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Societe d’Etudes Latines de Bruxelles A propos d'un dilemne de Minucius Félix Author(s): Jean-G. Préaux Source: Latomus, T. 14, Fasc. 2 (Avril-Juin 1955), pp. 262-270 Published by: Societe d’Etudes Latines de Bruxelles Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41520373 . Accessed: 12/06/2014 11:19 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Societe d’Etudes Latines de Bruxelles is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Latomus. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.79.92 on Thu, 12 Jun 2014 11:19:20 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

A propos d'un dilemne de Minucius Félix

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Societe d’Etudes Latines de Bruxelles

A propos d'un dilemne de Minucius FélixAuthor(s): Jean-G. PréauxSource: Latomus, T. 14, Fasc. 2 (Avril-Juin 1955), pp. 262-270Published by: Societe d’Etudes Latines de BruxellesStable URL: http://www.jstor.org/stable/41520373 .

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A propos d'un dilemne de Minucius Félix

Le seul manuscrit valable de YOctauius donne la leçon suivante en un point important de la réfutation chrétienne : пес mortuos coronamus. Ego uos in hoc magis miror quemadmodum tribuatis exanimi aut non sentienti facem aut non sentienti coronam, cum et beatus non egeat et miser non gaudeat floribus (38, 3). Il est traditionnel depuis Ursinus et Saumaise de reconstituer le dilemne en supprimant la première négation devant facem ; quant à l'in- terprétation, on la fonde généralement par comparaison avec le passage (11, 4) où Cécilius recourt au même type de dilemne, bien attesté par ailleurs, pour démontrer que les Païens ont raison de brûler les morts. Octavius s'étonne de ce rite, inconcevable si le mort éprouve quelque sentiment, et il exprime par facem ce que Cécilius désignait par fiamma ou ignis. On ne s'est jamais inquiété, semble-t-il, de savoir si dans ces conditions le dilemne posé par Octavius était correctement libellé ; seul, à ma connaissance, B. Dombart s'est efforcé de le défendre et il suffit de comparer sa traduction à celle de Waltzing, par exemple, pour mesurer ce qui les sépare (1). C'est que Dombart avait bien vu que le verbe tri- buatis a deux objets, facem et coronam, mais que c'est ce dernier qui seul constitue le point principal du raisonnement comme le prouve la fin de la phrase avec le rejet intentionnel de floribus. C'est sans doute pour cette raison que M. Quispel n'a pas hésité à corriger ce passage en s'appuyant sur un texte rapporté par Diogène

(1) J.-P. Waltzing (Louvain, 1902), p. 47 : « pour moi, je m'étonne que, si les morts ont du sentiment, vous en approchiez une torche, et que vous leur donniez une couronne, s'ils n'ont pas de sentiment : s'ils sont heureux, ils n'en ont pas besoin, et s'ils sont malheureux, les fleurs ne peuvent les réjouir ». B. Dombart dans Neue Philol. Rundschau , 1904, p. 419 : « von euch scheint es mir befremdlich, wie ihr einen Tot, während ihr ihn, als besitze er keine Emp- findung, mit Feuer verbrennt, doch anderseits, als habe er eine Empfindung, mit Blumen bekränzen könnt, da er doch, wenn er selig ist, der Blumen nicht bedarf, wenn unselig, sich nicht darüber freut ».

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Laërce, qui l'autoriserait à éliminer le dilemne comme suit : ego uos in hoc magis mir or, quemadmodum tribuatis exanimi ut non sentienti facem ut sentienti coronam, cum et beatus non egeat et miser non gaudeat floribus (1). Si la correction de aut en ut est possible en raison des types de fautes commises dans le Parisinus 1661 , cette correction se heurte à deux objections graves : elle élimine le di- lemne et elle ne peut être garantie par la citation de Diogène Laërce parce que le texte latin oppose facem à coronam là où le texte grec crée une antithèse entre xaieodai et âTtoxaieodat ou bien entre xaraxaovrcov et TtaQaxaôvrœv (2). C'est d'ailleurs cette présence de facem à côté de coronam qui me paraît insolite dans un dilemne destiné à prouver pour quelles raisons les Chrétiens ne couronnent pas les morts. A-t-on assez observé que tout le passage (38, 2-4) traite de l'emploi des fleurs par les Chrétiens? A-t-on remarqué que la phrase qui suit ce dilemne commence par at enim et se pré- sente comme une justification du résultat obtenu par le dilemne, à savoir que les Chrétiens n'ont aucune raison de couronner les morts? Je ne vois pas dans ces conditions quel motif pouvait guider Octavius pour construire son dilemne en opposant la cou- ronne à la torche, d'autant plus qu'il avait déjà réfuté l'attaque de Cécilius, relative à la répulsion chrétienne pour la crémation, en lui rétorquant qu'il était naturel que le corps retournât à la terre : пес, ut creditis, ullum damnum sepulturae timemus, sed ueterem et meliorem consuetudinem humandi frequentamus (34, 10). Et Oc- tavius enchaîne en donnant des preuves tirées de la nature de la

