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BULLETIN DINFORMATION DE L’ARIPA (ASSOCIATION POUR LE RESPECT DE L’I NTEGRITE DU P ATRIMOINE A RTISTIQUE) FEVRIER 1999 19 PRIX : 30 F Sommaire : La lumière et les vernis par Paul Pfister, p.˚3. Les fresques de Tiepolo par Jean François Debord, p.˚9. Les brumes perdues de Turner par Michael Daley, p.˚10. Débat avec un restaurateur, p.˚12. Editorial, par James Blœdé et Michel Favre-Félix D’abord ne pas nuire Balthus, dans les années 50, avait protesté contre le nettoyage abusif des Titien à la National Gallery de Londres. La télévision vient de le montrer visitant l’exposition Tintoret à la mairie du V e arrondissement, stupéfiant officiels et journalistes par ces phrases˚: «˚Le malheur c’est qu’ils restaurent sans arrêt les ta- bleaux anciens maintenant. On ne sait pas comment arrêter les restaurateurs… Peut-être en leur coupant les mains˚». Emmanuel de Roux (Le Monde du 22 no- vembre 98) le cite encore˚: «˚Les restaurateurs ne voient jamais ce qui est essentiel dans les tableaux sur lesquels ils travaillent.˚» Cela, Balthus a le droit, le devoir même, de le dire. Il connaît la peinture. Mais la question est celle-ci˚: va-t-on enfin, oui ou non, écouter les peintres˚? En attendant, un arrêté du ministère de la culture vient d’of ficialiser la réunion du service de restaura- tion et du laboratoire de recherche. A la tête de ce nouveau «˚Centre de recherche et de restauration des Musées de France˚» a été nommé Jean-Pierre Mohen, déjà directeur du laboratoire. Il est assisté par France Dijoud et Nathalie Volle, déjà codirectrices du service de restauration. Peut-on, sur la seule foi de déclara- tions d’intention très mesurées parues dans le Figaro (14 janvier 1999), espérer un changement fonda- mental d’orientation˚? Il faudrait pour cela que Jean-Pierre Mohen, au nom d’un esprit scientifique véritable, impose la règle d’or˚: primum non nocere, d’abord ne pas nuire. Qu’il use de sa nouvelle autorité pour faire respecter le principe de nettoyages modérés et non plus de déver- nissages appelés «˚allégements˚» par pur euphémisme. Qu’il soit conscient de l’absolue nécessité d’une réelle interdisciplinarité et s’inquiète, avant tout, des prises de décision hâtives. On en est loin. Lorsque l’on étu- die les comptes rendus des réunions autour d’une restauration, on reste étonné de voir combien de questions posées au laboratoire restent en suspens, combien de réponses restent incertaines et comment l’intervention pendant ce temps poursuit son chemin, sans plus de délai ou de recul. On s’aperçoit aussi combien les décisions finales sont prises sur des critères esthétiques (degré de propreté, aspect des retouches, harmonisation, déséquilibre, mise en va- leur, etc.). Aussi est-il inexplicable que l’interdis- ciplinarité n’intègre pas les compétences d’artistes ou de connaisseurs. Aucun professionnel n’oserait jamais prétendre que la restauration puisse être scientifique. La science fournit des informations dans la limite des connais- sances et suivant les questions posées. Mais elle ne dit pas comment il faut restaurer. Selon la formule de Cesare Brandi˚: «˚La physique et la chimie sont deux

A Propos Des Fresques

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BULLETIN D’INFORMATION DE L’ARIPA (ASSOCIATION POUR LE RESPECT DE L’INTEGRITE

DU PATRIMOINE ARTISTIQUE)

FEVRIER 1999 N°19 PRIX : 30 F

☛ Sommaire : La lumière et les vernis par Paul Pfister, p. 3.

Les fresques de Tiepolo par Jean François Debord, p. 9.

Les brumes perdues de Turner par Michael Daley, p. 10.

Débat avec un restaurateur, p. 12.

◆ Editorial, par James Blœdé et Michel Favre-Félix

D’abord ne pas nuire

Balthus, dans les années 50, avait protesté contrele nettoyage abusif des Titien à la National Gallery deLondres. La télévision vient de le montrer visitantl’exposition Tintoret à la mairie du Ve arrondissement,stupéfiant officiels et journalistes par ces phrases :« Le malheur c’est qu’ils restaurent sans arrêt les ta-bleaux anciens maintenant. On ne sait pas commentarrêter les restaurateurs… Peut-être en leur coupantles mains ». Emmanuel de Roux (Le Monde du 22 no-vembre 98) le cite encore : « Les restaurateurs nevoient jamais ce qui est essentiel dans les tableauxsur lesquels ils travaillent. » Cela, Balthus a le droit,le devoir même, de le dire. Il connaît la peinture. Maisla question est celle-ci : va-t-on enfin, oui ou non,écouter les peintres ?

En attendant, un arrêté du ministère de la culturevient d’officialiser la réunion du service de restaura-tion et du laboratoire de recherche. A la tête de cenouveau « Centre de recherche et de restauration desMusées de France » a été nommé Jean-Pierre Mohen,déjà directeur du laboratoire. Il est assisté par FranceDijoud et Nathalie Volle, déjà codirectrices du servicede restauration. Peut-on, sur la seule foi de déclara-

tions d’intention très mesurées parues dans le Figaro(14 janvier 1999), espérer un changement fonda-mental d’orientation ?

Il faudrait pour cela que Jean-Pierre Mohen, aunom d’un esprit scientifique véritable, impose la règled’or : primum non nocere, d’abord ne pas nuire. Qu’iluse de sa nouvelle autorité pour faire respecter leprincipe de nettoyages modérés et non plus de déver-nissages appelés « allégements » par pur euphémisme.Qu’il soit conscient de l’absolue nécessité d’une réelleinterdisciplinarité et s’inquiète, avant tout, des prisesde décision hâtives. On en est loin. Lorsque l’on étu-die les comptes rendus des réunions autour d’unerestauration, on reste étonné de voir combien dequestions posées au laboratoire restent en suspens,combien de réponses restent incertaines et commentl’intervention pendant ce temps poursuit son chemin,sans plus de délai ou de recul. On s’aperçoit aussicombien les décisions finales sont prises sur descritères esthétiques (degré de propreté, aspect desretouches, harmonisation, déséquilibre, mise en va-leur, etc.). Aussi est-il inexplicable que l’interdis-ciplinarité n’intègre pas les compétences d’artistes oude connaisseurs.

Aucun professionnel n’oserait jamais prétendreque la restauration puisse être scientifique. La sciencefournit des informations dans la limite des connais-sances et suivant les questions posées. Mais elle nedit pas comment il faut restaurer. Selon la formule deCesare Brandi : « La physique et la chimie sont deux

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très précieuses servantes de la restauration mais nonpas deux maîtresses. » Et René Huyghe : « … La res-tauration est un art et non une recette. Le microscopeaide la découverte du savant, mais il n’est rien sansson esprit d’invention. De même un produit chimiquen’est qu’un adjuvant plus ou moins précieux du res-taurateur : et tout, réussite ou échec, dépend en der-nier ressort de sa sensibilité de perception, de sonœil, de son doigté. » Combien rares sont les restaura-teurs qui, comme Paul Pfister, possèdent un œild’artiste et s’y fient. On lira avec beaucoup de profit,en page 3 de ce numéro, l’article qu’il nous offre. Maisaujourd’hui, dans la formation des restaurateurs, ilest d’usage de prohiber leur sensibilité artistique.C’est ainsi à l’IFROA, et c’est absurde.

D’autre part, il a été annoncé que les efforts de cenouveau centre seront orientés en priorité vers la« conservation préventive ». Si tel est le cas, c’est évi-demment pour nous la nouvelle la plus importante.C’est une réorientation que nous demandons depuislongtemps : la primauté de la prévention et de la con-

servation, et l’abandon de ce type de restaurationsdites « fondamentales », qui en prétendant « révélerl’original » bouleversent et détournent l’esthétique del’œuvre, falsifient son histoire.

Dans ce cadre aussi, il semble que l’on veuille en-fin parler de déontologie. Rien d’étonnant à cela, car ilest bien connu que l’on reparle de déontologie lorsqueson inobservation devient patente. Les déclarationsofficielles faites au Figaro évoquent ce principe de« réversibilité » qui guiderait toute restauration. Ellesmettent en avant la Charte de Venise qui serait tou-jours respectée. A voir pourtant certaines restaura-tions, il est permis de se demander si, cette Charte,les outils numérisés et les lasers sont assez sophisti-qués pour la lire clairement ? Article 11 : Les apportsvalables de toutes les époques doivent être respectés.Article 9 : La restauration doit s’arrêter où commencel’hypothèse.

J. B. et M. F.-F.

´

L’Italie et le Jubilée de l’an 2000

Les nouvelles provenant d’Italiesont alarmantes ; les visiteurs quireviennent de voyages à Venise ouRome sont atterrés : à l’approchedu Jubilée de l’an 2000, le pays aété pris d’une frénésie de restau-ration qui touche tous les domai-nes : fouilles archéologiques, ar-chitecture, peinture… Tous nousdisent ne plus reconnaître les ta-bleaux ou, plus globalement, lesmusées qu’ils ont tant aimés.

En 1996 et 1997, écrit la jour-naliste Jackie Cooperman dans lesupplément Italy Daily du Corrieredella Sera du 14-15 novembre1998, le gouvernement italien ainscrit au budget 906 milliards delires pour la restauration du pa-trimoine national. Entre janvier etseptembre 1998, 1102 projets ontété financés, en forte progressionpar rapport à l’anné précédente.

Tout doit être terminé pour le31 décembre 1999, quelque soitl’importance des projets, quelquessoient les difficultés rencontréesen cours de route, et quelque soit

la date de démarrage réel deschantiers – car l’argent promis en1996 n’est souvent arrivé qu’enjuillet 1997, comme le reconnais-sent des responsables del’organisation du Jubilée de laville de Rome. Pour donnerl’exemple d’un chantier connu detous, il est prévu que l’église su-périeure de la basilique Saint-François à Assise, gravement en-dommagée par le tremblement deterre de septembre 1997, soit to-talement restaurée pour cette dateafin que le Pape puisse y dire lamesse de Noël.

Certains se réjouissent de cetteactivité frénétique mais d’autress’en inquiètent, comme l’architecteMichele Campisi, cité par l’ItalyDaily : « Les organisateurs du Ju-bilée ont essayé de tout mettredans le projet et, en ne faisantpas de coupes dans les projets su-perflus, on risque fort que les tra-vaux ne soient pas correctementexécutés. Or la restauration a sonpropre rythme, elle requiert de

longues analyses des matériauxet des procédures de conserva-tion. » Cette crainte nous a étéconfirmée par plusieurs restaura-trices rencontrées récemment.

Un tel volume de restaurationsentraîne un autre risque, celuid’employer des personnes insuffi-samment qualifiées : tous les pro-fessionnels italiens ont du travailen ce moment, et plus qu’il n’enfaut. Alors les responsables pren-nent qui se présente ou peu s’enfaut.

Que se passera-t-il après le 31décembre 1999 ? Les restaura-teurs italiens craignent deux cho-ses : que la source des crédits nese tarisse et que leurs confrèresétrangers venus depuis deux ansne restent dans le pays, avec unrisque important de chômage et debaisse de prix du travail, entraî-nant bien sûr une baisse de laqualité de celui-ci. En attendant,trop d’œuvres d’art auront éténettoyées, et trop vite.

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Christine Vermont

La lumière et les vernisla présentation et la perception de l’œuvre ;

leurs conséquences sur la restauration

par Paul Pfister*

* Paul Pfister,

restaurateur du Kunsthaus de Zurich,

est également chargé du soin de prestigieuses

collections suisses comme

la Fondation Collection E.G. Buhrle, à Zurich,

la Collection Oskar Reinhart

« Am Römerholz » à Winterthour,

ou la Fondation Langmatt Sidney

und Jenny Brown, à Baden.

L’auteur a élaboré cette version française

à partir de la conférence qu’il a prononcée

le 17 juin 1998 à Braunschweig

au cours du colloque Firnis (Vernis).

a vie quotidienne est riche d’enseignements. Lalumière est l’énergie grâce à laquelle nous vi-

vons : dirigée devant nous, elle nous permet de voir,mais retournée face à nous, elle nous aveugle ; ainsi,en pleine lumière, nous pouvons très bien ne rienvoir.

