31
1 AMILLE P arents P P SociÉTÉ enfants enfants É M M ducatio n ACCOMPAGNER LA PARENTALITÉ EN ÉVOLUTION ACTES DE LA JOURNÉE DÉPARTEMENTALE PROFESSIONNELS, BÉNÉVOLES, ÉLUS DU MARDI 19 NOVEMBRE 2013 AU CENTRE SPORTIF RÉGIONAL DE MULHOUSE

ACCOMPAGNER LA PARENTALITÉ EN ÉVOLUTION … NL 88/Actes journee... · AU CENTRE SPORTIF RÉGIONAL DE MULHOUSE. 2 ... - Fragilisation du couple et renforcement du rapport à l’enfant

Embed Size (px)

Citation preview

1

AMILLEParentsPP

SociÉTÉenfantsenfants

ÉMM

d u c a t i o n

ACCOMPAGNER LA PARENTALITÉ

EN ÉVOLUTION

ACTES DE LA JOURNÉE DÉPARTEMENTALE PROFESSIONNELS, BÉNÉVOLES, ÉLUS

DU MARDI 19 NOVEMBRE 2013 AU CENTRE SPORTIF RÉGIONAL DE MULHOUSE

2

SOMMAIRE

Ouverture de la journée 3

« Les rôles parentaux face à l’évolution de la famille »

4 à 9-

Intervention de Gérard NEYRAND, Professeur en sociologie, Directeur du Centre Interdisciplinaire Méditerranéen d’Etudes et de Recherches en Sciences Sociales et auteur de nombreux ouvrages autour de la parentalité.

Le basculement dans le modèle de la démocratie familiale.-

Fragilisation du couple et renforcement du rapport à l’enfant.-

Diversification et complexification des fonctionnements familiaux.-

Une reconfiguration des rôles difficile et controversée.-

La nécessité du soutien à la parentalité.-

Temps d’échange 10 à 12

Interview de Gérard NEYRAND 13 à 18

« Comment accompagner les parents dans ce contexte de parentalité en évolution ? »

19 à 26

Débat et échanges thématiques autour des pratiques professionnelles animés par Gérard NEYRAND et Olivier PREVOT, Maître de conférences en Sciences Sociales de l’Education et Directeur du Département Carrières Sociales à l’IUT de Belfort.

La mobilisation des compétences parentales.-

La mobilisation des ressources parentales : aider les parents à trouver des - solutions par eux-mêmes.

La place des pères au sein des actions de soutien à la parentalité du REAAP.-

L’accompagnement dans les différentes étapes de la vie de parent.-

Les parents à l’initiative des actions aux côtés des professionnels ?-

Synthèse de la journée 27 à 28

Clôture de la journée 29 à 30

3

DDCSPP : « Depuis 1999, les réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP) ont pour objectif d’aider les parents à assurer leur rôle parental en prenant appui sur leur savoir-faire et leurs ressources.

Les actions initiées par le REAAP s’adressent à l’ensemble des parents, sur la base du volontariat. Elles doivent prendre en compte la diversité des structures familiales. Elles se fondent sur la reconnaissance des parents en tant que premiers éducateurs de leur enfant, dans une logique de prévention et d’appui.

Elles s’adressent aux parents aussi bien en situation de questionnement, de fragilité, voire de difficulté et renforcent par le dialogue et l’échange, leur capacité à exercer pleinement leur responsabilité parentale »

CAF : « Le modèle familial a beaucoup évolué depuis quelques années et tout le monde est d’accord pour dire qu’aujourd’hui il n’est pas simple d’être parents. C’est pourquoi, afin de mieux comprendre les enjeux autour de la parentalité et des défis de l’intervention auprès des familles, nous vous proposons aujourd’hui de nous intéresser à ce sujet « Accompagner la parentalité en évolution »;

Avant de débuter cette journée de réflexion, nous tenons à remercier l’ensemble des réseaux locaux du Haut-Rhin qui se sont mobilisés pour préparer cette manifestation. Leur installation dans les territoires permet de mieux répondre aux besoins, préoccupations et demandes des parents ».

DDCSPP : « Les réseaux locaux ont pour objectif de travailler avec les acteurs de proximité et les parents, afin de proposer et d’insuffler une dynamique locale autour de la parentalité.Pour ce faire, il s’appuie sur les compétences respectives de partenaires en la matière.D’autre part, les réseaux locaux interviennent selon un principe fondateur : L’implication des parents.

Les parents sont et demeurent les acteurs privilégiés du réseau. »

Accueil par Thierry JACQUAT qui, au nom du REAAP 68 et des

REAAP locaux, remercie les participants à cette journée. Et particulièrement, Gérard NEYRAND, Professeur en Sociologie, Directeur du Centre Interdisciplinaire Méditerranéen d’Etudes et de Recherches en Sciences Sociales, et Olivier PREVOT, Maître de Conférences en Sciences de l’Education et Directeur de l’IUT de Belfort- Montbéliard, qui interviendra l’après-midi.

La parole est donnée à Kamel AMEUR de la Direction Départementale de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations (DDCSPP) et Christine DALENÇON de la Caisse d’Allocations Familiales (CAF).

OUVERTURE DE LA JOURNÉE

4

Professeur en Sociologie, Directeur du Centre Interdisciplinaire Méditerranéen d’Etudes et de Recherches en Sciences Sociales ;

« Vous m’avez octroyé la délicate mission de parler d’un vaste programme dont je vais m’efforcer de répondre (présentation d’un Powerpoint reprenant le plan de l’intervention et les liens bibliographiques alimentant l’argumentation).

Il faut évoquer l’évolution des modèles de familles qui se succèdent et se sédimentent.En effet, ils ne se remplacent pas mais se cumulent.Définissons tout d’abord le « modèle » familial, en tant qu’exemple valorisé proposé à l’imitation.

La famille exemplaire peut être appréhendée au niveau de sa structure (monoparentale, recomposée, d’accueil, homoparentale, etc.) ou de son fonctionnement.Le modèle valorisé dans notre société est le modèle nucléaire (père-mère-enfant).Or c’est ce modèle qui a beaucoup évolué, entraînant une évolution des fonctionnements au sein de la famille dans les rapports parents-enfants.

Sous l’Ancien Régime, la famille était très hiérarchisée, avec un fort contrôle de l’homme sur la femme et les enfants. On parle de « toute puissance paternelle en référence à Dieu ». Il s’agissait donc d’un modèle théocratique. Modèle théocratique où il est question d’autorité du roi comme de l’autorité du père de la famille.

Avec la Révolution, on passe du principe de référence divine à celui de légitimité des hommes. Ce principe est basé sur les apports des Lumières et des Sciences. C’est donc un principe de légitimité laïque. L’homme devient sa propre référence. La famille n’est pas encore remise en cause : la référence est faite vis à vis de la nature, en fonction des places procréatrices (exemple de discours qui dit que la femme n’a pas le cerveau pour faire des études). Le modèle familial est laïc et naturaliste. Il y a une différence entre les hommes et les femmes : ce modèle s’articule au modèle théocratique. Le mariage se fait à l’église.En ont découlé des conséquences très importantes dans les discours du modèle laïque et naturaliste, et ce jusque dans les années 1960.

La caractéristique de ce modèle, est qu’il ne remplace pas le précédent mais s’articule autour.Par exemple, le mariage demeure un fondement important mais il ne se fait plus à l’église seulement sous le regard de dieu, mais également en mairie.Le couple qui s’affirme dans la moitié du 20ème siècle, c’est la vision fusionnelle du couple. Exemple : on parle de son conjoint comme de sa « moitié ». Homme et Femme sont perçus comme complémentaires.C’est un modèle affirmé avec l’industrialisation qui place l’homme au travail, dans l’espace public et la femme au foyer, avec les enfants jusque dans les années 60 (90% d’hommes au travail). L’éducation est dévolue à la femme.

Il s’opère un véritable basculement vers la fin des années 60, les années 70, avec l’apparition du modèle de démocratie familiale.

Les rôles parentaux face à l’évolution de la famille

Les Mutations de la famille 1. et de la place des acteurs familiaux

INTERVENTION DE GERARD NEYRAND

5

Il s’agit d’appliquer les valeurs de la démocratie républicaine à la sphère privée de la famille : Liberté – Egalité – Fraternité.C’est l’affirmation de la valeur affective, de l’amour comme étant le liant au sein de la famille.Par ailleurs, il est dit qu’il faut qu’on parle, donc le dialogue et la communication sont importants au sein de la famille.C’est un modèle précaire, cf. les 50% de divorce à l’heure actuelle.On connaît alors une explosion des séparations conjugales, qui entraîne une diversification des fonctionnements familiaux : montée des familles monoparentales, recomposée, etc.En parallèle, la femme s’est autonomisée : ceci entraîne un changement de référentiels très important au sein de la famille.De plus, il y a l’évolution de la procréation médicalement assistée (PMA) qui entraîne de nouvelles organisations avec des familles dites atypiques. Il y a donc diversification des situations familiales, qui se complexifient dans leur structure et fonctionnement. Or les modèles précédents n’en sont pas pour autant abolis, donc chaque famille a un fonctionnement propre qui prend des éléments aux modèles précédents : théocratique, naturaliste, amoureux. Une même personne peut elle-même évoluer dans ses conceptions au cours d’une vie.

En parallèle, le rapport aux enfants va évoluer avec la fragilité du couple, d’où l’éclosion de l’idée de soutien à la parentalité dans les années 80.

L’élaboration de la parentalité en concept et irruption dans le débat • public.

On retrouve la première utilisation du terme parentalité dès 1930 dans les travaux d’anthropologues, pour traduire le terme anglais de « parent Hood » utilisé pour définir les fonctions parentales.Ces derniers décrivent un certain nombre de fonctions dévolues aux parents : la procréation, le nourrissage, le soin, l’éducation, l’attribution d’identité à l’enfant, l’accompagnement dans l’accès au statut d’adulte, l’autorité parentale, le tout sur la base de l’interdit de l’inceste.

Une autre approche, différente, est celle des psychanalystes, qui pose l’idée d’un lien psychique qui se crée entre parent et enfant. La parentalité est abordée avec les concepts de maternalité et paternalité.A partir des années 60, on insiste sur cette idée du vécu du lien. L’idée est que ce lien se crée, qu’il y a processus d’affiliation réciproque par les liens parents/enfants.Avec l’approche sociologique, on développe le terme de parentalité sous son versant atypique : monoparentalité, homoparentalité, grand-parentalité… On parle alors de pluriparentalié avec en commun le lien avec un enfant.

L’approche subjective de la parentalité est définie dans le Rapport de 1999 de Monsieur HOUZEL, sociologue, qui définit trois axes :

l’expérience• la pratique• l’exercice : ( mise en jeu des droits et devoirs des parents ) une double • parentalisation à la fois psychique et sociale pour inscrire dans une double lignée l’enfant à ses parents.

Cette analyse a été complétée par M. NEYRAND lui-même dans son ouvrage : « Accompagner et contrôler les parents ».La parentalité est déclinée différemment selon les sociétés où elle est mise en œuvre.Dans les sociétés occidentales, il y a une dissociation entre la parentalité et la conjugalité. Ce qui explique que la parentalité peut être exercée par plus de deux parents (exemple des beaux-parents).Exemple d’un enfant né sous X de parents biologiques, adopté par un couple qui plus tard divorce, chaque parent recomposant une famille de son côté… l’enfant aura eu 6 figures parentales.

