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Université de Lausanne Faculté des Sciences Sociales et Politiques Laboratoire d'Anthropologie Culturelle et Sociale Session d'Automne 2011 Accoucher à l'hôpital ou hors de l'hôpital Regard anthropologique sur les choix de naissance de femmes enceintes en Suisse romande Mémoire de Master en Sciences Sociales Présenté par Caroline Chautems Directrice : Irene Maffi Experte : Cynthia Kraus

Accoucher à l'hôpital ou hors de l'hôpital...ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL aux pathologies, ce qui peut induire de leur part une appréhension biaisée dans le cadre

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Université de Lausanne

Faculté des Sciences Sociales et Politiques

Laboratoire d'Anthropologie Culturelle et Sociale

Session d'Automne 2011

Accoucher à l'hôpital ou hors de l'hôpital

Regard anthropologique sur les choix de naissancede femmes enceintes en Suisse romande

Mémoire de Master en Sciences SocialesPrésenté par Caroline Chautems

Directrice : Irene Maffi

Experte : Cynthia Kraus

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Remerciements

À l'heure où j'écris ces dernières lignes, toutes les femmes enceintes qui ont participé à

ma recherche ont accouché. Comme me l'a joliment suggéré l'une d'entre elles, c'est

maintenant à mon tour d' « accoucher » de mon travail. Je tiens à remercier tous ceux et

toutes celles qui, de près ou de loin, m'ont soutenue et encouragée au cours de cette

longue gestation.

Je remercie tout particulièrement Irene Maffi, ma directrice de mémoire, pour ses

remarques constructives, ses conseils avisés et son regard bienveillant tout au long de

mon travail.

Sans les vingt femmes enceintes qui ont accepté de me rencontrer et de partager avec

moi leur expérience, cette recherche n'aurait pas été possible. Je les remercie toutes

chaleureusement de m'avoir accordé leur confiance. Merci aussi aux trois sages-femmes

qui m'ont consacré du temps pour me parler de leur profession.

Enfin, merci à Fred, pour son soutien sans faille tout au long de ma recherche.

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Table des matières

Introduction......................................................................................................................7 1. État de la question....................................................................................................7

1.1. Contextualisation historique....................................................................................13

2. Méthodologie.........................................................................................................19 2.1. Accès à mon terrain et déroulement des entretiens...................................................19

2.2. Profil de mes interlocutrices....................................................................................21

2.3. Positionnement.........................................................................................................22

2.4. Remarques et choix méthodologiques......................................................................22

Chapitre 1Un choix qui s'inscrit dans un système de croyances autour de la naissance...........27

1. La notion de « savoir faisant autorité »..................................................................27

2. Le modèle technocratique......................................................................................29

3. Le modèle holistique..............................................................................................36

4. Le modèle de l'« accouchement naturel »..............................................................38

5. Le modèle de soins des sages-femmes...................................................................43 5.1. L'exemple néerlandais..............................................................................................48

6. L'« accouchement naturel », une notion à définition multiple...............................50

Chapitre 2Les facteurs influant sur le choix du lieu de l'accouchement....................................55

1. Accoucher à l'hôpital : un choix par défaut? .........................................................55

2. Accoucher hors de l'hôpital : à domicile ou en maison de naissance ?..................58

3. Analyse thématique................................................................................................61 3.1. Les représentations autour de la grossesse et de l'accouchement : l'influence des récits de naissance ..........................................................................................................61

3.2. Le rapport au risque et à l'information....................................................................64

3.3. Les notions de contrôle et d' « expérience de la naissance »....................................72

3.4. Autres facteurs.........................................................................................................77

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Chapitre 3L'impact du choix du lieu de l'accouchement sur l'expérience de la grossesse........79

1. Le rapport à la biomédecine et aux techniques......................................................79 1.1. Les femmes enceintes face aux tests et examens médicaux.......................................81

2. Les relations aux professionnel-le-s de la naissance..............................................86 2.1. Le suivi de grossesse effectué par un gynécologue...................................................86

2.2. Le suivi de grossesse effectué par une sage-femme indépendante............................90

3. Les pratiques de préparation à la naissance...........................................................98

Chapitre 4Les représentations et attentes des femmes enceintes autour de l'accouchement. 103

1. Le positionnement des femmes enceintes face aux interventions médicales......103

2. La douleur de l'accouchement..............................................................................111 2.1. La question de la péridurale...................................................................................112

2.2. Quelle conception de la douleur dans le cadre d'un accouchement sans péridurale ?115

Conclusion....................................................................................................................119

Bibliographie................................................................................................................123

Annexes.........................................................................................................................129 1. Profil des femmes enceintes rencontrées au moment de l'entretien.....................129

2. Grilles d'entretien destinées aux femmes enceintes.............................................130

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Introduction

1. État de la question

En Suisse, comme dans la plupart des pays occidentaux, les accouchements se sont

déroulés au domicile des parturientes, sous la surveillance d'une sage-femme, jusqu'au

milieu du 20ème siècle (Favre, 2009). L'hospitalisation s'est ensuite progressivement

généralisée à tous les accouchements, s'imposant comme une garantie de sécurité. Cette

notion de sécurité commence aujourd'hui à être questionnée par des usagers/ères, mais

aussi par des professionnel-le-s de la naissance issu-e-s des différents corps de métier

impliqués (gynécologues, sages-femmes, pédiatres). Ces dernières décennies, la

supposition selon laquelle la baisse du taux de mortalité périnatale serait dûe au recours

accru à des interventions médicales et technologiques lors de l'accouchement a été

remise en cause (Walsh, 2008).

En réponse à ce questionnement, Davis-Floyd, Barclay, Daviss et Tritten ont édité en

2009 un ouvrage collectif, Birth Models That Work, dont l'objectif est de présenter

différents modèles de soins obstétriques qui fonctionnent bien, par comparaison au

modèle dominant qui, lui, ne fonctionnerait pas. D'après eux, ce dysfonctionnement est

d'abord dû à des lacunes dans la compréhension du déroulement d'un accouchement

physiologique ainsi qu'en ce qui concerne la manière la plus adéquate d'accompagner ce

processus. Le parti pris revendiqué par notre système obstétrique, qui est de donner la

primauté à la prévention des risques, pourrait expliquer ces lacunes. Ce principe incite

en effet à envisager le pire, de sorte que les professionnel-le-s de la naissance tendent à

davantage se focaliser sur la pathologie que sur la physiologie. Selon cette vision, « le

risque zéro n'existe pas », et la catégorie du « bas risque » n'est pas pertinente pour

qualifier une grossesse, car celle-ci peut à tout moment basculer dans la pathologie

(Carricaburu, 2007). De même, un accouchement ne peut être considéré comme normal

qu'à posteriori (Akrich et Pasveer, 1996). Les gynécologues sont formés pour répondre

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

aux pathologies, ce qui peut induire de leur part une appréhension biaisée dans le cadre

d'un accouchement – à priori – physiologique : tous les accouchements finissent par être

traités de la même manière, qu'ils soient eutociques ou pathologiques (Davis-Floyd,

Barclay, Daviss et Tritten, 2009).

Contrairement aux gynécologues, les sages-femmes se positionnent comme les

spécialistes de la grossesse physiologique et de l'accouchement eutocique. Elles sont

formées pour accompagner tout le processus de la naissance, du début de la grossesse au

post-partum, or il leur est actuellement impossible d'effectuer cet accompagnement dit

« global », à moins de s'installer en tant qu'indépendante. En outre, peu de femmes

choisissent de confier le suivi de leur grossesse à une sage-femme indépendante plutôt

qu'à un-e gynécologue : en 2007, seulement 17% de l'ensemble des grossesses ont été

suivies en Suisse par une sage-femme indépendante (Burton-Jeangros, Hammer, Manaï,

Issenhuth-Scharly, 2010). À l'hôpital, le travail des sages-femmes est limité à la

surveillance des accouchements sous la houlette du/de la chef-fe de service, soit un-e

gynécologue. Ainsi, elles peuvent se sentir tiraillées entre leur conception de

l'accompagnement de la naissance et celle que leur impose l'institution à laquelle elles

sont rattachées (Ólafsdóttir et Kirkham, 2009). Comme le souligne Gouilhers, « En

Suisse, il est vrai que la place des sages-femmes est réduite. Elles n'ont ni compétences

propres, ni monopole face aux médecins » (2010 : 241). Dans cette optique, la

déshospitalisation de l'accouchement peut permettre aux sages-femmes de réaliser un

accompagnement global de la naissance, de « retrouver la pleine pratique de leur

profession » (Paumier, 2003 : 251).

Dans nos sociétés occidentales prévaut la pratique d'une « médecine fondée sur les

preuves » (« evidence-based medicine »). Cette notion repose à l'origine sur l'aspiration

à une « meilleure pratique médicale », basée sur « un amalgame de données de bonnes

qualité, les compétences et l'expérience des praticien-ne-s, ainsi qu'un service

individualisé en fonction des croyances, connaissances et valeurs du/de la patient-e »

(ma traduction, Downe et McCourt, 2008 : 6). Cependant, en pratique, ce sont ce que les

professionnel-le-s considèrent comme les données, les « preuves », qui priment, au

détriment des qualifications des professionnel-le-s et des spécificités du/de la patient-e.

Couplé aux fortes attentes de certitudes et de sécurité des usagers/ères, l'exercice de la

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Introduction

médecine fondée sur les preuves donne lieu à la création de protocoles hospitaliers,

basés sur le principe que les « preuves » scientifiques sont applicables à tout individu,

sans limitations aucune (Downe et McCourt, 2008). En plus d'avoir pour effet de

multiplier les interventions lors de l'accouchement, cette standardisation des traitements

médicaux menace également l'autonomie des praticien-ne-s (Burton-Jeangros, Hammer,

Manaï, Issenhuth-Scharly, 2010). Par ailleurs, cette manière invasive de soutenir un

processus physiologique n'est pas forcément un gage de sécurité. Dans le cadre d'un

accouchement, loin d'être innocentes, les interventions médicales peuvent en effet

générer des risques et créer des complications qui devront ensuite être résolues par de

nouvelles interventions. Toute intervention médicale impliquant des effets iatrogènes, il

conviendrait d'évaluer au cas par cas si les bénéfices escomptés justifient le coût

occasionné. Sur la base de ces observations, l'utilisation systématique de moyens

d'interventions techniques et médicamenteux lors d'un accouchement physiologique

commence peu à peu à être remise en cause par des usagers/ères, comme par des

professionnel-le-s de la naissance, qui la perçoivent comme contre-productive : le coût

de la médicalisation devient parfois plus élevé que ses bénéfices. Le cas de la césarienne

est particulièrement représentatif des effets délétères que peut produire la technicisation

de la naissance. Cette opération qui concerne un tiers des naissances en Suisse (Schwab

et Zwimpfer, 2007) s'est banalisée au point d'être parfois effectuée pour des raisons dites

« de convenance », indépendamment de motifs médicaux. Or la césarienne n'en reste

pas moins une opération, qui implique des risques spécifiques et une période de

rétablissement plus longue qu'en cas d'accouchement par voie basse. Un usage excessif

de la césarienne peut notamment se traduire par une augmentation du taux de mortalité

périnatale.

L'application systématique de protocoles par les hôpitaux, parfois même au mépris de ce

que les professionnel-le-s considèrent comme les « preuves » scientifiques, la recherche

évoluant plus vite que les protocoles hospitaliers, relève également de raisons

organisationnelles. Le recours à certaines interventions permet non seulement de

respecter les normes temporelles liées à l'accouchement, établies par la biomédecine –

point sur lequel je reviendrai ultérieurement, mais aussi de répondre à des exigences

plus pragmatiques, liées au fonctionnement spécifique de l'institution (McCourt, 2009a).

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

Les pratiques hospitalières sont ainsi présentées comme indispensables et immuables,

alors qu'elles peuvent varier en fonction du moment, par exemple à l'approche de la fin

d'une garde, et du personnel présent.

Par ailleurs, les coûts d'un système de naissance qui ne « fonctionne pas » sont

également d'ordre émotionnel (Davis-Floyd, Barclay, Daviss et Tritten, 2009). Des

recherches montrent que la satisfaction des mères après l'accouchement est intimement

liée au sentiment d'avoir pu garder le contrôle sur la situation, d'avoir véritablement été

actrices de l’événement (Kornelsen, 2005 ; Leap et Anderson, 2008). Or, la prise en

charge actuelle de l'accouchement en milieu hospitalier ne laisse que peu de place à ces

préoccupations. De plus, dans le cas où elles souhaiteraient une prise en charge plus

personnalisée, en refusant par exemple un certain type d'intervention, il est souvent très

difficile pour les femmes de négocier l'application des protocoles hospitalier (Beech et

Phipps, 2008). De manière générale, des recherches attestent de l'influence positive d'un

accompagnement personnalisé et continu durant le travail sur la satisfaction des

femmes, d'une part, mais aussi sur le déroulement de l'accouchement, en terme de durée

et de faible taux d'interventions (Walsh, El-Nemer et Downe, 2008). Actuellement, dans

la plupart des maternités, au sein desquelles le personnel soignant est souvent surchargé,

ce type de service n'est malheureusement pas envisageable. Différents éléments

nuancent cependant les résultats obtenus par ce type d'études sur la satisfaction des

mères par rapport à leurs soins périnataux. D'une part, la notion de « satisfaction » est

multidimensionnelle, elle repose sur de nombreux facteurs, qu'il peut être difficile de

considérer simultanément lors d'une recherche (Van Teijlingen, Hundley, Rennie,

Graham et Fitzmaurice, 2003). D'autre part, « les expériences et préférences des

individus sont déterminés par ce qu'ils "connaissent" » (ma traduction, ibid., 2003 : 80).

Les mères peuvent difficilement concevoir qu'elles auraient préféré un autre type de

soins, si elle ne savent pas quelles alternatives auraient été possibles.

En Suisse, les femmes enceintes ont le choix d'accoucher à l'hôpital, en clinique, en

maison de naissance ou à leur domicile. Des « variantes » se rajoutent à cet éventail de

possibilités, telle que la maison de naissance Aquila, à Aigle, qui présente la

particularité d'être accolée à l'hôpital, tout en étant gérée exclusivement par des sages-

femmes indépendantes. De même, concernant le suivi de grossesse, il est possible d'être

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Introduction

suivi par un-e gynécologue ou une sage-femme indépendante. En pratique, cependant, la

grande majorité des femmes enceintes est suivie par un-e gynécologue. Usuellement, les

femmes qui accouchent hors de l'hôpital sont accompagnées tout au long de leur

grossesse par une sage-femme indépendante qui sera aussi présente lors de

l'accouchement. Mais il est également envisageable d'opter pour un suivi de grossesse

assuré par une sage-femme indépendante, pour les femmes qui désirent accoucher à

l'hôpital. Quelle que soit l'option choisie, les frais liés au suivi de grossesse et à

l'accouchement sont couverts par l'assurance de base. Il est aussi possible d'accoucher

en clinique, sous la surveillance de son/sa propre gynécologue, si l'on possède une

assurance complémentaire.

Le taux d'accouchement en maison de naissance ou à domicile en Suisse n'est que de

2,5% (Schwab et Zwimpfer, 2007 : 8). Ce chiffre est sensiblement identique dans la

plupart des pays d'Europe, excepté aux Pays-Bas qui affichent un taux de 30 %

d'accouchements hors de l'hôpital, pour des raisons historiques et culturelles qui leur

sont propres et sur lesquelles je reviendrai ultérieurement (De Vries, Wiegers, Smulders

et van Teijlingen, 2009). Dans nos pays occidentaux, les femmes qui font ce choix

rencontrent fréquemment des difficultés à être comprises et respectées par leur

entourage, car accoucher à l'hôpital demeure une norme difficilement questionnable

(MacDonald, 2007). Les sages-femmes indépendantes sont également confrontées à

l'incompréhension de leurs pair-e-s. De manière générale, le personnel hospitalier

rechigne à collaborer avec elles. Elles sont souvent mal accueillies, ainsi que leurs

patientes, dans le cas d'un transfert à l'hôpital en cours de travail, par exemple (Davis-

Floyd, 2003, MacDonald, 2007, Matsuoka et Hinokuma, 2009).

D'après l'observation de l'organisation de modèles de naissance « qui fonctionnent »,

présentés dans l'ouvrage de Davis-Floyd, Barclay, Daviss et Tritten (2009), il semble

qu'un usage modéré des interventions médicales ainsi qu'une attention plus grande

portée à l'accompagnement de l'accouchement physiologique permettent de faire baisser

les taux de mortalité et morbidité périnatale. Ces modèles faibles en interventions

présentent des résultats équivalents ou meilleurs en comparaison avec le modèle

obstétrique dominant, haut en interventions.

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

En Suisse, une étude comparative entre une maternité et une maison de naissance

récemment menée par le pédiatre Bernard Borel à Aigle, appuie cette hypothèse. Cette

étude compare les naissances qui se sont déroulées à la maternité de l'hôpital du

Chablais et celles qui ont eu lieu à la maison de naissance Aquila. Cette maison de

naissance, qui s'est installée entre les murs de l'hôpital depuis 10 ans, est entièrement

gérée par des sages-femmes indépendantes. Les résultats d'une analyse comparée entre

ces deux lieux de naissance montrent que pour des grossesses physiologiquement

égales, les femmes qui accouchent en maison de naissance subissent nettement moins

d'interventions. Les enfants nés en maison de naissance sont aussi significativement

moins souvent transférés en néonatalogie (Le Courrier, 30 septembre 2010). Dans le

cadre d'un accouchement eutocique, l'Organisation Mondiale de la Santé préconise

également le respect de la physiologie avant tout, et par conséquent un degré minimal

d'interventions (Paumier, 2003). Comme le signale Walsh, il est en outre reconnu par

des sources dont l'autorité médicale est attestée qu'il n'existe pas de motifs basés sur

l'évitement des risques pouvant justifier que toutes les femmes, sans distinction,

accouchent en milieu hospitalier (Walsh, 2008). Dans le cadre d'une grossesse

physiologique, les femmes enceintes devraient donc pouvoir bénéficier d'une

information exhaustive concernant leurs options en matière de lieux de naissance, afin

de pouvoir faire leurs choix en toute connaissance de cause. Or, actuellement, il est très

rare qu'un-e gynécologue évoque spontanément la question du choix du lieu de

naissance lors des consultations prénatales, tant le « choix » de l'hôpital semble aller de

soi. D'après ma recherche, les gynécologues se montrent en outre peu respectueux du

choix de leurs patientes. Lorsqu'elles évoquent leur envie d'accoucher hors de l'hôpital,

certain-e-s s'y opposant avec virulence.

De manière générale, si le modèle obstétrique actuellement en vigueur commence

aujourd'hui à être remis en cause par des usagers/ères comme par certain-e-s

professionnel-le-s de la naissance pour les différents motifs que j'ai évoqués, celui-ci

n'en reste pas moins une norme, bien ancrée et difficilement questionnable. Dans le

cadre de ce travail, je me suis demandé comment les futurs parents, et plus

particulièrement les femmes enceintes, s'y prennent-ils/elles, dans ces conditions, pour

effectuer leur choix dans l'offre qui leur est proposée en Suisse concernant la naissance

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Introduction

de leur enfant. Aux yeux des femmes enceintes, qu'est-ce qu'un modèle obstétrique qui

fonctionne bien et selon quels critères en décident-elles? De façon générale, qu'est-ce

qui est important à leur yeux en ce qui concerne leur grossesse et leur accouchement et

quelles sont les représentations sous-jacentes à cette vision ?

Pour répondre à ce questionnement, j'ai effectué une étude comparative, basée sur des

entretiens, entre deux groupes de femmes enceintes, les unes ayant choisi d'accoucher à

l'hôpital, les autres hors de l'hôpital, c'est-à-dire à domicile ou en maison de naissance.

J'ai cherché à comprendre de quelle manière et selon quels critères les femmes enceintes

décident du lieu de leur accouchement et dans quelle mesure ce choix reflète-t-il leurs

représentations autour de la naissance. J'ai aussi voulu saisir comment ce choix

influence leur expérience de la grossesse et quelles pratiques en découlent.

1.1. Contextualisation historique

Comme le soulignent McCourt et Dykes, l'analyse historique du processus qui a mené

au mode de prise en charge actuel de la naissance dans nos sociétés occidentales permet

de mettre en lumière son caractère socialement situé (2009). La naissance fait l'objet

d'une construction sociale : notre système de soins obstétriques n'est ni le résultat d'une

logique de la rationalité et du progrès scientifique et médical, ni le produit de lois

naturelles (McCourt et Dykes, 2009).

Jusqu'au 18ème siècle, en Europe, les accouchements se déroulent généralement sous la

surveillance d'une sage-femme au domicile des parturientes (Shorter, 1984, Charrier,

2004). Ces sages-femmes ne se basent alors souvent que sur leur expérience empirique

pour exercer car elles n'ont suivi aucune formation médicale. L'essor que connaît la

médecine à cette époque entraîne une reconfiguration de l'événement de la naissance.

Auparavant considéré comme « normal » et relevant de la sphère privée, il s'inscrit

désormais dans l'espace public et fait l'objet d'une prise en charge médicale (Jacques,

2007). En France, dans l'espoir de faire baisser le taux de mortalité périnatale, les

chirurgiens, soutenus par l'État, établissent un « art de l'accouchement » pour encadrer

l'activité des sages-femmes. Une « lutte » de légitimité s'engage alors entre le groupe

professionnel des sages-femmes et celui des chirurgiens, dont le dénouement se fait en

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

faveur de ces derniers (Gelis, 1988). Les connaissances médicales des chirurgiens

gagnent définitivement leur légitimité et s'imposent face à celles des sages-femmes

(Jacques, 2007 ; Charrier, 2004). La médicalisation de la naissance marque en effet un

tournant décisif dans l'activité de celles-ci, étant donné qu'elles y perdent leur

autonomie : elles devront désormais suivre une formation médicale et seront

subordonnées aux médecins. L'hospitalisation de la naissance commence alors

progressivement à se généraliser, s'imposant comme une garantie de sécurité. Jusqu'au

milieu du 20ème siècle environ, la plupart des femmes accouchent cependant toujours

chez elles, accompagnées par une sage-femme (Jacques, 2007).

La médicalisation de l'accouchement induit aussi une institutionnalisation du partage

des champs d'activité entre les médecins et les sages-femmes. L'eutocie, c'est-à-dire les

grossesses et accouchements physiologiques, relève des compétences des sages-

femmes, tandis que la dystocie – les accouchement pathologiques – est prise en charge

par les médecins. Ceux-ci sont chargés non seulement de soigner la pathologie, mais

aussi d'empêcher son apparition. Il est en effet admis que « bien qu'il reste imprévisible,

le risque peut, dans la plupart des cas, être dépisté et évalué par une surveillance

rapprochée » (Carricaburu, 2007 : 128). La prévention des risques est donc au cœur de

l'activité des gynécologues. Ils incitent ainsi les femmes enceintes à modifier leur mode

de vie dans le but d'éliminer tout comportement estimé « à risque » dès leur entrée dans

la grossesse. Elles sont fortement responsabilisées en ce qui concerne l'anticipation des

risques : la qualité du fœtus, et donc de l'enfant à venir dépend de leur vigilance

(Jacques, 2007 ; Quéniart, 1989). Dans cette optique, le rôle socialement attendu des

femmes enceintes s'apparente à celui de malade : elles doivent accepter de coopérer

avec les médecins, et se soumettre à leurs recommandations afin que tout se déroule

pour le mieux (McCourt, 2009a ; Quéniart, 1989). À ce propos, Jacques dit : « Tout se

passe en fait comme si on demandait aux patientes d'accepter d'être niées en tant que

personne au nom des normes de surveillance du fœtus définies par la science » (2007 :

115). Les femmes sont suivies et surveillées dans le but qu'elles donnent naissance à un

nouveau-né en bonne santé, selon les critères en vigueur, mais tout l'aspect

psychologique et social de leur grossesse est ignoré. Qu'il s'agisse des examens et tests

de dépistage prénataux ou des pratiques liées à l'accouchement, toute la prise en charge

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Introduction

de la naissance s'articule autour de la gestion des risques (Burton-Jeangros, Hammer,

Manaï, Issenhuth-Scharly, 2010).

Cette focalisation sur le risque dans la prise en charge de la grossesse s'inscrit plus

largement dans une « culture du risque » développée par Beck et caractéristique de nos

sociétés modernes occidentales (1992, cité dans Walsh, El-Nemer et Downe, 2008).

Cette prégnance du risque, qui s'exprime particulièrement dans le domaine de la santé,

semble paradoxale : « les sociétés modernes se sentent de plus en plus vulnérables aux

changement biologiques, environnementaux et technologiques, malgré le déclin des

taux de mortalité et de morbidité » (ma traduction, Walsh, El-Nemer et Downe, 2008 :

118). La gestion des risques se traduit notamment par un désir grandissant de contrôle,

sur les risques qu'il semble possible de maîtriser. L'éducation sanitaire établit une

distinction entre les risques que l'on peut attribuer à une cause externe, sur laquelle les

individus n'ont aucun contrôle, et les risques qu'ils se causent eux-mêmes, imputables à

leur mode de vie (Lupton, 1993). Il relève de la responsabilité de chacun d'éviter ce type

de risques. Dans ce but, la diffusion de l'information concernant les risques joue un rôle

crucial : c'est sur son efficacité que repose la prise de conscience par les individus d'un

comportement à risque, et donc sa modification.

Dans le cadre du suivi de grossesse, les patient-e-s aspirent à une sécurité absolue et

acceptent difficilement les incertitudes. Pour répondre à leurs attentes, l'hôpital apparaît

alors comme le lieu idéal, qui comporte tous les outils nécessaires à la réduction des

risques, et toutes les solutions pour traiter leurs effets rapidement, s'ils devaient quand

même se produire (Walsh, El-Nemer et Downe, 2008). Cependant, la « culture du

risque » correspond également à la prise de conscience des limites du dispositif

biomédical, qui ne permet pas d'éliminer totalement la part d'incertitude inhérente aux

processus de la naissance (Burton-Jeangros, Hammer, Manaï, Issenhuth-Scharly, 2010).

En outre, les avancées technologiques et médicales elles-mêmes sont désormais

appréhendées comme des facteurs de risques potentiels, suite à divers incidents liés à

une erreur d'appréciation médicale, comme le scandale de la Thalidomide ou, plus

récemment celui du Distilbène (Burton-Jeangros, Hammer, Manaï, Issenhuth-Scharly,

2010).

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

La médicalisation de la naissance est également liée à un questionnement autour du

statut du fœtus, qui tend désormais à être appréhendé comme une personne. Comme le

soulignent plusieurs auteures, c'est désormais le fœtus et non la femme enceinte qui est

considéré comme le véritable patient du/de la gynécologue dans le cadre du suivi de

grossesse biomédical (Jacques, 2007 ; Martin, 1987 ; Quéniart, 1988). Les nouvelles

technologies, telle que l’échographie, qui s'est développée dans les années 1970, jouent

un rôle déterminant dans ces transformations. Elles permettent d'accéder à une

surveillance directe de l'état de santé du fœtus, alors qu'auparavant on ne pouvait obtenir

d'informations sur celui-ci que par la médiation de la future mère. Le contexte médico-

légal autour de la naissance a également subi des transformations au cours de ces

dernières décennies. Dans un cadre médical plus large, les patient-e-s ont acquis des

droits, qui ne se limitent plus à l'accès aux soins. Désormais, on leur reconnaît – du

moins en théorie – le droit à intervenir dans les décisions concernant leur santé, plutôt

que de s'en remettre totalement à l'avis de leur médecin. Ces nouveaux acquis sont

supposés tempérer le « paternalisme médical » et reconfigurer les relations entre

médecin et patient-e-s, qui tendent à se rééquilibrer (Gouilhers, 2010 : 235). D'après les

propos des femmes enceintes que j'ai rencontrées dans le cadre de ma recherche, j'ai pu

constater qu'en pratique, ces changements peinent à se réaliser. En tant que détenteurs

de l'expertise médicale, les médecins conservent leur hégémonie et le pouvoir

décisionnel qui en découle. Dans le cadre du suivi de grossesse cependant, ils devraient

désormais être « tenus de donner une information complète et claire, et de s'assurer que

la patiente l'ait comprise » (ibid., 2010 : 235). Là encore, sur base de ma recherche, il

semble qu'en pratique, les gynécologues n'accordent pas une importance cruciale à leur

devoir d'information. Ce souci – théorique – d'optimiser les informations délivrées aux

patientes, afin qu'elles soient en mesure de donner leur « consentement éclairé », est

intimement lié à la question de la « répartition des responsabilités » entre médecin et

patiente concernant la gestion des risques (Burton-Jeangros, Hammer, Manaï,

Issenhuth-Scharly, 2010 : 9). Les patientes, dûment informées, sont ainsi amenées à

assumer une partie des risques inhérents aux prises de décision qui interviennent dans le

cadre du suivi de grossesse et lors de l'accouchement.

De leur côté, les femmes enceintes disposent aujourd'hui d'une multitude de sources

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Introduction

d'informations, très diversifiées et facilement accessibles, notamment par le biais

d'internet. Elles deviennent ainsi potentiellement des « profanes actives », détentrices

des outils et informations nécessaires pour négocier les stratégies thérapeutiques qui

leur sont proposées (Burton-Jeangros, Hammer, Manaï, Issenhuth-Scharly, 2010 : 32).

Les professionnel-le-s de la santé ne détiennent plus le monopole de l'information

autour de la naissance, de même, pour les femmes enceintes, ils/elles ne constituent plus

forcément des vecteurs privilégiés d'information. Cet aspect exige toutefois d'être

tempéré : les femmes enceintes se sentent souvent perdues face à la masse

d'informations à laquelle elles se trouvent confrontées. Dans ces circonstances, il peut

être particulièrement difficile pour elles de savoir à quelle source d'information accorder

une légitimité.

L'approche biomédicale de la naissance a été remise en cause dès les années 1970 par

des mouvements féministes européens et nord-américains, dans l'optique d'une

réappropriation par les femmes de leur corps et de leur expérience. Au yeux des

individus engagés dans ces mouvements, « l'hôpital ne représente pas un lieu " normal "

pour accoucher et les techniques qui y sont pratiquées sont considérées comme

abusives » (Paumier, 2003 : 247). Contestant la médicalisation de la naissance et la

« déshumanisation » qu'elle induit, ces mouvements valorisent particulièrement

l'expérience subjective et le vécu des femmes enceintes (Jacques, 2007 : 161). La notion

d' « accouchement naturel », qu'ils revendiquent, désigne concrètement un

accouchement sans intervention biomédicale d'aucune sorte (ni technique, ni

médicamenteuse), mais également une certaine approche de la naissance, selon laquelle

l'accouchement est un processus naturel et physiologique que toute femme « sait »

accomplir de façon innée (Paumier, 2006 ). Déjà à l'époque, certain-e-s praticien-ne-s se

sont joints à ces mouvements en incitant à envisager la grossesse et l'accouchement

« comme des événements physiologiques et naturels » (Paumier, 2003 : 247). Ainsi,

l'obstétricien français Michel Odent est considéré comme l'une des figures de proue de

ce courant de démédicalisation de la naissance. De façon pionnière en France, il a

instauré au sein de la maternité de Pithiviers des salles de naissances démédicalisées

afin de permettre aux femmes qui le souhaitaient de vivre un accouchement exempt

d'interventions médicales. Cette maternité semblait proposer sensiblement le même

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

cadre et les mêmes services que les actuelles maisons de naissance suisses.

Si ces idées sont toujours présentes dans le débat actuel autour de la médicalisation de la

naissance et de l'accouchement hors de l'hôpital, la question du risque apparaît

aujourd'hui comme une préoccupation majeure justifiant ce choix de naissance. Dans

cette optique, les effets iatrogènes des pratiques hospitalières sont considérés comme

plus dangereux que l'absence de plate-forme d'interventions techniques et médicales en

cas d'imprévu. Je reviendrai ultérieurement sur ce point.

De façon globale, ces mouvements critiques vis-à-vis du système biomédical prônent

l'humanisation et la démédicalisation de la naissance. Ces deux notions sont

complémentaires mais elles ne sont pas synonymes. La mise en pratique des principes

qu'elles défendent se traduit par des mesures différentes. La démédicalisation implique

une reconceptualisation de l'accouchement qui « ne serait plus défini comme relevant de

la compétence exclusive des médecins » et soutient une position non-interventionniste

vis-à-vis du processus de la naissance (Paumier, 2003 : 249). Dans cette optique,

l'hôpital n'apparaît pas comme le lieu le plus approprié pour un accouchement exempt

d'interventions médicales et techniques. Fondamentalement, l'humanisation de la

naissance n'exige pas pour sa part de démédicalisation, ni de déshospitalisation, l'idée

principale étant de reconnaître la parturiente et le nouveau-né comme des êtres humains

avant de les considérer comme des patients, ainsi que de revaloriser l'accompagnement

personnel des parturientes, en vue de leur offrir un soutien émotionnel en plus de la

prise en charge médicale (Paumier, 2003). Cet accompagnement peut être fourni à

l'hôpital, par une sage-femme. Néanmoins, beaucoup de sages-femmes en faveur de

l'humanisation de la naissance considèrent que celle-ci peut difficilement se réaliser en

milieu hospitalier. Humaniser la naissance implique en effet la reconnaissance d'une

certaine autonomie aux sages-femmes vis-à-vis des gynécologues dans l'exercice de leur

métier, et donc une conception de la naissance comme un processus foncièrement

physiologique (Paumier, 2003). Dans cette optique, certains hôpitaux proposent des

salles d'accouchements dites « naturelles » en raison du fait que le matériel médical et

technique y a été souscrit à la vue des parturientes. En outre, faire le choix d'accoucher

dans ces salles « démédicalisées » implique généralement d'accoucher sans péridurale.

Ces lieux encouragent aussi les parturientes à se sentir libres de leur mouvements,

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Introduction

contrairement à une salle classique au sein de laquelle une table d'accouchement incite à

la position allongée. Cependant, même si l'intention est là, l'organisation hospitalière ne

suit pas : les sages-femmes ne disposent généralement pas d'assez de temps pour

pouvoir se consacrer de manière exclusive à une parturiente, comme l'exige ce choix de

naissance (Paumier, 2003).

La démédicalisation peut constituer un moyen d'humaniser la naissance, mais le projet

d'humanisation de la naissance concerne tous les accouchements, qu'ils soient

faiblement ou fortement médicalisés et technicisés. Il s'agit avant tout d'offrir aux

parturientes un accompagnement humain et respectueux, indépendamment de leur choix

de naissance (Paumier, 2003).

2. Méthodologie

2.1. Accès à mon terrain et déroulement des entretiens

Dans le cadre de ma recherche, j'ai rencontré au total vingt femmes enceintes. Dix

d'entre elles ont prévu d'accoucher à l'hôpital, les dix autres ont opté pour un

accouchement à domicile ou en maison de naissance. En ce qui concerne ces dernières,

c'est généralement par l'intermédiaire de leur sage-femme que j'ai pu entrer en contact

avec elles. J'avais préparé une lettre à leur intention dans laquelle je leur expliquais mon

projet, ainsi que les implications pratiques dans le cas où elles accepteraient de me

rencontrer et de participer à ma recherche. Cette lettre leur a été transmise par leur

sage-femme que j'avais préalablement contactée par téléphone. C'est de cette façon que

j'ai fait la connaissance de six de mes interlocutrices accouchant hors de l'hôpital. J'ai

rencontré les quatre dernières, ainsi que la majorité des femmes enceintes accouchant à

l'hôpital par l'intermédiaire de mon entourage, ou par effet « boule de neige », chacune

m'adressant à d'autres femmes enceintes de sa connaissance. J'ai tenté auprès de

quelques gynécologues une démarche similaire à celle que j'ai menée auprès des sages-

femmes indépendantes, mais ce fut beaucoup moins fructueux : je n'ai pu rencontrer

qu'une seule femme de cette manière. J'attribue ce moindre succès au fait que les

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

femmes enceintes se sentent généralement plus proche de leur sage-femme que de leur

gynécologue et ont donc davantage tendance à se sentir concernées personnellement par

ma démarche si elle leur est transmise par leur sage-femme. Il est également ressorti de

ma recherche que les femmes qui ont choisi d'accoucher hors de l'hôpital tendent à

accorder davantage d'importance et à manifester plus d'intérêt pour les questions

relatives à leur choix de naissance, par comparaison avec celles accouchant à l'hôpital.

