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Honoré Vinck
A propos de l'adultèreAuthor(s): N.D.Source: Aequatoria, 6e Année, No. 2 (1943), pp. 51-53Published by: Honoré VinckStable URL: http://www.jstor.org/stable/25837581 .
Accessed: 15/06/2014 00:20
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A propos de l'adultere.
On entend souvent dire: Chez les Noirs
Tadultere n'est pas punissable comme tel. il n'est
pas considere comme une faute morale.
Qu'en est-il exactement? La question de~ mande encore des etudes. Cependant donnons
deja quelques considerations qui pourront appor ter plus de lumiere. Nous nous basons princi palement sur les recherches faites parmi les deux
peuples les plus grands du Congo Beige, les Balu ba et les Mongo.
Selon la doctrine catholique, Tadultere est contraire a un des commandements de Dieu; c'est un peche. Neanmoins on peut dire en theo
logie que Tadultere est un peche parce qu'il offense les bonnes relations sociales et detruit la famille qui est la cellule fondamentale de la
societe humaine.
La doctrine chretienne n'empeche pas
l'Europeen moyen, meme chretien, d'avoir sur
Tadultere une opinion qui se rapproche singu lierement de celle que les ethnographes attri
buent communement aux indigenes pai'ens. De vant un jugement sur Tindigene, il est souvent
utile de faire la comparaison avec l'Europe. On peut se demander: quelle note morale TEu
ropeen moyen attache-t-il a l'adultere ? Le
condamne-t-il comme une opposition a Dieu, ou
bien en tant que violation du droit d'autrui?
Attache-t-il de Timportance a Tadult re commis
du consentement de l'autre partie? La loi beige reconnait au conjoint seul le droit d'intenter et de
poursuivre Taction contre Tadultere. Peut-on de
duire de la qu'elle ne voit dans ce delit que la
violation d'un droit prive? C'est, en tout cas, la
conclusion qu'en tireraient certains ethnographes. line consideration qui merite Tattention
des chercheurs est qu'en Europe le droit est
consigne dans des tcxtes et systematise par des
juristes. L'opinion du profane n'est pas acceptee comme expression de la loi, qui continue d'exister
malgr les moeurs. Chez les primitifs , an con
traire, personne n'est capable de donner un expose
systematique du droit et de la morale. Si l'Euro*
peen base ses conclusions uniquement sur l'obser vation des faits, il se fourvoie fatalement. Un
usage meme fort repandu peut etre en opposition avec la loi. Celle-ci doit etre decouverte aupres des juristes - ce qui n'est pas synonyme de
juges des tribunaux indigenes - et les resultats de
l'enquite doivent cadrer avec le corps de droit entier du groupement.
D'autres considerations sont a retenir.
Ainsi, comme le droit est interne au clan, ou com
me nous disons: national, il ne concerne pas les devoirs a regard des etrangers. L'adultere avec
l'etrangere reste ignore par la loi nationale. Chez nous aussi, certains delits commis a Tetranger ne sont pas punissables. 2)
Les fondements de la criminalite de l'adul tere dans un pays donne peuvent etre trouv s
dans le corps de droit positif admis dans ce pays. Ces fondements conditionnent le culpabilite devant la loi.
Autre consideration : Le droit commence
souvent avec Tinteret. line de ses fonctions est
de regler les inter ts en conflit. II est done ab~
surde de critiquer une institution indigene parce
qu'elle est basee sur Tinteret. II s'ensuit encore
que le motif de la peine va etre Tinteret lese et que la peine doit etre comprise comme une repara tion du droit lese. Cette conception est clairement
exprimee par les indigenes. 3) Dans le droit indigene la partie lesee
agit seule contre le delinquant, sans intervention
d'une autre autorite ayant pouvoir d'execution* En principe, la partie lesee fournit seule toute la 1) G. Hulstaert: Mariage des Nkundop.329 (dans
ses Sanctions contre Vadultere cet auteur est plus prudent: il s'abstient de parley de la question) ;P. Van Caeneghem: De Gewoontelijke Strafbepalingen teg en het Overspel bij de Baluba, p. 53.
