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CONSEILDE LEUROPE
COUNCILOF EUROPE
COUR EUROPENNE DES DROITS DE LHOMME
EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS
AFFAIRE ASSENOV ET AUTRES c. BULGARIE
(90/1997/874/1086)
ARRT
STRASBOURG
28 octobre 1998
1 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
En laffaire Assenov et autres c. Bulgarie1, La Cour europenne des Droits de lHomme, constitue, conformment
larticle 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de lHomme et des Liberts fondamentales ( la Convention ) et aux clauses pertinentes de
son rglement A2, en une chambre compose des juges dont le nom suit :
MM. R. BERNHARDT, prsident,
L.-E. PETTITI,
Mme
E. PALM,
MM. A.B. BAKA,
G. MIFSUD BONNICI,
J. MAKARCZYK,
D. GOTCHEV,
P. VAN DIJK,
V. TOUMANOV,
ainsi que de MM. H. PETZOLD, greffier, et P.J. MAHONEY, greffier adjoint,
Aprs en avoir dlibr en chambre du conseil les 29 juin et
25 septembre 1998,
Rend larrt que voici, adopt cette dernire date :
PROCEDURE
1. Laffaire a t dfre la Cour par la Commission europenne des Droits de lHomme ( la Commission ) le 22 septembre 1997, dans le dlai de trois mois quouvrent les articles 32 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requte (n
o 24760/94) dirige contre la Rpublique de
Bulgarie et dont trois ressortissants bulgares, M. Anton Assenov,
Mme
Fidanka Ivanova et M. Stefan Ivanov, avaient saisi la Commission le
6 septembre 1993 en vertu de larticle 25. La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 ainsi qu la
dclaration bulgare reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour
(article 46). Elle a pour objet dobtenir une dcision sur le point de savoir si les faits de la cause rvlent un manquement de lEtat dfendeur aux exigences des articles 3, 5, 6, 13, 14 et 25 de la Convention.
Notes du greffier
1. Laffaire porte le n 90/1997/874/1086. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans lanne dintroduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis lorigine et sur celle des requtes initiales ( la Commission) correspondantes. 2. Le rglement A sapplique toutes les affaires dfres la Cour avant lentre en vigueur du Protocole n 9 (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires
concernant les Etats non lis par ledit Protocole. Il correspond au rglement entr en
vigueur le 1er janvier 1983 et amend plusieurs reprises depuis lors.
2 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
2. En rponse linvitation prvue larticle 33 3 d) du rglement A, les requrants ont mis le vu de participer la procdure et ont dsign leur conseil (article 30).
3. La chambre constituer comprenait de plein droit M. D. Gotchev,
juge lu de nationalit bulgare (article 43 de la Convention), et
M. R. Bernhardt, alors vice-prsident de la Cour (article 21 4 b) du
rglement A). Le 25 septembre 1997, le prsident de la Cour,
M. R. Ryssdal, a tir au sort en prsence du greffier le nom des sept autres
membres, savoir M. L.-E. Pettiti, Mme
E. Palm, M. A.B. Baka,
M. G. Mifsud Bonnici, M. J. Makarczyk, M. P. van Dijk et
M. V. Toumanov (articles 43 in fine de la Convention et 21 5 du
rglement A).
4. En sa qualit de prsident de la chambre (article 21 6 du
rglement A), M. Bernhardt a consult par lintermdiaire du greffier lagent du gouvernement bulgare ( le Gouvernement ), lavocat des requrants et le dlgu de la Commission au sujet de lorganisation de la procdure (articles 37 1 et 38). Conformment lordonnance rendue en consquence, le greffier a reu les mmoires des requrants et du
Gouvernement le 9 mars 1998.
5. Le 2 et le 13 fvrier 1998 respectivement, M. Bernhardt a autoris
lEuropean Roma Rights Center et Amnesty International soumettre des observations crites (article 37 2 du rglement A). Pareilles observations
sont parvenues au greffe les 29 et 30 avril 1998.
6. Ainsi quen avait dcid le prsident, les dbats se sont drouls en public le 25 juin 1998, au Palais des Droits de lHomme Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une runion prparatoire.
Ont comparu :
pour le Gouvernement M
me V. DJIDJEVA, coagent, ministre de la Justice, agent ;
pour la Commission M. M.A. NOWICKI, dlgu ;
pour les requrants M
me Z. KALAYDJIEVA, conseil.
La Cour a entendu M. Nowicki, Mme
Kalaydjieva et Mme
Djidjeva.
3 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE LESPECE
7. Les requrants sont une famille de ressortissants bulgares dorigine tzigane qui rsident Sumen, en Bulgarie.
M. Anton Assenov est n en 1978, ses parents, Mme
Fidanka Ivanova et
M. Stefan Ivanov, sont ns en 1956 et 1952 respectivement.
A. Les vnements survenus le 19 septembre 1992 et aprs cette date
1. Larrestation et la garde vue
8. Le 19 septembre 1992, alors quil se livrait des jeux dargent sur la place du march de Sumen, M. Assenov (alors g de quatorze ans) fut
apprhend par un policier qui ntait pas en service et emmen la gare dautobus situe proximit, do le policier appela du renfort.
9. Par la suite, les parents de M. Assenov, qui travaillaient tous deux la
gare dautobus, firent leur apparition et demandrent la libration de leur fils. Dsireux de montrer quil administrerait lui-mme la correction ncessaire, M. Ivanov sempara dune latte de contre-plaqu et en frappa son fils. A un certain moment, deux autres policiers arrivrent. Au dire des
requrants, ils frapprent ladolescent coups de matraque. Sensuivit alors une dispute entre les parents du garon et la police ; il semble que
M. Assenov lui-mme ne fit preuve daucune agressivit et se montra docile. Aprs avoir t menotts, Anton et son pre furent contraints de
monter bord dune voiture de police. Emmens au poste de police, ils y furent gards pendant environ deux heures, avant dtre relchs sans avoir t inculps. M. Assenov affirme que des policiers prsents au poste lont frapp laide dun pistolet factice et de matraques et lui ont donn des coups de poing dans lestomac.
2. Les preuves mdicales
10. Le 21 septembre 1992, premier jour ouvrable aprs lincident, les requrants consultrent un mdecin lgiste. Ils lui expliqurent que
M. Assenov avait t frapp coups de matraque et de crosse de pistolet par
trois policiers et que sa mre avait reu des coups de matraque. Le mdecin
examina les deux intresss et leur dlivra des certificats mdicaux.
4 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
11. Daprs le certificat le concernant, le premier requrant prsentait un hmatome formant une bande denviron cinq centimtres de long et un centimtre de large sur la face externe de la partie suprieure du bras droit,
trois hmatomes formant des bandes denviron six centimtres de long et un centimtre de large sur le ct droit de la poitrine, une ecchymose denviron quatre centimtres de long au-dessus de lomoplate gauche, un hmatome de deux centimtres de diamtre sur larrire du crne et cinq raflures denviron cinq centimtres de long sur le ct droit du thorax.
Le certificat concernant Mme
Ivanova indiquait que lintresse prsentait une ecchymose denviron cinq centimtres de long sur la cuisse gauche.
Le mdecin conclut que les ecchymoses pouvaient avoir t causes de la
faon dcrite par les requrants.
3. Lenqute mene par la Direction rgionale de lIntrieur
12. Le 2 octobre 1992, Mme
Ivanova dposa auprs de la Direction
rgionale de lIntrieur ( la DRI ) une plainte dans laquelle elle allguait que son fils avait t battu la gare dautobus et au poste de police, et demandait que les policiers responsables fussent poursuivis (paragraphe 58
ci-dessous).
13. La plainte fut examine par le colonel P., inspecteur au service du
personnel de la DRI. Le 15 octobre 1992, il entendit chacun des requrants
et tablit des procs-verbaux de leurs dpositions. M. Assenov fut entendu
en prsence dun enseignant, M. G. Dans leurs dclarations, les requrants livrrent la version des faits figurant aux paragraphes 89 ci-dessus.
14. Le colonel P. ordonna galement aux trois policiers prsents la
gare dautobus, ainsi qu celui qui tait de service au poste de police, de fournir des explications crites, ce quils firent les 21, 22 et 26 octobre 1992.
Daprs leurs dclarations, le sergent B., qui ne travaillait pas ce jour-l et ntait pas en uniforme, avait vu des personnes se livrer des jeux dargent alors quil passait devant la gare dautobus. Il avait apprhend M. Assenov et lavait emmen la gare dautobus, do il avait appel le policier de service. L-dessus, M. Ivanov tait arriv, avait invectiv son fils
et lui avait port deux ou trois coups sur le dos au moyen dune latte en contre-plaqu. Avec sa femme, arrive peu aprs, ils avaient commenc
protester contre larrestation de leur fils et tirer celui-ci vers eux. Lorsque les sergents S. et V. taient arrivs, le pre stait mis crier, jurer et menacer les policiers, qui lui avaient alors enjoint de se tenir calme et
lavaient invit les accompagner de son plein gr au poste de police. Un attroupement de quinze vingt Tziganes stait form. Une vingtaine de chauffeurs de bus taient galement prsents. M. Ivanov nayant pas mis fin son comportement violent, les policiers avaient eu recours la force pour
le matriser, lui avaient pass les menottes et lavaient emmen avec son fils au poste de police.
5 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
Le policier S. y avait rempli un formulaire attestant la saisie de 100 leva
trouvs sur M. Assenov, puis avait relch les deux requrants. Daprs lui, il ntait pas vrai quils eussent t battus au poste.
15. Le 26 octobre 1992, le colonel P. reut galement une dclaration
crite de la rgulatrice de trafic de la gare dautobus. Celle-ci disait quun policier avait amen un garon et lui avait demand de tlphoner la
police pour que celle-ci lui envoyt une voiture. Elle ne se souvenait pas
quaucun trouble se ft produit. 16. Sur la base de ce tmoignage, le colonel P. rdigea, le 6 novembre
1992, une note interne dans laquelle il rsumait les faits et concluait que le
garon avait t battu par son pre.
17. Le 13 novembre 1992, le directeur de la DRI adressa aux requrants
une lettre dans laquelle il dclarait que les policiers concerns avaient agi
lgalement et quil nengagerait donc pas de poursuites pnales contre eux.