On peut donc supposer qu'elles éprouvent aussi davantage l'envie d'en discuter. Mes

entretiens se sont généralement déroulés aux domiciles des femmes enceintes. Lors de

chacun d'eux, j'ai été en tête-à-tête avec mon interlocutrice. Même si un certain nombre

de femmes (onze sur vingt) m'ont été adressées par mon entourage, je ne connaissais

que trois d'entre elles avant de les rencontrer pour l'entretien. Il me semble que chacune

d'entre elles s'est néanmoins sentie suffisamment à l'aise pour se livrer sans retenue. Je

pense que cela a été facilité par mon sexe et mon âge relativement proche du leur.

Mes entretiens ont tous été effectués en Suisse romande, entre le 16 avril 2010 et le 6

juin 2011. Ils ont duré de 45 minutes à deux heures environ. Pour les réaliser, j'ai utilisé

des grilles d'entretien pré-établies – figurant en annexe de ce travail – qui ont

légèrement évolué au fur et à mesure de mes rencontres avec les femmes enceintes. Le

contenu de mes grilles varient en fonction de leur lieu d'accouchement, mais aussi de

leur « statut » de nullipare ou de femme ayant déjà vécu une première naissance. Mes

grilles d'entretien m'ont servi de repère pour garder à l'esprit les thèmes que je souhaitais

aborder, mais durant l'entretien j'ai veillé à laisser mes interlocutrices suivre le cours de

leurs idées sans trop intervenir pour les recadrer. De cette manière, je pense que chacune

a pu développer spécifiquement les aspects qui lui semblaient les plus importants. En les

relisant, il m'est d'ailleurs apparu que souvent, un thème spécifique à chaque femme

prédomine dans chaque entretien. Tous mes entretiens ont été intégralement et

fidèlement retranscrits.

Lorsqu'elles n'avaient pas de contrainte temporelle, je me suis généralement attardée

une fois l'entretien terminé et la conversation amorcée dans le cadre de l'entretien s'est

prolongée, ou a dévié sur d'autres sujets. Le matériel que j'ai collecté est principalement

constitué par les retranscriptions de mes entretiens, mais je considère également les

informations extraites de ces conversations « informelles » comme en faisant partie

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Introduction

intégrante.

2.2. Profil de mes interlocutrices

Au moment où je les ai rencontrées, mes interlocutrices étaient enceintes de 5 mois et

demi à 8 mois et demi. Au sein des deux groupes de femmes que j'ai créé en fonction de

leur lieu d'accouchement, cinq sont enceintes de leur premier enfant, alors que les cinq

autres ont déjà vécu une ou plusieurs naissances. Parmi le groupe accouchant en milieu

hospitalier, certaines accouchent à l'hôpital, d'autres en clinique. J'ai également établi

une distinction entre le choix d'un hôpital « ordinaire » et celui d'un hôpital

universitaire, disposant notamment d'un service de néonatologie plus développé que

celui d'un hôpital ordinaire, ce qui constitue un critère de choix significatif aux yeux des

femmes enceintes. J'ai choisi d'utiliser une terminologie spécifique pour marquer cette

distinction dans mon travail. L'hôpital universitaire sera donc désigné par le nom de

« Grand Hôpital » (GH). Parmi mes interlocutrices accouchant hors de l'hôpital,

certaines ont choisi de se rendre dans une maison de naissance (M de N), d'autres ont

opté pour un accouchement à domicile (AAD).

Mes interlocutrices ont entre 26 et 38 ans et sont toutes en couple avec le père de leur

futur enfant. D'un point de vue socio-économique, en se basant sur leur niveau de

formation et leur activité professionnelle, on peut considérer globalement qu'elles

appartiennent plutôt à la classe moyenne, ou moyenne supérieure. Parmi les femmes

ayant choisi d'accoucher à l'hôpital, la plupart connaissent une femme qui a accouché en

maison de naissance ou à domicile et ont donc été familiarisées avec ce choix de

naissance. Je pense que cette caractéristique n'est pas représentative de l'ensemble de la

population des femmes enceintes et qu'elle a pu constituer un biais dans ma recherche.

Mes interlocutrices étaient en effet probablement plus ouvertes à cette idée que si elles

n'en avait jamais entendu parler, à fortiori par une personne de leur entourage. Par

ailleurs, trois de mes interlocutrices accouchant à l'hôpital n'ont pas pu choisir leur lieu

de naissance : elles devaient accoucher à l'hôpital pour des raisons médicales.

Le profil détaillé de mes interlocutrices figure en annexe de ce travail. En outre, pour

préserver leur anonymat, tous leurs prénoms et ceux de leur entourage ont été modifiés.

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

2.3. Positionnement

J'adhère en ce qui me concerne à l'approche de la naissance véhiculée par le modèle de

soins des sages-femmes, que j'expliciterai ultérieurement (voir infra pp. 43-47). La

grossesse et l'accouchement sont à mon sens des processus physiologiques qui ne

justifient une surveillance rapprochée ainsi que des interventions biomédicales qu'en cas

de pathologie particulière ou de complications. Sans remettre en cause le recours parfois

nécessaire à la biomédecine pour soutenir ces processus, je pense qu'il convient d'en

faire un usage raisonné et justifié, ce qui n'est pas toujours le cas dans la prise en charge

actuelle de la naissance. Dans le cadre de ma recherche, j'ai pu observer qu'au-delà

d'une certaine « base » physiologique commune, les femmes enceintes ont toutes des

façons différentes de se représenter et de vivre une grossesse. Il me semble donc

aberrant de penser qu'il existe une manière unique d'accoucher qui pourrait convenir à

toutes, sans distinction aucune, comme semble le concevoir le modèle technocratique à

travers l'uniformisation des pratiques hospitalières qu'il induit. L'accouchement est

généralement perçu comme un moment particulièrement intime et important de leur vie

par les principales concernées. Dans le cas d'une grossesse physiologique, il me paraît

donc légitime que celles-ci devraient pouvoir choisir librement et en toute connaissance

de cause, le lieu et l'entourage – professionnel et non-professionnel – qui leur

conviennent le mieux, de même que les positions qui leur sont les plus confortables et

les interventions avec lesquelles elles se sentent en adéquation ou non, pour que ce

moment leur appartienne. J'estime donc qu'il est essentiel que toutes les femmes

enceintes puissent accéder facilement à des informations exhaustives concernant leur

choix de naissance, sans être tributaires des convictions personnelles des

professionnel-le-s qui les suivent.

2.4. Remarques et choix méthodologiques

J'ai choisi de ne rencontrer mes interlocutrices qu'à un stade relativement avancé de leur

grossesse. Je souhaitais que la perspective de l'accouchement soit suffisamment proche

pour que leurs idées aient eu le temps de se préciser et que des démarches concrètes

aient pu être entamées. Dans le cas d'un accouchement hors de l'hôpital, je préférais par

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Introduction

exemple qu'elles aient déjà rencontré leur sage-femme. De manière générale, je

souhaitais qu'elles puissent m'expliquer étape par étape comment leurs choix de

naissance ont évolué au cours de leur grossesse. Pour que cela soit possible, il était

nécessaire qu'elles soient proches de leur terme. Lorsque je les ai rencontrées, mes

interlocutrices étaient donc souvent susceptibles d'accoucher à tout instant. C'est ce qui

s'est produit pour l'une d'entre elles (Delphine, AAD), qui avait accouché

prématurément la veille de notre rendez-vous. Elle n'a naturellement pas pensé à m'en

avertir et m'a proposé de la retrouver à la maternité, où l'entretien s'est déroulé en

présence de son nouveau-né.

Par ailleurs, j'ai choisi de me limiter à un entretien avec chaque femme, avant leur

accouchement. Mon but était de comprendre les représentations de mes interlocutrices

autour de leur accouchement, ce qu'elles projettent sur cet événement, leurs attentes et

leurs appréhensions. Il n'aurait dons pas été pertinent de les recontacter après qu'elles

aient accouché. J'ai cependant revu l'une d'entre elles (Alice, AAD) pour un second

entretien, son choix de naissance n'étant pas encore assez défini lors du premier. Comme

la moitié de mes interlocutrices étaient enceintes pour la deuxième ou troisième fois, j'ai

cependant pu avoir accès à des informations concernant le déroulement de leur premier

accouchement, ce qui m'a permis de mieux comprendre comment une première

expérience peut influencer les choix de naissance concernant la ou les grossesses

suivantes.

Je n'ai pas rencontré à proprement parler de difficultés méthodologiques. Tous mes

entretiens se sont déroulés sans heurts. Il n'est jamais arrivé, par exemple, qu'une femme

ait des réticences à répondre à l'une de mes questions. Il m'a globalement semblé

qu'elles évoquaient au contraire avec plaisir leur grossesse et la manière dont elles

envisagent la naissance de leur futur enfant.

Cependant, si la grande majorité de mes rencontres ont été très riches en informations,

certains entretiens m'ont au prime abord paru « pauvres » par comparaison. Comme je

considère que mon identité personnelle a inévitablement un impact sur le déroulement

de ma recherche, je pense que ma première impression a pu être biaisée par mes

convictions personnelles et par le bagage de connaissances que j'ai accumulé depuis que

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

j'ai commencé cette recherche. Alors que j'ai pour ma part choisi de consacrer mon

mémoire à ce sujet, il a pu me sembler peu compréhensible que certaines femmes

n'aient tout simplement pas envie de consacrer du temps à se construire une réflexion

personnelle autour de leurs choix de naissance. Je me suis ensuite rendu compte que

mes premières conclusions, qui étaient de penser que ce positionnement relevait plus

d'un choix par défaut que d'un choix véritable étaient biaisées par mon jugement

personnel. Je reviendrai sur ce point dans l'analyse. Par ailleurs, les quelques entretiens

qui m'ont laissées sur ma faim se sont déroulés avec des femmes accouchant à l'hôpital

que j'ai rencontrées par mon réseau personnel, et non avec des femmes qui m'ont

contactées spontanément. De manière générale, je pense que les femmes qui m'ont

contactée d'elles-mêmes suite à la lecture de ma lettre étaient probablement plus

motivées à raconter leur parcours, peut-être aussi parce qu'elles considéraient que celui-

ci pouvait être particulièrement intéressant pour moi, ou parce qu'elles avaient tout

simplement envie de s'exprimer sur ce sujet. Mais les entretiens obtenus par mon réseau

ou par « effet boule de neige » se sont aussi généralement révélés très prolifiques.

Souvent, mes interlocutrices m'ont demandé mon opinion personnelle sur la question du

choix du lieu de l'accouchement. Comme elles savaient que je faisais une étude

comparative entre le choix d'accoucher à l'hôpital et celui d'accoucher hors de l'hôpital,

la question venait d'autant plus facilement. Certaines ont évoqué l'idée que lorsque la

question se poserait pour moi, je serai déjà bien informée, par exemple. Ces questions

étaient toujours déconcertantes pour moi, étant donné que dans ce contexte je me

percevais moi-même comme une chercheuse et non comme une mère potentielle. De

plus, lorsque ces questions survenaient au début de notre entrevue, je craignais que ma

réponse ne puisse influencer leur propos. Je reste cependant consciente que le statut de

« mère potentielle » qui m'a été attribué a pu jouer en ma faveur et favoriser leur liberté

de parole.

Mes interlocutrices se sont souvent montrées désireuses de savoir ce que les autres

femmes qui ont participé à ma recherche m'avaient raconté. Dans ces circonstances, je

me suis efforcée après l'entretien de satisfaire leur curiosité, légitime à mes yeux, tout en

préservant l'anonymat des femmes concernées.

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Introduction

Par ailleurs, les réactions de certaines femmes accouchant à l'hôpital à l'égard des celles

ayant choisi de ne pas y accoucher m'ont parfois déstabilisées. Leur regard sur ce choix

était souvent biaisé par un manque d'information ou de la désinformation, de sorte que

leur jugement pouvait manquer de nuance. Dans ces circonstances et lorsqu'elles

manifestaient de l'intérêt pour ce sujet, je me suis employée à combler ces lacunes, du

moins dans la limite de mes connaissances personnelles.

Contrairement à ce qui a parfois été proposé dans la littérature (Jacques, 2007), j'ai

choisi de ne pas représenter mes deux « groupes » de femmes enceintes comme

antagonistes. Il apparaît au contraire dans mes entretiens qu'il suffirait parfois de peu

pour que certaines d'entre elles « basculent » dans l'autre catégorie. Deux d'entre elles

avaient par exemple le projet d'accoucher à l'hôpital, sous la surveillance d'une sage-

femme indépendante – certaines maternités proposent en effet aux sages-femmes

indépendantes la location d'une de leurs salles d'accouchement où celles-ci peuvent

travailler de manière autonome – et se sont finalement orientées vers un accouchement à

domicile, aucune sage-femme n'étant disponible pour réaliser leur projet initial. D'autres

n'ont été informées que tard dans leur grossesse de la possibilité d'être suivies par une

sage-femme indépendante, de sorte qu'elles ont préféré ne pas modifier le dispositif en

place alors qu'elles se trouvaient si proches de leur terme. Les choix de naissance des

femmes contiennent ainsi une part d'arbitraire. Ils peuvent être influencés par une

rencontre intervenant au moment opportun, ou par des contingences pratiques. Dans

chaque chapitre, j'analyserai donc en parallèle les propos des femmes issues de ces deux

« groupes » initiaux, sans chercher à créer de séparation à mes yeux artificielle entre

elles.

Le rôle joué par les partenaires – les futurs pères – dans la prise de décision mériterait

une analyse plus approfondie, que je n'ai pas réalisée dans le cadre de ce travail. Ma

recherche porte en effet spécifiquement sur le point de vue des femmes enceintes. Or, il

m'est apparu que les partenaires ne jouent généralement pas un rôle déterminant dans le

choix de mes interlocutrices d'accoucher à l'hôpital ou hors de l'hôpital. Il est néanmoins

évident qu'une analyse moins superficielle du positionnement de leur partenaire aurait

été éclairante pour saisir le leur.

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

À côté de mes entretiens avec des femmes enceintes, j'ai également rencontré trois

sages-femmes : une sage-femme indépendante, une sage-femme travaillant au Grand

Hôpital et une sage-femme conseillère de la fondation Profa. Ces entrevues ont été

l'occasion d'obtenir des précisions bien utiles sur la prise en charge de la grossesse et

l'activité professionnelle des sages-femmes dans le contexte suisse. La majeure partie de

mes références bibliographiques sont en effet nord-américaines ou françaises et non

suisses car l'anthropologie de la naissance est un domaine de recherche encore émergent

en Suisse. Lorsque j'évoque l'approche et les pratiques de soins des sages-femmes, je

m'appuie donc sur leurs propos en complément de la littérature.

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Chapitre 1

Un choix qui s'inscrit dans un système de croyances autour de la naissance

1. La notion de « savoir faisant autorité »

La notion d' « authoritative knowledge », traduisible en français par le « savoir faisant

autorité », développée par Brigitte Jordan, désigne un système de pensée élaboré à partir

de connaissances reconnues et intégrées comme légitimes par les membres d'une même

société. Pour expliciter son concept, Jordan part du constat qu'à chaque domaine

particulier de la vie sociale correspondent des systèmes de croyances et de savoirs.

Certains de ces systèmes, par consensus, parviennent à s'imposer mieux que les autres et

deviennent des sources de références et de valeurs partagées, faisant office de matrice

cognitive commune entre les membres d'une société donnée. Différents systèmes

peuvent cependant coexister au sein d'une même société, ce qui permet à leurs

usagers/ères de naviguer sans heurts de l'un à l'autre en fonction d'une situation donnée.

Mais, souvent, un certain type de savoir est reconnu comme légitime; le système qui en

découle s'établit alors durablement comme le seul système valable, celui qui véhicule

le « savoir faisant autorité » (Jordan, 1997). Ses « concurrents » ayant été disqualifiés, il

devient la norme et l'unique référence acceptable. D'après Jordan, cette constitution

du « savoir faisant autorité » « est un processus social continu qui à la fois crée et reflète

les relations de pouvoir au sein d'une communauté de pratiques » (ma traduction, 1997 :

56). Dans nos sociétés occidentales, c'est la biomédecine qui détient le monopole du

« savoir faisant autorité » pour tout ce qui est relatif à la naissance. En se soumettant à

son hégémonie, les individus ne se limitent pas à une simple acceptation du « savoir

faisant autorité » : ils sont également actifs dans sa production et sa reproduction, ce qui

assure sa pérennité. Sous cet éclairage, l'hospitalisation de la naissance apparaît comme

un processus irréversible, étant donné que ce double mouvement de production et de

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reproduction la rend inébranlable. L'ordre établit par le système en vigueur semble être

un ordre « naturel », tant il paraît aller de soi. En choisissant l'hôpital comme lieu de

naissance pour leur enfant, les individus s'alignent sur cet ordre, mais ils deviennent

également partie prenante de sa création.

Par ailleurs, les connaissances reconnues comme « faisant autorité » ne sont pas

infailliblement les plus scientifiquement correctes, tout comme le système fondé sur

celles-ci n'est pas forcément le plus probant (Jordan, 1997). Ainsi, dans le domaine de

l'obstétrique, par exemple, des pratiques protocolaires sont encore appliquées

aujourd'hui, alors même que de nombreuses études ont prouvé leur stérilité, voire leur

caractère potentiellement nuisible (Enkin, Keirse, Neilson, Crowther, Duley, Hodnett et

Hofmeyr, 2000, Wagner, 2006). À l'hôpital, les parturientes sont ainsi susceptibles d'être

soumises à nombre d'interventions injustifiées qui risquent de compliquer leur

accouchement. Cependant, comme le relève Lazarus, les patientes tendent à confondre

les faits médicaux avérés avec l'idéologie biomédicale, et partent donc du principe qu'il

est dans leur intérêt d'accepter de se soumettre à toutes les interventions qui leur sont

proposées, alors que les pratiques médicales effectives et les résultats obtenus par la

recherche ne sont pas nécessairement cohérents (cité dans Jordan, 1997).

Bien que le « savoir faisant autorité » soit l'apanage de la biomédecine, différents

systèmes de croyances autour de la naissance coexistent dans nos sociétés occidentales.

Ces divergences sont souvent simplifiées et conceptualisées en deux modèles

habituellement présentés comme dichotomiques : d'une part le modèle technocratique,

qui soutient le système du « savoir faisant autorité » et constitue le modèle officiel et

dominant, et d'autre part le modèle holistique. Un troisième modèle, celui de

l' « accouchement naturel », vient cependant nuancer cet antagonisme, se proposant

comme une médiation entre les deux premiers (Davis-Floyd, 1992 : 155). Comme les

idées et représentations sous-jacentes au modèle holistique et à celui de

l' « accouchement naturel » sont souvent sensiblement similaires, il arrive cependant

que ces deux approches soient amalgamées en un seul et même modèle (Viisainen,

2001). Par ailleurs, ces différents modèles, loin d'être figés, sont sans cesse réinterprétés

en fonction des différents contextes spatio-temporels dans lesquels ils s'inscrivent.

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Chapitre 1 Un choix qui s'inscrit dans un système de croyances autour de la naissance

2. Le modèle technocratique

Ce modèle découle de la conception de la médecine héritée des Lumières, qui prône

notamment, selon le modèle cartésien, une séparation conceptuelle entre le corps et

l'esprit. Cette vision s'exprime dans la métaphore du corps-machine, selon laquelle le

corps est une machine faillible qui nécessite potentiellement des ajustements et

réparations. Le médecin est alors perçu comme un technicien ou un réparateur, et

l'hôpital apparaît comme le lieu idéal pour lui permettre d'accomplir son travail dans les

meilleures conditions possibles, avec tous ses outils à disposition. Étant donné que le

corps féminin est perçu comme une machine plus fragile, imprédictible et moins

performante que le corps masculin, il nécessite par conséquent une surveillance plus

rapprochée et davantage d'interventions extérieures pour fonctionner correctement. Ce

sont en particulier ses fonctions spécifiquement féminines et reproductives qui sont

considérées comme potentiellement défectueuses. Ainsi, les processus de la grossesse et

de l'accouchement, parce qu'ils exigent un effort extraordinaire de cette machine, déjà

considérée comme peu performante en ce qui concerne ses fonctions ordinaires, sont

vus comme particulièrement risqués et à l'issue incertaine (Martin, 1987 ; Davis-Floyd,

1992). Même si ces représentations paraissent obsolètes, elles constituent le fondement

de l'obstétrique actuelle et ont laissé leur empreinte dans l'imaginaire collectif. Comme

le souligne notamment Davis-Floyd, par le biais de telles représentations, notre système

médical incite les femmes à considérer leur propre corps avec méfiance, à l'instar d'une

machine défectueuse et potentiellement dangereuse.

Le modèle technocratique reconnaît la détention exclusive du « savoir faisant autorité »

aux médecins, qui se font les dépositaires du savoir biomédical. Toute connaissance qui

ne serait pas rigoureusement fondée sur la biomédecine est discréditée. Pour appuyer

son propos, Jordan propose une analyse d'une vidéo d'un accouchement en milieu

hospitalier, aux États-Unis (1997). Cet exemple met particulièrement bien en lumière la

façon dont le « savoir faisant autorité » est réparti hiérarchiquement entre les différents

acteurs intervenant dans le processus de la naissance, à l'exception de la parturiente.

Ainsi, le besoin physiologique de pousser qu'elle ressent n'est pas considéré comme une

information pertinente sur l'avancement de son travail, car seul l'obstétricien détient les

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compétences requises pour décider que le moment de l'expulsion est venu.

L'information est ensuite relayée à la parturiente, qui est enfin autorisée à cesser de se

retenir de pousser. Cet exemple illustre très bien la manière dont le ressenti et les

besoins physiologiques des parturientes sont effacés. Ce n'est pas la pertinence de

l'information qui importe, mais plutôt celui/celle qui la transmet, à savoir

l'obstétricien-ne, qui, se situant au sommet de la hiérarchie du personnel soignant, est la

personne la plus légitime pour représenter le « savoir faisant autorité » et donc prendre

les décisions.

Par ailleurs, le modèle technocratique a pour principe de considérer l'institution,

c'est-à-dire l'hôpital, comme un élément socialement plus important que l'individu, en

l'occurrence la future mère, ce qui explique que les besoins de celle-ci soient éclipsés en

faveur des exigences hospitalières (Davis-Floyd, 1992). D'après mes entretiens auprès

de femmes enceintes qui ont planifié d'accoucher à l'hôpital, ce principe semble

d'ailleurs bien accepté par les patientes. De façon générale, il convient que les

parturientes adoptent une attitude coopérative en se conformant aux règles de

l'institution, de manière à faciliter le travail des professionnel-le-s lors des diverses

interventions qu'ils/elles opèrent (Davis-Floyd, 1992). Cependant, comme le remarque

Davis-Floyd, le simple fait qu'une femme choisisse d'accoucher à l'hôpital suppose que

ses représentations mentales autour de la naissance correspondent relativement bien à

celles qui constituent le modèle technocratique (1992). Ces similitudes vont permettre

une réussite optimale, d'un point de vue socioculturel, des rituels hospitaliers autour de

la naissance, c'est-à-dire une « fusion conceptuelle entre le modèle de réalité que les

rituels [hospitaliers] sont conçus pour transmettre et la réalité telle qu'elle est perçue par

la parturiente » (ma traduction, Davis-Floyd, 1992 : 154). Or cette réussite dépend

principalement du « degré de correspondance » entre le système de croyances

sous-jacent au modèle technocratique, qui organise les rituels hospitaliers autour de la

naissance, et le système de croyances auquel adhère la parturiente lors de son entrée

dans l'institution (ibid.,1992 : 155). Une socialisation adéquate des femmes enceintes en

amont, notamment par le biais des cours de préparation à la naissance proposés par les

maternités, assure que celles-ci se comportent de la manière souhaitée, afin que tout se

passe pour le mieux le moment venu.

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Chapitre 1 Un choix qui s'inscrit dans un système de croyances autour de la naissance

Selon le modèle technocratique, un accouchement nécessite inévitablement un

minimum d'interventions médicales (Davis-Floyd, 1992). L'accouchement est perçu

comme un service rendu par l'obstétricien-ne à la société, à laquelle il/elle délivre un

nouveau membre. L'attention est entièrement focalisée sur l'enfant à naître, que l'on

espère parfait, et non sur le bien-être de la parturiente. Cette quête de perfection, qui

s'apparente à une nouvelle forme d'eugénisme, a été rendue possible par l'arrivée de

nouvelles technologies entourant la naissance, conjuguées à l'imagerie technocratique

qui voit l'enfant comme un produit de la « femme-machine ». Avant l'apparition de

certains moyens technologiques, comme l'échographie ou l'amniocentèse, il était

impossible d'évaluer qualitativement le fœtus. Le corps féminin étant une machine par

nature défectueuse, il semble logique que la création d'un enfant parfait implique une

surveillance rapprochée des professionnel-le-s de la naissance par le biais de moyens

technologiques (Davis-Floyd, 1992). Par ailleurs, le modèle technocratique voit la

naissance comme un événement pathologique. C'est également à ce titre qu'il exige

toujours un minimum d'interventions. Concevoir la mère comme une machine et l'enfant

comme un produit implique également que la mère et l'enfant sont appréhendés comme

deux entités distinctes dont les intérêts ne sont pas forcément compatibles (Davis-Floyd,

1992, Martin, 1987).

Selon Christine McCourt et Fiona Dykes, l'imposition du modèle technocratique

s'inscrit dans le contexte plus large de changements sociaux et culturels amenés par

l'industrialisation, qui influent notamment sur la manière dont le concept du temps est

envisagé. Avant la période moderne, le temps est en effet appréhendé de manière

cyclique, en lien avec le rythme des saisons et le travail agricole. L'avènement du

capitalisme et l'industrialisation modifie profondément cette organisation. Le travail, qui

répondait auparavant à des impératifs liés au temps et aux saisons, est désormais

organisé de manière fragmentée. Les différentes tâches à accomplir sont séparées les

unes des autres, et ne « répondent pas à la perception des travailleurs/euses de ce qui

exige d'être fait » (McCourt et Dykes, 2009 : 19). De même, les travailleurs/euses

éprouvent souvent des difficultés à avoir une vue d'ensemble du processus plus large

auquel leur travail contribue. Ces changements concernent également les métiers liés à

la santé, au sein desquels le travail des professionnel-le-s est passé du suivi global et

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personnalisé d'un-e patient-e, à une activité fragmentée et souvent répétitive, régie par

des protocoles, auprès de nombreux patient-e-s (ibid., 2009). Martin souligne également

le rapport causal entre l'industrialisation et l'hospitalisation de la naissance (1987). Elle

établit des liens entre l'analyse marxiste des effets du capitalisme sur l'organisation du

travail et l'expérience fragmentée de la naissance qu'amène son hospitalisation. D'après

l'analyse de Marx, la division du travail a un effet aliénant sur les travailleurs/euses.

Détachée du processus global sur lequel ils n'ont aucune emprise, la tâche qu'ils

effectuent est dénuée de sens. Selon Martin, le caractère fragmenté de la prise en charge

hospitalière aurait des effets similaires sur les parturientes, qui se trouvent

désappropriées de leur accouchement, comme les ouvriers/ères le sont de leur travail.

Dans le cadre de cette prise en charge, le temps fait office de principe organisateur afin

que l'accouchement corresponde aux normes institutionnelles. Ainsi, les diverses

interventions auxquelles les parturientes sont soumises ont notamment pour fonction de

formater leur accouchement de sorte qu'il rentre dans ces normes. Dès les années 1970,

l'utilisation systématique d'interventions relatives au temps, telles que l'injection

d'ocytocine pratiquée dans la plupart des pays occidentaux pour accélérer le travail, est

d'ailleurs au centre des critiques émises contre la médicalisation et l'hospitalisation de la

naissance (McCourt et Dykes, 2009). Néanmoins, le principe du « travail dirigé »

( « active management ») continue à être appliqué dans la plupart de ces pays. La notion

de « travail dirigé» a été évoquée pour la première fois en 1980, par O'Driscol,

Meagher et Boylan dans l'ouvrage Active Management of Labour. Cette notion implique

notamment la mesure précise de l'avancement du travail, selon les normes temporelles

établies et reconnues internationalement, ainsi que le recours systématique à des

interventions médicales et techniques, en cas de non-concordance avec ces normes

(McCourt et Dykes, 2009). Dans cette optique, le début du travail doit pouvoir être fixé

très précisément. Il commence officiellement quand le col de l'utérus est dilaté de quatre

centimètres (McCourt, 2009b). Durant cette première phase, le col de l'utérus doit se

dilater au minimum d'un centimètre par heure. Si ce n'est pas le cas, le travail est estimé

« anormal » et une hormone synthétique (ocytocine) sera injectée à la parturiente dans le

but de l'accélérer. Cette règle, généralement attribuée aux travaux de recherche de

Friedman (1955), ne s'appuie cependant sur aucune preuve scientifique avérée (Downe,

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Chapitre 1 Un choix qui s'inscrit dans un système de croyances autour de la naissance

2004 cité dans Downe et Dykes, 2009). L'exemple évoqué précédemment, de la

parturiente forcée de se retenir de pousser malgré le besoin impérieux ressenti, illustre

bien le décalage entre le temps « physiologique » et celui dicté par les normes

biomédicales. Néanmoins, aujourd'hui encore, un partogramme basé sur une

simplification des travaux de Friedman sert d'étalon pour estimer la « normalité » d'un

travail dans la plupart des hôpitaux (Downe et Dykes, 2009). En conséquence, le travail

est envisagé de façon linéaire : l'intensité des contractions et leur rapprochement ne

peuvent qu'augmenter afin de rester dans la catégorie du « normal ». L'attention portée

au partogramme suggère également que l'avancement du travail peut être surveillé plus

efficacement par le biais d'un graphique, qu'à travers le ressenti exprimé par les

parturientes (ibid., 2009). La dimension temporelle du travail illustre particulièrement

bien la manière dont l'expérience corporelle des femmes est ignorée et délégitimée, en

faveur du respect des standards édictés par la biomédecine.

La première phase du travail est terminée lorsque la dilatation du col de l'utérus a atteint

dix centimètres. Commence alors la deuxième phase, qui est celle de l'expulsion. Sa

durée ne doit pas excéder une heure environ, mais la norme varie sensiblement selon les

pays. Dans le cas d'une péridurale, un délai supplémentaire d'une heure est accordé,

étant donné que l'anesthésie peut freiner le déroulement du travail (McCourt, 2009b).

Après la naissance de l'enfant, intervient la troisième phase, appelée « délivrance », qui

consiste en l'expulsion du placenta. Sous la politique du « travail dirigé », cette phase

est généralement accélérée par une injection d'hormones synthétiques au moment du

passage de la tête de l'enfant, afin que la délivrance suive immédiatement la naissance

(ibid., 2009b). Focalisées sur leur nouveau-né, les femmes sont d'ailleurs souvent peu

conscientes de cette étape. Si la biomédecine identifie clairement le commencement et

la fin du travail, pour les parturientes, ces marqueurs temporels semblent plus flous. De

façon générale, elles estiment que leur travail dure plus longtemps que ce que les

normes biomédicales suggèrent (ibid., 2009b). Comme le montre une étude de McCourt

réalisée en 1998 et basée sur les témoignages des patientes d'une maternité anglaise, le

début du travail fixé par l'institution ne correspond pas nécessairement à l'expérience

subjective et corporelle des parturientes, de sorte que ce qui, du point de vue des

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professionnel-le-s de la naissance, est considéré comme la « phase latente » du travail,

peut être vécu comme une phase « active » par celles-ci (cité dans McCourt, 2009b). Le

terme de phase latente est utilisé pour désigner la phase précédant la dilatation

« active », qui va de l'effacement du col de l'utérus jusqu'à une dilatation de trois

centimètres. Comme cette étape n'est pas reconnue par le modèle du « travail dirigé »,

l'expérience des parturientes n'est pas traitée comme une information pertinente. La

phase latente, également appelée « faux travail » peut cependant déjà s'avérer

passablement douloureuse : « Deux jours avec des contractions, c'était pas évident.

Alors quand je suis arrivée au Grand Hôpital le soir du 12 mai, j'étais très fatiguée.

C'est vrai que la fatigue m'a joué des tours pour qu'elle sorte assez rapidement »

(Joëlle, GH). Par ailleurs, savoir identifier correctement le début du travail est une

préoccupation pour les femmes enceintes qui craignent fréquemment de ne pas « utiliser

le service de façon adéquate si elles arrivent trop tôt ou trop tard » (ma traduction,

McCourt, 2009b). Ce souci concerne les femmes qui ont prévu d'accoucher à l'hôpital,

mais aussi celles qui ont planifié un accouchement à domicile, et qui craignent de

déranger leur sage-femme « pour rien » en l'alertant trop tôt : « On voulait pas appeler

la sage-femme, parce qu'on n'était pas persuadés du truc, alors on s'est dit on appelle

la maternité voir ce qu'il nous disent. Vu qu'eux, ils sont déjà réveillés, c'est plus

sympa. » (Charlotte, AAD). Pour leur part, les sages-femmes indépendantes se montrent

dans la mesure du possible, plus flexibles concernant les normes biomédicales relatives

au temps. Elle restent cependant contraintes de respecter les délais légaux en vigueur. Il

est également établi que le travail doit commencer par des contractions liées à la

dilatation du col de l'utérus. Un travail qui commence par la rupture de la poche des

eaux est donc considéré comme « anormal » et potentiellement risqué. Si les

contractions ne se manifestent pas spontanément après un délai établi, le travail sera

déclenché (McCourt, 2009b). Cette perspective peut être particulièrement stressante

pour les parturientes : « Ma sage-femme m'a dit, en fait t'as 12h pour accoucher à la

maison, et si t'as pas accouché, après t'as 12h à la mat', où ils attendent encore avant

de... après, ils provoquent, en général. Puis tout d'un coup, ces 12h, ça me semblait

mais tellement court... » (Rachel, AAD).

La durée totale du travail ne doit pas non plus excéder la limite temporelle fixée. Mais

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Chapitre 1 Un choix qui s'inscrit dans un système de croyances autour de la naissance

même si cette limite est reconnue internationalement, concrètement, la norme établie

pour la durée normale du travail varie considérablement selon l'endroit et le moment.

Elle diffère également selon qu'il s'agit d'une nullipare ou d'une femme ayant déjà vécu

un accouchement. De leur côté, les femmes enceintes peuvent aussi être demandeuses

d'une issue précise et limitée dans le temps pour leur accouchement. Elles n'auront alors

pas d'objections à ce que le travail soit accéléré au moyen des interventions proposées

par l'hôpital (Downe et Dykes, 2009). Les contractions induites ou amplifiées par une

intervention médicale sont cependant beaucoup plus difficiles à supporter, étant donné

qu'elles ne respectent plus le rythme prévu par la physiologie. Les contractions peuvent

par exemple être plus rapprochées, de sorte qu'il n'y a plus de temps de répit entre deux

contractions (McCourt, 2009b). Par conséquent, il est plus probable qu'une femme dont

le travail a été provoqué ou amplifié manifeste le désir d'avoir une péridurale,

intervention qui, comme je l'ai déjà mentionné, a entre autres pour effet de ralentir

l'avancement du travail. Les interventions relatives au temps peuvent ainsi générer

d'autres interventions, de sorte que le déroulement et la durée de l'accouchement

peuvent être modulés artificiellement, indépendamment de la physiologie.

La durée totale de la grossesse est également soumise à des normes. Alors qu'auparavant

le début de la grossesse était estimé sur base des informations données par les femmes

enceintes (date et durée des dernières règles), on peut maintenant l'évaluer très

précisément avec des mesures par ultrasons. Selon Downe et Dykes, cette précision a

contribué au renforcement des normes médicales liées à la durée de la grossesse (2009).

