchevalier.Pourtant,juste pour cette fois, il tenterait sa chance. S’il échouait dans sa quête, ce ne serait pas faute d’avoiressayé.
Le lendemainmatin, après avoir déposé Lillie chez Ted etHelen Lee, il décida, en revenant auranch,denepasdireàJubileequ’il l’avaitvuemarcherdans lenoir.Sielleétaitvraiment folle,ellenieraitenbloc.Danslecascontraire,elleleprendraitpourunvoyeur.
Ilseprécipitadanslacuisine,presséd’attaquerletravail.Asagrandesurprise,elleavaitpréparéduporridgeetdestoasts.Lecafésemblaitmêmebuvable,aujourd’hui.Enfin,àl’odeur.
—Bonjour,dit-ilenhochantlatête.Elleétaithabilléeàpeuprèscommelaveilleavecunpullsupplémentaire,rongéparlesmites.Elle
s’étaitaussibrossélescheveux,qu’elleportaitserrésenunvilainpetitnœudévoquantlaqueuecoupéed’unbouledogue.Ilsongeabrièvementqueceladevaitexigeruncertaintravail,desedonnerunphysiqueaussiingrat.
Elleluitenditunetasseets’assitenfacedelui.—Avantquenouscommencions,Charley,j’aiquelquespetiteschosesàvousdemander.Ilserenversacontreledossierdesachaiseensirotantsoncafé.—Pourriez-vousbrancherl’eaudanslepetitcabanonderrièrelamaison?Jedoisfaireunelessive.—Jevaisvousmontrercommentprocéder, répondit-il. Il faudracouper l’eauensuiteaumoindre
risquedegel.—D’accord.Elleluioffrituntoastavantdepoursuivre:—Ensuite,jeveuxcréerunjardindèsqueletempss’yprêtera.Ungrandjardinpotager,avectoutes
sortesdelégumes.—Avez-vousdéjàfaitpousserquoiquecesoit?—Non,maisçanedoitpasêtresorcier.—J’aiplusieursmanuelsdejardinagedontmamèreseservaitpourm’apprendreàlire,maisnous
interrogeronsd’abordDonald,l’épicier.Ilsauracequipousselemieuxparici.Ilsouritenvoyantleregarddelajeunefemmes’illuminer.
—Jepourraistireruntuyaudepuisl’abreuvoirpourassurerunarrosagerégulier,ajouta-t-il.— Parfait ! Un potager permettra d’économiser sur la nourriture, mais je doute qu’il rapporte
beaucoup…— Peut-être en semant des pastèques ? A ce propos, j’envisageais de prendre des chevaux en
pension dans les stalles libres. Cela garantirait une rentrée d’argent conséquente. Vous fourniriez lanourriture,jem’occuperaisdetoutlereste.Lesrevenusserviraientpourlesfraisdefonctionnementduranch.
—Bonneidée.Avantqu’ilaitpuendiredavantage,uncoupdeklaxonretentitau-dehors.—Mesaffaires!s’exclama-t-elle.Ellepartitencourantetgesticulaàl’intentionduchauffeur,commesil’uniquecamionroulantsurla
routedésertepouvaitmanquercettemaisonsolitaire…Charleyavalasapartdeporridgeavecuntoast,puisremplitdenouveausonboldecéréalesetle
vida tout en regardant le chauffeur déposer une dizaine de cartons sur le perron avant de repartir encahotantsurlechemincreuséd’ornières.
Après avoir refait le plein de café, il sortit sur le pas de la porte. Jubilee courait d’un carton àl’autre,ouvranttoussestrésorscommesiellenelesavaitpasvusdepuisdesmois.Apremièrevue,l’unétaitremplidechaussuresàtalonshauts,deuxautresdelivres,unautred’oreillersetdecouvertures,etleresteressemblaitàdesvêtements.Ellesoulevaavecprécautionuncartonetl’emportadanslapiècedéjàencombrée près de la cuisine, un petit salon à l’origine, dont le vieux Levy avait fait sa chambre àcoucher.
Aprèsavoirdéposédélicatementlecartonsurlesolcommes’ilcontenaitdelaporcelaine,elleseprécipitadenouveaudehors,attrapaquelquesaffairesetpassadevantCharleyencourantpourgrimperl’escalier.
—Attendez-moi!—Pasdeproblème,murmura-t-ilens’avançantverslescartonsrestants.Ilentrepritdelestransférerl’unaprèsl’autredanslacuisine.Dix minutes plus tard, sa patronne réapparut en pantalon noir, talons plats et chemisier de soie
blanche sansmanches qui bougeait comme de la crème autour de sa silhouette gracile. Sans ce petitchignongrotesquequ’ellearboraittoujours,ilnel’auraitpasreconnue.Elleétaitgrandeetmince,maisjolimentrouléejusteoùilfallait—sibiensûrilavaitprêtéattentionàcedétail,cequ’iln’étaitpasdutoutentraindefaire.
—Jesuisprête!Commeillafixaitd’unairhagard,elleajouta:—Jesaisquejen’aipaslatenueidéalepourunranch,maisilfaudrafaireavectantquejen’aurai
paslavémonjean.—Vousêtesparfaite,articula-t-il,étonnélui-mêmedelepenservraiment.Nousseronsdehorstoute
lamatinée,vousaurezjustebesoind’unchapeauetd’unevestepourcouvrircesbras…—Çaira.Ellesaisitunminusculesacàmainrougedontelleenfilalachaînettedoréesursonépaule.—Amoinsquecesoitunetroussedepremierssecours,vousn’enaurezpasbesoin,Jubilee.Nous
allonsparcourirvosterresenvoiture,pasfairedushopping.Ilsourit.Pourlapremièrefois,sapatronneressemblaitàlacitadinequ’elleétaitdanssonesprit.
Lisse,lustrée.Dépourvuedetoutsenspratique.—D’accord,dit-elleenluiemboîtantlepas.Jelelaisseraidansvotrepick-up.Jenevaisnullepart
sansunsacàmain.Elleluisouritcommeilluitenaitlaportièreouverte.
—Mercid’avoirrentrélescartons,ajouta-t-elle.—Derien.Ilaimaitsafaçondeparlerlorsqu’elleneluicriaitpasdessus.Elleavaitunejolievoix,trèsdouce
àl’oreille.Uneheuredurant,ilssillonnèrentchaquesentiersurlesterresduranch.Ils’efforçadel’informerde
sonmieux,toutenayantl’impressiondeparlerdanslevidelestroisquartsdutemps.—Cesontdebonspâturages,dit-il.Aveclasourcenaturelle,vouspourriezfacilementéleverici
unecinquantainede têtesdebétail,peut-êtredavantage.Sivous lesouhaitez, jepeuxacheterquelquesveaux.Ilfaudralesnourrirjusqu’àcequel’herbeverdisse,maisceneserapaslong.
—Combien,partête?—Trois cents dollars, à cette époquede l’année.D’ici la fin de l’été, ils en vaudront aumoins
mille.Acesmots,elletournaenfinlatêteverslui.—Unprofitimportant…—Pastantquecela.Ilfautprévoiruncomplémentalimentairepourcertainesbêtes.Lesvaccinset
lemarquagevouscoûterontcher.Nousrisquonsd’enperdrequelques-unesavantd’avoireuletempsdelesrevendre.
Elles’accordauntempsderéflexion.—Achetez soixante têtes, décréta-t-elle enfin. Si nous en perdons cinq, nous gagnerons tout de
mêmeassezpourenachetercent laprochainefoisetentirerdesbénéficesintéressants.Est-cequecetautrepâturage,là,pourraitaussicontenirunecentainedebêtes?
—Lesmoisd’été,oui,àconditiond’avoirassezdepluie.Sa vitesse de calcul le surprit. La demoiselle ne connaissait peut-être rien aumétier de rancher,
maisellesavaitcompter!—Alors,banco!J’aidequoifinancercetinvestissementetj’aicrucomprendrequeLevyavaitun
compte«ranch»àlabanque.—Jem’enoccupeavantlafindelasemaine,murmura-t-il,impressionné.Ellehochalatêteetsereplongeadanssesréflexions.—Vousavezunecarrièredecaillouxici,del’autrecôtédelaroute,reprit-ilauboutd’uninstant.
Une source de revenus rapides en cas de besoin,mais vite épuisée.A réserver peut-être pour les casd’urgence.Lesquelqueshectaresdeplaineunpeuplushautsontcultivables,maisc’estduterrainsec.
—Qu’entendez-vousexactementpar«terrainsec»?—Sanspluie.Riennepousse.Uneirrigations’imposedeuxannéessurtroisenmoyenne.Celacoûte
cher,àl’achatetenentretien.Elleluidemandaunenouvellefoisdechiffrerlecoût.S’iln’avaitpasprisl’habituded’économiser
chaquecentpourréalisersonrêvedepossédersonpropreranch,ilauraitétéincapabledeluidonnerdesréponsesprécises.Enl’occurrence,ilconnaissaitparcœurlesprixderevientdanscedomaine.
Il continua à lui exposer ce qu’ils pourraient faire avec ou sans argent. Elle en possédaitapparemmentassezpourluiverserunsalaire,maisildoutaitquelevieuxLevyluiait laissébeaucoupplus.Peut-êtrecomptait-ellefinancersesprojetsavecsespropreséconomies?LaLexusgaréeprèsdelamaisonsemblaitrécenteetlesvêtementsqu’elleportaitaujourd’huineprovenaientpasd’unefriperie…
Silademoiselleavaitdessousàinvestir,ceranchpouvaitserévélerinfinimentplusprofitablequedanslesrêveslesplusfousdeLevy.
—Vousneprenezpasdenotes?demanda-t-il.—Non. Jem’ensouviendrai. Jevais installermonbureaudèscesoiretpréparerdes tableauxà
rempliraufuretàmesure.J’aimevoirconcrètementlesprogrès.—Jesuisd’accord.
Exactementcequ’ilavaitapprisàfaireàl’université.S’ilavaitpuappliquercesméthodesauranchfamilial,ilauraitcomptéaujourd’huilestêtesdebétailparmilliers.Icilecheptelresteraitmodeste,maispour lapremière foisdepuis l’interruptionde ses études, l’occasion lui étaitoffertede faire lemétierqu’iladorait,quandbienmêmeceseraitavecl’argentdequelqu’und’autre.
Ens’arrêtantprèsdelacorniched’unétroitcanyonsinuantenborduredeses terres, ilproposaàJubileedeluimontrerleLoneHeartPass,quiavaitdonnésonnomauranch.
Lesoleilétaitdevenuchaudlorsqu’ilsdescendirentdevoiture.Devanteux,centmètresplusloin,s’élevaitunecolonnederochersd’unebonnedizainedemètresdehaut.
—Ce défilé est l’unique passage donnant accès au canyon sur des kilomètres, dit-il. La collinerocheuses’estlittéralementfendueendeuxilyadesmillionsd’années.Lescavalierspeuventlefranchirunparun,aupas,maiscertainschevauxprennentpeurentrecesparoisétroitesquilesenserrent.
Jubilee hocha la tête et avança de quelques pas,mais le sol caillouteux et inégal au pied de lacollinelafittrébucher.Charleytenditspontanémentlamainpourluisaisirlebrasetlastabiliser.
La sensationde sapeau sous sesdoigts se révélaplusbrûlante qu’il ne l’avait imaginé.Ce seulcontact suffit à lui faire prendre conscience de sa féminité. Jusque-là, elle lui était apparue perdue,extravagante, complètement dépassée par les événements… et d’une coquetterie qui laissait à désirer.Toutàcoup,aveccechemisierblancquiluicollaitàlapeau,ilavaitl’impressiondelavoirvraimentpourlatoutepremièrefois.
Commelesterresautourd’elle,JubileeHamiltonrecelaitunebeautéparticulière,difficileàcapteraupremierregard.Nonqu’ilfûtintéressé,maistoutdemême,ill’avaitremarquée.
—Pouvons-nousentrer?demanda-t-elle,lesyeuxlevésversledéfilé.J’aimeraisbeaucoupvoirlecanyondepuisceversant.
Ilsecoualatête.—Pasdanscettetenue,niavecceschaussures.Lavueestmagnifique,maisilfaudraitcompterune
bonneheuredemarchepourdéboucherdel’autrecôtéetreveniràlavoiture.Ildistinguaitdéjàdescloquessursesbrasnus.Quantàsesmocassins,ilsnesurvivraientpasàla
montéesurlescaillouxjusqu’audéfilé.Uninstinctprotecteurgermaenlui,àsavivesurprise.JubileeHamiltonn’avaitpourtantriend’une
demoiselle en détresse. La seule façon dont il pouvait l’aider, c’était en lui montrant comment faireprospérerceranch.
Ellesetournaverslui.—Emmenez-moienville,alors.Montrez-moilechemin.Sivousavezàfaireici,jereviendraiavec
vousetjeferaimesachatsplustard,maisilfautquejemémorisel’itinéraire.Sesyeuxchocolat,animésd’unedéterminationfarouche,seplantèrentdanslessiens.—Jeveuxêtreprêteàmemettreautravaildèsdemain.Ilesttempsdecommenceràfairequelque
chosedecettepropriété.Jevaisavoirbesoindemeprocurerlesvêtementsetleschaussuresappropriés.Ellefronçalessourcils,l’airunpeueffrayédesonproprediscours.—Pouvez-vousm’acheteruncheval?demanda-t-ellebrusquement.—Jepasseraiquelquescoupsdefil.Voussavezmonter?—Biensûr!Elleavaitrépondutropvitepourquecesoitlavérité.Ilretintunsourire.—J’avaisentendudirequelesyeuxbrunsnementaientjamais…Ellesoutintsonregardavecaplomb.—Jesaismonter,affirma-t-elle.JubileeHamiltonétaitpeut-êtreunpeudérangée,maissûrementpasfainéante,songeaCharleytandis
qu’ilsregagnaientlepick-up.
—MonsieurCollins,jevousinviteraiàmangerlorsquenousseronsenville.Jemeursdefaim.Monpetitdéjeunersembles’êtreévaporé.
Etait-ellesérieuse?Lademoisellerestaitdécidémentdifficileàdéchiffrer.—J’acceptevotreoffrepourledéjeuner,maisenéchangeappelez-moi«Charley».—D’accord.Mesprochesm’appellent«Jub».Illuiouvritlaportièrecôtépassager.—Sicelanevousdérangepas,jepréfèrecontinueràvousappeler«Jubilee».«Jub»m’évoque
plusuneboissonqu’unprénom.Lorsqu’ilgrimpaàsontourdanslepick-up,ellefourrageaitdanssontoutpetitsacquinepouvait
pascontenirplusdetroisouquatrebricoles.Sansleregarder.Pouruneraisonobscure,ileutlasensationd’avoirremportéunround.Ilsn’étaientcependantpas
prèsdeseconnaîtreassezpourdevenirmêmedesimplesamis.Toutlesséparait!Dixminutesplus tard, lorsqu’ellecommandalemenuvégétarienauDorothy’sCafé, ildut feindre
unequintedetouxpours’empêcherd’éclaterderire.
6
Thatcher27février
LesyeuxbleucieldeLaurenBrigman,lafilledushérif,lefixèrentcommes’iln’étaitqu’uncrapauddans son monde. Lauren était toute pimpante dans sa veste à boutons argentés siglée Texas TechUniversity,tandisquelui,ilsemblaitavoirservidekittesteurpouréchantillonsdepeinturedelatêteauxpieds.Endeuxheures, ilavaitréussiàfairecoulerplusdepeintureautourde luiquesur lesmurs.Leshérifyréfléchiraitàdeuxfoisavantdeleréembaucher.
Mais ils’enfichait. Ilnepouvaitdétacher lesyeuxdela longuecheveluredeLauren,absolumentsomptueuse.Quelquechosenetournaitpasrondchezlui,sûrement.Luiquiétaitincapabledecitercinqfillesdesonécole,voilàqu’iltombaitsouslecharmedecettefilletrempéel’autresoir,puisdelafilleuniquedushérif!Aumoins,lapremière,celledontlepèreavaitdécouvertuncadavredanslecanyon,avaitàpeuprèslemêmeâgequelui.Lauren,elle,étaitbeaucouptropvieillepourlui.
Aucune importance ! Ce n’était pas tous les jours qu’un garçon de son âge avait l’occasion dediscuteravecuneétudiante, et il était auxangesde se trouverdans lebureaudushérif avecLauren…mêmesilesentimentnesemblaitpasréciproque.
Pasgrave!Ilsesentaitplusintelligentparleseulfaitd’êtredanslamêmepiècequ’elle.Lebruitcouraitqu’ellen’avaitjamaisrécoltéunBdetoutesascolarité.Commelui.Saufquesesnotesàluisesituaient…endessousduB.
Elleavaitpeut-êtresixouseptansdeplus,maisjamaisellen’avaitétéméchanteenverslui.Celacomptaitbeaucouppourlui.Depuisl’écoleprimaire,lafilledeBrigmanlesaluaitaumoinsd’unsignedetêteenlecroisant,alorsquelesautresélèvesletraitaientcommeunchienerrantéchappédelafourrière.
Ils’efforçadefairecommesiderienn’était,commes’ilavaitàpeineremarquésaprésence,toutenrepeignantlemurdufond.C’étaitlejobqueluiavaitassignéleshérifpourcematin.Ilenavaitsûrementconfiéunautreàsafille.
Lesurveiller,peut-être?Ellelevaitrégulièrementlesyeuxverslui,toutenclassantsesdossiers…L’idéed’avoirunebaby-sitterlehérissait.Bonsang!Ilsedébrouillaitseuldepuissesseptans,lorsquesamèreavaitcommencéàs’éclipserlesweek-ends,quis’étiraientparfoissurunesemaine.Lasolitudeneluiavaitjamaispesé.
Enrevanche,lesilencedeLaurencommençaitàletracasser,cematin.—Quelâgetuas,Lauren?demanda-t-ilsansinterrompresontravail.—Vingtetunans.Çadoittesemblerdrôlementvieux,non?lança-t-elle,leregardrivéàsonécran.Ellelevoyaitencorecommeungosse,alorsqu’illadépassaitentailleetfrôlaitlesquinzeans!
—Pas assezvieux en tout caspourneplusobéir à sonpapa, visiblement, répliqua-t-il d’un tondétaché.Quisaitcombiendecourstuasséchéspourêtrecoincéeicidanslebureaudushérifunsamedi?
Ellesourit.—Aucun.Enfait,mêmesicelamenavre,j’aipresqueterminémesétudes.Al’université,personne
net’obligeàallerencours.Onyvaparcequ’onchoisitd’yaller.Unconcepttotalementnouveaupourtoi,Thatcher.
Ilgrogna,sentantvenirlesremontrances.Danssonesprit,lesBrigmanpartageaientungènemutantquilespoussaitàabreuverlesautresdeconseilsdèsqu’ilsouvraientlabouche!
Laurenéclataderirecommesiellelisaitdanssespensées.— Je suis simplement venue donner un coup de main à papa, ce week-end, pour classer ses
archives.C’estunbonshérif,maispouruneraisonmystérieuse,lesdossierstraînentsursonbureausansjamaisatteindre lebonplacard.Lecomtés’estengagéà lui fourniruneassistante,mais ildit toujoursqu’ildoitd’abordfaireungrandnettoyageets’organiser.
Thatcherposasonpinceau,s’accordantainsisapremièrepausedelamatinée.—Maintenantquej’ypense,vingtetunans,c’estvieux,oui.Mamèreétaitdéjàmariée,àcetâge-
là, et ellem’avaitmis aumonde.Tu es vraiment jolie, ajouta-t-il commeLauren ne répondait pas. Jesuppose que c’est le fait que ton père ouvre la porte un revolver à la main qui tient les hommes àdistance?
Elleacquiesça.—Toutàfait.Ettoi,Thatcher?Abientôtquinzeanstucherchessûrementunepetiteamie,non?Ou
as-tudéjàchoisilafutureMmeJones?Thatcherpritappuisuruncoindubureauetcroisalesbras.Elleleprenaitdehaut,probablement,
commebeaucoupdegensdelaville,maisilavaitbesoindequelquestuyauxetelleavaitpeut-êtreassezdeconnaissancespourl’aider.
—J’aitrouvéplutôtpasmallafilledutypequiadécouvertlecadavredanslecanyon,l’autrejour.Enfin,ajouta-t-ilenhaussantlesépaules,elleauraitétémignonnesiellen’avaitpasététrempéeetaussitremblantequ’uncoyotequiareçuuneballedansl’oreille.
—Tuasvubeaucoupdecoyotesavecuneballedansl’oreille?—Plusieurs.Laurenrefermasonordinateuretlefixad’unairincrédule.—Lafilleenquestions’appelleKristiNorton,dit-elle.Sonpèreestlenouveauproviseurdepuis
lundidernier.Luietsonépouseontgrandidanslecoin.Kristidoitavoirtonâge,tuauraisdûlacroiser,aucollège…
—Jenesuispasalléenclasse,cesdernierstemps.C’estpourçaquejesuislàaujourd’hui.J’aiditàtonpèrequej’avaistrophonteparcequejen’avaispasdequoipayerledéjeuner.Jepensaisqu’ilmeprêteraitunpeud’argent.Tuparles!Alaplace,ilm’aproposéunjob.Sij’avaisrefusé,ilauraitcomprisquejementaisetDieusaitcequ’ilauraitfait.Depuisquelquesannéesj’ail’impressiond’avoirunfliccommeangegardien,etjenesaispass’ilvientduCieloudel’enfer!
—Queveux-tu,lavieestdure,commentaLaurenenretournantàsesdossiers.Jesuisiciàpeuprèspourlamêmeraison.Monpèren’estpasdugenreprêteur,mêmepoursafilleunique.Pourunefois,avantdequitterl’université,j’aimeraisallerquelquepartpendantlescongésdeprintemps,loindeCrossroads.Auborddelamer,peut-être.
—Ettamère?Ilallaseservirducaféetajoutaunebonnedosedelait.—Elleestpartieouquoi?—Mesparentssontdivorcés.Mamèremedépanneraitsûrement,maispassanscontrepartie.Elle
estdanssaphase«J’aitoujourstrenteans».Sijeluiannonçaisquejecompteallersurlacôtepourles
vacances, elle s’achèterait le même maillot de bain que moi et viendrait avec moi ! Tu imagines letableau?
Thatcherhochalatête,sansbiencomprendrecequ’elleluiracontait.Iln’étaitmêmepassûrdecequ’elleentendaitpar«divorcés».
—Mamèreàmois’estmariéequatrefois,dit-il.Enfin,façondeparler.Dèsqueletypes’installeàlamaison, elle l’appelle«monmari»etquand il s’enva, elleditqu’elleadivorcé.D’aprèselleçarevientmoinscherdecettemanière.Mais j’enai jamaisappeléun seul«papa».Vu lesgoûtsdemamère,jepréfèrenepassavoirlequelestlesalaudquim’aengendré.
Laurenlefixaitdesesyeuxbleuclair.—Tudoisretourneraucollège,Thatcher.Quelquepartsouscescheveuxsalessecacheuncerveau,
j’ensuisconvaincue.Personneneluiavaitjamaisditcela.Ileutenviedeluiconfierqu’ils’étaitfaitdeuxmilletroiscent
quatorzedollarsl’annéedernièreenvendantdesserpents,etencorehuitcentsenvendantdesœufsàdesfermierstropparesseuxpours’occuperdepoules.
Maisilpréférasetaire,carundesmarisdesamèreluiavaitexpliquéques’ilentouchaitunmotàquiconque,legouvernementviendraitluisoutirerdesimpôts.
—Lauren,jepeuxteposerunequestion?—SituveuxsavoircommentimpressionnerKristi,commenceparunecoupedecheveux,unbainet
desvêtementspropres.Tuasdéjàlacervelleetcejolisourire.—Non,rienàvoir,répliqua-t-iltoutenenregistrantcesinformationspourplustard.Est-cequetu
sauraismedireoùestleréseau?M.Fullerm’aditunjourquejen’étaispasraccordé,quejevivaisenmarge…
Laurensemitàrire.—TuparlesduvieuxCapFuller,quiaprissaretraiteilyadesannées?demanda-t-elle.—Oui.IlestvenucommeremplaçantquandM.Frankss’estenfuiavecMlleSmith-Williams,juste
avantThanksgiving.Ilsegrattalatêteetmarmonna:—C’était bizarre, d’ailleurs.M. Franks était vieux etméchant etMlle Smith-Williams semblait
toujours dans la lune. Incapable de se rappeler un nomde famille.Et partout, dans sa classe, dans lecouloirousurleparking,ellesursautaitquandlaclochesonnait.Elleauraitquandmêmedûêtrehabituéeauxsonneries,auboutdevingtansd’enseignement!
Laurenéclataderire.—Jemedemandeoùilssontaujourd’hui,fit-elleremarquer.Illuifitunclind’œil.—Sûrementsuruneplageoùiln’yanisonneriesnienfantsàgronder.Enmaillotsassortis,entrain
d’écouterduswingcountry.Laurenluirenditsonclind’œil.—Ataplace,jegarderaiscettevisionpourmoi!Lefourirelespritenmêmetemps.Thatchersepenchasurlebureau,jugeantlemomentpropicepouruneautrequestion.—Tuvoisletiroirdubas,là?—Oui,répondit-elle,distraite,denouveauplongéedanssesdossiers.—Tuasuneidéedecequ’ilcontient?—Despapiers,jesuppose…Ils’agenouillaettirasurlapoignée.—Alorspourquoiest-cequ’ilestferméàclé?
Cettefois, ilavait réussiàcapter l’attentiondeLauren.Ellese tournavers luiet tentaàson tourd’ouvrirletiroir.
—Jen’aipaslesouvenird’untiroirsecret…,murmura-t-elle.Ilyauncoffre-fortpourconserverlespreuves.Aquoiluiserviraituntiroir?
Thatcherhaussalesépaules.—Deslettresd’unemaîtresse?Desarmes,deladrogue,desmorceauxdecadavre?Ellefronçalessourcils.—Monpèren’apasletempsd’entreteniruneliaison.Ilportesonarmesurlui.Lesdroguesseraient
danslecoffre-fortetlesmorceauxdecadavresentiraientmauvais.Avantqu’ilaitpuposerd’autresquestions,letéléphonesemitàsonnersurlebureaudushérif.Laurendécrocha,hochaplusieursfoislatête,ditsimplement:«Oui»etraccrocha.Elleétaitdevenuepâlecommelamort.—Quoi?s’exclamaThatcher.Qu’est-cequ’ilya?Laurenselevalentement.—Lecoroneraterminésonrapportsurl’hommeretrouvédanslecanyon.Ilestentraindenousle
faxer.Ilveutquemonpèreleliseimmédiatement.—Alors,appelle-lepourluidire!Lui,iln’avaitpasdeportable,maistouslesautresêtreshumainssemblaientenavoirun.—Impossibledelejoindre,réponditLauren.Ilestaufondducanyon,derrièreleLoneHeartPass,
entraindechercherdesindices.Ellesemblaitsoucieuse,lesyeuxrivéssurlefaxquicrachaitsesfeuillesdepapier.Troisentout.—Jedoisluiapportercerapport.Jesaisqu’iln’yaplusrienlà-bas,maisl’idéed’allerdansun
endroitoùquelqu’unestmortmedonnelachairdepoule,avoua-t-elle.Thatcherposasatassedanslelavaboetselavalesmains.— Pas de souci, je t’accompagne. C’est une enquête policière, ajouta-t-il en baissant la voix,
histoiredeparaîtreplusvieux.Tupourraisavoirbesoinderenforts.—Mais…Ils’avança,luibloquantlasortie.—Tonpèret’ademandédemegarderàl’œil,n’est-cepas?Illutlavéritédanssesyeuxavantqu’ellen’aiteuletempsdeformulerunmensonge.—Alors,laseulemanièredemesurveillerestdem’emmener,conclut-il.Ellesaisitsonsacàmain.—Viens,dit-elle.Ilnesesentitplusdejoie.—Waouh!Onpartenmission!Est-cequej’aidroitàunearme?—Non!s’écria-t-elleenlebousculantpourpasser.—Bon, très bien.Mais on récupéreramon pick-up au retour. Il doit rouiller à grande vitesse à
l’heurequ’ilestsouslapluie.Commeellenerépondaitpas,ilserisquaàposerunedernièrequestionalorsqu’ilsatteignaientle
petitparkingprèsdesbureauxducomté.—Jepeuxconduire,dis?J’aibesoind’unpeud’entraînementsuruneboîteautomatique.—Non.Elledémarrasansmêmeattendrequ’ilaitclaquésaportière.Maisils’enfichait.Ilétaitsuruneenquêteofficielleetc’étaitterriblementexcitant.Sonprojetde
devenircoronerattendrait.
7
Charley27février
Lamatinée était fraîche,maisCharley sentit les premiers effluves de printemps dans l’air tandisqu’ilsellaitDooley,soncheval,etsepréparaitàmonter.Lesveauxqu’ilavaitachetéslaveilleàlaventeauxenchèresarriveraientaprèsledéjeuner,etilcomptaitsillonnerlepâturageàchevalpouréviterlesmauvaisessurprises.Unelongueurdebarbelésoubliéedanslechampouunniddeserpentssuffiraientàtuerunebête.EtilavaitlesentimentqueJubileesupporteraitmallamoindreperte.
Une seule morsure d’un crotale sur un cheval ou le cou d’une vache pouvait couper les voiesrespiratoiresetétoufferl’animal.Faceàcela,lescow-boysétaientimpuissants.
Iltenaitaussiàvérifierlaqualitédel’eau.LesparentsdeSharonavaientemmenéLillieaufestivald’Amarilloetilprofiteraitdecesamediexceptionnelsansellepourtravaillercinqousixheuresdeplus.Il savait que sa fille s’amuserait beaucoup avec ses grands-parents, et chaque heure de grand jourcomptaitpourpréparerleranchpourleprintemps.Ilprogressaitdanssesprojets,maispasassezvite…Lundi, il embaucherait des hommes pour lui donner un coup demain avec le bétail. Aujourd’hui, enattendant,iltravailleraitseul.
UnsourireluivintausouvenirdeJubileesefélicitantàdeuxreprises,laveille,d’êtreàvendredi.Ellene l’aideraitpasaujourd’hui.Lescitadinss’octroyaientdurepos lesamediet ledimanche, tandisquefermiersetrancherscontinuaientàtravailler.Lebétailneconnaissaitpaslanotiondeweek-end…
Jusque-là,ilavaitpasséplusdetempsàluiexpliquerleschosesqu’àtravailler.Ilauraitdûajouteruneclauseaucontrat :doublepaie les joursoùelle luidonnaituncoupdemain.Laveille,pendant lepetitdéjeuner,ilavaitremarquéqu’elles’étaitinstalléunbureaudansl’anciennechambredeLevy.Descalendriers,descartesetdesobjectifschiffréspourchaquemoistapissaientlesmurs.
Cette femme était décidément un mystère pour lui depuis le premier jour, lorsqu’elle lui étaitapparue en imperméable et chaussettes.Autoritaire parmoments, et totalement perdue à d’autres.Unebouled’émotions…
Le pire, c’était ce besoin qu’il éprouvaitmalgré lui de l’aider, de la protéger. Elle semblait enpleine dérive, sans amis, sans famille. Pour autant qu’il le sache, pas une seule personne ne l’avaitcontactée pour prendre de ses nouvelles.De temps à autre il se surprenait à refouler une envie de laprendredanssesbras,commeça,simplementpourluiassurerquetoutallaitbien,queriennel’obligeaitàsebattreavecunetellehargneouàs’appliqueràfairebonnefigure.
Seulement il n’était pas très sûr d’y croire lui-même.Lui aussi avait connu la solitude, lui aussis’étaitheurtéàl’indifférencedesesproches.Iln’yavaitriend’autreàfairequedes’armerdecourage
pourcontinuersonchemin,souspeinedesombrer.L’extravagante demoiselle Hamilton avait fière allure en jean et boots, toutefois, il fallait le
reconnaître.Elleprenaitaussi toujours le tempsdediscuteravecLillie,alorsmêmeque la languedesenfantsdecinqansneluiétaitpasfamilière.
IllesavaittrouvéestouteslesdeuxassisesaubeaumilieudujardinenfrichedeJubilee,unaprès-midi.Elles riaient enévoquant les légumes très étrangesquipousseraient làun jour, pourpeuque lessemencessemélangent.
—Siunepommeépouseunecarotte,disaitLillie,çaferadesporottes?Jubilee avait émis d’autres suggestions de plantes inédites et le soir elle avait apporté quelques
légumespourledînerdeLillie.Sagentillesseenverssafilleletouchaitbeaucoup.Dèsledeuxièmejour,LillieavaitexpliquéàJubileequesonpapadormaitsurlecanapéparcequ’il
n’avaitpasdelitdanssachambre.Jubileeavaitinsistépourqu’ilsaillentfouillerensemblelespiècesdel’étage dans sa grandemaison.Quatre chambres entièrementmeublées et inoccupées depuis aumoinscinquanteans.Sanscompterlegrenier,oùavaitétéremisédumobilierensurplus.
Après avoir soulagé la vieille demeure de plusieursmeubles, Charley avait balayé les lieux duregard.Lamaisonn’étaitpasensimauvaisétat,quandbienmêmeelleparaissaithantéed’unsiècledesouvenirs. Jubilee s’était manifestement approprié la cinquième chambre à coucher, au-dessus de lacuisine. Elle l’avait sûrement décorée lorsqu’elle venait ici en visite, enfant. Rien ne semblait avoirchangédepuis.
Endéchargeantlesommierchezlui,iln’avaitcessédeprotester,maiscettenuit-làilavaitenfinpus’étendre sur ungrand lit et il avait dormi commeune souche.Le lendemain, Jubilee avait balayé sesremerciementsd’unreversdemainsousleprétextequ’elles’étaitbienamuséeavecLillie.
EnsortantDooley,selléetfinprêt,lesamedimatin,CharleyaperçutJubileedanslafrichequ’elleappelaitsonjardinendormi.Cettefois,elleavaitdanslesmainslemanueldejardinagequ’il luiavaitdonné.Cette femmeétait constammenten traindeplanifier.Plusdedix foiscette semaine, savivacitéd’espritl’avaitsidéré,etmêmecharmé,quandbienmêmeilrépugnaitàsel’avouer.
Illasaluadeloinetsongeaàluirappelerdemettredelacrèmesolaire,avantdeseraviser.Celanel’avaitpasdérangéplusquecelaqu’ellefrappeàsaportel’autresoirpourluidemanderdeluienduireledosd’unecrèmeàl’aloevera.Vêtueimprudemmentcematin-làd’uncaracoàfinesbretelles,elleavaitattrapédescoupsdesoleilàlafoissurledécolletéetsurlehautdudos.
Ilétaitrestémuetunmoment,lesyeuxrivésàsesépaulesnues.—Alors?Vousvoulezbienm’aider?Envolés,caracoetsoutien-gorge.Elleétaitenveloppéed’unesimpleserviette-éponge…Uneserviettedontils’étaitrévéléincapablededétacherleregard.Portéeassezbas,elledénudait
nonseulementlaplagedepeaubrûlée,maisaussiuneparcelleblancheau-dessous,jamaisvisitéeparlesrayons du soleil. A chaque inspiration, un infime fragment de sein crémeux semblait s’épanouir sousl’éponge.
—Oui,biensûr,avait-ilrépondu,affectantdesonmieuxlasimplepolitesse.Elleluiavaittenduletubepuiss’étaitretournée,soulevantsescheveuxdesesépaulesrougies.Ils’étaitenduitlespaumesavantd’étalerlacrèmesursanuque,trèslentement,parpetitscercles,
puis d’un bout à l’autre de la ligne des épaules, et enfin plus bas, jusqu’à la limite imposée par laserviette…
Etrangecommesoncorpstoutentiers’étaitéchaufféàmesure.C’étaitimpossible,maisilauraitjuréquesacaresselenteetdouceabsorbaitlachaleurdelapeaudeJubilee.
Lorsqu’elles’étaitretournée,etquesamains’étaitposéesurlanaissancedesseins,làoùlabrûlureétaitlaplusvive,elleavaitétoufféunpetitcri.
Luiavait-ilfaitmal?Ouavait-ellespontanémentréagiaucontactdesesdoigts?Lillies’étaitalorsinterposéeetluiavaitprisletubedesmainsendécrétantqu’ilavaitsûrementde
tropgrossesmains.Duhautdesescinqans,elleavaitprislerelaisauprèsdeJubilee,insistantmêmepourquecelle-ci
mangeensuiteuneglaceaveceux,pourfinirdesesoigner.Charleyavaitvoulu luiprésentersesexcuses,maisen laregardantparleràLillie, luisourire, lui
confierlesoindesapeau,iln’avaitpuarticuleruntraîtremot.Alors que la sensationde sapeau toute chaude s’était attardée sur sesmains, il s’était évertué à
penseràautrechoselelendemain.«Pasdefemmedansmavie»,s’était-ilrépété.Silebesoinsefaisaittroppressant,ilchoisiraitunefillecommeLexie,quicomprendraitd’embléequ’ilnepouvaityavoirniattachesniengagementsentreeux.Ilsebattaitpourreprendrepieddepuisquesonpèrel’avaitfichuàlaporteduranchetempêchédeterminersesétudes,ilavaittravaillédurpoursurvivreetéleverLilliedesonmieux,alorsriennel’arrêteraitdésormais.Etsurtoutpasunefemme.
Pasmêmeuneàlapeausoyeuseetdontlesseinspromettaientd’êtreirrésistibles…«Pasderelation»,seremémorait-ilrégulièrement—sisouvent,enfait,quel’échocommençaità
résonnerdanssatête.S’il avait un tant soit peudoutéque Jubilee soit dans lemêmeétat d’esprit, il lui suffisait de se
rappelerlematinprécédent.Commeill’interrogeaitsursescoupsdesoleil,elleavaitrépondu:«Toutvabien.»Sujetclos.Lerestedupetitdéjeuneravaitétéstrictementprofessionnel.Ilavaitavalésesœufstropcuitsetsonbaconpresquecrusansajouterunmotàproposdesoncorps.
Mais lemoyen d’empêcher son corps à lui de délirer avec ses propres souvenirs ? Ses sens enémoi…Le souffle de la jeune femme sur sa gorge, lorsqu’il s’était penché sur elle…Le petit cri deplaisir,oudedouleur,quiluiavaitéchappé…
Hier matin, tout cela semblait s’être évaporé avec l’aurore. Ce plaisir à son contact, peut-êtrel’avait-il seulement imaginé.Peut-être était-il enmanquede femmesaupointde confondreune simpledemanded’aideetuneinvitation.
Ill’avaitregardée,par-dessuslatable.Sérieuse,concentréesursontravail.Parfait!Luiaussipréféraits’entenirlà.Ladernièrechosedontilavaitbesoin,c’étaitdes’engager
dans une relation autre que professionnelle avec une femme aussi perturbée. Elle lui avait expliqué,pendantqu’ilsdéjeunaientensemblel’autre jour,qu’elleavaitperduà lafoissonemploietsonamant,qu’ellen’aimaitpasvraiment,detoutefaçon.Sonemploiousonamant?
Iln’avaitpasposédequestions,cedontilserepentaitaujourd’hui.—Quelqu’unvient!cria-t-ellesoudainenrefermantlelivrepourtraverserlejardinendormidans
sadirection.Ilnotalenuagedeterredanslesillagedelapetiteberline.—Cedoitêtrelafilledushérif.SeuleLaurenconduitunevoiturejaune.Jubileehaussaunsourcil.—Vousconnaissezlavoituredechaquehabitantducoin?demanda-t-elle,étonnée.—Non,maisjeconnaiscelledeLauren.Ellel’areçueaumomentdesondépartpourl’université.
Elleetmonpetitfrèresontamis,oudumoinsilsl’étaientladernièrefoisquej’aiparléàReid.Ilestunpeuplusâgéqu’elle,maismonpèrem’aditunjourqu’ilss’étaientunpeufréquentés.
Ilpinçaleslèvres.Tropd’informations.Jubileen’avaitrienàfairedetoutcela.Pourquoicebesoinviscéralchezluidetoutluiexpliquer,nonseulementsurleranch,maisaussisurlaville?
L’idéeluivintques’ilparlaitautantc’étaitparcequ’ilespéraitenretourenapprendredavantagesurelle.Oupeut-êtreaimait-ilsimplementcettevoixdoucequis’immisçaitdepuispeudanssesrêves.Quisait,enconnaissantmieuxlarégionetseshabitants,peut-êtreresterait-elleàCrossroads?
— Je ne savais pas que vous aviez de la famille ici, lui fit-elle remarquer comme la voitures’engageaitdansl’alléedeterre.
—Vousnem’avezpasposélaquestionetlaréponseestnon,jen’aiplusdefamilledanslecoin.Aucunequimereconnaisse,entoutcas.
L’amertumedesespropresmotsneluiéchappapas,maisiln’avaitpasl’intentiondes’expliquer.Que chacun, à des kilomètres à la ronde, s’imagine ce qu’il voudra ! Il était lemouton noir du clanCollins.Ilavaitmisunefilleenceinteetcettefillel’avaitensuiteabandonnéavecunenfantàcharge.Ilavait couché avec sa belle-mère. Il ne vaudrait jamais la corde pour le pendre. Pire que lui, c’étaitimpossible.
Ilserralesdentspourempêcherlesjuronsd’ensortir.Illeurprouveraitàtousqu’ilssetrompaientsursoncompte,quandbienmêmecelaluiprendraittouteunevie!
AvantqueJubileen’aitpul’interrogerdavantage,LaurenbondithorsdesapetiteCoccinelleetsejetadanssesbras.
—Charley!C’estbondetevoir!Endépitdesongrandsourire,elleparaissaitnerveuse.—Tum’asmanquésurlecampus.TuesmonCollinspréféré,tusais!Ilcompritcequ’elleessayaitde luidire :ellenefaisaitpaspartiedeceuxqui le jugeaient. Il la
connaissait peu, mais elle s’était toujours montrée aimable. La nouvelle qu’elle avait fréquenté Reidl’avaitrendutriste.Elleméritaittellementmieux.
—Heureuxdetevoir,moiaussi,dit-il.Pointfinal.C’étaitlalimitedetoutesleursconversationsdepuislapetiteenfance.La dernière fois qu’il avait vu Lauren, c’était le jour où il avait fait ses bagages pour quitter
l’université.Elleétaitnettementplusgaminealors.Grande,élancée,lescheveuxrabattussursonvisagepourcamouflerseslarmes.Ellen’avaitpasposédequestions,elleavaitjusteeul’airnavréepourlui.
— Je regrette que tu doives partir, avait-elle déclaré, alors qu’ils se croisaient rarement sur lecampus.Cen’estpasjuste.Ilneterestequ’unsemestreàboucler…
Iln’avaitdonnéaucuneexplication.Elleétaitsûrementaucourantduscandale.—Net’inquiètepas,avait-ilrépondu.Cen’estpassigrave.Jereviendraidèsquejetrouveraile
temps.Mensongesquetoutcela…Aprésent,ildevaitvitetrouverunsujetdeconversation,avantqu’ellenesemetteàlebombarder
de questions. Elle avait eu plus d’une année pour en trouver et lui n’avait aucune envie d’évoquer lepassé.
Lebrastoujoursautourdesesépaules,illatournaverssapatronne.—JeteprésenteJubileeHamilton,l’arrière-petite-filleduvieuxLevy.Jel’aideàdonneruncoup
dejeuneàceranch.A sa grande surprise, Jubilee fut parfaite.Elle serra lamain deLauren, déclara qu’elle avait vu
passerlavoituredepatrouillequelquesjoursplustôtetqu’illuitardaitderencontrerleshérif.Elle avait réservé le même accueil à Lillie aussi, tout en douceur et bienveillance. Etait-il par
hasardleseulêtrehumaindestinéàéveillersacolère?Maispeut-êtreétait-celeshommesengénéral.Aprèstout,sespetitsamisl’avaienttousquittéel’unaprèsl’autre,luiavait-elleconfié.Ilavaitbiendumalàlecroire,lorsqu’ilseremémoraitl’effetqueluiavaitfaitlecontactdesapeau…
Ilfituneffortpourseconcentrersurleprésent.—Quelbonventt’amèneparici,Lauren?demanda-t-il,notantducoindel’œillescontorsionsde
cette grande tige de Thatcher Jones pour s’extirper de la voiture. Tu emmènes peut-être ce garçonrécupérersonpick-up?Jel’aiaperçu,garéunpeuplusloinsurlebas-côtédelaroute.
—Enquelquesorte,réponditLaurenenjetantunbrefcoupd’œilpar-dessussonépaule,commesielleavaitoubliélaprésencedeThatcher.Ilm’accompagnedansmamission.
Charley agita lamain, le gamin lui rendit son salut. Ils se croisaient dans le coin, parfois, sansjamaiséchangerunmot,sebornantàsesaluerdeloin.
—Jecherchemonpère,poursuivitLauren,abordantenfinl’objetdesavenue.Despromeneursontdécouvertuncadavredanslecanyonavant-hiersoiretmonpèrem’aditqu’ilserendaitaunordduLoneHeartPass cematin, enquêted’indices. J’ai des documents à lui transmettre, j’ai penséque le défiléseraitlecheminleplusrapidepourarriverjusqu’àlui.
Charley comprit aussitôt le message. Lauren avait besoin de son aide, tout en ne souhaitant paslivrerplusd’informationsquelestrictnécessaire.
—Tupeuxdescendredanslecanyonenpassantderrièrelemusée,maisj’emporteraisdel’eau,sij’étaistoi,luiconseilla-t-il.Letrajetprendraunmoment.Sinon,jepeuxsellerunautrechevalettefairetraverserledéfilé.J’enhébergequelques-unsenpensionici,leurspropriétairesseraientsûrementravisqu’ilsprennentunpeud’exercice.Endescendantparlesentierderandonnée,nousapercevronstoutdesuitetonpères’ilsetrouveencoredanslecanyon.
—Sérieux?Laurensouritmais,commetoujours,ellesemblaitunpeuintimidée.—Jeteseraistrèsreconnaissantedem’accompagner,Charley.Elleluidécochaleregard«tuesvraimentungrandfrèrepourmoi»qu’elleluiréservaitlorsdeses
venuesau ranchCollins.Reidet sonamiTimO’Gradyavaientpourhabitudede l’ignorer pendant lessoiréesetlesfêtes.Charley,lui,finissaittoujourspardiscuteravecellequelquesminutes.
—Pasdesouci,répondit-il,sachantqu’ilferaitdesheuressupplémentairescesoirpourrattraperletempsdetravailperdu.
— Vous pourriez seller deux chevaux, monsieur Collins ? lança Thatcher d’une voix vibranted’excitation.CommeditLauren,jel’accompagnedanssamission…
Charleysetournaverslui.Legarçonavaitlatêtehauteetl’expressiontrèssérieuse.Ilméritaitunerécompense.
—Avecjoie.Uncavalierdeplusesttoujourslebienvenu,répondit-il,lamaintendue.Lecanyonestdélicatànégocier.
—Ravidepouvoirme rendreutile, ditThatcher en lui serrant lamain.Cematindéjà, j’ai aidéLaurendanslebureaudushérif,voussavez.
—Jeviensaussi !annonçasoudainJubilee.Donnez-moi justeuneminutepourenfilermesbottesneuvesetmettrelamainsurcechapeauàcordelette.
—Mais…Charleycherchaenvainunargumentsolidepourladissuaderdevenir.Expliquerquesesoreilles
seraientsoulagéesdeneplusêtrebombardéesdequestionsauraitflirtéavecl’impolitesse.Jubileeleregardabienenface.—Jeviens.Là-dessus,elletournalestalons.Charley ravala un grognement. Son instinct lui soufflait que sa patronne n’avait pas approché un
chevaldepuisdesannées.Ilavaitachetéunejumenttrèsdocileexprèspourelleàlaventeauxenchèresl’autrejour,etellenel’avaitmêmepasencorecaressée.
Quelques minutes plus tard, alors que les autres grimpaient en selle, Jubilee s’approcha de samontureparlemauvaiscôté.
—Parici,chuchota-t-il.—Biensûr.Jelesavais,répliqua-t-elleenpassantdel’autrecôté.
Ellesemblaitsidéterminée.Illuidonnadiscrètementquelquesinstructionstoutenlahissantenselled’unemainfermesouslesfesses.
Elle lefusilladuregard.Avantqu’elleaitpuémettre lemoindrecommentaire, il laissaglisser lamainsursajambeetenfilasabottedansl’étrier.
—Essayezdevousaccrocherauxrênes,Jubilee.Acestade,ellesemblaittropfurieusepourarticulerlemoindremot,cedontilsefélicitaensecret.EnpassantdevantThatcher,ilordonnaàvoixbasse:—Resteprèsdeladameetassure-toiqu’ellenetombepas.—Oui,patron,réponditThatcherenportantlamainàsonfront.Commes’yattendaitCharley,legaminmontaitcommes’ilétaitvenuaumondedirectementsurun
cheval.Sur le trajet long d’un peu plus d’un kilomètre jusqu’au défilé, Lauren et Thatcher encadrèrent
Jubilee pour lui donner des conseils. Cette dernière rebondissait constamment sur sa selle. Charleysongeaquecertainespartiesdesoncorpsseraientaussirougescesoirquesesépaules…
Al’approchedudéfilé,ilattachaunecordeàsoncheval,reliéeaupommeaudesapropreselle.Enunepoignéedeminutes,ilsquittèrentlesoleilmatinalpours’enfoncerdansl’ombreglacialedel’étroitpassage.Lesparoisdepartetd’autrefilaientdroitversleciel.Unrayonlumineuxglissaitsurlaroche,révélantlabeautédecettepierrequirésistaitsilencieusementauxintempériesdepuisplusd’unmilliond’années.
Lamoindreparoleprononcée résonnait sur lesparois, l’échorebondissantdedroiteetdegauchecommeundueldesons.
Chaque foisqueCharley jetaituncoupd’œilderrière lui, Jubileesemblait terrifiée, les jointuresblanchessurlesrênes,lesyeuxécarquillés.Pourtantsondosrestaitbiendroitetaucuneprotestationnesortitdesabouche.
—Vousvousdébrouilleztrèsbien!lança-t-ilàtouthasard.Elleneleregardamêmepas.LavoixpaisibledeLaurens’élevaderrièreeux.—Jemesouviensdelaterreurquim’asaisielapremièrefoisquej’aitraversécedéfilé.Lanuit
était froide,mais je tenais absolument à apercevoir la lunepar l’échancrure.Une légendeprétendqueceluiquiaperçoitlapleineluneentrelesparoisdecedéfiléverrasonvœulepluscherseréaliser…Leproblème,c’estquecesoir-làj’avaistroppeurpourpenseràunvœuquelconque.Etpourtant,monpèrem’accompagnait!
—Moij’auraislatrouillesileshérifétaitlàmaintenant,ajoutaThatcherderrièreelleenriant.J’ail’impressionqu’ilsecreusetoutletempslatêtepourtrouveruntrucdeplusàmereprocher!
Charleyéclataderire.Luiaussi,adolescent,avaitlamêmesensationfaceàDanBrigman.Depuisson retourde l’université toutefois, ils s’étaientbizarrement liésd’amitié, tous lesdeux.Dan lui avaitmêmedemandéuncoupdemainàl’occasion,pourparticiperàunbarrageroutier,ramasserlesivrognesaprèsunefêtetroparrosée,etmêmeunefoisréglerlacirculationauxfunéraillesd’untrèsvieilO’Grady.Ce jour-là, ils avaient eu dix berlines familiales à garer. Charley n’avait pas l’intention de devenirl’adjointdushérif,maisêtresonamineledérangeaitpas.
Aprèsuntempsdesilence,Jubileechuchota:—Onal’impressiond’avancerparmidesfantômesici.Commesicen’étaitpascheznous.Comme
sic’étaitunpassageréservéauxdieux…—Faites-moiconfiance,répondit-ilsurlemêmeton.Siquelqu’unsetrouvaiticiavecnous,humain
ou fantôme,nous le saurions. Il paraît que leshors-la-loi utilisaient cedéfilé pourdisparaîtredans lecanyon.
—Cetendroitseraitunecachetteparfaitepourlesserpents,ajoutaThatcher,cequinecontribuapasà alléger la tension. S’il faisait plus chaud, on tomberait sur un nid entier de bestioles profondément
endormies.Commepersonnenefaisaitdecommentaires,ilreprit,lancé:—Voussavez,lesjeunespeuventêtreaussimortelsquelesgros!J’aivuuncrotaledemoinsde
trentecentimètrestuerunchiot,unjour.Ill’avaitmordusurlemuseau.Là-dessus,ilsemitàsiffloter.Toutlemonderespirapluslibrementendébouchantenfindel’autrecôté.Lepetitcanyon,profond
d’unepetitecentainedemètresseulementàcetendroit,offraitauxregardssesparoisabruptessillonnéesdecouleurs,ourléesàleurpieddestoutespremièresfleurssauvagesdel’année.
Lauren et Thatcher passèrent devant pour descendre vers le fond du canyon et suivre l’étroitruisseau.Delà,illeursuffiraitdeleverlesyeuxpourrepérerleshérif.
Charleyretintsamonturejusqu’àépouserl’alluredeJubilee.—Vous avez parfaitement négocié le passage, dit-il pour l’encourager.Ne vous souciez pas des
serpents,jen’enaijamaisvuunseul,danscedéfilé.—Merci.Jen’étaispasinquiètepourlesserpents.Nipourlesvœux,dureste,dit-elle,leslèvres
encoreblanchessurlesbordstrahissantsonmensonge.Ilyajusteunechosequejedoisvousdireavantd’allerplusloin.Neposezplusjamaisvosmainssurmoi.Plusjamais.Jepeuxmedébrouillerseule.
—Commevous voudrez, rétorqua-t-il entre ses dents en poussant son cheval, sans un regard enarrièrepours’assurerqu’ellesuivait.
Toutcequ’ilavaitfait,c’étaitl’aideràmonter!Etellel’accusaitàdemi-motdel’avoiragressée!Avecsachance,ilseretrouveraitaveclesmenottesunefoisdevantleshérif.
Quelquesminutesplustard,Laurenleurcriaquesonpèreétaitenvue.LeshérifBrigmansedirigeaversellesurungrandchevalbaiqueCharleyidentifiaaussitôtcomme
faisantpartieducheptelKirkland.Laurenluitendituneenveloppe.Leshérifluifitsigned’avanceravecThatcherlelongduruisseau,
sans doute pour rechercher un objet ou un détail qui leur semblerait incongru dans ce canyon. Puis ilattaqualesentiersurlequelCharleys’étaitarrêtéàmi-pente,sachantqu’ilvalaitmieuxresterprochedeJubileequandbienmêmeellelesouhaitaitleplusloinpossibled’elle.
Jetantunregardpar-dessussonépaule,illavitchoisiravecprécautionsonchemindansladescente.Leshérifarrivarapidement,etCharleyfutheureuxdesaisircetteoccasiondel’interrogersanstémoins.
—Bonjour,shérif.Brigmanportalamainàsonchapeaupourlesaluer.—Mercid’avoiraccompagnéLauren.Laconnaissant,ellevousasûrementexpliquélasituation.—Oui,maisellesemblaitignorercommentletypeestmort.Decausesnaturelles,oubien…?Brigmansefrappalacuisseavecledossier.—D’après le coroner, il avait autour de soixante-dix ans, tous les signes d’une vie difficile, un
paquet de vieilles cicatrices et de tatouages. Aucun soin dentaire et une consommation probable dedroguesdures,àuneépoque.
IlregardaCharleydroitdanslesyeuxetajouta:—Mais ilyavait forcémentquelqu’unavec lui.Quelqu’unqui l’aemballédans la toilede jute.
Peut-êtrequecequelqu’unnel’apastué,maisletypen’estpasmorttoutseul.Alorspourquoinel’a-t-onpastoutsimplementconfiéàlapolice?Parcequecettepersonne,quellequ’ellesoit,quiétaitaveclui,aprovoquésamort,intentionnellementounon.
—Uneidéesurlacausedudécès?—Coupportéàlatête.Uncôtéducrâneestdéfoncé.Brigmans’accordauntempsderéflexionavantdepoursuivre:—Leplusétrange,c’estqu’onl’abattuaprèssamort,d’aprèslecoroner.Ilportedeshématomes,
descoupuresetmêmedesentaillesunpeupartout.Unpeudesangadébordésurlesac,maispasautant
quesilecœuravaitcontinuédebattre.Certainescoupuresontdûluiêtreinfligéesaprèsl’emballage.—Celan’aaucunsens…Charleysavaitqu’uncoupdesabotdechevalpouvaitfacilementbriserdesosoudéfonceruncrâne,
maispourquoifourreruncadavredansunsacetlerouerdecoupsensuite?Etpourquoil’abandonnerici,danslecanyon?
Lesdeuxhommesmirentpiedàterre.—Oùa-t-ontrouvélecorps,exactement?Le shérifdésignaune légère saillieàcinquantemètres sur leurgauche, assezétroite,pasplusde
deuxmètresdelargeetautantdeprofondeur.—Ilétaitétendusurledoscommesionl’avaitmisenvitrine.Lesgrossespluiesdel’autresoiront
effacélestracesdepas.M.Norton,quil’adécouvert,sesouvientd’avoirvudesgouttesdesangautour,maistoutaétéemportéparlapluieavantmonarrivée.
Brigmansemitàtournerenrondenréfléchissantàhautevoix.—Lesentieresttropétroitpouruntout-terrain,ilafalluleporterjusqu’ici…—Oul’attirericivivant.Etletuerensuite.Puisrouerdecoupslecadavreetrepartiravantquela
pluiesemetteàtomber.—Possible,marmonnaBrigman.Amoinsqueletypeaitutiliséunchevalpourtransporterlecorps.
Danscecas,ilestpasséparleranchHamilton,puisparledéfilé.Lesautresaccèssonttropàdécouvert,letrajetétaitlong,quelqu’unl’auraitvu.
Charleysecoualatête.—JetravaillepourJubileeHamiltondepuisunesemaine.L’entréedudéfilén’estpasvisibledepuis
lamaison,maisjetravaillaisàl’extérieur.J’auraisentenduquelqu’untraverserleterrainentirantunvan.Acheval,ilapurestersouslecouvertdesarbrespresquejusqu’audéfilé.
Brigmanfronçalessourcils.—Lemalheureuxétaitmortdepuisquelquesheuresàpeine. Il a sûrementétéabandonnédans le
canyon au crépuscule. La plupart des randonneurs sont partis, à cette heure-là.Norton a grandi ici, ilconnaîtlesentier,c’estpourcelaqu’ilalaissésesenfantss’attarderdanslecanyon.
—Alors…Zéroindice,pourlemoment?Charleys’efforçadeseconcentrer.Pourquoiquelqu’uniraittuerunvieillardetlaissersoncorpsici
prèsd’unsentierfréquentéparlesrandonneurs?C’étaitsûrementexprèspourqu’onledécouvre.Peut-êtrecherchait-ilàfairepasserunesortedemessage?
Amoinsqu’iln’aitprévuderevenirenterrer lecorpsaprès lapluie.Acertainsendroits, la terreétaitmeuble.Riendeplus facilequedecreuserune tombe. Ilyavaitaussidesgrottes.Lemalheureuxn’étaitsansdoutepaslepremieràêtreenterrédanslecoin…
Dix ans plus tôt, une classe de sciences venue étudier les rochers avait découvert un squeletteenterréavecdesmenottes,commes’illesportaitauxpoignetsaumomentdesamort.
—Si,unindice,réponditBrigmanentirantunsacplastiquedelapochedesaveste.Quandnousavonsdéplacésoncorps,cecisetrouvaitendessous.
—Unjoint?AvantqueCharleyaitpuendiredavantage,lechevaldeJubileeluifrôlal’épaule.Il se retourna et leva spontanément les bras pour l’aider à descendre,mais sa dernière exigence
—neplusjamaislatouchernil’aider—luitraversal’esprit.Iltapotaleflancdesamontureetbaissalesbras,espérantqueleshérifneremarqueraitpaslafroideurentreluietJubilee.
IlsebornaàtenirlesrênestandisqueJubileeessayaitdelancerunejambepar-dessuslaselleavecunminimumdegrâce.
Maislechevalbougea,etJubilee,quiétaitentraindedescendre,s’effondrasurlui.L’impactdececorpscontrelesienluicoupapresquelarespiration.Ils’obligeaaucalmeavecunsang-froidqu’ilnese
connaissaitpastandisquelefrottementdecescourbesfémininesluirappelaitques’ilavaitfaitunecroixdéfinitivesurlesfemmes,iln’étaitpasimmunisépourautantcontreleurscharmes.
LorsquelesbottesdeJubileeheurtèrentlaroche,lechevals’écartaetCharleyperditlecontactavecelle.Cefutcommeuncoupauplexus.
Jubileeeutleculotdeletoisercommesicecontactaccidentelavaitétéuneconspiration!Commesilechevaletluis’étaiententenduspourprogrammerlarencontre!
Ilouvritlesmainspourluisignifierqu’iln’yétaitpourrien.Aumoinscettefois,siellel’accusaitdequoiquecesoit,leshérifpourraitluiservirdetémoin.
SaufqueBrigmanavaitl’airdésolépourlui,plutôtqueprêtàprendresadéfense.Charleysejuraunefoisdeplusqu’ilsetiendraitàl’écartdesfemmes.Detouteslesfemmes.Même
lesplusfollesavaientledondeluitroublerl’esprit…Que Jubilee reste ou qu’elle parte, il s’enmoquait !La seule chose importante, c’était le travail
qu’elle lui avait offert, et celui-ci devait durer assez longtempspour lui permettre d’engrangerunpeuplusd’économies.
8
LaurenBrigman27février
Unemain en visière sur les yeux,Lauren observait son père, comme enchâssé dans la beauté duRansomCanyon.DanBrigmanétaiticidanssonélément.Grand,lacarrurelarge,enracinédanscesterresparsonstetsonetsesboots.Lavilleentièredépendaitdelui.C’étaitunshériftrèsrespectéetunpèresurlequelellepouvaittoujourscompter.
Mais aujourd’hui, il semblait porter sur ses épaules tous les soucis dumonde.Quelque chose letracassait, au-delà de cette découverte d’un cadavre dans le canyon. Il avait l’air préoccupé, sur sesgardes;unhommeseulguettantl’orageàvenir.
Laurenrepensaà laremarquedeThatchersur le tiroirferméàclé.Etait-ilpossiblequesonpèredissimuleunsecret?Toutesavie,elleavaitluenluiàlivreouvert.S’illuicachaitquelquechose,c’étaitnécessairement dans le cadre d’une enquête policière. Il n’avait jamais eu de secret pour elle.Maisc’étaitpeut-êtretroisfoisrien.Ellel’interrogeraitàl’occasionsurcetiroir,illuidonneraitl’explicationettoutrentreraitdansl’ordre.
CharleyetJubileesetenaientencoreprèsdelajumentdeJubilee.Sonpère,lui,s’étaittournéverslasaillieoùavaitététrouvélecadavreetsemblaitplongédansunabîmederéflexion.
Ellepensaitpourtantensavoirautantqueluisurcetteaffaire,aprèsavoirlulerapportducoroner.Defait,lespiècesdupuzzledéfiaientlalogique,fauted’indicesconcrets.Ellepouvaitpresqueentendresonpèredire:«Rassemblelesdétailsetlesensapparaîtra.»
Thatcherdirigeaitsonchevalverslui.L’animaln’avançantpasassezviteàsongoûtsurlesentierbosselé,ilsautaàterreetgrimpalapenteavecl’agilitéd’unechèvredesmontagnes.
—Shérif ! lança-t-il, l’échode soncri se répercutant sur les flancsducanyon. Je croisque j’aitrouvéunindice!
Laurens’empressaderejoindrelepetitgroupe.Lorsqu’ellearriva,sonpèreétaitentraindedéplieravecmilleprécautionscequiressemblaitàun
prospectuspublicitairepourl’épiceriedelaville.Lepapiersale,incrustédeboue,séjournaitsûrementsous le soleil et les intempériesdepuisplusieurs jours, àen juger sescouleurs ternies.Quelquesmotsétaientgriffonnésdans lecoin,mais l’encreavait tellementcouléque l’ondistinguaitàpeinequelqueslettres.
Thatcherallaitetvenaittelunmétronome,aucombledel’excitation.—C’estunindice,hein?Leshérifglissalepapierdansunsacplastique.
—Possible. Je l’examineraideprèsàmon retouraubureau,maiscen’estpeut-êtrequ’unvieuxpapieroubliéparunpromeneur.