croyance chrétienne à la résurrection, ce qui répond à la critique formulée par Cécilius (11, 1-9). Si l'on observe enfin que Minucius Félix a composé la réfutation du point de vue païen par Octavius de façon à créer un parallélisme entre les deux discours, il faudra bien admettre l'improbabilité qu'en pleine réfutation de la critique relative à l'absence de couronnes dans les cérémonies funèbres des

(1) G. Quispel, M, Minucii Felicis Octavius , Leiden, 1949, p. 81. (2) Diogene Laërce, IV, 7, 48 (à propos de Bion de Borysthénis) : Karê-

yivœaxe ôè xal rœv rovç âvQqónovç xaranaóvr œv jbièv œç âvawdijrovç, na- Qaxaôvrœv ôè œç alodavojuévoiç. Le texte allégué par M. Quispel ap- partient en réalité à un recueil gnomique édité par L. Sternbach (Wiener Stu- dien, IX, 1888, p. 186) : d avròç (sc. *Avá%aQOiç) êçc orrjdelç vnó rivoç ri êOeáoaro êv rfj 'EXXáôi TtaçáôoÇov , eine то rovç vexçovç xaíeadai /uèv <hç âvaiodrjrovç, ânoKaíeaQat, ô' avroïç d>ç aio davo pêro iç.

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Chrétiens Octavius ait introduit un rappel à une critique, qu'il avait déjà réfutée et qui concerne la crémation. Je crois que c'est la forme même du dilemne - aut sentienti aut non sentienti , -

conjuguée avec la présence de facem , qui a engagé la critique una- nime à recevoir cette leçon du Parisinus parce qu'elle y reconnais- sait une allusion au passage où Cécilius avait utilisé la même forme de dilemne à propos de la répugnance chrétienne à incinérer les cadavres. Mais Cécilius imitait là le dilemne posé jadis par Sénè-

que (г) et qui, au témoignage de Diogène Laërce, citant Bion de

Borysthénis, devait être ancien et populaire. Est-ce une raison suffisante pour croire, sur la foi du Parisinus si fautif, qu' Octavius, recourant au même type de dilemne - un cadavre jouit-il d'un sentiment quelconque ou non ?, - l'ait utilisé dans le même con- texte que Sénèque et Cécilius, au risque de lui enlever toute force démonstrative?

Le passage de la réfutation chrétienne sur l'emploi des fleurs (38, 2-4) est bien charpenté. On a coutume d'en rapprocher sur- tout deux textes de Tertullien, Apolog., 42, 6 et De corona, 5, 10. Comme Y Octavius est plus détaillé sur ce point que Y Apologétique, on en a tiré parfois argument pour dire que Tertullien résumait Minucius Félix. C'est faire bon marché du De corona qui offre en 5, 9-10 un exposé aux allures dogmatiques sur l'usage des fleurs par les Chrétiens. Tertullien y montre l'importance des cinq sens de l'homme comme moyens de faire parvenir les sensations jusqu'à l'âme ; puis il fonde sur cette observation liée à la nature humaine, dont Dieu est le maître, une doctrine, présentée comme étant celle de la tradition chrétienne et relative à l'usage des fleurs par les Chrétiens. Déjà la présence dans Y Octavius de l'argument tiré de la couleur et du parfum des fleurs - et quicquid aliud in floribus blandi coloris et odoris est, - absent dans Y Apologétique, mais constituant la pierre angulaire de l'exposé du De corona, suggère une dépendance plus étroite qu'on ne l'a admis jusqu'ici. Pour ex- pliquer pourquoi les Chrétiens ne parent pas leur tête de fleurs, Tertullien recourt dans cette page du De corona à une argumenta-

(1) Sénêque, De remed . fort liber, V, 1-2 : « insepultos iacebis » : ... s i nihil s e n t i о , non pertinet ad me iactura corporis insepulti ; s i s e ntio , omnis sepultura tormentum est .... Quid interest ignis me an fera consumât an tempus, ultima omnium sepultura^ Istud non sentienti superuacuum est, sentienti onus.