S’il y a complexification des situations familiales, cela est aussi complexe pour les enfants mais ils s’y adaptent relativement facilement en identifiant

6

bien chacune des figures parentales.

L’opérationnalisation socio-politique : le dispositif de parentalité • (terme de Foucault)

S’opère alors un mouvement de dissociation des logiques sociales : celle de la parentalité/conjugalité, se distinguant de celle de la sexualité/reproduction. Cette double dissociation permet le concept d’homoparentalité. Le mariage associe donc désormais une fonction juridique et une fonction sociale, rattachant l’alliance du couple avec la procréation, la filiation, la structure familiale. La sexualité est légitime quand elle est au sein de la famille.Aujourd’hui, il y a eu évolution de la sexualité légitime : car c’est celle qui existe entre deux partenaires consentants.La parentalité s’autonomise, avec un dégagement du lien parental des liens conjugaux. La parentalité est construite à partir du désir d’enfant mais pas forcément sur la conjugalité.

Il y a alors mise en place d’un dispositif de soutien sous deux modalités : un soutien général à la parentalité (REAAP) et un soutien spécifique.De multiples procédures sont créées pour favoriser les relations d’un enfant à ses parents (biologiques, additionnels, investis dans une parentalité non procréatrices).

Ils sont montés en dispositifs car il y a une volonté de mise en réseau et de gestion par l’Etat via des politiques publiques, à la fin des années 80.Il y a alors la prise en compte des modèles non conventionnels.La société civile, les associations, dès les années 70, ont investi des dispositifs de soutien à la parentalité : en 1970 avec les crèches parentales, puis la Maison Verte en 1979, puis le développement des LAPE (1000 en France), l’accompagnement scolaire, les lieux de médiation, les passerelles, etc.A la fin des années 90, l’Etat décide de fédérer, coordonner, mettre en réseau ces différentes mesures institutionnelles et associatives.

Le repositionnement du droit en mati• ère familiale

Avec cette évolution, il y a aussi une évolution du Droit.L’une des lois symboliques pour sortir du modèle patriarcal ( de la « toute puissance paternelle ») : la Loi de 1970 qui déclare que désormais l’autorité parentale est exercée conjointement par le père et par la mère.Les Loi Simone Weil de 1975, droit à l’avortement et la Loi sur le divorce de 1975 permettent la réintroduction du divorce par consentement mutuel ; en effet, il existait déjà dans la Constitution sous la Révolution mais disparait avec le code sous Napoléon. Entre-temps, il n’existait donc que le divorce pour faute.Cela n’augmente pas le taux de divorces : il était passé 10% à 17% en 1975, il y avait déjà une augmentation du nombre de divorces sans la loi. C’est surtout le principe de gestion de l’après-divorce qui évolue : ce n’est plus la faute qui conditionne mais l’intérêt supérieur de l’enfant.

Qu’est-ce que cela produit ? 60 % des pères divorcés en 1986 ne voient plus leur enfant.On constate une énorme désaffiliation du père.Le législateur va mettre en avant la notion de coparentalité (loi 1987 et 1996) : notion de l’autorité parentalité conjointe. Depuis 1987, il est à noter la disparition du concept de garde : il y a dissociation entre l’autorité et la résidence.La loi du 4 mars 2002 reconnaît le principe de résidence alternée ou chez un parent. Aujourd’hui, on recense environ 20% de résidence alternée, sinon 9/10ème des enfants vivent en résidence principale chez la mère et 1/10ème chez le père. Il y a une recherche d’égalité et une mise en avant de la parentalité, mais fonctionnant encore sur des principes anciens où la mère est considérée comme spécialiste de l’enfant et continue « à être garante » de l’éducation malgré tout dans les esprits : on voit là aussi cette

7

superposition de valeurs.La même enquête de l’INED donne les chiffres suivants : 50% en 1994 et 40% en 2005. Il y a donc une baisse de la désaffiliation paternelle.

La loi a tendance à être de moins en moins directive dans les rapports entre les adultes, sous réserve de leurs consentements et hors toute violence. Mais elle maintient son regard à l’égard des relations parents/enfants.

La désinstitutionalisation du mariage entraîne une évolution : pour assurer le lien indissoluble et inconditionnel du lien parent/enfant, il est alors question de responsabilisation sociale des individus. Le risque est alors une tendance à la sur-responsabilisation des individus, et des parents en particulier. Le Droit renforce alors les liens parents/enfants, jusqu’à l’institutionnalisation des soutiens à la parentalité, avec la création des REAAP en 1999.

Les grands principes d’aujourd’hui :le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant mais qui peut être interprété • différemment selon les personnes (juges, père, mère..),l’affirmation du principe de coparentalité,• l’affirmation des droits de l’enfant avec la Convention de 1989 qui • entraîne des tensions entre ceux qui militent pour le droit des enfants en tant qu’êtres humains, et ceux qui militent pour la protection de l’enfance (vs. la libération des enfants).

La mise en œuvre sur les territoires•

Les initiatives associatives fondatrices apparaissent dans les années 1970 :L’exemple des crèches parentales, qui connaissent un succès fulgurant. • Ce mouvement se regroupe au sein de l’ACEP en 1980 pour former des lieux où parents et professionnels coopèrent.En 1979 : ouverture de la Maison Verte de Dolto à Paris.• Les points rencontre et les lieux de Médiation Familiale.•

L’institutionnalisation se fait dans les années 80. L’Etat fait face à la précarité de la société. Il va transférer des missions à la société civile. D’Etat Providence, il devient Etat animateur des prises en charges de la société civile, en pérennisant les dispositifs existant. Par exemple, la CNAF a une ligne budgétaire pour le financement des LAEP.

Dans les années 1980/90, émerge un discours culpabilisant sur la démission parentale face aux jeunes délinquants. Le REAAP s’inscrit en réponse à ce discours sécuritaire sur-responsabilisant.Le délégué Pierre Louis REMY, en 1999, sous le gouvernement Jospin, crée les REAAP.A cette époque, la parentalité est devenue centrale mais se fragilise : Il convient donc de la soutenir et pas seulement dans les situations les plus difficiles mais de façon globale.Il y a une impulsion forte à partir de 1999, avec le développement des budgets alloués de 1999 à 2002. Puis, la gestion devient plus managériale et néolibérale.De multiples tensions se manifestent entre le soutien (accompagnement) à la parentalité et le contrôle parental (management, discours sécuritaire).Il y a injonctions contradictoires, entraînant un «malaise larvé» chez les travailleurs sociaux.

Les liens de la famille et du social•

Il y a une complexification et une diversification des structures et des fonctionnements familiaux.La vie en groupe caractérise l’homme avant même la vie en famille. D’où de nombreuses possibilités de groupes (cf. les données anthropologiques). Les fonctionnements familiaux ne peuvent être pensés en dehors des rapports sociaux auxquels le groupe a adhéré.Les rapports de parenté sont toujours supports d’autres choses que d’eux-mêmes : économiques, politiques, religieux. (cf. Citation de Gaudelier)

8

Les multiples facteurs évolutifs et leur impact •

A partir de 1968 (la génération baby-boom) et de 1975, il y a un basculement parce qu’il y a une cristallisation d’évolutions multiples.

Il y a prévalence à de nouvelles notions : l’idéal de liberté, le plaisir (porté par une logique démocratique mais aussi de consommation), dans un univers familial qui donne de plus en plus d’importance aux sentiments.La réalisation de soi passe par la relation affective à la fois avec le conjoint et avec l’enfant. D’où une possible mise en tension entre le partenaire et l’enfant, avec la montée des séparations conjugales avec des enfants en bas âge.

Bien que soit voté un ensemble de lois censées mettre en harmonie ces évolutions, elles n’arrivent pas à les encadrer juridiquement.56% des enfants naissent hors mariage. Aujourd’hui ce n’est plus le mariage qui fonde la famille mais la venue de l’enfant qui contribue à placer l’enfant au centre. Avec l’autonomisation des individus, on en arrive à un modèle démocratique de la famille.De nouveaux acteurs trouvent une place de plus en plus importante : homo-parents, beaux-parents, grands-parents…Mais ils ont encore des positions très contrastées dans l’espace public, puisque la venue de l’enfant fonde la famille, qu’en est-il de la question de l’éducation de l’enfant et de sa socialisation ?Entre 13 et 14 ans, les enfants passent près de 5h par jour devant les écrans. Cela a un réel impact sur leur socialisation car il y a alors transfert de normes non régulées par les adultes.On constate une diversification des acteurs extra-familiaux intervenants pour la socialisation et l’éducation des enfants.

Le défi des années 2010 : la coéducation•

Les processus de socialisation ont changé. De la famille avec son 1er modèle, il y a une rupture avec l’école maternelle.Puis avec la PMA (procréation médicalement assistée), il y a alors procréation dans la trentaine, désormais avec l’intervention de professionnels car les parents sont demandeurs d’informations. Apparaissent ainsi entre autres : le premier magazine « Parents » en 1969, les écrits de l’EPE, le FURET…Il y a multiplication des forums Internet consacrés aux questionnements parentaux. Ils montrent le désarroi partagé des parents, en recherche d’un partage d’expérience entre pairs, pour trouver la bonne manière de faire à l’égard de l’enfant.Il y a désarroi car il n’y a pas d’instinct parental, plus de famille nucléaire, un éclatement et un éloignement des familles.

Les médias ont pris une part importante dans la diffusion des discours sociaux.Aujourd’hui, les sciences humaines et sociales relaient des discours différents. Or, ce sont elles qui aujourd’hui légitiment le lien parent-enfant. Il existe un écart très important entre les discours, avec des polémiques violentes, ce qui est source de troubles.Une harmonisation éducative se fait de plus en plus nécessaire.En effet, les père et mère ne sont plus les seuls porteurs de l’éducation, avec l’entrée de l’enfant dans le monde dès le premier contact avec les sages-femmes.Puis il y a le retour à la maison. Avec la reprise du travail par les deux parents il y a un développement des modes de garde (grands-parents, crèches, etc.),… nécessitant une harmonisation des valeurs éducatives avec celles des parents. D’où l’ouverture de ces structures aux parents. En même temps il y a un regard des institutions avec une prise à partie entre

2. La complexification des fonctionnements sociaux et la diversité familiale

9

la protection de l’enfance et l’accompagnement (exemple de la Protection Maternelle et Infantile).

S’ensuit une période de paradoxes avec la montée de la désynchronisation des instances éducatives. Les tensions parents/enseignants en sont un indicateur manifeste. Il existe une ouverture des écoles aux parents mais elle s’est faite de façon très tardive (cf. circulaire octobre 2013).La question de l’accompagnement des parents est importante car elle apparaît comme une nouvelle mission dévolue aux parents : réguler les différentes forces insufflatrices d’éducation et de socialisation dans la vie de leur enfant.Les REAAP permettent du liant, la création de passerelles pour la mise en œuvre de la coéducation dans les années 2010.