4. Linstruction mene par le parquet militaire rgional
18. Le 12 dcembre 1992, les requrants saisirent le parquet militaire
rgional ( le PMR ) de Varna dune demande douverture de poursuites pnales contre les policiers en cause.
19. Le 30 dcembre 1992, le PMR ordonna quune instruction ft mene par le magistrat instructeur G., du bureau dinstruction militaire de Sumen.
20. Le 8 fvrier 1993, ledit magistrat adressa au directeur de la police de
Sumen une lettre le chargeant de recueillir les tmoignages des requrants et
des policiers concerns et de lui faire rapport. Ds lors quune enqute avait dj t mene ce sujet, le 15 fvrier 1993 la DRI envoya au magistrat
instructeur lensemble des lments dj recueillis. 21. Il y a controverse sur le point de savoir si le magistrat instructeur G.
entendit personnellement les requrants. Le Gouvernement soutient que tel a
effectivement t le cas, mais aucune pice du dossier ne latteste. 22. Le 20 mars 1993, ledit magistrat rdigea une note interne dune page
rsumant les faits et concluant la non-ncessit douvrir des poursuites pnales lencontre des policiers concerns, les allgations nayant pas t prouves et les tmoignages recueillis tant contradictoires .
23. Le 24 mars 1993, le PMR dcida, sur la base de la recommandation
du magistrat instructeur, de ne pas poursuivre. Dans sa dcision, il dclara
notamment que M. Ivanov avait frapp son fils, lavait invectiv et lavait tir vers lui, au mpris des ordres de la police, ce qui avait motiv
larrestation des requrants (paragraphe 55 ci-dessous). Il prcisa quil ne ressortait pas des tmoignages recueillis que la police et us de la violence
physique lencontre du garon.
6 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
5. Le recours adress au parquet militaire gnral
24. Le 15 avril 1993, les requrants saisirent le parquet militaire gnral
( le PMG ). Ils affirmaient quil ressortait clairement de la dcision de classement que les seuls tmoins interrogs avaient t les policiers, cest--dire les suspects, que les certificats mdicaux navaient pas t pris en considration, et quil ntait pas vrai que M. Assenov et son pre eussent dsobi aux ordres des policiers.
25. Le recours fut soumis par lintermdiaire du PMR, qui le transmit au PMG le 30 avril 1993, en y joignant une lettre concluant son rejet. Copie
de cette lettre fut envoye aux requrants.
26. Le 21 mai 1993, apparemment aprs avoir examin le dossier, le
PMG refusa dentamer des poursuites pnales contre les policiers, et ce pour les mmes motifs que ceux invoqus par lautorit de poursuite infrieure. Sa dcision comportait notamment le passage suivant :
Il y a dans le dossier un certificat mdical dont il ressort que le corps de
ladolescent prsentait des hmatomes indiquant que lintress avait subi des dommages corporels superficiels et correspondant, du point de vue de leur mode
dinfliction, des coups ports laide dun objet solide de forme oblongue.
Ladjoint au procureur rgional considra bon droit que mme si des coups avaient t administrs ladolescent, ils lavaient t la suite dun refus dobtemprer des ordres de la police. La force physique et les moyens auxiliaires utiliss lavaient t conformment la loi, et plus prcisment larticle 24 1, alinas 1 et 2, de la loi sur la police nationale [paragraphe 56 ci-dessous].
6. Le complment dinstruction effectu par le parquet militaire rgional
27. A la suite apparemment de nouvelles plaintes dposes par les
requrants et dune pression exerce par le ministre de la Dfense afin que laffaire ft rexamine, le PMG fit savoir par crit au PMR, le 13 juillet 1993, quune instruction concernant des allgations de comportement abusif de la part de la police devait comporter laudition de tmoins indpendants, et quen consquence des investigations complmentaires devaient tre effectues.
28. Le PMR recueillit les dclarations dun chauffeur de bus et dune employe de la gare d'autobus le 29 et le 30 juillet 1993 respectivement. Le
chauffeur dclara quil avait vu un Tzigane frapper son fils au moyen dune latte. Lorsque la voiture de police tait arrive, le pre stait jet sur les policiers et avait commenc se bagarrer. Le chauffeur avait attrap le bras
de lintress afin de lempcher de frapper les policiers. Il navait vu aucun des policiers frapper ladolescent. Lautre tmoin, qui navait que de vagues souvenirs des vnements, fut incapable de dire si le pre avait frapp son
fils et si les policiers avaient molest les intresss.
29. Ces investigations complmentaires ne dbouchrent apparemment
pas sur une dcision formelle. Les rsultats nen furent pas communiqus aux requrants.
7 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
7. Le recours adress au procureur gnral
30. Le 20 juin 1994, les requrants saisirent le procureur gnral de
Bulgarie. Ils exposrent une nouvelle fois leur version des faits, ajoutant que
les coups ports M. Assenov staient accompagns dinsultes qui faisaient allusion lorigine tzigane des intresss et observant quun certain nombre de tmoins avaient assist lincident mais que rien navait t fait pour recueillir le tmoignage de lun quelconque dentre eux. Ils relevaient quil y avait une contradiction entre le constat du PMR selon lequel il ny avait pas eu recours la force physique et la conclusion du PMG, daprs laquelle il avait t fait usage de la force, mais en toute lgalit, et ils allguaient des violations des articles 3, 6 et 14 de la
Convention.
31. Ce recours fut apparemment transmis au PMG, qui, le 28 juin 1994,
adressa lavocat des requrants une lettre lavisant quil ny avait aucun motif de revenir sur la dcision antrieure.
B. Larrestation de M. Assenov le 27 juillet 1995 et sa dtention subsquente
1. Larrestation, la dtention et linstruction
32. En janvier 1995, M. Assenov fut interrog dans le cadre dune instruction mene par les autorits de poursuite de Sumen au sujet dune srie de vols avec effraction et de vols avec violence ou menaces.
33. Il fut arrt le 27 juillet 1995 et, le jour suivant, en prsence de son
avocat et dun procureur ( K. ), il fut interrog par un magistrat instructeur et formellement inculp dune dizaine au moins de vols avec effraction supposs avoir t commis entre le 9 janvier et le 2 mai 1995,
ainsi que de six vols avec violence ou menaces dont avaient t victimes des
passants entre le 10 septembre 1994 et le 24 juillet 1995. M. Assenov
reconnut la plupart des vols avec effraction, mais se dfendit davoir commis les vols avec violence ou menaces.
Il fut dcid de le placer en dtention provisoire. Cette dcision fut
approuve le mme jour par un autre procureur, A. (paragraphe 69 ci-
dessous).
8 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
34. Les 27 juillet, 2 aot, 7 aot et 15 aot 1995, le requrant prit part
une procdure didentification au cours de laquelle il fut reconnu par quatre victimes de vol avec violence ou menaces. Un avocat fut chaque fois
prsent. Le 28 aot 1995, un expert dsign par le magistrat instructeur
soumit un rapport concernant la valeur des objets supposs avoir t vols
par le premier requrant et ses complices. A une date non prcise furent
jointes auxdites accusations des charges supplmentaires concernant
dautres vols auxquels M. Assenov tait souponn davoir particip en qualit de complice.
Il apparat quenviron soixante tmoins et victimes allgues furent interrogs au cours de linstruction, mais quaucune preuve ne fut recueillie aprs septembre 1995.
2. La dtention provisoire, de juillet 1995 juillet 1997
35. Du 27 juillet 1995 au 25 mars 1996, M. Assenov fut dtenu au poste
de police de Sumen.
Il y a controverse entre les parties au sujet des conditions de cette
dtention. Le requrant affirme quil a t dtenu dans une cellule mesurant 3 x 1,80 mtres quil lui arrivait de partager avec deux quatre autres dtenus, que cette cellule tait presque entirement situe sous le niveau du
sol et quelle ne recevait que trs peu de lumire et dair frais, quil lui tait impossible d'y faire de lexercice ou de sy adonner quelque activit que ce ft et quon ne l'en laissait sortir que deux fois par jour, pour se rendre aux toilettes. Le Gouvernement soutient que la cellule mesurait 4,60 x 3,50
mtres et que le requrant ne la partageait quavec un autre dtenu. 36. Le requrant soumit de nombreuses demandes dlargissement aux
autorits de poursuite, faisant valoir notamment quaucune preuve complmentaire navait t recueillie, quil souffrait de problmes de sant, exacerbs par les conditions de sa dtention, et quil avait deux jeunes enfants. Il apparat que certaines de ces demandes furent examines
individuellement et que les autres furent groupes et tudies plusieurs mois
aprs leur prsentation.
37. Le 21 aot 1995, M. Assenov fut examin par un mdecin, qui le
jugea en bonne sant. Il le fut une nouvelle fois le 20 septembre 1995, par
un cardiologue de lhpital rgional de Sumen, qui conclut que lintress ne souffrait daucune maladie cardiaque, ni congnitale, ni acquise et quil ny avait en ce qui concerne son tat cardio-vasculaire, aucune contre-indication son maintien en dtention .
38. Le 11 septembre 1995, M. Assenov saisit le tribunal de district de
Sumen dune demande dlargissement (paragraphes 7276 ci-dessous).
9 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
Le 19 septembre 1995, un juge sigeant huis clos len dbouta, dclarant notamment que les charges pesant sur M. Assenov avaient trait
des infractions graves et que lactivit dlinquante de lintress avait t continue, de sorte que sa libration comporterait un risque de rcidive.
39. Le 13 octobre 1995, un procureur de district repoussa deux
demandes de libration de M. Assenov. Un procureur rgional confirma ces
refus le 19 octobre 1995.
40. Les requrants saisirent alors le parquet gnral, affirmant
notamment quils avaient t victimes dune campagne cause de leur requte la Commission.
Dans sa dcision du 8 dcembre 1995, le parquet gnral carta les
arguments des intresss et dclara que, bien que linstruction ft termine depuis septembre 1995, il demeurait ncessaire de maintenir M. Assenov en
dtention, car il y avait un risque manifeste de rcidive. Il formulait en
revanche lopinion selon laquelle une dtention prolonge dans les locaux de la police de Sumen serait prjudiciable au dveloppement physique et
mental du requrant, et que celui-ci devait en consquence tre transfr
au centre pnitentiaire pour jeunes dlinquants de Boychinovzi.
Le transfrement eut lieu trois mois et demi plus tard, le 25 mars 1996.
41. A une date non prcise en 1996, M. Assenov contesta nouveau la
lgalit de sa dtention provisoire devant le tribunal de district de Sumen.
