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Agadir Moi l’Aigre Le Déterreur - jugurtha.noblogs.org¨que... · Il était une fois un vieux couple heureux Seuil, 2002 et « Points », no P1164. TEXTE INTÉGRAL ... , il était

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Néen1941,àTrafraout,dansleSudmarocain.AprèsdesétudessecondairesàCasablanca,iltravaillauntempsdanslafonctionpublique,avantdeseconsacreràl’écriture.IlpubliasespremierspoèmesdansLaVigiemarocaineavantdecollaborerdans les années60 à la revueSouffles qu’animait lepoèteAbdelatifLaabi. Il s’installa enFrance en1966, et publia, l’annéesuivante,Agadir(Seuil).Suivront,chezlemêmeéditeur,CorpsnégatifsuivideHistoired’unbondieu(1968),Soleilarachnide(1969),Moil’Aigre(1970),LeDéterreur (1973),etCeMaroc ! (1975).Sondernier recueil depoèmes,Mémorial, a paru auCherche-midiéditeuren1991.MohammedKhaïr-EddineretournaauMarocen1993,oùilmourutdeuxansplustard,àRabat.

DUMÊMEAUTEUR

AgadirSeuil1967

et«PointsRoman»,no531

Corpsnégatif:Histoired’unbondieuSeuil,1968

SoleilarachnideSeuil,1969

Moi,l’aigreSeuil,1970

LeDéterreurSeuil,1973

CeMaroc!Seuil,1975

Unevie,unrêve,unpeupletoujourserrants

Seuil,1978

LégendeetVied’Agou’chichSeuil,1984

Mémorial

LeCherche-midi,1992

FaunedétérioriéeWilliamBlakeandCo,1977

LeTempsdesrefus:entretiens,1966-1995L’Harmattan,1999

LesCerbères

Arcantèreséd.,1999

Onnemetpasencageunoiseaupareil:Dernierjournal,août1995WilliamBlakeandCo.,2002

Ilétaitunefoisunvieuxcoupleheureux

Seuil,2002et«Points»,noP1164

TEXTEINTÉGRAL

ISBN978-2-02-133911-6

(ISBN2-02-004378-5,1republication)

©ÉditionsduSeuil,1976

CetouvrageaéténumériséenpartenariatavecleCentreNationalduLivre.

CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo.

TABLEDESMATIÈRES

Dumêmeauteur

Copyright

Chapitre1

Chapitre2

Chapitre3

Chapitre4

Chapitre5

Chapitre6

Chapitre7

Chapitre8

Chapitre9

Chapitre10

Chapitre11

Chapitre12

Chapitre13

Chapitre14

Chapitre15

Chapitre16

Chapitre17

Chapitre18

Chapitre19

Chapitre20

Chapitre21

Chapitre22

Chapitre23

Chapitre24

Chapitre25

Chapitre26

Chapitre27

Chapitre28

Chapitre29

Chapitre30

Chapitre31

Chapitre32

Chapitre33

« Asseyons-nous, dit-il, asseyons-nous et regardons bien ! Miroir, écoute-moi, daigne au moinsprêter l’oreilleàcevieuxchenapanque jesuis.Tusaiscomment je t’aiobtenu?Non!Tune t’ensouviensplus.Pasd’importance.Jet’aivolévoilàcinquanteansàunmarchandambulant,untypequiportaitunehottegarnied’unpeudetout:épices,khôl,œufsd’autruche,caméléonsséchés,amulettes,etjouetsd’enfants.Etdebeaucoupd’autreschosesquej’aioubliées.»Lemiroirluirenvoyaunrefletlointain,presqueétrange.«Ah!oui,c’estdoncça.Ilvendaitaussideskalams,descolliersdecorailet toutes sortes d’encens, même des pierres qu’on faisait brûler dans le brasero pour chasser lesdjnouns.»Acemot,lemiroirluisautadesmains,tombaparterremaisnesebrisapas.Levieillardeutunsursautquiluifitmalauxreins,regardalemiroiravantdeleramasser,puis:«Maparole!ondiraitquetueshanté!A-t-onjamaisvuunmiroirhanté?Jamais!Jamais!Amoinsque…Commejet’ai volé…peut-être ne veux-tu plus rester avecmoi ? » Et il semit à pleurer. Il sanglotamême,longuement.Despaysannesquipassaientleregardèrentfurtivement.Certaineslemontrèrentdudoigt.Le soleil était déjà haut, il embrasait le ciel et la terre. Les montagnes brûlaient et scintillaientredoutablement.Un tueur, voilà ce qu’il était. Pourquoi donc avait-il assassiné ce camelot pour levoler?Ilauraitpuluiachetercefoutumiroir,non?Ilavaitassezd’argentpourça.Ilétaittrèsricheàl’époque.Non, il ne pouvait pas l’acheter, lepayer.Un fquih lui avait bien dit que lemiroir étaitmagique,qu’ilnedevaitpasêtreéchangécontredespiècesdemonnaie,maistoutsimplementvolé,que,sanscela,ilperdraittoutesavaleur,sonessencemême.«Alors,jel’aivolé,jel’aivoléetj’aitué lemarchand. » Il l’aurait dénoncé, le camelot, hein ! Il l’aurait peut-être assassiné.Le souknemanquait pas d’hommes de main, de sicaires et de bandits de tout poil. Le marchand ne l’auraitsûrementpasraté,illesavaitcapabled’égorgerpèreetmèrepourunemiettedepain.Etpuis,pffft!Unmarchanddeplusoudemoins, s’était-il dit.Et il y est allé avecun longpoignardberbère.Lepoignardqueluiavaitléguéundesesancêtres,ilnesavaitpluslequel,ilavaiteutellementd’ancêtresqu’ilnepouvaitpluslesrecenser.Lemiroir,toujourssurlesol,trembla.Ilyvitalorslegestequ’ilfitpourtuerlemarchand,lahottequitombait,secouéeparlesspasmesviolentsdesavictime,touslesobjetsqu’ellecontenaitserépandantparterre.Iln’yavaitpasfoule,heureusement.Ilétaitmidi.Lesgensserestauraientdanslesaubergesauxmursocres,d’autresquelui,desvoleursetdesassassinscommeluineseseraientmêmepasarrêtéspourledéranger.Ilséprouvaientunehaineinextinguible

pourlesmarchands,mêmetrèspauvres.Maisiln’yavaitlàpersonneaumomentoùilcommitsonforfait.C’estpourquoiilrafla,outrelemiroir,quelquespetiteschosesqu’ilrevenditàbasprixdeuxheuresplustard.«Quec’estlointoutcela!C’esttroploinmaintenant.N’enparlonsplus.Ouplutôt,effaçons ça une fois pour toutes. » Il se pencha pour ramasser lemiroirmais celui-ci lui résista.Alorsilsemitdeboutetcommençaàl’écraserméthodiquement.Unefureurterriblel’animait,ilétaitdevenu une véritable machine infernale. Lemiroir ne se brisa pas, aucun de ses coups ne l’avaitatteint.«Ilmerésiste,ilmerésiste,lefilsdudjin!»Acemot,ilencaissauncoupdepoingfulgurant,tombaàlarenverse,étourdi.Quandilsereleva,ilconstataquelemiroirn’étaitplusunpetitmiroirdepochemaisunecolonnedefeuquiledominaitdetoutesataille.Ileutpeur,vouluts’enfuir.Unemain le retint, lesecouantdans tous lessenscommeunarbresecetcraquant.«Nous t’emmenons,gronda quelqu’un ! Nous allons temontrer quelque chose dont tu te souviendras longtemps, salevoleur!»Etilfutbrusquementsoulevédusol.Ilperditconnaissance.

A son réveil, il était dans une salle haute jusqu’au ciel, assis sur un banc de granit où il semblaitscellé.Ilvoulutsepermettreunmouvement,renifler,sefrotterlespaupièresmaisaucunréflexenerépondit à l’appel de sa conscience. Il était prisonnier d’une force jusque-là inconnue. Etait-ce leparadisoul’enfer?Ilnesavait.Ilétaitcependanttrèslucide.Ilsesouvenaitmêmedumomentoùonl’avait cueilli du sol comme un chardon, comme une tomate. A cette réflexion, il tenta un ultimemouvementmais trèsvitedéchanta. Il restaainsi fixéà lapierrevingt-quatreheures, sansboirenimanger.«Voilàdéjàlongtempsqu’iln’apasmangé,levieux,sedit-il,etiln’apasencoredecrampeà l’estomac.Voilà également longtempsque tu n’as pas bu,mon cher, ça ne fait rien, non, ça faitbeaucoup.Maisqu’est-cequetuboisdéjà,dis?Del’eau?…Hahaha!C’estdulaitd’ânesse,dulaitd’ânesse que tu bois, mon ami, et rien d’autre ! » Au-dessus de lui, mais il ne les voyait pas,froufroutaientdeschauves-sourisgéantes. Iln’entendaitque lebruit râpeuxde leursailes.Derrièrelui,ungrandrugissements’élevafaisant trembler lasalle.Devant lui,unnuagecarbonique,noiretpuant,s’écrasaavecfracas.Nepouvantbouger,ilnefitrien.Ilregardacettemasseabjectesansmêmeressentir de terreur. « Un assassin ne peut avoir ni foi ni peur, pensa-t-il. » Les débris du nuages’effilochaientlentementdonnantlieuàdesêtresdepetitetaillequisautaientets’enchevêtraientavecviolence, animant ce décor douteux de petits bruits amplifiés à l’envi par l’écho lointain qui sefracassaitcontrelecœurdurocendemultiplesdaguesqu’uncorpsnormalementconstituéeûtperçucommeunetorture.«Toutcelan’estqu’unrêve,seditlevieillard.»Etiltentadehurlermaispasunsonnesortitdesabouche.Commeilpouvaitbaisserlesyeux,ilvitsetordreàsespiedsuneformesordide,unesortedecrapaudpustuleuxetgluantgrouillantdepouxrougesetverts.Etilsuttoutdesuitequec’étaitçalemotqu’ilavaitvouludiretouthautafind’éloignerlaprogénituredunuagequin’étaitplusmaintenantqu’àquelquesenjambéesde lui. Il seconcentra trèsviteetdonna l’ordreaucrapaudde réintégrer son sang.Mais labêtenebougeapas.Alors, une image fugace traversa soncerveau : il voyait le crapaud se diriger vers les insectes, très doucement, crachant et bavant desglaires brûlantes. Et quel ne fut son étonnement lorsque, regardant à nouveau devant soi, il viteffectivementlecrapaudsebalancersursespattesendirectiondespetitsêtres.«Maparole!C’estmapensée qui le conduit, se dit-il. » Le crapaud bavait et crachait avec des sifflements ardents. LesLilliputienss’enfuyaientendésordredevantlui,lespluscourageuxluisautaientsurledosenvuede

pénétrerdanssoncorpspourlecorrompre,maisilsretombaientbienvite,consumésetencendres.Alors,levieillardcommençaàbouger.Ilsentitcraquersesjointures,sesmuscles.Ileutmal,vouluthurler une fois de plus, se lever mais en vain. D’autres crapauds hideux tombèrent de sa boucheécumante. Il les regarda partir, comme le premier, à l’assaut des petites bêtes. Celles-ci avaientresserréleurrang,elless’étaientmêmereconstituéesencerclesautourdupremiercrapaud,oudemapremière pensée, se disait-il. Et maintenant, elles brandissaient des armes, oui, des fusils et destorchessulfureusesdontellesaspergeaient lescrapauds,sesmercenairesà lui.Lamêléeétait rude,plusâprequeleflancrugueuxettranchant,trèsàpic,desmontagnesdesonpays:«Ah!Monpays!Sijepouvaism’yretrouverencinqsec!»Beaucoupdecespetitsêtresformaientàprésentunnuagegrisaumilieuduchampdebataille.Lescrapaudsluttaientrageusement,certainsblessés,saignantetpuant,empestantl’atmosphère,maislui,sentaitceseffluvescommedesparfumsd’Arabie.Lesplusvaillants écrabouillaient et brûlaient tout sur leur passage.Le nuage enflait rapidement, grossissaitcommeuneoutre.Puisils’éleva,montaetdisparut.Surledallage,rien,pasdesang,pasdecrapauds.Le vieillard se leva, se secoua un peu. Il retrouva sur le sol les débris du miroir qu’il ramassaprécautionneusementetnouadansunvieuxmouchoir.Ilsutaussitôtcequ’ilallaitfaire.

Levieillardmarchait,unballuchonsurledos,endirectiondelamontagne.Plusilluisemblaits’enapprocheretpluselle s’éloignait.« J’auraisdûprendre l’ânesse,pensa-t-il.Bah ! J’ai l’habitude.»Maislamontagnesedérobaittoujours,tantôtelleétaitlàettantôtbeaucoupplusloin.Parfoismême,elledisparaissaitpurementetsimplement.Celafaisaitunedemi-journéequ’ilavaitquittélevillage.Etiln’avançaitpas,tants’enfaut.Acroirequ’ilrampait.Non,ilnerampaitpas,ilmarchaitbeletbien;les cailloux que ses pieds heurtaient roulaient de tous les côtés, libérant un peu de poussièrepoudreuse.Silamontagnes’estompaitdetempsentemps,c’estparcequesavuen’étaitplusperçante,en tout cas pas aussi aiguë qu’autrefois. « Autrefois ! Autrefois, j’étais un vaillant jeune homme,rapide,foudroyant,héhéhé!J’aituédeshyèneshumainesetautres!J’aimêmecombattudansuneguerre.Laquelledéjà,diable!Laquelle?Jenem’ensouviensplus,çan’aplusd’importance.Allonsbon ! » Il ne s’arrêtait jamaispour reprendre souffle, il allait devant soi, nehaletait pas, iltâchait seulement de gagner les premier contreforts de la montagne. Il la connaissait bien, cettemontagne.Sagrand-mèrel’yavaitsouventmenécueillirduthymetd’autresherbesdontilignoraitlenom.Ilyavaitmêmevadrouilléunefois,lanuit,pourtraquerlechacaletlelièvre.Ilavaitalorsunjolipetitfusilqu’ils’étaitprocurécommed’habitude…enlevolant.Maispourquois’éloignait-elleàprésent?Etait-elletoujourslamême?Etlui,était-iltoujoursdecemonde?N’était-ilpasmortetnerevivait-ilpasdeschosesenfouiesdepuislongtemps,trituréesparsamémoire?Ilseposaittoutescesquestions et beaucoup d’autres, mais il n’en admettait pas moins, à regret d’ailleurs, qu’il étaittoujours sur la terreoù sesparents, ses rares amis et tant d’autres avaient évolué, aimé, assassiné,hurlé,surcetteboulequ’ilconnaissaitunpeuetpour laquelle ilavaitdéjàcombattuenLibyeetenEurope. La terre ici n’était pas grasse, mais très sèche. Des arbustes un peu partout, des épineuxgéantsetbeaucoupdecigales,tropdecigalesmême.Heureusementqu’illeurlançaitdetempsàautreunepoignéedepetitscailloux…Alorsseulementellessetaisaient.Ellesavaientpeut-êtrelafrousse,commelui,hein,commetoi,voyou!Dansleciel,pasunnuage,paslemoindresouffledeventnonplus. Des aigles, oui, par-ci par-là quelques aigles décrivant au-dessus de sa tête des cerclesconcentriques.Voulaient-ilsfondresursonturban,ledéchiqueterettrouersoncrâneouquoi?«Non,non,ilsdoiventchercherdesserpents,pensa-t-il.»Desserpents,c’estçaqu’ilsmangent…oude tout petitsmammifères. Pas un écureuil pourtant, rien que des cigales ou plutôt leur bruit, pas

mêmeunchant,cetintamarre!Neserait-cepasl’avant-voixdel’enfer?Nes’était-ilpastrompédechemin?«Non,non,continuonstoujours,levillageestloinmaintenant…etpuis…pourcequejevauxlà-bas…pourlepeuderespectqu’ilsmetémoignent…Bah!SiSatant’offreleBien,accepte-ledonc ! Tu n’as rien à craindre. De toute façon, les autres te prennent pour un vieux bouc gâteux.Alors,profitedecequi t’estdonnédans l’immédiat.Sers-toi,monvieux,sers-toicopieusement!»Brusquement,lamontagneluiapparut.Ilvitd’abordunrocherénorme,puis,enlevantlesyeux,unesortedecrêtequ’ilnepouvaitévidemmentpasbiendistinguer.Commeilyavaitunpeud’ombre,ilse permit une halte de quelques instants. Il s’assit, sortit de son balluchon une galette sèche etratatinée, une petite guerba pleine de lait d’ânesse, but et mangea. « J’aurais dû prendre l’ânesse,répéta-t-il!Jen’auraibientôtplusdelait…Maisqu’importepuisquelevoyagetoucheàsafin.»Ilseleva, s’étira et reprit sa marche. Le chemin montait à présent. Il n’était plus qu’un lacet escarpémarquéçàetlàpardesrochessaillantescommedesdards.Levieilhommes’enfichait,ilconnaissaitbien les lieux. Il était passé par là bien des fois, mais il n’y avait jamais vu personne. Les genspréféraientsuivre,pourserendreausouk,descheminspluslargesoùlesânesetlesmuletsn’avaientrienàcraindre.Maissonânesseàlui,lavieillecarne!elleleurdamaitlepionàtous,mabienchèreânesse,tuvauxbeaucoupplusquetouteslestonnesdeviandesqu’ilspeuventfourniràunrégimentd’affamés!Héhé!Leravincommençaitàs’estomper.Petitàpetit,ildevenaitprécipice,puisgouffre.Levieilhommen’encontinuaitpasmoinssaroute.Déjàdeuxjoursquecettehistoireavaittrottédanssoncerveau.Il lui fallaitvoirabsolumentcesorcierdefquih,cettevieillechiffe intelligentequinevivaitquedansseslivres.«Oui,j’yarriverai,j’arriveraiausouk,certainement.Partouslesdjnouns,j’y…»Laterrebougea,lamontagnedisparutunefoisdeplus.Devantlui,lescrapauds,descrapaudsrougeshaletant.Ilavaitmanquésonvoyage.«Jerecommencerai,sedit-il.»

Lescrapaudsqu’ilavaitcrachéssetenaientencercleautourdelui.Aussiloinqueportaitsonregard,ilnevoyaitquedesmassesdecrapaudsentassés lesunssur lesautres, serréset remuants. Il seditqu’il avait encouru un châtiment suprême pour avoir donné jour à une telle calamité, mais trèsrapidementiljuraetconvintquecen’étaitlàqu’unecoïncidencediabolique.Quelqu’un,là-bas,avaitdû lui jeterun sort.Lesvieillesduvillagene l’aimaientpointetne l’avaient jamais souffertparcequ’il ne leur donnait rien. Il avait pourtant de l’argent, des denrées alimentaires, des tissus variés,enfintoutcequ’ilavaitvoléaprèsavoirdûmentégorgéfemmesetenfantsdanslesvillageslespluslointains.Unede cesvieilles l’avait rencontréun jour qu’il revenait d’une expéditionde cegenre.Elleluiavaitdemandéd’oùilarrivait,maiscetteclochequ’ilétaitalorsavaitsecouélatêtecommeun gamin et bredouillé n’importe quoi. La vieille savait parfaitement ce qu’il avait fait. Les deuxmulesharnachéesqu’ilpoussaitdevantsoineluiappartenaientpastoutcommeleurchargement.Lavieilleenavaitconcluqu’ilavaitdûunefoisdeplusmassacrerdesgenspourlesdépouiller.«Etelleavaitraison,dit-ilauxcrapauds.Elleavaitfoutrementraison.»Undescrapaudsluigrimpasurlatête,ilvoulutl’attrapermaisilneletrouvapas.Lecrapaud,parquellemagie?s’étaitdenouveauintroduitenlui.Ils’agitadanstouslessenscommes’ilavaitreçuuncoupdeferrougesurl’occiput,maisdecrapaud,point !Lesautrescontinuaientà le regarder fixement, lui reprochantpresquede lesavoirexpulsésdesoncorps.Leurchefpoussatoutàcoupunrâleépouvantableettouslesautressuivirentsonexemple.C’étaitassourdissant,tellementassourdissantqu’ilvomit.Ilvomitdesserpents,detoutpetitsserpentsquisemirentaussitôtàgrossir,s’entortillantautourdeluipuistombantdanslamasseconfusedescrapaudsqu’ilsengloutirentavecadresse.«Ilsconnaissentbienleurboulot,ricana-t-il!Ouais,cesserpentssontmesmeilleurespensées.»Maisilsetrompait!Certainscrapaudsquiavaientéchappéaudésastres’étaientdéjàintroduitsdanssacervelle,quiparlesnarinesquiparlesoreilles,tous se bousculant comme à l’entrée d’une cantine. Il n’en ricana que plus fort, appréhendant unévénementimminent.Et,defait,touts’estompa.Lesserpentsneformantplusqu’unesortedesoleilgisantetbrasillant, luirenvoyantparà-coupsnondes idées,nimêmedespenséescohérentes,maisdesspasmesdeviesdésintégrées,deserrementsquoi!Untasdepaillettesfumeusesl’environnaient,brillantparfoiscommedespointesdebougiesoucommeceslampesàacétylènesurlesterrassesdemaisonsdesvillageshautperchésdans lamontagned’en facede chez lui.Car il y avait chezmoi

deux montagnes. Notre village était perché sur la plus érodée, les autres avaient la plus bellemontagne, ils avaientmêmede laneigeenhiver etbeaucoupd’eauenété, cequin’étaitpasnotrecas…C’estpeut-êtrepourquoijesuisdevenuunesorted’escarpe.Héhéhé!Escarpe,moi?Non,lesgars,jamais!Jenetravaillejamaisquepourmoncompte!Compte?Compte?J’aiapprisçachezlesEurlopes, jecrois!Euxnepensentqu’à leurcompte,à leurfric.Mais,moi, j’aidonné, j’aidonné.Peut-êtrepasauxvieilleschaussettes,auxdébilessorcièresmaisj’aiquandmêmedonné…toujours.Jesuismêmedevenurécalcitrantàforcededonnerleproduitdemesrapines,héhé, tuvois?Unesortede cordon frémissant le cingla. Il tomba, se remit vitedebout et vit : devant lui, làmêmeoùs’étaittrouvélesoleildeserpents,setenaitmaintenantlefquih-sorcierqu’ilavaitcherchéenvain.Lefquih-sorcierportait, nonpasun turban,maisunevaste auréole à l’intérieurdequoidansaientdesoiseaux-mouches, des délires bariolés, des guêpes et des araignées fétides. Il était ceinturé descorpions noirs très poilus, de vipères et de dards trempés. Son corps tout entier rayonnait etdégageaitunephosphorescence inexpugnable.Levieilhommetremblapuis :«Héhéhé!héhé, tevoilà,vieillecharpie!Enfintuviens.»Et,réfléchissantunpeu:«Quit’aditquej’étaisici,hein?»Pourtouteréponse,lefquih-sorcierluienvoyaunjetd’étincellesquiluibrûlaunejoue.L’autrehurlasi fort que les scorpions qui constituaient la ceinture imprenable de son agresseur émirent unelumièreincandescente.Desêtresneufsapparurentaussitôt,tenant,chacun,uneespècededrapeau,descimeterresavaientpousséà laplacede leurscheveux,àpartça leurcorpsn’étaitquehardes.D’ungeste,aussiinopinéqu’inconvenant,lefquih-sorcierleurordonnadeserangerderrièrelui,cequ’ilsfirentavecunegrandecélérité.Levieilhommen’enfutpointimpressionné.Aucontraire!«Jesuisbeletbienlevraimaîtredecesfatuités.Guenilles,penséesidiotes,raclures,qu’allez-vousdoncmedemander encore d’exécuter ? — Peu de choses, peu de choses, s’entendit-il intimer par lesorcier…—Oui,c’estbienunsorcier, iln’avraimentplusriend’unfquihdésœuvréet tranquille,rien ! Peu de choses ! Que veux-tu donc, monstre irascible ? Que j’en tire de mon vieux crânequelques-unsqui t’enferontvoirunefoispour toutes…ouquoid’autre?»Pour toute réponse, lefquih-sorcier rigola bruyamment. Le vieil homme en fut si choqué qu’il lui lança une bordéed’injures, mais, une fois encore, rien ne sortit de son gosier, sinon des molochs épineux etgrouillants.Ilenrit intérieurement,sedisant:«Çavaluienfairevoiràcechiend’hyènedefquihmaldiplômé!»Lefquih-sorciereutalorsuneépouvantablenausée, ildégueula tripesetmémoire.Toutsonrayonnementfutaussitôtdissous,toutesavieimmédiatementpulvérisée.Ilnerestaitplusdelui sur les dalles qu’un grouillement de scorpions et quelques têtes de vipères écrasées sous lessemellesduresdesanachorètes.Levieilhommen’enfutnullementcontent.Ilauraitvouluparleràcesorcierterrible,àcefuyant,maiscommentl’attraper.«Partouslesdjnouns,jeteveux,fquih,oui,jeteveux.»Cettefois-ci,lemiraclerestacoi,touteslesparoles,touslesgestes,touteslesprièresettousles blasphèmes du vieil homme demeurèrent inopérants.Mais, à sa grande stupéfaction, le fquih-sorcier réapparut, planté ce coup-ci devant lui, simple, vêtu comme un fquih quelconque d’unedjellabablancheimmaculée.Levieilhommenesutquedire.Lesorciervintàlui,ildit:«Enfin,tevoilà,chien!—Quoi?Quedis-tuvieilleharde?Toiquiasvendutesfillespourunegoussed’ail,

unemiettedepain?Quemedis-tulà,vaurien?Répèteunpeu…Ahoui,lechien,oui,oui,jenesuisqu’un chien et toi,Maître,mon écraseur, oui, oui, c’est bien toi quim’écrases depuis longtemps,depuistoujours.Cettevigne,non,cettegorgedemoutonsaignante,répandantpartoutsonsang,c’esttoi,sorcierabominable,quienasextraitlavie!Oui,oui,oui,nonbonsang,non,jem’envaist’enfairevoir,moi, techarcuterunpeucommequidiraithéhéhé !Salecharogne, tuvasenécoper !—Salecharogne,moi,moi?L’ArbitreduTemps,del’Espace?—Non!Non!Jen’airienproféréde tel ! Jamais ! Ne m’entortille pas une fois de plus dans tes mics-macs, s’il te plaît. Je veuxseulementt’offrirquelquechose.Oh!Trèspeudechoseàvraidire,toutjusteunpetitcadeau…»Ilsortitalorssonmouchoir, ledénouaet répanditsur la têtedusorcier lesbrisdemiroir,dumiroirqu’ilavaitvoléentuant…sonpremiercrime,quoi!«C’esttoiquim’asenvoyélevoler,levoilà!Profites-en, gaillard ! »Aussitôt dit, aussitôt fait ! Lemiroir se reconstitua ; le sorcier l’exhibaitmaintenantavecunearroganceindicible,lemontraitauvieilhommeendisant:«Vieillechiffe,vieilassassin, tumérites vraiment que je te fasse connaître le paradis et aussi l’enfer. Le paradis n’estqu’undesaspectsmornesde ton intelligence.L’enfer, cequ’ilyademieuxen toi etque tuas fuidepuislongtemps.Jevaisdoncdecepast’ymener.—Memeneroù,grand-père?»Levieilhommen’osaitplusletraiterdesorcier,niluicracherdessus.Pourtouteréponse,lesupervieuxl’entraînaletraînantpresquesurlesdallesdecettegrandesalleoùilavaitéchouélapremièrefoisqu’illuiétaitdonnédecontemplerlesdesseinsd’Outre-Monde.Ilvittoutessortesd’êtresdel’ancienmonde,ceuxdesonvillagecommelessoldatsoubliésquiavaientverséleursangpourdespatriesingrates.Ilserelevanéanmoinsetsuivitlesupervieuxversuneanfractuositéprofonde.Avantd’ypénétrer,lefquihluiappliquasurlespaupièresunbaumedontilnesutrien,unesortedegoudronliquideetamer.Unerésine noirâtre de plante peut-être ? Il s’en appliqua aussi sur la bouche, but unemixture jaune àmêmeunroseausortantd’unegourdequ’ilportaitautourducou,puisilsentrèrentdansuneespècede palais dont le dallage d’or fauve était constitué de scolopendres frémissantes. Le supervieuxs’inclinadevant une statuegéantequi dominait les jets d’eau jaillissant d’unpeupartout dans cettegalerie(c’estquelevieilhommen’étaittoujourspasconvaincu!)superbe.Desfemmesnues,seinsfroufroutantetsebalançantenunemusiquequasidélirielle,luiemboîtèrentlepas.L’uned’ellesluiportaauxlèvresunecoupedevinmielleuxqu’ilavalagoulûment.Uneautre,peut-êtreunesortededéesseancienne,leretintuninstant,luienfournantentrelesmâchoiressamamelle.Lesupervieuxymorditavecplaisir.«Aïe,fitlapseudo-déesse,tumefaismal,cochon!»Puisellefila,lesautreslasuivant.Nerestaientplussurcesdallesquelesupervieuxetlevieilhomme,marchantl’underrièrel’autre, s’envoyant par la pensée des armées qui jamais ne sematérialisaient, jamais ne pouvaientdonnerlieuàdesanglantesescarmouches.Levieilhommesuivait,têtebasse,commeunâne,commesonânesselorsqu’illasortaitdusouterrainoùilavaitcoutumedel’enfermer.Mais,s’ils’inquiétaitunpeu,lesupervieuxnecraignaitquelevieilhomme,cettechiffeidiote,cetassassinauquelilavait,un jour, remis une parcelle de son savoir. Un éclatement soudain les fit s’asseoir. Le supervieuxbalbutia,chantauneprière,hurla.Levieilhommes’enremit,commed’habitude,àunedecesimagesqu’ilappelaitsapensée…Ettoutd’uncouptouts’envola…Toutd’uncoup,lesupervieuxseretrouva

danscettepetiteturnedesoukoùilexerçaitjadislemétierd’écrivainpublicetdeguérisseur.Enfacedelui,unenfantsurlesgenouxdesamère.Lesupervieuxtenaitentresesdoigtsunœufcouvertdesignescoraniquesetdebiend’autresrébus.Ilmarmottaitquelquechose,voulaitouinvoquaitquoi?n’ensavaitplusrien…Cetenfant…Cetœuf…Qu’est-cequ’ilvamarquersurleGrandŒuf?Ah!pascequej’ainotésurl’œufdelapoule!Pasça,gars,surtoutpas.Lamèrevam’envouloir…Lesupervieuxsesouvenaitàpeine.Levieilhommenepouvaitguèreluirafraîchirlamémoire.C’étaitluil’enfantenquestion.