Il en est de même pour le vernis. Lorsqu’il remplitson rôle, il conduit la lumière dans les profondeursdes couches picturales. Lorsqu’il agit négativement, ilprovoque la réflexion de la lumière sur la surface dutableau et nous empêche de voir l’œuvre.

Nous allons étudier ici les interactions entre lapeinture à l’huile, le vernis, la lumière, l’environ-nement de l’œuvre et la perception de l’homme.

De la physiologie des tableaux à l’huileDans le cas des gouaches et des pastels, l’aspect

des couleurs résulte directement des qualités de ré-flexion des pigments eux-mêmes, leur liant n’ayantpas de rôle optique significatif. Au contraire, dans lestableaux peints à l’huile, l’huile n’a pas seulementune fonction de liant : elle provoque un changementoptique majeur. Non seulement elle sature les pig-ments, renforçant leurs valeurs sombres et leur inten-sité colorée mais, de plus, elle augmente la transpa-

rence de la couche picturale. La lumière ne se reflètepas entièrement sur la surface puisque l’huile peut laconduire dans les couches plus profondes. Cet effet,que nous appelons « lumière en profondeur », pourraêtre renforcé par le peintre grâce aux glacis et au ver-nis. Or si le vernis est chargé de cette fonction créa-trice, il ne peut donc être changé à volonté.

La composition du vernis est déterminante. Il estd’une importance primordiale qu’il soit à base d’unerésine naturelle et d’essence de térébenthine, huileessentielle dont l’évaporation lente permet aux résinesnaturelles de mieux incorporer la couche picturale.Les autres solvants plus volatiles, en s’évaporant troprapidement, ne laissent pas les résines pénétrer suf-fisamment et provoquent des vides microscopiques

Effet d’éclairage / Vernis synthétique

Ce tableau a été vernis avec un vernis synthétique.

Une grande part de la lumière d’éclairage ne peut pénétrer par

le vernis et est reflétée à la surface (parties gauche et droite).

Au centre, on a mis une simple touche de pinceau avec

une solution de vernis dammar et d’essence de térébenthine.

Par conséquent, la lumière se reflète beaucoup moins

à la surface du vernis, elle pénètre par le vernis et

les liants de la peinture, avec comme résultat une bien

meilleure lisibilité des tonalités.

Claude Lorrain, Pastorale avec l’Arc de Constantin (détail)

1648. Musée : Kunsthaus Zürich. Inv. n° 1996/2

Donation Holenia Trust en mémoire de Joseph H. Hirschhorn

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dans la couche picturale vernie. Non seulement cespetits vides empêchent de percevoir la lumière desprofondeurs, mais ils seront, avec le temps, cause dechancis. Les vernis synthétiques bloquent aussi lapénétration de la lumière parce que leur structure mi-croscopique est trop grande, ne leur permettant pasde saturer suffisamment la couche colorée.

Quand nous regardons une gouache, un pastel,sous des éclairages de diverses colorations, que ceux-ci soient diffus ou dirigés, nous ne percevons guèrede changements. A l’inverse, sur les tableaux à l’huileayant une structure intacte avec leurs résines natu-relles, on pourra constater de très grandes variations.Sous la lumière zénithale tant appréciée par les mu-sées – parce qu’elle possède un spectre équilibré –les couches picturales à l’huile sont tout à fait impar-faites. Trop peu de lumière y pénètre, l’essentiel sereflétant sur la surface. S’il advient que la lumière soitencore plus indirecte et dispersée, l’œil ne pourraplus rien percevoir de la subtilité des glacis et le ta-bleau tout entier sera même très difficile à reconnaîtredans ses qualités d’espace et de profondeur.L’intensité de l’éclairage n’y pourra rien changer.

Si, par contre, on dispose d’une lumière de tonalitéchaude, non pas diffuse mais orientée, il sera faciled’apprécier les couches superposées des glacis et desvernis jusque dans leurs moindres différences. Queles tableaux soient alors puissamment ou faiblementéclairés importe peu : la lumière chaude, située dansune partie du spectre plus rouge et jaune, parvient àtraverser le vernis jusque dans la structure picturale.Le décalage que peut introduire une tonalité chaudedans notre perception des couleurs se remarquera fi-nalement peu, du fait des capacités d’adaptation del’œil humain.

Un autre facteur important pour la bonne visiondes tableaux peints à l’huile est leur environnement.Plus la lumière sera absorbée par les murs, mieux onévitera sa dispersion dans l’espace de la pièce, sadiffraction, qui a pour effet de diminuer la lisibilitédes œuvres. Or aujourd’hui les couleurs des murssont des mélanges à base de blanc de titane. Ce pig-ment moderne répercute et disperse la lumière infi-niment plus que les blancs anciens. Même si le titanen’entre qu’en faible quantité dans un mélange coloré,son pouvoir réfléchissant intense y sera dominant.

Les tableaux à l’huile ne fonctionnent, ne peuventdéployer leur richesse, que lorsque se combinent unelumière chaude orientée et des murs de couleur ab-sorbante. Si ces conditions sont réunies, il devientpossible d’apprécier le rôle du vernis. Un vernisjaune sera intégré à la perfection et personne ne pen-sera à le réduire d’office. Si, malgrè tout, cela s’avèreabsolument nécessaire, il sera toujours possible d’endiminuer légèrement l’épaisseur, mais son élimination(le soi-disant « allégement ») devrait rester une raredernière solution.

Avant que de toucher aux vernis, les restaurateursdevraient d’abord respecter les conditions physiologi-

ques des tableaux à l’huile et leur atelier de travaildevrait se conformer aux règles suivantes :

- Tout d’abord, pas de murs peints avec du blancde titane.

- Ensuite, jamais de lumière blanche et disper-sante.

Quand on travaille pour la restauration, il est tou-jours avantageux de prendre les ateliers d’artistescomme modèle (il en est de même pour la présentationdes œuvres dans les musées).

Afin d’illustrer les relations entre la lumière etl’espace dans l’atelier, voici trois ateliers différentstoujours existants.

Charles François Daubigny (Auvers-sur-Oise,1860, établi par Daubigny). La maison est bâtie aubas d’une pente qui s’incline vers le sud. L’atelier setrouve du côté nord, avec une assez grande fenêtrepar laquelle peut entrer la lumière du jardin, d’unetonalité chaude. Une boiserie couvre la partie bassedes murs, dont le haut, en plâtre, est décoré de ta-bleaux de Corot, Daubigny et Oudinot. Dans cet ate-lier règne une lumière assez chaude, qui ne corres-pond pas seulement au goût du temps, mais qui sou-tient aussi les qualités de la peinture à l’huile, avecses glacis et vernis teintés.

Paul Cézanne (Aix-en-Provence). L’atelier de Cé-zanne est également construit sur une pente qui des-cend vers le sud. La grande fenêtre s’ouvre aussi surle nord, recevant une même lumière chaude du jar-din. Deux ouvertures beaucoup plus petites, au sud,laissent entrer une lumière très dure, horizontale,comme celle d’un spot, qui se laisse corriger et dirigerpar des jalousies vers les objets et le chevalet. Lacouleur du mur nous est entièrement conservée. Cé-zanne y appliquait une chaux teintée de pigments noiret ocre jaune. Il obtenait ainsi un gris assez foncé àdominante verte, créant un environnement neutrepour les objets, même volumineux, qui composaientses natures mortes. Ce gris lui permettait aussi d’êtreassuré de poser sur la toile ses touches de couleursdans leur valeur précise. Le fait que la lumière setrouvait ici très légèrement réfléchie a pu influer surle caractère de sa touche, dont on remarque qu’elle estpeu fondue, plus précise et structurée.

Auguste Renoir (Cagnes-sur-Mer). Renoir aussiavait ouvert dans sa maison une très grande fenêtreau nord, par laquelle il recevait de son champd’oliviers une lumière relativement chaude. Sur lesmurs de plâtre, il avait appliqué une teinte à l’huiletransparente jaune, d’une douce brillance, qui estégalement toujours visible dans son état d’origine.Renoir obtenait ainsi une atmosphère à dominantejaune qui correspond parfaitement à ses techniquesde frottis et de glacis.

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En regardant les musées des Beaux-Arts, etsurtout l’aspect de certains d’entre eux, datant despremières décennies de notre siècle, on voit bienqu’ils correspondaient encore aux besoins des ta-bleaux à l’huile. On y trouvait des fenêtres donnantdirectement sur la nature. Dans certains cas,l’ouverture zénithale était totalement couverte. Seulepouvait pénétrer, de côté, une lumière chaude, avecune diffraction minimale. Les murs de ces sallesétaient tendus de papiers peints et de tissus. Asseztôt, ces musées ont été électrifiés, avec des lampes àincandescence, dont la lumière chaude profitait auxtableaux. A l’opposé, dans les musées qui ont été éta-blis après la deuxième guerre mondiale, cette relationempirique entre le tableau à l’huile et son environne-ment a été oubliée. On se demande si les yeux desresponsables n’ont pas été abusés par les contrastesplus prononcés caractéristiques de la vie actuelle etde la peinture moderne.

Dans tous les cas, on peut constater que la visiontraditionnelle sensible aux valeurs tonales, a étéécartée au profit d’une vision purement scientifique.Celle-ci est basée sur la doctrine d’une lumière neu-tre, couvrant un spectre complet et objectivementéquilibré. D’abord cette vision a été adoptée dans lesmagasins par l’usage des lumières blanches. Puis,automatiquement, la lumière blanche et zénithale a étéconsidérée comme l’étalon pour éclairer même lesmusées. Dès lors, les aspects physiologiques des œu-vres ont été oubliés.

Si, dans les années 50, les murs étaient peints engris neutre, sans blanc de titane encore, nous cons-tatons qu’à la fin des années 60, les musées ont rem-placé leurs vieilles lampes à incandescence par deséclairages de plus en plus blancs, tandis que le blancde titane était appliqué partout. Dans ces nouveauxintérieurs, les vitres, dont la teinte naturelle était lé-gèrement verdâtre, sont apparues comme inaccepta-bles, et aussitôt remplacées par des vitrages stricte-ment incolores. Ces changements successifs ont eupour effet qu’aujourd’hui les visiteurs se réjouissentd’être immergés dans un bain de lumière. Mais pluscelle-ci est blanche, bleuâtre et diffuse, plus les ta-bleaux dans ces salles apparaissent sales et ternes.

En conséquence on s’est mis à accélérer les ma-chineries de nettoyage. Avec pour résultat que lesparties d’un tableau auparavant nuancées de brunssombres apparaissent d’un noir absolu, simplementparce que les anciens glacis et les vernis jaunâtresqui les teintaient ont été éliminés.

Deux arguments ont été avancés pour rendrecompte de ce qui se passait. Premièrement on a expl i-qué que ces œuvres avaient perdu leur cohérence ar-tistique du fait de l’altération de la matière picturale.

Ensuite, on a fait remarquer que les artistes avaientutilisé des couleurs de mauvaise qualité, promptes às’assombrir. Mais l’œil du connaisseur peut constaterque ces obscurcissements sont, dans la plupart descas, produits par des nettoyages excessifs.

L’atelier de Cézanne, chemin des Lauves, à Aix-en-Provence (Photo J. Revaldea. 1933)

Vue vers le coin de la fenêtre nord. D’autre part, une lumière dure entre horizontalement par les fenêtres

opposées du sud. Les murs sont gris. L’atelier est toujours dans son état d’origine.

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Les vernis teintésLes vernis teintés sur les tableaux du XIXe siècle

sont aujourd’hui rarement acceptés par les restaura-teurs, parce que l’on considère qu’ils sont issus d’uneépoque qui manquait de « lumière », au sens proprecomme au figuré. Dans la plupart des cas, ils sont to-talement éliminés lors des restaurations. Or les vernisteintés avaient été souvent appliqués consciencieu-sement par les artistes pour donner à leur tableauune atmosphère et une tonalité plus intimes, pourrendre lumineuses les parties foncées et tempérer lesparties claires. Dans la peinture de paysage, ils ontpermis d’évoquer l’humidité et les atmosphères vapo-reuses. Ils augmentent l’effet sensible des glacis etsont d’une aide précieuse pour représenter la dou-ceur d’une lumière dans une vue d’intérieur. Il ne faut

pas oublier que dans la peinture traditionnelle, la vi-rulence des couleurs était tempérée et qu’il était derègle d’éviter les blancs purs, tout comme le noir ab-solu.