Le 28 mars 1996, celui-ci invita le parquet rgional lui transmettre le
dossier. Relevant quune demande avait dj t examine le 19 septembre 1995, il dclara la nouvelle irrecevable (paragraphe 75 ci-dessous).
42. Le 21 mars 1996, le magistrat instructeur ouvrit un dossier spar
pour les charges ayant trait aux vols avec violence ou menaces, au sujet
desquels il interrogea M. Assenov et ordonna son maintien en dtention. Le
jour suivant, il rdigea un rapport rsumant les faits relatifs laffaire de vol avec violence ou menaces et le transmit au procureur en proposant
ltablissement dun acte daccusation. 43. Le 3 juillet 1996, un procureur de district renvoya laffaire relative
aux vols avec violence ou menaces au magistrat instructeur, en le priant
dentendre un tmoin supplmentaire. Le 23 aot 1996, le magistrat instructeur renvoya le dossier, le tmoin dsign tant dcd. Le
26 septembre 1996, le procureur de district tablit un acte daccusation et le soumit quatre jours plus tard au tribunal de district de Sumen. Celui-ci tint,
le 6 fvrier 1997, une audience au cours de laquelle il entendit quatre
tmoins, puis ajourna les dbats au 29 mai 1997, deux autres tmoins ne
stant pas prsents. 44. Dans lintervalle, le 20 septembre 1996, le magistrat instructeur avait
termin linstruction prparatoire relative laffaire relative aux vols avec effraction. Le 25 octobre 1996, ce dossier fut communiqu au parquet
rgional avec une proposition de renvoi en jugement de M. Assenov. Il
10 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
apparat que le 31 janvier 1997 laffaire relative aux vols avec effraction fut renvoye pour complment dinstruction.
45. Entre le 5 juillet et le 24 septembre 1996, M. Assenov fut nouveau
dtenu au poste de police de Sumen, avant dtre transfr la prison de Belene.
46. Pendant toute lanne 1996, les requrants continurent adresser aux autorits de poursuite des demandes de libration de M. Assenov. Par
des dcisions du 21 fvrier et du 17 juin 1996, le procureur de district rejeta
ces demandes au motif quelles ne contenaient pas darguments nouveaux, que le risque de rcidive existait toujours et que les dossiers allaient bientt
tre envoys au tribunal pour dcision. Le 8 octobre 1996, le parquet
rgional rejeta une nouvelle demande dlargissement. 47. Le 4 novembre 1996, un juge du tribunal de district sigeant dans
laffaire relative aux vols avec violence ou menaces examina en chambre du conseil la demande de libration de M. Assenov. Il la rejeta, eu gard la
gravit et au nombre des infractions dont lintress tait accus, ainsi quau fait que le procs allait bientt souvrir.
48. En juillet 1997, M. Assenov fut reconnu coupable de quatre vols
avec violence ou menaces et condamn trente mois demprisonnement. Daprs les informations dont la Cour dispose, il na toujours pas t mis
en accusation pour les charges de vol avec effraction portes contre lui.
C. Evnements conscutifs au dpt de la requte devant la
Commission
49. Les requrants saisirent la Commission le 6 septembre 1993. En
mars 1995, ils signrent par-devant notaire une dclaration de ressources,
rdige en langue bulgare, dans laquelle ils se rfraient explicitement leur
requte la Commission et prcisaient que ladite dclaration tait faite aux
fins de leur demande dassistance judiciaire devant la Commission. 50. Les 15 mai, 23 mai et 8 septembre 1995, deux quotidiens publirent
des articles concernant la prsente espce. Deux dentre eux, dont les titres disaient quun Tzigane accus de stre livr des jeux dargent avait assign la Bulgarie Strasbourg , expliquaient notamment que, en
rponse des questions poses par des journalistes, les requrants avaient
ni avoir introduit une requte devant la Commission. Les articles
concluaient quil tait possible que des activistes tziganes eussent mont laffaire en pingle et tromp Amnesty International.
51. A une date non prcise, les autorits de poursuite ou la police
approchrent les requrants et les invitrent dclarer s'ils avaient saisi la
Commission dune requte. Le 8 septembre 1995, le deuxime et le troisime requrants consultrent un notaire et signrent une dclaration
dans laquelle ils niaient avoir introduit une requte devant la Commission.
Ils dclarrent par ailleurs se souvenir avoir sign, en 1992 et
11 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
1993, des documents tablis par des associations uvrant dans le domaine des droits de lhomme. Ils navaient toutefois pas reu copie des documents en question, dont ils ignoraient le contenu. Lun des documents tait rdig dans une langue trangre.
52. Il apparat que cette dclaration fut alors soumise aux autorits de
poursuite. Le 19 septembre 1995, le PMG adressa une lettre son sujet au
ministre des Affaires trangres.
53. Il ressort du procs-verbal de linterrogatoire subi par M. Assenov aprs son arrestation le 28 juillet 1995 quil parla au magistrat instructeur des vnements du 19 septembre 1992. Il dclara notamment :
En 1992 (...) jai t frapp par des policiers () [ la gare d'autobus]. Jai ensuite obtenu un certificat mdical et mon pre a port plainte la police. Celle-ci ne layant pas pris au srieux, il a saisi le parquet militaire, qui na pas davantage ragi. Puis mon pre a entendu dire que des gens dune organisation internationale de dfense des droits de lhomme taient [en ville]. Il ma emmen les voir et leur a montr comment javais t frapp. En fait, aprs que la police meut libr, mon pre ma dabord conduit auprs de ces gens, puis il a crit la police et aux autorits de poursuite.
Seuls les propos de M. Assenov ayant t consigns au procs-verbal, il
ne peut tre tabli si lintress a fait ses dclarations en rponse des questions ou de sa propre initiative.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Les jeux dargent
54. En droit bulgare, les jeux dargent constituent une infraction administrative pour laquelle la responsabilit des mineurs de seize ans ne
peut tre retenue (article 2 2 de la loi contre la spculation).
B. Les pouvoirs de la police pertinents pour les arrestations et
placements en garde vue effectus en 1992
55. Larticle 20 1 de la loi de 1976 sur la police nationale, qui sappliquait lpoque des faits, nhabilitait les policiers emmener au poste de police ou dans les locaux des administrations locales que les
personnes :
1. dont lidentit ne peut tre tablie ;
2. qui se comportent de manire violente et nobtemprent pas aprs un avertissement ;
3. qui, sans motif srieux, refusent de se rendre volontairement un poste de police
aprs sy tre vu inviter conformment la procdure prvue larticle 16 de la prsente loi ;
12 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
4. qui, dlibremment, mettent des obstacles laccomplissement de leurs devoirs par les autorits du ministre de lIntrieur ;
5. qui, sans permission lgale, sont porteurs ou font usage darmes feu, dautres armes ou dobjets dangereux ;
6. vises par dautres cas prvus par la loi.
Daprs larticle 20 2 de ladite loi, la police avait lobligation, dans chacune des hypothses prcites, deffectuer immdiatement une enqute et de librer la personne dtenue dans les trois heures, sauf ncessit de
prendre dautres mesures lgales son gard. 56. Larticle 24 1 comportait des dispositions en matire dusage de la
force par les policiers. Le recours la force proportionn la nature et la
gravit de linfraction et de la rsistance oppose (article 24 2) tait autoris :
1. afin de faire cesser un comportement violent ou dautres atteintes graves lordre public ;
2. dans les cas de dsobissance patente des ordres ou interdictions noncs par la
police ;
3. pendant larrestation ou le transport, lorsquil y a danger de fuite ou pour protger la vie de la personne arrte ou transporte, ou celle dautres personnes.
C. Les recours contre les mauvais traitements subis aux mains de la
police
1. La voie pnale
57. Aux termes de larticle 190 du code de procdure pnale ( CPP ) de 1974,
Il est rput exister des lments suffisants pour engager des poursuites lorsquon peut raisonnablement supposer quune infraction a t commise.
58. Pour la plupart des infractions graves et pour toutes celles supposes
avoir t commises par des fonctionnaires dans lexercice de leurs fonctions, les poursuites pnales ne peuvent tre intentes par un particulier,
seule la dcision dun procureur pouvant les dclencher (articles 192 et 282285 CPP).
Daprs les articles 192 et 194 3 CPP, lorsquun procureur refuse de poursuivre, une procdure pnale peut tre engage par un procureur de
rang suprieur, la demande de la personne intresse ou doffice. 59. La victime dune infraction allgue peut se joindre laction
publique en qualit de partie civile afin dobtenir rparation (CPP, chapitre II, articles 6064).
13 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
2. La voie civile
60. La loi sur les obligations et les contrats prvoit en son article 45
quune personne ayant subi un dommage peut en solliciter la rparation en intentant au civil une action contre celui par la faute duquel il est arriv. La
loi sur la responsabilit dlictuelle de lEtat dispose quune personne ayant subi un dommage du fait dun acte illgal commis par un fonctionnaire peut intenter une action contre lautorit publique concerne.
61. Le code de procdure civile dispose en ses articles 182 d) et 183
quun tribunal appel connatre dune action civile :
182. () surseoit statuer :
d) lorsque sont dcouverts au cours de la procdure civile des lments pnaux
appelant une dcision dterminante pour lissue du litige civil.
183. La procdure suspendue est reprise doffice sur demande dune des parties ds que les obstacles ayant entran la suspension ont t levs (...)
Larticle 222 du code de procdure civile nonce :
Les conclusions exposes par la juridiction pnale dans sa dcision dfinitive sur
lexistence de lacte litigieux, sur son caractre illgal et sur la culpabilit de son auteur ont force obligatoire pour le tribunal civil lorsque celui-ci examine les
consquences civiles de lacte dlictueux.
62. Les parties ont soumis la Cour une srie de dcisions rendues par la
Cour suprme de Bulgarie relativement aux effets des dispositions prcites.
Ainsi, dans la dcision n 3421 prononce le 18 janvier 1980 dans
laffaire 1366/79, la premire chambre civile de la haute juridiction sest ainsi exprime :
En principe, le fait dune infraction ne peut tre tabli que selon les voies du code de procdure pnale. Cest la raison pour laquelle lorsqu'un droit civil allgu drive dun fait constitutif dune infraction en vertu du code pnal, la juridiction civile, en vertu de larticle 182 d) du code de procdure civile, est oblige de surseoir statuer.
