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Accès à l’eau et usages militants du droit Etude de cas à Soweto

Accès à leau et usages militants du droit Etude de cas à Soweto

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Accès à l’eau et usages militants du droit

Etude de cas à Soweto

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Point de départ: interrogation générale sur le droit à l’eau

• Droit à l’eau, objet de débats depuis le début des années 2000…

• … Aujourd’hui, droit reconnu par l’Assemblée générale des Nations unies (juillet 2010) et le Conseil des droits de l’Homme (septembre 2010).

• Quelle effectivité du droit à l’eau? A quoi peut servir le droit à l’eau quand, pour une majorité d’acteurs, les préoccupations se posent en termes de gouvernance et de régulation, ou constituent des défis techniques et financiers ?

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Questions posées par l’étude

• Vérifier l’hypothèse selon laquelle la justiciabilité des droits sociaux, i.e. la possibilité de les invoquer devant les tribunaux, améliore leur effectivité.

• Le recours aux tribunaux est-il une manière efficace de faire évoluer les politiques dans un sens plus « pro-poors »?

• Terrain d’étude: Afrique du sud/Constitution reconnaît le droit à l’eau; Johannesburg/Soweto: 1er procès emblématique basé sur ce droit.

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Contexte national/services d’eau• 1994: abolition de l’apartheid/régime démocratique• en 1994, 13 millions de personnes privées d’eau potable et 21 millions de

solutions d’assainissement• Une constitution progressiste qui reconnaît le droit à l’eau• Réforme d’ampleur du secteur de l’eau à l’échelle nationale• Politique de l’eau gratuite adoptée en 2000 et mise en œuvre déléguée

aux municipalités dès 2001• Deux programmes de développement contrastés:

– RDP (1994): gommer les inégalités, redistribuer les richesses, développer l’accès aux services

– GEAR (1996): réduction du déficit budgétaire, politique systématique de recouvrement des coûts et d’autofinancement dans le secteur des services essentiels. Résultats: augmentation brutale des prix/déconnexions massives

• 3 types de « durabilités » imposées par l’Etat : environnementale (préservation de la ressource), financière (équilibre financier et recouvrement des coûts) et social (accès pour tous /droit à l’eau).

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Le défi des années post apartheid/milieu urbain

• Différenciation de l’accès aux services selon les races (chiffres 1995):

– 67 % des africains ont accès à l’eau via une connexion domiciliaire au réseau contre 97 % pour les blancs (100 % des coloured et indiens) ;

– 29 % des noirs ont accès à l’eau via une connexion extérieure (3 % des blancs, 0 % pour les autres groupes), et

– 4 % accèdent à l’eau via une borne-fontaine, un kiosque ou un puits, contre 0 % pour l’ensemble des autres groupes.

• Problème de non paiement massif dans les townships. Ex: seulement 10% de l’eau produite et distribuée était payée à Soweto en 2000. (culture du non paiement vs capacité)

= Service inégalitaire et hétérogène à l’échelle des municipalités

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En 2000, sur les trois millions de personnes vivant à Johannesburg:•1 million de personnes/ revenus moyens et hauts = connexions individuelles et compteurs classiques. Paiement de l’eau au prorata de la consommation réelle. taux de paiement évalué à 85 % ;•1 million de personnes/ revenus faibles, vivant principalement à Soweto/ sans compteurs. jusqu’en 2004, tarification établie au forfait (sur une base de consommation estimée à 20 m3/mois montant de 125 ZAR. taux de paiement de 10%•1 million de personnes pauvres vivant dans des quartiers informels /service minimum gratuitement via des camions ou des bornes-fontaines communales. service gratuit.

• service très hétérogène et inégalitaire à l’échelle de la ville =défi technique et économique.

Accès à l’eau à JHB à la fin des années 1990

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La réponse au défi urbain à l’échelle de JHB: Projet Gcin’Amanzi

• Création de JW en 2000 engagée dans un contrat de gestion de 5 ans avec Suez• Deux préoccupations majeures :

– environnementale (préservation de la ressource) – économique (réduire les pertes physiques, en améliorant les infrastructures, et les pertes

commerciales, en installant des compteurs à prépaiement).

