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LES TROUBLES INTELLECTUELS LÉGERS OU MCI L’identification et le démembrement des troubles intel- lectuels légers ou MCI (mild cognitive impairment, pour les Anglo-Saxons) progressent à grands pas actuellement. Différentes étiologies sont envisagées en fonction du nombre et du type de fonctions cognitives atteintes (tableau I). Des critères plus précis permettraient de porter le dia- gnostic de MCI selon Dubois et Albert (1) associant : - une plainte mnésique spontanée exprimée par le patient ou son entourage ; - des performances anormales dans les tests explorant les fonctions mnésiques ; - l’atteinte éventuelle d’autres domaines cognitifs ; - la notion d’un déclin cognitif par rapport à l’état anté- rieur ; - des activités fonctionnelles essentiellement norma- les ; - l’absence de syndrome démentiel. La validation de ces critères sur une large cohorte a montré une prévalence plus élevée qu’avec les critères de Petersen utilisés jusqu’à présent (20,4 % contre 3,2 %) et un risque de progression vers un authentique syndrome démentiel en 2 ans de 28,6 % contre 11 % antérieurement. Si les avis sur les facteurs de risque de progression d’un MCI vers une démence sont parfois divergents en ce qui concerne le rôle de l’apoliprotéine E, un consen- sus se dégage sur la valeur pronostique défavorable du MMS initial et en particulier des items d’orientation temporelle, sur l’âge et sur le test de l’horloge. Le suivi d’une cohorte de 90 MCI amnestique (atteinte mné- sique isolée) sur près de 5 ans a permis à Chertkow de construire l’algorithme suivant si l’âge supérieur à 77 ans, le score du MMS initial inférieur à 28, une erreur aux items d’orientation temporelle et une perturbation du test de l’horloge sont pris en compte (2). L’existence de l’une de ces anomalies est associée à l’évolution vers une démence dans 48 % des cas, de deux anomalies à un risque de démence dans 57 % des cas alors que 100 % des sujets ayant 3 ou 4 anomalies deviennent déments contre 6 % de ceux n’ayant aucu- ne anomalie. Au total, ces éléments ont permis de défi- nir correctement le risque de démence chez 39 patients sur 90. Si on prend en compte également les données de l’examen neuropsychologique et la mesure du volu- me hipppocampique en IRM, on classe de façon appropriée 49 patients sur 90. Dans près d’un cas sur PRATIQUE CLINIQUE NEUROLOGIE • PSYCHIATRIE • GÉRIATRIE - Année 4 - Septembre-Octobre 2004 26 Actualités cliniques et thérapeutiques dans les démences (1) Service de Gérontologie, Hôpital Broca, CHU Cochin Port-Royal, Université René-Descartes, Paris V, 54-56, rue Pascal, 75013 Paris. E-mail : [email protected] M.-L. SEUX (1) , C. BAYLE (1) , H. LENOIR (1) , F. LATOUR (1) , R. PEQUIGNOT (1) , O. HANON (1) , M.-A. ARTAZ (1) , E. WENISCH (1) , I. CANTEGREIL (1) , F. MOULIN (1) , J. DE ROTROU (1) , A.-S. RIGAUD (1) Multiple - dont amnésique Oui Un ou plusieurs « oui » Alzheimer, démence vasculaire ou dépression - sans amnésie Non Deux ou plusieurs « oui » Démence vasculaire ou dépression Unique non amnésique Non Seulement un « oui » Démence frontotemporale Démence à corps de Lewy Tableau I : Les déclins intellectuels légers. MCI Amnésique Oui Un ou plusieurs « oui » Alzheimer Domaine cognitif perturbé Mémoire Attention - Langage Fonctions visuospatiales Risque d’évoluer vers

Actualités cliniques et thérapeutiques dans les démences

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LES TROUBLES INTELLECTUELS LÉGERSOU MCI