—Jesais.Ilfautfouillerbeaucoupdeterriersavantdetrouverlelapindusouper!Lauren éclata de rire. Par moments, Thatcher, en dépit de son jeune âge, semblait avoir vécu
plusieurssièclesavantelle.Enquittantlecanyon,ellel’emmenajusqu’àsonvieuxpick-upetattenditqu’ilaitlancélemoteur
avecsuccèspourretournerenville.Iln’avaitcessédebavasser toute la journée.Ils’imaginaitsûrementqu’elleétaitassezprochede
sonâgepourqu’ilsdeviennent copains.Elle se souvenait àpeinede sonadolescence,mais elle avaitenviedelemettreengardecontrelesannéesàvenir,lesplusdouloureuses.DanteauraitajoutéunétageàsonEnfer s’il avait connu les années lycée aumoment de composer son poème ! Elle imaginaitmalThatchersecoulantdansunmoule,trouvantsaplaceparmilespetitsgroupesquiseformaientaulycée.Des bandes plus ou moins recommandables, certes, mais de là à ce qu’il tombe sur une bande dechasseursdeserpentsauxcheveuxsales…
Elledécidade retournerdans lesbureauxducomté travaillerunpeu,dans l’espoirque sonpèretrouveraitletempsd’yfaireunsaut.Maisilétaittropoccupé,sansdoute.Quoideplusnormal?Sursonterritoire, dont il avait la responsabilité, un vieil homme avait été abandonné, assassiné peut-être, etdisposéensuiteenévidence…Ilneprendraitpasdereposavantd’avoirtrouvélefinmotdel’histoire.
Vers19heures,ellefermalaportedubureauàcléetrentraseulechezelle.Alorsqu’ellesuivaitlapentedoucemenantaulac,ellesouritenpensantàcettepetitecommunautéautourdulactoutprochedeCrossroadsquisemblaittoujoursluiréserverunaccueilchaleureux.Larouteenlacet,lesrefletssurlasurfacedulacaucoucherdusoleil.Touticiluichuchotait:«Bienvenuecheztoi.»
Touslesjeunesdesonâgerêvaientdepartir.Paselle.Sonintuitionluisoufflaitqu’ellereviendraitvivreiciaprèssesétudes.Seulproblème,pouryfairequoi?
L’imagedeLucasReyesluitraversasubitementl’esprit.Lecoupdecœurdesesquinzeans…Sixannéesplustard,Lucass’invitaitencoredanssespensées,sesrêves.Lorsdeleursrencontresfortuitesàla Texas Tech, il n’avait pourtant abordé qu’un seul sujet : ses ambitions professionnelles à lui. Ildéploierait ses ailes dans une grande ville ou une autre. Il deviendrait avocat. Il porterait de beauxcostumes.Ilseraitricheavanttrenteans.
—Raisondepluspourqueçanemarchepas,nousdeux,marmonnaLaurenensegarantdevantchezelle.Tuastesrêves,jen’arrivepasàtrouverlesmiens!
Etpourtant…Sihautquesoitlemurqu’ilédifiaitentreeux,cesserait-ellejamaisdepenseràlui?Aprèslegrand,
lebrillant,leséduisantLucas,quisedébrouillaitpourallerauboutdesesrêvessansjamaiss’interrogersurceuxqu’ellepouvaitnourrirdesoncôté…Ilsavaientévoquéunavenirpossibleàdeux,maislelienentreeuxs’effilochait,annéeaprèsannée…
S’ilsétaientdestinésàvivreensemble,neseseraient-ilspasménagéplusdetempsentêteàtête,àdiscuter,partagerleursenvies,fairedesprojetsdecouple?
Elleouvrituneboîtedesoupeetenmangealamoitiétoutenzappantd’unechaîneàl’autre.Là-bas,àl’université,ellen’avaitpasletempsderegarderlatélévision,ilyavaittoujoursautrechoseàfaire.
Elle s’assoupit assez vite, recroquevillée sous sa couverture douillette préférée. Le vieillardenveloppédanssonsacdejutelavisitadanssonsommeil.Ellenel’avaitvuqu’enphoto,pourtant…
Etrangement, lemort se confondit avec le souvenir du soir où elle s’était trouvéepiégéedans laMaisonsgitane,unevieillebâtissedélabréequis’effondraitautourd’elle.Elleavaitl’âgedeThatcheraumomentdel’accident,maiscettenuitfatidiquelahantaitencore.
Jamais ellen’oublierait cesmomentsdepanique, et la poussièrequi remplissait sespoumons, siépaissequ’ellepouvaitàpeinecrieralorsquelesols’éboulaitsoussespieds.Danslamêmeseconde,
elleavaitvuReidCollinssauterparlafenêtre,entendulecorpsdeTimO’Gradys’écraseràl’étageau-dessousetsentilamaindeLucasserefermersursonpoignet.Elleétaitrestéeuninstantsuspenduedansle vide puis, lentement, Lucas l’avait hissée jusqu’à la saillie en bois de quelques centimètres surlaquelleilsetenaittantbienquemalenéquilibre.
Cegarçonqu’elle connaissait àpeine à l’époque l’avait étroitement serrée contre lui.Leursviess’étaiententrelacées,cesoir-là.Asesyeuxtoutaumoins.Ilsétaientdevenusamis.Dansl’horreurd’unenuit,unlienindéfectibles’étaittisséentreeux.ParcequeLucasReyesluiavaitniplusnimoinssauvélavie.Etquandbienmêmeleurscheminss’étaientséparésàl’université,ellesavaitqu’ellerembourseraitunjourcettedettedesangqu’elleavaitenverslui.Ellelesauveraitàsontour,d’unemanièreoud’uneautre…
Lorsqu’elle se réveilla en sursaut, elle comprit qu’il s’écoulerait des heures avant que reviennel’envie de dormir. Elle sortit alors sur la terrasse face au lac pour tenter de dissiper le sentimentd’impuissancequeluiavaitlaissésonrêve.Avingtetunans,endernièreannéed’étudesuniversitaires,elle se sentait encore vaciller sur cinq centimètres de bois pourri, comme à quinze ans. A ceci prèsqu’elle n’avait plus personne pour la tenir. Personne pour lui indiquer de quel côté sauter. Sa mèrel’incitaitàpréparerundiplômedecommerce,sonpèreespéraitqu’ellechoisiraitledroit…
Lucas,lui,sauraitlaconseiller,siellepouvaitendiscuteraveclui.Ilavaitdeuxansdeplusqu’elleetunematuritéd’esprit évidente.Seulement, il avaitdéjàquitté l’université.Elleneconnaissaitmêmepas son adresse actuelle. Non qu’elle l’ait croisé souvent au lycée ou à la fac. Lucas Reyes étaitperpétuellementpressé.Mêmeautéléphoneilavaitàpeineletempsd’échangerquelquesmotsavecelle.
Elle suivit à pas lents le rivage hérissé de roches. Le lac en hiver affichait toujours une alluredésolée.Mêmeaprèslespluiesdecemois,leniveaudel’eaurestaitobstinémentbas.
—Lauren,chuchotaunevoix.Elle se retourna et distingua une silhouette solitaire sous une veste à capuche, appuyée sur une
canne.Lalumièredéclinantenel’empêchapasdereconnaîtreaussitôtsonmeilleurami.TimO’Gradyse
laissait pousser la barbe depuis Noël, et elle ne pouvait s’empêcher de lui trouver un petit aird’Hemingway. D’un jeune Hemingway. Ce n’était peut-être pas si éloigné de la vérité. Tim lui avaitconfiéqu’ilterminaitsondeuxièmeroman,toutensegardantbiendeluimontrersesmanuscrits.
Lorsqu’ellel’avaitinterrogésurlesujetduroman,ilavaitsimplementrépondu:«Lavie.»Il s’avançavers elle sur le sol inégal en s’équilibrant avec sa canne.Elle l’attendit sansbouger.
CommetoujoursfaceàTim,unepartied’elle-mêmevoyaitlerouquindesixansunpeugauchequitentaitdeluiremonterlemoraldanslacourdel’école.Elleavaitcinqansetvenaitd’emménagerauborddulacavecsonpère…
—Quefaitunefillecommetoidansunendroitpareil?Savoixsefondaitdansleventquiluichatouillaitlagorge.Ellepouffa.—Unpeuusée,cetterépliquedegrandséducteur,non?Pasétonnantquetusoisseulcesoir,Tim.Impossibledesavoirs’ilsouriait.—J’aientendudirequetuétaisrentréeceweek-end,dit-ild’unevoixétrangementsourde,comme
s’ilneparlaitàpersonnedepuisdesjours.LaTexasTech,cen’estpasdrôlesansmoi,n’est-cepas?Elleenconvintsansdifficulté.—C’estvrai.Depuisquetuasdécrochétondiplôme,cen’estpluspareil.Siturevenaist’inscrire
endoctorat?Tespouletsfritsbonmarchémemanquent.Ilsecoualatête.—Jesuistropoccupé.Elleeutenviedel’interrogersursonécriture,maisTimn’enparlaitjamais.Pire,iltournaittoujours
lesujetendérision.
Elleluitenditlamain,etilss’avancèrentjusqu’aurivage.—Tuviens ici tous lessoirs?demanda-t-elle,captantdeseffluvesdewhiskydans lesoufflede
Tim.—Presque. J’ai dumal àdormir.Les risquesdumétier d’écrivain, à cequ’il paraît, répondit-il
avecunpetitrirenerveux.Raconte-moicequisepasseàlaTexasTech.Cetteruchememanque!—Riendutout.—Ettacolocataire,Polly,commentva-t-elle?—Ellesortavecunélèveingénieur,cequinel’empêchepasdemedemanderdetesnouvellesà
chacundemesretoursdeCrossroads.Timhaussalesépaules.—Nousn’étionspasfaitsl’unpourl’autre,Lauren.C’étaitunpland’unsoirquis’estprolongésans
raisonparticulièrequelquessemaines,voilàtout.Elle hocha la tête. Tim prenait si peu de choses au sérieux. Il était du genre à collectionner les
premiersrendez-vousetàn’atteindrequerarementledeuxième.Ce soir, avec la lune flottant à la surface du lac, elle avait la sensation de danser autour d’une
conversationplutôtquedediscutervraimentaveclui.—Qu’est-cequisepasse,Tim?Qu’est-cequinevapas?Illâchasamainetlafixacommesielleétaitnonpassameilleureamie,maisunsimpleélémentdu
décor.—Dis-moi,insista-t-elletoutbas.—Jetravaillesurunnouveaulivre.Lorsquej’aiemménagéiciauborddulac,aprèsledépartde
mesparentspourlaFranceoùilsprojettentd’assouvirleurpassionpourlapeinture,jepensaisquecettemaison seraitmon refuge,ma retraite d’écrivain. Seulement, ces derniers temps, l’histoire que j’écrism’emporte.Jen’arrivepasàm’endéfaire.C’estcommesileromanétaitdevenularéalitéetmavie,lafiction.
Ellecueillitsonvisageencoupeentresesmains.—Tim,est-cequetuasbu?—Toujours ! Au début, c’était pourm’extraire du réel unmoment et laisser libre cours àmon
imagination.Désormaisc’estlecontraire.Jevisdanslelivreetj’oublieparfoisderespirerdanslavraievie.
Acesmots,unebrusquesensationdefroidenvahitLauren,sansqu’ellesachesicelavenaitdulacoudesoncœur.ElleenroulatendrementlesbrasautourdeTimetl’étreignit.Sondiscoursn’avaitaucunsens,maisilavaitdesennuis,c’étaitévident.
Elleleserralonguementcontreelle,songeantàleursbaignadesd’enfantsdanslelac,maisaussiàlapatienceaveclaquelleilluiavaitfaitvisiterlafaclorsqu’elleyétaitentrée,uneannéeaprèslui.Elleseremémoraleslonguesdiscussionsqu’ilsavaienteueslesoir,assissurunrocheràmi-cheminentreleursdeuxmaisonsd’enfance…
Sansunmot,elleglissalamaindanslasienneetl’entraînachezelle.Ilfinissaitlasoupequ’elleavaitgardéepourledînerdesonpèrelorsquecedernierarriva.—Bonjour,shérif,ditTim,lâchantsacuilleravecbruitdanslebolvide.Voilàunmomentqu’onne
s’étaitpasvus!DanBrigmansedélestadesonarmedeservice,qu’ilallarangeravecsoindanslecoffre-fortde
l’entrée.—Bonjour,Tim.Ilparaîtquetuécrisunpolar,cettefois?NiTimniLaurennes’étonnèrentqu’ilsoitaucourant.Ilsuffisaitd’uneconfidenceàunepersonne
enville,uneseule,pourquelebruitserépandecommeunetraînéedepoudre.BienvenueàCrossroads!Unevilletroppetitepourquelessecretsrésistentlongtemps.
—C’estvrai,réponditTim.Maisl’intriguemeposedesproblèmes.Ilnesepassejamaisrien,danscetterégion!
Laurentenditàsonpèreunetassedecafé.—Désolée,papa,chuchota-t-elle.Tondîners’estenvolé.IlhochalatêteetsetournaversTim.—J’aijustementunmystèrepourtoiàrésoudre.Acettenouvelle,lecorpstoutentierdeTimparutrevenirsoudainàlavie.Commesicettephrase
venaitd’activerlatouche«çam’intéresse»desoncerveau.Une heure durant, le père de Lauren raconta en détail à un Tim fasciné l’histoire du cadavre
découvertdanslecanyon.— Le plus étrange, c’est que le corps soit si difficile à identifier, conclut-il. Soixante-dix ans,
tatoué,toxicomane…Pasdecasier…Pasdepermisdeconduirenonplus…—D’autresdétails?suppliaTim.—Taillemoyenne,corpulencemince.Derarescheveuxblancsetsales.Deuxcœurstatouéssurun
bras,avec lesnomsà l’intérieurnoircisà lava-vite.Unautre tatouagesurunpoignet,àmoitiéeffacé,disant:«Livre-toiauvide».Unjointretrouvéprèsducorps.Uneidéeàtirerdetoutça,Tim?
—Biensûr!Timsepenchaenavantsursachaiseet,trèssérieux,expliqua:—Deuxcœursbrisés,dessouvenirsdétestésaupointd’êtreeffacésrageusement…Parailleurs,les
hommes mariés de cet âge tendent à épaissir à force de manger de bons petits plats. Il était donccélibataireaumomentdesamort.Quantàl’inscriptionsursonpoignet…Jepenchepourunpionnierdel’espace,astronauteoupilote.
Ilsetutuninstantetreprit:—Vous êtes en train de penser qu’il est improbable qu’un gang de dealers enrôle un type aussi
vieux, fasse le trajet jusqu’àCrossroads, s’engage sur une route périlleuse vers le canyon, l’oblige àdescendredanslenoir,letueetrouelecadavredecoupsavantdel’exposerbienenvue…N’est-cepas,shérif?
—Juste.Cescénarioexpliqueraittout,maisdesdealersnesedonneraientjamaisautantdemal.Ilsseborneraientàl’enterrerouàlebalancerdansunedécharge.
—Donc,sicenesontpasdesdealersquil’ontassassiné,quid’autre?Tout en parlant, Tim prenait des notes sur le dos d’une enveloppe récupérée dans la corbeille à
papier.—Aucuneidée.S’ilavaitvécudanslecoin,lesgensleconnaîtraient,quelqu’unauraitsignalésa
disparition.Timsecoualatête.—Ilvivaitseul.Ilcultivaitpeut-êtremêmesoncannabischezlui.CertainscoinsdesFaillessont
habités par des gens qui souhaitent se rendre invisibles. Je les ai vus à la foire, vendre leur propreproductionpourpouvoirs’achetercelledesautres.Ensuiteilsregagnentleurpetitecabaneouleurvieuxmobilehome.
Laurensentaitunemigrainepointer.—S’il vivait seul aumilieudenulle part, qui donc l’a tué ? demanda-t-elle.Qui s’est donné la
peinedel’attirerdanslecanyon,delefourrerdansunsacaprèssamort?Tim se leva et semit à faire les cent pas, exactement comme son shérif de père, qui ne pouvait
réfléchirouchapitrersonentouragequ’enmouvement,songea-t-elle,amusée.— Il est d’ici. C’est obligé ! s’exclama Tim, se tournant vers elle comme pour lui ordonner de
prendredesnotes.Maisnousnecherchonspasseulementunhomme,shérif.Nousencherchonsaumoinsdeux!Celuiquiestmortetceluiquil’aemballé!
—Nous,Tim?Depuisquandsommes-nousdeuxenquêteurssurlecoup?—Prenez-moi commeadjoint, shérif. Jepeuxvous aider. Jeviensdepasseruneannéeentière à
menerdesrecherches.J’ailutouslesromanspoliciersdisponibles.Jecommenceàrésoudredesénigmesendormant!
—Oubliecetteidéesaugrenue.—Jepeuxmeplongerdouzeheurespar jourdans lesdossierset lesarchivesducomté. Jepeux
sillonnerlesroutessecondairesetallerdiscuteraveclesgensdesFailles,ilssereconnaîtrontenmoi.Jemelaisseraipousserlabarbe,jemedessineraiuntatouageoudeux.Jeferaimêmeletourdestatoueurssurdescentainesdekilomètresàlaronde.Jen’airiend’autreàfaire.
Laurencroisaleregarddesonpère,quiseretournaversTim.—D’accord.Unposted’assistantdanslesbureauxducomtéestvacant.Ilestàtoipourunmois,
Tim,maistuneseraspasunadjoint,etnevasurtoutpast’imaginerquetuporterasunearmeouquetut’immisceras dans les affaires de la police. Tu te contenteras de participer aux recherches. J’ai lesentimentquel’ondevracreuseruncertaintempspourrésoudrececas.
—Jeseraiaubureaudemaindèsl’aube!s’écriaTim,lamainsurlecœurcommes’ildéposaitsousserment.
Laurenvitsonpèreretenirunsourire.—J’arriveraià8heures.Essaiedoncdedormirunpeu,Tim,etrasecettebarbe.Crois-moi,elle
n’inspirepasvraimentconfiance,etsiellepousseencoreunpeu,lesgensvontsedemandersitun’aspasdespuces.
Timacquiesçaenesquissantunsalutmilitaire.—Tu es sûr que c’est ce que tu veux ? lui demanda Lauren en le raccompagnant jusque sur la
terrasse.—C’estcedontj’aibesoin.Laréalité.Merci,Lauren,murmura-t-ilenl’attirantcontrelui.Sanshésitation, il sepenchaverselleet l’embrassasur les lèvres.Ense redressantpeuaprès, il
haussalesépaules.—Pas sidésagréable,L.Nousdevrions recommencer, à l’occasion. Je tepréviendrai leplus tôt
possiblelaprochainefois,pourquetupuissesréagir.Laurenlepoussaavecvigueur.—J’y songerai quand tu auras sauvé tapeau,TimO’Grady !Monami est portédisparupour le
moment,ilmemanque!Ellesefrottaleslèvres.—Papaaraison,rase-toi.Etoublielesbaisers,d’icilà!—Jeprends cela commeunepromesse, répliquaTimavecunclind’œil avantdedescendre les
marchesdelaterrasseendeuxbonds.Jetetiendraiinforméedesprogrèsdel’enquête.Maisseulementceuxaccessiblesaugrandpublic,biensûr.
Laurenlevalesyeuxauciel,maisilfaisaittropsombrepourqueTims’enrendecompte.Sonpèreaurait-ilcrééunmonstre?sedemanda-t-elle.Avecl’imaginationdeTim,difficiledeprévoirladirectionqueprendraitl’enquête!
Enretournantdanslamaison,elletrouvasonpèreattablédevantunsandwichgarnidetomatesetdefromage.
—Pourquoiluiavoirdonnéceposte,papa?—Cegaminabesoinderepères,marmonna-t-il,labouchepleine.—Cen’estpasungamin.C’estunhomme!—Oui,maisilnelesaitpasencore.Ilignorequiilest.Teniruncap,mêmesicen’estpastoutà
faitlebon,l’aideraàsetrouver.Laurenéclataderire.
—Depuisquandes-tuaussifuté?Ilsourit.— Depuis que ta mère m’a quitté, je crois. Avant cela, j’étais un imbécile. Demande-lui, elle
confirmera.
9
Charley3mars
Les courses aumagasin d’alimentation pour animaux prirentmoins de temps que prévu. Charleyhésita.Aujourd’hui,c’étaitsontourd’allerchercherLillieàl’école.S’ilretournaittoutdesuiteauranchdéchargerlessacsdegrains,ilauraitjusteletempsderevenirenvillepourlasortiedesclasses.Aussidécida-t-il de rester plutôt en ville et d’aller prendre un café aux Ombres du Soir. Chacun en villeconnaissait la règleenvigueurdanscette résidencepour retraitésde l’enseignement :«Porteouverte,cafétoujoursprêt.»Lesprofesseursaccueillaientleursanciensélèvesenamis.
Deuxsemainesàpeinequ’iltravaillaitauLoneHeart,etleslieuxavaientdéjàchangéàuneallureétonnante. Les journées étaient longues et pénibles, mais il aimait constater les progrès. Ses jobstemporairessurlesautresranchsneluiendonnaientpasl’occasion,d’habitude.Ildevaitaussiadmettreque l’air frais et le silence lui faisaient du bien… lorsque Jubilee n’était pas dans ses pattes à lebombarderdequestions.
Safamilles’étaitétabliedanscetterégionduTexascentcinquanteansplustôt.LesolsablonneuxetlesgrandsespacescoulaientdanslesangdesCollins,etgérerunranch,quandbienmêmecen’étaitpaslesien,lerendaitfier.IlaidaitJubileeHamilton,biensûr,maisilcontribuaitavanttoutàdévelopperleranchetcelacomptait.Laterrecomptait.
Ilavaitengagéplusieurshommespourentretenir lesclôturesavec lui,cesderniers jours. IlavaitdoncàpeinecroiséJubilee.Depuisquesapatronnes’étaitsentieobligéedeluiordonnerdenepluslatoucher,leurspetitsdéjeunerssedéroulaientdansuneambianceglaciale.Soit!Travailler,serépétait-il,riend’autre.Iln’avaitaucuneenviedes’impliquerdansunerelation.
Unjour,ilposséderaitsonpropreterrain.Aveclesalairequ’ilavaitdécroché—ledoubledecequ’ilgagnaitd’habitudeavecsespetitsboulots!—et le logementgratuitassocié,cerêvenesemblaitplus hors de sa portée. Depuis son retour à Crossroads, il avait décidé de travailler cinq jours parsemainepourpayersesfactures,maisilmettaitscrupuleusementdecôtél’argentqueluirapportaitsonpostedebarmanlesamedioulessoirsdesemaineenvuedel’achatdesonpropreranch.
Les heures supplémentaires qu’il effectuait actuellement lui semblaient moins lourdes lorsqu’ilsongeait à cepetitpéculequi augmentait lentement.C’était le seul rêvequ’il s’autorisait, cesdernierstemps.
L’écurie avait désormais le stock de foin nécessaire, et il s’était organisé pour héberger quatrechevauxdeplus.Lesgensquihabitaientàlalisièredelavilleseplaisaientàposséderunchevaloudeuxpourleursenfants,maisdèsqu’ilavaitbesoindesoinsspécifiques,médicauxenparticulier,l’animalde
compagnie devenait subitement très encombrant. Le vétérinaire l’avait recommandé dans la région etCharleyespéraitquecepetitextraferaitgagnerquelquesmoisàJubileepourrentabiliserleLoneHeartRanch.
Ilsegarajustesouslapancarteindiquantl’entréedesOmbresduSoir.Larésidenceétaitàl’origineunmotel, leCanyonViewCabins.Lespetitschaletsavaientété transforméspar la suiteenbungalowsdeuxpièces.Chacundesdouze résidentsdisposait de saproprepetitegalerie,mais laplupart avaientpourhabitudedepasserl’après-mididanslesalondubâtimentdelaréception,pourbavarderoufairelasiesteausoleil.
L’anciennoml’avaittoujoursintriguécarlemoteln’offraitaucunpanoramasurlecanyon,loindelà.Leschaletsavaientétéconstruitsenpleincentre-villeetdonnaientsurlarouteprincipale traversantCrossroads.Toutefois,nil’absencedevuenilacirculationnesemblaientdérangerlesretraités.
L’endroitavaitbienchangéparrapportàcequ’ilétaitàl’époqueoùilallaitaulycée.Cela,grâceaugérant,YancyGray, qui avait retapé lesminuscules bungalows et en avait construit quatre de plus.Sanscompterlaréception,dontilavaitfaitunesalled’accueilagréableetchaleureuse.
Ayant souvent travaillécomme livreurà l’épicerie l’annéeprécédente,Charleyavait étéamenéàlierconnaissanceaveclaplupartdesprofesseurs.Jusqu’àporteravecd’autreslecercueildeM.Hall,letrès respectéproviseur,quiavaitsouhaitéêtreaccompagnédanssonderniervoyageexclusivementpard’anciensélèves.
La maison de M. Hall aux Ombres du Soir avait été rachetée par M. Browning, un professeurd’agronomietoutjusteretraitéquiavaitpréféréresteravecsesamisplutôtquedelogerchezsafilleàAmarillo,àquelquesheuresàpeinedeCrossroads.Aprèsavoirenseignési longtemps tousensemble,peut-être ces gens se sentaient-ils l’âme de vétérans d’une guerre que les civils ne pouvaientcomprendre…
Contrairementàd’autresendroitsde laville,Charley recevait toujoursunaccueilchaleureuxauxOmbresduSoir.Lorsqu’ilpénétradanslesalonensoleillé,CapFullerse levapourluiserrer lamain,qu’ilnelâchapasavantdel’avoirentraînéversunechaisevideàcôtédeM.Browning.
Charleylesconnaissaitbientouslesdeux,ilgardaitunexcellentsouvenirdeleurscours.Avantqueleshommesentamentuneconversation,MmeOllieseprécipitapourluioffrirunetasse
de café.Commeelle sepenchait à sonoreille,Charley sedit que cette femmeavait senti la tarte auxpommestoutesavie.
—Bonjour,CharleyCollins,chuchota-t-elle.Desennuisaveclesfilles,cesdernierstemps?—Non,madame.J’aidéfinitivementrenoncéàlesfréquenter.Il eut la sensation d’avoir de nouveau quinze ans, comme cet après-midi oùMme Ollie l’avait
surprisentraind’embrasserunepom-pomgirl.Elleluiavaitalorsdébitéundiscoursmémorablesurlamanièredont le corpsd’un jeunehommepouvaitprendre lemauvaischeminen refusantd’écouter soncerveau.
Aveclerecul,ilregrettaitdenepasavoirprisdesnotes,cejour-là!MmeOllieseredressa.—Jesuisheureusedel’apprendre.Ungarçonséduisantcommetoidoitsemontrerprudent.Méfie-
toidesfilles!—Trèsjuste!renchéritCapFullerensouriant.Moi-même,j’aibienconnuceproblème.Toutel’assembléeéclataderire.Capétaitpetit,âgé,chauveetpresqueédenté…MmeOllies’étantéloignée,Charleysemitàposerdesquestions.Ilavaitbesoindeconseils,etces
anciensprofesseursformaientunvéritablegrouped’experts.Enmoinsdevingtminutes,ilsavaientnonseulement réponduà toutes ses interrogations sur la taille idéaledu terrainà ensemencer, lameilleuremanièred’agrandirl’écurieetl’emplacementàchoisirpourunnouveaupuits,maisaussiproposéleursservicespoursuperviserlestravaux.
Ilquittalarésidencegonfléàbloc,presquesûrdepouvoirmeneràbienlesprojetsdeJubileesansêtrecontraintdevendrelegravierdelapenteest—ventequiauraitassuréunerentréed’argentrapide,maisépuisélesréserves.
Enregagnantsonpick-upilserembrunitenapercevantLexieadosséeaupare-bouedel’ailedroite.Pourunefois,elleluiparutunpeu…flétrie.Ellearboraitunecoiffuremoinsimpeccablequed’habitudeet,souslesoleil,ildistinguadesridesautourdesesyeuxetdesabouchelourdementmaquillés.Leventavaitdûécaillersonvernisdereinedebeauté.D’icipeu,elleneseraitplusquelareinedescomptoirs,oùleslumièressontbassesetleshommesenclinsàreluquerlesfemmesàtraversleurverredewhisky.
—Bonjour,dit-ilenpassantdevantellepourcontournerlecapot.—Attends!Jeveuxtedireunmot.—Jesuispressé.Ilsn’avaientrienencommun,elleetlui,doncrienàsedire.—Justeunequestion,répliqua-t-elle,affectantunemouepourarborerdeslèvrespulpeuses.Ilsesentitprisaupiège.Touslesseniorsétaientsansdouteentraindelesobserver.Impossiblede
l’envoyersurlesroses.—D’accord,unequestion,uneseule,ensuitejevaischerchermafille.Lexielerejoignitcôtéconducteur.—Jet’aidéjàparlédelavieillemaisonquem’alaisséematanteàCrossroads?Iln’enavaitaucunsouvenirets’enmoquaitéperdument.Lexieétaitplusâgéequelui,ilnel’avait
pas côtoyée à l’école et la connaissait très peu. Il savait seulement, comme tout lemonde ici, qu’elleavaitétéreinedubalaulycéeetqu’elleavaitconcouruàl’électiondeMissTexas.
—Quelleesttaquestion?lança-t-ilunpeuplussèchementqu’ilnel’auraitvoulu.Elleluijetaunregardcourroucéquil’enlaiditunpeuplus.—Ehbien,monex-mariveutque je transformecettemaisonenungenredepied-à-terrepour le
week-end.J’aipenséàtoipourprendreenchargelestravaux.Jeferaidesallers-retours,maisj’aibesoindequelqu’unquisuperviselesrénovations.
Charleyouvritsaportièreavantdeseretourner…pourseretrouvernezànezavecLexiecolléeàluicommesonombre.
—Pasintéressé,maisjeteremerciedetaproposition.Unemainsurlaportière,l’autresurlevolant,ilétaitcoincé.Lexieposasesdoigtsmanucurésàla
perfectionsursonbrasetsepenchaenavant.—Passelà-basquandtuvoudras,Charley.Je teferaivisiter. Ilyahuitchambresàcoucher très,
trèsvides.Tuchangeraspeut-êtred’avis.Sijenetrouvepersonnedanslesjoursquiviennent,jemettrailapropriétéenvente.
Elle inspira vivement et son chemisier effleura le torse deCharley qui demeura pétrifié, commehypnotiséparlasonnetted’uncrotale.
Le serpent attaqua sans prévenir. Lexie pressa la bouche contre la sienne puis, tout aussisoudainement,reculad’unpasetpartitd’ungrandrire.
—Nousfinironscettediscussionplustard,cow-boy.J’obtienstoujourscequejeveux,àlafindesfins!
Charley s’installa au volant et claqua la portière. S’il ne disparaissait pas vite fait,MmeOlliesurgiraitdevantlepick-uppourluiassenerdenouvellesremontrancesbiensenties.
Unpied-à-terrepourleweek-end,vraiment?Cen’étaitsûrementpastoutàfaitcequeLexieavaiten tête en lui proposant de la retrouver là-bas… L’idée de l’avoir elle pour patronne l’amena àreconsidérer sa relationavecJubilee,qui semblaitunange,encomparaison !Etqu’importeaprès toutqu’elle refuse tout contact physique avec lui. Même sa compagnie permanente ne paraissait pas sidésagréable,auregarddecelledeLexie!
LetempsqueLilliesortedesaclasse,ilavaitdéjànotédixsujetsdeconversationàaborderavecJubileelelendemain.NepluspenseràLexie,surtout,niàcebaiser.Non,merci!Tout,chezcettefemme,l’angoissait.Mêmesafaçondel’appeler«cow-boy»,commes’ilétaitunétalonqu’elleinspectaitavantachat!
Tandisquesafilleluiracontaitsajournée,ilsepromitdefairederéelseffortspours’entendreavecsapatronne.JubileeHamiltonétaitpeut-êtredugenrefantasqueetsusceptible,maisaumoins,ellen’étaitpasunparia. Ilpouvait travailleravecelle.Voire luipardonnersa réactiondisproportionnée lorsqu’ill’avaittouchée.Quisait,peut-êtreavait-elleconnuunperversdugenredeLexie,quilamanipulaitàtoutboutdechamp?
Jubileeetluipartageaientunobjectifcommun:fairerevivreleLoneHeartRanch.Ellepayaitbien,elleétaitgentilleavecLillieets’abstenaitdeposerdesquestionsindiscrètes.Quantàlui,toutcequ’ilapprenaitsurceranchluiserviraitlejouroùils’établiraitàsoncomptesursonpropreranch.Enoutre,unéchecdansceprojetrisquaitdel’obligeràtravaillerpourLexie…
Réprimantun frisson, il s’essuya labouchedudosde lamainpour effacer legoûtdes lèvresdeLexie.
Ilpassalerestantdel’après-midinonloindelamaison,àréparerlabarrièreducorraletpromenerleschevauxpensionnairesqueLilliemontaitl’unaprèsl’autre.Puis,tandisqu’iltravaillaitsurlaportede l’écurie,Lillie jouaavec troisbébés lapinsdénichésderrière l’écurie.Leurmère avait dû se fairetuer,ilsétaientsauvagesaudébut,maisàlafindelajournée,ilsluimangeaientpresquedanslamain.
Aucoucherdusoleil,ilaperçutJubileedanssonjardininvisible.Ellenelevapaslesyeuxdanssadirection,maisileuttoutefoislesentimentqu’elleétaitconsciencedesaproximité.
Etrange,cebesoin fouqu’il avaitde laprendredans sesbras…Juste la tenirdans sesbras,pasplus.Cen’étaitpasdelapassionoudel’amour,simplementsapatronnesemblaitaussiseulequelui.Ilconnaissait tous les signes. Elle ne recevait aucun courrier, tout en insistant pour aller vérifierrégulièrementsaboîteauxlettres.Aucunappelnonplus.Elleneportaitmêmepassontéléphonesurelle,laplupartdutemps,etsonbureaurestaitallumétardlesoir,commesiellen’avaitaucuneenvied’allersecoucher.
JubileeHamiltonn’avaitpersonneàsescôtés,personnepourl’aideràsebattrepourgagner.Ellesedémenaittantpourapprendre.Acroirequ’elles’attendaitàlevoirdisparaîtred’unjourà
l’autre.S’ilpouvaitsimplementlaserrercontreluiunmoment,illuidiraitqu’ilcomptaitrester,l’aideràconstruiresamaison…
Maiscommentfaire,tantqu’ellerestaitrétiveàtoutcontact?
10
Thatcher5mars
Levendredimatin,Thatcherselevaà6heures,pritunbain,selavalescheveux,avalaunrestedepizzadénichédansleréfrigérateuretsemitenroutepourlecollège.
Absolumentpasparpeurdushérif,maisparcequ’ilvoulaitvoiràquoiressemblaitKristiNortondansdesvêtementssecs.
Après avoirgaré sonpick-upaucroisementde lapistede terre et de la route111, il observa leleverdusoleiltoutenattendantlebusscolaire.LapenséedeKristiletraversapourlacentièmefois.Ilnepourraitsûrementpasapercevoirsonsoutien-gorgeàtraversunchemisiersecetàtouslescoupsellenevoudraitplusluitenirlamain,maislebesoindelarevoirletenaillaitquandmême.
DepuiscettenuitdetempêteoùsafamilleavaitdécouvertlecadavredansleRansomCanyon,Kristiétaitpeuàpeudevenuepourluiunfantasmeplusqu’uneréalité.S’illaissaitpasserunesemainedeplussanslavoir,ilrisquaitdenepasreconnaîtrelafilleréellequandillacroiseraitenfin.
Lecarfreinadejustesseenarrivantets’arrêtavingtbonsmètresaprèssonarrêt.—Bonsang!s’exclamaThatcherengrimpantàbord.Çafaitpartieduprogrammed’EPS,lacourse
follepourattraperlebus?Lechauffeur,unefemmequiportaitsesécouteurssurlesoreilles,sebornaàluifairesigned’aller
s’asseoir.Thatcherbalayalespassagersduregard.Deuxcollégiensessayaientdeseroulerdespellessurles
dernierssiègesdufond.Avuedenez,ilsn’avaientaucuneidéedecequ’ilsétaiententraindefaire,maisluinonplusn’étaitpasexpertenlamatière.Verslemilieuducarétaientassisesunedizainedefillesplusâgées,sansdoutequinzeouseizeans.Ellessemblaientéchangerdestrucsdemaquillageenparlanttoutesenmême temps.Les autres passagers, éparpillés ici et là, étaient en train soit de lire, soit de dormir,autrementditd’essayerdeserendreinvisibles.
Nesouhaitantpasattirerl’attentionluinonplus,Thatchers’installadansladeuxièmerangéeàcôtéd’uneminusculepetitefille.
Pasimpressionnéepourdeuxsous,celle-cilevalesyeuxetpointal’indexsurlui.—Siellet’avaitentendu,mizzTiffeet’auraitjetédehorspouravoirjuré!Ilfitlesgrosyeuxàlapetitefée.—Toi,tun’esmêmepasassezgrandepouralleràl’école,qu’est-cequetufaisdanscebus?Ilétaitmêmeétonnéqu’elleconnaisseassezdemotspourfairedesphrases!
—J’aicinqansetdemi.Jesuisenmaternelle.Onn’apasledroitdejureretdesebattre,danscebus.
Super!songeaThatcher.Lagamineconnaissaitmieuxqueluilerèglementducarscolaire.—Commenttut’appelles?—LillieCollins.Situm’embêtes,jedoiscrierettoutraconteràmizzTiffee.Thatcherfronçalessourcils.—Etsic’esttoiquim’embêtes?Ilremarquaalorsunécriteauaccrochésurlavitredeprotectionderrièrelaconductrice.
«Votrechauffeuraujourd’huiestMissTiffany.»LaminusculeLillieagitasescouettes.—Ben,tucriesetturacontestoutàmizzTiffee!—Bonplan.Thatcherregardaderrièrelui.Aumoinsdixsiègeslesséparaientdesautresélèves.—Tuneconnaispersonnedanscecar,pasvrai,Lillie?C’étaitlemoisdemarsetilnel’avaitjamaisvueiciauparavant.Ellesecoualatêteavecénergie.—Quandonhabitait enville,monpapam’emmenaità l’école,mais ilditqu’onhabite trop loin
maintenant pour qu’il m’emmène tous les jours alors je dois prendre le car quelquefois. J’ai pas demaman.
Degrosseslarmesflottaientdanssesyeux.—Net’inquiètepaspourça,petite.Moi,j’aipasdepapa.—C’estvrai?—Oui.Tuveuxsavoirautrechose?demandaThatcherensouriant.Commeellehochaitlatête,ilexpliqua:— J’ai pas non plus d’amis dans ce car. Si on décidait d’être amis, toi et moi ? En montant,
j’agiterai lamain en disant : « Salut, Lillie ! », et quand tu descendras, tume souhaiteras une bonnejournée.
Elleréfléchituneminute.—Jeprendspaslecarlejeudietlevendredi,dit-elleenfin.Jeresteenville.Thatcherhaussalesépaules.—Pasdeproblème.Jevaispasàl’écolecesjours-là,detoutefaçon.Lorsque le car s’arrêta entre le collège et l’école primaire qui se trouvait en face, Thatcher
descenditlepremieretsouritenentendantlagaminecrier:«Bonnejournée!»MissTiffany retira sesoreillettespourannonceràLilliequ’elle l’accompagnerait jusquedans sa
classe. Thatcher les regarda s’éloigner. La petite fée lui lança un regard par-dessus son épaule. Ellesemblait au bord des larmes. Il lui fit une grimace. Elle sourit et agita la main jusqu’à ce qu’elledisparaissederrièrelesportes.
Thatcher sourit lui aussi et se promit de garder un œil sur Lillie chaque fois que possible. Lepremierquil’embêteraitauraitaffaireàlui.
Lorsquelasonnerieretentit,ilentenditdesriresàquelquespassursagaucheetseretourna.Là, souriante, se tenait l’unique raison pour laquelle il s’était donné la peine de venir en cours.
KristiNorton.Sescheveuxétaientlongsetbouclésetsesvêtementstoutsecs,maisc’étaitbienlafilledesesrêves,enchairetenos.
— Salut, Thatcher, dit-elle en s’approchant. Je savais bien que je finirais par te croiser.L’établissementn’estpassigrand.
Thatcherrestafigésurplacecommeunestatue.Ilvenaitdeperdrelafacultédemarcher.Diable,s’iln’agissait pas très vite, ses muscles allaient bientôt se décomposer. Son activité cérébrale vacillait
déjà…Kristinesemblapasremarquerlephénomène.Ellepouffaderireetluipritlamain.—Oncourt?Sinon,onvaêtreenretard.Ilsdétalèrentverslesmarches.Auboutduhallelleluilâchalamain.—Atoutàl’heure,audéjeuner!cria-t-ellejusteavantdedisparaître.Thatchers’immobilisaens’apercevantqu’elleavaitemprunté lehalldessecondes tandisque lui,
avaitcoursdansceluidestroisièmes,côtécollège.Elleétaitnonseulementplusintelligentequelui,maisaussiplusâgée…Jamaisellene lui adresserait laparoleaudéjeuner !Autant arrêter toutde suitederêver!
Ilserenditàsonpremiercoursdelamatinéeentraînantlespiedsetenjuranttoutbas.Personneneparutluiprêterlamoindreattention.Personneneluiparlaitjamais,detoutefaçon.Commed’habitude,iln’étaitqu’unanonymedanscelabyrinthedecouloirs.
Peut-êtreKristivoulait-elleseulementsemoquerdeluiàmidi.Ilavaittoujoursétélegaminbizarrequin’entraitdansaucungroupeetquin’avaitpasd’amis.Aucuneraisonqueçachangeaujourd’hui!
Ilneregardaitpaslatélévision,ilnepossédaitpasdeportable,ilnejouaitàaucunjeuvidéo.Lenombredefilmsqu’ilavaitvussecomptaitsurlesdoigtsd’unemain.Ilséchaitrégulièrementlapremièresemained’écoleparcequel’enseignantleurdemandaitchaqueannéederaconterparécritleursvacanceshors de Crossroads. Or samère ne travaillait jamais assez longtemps quelque part pour prendre descongés,etsicelaluiarrivaitunjour,ellenel’emmèneraitsûrementpasavecelle,detoutemanière.
Laprochainefois,Kristiferaitsûrementminedenepasleconnaître.Non!Çan’avaitpasdesens.Elleneseraitpasvenueàsarencontretoutàl’heure,avantlescours.Peut-êtrevoulait-elleêtresapetiteamie,alors?Aprèstout,ellel’avaitbeletbienprisparlamain.
N’ayantjamaiseudepetiteamie,iln’avaitaucuneidéedecequ’ilfallaitdireoufaire…Diable !Lapetite féeducar en savait sûrementplusque lui sur laquestion !Sa seule certitude,
c’étaitquelabonnefaçond’agirétaitlecontraireexactdel’exempledonnéparsamère.Ilrécupérasonsacàdosetseslivresdanssoncasier.Bonsang!pesta-t-ilensonforintérieuren
pénétrantdans sa classe. Il n’avait plus le choix, il était coincé là jusqu’au déjeuner, et advienne quepourra.SiKristisemoquaitdelui,celaferaitunpeumal,maisilsurvivrait.Sielleparlaitaveclui,ilferaitsonpossiblepouraumoinshocherlatête.
Ils’assitaufonddelaclasseetdécidadeseconcentrer,pourunefois.Aprèstout,Kristipourraittrèsbienaborderunsujetvuencours.
La matinée lui parut interminable. A midi, il en était à se demander s’il parviendrait à avalerquelquechosedevantelle.Alorsqu’ilpoussaitlaportedelacafétéria,unecolonnedepetitsledépassacommeunmille-pattes.
—Salut,That!lançaunegamineenlevantlamain.Ilsemitàrire.—Salut,petitefleur!Lilliepouffaenpassant.Ill’entenditexpliqueràunecamaradederrièreellequ’ilétaitsonami.Ilsouriaitencorelorsqu’ilentradanslacafétériaetcroisaleregarddeKristiNorton.Ellesemblait
encoreplusbelle,siunetellechoseétaitpossible.Unplateaudanslesmains,elledésignadumentonunetablelibre.
Ilacquiesça,devinantqu’ellesouhaitaitqu’illarejoigneavecsonpropredéjeuner.Maispourquoi?Brusquement,ilsefitl’effetdeChristopheColombprivédeboussole.
Quelquesminutesplustard,ils’assitenfaced’elle,tétanisé.Ellesourit.—Tun’asprisquedudessert,Thatcher?Troispartsdedessert?Ilbaissalesyeuxsursonplateau.
—J’aimebienlesgâteaux.Ilsongeaàajouterqu’ill’aimaitbien,elleaussi,maisceseraitsûrementtrop.—Jepartagerai,dit-ilprudemment.Elleluitenditlamoitiédesonsandwich.—Tuaimeslethon?—Biensûr.—Parfait.Moi,j’aimelechocolat,dit-elleavecunsigneverssonplateauàlui.Quelquesminutesplustard,ilavaitreçusatoutepremièreleçonsurlesfilles.Inutiledeparler:ilsuffisaitdelesécouter.Kristiluiracontaqu’elleadoraitl’écoleetqu’ilétaitdifficiled’êtrelafilleduproviseuretqu’elle
adoraitlescheveuxdecettefilleàlatablevoisineetqu’elleregrettaitdenepasavoirlesmêmes.Elleluiracontamêmequ’ellene serait pom-pomgirl pour rienaumonde, cequ’il n’aurait jamais songéà luisuggérer.
—Tescheveuxmeplaisentcommeilssont,dit-ilsoudain,alorsqu’ilsfinissaientlatroisièmepartdetarte.
Vintalorsladeuxièmeleçonsurlesfilles:unseulcomplimentsuffisaitpourlesfairesourire.
11
Jubilee10mars
Depuissachambreplongéedanslapénombred’avantl’aurore,JubileeregardaitCharleys’activerdansl’écurie.Cethommetravaillaitpourelledepuisplusdedeuxsemainesetellen’avaittoujourspasl’impressiondeleconnaître.Ellesavaitseulementqu’iltravaillaitduretneperdaitjamaissontempsàformulercomplimentsoumensonges,etcelaluiplaisait.L’honnêtetéétaitsirare,danssonunivers.
Plusd’unmètrequatre-vingts,pasungrammedegraissesuperflue,unegestuellegracieuse.Toutlerestecependant,dansl’apparencedeCharleyCollins,latracassait.Elleavaitpassésixansàpeaufinersapropregarde-robeetàrelookersescandidatspourlespolir.Danscesprofessions,lavaleurd’unhommesemesuraitàlacoupedesoncostume.
OrCharleyétaitl’exactopposédeshommesqu’ellefréquentaitàWashington.Sescheveuxavaientgrandbesoind’unecoupe,etaucunedesestenuesnesemblaitavoirvuunferàrepasserdeprèsoudeloin.Ellen’arrivaitmêmepasàl’imaginerencostume.
Lorsde leurpremière rencontre,elleavaitcraintqu’ilnesoit impossibleàcôtoyer,voireunpeumacho sur les bords, mais ce n’était pas du tout le cas. Oh ! Il était têtu…Mais gentil, aussi. Il nesoulignait jamais ses défauts ou ses échecs. Elle avait travaillé des années auprès de requins de lapolitiquequi, au premier signe de faiblesse, reniflaient l’odeur du sang dans l’eau.C’était sans doutepourcetteraisonqu’elleavaittoujourschoisipourcompagnonsdeshommesaccommodants,prêtsàluilaisserlescommandes.
Charley,lui,n’entraitdansaucunedecesdeuxcatégories.Elleseremémoralematinoùelleavaitéprouvélebesoindeluisuggérer,l’airderien,dechoisir
destenuesinfroissables.Illuiavaitpromptementrépliquédesemêlerdesesaffaires.L’apparencen’étaitpassonsouciprincipal,detouteévidence.Enrevanche,ilsabordaienttouslessujetsconcernantleranch.Saparole à ellene faisait pas loi, la plupart du temps il y avait débat, qu’il remportait aussi souventqu’elle.
CethommeàladérivequinepossédaitmêmepasunlitpourdormirserévélaitaussiunexcellentpèrepourLillie.Lemeilleurpèrequ’elleaitjamaisvu…Ilétaitstrict,imposaitdesrèglesquelafillette,mêmeàcinqans,étaitcenséerespecteràlalettre,maissesyeuxbrillaientd’amourlorsqu’ilsseposaientsurelle.
Jubileenepouvaits’empêcherdesedemanderl’effetquecelafaisait,degrandiraveccetamour-là…
Elleserapprochadelafenêtrecommelespremièreslueursdel’aubecaressaientl’horizonderrièrel’écurie.
—Tuneressemblesàaucundeshommesquej’aiconnus,chuchota-t-elleàl’ombredeCharley,là-basparmilesstalles.Tun’esvraimentpasmongenre.Autoritaire,obstiné,impatient…
Sesamantsétaientdeshommescalmes,posés.Aleursyeux,riennevalaitjamaislapeinedefairel’objetd’undébatoud’unequerelle.Ilsétaientaussipartis,commeça,sansfairedevagues.Charley,lui,défendraitsonpointdevuejusqu’auboutets’ilfinissaitparpartir,sondépartn’auraitsûrementriendefurtif!
Lepersonnageétait épuisant, certes,mais elle avait l’absolue convictionqu’ellene serait jamaiscapablederemettreceranchenétatsanslui.Lestoutpremiersjours,elleavaitdûbataillerfermepourqu’illuiexpliqueparlemenucommentfonctionnaitcecioucela,etpuisilsavaientfiniparformeruneéquipe.Leurspetitsdéjeunersétaientdevenusdesréunionsstratégiquesusantleurénergieàpartségales.
Enenfilant lemêmejeanet lamêmechemiseque laveille,elleseditqueCharleycommençaitàdéteindresurelle.Elledevenaituneclocharde.Fini, leschemisiersensoie.Fini, lestailleursnoirsoubleumarine.Fini,lestalons.Onnelareconnaîtraitplus,àWashington!
Elle-mêmesereconnaissaitàpeinedanslemiroir.Elles’étaitmiseàporterunetressepourdégagersonvisage,aussihâlémaintenantquesesbras.Destachesderousseuravaientéclossursonnez.Endépitdeseseffortspournepasoublierdeporterunchapeau,sescheveuxétaientstriésdemèchesbrûléesparlesoleil,delateinteexactequalifiéede«blondsale»parsasœur.
Sesbottesauxpieds,ellesebrossa lesdentsetdescendit s’occuperdupetitdéjeuner.Aprèsunesemainedecéréales,elleavaitapprisàpréparerdespancakes.Cen’étaitpassicompliqué,finalement.Secouer la bouteille plastique, ajouter du lait, secouer encore, verser. Le bacon, c’était encore plusfacile.Acheterduprécuitetpasservingtsecondesaumicro-ondes.
Biensûr,ilavaitfallud’abordacheterunmicro-ondes.Etaussidesprotège-matelas,destapis,desoreillers,des rideauxdedouche,des serviettesetdescouvre-litspour toutes leschambres inutilisées.Ces petites touches à l’étage rendaient la maison plus avenante. La nuit, lorsqu’elle n’arrivait pas àdormir,elleallaitchercherdevieuxbibelotsdanslegrenierpourdécorerchacunedespiècesvisiblementnégligéesparGrandpaLevydepuissondépartduranchcetété-là,desannéesplustôt.
Elleavaitainsidécouvertdescoffresremplisdedessus-de-litsomptueuxetdedentellefaitemain,finecommeunetoiled’araignée,maisaussiuncartondepoupéesauvisageetauxmainsdeporcelaine…
GrandpaLevyluiavaitmontrécespoupéespendantsonséjourendisantqu’ellepouvaitlesprendre,sielleavaitencorel’âgedejoueravec.Commeellesecouaitlatête,illuiavaittenduunbilletdecentdollarsetl’avaitemmenéeausupermarchédelarégion.
—Achètecequi teplaît.Si tues tropvieillepour lespoupées, jen’aiaucune idéedecequi teferaitplaisir.
—Jepeuxdécorermachambre?—Toutcequetuvoudras,lamiss.C’esttoiquidorsdedans.Duhautdesesonzeans,elleavaitachetédesdrapsdelamauvaisetaille,beaucouptropdegantsde
toiletteetassezdeshampooingpourlesdixannéessuivantes.Enrevanche,elles’étaitbeaucoupamuséeàornersachambredevieillescouverturesetdemeublesdénichésunpeupartoutdanslamaison.
Aujourd’hui,ellepouvaitrhabillerlamaisontoutentière.Elleétaitchezelle…Ungrandbruitducôtédel’écuriel’arrachaàsesambitionsdedécoratriced’intérieur.ElleatteignitlagalerieàtempspourvoirCharleyseprécipiterchezlui.—Lillie!cria-t-ild’unevoixdestentor.Jubileeseprécipitaàsasuite.Quelquechosedegraveétaitentraindeseproduire.Elleatteignitlapetitemaisonalorsqu’ilressortaittoutaussiprécipitamment,safillesurunbraset
unecarabinesurl’autre.
Ilsetournaverselle.—PrenezLilliechezvous,Jubilee,dit-ild’unevoixétonnammentcalme.Ilyaunechosedontje
doism’occuperdansl’écurieavantderevenirlachercher.Jubileeouvritlabouchepourl’interroger,maissonregardl’effrayaplusquesesmots.Ellepritla
fillettedanssesbrasettentadechasserlapeurdesaproprevoix.—Biensûr.Viens,onvapréparerdespancakes.EllenecessadeparleràLilliesurtoutletrajetjusqu’àsacuisine.Lepetitangeavaitdéjàprisdeux
fois lepetitdéjeuneraveceux jusque-là.D’ordinaire, lorsqu’elledormait ici,elle se levaitplus tôtetCharleylafaisaitdéjeuneravantdelaconduireenvoiturejusqu’augrandportailduranch,oùelleprenaitlebus.Aujourd’hui,quelquechoseavaitretenuCharleypluslongtempsqued’habitudedansl’écurie.
—Tuvasfairedespancakes,c’estvrai?demandaLillie.—Tuaimeslespancakes?—Oui,avecdesmyrtillesdedansetdelaconfituredefraisesdessus.—Oh.Alorsjevaispeut-êtreavoirbesoind’uneassistante.Elle n’avait jamais essayé d’ajouter des myrtilles. Ce n’était pas dans la recette inscrite sur la
boîte…Quelquesminutesplustard,alorsquelapâtefrémissaitdanslapoêle,Lilliesechargeadeverser
dedanslesmyrtilles.Jubilee s’efforça de se détendre et de s’amuser,mais son corps restait tendu, dans l’attente d’un
coupdefeu.ElleavaitdéjàvuCharleyportersacarabine.Unefoisdanslepick-uplorsqu’ilss’étaientrendusdanslepâturagedufond,uneautrefoislorsqu’illanettoyaitsursagalerie,unsoiroùLillieétaitrestéedormirenville.Illuiavaitexpliquéquec’étaitunsimpleoutildebase,présentdanschaqueranch.Pourautant,laseulevuedecettearmeluidéplaisaitfortement.
Toutessortesd’hypothèsessurcequipouvaitbiensetrouverdansl’écurieluitraversaientl’esprit.Uncoyote?Unpuma?Ilsavaientvudesempreintesdepumadanslaboue,prèsdudéfilé.Unserpent?Amoinsquel’assassindecethommequel’onavaitretrouvédanslecanyonnesoitcachédanslegrenieràfoin.Aprèstout,iln’avaitpasencoreétéarrêté…
Mesurantbrusquement àquelpoint ils étaient isolés ici tous les trois, elle sentitun frissonglacécourir dans son dos. Le téléphone n’avait même jamais sonné ! A supposer que quelqu’un trouve lecheminjusqu’ici,unblessécourraitdesrisquesgraves.Etsiuntueurs’aventuraitsurcesterres,illeurfaudraits’enoccuperseuls.
Lepetitdéjeunerétaitmaintenantprêt,etJubileenesavaitplustropquis’employaitàdétendrequi.Lillielafitrireenluiracontantlesdangersdelacourderécréation,oùungranddehuitansavaitessayédeluifairecroirequelegardienétaitunvraizombie.
LorsqueJubilees’éloignad’unpaspourattraperlelait,Lilliefitsauterunpancakequiatterritparterre.Elleclamaaussitôtqu’ils’étaitéchappétoutseul.
Devantsonregardespiègle,Jubileedécidadejouerlejeuetréprimandalepancake.Charleyréapparutenfin.Lentement,commes’ils’agissaitd’unesimpleroutine,ilglissasacarabine
suruneétagèreau-dessusdelaporte.—Toutvabien?demanda-t-elle,essayantenvaindecroisersonregardfixésursafille.Ilhochalatête.—Lepetitdéjeunerestprêt?Ellesourit.—J’aieudel’aidecematin.Votrefilleestuneexcellentecuisinière.Lillie était occupée à tartiner de la confiture sur ses pancakes, puis à les enrouler autour d’une
tranchedebacon.—J’aidûluimontrercommentfairedesroulés,papa.
Jubilee tendit àCharleyune tassede café, et tous s’assirent ensemble comme s’ils faisaient celadepuis des années. Au bout d’un moment, Jubilee prit conscience que Charley devenait un hommedifférentauvoisinagedesafille.Gentil,drôle,aimant…Touslesanglesdupersonnageétaientgommés.
Ellesongeaàsonproprepère,quiconsidéraitlesrepascommel’occasiondechapitreretcritiquerunpubliccaptif,sacadetteétantsaciblefavorite.Sitoutallaitbienenpolitiqueaujournalde18heures,il concentrait toute son attention sur ce qui clochait chez elle. Le repas et le sermon se terminaientinvariablementsuruneinjonction:«Tâchedoncdeprendreexemplesurtasœur!»
Charley,lui,faisaitrireLillieengrimaçantaumomentdemordredanssonpancake.—Quiamisdesmyrtillesdansmonpancake?Toutlemondesaitquejedétestelesmyrtilles!Lillieéclataderire.—Ellessontjustetombéesdedans,papa.Ilpleutdesmyrtilles,desfois.Charleycontinuadeseplaindretoutaulongdupetitdéjeuner,inventanttoutessortesd’histoiressur
lafaçondontlesmyrtillesrisquaientdeletuer.Lillieriait,riait…Pourfinir,ilselevaetsetournaversJubilee.—Mercipourcebonpetitdéjeuner.Sontoutpremiercompliment,songea-t-elle,nonsansuncertainplaisir.—JevaisemmenerLillieàl’école.J’aibienpeurquenousayonsmanquélecar,cematin.Nous
parleronsàmonretour,ajouta-t-ilencroisantsonregard.Ondiraitquelapluiearriveparlenord.Vousdevriezvousteniràdistancedel’écuriejusqu’àmonretour.
—Et si je venais avecvous ? Je dois passer à la poste.S’il pleut, autant enprofiter pour fairequelquescoursesenvilletoutendiscutant.
—Commevousvoudrez.Quelquesminutesplus tard, ilsfilaientsur laroute.Caléeentreeux,Lillie leurparlad’ungarçon
rencontrédanslebus,nommé«That».—Tuveuxdire«Thatcher»?demandaCharleyensegarantdevantl’école.—Peut-être.Lillieescaladalesgenouxdesonpère,sonsacàdosetsonpanier-repasdanslesmains.Charleyignoracoudesetgenouxpourl’embrassersurlefront.—DisàThatcherdepassermevoiraprèsl’école.J’aimeraisluidireunmot.—D’accord,sijelevois,réponditlafilletteavantdedétalerverslaporte.—Elleestdélicieuse,fitremarquerJubileeensouriant.—Oui,eneffet.—Celavousdérangebeaucoup,sijevousdemandeoùestsamère?Charleysetroublaunpeu,maisréponditdebonnegrâce:—Nousnoussommesmariéspeuaprèslelycée.Jepensaispouvoirdevenirpèretoutencontinuant
àétudier.Enfindecompte,c’estellequin’apasvouluserangeràdix-neufans.Elleatenupresqueunan,puisellem’aquittésanslaisserd’adresse.
—ElleaquittéLillieaussi?LeregarddeCharleysedétournaverslacour.—Elleaditqu’ellen’étaitpastailléepourêtremèreetqu’ellen’avaitjamaisvoulud’enfants,alors
qu’ellen’enavaitjamaisparléjusque-là.Ilcontemplafixementlaported’entréeparoùavaitdisparuLillie.—Bizarrement,moij’enaieuenvieàlasecondeoùonm’adéposéLilliedanslesbras.Jen’aipas
pumedétacherd’elle, quand bienmême cela impliquait de suivre les cours à l’université, d’assumerdeuxemploisenparallèleetderesterauprèsd’ellelesoir,souventtoutelanuit.Jemedébrouilleplutôtbienpourrateràpeuprèstoutdansmavie,maisiln’yaqu’unechosequej’essaiederéussir.Mafille.
Jubilee sedoutaitque lavieavait étédureavec lui,puisqu’il jonglait aussiavecplusieurspetitsboulotsaumomentdeleurrencontre.Ellecomprenaitmaintenantpourquoiiltravaillaitaussidur.
— Qu’est-ce qu’il y avait, dans l’écurie ? chuchota-t-elle comme si Lillie pouvait encore lesentendre.
—Unserpent-taureau.Avantdel’avoirvudeprès,jecraignaisd’avoiraffaireàuncrotale.C’étaitleplusgrosserpentquej’aievudepuisdesannées.
Jubileefrissonna.— Quelle importance, l’espèce précise ? Je déteste les serpents. Comment vous en êtes-vous
débarrassé?Jen’aipasentendudecoupdefeu.—Jenel’auraisjamaisabattu,répondit-il.Jel’aisimplementprisaupiège.Lesserpents-taureaux
mangentlessouris.Engénéralilsn’embêtentnilebétailnileschevaux,saufdanslesécuries.Ilsrendentlesbêtesnerveuses.Jepensaisledonneràcegamin,Thatcher.
Jubileesouritmalgréelle.—Samèreserasûrementravied’apprendrequ’ilarecueilliunnouveaupetitprotégé.Pourunefois,Charleyluirenditsonsourire.—Oh ! Amon avis, elle s’enmoque. Pour ce que j’en sais, elle fréquente un homme que l’on
pourraitfacilementconfondreavecunserpent-taureau.Jubilee faillit lui demander si lui aussi fréquentait quelqu’un, mais la question lui parut trop
indiscrète.Enoutre,elleconnaissaitdéjàlaréponse.D’aprèscequ’elleavaitpuconstatercesdernièressemaines,Charleysepartageaitentresontravailetsafille.Cethommen’avaitpasletempsdanssaviepourunetroisièmepersonne.Peut-êtreavait-ilunemaîtresseàlaquellerendrevisiteunenuitpar-cipar-là.Lesfemmesenvillesebousculeraientpourdécrochercetteplace.
—Mercidevousêtreoccupéduserpent, luidit-elleavecsincérité.Venimeuxoupas, ilm’auraitcauséunepeurbleue.
Ilsouritcommes’ilcroyaitàuneplaisanteriedesapart.—C’estmonboulot,patron!Il lança lemoteur et garda le silence lorsqu’elle descendit quelques pâtés demaisons plus loin
devantlebureaudepostedeMainStreet.Lorsqu’elleenrevintlesmainsvides,ilnefitaucuncommentaireetsebornaàenclencherlamarche
arrièrepourretournerauranch.Comme elle abaissait le pare-soleil, plusieurs enveloppes et morceaux de papier pliés
dégringolèrentsursesgenoux.—Qu’est-cequec’est?demanda-t-elleenramassantletout.—Desnotesquej’aiprises,surnosbesoinsauranch.Jecomptaisvousenparlerdèsnospremières
rentrées d’argent. J’essaie de lesmettre enordre pour dégager les priorités. Je ne veuxpas tout vousassener d’un coup ! précisa-t-il en riant. Vous risqueriez de partir en courant. Jeme doute que votrebudgetestserré,Jubilee.Pourlepluspetitachat,vousmedemandezsic’estbiennécessaire…
C’était vrai.Elle surveillait lamoindre dépense et tentait d’anticiper la suivante.Ainsi lui aussiessayait de calculer de son côté, mais en aveugle, comme elle. Il ne savait pas combien il avait àdépenseretelleignoraitcequ’ilfallaitacheter.
—Arrêtez-vousàlabanque,dit-ellesoudainenluidésignantlapetiteagenceenfacedel’uniqueépiceriedelaville.Jevaisvousprouveràquelpointjesuisfolle.
Il s’engagea sur le parking et coupa lemoteur, prêt à l’attendre.Comme elle n’esquissait pas ungestepourdescendre,ilsetournaverselleetattendit.
Ellerelevalatêtebienhaut,commeellelefaisaittoujourslorsdesréunionsdecampagne.—Pourfairemarcherceranch,nousdevonsréunirnosforcesetmoi,jedoisvousfaireconfiance,
décréta-t-elle.