• 2003, lancement d’une vaste opération de rénovation des réseaux visant à homogénéiser les services d'eau à l'échelle de la municipalité : l’Operation Gcin’Amanzi’ (OGA)

• installation de 170 000 compteurs à prépaiement soit environ 32 % des connexions de la ville et 67,5 % des connexions dénombrées dans les townships: plus important projet d’utilisation massive de compteurs à prépaiement dans le monde

• coût initial estimé à 700 M ZAR.

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Tableau 1. Pertes physiques et commerciales estimées à Johannesburg (2004) Pertes

physiques (%) Pertes commerciales

(%) ‘Non-revenue water’ -

Pertes Zones avec compteurs 9 10 19 Zones sans compteurs 11 58 69 Source : Johannesburg Water, 2004

Début des années 2000, Soweto cumulait deux problèmes d'ampleur :

•des fuites considérables dans les réseaux: 90 % des pertes physiques dans les zones non pourvues de compteurs sont concentrées à Soweto.

•un taux de recouvrement des factures très faible (estimé à 10 %) et une dette importante des ménages.

Pourquoi Soweto?

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Contenu du projet OGA• rénovation du réseau public d'eau /réduction des fuites dans les réseaux vétustes ;• pour les ménages adhérant au projet, réparation des fuites, effacement des dettes

d’eau, pose d'un compteur à prépaiement, tarification avantageuse • pour les ménages refusant d'adhérer au projet: maintien de la dette, installation d'un

point d'eau unique gratuit dans la parcelle. Eau fournie gratuitement, mais débit entre 6 m3 et 10 m3 réduit afin de maîtriser la consommation.

• Les foyers refusant l’installation d’un compteur à prépaiement et la rétrogradation au deuxième niveau de services étaient déconnectés du réseau d'eau

• mise en place de points de vente / cartes prépayées.

• Projet/ 2 composantes essentielles :

• technique (rénovation des réseaux); • Sociale (changement comportemental des citoyens pauvres).

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Bilan technique vs bilan social (1)Bilan technique (mai 2008)

Rénovation des réseaux JW a refait 116 km de réseau

Installation des compteurs à prépaiement 98 000

Consommation avant l’intervention 66 m3 d’eau par propriété et par mois

Consommation après l’intervention 12 m3 d’eau par propriété et par mois

Pourcentage d’utilisateurs n’achetant pas d’eau au-delà de la provision en eau gratuite (6 m3)

48 %

Coût mensuel moyen d’achat de l’eau ZAR 42,05

Montant facturé mensuellement avant intervention (consommation au forfait)

ZAR 149

Réduction totale en termes d’achat d’eau à Rand Water (51 mois, depuis juillet 2004)

Economie de 98 000 000 m3 d’eau représentant un coût de ZAR 290 M

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Bilan technique vs bilan social (2)

• Contestations nombreuses dès les prémices du projet, lancement du procès en 2006 et arrêt du projet en 2008

• Acceptation des compteurs à prépaiement problématique: entre 40 et 60 % des 98 000 compteurs installés ont été rendus hors d’usage par les résidents

• plus de 40 000 connections illégales ou bypass, soit 41 % des compteurs installés

• plus de 4 000 compteurs vandalisés ou arrachés. • échec en termes de « changement de comportement »: la municipalité n’est

pas parvenue à rendre les citoyens « responsables »• Différenciation du niveau de services mal accepté dans le contexte sud africain• Manque de considération des réalités socio-économiques de la zone ciblée• Equité sociale et territoriale peu considérées

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• Émergence de contestations dès 2004 contre l’installation des CPP et le volume d’eau gratuite.

• Mouvements sociaux: création du Phiri Concerned Residents Forum (PCRF) et de la Coalition Against Water Privatisation (CAWP) avec le soutien de l'Anti Privatisation Forum (APF).

• Opération Vul’Amanzi : manifestations, distribution de pétitions, organisation de réunions hebdomadaires d’information et de mobilisation, rebouchage des tranchées creusées pendant les travaux de rénovation des réseaux, coupure des conduites installées par JW, sabotage des compteurs à prépaiement, etc.