Considérons un tableau ayant gardé toutes sesqualités du XIXe siècle, y compris ses vernis teintés :placé sous une lumière zénithale ou celle d’un néon,sa surface nous apparaîtra brun opaque et son cielverdâtre. Si nous le présentons sur un mur absor-bant, sous une lumière plus chaude, nous pourronsjuger combien l’œil est capable d’une correction opti-que : les bleus du ciel – « verdis » en effet – serontpourtant à nouveau perçus comme des tons bleus.Dans le cas où la teinte du vernis dominerait encoresensiblement ces bleus, une légère réduction de ce-lui-ci pourra être envisagée.

Résultat d’une restauration moderne Œuvre intacte, avec ses glacis et vernis

proprement scientifique Johann Heinrich Füssli : Thésée reçoit le fils d’Ariane, 1788

Johann Heinrich Füssli, Amour et Psyché, 1810 Musée : Kunsthaus Zurich

Musée : Kunsthaus Zurich. Inv. n° 1994/12 Cette œuvre, qui n’a pas été nettoyée, a conservé ses glacis

Donation : Société des Banques Suisses et son vernis intacts. La nudité des personnages nous donne

Füssli, comme d’autres artistes, créait avec les glacis et les ver- une toute autre sensation au sein de cette ambiance dorée.

nis une couche de finition d’une extrême richesse de tonalités. Les zones d’ombre, restant profondes, les rendent plus mystérieux

Mais dans ce cas précis, vernis et glacis ont été déclarés encore. Füssli prônait les chairs modelées, et n’a jamais voulu ses

¨ oxydés et sales. Par conséquent tout a été allégé à nu. personnages si blancs, ni ses fonds si opaques qu’ils le sont à

En plus, avec l’application d’un vernis synthétique, ce tableau présent dans le tableau de gauche. Ses cours à la Royal Academy

a été transformé en objet du XXe siècle en noir et blanc. de Londres nous renseignent sur ses préférences picturales.

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ARIPA Nuances 19, Février 99

Vernis minces et vernis épaisA partir du moment où les restaurateurs ont connu

les nouvelles valeurs esthétiques de l’impression-nisme, en particulier la texture très visible des tou-ches et souvent l’absence de vernis, ils ont commencéà forcer les contrastes chez les maîtres anciens, enenlevant tout ce que l’on appelle vernis sales, oxydéset épais. La texture de la brosse, l’effet de touche ontété fêtés, et des vernis modernes, minces et incoloresont été chargés de les mettre en valeur. C’est ainsique des tableaux de toutes les époques ont été« libérés », pour qu’ils soient enfin aussi modernesque possible.

C’était ignorer bien sûr que beaucoup d’artistes dela période traditionnelle étalaient leurs couleurs enévitant autant que possible de mettre en avant la ma-térialité du coup de brosse. Cette matérialité devaits’évanouir dans le vernis final, prévu pour enrober etfondre leur touche.

Il faut savoir encore qu’une peinture qui était con-çue avec une finition de glacis devait obligatoirementposséder un vernis définitif d’une certaine épaisseur.Ce rôle de construction picturale ne peut évidemmentpas être tenu par un vernis moderne, mince.

Le vernis traditionnel a pour premier effet la satu-ration ultime des pigments. Mais, de plus, il fonc-tionne comme un écran, où le monde idéal du tableause projette et par conséquent aussi se sépare dumonde réel de l’artiste et du spectateur. Si la peintureest cette étonnante fenêtre donnant sur une autre réa-lité, le vernis en est la vitre.

Au-delà même : où commence le vernis et oùs’arrête-t-il d’être un vernis, chez un peintre commeJohann Heinrich Füssli, par exemple ? Dans sesaphorismes sur l’art, il y a une toute petite phrase quiest significative pour toute la peinture à l’huile depuisla Renaissance : « Les nuances sont les vertus de lacouleur. » Actuellement nous trouvons partout desexemples de la disparition de ces vertus.

Regardons l’état de différentes œuvres de Füssli.- 1 er exemple : Thésée reçoit le fil d’Ariane. Voici

une œuvre qui n’a pas été nettoyée, et dont tous lesglacis et le vernis original ont été conservés. Ce ver-nis teinté a seulement été soigné de façon qu’il gardesa transparence. Aujourd’hui ce tableau peut servircomme modèle et comme référence.

- 2 ème exemple : Achille saisit l’ombre de Patrocle.Cette œuvre a été traitée, avant la deuxième guerremondiale, par un restaurateur qui a essayé de la net-toyer. Finalement il a enlevé totalement le vernisteinté et, partiellement, le glacis qui modelait certai-nes parties.

- 3ème exemple : Amour et Psyché. Ce tableau nousest parvenu portant la marque d’un restaurateur con-temporain, qui connaît tout sur les possibilités d’unerestauration moderne ; bien sûr il a enlevé tout ce quel’on nomme vernis jaune, ou sale, ou oxydé, ainsi queles repeints. Triomphe de notre époque, il a posé un

vernis synthétique extrêmement brillant, mince et in-colore. Comme pour bien d’autres œuvres encore, cetexemple démontre comment des tableaux de maîtresanciens sont aujourd’hui fréquemment transformés enimages quelconques du XXe siècle.

Claude Lorrain et les vernis synthétiquesEn 1986, le musée d’art de Zurich a acquis le ta-

bleau de Claude Lorrain, Pastorale avec l’Arc de Cons-tantin.

Cette toile avait été restaurée peu avant l’achat.Tous les vernis anciens et beaucoup de glacis avaientdisparu. Un vernis synthétique complétait la restau-ration. Evidemment l’apparence de ce tableau étaittout à fait déplorable. Sa surface étant très brillante,la lumière ne pouvait pas pénétrer et l’œuvre était àpeine visible. L’ensemble était terne et gris. Au lieudes anciennes nuances de tons qui créaient l’espacedu paysage, on ne remarquait plus que des contrastesclair/obscur : un ciel clair opposé au reste du tableautotalement sombre.

Pour montrer combien cette couche de matièresynthétique ne jouait pas du tout son rôle, il a suffitde passer sur ce vernis un pinceau véhiculant del’essence de térébenthine. Dans cette zone d’essai,l’essence de térébenthine, en pénétrant aussitôt à tra-vers le vernis synthétique jusqu’à la couche picturale,a produit déjà une saturation et amélioré l’aspect decette peinture d’une façon flagrante. Bien entendu,nous avons finalement enlevé ce vernis synthétique etl’avons remplacé par un vernis Dammar naturel, diluéà l’essence de térébenthine.

Reste cette question : comment des restaurateurspeuvent-ils appliquer des vernis synthétiques sur lestableaux de Claude Lorrain ? Comment des produitsmodernes, si totalement contraires à la matière de lapeinture à l’huile, peuvent-ils être passés sur tant detableaux anciens, dans tant de musées et d’ateliers derestauration, ces derniers temps ?

Si Claude Lorrain est un grand peintre, c’est sur-tout par l’extraordinaire espace qu’il a su créer grâce àd’exquises nuances dans ses paysages. Et c’est jus-tement cette qualité qui se trouve niée par la simpleapplication d’un vernis synthétique.

Pour éviter de telles erreurs dans le futur, les res-taurateurs doivent davantage se soucier des condi-tions de la bonne réception optique et des besoinsphysiologiques des tableaux à l’huile. Ils doivent serappeler, avant d’alléger, que l’on croit trop facilementque les vernis sont « sales », suivant le terme employéanciennement, ou « dénaturés par leur oxydation »,selon l’expression aujourd’hui consacrée.

Paul Pfister

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Goya à LilleOù l’on éprouve la pertinence des propos de Paul Pfister

et les effets brutaux d’un « concept neuf »

A celui qui voudrait vérifier « sur nature » les ef-fets décrits ci-dessus par Paul Pfister, je conseilleraide se rendre au Palais des Beaux-Arts de Lille où alieu, jusqu’au 14 mars, l’exposition d’une cinquan-taine de tableaux de Goya – avec, en prime, les qua-tre-vingt gravures des Caprices.

A peine arrivé, ce qui frappe le peintre que je suis,c’est la couleur des parois… violet vif ! Ce fond quioffusque le regard, qui, jamais, au cours de la visite,ne se laisse oublier, écrase tout. Il ruine les plussubtils effets de ces œuvres – chefs-d’œuvre souvent– qui, presque toutes, ont été nettoyées. Ce n’est pasle cas du Félix Guillemardet du musée du Louvre, sisubtil de couleur et de matière, si transparent, maisqui, ici, parait terne et plat. La couleur crue des mursn’est pas seule en cause. L’impression en est renfor-cée, plus ou moins selon les salles, très franchementdans la dernière, par le mélange d’éclairage électriqueet de lumière zénithale. Une sorte de voile s’interposeentre l’œil et l’œuvre et l’éteint. Afin d’en amoindrir leseffets, je dus mettre les mains sur le front en guise devisière et j’invitai mes compagnons à en faire autant.Parmi les visiteurs, aucun n’eut l’idée de nous imiter,trop attentifs sans doute (trop distraits) aux paroles del’audio-guide que, nombreux, ils tenaient. In petto jepensais qu’il serait plus éducatif, plutôt que de lesmunir de ces bruissantes prothèses, de leur distri-buer des casquettes.

Mérite-t-il encore sa place dans la maison des Mu-ses, celui qui, croyant exposer Goya, exhibe ainsi,avec son mauvais goût, sa cécité ? Mais, comme dit le

dépliant de présentation : « L’objet de cette expositionest d’actualiser le regard [de] l’artiste… » Ou encore :« Le concept de l’exposition Goya est neuf […] c’est au-tour du thème central du regard que viendras’organiser la cinquantaine de tableaux choisis parles commissaires de l’exposition ». De qui se moque-t-on ? De Goya, du regard et du public, d’ailleurs avertidès l’entrée que le temps de la visite n’excède pas uneheure. Soixante douze secondes par tableau. Sanscompter les gravures (et sans perdre de temps dans lasalle des radiographies ou devant les panneaux expl i-catifs).

Le portrait de Manuel Osorio Manrique de Zúñiga,œuvre charmante conservée au Metropolitan Museumof Art de New-York, a été choisi pour l’affiche. Cen’est pas dans ce choix sans originalité ni audace quel’on peut voir la marque d’un « concept neuf  ». Plutôtdans les signes cabalistiques qui oblitèrent l’image siconnue, ou que l’on croyait connaître. Car, devant letableau, une gêne s’installe. Le petit garçon vêtu derouge tenant sa pie au bout d’un fil a le visage bla-fard, décoloré par un nettoyage forcé. Son col dedentelle, qui laissait naguère transparaître le rouge del’habit, se brouille à présent sur une matière blan-châtre, ébauche probable d’un premier col différent.Où l’on voit qu’il est effectivement possible« d’actualiser le regard d’un artiste ». En restaurant.

James Blœdé

Manuel Osorio Manrique de Zúñiga (détail), Metropolitan L’affiche de l’exposition montrant le tableau (détail)

Museum of Art de New York, état ancien dans son état actuel

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A propos des fresquesde Giambattista Tiepolo

du musée Jacquemart-André

es fresques détachées des murs de la villaContarini à Mira, le long de la Brenta,

transposées sur toile et transportées pour êtreinstallées en 1894 dans l’hôtel particulier que lesAndré possédaient boulevard Haussmann, avaientsubi, dès avant ces manipulations, divers dommagesdont des coups de sabre et autres balafres prodiguéssur les visages peints par des soldats autrichiens lorsde l’occupation de la Vénétie.

