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L'affaire Microsoft : le droit de la concurrence saisi par le politique 7 0 0 19/11/2007 Résumé : Dans un arrêt rendu du 17 septembre dernier, le Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes a quasiment intégralement rejeté le recours qui avait été formé par Microsoft contre la décision de la Commission européenne qui lui avait infligé une amende de près de 500 millions d'euro pour infraction aux règles de concurrence et avait surtout obligé la firme à divulguer à ses concurrents certaines informations techniques relatives à son système d'exploitation Windows. Victoire politique de la Commission pour les uns, entrave à l'innovation et à la protection de la propriété intellectuelle pour d'autres, l'affaire Microsoft a entretenu le débat bien au-delà du cercle juridique des initiés au droit de la concurrence. Pourtant, l'arrêt est loin d'être la révolution juridique que certains appelaient de leurs vœux, mais ne dispensera pas d'une réflexion politique sur les orientations qui doivent êtres suivies par la Commission en matière de concurrence. Introduction C'est l'un des derniers dossiers traité par le Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes (TPICE) avant le renouvellement partiel de ses membres et de son président [1] , c'est très probablement l'arrêt qui aura suscité le plus de commentaires, au-delà du cercle restreint des initiés et praticiens du droit communautaire en général et du droit de la concurrence en particulier. En effet, dans un arrêt fleuve [2] rendu le 17 septembre dernier, le TPICE a quasiment intégralement rejeté le recours formé par Microsoft à l'encontre de la décision qui avait été prise à son encontre par la Commission européenne en mars 2004. Dans cette décision, la Commission, agissant en qualité d'autorité de concurrence, estimait que l'entreprise américaine avait enfreint les règles de droit de la concurrence communautaire et elle lui avait infligé la plus lourde amende jamais prononcée à l'encontre d'une seule entreprise, à savoir une somme de plus 497 millions d'euro [3] . A titre de mesure d'exécution, la Commission avait exigé que Microsoft ouvre l'accès à ses concurrents d'un certain nombre de données relatives à son système d'exploitation Windows, mettant en place un dispositif tout à fait original de contrôle de la bonne exécution des obligations qui étaient ainsi imposées à l'entreprise. Bien entendu, les juristes et les économistes ont abondamment commenté cette décision, mais le nombre d'articles qui lui ont été consacrés dans la presse généraliste et d'opinion démontre, qu'au-delà du strict débat juridique, l'affaire a également pris un tour plus politique, que l'on n'avait pas nécessairement observé lorsque la Commission avait rendu sa décision en 2004. Il est vrai qu'entre 2004 et 2007, la construction européenne a connu certains aléas politiques et que la Commission européenne a été sévèrement mise en cause sur certains de ses choix en matière de politique de concurrence. Certains ont vu dans cet arrêt le signe de la victoire d'une Europe politique sachant s'imposer dans la guerre commerciale face aux Etats-Unis. D'autres ont considéré qu'il s'agissait d'un satisfecit délivré à la Commission européenne, plusieurs fois désavouée par le juge communautaire dans les décisions prises en matière de concurrence. L'arrêt intervient en effet quelques semaines après la condamnation de la Commission à réparer le préjudice subi par les entreprises du fait de son refus d'autoriser l'opération de

Affaire Microsoft Le Droit de La Concurrence Saisi Par Le Politique

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L'affaire Microsoft : le droit de la concurrence saisi par le politique70019/11/2007Rsum :Dans un arrt rendu du 17 septembre dernier, le Tribunal de Premire Instance des Communauts Europennes a quasiment intgralement rejet le recours qui avait t form par Microsoft contre la dcision de la Commission europenne qui lui avait inflig une amende de prs de 500 millions d'euro pour infraction aux rgles de concurrence et avait surtout oblig la firme divulguer ses concurrents certaines informations techniques relatives son systme d'exploitation Windows. Victoire politique de la Commission pour les uns, entrave l'innovation et la protection de la proprit intellectuelle pour d'autres, l'affaire Microsoft a entretenu le dbat bien au-del du cercle juridique des initis au droit de la concurrence. Pourtant, l'arrt est loin d'tre la rvolution juridique que certains appelaient de leurs vux, mais ne dispensera pas d'une rflexion politique sur les orientations qui doivent tres suivies par la Commission en matire de concurrence.Introduction

C'est l'un des derniers dossiers trait par le Tribunal de Premire Instance des Communauts Europennes (TPICE) avant le renouvellement partiel de ses membres et de son prsident[1], c'est trs probablement l'arrt qui aura suscit le plus de commentaires, au-del du cercle restreint des initis et praticiens du droit communautaire en gnral et du droit de la concurrence en particulier.