PHOTO N°2183

10

Réponse de Gérard NEYRAND : « Cette question devient visible à la fin des années 90 avec la création des REAAP, institutionnalisant la mise en place des actions de soutien. Oui, il y a démocratisation, mais de discours basés sur les sciences humaines, dont les savoirs décrivent des fonctionnements parentaux du début du 20ème siècle. Aujourd’hui les sciences humaines s’adaptent, cherchent à évoluer et vulgariser mais avec des concepts anciens et contradictoires. D’où le flou des discours pour les parents. De plus, l’utilisation des medias en la matière est propre plus particulièrement à certaines couches sociales.Les medias sont une source de socialisation par imprégnation de discours mais pas une source éducative. En effet, il y aura toujours la nécessité de la place des parents (ex : moratoire des pédopsychiatres contre les TV pour bébé).Nous sommes dans une logique qui redonne ce rôle de régulation aux parents, nécessitant un accompagnement.L’éducation est caractérisée par le fait que tout parent est susceptible de rencontrer une difficulté éducative, basée aujourd’hui sur des valeurs sociales plus que familiales (les deux parents travaillent, sont coupés de la famille, etc.).Attention, il n’est pas vrai que l’égalité, l’interchangeabilité des fonctions, va remettre en question l’identité sexuelle. Car un père fera du paternage et la mère du maternage… Chacun fera la même mission, mais avec son propre style.De la génération du baby-boom moi-même, j’essaie d’expliciter les évolutions et la nécessité d’aider les parents à réintégrer leurs fonctions régulatrices. »

Réponse : « Le nouveau modèle qui se met en place est, dans une logique en rupture avec l’éducation répressive antérieure pour une autorité non pas remise en question mais explicative. C’est un mode de fonctionnement dans la famille ouvert et basé sur la communication, où les interdits doivent être expliqués MAIS maintenus.Il faut penser à Dolto qui n’a jamais été permissive ! L’interdit permet ces castrations symboliques, donc l’intégration pour l’enfant d’un cadre sécurisant.Les parents ont du mal avec cette nouvelle représentation des choses, notamment avec la montée de l’aspect affectif dans le lien parent/enfant. Ex : le portage des bébés par les pères aujourd’hui. Ce qui n’était pas le cas il y a 50 ans.C’est un nouveau modèle, une nouvelle façon de fonctionner qui privilégie le rapport affectif à l’enfant. D’où une certaine confusion pour les parents et leur difficulté à tenir un interdit, parallèlement au rapprochement affectif d’avec l’enfant.L’objectif global est de repositionner les parents. »

Réponse : « Ces institutions sont prises elles-mêmes dans le clivage. Par exemple, dans les milieux populaires on tend à bien différencier les places paternelles et maternelles, ce qu’on ne propose pas aux couches moyennes. Emerge donc une tension qui traverse aussi les institutions, les travailleurs sociaux avec leurs propres fonctionnements familiaux, avec des préjugés et avec une volonté de respect.Les institutions rencontrent des difficultés à se positionner. De plus, il y a un conflit de représentations avec celle traditionnelle (rôles différenciés des genres) et celle novatrice de rapprochement des genres.

TEMPS D’ÉCHANGE

Question d’une personne se présentant comme une grand-mère concernée par des situations familiales difficiles, institutrice retraitée, pour la défense de la résidence alternée… :« Les modèles parentaux ont changé, mais est-ce nécessaire qu’il y ait une aide et par conséquent un contrôle ? Qui a décidé qu’il y avait un si grand besoin de soutien ? Malgré la massification de l’enseignement, la démocratisation de l’accès à la culture… on semble avoir besoin de plus en plus d’association de soutien/contrôle… Quid de l’œuf ou de la poule ? »

Question : « Concernant le langage et la parole, historiquement l’homme avait cette parole dans les foyers. Dans les années 60, il y a démocratisation familiale et comme discours « Il est interdit d’interdire » avec rupture entre le modèle familial et la modernité. Comme on ne peut plus interdire, on introduit de l’illimité… Y a-t-il donc impact et impasse entre parents et enfants ? Parler aux enfants de choses qui ne les regardent pas ? Ne pas leur parler et les négliger ? Y a-t’ il place pour les institutions pour parler à la place des parents et au sein des familles ? »

Question : « Par rapport à ces institutions qui accueillent les parents, doit-on répondre avec les anciens clichés ou par la réalité ? »

11

C’est l’une des grandes difficultés du soutien : l’accompagnement et le soutien sont portés par des travailleurs sociaux avec des professionnels portés sur des modèles égalitaires. D’où la confrontation avec des publics différents, par exemple d’origine étrangère… Les respecter et leur apporter des informations est parfois difficile et rend inconfortable l’accompagnement. Cela peut entraîner une position de contrôle où l’on cherche à apporter des corrections. Alors que le soutien et l’accompagnement sont basés sur la confiance, qu’une telle approche ne peut entraîner. »

Réponse : « Il faut donner des informations, assurer une mise en confiance, et une interaction avec les parents. Donc le plus important c’est la mise en communication et en confiance. Or cette approche n’est pas aussi aisée pour un parent en situation d’urgence et un accueil cadré… »

Réponse : « Il s’agit de la circulaire 15.10.13 préconisant l’ouverture de l’école aux parents de manière globale. »

Réponse : « Dès les années 90, j’ai fait une recherche sur la résidence alternée (cf. livre paru en 1994) car le discours dominant dans le milieu psy est que la résidence alternée est perturbatrice. Ma recherche sur une quarantaine de situations montrait que la résidence alternée pouvait bien fonctionner, autant pour les parents que pour les enfants. Puis, la loi du 4 mars 2002 affirme la reconnaissance de la résidence alternée.Il y a néanmoins des discours « contre » qui perdurent. Il y a en effet une évolution de la pratique, portée par les couches moyennes cultivées (enseignants, monde du spectacle,…) essayant de mettre en place un mode de fonctionnement égalitaire dans la famille. Il y a une ouverture à tous les milieux sociaux désormais, même si elle est en faible nombre.L’idée de coparentalité s’est diffusée. Mais des opposants se regroupent auprès de Maurice BERGER, pédopsychiatre, pour interdire la résidence alternée au moins de 6 ans. Pour sa part et un certain nombre de collègues, la résidence alternée nécessite des conditions de proximité et une condition relationnelle essentielle (distinction conflit couple/ relation parentale).Effectivement, à l’heure actuelle dans les réactions très violentes à l’encontre de la résidence alternée, des discours d’extrême droite sont à dénoncer et ne permettent pas des échanges plus apaisés sur la question (cf. articles sur les enjeux de ce mode de garde particulier). »

Question d’une personne travaillant en PMI : « On développe des actions de soutien à la parentalité mais est-ce bien ça ? On soutient ce que dit le parent, son droit à se tromper, qu’il fasse ses propres expériences et non pas celles des autres. Ce qui est important ce sont les interactions entre les parents. Les travailleurs sociaux ne sont pas donneurs de leçons, de conseils ».

Question : Demande d’un complément d’information par rapport à la circulaire.

Question : « Il y a une obsession de la résidence alternée. Au regard de la désaffiliation parentale, il est très difficile sur la région d’obtenir la garde alternée pour les papas, donc beaucoup d’enfants restent dans le système traditionnel et obsolète de la résidence unique. Il y a donc à s’inquiéter des conséquences de désaffiliation. Les arguments « contre » sont semblables à ceux des discours contre le mariage gay, voire de l’extrême-droite… Au regard d’un autre thème et des classes sociales, j’ai l’impression que pour les classes moyennes c’est beaucoup plus facile d’avoir la résidence alternée que dans la classe ouvrière ».

12

Réponse : « Ce sera une question à développer dans l’après-midi. C’est une offre qui est faite dans le cadre des dispositifs généralistes. Mais se pose alors la question de son accessibilité à tous. C’est une offre mais les parents s’en saisissent-ils ?L’un des paradoxes du soutien et de l’accompagnement, c’est une offre aux parents, dont certains pourraient en bénéficier mais ne viennent pas. Il y a alors tension dans les positionnements des travailleurs sociaux. C’est l’exemple du lieu d’accueil parents-enfants mais où les parents ne viennent pas. Il y a donc comme une obligation de faire sa promotion. C’est alors une démarche proactive d’informations qui est nécessaire. »

Réponse : « L’Europe est très diversifiée. C’est l’exemple de l’Irlande où il n’y a pas de moyen de garde et où il est davantage fait le choix de la contraception car il est impossible d’avoir du travail si aucune garde n’est possible. La France a développé un autre modèle permettant de concilier vie professionnelle et familiale (par exemple, les crèches d’entreprise). Et puis, il y a des pays reposant sur des modèles égalitaires, comme les pays de l’Est, les pays scandinaves. ».

PHOTOS N°2187 ET 2189

Question du REAAP 67 : « Vous avez évoqué principalement les dispositifs généralistes qui passent par le volontariat du parent à s’y inscrire. Mais quel est votre regard sur les espaces rencontre qui eux sont sur injonction ? ».

Question : « Vous avez décrit l’évolution du modèle français. Mais si on se base sur le modèle des ex-pays de l’Est avec un modèle égalitaire acquis très tôt puisque les femmes étaient obligées de travailler. Pourtant, ils en sont au même constat de démission de l’autorité parentale. Qu’en dites-vous ? »

13

Réalisé par Jean-Marie SIMON Directeur du Service AEMO de Colmar et représentant de l’ARSEA au Comité de Pilotage du REAAP, Kamel AMEUR Conseiller d’Education Populaire et représentant de la DDCSPP au Comité de Pilotage du REAAP, Sandrine STEPHAN, coordinatrice du REAAP en remplacement et Carine PERON, animatrice du REAAP local du Val d’Argent.

Gérard NEYRAND - D’une certaine façon oui, parce que d’une part les parents sont plus fragilisés qu’autrefois, où les repères étaient stables. Nous étions dans une logique où on acquière un certain nombre de repères de socialisation. Aujourd’hui, nous avons remis tout cela en question.Nous retrouvons trois phénomènes en même temps :

Une relation fondée sur le dialogue s’est instaurée au sein de la - famille, avec les enfants, il faut s’adapter etc.…Face à une valorisation croissante de l’enfant, il y a eu une perte - de légitimité des positions parentales antérieures. Il est donc nécessaire de trouver de nouvelles positions, qui elles-mêmes se trouvent fragilisées par les évolutions sociales (aujourd’hui 50% des couples se séparent, on est arrivé à un taux de divortialité qui frôle les 50%, cela fragilise donc forcément la relation éducative.)Enfin, nous constatons aussi une évolution des normes éducatives. - L’autorité antérieure traditionnelle, paternelle, plus ou moins répressive, est remise en question au profit d’une autorité beaucoup plus dialoguante et explicative avec les enfants. Certains parents se placent tellement dans une relation de proximité affective avec leurs enfants, qu’ils ont du mal à tenir une position parentale où ils ne sont pas les copains de leurs enfants. La position de référents capables d’interdire, de donner un cadre est moins présente. Cela est effectivement plus difficile qu’autrefois car le cadre était donné par la société, et les parents n’avaient qu’à l’appliquer.

Gérard NEYRAND - Je dirai les deux ! Vous évoquez les deux évolutions importantes. D’une part, la fragilisation de la famille à travers la fragilisation du couple : ce qui est fragilisé c’est la relation de couple avec un taux de divorce de 50% aujourd’hui contre 10% en 1970. Le droit a donc essayé de suivre cette évolution en 1975, en réintroduisant le divorce par consentement mutuel car le taux de divorce était déjà de 17%. Dans les années 80, les lois de 1987 et 1993 introduisent la co-parentalité après séparation comme nouvelle norme participant à l’intérêt supérieur de l’enfant.En conséquence, le registre d’interprétation change, et l’enfant devient de plus en plus central dans le fondement de la famille. Autrefois, le mariage fondait la famille, l’enfant était compris dans le « contrat de mariage » et tout ce qui était en dehors du mariage était stigmatisé. Aujourd’hui, c’est l’enfant qui fonde la famille, puisque 56% des enfants ou plus naissent hors mariage. Aujourd’hui, nous observons quelque chose d’extraordinaire : les enfants assistent au mariage de leurs parents. Nous nous situons effectivement dans un autre mode de fonctionnement : d’un côté la fragilisation de la famille et de l’autre, la précarisation socio-économique.