Le temps devient une mesure de la normalité de la grossesse. Chaque grossesse doit

s'aligner sur une norme, fixée différemment selon les pays, sans tenir compte des

physiologies individuelles (Downe et Dykes, 2009). Généralement, dans le cas d'un

dépassement du terme, les médecins encouragent leurs patientes à déclencher

l'accouchement afin d'éviter toute prise de risque, ou du moins ce qu'ils considèrent

comme telle. La datation exacte du début de la grossesse permise par les ultrasons crée

aussi des attentes chez les femmes enceintes, qui pensent que leur grossesse se

terminera à un moment précis, fixé par leur médecin. Conditionnées de cette manière, il

n'est pas surprenant qu'elles vivent mal un dépassement de terme et qu'elles n'aient pas

d'objections à ce que leur accouchement soit déclenché : « J'en avais aussi un peu

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

marre en fait, j'en avais marre d'attendre. » (Vanessa, GH). De plus, nos sociétés

occidentales contemporaines sont caractérisées par une volonté de contrôle à laquelle

l'événement de la naissance n'est pas souscrit (Downe et Dykes, 2009). Dans ce

contexte, fixer une date précise pour le terme satisfait les désirs de planification des

futurs parents tout en facilitant l'organisation des hôpitaux. Même si l'accouchement se

déclenche rarement de manière spontanée à la date voulue, il semble préférable de

maintenir cette illusion de contrôle, plutôt que d'envisager plus souplement le terme de

la grossesse en le situant de manière approximative.

Les perceptions différentes du temps dans le contexte de l'accouchement, illustrent bien

le décalage entre l'approche biomédicale de la naissance, axée sur des normes établies

selon le principe du « travail dirigé » et celle, plus large, des parturientes, pour qui

l'accouchement correspond à un rite de passage, à l'issue duquel elles seront devenues

mères. La notion de temps est donc particulièrement importante dans le cadre de la

naissance, étant donné qu'elle semble cristalliser les tensions entre une vision

biomédicale et réductionniste, et une vision holiste, qui inscrit l'accouchement dans un

contexte plus large, personnel, social et culturel.

3. Le modèle holistique

Selon ce modèle, la technologie et les institutions qui la délivrent doivent rester au

service des individus et non l'inverse. La naissance est d'abord un événement familial et

doit être appréhendée et revendiquée comme tel. Dans cette optique, choisir d'accoucher

à l'hôpital, c'est contribuer au renforcement du « savoir faisant autorité », en

reconnaissant la suprématie de la biomédecine. Par ailleurs, ce modèle considère que le

corps féminin doit être saisi pour lui-même, sans être comparé au corps masculin. L'état

de santé d'un individu est compris comme le reflet de ce qu'il est, selon les

caractéristiques qui lui sont propres et le contexte particulier dans lequel il s'inscrit

(Davis-Floyd, 1992 : 156). Par conséquent, le modèle holistique réfute la vision selon

laquelle les individus sont interchangeables et peuvent être soumis sans distinctions aux

mêmes protocoles. La grossesse n'est pas perçue comme un processus physique

uniquement, elle s'inscrit dans le contexte plus large de l'existence de celle qui la vit. Le

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Chapitre 1 Un choix qui s'inscrit dans un système de croyances autour de la naissance

corps et l'esprit étant considérés comme indissociables, des facteurs d'ordre

psychologique peuvent aussi influer sur le déroulement de la grossesse.

Ce modèle reconnaît aux femmes enceintes la détention d'un savoir particulier issu de

leur expérience corporelle de la grossesse. Selon cette idée, le « savoir faisant autorité »

se partage entre les professionnel-le-s de la naissance et leurs patientes, les

connaissances de chacun-e étant considérées comme complémentaires. La femme

enceinte est encouragée à avoir confiance en elle et en cette forme particulière de savoir,

qu'elle seule détient et qui la guidera lors de son accouchement. Les connaissances

techniques de la sage-femme qui l'accompagne servent à la fois à la rassurer et à

compléter ce savoir, mais seule la future mère « sait » accoucher. Cette idée selon

laquelle les femmes enceintes doivent apprendre à faire confiance aux capacités de leur

propre corps se retrouve dans le discours des femmes que j'ai rencontrées ayant prévu

d'accoucher hors de l'hôpital : « On n'y connaît pas rien, parce que le corps, il est

censé... C'est interne, je veux dire, c'est quelque chose que l'on a toujours su. Déjà on a

su fabriquer le bébé, je veux dire. On y connaissait rien mais on l'a fabriqué, donc c'est

bien que le corps, il sait le faire. » (Rachel, AAD).

Par ailleurs, selon le modèle holistique, les besoins de la future mère et ceux du fœtus

sont en adéquation. Par exemple, si la future mère souhaite accoucher à domicile, on ne

conçoit pas la possibilité d'un conflit d'intérêts entre ce « besoin émotionnel » et les

besoins de sécurité du fœtus : « ce qui est bon pour l'un est bon pour l'autre » (ma

traduction, Davis-Floyd, 1992 : 157). Ainsi, les besoins subjectifs de la future mère sont

considérés comme des indicateurs fiables à partir desquels s'articulent le travail de

surveillance des professionnel-le-s (Viisainen, 2001).

Cependant, si le modèle technocratique et le modèle holistique sont conceptualisés

comme fondamentalement antagonistes, dans la réalité sociale, peu d'individus adhèrent

totalement à l'un ou l'autre et la plupart des femmes puisent des éléments dans les deux.

De plus, le modèle holistique faisant office d'alternative au modèle dominant, son

contenu dépend intimement de celui du modèle technocratique, en opposition auquel il

se construit et se justifie (Viisainen, 2001). Comme le modèle technocratique domine

l'institution hospitalière, Davis-Floyd suggère que les femmes qui choisissent

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

d'accoucher à l'hôpital envisagent le modèle holistique comme une sorte d'idéal

inaccessible ou qu'elles considèrent les idées et principes véhiculés par ce modèle

comme irrationnels et par conséquent peu adaptés à leur situation (1992). Mais le

modèle technocratique peut également être jugé trop extrémiste par certaines personnes

pour être embrassé de manière absolue. Ainsi, plutôt que d'adhérer à un modèle établi,

les femmes se construisent le leur. Dans un souci de pragmatisme, elles tendent à mettre

à distance les approches théoriques qui leur sont présentées, notamment dans la

littérature à l'intention des femmes enceintes, et s'inventent un modèle qui leur est

propre, selon le contexte personnel et culturel dans lequel elles s'inscrivent (Viisainen,

2001). Elles opèrent donc des négociations pour faire correspondre leurs attentes,

perçues comme irréalistes ou du moins idéalistes, et leur expérience concrète. À partir

d'entretiens qu'elle a menés auprès de femmes américaines, Davis-Floyd postule

l'existence d'une tension entre le modèle technocratique de la naissance qui fait légion

dans nos sociétés occidentales, et l'idéal de « naissance naturelle » auquel certaines

d'entre elles tendent (1992). Dans cette optique, les négociations opérées par les femmes

enceintes peuvent être vues comme autant de réponses et de solutions pour pallier à ces

tensions, de sorte qu'elles puissent percevoir, d'une part leurs représentations autour de

la naissance, d'autre part, la réalité effective du déroulement de leur grossesse et leur

choix concernant leur accouchement, comme un tout cohérent.

4. Le modèle de l'« accouchement naturel »

Dans ces circonstances, un troisième paradigme, le modèle de l' « accouchement

naturel » apparaît comme un compromis entre les deux premiers modèles que je viens

de décrire. Selon ce troisième modèle, le caractère « naturel » d'une naissance ne

dépend pas de la présence ou de l'absence d'interventions et protocoles médicaux, mais

de la participation active et consciente de la parturiente à son accouchement.

Néanmoins, d'après ses entretiens avec des femmes américaines enceintes ou ayant

récemment eu un enfant, Davis-Floyd déduit que dans les représentations des

usagers/ères, un accouchement « naturel » exclut le recours à la péridurale (1992). Il est

nécessaire selon ce modèle que la parturiente soit en pleine possession de ses capacités

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Chapitre 1 Un choix qui s'inscrit dans un système de croyances autour de la naissance

motrices et de ses sensations afin de pouvoir sentir les contractions et gérer l'expulsion

de l'enfant de manière autonome. Or, la péridurale implique généralement que les

parturientes, déconnectées de leurs sensations, doivent s'en remettre au personnel

soignant et aux appareils de surveillance pour savoir à quel moment la contraction

arrive et qu'il faut pousser.

C'est Grantly Dick-Read, obstétricien anglais, dans son livre Childbirth Without Fear :

The Principles and Practices of Natural Childbirth, publié en 1933 en Angleterre et en

1944 aux États-Unis qui utilise le premier le terme d' « accouchement naturel »

(« natural childbirth »), alors compris comme un accouchement exempt de toute

intervention médicale. De manière générale, sa conception de l'accouchement naturel

rejoint sensiblement celle défendue par le modèle holistique. Dick-Read préconise ainsi

que le rôle principal des soignant-e-s est d'offrir un soutien émotionnel à la parturiente,

c'est-à-dire de l'aider à se détendre et à garder confiance en elle et en ses capacités à

mener à bien un accouchement « normal » et « naturel » (Davis-Floyd, 1992 : 162).

Même si Grantly Dick-Read a été discrédité depuis, l'idée selon laquelle la peur serait à

l'origine de la douleur ou du moins aggraverait celle-ci reste encore bien présente dans

la littérature vulgarisée destinée aux femmes enceintes, comme le célèbre J'attends un

enfant de Laurence Pernoud (Vuille, 1998). Elle se retrouve aussi dans mes entretiens :

« Je pense que celles pour qui c'est très très douloureux, c'est peut-être justement qu'il y

a une grande grande peur. » (Anne-Laure, M de N).

L'approche de Dick-Read, qui opère une trop grande rupture par rapport au modèle

technocratique dominant à l'hôpital, n'a cependant pas pu connaître une large diffusion.

Le peu de succès qu'elle a rencontré s'explique également par les idées rétrogrades de

Dick-Read concernant la place des femmes dans la société. En insistant sur la dimension

spirituelle de la maternité, il tend à la sacraliser et réassigne par le même mouvement les

femmes à la sphère domestique. Par conséquent, dans les années soixante, c'est

l'approche de Fernand Lamaze, obstétricien français, qui est choisie par les mouvements

féministes et écologistes pour promouvoir l'accouchement naturel et la réappropriation

par les femmes de l'expérience de la naissance. En effet, si cette approche a pour

ambition de permettre aux femmes de contrôler leur accouchement, elle ne redéfinit pas

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

pour autant la maternité comme l'attribut principal de leur existence. Concrètement, la

méthode d' « Accouchement Sans Douleur », élaborée par Lamaze, est basée sur des

techniques de respiration enseignées aux femmes durant la grossesse afin de les préparer

en vue d'un accouchement sans analgésiques, ni anesthésie. Lamaze prévoit un

entraînement assidu de six semaines avant l'accouchement, afin que le moment venu, les

techniques soient si bien assimilées que leur application soit devenue un réflexe. Si

l'apprentissage est réussi, sa méthode est censée garantir aux femmes un accouchement

exempt de douleur. Cette méthode connaît un franc succès dans les années 1960-1970,

auprès des profanes, mais aussi des professionnel-le-s de la naissance en milieu

hospitalier. Loin de contredire le modèle technocratique, elle contribue au contraire à sa

pérennité. Les parturientes formée à la méthode Lamaze, bien concentrées sur

l'application des techniques de respiration qu'elles ont apprises, sont effectivement des

patientes particulièrement calmes et dociles, ce qui facilite le travail du personnel

hospitalier (Davis-Floyd, 1992). L'objectif premier de ces techniques de respiration est

de permettre aux femmes de garder le contrôle d'elles-mêmes lors de leur

accouchement, plutôt que de se laisser aller à des débordements inopportuns qui

pourraient entraver le travail des professionnel-le-s. La méthode Lamaze implique donc

une séparation entre le corps et l'esprit lors de l'accouchement : exhortées à se maîtriser

en dépit de l'intensité des contractions, les parturientes doivent s'interdire de se laisser

aller à leur sensations. Néanmoins, si Lamaze s'inscrit dans une perspective non

holistique, d'autres approches rattachées au courant de l'accouchement naturel, comme

celle de Dick-Read, se rapprochent davantage du modèle holistique.

Dans le cadre de sa méthode, Lamaze parvient également à imposer deux grandes

innovations dans les pratiques hospitalières autour de la naissance. Il souhaite d'abord

supprimer les anesthésies générales pour les accouchements. Il suggère également

l'introduction des futurs pères dans les salles de travail et d'accouchement, notamment

pour jouer le rôle de « coach » auprès des parturientes dans l'application des techniques

de respiration apprises. Ces innovations rencontrent d'abord quelques résistances, mais

finissent par être intégrées sans trop de heurts aux pratiques hospitalières. Cela peut

s'expliquer par le fait qu'à l'instar de l'ensemble de la méthode Lamaze, elles n'agissent

pas contre, mais en fonction du système hospitalier mis en place d'après le modèle

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Chapitre 1 Un choix qui s'inscrit dans un système de croyances autour de la naissance

technocratique. En outre, Lamaze cherche également à réduire l'inquiétude des femmes

enceintes concernant leur accouchement. Partant du principe que l'ignorance entretient

leurs appréhensions, il est convaincu de la nécessité d'informer les femmes sur le

mécanisme physiologique de l'accouchement. L'introduction et la diffusion des

préceptes de Lamaze impliquent donc que les professionnel-le-s ont dorénavant affaire à

des femmes qui ont été informées sur le déroulement d'un accouchement et les

protocoles hospitaliers, alors qu'auparavant, elles n'en avaient qu'une vague idée jusqu'à

leur premier accouchement. Cette éducation opérée en amont octroie une nouvelle

assurance aux parturientes et rend possible une – relative – réappropriation de leur

accouchement (Davis-Floyd, 1992). À ce propos, Davis-Floyd souligne l'importance

pour les femmes de disposer d'une « matrice cognitive » à laquelle se rattacher durant

l'accouchement (1992 : 171). Quelle que soit la méthode prônée, tous les cours de

préparation à la naissance rempliraient cette fonction. L'idée d'apprentissage est en outre

indissociable de ces cours : l'accouchement est perçu comme un acte auquel il est

conseillé de se préparer, afin de le « réussir » le mieux possible. Ainsi, lorsque les

femmes formées à la méthode Lamaze souffrent durant leur accouchement, elles ne

peuvent s'en prendre qu'à elles-mêmes : c'est qu'elles n'ont pas été assez assidues dans

leur apprentissage (Vuille, 2004). Si cette méthode est aujourd'hui obsolète, la vision de

l'accouchement en tant qu'« épreuve à "réussir" » qui en découle reste répandue (Vuille,

2004 : 363). Même si elles ont suivi une préparation autre que celle préconisée par

Lamaze, beaucoup de femmes continuent d'évoquer leur expérience de l'accouchement

en terme de succès ou parfois d'échec. Ainsi, Valérie (hôpital) garde un sentiment

d'échec de son premier accouchement, qui d'après elle s'est mal déroulé faute d'avoir pu

s'y préparer correctement : « J'ai l'impression que j'ai pas bien fait mon travail. Enfin,

j'étais vraiment... Déjà que je ne suis pas quelqu'un de sûr de soi, mais là, je me sentais

encore moins. Je me sentais vraiment une... Je sais pas, une mauvaise mère. ».

L'obstétricien français Michel Odent propose pour sa part une autre approche de

l'accouchement « naturel », qui accorde une importance centrale à l'environnement dans

lequel se déroule la naissance. Pour établir ses préceptes, il a notamment été inspiré par

Frédérick Leboyer, obstétricien français également, et auteur du best-seller Pour une

naissance sans violence, paru en 1974, dans lequel celui-ci préconise un accouchement

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

exempt d'interventions médicales afin que la naissance soit vécue le plus sereinement

possible par les parturientes, mais surtout par les nouveaux-nés. Odent a ainsi développé

une approche selon laquelle, si on leur fournit l'environnement adéquat, les parturientes

peuvent faire abstraction de leur bagage culturel et renouer avec leur instinct afin de se

laisser aller au processus de l'accouchement (MacDonald, 2007). Odent se base sur la

biochimie pour défendre sa conception anti-interventionniste de la naissance (Akrich et

Pasveer, 1996). Durant l'accouchement, des sécrétions hormonales dans une partie du

cerveau censée correspondre au « cerveau primitif » assureraient un bon déroulement de

l'accouchement, du moins tant qu'aucune stimulation susceptible de solliciter d'autres

zones de son cerveau ne vient troubler la parturiente. Dans ce but, il préconise de

réduire la luminosité pour donner à la parturiente le maximum d'intimité et de la laisser

se refermer sur elle-même et sur ses sensations sans la ramener à la réalité en lui parlant

de manière trop terre-à-terre. Ainsi, Odent soutient que les femmes doivent accepter de

laisser leur instinct s'exprimer, de retrouver leur nature de mammifère pour que leur

accouchement se déroule le mieux possible. Ses théories mettent l'accent sur

l'autonomie des femmes dans leur accouchement : les mammifères accouchent seuls,

donc les femmes aussi peuvent y arriver. Dans le discours de certaines de mes

interlocutrices, j'ai pu retrouver ces références animales. Rachel (AAD), par exemple,

explique ainsi son envie d'assombrir les lieux, si son accouchement se déroule durant la

journée : « Si j'étais un animal dehors, j'irais jamais me mettre dans un champ en pleine

lumière... ». Odent reconnaît cependant l'utilité des cours de préparation à la naissance

car il considère que les femmes doivent être éduquées et soutenues afin que puisse

opérer cette reconnexion avec leur instinct (MacDonald, 2007).

Des lieux et des pratiques sont également rattachés à ces différents modèles. Le modèle

technocratique prévoit un suivi de grossesse assuré par un gynécologue, axé sur le

prévention des risques et très technicisé, alors que le modèle holistique ou celui de

l' « accouchement naturel » renvoie plutôt à un suivi de grossesse effectué par une sage-

femme, centré sur la physiologie et peu technicisé. De même, les lieux de

l'accouchement diffèrent : si les partisans du modèle technocratique n'envisagent pas de

salut hors de l'hôpital, les partisans des modèles holistique ou naturel orientent plutôt

leur choix sur le domicile des futurs parents ou sur une maison de naissance.

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Chapitre 1 Un choix qui s'inscrit dans un système de croyances autour de la naissance

5. Le modèle de soins des sages-femmes

Comme je l'ai déjà mentionné, dans leur acception actuelle, les modèles holistiques et

naturels sont souvent confondus en une seule et même approche. Cette approche prend

néanmoins des formes variables en fonction du contexte socioculturel, mais aussi des

systèmes de santé et de l'offre obstétricale proposée localement. Davis-Floyd, Barclay,

Daviss et Tritten proposent l'appellation de « midwifery model of care », reconnue

internationalement pour qualifier l'approche thérapeutique des sages-femmes, afin

d'englober ces différentes expressions, qui ont toutes en commun de privilégier et

valoriser un accompagnement de la grossesse et de l'accouchement assuré par une sage-

femme plutôt que par un-e obstétricien-ne (2009). Même si les valeurs et pratiques

promues par cette approche sont sensiblement proches de celles des modèles holistiques

ou naturels, cette dénomination me semble moins ambiguë, car elle reflète une pratique

objectivable : l'accompagnement de la naissance par une sage-femme. Les appellations

précédemment évoquées – modèle holistique ou modèle naturel – basées sur les notions

abstraites d' « holisme » ou de « nature » me paraissent davantage sujettes à

controverses et potentiellement porteuses d'idéologie. Dans le cadre de ce travail, j'ai

donc choisi d'employer l'appellation de « modèle de soins des sages-femmes » (ma

traduction de « midwifery model of care »), proposée pour la première fois en 1982 par

Barbara Katz Rothman dans l'ouvrage In Labor : Women and Power in the Birthplace

(cité dans Davis-Floyd, Barclay, Daviss et Tritten, 2009). Cette dénomination a depuis

été adoptée de manière internationale pour distinguer l'approche des obstétricien-ne-s –

centrée sur la pathologie – de celle des sages-femmes – centrée sur la physiologie. À

l'instar de Davis-Floyd, Barclay, Daviss et Tritten, j'envisage de manière générale le

modèle de soins des sages-femmes comme un modèle qui intègre toutes les

caractéristiques de l'« accouchement naturel » ainsi que certaines caractéristiques du

modèle holiste (2009). Pour le décrire brièvement, ce modèle prône une approche de

« soins centrés sur la femme enceinte » (« women-centered care »), et non sur le fœtus,

à laquelle on attribue un rôle actif dans les processus de la grossesse et de

l'accouchement. Ces processus sont par ailleurs compris comme des événements

« normaux » et non pathologiques. Ils demandent une surveillance et un

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

accompagnement par une sage-femme, mais, dans le cadre d'une grossesse

physiologique, ne nécessitent pas d'intervention médicale. Plutôt que bénéfiques, les

interventions sont généralement perçues comme une rupture dans le processus

physiologique de la naissance, d'autant plus qu'il est fréquent qu'une intervention en

amène une autre, créant ainsi une chaîne d'interventions (MacDonald, 2007).

En réaction à la rigidité et à l'uniformisation suggérées par le modèle du « travail

dirigé », précédemment décrit, certaines sages-femmes proposent un « modèle

complexe », qui tient compte des multiples facteurs pouvant influer sur l'avancement du

travail, d'ordre physiologique, mais également psychologique ou environnemental (ma

traduction, Downe et Dykes, 2009 : 71). Les sages-femmes envisagent le travail de

manière non-linéaire : il peut ralentir, voire s'arrêter, puis reprendre, sans que

l'accouchement ne bascule dans la pathologie et n'exige à ce titre une intervention

médicale. D'après Winter et Duff, qui se basent sur les recherches qu'elles ont

respectivement menées auprès de sages-femmes indépendantes en Angleterre et de

sages-femmes hospitalières en Australie, la durée du travail et la manière dont il évolue

et se termine est complexe et chaotique (2009). Le temps linéaire n'est donc pas un

facteur pertinent pour évaluer l'avancement d'un accouchement.

Comme elles ne sont pas contraintes de répondre au principe du « travail dirigé », les

sages-femmes indépendantes attachent pour leur part peu d'importance à déterminer

précisément le début du travail. Elles acceptent de gérer l'incertitude, de ne disposer

d'aucune garantie sur la durée du processus qu'elles s'apprêtent à accompagner. Pour

suivre l'évolution du travail, elles préfèrent mobiliser des compétences propres à leur

profession et à leur connaissance empirique de la naissance, plutôt que de se référer à un

partogramme. Davis-Floyd, Barclay, Daviss et Tritten mobilisent la notion de

« connaissance intuitive » (« intuitive knowledge ») à ce sujet (2009). Cette

« connaissance intuitive » est fondée sur une fine observation du déroulement d'un

accouchement et du comportement des parturientes en général ainsi que sur une

connaissance approfondie de leur patiente en particulier. À ce propos, Akrich et Pasveer

relèvent que « tout se passe comme si le corps de la femme parlait de lui-même, au

moins pour ceux qui savent déchiffrer son langage, et qu'il prenait une part

d'autonomie » (1996 : 91). Contrairement au savoir biomédical, qui induit une

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Chapitre 1 Un choix qui s'inscrit dans un système de croyances autour de la naissance

uniformisation de la prise en charge de la naissance, cette forme de connaissance

reconnaît la singularité de chaque parturiente et de l'expérience qu'elle est en train de

vivre. Il est donc indispensable que la sage-femme ait pu apprendre à connaître sa

patiente en amont de l'accouchement.

Dans cette optique, la notion de « continuité des soins » est particulièrement

importante : une seule et même personne s'occupe du suivi de grossesse, de

l'accouchement et du post-partum. L'application de ce principe contraste avec les

pratiques plébiscitées par le modèle technocratique au sein duquel ces différentes étapes

sont fragmentées et laissées aux soins de personnes différentes. Généralement, le suivi

de grossesse est assuré par le gynécologue de la femme enceinte, l'accouchement est

pris en charge par les sages-femmes de l'hôpital choisi, et une fois la nouvelle mère et le

nouveau-né rentrés de leur séjour à l'hôpital, c'est encore une sage-femme différente qui

s’occupe du post-partum. De plus, étant donné que les sages-femmes sont soumises à

des roulements par souci d'organisation, ce n'est pas forcément la même personne qui

sera présente du début à la fin de l'accouchement, ce qui, selon le modèle de soins des

sages-femmes, peut affecter négativement la parturiente.

Par ailleurs, selon MacDonald, la notion de « choix éclairé » est essentielle dans le

modèle de soins des sages-femmes de l'Ontario (2007). À partir de ma recherche, je

pense que c'est également le cas en ce qui concerne la pratique des sages-femmes en

Suisse. Selon ce principe, les patientes « peuvent et doivent comprendre » les raisons

justifiant les gestes et actes médicaux qui interviennent dans leurs soins périnataux,

« elles sont donc en mesure de partager la responsabilité des décisions concernant leurs

propres soins » (ma traduction, MacDonald, 2007, 47). Pour les sages-femmes, informer

de manière optimale leurs patientes constitue une manière de protéger leur autonomie et

leur « droit d'exercer un contrôle sur leur propre corps » (ibid., 2007). La notion de

« choix éclairé » contribue également au développement d'une relation égalitaire entre

sage-femme et patiente : celle-ci transcende alors son rôle de patiente pour devenir une

interlocutrice à part entière (ibid., 2007). En pratique, cependant, l'application du

principe du « choix éclairé » des patientes peut être compromise par le fait que les

sages-femmes restent des professionnelles détentrices d'une expertise médicale, à

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

laquelle les patientes ne peuvent prétendre. Les rapports de pouvoirs semblent donc

inévitables.

Enfin, la notion d' « accompagnement » de la naissance constitue un autre élément

fondamental de l'approche de soins des sages-femmes. Le terme d' « accompagnement »

de la naissance, qui contraste avec l'idée de « prise en charge » inhérente au suivi de

grossesse proposé par un-e gynécologue, est revendiqué par les sages-femmes comme

une caractéristique de leur profession. Cette appellation reflète leur approche : elles se

positionnent comme « un tuteur sur lequel les femmes peuvent s'appuyer pour

développer leurs compétences et leurs envies, et ce afin de permettre aux femmes d'être

actrices de leur grossesse. Il s'agit donc de ne pas décider pour elles, simplement de les

appuyer et les confirmer dans leurs choix. » (Gouilhers, 2010 : 220). Tout comme la

notion de « choix éclairé », cette vision semble toutefois incarner un idéal difficilement

accessible en pratique.

Dans la suite de ce travail, lorsque j'emploierai la dénomination « modèle de soins des

sages-femmes », elle pourra être comprise de la manière dont elle a été explicitée ci-

dessus. Il me semble par ailleurs pertinent de l'utiliser pour désigner la vision de la

naissance partagée par les femmes enceintes que j'ai rencontrées qui ont opté pour un

accouchement hors de l'hôpital. L'approche du modèle de soins des sages-femmes me

semble en effet assez fédératrice pour englober leurs différentes visions de la naissance,

tout en respectant leurs nuances.

La déshospitalisation de la naissance et l'accompagnement de l'accouchement par une

sage-femme sont souvent associés dans l'imaginaire collectif à un « retour en arrière »,

un désir de renouer avec des pratiques ancestrales. Margaret MacDonald qui a mené une

recherche sur la pratique actuelle du métier de sage-femme au Canada, affirme quant à

elle qu'il ne s'agit pas d'une « résurrection de la tradition ancienne et universelle de

femmes aidant d'autres femmes à accoucher », mais d'une véritable réinvention, en

réponse à des préoccupations actuelles (ma traduction, 2007 : 52). Selon elle, les

modalités actuelles d'exercice du métier de sage-femme résultent de « spécificités

locales, sociales et historiques » (ma traduction, MacDonald, 2007 : 7). Elles sont donc

propres au lieu auquel elles sont rattachées. Du point de vue de mes interlocutrices

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Chapitre 1 Un choix qui s'inscrit dans un système de croyances autour de la naissance

ayant opté pour ce choix de naissance, il est évident également qu'il ne s'agit pas d'une

résurgence du passé : « Mon accouchement à domicile n'a rien à voir avec un

accouchement à domicile d'il y a cinquante ans, ou d'un accouchement à domicile dans

un bled au Maghreb. C'est conscient, c'est un choix, c'est quelque chose que... Je peux

agir dessus assez finement, je dirais. Je peux vraiment préparer le terrain, je peux

choisir des professionnel-le-s, je peux vraiment les choisir, et puis, j'ai aussi l'option, je

veux dire l'ambulance, elle est ici...» (Rachel, AAD).

Comme je l'ai déjà évoqué, le mouvement social pour la déshospitalisation de la

naissance a des origines politiques. Il conteste l'hégémonie exercée par la biomédecine

et exhorte les femmes à reprendre le pouvoir sur leur propre corps. Dans cette

perspective, l'activité des sages-femmes est souvent comprise comme s'inscrivant

pleinement dans ce mouvement de réappropriation par les femmes de l'expérience de la

naissance. De même, les sages-femmes sont perçues comme de ferventes activistes pour

la démédicalisation de la naissance (MacDonald, 2007). Cette interprétation positionne

les sages-femmes et leurs pratiques comme étant en rupture totale avec le modèle

technocratique, ce qui n'est pas le cas. Les sages-femmes ont une formation

biomédicale : leur activité ne se situe pas en marge du système médical. Globalement,

les examens qui jalonnent le suivi de grossesse sont les mêmes, que la grossesse soit

suivie par une sage-femme ou un-e gynécologue. Néanmoins, lors d'un suivi de

grossesse assuré par une sage-femme, les prescriptions de tests peuvent être moins

fréquentes que chez un-e gynécologue. Certains tests, comme les tests génétiques, sont

parfois aussi laissés de côté.

Quant à elles, les patientes choisissent souvent d'être accompagnées par une sage-

femme sans nécessairement être conscientes du caractère politique et social de l'activité

des sages-femmes. Elles ne perçoivent pas forcément non plus ce choix comme un acte

de résistance contre l'hégémonie biomédicale et le rapport hiérarchique entre médecin et

patiente (MacDonald, 2007). Parmi les femmes ayant participé à ma recherche, aucune

n'a de vocation militante : elles considèrent que leur choix de naissance est le plus

approprié en ce qui les concerne, qu'il fait sens par rapport à leur cheminement

personnel et à leur philosophie de vie, mais ne se prononcent pas pour autrui.

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

5.1. L'exemple néerlandais

Le principe de « soins centrés sur les femmes enceintes », central dans le modèle de

soins des sages-femmes, contient souvent l'idée selon laquelle la « sage-femme suit la

femme ». Selon ce précepte, la femme enceinte choisit sa sage-femme indépendamment

de son lieu d'accouchement. Elle a l'assurance que sa sage-femme sera à ses côtés quel

que soit le lieu sur lequel son choix se porte. Si, comme je l'ai déjà évoqué, le système

suisse ne permet pas son application, aux Pays-Bas ce principe est établi en norme. Avec

son approche peu technicisée de la naissance et les taux étonnamment faibles en terme

d'interventions médicales qu'ils affichent par rapport à leurs voisins, les Pays-Bas

apparaissent comme un cas particulier dans le paysage obstétrique européen. À ce titre,

ils font figure d'exemple pour les partisans du modèle de soins des sages-femmes, qui

espèrent importer les idées sous-jacentes au système obstétrique néerlandais dans leur

propre culture. Mais le système néerlandais est souvent romantisé. Les chiffres

concernant le pourcentage d'accouchements supervisés par des sages-femmes, sans

l'implication d'un-e gynécologue et donc logiquement plus faibles en interventions

médicales, sont fréquemment mal compris ou déformés (De Vries, Wiegers, Smulders et

van Teijlingen, 2009). Cependant, il reste évident que la manière dont le système

obstétrique néerlandais est organisé favorise la possibilité d'accoucher hors de l'hôpital,

et de manière plus générale, sans interventions médicales. Dans cette perspective, le

système néerlandais soutient la pratique de l' « accouchement naturel ». Mais pour que

le « naturel » puisse s'exprimer, toute une organisation sociale est nécessaire en amont.

Le système de soins est pensé pour privilégier un suivi de grossesse par une sage-

femme, puisqu'en cas de grossesse physiologique, seul ce type de suivi est

intégralement remboursé. Les professionnel-le-s de la naissance issu-e-s de différents

corps de métier sont habitués à collaborer les un-e-s avec les autres. Leur formation met

par ailleurs un accent particulier sur la distinction rigoureuse entre grossesse

pathologique et grossesse physiologique. Enfin, un système efficace de soins post-

partum est prévu, de sorte que tous les nouveaux parents en profitent. Les sages-femmes

néerlandaises bénéficient également d'une indépendance exceptionnelle par rapport aux

sages-femmes issues d'autres pays européens. Cette situation particulière peut

s'expliquer par la conviction répandue aux Pays-Bas selon laquelle la valorisation du

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Chapitre 1 Un choix qui s'inscrit dans un système de croyances autour de la naissance

travail des sages-femmes, notamment en favorisant leur autonomie, a une influence

positive sur la réduction des risques périnataux (De Vries, Wiegers, Smulders et van

Teijlingen, 2009). Comme on considère que les sages-femmes jouent un rôle important

en ce qui concerne la santé publique, il est de l'intérêt de tous de promouvoir leur

travail. Par conséquent, un soin particulier est apporté à la qualité de leur formation,

dans laquelle sont investies des subventions municipales. L'instauration d'écoles de

sages-femmes fait d'ailleurs partie intégrante des interventions gouvernementales

concernant l'organisation des soins obstétriques. Cette configuration particulière et ce

souci de valoriser le travail des sages-femmes ainsi que l'accouchement à domicile

peuvent être attribués au contexte historique et culturel néerlandais. Van Daalen

l'explique par une nucléarisation précoce de la famille, qui intervient aux Pays-Bas au

17ème siècle, soit avant l'industrialisation, contrairement au reste des pays d'Europe, qui

sont confrontés à ces deux processus de manière simultanée (cité dans De Vries,

Wiegers, Smulders et van Teijlingen, 2009). L'industrialisation induit une inflation des

métiers de service visant la prise en charge d'événements familiaux tels que la naissance

ou la mort. En raison de l'instauration précoce de la famille nucléaire, les néerlandais

auraient développé une résistance plus marquée à l’institutionnalisation de ces

événements, ce qui se traduit par une préférence persistante pour les naissances à

domicile. Par ailleurs, comparés à leur voisins européens, les néerlandais se montrent

moins enthousiastes par rapport à la biomédecine : ils se distinguent notamment par leur

faible consommation de médicaments (De Vries, Wiegers, Smulders et van Teijlingen,

2009). Dans le discours de mes interlocutrices, les Pays-Bas sont parfois évoqués, les

informations à ce sujet ne sont pas très claires, et les propos suggèrent que le « cas

néerlandais » nourrit l'imaginaire. Certaines croyances erronées sont particulièrement

tenaces à ce sujet. Ainsi, l'idée selon laquelle une ambulance reste stationnée devant le

domicile de chaque parturiente pendant toute la durée de l'accouchement reste très

répandue.

En conclusion, même si leurs choix de naissance les rapprochent plutôt du modèle

technocratique ou du modèle holiste, il est rare que les femmes enceintes y adhèrent

totalement pour autant. Selon Viisainen, « les individus font des choix pragmatiques

selon leur contexte local, interprétant ces modèles idéal-typiques en fonction de leurs

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

expériences individuelles, de leurs valeurs et de la gestion des détails pratiques auxquels

ils se trouvent confrontés » (ma traduction, 2001 : 1120). Ainsi, même si mes

interlocutrices adhèrent plutôt à une vision holiste de la grossesse, elles acceptent le

caractère fragmenté de la prise en charge biomédicale de la grossesse. Dans le cadre de

ma recherche, l'hypothèse de Davis-Floyd selon laquelle il existerait une tension entre le

modèle technocratique dominant, reconnu comme « savoir faisant autorité », et le

modèle holiste se vérifie clairement (1992). Comme le dit Burton-Jeangros, dont les

interlocutrices partagent sensiblement les mêmes traits socio-économiques que les

miennes, « les femmes enceintes sont non seulement conscientes de ces différents

modèles, mais parfois tiraillées entre ces manières opposées de vivre la grossesse »

(2010 : 186). Certaines d'entre elles recherchent donc des compromis, afin de pouvoir

concilier ces deux approches. Leur désir de trouver une médiation s'articule autour de

leur envie commune de vivre un « accouchement naturel », notion que je vais discuter

maintenant.