« Tu lui barbouilleras la figure avec le jaune de cet œuf, un peu de cendre et quelques brins desoldanelle, puis tu lui donneras deux gifles pas trop fortes et, enfin, tu le rouleras par terre aprèsl’avoirsoigneusementficelédansunecouvertureenpoilsdedromadairepourqu’ilpuisseexpulsertous lesdémonsqui le tarabustent.Dansunequinzaine,siçanemarchepas, tu l’emmènerasàSidiAbd’Ijabbar.Vousyresterezdeuxnuitsdesuiteet tuprieras.Lecheikht’apparaîtradansunsonge.Auparavant, prends de très grandes précautions. Personne ne doit savoir que ton fils est malade.Même si on te pose des questions embarrassantes, tu ne répondras pas.Tu feras l’ignorante ou labonnefemmeunpeudemeurée.N’importequoipourvuquetulaboucles.Ilnepourrajamaisguérirsitutemetstoutdesuiteàcriersurlestoitsqu’ilestmalade.Danscecas,mêmesituimploraislecheikhensafaveur,lemauvaisœilnecéderaitpas.Mais,partouslesdémons!ilcéderaceputaindemauvaisœil,crois-moi.Jem’envais te l’arrangerunboncoup,cetenculé!Tiens,prendscegris-grisetmets-leautourdesoncou(ildésignedudoigtlepetitgarçon).Avecça,petitefemme,riennepourra jamais l’atteindre. Il écrabouilleramêmedesvipères sans jamais se fairemordre. Il rêveraqu’ilestenenfersansjamaisperdredevuelemonderéel.Ilpourratouttenter,sefaireblessersansrienéprouverqu’unvasteetdiaboliqueplaisir.Toutesapuissancerésideradanscetteamulette.»La femme déposa deux poulets attachés avec une ficelle aux pieds du supervieux. L’enfant qu’elleportaitdanssesbrasgrognaunpeu;unlongfiletdebavependaitàseslèvres.Lesupervieuxchassaunemouche imaginaire.La femme sortit de son haïk un petit rouleau de billets de banque qu’elledéposadélicatementdanslamaintenduedusupervieux,puiss’enalla.Le vieil homme revit une source presque tarie, entre deux roches siliceuses, source dont l’eaucroupiegrouillaitdetêtards,degrenouilles,desangsues,demoustiquesetdenèpes.Aproximitédela source, des gravats, des bris de poteries : la vaisselle des djnouns ! Plus loin, des arbustesrabougris et des taillis de lauriers roses bardés de guenilles que des gens superstitieux avaientsolidement accrochées à leurs branches. «Une belle demeure, se dit-il. » «N’approche jamais lesdjnouns,luiavait-onconseillé.—Jem’enficheéperdumentdevossuperstitions,avait-ilrépondu.Etmaintenant,j’ypatauge,danstabave,petitdjin!Ah!quecetteeauestbonne,tiens,tiens…etsij’enbuvaisuntoutpetitpeupourvoir…Iln’adviendraitrien?Sij’enbois,il…Iln’adviendrarien,jet’ai

dit, bois, ça te rendra pas malade, petit audacieux. » Une grosse voix grondait dans sa poitrine.«Bon!Alorsbois,vite!»Etilbut.Ilbutunefois,puisdeux.L’eau,bienquesale,étaitdélicieuse.Etilsesouvintdecequeluiavaitditunepetiteputainduvillage,que,pouravorterlesbonnesfemmesutilisaientde lapoudreàcanon,dumercureetde l’eauayantservià la toiletted’unmort.Levieilhommericanaàcesouvenir.«BonDieu,commentai-jepum’entireràboncompte?Toutlemondesavaitquecetteeauétaitempoisonnée!Jen’aijamaiseuàmeplaindrederiensinond’unesangsuecolléeàmonœsophage,bêtequej’airecrachéeavecforce.Jenem’ensuisaperçu,desaprésencejeveux dire, que parce qu’elle commençait à grossir et àm’étouffer un peu.Alors, j’ai chauffé unecasseroled’eau,j’aipresséunoudeuxcitrons,j’aitoutmélangéavecunepoignéedeseletjemesuisgargarisé,niplusnimoins.Encinqsec,lachoseesttombéeentraînantavecellequelquescaillotsdesang.Allonsdonc!Fini toutça,sortonsplutôtd’ici.»Levieilhommeessayadese lever,maisunénormepoidsl’enempêchait.Autourdelui,lesténèbres.Ilestquelleheure,bonsang?Quelleheure,merde!Ilbandasesbiceps,tentaànouveaudesouleverlefardeauquil’écrasait,envain.«C’estundémonquimeterrasse,sedit-il,ungrosdémon,uneenflure,haha!Impossibledemeredresserpourlemoment.Feintons, il faut feinter. Ilsmeracontaientbiendans lebleddeshistoirespareilles.Deshistoiresd’hommesquinepouvaientpasselever,marcher,s’arracherausommeil,jen’yaijamaiscru…etvoilàqu’àmontourjetombesouslepouvoirdudémon!D’autresdisentqueledémonvoussodomisependantquevousdormez.Levieilhommetâtasonanus,puisilportasondoigtàsonnez.«Ilesttoutmouillé,BonDieu!Ceconm’abaisé.»Ilreportadenouveausondoigtàsonanus,cruttoucherungrosphallus, le retiravite.«Et il continue,bonsang, ilm’enculedeplusbelle.Allonsbon!Fous lecampou je te le feraipayer rubissur l’ongle, saledémon!» Ilessayaencoredeserelever,maisneput.Ledémonpesaitsurluicommeunemontagne.Levieuxvoulaitparler,gémir,rien à faire. Pas un son ne sortait de sa bouche. Le démon l’étranglait en même temps qu’il lesodomisait.«C’estçasatechnique,pensalevieilhomme.Ilnevouspossèdequ’envousétranglant.»Ilsesouvintalorsdetouslessaintstentésparledémon.Lesuns,quivivaientenermites,avaientfaitfuirseshordesettouteslesbellesfemmes…«Quoi?Lesbellesfemmes,sedit-il,maisnon,non!iln’yajamaiseuunetentationdecegenre,ledémonlesaplutôtenc…Ah!Tumefaismal,salecon!Tumebrûleslesintestins…le…leventre…tout…vaéclater.Dégage,dégage,vieillebrute!Ouais,le démon n’a jamais présenté une belle femme à un anachorète.Monœil ! Il a plutôt tenté de lessodomiser.Ilyestsansdoutearrivéavecquelques-uns…Oualors,ilafaitlecontraire.Ils’estpeut-êtrelaisségentimentembrocher…Non,ilsenauraientpasvoulu,lespotes!Alors,voisçad’ici:ils’est tout bonnement changé en éphèbe, hé hé, tu piges à présent ? Il s’est fait enfiler comme pasune!»Levieilhommetentaunefoisdeplusdeseleveretcettefois-ciilyparvintaisément.«Tiens,tiens,ilestparti,ledémon.»Ilsetâtalecorps,constataqu’ilportaittoujourssatunique.«Ilnem’arien fait si ça se trouve. Jemesuispeut-êtregouré.Mais…maisc’estmoiqui l’ai eu, lapute ! lapute!çaalors!Jel’aieu,jetedis,c’estmoiquil’aieu,benmavieille…BonDieu!j’aicopulécettenuitsanslesavoir.J’ailâchétoutmonjus!Amonâge!Ah!lesaledémon,ilm’aeumêmesijel’aibaisé. Ilm’a eu jusqu’à la garde !Non ! ce n’était pas un rêve.Le démon a dû se transformer en

femmepourmetaillerunepipe.Ilamilletoursdanssonsac,lesalaud!J’ypeuxrien!J’ypeuxrien,monDieu !Sortonsd’icimaintenant,mais jen’yvoisgoutte.Oùdoncsuis-je?» Il tâtonnaitdansl’obscuritéambiante.Sesmainsrencontraientdesobstaclesdetoutesorte.Ilnepouvaitniavancernireculer.«C’estatroce!ondiraitquejenemedéplacepas.Jesuisenfermédansuncerclevicieux.»Cen’étaitpasuncerclevicieux,ildevaits’enapercevoirunpeuplustard,maisunmondesansfin,uneimmensitésanspareille.«Dunoir,toujoursdunoir,sedit-il.»Il voulut encore hurler, mais il n’avait plus de voix. Il se surprit à espérer la présence d’un êtrehumainquelconque,luiquiavaittoujoursfuicetteengeance.Et,toutd’uncoup,ilpensaàsonmiroir.Ilnesutcequ’ilenétaitadvenu.«Siaumoinsj’avaiscefoutumiroir!Siaumoinsjepouvaisvoirneserait-cequ’undemiclairdelune!Entendredesmots,mêmelesplusexécrés!N’importelesquels,pourvu que… » Brusquement, la ténèbre se dissipa, une lumière jaunâtre baignait à présent lepaysage.Levieilhommesefigea,toutétaitsansmouvementautourdelui.Lanature,sicelaétaitbienune nature, relevait plutôt d’une énormemasseminérale.Des sons étranges l’animaient àmesure,maisrienneparaissaits’agiter,dumoinsvisuellement.«Jenemesuispourtantjamaisdrogué,sedit-il.Jen’aijamaisfuménimangéduhaschich!Non!Jesuisicidansunautremonde,lemondedesâmesmortes,deshommesdévitalisés,désincarnés. Je suismêmeassez loin,maintenant,dumondedes djnouns et des sorciers.Mais, bon sang, qu’est-ce que je vois là-bas ?C’est ce foutu fquih, lesupervieux,lesorcier!Ilm’aencorejouéunsaletour,peut-être?Hé, vieux chien, tu viens un peu ? »Le supervieux ne semblait pas l’entendre. Il était adossé à unrocherbrillant.Ilégrenaitdescaillouxnoirs.Seslèvresremuaient.Levieilhommealladroitàlui,maisplusilavançaitetpluslefquihreculait;lesdistancessemblaientsedistendre.«Bonsang,seditlevieillard, jen’y arriverai jamais.C’est unmondede fous ! »Parfois, le supervieux lenarguait,grimaçant et bavant, s’arrachantmême la peau du visage et la retournant comme unmasque fripébarbouillédepeinturerouge.«Continuons,nousarriverons,hé,saleignorant,tuviensunpeu.»Satête parut éclater. Il ne perçut rien d’autre que cesmots : « Ignorant,moi, fils de pute ?Moi, unignorant?Tiens,prendscettebaffe!»Quandilrouvritlespaupières,lesupervieuxétaitau-dessusdelui,ledominantdetoutesataille.Levieilhommeétaitcouchésurlesolcaillouteux,uneseulegifleavait eu raisonde sa résistance.Le supervieux lui crachaitdessus, répétant sanscesse :« Ignorant,moi?»ethaletant.Levieilhommen’osaitpresqueplusleregarder.Au-dessusdelui,lesupervieuxparaissaitgigantesque,ilgrondaitets’agitaitcommeunvolcanentravail.«Ehbien!puisquetumetraitesd’ignorant,jevaisteconduirelàoùturéclamerasforcémentmonassistance.Tunet’entireraspascommeça,filsdetruie!Tuvasenbaversalement.»Levieilhommefitappelàtoutesavolontéet,quandilfutdenouveausursespieds,ilfrappasauvagementautourdelui,àl’aveuglette,envued’atteindre une bonne fois pour toutes le supervieux. Il ne rencontra que du vide car l’image dusupervieuxs’étaitaussitôtvolatilisée.«Iln’estdoncpaslà,seditlevieilhomme.Cen’étaitqu’unehallucination.Ah!jem’hallucineaussifacilementqu’unefemmehystérique!»«Non!Non,crétin,jesuislà!»Effectivement,lesupervieuxseretrouvaenfacedelui,maiscettefois,c’estluiquiruacontrelevieilhomme,lerenversantavecuneforceinouïe.Levieilhommese

relevapéniblement, lesbras tendus,mais iln’osaitplus s’enprendreau supervieuxqui,d’ailleurs,s’était déjà éloigné d’une dizaine de pas. « Ce n’est qu’une image, Bon Dieu ! Ce n’est qu’unevulgaireimage,serépétaitlevieilhomme.—Uneimage,monœil!Tutetrompesencore,enfantdechienne!»Effectivement, lesupervieuxn’avaitplus l’aird’une imagevaporeuse, ilvoyaitbiensamaigreur, ses rides et son bâton. Il était on ne peut plus vivant.Avec la pointe de ses sandales, ilretournaitdesmottesdeterre,soulevantainsidespetitsnuagesdepoussière.Etmaintenant,lorsqu’ilparlait,lesoreillesduvieilhommeetnonplussatêteentendaientclairementcequ’ildisait.Lesmotsne détonnaient plus dans son cerveau.C’étaient desmots ordinaires, des sons habituels.Lui-mêmeétait convaincu que sa voix était revenue. Il pouvait entendre tout ce qu’il disait. Cette sensationd’étouffementquil’avaitoppriméaudébutdesaquêtes’étaitdissipée.Ilsesentaitmêmeassezfortpourfaireconfianceausupervieux.«Hé,attends-moi,jetesuivraioùtuvoudras.—Tantmieux.Tevoilà raisonnable maintenant. » La réponse du supervieux prouvait qu’il n’avait vraiment rien àredouter. Quand il l’eut rejoint, ils se serrèrent longuement lamain, se congratulèrent comme devieuxamisetrirentde«cefâcheuxmalentendu»quiavaitfaillilesperdre.Lesupervieuxavaitl’airsûrdelui,maisunesourdeinquiétudeagitaitencorelevieilhommequi,lui,nesavaittoujourspasoùilsétaient.Cetteimmensitélourded’unelumièreblafardeetdorée,ceshorizonsfauvess’incrustantdansuneterredresséeverslecielcommedesmilliardsdegriffessanglantes,toutcelaneluidisaitrienquivaille.Iln’avaitpaspeur.Aucuneespèced’épouvantenepouvaitentamersonâmedurcieparlesmilleetunefoliesqui l’avaient jusqu’ici faitvivre, l’ayantparfoissoumiseà leurentendement,s’étantinstalléesenelleinfinitésimalementpournejamaisplusensortir;lui,levraivillageoisd’unmonde non découvert, d’un terreau en perpétuelle transmutation, jamais absous par l’Histoire deshommes récalcitrants, inquiétant ceuxqui ne les connaissaient pas et se détruisant littéralement.Lesupervieuxtapasurl’épauleduvieilhommeetdit:«Allonsbon!Jetemènelàoùjamaishommen’aété.Nonpasenenfer,nonplusauparadis,maisdansunetexturedifférente.Tuserascontent, tunevoudrasplusabandonnerlaviequiteseraofferte.»Levieilhommeosa,néanmoins,luidemanders’iln’avaitpassonmiroir.«Tonmiroir?Haha!Tun’asjamaiseudemiroir,monenfant.N’est-cepasmoiqui t’avaisdemandéde levoler?Ah !Petit criminel, sagouin,chenapan ! Je te le rendraiquandmême.Mais…maisavant,tudevrasvenirvivreunpeuaveclesfameuseshourisduLivre.Tuconnaîtrasainsi le reversdumondedeshommesetdeschoses, toutceque tuasabandonné,quoi !—Biensûrquejeviens!Jesuistoutàtoi,paradisdeshouris!Toutàtoi,Mâleincirconcis,Maîtredesmétamorphoses!Jeviens,oui,jetesuis.—Hahaha!Jesavaisbienquemonfils,enfantd’unetruieetd’unevieillefemelledeporc-épicviendraitavecmoi…Làlàlà!ollé!Alors…alorscommedisent si suavement certains gars de Radio-France, alors… alors, viens donc, entre dans cet autremonde!—Oui,j’yvais,j’yvais!»Lesupervieuxs’arrêtaunmoment,ditquelquesmotspuisruacontre un obstacle invisible. Aussitôt la fausse nature dans quoi ils tanguaient changea. Un autremonde,pleindemusiqueetdecouleurs fauves,apparut.Toutd’aborddescris très fluets,quelquesinsignifiantscriaillementscommesicetuniversn’étaitfaitquedepetitsettrèslentsdegrésallantd’unboutàl’autredecetteétendueorgueilleusementvouéeausuppliceduplaisir.Et,deprocheenproche,

unevoixquisematérialisaitdèsquelevoyageurpensaitous’imaginaitailleursquedansl’oublid’unmondeancienqui l’avaitpropulséhorsdesonTemps.Lesupervieuxet levieilhommemarchaientdansuneclairièreassourdissante,pleinedecouleursmerveilleuses,d’unelumièreindescriptibleetdedansesqu’ilsnepouvaientvoirmaisdont chaquebattement les frôlait les remplissantd’unegaietéinédite.«C’estl’entréeduparadis,crialesupervieux.—L’entréedequoi,demandalevieilhomme?Dequoi,bonsang?—Duparadis,répétalesupervieux,c’estl’entréeduparadis!»Maintenant,laclairière se transformait en une sorte de cour pavée d’or. Partout des giclements de fontaines àfacettes, partout des chants d’oiseaux-lyres, de paradisiers et autres volatiles.Des frous-frous, desjuponsdesoieglissantlesunssurlesautresenunesyncoped’archetsetdecordesusantlesquelquesStradivariusencorecachéssousterre.«Nousysommespresque,ditlesupervieux,entraînantavecluilevieilhomme.Oui,noussommesauparadis.Dureste,voici lecomptablesuprême.»Enfaced’eux,uncomptoiret,derrièrelezinc,unhomme haut et luminescent qui feuilletait un livre aux tranches dorées. Le supervieux le hélaamicalement,luidésignantdudoigtlevieilhommequilesuivait.L’êtreluminescenttapotasonlivreetdit :«J’aioubliélapage.»Lesupervieuxrépondit :«Iln’estpasencoremort,nousverronsçaplustard.— Je veux quand même savoir s’il a droit à une entrée gratuite, insista l’être luminescent. » Lesupervieux entraîna le vieil hommevers l’être luminescent qui feuilletait encore lemême livre, lelivredesBonnesActionsetdesMaléfices.Ilsortitdesapocheunh’rz(gris-gris)toutfroissé,ditunmotcabalistiqueetserralamainàl’Etre-de-Lumière.Aussitôtuneportes’ouvritderrièrel’Etre-de-Lumière d’où s’échappèrent quatre houris d’une beauté incomparable. Le vieil homme, abasourdi,tentad’ensaisiruneaupassagemaisunemaindeferl’enempêcha.Ilavaittellementmalqu’ilcrutqu’ildégueulaitlelaitdesamère.L’Etre-de-Lumièrefeuilletaencoresonlivreetdit:«Tun’espasencoremort, vieillard.Personnene sait cependantoù tu te trouves.Toncorps est toujoursdans levillageoùtuesné,commedansunebouteillepuisquedesattachescomplexest’yrattachent.Couchésurlapaillequiencombretacabanemaistonâmeettonnouveaucorps,entraindechanger,nondemuer…tonâmeet tonnouveaucorpssont là,présents,devantnotre tribunal.Jevoisque tune t’esjamais très bien conduit dans l’autre monde. Tu as assassiné, volé et menti. L’erreur que tu ascommiseenpremier,c’estlemensonge,toutétantrelatif!Maistuétaispauvre.C’estpourquoinoust’excusons.Tucrevaisde faim.Tonvillage estmaintenant sous la féruled’étrangers sanguinaires,mêmetonautrecorpsnepourraêtreépargnéparleursballes,ouleursbaïonnettes.Ilfautquenousdéployions une force sans précédent pour le sauver, sinon tu voletteras indéfiniment entre nouscommeuninsectesansbut.»Levieilhommen’osarienrépondre.C’est lesupervieuxquiditpourlui : «Cet être fragile n’a jamais agi par lui-même.C’estmoi qui l’ai toujoursmanipulé pour lecompteduGrand-Maître!Ilfautluipardonner,ilestnotreultimeinstrument!Ilnousamalgrétoutrapportélemiroirquevoici.(Lesupervieuxsortitdesapochelemiroirmagiqueetletenditàl’Etre-de-Lumièrequilepritentresesmainsets’ymira.)N’est-cedoncpasunexcellentagent?—Eneffet,nousdevonsluidonnerunavant-goûtdelavraievie.Emmène-le.»

Toutes les fleurs, tout leprintempsdusol,enbascommeenhaut, toutes lesplantesvuesdans leurvraie luxuriance, tous lesmots, les chants des bêtes dans les fourrés, des oiseauxdans le ciel, desinsectes entre les brindilles, toute l’eau dumonde ruisselant etmurmurant,musiquant à longueur,aptes ou inaptes à vous donner vie ailleurs, oui, tout cela est ici bien resurgi, vous tenant, vousaliénant au monde nouveau où vous posez pour la première fois vos pieds, vous y entraînantirrémédiablement. C’est dans un monde aussi dénué de honte que de raisons qu’ils entrèrent, lesupervieuxmenantpresquepar lamain levieilhomme.Autourd’eux,des trônes,desgaleries,destapissuspendusauxmursruisselantd’oretdepierresétincelantes,éclairantladisparitédeslieuxdemille feuxdecouleursdifférentes.Conduitset suivispardeshourisdont lescheveux lançaientdeséclairsjaunesetbleus,dontlespiedsnusglissaientsurlesmultiplestapisetlesdoruresduparquet,lesupervieux et le vieil homme dissimulaient mal la joie qui, petit à petit, emplissait leurscirconvolutions de petites bêtes insidieuses, gaies et brillantes. Ils étaient entrés làmême où leursmaîtresavaientétablileursuprématie.«Noussommespresquearrivés,ditlesupervieux,bientôtnousauronsunchâteaupournousdeux…etdeshourisàn’enplusvouloir…etaussipasmaldevinvieux,deviandesvariéesetdefruits.Dumielaussi,pardi,oui,nousenaurons!Oui,oui…maisilfaudralegagner, le miel. Nous verrons ça. Il faudra sans doute aussi chasser un peu mais sans arme. Pasd’arme ici, disent les grands ! Tout ce que tu désires peut t’être livré à condition que tu sachesl’obtenir.Onverra,filsde…hahaha!»Ilsentrèrentdansunevastesalleenformed’œuf.Partoutdestapis luxueux, des miroirs leur renvoyant leur chétive et triste image, ridée et crottée, chargéed’insignifiance. Ilssemordirent les lèvres, tentèrentdepleurer,puis ricanèrent,mais leurcorpsnechangeapoint.Unedeshourisquilesaccompagnaiententonnaunchantenvuedelesrajeunirmais,lànonplus,riennevint,ilsrestèrentaussivieuxetsénilesetridésqu’ilsétaient.Alorslevieilhommesemitencolère. Ilblasphémaunefoisdeplus :«Moiqui li fire laguireà l’isbagne,moi troudicou?L’itrebafourbourbibre,moi,lesinfas,disdonc?»Lesupervieuxsetintlescôtes,riantàs’endécrocherlesmâchoires.Toutesleshourisprésentess’esclaffèrent.«Babenquisqui j’iditmoi, lesbutes ? » Le supervieux s’écroula de rire. Jamais un être humain ne l’avait mis dans cet état dejubilationintense!Ildit:«Assezmonfils,assez!Ici,nousallonsjouir!»Etilpritentresesbraslevieilhommequ’ilentraînaversunechambreincrustée(ouexcavée?)danscettesalle.Carilsuffisait

de la connaître pour en comprendre le fonctionnement. Ils nemirent pas longtemps à y pénétrer.« Alors, ça te convient, enfant de…, dit le supervieux ?—Oui, oui », répondit le vieil homme,éberlué.Toutautourdelui,deschatoiementsetdessoierieslumineusescoulantl’unecontrel’autrecommedeseauxpures,cristallinesetsauvages;desmusiquesdoucesvouscaressantsubrepticement.Unénormelitoccupaitlefonddecettechambreet,toutaucentre,desdivans,desflippers,despianos,destablesdejeu,desinstrumentsdemusiqueetdesfigurinesdiverses.Auxmursétaientsuspenduesauboutde fils invisiblesdes flûtesetdes têtesd’hommessouriantdans l’ultime rotoù lamort lesavait surpris.Des têteshilaresetdes têtespenchéesphilosophantcommesur lescalamitéset lavied’untasd’insectesenunecontemplationmaladiveetidolâtre.Quelqueshourisbousculèrentlevieilhommetandisquelesupervieuxentonnaitunchantquejamaisoreillehumainen’ouït:«“Noussuruneterreétrangère?Nous?—Oui!Noussommessuruneterreenébullition!—Machère,toutestlàdanscesac,ouitoutyest.—Del’oraussisansdoute.—Oui.”L’enfant qui les accompagnait les reluquait avecméfiance.La jupe de la femmegondolait avec levent,sescilsgavésdudésespoirdumonde,hautperchés,satête,biensûrsatête!et ses cheveux lui semblaient très lointains, comme mus par une main invisiblement tapie dansl’ombre,danscesvieillesencoignuresoùlecrimepolitiqueseperpètre!Cettemêmeombre que l’enfant, les suivant obséquieusement commeun larbin, voyait fouiller sesnerfsetcloaquerdanssonsang!“NoussommesenEspagne,machère,ditl’homme.Noussommesenfinparvenusàlavraievacance,hein?—Oui.Biensûr,moncher.”Ilserraientsurune terre rougedénuéed’herbe,sanglante incommensurablement !Piquetéeçàet làd’arbustesetdebuissonsrêches!Au-dessusd’uncoursd’eauvert.Unpaysrouge.Etvoicilerêve,maintenant,lerêvequ’ilsvécurent:Aussiloinqueportaitmavue,lepaysagen’étaitqu’Elle.Elle,qui?Mafemme,pardi,pasautrechose,nisurtoutpasuneautre!Aussiloinqueportaitlesoufflequej’exhalais,cen’étaitvéritablementqu’Elle,sonvisage,soncorps!unefoisdeplusourdisparmoi,

oui,moi!lesoi-disantincorruptible!D’abord une sorte de gouffre. Puis un nuage fuligineux. Un immense palais. Des colonnades trèscanneléesquihurlaientparfoissouslacaresseduvent.Unmort?Oui,unmortqu’onembaumait!Quoi de plus simple en ce monde ? Un mort dont les rides mangeaient toutes les plantes qu’onemmêlaitalentouretquivousagressaientarrogamment.Onemmêlait,nonpasdesplantes,maislesangdesêtresfragilesqu’ilavaitvoulumettreautourdesapeaucommeunhabitordinaire, lesangdesêtreshumainsdontils’était toujoursbarbouilléenvued’échapperaufroidstérilisant,àlapluieorageuseetausilence.Ilsétaientlà,regardant,etnedisantrien, ce cadavre en train d’être embaumé. Va-et-vient de vieilles femmes, de jeunes filles etd’hommeschargéscommedesmulets.Unesallecommeça,onn’entrouvequedanslestempleslesplusnoirs, làoùl’hommelibre,s’ilyena, jamaisn’entre.Processions!Processions!Partoutdeslustres,deslumièresévanescentes.Dèsquetuentres,hop!touts’allume.Dèsquetuessayesdepenseràlafaçondontçasefait,hop!touts’éteint.Ettuesdansl’obscurité,dansunpalaisquoi!Plusloin,desjardins,unlacsanglédecoursd’eau,peut-êtreunemer…Ondevaitvoyager,moi, l’homme…Unefemme?Non!iln’yavaitavecnousquenous-mêmes.Desenginsici?Quin’avudesenginspareils!Hein,disunpeu?Fallait,pourtraversercetteeau,s’allumersoi-même!Sortirdesonâmequelque chose qui ne pouvait ni de près ni de loin ressembler à un bateau, mais à une bulletransparente, pas une bulle de savon, pas non plus une boule de cristal charlatanesque ! non !seulement son âme.Quelque chose de rond et d’à peu près aussi dur qu’un atome ! Et cette salle,enfin?Cettesalle.Lamèreétaitprésente.Unemère,pascellede tafemme,pas la tiennenonplus.Unefemmeàl’âgeindéterminé.Etaussiungrand-père,éclipséparlamère,quelqu’unquinepouvaitparler sans qu’on le vît gesticulant, un homme caché hors du temps, de cette latitude et cependantprésent,quelqu’unqui t’aimait.Et l’enfantavecsapetiteamie,oui l’enfant :undiamant, j’enai là,souslecouvertdelatable,tiens,onvatoutdéclouer.Oh!Yaplusrien!“C’esttonpère,ditlamaman,quiaemportélediamant.Ilfaittoujourscommecela.Faudraquejelerécupère!”Etenavantpourl’aventure!Enavant,hein!Onvavoyager,lesgars.Voyage,donc ! Ici et làdesmiroitements,deschosesvousattrapantmaisdontvousvousdétachezvite.Pasd’amourréel,pasdevraiesvisions,jamaisrien,jamaisqu’uneviecharnuepar-cipar-làsurlechemin.Untrainquenousaurionspris?Non,unebulletoutbonnement.Arbresverdâtres,presquebleussesecouantettremblantquandtupassesdessous,sedécharnantquandtuygrimpes.Femmesjoliespartout,hommesbandantaussi,chantant,s’arrangeantlamâchoireetlagorgeàforce.Jamaisn’aimantvéritablement,nedisantjamaisrienquinousretîntuneseconde!Maisici ou là, par tous les chemins et toutes les routes, l’image de l’homme qu’on embaumait aveceffusion,étalésuruneplaquedemarbre,pâleetpresquevivant,luil’ancientueur!Etnouslà,ouilà.Tuasvu?…