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tion assez subtile, encore que découlant des prémisses de son rai- sonnement. La voici: Quis igitur fructus ex floribusl Substantia enim propria, certe praecipua , coronarum flores agri. « Aut odor, iriquis , aut color , aut pariter utrumque ». Qui erunt sensus coloris et о do r is ? uisus, opinor , et odoratus . /s/os sensus , quae membra sortita sunti oculi , nisi fallor , eí nares. V/ere itaque floribus uisu et odoratu , quorum sensuum fructus est, utere per oculos et nares, quae eorum sensuum membra sunt. Substantia tibi a deo tradita est, habitus a saeculo. Quamquam пес habitus extraordina- rius ordinario usui obstrepit : hoc sint tibi flores et inserti et innexi et in filo et in scirpo, quod liberi, quod soluti, spectaculi scilicet et spiraculi res. Coronam , si forte, f as cem existima fio- rum per seriem comprehensorum, ut plures semel portes, ut omnibus

pariter utaris. Iam uero et in sinum conde, si tanta munditia est, et in lectulum sparge, si tanta mollitia est, et in poculum crede, si tanta innocentia est ; tot то di s f ruer e, quot et sen- tis. Ceterum in capite quis sapor floris, quis coronae sensus, nisi uin cu li tantum, quo neque color cernitur, neque odor ducitur, пес teneritas commendaturt Tam contra naturam est florem capite sectari, quam cibum aure , quam sonum nare. Omne autem, quod contra naturam est, monstri meretur notam penes omnes, penes nos uero etiam elogium sacrilegii in deum, naturae dominum et auctorem (5, 10). Tertullien admet donc le bien-fondé de l'usage de fleurs par les Chrétiens pour autant qu'elles soient susceptibles de flatter les sens de la vue et de l'odorat (spectaculi scilicet et spi- raculi res) : c'est aussi la doctrine d'Octavius : his enim et sparsis utimur ac solutis et sertis mollibus colla complectimur (38, 2). Mais lorsque Tertullien en vient à traiter de l'usage des couronnes, il établit une distinction entre la vraie couronne de fleurs, qu'il admet pour certains usages, et la couronne qui ne peut servir qu'à des usages contre nature, donc sacrilèges, parce que cette couronne ne peut être appréciée ni par la vue ni par l'odorat : elle est réduite au rôle de lien (uinculum) et par là même condamnable. Telle est la couronne qu'on porte autour de la tête, elle est contre nature. C'est aussi ce que pense Octavius : sane quod caput non coronamus , ignoscite ; auram bonam floris naribus ducere, non occipitio capillisue solemus haurire (38, 2).

La distinction à laquelle a dû recourir Tertullien pour proscrire le

port de la couronne autour de la tête est sûrement de son invention, du moins dans sa liaison avec la doctrine des sens de l'homme : la

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couronne de fleurs est glosée par fascem florum per seriem compre- hensorum tandis que la couronne qui n'a ni couleur ni odeur est assimilée à un lien, uinculum. Mais il convient de ne pas perdre de vue que Tertullien a pu trouver dans la source qu'il utilise, le De coronis de Claudius Saturninus, des observations historiques du genre de celles que Pline l'Ancien fait au début du XXIe livre de son œuvre : or, de cet exposé de Pline sur les couronnes, il res- sort nettement que le terme corona dut entrer en concurrence avec le mot stroppus , et que même il ne désigna à l'origine, tout comme le mot grec arQocpiov qu'il traduisait, qu'un motif de décoration, un symbole distinctif des prêtres. Le texte plinien précise que l'usage de désigner par corona une couronne fabriquée avec des fleurs ne s'introduisit que tardivement ; on appelait serta des couronnes de cette espèce : tenuioribus [se. coronis] utebantur anti- qui , stroppos appellantes , unde nata strophiola. Quin et uoeabulum ipsum tarde communicatum est , inter sacra tantum et bellicos honores coronis suum nomen uindicantibus. Сит и er о e f lo г ib us fier en t , serta a serendo serieue Q) appellabantur , quod apud Graecos quoque non adeo antiquitus placuit (21, 2). Pline ne nous fournit-il pas la preuve de l'ambiguïté du mot corona, primitive- ment synonyme de stroppus (cf. strophium et insigne dans la notice de Festus (2), - ce qui correspond chez Tertullien à uinculum (5, 10), uelamentum et obligamentum (14, 31), dracontarium qui sera même accolé à strophiolum (15, 32) précisément), - et ensuite synonyme de serta , que Tertullien glosera par fascis , retrouvant ainsi un usage virgilien (3) ? Or c'est de cette vieille distinction entre deux ac- ceptions du mot corona dont se servira également Tertullien pour réfuter une nouvelle critique païenne, celle qui s'en prenait aux Chrétiens parce qu'ils ne couronnaient pas les morts (10, 18) : de même que la couronne qu'on porte autour de la tête selon un usage