Pareille rgle est ncessaire pour garantir le respect de la dcision de la juridiction
rpressive. Cette dcision est obligatoire pour les juridictions civiles, quelle que soit
linfraction vise. La force contraignante des dcisions rendues par les juridictions rpressives est proclame larticle 222 du code de procdure civile.
Dans la dcision n 12/1966, la chambre civile plnire de la Cour
suprme a jug :
La dcision du parquet dabandonner les poursuites au motif que linculp na pas commis lacte dlictueux en cause ne lie pas le tribunal civil lorsquil examine les consquences civiles de cet acte () [Le] tribunal civil, sur la base des lments
14 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
[recueillis] au cours de la procdure civile, peut parvenir des constatations de fait
diffrentes et conclure, par exemple, que la responsabilit dlictuelle de la personne
ayant bnfici de labandon des poursuites tait en fait engage.
Si au cours de la procdure civile il est fait tat, aprs ladministration des preuves, d' lments de nature pnale nouveaux appelant une dcision dterminante pour lissue de la contestation au civil, le tribunal est tenu de surseoir statuer, conformment
larticle 182 d) du code de procdure civile.
Dans la dcision interprtative n 11 du 3 janvier 1967 (annuaire 1967),
lassemble civile de la Cour suprme a dit :
() En principe, une juridiction civile ne peut tablir si un acte donn est constitutif dune infraction. Toutefois, lorsquil est mis fin aux poursuites pnales en vertu de larticle 6 21 du code de procdure pnale [ savoir lorsque lauteur prsum est dcd, lorsquil y a prescription ou lorsquune amnistie a t accorde] la juridiction rpressive ne dcide pas si lacte est constitutif dune infraction. En pareil cas, la loi larticle 97 4 du code de procdure civile autorise la juridiction civile tablir dans une procdure spare si lacte est constitutif dune infraction et quel en est lauteur.
Dans la dcision n 817 du 13 dcembre 1988 rendue dans laffaire n 725, relative une demande de dommages-intrts la suite dun accident de voiture, la quatrime chambre civile de la Cour suprme a
dclar :
Pour motiver son rejet de la demande, le tribunal de premire instance a dclar
que la seule personne responsable de laccident tait le demandeur, qui, alors que la voiture ne se trouvait plus qu une distance denviron dix mtres de lui, avait soudainement commenc traverser la chausse et avait t heurt par le vhicule, le
conducteur, malgr sa raction, nayant pu viter la collision.
Cette conclusion se fondait sur le fait que linformation judiciaire ouverte contre le conducteur avait t referme en raison de labsence de preuves, de fondement des accusations, de certains des lments constitutifs de linfraction et de culpabilit.
Larticle 222 du code de procdure civile [paragraphe 61 ci-dessus], daprs lequel seule la dcision dfinitive dune juridiction pnale lie la juridiction appele statuer sur les consquences civiles de lacte en question nobligeait pas le tribunal se fonder sur la dcision du procureur de mettre fin linformation judiciaire. En labsence dune dcision dune juridiction pnale dclarant laccus non coupable davoir caus les blessures du demandeur, la juridiction civile devait statuer sur la question de la culpabilit en se fondant sur lensemble des preuves recevables en vertu du code de procdure civile. Ainsi, en lespce, lordonnance du procureur mettant fin linstruction ne valait pas preuve que le dfendeur ntait pas responsable de laccident de voiture.
15 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
D. Les infractions supposes avoir t commises par M. Assenov en
19941995
63. En rapport avec les vols avec effraction allgus, M. Assenov fut
inculp dune infraction dont les lments constitutifs sont une activit dlinquante continue dont lauteur est un mineur et qui consiste en des vols avec effraction commis avec laide de complices et dont le butin atteint une valeur significative. Cette infraction est passible dune peine maximale de trois ans demprisonnement (article 195 1, alinas 3 et 5, et 2, combin avec les articles 26 1 et 63 1, alina 3, du code pnal ( CP ) de 1968).
64. En rapport avec les vols avec violence ou menaces, il fut inculp de
linfraction dactivit dlinquante continue par mineur consistant en des vols avec violence ou menaces commis avec laide de complices. La peine maximale encourue pour cette infraction est de cinq ans demprisonnement (article 198 1, combin avec les articles 26 1 et 63 1, alina 2, CP).
65. En vertu des articles 2325 CP, la peine maximale que M. Assenov pouvait se voir infliger sil tait reconnu coupable de lensemble des charges pesant sur lui tait de six ans et demi demprisonnement.
E. Les autorits de poursuite
66. Daprs les dispositions pertinentes du CPP, comme daprs la doctrine et la pratique, le procureur assume une double fonction dans la
procdure pnale.
Au cours de la phase prliminaire, il supervise linstruction. Il est comptent, notamment, pour donner des instructions obligatoires au
magistrat instructeur, pour participer des auditions, des perquisitions ou
tout autre acte dinstruction, pour retirer une affaire un magistrat instructeur et la confier un autre, ou encore pour mener lui-mme
lintgralit ou certaines parties de linstruction. Il peut galement dcider de lopportunit dabandonner les poursuites, ordonner un complment dinstruction ou tablir un acte daccusation et soumettre laffaire au tribunal.
Dans la phase judiciaire, il lui incombe de reprsenter le ministre public
face au prvenu.
67. Le magistrat instructeur possde une certaine indpendance lgard du procureur pour ce qui est de ses mthodes de travail et de certains actes
dinstruction, mais il accomplit ses fonctions sur les instructions et sous le contrle du procureur (articles 48 2 et 201 CPP). Si un magistrat
instructeur nest pas daccord avec les instructions du procureur, il peut saisir le procureur suprieur, dont la dcision est dfinitive et contraignante.
16 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
68. En vertu de larticle 86 CPP, le procureur et le magistrat instructeur ont lobligation dinstruire charge et dcharge. Tout au long de la procdure pnale, le procureur doit assurer un contrle de lgalit
(article 43 CPP).
F. Dispositions en matire de dtention provisoire
1. Pouvoir des autorits de poursuite de placer un individu en dtention
provisoire
69. Un accus, mme sil est mineur, peut tre plac en dtention provisoire par dcision dun magistrat instructeur ou dun procureur, tant entendu que les mineurs ne peuvent tre ainsi privs de leur libert que dans
des circonstances exceptionnelles. Lorsque la dcision de mise en dtention
provisoire a t prise par un magistrat instructeur sans le consentement
pralable dun procureur, elle doit tre approuve par un procureur dans les vingt-quatre heures. Le procureur statue dordinaire sur la base du dossier, sans entendre laccus (articles 152, 172, 201203 et 377378 CPP).
70. Toute instruction en matire pnale doit se clturer dans les deux
mois. Une prorogation jusqu six mois peut tre autorise par un procureur rgional et, dans des cas exceptionnels, le procureur gnral peut accorder
une prorogation jusqu neuf mois. En cas de prorogation, le procureur dcide si laccus doit tre maintenu en dtention (article 222 CPP).
71. Il ny a juridiquement aucun obstacle ce quun procureur qui a dcid de placer un accus en dtention provisoire, ou qui a approuv la
dcision du magistrat instructeur cet effet, agisse ultrieurement comme
partie poursuivante contre le prvenu dans un procs pnal. En pratique,
cela se produit souvent.
2. Contrle judiciaire de la dtention provisoire
72. Toute personne en dtention provisoire peut immdiatement saisir le
tribunal comptent dun recours contre le placement en dtention provisoire. Le tribunal doit statuer dans les trois jours de sa saisine (article
152 5 CPP).
73. Daprs la pratique qui tait suivie lpoque de larrestation de M. Assenov, le tribunal examinait en chambre du conseil, sans la
participation des parties, les recours dirigs contre les dcisions de
placement en dtention provisoire. En cas de rejet, le tribunal ne notifiait
pas sa dcision la personne dtenue.
74. La premire chambre criminelle de la Cour suprme a jug que pour
statuer sur pareils recours les tribunaux nont pas la possibilit de rechercher sil existe des preuves suffisantes lappui des charges portes contre le dtenu, mais doivent se borner examiner la lgalit de lordonnance de mise en dtention. Lorsquil sagit de personnes accuses dinfractions
17 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
punissables de moins de dix ans demprisonnement, semblable ordonnance nest lgale que sil existe un risque rel de fuite ou de rcidive (dcision n 24 relative laffaire n 268/95).
75. Dans un arrt du 17 septembre 1992, la premire chambre criminelle
de la Cour suprme a estim que la dcision de mise en dtention provisoire
ne pouvait tre conteste quune seule fois devant un tribunal, un nouveau recours ntant possible que dans lhypothse o la personne dtenue a t libre puis rincarcre. Dans tous les autres cas, un dtenu peut toujours
soumettre une demande de libration aux autorits de poursuite en arguant
dun changement de circonstances (dcision n 94 relative laffaire n 754/92).
76. Un contrle judiciaire priodique de la lgalit dune dtention provisoire nest possible que lorsque laffaire pnale se trouve pendante devant un tribunal, qui peut alors dcider de librer ou non le prvenu.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
77. Les requrants ont saisi la Commission le 6 septembre 1993. Ils se
plaignaient, sur le terrain des articles 3, 6 1, et 13 de la Convention, des
mauvais traitements subis par M. Assenov aux mains de la police en
septembre 1992 ainsi que de labsence de recours effectif cet gard, sur le terrain des articles 3 et 5 1, 3 et 4, de la dtention provisoire de
lintress postrieure juillet 1995, et, sur le terrain de larticle 25, des mesures prises par les autorits de poursuite en rapport avec la requte
adresse la Commission.
78. Celle-ci a retenu la requte (n 24760/94) le 27 juin 1996. Dans son
rapport du 10 juillet 1997 (article 31), elle formule lavis, pour ce qui est des vnements de septembre 1992, quil ny a pas eu violation de larticle 3 (seize voix contre une), quil y a eu violation de larticle 13 (unanimit) et quil ny a pas eu violation de larticle 6 (unanimit).
Quant aux vnements survenus depuis 1995, elle formule lavis unanime quil ny a pas eu violation de larticle 5 1 ni de larticle 3, mais quil y a eu violation de larticle 5 3 et 4, et que la Bulgarie na pas satisfait aux obligations dcoulant pour elle de larticle 25.
Le texte intgral de son avis et de lopinion partiellement dissidente dont il saccompagne figure en annexe au prsent arrt1.