“Allons,dis-moisituasvu.—Biensûrquej’aivu.—Cecadavre.—Cen’estpasuncadavre.—Qu’est-cedonc,moncher?—Rien…peut-êtreunvivantirrémédiable.Unestatue,voilà.—Turis,cher.—Non,mafemme,jenerisjamais.”Et,encoreplusloin,unerivière.Peut-êtrel’Aguadalkévir,fleuverougiparl’encredeslivresarabessous le règne d’Isabelle !Nous tentons de traverser cette eau roulante.Nous traversons puis nousaboutissonsàunesortedevillahautperchée.Nousentronscommesinousyavions toujoursvécu.Immédiatement,autourdenous,seformentdesrangsdevaletsquinousescortentcérémonieusementjusque-làmême où (comment se fait-il ?) nous avions toujours eu l’habitude d’aller, jusqu’à cettegrandechambre,donc,oùétaientréunisd’autresgens:unemère,unenfantbienfagotéetunhommed’un certain âge.Nous sommes reçus comme si nousn’étions sortis de là quepourpeude temps.L’enfantnousmontraungrandlivrequirelataitlaPéripétiedelaTerre,unepierregemmeaussidecouleurverteoùnouspouvionsvoiretprévoir.Lamère,habilléecommel’étaientlesgrandesdamesdu17e siècle, dansait, un bras posé sur le bras du vieil homme.Ma femme etmoi, jeunes encore,étionsentraind’admirerjenesaisplusquelleimagedecelivrequenousavaitmisentrelesmainsl’enfant.Samèrepouvaitêtreespagnole.Elleétaitvieillemaisellesemblaittrèsjeune.Elledansaitetchantaitunevieillerengainegonfléedemotstendres.Çabrûlaitcommedufeu,commecebûcherquiemportalesCathares…

Jesuistonocéan,toi,DieunoirquidétraquesCecœurrouge-taureaucourantdanslesronciers.Moi,lavoiledeTarik,lahachecasséeiciParladentsauvaged’hommesincirconcis.

Et elle chantait comme ça tout le temps que dura le rêve, elle chantait, son fils nousmontrant lefameux livre, disantde temps en temps : “Mamère est véritablement la reinede cepays, voyez-latournersursestalons,voyez-lamaîtriserlemonde!”

…leursherseslesangetsescaillotslesglairesrieuses.Tuez-lestous!ilsnesontrienqu’uneombre!Ah!Tuez-moidoncceshères!…

Chantant, elle soulevait comme de la poussière, ses petits talons brisant le parquet de la chambreétroite maintenant que nous y avions mis notre monde à nous. Puis l’enfant nous mena vers unelonguetabled’ébènedontilsoulevaledessuspournousdonnerunerichesse.“Desdiamantsquemonpèreyavaitcachés”,avait-ildit.Quand il eut soulevé laplanchequi recouvrait la table, rien,maisrien,deuxtrousseulement,vides.Ilhurla:“Yaplusaucundiamant,mère!Oùsont-ilspassés?”Lamère répondit laconiquement : “Père, quand il est parti en Amérique, a tout emporté, fiston.”Confusion. Le fils s’excusant, moi ne m’accrochant plus aux diams, n’ayant jamais eu d’autrescintillementqueceluidemesyeux.Puisredépart.Versoùcettefois,mongars?»

(Jenepuistouttranscriresouspeined’êtremoi-mêmeradiédeceglobe.)Leshourischantèrentaussi,puis l’une d’elles prit le vieil homme sur ses épaules, courut vers le lit et le jeta dessus. Le vieilhommehurla,semorditlesdoigts,maislahouril’embrassasifortqueplusunsonnesortaitdesagorge.Elleluidit:«Lelaitdetamère,lelaitquetuasbu,celait-là,monvieux,luiserarendu.C’estnous,hourisquitedonneronslavraienourriture.»Levieilhommesentit sonmembredurcir.Toutesachair secontractait.Undésirviolent l’animait.Son corps devenait une braise ardente, s’agitant comme sous la poussée d’ondes électriquesmillénaires.Illuisemblaitquetoutesavies’étaitchangéeenunesempiternellecouléedelave.Lui,vieux cloporte résigné, pouvait à présent se contempler à loisir dans cette nouvelle nature : plantearborescentefleurieetseteignantdelumièresambiantes,buvantàmêmelatrompedespapillonslenectardel’Univers.(Oui,toutcequej’aitentéd’oublier,depassersoussilenceaffleuremaintenant.Tout,danscemonde,mesollicite.)

L’enfant,maintenantsansmaquillage,letrèsbelenfanttombaensyncopeetmourut.Aussitôt,toutledécordisparut.Apparurentdesrangéesd’arbres,desterresparmiquoiunhommejeune(lerêveur?)etunefemmesuivisdeprèsparungossedeseptansallaientversquoi?jenesais!Devisaient-ils,ça,mon grand, ça m’échappe ! La route entre les arbres, eux très petits marchant à n’en plus finir,cueillantçàetlàdesbrindillesturgescentesetdesfleurs…etdesrenonculessouventoubliéessurlepassage des ténèbres, hommes et femmes ne les ayant jamais que foulées, écrasées sous le talon,jamaisbien regardées…nedevisantpeut-êtrepasou seulement separlant, se fiant à leurombre…suivisparunepetiteformehumaine,ungossedeseptanssansdoute…leurombrequoi!Detempsentempslafemmes’arrête,sepenchesurunefleurqu’elleeffeuille,lacontemplantlongtemps,puisladécrivant,s’enfrottantlescils,lespommettes.Etl’homme?Rien.L’hommemarchait,unpointc’esttout.Ilerraitunefoisencore.

«Moi,vieuxgâteuxcommetudissibien,filsdudiable,moi,jet’enconteraiencore.»Levieilhommen’osapointl’interrompre.Etcommentl’eût-ilpu,luiquidevaitàcetancêtreétrangesasurvie?Ilnepouvaitquel’écouteretlesuivrepartout.«Oui,moi,vieuxgâteux,jetedisencoreunautrefaitàvenir.Voicidoncmonrêve,ami,pourquetusachescequ’iladviendradetonterroir.»

*

Dusudaunordtoutelamontagnetrembla,lepaysqu’onavaitditlionouHespéridesdanssesentraillesportaitledémondesguerresciviles!L’Espagne,derrièresespiques,agitaitletaureaufumant,piétinantlesbanderillesfichéessursondos.Ilhersaitlaterreetlamerd’unsangneuf.EtleRifbrandissaitlesfuseauxetletrident,lapoireàpoudre,lefusillongetlepoignard:touslesoiseauxforestiershouspillaientcesilenceetlamorgueduroiétabliensespalaisavecmilleprincessesetdixfutilités!Danslavilleleshommesnemeurentpas,ilsmarchentsurleurscorpstorduscommedesserpentsbrûlés;décharnées,lesmèresenceintesjetaientauciellesoripeauxd’uncorpsquifutchairettorrentellesformaientcercleautourdescharlatansserresauxdents,contusmaistrèsintègres.Chaquejourlerois’enfermaitdanssonaire,etnil’avionnilamuraillenilesangfraisassoiffantlavignemorteetlebléetlamitraille…leroigisaitlàdanssescoffresd’aciermortetparfoisgrimaçaitleplussouventtuaitavecdesmotssonpeupleourdiparledésastre!Riendeceroi-lànesortira,ditL’Iah!Lediable,énormeenceintede feuetdeprotons,surgitetdit :«Ceroim’incommodeetsupprimetoutelamajestéimpurequej’acquisendesbataillesincestueuses,jadis,trèsproféréesrenduesfortesparcetŒdipequifouleencorelavoixtortueuseduTemps.»Qu’allons-nousdoncfaire,ôfilsillégitime,deceroitorvecouchécommeungrandexcrémentsurnotreœilclairvoyantsurlecorpsdenosfils?LediableréponditàL’Iahquiestsonpère:

«Pourunefois,jeveuxêtredetonavis,roiducieletdesterrestorturéesetassassines,j’entendsqu’untelroimeureensespiètresdédales!Qu’illuiadviennedoncunerévolutionplussanglanteetplusdruequelacouronnesolaire!Quepartoutensesvillesonbrandissesestêtesd’hydreetqu’onfassedesestripeslescordessûresd’unarccapabledeprojetersonpeupleversunfuturqu’aucunautrepeupleneconnut.»EtDieutrèsclairvoyantettrèsdurderépondre:Tuserasexaucé,filsnoir;ceroiputrideautourdeluiverraseresserrerlesballesencorepleinesdufeuetdusangqu’ilavomissursonpeupleclémentsursonpeupleattentifauxaffresintentéesparmoicommeauxrupturesdontmonEspritsécrèteetconsumel’oraisonendesténèbresfroidesassoupiessousmonaisselle!«Est-cedoncmoiquidevraisprofiterdecedélire?ditlediable.Est-cemoiquiprendraisl’orduroi?»Non!non!horsdemavue,ôfilspirate!Jecommanderaisadestruction.Toi,filemaintenantetnereparaisplus!Etcefutditdanslaclartédessangstranchantleferquilesavaitdélivrésdeleurcorps.Maisvoicimaintenantlavilletellequ’elleest.

*

Allonsdoncenlavilleerratiqueoubliée,bercéeparlamerethantéed’azurpluriel.Lesfemmesvaquentàl’ordreetleshommesboiventlamort,fumentleparadisets’ensorcellenttantqueleurtêteàjamaisdisparaîtsousl’océan.Lesjeunesnevontplusàl’école,lesvieillardsdanslesorduresramassentquelquefestinmauditetpleind’opprobreinerteetquiattendaudétourd’unmuretassezhautpourtrancherlefoied’unefilletteoulaglotted’unvieuxchien.Toutelavillesetorddefaim:lepeuplecrèvesurlesdallesscellées!Pasunsceptrenenourritcesbouchesauxquellesonarrachelepain!Etvoicicequisepasseetvoicicequ’iladvientquandlesfilsdusoleiletdusolboiventmonsang!D’abordlesgenscommencèrentàdépecerleursvoisinschacunsetenantauxaguetssouslagargouille.Onsedévoraitavecdélectation.Onerraitparlesruespourtrouverquelqueosmielleux!Chienshumains,dites-moisivousêtesencoreforts?Simonespritetsiquelquefruitpassén’estpasrestéentraversdevosgorges?Lavillen’étaitplusquecarcassesd’hommesnoircisdeplomb,d’arbressculptéspartahaine,chienlubrique!

*

Etoncommençaàtoutcasser!lescabanesauxtoitsdetôleondulée,lesvoituresquipassaientparlà,les pompes à essence, les autobus électriques et les autobus àmazout, les villas étaient cernées decharsd’assautetpersonne,ouipersonnen’osait jamais s’enapprocher.Tout seconsumait.Lamerelle-même,hideusedetouttemps,avaitvomiceroimaléfique.Oui,toutelavilles’agitaitetgrondaitcommeunnuagededémons.

*

Etmoiquirevislà,danscetterue,passantcommeunautrepeut-être?Allant,voyant,écoutantl’unetl’autre.Tousdisant:«Nousnevoulonsplusdebougnoulesici!»Oui,c’estbiençaqu’ilshurlaient,lesmanifestants.Et, toutautourpleindechars,d’hommesarmésdegrenades,demitraillettesetdeflingues assortis. Nous étions à Casablanca, moi, mon frère, ma femme et mon enfant, là, sur letrottoir ;àcôté,deshommesgénéreux,deshommesbonsquidésarmaient leurfusil,enlevaient lescartouchesetlesjetaientaussitôtdanslabouchedeségouts.Maisdevantnoustoujoursdéfilaientcesautreshommesquidisaient:«Nousnevoulonsplusdebougnoulescheznous!»J’avaispeurmaisjerigolais.Lesmanifestantsétaientdesbougnoules,desArabesquoi !unmélangeenfinde toutes lesracesayantgîtéauMaghreb…etceuxquilesregardaientdéfilerétaientpareils.Descoupsdefeu,detemps en temps, trouaient cette haine lourde.Deuxmorts,m’a-t-on dit, ont illustré cette journée…Moi,dansmonrêve,oùétais-je?Je laissai làmonfrère, toujoursvivantaveccesmonstreset,mafemmeetmonenfantpartis,commen’ayantjamaisexistéetjamaisfaitfonctionnermonrêve,jemeretrouvaiillicodansunerueobscure,undecesguets-apensqu’onnetrouvequedanscertainsvillesduterroirnatal.J’airegardéàgaucheetàdroite,puisj’aifiléjusqu’aufonddelarueauboutdequoijepoussaiun lourdportaildonnant lieuaussitôtàuncouloirsombreque jeparcourus.Auboutducouloir, deux escaliers. Je pris le premier non pourmontermais pour descendre.A la fin, jemeretrouvaidevantunguichetnongrillagéoùsetenaitunpetitBerbère,jeunefrèred’unamiélevéàlafoisparmoi-mêmeetparmonpère.Ilmedit:«Tespapiers?—Lesvoilà,ilsnesontplusvalides.—Ah!Ah!»Puisillescontemplaplusqu’ilneleslut.«Ah!Ah!Oui,oui,jeteremets,toi,jediscarj’avaisunpeupeur.—Ah!bon.Tuesdoncenrègle.File,jeneveuxpasqu’ilt’arrivemalheurici.»Jefilai.Dansl’escalier,parcequejevoulaisfuirrapidement,toutchangea.Cen’étaitplus,eneffet,unbâtiment anonyme où j’étais malencontreusement entré, mais la maison même de mon père.L’escalierétaitceluiquimenaitànotreterrasse.Unsoldat,mecroisant,battitdescilseffrontémentetsortit de la pochekaki de sonmanteauunpistolet pourme tirer dessus. J’esquivai, le narguant, jel’insultai enfin carrément pendant qu’il continuait de descendre. Il vida surmoi tout son chargeurmaispasuneballenem’atteignit.

Redevenuenfant,Paetmoiétionsentraind’attendrelebuspouralleràl’école.Lecielétaitmoite,laterregraillonneuseetéparse,sedétachantpar-cipar-làenlambeaux…etleshommes,lesfemmes,lesanimaux,chiens,chats,chevauxtractant lescarrioles, tout, ici,préfigurait lafindumonde.Commel’autobus tardait àvenir etquenous levoyions tourner au loin, làoù il n’aurait jamaisdûpasser,allantversdesruesetdesplacesqu’iln’auraitjamaisdûemprunterparcequeportantensonno8unautreitinéraire,nousavonsdécidéd’allertoutdroitensensinversepourpassermonexamenàtemps.Unexamendepassagecommetouslesautres.Etnousyallâmes.Monpères’estévaporéencoursderoute,moi restant là, seul,dans lebâtimentmêmeoùdevaitavoir lieuce fameuxexamen.Entré làdepuis longtemps,courant,metrompantdeporteàchaquecoup,qu’est-cequejevois?Despiècesvastes,descouloirslongs,dessallesvertigineuses,àl’infiniunevraierampe.Partouttravaillaientdesmenuisiers,partout ronflait lascieélectrique. Jehululai (unhommenepeut-ilpasdevenir l’oiseauqu’ilaaimé?)etc’estàcemoment-làqu’unchienrouxsortitdufondd’uncouloiretvintmeprendreparlebrasdroit,metraînantsansaboyer,nedisantstrictementrientantquejen’avaispasmanifestémavolonté.Moi:Excusez-moi,jesuisencorepetit.Veuillezmediresicelanevousdérangepasdelâcherunpeumonbras.LeChien:Non!(Etilmesouriait,oui,cechien-làsouriait.)Jen’enaipasledroit.Moi:Jesuisvenupourl’examen.LeChien:(Ilritouplutôtsouritsansexhibersesdents.)Iln’auralieuquelasemaineprochaine.Onvousaeus.Moi:Commentcela?Onnousaeus…Jamais.Jamais.Lechienmetenaittoujoursparlebrasdroitetmetraînait.LeChien:Etcomment!Etcomment!Ilavaitunevoixéraillée,ilétaitrouxetsouriaitdèsqu’onluidemandaitquelquechoseouluiposaitunequestion.Cependant, ilmetraînait toujours,moi,petitenfantperdulàpourunesorted’examenquin’avaitpaseulieu…

Chezlui,danssonpays,lesfemmesfaisaienttout.Ellespoussaientl’arairetiréeparl’âneoulavache,allaientchercher l’eaudansdespuitsdisséminésdans lavallée, irriguaientàforcedehanetholespotagers,trayaientlesbrebis,lavacheetleschèvres,barattaientlelait,cuisinaientets’étendaientlanuitsexeouvertaumariouàl’hommedepassage…surdesherbesoudescouverturesenpoilsdedromadaire;leurcorpss’effritait,allantvenants’empoisonnantetnedemandantjamaisrienaumâleatrocequilescouvrait…Ainsilepaysdontilnefaisaitpluspartie!S’ensouvient-ilencore?Peut-êtrepas.Entoutcas,lerevoicivivantailleurs.

J’aivuDieu…Ou leDiable? Ils se ressemblaient, ilsavaient lamême tête, lemêmephysique, lesmêmes manières. La promesse qu’ils m’avaient faite avant que j’entre dans ce monde inepte necorrespondguèreàcequej’ytrouve.Ilétaitditqu’avecmonseulmiroir,laviesuavecouleraitdansmesrides.Etilsm’yontpoussévoicicomment:Ah!jedevaissûrementenappeleràlamortencetemps-là ! D’abord j’ai vu une falaise très haute lacérée par des lacets d’eau brunâtre depuislongtempsdisparue,puisaupieddelafalaiseuneroueentièrementfaiteavecdupaind’orge…etj’aiagitémeslèvresoumesdoigts,jenesaisplus…disantàmonfilsquiveillaittoutprèsdemoimoncorps déjà flétri : « Prends cette grosse galette, elle est à toi ! »Mes petits-enfants étaient là, lesfemmes aussi.Mon fils, qui ne comprenait jamais rien aux choses autres que les menusmots ducommerce, fermamespaupièresetpleuraunpeupendantquema filleunique, sa sœur, sanglotait,dans lamaison et s’arrachait les cheveux…Dieu était à côté de moi debout sur mon corps maisinvisiblepourtoutautrequemoi-même.

*

Nil’unnil’autrenem’onttuépuisquejemesuisretrouvéiciparinadvertance…assissurletertredevantquoi ils seprosternaient,mebénissant et effaçantdemavie tous lespéchés,même lesplusacerbes. Longtemps je voyais ces hommes vêtus de blanc s’incliner et, longtemps, je planais au-dessusd’euxenvuedefaireentendrelescrisdemonâmequeblessaientlesailesdescorbeauxetdesbuses.Quandjemerasseyaissurlerenflementdematombe,l’œildufquih,quidisaitlaprièredesmorts,dardaitversmoi les racinesdes terresdélétères, tâchantdepulvériser l’âme immortellequimereste.Et lorsque les fossoyeursentassaientsurmoncadavre lespierreset lesablegrossierdesrivières,deslarmesetdesgouttelettesdesangroulaientsurleursjouestandisqu’auciel,montésurun dromadaire têtu, moi dont il n’existait plus qu’un effroyable nom, je m’amenuisais avecpatience… Insaisissable pourtant… toujours errant sur les créneaux, par les gargouilles, dormantparmi leurs femmes, respirant fortement les effluves de ma putréfaction… debout sur le tertre,charognard invisible lesmenaçant !On lavamoncorps l’ayant d’abord frotté avecdes feuilles debasilic,desbrindillesdethymvertetdespétalesderoses.Ilsavaientfaitbouillirl’eaudupuitsdansunénormechaudron.Lafumée,lesescarbilles,lagrandelouchequ’agitaitunenfantguèreplusâgé

quemonpetit-fils,latoitureplate,labraiseetlesvieillardsdemaconnaissancequisurveillaientlesgestesdeslaveurs,toutcela,jel’aivu.Jepeuxmêmedécrirelamosquée,moidéjàmort.Maisellen’a plus lieu d’être maintenant que je disparais avec aisance, retenu ici seulement par des liensinavouables.Attaché àmamèremorte avantmoi et enterréedans ce cimetière.C’est peut-être ellequ’ils pleurent et c’est pour elle qu’ils amoncellent un tas d’épineux sur ma tombe : débrisd’arganiersfoudroyésoulaissésenplanpardesbûcheronnespressées,monceauxdejujubiersportéslàpardesnègresquim’avaienttaillédessandalesdansdespneusetducuirrouge!LesmêmesquivivaientlàetquiretournaientlaterreengrossesmottessèchesavecdespiochesquivenaientduNorddansdes caissesdeboisoudes cartons solidement arrimés au toit des carsdesM’Zali.Dèsqu’ilseurent fini de sangloter sur mon enterrement, onm’arracha au tertre… et tous s’en furent ! Puisquelqu’unmeretiraledroitàlaparole,cepourquoijenesauraiplusvousparlerdirectement.Vousnemeverrezplusqu’agi,manipuléparuneactivitéquej’ignore.

Qu’est-cequejefaislà?Quim’yajeté?Hein?Hein?(Ilsecramponneàunmurhumide,glissant;duplusprofonddesoimonteuneclameuraiguëcommeuntourbillondemoustiquesqu’ilessaieenvaindedisperseravecsesseulesmains.Laville,savilleàluicommenceàtanguermaintenant;elleéclate, pourpre, et cingle les derniers oiseaux qui se posent encore sur la crête des vaguesméditerranéennes;unemouettevoleau-dessusdesatêtepuiss’arrêted’uncoupcrachantverslecielplusieurséclairsviolets…)Hein!Mais,BonDieu!BonDieu!dis-moicequej’ai!(«C’estlevillagequiluifaittournerlatête,àprésent,disaitlavieillerombièrequitenaittoujoursunrasoird’unemainet un bouquet de basilic de l’autre. Il n’a pas encore compris que les ancêtres sont réduits à leurproprepourriture,pauvregarsva!déshabille-toietva-t’en!»)Hé!encoreune,laseule,encoreunedernière pipe ! (Le jeune éphèbe avait des allures paniques, plus il se rapprochait de lui et plus ill’embrassait,l’annihilait;latableelle-mêmebougeaitcommeunbouchonsurl’eau,tressautait.Ilnesavait plus quoi lui dire, il hurlait, c’est tout. Le jeune éphèbe qui n’était en réalité qu’un petitnégrilloncadavériquesepromenaitdevantlui,unebrosseàlamainetunebouteilled’eaudeColognesous son aisselle.) Encore une pipe ! Veux-tu que je crève ou quoi ? (Son père, sec et noueux,crachantsansarrêt,lebattant,unpiedsurleventremoudesamère,uncactusentresesdents,c’estçasonpère.Nonnonnon;lessauterelles,ah!cettepetitesauterellejaune,jelasauteraibien,hé,elleesttellementsauteuse!)Laprison!Laprison!Quelleprison,BonDieu?Nousnesommespasenprisonici!(Iln’yavaitplusquesonpèredanslamosquée.Sonpèreégrenaitunchapeletnoirfaitdepetitesboulettes de crottes de chameau. Le chameau est un animal chéri par le Prophète. Les chameauxmangentlesfeuillesdefiguiermaispersonneneleurfaitrien,moisi,j’aimangéduchameau!J’aitué ces bêtes-là.Cene sont pas des chameauxmais des dromadaires, ils n’ont qu’une seule bosse,hein?Cesontdoncdesdromadaires.Lestaxisdudésert.Increvables,jevousdis.Tagueule,jedis,moi.)Lavieilleprisonhistoriquesurunîlotdansleportd’Essaouira!Icis’agitentets’entrechoquentdeschaînesluisantes,parfoiscouvertesdesang,ici…Lesdeuxfrères,undesfrèressurvivantaprèslamortdesonfrère,attachéàluiquipourrissait,liéàsadécompositionorganique.Fallait qu’unmessager obtienne du roi qu’on le détache, un ordre quoi, c’est un ordre !Ah !Lesrois !Quinze jours !C’estquinze joursque je…Je tue les jours, jeveux leseffaceretmoiavec !M’effacer,n’êtreplusqu’unepetite touffedecheveuxgris,moi leBerbère, lesalechleuh!Onme

promenaitdansun large tuyau, àplatventre,on truquaitmescellules,onm’envoyait chercherdespoux d’homme au fond de l’océan !Les deux frères pourrissaient ensemble, l’un vivant et l’autremort,calamiteux!Encoreuneblagueduroiconfortablementcouchéensonpalais,non?Toutétaitfaux,lesfquihsbafouillaient,lesfemmesouvraienthautleursjambesousemettaientàquatrepattescommeleschèvres.Pauvresfemmes,jevousinterdisceplaisir-là.(Lemurluiblessaitlesdoigts,ilsaignait.Unmurfaitavecdeslamesderasoir,unvieuxmurcertesmaisunmurassassin.Chaquefoisqu’ilessayaitdes’yaccrocher,uneaspéritétranchantel’entamait,toutesapeaus’enallaitenlambeauxsanguinolents;ilrisquaitlamortàsecomporterindéfinimentdecette façon.Lamort?Monœil ! Je suisdéjàmort,mesosparlent,c’esteuxquivousnarguentmaintenant!)Etqu’as-tufaitd’autre,répète,maisnenouspoussepasàladernièreextrémité!(Seulungargouillissortdesestripes.Ilavaitdéjàunpeudesang,ils’estdéjàunpeuvidédesasubstancemaissoncerveau,bienqu’embrouilléparlecomportementsinistreetl’enthousiasmesadiquedesestortionnaires,continueàfonctionner.Unepetitelumière,unpetitrienypalpitaitencore.Ilnepouvaitpas être déjà mort, non ! De temps en temps il estampillait quelqu’un, le trouait même, il lepoinçonnaitcommeceticketdemétro,ceboutdecartonjaunequ’ilavaitjadisfroisséàParis.Paris?Maisqu’est-cequeçavientfoutreici,entrecesmurstranchants?)Alors,charogne,tuveuxparlerounon?(Soncorpsn’existaitplus,ilsavaientdûpeut-êtrelepiqueravantdeluiadministrercetteracléedanslarue.Oualorsc’estundecesloufiatsindicsquiavaitdroguésabièrehabituelle.Ensuite…Ilne pouvait pas prévoir que les flics du roi allaient le prendre de cette façon. Ah non ! Il étaitquelqu’un,lui,pasunpauvrebougnoulequ’oncravatefacilementetqu’onbourredecoupsdebotte.Luiétaitfilsdebourgeois,instruitettoutlebrinzinguequoi!Ilsdevaientnécessairementprendredesgants avec lui, faire une petite courbette avant de l’épingler. Pourquoi cette humiliation, hein !pourquoi ne l’ont-ils pas carrément salué, lui l’intellectuel, enfant de bourgeois, petit-fils debraconnier-tanneur?Toutcelaledépassait.)Ilneveutriendire.Onl’apeut-êtreunpeutropsonné.Ces chiffes-là ne peuvent pas résister longtemps à la torture. Ça te grimpe au culmais ça ne saitmêmepassentirlamerde!Ademain,lespotes!(Sestortionnaires.Desintellectuelscommeluipeut-être…oudesBédouins,desaroubiasquoi!)Aboire!(Lemurseraidissait,s’élonguaitpuisjaillissaitcommeunelamedecouteau,s’enallaittoutseulau loinpapillonnant, tombantpresqueen ruine !Ah !LaVieillePrison !Lesdeux frèresmescopains!Descopainsmoncul!)Aboire!(Ils’agitaitsurunepaillasseimmonde,sesdéjectionstoutprèsdelui.Lacellulepuait.Unratleregardaitd’unœiltorve,illenarguaitconstamment,cerat.Maiscen’étaitqu’unephotoduroifixéeaumur,unephototailladéeavecdeslamesGillette.Aquoiilsecramponnaitcommeundingue,ayantpresquevomisamémoirerébarbative.)