Le transfert à Paris, très dommageable pour lafresque du plafond, le fut moins, semble-t-il, pourcelles des parois du vestibule de la villa qui se trou-vent aujourd’hui dans les parties hautes de l’étrangeescalier de ce musée. L’impatience des André paraîtcependant avoir nui à la conservation de ces fresquesdans la mesure où les plâtres des murs qui devaientles recevoir, bien que chauffés sans relâche durantl’hiver 1893-94 avec des braseros, n’étaient pas toutà fait secs, lors du marouflage définitif. Le Tout-Parisqui fréquentait l’endroit au début du siècle vits’éteindre en effet peu à peu sous un blanchimentprogressif, cette Réception d’Henri III, roi de France, àla villa Contarini. Diverses interventions et nettoyageseurent lieu durant ce siècle mais lors de la récenteréouverture, en 1996, du musée Jacquemart-André,l’ensemble de ces fresques présentait l’aspect triste,assez désolant, de fleurs fanées qu’on aurait oubliéesdans la poussière et faisait tache dans ce lieu quiaprès tant d’années de sommeil et de rumeurs diver-ses voulait renaître et se présenter sous un aspectpimpant. (L’accrochage des peintures, savamment re-pensé, se révèle souvent particulièrement heureux sion le compare à ce qu’il fut autrefois – plusieurs sal-les cependant manquent, comme c’est si souvent lecas aujourd’hui, de cette lumière du jour dont lapeinture à l’huile a besoin.) Il était donc logique quel’Institut de France, propriétaire des lieux, songeât àfaire dépoussiérer, sinon décrasser, cet ensemble,sous la responsabilité du nouveau conservateur, Ni-colas Sainte Fare Garnot.

Selon Anton Maria Zanetti dans son Della PitturaVeneziana de 1771, « …tous les peintres veulentavoir recours aux plus belles couleurs qui se peuventemployer à fresque ; et ils s’efforcent d’en découvrirde nouvelles. Mais Tiepolo, au contraire, faisait grandusage de teintes viles et sales, et des couleurs lesplus communes ; de sorte qu’en les faisant voisineravec ces autres teintes, assez belles et pures, […] il at-teignait un effet très heureux que l’on n’a certes pasl’habitude de voir chez les autres peintres. Il démon-

trait par là à quel point il comprenait le grand art descontrastes… » Rien n’est plus proche, du point de vuecoloré, de ces « teintes viles et sales » chères à Giam-battista et qu’il répand à loisir dans les architectures,les nuages, les vêtements et même certaines demi-teintes de peaux mates, que la poussière. Or tout res-taurateur se doit de faire disparaître crasse, salpêtreet autres chancis aux dépens souvent de ces « grissales » qui sont en fait des « gris colorés » qu’il ne peutplus voir. On ne s’étonnera pas dans ces conditionsde trouver aujourd’hui le résultat un peu fade. Lesgris, dont la présence et le poids mélodiques sontcomparables à ceux d’une basse continue, s’en sontallés à la suite des nettoyages successifs. Les archi-tectures, en particulier, se sont évanouies et la gammecolorée de ce qui reste peut sembler quelque peudouceâtre…

Mais nous voudrions insister sur la conduite et laprudence – en tous points exemplaires et à ce jouroriginales, hélas – de Monsieur Sainte Fare Garnot.Même si l’on ne sait pas encore très bien quel« tensioactif » a été utilisé en l’occurrence et que l’onpuisse tout craindre de ces produits si vite reniés parleurs utilisateurs, l’information du public fut cepen-dant exemplaire. Chaque semaine le curieux pouvaitse renseigner, dans une certaine mesure, surl’évolution des travaux.

L’exposition consacrée à cette restauration méri-tait elle-même plusieurs visites. Une salle se voulaitexplicative de la technique de la fresque et rendaitcompte de cette restauration, sans cette complaisanceparfois gênante que l’on rencontre si souvent dans cegenre de présentation. D’autres pièces étaient dédiéesau contexte historique de la venue d’Henri III à Veniseou celui géographique de la villa Contarini et de sadécoration : gravures, relevés, maquettes montées…

Mais surtout, trois esquisses à l’huile rendaientcompte de « l’invention » et de « la couleur » de Giam-battista. Le bozzetto magnifique, préliminaire à la Ré-ception, permettait, malgré bien évidemment la diffé-rence de technique, de sentir tout ce que la fresque apu perdre durant deux siècles et demi et de jouir avecune certaine mélancolie de la délicatesse colorée deGiambattista Tiepolo lorsque les gris sont encore là.

Jean François Debord

NDLR : Cette restauration « en direct », conduite sous la direc-tion d’Antony Pontabry, a duré de mai à octobre 1998. L’expo-sition qui a suivi a fermé ses portes le 20 janvier dernier.

C

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Les brumes perdues de TurnerEn Grande Bretagne, la presse se fait plus largement qu’en France l’écho

de la contestation. Témoin cet article que nous publions avec l’aimable

autorisation de Art Review, journal dans lequel Michael Daley, critique

d’art, illustrateur et directeur d’Art Watch en Grande Bretagne,

tient une chronique mensuelle sur la restauration

partir d’une œuvre en ruine, comment obtient-onune œuvre magnifiquement conservée ? Dans le

cas d’un Turner, nous avons la réponse : en la lais-sant tranquille !

En 1893, l’un des cinq tableaux de Turner du legsSheepshanks au Victoria and Albert Museum, Venisevue du Canal de la Giudecca…, était en si mauvaisétat qu’on l’enferma dans une vitrine et qu’on n’y tou-cha pas pendant un siècle. Après quoi il fut examinépar une spécialiste de la restauration de la Tate Galle-ry, Joyce Towsend, qui le jugea « en excellent état etplus proche de son apparence d’origine que biend’autres peintures dont on estimait auparavantqu’elles avaient mieux vieilli. » Alors que c’était leTurner le plus craquelé, c’est aujourd’hui le moinscraquelé et il est, en effet, en très bon état « pour uneœuvre du XIX

e siècle ». On a attribué ce miraculeuxrenversement de situation au fait que l’œuvre avait étéprotégée de la pollution et « des attentions des restau-rateurs ». Rien d’étonnant à cela.

Il est bien connu que les tableaux de Turner sontvulnérables aux restaurateurs et à leurs cocktails deproduits chimiques (ou « magie noire » comme lessurnomme un restaurateur de la Tate Gallery avec dé-sinvolture). La technique impulsive de Turner, sou-vent expérimentale, mélangeait les matériaux – cou-leurs à l’huile, résines, cires et aquarelle – avec uneindifférence évidente pour les règles du métier. Dansun même tableau de Turner, une autre spécialiste dela Tate Gallery, Joyce Stoner, a trouvé : « de l’huile delin cuite pour le ciel ; du bitume et de l’huile pour lepaysage dans l’ombre ; de la résine pure et des mé-langes huile/résine pour certains glacis ; des émul-sions d’huile et de cire (cire d’abeille et cire de blancde baleine) et des couches d’un medium à base decire presque pure pour les touches d’aquarelle ». Toutetentative de nettoyage des tableaux de Turner, pré-vient Joyce Stoner, « est très périlleuse du fait del’extrême solubilité et de la sensibilité de certainséléments de sa peinture à la chaleur. » (C’est un se-cret bien gardé dans le monde de la restauration queles couches de peinture, lorsqu’elles sont pénétréespar les solvants, gonflent et subissent des augmenta-tions inégales de température, ce qui peut entraînerdes clivages entre elles.) Joyce Townsend estime elle

aussi que restaurer Turner est « particulièrement ris-qué » parce que le peintre utilisait un mélange de cireet d’huile de lin, ce qui rendait certains glacis« solubles dans le White Spirit » (produit pourtantconsidéré comme un solvant « sans danger » pour laplupart des peintures) et parce que sa peinture àl’huile souvent « extêmement diluée » formait de trèsfragiles voiles de couleur « qui pouvaient être enlevéspar simple frottement ».

L’importance des dommages que la restauration afait subir aux tableaux de Turner est bien connue desspécialistes. Des toiles abandonnées pendant des an-nées dans les caves de la National Gallery ont été ju-gées par Martin Butler « en meilleur état que des œu-vres qui avaient été restaurées, souvent plus d’unefois, dans le passé. » Pour Evelyn Joll, « tout indiqueque les tableaux de Turner ont moins souffert del’emploi par l’artiste de matériaux qualifiés de dou-teux que, bien après, des mains de restaurateursignorants qui n’ont pas compris les techniques deTurner ni ses intentions. »

En 1993, Brian Sewell1 accusait la Tate Gallery decauser « des dommages irréparables à trop de ta-bleaux de Turner » et avertissait en particulier quetoute tentative pour retirer les vernis avec des sol-vants était très risquée. Rien de plus qu’un simplenettoyage de la surface vernie avec « de l’eau dis-tillée », insistait-il, ne devrait jamais être entrepris.

En 1995, Julian Pritchard, membre d’ArtWatchUnited Kindom, trouva le tableau de Turner, Tempêtede neige, Vapeur au large d’un port, alors prêté par laTate Gallery à la National Gallery – affaibli dans soncélèbre, vaste « tourbillon » dramatique. L’œuvre avait-elle été nettoyée ? La demande de renseignement qu’iladressa au directeur de la Tate, Nicholas Serota, nereçut de réponse que d’un assistant du conservateurdu département de la peinture anglaise, Ian Warrel.Le tableau « a bien été nettoyé » écrivait Ian Warrel,« par mon collègue Roy Perry qui est directeur du ser-vice de restauration du musée. Si vous voulez uncompte rendu précis de l’opération, vous pouvez lecontacter directement, mais il me dit que le tableaun’a eu besoin que d’un simple nettoyage de surface. »

A

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Voilà qui était curieux. Comment un nettoyage de lasurface du vernis pouvait-il affaiblir, et non rehaus-ser, les valeurs de la peinture située sous le vernis ?On demanda donc à Ian Warrel : « Avec quoi a-t-oneffectué le “simple nettoyage de surface” ? » Une ré-ponse moins lapidaire vint du directeur du service derestauration : en fait, le nettoyage avait été effectuéavec de l’eau « et des mélanges appropriés de solvantsorganiques ». Il n’avait pas été simple du tout et avaitentraîné, non pas seulement « l’élimination de lacrasse de surface » mais, plus dangereusement, cellede « couches de cire et de résine » et ce que l’on ju-geait être « quelques restaurations anciennes ».

Par ailleurs, au début de cette année, CorneliaParker, une artiste « conceptuelle » qui faisait partiedes candidats sélectionnés en 1997 pour le Prix Tur-ner qu’organise tous les ans la Tate Gallery, exposait àla Serpentine Gallery – en tant qu’œuvres d’art – plu-sieurs toiles de rentoilage provenant de tableaux deTurner de la Tate Gallery. […]

Les toiles de rentoilage fournies à Cornelia Parkerproviennent de sept tableaux traités en 1973/74 aucours d’un programme de restaurationmassif dans lequel 208 tableaux deTurner ont été traités en 18 ans. Lessept tableaux ont été doublés de toilesneuves, alors que ce procédé était déjàmis en cause : un restaurateur de laTate Gallery, Stephen Hackney, révélaiten 1990 qu’un moratoire avait été de-mandé dès 1974 lors d’un congrès despécialistes du rentoilage, tant la con-science était vive de « l’importance desdommages survenus dans le passé etdes difficultés techniques à prévenirles dégâts en employant les méthodes actuelles derentoilage. » On peut citer : « l’applatissement de lasurface… le mélange des glacis… le bouleversementdes matières solubles dans l’eau. » Les rentoilagesavec des adhésifs à base acqueuse et des fers chaudsprovoquaient le rétrécissement des toiles etl’apparition de vagues sur la couche picturale. Destentatives pour améliorer le procédé en employant dela cire et des tables chaudes à dépression n’ont réus-si qu’à créer « une nouvelle sorte de vagues telles quependant le rentoilage sous pression, la couche pictu-rale et la couche de préparation s’effondraient en par-tie dans la toile d’origine ou s’im-primaient dans lesvagues de la toile de rentoilage. »

En 1975, deux chercheurs identifiaient dix effets« dévastateurs et irréversibles » du rentoilage, résu-més en 1979 par David Bombord, un restaurateur« très réfléchi » de la National Gallery : « Il y a bienlongtemps que l’on prévient que malgré la facilité ap-parente avec laquelle on peut retirer une toile de ren-toilage, l’imprégnation de toute la structure par lescolles est un processus irréversible ; que certaines col-les peuvent modifier radicalement les valeurs tonalesde certains types de peintures ; que le rentoilage peutentraîner des changements irrévocables dans la tex-ture de la peinture ; et que au mieux, le rentoilage nepeut être qu’une solution temporaire, car il faut le re-nouveler à intervalles réguliers avec des chances desuccès de plus en plus faibles. » Avec un certain cou-rage, Bomford reconnaissait que l’on avait procédé àbien des rentoilages sans discernement… et souventsans nécessité. Les quelques rares tableaux du XVIe oudu XVIIe siècle qui avaient échappé à l’opération étaienttous dans un « état exceptionnel », et en particulier leportrait du Chanoine Ludovico di Terzo par Moroniconservé à la National Gallery, considéré maintenantcomme « indiscutablement l’un des tableaux du XVI

e

siècle les mieux préservés au monde » – précisémentparce qu’il n’a pas été rentoilé.

