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Annexes 504 22 mars – Les ténèbres s’ étaient sensiblement épaissies et n’ étaient plus tempérées que par la clarté des eaux, réfléchissant le rideau blanc tendu devant nous. Une foule d’ oiseaux gigantesques, d’ un blanc livide, s’ envolaient incessamment de derrière le singulier voile, et leur cri était le sempiternel Tekelili ! qu’ ils poussaient en s’ enfuyant devant nous. Sur ces entrefaites, NuNu remua un peu dans le fond du bateau ; mais, comme nous le tou chions, nous nous aperçûmes que son â me s’ était envolée. Et alors nous nous précipitâ mes dans les étreintes de la cataracte, où un gouffre s’ entrouvrit, comme pour nous recevoir. Mais voilà qu’ en travers de notre route se dressa une figure humaine voilée, de proportions beaucoup plus vastes que celles d’ aucun habitant de la terre. Et la couleur de la peau de l’ homme était de la blancheur parfaite de la neige................................................. XXVI Ainsi tirés de notre état de transe passive, Peters et moimême saisîmes les avirons au fond du canot et ramâ mes puissamment, tentant de nous diriger vers l’ imposante silhouette. Nous ne pouvions déterminer précisément ce qui se tenait au pied de la statue, mais c’ était, quoi qu’ il arrive, plus attrayant que le trépas par noyade ou écrasement promis par la cata racte. Le grondement désormais audible de la cascade s’ approchait à un rythme effrayant, mais nous nous accrochâ mes avec acharnement à notre seul espoir de salut, y jetant nos dernières forces. Nous ne pouvions voir la silhouette que par intermittence, de grandes quantités de vapeur et de substance cendreuse nous la cachant la plupart du temps. Néanmoins, nous luttâ mes vaillamment, saisissant ce qui se présentait comme notre unique chance de survie. Nous nous maudissions d’ avoir succombé à l’ étrange apathie hallucinée au cours des jours précédents, dont seule nous avaient tiré l’ horrible proximité de la cata racte déchaînée et l‘ imminence d’ une issue fatale. Ballottés par les flots déchainés, nous rapprochant dangereusement du gouffre, nous par vînmes tant bien que mal à atteindre l’ énorme silhouette. Elle n’ avait fait aucun mouvement, et tandis que Peters l’ effleurait, nous nous rendîmes compte qu’ il s’ agissait de quelque immense statue intégralement taillée dans une pierre brillante semblable à du marbre blanc. La brume et les cendres étaient à présent d’ une telle densité que nous pouvions à peine nous voir l’ un l’ autre. Peters s’ accrocha fermement de ses bras robustes à une jambe de la silhouette imprécise et, pardessus le tonnerre de la cascade, me cria de me hisser jusqu’ à lui à l’ avant du canot. Grimpant à ses cô tés, je vis au travers de la tempête aveuglante et brûlante que l’ immense statue avait été érigée à l’ extrémité d’ une île jouxtant le rebord de la monstrueuse cata racte. Nous n’ avions pu discerner cette terre auparavant par faute de la vapeur ambiante et du fait qu’ elle était d’ un blanc quasi immaculé, sans aucun doute à cause des épais dépô ts de substance cendreuse. Peters était solidement accroché à la jambe de l’ idole, me permet tant de monter sur l’ énorme pied, puis je tins l’ embarcation afin qu’ il puisse s’ élancer vers l’ autre membre. Les embruns étaient extrêmement douloureux, car l’ eau était si chaude que même de minuscules gouttes provoquaient des cloques. À peine mon compagnon futil hors du canot que le courant m’ arracha celuici des mains. Nos maigres provisions ainsi que le corps de NuNu basculèrent dans le gouffre grondant, vers je ne sais quels lieux terribles dans les abysses de la mer. Depuis les jambes de la statue, il suffisait d’ un saut pour rejoindre l’ îlot pâ le et sablon neux. Quelle que fût la nature des cendres en suspension, le sable d’ une blancheur d’ ivoire étalé sur les rives de l’ île ne pouvait en être distingué, et il était d’ une couleur quasi ment identique à celle de la végétation pâ le et étrangement charnue qui colonisait les lieux. L’ air vrombissait en permanence du son de la cataracte, et c’ était un miracle que nous puissions nous entendre en criant. Ayant perdu toutes nos provisions, notre première préoccupation fut de trouver quelque nourriture. Peters suggéra que nous tentions de goûter la chair curieusement fondante des plantes blanchâ tres et frémissantes qui poussaient jusqu’ à mijambe. Un grand nombre d’ oiseaux blancs résidant sur l’ île semblaient s’ en ras sasier pour leur propre subsistance, et nous essayâ mes donc. Même si ces végétaux se contractaient et tressaillaient lorsque nous les coupions, et qu’ un liquide pâ le suintait alors le long des déchirures, ils ne se révélèrent pas être des mets totalement répugnants. Au contraire, ils s’ avérèrent constituer notre seule alimentation durant de longues jour nées, offrant à la fois de la nourriture et une quantité désaltérante d’ eau relativement fraîche. Et ce malgré leur saveur â cre, comme saumurée. 23 Mars – Le véritable inconvénient de nos plantes charnues était qu’ il s’ agissait des seules choses qui poussaient sur l’ île. Bien que leurs capacités reconstituantes se mon trassent évidentes au vu de l’ évolution favorable des forces de Peters et moimême, elles n’ auraient pu en aucun cas nous être utiles à la fabrication d’ un canot ou d’ un radeau. Si nous ne trouvions pas quelque moyen de quitter cette île (un bosquet d’ arbres ou peutêtre même une épave rejetée sur les berges par la mer), nous étions condamnés à rester en ce lieu pour le reste de notre existence. Nous nous employâ mes donc à explorer l’ îlot, en restant toujours proches de la rive, et non loin l’ un de l’ autre en raison de l’ extrême épaisseur de la brume tourbillonnante, surpassant même les brouillards de Nantucket que j’ avais connus enfant ; nous ne voulions pas nous perdre de vue. Nous cherchâ mes pendant de longues LeschapitresmanquantsdesAventuresd’ArthurGordonPym

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    22 mars Les tnbres s taient sensiblement paissies et n taient plus tempres que parla clart des eaux, rflchissant le rideau blanc tendu devant nous. Une foule d oiseauxgigantesques, d un blanc livide, s envolaient incessamment de derrire le singulier voile,et leur cri tait le sempiternel Tekelili ! qu ils poussaient en s enfuyant devant nous.Sur ces entrefaites, NuNu remua un peu dans le fond du bateau ; mais, comme nous le touchions, nous nous apermes que son me s tait envole. Et alors nous nous prcipit mesdans les treintes de la cataracte, o un gouffre s entrouvrit, comme pour nous recevoir.Mais voil qu en travers de notre route se dressa une figure humaine voile, de proportionsbeaucoup plus vastes que celles d aucun habitant de la terre. Et la couleur de la peau del homme tait de la blancheur parfaite de la neige.................................................

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    Ainsi tirs de notre tat de transe passive, Peters et moimme saismes les avirons au fonddu canot et ram mes puissamment, tentant de nous diriger vers l imposante silhouette. Nousne pouvions dterminer prcisment ce qui se tenait au pied de la statue, mais c tait, quoiqu il arrive, plus attrayant que le trpas par noyade ou crasement promis par la cataracte. Le grondement dsormais audible de la cascade s approchait un rythme effrayant,mais nous nous accroch mes avec acharnement notre seul espoir de salut, y jetant nosdernires forces. Nous ne pouvions voir la silhouette que par intermittence, de grandesquantits de vapeur et de substance cendreuse nous la cachant la plupart du temps.Nanmoins, nous lutt mes vaillamment, saisissant ce qui se prsentait comme notre uniquechance de survie. Nous nous maudissions d avoir succomb l trange apathie hallucine aucours des jours prcdents, dont seule nous avaient tir l horrible proximit de la cataracte dchane et l imminence d une issue fatale.

    Ballotts par les flots dchains, nous rapprochant dangereusement du gouffre, nous parvnmes tant bien que mal atteindre l norme silhouette. Elle n avait fait aucunmouvement, et tandis que Peters l effleurait, nous nous rendmes compte qu il s agissait dequelque immense statue intgralement taille dans une pierre brillante semblable du marbreblanc. La brume et les cendres taient prsent d une telle densit que nous pouvions peine nous voir l un l autre. Peters s accrocha fermement de ses bras robustes une jambede la silhouette imprcise et, pardessus le tonnerre de la cascade, me cria de me hisserjusqu lui l avant du canot.

    Grimpant ses c ts, je vis au travers de la tempte aveuglante et brlante que l immensestatue avait t rige l extrmit d une le jouxtant le rebord de la monstrueuse cataracte. Nous n avions pu discerner cette terre auparavant par faute de la vapeur ambiante etdu fait qu elle tait d un blanc quasi immacul, sans aucun doute cause des pais dp tsde substance cendreuse. Peters tait solidement accroch la jambe de l idole, me permettant de monter sur l norme pied, puis je tins l embarcation afin qu il puisse s lancervers l autre membre. Les embruns taient extrmement douloureux, car l eau tait si chaudeque mme de minuscules gouttes provoquaient des cloques. peine mon compagnon futil horsdu canot que le courant m arracha celuici des mains. Nos maigres provisions ainsi que lecorps de NuNu basculrent dans le gouffre grondant, vers je ne sais quels lieux terriblesdans les abysses de la mer.

    Depuis les jambes de la statue, il suffisait d un saut pour rejoindre l lot p le et sablonneux. Quelle que ft la nature des cendres en suspension, le sable d une blancheur d ivoiretal sur les rives de l le ne pouvait en tre distingu, et il tait d une couleur quasiment identique celle de la vgtation p le et trangement charnue qui colonisait leslieux. L air vrombissait en permanence du son de la cataracte, et c tait un miracle quenous puissions nous entendre en criant. Ayant perdu toutes nos provisions, notre premireproccupation fut de trouver quelque nourriture. Peters suggra que nous tentions de goterla chair curieusement fondante des plantes blanch tres et frmissantes qui poussaientjusqu mijambe. Un grand nombre d oiseaux blancs rsidant sur l le semblaient s en rassasier pour leur propre subsistance, et nous essay mes donc. Mme si ces vgtaux secontractaient et tressaillaient lorsque nous les coupions, et qu un liquide p le suintaitalors le long des dchirures, ils ne se rvlrent pas tre des mets totalement rpugnants.Au contraire, ils s avrrent constituer notre seule alimentation durant de longues journes, offrant la fois de la nourriture et une quantit dsaltrante d eau relativementfrache. Et ce malgr leur saveur cre, comme saumure.