Jeune,jepusfuirmafamille.Jeparcourusdeskilomètres,jemeréfugiaidansdesgrottes,deshuttesdésertes,destasdefumier.Autourdemoi,despaysans,deschaumièresparfoisbrûlant,l’été,lorsquel’autocarallaitverslesud.Touteslesplainesprécipitaientleursolcontreunfeucinglant,sanglaientmon regard de fumée, m’horripilaient. Ici, point de ça, nous nous cotoyons uniquement, n’ayantd’autresattachesquecequenousavonsbienvouluinstituerentrenous.Villesurplombantledétroit,internationaledepuistoujours,prostituée.C’estlàquejevis,hèreinamovible,m’épouillant,malade,neregimbantjamais.Nousdénatureronslapetitehistoire,remonteronsloindanslesarcanes.Aucunphiltre, aucun poison n’a eu cours ici. S’il s’agissait de brûler nos cerveaux, on n’eût point qu’àdénoncer, sinon à suer dans le ruisseau, bavant comme l’eau fluctuante des rigoles. Et que suis-jedonc?Rien,riendutout,jevousdis.Songrand-pèreétaitunnotableduvillage.Sagrand-mère,lafilled’ungrandthéologiendescendantd’Ibn-Toumert. Son grand-père lui vouait une affection sans partage que d’aucuns interprétaientfaussementdisantquel’aïeulétaitfaibleetgâteux.Sagrand-mèrevécutlongtempsaprèslamortdesongrand-pèreetconnutlarépudiationdesamère.Elleassistaauforagedespuitsquesonpèreavaitordonné,ellevécutmêmeàCasa,côteàcôteaveclui.Ellenel’insultajamais,jamaisellenefutpourlui une barrière. Quand elle mourut, il ne pleura pas. Elle était tombée d’une terrasse, elle avaitquatre-vingt-quinzeans, c’estmaintenant et toujoursqu’il vit avecelle et la comprend.Songrand-pèretressaitdescordesavecdesfeuillesdepalmierbattuessurunerochelisse,fabriquaitdespaniers,forgeaitdesfaucilles,buvaitpasmaldecaféqu’ilpartageaitaveclui,n’allaitàlamosquéequepourréprimander le fquih quand il le battait. Sa grand-mère cultivait, loin de la maison, des légumesvariés, l’emmenait avec elle voir les jeunes pousses et les arbres fruitiers. Sa mère et une autrefemme tiraient l’eau du puits avec une adresse stupéfiante, jamais ne s’essoufflaient, jamais neglissaient mais elles ruisselaient dès qu’elles avaient achevé leur besogne et cependant ellesl’embrassaient,lecajolaient.

Ilsontdénoncé,nousontmissurlagrenaille.Jevaisquandmêmetouslesmatinsfaireuntour,medégourdir les jambes, arracher çà et làdesmoules, loin, très loindu sablede laplage.Parfois, jetombedansuntroucreuséparlesmorveux,jemeramassevitefait,puisjerepars.Jenemebaignepresquejamais,lamerétantrudeetmeschairsavachies.Cen’estpasquej’ensoisincapable,non.Jepeuxmebaigner,marcher sinoncourirmalgréma sclérose, jepeuxmêmegagnerun centmètresavecmonbâton.Jesaute,dégringoleetregrimpe.Surquoi?Surmoi,hein!Jen’aipasoubliémacarrièreguerrière,pasencoreentoutcas.J’aicombattulesJaunes,onm’amêmeoffertunfusilneufet une épicerie, mais j’ai continué à tirer, visant l’ennemi, l’abattant sans gaspiller mes balles.L’ennemi, c’était celui dont la maison se trouvait sur l’autre versant du torrent, à trois centsenjambéesdelamienne.Nousnousbattionslanuitquandtoutétaitéteint, jepouvais tuerquandonservait le thésurunplateaud’argentoudecuivreautourdequoibrillaientdes tisons.J’aiépargnémes ennemis. J’ai bien fait sans doute.La vallée, le souk, les connaissances et le fquih dont on sedéfie.Onhaïssaittout,ycomprislesmursdesamaison.Pastous,jenelesaipastousépargnés.Ilabienfalluquej’ensacrifiequelques-uns.Ontiraitdanslanuit.Lesballesperdues,voussavez…Magrand-mèredisaitqueçaricochaitsurlesrochessiliceusessurquoil’onbattaitl’orge.C’étaitbeau,jemesouviendraideçaplus tard.Oui, jevisdepuisplusdequaranteansdanscettevilleportuaire.J’ai toutcequ’ilfautcommeargent.Jenetravailleplus.Cesontmesfilsqui tiennentenmainmesaffaires. Font quoi, au juste ? Je ne sais plus, ça ne m’intéresse pas. Comme tout le monde doitbouffer,ilsnevendentpeut-êtrequedesboîtesdeconservesoudesoranges.Jenesaispas,moi.LaplagedeTangerestsibellequejelaconfondssouventavecleSahara.Ilyabeaucoupd’eausaléeici.Etdesosde seiches. Il y a aussi, de loin en loin,quelques fillesnues,mais jene regardeplus lesfemmes,ilyabienlongtempsquejem’ensuisdétourné.Quandjepasseàcôtéd’elles,j’égrènemonchapelet et je dis un verset. Le Coran m’a toujours été d’un grand secours. Il ne m’a jamaisabandonné, jamaisnargué,mêmedans lesommeil.Certainshommesquinevontà lamosquéequepourhuerDieum’envientsournoisement.Ilssontsurchargésdepéchés.Ilssegrattentlanuitcommesidesmilliardsdefourmisserepaissaientdeleurcorps.Ilestévidentqu’ilsdoiventrendrecompteàDieuet auxdjnounsdecheznous. J’ai épouséplusieurs femmes, c’estpourquoi jenevaisplusaubordel.Sisi, j’yvaisencorequandjebande.Maisjepréfèrerôderseullelongdelacôte.Mesfils

s’occupentdetout,dequoidéjà?Ilsm’écoutent,mespetits,lesoir,assistousensembleautourd’unplateauàthé.

Leurmère estmorte. Je l’avais achetée à sonpère alors qu’elle n’excédait guère treize ans. Je luiavaisdonnévingtchèvres, troisboucs,unâne,deuxcaissesdepainsdesucre,un lopinde terreetquelques autres babioles.Une sorte de troc, quoi ! J’y avais gagné, je gagne toujours.Elle était sibellequej’aidûpayerleCaïdpourmettreentauleceuxquil’importunaient.Quandjevoyageais,masœur la surveillait et mon frère bastonnait quiconque l’approchait. Je l’ai vêtue le soir de notremariaged’unhaïkblancbrodédesoierouge,puisjel’ailonguementobservéeavantdelaprendre.Unematroneassistaitaudépucelage.C’estellequil’alavéeetconsoléeenfrictionnantsesjouesetsonpubisqu’elleavaitointsd’essencesrares.C’estégalementellequiexhibaledrapsouillé,preuvequej’avaisfaitmondevoirnuptial.Puis-jediremaintenantquejel’aiaimée,moiquineconnaisriend’autrequelacopulation?Elleestmorteunaprès-midietj’aidûl’enterrerhâtivementavantlecridelachouetteetlepremierjappementduchacal.Ellen’aeudroitqu’àsadernièretoiletteetàuneprièreaucimetière.Commelefquihétaitabsent,cefutunnovicequi invoquaDieuetsonprophète.Jenepeuxvraimentpasaffirmerquejelaregrette.Sisi,detempsentempsjelarevoisnuesurmonlitdenoces,tremblantunpeu,mesouriantcraintivement.Parfoismême,dansmesrêves,jelapossède.Ellenes’estpasencoretoutàfaitestompée,pasencore,malgrélesfemmesquiontcomblémavie.Ellesneseressemblaientpas.Certainesétaientplusbestialesqued’autres.Ellessedétestaient toutes.Desnuitsentières,jeleurimposaisdesefrotterleslèvresduvagin,leclitoris,deselécheràtourderôle.Elle obtenaient ainsi un orgasme jaillissant, gémissaient, me mettaient en branle. Je ne lesabandonnaisquelorsquej’avaisflétrileurcroupe.Jemeprenaisalorspourunlionenlevantd’assautune forteressedeviandecrue,pasuneéchoppedebouchermaisunabattoir enpleinair au-dessusduqueltournoientdescorbeauxenquêted’entraillesfraîches.Unabattoirdesoukentourédemursdepisécrevésdemeurtrièresoùnichent lesmoineauxet leshirondelles.Baignantdans le sanget lesexcréments des bêtes, s’agitant, fleurant des effluves d’épices, coiffé de cris, de claquements defouets, un abattoir du Sud, parmi la poussière ocre, les turbans blancs et bleus et les pétarades decamions déglingués, d’autocars crasseux couverts de vomissures, presque rouillés, soulevantderrièreeuxdesnuagespoudreux,pratiquantdanslacontréedestrouéespareillesauxcheminéesduNord,enveloppanttoutechosesouslesdécombresd’unevilleprisedanslestenaillesd’unemontagnenimbéedeneigeetd’auréolessolaires.

Je ne leur dis plus rien, je les laisse faire ce qu’ils veulent pourvu qu’ils fassent fructifier mesrichesses.Malheuràeuxsimesboutiquespériclitent!Iln’enserarien,ilssontplusrapacesquemoi,ils ont connu le chiffon, toutes les corvéespossibles, ils savent la valeurde l’argent quoiqu’ils nesoientjamaisallésàl’école.Seulelaviedurequejeleuraidestinéeapulesrendreprudentsetrusés,efficacesetdéfiants.Ilstiennentdeleurmèrel’obéissanceetlerespectdesancêtres,nevontjamaisaucafé,jamaisnefument,maispourcequiestdesvicessexuels,ilsmedoiventabsolumenttoutetjenerouspètepas,puisquemêmeàmonâgejemedisperseencoreenmaintesaventures.Ils’enestsouventfalludepeuquejenemeretrouveenprisonàcausedecesexcès.J’aimêmefailliunefoisrecevoiruncoupdepoignarddansledos,ayanteumailleàpartiravecunmaquereauauquelj’avaisenlevélafillequilefaisaitvivre.Jel’aipayégrassementpuisjel’aifaitdescendre,n’ayantaucuneconfianceencesépavesprêtesàvouségorger.Soncorpsaétéimmergéaulargedecetteville.Meshommesdemainl’ontd’abordcoulédansdubéton.Personnenes’estinquiétédesadisparitionetpersonneneleretrouverajamaispuisqueentreTangeretl’Espagnelameraquatremillemètresdeprofondeur.Vadonc y nager, plonge donc, petit inspecteur de mes deux ! Oui, personne ne s’est inquiété de sadisparition.Aucontraire, tout lemondes’enest réjoui.Les flicseux-mêmesont finiparmebénir.Commecertainsd’entreeuxtravaillaientpourmoietqueleurschefss’empiffraientàmatable,onn’apuquemeféliciter.Detempsentemps,biensûr,jeleurouvreuncompteenbanquequelquepart.J’aitoujourssumefrayerunchemindans l’administration.C’estpourquoi jenecrainsplusrien.Jeneseraispasdevenucequejesuissijen’avaispasenferméquelqueshommesclésdansmapoigne.Mapoignequi s’ouvreet les laisseéchappermaintenant.Mes filsont sansdoutepris la relève. Jen’aiplusbesoinderien,jeprietoutjuste,j’achètedetempsàautreuntapisneufquej’emporteroulésousmonaissellejusqu’àlamosquéepourm’accroupirdessus,carlesnattessontvieilles,rugueuses,ellesmeblessentlesgenouxetlefront,jenepeuxpasconstammentmefrotteràelles.Oui,endépitdemesrebuffadesetdemeserrements,jesuiscroyant.Dieumepardonnequisaitquej’aifaitplusieursfoislepèlerinageàLaMecque.J’ailaissélà-basplusdedixmillions.Ah!lesangdumoutonégorgésurlesable.LeSacrificed’Abraham!LaPierrenoire incrustéedenosDestins !LemontArafatoù leProphètereçutlespréceptes!Quandjemerappelletoutcela,jevaism’asseoirenfaced’unevasque,lesyeuxferméset la têteentre les jambes.Passur laplage,non, laplagepullulede touristesetde

femmesindécentes.Lareligionn’estpasunbordel,pasunerécompense.C’estlerefugedel’hommeharassé, écœuré de la vie terrestre. Le refuge de l’homme roussi, à l’âme empoisonnée ! Ah !LaMecque !Lamultituded’hommeset devieilles femmes seprécipitant sur les reliques, courant,tombant,suant,hurlant!Seménageantlà-hautuneretraitesereine:hourisouéphèbesselonlesgoûtsdechacun,fleuvesdemieletdebeurrerancecoulantdansdesvalléesluxuriantes,ondesdefrissonssurleurpeau,oiseauxdiversquichantentinlassablementsurdesbrancheslumineuses,flûtes,dansesdiurnesetnocturnesbattantdansdessymphoniesd’angespourunefoismuésenserviteurszélés.Et,enfaced’eux, l’Eternitérayonnantsansriencorrompre,oùl’onnepeutsedivertirpuisqueaucunemailleoufiletn’ysonttendus.JesuistoujoursrevenudeLaMecqueavecunevaguesatisfactiondanslecœur,l’espritdéchargédetoutechoseetlesosreposés.Maiscettefois,cettefois-cij’aipeur,j’aipeurd’yalleretdenepluspouvoirrevenir.D’aucunsm’ontdécritlafindecertainspèlerins.Ilparaîtqu’ilssontmortssurl’aireentourantlaKaâba,foulésauxpiedsparceux-làmêmesquicouraientversDieusansvergogne,croyantainsiselaverdesstigmatesdelaterre.Oui,jetremble,bienquemourirlà-baséquivailleausalut.J’irai?Non!Jeverrai.J’enparleraiautourdemoi.Tiens,leMuftipourrapeut-êtremeguidermoyennanttroisouquatrebilletsdebanque.Jesensdéjàqu’ilnerésisterapasàmonoffre.Ohnon!personnen’ajamaisrésistéaurefletdel’or,auxfruitsimmédiatsdusoletdelachair.Jetenteraidoncmachanceoujecrèveraiici-même,assuréd’avoirunebonnesépulturedanslecimetièredemonvillage.Moncorpsnourriralestouffesdethym,lesroncesetlesortiesblanches.Onviendramevisitertouslesvendredissansrienportersurmatombe.J’auraiunefoispourtouteslapaixque j’ai tantdésirée, lesommeilquim’a toujours trahinemequitteraplus.Etpeut-êtrequ’aujour du Jugement je reparaîtrai sur le terreau comme une pousse d’orge ou un rébus tel que j’endessinaissurlaportedenotremaisonavecunmorceaudecharbon,sansautreviequeleslignesquilesoutiennentparallèlementauchambranle,couvertpar-cipar-làdechiuresdemouchesetdetoilesd’araignéesquejedécrochaispourenextraireuncoconpleind’œufsjaunes;unrébussansautrevieque sa présence démembrée par le battement de l’air cuivré quand volettent et tombent entremespiedsdessauterellesquelesfemmesenfilentdansdelonguesépinesdepalmier-dattier.

Unorage.Seulunorageaccompagnéd’éclairsavaitpu ledistraire. Il acasséunpotdemoutarde,encoreun.Onlesermonne,lefrappe.Ilrechigne.Onluisouritparcequelesclientssontlà.Cesoir,hein!cesoirtuverras!Sonpatrongrincedesdents,montresesmolairesd’or,sesgencivesavariées.Lesclientspaient,s’envont,d’autresclientsarrivent.Ilrecasseunautrepot,unpotdeconfiture,resteplantélàcommeuncon,sedemandantcequisepasse,puissuruneinjonctiondupatronvachercheruneserpillièreetunseaud’eau,nettoietout,secoupedeuxdoigts,revientservir.L’oragenel’aguèredistrait, c’estdans sa têteque tout éclate, il penseaubled, il doitbientôt semarier,porterquelquechoseàsonvieux,unedjellabarayée,desbabouchesneuvesetquelquespaquetsdesucreetdethédeChine.Illuiachèteraaussiunânepuisquelemuletestmort.Etunevacheplusjeunequecellequil’anourri.Voilà l’éclair, l’orage!Et, lesoir,quand ila« rentré» lamarchandiseet tiré le rideaudumagasin, le soir, il pense aubled.Rienne lui échappequand il se tramequelque chose aubled. Ilreçoit des lettres de son père, des lettres que le fquih lui écrit moyennant un paquet de tabac etquelques onces de thé, des lettres où son père lui demande de lui envoyer des sous, quoi ! Pasdavantage.Onluiditaussi,detempsentemps,denepasselaissercorrompreparlaville.Travaille,travaillemaisnetesurchargepasdevices,voilàcequ’onluiconseille.Lesoir,lepatronenfaitsafemme.Illeforceàsedéshabiller,lemenacedelerenvoyerpuislegrimpe.Voilàsavie,savieàluiquiestlefilsd’unvieuxbaroudeur.Lepatronboitdelabièreallemande,luin’apasmêmedroitàunelimonade.Onneluidonnequeduthéfroid.Etencore!Ilnepeutjamaiscompterquesursesvols,sespetits larcins. Je bois ça quand le chnoque me tourne le dos, je cache ça quand il culbute unedomestiqued’EuropéenoudeFassi.Ainsisonexistenced’adolescent,combiendefoissaccagée,plusentachéedespermeetdemerdequecelled’unefemmeoud’uneânesse.Etquandilvachezlui,dansunvillageduSud,auboutdequelquesannéesdecorvée,ilplastronne,neseretientplus,mépriselespaysans,s’érigeennouveauricheet,laplupartdutemps,paiedesmenuisierspourmettredesfenêtresgrillagéesà lamaisondesonpère.Unorage?Non,cen’estpasunoragequi le scinde,c’estuneforcepuissantequilefourvoie,leramèneenfinàsonombre,auconflitancienqu’ilneconnaîtpasetdontlatrametrafiqueetorientesaréalitéterrestre.

Avant,bienavant,morveux,latêterasée,lefrontcerclédepetitesentailles,puantlapoudredejujubesetlebasilicpilé,macérantdanssamerde,avantsonvoyagedansleNord,sonexilcommeonditchezlesgensduSud, ilétaithargneux,pleurnichardetcruel. Ilmordait lesgossespourunouipourunnon,sefaisaitsouventrosserparleurpère,sedisputaitâprementlapossessiond’unevessiedebœufoudemouton,uneplaceaupremierrangpendantlesgrandesfêtesoulesmoussems,lesfouetsavecquoi on pourchassait les victimes pour les épuiser avant le sacrifice, l’égorgement…Mais on lecraignait déjà, les parents de ses petits camarades l’enviaient. Si on pouvait…Ah !Nous n’avonsjamaiseuquedesignorants,desincapables.Qu’avons-nousdoncfaitdesimalpourn’avoirenfantéque des idiots ? Plus tard, lesmêmes types qui l’avaient souvent giflé s’en remettaient à lui pourrégler certaines affaires, dissiper les litiges, caser leurs mômes dans une quelconque épicerie deCasablancaoudeRabat. Il les recevait fastueusement, lesconsidéraitcommedesancêtres louables,leur offrait chaque fois une ou deux liasses de billets de banque, les habillait de neuf, eux et leurfamille. Ils restaient des mois entiers dans sa villa, farnientaient, se gavant des meilleurs mets,palabrant indéfiniment.Amidi, tagine, salades variées, couscous,méchoui, légumes divers, fruits,thé,eau-gazeuse-Oulmès.Lesoir,kif-kif.Ilsseréveillaienttoujoursauchantducoqpourfaireleursablutionsetprier,têtepointéeversLaMecque.Aprèsquoi,ilssefaisaientservirdestranchesdepaind’orge,delaconfitured’amandes,dumielrougeetducafé.Entrelesrepasetlesprières,ilshantaientlesbas-fondsdelavilleenquêtedeputainsoudemarchandisesrares.Ilnelesaccompagnaitjamaismais ildétachaitauprèsd’euxundesesdomestiquesqui leur tenait lieudeguide,demaquereauetd’homme de main. Sa tâche achevée, le domestique-espion devait lui rendre compte de leursagissements. Ainsi seulement pouvait-il tirer des conclusions concrètes de leur comportement et,éventuellement,leschargerdesurveillersesfemmesetsesbiensquisontrestésdanslebled.Decettemanière,ilsdevenaientsesmeilleurssoutiens.Aprèscetest,ilsrecevaientunmandatmensuelassortid’objets de valeur qui ne laissaient pas de surprendre ses ennemis locaux. En contrepartie, ilsinquiétaient tousceuxquinelecraignaientpaset luifaisaientmensuellementunrapportdétaillédetoutcequisetramaitdanssonvillage.

«Pasdecetteterre-là,monvieux,non,jeneveuxpasjetermongrainsurlarocaille.—As-tululaparaboled’Aïssa?—Non.—Ilfaudraquetuaillesvoiruncuré,ilt’expliquera.—Aquoibon!Jehanteassezleszaouias,lestombeauxdesaints.—Etçanet’arienappris?—Rien.—Alorsvavoirlescurés,ilstedirontautrechose.—Revenonsànosmoutons,jeveuxdireàlaterrequejedoist’acheter.Ellenemeplaîtpasdutout.D’ailleurs,jenemesouviensplusdesonemplacement.—Commentcela!Tuvasbiendetempsentempsaupays.—Biensûr,biensûr.Maisquandj’yvais,jen’aijamaisletempsdem’ypromenercommeavant.—C’estlamaladiedesriches,ça.Depuisquetuesdevenuriche,tun’asplusuneminuteàtoi.—Parle-moidoncdeceterrain.—Alabonneheure!Tuverrasquetuleconnais.CeterrainappartientàH’madNakkos,letueur.Tutesouviensdeluiaumoins?—Trèsbien.Magrand-mèrel’avaitrencontréportantsurunmuletvoléunénormeballot.Elleluiademandéd’oùviens-tucommeçaetilarépondud’Illig,jereviensdechezlesPerchés.J’ainettoyéleursmaisons.Magrand-mèrem’aditaussiquetuétaisaveclui,quevousaviezégorgédeuxenfantsavantdepillerlamaison.Est-cevrai?—Quoi?Ja…Jamaisdelavie.Moiégorgerdesgosses?Mais…—Tun’iraspasàLaMecquesitunemedispaslavérité.D’ailleurstoutcelaestvieux.C’étaitavantlapénétrationfrançaise.—Ehbien!oui,j’étaisaveclui.Nousétionslesplusgrandsbanditsdelarégion.Onnouscraignait,onnousdétestait,onnousenvoulaitàmort.Queveux-tu?Ilfallaitbienvivre.—Çasuffit!Jeconnaistonhistoire.Dis-moiplutôtsilaterreenquestionseraitrentable.—Ellel’est.Dumoins…

—Net’emboucheplusavecceH’madletueuretnemefaissurtoutpasd’entourloupettesenessayantdemesoutirerdel’argentpourunterrainquin’envautpaslapeine.JeconnaisbienceH’mad-là. Iln’a été capable que d’égorger des femmes et des enfants. Jamais il n’a pris le fusil contre lesétrangers.Ilseterraitchezluis’iln’allaitpaschasserlemouflon.—Jet’enprie,neledénigrepas.Ilétaitcourageux.Il…—Ilatirésurunefemmeseulequinevoulaitpasluicéder,ill’asérieusementblesséeparballesde9puisil l’apossédée.Tuconnaislesbâtardsqu’il luiafaits.Deuxfillesetungarçon.Iln’areconnuquelemâle,lesfillesn’étantd’aucunapportpécuniaire.—Oui,jelesconnais.Mais…ilétaitjeune,tropjeunepourcomprendrequ’ilcommettaituncrime.— Silence ! Il n’a reconnu que le garçon parce que c’était un mâle. Parce qu’il pensait pouvoircomptersurluipouradoucirsesvieuxjours,hein?—Oui,c’estvrai.—Alors,jeneveuxpasdeceterrain.Tupeuxluidired’allercreveràtonH’mad.—Jesais,jesais.Pourtanttuasunedesesfillesicicommedomestique.Tupourraisquandmêmeluipardonner.—Pasquestion.Jeleconvoqueraiquandçameplaira.—Etleterrain?—Jeneveuxpasdece terrain. Il est certainementmaudit.Beaucoupde sangaétéversépour sonappropriation.Maintenant,tuirasvoiruncurédemesamis,puistureviendrasici.Jeteconfieàmonmeilleurdomestique.—C’estcontraireàlareligion.—Tudoisyaller.—Bon,j’irai.»