L’Etat devient donc progressivement, comme dirait DONZELLO, un Etat animateur, qui reporte sur la société civile un certains nombres de fonctions de soutien qu’il avait autrefois. Nous passons progressivement, à partir des années 80-90, vers une institutionnalisation partielle des initiatives associatives issues de la société civile qui paraissent pertinente à l’Etat pour soutenir le lien social :

Les crèches parentales, sont un dispositif intéressant qui allie les -

INTERVIEW DE GÉRARD DE NEYRAND

Sandrine STEPHAN - Est ce qu’il est plus difficile aujourd’hui d’être parents qu’après Mai 1968 ?

Kamel AMEUR - Le soutien à la parentalité, comme politique publique, est-il en lien le désengagement de l’ETAT providence, ou bien avec la fragilisation des situations familiales ?

14

parents et les professionnels pour la garde des enfants. La « Maison Verte », créée en 1979, puis les LAEP (Lieux d’Accueil - Enfants-Parents), sont aujourd’hui au nombre de 1000 en France. Ce mouvement s’est développé, notamment parce qu’il a été soutenu par les institutions. En effet, en 1995, la CNAF dégage une ligne budgétaire pour financer les LAEP afin qu’ils deviennent plus autonomes. La médiation familiale, les espaces de rencontre pour la gestion de - l’après séparation.…-

Puis dans les années 90, nous sommes progressivement passés à un soutien plus systématique de la parentalité, jusqu’à la naissance des REAAP en 1999 et des CLAS en 2000 (Comités Locaux d’Accompagnement à la Scolarité). En effet, Pierre-Louis REMY, Délégué interministériel à la famille, en réaction à la montée du discours sécuritaire sur la démission des parents, sollicite le gouvernement Jospin pour accentuer une nouvelle politique. Par exemple, dans mon livre, « Soutenir et contrôler les parents », j’ai mis en sous titre « le dispositif de parentalité » car dans les années 2000, ce mouvement de soutien à la parentalité et d’accompagnement est concurrencé par la montée du discours sécuritaire, il y a donc tension entre le soutien et le contrôle.

Jean-Marie SIMON - L’enfant devient celui qui fait le lien dans une famille complexe. Ce qui a pour conséquence la peur de perdre l’amour des enfants pour les parents s’ils se positionnent en figure d’autorité.

Gérard NEYRAND – C’est une dimension centrale de l’affectivité, et pas seulement dans le lien de couple, puisque le couple ne fonctionne, maintenant, presque plus que sur cette dimension affective alors que avant effectivement elle était présente mais il y avait une dimension économique, familiale, patrimoniale qui faisait que ça tenait le couple même si il ne s’aimait plus. Aujourd’hui, la place de l’individu est essentiellement définie par le niveau de diplôme dans la société. La conjugalité est donc centrée sur le rapport affectif et cela ne touche pas seulement le couple mais aussi le rapport à l’enfant.L’individu se réalise au travers de rapports affectifs privilégiés avec deux autres : le conjoint et l’enfant, qui éventuellement peuvent entrer en concurrence. Ce qui explique des séparations précoces. C’est un peu rapide ce que je dis, mais on constate effectivement des séparations avec des enfants en très bas âge.

Jean-Marie SIMON - Face à tout cela, nous constatons une volonté de soutenir la parentalité, mais se pose la question : comment faire pour ajuster les propositions des professionnels aux attentes et des demandes des parents ?

Gérard NEYRAND - Le premier constat, est que les parents identifient très mal ce qui existe, c’est-à-dire les dispositifs qui sont en place, les choix qui peuvent les intéresser… Quand on les interroge, ils ne sont pas trop au courant des possibilités qui leurs sont offertes. Quand ils rencontrent une difficulté, ils ne savent pas où et à qui s’adresser. La deuxième dimension c’est que le soutien et l’accompagnement pour qu’ils puissent fonctionner, s’appuient sur la production d’une confiance personnalisée entre les intervenants et les parents. Il est nécessaire qu’un lien et une relation se construisent. Il faut qu’il y ait une capacité pour les intervenants à construire cette confiance qui doit s’appuyer sur les dispositifs différents selon les lieux et les territoires. Par contre, si les intervenants sont identifiés comme susceptibles de « contrôler » les parents, cela remet en question la production de cette relation de confiance. Cela dépend de ce qui est en jeu et des missions données aux intervenants.

Sandrine STEPHAN - Lorsque c’est le cas, comment mobiliser les parents ? Quelles pistes, quelles réflexions proposez-vous ?

15

Gérard NEYRAND - Cela ne sert donc à rien d’inciter les parents à participer à des dispositifs, si la qualité relationnelle n’est pas là. Les parents ne vont pas suivre ou alors cela va être superficiel. Cette observation est au centre des débats depuis 2010, quand les effets du discours sécuritaire ont interféré avec l’accompagnement des parents. Sans parler de la logique managériale de l’évaluation des actions qui, elle aussi, a mis les intervenants dans des situations difficiles.

Gérard NEYRAND - Je suis d’accord, notamment toutes les évaluations de type participative qui incluent les personnes à participer au dispositif d’évaluation. Si on coproduisait avec les personnes l’outil d’évaluation, pour ces dernières cela serait bénéfique, car elles vont pouvoir tirer des bénéfices de cette évaluation. Si par contre, comme dans les années 2000, vous avez un modèle économiste, de type managérial, avec une évaluation essentiellement en terme de flux et de coût, comme le modèle économique, cela ne correspond pas aux objectifs sociaux des lieux qui interviennent auprès des parents. Ce modèle met en avant une évaluation basée sur des objectifs plus quantitatifs que qualitatifs.

Gérard NEYRAND - On ne peut pas le savoir ! Tous les sociologues qui font la prospective se plantent. Il est difficile de savoir où l’on va. On voit bien, quand même, la direction qui est donnée pour une individualisation plus grande des relations. Le mouvement de fond est la montée de l’autonomie de l’individu. C’est la croissance de l’individualisme qui est complexe et qui se perçoit. Aussi bien l’individualisme citoyen, l’affirmation des droits de l’individu à travers toute la logique de la démocratie, et puis un individualisme marchand qui renvoie beaucoup plus au développement de la consommation de masse et à une individualisation des signes et des discours qui se conjuguent. Cependant, le sens global est quand même l’affirmation de l’autonomie des individus et cela peut être relativement contradictoire, paradoxale avec le fondement d’une famille qui est un collectif. Il ne peut y avoir famille, que s’il y a au moins deux personnes.Nous sommes donc dans une tension entre l’affirmation de droits individuels et des logiques individuelles et un fonctionnement collectif dans la sphère privée. Avec deux nouveaux principes de régulation qui sont le dialogue et la négociation à l’intérieur de la famille. Ainsi, les relations deviennent plus harmonieuses que ce qu’elles ne sont. Les repères antérieurs n’ont pas disparu. Certaines personnes continuent à s’y référer, mais il y a des nouveaux repères qui sont portés par des nouveaux modèles de fonctionnements qui font que les parents peuvent se sentir « paumés » entre les repères anciens et les repères nouveaux. Ils ne savent plus à quoi se référer, comment il faut se positionner à l’égard des enfants, et ce qu’il faut interdire ou pas. Beaucoup de questions sont posées, notamment par les parents qui subissent l’évolution sociale et qui ne sont pas du tout à l’initiative, comme par exemple les couches populaires. Ce sont les couches moyennes, cultivées, qui portent l’évolution car elles ont fait des études, notamment à partir des années 1960.Des décalages très forts existent entre les milieux, entre les familles, selon leurs caractéristiques, leurs origines culturelles, leurs rapports à la religion, leurs milieux familiaux ou leurs situations professionnelles. Ce qui n’est pas du tout homogène. Parfois, nous avons cette impression que les gens sont perdus, car ils ont trop de références concurrentes, de discours qui peuvent être contradictoires, qui s’opposent, y compris à l’intérieur de ce qui constitue le nouveau bassin de référence du fonctionnement social, c’est à dire la science. Quelle est la science qui rend compte de l’homme ? C’est les sciences humaines et sociales, et on voit bien qu’il y a des discours conflictuels et contradictoires à l’intérieur de ces sciences humaines. Il n’y

Kamel AMEUR - Ce qui fonde donc cette relation est déterminant sur la réussite ou pas de la continuité de la coopération. On entend souvent : « on n’arrive pas à toucher les parents ». Est- il nécessaire de produire du quantitatif, alors que comme vous venez de le dire, tout se joue sur la qualité de la relation avec les parents ?

Sandrine STEPHAN - On sent souvent qu’il y a une représentation négative liée à l’évaluation qui est souvent perçue comme un outil de contrôle alors que celle-ci peut être un élément positif ?

Carine PERRON - On parle beaucoup de délitement de la famille, de pertes de repères, on ne sait plus qui est qui, alors où va-t-on ?

16

a qu’à voir les théoriciens qui autrefois s’appuyaient quand même tous sur le modèle de la mère au foyer, de l’homme qui représentait l’autorité et l’obéissance de l’enfant. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, alors qu’il y a toujours des personnes qui s’accrochent à cela et d’autres qui sont sur un discours du type « on évolue, les choses changent ». Nous sommes donc, y compris à l’intérieur des sciences humaines, au sein d’un conflit de représentations. Les parents, même en allant chercher dans les revues, trouvent des repères différents, des références différentes. Et qui faut-il croire ? De plus, au niveau des « trucs » objectifs, nous pouvons prendre pour exemple la façon de dormir des bébés. Suite aux travaux réalisés sur les prématurés, les pédiatres disaient qu’il fallait coucher les bébés sur le ventre pour éviter la mort précoce du nourrisson. Puis, on s’est rendu compte que ce qui était valable pour les prématurés, ne l’était pas pour les autres. Puis, ils ont dit le contraire : il faut les coucher sur le dos. Et maintenant c’est sur le côté.

Gérard NEYRAND - Personnellement, je ne suis pas un représentant de la position traditionnaliste, mais plutôt porteur de la position un peu contemporaine, de la démocratie familiale, l’affirmation de la valeur de la démocratie à l’intérieur de la famille.