1. Note du greffier : pour des raisons dordre pratique il ny figureront que dans ldition imprime (Recueil des arrts et dcisions 1998), mais chacun peut se les procurer auprs
du greffe.
18 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
79. Dans son mmoire et laudience, le Gouvernement a demand la Cour de rejeter les griefs des requrants.
De son ct, M. Assenov invite la Cour constater des violations des
articles 3, 5, 6, 13 et (dolance formule conjointement avec ses parents) 25
de la Convention, et lui accorder une satisfaction quitable au titre de
larticle 50.
EN DROIT
I. LES REQURANTS
80. A laudience devant la Cour, le reprsentant des requrants a expliqu que si pour les besoins de la procdure devant la Commission les
parents de M. Assenov avaient fait leurs les diffrents griefs de ce dernier,
ctait uniquement parce qu lpoque leur fils tait mineur et donc incapable en droit bulgare. La situation devant la Cour est la suivante :
M. Assenov est le seul requrant pour lensemble des griefs sauf celui tir de larticle 25 de la Convention, quil articule conjointement avec ses parents.
81. Ds lors, pour tous les griefs sauf celui fond sur larticle 25, la Cour recherchera uniquement sil y a eu violation des droits de M. Assenov. Pour ce qui est de l'allgation d'infraction larticle 25, elle examinera galement la position de M. Ivanov et M
me Ivanova.
II. VENEMENTS SURVENUS LE 19 SEPTEMBRE 1992 ET APRES
CETTE DATE
A. Sur les exceptions prliminaires du Gouvernement
1. Non-puisement des voies de recours internes
82. Le Gouvernement soutient que le grief nonc par M. Assenov sous
langle de larticle 3 et concernant les vnements du 19 septembre 1992 aurait d tre dclar irrecevable faute dpuisement des voies de recours internes, au sens de larticle 26 de la Convention, dont voici le texte :
La Commission ne peut tre saisie quaprs lpuisement des voies de recours internes, tel quil est entendu selon les principes de droit international gnralement reconnus ()
Non seulement le requrant avait la possibilit de solliciter louverture de poursuites pnales contre les policiers, mais il aurait pu agir au civil sur le
19 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
fondement de larticle 45 de la loi sur les obligations et les contrats ou intenter une procdure administrative sur la base de la loi sur la
responsabilit dlictuelle de lEtat. 83. A laudience devant la Cour, le requrant a dclar avoir du mal
imaginer quelle dmarche supplmentaire on pourrait estimer quil aurait d effectuer pour dclencher les recours formellement ouverts en droit bulgare.
84. Dans sa dcision sur la recevabilit, la Commission a rappel quune rparation civile ne saurait tre rpute redresser entirement une violation
de larticle 3. Elle a estim quen sadressant la Direction rgionale de lIntrieur ( DRI ) ainsi qu tous les niveaux des autorits de poursuite, les requrants avaient fait tout ce quils pouvaient pour solliciter louverture dune procdure pnale contre les policiers, mettant ainsi leur plainte entre les mains des autorits les plus comptentes pour y donner suite.
85. La Cour rappelle que la rgle de lpuisement des voies de recours internes nonce larticle 26 de la Convention impose aux personnes dsireuses dintenter contre lEtat une action devant un organe judiciaire ou arbitral international lobligation dutiliser auparavant les recours quoffre le systme juridique de leur pays. Les Etats nont donc pas rpondre de leurs actes devant un organisme international avant davoir eu la possibilit de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Pour que lon puisse considrer quil a respect la rgle, un requrant doit se prvaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre dobtenir rparation des violations quil allgue (arrt Aksoy c. Turquie du 18 dcembre 1996, Recueil des arrts et dcisions 1996VI, pp. 22752276, 5152).
86. La Cour rappelle quen droit bulgare il nest pas possible un plaignant dengager lui-mme des poursuites pnales pour des infractions quil juge avoir t commises par des agents de lEtat dans lexercice de leurs fonctions (paragraphe 58 ci-dessus). Elle relve que les requrants
sadressrent de nombreuses reprises aux autorits de poursuite tous les niveaux, demandant quune instruction judiciaire complte ft mene au sujet des allgations de mauvais traitements aux mains de la police
formules par M. Assenov et que les fonctionnaires concerns fussent
poursuivis (paragraphes 1231 ci-dessus). Elle considre quayant puis toutes les possibilits que leur ouvrait le
systme de la justice pnale bulgare les requrants ntaient pas obligs, en labsence dune enqute officielle au sujet de leurs dolances, dessayer une nouvelle fois dobtenir rparation en engageant au civil une action en dommages-intrts.
Il sensuit que lexception prliminaire du Gouvernement doit tre rejete.
20 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
2. Abus du droit de recours individuel
87. Le Gouvernement soutient de surcrot que les allgations du
requrant nont pas t tayes et ont t conues de manire fourvoyer la Commission, constituant ainsi un abus du droit de recours individuel. En
consquence, la requte aurait d tre rejete en application de larticle 27 2 de la Convention, aux termes duquel :
La Commission dclare irrecevable toute requte introduite () lorsquelle estime la requte incompatible avec les dispositions de la (...) Convention, manifestement mal
fonde ou abusive.
88. Dans sa dcision sur la recevabilit, la Commission, aprs s'tre
penche sur les griefs du requrant, a estim quils soulevaient dimportantes questions de fait et de droit commandant un examen complet au fond.
89. La Cour ne dcle aucun lment montrant que la saisine de la
Commission en lespce procde dun abus du droit de recours. En consquence, elle rejette cette exception prliminaire du
Gouvernement.
B. Sur le bien-fond des griefs
1. Sur la violation allgue de larticle 3 de la Convention
90. M. Assenov allgue que les vnements du 19 septembre 1992
doivent faire conclure la violation de larticle 3 de la Convention, aux termes duquel :
Nul ne peut tre soumis la torture ni des peines ou traitements inhumains ou
dgradants.
Il soutient que cette clause a t enfreinte pour deux motifs distincts.
Premirement, il aurait t svrement battu par des policiers, ce
qu'attesteraient les preuves mdicales et les dclarations de tmoins, qu'il
demande la Cour dexaminer elle-mme. Deuximement, les autorits internes comptentes nauraient pas
immdiatement procd une enqute impartiale au sujet de ses allgations.
Rejoint en cela par les intervenants (paragraphe 5 ci-dessus), M. Assenov
invite la Cour dclarer que pareille inertie emporte violation de larticle 3 ds lors que les autorits concernes ont des raisons plausibles de croire
quun acte de torture a t commis ou que des traitements ou peines inhumains ou dgradants ont t infligs.
91. Le Gouvernement fait observer que le certificat mdical prsent par
les requrants na aucune valeur probante ds lors quil a t mis deux jours aprs les faits litigieux. En tout tat de cause, les blessures quil dcrit
21 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
et labsence de certificat concernant M. Ivanov saccordent avec les dires des tmoins daprs lesquels le pre a battu son fils au moyen dune latte en bois.
92. Pour apprcier les preuves produites devant elle, la Commission a eu
gard au principe voulant que lorsqu'un individu affirme avoir subi, au
cours d'une garde vue, des svices lui ayant caus des blessures, il
incombe au Gouvernement de fournir une explication complte et suffisante
pour l'origine de celles-ci (voir les arrts Ribitsch c. Autriche du 4 dcembre
1995, srie A n 336, pp. 2526, 34, et Aksoy, prcit, p. 2278, 61). Elle a admis, notamment, qu'une altercation avait eu lieu la gare d'autobus
entre les policiers et M. Ivanov, que ce dernier avait frapp son fils l'aide
d'une latte en contre-plaqu afin de montrer qu'il punirait son fils lui-mme,
et que les deux requrants avaient ensuite t gards au poste de police
pendant environ deux heures. Toutefois, appele se prononcer plus de
quatre ans et demi aprs les faits, la Commission na pu, faute pour les autorits internes d'avoir men une enqute suffisamment indpendante et
prompte, tablir quelle version des vnements tait la plus crdible. En
consquence, elle na constat aucune violation de larticle 3. 93. Larticle 3, la Cour la dit maintes reprises, consacre lune des
valeurs fondamentales des socits dmocratiques. Mme dans les
circonstances les plus difficiles, telle la lutte contre le terrorisme et le crime
organis, la Convention prohibe en termes absolus la torture et les peines ou
traitements inhumains ou dgradants. Larticle 3 ne prvoit pas de restrictions, en quoi il contraste avec la majorit des clauses normatives de
la Convention et des Protocoles ns 1 et 4, et daprs larticle 15 il ne souffre
nulle drogation, mme en cas de danger public menaant la vie de la nation
(arrt Aksoy prcit, p. 2278, 62).
94. La Cour rappelle quun mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravit pour tomber sous le coup de larticle 3. Lapprciation de ce minimum est relative par essence ; elle dpend de lensemble des donnes de la cause et, notamment, de la dure du traitement, de ses effets
physiques et/ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de lge et de ltat de sant de la victime. Lorsqu'un individu se trouve priv de sa libert,
lutilisation son gard de la force physique alors qu'elle nest pas rendue strictement ncessaire par son comportement porte atteinte la dignit
humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par
larticle 3 (arrt Tekin c. Turquie du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, pp. 15171518, 52 et 53).
95. La Cour estime que limportance des ecchymoses constates par le mdecin qui examina M. Assenov (paragraphe 11 ci-dessus) autorise
considrer que les blessures de lintress, particulirement si elles lui ont t administres par la police comme il le prtend, taient suffisamment
graves pour entrer dans le champ dapplication de larticle 3 (voir, par exemple, les arrts A. c. Royaume-Uni du 23 septembre 1998,
22 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
Recueil 1998-VI, p. 2699, 21, et Ribitsch prcit, pp. 9 et 26, 13 et 39).
Il reste examiner si l'Etat dfendeur peut tre jug responsable de ces
blessures au regard de l'article 3.
a) Sur l'allgation de mauvais traitements subis aux mains de la police
96. La Cour rappelle que la Commission na pas t en mesure, partir des preuves produites devant elle, d'tablir l'origine des blessures du
requrant (paragraphe 92 ci-dessus).
97. Elle observe que le mdecin qui examina M. Assenov deux jours
aprs la sortie de garde vue de lintress constata sur le corps de ce dernier des ecchymoses indiquant quil avait t battu laide dun objet solide (paragraphe 26 ci-dessus). Daprs le requrant, ces blessures taient le rsultat des coups de matraque que lui avaient donns les policiers.