Charleysecontentadelaregarderd’unairlégèrementsceptique.—GrandpaLevym’a laisséplusdecentmilledollarssur lecompteduranch,poursuivit-elle,et
j’en ai près de quarantemille de mon côté. Je veux ajouter votre nom sur le compte pour que vouspuissiezacheterseullebétailetlematérielnécessaires.Pourréussir,vousavezbesoindeconnaîtrelesmoyensdontnousdisposons.J’aichiffrévotresalairesuruneannée.C’estleminimumincompressible.Au-dessusdecettebarre,nousdépensonsenfonctiondesbesoins.
Cettesuggestionsemblaluicauserunchocindéniable,qu’ils’appliquapourtantàdissimuler.—Sinouséchouons, reprit-elle, jevendraià la finde l’annéeet je retournerai àWashington.Si
nousaffichonsdesbénéfices,letiersvousenreviendra,enbonus.Charleyserembrunitsubitement,sonvisagedevintaussisombrequelecield’orageetsespoings
agrippèrentlevolantàfaireblanchirlesjointures.—Oùestlepiège,Jubilee?Personnenemefaitconfiancetrèslongtemps,parici.Cetaccordparaît
tropéquitablepourêtrevrai!Cesmots en apprirent davantage à Jubilee sur le compte deCharleyCollins que tous ceux qu’il
avaitprononcéscesdernièressemaines.Cethommeavaitmordulapoussièreparlepassé,vusesrêvesanéantis.Ellesentaitqu’ilseheurtaità laméfiancedesautresdepuis longtemps,aupointdecroiredemoinsenmoinsenlui.
—C’estuneopportunitéquejevousoffre,Charley,riendeplus.J’aibesoindevouspourréussir.J’aientendulesgenscancanerderrièremondosàlaposteetàl’épicerie.Ilsmeprennenttouspourunedinguedevouloirm’occuperd’unranch.J’aiconscienced’avoirdesconnaissancestroplimitées,maisjemetromperarementsurlespersonnes.Sicelanemarchepas,c’estquel’entrepriseétaitvouéeàl’échecdetoutefaçon.Maissinousréussissons,ceseralefruitd’untravailencommun.
UnsourirehésitantsedessinasurleslèvresdeCharley.—Peut-êtrequenoussommesfoustouslesdeux,maissivousparlezsérieusement,jesuispartant.
Nous jouons lapartie jusqu’aubout etnousnous séparonsbonsamis,ounousmultiplionspardeux lecompte enbanqued’ici l’annéeprochaine.Quoiqu’il en soit, je tiens àvous remercierdemedonnercettechance.
Un moment, ils se regardèrent simplement tous les deux en silence, conscients que ce momentchangeraittout.PuisJubileesoulevalapiledenotesqu’ilavaitcoincéedanslepare-soleil.
—Onpassetoutçaenrevueaujourd’hui,décréta-t-elle.Unvotechacun.Cinquante-cinquante.—Etencasdematchnul?Vousgagnez,puisquec’estvotreargent…—Non.C’estl’argentdeLevy.Encasdelitigesurunpoint,importantoupas,ontireàpileouface.
Equitable,non?—Toutàfait.Etjenerédigeraipasdechèquepourunmontantsupérieuràcentdollarssansvousen
parlerd’abord.Elleacquiesçaetconclut:—Puisquenousdevonstravaillerensemble,laconfianceestindispensableentrenous.Ilsdescendirentensembledupick-uppourserendreàlabanque.Pourunranch,centmilledollars
ne représentaient pas une fortune, loin de là, songea-t-elle. Plutôt une chance, la dernière, qu’elles’apprêtaitàmisersurunhommedontl’uniqueréférenceétaitaprioriunamourinconditionnelpoursafille…
Dixminutes plus tard, lorsqu’ils quittèrent l’agence, le compte du LoneHeart Ranch avait deuxtitulaires.Charleymarchait ledosunpeuplusdroit,peut-êtreparcequ’ilvenaitdepasserdustatutdesimpleemployéàceluidegérantderanch,quandbienmêmec’étaitunranchdesplusmodestes.
Surletrajetduretour,tandisqueletonnerregrondaitdansunscintillementd’éclairs,ilsdiscutèrentàbâtonsrompustelsdesduellistesdebanjo.Lapluiesemitàtomberaumomentoùilsfranchissaientle
portail.Sansseconcerter,ilspiquèrentunsprintverslagaleriedelagrandemaison,surlaquelleilssesecouèrentcommedeschiensmouillés.
Jubileepréparaducafétandisqu’ilrelisaitseslistes.Letempsqu’elleluitendeunetasse,ilavaitétaléunecarteduranchsurlatable.
Commeellesepenchaitsurlacarte,ildisparutetrevintarméd’uneserviettequ’ildéposasursesépaules.Puisildégageadélicatementsescheveuxdel’éponge.
—Merci.Elleétaitdansuntelétatd’excitationqu’ellen’avaitmêmepasconsciencedetremblerdefroid.—Derien,dit-ild’unevoixradoucieavantdeseconcentrerdenouveausurlesaffairessérieuses.
Nousauronsbesoind’unpetittracteur,pourlabourervotrejardinmaisaussipoureffectuerdestravauxdansl’écurie.Unenginassezpetitpourletransporterdanslepick-up,sij’enaibesoindansleschamps.
—Maisnousavonsunvieuxtracteurénormeici,fit-elleremarquerens’asseyantàcôtédelui,etnonenfacecommelesautresjours.
—Unpetitnousferagagnerdutemps.LajambedeCharleyheurtalasienne.Nil’unnil’autrenes’enémut.—Avecdouzechevauxdanslesstalles,ilyaurabeaucoupdedéchetsàsortir,poursuivitCharley.
Etpasseulementdufumier.Lespensionsfournirontunapportmensuelsuffisantpourcouvrirlesfacturesgénérales,maisilfaudrapuiserlargementdanslecomptedeLevypourtenirjusqu’àl’automne.
—Alors,puisons!Jetiendrailescomptesdeschevauxenpensionpourvousfairegagnerdutemps.Etsivousmemontrezcommentfaire, jem’occuperaid’euxavecvous,demanièreàvousdégageruneheureparjour.
—D’accord.Vousaurezenvied’unebonnedouchequandnousauronsterminélessoinsdumatin,précisa-t-ilensouriant.
—Jemeborneraipeut-êtreàresterunmomentsouslapluie…SongenoucognadenouveaulajambedeCharley,etilssemirentautravail.Et voilà ! songea-t-elle. Ils étaient devenus associés. Deux personnes aux caractères opposés,
convaincues l’une et l’autre de n’avoir besoin de personne.Elle lui avait donné ce dont il était privéjusque-là—delaconfiance—etenretour,elleavaitgagnésonrespect.Ilnebataillaitpluspiedàpied,ilexpliquait,etpourlapremièrefois,ellel’écoutaitvraiment.
Toute lamatinée, ils abordèrentdiversprojets et Jubileedécouvrit queCharleyétait encoreplustimoré qu’elle dès qu’il s’agissait de toucher à l’argent de Levy. Ses derniers doutes se dissipèrentaussitôt.Elleavaitbieneuraisondeprendrecettedécision.
Ilssepréparèrentdessandwichsàmidi.Charleyemballalesiendansuneservietteenpapieretpritunebouteilled’eau.
—JeferaismieuxdepartirmaintenantpourattraperLillieàl’arrêtdebus.—Celavousembêtesijevousaccompagne?—Vousallezvousmouiller.Ellebaissalesyeuxsursesvêtementsfroissés.—Etalors?Nouspique-niqueronsenattendantLillie,répliqua-t-elleenchoisissantunsoda.Ilscoururentenriantverslepick-up,etellesesentitjeunepourlapremièrefoisdepuisdeslustres.
Avingt-sixans!L’âgedelaliberté,delajoie…Elleavaitl’impressiond’avoiressayédesevieillirsaviedurant,pourdeveniraussiraisonnablequesasœuraînée,aussisérieuseàl’écolequel’exigeaitsonpère, plus mûre que son âge, toujours, pour se faire respecter. Elle avait même pris l’habitude des’habillercommeunefemmedequaranteans,lescheveuxattachés,deschaussurespratiquesauxpieds!
Unfrissonlasecoua.Charleymontalechauffageetluijetaunregardrapide.—Voscheveuxbouclent,unefoismouillés.
—Oh!Vousn’avezencorerienvu.Attendezunpeuqu’ilssèchent,ilsvontfrisercommesij’avaisététouchéeparlafoudre.
—Ilyaunechosequejedoisvousdire,Jubilee.Ellemetrottedanslatêtedepuislejouroùnousavonsfranchiledéfiléàcheval.
—Oui?—Quecesoitclair,dit-il,lesyeuxbraquéssurlaroute.Lorsquejevousaiaidéeàmonterenselle,
jenevousaipastouchéeexprès.Jevoulaisjustequevousgrimpiezvite.Etlorsquevousm’êtestombéedessusenredescendant,cen’étaitpasnonplusunemanœuvreintentionnelledemapart.
Jubileegardalesyeuxrivésauxessuie-glacesquibalayaientl’eaudansdegrandeséclaboussures.—Ma réaction était un peu exagérée, reconnut-elle. Pourrions-nous juste oublier cet épisode et
recommencercommesiriendetoutcelan’étaitarrivé?Ilpritletempsderépondre.— Nous allons travailler ensemble. Vous êtes une belle femme. Si des contacts fortuits se
produisent,jeveuxquevoussachiezquejenecherchepasàvousséduire.Ellefronçalessourcils,nesachantsielledevaitsesentirflattéequ’illajugebellefemme,ouirritée
qu’iln’aitaucuneintentiondelaséduire.Ilralentitaumilieudelaroute,àquelquesmètresducroisementaveclaroute111.—Latempêtegagneenintensité,dit-il,commesilesujetétaitclos.Dèsquenousseronsrentrés,il
seraplussagederesteràl’abrienattendantuneaccalmie.Quelquesminutesplustard,lecarscolairesurgitencahotantsurlaroute.Charleypritleciréposé
derrièresonsiègeetsortitdupick-up.Ilétaitàsonposte,souslapluiebattante,lorsquelesportesdubuss’ouvrirent.
Lilliebonditdanssesbras.Jubilee vit l’adolescent prénommé Thatcher sortir juste derrière elle et crier quelque chose à
Charley,quihochalatêteetluidésignalepick-up.JubileeouvritlaportièrepouraccueillirLillieetfutsurprisedevoirThatcherserueràl’intérieur,
luiaussi.Brusquement,ilsseretrouvèrentàquatredanslacabine,serréslesunscontrelesautres.ToutlemondesemitàparlerenmêmetempscommeCharleymettaitlecapsurleranch.
Thatcher leur expliqua qu’il avait décidé de prendre le bus dès qu’il avait appris que Charleysouhaitait le voir. Pas question de perdre son temps au collège alors qu’ilmourait d’envie de savoirpourquoionavaitbesoindelui.
—Ilsepassetoujoursdestrucs,pendantlestempêtes!cria-t-ilpar-dessuslevacarmedel’orage.Ladernièrefoisqu’ilaplucommeça,j’aidûaiderleshérifàenquêtersuruncadavreretrouvédanslecanyon.Tempêteoupas,ons’estretrouvésàtravailler,leshérifetmoi!
Charleysegaradevantchezluietsautaàterre.LevantlesbraspourattraperLillie,ilduts’égosillerpoursefaireentendredeJubilee.
— Venez, si vous voulez ! Dès que j’aurai mis Lillie à l’abri, j’irai montrer quelque chose àThatcher dans l’écurie avant que l’on se sèche. Vous voulez bien tenir compagnie à Lillie quelquesminutes?
Jubileeacquiesçaet seprécipitadans lamaison.Ellen’yétaitplusentréedepuis le jouroùellel’avaitaidéàporter le lit.Toutétaitenordre.Pourunhommeaussicompliqué,CharleyCollinsvivaittrèssimplement.
Charleyinstallasafillesurlecanapé.Thatcherpatientasurleseuil,nesachantmanifestements’ilétaitlebienvenuàl’intérieur.
—Allume le feu dans la cheminée, lui dit Charley.A chaque retour deLillie, je lui prépare ungoûter. Je suis content que vous puissiez vous joindre à elle pour ce moment aujourd’hui, Jubilee.Thatcher,toietmoiavonsunepetiteaffaireàtraiterpendantquecesdamesprendrontlethé.
Illuiadressaunclind’œil,elleritdeboncœur.Thatchercraquauneallumettepourallumer le feu,puis ressortitavecCharleyavantmêmeque la
pièceaiteuletempsdeseréchauffer.JubileesetournaversLillie,affectantunairperdu.—Jen’aiaucuneidéedecequel’onmangeaugoûter.Peux-tum’aider?Lapetitegloussa.—Monpapanonplus!Magrand-mèreditqu’ondoitboiredu thédansunvraigoûter,mais j’ai
toujoursprisdujusdefruitsavecdescookies.Thatcher et Charley les rejoignirent dixminutes plus tard. Personne ne s’offusqua de ce que les
tassesà thécontiennentdujusdefruits,ouquelamoitiédes invitéssoient trempésjusqu’auxos.Touss’installèrentautourd’unevieillemallefaisantofficedetablebassedevantlacheminée.
—That,demandaLillie,tuprendsungoûterquandturentresdel’école?— Jamais. C’est pourtant une bonne idée. J’en parlerai àmamère quand elle rentrera. Elle est
partiel’autrejouravecsonnouveaupetitami.Unchauffeurroutier.—Quanddoit-ellerevenir?s’enquitJubilee.—Dansunmoisminimum, réponditThatcher, écartantde sesyeux sesmèches trop longuespour
attraperunquatrièmecookie.JubileecroisaleregarddeCharleyetdevinaimmédiatementsesintentions.Ils’apprêtaitàprendre
Thatchersoussonaile.Ellepritalorsconsciencequeni lacoupedecheveuxni leschoixvestimentairesde l’adolescent
n’avaientd’importance.CharleyCollinsétaitquelqu’undebien,etc’étaittoutcequ’elleavaitréellementbesoindesavoir.
12
Thatcher10mars
Lepremiergoûterde savie terminé,Thatcher sortit sur lagalerieobserver lapluie.Lillie jouaitavecsespoupéesetCharleyparlaitduranchavecJubilee,cequiluiprendraitsûrementdesmois.Ellen’yconnaissaitrienderien!Ilauraitmêmepariéqu’ellenesavaitmêmepasdépecerunlapin!
Sonregardseposasurl’écurieetilsourit.Charleyavaitattrapéunpeuplustôtdanslajournéeunserpent-taureaud’aumoinsdeuxmètres!Lesserpents-taureauxfaisaientbaisserlapopulationderats,ilsétaient connus pour manger aussi à l’occasion un crotale, pour autant ils n’étaient pas les bienvenusautourdeschevaux.
Thatcheravaitproposédelibérerleserpentprèsduruisseauenbasdechezluisi,enéchange,onl’autorisaitàchasserlescrotalesauLoneHeartRanch.LevieuxHamiltonn’aimaitpasça—peut-êtreparce que, avec son tempérament, il considérait les serpents commedes parents proches. Ils devaientpulluleraujourd’huisurcesterres.
LesouriredeThatchers’élargit.L’argentluiseraitutile,maintenantqu’ilsepayaitrégulièrementàdéjeuner.KristiNortonétaitunsacrémorceau,maisavoirunepetiteamiecoûteraitcher.Elleétaitplusintelligenteque lui, ellediscutait avec luicommes’ilsétaientamisetc’étaitdéjàpresqueune femme.Unevraieperle.
Quant à lui, il envisageait une nouvelle garde-robe dans un proche avenir. Kristi remarqueraitsûrementqu’ilnepossédaitquetroischemisesassezprésentablespourêtreportéesenclasse.
Les yeux rivés sur le rideau de pluie dévalant du toit de la galerie, il songea à la demander enmariage.Ilsdéjeunaientensembledepuispresqueunesemaine,aprèstout…Maisilétaitpeut-êtretroptôt. Il avait d’abord besoin d’un plan pour son avenir et surtout d’argent, beaucoup d’argent, pour semarier.Siceladevaitsefaire,entoutcas,ilnel’emmèneraitsûrementpasvivredanslesFailles.
Restaitenoutrelapossibilitéqu’elles’aperçoivedesabêtisecrasseetsemetteàinviterquelqu’und’autreàsa table.Pire !Etsi lesprofesseurscommençaientà remarquerqu’il traînaitplussouventencoursetdécidaientdetenterdeluiapprendrequelquechose?
Laportegrillagées’ouvritderrièrelui,coupantcourtàsesangoisses.—Uneéclaircieàl’horizon?demandaCharley.—Non. A vue de nez, la piste en terre quimène jusqu’à la route goudronnée est une rivière à
l’heurequ’ilest.Jeferaismieuxdeprendreunchevalpourrentrer,quitteàleramenericidemain.Charleys’assitsurlebancprèsdeluiensecouantlatête.
—J’aiunemeilleureidée.Siturestaisici?Personnenet’attendcheztoi.J’aitoutcequ’ilfautpourledîneret,entrenous,tun’auraspasenviedemangergrand-choseaupetitdéjeuneraprèsavoirgoûtéàlacuisinedeJubilee.
Thatcherseretintdesauterde joie, luiquisenourrissaitexclusivementdeharicots tous lessoirsdepuisunesemaine.Ilhochalatêteaussilentementqu’ilput.
— Vous avez sûrement raison. C’est peut-être une meilleure idée. Je vous remercie de cetteproposition.
Dansunmêmeélantousdeuxétirèrentleurslonguesjambesjusqu’àlalimitedelapluieet,commetouslesgensdelacampagne,semirentàparlermétéoetchevaux.
LaconversationdérivabientôtsurlecadavredécouvertdansleRansomCanyon.Toutlemondeenville semblait avoir son idée sur lamanière dont il était arrivé là.Des dealers deChicago venus sedélestericideleurmarchandiseencombrante,unebagarredansunbardeLubbockouAmarilloquiavaitmaltourné…
—Cetteaffaireresterapeut-êtretoujoursunmystère,conclutCharley.—Non!Jevaisaiderleshérifàtravaillerlà-dessus,déclaraThatcherd’untonferme.C’estmon
ami,voussavez,etjepeuxvousdirequeçal’obsèdejouretnuit.—Jetecroisvolontiers.ThatchersepenchaversCharleyetbaissalavoix.—Vouscroyezqu’unhommecommeleshérifBrigmanpeutavoirunsecret?Unvraisecret,qu’il
cachedansuntiroirferméàclé?—Sansdoute.Jediraisquetouthommedetrenteansetplusaquelquessecrets.Peut-êtremêmede
quoiremplirplusieurstiroirs…—Etvous?Dites-moiundevossecrets.Charleysecoualatêteenriant.— Si je te les confiais, That, ce ne serait plus des secrets !Mais ce que l’on cache n’est pas
forcémentmauvais.Parfoiscesontjustedesrêvesquel’onn’apasenviedepartager.Thatcherhochagravementlatêteets’adossaaumur.L’obscuritégagnant,ilsretournèrentdanslamaison.Charleysortitdeuxsacsdechiliducongélateur,
lesmitàréchauffer,préparadupaindemaïsetservitcefestinavecdulaitbaratté.Lemeilleurrepasdumonde,songeaThatcher.
Tout lemondeparlaitenmême tempsaumomentdes’agglutinerautourde lapetite tablepliante.Lillie se fit une moustache de lait et les autres l’imitèrent aussitôt, avec plus ou moins de réussite.Thatchern’avaitpaslesouvenird’avoirriaussifortdetoutesavie.
Après le dîner, ils s’installèrent devant le feu etCharley essaya d’apprendre le poker à Jubilee.Tous, Lillie comprise, se révélèrent plus doués qu’elle à ce jeu ! Elle était toutefois de bonnecomposition,caraprèsavoirperdusonderniercure-dents,elleseproposapourfairelavaisselle.
Charleychuchotaassezfortpourqu’ellel’entendeaussi:—That,tuasremarquéquelalonguepériodedesécheresseaprisfinjusteaumomentdel’arrivée
deJubilee?—Qu’est-cequeçaveutdire,àvotreavis?répliquaThatcher,entrantdanssonjeu.Charley se pencha comme si leur conversationn’était pas destinée à être entenduede la cuisine,
maisnebaissapasletonpourautant.— Peut-être qu’en voyant Jubilee prendre la route du Texas, Dieu s’est dit qu’Il ferait mieux
d’envoyerlapluieavec.Deuxplaiesàlafois,c’étaittrop.—J’aitoutentendu!s’exclamaJubileeenriant.Enpunition,corvéed’essuyage!Charleyselamentaàvoixhaute,maisn’hésitapasuneseconde.
Thatcher s’assit par terre pour jouer aux cartes avec Lillie tout en les écoutant discuter dans lacuisine à quelquesmètres de là.La tête appuyée contre le canapé, il inspira lentement, profondément.Leur conversation assourdie lui évoquait une chanson douce aux paroles inaudibles, mais c’était unebonnechanson,illesavait.
Au retour, Jubilee avait lesmains chargées de guimauves, de barres de chocolat et de crackers,Charleydeplusieurscintresmétalliquesqu’ilavaitdépliésenpiques.
—Regarde,That!s’écriaLillie.Ledessert!Lafillettefitrôtirsesguimauvesets’appropriacellesdesonpère.Jubileeeutdessoucispourfaire
grillerlessiennescorrectement,tantelletenaitàcequ’ellessoientdoréesdepartoutavantd’êtreglisséesentre deux crackers. Thatcher enmangea une telle quantité qu’il craignit d’exploser pour peu que lesguimauvesgonflentdanssonventre.
Pour finir, Jubilee lui prépara un lit sur le canapé pendant que Charley allait coucher Lillie. Ilchoisitunlivresurunepetiteétagère,justepouravoirquelquechoseàfaire.
—Est-cequetuaimesleshistoiresdecow-boy?demandaCharleyenrevenantdanslesalon.—Jamaislu.—Alorsessaiecelle-là.C’estl’histoired’ungarsquiadorelerodéo.L’auteur,DustyRichards,est
unvraicow-boy.Ilapubliéplusd’unecentainederomansjepense,etilenécritencore.Thatcherhochalatêteparpolitesseetseblottitsoussacouverture.—Jem’ymetstoutdesuite,assura-t-il.Charleysemitàrirecommes’ilnelecroyaitpas.—D’accord!MoijevaisraccompagnerJubilee.—Jepeuxrentrerseule,protesta-t-elle.—Faites-moiplaisir.Sivoussortezsous lapluie touteseule, jevous imagineraiengluéedans la
bouejusqu’auxgenouxetjenepourraipasfermerl’œil.Allons-y,dit-ilenattrapantlecirésuspenduàuncrochetprèsdelaporte.
—Etsivoustombiezenrevenant,etquevousrestiezengluédanslaboue?—Jevousappelleraien rentrant, répliqua-t-il en tapotant sapoche.C’est-à-dire,dèsque j’aurai
récupérémontéléphonequej’aioubliésurvotretabledecuisine.Ilbranditleciréhumideau-dessusdesatêtecommeunparapluiecabossé.Ellelerejoignitsouscet
abridefortuneetilssortirentsouslapluieaupasdecourseenriant.Thatcher ouvrit le livre et commença sa lecture. Il savait qu’il se souviendrait toujours de cette
soiréedanssesmoindresdétails,unesoiréequiavaitéténormale,encompagniedepersonnesnormalesquis’étaientcomportéesnormalement.Iln’avaitjamaisrienvécudetel.
Sonavenirétaitlà,cependant.Unjour,luiaussiauraitunevienormale.
13
Charley10mars
Dèslespremierspasdanslaboueaupieddelagalerie,CharleyglissaunbrasautourdelatailledeJubilee.
Elleenfitautantetsecollaàlui.Ils ralentirent l’allure en arrivant dans le passage plongé dans l’ombre, à mi-chemin des deux
maisons.Lecorpsminceetélancédelajeunefemmes’ajustaitagréablementausien.Nil’unnil’autreneprononçauneparole,maisildevinaqu’ellesavouraitcetteintimitéautantquelui.
Lajournéequ’ilsvenaientdepasserensembleavaitchangéladonne.Ilyavaitdavantagequedelaconfianceentreeux,désormais, et il enétaitvenuàapprécier réellementcette femme.Ellen’étaitpasfolle.Elleétaitjusteeffrayée.
Lorsqu’ils atteignirent le seuil de lamaisonprincipale, elle s’assit sur le perronpour retirer sesbottes.
—Merci,murmura-t-elle.Jemesuisbienamuséecesoir.Celafaisaitlongtemps…—Jedoutequelechilietlepaindemaïssoutiennentlacomparaisonavecungrandrestaurant.Et
lesguimauvesgrilléesn’ontriendetrèsfestif!—Détrompez-vous!Jedoisavoirencoreunmorceaudeguimauvesurlajoue.Iltournadélicatementsonvisageverslui,brossadupoucelapetitetacheblanchesursajouegauche
etseléchaledoigt.—Encoretiède,dit-ilavecunclind’œil.Les yeux bruns de Jubilee s’écarquillèrent sous l’effet de la surprise— ou peut-être d’un autre
sentiment?Iln’avaitpascalculésongeste,maistoutsonsang-froidnefutpasdetroppourseretenirdes’inclinersurseslèvrespourvoirsiellesaussiavaientungoûtdeguimauvetiède…
Alaplace,ils’adossaaupilierdelagalerie.—Pourquoiavez-vousditqueceranchétaitvotredernièrechance,Jubilee?Vousaviezsûrement
unecarrièreencoursàWashington.Iln’étaitpassûrqu’elleseconfie,maisiltenaitàtentersachance.—J’aiperdumonjob.Jedirigeaisdescampagnesélectoralesetmontroisièmecandidataperdu.
J’aitellementtravaillé,desannéesdurant,quejen’aipaseuletempsdedépenserbeaucoup,sibienquej’avaisdeséconomies,maisellesn’auraientpasdurélongtemps.Pasdetravail.Pasd’avenir.Nullepartoùaller.Puis,j’aihéritéceranch.Madernièrechance.
—Jecomprends.EtceluiquipartageaitvotrevieàWashington?
—Il est parti quelquesmois avant les élections.A dire vrai, c’est à peine si j’ai remarqué sondépart.Aumoins,ilaétépluscorrectquelesautres,mêmes’ilnem’apasépargnélalistedemesdéfautsavantdemequitter.
—Desdéfauts,vous?—Jesuiségocentrique,cassanteetincapabled’amour.Tousmespetitsamisontditlamêmechose,
cedoitdoncêtrevrai.Jen’aipasdecœur.Charleysecoualatête.—Impossible.—Non,c’estvrai.Jen’ai jamaisconnud’hommequin’aitpasdisparudu jourau lendemain.Ce
seraitbonderencontrerjusteunefoisquelqu’unquiresterait.—Leuravez-vousseulementdemandéderester?—Non…Jen’avaispasassezd’amourenmoipourqu’ilssedonnentcettepeine.Le halo de la lanternemurale sur le rideau de pluie avait quelque chose d’envoûtant. C’était la
première fois qu’ils se parlaient tous les deux, qu’ils se parlaient vraiment. C’était peut-être le bonmomentpourlaprendredanssesbras?sedemandaCharley.Pluslesjourspassaient,plusilenrêvait.Hélas,ellen’esquissaitpasungesteencesens,mêmeenluiracontantsavie…
Il se redressa et croisa les jambes. Comme ils riaient en partageant les erreurs qu’ils avaientcommises,Jubileenecessaitdeluitapoterlegenououlajambe.
Ill’observamieux.Cespetitestapes,c’étaientlesgestesd’uneécolière.Toutautrecontactauraitététropintime.C’étaitpeut-êtreledébutdequelquechose,maisellen’étaitpasprêteàallerau-delà.
Ilselaissafaire,nebougeapas.Commelapluiesecalmait,ilselevaetluitenditlamain.—Jeferaismieuxderentrer,dit-il,pluspourlui-mêmequepourelle.—Jesais.Ilsefaittard.Maisellenebougeapaspourautantetrestalà,immobile,àleregarder.—Jubilee,quandvoussaurezcequevousvoulez,prévenez-moi.Lesmots luiavaientéchappéavantqu’iln’aitpu les retenir. Iln’étaitpascertainde leursens, il
savaitseulementqu’ildevaitlesprononcer.Elle eut la grâce de ne pas faire comme s’ils parlaient du ranch. Ses yeux bruns l’étudièrent un
momentavantqu’unsanglots’étrangledanssagorge.—Jenesauraispasquoidemander,murmura-t-elle.—Unamipeut-être,pourcommencer?Quelquechosemeditquevousenauriezbesoinetjesuisun
peuàcourt,moiaussi.Ellehochalatête,unpeutremblante,tandisqu’ill’attiraitlentementcontrelui.Unlongmoment,illaserradanssesbrascommeilenavaitenviedepuisdesjours,dessemaines
peut-être.Raideetnerveuseaudébut,commesiellerefoulaitseslarmes,ellesedétenditpeuàpeu.—Vousvalezbeaucoupmieuxquecequevouscroyez,Jubilee.Ilauraitaiméajouterqu’ellevalaitlapeined’êtreaimée,maisilnepouvaitpasledireàvoixhaute.
Pasencore.Leshommesquil’avaientquittéen’avaientaucuneidéedelafemmequ’elleétaitvraiment.
14
Lauren13mars
Crossroads,Texas,étaitsansdoutelapiredestinationpourlesvacancesdeprintempsd’unétudiantdedernièreannée.Letempsétaitencoretropfroidpoursemettreenmaillotdebain.Laurensongeaàsesamiesquiavaientpoussé jusqu’àGalveston,àcellesqui s’étaientembarquéespourunecroisièreversCancun.Dansunesemaine,ellesreviendraientavecunjolibronzageetunefouled’histoiresàraconter.
Et elle, oùétait-elle ?A lamaison,pour lesderniers congésde sa carrièred’étudiante.Samèrel’exhortaitàréviserpourlesexamensduderniersemestre.Sonpèrel’avaitréclaméeàlamaison,commetoujours…Avecunemotivationsupplémentaire,cettefois.Apparemment,sonnouvelassistantenquêteurlerendaitfou.Il l’avaitsuppliéeautéléphonedeveniràsonsecours.Timtravaillaitavecluidepuisàpeineunesemaineetiln’enpouvaitdéjàplus!
—C’estunécrivain,papa.Ilestnormalquesonespritvagabondedumatinausoir.— Il tourne à plein régime, oui !Quand je suis là, ilmeparle tout le temps.Si jem’envais, il
imaginedesthéoriesqu’ilmesoumetàlasecondeoùilmevoit.Unjour,ilacouvertunmurentierdemonbureaudephotosetdenotes,prétextantqu’ilfallaitvisualiserlesscénarios!Commesicecadavredanslecanyonétaitunecrisenationale!
Lauren était donc revenue chez elle dans l’idée de jouer les baby-sitters auprès de Tim tout enréfléchissant à son avenir après le diplôme. Elle avait économisé suffisamment sur l’argent de sonanniversaire et de Noël pour aller passer unmois en Europe. Plusieurs amies l’avaient invitée à lesaccompagner.L’uned’ellesavaitmêmeunetantehabitantLondres.
Mais si son père avait désapprouvéCancun etGalveston, l’Europe risquait de lui plaire encoremoins…
Cestadede savie lui semblaituncarrefourouvrant surplusieurscheminspossibles.Crossroadssemblaitdonctoutindiquépourfaireseschoix.
AumomentdepousserlaporteduDorothy’sCafésurMainStreet, l’idéeluivintqu’ellepourraitouvrirunautrecaféicienville.Aconditiondeprendred’abordunemploidecuisinièreoudeserveusepourapprendrelemétier.Elleavaittoujoursaimélesémissionsdecuisine.Etsic’étaitsavocation?
Seulement,l’établissementétaitdésert.Mauvaiseidée,d’ouvriruncafédansunevillequin’arrivaitdéjàpasàenremplirun.Ilétait14heures,quelqu’unallaitsûrementprendreundéjeunertardif,commeTimetelle?
Elleaperçutsonamidansledernierboxdufond,prèsdupasse-plat,etsourit.Lorsqu’ilsavaienthuit ou neuf ans, lamère de Tim les accompagnait ici et les laissait commander et déjeuner seuls le
mercredi, l’été, pendant qu’elle allait donner son cours d’arts plastiques. Son père à elle venait leschercheruneheureplustardetlesgardaittoutl’après-midi.
Commeelles’étaitsentiegrandeetadulte,lepremierétéoùcettelibertéleuravaitétéofferte!Timcommandait invariablement un cheese-burger avec double portion de frites, tandis qu’elle épluchait lemenuetcomposaitunrepaschaquefoisdifférent.
—Ilétaittempsquetuarrives,ditTimendépliantsagrandecarcassedelabanquettepourlaserrerbrièvementdanssesbras.
Elleneréponditpas,méduséeàlavuedelamétamorphosedesonami.Depuisqu’elleétaitpartie,finfévrier,ils’étaitrasélabarbe,coupélescheveuxethabilléàlamodeSherlockHolmes,lechapeauenmoins.Ilneluimanquaitqu’unepipeàlamain!
—Monpèremeditquetutravaillesdouzeheuresparjour,Tim.Toutecettedosederéaliténetefaitpaspeur?
—Jetravailleofficiellementjusqu’àsondépartdubureau,pasplus.Passé17heures,ilditquejefaisdubénévolat,maisjem’enfiche.Découvrirlescausesdelamortdecepetitvieuxestdevenuuneobsessionpourmoi.Pareilpourtonpère.
Ellelecrutvolontiers.Amoinsqu’ellenel’attendeàlamaison,sonpèrenevoyaitaucuneraisonvalabledecesserletravail.Ensaqualitéd’uniquepolicierdelaville,ilfaisaitsouventdessemainesdesoixanteheuresetplus.
—Jemeursdefaim,dit-elle.Raconte-moipendantquejemange.Timseglissadel’autrecôtédelatable.—Moiaumoins,j’arrêteaumomentdudéjeuner.Tonpère,j’ensuismoinssûr.Dorothyleshélad’unevoixsonoreàtraverslepasse-plat.—J’aienvoyélanouvelleserveusesefairecontrôlersavision,personnenevousdonneralacarte.
Vousn’enavezpasbesointouslesdeux,detoutefaçon,hein?Dites-moicequevousvoulezetjevouslepasseraiparici.Pourlesboissonsvousn’aurezqu’àvousservirtoutseuls!
—Entendu,réponditTim,maisnousnelaisseronspasdepourboire.Dorothyéclataderire.—Ça ne te changera pas beaucoup, TimO’Grady ! Je te le dis tout net, quand tu publieras un
bouquinetquetudeviendrasricheetcélèbre,j’enveuxunexemplairegratuitetdédicacé!—Promis.Timclignadel’œilversLaurenetchuchota:—Jenepeuxpasfairemoins,c’estavecsescuisinièresquej’aiapprisl’essentieldemonlangage
ordurier…Quelquesminutesplustard,ilspassèrentcommandeetTimallachercherleursboissonsderrièrele
comptoir.Laportetintaetdeuxchauffeursroutierspénétrèrentdanslecafé.Unchapeletdejuronss’élevaderrièrelaportebattantedescuisinesetDorothysurgitpourallerprendreleurscommandes.
Tim revint s’installer à leur table et semit à raconter ce qu’il avait découvert au sujet du corpsretrouvé dans le canyon, dans lesmoindres détails…Au temps pour les informations confidentielles,songeaLauren.
Ils’étaitrendudanslesFailles,prèsdelafrontièrenordducomté,aupieddesmontagnes.— Les routes sont inexistantes dans ce coin reculé, dès que l’on quitte la 111. Une partie des
habitantsdecettecambrousseoccupentsûrementdesterrainspublics,maispersonnenevientlesembêter.Aucunn’aacceptédemeparlerjusqu’àcequeCharleyCollinsmesuggèred’emmenertonpetitcopain,ThatcherJones.
—Ce n’est pasmon petit copain ! protesta-t-elle tout en se demandant dans quels ennuis s’étaitfourréThatcherdepuisladernièrefoisqu’ilss’étaientvus.
Timsemitàrire.
—Al’entendre,vouspourrieztrèsbiensortirensemble!Iltetrouvejusteunpeutropvieillepourlui…
Laurenfaisantlagrimacepourtoutcommentaire,Timhaussalesépaules.— Peu importe. Retour à mon enquête. Thatcher sait parler avec les énergumènes du cru. Une
communautétrèsétrange,entrenous.Ellemerappelleunpeulescampementsdehors-la-loid’ilyacentans,telsquejelesimagine.Certainssurviventcommeilspeuvent,enfaisantpousserleurnourriture,enchassantdescerfsetdeslapinsetmêmepeut-êtreàl’occasionlesveauxd’unranchducoin…Ilsfontdutrocpourseprocurerlenécessaire.Jedoutequequiquecesoitlà-basaitrempliuneseuledéclarationd’impôtsdanssavie,maisçanelesempêchepasd’êtreintéressants.
LesyeuxdeTimbrillaientd’excitation.Ilvenaitdedécouvrirunautremondeàquelqueskilomètresdechezlui.
—Cespersonnagessontincroyables,poursuivit-il.Ondiraitqu’ilssortenttoutdroitd’unlivre!Ilsparlent entre eux une langue d’autrefois, qui mélange religion et superstition. Ils ne connaissentévidemmentni lesportablesni lesordinateurs,certainsn’ontmêmepas l’eaucourante,mais ilssaventdestasdechoses.J’étaislà,devanteux,avecmondiplômeuniversitairetoutfrais,etplusieursavaientl’airdésoléspourmoiparcequejenesavaispasquej’avaislespiedsdanslesumacvénéneux,ouparcequejen’avaisjamaisvuuncochonpendupourêtresaigné…Unevisionquej’espèrenejamaisrevivre,ajouta-t-ilensefrottantlesyeux.
—As-tutrouvédesindices?s’enquitLaurenpourtenterdeleremettresurlesrails.—Ah,oui,l’enquête!Thatcheraréussiàfaireparlerdeuxoutroispersonnes,quiontditavoirvu
quelqu’uncorrespondantàladescriptiondelavictime,quelqu’unquihabitaitàl’écart.Untypeavaitlesouvenir dedeux tatouages àmoitié effacés.Unautre adit qued’après lui le gars faisait pousser sonherbe.
—Ilsseraientcapablesdel’identifier?—Non.Le seulnomque j’aipuobtenir, c’estEnjoliveur. Ilpeignaitdevieuxenjoliveursetdes
boîtesauxlettresaussi,pourlesfoiresdel’automne.Quisevendaientbien,paraît-il.—Ehbien,c’estunbondébut!A l’arrivée des hamburgers, la conversation dévia sur les officines de tatoueurs puis, lorsqu’ils
commandèrentdeuxpartsdetarteauxcerises,Timluiexposasursa lancéetoutes les idéesd’histoiresqu’il avait rassemblées, au point queLauren se demanda s’il avait trouvé ne serait-ce qu’un seul faitréellementutileàl’enquête.
Enfin,horsd’haleine,Timserenversacontreledossierdelabanquetteetlaregardafixement.—Aquoipenses-tumaintenant,Sherlock?luidemanda-t-elle.—Jerelisaismaliste…Tusais,cettelistementalequel’onatousentête,decequel’onveutfaire
ouquel’ondevraitfaireavantdemourir…—D’accord,murmura-t-elle,songeantqu’elleavaitoubliédecommencersapropreliste.—Quandj’allaisàl’école,jepensaisapprendreàécrire,maisj’avaistort.Cen’étaitqu’undébut.
Cequej’aibesoindesavoirestlà,danslemondequim’entoure!J’aibesoindevivre,dememettreàlaplacedesautres,degoûteraubienetaumal.
LaurenavaitdéjàsuiviTimsurcecheminquinemenaitnullepart,etellesavaitquecen’étaitquedes paroles en l’air. Une année, son ami avait exprimé l’envie de tenter l’ascension du Denali et detraverser l’Afrique.Un autre été, après avoir avalé une documentation complète sur l’aéronautique, ilvoulaits’engagerdansl’arméedel’airetpiloterdesjets.
—Alors,Tim,oùveux-tuallermaintenant?—Nullepart.Jeveuxrestericietapprendreàmieuxcomprendrelesgens.Pourquoiilsaimentet
pourquoiilsdétestent.Pourquoiilss’établissentdanslesFaillesalorsquelacivilisationn’estqu’àunepoignéedekilomètres.PourquoiilsrestentàCrossroadsalorsquelavillen’estpassiloin.
—PourquoiilshabitentLubbockalorsqueNewYorkn’estqu’àtroisheuresdevol?—Exactement.Pourquoiilssupportentlebruitinfernald’unegrandeville,alorsqu’ilspourraient
vivredansunranchprèsdeCrossroads.Ilssemirentàriretouslesdeux.Timtenditlamainetlaposasurlasienne.—Enquoipuis-jet’aider,Tim?Timplongeasonregarddanslesien.—Situcouchaisavecmoi,L?—Pardon?Ellenesutquoiajouter.Unmoment,ellecrutquecelafaisaitpartiedujeu,maisleregarddeTim
étaittropsérieux.Ilneplaisantaitpas.—Tum’asbienentendu.Noussommesdeuxadultes.Jeveuxsavoirqueleffetçafait,decoucher
avec une amie.Nous pourrions discuter pendant. Pas question d’amour ou de séduction, au contraire,c’estl’absenced’émotionquim’intéresse.Tuesmameilleureamie.Tuseraislafilleparfaitepourcetteexpérience.
Lauren eut la sensation qu’ils voguaient jusque-là sur un bateau de croisière et qu’elle venait debasculerpar-dessusborddansunemerinfestéederequins.Timl’avaitembrasséedesdizainesdefois…parjeu.Pasplus.Pasparcequ’elleluiplaisait…
La porte battante des cuisines s’ouvrit brutalement etDorothy jaillit dans la salle.A son regardfuribond,Laurencompritaussitôtqu’ellenevenaitpasremplirleursverres.
Dorothybranditunegrandepoêleàfrireetl’abattitsurlatêtedeTimquipoussauncriétoufféetlâchalamaindeLauren.Puisellecalalespoingssurseshanches,sanslâchersapoêle.
— Tim O’Grady, tu as déjà dit des choses absurdes au cours des années, mais ton idéed’aujourd’hui bat tous les records ! Tout le monde te trouve très créatif, mais un petit ajustements’impose.
Timsefrottalecrâneetcontemplasesdoigts,cherchantdestracesdesang.—C’étaituneconversationprivée,Dorothy.Jetravailleaubureaudushérifet,sauferreur,ceque
vousvenezdefaireestuneagressioncaractérisée.—C’estça,vadoncfairetonrapportetnousverronslaréactiondushérifquandtuluirépéterasce
que tuviensdeproposeràsafille !Lesballesferontsûrementplusmalquemapoêleàomelettes.Tumourraspuceau,petit, si tu t’imaginesqu’uneseule femmesurcette terrese laisseraitcharmerparcesâneries!
Laurens’étouffaitderire.—Ellearaison,Tim…—Entoutcas,elleenestfermementconvaincue!s’exclamacedernier.Ilinspiraàfond,manièredereconnaîtresadéfaite.— Pardon pour cette suggestion, L, dit-il avant de se tourner lentement vers Dorothy.Merci de
m’avoirremissurledroitchemin.—Derien.Laisseunpourboireenpartant,mongarçon.Lacervellebrouillée,c’estensupplément.Là-dessus,elletournalestalonsetdisparutencuisine.Lesdeuxroutierslaissèrenttomberunbilletsurlatableetsortirentsansdemanderleurreste.EnsortantduDorothy’sCafé,Laurenriaitsifortqu’elledutsetenirleventrepourpouvoirmarcher
droit.Timavaitlaissédixdollarsdepourboire.—Tuveuxvenirvoircequej’aifaitpourl’enquête?demanda-t-il,semblantavoiroubliécequi
venaitdesepasser.—Biensûr,répondit-elleensouriant.Toujoursamis?Ilparutunpeuétonné.—Evidemment!
—Tuvasdevenirungrandécrivain,Tim,affirma-t-elleenluiprenantlamain.Jelesais!—Etcommentlesais-tu?—Parcequetonespritnefonctionnecommeaucunautre.Timglissasamainlibredanssatignasserousse.—Encette seconde, ilne fonctionneplusdu tout,marmonna-t-il.Siça se trouve, j’aiune lésion
cérébrale.Sijemeurs,tuviendraspleurersurmatombe?—Avecplaisir.Aquoiserviraientlesamis,sinon?—Je suismal placépour répondre à cette question.Quoique…J’ai découvert tout récemment à
quoiilsneserventpas.«Amisavecavantagesassociés»,tuparles…Cettemoden’apasprisauTexas.Laurenpouffadeplusbelle.—AvecDorothydanslesparages,ellen’estpasprèsdeserépandre!
15
Charley16mars
Le parfumde cannelle cueillitCharley dès son entrée dans la cuisine. Jubilee s’était remise auxfourneaux,semblait-il.D’iciàcequ’ilfassepleinjour,ilallaitdevoiravaleravecefforttoutcequ’elletentait de préparer… Pas son truc, la cuisine. En revanche, elle avait un don indéniable pour ladécoration.Lavieillebâtissen’avaitjamaisparuaussipimpante.
Il parvint à trouverune tassede café et s’assit avant qu’elle arrive en trombedans lapièce, seslongscheveuxblondsvolantderrière telleunecape.Depuisqu’elleavaitoublié lestressde lagrandeville,ellerajeunissaitdejourenjour.Bientôt,ilseretrouveraitavecdeuxpetitesfillesàélever!
—J’aioubliécombiendeminutes lepaindoitcuire,d’après larecette!cria-t-elleenouvrant laportedufour.
Uneodeurdebrûléembaumaaussitôtlacuisine.—Amonavis,c’estcuit,répondit-ilendissimulantunsourire.Iltenditlamainverslesboîtesdecéréalesquitrônaientdésormaisenpermanenceaucentredela
table,parmiunedizainedemanuelsdejardinage.—Jecroisqueçaira,dit-ellesansseretourner,penchéesurl’ouverturedufour.Jevaissimplement
raclerlespartiescalcinées.Lepainserabonàl’intérieur.Lesyeuxfixéssursondos,Charleygardalesilence,devinantqu’elleréfléchissaittouthaut.Cette
habitudechezelleluiplaisait.Sansdouten’avait-ellemêmepasconscienced’avoirprononcécesmotsàvoixhaute.L’avantage,lorsqu’elleseparlaitainsiàelle-même,c’étaitqu’ildécouvraitsespenséessansêtreobligédeparticiperàlaconversation.
Unefoislacroûtenoireretirée,lamichedepainavaitlatailled’unemottedebeurre.Commeelles’approchaitdelatableavecsontrésor,Charleyrepoussasonboldecéréalesvide,selevaetluitintlachaise,commeaurestaurant.Lorsqu’elles’assit,illuieffleural’épaule.
—Pasmal,dit-ilenjetantunregardàcequiavaitétépendantunbrefmomentunemichedepain.Vousdeviendrezviteunecuisinièreaccomplie.
Commesouvent,elleseredressaenesquissantunsourireforcé.—Autravail!décréta-t-elle.Paroùallons-nouscommencer?J’aiquelquesidéespourlejardin.
Nouspourrionsaussiplanterdestomatesaupieddelagalerie.J’airéfléchiaumeilleurmoyendevousaiderpourcechampquevousvoulezensemenceretsivousmepréparezuneliste,j’iraichercherles…
—Toutdoux,Jubilee.Toutdoux.
Illuiremplitunetassetoutenredoutantl’effetdelacaféinesursesnerfs.Cesdernierstemps,elleétaitdanscetétatchaquematin,presséededémarreraugalop.
—Nousavonstoutelajournéedevantnous,poursuivit-il.Prenonsd’abordquelquesminutespourdresserunplan,celanousferagagnerdutempsensuite.Jepensaiscommencerparm’occuperdel’écurie,sivousvoulezbienallercherchernotrenouveaupensionnairechezlevétérinaire.Unejumentmustangquiestdansunsaleétat.Ledoclachargerapourvousetjelaferaidescendreàl’arrivée,vousavezjustelavoitureàconduire.Lentementet sansà-coups.Et rappelez-vousde traverser lesbarrièrescanadiennesd’unseulcoup,sinonlaremorquerisquederestercoincéedanslagrille.
—C’estdansmescordes.Aprèsavoirfendulamicheminiature,elleluientenditlamoitié.Ellemaîtrisaitdésormais le levierdevitessedupick-up,quandbienmêmeelle sautaitparfois la
seconde.Elleluiavaitproposéunmarché:ilsutiliseraientsonpick-uppourtouslestravauxduranchetellepaieraitlecarburant.Celaluireviendraitmoinscher,disait-elle,quedenettoyersavoituretouslesdeuxjours.
Illuiversasescéréalescommesielleavaitl’âgedeLillie.—Mangez,insista-t-il,notantqu’elleavaitmaigridepuissonarrivée.Nousavonsquelqueslistesà
prépareravantdequittercettetable.Ellesourit.—Est-cequel’onvousadéjàditquevousétiezunvraipetitchef?—Non,répondit-ilenrefoulantunrire.J’aichaperonnémonpetitfrèrependantdesannéesetiln’a
pasretenuunmotdemesgrandsdiscours.—Magrandesœurnem’ajamaischaperonnée.Ellen’avaitpasletemps,elleétaittropoccupéeà
m’ignorer.Unjourmamèreamentionnémonnometelleademandé:«Quiça?»commesielleavaitoubliéqu’elleavaitunesœur.
LeriredeCharleys’étrangladanssagorge.Jubileedisait lavérité,c’étaitévident,etcettevéritén’étaitpasbien joyeuse. Il était toutefoisheureuxd’avoir trouvéavecelleunmodede fonctionnementpaisible. Jubileeet luin’avaientencommunque le travail,maisquelquepart cela suffisait.Leplaisirqu’il éprouvait à avoir quelqu’un avec qui discuter n’en finissait pas de l’étonner. Parfois, il avait lesentimentd’avoirétéseul,entêteàtêteaveclui-même,depuissanaissance.
Le souvenirde leur échange le soirde la tempête lui traversa l’esprit.Quel agréablemoment ilsavaientpassé…Arenouveler,songea-t-il.
Alorsqu’ilsbouclaientleurprogrammedelajournée,letéléphonedelacuisinesemitàsonner.—Qui…?balbutiaJubileeensedirigeantversl’appareil.Charley termina sa tasse de café et se leva pour partir. Quel que soit le correspondant, cette
conversation ne le regardait pas. Jubilee avait évoqué à plusieurs reprises un ancien petit ami àWashington.Peut-êtreletypenourrissait-ildesregrets.Peut-êtreappelait-ilpourl’inciteràretournerlà-bas.Depuis qu’elle s’habillait et se coiffait enfin convenablement, elle n’était pas vilaine du tout. Ill’imaginaentailleuret talonshauts…Ravissante.N’importequelhommesaind’espritvoudrait lavoirrevenirdanssavie.
Etcetteidéelecontrariaitprofondément.Iln’avaittoutefoisaucuneenviedesedemanderpourquoi.Jubileeétaitsapatronne,pointfinal.Sonamieaussi,peut-être,maisl’uncommel’autresouhaitaientqueleursrapportss’entiennentlà.Ilétaitexcluqu’ilss’engagentdansuneautresortederelation.
Lanuitsouslapluieluirevintbrutalementenflash,commeunéclairpendantunoragesec.C’étaitsidouxdelasentirpresséecontrelui,pendantqu’ilsmarchaientdanslaboue.Enarrivantsurlagalerie,ilss’étaientarrêtésquelquessecondes.Lapluiedégoulinaitdesonciré.Letempsd’unbattementdecœur,nil’unnil’autren’avaitfaitminedes’écarter.Puislemomentétaitpassé…
LavoixhésitantedeJubileel’arrachaàcesouvenirquil’avaithantétoutelasemaine.
—Allô?—Jub!Unevoixsuraiguësortitdel’appareil,sicriardequeCharleyl’entenditdepuislaportedederrière.Il revint sur ses pas et se rapprocha de Jubilee, redoutant une nouvelle dramatique. Un voisin
blessé?Unaccidentducarscolaire?—Destiny?chuchotaJubilee.Ceseulpetitmotexsudaitlapanique.Charleysedétendit.Destiny,c’étaitsasœur.Rienàvoiravecleranchniaveclui.Il inspiraprofondémentetbaissalesyeuxsurlajeunefemme.Lapeurdansaitdanssesjolisyeux
bruns.Ilposaspontanémentlamainsursataillepourluioffrirunsoutien.—Evidemmentquec’estmoi!crialavoixàl’autreboutdufil.Jetecherchedepuisdesheures!Je
pensais arriver à la ferme deGrandpa tôt cematin,maisGoogle est incapable de trouver l’endroit !C’étaittoutlui,ça,d’habiterlittéralementaumilieudenullepart.Unvieuxperversdingo,commedisaitpapa!
JubileecontemplaitCharleyquilutsansdifficultéunappelàl’aidedanssonregardpaniqué.Sanssedonnerlapeinedefairecommes’iln’avaitpasentendulatiradedeDestiny,ilsepenchasur
l’oreillelibredeJubileeetchuchotad’unevoixdélibérémentconfuse:—QuiestGoogle?EtquidiableestGrandpa?Jubileelerepoussadequelquescentimètresetpouffa.Maissamainrestaposéeàplatsursontorse,
commesielleavaitbesoind’unpeudesaforceavantdeseconcentrersurl’échangeautéléphone.—Oùes-tu,Destiny?—Jesuisdansuntroquetminable,dansunepetitevilleencoreplusminable!s’exclamasasœur.
Nonmais,tulecrois,toi?PasunStarbucksdanslecoin!Jemesuisgaréetoutàl’heuredel’autrecôtéde la ruepourdemandermonchemin, et quand je suis entréedans ceque je croyais être la réceptiond’uneentreprisequelconque,unedemi-douzainedevieillardsontessayédem’expliquercommentarriverchez toi et ensuite ils ont décrété à l’unanimité quemaCooper ne tiendrait pas la route. Tu te rendscompte?Tuasemménagédansunendroittropboueuxpourquel’onyaccèdeenvoiture!
Jubileesemassalatempedesamainlibre.Puis,commesic’étaituneroutine,ellelareposasurlapoitrinedeCharleyetsemitàjoueravecunbouton-pressiondesachemise.
C’étaitladescriptionlaplusexaspérantequ’ilaitjamaisentenduedesaville.Ill’écoutanéanmoinsjusqu’auboutavantdeposerlamainsurcelledeJubilee.
—Jevaism’enoccuper,murmura-t-il.Vousvoulezqu’ellevienneici,ouqu’ellereparte?Jubileecouvritlemicroducombiné.—Ellenepartirapasavantdem’avoirditcequ’elleestvenuemedire.Quoi?Mystère.Vousiriez
lachercher,vraiment?—Laremorqueestdéjàenplace.JeramèneraiaussilaCooper.Jubileeéclataderireavantdeplaquerlamainsursabouche.—Jubilee ! s’écria lavoixdu téléphone.Tune te senspasbien?Unecrisedequelquechose?
Jubilee!Charleypritalorsleschosesenmain.—Destiny?IciCharleyCollins,lecontremaîtredeMlleHamilton.Jeviensvouschercherdèsque
possible.Restezoùvousêtes.Etprenezlespancakes!Aumomentderaccrocher,ill’entendithurler:—Commentsavez-vousoùjesuis?Etquiêtes-vous,d’abord?Commentvais-jefairepourvous
reconnaître?Jubauncontremaître?Charleys’appuyaaumurprèsdeJubileequiriaitencore.—Est-cequevotresœurcessedeparler,detempsentemps?
Jubileesecoualatête.—Bien.Danscescas,ellevoyageradanslaremorqueaveclajument,décréta-t-il.Elle se remit à rire sans la moindre retenue, cette fois. Un bon vieux fou rire convulsif,
irrépressible, à se tenir le ventre. Elle tangua vers lui comme s’ils partageaient une bonne blague etn’avaientpasenviequ’onlesentende.
Commeelleétaitjolie,quandelleriait!Celadevraitluiarriverplussouvent,décida-t-il,incapablededétacherlesyeuxdecespectacleetpartagéentrel’enviedelachatouilleretcelledel’embrasser.
—Toute savie, articulaenfin Jubilee, recouvrant tantbienquemal son sérieux,Destinya rejetétous les problèmes dumonde sur les autres. Elle amême décrété que sonmari était trop viril et quec’étaitpourçaqu’elleseretrouvaitàgérerdeuxenfantsencouches!Lefaitqu’elleaitunenounou,unegouvernanteetunecuisinièreàdemeurenecomptepas,biensûr.
Charleysuivaitàpeinelaconversation.Ilvoulaitl’aider,mais…Ilavaitaussid’autreschosesentête.SiJubileeposaitencoreunefois,uneseule,lamainsursontorse,ilveilleraitàcequeplusaucunmillimètrenelessépare.
Ellecontinuaitdeparler,inconscientedecetteproximitéplusquetroublante.— Si je n’écoute pas le problème qu’est venue m’exposer ma sœur, elle sera encore plus
bouleversée…—Alorsjeferaismieuxd’allerlachercherrapidement.Ilsedétachaenfindumuretenfonçavivementsonstetsonsursatête.Ilavaitbesoindemettredela
distanceentreJubileeetsesproprespenséesenrouelibre.Laprochainefoisqu’elle joueraitavecsesboutonsdechemise,ilrisquaitfortdeluimontreràquellevitessecegenredevêtementpouvaits’enlever.
—Merci, Charley. Le problème doit être grave, pour qu’elle n’aille pas plutôt le confier à nosparents.
Elleluitapotalapoitrinejusteau-dessusducœur.—Vousêtesmonhéros,CharleyCollins !Cettemissionvabienau-delàdevotredescriptionde
poste.Il songea à répliquer que son travail consistait précisément à prendre soind’elle et de ce ranch,
maisilcraignitdeparaîtrepesant.Lecheminpourenarriveràsefaireconfianceavaitétélong,iltenaitàcequel’ambiancerestedétendueentreeux.
Maisilavaitbesoind’air,toutàcoup.Dedistance.Besoind’elle,bonsang!Ilfitquelquespasverslaporteavantdeseretourner.—Noussurmonteronscettecontrariétéimprévued’unemanièreoud’uneautre,affirma-t-il.Sivous
avezbesoind’aidepourenterrerlecorps,faites-moisigne!—Unefoisquevousaurezrencontrémasœur,jevousparaîtraiunange,àcôté.Laissezsavoiture
enville.Etbandez-luilesyeux,qu’ellenepuissejamaisretrouverlecheminjusqu’ici.—J’aidéjàréfléchiàlaquestion.Atoutàl’heure,patron!Unedemi-heureplus tard, ilétaitconvaincuqueDestinyétaituneplaieplusravageusequecelles
apportéesparMoïseenEgypte!TouteslespersonnesprésentesauDorothy’sCaféparurentsoulagéesdelavoirpartir.Etpourcause!Apeineinstalléedanslepick-up,ellesemitàenchaînerlesjérémiadessurundébitdemitraillettebiengraissée.
—Vousnelavezjamaisl’intérieurdecettechose?Jesenscommeuneodeurdecadavrequisuinte.N’ouvrez pas la vitre, on ne sait pas ce qui pourrait entrer. La clim nemarche pas ? Il n’y a pas deceinturedesécurité?Jenerisquepasdeposermonsacàmainsurlesol!
Charleyluijetaunregardencoin.Elleluisemblaitsijoliepourtant,cinqminutesplustôt,lorsqu’ilétaitentrédanslecaféetl’avaitvue,isoléedanssonbox,l’airperdu.Unebeautélisseetsophistiquée,avecsesboucleschocolatcascadantsurunepoitrinegénéreusemouléedansunepetiterobedécolletée.
Maisdepuisqu’elleavaitcommencéàparler,elleenlaidissaitdesecondeenseconde.
—Non,dit-il,cequirépondaitàtoutessesquestions,oupresque.—Evidemment.Quelledistancejusqu’àlaferme?—Leranch,rectifia-t-il.—Qu’est-cequec’estqueceboucanàl’arrière?Mamigrainenes’arrangepas!—C’est la jument que j’ai récupérée avant d’arriver en ville.Elle est gravement blessée et pas
franchementravied’êtrechahutéedansuneremorque.Elleessaiedesortirenmartelantlacloisonavecsessabots,maisnevousinquiétezpas,ellen’yarriverapas.
Destinytournavivementlatêteversluietlefusilladuregard.—Vousêtesentraindemedirequevousvousêtesarrêtépourembarquerunchevalavantdevenir
mechercher?—Exact.Jenevoulaispasfaireattendrelecheval.Ils’abstintdelaregarder,maisileutlacertitudequedelavapeurluisortaitdesoreilles.Ellegarda
lesilencependantlamoitiéd’unechansoncountry,jusqu’aumomentoùilcommitl’erreurdesedétendre.—Quelestletravaild’uncontremaître?Lesmotsjaillirent,secs,tranchants,fouettantl’airtièdematinal.Avantqu’iln’aiteuletempsderépondre,elletournadenouveaulatêteverssavitre,commesiun
regarddesonchauffeurpouvaitserévélermortel.—Oh!Etpuis,jem’enfiche!Masœurvouspaietroppourcequevousfaites,j’ensuissûre.Un
problèmedeplusàajouteràlalistedeceuxquejevaisdevoirrésoudre,dit-elleavecunsoupirexcédé.Mapetite sœur est une idiote.Elle n’avait pas besoin d’une carrière. Je lui avais dit depuis le débutd’épouser David. Mais non, elle a voulu travailler, et maintenant elle a perdu toute chance de fairecarrièreouderécupérerDavid,etc’estmoiquisuisobligéedelasauverdecettepanade!
Charleyabaissasavitre.RiendecequientreraitparlànepourraitserévélerplusdangereuxqueDestiny.
Leventluiébouriffantlescheveux,elles’enpritdenouveauàlui.Il se concentra sur sa conduite, prenant garde d’éviter les cahots pour épargner des souffrances
supplémentairesàlajument.Destiny,desoncôté,commençaitàtrouverletempslong.—Est-cequecettechosepeutroulerplusvite?—Oui.Elleagitalamaincommesiellecraignaitqu’ilnes’endorme.—Alors,accélérez!Huitkilomètres/heuredeplus,cefuttoutcequ’elleobtintdelui.Ilfixaobstinémentlaroutedevant
lui.Siellenesetaisaitpas,lajolieprincessedeviendraitcrapaudavantmêmel’arrivéeauranch.—Est-cequ’ilfaittoujoursaussichaudici?—Non.Latempératureextérieurenedevaitpasdépasservingt-sixdegrés,maisunbulletinmétéoneserait
sansdoutepasdugoûtdesapassagère,quis’éventaitostensiblement.—Commentfaites-vousquandlachaleurmontevraiment?—Ouvrezl’autrefenêtre.Ellefitunetimidetentative,maislapremièrerafaledeventluiarrachauncri.Ellesedépêchade
remontersavitre.—Masœurestalléevivreenenfer…Ilneputrésister.—Etvousvenezluirendrevisite?Elle lui lança un regard noir. Il décida qu’elle n’était plus belle du tout,maintenant que le vent
s’étaitchargédedérangersacoiffureimpeccable.
Sur les derniers kilomètres, elle l’ignora complètement, trop occupée à se tapoter les cheveux.Comme il se garait devant l’écurie et désignait d’ungeste lamaisondevant laquelle Jubilee attendait,Destinylefixad’unairincrédule.
—Vousplaisantez,jesuppose.Vouspensezquejevaismarcherjusque-là-bas?—Laboueestpresquesèche,dit-ild’untonencourageant.Jevousapporteraivosbagagesdèsque
j’auraifinilessoinsàlajument.—J’aibesoindemesbagagesmaintenantetj’aimeraisêtredéposéedevantlamaison,pasàtrente
mètres.Est-cequecesescarpinsontl’airdechaussuresdemarche?—Ecoutez,madame,jesuislecontremaître,pasleportier.J’aiunejumentquivamourirdansmon
écuriesijenelasoignepastrèsvite.Honnêtement,jemefouséperdumentdesavoirquelleschaussuresvousportez.
Là-dessus ilmitpiedà terre et sedirigeavers la remorque, furieuxde s’être laissé aller à jureralorsqu’il s’évertuait àperdrecettehabitudedepuisqueLillie était assezgrandepour répéter tout cequ’ildisait.