L’identification et le démembrement des troubles intel-lectuels légers ou MCI (mild cognitive impairment,pour les Anglo-Saxons) progressent à grands pasactuellement. Différentes étiologies sont envisagées enfonction du nombre et du type de fonctions cognitivesatteintes (tableau I).Des critères plus précis permettraient de porter le dia-gnostic de MCI selon Dubois et Albert (1) associant :- une plainte mnésique spontanée exprimée par lepatient ou son entourage ;- des performances anormales dans les tests explorantles fonctions mnésiques ;- l’atteinte éventuelle d’autres domaines cognitifs ;- la notion d’un déclin cognitif par rapport à l’état anté-rieur ;- des activités fonctionnelles essentiellement norma-les ; - l’absence de syndrome démentiel.La validation de ces critères sur une large cohorte amontré une prévalence plus élevée qu’avec les critèresde Petersen utilisés jusqu’à présent (20,4 % contre3,2 %) et un risque de progression vers un authentique

syndrome démentiel en 2 ans de 28,6 % contre 11 %antérieurement.Si les avis sur les facteurs de risque de progressiond’un MCI vers une démence sont parfois divergents ence qui concerne le rôle de l’apoliprotéine E, un consen-sus se dégage sur la valeur pronostique défavorable duMMS initial et en particulier des items d’orientationtemporelle, sur l’âge et sur le test de l’horloge. Le suivid’une cohorte de 90 MCI amnestique (atteinte mné-sique isolée) sur près de 5 ans a permis à Chertkow deconstruire l’algorithme suivant si l’âge supérieur à 77ans, le score du MMS initial inférieur à 28, une erreuraux items d’orientation temporelle et une perturbationdu test de l’horloge sont pris en compte (2).L’existence de l’une de ces anomalies est associée àl’évolution vers une démence dans 48 % des cas, dedeux anomalies à un risque de démence dans 57 % descas alors que 100 % des sujets ayant 3 ou 4 anomaliesdeviennent déments contre 6 % de ceux n’ayant aucu-ne anomalie. Au total, ces éléments ont permis de défi-nir correctement le risque de démence chez 39 patientssur 90. Si on prend en compte également les donnéesde l’examen neuropsychologique et la mesure du volu-me hipppocampique en IRM, on classe de façonappropriée 49 patients sur 90. Dans près d’un cas sur

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(1) Service de Gérontologie, Hôpital Broca, CHU Cochin Port-Royal, Université René-Descartes, Paris V, 54-56, rue Pascal, 75013 Paris.E-mail : [email protected]

M.-L. SEUX(1), C. BAYLE(1), H. LENOIR(1), F. LATOUR(1), R. PEQUIGNOT(1),O. HANON(1), M.-A. ARTAZ(1), E. WENISCH(1), I. CANTEGREIL(1),

F. MOULIN(1), J. DE ROTROU(1), A.-S. RIGAUD(1)

Multiple- dont amnésique Oui Un ou plusieurs « oui » Alzheimer, démence vasculaire

ou dépression- sans amnésie Non Deux ou plusieurs « oui » Démence vasculaire ou dépression

Unique non amnésique Non Seulement un « oui » Démence frontotemporaleDémence à corps de Lewy

Tableau I : Les déclins intellectuels légers.

MCI

Amnésique Oui Un ou plusieurs « oui » Alzheimer

Domaine cognitif perturbé

MémoireAttention - Langage

Fonctions visuospatiales

Risque d’évoluer vers

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deux, on ne peut donc actuellement prédire le risqued’évolution d’un MCI amnestique à 5 ans. L’identification plus précise des différents types d’at-teintes intellectuelles non démentielles est extrêmementimportante afin d’établir un pronostic d’une part, et,d’autre part, de mettre en place des essais thérapeutiquesappropriés. Ainsi, par exemple, le laboratoire Ipsen-Beaufour a mis en place une étude randomisée en dou-ble aveugle contre placebo testant l’effet du gingko bilo-ba à fortes doses pendant 5 ans en prévention de ladémence d’Alzheimer chez les patients exprimant uneplainte mnésique.