(1) Cette conjecture de Saumaise, reçue par Mayhoff, trouve une confirma- tion précieuse, à mon avis, dans le passage du De corona cité plus haut, où Ter- tullien glose en quelque sorte corona par fascis florum per seriem compre- hensorum.

(2) Festus, 410, 6 : stroppus est , ut Ateius Philologus existimat, quod Graece OTQÓ(piov uocatur,et quod sacerdotes pro insigni habent in capite . Quidam coronam esse dicunt , aut quod pro corona insigne in caput inponatur , quale sit strophium .

(3) Virgile, Georg., IV, 203-205 (à propos des abeilles) : Saepe etiam duris errando in cotibus alas Attriuere ultroque animam sub fasce dedere : Tantus amor florum et generandi gloria mellis I

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païen n'a aucun sens et est indigne de Dieu, qui a voulu que les fleurs soient admirées et respirées, et non qu'elles servent de lien ou de signe symbolique, de même il n'en faut pas couronner les morts parce que ce qui est indigne de Dieu est digne des idoles, et que les morts ne sont rien autre que des idoles. Il est vain de couronner des morts puisqu'ils sont privés de sentiment; en mou- rant l'homme perd sa faculté de sentir, il ne peut plus ni voir ni respirer les fleurs qui composent une couronne ; si celle-ci lui est offerte à sa mort, elle n'a aucun sens, elle est offerte à une idole, ou comme Tertullien le dit: ita et corona idolothytum 0 efficitur (10, 19).

On constate que Tertullien a construit son exposé dogmatique sur les usages licites et illicites de la couronne, en partant de l'af- firmation que Dieu a donné à l'homme des sens, notamment la vue et l'odorat, pour apprécier le plaisir qu'offrent les fleurs. Il a aussi établi une distinction subtile, mais logique dans la perspective de son raisonnement apologétique, entre la couronne dont l'homme

peut jouir grâce à ces sens, et qu'il glose par jaseis , et la couronne dont l'homme est incapable de jouir, soit qu'il la mette sur la tête comme si elle n'était qu'un lien, soit qu'il la reçoive de ses proches lorsque, réduit à l'état de cadavre, il a perdu toute possibilité de sentir. Tertullien bâtit par conséquent sa thèse sur la faculté qu'a l'homme de sentir ou de ne pas sentir. S'il introduit ce vieux di- lemne dans une perspective plus profonde et surtout plus person- nelle que ne le font Diogène Laërce, Sénèque et Cécilius, il ne recourt pas moins au même dilemne. C'est là, je crois, que Minucius Félix a appris à appliquer ce mode de raisonnement à la réfutation de la critique païenne sur le refus des Chrétiens de cou- ronner les morts. Aussi a-t-il écrit le dilemne sous la forme suivante :

Nec mortuos coronamus . Ego Nous ne couronnons pas non uos in hoc magis miror , quemad - plus nos morts. Pour moi, je modum tribuatis exanimi aut sen - m'étonne plutôt que, si les morts tienti f as с em aut non sentien- éprouvent quelque sentiment, ti с о г о п a m , сит et beatus vous leur offriez des fleurs, et que non egat et miser non gaudeat s'ils n'éprouvent aucun sentiment, floribus. vous leur donniez une couronne

puisque de toutes façons si le mort est heureux, il n'a pas besoin de fleurs, et si le mort est malheu- reux, il n'en a pas de plaisir.