DestinyétaitencoreassisedanslacabinelorsqueJubilees’approchadelaportière.—Salut,grandesœur.Faiscommecheztoidansmacuisine.JedoisaiderCharleyàs’occuperdu
cheval.Destinydaignaenfindescendredupick-up.— Je neme suis jamais sentie chezmoi dans une cuisine, Jub, et je n’arrive pas à croire qu’un
chevalsoitplusimportantquemoi.MaisJubileenel’écoutaitpas;elleétaitdéjàentraindefairesortirlajumentaveclui.—Bienvenuedansmonranch,Destiny.Jeterejoindraidansunmoment.Pourl’instantj’aiuntravail
urgentquinepeutpasattendre.Charleysourit.Jubileeavaitadoptéletonspécial«conseild’administration»dontelleavaitdéjà
uséparlepassé.Cettefois,Dieumerci,cen’étaitpaspours’enprendreàlui.Selamentanttouthautàchaquepas,Destinyselançadanslatraverséedujardinséparantl’écuriede
lamaisonprincipale.Ami-chemin,elles’arrêtapourpasseruncoupdefil.Charleyconduisit lentement la jumentdans l’écurieencompagniedeJubileequichuchotaitd’une
voixdouceàl’oreilledel’animal,lamainposéesursoncou.—Surveillezsoncôtédroit,luiconseilla-t-il.Elleesttoutprèsdemettrebasetelleaététouchée
paruneballeperdueilyaquelquesnuits.Ledocl’asoignée,elledevraitrécupérerdesablessure,maisiln’estpassûrquelepoulains’ensorte,ouquelamèretrouvelaforcedesurvivreàlamisebas.
—Pourquoiest-cequelevétérinairenel’apasgardée?—Iladéjààfaireavectroisautreschevauxblessésparballeetlepoulainpourraitarriverplustôt
queprévu.Aprèsunesoiréetroparrosée,destypessesontcrusàunconcoursdetir,apparemment.Parchanceilfaisaitsombreetilsétaientivres,maistoucherdeschevauxdansunehardenedemandeaucuneespècedetalent.
Jubileeposalefrontcontrelecoudelajumentenravalantunsanglot.—Onvaprendresoind’elle,hein,Charley?Voussavezcequ’ilfautfaireetmoi,jevousaiderai
demonmieux.— J’ai grandi au milieu des chevaux, et pendant l’adolescence j’ai travaillé dans les écuries
voisines.Jesaiscequ’ilfautfaire,oui,maispersonnenepeutprédiresicelafonctionnera.Jevaisavoirbesoindevotreaide,Jubilee,quevousayezounonuneinvitéeàdemeure.
—Jecomprends.LesproblèmesdeDestinypeuventattendre.Ils travaillèrentpendantuneheurepour installerdumieuxpossible la jument.En ressortantde la
stalle,Jubilees’arrêtaprèsduportail.
D’instinct,avantmêmedesedemandersicelalaréconforterait,Charleyl’attiracontreluietlaserrafort.C’étaitlapremièrefoisqu’ellevoyaitunanimaldansunetellesouffrance.Elleavaitnéanmoinsfaitlemaximumpourleseconder.
—Silaballeatouchélepoulain,ilspeuventmourirtouslesdeuxpendantlamisebas,expliqua-t-il.Etsisonétats’aggrave,ledocestd’avisquejel’achève.Vousdevezcomprendrecela,Jubilee.Cen’estpasunspectacleagréable.J’aivudescow-boyspleurer,danscegenredecirconstances.
—Est-cequel’onpeutacheveraussilesivrognesquisesontamusésàluitirerdessus?Ilfixasesgrandsyeuxbrunsàprésentnoyésdelarmes.—Leshériflesaattrapés.Levétérinairem’aditquepersonnenepouvaitpayerlacaution,doncils
restentenprisonpourlemoment.Ilsvomissaienttouscematin,paraît-il,etDanlesaobligésànettoyer.—Bien.Jeregrettequandmêmequel’onnepuissepaslestorturerunpeu.Ill’embrassasurlefrontcommesielleavaitl’âgedeLillie.—OnpourraitleurenvoyerDestiny.Etreenfermésavecellepourraitconduirecertainsprisonniers
ausuicide.Ellelaissaéchapperunpetitrireétrangléets’essuyalenezsursamanchecommeunegamine.Puis
lapaniques’emparad’elle.—Masœur.J’aioubliémasœur!Charleylalibéra.Ellepartitcommeuneflècheverslamaisontandisqu’ilsemettaitautravailpour
nettoyerl’écurie.Lajournées’annonçaitlongue!Illuifaudraitsurveillerrégulièrementlajument,toutenaccomplissantlestâchesqu’ilavaitprévudefaireaujourd’hui,plusd’autresparmicellesplanifiéesparJubilee,quiseraitaccaparéeparsaméchantesœur…
Vers13heures,ThatcherarrivaauranchavecLillie,clamantqu’ils’ennuyaittropaucollègeaprèsledéjeunerpourfairel’effortderesterassisenclasse.Dèsqu’ileutrejointCharleydansl’écurie,ilsemitautravailpourluidonneruncoupdemainsansexpliquervraimentcequil’avaitpousséàdescendreducarenmêmetempsqueLillie.
Le gamin était un enfant du pays, il savait s’y prendre avec les bêtes. Il se chargea des tâchesremisesàplustardparCharley.Aprèsavoirdonnéàboireetàmangerauxautreschevaux,ilrentradufoinetnettoyalesstalles.
Lillieentradansleboxdelajumentetluioffritunbonbonàlamenthe.L’animalparaissaitapaisé.Lafillettes’assitprèsdeluietluitapotagentimentlecou.LorsqueCharleyvintlavoirquelquesminutesplustard,elledormaitauprèsdelajumentcommesiellecomprenaitsonbesoindecompagnie.
Thatcherjetaunœilpar-dessuslaporte.—J’aidéjàvuunenfantcalmeruncheval.Apparemmentcettejumentestsensibleàlaprésencede
votrefille.Jepeuxresterlàetlessurveillertouteslesdeux,sivousvoulez.— Volontiers. Je dois tout préparer et vérifier que j’ai toutes les fournitures nécessaires. A la
moindrealerte,jeseraiàportéedevoix.Thatcherentradanslebox.—Tuveuxunjob,petit?demandaCharley.—Non.Jeveux justeaider. J’aientenduparlerdeschevauxblessésparballe.Ças’estpasséau
bordduRansomCanyon,làoùunepetitehardedemustangsvitenliberté.Charleydressal’oreille.Leconcoursdetiravaiteulieuàmoinsd’unkilomètredel’arrêtdebusde
Thatcher,lesivrognesétaientsûrementsesvoisins.—Tusaisquelquechosesurcetteaffaire,n’est-cepas,That?Legarçonnerelevapaslatête.—Rienquipuisseaiderleshérif,marmonna-t-il.Iladéjàattrapélescoupables.Charleyattenditlasuitesansmotdire.
—Maisd’aprèscequ’onm’adit,repritThatcherauboutd’unmoment,ilsn’étaientpasivres.Untype, plus loin dans les Failles, aurait proposé de la drogue gratis à quelques autres. Une droguemauvaise,frelatée.Undesadosdanslecardisaitqueleshommesnetiraientpassurleschevaux,maissurlesdémonsquilesmontaient.
—Pourquoidistribuerdeladroguefrelatée?—Ledealervoulaitpeut-êtreéviterqu’onvienneledérangerdans lesFailles. Ils’estditqu’une
petite séancede tir sur lesmustangs tiendrait lesgensàdistance.Plusieursdemesvoisinsont reçu lavisitede types en costumevenus s’informer sur leurspropriétés.Et puis il y a le shérif qui tourne envoitureenposantd’autresquestionssurlecadavreducanyon.SionajouteTimO’Gradyquicuisineaussitoutlemonde…Lesgars,là-bas,commencentàsesentirunpeunerveux.
CharleyoffritàThatcherunebouteilled’eauvenantduréfrigérateurdel’écurie,danslequelétaientconservéslesmédicamentspourleschevauxetlebétail.
—Quivoudraitacheterceterrain?demanda-t-il.Thatchersecoualatête.—Jenesaispas,etjem’enmoque.Maismamèren’esttoujourspasrevenueetjen’aipasenviede
traînerlà-basseulcesoir.Est-cequejepourraisresterici,parhasard?Jedormiraisdansl’écurie.—Tueslebienvenucheznous.Ettudormirassurlecanapé.Lillieetmoiserionsheureuxquetu
noustiennescompagniepourledîner.Jubileeadelavisite,nousnelaverronspas.Sij’allaisacheterdeshamburgers?EnsuitenousveilleronsàtourderôlesurLastChance.
Thatcherpointalepouceverslajumentcouchéesurlapaille.—Dernièrechance?C’estcommeçaquevousl’appelez?—Lenomluivabien,non?—C’estsûr.Sivousn’étiezpasintervenupourvousoccuperd’elle,ellen’auraitsûrementpaseula
moindrechance.L’adolescentfixal’animal.—J’aiaussicetteimpressionparfois,murmura-t-il.J’aibeautenterd’éviterlesproblèmes,ilsme
courentaprès!—Icituserastoujourslebienvenu,répétaCharley.Ettuserasensécurité.VoyantThatchersedétendreenfin,Charleyneputs’empêcherdesedemanderquelsautressecretsil
taisait. Quelque chose lui faisait peur. Pourtant il ne semblait vraiment pas du genre à se laisserfacilementimpressionner.
16
Lauren17mars
Laurenpassal’essentieldesesvacancesàaidersonpèreaubureau.Elleavaittoujoursadorécela.Asesyeux,lebureaudushérifétaitlecentredelaville.Lecœurbattantdelacommunauté.Ils’ypassaittoujoursquelquechose…
Sonpèredisaitsouventquetoutlemondedéfilaitnécessairementchezlui,commechezlesprêtresoulespasteurs,lessaintspourmontrerpatteblancheetlespécheurspourrappelerqu’ilsn’avaientrienfaitdernièrement.
AvoirTimO’Gradysurplacerendaitlachoseencoreplusamusante.Timparlaitsansarrêt,etdèsqu’il sortait pour aller enquêter quelque part, son père chuchotait : « Le silence, enfin !Merci monDieu…»
Elle connaissait sonpère, cependant. S’il ne lui était d’aucune aide,Timaurait déjà été renvoyédanssespénates.Pourchaqueaffaire,qu’ils’agissedeticketsdeparkingouducadavreabandonnédanslecanyon,Timavaitsesthéories.Sonespritétaitunlièvreenpleinecourse.
— Si vous me laissiez parler avec les frères Dulapse, shérif ? proposa Tim à la minute où cedernier revintd’unepetitevisiteaux ivrognes retenusdans laminusculecellulede l’étage.Onm’aditqu’ilsvoulaientvenirvoirlesprisonniers,alorspeut-êtreque…
—Non.—Thatchermelesaprésentéslasemainedernière,insistaTim.Ilsn’étaientpastrèsamicaux,mais
toutdemême,ilsmeparleraientsûrementplusvitequ’àvous,shérif.IlsepassedeschosesplusgravesdanslesFaillesquedesimplestirssurdeschevauxsauvages.
—Non.Timsemitàmarcherdelongenlarge.— J’ai vérifié, dit-il. Je ne suis pas certain que ce soitmême un délit de tirer sur des chevaux
sauvages.Jesaisquel’onpeuttirersanssoucisurdescochons,parexemple.Lauren observait la scène en silence depuis son minuscule bureau coincé entre deux meubles à
tiroirs.—J’aisuffisammentdechargespourlesretenirquelquesjours,répliquasonpère.—Justement!Jepourraisleurserrerlavispendantuneheureoudeux,j’enapprendraispeut-être
davantage sur le cadavre du canyon ou sur l’endroit où ils se sont procuré la drogue frelatée. Lesméchants,sicrétinssoient-ils,connaissentforcémentd’autresméchants.
—Tucroisquec’estunegrandefratrie?
Iln’attenditpaslaréponseavantdebalancerlaquestionsuivante:—Oùas-tupêchécetteexpressionde«serrerlavis»?Timseredressa.—Jesuisécrivain!Jelis.Laissez-moileurparler.—Non.—Maisshérif,je…—Etunepunitionbarbare,çateparle,l’écrivain?IlquittalapiècesanslaisseràTimletempsderéagiretlançapar-dessussonépaule:—Retourneàtesrecherchessurlecadavreducanyon!—D’accord!criaTimenretour.Jevousappelle,sij’aidunouveau?Pourtouteréponse,laported’entréeclaqua.Lentement, un détail après l’autre, Lauren et Tim dressèrent un portrait plausible de l’inconnu
emballédanslesacdejute.Surlesrôlesd’impôtpourlafoired’automne,plusieursvendeurss’étaientinscritscomme«artistespeintresd’extérieur».Timlesétudiaunparunenleséliminantàmesurecommecandidatspossibless’ilsrespiraientencore.Pourfinir,unseulnomrestasursalisteetcetartisteavaitdonnécommeadresse:«Sansdomicilefixe».
L’employéayantpréciséquetouslesvendeursétaientdelarégionetquelesSDFnesepromenaientpasavecdespeinturesàl’huile,Timendéduisitquel’inconnupréféraitquel’onignoreoùilhabitait.
Ilavaitfaitchoublancauprèsdestatoueursducoin,pourlesquelslaphrase«Livre-toiauvide»n’évoquaitrien.Apeinequelques-unstenaientdesregistres,etencore,desregistrestrèsirréguliers,avecdesnomsincompletsetpeut-êtrefaux.Enoutre,unhommedecetâgepouvaitaussibiens’êtrefaittatouerdanslesannées1960…
Levendredimatin,alorsqu’elleétait seuledans lebureau,Laurenvitarriver lessœursFranklin,toutessouffléesd’avoircouvertaupasdecourseladizainedemètresséparantleurmagasind’antiquitésdes bureaux du comté. Ces femmes lui rappelaient les épouvantails de Halloween achetés dans lessupermarchéspourdécorerlejardin,nidrôlesnieffrayants.
Elleseleva,carnetetstyloenmain.—Enquoipuis-jevousêtreutile,mesdemoiselles?Tandis que celles-ci cherchaient leur souffle,Lauren dissimula un sourire.Elles se considéraient
comme lescrieusesde lavilleet suivaient leurvocationavecpassion,qu’il s’agissed’unchatcoincédansunarbreoud’unmeurtre.
Rose Franklin, la plus rebondie des deux, joignit ses petites mains potelées devant son amplepoitrineetseredressa.
—Bonjour,Lauren.C’estbondevoirquetuesrentréepourlescongésdeprintempsaulieudetepromenerenbikinisurlacôte.Dieuseulsaitcequelesétudiantespeuventattraper,surlaplage!
Tropprudentepourcommenter,Laurensebornaàsourire.DaisyFranklinluifitunclind’œil.—Nous savons depuis longtemps quelle gentille fille tu es, cher ange. Jeme souviens quand tu
venais,enfant,dans laboulangeriequenous tenionsalors.Tunousdonnais tespièceset tuprenais toncookie sans tripoter tous les autres d’abord. Pas comme certains des autres enfants qui en touchaientplusieursetseléchaientlesdoigtsaprès!J’auraisdûleurcompterdixcentslecoupdelangue,tiens!
—Votreboulangeriememanque,avouaLauren.J’espèrequelaboutiqued’antiquitésadusuccès?—Oh !Oui.Ces derniers temps nous avons eu beaucoupde demandes pour les vinyles. J’ai un
faiblepourleschansonsdesannées1970…Maisnousenvisageonsunautreprojet,quinouspermettraitdecombinernostalentsdecuisinièresetnotrepassionpourlesantiquités.
Roseposasursasœurunregardréprobateur.—Nousavonsunemissionàaccomplir,Daisy.Pasdetempsàperdreenvainesspéculations!
Laurenposasoncarnetetsaisitsontéléphone.—Papas’estabsentéunmoment,maisjepeuxlejoindreencasd’urgence.Rosepinçaleslèvressifortqueseulesafinemoustacherestavisiblesoussonnez.— Nous ne sommes pas venues voir le shérif. Il paraît que Tim O’Grady travaille ici ? Nous
aimerionsluiparler.D’aprèslarumeur,ilenvisagededevenirécrivain.Laurenhaussalesépaules.—Oui,maisiln’estpaslà,luinonplus.LessourcilsdeDaisys’agitèrent.—Sais-tu cequ’il écrit ?Tu en as lu despassages, n’est-cepas ? Il ne comptepas transformer
CrossroadsenunesortedePeytonPlace,aumoins?—Oupire,enunlieudeperditionpourunehistoireérotiquedanslaquelleleshérosutilisentdes
fouetsetdeschaînespendantque les femmess’échangent leurspartenaires.De l’échangisme,murmuraDaisy,lancée.Quelleabsurdité!Aucunefemmenevoudraitéchangersonmariaupetitbonheur…Ilfautdesannéespourlesentraîner,paraît-il.
Roseseraclabruyammentlagorge.Laurencompritqu’elles’impatientait.—Jen’airienludeTim,dit-elle.Pourquoiêtes-voussiintéressées,mesdemoiselles?—Noustenonsàcequ’ilprenneunbondépart,vois-tu,expliquaRose.Crossroadsn’ajamaiseu
d’écrivainensonsein.Timpourraitdevenircélèbreunjour.Vraimentcélèbre.Desfansdébarqueraientpar cars entiers pour visiter les lieux de son enfance, les journalistes afflueraient pour interroger sesproches…
—Nousserionsmêmeobligésdeplanterunpanneauàl’entréedelavilledisantqueTimO’Gradyavécuici!
Daisypouffacommesielleétaitdéjàentraindecomposerlecomitéd’accueil.—Oh!Ceseraitquelquechose…—Jeluidiraidèssonretourquevoussouhaitezlevoir.Laurendécidaqu’elleaccompagneraitTimà laboutiquedessœursFranklin.Elle tenaitàvoirsa
têtelorsqu’elleluiraconteraitcettehistoiredepanneauàl’entréedelaville.Lesdemoiselleshochèrentlatêtedansunensembleparfait.—DisaupetitO’Gradydevenirnoustrouver.Nousconnaissonsunmoyendel’aider.Ilyaiciune
femmequiestcapabledeperfectionnersatechniqueenleregardantsimplementdroitdanslesyeux.—Sansfaute,promitLaurenensedemandantcequecesdeux-làmijotaientpourTim.Rosehochalatête.—Nousferionsmieuxderetourneraumagasin.Daisyouvritlabouche,jetaunregardàsasœuretravalaaussitôtcequ’elles’apprêtaitàdire,assez
sagepeut-êtrepourlaisserlederniermotàsonaînée.Lauren les suivit des yeux. Difficile de croire que les demoiselles puissent aider Tim, mais le
spectaclevaudraitsûrementledéplacement.Lorsque sonpère réapparut, aux alentours demidi, et entreprit de répondre à ses appels,Lauren
s’éclipsapourallerdéjeuneràlamaisonderetraiteavecsonancienprofesseurdepiano.La musique n’était pas son point fort, mais c’était toujours un plaisir de discuter avec
MlleAbernathy.SilesOmbresduSoiravaientunereine,ceseraitMlleAbernathy.Elleavaitenseignélamusique
pendantcinquanteansavantdeprendresaretraite.Elleétaitaussil’unedesrarespersonnesàsesouvenirdechacundesesélèves.
La longue pièce ensoleillée que tout le monde appelait « la réception », dans ce qui avait étéautrefoisunmotel,servaitaujourd’huidesallederéunion.Laurenavaitlargementcinquanteansdemoins
quelesrésidents,maissesentait icichezelle.Ladizainedeprofesseursretraités,qui laconnaissaientdepuislapetiteécole,l’accueillaienttoujoursavecjoie.
Elle était une invitée demarque. Comme tous les samedis, le déjeuner se déroulait sur lemodeaubergeespagnole.Chacunremplituneassietteets’assitdanslecercle,sapetitetable-plateaudevantlui.Ondiscutadel’université,descarrièrespossiblespourelle,desderniersévénementsàCrossroads,dontbiensûrlefameuxcadavreinconnuducanyon.
TousréclamèrentdesdétailssurlesrecherchesdeTimetlesthéoriesdushérif.Laurenavaitprévud’en dire le moins possible — l’enquête suivait son cours, après tout —, mais ils finirent par laconvaincre par leurs sourires et surtout leur longue expérience des mots justes pour faire parler lesjeunes.
Elleleurracontadonccequ’ellesavaittoutens’abstenant,espéra-t-elle,delivrerdesinformationsconfidentielles.
—Lemortportaituntatouagequenousn’arrivonspasàdécrypter,déclara-t-ellepourconclure.M.Leo,toujourspromptàréagir,demandadequoiils’agissait.Laurenn’était pas sûre d’avoir le droit de divulguer ce détail,mais plusieurs personnes enville
avaient déjà connaissance de ce tatouage, ainsi que chaque tatoueur dans un rayon de cinquantekilomètres,grâceàTim…
—«Livre-toiauvide.»C’estcequiétaitinscritsursapeau.Jen’aiaucuneidéedecequecelapeutvouloirdire.
Unsilencetotalsefitdanslapièce.Pasundesanciensenseignantsprésentsnebougeauncil.Mêmeceuxquiavaientlabouchepleineavaientcessédemâcher.
Lauren balaya des yeux l’assistance et comprit tout de suite ce que signifiait ce silence trèsinhabituel.
—Quoi?dit-elle.Voussavezcequec’est?MlleAbernathyrepoussasatablesurlecôtéetseleva.—C’estunechanson,machère.MlleBeessemitàglousser.—Jem’ensouviensbien.UnechansondesBeatlessurlamort.—Non,intervintCap.C’estsurleretouràlavie.Ettoutlemondesemitàparlerenmêmetempsdelaréincarnation.Laurenserenversacontre ledossierdesachaisepour terminersasaladed’œufsdurs.Elleavait
soudain l’impressiondeconnaître l’hommeemballédans lesacde jute,quiavaitaiméunechansonaupointdelatatouersursonbras.UnechansondesBeatlessurleretouràlavie…
Cemortnesemblaitplussieffrayant,toutàcoup.
17
Jubilee19mars
Jubilee rejoignit peu avant la nuit Charley, Lillie et Thatcher qui pique-niquaient dans l’écurie,installésdansuncoinduboxdelajumentblessée.
—Commentva-t-elle?chuchotaJubileeens’asseyantentreCharleyetsafille.Charleysemblaitsoucieux.—Elles’agitedeplusenplus,malgré lescalmantsprescritspar levétérinaire.Jeparleavec lui
toutes les demi-heures. Il dit qu’il essaiera de passer bientôt,mais il veut que je réduise la dose desédatifs.Cequipourraitapaiserladouleurpourraitaussigênerlamisebas,sielleestimminente.
—Ilnepeutpasfaireplus?Iln’existepasdecliniquesgéantespourleschevaux,danslarégion,oùnouspourrionsl’emmener?
—Ilfaittoutcequ’ilpeut,Jubilee,etnon,iln’yariendecegenreparici.Jubileenouasesmainssursesgenouxpourlesempêcherdetrembler.—Siseulementjepouvaisfairequelquechose…,murmura-t-elle.Charleyrecouvritsesdoigtsdesagrandemaincalleuse,dansungestederéconfort.—Ellen’asurtoutpasbesoind’unlongvoyagepourlemoment,dit-il.Nousferonslemaximum.Ellesentitsonregards’affûtercommeilprécisait:—Sivousaviezgrandiauprèsdechevaux,ceseraitplusfacileàcomprendre.Unmustangn’estpas
unchevaldecoursehorsdeprix.Cettejumentestàdemisauvage,ellen’appartientsûrementàpersonne.Levétérinairen’arrivepasà trouverun rancherqui la réclame.Niaucunautrechevaldesaharde,dureste.Ilssontsansdoutearrivésdunordpendantl’hiver.Ilaproposéderéglerlesfraisd’hébergementetm’afaitcadeaudumatériel.C’estàpeuprèstout.Maisc’estdéjàbeaucoup.
—Vousavezraison.Jenecomprendspas.—Vousavezungrandcœur,Jubilee.Assortiàcesgrandsyeux.Unsanglots’étrangladanslagorgedeJubilee.—Nousveilleronssurlajument,chuchota-t-elle.Silesgensétaientdeschevaux,jeseraisundeces
mustangs,j’enaipeur.—Moiaussi!s’exclamaThatcher.Jen’aipersonnepourveillersurmoi,précisa-t-ilcommetoutle
mondeleregardait.—Sionétaitdeschevaux,onseraituneharde,intervintLillie.Etjeseraislaprincessedelaharde!—Leposteestpourtoi,petite,ditThatcherensouriant.Lacouronnenem’iraitpas,detoutefaçon.CommeJubileechipaitunefrite,Charleyluioffritdemordredanssonhamburger.
—Avez-vousdîné?—Trèspeu.Destiny adéclaréqu’il n’y avait riendemangeable chezmoi.Le tempsqu’elleme
détaille tout cequi n’allait pasdansmesprovisions, j’avais perdu l’appétit.Elle a fini par sortir desbarresdecéréalesdesonsacàmain.Nousenavonsmangéunechacuneetelleestalléesecoucher.
IlspartagèrentlehamburgeretlesfritesensilencependantqueLillieracontaitàThatchertoutesleshistoiresdeprincessequ’ellepouvaitconnaître.Jubileesedétenditàmesurequ’elleprenaitconsciencequ’ellenes’étaitjamaissentieaussibien.C’est-à-direàsaplace.Peut-êtreformaient-ilspourdebonuneharde,touslesquatre.Quellechanced’avoirétéadoptée,sedit-elle.
***
Uneheureplustard,lanervositédelajuments’accentua.CharleyassitLillieensécuritésurlabalustradeafinqu’ellepuisselesregardermonterlagardeà
tourderôleauprèsdel’animal,prêtsà intervenirou,aucontraire,àbondirhorsdeportéedessabots.D’une manière ou d’une autre, il leur fallait aider à la naissance de ce poulain tout en empêchantl’aggravationdelablessuresurleflanc.
CharleysetournaversJubilee.—Prêteàentrerenpiste?Ellevoyaitbienàquelpointilaimaitcetravail.Peuluiimportaitqu’ils’annoncedifficile,pourun
résultatplusqu’aléatoire.—Jesuisprête,cow-boy.Mettonsvitecepoulainaumonde.Dixminutesplustard, ils juraienttouslesdeuxetThatcherétait leseulàenrire.Lajumentavait
marchédeuxfoissurlepieddeJubileeetbavésursescheveux.Charley,lui,étaitcouvertd’unliquidedouteuxsortantdelapartiepostérieuredelajument.
Maislepetitpoulainémergeaenfin,aprèsuntempsquiparutuneéternité.Chacunentraenaction,conscientqueletravailnefaisaitquecommencer.PendantqueCharleyetThatchersoignaientlajument,JubileenettoyalesnaseauxdupoulainetLilliel’essuyaavecuntissutrèsdouxquiavaitétéàuneépoquesacouverturedoudou.
La petite fille parlait au nouveau-né comme s’il comprenait chaque mot qu’elle prononçait.Exactementcommesonpère,songeaJubilee.
Al’arrivéeduvétérinaire,ilsétaienttouscouvertsdesang,deplacentaetdepaille.Ledoc,visiblementaussifatiguéqueCharley,souritenlesdévisageanttouràtour.—Quiagagnélabataille?demanda-t-il.—Nous!réponditLillieenpouffant.Onatousaidélebébéchevalànaître.Unbébédontpersonne
d’autrequesamèrenevoudra,ajouta-t-elle,soudaintriste.—Nous,nouslevoulons,déclaraJubileesansréfléchir.Elleétudiasescompagnonsensilence.Thatcher,LillieetCharleyhochèrentlatête.—Leschevauxpeuventresterici,s’ilsn’ontnullepartoùaller,ajouta-t-elle.Levétérinairesourit.—C’estlameilleurenouvellequej’aientendueaujourd’hui!Aprèsunexamenattentif,ildéclaralamèreetlepoulainenbonneforme.—Pourvousquatre,j’ensuismoinssûr.Alleztousvouslaver,jeresteici,pendantcetemps.Jubileeproposad’emmenerLilliechezelleprendreunbainmoussantet lesgarçonssedirigèrent
verslamaisondeCharleypoursedoucher.Toutlemonderiaitetsetapaitdansledosens’émerveillantde l’état de saleté des autres.Quelque part, pendant ces heures de dur labeur, ils étaient devenus unetribu.
Unedemi-heureplustard,unCharleytoutpropreentradanslacuisinedelagrandemaison,unerobedeprincesseetdeschaussettesminusculesdansunemain,unpackdesodasdansl’autre.
—Thatcherestencoresousladouche,maisj’aidécidédeveniraidernotreprincesseàs’habiller.Ilfitunclind’œilàLillie,enveloppéedansuneserviette-épongetroisfoistropgrandepourelle.
Elletenaitunepoupéeauvisagedeporcelaine,elle-mêmeemballéedansunpetittorchon.—Quiest-ce?demandaCharleyens’agenouillantpourluienfilerunechaussette.—C’estJubileequimel’adonnée.Elles’appelleWillow.J’aipromisdeprendresoind’elle.Là
elleajusteunecouverture,maisjeluiaiditquemamamieluiferaitunerobe.—J’ensuiscertain.IlembrassaLillie,puisenfitautantpourlapoupée.—Penseàremerciertagrand-mère,chérie.Tuaslesmeilleursgrands-parentsdumonde.—Jesais,réponditLillie.Ilsdisentquej’aiaussilemeilleurpapa.CharleyrelevalesyeuxversJubileeetsourit.—Merci,articula-t-ilensilence.—Derien,répondit-elledelamêmemanière.Avecsescheveuxbrunshumidesrabattusenarrière,ilavaitpresquel’aird’unhommed’affaireset
non d’un cow-boy à moitié sauvage, nota Jubilee. Un mois plus tôt, elle aurait jugé ce style plusséduisant, mais à présent elle n’avait qu’une envie : enfouir les doigts dans cette tignasse trop bienpeignéepourretrouverlesbouclesfolles…
Ellecommençaitàs’attacheràCharleyCollinstoutautantqu’àsonmodedevie.CharleyluitenditlarobedeLillieetproposadepréparerdespancakes.Le temps que Thatcher les rejoigne, la première fournée de pancakes s’empilait sur trente
centimètreset les saucissesétaientprêtes.Tous se jetèrent sur lanourriturecommes’ilsn’avaientpasmangédepuishuitjours.
—Unpeudecalme,murmuraCharley.NousallonsréveillerDestiny!—Aucunechance,dit Jubilee.Une foisaccompliesa routinedusoirpourempêcher les ridesde
rampersursonvisagependantlanuit,masœuravaledessomnifères.Elleditqu’elleaétéobligéedes’ymettreàlanaissancedesjumeaux.
CharleysepenchapourembrasserLilliesurlefront.—Jemesouviensdesnuitsagitéesdespremiersmois…Mademoiselleseréveillaitetjelaberçais
jusqu’àcequel’onserendormetouslesdeux.LesdoigtsdeThatchersemirentlentementenmarcheversl’assiettedeLillie.—Lesridesrampentpourt’attraper,petite…Lillies’esclaffaetfrappalamainsournoiseavecledosdesafourchettetoutecollante.Pendantque tout lemonde riait, Jubilee enfouit sespiedsnus sous la cuissedeCharleypour les
réchauffer.Charleyserenversacontresondossieretcouvritdesamainlespiedsglacéscommesic’étaitlegesteleplusnatureldumonde.Nil’unnil’autrenefitdecommentaire,maisJubileeeutlesentimentqu’ilaimaitcecontactautantqu’elleappréciaitsamainchaude.
—Lanuitaétépénible,dit-il.Jen’auraisjamaispum’ensortirseul.—Sûr!lançaThatcherenléchantunegouttedesiropsurledosdesamain.Jenemesuisjamais
autantamusé!—Moinonplus,renchéritJubilee.Ellefutlapremièreétonnéedelasincéritédesesparoles.Lorsqu’ellecroisaleregarddeCharley,
undrôledecourantpassaentreeux,surlequelelleauraitétébienincapabledemettredesmots.Unlien.Uneentente.Unechaleur.
Peuaprès,ensoulevantdanssesbrasuneLillietoutensommeillée,ilcherchadenouveausonregardavecuneaviditéquilasurprit.
—JevaiscoucherLillie.Thatcheretmoidormironsdansl’écurie.Nousmonteronslagardeàtourderôle.
Sesyeuxvoyagèrentlentementsurellecommepourenregistrerl’imagequ’elleoffraitencetinstantprécis.
—Jeviendraivous réveillerencasd’urgence,ajouta-t-il.Mais jepenseque lepireestderrièrenous.
Elleacquiesça,s’efforçantdelirelefonddesespensées.Rien.Ilnepensaitàriend’autre.Ilétaitjustefatigué.Sansdouteheureuxquelajumentetlepoulainaientsurvécu.Etpeut-êtreaussi,commeelle,désoléquecemomentmagiqueentreeuxsetermine.
Seulement,aumomentdeseglisserentrelesdraps,elledistingualafaiblelumièreéclairantl’écurieet se demanda s’il était couché dans la paille, en train de penser à elle.La raison lui commandait degardersesdistances.Larelationqu’ilsavaientnouéeàcejourétaitagréable.Surtout,nepascompliquerleschoses.Ellen’avaitpasbesoindecelaetluinonplus.
Soncorps,cependant,nesemblaitpasdumêmeavis.Unepartied’elle-mêmes’interrogeaitsurlaréactiondeCharleyCollinssielleserendaitdansl’écuriepourseblottircontrelui,leplussimplementdumonde.
Ellen’avaitpasbesoindelui.Ellen’avaitjamaiseubesoindepersonne.Cesoirtoutefois,aveclaseulelunedeminuitpourtémoin,elleduts’avouerque,pourlapremière
foisdesaviepeut-être,elleavaitenviedequelqu’un.
Charley
Dansl’ombreduseuildel’écurie,Charleyentendaitlepoulainetlajumentàquelquespasdelui,maissesyeuxnequittaientpaslafenêtrecentraledupremierétagedelamaisonquisedressaitàtrentemètresdelà.
Lavieavaitétédoucecesoir.Unesensationdepaixhabitaitsoncœur.S’ilavaitcrucelapossible,ilseseraitpresquedéclaréheureuxpourlapremièrefoisdepuisdeslustres.Seulement,ilavaitapprisquecesmomentsdegrâceneduraientpas,quelebonheurétaituntapissusceptibled’êtretirésouslespiedsdel’hommeàlaminuteoùilbaissaitlagarde.
Ilnedevaitsamalchancequ’àlui-même,maisleserreurs,justement,devaientservirdeleçon.Ilpassamentalementenrevuelesrèglesdeviequ’ils’étaitfixées:«Nedéviepasdetonchemin.
Net’engageavecaucunefemme.N’espèreriendeplusquecequetuas.»Iljuraetretournadansl’écurieenmurmurant:—Nerêvepasdecequipourraitêtre.Apprendsjusteàvivreaveccequiestdéjà.
18
Jubilee26mars
Avant même la fin de sa première semaine de séjour, Destiny renonça à faire semblant des’intéresser à ce qui se passait au ranch. Son régime alimentaire se composait de barres diététiquesagrémentéesdecinqcentsgrammesdechocolatparjourcommeen-casàtouteheure.Al’exceptiond’unetassedecafépar-cipar-là,saboissond’électionétaitlevin.Qu’ellebuvaitdemidijusqu’àl’heureducoucher.
Jubileeenarrivaaupointdesejurerque,sisasœursepermettaitencoreuneremarquesurleranch-taudisdontelleavaithérité,ellelaraccompagneraitsur-le-champàDallas,quitteàemprunterlepick-updeCharley.
Insatisfaitedesapropreviepouruneraisonouuneautre,Destinyavaitchoisi,enguisedethérapie,detransformercelledesasœur.
Laseulechoseàmêmederendresaprésencemoinsinsupportable,c’étaitCharley.Sonhumour,sesclinsd’œilcompliceslorsqu’ilsavaitqu’elleseulepourraitlesvoir…Lepremierjour,ils’étaitmisàcompter le nombre de fois où Destiny se plaignait de détails anodins comme la météo, le bruit quefaisaientleschevaux,lanuittropnoireet,biensûr,l’uniquesalledebainsdansunemaisonquipouvaitenabriteraumoinstrois.
Une chance aussi que Destiny se couche tôt presque chaque jour, dorme jusqu’à 10 heures etn’approchejamaisdel’écurieàmoinsdedixmètres.
JubileepassaittoutsontempsauxcôtésdeCharley.D’uncommunaccordtacite,ilss’étaientdonnépour mission tous les deux de prendre soin de la jument blessée. Charley l’avait baptisée « LastChance»,elleavaitappeléleminusculepoulain«Baby».EtbienqueCharleyluiaitfaitremarquerqu’ilfaudraitbientôtluitrouverunautrenom,elles’enmoquait.Ilstravaillaientensemble,veillantàrespecterles consignes du vétérinaire à la lettre, quand bien même personne ne paierait les factures, puisquepersonnen’avaitréclamécecheval.
Jubilees’étaithabituéeàlavoixcaressantequ’adoptaitCharleyaveclajumentpourl’encourageràsurvivre.Quelquefois, tard le soir, lorsqu’elle tentait d’oublier ses soucis pour le ranch et de dormir,cettevoixchuchotaitdanssatête,l’aidantàsedétendre.
Unmatin,commeelleserraitcontreellelajumentetlepoulainpourleurdireaurevoir,Charleyluifitremarquerquelesmustangsn’étaientpasdesanimauxdecompagnie.
—Jesais!
—Maisbiensûr…VousêtespirequeLillie,lataquina-t-ilenluitenantouvertelaportedubox.Mafilleveuttresserleurcrinièreetnouerlestressesavecdesrubans,commevousavezfaitcematinpourlacoiffer.
—Jen’auraispasdû,peut-être?demanda-t-elle touten installantavec lui lematérielnécessairepourlesprochainssoins,selonlaroutinequotidienne.
—Elle était trèsmignonne, je le reconnais. Parfois je la regarde et j’ai l’impression de la voirgrandir.Leshérif,quialuiaussiélevéseulsafille,m’aditquedujouraulendemainlapetitefilledontillaçaitleschaussuresétaitdevenueuneadolescenteentraind’apprendreàconduire.Jeneveuxmanqueraucune étape de lamétamorphose. En parlant d’enfants, ajouta-t-il, je commence àme dire que nousavonsadoptéThatcher.
Legaminavaitpasséleweek-endàlesaider,ilavaitprislecarlundiavecLillieetrentraitchaqueaprès-midi.Ilavaitàpeinequatorzeans,maisabattaitdéjàletravaild’unhomme.
—J’aimebienl’avoirici,avouaJubilee.—Moiaussi.Jeluiaiexpliquéqu’ilpouvaitdormirlàquandilvoulait,maisilm’aditqu’ildevait
rentrerchezluicesoir,ditCharleyenpassantdevantelle,unseauremplidegrainsdanschaquemain.J’ai l’impression que personne ne l’élève. Il a l’air calme comme ça,mais en profondeur il est aussisauvagequecettejumentmustang,nel’oublionspas.
Enémergeantdanslalumièredugrandjour,tousdeuxparurentsecoulerdenouveaudanslemoulede leur rôle respectif. Il lui expliqua cequ’il avait prévude terminer avant le soir tout en enfilant devieuxgantsdetravail.Jubileedesoncôtépritlalistedesprovisionsàallerchercher.
—Ya-t-ilunespoirquevotresœurrentrechezelleceweek-end?—Aucune allusion en ce sens.En plus de se reposer, elle semble s’être donné pourmission de
recollermavie,etjepensequ’ellenepartirapasavantd’avoirfaitcequ’ellecroitêtresondevoir.Ellehaussalesépaulesetajouta,fataliste:—Asafaçon,elletientàmoi.Mais,commenosparents,elleveutquejeluiressembledavantage.Charleysourit.—Ceseraitvraimentdommage!Sonclind’œilappuyélafitrougir.Ellen’eutd’autrechoixquedechangerdesujet.— Je compte aller acheter les plants de tomates aujourd’hui. Si je les mets en pot, je pourrai
toujourslesrentrerlanuitencasdemenacedegel.Elledétournalesyeuxverslecarrédeterrefraîchementretournée.—Jevaissemerdemain.Carottes,betteraves,haricots,maïsetpotironspourl’automne.—C’estunpeutôt,luifit-ilposémentremarquer,commes’ilétaitd’accordpourenreveniràdes
sujetsstrictementprofessionnels.—J’aitrophâte.Silesolgèle,jesèmeraid’autresgraines,tantpis.Elle leregardadroitdans lesyeux,déterminéeànepascéder.Elleavaitassezattendu.Dansson
esprit,sielleparvenaitàfairepousserquelquechoseici,elleaussipourraitgrandirsurcesterres.—Alors, allez-y, Jubilee, plantez, dit-il avec un sourire entendu.Vous avez l’intention de rester
jusqu’àlarécolted’automne?—J’ail’intentionderesterdéfinitivement.Lesgraphiquesdanssonétudedefaisabilitéracontaientuneautrehistoire,quiluifaisaittrèspeur.
Sonargent fondaitplusvitequ’ellene l’avait imaginé,maisellenevoulaitpas inquiéterCharleyaveccela.Pasencore.Pasavantd’yêtreobligée…
Charleyporta lamainàsonchapeauetsedétournavers l’écurie.Ellecrutdétecterunepointedetristesse dans ses yeux. Peut-être ne la croyait-il pas, ou peut-être regrettait-il de ne pouvoir en faireautant.Ils’étaitengagépouruneannée,letempsqu’elleréussissesonparifououqu’ellefoncedanslemur.Maisiln’avaitpastouchémotdecequisepasseraitunanetunjouraprèssonembauche.
Pendantletrajetverslaville,ellerenonçaàsetorturerl’espritpourl’avenir.Entrelajumentquiavaitbesoindesoins,unecentainedetâchesàeffectuerd’urgenceauranchetDestinytraînantàl’étagetoute la journée en croquant du chocolat entre deux récriminations, mieux valait cesser tout net deréfléchir.
Enarrivantà l’épicerieelle sesentaitdéjàpluscalme.Et siellecuisinait,cesoir?Unplat toutsimple.C’étaitvendredi.Leboucherproposaittoujoursdescôtelettesfuméesetdelapoitrinedebœuf,levendredisoir.Côtelettesetpommesaufour,bonneidée.Lerégimevégétarienqu’elles’astreignait tantbienquemalàsuivreàWashingtonsemblaitimpossibleàteniraujourd’hui.C’étaitd’ailleursDavid,leplusmotivédesdeux…
EllesedemandacommentDavidréagiraitenlavoyantauxcommandesd’unranch.Puis,toutaussisoudainement,elles’aperçutqu’elles’enfichait.Davidappartenaitaupassé,désormais.
Lesrepassanssucreaussi,décida-t-elleensongeantàpréparerungâteau.Aprèstout,larecetteétaitécritesurlaboîte,cen’étaitsûrementpassorcier,non?
Lenuagenoirplanantsursonrepasdefête,c’étaitDestiny.Pourpeuquesasœurdescendedesachambre,tousdevraientsubirsaprésence.Commentdiscutersereinementavecquelqu’unattaquanttoutessesleçonsdemoralepar:«Jesuislàpourvousaider»?
Elle alla récupérer lematériel commandéparCharley ainsi que les chocolats et le vin réclamésavec insistance parDorothy, puis visita l’une après l’autre les petites boutiques deMain Street, sansintentionparticulièreautrequedeseperdrependantquelquesheures.
Auplusprofondd’elle-même,elleavaitlasensationdechanger,dedeveniruneautrefemme.Maisdel’extérieuraussilechangementétaitvisible.Sescheveuxternesavaientéclairciausoleiletletravail,maisaussilesfréquentessortiesàchevalavaientmusclésoncorpsfin.Ellen’étaitpassûred’appréciertoutescestransformations,maispourlapremièrefoisdesavieellesesentaitplutôtbiendanssapeau.Unesensationqu’elledevaitpeut-êtreenpartieauregardqueCharleyportaitsurelle.Ellelevoyaitdanssesyeux.Cethomme-làneluitrouvaitaucundéfaut.
Non qu’elle ait besoin d’un suffrage masculin. Néanmoins, ce regard admiratif n’était pasdéplaisant…
Dans l’après-midi, alors qu’elle rangeait les provisions,Destiny vint se préparer du thé dans lacuisine.
Sasœurétaitaubeaumilieud’unelitaniedejérémiadeslorsqueJubileelâchacequ’elleavaitdanslesmainsetlaplantalàpourmettrelecapsurl’écurie.
—Aplustard!cria-t-ellepar-dessussonépaule.Charleyétaitentraindedéchargerleplateaudupick-up.—Merci,dit-elle,songeantqu’elleauraitdûs’enchargerelle-même.—Pasdeproblème.Toutvabien?Illaregardaitcommes’ildevinaitqu’elles’étaitpromenéedanstouteslesboutiquesdelaville.Elleacquiesça.—Unefoislajumentsurpiedetmasœurpartie,j’aimeraisvousprépareràdîner,àvousetLillie.—Riennevousyoblige.Nousnousdébrouillonstrèsbientoutseuls.Soulevantlederniersac,ils’éloignasansajouterunmot.Jubileecompritquesonoffreavaitétéreçuecommeuneinsulte.Charleysemblaittoujoursunpeu
triste,lessoirsoùLillierestaitdormirenvillechezsesgrands-parents.Peut-êtrequeLillieluimanquait,qu’illuiétaitdouloureuxdepenseràelle…
Non.Cesoirilavaitd’autressoucisentêteetaucuneenviedelespartager,manifestement.Elleenconclutquecen’étaitpassonjour,pointfinal.Quefaire?Allerdirectementsecoucheret
attendre demain pour recommencer à zéro ? Il lui suffirait de prendre un des cachets de Destiny etd’oublierlemondeentierunmoment…
Lorsqu’elleregagnalamaison,sasœurn’avaitpasbougé.Elleaussiavaitsûrementpasséunesalejournée,carunelistedeconseilsétaitposéeenévidencesurlecomptoiretlamoitiéd’unebouteilledevintouteneuveavaitdisparu.
Jubileeprêtauneoreilledistraiteàsescritiquesetpeuàpeu,unerécriminationaprèsl’autre, lesvraiesraisonsdesavisitesefirentjour.Lesjumeauxdemandaienttropdetravail.Masonnel’aidaitpasassez.Elleavaitmisunanàrécupérersaligneetrentrerdanssesvêtements.Personnen’avaitidéedeladifficulté que représentait la gestion du petit personnel à domicile. Bref, elle détestait tout de sa vie,absolumenttout.
Ce n’était pas elle que Destiny était venue réconforter et remettre sur les rails, mais sa proprepersonne.
—Qu’attends-tudemoi,aujuste?demandaJubileeenpoussantverssasœurlesandwichauquelcelle-cin’avaitpastouché.
Destinyobservaunlongsilenceavantdesedécideràrépondre:—Jeveux lamoitiédece ranch. Jenesuispasheureuse.Avecunpeud’argent, jepourrais tout
recommencer,quisait.D’aprèsMason,notrearrière-grand-pèreétaitsénile.Ilavaitsûrementl’intentiondenousléguersespossessionsàtouteslesdeux!
—TuveuxquitterMason?—Jeledois.Jenepeuxplussupporterça.Ellefitlagrimace.—Maisne t’inquiètepas,Jub, jeneviendraipasvivre ici,précisa-t-elle.Cetendroit est encore
pirequechezmoi.Alorslaseulesolution,c’estquenousvendionslafermepourpartagerl’argent.Tunevoisdoncpas?Nousseronsbeaucoupplusheureuses, touteslesdeux!Tunepeuxpasavoirenviedepasserlerestantdetesjoursdanscettefermeàtetuerautravail!
—Ceranch,rectifiamachinalementJubileecommesiellen’avaitpasentendulereste.Destinyhaussalesépaules.—Ouvredonclesyeux!L’argentquel’ontireradecetendroitnoussauvera,toietmoi!Jubileen’encroyaitpassesoreilles.—Pourquoi es-tu simalheureuse ? demanda-t-elle enfin. Tu esmariée à un riche banquier.Nos
parents t’ont toujoursdonné lemeilleurde tout.Tuasunebellemaisonetdes enfants enbonne santé.Pourquoivoudrais-tulamoitiédecettepropriété?
—Masonditqu’ellevaudraitprèsd’unmillionsurunmarchébienciblé,ettoutlemondesaitqu’ilpourraityavoirdupétroleici.JetepariequecevieuxfoudeLevyn’ajamaisfaitprocéderauxtests.Ceneseraitquejusticequej’entouchelamoitiéaumomentdelavente.
Ellesetut;elleavaitl’airauborddeslarmes.—Jedoistoutreprendreàzéro,reprit-elle.Masonnevoitpasàquelpointjesuisstressée.Oh!Et
si nous retournions ensemble à Washington ? dit-elle soudain avec un grand sourire. Je t’aiderais àtrouverunappartement.Jeresteraismêmepeut-êtreavectoiunmomentpour…
—Jenevendraipascettepropriété,décrétaJubilee.Destinyétaitdéjàuncauchemarici,alorsàWashington…Ellen’avaitaucuneenvied’imaginerce
scénario.Sasœuresquissaunsourireindulgent,commesielles’adressaitàuneenfant.—Biensûrquesi,voyons.Tun’espasplusquemoiunefilledelacampagne,Jub.Cen’estqu’une
questiondetemps.Tufuirascetteviecommetuasfuitesjobslesunsaprèslesautresettousleshommesquisesontapprochésdetropprès…
Elleluitapotalamainetajouta:—Etsinon,mapetiteJub,comprendsquesijedoistetraînerdevantlestribunauxnousyperdrions
touteslesdeux.Maisj’iraijusqu’auboutpourt’épargnercegenredevie.Jesuistonaînée.Jesaiscequi
estbonpourtoi,etcen’estpasiciquetudoisvivre.Mêmelesparentssontd’accordavecmoi.Jubileebalançasondînerdansl’évieretbonditverslaportedederrière.Ellecourutcommeunedératéeversl’écurieets’effondradanslapaille, toutevibrantedecolère,
maislesyeuxsecs.Cettefois,Destinynegagneraitpaslapartie!Toutsimplementparcequecettefois,etc’étaitunepremière,Jubileeétaiticichezelle.Asaplace.
19
Charley27mars
LanuitétaitdéjàtombéelorsqueCharleyserenditàl’écuriepourvoirleschevauxunedernièrefoisavantd’allersecoucher.Ilavaitpasséunerudejournéeenselle,qui l’avait tenuéloignédelamaisontoutl’après-midi.
Ceprogrammen’avaitpasempêchésespenséesdedériverversJubilee.Ilétaitattiréparelle,maisildevaits’enteniràdistance.Horsdequestionderuinercequ’ilavaitconstruit,cettefois.Uneamitié,riendeplus,serépétait-ilenboucle.
Il ne dormait jamais bien lorsque Lillie n’était pas couchée dans son lit, si bien qu’il avaitl’habitude de travailler tard et de lire longtemps ces soirs-là. Savoir si elle lui manquerait toujoursautant,lorsqu’elleseraitplusgrande?
Lepoulaindormaitdanslapailleprèsdesamèreetde…Jubilee.Asavivestupeur,lajeunefemmeétaitblottiedansuncoindubox,latêtesurunecouverturedans
laquelles’enveloppaitparfoisLillieenleregardanttravailler.Ils’assitàcôtéd’elle,ledoscalécontrelesplanchesdubox,etposalamainsursonépaule.—Vousaveztropbu,patron,oulaméchantesœurvousamiseàlaportedevotrepropremaison?Lesgrandsyeuxbrunss’ouvrirentlentement.—Je…je…Ildégageaquelquescheveuxdesonvisage.—Vousêtesdansl’écuriedevotreranch,Jubilee.Enparfaitesécurité.Ellefronçalessourcils.—Jesaistrèsbienoùjesuis,espèced’idiot!—Ladameestréveillée,àcequejevois.Envied’enparler?—Non.VousavezditàThatcherqu’ilpouvaitdormirdansl’écurie.J’aivoulumefaireuneidée
parmoi-même…—Iladéclinémonoffreendécouvrantlesvêtementsneufsquevousluiavezapportés.Unjeanet
unechemisewesternavecdesboutons-pressionsennacre!Cela,plusKristiNorton,onnes’étonneplusqu’ilaitenvied’attraperlecarpourallerencours!
IlssourirenttouslesdeuxetJubileeseredressapours’appuyerelleaussicontrelaparoidubox.Sonépauletouchaitpresquelasienne,maisilnebougeapaspourautant.
—Le premier amour,murmura-t-elle. Jeme souviens dumien. Il s’appelaitBenny. Je l’ai suivipartoutpendantdesmois.Jeconnaissaissonplanningdecoursmieuxquelui.Jenotaismêmetoutcequ’il
mangeait.Charleysouritàl’idéedeJubileesuivantuntypecommeunpetitchien.—Quelâgeaviez-vous?demanda-t-il.—Quinzeans.—Etjusqu’oùest-ilallé?—Apeineunbaiser!répondit-elleenriant.Alasecondeoùils’estaperçuquejen’avaispasde
poitrine, ilestpartiencourant.C’estunpeu l’histoiredemavie,d’ailleurs…Leshommess’attardentjusqu’àcequ’ilsdécouvrentcequiclochechezmoi,puisilsdisparaissent.Pasdepoitrine.Plustard,pasderelationdeconfiance.Etpourfinir,pasd’engagement.Jesuislegenredefemmeàproposdelaquelleleshommessedemandentaprèscoupcequ’ilsontbienpuluitrouver!
—J’aidumalàlecroire,Jubilee.Jevousaivuetravaillerdur,planifieravecsoinchaquedétail.Ildésignadelatêtelajumentetajouta:—J’aivucombienunecausepouvaitvousteniràcœur.—Charley, chuchota-t-elle commes’ils risquaientde réveiller les chevaux,vousvoulezbienme
prendredansvosbras?Rienàvoiravecvous,ouavecmoi,ouavecquelquechosequisepasseraitentrenous.J’aijustebesoind’unpeudetendresse.J’aipasséunesalejournée.
Il ouvrit les bras, elle s’engouffra dedans. Il l’étreignit un longmoment, comme elle le lui avaitdemandé.Ilavaittoujoursditqu’ilvoulaitunefemmepouramie,ellesemblaitrechercherlamêmechose.Ilpouvaits’encontenter,n’est-cepas?Sanscomplications.
Ilaimaitlaregarderbouger.Ilprenaitduplaisiràluiapprendrelemétierderancheretàrireavecelle,maiselle luiavait faitcomprendrequeleuramitién’irait jamaisplus loin.C’était impossible. Ilsn’enréchapperaientpascettefois,nil’unnil’autre.Commepourdeuxvétéransd’unelongueguerre,unebatailledetroppouvaitserévélerfatale.
Il n’était vraiment doué que pour gâcher des relations, et son instinct lui soufflait que Jubileepartageaitcedon.Elles’étaitdonnépourobjectifderedonnervieàceranchet ilavait lesmoyensdel’aideràatteindrecetobjectif,riendeplus.
Ilsepenchaetluichuchotaàl’oreille:—Sauferreurdemapart,vousn’avezplusàvousinquiéterduproblème«pasdepoitrine».Jubileesedétachadeluid’unmouvementbrusque.—Lafatiguenem’empêchepasdereconnaîtreunefemmequandjelatienscontremoi,ajouta-t-il.Mêmedanslapénombreillavitrougir.Ellelegratifiad’unebourradeetrepritsaplacecontrelemur,épaulecontreépaule.—D’accord,cow-boy.Avotretour,maintenant.Racontez-moivotrepremieramour.Ilsongeaàmentir,maisilsétaientamis,désormais…— Elle s’appelait Sharon. J’avais dix-sept ans, elle seize. Je rêvais de décrocher un diplôme
universitaireetde rentrerdiriger le ranch familial.Elle rêvait seulementd’êtreavecmoi.Nousavonsconcludèslepremierrendez-vousetjemesentaisleroidumonde.Quandjesuispartipourl’université,Sharonétaitdevenueunedroguepourmoi.Jerentraisàlamaisontouslesweek-endspourlaretrouver.Quelquefoisonn’échangeaitpasunmot,onfaisaitjustel’amour.Avantlafindemapremièreannée,sonrêveàelles’étaitréalisé.Elleétaitenceintedequatremoisquandnousnoussommesmariés,cetété-là…
Ilpritsonélanpouracheverl’histoire.—Jecomptaisterminermesétudes,emménagerensuiteavecelleauranchetavoird’autresenfants.
Mais lemariageet lamaternité, je suppose,ne faisaientpaspartiede sesprojets.Ellenousaquittés,Lillie etmoi, troismois après la naissance de la petite. Je suis resté à la fac, en travaillant trente ouquaranteheurespar semaineetenberçantunbébé toutes lesnuits.Monpèreétait si furieuxqu’ilm’apresquerenié,àcetteépoque.Ilnem’apasfacilité lavie,maisaumoins il réglaitencore lesfraisdescolarité.
Jamaisilnes’étaitlivréavecunetellefranchise.Laplupartdesgensneluiposaientpasvraimentdequestions,d’ailleurs,persuadésdetoutconnaîtredesavie.
—Est-cequevousl’aimiezprofondément?Est-cequesondépartvousabrisélecœur?Ilpressalespaumessursesyeuxetdécidasoudaind’êtrehonnêteaveclui-même,pourchanger.—Jepensequejenel’aijamaisaiméevraiment.J’aiaimécequenousavonsfaitlesoirdupremier
rendez-vous.Jenepensaisqu’àrecommencer.J’aicrul’aimerdutempsoùelleportaitnotreenfant,maissonindifférenceenversLillieatoutchangé.Jen’arrivaismêmeplusàlaregarder,etj’étaisincapabledeluifairel’amouralorsqu’ellelaissaitLilliepleureretnesedonnaitjamaislapeinedelachanger.
Ilenvoyavalserdesbrinsdepailleduboutdupied.—Surlafin,ellem’aditqued’aprèsellej’aimaisLillieplusquejenel’aimais,elle.Elleavait
raison.Jeneluienaimêmepasvoulud’êtrepartie.Jubileeleregarda.—Combiendemaîtressesavez-vouseues?—Pasbeaucoup.Sharon,unefemmemariéeàlaquellejen’auraisjamaisdûtoucher,etcinqousix
filleslevéesdansdesbarsoùnousétionsivresetconscientsquecen’étaitqu’unpland’unsoir.J’avaismêmetellementbuquenousavonspeut-êtreseulementdormiensemble.
—Moi,j’aieuquatreamants,tousdeschicstypesaveclesquelsunerelations’estnouée.Desamisquifaisaientofficed’amants,enréalité.
—Lesquelsavez-vousaimés?—Aucun.J’aiquelquechosedecasséenmoi.Aumoins,vous,vousavezcruaimerSharon.Jene
suisjamaisalléeaussiloin.Jesuismalfaite…—Moiaussi.Anousdeux,nousdonnonsàl’amourmauvaiseréputation.Ellelaissaéchapperunpetitrire.—C’estextraitd’unechanson,non?—Sûrement.Ilm’arrivedepenserquemavieentièreestunechansoncountry.—Cen’estpasfaux…Etjesaisdequoijeparle!Jesuisplusvieillequevousetpendantunanou
deuxj’aiétéfolledecountry.J’aimêmeembrasséWillieNelson,àunconcert.—Vousn’êtespaslaseule,jecrois.Etjesavaisdéjàquevousaviezsûrementunanoudeuxdeplus
quemoi.Maisàforcedevouscôtoyer,jeprendstrèsvitedel’âge!IlsriaienttouslesdeuxlorsqueDestinys’encadrasurleseuildel’écurie.— Je n’arrive pas à dormir, annonça-t-elle comme si c’était un problème mondial à résoudre
d’urgence.Pouruneraisonabsurdequim’échappe,j’ail’impressionqueMasonmemanque.Charleyseleva,entraînantJubileeaveclui.—Navré,madame.Lemeilleurremèdecontrel’insomnie,c’estunelonguebaladeàcheval.Vous
voulezquej’enselleun?IlsedemandacommentilavaitpupenserqueDestinyseraitjoliesansmaquillage.Souslarobede
chambreensoie,quelqueskiloss’étaientjointsauxridesquirampaientsurellependantsonsommeil.—Vousplaisantez?s’écria-t-elleavecunegrimacequicreusaunpeuplussonvisage.—Moi,unebalademediraitbien,déclaraJubileederrièrelui.IlfitdesonmieuxpourignorerleslamentationsdeDestinytoutenpréparantdeuxchevaux.Lorsqu’il les amena entre les deux sœurs, Destiny était en train de raconter qu’elle avait passé
plusieurscoupsdetéléphoneaujourd’huietqueleschosesallaientbientôtchangerici.—Aidez-moi,Charley,chuchotaJubileeenglissantunpieddansl’étrier.Ilcalaunemainsursongenou,l’autresoussesfesses,etsouritenlahissantenselle.Lorsqu’illeva
lesyeux,elleluirenditsonsourireetilcompritqu’ellepensaitcommeluiàlapremièrefoisoùill’avaitaidéeàmonter.
—Toutvabien?demanda-t-il, laissantglisser samain le longdesa jambepourvérifierquesabotteétaitenplace.
—Trèsbien.Allons-y.Elle était déjà dehors avant qu’il ait eu le temps de se mettre en selle. Ni l’un ni l’autre
n’accordèrent un regard àDestiny.Quelle importance ?Acet instant, ils n’avaient qu’une envie : toutlaisserderrièreeuxpourchevaucherlibrement.
IlrattrapaJubileerapidement.Elleavaitapprisàmonteraufildessemainesetc’étaitdésormaisunplaisirdelaregarderévolueravecautantdegrâcesursoncheval.
Lanuitétait fraîche,maisc’estàpeines’ilyprêtaattention. Jubileeavait si fièreallureavecsalonguechevelureblonde flottantderrière elle. Il l’entendait riredans levent.Lesmiasmesde sa rudejournées’évaporaientàmesuresouslemartèlementdessabots…
Elleralentitenatteignantl’entréedudéfilé.Lalunehabillaitd’uneblancheurlaiteuselesimmensespiliersrocheux.Sousl’arche,lenoirétaitabsolu.
—Lesanciensontbaptisécepassage«LoneHeartPass»parcequ’unseulhommeàlafoispouvaitle franchir, expliqua-t-il en s’arrêtant à la hauteur de Jubilee. J’ai toujours trouvé ce nom aussi tristequ’envoûtant.
Ellemitpiedàterreetfitquelquespasjusqu’àl’entréedudéfilé.—Dommagequenousnepuissionspas entrer…,murmura-t-elle. Il fait si sombre, là-dedans.Si
seulementlaluneétaitpleine!Charleyselaissaglisserdesaselleàsontouretplongealamaindanssasacoche.—Iln’yaurapasdeclairdelunecesoir,confirma-t-il.QuedisaitLauren,déjà?Unehistoirede
vœuquiseréalisaitsilapleineluneapparaissaitdansl’échancrure?—C’estbeau,toutdemême.Undéfilémontantlagardeàl’entréeducanyon…J’adorel’idéequ’un
telendroitexistesurmesterres.Charleysourit.Elleavaitdit«mesterres»commesielleavaittoujoursvéculà.Etlafiertéqu’il
avaitperçuedanssavoixétaitsincère.—Sinousentrions,justepourleplaisir?proposa-t-ilenallumantunepetitelampe-torche.Même
sanslapleinelune,nousyverronssuffisammentclairpourparvenirdel’autrecôté.Lavuesurlecanyonseramagnifique,àminuit.
Maindans lamain, ils s’engagèrent ensemble sur le sentier rocailleux.A l’intérieurdudéfilé, lepassageàcielouvertétaitjusteassezlargepourleurpermettred’avancercôteàcôte.
IlconfialalampeàJubileeetouvritgrandlesbras.Sesdoigtseffleuraientlarochelavéeparlesocéans durant des milliers d’années avant que l’eau se retire de ces terres. Il sentait l’excitation deJubileeetcomptaitsurlamagiedulieupourterrasserlesdémonsquilatorturaienttoutàl’heure.Danscesilence absolu, des esprits bienfaisants chuchotaient que les rêves les plus chers pouvaient devenirréalité.
Alasortie,ilss’immobilisèrent,émerveillés.Leplusgrandcalmerégnaitdanslecanyonendormiàleurspiedssousl’œilbienveillantd’uncroissantdelune.Unpaysagecommeexécutéàl’huiledemaindemaître,avecdevastespansdenoirémaillésdebleusetdegris.
—C’estbeau,chuchotaJubilee.Ilhochalatêteetglissaunbrasautourdesesépaules.—Lesconifèresontl’airpresquenoirs,lanuit,commeuneligned’encreirrégulièresillonnantles
flancsducanyon.Lesherbesfollesaupieddesparoissemblentpresquedanseràlasurfacedel’eau.Elleserapprochadelui.Ilsgardèrentlesilenceunmomentpuis,sansseconcerter,rebroussèrent
chemin.Alorsqu’ilsarrivaientaumilieududéfilé,Charleychuchota:—Eteignezlalampe.Jeveuxvoirsil’obscuritéestvraimenttotale.