LES ANTICHOLINESTÉRASIQUES

Dix ans se sont écoulés depuis la mise sur le marché enFrance de la tacrine, le premier anticholinestérasiquesuivi par trois autres produits de cette classe (tableau II).Des données récentes documentent leurs effets à longterme ou sur le comportement et leur impact socio-éco-nomique après la démonstration du bénéfice sur lesfonctions cognitives, la perte d’autonomie et une éva-luation globale en comparaison d’un placebo ayant per-mis l’obtention de mise sur le marché dans la maladied’Alzheimer de degré léger à modérément sévère (cor-respondant à un MMS compris entre 10 et 26 générale-

Traitement Donépézil (Aricept) Rivastigmine (Exelon) Galantamine (Reminyl)

AMM 1997 1998 2000

Cible Acétylcholinestérase Acétylcholinestérase et Acétylcholinestérase etInhibition pseudo- butyrylcholinestérase récepteurs nicotiniquesirréversible

Demi-vie 70 heures 9 heures 7 à 8 heuresd’élimination

Formes Cps à 5 et 10 mg Gélules à 1,5 - 3 - 4,5 - 6 mg Cps à 4, 8, 12 mgdisponibles Solution buvable Solution buvable

2 mg/ml (forme 4 mg/mlnon remboursée)

Posologie journalière 1 cp à 10 mg 2 gélules à 6 mg 2 cps à 12 mgmaximale

Interactions donépézil : fluoxétine, Pas de métabolisation galantamine : paroxétine,médicamenteuses érythromycine, par le cytochrome P450 quinidine, fluoxétine,

kétoconazole, fluvoxamine, érythromycine,itraconazole kétoconazole

donépézil :rifampicine, phénytoïne,carbamazépine

Coût journalier 3,36 (dose moyenne) 3,48 (dose moyenne) 2,43 (8 mg/j)(euros) 3,16 (16 mg/j, cps)

3,02 (16 mg/j buvable)3,75 (24 mg/j)

Tableau II : Les anticholinestérasiques mis sur le marché en France pour le traitement de la maladied’Alzheimer de degré léger à modérément sévère (24).

➝ ➝

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ment). Parallèlement, d’autres indications comme lesmaladies d’Alzheimer de degré sévère, la maladie àcorps de Lewy ou les démences vasculaires font égale-ment l’objet d’essais thérapeutiques.

Quels bénéfices supplémentaires peut-on attendredes anticholinestérasiques dans la maladied’Alzheimer ?

Effet sur les troubles du comportement - Les anticho-linestérasiques peuvent permettre de réduire l’apathie,l’anxiété et les symptômes dépressifs (3). Dans cer-tains cas, les hallucinations visuelles, les idées déliran-tes et l’agitation ont également été améliorées. Laconsommation des psychotropes est en général moind-re chez les patients traités par anticholinestérasiquescomparés au placebo.

Effet à long terme - Des études en double-aveuglecontre placebo ont démontré la prolongation du béné-fice des anticholinestérasiques sur des périodes d’unan. Ainsi chez des patients traités par donépézil, lescore MMSE est resté stable, alors qu’il a décliné de2,2 points en moyenne chez les patients traités par pla-cebo (4). En terme d’évaluation globale mesurant à lafois la cognition, le comportement et l’autonomie, ladétérioration est statistiquement moindre chez lespatients traités par donépézil comparés au groupe pla-cebo.La significativité clinique de ce bénéfice est indiscuta-ble comme en témoignent les résultats d’une autreétude évaluant le risque de survenue d’un déclin fonc-tionnel cliniquement significatif (5). Sur une périoded’un an, la probabilité de survie sans déclin a concer-né 51 % des patients traités par donépézil contre 35 %seulement des patients sous placebo. Le délai de sur-venue du déclin est passé de 208 jours dans le groupeplacebo à 357 jours dans le groupe traitement actif.Les patients traités par anticholinestérasiques« gagnaient » ainsi près de 5 mois sur une périoded’observation d’un an. Par ailleurs, chez les patientstraités au long cours, l’institutionnalisation est retardéeen moyenne de 2 ans (6).