• Ampleur de la contestation difficile à mesurer mais 40 à 60 % des compteurs ont été déconnectés illégalement à Soweto.

• En réponse, répression vigoureuse de la part de la municipalité et de la compagnie d’eau : compagnies de sécurité privées, arrestations, affrontements avec la police, etc.

• Affaiblissement du fait des arrestations, des intimidations, des menaces émanant des autorités ou des coupures d'eau pour les foyers refusant de coopérer avec le projet = changement de stratégie

« La guerre de l’eau de Soweto »: de la rue …

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… aux tribunaux• Dépôt d’une plainte en 2006 par 5 plaignants originaires de Phiri avec l’aide de mouvements

sociaux et d’un organisme de défense des droits de l’homme : naissance de l’affaire Mazibuko

• Objet de la plainte: – Installation des CPP/ violation du droit à l’eau constitutionnel;– insuffisance du volume d’eau gratuite (6 m3/mois/ménage) ;– Remise en cause la méthode de ciblage des aides sociales ;– caractère discriminatoire de la politique de l’eau.

• Les requérants demandent au tribunal d’ordonner à JW et à la municipalité de Johannesburg :– d’offrir deux options techniques aux résidents, à savoir un compteur classique ou un

compteur à prépaiement,– d’augmenter le volume d’eau gratuite de 25 l/personne/jour à 50 l/personne/jour en se

basant sur des recommandations émises par certains experts internationaux. – Réforme du système d’aides sociales.

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Un processus juridique long et complexe

Décembre 2007 Première audition devant la High Court of Justice

Avril 2008 Décision:-compteurs à prépaiement sont illégaux car non reconnus par les règlements municipaux régulant le service d’eau à Johannesburg ;-compteurs sont illégaux et inconstitutionnels car les résidents sont forcés de les accepter -la quantité d’eau gratuite fournie par la municipalité est trop faible compte tenu de la taille des ménages pauvres. -augmenter le volume de 25 l à 50 l/pers/jour et proposer systématiquement aux usagers le choix entre des compteurs classiques et des compteurs à prépaiement.

Mai 2008 Suspension du projet

Septembre 2008 La municipalité et JW font appel de la décision de la High Court.

Février 2009 Le cas est entendu devant la Supreme Court of Appeal.

Mars 2009 volume d’eau gratuite minimum: 42 l/jour/persillégalité des compteurs (et non inconstitutionnalité). choix entre des compteurs à prépaiement ou à post paiement. deux ans sont donnés à la municipalité pour réviser ses règlements municipaux relatifs aux compteurs à prépaiement et corriger leur « illégalité ».

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Septembre 2009

Appel par les deux parties prenantes, objectifs différents:•plaignants, (i) restituer la première décision, (ii) demander une réhabilitation de la norme de 50 l/pers/jour en termes de volume d’eau gratuite minimum. •partie adverse, faire annuler le volume exigé par la Supreme  Court et montrer que les compteurs à prépaiement ne sont pas illégaux.

Septembre 2009

Audition devant la Cour Constitutionnelle

Octobre 2009 Décision: rejet de l’ensemble des arguments des requérantsArguments avancés:•Jurisprudence/ concept de raisonnabilité•Séparation des pouvoirs

• Défaite devant les tribunaux mais quid de l’efficacité du processus juridique sur l’accès à l’eau des urbains pauvres ?

• Reprise du projet début 2010: quels changements opérés par la municipalité et la compagnie d’eau?

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Des améliorations techniques et sociales malgré la défaite juridique

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Conclusion • Nouveaux arrangements techniques et sociaux en réponse au procès

malgré la défaite en justice.

• Émergence de la figure de l’usager urbain pauvre.

• Un des principaux problèmes dans la construction des services essentiels est politique/place des pauvres dans la ville

• L’usage militant du droit peut infléchir le débat politique et donner du pouvoir à des groupes citadins pauvres.

• Le processus juridique a contraint les agents de la municipalité, de la compagnie d’eau et les décideurs politiques à poser un regard critique sur leur manière de « faire » la ville.

• Un exemple concret d’utilisation et d’effectivité du droit à l’eau.