En effet, dans un arrt fleuve[2]rendu le 17 septembre dernier, le TPICE a quasiment intgralement rejet le recours form par Microsoft l'encontre de la dcision qui avait t prise son encontre par la Commission europenne en mars 2004. Dans cette dcision, la Commission, agissant en qualit d'autorit de concurrence, estimait que l'entreprise amricaine avait enfreint les rgles de droit de la concurrence communautaire et elle lui avait inflig la plus lourde amende jamais prononce l'encontre d'une seule entreprise, savoir une somme de plus 497 millions d'euro[3]. A titre de mesure d'excution, la Commission avait exig que Microsoft ouvre l'accs ses concurrents d'un certain nombre de donnes relatives son systme d'exploitation Windows, mettant en place un dispositif tout fait original de contrle de la bonne excution des obligations qui taient ainsi imposes l'entreprise.

Bien entendu, les juristes et les conomistes ont abondamment comment cette dcision, mais le nombre d'articles qui lui ont t consacrs dans la presse gnraliste et d'opinion dmontre, qu'au-del du strict dbat juridique, l'affaire a galement pris un tour plus politique, que l'on n'avait pas ncessairement observ lorsque la Commission avait rendu sa dcision en 2004. Il est vrai qu'entre 2004 et 2007, la construction europenne a connu certains alas politiques et que la Commission europenne a t svrement mise en cause sur certains de ses choix en matire de politique de concurrence.

Certains ont vu dans cet arrt le signe de la victoire d'une Europe politique sachant s'imposer dans la guerre commerciale face aux Etats-Unis. D'autres ont considr qu'il s'agissait d'un satisfecit dlivr la Commission europenne, plusieurs fois dsavoue par le juge communautaire dans les dcisions prises en matire de concurrence. L'arrt intervient en effet quelques semaines aprs la condamnation de la Commission rparer le prjudice subi par les entreprises du fait de son refus d'autoriser l'opration de concentration entre Schneider et Legrand, lequel refus avait t considr comme injustifi par le TPICE[4].

Au contraire, d'autres commentateurs de l'arrt y voient la manifestation de drives dogmatiques d'un droit de la concurrence risquant de devenir un frein l'innovation et, par voie de consquence, la croissance, en privilgiant le bien-tre du consommateur court terme, au dtriment d'une dynamique de recherche et dveloppement porteuse d'externalits positives plus long terme. Dans le prolongement de ces rflexions, d'aucuns y voient, en filigrane, un chec de la politique industrielle europenne et de la stratgie de Lisbonne.

Pour que chacun puisse envisager quels lments de rflexion peuvent se dgager de cette affaire et venir nourrir le dbat public, il convient de revenir sur les conditions dans lesquelles celle-ci s'est noue ainsi que sur les positions adoptes par le TPICE quant aux infractions reproches Microsoft et aux conditions de l'excution de la dcision de la Commission.1. De la plainte de Sun Microsystems la dcision Commission