La société évolue effectivement plutôt dans ce sens-là, même si c’est de façon contradictoire et inégale avec beaucoup de résistances. Il n’y a qu’à voir le mouvement d’opposition à l’évolution sociale. Par exemple, en quoi le débat du mariage pour tous a fait ressurgir les catholiques intégristes qu’on croyait disparus, les mouvements d’extrême droite porteurs d’une représentation de la famille qu’on croyait ne plus exister qui sont d’un coup revenus comme ça en première ligne à l’occasion de ces débats. Je pense effectivement que le mouvement de fond est un mouvement qui promeut l’égalité, aussi bien entre les sexes qu’entre les générations, et qui suppose tout un ensemble de reconfiguration qui n’abolit pas la question de l’autorité. En effet, ce n’est pas parce qu’en humanité l’enfant est égal à l’adulte, que l’adulte perd sa position d’éducation. Sa position est simplement différente par rapport à l’enfant. Il y a toujours un objectif de socialiser l’enfant, toutefois sur un modèle différent de la société antérieure. Cependant, un certains nombres de cas ne le comprennent pas et n’arrivent pas à se départir de la position qui affectivement les nourrit le plus, qui est la proximité affective à l’enfant. Nous sommes donc face à des parents qui sont vraiment en très grande proximité affective avec leurs enfants et qui n’arrivent pas à leur interdire quelque chose, à poser une autorité, à donner un cadre parce que pour eux c’est trop difficile. Je pense donc, que l’un des objectifs du soutien, de l’accompagnement à la parentalité, peut-être même le premier, est de requalifier les parents dans leur place parentale c’est-à-dire de leur redonner une légitimité et une confiance en eux-mêmes en tant que parent. Ce n’est pas un problème d’être dans une proximité affective à l’égard de son enfant, si à certains moments on est capable de tenir sa place parentale. Le problème pour ces parents, c’est qu’ils n’y arrivent pas. Ils ne se sentent pas autorisés à le faire ou pour eux effectivement c’est trop dur. Ils ne se sentent pas soutenu pour tenir une position de ce type. Il est peut-être nécessaire de rappeler que c’est au parent de trouver des solutions aux problèmes qu’ils rencontrent. La spécificité du soutien et de l’accompagnement est de laisser les parents au centre et de ne pas les remplacer. Il s’agit là de la différence avec l’aide où on fait à la place de, parce que la personne n’y arrive plus. Dans le soutien, on donne à la personne un outil pour qu’elle-même puisse tenir cette position.Nous sommes là face à une notion différente de la position d’aide, qui est la position traditionnelle de l’action sociale qui s’adresse traditionnellement à des publics très en difficulté. La caractéristique du soutien et de l’accompagnement est qu’ils touchent tous les parents. Nous avons bien évidemment des variantes, et des dispositifs qui s’adressent à des parents, et d’autres plus spécifiques, comme par exemple, à destination des parents séparés. Du point de vue d’un certain nombre d’acteurs sociaux et d’intervenants sociaux, cela les oblige à changer de position et à être dans une position plus modeste, peut être

Kamel AMEUR - Vous soulignez l’éventail de positions par rapport à la science, mais du coup je pense aux professionnels qui cherchent aussi des repères. Est-ce qu’il y a aussi un mouvement dans la manière d’aborder la question de la famille dans les différents corps de métiers ?

17

moins valorisante puisqu’on ne fait pas à la place de, mais on soutien, on accompagne, pour qu’eux-mêmes trouvent leur réponse.

Gérard NEYRAND - La question de la prévention est compliquée. En effet, pour qu’une prévention soit efficace, il faut la planifier à moyen terme. Or les politiques fonctionnent sur du court terme. Ce n’est pas le temps de la politique, donc si notre société évoluait rationnellement la programmation elle, serait mise en place et cela fonctionnerait. Nous bénéficions de dispositifs à visée préventive mais qui sont ponctuels. Les « Maisons vertes » et les LAEP participent à la prévention, mais il s’agit de petits dispositifs perdus dans l’océan des logiques qui ne sont pas du tout de cet ordre là. Nous nous trouvons donc face à un discours sur la prévention de la délinquance qui met en place une prévention répressive. La deuxième difficulté de la prévention, notamment par rapport au modèle managérial de l’évaluation, est comment vous allez évaluer l’efficacité d’une prévention primaire qui évite que des problèmes apparaissent ? Il faudrait pouvoir isoler des territoires où des dispositifs ne sont pas mis en place et des territoires où ils sont mis en place et comparer en disant « vous voyez là il y a un dispositif et il y a beaucoup moins de problèmes que dans l’autre territoire ». Mais vous vous rendez compte tout ce que cela suppose pour arriver à convaincre d’orienter une politique. Nous sommes donc dans une tension et cela renvoie à la tension, qui traverse complètement, je pense, la logique du soin psychique, la tension qui devient de plus en plus manifeste aujourd’hui entre le soin médicalisé, enfin le soin psychique à base de médicaments ou de reconditionnement et les approches comportementalistes.Le problème de la nouvelle psychiatrie, impulsée notamment par la psychiatrie américaine, est qu’elle est complètement « boostée » par les industries pharmacologiques, par des progrès énormes fait en matière de médicaments soignant les troubles de l’esprit. Aujourd’hui, vous faites une dépression et on peut vous soigner avec des médicaments, antidépresseurs, et vous êtes ré-insérable dans le milieu social. Et si vous arrêtez de prendre vos médicaments vous replongez. La cause n’est donc pas soignée mais le symptôme est soigné. Nous sommes en présence d’une nouvelle médecine avec des molécules extrêmement sophistiquées et complètement portée par l’industrie pharmaceutique. D’une certaine façon, l’enfant hyperactif a été produit par les médicaments sensés soigner l’hyperactivité !

Gérard NEYRAND - Tout à fait, un enfant vous le faites courir dans tous les sens deux heures par jour et il n’est plus hyperactif.

Gérard NEYRAND - Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui, à l’école maternelle on fait rentrer les enfants dans les premiers acquis scolaires.

Gérard NEYRAND - Oui c’est aussi le fait de placer les bébés devant la télévision. Il faut dire que les normes de socialisation ont énormément changé. L’impact des médias extrêmement important est tout à fait minorisé. Nous n’avons pas conscience de l’importance de la socialisation par les médias, parce qu’il s’agit d’une socialisation par imprégnation, par imitation qui n’est pas une socialisation éducative. C’est un grand risque que de placer un jeune enfant devant la télé. Cependant, bien souvent c’est la nouvelle nounou, il est tranquille, il est fasciné par l’écran mais c’est au détriment de certaines acquisitions psychomotrices. Il y a un certain nombre de pédopsychiatres qui vous le diront, et qui se sont élevés contre la possibilité de faire des « Télévisions pour les bébés » en France. C’est d’ailleurs grâce à eux que ce n’est pas passé en France. Il faut savoir qu’un moratoire avait été lancé contre les chaînes de télé pour bébé et ces chaînes n’ont pas été acceptées en France. Toutefois, il faut que la société civile se mobilise à un certain moment.

Sandrine STEPHAN - Qu’est-ce qui fait que l’on n’arrive pas à mettre en place des actions de prévention ?

Sandrine STEPHAN - Aujourd’hui quand je vois certains enfants qualifiés d’hyperactifs et bien parfois je vois qu’un enfant c’est tout ! On impose un carcan aux enfants alors qu’ils sont à un âge où ils sont censés grimper…

Jean-Marie SIMON - Je ne sais pas si il y a 30 ans à l’école maternelle on laissait davantage courir les enfants.

18

Pour exemple, le mouvement « Pas de zéro de conduite ». En effet, lorsque l’ancien ministre de l’intérieur, a voulu introduire l’idée qu’on pouvait prévenir la délinquance dès l’âge de trois ans a entraîné une réaction de la société civile. Si la société civile réagit fortement, les pouvoirs publics font marche arrière, ils se rendent compte de ce qu’ils provoquent. La question de la prévention reste fondamentale, mais elle n’est pas véritablement traitée parce qu’elle n’est pas politiquement rentable. C’est ici tout le problème du politique qui est posé, il est de plus en plus dominé par l’économique et sa marge de manœuvre est plus faible qu’autrefois.Il y a quand même des choses qui se font et se mettent en place, et c’est intéressant de constater le dynamisme. Mais il y a vraiment des tendances contradictoires. Il est nécessaire de ne pas se faire « bouffer » par le marché, et c’est à cela qu’il faut s’activer afin de faire en sorte que la société civile garde une autonomie et que la logique citoyenne perdure. Le soutien et l’accompagnement des parents sont donc devenus une nécessité structurelle. Selon moi, l’objectif des années 2010, est d’arriver à produire une véritable co-éducation, en harmonisant les interventions des différentes instances éducatrices pour qu’elles arrivent à travailler de manière interconnectées. Parce qu’aujourd’hui, nous nous situons dans une société où les parents ont moins de temps à consacrer à leurs enfants car ils travaillent tous les deux et en même temps ils y investissent beaucoup. Il y a un discours social qui les sur-responsabilisent en leurs disant « c’est vraiment vous les responsables de l’éducation de vos enfants » et en même temps il y a les médias à côté. Aujourd’hui, un enfant entre 4 et 14 ans, passe quatre heures quarante devant un écran par jour. Si on tient compte du fait qu’il dort huit ou neuf heures par jour on voit bien que c’est énorme. Evidemment, il y a des choses qui lui sont transmises par les différentes instances de socialisation qu’il fréquente et qu’il s’agit de coordonner. Par ailleurs, quand on observe les relations entre l’école et les familles ou entre les enseignants et les familles, on se dit qu’il y a encore du travail ! La co-éducation, c’est un joli mot mais c’est un sacré chantier !L’Education Nationale prend vraiment conscience de ces problèmes. Par exemple, par la parution très récente d’une circulaire sur l’ouverture de l’école aux parents.

PHOTO N°2200

19

Débats et échanges thématiques autour des pratiques professionnelles animés par Gérard NEYRAND et Olivier PREVOT, Maître de conférences en Sciences de l’Education et Directeur de l’IUT de Belfort-Montbéliard.

Olivier PREVOT - « En termes d’introduction, poser la question de cette façon présume que d’emblée on ne s’oriente vers le présupposé que nous sommes compétents. C’est très idéologique pour un éducateur de se dire « naturellement compétent ». Pour ma part, être parent s’apprend au même titre que tout acte éducatif. Mais la question est de savoir comment on apprend (en école, au REAAP, etc.). Questionner la parentalité, c’est questionner si la société reconnaît cette compétence. Or mettre en place des dispositifs de soutien, c’est la remettre en question.L’éloignement des familles, l’évolution, rend la transmission plus difficile, et les parents d’aujourd’hui ne veulent pas spécialement les conseils de leurs familles. Ne trouvant pas de réponse au sein de leurs familles, ces jeunes parents peuvent être amenés à se tourner vers la sphère publique (dispositifs). Or aller vers quelqu’un que je ne connais pas peut être déroutant.Notre pays gagnerait à se tourner davantage vers la formation de parent : formation comme un lieu d’accueil, d’échange, d’accès à la connaissance.Il y a une tendance en France à l’obscurantisme : « nous sommes compétents, l’accès à la connaissance est difficile et tout enseignant est forcément manipulateur… ». Alors que dans d’autres pays, la tendance est autre.A partir du moment où l’on ouvre ses portes, on rend cela accessible aux parents. Cependant, attention à ne pas trop cadrer, car cela peut faire « rechigner » les parents.Dans l’enseignement pédagogique, les étudiants ne prennent et ne retiennent que ceux qu’ils veulent. Pourquoi ne pas laisser cette liberté aux parents ? »

Gérard NEYRAND - « Dans le questionnement : la mobilisation des compétences et des ressources parentales, est-ce la même chose ?Savoir s’occuper d’un enfant, l’élever, intervenir, n’est pas inné, il s’agit d’un processus évolutif.La notion de compétences est à interroger tant du côté des intervenants qui veulent soutenir/accompagner/contrôler les parents, que du côté des personnes avec lesquelles on entre en relation. L’intérêt de l’accompagnement est de faire en sorte que les ressources parentales se manifestent plus facilement, les parents n’en ayant pas forcément conscience.Si l’on se réfère à la Charte du REAAP, l’accompagnement nécessite de mettre les parents au cœur du dispositif, cela est différent de l’aide. Il y a nécessité d’une modestie des intervenants sociaux, censés accompagner les parents, censés avoir des connaissances… il faut être assez modeste pour laisser les parents au cœur du dispositif. »

Olivier PREVOT - « Il est évident que tout le monde a des ressources, mais la question est de les faire fructifier en termes de capacités voire de compétences. Il y a un degré d’exigence à avoir aussi dans l’accompagnement, car on laisserait croire que le capital est déjà là quand on dit que chacun a des compétences. »

COMMENT ACCOMPAGNER LES PARENTS DANS UN CONTEXTE DE PARENTALITÉ EN ÉVOLUTION ?