    23 Mars Le vritable inconvnient de nos plantes charnues tait qu il s agissait desseules choses qui poussaient sur l le. Bien que leurs capacits reconstituantes se montrassent videntes au vu de l volution favorable des forces de Peters et moimme, ellesn auraient pu en aucun cas nous tre utiles la fabrication d un canot ou d un radeau. Sinous ne trouvions pas quelque moyen de quitter cette le (un bosquet d arbres ou peuttremme une pave rejete sur les berges par la mer), nous tions condamns rester en ce lieupour le reste de notre existence. Nous nous employ mes donc explorer l lot, en restanttoujours proches de la rive, et non loin l un de l autre en raison de l extrme paisseur dela brume tourbillonnante, surpassant mme les brouillards de Nantucket que j avais connusenfant ; nous ne voulions pas nous perdre de vue. Nous cherch mes pendant de longues

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    Les chapitres manquants des Aventures dArthur Gordon Pym

    heures, pour finalement nous rendre compte que la plage tait d une propret immacule,comme nettoye par les mains d alb tre de l norme statue qui montait la garde l extrmit de l le.

    24 Mars Je m veillais lorsque Peters me secoua, indiquant des silhouettes s approchant denotre le bord de canots sinistrement familiers, formes sombres aisment discernables autravers de la blancheur vaporeuse de l atmosphre. Tous les sens en alerte, nous nouscach mes parmi les vgtaux blanch tres, qui suintaient en s crasant mollement sousnotre poids. Nous ne leur accord mes gure d attention, occups observer audel durivage les canots des sauvages qui s approchaient de l lot. On dnombrait six embarcations, qui ne possdaient ni la longueur ni la largeur imposante de celles que nous avionsvues chez les autres Tsalalis. Cellesci atteignaient au mieux les sept mtres de long, et necontenaient que trois silhouettes : deux rameurs et une troisime personne debout l avant.

    Les cratures debout dans ces canots semblaient tre des sortes de chamans ou de sorciers :ils mettaient un ululement presque continu et tout fait diffrent des sons courts et discordants que nous avions entendu sur l le de Tsalal, bien que rgulirement ponctu dufamilier Tekelili. Chaque fois que l un de ces sorciers lanait ces pouvantables syllabes,tous les sauvages taient parcourus d un mme frmissement. Leur terreur envers l le etsa large tendue blanch tre tait vidente ; ce banc de terre tait peuttre bien lasource mme de leur superstitieuse frayeur. Avec Peters, nous observions l approche descanots depuis un bon moment, lorsque l un d eux vira de bord. Nous vmes, reposant l intrieur, une forme humaine ligote. Je l indiquais Peters, qui s empressa d observer lesautres embarcations pour y dceler l ventuelle prsence d autres captifs. Le temps que lessauvages parviennent au rivage, nous avions la certitude que chaque canot transportait unprisonnier.

    Lorsqu ils menrent leurs embarcations hors de l eau sur la plage blanch tre, nous fmeschoqus de constater que les prisonniers taient blancs des Europens, comme nous n enavions vu aucun depuis le massacre de notre quipage. Un tel spectacle aurait pu vous tirerdes larmes : observer ces camarades et compatriotes si proches de nous, mais aux mainsd immondes sauvages. Nous dcid mes de les librer sur le champ, mais immdiatement aprsque nous ayons pris cette rsolution, les indignes s emparrent chacun d une lance oud un gourdin rangs dans leurs canots ; tant dsarms, nous renon mes. Peters et moimme dcid mes alors voix basse de rester dissimuls, et c est seulement lorsque leursarmes furent convenablement rparties entre eux que les curantes cratures sortirent lesEuropens hors des canots. Ces derniers avaient t ligots comme du gibier : les pieds etles poings lis une perche, afin d tre transports travers les broussailles cendreuses.La vision tait quasiinsupportable, et j entendis Peters jurer dans sa barbe que nouslibrerions les captifs cote que cote. Ses yeux brillaient d une lueur que je n avaisjamais connue auparavant, et j eus un lger mouvement de recul en les voyant. Je me demandais avec crainte si ce n tait pas de la folie qui couvait derrire ce regard.

    Les Tsalalis, la dmarche d ordinaire si bruyante, se dplaaient cette fois sur l lot defaon tout fait silencieuse. Nous les suivmes, satisfaits que les plantes suintantes netrahissent pas notre dplacement comme une vritable fort aurait pu le faire. Nous nousmouvions en suivant une trajectoire parallle celle des cratures, le son de notre passagecompltement masqu par le rugissement de la cataracte. Enfin, la procession stoppa devantun difice de pierres.

    Il tait vident que ce monument n avait pas t rig par des habitants de Tsalal, ceuxcivivant dans de sommaires huttes et cette construction tant faite de pierres ajustes. Elleparaissait trs ancienne, crevasse et use comme les ruines romaines semblaient l tresur les gravures que j avais vues suspendues aux murs de l acadmie. Sa couleur taitgrise, quoiqu il soit difficile de l tablir avec certitude sous les paisses couches de cendre blanche tombe du ciel. D o nous tions, nous ne pouvions dterminer sa formegnrale. La forme qu elle avait pu autrefois prsenter tait aujourd hui efface par delarges amoncellements de cendre et le passage d innombrables annes, peuttre bien desmillnaires. Les sauvages pntrrent directement au sein de l difice par une porte vote massive qui aurait aisment permis l accs de front une troupe de chevaux ; ilsdisparurent de notre vue, suivant un chemin taill directement dans les roches qui formaient le sol du b timent. Nous patient mes un bref instant, hsitant quant nosprochaines initiatives. Si nous suivions les sauvages de trop prs, nous serions invitablement massacrs par ces guerriers arms. Mais nous ne pouvions cependant pas rester l attendre tandis que ces cratures malfiques sacrifiaient nos frres humains quelquedivinit obscne.

    Nous nous rapprochions furtivement de l entre de l difice lorsque nous entendmes soudainement un Tekelili perant, rpt une douzaine de fois par un cho provenant del intrieur du monument, ce qui ne pouvait tre qu une impressionnante distance. Nouspermes un bruit de course rapide se prcipitant vers nous, et nous emes juste le temps denous dissimuler parmi les plantes rabougries avant que les cratures ne surgissent hors dela porte vote une vitesse infernale. Il n y avait aucun signe de leurs prisonniers, mais

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    les guerriers, visiblement plus entrans la course que les chamans, se prcipitaient enune folle dbandade de formes sombres fuyant aveuglment vers les embarcations.

    Peters et moimme rest mes quelques instants ahuris, avant de nous lever. Les astucompts ? me demandatil. Je rpondis que non. Ils sont sortis seize , ditil nonchalamment. Il grimaa de manire grotesque. Il ne restait donc que deux des sauvages l intrieur de la construction, et Peters tait fort dsireux de les retrouver. Il frotta sesmains rugueuses l une contre l autre avec impatience, et s lana devant moi au travers del entre massive. J avais le sentiment que son esprit brlait de venger les mes de l quipage de la Jane Guy, qui avait t massacr au cours de la terrible embuscade.

    Lorsque nous entr mes, je remarquais que, l inverse de l aspect sommaire et dcrpit dessurfaces extrieures de la construction, l intrieur tait lisse comme s il avait t soigneusement poli. Les blocs de pierre qui formaient les parois se compltaient siparfaitement que je n tais pas mme capable de glisser un ongle entre eux. Je me remmorais les mythes propres aux grands monuments de l antiquit, tandis qu un sentimentvertigineux d anciennet nous enveloppait telle la poussire dgringolant de ruines. Uneportion troite du sol semblait particulirement use, probablement sous les pas des cratures de Tsalal, tant donn que nous n avions observ aucune trace de vie animale ouhumaine sur l lot. L difice s inclinait brusquement, point assez pour nous dsquilibrermais suffisamment pour que nous le ressentions. Nous descendmes donc, au sein de ce qui servla tre une galerie souterraine. Malheureusement la lumire qui provenait de l issuederrire nous ne s infiltrait gure loin dans la structure et nous ne disposions ni l un nil autre du moindre moyen de produire une flamme, pas plus que d un quelconque combustiblepour l entretenir. Nous avan mes avec une grande prudence, habituant nos yeux l obscurit grandissante. Nous fmes bient t sous le niveau de la mer, car l air tait aussimoite qu on l aurait imagin. Les parois suintaient d une telle humidit qu il m en venaitdes visions de Jonas dans l estomac de la baleine. Lorsque toute lumire et quasiment disparu, nous nous trouv mes obligs de nous orienter l aveuglette le long des parois lisseset glissantes. A ce point de la descente, nous n entendions toujours aucun son provenant dugroupe des captifs encore en avant de nous, seul rsonnait le tonnerre permanent de lacataracte quelque part audel des murs de l difice.

    Soudainement retentirent des cris atroces, comme ceux d un groupe d hommes en pril mortel. L intensit des hurlements tait insupportable. Pourtant un affreux crissement,perant les tympans comme rien de ce que je n avais rencontr jusqu alors, le surpassaittrs largement. Dirk Peters, qui l instant d avant se tenait mes c ts, avait soudainement disparu, mais j tais incapable de dcider s il s tait prcipit en avant ou s ilavait fui vers la sortie. Je me dirigeai avec dtermination vers l insupportable cacophonie,mais je trbuchai et m effondrai dans ces paisses tnbres.

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    Lorsque je recouvrais mes sens, les ignobles hurlements avaient cess. Une lueur rouge trepaisse, comme visqueuse, avait surgi dans le tunnel devant moi, me permettant nouveau dedistinguer les alentours. Peters tait accroupi contre un angle de la galerie, le regardfix en direction de la lueur pourpre et artificielle. Un bruit attira alors mon attention,similaire au raclement d une cargaison qu on charge bord d un navire. Profitant de cettecouverture sonore, je me glissais jusqu Peters, toujours absorb par la contemplation del activit en cours audel de l angle. J allais m enqurir de ce qui se passait lorsque,dtournant peine les yeux vers moi, il colla sa main sur ma bouche. L agitation s attnuarapidement, et le silence fut brusquement total, avant qu un dclic mtallique suivi d uncurieux sifflement ne retentisse. Ce dernier s estompa son tour, tandis que l intensit dela lumire dclinait, et nous fmes bient t nouveau plongs dans les tnbres.