Le retentissement sur les aidants et les donnéespharmaco-économiques

D’après des analyses cas-témoins, le traitement parune molécule anticholinestérasique permettrait uneéconomie d’un tiers des dépenses annuelles en hospi-talisations et prescriptions médicamenteuses. Parailleurs, les aidants des patients traités par anticholi-nestérasiques éprouvent moins de difficultés à les aiderdans la vie quotidienne comparés à ceux des patientsnon traités. Cette diminution de la charge supportée

explique, parallèlement à la limitation des troubles ducomportement, le retard à l’institutionnalisationpuisque d’après l’enquête Pixel le premier motif d’ins-titutionnalisation est la dépendance (45 %), en particu-lier l’incontinence, devant les troubles du comporte-ment (27 %) (7). La publication de l’étude AD2000 au début de l’été2004 a inquiété les familles et les médecins traitant lespatients atteints de maladie d’Alzheimer (8). En effetle suivi sur une période de deux ans de 565 patientsambulatoires randomisés pour être traités par donépé-zil ou placebo n’a pas montré de bénéfice significatifen terme d’aggravation de la dépendance ou d’institu-tionnalisation, ni en terme d’intervention d’aides for-melles ou informelles. Cette étude a soulevé de nom-breuses critiques méthodologiques (aucun centreexpert parmi les investigateurs, 500 patients inclusseulement contre 2000 prévus, inclusion des patientsbasée sur le principe d’incertitude, ajout d’un brasaspirine compliquant le schéma de l’étude, critèresd’évaluation discutables). Néanmoins, il en ressort quesi l’arsenal thérapeutique actuellement disponible pourprendre en charge les patients atteints de maladied’Alzheimer est insuffisant, il ne s’agit pas d’en priverles patients. Si les différents systèmes de santé souhai-tent disposer de données pharmaco-économiques, il estindispensable de procéder à des études bien conduiteset non biaisées.

Quand faut-il débuter le traitement ?

Les études de suivi en ouvert avec le donépézil, larivastigmine ou la galantamine ont montré un effetsupérieur du traitement anticholinestérasique chez lespatients traités d’emblée par rapport à ceux qui avaientinitialement reçu un placebo avant le traitement actif. Il est donc préférable d’instaurer le traitement dès quele diagnostic de maladie d’Alzheimer de degré léger àmodérément sévère est posé.

Quelle dose faut-il prescrire ?

L’efficacité des anticholinestérasiques est proportion-nelle à l’inhibition de l’acétylcholinestérase, elle-même fonction de la dose utilisée. Aux posologies lesplus élevées correspondent les meilleurs taux derépondeurs. Quel que soit le produit choisi, il convientdonc d’essayer d’atteindre la dose maximum.Néanmoins, la tolérance étant elle aussi fonction de laposologie, le risque d’effets secondaires augmenteégalement. L’expérience montre que plus l’ascensionest lente, meilleure est la tolérance. Il ne faut donc pashésiter à prévoir des paliers plus longs éventuellementavec des posologies intermédiaires par rapport auxpaliers classiques. Parfois un premier essai d’augmen-

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tation se solde par une intolérance, mais une deuxièmetentative quelques mois plus tard est acceptée. La tolé-rance des différents anticholinestérasiques n’est pascomparable et en cas de changement de traitement, il estindispensable de commencer le nouvel anticholinestéra-sique à la dose la plus faible en suivant à nouveau uneascension posologique très progressive.

Faut-il modifier le traitement quand la maladie s’ag-grave ?