La mobilisation des compé-1. tences et des ressources parentales : aider les parents à trouver des solutions par eux-mêmes.

20

Invitation au débat dans la salle sur le thème : « Aider les parents à trouver des solutions par eux-mêmes ».

Gérard NEYRAND - « Le premier exemple parle de culpabilité : les parents se sentent coupables et vont « sur-couver » leur enfant au risque de l’étouffer, ce qui implique une culpabilisation. La position parentale est par elle-même souvent culpabilisante, d’autant plus que le discours « parentaliste » (fondé sur le discours sécuritaire) a pour effet d’inhiber les parents au lieu de les faire réagir. Il convient de se questionner ainsi sur les « stages de parentalité ». Il faut sortir de cette logique pour accompagner les parents, les aider à développer leurs ressources propres. »

Olivier PREVOT - « Il est important de distinguer la compétence de la posture que l’on doit adopter en tant qu’intervenant. Il ne faut pas confondre la méthodologie avec la façon de l’aborder.Il faut réapprendre à apprendre. Ce n’est pas par peur d’être condescendant qu’il faut pour autant s’interdire d’entrer en relation avec les autres, de transmettre le savoir.Il faut être capable de se mettre en retrait pour laisser l’expertise à l’autre et n’intervenir que ponctuellement en tant qu’expert. »

Gérard NEYRAND - « D’où l’importance des rencontres entre parents, pour casser cette position d’expertise d’un intervenant tiers. Être placé en position d’expert rend difficile la mise en confiance et la mise en relation nécessaires à un accompagnement soutenant. D’où l’importance de l’idée de co-éducation et de la charte du REAAP qui met l’accent sur la possibilité de mettre à disposition des parents des lieux de rencontre et d’échange. Cela oblige le travailleur social à changer de posture, ce qui n’est pas facile. »

Olivier PREVOT - « Vous avez le choix entre Athènes et Sparte. A Athènes, c’était l’échange, le partage. A Sparte, c’était la force, le courage. Le REAAP préconise plutôt le « système athénien ».Prenons un autre exemple, celui de « Pif Gadget » et de Baudelaire : vous allez me dire « ce sont des livres ». C’est vrai, mais on peut quand même hiérarchiser les choses.Par exemple : la puéricultrice a un savoir, une expérience, une expertise, pour lesquels en tant que parent j’ai confiance pour confier mon enfant, mais dont je peux aussi modéliser les méthodes, expériences, etc. On peut reconnaître des compétences intéressantes et pertinentes, ce qui ne hiérarchise pas sur le plan humain, n’en fait pas une meilleure ou une moins bonne personne.Pour répondre à la demande concernant la posture du travailleur social, je proposerais comme méthodologie à mettre en œuvre l’art de faire accoucher les esprits ou « la maïeutique socratique ».

Gérard NEYRAND - « La participation à un atelier d’échange impose une interactivité et la mise en œuvre d’un principe de citoyenneté. Alors que lors d’une conférence, on peut être dans une position de consommateur.Dans nos sociétés néolibérales, c’est plus facile d’être consommateur que citoyen. Cela demande beaucoup d’énergie d’être dans une logique plus active d’appropriation ».

Olivier PREVOT - « En aparté avec M.NEYRAND, je lui disais être allé au Maghreb où dans un même temps je n’abordais que la moitié de ce que je disais en France, tellement la soif d’apprendre est grande.Très souvent en France on ne parle que de « parents » alors que souvent

Intervention dans l’audience : « Est-ce qu’on n’est pas dans un paradoxe ? Il y a tellement de modes d’emploi que les parents peuvent être dans le doute et perdre confiance dans leurs compétences ».

Question de M. JM.SIMON : « Là où nous en sommes au REAAP, nous voyons qu’il est plus facile pour des parents de venir à des conférences plutôt qu’à des ateliers d’échange. Il faudrait donc travailler sur des conférences mais avec une approche différente permettant à un moment donné à d’autres experts d’intervenir dans la salle, les parents ».

Exemple donné par le Principal d’un Collège : « Il s’agissait d’une situation de demande d’aide de parents confrontés à une adolescente. On a balayé les lieux communs pour dire qu’il n’existe pas de recette miracle et que l’adolescence est une période de changement, et l’on a rappelé aux parents qu’ils ne sont pas les seuls dans cette situation. D’où ce questionnement : y a-t-il des personnalités ou des statuts compétents pour apporter des soutiens face à la culpabilité ? ».

Autre intervention de l’audience : « Il existe une toute petite minorité de parents sans ressource. Pour les autres, on les acquiert via notre famille, nos pairs, l’école… Pour rejoindre la question précédente : a-t-on dit aux enfants qu’ils avaient des compétences, qu’ils avaient des personnes adultes, avec un lien de confiance ? Pour être des adultes confiants, il faut agir avant. Il faut une remise en question de l’éducation et de son processus de culpabilisation ».

21

ils ne viennent pas seulement en tant que parents, mais aussi en tant que personnes ou citoyens, avec des problèmes. Il faut donc être capable d’entendre des choses autres que des questionnements parentaux. L’assurance, la réassurance, l’écoute, sont des postures préalables à tout positionnement d’accompagnement éducatif. Cela nécessite que les gens aient confiance en eux, en nous, et il faut mettre en œuvre les conditions. Ils n’attendent pas que cela, ils attendent aussi des réponses. Par exemple à la maternité, les parents posent des questions au personnel soignant, qui ne répond que sur des aspects techniques et de soins. On peut alors se demander pourquoi le soin mériterait une réponse et pas une question éducative ? Parce que les soins sont une question technique, alors que les questions éducatives sont plurielles. Pour autant, pourquoi ne pas répondre aussi en termes d’éducation « je pense que, à votre place je… ». Ensuite, le parent est libre d’en prendre ce qu’il veut.Il ne faut pas une école mais développer des lieux diversifiés pour que chaque parent puisse y trouver ce qu’il cherche, quoiqu’il cherche. »

Olivier PREVOT - « La question de l’estime de soi peut être liée à l’estime de soi parentale mais pas seulement ! Il y a des liens mais attention à la posture. L’accompagnement dans l’estime de soi ne relève pas que de réponse éducative ! »

Gérard NEYRAND - « Vous disiez que les mères au foyer n’avaient pas conscience des tâches réalisées. Cela renvoie à l’effet que la prise de conscience de sa réalité peut avoir. Cet impact est reconnu comme important depuis FREUD. Le processus d’élaboration personnelle passe par la prise de conscience de sa réalité, de sa position. Des personnes se dévalorisent parce qu’elles n’ont pas conscience de leur place dans la famille ou la société, or cela est nécessaire à leur élaboration.C’est le cas des LAEP où la logique n’est pas celle de parent consommateur mais où il y a incitation des parents à se positionner comme co-acteurs. »

Olivier PREVOT - « Pendant longtemps, on est intervenu en termes d’éducation compensatoire en France. Puis est arrivée la notion de Parentalité avec cette question : est-ce que les enfants ont des problématiques qui les concernent ? Sur quantité de sujets, les enfants ont une part à jouer. Par exemple, l’échec à l’école n’est pas que de la faute de l’Education Nationale et des parents. Les enfants ont aussi à réaliser qu’ils ont un impact, sans être responsabilisés, sur le bien-être de leurs parents. Ils sont acteurs dans leur propre éducation, le parent étant appréhendé dans le rapport qu’il entretient avec son enfant. »

Olivier PREVOT - « En réponse à ce dernier point… Il y a eu, il y a quelques temps, l’ouverture à Belfort d’une association « Femmes en Liberté ». J’y ai adhéré… Mais je n’ai pas été invité à l’assemblée générale. Or, pour convaincre les hommes, il faut peut-être les inviter. »

Intervention dans l’audience : « Je reviens sur la notion de consommateur. Il est vrai que le groupe n’est pas adapté à tous. Il est possible de laisser le parent consommer et d’échanger en aparté à la sortie, de rester à sa disposition, de laisser la porte-ouverte à une autre question… Il n’est pas évident pour les parents de se retrouver en groupe ».

Témoignage dans l’audience : « Moi je voudrais revenir sur la question de mobiliser les compétences parentales. Je suis assistante sociale scolaire. Quand je reçois une famille pour une demande de fonds social, la mère dit en parlant d’elle qu’elle ne fait rien. Je la fais décrire sa journée, la voilà qui liste tout ce qu’elle fait. Avant de mobiliser les compétences, il faut au moins aider les parents à reconnaître qu’ils ont des compétences, et qu’un jour ils peuvent monnayer ces compétences pour une recherche d’emploi notamment ».

Question d’un intervenant de la MJC de Bollwiller : « Par rapport à mon questionnement personnel, avant même de mobiliser, il faut que les parents prennent conscience de leurs compétences. A l’heure actuelle je me pose comme éveilleur de conscience (par opposition à objecteur de conscience). Qui dit parent, dit enfant/adolescent. Selon vous, n’y aurait-il pas un travail à mener auprès des enfants pour qu’eux aussi soient acteurs de la parentalité ? ».

Témoignage de Thierry JACQUAT, animateur du REAAP local de Munster, donne l’exemple d’une action « pour laquelle il y a une réelle participation des jeunes lycéens lors des soirées parentalité ».

Témoignage dans l’audience : « Je suis heurtée par le côté de défense du statut de « mère au foyer ». Non je suis autre chose ».

22

Olivier PREVOT - « La question est liée à ce que G.NEYRAND a dit. Est-ce qu’on considère les parents comme consommateurs ou citoyens de leur propre avenir, tourné vers l’intérêt général. Or des parents qui se rassemblent, c’est un groupe qui pèse, avec une capacité de lobbying, notamment dans la vie politique.On peut se poser la question suivante : le soutien à la parentalité, est-ce accompagner les parents ou les accompagner dans la prise d’une place dans la société ? Plus les parents sentent qu’ils peuvent peser, plus ils s’y investiront.Donc je vous pose la question : jusqu’où souhaitez-vous qu’ils s’impliquent ? Quelle place vos institutions leur laissent-elles ? »

Gérard NEYRAND - « Il y a eu un changement total de référentiel pour l’ASE. A la fin des années 80, on devait couper les liens familiaux. Alors que depuis la fin des années 90, on préconise le maintien des liens parents-enfants en raison de son importance dans tout type de relation, dans le développement psychique.C’est un vrai changement de paradigme dans l’intervention.D’où la mise en place de dispositifs pour préserver ou maintenir le lien avec comme objectif idéal le retour de l’enfant au sein de sa famille. Cela participe de la valorisation des compétences parentales dont on a vu l’évolution. C’est une question donc très pertinente mais à laquelle il est très difficile de répondre. »

Olivier PREVOT - « Je n’apporterai donc pas de réponse mais une réflexion.L’évolution des familles est toujours liée aux conditions économiques. Il ne faudrait pas rendre coupables les parents de maux qui sont sociétaux. Quand les parents sont dans des situations de maltraitance de leurs enfants, ils sont souvent en pleine pathologie sociale, recouvrant de nombreuses difficultés. Il en résulte pour les parents une incapacité à être responsable de soi. On ne peut donc pas leur demander d’être responsable d’autrui, d’enfants. Il est donc nécessaire dans le cadre de l’ASE d’accompagner un processus individuel. Cela n’excuse pas les parents mais il faut être conscient de ce que la société produit.Lorsque la société juge que l’enfant doit être retiré de son milieu familial, on signifie auxdits parents qu’ils sont incompétents. C’est alors très difficile de se construire quand la société vous signifie cela. On relève alors que dans le cadre de l’ASE, avec par exemple les MECS, il y a un véritable accompagnement centré sur les enfants. Mais rien n’est fait pour les parents. Il y a pourtant des dispositifs multiples, dont le « placement à domicile », un vrai particularisme français ! »

Gérard NEYRAND - « La question de l’éducation de l’enfant est sociétale et non pas seulement parentale, ce qui légitime le principe de coéducation. L’enfant n’appartient pas à ses parents, il appartient à lui-même, et ce avec le soutien des « institutions », dont les parents. En cas de défaillance, c’est le système social qui éduque l’enfant. Mais sans oublier les parents d’où une évolution très importante dans le domaine de l’ASE. »

Olivier PREVOT - « Je tiens à préciser que je n’attaquais pas le travail fait en MECS ».