    Il nous les faut ! s exclama Peters d une terrible voix de baryton qui me donna la chairde poule. Il s avana de quelques pas audel du coude, vers un point visible de lui seul. Ils effaa dans l obscurit, puis j entendis un juron, ainsi que le bruit d objets que l ondplace. Je ne parvenais pas distinguer quoi que ce soit, jusqu ce qu une p le lueur verd tre apparaisse. Peters se tenait sur un bloc de pierre, portant entre ses mains lalanterne l aspect le plus tonnant que j ai jamais vue. Elle n tait compose d aucunepice de mtal : juste un prisme de verre, dont la section, pentagonale, mesurait environvingt centimtres, et qui se rduisait en un point au bas de l objet, et tait recouvertd une pierre plate, surmonte d un anneau de pierre par lequel Peters tenait l ensemble. l intrieur du rcipient de verre se trouvait un liquide tourbillonnant qui semblait presqueen bullition, et dont provenait ce trs trange clairage. Bien que je sois satisfait dedisposer enfin d un peu de lumire, je n en dtournais pas moins le regard de cette chosebizarre.

    Le bras de la galerie continuait devant nous, mais il prsentait dsormais un aspect totalement diffrent. On aurait dit quelque quai d embarquement, mais sans eau en contrebas;assurment l un des endroits les plus tranges que j ai pu visiter. Il s y trouvait en effetune tranche de prs d un mtre de profondeur, aux parois remarquablement lisses, qui se

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    prolongeait en un boyau plongeant dans les tnbres. Mais avant que j aie eu l opportunitd observer plus longuement autour de moi, Peters m indiqua un amas de rochers. Il taitvident que cette masse tait auparavant constitue de pierres tailles en des formesoblongues ou ovales et perces chacune d un orifice dans lequel s insrait probablementl extrmit d une tige. Un grand nombre de barres mtalliques tait justement visible auxalentours, coinces parmi les dbris rocheux. En un clin d il, Peters se saisit de l uned entre elles. Je regardais l trange objet qu il tenait dans ses larges mains: la chose faisait plus d un mtre cinquante de long, tait de section pentagonale et tait quipe d unepointe aplatie un de ses sommets. Cette dernire, peu prs la taille d une main, se terminait par une sorte de faux, au tranchant coupant comme un rasoir. Toutefois, elle taitplus courte et bien plus trange que toutes les faux que j avais pu observer auparavant. Deplus, la matire dont l objet tait constitu ne m voquait rien de familier : vertdegriscomme du bronze et pourtant semblant lgrement huileux au toucher, bien que cela puissetre d l humidit de l air dans le tunnel.

    Nous employ mes l objet pour fouiller les dcombres jusqu ce que nous trouvions unepierre ovale qui semble intacte. Dgager tous les morceaux de roche qui l encombraient nousoccupa durant deux bonnes heures, mais la barre mtallique de Peters se rvla extraordinairement efficace pour dblayer les blocs les plus massifs. Peters semblait apprcier cetobjet si utile, tel point que par la suite je le vis rarement sans cette barre en mtal mystrieux porte de main. Nos efforts nous offrirent la rcompense d un spcimen intact. Ilmesurait quelque chose comme quinze centimtres d paisseur et tait taill dans une pierresombre diffrente de celle qui formait les parois de la galerie; l objet reposait de faonparfaitement stable sur un support de pierre large et carr. Nous fmes dans un premiertemps incapables de soulever cette plateforme, pour accder la demande pressante dePeters, le pesant objet mesurant approximativement quatre mtres de long et plus de deuxmtres de large. Cependant, avec l aide de plusieurs barreaux du mtal verd tre employstant t comme leviers et tant t comme rondins grossiers, nous fmes finalement en mesure dedplacer la plateforme jusqu au rebord du quai.

    En ce lieu, Peters m indiqua que nous devions faire basculer la pierre dans la tranche. Jem enquis auprs de lui de l intrt d avoir consacr tant de temps dgager l objet sic tait dans la simple intention de le briser. Face cette interrogation, le visage dePeters devint rouge de colre, et il mit une srie de grognements mon intention, comparables ceux d un chien enrag. Il alla mme jusqu me menacer en agitant son pieumtallique. Retrouvant ensuite ses esprits, il m enjoignit aller rcolter au dehors unemoisson de ces plantes blanch tres et visqueuses qui peuplaient l le, en quantit aussiimportante que possible. Soulag de pouvoir chapper quelque temps son pouvantable compagnie, je m excutais. Ceci fait, et alors que je redescendais vers la tranche avec monfardeau, j entendis un puissant martlement. Alarm, je ralentis le pas, jusqu retrouverPeters, frappant ses pieds avec l un des pieux mtalliques. Bien que le sol montr t lesmarques de dg ts considrables dus coups rpts, l objet, quant lui, ne semblait pastre endommag le moins du monde. Lorsqu il m aperut, Peters lana le pieu vers moi,affirmant qu il tait parfaitement adapt. Adapt quoi ? ne manquaisje pas de questionner. Eux ! hurlatil, indiquant le boyau, ce qui sembla dclencher chez lui unecrise de rage, au cours de laquelle il se dchana sur le bord du quai, criant d trangesvocifrations comprises de lui seul. Je n osais pas l interrompre, de crainte que son ire nese retourne entirement contre moi.

    Je constatais que Peters tait parvenu, d une manire ou d une autre, placer la plateforme horizontalement dans la tranche sans la briser. Je ne compris pas au prix de quellesmanipulations il avait accompli cette prouesse, mais ce n tait pas mon affaire. Je dposaismon fardeau de vgtation visqueuse sur le bloc de pierre, et nous mont mes dessus. Nousemportions chacun trois des tranges lanternes, au cas o le combustible alimentant cellequi nous fournissait actuellement notre clairage viendrait manquer. Peters chargea galement plusieurs barres mtalliques supplmentaires, apparemment destines tre employscontre les ravisseurs. Une fois que nous nous fmes installs sur la plateforme, celleci semit se dplacer dans la tranche sans qu aucun systme de conduite ni de propulsion neft visible. Pourtant nous avancions effectivement, et mme une vlocit dsagrablementcroissante. La vitesse de notre vhicule cessa bient t d augmenter, mais alors que noussentions dj l air nous fouetter le visage avec une force tonnante. Bien que je ne disposed aucun moyen de l assurer, je serais tent d affirmer que nous nous mouvions plus rapidement qu aucun navire de ma connaissance.

    Bient t, je remarquais des disques encastrs intervalles irrguliers dans les parois,juste audessus de la tranche au sein de laquelle nous nous dplacions. Notre clritm empchait toutefois de dterminer de quoi il s agissait. Nous voyage mes ainsi dans ceboyau durant des heures, aucun de nous ne s adressant l autre, avec le sifflement del air pour seule compagnie. Jamais je ne connus un dsespoir aussi aigu et profond que lorsde ces premires heures de descente inexorable au sein de l immonde et interminable boyau.Les parois dfilaient sans rel che et la lumire verd tre mise par notre lanterne me rendait nauseux. Par prudence, nous dcid mes de rationner nos provisions de feuilles lasaveur aigre, de sorte que les collations taient peu frquentes. Seules nos prsences

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    mutuelles attnuaient la monotonie de cette vritable descente du Styx, et pourtant je craignais de m adresser Peters. Il semblait ressasser les vnements ayant prcd notrepriple dans ce boyau. J aurais t bien en peine de deviner ce qui traversait son esprit ce momentl, et il faisait une telle dmonstration de regards diaboliques et de gestes colriques que je retournais bien vite ma fastidieuse contemplation des parois du boyau.

    Celuici tait creus mme la roche qui formait la base de l le. L absence de marques depioche dans le roc, ainsi que l aspect lisse et fini des parois et du sol, rendait impossibleque ce boyau ait t construit par les rpugnants Tsalalis. Bien qu on ne puisse dceleraucune indication quant aux techniques de forage employes, on pouvait nanmoins constaterque le trac du boyau n tait pas totalement rectiligne. Si la plus grande partie du trajetfut aussi calme que si nous avions repos sur une flaque d huile glissant sur l eau, il seproduisait parfois un lger cart de c t, ou un saut, qui branlait notre embarcation etla ralentissait faiblement, avant qu elle reprenne sa vitesse de croisire en quelquessecondes.

    Nous ne constat mes aucun signe de vie. La lueur rouge tre aperue resta invisible durantce trajet ; le seul clairage provenait de notre lanterne glauque. Qui que ce soit qui aitemmen les prisonniers, il avait compltement disparu. Mais Peters tait fermement rsolu les rattraper, bien plus que je ne l tais moimme. Nous dcouvrmes bient t que noustions en mesure de modifier la vlocit de notre vhicule selon l endroit o nous tionsassis. Si nous restions tous deux l arrire de l ovale, notre vitesse s en trouvait rapidement diminue de presque un tiers. A contrario, elle augmentait considrablement si nousnous placions tous deux l avant. Mais Peters luimme tait effray par de telles acclrations et, en consquence, lorsque nous emes identifi cette particularit de l engin,l un de nous s installa l avant et l autre l arrire. dire vrai, j ignorais compltement par quelle manipulation notre plateforme se mouvait une telle vitesse ; c est Petersqui tait parvenu dclencher le mystrieux mcanisme qui nous propulsait. Quelle que soitla cause du mouvement de notre engin, sa mise en branle ne requrait aucun effort de notrepart et les parois dfilaient trop rapidement pour que leur examen pt nous fournir le moindre indice. L obscurit nous entourait de tous c ts, peine rompue par la lumireblafarde et spectrale de notre lanterne. Peters tait tapi, forme sombre et inquitante, l autre extrmit de la plateforme. La lassitude triompha de moi et je m allongeais, la ttesoutenue par un tas de ces vgtaux huileux qui formait notre mdiocre rserve nutritive.Berc par la caresse monotone de l air, je sombrais bient t dans les bras accueillants deMorphe.

    Je m veillais dans l obscurit complte. Je n entendis rien d autre que le sifflementrgulier de l air puis, au terme d une angoissante minute, la respiration lente et difficilede Peters. Il n avait donc pas quitt ce monde. J explorais t tons la plateforme, esprantparvenir rallumer notre trange lanterne. La clart qu elle produisait avait beau tredes plus curantes, elle me semblait moins difficile supporter que l obscurit crasantequi nous entourait alors. Limit au seul sens du toucher, je parvins atteindre la proue denotre vaisseau et trouvais le pieu sur lequel pendait la lanterne. Je palpais prudemment lehaut de la perche graisseuse, attentif ne pas me blesser sur son extrmit dangereusementeffile, et parvins au contact de la surface rugueuse de la lampe. Immdiatement, une vivesensation de dchirure parcourut ma main, et l objet s illumina en un instant.