Chez un patient traité par anticholinestérasique, ilconvient de suivre l’évolution des fonctions cognitives,des troubles du comportement et de l’autonomie. Dans une étude menée chez des patients pour lesquelsl’investigateur n’avait pas noté d’amélioration à 6 mois(absence de bénéfice clinique évident), la comparaisonultérieure à un placebo pendant 3 mois avant reprise oumaintien du donépézil pendant 3 mois supplémentairesa mis en évidence une amélioration significative ducomportement, du MMS et de l’autonomie (9).Par conséquent, l’absence d’amélioration appréciée sub-jectivement par le clinicien n’est vraisemblablement pasle critère adapté justifiant l’arrêt du traitement. Il est pré-férable de se référer à l’évolution naturelle de la maladieen intégrant la variabilité du profil évolutif, certainspatients se dégradant beaucoup plus rapidement qued’autres. La comparaison de l’évolution avant traitementretracée d’après l’interrogatoire de l’entourage et celleaprès traitement mesurée de façon plus rigoureuse per-met une autre appréciation de l’effet thérapeutique. Si l’on interrompt un traitement anticholinestérasique,son effet disparaît en quelques semaines et l’évolutiondu patient traité rejoint alors progressivement celle despatients traités par placebo. Actuellement, face à un patient dont les symptômess’aggravent, deux attitudes sont discutées : changerd’anticholinestérasique ou maintenir le même traite-ment. Une étude commanditée par Novartis a montréque la rivastigmine prescrite chez des patients traitésantérieurement par donépézil et considérés comme s’ag-gravant pouvait entraîner une amélioration significativechez 26 % et une stabilisation chez 30 % d’entre eux(10). Néanmoins, il ne s’agit pas d’une véritable étudecomparative en cross-over puisque les critères de nonefficacité du donépézil sont laissés à l’appréciation del’investigateur et le traitement est administré en ouvert.Un autre essai commandité par Eisai-Pfizer a comparéen ouvert le donépézil et la rivastigmine. Au terme de 3mois, la tolérance du donépézil était nettement supérieu-re (7 % d’effet secondaire contre 20 % dans le grouperivastigmine). Dans le groupe traité par donépézil,87,5 % des patients ont atteint et sont restés à la dosemaximale contre 47,3 % de ceux traités par rivastigmi-

ne. Par contre, il n’y avait pas de différence d’efficacitésur la cognition malgré la différence de posologie attein-te. D’autres études comparant le donépézil à la rivastig-mine ou à la galantamine sont en cours. Aucune compa-raison à long terme (un an ou plus) n’est disponible.Actuellement, il n’est donc pas possible de s’appuyersur des preuves scientifiques pour recommander lameilleure stratégie. En cas d’intolérance, il est préféra-ble de changer d’anticholinestérasique afin de tenterd’augmenter les doses au maximum. En l’absence d’ef-ficacité initiale (aggravation franche des symptômes dèsle début du traitement), mieux vaut également essayerun autre anticholinestérasique avant de renoncer à cetteclasse thérapeutique. En cas d’aggravation secondaire, l’attitude reste à discu-ter tout en gardant à l’esprit qu’une interruption théra-peutique de quelques semaines s’accompagne d’uneaggravation de l’état du patient et qu’un délai est néces-saire avant d’atteindre à nouveau une posologie efficaced’un nouvel anticholinestérasique.

Effet dans les démences sévères

Le bénéfice à 6 mois sur le comportement, l’autonomieet des échelles cognitives adaptées a été démontré chezdes patients atteints de démence modérée à sévère trai-tés par donépézil à domicile ou en institution (11). Pourl’instant, l’AMM des anticholinestérasiques est limitéeaux stades légers à modérément sévères. Mais au vu deces études, l’interruption du traitement si la maladie dupatient s’aggrave vers un stade sévère n’est peut-être pasjustifiée.

Amaigrissement et anticholinestérasiques ?

Les anticholinestérasiques ont été mis en cause pourexpliquer l’amaigrissement observé chez certainspatients atteints de maladie d’Alzheimer. Le suivi natio-nal d’une cohorte de 700 patients (PHRC-Real.Fr) à lasuite de l’instauration du traitement a permis d’observeren fait un risque moindre d’amaigrissement chez lespatients traités comparés à une cohorte non traitée (Elsa)(12). Lorsqu’il existe un amaigrissement, il survient engénéral précocement chez des patients ayant des trou-bles digestifs et disparaît dès que les nausées, l’anorexieou les diarrhées s’amendent. Au long cours, l’effet des anticholinestérasiques sur lepoids et donc l’état nutritionnel est positif.