Elleobéit,etbrusquement,lanuitfutsinoirequeJubileesembladisparaîtreàcôtédelui.—C’estundegréd’obscuritéinédit,fit-elleremarquerenriant.—Vousvousêtesévaporée,Jubilee,maisvousavezlaissévotrerirederrièrevous.Iltressaillitlorsquelamaindelajeunefemmeseposasursontorse.—C’estcommesinousavionsbasculéhorsdumonde,dit-elle.Siseulementjepouvaissortiraussi
facilementdemavie,quelquefois!Cesilence…Cetteobscuritéabsolue…J’aiquittémavieetjeflotteentouteliberté.Magique.
— Qu’est-ce qui vous plairait, si vous pouviez réellement fausser compagnie à tous vosproblèmes?Devenirfilleunique?Volersurunrayondelune?Vivreunsonge?
Elle ne répondit pas,mais lamain resta sur son torse.Elle était juste devant lui. Son souffle luichatouillaitlagorge.Ilsentaitlelégerparfumfruitédesescheveux.
—Queferiez-vous,là,toutdesuite,invisibledemoiselle,àl’insudel’universentier?Personnenevousverrait.Personnenesauraitjamais…
Lapetitemainquittasoncœuretremontalelongdesagorgejusqu’àsajouedéjàrâpeuse.—Jevousembrasserais,chuchota-t-elle.Jevousembrasseraisdoucement, tendrement,commeun
hommetelquevousn’ajamaisétéembrassé,j’ensuissûre.Simêmeunedouzainedecrotalesavaientsoudainencerclésesbottes,Charleyauraitétéincapable
d’esquisserlemoindregeste.Ilavaitconnulapassion,goûtéausexepourlesexe,maiscela,non,jamais.Jubileechaviralentementcontreluietseslèvresretracèrentleparcoursempruntéuninstantplustôt
parsesdoigts.Parfaitementimmobile,ilaspiravivementuneboufféed’airlorsqueceslèvresdouces,pulpeuses,
atteignirentsabouche.Ellesenfrôlèrentlacommissurepuis,endouceur,déposèrentdesbaiserslégerscommedes plumes sur sa lèvre inférieure. Sans précipitation. Sans élan passionné ni accès de fièvreincontrôlée.Cen’étaitniundébutniunefin,justeunbaisertendre,aimant,aussifragilequ’unpapillon,ettoutaussibeau,toutaussiprécieux…
S’iln’avaitpaseuledoscalécontrelaparoirocheuse,sesjambesseseraientdérobéessouslui,sanslemoindredoute.
Unedernière,infimepressionsurseslèvres…etJubileesedétachadelui.—Encore,murmura-t-il.Seigneur!Encore…Illasentitsouriretandisqu’elleeffleuraitpourlasecondefoissabouche,etluirenditcettefoisson
baiser.Dansn’importequelautrecontexte,ilauraitpoussésonavantageetalluméunincendieaveccesétincellespourvite,viteatteindreceplaisirquipromettaitdeconfinerauprodige.Maislàc’étaitJubilee,sonamie,quiétaitentraindeluioffrircequ’ilavaitsiardemmentdésiré…
LabouchedeJubileeeffleurasonoreille.—Quand nous sortirons d’ici, nous ne parlerons jamais plus de ce baiser. Je veux garder cette
tendresseauchauddansmoncœur.Il enfouit levisagedans soncou,absorbant la sensationet l’odeurde sapeau. Il sentit soncœur
battretoutcontrelesiencommeellegardaitlajoueposéesursonépaule.—Silaluneréalisaitvraimentlesvœuxdanscedéfilé,dit-ellesoudain,lemienseraitquevotre
cœurnesoitpasaussibrisé,nilemienaussifroid.Cesoir,danscettenuitnoire,j’arrivepresqueàmecroiredigned’amour.
Il l’embrassa sur le front, voyant dans l’obscurité les cicatrices de Jubilee plus nettement qu’enpleinjour.
Puisilsseséparèrentetseulelamaindelajeunefemmerestadanslasienne.—Nousferionsmieuxderentrer.Masœurnousasûrementdéjàdéclarésmorts…Ellerallumalalampe-torche,etilssedirigèrentverslasortie.Justeavantderetrouverleclairde
lune,Jubileeseretourna.
—Merci,dit-elle.Quoiqu’ilsepassedemain,jechériraicemoment.—Mais de rien, répondit-il, tout en essayant frénétiquement de comprendre ce qui venait de se
jouer.Troisfoisrien.Apeineunchastebaiser.Etpourtant…Aufonddelui,ilsavaitlavérité.C’étaitplusquecela.Beaucoupplus.
20
Lauren27mars
Laurenn’enrevenaitpasd’avoircédéauxprièresdeTimetdeseretrouverauTwoStepSaloonunsamedisoir.
Depuisdesannées,lesappelsd’urgenceaubureaudushérifaprèsminuitconcernaientdesbagarresauTwoStep,untroquetmalfamédelarégionquineprenaitmêmepaslapeined’afficherseshoraires.Lesolétaitjonchédesciureetlewhiskyprobablementcoupéd’eau.Autotal,l’endroitserévélaitaussiminablequ’ellel’avaitimaginé.
Tim, lui, était convaincuque tous les poivrots et les camésdu comtépassaient par leTwoStep,certainsenquêted’unnouveauparadis,d’autresd’unnouvelenfermenantversl’oubli.Ils’étaitmisentêtequesiletypeausacdejuteavaitfréquentéunlieupublic,c’étaitcelui-ci.Aussil’avait-ilpersuadéedereveniràCrossroadspourletroisièmeweek-endd’affilée,afinqu’elleluiservedecouverturecesoir.
—Nous serons enmission de recherche, lui avait-il expliqué au téléphone. Nous poserons desquestions.Ilyauraforcémentquelqu’unquiconnaissaitnotrehomme.
Devantsaréticence,ilavaitajoutéqu’ilsneresteraientqu’uneheureauTwoStep,quecelasuffiraitpourrecueillirdesfaitsnouveauxetainsifaireavancerl’enquête.
Troisheuresaprèsleurarrivée,ils traînaientencoredanscetétablissementoùellen’avaitaucuneenvied’être.Elleavaitpeut-être l’âge légal,maiselle se jugeait aussibeaucoup trop intelligentepourfrayeraveccettefoule.Lesclientsdotésd’unbrindecervelleenentrantavaientvitefaitdelenoyerdanslabière…
Elle commençait à nourrir des doutes sur la logique de Tim. Son ami commandait une nouvelletournéedebièresdèsqueleursbouteillesétaientàmoitiévidesetnesemblaitpass’apercevoirqu’ilétaitleseulàboiredepuislatoutepremière.Endébutdesoirée,ilinventaitunehistoiresurchaquepersonnequi franchissait le seuil,mais trèsvite il s’était trouvédépassépar lenombredeclients.Amoinsquel’alcoolneluiaitembrumélesidées.
Elle avait essayé de l’inciter àmanger,mais les plats étaient si épicés qu’il avait descendu unebouteilleentroisgorgées.
Il avait cessé de parler depuis vingtminutes et semblait perdu dans ses pensées, ou ce qu’il enrestait.
Lauren songea à appeler son père, mais c’était un réflexe d’enfant. Dans quelques mois, elledécrocheraitsondiplôme.Elleétaitadulte!
En balayant des yeux la salle, elle se rendit compte qu’elle n’avait pas sa place ici.Aucun desgroupesprésentsnepourraitl’intégrer.Nilesranchers,nilescostumes-cravatescélébrantvisiblementunsuccèsenaffaires,nicettetabléedefemmesàlaminefatiguéeaprèsunelonguejournéedetravail.Ilyavaitquelquescouplesdesonâge,maisilssemblaientmariésdepuisdesannées.Ilsavaientsansdouteembauchéunebaby-sitterpours’offrirunesortieàdeux.L’heureavançant,desfemmesenbottesetpetitejupe en jean arrivaient pour danser, lourdement maquillées, les cheveux bouclés attachés haut sur lanuque,etlapeautropbronzéepourunmoisdemars…
Unfourirelasecoua.Elledevaitvraimentavoirl’airquelconque.Encoreunpeu,etelleentreraitdans la catégoriedes sœursFranklin !Alorsmêmequ’elle avait faituneffortvestimentaire ce soir ets’étaitunpeumaquilléeavantdequitterlamaison,aucunivrognen’inviteraitlafilledushérifàdanser,encoremoinsàsortiraveclui.
—Jerevienstoutdesuite,dit-elle,ledoigtpointéverslefonddubar.Timacquiesçaavecvigueur.Ets’endormitnet,latêtecaléesurlapoitrine.Laurens’éloignaensongeantqu’elleleréveilleraitenrevenantetsedébrouilleraitpourletraîner
jusqu’àsajeep.Ellel’avaitvuglisserlesclésdanslapochedesaveste.Quelle soirée ! Ils n’avaient pas trouvé le moindre indice. Mettre au lit un Hemingway
complètementivreseraitsonseuldivertissementduweek-end.Le Two Step étant le seul bar dans un rayon de quarante kilomètres, toutes sortes d’individus
échouaient ici. Elle fendit la foule croissante de cow-boys et passa devant des hommes d’affairesregroupés près du bar. L’un d’eux, plus grand que les autres, attira son regard. Un instant, elle crutreconnaître Lucas Reyes, son amour d’adolescence, son premier baiser, son premier avant-goût de lapassion.Lucasquiavaitlongtempshantésesrêvesetluiavaitbrisélecœur—etleplustriste,c’étaitqu’ilnelesavaitmêmepas!Ellenel’avaitpasrevudepuisqu’ilavaitbouclésadernièreannéededroit.Cetteannée-làilslogeaientsurlemêmecampus,illuiavaitenvoyéuntextopourluiannoncerquetoutallaitbien,qu’illaverraitàNoël.Maisiln’étaitpasrentréàCrossroadsdetoutl’hiver,nimêmel’annéesuivante.IltravaillaitpourunegrossefirmedeHouston.
Ildevaitêtreeffectivementtrèsoccupécarilnes’étaitpasdonnélapeinederépondreàsestextosdevœuxdebonneannée,deuxansdesuite.
Lucas était encore bien présent dans ses pensées lorsqu’elle ressortit des toilettes et rebroussachemindanslecouloirétroitetenfuméquiempestait labièreet lafriture.Plusieurscoupleshilaressepartageaientunjointdel’autrecôtédelaportegrillagéedonnantsurl’arrièredubar.Elleentendaitlespulsationsd’unebassesurunechansoninconnue.Cen’étaitdécidémentpassongenred’endroit.
Lorsqu’unevoixgraveavecunepointed’accentchuchotasonprénom,ellecrutàunmauvaistourdesonimagination.Personnenelaconnaissait,ici.
—Lauren,répétauneombredanslecouloir.Est-cequec’estbientoi?Ungrandbruntrèsminceettrèsbienhabillésematérialisadevantellecommedansunrêveetlui
bloqualepassage.LucasReyes.Sonseuletuniquecoupdecœur.Sonseuletuniquefantasme.Lesimagesetlessensationsdupasséaffluèrentd’uncoup.LamanièredontLucasl’avaitsauvéede
cettechutefataleàquinzeans.Leursdiscussionsd’alorssouslefirmamentdeminuit,deuxamisosantàpeinesetoucher,deuxcœurseffrayésàlapenséedes’ouvrir…
L’éblouissementdubaiserpassionnéqu’illuiavaitdonnéunsoirsurlecampus.Etaussitôtaprès,lenaufrage, en l’entendant s’excuser. La façon dont il s’était évaporé dans la nature comme poussièred’étoile,sidiscrètementqu’ellen’avaitpaslesouvenirdujouroudelasemainedesondépart.Pasdedernierbaiser.Pasdemotd’adieu.Partisanslaisserdetrace.
Elle avait passé des mois à attendre un appel qui n’était jamais venu. L’espoir avait fini pars’éteindre,soncœurs’endurcissantàmesure.
Ellefitfaceàl’hommeséduisantquiavaitétésontoutpremieramour,quandbienmêmeellen’avaitjamais prononcé cemot à voix haute. Ses yeux de jais semblaient durs aujourd’hui. Les traits de sonvisageavaientperduleursourirefacile.Uncostumegrissombrerecouvraitlecorpssveltequiportaitsinaturellementdes tenuesdecow-boy,quelquesannéesplus tôt.Unmoment,ellecrutavoiraffaireàunfantôme,puisellepritconsciencequeletempsavaitfaitsonœuvre,etquesessouvenirsn’étaientquelesrefletsd’unpassérévolu.
—Lucas…Quedireautoutpremieretuniquegarçonquiluiavaitfaitbattrelecœur?Quelsmotschoisir,face
à l’homme qui avait disparu de sa vie du jour au lendemain, si furtivement qu’elle n’avaitmême pasentendusoncœursebriser?
Tétanisée,elleessayadeseremémorerladernièrefoisqu’elleavaitvuLucas,entendusavoix.Unanplustôt?Non,presquedeux.Ill’avaitappeléealorsqu’ilétaitencoreenfacdedroit,disantquelesemestreétaitunenferetqu’ilsseverraientdèsqu’iltrouveraitenfinunmomentdecalme.Puiselleavaitreçuuntextol’informantqu’ils’apprêtaitàeffectuerunstageàHoustondansuncabinetd’avocats.Elleavaitentendudirequ’ilavaitséchél’examenfinalpourparticiperàsonpremierprocès.Parlasuite,elleavait plusieurs fois demandé de ses nouvelles en rentrant chez elle. Personne n’avait la moindreinformation.
Ilavaittournéledosàsavied’avant,savied’ici.Illuiavaittournéledos…Ellefitunpasverslui,verscefantômevenudesonpassé.Sescheveuxcourtslefaisaientparaître
plusâgé,alorsqu’elleavaitàpeinedeuxansdemoinsquelui.Etait-ceunchoixdélibérédesapart?Ilavaittoujourssemblémûrpoursonâge.Presséd’enfiniraveclelycée.Soucieuxdebouclersesétudesleplusvitepossible.
Lorsqu’ellefutàunsouffledelui,lesmotsluifirentdéfaut.Aluiaussipeut-être?Letraditionnel«Commentvas-tu?»semblaittellementinsuffisantetbanal…Etlaréponse,quellequ’ellesoit,auraitdéçu.
D’unseulcoup,toutcechagrin,cedésespoirenellesecristallisèrentenuneragefolle.PourLucasellen’avaitétéqu’unegamine.Quelqu’unquel’onlaissederrièresoienentrantdansl’âgeadulte.
Alors,ellequin’avaitjamaiscédéàuneimpulsiondesavie,plaqualamainsurlachemiseblanchedeLucasetlepoussacontrelemur.
Ilsecognadurementlatête,maisrestasansréactionlorsqu’ellesecoulacontreluietcherchaseslèvres.
Le baiser, conçu comme une agression délibérée, explosa très vite sous l’effet du désir troplongtemps contenu.Lucas ne se déroba pas sous l’attaque et le feu prit instantanément.Elle sentit sonsouffle à lui s’accélérer comme leurs poitrines frottaient l’une contre l’autre. Il avait un petit goût dewhisky,maisqu’àcelanetienne!Cemoment,ellel’attendaitdepuistantd’années…Lapassionqu’ilnes’autorisaitjamaisàmontrer.Laconvoitise.Ledésirfou.
Cebaiserseraitpeut-êtreledernier,maisellenel’oublieraitjamais.Ilfrémitviolemmentlorsquelesderniersvestigesdesaréservecédèrentetlasoulevadusolpourla
serrer contre lui avecune telle forcequ’elle pouvait à peine respirer.Quelle importance ?Lesdoigtsenfouisdanssescheveux,ellel’embrassadetoutesonâme,commesisavieendépendait.
Puis ungrondement s’élevadans le lointain, des gens entrèrent, les heurtant dans ce couloir tropétroit,gloussantetlançantdescommentairessalaces.
Lucaslareposasursespiedsetseredressa.Maissesyeuxnelâchèrentpaslessiens.—Lauren,chuchota-t-ilsibasqu’elleseulepouvaitl’entendre.Lauren…Elleposalesdoigtssurseslèvrestoutenlefixant.Lebesoindeluiordonnerd’oubliercequivenait
desepasserbataillaitcontreundésirimpérieuxdeluienréclamerdavantage.
Uneautrevagued’inconnusarriva.Elle s’écartabrusquementd’unpaset se fonditdans la foule.Lucasl’attrapaparlebras,maisneputfreinersonélan.
Jetant un coupd’œil par-dessus son épauledepuis la pénombredubar, elle le vit qui scrutait lafouleàsarecherche.Unbrefinstant,leursregardssecroisèrent.CeluideLucasétaitgorgédedésiretdechagrinmêlés.
LaurenseprécipitaverslatableoùTimétaittoujoursendormi.Ellepritlesclésdesajeepdanssapoche,lesecouapourl’inciteràselever,calaunbrasautourdesesépaulesetletraînaàtraverslasallejusqu’àlasortie,àpeineconscientetpasassezréveillépourdemanderoùilsallaient.
Trenteminutesplustard,elleledéposachezluietrentraàpied,lelongdulac.ElleavaitencorelasensationdutorsedeLucaspressécontresesseins,sonsoufflechaudsursagorge,legoûtdeleurbaiserdanssabouche…
Enfin, dans le silence de la terrasse déserte, elle marqua une pause et s’octroya un temps deréflexion.
Elleavaitétéconfrontéecesoiraudésirsauvagepourunhomme.Nonpasunlentéchauffementducorps, une simple envie d’aller plus loin. Non. La passion brute, absolue. S’ils avaient été seuls, ilsauraientfait l’amour,celanefaisaitaucundoute.Quisait jusqu’oùilsseraientallésdanscecouloir,sidavantage de temps leur avait été accordé ?Elle était sortie avec des garçons à l’université,mais lebaiserdeLucasdépassaittoutcequ’elleavaitimaginé.
Pourlapremièrefoisdesavie,elleavaitperdulecontrôleetcelaneluiplaisaitpas.Saluantsonpèreduboutdeslèvres,ellegagnadirectementsachambre.Demain,elleretourneraiten
cours.Avecletemps,peut-êtreparviendrait-elleàtrouverunsensàcequis’étaitpassé.Elles’allongeasursonlitdanslenoir,sachantquelesommeiln’étaitpasprèsdevenir.Sontéléphoneclignota.UnappeldeLucas.Maisquepourrait-elleluidire?Dixminutesplustard,leclignotementsilencieuxreprit.Etreprit,encoreetencore.Elletenditlamainverssatabledechevetetéteignitletéléphone.EllenepouvaitpasparleràLucas
tantqu’ellenesauraitpasquelsmotsemployer.Haussant les épaules, elle décida que cela risquait de prendre des années, une vie peut-être, au
moins.Autantcommencertoutdesuiteàcroireenlaréincarnation!Letatouagedel’inconnuducanyonluirevintenmémoire.«Livre-toiauvide.»Ellesourit.Selivrer?Jamais!Aprèstout,c’étaitellel’agresseur,etsiLucascroisaitdenouveau
saroute,ellepourraitfortbienpasserdenouveauàl’attaque.Cetaccèsd’audacechezellelagrisa.Riant toutbas,ellecaressa l’idéede luienvoyeruntexto.S’ilvoulaitéviterdesefaireagresser,
qu’ilsongedoncàseprocurerunrevolveretunportd’arme,parcequ’ellefiniraitbienparledébusquer,undecesjours…
Ladouce,latimide,lacérébraleLaurenvenaitdesedécouvriruncôtéobscur.Et,mafoi…
21
Thatcher27mars
ToutenrampantparmilesherbesfollesquiproliféraientlelongdessentiersqueleshabitantsdesFaillesappelaient les routes secondaires,Thatcher tendit l’oreille.Quiconque s’aventurait au-dehorsàcetteheuredelanuitsedevaitderepérerautourdeluihumainouanimalavantd’êtrelui-mêmerepéré.
—Resteprèsdemoi,chuchota-t-il.—Jetesuiscommetonombre,réponditTimO’Gradyd’unevoixplusaiguëqued’habitude.Timl’avaitpersuadédel’emmenerdanslazonedesFaillesoùjamaisaucunétrangerneserisquait.
Cen’étaitpasunebonneidéed’aprèslui,maisTimluiavaitcertifiéquecelapouvaitaiderleshérifàrésoudrel’affaireducadavredanslecanyon.Alors,danscesconditions…
Tim avait ajouté que l’exercice lui ferait du bien. Comme si se faire tirer dessus pouvait ledétendre!Ilsemblaitconvaincuentoutcasquelemeurtreducanyonetlecartonsurlesmustangsétaientliés.
Thatcherdistinguaitmallelien,sinonquel’unetl’autreavaientétécommispardesimbéciles.Etcommebeaucoupd’imbécilessecachaientdanslesFailles,TimO’Gradyavaitpeut-êtreraison.
Ilavançadanslesombresdeminuitensefiantàsesoreillesbienplusqu’àsesyeux.Ilportaitsurluisavieillecarabine22longrifle.Labretelleétaitsiuséequ’ill’avaitremplacéedepuislongtempsparun bout de corde,mais la visée restait juste. Lorsqu’il chassait la nuit, il scotchait une lampe-torchedessus,maiscesoiriln’avaitemportésonarmequepourseprotéger.
Tim, lui, n’avait aucune protection. Il croyait pouvoir se sortir de n’importe quelle situation ennégociant,peut-être?
Thatcherpréféraitnepaspenserauxennuisquileurtomberaientdessuss’ilssefaisaientsurprendrecesoir!
Toute la semaine, il était allé traîner dans le bureau du shérif.C’était bien plus instructif que lecinquième ou le sixième cours de la journée. Il avait aussi accompagné chaque samedi matin TimO’Gradydanssesrecherchessurlemeurtredel’inconnuausacdejute.
Personnen’avait signalé dedisparition.Diable ! Il ne se trouvaitmêmepersonnepour prétendreconnaîtrelegarsaubrastatoué«Livre-toiauvide».Mais,quandilavaitinterrogéquelquesvoisins,ilsavaientdétournélesyeuxunesecondeavantderépondre.
Ilsmentaient.Thatcherlesentaitdanstoutsoncorps,jusqu’auxorteils.Soninstinctluisoufflaitquelemortétaitundesdinguesquilogeaientderrièrela111.Mêmeadresse
trèsvaguequesonpropredomicile.Ilyavaitlàaumoinsvingtmobilehomescabossésinstallésdansdes
crevassesquin’avaientniadresseofficiellenimêmeuneroutepassantprèsdechezeux.Sanscompterlescabanesetlestaudisentoutgenreconstruitsàlalimitedesarbres.Soitentoutquaranteoucinquantedingosvivantdansunnoman’slandqueleshérifn’arrivaitmêmepasàtrouver.
Et de toute façon, si Brigman se montrait ici, toutes les cabanes et les mobile homes seraientdésertéscommeparmagieavantqu’ilaiteuletempsdecouperlemoteurdesavoiture.
Samère,SunnyJones,avaitétéélevéeicipardeuxhippiesfumeursdehasch.Sesgrands-parents,paraît-il.Ilsavaientmontéuncommercedecannabis,dontlesbénéficesétaientpartisenfumée,etnil’unni l’autrenese souvenaitde l’endroitoùhabitait leur fils, lepèredeSunny. Ilsavaient justeexpliquéqu’ilétait revenuun jourdéposer lapetiteencorebébé,en leurconseillantde luidirequesesparentsétaientmorts,siellelesinterrogeaitunjouràcesujet.
SunnyJoness’étaitenfuieàl’âgedequinzeans.Enrevenant,troisansplustard,seuleetenceinte,elleavaitdûextrairedelacabanelesosdesesgrands-parentsavantdepouvoirs’yinstaller.Aucunacteofficielneprouvaitquelamaisonétaitàelle,maispersonnenel’ayantréclaméeensonabsence,Sunnyseconsidéraitcommelapropriétaire.
Sesparents,ellen’ypensaitjamaispuisqu’ilsl’avaientabandonnéepournejamaisrevenir.Quantàsesgrands-parents,nulneconnaissaitlacausedeleurmort,etnulnes’ensouciait.Drogue,asphyxiedueàunchauffagedéfaillant…Lesgensnes’embêtaientpasaveclesfunérailles,danslecoin.Aprèss’êtredébarrasséedesossements,samèreavaitcommencéàsemarieretàdivorcerrégulièrement,maissansjamaistoucheràlacame.Sesseulesaddictionsétaientlewhiskyetlareligion.Detempsàautre,ellesetrouvaituntypequiarrangeaitunpeulamaison.
IlshabitaientaucœurdesFailles,cequilesrangeaitdanslaclassemoyenne,enquelquesorte.Pluson logeait prèsde la route,plusonétait riche.Eux,bénéficiaientde l’électricité etde l’eaucourante,tandisque,plusloin,c’étaitsanitairesàl’extérieuretpoêleàbois.
Lessquatteursdesterrainsdufondappartenaientàlaclassepopulaire.Certainssevantaientd’êtrerecherchés.D’autresdétestaientsimplementtoutlemondeoucroyaientquelafindumondeapprochaitetquecetrouaufondduTexasseraitledernierendroitvisitéparleszombies.
Thatcher connaissait de vue la plupart de ceux qui vivaient à l’écart de la 111. C’étaient sescompagnons,enunsens.Illescomprenait.
Pas question d’emmenerTimou le shérif jusque-là-bas.Mais en faisant très attention, il pouvaitmontreràTiml’endroitoùlesdinguesetlesivrognesserassemblaientchaquesemainepouréchangerdespoisonsetdesmensonges.Ilsappelaientça«laréuniondeprièresdusamedisoir».
Aprèslepassagedushérifetsesquestionssurleschevauxmassacrés,tousceuxdesFaillesseraientlà ce soir avec une théorie sur les événements. Les enfants n’étaient pas autorisés à participer, maisThatcheravaitsonentréeprivée.
Timsecognacontreluialorsqu’ilsattaquaientunemontée.—Faisgaffe,marmonna-t-ilenretenanttouslesjuronsqu’ilavaitenviedeluijeteràlafigure.On
esttoutprès.—D’accord,murmuraTim.Désolé.Thatcherserapprochadelui.—Quand on arrivera là-bas, fais exactement ce que je fais. Et plus unmot ni aucune question,
compris?—Oui,chuchotaTim,avantdesecouvrirprécipitammentlabouche.Thatcherlevalesyeuxauciel.Avuedenez,ilsavaientunechancesurdeuxderegagnervivantsla
jeepdeTim.Al’approched’unevieillegrangeenruineservantd’abripourdestasdeferraille,Thatchersecoula
dansleshautesherbesàlafaçond’uncrapaudcornudanslesable.Timenfitautant.
Ilsrampèrent,invisiblesetsilencieux,versl’arrièredelagrange.Desannéesd’intempériesavaientravinélesolsousuncoindelastructure.Thatcherseglissadansletrou,suivicommesonombreparTim.
Ils étaient à l’intérieur. Thatcher porta un doigt à ses lèvres, ordonnant le silence absolu à soncompère.S’ilsrestaientàplatventre,personnenelesverrait,danscerecoinplongédanslenoir.
Leshommesétaientdéjàlà,s’agitantcommedesfourmissurunebutte.Ilséchangeaientdel’herbecontredelaliqueurfaitemaisonoudescigarettes,toutendiscutant.Thatchersongeaque,sil’humanitésedébitait à la façon d’une immense carcasse de bœuf, ces gens-là seraient la bouillie restant aprèsdécoupe.
Aplatisurlesol,lementoncalédanslesmains,iltenditl’oreillecommed’autresindividusentoutgenrepénétraientdanslavieillegrange.Ilsavaitqu’ilpouvaits’écoulerdesheuresavantqu’ilentendeundétailvalantlapeined’êtreretenu,maissiquelqu’unsavaitquelquechosesurlemortducanyonoulemassacredeschevaux,l’informationsortiraitici.
Timmituntempsfouàs’installerprèsdelui.Bull, lechefautoproclaméquiavaiteffectivementl’allured’untaureau,grimpasurunecaissequi
servaitd’estradeavecàlamainunethermossûrementremplied’alcoolfort.—Onadeschosesàsedire,lesgars!lança-t-ilpourobtenirl’attention.Ilseraclalagorgeplusieursfois.Lesilencesefitautourdelui.—Ilyaunfouineurdanslecoinetladernièrechosequ’onveutici,c’estunflicquifourresonnez
dansnosaffaires!Juronsetinsultesfusèrent.Untypementionnaungaminrouquinquiposaitdesquestionssurunmort.
Unevoixvenuedufonddemandasilesrouquinsavaientlesangplusrougequelesautres.TimjetaunregardapeuréàThatcher,quihaussalesépaules.—Onsaitriensurpersonne!clamaBull.Onveutlapaix!—C’estEnjoliveurqu’ilscherchaient,répliquaquelqu’undanslegroupe.Çapeutpasêtreunautre
vieux,aveccestatouages!Bullacquiesça.—Quelqu’unsaitoùilhabitait?—Quelqueparttoutaufond,réponditunevoix.Stretch,unancienmarinetrèsgrandettrèscostaudavecunecicatriceentraversduvisage,ajouta:—Ilfautréglerçaici,etvite.Jeproposequ’onpostedesgardespoursurveillerlaroute.J’aipas
enviederetrouvermonnomécritdansunrapport!LeriredurdeWilliedéchiral’air.—Tuveuxjustequetesbonnesfemmesteretrouventpas,Stretch!—T’as raison. J’en ai épousé une à chacune demes perms.Au bout de quelques années jeme
sentaisplusensécuritéenmissionqu’aupays!—Jevois!s’exclamaWillieenriant.Thatchersecoualatête.Willieétaitungarsplutôtcorrect,maismentirétaitunesecondenaturechez
cereprisdejusticeestropié.—Onatousnosraisonsdevouloirvivreicienpaix,repritBullpourramenerlegroupeversl’objet
delaréuniondujour.Toushochèrentlatête,maispersonneneseportavolontairepourmonterlagarde.—Etlestirssurlesmustangs?intervintWillie.Lui, c’était un genre de lapin qui sautait d’un sujet à l’autremême un soir normal— et ce soir
semblaittoutsaufnormal.Ilyavaitdel’électricitédansl’air,commesiunorageapprochait.Thatchersedemandasilesautreslesentaientaussi.
Quelquestypesdontilneputdistinguerlevisagetantl’éclairageétaitfaiblebougonnèrentqu’ilssefichaient desmustangs et de ceux qui les avaient descendus.L’un d’eux ajouta que le shérif avait des
chosesplusimportantesàfairequ’àchercherdestueursdechevaux.Chacunparaissaitavoirsonidéesurceschevauxsansaucunevaleuretlesimbécilesquigâchaient
desmunitions à tirer dessus. De temps à autre, l’hiver, une harde demustangs poussait jusqu’ici. Ilsétaientdifficilesàmaîtriseretpromptsàretourneràl’étatsauvagedèsqu’ilsparvenaientàdétruireuneclôture.
Bullpritunenouvellefoisleschosesenmain.—Onsaittousquiaabattuleschevauxetc’étaitpaslesivrognesqueleshérifaarrêtés.Ceuxqui
ontfaitçasontabsentscesoiretcen’estpasnotresouci.Leproblèmequipeutnousdétruire,c’est lemorttrouvédanslecanyon.Silesflicsremontentjusqu’ici,onseratousdanslepétrin.
Quelqu’unaupremierrangfitremarquerqueleshérifneremonteraitjamaisjusqu’àeux.Personneneparutd’accordaveclui.
Bullsecoualatête.—Le typemortestd’ici.Les tatouages leprouvent.Mais ilyaunedemi-douzainedevieuxqui
habitentloindanslefond,etpersonneicineconnaîtleurvrainom.Thatcherrefoulaunbesoind’approuvercethommequicraignaitlepire.Lesproblèmesnefaisaient
quecommencer.SamèreluiavaitditunjourqueBullétaitleplusfutédusecteur,maisbrillerparmidesabrutisnefaisaitpaspourautantdeluiunelumière.
—Nousdevrionsenquêterparnous-mêmes,déclaraPotter,surprenanttoutlemonde.Lui,ilneparlaitjamais,maisilavaitl’estimedetouscarc’estl’undesraresàrecevoirducourrier.
Safermefaisaitfaceàlaroute111.Tousceuxquivoulaientsefairelivrerquelquechoseutilisaientsonadresse.
Potter faisait ses affaires dans son coin sans déblatérer sur le compte des autres et stockait lecourrierdanssongaragejusqu’àcequequelqu’unpasselechercher.
—Si le shérif vient frapper à une porte, ce sera sûrement lamienne, ajouta-t-il. Je suis le plusprochedelaroute.Partonsdelàetvoyonsquicelapeutêtre.Ilfauttrouverlaréponse.
Thatcher eut envie de crier : « Amen ! » Un, Potter avait une idée, et deux, cette idée étaitexcellente.Preuvequecertainespersonnesn’étaientpasaussibêtesqu’ellesenavaientl’air.
Bullpritalorslerelaispourétablirlamarcheàsuivre.—Leshérifcherchelesennuisenvenantfourrersonnezici,maisonpeutquandmêmefouillerde
notrecôté.Onvasediviserlazoneetvérifierchaquecabane,chaquemobilehome,chaquecampement.Quelqu’unaforcémentdisparu,etquelqu’unconnaîtraforcémentlevrainomdutatoué.Yasûrementpasécrit«Enjoliveur»sursoncertificatdenaissance!
Ilcarralesépaulesavantdeconclure:—Dès qu’on aura trouvé quelque chose, je le ferai savoir au shérif en lui disant qu’il n’a pas
besoindechercherplusloin.Unhommedeboutprèsdufeugrognaquefrapperauxportes,c’étaitleboulotd’unfouturecenseur.Stretchéclataderire.—Yenaunequiafrappéchezmoipourmedemandersij’étaismarié!J’aihaussélessourcilset
je luiaiditnon,maisquesielleétaitpartanteonpouvait faireunessaisurquelquesnuits.Ellea toutlâchéetelleestretournéeencourantàsavoiture.J’aiencoresonstylo!
Toutlemonderitdeboncœur.Thatchermodifialégèrementsapositiondemanièreàdistinguertouslesvisagesoupresque.Cela
luiavaitprisunebonneheure,maisilvenaitdetrouverquimanquaitàl’appelicicesoir.LesfrèresDulapse.DesCajunsvenuss’installericidixansplustôt.Ilstaillaientduboislelongdes
bordures du canyon pour les flambées d’automne et le vendaient ensuite sur les routes du comté. Lemesquite,arbresansintérêtquiembêtaittoutlemonde,étaittrèsrecherchécommepetitboispourfumer
le bœuf. Certains parmi lesmeilleurs restaurants d’Austin et deDallas affichaient fièrement aumenuleurssteaksfumésaumesquite.
Thatcherdonnalesignaldurepli.—Onatrouvécequ’oncherchait,murmuraTimtandisqu’ilsrebroussaientchemin.—Qu’est-cequ’onaaujuste?Zérofait.Zéropreuve.Justeunsurnomqu’onconnaissaitdéjàpour
identifierlemortetdeuxfrèresreconnuscoupablesdetirssurdeschevauxparcequ’ilsn’étaientpasàlaréunion.
— J’ai plus que ça. Des personnages extraordinaires. Ces gens-là ne vivent pas dans le mêmemondequemoi,jetejure.BulletStretchsortenttoutdroitd’unroman!Sijetrouveunscénario,j’enfaismeshéros.
Ilscheminèrentensilencejusqu’àcequeThatcherpassedevantsapropremaison.IlpointaledoigtverslarouteauborddelaquelleilsavaientcachélajeepdeTimparmilesarbustes.
—Si tuprenais desnotes,Tim,pendant que je récupèrequelques affaires chezmoi ?Ensuite tum’emmènerasauLoneHeart.Charleydoitsedemanderoùjesuispassé.
—Tuhabiteslà-basmaintenant?—Non,c’estunlogementprovisoire.Iltournalestalons,laissantTimparlertoutseul.Prèsdelamaison,ilfaisaitsisombrequeseulunfamilierdeslieuxpouvaitessayerdetrouverle
sentier. Il ouvrit la porte qui n’était pas verrouillée et alluma la lumière, tout étonné de constater quel’électricité fonctionnaitencore.Samèreétaitpourtantpartiedepuisassez longtempspouravoir laisséune facture en souffrance. Mais il savait d’expérience que la compagnie ne se donnait pas la peined’envoyerquelqu’unavantaumoinstroisimpayés.
Ilfitletourdelamaison.Iln’yavaitninourritureniargent,rienquivaillelapeined’êtrevolé.S’ilessayaitdenepasutiliserdutoutl’électricité,peut-êtrelacompagnielesoublierait-ellecomplètement?Samèreétantsouventpartie,ilconnaissaitlessignesd’uneabsenceprolongée.Elleachetaittoujoursunedizainedeboîtesde soupeoudeharicotset laissaitunbilletdevingtdollars sous lepotde fleursenplastique,surlatable.
Le tout, en affirmant qu’elle serait de retour avant l’épuisement des soupes ou des vingt dollars.Seulement,cettepromessen’étaitjamaistenue.Pasplusaujourd’huiquelorsqu’ilavaithuitans.
Petit, ilallaitdemanderde l’aideauxvoisins.Adixans, ilavaitapprisàpêcheretàchasser leslapinspourcompléterlasoupe.Unanplustard,ilpiégeaitsespremiersserpentspourlesvendre.
Ilseruaverssacachette,danslecoindesachambre,entirasonportefeuillemaison,unevieillechaussette, et prélevadeuxbillets devingt dollars.Puisqu’il avait rendez-vous avec le shérif demain,autantfaireunsautàl’épicerie.Brigmanleramèneraitchezlui.Ils’achèteraitdequoitenirlasemaine,etleweek-end il se ferait héberger au LoneHeart Ranch en échange de quelques heures de travail. Ilssemblaientcontentsd’avoiruncoupdemainetlui,ilavaitbesoindeleurcompagnie.
Toutenarpentantlespièces,ilsemitàpenserauranchetdécidaqu’ilvoulaitressembleràCharleyet Jubilee.Cesgens-lànegagnaientpasbeaucoup,mais lanourrituren’était visiblementpasun souci.JubileeluiavaitmêmeachetédeshabitsetCharleys’inquiétaitpourluiquandiltravaillaittropdur,ouquandilrisquaitd’arriverencoursenretard.
Samèrereviendraitunjouroul’autre,sansdouteavecunnouveaumari.Elleseraitcontenteettoutexcitée,maisl’idéedeluidemandercommentils’étaitdébrouilléensonabsenceneluitraverseraitpasl’esprit.Lepetitamil’emmèneraits’offrirunegarde-robesexytouteneuveetdesprovisionspourremplirlesplacards.Tantqu’ilseraitici,Thatchers’efforceraitderesterinvisible.Lesfacturesseraientrégléesetleréfrigérateurplein,dumoinspouruntemps.
—Jenevaispeut-êtrepasm’acheteràmanger,toutcomptefait,songea-t-ilàvoixhaute.Sij’allaisplutôthabiterauranch,tantqu’ilsveulentbiendemoi?
Samèrenepartiraitpasàsarecherche.Aprèstout,ilavaitl’âgequ’elleavait,elle,aumomentdesafugue.SunnyJonesenconcluraitsimplementquesonéducationétaitterminée.
Toutsourire,ildécidadeconsacrerlasommeprévuepourlasoupeàl’achatd’unvraichapeaudecow-boy.Iliraitaucollège,logeraitauLoneHeartRanchetapprendraitlemaximumavecCharley.Etilneremettraitjamaislespiedsdanscetendroitoùlesgensavaientplusdetatouagesquededents.
Le lendemain matin, en montant dans le car scolaire, il portait sur lui, emballé dans une taied’oreiller,toutcequiavaitdelavaleuràsesyeux.Soncasieràcadenasaucollègeseraitsoncoffre-fort.
Ilparvintàrestersurplacejusqu’audébutdel’après-midi,aprèsavoirdéjeunéavecKristi.Puisils’éclipsaparlaportedederrièreet,dixminutesplustard,ilpoussaitlaportedesbureauxducomté.
Pearlyse faisait lesonglessurson tempsde travailpayépar legouvernement.Elleagita lamaindanssadirection,lesdoigtsbienécartés.
Ildésignalaporteentrouvertedushérif,ellehochalatête.Ilenvisageadeluidirequ’ilaimaitdiscuteravecelle,maisilssemblaients’entendreparfaitement
sansparoles.Aussiseglissa-t-ilensilencedanslebureaudeBrigman.Cederniersemblaitplongédanssespensées,despenséestrèssombres.Il tenaitdansunemainle
dépliantpublicitairetrouvéparThatcherdanslecanyonetunefeuillearrachéeàuncarnetdansl’autre.—Bonjour,shérif!Brigmanlevalesyeuxetsourit.—Salut,petit.J’étaisjustemententraindeparcourirlesnotesprisesparTimsurcequ’ilavuhier
soir.Netemêlepasdetropprèsàcetteenquête,fiston.C’esttroprisqué.— J’ai essayé de le faire comprendre à Tim, monsieur, mais il s’acharne comme un limier en
chasse.Brigmanseleva.—Sinousallionsaucafédiscuterdeçaautourd’unepartdetarte?proposa-t-il.—Bonneidée!Iln’échapperaitpasausermondushérif,songea-t-il,maistantqu’ilmangeaitenmêmetemps…Pearlyvintapporterunelettre.Brigmanjetaàpeineunregardàl’enveloppeavantdelafourrerdans
lederniertiroir.Thatcherentenditlaclétournerdanslaserruredutiroirsecret.—Maisdis-moi,Thatcher,lescourssontdéjàfinispouraujourd’hui?—Ilsm’ontrelâchéplustôtpourbonneconduite,répliquaThatcherenlesuivantverslavoiturede
patrouille.Brigmanfronçalessourcils.—Tusais,situnesuispaslescours,tuvasredoubler…—Oui,bon.Jeconnaislachanson.Maisj’aidesinformationsimportantespourvous,shérif.Brigmannelecroyaitpeut-êtrepas,maisaumoinsilparutintéressé.Ils passèrent l’heure suivante à discuter des frèresDulapse et de la façon dont les habitants des
Faillesallaientmenerleurenquête.ThatcherfournitaushérifdesdétailsqueTimn’avaitpaspenséàluidemanderlaveilleetconclutsonrapportenrecommandantlaprudence.
—Vousrisqueriezgrosenallantlà-bas,shérif.Lesfrèressontaussivenimeuxquedesvipères.—Je feraipeut-êtrepasser lemotque jeveuxparlerauxDulapse.Les ivrognesque j’ai coffrés
l’autrejourétaientsidéfoncésqu’ilsonttoutavoué,maisjesuistoujoursconvaincuquelesfrèressontmêlésàça.Sinonpourquoiseraient-ilssipressésdevenirrendrevisiteàmesprisonniers?
—SiBullditqu’ilsnesontpascoupables,jelecroisvolontiers,maisest-cequ’ilnevousfautpaslesaveuxdesDulapse?
Commeleshérifnerépondaitpas,ilajouta:
— Ils pourraient faire le lien entre vous et moi, si vous allez les voir. On m’a vu rentrer iciplusieursfois.Pourlemomentlesgenss’imaginentquej’aitoutletempsdesennuis.S’ilssedoutaientqu’onestamis,jeneseraisplusensécuritélà-bas.
—Jem’arrêteraiàleurstanddeboissurla111.Jesaiscequejefais.Ilsneserendrontmêmepascomptequ’ilssontinterrogés.
—Ilfautquej’apprenneàfairepareil.Thatcherserenversacontreledossierdecequ’ilconsidéraitdésormaiscommesonfauteuildansla
voituredepatrouille.Brigmansourit.—Tusongesàrejoindrelesforcesdel’ordre,fiston?—Moinon,maisKristiNorton,peut-être.Elleaunvraitalentpourparlerdedeuxchosesenmême
temps.Commeaudéjeuner.Jepensaisqu’onparlaitdelafabricationdescolliers,etbrusquement,elles’estmise àm’expliquer ce qu’elle voulait pour son anniversaire. Je ne savaismême pas que j’étaiscenséluioffriruncadeau.Jen’enaijamaisfaitàpersonne.Etjamaisreçunonplus!ajouta-t-ilenriant.Vousallezpaslecroire,mais jesuispassûrquemamèreconnaisseladatedemonanniversaire.Ellen’enajamaisparlé.
CetteconfidencenefitpasrireBrigman.—J’aidescoursesàfaire,petit.Tuveuxquejeteramènecheztoi?Jepeuxtelaisseraucarrefour.—Non.JevaisauLoneHeart.Jevaisresterlà-basunmoment,pourleurdonneruncoupdemain.Ilréfléchituninstantavantd’ajouter:—Neditesàpersonneoùj’habite,shérif.Jen’aipasenviequedesCajunsviennentmechercherlà-
bas.—Tu asma parole, et si tu as des ennuis, rappelle-toi, tu peux toujours venirme trouver. Je te
soutiendrai.Thatchersongeaquecesoutienneseraitpasdetrop.LesfrèresDulapseneseraientpasravisravis
d’apprendrequ’ilfouinaitdansleursaffaires.Mieuxvalaitnepasêtreseulcejour-là.
22
Lauren28mars
Lauren trouva Tim O’Grady recroquevillé dans un coin du bureau de son père, en train deretranscrire frénétiquement lesmoindres détails de son aventure avec Thatcher sur le vieil ordinateurportabledontilseservaitdepuisl’entréeàl’université.
—C’estcequejecherchais,L,c’estça!Lavie…J’avaistortdemeterrerchezmoipourécrire.Jedoisvivre,avantdepouvoirécrire.
—Accorde-toiunepetitepause,Tim.LessœursFranklinveulentteparler.Ilfronçalessourcils,prêtàrefuser,puisilchangead’avis.—Les sœurs Franklin ?D’accord. Elles ont peut-être un crime à confesser,maintenant qu’elles
saventquejetravaillepourleshérif.Ilselevaetpritlamainqu’elleluitendait.—Je sais que c’est durde comprendreun écrivain,L,mais tudois essayer.Tu esmameilleure
amie,tusais.—Jesais.Elleseretintd’ajouterqu’elleseraitmêmebientôtsaseuleamie,s’ilnesortaitpasplussouvent!Ensemble, ils traversèrent la rue jusqu’à la boutique d’antiquités. Les demoiselles accueillirent
Laurend’ungrandsourireavantdel’oubliertoutaussivitedèsqu’ellesaperçurentTim.—Ilestlà!criaRose.Daisy tirason téléphonedesapoche,composaunnuméroetprononçaunseulmot :«Bingo!»,
avantdeseprécipiterversTim.Laurens’écartaenrefoulantunrirepourobserverlascènedepuisleseuil.Cesdamesd’uncertain
âges’agitaientdevantTimcommesiellesavaientaffaireàHemingwayenpersonne.Ellesvoulurenttoutsavoir,cequ’ilétaitentraind’écrire,d’oùluivenaientsesidées,s’ilavaitdéjàtrouvésonstyle.
Faceàcetteeffervescenceautourdesapersonne,Timbuvaitdupetit-lait.Ilseglissainstantanémentdans la peau de l’auteur confronté à des admiratrices surexcitées, alors même que Rose et Daisyn’avaientjamaisluunelignesignéedesamainniconnul’excitationsuprêmeuneseulefoisdansleurvie.
Soudain,vivescommel’éclair,ellesunirentleursforcespourentraînerTimau-dehorsetl’asseoirdansleurvangarédevantlaboutique.SiLaurenn’avaitpascourupourlesrejoindre,personnen’auraitsongéàl’emmener.
— Il y a quelqu’un que tu dois absolument rencontrer, décréta Rose. Une personnalité trèsintéressante.
Puiselleécrasal’accélérateur,capsurleRansomCanyon,toutenexpliquant:—Sielleavaitvécuailleurs,end’autrestemps,cettefemmeauraitétélesageduvillage.Ellesort
trèspeu,maiselleapromisdeterecevoirdèsquenousluiavonsditquetutedestinaisàunecarrièred’écrivain.
Timétaitpresqueivre,souscedélugedeflatteries.—Quefait-elledanslavie?—Ellecollectionnedeschoses.—Deschoses?Quelleschoses?Laurensepenchasurl’oreilledeTimetchuchota:—Desosd’écrivainsenherbe!Timécarquillalesyeuxavantdeseressaisir.—Deslivres,réponditRose.Elleenpossèdedesmilliers!Aquelqueskilomètresdelaville,ilsempruntèrentunepistemenantàunemaisonisoléeàlalisière
ducanyon,unebâtisseenstucquisemblaitpresqueenéquilibretoutaubordduprécipice.Timdéclaraqu’ilconnaissaitcettemaisondepuisdesannées,sanssavoirquil’habitait.Laurenaussil’avaitrepéréedepuislefondducanyon,toutensedemandantcommentonpouvaits’y
rendredepuislaroute.LessœursFranklinpointèrentl’indexverslaporte.—C’estbon,Tim,ellet’attend.Noust’attendronsicidanslavoiture.Pousséeparlacuriosité,Laurens’empressad’emboîterlepasàTim.En remontant l’allée de terre, elle s’émerveilla de la profusion de fleurs sauvages alentour.
Castillejas, tournesols, lupins et tant d’autres dont elle ignorait le nom ! La personne qui habitait iciconnaissaitleterrainetsavaitcequipouvaitpoussersurceplateauexposéàtouslesvents.
Unefemmed’unetrentained’annéesleurouvritlaporte,vêtueàlamodedeSantaFeplutôtquedeCrossroads. Ses yeux pétillaient de vie et d’intelligence, et Lauren eut tout de suite l’impression, encaptantunelueurparticulièredanssonregard,qu’elleavaitbeaucoupvoyagédanssavieetnesupportaitpaslesimbéciles.
—Entrez,dit-ellesansmêmes’enquérirdeleuridentité.Jet’attendais,TimO’Grady,ettoiaussi,LaurenBrigman.Lessœursmeparlentdevousdeuxdepuisdesannées.
Lauren resta perplexe. Qui était donc cette femme qui la connaissait— aumoins de nom— etqu’ellen’avaitjamaiscroisée,alorsqu’ellehabitaittoutprèsdelaville?
Ilspénétrèrentdansunepièceimmense,trèslumineuseethabilléedecouleurséclatantes.Unpandemur entier dedixbonsmètresde long était couvert d’étagères, toutesgorgéesde livres.En traversantd’autrespièces,Laurendécouvritque tous lesmursétaientcreuséspouraccueillird’autres rangéesdelivres…
— Je m’appelle Terry Handley. Les sœurs Franklin vous ont peut-être expliqué que je lisaisbeaucoup?
—Etqu’aimez-vouslire,mademoiselleHandley?demandaTim.—Tout,répondit-elle.Etc’estmadameHandley.Maisappelez-moidonc«Terry».Biensûr,seditsoudainLauren.Cettefemmen’avaitpascourulemondepourdevrai.Il luiavait
suffideliredesmilliersdelivres.Leurhôtessesemitendevoirdepréparerduthé,commesiriennepressait.Laurenenprofitapourpromenersonregardsurlescomptoirsetlesétagèresautourd’elle.Partout
s’amoncelaientd’épaissesliassesdefeuillesattachéespardesélastiques.Desmanuscrits?Unepileenparticulier,poséesurunechaise,étaitsihautequ’elleauraitpuservirdeboutdetable!
Tim,lui,s’impatientaitdéjà.
—Les sœursFranklin semblentpenserquevousconnaissez le secret.Oupeut-être avez-vousunconseilàmedonner?
TerryHandleyregardaenfinsonvisiteuretesquissaunsourirerêveur.—J’aifréquentébeaucoupd’écrivains.J’aitravailléplusieursannéesàNewYorkdansunemaison
d’édition,maiscestemps-cijetravaillecommeplume.Nègrelittéraire,sivouspréférez.—Vraiment?Lauren était fascinée. De toute évidence, ce métier payait bien. Elle observa mieux leur
interlocutrice, songeant que cette femme menait une vie pleine et riche ici, dans ce que beaucoupappelleraient le fin fond de nulle part.Rien ne l’obligeait à semontrer en public, ni à se battre pourgrimpertoutenhautd’uneéchellesocialequelconque.
—Unpeudethé?proposaTerryensedétournantdeTimpourfixerLaurendroitdanslesyeux.—Avecplaisir.Jeveuxtoutsavoirdevous,madameHandley.Celle-cisemitàrire.—Lacuriositévis-à-visdesessemblables,c’estlacléd’unevieféconde.S’intéresseràcequefait
l’autre,sedemanderpourquoiillefait…Pourquoiilaimequiilaime…Pourcomprendresonprochain,ilsuffitdeconnaîtresonsecret.
LaurenentendaitpresqueTimgrincerdesdents.Lapatiencen’étaitpassonfortetilétaitvenuicitoutexprèspourparlerdelui,desonécriture.
Ilpritcependantsurlui,politesseoblige,etnesoufflamottandisqueTerryHandleyservaitlethéetdemandaitàLaurendesnouvellesdesonpère.
Elleleconnaissaitdonc?Maisaprèstout,songeaLauren,sonpèreétaitunpersonnagepublic,toutlemonde leconnaissaitplusoumoins.A travers les sœursFranklin,Terryavait sûremententendudeshistoiressurtousleshabitantsducoin.
Peuàpeu,aufildeladiscussion,Laurens’aperçutnonseulementquelesgensdelavilleluiétaientfamiliers,maisaussiqu’elleleurportaitunintérêtsincère.Maisàl’inverse,quiparmieuxlaconnaissait,elle?
Timvidasatassedethéetdéclinal’offred’uneseconde.Ilnefaisaitmêmeplussemblantdeprêterattentionàlaconversation.
Lauren,elle,trouvaitsoninterlocutricedeplusenpluspassionnante.EllesdiscutèrentdetoutetderienpendantqueTimexaminaituneétagèreaprès l’autrecommes’il se trouvaitdansunebibliothèquepublique.
Pourfinir,TerryHandleylesraccompagnaverslasortie.EllepritalorslamaindeTimetleregardabienenface.
—Tontalentàtoi,Tim,c’estlerire.Ilesquissaunsouriresansjoie.—LessœursFranklins’imaginaientsansdoutequevouspourriezm’aideràtrouverunéditeur,dit-
il.—Jeferaimonpossible,avecgrandplaisir.Ecrisunmillierdepagesetreviensmevoir.Jeconnais
quelquesmaisonsquiseraientintéresséesparletravaild’ungarçonaussisérieuxquetoi.Tims’efforçadefairebonnefigure.—Alors…vousvoyezun signechezmoiprouvantque j’ai cequ’il faut,peut-être,pourdevenir
écrivain?—Tu éprouves de la curiosité pour lemonde qui t’entoure et tu cours partout pour trouver des
réponses.Tuirasloindanslavie,j’ensuissûre,mais…TerryluitapotalebrasavantdesetournerversLauren.—C’estelle,l’écrivain.
Timremontaensilencedans lavoitureetnesoufflamot jusqu’àcequ’ilsaientditau revoirauxsœursFranklin.
Après quoi, il ne cessa de geindre qu’il aurait dû se douter que les vieilles demoiselles neconnaîtraientpersonnesusceptibledel’aideràpublier.
—Cequ’ilmefaut,c’estuntuyau.Letalentnesuffitpas,ilfautconnaîtrequelqu’undanslepetitmilieudel’édition.Ungrandprofesseur, leparentd’unéditeur,unproducteurdecinéma…Jepourraisécrireunscénario,tiens!
Laurens’abstintdetoutcommentaire.TerryHandleys’étaittrompéesurtoutelaligne.C’étaitTimquideviendraitungrandécrivain,paselle!
23
Charley29mars
En pénétrant dans la cuisine du ranch, Charley s’efforça de se comporter comme s’il avait biendormi.A lavérité, iln’avaitpas fermé l’œilplusd’uneheureaprèssonescapadeauLoneHeartPassavecJubilee. Ilavait revécucent fois leurbaiserdans lenoir.Cesouvenir lepossédait, lehantait.Lapetitemainposéesursapoitrine,silégère…Ilsnes’étaientmêmepasenlacés.Maisjustement,c’étaitcetteretenuequiavaitrendulacaressedeleurslèvressiélectriqueetdélicieuse,contretouteattente.
Ilss’étaientjusteembrassés.Etcematin,ilnepouvaitmêmepasconfieràJubileeàquelpointcetuniquebaiserl’avaittransformé,puisqu’elleavaitdécrétéqu’ilsn’enparleraientjamais.Jamais.Leseulfaitdegarder secret ce souvenirdécuplait son intensité.Côtoyer Jubilee sans la toucherconfinait à ladouleur.Leseulremèdequiluivintàl’esprit,c’étaitletravail.
Laveille,leursoccupationsrespectiveslesavaientempêchésdediscuterpendantlajournée,maisilavaitpeud’espoirquelaparoleleursoitplusfacileaujourd’hui.
—Bonjour,ditJubilee,penchéesurlacuisinière,sansseretourner.Lecaféestprêt.Ellesemblaitaussiexténuéequelui.Avecsescheveuxattachésenqueue-de-chevaletsesbottesaux
pieds,elleavaitl’airbienjeunepourgérerunranch.Plutôtprêteàattraperlecarscolaire,songea-t-il.Maiss’ilavaitcomprisaumoinsunechoseausujetdeJubileeHamilton,c’étaitquecette femmeétaitcapabled’atteindren’importequelobjectif,àpartirdumomentoùellesel’étaitfixé.
Il se servit une tasse de café et s’assit en se demandant s’il parviendrait à se concentrersuffisammentpoursouteniruneconversation.Ilfallaitqu’ilstrouventunmoyendedissipercettetensionentreeux.Acerythme,oubienilssetueraientà la tâcheaujourd’hui,oubienilsferaient l’amouràsedamner…
Elleposadevantluidesœufsaubacon.Ilréussitàlaremercieravantdesaisirsafourchette.—Désoléed’avoirfaitbrûlerlesœufs,dit-elleenremplissantdenouveausatasse.—Jen’avaispasremarqué.Sonassietteauraitaussibienpucontenirdelaboue,ill’auraitsaléeavantdelavider!—Jepensaislabourerlechampdebléaujourd’hui,ajouta-t-il.Lamétéoannonceunefortehumidité
maispasdevent.—Aurez-vousbesoind’uncoupdemain?demandaJubilee,lesyeuxrivéssursapropreassiette.
Dites-moijustecequ’ilfautfaire.—Non,j’auraiterminéavant…
Ilsseretournèrentenmêmetempsverslafenêtre.Unminivanremontaitbruyammentl’alléedeterredevantlamaison.
Charleyselevaettenditlamainverslacarabinerangéeau-dessusdelaporte,prêtàs’ensaisir.Lesinconnus indésirables n’étaient pas toujours une source de problèmes, mais vivre isolé en pleinecampagneimposaitquelquesprécautions.
Ils sortirent sur le perron et regardèrent le véhicule imposant se garer à quelques mètres de lagalerie.
Avantmêmel’arrêtcomplet,unefemmecorpulentetoutdeblancvêtues’éjectadusiègepassagerets’étira comme si elle avait été coincée dans la cabine pendant des heures. Puis les portes latéralescoulissèrentetunefilletrèsmincehabilléed’unpantalonskinnyetd’ungrandpullpendantsuruneépaules’extirpadusiègearrièreavecunefluiditédesaule,encontrastetotalavecsacamarade.
—Ondiraitquecesgens travaillentpourmasœur,chuchotaJubilee. Ilmesembleavoirdéjàvucettefemmeenblancchezelle.
—Uneinfirmière,jeprésume,ditCharley.Etl’autre?—Lacuisinière?Oubien la coachdeyoga.Avecunpeudechance, elles sontvenueschercher
Destiny…Masœurm’aprévenuehierquetoutallaittrèsbientôtchangerici.Charleynequittaitpasdesyeuxlafillemaigrichonne.— Son pantalon a l’air peint sur elle et quelqu’un a oublié de finir de tricoter son pull, fit-il
remarquer.Jeneconnaispasgrand-choseauyoga,maissiellecontinueàjouerlessaulesdanslevent,ungarsducoinvafinirparlaplanterenterre!
—Arrêtezdefairecommesivousn’aviezjamaisvucegenredetenue.Jevoisclairdansvotrejeu,vousvousentraînezàjouerlesbouseux,Charley.
—C’estassezefficace,engénéral.Ilfronçalessourcils.Jubileelisaitenluibeaucouptropfacilement,cesdernierstemps.Le chauffeur descendit à son tour pour aller ouvrir le coffre. Un figurant des Soprano, songea
Charley.Costaud,probablementarmé,unsouriredetruand.Ilentrepritdedéchargerdesvalisesetdescartons sans que les deux femmes esquissent un geste pour l’aider. Elles les fixaient sans mot dire,Jubileeetlui.
—Uneidéedecequ’ilfautfaire,patron?murmura-t-il.—Réveiller Destiny, suggéra-t-elle, puisqu’ils travaillent sûrement pour elle. Qui sait, elle leur
manquaitpeut-êtretellementqu’ilssontvenuslarejoindre.—Ehbien,sic’estlecas,ilssontentraindes’installericipourunmoment.Oualors,ilssesont
trompésderouteaucarrefouretnousprennentpourleranchéducatifaunorddeCrossroads,maisj’endoute.
Ilhésitaàs’avancer,carabineàlamain,enordonnantàcesintrusdefairedemi-touretdequitterleslieuxsur-le-champ.
—Vousn’avezplusbeaucoupdechambresdelibre,patron,etunesalledebainsnesuffirajamais…AvantqueJubileeaitpurépondre,lafillemincesepenchaàl’intérieurduminivanetrécupéraun
bébé hurlant à pleins poumons, visiblement réveillé en pleine sieste.Quelques secondes plus tard, sacomparseenpritunautredanssesbras,quiressemblaittraitpourtraitaupremier,maispiaillaitencoreplusfort.
—Lesjumeaux,murmuraJubilee,levisageblême.Aumêmeinstant,unhurlementstridentvenudel’étagecouvritlespleursdesbébés.CharleytiraJubileesurlecôtéaumomentoùDestinydéboulaitcommeunbouletdecanon.— Non ! Remportez-les tout de suite ! hurla-t-elle. J’ai dit à Mason de ne surtout pas me les
envoyer!
—Impossible,rétorqualafillelianeenluifourrantungamindanslesbras.Ilnousadonnél’ordredeleslaisserici.Ilaététrèsclair.Ouvousrentrezàlamaison,oulesjumeauxrestenticiavecvous.
Destiny posa aussitôt l’enfant par terre et s’avança au pas de charge vers leminivan, ruinant levernistoutneufsursesorteils.
—Vousdeux,vousnepartezpas!J’aibesoind’unecuisinièreetd’uneinfirmièreavecmoi.Vousn’imaginezpasl’enferquej’aivécuicisansaide.J’aidûtoutfairemoi-même!
Lafemmeenblancpassadevantelle,déposalesecondbébésurlesoldelaganlerieetreculaenécrasantunelarme.
—Pardon,maisnousseronsrenvoyéessinousrestonsavecvous.Tous trois remontèrent précipitamment dans leminivan commedesvoleurs et s’éloignèrent avant
mêmed’avoirrefermélesportières.Lascènen’avaitduréquetroisminutes,toutauplus.DestinysetournaversCharley.—Ehbien,nerestezpasplantélà!s’exclama-t-elle.Aidez-moidoncàrentrertoutçaàl’intérieur.
Jubilee,prendstesneveuxetsuis-moi!Charleysecoualatête.—Jevousaccordequelquesminutesavecplaisir,Destiny,maisjenetravaillepaspourvous.Vous
vousdébrouillereztouteseuleensuite,commeunegrande.Jubileesaisitlapercheauvol.—Pareilpourmoi.J’installelesjumeauxdanslesalonetjememetsautravail.—Vousn’allezpasmelaisserseuleaveccesbébés!Sesmotsclaquèrentcommeceuxd’ungénéral.Maisungénéraldésertéparsestroupes…Charleytransportadanslamaisontoutlematérieldepuériculture,chaiseshautescomprises,ainsi
quedescentainesdecouches.Puis,paracquitdeconscience,ilallachercherunelongueurdegrillageetlafixasurleslattes,côtéextérieur.Lagaleriepouvaitdésormaisfaireofficedegrandparcàbébés.
Ducoindel’œil,ilvitJubileeinstallerlesdeuxgarçonsdansleurchaise.Puiselleleurdonnaunepoignéedecéréalesàchacunpourlesoccuper.Là-dessus,ilss’éclipsèrent,vifscommel’éclair,lavoixdeDestinyvibrantderrièreeuxdansl’espacecommeletonnerre.
Arrivésdansl’écurie,ilsdonnèrentlibrecoursàleurfourire.Jubileeserepritlapremière.—Vouscroyezqu’ellevas’ensortir,seuleaveclespetits?—Siellesurvit,elleserauneautrefemmeavantlafindel’après-midi.JevaisappelerIkeauTwo
Step,pourvoirsisafillepeutamenerquelquesamiesetgarderlesbébéscesoiraprèslescours.Acestade,Destinyaurasûrementbesoind’unmomenttranquillepourpiquerunecrisedenerfs.