2 ) Possoz: Elements de Droit coutumier, p. 57 Hulstaert: Sanctions, p. 24.
3 ) Possoz: op. p. 83;84.
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procedure. Si le man agit seul, si la femme se vcnge seule, c'est la une simple application de la
regie: tout droit est executoire par lui-meme .
(Possoz, o. c. p. 84) Neanmoins le pere de la famille ou du
clan ne va pas se desinteresser completement de
la procedure. Car l'exercice du droit de se faire
justice a soi-meme pourrait depasser la legalite, soit en violant la loi, soit en violant la tranquillite
publique. Le pere peut, pour ces motifs, sus
pendre ou arreter la violence, (Hulstaert, Sanc
tions, p. 35) II est des lors comprehensible que, aux
yeux des indigenes, Dieu agit de meme. C'est
pourquoi Taccuse a, pour se disculper, le droit de recourir a l'ordalie. Le terme neerlandais de Gods
oordeel exprime bien l'idee que les Mongo se
font de cette epreu ve. 4) Dire que Dieu se desin teresse totalement deTadultere, dans les concep tions des Noirs, c'est passer a cote de faits carac
t^ristiques. II est assez naturel que le Noir trans
fere a Dieu le droit de veto et le pouvoir de juge en appel. Car de tout temps et en tout lieu Tidee
que Thomme se forme de l'au-dela est plus ou
moins a l'image de ce qu'il connait autour de lui. II ne s'en defait que par une puissance d'abstrac tion tres forte ou par la revelation.
Le R. P. Van Caeneghem, dans son ?tude citee, donne trois expressions luba disant en substance: La loi et l'ordre public s'opposent a l'adultere. Quelles lois ? Celles des ancetres !
Celles auxquelles le chef> tient la main, celles
que veut la conscience commune des peres de
famille, celles qui maintiennent la structure juridique du clan, les sources de la vie dans le groupement. Et si le Noir a conscience du precepte: Crois sez et multipliez-vous , il aura conscience, fut-ce
plus ou moins vaguement, que Tadultere viole la
loi morale. On peut affirmer que le Noir congoit
Tensemble de son droit comme provenu de Dieu
par le truchement des ancetres. Les Mongo, par
exemple, assimilent facilement les beeko bya bantolo (lois des ancetres ) aux besise bya
Mbomblanda (ordinations de Dicu) 5) Cela seul suffirait & legitimer la conclusion que pour eux l'adultere est un peche. Si Ton n'admet pas
que ce principe est vivant dans leur conscience, la
mentalite et l'organisation indigenes deviennent
incoherentes et incomprehensibles. line objection assez courante est exprimee
par le R. P. Van Caeneghem comme suit: Le
Noir connait des expressions ou des adages pour dire que Dieu veut la soumission au chef, que Dieu punit le voleur, mais il n'en connait pas disant: Dieu punit l'adultere ( o. c. p. 53 ).
On pourrait repondre: Pour le droit
negre, l'adultere est une des especes du vol ; e'est un vol du genre furtum usus ou vol de l'usage, mais aussi, dans certains cas, e'est le vol de la
lignee. II y a une autre raison pour laquelle en
droit indigene l'adultere reste plus personnel &
l'epoux lese : le mari est le juge de l'adultere de sa femme.6 ) Moins que sur les biens de ses enfants * , le pere > a de droits sur la fem me de ceux-ci. En effet, il n'en est pas le pere
l'epouse continue d'appartenir au clan de son
pere a elle; e'est au nom du mari que le contrat
matrimonial est conclu par le pere; e'est dans un but de conjungo, et celui-ci n'admet genera lement pas la polyandrie. En outre, il peut arriver
que le mari fournisse lui-meme les instruments
requis pour titrer > la femme. En droit europeen moderne, le parquet
ne poursuit pas l'adultere; e'est encore l'epoux qui a Taction en mains. Curieuse concordance avec
le droit negre! En droit europeen la peine se justifie soit
par les droits de defense de la societe, soit par l'effet exemplatif de la sanction. Le Mongo n'igno re pas ces deux cotes de la repression. II les in
voque tous deux lorsqu'il punit de mort un adul tere.