Tousdescons,desminables,jelesaitouspossédés,jelesaitousdanslecreuxdelamain.D’aucunssontmortsmaintenant.Engeancemalade,pisd’hyène!Etquimebaffaient ! Ilsosaientmebaffer !Ah! je lesaieus, je lesai traînésdanslecrottin,cesbouseux!Crois-tuquejeleurauraispayéunvoyageàLaMecque?Jamais.Jelesaitousmenésparleboutdunez.Jenelesdétestaispas,non,jem’amusaisseulementàleségratigner.Toutcomptefait,j’aibienri.J’aiohohohtrèsohohohbienri.Jemesuisfoutudeleurvieillegueule,jelesaiprécipitésdanslagéhenne,ilsontvulediableetsessorcières,ilssesontfaittaillerenpiècesparmessoins,ontcommistouslespéchésimaginablesgrâceàmoi.Ohhohohahaha!Esclave,esclave,retiensmonventreavantqu’iln’éclate!Ilshohoho ha ha ha ! Va-t’en, va-t’en, je veux rester solo, trop de vapeur, il y a trop de vapeur dans cehammam,mets-toisurlebancd’enfaceetguettemesordres.Non,ramène-moiplutôtlafiole!Ilsonttenulecoup,pardi,tenulecoup,cesvieuxtueurs,cesvirus!Ah!là,c’estbon,frotteunpeuplusfort,làlà,c’esttrès,trèsbon,macroupe,c’estça,vas-yplusfort,haçava,elleestavachie,hein,gars!Ptaff!tul’asméritéecettegifle,frotte,c’estbien,tuyesha…Ilsnegoûtenttoutdemêmepasmesvrais plaisirs.Monter une femme sous le couvert de lauriers roses, sur le sable et les galets d’untorrent,unefemmesale,gercée,cen’estpasunplaisir.C’estcequ’ilsfont,ilsnepeuventpasfaireautre chose ; lesmoyens dont je dispose sont considérablement plus importants que ceux qui leurpermettentleurspetitesetvulgairescochonneries.Hé,esclave,vienslà,viensmeracontercequ’ilafaitchezlecuré,lefauxcuré,lemaquereau.«Maître,jen’osepas,tunepeuxquandmêmepasme…—Ptaff!Bon,bon,jevaistouttedire,tout:ilsonttousfaitlamêmechose.Ilsontbaisé,sesontfaitlécherlegland.Desfemmesontpissésureuxetilsontbuleururine.—Ptaff !Va-t’en, va-t’en, gredin, ce n’est pas de ça que je parlais, ce n’est pas ce que je voulaisentendre.Jeveuxsavoircequis’estpasséchezlecuré,lemaquequoi!quiracontehahahahohohohoha…frotte-moiunpeu l’échine,elleestaussidurequ’unecrottedechien, frotte!plusfortqueça…bien, bien, ça va, ouste, décampe, je dis décampe, va dire qu’on vienneme chercher sur unelitièrefourrée,jeneveuxpasattraperunrhumevicieux.—Oui,maître.

—Non, non, reste ici. Il n’est pas question que tu t’en ailles, je ne veux pas qu’onm’abandonnecommeunevieillechiffe.Pasdeça,tuentends?Ehquoi!nesuis-jepaslepatrondepresquetoutelaville?Nesuis-jepasunesortederoi?LeMonarquelui-mêmemecraint.Sijedisnon,ilditnon.Sijedisoui,ilditoui.—LeMonarquevousaime,maître,parcequevouslemaintenezaupouvoir.—C’estvrai,morveux,c’estbienvrai.Maisfrotteencoreunpeu,çanepeutquemefairedubien,jesuissivieux,siridé.Jevaisbientôtmouriretjen’aipasd’enfant.—Maissi,maître,si.Vousavezdesenfants,vouslesavezsemés…—Seméquoi,brigand?Destouffesdethymbonnespourlabrebisoulebouc!Descrottesdechacalpleinesdeplumesdeperdreaux!Ptaff!Nedisplusquej’aidesenfants!Ah!Maisjetecomprends,je te comprends bien. Tu voudrais dire que mes enfants vont bientôt me remplacer. Dis-lefranchement,pédale!Ehbiennon,non,mongars!Jepeuxencoreenfaire,tun’asqu’àteréféreràl’histoiredespatriarchesjuifs.Maistunepeuxpas,tunepeuxrienlire,tuesignorant.Allez!Ouste,vademandermalitière!»

Lavilles’étageaitsurledétroit,sesruesgrimpantversunrestedevieillemontagnepardesmarchestailléesàmêmelerocetdesroutesasphaltées.Enhaut,desimmeublesanciensetenbas,côtéplage,desbuildingsetdespalacesneufsdontleverreetlemétalembraselameretlesablefin.Aucœurdelaville,despâtésdebâtisseslépreusessurlestoitsdesquellesviennentnicherlesoiseauxmigrateurs.Casinos, hôtels de luxe et hôtels miteux, cafés maures et dancings, banques, tavernes, estaminets,gargotes,petitesplacestenantlieudesoukunefoisparsemaineet,plusloin,rehausséderochedureet savamment cimenté, le port. C’est dans cette ville qu’il a toujours vécu, dans cette ville qu’il agagné sa fortune.Aquelques kilomètres de là, unhaut plateau, puis des rochers gigantesques, desgrottes dont l’une est celle d’Hercule. Belle grotte, disait-il. Ah ! si seulement je pouvais latransformerenépicerie!Maisilétaitencorejeune,nepensaitqu’àchiperdufric,às’établirsurtoutce qui l’environnait, sur les hommes, les femmes, les bêtes, la terre et l’eau, en maître dur etimplacable.Tropjeune,j’étaisvraimenttropjeunepourcomprendrequ’au-dessusdemoirègneunSeigneurquejeneconnaîtraijamais,pasunpape,pasunroi,pasuneHydreouunBoughou,maisunespritpénétrantetnonarméquin’ajamaismenacépersonne,jamaisfrappéquiquecesoit,unespritquidonneetretire.Commeonditdansleslivres.Leslivres?Lesa-t-illusaumoins?Non,jen’aijamais lu ces livres, ils sont jaunes, se fripent, m’incommodent, ils partent en poussière dès quej’essaiedelesfeuilleter.Jamaisrienlu,j’aitoutapprisautrement.Sixansd’écolecoranique.Dix-huitans de commerce avant d’avoir droit moi-même à une boutique. Trois ans de marchandage etd’intriguescommerciales,d’alliancesbrèvesetderupturesavantdemerendremaîtred’unepartiedecepatrimoine.Patrimoine?Non,j’aidûmetromper.Monpèrenem’ajamaisrienlaissédetel.C’estgrâceàmoiquemesenfantspourrontdésormaisprononcercemot.Carj’aidesenfants,oui,j’enai,mais aucun gosse ne mérite son père. Ils distribueront ma fortune dès que je serai mort, ilsdilapideront jusqu’àmamémoire. Je n’aimepas cette façonde balayer son passé. Je hais non ! jeréprouveseulementlesméthodesdesjeunes.Allonsdonc!Jenevaistoutdemêmepasretomberdansmongâtisme!Jenesuispasfaitpourbarboterdanslesornières,nidanslescaniveaux.Nesalissonspasmadjellabablanchebrodéedesoie!

Jenesuisplusun jeunot,pasplusque l’aiglen’estuncorbeau,mais, les jeunesetmoi,nousnouscomprenonsparfaitement.Tuveuxça, tiens,allez,prends-leetne faispas tamijaurée. Ilsprennenttoutceque je leurdonneet reviennentdèsque je leur fignoleunnouveaucoup.Ehoui, je suisunhommed’affaires,undiabledansmongenre!Maisjen’aipascommencécommeça,tants’enfaut!Cequej’aifaitpourm’enrichir?Jenem’ensouviensplustrèsbien.Ehoui,commetoutlemonde,j’ai d’abord trimé. J’aimême été balayeur dans une raffinerie de sucre. J’ai aussi voyagé un peupartout dans leMaghreb.C’est bien ce qu’on ditmaintenant, oui, c’est lemaghreb, c’est-à-dire leCouchant.Allonsdonc!Cen’estpaslàquesecouchelesoleil.C’estplutôtlalunequinousydévore,segoinfreavecnos tripes, si ellenenouscocufiepas.Quand la femmepissedu sang, c’estqu’ungrandmalheurrôdedanslesparages.Quandlalune…Allonsbon!Clopinettesquetoutça!J’aidoncétébalayeurpuis ramasseurdeboîtesdeconservesvidesque j’entassaisdansun tombereau. Je lesaplatissaisetlesrevendaisassezcher,mafoi,auxconstructeursdebidonvilles.Jefisaussiletraficdupapiergoudronnéetdecigarettesaméricaines.Jamaisjen’aitâtédelacontrebandedekif,jen’aimepassonodeur!Enrevanche,j’aiembauchéunebandedevauriensetd’égorgeursàlapetitesemainepour écouler certains produits de mes vols. Si je me souviens bien, je devais être assez fortichequestionbagarre.Ehoui,maiscommençonsparlecommencement.Enfant,jen’étaisqu’untraîne-culcomme tous lesmioches demonvillage. Je tabassais les autres et jeme faisais tabasser par leursparents.Lesmiensn’avaientaucuneinfluencedanslarégion,hélas!L’un était fquih et l’autre écrivain public. Je veuxdire quemongrand-père enseignait leCoran etmonpèreécrivaitleslettresdesautres.MaisquandmonpèreaquittélatribupourallerbaguenauderdanslesvillesprolétariennesduNord,toutemafamilledevintplusvulnérablequejamais.Detempsen temps, mon père nous envoyait un petit colis et un message verbal des plus vagues. Nous nesavionsmêmepascequ’ilfricotaitdansleNord.Certainsdisaientquedesputainstravaillaientpourlui,d’autresqu’ilgagnaitsaviehonnêtement,laplupartletenaientpourunhommedissoluetunbonà rien.Tous ces détracteurs et calomniateurs visaient seulement à blesser l’orgueil demongrand-père.Maisilleleurrendaitbien.Certainsd’entreeuxnepurententerrerreligieusementleursmortsqui, sans les prières de grand-père, étaient maudits pour l’Eternité. Les plus hargneux vinrent lechercherdisant:«Tudirascequ’ilfaut,touteslesprièresindispensables,hein!Outulerejoins,ce

mort!»Etlefquih:«Jediraicelaparcequevousportezdesfusilsetquevousmemenacez,maisDieu, leTrès-Haut, tiendra plutôt compte de ce que je pense de vous ! »Après l’enterrement, toutrentraitdansl’ordre,unordredesplusprécaires.Onsefaisaittuerpourunegoutted’eau,pouruneinsulte,pourriendutout.Chacunavaitsonfusil,chacunpouvaitabattresonennemisansencourirlaréprobationdesautresmembresdelacommunauté.C’étaitlaSeïba!Etaienthonorésetcraintsceuxquiassassinaientleplusdegens!LeplusfameuxbanditdecetteépoqueétaitH’madN’akkos.Ilvittoujours,jecrois.Iltraînepeut-êtreencoresessavatessurlespistesdessouks,maisiln’estplusrien.Toussesfrèressontmortsbrûlésvifsetiln’adûlui-mêmelaviesauvequ’àl’interventionfrançaise.Du jour au lendemain, on le vit s’appauvrir. Toute sa gloire d’assassin et de voleur s’en alla enfumée. Mais les notables l’aidèrent à se remettre à flot, lui octroyant chacun un pécule annuelmoyennantquoiilleurrendaitcertainsservices.Onn’enétaitpasencorelàlorsquejepartispourleNord. Je choisis d’emblée de m’établir dans le Gharb. J’ai poussé plus tard une pointe jusqu’àTanger,villeformidablequiretinttoutdesuitemonattention.C’estlàquejesuisàprésent,c’estlàque jemourrai sans doute. Tout ce que je veux, c’est qu’on transportema dépouille jusqu’àmonvillageoùelleseraenterrée.Queleschacalsetleshyènesdelà-bas,s’ilyenaencore,s’enrepaissentsiçaleurchante!Tantquejevis,jemedéfends,maisunefoismort,moncorpsneseraplusqu’unemballage de viande pourrie. En me dévorant, les chacals et les hyènes ne récolteront que mesmaladies!Dieusaitqu’ellessontnombreuses!Ha!Jerigoleraibienpar-dessuscesbêtes!ACasa,jehantais leportet lesmédinas.Aucungredinducoinn’osait se frotteràmoi. J’étaisnonseulementarmémaisencorecapablededéfoncerlatêted’untypeavecmesseulspoings.Jesavaisaussijoueràtamazla,unesortedejudochleuh.Lebonhommeàquivousfaitescetteprisetombeillicoparterresans pouvoir se relever et vous pouvez l’écrabouiller menu. Je me suis installé dans une vieillebaraquequisentaitlapisseetlecaca.Commeellesetrouvaitàl’angled’uneruelleetd’unegrandeplace, tous lessoûlards itinérantssesoulageaientcontresesplanches. Jedus la transbahutersurunterrain vague, face au port, pour ne plus sentir l’odeur des déjections. Mais à peine l’y avais-jeplantéeque les flicsvinrent l’incendier. Ils l’arrosèrentd’essenceetymirent le feu. J’étais absent,sansquoiilsm’auraientagrafépourmetabasser.A l’époque, les flics ne rigolaient pas, ils tiraient à vue sur les renfrognés, les suspects, lesrécalcitrantsetlesfiers-à-brasdetoutcalibre.Enmepointantchezmoi,jenetrouvaiqu’unamasdecendres. Je fisdemi-touretdisparusdans lesbas-fondsde laville.Cefutuneputequim’hébergeapourlanuit.Jenel’aipaspayée,sij’aidûlefaire,jenemesouviensplustrèsbien.Entoutcas,c’estchez elle que je fis la connaissance du gars qui m’a présenté comme balayeur expérimenté à lasucreriedontj’aidéjàparlé.Quediredecettesucreriepleinedemouches,d’abeilles,deguêpesetderats?Jen’ysuisrestéquedeuxmoisàlasuitedequoijedécidaidechangerdeville.J’avaisquelqueargentcachédanslesdoubluresdemesvêtements,maisjenepouvaispasmepermettredevoyagerparletrain.JefisdoncletrajetséparantCasablancadeTangeràpied.Desvoleursetdespouilleuxm’arrêtèrent,mefouillèrentmaisnetrouvèrentriendansmespochestrouées.Ilsdédaignèrentmêmemes frusques puantes. J’étaismalin.Moi quim’habillais toujours impeccablement, j’ai pensé à ce

petit détail. Si j’avais porté des habits neufs, ils m’auraient d’abord tué puis dépouillé. Arrivé àLarache,jefishalte.J’achetaiunnouveaucostume,louaiunebicoquehorsdelavilleoùj’entreposaisles produits de mes vols. Tous les malfrats du lieu se joignirent à moi pour former une banderedoutable.Lestrafiquantsetlesreceleursdetoutpoilsubissaientlaloiquejeleurdictais.Enpeudetemps,jemissurpiedunecaravanedemuletsquiconvoyaitlamarchandisedecontrebandeachetéeàTanger vers la zone d’occupation française. En franchissant le poste-frontière au volant de maChevrolet, je disais aux douaniers qui m’importunaient d’aller lorgner le bord de mer et jem’esclaffais. Ils savaient tousque j’étaiscontrebandier,mais ilsne trouvèrent jamais riensurmoi.Ma caravane était escortée d’hommes armés qu’aucun policier ou gendarme n’osait inquiéter. Unjourpourtantj’eneusmarredecetraficetjemislaclésouslepaillasson.Jem’installaicarrémentàTanger où j’ouvris une boutique et achetai un hôtelminable. Cette ville était alors le royaume del’espionnage.Ons’y trucidaitàquimieuxmieux.Ons’ysurinaitàvolonté.Toutes lescombinesyétaient possibles, tous les crimes aussi… Pourquoi je me raconte tout ça ? Ha ! je suis gâteux !Vivement lamort !Non, non, pas encore. Je ne suis pas près d’affronterDieu.Ni leDiable. Fautd’abordque j’aillemeblanchir àLaMecque.Quand? Jene saispas.Mais j’irai, j’irai, je le jure,quitteàtoutvendre,non,jenevendrairien,j’aiassezd’argentpourm’yrendresanscisaillertoutesmespropriétés.Etlesterresdubled,lesvieillesterresquiontnourrimesancêtresetquicontinuentde nourrirmon incapable de frère,ma sœur qui darde encore joliment son trachome et quelquesautres faisans du coin. Ces terres, ma foi, je ne les braderai jamais. Elles doivent certainementrenfermerdesminerais rares,mettonsdupétroleouducobalt,oude l’orpourquoipas?Jene lesexploiteraipasnonplusdans ce sens.Qu’ai-je à foutrede cesminerais,moi ?Ces terres sontmatripe,monsangetceluidesgénérationsàvenir.Sionytouche,jemettraiàfeuetàsangtoutlepays.J’écraserai les fortes têtes et les chevelus corrompus dont je tire les ficelles, j’écrabouillerai legouvernement,je…jeneferaistrictementrien,jesuistropvieux,maislesgensquiviventlà-basserévolteront. Ilss’armerontetdévalerontvers lesvillesenungrouillementdescorpionsetdenajasprêtsà toutsaccager,saigner,empoisonner.Etalors, lesprolétaires, lespouilleux, leschômeursetlesprostituéesdesvilles sesoulèveront,musparunehainesansexemple,et lesblédardsà lapeaucalleuseetcuivréeetlescitadinshargneuxetdémunisanéantirontlespansusquilesexploitentàmort,leururinerontdans lagueulepuis leur couperont laglotte et lesbrûleront commeun tasdevieuxjournaux.Loindemoicettevisionatroce!Cetteracaillememettraaussilamaindessus.Jenesuispasplusàl’abriquelesgouvernants,lesrapacesetlesratsd’égout!Jenesuispasdeleurracemaisjemeflattedeleurressembler.J’aimêmeplusderichessesqu’eux!Lesva-nu-piedsdeDoukkalaetlesvoleursàlatiredetoutborddoiventêtremuselésetincarcéréssurlechamp!Jel’aiditàmesfilsen1965,lorsdesémeutes,maisilsm’ontriaunez.C’estçalesenfants!Ilsvouschientàlafigureetvous blâment, vous qui défendez leurs intérêts. Alors j’ai dit qu’après tout les va-nu-pieds et lesescrocs de tout poil peuvent se servir mais qu’il ne leur restera plus rien, hein ! vous avez saisimaintenant,banded’enfoirés!Mais,papa,ilsnet’attaquerontpas,toi,ilsneteprendrontriendutout.Ilsvontjusteinstituerlesocialismeetbalayerlamonarchie.Balayerlamonarchiequej’aidit,hein!

pasdeçamescons !Autantmebalayermoi-mêmeetvouscompris !Allons,allons,mesenfants !Fautpaspissersurnotrefortune,Dieuneveutpasça!Dèsl’instantoùmesenfantsontcomprisqueleur argent était en jeu, ils se sontmis à réfléchir et voici cequ’ilsm’ont réponduquelques joursaprèslessanglantesémeutes:«Papa,nousnevoulonsplusdéfendrepersonne,seulnotrepatrimoinecomptera désormais pour nous. Si on fout la monarchie en l’air, que nous restera-t-il sinon desloquesuséesetdespouxplein leursourlets ?» J’ai longuement souffléet j’aidit :«Mesenfants,vousêtesmûrspourgérer lesaffairesquenouspossédons.Siquelqu’unvientvousmenacer,vouspouvez sans coup férir le descendre ou le tabasser. Diminuez-le physiquement et mentalement sipossiblepourqu’ilpuisseàjamaisvousservir.»Mesgossesontfinipartoutsavoir.Grâceàquoijepeuxdéambulertranquillementsurlaplageoudanslesruesdelaville.Allerauhammamquandçamechanteoumeterrerdansmavilla…oufaireunepetiteviréedansleSud,histoiredereluquerunefois de plusmes terres et celles des autres. Le plus souvent, jeme paie un bain de soufre à Sidi-HrazemetquelquespetitsgarçonsàFass.Maisn’enparlonsplus,Dieupeutmechâtieroumefairecreversurlebateauquim’emmèneraàLaMecque.Ehoui,c’estverslemoisd’aoûtquej’yvais.J’aidéjà acheté mon billet. Il ne me reste plus qu’à apprendre par cœur quelques sourates du Coran.J’auraisdû le fairedepuis longtemps !N’étaientmes affaires, jeme serais entièrement consacré àl’étudeduHadithetdelaKabbale.Qu’est-cequelaKabbale,déjà?C’estunjuifàquijefaisaiscréditquim’en aparlé.Cen’est peut-êtrequ’un livreoù les sorcierspuisent leur savoir.LeHadith, parcontre, raconte les péripéties du Prophète, non que celui-ci soit un homme légendaire, mais sonhistoire ne m’a jamais laissé indifférent. Au contraire, je me suis toujours intéressé à sescommandements.Onnousinterditdelereprésenter,deluifaireunefigured’homme,dedétaillersoncorps,maisonpeutparlerdesesmœurstantqu’onveut.Commejepossèdeunelégèreculture,j’aipuvoirdansquelquesvieuxlivresdesminiatureslereprésentantsurledosdesajumentd’argentAl-Boraq.Ilchevauchaitlevent,lestempêtesetlevidestellaire.Maisiln’existepasdevideau-dessusdemoi,me disais-je, il n’y a là-haut rien qui ne soit en bas.LeProphète devait certainement être ungéantouunnuagepourenfourcherainsilesélémentsetlessoumettreàsaguise.Descathosm’ontditqu’ilétaitépileptiqueetqu’ilfourraitlatêteauplusfortdesescrisessousunoreiller.Jenecroispasàcesbalivernes.UnProphètedignedecenomnesauraitêtremaladeàcepoint.Jésusneguérissait-ilpas lesmalades et les paralytiques ?N’était-il pas leVraiMaître desNeurones ?Alors pourquoidénigre-t-onMohammed?C’estparcequ’ilétaitarabeetqu’ilatétéleschamelles!Ouparcequesapostéritéacivilisél’Orientetl’Occident!Onnesaurajamaispourquoicertainsbougres,bienpartisaudemeurant, luienveulentàmort.Quem’importentmaintenantces récriminations!J’aid’autrescordesà tresser.Peut-êtreaussimeremémorerai-jemavieillevie traînantderrièremoicommeunruisseaudecoliquescholériquesetdesanies.Peut-êtrem’yreplongerai-jeunedernièrefois.Maisçaneferapasrajeunirmonsang,masèveoùbarbotentdesratspesteuxetdeschiensenragés.Hélas!Maisenai-jeuned’âme,moi?Oui,commetoutlemonde,c’estditdanslesbouquinsdictésparDieu.Unsavantamêmepesél’âme.Paraîtqu’ellenefaitque21grammes.C’estdéjàpasmal,hein?Lafuméedukifetduhaschichnepèsentpasautant.Alorsl’âmeseraitunedroguequeDieunousdonne

etnousretirequandçaluichante?Allezdoncsavoircequeçaveutdire!Moijen’entendsrienàceschoses. Je pense plutôt que Dieu n’a rien à voir dans ce mic-mac. Il doit tout juste superviser lemerdierdeshommeset tenirunecomptabilité complexedes erreurs et perfidiesqu’ils accumulentcontreeux-mêmesetcontrelaNature.Carlesêtreschétifsquenoussommesdégradentlaterreplusquelestermitesetladévorentenunriendetemps.Jeparledeçaenconnaissancedecause;unedesmaisonsquejepossèdedanslebleds’estabattueàcausedecesinsectes.NilesbombesFly-Toxnilecarbure brûlé n’y faisaient. Les bombes Atox n’ont rien donné. La charpente de bois est tombéependantquejepriaisàlamosquée.Heureusementquej’avaisd’autresbicoquesdanslebled…C’estvous dire que les termites et les hommes peuvent vous engloutir sans que vous vous en rendiezcompte.

C’estcommeàMarrakech.Toutes les filles tecouraientaprès.Tous lesgossessebattaientpour tesucerlabite.Quelscorpionerraitdansleursang,quellepieuvrepieusepouvaitdonclesattacherainsiauxpasdesvieuxtraîneursdebabouches?Alafinjemedisais,voyantcetasd’Européenspourrisles entraîner vers leurs luxueuses chambres d’hôtel, que les vieillards du cru ne pouvaient qu’êtrejaloux de cette jeunesse dissolue, qu’ils ne lui avaient pas ouvert un chemin question futur. Jemeconsidérais moi-même comme un babouin décrépit que seul le sexe commandait, mais j’avaissouvenance de quelque fquih suant la vergogne etm’intimant d’apprendre les bonnesmanières.AMarrakech,commeailleurs,lestoitssontnettementbas;lesruessordidesetcriardesdégoulinantdesperme invisible, de vrai stupre et pourrissant au soleil du Sud comme pour infliger à Dieu undémentiexcrémentiel.Oùquel’onportesespas,laterrevousengloutitcommeunvagintouffuouunanusd’adolescentdévoyé.Sanscompterquecesmêmesbouchesquimangentpoursemieuxportervousdévorentlezobcommelavieilleânessedemonenfance.C’estconquejeneconnaissepasbientouteslesvillesduMaroc!J’auraispuenparleravecplusd’assurance.Maislesvieuxnepeuventpastout connaître. Sauf leurs intérêts. Est-ce que le roi lui-même a foulé durant samaigre vie tout leterritoire?Non!Leroinesortpratiquementplus.SeulslesBerbèresduSud,lessaleschleuhsdontjesuislemaîtreabsoluetl’argentéclairpeuventencoreledistrairedesesterreurs.QuestionNord,fautplus lui enparler !Tropde complots, de traîtrises lorsque les uns et les autres bouffaient dans samangeoire!Lesvaches,quejedismoi.C’estdesvaches,cesmecs!Pasdesânesses!L’ânesse,aumoins, vous tend le cul, lève la queue et mâche quelque chose comme duChewing-gum ! Vousl’enfilezrapido.Pastrèsprofondémentparcequevousn’avezpaslabited’unâne.L’âneaunénormetrucetcinqpiedscommedisentlespaysannes.Maisl’ânessevousaimeetfinittoujourspardétesterqu’unânefût-ilbienmontéluifasselacour.Elletel’envoieboulerd’uneseuleruade.Quandj’avaisseizeans,levillagegrouillaitdefemmes,maisj’étaistimidequestioncul.Laplupartdecesfemmesdevaientsemasturberavecunechandelle.Onracontaitqu’unerombièrenoirepossédantunclitorisgéantlesgrimpaitsouvent.LeshommesétaientpresquetousdanslesgrandesvillesduNord.Seulsquelques vieillards et quelques jeunes idiots dégoulinant demorve s’incrustaient encore sur le solancestral commedes cancrelats.Qui sait si les vieuxmartinets dont j’ai souffert n’ont pas servi àfairejouircesfemellesquim’enlézardaientl’échine!Lesfemmesseméfiaientdesadolescents,seuls

lesvieuxpouvaientparfoislessauter.Unedecesputes,remarquableparsabeauté,habitaitprèsdutorrentjouxtantlecimetière.Seulsquelquesvieuxgâteux,quelquesancienstueursquiluiramenaientdusouklesvivres indispendables tels lesucreet le thé,etdesvivresde luxetelsquelaviande, lesmoulesséchées,lesdattesduSaharaetparfoisuncadeaucommeunbijoud’argent,seulscesvieux-làpouvaientlabaisersansencombre.Samaisondonnaitsurlecimetière.Unpetittorrentlaséparaitducimetière,maisquedevait-elledoncentendrelanuitvenantdececimetièreoùsonmarivenaitd’êtreenterré?DesmilliersdepasstriantlecielsanglantduSud?Outoutaumoinslahargnesexuelledeschasseursdontj’étaislemeneur?Rien,sansdoute,àpartleva-et-vientd’unvieuxzobmallavé,toutridé,répugnantmaisdontleproprioluiramenaitdusoukuntasdebonneschosesàboufferetparfoisquelquesbijouxbrillants.Acetteépoque,mabiten’arrêtaitpasdemedémanger.OneûtditqueDieuleTrès-Hautm’avaitversédanslescouillesunecouléenucléaire.J’erraisdoncparlààlarecherched’une femme, mais n’en trouvant jamais, je me rabattais sur mon ânesse. Dois-je ici chanter seslouanges?Dois-jeencorelacouvrirmoralementalorsmêmequej’aidécouvertdepuisbellelurettelavoluptédel’anus?Nonpas!Cessonscetteidiotie!