Les anticholinestérasiques et les autres démences

A l’avenir, les indications des anticholinestérasiquespourraient s’étendre à d’autres démences. D’ores et déjà, le bénéfice de la rivastigmine a été

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démontré dans la maladie à corps de Lewy. Les anti-cholinestérasiques s’avèrent particulièrement efficacesdans cette pathologie (13). Les hallucinations peuventparfois disparaître temporairement sous l’effet du trai-tement.Une analyse a posteriori des patients ayant des facteursde risque vasculaire inclus dans les études principalesde la rivastigmine a souligné l’efficacité supérieure dutraitement dans ce sous-groupe (14). Un essai rando-misé contre placebo a démontré le bénéfice de lagalantamine chez des patients atteints de démence vas-culaire ou mixte (15). Les mêmes résultats ont été obs-ervés dans un autre essai mené avec le donépézil dansla démence vasculaire (16).

LA MÉMANTINE DANS LA MALADIED’ALZHEIMER

La mise sur le marché au cours de l’été 2003 de lamémantine dans les maladies d’Alzheimer de degrémodérément sévère à sévère (MMS 3 à 14) ouvre lavoie des plurithérapies, même si la plage du chevau-chement des anticholinestérasiques et de la mémantinene concerne en principe que les patients ayant unMMS compris entre 10 et 15. Cet antagoniste desrécepteurs NMDA régule le système gabaergique etétait commercialisé de longue date dans d’autres payseuropéens comme traitement notamment de la maladiede Parkinson. Deux études principales ont été décisi-ves (17, 18), l’une européenne concernant 166 patientsdéments (Alzheimer, vasculaire ou mixte) institution-nalisés avec un MMS <10 traités par 10 mg/j pendant3 mois, l’autre nord-américaine incluant 252 patientsambulatoires avec un MMS compris entre 3 et 14 trai-tés par 20 mg/j pendant 7 mois. Dans cette dernière,l’amélioration ou la stabilisation du score d’évaluationglobale a concerné 45 % des personnes traitées parmémantine contre 25 % du groupe placebo. Le pour-centage de sujets considérés comme répondeurs (scored’évaluation globale et évaluation cognitive ou auto-nomie) était 3 fois plus important dans le groupemémantine (29 %) que placebo (10 %). Dans la pre-mière étude, pour le sous-groupe de patients atteints demaladie d’Alzheimer, la stabilisation ou l’améliorationglobale ont concerné 73 % des sujets traités parmémantine versus 45 % du groupe placebo. Pour l’en-semble des sujets, l’amélioration fonctionnelle a étésignificativement plus importante dans le groupemémantine en particulier concernant la motricité (selever, bouger), la toilette (se laver, prendre unbain/douche) et la continence (aller aux toilettes).La tolérance clinique dans ces études a été globale-ment satisfaisante. Les événements indésirables signa-lés plus fréquemment dans le groupe mémantine que

dans le groupe placebo étaient les vertiges (5 % vs 2,8%), les céphalées (5 % vs 3,1 %), la confusion (1,3 %vs 0,3 %), l’asthénie (1 % vs 0,3 %) ou les hallucina-tions (5 % vs 2,1 %). Par contre l’agitation était plusfréquente dans le groupe placebo (17,4 % vs 9 %).La posologie de la mémantine doit être limitée à 10mg/j pour les patients dont la clairance de la créatinineest inférieure à 60 ml/min. La mémantine ne doit pasêtre utilisée chez les patients présentant une insuffi-sance rénale sévère en l’absence de données pharma-cologiques.L’adjonction d’un traitement par mémantine chez despatients traités par donépézil à dose stable depuis aumoins 6 mois s’est avérée plus efficace sur la cognitionet l’autonomie à 6 mois qu’un placebo (19). En termed’évaluation globale, le pourcentage de répondeurs aété de 55 % dans le groupe mémantine versus 45 %dans le groupe placebo. Les données sur le bénéfice à plus long terme de lamémantine seule ou en association dans les démencessévères et son effet sur des maladies d’Alzheimer légè-res à modérément sévères sont en cours d’analyse.