La plainte et l'enqute de la Commission

Au niveau communautaire, tout commence la fin de l'anne 1998, par une plainte dpose par la socit Sun Microsystems, concurrent de Microsoft, auprs de la Direction Gnrale de la Concurrence Bruxelles. Cette plainte fait suite un refus de Microsoft de satisfaire la demande de Sun Microsystems d'avoir accs un certain nombre d'informations techniques relatives au systme d'exploitation Windows, de manire rendre les systmes d'exploitation des serveurs pour groupes de travail[5]dvelopps par Sun Microsystems interoprables avec les ordinateurs personnels (PC) quips d'un systme d'exploitation Windows, c'est--dire plus de 90 % du march. En effet, Sun Microsystems considre que, dans la mesure o le systme d'exploitation Windows quipe 90 % des ordinateurs individuels dans le monde, l'entreprise doit avoir accs un certain nombre de donnes techniques relatives Windows afin de pouvoir dvelopper des systmes d'exploitation pour serveurs pour groupes de travail (systmes permettant aux ordinateurs individuels de fonctionner "en rseau" et services associs ce rseau) totalement interoprables, c'est--dire fonctionnant parfaitement, avec des ordinateurs individuels quips de Windows. Sun Microsystems considre, en effet, que c'est le seul moyen d'assurer le dveloppement de la concurrence sur le march des systmes d'exploitation pour ce type de serveurs, sur lequel Microsoft est galement prsent et o les deux entreprises se trouvent donc en concurrence.

A ce stade, on peut s'interroger sur la dmarche de Sun Microsystems, entreprise amricaine, consistant saisir la Commission europenne du comportement suppos anti-concurrentiel, d'une autre entreprise amricaine, Microsoft, sur un march de dimension mondiale, pour lequel les autorits de concurrence amricaines taient bien entendu comptentes. En l'absence d'lments d'information quant la stratgie suivie par cette entreprise, on peut s'interroger sur le point de savoir si cette dernire n'aurait pas souhait "dpayser" le dbat au niveau communautaire, pariant justement sur la volont politique de la Commission europenne d'adopter une position plus ferme l'encontre de Microsoft que les autorits de concurrence amricaines. Ce point ne sera pas dmenti par les vnements puisqu'aprs plusieurs condamnations par les juridictions des Etats fdrs, Microsoft est finalement parvenu, aux Etats-Unis, un accord avec les autorits de concurrence fdrales, vitant ainsi des poursuites et une sanction, en contrepartie d'un certain nombre d'engagements[6], alors que la Commission europenne a, pour sa part, refus d'accepter une solution ngocie, pourtant propose par Microsoft[7].

A la suite de la plainte de Sun Microsystems, la Commission europenne a ouvert une procdure d'infraction aux rgles de la concurrence sur les griefs dnoncs par le plaignant. Usant paralllement de sa facult d'autosaisine sur toute question de concurrence, elle a dcid d'ouvrir une enqute plus gnrale sur les conditions de commercialisation par Microsoft de son systme d'exploitation Windows 2000 et notamment de l'intgration du lecteur multimdia Windows Mdia Player au systme d'exploitation pour PC Windows 2000.La dcision de la Commission du 24 mars 2004

Au terme de cette enqute et de la procdure contradictoire, qui avaient t menes l'poque sous l'autorit du Commissaire europen la concurrence Mario Monti, la Commission a finalement retenu deux griefs, c'est--dire deux chefs d'infraction au droit de la concurrence, tous deux fonds sur la violation de l'article 82 du Trait CE, qui interdit les abus de position dominante. En effet, la Commission, aprs avoir constat que Microsoft dtenait une position dominante sur le march des systmes d'exploitation pour PC (90 % de part de march) et des systmes d'exploitation pour serveurs pour groupes de travail (60 % de part de march), considre que les deux comportements suivants constituent un abus :

Le refus, oppos par Microsoft ses concurrents, de fournir les informations relatives l'interoprabilit entre le systme d'exploitation pour PC Windows et les diffrents systmes d'exploitation pour serveurs pour groupes de travail et de leur en autoriser l'usage pour dvelopper des produits concurrents sur le march des systmes d'exploitation pour ce type de serveurs.