6. L'« accouchement naturel », une notion à définition multiple

Au fil de mes conversations avec les femmes enceintes qui ont participé à ma recherche,

il m'est apparu qu'à quelques exceptions près, sur lesquelles je reviendrai, la notion

d' « accouchement naturel » revient constamment dans leur discours pour évoquer le

type d'accouchement auquel elles aspirent, quel que soit le lieu de naissance choisi. Son

contenu peut cependant fortement varier d'une femme à l'autre. D'après MacDonald,

généralement, les sages-femmes comme les femmes enceintes considèrent qu'un

« accouchement naturel » est avant tout un accouchement sans intervention technique,

ni médication (2007). Cette notion peut aussi désigner plus spécifiquement un

accouchement sans péridurale, ni analgésique (Mansfield, 2008) ou, plus largement, un

accouchement « normal », c'est-à-dire par voie basse et sans complications

(MacDonald, 2007). J'ai retrouvé toutes ces variations dans le discours de mes

interlocutrices, bien que la conception selon laquelle un « accouchement naturel » est un

accouchement sans péridurale domine chez les femmes qui ont prévu d'accoucher à

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Chapitre 1 Un choix qui s'inscrit dans un système de croyances autour de la naissance

l'hôpital, tandis que l'ensemble de celles ayant prévu de ne pas y accoucher conçoivent

l'« accouchement naturel » comme un accouchement sans aucune intervention.

Dans le discours des professionnel-le-s de la naissance, la notion d' « accouchement

normal » a aujourd'hui supplanté celle d' « accouchement naturel » pour désigner un

accouchement exempt d'intervention médicale (Downe, 2008). Certaines femmes

enceintes de ma recherche préfèrent également utiliser le terme d' « accouchement

normal » plutôt que celui d' « accouchement naturel » pour évoquer un accouchement

physiologique.

Mes interlocutrices ayant choisi d'accoucher hors de l'hôpital ont toutes souligné que

« la grossesse n'est pas une maladie ». Mais certaines femmes accouchant à l'hôpital

partagent cette conception et envisagent elles aussi les processus de la grossesse et de

l'accouchement comme « normaux », exigeant une surveillance, mais pas forcément

d'intervention extérieure. Elles espèrent donc vivre à l'hôpital un « accouchement

naturel », exempt d'intervention médicale : « L'idée, c'est de se dire aussi, par rapport à

l'accouchement à l'hôpital, que c'est tellement magnifique déjà ce qui s'est passé

jusqu'à maintenant, le fait que mon corps a pu créer un être humain comme ça en neuf

mois, c'est magique. [...] Et puis qu'on laisse la nature continuer ce processus aussi

dans l'accouchement, mais qu'on soit dans un cadre qui nous permet d'intervenir

rapidement avec ce que la médecine nous offre. » (Dörte, GH). Vivre un accouchement

naturel peut aussi être perçu comme une « prise de pouvoir » (ma traduction de

« empowerment ») pour les femmes. Contrairement à l'approche promue par le modèle

technocratique, le corps féminin est compris ici comme résistant et parfaitement

compétent pour porter un fœtus et mettre au monde un enfant, sans que ces processus

n'exigent un haut niveau de surveillance et d'interventions biomédicales (MacDonald,

2007). Accoucher « naturellement » revient donc à être pleinement actrice de son

accouchement. En effet, plus un accouchement présente un niveau élevé d'interventions,

plus la marge de manœuvre de la parturiente est réduite, ce qui la cantonne à un rôle

passif. Mes interlocutrices ayant choisi d'accoucher hors de l'hôpital établissent souvent

une différence entre « accoucher » et « se faire accoucher ». Leur choix de naissance est

motivé par leur volonté d' « accoucher elles-même » : « Je crois qu'à l'hôpital, c'est un

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

peu les gens qui t'accouchent, alors qu'à la maison, c'est toi qui accouches. Et ça, c'est

quelque chose, je me disais, je pense que je serais quand même plus fière d'avoir, moi,

accouché, plutôt que d'être un peu laissée, mise entre les bras des gens, et puis d'avoir

un peu tout fait faire aux autres, enfin c'est un peu l'impression que j'aurais, d'aller à

l'hôpital. » (Alice, AAD). Le choix d'accoucher hors de l'hôpital leur apparaît comme

l'unique façon de s'assurer qu'elles vivront un « accouchement naturel » et qu'elles

« accoucheront elles-mêmes » : « Je pense que ce n'est pas possible d'accoucher à

l'hôpital et d'avoir l'impression qu'on a accouché soi-même. » (Julie, M de N). Parmi

mes interlocutrices qui projettent d'accoucher en milieu hospitalier, certaines s'attendent

pourtant à ce que ce soit possible. Elles ont expliqué leur positionnement lors de leur

rencontre avec la sage-femme conseillère rattachée à l'établissement choisi et espèrent

jouir de la même autonomie à l'hôpital que cela aurait été le cas en maison de naissance.

Par ailleurs, l'idéal que représente l'accouchement naturel est « souvent clairement

problématisé par les sages-femmes et les femmes enceintes », de sorte qu'il ne

correspond pas à une essentialisation des femmes et de leur « nature » reproductrice (ma

traduction, MacDonald, 2007 : 97). Au contraire, faire le choix d'accoucher

naturellement serait lié à des considérations pragmatiques et politiques face à l'offre

existante en matière de soins obstétriques. Dans cette perspective, l' « accouchement

naturel » est une construction culturelle, basée sur la notion de « choix éclairé » des

patient-e-s (MacDonald, 2007). Les femmes qui souhaitent vivre un « accouchement

naturel » s'y préparent par différentes pratiques sur lesquelles je reviendrai plus en détail

dans la section qui leur est consacrée (voir infra pp. 98-101). D'après Mansfield, « ce

sont ces pratiques sociales qui permettent que l'accouchement puisse être naturel » (ma

traduction, 2008 : 1086).

En outre, la notion d'accouchement naturel est potentiellement excluante, étant donné

que certaines femmes ne peuvent pas accoucher sans intervention médicale. C'est

également pour cette raison que les contours de la définition de ce qu'est un

« accouchement naturel » sont souvent mouvants, pour les sages-femmes comme pour

leurs patientes (MacDonald, 2007). Si accoucher « naturellement » reste un idéal pour

beaucoup de femmes enceintes, chacune finit par avoir sa propre définition de la notion

d' « accouchement naturel », selon ses possibilités et ses représentations personnelles

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Chapitre 1 Un choix qui s'inscrit dans un système de croyances autour de la naissance

autour de la naissance. La définition même de ce qu'est un « accouchement naturel »

relève donc aussi de considérations pragmatiques.

Pour conclure, la notion d'« accouchement naturel » est signifiante pour la plupart des

femmes qui ont participé à ma recherche, bien que sa définition varie et qu'elle désigne

des pratiques différentes. En dépit de leurs divergences sur la question du choix du lieu

de l'accouchement, cette congruence atteste de l'existence d'une matrice de

représentations commune à la plupart de mes interlocutrices. Dans l'imaginaire collectif,

malgré le degré de technicisation auquel il est aujourd'hui soumis, un accouchement

reste un processus relevant de la « nature ». Ainsi, certaines femmes ne conçoivent pas

d'accoucher hors de l'hôpital, mais n'adhèrent pas pour autant au modèle technocratique

et gardent comme idéal l' « accouchement naturel ».

Néanmoins, trois de mes interlocutrices ayant prévu d'accoucher en milieu hospitalier

ne partagent pas cette vision. Elles n'ont pour leur part aucune objection à ce que leur

accouchement soit très technicisé et considèrent que les interventions médicales, quelles

qu'elles soient, ne peuvent qu'avoir des effets bénéfiques. Deux d'entre elles sont

cependant obligées pour des raisons médicales d'accoucher en milieu hospitalier : l'une

parce que son enfant naîtra par césarienne, l'autre parce que son premier enfant était un

grand prématuré et qu'il présentait une malformation à la naissance. On peut supposer

que leur positionnement a pu changer après avoir été informées que leur grossesse ou

leur accouchement présentent des risques particuliers. Vanessa (GH), la troisième, dont

les deux premiers accouchements ont été programmés, semble pour sa part simplement

peu intéressée par ces questions. La terminologie qu'elle utilise montre également

qu'elle n'attache pas d'importance à l'idée de jouer un rôle actif lors de son

accouchement : ainsi, pour elle, la phase de l'expulsion correspond au moment venu

pour les professionnel-le-s de « faire sortir le bébé ». De manière générale, les propos

de ces trois femmes attestent de leur adhésion sans réserve au modèle technocratique.

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Chapitre 2

Les facteurs influant sur le choix du lieu de l'accouchement

Dans ce chapitre, je questionnerai d'abord la notion de choix dans le cadre d'un

accouchement à l'hôpital. Je traiterai ensuite des critères qui mènent les femmes

désireuses d'accoucher hors de l'hôpital à opter pour leur domicile plutôt qu'une maison

de naissance, ou inversement, ainsi que des représentations dont ces différents lieux de

naissance font l'objet. Je m'intéresserai ensuite plus largement aux différentes raisons

qui ont pu motiver le choix de naissance de mes interlocutrices. Pour en rendre compte,

j'ai choisi de les regrouper par thématiques. J'ai ainsi établi trois grandes catégories qui

englobent les facteurs les plus influents. Certains facteurs résistent toutefois à cette

typologie, je les évoquerai donc séparément.

De manière transversale, je m'intéresserai aussi à la façon dont les femmes qui ont

choisi d'accoucher à l'hôpital perçoivent les motivations de celles qui n'y accouchent pas

et inversement. Je pense en effet que le regard qu'elles portent les unes sur les autres est

éclairant pour saisir leurs propres choix et représentations autour de la naissance.

1. Accoucher à l'hôpital : un choix par défaut?

Selon Viisainen, l'hégémonie biomédicale est si complète que l'accouchement à l'hôpital

n'est pas un choix actif, mais un choix par défaut qui n'a pas besoin d'être justifié, ni

même formulé (2001 : 1119). Ma recherche tendrait plutôt à nuancer cette affirmation.

Si ce choix relève de l'évidence pour la plupart de mes interlocutrices concernées, ce

n'est pas pour autant qu'il n'est pas justifié. Toutes s'accordent à dire qu'elles ont préféré

l'hôpital pour des raisons de sécurité. Elles invoquent des raisons « objectives », telle

que l'accès direct à un plateau technique en cas de complications imprévues, mais aussi

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

des raisons subjectives, liées à leur nature inquiète : « avec les angoisses que j'ai, je

pense qu'il vaut mieux avoir quand même une structure un peu médicalisée » (Valérie,

hôpital), ou à l'anticipation de la culpabilité qu'elles pourraient éprouver si un problème

survenait à la naissance et qu'elles ne se trouvaient pas à l'hôpital : « Pour moi, c'était

vraiment l'hôpital qui me conviendrait. Parce que je me disais, si tout d'un coup il y a

des complications ou comme ça, si tout d'un coup, ça se passe mal, je m'en voudrais

d'être pas tout de suite au bon endroit. » (Joëlle, GH). D'après mes entretiens, les

femmes enceintes estiment que le choix de l'hôpital leur garantit une certaine

tranquillité d'esprit.

Plusieurs de mes interlocutrices ont fait la démarche de s'informer sur les différentes

possibilités envisageables pour finalement en conclure que le choix de l'hôpital était le

plus adapté à leur situation et à leurs envies : « Je me suis toujours dit que j'allais aller

là-bas, en clinique. Après bien sûr, on se renseigne quand on vit la grossesse, et on

regarde un peu ce qui se passe et tout, puis on voit et on y réfléchit quand même, parce

qu'on voit qu'il y a d'autres alternatives, qu'il y a d'autres moyens pour accoucher. [...]

Après, je me suis dit, dans le fond non, je préfère être en milieu hospitalier. » (Isabelle,

clinique).

Certaines femmes préfèrent aussi simplement ne pas consacrer du temps à ces questions

parce qu'elles ont d'autres priorités : elles choisissent alors de privilégier d'autres aspects

de leur vie. Ainsi, Vanessa (GH), qui est déjà mère de deux enfants et a travaillé à plein

temps jusqu'à trois semaines avant son terme prévu, estime ne pas avoir de temps à

consacrer à cette troisième grossesse. Les choix qu'elle opère concernant son suivi de

grossesse ou son lieu d'accouchement sont donc avant tout fondés sur un souci

d’efficacité.

D'après ces différents éléments, je considère que même si l'accouchement à l'hôpital fait

figure de norme, il reste néanmoins pertinent de parler de choix. Cependant, le dispositif

de l'entretien a aussi pu les inciter à chercher des raisons précises à un choix qu'elles

n'avaient pas forcément questionné auparavant. J'ai également constaté que souvent mes

interlocutrices estiment qu'en ce qui les concerne, il s'agit bien d'un choix réfléchi, mais

que lorsqu'elles justifient les motivations des autres femmes, elles évoquent le caractère

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Chapitre 2 Les facteurs influant sur le choix du lieu de l'accouchement

normatif de l'accouchement à l'hôpital. Ainsi, certaines considèrent que c'est pour des

raisons de sécurité qu'elles ont choisi d'accoucher à l'hôpital, mais estiment que

généralement, les femmes accouchent à l'hôpital « par habitude » (Vanessa, GH) ou

« par automatisme » (Valérie, hôpital). Plusieurs relèvent aussi le manque

d'informations concernant les autres lieux et choix de naissance : « Les gens ne sont pas

très bien renseignés des autres possibilités, en fait, que d'accoucher à l'hôpital. »

(Émilie, GH). Enfin, certaines de mes interlocutrices pensent que les femmes préfèrent

déléguer la responsabilité de leur accouchement à des professionnel-le-s, pour ne rien

avoir à se reprocher en cas de problèmes. Qu'il s'agisse des raisons invoquées pour leur

choix personnel ou de celles projetées sur la société dans son ensemble, on peut

remarquer que la notion de risque est particulièrement prégnante. D'après leurs

justifications, on peut voir que les femmes enceintes ont efficacement intégré l'idée

selon laquelle un accouchement est un processus hautement risqué et imprévisible.

Lorsqu'elles évoquent les motivations des autres femmes, mes interlocutrices font

cependant preuve d'une certaine distanciation critique en relevant le caractère arbitraire

de ce choix sociétal.

Viisainen affirme, comme mentionné plus haut, que le choix d'accoucher à l'hôpital

n'exige pas de justifications, étant donné qu'il s'agit du choix reconnu comme légitime.

Je le rejoins en ceci que, même lorsque ce choix s'avère réfléchi, les femmes accouchant

à l'hôpital n'ont pour la plupart pas l'habitude de le motiver. En revanche, leur choix de

naissance allant à contre-courant du modèle technocratique dominant, les femmes qui

préfèrent accoucher hors de l'hôpital sont souvent amenées à justifier leur décision, ne

serait-ce que par rapport à leur entourage, parfois sceptique. Par comparaison, leur

réflexion peut donc paraître plus élaborée.

Pour conclure, la question du choix de naissance est particulièrement complexe car les

femmes enceintes ne jouissent jamais d'une autonomie totale pour réaliser leur choix:

elles sont dépendantes du contexte social, politique et culturel qui les entoure. Sherwin

parle à ce propos d' « autonomie relationnelle» (« relational autonomy ») pour souligner

que les femmes sont toujours socialement situées, ce qui limite leur autonomie et pèse

sur leurs décisions. Selon leur situation spécifique, « des normes oppressives peuvent

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

ébranler l'opportunité des patient-e-s de développer l'expérience et les compétences

nécessaires pour exercer leur autonomie » (ma traduction, Sherwin, 1998: 42). Comme

notre système de soins obstétriques, régi par le modèle technocratique, ne conçoit pas

d'alternative à l'accouchement à l'hôpital, rien n'est fait pour que les femmes enceintes

acquièrent les outils nécessaires à la remise en cause de ce choix sociétal. Tout est prévu

au contraire pour les maintenir dans l'idée que l'hôpital est le seul lieu approprié pour un

accouchement. Dans cette optique, les choix de naissance effectués par les femmes

enceintes peuvent être perçus comme un « reflet des attentes sociales » propres à la

société dans laquelle celles-ci s'inscrivent (Sherwin, 1998: 42).

2. Accoucher hors de l'hôpital : à domicile ou en maison de naissance ?

La maison, comme lieu de naissance idéal, reste un symbole fort lié à la notion

d' « accouchement naturel » (MacDonald, 2007). Les femmes qui choisissent ce lieu de

naissance motivent souvent leur choix par leur désir de vivre leur accouchement le plus

« naturellement » possible (Viisainen, 2001). Elles considèrent que leur domicile est le

lieu le plus approprié pour que cette envie se réalise par opposition à l'hôpital, où il leur

semble impossible de vivre un « accouchement naturel », compris ici comme exempt de

toute intervention. Cependant, le domicile en tant que lieu d'accouchement n'est pas

« donné ». D'autres significations et utilisations y sont déjà associées (MacDonald,

2007). Une transformation doit donc s'opérer pour qu'il puisse devenir un lieu de

naissance. Mais plus qu'une transformation matérielle, qui impliquerait un

aménagement particulier des lieux, c'est plutôt dans l'esprit des femmes enceintes que

cette transformation doit avoir lieu. Il s'agit d'arriver à se projeter dans cette utilisation

inhabituelle de son lieu de vie, et d'accepter de composer avec la part d'inconnu qu'elle

implique : « On peut pas se projeter, et puis finalement il y a pas de raisons de vouloir

se projeter. Je veux dire, on peut pas savoir à l'avance, et puis j'aime bien ça. Ça va

aussi un peu dans l'optique d'accoucher à la maison, je crois dans le sens où, quand on

est à la maison, il faut être d'accord aussi que c'est ouvert... » (Rachel, AAD). Certaines

femmes ne conçoivent pas cette transformation et préfèrent opter pour une maison de

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Chapitre 2 Les facteurs influant sur le choix du lieu de l'accouchement

naissance : « J'aurais pas tellement envie d'accoucher chez moi. J'ai un petit deux

pièces, enfin... et c'est pas fait pour, enfin, ça dépend où on habite, quoi. » (Maëva, M

de N). Contrairement à Rachel, Maëva se soucie de l'aménagement de son appartement,

qu'elle juge inadapté à un accouchement par rapport à celui proposé par une maison de

naissance : « C'est un petit appartement tout mignon, mais tout est fait pour quoi, tout

est installé pour. Je pense que ça évite d'installer des choses à la maison, et puis surtout

de se dire qu'on sait pas tellement de quoi on aura besoin. ». Comme Maëva le

souligne, les maisons de naissance cherchent généralement à recréer l'ambiance du

domicile. Ces lieux apparaissent donc aux femmes enceintes comme un domicile de

substitution quand le leur propre ne se prête pas à la transformation en lieu de naissance,

que ce soit pour des raisons d'ordre pratique ou relevant de leurs représentations

personnelles autour de la naissance. On peut en effet supposer que les femmes qui

optent pour la maison de naissance tendent davantage à penser qu'un accouchement

requiert un aménagement spécifique.

D'après mes discussions avec des femmes enceintes ayant choisi l'hôpital, l'idée selon

laquelle les besoins et les désirs de la mère doivent être éclipsés au profit de ce qui est

considéré comme le « mieux », c'est-à-dire le plus « sûr » pour l'enfant est

particulièrement prégnante. Or, dans notre société, le domicile des futurs parents n'est

pas considéré comme un lieu approprié pour accoucher. Aux yeux de celles qui ont opté

pour l'hôpital, l'accouchement à domicile est parfois perçu comme un choix

irresponsable, voire égoïste : « Pour le bébé, tu te dis, s'il y a la moindre complication,

c'est bête de perdre un enfant juste parce que... Pour des raisons de principe. »

(Stéphanie, clinique). Il m'est cependant apparu que les critiques les plus véhémentes

ont été émises par des femmes qui, à l'instar de Stéphanie, sont étrangères à la notion

d' « accouchement naturel » et adhèrent sans réserve à l'approche biomédicale. Plus

généralement, mes interlocutrices accouchant à l'hôpital semblent également penser

qu'il ne peut pas s'agir d'un choix rationnel, la rationalité étant pour elles incarnée par la

biomédecine. Elles attribuent donc parfois ce choix à un effet de mode ou à un désir de

« retour aux sources » : « Il y a aussi beaucoup le retour du bio. Il faut que tout soit

naturel, dans la nature, on parle que de ça, en ce moment, un peu partout. Il faut que

tout soit vert, éco... Donc je pense que les accouchements à la maison, c'est comme

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

faisait ma grand-mère, hein. Elle accouchait dans son lit. » (Isabelle, clinique). De

manière surprenante, étant donné qu'en termes de soins médicaux, la maison de

naissance n'offre rien de plus que le domicile, les femmes qui accouchent à l'hôpital

établissent une distinction nette entre l'accouchement en maison de naissance et

l'accouchement à domicile. Plusieurs ont d'ailleurs envisagé la maison de naissance,

mais aucune l'accouchement à domicile. La maison de naissance semble correspondre

pour elles à un « compromis » entre l'hôpital et le domicile, qui en comparaison est

perçu comme franchement radical : « Ce côté "à la maison", c'est un peu extrême... »

(Valérie, hôpital). En revanche, celles qui ont sérieusement envisagé la maison de

naissance estiment que leur rejet de l'accouchement à domicile ne repose sur aucun

critère objectif : « Je sais pas, j'avais pas envie à domicile, je pouvais pas m'imaginer

ça. Ça me tentait pas du tout d'être ici, vraiment ça me... Je sais pas pourquoi. » (Dörte,

GH). Dörte ne pouvait pas effectuer la transformation mentale nécessaire à ce que son

lieu de vie devienne pour elle un lieu de naissance.

Ces différences observées dans la manière d'appréhender l'accouchement en maison de

naissance par rapport à l'accouchement à domicile peuvent s'expliquer par l'attribution

d'un caractère institutionnel à la maison de naissance. Il est rassurant pour les femmes

de sortir de leur cadre domestique et d'aller dans un cadre expressément prévu pour

vivre cet événement, même si elles sont conscientes que les moyens d'interventions

médicales y sont les mêmes qu'à la maison. Par ailleurs, l'accouchement à domicile

garde une connotation idéologique. Il reste fortement associé aux mouvements

féministes et écologistes à l'origine des premières critiques émises à l'encontre de la

biomédecine et de sa prise en charge de la naissance. Ainsi, l'accouchement à domicile

semble trop chargé en représentations pour que n'importe quelle femme puisse

s'identifier à cette pratique.

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Chapitre 2 Les facteurs influant sur le choix du lieu de l'accouchement

3. Analyse thématique

3.1. Les représentations autour de la grossesse et de l'accouchement : l'influence des récits de naissance

D'après Ólafsdóttir et Kirkham, « Les récits de naissance sont partout autour de nous et

influencent la manière dont on envisage la naissance et dont on se pense soi-même »

(2009 : 167). Il peut s'agir d'histoires personnelles et familiales, de témoignages de

l'entourage, de récits véhiculés par le discours biomédical ou encore d'extraits d'un film.

Au fil de mes rencontres, j'ai pu constater l'impact déterminant de ces récits sur

l'expérience des femmes, et plus particulièrement sur leurs choix de naissance. Ces

récits modèlent puissamment leur manière de se représenter l'accouchement et forment

un cadre de référence qui les guide dans leurs choix, ceci particulièrement pour les

femmes qui n'ont encore jamais vécu un accouchement. Pour certaines d'entre elles, la

manière dont les accouchements sont montrés dans les films sert de repère pour se

représenter ce qu'est le déroulement « normal » d'un accouchement. Pour d'autres, une

vidéo d'un accouchement peut constituer une source d'inspiration pour imaginer le

déroulement idéal de son propre accouchement : « J'avais vu un film de fou, c'était dans

la Mer Noire, des femmes qui accouchent dans la Mer Noire, c'est vraiment magnifique.

Avec une sage-femme, et puis leur mari qui est derrière pour les soutenir [...] Et puis

j'étais là, ah, je me réjouis d'accoucher, ça doit être génial, quoi ! » (Delphine, AAD).

Certaines femmes ont pu assister à des accouchements dans le cadre de leur activité

professionnelle. Pour Rachel (AAD), infirmière de profession, il s'agissait d'un stage en

obstétrique : « La prise en charge des patients, les accouchements que j'ai vu, j'ai

trouvé ça mais d'un fade, enfin... J'ai pas vu un accouchement sans péridurale, j'ai vu...

Il y avait une césarienne, et une autre, c'était une femme, c'était son cinquième enfant,

elle avait choisi le jour de l'accouchement, elle avait choisi la date, elle avait choisi le

moment, enfin... Elle avait choisi la péridurale, du coup c'était d'un... enfin il y avait un

manque de spontanéité, et puis ça me parlait vraiment pas. ». Émilie (GH) est médecin,

elle a également fait un stage en obstétrique dans le cadre de ses études : « J'ai vu des

accouchements, j'étais traumatisée, plutôt, par voir... C'est quand même un acte assez

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

incroyable, quand on voit ces bébés qui sortent, c'est pas... Je veux dire, j'ai vu des

accouchements où il fallait tirer les bébés et cætera, la maman n'en pouvait plus. Je me

suis dit, hou la la, mais il faut absolument accoucher à l'hôpital, quoi, pour avoir tout

sous la main. ». Pour l'une comme pour l'autre, ces expériences professionnelles,

survenues bien avant leur première grossesse, ont été des éléments d'influence

déterminante sur leurs choix de naissance actuels.

Les récits de naissance contribuent aussi à définir un cadre normatif des projections

effectuées sur l'accouchement. Les expériences rapportées par les femmes de leur

entourage conditionnent fortement les attentes des femmes enceintes. En matière de

soins obstétriques, il est donc rare qu'elles manifestent l'envie d'avoir un type de prise en

charge qui n'a pas été expérimenté par leurs proches (Ólafsdóttir et Kirkham, 2009). Si

ce constat vaut pour les femmes qui ont choisi d'accoucher à l'hôpital, c'est aussi le cas

pour celles qui ont décidé de ne pas y accoucher : « Ma mère, elle a jamais accouché à

l'hôpital. Tout l'entourage de mes parents, il n'y a personne qui a accouché à l'hôpital.

Ils ont tous accouché... Enfin, c'était vraiment des hippies. [...] Pour moi, il n'existait

pas autre chose, quoi, ça se passait comme ça et pas autrement. [...] Dans mon

entourage, c'est plutôt surprenant quand tu vas à l'hôpital ! » (Barbara, AAD). De

même, dans le cadre d'un accouchement à l'hôpital, grâce aux témoignages de leurs

paires, les femmes savent généralement à quoi s'attendre et ne sont pas surprises par la

prise en charge prévue par l'institution.

Les récits de leurs proches rendent plus concrètes les différentes options qui leur sont

proposées concernant leur suivi de grossesse ou leur lieu d'accouchement que de

simplement les voir énoncées dans la documentation qui leur est fournie par leur

gynécologue ou dans les différents ouvrages qu'elles consultent ( Ólafsdóttir et

Kirkham, 2009). Au sein de ma recherche, la plupart des femmes enceintes, quel que

soit leur choix de naissance, connaissent au moins une femme qui a accouché à domicile

ou en maison de naissance, cette deuxième option restant la plus fréquente, ce qui

explique aussi le rejet pour l'accouchement à domicile évoqué précédemment. Fernanda

(M de N), par exemple, a des amies qui ont accouché à l'hôpital et d'autres à domicile ou

en maison de naissance. Leurs témoignages ont fortement pesé sur sa décision

d'accoucher en maison de naissance. Après les récits mitigés de celles qui avaient

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Chapitre 2 Les facteurs influant sur le choix du lieu de l'accouchement

accouché à l'hôpital, Fernanda a pu en entendre d'autres, plus convaincants : « D'autres

amies ont accouché dans des maisons de naissance et sont revenues enchantées, du

traitement, de tout quoi. Et voilà, ça s'est établi comme ça, gentiment, sans que j'aie

besoin d'y penser, avant même de concevoir de faire un enfant, quoi. C'était déjà

décidé. ». Aux yeux des femmes enceintes, les récits de naissance de leur entourage

constituent aussi de précieuses ressources pour choisir la sage-femme qui va les

accompagner ou l'hôpital dans lequel elles vont accoucher : « J'en avais entendu

tellement de bien, tout le monde trouvait que c'était le meilleur hôpital, en tous cas il

fallait pas aller au Grand Hôpital parce que c'était l'industrie, il y avait trop de monde

et cætera, et puis qu'à X, c'était justement une plus petite structure » (Vanessa, GH, a

choisi X pour ses deux premiers accouchements).

D'après mes discussions avec elles, les femmes enceintes sont souvent confrontées lors

de leur grossesse à des récits de naissance alarmistes : « Du moment où vous avez envie

d'avoir un enfant et que vous interrogez les femmes qui ont eu des enfants, tout le

monde parle, très vite. Vous avez même des informations que vous n'avez pas envie

d'avoir. [...] On a tout. Et plusieurs fois, si possible, parce qu'elles veulent être sûres

que tu as bien entendu à quel point c'était horrible. » (Davina, GH). En les maintenant

dans l'idée qu'accoucher est un acte très risqué, ces récits de naissance contribuent à

renforcer l'ordre selon lequel le « savoir faisant autorité » est attribué au modèle

technocratique. De manière générale, dans le discours biomédical dominant,

l'accouchement n'est pas présenté comme un acte qu'une femme peut accomplir par elle-

même, sans aucune intervention extérieure. Cette idée semble modeler efficacement la

manière dont les femmes enceintes envisagent la naissance, puisque la grande majorité

d'entre elles n'imagine pas d'accoucher sans un dispositif biomédical autour d'elles. De

l'avis de la plupart des femmes qui ont participé à ma recherche et qui ont opté pour un

accouchement en milieu hospitalier, un accouchement exige en effet impérativement un

degré minimal d'interventions médicales, même si elles ne semblent pas toujours avoir

une idée précise des interventions en question. Je reviendrai ultérieurement sur ce point

(voir infra pp. 103-111).

On peut constater que les récits de naissance pèsent fortement sur les représentations

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

des femmes enceintes autour de l'accouchement et exercent une influence cruciale sur

leurs choix de naissance. Cependant, les femmes ayant choisi d'accoucher hors de

l'hôpital sont clairement moins influencées par les récits à caractère alarmiste renforçant

l'idée que l'accouchement est un acte hautement risqué. On peut supposer qu'elles

choisissent de ne pas y prêter attention pour préserver leur choix de naissance. Plusieurs

m'ont dit, par exemple, éviter d'en parler avec quelqu'un qu'elles savent peu ouvert à

cette pratique. Certaines décident de mentir à leur entourage, qui ne découvrira leur lieu

d'accouchement qu'à posteriori. Par ailleurs, les femmes qui choisissent d'accoucher

hors de l'hôpital se réfèrent à des récits de naissance non-hospitalocentrés et

promouvant une vision positive de l'accouchement, très différente de celle axée sur les

risques habituellement véhiculée. En accouchant chez elles, ou en maison de naissance,

elles savent qu'elles ne seront soumises à aucun protocole normatif et qu'elles disposent

d'une grande marge de manœuvre dans le déroulement de leur accouchement. En

revanche, les femmes enceintes accouchant à l'hôpital ne cherchent pas à avoir accès à

de tels récits, sachant que, pour leur part, elles vivront une expérience relativement

formatée.

Pour conclure, les récits de naissance sont utilisés par les femmes pour les aider dans

leur choix, mais aussi pour les soutenir, une fois ceux-ci effectués. Les femmes

enceintes apprennent à utiliser ces récits à bon escient : elles effectuent un tri parmi

ceux-ci, afin de ne conserver que ceux qui les confortent dans leur décision. Il en est de

même en ce qui concerne leur rapport à l'information, comme je vais le montrer

maintenant.

3.2. Le rapport au risque et à l'information

Comme le souligne Burton-Jeangros, « être enceinte est une expérience mettant en jeu

des rapports à l'information et aux risques de manière très intime » (2010 : 177). Les

informations délivrées aux femmes enceintes portent majoritairement sur l'anticipation

des risques. Elles sont donc amenées à se positionner par rapport à cette masse

d'informations, du reste pas toujours cohérentes. À ce sujet, la plupart des femmes que

j'ai rencontrées évoquent la nécessité de trier les informations, selon des critères

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Chapitre 2 Les facteurs influant sur le choix du lieu de l'accouchement

objectifs – déterminer leur fiabilité, mais aussi des critères subjectifs – choisir celles que

l'on souhaite recevoir ou non. Burton-Jeangros évoque à ce propos un « continuum

d'attentes » par rapport à l'information liée à la prévention des risques. Différentes

postures sont adoptées, certaines préfèrent « tout savoir », d'autres mettent en avant le

caractère anxiogène des informations concernant la prévention des risques et préfèrent

s'en tenir éloignées. Elles choisissent par exemple de ne pas lire les informations liés

aux pathologies de la grossesse : « Les sujets que j'ai vraiment pas du tout lu, c'est par

rapport aux maladies et tout ça. Je me disais, j'avais pas envie de savoir tout ce qui

pouvait se passer, parce que ça m'aurait fait peur. » (Joëlle, GH). Pour certaines, il est à

l'inverse rassurant de penser détenir toutes les informations, afin de contrôler au mieux

leur grossesse. La détention d'informations peut procurer un sentiment de contrôle, et le

cas échéant, permet d'opérer ses choix thérapeutiques en toute connaissance de cause.

L'investissement déployé dans la recherche d'informations peut ainsi potentiellement

permettre aux femmes enceintes de participer activement aux prises de décisions

médicales et d'user de leur libre-arbitre. Pour effectuer un tri parmi les différents tests

proposés, Anne-Laure (M de N), par exemple, s'est basée sur un livre écrit par une

sage-femme indépendante qui explique précisément en quoi consistent ces tests. Elle

avait ainsi les moyens d'user de son libre-arbitre en acceptant ou non les tests proposés

par son gynécologue : « Moi, ça m'a permis de me réapproprier en fait un peu plus des

choix. Il y a une certaine connaissance de ce dont on parle, de pas être dans un terrain

totalement inconnu, et puis là, faut faire, parce que le médecin a dit. ».

Confrontées parfois malgré elles aux informations concernant la prévention des risques,

les femmes enceintes sont en quelque sorte forcées d'établir leur propre typologie des

risques et de décider de la manière dont elles jugent adéquat de les gérer. Dès leur entrée

dans la grossesse, les femmes enceintes éprouvent une forte responsabilité vis-à-vis du

fœtus qu'elles portent : « C'est vraiment moi qui ai la responsabilité de cette autre vie

qui grandit. Ça, c'est une autre dimension, tu vois, ça donne un... Je sais pas comment

dire, un rapport à la vie un peu différent. » (Mathilde, hôpital). Les femmes enceintes

acceptent donc sans difficulté de modifier leur mode de vie. De plus, la grossesse étant

perçue dans notre société comme un processus fragile et soumis à de nombreux risques,

elles préfèrent mettre « toutes les chances de leur côté » – cette expression est revenue

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

très fréquemment dans les propos de mes interlocutrices – en évitant tout comportement

jugé « à risque » du point de vue du discours dominant. Ce parti-pris influence leurs

choix de naissance, mais également la manière dont elles choisissent de gérer la

prévention des risques tout au long de leur grossesse. Les consignes alimentaires visant

à éviter des maladies spécifiques, potentiellement dangereuses pendant la grossesse

(toxoplasmose, listériose) sont très bien assimilées par les femmes enceintes, bien

qu'elles déplorent souvent leurs imprécisions. Certaines femmes sont ainsi très

angoissées à l'idée d'ingérer un aliment potentiellement dangereux et préfèrent se

renseigner auprès de leur gynécologue dès qu'elles ont une hésitation : « Je faisais très

très attention pour le premier, parce que j'avais vraiment, j'étais psychosée. Je

mangeais pas de salade, enfin au début. C'était dur, je me disais mais je peux rien

manger, c'est horrible. Je me demandais comment je pouvais nettoyer une orange, enfin

tous les trucs. Ça devenait vraiment extrême. Parce que je comprenais pas, la

toxoplasmose, ou bien la listériose... Enfin je posais des questions un peu débiles, j'étais

vraiment très très angoissée. » (Valérie, hôpital).