TROUBLES PSYCHOCOMPORTEMENTAUXDANS LES DÉMENCES ET NEUROLEP-TIQUES

Compte tenu de l’observation d’une surmortalité etd’une augmentation du risque d’accidents vasculairescérébraux chez des patients âgés déments traités parneuroleptiques atypiques (olanzapine et rispéridone),l’Afssaps a diffusé en mars 2004 des recommandationsattirant l’attention sur les risques liés à de tels traite-ments en dehors des indications de leur AMM. Lesrègles de prudence sont étendues à tous les neurolep-tiques.En cas de troubles du comportement, le traitement depremière intention des patients atteints de maladied’Alzheimer doit comporter un anticholinestérasiques’il s’agit d’une maladie de degré léger à modéré ou lamémantine s’il s’agit d’un degré modérément sévère àsévère.Si les troubles du comportement persistent ou appa-raissent sous traitement anticholinestérasique, ilconvient d’utiliser des antidépresseurs sérotoniner-giques ou d’autres médicaments agissant sur l’humeur. Néanmoins, l’expérience montre que chez certainspatients présentant des hallucinations ou des déliresimportants et angoissants, le recours à la prescriptionde neuroleptiques est indispensable. Dans de tels cas,la posologie, la durée et la fréquence du traitementneuroleptique doivent être les plus faibles possibles.Les taux de prescriptions de neuroleptiques varient de10 à 40 % dans des établissements similaires

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accueillant des personnes âgées démentes, reflétant sou-vent plus des « habitudes de prescription » que des dif-férences importantes dans les troubles du comportementdes patients. Indépendamment des recommandations del’Afssaps, les effets délétères des neuroleptiques clas-siques sur la cognition, la fréquence des syndromesextra-pyramidaux avec troubles de la marche sanscompter les dyskinésies tardives souvent irréversiblesmotivaient déjà la réticence à recourir à ces traitementsen première intention.

PRÉVENTION DES DÉMENCES VASCULAIRES

Après l’étude Syst-Eur ayant prouvé la réduction de50 % d’incidence des démences toutes causes confon-dues chez des hypertendus âgés traités essentiellementpar nitrendipine éventuellement associée à de l’énalaprilet/ou de l’hydrochlorothiazide, l’étude Progress a mis enévidence le bénéfice du traitement antihypertenseur parpérindopril + indapamide chez des patients ayant eu unpremier accident vasculaire cérébral transitoire ou cons-titué (20, 21). La réduction de 34 % des démences a étésignificative dans le sous-groupe de patients récidivantleur accident vasculaire cérébral, qu’ils soient hyperten-dus ou non. Si le traitement antihypertenseur reste un atout préventifmajeur des démences vasculaires et dégénératives, lesmeilleures stratégies antihypertensives restent à détermi-ner pour éviter le déclin cognitif.

PRÉVENTION DE LA MALADIE D’ALZHEIMER

Les données épidémiologiques ont fait émerger diffé-rentes pistes préventives : les statines, les anti-inflam-matoires et les estrogènes. Les derniers n’ont pas passéle cap des essais randomisés puisque leur prescription aulong cours s’est accompagnée non seulement d’une aug-mentation déjà connue du risque de cancer du sein maisaussi d’un sur-risque cardiovasculaire.Jusqu’à présent, les essais thérapeutiques du rofecoxib,du naproxène ou de la prednisone n’ont pas démontré debénéfice significatif sur l’évolution des symptômes depatients atteints de maladie d’Alzheimer. En ce qui concerne les statines, les résultats d’un essaiutilisant l’atorvastatine chez 32 patients atteints de mal-adie d’Alzheimer comparés à 31 patients sous placebopendant 1 an ont été présentés en avril 2004 (22). Lesrésultats concernant l’évaluation cognitive étaient àpeine significatifs à 1 an (p = 0,055). Dans le groupetraité par atorvastatine, 17 patients ont été stabilisés ouaméliorés contre 9 patients dans le groupe placebo. Parcontre, les évaluations du MMS, du comportement et del’autonomie n’ont pas mis en évidence de différencesignificative.