—Elleditqu’elleestvenuem’aideràmedébarrasserdeceranch.Ellesemblepenserquejesuiscoincéeici.
—Est-cequevousl’êtes?Charleyattenditlaréponseavecunefébrilitéquil’étonnalui-même.—Non,biensûrquenon,maisjen’arrivepasàleluifairecomprendre.Elleestpersuadéed’agir
pourmonbien.Celadit,ajouta-t-elleavecunsourire,ellen’estpasfâchéedefaireunepausedanssontravaild’épouseetdemère,sivousvoulezmonavis.
—Ellevadurerlongtemps,cettepause?—Toujours,peut-être.Ellem’aditqu’ellerentreraitàWashingtonavecmoietm’aideraitàtrouver
unappartementdèsquej’auraisreprismesespritsetvenducettepropriété.Charleyentrepritdechargerlematérieldanslepick-up.—C’estcelaquivousatantbouleversée,l’autrejour?Jubileeacquiesçaetjetaunregardverslamaison.
—Masœurveutlamoitiéduranchetnepartirapasavantquejeluienaietransférélapropriété.Voilàcequ’ellem’adit.Maisjenesigneraijamaisrien.Ellepeuttoujoursattendre!
—Ondiraitquesonmariattendimpatiemmentsonretour.Sinousnenousmontronspas,peut-êtrequ’ellesedécideraàlerejoindre…
—Jesuissûrequ’ellel’aimesincèrement,etqu’elleaimesesenfantsaussi.Ellen’enpeutpluscestemps-ci,c’esttout.
Charleyhaussalesépaules.—Ellevaviteconstaterquelasolitudeestautrementpluspénible!—Masœurobtienttoutcequ’elleveutd’habitude,maisellen’aurapasceranch,murmuraJubilee.— Elle a de quoi s’occuper pour l’instant. Quelque chose me dit que si nous restons dans les
parages, je vais bientôt porter un tablier blanc. Et vous, vous allez vousmettre au yoga pour ne pasdevenir folle.SiMasonsouhaite réellement récupérer sa femme, il a choisi l’arme fatalepourqu’ellerentreàlamaisonenrampant.J’espèrequ’ilsontaumoinsunportable,dansleminivan.Onpariequ’ilsferontdemi-touravantlanuitpourrevenirchercherDestinyetlesjumeaux?
Jubileepouffaengrimpantdanslepick-up.—Autravail!lança-t-elle.Leranchn’attendpas.Ilacquiesçaetseglissaauvolant.— Avec votre aide, dit-il, nous aurons fini de labourer le champ d’ici midi, à temps pour
commanderleplatdujourauDorothy’s.—Leplanmeva,tantquenousrestonsleplusloinpossibledelamaison.—Excellenteidée.Laissonsàvotresœurtoutletempsdeprendresadécisiontranquillement…
24
Thatcher29mars
Lilliesepenchapar-dessus labalustradede lagaleriepourobserver lesdeuxbébésenfermésdel’autrecôtédugrillage.
—Desbébésquimarchent,déclara-t-ellecommesiellevenaitd’identifierl’espèce.J’enaijamaisvudeuxquiseressemblentcommeça!
Thatcherlescontemplaàsontour,toutenrestantprudemmentàdistance.—Ilssontsûrementdelamêmeportée.KristiNortonsurgitsurleseuil,toutsourire,avecdeuxbiberonsdanslesmains.—Lillie,veux-tuallerdemanderàtonpèreetàJubilees’ilsontpenséaudîner?Destinyditquesi
c’estellequifaitlacuisine,lemenuseralemêmequ’audéjeuner.Céréales!—D’accord!Lillie quitta son perchoir d’un bond et courut vers le corral où son père faisait travailler les
chevaux.ThatchersouritàKristi.—Ilparaît,murmura-t-ild’untond’expert,qu’unefemmemetaumondedesjumeauxquandellea
eulehoquetpendantlaconception.Kristiéclataderire.—Tuessidrôle,Thatcher!J’adorequandtudisdeschosesfollesjustepourmefairerire.Thatcheravaitditcelaleplussérieusementdumonde,maisilétaitbienpossiblequ’onluiaitdonné
desinformationsinexactes.—Tuveuxquej’ennourrisseundesdeux?proposa-t-il.—Volontiers.Danielaestentraindenettoyerlebazarqu’ilsontlaissédanslacuisineetlamèreen
estàsadeuxièmesiestedepuisnotrearrivée.Tusaisdonnerlebiberon?Thatchersautasouplementpar-dessuslabalustrade.—Çanedoitpasêtretrèsdifférentquepourdesveaux.LesouriredeKristis’élargit.—Absolument!
25
Charley29mars
Peuaprès22heures,CharleyraccompagnaKristietDanielachezelles.Lesfillesétaientfatiguéesmais contentes, au termede six longues heures de baby-sitting.Destiny leur avait donné à chacune unbilletdecentdollarsenleurfaisantpromettrederevenirsansfautelelendemainaprèslescours.
NepouvantlaisserLillieseuleàlamaison,Charleyluiavaitmissonpyjamaetl’avaitenveloppéedansunecouverturepourl’emmener.Avecunpeudechance,elles’endormiraitsurletrajetduretour.
Thatcher avait insisté pour les accompagner. Il avait décidé au derniermoment de passer la nuitaveceux,aucasoùdesproblèmessurviendraientchezJubilee.
—J’aidanslatêteuneimagedeDestinyseprécipitanthorsdelamaisonàl’aubeenhurlant,avait-ilexpliqué.Jememoquequ’elles’enfuie,maisjem’inquiètepourcesbébésquimarchentetqueLilliesembleconsidérercommedespetitschiots.
Charleyavaitrideboncœur,maislascènen’étaitpeut-êtrepassiloind’unprésage.Laréactiondela sœur de Jubilee au moindre pleur de ses enfants était de commander à quelqu’un d’autre de s’enoccuperimmédiatement.Orcesoir,elleseraitseuleaveceuxpourlapremièrefois…
Auretour,alorsqueLilliedormaitentreeuxsurlesiègeavant,ThatcherexpliquaàCharleycequ’ilavaitentendudireàlaréuniondeprièresdusamedisoir.AaucunmomentCharleynemitsaparoleendoute.Pouravoirtravaillédurantsonadolescenceavecdescow-boyshabitantlesFailles,ilsavaitqu’ilsavaient là-bas leurs propres lois. Aucun comté ne revendiquait cette zone. Aucun policier ne s’yaventuraitsaufabsoluenécessité.
—Onm’adit,déclaraCharleyaprèsuntempsdesilence,qu’uncertainBentavaitbattusafemmetouslesweek-endspendantdesannéesetquelamalheureuseétaitsiépuiséequ’ellen’osaitmêmeplusregarderlesgens.
— J’ai vu des types de ce genre, dit Thatcher en secouant la tête. C’est pas bien de battre lesfemmes.Oulesenfants.
—C’esttamèrequit’aditça?—Non.Jesuisbienplacépourlesavoir,c’esttout.N’ayant aucune envie de faire resurgir de mauvais souvenirs chez l’adolescent, Charley préféra
poursuivresonhistoire:—CeBent, à cequ’il paraît, n’estpasvenu jouer aupokerunvendredi soir etplusieursde ses
copainsdebeuveriesontpartisàsarecherche,pensantqu’ils’étaitsoûlésanseuxetqu’ils’étaitendormiquelquepart.Enréalité,ilétaitaulit,lecorpssiamochéqu’ilsemblaitavoirtrempédansuneteinture
bleuetnoir.Lesdeuxyeuxétaientfermésetgonflés,unedesoreillesavaitdoublédevolume.Mêmelesorteilsétaientcouvertsd’hématomesettouttordus.
Ildéglutitavantdeconclure:—Safemmeaexpliquéqu’ellel’avaittrouvédanscetétatenrentrantdesonaller-retourmensuel
enville.Bentn’ajamaisditqui l’avaitbattu,maisonracontequ’ilaévité lagrand-mèredesafemmecommelapestejusqu’àlafindesesjours.
—C’estunevieilledamequil’auraittabassé?—On ledit.Leshérifn’apasouvertd’enquête,précisaCharleyensegarantdevantchez lui. Je
feraisbiend’accompagnerBrigman,s’ildécided’allerposerdesquestionslà-bas.Jeconnaisquelqueshabitantsducoin.
—Bonneidée.J’aimeraisl’aidermoiaussi,maisjenesaispascomment.Apeinedescendu,Thatcherfiladanslamaison.Ilavaitdéjàpréparésonlitsurlecanapéetpliait
avecsoinseshabitsneufssur ledossierd’unedeschaisesdecuisine lorsqueCharleyentraàson touravecsafilleassoupiedanslesbras.
Il se sentait à bout de forces. Trois jours et deux nuits qu’il n’avait pas fermé l’œil. Il souhaitabonnenuitàThatcherdansunmurmureetemmenaLilliejusqu’àsachambre.
La petite ouvrit les yeux lorsqu’il la déposa sur le lit, et insista pour qu’il la berce jusqu’à cequ’ellese rendorme.Lorsqu’il traversadenouveau lesalon, telunsomnambulepourgagnersaproprechambre,Thatcherronflaitdéjà.
Il était si épuisé qu’il se faisait l’effet d’un gars complètement ivre essayant de prouver qu’ilpouvaitencoremarcherdroit.Lorsqu’ilrefermalaporteetseretournaverslelit,lechocleranimad’unseulcoup.
Là,devantlui,Jubileeétaitblottiesurl’édredondesagrand-mèrequiluiservaitdecouvre-lit.Elleportaitencoresatenuedetravaildujour,etn’avaitmêmepasretirésesbottes.
Soncerveaufatiguéenregistraque,sielleétaitvenuedansl’intentiondecoucheraveclui,elleseseraitaumoinsdéshabillée.Oubienelleauraitenfilédesvêtementspropres,unechemisedenuit,unT-shirt… Il ne savait pasgrand-chosedes femmes,mais il avait remarquéqu’elles passaient souvent uncertain tempsàsepréparerpour lessoirées romantiques.Tandisque leshommesnepensaientqu’àsedéshabiller…
LechapeaudeJubileegisaitsurlesolcommes’ilétaittombélàlorsqu’elles’étaiteffondréesurlelit.Sescheveuxétaientenfouillisentraversdesonvisage.Unlégerronflements’échappaitdesaboucheentrouverte.
—Patron,sivousvouliezêtresexy,c’estraté!Ilsepencha,dégageasonfrontetl’embrassasurlajoue.—Vousavezdonnélemaximumaujourd’hui.Jedoisavouerquejevousadmire.Elleavaittravaillétoutelajournéeàsescôtés,assumantbravementsapart.N’ayantaucuneidéedecequ’ildevaitfaireavecelle,ils’assitaucoindulitetluiretirasesbottes.
Puisilôtalessiennes.Ellemarmonnaquelquechoseàproposd’unepetitesiestequ’ellesouhaitaitfaireavantderetourner
chezelle.Il ne répondit pas. Elle avait sûrement aussi mal dormi que lui, ces deux dernières nuits. Il
s’allongeaprèsd’elle,leursépaulessetouchantàpeine,etfermalesyeux.Ils’endormitavantd’avoirreprissonsouffle.Aunmoment,ilroulasurlecôtéetparvintàtirerl’édredonsurelle.Elles’étaittournéeverslemur,
maiscejolifessierrondpressécontresahancheluirappelaitagréablementsaprésence…Al’aube,ilouvritunœilens’efforçantderéfléchiràcequ’ilallait luidire.Pourpeuqu’elleait
remarquélescaressesqu’ils’étaitautoriséescettenuit,légèresmaisassezfréquentes,ellepousseraitdes
hurlementsavantqu’ilaitpuplacerunmot.Normal,iln’avaitaucuneexcuse.Maisils’étaitinquiétépourrien.Jubileeavaitdisparu.Avecsesbottes,sonchapeauetsesjolies
fessestoutesrondes.Ilselevacommesic’étaitunmatinordinaire.Sedoucher,seraser.RéveillerThatcher.Pendantque
legaminsedouchait,ilhabillaLillieetpréparalepetitdéjeuner.—Combiend’œufspeux-tuavaler?cria-t-ilàl’adressedeThatcheràtraverslaportedelasalle
debains.—Combienvousenavez?répliqual’adolescent.Charleysemitàrireetencassasixdanslapoêle.—Bonjour,That,ditLillie lorsquecelui-civint s’asseoirà table.Est-ceque tu restesavecnous
longtemps?ThatcherconsultaCharleyduregard.—Jepourraisvousdonneruncoupdemainici,hasarda-t-il.Enpayantmesrepas!—Tues lebienvenu ici le tempsque tuvoudras.Enéchange, tupourrasm’aideràconstruireun
poulailler,ceweek-end.Quelquechosemeditqueceranchvaavoirbesoind’œufs.— J’ai vu un gros tas de bois au fond de l’écurie. Le vieuxLevy n’a jamais dû jeter une seule
planche.Onpourraits’enservir,enajoutantunvieuxtiroirpourlesnids.—Atoidejouer,petit.Tudessineslesplansetonlemonteensemble,cepoulailler.Sionfaisaitla
surpriseàJubilee?Dèssadernièrebouchéeavalée,Thatcherproposad’accompagnerLilliejusqu’àl’arrêtducar.En
sortant,illapritmêmesursondospourqu’ellenesalissepasseschaussures.—Atonavis,petitefleur,àquoiçaressemble,unpoulailler?—Aunchâteau,réponditLillie.CharleysedétournaensouriantetaperçutJubileequiarpentaitson jardinendormi.Ouplutôtson
jardin presque réveillé.Elle était tellement excitée l’autre jour, lorsque la toute première plante avaitsurgi du sol. Il avait hâte de voir comment elle réagirait le jour où les champs seraient prêts pour lamoisson!
Sielleétaitlàcejour-là,biensûr.Sil’unoul’autreétaitencoredanslesparagesàl’automne…Touslesjours,ilétudiaitsesgraphiques;rentrées,sorties.Ceneseraitpassisimple.S’ilsétaient
amenésàrevendredubétailenurgence, ilsperdraientdesmilliersdedollars.Pourpeuque larécoltetournemal,ilresteraitpeudeliquidepouracheterdequoinourrirlesbêtes.
Etsil’écurienegardaitpastoussespensionnaires…Sil’und’euxtombaitmalade…Ilyavaittropde«si».Cen’étaitplusuntravailcommeunautrepourluidésormais.Ils’étaitattachéàcetendroit.Ils’était
attachéàsapatronne.Larévélationleheurtadepleinfouet.Oui,ils’étaitattachéàJubileeHamilton.
26
Lauren2avril
Levendredi,sonderniercoursterminé,Laurenrallumasonportable,ramassaseslivresetattaqualekilomètrequi la séparait de sa résidence.Le campusdeTexasTechétaitmagnifique.Cettevégétationd’avril, sous un soleil resplendissant ! L’année touchait à sa fin. Pourtant l’angoisse l’emportait surl’excitation.Danssixsemaines,elleempocheraitsondiplômesansavoirlemoindreprojetpourlasuite.
Polly luiavaitproposéd’emménageràDallasavecellepourymener labellevie.Elleavaituneamiegéranted’uncafé,oùellespourraienttravaillertouteslesdeux.
Toutenmarchant,Laurenpassaenrevuelesraisonspourlesquellesceplannemarcheraitjamais.D’abord,samèrehabitaitDallas,c’étaitdonclavilleàéviteràtoutprix.Etpuis,travaillerdansuncafé,ceseraitgaspillersondiplômed’histoire.Etpuis,elledétestaitlecafé…
Son portable se mit à sonner alors qu’elle passait devant la statue de Will Rogers juché surSoapsuds,sonchevalpréféré.Elleluisouritensortantsontéléphone.UnelégendeàTexasTechvoulaitquesiuneviergedécrochaitunjoursondiplôme,WillRogersmettraitpiedàterre.
—Prêtàdescendre,Will?marmonna-t-elleavantd’ouvrirleclapet.Et si c’était Lucas ? Demain, cela ferait une semaine depuis qu’ils s’étaient croisés et elle ne
pouvaits’empêcherdesedemanders’ilpensaitàelleautantqu’ellepensaità lui.Elleavaitcédéàuncoupde folie dans le couloir duTwoStep, d’accord, et ellemanquait d’expériencepar rapport à sescopines,maiscethommeembrassaitcommeundieu!
Lenuméroaffichén’étaitpasceluideLucas.C’étaitceluidesonpère.Quisouhaitaitcertainementqu’ellerentreàlamaisonceweek-end.Ilcumulaitlesheuressupplémentaires,cesdernierstemps.
—Salut,papa!dit-elled’untonjoyeuxens’éloignantdelastatuepourtraverserlapelousejusqu’àsarésidence.
Ilyeutunlongsilence.—Lauren,c’estTim.Jet’appellesurleportabledetonpère.Sonamiparlaitaveclenteuretgravité,d’untonpresquemécanique.—Bonjour,Tim.Si tuvenaisàLubbockceweek-end?Onpourrait faire la tournéedesmauvais
restaurantsoùtutraînaisdutempsoùtuétaisici?—Non,Lauren.JevaiseffectivementàLubbock,maispaspourfairelafête.Ilmarquaunenouvellepause.Lorsqu’ilrepritlaparole,ilsemblaitauborddeslarmes.—Jedoistedire,pourtonpère,avantquetul’entendesauxinformations.Ilestblessé,Lauren.Il
estgravementblessé.
Ellesefigea, lâchantseslivresquis’éparpillèrentàsespieds.C’était l’appelquetoutepersonneliéeàunpolicierredoute,attend,etpriepournejamaisrecevoir.
—Unaccident?—Non,L,cen’étaitpasunaccident.—Donne-moilesfaits,Tim.Touslesfaits!S’ilnes’agissaitpasd’unaccidentetsilatélévisions’apprêtaitàdiffuserlanouvelle,c’étaitplus
quegrave.Samaintremblaittellementqu’ellepouvaitàpeinetenirletéléphone.—D’accord.Avanttoutechose,ilestvivantetenroutepourl’hôpitaldeLubbock.MaintenantlesmotssebousculaientdanslabouchedeTim.—Jesuisjustederrièrel’ambulance.Lesurgentistesontditqu’ilétaitdansunétatstablemaisqu’il
fallaitl’opérerdetouteurgence.Uneescortepolicièrenousouvrelaroute,onrouleàcenttrente.Arrivéeprobableàl’hôpitaldansmoinsdetrenteminutes.Çafaitplusd’uneheurequej’essaiedetejoindre.
Normal.Elleavaitéteintsontéléphoneencours.—Jeteretrouveauxurgences,dit-elle.Elleramassaseslivresetsedirigeaverssavoiture.—Parle-moi,Tim.Dis-moicequisepasse.Oùétait-il?Est-cequ’ilyad’autresblessés?Impossibledeserésoudreàdemanders’ilavaitétédélibérémentagressé.Toutesavie,elleavait
entenduparlerdepoliciersvictimesdeviolencespourlaseuleraisonqu’ilsportaientunbadge.Maispassonpère,non…PasdansunevilleaussimodestequeCrossroads!
—Jevaistediretoutcequejesais,réponditTim,recouvrantsavoixhautperchéecoutumière.Riennesembleréelpour lemoment.Jen’arrivemêmepasà intégrer l’idée.Jesuisdanslavoiturequisuitl’ambulanceetjenepeuxtoujourspaslecroire!
Laurenattenditensilencequ’ilaitrecouvrésonsang-froid.— Ils pensent qu’il a été victime d’une embuscade sur la 111, dans les virages entre les petits
canyons, tu vois ?C’estThatcher qui l’a trouvé.La voiture de patrouille a été criblée de balles.Lespneuscrevés.Lepare-briseenmiettes.
Lauren visualisait précisément l’endroit. Son père lui avait appris à conduire sur cette route enlacet.Lespetitscanyonsétaientutilisés jadiscommecorralsdefortunependant lesrassemblementsdebétail.Lereliefn’excédaitpasdixmètresdehauteur.
Commeellegardaitlesilence,Timpoursuivit:—Thatcherditqu’iladécouverttonpèreallongéparterreprèsdesavoiture.Ilétaitentraindele
hissersurleplateaudupick-upquandilaentendudescoupsdefeuquisemblaientvenusdenullepart.Ilabondidanslacabineetparcouruplusd’unkilomètresansmêmeserendrecomptequ’ilavaitprisuneballedans la jambe, justeau-dessusdugenou.Legamina réussimalgré toutà rouler jusqu’à laville,avectonpèreinconscientàl’arrièreetunejambeensanglantée.Lacliniqueétantferméelevendredi,ilapoussé jusqu’au lycée. L’infirmière a donné les premiers soins pendant que le proviseur appelait lessecours.Ladernièreclochea sonnéavec trenteminutesd’avancepourque les élèves sortentplus tôt,maisj’imaginelechaos,danslebâtimentadministratif!
Laurenmontadanssavoitureaveclesentimentd’êtrefrigorifiéedel’intérieur.—Oùa-t-ilététouché?C’estgrave?Est-cequ’ilrestedesballesdanslecorps?Elle oublierait sûrement très vite les détails techniques,mais il fallait qu’elle continue à parler.
C’étaitcela,ousemettreàhurler.—Uneballeaatteint lebrasgauche.Elleapeut-êtrebrisé l’os. Ilena reçudeuxautresdans la
jambegaucheetunedansl’épaule,maiscelle-làl’ajusteeffleuré,oualorselleestpasséeautravers.Ilenaencoretroisentoutdanslecorps,jecrois.
—Quatrefois,chuchotaLauren.Onluiatirédessusquatrefois…
Ellenepouvaitpasfermerlesyeuxmaintenant,sinonelleverraitlesballesentrerdanslecorpsdesonpère.Elleleverrait,lui,tressaillirets’effondrer…
—D’aprèsunadjointdushérifdeLubbockquiestmontéavecluidansl’ambulance,c’estcommesile tireur n’avait pas cherché à le tuer, repritTim.Ça ressemblait plutôt à du tir sur cible. S’il s’étaitrelevépouressayerderemonterenvoiture,legarsauraitdenouveautiré.
Unlongsilencesuivitcesprécisions.—Lauren, tonpèreaperdubeaucoupdesang,mais il est solide,ajoutaTim. Il s’ensortira. Il a
réussiàm’appeleraubureauetjemesuisprécipité.Quatreballesdanslecorps,etilcontinuaitàdonnerdesordres!
Lauren laissa échapper un rire étranglé.C’était sonpère tout craché.Bizarrement, cette image laréconfortaunpeu.
—Ilperdait sonsangdepartoutet ilm’a tenduson téléphoneenmefaisantpromettrede tedirequ’ilallaitbien.Puisonluiaposédesbandesdecontentionetilainsultélesinfirmiersparcequ’ilsnes’occupaient pas de Thatcher d’abord.Mais le garçon n’en voulait pas non plus. Il sautillait sur unejambeenlaissantdestraînéesdesangpartout,clamantqu’ilseportaitcommeuncharme.Aussitêtusl’unquel’autre,cesdeux-là,jetejure!
Laurenmitlemoteurenmarche.—Onseretrouveàl’hôpital,Tim.Etmercipourtouscesdétails.Après avoir raccroché, elle semit en route. L’hôpital était tout proche, elle auraitmême pu s’y
rendreàpied.Lajournéeétaitchaudeetensoleillée,maiselletremblaitdetoutlecorps.Onavaittirésursonpère…Pourquoi?Des centaines de questions qu’elle aurait dû poser à Tim lui venaient seulement maintenant à
l’esprit.Sonpèreétait-ilconscientlorsqu’ilavaitétéembarquédansl’ambulance?Savait-ilquiluiavaittirédessus?Quefaisait-ilaussiloindelaroute111?EtcommentallaitThatcher?Oùétaitl’adolescentmaintenant,dansl’ambulanceavecsonpèreoudanslavoitureavecTim?
Elles’efforçaderéfléchir.Acetteheure-là,Thatcherdevaitrentrerchezluiaprèslescours.OubienilsedirigeaitversleLoneHeartRanchaprèsêtrepasséchezluirécupérerquelquechose.Quoiqu’ilensoit, il conduisait sanspermis, comme le shérif le lui avait si souvent reproché.Mais cette fois, cettefois…S’iln’étaitpaspasséaubonmomentsurlarouteauvolantdesonpick-up…OhmonDieu!SansThatcher, sonpère se serait vidéde son sang.Oubien il aurait pris une cinquièmeballe.Et peut-êtrequ’il…
Ellepénétraentrombedansleservicedesurgences,s’attendantàtrouverlàlamoitiédeshabitantsdeCrossroads.
Maisiln’yavaitpersonne.Pasuneseuleconnaissanceenvue.Elleétaitarrivéelapremière.Unefemme,àlaréception,luiexpliquaquel’ambulancearriveraitdansunedizainedeminutes.—Nouslesattendons.Toutestprêtpourleurpriseencharge,mademoiselle.Nevousinquiétezpas.Danslasalled’attente,personneneluiprêtaattentiontandisqu’ellefaisaitlescentpas.Uncouple
portant deux enfants malades était assis près de la double porte de gauche. Une demi-douzaine decollégiensentouraientungarçonquidevaitavoir l’âgedeThatcher. Ilportaitunplâtre flambantneufàunejambe.Desskate-boardsétaientempiléssurunechaiseàcôtédelui.
Elle fixa lepetitgroupesans levoir.Si ledestindeThatcherétaitde se retrouverauxurgences,voilàlegenredeblessuresquiauraitdûluiarriver.Quelsorted’êtrehumainpouvaitavoirenviedetirersurungamin?
Laréponseétaitsimple:celui-làmêmequiavaitfaituncartonsurleshérif.Elle s’astreignit à respirer calmement. Elle ne pouvait rien faire pour l’instant, hormis attendre
l’ambulance.
Elleselaissatombersurunedeschaisesenplastiqueduretcomptamentalementlessecondes.Timavaitappelévingtminutesplustôtendisantqu’ilarriveraittrenteminutesplustard.Ellen’avaitplusquecinqminutesàpatienter,dixaumaximum.
Le personnel hospitalier,médecins, infirmières, aides-soignants, semblait tourner en rond commeelle. Tous attendaient. A travers la vitre, elle vit arriver le camion d’une chaîne d’infos. C’étaitsurréaliste.Delafiction.Cettescènesejouaitdansunfilm,pasdanssavieàelle…
Elle vit la réceptionniste discuter avec une infirmière, puis cette dernière traversa la salle pourvenirs’accroupirdevantelle.
—Vousêteslafilledushérif?Laurenhochalatête.—Nousavonsétéprévenusdevotrearrivée,aveclaconsignedevousautoriseràlevoirtantque
ceserapossible.L’infirmièreesquissaunsouriretristeetajouta:—Leconducteurdel’ambulanceaditqu’ilsontdûmenacervotrepèredel’endormirs’iln’arrêtait
pasdeleurexpliquercommentfaireleurtravail.—Merci. Pourriez-vous tenir les journalistes à l’écart ? Je doute quemon père ait envie d’être
filmédanscescirconstances.—Jeferaidemonmieux,maisunshérifdecomtéblesséparballes,c’estdel’or,pourcesgens-là.Sonportableenmain,Laurenserapprochadelaporteenseforçantàrespirerlentement,ettentade
seremémorercequeluiavaitditTim.Devait-elleprévenirsamère?Tims’enétaitpeut-êtredéjàchargé.Maissisonpèreétaitconscient,
il avait sûrement demandé que personne ne contacteMargaret. Ils étaient divorcés depuis des lustres.Ferait-elleseulementledéplacement,sielleétaitaucourant?
Unedisputequ’ilsavaienteueunjouralorsqu’ilslacroyaientendormieluirevintenmémoire.Samèrecriaitqu’ilétaithorsdequestionqu’elleleregardemourir.Elleavaitinsistépourqu’ilchangedetravailetjuré,devantsonrefus,qu’ilnefaudraitpascomptersurellelejouroùilseferaittirerdessus,etencoremoinsceluioùilslemettraientdanslatombe…
Cejour-làsamère,quiparvenaittoujoursàsesfinsentempsnormal,n’avaitpaseugaindecause.Elleétaitpartieetsonpèreétaitrestéshérif.
Non,ellen’appelleraitpassamère.Pasencore.Pasavantd’avoird’autresinformations.Deux officiers en uniforme de la police de Lubbock franchirent soudain les portes coulissantes.
Lauren tressaillit etbondit sur sespieds.Quatrehommesportantunbrancards’engouffrèrentdans leursillage. Avant qu’ils aient fait dix pas à l’intérieur, une équipe médicale les entoura, débitant desconsignesàtoutevitesse.
Lauren se fraya un chemin jusqu’au brancard. Ellemit plusieurs secondes à distinguer son pèreparmilefatrasdetubes,demachines,decouverturesetdesang.
—Papa…Savoixfutnoyéesouslescrisdesunsetdesautres.Ellen’avaitjamaisvusonpèredanscetétat.
L’uniformearraché,leT-shirtblancconstellédetachesrougesdécoupédebasenhaut.Destubesétaientreliésaubrasquin’étaitpascouvertdebandages.
—Papa,répéta-t-elleenluisaisissantlamain.Ilserrasesdoigtsetouvritlesyeux.—Toutirabien,bébé.Net’inquiètepas.Nepleurepas…Ilnel’avaitpasappelée«bébé»depuissessixans.Lesmotssebloquèrentdanssagorge.«Jet’aime»,celanesemblaitpasassez.Elles’accrochaàsa
mainaussifortqu’elleput,maislesdoigtsdesonpèresedétendirentetilfermalesyeux.
Lebrancardarrivadevantuneautredoubleporteportantlamention«InterditauPublic».Ellefutrepousséesurlecôté,elleperditbrutalementlecontactavecsamainetildisparutdesavue.
—Mademoiselle,vousdevezattendreici,luiexpliquad’unevoixdouceundesurgentistesrestéenretrait pour lui bloquer l’accès. On va le préparer tout de suite pour le bloc. Vous le reverrez dansquelquesheures.
Lepeudelogiquequirestaitdanssacervelleluisoufflaitquecethommeavaitraison.Ellesecouatoutdemêmelatête,hésitantàessayerdesuivresonpèreàtoutprix.Ilsnesavaientdoncpasqu’ilétaitsaseulefamille?Luiquil’avaitaiméeàchaquesecondedesavie…
Unbrasluiagrippal’épauleetlafitpivoter.ElleseretrouvalenezcontrelapoitrinedeTim.—Lauren,laisse-lesfaireleurboulot.Ellerelevalesyeux.—Quelqu’unatirésurpapa,murmura-t-ellecommesiTimneconnaissaitpasdéjàtoutel’histoire.Ilavaitleteintgrisd’unfantômeetlesyeuxhumides,maisillaserrafortcontrelui,commes’illa
devinaitsurlepointdes’écrouler.Ilsétaientaubeaumilieuducouloir,lesgensdevaientlescontourneren passant,mais il tint bon. Sonmeilleur ami depuis toujours la comprenait comme personne et il nebougeraitpasd’ici.Ilferaitfrontavecelledanslatempête.
Auboutdelonguesminutes,desheurespeut-être,Laurens’entenditenfinarticuler:—OùestThatcher?—Ilestlà-bas,avecuneéquipedesoignants.Laballeatraversésajambe.Ellen’atouchéniosni
artère,àcequ’ilparaît.—Jedoislevoir.Jedoissavoirtoutcequis’estpassé.Jedoisleremercier.Lesdétails,songea-t-elle.Quelquepart,danslesdétailsdesévénements,elletrouveraitlepourquoi
etlecommentdecettehistoireinsensée.Timacquiesça.—D’autres à son âge seraient partis en courant aupremier coupde feu. Il a dit qu’envoyant la
voiture de patrouille, il avait d’abord pensé à un guet-apens inventé par ton père pour l’obliger às’arrêteretluipasserunsavonpourconduitesanspermis.
Ensemble,ilsremontèrentlehalljusqu’àlasalleprincipaledesurgences.LebrasdeTimnequittaitplussonépaule.
—Enattendantpapa,jeprendraiennotetoutcedontThatcherpourrasesouvenir,dit-elleaveclesentimentétrangedefaireéchoàsonpère.
En toutes circonstances, ce dernier cherchait systématiquement à recueillir les plus petits détails,commesiseulslesfaitsprécispouvaientl’aideràdistinguerlalogiqued’ensemble.
—Bonneidée,L.Demoncôtéjevaismetrouverunsiègeconfortableetpiquerunsomme.J’aiprisuneoverdosederéalité,aujourd’hui.Encasdebesoin,tumetrouverasici,prèsdelaréception,ditTimenl’embrassantsurlajoue.
Lauren hocha la tête et poussa la porte de la zone de soins, ignorant superbement le panneau«Réservéauxpatientsetaupersonnel».
Sondevoir lui commandaitde suivre l’exemplede sonpèreetd’envisager toutes leshypothèses,puis de les explorer avec soin l’une après l’autre en dressant la liste desmesures à prendre pour lesétayer.Aprèscela,quoiqu’ilarrivemaintenant,elledisposeraittoutaumoinsdel’ébauched’unplanàsuivre.
27
Thatcher2avril
Thatcher n’avait jamais fait l’objet d’autant d’attentions de toute sa vie ! Il rêvait toutefois des’éclipser,quitteàrentreràCrossroadsenstop.Maislevampireenblancvoulaitsonsangàtoutprix.Etlagrandeinfirmière,cellequiavaitunelueurdiaboliquedansl’œilgauche,n’arrêtaitpasdeluirépéterqu’ondevaitlepiquer.Etpuis,ilyavaitcettefemmetouterondedanssonvieuxtailleurenlainequiluiavaitdemandéavecinsistanceoùétaitsamère,àcroirequesontravailconsistaitàretrouverlatracedeSunnyJones.
PuisarrivaM.Norton.JamaisThatchern’avaitétéaussicontentdevoirleproviseur!M.Nortonparvintàcalmertoutlemonde.IlexpliquaquelamèredeThatcherétaitenvacanceset
reviendraitbientôt,etsedéclaracertainquelaloiimposaitqu’unmineur,mêmesansleconsentementdesesparents,reçoivelessoinsd’urgence.Ensaqualitédereprésentantdusecteurscolaire,ilétaittoutàfaitprêtàdonnersonaval,sinécessaire.
Thatcher ne comprit pas la moitié de ce discours, mais il reçut ses vaccins et ses pansementspendantqueM.Nortonlefélicitaitdevanttoutlemondedes’êtreconduitenhérosenaffrontantlesballespoursauverlavied’unshérif.
L’histoirenes’étaitpastoutàfaitpasséecommeça,maisThatcheravaitprisassezdecalmantspourdéciderquelaversiondeM.Nortonsonnaitmieuxquelasienne.
—Kristin’estpasvenueavecvous,parhasard?demanda-t-illorsquelesvampiresallèrentenfins’occuperdumaladesuivant,quelquesrideauxplusloin.
M.Nortonluidécochaunsourireentendu.—Ellevoulaitm’accompagner,maisj’ignoraisdansquelétatjetetrouverais.Lanouvellequel’on
t’avaittirédessusl’abouleversée.Quandjesuisparti,elleavaitl’intentiondepréparerunposteràtoneffigie.
Unposter!Manquaitplusqueça!Kristi n’était donc pas derrière la porte à attendre son père.Thatcher s’efforça de dissimuler sa
déception.—Onestamis,m’sieur,bredouilla-t-il.Justeamis.Leproviseursavaitsansdoutequ’ilavaitjetéuncoupd’œilausoutien-gorgedeKristilesoiroù
son chemisier était tout trempé. Il s’apprêtait à plaider coupable pour ses pensées perverses lorsqueM.Nortons’assitsurlelitetrepritlaparole:
—Ellem’aditquevousdéjeuniezensemble.Ellem’aaussiconfiéquetuétaisundesgarçonslesplusbrillantsetlesplusdrôlesqu’elleconnaisse.Est-cequec’estvrai?
—Non.Laplupartdutemps,votrefilleesttellementintelligentequejenesaismêmepasdequoielleparle.
—Ehbien,fiston,c’estnormal,elleestdanslaclassesupérieure.—Oh!C’estpirequeça,monsieurNorton.J’aidécouvertque les fillessesouciaientdechoses
auxquelleslesgarçonsnepensentmêmepas!—Aquiledis-tu!J’enaimoi-mêmetroisàlamaison.Thatcher n’arrivait pas à croire que le proviseur du lycée était assis en face de lui et qu’ils
discutaientcommedespersonnestoutàfaitnormales.S’ilavaiteuunportablesurlui,ilauraitprisunephoto.M.Norton luiproposamêmededéplacer lepick-up jusqu’à lavoied’accèsà la111,où il luiserait facilede lerécupérerplus tard.Thatchersavaitqueson tasdeferrailleseraitensécurité là-basautantques’ilétaitgarésurleparkingdulycée.
—D’aprèsKristi,tulogesauLoneHeartRanchenattendantleretourdetamère?—Exact.Jeleurdonneuncoupdemain.Ontravaillesurlaconstructiond’unpoulaillerenformede
château.Jel’aidessinéetCharleyCollinsm’amontrécommentleréaliser.—Raconte-moi.EtThatchersemitàparler.IlavaitconsciencequeM.Nortonessayaitseulementdeluichangerles
idéesaprèssamésaventure,maisils’enfichait.Pourunefois,ilparlaitd’unechosequ’ilcomprenait.M.Norton jugea laconceptiondupoulailler ingénieuseet luiconseillad’envisageruneformation
d’architecte.Thatcherpromitd’yréfléchir,maisl’enviededevenircoroneroupolicierétaittoujourslà.Puisil
se renversa contre son oreiller et ferma les yeux. Impossible de dormir, dans un environnement aussibruyant. Entre les conversations des infirmières, le roulement des chariots, le bip-bip continu desappareils,c’étaitvraimentledernierendroitoùtrouverlerepos!
Lauren Brigman entra dans le box en coup de vent et le serra si fort dans ses bras qu’il faillitréclamerunenouvelleradio.Ellefinittoutdemêmeparlelâcher,luitapotal’épaule,puisluidemandadeluiracontertoutel’histoire.
—Jedoisnotertouslesdétailspourmonpère.Enseréveillant,ilvoudrasavoircequetuasvu.Thatcheressayadeluiexposerlesévénementsdansl’ordre,exactementcommeill’avaitfaitpour
l’agentdesécuritéroutièrequiétaitmontéavecluidansl’ambulance,etdenouveaupourlepolicierquiétaitvenuletrouverunefoissajambeemmaillotée.
— J’étais allé aux Failles chercher des poussins pour Lillie, la fille de Charley Collins. JeretournaisauLoneHeartRanchquandjesuistombésurlavoituredepatrouille.Elleétaitentraversdelaroute et, sur lemoment, j’ai pensé que ton père avait voulume coincer. Et puis j’ai vu le pare-briseéclaté, les pneus crevés. Jeme suis garé et j’étais en train de compter les impacts de balles dans lesportièresquandj’aiaperçuquelquechoseprèsdelaroute…
Laurenn’apprécieraitpaslasuitedel’histoire.Ilsavaitqu’elleallaitpleurer.Maiselleattendait,styloenmain.Alorsilrepritsonrécitàcontrecœur:
—Tonpèreétaitparterre,lesbrasencroix.Ilyavaitdusangpartout.Quandjemesuispenchésurlui,ilm’aregardéetilm’adit,calmement:«Fouslecamp,vite!»J’aipenséqu’ilavaitplustoutesatête,alorsj’aienroulésonbrasvalideautourdemoncouetj’aicommencéàletraînerenluidisantquejepartirais pas sans lui. On était presque arrivés au pick-up quand les coups de feu ont claqué. Je l’aiattrapé par sa grosse ceinture et on a couru comme on a pu, avec une de ses jambes qui laissait unetraînéedesangderrièrelui…
Ilinspiraàfond.
—Tonpèreestvraimentlourd,Lauren,maisjevoulaispasl’abandonnerauborddelaroutecommeunanimalécrasé.
Laurencessad’écrireetleregarda.Illutlesremerciementsdanssesyeuxbleupâle,pasbesoindeprononcerlesmots.
Ilseredressa,fiermalgrétoutd’avoiragicommeilfallait.—J’avaispasletempsdel’installeràl’intérieur,lesballesgiclaientautourdenous.Jel’aijuste
hissésurleplateau,j’aibondiauvolantetjesuispartiàfonddetrain.—Tuluiassauvélavie,chuchotaLauren.Thatcherlaregarda,inquiet.—Tuvaspasmeserrerdanstesbrasencoreunefois,hein?—Non,répondit-elleensouriant.Alors,est-cequetuasvuquelqu’un?Ouquelquechose?Ilsecoualatête.—Touts’estpassésiviteque j’aipaseu le tempsde regarderautourdemoi. Jevoulais surtout
trouverdel’aidepourtonpèreetnoussortirvitefaitdelalignedemire.Laurenposasesfeuillesetdéclaraqu’elledevaitretournerdanslasalled’attente.Thatchervitbien
qu’elle retenait ses larmes de toutes ses forces. M. Norton dut s’en apercevoir aussi, parce qu’il laraccompagnajusquedanslecouloir.
Thatchersesentaitdeplusenplusépuisé,vidécommes’ilavait sprintésur les trentekilomètresentresamaisonetlecollège,alleretretour.IllesregardadiscuterensedemandantcommentM.Nortonconnaissaitlesbonnesparolesàprononcer.Elless’apprenaientaulycée,sûrement.
Pourfinir,Laurenseretournaetluisourit.—Prendssoindecettejambe,Thatcher.— Une des infirmières m’a menacé du pire si je la nettoyais pas régulièrement. Tiens-moi au
courantpourtonpère,d’accord?—D’accord.Jetrouveraiunmoyendetedonnerdesnouvelles.—Moi,jesorsd’icicesoir.J’aimeraistellementqu’ilpuissefairepareil…Ilsetournaversleproviseur.—Pourriez-vouscouvrirlacagedepoussinsquiestdansmonpick-up,s’ilvousplaît?Ilvafaire
froidcesoiretj’aipasenviededécevoirLillieenluirapportantdespoussinscongelés.M.Nortondéclaraqu’ilavaitjustementunevieillecouverturedanssavoiture.LaurendesoncôtéretirasavesteTexasTechetlaposasurlelit.—Sil’airfraîchit,tupourraisavoirbesoindeça.Emporte-lacheztoi.Jelarécupéreraiplustard.Là-dessuselledisparutenmêmetempsqueM.Norton.Cedernierrevintquelquesminutesplustard
avecundossieretunpetitsacpleindemédicamentsdanslesmains.—Prêt?JevaisteconduireauLoneHeartRanch.Jem’occuperaidetonpick-upplustard.—Etcomment!s’exclamaThatcherenenfilantlavesteTexasTech.Untypeenblancsurgit,poussantdevantluiunechaiseroulante.Ceboxétaitsûrementdestinéaux
patients à réparer, pas à ceux qui avaient besoin de repos ! Tantmieux !C’était sa première visite àl’hôpitaletilavaitdéjàdécidéqueceseraitaussisadernière.Sionétaitpasmaladeenarrivantici,onl’étaitenressortant!
L’infirmière à l’œil diabolique réapparut pour débiter un fatras de consignes qu’il n’écouta qued’uneoreille,n’ayantaucuneintentiondeseconformeràdesrèglesquelconques.
Onluitenditdesbéquilles,iln’enpritqu’une.Dieuseulsavaitcombiencoûtaitlapaire…—Jepeuxsortirsurunejambe,assura-t-ilmalgrésafatigue.M. Norton lui expliqua qu’il était obligé de quitter les lieux en chaise roulante, que c’était la
procédure habituelle. Encore des mots vides de sens pour lui, mais il comprit qu’il devait obéir. IlremontalafermetureEclairdelavesteTexasTech,lamêmequecellequ’ilavaitvuequelquefoissurles
épaulesdeTim.Ilsdevaientlesdistribueràtouslesétudiants,là-bas.Ilsesentitplusintelligent,toutàcoup,justeenportantcetuniforme.
Pendant qu’on le poussait vers la salle d’attente, il remarqua la présence de toutes sortes depoliciers.Desagentsdelasécuritéroutière,desshérifs,desmembresdelapoliceurbaine…Unevraieconventiondeporteursdebadge!
Etcespolicierss’écartèrentsursonpassage.Encoreplusbizarre,ilsselevèrent,tous.Certainsluiadressèrentunsalutdelatête,d’autresunsourire.Plusieursluitapotèrentledos.Maistous,absolumenttousleregardèrentdroitdanslesyeux,commes’ilslevoyaientvraiment!
M.Nortonsepenchapourluichuchoteràl’oreille:—C’est leurfaçondeterendrehommage.Tuassauvélavied’undesleurs.Désormais, tousles
policiersettouslesshérifsdusecteursaurontquitues.Génial,songeaThatcher.Unecentainedegardesducorpsattachésàsesbasques!Uneseulebonne
actionluiavaitgâchétoutesseschancesdevivretranquillementdansl’illégalité…Nonquecesoitdanssesprojets,maisl’optionétaitexclue,maintenant.
Dans ces conditions, autant se renseigner sur le parcours à suivre pour devenir shérif, puisqu’ilsemblaitdestinéàrestersurledroitchemin.
Leregardfixédroitdevantlui, ilnesavaitplusquoifaire.Agiterlamaincommes’ilétaitsurunchardeparade?Ridicule. Ignorer lahaied’honneurdesbadges?C’étaitencoreplusdifficile. Iloptapour jouer les grands malades. Plus il aurait l’air de souffrir, moins on oserait l’étreindre pour leféliciter.
Toutàlafindeladoublerangée,ilaperçutCharleyCollinspostéprèsdelasortie,sonstetsonàlamain.
Le connaissant, Thatcher ne fut pas surpris qu’il prenne les choses en main dès que le fauteuilroulantarrivaàsahauteur.
—Merci de m’avoir appelé, monsieur Norton. On rentre à la maison, That. Tu as eu une rudejournée.
Ilssortirentdanslalueurintermittentedesgyrophares.Puisundoublerideaudepoliciersserefermaautourd’euxets’étirajusqu’aupick-updeCharley,garésuruneplaceinterditepiledevantl’entréedesurgences.Lesjournalistesn’avaientaucunmoyendes’approcher.
LorsqueCharleydémarra,unevoiturede lapolicedeLubbockseplaçadevant luipourouvrir laroute et deux autres suivirent à l’arrière. Le cortège resta groupé, gyrophares en service, jusqu’àl’intersectionmenantauLoneHeart.
Thatchers’étaitenfindétendu,dansl’atmosphèrefamilièredupick-up.Lesyeuxsurlegyropharedela voiture qui les précédait, il s’était assoupi par intermittence.Les événements survenus sur la petiteroutedecampagnequelquesheuresplustôtàpeinesemblaientsedissoudrepeuàpeudansunrêve…
Charleyneprononçapasunmotjusqu’àcequ’ilcoupelemoteuretcontournelecapotpourl’aideràdescendre.
—Tuasbienagi,petit,dit-il.Jesuisfierdetoi.Thatcherne sutque répondre.Cesparoles le touchèrentplusque toutescellesqui lui avaientété
adresséesjusque-làdanssavie.Parcequ’ilrespectaiténormémentCharley.—J’avaistroppeurpourimaginerautrechoseàfaire,avoua-t-ilenfinenclopinantverslamaison.Charleysemitàrire.—Moiaussi,j’auraiseulapeurdemavie!Al’intérieur,LillieetJubileel’attendaientpourleserreraveceffusiondansleursbras.Ilprotesta,maisseulementpourlaforme.—JesuisalléchercherquelquespoussinspourtoiauxFailles,dit-ilàLillie,maisc’estM.Norton
quilesgardepourlemoment.
—Illesapporterademain!criaCharleydepuislacuisine.IladitqueKristiviendraittevoiraussi.Au-delàdel’épuisementetdeladouleur,lapenséedeKristileprenantdanssesbrasluiremontale
morald’uncoup.Ilignoraitcombiendetempsdureraitcettedrôlederelationentreeux,maisilétaitbiendécidéàenretirerunmaximumdecâlins.
28
Jubilee2avril
—Commentva-t-il?chuchotaJubileelorsqueThatcherallasechangerdanslasalledebains.Charleys’adossaaucomptoir.— Il est fatigué. Entre la dose d’adrénaline et les antalgiques…Nortonm’a dit qu’il dormirait
profondément cette nuit, mais qu’il souffrirait demain au réveil. Ils lui ont donné d’autres cachets àprendreencasdebesoin.
—Iln’envoudrapas.—Jesais.Nortonapréciséqu’iln’avaitpasverséunelarme,maisquesacollectiond’insultesétait
impressionnante,précisaCharleyensouriant.Ils’inquiétaitdavantagepourleshérifquepourlui-même.ThatcherémergeadelasalledebainsencaleçonetT-shirt.— Je nemettrai pas de pyjama,marmonna-t-il, et je ne porte pas de sous-vêtements d’habitude,
maisjefaisuneexceptionparcequeceux-làétaientposéslà.—Bien.Jubileesourit.Elles’étaitattendueàcequ’ilsoitgrincheux.— J’ai fait un saut en ville pour acheter ce dont tu pouvais avoir besoin, dit-elle. Tu vas rester
tranquillequelquesjoursettereposer.—Onmel’aassezditàl’hôpital.L’infirmièreauxépaulesdedéménageurajuréqu’elleviendrait
s’asseoirsurmoisijem’obstinaisàmelever.IllaissaLillieremonterlacouverturesurluietleborderavecautantdesoinqu’unedesespoupées.—Tuesdansmonhôpital,That.Jevaism’occuperdetoi.—Trèsbien,petitefleur.Lillieletoisa,lespoingssurleshanches.—Tudoism’obéir.Jesuislaprincessedocteur!—Super.D’abordjemeprendsuneballe,etmaintenantjemeretrouvesouslesordresd’unefille
quiporteunpyjamaFéeClochette.Sansmotdire,Lilliedéposaundesesponeysenpeluchesurl’oreillerprèsdelui.Jubileeprofitadecesilenceinespérépourdemander:—As-tuenvied’unvraidîner?Oubienjustedequelquescookiesavecdulait?Thatcherfermalesyeux.—Non,merci. Je veux juste dormir. J’ai l’impression qu’il s’est écoulé trente heures depuis la
sortieducollège,cetaprès-midi.
Charleyéteignitleslampesdusalon,n’enlaissantqu’unealluméeprèsducanapé.—Situteréveillespendantlanuit,situasbesoindequoiquecesoit,appelleavantdetelever.
Cettejambeteferamalsitut’appuiesdessus.—Oh!Aucunechancequejemeréveilleavantunesemaineaumoins!Amoinsquevousayezdes
nouvellesdushérifavant,ajoutaThatcherd’unevoixensommeillée.—Jetepréviendrai,promis.Lilliegrimpasurunechaiseprèsdeluiendécrétantqu’elleallait luiraconterunehistoire,même
s’ildormaitdéjààmoitié.Charley fit signeà Jubileede le suivre sur lagalerie.Lanuit était fraîche. Ils laissèrent laporte
ouvertedemanièreàsurveillerThatcher.Dèsqu’ilsfurentseuls,Jubileevintseblottirdanssesbras.—Ilvabien,chuchota-t-elle.J’étaissiinquiète!LajouedeCharleyvintaucontactdelasienne.—C’estmoinssûrpourleshérif.Ilyadescomplications.Laurenm’aenvoyéuntextopourprendre
desnouvellesdeThatcheretilparaîtquelanuitseralongue.J’auraisdûêtreaveclui.—Mais…—Ilm’ademandéunjoursijevoulaisbienleseconderàl’occasion,etjemesuisengagéàlefaire.
S’ilm’avaitcontacté,j’auraisétéavecluisurlaroute.Ellesentitsonsangseglacer.—Vousauriezpuvousfairetuer,Charley…—Ouj’auraispul’aider.Jubileeserapprochaencoredelui.Lapenséequ’ilauraitpuêtreblessétournaitdanssatête.Aufil
dessemaines,ilsétaientdevenusuneéquipe.Elledépendaitdelui,désormais.—Promettez-moiquevousn’irezpaslà-bas,Charley.—Jenevaispasvousmentir,répondit-ild’unevoixunpeutendue.Sionabesoindemoi,j’irai.
Quelqu’unatirésurleshérifavecpeut-êtrel’intentiondeletuer.EtsurThatcheraussi.C’estgrave.Etinadmissible!
Sa colère était palpable. Un longmoment, ils s’étreignirent sans rien dire. Elle pouvait presqueentendre les mots qu’ils ne se disaient pas. Elle ne voulait pas qu’il se mette en danger, mais ellel’admiraitaussi.
Enfin,latensionserelâchaetilsdiscutèrentdesmesuresàprendre.PourThatcher.Pourprotégerleranch.Pouraiderleshérif,encasdebesoin.
AvecCharleypressécontresahanchecommesilagalerieétaittropétroitepourqu’ilssetiennentdeboutl’unàcôtédel’autre,ellerepritconfiance.Toutcequidevaitêtrefaitleserait.
Elle lui raconta que le minivan qui avait amené les bébés hurleurs était revenu juste après sondépart.Toutespoirdevoirpartirsasœurs’étaitévanouilorsquelacuisinièreetunenounouenétaientdescendues enmême tempsque la coachdeyoga.Toutes les trois avaient pris leurs quartiers dans lamaisontelleunepetitearméesepréparantàlaguerre.
—Masonn’apaspusupporterl’idéedesachèreépousesouffranticiauranch.Ilaacceptédeluienvoyerdel’aidepourvuqu’elles’engageàrentrerunjouroul’autre.
CharleysedéclarasurprisqueMasonsouhaiteleretourd’unetellefemmemais,enamour,laraisonn’avaitpastoujourssonmotàdire.
—Demoncôté,j’aipromisàDestinyquejem’efforceraisdesurvivreicisanselle,maisellen’apas encore fini de planifierma vie àma place, hélas, poursuivit-elle. Le personnel va compliquer lasituation, mais la nounou et la cuisinière ont, paraît-il, supplié Mason de les laisser s’occuper desjumeaux et Mason a cédé sur ce point aussi. Je leur ai donné des chambres, puis je suis partieraccompagner les baby-sitters. Lillie etmoi, nous sommes allées faire des courses en ville après les
avoirdéposées.Destinyn’aplusbesoindemoi,elleestdanssonélément,àprésent.Elleadestroupesàmalmener.
—Bien.Restezdoncici,chuchotaCharleyenluichatouillantlecouduboutdunez.J’adorevotreodeur.
Ellelerepoussa,puissemitàrirecommeilprotestaitetlaramenaitcontrelui.—Jen’aipasfini,murmura-t-il.Ill’embrassajustesousl’oreille.Ellepouffadeplusbelle,savourantcepetitjeuautantquelui.Ils
avaienteul’unetl’autreunejournéeéprouvante.Ilsavaientgrandbesoindesedétendreunpeu…Maisellesavaitquelejeuallaitunpeuplusloinquecela,quandbienmêmeellen’avaitpasenvie
de s’avouer qu’elle avait peut-être besoin de cet homme comme elle n’avait jamais eu besoin dequiconque.
Aprèsununiquebaisertrèsdoux,illaretournadanssesbras,amenantsondoscontrelui.Sesbrasl’enveloppaient commeuncocon soyeux.LavoixdeLilliedérivait jusqu’à eux, et ils savaient l’unetl’autrequecen’étaitnil’endroitnilemomentdepousserplusloincequiétaitentraindelesemporter.
Jubileesourit.Lemomentvenu,ceseraitellequiferaitlepremierpas.Charley lui fit part de ce qui s’était dit dans la salle des urgences. Si le tireur reconnaissait
Thatcher,ilpouvaitparfaitementselanceràsarecherche,dansl’hypothèseoùlegaminauraitvuquelquechose.Unhommeprêt à descendre un shérif n’hésiterait pas à éliminer un témoin gênant,même aussijeune.
Jubileen’avaitaucuneenvied’ypenser,maisCharleyavaitraison,ilsdevaientseprépareràcetteéventualité.
—Est-cequel’onneferaitpasmieuxdepartir?—Ce serait un cauchemar, avec tous ces gens qui se croient hébergés enmaison d’hôtes et les
chevauxquiontbesoindesoins.Sanscomptertoutletravailsurleranch,quin’attendrapas.Deplus,jenemesentiraispasforcémentplusensécuritéailleurs.LebureaudushérifdeLubbockdoitnousenvoyerunevoiturepourpatrouillerdevantnotreportaildurantquelquesjours.
Ill’enlaçaunmoment,avantd’ajouter:—Noussommesplusfortsiciqu’encavale.—Alors,onreste,décréta-t-elle.—Onreste.Ilglissalamainsursataille,sursachemisedeflanelletoutedouce,effleurantlabasedesseins.—Laseulequidoitpartir,c’estLillie,reprit-il.Jevaisdemanderàsesgrands-parentsdelagarder
pendantquelquesjours.Puisonseprépareraàrecevoirlecaséchéantunevisiteimpromptue.—J’aienfermélesfusilsdeGrandpaLevydanslegrenier,avouaJubilee.Avotreavis,ilfautaller
lesrécupérer?—Oui.Pourqu’ilssoientchargésetprêtsà l’emploidèsdemain.Je lesrangeraiassezhautpour
quevousetmoisoyonslesseulsàpouvoirlesattraper.Toutétrangerfranchissantleportailseraaccueilliparunepersonnearmée.Jevaisengagerunepoignéed’hommespourmonterlagardedevantleportailenalternanceaveclespoliciersdeLubbock.
—Ceseraunedépenseconséquente…Charleygardalesilenceunmoment.—Nevousinquiétezpaspourça.Entendait-ilparlàqu’ilsavaientsuffisammentd’argentdecôté,ouqu’ilprendraitcettesommesur
lesdépensesbudgétéespourl’automne?Ellen’ensavaitrienets’enmoquaitpourlemoment.LaprioritéétaitdeprotégerThatcher.
Ellesepenchaverslaportepourjeteruncoupd’œilàl’intérieur.Lalampediffusaitunhaloorangédanslecoindusalon.LillieracontaitàThatcherunehistoiredeponeyrosequiadoraitcuisiner,et lui
tapotaitlebrasenparlant.Thatcherneprotestaitpas;ilsemblaitprofondémentendormi.—NeditespasàThatquenousprenonsdesprécautionssupplémentairesàcausedelui,chuchota
JubileeàCharley.Ils’envoudraitdenouscausercessoucisetseraitbiencapablederetournerchezlui.—M.Nortonetmoisommes tombésd’accordsurcepoint. Jeveillesur lui icietunagentde la
sécuritéroutièreseraaucollègelesjoursoùiliraenclasse,s’ilyva.Tantquelecoupablen’aurapasétéidentifié, nous devons envisager l’hypothèse queThatcher pourrait être en danger.Une patrouille feraplusieurs rondespar jourauxabordsducollègeetdu ranch.Siun type surveille le ranch, il seraviterepéré.
Jubileepritconsciencequelesennuisnefaisaientquecommencer.EllecroisalesbrassurceuxdeCharley,s’accrochantàluicommeils’accrochaitàelle.
Ilrepritlaparoleàvoixbasse,maisilécartadenouveaulesdoigtssursachemiseetl’indexfrôlatrèslentementlebombédelapoitrine,commes’ilsavaitl’effetélectrisantdececontactimperceptiblesursessens.
—Plusieurspoliciersm’ontmêmeconseilléd’enfermerThatcher,poursapropresécurité.J’aidûleurexpliquerquec’étaitungaminélevéenliberté.Pourlui,êtreenferméseraitplusdouloureuxquederecevoiruneballe.
—IlfautaussiévacuerDestinyduranch,murmuraJubileeenfermantlesyeux.Satêtechaviraitsurl’épauledeCharley.S’ilsnesedétachaientpasl’undel’autre,elleneserait
bientôt plus en état de suivre la conversation. Il lui disait trop de choses juste avec son corps, et lessensationsquisedéployaientenellelagrisaient.
—Tout à fait, réponditCharley en ramenantunemèche rebellederrière sonoreille. J’appelleraiMasondemainpourluientoucherunmot.
—Ellerefusera.Ellem’aditquec’étaitsondevoirdesœuraînéedemesortirdecetteimpasse.—Etvouspartagezcesentiment?chuchota-t-iltandisquesamainglissaitverslahanche,écartait
la flanelleetcaressaitunsein,maissi légèrementqu’elle faillit lesupplierd’insister.D’êtredansuneimpasse,jeveuxdire.
—Non.J’ailesentimentquenousconstruisonsquelquechose,aucontraire.Ilsedétachad’elleaveclenteuretluifitface.—Nousferionsmieuxd’allerdormir.Alorsseulement,elles’aperçutqu’ellerespiraitavecdifficulté.Etqu’elleavaitchaud.Trèschaud.AusouriredeCharleyqu’ellesurpritdanslapénombre,ellecompritqu’ilpartageaitcessensations.
Pourtantils’étaitarrêté.Pourdémarrerl’aventureendouceur,oupourlatorturer?Difficileàdire…Elleappuyalefrontsursonépaulequelquessecondes.—Direquejecraignaisdem’ennuyeràmourirdanscetteferme!—Ceranch,rectifia-t-iltoutbasenouvrantlaportegrillagée.C’estunranch.Ellesebornaàsourire.—IlesttempsdecoucherLillie,jecrois.—Vousrestezici,cesoir?demanda-t-ild’untondégagé.—Jecoucheraidansvotrelitcesoir.Maispasavecvous.Il s’était appliqué à la torturer tout à l’heure avec ses caresses légères ? A lui de souffrir,
maintenant!—Jecomprends.«Défiaccepté»,semblaientdiresesyeux.Ellesefaufilaàl’intérieursansluilaisserletempsd’ajouterunmot.Vingtminutesplustard,lorsqu’ilvintsecoucher,elleétaitdéjàentrelesdrapsetfaisaitsemblantde
dormir.Ellel’entendits’affairer,retirersesbottes,puiss’allongeravecprécautionsurlacouverture.
—Bonnenuit,murmura-t-il.Elleneremuapasuncil.Cepetitjeuétaitrisquépourl’uncommepourl’autre.Charleyluiavaitdit
une bonne dizaine de fois qu’il ne voulait pas d’une femme dans sa vie, elle lui avait confié qu’ellen’étaitpasdouéepourlesrelationssentimentales.Ilsfiniraientparsefairedumal…
Toutefois, le souvenirdubaiser échangédans ledéfilé lui revenait sanscesse à l’esprit.Leplusdouxbaiser dumonde…Dans sa tête, elle savait qu’ils nedevraient jamais enparler, ni s’appesantirdessus,maissoncœurluisoufflaitquecepouvaitêtreledébutd’unehistoire.Lapremièrepierred’unédifice.
Justeavantdes’endormir,ellecrutsentirlamaindeCharleyglisserdanssondosverssahanche.Atraverslacouverture,difficiledesavoirsic’étaitunecaresse,ous’ils’assuraitsimplementqu’elleétaitcouverte.
Elle se remémora le ballet discret des doigts sous ses seins tout à l’heure, et sourit.C’était unecaresse,décida-t-elle.Unedernièrecaresseavantdesombrerl’unetl’autredanslesommeil,luisurlacouverture,elledessous,etcelajusqu’aumatin.
Néanmoins, un sentiment nouveau s’était fait jour en elle ce soir. Elle se savait chérie pour lapremièrefoisdesavie.LesattouchementsdélicatsdeCharley,sesbaiserslégers,cettecaressefurtive,tout cela lui soufflaitqu’ilprenait son temps,qu’il apprenait à aimer,peut-êtrepour la toutepremièrefois.
29
Lauren5avril
Troisjoursdurant,Laureneutl’impressiond’errerdansl’hôpitalcommeunesomnambule.Lesgensdans lescouloirset lacafétéria semblaientdes fantômesplutôtquedespersonnes réelles. Ils faisaientsansdoutelamêmechosequ’elle,ilsdérivaientdanslesbrumesdel’attente.Amoitiévivants,àmoitiémorts.
TimfaisaitletrajetdepuisCrossroadstouslesaprès-midi.Ilrapportaitdubureaudesmémosquesonpèrenelisaitjamaisetdesbonbonsapportésparunconcitoyeninformédesesallers-retours.
—Ilyavaitaussitroisdouzainesdecookies,maisj’enaimangélamoitiéenroute.Ilseplaignaitqu’ilallaitgrossirsisonpèreneseremettaitpastrèsvite.Ilsdiscutaientunmoment,
àsademandeelleluirapportaitcequis’étaitpasséàl’hôpitalensonabsence.Sansdouterépétait-ilcesfaitsàtousceuxquipassaientaubureau.
Chaquesoir,lorsqu’elleleraccompagnaitjusqu’àl’ascenseur,Timlaserraitdanssesbras.Ilavaitundonpourlescâlins.Serréecontrelui,elleavaitl’impressionquepeut-être,peut-être,toutiraitbien,finalement.