La Commission considre qu'un tel comportement est de nature liminer toute concurrence sur le march des systmes d'exploitation pour serveurs pour groupes de travail et qu'il a un effet ngatif sur le dveloppement technique, ainsi que sur le bien-tre du consommateur. Elle considre, en effet, que nonobstant l'existence de droits de proprit intellectuelle sur tout ou partie de ces informations, Microsoft se trouve, du fait de sa position quasi-monopolistique et de l'absence de solutions alternatives permettant aux concurrents de dvelopper leurs produits, dans une situation exceptionnelle dans laquelle elle doit obligatoirement faire droit aux demandes de ses concurrents, sauf pouvoir faire tat de circonstances objectives justifiant son refus. Microsoft a tent de justifier ce refus en arguant notamment que la mise disposition de telles informations, protges par des droits de proprit intellectuelle, permettrait ses concurrents de reproduire l'identique son systme d'exploitation Windows, en violation de son droit privatif sur le produit. Plus globalement, la firme a affirm que si elle tait contrainte de divulguer ces informations ses concurrents, elle serait, l'avenir, dissuade d'investir dans la recherche et le dveloppement pour lancer de nouveaux produits innovants. Aucun des motifs avancs par Microsoft n'a t admis par la Commission, celle-ci considrant, au contraire, que la communication des informations du type de celles qui taient refuses par Microsoft tait une pratique courante dans le secteur informatique et qu'il n'existait aucun risque de clonage par les concurrents du produit Windows.

Le fait d'avoir subordonn la fourniture du systme d'exploitation pour PC Windows l'acquisition simultane du logiciel lecteur multimdia Windows Media Player, restreignant ainsi la concurrence sur le march des lecteurs multimdia.

Il s'agit d'un grief bien connu en droit de la concurrence, dit de vente lie. Ce qui est reproch l'entreprise est de se servir de sa position de quasi-exclusivit sur le march des systmes d'exploitation pour PC, pour vincer de facto ses concurrents sur un autre march de produits, savoir celui des lecteurs multimdia en liant la vente de deux produits distincts, limitant ainsi la libert de choix du consommateur entre les diffrents types de lecteurs multimdia.

La Commission a donc prononc une amende de plus de 497 millions d'euro l'encontre de Microsoft[8]et lui a fait injonction de cesser la pratique de vente lie et de mettre disposition de ses concurrents les informations techniques ncessaires pour assurer l'interoprabilit des systmes d'exploitation pour serveurs pour groupes de travail avec Windows, dans un dlai de 120 jours compter de la notification de la dcision. Pour assurer l'excution de cette dernire obligation, la Commission a mis en place un systme, auquel elle a frquemment recours dans le cadre du contrle des oprations de concentration, mais totalement indit dans le cadre des procdures d'infraction. Dans la mesure o l'apprciation du respect, par Microsoft, de ses obligations de mise disposition des informations impliquait des apprciations techniques complexes, la Commission avait dcid de nommer un mandataire indpendant dont le nom serait propos par Microsoft et les cots affrents la mission de celui-ci supports par l'entreprise.

Microsoft a immdiatement form un recours auprs du TPICE l'encontre de cette dcision, sollicitant galement que ce recours soit jug selon une procdure d'urgence, ce qui lui a t refus[9]. Ce n'est donc que plus de trois annes aprs la dcision que le Tribunal a rendu son verdict.2. L'arrt, vritable rvolution, simple volution ou confirmation de principes jurisprudentiels tablis ?

Bien qu'ayant port sur tous les points de la dcision, l'intrt de l'arrt porte plus spcifiquement sur deux questions : l'accs aux informations techniques du systme d'exploitation Windows et la possibilit, pour la Commission, de confier le suivi de l'excution de sa dcision un tiers.L'accs aux informations techniques relatives Windows

S'agissant de la question de l'accs aux informations techniques, Microsoft soutenait, devant le Tribunal, que les informations dont la communication lui avait t demande tant protges par un droit de proprit intellectuelle, aucun abus de position dominante ne pouvait lui tre reproch dans le fait d'avoir refus d'en octroyer l'accs ses concurrents et que la dcision de la Commission revenait lui imposer un systme de licence obligatoire. Par ailleurs, Microsoft soutenait qu'une telle obligation aurait pour effet de dissuader, l'avenir, l'entreprise d'investir dans l'innovation.