98. La Cour considre que, ds lors quil nest pas contest que le requrant a t victime de violences manant dune source quelconque le 19 septembre 1992 et quaucun lment ne permet de dire que rien de fcheux se soit produit entre cette date et l'examen mdical susmentionn,
on peut lgitimement supposer que l'intress a subi ses lsions le
19 septembre 1992, la suite de son arrestation.
99. La Cour relve en outre que le policier responsable de larrestation du requrant dclara dans sa dposition quil avait vu M. Ivanov porter deux ou trois coups dune languette de bois sur le dos de son fils (paragraphe 14 ci-dessus). Les requrants ne nient pas que M. Ivanov ait frapp M. Assenov
de la sorte, mais ils contestent que les coups aient t suffisamment forts ou
nombreux pour provoquer les ecchymoses dcrites dans le rapport mdical.
A la suite de la plainte dpose par Mme
Ivanova le 2 octobre 1992, un agent
de la DRI interrogea les requrants et recueillit le tmoignage crit prcit
du policier responsable de larrestation ainsi que les dpositions des deux autres policiers concerns, dont ni lun ni lautre navaient t prsents lorsque M. Ivanov avait frapp M. Assenov (ibidem). Le seul tmoin
indpendant contact par lenquteur de la DRI lpoque ne se souvenait pas que des troubles se fussent produits la gare dautobus (paragraphe 15 ci-dessus).
En juillet 1993, des tmoignages furent recueillis, linsu des requrants, auprs de deux autres individus ayant assist en spectateurs aux incidents
survenus la gare dautobus. Lun navait que de vagues souvenirs des vnements en question. Lautre, un chauffeur de bus, se rappelait avoir vu M. Ivanov frapper son fils au moyen dune latte, mais il ne prcisa ni la dure de la scne ni le degr de violence des coups (paragraphe 28 ci-
dessus).
Hormis les requrants, aucun des tmoins ne dclara avoir vu les
policiers frapper M. Assenov.
23 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
100. A l'instar de la Commission (paragraphe 92 ci-dessus), la Cour juge
impossible d'tablir, partir des preuves produites devant elle, si les
blessures subies par le requrant lui ont t infliges par la police comme il
l'affirme.
b) Sur le caractre adquat ou non des investigations menes
101. La Cour estime toutefois que, mis ensemble, les preuves mdicales,
le tmoignage de M. Assenov, la dtention de lintress pendant deux heures au poste de police et le fait quaucun tmoin nait dclar que les coups ports par M. Ivanov son fils eussent t assez violents pour
provoquer les ecchymoses constates, engendrent un soupon raisonnable
que lesdites blessures ont t causes par la police.
102. La Cour considre que, dans ces conditions, lorsquun individu affirme de manire dfendable avoir subi, aux mains de la police ou d'autres
services comparables de lEtat, de graves svices illicites et contraires larticle 3, cette disposition, combine avec le devoir gnral impos lEtat par larticle 1 de la Convention de reconnatre toute personne relevant de [sa] juridiction, les droits et liberts dfinis () [dans la ] Convention , requiert, par implication, quil y ait une enqute officielle effective. Cette enqute, l'instar de celle rsultant de l'article 2, doit pouvoir mener
l'identification et la punition des responsables (voir, en ce qui concerne
l'article 2 de la Convention, les arrts McCann et autres c. Royaume-Uni du
27 septembre 1995, srie A n 324, p. 49, 161, Kaya c. Turquie du
19 fvrier 1998, Recueil 1998-I, p. 324, 86, et Yaa c. Turquie du 2 septembre 1998, Recueil 1998-VI, p. 2438, 98). Sil nen allait pas ainsi, nonobstant son importance fondamentale (paragraphe 93 ci-dessus),
linterdiction lgale gnrale de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dgradants serait inefficace en pratique (ibidem), et il serait
possible dans certains cas des agents de lEtat de fouler aux pieds, en jouissant dune quasi-impunit, les droits de ceux soumis leur contrle.
103. La Cour note quaprs le dpt dune plainte par Mme Ivanova les autorits de lEtat menrent certaines investigations au sujet des allgations des requrants. Elle nest toutefois pas convaincue que ces investigations aient t suffisamment approfondies et effectives pour remplir les exigences
prcites de larticle 3. A cet gard, elle dplore particulirement que lenquteur de la DRI ait t aussi prompt conclure que les blessures subies par M. Assenov lui avaient t causes par son pre (paragraphe 16
ci-dessus), malgr labsence de toute preuve que ce dernier et frapp son fils avec la force ncessaire pour provoquer les ecchymoses dcrites dans le
certificat mdical. Bien que cet incident se ft produit sous les yeux du
public la gare dautobus et que, daprs les dpositions des policiers concerns, environ quinze vingt Tziganes et vingt chauffeurs de bus y
eussent assist, les autorits ne s'efforcrent pas d'tablir la vrit en
contactant et en interrogeant ces tmoins immdiatement aprs lincident,
24 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
avant que leurs souvenirs ne perdissent de leur fracheur. En effet, elles ne
recueillirent l'poque la dposition que d'un seul tmoin indpendant,
lequel fut incapable de se remmorer les vnements en question
(paragraphe 99 ci-dessus).
104. Linstruction initiale mene par le parquet militaire rgional (PMR) et celle ouverte par le parquet militaire gnral (PMG) taient encore
plus sommaires. La Cour juge particulirement frappant que le PMG ait pu
conclure, sans la moindre preuve, que M. Assenov ne s'tait pas montr
docile, et, sans la moindre explication quant la nature de linsoumission allgue, que mme si des coups avaient t administrs ladolescent, ils lavaient t la suite dun refus dobtemprer des ordres de la police (paragraphe 26 ci-dessus). Pareille supposition heurte de front le principe
selon lequel l'utilisation, l'gard d'un individu priv de sa libert, de la
force physique lorsqu'elle nest pas rendue strictement ncessaire par le comportement de l'intress constitue normalement une violation des droits
consacrs par l'article 3 (paragraphe 94 ci-dessus).
105. La Cour note quen juillet 1993 le PMG dcida que dans les cas dallgations de comportement abusif de la part de la police il fallait entendre des tmoins indpendants (paragraphe 27 ci-dessus). Or laudition de deux tmoins supplmentaires, dont lun navait que de vagues souvenirs des incidents en question, ntait pas suffisante pour remdier aux dficiences ayant entach lenqute jusque-l.
106. Dans ces conditions, eu gard labsence dune enqute approfondie et effective au sujet de l'allgation dfendable du requrant
selon laquelle il avait t battu par des policiers pendant sa garde vue, la
Cour estime quil y a eu violation de larticle 3 de la Convention.
2. Sur la violation allgue de larticle 6 1 de la Convention
107. M. Assenov dit avoir t priv dun accs effectif un tribunal, au mpris de larticle 6 1 de la Convention. La partie pertinente en lespce de cette clause est ainsi libelle :
Toute personne a droit ce que sa cause soit entendue quitablement,
publiquement et dans un dlai raisonnable, par un tribunal indpendant et impartial,
tabli par la loi qui dcidera () des contestations sur ses droits et obligations de caractre civil ()
108. Le requrant soutient que la dcision des autorits de poursuite de
ne pas engager une procdure pnale contre les policiers quil accuse dtre responsables des svices subis par lui a eu pour effet de le priver de laccs un tribunal devant lequel il et pu rclamer des dommages-intrts. Ainsi,
faute de poursuites pnales, il ne lui aurait pas t possible de se joindre
l'action publique en qualit de partie civile afin de rclamer rparation
(paragraphe 59 ci-dessus). De surcrot, tout en admettant quil avait en
25 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
thorie la facult dintenter une action en dommages-intrts devant les tribunaux civils, il affirme que, ds lors que son prjudice rsultait dune infraction allgue, une juridiction civile aurait eu lobligation, en vertu de larticle 182 d) du code de procdure civile (paragraphes 6162 ci-dessus), de surseoir statuer jusquau moment o la question de la responsabilit pnale aurait t tranche. Compte tenu de la probabilit datermoiements inhrente la procdure pnale bulgare, cette suspension de la procdure
aurait pu, en pratique, durer indfiniment.
109. La Commission, lavis de laquelle le Gouvernement souscrit (voir aussi le paragraphe 82 ci-dessus), note que tant la loi sur les obligations et
les contrats que la loi sur la responsabilit dlictuelle de lEtat prvoient une action en rparation devant les tribunaux civils pour les allgations de
brutalits policires. Si le requrant avait intent pareille action, une
juridiction civile aurait pu en connatre sur la base des preuves produites
devant elle, sans avoir vider tout dabord la question de la responsabilit pnale. Daprs la jurisprudence bulgare, la juridiction civile naurait d surseoir statuer en application de larticle 182 d) du code de procdure civile que si elle avait dcouvert des lments de nature pnale
nouveaux, tels des faits dont le parquet naurait pas eu connaissance auparavant. La Commission estime que pareille suspension de la procdure
n'aurait pu, dans le cas des requrants, porter atteinte lessence mme du droit daccs un tribunal.
110. La Cour relve quaucun des comparants devant elle ne conteste que toute action en rparation pour mauvais traitements aux mains de la
police intente par le requrant aurait impliqu quil ft dcid dune contestation sur des droits de caractre civil . En consquence, larticle 6 1 trouve sappliquer.
111. La Cour note de surcrot que le requrant ne nie pas que tant la loi
sur les obligations et les contrats que la loi sur la responsabilit dlictuelle
de lEtat lui fournissaient un fondement pour une action devant les tribunaux civils. L'intress soutient toutefois que pareille procdure aurait
t suspendue pour une dure peut-tre indfinie, en application de larticle 182 d) du code de procdure civile.
112. Ayant examin la jurisprudence bulgare qui lui a t soumise par
les parties (paragraphe 62 ci-dessus), la Cour note que la Cour suprme a
jug, dans une affaire concernant un accident de la route, quun tribunal civil nest pas li par une dcision de classement des autorits de poursuite. Le requrant affirme que cette rgle naurait pas t applique dans sa propre cause, qui concernait des allgations dactes dlictueux bien plus graves quune conduite imprudente. Cette assertion relve toutefois de la pure spculation puisque M. Assenov na mme pas cherch intenter un procs au civil. Dans ces conditions, on ne peut considrer qu'il se soit vu
priver de laccs un tribunal ou de son droit voir un tribunal statuer quitablement sur ses droits de caractre civil.