    Je n avais pas eu l heur d observer le fonctionnement de la lanterne auparavant, mais s enoffrit alors moi une horrible opportunit. Une vague lueur apparut d abord dans les profondeurs du verre, provenant du fluide tourbillonnant qui commenait diffuser depuis unpetit renflement situ en haut du prisme. Cette luminosit augmenta en quelques instants,tant en volume qu en intensit. Rapidement, la masse du liquide trouble et luminescents tendit jusqu emplir tout le rcipient, adoptant l aspect tourbillonnant que j avaisobserv plus t t. Je regardai ma main, m attendant la trouver pleine de sang, mais je n ydcelai absolument aucune blessure. J esprais ne plus jamais avoir rpter cette exprience terriblement dsagrable. Notre vhicule continuait progresser sans montrer lemoindre signe de dfaillance, les parois du boyau dfilant toujours une vitesse infernale.

    Le vocabulaire me manque pour dcrire l ennui de notre voyage, le dsespoir de se trouverdans un espace de moins de vingtcinq pieds carrs, seul en compagnie d un nergumnen ayant plus toute sa raison, et prcipit au travers des tnbres vers une destinationinconnue.

    Notre trange moyen de transport ralentit enfin, alors que l air ambiant devenait notablement plus frais. L atmosphre tait reste moite durant toute la descente du boyau, maiselle atteignit subitement une temprature glaciale. De l eau ruisselait des parois, formantsur le sol des flaques la surface desquelles la glace se formait. Cette observation taitparticulirement inquitante, car ni Peters ni moimme ne disposions de vtements aptes nous protger du froid, ni d aucun moyen de nous en procurer. La plateforme franchit unvirage, le premier de notre trajet infernal, et s approcha d un curieux quai, identique celui sur lequel nous avions embarqu. Il fut rapidement vident que notre singulier vhicule n avait pas l intention de s y arrter, malgr son ralentissement marqu. Le quai

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    tait au niveau de notre plateforme, aussi futce une chose des plus naturelles de simplement y prendre pied, ce qui stoppa immdiatement la progression de l embarcation. Nous noustrouvions sur le seuil d un labyrinthe de tunnels rayonnant dans toutes les directions. Del un d entre eux s chappait une trs faible lueur, annonant la prsence d une source delumire saine et naturelle. Alors que nous dsesprions de trouver le moindre signe de passage rcent sur le sol de pierre brute, un vacarme retentissant et confus nous parvintsoudainement du tunnel d o provenait la lumire, nous mettant sur nos gardes. Devantnous, quelque chose se dplaait ; un bruit de battements et de frottements rsonnait toutautour de nous, accompagn d tranges hululements rauques. Peters s empara de son pieugraisseux d une main et de la lanterne verd tre de l autre. Je pris une seconde perche etm engageais sur ses talons au sein du tunnel.

    Le tunnel dbouchait dans une caverne grouillant de manchots au pelage blanc, plus grosqu aucun autre oiseau que je n aie jamais observ. Derrire eux, la lumire qui nous parvenait en provenance de l extrieur apparaissait insupportablement vive, surpassant en clatla rpugnante lueur de notre lanterne. la violence de cet clairage rpondait une brutalechute des tempratures. Une brise glace s engouffrait dans notre tunnel et Peters, tremblant, s lana en brandissant son pieu et en un clin d il, rompit le cou de l un desvolatiles. Prendsen un toi aussi , ordonnatil, son haleine se condensant en brouillard tandis qu il commenait promptement corcher le misrable animal avec l extrmittranchante de son outil. Nous porterons leur peau pour nous protger du froid. L ide mesembla raisonnable et il ne s en fallut que d un court moment avant que je n aie occis montour l un des manchots. Curieusement, les btes ne prient pas la fuite malgr le sacrificede deux de leurs congnres ; elles persistaient au contraire grouiller autour de nousdans la confusion la plus totale. Je compris pourquoi alors je m employais la t che curante de dpecer l animal : ses yeux taient d un blanc uni et vitreux, compltementinutiles.

    Imitant Peters, j corchais la crature et retournais sa peau, de sorte que les minusculesplumes se trouvent contre ma peau et la tiennent au chaud. Nous devinions que le froid l extrieur de la caverne serait encore plus intense qu l intrieur et, bien que j aieimit mon compagnon d infortune aussi vite que possible, je tremblais dj violemmentlorsque j en eus fini. Le froid polaire tait incroyablement mordant ; je ressentais sesm choires pntrantes jusqu au fond de mes os mme aprs avoir endoss la pelure del animal. Peters, de son c t, tait dj en train de faire festin de la chair crue du manchot qu il avait captur : l exception des plantes au got aigre, il s agissait de lapremire source de nourriture dont nous ayons pu nous rassasier depuis des jours. Nous nenous encombr mes pas de provisions : sans possibilit matrielle de raliser un feu, toutce que nous emporterions avec nous aurait probablement gel immdiatement, alors que nousn aurions pas parcouru plus de quelques dizaines de pieds l extrieur. Cependant, justeavant que nous ne quittions le lieu de notre massacre, Peters arracha les foies de nos deuxanimaux avec les pieux. Il me tendit le mien en commenant m cher son festin.J ingurgitai galement l organe cru et sanguinolent, le sang de l animal se jetant, me semblail, directement dans mes veines. Fortifis et rassrns, nous nous lan mes versl entre de la caverne, et la saine lumire du jour.

    Une scne de complte dsolation nous y attendait. La temprature chutait vertigineusementau fur et mesure de notre progression, puis nous dbouch mes l extrieur. La lumiretait douloureusement perante, se refltant non seulement sur le ciel couvert mais galement sur les milliers de reliefs enneigs qui nous entouraient perte de vue. l il ducommun, cette luminosit tait certainement diffuse et modeste, mais pour ceux qui ont tenferms dans les profondeurs de la Terre, plus obscures que toute nuit, cette blme lumiretait quasiment insupportable. La lueur verd tre de la lanterne n avait pas prpar nosyeux l clat gnreux du soleil, en dpit de la position basse de l astre et du ciel couvert. Nulle part nous ne pouvions dtourner le regard ; les blancheurs aveuglantes du cielet de la neige, brlant nos yeux de leurs rayons aiguiss comme des lames, ne nous laissaient aucun rpit.

    Nous rest mes immobiles, clignant des yeux et les protgeant des rflexions lumineuses,jusqu ce que, lentement, nous dcouvrions que ces tendues polaires n taient pas uniquement constitues de neige aveuglante. Au fur et mesure que nos yeux s habituaient laluminosit, nous commen mes discerner les contours de formations rocheuses sombres etmassives, contrastant de faon saisissante avec la blancheur immuable du lieu, et contrelesquelles la neige s tait amasse. Plus nous les observions, plus nous nous rendionscompte que leurs formes taient trop gomtriques pour tre l uvre de la nature. Quellequ ait t l origine de ces constructions, les blocs de pierre et les corridors ostensiblement rguliers qui les reliaient ne pouvaient tmoigner que d une chose. Il s agissait d unecit en ruines, une cit indiciblement ancienne, construite puis abandonne en ces terresantarctiques dsertes et geles.

    Immense et sans ge, parseme de votes ciel ouvert et de chausses effondres, nombre deses principaux ouvrages crouls suite quelque inimaginable cataclysme : telle taitcette ville. Un air d tranget intimidant nimbait l atmosphre, aliment par la vertigi

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    neuse anciennet de la cit, les mystrieux gouffres bants emplis de neige qu on y trouvait, et l altrit indfinissable mais parfaitement rpugnante du lieu. Les seuls bruitsqu on y entendait taient ceux du vent frmissant et grondant dans les rues antdiluviennes, ayant parfois balay toute neige sur des places paves d o rayonnaient desavenues cernes de hauts murs de pierres blanches. Nous ne remarqu mes aucun signe devie : seulement la terrible dsolation et la solitude des millnaires couls, la marcheimplacable du temps rduisant cette trange mtropole en poussire, emporte vers l oubli.Je restais immobile, bahi par ce tableau incroyable et hors d ge, mais Peters me sortit dema passivit, me secouant et m indiquant d un geste l aspect de la neige l entre de lacaverne.

    La neige y tait frache et profonde, aussi blanche que la page vierge en attente du premiergriffonnage de la plume. Grondant de colre tel un animal en chasse, Peters retourna dansles tnbres du tunnel: nous n tions pas sur la bonne piste. Nous bondmes sur notreembarcation de pierre qui replongea immdiatement dans son interminable boyau. Mais notretrajet dans l obscurit fut cette fois bien plus bref. Aprs trois ou quatre heures au plus,le voyage cessa et la plateforme se rangea le long d un autre quai d embarquement.Cependant ne s offrait nous prsent qu un unique tunnel, qui nous conduisit directement la surface.

    Aussi douloureuse qu ait t la vision qui nous avait t offerte l issue du prcdenttunnel, la vue depuis celuici tait encore plus terrifiante. moins d un mille de l, visible au travers des rafales de vent et de neige, se tenait une tour titanesque un repaire degants, de dragons, ou de quelque fabuleuse mais rpugnante crature, car sa taille taitbien trop leve pour que l on puisse envisager qu elle ait pu tre l uvre de mainshumaines. Elle s levait devant nous, enveloppe d un voile de glace et de neige, gele ettourbillonnant, plus haute que n importe quelle tour ou citadelle mdivale. Et lorsque nousvmes la lueur bleute qui lvitait son fate comme un feu de SaintElme au sommet d unm t, je sus, je sus au plus profond de moi, que la chose en face de laquelle je me trouvaisne pouvait tre qu un phare, un gigantesque fanal d origine primordiale. Je ne peux concevoir aucune autre fonction cette chose, tant sa lumire attirait le regard, mme si elles avrait impossible fixer. Cette ignoble illumination projete du haut de la tour colossale exhalait une telle malveillance que je sais ne jamais pouvoir effacer sa vue de mammoire ; monumentale comme une armada de navires sur la mer et aussi terrifiante que letonnerre sur l ocan. Il manait de cet difice paen une affreuse sensation de monstruosit, comme s il ne s agissait pas d une construction terrestre, mais d une norme etblasphmatoire Tour de Babel, rige pour railler Dieu et toutes Ses saintes crations. Jetentais de m enfuir, mais je dcouvris que cela m tait impossible : j tais captiv, involontairement fascin par cette construction antdiluvienne qui m attirait et m appelait elle. Je restais immobile, gel de la tte aux pieds, et ce n est que lorsque Peters me poussadu coude que je fus capable de dtourner le regard de cette horreur titanesque. Je parvins matriser l instinct qui me poussait fuir pour chapper son emprise. Mais s chapper entat de panique dans cette immensit de neige signifiait se prcipiter audevant d une mortcertaine.