Face ces arguments, le Tribunal prend soin de rappeler tout d'abord qu'en principe "le fait pour une entreprise dtenant une position dominante, de refuser d'octroyer une licence pour l'utilisation d'un produit couvert par un droit de proprit intellectuelle ne saurait constituer en lui-mme un abus de position dominante"[10]. Il prcise, ensuite, qu'aux termes d'une jurisprudence bien tablie, ce n'est qu'en cas de "circonstances exceptionnelles" que le refus de l'entreprise peut constituer un abus et "que, partant, il est permis dans l'intrt public du maintien d'une concurrence effective sur le march, d'empiter sur le droit exclusif du titulaire du droit de proprit intellectuelle en l'obligeant consentir des licences aux tiers qui cherchent entrer sur ce march ou s'y maintenir"[11]. Le Tribunal rappelle qu'aux termes de cette mme jurisprudence, ces circonstances exceptionnelles sont caractrises ds lors que les conditions cumulatives suivantes sont runies :

Le refus de fournir les informations ou de concder la licence porte sur un produit ou un service indispensable pour l'exercice d'une activit donne sur un march voisin de celui sur lequel l'entreprise est en position dominante ;

Le refus est de nature exclure toute concurrence effective sur ce march voisin ;

Ce refus fait obstacle l'apparition d'un produit nouveau pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs.

Enfin, le Tribunal prcise que, selon cette mme jurisprudence, il appartient l'entreprise poursuivie de rapporter la preuve qu'il existait des "justifications objectives" de nature exonrer son comportement.

Ainsi, contrairement ce que certains commentaires de l'arrt ont pu donner penser, le TPICE n'a pas tabli, l'occasion de cette affaire, une jurisprudence totalement nouvelle sur la question de l'exercice, par une entreprise en position dominante, de ses droits de proprit intellectuelle. Au plan des principes juridiques, cet arrt se situe clairement dans le prolongement d'une jurisprudence bien tablie, dont les prmices avaient t poses par la Cour de Justice des Communauts Europennes (CJCE), ds 1988, dans un arrt Volvo qui concernait le refus d'octroi de licence par les constructeurs automobiles sur des dessins et modles en vue de la production de pices dtaches par des oprateurs indpendants[12]. Ce courant jurisprudentiel a t dfinitivement consolid par deux arrts rendus prs de dix annes d'intervalle : un arrt Magill de 1995[13]et un arrt IMS Health de 2004[14], dans lesquels la CJCE avait considr que le refus par une entreprise en position dominante d'octroyer une licence (l'une portant sur des grilles de programmes tlviss et l'autre sur une base de donnes des ventes de spcialits pharmaceutiques) ses concurrents sur un march voisin de celui sur lequel elle taient en position dominante, tait abusif.

C'est peut-tre dans les conditions d'apprciation des trois critres rappels ci-dessus, caractrisant les circonstances exceptionnelles qui confrent au refus de licence son caractre abusif, qu'une lgre volution de la jurisprudence du TPICE peut tre dcele. En effet, le Tribunal admet tout d'abord que le simple risque d'exclusion de toute concurrence sur le march suffit considrer que le deuxime critre est rempli, alors que la jurisprudence antrieure aurait plutt incit penser qu'il fallait que le comportement en cause soit de nature exclure avec certitude toute concurrence. De la mme manire s'agissant du critre tenant l'entrave l'apparition d'un produit nouveau, le TPICE adopte une interprtation souple de ce critre en considrant que bien que le refus de Microsoft n'ait pas, stricto sensu, fait obstacle la mise sur le march de systmes d'exploitation pour serveurs pour groupes de travail par ses concurrents, ce refus a entrav l'apparition de nouvelles fonctionnalits sur les systmes existants et, donc, le dveloppement technique de ces produits au prjudice du consommateur.

Enfin, concernant l'argument oppos par Microsoft selon lequel son refus serait objectivement justifi par le fait que la divulgation des informations en cause serait un frein l'innovation et diminuerait sensiblement sa propension investir dans la recherche et dveloppement, le TPICE relve qu'il s'agit d'une pure ptition de principe et, qu' aucun moment de la procdure, Microsoft n'a avanc le moindre lment de preuve en ce sens. Il relve que, au contraire, la divulgation d'informations techniques permettant l'interoprabilit de diffrents types de produits est une pratique courante du secteur et que l'entreprise a consenti divulguer certaines informations dans le cadre de la transaction conclue avec les autorits amricaines, sans que ses prvisions d'investissement ne s'en trouvent modifies. L encore, mme si l'argument de l'entrave l'innovation avait t judicieusement invoqu par Microsoft, le TPICE fait application de principes solidement tablis selon lesquels, ds lors que les circonstances exceptionnelles de nature faire regarder un refus de licence comme abusif sont runies, ce n'est que si l'entreprise arrive rapporter la preuve d'une justification objective son comportement, qu'elle peut s'exonrer. Force est d'admettre que la simple affirmation de l'entreprise ne vaut pas preuve.