Ledésert luiétait soudainapparu,hérissé,giclantdusolduretde l’eauenmultiplesépinesque lesoleil infestait d’aspics et de flûtes dont le son traversait la vallée où son enfance déroulait end’innombrablespelures lecridugeai juchésur le toitde lavieilledemeure telcetaiglepiégéquenousavionsvuàl’entréedelamosquée,rapportédelamontagneparunberger,aiglenoirmortetcependantrutilant,quihurlaitcommeledésertquandlesimounfaitéclaterlabossedesdromadaires.…Mais levoicierrant surcesable fin, faceà l’Espagnedugarrotdont ladouleurcrispe l’oiseaumarin.Ilramassedesobjetsabjectsjetéspardestouristesgâtés.Levoicitrébuchantquandilregardederrièresoietvoitcet immeubletrèshautquiestsonhôtel…mamaison,ouimamaisonduNord,hein ! vieux crapaud ? Déambulant sur cette plage dont les couches stratifiées décomposent sonsilence,voyantavechargneglissersurlamerlescargosetlespaquebotsdesautres,crachant,pissant,seroulantparfoisdansdesflaquesdefuel……lesolnu,sacriée,sescrimes,labelleratièreoùjevirevoltedepuisdesmillénaires; lapipe,lecul-de-jatte,lacrinièrefaceàl’océan,labaveverte,l’hôpitaldanslemassifd’eucalyptus,lalividitédusicaire…Unerouesciantleregardd’unenfant,lacitédécapée,lavéedesmeurtres,desastuces;lelongtrottoirbattusouslespalmiersnains,lestessonsdesmurs,lespois-chichesgrillés,lescoupsdetabac:fruitsdemergobés,puisrecrachés.…L’escarpe à l’affût, affûté sur unemeule du palais, le suicidaire qu’on ne calme qu’à coups dedents,lesvillas,certainesroses,d’autresbleuesetblanches,leurstourelles;leschampsdecourses:hippodrome, vélodrome ; les vieilles prostituées, les supervieilles maquerelles tabassées par leschabakounis puis ramassées dans des bennes commedes pots de yaourt, des pelures de fruits, descouches lacérées, des dégueulis d’ivrogne, des restes de festins, des mégots… Vivre ici, toutrecommencer,apprendreàmieuxcrever.Haleràsoilesflétrissures,lesstigmatesdescondamnés.Nerêverqu’àladislocationdesnerfs,ducorps.Dans cette ville du détroit, assis à une table de café parmi des odeurs de mantèque brûlée, desmiasmesgrêles,desembrunsdécomposés,desmusiquessourdes,sehasardantçàetlà,s’agrippant……peur,peurducercueilrecouvertd’unsuaireportéparquatrevieillards.Fuyant, tombantsurunechaisedebistrot,s’oubliantdanslapremièrebièrevenue.

Touteminutegagnéesurlamortestunobstacle,unoutrageàlavie,disait-ilmarchantsurlaplage,s’asseyantparfois,époussetantsonpantalon,deloinenloin,récupérantdespoupéesdémembrées,descoquillagesettoutcequelameravaitvomi,s’annihilanttoutàcoupdansunesongerieprolongéedetouxetdecrachats,puisrepartantsansunmot,lissantsavesteetfumant.…Villesanspassénational,toujoursauxmainsdesplusforts,j’yviens,jenesuisplusmoi-mêmequ’un de ces carnassiers qui raflent la proie du plus faible, dévorent tout, même leur cuirasse,s’arrogeant ainsi le droit d’enquiquiner les autres, les massacrant à l’envi. Tingis, gravait l’un,Colonned’HerculeouHespérides,corrigeaitleplusancien,lefuté,lemaraudeur,legrandbanditdelaradeétablilààseulefindesaccagerlesorangeraies,lesfermes,maisnousétionsencoreplusdursquelui,ha!l’anciennefaisaitvraimentpaslepoids,lenouveau,parcontre,nousséduisaitavecsesmachinesdeguerre:balistesetautresbagatellesavecquoinousguerroyâmescontrenous-mêmes;mais ilétait impossiblede les tractersur lesescarpements,alorsnousenvoyâmes lenouveaufairedesroutesqu’iln’achevajamais.Iln’ajamaisétébâtiiciquedesprisons,despalaisetdeslieuxdeculte…maisilya,plusloin,suruntronçondecepays,deuxvillesavecdesthermes,desvillasdechevaliersetdesarènessertiesdeboisvertrabougriparletemps,loin,trèsloindelavilleprincipaledont la dénivellation, les glissements de terrain et l’attrait qui nous y mène font que nous lachérissonsplusquenosfemmes,nosenfantsetnosbiens.Elleaccueilledescigognes,descolombesdeChineet tous lespèlerinsvenantdesconfins ; elle abritedes sociétésde sorciers,des sectesdetoutes sortes… elle est entourée de remparts récents que des rois-truands édifièrent contre leurpeuple ; ville vraie, seule et contre elle-même, remuant dans le soir rose et jaune, rafraîchie parl’ouedBou-Regreg, l’océanclapotant, remuant là sesdéchets immémoriaux, ses chants, ses trièreséchouéessurlesbancsdesable,samorgue,sajoierentrée,àjamaisremise…serefusantaurègneduchiengouvernant,couchéedansuncreux,ocre,belle,indistincte……errant,toussant,crachant,seul,cernédemouchesnoiresetvertes……commecetânemortdébitéparleschienssauvages,leshyènes,leschacals,lesvautours……au-dessus,toujoursplushaut,leciel;plusbas,lesescadrillesd’éperviers……taïninna!Enfant,j’étaisenfant.Maisqu’est-ceàdire?……lesable,letorrent,unlacettorturé,concassantlesrochers,lesprécipitantsurlavallée……plushaut,lacascadeblanche(Tazazzlt),écumantenhiver,enétébrunissantdanslecoassementdesgrenouilleslaisséespourcompte……etlesoleil,lesoleilrépudiantlavie……oh!qued’anfractuosités!…l’oubliant……surcetteplagemaintenantn’ayantplusdemonnaieplusd’ancêtres,déambulantmeraccrochantàdesbribesvieilles,dessouriresfripés,pissant……chezlui,desépiceschères,despainsdesucre,desnotesétaléessurdescahiersjaunisbarréesdelongueszébrures,parfoislefantômed’unejeunefemmeàcourtd’argentqu’ilavaitmontéepourunepincéedesafran……chezlui?Plusrien!

…oumesenfantsquicrèventdefaimenEurope,hein?Oumatribuquis’estdisloquée?Outoutesles chosesque j’ai dégradées, tous lesmythesqui traînent encoredansmesglaires ?Ouces salesimbéciles de jeunes citadins qui n’ont jamais connuque le duvet, le collège, le fric paternel et lesputains ?Hein ! c’est ça que tu veux que j’éructe ? Jamais,môssieu, jamais je ne parlerai de cesvétilles!Allonsdoncsifflerunalcooldanslecafésordidequej’aidégottéautréfondsdesrêves!Onlesassassinelà-bas,môssieu,onlestruffedeballesdèsqu’ilss’isolentpourfairecacaoupipi,oulesdeuxenmêmetemps,jen’ensaisrien.Lestueursdécarrentdansdesautos,desautos,môssieu,quiroulentavecmonpétrole,maisdis-moi,dis-moidoncquileurrefiledesflinguesetdesbagnoles?Il grimpait, se contorsionnait, s’arrêtait parfois pour reprendre haleine, mais dès que la muraillecommençaitàbouger,soncorpsseraidissaitetilenfonçaitsesdoigtsdanslesarêtestranchantesdespierresdecraintedelâcherpriseetd’êtreprécipitétoutenbassurcesdardsquitapissaientsonrêve.La terre au-dessousde lui hurlait, lamer et les buildingsbrillaient lui renvoyant par saccadesdesrafalesd’eauqui le transperçaient et le rendaientplusque jamais résoluà entreprendrehorsdecemondelepèlerinagequ’ils’étaitjuréd’accomplir.Mondeoùtoutestrien,mondequiestquandmêmelaportede l’autre.Saparolepeutêtre laseulemaille réelleparoù jem’introduiraiavecdansmesbagages cette âmeet cenerf pourri quemonœil etmon sang transformeront enviesparcellaires.Toutes ses pensées se résorbaient, sa tête cognait au mur, son bras droit était sanglant, mais ilpersistaitàgrimper,s’écorchant,oui,setuant.

Cen’estpasdansunevillequ’ilestnidansunecave,cen’estpas,nonplus,dansundésertouuneoasisquematérialise tonmirage,non, ilestenmoi.Cethommem’appartient, ilestàmoi, iln’estplustien,j’enferaicequejevoudrai,hein!net’amusepasà…quoi?Quedis-je?Oùsommes-nousdonc,cherpote?Enenfer,vieuxsinge,noussommesenenfer!Ilsdéambulaientsurlestrottoirsdeboulevards, l’un tenant le bras gauche de l’autre, tous deux se comprimant, ne faisant plus qu’unetoupieavançant,fendant lafoule…auloinetsousleurspieds, l’ouedsalecharriant lesmerdes, lesdétritus, les spermes non engloutis par l’Utérus, autre bête dont ils se défiaient… Bête qui lesfomenta, les ayant vomis crus courant sur les insanités dont s’honore cette glèbe ! Bête ? Non !L’Utérusn’est riendemoinsque le ciel en son envers !L’Utérusd’oùnous les tirâmes,môssieu,n’estpasunechambrenoireniunoutildejouissancesaccadéemaislalarmevraieduDiable!Sansquoi, jemeserais seulementaviséde laboucler, étendu sur le sable et lesgaletsou juché suruneroche assez tranchante, pêchant, riant etme bourrant de coups de poing. Ils étaient pourtant là. Ilsdevaientsemarier.Ilsn’avaientpasdesexedéfini.Ilsallaientpar-cipar-làdanslesruellesdecettemétropoledontilsn’avaientjamaisentenduparler,danscesdédalesoùseulesbrillaientdeslampesenformed’étoilesvitesouffléesparleurcapefroufroutante.Ilsnes’étaientjamaisvusetpourtantilsse tenaient par lamain bravant les autos, les gens pressés qui les bousculaient leur interdisant desortirducercleétroitoùledramemodernesedéroulait.Ilsentrèrentdanslesmaisonsdetolérance,virent comment l’homme s’amenuise et se distend, se séparant de soi avec célérité, commentl’hommeenvientàsouhaiterquelerouleaudesonâmel’écrase,leréduisantenatomescapablesdesetransformerengalaxiesneuves.Ilsdevaientpourtantsemarier,ilsétaientsibienfagotés.Jenesuispasaussivieuxquevous lepensez…d’accord j’ai levisageosseux,pareilausocd’unearaire,lesyeuxvitreuxbleuissantcommesilamortdéjàybarbotaittâchantd’extirperledernierfildemaraison;j’aiégalementlecorpssec,minceetvibranttellelacorded’uncambriberbère,voussavez,cettepetitevioledontlacordeuniqueesttresséeaveclescrinsd’unequeuedecheval…oui,jesuiscommeçamaisvousvoustrompezsurmoncompte,non,jenesuispastellementvieux,j’aitoutjustefranchiladernièreétapedemonexistence,celleoùlesorganescessentd’apparteniraumondefonctionnel pour entrer dans une léthargie qui les libère. Il parlait tout seul arpentant la plage de,Tanger, ramassant çà et là quelques débris rejetés par la mer : bras de poupées, bouteilles en

plastique,morceauxdeboisayantdûapparteniràdeschaises,coquillesvideset,deloinenloin,unpoissonmortpuant…Ilbalançaittoutceladanslavagueaprèsunexamenminutieux,puisrepartait,rapideetcalme,commeunvulgairepromeneur.Pasunefleur,iln’yapasiciuneseulefleur!Chezmoi,oùc’estchezmoi?Ahoui!chezmoi,jevoisoùc’estmaintenant…Ilyalà-basdesfleursdecactusetd’autres,desarbresmortsetdesarbresvivants.Quandj’étaispetit,lesautoritésfrançaisesnous montraient comment soigner les amandiers qui s’étiolaient. J’étais là, avec les vieux, nousregardionslesouvrierscouperletroncdesamandierspuisl’enduiredecréosote,jecroisquec’étaitça…ouuneautremixture,peut-être?Toujoursest-ilque lesarbres traités revenaientà lavie.Aubout de deux ou trois saisons, ils recommençaient à bourgeonner, de nouvelles branchesapparaissaientàlaplaceduboismort.Icietaularge,cenesontquedesbateaux,despétroliers,despaquebots, des chalutiers, des cargos, je me demande à quoi sert tout ça. Tiens, voilà le train enprovenancedeCasablanca.IlvadéposericilespèlerinsquipartentpourLaMecque.Jeferaisbiendemegrouillersijeveuxyalleraussi.Makka-l’mouharrama!C’estbiencequemedisaitlevieuxfquihd’enhaut,hier.Fautquetuyailles,Abd,fautquetuteprosternesdevantlaPierrenoire!OnconnaîtbienlaPierrenoire,jesuppose,maisonnesaitpasd’oùelleesttombée.Neserait-cepasl’unedecespierres avec quoi les aigles géants avaient bombardé les éléphants de l’envahisseur abyssin ? LeCoranlui-mêmeenparlemaismoijen’aivuqu’unfilms’yrapportant.Acetteépoque, jevivaisàBelleville,àParis.Ilyavaitpleindegensdetouteslescouleursparlà.Jenesaispascequ’estdevenuBelleville. Ça doit toujours fleurer lamenthe verte et l’absinthe, je pense. Bien que je reçoive detempsen tempsune lettredeMahfoud, ce copainque j’avaispasmaldépannéquand j’étais là-bas.Dansseslettres,Mahfoudnemeparlejamaisquedubled.J’aieubeauluidemanderdemeparlerdeBelleville,desonhôtel,carilgèreunhôtel-restaurantoùviventetmangentdesnègresetdesbicots,tiens!quec’estcharmant,cemot!non,non,ilnem’enparlejamais,ondiraitqu’ilahontedeplumerlesautres.Voyons!Mahfoudnedoitpasavoirhonte!Etdequoid’abord,jevousprie?Ilavaitunpeutrafiquépendantladernièreguerre,ça,jelesais…etquandlesAméricainssontentrésàParis,ilavait récolté pasmal de dollars, ça aussi je le sais…mais je n’y vois aucunmal.C’est d’ailleursgrâceàcetargentyankeequ’ilapudémarrerdanslavie.Bon,bon,jel’aiunpeuaidéàs’entirer.Sansmoi,iln’auraitmêmepaspuchangersesdollars.Oui,oui,jemesuisunpeusucréaupassage,maisjen’aifaitquepréleversursonmagotcequim’étaitdû,hein!N’est-cepasmoiquil’avaisfaitvenir en France ? N’est-ce pas moi qui l’avais vêtu de pied en cap, logé, nourri et pour finirembauchédansmonproprecommerce?Bien,bien, jenevoisvraimentplusdequelcommerce jeparle, j’ai eu tellement de choses là-bas. Tiens, je devais peut-être avoir un hôtel-restaurant ou unbureaudetabacs-débit-de-boissonsouquelquechosed’approchant,jenesaisvraimentplus…c’estlàquemamémoiredéfaille.Commentj’aipuquitterBelleville?C’esttrèssimple.Non,cen’estpassisimplequeça.Jelediraipeut-êtreuneautrefois.Non,jeledistoutdesuite.Non,non,cen’estpaslapeine…Uncoupdesirèneletiradesarêverie,sonsouvenirs’estompalaissantplaceauxobjetsréelslesplusimmédiats.Devantlui,àquelquescentainesdebrasses,unferriesortaitduport.Ilvoyaitlamasseblancheduferriequittersonchampdevision,unpanachedefuméenoirequisehérissaitpour

enfins’effilochercomplètementdansleciel.Ils’assituninstantpourmieuxvoir.Ilss’envontenfin,cessalauds,ilsm’abandonnentàmonsortsinistre.Toutd’uncoup,ilsemitàsangloter.Deslarmessèchestombentsurmabarbe,dit-il.Dieunem’ajamaisbeaucoupaimé,honteàtoi,leTout-Haut!Honte à tous ceux que tu as favorisés ! Puis il se If va. Le ferrie avait disparu, seuls les bruitscoutumiersdelavilleparvenaientàsesoreilles.

Onenaencore fusilléquinze,hiermatin.Qu’est-cequ’ilsontdoncfait,cespauvresbougrespourqu’onlesplombe?C’estlapolitique,qu’ondit,lapolitique,hein?Maisqu’est-cequeçaveutdire?Onditqu’ilsn’étaientnidesassassinsnidesbandits,maisonditaussiqu’ilsvoulaientfomenterdestroublesenvuedechambarderlepays.Maislepays,ça,monvieux,ilestdéjàetdepuislongtempscomplètement sens dessus-dessous. Ceux qui sont à la tête, qui gouvernent se foutent pasmal desmillionsdemalheureuxqu’ilsécrabouillentetassassinent,ouiassassinent,parfaitement,monvieux,jepeuxendonnerdespreuves.Bon!Ceuxquisontenhautnegouvernentpasréellement,cesontdeschefsdegangquiprofitentde lamollessegénérale,voilàcherpote!Jeveuxbienêtrefusillési jemens!Etpuisquenousensommeslà,nousdironstoutsurcesfabricantsdecadavres.Jelesconnaisbien,figuretoi.Ilsviennentparfoismelécherlespieds.Memenacer,moi?Qu’ilsessayentdonc!Jetelesétriperaietlesjetteraiauxhyènes!Leschacalspisserontsurleurviandepuanteavantdes’engaver.Tiens,prenonslegouverneur.Parlonsunpeudecettetêtedechien.Ehbien!cevieilimbécilese croit vraiment tout permis. Pour un de mes hôtels, et pour pas mal d’autres choses, il s’estlittéralementsucré.Pasdepognon,pasdelicence,voilàcequ’ilm’adit.Qu’est-cequetucrois?J’aibienétéobligéde luigraisser lemuseau !Oh!pasgrand-chose, je luiai tout justedonnédequoifaireunvoyageauxEtats-Unis.Maisjeletiensbienmaintenant.Peutplusrienfairesansm’enaviser.Jenelereçoismêmeplus.Ildoitpleurerpourentrerchezmoi.Quelcaca,cetype!Etlecommissaireprincipal, tusais, l’ancienrésistant?Cen’estpas lemêmetabacmaispresque.Oui,oui, ilestbienreçudansmamaison.Jeluidonnedufric,jelechouchouteettoutettout,hein!mais,bougred’âne,sonvrai patron, c’estmoi. Il arrête tous ceuxque je lui désigne,mes ennemis se font plutôt raresdepuis qu’il est sousma coupe. Pas unmandarin de la ville, pas unmarchand ambulant qui ne seprosterneàmespiedsquandjepasse!Alors, tuvoisbien, jedirigecesmarionnettescommeilmeplaît.Oui,jereçoisquandmêmelegouverneurdetempsentemps,jesuisbienobligédelecontrôler,n’est-cepas?Tienstiens,ilm’aditpourquoilesquinzetypesontétéfusillés.Ilparaîtqu’ilstiraientsur les militaires dans le Sud-Est. Non, pas du côté de chez nous, c’est dans le Sud-Est qu’ilsopéraient : attaques de convois militaires, de casernes, vols d’armes, pillage, intimidation despopulationslocales,tuvoisletopo?Lebilanestlourd,d’aprèslui.Maisjenelecroispas.Unvieuxsingecommemoinepeutpasaccordercréditauxaffirmationsd’unechiffepareille.Lecommissaire

principal,lui,m’aditquec’étaientdespatriotes,qu’ilsvoulaientlibérerlepays,abattrelaroyauté,lescorrompusdetoutpoil,régénérerlesangdupeuple,maisqu’ilssesontfaitavoirparlespoliticiens,tu sais, ces typesqui leur fournissaientdesarmeset riend’autre,aucunedirective,aucunplan,desgarsquis’enlaventlesmainsquandçarateetquiselesfrottentquandçaréussit,voilà.Ahoui!c’estçalesmecsquifontbombancederrièreeux.Ehbien!cesjeunesgens,ilsétaientvraimentjeunes,leplus vieux ne devait pas avoir atteint quarante ans, ces jeunes gens, dis-je, n’ont absolument riencomprisauxtripatouillagesdespolitiques.Maisrien,riendutout.Ilssesontfaitemballercommedesgrenouillesetànousunjoliprocèsetquinzecadavresàl’aubed’unjoursale!Cesenfantsauraientpuêtremiens,entoutcasilsontfaitquelquechose.Aprèslescadetsetlesaviateurs,ilsontsuqu’onne règne ici quepar la force et ilsontvoulumater l’hydre royale !Mais ils s’y sontmalpris. Ilsauraientdûmieuxs’organiser.Onnedescendpasunroicommeça,cen’estpasunequille!Ilestnonseulement bien protégé mais encore très méfiant. D’après les racontars, il semble qu’il ne passejamaisunenuitentièredanslamêmechambre.Ilchangedepiauletouteslesheures.Lepalaisestdéjàen soi un vrai labyrinthe,mais de là à se transporter constamment d’une chambre à l’autre,monvieux, fautvraimentavoir les jetonspours’yprêter !Et ildoitavoirpeur, trèspeur, lemonarque,mais il ne fait pas de cadeaux !Voilà pourquoi les gosses doivent longuement réfléchir avant deprendreunflingue. Ilyamillemoyensd’enfiniraveccetteaberration, ilsn’ontqu’àchercher, ilstrouveront,jeleurfaisconfiance.Lecommissairem’aditaussiqueducôtédeFiguig,lesauxiliairesdel’arméeontperquisitionnéchezcertainslycéens.Ilsontmêmetabasséleursparents,ontemportélescahierset les livresdeclasseaucasoùonyparleraitducommunisme.Onemporte toutcequivoustombesouslamainetonlelitaprès,ouonledétruit.Ilneleurmanquejamaisd’argumentpourétayerunprocès.Etpuis,onfusille…c’estcourud’avance…tatatatatata !Lecorpsdégringole,onl’emporte,peut-êtrelejette-t-ondansunerivière,lespoissonsdoiventserégaler,fontunpeucommeceque faisaient lesmurènes romainesauxesclavesqu’onbalançaitdans lesviviers !Douzeballesdans le corps, c’est plutôt agréable, hein ! t’as pas le temps de sentir les crocs des bestioles ! Tutombesetletourestjoué.Etpuismerde!y’enaquandmêmequisesuicident!Oufkir,tiens,celui-làdevaitêtreassezcoriacepours’envoyerquatreballesdanslecorps.Ilamêmefalluqu’ilsedonnelecoupdegrâceàlanuque,lestroispremièresballesn’avaientfaitquel’amochersansplus.Iladûbiensûr un peu souffrir, mais il s’est dit, faut en finir ! et il s’est contorsionné pour se foutre unequatrièmeballedanslanuque!Qu’est-cequ’ilsmefontrire,lesgarsd’enhaut!Onl’aplutôtsuicidé,oui,cetOufkir!Aumoinsluiestbienenterré.Ilreposedanslecimetièredesonvillagenatalqu’iln’auraitjamaisdûquitter.Oùallait-il,aufait,quandilareçucettegiclée?Aupalais?Monœil!Etpourquoifaire,môssieu?Non,ilétaitentraindelarguerlepays,ilvoulaits’exilerparcequ’ilavaitratésoncoup.Et lesdeuxpilotesquelesAnglaisontextradés,oui, lesdeuxgarsquiontattaquéleBoeingduroi?LesAnglaisdeGibraltar,ceségocentriques!euxetleurfouturocher!Seprennentencore pour des aigles, parole ! Et ce n’estmême pas à eux, ce foutu rocher ! En arabe, on dit :JabalouTariq!LamontagnedeTariq!Tusaisquic’est,toi?Non,biensûr,t’asrienétudié!Tariqétaitunconquérantarabe,lepremierquiaitmislespiedssurlesoleuropéen!Ilafaitbrûlertousses

vaisseauxsurlesolespagnoletditàsonarmée:«AlBahrouwara’akoumwal-adou’amamakoum,lamerestderrièrevousetl’ennemidevantvous!»Cequirevientàdire:«Sivousvoulezretournerchezvous,allez-yàlanage,sinon,combattezetvousresterezici,vousserezlesmaîtres!»Etilsontcombattu,gagné,ilssontrestéshuitcentsansenEspagne,maisàquoiçanousaavancés,hein!dis-moiunpeu?LesEspagnolsneparlentmêmeplusl’arabe!Etilsoccupentmêmequelquesmorceauxdenos terres !Etc’estnousquiapprenons leur langue,maintenant !Et ilsontencoredesenclavescheznous:MéliliaetCeuta!Ettucroisquec’estsouscerégimequenousrécupéreronsnosterres,hein?Tutefourresledoigtdansl’œil,monpetit!Lesroisdenosjoursnefontpluslaguerre.Ilsveulent vivre en paix entre eux.La seule guerre qu’ils aiment faire, c’est bien celle qui consiste àécraser le peuple, à lemuseler, lemaltraiter souvent pour qu’il ne puisse jamais relever la tête etdemanderdescomptes.C’estleurseuleactivité.NosroissontpluscruelsetplusinconséquentsquelesNéron,lesCaligulaetconsorts!Ilsnemettentpaslefeuàlaville,c’estlepeuplequilefaitquandil enamarre,quand iln’aplus rienàbouffer etqu’il serre sur sonventreungrosgalet,mais ilsordonnentàleursgensdemitrailleretdedécouperenmorceauxcepeuplerécalcitrantetdésespéré.Ilss’offrentainsidesspectaclesdignesdeleurignominie!Revenonsànosmoutons!Nosenfantsjeveuxdire,ceuxqu’onvientdecreveravecdesballes.Douzeballeschacun,çafaitdouzemultipliéparquinze!Douzefoisquinzeégalehein!douzefoisquinzeégale180!Oui,vieux,180balles!Tuterendscompte!Uneballe leurestcomptée30centimes,çafaitdonc30multipliépar180égale, j’ysuispresque,égale5400centimesautrementdit54dirhams,dequoinourrirunefamillepourdeuxjours.Voilà,voilàoùjeveuxenvenir!Tatatata!Non,vieux,non,hé,tunesaisispasbien,maisalorspasdutout!Jemedisaisquesionlesavaitmisd’officedansuneusinedeprison,oudansuneprison-usine,auchoix!cesquinzegossesauraientrapportébeaucoupd’argentàl’Etat.Etvoilà-t-ilpasqu’onlespasseparlesarmes!Etl’Etatperddumêmecoup54dirhamsettoutcequecesjeunesgensauraientpuluirapportersionlesavaitobligésà travailler.Biensûr,yaundécompteàfairepuisqu’ilsauraientboufféchaquejour,ilsseseraientvêtusetainsival’âne,bon,maisl’Etatyauraitgagné. Crois-moi, je comprends tout ça, les chiffres et moi, nous nous connaissons bien, j’étaisépicier.Dureste,jelesuistoujoursmaiscesontmesenfantsoud’autresgarsquigèrentmesdiverscommerces. Jen’yvais qu’une fois l’anpour l’inventaire.C’est harassant !Mais je suis obligédecompterlesboîtesdeconserves,lesbouteillesd’eaudeJavel,debière,devinettouteslesbabiolesqu’onveut,pourmeteniraucourantdecequisefaitderrièremondos.Dis-toibienqu’unefois,j’aifaillimeretrouversurlapaille.J’avaisalorsunassociéetcommejedevaismerendreaubledpourmarierunedemesfilles,j’avaislaisséàmaplace,parcequejeconnaissaissonpèreetquej’avaisdel’estimepourlui,unjeunevaurienquiatentédenégociermapartavecmonassocié.Ehbien!quandjesuis revenudubled, ilsontexigéd’achetermapart,mais j’ai refusé.Nonseulement j’ai refusé,maisj’aitalochémonassociéfélon,jel’aisibienbafféqu’ilenagardélamarqueunjouroudeux!Etj’aidumêmecouprenvoyélejeunevaurienaprèsl’avoirdûmentsodomisé.«Çaluiapprendra,mesuis-jedit,çaluiapprendraàmeboufferlespoux!»Etmerde!monassociéest tombésurungosseetcommeilavaitchezluiunefillepubère,ilatoutbonnementvoululaluicoller.Onfaitainsi

d’unepierredeuxcoups!Onmedépouilledecequej’aidurementamasséetd’uncommercequej’aicréé…jenet’aipasditquemonassociénepigeaitquedalleaucommerce?Ilnesavaitmêmepasparlerfrançais!Bon!Bon!Ilnesavaitmêmepasnommerlesdiversproduitsquejevendais.Maisilavait du fric, ça oui il en avait ! Il possédait deux minoteries, des hammams où évoluaient desmasseurs nègres, il avait aussi une ou deux fermes dans les environs de Casablanca, bref, il étaitvraimentriche,maispasaussirichequelesM’Zalioul’HadjAbd,quiavaientétécaravaniersavantdedevenir, leprogrèsaidant, transporteursetnégociants.L’HadjAbd, lui,est leroidusucreetduthé, ça enrichit vite sonhomme le sucre et le thé, c’est ladrogueprincipale ici…et les transportsaussi,çaterapportepasmald’oseille!Non,monassocién’étaitpasaussiricheniaussiinfluentquecesmessieursmaisilavaitquandmêmedelagaletteet ilpouvaits’estimerheureux!Jamaisiln’avoulu comprendre comment j’ai vécu,moi l’homme du Sud, le vieux chnoque pas pudibond ! Jesavaisqu’ilvoulaitm’éliminermaisjeneluienvoulaispas.Ilm’avaitmêmeinterditdefumerchezluietj’aiobtempéré,jemesuistoutsimplementditqu’ilnedevaitpassupporterl’odeurdutabac.Cen’est pas vrai !Mon petit doigt me dit toujours qu’il était né pourme tromper. Eh bien ! Je l’airenvoyé,luietsespetitsvauriens,benquoi!Ainsij’aivécu!Maisqu’ilvienneencoremetorturerl’esprit, ça n’ira plus du tout ! Rideau ! Non que je sois un vieillard complètement gâteux ! Jeconnaissaiscegenred’individudepuislongtemps.Oui,jesavaisàquoim’entenir.C’estpourquoijele réprime en moi, oui, je le désarticule quand c’est possible. J’aurais mieux fait de le bouffercarrément.T’espasaussi solideque je levoudrais,qu’ildisait !Non, jene le suispas,que jedis,minable,vulveoucul,maboucheenculdepouleavalantduthéchaud,duthéàl’absinthe!