Il n’est pas certain que les autori-tés muséales aient vraiment comprisla nécessité de ne pas toucher lespeintures. En juin dernier, NicholasSerota suggérait que bien que le ren-toilage « soit une technique sansdanger », on l’utilise rarement au-jourd’hui « à moins qu’une peinturesoit très abîmée dans sa structure. »Devons-nous comprendre que lessept Turner dont il est question plushaut étaient très abîmés ? Sinon, la

Tate Gallery ajouterait-elle l’insulte à la blessure enautorisant une artiste conceptuelle à la mode à utilisercomme matériau brut les preuves d’un inutile mauvaistraitement infligé à un grand artiste ?

Michael Daley© Art Review & Michael Daley 1998

Traduction C. Vermont

1. Brian Sewell est un célèbre critique d’art, chroniqueur duEvening Standard de Londres.

Il n’est pas certainque les autoritésmuséales aient

vraiment comprisla nécessité dene pas toucherles peintures

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Débat avec un restaurateurNous publions ci-dessous un échange de correspondance

avec Jean Delivré, restaurateur

☛ Jean DelivréConservateur-restaurateur de sculptures

à Monsieur James BlœdéPrésident de l’ARIPA

Monsieur,

J’observe avec intérêt le débat parfois passionnéqui existe actuellement autour de la Conservation-restauration du patrimoine artistique. Je suis moi-même d’accord avec certaines de vos idées concer-nant l’entretien des œuvres du patrimoine artistique etdes biens culturels, quand vous suspectez le manquede réflexion à propos de certaines décisions del’administration, ainsi que la non-transparence desinterventions. Les fonctionnaires ne sont pas à mettreen cause, mais bien plutôt les structures et les modesde fonctionnement.

Mais il me semble que vous êtes peu informé, oubien que votre argumentaire ne prend pas sa sourcelà où il faudrait, c’est à dire auprès des individus quiont la responsabilité de pouvoir « toucher » les œu-vres, par outils ou produits interposés.

Si l’on considère par exemple celui qui dans unpremier temps a observé très attentivement de nom-breux marbres antiques du Musée du Louvre, a diag-nostiqué leur état, et finalement est intervenu physi-quement sur des œuvres majeures, fait-il vraimentpartie des conservateurs-restaurateurs dont les mainsdoivent être coupées ?

En fait, son parcours professionnel lui a sansdoute appris à effectuer autre chose que du« décapage ». En résumé :- Formation scientifique de départ : math sup, mathspé, intégration école d’ingénieur, licence de chimie- Formation technique puis pratique de la taille de lapierre (trois ans) ;- Pratique de la sculpture, techniques traditionnelles :mise aux points, ornementation ; travaux personnels(trois ans) ;- Formation professionnelle (IFROA, quatre ans ; pen-sionnaire Villa Médicis, un an) ;- Treize ans de pratique professionnelle : Musées,Monuments Historiques ;- Pratique pédagogique : Intervenant ENP (Ecole Na-tionale du Patrimoine), Enseignant ENP-IFROA(Institut Français de Restauration des Œuvres d’Art),pour des interventions où l’aspect critique de la Con-

servation-restauration (ainsi la problématique de lapatine) est plus qu’abordé.

Il peut ainsi se targuer de connaître mieux quepersonne avantages et risques des produits et techni-ques connus ou non du grand public : c’est son mé-tier.

Ce parcours lui permet aussi incontestablement :1) d’envisager donc autre chose que des décapages,quand il s’agit de décrasser (il n’y a pas d’autre mot)certaines œuvres,2) de pouvoir dialoguer positivement mais égalementsoutenir la contradiction avec les conservateurs dupatrimoine, même s’il peut y avoir risque de mécon-tenter fortement cette unique clientèle, et donc desupprimer l’unique source de revenus,3) d’avoir compris très vite que si son métier est celuid’un certain savoir, d’un indispensable savoir-faire,c’est aussi celui du « savoir ne pas faire », del’enseigner et de le proclamer,4) de constater ses propres limites,5) d’informer les détracteurs de son travail qu’il y aune foule d’imprécisions, d’erreurs et de fausses in-formations dans Nuances en général, et dans le N°18en particulier.

Il faudra donc peut-être un jour que vous informiezvos adhérents (peut-être par la publication intégralede cette lettre dans le prochain numéro de Nuances ?A vous de voir) que ceux qui interviennent avec leursmains sur les œuvres d’art ont aussi une tête, demême que les responsables des collections publiques.Dans cette tête peut se trouver un embryon de con-science, contenant lui-même peut-être un germe demorale.

Je vous prie de recevoir, monsieur, mes saluta-tions distinguées, et suis à votre disposition pourtoute information supplémentaire, dans le respect dela déontologie de ma profession.

Jean Delivré

☛ Nous avons répondu à Monsieur Delivré quenous étions favorables à la publication de sa lettremais que celle-ci gagnerait en pertinence s’il voulaitbien détailler ce qu’il appelait « une fouled’imprécisions, d’erreurs et de fausses informa-tions ». C’est ce qu’il a fait le 20 janvier.

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☛ Monsieur,

A ma lettre « d’humeur », vous avez répondu trèscourtoisement, aussi ai-je envie de poursuivre le dia-logue.

Je souhaite d’abord vous informer sur la situationdans laquelle se trouve le conservateur-restaurateurde biens culturels, mieux que je ne l’ai fait dans monpremier courrier. Ce point est pour moi fondamental.On ne peut dissocier l’acte des acteurs.

Quand le jeune diplômé a achevé sa formation(cette formation, de niveau maîtrise, couvre les do-maines historique, technique, scientifique, artistique,juridique…), il doit être capable, non seulement d’agirmatériellement sur l’objet, mais aussi d’effectuer toutun travail en amont comme en aval de « l’acte » physi-que proprement dit. En bref, le travail préalable peutêtre considéré comme un « diagnostic », où les obser-vations personnelles et les données historiques doi-vent si nécessaire être complétées par des analysesscientifiques. Ce diagnostic peut se conclure par uneproposition de traitement. La décision de l’acte doitêtre alors prise par le responsable juridique del’œuvre (souvent un conservateur du patrimoine dansle cas de collections publiques) en toute connaissancede cause. Cette décision est souvent prise collégiale-ment. Cette situation « idéale » est de plus en plus fré-quente. La compétence du conservateur du patrimoinedans le domaine précis qu’est la conservation restau-ration n’est pas le sujet de ce courrier.

Une fois le travail « matériel » effectué, le conser-vateur-restaurateur doit rédiger un rapportd’intervention où sont mentionnées ses observationset la nature de son intervention physique. Ce peutêtre une simple fiche, comme un document de plu-sieurs dizaines de pages, suivant l’œuvre ou son état.S’il peut être consulté, pourvu que la demande en soitlégitime, il ne peut être publié sans l’assentiment deson auteur (au titre de la propriété intellectuelle).

Après ces précisions, l’appellation « Conservateur-restaurateur », très récente, surprend moins. Elle nedéfinit peut-être pas idéalement l’activité, mais c’estsans doute la moins mauvaise. C’est d’ailleursl’appellation internationale adoptée (ainsi par l’ICOM).Le premier terme de cette appellation(« conservateur ») s’applique évidemment à la conser-vation matérielle de l’œuvre.

Cet ensemble de tâches, dont l’aspect critique estsans doute le plus important, conduit le conservateur-restaurateur à considérer sa profession comme ap-partenant au domaine des professions libérales, etnon de celui de l’entreprise, des métiers d’art, desprofessions artistiques.

En France, 94 % des conservateur-restaurateursformés et diplômés appartiennent au secteur privé,dont une grande partie travaille exclusivement pourl’Etat ou les collectivités. Ceux-ci assurent la forma-tion initiale, mais ne veulent pas entendre parler de la

suite, c’est à dire de la façon dont ces individus fonc-tionneront dans l’exercice de leur activité, de la re-connaissance de cette activité, de son niveau de com-pétence. Advienne que pourra. Le conservateur-restaurateur n’a aucun statut, aucune reconnaissanceprofessionnelle dans la société…

Profession à caractère libéral, le conservateur-restaurateur doit donc suivre une obligation demoyens, et non une obligation de résultats. Il doitaussi respecter une déontologie. La formulation decette déontologie est d’ailleurs très récente, ets’appuie en grande partie sur les réflexions de quel-ques théoriciens (Brandi, Philippot…), et des chartesinternationales et documents rédigés jusqu’à ces der-nières années. C’est avec raison qu’est souvent fait leparallèle avec la médecine libérale ou la chirurgie.Les analogies sont très nombreuses.

Comme je l’ai indiqué dans ma première lettre, iln’est pas toujours facile de suivre sans risque cette li-gne professionnelle, la dépendance à l’égard du com-manditaire étant parfois très forte. Tout le paradoxeest là : pour le bien des œuvres, la plus grande con-fiance doit s’établir entre le conservateur du patri-moine et le conservateur-restaurateur. Les deux par-ties ont leurs propres exigences, légitimes. Mais tantde choses les séparent : la formation initiale, le statut,la vision de l’objet etc. La relation client (Etat) / pres-tataire (privé) n’arrange rien.

A la lecture des écrits reflètant vos opinions, j’aisouvent éprouvé le même sentiment que lors de cer-taines discussions avec beaucoup de conservateurs,ou même de scientifiques ! : l’énervement et la lassi-tude d’écouter ou de lire des informations piochées àdroite à gauche, et d’entendre parler de notions malassimilées…

Avant de détailler quelques points forcément limi-tés, je ne vois pas pourquoi vous évoquez tant les soi-disants problèmes liés à la réversibilité ou à l’illusiondu retour à l’original. Ce que vous dites est une évi-dence depuis de nombreuses années pour moi etnombre de mes collègues ou interlocuteurs.D’ailleurs, si le discours « officiel » a du retard, ilévolue. N’oubliez pas non plus par ailleurs que beau-coup de conservateur-restaurateurs pratiquent paral-lèlement une activité artistique.

- Les problèmes de suppression (ou d’essaid’allégement) de la gomme-laque, surtout vieillie, nese fait pas qu’avec un peu d’acétone additionnéed’alcool (Nuances 18, p.6). L’utilisation des solvantsn’est malheureusement pas si simple.

- Comment pouvez-vous citer un rapport de Geor-ges Zezzos sur une peinture du Rosso Fiorentino(Nuances 18, p..9 ), qui a fait en son temps ce qui luiétait demandé, mais qui était en fait le restaurateurdes sculptures du Louvre des années 50-60, et nonde peintures ? Comment peut-on prétendre avoir unœil averti sur un Rosso, et effectuer tant

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d’interventions sur des sculptures de toutes épo-ques ? Je me sens moi-même incapable de rédiger unconstat d’état sérieux sur une quelconque peinture(peut-être plus que le profane, mais moins que le spé-cialiste).