L'indigene considere l'adultere comme une
provocation. Peut-on en concevoir une a laquelle on soit plus sensible ? C'est a tel point qu'en Eu
rope on admet comme excuse legalement le meur tre commis par l'epoux qui surprend un flagrant
4 ) Possoz, Aequatoria, 1938, 5,p.9; id. : E
ISments, p. 48 ; Bodmri: Congo, 1938, II, p. 526 ss. 5 ) Mgr Van Gocthem: Aequatoria, 1941, p. 84. 6 ) Hulstacrt: Sanctions . ., p. 21 suiv.
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ctetit. On congoit par 1& que le Noir nc songe
plus k Intervention divine, ou par la force des
choses, par la s0rete de la repression, le droit est
dej& retabli. Les causes secondes suffisant, pour
quoi la cause premiere agirait-elle directement?
Peut-on prier Dieu pour qu'il fasse ce qu'on peut faire par soi-meme?
Certains Europeens se scandalisent aise
ment de l'inegalite entre les conjoints dans la re
pression de l'adultere. L'inegalite existe, mais l'e
pouse n'est pas sans armes. 7)
II faut se rappeler encore que le droit
indigene est pai'en, que le mariage n'y atteint pas la perfection que seule la loi chretienne de la
charity peut lui donner. II convient encore de remarquer que
cette inegalite existe presque partout au monde, meme dans les pays civilises ? Le Prof. Le
clercq, dans ses Lemons de Droit naturel , III,
p. 368, en donne, entre autres raisons, celle-ci:
du point de vue social, il n'est pas douteux que l'adultere de la femme a des consequences plus
graves que celui de l'homme. La femme est la gar dienne du foyer, et le bien-etre du foyer depend d'elle. L'adultere l'ecarte du foyer. Mais surtout
la femme est mere et sa fidelite conjugate est la
seule garantie de la legitimite de la descendance.
On s'explique done qu'on attache a l'adultere de
la femme plus d'importance qu'd celul de l'homme.
Et & la p. 369, il ajoute: chez tous les peuples la
fornication et l'adultere sont consid r s comme
une faute plus legere chez rhomme que chez la
femme. ... L'Eglise n'en declare pas moins les
deux fautes identiques en soi; elle s'y obstine con
tre la voix unanime des peuples, voix tellement
unanime qu'elle n'est pas parvenue a faire triom
pher absolumentsa these, et que, meme chez les
peuples les plus anciennement chr tiens, Topinion a continue a considerer la faute de rhomme comme
moins grave que celle de la femme, et que le
droit a continue a consacrer cette opinion*
Nous avons essay de clarifier certains
points concernant l'adultere et d'indiquer com
ment on pourrait rattacher, chez les indigenes, le
droit a la morale dans cette question. La relation
entre Tidee d'infraction a la loi de la famille et
le peche-offense de Dieu ne nous parait pas Stre
absente de la pensee indigene. Elle semble y etre
plutot a l'etat de premier principe non explicite, mais cependant reellement present. Ce qui est con
firme par la constatation que font beaucoup de
missionnaires, comme le dit le P. Van Caeneghem
(o c. p. 54;- j'intervertis l'ordre des phrases): Contre Tadultece les indigenes ne donnent d'eux
memes que des considerations d'interSt personnel et social, Cependant, quand on leur enseigne que Dieu lui-meme defend et punit ce delit, ils l'adpiet tent tres naturellement.
N.D.
7) Possoz, o.c.p. .213 ; Hulstatrt: Sanctions, p. 22
suiv.; Van Camtghem, ox. passim.
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