Témoignage dans l’audience : « M.PREVOT, je ne peux pas aller jusqu’à dire que l’ASE ne valorise pas les compétences parentales. J’ai moi-même travaillé 17 ans en MECS et 20 ans en milieu ouvert. Les conditions sont très difficiles. Ici on est beaucoup en contact avec des parents qui ont des problématiques et dont les enfants connaissent des difficultés de parcours. De façon générale ce n’est pas facile de devenir parents. Je relève aujourd’hui l’absence de certaines institutions, notamment pour des questions de restrictions budgétaires. Il y a un aspect juridique à devenir parents qu’on n’a pas beaucoup abordé aujourd’hui. Il manque un espace de parole pour les parents en devenir, car devenir parent c’est devenir parent dans une société. De même, on note qu’il y a moins d’hommes parmi les intervenants… Est-ce que cela a un impact ? »

2. Les parents à l’initiative des actions aux côtés des professionnels ?

Question d’une intervenante de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) : « On parle beaucoup de soutien à la parentalité, c’est un effet de mode depuis la loi de 2007 où il y a eu un renforcement des droits des parents. Comment dans une situation de contrainte peut-on soutenir des parents souvent bien entamés dans leur individualité au-delà de leur parentalité ? »

23

Gérard NEYRAND - « Oui c’est une démarche importante. Il faut valoriser l’enfant, ce qui crée un autre rapport aux parents. C’est une façon positive d’aborder le soutien à la parentalité. »

Gérard NEYRAND - « C’est le rôle du réseau de diffuser les actions qui marchent bien. »

Olivier PREVOT - « Le chemin est plus important que l’objectif. La re-conductibilité d’une action n’est pas possible, puisque ce qui est important c’est ce que vivent les parents ensemble.Pour la réponse plus « pratique » que vous demandiez, la méthodologie n’est pas neutre quant à l’implication des parents. Plus tôt les parents sont impliqués, plus ils sont impliqués. Dans l’idéal, ils devraient être présents dès l’émergence de l’idée.Je vous pose cette question : pourquoi reprocher à des parents de ne pas venir quand nous-mêmes intervenants, en tant que parents, nous ne fréquentons pas ces lieux ? Se poser la question permettrait d’y répondre en partie. »

Olivier PREVOT - « Quand on parlait de posture je parlais de cela. Soit l’on crée des dispositifs avec un objectif à atteindre, soit le dispositif n’est qu’un alibi au développement des échanges, etc. Il y a alors confusion avec l’objectif qui est de participer à l’action.Je partage avec vous mon expérience : un centre socio-culturel qui propose de la zumba… en fin de compte on donne l’illusion de vivre quelque chose ensemble alors qu’on ne connaît rien des uns et des autres. A la fin du cours chacun s’en va en ayant passé certes un bon moment mais sans rien savoir de l’autre. L’activité alibi pourrait pourtant être l’occasion de travailler le lien social ».

Olivier PREVOT - « La première chose à faire, c’est de donner envie aux parents de venir. Alors peut-être, après, des questions parentales peuvent émerger. Il faut d’abord créer du lien social. Ensuite, mille sujets pourront être abordés, sur l’éducation en général. Il faut croire à l’effet collectif. Un groupe de parents venant défendre un projet sera plus fort qu’un professionnel. »

Témoignage dans la salle citant une expérience de bénévole dans un groupe de parents en MECS sur 7 à 8 séances : « Et ça fonctionnait bien. Ce genre d’expérience devrait être multiplié ou reconnu. »

Témoignage dans la salle relatif à un projet dont : « l’axe principal est d’aider les parents dont les enfants étaient suivis par l’ASE à intégrer des dispositifs de droit commun tels que le REAAP. Toutefois, lorsque cela a semblé fonctionner, c’était grâce à une personne qui s’est positionnée comme relais pour les parents entre la sortie d’un dispositif et l’entrée dans un dialogue ».

Question : « Pour compléter la question posée, j’ai envie de poser la question de l’actualité de l’éducation populaire dans les structures accueillant ces parents et ces jeunes ».

Question d’une intervenant du REAAP 67 : « Quels moyens sont donnés aux parents pour développer des actions. Par exemple, est-ce parce que les demandes de budgets sont difficiles ? »

Intervention dans la salle pour rappeler l’existence d’inégalités budgétaires et le constat d’une certaine diminution du nombre d’actions liée aux diminutions des budgets.

Question : « J’aimais l’intervention de l’assistante sociale qui parlait de sa praxie. J’aurais besoin aux cours des échanges de cette journée de revenir sur des échanges plus pratiques, concrets, pour trouver des solutions. Ainsi, j’interroge sur le fait que les parents de plus jeunes enfants sont plus « alpaguables », ils arrivent encore à prendre du temps. Du coup, c’est eux qui sont présents en conférence alors qu’on devrait en toucher d’autres.Pour en revenir à l’enseignement, quand appelle-t-on un parent pour lui dire que son enfant a passé une très bonne journée ? »

24

Olivier PREVOT - « En effet… Pourquoi les structures ne réserveraient-elles pas un petit pourcentage de leur budget pour une plus grande proximité avec les parents ? »

Gérard NEYRAND« C’est une bonne réponse là où il y a un risque de « managiérisation » des actions avec un processus de financement et d’évaluation. Les réseaux locaux du REAAP 68 sont une réponse importante. »

Gérard NEYRAND - « On observe une forte présence des femmes, d’autant plus avec l’évolution de la société. Les pères peuvent ne pas se sentir concernés ou pas légitimés au regard de l’éducation, qui pour eux relève de la fonction maternelle. Cela perpétue l’ancien modèle de la structure familiale du début 19e siècle. On participe de cet héritage mais l’on peut promouvoir quelque chose de différent. On ne peut faire que le constat qu’il y a peu de pères. Comment le modifier autrement que par des discours généraux.Il faut dépasser le réflexe des pères qui renvoient souvent l’éducation à la mère.Comme aujourd’hui dans la salle, où en principe il y a 10 à 15% de parents. »

Olivier PREVOT - « Je vais vous faire part d’une nouvelle anecdote. J’étais invité à une journée où le seul homme présent dans l’audience s’est vite excusé car il était le chauffeur du bus.Finalement, pour répondre à la question, on en revient à ce qui a été dit : est-ce que finalement l’enjeu est d’aborder la question de la parentalité ? « J’ai une question de parent et je vais aller dans un endroit que je ne connais pas, avec des gens que je ne connais pas… » C’est difficile. Donc la question de l’éducation est assez enfermante.L’outil « débat » est-il un bon outil pour les pères ? Pas sûr. Les rapports de genre sont encore très marqués, notamment dans certaines classes sociales. La démarche d’espace comme la place du village est importante, c’est le terreau pour des rapports plus importants que la seule question de la parentalité. »

Gérard NEYRAND - « Il s’agit ici du même questionnement que celui que se posent les CSC. Que proposer aux pères pour les faire venir ? Cela permet de casser l’image pour légitimer la venue des papas. »

Gérard NEYRAND - « C’est bien que cela fonctionne. J’ai été contacté il y a quelques temps par un Centre maternel de Marseille, pour une intervention, où ils ont fait le choix de limiter l’accès aux seuls hommes. Résultat : deux pères étaient présents… »

3. La place des pères dans les actions de soutien à la paren-talité du REAAP

Intervention de Mme DALENCON qui rappelle la circulaire du REAAP de décembre 2008 : « le professionnel n’intervient qu’en appui, les parents sont les acteurs privilégiés du dispositif. Le financement par le REAAP consiste en un soutien technique pour les projets à l’initiative des parents ».

Proposition d’une intervenant du REAAP 67 : « Nous avons connu des situations de parents proposant des micro-expériences mais dont la demande de budget auprès du REAAP est trop difficile et ne sera pas renouvelée l’année suivante. Une proposition serait donc que des structures allouent plus rapidement une partie de son budget à ce type de micro-expériences ».

Témoignage : « Au sein du LAPE, des papas viennent mais souvent parce que la maman est déjà venue avec l’enfant. Quand il y a plusieurs papas, on ne constate pas vraiment d’interactions. Les LAPE sont perçus comme des espaces pour le jeu parent/enfant et non pas pour échanger avec les autres parents ».

Témoignage : « Il existe un LAPE à Strasbourg avec un temps que pour les pères ».

25

Gérard NEYRAND - « Effectivement, la coparentalité est une démarche consciente. Il peut y avoir des tensions à l’intérieur même de l’individu. »

Gérard NEYRAND - « C’est bien le témoignage du fait qu’il est possible de travailler en la matière mais effectivement cela nécessite de s’adapter. »

Gérard NEYRAND - « Le modèle de la co-parentalité ne pose pas de question de genre, mais une question d’égalité de droits. En matière de fonctions paternelle et maternelle, les discours vont dans le sens qu’il s’agit de fonctions socialement décidées donc pouvant évoluer. D’autres fonctions sont non interchangeables, comme « la mère procréatrice ». Donc cela dépend des fonctions. La fonction procréatrice est celle de la mère, mais les autres sont évolutives, aucun modèle n’est immuable.L’histoire a montré des représentations erronées d’images sociales passées. »

PHOTO N° 2236

Témoignage dans l’audience : « La place du père m’interroge beaucoup notamment dans la représentation que des professionnels de la petite enfance ont, au regard de la coparentalité. Prenons l’exemple de la tenue vestimentaire dépareillée de l’enfant. Le professionnel aura tendance à dire que c’est normal parce que c’est le papa qui s’en occupe. Les attentes vis-à-vis du père ou de la mère sont différentes ».

Témoignage d’une « expérience en centre maternel où sont associés des pères dans des moments de partage et de jeu. Il y a par ailleurs le développement de réseaux d’appartement extérieur de couples, pour les pères/mères et enfants. Les échanges de ces pères avec les autres parents ont pu être rassurants. »

Question dans l’audience : « Est-ce que la co-parentalité signifie avoir la même place ? »

26

Olivier PREVOT - « Je détourne la question. Est-ce que le soutien à la parentalité ne doit exister que pour accueillir des parents en difficulté ? Pourquoi des intervenants de co-éducation (enseignants, éducateurs, éducateurs sportifs, parents, etc.) ne se réuniraient-ils pas une à deux fois par mois pour échanger ?