- Je suis étonné que vous n’ayez pas vu l’essentieldu problème créé par le laser (Nuances 18, p.11) surle portail de la Mère-Dieu d’Amiens : l’uniformité durésultat qui supprime toute différence, donc trace dupassé, entre les zones mieux conservées (car en géné-ral mieux protégées des intempéries) et les plus dé-gradées ; en second lieu le fameux jaunissement irré-versible créé par l’interaction du rayon, du dépôt, etde la pierre, jaunissement identique qui se retrouved’Amiens à Mantes, de Bordeaux à Saint-Denis, de lapierre au marbre ou au plâtre, sur des œuvres duMoyen-âge à nos jours… Il s’agit aussi bien sûr depréserver toute trace de polychromie. Mais parler dudétail fait occulter l’essentiel. Sans détailler davantagemon parcours, je peux ajouter que je suis aussi en-seignant de la technique du laser à l’IFROA, où cetaspect critique de la restauration est plus que jamaisévoqué. L’outil peut être fantastique et indispensabledans les cas extrêmes, et très nuisible dans d’autres.Le débat sur l’utilisation du laser n’est pas clos ; lesabus de pouvoir sur les œuvres ne sont peut-être paslà où vous les voyez…

- Je fais un crime de lèse-majesté, mais je ne voispas en quoi l’appartenance à l’Institut peut conférer àun de ses membres une quelconque autorité (Nuances18, p.18) en matière de modification d’aspect de sur-face de marbre antique à la suite d’un nettoyage…L’extrême érudition dans le domaine concerné, les ti-tres les plus prestigieux, ne suffisent malheureuse-ment pas ! J’en ai parfois la triste expérience. Qu’unsavant donne son opinion, évidemment ; mais de là àlui conférer automatiquement autorité ! La violencedes mots de Balthus, grand peintre parlant des res-taurateurs de peinture, nous l’a bien montré récem-ment. Je pense toujours dans cette situation au vieuxGœthe, à Weimar, que l’Europe entière venait consul-ter sur les sujets les plus divers… : l’Immense Per-sonne faisait autorité !

- Il n’est pas surprenant que les analyses (Nuances18, p.18 ) n’aient pas permis jusqu’à présent de diffé-rencier traitements de surface antique, patine dutemps (expression un peu fourre-tout s’appliquant àun phénomène réel, mais indicible…), et couchesd’époque moderne. Les traitements de surface anti-ques sont effectivement connus, mais très sommaire-ment décrits par Pline par exemple (vous en faitesune description dans votre article de la revue Esprit ;il y a d’autres sources). Le temps et l’environnementont évidemment modifié au cours de nombreux sièclesla nature chimique des constituants, entraînant engénéral leur destruction. Ceci d’autant plus qu’on saitque lors des restaurations modernes drastiques ef-

fectuées depuis la découverte, on peut avoir appliquéle même type de produits (cire, huile, ou autres…).Puisque les très performantes méthodes d’analysemodernes sont incapables de déceler des traces deproduits, modifiés ou non, on peut légitimement seposer la question de leur perennité. Cela ne doit pasempêcher la recherche de continuer...

- Le « carbonate d’ammonium » (en fait del’hydrogénocarbonate d’ammonium) peut laisser effec-tivement un aspect blanchâtre, s’il est appliqué engrande quantité et à forte concentration, sous formeuniquement aqueuse, si le matériau est très poreux, siles rinçages ne sont pas suffisants…, bref si le con-servateur-restaurateur n’est pas averti et/ou négli-gent. L’expérience comme la bibliographie (dans sonimmense majorité) nous indiquent que l’utilisation dece produit est tout à fait possible, dans le cadre d’untravail sérieux. Et c’est là le point essentiel de cecourrier : le choix des produits et techniques est im-portant, mais c’est évidemment la main qui travaille etla tête qui guide cette main qui priment. Le scalpel duchirurgien peut sauver ou tuer, suivant la main quil’emploie ; c’est une question de compétence et deresponsabilité.

- Le « butylamine » est effectivement un décapanttrès pénétrant pour les peintures et vernis... mais nonpour les marbres. Mettez-en un peu (ou quelquesgouttes d’ammoniaque du commerce) dans de l’eau etappliquez sur un marbre poli (cuisine ou plaque deradiateur…). Vous essaierez en vain de constater lesdégâts. On se trouvera cependant dans des conditionschimiques similaires : action d’une base faible sur unminéral de même niveau de pH, réaction de com-plexation quasi-nulle... On pourrait toujours direqu’appliqué pur, sans limitation de temps (ce qui cor-respondrait à vouloir avaler un bol d’aspirine), onpourrait rencontrer quelques problèmes, ce qui reste àprouver. Cela ne représente en fait aucun intérêt (jene l’ai moi-même jamais employé…). Mais développerces sujets « scientifiques » ne peut être fait ici.

- Enfin les légendes des photos qu’on voit en basde la p.18 sont de la pure fantaisie et une véritableinjure à mon travail comme à celui de mes collègues.Il ne s’agit d’abord pas de « sceaux », mais de numérosd’inventaire datant probablement de la Restauration.De quand datent les altérations visibles sur ces pho-tos ? Comment un œil non averti peut-il déceler lestechniques que vous mentionnez ? La personne qui acru les distinguer les a-t-il lui-même pratiquées ? Deplus même un œil expérimenté n’est pas toujours ca-pable de faire ce diagnostic (j’en sais quelque chose)et finalement dans le type d’intervention faite à cesœuvres, ces pratiques sont depuis longtemps aban-données. Vous pouvez m’objecter que personne nesait jamais tout. Publier ces photos ainsi légendéesfait croire à vos lecteurs qu’on en est toujours à cesméthodes, avec de tels résultats ! Faute d’informations

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même minimales, vous en êtes à tout supposer ! Celarelève malheureusement d’une dérive paranoïaque quidéconsidère le reste de vos propos. Tout cela manquede… Nuances !

Je ne mets cependant pas en doute votre sincérité,et ne critique pas dans le fond la vigilance que voussouhaitez exercer, forme de contre-pouvoir face àl’administration parfois trop puissante.

Je vous prie de recevoir, Monsieur, mes saluta-tions distinguées.

Jean Delivré

P.S : J’ai bien sûr lu également votre article de larevue Esprit traitant du même sujet. A mon avis, à côtéd’essais d’analyse interessants, il s’y trouve trop deprocès d’intention ou d’interprétations hâtives. A la finde votre dernier courrier, vous avez évoquél’éventualité de me « contacter bientôt ». Je serais biensûr disposé à toute rencontre. Mais vous commencez àconnaître mon point de vue…

☛ James BlœdéPrésident de l’ARIPAMichel Favre-FélixMembre de l’ARIPAet d’ArtWatch Int.

à Monsieur Jean DelivréConservateur-restaurateur de sculptures

Monsieur,

Les contributions de R.H. Marijnissen au débat parses nombreux ouvrages et interventions, de PaulPfister dans les colloques et expositions au Kuns-thaus, sont essentielles depuis longtemps. Vous avezvu leur participation dans Nuances, avec celle de Ja-mes Beck ou de Jacques Poinsier. Votre interventiondoit être bien reçue puisque l’une des raisons d’êtrede l’ARIPA est de susciter une réflexion.

Nos réponses, brèves parfois, ne sont pas là pourclore ce débat, tout au contraire. Les thèmes si im-portants que vous abordez méritent d’autres échanges.La double signature de cette réponse tient au fait quevos critiques portent sur des articles rédigés par l’unet/ou l’autre de nous deux. Pour une question desimplicité (le « nous » faisant pompeux à la fin) nousadopterons en général le « je ».

Les griefs, non détaillés dans votre premier cour-rier, nous paraissent, précisés dans le second, rele-ver souvent de malentendus. Ainsi, pour répondre àune critique contenue dans votre première lettre, jepeux vous préciser que nous avons soin de nous in-former auprès de restaurateurs – plusieurs et expéri-

mentés – qui en effet « touchent les œuvres par outilset produits interposés ».

D’autre part, nous prenons connaissance d’articlesscientifiques et complétons nos informations auprèsd’ArtWatch en contact avec d’autres restaurateurs.

De plus, nous avons obtenu de pouvoir prendrenos informations à la source, par consultation desdossiers des Services de restauration et du Labora-toire de recherche. C’est après un long temps de refusrépétés de l’administration des musées, que l’accès àces dossiers a été possible, grâce à l’intervention dela Commission d’Accès aux Documents Administratifs.Notre volonté de consulter ces dossiers montre notredésir d’objectivité, je pense. Ils comportent les débatsde commissions, rapports de restauration, documen-tation et analyses scientifiques. Ceci peut signifierdes journées entières de consultation, puis d’étude,parfois complétée d’avis d’experts indépendants.

Bien sûr, tout cela ne garantit pas contre unemésinterprétation, une erreur, une confusion. Maisvous ne pouvez nier notre effort d’information que,bien sûr, vous n’étiez pas censé connaître.

Enfin, la participation aux commissions de restau-ration est la raison première de la constitution de no-tre association et elle reste sa raison de fond. Ellepermettrait d’éviter de pénibles malentendus et untravail critique insatisfaisant pour tout le monde puis-qu’il est a posteriori. Le refus de l’administration estincompréhensible et ne peut pas conduire à la con-fiance, ni à la vigilance que vous souhaitez, vous éga-lement.

Vous présentez votre situation, que nous sommesloin d’ignorer. Compte tenu de votre devoir de discré-tion, on entrevoit des incohérences de fonctionnementet la position difficile du restaurateur au sein del’administration ou face aux collectivités locales.

Vous désirez faire comprendre que les individusne sont pas en cause (et tous agissent de bonne foitrès certainement), mais seulement le mode de fonc-tionnement d’un système. Nous partageons ce soucide le voir réformer en effet, mais avant tout en ne secachant pas les problèmes, en informant le public, enouvrant le débat, et sans soupçonner tout intervenantextérieur de malveillance ou d’incompétence.

La médecine peut servir de modèle. En 1993, leschirurgiens n’ont pas hésité à parler publiquementdes carences du système (formation, urgences, com-pétence, etc.). Récemment a été publiée une évalua-tion des hôpitaux, du plus mauvais au meilleur. Untel classement – conservation préventive et interven-tions de restauration – est-il possible aujourd’hui ?Présenter toute restauration comme indiscutablementet parfaitement réussie, comme c’est le cas, ne peutque bloquer toute issue ou progrès.

Pourquoi deux associations, ArtWatch et l’ARIPA,sont-elles apparues depuis la fin des années 80 ?Entre autres, parce que le débat à l’intérieur dumonde de la restauration s’est effondré, avec des con-séquences bien visibles sur les œuvres. Lorsque,dans les années 50, Balthus avait protesté contre les

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dévernissages pratiqués à la National Gallery, lesmeilleurs esprits de la restauration, avec Brandi, avecGombrich, l’avaient fait comme lui et ils se sont battuspendant quelque vingt ans. Depuis, comme l’a déploréPaul Philippot, afin de sacrifier à la « courtoisie inter-nationale », le problème toujours plus vif du nettoyagedes peintures est devenu « un sujet tabou ».

Aujourd’hui, Balthus, avec le même œil, proteste ànouveau, et nous mesurons le silence qui s’est ins-tallé. Si ses mots ont une brutalité inversement pro-portionnelle à ce silence, on ne peut pas s’en réjouir.

La plupart des interventions ne sont pas, ou peu,« réversibles », vous le savez. Mais le grand public,rassuré, le croit encore. Un dernier article en date (LeFigaro du 14 janvier) indique que, bien sûr, il faut« que toute restauration soit réversible ». Il serait biennécessaire que les restaurateurs écrivent à ces mé-dias afin de les détromper une fois pour toutes – ycompris sur le mythique retour à l’original.

Pour ce qui est de l’évolution du discours officiel,l’ARIPA, sans prétention, est fondée à penser qu’ellel’a favorisée.

Nous pouvons à présent aborder les points précis.

Gomme-laque : Il s’agit ici de peinture, etl’utilisation de l’acétone et/ou alcool nous a été indi-quée par plusieurs restaurateurs expérimentés. Quel’utilisation des solvants ne soit « pas si simple  » estexactement, il me semble, ce que nous faisons remar-quer… car, justement, une citation dans le Journaldes Arts (à propos de la Joconde) laissait supposer unpeu vite que la présence de gomme-laque (et résine)rendait d’autant plus facile un « allégement ».

Monsieur Zezzos : Ici, vous faites, je pense, uneconfusion, très excusable, car vous aviez à l’espritMonsieur Zezzos fils, restaurateur de sculptures…Mais le rapport du Louvre sur le Rosso que nous ci-tons a été rédigé par son père, Georges Zezzos, res-taurateur de peintures de l’Atelier du Louvre établi en1936. Il devait avoir plus de quarante cinq ansd’expérience en 1953 et pouvait, vous le voyez, avoirun œil averti sur un Rosso Fiorentino (étant de pluspeintre de formation et accessoirement italiend’origine).