Ellenetouchaitpasauxbonbons.Ellenemangeaitpasgrand-chose,detoutefaçon.Ellevivaitdanslefauteuilinstalléàcôtédulitdesonpère,etsesémotionsfaisaientlegrandhuitenmêmetempsquelui.Lapeur, l’espoir,puisdenouveaulapeur…Ilavaiteudelafièvreunmoment.Unmédicamentl’avaitrendumalade.L’infirmièredenuittrouvaitquesajambecicatrisaitmal,qu’ilpourraitboiterlerestantdesesjours.Lablessureàl’épaules’étaitinfectée.Tropd’antalgiquesunjour,troppeulelendemain.Ilsnesavaient pas s’il recouvrerait entièrement l’usage de sa main gauche. Les crises se succédaient,entrecoupéesdejusteassezdeplagesd’espoirpourmaintenirLaurenàflot.
Certainsjours,lesmédecinssemblaientfaireexprèsdeluidonnerd’embléelespiresnouvellesafinque la réalité ait l’air moins déprimante ensuite, par comparaison. Les infirmières, très compétentes,passaientsouventlavoirpours’assurerqu’elletenaitlecoup.Unpolicierétaitpostéenpermanencedansle couloir, bloquant l’accès aux journalistes, vérifiant l’identité de chaque personne pénétrant dans lachambreoumontantlagarde,toutsimplement,auprèsd’uncollègueblessé.
Dèsqu’ilfuttransférédansunechambreprivée,lesvisitesaffluèrent.Desamisdelaville.D’autrespoliciersvenusposerdesquestionsetfairedespromesses.MêmePolly,sacolocataireinvisiblelestroisquartsdutemps,seprésentaunbeaumatin.Elleversaunelarme,luiassuraquesonpèreluiétaitaussiprécieuxquelesien,puisdévorauneboîteentièredecookiesenluiracontantendétailsaruptureavecsondernierpetitamiendate.Ils’étaitmontréinjuste,cruel,vraiment,unmufle!
La vie de Polly tenait du feuilleton interminable. Les rebondissements se succédaient, tournantautourdumêmeschéma,encoreetencore.MêmeTim,quiavaitfiguréparmilesconquêtesdesapremièreannéed’université,estimaitqu’elleavaitbesoindechangerd’air.
—Seshistoiresd’amour,disait-il,jepourraislesrassemblerdansuneseulenouvelle,trèsbrève.Ilestmerveilleux.Ilestcompliqué.Quelcanon!Ilestméchant.Ilestparti.
Difficile de le contredire. Polly avait le chic pour attirer le typemême du garçon à fuir. Si paraccidentellesortaitavecungentil,ellelelaissaittomberauboutd’unesemaine.Tropennuyeux.Lesbadboysenrevanche,ellenelesquittaitpasavantqu’ilsl’aientfrappée,ouqu’ilsluiaientempruntésacartedecrédit,oubienlesdeux.Etchaquefois,ellesereprochaitdenepasavoirvuvenirlacatastrophe.
Unsoir,alorsqu’elles’apprêtaitàrepartir,Timluiproposadelaraccompagnerchezelle.—Volontiers,répondit-elle,àlagrandesurprisedeLauren.Captantsonregardperplexe,PollyenlaçaTimetluicollaunseincontrelescôtes.LaurenfitlesgrosyeuxàTim.Elleallaitbientôtsubirencoreunefoisleurversionrespectivedela
rupture…—Jesais,jesais,chuchotaTimpendantquePollyallaitviteembrasserDanpourluidireaurevoir,
maisjem’enremettrai.Jem’enremetstoujours.Acestade,laviepourmoiestunvastelaboratoirederecherche.
—Bonnechance!Aprèsleurdépart,blottiesoussacouverturedanslefauteuilprèsdesonpère,Laurententadene
pluspenseràeux.—Papa,raconte-moiunehistoire,luidit-ellecommes’ilétaitréveillé.Seulslesbipsdesinstrumentsluirépondirent.Elle attrapa son ordinateur et semit à écrire, d’abord ses impressions, puis ce que pourrait être
l’avenir,bonoumauvais.Lentement,lesnotesdevinrentunehistoire,traitantnonpasdesavie,maisdecelle de quelqu’un d’autre.Un conte dont le héros fictif serait capable de surmonter n’importe quelletragédieparlagrâced’unepressiondudoigtsurlatouche«Effacer».
Durantleslonguesheuressilencieusespasséesauchevetdesonpère,lespersonnagesdanssatêteluitinrentcompagnie,lafirentrireetréfléchir.
Laquatrièmenuit,sonpèreémergeadubrouillardquelquesinstants.—Lauren,chuchota-t-ilpeuaprèsminuit.—Jesuislà,papa.—Ecris.Elleallumasonordinateur.Taperprenaitmoinsdetempsqu’écrire.— Prête, dit-elle en souriant, sachant que l’effet desmédicaments devait se dissiper, pour qu’il
veuillequ’elleprennedesnotes.—Lesballessontarrivéestropvitepourqu’iln’yaiteuqu’unseultireur.Cen’étaitpasunearme
automatique, mais les deux tireurs devaient se tenir tout près l’un de l’autre. Ils tiraient depuis unepositionassezbasse,pasde toutenhaut,disonsàmi-pented’unedescollines.C’estpourçasûrementqu’ilsnem’ontpasatteintquandj’étaisàterre.
Ilsetutunlongmoment.Laurenattendit.Puisilreprit:—Ilsontd’abordtouchélepneuavantgauche.J’aicruquej’avaiscrevé.Jesuisdescendu,jesuis
alléverslecoffreetc’estàcemoment-làquelepare-briseaexplosé.J’aicomprisquej’étaisattaqué.Savoix était si faible queLauren la reconnaissait à peine.Elle lui fit boire unegorgée d’eau et
attenditlasuite—iln’avaitvisiblementpasterminé.—J’aivouluremonterenvoiturepourappelerlesrenfortsquanduneballem’aatteintaubras.Puis
j’enaiprisuneautredanslajambe.Jen’aipaspuatteindrelaradioavecmamaingauche,etmadroiteétaitinerte.Jemesuisrelevéencoreunefois,maislatroisièmeballeatouchémajambe.
Iljura.—Jenesaisplusquandilsm’onttouchéàl’épaule.Jemesouviensseulementd’avoirroulésurla
routejusquedanslaterredubas-côté,conscientquesijemerelevaisilsmetireraientencoredessus.Auboutd’unmomentj’aientenduunmoteurdémarrer.Çaneressemblaitpasàuneberline.Plutôtuntout-terrain.Lemoteuratoussotéavantledémarrage.
Laurentapaitaussivitequ’ellelepouvait.Sonpèreavaitfermélesyeux,maisilnedormaitpas.Savoixn’étaitplusqu’unchuchotement.
—TransmetscesinfosaushérifdeLubbock.Ilsauraquoienfaire.Ceserapeut-êtreutile.J’étaistropabrutiparlesmédicamentsjusque-làpourmerappelerlesdétails.
—D’accord,papa.J’iraileurapporterdemainàlapremièreheure.—Non,maintenant.Jeveuxqu’iltrouveçasursonbureauenarrivantdemainmatin,chuchota-t-il
d’unevoixensommeillée.Déjààmoitiéendormi,ilposalaquestionqu’ilposaitchaquefoisqu’ilétaitsuffisammentréveillé
pourparler:—CommentvaThatcher?LaréponsedeLaurennevariaitjamais.—Ilvabien,papa.IlestavecCharleyCollins.Sonpères’agita,luttantcontrelesommeil.—DisàCharley…DisàCharley…Ilneterminapassaphrase.Laurenrefermasonordinateuretseleva,hésitantàpartirtoutdesuitedonnercesnotes.Elleétaitsi
fatiguée. Et puis, à quoi bon se dépêcher ? Ces informations, même capitales pour l’enquête, nepourraientpasêtreutiliséesavantlelendemain.
Ellefixaitsacouverture,indécise,lorsqu’uneombresurleseuilattirasonattention.Quelqu’unsetenaitdansletrianglenoirdel’embrasuredelaporte.
Margaret.Sanschapeaupointunibalai,maisc’étaitbienelle.Samèresemontraitdistantedepuistoujours avec elle,mais elle semblait s’être encore endurcie avec les années.Avoir une petite fille àgâterparintermittenceluiavaitplu,unefilleadultefaisaitseulementressortirsonâgeauxyeuxdetous.Elleavaitenvoyédescadeauxdetempsentempsmais,depuisleseizièmeanniversairedeLauren,ellenel’avait jamais invitée à lui rendre visite chez elle à Dallas. Pendant les vacances scolaires, undéplacementprofessionnell’appelaitsystématiquementailleurs.
Elles’avançadanslachambrejusteassezpourvoirsonex-mari.—Ilestentraindemourir,etilfautencorequ’iljoueaushérif.Commesiquelqu’unsesouciaitde
touscesdétailsqu’ilt’afaitécrire!—Iln’estpasentraindemourir,répliquaLaurensansregardersamère.—Ah?Ehbien,peut-êtrepascettefois.Jeluiaiditdechangerdemétier,maisiln’apasvoulu
m’écouter.—Voudrais-turesteravecluijusqu’àmonretour?demandaLauren,quin’avaitaucuneenviedese
trouvericiavecelle.S’iljugeimportantdetransmettrecesinformations,ilasûrementraison.SerendreaubureaudushérifdeLubbockenpleinenuit,c’étaittoujoursmieuxquedediscuteravec
samère.—Non, réponditcettedernière.Et s’ilmeurtpendant tonabsence?Jesuisvenueprendrede tes
nouvelles,paslevoirluidanscetétat.Unhomme,unpeuplusâgéquesesparents,entraàsontourdanslachambre.—Biensûrquenousresteronslà,Lauren.Situdoispartir,vas-y.Lecompagnondesamère.C’étaitunhommetrèsgentil,dontlafemmeétaitdécédéedesannéesplus
tôt.Laurensetrouvaitchezsamèrecejour-là,etMargaretl’avaitemmenéeàl’enterrement.Ellen’avait
quedixouonzeansàl’époque,maisellesesouvenaitdeM.Cliftondeboutprèsdelatombe,ledostrèsdroitetlesjouesbaignéesdelarmes.Illuiavaitparusiseulqu’elles’étaitapprochéedeluietluiavaittenulamain.
Quelques années plus tard, Margaret était devenue son associée, confiant à Lauren qu’ils ne seseraient jamais liés davantage s’il n’avait pas demandé des nouvelles de sa charmante petite fille detempsàautre.
—Bonsoir,monsieurClifton.Mercid’êtrevenu.Lauren lui sourit. Il avait décidément l’air très timide, pour un homme responsable d’une grosse
agencedepublicité.Maiscelaexpliquaitpeut-êtrelaréussitedesonassociationaveclecommandantenchefMargaret…
—Nousavonsapprisaujourd’huiseulement,pourvotrepère.Jesuisdésolédecequiluiestarrivéetjeluisouhaiteunpromptrétablissement.
Ils’éclaircitlavoixet,commeMargaretnefaisaitaucuncommentaire,précisa:—Noussommesvenusavecmonpetitavion.Chaque foisque je testemesailes, jemedemande
pourquoijenedécollepastouslesweek-ends!—Allez-vousresterunmoment?Margaretsecoualatête,maisM.Cliftonneluiprêtaaucuneattention.—Nousavonsréservédeschambresd’hôtestoutprèsd’iciàpartirdedemain.Pourcettenuit,nous
seronstrèsbienici.Jeresteraiavecvotrepèrejusqu’àvotreretour,prenezvotretemps.Quelquechosemeditquevousn’avezpasquittécettepiècedepuisqu’ilyestinstallé.
ElleserraM.Cliftondanssesbras.—Merci,murmura-t-elle.Sonépouseétaitmortedessuitesd’unlongcancer.Ilsavaitcombienletempss’étiraitindéfiniment
entrelesmursd’unhôpital.— Oui, dit enfinMargaret. Nous resterons avec lui jusqu’au matin. C’est l’affaire de quelques
heures.Aprèsunepetitesieste,peut-êtrequenousreviendronslevoir.Noussommesheureuxdepouvoirt’aider,chérie,maisj’aipeurquenousnepuissionspasnousattarderensuite.J’aiunegrosseprésentationlundimatin.
Laurenvoulutprendresaveste,puisellesesouvintqu’ellel’avaitlaisséeàThatcher.—Atoutàl’heure,dit-elle,songeantqu’ellen’avaitaucuneenvied’êtreailleursqu’ici,enréalité.M.Cliftonpritsaplacedanslefauteuilprèsdulittandisquesamèretournaitdanslapièce,l’œil
surlacorbeilledefruitsetdebonbons.Lauren prit conscience qu’elle n’aurait jamais laissé samère seule avec son père— elle allait
sûrementlechapitrerjusquedanssonsommeil—,maisellefaisaitconfianceàM.Cliftonpourlafreinerdanssesremontrances.
Lorsque, petite, elle se rendait chez sa mère l’été, celle-ci l’emmenait souvent au bureau etl’ignoraitdèsleseuilfranchi.M.Clifton,lui,prenaitletempsdedisputerunepartiedecartesavecelle,ou d’installer un téléviseur dans la salle de repos pour qu’elle puisse regarder un film. Ce momentparticulier, au cimetière,oùelle lui avait tenu lamain, les avait liés à jamais. Ils étaient amis et celan’avaitpasvarié,quandbienmêmeilsnes’étaientpasvusdepuisdesannées.
Elle était presque arrivée à l’ascenseur lorsqu’un homme en sortit. La capuche de son manteaudissimulaitsestraits,maisquelquechosechezluiétaitfamilier…
Ellesefigeacommeilavançaitlentementverselleetentraitpeuàpeudanssonchampdevision.—Lucas,chuchota-t-elle.L’homme d’affaires était à des années-lumière du garçon qu’elle avait connu au lycée,mais elle
l’auraitreconnun’importeoù,dansn’importequelletenue.Ils’arrêtaàunsouffled’elle.
—Jeviensd’apprendre,pourtonpère,enécoutantlesinformations.J’étaisàArlington,j’aiboucléuneaffairelà-basetjesuisvenuaussivitequej’aipu.Commentva-t-il?
—Mieux,jecrois.Toujoursunpeuabrutiparlescalmants,maislemédecinditqu’ilestsurlavoiedelaguérison.
EllecontemplalecostumegriffédeLucassousl’imperméable.Lenœuddecravateétaitlégèrementdesserré, il avait lesmains enfoncées dans les poches. Surtout, ne pas croiser ses yeux. Comment leregarderenface,aprèsl’agressiondontelles’étaitrenduecoupablel’autresoir?
—Ettoi,Lauren,commentvas-tu?demanda-t-ilenluieffleurantlebras.Acesmots,ellesebrisanetcommeunjeunearbreenhiver.Ill’enlaça,oubiencefutelle,peut-être,
quiluitombadanslesbras.Unmondelesséparaitetsoudain,sansprévenir,elleseretrouvacolléeàlui.Illatintsimplementcontreluipendantqu’ellepleuraitsursonépaule.Elleavaitétésiforte.Unroc,
commel’auraitsouhaitésonpère.Maismaintenant,elleavaitquelqu’unsurquis’appuyer.Cen’étaitpasn’importequi:c’étaitLucas.Legarçonquiluiavaitsauvélaviedanscettevieille
maisonenruine.Celuiquiluiavaitmontrélesétoilesunsoir,surleranchKirkland,loindeslumièresdelaville.Celuiquiluiavaitdonnésonpremierbaiserenluilaissantentendrequ’unjourilsseraientplusquedesamis.C’étaitaussil’hommequ’elleavaitembrassérageusementdansunbar,l’autresoir,pourlaseuleraisonqu’ellerêvaitdeluidepuissesquinzeans.
Lorsqu’elle parvint enfin à sécher ses larmes, Lucas pressa le visage contre sa jouemouillée etchuchota:
—Sommes-nousdestinésànousrencontrertoujoursdansdescouloirs,micielo?Ellesemitàrire,toutauplaisirdesaprésence,sonodeur,saforce.Elleavaitpresqueoubliéqu’il
l’appelait«monciel»en espagnol. Il lui avait dit un jourque cela signifiait «mon tout »,mais ellesavaitquepourluic’étaitjusteunefaçondedirequ’elleétaitspéciale.
Spéciale,maispasassezpour luipasser lemoindrecoupde filpendantpresquedeuxannées. Ilsétaient deux planètes gravitant autour du soleil. Quelquefois leurs orbites se croisaient et une forced’attraction les rapprochait,mais laplupartdu temps, ilsnesemblaientmêmepasapparteniraumêmesystèmesolaire.A l’université, ilsavaientévoquéàplusieurs reprisesunavenirpossibleàdeux,sanstroposerycroirenil’unnil’autre.
—Oùallais-tu?demanda-t-ilenseredressant.— Au bureau du shérif de Lubbock. J’ai des notes à transmettre. Je pensais aussi trouver une
crêperieouvertetoutelanuit.J’aiunefaimdeloup.—Çat’embêtesijet’accompagne?Sansattendresaréponse,ilentrelaçaleursdoigtsetl’entraînaversl’ascenseur.Illaconduisitjusqu’aupostedepoliceetattenditpatiemmentqu’elleaitexpliquécequ’ellevoulait
imprimeràl’intentiondushérif.Ill’emmenaensuitedansunecrêperie.Ilsévoquèrentleurvillenataletoutenpartageantleurplatrespectif.Elleluiracontatoutcequiétait
arrivé à son père depuis qu’il était entré à l’hôpital, la difficulté que cela représentait pour lui de sesavoirdiminuéàcepoint.Illuipritlamainsurlatableetelleseremitàpleurer.
Elleluiconfiasesétatsd’âmeàl’approchedudiplôme.IlsévoquèrentaussilanouvelleviedeTimO’Grady.Ellen’avaitpas lesouvenird’avoirautantparléàquelqu’unde toutesavie, stimuléepar lesourirepersistantdeLucasquitémoignaitduplaisirqu’ilprenaitàl’écouter.
Pourfinir,lorsqu’ilnerestaplusriensurlatablequedesassiettessalesetducafé,ilsparlèrentdelafusilladeetdelaterreurquil’avaitsaisielorsqu’elleavaitreçul’appeldeTim.
Lespremièreslueursroséesdel’aubepointaientdansleciellorsqu’illaraccompagnaenvoitureàl’hôpital.
—Veux-tuquejeresteavectoiaujourd’hui?
Ellesecoualatête,songeantàlaprésencedesamèredanslachambreetàlascèneàlaquelleelleauraitdroitsiMargarets’imaginaitqu’ellefréquentaitLucasReyes.Asesyeux,elleavaittoujoursseizeansetsonpèrel’éduquaitmal.
Encheminvers l’entréedel’hôpital,Lucasserrasesdoigtsunpeuplusfort.Ni l’unni l’autreneprononçauneparole.Ilsavaientfaitletourdetouslessujetspossibles,àl’exceptionnotabledubaiser.L’épisodeduTwoStepavaitétésoigneusementpassésoussilence.
Alorsqu’ilstraversaientlarouteenempruntantunepasserelleplongéedansl’ombre,Lucass’arrêtanetetsetournaverselle.
— Je sais que ce n’est ni lemoment ni l’endroit idéal,mais il faut que je te dise, Lauren… Jen’arrêtepasdepenseràtoi.
Ilsetenaittrèsdroit,figécommeunestatue.—J’ailesentimentquetuhabitesmonespritdepuistoujours.Jevoyaisentoiuneamiepossible.Un
amourpossible,même.Maiscesderniers temps,avec lenombrededossiersque j’ai enchargeet leséchelons que je m’acharne à gravir, j’ai pris conscience que ce ne serait pas bien de ma part de tedemander…
Lepuzzlepritforme,soudain,danslatêtedeLauren.—Tuesentraindemequitteravantmêmequel’onsoitsortisensemble,c’estça?lança-t-elle.Ilsemitàrire.—Nous avons failli sortir ensemble à unmoment, mais tu étais trop jeune. Puis à l’université,
j’avaistroisannéesd’avancesurtoietletravailoccupaittoutmontemps.Etaujourd’huijedoisdonnerunechanceàcettecarrièrequis’ouvreàmoi.Danscinqans,peut-êtredix,jepourraimeprésenterauxélectionset…
—Tuesentraindemequitter,Lucas.C’estridicule!Elleauraittellementaimévivreaumoinsunrendez-vousavecluiavantqu’ilnelalaissetomber.—Maissitusavaisl’effetquetumefais…,murmura-t-il.Lacolèrelafitseredresserd’uncoup.—Jeneveuxpasêtreunefillequetucroisesunsoiretquitefaitrêver!Nousavonsdéjàeucette
relationquandj’avaisseizeansettun’enavaismêmepasconscience.—Maislafaçondonttum’asembrassé,l’autresoir?Enfin, c’était sorti. Un baiser, un seul, étourdissant, merveilleux, ravageur. Inoubliable, pour lui
commepourelle.—C’étaitjusteunbaiser,Lucas.Nousnesommesquedesamiset,aurythmeoùnousprogressons,
notrerelationn’irajamaisplusloin.Jenesuispastonciel.Retournetebattrepourdécrochertesrêves,mais ne compte pas surmoi pour attendre pendant ce temps dans l’ombre cemoment que nous avonspresquepartagé.
Commentluiexpliquerqu’ellevoulaitêtresatoute-précieuseourien?Ellen’avaitaucuneenviedepasserausecondplan,d’êtrecellequideviendraitpeut-êtrelafemmedesavie.
Ellerespectaitl’ambitiondeLucas.Aaucunmomentelleneluiavaitavouélemalqu’illuifaisait,cariln’yétaitpourrien.C’étaitelle,detouteévidence,quiimaginaitunpetitquelquechosedeplusentreeux.
—Jedoisrentrer,Lauren.Ilnousresteàpeinequelquesminutes…Maisilyaquelquechosequidoitêtreditmaintenant.
—Non,Lucas.Nousn’avonsplusrienànousdire.Ellecourutverslesportesenrefoulantseslarmes.Unefoisàl’intérieurdel’hôpital,ellenes’étonnapasdeseretrouverseule.Ilnel’avaitpassuivie.
Lechagrinlasubmergea,engloutissantsesrêvesdejeunefille.
Elleeutlasensationd’avoirvieillid’uncoup,exactementcommelanuitdudramedanslaMaisongitane.PuisdusoiroùelleavaittrouvéPollybaignantdanssonsang,aprèssatentativedesuicide.Elleseretourna,vitLucasquis’éloignait.L’adolescenteenelles’étaitévaporée.Cefutunefemmequipénétradansl’ascenseur.
Letempsd’arriveràl’étagedesonpère,ellesavaitcequ’elleavaitàfaire.La chambre était encore plongée dans la pénombre. Sa mère sommeillait près de la fenêtre.
M.Clifton se levaà sonentréeet la serradans sesbras,puis insistapour lui laisser laplacedans lefauteuilauchevetdesonpère.
Ill’enveloppadansunecouverture.—Dormez,Lauren.Toutiramieuxdemain,vousverrez.Lesyeuxfermés,ellel’entenditréveillersamère.Margaretnesedonnapaslapeinedelasaluer.Tousdeuxdisparurentcommeparmagie.LespenséesdeLaurendérivèrentdansdesmarécagessombres,glacés.Desinfirmièresentraientet
ressortaientaprèsavoirvérifié l’étatdesonpère,ellefitsemblantdedormir.L’uned’ellesconfia toutbasàsacollèguesonsoulagementdelavoirenfinprendredurepos.
Pendantcetemps,elleressassaitsesespoirsdéçusavecLucas.Soncœursefigeaitdanslefroid,ilséchaitcommeunefleurprisedanslegivre.
Lorsqu’ellerouvritenfinlesyeux,sonpèreluisouriait.—Nepleurepas,bébé,jenebougeraipasd’icipendantunmoment.Lajoiedelevoirréveillélafitsourire.Ilparlaitd’unevoixenrouée,maissonregardétaitclair.—Jet’aime,papa.—Moiaussi,jet’aime.J’aifaitunrêvevraimentbizarrecettenuit,dit-ilensefrottantlementon.
Tamèreétaiticietseplaignait…Laurenéclataderire.—Cen’étaitpasunrêve,papa.Elleétaitlà.Jetepréviens,elleestfurieusequetutesoisfaittirer
dessus.ElleestretournéeàDallasprépareruneprésentationpourlundi,mais jeneseraispassurprisequ’ellereviennetrèsvitepourfinirdeteremonterlesbretelles!
—Laisse-moideviner.Ellecroitquejel’aifaitexprèspourlacontrarier.—C’estàpeuprèsça.Ellemitmomentanémentdecôtésoncœurbrisé,toutàlajoiederetrouversonpère.Ellepleurerait
Lucasunautrejour.Ilsuffisaitdefairecommesisavisite,hiersoir,n’avaitjamaiseulieu.—Jemeursdefaim,chuchotasonpère.—Moiaussi,mentit-elle.Ilscommandèrentdeuxpetitsdéjeuners.Sonpèreengloutitlesdeuxavantdepiquerunsomme.Elleouvritsonordinateuretentrepritdecoucherparécritsessentimentscommes’ilsappartenaient
àquelqu’und’autre.Lentement,unpersonnagepritforme,plusfortqu’elle,pluscourageux.Uneaventuresemitàdanserdanssonesprit,l’emmenantloindesespropressoucis,luioffrantunediversionparfaitepoursupporterleslonguesheuresd’attente.
30
Charley7avril
Lesoleilse levaitàpeinelorsqueCharleyouvritunœil.Il roulalentementsur lui-même.Jubileeétait encore là,dans son lit.Pour laquatrièmenuitd’affilée.Bon sang !Quel rêvece serait, sanscesrèglesinstauréesdèslepremiersoir!
Thatcher étant encore convalescent, ils avaient décidé de veiller à deux sur sa santé et la seulesolutionétaitdepartagerlelit,luisurlacouverture,elledessous.IlavaitsongéàluisuggérerdedormiravecLillie—lematelasétaitétroit,maislafilletteneprenaitpasbeaucoupdeplace—maisils’étaitabstenu,depeurqu’ellen’accepte.
Jubileeétaittrèsbienlàoùelleétait.Seulecettecouvertureentreeuxlegênait,maisils’étaitgardédeleluidire,sinonelleseraitretournéedanslagrandemaisonpourtantpleineàrasbordd’invités.
CarDestiny,désormaissecondéeparsapetitearmée,refusaittoujoursdequitterleslieux.Leboncôtédelachose,c’étaitqueJubileenelequittaitplus.Travaillantàsescôtéstoutelajournéeetdormantàsescôtéstoutelanuit.
Il referma les doigts sur unemèchede ses cheveux égarée sur l’oreiller. Jamais il n’avait autantaimécontemplerunefemme.Cettegrâce,danssesmoindresmouvements…
Elleouvritsesgrandsyeuxbrunsetleregardafixement,commesiellelisaitdanssespensées.—N’ysongezmêmepas,chuchota-t-elle.—Quoi?répliqua-t-il,affichantsonair leplusinnocent.Jemedemandaissimplementcequ’ily
avaitaupetitdéjeuner…—Maisbiensûr!—Roulésàlacannelle!lançaThatcherdelapièceàcôté.CharleyetJubileedégringolèrentaubasdulitetseprécipitèrentdanslesalon.Charleyenfouitles
doigtsdanslatignassedugaminensefélicitantd’avoirdormitouthabillé,commeJubileedureste.Pourlaquatrièmenuitconsécutive…Unenfer.
—Toutvabien,That?Thatcheravaitconnuquelquesnuitsdifficiles…—Oui.Jesuisréveillédepuisuneheure.Justeavantl’aube,unedameafrappéàlaporte.Jesuis
alléouvrir.Elle s’estprésentée comme lanouvelle cuisinière et adit qu’ellevoulait nous apporter lepetitdéjeuneravantquelesgensdelamaisonprincipaleselèventetcommencentàcrier.
Charleyaperçutunplateauderouléssurlatable,tousplusgrosquelapaumedesamain.
— J’en ai déjà mangé deux, poursuivit Thatcher. Bien meilleurs que ceux qui s’achètent sousplastique!J’enreprendraisvolontiersquelques-uns,ajouta-t-ilenlevantsonassiettevide,dontJubileesesaisitaussitôt.Jesavaispasqu’onavaitunecuisinière.Jesuislà,blessé,depuisquatrejoursetc’estmaintenantqu’ellearrive?
—Nousn’avonspasdecuisinière.ElletravaillepourDestiny,réponditJubilee.LejouroùDestinys’enira,lacuisinièrepartiraavec.N’est-cepas,Charley?
— Tout à fait, confirma-t-il avec une conviction qui sonnait un peu faux. Il paraît que Masontéléphoneplusieursfoisparjour.Votresœurvasûrementfinirpartrouverqu’ilaassezsouffert,oubienquevousêtesuncasdésespéréetqu’ellenepourrapasvoussauverdevous-même.
—Est-cequ’ellepourraitnouslaisserlacuisinière,quandellepartira?demandaThatcher,lesyeuxbrillants.
—Non,That,réponditCharley.J’aifaitdemonmieuxpourleschasser,maisilssontplustenacesque des punaises accrochées à un matelas. Tous. La coach de yoga m’a dit hier qu’elle n’était pasd’humeuràdiscuteravecmoi.
IljetaunregardàJubilee,quisemblaittrouvercelatoutàfaitnormal.IldressalatablependantqueJubileepréparaitducafé.Chaquematin,laconversationdémarraitsur
lemêmesujet:commentéjecterDestinyduranch.Thatcher ne les quittait pas des yeux tandis qu’ils s’activaient dans la cuisine tous les deux, les
sourcilsfroncés.—Vousvousêteslevésdupiedgauche,ondirait,fit-ilremarquer.Essayezdoncl’autrecôtédulit
demain,pourvoir.L’unetl’autresebornèrentàluijeterunregardnoir.—Encoreunequestion,justeune.Est-cequevousêtesmariés,maintenant?Parceque,dansmon
expérience,lemariagecommenceavecbeaucoupdebagarres,etjesuistropfaiblepourcourirvite.—Non!répondirent-ilsensembled’unemêmevoix.—OK!C’étaitjustepourdire.Jecroisquejevaisdormirunpeuavantleprochainpetitdéjeuner.Ilserallongeaetfermalesyeux.CharleyserapprochadeJubileeetbaissalavoix.—Commentfairecomprendreaugaminquenousnecouchonspasensemble?—Nouscouchonsensemble,Charley.—Voussaveztrèsbiencequejeveuxdire.—Evidemmentquejelesais!C’estmoiquisuisdansvotrelit,non?Ilséchangèrentunsourireetsemirentàévoquertoutcequidevaitêtrefaitd’icilafindujour.Avant
l’accidentdeThatcher,ilsavaientdécidédetoutmisersurleranch,maisl’argentcommençaitdéjààsefairerare,Charleylesavait.Jubileeinvestissaittoutesseséconomiesdanscetteentreprisealéatoire,negardantrienpourelle.Seulsonsalaireàluiétaitmisdecôté.
C’étaitdelafolie,maisilsallaientavoirbesoindechaquecent,peut-êtremêmedesonsalaire.Plusils sortaient d’argent maintenant pour relancer la machine, plus les bénéfices seraient conséquents àl’automne.
Seulement,enrenonçantàsonsalaire,dontl’essentielallaitgrossirsonépargnepourl’achatd’uneterreunjour,ilrenonceraitaussiàsonrêve.Ilavaitrepéréunpetitterrainassezprometteur,nonloinduLoneHeart.Des sourcesnaturelles,de labonneherbe…Non, ilne laisseraitpaspasser sachance. Iltravaillerait plus dur, voilà tout. Plus longtemps, chaque jour. Jubilee ne le laisserait sûrement pastravaillergratuitement,detoutefaçon.
Toutenmangeant,ilcomposaleprogrammedelajournée.Chaquematin,ilajoutait:«VeilleràlasécuritédeThatcher»àsaliste,quandbienmêmecen’étaitjamaisécritsursonpapier.
Ilsfinissaientleurpetitdéjeunerlorsqu’onfrappaàlaporte.Charleyallaouvrir.C’étaitunpolicieraveclequelilavaitdiscutéauxurgences,sigrandetsisolidementcharpentéquesacarrurebloquaitlesoleilsurleseuil.
Lenouveauvenulessaluad’unsignedetête,puisilalladroitversThatcher.—Commentvas-tu,petit?Etcettejambe?Thatcherplaçalamainenvisièresursonfront.—Vousvoulezbienvousasseoir,agentWeathers?Jevoisseulementl’ampouleduplafonniersije
lèvelatêteaussihaut!Weatherss’assitsurlamallequisemblaitsigrandelorsqueLillies’installaitdessusetquiavaittout
àcoupsingulièrementrétréci.—LaurenBrigmanm’ademandédetedirequesonpèresortirapeut-êtredel’hôpitaldemain,dit
Weathers.JevaisàLubbockpourl’escorteravecd’autres.JeremplaceBrigmaniciàCrossroadsdepuisquelquesjoursetjecompteresterjusqu’àcequ’ilsoitenétatdeprendresonposte.J’aicrucomprendrequetutravaillaisparfoisaveclui?
Thatcherseredressa,toutfier,ethochalatête.Ilsemblaitnerveuxfaceàcetagenttrèsjeune—iln’avaitpasplusdevingt-quatreouvingt-cinqans—maisàlacarrureimpressionnante.
—Oùlogez-vousenville?demandaCharleyenluitendantunetassedecafé.—Autoutnouveaubedandbreakfast,réponditWeathersenleremerciantd’unsourire.Excellente
cuisine,maislesportionssontminuscules.—Vousmangezsouventàl’extérieur,agentWeathers?s’enquitThatcher.—Non.Mamèreaapprisàcuisineràtoussesfils.Sijem’attardeunpeu,j’iraitoucherunmotà
cessœursFranklinquisontentrainderetaperl’endroit,pourqu’ellesmelaissentl’usagedeleurcuisine.Thatcherhochadenouveaulatêtecommes’ilvenaitdecomprendrequelquechoseetsedétenditsur
sonoreiller.Weathersplongealamaindanssapocheetensortituntéléphoneportable.—Laurenm’a dit que tu n’en avais pas. Plusieurs gars demon bureau se sont cotisés pour t’en
acheterun.J’aidéjàenregistrémonnuméro.Tun’asqu’àtaper5ettutombessurmoi.Lauren,c’estle3.LeshérifBrigman,le4.
Thatchern’esquissapasungestepourprendreletéléphone.—Vousplaisantez?—Non.Tuesdesnôtres,maintenant.Leportable,c’estl’outildebase.Situenavaiseuunsurtoi
cejour-là,ajoutaWeathersenbaissantlavoix,tuauraispuavoirdesrenfortsrapidement.Vousn’auriezpasétésiseuls,leshérifettoi.
Thatcherconsentitenfinàprendrel’appareil.—Etlesnuméros1et2?Etceuxentre6et9?Aquoiilsservent?Weatherssourit.—Jetemontreraicommentt’enservir.Tupeuxappelerquituveux,maisilvautmieuxenregistrer
lesnuméroslespluscourantspourallerplusvite.Tupeuxchoisir le1pourtesparentset le2pourtapetiteamie,parexemple.
Thatcherfixaunmomentletéléphone.—Mamère a pas le téléphone,maismapetite amie, peut-être. Je lui demanderai.Leproblème,
c’estquejecomprendspaslamoitiédecequ’ellemeraconte.Sijel’appelle,laconversationrisquedemeboucherlacervelle.
—Jevoiscequetuveuxdire,murmuraWeathersenhochantlatêted’unairentendu.—Justeunepetitequestion…Pourquoiavoirchoisile5pourvous?Charleytenditl’oreille;ils’étaitposélamêmequestion.—Parcequejem’appelleCinq.CinqWeathers.
Thatcherécarquillalesyeux.—C’estuneblague?—Non.Mesparentsonttrouvéque«Cinq»seraitunbonprénom,puisquej’étaisleurcinquième
fils.— Personne leur a expliqué qu’il fallait arrêter de faire des enfants s’ils étaient à court de
prénoms?Weatherséclataderire.—Tudevrais rencontrermonfrère,Onze. Il jouearrièredans l’équipeprodesDallasCowboys.
Moi,jesuisunavortonàcôté,danslafamille.Thatcherluidonnasonrouléàlacannelle.—Vous savez, agentWeathers, je crois que nous allons devenir amis. Et vous inquiétez pas, le
premierquisemoquedevotreprénom,jeluirèglesoncompte.LepolicierlançaunregardàCharleycommepourluidirequepersonne,jamais,nes’étaitrisquéà
semoquerdesonprénom,etsecontentaderemercierThatcher.Charleyallachercherunelistesurlatabledelacuisine.—Sivousvoulezbienrestericiunpetitmoment,agentWeathers,jevaisallerenvillevoirmafille
avant qu’elle parte pour l’école, et ensuite, j’irai chercher les médicaments de Thatcher. Je serai deretourvers8h30.
—Pasdeproblème. Il suffit que j’arrive àLubbock avant ce soir. Ils ne laisseront pas sortir leshérif avant 10 heures demainmatin,mais je n’ai emporté que des uniformes en venant ici et je veuxpasserchezmoiprendrequelquestenuesàporterendehorsdesheuresdetravail.
Charley n’avait pas envie de les laisser seuls, mais il avait plusieurs choses à faire et aucunepersonnesuspecten’avaitétérepéréedanslecoin.IlramèneraitsansdouteLillieàlamaisoncesoir.
Aprèstout,ceranchétaitsurveilléparlesbureauxdesshérifsdetroiscomtés.Weathersreviendraitdès demain, les deux hommes de confiance qu’il avait embauchés attaqueraient le travail à 8 heureschaquematinettoussauraientrestervigilants.
Suruneimpulsion,ilsepenchaetembrassaJubileesurlajoueensortant.Ellen’oseraitpasletuerenprésenced’unpolicier.
Asavivesurprise,ellesecontentadelesuivredesyeuxsansunmot.IlarrivachezTedetHelenLeeàtempspourbavarderavecLilliependantqu’elleprenaitsonpetit
déjeuner.Puisill’emmenaàl’école.C’étaitbonderireetd’oubliersessoucisunmoment…Elleémitunenouvelle fois lesouhaitde retournerau ranchavec luiaprès laclasseet,pour lapremière foisentroisjours,ilaccepta.
Peuaprès8heures,ils’arrêtaàlabanquequivenaitd’ouvrirsesportesetenressortitcinqminutesplustard.
Cequ’ilvenaitdefairedéfiait lebonsens,maisc’étaitsondevoir.Unesignatureavaitsuffipourtransférer l’intégralité de son compte épargne sur le compte professionnel de Jubilee— soit près dequarantemilledollars.Unesommetropmodestepouracquérirunterrain,maissuffisante,peut-être,pourpermettreàJubileedetenirjusqu’auxpremiersretourssurinvestissementduLoneHeart.
Luiquiavaitéconomiséchaquecentdepuislejouroùsonpèrel’avaitfichudehorsdansl’espoirdepouvoirunjours’acheterquelqueshectaresetconstruiresonpropreranch,venaitdetoutmisersurceluideJubilee.
Cela,parcequ’ilavaitcomprisquelajeunefemmen’auraitpasassezdecapitalpourfairetournerleranchs’ilnefaisaitpasquelquechose.Cerêve,elleytenait,etellecomptaittroppourluipourqu’illeregardes’effondrerlesbrasballantsensachantqu’ilauraitpuagir.
Il ne lui dirait rien. Si elle découvrait la manœuvre à l’automne, elle pourrait toujours lerembourser. Et en cas d’échec, leurs rêves s’écrouleraient enmême temps. Il lui faudrait ensuite des
années avant de se reconstituer une épargne suffisante pour songer à acheter un ranch.D’ici là,Lillieseraitaulycée…
Il reprit sonpick-up et se rendit chez le vétérinaire, le cœur léger, heureuxdugeste qu’il venaitd’accomplir.Unpeueffaré,maisheureux.
Jubileeluiavaitdemandéunjours’ilavaitdéjàconnul’amour.Ilavaitditnon.Aujourd’hui,pourlatoutepremièrefois,ilavaitconscienced’êtretombéprofondément,foncièrementamoureux.Etilvenaitdes’endonnerlapreuve.
Quellequesoitl’issuedecetteaventureavecJubileeetsonranch,ilsaurait,unefoispourtoutes,cequec’étaitqued’aimer. Il la remercieraitpourcela,quandbienmêmeellen’auraitpasenvieque leurrelationdépassequelquesbaisersmerveilleuxéchangésdanslesombresduLoneHeartPass.
31
Charley7avril
Letempsderentrerauranch,Charleyavaitdéjàmilleprojetsentête.Iltravaillaitlargementplusdecinquante heures par semaine, avec l’assistance permanente de Jubilee. Désormais, avec ce légersupplémentdecapital,ilspourraientembaucherdelamain-d’œuvre,s’acheterquelquestêtesdebétaildeplus,agrandirl’écurieetlescorrals.
Ileutlasurprisedetrouverenarrivantdeuxcamionnettesgaréesdevantlamaisonprincipale.SoncoupdefilàMason,laveille,avait-ilconvaincucethommed’agirpourrécupérersafemme?
LorsqueMasonavaitdécrochésontéléphoneprofessionnel,Charleyavaitsimplementdéclaré:—Jesuisentraindechargerlebétail.Jedoisvouslivrercinquantetêtesenmilieud’après-midi.LemarideDestinyluiavaitdemandéderépétercequ’ilvenaitdedire,puisilavaithurlé:—Jen’airiencommandédutout!—Jesais,maissijedoism’occuperdevotreépouseetdevosfils,jemesuisditqu’ilseraitjuste
quevousvousoccupiezdemonbétail,enéchange.Masongardantlesilence,Charleyavaitspontanémentdonnéquelquesdétails.— La plupart des veaux sont encore semi-sauvages, mais ils se calmeront avant l’arrivée du
prochainchargement.Ilss’habituerontviteàbroutervotrepelouse.—Vousêtesfou!Jenevoulaispasqu’elleparte.Jenepeuxpasgérerdubétailàmonbureauni
chezmoi!Jevaisappelerlapolice.Jevaisporterplainte.—Pourquelmotif?avaitrépliquéCharleytrèscalmement.Jen’aipasportéplainte,lorsquevous
m’avezenvoyéDestinyetlesjumeaux.IlavaitentenduMasontournerenrondunmomentdanssonbureauenpestant.—D’accord.Jevienscherchermafemme.—Parfait.Abientôt!Charleysouritenarrêtantlepick-upprèsdel’écurie.Apparemment,Masonavaittenuparole.Alasecondeoùilmitpiedàterre,ilvitJubileeaccourirverslui.—Ilsfontleursbagages!cria-t-elle.Illafittournoyerdanssesbrasenriantauxéclats.—Est-cequ’ellerisquederevenir?demanda-t-il,prisd’undoutesoudain.—Jenecroispas.Lavuedesarmesau-dessusdesportes l’achoquée,etnedisposerqued’une
salledebainslarendaitfolle.Etpuishiersoir,undesjumeauxamangéuneluciole.Lagoutted’eauquiafaitdéborderlevase.Sadéterminationàresterl’alâchéed’uncoup.Sanscompterl’appeldeMason,qui
l’asuppliéederevenir.Illuiamêmepromisdesvacances.J’aidumalàlecroire,maiscethommeluiaditqu’elleluimanquait!
AcetinstantThatchersortitàcloche-piedsurlagalerie.—Qu’est-cequisepasseici?Lepolicierestpartidèsquelescamionnettessontarrivées.Jen’ai
pluspersonneavecquiparler.CharleyreposaJubileesursespiedsetsetournaverslui.—Nosinvitésdéménagent,maistoitunebougespasd’ici.— En quatre jours, j’ai lu une bonne dizaine de bouquins, dit Thatcher en s’accoudant à la
balustrade. Jem’ennuiepour lapremière foisdemavie !C’est incroyable,mais j’ai envied’aller encours.
Illeurfallutuneheurepourl’habilleretchangersonpansement,puisCharleyleconduisitenville.—C’estpresquel’heuredudéjeuner,That.Tuneveuxvraimentpasattendreunjourdeplusavant
deretourneraucollège?—Non,ledéjeuner,c’estparfaitpourunereprise.LorsqueCharley ledéposadevant les fenêtresde la cafétéria,Thatcherprit son temps etmarcha
lentement,penchésurlabéquille.Unélèvequisortaitparlaportevitréel’aperçutetretournaprécipitammentàl’intérieur.Uneminute
plustard,ungrouped’adolescentsaccourutpourl’accueillircommeunerockstarvenueenvisite.Charley vit Kristi Norton le serrer dans ses bras. Thatcher l’enlaça comme s’il avait besoin de
soutiensursoncôtévalide,puisilsseperdirentdanslafoule.Charley redémarra en souriant et reprit la direction du ranch. Thatcher n’aurait plus de soucis
désormaispoursefairedesamis…Ilseconcentrasur le travailqui l’attendait. Ilsavaient jusqu’à l’automne,pasplus.Et toutdevait
êtreprisencompte.Lamétéo—lahauteurdesprécipitations,enparticulier—,lasantédesanimaux,lesfeuxdeprairieetunecentained’autresvariables…
Pour lapremière foisdepuisquatre jours, ilavaitenfin le loisirdenepenserà riend’autrequ’àaccomplirsontravail.
A la fin de la journée, lorsque l’agentWeathers ramena Thatcher dans sa voiture de patrouille,CharleyeutlesentimentqueletéléphonedeKristifiguraitd’oresetdéjàparmisesraccourcis.Aprèsledîner,ildemandaàJubileesiellesavaitcouperlescheveux.
—Biensûr.Çanedoitpasêtresorcier!répondit-ellecommeill’avaitprévu.Elle installa son salon de coiffure sur la galerie et s’occupa de la coupe de Thatcher, puis ils
l’aidèrentensembleàsecoucher.Ils’étaitmontrécourageuxtoutelajournée,maisildormaitdebout.Cesoir-là,lecalmesemblaitrevenudanslamaison.Thatcherrécupéraitpeuàpeudesforces.Lillie
étaitderetour.Elleavaitracontésesaventuresavecsesgrands-parentsavecunetellevolubilitéqu’elles’étaitendormieàtableaumilieud’unephrase!Thatcheravaitl’airtoutaussiépuisé.
—C’estunbongarçon,chuchotaCharley.Ilneseplaintjamais.—J’ail’impressionqu’ilaétéélevédansunmilieuoùilnefaisaitpasbonseplaindre,renchérit
Jubilee.Iléteignitlalumièredanslesalon,elleluifitaussitôtsignedelasuivresurlagalerie.—Asseyez-vous,dit-elleendésignantletabouret.Avous,maintenant.Il faillit protester, mais changea d’avis dès qu’elle s’approcha de lui. Il ouvrit les genoux pour
qu’ellepuissesetenirdevantluietsedélectad’observersesgestes.Soncorpseffleuraitlesienàchaquecoupdeciseauxoudepeigne.L’avoir siprochede lui étaitunbonheur.Ellepouvaitbien lui raser lecrâne,sicelalafaisaitresterpluslongtempssiprèsdelui!
Nil’unnil’autrenesuggéraqu’elleretournedormirchezelle.Charleysongeaàluidirequ’ilavaitbesoind’ellepours’occuperdeThatcher,maislegaminétaitcommelelierre,iln’avaitpasbesoinde
grand-chose,seulementd’eauetdenourriture.Il la regarda tourner autour de lui avec sa chevelure désormais lâchée flottant sur ses épaules
commeunecape.Elleresteraitpeut-être,pourpeuqu’il le luidemande. Il feraitdesonmieuxpourseplieràlarègledelacouverture.Oubien,elleneresteraitpas.
Un grand feu s’allumait en lui. Il dut lutter contre une envie folle de la toucher tandis qu’elles’agitaitautourdutabouret,jouaitavecsescheveux,heurtaitsajambe,sonbras,sonépaule.
—Jepourraisfaireçatoutelanuit,chuchota-t-il.—Vousn’auriezplusuncheveusurlecrâne!—Aucuneimportance.Unsifflementretentitducôtédelaroute.Charleycompritqu’ilsn’étaientplusseuls.—Leshommesarrivent.Elles’écartatandisqu’ilretiraitlaserviettedesesépaulespouralleràlarencontredescow-boys
qu’ilavaitpostésauportailprincipal.—Rienàsignaler,patron,ditl’und’euxavantmêmequeCharleypuissedistinguersonvisagedans
lanuit.—Toutesttranquilleentreicietleranchleplusproche,ajoutaunautre.Aucunintrusn’estentréici
cesoir.Au cours de ses propres patrouilles, Charley n’avait rien remarqué d’inhabituel non plus. Si
quelqu’unétaitàlapoursuitedeThatcher,ilprenaitsontemps.Peut-êtreignorait-onoùilsetrouvait.Oubieniln’étaitpasconsidérécommeunemenace.
—Vousvoulezqu’onreviennedemain?—Paspourmonter lagarde, réponditCharleyen serrant leursmains tendues.Tout est calme. Je
pensequenousnoussommesinquiétéspourrien.Maissivoussouhaitezcontinueràtravaillerpourmoi,j’ai besoin de cow-boys aguerris.En journée, cette fois.Des animaux arrivent demain et je serai trèsoccupédemoncôté.
—Avecplaisir.Ma femmeditque jeme fais tropvieuxpour le rodéo,et jecommenceàcroirequ’ellearaison.
L’autrehommehochalatêteluiaussi.N’importequelemploiluiconvenait,quecesoitunegardedenuitoudumaniementdebétailauLoneHeart.
—Alors,rendez-vousàl’aubedemain.Marquagedubétail!—Parfait,répondirentlesdeuxhommesd’unemêmevoixavantdes’éclipser.Charleyentenditleronronnementd’unpick-ups’éloignerderrièrel’écurie.Unevoiturepatrouilleraitdanslecoincettenuit,d’aprèsl’agentWeathers.Celasuffisait,sûrement,
mais Charley savait déjà qu’il ne dormirait que d’un œil. Si un véhicule franchissait la barrièrecanadienne,ill’entendraitdepuissonlit.Ilseraitsurlagalerie,fusilenmain,avantqu’ilsn’aientatteintleseuil.
Ilregagnalamaisonensavourantlecalmeambiant,àprésentquetouteslesfemmesdelamaisonprincipaleétaientparties.Plusdetout-petitsenpleurs.Plusdesonneriesdetéléphone.Plusd’appelsausecourscomminatoiresdeDestiny.
Ilpassadevantl’écurieensongeantquelesilenceétaitleplusdouxdesbruits.Unmouvementattirasonattentionversl’unedesstalles.Jubileeétaitentraindebrosserlepoulain
qu’elleappelaittoujours«Baby».Asonapproche,ellebranditlabrosse.—Montrez-moiencorecommentfaire,vousvoulezbien?J’aipeurdeluifairemal.Il se plaça derrière elle, tendit lamain pour attraper la brosse avec elle et lentement, avec des
gestesamples,illuimontracommentbrosserlapeauencoresensibledupoulain.—Ilfautyallertrèsdoucement,audébut…
Ilavaitl’impressiondedanseravecelle.Leurscorpssetouchaient,leursmouvementss’épousaient.Ilprituneprofondeinspiration,s’enivrantdel’odeurdesescheveuxsidoux…
Elleseretournasoudainfaceàlui,laissanttomberlabrosse,lesyeuxluisantsdedésir,laboucheentrouverte.
Ilneputrésister.Ilpritseslèvresendouceuretl’enlaça.Cettefois,c’étaitluilemaîtredujeu,etilprendraitsontemps.Sicelanetenaitqu’àlui,chaquecontact,chaquebaiserdureraituneéternité.
Il sentait la poitrine de la jeune femme se presser contre la sienne à chaque souffle tandis qu’ill’embrassaittendrement.Commeelletanguaitcontrelui,sansforce,ilglissalesmainssurseshanches.Achaque caresse, il frôlait davantage ses seins. Il n’avait jamais éprouvé un tel bien-être, avec aucuneautre.Commesilaplacenaturelledecettefemmeétaitici,danssesbras.
Il laissa voyager ses doigts une nouvelle fois le long de son corps avec une lenteur délibérée,effleurant à peine la pointe de ses seins. Sa bouche s’ouvrit sur un soupir… et il en profita pourapprofondirsonbaisertoutenlaserrantcontrelui.
Sanslalâcher,ilglissaleslèvresjusqu’àsonoreille.—Dorsavecmoicesoir,chuchota-t-il.—D’accord.—Non,passeulementdormir…Fais-moil’amourcesoir.Elleesquissaunsouriremutin.—Pas question. Je compte bien te torturer unmoment. Les femmes te tombent dans les bras, je
crois?Ehbien,pascettefois.Elle secollaà lui,provocanteendiable, et l’embrassaavecune tellepassionqu’il enoubliade
respirer. Elle avait envie de lui autant qu’il avait envie d’elle, c’était clair,mais elle ne pouvait passavoirqu’ilvoulaitbiendavantagequ’uneuniquenuit.
Peut-êtremanquait-elle d’assurance en amour. Seulement cette fois, c’était en eux qu’elle devaitcroire.
Cettefoispeut-êtreengagerait-ellecegrandcœurqu’elleétaitpersuadéedenepasavoir.Sinon,sielleluifaisaitl’amouretpuiss’arrêtaitlà,commentdiables’enremettrait-il?
Illuisemblaitavoirpassétoutesavied’adulteàsebattrepourtrouverunéquilibre.Avingtetunans,ilsesentaitdéjàvieux,maispasaujourd’hui,pasavecJubilee.Avecelle,toutparaissaitnouveau.Lemot«possible»retrouvaitunsens.Ilosaitcroireenl’avenir.Illuitardaitdegoûteràunepassionquidureraittoutelavie.
Ilsedétachaenfind’ellepourcroisersonregard.—Situnemefaispasl’amourcesoir,murmura-t-il,promets-moiquetucontinuerasàmetorturer.—C’estpromis,répondit-elleensouriant.Jen’aijamaiséprouvécela.—Quoidonc?—Lesentimentquejepourraismourirsitunemeprenaispasdanstesbras.Ildéposaunbaisersursajoue.—Jepartagecesentiment.Etjecomprends.Onattend.Onvoitvenir.Onlaisselefeuprendre.Ilétenditlesdoigtssurseshanches.—Jepariequetuseraslapremièreàcraqueretàmesauterdessus.Ellesepressacontreluienriant.—Etsic’estlecas?Il connaissait la réponse. Autant l’admettre, il aimait cette femme. Cela ne faisait aucun doute,
pourtantilputtoutjustearticuler:—Situmesautesdessus,quelquechosemeditquejerendrailesarmes.Illapritparlamain,éteignitlalumièredansl’écurieet,ensemble,ilsregagnèrentlamaison.
Thatcher dormait. Les seuls signes de vie dans le ranch étaient les bruits nocturnes. La maisonsentaitbonlechez-soi.«Cettefois,songea-t-il,pasquestiondetoutgâcher.»
Ill’assitsurlelit,luiretirasesbottes.Puis,touthabillée,elleseglissaentrelesdraps.Sansunmot,ilcontournalelit,sedéchaussaàsontour,puiss’allongeasurlacouverture.
Il ne voulait pas la toucher. Sinon, il n’était pas sûr de s’arrêter. Il resta immobile, essayant dedétermineràquelmoment il était tombéamoureuxd’elle. Il savaitqu’ellenedormaitpas.Sonsouffleétaitirrégulier,parmomentselles’agitaitcommepourchercherunepositiondeconfort.
—Jubilee,jenedispasçaparcequej’attendsuneréponse,maisjepensequetudevraissavoirquejesuisamoureuxdetoi.
—Jesais,répondit-elletoutbas.Ilseforçaunmomentànepasbouger,avantd’ajouter:—Etnevienssurtoutpasmeraconterquetun’aspasdecœur.Jel’aivu,toncœur.AvecThatcher
etLillie.Jel’aisenticognercontrelemien.Tuteréveillerasunmatinettut’apercevrasquetum’aimesaussi,etcejour-làjeserailà,prèsdetoi,àt’attendre.
Ellenefitaucuncommentaire.Sarespirations’étaitralentie.Ellenes’agitaitplus.Elles’étaitendormieaubeaumilieudesagrandedéclaration.
32
Lauren7avril
Lorsquelemédecinannonçaquesonpèrepourraitrentrerchezluilelendemainmatin,Laurencrutquecedernierallaitbondirdulitpourdanserlagigue.Leshôpitaux,cen’étaitpassatassedethé.Dujouroùilavaitcomplètementreprissesesprits,ilavaittoutfaitpourquittercetendroitqu’ilconsidéraitcommeuneprison.
LemédecinentraînaLaurendans lecouloir et lui expliquaqu’elledevaitpartir lapremièrepourpréparerlamaison.
—Le trajet sera difficile pour lui. Il sera fatigué et il aura besoin que tout soit en place à sonarrivée.S’iln’avaitqu’uneblessure,oumêmedeux, leproblèmeseraitmoinscompliqué,mais ilenaquatreàsoigner,quitoutesauraientpulelaissersurlesrotulespendantdessemaines.
Versmididonc,ellerepritlaroutedeCrossroads,suivied’uncamionchargédematériel,d’unlitd’hôpitaletde toutcedontelleauraitbesoinpour transformer leursalonenunepiècemoitié salledesport,moitiéchambred’hôpital.
Sonpèredécrétaquecelaluiétaitégal,pourvuqu’ilpuisseregarderparlafenêtreetvoirlelac.Tandis que les déménageurs installaient le lit ainsi que les barres et les haltères qui l’aideraient
pour sa rééducation, elle fit un grand ménage dans la maison. Après leur départ, elle alla faire desprovisionsàl’épicerie,prenantchaquearticleendouble,aucasoù.
Ellesesentaitinvestied’unemission:prendresoindesonpèrejusqu’àcequ’ilsoitguérietprêtàreprendreletravail.
Elle s’était entretenue avec ses professeurs de la Texas Tech. Informés des événements par lesmédias, tous s’étaient engagés à l’aider. L’un d’eux lui avait assuré qu’un B suffirait pour valider lecours, un autre lui avait proposé de rendre les deux derniers devoirs par courriel. Et l’examen finalsuffiraitpourlesdeuxautrescours.Pourlapremièrefoisdesavie,lesnotespassaientausecondplan.Elledécrocheraitsondiplômetoutenrestantauprèsdesonpère.
Pollyavaitpromisdevenirlavoirchaqueweek-endpourl’assister.Asongranddésespoir,riennes’était passé entre Tim et elle, le soir où il l’avait raccompagnée chez elle, et elle voulait tenter denouveau sa chance.Laurenavaitdoncpris congéde sa colocataire le cœur léger etquitté sa chambred’étudiantelesbraschargésdecartons.
Letempsderemplirlecoffredeprovisionsetderetourneràlamaisondulac,lanuitétaitpresquetombée. Elle comptait se coucher tôt, dans l’idée de repartir pour Lubbock avant l’aube. Son père
rentrerait en ambulance, mais elle tenait à suivre le cortège. Son travail consistait à veiller sur luidésormais,exactementcommeilavaitveillésurelletoutesavie.
Unefoisinstalléici,ilrecevraitlavisited’unkinésithérapeutetouslesdeuxjours,d’uneinfirmièrepourchangersespansementsetsansdoutedetoussescollèguespoliciersdelarégion.Sanscomptertousleshabitantsdelaville…Oupresque.
Elles’imaginaitdéjàinstallantuneporteàtambourlorsqu’uneombresedessinantderrièrelavitredelaportedederrièrelafittressaillir.Dommage,vraiment,quelepolicieràlacarrureimpressionnantepostéàl’hôpitalnesoitpasplutôtdegardeici…
Puisellereconnutlasilhouettedégingandéeetlescheveuxroux,etallaouvrir.Timportaitdeuxsachetsdepapierbrundanslesmains.—Ledînerestservi!Ellesouritetleserradanssesbras,soudainconscientequ’ellen’avaitrienavalédelajournée.—J’adoretanouvelledéco,dit-iltandisqu’elleplongeaitlamaindanslesacdeshamburgers.—Tuasapportédesfrites?—Oui.Desmilk-shakesaussi.—Jet’adore,TimO’Grady.—Jesais.Commentpourrait-ilenêtreautrement?Ils’assitenfaced’elle,etilssejetèrentsurlesfritesetleshamburgerssansautreformedeprocès.
Il lui raconta qu’il tutoyait désormais plusieurs policiers et l’informades derniers développements del’enquête,sanstoutefoisentrerdanslesdétails.
Peut-êtren’enavait-ilaucun,songea-t-elle.Oupeut-êtresepassait-ilquelquechosequ’ilpréféraittairepourlemoment.
Il promit cependant de se pencher sur les coups de feu tirés sur son père dès que l’affaire del’hommeausacdejuteseraitrésolue.
— Les crimes se multiplient et le mystère s’épaissit. Un, nous avons un dossier entierd’informations à trier sur lemort, certainement sans valeur pour la plupart. Deux, nous avons trouvéquelquesempreintesetdesdouillessurleslieuxdumassacredesmustangs,maisrienquisoitdenatureànousaideràbouclerl’enquête.Etvientmaintenants’ajouteràcebazarl’embuscadetendueàtonpère.Cen’estpasletravailquimanque!J’aidéménagémestableauxblancsdanslasalled’audiencedesbureauxducomté,enpromettantaujugedelesdéplacersiunprocèsseprésente.
Ilmorditdanssonhamburgeravantd’ajouter,labouchepleine:—Cen’estpasprèsd’arriver,sinousn’obtenonsaucunrésultat!—Alors,Sherlock,quelestleplan?ElleavaittoujourssudevinerlorsqueTimluicachaitquelquechose.—QuelquesidéesmesontvenuesendiscutantavecCharleyCollins.Monenquêtevatrèsbientôtse
préciser.Jenet’airiendit,naturellement.—Quoi?Maisquandas-turencontréCharley?—Jeteraconteraiplustard.Avantqu’elleaiteuletempsdel’interrogerdavantage,ilchangeadesujet.—Savais-tuqu’unecoloniedehippiess’étaitinstalléedanslesFaillesilyadesannées?J’aiparlé
avecplusieurspersonnesquisesouviennentd’eux.Desilluminéstrèspeaceandlove,aveclestatouagesquiallaientavec.Notrehommepourraitbienenavoirfaitpartie.
—Oupas.—Oupas,concédaTim.Maisc’estexcitantdeseplongerdansl’histoiredecelieu,dedécouvrir
cequis’ypassait,quandtoutlemondes’enficheaujourd’hui!Unefoisrassasiée,Laurenmesuraàquelpointellesesentaitfatiguée.Dehors,ilfaisaitnuitnoire.
ElleraccompagnaTimsurleseuiletpointaledoigtverssamaison.
—Va.Travaille sur ton roman. Jeveuxpouvoirdireque je t’aiconnuavantque tudeviennesungrandécrivain!
—Tusurmonterascetteépreuve,L,luidit-ilenlaserrantdanssesbras.J’aiconfianceentoi.D’iciquelquessemaines,tonpèreretourneratravailler.
—Merci,murmura-t-elleenseblottissantcontrelui.Jen’auraispaspuyarriversitun’avaispasétélàchaquejour.Tueslemeilleuramidontonpuisserêver.
Timsepenchaetl’embrassasurlabouche,commeill’avaitfaitsisouventauparavant.Seulementcettefois,elle luirenditsonbaiser.Pasenvied’êtreseule,peut-être.Ouenvied’éprouverautrechosequede l’inquiétude.Toutcecharivarid’émotions l’avait laisséeàboutdeforces.Unpeude tendresses’imposait,cesoir,pourretrouverquelquescouleurs…
—Tuessérieuse,là,Lauren?murmuraTimcontreseslèvres.—Oui.Sadécisionétaitprise.Lucasnevoulaitpasd’elle?Ellen’étaitpasobligéepourautantdemourirà
l’intérieur.Ellepouvaitencoresentir.Ellepouvaitencoreréagiràunhommeattentionnéàsonégard.Timl’embrassaencore,plusprofondément,etellesecoulacontrelui,aimantéeparsachaleuraprès
toutcequ’elleavaitenduré.Ellese faisait l’effetd’uneâmevieilledansuncorps jeune.Et cela, sansavoirrienappris.C’étaitplutôtcommesielleavaitdécouvert…qu’ellenesavaitrien.