    Peters me montra du doigt une srie de traces laisses dans la neige, d un geste qui brisasans mnagement mon faible espoir de m loigner enfin de ce lieu dmoniaque. Bien que cesmarques ne fussent pas fraches la neige glace qui tombait lentement avait commenc les recouvrir il s agissait de la preuve indiscutable d un passage rcent. Absolumentbris de dsespoir, n osant pas mme croire que nous puissions encore nous en tirervivants, j embotais le pas Peters qui suivait rsolument la piste des captifs. Les tracess lanaient directement vers la base de l ignoble ruine antique.

    XXXXVVIIIIII

    Par ce froid terrifiant, nous suivmes les traces laisses dans la neige, durant ce qui meparut tre une ternit. Je ne peux valuer le temps qu il nous fallut pour parcourir ladistance nous sparant de la tour. Le froid qui rgnait tait si engourdissant pour le corpset l esprit que nous n tions pas mme en mesure de lever les yeux pour valuer la distancenous sparant de la Tour. La neige partiellement fondue nous fouettait de toute part, et toutce dont nous tions capables tait de contempler poser nos pieds couverts de glace se poserl un devant l autre le long de cette piste demienfouie dans la neige. La glace se cristallisait sur nos cils, tandis que notre haleine gelait avant mme d avoir t expire, formantune sorte de barbe glace pendue nos lvres. Nous poursuivions pniblement notre chemin,tandis que la tempte empirait, nous balayant avec une violence sans merci. Nos souffrancespasses n taient que peu de chose compares ce que nous endurions dsormais : les tenuesd hommes des cavernes gelant sur notre peau et incapables de nous rchauffer, les coups demassue du vent nous prcipitant hors de la piste, et la certitude que celuici nous conduisait vers une abominable agonie. Deux fois je tombais dans la neige glace, avant d trerelev par Peters et encourag sans mnagement repartir.

    Je perdis mon quilibre nouveau, abandonn cette fois par toute volont de reprendre monavance. J tais tendu dans la neige, appelant de mes vux le soulagement apport par un

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    trpas imminent, le sombre tomber de rideau, lorsque Peters me frappa avec force. Je levaiun bras pour me protger de ses coups, incapable de crier car mes lvres taient scellespar la glace. Debout ! m ordonnatil. Debout, pauvre gueux ! Et sur ces mots, il mesaisit braslecorps et m arracha de la neige en me secouant comme si je n tais qu unenfant. Cela me fit recouvrer mes sens, faisant circuler le sang dans mes membres. Jeretrouvai mes esprits, craignant plus la violence de Peters que le baiser de la mort, et metranai nouveau pniblement sur la piste. Bient t, nous fmes parvenus au pied du phareterrifiant et nous y dcouvrmes, creuse dans la neige, une rampe d accs qui menaitdirectement au sein de la tour environne de vapeur. Je me serais plus volontiers prcipitdans la cage d un fauve, mais il tait vident que nous ne pourrions pas survivre beaucoupplus longtemps au climat glacial rgnant l extrieur.

    Nous dgringol mes le long de la rampe d accs, moiti aveugls, et totalement dments,jusqu ce que mon pied heurte quelque obstacle dpos sur le trajet et que je ne m croule nouveau de tout mon long. Peters me gratifia d un vigoureux coup de pied dans les c tes,avant s interrompre brusquement, le visage soudain tordu de rage et de terreur. Je suivis ladirection de son regard, et constatais que l obstacle sur lequel j avais but tait un corpshumain. Quelle qu ait t son identit, le cadavre tait dsormais totalement mconnaissable. La tte avait t crase par un choc violent ; les longs cheveux blonds taient prisdans une flaque de sang gel. Bien qu il s agisse d une vision pouvantable, elle taitaussi, sa macabre manire, porteuse d un semblant d espoir. Elle nous confirmait que lesmystrieux ravisseurs taient passs en ce lieu avec leurs prisonniers, mme si ces derniers n y avaient pas tous survcu. quelques mtres seulement du malheureux cadavre, lapiste pntrait dans l effroyable construction. Pleins d une terreur irraisonne mais galement d une piti irrpressible pour les prisonniers et pousss par notre propre et peuglorieuse condition, nous franchmes le seuil de la tour.

    La premire chose que nous remarqu mes, Peters et moimme, fut que la temprature taitici significativement plus leve qu au dehors. Bien que l entre ft dpourvue de vritable porte, il tait vident qu un systme de chauffage tait l uvre, entretenant unechaleur plus que bienvenue pour nos entrailles glaces. Quelle qu ait t sa source, quandbien mme il se fut agi du brasier de l Enfer luimme, nous nous y rchauff mes avecdlectation. Nos grelottements mirent pourtant bien du temps s attnuer. Nos doigts gelsnous firent souffrir en retrouvant une temprature raisonnable et nous march mes grandes enjambes afin de rveiller nos membres.

    Mais il n tait pas question de lambiner et d abandonner la poursuite. Tandis que nousretrouvions nos esprits, nous constat mes que nous tions dans un couloir se dirigeantvers le centre de la tour. Les murs taient constitus de la mme pierre lisse et gris foncque l difice rituel des Tsalalis et prsentaient la mme nettet de finition. Tandis quej examinais les parois, Peters s tait agenouill sur le sol couvert de givre. En quelquesminutes, il y dcouvrit des petits dbris de gel parsemant la surface lisse de la glace.Considrant cette dcouverte comme un signe du passage des ravisseurs, Peters brandit satige de mtal et dclara qu il fallait poursuivre plus avant. Je le suivis.

    Nous atteignmes bient t une pice de forme ovale desservie par une seule autre issue : unerampe circulaire constitue d une matire brillante, use en son centre, qui s levait dansles tnbres. N ayant gure d autre choix, nous emprunt mes cet trange passage. l exception de notre lanterne, l obscurit y tait totale, et aucun point de repre sur lasurface grise et uniforme des parois ne nous offrait la possibilit de mesurer le tempscoul ou la distance parcourue sur cette rampe. Seul un accroissement rgulier de la temprature ambiante marquait notre progression, et bient t nous commen mes transpirerdans nos manteaux improviss en peau de manchot. Nous n osions pourtant pas abandonnerces derniers, de crainte de devoir entreprendre une retraite subite vers les tendues glaces environnant la tour.

    Interrompant une longue et monotone ascension, une arche s ouvrit sur le c t de notrerampe. Nous pntr mes dans ce passage, ne sachant si les captifs avaient t emmensplus haut dans le tunnel ou conduits ici. La taille des lieux tait impressionnante et letemps que nous avions pass enferms dans l troit tunnel grimpant nous la rendait d autant plus intimidante. La lueur verd tre de notre lanterne ne parvenait pas clairerl ensemble de la pice, mais celleci disposait de sa propre source de lumire. En son centre s ouvrait un puits infernal mettant un vif clat rouge tre. Incapables d y rsister,nous nous approch mes, et ce faisant, l agrable tideur rgnant dans le reste de cettetour se transforma en une insupportable chaleur, jaillissant, telle l eau d un geyser, del insondable orifice. Scrutant prcautionneusement l intrieur du trou (son pourtourtait dpourvu de balustrade ou de quelque protection contre notre maladresse), nous vmesun colimaon s enroulant interminablement sous nos pieds, et se perdant dans un rougeoiement dmoniaque qui devait se situer bien plus d un millier de mtres en profondeur.C tait le cur infernal de l inf me Tour. Du fond du puits, pourtant invisible, nous parvenaient un rougeoiement et des vagues de chaleur dignes des forges de Vulcain.Frmissants, nous nous loign mes du bord.

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    Une exploration rapide des lieux ne nous permit de trouver aucune trace de nos compagnons.Nous observ mes soigneusement le sol, mais les motifs complexes et drangeants gravs surceluici, additionns la chaleur rayonnante de l endroit, nous empchrent d y dtecterdes traces de glace de la nature de celles que nous avions suivies jusqu ce lieu.Cependant, nous parvnmes contenir le dsespoir qui nous envahissait : sous le dmemajestueux qui tenait lieu de plafond la pice, six issues s ouvraient nous dans lesmurs de la pice. Cinq d entre elles taient rparties intervalle rgulier sur le primtre de la pice, tandis que la sixime avait la forme d une arche irrgulire. Nousemprunt mes cette dernire, nous engageant dans une ascension en spirale similaire cellequi nous avait mens quelques moments plus t t dans la grande salle surmonte d un dme. Jene pus m empcher de songer que chaque pas nous rapprochait un peu plus de la rpugnanteluminescence bleu tre qui lvitait au sommet de la tour.

    Cette pense trouva confirmation, car bient t il apparut que la paroi extrieure de larampe s tait partiellement effondre en plusieurs endroits. Les boulements nous rvlaient une chambre envahie de structures cristallines longilignes, constitues d unematire qui aurait pu voquer le sel. Mais contrairement celuici, ces excroissances seprsentaient sous des formes et tailles varies. La fameuse lumire bleu tre se propageait l intrieur des cristaux par vives pulsations, cependant trop rapides pour tre rellement perues par l il humain. Curieusement, en vision latrale, il tait plus ais dedceler ces sortes d clairs, qui devenaient parfaitement invisibles ds que l esprit leuraccordait sa pleine attention. Mais la diffrence de l ignoble luminosit provenant dufate de la tour, ces pulsations taient accompagnes d un son perant bien que lointain,murmure chant voquant quelques sirnes antiques, qui d un mme lan, nous attirait etnous repoussait. Je sentis mon cur se soulever au chant terrifiant de ces horreurs. Se ftil agi des plus purs diamants de l Afrique, ni Peters ni moimme n aurions accept de lestoucher. Nous acclr mes notre pas vers le sommet de la rampe, jusqu aux limites de noscapacits corporelles mais non sans subir l attraction perfide de ces cristaux chaquetournant.