J'ai pu observer dans le cadre de ma recherche que la gestion des risques est souvent

présentée comme intuitive par les femmes enceintes. Elles attribuent la modification de

leurs habitudes, notamment alimentaires, à des choix que leur corps leur impose, sans

qu'elles aient à y réfléchir : « Alors depuis que je suis enceinte, je suis obligée de

manger très régulièrement et hyper sainement, sinon je suis malade. Donc je peux pas

me permettre de sauter un repas ou de sauter une collation, ou tout d'un coup de

manger trop épicé alors que j'ai pas l'habitude, ou de manger trop gras alors que j'ai

pas l'habitude, ou de me faire un dîner McDo, ça c'est fini. Parce que je suis malade

tout de suite. » (Davina, GH).

Dans leur quête de sécurité optimale, les femmes enceintes ont un rôle actif. Elles ne se

contentent pas d'absorber les informations véhiculées par l'éducation sanitaire et les

professionnel-le-s qui les suivent, mais font également preuve d'initiatives personnelles :

« Disons que je sais que tout ce que j'avale, tout ce que je mets sur ma peau, va être en

contact avec l'enfant, alors du coup, je suis hyper... On va pas dire parano, mais... Je

fais attention à manger bio, je fais attention à ce que, aux produits que... En fait, j'ai

jeté tous mes produits de beauté, par exemple. Et j'ai tout racheté, des trucs qui me

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Chapitre 2 Les facteurs influant sur le choix du lieu de l'accouchement

paraissent mieux, quoi. Moins chimiques. Les lessives, tout ce genre de choses, tout ce

qui est à la maison, en fait. » (Maëva, M de N). Certains interdits, comme l'alcool ou la

cigarette semblent de façon générale complètement intégrés. Quelques unes de mes

interlocutrices apportent une nuance à cette unanimité car elles considèrent que le bien-

être du fœtus étant directement lié à celui de celle qui le porte, mieux vaut se permettre

quelques écarts que de s'imposer des frustrations potentiellement nuisibles à leur futur

enfant : « J'essayais toujours de me dire, du moment que la mère est bien... C'est mieux

que je boive un demi-verre de vin et puis que je me sente bien, plutôt que je sois hyper

frustrée parce que j'aurais super envie de goûter et que je me l'interdis. » (Géraldine,

GH).

Quel que soit le lieu d'accouchement choisi, la notion de sécurité est centrale dans la

prise de décision. Pour celles qui ont elles-même opté pour un accouchement à l'hôpital,

il est évident que ce choix leur apparaît comme le plus sûr : l'accès direct aux soins et

technologies leur assure une intervention rapide pour pallier à toute éventualité. Les

femmes qui ont choisi d'accoucher au Grand Hôpital évoquent souvent l'existence du

service de néonatologie. Il est rassurant pour elles de savoir que leur enfant pourrait être

immédiatement pris en charge par ce service, s'il en avait besoin. Plusieurs d'entre elles

m'ont dit avoir choisi le Grand Hôpital parce qu'en cas de problèmes rencontrés à la

naissance, l'enfant y serait probablement transféré : « On se disait, on a tellement

entendu d'histoires où tout d'un coup il y a des complications, le bébé est transféré au

Grand Hôpital... Et puis pas forcément la maman. On s'est dit on a pas envie de vivre

ça quoi, on préférait être directement au Grand Hôpital. » (Joëlle, GH) Les femmes

enceintes, efficacement conditionnées par l'approche biomédicale, semblent adhérer à

l'idée selon laquelle un accouchement qui se déroule bien peut basculer à tout instant

dans la pathologie et qu'une naissance est un événement qui doit d'abord être envisagé

en terme de risques. En optant pour l'hôpital, elles anticipent les risques, mais aussi la

culpabilité qu'elles pourraient ressentir si elles avaient fait un autre choix. La

responsabilité de l'événement est remise entre les mains des professionnel-le-s.

Du point de vue des partisans de l'accouchement hors de l'hôpital, la définition du

risque est renversée : la structure hospitalière est considérée comme un facteur de

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

risques. Selon cette vision, les protocoles hospitaliers, appliqués de manière

systématique, ne tiennent pas compte de la physiologie propre à chaque parturiente. Les

corps sont donc contraints afin de respecter les normes en vigueur (Jacques, 2007). Le

choix d'un milieu non-médicalisé est alors considéré comme un gage de sécurité, car il

permet d'éviter les risques d'effets iatrogènes associés à la prise en charge hospitalière

de l'accouchement (Walsh, El-Nemer et Downe, 2008). Cette idée se retrouve dans le

discours de mes interlocutrices : « C'est la médecine qui donne quelque chose, et

ensuite il y a une complication. Mais la complication elle vient peut-être de cette

péridurale qu'ils ont donnée. Donc en fait la logique je trouve qu'elle est pas juste

quand on dit, ah mais à l'hôpital, on... S'il y a un problème, on peut sauver. L'hôpital, il

peut aussi donner des choses qui vont poser problème. » (Charlotte, AAD). La notion de

sécurité varie selon les choix de naissance des femmes et les modèles de soins auxquels

ceux-ci sont rattachés. Selon le modèle technocratique, l'hôpital est le seul lieu sûr pour

un accouchement. En revanche, les modèles holiste ou naturel, comme le modèle de

soins des sages-femmes, estiment que les pratiques hospitalières peuvent engendrer des

risques, et qu'à ce titre, accoucher à l'hôpital n'est pas une garantie de sécurité. Selon

cette vision, d'autres lieux peuvent donc s'avérer aussi sûrs que l'hôpital pour un

accouchement.

La notion de sécurité comporte également une dimension émotionnelle. Certaines de

mes interlocutrices m'ont confié qu'elles ne se sentaient pas en sécurité dans un hôpital :

« Étonnamment, je ne sais pas pourquoi, à l'inverse de la plupart des gens, je ne me

sens pas du tout en sécurité dans un hôpital. » (Maëva, M de N). La notion de sécurité

est subjective, sa définition varie fortement d'une femme à l'autre. Cependant, quel que

soit le lieu de naissance choisi, il est crucial pour toutes mes interlocutrices d'accoucher

là où elles se sentent en sécurité selon leurs critères propres. Pour celles d'entre elles

ayant choisi d'accoucher hors de l'hôpital, se sentir en sécurité, c'est souvent avoir

l'assurance qu'elles ne seront pas soumises à des interventions médicales contre leur

gré : « Je pense que pour accoucher, il faut un certain lâcher-prise que j'aurais pas

dans un hôpital, parce que je serais tout le temps en train de surveiller ce qu'ils me font.

[...] Et puis, je pense pas qu'on arrive à accoucher tranquillement comme ça, quoi : en

se méfiant et dans la peur. » (Maëva, M de N). Parfois, une mauvaise expérience

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Chapitre 2 Les facteurs influant sur le choix du lieu de l'accouchement

hospitalière oriente le choix de ne pas accoucher à l'hôpital, comme c'est le cas pour

Fernanda (M de N) qui, dans le cadre d'un avortement, a été insatisfaite des soins qu'elle

a reçu : « J'étais ressortie très mal de l'hôpital, j'avais pas aimé le peu d'attention,

d'écoute qu'il y avait vis-à-vis des professionnel- le-s. ». Le choix d'un lieu de naissance

plutôt qu'un autre ne dépend pas que de critères objectifs et rationnels, la part affective

n'est pas négligeable dans le processus de décision (Walsh, El-Nemer et Downe, 2008).

Parfois, la décision se prend en visitant le lieu, parce que la femme enceinte ou les

futurs parents ont le sentiment d'avoir trouvé l'environnement qui leur convient le

mieux, celui dans lequel ils peuvent facilement se projeter (Walsh, 2009) : « J'étais

enceinte et on a été voir des amis qui venaient d'accoucher à Aigle. Et on a vu que le

papa pouvait rester là. Il avait un lit, ils étaient les trois dans la chambre et tout. Et ça,

ça nous a complètement séduits avec Raphaël. Et ça a été l'argument principal. On est

sortis de là, j'ai dit à Raphaël tu trouves pas que c'est génial, il a fait oh ouais c'est

vraiment bien. » (Mathilde, hôpital).

En dehors des renseignements obtenus auprès des professionnel-le-s de la naissance qui

les suivent ou de leur entourage, mes interlocutrices utilisent de multiples sources pour

puiser leurs informations concernant la grossesse et l'accouchement, auxquelles elles

n'accordent pas la même crédibilité. Elles portent notamment un regard très critique sur

les informations obtenues sur internet : « Internet c'est un peu agaçant, parce qu'on...

Dès qu'on tape quelque chose, on arrive vite sur des blogs... de femmes, des forums, où

il y a, on se dit voilà, j'ai ça... puis parfois c'est vite un peu, ça part dans tous les sens,

quoi. L'information elle est difficile à, je trouve qu'il faudrait vraiment faire le... »

(Charlotte, AAD). Mes interlocutrices se montrent donc très méfiantes concernant les

informations diffusées directement relatives à la grossesse. Elles considèrent internet

comme un outil utile, mais plutôt pour accéder à des renseignement pratiques, par

exemple pour trouver un cours de préparation à la naissance spécifique. Elles n'y vont

en général que ponctuellement, pour obtenir une information précise qui ne figurerait

pas dans les autres sources qu'elles consultent.

Certains livres, en revanche, sont considérés comme des références fiables. Ils se font

alors le relais du gynécologue, notamment dans la diffusion d'informations relatives à

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

l'anticipation des risques. Les femmes enceintes les consultent pour répondre à une

interrogation précise plutôt que de contacter celui-ci. Toutes mes interlocutrices ont

consulté des ouvrages destinés aux femmes enceintes, mais elles lisent beaucoup plus

lors d'une première grossesse. Elles recherchent alors principalement des informations

concernant le développement du fœtus qu'elles portent ou des conseils pratiques pour

gérer les inconforts sans gravité qui peuvent survenir lors d'une grossesse. Leurs

lectures peuvent également se substituer au gynécologue pour les rasséréner, en les

assurant que les sensations qu'elles éprouvent sont bien conformes à celles décrites par

les auteur-e-s par rapport au stade d'avancement de leur grossesse. La plupart des

femmes enceintes de leur deuxième ou troisième enfant n'éprouvent plus le besoin de

lire quoi que ce soit : « J'en ai lu beaucoup quand j'étais enceinte la première fois,

suivre l'évolution et tout ça j'ai fait beaucoup. Et puis pas du tout cette fois, parce que

j'ai pas le temps, en fait. » (Vanessa, GH). Les ouvrages cités par mes interlocutrices

varient sensiblement en fonction de leur lieu d'accouchement. Pour celles qui ont choisi

l'hôpital, le célèbre livre de Laurence Pernoud, J'attends un enfant, est souvent cité. Les

brochures distribuées par leur gynécologue sont aussi perçues comme des sources sûres.

Les femmes enceintes se montrent parfois réticentes à cumuler les lectures différentes,

de peur d'être confrontées à des avis divergents, ce qui pourrait les déstabiliser. Ainsi,

Alice (AAD) préfère rejeter toute littérature destinée aux femmes enceintes, à ses yeux

remplie d'injonctions en tout genre émises par leurs auteurs : « Ils savent ce qu'il faut

pour toi, ils savent ce qui est le mieux et j'ai pas envie d'être influencée, donc non, je ne

lis pas de trucs et je me laisse vivre ma grossesse comme ça. ». Mes interlocutrices

accouchant hors de l'hôpital privilégient les ouvrages non-hospitalocentrés et qui traitent

de leur choix de naissance. Souvent moins orientées sur les aspects techniques et

pratiques de la grossesse, elles attendent aussi de leurs lectures une dimension plus

théorique. Celles-ci traitent spécifiquement de leur choix de naissance et leur suggèrent

par exemple des pistes pour aborder la question de la douleur de l'accouchement de

manière plus positive qu'elle ne l'est habituellement dans le discours dominant.

D'après ma recherche, il semble que le type d'information recherché varie en fonction

du lieu de naissance choisi. Les femmes qui vont accoucher à l'hôpital sont plus

interpellées par les informations liées à la gestion des risques, tandis que celles

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Chapitre 2 Les facteurs influant sur le choix du lieu de l'accouchement

accouchant hors de l'hôpital semblent pour leur part davantage portées sur des lectures

moins pragmatiques, liées à leur choix de naissance. Celles-ci se montrent plus actives

dans leurs choix de lectures : plutôt qu'un ouvrage largement plébiscité par les

usagers/ères comme par les professionnel-le-s, elles recherchent des lectures qui leur

correspondent personnellement. Elles déplorent d'ailleurs souvent leurs difficultés à

trouver des ouvrages qu'elles estiment adaptés.

Par ailleurs, en ce qui concerne spécifiquement le choix de naissance, j'ai pu constater

que l'accès à l'information est loin d'être facilité pour celles qui souhaiteraient s'éloigner

du modèle dominant. On obtient aisément toutes les informations que l'on souhaite

concernant la prévention des risques, par exemple, parce que ce type d'informations

renforce le modèle technocratique. À ce sujet, les femmes accouchant hors de l'hôpital

désignent souvent le manque d'accès à l'information comme une raison déterminante

expliquant que leur choix de naissance ne soit pas plus répandu : « Je pense que c'est

quand même beaucoup un manque d'information des femmes, c'est-à-dire que... Moi,

j'ai fait ça, j'ai toujours cherché un peu plus ce qu'on faisait sur le côté de l'autoroute,

donc voilà j'ai fait ma démarche, mais ça m'a demandé un effort, quoi, de me

renseigner... C'est pas l'autoroute en fait. Si t'as pas l'envie et pas le temps de chercher

comment on fait différemment, voilà, tu fais comme on te dit qu'on fait normalement. »

(Julie, M de N). Dans le cadre de la prise en charge de la grossesse, rien n'est fait pour

donner l'idée aux femmes qui ne l'auraient pas eue par elles-mêmes, qu'il est possible

d'accoucher ailleurs et autrement que dans un hôpital. Il m'est en effet apparu au fil de

mes rencontres avec des femmes enceintes accouchant à l'hôpital, que celles-ci sont

souvent très mal informées sur la possibilité d'accoucher hors de l'hôpital. Lorsqu'elles

le sont, c'est en général par une personne de leur entourage ayant fait ce choix de

naissance, et jamais par leur gynécologue. Lors de nos rencontres, elles ont par contre

souvent manifesté de la curiosité à l'égard de ces pratiques, ce qui appuie l'hypothèse

selon laquelle davantage de femmes seraient tentées par ce choix de naissance, si elles

bénéficiaient d'une meilleure information à ce sujet.

En outre, il apparaît clairement dans ma recherche que les femmes enceintes se sentent

les premières responsable de la santé de leur futur enfant. Leur comportement tout au

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

long de leur grossesse, ainsi que leurs choix de naissance, sont guidés par ce sentiment

de responsabilité, mais aussi par l'anticipation de la culpabilité qu'elles éprouveraient si

le fœtus qu'elles portent présentait des anomalies ou rencontrait des difficultés, que ce

soit au cours de la grossesse ou au moment de l'accouchement. Or les femmes enceintes

ne sont pas les seules actrices agissant autour de leur grossesse, elles sont suivies par

des professionnel-le-s, tenu-e-s de surveiller le développement du fœtus. Le

comportement de leur entourage et plus particulièrement de leur partenaire peut

également influer sur leur grossesse. La responsabilité du bon déroulement de la

grossesse se partage donc entre différentes personnes. Enfin, la grossesse et

l'accouchement, comme tout processus corporel, comportent une part d'imprévisible.

Dans ces circonstances, on peut se demander pourquoi les femmes enceintes tendent à

s'attribuer à elles seules tout le poids de la responsabilité.

3.3. Les notions de contrôle et d' « expérience de la naissance »

D'après Viisainen, la signification accordée par les femmes à la notion de contrôle varie

en fonction du choix de leur lieu de naissance. Il établit une distinction entre un contrôle

« interne » que l'on peut exercer sur son corps et ses émotions, et un contrôle « externe »

lié à la maîtrise de son environnement, qui se traduit par la capacité à prendre des

décisions éclairées concernant son accouchement et par la qualité des interactions avec

les professionnel-le-s de la naissance (Viisainen, 2001 : 1119). D'après lui, les femmes

qui accouchent à domicile recherchent plutôt à exercer ce contrôle « externe ». C'est ce

qui leur permet de mener à bien leur projet d' « accouchement naturel ». Les choix

qu'elles ont opérés en amont de la naissance afin de s'assurer d'avoir l'environnement

adéquat leur donnent un sentiment de contrôle sur les conditions dans lesquelles celle-ci

va se dérouler. C'est précisément ce sentiment de contrôle qui leur permettra, le moment

venu, d'accepter de lâcher prise et de s'abandonner au processus corporel de la

naissance. (Viisainen, 2001).

En revanche, pour les femmes ayant choisi d'accoucher à l'hôpital, la possibilité

d'exercer un contrôle externe sur le déroulement de leur accouchement est fortement

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Chapitre 2 Les facteurs influant sur le choix du lieu de l'accouchement

restreinte par l'organisation hospitalière. Par exemple, elles ne peuvent pas choisir les

professionnel-le-s qui s'occuperont d'elles au moment de leur accouchement. C'est donc

plutôt sur le contrôle interne qu'elles misent afin que leur accouchement se déroule au

mieux. Dans cette optique, elles perçoivent la péridurale comme une aide pour parvenir

à contrôler leur comportement. Les exercices de respiration sont aussi jugés utiles à

cette fin. À l'hôpital, les femmes peuvent ressentir une certaine injonction à conserver

un comportement socialement attendu par l'institution hospitalière, afin notamment de

ne pas perturber l'activité des professionnel-le-s. Mais leur désir de contrôle est

également lié à leur envie de vivre leur accouchement de manière active et d'accueillir

leur enfant dans la sérénité. Je reviendrai ultérieurement sur cette idée (voir infra

pp. 112-114).

En milieu hospitalier, il peut cependant également être important pour certaines femmes

de pouvoir exercer un contrôle externe sur leur accouchement, dans la mesure du

possible. Leur rencontre avec une sage-femme conseillère de l'établissement choisi leur

permet par exemple de se renseigner précisément sur les protocoles hospitaliers et les

gestes médicaux, afin de spécifier lesquels elles souhaiteraient ou non éviter dans un

dossier de naissance : « J'ai vraiment dealé le protocole hein à Y. Ah ouais j'ai dit que

j'aimerais que tous les gestes médicaux, péridurale, épisiotomie, césarienne, tous ces

types de gestes soient discutés avec nous avant. » (Mathilde, hôpital). Cette rencontre

est donc l'occasion d'exprimer plus largement leurs attentes et leurs envies concernant la

prise en charge de leur accouchement. Il semble rassurant pour elles de savoir que lors

de leur arrivée, les membres du personnel hospitalier en service à ce moment-là

pourront prendre connaissance de ce dossier et se faire une idée de leur situation, s'ils ne

les ont jamais rencontrées auparavant : « Je sais que quand j'arrive, il y a mon dossier

normalement qui est prêt. Donc ça, ça rassure un petit peu. » (Émilie, GH). Le dossier

de naissance est donc destiné à leur garantir l'exercice d'un contrôle externe sur leur

accouchement.

Elles se montrent cependant peu optimistes quant au suivi de leur dossier : « À quel

point c'est suivi j'en sais rien : c'est des êtres humains. Si moi, admettons, je demande

une césarienne et que je tombe sur une sage-femme qui est un peu contre la césarienne

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

parce qu'elle estime que non, on pourrait quand même essayer... Enfin voilà. Donc je

suis pas complètement convaincue que ça va être suivi. » (Davina, GH). De manière

générale, mes interlocutrices font preuve d'un certain fatalisme. Elles considèrent que le

déroulement d'une naissance comprend intrinsèquement une part d'incertitude, qui

constitue une limite au contrôle qu'elles peuvent exercer sur cet événement. Elles

acceptent à ce titre que leurs désirs ne seront peut-être pas du tout suivis, selon la

tournure que prendra leur accouchement.

Par ailleurs, mes interlocutrices ont souvent une vision si radicale de la prise en charge

de l'accouchement à l'hôpital, qu'elles ne peuvent qu'être agréablement surprises en

discutant avec la sage-femme conseillère ou en visitant les locaux : « Je pensais que ce

serait plus une chambre... plus d'opération, avec des machines, des trucs un peu

impressionnants, et en fait c'est une salle banale, où il y a un lit, une baignoire, puis il y

a pas trop d'appareils qui peuvent t'impressionner. » (Joëlle, GH). Les questions posées

lors de leur rencontre avec la sage-femme conseillère de la maternité attestent également

de leur peu d'exigences : « J'ai juste demandé si c'était à nous, enfin si nous à la base

on pouvait choisir plus ou moins les positions. Enfin, c'est clair qu'elles sont là pour

nous conseiller. Mais si en gros on avait quelque chose à dire ou pas, en fait, c'était

juste ça que je voulais savoir. » (Géraldine, GH). En choisissant d'accoucher à l'hôpital,

les femmes enceintes se résignent à accepter la prise en charge prévue, même si celle-ci

doit les cantonner à un rôle passif. Par comparaison avec ce qu'elles avaient imaginé, la

marge de manœuvre qui leur est laissée leur paraît tout à fait satisfaisante. Le désir de

connaître l'environnement dans lequel elles vont accoucher, bien qu'elles ne soient pas

en mesure d'agir directement dessus, atteste là aussi de leur volonté d'exercer un

contrôle externe sur leur accouchement.

Même si globalement, elles semblent plutôt miser sur un contrôle interne, ces différents

exemples montrent que les femmes accouchant à l'hôpital tentent elles aussi d'exercer

un contrôle externe sur leur accouchement. Cependant, dans le cas d'un accouchement

hors de l'hôpital, où les femmes peuvent agir librement sur leur environnement, ce

contrôle externe s'exprime de manière plus évidente. En outre, mes interlocutrices ayant

prévu d'accoucher hors de l'hôpital ne négligent pas leurs possibilités d'exercer un

contrôle interne non plus. Plusieurs d'entre elles se préparent à la naissance en

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Chapitre 2 Les facteurs influant sur le choix du lieu de l'accouchement

pratiquant le yoga ou la méditation, techniques qui visent à agir sur leur propre

comportement. D'après ma recherche, quel que soit leur lieu de naissance, les femmes

cherchent donc à produire un contrôle, interne et externe, sur leur accouchement, mais

ce contrôle est géré différemment selon le lieu de naissance qu'elles ont choisi et les

possibilités d'action que celui-ci leur laisse.

Beech et Phipps suggèrent que la tendance à traiter la femme enceinte et le fœtus

comme deux entités distinctes, dont les intérêts ne sont pas forcément les mêmes, incite

à minimiser l'importance accordée à l'expérience de la naissance du point de vue de la

mère, le bien-être de l'enfant étant considéré comme plus important que le sien (2008).

Elles contestent l'idée largement répandue selon laquelle il est suffisant d'avoir un enfant

en bonne santé pour que les femmes soient satisfaites, abstraction faite du déroulement

de la naissance, et estiment que la façon dont celle-ci se déroule a un impact important

sur l'existence des femmes. Qu'il s'agisse d'une expérience positive ou négative, la

naissance d'un enfant est généralement perçue comme un événement déterminant de la

vie d'une femme. Si une mauvaise expérience peut durablement déstabiliser, en

revanche, une expérience positive exercera une influence bénéfique à long terme sur

l'existence de la nouvelle mère, sa confiance en elle et sa relation avec son enfant.

L'importance accordée à l'expérience de la naissance en elle-même est influencée par les

représentations des femmes enceintes autour de la naissance : les femmes qui ont choisi

d'accoucher hors de l'hôpital ont plus tendance à avoir des représentations positives

autour de la naissance, elles ont plus d'attentes et sont davantage sensibles à la notion

d'« expérience de la naissance » (ma traduction de « birth experience »).

D'après mes entretiens, les femmes qui accouchent à l'hôpital y accordent en revanche

peu d'importance, elles ont plutôt tendance à ne se concentrer que sur le résultat, c'est-à-

dire la naissance d'un enfant que l'on espère en bonne santé : « Pour moi, au final,

c'était plutôt que l'enfant bein il, l'enfant et la mère en sortent indemnes, quoi. C'était

vraiment ça le plus important. » (Géraldine, GH). Selon le modèle technocratique, la

naissance est plutôt évaluée sous un angle quantitatif (score d'Agpar, poids et taille du

nouveau-né). Plutôt que la qualité de l'expérience de la mère, c'est la qualité de l'enfant

qui est ainsi appréciée.

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

Les femmes enceintes qui ont prévu d'accoucher hors de l'hôpital manifestent en

revanche des attentes plus élevées : « Bien sûr, j'ai des attentes. Je sais pas, dans les

livres qu'on lit, que je lis... Je lis souvent que... Que ça peut, que l'accouchement, ce

moment-là, ça peut être transcendant, que c'est un moment... Je sais pas, il y a

beaucoup de témoignages qui en parlent comme le plus beau jour de leur vie, ou...

Donc oui, j'ai pas mal d'attentes, effectivement » (Fernanda, M de N). La plupart de mes

interlocutrices ont évoqué des besoins de calme et d'intimité, qui constituent pour elles

des conditions indispensables pour vivre une expérience positive. Le choix d'accoucher

hors de l'hôpital leur garantit la présence d'une professionnelle choisie par leurs soins,

qu'elles connaissent et dont l'approche thérapeutique leur convient. Julie (M de N)

exprime ainsi ses différents besoins : « Avoir une personne de confiance, que tu

connais, qui est là, qui te connaît, que tu n'auras pas à la maternité... Cette personne

ressource, on va dire, qui t'a suivie, qui connaît ton histoire. Et le lieu lui-même, c'est

tout bête, mais ça l'est pas tant que ça. Pour une naissance, des matières chaleureuses,

[...] une salle de bain confortable, une baignoire, un lieu où tu es tranquille, avec la

sage-femme et ton compagnon, s'il est là. Donc l'environnement lui-même, quoi, avoir

un nid, quoi, un petit nid intime, de l'intimité. De l'intimité, c'est très important. » Hors

de l'hôpital, le futur père dispose d'une plus grande marge de manœuvre : pour certaines

femmes, c'est aussi une raison qui justifie leur choix de naissance. Elles souhaitent que

leur partenaire puisse lui aussi jouer un rôle actif dans leur accouchement : « Je suis

contente qu'il puisse être là, et être actif, en fait. Alors qu'à l'hôpital, pas. Ils les mettent

dans un coin et puis ils font pschit pschit avec le brumisateur, et puis... c'est ça. Là, je

suis contente... je pense que c'est important, quoi. Même pour lui, pour sa relation avec

l'enfant, plus tard, je pense que c'est des liens, ça s'oublie pas, quoi. » (Maëva, M de N).

Mes interlocutrices accouchant hors de l'hôpital perçoivent leur accouchement comme

un moment particulièrement intense et intime de leur existence, qu'elles désirent vivre

d'une manière qui leur ressemblent et qui leur soit unique. Elles refusent d'accoucher à

l'hôpital parce qu'elles ne veulent pas se voir imposer un comportement normatif et

insistent particulièrement sur la nécessité de pouvoir agir selon leurs besoins et leurs

envies le moment venu. Même si elles n'ont généralement pas d'attentes bien précises, la

notion d' « expérience de la naissance » est importante à leurs yeux.

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Chapitre 2 Les facteurs influant sur le choix du lieu de l'accouchement

3.4. Autres facteurs

Pour certaines femmes, des motivations purement pragmatiques entrent également en

ligne de compte dans leur choix, comme la proximité géographique de l'établissement

choisi et la facilité de son accès pour les visites de leur entourage : « Du moment que

c'est plus facile pour moi, c'est à côté de chez moi, aussi pour les gens. Ils peuvent venir

facilement te rendre visite, t'as pas besoin de prendre la bagnole pour aller... »

(Géraldine, GH). Dans le même ordre d'idée, d'autres femmes préfèrent accoucher à

l'hôpital en raison de la prise en charge globale qui leur sera fournie durant les quelques

jours qui suivent l'accouchement. Elles apprécient de pouvoir s'en remettre au personnel

hospitalier pour la gestion de la vie quotidienne : « C'était aussi l'aspect d'être prise en

charge, que quelqu'un vous fasse les repas... » (Dörte, GH). L'hôpital est alors parfois

envisagé comme un hôtel, leur fournissant une pension complète. Mes interlocutrices

apprécient aussi particulièrement d'avoir en permanence des professionnel-le-s à

disposition durant quelques jours après l'accouchement, prêts à intervenir en cas de

besoin ou à répondre à leurs questions concernant les soins à donner au nouveau

né : « C'était aussi pour des questions... Pour avoir la tête un peu libre, parce que je me

dis si j'ai une question, s'il y a quelque chose qui va pas, si moi ou le bébé on a mal... »

(Marylène, hôpital). Cependant, lors d'un accouchement à domicile ou en maison de

naissance, des professionnel-le-s se tiennent également à disposition des nouvelles

mères durant les quelques jours qui suivent l'accouchement. Là encore, l'ignorance de

mes interlocutrices est attribuable à la mauvaise diffusion d'informations concernant

l'accouchement hors de l'hôpital.

En conclusion, il apparaît clairement dans le cadre de ma recherche que les attentes des

femmes concernant leur accouchement diffèrent en fonction de leur choix de naissance.

Comme le dit Walsh, « la focalisation sur la sécurité et les complications potentielles qui

peuvent apparaître à la naissance est caractéristique du modèle technocratique de la

naissance » (ma traduction, 2009). Bien que la question de la sécurité joue un rôle

considérable dans leur prise de décision, les femmes qui ont participé à ma recherche

ayant opté pour un accouchement hors de l'hôpital accordent de l'importance à d'autres

critères, liés notamment à la notion d' « expérience de la naissance», jugés moins

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

rationnels par les partisanes de l'accouchement à l'hôpital. On peut constater que les

considérations plus « pragmatiques », tel que la distance géographique ne concernent

que les femmes ayant choisi d'accoucher à l'hôpital : aucune femme ne m'a dit avoir

choisi d'accoucher chez elle parce que cela lui évitait de se déplacer. Ce constat appuie

l'hypothèse selon laquelle les femmes qui choisissent d'accoucher à l'hôpital accordent

moins d'importance à l'expérience de la naissance en tant que telle. Outre les différents

facteurs que j'ai évoqués dans ce chapitre, le choix du lieu de l'accouchement s'articule

avec une philosophie de vie plus générale, notamment concernant la manière dont le

rapport à la santé est envisagé. C'est entre autres ce que je vais montrer dans le chapitre

suivant.

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Chapitre 3

L'impact du choix du lieu de l'accouchement sur l'expérience de la grossesse

En choisissant un lieu de naissance, on choisit aussi un certain type d'accompagnement

et de suivi de grossesse. En fonction de leurs choix de naissance, les femmes enceintes

reconnaissent la détention du « savoir faisant autorité » à des acteurs différents,

rattachés à des systèmes de croyances différents. Dans ce chapitre, je m'intéresserai

d'abord à l'articulation entre le choix du lieu de naissance et le rapport à la biomédecine

en général. Concrètement, leur choix de naissance peut influencer les prises de décisions

thérapeutiques des femmes enceintes et la manière dont elles vivent les tests et examens

qui interviennent au cours de leur suivi de grossesse. J'évoquerai ensuite leurs attentes

concernant leur suivi de grossesse, ainsi que la façon dont elles envisagent leurs

relations avec les professionnel-le-s de la naissance qui les entourent, en me concentrant

plus particulièrement sur les questions de la transmission d'informations et des rapports

de pouvoir. Enfin, la dernière partie de ce chapitre sera consacrée aux pratiques mises en

place par les femmes enceintes en vue de se préparer à l'accouchement.

1. Le rapport à la biomédecine et aux techniques

Comme je l'ai déjà dit, parmi les femmes ayant planifié une naissance à l'hôpital,

quelques-unes semblent adhérer sans réserve au modèle technocratique ainsi qu'aux

pratiques biomédicales. Mais d'autres femmes accouchant à l'hôpital tendent plutôt à

porter un regard critique sur la biomédecine en général et particulièrement sur son usage

dans le cadre d'un accouchement. Elles questionnent la prise en charge biomédicale de

la naissance en relevant notamment qu'il s'agit d'une construction sociale : « On a fait

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

de l'accouchement un acte terriblement médicalisé. » (Davina, GH). Pour se soigner,

par exemple, la majorité de mes interlocutrices m'a dit avoir recours à des médecines

dites « alternatives », comme l'ostéopathie, l’acupuncture ou la naturopathie. Certaines

utilisent ces médecines ponctuellement, en complément d'une prise en charge

biomédicale de leur santé. D'autres, en revanche cherchent à se soigner exclusivement

de cette manière : « J'ai toujours évité l'hôpital, les médecins, l'allopathie. J'ai toujours

essayé de faire, je sais pas, par d'autres biais, d'autres types de... de modes de

concevoir la santé. » (Fernanda, M de N). Mais au-delà de la biomédecine en elle-

même, c'est la manière dont elle est pratiquée qui pose problème à Fernanda : « J'aime

pas ce rapport du professionnel qui n'explique pas à l'autre ce qui est en train de lui

arriver, qui lui dit, mais vous allez pas comprendre, faites-moi confiance. Enfin j'aime

pas ça, moi j'aime comprendre, je pense que j'en suis capable. Voilà, et puis de

sectionner, de dire, moi je suis professionnel, toi tu ne l'es pas, c'est paternaliste, c'est

un truc... C'est nous déposséder de notre corps, de ce qu'on vit. ».

Cependant, si la situation l'exige dans le cadre de leur grossesse, les femmes enceintes

acceptent d'avoir recours à des traitements biomédicaux qu'elles refuseraient si elles

n'étaient pas enceintes. Dans la mesure du possible, Mathilde ne consomme pas

d'antibiotiques. Elle accepte néanmoins d'y avoir recours dans le cadre de sa grossesse :

« Ça menaçait la possibilité que j'aurais d'accoucher dans une baignoire. Si t'as trop

d'infections ou de machins comme ça... Alors j'étais là OK, je veux bien faire cette

concession parce que j'aimerais bien accoucher sans péridurale. Alors je deale les

concessions que je fais. Parce qu'en fait, je me soigne à l'acupuncture, à la

phytothérapie, à l'homéopathie, et puis vraiment je suis contre la médecine comme elle

est pratiquée ici, même si je reconnais ses compétences et tout ça mais je... J'ai de la

peine aussi avec la façon autoritaire dont c'est exercé. » (Mathilde, hôpital). Les

négociations opérées par les femmes enceintes autour de leur usage de la biomédecine

sont basées sur des motifs stratégiques. Elles utilisent ainsi la technologie biomédicale

afin qu'elle serve leur propres objectifs, sans pour autant accepter l'idéologie qui est

derrière (MacDonald, 2007).

En outre, les femmes qui s'investissent particulièrement dans leur choix de naissance,

que ce soit en faisant la démarche d'accoucher hors de l'hôpital, ou en cherchant à se

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Chapitre 3 L'impact du choix du lieu de l'accouchement sur l'expérience de la grossesse

renseigner très précisément sur les protocoles hospitaliers autour de la naissance, ont

tendance à s'impliquer davantage dans la prise en charge de leur santé. À ce sujet,

Rachel (AAD) déplore une tendance générale des individus à se déresponsabiliser

vis-à-vis de leur santé et estime au contraire qu'il est important de prendre sa santé soi-

même en charge : « le fait de vraiment s'écouter, et puis d'être responsable de sa santé,

soi-même, sans compter sur le médecin, sans compter sur la pharmacie, d'être

responsable de son corps, d'être responsable de qui on est, de comment est-ce qu'on

veut tracer son chemin dans la vie ».

1.1. Les femmes enceintes face aux tests et examens médicaux

Les femmes que j'ai rencontrées ont toutes effectué un test de grossesse à domicile.