(1) n convient de noter la force de ce mot employé ici à propos des cou- ronnes et qui désigne en principe les viandes immolées aux idoles et à ce titre mangées dans les repas liturgiques ou bien vendues sur le marché public.

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Ainsi composé, le dilemne remplit bien son rôle ďexclure les deux possibilités qui peuvent être envisagées et uniquement sous le rapport de l'usage des fleurs : Octavius démontre que cet usage est sacrilège parce que contre nature. En effet, si Cécilius croit qu'un cadavre continue à éprouver quelque chose et s'il lui donne à ce titre une couronne de vraies fleurs ( fascis ), ou bien si Cécilius croit (comme c'est le cas d'après ses propres déclarations) qu'un cadavre n'éprouve rien et s'il lui donne à ce titre une couronne, qui aux yeux d'un chrétien ne peut être rien autre qu'une parure décorative offerte à une idole, il a tort dans les deux cas et provoque l'étonnement d'Octavius, puisque pour un Chrétien l'homme, une fois mort, ne peut être que bienheureux (beatas) ou condamné (miser) et que dans l'une et l'autre alternative, il n'a que faire des fleurs. C'est ce que précise d'ailleurs la phrase suivante, où Octa- vius oppose à la couronne périssable, dont les Païens honorent les morts, la couronne impérissable, dont Dieu ceint ceux qu'il ré- compense dans une vie éternelle (*). Or ici encore les rapports avec le De corona me paraissent évidents, et surtout avec l'acception que Tertullien donne à la couronne qu'on met autour de la tête ou sur le mort : sema deo rem suam intaminatam . Ille earn, si uolet, coronabit. Immo et uult, denique inuitat. « Qui uicerit , inquit, dabo ei coronam uitae »... Quid caput strophiolo aut dracontario damnas , diademati destinatomi Nam et reges nos deo et patri suo fecit Christus Iesus. Quid tibi cum flore morituro ? Habes florem ex uirga lesse , super quem tota diuini spiritus gratia requieuiU florem incorruptum9 immarcescibilem , s empi ter num (2) ; quem et bonus miles eligendo in caelesti ordinatione profecit (15, 32).

On sait quelles furent les circonstances qui dictèrent à Tertullien ce De corona : la défense, maladroite, du soldat chrétien du camp de Lambèse en 211 dut avoir du retentissement tant dans les milieux chrétiens que païens. Tertullien y donna une nouvelle preuve de sa fougue, mais aussi de son érudition et de son habileté d'écrivain.

(1) At enim nos exsequias adornamus eadem tranquillitate qua uiuimus , пес adnectimus arescentem coronam , sed a Deo aeternis floribus uiuidam sus tine - mus .

(2) Cf. Epist . I Petri, 5, 4 : et cum apparuerit princeps pastorům , percipietis immarcescibilem gloriae coronam et aussi Epist . I Pauli Ad Corinth,, 9, 25 : omnis autem , qui in agone contendit, ab omnibus se abstinet ; et Uli quidem ut corruptibilem coronam accipiant, nos autem incorruptam.

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Il y consigna un enseignement sur l'usage des fleurs par les Chré- tiens et le présenta sous le couvert de la tradition de l'Église. Cette défense lui offrit l'occasion de rappeler quelques points de la doctrine chrétienne, notamment les rapports entre les soldats du Christ et les soldats des Empereurs J0. Il proclama aussi la liber- té du Chrétien, qui impose à ce dernier le mépris des couronnes conférées par les hommes (13, 28). N'est-ce pas à cette même liberté que fait appel Octavius par deux fois, à peu d'intervalle (37, 1 et 38, 1), pour justifier l'attitude des Chrétiens soit à l'égard des sacrifices soit à l'égard des empereurs? Et les termes mêmes du 37e chapitre ne semblent-ils pas convenir parfaitement à l'inci- dent dramatique du camp de Lambèse, où un soldat chrétien af- fronta les moqueries, puis les supplices au nom de sa liberté : quam pulchrum spectaculum deo , cum Christianus cum dolore con- greditur , cum aduersum minas et supplicia et tormenta componitur9 cum strepitum mortis et horrorem carnificis inridens inculcat9 cum libertatem suam aduersus reges et príncipes erigit, soli deo9 cuius est , cedit , cum triumphator et uicto ipsi, qui aduersum se sententiam dixit , insultat 1 Tout ceci et ce qui suit dans ce développement, surtout cette interrogation passionnée : Quis non miles sub oculis imperatoris audacius periculum prouocetì , ne font-ils allusion à aucun événe- ment précis? Il convient de noter que d'autres parallèles pour- raient être relevés entre ces deux œuvres (2).