Au total, sur le strict plan juridique, l'arrt n'est pas aussi novateur qu'il y parat sur cette premire question.La question du mandataire charg de vrifier la bonne excution par Microsoft de la dcision

La Commission, pour assurer la bonne excution des obligations imposes Microsoft, avait eu recours a un procd indit en matire d'anti-trust, consistant faire suivre l'excution de la dcision par un mandataire indpendant, propos et rmunr par Microsoft. Ce mandataire tait charg de vrifier, en ayant accs tout lment pertinent au sein de l'entreprise, si les informations divulgues par Microsoft ses concurrents, en excution de la dcision, taient bien compltes et exactes, ainsi que le caractre raisonnable et non discriminatoire de la rmunration exige par Microsoft en contrepartie de la fourniture de ces informations.

Dans son recours, Microsoft critiquait le fait que la Commission se dcharge ainsi sur un tiers de pouvoirs d'enqute et d'excution qu'il n'appartient qu' elle seule d'exercer et en fasse, de surcrot, supporter les cots l'entreprise. Sur ce point, le TPICE donne raison Microsoft et annule cette partie de la dcision, en considrant que la Commission a clairement outrepass ses pouvoirs.

Dans le communiqu de presse qu'elle a publi aprs la dcision du Tribunal, la Commission s'est, bien entendu, flicite du rsultat global de l'arrt et a t relativement laconique sur ce dernier point, dclarant qu'elle allait "examiner soigneusement l'arrt et tudier ses consquences pour l'application future des procdures antitrust dans ce secteur et dans d'autres"[15].

L'annulation de cette partie de la dcision, portant sur ses modalits d'excution, pourrait, en effet, influer sur la validit des procdures engages par la Commission l'encontre de Microsoft en 2006 pour dfaut d'excution de la dcision de 2004 et, notamment, sur la dcision de la Commission du 12 juillet 2006, imposant une astreinte de 1,5 million d'euro par jour de retard dans l'excution, ce qui reprsentait dj, la date de la dcision, un montant de 280 millions d'euro[16]. Ce point sera srement mis dans la balance par Microsoft dans le cadre des ngociations qui vont s'ouvrir avec la Commission quant l'excution de la dcision confirme par le TPICE, puisque l'entreprise vient d'annoncer son intention de ne pas former de nouveau recours la CJCE contre l'arrt du Tribunal et de se rapprocher de la Commission pour finaliser l'excution de la dcision[17].

Par ailleurs la position de principe adopte par le TPICE dans le cadre de cette affaire pourrait faire tche d'huile dans un autre domaine du droit de la concurrence, dans lequel la Commission a frquemment recours au systme du mandataire indpendant, savoir le contrle des concentrations. En effet, il est assez habituel que certains rapprochements d'entreprises ne soient autoriss par la Commission qu'en contrepartie d'engagements souscrits par les parties, tels la vente de certains actifs par exemple, et que la Commission confie le suivi de ces engagements un mandataire. On comprend donc que la Commission souhaite analyser minutieusement cette dcision aux implications inattendues sur ce point.

L'arrt Microsoft n'est sans doute pas la rvolution juridique que certains appelaient de leurs vux, dans la mesure o tant la Commission que le Tribunal n'ont pas modifi le droit positif, mais ont fait application, dans cette affaire, des rgles de droit existantes. Si les consquences pratiques des principes juridiques appliqus par la Commission et le Tribunal peuvent tre discutes et leur bien-fond mis en cause, c'est ncessairement sur la base d'une discussion politique sur les orientations que le lgislateur communautaire entend impulser sa politique de concurrence. En effet, il n'est peut-tre pas illgitime de s'interroger sur le caractre potentiellement dangereux pour l'innovation de l'application de tels principes. Mais c'est au pouvoir politique de s'en saisir et non aux autorits juridictionnelles charges d'appliquer des rgles de droit.