Seule l'une d'entre elles (Anne-Laure, M de N) m'a dit avoir été convaincue d'être

enceinte au point de téléphoner chez son gynécologue pour prendre rendez-vous avant

même d'avoir fait un test de grossesse à domicile. Cependant, il semblait à la plupart

évident que consulter un-e gynécologue est la première chose à faire lorsque l'on

découvre que l'on est enceinte. Plusieurs m'ont d'ailleurs dit qu'elles n'osaient pas se

réjouir avant que le/la gynécologue ne leur en donne en quelque sorte la permission.

Même si elles se sentaient enceintes physiquement et psychologiquement, elles ont eu

besoin de cette confirmation pour que les symptômes qu'elles ressentaient deviennent

valides. Le test de grossesse à domicile, puis la prise de sang effectuée chez le/la

gynécologue sont autant de validations objectives, car « scientifiques », des

manifestations jusque-là subjectives de leur grossesse. Comme le dit Quéniart, « le

savoir scientifique semble ici primer sur les connaissances expérimentales, intuitives ou

théoriques des femmes, voire même sur leur ressentir » (1988 : 27). Pour les femmes

qui ont choisi d'accoucher hors de l'hôpital, la question de la confirmation de la

grossesse et de l'entrée dans la grossesse montre bien le caractère ambigu de leur

rapport à la biomédecine. Même si, de manière générale, leur positionnement est plutôt

critique, lors de leur entrée dans la grossesse, elles ressentent généralement le besoin

d'obtenir cet aval médical.

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

Globalement, les femmes enceintes perçoivent la surveillance médicale rapprochée dont

leur grossesse fait l'objet comme la garantie d'un contrôle optimal sur le développement

du fœtus et l'assurance d'un enfant en bonne santé : « ...pas d'inquiétudes, non, ça va

parce que je suis bien suivie, enfin j'ai l'impression que la grossesse, elle est très très

suivie quoi, par le médecin. Et je pense que s'il y a quelque chose qui n'allait pas, on le

saurait quoi. » (Stéphanie, clinique). Pourtant, les résultats des tests et examens qui

jalonnent le suivi de grossesse sont souvent ambigus pour les femmes enceintes, d'abord

en raison de leur caractère provisoire : tout va bien pour l'instant, mais la situation peut

toujours évoluer ultérieurement. Isabelle (clinique), par exemple, se sent toujours

angoissée à l'approche de sa consultation mensuelle chez son gynécologue : « La

semaine avant d'avoir le rendez-vous : mon dieu est-ce que tout va bien, parce que je le

sens pas bouger, parce que ci, parce que ça... T'as toujours cette petite appréhension

jusqu'au jour J, où t'arrives et tu vois ton petit bébé qui fait juste un petit mouvement, et

puis tu écoutes son cœur, et puis ils te disent que tout va bien, quoi. Et puis une fois que

c'est ça, hop tu tiens pendant deux, trois semaines, puis après tu te dis, ah la semaine

prochaine, j'ai de nouveau rendez-vous. ».

D'autre part, l'interprétation des résultats d'un test n'est pas toujours évidente et relève

parfois de la subjectivité des patient-e-s. Dans le cadre du dépistage prénatal et de la

prise de décision de procéder ou non à une amniocentèse, le/la gynécologue laisse

souvent ses patientes seules juges : « dans un environnement encourageant l'autonomie

des patientes, ces décisions de nature éthique présentent la particularité de devoir être

assumées individuellement » (Burton-Jeangros, 2010 : 202-203). Les futurs parents

reçoivent un rapport de risque plus ou moins élevé que leur futur enfant soit atteint de

trisomie 21, et doivent trancher sur base de ce résultat s'ils estiment nécessaire de

procéder ou non à une amniocentèse. Selon les critères suisses, le résultat est

officiellement considéré comme « suspect », s'il est équivalent ou supérieur à 1/380

(Burton-Jeangros, Hammer, Manaï, Issenhuth-Scharly, 2010 : 31). Dans ce cas, le coût

de l'amniocentèse est pris en charge par l'assurance-maladie de base. Si le résultat

obtenu est inférieur à cette limite, la décision est particulièrement délicate pour les

futurs parents, étant donné que ce test induit des risques considérables de fausse couche.

Aucune des femmes qui ont participé à ma recherche n'a effectué d'amniocentèse, le

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Chapitre 3 L'impact du choix du lieu de l'accouchement sur l'expérience de la grossesse

pourcentage de risque étant toujours trop faible pour que la décision de faire le test

paraisse évidente, ou même que la question ne se pose. D'autres critères rentrent alors

en ligne de compte, comme l'âge. Ainsi, Dörte (GH) regrette de ne pas avoir fait

d’amniocentèse : « C'est que maintenant qu'on s'est dit, peut-être on aurait du dire, on

le fait quand même. Parce que j'ai quand même 37 ans et puis même si le premier

résultat du test dit qu'il y a un risque faible ou très faible, peut-être si maintenant je

devais... Peut-être j'aurais quand même dit je vais le faire. » Le risque n'est ici

représenté que par un rapport de probabilité, un résultat abstrait, mais les individus se

l'approprient : « On voit un enfant handicapé et on se pose quand même des questions,

qu'est-ce que je fais si ça m'arrive. » (Dörte, GH). Le risque se concrétise alors et

s'individualise.

Pour la plupart de mes interlocutrices, les tests médicaux auxquels elles sont soumises

génèrent du stress. La question du risque reste bien présente dans leur esprit et peut

entraîner un sentiment de vulnérabilité. Elles déplorent le caractère anxiogène de leur

suivi de grossesse, axé sur la prévention des risques : « C'est hyper stressant, à chaque

fois qu'on y va, il nous fait une prise de sang machin, on va voir s'il y a pas ci, on va

voir s'il y a pas ça... » (Maëva, M de N). De façon générale, les inquiétudes exprimées

par mes interlocutrices sont plutôt relatives à la santé du fœtus qu'elles portent, aucune

ne m'a fait part de craintes particulières concernant leur propre santé. Certaines d'entre

elles m'ont évoqué des angoisses concernant l'hypothétique anormalité de leur enfant.

Cependant, cette crainte n'est pas plus ou moins présente en fonction du lieu choisi pour

l'accouchement et semble uniquement liée, comme elles me l'ont dit elles-mêmes, à leur

âge qu'elles estiment relativement élevé pour une grossesse : « À un moment donné,

j'angoissais un peu, quoi. Disons qu'à partir de 34, t'es considéré comme une

grossesse... On va dire, déjà assez âgée, quoi. Donc à un moment donné, moi je me suis

vraiment posé la question de... Est-ce qu'il est normal, quoi? » (Delphine, AAD). Même

si leur choix de naissance les éloigne du modèle technocratique et de l'approche

biomédicale de la naissance, les femmes enceintes ne parviennent pas à s'émanciper des

normes qu'il véhicule, notamment relatives à l'âge à partir duquel une grossesse est

estimée plus risquée. Quel que soit leur choix de naissance, le discours médical est si

puissant qu'il modèle efficacement leur rapport au risque.

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

Le cas particulier de l'échographie

L'échographie est d'abord un examen médical visant à contrôler le bon déroulement de

la grossesse. Cependant, la charge émotionnelle qui lui est attribuée tend à éclipser sa

vocation initiale. Souvent, la première échographie correspond à une prise de

conscience de l'existence du fœtus : « En fait, à chaque fois ça rassure : on sait qu'il y a

bien un bébé, qu'on n'hallucine pas » (Rachel, AAD). Globalement, toutes les femmes

que j'ai rencontrées se sont montrées très enthousiastes à l'égard des échographies, qui

sont vécues comme des moments privilégiés de « rencontre » avec leur futur enfant :

« Ça rend les choses beaucoup plus réelles, oui. C'est... enfin moi je pleure toujours

pendant les échographies, j'ai toujours les larmes aux yeux, et c'est magique, quand

même, ce... cet espèce de truc, un gel tout froid sur le ventre, un petit appareil se balade

sur le ventre, et sur l'écran apparaît un bébé. Et ça c'est quand même incroyable. »

(Cécilia, AAD).

L'échographie correspond aussi à un moment privilégié dans la relation avec le/la

gynécologue, lors duquel ses qualités humaines peuvent s'exprimer, ce qui est très

apprécié par mes interlocutrices : « Il a toujours pris le temps aux échographies. Des

fois il nous laissait tout seuls pour qu'on puisse nous être avec le... Ouais qu'on puisse

partager des moments un peu que nous, il a toujours été très attentif. » (Joëlle, GH). Les

échographies sont perçues comme le temps fort des consultations, que certaines femmes

considèrent d'ailleurs explicitement comme des « rendez-vous » avec leur futur enfant :

« On disait pas tellement on va chez la gynéco, on disait on va voir le bébé, avec

Raphaël. » (Mathilde, hôpital). Toutefois, certaines de mes interlocutrices émettent des

réserves quant à l'innocuité des échographies : « Bein, c'était très partagé, parce qu'on

sait que c'est pas forcément génial, on sait pas, c'est des sonars de sous-marin, quoi.

Bon c'est pas dosé comme un sonar de sous-marin, mais ça a quel impact sur l'enfant,

quoi, après? » (Delphine, AAD). L'assurance-maladie de base ne prend en charge que

deux échographies : une au premier trimestre pour vérifier le positionnement du fœtus et

une échographie morphologique, au 2ème trimestre visant à contrôler que le fœtus ne

présente pas de malformations. Mais la plupart des femmes que j'ai rencontrées ont eu

bien plus d'échographies que le nombre recommandé, certaines en ayant à chaque

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Chapitre 3 L'impact du choix du lieu de l'accouchement sur l'expérience de la grossesse

consultation. Parfois, certaines femmes enceintes semblent d'ailleurs s'accommoder

d'une relation peu satisfaisante avec leur gynécologue pour cette raison. L'échographie

systématique s'apparente alors à une stratégie de fidélisation de la patientèle pour les

praticien-ne-s. Les femmes suivies par une sage-femme indépendante exclusivement se

limitent quant à elles aux deux échographies recommandées, qu'elles effectuent dans un

centre d'échographie ou à un hôpital.

Pour conclure ce chapitre, il apparaît clairement dans ma recherche que le choix d'un

accouchement hors de l'hôpital correspond à un regard critique porté sur la

biomédecine. Mais les femmes qui accouchent à l'hôpital peuvent elles aussi se montrer

critiques vis-à-vis des professionnel-le-s de la santé qui s'occupent de suivre leur

grossesse, voire de la biomédecine en général. De plus, accoucher hors de l'hôpital

n'équivaut absolument pas à une émancipation complète de la biomédecine. Les

contrôles médicaux réguliers qui jalonnent le suivi de grossesse constituent une

condition indispensable à la réalisation du projet. Comme le souligne Kornelsen, un

positionnement critique vis-à-vis de l'usage de la technologie lors d'un accouchement

n'équivaut pas à un rejet total, mais se traduit plutôt par « des décisions conscientes par

rapport à son rôle approprié » (ma traduction, 2005 : 1503). Il ne s'agit pas d'un refus de

la biomédecine et des technologies obstétricales, mais plutôt du souci d'en faire un

usage raisonné. Malgré leur positionnement anti-interventionniste et leur désir de vivre

leur grossesse et leur accouchement de la façon « la plus naturelle possible », dans le

cas de l'échographie, la technique ne semble pas gêner mes interlocutrices : « en plus,

ma gynéco, elle a des super bonnes machines, alors on pouvait compter ses doigts et

tout... » ( Alice, AAD). Quel que soit leur lieu d'accouchement, toutes apprécient cet

accès à l'image qu'elles vivent comme une rencontre avec leur enfant. La technique se

met ainsi au service de l'affectif et de l'humanisation de la naissance. D'autre part, la

charge affective que mes interlocutrices attribuent aux échographies semble éclipser

leur utilité première de dispositif de contrôle médical. Elles se réapproprient la

technique de l'échographie pour lui attribuer le sens qui leur convient.

D'autres tendances se retrouvent indépendamment du choix du lieu de naissance. Les

nullipares expriment généralement plus d'inquiétudes, elles ressentent davantage le

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

besoin d'être rassurées et peuvent donc se montrer plus dépendantes vis-à-vis des

professionnel-le-s ou de certaines techniques, comme l'échographie. Ce sentiment

d'insécurité évolue aussi au fil de la grossesse. Au début, quand elles ne sentent pas

encore le fœtus bouger, les femmes enceintes ne disposent en effet que des échographies

pour s'assurer de sa présence et de sa santé. En avançant dans la grossesse, elles gagnent

en confiance : elles peuvent désormais sentir le fœtus bouger et s'assurer ainsi par

elles-mêmes qu'il va bien.

2. Les relations aux professionnel-le-s de la naissance

2.1. Le suivi de grossesse effectué par un gynécologue

À part quelques femmes enceintes de leur deuxième enfant, qui se sont directement

adressées à leur sage-femme, toutes les participantes à ma recherche ont contacté un-e

gynécologue après avoir découvert le résultat positif de leur test de grossesse. Elles ont

donc presque toutes commencé par être suivies par un-e gynécologue, même si elles se

sont ensuite orientées vers une sage-femme indépendante.

Comme je l'ai déjà évoqué, la question de la gestion des risques est au centre de la

relation médecin/patiente. Les médecins ont un devoir d'information vis-à-vis de leurs

patientes afin d'optimiser la prévention des risques autour de la grossesse et de

l'accouchement, mais aussi de leur permettre de faire des choix éclairés concernant la

prise en charge de leur grossesse (Burton-Jeangros, Hammer, Manaï, Issenhuth-Scharly,

2010). D'après la recherche menée par Hammer auprès de gynécologues installé-e-s en

Suisse romande, ceux-ci observent que leurs patientes sont plus demandeuses

d'informations qu'auparavant et s'impliquent plus activement dans les décisions

concernant leur grossesse et leur accouchement, ce qu'ils jugent positivement (2010).

Selon mes interlocutrices, leurs gynécologues se montrent pourtant rarement très

prolifiques en informations. D'une part, les informations concernant les tests et examens

sont rarement communiquées spontanément, mais même lorsque les patientes ont des

questions spécifiques, il n'est pas toujours évident pour elles d'obtenir une réponse :

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Chapitre 3 L'impact du choix du lieu de l'accouchement sur l'expérience de la grossesse

« Typiquement il y a quelques semaines en arrière, je lui ai posé des questions par

rapport à l'accouchement. Puis elle m'a répondu : "Oh vous avez le temps d'y réfléchir,

on en parlera le moment venu." Alors que moi c'était maintenant que j'avais envie

d'avoir mes réponses. Mais elle m'a envoyé bouler, clairement, parce que ça la pompe. »

(Davina, GH). Toujours d'après la recherche de Hammer, l'asymétrie entre médecin et

patiente tend à s'estomper et « la prise de décision s'aligne de plus en plus sur un modèle

de décision partagée », ce que les gynécologues apprécieraient (2010 : 253). Là encore,

le témoignage de certaines de mes interlocutrices contredit ce constat. L'exemple le plus

flagrant m'a été donné par Stéphanie (clinique). À un mois de son terme, sa

gynécologue lui a parlé de son accouchement par césarienne (pour des raisons

médicales) comme d'un fait établi, alors qu'elle n'avait que vaguement évoqué cette

possibilité au début de la grossesse, précisant que la question restait ouverte et qu'il

faudrait en reparler : « C'est une discussion qu'on a commencé vers le cinquième mois,

je pense et puis ensuite on n'en a plus reparlé, jusqu'à il y a deux semaines, où là tout à

coup elle a dit : "Bon alors ce sera donc comme on avait dit une césarienne." Et puis

voilà, quelque part moi j'étais pas consciente que la décision était déjà prise, alors

qu'elle, elle avait déjà pris la décision depuis un moment. ». De façon générale, le

décalage observé entre les propos que j'ai recueillis auprès de mes interlocutrices et le

discours tenu par les gynécologues dans le cadre de la recherche de Hammer peut être

attribué au fait que ces derniers, dans la situation spécifique de l'entretien, ont

probablement cherché à produire un discours officiel, selon ce qu'ils estiment être

attendu d'eux. Cette recherche est en effet fondée uniquement sur des entretiens, et non

sur l'observation de leur manière d'exercer.

Pour les praticien-ne-s, le devoir éthique d'informer leurs patientes peut aussi entrer en

conflit avec celui de les rassurer (Hammer, 2010). Comme je l'ai déjà dit, certaines

femmes jugent l'information sur les risques anxiogène et préfèrent que leur médecin se

montre avant tout rassurant : les gynécologues doivent également respecter leurs

attentes : « C'est personnel aussi, il me dit "tout va bien" : tout va bien et puis voilà. Je

veux pas, des fois je vais pas chercher trop loin. S'il me dit que tout va bien, c'est que

tout va bien. » (Valérie, hôpital).

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

De manière générale, mes interlocutrices recherchent chez leur gynécologue des

compétences professionnelles avant tout, c'est-à-dire que les différents contrôles soient

réalisés avec vigilance et efficacité. Sa disponibilité est également un critère

déterminant, il est important pour elles de pouvoir le/la joindre facilement et d'obtenir

rapidement un rendez-vous en cas de besoin. De l'avis de mes interlocutrices, ces

exigences sont remplies. Aucune ne s'est plainte d'incompétence professionnelle de la

part de son/sa gynécologue. Leur sentiment d'être « bien suivies » n'est cependant fondé

sur aucun critère objectif, étant donné qu'elles ne sont que peu informées des différents

contrôles opérés et n'ont pas les compétences médicales nécessaires à l'évaluation du

travail de leur gynécologue. La satisfaction des femmes enceintes repose donc fortement

sur la capacité de celui-ci/celle-ci à créer chez elles un sentiment de confiance.

D'un point de vue relationnel, peu de femmes enceintes se déclarent pleinement

satisfaites de leur gynécologue. Elles déplorent souvent le manque d'écoute et de temps

qui leur sont accordés. La notion de temps semble en effet particulièrement

déterminante par rapport au taux de satisfaction éprouvé par les patientes. Le fait de se

voir consacrer du temps tempère l'aspect très normatif du suivi de grossesse biomédical.

Cécilia (AAD), par exemple, évoque ainsi sa satisfaction par rapport à son gynécologue

actuel, en comparaison avec celle qui a suivi sa première grossesse : « C'est quelqu'un

[...] qui a du temps. Ce qui est, je pense, très rare et précieux parce que ça permet

d'avoir des consultations où je me sens moins dans une usine que lors, par exemple, du

premier, de la première grossesse où j'étais chez une gynécologue très capable, hein,

très bien, mais, enfin, la salle d'attente était toujours bondée, et il y avait vraiment une

espèce de truc comme ça, un peu à la chaîne, elle avait une manière de faire très

protocolée ».

En outre, les femmes qui se montrent les plus satisfaites sont aussi celles qui ont le

moins d'attentes en ce qui concerne la dimension relationnelle de leur suivi de

grossesse. Elles n'attendent rien de plus de leur gynécologue que des compétences

médicales, leurs besoins émotionnels étant comblés parfois par la consultation d'autres

praticien-ne-s dont l'approche leur correspond davantage, ou simplement par leur

entourage : « Si tout à coup j'ai besoin d'être rassurée plus psychologiquement que

techniquement sur quelque chose, j'appellerai ma sœur ou voilà quelqu'un comme ça,

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Chapitre 3 L'impact du choix du lieu de l'accouchement sur l'expérience de la grossesse

mais de la part du gynéco je trouve que ça va, après bein on verra pour l'accouchement

si... Si elle conçoit qu'on puisse verser une petite larme, mais là ça va. » (Stéphanie,

clinique). Ces femmes ont alors parfaitement intégré l'idée que les consultations

prénatales sont destinées au fœtus qu'elles portent, plutôt qu'à elles-mêmes : « J'ai

l'impression que la gynécologue, c'est pour le bébé, c'est pas pour moi. » (Mathilde,

hôpital). Davina (GH), pour sa part, se sentait clairement frustrée par la pauvreté

relationnelle de son suivi de grossesse : « Je savais qu'au niveau médical, j'avais

confiance en elle, mais je savais qu'au niveau humain, il fallait que je trouve ailleurs

des réponses à mes questions ». La sage-femme indépendante qu'elle a rencontré dans le

cadre d'un cours d'haptonomie lui a permis de remédier à ces lacunes : «La sage-femme

qu'on a, elle est extraordinaire. Et puis j'ai un très bon feeling avec elle, donc... Là

aussi elle a vu il y a deux semaines en arrière que j'étais pas bien du tout au niveau

émotionnel, et puis elle m'a directement conseillé, aiguillé vers des personnes qui... En

fin de compte, de semaine en semaine je rencontre des gens qui comblent petit-à-petit

les manques que je peux pas combler avec ma gynéco. ».

Quelques rares femmes enceintes considèrent néanmoins qu'elles ont développé une

relation personnelle avec leur gynécologue : « C'est vrai qu'on est devenu très très

proches quoi. C'est vraiment un gynécologue qui est très ouais, qui est très dans les

relations, qui est pas que médical quoi. » (Joëlle, GH).

Mes interlocutrices sont également frustrées par le caractère fragmenté de l'approche de

leur gynécologue, qui ne correspond pas à la vision holiste de la grossesse à laquelle

adhèrent la plupart d'entre elles. Elles déplorent parfois que celui-ci ne reste focalisé que

sur le fœtus qu'elles portent, alors qu'elles souhaiteraient pour leur part être

appréhendées en tant que sujet. Cependant, le jugement de mes interlocutrices sur les

compétences professionnelles de leur gynécologue n'est pas biaisé par son absence de

qualités humaines. Elles peuvent se montrer très insatisfaite de celui/celle-ci sur le plan

relationnel, mais considérer parallèlement qu'il/elle fait très bien son travail et se sentir

totalement en confiance sur le plan médical : « Au niveau médical, j'ai vraiment

confiance en lui, quoi, je vois qu'il fait super bien son boulot, il travaille très bien... J'ai

rien du tout à lui reprocher au niveau médical. » (Maëva, M de N). Ainsi, plusieurs

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

femmes ont choisi de garder leur gynécologue pour leur suivi de grossesse, alors

qu'elles étaient insatisfaites de leur relation avec lui/elle.

En conclusion, d'après ma recherche, la transmission d'informations est loin d'être

optimale dans le cadre du suivi de grossesse, ce qui entretient l'asymétrie de la relation

entre médecin et patiente. Les femmes enceintes peinent à être considérées comme des

interlocutrices par leur gynécologue, qui reste souvent uniquement focalisé sur le fœtus

qu'elles portent lors des consultations. En conséquence, les patientes peuvent avoir le

sentiment que leurs questions et interventions sont vécues par leur gynécologue comme

une entrave à son travail. Cela ne fait que renforcer le rapport de pouvoir entre médecin

et patientes, en dissuadant celles-ci de réclamer les informations nécessaires à ce

qu'elles puissent prendre part activement aux prises de décisions thérapeutiques, par

exemple. Dans ces conditions, les patientes ne peuvent que s'en remettre à l'avis du

médecin, celui/celle-ci conservant son statut d'unique détenteur du « savoir faisant

autorité ».

2.2. Le suivi de grossesse effectué par une sage-femme indépendante

Confier le suivi de sa grossesse à une sage-femme et non à un-e gynécologue ne va pas

de soi. La profession de sage-femme est mal connue. Dans le cadre de ma recherche, les

femmes qui ont planifié un accouchement à l'hôpital n'ont souvent qu'une vague idée de

l’étendue des prérogatives des sages-femmes. Elles savent que celles-ci sont habilitées à

surveiller les accouchements physiologiques, mais pas forcément qu'elles peuvent aussi

prendre en charge l'entièreté du suivi de grossesse, par exemple. Cette méconnaissance

de la profession de sage-femme et des compétences médicales qui y sont rattachées peut

aussi expliquer les préjugés dont la pratique de l'accouchement hors de l'hôpital fait

l'objet. La consultation d'une sage-femme est plutôt perçue comme complémentaire à

celle d'un gynécologue. Que ce soit dans le cadre d'un cours de préparation à la

naissance ou d'un suivi de grossesse, la plupart des femmes que j'ai rencontrées sont en

contact régulier avec une sage-femme, en plus de leur gynécologue. Cependant, la

plupart d'entre elles ne souhaitent pas être suivies par une sage-femme uniquement,

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Chapitre 3 L'impact du choix du lieu de l'accouchement sur l'expérience de la grossesse

parce qu'elles considèrent que le/la gynécologue est irremplaçable pour tout ce qui

concerne l'aspect médical du suivi de grossesse.

Parmi les femmes ayant prévu d'accoucher hors de l'hôpital, certaines préfèrent

également continuer d'être suivies par leur gynécologue en parallèle de leur sage-

femme. Comme l'écrit Gouilhers, le médecin tend à rester « celui qui "sait" et la sage-

femme ne serait là que comme confidente, comme figure complémentaire du médecin,

ne pouvant jamais en être dissociée » (2010 : 231).

Fondamentalement, l'approche de la naissance prônée par les sages-femmes est axée sur

la physiologie, et se situe donc à contre-courant de la logique du risque qui domine celle

des gynécologues. La conception des risques partagée par les sages-femmes n'est

d'ailleurs pas forcément la même que celle des gynécologues. Par exemple, dans le

cadre d'un accouchement hors de l'hôpital, un manque de confiance de la patiente

vis-à-vis de sa sage-femme peut être considéré comme un facteur de risques. Pour le

bon déroulement de la naissance, il est en effet impératif que la parturiente fasse

totalement confiance à sa sage-femme, de manière à pouvoir s'abandonner au processus

de l'accouchement, d'une part, mais aussi à accepter sans opposer de résistance le

jugement de la sage-femme si celle-ci estime qu'un transfert à l'hôpital est nécessaire.

Les sages-femmes défendent une approche holiste de la naissance. Elles insistent

particulièrement sur l'importance d'écouter les femmes enceintes, et de tenir compte de

leur expérience subjective, de ce qu'elles ressentent. Contrairement aux gynécologues,

elles prennent aussi en considération les informations non-scientifiques que seules leurs

patientes peuvent leur apporter et qui relèvent de « leurs propres connaissances, de leurs

sentiments et sensations, ou de leurs expériences passées relatives à leur corps ou à une

grossesse précédente » (ma traduction, MacDonald, 2007 :48). Les sages-femmes ne se

limitent donc pas à l'aspect physique de la grossesse, elles sont aussi très attentives aux

émotions et au vécu de leurs patientes. La grossesse peut alors être envisagée comme

une période de réflexion sur soi, de travail psychologique. Les sages-femmes

considèrent en effet que la plupart des problèmes rencontrés lors de l'accouchement sont

d'ordre psychosomatique et qu'ils peuvent être anticipés par une préparation adéquate en

amont (Jacques, 2007). Elles estiment donc qu'il est particulièrement important de

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

consacrer du temps à leurs patientes, pour apprendre à les connaître et saisir la grossesse

dans un contexte plus global, afin de leur prodiguer les soins les plus appropriés

(MacDonald, 2007, Kennedy, 2009).

Cette approche holiste de la naissance est clairement partagée par la plupart de mes

interlocutrices, indépendamment de leur lieu d'accouchement. Lorsqu'elles évoquent la

manière dont elles ressentent leur grossesse, elles parlent autant de manifestations

physiques que psychologiques, que ces manifestations leur soient agréables ou

désagréables. Fernanda (M de N) l'exprime ainsi : « Moi c'est ma première grossesse, et

puis... Ça change tout, en fait. Je sais pas, au niveau émotionnel, en tout cas, c'est très

changeant. Les premiers mois c'était très... J'avais des hauts et des bas, comme ça.

Voilà, finalement j'étais débordée. Et puis plus tard, ça s'est stabilisé. Et puis

maintenant, c'est plutôt une période très tranquille. En plus, petit-à-petit, comme je

prends du poids, je suis moins mobile ». Pour Dörte (GH), la rencontre avec une sage-

femme dans le cadre d'un cours de préparation à la naissance, qu'elle a suivi avec son

partenaire, a agi comme un révélateur : « Tout d'un coup [...] on s'est rendu compte qu'il

y a plein de questions qui viennent quand même, qui sont pas toujours médicales, mais

sur comment ça se passe la grossesse et puis qui sortent à côté, que j'ai jamais posé à

ma gynéco pendant le quart d'heure ou la demi-heure que je passe avec elle, et puis qui

sont tout d'un coup venues avec la sage-femme. ». La grossesse est perçue par la plupart

des femmes comme une expérience totale et unique, qui déborde largement des

processus qui s'opèrent dans leur ventre.

Les sages-femmes indépendantes privilégient généralement les médecines dites

« alternatives » pour résoudre les problèmes mineurs et inconforts occasionnels

auxquels leurs patientes peuvent être confrontées. Si elles préfèrent éviter l'usage des

technologies biomédicales lorsque le problème peut être résolu autrement, elles

n'opposent aucune résistance à utiliser ces moyens quand ils s'avèrent indispensables

(MacDonald, 2007). Dans le cadre d'un accouchement à domicile, par exemple, elles

apportent chez la parturiente le nécessaire pour pouvoir pratiquer des soins médicaux

d'urgence. Comme le souligne Jacques, l'accouchement à domicile n'est « pas une

pratique démédicalisée, mais plutôt détechnicisée » (2007 : 168). Lors des consultations

prénatales, les sages-femmes pratiquent les mêmes contrôles que les gynécologues. Par

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Chapitre 3 L'impact du choix du lieu de l'accouchement sur l'expérience de la grossesse

ailleurs, les sages-femmes travaillent avec leur corps et privilégient les instruments

simples, comme un mètre de couture pour mesurer la croissance du ventre de leurs

patientes et la position de leur utérus. Plutôt que d'appliquer des protocoles standardisés,

elles réhabilitent l'examen clinique. Les instruments utilisés ne font que « prolonger »

leur corps, ils ne servent pas d'intermédiaires entre elles et leurs patientes : tout examen

implique donc un contact physique direct (Akrich et Pasveer, 1996). Ce contact

physique semble important pour mes interlocutrices et renforce leur sentiment d'être

considérées de façon particulière.

Ces différents aspects, caractéristiques de la façon de travailler et d'envisager la

grossesse et l'accouchement des sages-femmes indépendantes, favorisent l'instauration

d'une relation de confiance, nécessaire à l'efficacité optimale du travail de la

sage-femme. Souvent, celle-ci joue le rôle de personne-ressource, sur qui l'on peut

s'appuyer, en ce qui concerne la grossesse et l'accouchement, ce qui influe sur le

bien-être de mes interlocutrices, surtout pour celles qui n'ont encore jamais vécu ces

processus : « Je pense qu'on a besoin de pouvoir se reposer sur quelqu'un, quoi, de se

dire, telle personne, elle sait ce qu'elle fait et je peux suivre son avis à cent pour cent. »

(Maëva, M de N).

Dans cette perspective, la figure de la sage-femme pourrait se substituer à celle du

médecin. Les sages-femmes apparaîtraient alors à leur patientes comme détentrices d'un

savoir absolu et objectif sur la naissance, ce qui peut constituer une limite à leur libre-

arbitre. Les sages-femmes ont en effet une formation et des connaissances médicales

que leurs patientes n'ont pas, ce qui est précisément la raison pour laquelle elles sont

sollicitées. Concrètement, ce sont par exemple elles qui décident si l'accouchement peut

se dérouler à domicile ou en maison de naissance comme prévu, ou s'il faut partir à

l'hôpital. Sous cet angle, même s'il est moins visible dans ce contexte que dans celui

d'un suivi de grossesse « classique » avec un-e gynécologue, le rapport de pouvoir entre

patiente et professionnelle semble rester inévitable.

Le modèle de soins des sages-femmes vise cependant à promouvoir l'autonomie des

patientes. Les sages-femmes estiment en effet que c'est aux parturientes que revient la

prise de décision concernant leur expérience de la naissance (Wagner, 2006). À l'hôpital,

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

en revanche, il est souvent difficile pour ces dernières de conserver leur pouvoir de

décision. Charlotte (AAD), qui a déjà vécu une première naissance en étant

accompagnée par une sage-femme indépendante perçoit ainsi cette différence : « Le fait

d'accoucher à domicile... On se réapproprie l'accouchement. Tandis que quand on va

dans un milieu hospitalier, en fait on donne tout le pouvoir aux gynécologues et aux

sages-femmes qui sont là, et puis on a plus d'esprit de décision. Dans le sens qu'à

domicile, la sage-femme elle va demander à un moment donné, qu'est-ce que vous en

pensez, qu'est-ce qu'on fait, c'est des décisions qui sont communes, donc on a

l'impression que c'est nous qui décidons, et c'est le cas, en l'occurrence. ». Dans le cadre

d'un accouchement hors de l'hôpital, tant que la santé du fœtus ou celle de la parturiente

n'est pas menacée, la sage-femme ne cherche pas à imposer quelque décision que ce soit

à la future mère. Comme les sages-femmes ne valorisent pas leur statut de

professionnelles pour imposer leurs idées, la nature des négociations opérées entre elles

et leurs patientes relève du partenariat. On peut par ailleurs remarquer que dans cet

exemple, Charlotte fait un amalgame entre les sages-femmes hospitalières et les

gynécologues. Elle semble penser que l'organisation hospitalière annihile les différences

entre les approches de soins propres à ces deux corps de métier, du moins concernant la

question des rapport de pouvoir entre patientes et professionnel-le-s. Je ne pense pas que

son positionnement soit significatif : la plupart de mes interlocutrices accouchant hors

de l'hôpital tendent plutôt à établir une différence d'approche de soins entre

gynécologues et sages-femmes, quel que soit le lieu d'activité de ces dernières.

D'autre part, comme je l'ai déjà dit, le modèle de soin des sages-femmes reconnaît aux

femmes enceintes la détention d'un savoir particulier issu du corps et de l'expérience

subjective et part ainsi du principe que les femmes ont une connaissance de leur propre

corps à laquelle aucun-e professionnel-le ne peut prétendre. Cette revalorisation de leur

expérience est aussi une manière d'encourager les patientes à reprendre leur pouvoir

décisionnel en ce qui concerne leur grossesse (Akrich et Pasveer, 1996). Les

sages-femmes cherchent à combler l'écart qui les éloignent de leur patientes. Elles

s'efforcent notamment de rendre leurs connaissances accessibles, d'expliquer

précisément par exemple les raisons qui peuvent exiger un transfert à l'hôpital lors de

l'accouchement. D'après Gouilhers, les sage-femmes « cherchent à atteindre un équilibre

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Chapitre 3 L'impact du choix du lieu de l'accouchement sur l'expérience de la grossesse

fragile qui permette à la fois aux femmes d'accéder à l'autonomie, tout en ne se

déchargeant pas de leur responsabilité professionnelle » (2010 : 213). Cette tendance

m'est également apparue dans le cadre de ma recherche. Ma rencontre avec une sage-

femme conseillère de la fondation Profa m'a permis d'aborder spécifiquement la

question de l'information des femmes enceintes. Un entretien avec une sage-femme

conseillère leur permet de poser toutes les questions qui les préoccupent, et qu'elles

n'ont pas forcément le temps ou l'envie d'évoquer dans le cadre des consultations chez

leur gynécologue. C'est aussi l'occasion d'exprimer leurs attentes et leurs inquiétudes

concernant leur accouchement, lesquelles seront recensées par la sage-femme dans leur

dossier à l'intention du personnel soignant qui les accueillera le moment venu. Les

sages-femmes conseillères s'efforcent aussi de fournir aux femmes enceintes les outils

requis pour pouvoir communiquer efficacement avec les professionnel-le-s de la

naissance et, le cas échéant, être en mesure de négocier avec eux/elles les décisions

concernant leurs soins médicaux. Elles jouent également le rôle de médiatrices entre le

personnel hospitalier et les femmes enceintes, en aidant celles-ci à établir un plan de

naissance.