Ces observations me portent à conclure à une influence du De corona de Tertullien sur Minucius Félix : parmi les autorités dont se réclame celui-ci (39, 1), il convient de placer au premier rang Tertullien, et singulièrement le De corona pour les chapitres 37 et 38. Tertullien présente son traité comme une consultation, un ouvrage de référence en quelque sorte à l'usage des Chrétiens instruits qui, ralliés d'instinct à la foi, veulent la comprendre en- suite (3). S'il en est bien ainsi, la question de l'antériorité de Ter- tullien reçoit une solution très catégorique puisque Minucius Félix

(1) Il expose rapidement cette question de principe avant de discuter du port de la couronne militaire : etenim, ut ipsam causam согопае militaris aggre- diar , puto prius conquirendum an in totum Christianis militia conueniat (11, 22). En fait, cette page du De corona annonce celles du De ido lo latria.

(2) De corona , 13, 28 comparé avec Octauius9 37, 9-10 ; de même 14,29 comparé avec 37, 11-12.

(3) En précisant le but du De corona comme suit : et ideo non ad eos er it iste tractatus , quibus non competit quaestio , sed ad illos qui studio discendi non

Latomus XIV. - 18. Hor»r*» nllm. larovftrket

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n'a pas seulement pu recourir à l'arsenal d'arguments offerts par Y Apologétique, mais qu'il s'est servi aussi d'un traité tertullianiste composé en 211 et qui fut sûrement très lu. Mais rien ne prouve que Minucius écrivit YOctauius au lendemain de l'affaire de Lam- bèse, ce qui nous invite peut-être à reconsidérer l'identification de Caecilius Natalis, l'interlocuteur d'Octavius, avec le magistrat de Cirta, dont Dessau étudia jadis les inscriptions qui s'échelonnent de 210 à 212. Si l'identification est désormais possible, il est clair que YOctauius n'a pu être composé qu'à une date postérieure à la sortie de charge de Caecilius Natalis, et même à une époque assez distante de 212 0, si l'on tient compte que Minucius Félix se mit à écrire son œuvre après la mort d'Octavius. Toute précision plus grande me paraît risquée pour l'instant. Qu'il me soit toutefois permis de renvoyer à l'étude que j'ai naguère publiée ici-même et où j'ai tenté de montrer que sur un point précis et difficile de théologie Minucius Félix semble s'être laissé guider par la pensée d'Origène, celle du De principiis , composé à Alexandrie entre 220 et 230, selon les dates traditionnelles, et celle du Commentaire sur VÊpître aux Romains (2).

Jean-G. Préaux.

quaestionem deferunt , sed consultationem. Nam пес semper quaeritur de isto , et laudo fidem, quae ante credit obseruandum esse quam didici t (2, 3-4), Tertullien ne songe-t-il pas à cette catégorie de Chrétiens auxquels appar- tiennent Octavius et Minucius Félix ? C'est ce qui se dégagerait de la conclusion de l'œuvre de ce dernier : cum Octauius perorasset, ... magnitudine admirationis euanui, quod ea, quae facilius est sentire quam dicere (c'est la leçon de la vulgate ; personnellement je lis dis с er e , cf. Tertullien, ci-dessus et s. Cyprien, Ad Donatum, 2 : accipe quod s e n t i tur antequam d is с i t и г ) et argumentis et exemplis et lectionum auctoritatibus adornasset ...

(1) Entre les années 212 et 217 Caecilius Natalis de Cirta a été élevé à la plus haute magistrature, à la quinquennalitas . Ceci pose le problème des rap- ports entre l'âge réel et l'âge fictif auquel ce Caecilius se serait converti si l'on admet l'identité entre le personnage historique, déjà assez âgé en 217, et le personnage littéraire, qui est jeune.

(2) J.-G. Préaux, A propos du « De fato » (?) de Minucius Félix dans Latomus, IX (1950), pp. 395-413.

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