A Tanger, le vieil homme portant le cercueil de son père, le café maure qui ne débitait pas deboissonsalcoolisées,moiattablésurlaterrasse,commed’habitudelorgnanttoutcequipassaitdansmonchampdevision,àTanger,lerireseromptfacilement,lajoieterréeentoicommenceàfondreentoidèsquelesoleilt’apporteunemauvaisenouvellesousformedemort,decercueil,defemmeenceinte,oui,defemmegrosse,embelliecependantparsadjellabaoutoutsimplementparsesrarespendentifs,ridesetautresstratagèmes…envuedeteposséderunefoispourtoutes…àTangerquandtuétaisassissagementpourunefoissirotantunlait-grenadineàlaterrassedececafémaure(maureparcequ’ilneservaitriend’accointant,c’est-à-direrienquipûtt’administrerunrêveéveillé),toutelafaussetédumondet’estsoudainapparuecommesurunetabledejeuunedéfaite irréparable!C’estcommelamort!Cettemortqueportaitsursondosunvieuxquetuneconnaissaispas,surcetteplaceoù,touristehébété,turegardaisévoluerlesgens.Çadevaitunpeutegêner,cettemortquisebaladaitlà sous tes yeux ; tu t’étais levé de table pour mieux voir, tu avais peur, très peur parce que tutraversaisunecriseincompréhensiblemêmepourtoi,tuétaisdanslefosséleplusexigudelapeur,toutprochedelaréalitéquit’avaitsisouventfaitmordreteschairsetteroulersurunlitdepanicauts,tuavaispeurdecequipouvaitbiensûrsetenirderrièrecettemincecloisontransparente,tellementtransparente que tu te hérissais chaque fois qu’on parlait d’enterrements, de suicides, de noyades,mais ce que tu croyais être ta peur n’était pas autre chose qu’une grande et grave lucidité, qu’unmicroscope qui te permettait demieux distinguer ta forme dans l’arrière-monde, autrement dit lamortd’autrui…Tuétaisassissurunechaisedeferverteetdevanttoi,sortantd’uneruellequin’étaitriend’autrequ’untunnelmaléclairé,cevieilhommequiportaitsonpèreousonfils,tunesaisplus,commentveux-tuencoreavoirlamémoireaprèstoutestesdestructions?Tuhaletaispresquecommeaumomentoùtuavais,danslanuitnoire,donnéunseulcoupdegourdinàcechacalfemelle,oui,c’était bien une femelle que ton piège retenait pendant que tu l’assassinais. Tu ne l’avais pointassommé,tuavaisungrosgourdind’olivierquetubalançaistoutletempsenavant,tunejouaisavecque pour tuer et assommer, tu étais trop pur mais ton père t’avait recommandé d’être rapide etefficace,alorstuastuéenpleinenuitcechacal.Tudevaismêmetenterdetesuicider,n’est-cepas?toiquicroyaistellementquetupouvaisvivrepluslongtempsetmieuxquelamajoritédesgensquetufréquentaisouquetuentrevoyaisdanstonpetitmonde!Tonpetitfiletoùleshommesquis’agitaient

danstamémoiret’apparaissaientcommeautantdepapillons,decriquetspèlerins,decétoines,commetu avais l’habitude d’en prendre dans tes cheveux quand tu étais encore assez morveux pourmassacrer les insectes. Et puis tu avais tenté aussi parfois de tuer ces énormes papillons violet etrouge, tu voulais friper leurs ailes entre tes doigts, mais tu ne réussissais qu’à leur casser lesantennes, tuétais troppetit, les tigesdes fèvesétaientplushautesque toiet tu t’esquintaispourdesclopinettes. Le torrent bruissait au loin, vers cette butte qu’on appelait de tous les noms, certainsdisaientquelesdjnounsyhabitaient,d’autrespourquilamantereligieuseétaitunesortedefétiche(laJumentdesEnterrements!)gueulaientquetoutcelan’étaitqu’unguet-apens!Maistuallaisbarboterdans lesmares les plus putrides, dans la boue tu te roulais comme un chien galeux ; tu étais nonseulementivredetoi-mêmemaisencoreprêtàtefondredanslachairetlesangdetouscesvieuxquite racontaientdeshistoires etque tu savaisvouésàunemortprochaine…Lamortn’étaitpour toiqu’unécran,unesortedegênesansplus!Lesvieuxpouvaienttomberd’unarbreetsetuer,voilàcequetupensaismaisilsnefaisaientriend’autrequ’écriresurdescahiersd’écolier,mesurerletroncdesamandiersetdespalmiers-dattiers…jouerauxcartesetfumerdescigarettesqu’ilsroulaientsouslefeuillagedescaroubiers…Ilsnes’insultaientjamais,cesvieux-là!Jamaisilsnes’encanaillaientcommeces vieuxque tu avais vus dans les villes duNord, se tordant parfois de rire et parfois setabassant… s’arrachant les cheveux, se mordant et bavant les uns sur les autres… comme cesclochards,oui,commelesclodosdelaContrescarpe,àParis…Tutebaignaismêmedanslespuits,lespuitsoùmaintes filles,despucellesquine savaientpasnager tombaient et senoyaient, le soir,ayantglissésurunepierreplatede lamargelle, tu te souviensencorede la filleduboucherqu’onavait enterrée pleine d’eau de puits vers le crépuscule, elle était tombée dans le puits c’était lecrépuscule, lesoleil lançaitsurleshommesquicreusaientsatombeunflotdegrisderougesetdevertsemmêlés…Ungrandfaitdivers,oui,maistutremblaissachantparfaitementquetuauraispulasauver,latenirentretesbrasvigoureuxetl’arracheràcetteeaupurequipoursoncorpsn’étaitriendemoinsqu’unagentdemort:lanoyade…

Touscespetitsbatraciens,cesinnombrablesjeunotsvenusduNord,del’étrangerj’entends,cesfillesquimarchentpiedsnusettraînentdansleursillageuneodeurdekif,sangléesdansdesrobessales,leurscheveuxtombantennattessurleurcroupeoubiens’accrochantauxfreinsdesvélos,toutescesmarées saisonnières de bambins à peine tirés des langes qui grouillent dans les souks, hantent lesmédinasetcouchentaveclesanimauxdanslesécuries,crotteux,suantlaruine,lamisèredel’âmeetécrasantleurspouxentredeuxboufféesdeclop…,jelesconnaisbien,jelesaimeaussi.Cesontlesvraismessagersde l’Occident, pas ceuxqui tuentdesAlgériens impunément, pasdes revanchards,des belliqueux, des renfrognés de métro ; ces bambins qui ne veulent plus retourner dans lesbanlieuestrépidantes,crasseuses,désaxées,quidétestentmourirparmilesleursdansd’épouvantablescontorsionsoùlatélévisiontientlieudetabernacle…oui,j’aimebiencesgosses.Ilssontlégionici.Hivercommeété,onlesvoitpardizainesassissurunenatterugueusedanslescafésmaures,fumantlesebsi(pipedekif)oumangeantdecespetitsgâteauxrondsfaitsd’orgeetd’opium.Jen’aijamaistâtédel’opium,jen’aijamaisfuméautrechosequedutabac,jedétestelesdroguésprofessionnels!Ils polluent la poitrine et le sang de ceux quimènent volontairement une vie calme, saine et sanshistoire.Etcepoèteespagnol?Rojo-Leon(le lionrouge!), iln’étaitni lionnirougeniespagnol,mais poète peut-être.De quoi vivait-il ?Ce poète qui écrivait en espagnol et qui publiait dans lesrevues brésiliennes ou argentines ? Il était rifain, selon certains…D’autres disaient que c’était unrescapé des geôles de Franco… Bon, bon ! Il ne pouvait pas être rifain parce qu’il écrivait enespagnol?Ilnepouvaitêtrequ’unexilé,undecesEspagnolsquelehasardajetéssurnosrives…Trèsbien !Toutesces fillesvenaientmevoirdansmonabri.Non, jen’enparleraipas !Lagrotted’Hercule?Çan’estsûrementpaslàquejegîte.Ilparaîtqu’ilyadanslagrotted’Herculeunpetitgeyserpastropbrûlantsurquoisemettent,jambesécartées,lesfemmesstérilesquivoudraientenfinprocréer. C’est connu depuis l’Antiquité…Elles écartent les jambes et reçoivent dans l’orifice duvaginlejetsalvateur.Maislevraimisérable,c’estleTangérois.Ilvitassissurlapierreàlongueurdejournée. Il fait parfois quelques gestes pour qu’on remarque qu’il défend la pierre sur quoi ilfarniente. Sa vie se déroule ainsi.De temps en temps, la contrebande le tente.Alors, il y entre deplain-piedquitteàdistendresesmuscles.Iljoueaufortdeshallessurlaplacehauteetdanslameriltrempesesorteilscrasseux.Pasdefarnienteici,dit-illorsquelesmouchesbleuesravagentsesplaies.

Il se secoueet s’en tire…C’estpeut-êtrepourquoi leTangéroisdrague lespetites fillesvenuesdeFrance et d’Angleterre. Elles se laissentmonter, gentilles comme les billes qu’il avait perdues aucollège.Quandunmarlouplusretorsqueluipasseàproximité,illargueillicolafilleetrenifle,maisjamaisne sort un flingueouun couteau. Il préfèredécidément sapierre rugueuse !Oui, cespetitsbatraciensquem’envoie leNord sontparfois cequ’il y ademieuxquestion fesses, c’est l’attente,toutel’annéedurant,quimelesfaitplusbeauxqu’ilsnesont!…Quandjelesrencontre,jemebaisseetbaiselesolsurlequelilsmarchentpuisjelesembrassefougueusementetlesemmènechezmoi,dansundemeshôtels…bienquemaprogéniturerechigne.Ah!commej’aimetachatte,Hildegarde!Comme tapaillardisem’enchante, Jean-Louis !Vous fûtespourmoi lameràboiredansunecavemaisaujourd’huiquevousêtespartis,peut-êtreredevenuscequevousaviezfui,aujourd’huijevousentendsmieux qu’hier. On vous refoulait à la frontière parce que vos tignasses pendaient jusqu’àterre.Onessayaitmêmedecorromprevotrechair,devousintroduiredansl’anus,danslaboucheetdans lavulveunphalluspustuleux, larmoyantetgangrené.Onessayaitdevous tuer,mais j’étais làavecma foudre etmeshontes. Ils ne faisaient demal pasmêmeàunemouche. Ils déambulaient àquatreoucinq,enfileindienne,ous’asseyaientaupiedd’unescalierpourtravailler.Ilsfabriquaientdesbagues,descolifichets,despetitsmasquesdorésbariolés,descolliersdecoquillagesetdebillesdebois,voilàcequ’ilscréaient.Pasunflicneleshouspillait.Ilsvivaientdesoleil,decoucheries,dedrogueetd’espérance.Lecridelamouetteétaitleurseulvraidélire.Levisaged’unvieilarabe,ridé,labouréparlamisèreetl’opprobreleurapparaissaitcommel’imagelaplusbelledumonde.Jamaislemotmadonenetrottaiteneux,leurcervelleavaitplongésesracinesdansuneautreterre,dansuneautresouffrancebrusquement transforméeen jubilationrésignéede toutunpeuple.Voilà,enfin,cequefurentmesbatraciensvenusdel’Occident,seulsmessagerspossiblesdecemondedéjàmort.Ah!lesplusodieuxnesontpasceux-là.Ilyaicidestermitièresbiencachées.Personnenelesvoit,saufmoi. Ilyaceuxquiachètentunpetitvoyage,un toutpetit.Ceuxquiveulentallerailleurs.Et ilyaaussiuntasd’escrocspourlesgruger.Ilyaceuxquiveulentgagnerunpeud’argentpournourrirleurfamilleetquivendentleurterreenvuedesepayerunbilletdetrain,unpasseportetunguide.Ceux-làsontpirequecettejeunesseditedépravée!Quelleidéedevendresaterre!IlyadescorbeauxquinesontlàquepourplumerlespaysansduSudquin’ontmêmeplusd’eaudansleurvillage!Biensouvent, cesescrocs sontdumêmevillageque lesplumés. Ils leur fontmiroiterunemined’or enFrance,lesprennentenchargejusqu’enEspagnepuisilsleslaissentsedémerderseuls…Aquoiestdûtoutcela?Dis-moiunpeu,toiquisaistout?C’estlefaitdequi,dequoi?Onaimebienleroiici,oui,onl’adore,cedoitêtreunevacheàlait.Tiens,tuvoispasquemesbabinesendégoulinent,decelait?TonpetitroivientdesepayerunjolichâteaudansleVal-d’Oise!Oùça,pote?C’estenFrance,crétin,c’estdanslarégionparisienne!L’abesoindecachertamisère,ceprince!Biensûrquej’ailetrachomeetpasmaldemerdedanslesyeux,maisc’estlesoleilquimelesbouffe!Tagueule,raton!Tudéfendsbienplustonprincequ’ilnesongeàtapetitenichée.Brûleseslupanars,cenesontplusdespalaisqu’ilamaisdesbordelsdeluxe!…etfais-toiuneraison!J’m’enfousduroi,moi,jecroisquelepeuplesenourritbienplusdesasandalequedeyous-yous!Grrr!t’esunconnard!Qu’est-ce

quetuveuxfoutreenFrance?Boulonner,pardi, jeveuxallerboulonner!Tucroisqu’iln’yapasassezdebraslà-bas,pasassezdecouillespourprocréer?Tutefousledoigtquelquepart,parole!Béee,puisquec’estcommeçaj’yvaisplus,c’estlesgarsquimedisent:«Vas-yt’asrienàperdre»,vaut peut-être mieux que je reste ici, ils veulent sans doute que tout le peuple s’exile pour qu’ilspuissent faire duMaroc un énorme bordel, un hôtel pour touristes quoi !Mais il y a les lycéens,couillon,tuvoispastousceslycéensetcesprofsquidégustent?Onlesfoutentaulepourtrois-six-neufans…etmêmedixouquinze…Ilsnes’en tirerontpas,crois-moi…Sic’estcommeça,moi,je…jevaisplusnullepart,je…Tudisquedesbêtises,Kabous!Desbêtisesplusidiotesquetafichuemorve!Displutôtàtescompatriotesquisontdumêmesangquetoiqu’ilvafalloirbientôtétrillerlepaysetledéchargerdesesparasites.Carilfautenfiniraveccesinsectesquivousbouffentlesang…Ainsi me parlaient les jeunots du Nord. Tout ce qu’ils disaient était pour moi aussi vrai que lesparolesduProphète.Nulcrimeeneuxnefleurissait,nullehargnen’accompagnaitleursdires.Poureux, lapauvreténepouvait êtreque le fait duPrince, lebonheur, la joiedupeuple et de l’hommehumble.Ilsétaientvéritablementlesenvoyésd’undieuquinecroyaitplusàlafonctiondecemonde.Jelesnourrissaistantquejepouvais, jeleurdonnaistout,obligeantparfoismesfilsàsemettreenquatre pour les servir. Mes fils grognaient, alignaient des chiffres l’un derrière l’autre mais peum’importait.Toutlemondeicibouffemespouxquejedisais.Etmesfilsdonnaientàcesjeunotstoutcequejevoulais…Brrr!Quelleputedefroid,té!C’estencorelàquejesuis,moi?Surcetteplagede Tanger ? J’en bougerai donc plus jamais ou quoi ? Faut que j’aille plus loin. Allons-y ! Lafrontière ne m’est plus ouverte. Toutes les calamités du monde se sont assises dans ma cervelle.J’errepar-cipar-làmaissoyezassezindulgentspourmepardonnerceleurre.Enfait,jemetarabuste,mecasse,tombeenruinessansquej’ensacherien.Tropvieux,pardi!jesuistropvieuxmaisonneme porte pas encore jusqu’au lieu d’aisance.Grand-mère estmorte à quatre-vingt-quinze ans…etmoi,jemourraipeut-êtreàcent.Jen’aiqu’unebaffeàdonneraucielpourmeretrouvertoutnudanslesbrasd’unemèrecapabledemeréinventer.Assezparlédemoietdemonerrance!LespetitsgarsduNord,lesEuropéens,ilyabellelurettequ’ilsvadrouillentici.Ils…terriblecebateauquipasse,terrible!Lesgossesmerevaudraientça.NonpasceuxduNordmaisceuxd’ici,lesfilsdecaïdsetdesputesducoin.Fontquedesaccidents,massacrentlesbaigneursetfinissenttoujoursparsetuersurlesroutes.Sonttousoupresqueauvolantd’autosderniercri,d’autosaméricainesouitaliennes.Etaprèsça, on les retrouve, les lèvres retroussées sur les mâchoires, la glotte tranchée, ricanant dans unpaquetd’ortiesetdechardons!C’estlaloidecettejungled’autosetdesaloperies!C’estpourquoij’ai interdit à mes fils d’acheter ces tas de ferrailles. Sauf pour les revendre, ça oui, ça c’est lecommerce!J’ai levirusducommercecommeunebonnepartiedemafamille.Mais,aufait, jenepensepratiquementplusàmafamille.Quedevientcettevieillecharogne?Cequ’elleestmaintenantquoi!Commedisaitunbonphilosophe.Tiens,c’estunAllemandcommed’habitude.Neserait-cepasNietzsche?Oui,c’estça.Tienstiens,jemedémultiplie,jesuisqui,aujuste?Peut-êtrepasceluiquevouscroyez.Onn’ensaurarien.Jeconnaisdesmecsquisedébrouillentbiendanslavie.Cetypeparexemplequ’onappelleTikhrbichin.C’estundrôledezèbre.Voussavezcequ’ilfait,non?Cen’est

pasunmaquereau ! Il n’y a auMarocquedesmaquesde luxe,desgangstersvenusd’Europe,desBoucheseiche et Cie. Des gangsters qui ont fui la Justice française parce qu’ils ont trempé dansl’enlèvement de Ben Barka, hé, tu saisis ? Si tu l’as oublié, c’est que t’es déjà mort ! Eh bien !Tikhrbichinestplutôtspécialisédansletransportdelamain-d’œuvreversl’étranger:untrafiquantquoi!Qu’est-cequ’ilfait?Rien!Ilprendbeaucoupdeflouzeautype,luifabriqueunpasseportavecla complicité d’un fonctionnaire véreux qu’il arrose un peu, puis il lemet dans une bagnole avecd’autresgars ayant subi lemême traitement…on les emmène jusqu’à la frontière espagnole et onharanguelesdouaniers,graissantunepattepar-cipar-là…silesouvrierssontrefoulésonlestalocheet les réprimande…voilà leboulotdeTikhrbichin !Queldrôlede zèbre,hein ! Il est beau,grandparcequ’iljoueavecdescongresplusgrosquelui,aveclepeuple,camarade!Ilfinirapeut-êtreparsefairecouperlezobundecesquatre.Aucungarsd’icin’interviendra,aucungarsneluidonnerasabite!Tikhrbichinétaitunrésistant,iln’estplusqu’uneloquebaveuse,ungagne-petitetunemerde!Autreturbanquetuportes,roidemesdeux!Turband’aspicss’ilenest,hein?Tikhrbichinéchappamiraculeusementàlamort.Tuluiavaisdonnéunflinguequis’enrayaitfacilement.Unchabakounilemitenjoueleblessasérieusement.Tikhrbichinnedutsonsalutqu’àlafuite.C’estunevieillefemmedesbas-fondsdelavillequilesauva.Quandjefissaconnaissance,ilhabitaitunhôtelminableavecsafemme.Acetteépoque,j’étaisencorefonctionnaireetjevenaisàcethôtelpourtireruncoupavecdes putes. Papa avait des antennes dans toute la ville sauf dans les bordels, c’est pourquoi j’ygrouillais. Tikhrbichin et quelques chleuhs qui n’ont pas inventé la poudre m’adoptèrentimmédiatement. Je devins leur ami et leur conseiller. Ilsmirent dansmon lit des négresses et desblondes,desbrunesetdespunaises.Onrompaitleramadanàlongueurdejournéemaislesoironlesaluaitennousconformantauxritesgastronomiquesquetoutcroyantdignedecenomdoitobserver.On bouffait et buvait, la nuit, le jour on avalait des bières étrangères. Et on discutait. Quand l’undormaitoufaisaitminede somnoler, lesautres lui fichaiententre les lèvresunecigarettedekif…puis tout recommençait.C’estdansceshôtelsminablesque les fonctionnaireset les larbinsde toutpoilvenaientperdre lavertude l’Etat.Malpayés, les fonctionnairesagitaientaunezdupeupleunefoudremouillée.Bonenfant,lepeupleriaitetsecontorsionnait,maisiljetaittoujoursquelquechosedanslasébiledufilslettré.Jeregardaisfairemaisnedisaisrien.Déjàquandj’étaisdanscettevillemorte et rasée, rebâtie maintenant sur les sanies du peuple berbère, je fermais l’œil sur lesprévaricationsdemesemployés.L’unetl’autretouchaientunbakchichénormerienqu’enmontrantlesdentsauxmarins-pêcheurs.Al’époque,jen’étaisqu’undélégué,quelqu’und’autretrônaitsurcebordel. N’empêche qu’il y fit son grain et qu’il voulut aussi, quand l’Algérie fut indépendante,emporterleMAB7,65quej’avaisdansmoncoffrefort.Jeluiairefuséça,biensûr.Jamaisjen’aitiréavecceMAB.D’autrespeut-êtrel’ontutiliséaprèsmondépart,bienquejel’aielaissédansunétattelqu’ilnepouvaitvraimentplusservir!Delààdirequejesuisunpacifiste,iln’yaqu’unpasqued’aucunsontvitefranchi.Moipas.Jesuisplutôtunchasseurderois.Unhèrepourmieuxdire.Unquej’aime lechanteurberbère l’HadjBelaïd ! Il estmortm’ayantentraînédans songouffre lumineux.Jamaisunedesesparolesnefutcontrelepeuple.Lorsquej’étaisgosse,mamèreetsesdeuxsœurs

me le faisaient écouter sur des 78 tours. Elles manillaient une manivelle afin de faire tourner lephonographe.Ah!Femmes!Ah!Mère!Vousêtesplusbellesquececieltombésurmoi!Cevieuxzèbremarchasur labraiseet alla jusqu’àLaMecqueà seule find’honorer leProphète.Mais il fitaussiquelquesincursionsenFrance.IlchantaPariscommelefitVerlaineouBaudelaire,c’est-à-direqu’ill’oubliadanssessanglots.Auvrai,cevieuxnechantajamaisquelafleurqu’iloffritunjouràune filledeTiznit, unebelle fille brûléepar le soleil duSud.Etqu’il aimaatrocement ?Unhère,voilàcequejesuis.Uneloquequitraîneencoresurcetteplage.Maispeut-êtrequedemainungarsneufprendraàreverscetempsmauvais.Ilsluiontfaitboufferlebâtonmaislapoésienevoulutpointlequitter.Ilslebastonnèrentsansenrientirer,voilàcequeditlechantredeschleuhs,lavraiebrosseàdentsdudésert,lemaîtredemesnuitsetdemestressaillements.Seul.Toujoursseul.Ilbalancesahargneetsagentillessesurvosgueulesputrides,souriantduriredesmortsetdégustant leventdudésespoir.Vous tuantà l’infinidansvos jérémiades incongrues,vosdoutesethontesbienastiqués.Petit, c’est-à-dire enfant, il vadrouillait un peu partout. On le retrouvait souvent cloué aux épineslonguesetblanchesd’une raquettedenopal. Ilne s’en formalisaitpoint. Jamais ilnepleurait, sauflorsqueleshommesluiintimaientd’êtrecequ’iln’étaitpas.Alorsseulement,destorrentsdecaillouxsortaientd’entresesdentsetdesesyeuxsourdaientdesfleuvesquivouscrucifiaient.Ilvadrouillaitoui,maisjamaisilnes’égarait.Ilsavaittoutdesplantesetdesfleurs.Unpanicautpouvaittrèsbienlepiquer, il s’en moquait. Quand, par inadvertance, il s’asseyait dessus et l’écrasait, il le relevaitdélicatement puis il s’en allait.De samémoire d’où ne gicle plus qu’un horizon obscurci par vosterreurs, il ne reste qu’unvague souvenir d’enfance.C’est lui-mêmequi le dira, je ne suis ici quepourlesrepères.