En outre, les sages-femmes s'efforcent de délivrer une « information « sur mesure » ,

adaptée aux connaissances préalables de leurs patientes, à leur besoins spécifiques et à

leurs intérêts (Gouilhers, 2010 : 223). L'information transmise par les sages-femmes se

veut neutre et objective, mais comme le souligne Gouilhers, elle est aussi « le fruit d'un

engagement prônant une vision "physiologique" de la grossesse » (2010 : 224). À ce

titre, les sages-femmes peuvent avoir tendance à accorder moins de place que les

gynécologues à l'information concernant les risques, afin de privilégier d'autres aspects

de la grossesse. De leur côté, les gynécologues insistent parfois si fortement sur la

prévention des risques qu'il ne reste plus d'espace pour aborder la naissance sous un

angle différent. L'information délivrée par les professionnel-le-s ne peut jamais aspirer à

la neutralité : elle reflète leur point de vue situé, selon leur formation, leurs expériences

professionnelles, voire leurs convictions personnelles.

Par ailleurs, contrairement à Gouilhers, sur base de mes conversations avec des femmes

enceintes suivies par une sage-femme indépendante, je n'ai pas relevé la présence

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

d' « une vision normée de la grossesse et des attitudes que doivent avoir les femmes »

valorisant l'autonomie et une attitude proactive face à la grossesse, notamment en ce qui

concerne le rapport à l'information (2010 : 241). Par exemple, la sage-femme d'Alice

(AAD), qui a préféré ne rien lire concernant la grossesse et l'accouchement, afin de ne

pas être influencée, a respecté son choix, sans l'inciter à s'informer davantage.

D'autre part, en sortant du cadre strictement médical lors des conversations avec leurs

patientes, les sages-femmes acceptent de se dévoiler en tant que personnes et de sortir

de leur rôle de professionnelles. Cette logique d'échange contribue également à ce

qu'une relation de confiance puisse s'installer. C'est aussi cette relation de confiance qui

rend la relation de pouvoir acceptable, de sorte qu'elle n'est finalement plus vécue

comme telle. D'un point de vue relationnel, les femmes enceintes qui sont suivies par

une sage-femme indépendante sont clairement plus satisfaites que celles suivies par

un-e gynécologue. Pour certaines femmes accouchant à l'hôpital, d'ailleurs, la rencontre

avec une sage-femme indépendante révèle ou comble un manque laissé par une relation

peu satisfaisante avec leur gynécologue, ainsi que des frustrations liées à l'approche

fragmentée de leur suivi de grossesse, focalisé sur l'anticipation des risques. Néanmoins,

de l'avis de mes interlocutrices, la relation entre sage-femme et patiente reste d'abord

professionnelle : « Ça restait très professionnel, mais en même temps, il y avait ce

côté... ouais, tu te tutoies, et puis il y avait presque un côté amical. » (Delphine, AAD).

Pour conclure ce chapitre, j'ai pu constater de façon générale que les femmes qui ont

prévu d'accoucher à l'hôpital et sont suivies par un-e gynécologue sont plus sensibles à

la notion de risque. Leur suivi de grossesse, focalisé sur la prévention des risques, les

incite à envisager la grossesse et l'accouchement comme des processus hautement

risqués, pouvant à tout instant basculer dans la pathologie. En comparaison, le suivi de

grossesse proposé par les sages-femmes indépendantes semble favoriser une expérience

de la grossesse plus sereine pour les femmes enceintes. Mes interlocutrices ayant opté

pour ce suivi tendent à davantage faire confiance à leur corps et à leur capacité à mener

à bien un accouchement. Elles se fient à leur ressenti et se considèrent en ce sens

comme une source de « savoir faisant autorité » pertinente dans le cadre de leur

grossesse et de leur accouchement. Cela peut être dû à l'approche de leur sage-femme,

qui les a incitées à prendre confiance en elles, mais aussi à leur propre vision de la

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Chapitre 3 L'impact du choix du lieu de l'accouchement sur l'expérience de la grossesse

naissance comme un processus physiologique et « normal».

Dans le contexte suisse, des visions différentes de la naissance, incarnées par le corps

professionnel des gynécologues et celui des sages-femmes, cohabitent, mais sont

rarement amenées à communiquer. Contrairement au fonctionnement du système

néerlandais, qui favorise une intime collaboration entre les différent-e-s

professionnel-le-s intervenant autour de la naissance, particulièrement entre les sages-

femmes et les gynécologues, ces deux corps de métier sont peu habitués à travailler

ensemble au sein de notre système de soins obstétriques suisse autrement que de

manière fortement hiérarchisée au sein d'une structure hospitalière. Cependant, malgré

d'éventuelles réticences – généralement plus prononcées du côté des gynécologues – il

arrive que ceux-ci soient contraints de collaborer avec des sages-femmes indépendantes

pour répondre aux besoins et désirs spécifiques de leurs patientes. En ce sens, les

femmes enceintes semblent parfois avoir une longueur d'avance sur le système de soins

actuel, au sein duquel elles peuvent se sentir à l'étroit.

Les gynécologues se montrent généralement peu favorables, voire franchement hostiles

à la possibilité d'accoucher hors de l'hôpital. Leur rejet de cette pratique se traduit

notamment par la rétention volontaire d'informations à ce sujet. Aucune de mes

interlocutrices ne s'est vue proposer spontanément par son/sa gynécologue la possibilité

d'accoucher hors de l'hôpital. Pourtant, la grande majorité d'entre elles vit une grossesse

physiologique. Certain-e-s gynécologues se montrent particulièrement véhément-e-s

lorsque que leur patiente leur annonce sa volonté d'accoucher hors de l'hôpital : « Il s'est

énervé, il a dit, enfin, il a commencé à me sortir, me déblatérer tous les risques

possibles et imaginables... Que je connais, vraiment. Mais par contre, il n'aime pas. Il

est ressorti du cabinet, il tremblait de partout, il était tout vert... Ça l'a complètement

pulvérisé. » (Maëva, M de N). Cet exemple montre bien la manière dont les convictions

personnelles des praticien-ne-s peuvent mettre en péril leur intégrité professionnelle.

Dans le cadre de ma recherche, deux gynécologues ont cependant orienté leur patiente

vers une sage-femme indépendante, lorsque celle-ci a exprimé le désir d'accoucher hors

de l'hôpital, sans chercher à les dissuader de leur projet.

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3. Les pratiques de préparation à la naissance

Quel que soit le lieu choisi pour leur accouchement, presque toutes les femmes que j'ai

rencontrées ont mis en place différentes pratiques pour se préparer à la naissance. Il

s'agit souvent de recommandations de la part de leur gynécologue ou de leur sage-

femme, mais ce sont aussi des prises d'initiatives personnelles, inspirées parfois par

leurs lectures ou par les expériences de leur entourage. La plupart de mes interlocutrices

ont participé à des cours de préparation à la naissance donnés par une sage-femme,

collectifs ou individuels, presque toujours avec leur partenaire. Dans le cas d'un

accouchement à l'hôpital, ces cours sont souvent directement proposés par

l'établissement choisi par les femmes enceintes. Pour celles qui prévoient d'accoucher

hors de l'hôpital, les cours peuvent être donnés directement par leur sage-femme ou

s'inscrire dans le cadre des activités de la structure à laquelle celle-ci est rattachée

(maison de naissance ou association de sages-femmes indépendantes). Ces cours, qu'ils

soient animés par une sage-femme hospitalière ou par une sage-femme indépendante,

visent d'abord à informer sur le déroulement physiologique d'un accouchement, comme

le préconisait déjà Lamaze. Ces informations sont estimées très utiles par les femmes

enceintes, car elles aident à mieux « visualiser » l'accouchement. Dans ce but, certaines

d'entre elles jugent également utile de regarder des vidéos d'accouchement. Mes

interlocutrices considèrent cependant que ce type d'informations est destiné aux

nullipares, il n'est pas nécessaire de rafraîchir ses connaissances lors d'une deuxième

grossesse.

D'autre part, l'influence de la méthode de Lamaze pèse encore sur les représentations

collectives, dans lesquelles les cours de préparation à l'accouchement sont envisagés

comme un enseignement pratique de techniques de respiration et de relaxation. Aussi,

certaines de mes interlocutrices ont été déstabilisées par le contenu purement théorique

des cours qu'elles ont suivis : « J'étais assez surprise, parce qu'on a juste discuté,

pendant une heure et demie, il n'y a pas eu d'exercices, elle ne nous a pas expliqué

comment il faut respirer, ou je sais pas quoi, enfin... » (Alice, AAD). Influencées par le

modèle holistique de la naissance, les sages-femmes considèrent souvent qu'il est utile

de connaître le déroulement physiologique d'une naissance, mais que l'accouchement est

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Chapitre 3 L'impact du choix du lieu de l'accouchement sur l'expérience de la grossesse

un processus corporel, qui ne peut pas « s'apprendre » autrement que par l'expérience :

« Elle, elle est plutôt, elle se dit plutôt qu'au moment où on va accoucher, on va se... on

va très bien ressentir les choses, et c'est pas la peine de faire des cours pour ça, quoi.

Ce qui est pas faux. On peux prendre tous les cours qu'on veut, quand ça arrive... bein

faut y aller, quoi. » (Maëva, M de N).

Les cours de préparation à la naissance proposés par les maternités ont aussi pour utilité

de familiariser les femmes enceintes avec les protocoles hospitaliers, afin que le

moment venu, elles ne soient pas étonnées de la prise en charge dont elles feront l'objet.

Elles sont par exemple informées des diverses interventions et gestes médicaux

auxquels elles risquent d'être confrontées. Ainsi averties, les parturientes n'acceptent

qu'avec davantage de facilité d'y être soumises. Joëlle (GH), par exemple, n'a pas été

surprise d'avoir subi une épisiotomie : « Ils nous avaient bien expliqué à la préparation

à la naissance, à l'accouchement. Comme quoi c'est mieux d'avoir ça que ça se déchire

et puis que ça devienne vraiment... ».

Enfin, les cours collectifs de préparation à la naissance ont une fonction sociale. Ils

permettent aux futurs parents de rencontrer d'autres couples qui attendent eux aussi la

naissance de leur premier enfant et qui partagent les mêmes préoccupations. Cette

dimension relationnelle est particulièrement appréciée par les couples ayant prévu

d'accoucher hors de l'hôpital. Leur choix de naissance étant peu ordinaire, c'est parfois

pour eux la première occasion de rencontrer d'autres futurs parents ayant le même

projet : « Ce qui était pas mal c'est qu'on voyait qu'il y avait d'autres gens en fait qui

avaient pris cette décision. Puis justement, là on voyait qu'il n'y avait pas une personne

type qui accouchait à domicile, on voyait vraiment que c'était plusieurs cultures, des

horizons différents. » (Charlotte, AAD).

À côté de ces cours informatifs ou lors d'une deuxième grossesse, certaines femmes

participent à d'autres types de cours, plus ciblés et participatifs. Plusieurs de mes

interlocutrices, accouchant ou non à l'hôpital, s'adonnent par exemple au yoga pour

femmes enceintes. Par ailleurs, les cours de préparation à la naissance sont l'occasion

pour les futurs pères de s'impliquer plus concrètement dans la grossesse de leur

partenaire. Dans cette optique, plusieurs femmes que j'ai rencontrées suivent des cours

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d'haptonomie. D'après mes interlocutrices, cette pratique vise à aider les futurs parents à

entrer en contact avec le fœtus, par le toucher. Le participation du futur père est jugée

indispensable, il s'agit de favoriser l'intégration de celui-ci à la grossesse : « Il y a eu

des fois des moments magnifiques où on était vraiment les trois ensemble, puis elle

travaillait beaucoup, l'haptonomiste, sur être les trois ensemble. » (Anne-Laure, AAD).

L'haptonomie permet aussi d'inciter le fœtus à se repositionner différemment, pour

accroître le confort de celle qui le porte. Cette pratique encourage donc les femmes

enceintes à adopter une attitude proactive vis-à-vis de leur grossesse.

En dehors de ces cours, les femmes enceintes se préparent aussi à leur accouchement

individuellement. J'ai pu remarquer que si les cours collectifs concernent toutes les

femmes enceintes, indépendamment de leur choix de naissance, les femmes qui espèrent

vivre un accouchement « naturel », compris comme exempt d'intervention, s'investissent

davantage dans leur préparation individuelle à la naissance. Elles accordent, par

exemple, un soin particulier à la préparation de leur périnée. Sur les conseils de leur

sage-femme, la plupart des femmes enceintes accouchant hors de l'hôpital effectuent des

massages de leur périnée visant à assouplir les tissus. Elles se montrent cependant plus

assidues lors de la première grossesse : « Je sais que le périnée, c'est surtout la

première fois qui... Là, ça a déjà été ouvert une fois, je crois qu'il se souvient et qu'il est

plus... Je crois que c'est lors du premier accouchement que c'est plus difficile. Il me

semble. » (Charlotte, AAD). Même si cette préparation peut être contraignante ou

douloureuse, elles acceptent de s'y soumettre. Maëva (M de N), qui utilise l'appareil

« EPI-NO », destiné à l'étirement des muscles pelviens, selon les conseils de sa

sage-femme, déclare à ce sujet : « Cet appareil, je suis persuadée que c'est efficace,

mais c'est une horreur. C'est horrible. Donc, voilà, il faut faire ça tous les jours ...».

Cette application témoigne de leur confiance envers leur sage-femme, mais aussi d'une

réelle volonté de leur part de prendre leur grossesse et leur accouchement en main. Plus

généralement, les femmes enceintes estiment que leur hygiène de vie en elle-même

constitue déjà une préparation à l'accouchement : « Je m'occupe de mon état de santé

pour arriver quelque part en forme, vu que c'est un marathon. Je veux pas arriver sur

les genoux à l'accouchement parce que je me rends compte que peut-être que

j'accoucherai en deux heures, mais peut-être que j'accoucherai en 48 tu vois. C'est ça

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Chapitre 3 L'impact du choix du lieu de l'accouchement sur l'expérience de la grossesse

que je fais. » (Mathilde, hôpital)

Par ailleurs, dans le cas d'un accouchement hors de l'hôpital, l'entourage des femmes

enceintes est plus directement impliqué. Il faut en effet mettre en place une structure

visant à décharger les nouveaux parents des tâches quotidiennes, au cours des jours

suivant la naissance, difficiles à assumer avec la fatigue causée par l'accouchement et le

besoin d'attention constante d'un nouveau-né : « On s'est organisé, en fait, il y a une

petite équipe qui s'est formée pour faire ça un petit peu ensemble, quoi, c'est une

collaboration. » (Rachel, AAD).

L'ensemble des dispositifs mis en place par mes interlocutrices souhaitant un

« accouchement naturel » indique que cette notion n'est pas « qu'une vision du monde

ou un ensemble d'idées culturelles, mais plutôt un ensemble de pratiques : des choses

que les femmes, leurs pourvoyeurs/euses de soins, ainsi que leur entourage font pour

faire de la naissance une expérience normale, physiologique – non-risquée ou

pathologique » (ma traduction, Mansfield, 2008 : 1094). Souvent, plus les femmes

enceintes tendent à un idéal d' « accouchement naturel », plus elles s'impliquent dans la

préparation de leur accouchement, parce qu'elles comptent sur elles-mêmes pour mener

à bien leur accouchement, plutôt que sur le personnel soignant. Cependant, l'envie de

s'investir dans la préparation à la naissance est également beaucoup plus forte lors d'une

première grossesse, quel que soit le lieu de naissance choisi.

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Chapitre 4

Les représentations et attentes des femmes enceintes autour de l'accouchement

Ce dernier chapitre porte sur la manière dont les femmes enceintes conçoivent leur

accouchement. Dans un premier temps, je discuterai plus particulièrement de leur

positionnement vis-à-vis des différentes interventions médicales entourant

l'accouchement en milieu hospitalier. Enfin, j'aborderai le question de la douleur de

l'accouchement, notamment à travers le regard que les femmes enceintes portent sur la

péridurale.

1. Le positionnement des femmes enceintes face aux interventions médicales

De l'avis des femmes ayant prévu d'accoucher hors de l'hôpital, il ne fait aucun doute

qu'un accouchement peut se dérouler sans aucune intervention extérieure, puisque c'est

ainsi qu'elles envisagent le leur. En revanche, pour la majorité de celles accouchant à

l'hôpital, un minimum d'interventions médicales et techniques est forcément requis. Sur

base de mes entretiens, ce « minimum » inclus souvent une péridurale et une

épisiotomie. Lorsque certaines d'entre elles évoquent leur premier accouchement, par

exemple, elles commencent par me dire qu'il n'y a eu aucune intervention particulière,

mais si je leur demande plus de détails, elles me signalent qu'elles ont « quand même »

eu une épisiotomie. Il semble totalement admis qu'une épisiotomie est indispensable

lors d'un premier accouchement, au point qu'elle n'est même plus perçue comme une

intervention signifiante. Mais si les interventions agissant sur la parturiente sont bien

tolérées de manière globale, celles qui concernent directement l'enfant sont beaucoup

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plus contestées. Certaines interventions sont largement critiquées, comme l'usage de

forceps ou d'une ventouse pour extraire le nouveau-né.

En général, pour mes interlocutrices qui n'ont pas de problèmes de santé et dont la

grossesse est physiologique, le principal reste d'accoucher par voie basse, et non par

césarienne. Même si elles ont choisi d'accoucher à l'hôpital ou qu'elles souhaitent avoir

une péridurale, elles désirent autant que possible respecter la physiologie de leur corps

et vivre un « accouchement naturel ». Or la perspective d'une césarienne coupe

radicalement court à ces aspirations. Cette opération représente pour elles le plus haut

degré d'intervention, et donc le moyen le moins « naturel » de donner naissance à leur

enfant. Dans le cadre de ma recherche, seule Stéphanie (clinique) accouchera par

césarienne programmée pour des raisons médicales. Ne souhaitant de toute façon pas

vivre un « accouchement naturel », elle ne semble pas particulièrement contrariée par

cette perspective. Néanmoins, Stéphanie établit spontanément un lien entre ses aptitudes

à la maternité et la naissance de son enfant par césarienne : « Je me disais pas que je

serai pas une bonne mère ou une vraie femme si j'accouche pas par voie basse. Il y a

des gens qui font un peu cette remarque là. Non, moi j'avais pas de problèmes ». Cet

exemple montre bien que dans l'imaginaire collectif, l'accouchement par voie basse

semble correspondre à un rite de passage qui assure la transition des femmes à leur

nouveau statut de mère. On peut donc supposer que c'est également pour cette raison

que les femmes enceintes semblent accorder une importance particulière au fait

d'accoucher par voie basse.

Deux de mes interlocutrices ont été provoquées lors d'un précédent accouchement :

Isabelle (clinique) pour des raisons médicales et Vanessa (GH) par principe de

précaution. Vanessa a été satisfaite de cette intervention : ayant dépassé son terme de dix

jours, elle se réjouissait de voir sa grossesse se terminer. Isabelle, en revanche, l'a moins

bien vécu. Elle a passé la veille de la date prévue à s'activer en espérant que son

accouchement pourrait se déclencher spontanément : « Merci tous les bouquins, toute

l'information qu'on a... Quand tu regardes pour provoquer, on dit toujours que c'est

beaucoup plus douloureux, qu'il y a plus de complications, qu'il y a... L'enfant souffre

plus quand on a un accouchement comme ça. Donc tu vois que des horreurs quand tu

commences à regarder. Donc du coup, tu commences un peu à t'angoisser, tu te dis mon

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Chapitre 4 Les représentations et attentes des femmes enceintes autour de l'accouchement

dieu, mais... ». Outre certains faits avérés concernant les effets de la provocation, cette

intervention imprévue ne correspondait pas à sa conception d'un accouchement

« normal » : « Mon accouchement idéalisé, c'était : t'es à la maison, t'as des

contractions, tu perds les eaux, et puis tu cours à la mat, quoi ». Cet exemple met en

lumière la dimension émotionnelle dans la manière dont les femmes envisagent les

interventions médicales, qui sont estimées acceptables ou inacceptables en fonction de

leurs représentations personnelles autour de la naissance. Face à la même intervention,

les femmes ont ainsi des réactions très contrastées.

Outre leurs représentations, l'accès à l'information joue également un rôle considérable :

Vanessa ne disposait peut-être pas des mêmes données qu'Isabelle concernant la

provocation. Les divers protocoles hospitaliers et interventions médicales restent

toutefois peu controversés par la plupart des femmes, qui estiment qu'en allant à

l'hôpital, elles ont fait le choix le plus sûr, celui qui leur garantit les meilleurs soins.

C'est aussi une question de confiance vis-à-vis des professionnel-le-s : « Je me dis qu'ils

savent ce qu'ils font, je fais très confiance au personnel médical » (Stéphanie, clinique).

Les interventions qu'elles risquent de subir sont donc forcément justifiées à leur yeux :

elles visent à ce que tout se déroule au mieux. De plus, dans le cas d'une épisiotomie,

par exemple, il est communément admis qu'il est préférable d'intervenir plutôt que de

laisser faire. Par comparaison avec une épisiotomie, qui est une intervention médicale,

une déchirure apparaît comme incontrôlable. Ce caractère « chaotique » est très

dissuasif pour les femmes enceintes, qui voient alors l'épisiotomie comme un moindre

mal, ou du moins un « mal nécessaire ». Néanmoins, plusieurs femmes m'ont dit

redouter particulièrement de subir une épisiotomie, c'est aussi pour cette raison qu'elles

effectuent consciencieusement leur préparation du périnée. C'est par exemple la seule

intervention jugée fondamentalement néfaste par Mathilde (hôpital) et à laquelle elle

s'opposerait catégoriquement. Elle est d'ailleurs l'unique femme de ma recherche

accouchant à l'hôpital qui exécute une préparation de son périnée. D'autre part, la

question de l'information est centrale dans leur rapport aux gestes médicaux. Plusieurs

femmes m'ont dit n'être opposées à aucune intervention, pourvu qu'elles soient

préalablement bien informées des raisons qui la motivent. Elles contestent la manière

parfois autoritaire dont les gestes médicaux peuvent être imposés, et non leur

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

pertinence. Elles désirent avant tout être considérées comme des interlocutrices par les

professionnel-le-s, comprendre et non subir les soins qui leur sont prodigués. Dans cette

perspective, leur partenaire joue le rôle précieux de gardien de leurs intérêts. Il a pour

mission d'assurer la transmission des informations entre le personnel médical et la

parturiente, si celle-ci n'est pas en pleine possession de ses moyens : « Même si je suis

dans les vapes pour x ou y raison, je veux que ce soit discuté avec Raphaël, je sais que

Raphaël trouvera le moyen de me le communiquer » (Mathilde, hôpital). On peut

constater que la question ne semble pas se poser dans le cadre d'un accouchement hors

de l'hôpital, avec leur propre sage-femme : les femmes enceintes se sentent en

adéquation avec son approche thérapeutique et ne doutent pas que leurs envies seront

respectées.

D'autre part, parmi mes interlocutrices ayant choisi d'accoucher hors de l'hôpital, aucune

n'a évoqué le fait que lors de l'accouchement, sa sage-femme aura avec elle le nécessaire

pour pouvoir pratiquer des soins médicaux d'urgence. Mes interlocutrices ayant choisi

l'hôpital, qui m'ont parfois questionnée à ce sujet, y attachent par contre beaucoup

d'importance. Ce nécessaire médical, et la promesse d'intervention qu'il contient à leur

yeux, semble tempérer le caractère dangereux qu'elles attribuent à l'accouchement hors

de l'hôpital.

Selon le modèle de soins des sages-femmes japonaises, le temps qui précède l'arrivée de

l'enfant n'est pas un temps de souffrances inutiles qu'il convient d'abréger. Il s'agit au

contraire d'un temps signifiant, partagé par la parturiente, son partenaire et leur sage-

femme, mais aussi par la famille, souvent présente. Ce moment est pensé comme un

« temps de maturation » nécessaire pour que les futurs parents et leur famille se prépare

au nouveau rôle qu'ils vont assurer auprès de l'enfant à venir (ma traduction, Matsuoka

et Hinokuma, 2009 : 223). Dans le modèle technocratique, en revanche, la durée de

l'accouchement est soumise à des normes strictes. Selon cette approche, plus

l'accouchement progresse rapidement et efficacement, moins il est risqué. D'après

McCourt, la durée de l'accouchement est particulièrement importante pour les femmes,

parce qu'elle est directement liée à leur capacité à gérer la douleur (2009b). Il semble en

effet plus envisageable de supporter la douleur si celle-ci ne dure pas trop longtemps.

Lorsqu'elles évoquent leurs attentes concernant leur accouchement, la plupart des

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Chapitre 4 Les représentations et attentes des femmes enceintes autour de l'accouchement

femmes que j'ai rencontrées, indépendamment du lieu de naissance choisi, mentionne

d'abord sa durée, qu'elles espèrent relativement courte : « J'ai un peu peur que ça dure...

Le seul truc, c'est que ça dure vraiment longtemps et que ça devienne pénible parce que

c'est hyper long. » (Alice, AAD).

Outre cette dimension temporelle, mes interlocutrices me disent fréquemment n'avoir

aucune attente particulière, si ce n'est que « tout se passe bien ». Comme je l'ai déjà

mentionné, la qualité de l'expérience des parturientes est rarement évoquée. Par

conséquent les femmes sont conditionnées à ne pas souhaiter davantage qu'un enfant en

bonne santé. D'autre part, les observations de Van Teijlingen, Hundley, Rennie, Graham

et Fitzmaurice, selon lesquelles les préférences des femmes en ce qui concerne leur

accouchement sont « déterminées par ce qu'elles "connaissent" » se vérifient dans le

cadre de ma recherche (2003 : 80). Lorsque leur premier accouchement s'est déroulé

sans difficulté particulière, les femmes enceintes tendent à vouloir reproduire cette

expérience pour leur deuxième accouchement : « En fait avec Oriane, ça s'est tellement

bien passé, l'accouchement, que je souhaiterais que ce soit exactement la même chose »

(Joëlle, GH).

Selon Gibbins et Thomson, toutes les femmes souhaitent être pleinement actrices de

leur accouchement, elles n'envisagent pas de se cantonner à un rôle passif et de s'en

remettre aux soins des professionnel-le-s qui les entourent (2001). À quelques rares

exceptions près, c'est également ce que j'ai pu constater dans le cadre de ma recherche.

Dans cette perspective, les femmes qui vont accoucher à l'hôpital accordent une

importance particulière aux aménagements des salles d'accouchement de la maternité.

La présence d'équipements spécifiques leur indique en effet que la politique de la

maternité vise à encourager leur mobilité pendant l'accouchement : « T'avais des

espaliers... Enfin je savais que t'avais quand même un aménagement qui était là, c'était

pas un environnement hyper froid, affreux, où t'avais rien à dire. » (Géraldine, GH).

Pour Dörte (GH), la rencontre avec une sage-femme indépendante lors d'un cours de

préparation à la naissance a été déterminante : « Je me disais l'hôpital c'est comme chez

le dentiste, il y a une chaise et puis elle est dans une position et puis on te dis, tu te mets

là-dessus et puis on te fait tout ce qu'il faut pour... Pour te mettre, pour t'offrir les

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meilleures circonstances, mais je m'imaginais pas du tout les positions différentes qu'on

pouvait essayer pendant le travail, pendant les contractions. Puis ça, on en a beaucoup

discuté avec la sage-femme ». Ses représentations par rapport à l'accouchement ont

radicalement changé. Alors qu'elle pensait être cantonnée à un rôle passif, elle se voit

maintenant pleinement actrice de son accouchement, qu'elle souhaite exempt de toute

intervention médicale. Elle craint cependant que ses projets ne soient contrecarrés par

l'équipe médicale présente au moment de son arrivée à la maternité : « On se dit, on

verra comment ça va être au Grand Hôpital, mais selon l'équipe qui sera là et le taux

d'occupation qu'elles ont, on sait pas si on va quand même être dans une procédure

médicalisée et qu'ils nous disent, vous avez maintenant pas assez de contractions

pendant une trop longue période donc il faut provoquer, ou on laisse aller encore plus

loin... On a quand même un petit peu... On s'est rendu compte en prenant l'alternative

du Grand Hôpital qu'il pourrait quand même arriver quelque chose où tout d'un coup,

le médical prend le côté naturel, parce que voilà maintenant ça a duré un jour et puis

ils vont vous dire, maintenant on provoque ».

Ces inquiétudes concernant l'équipe soignante en service au moment de leur arrivée se

retrouvent dans le discours de beaucoup de mes interlocutrices. Elles considèrent en

effet que la manière d'envisager l'accouchement peut fortement varier entre les

différents membres du personnel soignant d'une même maternité, et que dès lors la

qualité de leur prise en charge relève du hasard. Elles craignent de devoir accoucher

sous la surveillance d'une sage-femme dont l'approche thérapeutique ne leur convient

pas et dont les convictions personnelles pourraient entraver leur projet de naissance.

Vanessa (GH), par exemple, considère que lors de ses deux premiers accouchements,

l'équipe médicale a fait obstacle à son désir d'avoir une péridurale, en n'appelant pas

l'anesthésiste au moment voulu : « J'avais l'impression qu'à X, ils trouvaient que c'était

beaucoup plus glorieux d'accoucher sans péridurale. Donc à chaque fois, ils venaient

me féliciter. Chaque fois la sage-femme venait et me disait ah vous avez accouché sans

péridurale, en tout cas bravo et caetera, et pour moi c'était pas du tout... C'était pas

intéressant. ». Toutefois, de manière générale, les femmes enceintes semblent faire

confiance aux sages-femmes. Celles qui souhaitent limiter au maximum les

interventions médicales les perçoivent parfois comme leurs alliées pour mener à bien

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Chapitre 4 Les représentations et attentes des femmes enceintes autour de l'accouchement

leur projet d' « accouchement naturel » en milieu hospitalier : « C'est pas elles qui

interviennent souvent beaucoup, hein, c'est plutôt les gynécologues. J'ai très confiance

dans les sages-femmes, c'est plutôt les gynécologues qui me... » (Mathilde, hôpital). Mes

interlocutrices ont souvent le sentiment que les sages-femmes qui s'occuperont d'elles au

moment de l'accouchement les comprendront mieux que leur gynécologue n'a su le faire

au cours du suivi de grossesse. En outre, elles ne paraissent pas frustrées de ne pas

pouvoir accoucher avec leur gynécologue. La notion de continuité des soins est peu

signifiante à leur yeux. Les deux femmes enceintes détentrices d'une assurance semi-

privée se disent cependant satisfaites de pouvoir être prise en charge par leur

gynécologue personnel-le au moment de la naissance.

Différentes recherches montrent que les femmes enceintes envisagent généralement plus

sereinement leur accouchement si elles savent qu'elles auront auprès d'elles une sage-

femme qu'elles connaissent déjà (Gibbins et Thomson, 2001). C'est également ce qu'il

est ressorti de mes conversations avec des femmes accouchant hors de l'hôpital. Pour

certaines, l'importance accordée à cette « continuité des soins » peut suffire à justifier le

choix d'accoucher hors de l'hôpital : « Le truc le plus fort en fait, c'est que je

comprenais pas comment on pouvait faire le suivi de la grossesse avec quelqu'un, en

qui on a confiance, elle sait tout le parcours, elle sait les... On peut l'appeler quand on

veut, elle sait les diagnostics, enfin elle a toutes les choses en main, et puis qu'on aille

accoucher avec quelqu'un de complètement inconnu. » (Charlotte, AAD). Pour toutes

mes interlocutrices concernées, la perspective d'avoir leur sage-femme auprès d'elles

lors de leur accouchement est très rassurante. Mais elles souhaitent aussi que celle-ci ne

soit pas trop directive et qu'elle sache s'effacer par moment : « Qu'elle soit présente,

tout en sentant quand il y a besoin de plus de rapprochement, puis quand il y a besoin

de... quand il faut qu'elle laisse faire parce que ça se passe très bien. » (Anne-Laure, M

de N). Elle doit être là en cas de besoin, pour recadrer ou rassurer la parturiente, mais

savoir laisser faire et ne pas intervenir quand il n'y en a pas besoin. Cécilia utilise à ce

propos les termes d'« ange-gardien technique », ce qui illustre bien cette idée. Mes

interlocutrices recherchent en effet avant tout des compétences techniques chez leur

sage-femme, et tiennent à préserver une certaine autonomie dans la gestion de leur

accouchement.

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

À l'exception de l'une d'entre elles, toutes mes interlocutrices auront leur partenaire

auprès d'elles au moment de l'accouchement. Cette perspective est très rassurante pour

la plupart d'entre elles : « C'est clair que c'est rassurant, enfin même si concrètement, tu

sais qu'il peut rien faire. Enfin je veux dire, t'auras mal, il va pas t'aider à avoir moins

mal, mais... En même temps, je pense que c'est débile, mais c'est juste que d'avoir une

présence, de l'avoir à côté, ça t'aide, et puis ça te calme, quoi. » (Géraldine, GH).

Parfois, le partenaire a aussi un rôle plus défini. Par exemple, Émilie (GH) a demandé à

son mari de lui masser le lobe de l'oreille pendant l'accouchement sur les conseils de son

acupuncteur, afin de « diminuer les douleurs, plus accélérer un peu la dilatation ».

Il est également ressorti de mes entretiens que les femmes qui souhaitent accoucher hors

de l'hôpital ou, plus largement, sans péridurale, tendent à attribuer un rôle actif à leur

futur enfant lors de l'accouchement, qu'elles envisagent parfois comme une véritable

collaboration entre eux deux. Celles qui ont fait de l'haptonomie espèrent notamment

que la communication amorcée avec le fœtus pendant la grossesse pourra leur être utile

dans le cadre de l'accouchement : « Ce jour-là, si tu peux causer avec ton bébé et lui

expliquer qu'il faudrait changer de position... ... C'est cool, tu vois. » (Mathilde,

hôpital). En revanche, d'autres femmes accouchant à l'hôpital et à priori sous péridurale

voient plutôt leur futur enfant comme une « victime » passive de sa naissance : « Ça

doit être un moment effroyable pour un bébé, c'est d'une violence juste extraordinaire »

(Davina, GH).

En conclusion, le positionnement des femmes enceintes par rapport aux interventions

médicales varie considérablement en fonction de leur lieu d'accouchement. Les unes

conçoivent très bien un accouchement exempt d'intervention : c'est ce qu'elles ont prévu

pour le leur. Les autres pensent plutôt qu'un minimum d'interventions est nécessaire

pour que tout se passe bien. En choisissant d'accoucher à l'hôpital, les femmes enceintes

acceptent la prise en charge que leur choix implique, et ne cherchent généralement pas à

la détailler précisément. Certaines femmes ayant choisi d'accoucher à l'hôpital

échappent toutefois à cette tendance et veulent pouvoir discuter des détails de leur prise

en charge. Les femmes enceintes acceptent ou rejettent les interventions médicales en se

basant sur des critères objectifs – comme leur incidence sur la santé et le bien-être de

leur futur enfant – mais aussi sur des critères subjectifs, selon la compatibilité de

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Chapitre 4 Les représentations et attentes des femmes enceintes autour de l'accouchement

l'intervention en question avec leurs représentations personnelles autour de la naissance.

La plupart des femmes souhaitent vivre leur accouchement de manière active. Dans le

cadre d'un accouchement en milieu hospitalier, cette volonté se traduit notamment par

l'attention qu'elles portent à l'aménagement des salles d'accouchement.

2. La douleur de l'accouchement

Pour les femmes enceintes accouchant à l'hôpital, la question de la douleur de

l'accouchement est indissociable du choix d'avoir ou non recours à une péridurale. Les

femmes qui ont prévu d'accoucher hors de l'hôpital savent en revanche qu'elles ne

disposeront d'aucune échappatoire et qu'elles devront vivre cette douleur. Certaines

femmes décident également d'accoucher à l'hôpital sans péridurale. Cette section est

consacrée aux liens entre le choix du lieu de naissance et la manière dont les femmes

envisagent la douleur de l'accouchement.

D'après Vuille, la douleur de l'accouchement ne relève pas de la même logique que les

autres types de douleurs, qui sont unanimement considérées comme indésirables et

néfastes au sein de notre société algophobe (1998). Si l'éradication totale de la douleur

de l'accouchement est le but avoué de la biomédecine et de ses praticien-ne-s, les

principales concernées se montrent plus réservées sur cette question. Qu'elles voient

cette douleur comme une fatalité ou qu'elles lui attribuent une fonction morale, les

femmes l'appréhendent en tous les cas comme faisant partie intégrante de la naissance.