26 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
113. Il en rsulte quil ny a pas eu violation de larticle 6 1 de la Convention.
3. Sur la violation allgue de larticle 13 de la Convention
114. Le requrant se plaint galement d'avoir t priv dun recours effectif pour ses griefs fonds sur la Convention. Il y aurait ainsi eu
violation de larticle 13, aux termes duquel :
Toute personne dont les droits et liberts reconnus dans la (...) Convention ont t
viols, a droit loctroi dun recours effectif devant une instance nationale, alors mme que la violation aurait t commise par des personnes agissant dans lexercice de leurs fonctions officielles.
L'intress soutient que lorsque sont allgus des traitements contraires
larticle 3, les autorits de lEtat ont lobligation, en vertu de larticle 13, de mener immdiatement une enqute impartiale.
115. Le Gouvernement affirme que M. Assenov disposait de recours
effectifs pour faire examiner ses allgations de brutalits policires. Cela
ressortirait du fait quavant de saisir la Commission lintress avait adress des plaintes la Direction rgionale de Sumen, au PMR de Varna et au
PMG, Sofia. Aprs avoir examin les preuves, les autorits de poursuite
avaient dcid quil ny avait pas suffisamment dlments pour justifier louverture de poursuites pnales. A cet gard, il y aurait lieu de noter que le requrant navait pas tay ses dires ni identifi les tmoins susceptibles de faire progresser lenqute.
116. La Commission estime que lallgation du requrant selon laquelle il avait subi des svices aux mains de la police tait dfendable. Elle conclut
que lenqute officielle n'a pas t suffisamment approfondie et indpendante pour remplir les exigences de larticle 13.
117. La Cour rappelle que larticle 13 garantit lexistence en droit interne dun recours permettant de sy prvaloir des droits et liberts de la Convention, tels quils peuvent sy trouver consacrs. Cette disposition a donc pour effet dexiger un recours interne habilitant linstance nationale comptente connatre du contenu du grief fond sur la Convention et
offrir le redressement appropri, mme si les Etats contractants jouissent
dune certaine marge dapprciation quant la manire de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition.
La porte de lobligation dcoulant de larticle 13 varie en fonction de la nature du grief que le requrant fonde sur la Convention. Lorsquun individu formule une allgation dfendable de svices contraires
larticle 3, la notion de recours effectif implique, outre une enqute approfondie et effective du type de celle qu'exige l'article 3 (paragraphe 102
ci-dessus), un accs effectif du plaignant la procdure denqute et le versement dune indemnit l o il chet (arrt Aksoy prcit, pp. 2286 et 2287, 95 et 98).
27 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
118. La Cour renvoie ses conclusions ci-dessus : le grief de
M. Assenov selon lequel il avait subi des mauvais traitements aux mains
dagents de lEtat tait dfendable, et lenqute mene sur le plan interne au sujet de cette allgation na pas t suffisamment approfondie et effective.
Il en rsulte quil y a galement eu violation de larticle 13 de la Convention.
III. EVENEMENTS SURVENUS EN JUILLET 1995 ET PAR LA SUITE
A. Sur les exceptions prliminaires du Gouvernement
1. Non-puisement des voies de recours internes
119. Le Gouvernement soutient devant la Cour que les griefs relatifs aux
vnements survenus en juillet 1995 et par la suite auraient d tre dclars
irrecevables au titre de larticle 26 de la Convention (paragraphe 82 ci-dessus), ds lors que les poursuites pnales ouvertes contre M. Assenov
taient toujours pendantes. De plus, l'intress naurait pas saisi le procureur gnral dun recours contre lordonnance du 8 dcembre 1995 rejetant sa demande de libration (paragraphe 40 ci-dessus).
120. Dans sa dcision sur la recevabilit, la Commission a estim que le
requrant avait fait usage de tous les recours disponibles pour ce qui est de
ses griefs fonds sur larticle 5. 121. La Cour note que les dolances formules par M. Assenov
relativement aux vnements en cause concernent divers aspects de la
dtention subie par lui partir de juillet 1995. Peu importe en consquence
que les poursuites pnales diriges contre l'intress fussent toujours
pendantes lpoque de la saisine de la Commission, puisqu'elles nauraient pu lui fournir aucun recours au travers duquel il et pu contester la lgalit
de sa dtention antrieure.
122. La Cour relve de surcrot que M. Assenov, de mme que ses
parents, agissant en son nom, a sollicit de nombreuses reprises son
largissement auprs des autorits de poursuite et du tribunal de district de
Sumen. Elle estime dans ces conditions que le requrant a satisfait aux
exigences de larticle 26 de la Convention (paragraphe 85 ci-dessus). Il en rsulte que lexception prliminaire du Gouvernement doit tre
rejete.
28 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
2. Abus du droit de recours individuel
123. Le Gouvernement soutient par ailleurs que les griefs relatifs aux
vnements survenus en juillet 1995 et aprs auraient d tre dclars
irrecevables au titre de larticle 27 2 de la Convention (paragraphe 87 ci-dessus) ds lors quils ne figuraient pas dans la requte initiale la Commission et quils ne prsentent aucun lien de causalit avec les faits dnoncs lorigine.
124. A laudience devant la Cour, le dlgu de la Commission a fait observer que le Gouvernement navait soulev au stade de l'examen de la recevabilit aucune objection tenant labsence de lien entre les divers griefs du requrant et quen consquence il devrait tre forclos soulever cette exception devant la Cour. Le dlgu a dclar qu'en tout tat de cause
les requrants pouvaient se plaindre de nimporte quelle violation des droits que leur garantit la Convention ; la question de savoir si les griefs doivent
tre examins conjointement ou sparment revtirait un caractre purement
procdural.
125. La Cour fait sienne la thse selon laquelle le Gouvernement est
forclos soulever devant elle son exception dabus du droit de recours individuel ds lors qu'il ne l'a pas nonce au stade de la recevabilit devant
la Commission (voir, parmi beaucoup dautres, larrt Loizidou c. Turquie du 23 mars 1995 (exceptions prliminaires), srie A n 310, p. 19, 44).
126. Le Gouvernement soutient par ailleurs que les allgations de non-
respect par lEtat du droit de recours individuel garanti par larticle 25 de la Convention nont pas t tayes et sont, par consquent, manifestement dpourvues de fondement.
127. La Cour ne relve aucune preuve dabus du droit de recours en rapport avec les griefs en question.
Elle rejette en consquence lexception prliminaire du Gouvernement.
B. Sur le bien-fond des griefs
1. Sur la violation allgue de larticle 3 de la Convention
128. Dans le contexte de son grief tir de larticle 5 1 (paragraphe 137 ci-dessous), le requrant dnonce les conditions de sa dtention au poste de
police de Sumen. Il dit avoir partag avec deux quatre dtenus adultes une
cellule qui mesurait 3 x 1,80 mtres, tait situe sous le niveau du sol, ne
comportait qu'un seul lit et ne laissait pntrer que peu dair et de lumire. Il n'aurait t autoris la quitter que deux fois par jour, pendant une demi-
heure, pour se rendre aux toilettes.
129. Le Gouvernement affirme que la cellule o M. Assenov se trouvait
dtenu Sumen mesurait 4,60 x 3,50 mtres et que l'intress ne la
partageait qu'avec un seul autre dtenu.
29 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
130. La Commission a considr que, bien quinitialement formules dans le cadre de larticle 5, les allgations du requrant relatives aux conditions de sa dtention devaient tre examines sous langle de larticle 3. Ayant apprci les faits, elle a jug que navait pas t atteint le degr de gravit que suppose une violation de larticle 3.
131. La Cour note que le requrant na pas expressment formul de griefs sur le terrain de larticle 3 de la Convention (paragraphe 90 ci-dessus) en rapport avec les conditions dans lesquelles il a t dtenu la suite de
son arrestation en juillet 1995. Il a, en revanche, nonc certaines
allgations ce sujet dans le contexte de sa plainte, fonde sur larticle 5 1, concernant la lgalit de sa dtention.
132. La Cour rappelle quelle est matresse de la qualification juridique des faits de la cause telle que celle-ci a t dclare recevable par la
Commission (arrt Guerra et autres c. Italie du 19 fvrier 1998, Recueil
1998-I, p. 242, 44). Il en rsulte quil lui est loisible dexaminer les allgations du requrant relatives ses conditions de dtention la lumire
des garanties contre les mauvais traitements prvues par larticle 3. 133. La Cour observe que M. Assenov, lpoque g de dix-sept ans, a
sjourn en dtention provisoire au poste de police de Sumen pendant prs
de onze mois au total. Elle relve que les conditions prcises de cette
dtention font lobjet dune controverse entre le requrant et le Gouvernement, notamment en ce qui concerne les dimensions de la cellule
de lintress et le nombre des dtenus avec lesquels il l'a partage. Elle note par ailleurs que la Commission na formul aucune conclusion en rapport avec ces circonstances prcises.
134. La Cour marque sa proccupation l'gard du fait que, alors quil tait toujours adolescent, le requrant a t dtenu pendant presque onze
mois dans des conditions qui, de lavis du procureur gnral, risquaient fort de nuire son dveloppement physique et mental si l'on ny mettait pas fin. Il convient dobserver, de surcrot, que mme aprs la dcision de transfrer lintress, trois mois et demi supplmentaires scoulrent avant son incarcration dans le centre pnitentaire pour jeunes dlinquants de
Boychinovzi (paragraphe 40 ci-dessus).
135. Il incombe toutefois la Cour de rechercher si ces conditions
taient suffisamment pnibles pour atteindre le degr de gravit requis pour
un constat de violation de larticle 3 (paragraphe 94 ci-dessus). Pour ce faire, elle doit avoir gard lensemble des circonstances, et notamment aux dimensions de la cellule, son degr de surpeuplement, aux conditions
sanitaires, aux possibilits de rcration et dexercice, aux traitements et contrles mdicaux, et ltat de sant du dtenu.