Certes, en la matire, l'organisation institutionnelle communautaire peut entretenir une telle confusion dans la mesure o la Commission europenne est, la fois, l'excutif communautaire, investie ce titre d'un rle politique, et l'autorit de concurrence, charge en cette qualit d'appliquer la rgle de droit. Cette dualit des fonctions de la Commission a jou un rle important dans le retentissement politique de cette affaire, dont on peut d'ailleurs estimer que c'est la Commission qui a initi cette ambigut. C'est pourquoi on peut, plus que jamais, se demander s'il ne serait pas judicieux de confier le contrle du respect par les entreprises du droit de la concurrence une autorit administrative indpendante au niveau communautaire et dcharger la Commission d'une telle mission. La Commission pourrait alors s'appuyer, compltement et uniquement, sur sa lgitimit politique pour influer sur les rgles juridiques que cette autorit serait charge de mettre en uvre.[1]Le mandat de 13 juges du TPICE ayant expir le 31 aot 2007, leurs remplaants ont t nomms compter du 1er septembre 2007. Toutefois les fonctions des anciens juges, dont le Prsident du Tribunal Bo Vesterdorf, n'ont cess que le 17 septembre 2007, date de l'audience solennelle d'entre en fonction des nouveaux membres et de l'lection du nouveau Prsident (cf. communiqus de presse du TPICE, IP n 53/07 et IP n 65/07).[2]L'arrt fait en effet plus de 150 pages, TPICE, 17 septembre 2007, affaire T-201/04, Microsoft Corp. contre Commission des Communauts europennes.[3]Dcision de la Commission, relative une procdure d'application de l'article 82 du Trait CE, du 24 mars 2004 (affaire COMP/C-3/37.792 Microsoft), JOUE, 6 fvrier 2007, L 32/23.[4]Arrt du TPICE reconnaissant la responsabilit de la Commission, 11 juillet 2007, affaire T-351/03, Schneider Electric SA contre Commission des Communauts europennes. Cet arrt fait suite un premier arrt du Tribunal annulant la dcision de la Commission dclarant l'opration de concentration entre Schneider Electric et Legrand incompatible avec le march commun, TPICE, 22 octobre 2002, affaire T-310/01, Schneider Electric contre Commission.[5]C'est--dire les serveurs permettant plusieurs ordinateurs individuels de fonctionner en rseau.[6]Microsoft a en effet conclu, en novembre 2001, une transaction avec le Dpartement de la Justice des Etats-Unis et les Attorney General de neuf Etats fdrs.[7]Cf. communiqu de presse de Mario Monti, 18 mars 2004, IP/04/365[8]Le rglement n 17, applicable la date de la dcision, ainsi que le rglement CE 1/2003, prvoient que le montant maximum de l'amende est de 10 % du chiffre d'affaires total de l'entreprise ralis au cours de l'exercice social prcdent la sanction. En l'espce, le montant de l'amende inflig par la Commission reprsentait 1, 62% du chiffre d'affaires total de Microsoft.[9]Ordonnance du TPICE du 22 dcembre 2004, T-201/04 R[10]Point 331 de l'arrt.[11]Point 691 de l'arrt.[12]CJCE, 5 octobre 1988, Volvo, affaire 238/87.[13]CJCE, 6 avril 1995, RTE et ITP contre Commission, dit "Magill", affaire C-241/91 P et C-241/92 P.[14]CJCE, 29 avril 2004, IMS Health, affaire C-418/01.[15]Antitrust: la Commission se flicite de la confirmation par le TPI de sa dcision sanctionnant deux abus de position dominante dans l'affaire Microsoft, MEMO/07/359.[16]Concurrence: la Commission inflige Microsoft une sanction pcuniaire de 280,5 millions lie au non-respect persistant de la dcision de mars 2004, IP/06/979.[17]Microsoft se plie aux exigences de l'Union Europenne, Les Echos, 23 octobre 2007

http://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0080-l-affaire-microsoft-le-droit-de-la-concurrence-saisi-par-le-politique