    Il sembla s couler des heures avant que nous ne parvinssions laisser derrire nous lechant vnneux des pulsations bleutes, laissant place un silence bni. Nous poursuivmes notre ascension, heureux pour la premire fois d tre clairs seulement par la lueurverd tre de notre lanterne. Ce temps de rpit fut bref. Subitement, alors que nous n avionsparcouru pas plus de deux circonvolutions de la rampe, nous dbouch mes dans une nouvellepice, moins large et plus tempre que celle que nous venions de quitter. L air y taithumide, trangement charg d une bue que nous n avions pas revue depuis notre descentedans le tunnel sur l le blanche. Et la diffrence de la prcdente, cette chambre n taitpas tout fait vide.

    On y avait sculpt d improbables concrtions de pierre, estrades et cylindres surgis du solet des parois, dont l usage nous chappait totalement ; s agissaitil de mobilier ? Autourde l un de ces pidestaux s talait un amoncellement des tranges cristaux palpitants quenous avions observ plus bas. Mais contrairement ces derniers, ceuxci n mettaient nison ni lumire et reposaient, inertes, dans un parfait silence. Audessus de l amas, avaitt trace sur le mur une sorte de fresque, peinte de couleurs criardes. Bien que nous neparvenions comprendre le sujet qu elle voquait, elle semblait ostensiblement lie cetenchevtrement de cristaux, peuttre pour obtenir le mme effet que celui produit par lesvitraux dans les cathdrales. Je ralisai alors que le moment de la confrontation avec notreennemi tait peuttre imminent et, au sein du monceau de cristaux qui s offrait moi,j en choisis un particulirement long. Je fus soulag de ne ressentir aucune douleur enempoignant l objet, qui avait le contact fort rassurant d une simple pierre, froide et lisseau toucher, et lgrement plus lourd que son aspect ne le suggrait. Bien que les artes ducristal ne fussent point tranchantes par ellesmmes, l objet s achevait en une pointe dentele aussi coupante que du verre. Ainsi quips, nous entreprmes d explorer les cinqentres votes qui s ouvraient dans cette pice, moimme portant la lanterne verd tred une main et le long tesson de cristal de l autre, tandis que Peters se contentait de tenirfermement son curieux pieu mtallique. C est en ce lieu que nous vmes, pour la premirefois depuis que nous avions franchi le seuil de cette tour antdiluvienne, un signe de vie,sous la forme de petites racines grimpantes. Elles s insinuaient le long de deux des issuesvotes pour rejoindre, au travers du plafond, l interminable rampe en spirale. Les troisautres ouvertures, quant elles, taient aussi silencieuses et sombres qu un tombeau.

    Nous avions peine remarqu cette particularit que rsonna un bruit tranant et cliquetant audessus de nos ttes. Quelqu un descendait les escaliers, et il tait impratif quenous nous dissimulions rapidement avant d tre vus. D un mouvement silencieux, je me prcipitai en mme temps que Peters travers l une des issues votes dpourvues de plantes,dans l une des trois chambres plonges dans la pnombre. Nous esprions qu une telle picencessiterait moins d attention. Remarquant un grand nombre de concrtions de pierre brises et parpilles en ce lieu, Dirk Peters y dissimula immdiatement notre lanterne, nousplongeant en un clin d il dans l obscurit. Puis nous nous faufil mes, aussi prestementque possible sans briser le silence, vers l embrasure vote, avec l intention d assister l arrive de l intrus. Le volume de l trange son tranant augmentait graduellement, et

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    soudain, l paisse lumire rouge, dj croise prs de l trange quai situ sous l le,inonda brutalement la pice. cette lueur nous discern mes, dvalant la rampe en spirale,une Chose.

    Il y a bien des facettes de la Terre qui restent ignores de l Homme, et celleci est sansaucun doute l une des plus pouvantables. C est pure vanit de la part de l homme que decroire qu il n existe aucune autre forme d intelligence en ce monde que la sienne, et que leSeigneur lui a confi le pouvoir sur toutes les btes ou poissons qui peuplent sa Cration.C est faux, et il existe d autres choses, des Choses tranges qui occupent les tenduespolaires, des Choses dont l apparence rappelle ces barils employs par les baleiniers, enmoins volumineux, pourvues de cinq pais tentacules visqueux en contact avec le sol, ainsique d un nombre quivalent d appendices extrmement ramifis partant du centre de l abdomen, et enfin, couronnant le tout, d une troublante tte en forme d toile. L intrus taitde couleur gris verd tre, marbr en certains endroits, et il se dplaait. Mon Dieu ! Je nepeux affirmer s il s agissait d un animal ou d une plante, mais la Chose marchait ; gauchement, comme si elle ne matrisait pas l ambulation, mais elle marchait, se tranant avecles cinq puissants tentacules rattachs sa base telles les racines d un arbre majestueux.Je jure ici, devant Dieu, que cette Chose tait non seulement anime, mais galement intelligente, doue d un esprit au moins aussi dvelopp que le cerveau humain, maismalveillant, aussi vicieux que le Diable et tous ses dmons. Sans l ombre d un doute, cettecrature et ses congnres taient responsables de l rection de cet immonde phare infernal s levant audessus de nos ttes avec l arrogance d un Lucifer, car seul un espritd une telle malice aurait pu tre en mesure de construire une horreur si trangre aux loisnaturelles de Notre Seigneur.

    D une faon ou d une autre, Dirk Peters et moimme parvnmes nous retenir de hurler lavue de cette abomination, qui, ainsi, ne nous vit et ne nous entendit point, et poursuivitson chemin. La Chose se dplaa jusqu l une des issues votes, dpourvues de poussesvgtales, et de celle o nous nous trouvions. Nous attendmes pour sortir qu elle y aitcompltement disparu puis nous la suivmes le plus furtivement possible : il tait clair quela crature pouvait nous voir arriver de n importe quelle direction de sa tte toile. Pourcette raison, nous prmes grand soin de ne nous trahir d aucune manire, progressant lelong des parois de la pice principale, puis observant la chambre dans laquelle s taitengage la crature depuis le seuil.

    Bien nous en prit, car nous dcouvrmes, rvl par la lueur rouge tre de la lanterneappartenant la Chose, un tableau tir des plus profonds abmes de la perdition : en ce lieugisaient les quatre Europens ayant survcu, immobiliss dans les liens grossiers nous parles Tsalalis. Un couple de sauvages tait galement couch ici, toutefois sans entrave. Tousles corps taient allongs sur une large dalle de pierre incline; peuttre quelque autelsacrilge des Choses Polaires, d une conception si pouvantable qu elle ne pouvait convenirqu ces cratures. Tout comme de nombreux sols et parois de cette tour abandonne de Dieu,l autel tait grav d tranges schmas et dessins que ni Peters ni moimme ne parvenions comprendre. Tous les captifs semblaient tourdis ou inconscients, car ils ne ragirentpas lorsque la crature pntra dans les lieux. Bien que n tant pas en mesure d embrasserdu regard la totalit de la pice, je pus observer qu elle tait plus large que celle danslaquelle nous nous trouvions prcdemment, mais moins imposante que celle o se trouvait lepuits. L air qui en provenait tait tropical, moite et humide, presque charg d une brumede chaleur, et affreusement nausabond. Cette ignoble puanteur rveilla immdiatement enmoi le souvenir des derniers instants de mon pauvre ami Auguste. J engageais Peters, parsignes, m accompagner immdiatement dans une tentative de sauvetage mais il secoua latte avec dtermination, son visage de marbre laissant deviner de lugubres consquences sije ne retenais pas mon impulsion. Nous tions toujours absorbs par l tude de la picedepuis notre point d observation dissimul, lorsque la terrible crature s approcha de l undes captifs sans dfense et l agrippa de ses membres abdominaux. J tais, tout commePeters, paralys d horreur devant notre impuissance tandis que le pauvre malheureux taitpouss lentement, le long de la plateforme incline, la tte la premire, vers une fosses ouvrant au pied de l pouvantable autel.

    Subitement, d horribles hurlements retentirent ; d atroces cris qu un homme ne profre quesous les tortures les plus douloureuses qui se puissent concevoir. Nous entendions galement, sous ces glapissements, le bruit dconcertant d un battement frntique, comme si lepauvre hre tentait d chapper des sables mouvants. La Chose se tenait immobile, aussiimpassible que les parois de pierre, devant ces lamentations. Puis elle se mit soudainement tituber et agiter plusieurs de ses membres de faon grotesque, mettant un puissant sifflement flt dans lequel nous reconnmes une imitation du Tekelili ! des Tsalalis, qu ellerpta plusieurs reprises avant de cesser brusquement. Cette scne droutante acheve,la Chose reprit son chemin, qui la menait l endroit o nous tions cachs. Immdiatement,nous nous repli mes en courant toutes jambes, dvalant la rampe comme des flches etpriant pour que la crature ne nous ait pas aperus. Suivie uniquement par les hurlementsatroces et s affaiblissant, la Chose progressait avec une lente dcontraction, portant salanterne rouge tre pas tranants vers la rampe, en direction des tages suprieurs.

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    C est alors que Peters, remuant maladroitement sa large carrure, posa le pied sur quelquechose qui cda dans un craquement sourd. Instantanment, la Chose interrompit son ascension et se tint immobile, coutant les bruits alentours avec une vidente concentration.Elle inclina la tte d un mouvement curieusement humain, attendant peuttre la rptitiondu son. Nous retnmes notre respiration, n osant ni bouger ni faire le moindre bruit tandisque les r les de l agonisant rsonnaient travers la tour. Apparemment rassure, la crature reprit son ascension, et disparut bient t avec sa lanterne dans les hauteurs de larampe en spirale. Cet pisode achev, Peters s empressa d aller rcuprer notre lanterneet empoigna le pieu mtallique qu il transportait depuis l difice impie des Tsalalis. Jebrandis quant moi mon tesson de cristal, prpar si ncessaire combattre jusqu lamort. Ainsi emplis d une tmrit retrouve, nous retourn mes vers l autel.

    peine avaisje rejoint les captifs au pas de course que je fus totalement paralys.Absolument terrifi, dans la crainte innommable que la Chose diabolique ne revienne sur sespas et ne m inflige le mme sort que mon compatriote, je tentais de toute la force de mon me de reprendre le contr le de mes membres. Je puisais dans toutes les ressources de maconcentration afin d ordonner ceuxci de recouvrer leur fonctionnement, mais sansrsultat. J tais littralement fig sur place, incapable de bouger ne seraitce que mesglobes oculaires. Un trange rayonnement manait de certains des basreliefs qui m environnaient, comme si ces symboles s taient introduits dans mon cerveau, immobilisant tousmes organes.

    nouveau ce fut Dirk Peters qui me sauva. Remarquant mon immobilit subite, il me frappad un coup violent avec son pieu mtallique, m envoyant terre. Ds que je heurtais le sol,je fus nouveau en mesure de bouger. Comprenant que cette paralysie provenait de quelquecorruption provoque par l autel paen sur lequel les prisonniers taient tendus, nousdpla mes avec prcaution les trois hommes blancs hors de ce support. Aussit t lesavionsnous loigns de ce malfice qu ils se mirent se dbattre. Nous les calm mes, leurexpos mes rapidement que nous leur offrions une chance de s chapper puis, l aide de lalame du pieu providentiel, coup mes leurs liens. En quelques minutes notre t che futaccomplie et nous nous enfumes tous les cinq de cet pouvantable lieu.