136. En dehors de leurs affirmations, les parties nont prsent la Cour aucune preuve objective concernant les conditions de dtention du
requrant. La Cour relve que la Commission sest livre une apprciation densemble, pour conclure que les conditions de dtention de M. Assenov
30 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
navaient pas t suffisamment rudes pour violer larticle 3. Elle note de surcrot que le seul rapport mdical tabli au sujet du requrant durant cette
priode qui ait t mentionn concluait, le 21 aot 1995, alors que
lintress se trouvait dtenu depuis environ un mois, quil tait en bonne sant et que, nonobstant les craintes prouves par ses parents cet gard,
aucun motif dordre cardiaque ne mettait obstacle son maintien en dtention (paragraphe 37 ci-dessus).
Dans ces circonstances, la Cour considre quil nest pas tabli que les conditions de dtention de M. Assenov aient t suffisamment svres pour
emporter violation de larticle 3 de la Convention.
2. Sur la violation allgue de larticle 5 1 de la Convention
137. M. Assenov plaide lillgalit de sa dtention. Celle-ci aurait viol larticle 5 1 de la Convention, dont la partie pertinente en lespce est ainsi libelle :
Toute personne a droit la libert et la sret. Nul ne peut tre priv de sa
libert, sauf dans les cas suivants et selon les voies lgales :
(...)
c) sil a t arrt et dtenu en vue dtre conduit devant lautorit judiciaire comptente, lorsquil y a des raisons plausibles de souponner quil a commis une infraction ou quil y a des motifs raisonnables de croire la ncessit de lempcher de commettre une infraction ou de senfuir aprs laccomplissement de celle-ci ;
(...)
Il ne conteste pas qu'initialement les autorits le placrent en dtention en
vue de le traduire devant un tribunal, comme le veut larticle 5 1 c) de la Convention. Il fait observer en revanche que linstruction au sujet des infractions dont il se trouvait accus tait termine en septembre 1995, et il
soutient que, pass cette poque, la dtention provisoire subie par lui
reprsentait une forme de peine contraire la prsomption dinnocence. Par ailleurs, il rappelle la Cour quen droit bulgare un mineur ne peut tre dtenu que dans des circonstances exceptionnelles (paragraphe 69 ci-
dessus).
138. La Commission relve que les dlais prvus larticle 222 CPP limitent la dure des instructions mais non celle des dtentions provisoires
(paragraphe 70 ci-dessus). La disposition en cause requiert quune dtention provisoire conscutive la prorogation dune instruction soit confirme. Or le maintien en dtention du requrant aurait satisfait cette exigence,
31 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
puisquil avait t confirm par le tribunal de district le 19 septembre 1995 ainsi que par un certain nombre de dcisions rendues par les autorits de
poursuite entre octobre 1995 et octobre 1996. En consquence, la dtention
n'aurait pas t illgale en droit bulgare et il n'y aurait pas eu violation de
larticle 5 1 pour un autre motif. 139. La Cour le rappelle, les termes rgulirement et selon les
voies lgales qui figurent larticle 5 1 renvoient pour lessentiel la lgislation nationale et consacrent lobligation den observer les normes de fond comme de procdure, mais ils exigent de surcrot la conformit de
toute privation de libert au but de larticle 5 : protger les individus contre les privations arbitraires de libert (voir, par exemple, larrt Erkalo c. Pays-Bas du 2 septembre 1998, Recueil 1998-VI, p. 2477, 52).
140. A l'instar de la Commission, la Cour naperoit en l'espce aucune preuve que la dtention du requrant ft irrgulire en droit bulgare. De
surcrot, il est clair que M. Assenov a t dtenu, comme le permet larticle 5 1 c), au motif quil y avait des raisons plausibles de le souponner d'avoir commis une infraction.
141. En conclusion, la Cour ne constate aucune violation de larticle 5 1 de la Convention.
3. Sur les violations allgues de larticle 5 3 de la Convention
142. M. Assenov, qui a sjourn en dtention provisoire pendant environ
deux ans, allgue des violations des droits lui garantis par larticle 5 3 de la Convention, aux termes duquel :
Toute personne arrte ou dtenue, dans les conditions prvues au paragraphe 1 c)
du prsent article, doit tre aussitt traduite devant un juge ou un autre magistrat
habilit par la loi exercer des fonctions judiciaires et a le droit dtre juge dans un dlai raisonnable, ou libre pendant la procdure. La mise en libert peut tre
subordonne une garantie assurant la comparution de lintress laudience.
143. Ainsi quon la fait observer ci-dessus, le requrant ne conteste pas que sa dtention entrt dans le champ dapplication de larticle 5 1 c), du moins lorigine. Il en rsulte que larticle 5 3 trouve sappliquer.
La Cour recherchera tout dabord si l'on peut dire que M. Assenov a t aussitt traduit devant un juge ou un autre magistrat habilit par la loi
exercer des fonctions judiciaires . Elle examinera ensuite sil a t jug dans un dlai raisonnable et sil aurait d tre libr pendant la procdure.
32 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
a) Droit tre aussitt traduit devant un juge ou un autre magistrat
144. Le Gouvernement soutient que les diffrents procureurs ayant
connu des demandes de libration de M. Assenov taient des magistrats
habilits par la loi exercer des fonctions judiciaires , au sens de larticle 5 3, puisquen droit bulgare un procureur est totalement indpendant, tenu de protger lintrt gnral et habilit trancher un certain nombre de questions susceptibles de natre au cours dune procdure pnale, dont celle de savoir si la dtention provisoire dun accus simpose.
145. La Commission, lavis de laquelle le requrant souscrit, note que si les magistrats instructeurs sont institutionnellement indpendants en droit
bulgare, en pratique ils sont soumis au contrle des procureurs pour tout ce
qui concerne la conduite dune instruction, y compris la question de savoir si la dtention provisoire dun suspect est ncessaire. Il y avait donc de fortes apparences objectives donnant penser que le magistrat instructeur
charg de laffaire de M. Assenov manquait dindpendance lgard des autorits de poursuite, qui devaient par la suite agir comme partie adverse
au procs pnal.
146. La Cour rappelle que le contrle judiciaire des atteintes portes par
lexcutif au droit la libert dun individu constitue un lment essentiel de la garantie de larticle 5 3 (arrt Aksoy prcit, p. 2282, 76). Pour quun magistrat puisse passer pour exercer des fonctions judiciaires , au sens de cette disposition, il doit remplir certaines conditions reprsentant,
pour la personne dtenue, des garanties contre larbitraire ou la privation injustifie de libert (arrt Schiesser c. Suisse du 4 dcembre 1979, srie A
n 34, p. 13, 31).
Ainsi, le magistrat doit tre indpendant de lexcutif et des parties (ibidem). A cet gard, les apparences objectives lpoque de la dcision sur la dtention sont pertinentes : sil apparat ce moment que le magistrat peut intervenir dans la procdure pnale ultrieure en qualit de partie
poursuivante, son indpendance et son impartialit peuvent paratre sujettes
caution (arrts Huber c. Suisse du 23 octobre 1990, srie A n 188, p. 18,
43, et Brincat c. Italie du 26 novembre 1992, srie A n 249-A, p. 12,
21). Le magistrat doit entendre personnellement lindividu traduit devant lui et se prononcer selon des critres juridiques sur lexistence de raisons justifiant la dtention et, en leur absence, il doit avoir le pouvoir dordonner de manire contraignante llargissement (arrt Schiesser prcit, pp. 1314, 31, et Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, srie A n 25, p. 76,
199).
33 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
147. La Cour relve demble que la demande dlargissement prsente par M. Assenov ne fut examine par un juge que le 19 septembre 1995
(paragraphe 38 ci-dessus), soit trois mois aprs la mise en dtention. Ledit
examen na donc pas eu lieu aussitt , au sens de larticle 5 3, tant sen faut (voir, par exemple, larrt Brogan et autres c. Royaume-Uni du 29 novembre 1988, srie A n 145-B, p. 33, 62), et, de fait, nul na soutenu que cette procdure remplissait adquatement les exigences de ladite clause.
148. La Cour rappelle que le 28 juillet 1995 M. Assenov fut traduit
devant un magistrat instructeur qui linterrogea, linculpa formellement et prit la dcision de le placer en dtention provisoire (paragraphe 33 ci-
dessus). Elle relve quen droit bulgare les magistrats instructeurs nont pas le pouvoir de rendre des dcisions juridiquement contraignantes en matire
de mise en dtention ou dlargissement dun suspect. Au contraire, toute dcision manant dun magistrat instructeur peut tre infirme par le procureur, qui peut galement retirer une affaire un magistrat instructeur si
l'approche suivie par ce dernier ne le satisfait pas (paragraphes 6669 ci-dessus). Il en rsulte que le magistrat instructeur ntait pas suffisamment indpendant pour quon puisse adquatement le dcrire comme un magistrat habilit par la loi exercer des fonctions judiciaires , au sens
de larticle 5 3. 149. M. Assenov ne fut pas entendu personnellement par le procureur
A., qui entrina la dcision du magistrat instructeur (paragraphe 33 ci-
dessus), ni par lun quelconque des autres procureurs qui dcidrent ultrieurement quil devait demeurer en dtention. En tout tat de cause, ds lors que nimporte lequel de ces procureurs aurait pu par la suite agir contre le requrant dans la procdure pnale (paragraphe 66 ci-dessus), ils ntaient pas suffisamment indpendants ni impartiaux aux fins de larticle 5 3.
150. En consquence, la Cour estime quil y a eu violation de larticle 5 3 au motif que le requrant na pas t traduit devant un magistrat habilit par la loi exercer des fonctions judiciaires .
b) Droit tre jug dans un dlai raisonnable ou libr pendant la procdure
151. Le Gouvernement met en exergue la complexit de linstruction prparatoire. Celle-ci aurait ncessit laudition dun certain nombre de complices et tmoins prsums ainsi que lexamen de rapports dexperts, ce qui aurait pris du temps. Le 31 janvier 1997, un conflit dintrt entre M. Assenov et ses complices prsums tant venu au jour, les autorits de
poursuite auraient t obliges de renvoyer laffaire pour complment dinstruction et raudition de tmoins. Tout au long de la phase dinstruction, le requrant et ses parents nauraient cess dintroduire des demandes dlargissement, chacune ayant entran la suspension de linstruction pour le temps ncessaire son examen. Dans ces conditions, on ne saurait dire que M. Assenov na pas t jug dans un dlai raisonnable.
34 ARRT ASSENOV ET AUTRES DU 28 OCTOBRE 1998
152. Attachant une importance particulire au fait qu'entre septembre
1995 et septem