C’est possible de le faire dans une institution en créant un lieu de vie ouvert aux parents, pour parler d’éducation au sens large et non pas seulement d’éducation parentale.La réalité des faits est que les parents ne se posent la question d’un lieu extérieur pour répondre à des questions qu’en cas de difficultés majeures, cristallisées à l’adolescence. Or, les situations sont ancrées depuis longtemps. Il est alors difficile d’intervenir.C’est l’exemple du problème de l’autorité : l’ado face à la mère en situation monoparentale. L’intervention se fait bien souvent en prévention secondaire.Or le message de prévention primaire est : « venez parler d’un problème que vous n’avez pas mais que peut-être dans 10 ans vous le vivrez »… Cela ne donne pas envie et ce n’est pas assez problématique pour qu’il fasse l’effort de venir. Alors qu’un lieu plus large avec des questionnements divers d’éducation de temps à autre peut permettre des échanges. »

Gérard NEYRAND - « L’accompagnement dans les différentes étapes de la vie de parent, cela veut dire de la conception psychique de l’enfant à la mort du parent. L’accompagnement évolue avec la place de parents à chacune de ces différentes étapes. Tous les parents ne sont pas dans cette situation classique : c’est le cas des beaux-parents (« t’es pas mon père ») où la structure familiale est en question. L’accompagnement varie selon les structures des familles et l’âge de l’enfant. Il est pas conséquent nécessaire de s’adapter. »

4. L’accompagnement dans les différentes étapes de la vie de parent

27

Par Olivier PREVOT.

« Je pourrais revenir sur la richesse des éléments de la journée mais je souhaite évoquer des perspectives.Tout d’abord je souhaite revenir sur l’intervention de M. NEYRAND.Evidemment qu’on pourrait être en situation de se poser la question de savoir si la famille n’est pas en crise. Cela pose la nécessité de définir ce qu’est la famille.Aujourd’hui on ne discute pas la pluri-parentalité alors même que les familles nucléaires restent majoritaires. La monoparentalité et la recomposition existaient depuis toujours mais étaient liées à des veuvages. Désormais, cela est lié à des choix.La question de l’affiliation liée à l’amour est très récente. Cela est important mais ne peut pas durer.En effet, dans une perspective économique (cf. Pyramide des besoins de Maslow), l’amour est le sommet de la pyramide. Or aujourd’hui des familles composent des couples pour des raisons économiques (à la base de la pyramide) : à deux, on a deux salaires. Alors qu’on aspire à construire une vie familiale basée sur l’amour. Attention à ne pas projeter une image dégradée sur la recomposition fondée sur la nécessité et non l’amour. Aujourd’hui, la recomposition basée sur « je cherche quelqu’un de gentil et solvable » est de plus en plus fréquente. Or, la France est en crise économique depuis 2008, et l’on ignore à l’heure actuelle ses conséquences.Par ailleurs, l’évolution historique montre que la question des formes de situations familiales évolue avec l’économie, comme une respiration : la famille s’élargit en période de crise, et s’individualise en période de plénitude.

La liberté de se séparer est aussi une forme d’enfermement pour les femmes (à qui incombe alors l’éducation des enfants, et ce sans revenu). Je pense qu’il y a une certaine régression dans le droit des femmes.

Nous faisons souvent allusion à la notion de « moitié » du couple : « c’est ma moitié ». Mais le partenaire peut être moins que ça en cas de recomposition. Prenons l’exemple de la femme qui se marie, a un enfant, puis se sépare, se remarie, etc… On parle alors du « ¼ de la ½, etc. »

La démocratie familiale, sujet d’actualité… Attention à la démocratie en nombre pair. La démocratie par vote est plus périlleuse que le consensus et beaucoup plus compliquée que la dictature. Je propose, pour rire, la dictature tournante.

Un des enjeux importants que je souhaite soulever est comment intervenir de la manière la plus précoce possible. Si l’on n’intervient pas de manière précoce, c’est très difficile de retourner la situation une fois très détériorée (ex : ASE).

Autre point évoqué ce jour, les interventions de l’Etat dans les sphères privées parce que la société mise sur le développement des politiques familiales. Il apparaît donc presque normal de vérifier que ce soit « contrôlé » en termes d’évaluation. Je vous invite donc à discuter du coût éducatif, des aspects économiques de l’éducation.Concernant la question des rythmes scolaires, j’ai beau être un élu local de gauche, je ne suis pas pour le changement du rythme scolaire. Cette mesure pourrait induire deux choses.Les enfants vivent moins de 20% de leur temps éveillé en classe, les inégalités ne se forgent donc pas à l’école mais en dehors. Il ne faut par conséquent pas dire que l’inégalité éducative est liée à l’école.Mettre les moyens financiers dans et autour de l’école, dans le périscolaire notamment, peut entraîner une diminution des financements de l’extra-scolaire où l’enfant passe 80% de son temps.Il a même été question de péri-éducatif, or il y a encore une possibilité

SYNTHÈSE DE LA JOURNÉE

28

entre le péri et l’extra-scolaire.

Le terme de coéducation mérite qu’on le creuse. Quelles sont ses conditions de mise en œuvre ?Il faut partir des besoins de l’enfant (pas des parents, de la société, des enseignants). Mais pas de l’enfant en tant que tel, puisqu’il ne le sera pas toujours. Il faut voir le processus d’évolution de l’enfant à l’adulte.Les besoins de l’enfant sont des besoins auxquels il faut répondre, selon les spécialistes, au nombre de cinq :

Besoin de soins (primaire)- Besoin affectif et psycho-affectif- Besoin cognitif, d’apprentissage- Besoin de socialisation- Besoin de valeurs-

En prenant ces cinq besoins, il est évident qu’aucun éducateur ne peut répondre seul à ces cinq besoins. C’est impossible !Ce n’est donc de la responsabilité de personne en particulier, mais c’est une responsabilité partagée.Exemple du soin : on est bien content d’avoir un médecin gratuitement.Exemple du cognitif : on a la chance d’avoir des crèches, maternelles, écoles gratuites. La France est le seul pays à offrir cela. Et personne n’est conscient en France de cette chance. On est les premiers à détruire un système éducatif.Exemple de la socialisation : des parents devraient faire beaucoup d’enfants s’ils portaient seuls cette responsabilité ! Heureusement il y a l’école, la culture, le sport.Voici un proverbe sénégalais parlant : « Il faut tout un village pour éduquer un enfant ».Si les parents sont les premiers éducateurs, c’est en tant que chef d’orchestre. Ils peuvent choisir librement les musiciens.Chacun à un rôle à jouer, et des rôles qui doivent être complémentaires.

Nous aurions avantage à définir autrement ce que l’on appelle l’accompagnement et le soutien à la parentalité.

Je me permets de vous parler de la définition de l’accompagnement avec une analogie. Si je vous proposais là maintenant, de partir avec moi en pleine montagne :

premièrement, je vous dis : « Je vous propose de vous balader… ». - Certains pourraient me suivre.deuxièmement, je vous dis : « On va faire une randonnée… ». Vous allez - commencer à avoir plus de réticences : « Mais je ne suis pas équipé ?! Est-ce que lui est qualifié ? Etc. »enfin, je vous dis : « On va faire une course de haute montagne … ». Là - personne ne va suivre.

En conclusion, ne demandez pas aux parents de vous accompagner dans une course de haute montagne.

Nous aurions avantage à élargir la notion de soutien à la parentalité.

Le soutien à la parentalité c’est tout ce qui concourt à faire en sorte que l’enfant grandisse vers ce modèle d’adulte sociable et citoyen.Regardons du côté des besoins des enfants et regardons les acteurs qui œuvrent auprès de ces enfants.

Pour conclure :

29

Thierry JACQUAT invite M. L’HOTE, Directeur Départemental de la Cohésion Social et de la Protection des Populations et Mme DALENÇON en charge de l’animation des réseaux partenariaux à la Caisse d’Allocations Familiales du Haut-Rhin, à clôturer la journée.

Christine DALENÇON – « Je vous prie de bien vouloir excusé Monsieur BEUQUE, Directeur Adjoint de la Caf qui est retenu à Paris.Pour clôre cette journée, au nom de la CAF du Haut-Rhin, je tiens à vous remercier pour votre présence et pour l’intérêt que vous avez manifesté pour cette rencontre. Je remercie également nos intervenants, Messieurs NEYRAND et PREVOT de leur intervention passionnante au vu des débats suscités.Une journée comme celle là suppose que beaucoup de monde travaille à sa réalisation. Je voudrais citer quelques prénoms, ils se reconnaîtront : Magalie et Sandrine, pour la coordination du Reaap, Thierry, Carine, Véronique, Aline, Orlane et Cathy, animateurs des réseaux locaux.Comme on l’a vu aujourd’hui le soutien à la parentalité est au cœur des politiques publiques. Dans sa Convention d’Objectif et de Gestion signée avec l’Etat pour la période 2013-2017, la Branche famille a fait de l’accompagnement à la parentalité une de ses priorités.Dans ce contexte la Caf du Haut-Rhin, en partenariat avec les membres du Comité de Pilotage du Reaap 68, a souhaité élaborer un Schéma Départemental de soutien à la parentalité pour la période 2013-2017 avec la volonté de co-construire une politique partagée de la parentalité dans le département. L’intérêt de ce schéma a été de placer LES PARENTS au coeur de la réflexion en recueillant leur avis et leurs attentes en matière de soutien à la parentalité.

Je tiens à remercier tous les partenaires et professionnels qui ont contribué à ces travaux et vous dire que vous comptons sur vous pour faire vivre le schéma et le mettre en musique sur les territoires.

Merci encore pour votre participation et je passe la parole à Monsieur L’HÔTE. »

Patrick L’HÔTE - « Je remercie l’ensemble des personnes qui ont contribué à l’organisation de cette journée.Je souligne l’importance de la poursuite de ces journées départementales proposées régulièrement.Consacrer cette journée à l’évolution de la parentalité est très bien choisi car quinze ans après la création du REAAP, on constate une montée en puissance avec une multiplication des actions, un ciblage des actions et des publics visés. Malgré la raréfaction des crédits publics, chaque instance a cherché à maintenir sa part de budget alloué à la politique publique.Une partie de la politique familiale va connaître une évolution suite au rapport de février 2012.

Parmi les 20 propositions, quelques dispositifs ont déjà été mis en œuvre, comme la convention entre les CAF et l’Etat avec un doublement des budgets alloués aux politiques de soutien à la parentalité. Il y a une volonté d’augmenter les moyens alloués à l’accueil dans la petite enfance, ainsi que dans la question des rythmes scolaires, sujet éminemment passionnel et conflictuel.

CLÔTURE DE LA JOURNÉE

30

La Branche famille devient l’acteur principal du soutien à la parentalité. L’Etat (DDCSPP) ne financera plus à ce titre les REAAP mais participera à l’animation du réseau.

On constate une évolution avec la crise, avec la résurgence par exemple de l’aide alimentaire comme besoin. Les actions de soutien à la parentalité constituent pour l’Etat une problématique majeure, notamment avec les programmes de réussite éducative, avec les nouveaux contrats-villes. Une autre évolution est à venir avec l’initiative du Schéma départemental de soutien à la parentalité mené par la CAF.

Malgré tous les efforts, l’information des parents et leur accès aux actions restent un sujet à travailler. Il faut expertiser les perspectives de M. PREVOT comme des pistes de solution. Se pose également la question du comité de pilotage. Le comité départemental de soutien à la parentalité est à envisager mais il y a le souhait de ne pas monter d’usine à gaz. L’instance nationale n’a plus d’existence légale depuis le 15 novembre 2013.C’est un contexte favorable à une évolution et à la régénération du soutien à la parentalité, dont cette journée sera le point de départ. ».

PHOTOS N°2248

31