Mais reste votre question de fond : comment unrestaurateur peut-il avoir un œil averti… Restaurer lesmarbres antiques, puis une fresque de Tiepolo, etobtenir le contrat pour restaurer le grand plafondpeint à l’huile par Lemoyne à Versailles ? Ou, tel au-tre, restaurer en Italie des fresques de Véronèse et sespeintures et, en France, des sculptures à Chartres ouSaint-Denis ?

Amiens et le laser : Vous nous rappelez très à pro-pos que l’uniformité et le jaunissement sont les pro-blèmes essentiels du laser à Amiens. Un débat surl’utilisation du laser est aussi – pour qu’il soit bienutilisé – ce que nous demandons et il conviendrait

qu’il soit public car cet outil exerce un « effet de sé-duction » qu’il faut pondérer.

Nous avons évoqué le problème de la polychromiedans un contexte bien précis : celui du plaidoyer desservices culturels de la ville d’Amiens pour que soitétudiée une possible « recoloration » « réversible » (!)d’un portail. Il n’était pas inutile de préciser que lelaser ne pouvait servir d’argument en faveur d’un telprojet à la Viollet-le-Duc (et pire).

Vous notez le jaunissement irréversible. Mais(Journal des Arts du 8 janvier 1999) Monsieur Fon-quernie explique que « l’usage de compresses imbi-bées de solutions dissolvant la crasse permet d’ôter àla pierre la coloration jaune qu’elle présente après lepassage du laser. » Que doit penser le journaliste quicherche une information précise ? Et le public ?

L’Institut : Vous êtes libre de récuser la compé-tence d’un académicien. Pour notre part, nous consi-dérons que Monsieur Turcan, qui a publié des ouvra-ges qui font autorité, notamment sur les sarcophagesromains, a toute compétence pour avoir un avis surl’aspect, après restauration, d’un…sarcophage romain.

Même si l’avis et le conseil des artistes et des con-naisseurs n’est pas agréable à entendre, il est bienplus grave de les voir éliminés pour la première foisdans l’histoire de la conservation des œuvres d’art, –alors même que ce sont eux, artistes et connaisseurs,qui ont constitué historiquement les collections.

Comment sera jugé – dans un siècle – le refusd’écouter de la profession ? William Rubin du MoMareconnaît que c’est Picasso qui un jour lui a « ouvertles yeux » sur le massacre qui avait consisté à vernirles Cézanne. Non pas un restaurateur, ni un collègue.

Vous conviendrez que R.H. Marijnissen a un aviscompétent : « La profession est en mal de beaucoup dechoses, notamment de l’esprit de discernement néces-saire pour juger de sa propre discipline et d’une bien-veillance sincère pour écouter les arguments venusd’autres horizons. »

Sur la patine : Dans Nuances 18, l’expression« patine du temps » n’était pas employée comme un« fourre-tout », mais comme le mot correspondant à ladéfinition générale proposée par Philippot, la patineétant l’ensemble des effets normaux du temps sur lamatière (La notion de patine… 1966), définition re-prise par Brachert dans son étude importante : La pa-tina nel restauro delle opere d’arte (Trad. 1990).

Le Louvre parle, pour le Gladiateur Borghèse, deconservation de la « patine historique ». Notion que jetrouve beaucoup plus curieuse, puisqu’elle exclut lapatine colorée passée au XVIIe siècle tout en acceptantune finition de surface au Paraloid B72.

On trouvera plus de rigueur (trop ?) dans l’articlede vos collègues Larson et Cooper (The use of lasercleaning to preserve patina on marble sculpture / TheConservator n°20, 1996) où ils proposent une clarifi-cation que nous avons suivie. En résumé : la couchede sulfate de calcium (matière du gypse) qui a pu se

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former à la surface du marbre peut être reconnuecomme « patine naturelle » (que j’ai nommée« minérale » dans Nuances 18 ). D’autre part, sont re-connues comme patine les colorations issuesd’oxydations métalliques ou d’activité bactérienne enprofondeur.

Sur les produits : Il convient donc de remettredans leur contexte nos remarques de Nuances 18 surles produits (en dehors de quoi elles peuvent êtredéformées très facilement). Ce contexte était la ré-ponse faite par le Ministère à Monsieur Recours, luisignalant que les produits employés sur les sculptu-res étaient inoffensifs pour leur « épiderme ».

Nous avons noté que la liste des produits était in-complète, ce qui est vrai ; que le député pouvait êtreconduit à penser qu’ils étaient inoffensifs de par leurnature même (ainsi l’eau pure, le sel basique sansoublier la brosse douce).

« Tout dépend comment on se sert d’un produit ».Ce fait est absolument évident pour nous aussi. Mais,avec le meilleur savoir-faire, tout dépend encore de laqualité du regard, et du but que l’on se fixe. Cela estévident pour vous aussi, je pense.

Carbonate d’ammonium : Que les conditions danslesquelles apparaît le blanchiment ait été repérées,permet bien entendu d’éviter celui-ci (dans Compari-son of three cleaning methods…, LACONA 1/1994, leproduit était employé en solution aqueuse, mais ce-pendant pas dans des conditions aberrantes).

Notons simplement que Monsieur Pontabry signaleà la Commission de restauration que le carbonated’ammonium «agit sur le sulfate de calcium », et celui-ci ne sera pas utilisé sur le Gladiateur Borghèse.

L’addition d’EDTA nous paraît toujours mériter uneréponse – vous ne nous reprenez pas sur ce point –au regard, par exemple, de l’étude américaine de1992 : Changes in gloss of marble surfaces / Studiesin Conservation 37, 1992. Une question que nouslaissons aux spécialistes.

Butylamine : Vous avez raison. Notre demande derenseignements à un restaurateur a été faite en ou-bliant de préciser qu’il s’agissait de marbre. Lui-mêmene pouvait pas l’imaginer d’ailleurs.

Sur les buts : C’est ici le point essentiel de cetteréponse et je ne doute pas que vous soyez d’accord : ilne faut pas perdre de vue qu’avec le meilleur produitet bien utilisé, c’est le but que l’on se donne qui estprimordial.

Ainsi, tout dépend de ce que l’on reconnaît commevaleur historique et esthétique propre à une œuvre. LeLouvre nous explique que la préservation des restesde terre d’enfouissement au XVIIe siècle est admirablede modération, et l’on se décidera – après discussion– à les conserver aussi aujourd’hui sur le GladiateurBorghèse (quoique sans parvenir à une cohérence etune harmonie générale). Mais sur les Métopes

d’Olympie, ces restes ont été éliminés, et le résultatest une uniformité surréaliste – fut-elle obtenue« précautionneusement ».

Les « Numéros d’Inventaire » : En publiant votrelettre, nous tenons à vous donner l’occasion de con-firmer que vous et vos collègues êtes absolument horsde cause. La question posée n’avait pas une intentiond’insulte, vous l’imaginez bien. Vous pouvez d’ailleurscomprendre que l’origine de ces dégâts avait besoind’être clarifiée puisque, jusqu’à présent, le Louvre nerépond sur aucune des question que nous posons.

Ceci montre combien la question des dégâts occa-sionnés par de précédentes (anciennes) restaurationsest importante. Dans ce sens, nous réclamons depuislongtemps que l’état d’une œuvre avant sa restaura-tion prévue et son état après soient documentés régu-lièrement et le plus objectivement possible. Ceci doitêtre fait par les moyens du service scientifique et sansexclure les demandes et avis experts extérieurs. Unetelle documentation serait une garantie pour vous etpour nous et assurerait la transparence que le publicattend.

Or nous en sommes loin dans le système actuel,soit par carence, soit par manque de fiabilité, soitdonc par absence de réponse.

Déontologie : Il y a en effet neuf ou dix principauxcodes d’éthique, du Canada à l’Australie en passantpar la Suisse, dus aux associations de restaurateurs.Il en ressort souvent que l’intervention de restaurationdoit être minimale. Mais où voit-on un accord surl’évaluation de cette notion ? Et plus profondément,vous savez, bien sûr, qu’il y a un désaccord mondialsur ce que serait l’intégrité esthétique et historiqued’un objet d’art.

Nous partageons évidemment les mêmes référen-ces à Brandi, Philippot, en ajoutant Marijnissen.

C’est parce que le contrat de restauration est qua-lifié de « mandat » que vous n’êtes tenu qu’àl’obligation de « moyens » et non de « résultat », commeles médecins par exemple. Il serait trop long de dé-velopper les réserves que l’on peut faire sur ce point.Votre franchise à l’évoquer montre que vous devez êtreconscient, comme nous, que l’essentiel pour l’œuvred’art reste… le résultat.

Ce débat, centré sur les produits et sur les per-sonnes, nous a empêchés de parler de l’œuvre, de lamanière de la regarder avant toute chose.

Nous l’espérons pour une prochaine fois.

Quoiqu’il en soit des quelques « inexactitudes, er-reurs et fausses informations » qui auraient pu seglisser ici ou là – et que vous dénoncez, somme toute,en petit nombre – je note, pour ma part, que vous êtesd’accord avec l’ARIPA sur ce qui nous importe leplus : la mission qu’elle s’est fixée.

Nous vous en remercions.

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Vie de l’Association▼

L’affaire du Gladiateur Borghèse(suite)

Après avoir reçu la lettre de mon-sieur Pasquier nous apprenant quen’existaient pas les documents que nousdemandions sur l’acte de vandalismeperpétré en 1993 sur le Gladiateur Bor-ghèse (voir Nuances 18, page 16), nousavons saisi la Commission d’Accès auxDocuments Administratifs. Celle-ci areçu la même réponse de monsieur Ro-senberg et n’a pu que déclarer sansobjet notre demande d’avis. Aussi ve-nons-nous d’adresser cette ultime de-mande de renseignements au directeurdu Louvre.

Monsieur le Président,En 1993, un vandale a pro-

prement nettoyé un morceau de lacuisse droite ainsi que le pénis duGladiateur Borghèse. Ceci à unmoment de grande affluence tou-ristique et dans la salle particuliè-rement fréquentée de la Vénus deMilo.

L’absence de documents rela-tifs à cet acte dans le dossier ad-ministratif de restauration nous aconduits à demander à monsieurPasquier [conservateur en chef dudépartement des Antiques] lacommunication de certaines piè-ces indispensables à notre infor-mation. Celui-ci nous a fait parve-nir deux documents, soit :copied’un constat d’état, daté du 5 août93, dont rien, ni tampon ni si-gnature, ne garantit l’authenticitéet, tout aussi contestable, lecompte rendu de restauration té-moignant du re-patinage des par-ties nettoyées par l’atelier desmarbriers, daté du 10 août 93, nisigné ni tamponné.

Le restaurateur de 1996, mon-sieur Pontabry, attribue cet actede vandalisme à « un intervenantanonyme du musée », mais où sontles documents qui attesteraientqu’une enquête aurait été diligen-tée ? Se pourrait-il qu’entre la dé-couverte de ce décapage etl’établissement du constat d’état,pas la moindre petite note de ser-

vice n’ait été adressée au direc-teur d’alors, monsieur Laclotte ?

Que l’on n’ait pas cherché àsavoir comment et à l’aide de quelsolvant l’acte avait été perpétréafin d’en éventuellement neutrali-ser les effets ? Peut-on croire, ensomme, qu’il serait possible deporter atteinte à un chef-d’œuvredes collections nationales sansqu’aucune procédure nes’ensuive ?

Nous avons appris par la CADAque, questionné par elle, vousn’avez produit aucun supplémentd’information. Pourtant, la grandefaiblesse du dossier qui se ré-sume, pour l’instant, à un constatd’état douteux, dont la date estlargement postérieure à la perpé-tration de l’acte, semble indiquerqu’un ou des documents auraientpu s’égarer. Certainement, uneenquête dans vos services per-mettrait de faire la lumière sur cemystère. C’est pourquoi, pouréviter d’aller plus loin (suite mé-diatique voire judiciaire ?), noussouhaitons vous demander ce quipourrait compléter le dossier decette affaire.

James Blœdé

Une nouvelle salle pourla Joconde

Le Louvre a annoncé en décembrele réaménagement de la salle des Etatsoù est exposée la Joconde. Cette sallesera divisée en deux. La plus grandepartie accueillera les Noces de Cana etles grands tableaux de la Renaissancevénitienne. La Joconde prendra placedans 200 mètres carrés. L’architectesera choisi en avril. L’achèvement destravaux est prévu pour 2002.