LES FUTURES APPROCHESTHÉRAPEUTIQUES

L’immunothérapie anti-amyloïdeUn premier essai thérapeutique a dû être interrompuprématurément en raison de la survenue de 18 cas d’en-céphalites (dont 12 totalement réversibles) sur les 298patients traités. Sur une sous-population de 64 sujets,près de 57 % ont développé une réponse anticorps et 87% de ceux ayant reçu la plus forte stimulation antigé-nique. Une moindre dégradation de l’autonomie a éténotée au terme de 21 mois de suivi. Par contre, il n’a pasété observé de différence dans les évaluations cognitiveset globales entre le groupe placebo et les groupes traitéspar différentes doses d’immunothérapie. Les analyses portant sur l’ensemble de la cohorte ont étéprésentées récemment. Elles révèlent une immunisation(réponse anticorps) chez 19,7 % des patients malgrél’interruption très prématurée des injections (23). Si leséchelles d’évaluation cognitive globale ne montrent pasde différence significative chez les patients ayant eu uneréponse anticorps comparés aux autres, des analyses aposteriori avec un score composé d’évaluation dedomaines cognitifs spécifiques montrent un bénéfice liéen particulier à l’effet sur les performances mnésiques.La protéine tau du liquide céphalorachidien diminuechez les répondeurs. Parallèlement le volume cérébral adiminué chez les répondeurs. Enfin, il a été observé chezdes patients décédés une raréfaction des plaques séniles.

• La meilleure connaissance des troubles intellec-tuels légers encore appelés MCI (mild cognitiveimpairment).• Le bénéfice à long terme des anticholinestéra-siques, leur effet dans les maladies d’Alzheimersévères et dans les démences vasculaires (pas enco-re d’AMM pour l’instant dans ces deux indica-tions).• La mise sur le marché de la mémantine dans lesdémences d’Alzheimer sévères, l’approche parcombinaison thérapeutique.• Les règles d’extrême prudence pour la prescrip-tion des neuroleptiques chez les patients âgés souf-frant de démence en particulier ceux ayant des fac-teurs de risque d’accident vasculaire cérébral.• Le développement en cours de nouvelles théra-peutiques «étiologiques» de la maladied’Alzheimer.• La prévention des démences par certains traite-ments antihypertenseurs chez les hypertendus sys-toliques ou chez les patients récidivant un accidentvasculaire cérébral.

Ce qu’il faut retenir :

Page 7: Actualités cliniques et thérapeutiques dans les démences

D’autres essais testant la stimulation antigénique avecun épitope modifié de façon à limiter la toxicité vontvraisemblablement voir le jour.

Les facteurs de croissance neurogène

Une autre approche des maladies neurodégénérativescomme la maladie d’Alzheimer consiste à utiliser desfacteurs de croissance neurogène pouvant agir sur ladifférenciation neuronale et peut-être améliorer la

transmission cholinergique. Ces traitements font l’ob-jet actuellement d’essais cliniques préliminaires chezdes patients atteints de maladie d’Alzheimer.

Autres thérapeutiques pour le futur

D’autres traitements anti-amyloïdes agissant en parti-culier sur le clivage de l’APP précurseur de la protéineamyloïde à l’origine des dépôts font l’objet d’expéri-mentation préclinique ■

P R AT I Q U E C L I N I Q U E

NEUROLOGIE • PSYCHIATRIE • GÉRIATRIE - Année 4 - Septembre-Octobre 200432

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