Elles rejoignent sur ce point l'approche holiste de la naissance prônée par les

sages-femmes et les usagères de l'accouchement hors de l'hôpital, qui perçoivent

généralement la douleur comme un aspect de la physiologie, indissociable du reste du

processus de l'accouchement (Jacques, 2007). En considérant l'événement de la

naissance comme un tout indivisible, on replace la douleur dans son contexte et on lui

redonne du sens, ce qui la rend acceptable. À l'inverse, l'approche biomédicale, par sa

nature foncièrement non-holiste, appréhende la naissance comme une succession

d'étapes potentiellement « à risque » qui requièrent chacune un traitement

médicamenteux ou une intervention médicale particulière. Dans cette optique, la

douleur de l'accouchement n'est plus qu'un symptôme fâcheux parmi d'autres qu'il faut

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

neutraliser. Sortie de son contexte, la douleur est vidée de tout sens et en devient

intolérable.

2.1. La question de la péridurale

Dans notre société algophobe, l'idée d'accoucher sans péridurale est souvent perçue

comme rétrograde : pourquoi accepter la douleur quand la médecine nous offre

maintenant un moyen de l'éviter ? Selon cette idée, refuser la péridurale, c'est presque

aller à l'encontre du progrès scientifique : « Et puis c'est vrai que je trouve que si ça

existe, et bien pourquoi pas en profiter quoi. » (Joëlle, GH). La technique de la

péridurale illustre particulièrement bien la vision fragmentée de la naissance adoptée par

la biomédecine, puisqu'elle est basée sur le postulat selon lequel la douleur ne serait

qu'un élément de l'accouchement que l'on pourrait simplement éliminer, sans

conséquence sur l'ensemble du processus. Certaines de mes interlocutrices partagent

cette vision et estiment que la douleur de l'accouchement n'a aucune utilité : « Non,

alors souffrir pour souffrir, je trouve que c'est pas très intéressant. Donc si on peut

éviter... » (Vanessa, GH).

D'autre part, comme à l'hôpital la plupart des femmes accouchent sous péridurale, il

devient rare pour les étudiant-e-s, gynécologues comme sages-femmes, d'assister à un

accouchement sans péridurale, ce qui a pour effet de perpétuer l'idée selon laquelle il est

préférable d'y avoir recours (Leap et Anderson, 2008). Par ailleurs, l'augmentation des

interventions techniques et médicamenteuses autour de l'accouchement en milieu

hospitalier est liée aux effets iatrogènes de la péridurale. Elle tend en effet à ralentir le

travail et à entraver son déroulement physiologique, ce qui peut justifier de nouvelles

interventions techniques, telle qu'une injection d’ocytocine ou l'utilisation d'instruments

pour sortir le nouveau-né (forceps, ventouse), voire le recours à une césarienne si le

travail se prolonge trop et excède la durée fixée selon les règles du travail dirigé (Anim-

Somuah, Smyth et Howell, 2010).

De manière générale, si mes interlocutrices souhaitent accoucher sans péridurale, c'est

d'abord pour être pleinement actrices de leur accouchement. Dans ce but, elles préfèrent

conserver leur mobilité et leurs sensations, douleur comprise : « Je sais qu'on vit

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Chapitre 4 Les représentations et attentes des femmes enceintes autour de l'accouchement

l'accouchement différemment si on sent la douleur. Il n'y a pas que la douleur qu'on sent

plus avec la péridurale, il y a aussi tout plein de choses qui sont endormies, et puis moi

il me semble que... Enfin, ce sont mes impressions en tant que femme qui n'a jamais

accouché, qui n'a pas fait cette expérience, mais j'ai l'impression que si on prend une

péridurale, on est un peu, quelque part, spectatrice de son propre accouchement, puis

que si on sent mieux nos muscles, on a la douleur mais on a tout le reste. Quand on

ressent mieux notre corps, on est plus actrice. » (Alice, AAD).

Parmi mes interlocutrices ayant choisi d'accoucher à l'hôpital, les avis divergent au sujet

de la péridurale. Plusieurs d'entre elles souhaitent accoucher « naturellement », ce qui

pour elles signifie le plus souvent accoucher sans péridurale. Dans cette optique, le refus

de la péridurale peut leur apparaître comme un moyen d'accéder à un « accouchement

naturel » tout en accouchant à l'hôpital.

D'autres femmes se positionnent clairement en faveur de la péridurale, jusqu'à se

montrer agacées par les femmes qui décident de s'en passer : « Ce côté démonstratif,

cette "volonté" entre guillemets... Je dis pas, c'est pas tout le monde qui fait... Enfin à la

maison il y a peut-être d'autres motivations. Mais c'est l'impression que ça me donne, ce

côté naturel, de gérer la douleur, de gérer son accouchement, ouais je sais pas c'est ce

côté... Puis après de le dire... Mais c'est tout à fait subjectif, ouais c'est un peu négatif.

Pourtant moi j'aime bien la nature, j'ai rien contre tout ça quoi, mais je pense que dans

certains contextes, la fierté tu la mets de côté. » (Valérie, hôpital). Dans cet exemple on

peut remarquer que Valérie fait un amalgame entre le fait d'accoucher sans péridurale et

le fait d'accoucher hors de l'hôpital. Elle ne comprend pas le désir de certaines femmes

de vivre un « accouchement naturel », sans intervention médicale. Pour elle, l'envie

d'accoucher sans péridurale, ou plus généralement celle d' « accoucher soi-même », par

opposition à « se faire accoucher », peut entrer en conflit avec les intérêts du futur

enfant. Tout se passe comme si les professionnel-le-s de la naissance étaient de toute

façon les mieux habilité-e-s pour mener à bien un accouchement. La péridurale fait ici

partie intégrante de la prise en charge hospitalière : elle devient une intervention

médicale comme une autre, sur laquelle il n'y a pas vraiment lieu de se prononcer.

Comme je l'ai dit précédemment, les femmes enceintes tendent à penser que les

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

interventions qui leur sont proposées – ou imposées – ne peuvent être que bénéfiques.

Ainsi, dans le discours biomédical, la péridurale participe à la prévention des risques.

Lors de complications justifiant une césarienne, par exemple, elle permet d'éviter une

anesthésie générale. Dans cette optique, la refuser reviendrait à défier l'autorité

médicale, voire à prendre des risques inutiles. Par ailleurs, les cours de préparation à la

naissance proposés par les maternités influencent considérablement le positionnement

des femmes enceintes concernant la péridurale, en choisissant d'insister davantage sur

les avantages de cette intervention plutôt que sur ses inconvénients, comme évoqué

précédemment dans le cas de l'épisiotomie. D'un point de vue organisationnel, il est

d'ailleurs plus avantageux pour les hôpitaux que les parturientes optent pour la

péridurale, étant donné qu'elle exige un moindre accompagnement de la part du

personnel médical. Une femme qui accouche sans péridurale requiert en effet un plus

grand soutien émotionnel.

En outre, l'utilisation de la péridurale est intimement liée à un désir des parturientes de

garder le contrôle durant leur accouchement (Leap et Anderson, 2008). Comme je l'ai

déjà mentionné précédemment (voir supra pp. 72-76), il s'agit ici d'un contrôle interne,

que la péridurale leur permet d'exercer sur elles-mêmes. Dans cette perspective, le

recours à la péridurale relève alors du choix stratégique et transcende sa fonction

première, qui est de supprimer la douleur. Les parturientes acceptent de perdre leur

mobilité physique pour être en pleine possession de leurs moyens intellectuels et ne pas

céder à la panique sous l'emprise de la douleur. Lors de son premier accouchement,

Émilie (GH) souhaitait accoucher sans péridurale, mais a changé d'avis en cours de

travail : « Pour moi la douleur elle était vraiment trop... Elle me paralysait, en fait, lors

du premier accouchement. J'arrivais plus à gérer du tout tout ce qu'on m'avait appris,

tout ce que j'avais lu de comment ça pouvait se passer, d'un coup c'était anéanti par la

douleur, donc là je me suis dit je peux plus continuer comme ça. [...] Je suis d'accord

d'avoir mal une sacrée dose, mais pas... Je suis pas quelqu'un qui, j'ai l'impression, qui

arrivait bien à gérer complètement cette douleur, donc je me dis si je peux avoir une

aide, pourquoi pas ». Dans cet exemple, ce n'est pas tant la douleur qu'Émilie souhaite

éviter que la perte de contrôle totale qu'elle induit.

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Chapitre 4 Les représentations et attentes des femmes enceintes autour de l'accouchement

2.2. Quelle conception de la douleur dans le cadre d'un accouchement sans péridurale ?

Le modèle de soins des sages-femmes prône le respect de la physiologie avant tout. La

douleur de l'accouchement s'inscrivant dans la physiologie, les sages-femmes

indépendantes considèrent donc généralement que cette douleur peut être gérée sans

qu'il soit nécessaire d'avoir recours à des moyens médicamenteux (MacDonald, 2007).

La douleur de l'accouchement est particulière en ceci qu'elle ne signale aucun danger ou

dysfonctionnement du corps : il s'agit d'une douleur qui s'inscrit dans la physiologie.

Elle se manifeste parce que le corps produit un grand effort, qu'un travail important est

en train de s'effectuer. Pourtant, ce discours qui réhabilite la douleur dérange, parce qu'il

se situe à contre-courant au sein de notre société, qui vise à exterminer toute forme de

souffrance sans aucune nuance. Mes interlocutrices sont souvent confrontées à de

l'incompréhension face à leur acceptation de la douleur. Au sein de notre culture

algophobe, elles peuvent se sentir déstabilisées, à l'instar de Julie (M de N) : « Ce

rapport à la douleur, j'y réfléchis encore, hein. Parfois, je me dis, mais peut-être que je

veux me faire trop souffrir, je ne sais quoi.».

Dans le cadre d'un accouchement hors de l'hôpital, les sages-femmes proposent des

moyens non-médicamenteux pour favoriser la gestion de la douleur, telle que

l'immersion dans de l'eau chaude, dont les effets positifs sont avérés (Leap et Anderson,

2008). D'après ma recherche, les femmes enceintes envisagent souvent d'avoir recours à

cette technique. En amont, les sages-femmes préparent également leurs patientes à la

douleur de l'accouchement en l'évoquant de manière positive et novatrice, par rapport au

discours biomédical dominant (ibid., 2008). Elles partent du principe que leurs patientes

sont tout à fait à même de gérer cette douleur, à condition de leur offrir un

environnement adéquat. Elles prennent aussi le temps d'expliciter en quoi consiste les

contractions et insistent notamment sur la discontinuité la douleur. Cette idée revient

fréquemment dans le discours de mes interlocutrices : « Ce qui est acceptable dans la

douleur, c'est qu'elle passe, c'est pas une douleur continue. Dans les contractions, on a

très mal pendant ces contractions, mais après elles passent. C'est pas quelque chose de

continu. Ce qui change vraiment je trouve la sensation de la douleur, c'est que dès

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

qu'elles disparaissent, on est en pleine forme. On a plus mal du tout et puis ça réarrive,

mais c'est pas quelque chose d'une douleur qui continue, qui continue et qu'on peut

jamais se reposer en fait. » (Charlotte, AAD).

Les sages-femmes mentionnent enfin la capacité du corps à produire ses propres

hormones anti-douleur, de sorte que le travail reste supportable (Leap et Anderson,

2008). Les femmes enceintes évoquent ainsi parfois une certaine curiosité à laisser leur

corps agir par lui-même : « C'est un peu l'occasion de... Enfin à la base, on est quand

même assez bien fait, on a des... plein d'hormones, enfin des endorphines qui te calment

la douleur, alors c'est clair que tu les as... Enfin tu vas avoir mal, ça c'est clair, il y a

pas de miracle. Mais ça peut être intéressant aussi de voir ton corps, comment il réagit

tout seul. » (Géraldine, GH). Certaines de mes interlocutrices invoquent l'universalité de

la naissance pour relativiser la douleur de l'accouchement : « Ça m'inquiète pas de

souffrir, en fait. Parce que je pense qu'on est conçu pour enfanter, puis qu'il y a

tellement de femmes qui ont accouché sur cette planète que je vois pas pourquoi moi je

n'y arriverais pas aussi bien que les autres. » (Alice, AAD).

Par ailleurs, des études montrent que l'application du principe de continuité des soins

réduit l'utilisation d'anti-douleur, tout en augmentant la satisfaction des femmes

(Hodnett cité dans Leap et Anderson, 2008). La douleur semble également mieux

supportée par les parturientes si elles se sentent accompagnées et soutenues par un-e

professionnel-le qu'elles connaissent et en qui elles ont confiance (Gibbins et Thomson,

2001). De façon générale, il semble donc que la douleur ressentie n'est pas un critère

déterminant en ce qui concerne l'appréciation faite par les femmes de leur

accouchement (Leap et Anderson, 2008). D'autres facteurs sont identifiés comme plus

importants : le fait que le travail se déclenche spontanément et d'accoucher par voie

basse, ou plus généralement d'avoir un sentiment de contrôle sur le déroulement de son

accouchement (ibid., 2008). De plus, le fait d'accoucher sans péridurale et d'avoir su

gérer la douleur est souvent associé par les femmes à une prise de confiance en soi et

une appréciation positive de leur expérience de l'accouchement (ibid., 2008). Ces

différents éléments ont été validés par mes interlocutrices ayant déjà vécu une

naissance.

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Chapitre 4 Les représentations et attentes des femmes enceintes autour de l'accouchement

La grossesse est souvent évoquée par les femmes enceintes comme une période

d'introspection, ce qu'Anne-Laure (M de N) exprime ainsi : « Il y a eu des moments

vraiment de... comme si j'étais un livre ouvert et que je voyais tout, tous les trucs qui

vont, tous les trucs qui vont pas, les machins pas réglés... Il y a tout qui refaisait surface

à certains moments, quoi, de la grossesse. Puis il faut les traverser, enfin, c'est des

remises en question... ». L'accouchement est en quelque sorte l'aboutissement de ce

travail de réflexion sur soi-même, et dans cette perspective, peut être perçu comme une

épreuve à caractère initiatique dont la parturiente sort changée. À ce propos, Julie

déclare : « C'est vrai que c'est initiatique, quoi, tu passes d'un autre côté. Je pense que

tu découvre des trucs de toi, mais par le corps ». L'accouchement pourrait alors agir

comme un révélateur qui permettrait d'accéder à une meilleure connaissance de

soi-même. Selon cette idée, la douleur joue un rôle important dans cette transformation

permise par l'accouchement. En ayant un impact positif sur l'identité de la parturiente,

elle pourrait notamment l'aider par la suite à « affronter plus facilement les épreuves de

la vie sociale » (Jacques, 2007 : 173). Accoucher hors de l'hôpital et gérer son

accouchement de façon autonome, douleur comprise, semble agir positivement sur

l'estime de soi. Julie, qui en a fait l'expérience, évoque ainsi la « force » que la naissance

de son premier enfant lui a apportée.

En conclusion, il ressort de ma recherche que la manière d'envisager la douleur de

l'accouchement est davantage liée à la volonté d'avoir ou non recours à une péridurale,

plutôt qu'au lieu choisi pour l'accouchement. Les femmes enceintes avancent d'ailleurs

des arguments sensiblement identiques pour justifier le choix d'accoucher sans

péridurale, quel que soit le lieu choisi pour leur accouchement. Néanmoins, les femmes

qui accouchent à l'hôpital savent qu'il leur sera toujours possible de demander une

péridurale si elles en ressentent le besoin lors de l'accouchement. De leur côté, les

femmes qui ont prévu d'accoucher hors de l'hôpital partagent parfois cette vision. Elles

insistent alors particulièrement sur la nécessité de pouvoir agir selon leurs besoins et

leurs envies au moment de leur accouchement, quitte à se rendre à l'hôpital si elles

n'arrivent plus à gérer la douleur ou simplement si elles ne se sentent plus en sécurité,

indépendamment de l'avis médical de leur sage-femme. Le positionnement des femmes

enceintes par rapport à la douleur de l'accouchement dépend avant tout de leurs

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

représentations autour de la naissance. Celles qui ont une vision holiste de l’événement

lui attribuent un sens ou une utilité, et ne peuvent concevoir qu'il est possible de

l'éliminer sans conséquences sur l'ensemble du processus. D'autres femmes, plus

proches du modèle technocratique, estiment que la douleur de l'accouchement est inutile

et que la supprimer ne peut avoir aucun effet autre que celui d'accroître le confort de la

parturiente. Elles tendent à penser dans ce cas que la péridurale fait partie intégrante de

la prise en charge hospitalière et qu'elle est donc forcément bénéfique : c'est aussi à ce

titre qu'elles l'acceptent.

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Conclusion

D'après ma recherche, il est très rare que les femmes enceintes adhèrent sans réserve à

un modèle de soins obstétriques établi. Globalement, leur approche holiste de la

naissance et leur désir d'accoucher « naturellement » les éloignent du modèle

technocratique. Pourtant, la grande majorité des femmes préfère opter pour la prise en

charge de la naissance prévue par ce modèle, considéré comme le modèle légitime et

détenteur du « savoir faisant autorité ». Si ce choix comble leurs besoins de sécurité,

l'hôpital étant reconnu comme le lieu le plus sûr pour donner naissance à son enfant, il

engendre également des frustrations : les femmes enceintes éprouvent souvent une

tension entre leur conception holiste de la naissance et le caractère fragmenté de leur

suivi de grossesse. La plupart d'entre elles conçoivent en effet leur grossesse comme une

expérience totale et se montrent souvent insatisfaites de la prise en charge biomédicale.

Cela se manifeste par exemple dans le cadre des consultations prénatales, durant

lesquelles toute l'attention de leur gynécologue est focalisée sur le développement du

fœtus qu'elles portent. Certaines femmes recherchent alors des compromis pour combler

ce manque, en se tournant vers d'autres praticien-ne-s qu'elles consultent parallèlement à

leur gynécologue et dont l'approche thérapeutique leur convient davantage. D'autres

s’accommodent d'un accouchement à l'hôpital, bien qu'elles n'adhèrent pas au modèle

technocratique de la naissance, parce qu'elles espèrent pouvoir quand même y vivre

l'accouchement « naturel », exempt d'intervention médicale, auquel elles aspirent. En

refusant de se soumettre à la systématicité des protocoles, elles subvertissent les

pratiques hospitalières afin de les adapter à leur propre conception de la naissance.

De leur côté, les femmes qui choisissent d'accoucher hors de l'hôpital peuvent être

confrontées aux mêmes tensions. Leur quête de compromis se traduit alors par le besoin

d'avoir un suivi de grossesse mixte assuré à la fois par un-e gynécologue et une sage-

femme indépendante, ou par leur volonté de conserver leur choix ouvert, se réservant la

possibilité de modifier leur projet en cours de route si elles ressentent le besoin de se

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

rendre à l'hôpital. Si leur choix de naissance les rapproche du modèle holiste, il est

cependant difficile pour elles de se soustraire à l'hégémonie du modèle technocratique,

dont elles ont intégré les normes comme le montre notamment leurs préoccupations

liées à leur âge lorsqu'il est estimé problématique par les dogmes biomédicaux. De

manière plus générale, elles peuvent également éprouver le besoin d'obtenir une

validation médicale de leur sensations corporelles, à leur entrée dans la grossesse, par

exemple.

Quel que soit le lieu de naissance choisi, les femmes enceintes envisagent généralement

la grossesse et l'accouchement comme des processus « naturels ». À leur entrée dans la

grossesse, elles tendent à partager les mêmes représentations. Cependant, au fur et à

mesure qu'elle progresse, les différences tendent à se creuser. Dans ce processus, le suivi

de grossesse joue un rôle important : si les gynécologues mettent l'accent sur la

prévention des risques entourant la grossesse, les sages-femmes incitent plutôt leurs

patientes à prendre confiance en elles et en leurs facultés corporelles à mener à bien une

grossesse et un accouchement.

À un niveau individuel, le choix du lieu de naissance influe sur le rapport des femmes

enceintes aux récits de naissance et à l'information : elles tendent à ne retenir que ce qui

les conforte dans le bien fondé de leur décision. Ainsi, les femmes accouchant à l'hôpital

sont particulièrement focalisées sur la prévention des risques et expriment peu d'attentes

concernant leur accouchement, tandis que celles ayant choisi d'accoucher hors de

l'hôpital tendent à accorder davantage d'importance à l'expérience de la naissance en

elle-même. Si les aspirations des femmes enceintes semblent se rejoindre autour de la

notion d' « accouchement naturel », leur manière de la définir varie fortement. Celles

qui ont choisi d'accoucher hors de l'hôpital s'apprêtent à vivre une naissance exempte

d'intervention, tandis que pour celles qui accouchent à l'hôpital, un minimum

d'interventions est requis : selon le modèle technocratique, un accouchement peut à tout

instant basculer dans la pathologie.

Aux yeux des femmes enceintes, un modèle de soins obstétriques qui fonctionne est

d'abord un modèle qui les sécurise, c'est-à-dire qui leur apporte une sécurité

émotionnelle, mais aussi qui correspond à leurs représentations autour de la naissance.

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Conclusion

Le choix du lieu de l'accouchement ne reflète pas forcément ces représentations. Il

contient une part d'arbitraire, selon l'accès à l'information dont disposent les femmes,

par exemple. Pour effectuer ce choix, elles sont aussi tributaires de critères

pragmatiques, liés à l'offre qui leur est proposée. Par exemple, comme j'ai pu l'observer

dans le cadre de ma recherche, certaines femmes souhaitent accoucher à l'hôpital sous la

surveillance de leur sage-femme personnelle. Cependant, si certaines maternités

proposent cette possibilité en Suisse, elle n'est pas accessible à toutes les femmes

enceintes, pour des raisons de proximité géographique ainsi que de disponibilité des

infrastructures et des sages-femmes y pratiquant. Quelle que soit l'option retenue, les

femmes enceintes trouvent en revanche par la suite le moyen de s'approprier ou de se

réapproprier leur choix en ayant recours à différentes stratégies pour parvenir à un

compromis qui leur convienne. Leur choix de naissance et leurs représentations autour

de cet événement forment alors un tout cohérent, qui fait sens à leurs yeux.

Comme le montre ma recherche, le choix du lieu de l'accouchement influence fortement

l'expérience de la grossesse et les attentes entretenues par les femmes enceintes

concernant la naissance de leur enfant. On peut cependant se demander dans quelle

mesure ces différences reflètent bien les désirs des femmes enceintes. Le système

obstétrique en lui-même oblige en effet les femmes à vivre ces processus de manière

fortement contrastée. En choisissant un lieu de naissance, les femmes enceintes sont

ensuite engagées dans des parcours spécifiques, et suivies par des professionnel-le-s

dont les approches de soins diffèrent, ce qui va puissamment modeler leur expérience.

Selon que le suivi de grossesse est assuré par un-e gynécologue ou par une sage-femme,

les informations transmises ne sont pas les mêmes, ce qui engendre notamment des

pratiques de préparation à la naissance différentes. Il est par exemple peu probable qu'il

s'agisse d'une coïncidence non-significative si seule une parmi les dix femmes ayant

participé à ma recherche et accouchant à l'hôpital ait été informée des bénéfices

d'effectuer une préparation du périnée, alors que celles accouchant hors de l'hôpital

semblent toutes familières de cette pratique.

De manière générale, il m'est apparu au cours de mes discussions avec les femmes

enceintes que leurs désirs semblent parfois avoir évolué plus vite que notre modèle de

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

soins obstétriques, qui ne correspond pas ou plus à leurs attentes. Elles souhaiteraient

souvent une prise en charge plus personnalisée, notamment au cours de leur suivi de

grossesse, mais aussi au moment de l'accouchement, particulièrement si elles

choisissent de le vivre sans péridurale. Dans cette optique, le modèle de soins des sages-

femmes semble davantage susceptible de remplir leur attentes que le modèle

technocratique. Mais le seul moyen pour les femmes enceintes d'en bénéficier dans le

contexte suisse est de choisir d'accoucher hors de l'hôpital, et cette option n'est retenue

que par une minorité de femmes. Dans les circonstances actuelles, en raison notamment

d'un manque de diffusion d'informations concernant cette possibilité, choisir

d'accoucher hors de l'hôpital nécessite en effet un investissement personnel que toutes

les femmes enceintes ne sont pas prêtes à déployer. Il serait intéressant dans cette

perspective d'approfondir la question des liens entre l'accès à l'information dont

disposent les femmes et leurs choix de naissance, notamment à travers l'étude des

modalités de la transmission d'informations entre les professionnel-le-s de la naissance

et leurs patientes.

Ma recherche atteste par ailleurs des lacunes concernant la communication et la

coopération entre les divers corps de métiers concernés par la naissance,

particulièrement entre sages-femmes et gynécologues. Les femmes enceintes sont les

plus lésées par cette absence de communication. Elles se trouvent parfois tiraillées entre

des praticien-ne-s aux modèles de soins divergents, voire opposés, ce qui peut être

déstabilisant. Le rôle de l'anthropologie de la naissance, en rendant compte d'autres

modèles de prise en charge de la naissance que le modèle biomédical dominant, ainsi

que des expériences et des attentes des différents protagonistes impliqué-e-s dans une

naissance, me semble ici crucial. Elle permet en effet à chacun-e d'accéder à la

compréhension du point de vue des autres, ce qui me semble constituer une première

étape indispensable en vue de repenser un système obstétrique, au sein duquel toutes les

femmes enceintes pourront, dans un premier temps, être informées de manière

exhaustive des choix de naissance qui s’offrent à elles, et ensuite trouver leur place,

quelle que soit l'option retenue.

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Annexes

1. Profil des femmes enceintes rencontrées au moment de l'entretien

• Alice, 26 ans, ébéniste, enceinte de 5 mois et demi lors du premier entretien et de 8 mois lors du deuxième, prévoit d'accoucher à domicile, nullipare.

• Cécilia, 37 ans, psychologue, enceinte de 8 mois et demi, prévoit d'accoucher à domicile, un enfant de sept ans né au Grand Hôpital.

• Julie, 33 ans, musicienne, enceinte de 7 mois, prévoit d'accoucher en maison de naissance, un enfant de 2 ans né à l'hôpital (elle devait accoucher en Angleterre, à la maison en compagnie de sa doula et d'une sage-femme, mais aucune n'ayant pu se libérer le jour de l'accouchement, Julie a dû se déplacer à l'hôpital pour l'expulsion).

• Fernanda, 38 ans, monitrice en maison de quartier, enceinte de 8 mois, prévoit d'accoucher en maison de naissance, nullipare.

• Anne-Laure, 34 ans, thérapeute et danseuse, enceinte de 8 mois, prévoit d'accoucher en maison de naissance, nullipare.

• Maëva, 34 ans, ostéopathe, enceinte de 8 mois et demi, prévoit d'accoucher en maison de naissance, nullipare.

• Rachel, 31 ans, infirmière dans une structure pour jeunes adultes polyhandicapés, enceinte de 8 mois, prévoit d'accoucher à domicile, un enfant de 2 ans né à la maison.

• Delphine, 34 ans, infirmière et artiste, a accouché depuis 1 jour à l'hôpital, prévoyait d'accoucher à domicile, primipare.

• Barbara, 28 ans, styliste et fleuriste, enceinte de 8 mois, prévoit d'accoucher à domicile, un premier enfant de 2 ans né à l'hôpital (elle avait prévu d'accoucher à la maison, mais l'accouchement se prolongeant trop, elle a été transférée à l'hôpital pour avoir une péridurale).

• Charlotte, 35 ans, agente de voyage, enceinte de 8 mois, prévoit d'accoucher à domicile, un premier enfant de 2 ans et demi né à l'hôpital (la majeure partie du travail s'est déroulée à son domicile, mais là aussi, elle a été transférée à l'hôpital parce que l'accouchement durait trop longtemps).

• Géraldine, 34 ans, enseignante de biologie et chimie au gymnase, enceinte de 8 mois, prévoit d'accoucher au Grand Hôpital, nullipare.

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

• Émilie, 35 ans, gériatre, enceinte de 8 mois et demi, prévoit d'accoucher au Grand Hôpital, un premier enfant de 3 ans et demi né au Grand Hôpital.

• Vanessa, 35 ans, enseignante de français, anglais et géographie au collège, enceinte de 7 mois et demi, prévoit d'accoucher au Grand Hôpital, deux enfants de 5 et 2 ans nés à l'hôpital.

• Isabelle, 36 ans, laborantine en physique, enceinte de 8 mois et demi, prévoit d'accoucher en clinique, un premier enfant de 14 mois né en clinique.

• Joëlle, 29 ans, assistante comptable, enceinte de 7 mois et demi, prévoit d'accoucher au Grand Hôpital, un premier enfant de 3 ans né au Grand Hôpital.

• Valérie, 30 ans, archéologue, enceinte de 6 mois et demi, prévoit d'accoucher à l'hôpital, un premier enfant de 2 ans né à l'hôpital.

• Mathilde, 36 ans, clown et enseignante en pratiques clownesques, enceinte de 7 mois et demi, prévoit d'accoucher à l'hôpital, nullipare.

• Davina, 30 ans, psychologue à l'office de l'assurance-invalidité, enceinte de 6 mois et demi, prévoit d'accoucher au Grand Hôpital, nullipare.

• Stéphanie, 30 ans, déléguée pour le Comité International de la Croix Rouge, enceinte de 8 mois et demi, prévoit d'accoucher en clinique, nullipare.

• Dörte, 37 ans, architecte, enceinte de 8 mois et demi, prévoit d'accoucher au Grand Hôpital, nullipare.

2. Grilles d'entretien destinées aux femmes enceintes

2.1. Partie commune à toutes les femmes enceintes

• Quand et comment avez-vous su que vous étiez enceinte? Quand et comment avez-vous réellement ressenti votre grossesse pour la première fois? Était-ce au même moment ou à un moment différent?

• Qu'est-ce qui a changé dans votre vie de tous les jours depuis que vous êtes enceinte (alimentation, pratiques)?

• Comment vous « sentez-vous » enceinte? Est-ce que vous trouvez cela agréable?

• Y a-t-il des aspects de votre grossesse qui vous sont désagréables, que ce soit au niveau physique ou émotionnel? Est-ce que vous avez des inquiétudes, des appréhensions par rapport à votre grossesse?

• D'après vous, qu'est-ce qui a changé dans la vie de votre partenaire depuis que vous êtes enceinte (mode de vie, habitudes alimentaires)? De quelles manières partage-t-il votre grossesse avec vous? Est-ce qu'il est présent aux consultations prénatales, aux cours de préparation à la naissance? Est-ce que votre grossesse a induit des changements dans sa manière de se comporter avec vous?

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Annexes

• Est-ce que vous lisez des livres ou des magazines sur la grossesse? Lesquels? Pourquoi ceux-ci? De façon globale, qu'est-ce que ces lectures vous apportent? Si vous ne lisez rien, y a-t-il une raison? De quelles autres sources d'informations sur la grossesse et l'accouchement disposez-vous?

• Qui s'occupe de suivre l'évolution de votre grossesse, avec combien de professionnel-le-s êtes-vous en contact? Comment avez-vous choisi cette/ces personne-s? À quel moment avez-vous contacté cette/ces personne-s? Comment définiriez-vous votre relation avec lui/eux/elle-s? Qu'attendez-vous de cette/ces personne-s?

• Comment avez-vous vécu votre première échographie? Est-ce que cette expérience a modifié votre perception, votre ressenti de votre grossesse? Est-ce que vous avez fait des examens médicaux en plus des examens « standards » prévus par le suivi de grossesse? Lesquels?

• Est-ce que vous connaissez le sexe de votre enfant? Pourquoi? Pourquoi pas?

• (Dans le cas d'une femme ayant déjà vécu une naissance :) Vous êtes déjà maman, pourriez-vous me parler de votre première grossesse? Comment s'est-elle déroulée, pour quel type de suivi de grossesse aviez-vous opté? Comment s'est passé l'accouchement?

• Est-ce que vous avez suivi un cours de préparation à l'accouchement? Si oui, où et quel type de cours? Que recherchiez vous en suivant ce cours (connaissances techniques, lieu de sociabilisation)? Qu'est-ce que ce cours vous a apporté?

• Comment imaginez-vous votre accouchement ? Avez-vous des attentes particulières, des appréhensions? Comment votre partenaire envisage-t-il l'accouchement? Quel sera son rôle? Qu'est-ce que vous attendez de lui?

2.2. Partie spécifique aux femmes accouchant à l'hôpital• Quand et comment avez-vous pris la décision d'accoucher à l'hôpital? Expliquez-

moi les raisons de ce choix. Avant de tomber enceinte, est-ce que ce choix était déjà clair pour vous? Est-ce que vous étiez informée des différentes options possibles en Suisse concernant le suivi de grossesse et l'accouchement? Selon quels critères avez-vous choisi l'hôpital dans lequel vous allez accoucher ?

• Est-ce que vous avez des désirs particuliers concernant votre accouchement? Avez-vous rencontré une sage-femme de l'hôpital pour en discuter? Avez-vous établi un plan de naissance?

• Y a-t-il une/des intervention-s médicale-s avec laquelle/lesquelles vous êtes en désaccord, est-ce que vous pourriez alors la/les refuser sur le moment ? D'après vous, est-ce qu'un accouchement nécessite toujours un minimum d'interventions médicales? Est-ce que cela vous convient que ce soit une sage-femme que vous ne connaissez pas et non votre gynécologue qui sera présent lors de l'accouchement ? Qu'attendez-vous des sages-femmes qui s'occuperont de vous au moment de l'accouchement ?

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ACCOUCHER À L'HÔPITAL OU HORS DE L'HÔPITAL

• Comment envisagez-vous la question de la douleur de l'accouchement? Est-ce qu'à votre avis, l'accouchement est forcément un acte douloureux? D'après vous, est-ce que cette douleur a un sens, une utilité quelconque? Que pensez-vous de la péridurale, est-ce que vous envisagez de la demander?

• D'après vous, pourquoi la grande majorité des femmes choisissent d'accoucher à l'hôpital? Quelle est votre opinion concernant la possibilité d'accoucher hors de l'hôpital (maison de naissance ou domicile)? Que pensez-vous des femmes qui font un tel choix de naissance? Est-ce que vous pourriez envisager cette possibilité pour une éventuelle future grossesse? Comment pensez-vous que votre partenaire et votre entourage réagiraient?

2.3. Partie spécifique aux femmes accouchant hors de l'hôpital

• Quand et comment avez-vous pris la décision de ne pas accoucher à l'hôpital? Expliquez-moi les raisons de ce choix.

• Qu'est-ce qui aurait pu ou pourrait encore vous retenir dans ce choix?

• Avant de tomber enceinte, est-ce que vous aviez déjà une opinion sur la question? Comment cette opinion s'est-elle construite? Est-ce que vous saviez déjà vouloir un accouchement alternatif à ceux proposés en milieu hospitalier ? Est-ce que vous estimez que ce choix s'inscrit dans une continuité par rapport à votre vie en général, qu'il « déborde » du cadre de cette grossesse, et reflète votre philosophie de vie?

• Comment a réagi votre entourage par rapport à votre choix d'accoucher hors de l'hôpital (conjoint, famille, amis)? A-t-il été surpris? Vous sentez-vous comprise?

• Comment avez-vous choisi votre sage-femme? Selon quels critères? Qu'est-ce que vous attendez d'elle? Comment définiriez-vous votre relation?

• Vous allez accoucher sans péridurale, ni médicament. Comment envisagez-vous la question de la douleur? Est-ce que cela a pu vous faire hésiter dans votre choix? Est-ce qu'à votre avis, l'accouchement est forcément un acte douloureux? D'après vous, est-ce que cette douleur a un sens ou une utilité quelconque?

• D'après vous, pourquoi la grande majorité des femmes accouche-t-elle à l'hôpital? Pourquoi l'accouchement à domicile ou en maison de naissance ne se diffuse-t-il pas plus?

• J'ai lu un témoignage d'une sage-femme qui disait qu' « une sage-femme fait bien son travail quand les couples gardent l'impression qu'ils ont accouché eux-mêmes », que pensez-vous de cette idée (Saillant et O'Neill, 1987 : 466)?

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