Riensurlavie.Riensurl’amour.Riensurelle-même.Perduedanssespensées,elles’aperçutàpeinequ’ellenerépondaitplusaubaiserdeTim.Jusqu’au
momentoùilsedétachad’elle.—Tun’aspaslatêteàça,n’est-cepas?murmura-t-il.—Pardon.J’aicruque…Maisjesuissansdoutetropfatiguée.—Oubienjenesuispasl’hommequ’iltefaut,ditTimavecunsourireunpeutriste.Jeneleserai
sansdoutejamais.Pourtoi,jeneseraijamaisqu’unami.—Est-cesidésagréable?Ilsecoualatête.—Auvudemesexpériencespasséesaveclesfilles,ceseraprobablementlarelationlapluslongue
quej’auraijamais.Alorsnon,êtretonamin’estpassidésagréable.Ellel’embrassasurlajoueetlesuivitdesyeuxtandisqu’ils’éloignaitverslelac.Ami-cheminentreleurmaisonrespective,elleremarquaqu’ils’étaitremisàboiter.Lesséquelles
desachutedanslaMaisongitane.Iln’étaitplusqu’uneombresurlerivage.Ilauraitsouhaitéqueleurrelationdépassel’amitié,ellelesavait,maisellenepouvaitpasforcerunechosequin’étaitpasdestinéeàêtre.
Ellesavaitaussiqu’ilespéraitencore.Voilàpourquoi,detempsentemps,ill’embrassait.
***
Lelendemainmatin,ensedirigeantversLubbock,ellen’avaitqu’uneidéeentête:surtout,nepasfairesouffrirTimcommeLucasl’avaitfaitsouffrir.
SonamourpourLucas,ellel’avaitrangédansuneboîteenattendantqu’ilsedécideàl’ouvrir.Timsetrouvaitdansuneautreboîteétiquetée«Justeunmeilleurami».Hiersoir,enréagissantaubaiserdeTim,elleavaitmélangélesboîtes…Commentrétablirl’ordre,maintenant?
Lorsquetoutceciseraitterminé,elleparleraitàTimetluiferaitsavoircombiensonamitiécomptaitpourelle.Sonamitié.Riendeplus,enaucuncas.
Asonarrivéeà l’hôpital, sonpèreétaitassissur le lit,prêtàs’habiller.Elle fitalorscequ’ellefaisaittoujoursavecsesémotions:ellelesmitdecôtépourypenseruneautrefois.
—C’estimpossible,shérifBrigman.
Sonpèresebornaàfusillerl’infirmièreduregard.Ilavaitunejambebandéeau-dessusdugenouetbloquéedansunplâtre au-dessous.Son épaule était tenuepar unpansement et sonbras calé dansuneécharpe.
—Vouscomptezlesenfilercomment,vosvêtements,aujuste?—Jenesortiraipasd’icienchemised’hôpital !grondasonpère,visiblement trèsénervé.Sion
n’avaitpasdécoupémonuniforme,jel’auraismisaujourd’hui!Voussavez,lejouroùjemesuisfaittirerdessus,jen’avaispaspenséàemporteravecmoiunetenuederechange,figurez-vous!
—Nouspouvonsposerunechemisedevantetuneautrederrière,lesautresneverrontrien.—Ilsverrontjusteunimbécilequiportedeuxchemisesd’hôpital!—Ehbien,soupiral’infirmièreenseredressant,vousallezdevoirrestericijusqu’àlacicatrisation
complète.—Jeneresteraipasiciunseuljourdeplus!Lesmédecinsontditquejepouvaispartir,doncje
m’envais!J’aitroisaffairesàrésoudre,moi.—Enchemised’hôpital,conclutl’infirmièred’untontranchant,commes’ilsétaientàOKCorral.
C’estçaouvousnepartezpas.—Horsdequestion!Aucundesdeuxnecédantunpoucede terrain,Lauren songeaque leduelpouvaitdurer jusqu’au
soir.Leseffetsdesantalgiquessedissipant,sonpèreavaitlaraged’unanimalprisaupiège.Quefaire?Découperunecouverture et la luimettre sur la tête ?L’idéene semblaitguèremeilleureque lesdeuxchemisesd’hôpital…
L’agentsolidementbâtiquiavaitveillétoutelasemainesursonpèreentraenfindanslachambre.Aprèsavoirtrébuchépendantdesjourssursapointure48,Laurenluiavaitgentimentsuggéréderetourneràsesoccupationshabituellesetdelaissersaplaceiciàuncollègueplusmince,oudumoinspluspetit.
L’agentWeathersluiavaitréponduaveclesourirequ’ils’étaitportévolontairepourcetravail.De son côté, elle avait fini par s’apercevoir que son père et elle pourraient s’abriter ensemble
derrièreluisiunhommearmésurgissaitdanslapièce,etquecelavalaitsansdoutelecoupdesupportersonencombranteprésence.
—Quelestleproblème?s’enquit-ilcommes’iln’avaitpaspulesentendredepuislecouloir.Sonpèrefutlepremieràrépondre.—Ilsveulentmesortird’icienchemised’hôpital,voilàleproblème!Jepréféreraisnepasvoirça
auxinfoscesoir…Etl’hôpitalnepeutpasmepromettrequelesphotographeslà-basdehorssetiendronttranquilles!
WeathersluidécochaunsouriredePèreNoël.—J’yaidéjàpensé,shérif.—Bien.Problèmeréglé.L’infirmièresemontramoinsconciliante.—Etquelseraitvotreplan,jevousprie,agentWeathers?Lepoliciersourit.—Jeluiaiapportéundemessurvêtements.Il tira d’un sac le plus grand sweat-shirt bleumarine queLauren ait jamais vu, avec le pantalon
assorti.— Ils sont assez grands pour être enfilés par-dessus le plâtre et les pansements. J’ai dû les
commandersurmesureenentrantàl’académiedepolice.Lauren aida son père à enfiler l’ensemble avec précaution par-dessus la chemise d’hôpital.
Lorsqu’il fut enfin installédans le fauteuil roulant, onne remarquaitmêmeplusqu’une autrepersonneauraitpuentreravecluidanslesurvêtement.
Etilputainsiquitterl’hôpitalenfauteuil,maisavecsadignitéintacte.
33
Thatcher9avril
Levendredi,uneheureaprèsledéjeuner,Thatcherdécidaqu’ilavaitsuiviassezdecourspourlasemaine.S’aidantdesonuniquebéquille,ilboitillajusqu’àlaportedederrièreducollègeetsedirigeaverslarésidencedesOmbresduSoir.
CapFullerétaitentraindebricolersavieillevoiture.—Salutàtoi,lehéros!Levieilhommesemblaitrétrécirentrechacunedesesvisites,songeaThatcher,maisilsemontrait
toujoursamicalaveclui.C’étaitCapFullerquil’avaitaidéàréparerlepick-upabandonnéparundesmarisdesamèrederrièreleurcabane,qu’ils’étaitensuiteappropriécommeunesorted’héritageaprèsdivorce.
—Bonjour,monsieurFuller.Jemedemandaissivousvoudriezbienm’emmenerquelquepart.Cedernierseredressa.—Ilparaîtquetuasungardeducorpspourtoitoutseul,tuneveuxpast’adresseràlui?Thatchersecoualatête.—Làoù jevais,ceserait risquépour lui.C’estauxFailles,que jedoismerendre,pasauLone
HeartRanchoùj’habitedepuisquelquetemps.Jenecroispasqueceseraittrèssûrpourunevoituredepatrouilledes’aventurerdansmonancienquartier.
—Jeconnaislecoin.J’yallaisquelquefois,réponditCapenrefermantlecapot.—Jesais.Lesgenssesouviennentencoredevotrevoiture. Ilsontpasoublié lafaçondontvous
avezaidévotreneveu,dutempsoùilvivaitlà-bas.CapFullerhochalatête,pensif.—Legaminn’avaitpasunmauvaisfond,ildéraillaitparfois,c’esttout.Jen’aipaspumerésoudre
àleslaissermourirdefaim,luietsafamille.ThatchersavaitqueleneveudeCapétaitmortdansunaccidentdevoiturel’annéeprécédenteetque
sesprochesavaientdéménagéàCrossroads.Sansdoutelesaidait-ilencore.Fullerouvritsaportière.—Jevaist’emmener,petit,maisfaissavoiràquelqu’unoùtutetrouves.Thatchersortitsonportable.—Pasdeproblème!Toutens’installantdanslavoiture,iltentadejoindreCharley,sanssuccès,cequinel’étonnapas
carill’avaitlaisséauranchentraindejouerdumarteausurdesplanches,envuedeconstruirelessix
stallessupplémentairesprévuespourl’écurie.Il composa alors le numéro du bureau du shérif et laissa unmessage à Tim cette fois, indiquant
l’endroitoùilserendait.Ilseraitsûrementderetouravantquel’unoul’autren’écoutesonrépondeur.Capseglissadansl’intensecirculationdeMainStreet—deuxvéhiculesentoutetpourtout.Deux
coupsdeklaxonretentirent.Capagitalamainenréponseetsemitàparlervoitures,auvifsoulagementdeThatcherquienavaitassezderaconterlafusillade.Toutlemondeenvillesemblaitavided’entendrelesdétails.C’étaitpresqueaussipéniblequesesprofesseursqui luidemandaient régulièrementdesesnouvellesaumomentdel’appel,àchaquecours.
Fuller le déposa juste avant le croisement de la 111, à l’endroit précis où M. Norton, commepromis,avaitlaissésonpick-up.
AprèsavoirremerciéCapetrécupérésonvéhicule,ilserenditchezsamère.Lacabaneétaitdansl’état où il l’avait laissée, à ceci près que l’électricité avait été coupée. Samère n’était toujours pasrevenue.Quisait,elleétaitpeut-êtrepartiedéfinitivement,cettefois.
Ilfitletourdespiècesetdécidaqu’iln’yavaitpasuneseulechosedevalableàemporter,hormissacarabine22longrifle.Ilenveloppal’armedansundessacsquiluiservaientd’habitudeàcapturerlesserpentsetlaissaunenotesurlaportedesachambredisantqueleshérifsavaitoùilsetrouvait.Puisilquittacetendroitoùilavaitpassétoutesaviesansunregardenarrière.
C’étaittrèsclairpourlui.SiCharleyetJubileelemettaientdehorsunjour,ilnereviendraitpasici.Ilmituncertaintempsàfaireredémarrersonpick-up,etconduireavecunejambeenvracn’était
pas simple,mais il y parvint néanmoins, et à l’heure où le car scolaire passait devant le LoneHeartRanch,ilsegaraprèsduportailprincipal.
Ilavaitcroisédeuxvoituresdepatrouillesurlaroute,etaucunedesdeuxnel’avaitarrêté.Charleysortitdel’écurieàlacharpenteflambantneuve,unfusilsouslebras.—Tuasrapportétonpick-up,dit-il.Tuauraisputegarerplusprès.—J’avaisenviedemarcherunpeu.Ilfallaitquejelerécupèreavantqu’onmelevole.Charleyparutdubitatif,maisnefitaucuncommentaire.—Enviedetravailler?—Etcomment!Thatcheravaitdécidéqueladouleurdanssajamben’étaitrien,comparéeauxaffresdel’ennui.—Sionfinissaitlepoulailler?suggéra-t-il.Undemesvoisinsm’adonnéunedizainedepoussins.—Etceuxquetuavaisavectoi,lejouroùtuastrouvéleshérif,qu’est-cequ’ilssontdevenus?Je
croyaisqueM.Nortondevaitlesapporterici.—Kristilesaadoptésdèsqu’ellelesavus.Ellem’ademandélapermissiondelesgarderetj’ai
pas pu lui dire non. La dame qui habite près de chezmamère élève des poules, il y a toujours despoussinschezelle.Laplupartdutempselleramassemêmepaslesœufs,c’estdiresielles’occupedespoussins.
Charleyluitenditunmarteau.—Ons’arrêtedèsquetutesensfatigué,d’accord?—D’accord.Thatchersourit.C’étaitbon,defairequelquechose.Ilavaitsommeillépendantsescoursdumatin,
laperspectivedetravaillerunpeuneledérangeaitpas.Troisheuresplustard,lepoulaillerqu’ilsavaientcommencéavantquelafusilladeinterrompeleurs
projetsétaitterminé.Ilavaitbeletbienl’allured’unchâteau,exactementcommeenrêvaitLillie.Jubileeétaitalléechercherlafilletteàl’écoleetl’avaitemmenéemangeruneglace.Elles revinrent juste avant la nuit avec le dîner sous le bras. Lillie poussa des cris de joie en
découvrant lepoulailler et sespetitshabitants, et insistapourquedeuxd’entreeuxviennentvisiter sachambre.
Devantsoneuphorie,Thatcheroubliainstantanémentsafatigue.—Tum’asmanquécettesemaine,petitefleur.J’ail’impressiond’avoirdormitoutletemps,mais
maintenantjesuisenvoiedeguérison.—Toiaussi,tum’asmanqué,That.Ellerefermalamainsurdeuxdesesdoigtsetluiordonnadevenirdîner,commesielleétaitencore
laprincessedocteur.Aubeaumilieudurepas,ThatcherdemandaquandJubileecomptaitretourners’installerchezelle.JubileelançaunbrefregardàCharley.—Pasavantquetusoiscomplètementrétabli,répondit-elle.—Cequidevrait prendreun certain temps,n’est-cepas,That ?ditCharley en legratifiantd’un
coupdepiedsouslatable.Thatcherhochalatêteens’efforçantd’afficherunemineexténuée.—Danscecas,jeresteraiuncertaintemps,promit-elle.C’était un peu absurde de rester tous groupés dans cette maison minuscule alors qu’une autre
beaucoup plus grande était disponible juste à côté, mais Thatcher avait déjà compris que le monderegorgeaitdechosestoutaussiincohérentes.
Parexemple,pourquoiplairait-ilàKristi,lui,ungarçondesipeudevaleur?EtpourquoilepèredeKristis’obstinait-ilàl’appeler«fils»?Acroirequecelaneledérangeraitpasdel’accueillirdanslafamille.EtJubileeetCharley,quicouchaientensembletouthabillés!Amoinsqu’ilsneserhabillentàlavitessedel’éclairquandillesappelaitlanuit?
SanscompterLillie,quipensaitquelespouletsdevaienthabiterunchâteau.Alors,pourquoinepaslogerdansunemaisonminuscule,aumoinsletempsquel’odeurdescouches
salesdisparaissedelagrande?Leplus fou,c’étaitquandmême la fouledepoliciersdans lecoinquin’arrivaient toujourspasà
trouverquiavaittirésurleshérifBrigman…IlavaitentenduCharleyetTimparlerdemenerleurproprepetiteenquête,etilétaitbiendécidéà
leurdonneruncoupdemain.Ilssemblaientd’avisquelesgensdupaysparleraientplusvolontiersauxgensdupays.Charleyavaitdéjàaccompagné leshérifplusieurs foisetTimétaitpresqueunenquêteurofficiel.
Lelendemainsoir,unefoislesautresendormis,ilsortitencatiminietmarchajusqu’àlaroutesanssabéquille,ignorantladouleurdanssajambe.Lecielvibraitd’éclairs,letonnerregrondaitcôtéouest.
Ilavait laissésonpick-upgaré justede l’autrecôtéde labarrièrecanadienne.S’ildescendaitenrouelibresurquelquescentainesdemètres,personnenel’entendraitdémarrerenbasdelapente.
Vingtminutesplustard,ilétaitauxFailles.Iléteignitsespharesetpoursuivitsarouteauclairdelune,ensefiantàsamémoire.Enarrivantauxarbres,illaissasonpick-upàcouvertetmarchaverslagrangeoùleshommesserassemblaientpourlesfameusesréunionsdeprièredusamedisoir.Cettefois,iln’essayapasd’entrerniderampersouslemuràl’arrièredubâtiment.Ilsepostadanslebosquetpourguetterl’arrivéedesfrèresDulapse.Dèsqu’illesaperçut,ilfitprestementdemi-touretrepritlevolantpourserendreàleurdomicile,aucœurdesFailles.
Larouteétaitsipleinedetrousetd’ornièresqu’ilcraignitpourlasantédesonmoteur,maisilsesentaitinvestid’unemission.IldevaittrouverunindicequiaideraitTimO’Gradyavantquecelui-cinedécidedesedéplacerenpersonneiciavecCharley.
Avec un peu de chance, il disposerait d’une demi-heure environ pour fouiller la maison desDulapse.Leshérifauraitqualifiécelad’effraction,maislaportebranlanten’ayantpasdeverrou,armédesa lampe-torche, il pénétra le plus naturellement dumonde dans une vieille cabane qu’il ne lui seraitjamaisvenuàl’idéedevisiterentempsnormal.
Unvraitrouàrats.Ouplutôtunetanièred’ours,sale,nauséabonde,plusinfectequelamaisondesamèredanssespiresmoments.Latablesurchargée,aucentredelapièce,semblaitêtrelecentred’activitédesfrères.
Ils’attaquaauxpiles,enessayantdenepassemertropdedésordreparmilespapiers.LesDulapseavaientunecarteducomté,annotéeaustylorougecommes’ilsprojetaientdeconquérirprogressivementleterritoire.Thatcherconnaissaitlaportionqu’ilss’étaientd’oresetdéjàappropriée—ilavaitchassélecerfdanslecoin.Ilavaitrepéréunpetitchampdecannabisàl’écartdesroutes.Lebruitcouraitquecechampappartenaitàunvieuxhippievenus’installer làavecsafemme,cinquanteansplus tôt.Celle-cil’avaitquittéauboutd’unan,maisletypeétaitrestéparcequesonmeilleuramivivaitàcôtéavecsonépouseetleurfille.
SilesfrèresDulapsetrafiquaientdeladrogue,c’étaitnécessairementavecl’accorddupropriétaireou de son ami.Amoins que…Amoins qu’ils n’aient tué le vieux pour s’emparer du terrain, songeasoudain Thatcher. Personne ne s’en apercevrait. Il leur suffirait de se débarrasser du cadavre. Del’enterreroudelelaisseràunendroitoùpersonneneferaitlelienaveclesFailles.
SurunesaillieduRansomCanyon,parexemple.Ilfitletourdelapièceens’éclairantavecsalampe.Dansuncoin,derrièrelatable,setrouvaitun
tasdesacsentoiledejute.Il s’assitpour reposersa jambeetentrepritd’examiner les lignesdechiffresgribouilléessurdes
boutsdepapierquiressemblaientauxprospectusgratuitsfourrésdanslessacsàl’épicerieoudanslesbazarsàprixunique.Undesfrèresdevaittenirlescomptesetnoterlesbénéficesaufuretàmesure.Suruneautrelisteétaitindiqué,luisembla-t-il,lematérielnécessaire.
PossiblequelesfrèresDulapseassistentencemomentmêmeàlaréunionpourtenterdeprendrelecontrôledutraficdanscettezone.Séparément,ilsn’avaientaucunechancefaceàBull,maisensembleilspouvaientenveniràbout.Unefoislecolossehorsjeu,ouenterré,personned’autreicinetiendraittêteauxdeux frères.Leshabitants impliquésdans le trafic exécuteraient leursordres à la lettre, les autresferaientcommes’ilsnevoyaientetn’entendaientrien.Commetoujours.
Lesroulementsdetonnerrelefirenttressaillir,çapétaradaitcommeunefusillade.Ilavaitentenduparlerdechosespasnettessepassantparici,maiscen’étaitqu’unerumeurtrèsdiscrète.Chacunsavaitque,aupremierproblèmesérieux,lapolicedébarqueraitenforceetc’enseraitfinideleurmodedevieenmargedelasociété.
Il devait réfléchir. Si les frèresDulapse avaient tenté de se débarrasser du shérif, c’était que cederniersavaitquelquechosesurlesFailles.Ils’étaitapprochéd’unpeutropprès.
Une imageclignotaitdans lacervelledeThatcher.Le tiroirdubureaudushérif ferméàclé…Leprospectusrécupérédanslecanyonjusteaprèsladécouverteducadavresetrouvaitsurcebureau.Etlecorpsétaitemballédansunsacdejutetrèssimilaireàceuxempilésdanscettecabane.Lestirssurlesmustangs semblaient n’avoir aucun rapport, mais ils s’étaient produits près du croisement vers lesFailles.Lesfrèrespensaientpeut-êtrefairefuirlesétrangersentuantquelqueschevaux?
Toutdemême,pourquoiavoirtenduunpiègeaushérifsurcetteroutesecondaire?Ilnefrappaitpasauxportesparlà-bas.Quelqu’unavaitfailliassassinerunpolicier,maispourquelleraison?
Toutescespiècesappartenaientàunmêmepuzzle.Elless’associaientsûrement.Etpourtant…Sic’étaitbienlesfrèresquiavaienttentédetuerBrigman,c’étaienteuxaussiquiluiavaienttiréune
balle dans la jambe à lui.Croyaient-ils qu’il travaillait avec le shérif, ou essayaient-ils seulement del’empêcherdelesauver?
Thatcheravaitaumoinsunecertitude:cetendroitn’étaitpasidéalpourluicesoir.Ilétaitdanslatanièredesoursetl’hibernationétaitterminée.Ettoutlemondesavaitquelesoursétaientdesanimauxtrèstrèsdangereux.
Son instinct lui criait de fuir, et vite. Il lui fallait pourtant une preuve, sinon personne ne lecroirait…DirequelesDulapseétaientdesméchantsnesuffiraitpas.Toutlemondeétaitdéjàaucourant.S’il ne trouvait pas quelque chose, Charley et Tim décideraient sûrement de venir enquêter, et ils seferaienttuer.
Desindices.Ildevaittrouverdesindices.Iln’avaitpasbeaucoupd’amis,ilnepouvaitpasperdreundeceux-là.
Lesfaitstournaientenboucledanssatête.Leschevaux.Lecadavre.Leshérifensanglantéaubordde la route. Peut-être ces trois éléments n’étaient-ils pas liés.Mais dans le cas contraire, des ennuisl’attendaients’ilnetrouvaitpasvitelelien.
Ilbalayaunedernière fois lapiècedu faisceaude sa lampe.Deuxcarabinesétaientposées justederrière laporte.Avecprécaution, iléjectauneballedechaque.L’agentWeatherssauraitdécouvrirsiellescorrespondaientaucalibreutilisécontreleshérif.
Il songea à prendre encore autre chose, mais pour peu que les frères s’en aperçoivent, ilscomprendraientqu’ilsavaienteudelavisiteetselanceraientàlapoursuitedel’intrus.Avecsajambeenfeu dès qu’il posait le pied par terre, il n’aurait pas le temps de regagner le ranch avant de se fairerattraper.
Aumomentoùilallaitpartir,ilentenditdespassurlesentierdegravillonsdevantlacabane.Lentement,ilreculaloindelaporteenéteignantsalampe.Iln’yavaitpasbeaucoupdecachettes,
dansunecabanecomposéed’uneuniquepièce…Ilrampasousletasdesacsenjutederrièrelatableetsortitsontéléphone.
LesfrèresDulapseapprochaient.Illesentendaitpester…Ilpressale5surlecadran.Asonvifsoulagement,Weathersdécrochaàlapremièresonnerie—à
croirequecethommen’avaitpasdevieendehorsdesontravaildepolicier!—Thatcher,qu’est-ceque…—Silence,chuchotaThatcher.Ecoutezseulement.Quoiqu’ilarrive,pasunmot!Jevousledirai,
quandjeseraiensécurité.Laportes’ouvritaumomentoùils’aplatissaitsouslessacs.
34
Charley10avril
Charleyroulalentementaubasdulit.Iln’arrivaitpasàdormir.Lafatiguemusculaire,peut-être,oubiensondésirpourJubileequidormaitsiprèsdelui,àportéedesamain…
Ouencore,comprit-ilsoudain,c’étaitcettesensationquequelquechosen’allaitpas.Unesensationpuissante,tenacecommeunbrouillardépais.
Il s’approcha de la fenêtre et observa la campagne endormie. Savoir qu’il aimait Jubilee luiapportaitplusd’inquiétudequedeconfort.Après tout, iln’étaitpasdouépour l’amour.Et s’ilgâchaittout?Laseulechosequ’ilsavaitfaire,c’étaitgérerunranch.Peut-êtredevrait-ils’entenirlà.
Seulement,commentsurvivresansJubilee?Elleétaitdevenueunepartiedelui-même.Le silence du salon l’attira davantage que tous les bruits dumonde. L’esprit accaparé par cette
questionangoissante—commentaimerJubilee?—,iltraversalamaison.Ilneluifallutqu’uninstantpourcomprendrecequin’allaitpas.Thatchern’étaitpasdanssonlit.Ilvérifialasalledebains,lacuisine,lagalerie.Personne,lànonplus.Enallumant la lampeprèsducanapé, il remarquaque lesbottesdeThatcher avaientdisparu.Sa
béquille,enrevanche,étaitencoreposéedanslecoin.Ilenfouitlesdoigtsdanssatignasse.Laveille,ilavaitbienvuqueThatcherlesécoutaitdiscuter,
TimO’Gradyetlui,delameilleuremanièredefaireavancerl’enquête.Timavaitparléderetournerjeterun coup d’œil aux Failles. Charley lui avait dit que ce serait trop dangereux,mais Tim avait insisté,disantqu’ilfallaitfairequelquechose.
Une fois seul, Charley avait aidé Thatcher à monter dans le pick-up. Le gamin avait marmonnéquelquechoseàproposdesFailles,quin’étaitpasunendroitrecommandable,nipourTimnipourlui.
SiThatchern’étaitplusici,ilétaitforcémentpartiaccomplirletravailàleurplace.IlétaitalléauxFaillesdenuit,avecunejambeenconvalescence,encoreincapabledesupporterson
poids.Charleyretournadanslachambrerécupérersonchapeau,sesbottesetuneveste.— Qu’est-ce qui se passe ? chuchota Jubilee d’une petite voix ensommeillée qui le fit sourire
malgrélui.—Thatcherestparti.SûrementauxFailles.Jevaislechercher.Elleseredressa.—Ilpeuts’ensortirtoutseul.
Charleyposaungenousurlacouvertureetsepenchapourl’embrasser.—Jereviendraivite.Peux-turestericietveillersurLillie?—Biensûr,répondit-elleenserenversantsurl’oreiller.Maissivousn’êtespasderetourtousles
deuxpourlepetitdéjeuner,jeparsàvotrerecherche.Il lui lança un dernier regard depuis le seuil, songeant qu’il était bien possible qu’il aime cette
femme-làunpeupluschaquejourdesavie.Commentd’autrespouvaient-ilsnepasvoirqueJubileeavaituncœurgrandcommeleTexas?
Unmoment plus tard, il courait vers son pick-up tout en appelant Tim. Ce dernier s’était renduplusieursfoisauxFaillesavecThatcherenquêted’indicessurl’hommeausacdejute.Peut-êtreaurait-iluneidéedel’endroitprécisoùchercherenpremier.Attendrelejoureûtétésansdoutepluslogique,maisCharleyavaitbesoindesavoirtoutdesuitequeThatchern’étaitpasendanger.
Lefuturécrivainsemblaittrèsréveillémalgrél’heuretardive.—Tim,rejoins-moiaucroisementdesFailles.Thatcheradisparu.Jepensequ’ilestalléfairece
dontnousparlionshier.Ilapeut-êtrebesoind’aide.Pourunefois,Tims’abstintd’argumenter.—J’arrive,dit-ilsimplement.
35
Thatcher10avril
Thatcherrespiraitavecdifficultésouslescouchesdejute,àmoitiéétoufféparlapoussièreet lesrelentsdepourriture.Lesfrèresétaientdanslamaison,jurant,soufflantetéructantcommedesvachesquiauraientabusédepissenlits.
Tousdeuxavaientaussil’aircomplètementivres.Ilssevantaientd’avoirmontrécesoiràcevieuxBullquiétaientlespatronsici.Encoreheureux,commental’un,aumoinsilsneseraientpasobligésdefourrerlecolossedansunsac.L’autreajoutaque,detoutefaçon,ilnerentreraitpasdedans.
Ilss’assirentàla table,et lepremierfitremarquerqu’ilsauraientdûassommerleshérifquandilétaitvenufouinerpartout,etledescendre.Maintenant,commeiln’étaitpasmort,ilsallaientdevoirfinirleboulot.
Thatcheressayaitdetenirletéléphonesansbouger,maiscen’étaitpasfacile.Iln’avaitjamaiseuaussipeurdesavie.Ilétaitàunmètrededeuxtueurs.Ouplutôt,detueursivres.Ilssepassaientunpichetdewhiskyfaitmaisontoutenseremémorantlafaçondontilsavaientdéboulédanslaréuniondeprièredusamedisoiretprislepouvoirsurlafoule.
Weathers,lui,restaitmuet.Ilavaitdûcomprendreques’ilémettaitlemoindrebruit,Thatcherseraitla prochaine victime. Que pouvait-il entendre exactement ? Impossible de le savoir. Au moins lesvociférationsetlesjurons.
Une heure s’écoula ainsi. Un des frères s’était endormi, l’autre semblait déterminé à liquider lepichet.
Thatcherattendait. Il avait raccroché lorsqu’ils s’étaient arrêtésdeparler,mais ilnepouvaitpasbougeravantd’avoiruneouverture.Ilcommençaitàsentirdescrampesdanssajambeblessée,maisiln’osaitpasbouger.
Enfin, le seul frère encore réveillé sortit par la porte de derrière en titubant, la main sur sabraguette.
En entendant le battant se refermer, Thatcher songea à détaler par l’autre porte.Mais si le bruitréveillaitl’autreDulapse,quironflaitàdeuxpasdelui?
Sa jambe l’élançait douloureusement,mais la voix de la raison se noyait sous ses battements decœur.C’étaitpeut-êtresaseulechance.Couriroumourir.Lapenséequesoncorpsseraitfourrédansundessacsquilecouvraientencemomentn’étaitpasfaitepourleréconforter.
Alorsqu’ilrassemblaitsoncourage,laportedederrièreserouvritetlefrèretanguaverslatable.
L’occasionétaitpassée.Levoilàobligé,maintenant,derestercachélàjusqu’audépartdesDulapse,demainmatin.S’ilspartaientdemainmatin…
Unsifflementsefitentendreau-dehors,suividebruitsdepassurlegravier,devantlacabane.LeDulapseréveillétapasifortsurl’épauledesonfrèrequecelui-cifaillittomberdesachaise.—Réveille-toi!Univrognesepromènedevantcheznous.—Ilvaregretterdenousavoirdérangésenpleinenuit,marmonnal’autreentredeuxjurons,touten
sedirigeantverslaporte.Lesdeuxfrèressemirentàrire,toutexcitésàl’idéequ’unevictimeseprésentechezeux.—Hé,lesDulapse!criaunevoixmasculineau-dehors.Z’avezdel’alcoolàvendre?Thatcherravalaunjuron.L’ivrognen’étaitautrequeTimO’Grady.Les frères titubèrent tant bien quemal jusqu’à la porte. Sans doute conscients qu’ils étaient trop
soûlspoursebattre,ilsinjuriaientTimàtourderôleenl’invitantàdéguerpirdelà,etvite.C’étaittoujoursmieuxquedetirersurlui,songeaThatcheravecsoulagement.D’autantqueTimétait
maintenantentraindeleurdemanderoùilpourraittrouverunpeud’herbeenpleinenuit.LesDulapsesortirentencriantqu’ilsletueraients’ilremettaitlespiedssurleursterres.Thatchersaisitsachanceauvol.Ils’extirpadelamontagnedesacsetboitillajusqu’àlaportede
derrière.Sajambemaladenesemblaitabsolumentplusenétatdemarche.Unemainsurlemur,ilsautillasursajambevalide,traînantl’autrecommeunbouletderrièrelui.
Lapeurl’emportaitsurladouleurdanssacervelle.Sur le seuil, ilvituneombre s’avancervers lui.Avantqu’iln’ait eu le tempsdepousseruncri,
Charleychuchota:—Jetetiens,That.CharleyenroulalebrasautourdesescôtesetThatcherdécidaillicodeseconvertirs’ilsurvivaità
cettesoirée,carencetteseconde,lerancheravaittoutd’unangegardien.Le traînant et le portant àmoitié,Charley semit à courir vers sa voiture garée juste derrière la
lisièredesarbres.—Etmonpick-up?—Oniralechercherplustard,ditCharley.Pourlemomentontesortdelà.Sajambelelâchait.Ellen’arrivaitplusàsuivre.Ils’apprêtaitàdireàCharleydecontinuersanslui
lorsqu’il sentit lebrasdeTimglisser soussonautreépaule.Ensemble, lesdeuxhommesaccélérèrent,Thatchersuspenduentreeux,oscillantcommeunepoupéedechiffon.
Ilsatteignirentlarouteavantmêmequ’iln’aiteuletempsderespireràfond.Uneminuteplustard,desgyropharestrouaientlanuit.Unefileentièredevoituresdepolicedécorait
larouteentrelesFaillesetla111commeuneguirlandedeNoël.—Weathersetsescopains.Ilaappelédesrenfortspendantqu’ilenregistraittoutcequecaptaitton
téléphone.Ilsvontintervenir,maintenantquenousavonsdégagéleterrain.Tuasrésolulemystère,petit!conclutCharleyenriant.
—Etmoi, alors ? J’ai étégrandiose là-bas tout à l’heure ! ajoutaTim, comme ils croisaient lesvoituresdepatrouille.
Unefoissurla111,Thatcherpressalatouche5sursonportable.—Thatcher!Weathersavaitréponduavantlamoitiédelapremièresonnerie.—Jesuisdehors.Charleyditquevousaveztoutentendu?—J’aitoutentendu.Weatherssemblaitseremettreàpeined’unecrisecardiaque,etiln’étaitmêmepasdanslacabane
toutàl’heure,lui…
—File toutdesuiteaubureaudushérif,petit.Desrenfortsarriventde tous lescomtés.LeshérifBrigmanaditqu’ilprendraittadépositionenpersonne.
—Compris.Quelqueskilomètresplus loin,unevoiturede lapolice routière fitdemi-toursur leschapeauxde
rouesetserangeaderrièrelepick-up,gyropharesallumés.Thatchersedétenditenfin.Le temps d’arriver en ville, une autre voiture de patrouille les avait rejoints. Charley et Tim
joignirentleurseffortspourl’aideràdescendre.—Tuasétégrand,That,déclaraCharley.Maisquandnousseronsrentrésà lamaison,Jubileeet
moiauronsdeuxmotsàtediresurcettefaçondenousfaussercompagnieenpleinenuit.Tunousasfaitunepeurbleue!
Thatchersourit.—Personneavaitjamaisfaitattentionàmoiàcepoint-là…—Jesais.Situnouslaissaisjusteunpetitmot,laprochainefois?Cen’estpaspourtemettreen
cage,That,onaimeraitjustegarderlecontact.—Pasd’objection.Il se moquait d’avoir mal à sa jambe, et même d’avoir failli mourir ce soir. C’était tellement
chouette,desavoirquequelqu’unsefaisaitdusoucipourlui…Enentrantdanslebureaudushérif,TimlançaunregardàCharley.—Voussavez,Collins,vousêtestropjeunepourêtrelepèredeThatcher.—Jesais,réponditCharleyenriant.MaisentreJubileeetlui,jeprendsdel’âgeàtoutevitesse!Je
seraidevenuunvieillardd’icilafindel’année.Brigman leva les yeux de son bureau. Il était très pâle, mais de retour à sa place naturelle, et
Thatchersemoquaitbiendessermonsauxquelsilauraitdroit.Enunedemi-heure,lebureauseremplitdepoliciers.Tousavaiententendulaconversationentreles
frèresDulapse.Ilsétaientintervenusetlesavaientarrêtésdèsqu’ilsavaientapprisqueThatcherétaitensécurité.Letout,sansqu’unseulcoupdefeusoittiré.
Thatchersedétenditcontreledossierdesachaise,essayantd’assimilertouscesélémentsnouveaux.BrigmanavaitrassemblédespreuvescontrelesDulapse,maispassuffisammentpourlesplacerengardeàvue.Quelqu’unluiavaitmêmeenvoyéplusieursnotesluiconseillantdeseteniràdistancedesFailless’il tenaitàlavie.Aprèslafouilleenrègledeleurcabane,aucundoute, leshérifdétiendraitquelqueséchantillonsd’écrituremanuscriteàcomparer.
Parailleurs,lapoliceroutièrequisurveillaitlesalléesetvenuesentrelavilleetlesFaillesavaitvuCap Fuller accompagner Thatcher jusqu’à son pick-up. Les agents en faction à la frontière du comtél’avaientvuaussiserendreseulauxFaillesdenuitetguettaientsonretour.Thatcherl’ignorait,maisilsveillaientsursasécurité,telsdesangesgardienspostésdansl’ombre.
Les informations se succédaient, si nombreuses qu’il n’arrivait plus à suivre. Le puzzle prenaitforme.LesfrèresDulapseavaientassassinél’hommetatouépours’appropriersonterrain.IlsavaienttirésurleshérifBrigmanparcequ’ildevenaitdangereux.Etlui,ilavaitreçuuneballeparcequ’ilsetrouvaitaumauvaisendroitaumauvaismoment.
Charleyluitenditunecannettedesodaets’assitàcôtédelui.—Vousétiezaucourantdesprogrèsdel’enquête,Charley?demandaThatcher.—Enpartie.C’estpourcelaquej’ai installédesfusilsau-dessusdechaqueporte.Et tentéde te
garderàl’œil,pourteprotéger.—Etmoiquicroyaisquec’étaituneidéededécorationunpeubizarre…Sa propre plaisanterie le fit rire. Il baissa les yeux et remarqua que la jambe de son jean était
mouillée.Entirantsurledenim,ils’aperçutquelebandagesursaplaieétaitplusrougequeblanc.—Oh!Bonsang,marmonna-t-il.Jecouledenouveau.
Sansunmot,CharleyselevaetcroisaleregarddeWeathers.—Onretourneàl’hôpital.Weatherssedétachadugroupedesescollègueset soulevaThatcherdanssesbrascommes’ilne
pesaitpaspluslourdqu’unbébé.—C’est à nous de jouermaintenant, lui dit-il en se dirigeant vers le pick-up de Charley.Mais
Brigmantenaitàcequetusachesunechose:cequetuasfaitétaitstupideetdangereux.Etdécisifpourl’enquête!
Peuaprès,enl’installantdanslepick-up,ilajouta:—Undesnôtresvavousouvrirlaroute.Tut’apprêtesàfaireletrajetpourLubbockleplusrapide
detavie,petit.—Tupourraismerendreunservice,Cinq?demandaThatcher.Nedisrienauxautres,s’ilteplaît.
Jenesaispascombiend’embrassadesj’arriveraisàsupporter.Jesuisblessé,tusais.—Sic’estcequetuveux.Charleydémarrapiedauplancher.Thatcherfrémità l’idéede l’infirmièredodues’asseyantsur luipour lepunirden’avoirpaspris
soindesajambe.Levampireréclameraitencoredusangetlafilleàl’œildedémonl’attendraitcachéequelquepart,justepourluifairepeur…
A son profond soulagement, il tomba sur un interne qui nettoya le sang, examina la plaie, ajoutaquelques points de suture et remballa le tout. Il donna aussi à Charley une boîte supplémentaired’antalgiquesetuneautred’antibiotiques.
—Maintenant,laissezcettejambeaureposcompletunmoment,ordonna-t-il.—D’accord,j’essaierai.Maisj’aidûcourirpoursauvermapeau,voussavez…—C’estça,réponditl’interne,l’airdes’ennuyerferme.Ilcroyaitvisiblementàuneplaisanterie.CharleyetThatcherrirentcommedesbossussurtoutletrajetduretour.
36
Lauren10avril
Laurenrenonçaàforcersonpèreàrestercouchéaprèsl’appeldeWeathers.Ellel’aidaàenfilerundessurvêtementsqu’elleluiavaitachetés,beaucouptropgrandpourluimaistoutdemêmeplusseyantqueceluideWeathers.
Elleconduisitlentementmalgrélesprotestationsdesonpèrequivoulaitagirtoutdesuite.S’ilenavait été capable, il aurait raflé son déambulateur au passage pour participer à l’arrestation descoupables.
Aleurarrivée,lesmodestesbureauxducomtédeCrossroadsressemblaientplutôtaucommissariatd’unegrandeville.MêmelebureaudePearlyavaitétéréquisitionné,avecquelquesautresprélevésdanslesautrespièces.
Sonpèreconsentitàselaisserpousserdanssonfauteuilroulant.Unefoiscaléderrièresonbureau,ilredevintunshérifdanssonélément.
Elle se cogna contreWeathers, qui semblait s’amuser comme un fou. Sa première grosse affaire—non,sesdeuxpremières—,etilétaitaucœurdelabataille!
—Désolé,dit-ilens’écartantprécipitamment,heurtantquelqu’und’autredanslemouvement.—Pasdesouci,agentWeathers.Assurez-vousquemonpèren’enfassepastrop.—Jeveilleraisurlui.Weatherslasaluacommesielleétaitungénéral.—C’estlachoselaplusexcitantequimesoitarrivéedansmacarrière!s’exclama-t-il.Etmême
avant!J’avaislasensationd’êtresurplaceentraind’écouterlestueurspasserauxaveux.J’étaisaveclegamin,àcôtédelui,jem’inquiétaispourlui.Jen’encroyaispasmesoreilles!
Laurenreculad’unpas,s’attendantpresqueàlevoirexplosersousl’effetdel’excitation.—Uneidéedel’endroitoùestTimO’Grady?demanda-t-elle.— Dans la salle d’audience. Apparemment, plusieurs informations qu’il avait recueillies sur
l’hommeausacdejuteserévèlenttrèsintéressantes.Etvoussavezquoi?Levieuxhippietatouéétaitlepropriétaireofficieldeceterrain,là-basdanslesFailles.Commeiln’avaitpasdefamille,ill’aléguéàlamèredeThatcher.C’estfort,non?Ilétaitamiavecsesparents,ondirait.
Laurenlançaunregardd’avertissementàsonpèreetsedirigeaverslasalled’audienceàl’étage.Tim était bien là, en train de tourner autour d’une longue table couverte de notes et d’assembler
toutescespiècesdanssonesprit.Enlavoyant,ilsefigea,puissourit.
—Bonjour…Oupresque,dit-ilensepenchantpourl’embrassersurlajoue.Tuvasbien?Ellehochalatête.—Jem’inquiètepourpapa.—Jeletiendraiàl’œiltantqu’ilseraici.Jefaispartiedel’équipe.Weathersnousaditquenous
travaillerionstoutleweek-endpourdémêlertouscesnœuds.LesfrèresDulapseétaientenpleinefoliemeurtrière.Aumomentdeleurarrestation,l’undesdeuxpleuraitcommeunbébé,paraît-il.LesgensdesFaillesnous contactent spontanémentpourdonnerdes informations et seplaindred’eux.Pasmoinsdedeuxpolicierssontaffectésaustandardtéléphoniquepourenregistrerleursdoléances!
Timdébitaitsesmotsàtoutevitessed’unevoixaiguësousl’effetdel’excitation.—JecroyaisquepersonneneparlaitàlapolicedanslesFailles,fit-elleremarquer.Timsemitàrire.—Ehbien,ilsontchangéd’avisenapprenantquelesfrèresavaienttirésurThatcher.Ilestnéetila
grandilà-bas,c’estundesleurs.Unefemmeamêmeappelépournousconseillerdelâcherlesfrèresautournantdela111.Elleaditqu’ilssechargeraientdeleursort.
—Jesuissiheureusequecesoitfini!EllesecoulacontreTimpourprofiterd’undesesmerveilleuxcâlins.—Moiaussi,chuchota-t-ilenlaserrantfortcontrelui.J’aimeraismeremettreàécrire.D’unseul
coup,deshistoiresdansentdansmatête…—C’estdrôle, j’aiunpeulamêmesensation.Al’hôpital, j’aicommencéàcouchersurlepapier
mespensées,messentiments.Crois-tuquelafemmequivitprèsducanyonavaitraison?Jepourraisbiendevenirécrivain…
Timsecoualatête.—Cen’est pas si simple,L. J’ai creusé la question pendant desmois.Certains jours, rédiger à
peinequelquespagestientdelatorture.— Bien sûr. C’est trop difficile, sûrement. Je ferais mieux de me contenter du privilège d’être
l’amied’unécrivain!Ilacquiesça,sanssedouterqu’elleétaitdéjàentraindesecreuserlatêtepoursetrouverunnomde
plume.
37
Jubilee15mai
Jubilee rêvassait sur lagaleriede sagrande et vieillemaison.Quelquefois, ellepouvait presquesentir ici la présence deLevy.Elle pouvait presque le voir assis dans la cuisine, sirotant son café lematin,oudeboutderrière labalustrade,embrassantdu regardses terrescommesic’était le tableau leplusprécieuxdumonde.
Depuisunmoismaintenant,elleremodelaitcettemaisonavectrèspeudemoyens.Elleavaitrepeintquelquespiècesetmêmeunepartiedumobilier.Ajoutéicietlàdestouchesdecouleursvivesetenlevéplusd’unrideauabritantdesfenêtresquiétaientrestéesferméespendantdeslustres.
Elleétaiticichezelledésormais.Cettemaisonétaitlasienneetelleneprojetaitpasuneseconded’enpartir.
Alorspourquoiest-cequ’elledormaitchezCharley?En troismois, le ranch avait complètement changéd’allure.C’était presquedifficile à croire.Le
bétail flânait en liberté dans la prairie et le blé poussait à hauteur de genoudans les champs naguèrestériles.Mêmelejardinétaitenpleinerenaissance.Souspeu,ilscueilleraientleurdînertoutfraischaquesoir!
Alorspourquoiest-cequ’elledormaitchezCharley?sedemanda-t-elleunefoisdeplus.Lessentimentsqueluiinspiraitcethommelasuffoquaientpresque.Alorsqu’ellen’enavaitjamais
laisséaucunprendrelamoindreimportanceàsesyeuxjusque-là,voilàqu’elleétait tombéesur leseulauquelelleétaitincapablederésister.Charleycomptaitpourelle.Ilcomptaitmêmebeaucoup.
Elle le vit s’arrêter devant l’écurie avec un des cow-boys qu’il avait recrutés. Il avait changé,depuissesdébutscommecontremaître.Ilavaitparfaitementendossélerôlequ’ilétaitnépourjouer.Ilsavaitcequ’ilfaisait.Ilchoyaitcesterrescommesic’étaientlessiennes,etiladoraitça.
Ill’aperçut,agitalamainetsedirigeaverselle.Elleleregardaapprocher,incapablededétournerlesyeux.Plusjeune,quandellejouaitàimaginer
l’hommedesavie,ellenelevoyaitpasunesecondeenjeanetbottes.Etpourtantilétaitlà,cecow-boy,entraindemarcherdroitverselle.
Unefois,ellel’avaitentendudirequ’ill’aimait,maisellen’avaitpasréponduetiln’avaitjamaisrépété ces mots. Çà et là, durant quelques minutes volées au temps, ils s’échangeaient un baiserpassionné,oubienillaserraitdanssesbrascommes’ilnecomptaitpluslalâcher,maisl’essentieldeleurs journées était pris par la vie du ranch. Thatcher était devenu unmembre de la famille et LillieoccupaitdésormaisuneplacedechoixdanslecœurdeJubilee.
—Quedirais-tud’unebaladeàchevalcesoir?lançaCharley.Lilliedortchezsesgrands-parentsetThatcheraaccepté,nonsansréticence,d’emmenerdanserKristi…Iljurequ’ilnesaitpasdanser,maisquelque chose me dit que Kristi se chargera de l’initier dans la mesure du possible, avec sa jambeconvalescente.
Il larejoignitsurlagalerieet lapritaussitôtdanssesbrascommes’ilnepouvaits’enempêcher,mêmeunbrefmoment.
—Nouspourrionspousserjusqu’audéfilé,siçatedit.Avecunpeudechance,sil’oragen’éclatepasavantminuit,nousverronslapleinelune.
EllesouritausouvenirdelalégendeévoquéeparLauren.«Celuiquiaperçoitlapleineluneentrelesparoisdecedéfiléverrasonvœulepluscherseréaliser.»
—Volontiers,répondit-elle.—Bien!Jevaistravaillertard,maisj’essaieraiderentreretdesellerleschevauxpour21heures.Jubileenepensaqu’àcettebaladetoutelajournée.Commetoujours,elleavaitdresséunelistede
toutcequ’elleavaitàfaire.Labanque.L’épicerie.Levétérinaire.Lorsqu’elle trouvaenfinunpetitmomentpourfairesescomptes,uneanomalie luisautaauxyeux.
Uneanomaliedetaille!Lesoldeavoisinaitledoubledumontantprévu.Elleremontal’historiquejusqu’aujouroùelleavaitdécidédetransférertoutesseséconomiessurle
compteduranch.Ellegriffonnaitchaquesemaineundécompteprovisoiresursoncarnetdechèques,maisn’avait pas encore eu l’occasion de dresser un bilan comptable pour s’assurer que ses chiffrescorrespondaientàceuxdelabanque.
Orcen’étaitpaslecas.Labanqueavaitdûcommettreuneerreurensafaveur.Peut-êtresondépôtavait-ilétéenregistrédeuxfois?
Réfugiéedanssonpetitespacebureau,àgauchedelacuisine,ellecontactasanstarderl’agence…et raccrochapeuaprèsdansunétat second.Ahurie, sidérée.Leguichetiervenaitde l’informer leplusnaturellementdumondequeCharleyavait transférésonépargnesur lecompteduranch.Celaposait-ilproblème?Ilavaitlasignature,n’est-cepas?
—Oui…Aucunproblème,avait-ellebafouilléautéléphone.Merci.Deslarmesluivinrentauxyeux.Illuiavaitditqu’iléconomisaitdepuislongtempspours’acheterun
terrain.Ilavaitmêmepréciséunefoisquetoussespourboiresaubarallaientdansunbocalqu’ilportaitensuiteàlabanque.Toutcequ’ilvoulait,toutcedontilrêvaitdepuistoujours,c’étaituneterre.
Il avait sûrement fait ce geste pour la même raison qu’elle : donner une chance à ce ranch deprospérer.Maispaspourlui,pourelle…
L’après-midi touchait à sa fin et elle savait déjà que, pleine lune ou pas, elle embrasserait denouveauCharleydansledéfilé.Elleavaitunechosetrèsimportanteàluidire…
Peuaprès21heures,Charleyémergeadel’écurieavecdeuxchevauxsellés.Jubileesourit.Lespreuxchevaliersportaientquelquefoisdesbottesdecow-boy.—Toujourspartantepourunepromenadejusqu’audéfilé?demanda-t-illorsqu’ellelerejoignit.Ilsemblaitfatigué,maisheureux.Ilsn’auraientpeut-êtrejamaisquequelquesheuresicietlàentête
àtête,quelquestranchesdetemps,maisceseraitsuffisant.Comme elle s’avançait vers son cheval, il l’accompagna pour l’aider à grimper en selle, lui
caressantlesfessesaupassage.Ellebaissalesyeuxverslui.—Est-cequetuasfaitexprès?—Etcomment!répondit-ilenluifaisantunclind’œil.Ilstraversèrentensilencelesvastesprairiesplongéesdansl’ombreendirectiondudéfilé.C’était
étrange, ilsdiscutaient toute la journéedes travauxàréaliserauranchenayant lasensationden’avoirjamaisletempsdeparlerd’autrechose,etcesoir,alorsqu’ilsétaientenfinseuls,ilsn’éprouvaientpluslebesoindeprononceruneparole.
Charleyl’aidaàmettrepiedàterredevantl’entréedudéfiléetlapritparlamainpourlaguideràl’intérieur,ensuivantl’étroitfaisceaudelalampe-torche.L’airétaitplusfraissouslavoûterocheuse,lesilenceabsolu.Commelesautresfois,lamagieparticulièredulieulesenveloppa.
Ami-parcours,Charleys’arrêta.—Situpouvaisfairecequetuveux,oudirecequiteplaîtdanscesilence,queferais-tu?Elleposalesmainssursachemiseetleslaissaglisserverssoncou,savourantsachaleuràtravers
lecoton.—Jet’embrasserais.Ils’inclinaetellel’embrassaaveclamêmedouceurquelapremièrefois.Illuirenditsonbaisersansposerlesmainssurelle,avantdechuchoter:—Jen’aiétéembrasséqu’uneseulefoiscommeçaparlepassé,etc’étaitleplusbeaubaiserdema
vie,ilmesemblebien.—Tun’espassûr?—Jenesaispas…Essaieencore,pourvoir…Elles’exécuta,adorantlamanièredontilacceptaitsonbaiser,noncommelepréludeàautrechose,
maiscommeuncadeauensoi.Trèslentement,commes’ilsavaientl’éternitédevanteux,ill’adossaendouceuràlarochefroideet
chuchota:—Lèvelesyeux.Lalunepointaitàpeineausommetd’uneparoi…Serrésl’uncontrel’autre,ilsobservèrentsalenteprogressiondanslabrèche.Lorsqu’elleapparut
toutentière,rondeetpleine,Jubileedemanda:—Quelseraittonvœulepluscher?Levœudetavie?Illuisouritdansleclairdelune.— Je souhaite que nous soyons ensemble, vraiment ensemble, pour toujours, parce que je n’ai
jamaisaiméuneautrefemmecommejet’aimetoi,Jubilee.Audiablelalune…Ellel’embrassaenfincommeellemouraitd’enviedel’embrasserchaquesoir
depuisqu’ilsdormaientensemble.Lorsqu’ellesedétachadeluiàregret,ill’entraînaversl’extrémitédudéfilé.—Viens!Jeveuxtemontrerquelquechose.—Maisilesttard…—Nousavonsletemps.Ilémergealepremierdel’autrecôté,àl’airlibre.Danslanuitnoire,lesrestesd’unfeudecamp
rougeoyaient contre un flanc du canyon.La lueur des flammes faisait danser les couleurs de la roche,réchauffantlemondedetouteslesteintesdelaterre.
—C’estbeau,murmura-t-elle,presqueapeuréeàl’idéededérangerlamerveille.Charleylaregarda.—Toiaussi, tuesbelle. Jevoulais tevoirainsi,danscette lumière,cesoir. Jevoulais teserrer
dansmesbrasicimêmeetsentirbattretoncœurcontrelemien.Là-dessus, il fondit sur ses lèvres et l’embrassa longuement cette fois, profondément, avec une
passiondontellen’auraitjamaissoupçonnél’intensitéravageuse.Lorsqu’ilseséparaenfind’ellepourrecouvrersonsouffle,illuipritlamainetglissaunebagueà
sondoigt.—Epousez-moi,joliedemoiselle.—AencroireThatcher,répliqua-t-elleavecunpetitrire,noussommesdéjàmariés…—Alors, je t’épouseraidenouveau. Jeveuxme lier à toipourque tunepuisses jamais fuir cet
amour. Je veux me réveiller à tes côtés chaque matin et m’endormir avec toi chaque soir. Je veux
construireunevieavectoi.Ellenepouvaitplus s’arrêterde l’embrasser.Cethommedouxetmerveilleux,c’étaitunedrogue
dontelleétaitdevenuedépendante…Ils rebroussèrent chemin dans le défilé en s’arrêtant tous les trois mètres pour s’étreindre dans
l’obscurité.Horsd’haleineetaussifiévreuxl’unquel’autreaumomentderemonterenselle,ilsfilèrentcomme le vent vers le ranch. Leurs vêtements volèrent avant même qu’ils arrivent chez Charley. Ilss’effondrèrentsurlelit,surexcitésethilares.
Jubilee avait l’impression d’avoir eu faim toute sa vie et d’avoir trouvé enCharley le seul êtrecapable de satisfaire sa fringale. Voilà qu’il couvrait son corps de caresses électrisantes, de baisersardents,d’unamourqu’ellen’auraitjamaisimaginérecevoirunjour.
Ilsavaientsilongtempsrepoussécemoment…L’attenteétaitdevenueinsupportable.Toutcela,pourdécouvrirquelaréalitésurpassaitlesrêvesquienflammaientleursnuits.
C’étaittellementplusbeauqu’unrêve…C’étaitunvœusecretquiseréalisait,unechaleurirradiantleurcœurglacéjusqu’àlefairefondre.Lorsqu’ilss’assagirentenfin,vidésdeleursforcesmaisgorgésdebien-être,Charleyl’attiracontre
lui,dégageadescheveuxdesonvisageetluidemandasiellesesentaitbien.—Oh!Oui,répondit-elle.—Danscecas…sionrecommençait?Thatchernerentrerapasavantminuit.Nousneseronssans
doute jamais longtempsseuls tous lesdeux,mais si cespetitsmoments ressemblentàcelui-ci, ce serasuffisant.
—D’accord.On recommence.Mais aprèsminuit, on ferme la porte de la chambre, ajouta-t-elleavec un petit rire. Si Thatcher a besoin de nous aumilieu de la nuit, il va devoir crier pour se faireentendre.
—Toi,tuasuneidéederrièrelatête…Ellesebornaàluisourire.Ilavaitdéjàravivélesbraisessoussapeauetledésirégaraitdéjàsa
raison.La deuxième fois fut placée sous le signe de la douceur et de la tendresse. Il prit le temps
d’apprendresoncorps,elleenfitautant,ilss’embrassèrentencoreetencorejusqu’àcequ’ellecriegrâceetlesuppliedepasserauxchosessérieuses.
Latroisièmeenrevanche…Unetempêtebrûlante.Unsoufflefurieuxquibalayatoutetlesemportatouslesdeuxversdesfirmamentsinexplorés.
Illatintbienserréedanssesbrastandisqu’ellerevenaitdoucementsurterre.—Jenemelasseraijamaisdet’aimer,Jubilee.Elles’étiravoluptueusementcontreluietchuchota:—Sionrecommençait?Iléclataderire.—Tuvasmefairemourir!Ellejoignitsonrireausienetselevapourallerchercheràboire.A son retour,Charley s’était glissé entre les draps, enfin ! Elle se blottit contre lui et dormait à
moitiélorsqu’elleentenditunevoiturecahotersurlabarrièrecanadienneduportailprincipal.Charleytressaillit.—Pasdepanique,dit-elle.C’estThatcherquirentre.—Ilétaittemps!A1heuredumatin…Uneréactiondepapapoule.Jubileepouffasurl’oreiller.—Tuferaismieuxdeteréjouirqu’ilnesoitpasrentréplustôt.—Tuasraison,reconnut-il.Maisj’ypense…Quandnousseronsmariés,sinousemménagionschez
toi?Aumoins,ilaurasaproprechambre.Depréférencetoutauboutducouloir.
—Biensûr.Aufait,quandauralieucemariage?Puisquejesaisquetuasdéjàtoutprévu.—Bientôt.Pourquoipasdimancheprochain?Lesréservationssontdéjàfaites.Unbruit de porte, suivi d’une sonnerie de portable.Kristi l’appelait sans doute pendant que son
pèrelaramenaitàlamaisonaprèsavoirdéposéThatcher.Ils entendirentThatcher lui parler unmoment, ouplutôt l’écouter car elle semblait se charger de
l’essentielde laconversation,Thatchersebornantà répondresobrementdeschosescomme:«Toutàfait»,«Tuasraison»,ouencore«Moiaussi».
Pourfinirilluisouhaitabonnenuitetilsl’entendirents’affalersurlecanapé.—Toutvabien,That?lançaCharleyd’unevoixsonore.—Oui…Essayerdedanser,c’estplusdifficilequedetuerdesserpents!Jubileesemitàrire.—Bonnenuit,Thatcher!Ilneréponditpas.Ildormaitdéjà,sansdoute…EllesenichadanslesbrasdeCharleyavecunlongsoupirdebonheur.—J’aioubliédetedire,murmura-t-elle.Jet’aime.—Jesais.C’étaitinévitable,répondit-ilenriant.Jenetelaisseraijamaispartir,Jubilee.Tupeux
d’oresetdéjàoubliertouteidéedemequitter!—Moinonplus.Tuesobligéderester.Nousnepourrionspaspartagerleranchendeux.Ilgardalesilenceunmoment,puis:—Chérie,cetteterreestàtoi.—Non,ellen’estpasàmoi.J’aifaitmodifierl’actedepropriétéaujourd’hui.Elleestaussiàtoi.—Jeneveuxpasteprendretonbien!— Je sais. Et moi je ne veux pas te prendre ton rêve. Tu as transféré tes économies sans me
demandermonavis,j’aitransférélapropriétésanstedemandertonavis.Asonsilenceetsatensionévidente,ellecompritqu’ilétaitencolère.Unrirenerveuxlasecoua.—Jenevoisvraimentpascequitegêne.Chacunaobtenucedontilavaitbesoin.Etenvie!Lesentantsedétacherlégèrementd’elle,ellerabattitledrapets’exclama:—Puisquec’estcommeça,jem’envais!Unemaindeferluiagrippal’épauleetlaramenadeforcesurlematelas.—Horsdequestionquetupartes.Jet’aimetrop.Ellesentitsagorgesenouer,etunelarmedévalasajoue.Enfin,elleavaitrencontréunhommequi
sebattraitpourlaretenir…—Moi non plus, je ne te laisserai pas partir, murmura-t-elle. J’ai passé des années à chercher
quelqu’uncommetoi.Si tumequittes, tuserasobligéd’emporteravectoi lamoitiédeceranch.C’estlourd.
—Alorsj’aitoutintérêtàrester.—Etàm’aimerlerestantdetesjours.—Etàn’aimerquetoilerestantdemesjours.Ensepenchantpourl’embrasser,elleentenditunpetitraclementdel’autrecôtédumur.—Vousvoulezpasdormir, tous lesdeux? lançaThatcher.Toutcetamour, là…çaveutdireque
vousêtesmariésmaintenant?Jesaispastropcommentçasepasse,cegenredechoses.—Nousnousmarieronsdèsquej’auraimislamainsurunpasteur,réponditCharley.Ettoi,penseà
tedoucheretàtetrouverunetenueclasse,parcequetuserasmontémoin!—Ben,c’estpastroptôt!J’enavaismarredejouerleschaperons!Charleyéclataderire.—Dorsmaintenant,petit.Aucuneréponsedanslapiècevoisine.IlserapprochaalorsdeJubileeetchuchota:
—Dorsmaintenant,monamour.MaisJubileeétaitdéjàpartieaupaysdesrêves…
38
Lauren24mai
LaurensetenaitàlagauchedeJubileesurlacrêteduRansomCanyon,vêtuecommeelled’unerobed’étéassortieauxcouleurssubtilesdesrochesalentour.
CharleyCollinspritlamaindesapromiseetlecouplesetournaverslepasteur.C’étaientdesnoces trèssimples, tisséesd’amouretderires.Pasd’invitationsgrandioses,pasde
savante composition fleurie pour enjoliver le décor, juste le canyon en toile de fond et unbouquet defleurssauvages.
Lemariéportaitunchapeaudecow-boy, lapetitedemoiselled’honneuruncostumedefée,et lesamisréunisautourd’euxavaientdessouriresradieux.Avait-onjamaisvuunmariageaussibeau?songeaLauren,rêveuse.
—Jet’aimeraitoujours,chuchotaCharleyenglissantunanneaud’oraudoigtdeJubilee.—Moiaussi,jet’aimeraitoujours,déclaracelle-cienécho.Laurensourit.Unamourdecettenature,elleétaitprêteàdonnern’importequoipourletrouver.Ets’iltardaitàvenir,aprèstout,quelleimportance?Elleleferaitnaîtresurlepapier…
***
Sivousavezaiméceroman,
découvrezsansattendrelesprécédentsromansdelasérie«NouvellevieàRansomCanyon»:
1)L’enfantdel’espoir2)Endépitdupassé
TITREORIGINAL:LONEHEARTPASS
Traductionfrançaise:ALEXANDRATEISSIER
©2016,JodiKoumalats.
©2016,HarperCollinsFrancepourlatraductionfrançaise.
Levisueldecouvertureestreproduitavecl’autorisationde:
Femme:©GETTYIMAGES/HEROIMAGES/ROYALTYFREE
Paysage:©GETTYIMAGES/VISIONSOFOURLAND
Réalisationgraphiquecouverture:M.GOUAZE
Tousdroitsréservés.
ISBN978-2-2803-7029-5
HARPERCOLLINSFRANCE
83-85,boulevardVincent-Auriol,75646PARISCEDEX13
ServiceLectrices—Tél.:0145824747
www.harlequin.fr
Celivreestpubliéavecl’autorisationdeHARLEQUINBOOKSS.A.
Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondetoutoupartiedel’ouvrage,sousquelqueformequecesoit.
Cetteœuvreestuneœuvredefiction.Lesnomspropres,lespersonnages,leslieux,lesintrigues,sontsoitlefruitdel’imaginationdel’auteur,soitutilisésdanslecadred’uneœuvredefiction.Touteressemblanceavecdespersonnesréelles,vivantesoudécédées,desentreprises,desévénementsoudeslieux,seraitunepurecoïncidence.
RETROUVEZTOUTESNOSACTUALITÉS
ETEXCLUSIVITÉSSUR
www.harlequin.fr
Ebooks,promotions,avisdeslectrices,
lectureenlignegratuite,
infossurlesauteurs,jeuxconcours…
etbiend'autressurprisesvousattendent!
ETSURLESRÉSEAUXSOCIAUX
Retrouvezaussivosromanspréféréssursmartphone
ettablettesavecnosapplicationsgratuites