    Nous abandonnions les Tsalalis leurs dieux.

    Nous descendmes la rampe en spirale avec une vitesse dsesprante. Nos camarades tantrests pieds et poings lis depuis prs d une semaine, le sang ne revenait dans leurs membres qu avec peine et lenteur. Mais quand nous parvnmes enfin acclrer, aucun de nousne ralentit jamais l allure, rsolus comme nous l tions courir sans nous arrterjusqu au tunnel, abandonnant ce phare maudit jamais derrire nous. Peters menait lacourse, sa stature trapue et sa rsistance exceptionnelle lui ayant permis de lutter mieuxque nous contre les horreurs et les privations que nous avions endures rcemment. Maistandis que nous traversions le dme o se trouvait le puits, nous apermes une crature seprcipitant dans notre direction depuis les plus profonds abmes de la tour, gravissantl escalier en colimaon ! D une seule voix nous laiss mes chapper un cri d horreur dsespr et nous prmes la fuite, pris d une intense panique, vers l issue vote que Petersnous indiquait par de larges gestes affols. Mais la Chose avait pour nous d autres plans, etmalgr sa dambulation maladroite, elle se rvla affreusement rapide dans sa traque. Nousdval mes la rampe foules perdues, vers les tendues glaciales qui nous attendaient l extrieur ; nous tions cependant puiss et affams ; pitoyable communaut. La Chosegagnait peu peu du terrain sur nous, mettant un troublant sifflement, presque musical,qui dcuplait notre terreur. Perdant tout espoir, nous comprmes alors que, mme cinq,puiss comme nous l tions, nous n avions aucune chance de nous dfendre contre cettecrature.

    Finalement, Peters, se tenant prsent l arrire du groupe, lana notre lanterne vers lacrature, en un ultime geste de dfi plus que dans l espoir rel de causer des dg ts. notre grand tonnement, aucune explosion ne survint. Le verre se brisa, librant le liquideverd tre et bouillonnant qui se rpandit largement. Quoique la lanterne se soit crasebien avant d atteindre la Chose, cette dernire se rvla incapable de s arrter ou dedvier sa trajectoire afin d viter le danger. son contact, le fluide passa de son vertnauseux usuel l curante texture rouge tre et paisse que nous avions dj aperue. Leliquide se dforma de faon insense, mettant simultanment une luminosit dcuple. Elleremonta promptement le long des tentacules de la Chose qui perdit alors l quilibre et s effondra au sol tel un arbre abattu. Totalement enveloppe de liquide, la Chose se dbattitpendant quelques secondes puis se figea, tandis que la substance continuait rougeoyercomme un feu de joie son apoge. Avec horreur, nous contempl mes la crature prisonniredont les contours se ramollissaient tandis que la masse bouillonnante et aveuglante dufluide semblait littralement les dissoudre. Puis, apparemment dot dune volont propre, leliquide abandonna sa victime, comme s il avait fini de se repatre de sa chair et qu il partait la recherche d autres sources de nourriture, lanant vers nous des langues de fluideardent et affam. Terrifis par le spectacle auquel nous venions d assister, nous prmes lafuite comme des drats. Nous fmes bient t hors de la tour maudite, immdiatement accabls par le froid mortel des tendues polaires. Les mots sont impuissants dcrire les

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    souffrances pathtiques que nous endur mes sur le chemin du retour. Nos nouveaux compagnons taient bien trop lgrement vtus pour supporter ce climat, et semblaient tous sanscesse la limite de la rupture. Nous maintnmes cote que cote une course en demifoules,esprant que l effort suffirait nous fournir assez de chaleur pour atteindre l entre dutunnel. michemin, l un des inconnus s effondra et Peters dut porter l infortun sur sespaules. Bien que le vent se ft calm, la neige tombait toujours plus drue et nous permitd chapper aux signaux tentateurs du phare gigantesque et infernal. Lorsque nous parvnmes enfin au tunnel, nous nous tranions de faon dsespre plus que nous ne courions,pauvres hres gels et puiss. Peters portant toujours l un des hommes sur son dos, j aidais les deux autres se tenir debout. Aussi immense que fut ma fatigue, elle taitprobablement infime en comparaison de la leur.

    Aprs avoir franchi l entre du tunnel, nous tran mes nos compagnons, nous enfonantdans la tideur de la galerie. La consommation des vgtaux charnus que nous avions laissssur la plateforme permit nos nouveaux compagnons de recouvrer une partie de leur nergie.Peters et moimme retir mes alors nos pouvantables costumes. La chaleur ambiante allaitnon seulement les rendre inutiles, mais en plus les transformer en haillons putrides et nausabonds. Nous fmes minemment soulags de constater que l endroit tait tel que nousl avions laiss ; aucun manchot gant n tait venu entamer notre rserve de feuillesmolles et blanch tres, et nos cinq lanternes taient toujours en place. Nous tressaillmesen apercevant ces dernires, nous remmorant l apptit inextinguible de destruction donts tait montre capable celle que nous avions utilise contre la Chose qui nous poursuivait.Nous manipul mes ces lanternes avec grande prudence, inquiets l ide de librer la substance lumineuse qu elles contenaient. Lorsque nous nous fmes tous quelque peu restaurs,Peters nous donna des instructions pour retourner la lourde plateforme dans le sens oppos.Nous la dpos mes avec prcaution dans son trange logement et, aprs que nous noussoyons installs dessus, elle prit rapidement de la vitesse. Curieusement, il me sembla quenotre vlocit tait plus importante que lors de notre voyage aller. Quelle que fut la raisonde cette clrit, nous nous loignions dsormais grand train de cette horrible construction polaire, l air chaud fouettant gnreusement nos cheveux.

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    Lorsque nous fmes certains qu aucun poursuivant ne se trouvait immdiatement sur nostalons, Peters effleura du doigt l une des lanternes. Une sinistre flamme verd tres veilla brusquement au cur de l objet, et c est cette lueur mouvante que nous pmesdtailler pour la premire fois l tat de nos compagnons. Ces hommes taient de robustesgaillards, car malgr toutes les preuves qui avaient affaibli leur constitution et blmileur teint, leur farouche volont de vivre n avait pas t affecte. Hants comme nousl tions par la crainte d tre malgr tout l objet d une traque, nous laiss mes le silences installer durant quelque temps. Finalement l un des inconnus le rompit pour se prsenter,lui et ses compagnons. Ils se nommaient Vredenburgh, DeLance et Marburg, et avaient servicomme hommes d quipage sur un troism ts baptis le Discovery, parti d Oslo et dont ilsnous dirent esprer qu il fut encore l ancre l endroit o ils l avaient laiss, dsarmsuite avaries. Ils formaient initialement un groupe de chasse de huit hommes, mais eurentmaille partir avec les rpugnants Tsalalis. Trois d entre eux succombrent lors d uneaffreuse embuscade, les cinq survivants tant fait prisonniers. L homme que nous avionsdcouvert l entre de la Tour se nommait Gunnarson, un courageux marin qui avaitpatient jusqu ce que le froid glaant devienne presque insupportable avant de tenter delibrer ses compagnons. L une des Choses l avait tu d un simple coup, incroyablementpuissant, qui avait littralement dfonc son cr ne comme une citrouille. Leur derniercamarade, disparu dans des circonstances tout aussi horribles, se nommait Johanneson, maisils ne purent supporter de s attarder sur ce souvenir. Ces hommes versrent de chaudeslarmes sur leurs compagnons tandis que Peters et moimme tentions du mieux que nous pouvions de les rconforter.

    Des heures passrent, puis des jours. Au rugissement du vent rpondait uniquement le dfilement d interminables tendues rocheuses. Aucun de nous n aurait t en mesure d estimerle temps coul depuis notre dpart. Soudain, Vredenburgh aperut quelque mouvement lalisire de son champ de vision. Peters effleura une deuxime lanterne, activant la lueurnauseuse. Nous pmes alors discerner pas moins de trois horribles Choses Polaires, lances notre poursuite sur une autre plateforme, qu ils parvenaient mystrieusement mener une vitesse bien suprieure la n tre, gagnant rapidement du terrain. Vredenburgh etMarburg hurlrent de terreur et s agripprent l un l autre, paralyss la pense del issue inluctable de la traque. Peters jura et, ne trouvant rien de plus appropri notredfense, lana une des lanternes vers nos poursuivants. La lampe s crasa sur le sol dutunnel, ne laissant qu une tache incandescente qui disparut immdiatement au loin, ne provoquant aucun dg t sur les cratures qui nous pourchassaient.

    La peur nous ptrifiait. Le premier, DeLance recouvrit ses esprits et nous hurla que nousdevions lancer deux ou trois lanternes d un mme lan, dans l espoir d augmenter noschances d atteindre les cratures. Nous fmes tous immdiatement convaincus par la justesse de cette stratgie. J aidais alors Peters activer les lampes, conscient que

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    l affreuse sensation de succion qu elles provoquaient n tait rien compare aux horreursqui nous guettaient si nous tions capturs et ramens la cit polaire. Au signal donnpar DeLance, nous projet mes les lanternes le long du tunnel en direction de nos poursuivants. Par bonheur, deux des trois projectiles atteignirent la plateforme des ChosesPolaires. Comme auparavant, le liquide qui s chappa des dbris de verre se prcipita surles cratures, sa teinte verte putride se muant leur contact en un rouge non moins curant. Les Choses s agitrent frntiquement, essayant de se soustraire au fluide mais neparvenant qu le rpandre tout autour d elles, dcuplant ainsi les effets corrosifs de lasubstance dltre. Alors que le liquide vorace avait pris possession de la majeure partie dela plateforme, une des Choses tenta de sauter dans le vide malgr la vitesse vertigineuse laquelle le vhicule se dplaait. Mais, devant nos yeux bahis, la substance sanguinaire,ayant maintenant l apparence des flammes d un violent incendie, projeta un tentacule rouge tre qui s empara de la crature et la ramena sur la plateforme, avant de la dvorer. Iln y avait dsormais plus aucun doute que ce fluide tait vivant, et le vhicule de nospoursuivants se rapprochant implacablement du n tre, la panique s empara de nous. D iciquelques minutes, les deux plateformes allaient sans aucun doute entrer en collision et nousserions notre tour dvors par l horreur flamboyante. Nous sanglot mes, maudissantDeLance pour son initiative irrflchie, et Marburg commena mme prier.