Le 27 octobre 1998, nous avionsécrit à Pierre Rosenberg, président di-recteur du Louvre, la lettre suivante :

Monsieur le Président,Nous nous réjouissons de la

décision du Louvre de ne passoumettre la Joconde à une res-tauration qui ne s’impose nulle-ment. Par contre, nous ne parve-nons pas à comprendre le partipris de créer son nouveau lieud’exposition en agrandissant le« sas d’entrée » de la salle des

Etats. Ce choix nous laisse per-plexes pour bien des raisons.N’est-il pas absurde de diminuerla taille de la salle des Etats dontla dimension actuelle est à la me-sure des chefs-d’œuvre qu’ellecontient et du public nombreuxqu’elle accueille ? De tels travauxne sont-ils pas d’une grande com-plexité, notamment à cause de laverrière ? Ce chantier ne va-t-ilpas pour longtemps priver lesamateurs de la vue des peinturesvénitiennes (sans parler des ris-ques courus à nouveau par les No-ces de Cana) ? Enfin, le coût pha-raonique d’un tel aménage-mentest-il justifié, quand bien même ilserait financé par les Japonais, etcompte tenu de la possibilitéd’installer ailleurs la Joconde ?

Par exemple, tout à côté, le sa-lon Denon. Ce salon, qui jouxte lasalle des Etats, n’est-il pas tout àfait approprié, tant par ses dimen-sions, sa situation, que par sesmultiples accès qui permettraientune circulation fluide des innom-brables visiteurs de la Joconde ?Ajoutons que ce salon n’est pasactuellement utilisé de façon sa-tisfaisante, et ce, depuis long-temps.

[...] Par ailleurs, n’aurait-il pasété judicieux de créer une salleLéonard, en exposant près de laJoconde les autres œuvres dumaître conservées au Louvre ?

———Cette lettre est restée sans réponse.

L’Aripa et Le Monde

Du nouveau dans Le Monde.Dans une page consacrée auxproblèmes du patrimoine, le 22novembre, Emmanuel de Roux,sous le titre « Les restaurateurssont de plus en plus souvent criti-qués », citait James Blœdé, prési-dent de l’ARIPA. Pour la premièrefois, les opinions de notre asso-ciation étaient (brièvement...) pri-ses en considération.

Emmanuel de Roux ayant écrit :« Depuis sa création, (l’ARIPA)stigmatise la plupart des restau-rations, qu’elle juge abusives. », lavirgule nous a paru… abusive.

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Nous l’avons signalé au journalqui a accepté de publier (le 9 dé-cembre) un rectificatif : « Une er-reur de ponctuation a changé lesens d’une phrase (...). Il fallaitlire : “L’association stigmatise laplupart des restaurations qu’ellejuge abusives.” En effet , (...)l’ARIPA ne stigmatise que les res-taurations qu’elle juge abusives,et non “la plupart des restaura-tions”… ».

———

Soleil levant

Le 17 novembre dernier, LeMonde signalait dans un entrefiletl’achat par le Musée Getty de LosAngeles, « pour un montant tenusecret », d’un tableau de ClaudeMonet de 1873 : Soleil levant.Quatre jours après, uncomplément d’informationprécisait qu’il ne s’agit pas ducélèbrissime Impression, soleillevant, mais d’une œuvre presquehomonyme. C’est un tableau trèspeu connu car ayant très rarementchangé de mains, mais fort beau,de même format que l’autre. Iln’est passé en vente que deuxfois, le 24 avril1875 (achat parHenri Rouart), puis le 10décembre 1912 (achat de DurandRuel « pour une famille qui lepossède encore » indique lecatalogue du Centenaire del’Impressionnisme en 1974). Onse demande d’abord pourquoi laFrance l’a laissé partir alorsqu’elle a la possibilité de leclasser et de l’empêcher de sortirdu territoire.

Puis on repense à l’affaire duJardin à Auvers. Ce tableau deVan Gogh – dont l’authenticité estactuellement remise en cause – aalimenté la chronique depuis1989, puisque l’Etat l’a classé,mais pas acheté, le bloquant enFrance et lui faisant perdre dumême coup une part si importantede sa valeur, qu’après l’avoir (mal)vendu, son ancien propriétaire,Jean-Jacques Walter, a attaquél’Etat et obtenu 145 millions defrancs de dédommagement (ce qui,avec les frais, représentebeaucoup plus pour lecontribuable). L’affaire n’est pasterminée.

Cette jurisprudence paralysel’Etat, maintenant pratiquementobligé, s’il empêche la sortie d’uneœuvre d’art, de l’acheter. Or lebudget de la Culture ne permetpas de faire face à l’acquisition detoutes les œuvres que l’onsouhaiterait garder en France.

Pour le tableau de Monet, c’estbien dommage, car il y a tout lieude croire qu’une peintureconservée si longtemps entre lesmêmes mains était restée intacte,ni restaurée ni inutilement vernie,et que nous avons perdu uneœuvre de tout premier plan.

Christine Vermont

Delacroix à Tokyo

Comme nous l’avions déjàannoncé dans un précédentNuances, La Liberté guidant lepeuple, d’Eugène Delacroix, a étédécrochée des cimaises du Louvrepour être envoyée au Japon. Le

tableau est réputé fragile mais ladécision de ce prêt est politique.On peut être surpris de l’absencede protestation des responsablesdu Louvre. La raison d’Etat netient pas compte des raisons del’état du tableau...

Propos d’hier etd’aujourd’hui

« Avec de l’esprit et une grandeconnaissance de l’histoire, on estjuge de la partie historique d’unecomposition, des caractères et despassions qu’on y a fait entrer, desbienséances, et rien de plus. Lejugement de l’ordonnance, des fi-nesses du dessein et du colorisqui renferment la perspectiveaërienne, est réservé à ceux, quile crayon et le peinceau à la main,en ont fait une étude particulière.Sans elle on aura beau froncer lesourcil, prendre un air de mé-contentement à la vue de quelquetableau, affecter une attention fortexagérée par l’usage d’une lor-gnette dirigée dessus, parler, em-ployer tous les termes de l’art, etse mêler de décider ; on n’estqu’un ignorant, qui, à la téméritéde faire sonner fort haut ses con-naissances, joint le ridicule devouloir qu’on y défere : les seulsgrands Poëtes se connaissent bienen vers. »

La Font de Saint-YenneObservations sur les arts, et sur quelques

morceaux de Peinture et de Sculpture,

exposés au Louvre en 1748. Leyde,1748.

&Nuances historique !

Fin mars, les éditions IVREA publieront un livre d’art d’une facture par-ticulière : il s’agit d’une édition en fac-similé, sous couverture cartonnée,des dix-huit premiers numéros de notre bulletin, sous le titre : Chroniqued’un saccage, la restauration en question. Ainsi l’aventure de l’ARIPA,après un long cheminement par des sentiers difficiles, est-elle en train dedevenir historique. Ce livre sera dans toutes les librairies.

Page 20: A Propos Des Fresques

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ARIPA Nuances 19, Février 99

Rappel ... Chronique d'une protestationL'ARIPA

1975. Jean Bazaine est le seul peintre nommé mem-bre de la Commission consultative de restauration. Ilen démissionne, son utilité dans ce comité lui parais-sant, pour diverses raisons (modes de concertation,rapports de force), parfaitement illusoire. Les autoritésne jugeront pas nécessaire de le remplacer.1983. Une pétition protestant contre l’absenced’artistes au sein de cette Commission, signée par uncertain nombre de professeurs des Beaux-Arts etd’élèves, reste sans suite.1983-84. Serge Bloch tente sans succès de faire ces-ser les restaurations de sculptures gréco-romaines duLouvre.1986. La chapelle Sixtine. Toute la partie du travail deMichel-Ange exécutée « a secco », en grisaille, main-tes fois restaurée dans le passé, est cette fois carré-ment supprimée pour découvrir le travail préalable « afresco ». Un texte, signé par de nombreux artistes etpersonnalités, demande la suspension des travaux. Iln’est suivi d’aucun effet.1989. Début de la restauration des Noces de Cana. Leprogramme est sensationnel : pour une somme consi-dérable, un des plus grands et célèbres tableaux aumonde sera complètement « purifié ».1991. Choqué par l’extrémisme des interventions dedécapage en cours, Jean Bazaine, entouré d’autres ar-tistes, envisage la création d’une association (JeanBazaine avait, dans le passé, animé un mouvement deprotestation analogue qui permit de sauver les vitrauxde la Cathédrale de Chartres, menacés par de malen-contreuses restaurations).M. Jacques Sallois lui écrit le 1er Août : « Il va de soiqu’une fois votre association constituée, un mode deconcertation entre la commission de restauration etles délégués de l’association pourrait être envisagé ».1992. Création de l’ARIPA. Infructueuses tentatives dedia logue au sujet des Noces de Cana. La direction desMusées de France fait savoir qu’en raison des accordspassés avec l’entreprise mécène de la restauration,« aucune explication ne sera fournie avant l’ouverturede l’exposition ».Juin 1992. Noces de Cana. Mal conçues, les installa-tions de ventilation (nécessaires à l’évacuation desvapeurs de solvants utilisés pour la restauration) lais-sent pénétrer l’eau d’un orage dans la Salle des Etatsdu Louvre. Trempée, alourdie par l’eau, l’immense toiledes Noces de Cana s’écroule et se crève pendant quel’on essaie de la hisser pour la faire sécher. Il faudra

six mois de restauration supplémentaire, toutes portescloses (la restauration devait avoir lieu « en public »)pour recoudre et masquer ces déchirures (accident quia finalement moins endommagé le tableau quel’ensemble des opérations menées délibérement surtoute sa surface).Septembre 1992. Texte de l’ARIPA demandant un mo-ratoire et un débat public sur les problèmes de la res-tauration. Depuis, plus de deux cent signataires, dont :

Rémy Aron. Balthus. Paul Baudiquey. James Bayle.Jean Bazaine. Laure de Beauvau-Craon. James Beck.René Belletto. Jacques Bertin. Vincent Bioulès.Serge Bloch. Alain Blondel. James Blœdé. PascalBonafoux. Yves Bonnefoy. Jacques Bony. AlainBosquet. Maurice Breschand. Robert Bresson. PierreBulloz. Pierre Cabanne. Elisabeth Caillet. JeanCardot. Pierre Carron. Henri Cartier-Bresson.Edmonde Charles Roux. Christo et Jeanne-Claude.Louis Clayeux. Julien Clay†. André Comte-Sponville.Jean Courthial. Leonardo Cremonini. Jean Dasté†.Jean François Debord. Michel Deguy. Jean Delannoy.Jean Desailly. Decerle. Deverne. Jean-PhilippeDomecq. André du Bouchet. Georges Duby†. JacquesDupin. Henri Dutilleux. Jean Dutourd. Georg Eisler.François-Xavier Fagniez. Michel Favre-Félix. Jean-Michel Folon. Georges Formentelli. Marc Fumaroli.Julien Gracq. André Green. Jean-Pierre Greff. SimoneGröger. Luigi Guardigli. Carlo Guarienti. Christine deGuerville. Masao Haijima. André Heinrich. Jean-François Jaeger. Georges Jeanclos†. JacquesKerchache. Pierre Klossowski. Léo Kockaert.François Lallier. Marc Le Bot. Pierre Le Cacheux.Philippe Leburgue. Jean Leyris. Pierre Leyris. GérardMacé. Daniel Marchesseau. Raymond Mason.Gregory Masurowski. François Mathey†. YehudiMenuhin. Judith Miller. Philippe Noiret. MauriceNovarina. Clémentine Odier. Olivier O. Olivier.Gérardde Palezieux. Geneviève Picon†. Christian Pouillon.Henri Raynal. Maurice Rheims. Marc Riboud. PaulRicoeur. Claude Roy†. Colette de Sadeleer. CharlesSacchi. André Sarcq. Toti Scialoja. Jean-BaptisteSécheret. Catherine de Seynes. Claude Simon.Marcel Siret. Pierre Skira. Gustave de Staël. SamSzafran. Lap Szé-to. Jean Tardieu†. Yvan Theimer.Jacques Tiné. Jean-Max Toubeau. Etienne Trouvers.Paolo Vallorz. Xavier Valls. Vieira da Silva†. Jean-Noël Vuarnet†. Guy Weelen. Zao Wou Ki. JanoXhenseval. Fred Zeller...

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