    Contre toute attente, c est au plus profond du dsespoir que surgit notre salut. Alors mmeque nous contemplions, terrifis, le fluide bouillonnant se prcipiter vers nous, elle dviabrutalement sa course et alla s craser directement sur la paroi du boyau. En quelquessecondes, elle disparut compltement de notre champ de vision. Nous rest mes cois, incapables de croire en cette dlivrance providentielle. Notre plateforme avanait toujours grande vitesse, laissant derrire nous cette horreur que nous avions nousmmes crs.Mais soudain, le mouvement de notre plateforme fut interrompu, et nous fmes projets versl avant, tte la premire, comme une poigne de ds lancs par un joueur maladroit. Notrevitesse tait telle que le choc avec le sol du tunnel fut d une extrme violence, mais je nesouffrais apparemment d aucune fracture. Me relevant pniblement, je perus une sorte degrondement propag au plus profond de la roche. Je m efforais alors de rassembler mes compagnons, craignant qu une portion du tunnel ne s effondr t, lorsque la substancerougeoyante que nous avions perdue de vue quelques instants plus t t explosa soudain. Leliquide vorace formait prsent une monstruosit, enfle de faon incommensurable, dontl embrasement nous plongea dans une lumire plus brillante que l astre solaire, projetantd tranges serpentins et flammches, comme autant de rameaux incandescents. Nous ressentmes, plus que nous ne vmes, ce razdemare infernal dvaler le tunnel et nousrattraper, si rapide et si puissant que nous emes peine le temps d esquisser un mouvementde recul effray.Alors que nous nous imaginions dj purement et simplement pulvriss, la masse incandescente ralentit soudainement, s arrtant quelques mtres de nous. Si proche, son clatnous brlait sauvagement les yeux, nous contraignant dtourner le regard et fermer lespaupires. La lumire continuait mordre cruellement nos rtines, tandis que nous nousrassemblions t tons, collectant les quelques pices d quipement que nous fmes capablesde retrouver.

    Nous battmes retraite le plus rapidement possible, faisant le point sur les dg ts occasionns par les rcents vnements: nous avions tous subi quelques contusions etmeurtrissure, mais Peters tait le plus svrement bless. Ds que la luminosit fut redevenue un tant soit peu supportable, DeLance examina mon compagnon mtis et ralisa que,bien qu il ne se plaignt pas de la douleur, il avait le bras cass. DeLance dchira quelqueslambeaux de sa chemise, partir desquels il confectionna une attelle de fortune, afin derduire la fracture de Dirk. Pendant ce temps, Vredenburgh, Marburg et moimme faisionsle bilan de notre situation. Nous ne disposions plus que de deux pieux mtalliques, une lanterne (que nous manipulions avec grande prcaution) et deux maigres poignes de vgtauxcharnus en fort mauvais tat. Nous dcid mes de rationner la nourriture, puis reprmes laroute un rythme atrocement lent. J avais la sensation de m affaiblir chaque pas.Vredenburgh menait la marche dans le tunnel qui replongeait dans une semiobscurit au furet mesure que nous nous loignions de l effrayante source de lumire.

    Nous march mes pendant une journe avant d atteindre la fin du tunnel et la surface del le, prs de la mer bouillante. Nous n avions pas eu besoin d allumer notre dernire lanterne. Le cur soulag, nous surgmes l air libre, dcouvrant alors d importantschangements : quelle qu en ait t la source, la brume tourbillonnante avait disparu, demme que le grondement incessant de la cataracte. Marburg et Vredenburgh se prcipitrentvers la rive et dcouvrirent que la mer, bien que d une temprature toujours extrmementleve, n tait plus parcourue par le puissant courant qui nous avait conduits cet lot.Ce phnomne tait sans nul doute li l trange disparition de la cascade, de l autrec t de l le.

    Vredenburgh, Marburg et DeLance s exclamaient de joie et se flicitaient, dvorant lesfeuillages p les qui nous avaient gards en vie pendant si longtemps, tandis que Peters etmoimme nous asseyions, les jambes rompues de fatigue. Mon cr ne bourdonnait comme si uncoup de canon venait d tre tir aux environs. Peters s effondra sur le sol alors que nos

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    compagnons gambadaient joyeusement sur la plage en clbrant leur libert retrouve. Dansun tat proche de la transe, je tentais de me rapprocher de lui. Mais j avais puis mesdernires ressources : mes articulations se figrent douloureusement et comme Peters, jem effondrai terre.

    Je peux seulement tenter d expliquer que je fus alors la victime de cauchemars tels quejamais je n en avais connus auparavant, emplis d une affreuse neige blanche, d intelligences pernicieuses et menaantes, et baigne de l ignoble et attirante lumire bleute. Jene m tendrai pas plus sur ces chimres, qui ne sont que fantasmes de l esprit, que sur ladescription des troubles dus la fivre. Cependant, mes camarades m affirmrent par lasuite que j avais, tout comme Dirk, divagu et dlir durant plusieurs semaines, sans queje ne puisse dterminer la cause de cette affliction. Je crois que notre trpas aurait tcertain sans les soins prodigus par nos trois compagnons, car nous n merge mes de cettelthargie que bien plus tard. Notre premire vision fut alors celle des robustes solives d unnavire audessus de nos ttes, et nos corps taient bercs par le roulis si familier del ocan. Vredenburgh descendit nous rendre visite quelques minutes plus tard. Il nousrvla que nous nous trouvions sur le Nancy, un navire d exploration, et que Peters et moimme tions souffrants depuis plusieurs semaines dj. Alors que je lui demandai par quelsmoyens nous tions parvenus ici, il me dcrit brivement les vnements des semaines passes. En l absence de courant, il avait t ais aux trois marins rescaps de mettre l eau le cano des Tsalalis et de pagayer jusqu la mer tandis que nous gmissions, inertes,au fond de l embarcation. En s loignant de l lot, un froid de plus en plus intense s taitinstall. Quelques jours plus tard, nous avions dbarqu sur un amas de banquise ladrive. Les trois marins avaient chass et dcoup plusieurs phoques, enroulant dans leurspeaux et nourrissant quotidiennement les deux invalides que nous tions devenus, sansjamais nous laisser dpourvus de protection, de peur que les Tsalalis ne nous retrouvent.Les mots me font dfaut pour exprimer la gratitude que j prouve envers ces trois gaillardscourageux qui nous ont maintenus en vie tandis que nous attendions un secours. Enfin, aprsdeux semaines de survie sur la banquise, nous crois mes la route de la golette d exploration le Nancy et nous fmes hisss son bord. Une fois son rcit termin, Vredenburgh mefit comprendre que nous ne devions rvler personne le moindre dtail de nos aventures,ni quoi que ce soit sur la cit polaire, car en tant qu explorateurs, les officiers du navireprendraient alors certainement l initiative de mettre le cap sur cette destination maudite.J en convins, et fus prsent l quipage le jour suivant.

    Une distance infranchissable s installa entre les hommes d quipage et nousmmes. Bienqu ils n aient pas de doutes sur notre rcit de naufrage, il leur tait impossible d ignorerl tranget de nos comportements, sans compter que le peu d quipement que nous avionsconserv avec nous tait d une fabrication inhabituelle. Peters et Vredenburgh taientparticulirement laconiques, craignant la curiosit de nos h tes. Leur refus de rpondreaux questions tait si inflexible qu plusieurs reprises un pugilat fut vit de justesseavec certains membres de l quipage trop indiscrets. Nous nous trouv mes rapidement aucentre de toutes les conversations, et notre fortune fut que le Nancy avait rempli sa mission initiale et retournait dsormais Liverpool, son port d attache.

    Nous dbarqu mes Liverpool, o je travaillai comme serveur durant plusieurs annes afinde payer mon retour en Amrique. Je ne m tendrai pas sur les msaventures sans gravitdont nous souffrmes durant notre voyage vers le nord, car elles furent insignifiantes compares aux horreurs et aux preuves qui les avaient prcdes. Lorsqu un homme arencontr certains prils, la vie ordinaire lui semble sans relief et diverses priptiesqui l auraient auparavant fait tressaillir de tout son tre ne lui semblent plus dignesd tre rapportes. Je mets ici un terme mon rcit, car je ne suis plus le jeune garon quil a entam. J ai t affam, attaqu, perdu sur une le dserte et glac jusqu aux os ;j ai t confront des mutins, des requins et des Choses dont la description est impossible. Tout cela a altr ma naturemme. Lorsque nous serons en Amrique, je ne retourneraipas auprs de mon pre, dans notre demeure de Nantucket, car j ai trop chang et le souvenir de mon innocence purile ne pourrait que m y hanter sans rpit. Je ne suis plus l enfantque mes amis ont frquent, si jamais l un d entre eux parvenait reconnatre en moi lejeune garon qui, un jour, s est chapp de chez lui pour naviguer de par le vaste monde. Jesais maintenant qu il existe des choses que l homme ne devrait pas connatre, et des lieuxo il ne doit pas se rendre. Je conserve pourtant le tesson de cristal que j ai arrach cette pouvantable cit du bout du monde, comme un souvenir et un avertissement. Je vivraidsormais loin des rivages, loin de cet ocan qui connat trop de secrets. Je m installeraidans les terres, et fais le serment de ne jamais repartir arpenter le globe.FIN

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    4 septembre 1933

    Johann,

    Voici le complment du texte ; lisez-leattentivement. Il nest, je lespre, pasncessaire de vous rappeler que ce manuscrit, sice quil contient est vrai, constitue la cl dece qui sera la plus grande dcouverte delHistoire. Bien que je ne possde pas suffisam-ment une me daventurier pour accompagnervotre expdition, je vous souhaite bonnechance dans vos recherches.Poe a particip la rdaction de ce texte : ilest possible quil y ait gliss quelques erreurs ;jai confiance en votre capacit dmler levrai du faux.

    Loemmler

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