ATangerparfois…parfoischezmoidanslamontagne,bledpourriaudemeurant,trèshautperché,situéentredeuxchaînesdemontagnes,l’uneeffrayante,érodée,rabotéeparl’érosion…l’autrekifunzobdepuceaupleurantseulementl’eauduciel…Toutelanuithurlant, jappant:chacals,hyènesouquoi encore ?Moi, çamedit rien absolument rien tout ça, qu’hurlait le vieuxgendre.Son sac estpleindecrottes,depaquetsdeFanidaetdetabacàpriser,luilegendre?Turigoles!L’étaitplutôtlebeau-père à ton père, hein, petit gars ? Ouais, ouais ! Beau-père à mon pa quoi ! C’est ça !Vroummmm! J’yvaisderechef !Anamr !Fallait se taperpresque trentebornes àpied.C’est rienpourunchasseurdemonacabit!Enuneheureetdemiec’étaitfait…maisjem’arrêtaissouventencoursderoutepourrienglander,fairepar-cipar-làquelquesconneries,mesignalerdanslesparagesquoi!Unefemmesautéeicioulàqu’avaitriend’autreàdonnerquesoncon,destrucsdecegenre,tupiges ?Ça faisait bien !On s’allongeait sur le sable du torrent et han-han, le cri du bûcheron, ças’enfonçaitterriblement,ellejouissaitlafrangine,criaillaitcommeuneoieperduedansledésert,tuvois ? Han-han que je te…Oh oh ! elle bouffait les biscottesHenry-Filibert… à Casa qu’il étaitFilibertavecsesbiscottes…lesmêmesquel’autreconmerapportaitdelà-hautquandildescendaitbaisermaman!Telpèretelenculé!Etjefaisrire,hein?Pasdeça,môssieu!Moifairerirelesgars,tu te fous de ma gueule, ou quoi ? Di-di-di ! On s’asseyait d’abord sous un feuillage, n’importelequel…de tamarisoude lauriers rosesauchoix…yavaitdeçapartout…puisonbavardaitdeuxtroisminutesavantdecopuler…Rienprimaitplusqueça:tireruncoup:taf-taf-taf!tuerl’osdansl’œuf, en recréer dare-dare avec hontes et blasphèmes ! Ça tortorait, flon-flac-flac-flon, çapatrouillaitjusquedanssonâmemaischeznousnilafemmenilafemelledel’homon’ontuneâme!N’auraitvécuquepourça,lui?Tudis,con?Allez,défile,grimpeàl’arbre,fileillico!Vraidevrai,je la forçais pas. Elle qui s’allongeait, se déshabillait. Tiens, jette-toi dedans qu’elle farfouillaitouvrant ses jambesmatelassant le sable avec son drap noir immensem’attirant sur elle comme sij’étaisunvulgaireinsectetoutjustebonàcreuserdansl’arbreunegaleriepourmieller…uneguêpeouunichneumonouquelquebourdonlégendaire,pointàlaligne!…C’estellequ’avaitladécision,gamin!Donc, je traînais là pour tirer les trente bornes qu’au bout d’une rondeur, pas le tour complet dusoleilmais kif !Et tirais parfois quelquemalheureuxgibier qu’osait pointer son crâned’entre les

arbustes,l’emportaisdansmoncarnierfissaenvued’épaterlebeau-pèreàpapaettomberunedesesfilles…Cellequ’iladonnéeàpapaavaitétémariéedeforceàuntalebtimoréquineconnaissaitrienauCoran,unidiotn’enseignantquelquesfragmentsduCoranqu’àquelquesautresidiotsduvillage…Commeidiot,commetantouzeimbécile,onnefaitpasmieux!Carcettefille,çajeteledis,cetteputelesavaitlesrondeursvoulues:nichons,jambes,fesses,figure,cheveux(c’estpasunerondeurmaisvavoir lecoiffeurd’ici il en faitquandça lui chante !), toutyétait !Une joliepetitenénette touteblanche,unpeuroseetsuperbeetbouffablepourquoijemesuisabstenuchezmonpèrepournepascommettreun inceste!Moi, legros insectequientrepartout, lepapillondenuitvoletantautourdel’ampoule!Jedevaisêtrechevalouquoi?Oumontrucs’estfauderché?Hé,etcecondefquih?Elleluienfaisaitvoir,petit.Ellecouchaitpasaveclui.Maiscommeilétaitpatientetqu’ilytenait,elleaétévoirunevieillebourriquequienconnaissaitunrayonlaquellevieillebourriqueluiaordonnédechierpurementetsimplementsurlelitconjugal.Etcetteputel’afait.Lefquihl’arépudiéeillicosansl’avoirdépucelée.Etc’estmonpèrequ’esttombédessus,surcetosmerdique!Tuvoisçad’ici.Monpère qu’a jamais voulu se payer une bagnole et qui s’en paye trente à présent ! Qui se faisaittransporter par ces cons de chleuhs pédales qu’il détestait ! Venant du souk, ils s’arrêtaient,ramassaient les petites pucelles ou les bonnes femmes du cru qu’erraient dans les fossés, ils lesembarquaient,lesgrimpaientetsetaillaientsanscasquer.Voilàcequisepassedanslebledquandt’esabsent ! mais t’es pas lié, pardi ! hein ! faux-derche ! On te connaît pas la moindre femme !Gargouille ! Gargouille ! Et au souk ? Au souk ? Zéro ! Mokhaznis, vieilles putes datant ducommandantUntel!C’estquedalle,monvieux!quedalle!Ailleurs,ailleurs?Tabite,chezlebeau-pèreàpa?Non?Bon,bon!File,connard!J’aivraimententubépersonnelà-bas,maisunedesesfillesviergej’entendsoulesdeuxfillesjenesaisplus,voulaitcoucheravecmoinonpointpourmoi-mêmepourmabite,mais parceque j’étais enquelque sorte de sa famille…J’aurais pu les baisertouteslesdeuxsij’avaisvoulu,jenel’aipasfait,c’esttout.Ouais,ouais,jeteconnais,va…disvraibonsang!Etalors,cettebiteçaadonné?Quedalle,fils!M’aemmenéavecelleassezhautdanslamontagne, la montagne fendue partout large comme un con… pour soi-disant cueillir quelquesplantes:duthym,duromarin,delalavande,destrucscommeçaquoi!Etàuncertainmomentvoilàque nous y sommes qu’elle dit ! J’étais jeune remarque… Ah ! elle est peut-être morte la putemaintenantque jedégoisesachantsi j’aipas tort,moi lecon…Etellesefout toutdesuitesurunerocheplate,dugranit sansdoutemaisc’était réellementcequ’ilyavait làdeplus rose, rose-chairj’entends…etellemeditm’attrapant:Faisonsuntruc!Moicommeunmerdeuxquej’étaisjemouftepas…Fairequoi,jeréponds,quoi?Tuveuxqu’onbaise?Ouais,ouais,petit,c’estça!Etelles’estdéshabillée,nousavons…Ellem’autilisé…Elleadoncbaiséavecmoi…c’est tout.Ouais,ouais,vieuxcon!Tul’assautéehein?tuastripotésesbourrelets!Raconte!Raconte1Pasvuseschairsdutout.J’airienvu,pote!Danslebledcommepasunquiseraitvenulà tout justepourmontrerquèsqu’ilpossèdecommepèzeàTanger,àFass,àCasa…Jetevoisd’ici,pote,tulesenténèbres!Partout,tuconstruisdesmaisonsavecdubéton,cimarmique tudis, riantà lacantonnade,mechiantdessusmoilevilainvieuxpauvreducoinqu’apassugérersoncommerce…Faisantpassersousmoiune

routesansasphaltemaisuneroutequandmême…allantverscheztoijusteverstamaison,salesbire!Ouais,t’asunebagnole,mongars!Tatata!Quatrerouesquet’esmaintenant,hein!fiston?T’eslegrandQuatrerouesducoin.Ouais,ouais,j’suisça,corniaud!J’aiquatrehôtels,moi?Ouaisetpasuneétoilemalgrél’interventionduprocureurmonpote!Desbistrots,desépiceriesàCasa,àMeknès,partout…quand jeveux…Combiença fait ?Voilà ! File…Les gosses, c’est eux qui travaillent àprésent…Moi,jemecontentedepeu…J’arpentelaplage…Jevoissilesidéesquej’avaissefoutenten l’air… Reconsidère tout d’A à Z ! Si les Ibères débarquent pas encore ! L’a trop de canons,d’avions,leroi!Monroi!Ouais,ouais, l’estbienmienceroiteletpuisquec’estmoiquirèglesesfactures!Çamedésosse!Ensuisperclusdesdoigts!Hahaha,lesgars!Tenez-moisinonjetabassecette merde ! Lardu toi-même, femelle ! Hein ? Tu te trompes, cogne ! Arrête ton char ! Qu’ons’assoyepasmaintenantsurnosjolisvisagestoutratatinés!Kifdespommesquelesoleilbouffepardedans!Nousdeux?Quandmême!Despotes.Non,mon’ieu,non!Noussommespasdespotes,maisdesennemiscapablesdefairevibrerlesangdesignobles!Va!Farfouilles-y,putain!

Et je te la descends, la mère ! Surtout quand j’étais toc… trop petit, ma foi, trop jeune alors…haletant…pasunegandouraàporterpasunegaletteàmâchouiller…Moitoutnufrissonnant…allantvers lamosquée…rienenmains…ayantpeurdequoiau justedequoi?Despuits?Ahnon ! j’yplongeais…unvieuxs’yseraittué…Desrivières,destorrentsetdesrocherstouthauts!Toutdoux,petit, tout doux ! qu’elle susurre celle-là malgré mon âge, ma forme, mes tifs plus que blancs,inexistantsmaintenant que j’ai le pied dans l’Hadès. Cuivre ou zut ! Pas de ça !Quoi donc ? Lesscories!L’astre!Lescielsbilieuxbienpleins!Hoho!Non,non!Rienquelespoilsquet’asvus,petit,unetouffequoi!L’engrangementetledégorgement!L’entrejambes!Lecon!Hahaha!T’asvu?Benben!Ouaisouaisj’aivuj’aibienvu,gars,sonconàelle,àmaman,c’étaitbeau…maisjem’y intéressaispas…alors làpasdu tout.Elleadit :«C’estde làque t’es sorti.—Ak !Ak !Tucrois?Tuasdûtetromper,maman.C’estpasdelàquejesuissorti.—Maissi,petit,maissi, t’essortidelà.»Possible,jedis,possible…etjereprendslejeu…commehier…commeàvenir…Làjesuis mité, fait comme un rat brûlé par un larbin dans un patio de villa… une ville tombée parséisme…T’arrivaislàà5heuresdumatinparPullman,leSloughiqu’ilsdisaient…tucourais…toioulesloughic’estkifbarjo!Ouc’estledésertquiteportait…Non,c’estlecarquiportelesmecs!Lecar,pote.Ilportetoutlemondedanssongrosventre…VoisdonccegrossoûlardquiconduitlecardesM’Zali,pasunblédardquinerêvedeboireuncoupensacompagnie!Tousenparlent!Hé,on le prend, ton car ! Allez ! monte, monte fissa ! Qu’est-ce qu’on emporte chez nous ? Desconneries!Lampes-tempête,frusquesbariolées,toutlebataclanquoi!EtdesbiscuitsHenry-Filibert.Unevraieexpédition,monpote!Sommesépiciersoumerde!EtlepainDupont,lemeilleurdetoutCasa!LescroissantsDupont!Lespluschers!File,filequ’onarrangesurletoitnoschoses,putain!Etonfile,onfile!Onyva.Fautjustecasquerpourlui,moi,sesguibolles,lesmiennesetnosdeuxcartons. Treize cents balles ! Le car quitte Casa à 5 heures l’aprème…On est salué par quelquesboutiquiers,onesttoutcontrelavitrebleue.LesM’Zaliachètentquedescarsallemands.Ilsblairentqueleschleuhs,lesM’Zali!LesBerbères-Teutons!Pasceuxquifoutentsurlespistestrèsausuddesgrossespierresetarrêtentlecaroulecamiongourdinlevé…Secroyantenfinquelquechose!Aprèsavoirtraitlongtempslabiteducolon…Quiveulentplusgarderleschèvres,lesânesoulesbrebis…Ah!cesfauxchleuhs!Tupermets,jeteleurbalanceraiunedecesroquettes!Baroud!Assez!Les

descendre!Tuercesmecsquidégueulentparlesvitresducar.Richardsàlanoix…Etçatedégueulela tripeetmêmede lamerde !Les tôles sont striéesdedégueulisépouvantables ! Ilsbouffent tropd’œufspourris,lesvoyageurs…oudelaviandeavariée!Lesvoraces!Peuventjamaisseretenirdebâfrer…Jamaispatienterjusqu’àlamaison!Alorsquelafemmeattendsontype,sonhommelégalquinelasautequ’unefoisl’an…Ill’habilledeneufetlaculbutefrénétiquementcommeuninsecteprintanier…Etpuisilsarriventchezeux…Hapastroptôt…D’abord,cesruines,qu’est-cequec’est,mon gars ?C’estAgadir, tu vois ce qu’il en reste. Tout est tordu.Tu sais, la bombe atomique deReggane,c’estpasplutôtçaquiadéclenchéletremblement?Foutuescience,jetedismoi!Agadir!Cetamasdebétonetdefertordu,cesvastescrevassesetcettepuanteurinsupportable!Onyenfonçaitquasiment,lesyeuxhorsdelatête,charriantdanssonsangdeshurlementsatroces!Toutdévoraiticicetteterrequimontaitverslesvitresducar,àl’assautdesvoyageurs…maistoustentaientd’oublier.Terrerougeetnoirebrisantcemonde,n’enretenantquemapensée,tâchantseulementdetuerenmoileschienspolitiques,lessalaudsetlesvieillesamours!Alorsmêmequelecarcahotait,grimpaitens’essoufflantversl’Anti-Atlas!MeretrouvantàTiznitchezmoi…non!presquechezmoi…Arrêtpour la nuit… On dort dans une gargote couché sur une natte pleine de punaises… On écoutequelquessbireschanterlesvertusduroi,tanguerentremoi,lepeupleetlesgrosnuagesquicoiffentcepays…Etbrusquementapparaîtlamontagneviolette,lecars’étantébranlédepuislongtemps.Lamontagne…Jemevoislà…J’ysuis…Jesuisenfinchezmoi…Pasencore,petit,ducalme!T’espasencore arrivé… C’est vrai…mais les gros tas de graisse ne dégueulent plus…Vieux épiciers…Pouilleuxboutiquiers…Riennesortplusdeleurbouche,pasunmot…Tousreluquentlamontagneetsecroientdéjàchezeux,auvillage,entourésdefemmes,degossesqu’ilsn’ontjamaisvus…Lamontagnes’assouplitquandonvaverselle…bleuelematin…Al’est,àl’ouest,oùqueturegardes,elle va, vient, toujours plus haute, ne ressemblant jamais à l’imageque tu en as gardée…Violetteavecdesdiffractionssimultanémentjaunesetmauvesquandlesoleill’embrasepar-derrièreducôtédulevant…Lecargrimpant,grondantsanss’essouffler…Pasdecahotsouplusdutout…Avançantcomme un reptile avec une infinie délicatesse… L’enlaçant presque… Bras trop court pour cettemasseénorme,troplentetparlàmêmechargéd’uneénergieformidable,d’undésirquiserépercutedans tout le corps du voyageur, l’aveugle au point demaudire le fric, les petits plaisirs de la viecourante, tout, hormis cettemontagne douloureusement incrustée dans sa peau et qu’il retrouve etsavoure dans cet insecte de métal, ce long bras de métal qui caresse doucement le roc, luicommuniquantsesmoindrespulsations,sesrêveslesplussecrets,sesjoiesfastes,balayantainsienlui toute trace de honte, toute tristesse, le rééditant à nouveau, jeune homme lavé des doutes, destortures cérébrales et deshumeursmalignes, ne conservantde son anciennevieque ladouceur, labeauté,êtrederechefremisencirculation,êtreneufquineconnaîtpluslapeur,l’angoisse,quis’estdébarrassé de ces sentiments roides qui vous forent, vous taraudent et vous assassinentinexorablement… homme nouveau giclant de cette montagne comme un feu follet guilleret,sautillant,allantsurchaquebranched’arganier,souslesélytresdescigales,surlesplumesdel’aigleroyaloumêmedanslagueuled’unlézard…Nocesdesoleiletd’ombres,decouleursoriginellesqui

ne procurent plus qu’un apaisement souverain, une antique gloire oubliée sous les fumées et lesmaléfices dont l’agitation du Nord pétrifie les villes… Ainsi commencent les retrouvailles del’hommeetdupays,durocnataletduboutiquierquirevientvoirsilatombedepapaetdemamanesttoujours recouverted’unmonticulede terre…si lesamandiersontbienproduitcetteannée…si larécoltedel’orgeestabondante…s’iln’yapaseudesauterelles…silepuitsn’estpasàsec…silepotager est encore plus luxuriant qu’avant… si la vache a vêlé… si le fquih qui lui avait donnéquelquescoupsdebaguettequand ilétaitmiocheest toujours là…si lamosquéen’apasbesoinderéparations…si lenouveaucaïdest justeenverslepauvrecommeenversleriche…s’ilyaeudesmariages,desnaissances,desenterrements…sileforgeronabienaffûtélesocdescharrues…sileplafondn’apasgouttépendantl’hiver…si…si…EtquandildébarqueàTafraout,sonpremiersoinestd’alleracheterauxabattoirsunedizainedekilosdeviande…parlonsdoncunpeudecesabattoirsquisontmagnifiquesentretous!Voilàlemiteuxquiarrivetoutenfoiré,toutempêtrédanssadjellababeige sur une vaste esplanade rectangulaire entourée d’échoppes de bouchers où les mouchescoriacesbourdonnentdansl’airlourdsaturédevapeursdesang…Ilsebaisseetramasseunecornedebouc,latâteaffectueusementpuislareposedélicatement…Ilhumeàpleinspoumonslesrelentsdetripesetsedit:«Ah!jeteretrouve,monpays!Tun’aspaschangéd’uniota.»Puisilsedirigeversle terre-plein situé derrière les abattoirs et observe les corbeaux (il y en a des centaines) qui sedisputent les intestins des bêtes égorgées… Il reste ainsi une bonne demi-heure, ne rêvant pas, neméditantpas,observantseulementlesoiseaux,notantchaquecoupdebec,chaquebattementd’ailes,chaquesursautducorbeau…Certainscorbeaux luiplaisent,d’autrespas…Ceuxqui luiplaisent leplus,lestrèsgrosquis’emparentsanscoupférird’unintestingrêledémesuré,l’emportentenl’air,lerelâchentetlerattrapentàdixouquinzemètresdusolavantdeseposersurunmonticulededétrituspourledéchiqueteretl’avalerensautillantcommedespantinsdontlui,lemiteux,pouvaitseultenirles ficelles…Gavé de ce spectacle, il s’en va faire l’acquisition d’un âne qu’il harnache etmontejusqu’à sonvillage…S’il estmoinsmiteuxqu’il n’yparaît, il n’achètepasd’ânedu tout, il prendplacedansuntaxicommunetarrivechezluicommeunprince…Unefoissur l’airedegarage,auterminus, il appelle un bambin ou un vieillard quelconque qu’il charge d’avertir les siens de sonarrivée…Va,tiens…Etenmêmetemps,illuidonneunepoignéedemonnaie…Ilgagnesamaisonàpied, portant enbandoulière un sacde toile blancheque le sangde la viande imprègned’auréolesbrunes… et, battant contre son flanc, une choukkara neuve fleurant bon l’odeur du cuir bientravaillé…brodéede filsde soie jaune…Sur le seuilde lamaison, tout lemonde l’attend, tout lemondemanifeste bruyamment sa joie…Rires…On sautille comme les corbeaux qui bouffent unintestin,onestrudementfier!Alorslemiteuxdit:«Lesbagagesviennentparchameau!J’aipayécequ’ilfautpourça,lesenfants.»Etilgrimpejusqu’àlaterrassed’oùilpeutvoirunegrandepartiedelavallée…Il se souvientalorsde l’arrêtducaràS’btGzoula,desbrochettesqu’il aconsomméesdansune tavernedecetteescale,deson inquiétudequantà labonnemarchedesesaffaires, luiquipeut sansdoute sepayeruneautomaisquine l’apas fait simplementparcequ’il a troppeurd’unaccident… Et il regarde enfin sa femme et lui sourit avec envie… ne la pelote pas… se laissant

seulement caresser et chatouiller par ses plus jeunes enfants, par la sœur assise comme lui sur untapisenpoilsdechameau…Etilécoutelerapportqueluifaitsonfrèrecadetsurl’étatdelaterre,surlesculturesengénéralet sur la situationagrairede lamaisonenparticulier…Et lui-même,enfin,prendlaparoleetracontecequisepassedanslavilleduNordoùiltientboutique:«Laville!Ah!vous ne connaissez pas encore la ville et peut-être même ne la connaîtrez-vous jamais. Elle estinquiétante,laville.Tropgrandepourunvillageois,troppetitepourunsahraoui!L’mdint!EnarabeAl-Madina!Quandjedisl’mdint,necroyezpasqu’ils’agitd’uncimetièrepuisqueenberbèrenousappelonsuncimetièrel’mdint.C’estpeut-êtrepareil,sivousvoulez,maisçan’estdécidémentpaslamême chose. La ville du Nord a ses cimetières, ses mosquées, ses quartiers, ses boulevards, sesmagasins, ses hammams, ses cafés, ses hôtels, etmême parfois un port où l’on peut admirer desbateaux énormes qui sont eux-mêmesdes petites villes flottantes…Elle est une etmorcelée quandmême…Immenseetcependanttrèsréduite…Ons’yétripeàlongueurdenuit…Tiens,pasplustardqu’avant-hier,onaassassinéunhommetoutprèsdemaboutique…Desgensquipassaientenvoitureà 1 heure et demie et qui ont tiré sur un passant…Peut-être un règlement de comptes ! Eh bien !l’hommeestmortsurlecoup.Septballesdanslecoffre.Quelimbécile!Ilauraitdûsejeteràplatventresurletrottoirous’abriterderrièreunevoitureenstationnement.Commeça,iln’auraitpasétégrièvementtouché…Maisest-cequ’onserendcomptequ’onvouscanardeavectouteslesvoituresetlescamionsquicirculent?Onnevoit riendansuneville.C’estunmonstre impressionnantquinevous fait pas de cadeaux ! » Et il parle, parle pendant que tous, à part sa femme qui prépare ledéjeuner,l’écoutentetserégalentdumoindredesesmots…Ilsexultent,nebâillentpas,nevontnullepartchercherquelquechosequ’ilsontoublié…ilsrestentlà,suspendusàcettetoiled’araignéequeson récit tisseprogressivement autourd’eux… les enserrant en elle… les tenant à samerci tout letempsqu’il resteradans lebled…jusqu’à la findesesvacances…Etquellesvacances ! Il resteaubledaumoinsseizemois…maisiln’enestpasencorelà,ilarriveàpeine…racontantcequ’ilavuchezlesArabesduNord…cequ’ilafait…toutlebienqu’ilafait,c’estentendu…iln’ajamaisfaitdemalàpersonne,cebougre,jamaisbifurqué…«J’aitoujoursobservélespréceptesdel’Islam,lesenfants!Sansquoi,lafoiauraitquittémapoitrinedepuislongtemps.Jeseraisdevenuunzoufriouunassassinouunivrogneoutoutcelaàlafois…Dieum’engarde!»Etilouvresachoukkara,entirequelques enveloppes non affranchies qu’il remet à son frère : « Tiens, donne ces lettres à leursdestinataires. »Un chleuh, venant duNord, boutiquier oupas, devient dumêmecoupune sorte depostierparallèlequiportelecourrierqu’onluiconfiejusqu’àlamaison…onaplusconfianceenluiqu’enuntimbre-poste…Onsaitquelalettreparviendraàlamère,aupèreouàl’épouse…saufsilecars’embrasesurlaroute,cequiestvraimentrare…«Tuleurdirasquelefilsvabien,qu’ilenverraparleprochaincourrierunpeud’argent.Apropos,tudonnerasça(etilsortdesachoukkaraunoudeuxgrosbilletsdebanque)àBouchaïb,c’estdelapartdesonfrère,ilyaunelettrepourluidanscelot.»Ilsetapoteleventre,content,touslesautresleregardentavecvénération…C’estundieutombédu ciel, non pas tombé mais seulement descendu des nues pour quelques mois, le temps de voircommentc’est,deserégénérerunpetitcoup…Etlelendemaindesonarrivée,lemiteuxfaitletour

delaterrasse,regardelepaysageduhautdelamaisonpuisexpulseunoufcaractéristique:«Ah!jesuisbeletbienarrivé,maintenant.»Aprèsquoi,commencepourluilaviedevillageois,uneviequ’ilconnaissaitdéjà,trèscalmeetsanshistoire.

Souslesétoiles,souslesmétéoritess’embrasantdansl’atmosphèreetquel’œilsuitquelquesinstantssanscesserdeguetter lesmimiquesdesgensaccroupisautourdesoi,souscecielnocturneduSudsavamment illuminé, le miteux déballe sa vie de citadin, la rythmant à outrance, l’enjolivantexagérément, n’oubliant jamais aucun détail réel susceptible de fasciner son auditoire ni aucunmensonge longuementmûri dans sa prisonduNord…Unhéros, voilà ce que je suis, unhéros jevousdis!J’ai tenté lediableetmerevoilàchezvous indemne,hein!vousm’écoutez!Tâtez-moi,allez-y,touchezcettepeaudureetvoussaurezquec’estbienmoiquivousparle!J’enaivudesverteset des pas mûres comme disent les zoufris. De tout quoi ! Je me suis battu avec des banditsimplacablespoursauvegardermesbiens.J’aiblessétrèssérieusementlechefdecespirates.Voyezcettecicatricequej’aisurlafessegauche.Jolieentaille,hein,lesenfants?Elleestplusbellequ’unvulgairetatouagedebonnefemme.C’estlediplômedel’hommefort,saseuleressourceetsonseulhonneur.J’enaituéplusieurscommeentémoignecerêvequim’obsèdeencore:j’étaisdansunpaysplatsillonnédecoursd’eaularges,herséd’arbresd’essencesdiversesetdebuissonsdisséminéssurla surface de la terre en paquets touffus surplombant les rivières, dévalant sur elles en unités siserréesquepasungibierpasunchienn’osaitypénétrer,unpaysdeterrerougeetnoiretrèsherbu,fichélàentredeuxmontagnescirculairescommeaufondd’unvasteentonnoir.Cequej’yfaisais?Jen’ensavais rien.Jemesouvenaisàpeinedemon identitémaisn’allezpascroireque jeportaisunnom. Seuls s’agitaient en moi des instincts irrépressibles qui me faisaient errer en compagnied’hommesquejenepouvaisninommerniacceptersansrechigner.J’entrevoyaisàtraverslesgestesetlesparolesinaudiblesdecertainsd’entreeuxmonappartenanceàquelqueancienOrdredétruitjene sais quand pourquoi comment ni où par des forces dont il ne me reste au fond des yeux quel’ombreàpeinemouvantedelapeurprodigieusequ’ellescolportaient.Nousn’avionsniletempsdemangerni le tempsd’urineroudedéféquer.Notre corps était un corpsd’homme fait de chair, dematièresfibreusesmaispointd’hémoglobine.Ceciconstatéàlasuitedel’assassinatd’uneentitédesnôtres tranchée longitudinalement, c’est-à-dire verticalement pendant qu’elle marchait, commefoudroyéed’enhautparunrayonqui l’aurait littéralementscindée.Sachairétait rosemaisellenerenfermaitpasdeviscères.Lesdeuxmoitiésdecetêtrecontinuaientdevivrecomiquementetnoushorrifiaientmalgrénotrefroideur,notreinsensibilitépermanenteettoutelahainestockéequenous

vouions aumonde.Nos cris, qui étaient imperceptibles, nos assauts internes et externes, tout nousjetaitcontreunhypothétiqueassassin,toutnoustransformaitencriminelsvengeurs…Maislacuvetteincommensurable et verteoùnous étionsdétenusnous semblait videde toute existencehorsnous-mêmes. Et quand nous avons tenté d’enterrer les soi-disant restes de l’entité, quelle ne fut mastupéfaction de voir fuser du sol tombal des étincelles longues et effilées qui se transformèrentbientôtenuneimmensecageenglobantjusqu’àl’infinicetteétenduedeterreoùnousétionsperdusoudéportés.Cequej’oublietoujoursdementionner,c’estqu’iln’yavaitlànilejournilanuit.Nousy voyions malgré l’absence de lumière, malgré la profusion des ombres surgies de nous pourestomperlepaysageetnousréduireàl’étatd’unaveugleterrien.Touslesélémentsquiconstituaientla masse aérienne de ce monde nous étaient apparents. Seuls les cours d’eau et les taillis touffuspouvaient se rendre obscurs.Mais nous plongions dans l’eau où qu’elle se trouvât. Nous volionsaussidetempsentemps…trèsmaladroitement,brassantl’airavecnosmainsspatulées.Parfoisnoustombionsparcequenouspensionsquenousétionsfaibles,parcequenousdoutionsdenous-mêmes.Ilfallaitàchaqueinstantmontrerauxforcesassaillantesquenousétionsdéterminésàn’obéirqu’àcefil ténu flottant qui s’agitait quelque part en nous comme un scintillement d’étoiles. Ce rêve s’esteffondrébrusquementmaisj’engardeencoredesstigmatesbrûlants,moiquirampaissurlesableàl’instardes scinques… laissantpartout lesmarques inutilesdemapeau, les trousdésordonnésquemoneffortdésespéréimprimaitausolfluctuant.Exactementcommecesmâlesquirevenaientdusouket que des femelles lubriques déshabillaient puis traînaient sur les galets et la boue craquelée dutorrent, leurayantd’abordlacéré l’échineàcoupsdefouet.Cen’estpasuneanecdote,maisunfaitconstatépardesgens sûrs.Les femmesenquestionn’étaientpasdes amazonesmaisdesmèresdefamillequienavaientmarrederecevoir,chacunedanssonfoyer,insultesetcorrectionsimmotivéesetqui,de surcroît, exécutaient les travauxdomestiques lespluspénibles,allantcouperdubois trèsloindanslamontagne,lerapportantsurleurdos,arrosantlepotagertroisfoisparsemaineaufondde la vallée, nourrissant et trayant la vache, élevant les gossesmerdeux, cuisinant, baisant…Touss’agitant,s’agrippantlesunsauxautres,senouantquitteàsefairearracherlesmuscles,lestendons,saignantdelaboucheetdunez…Euxgavésdeleursfemmes,toujoursinstables,assassinantenelleslefœtus,lesvouantauxpirescalamitésetlesrépudiantdèsqueleursseinssesontaffaisséssurleurpoitrine décharnée…N’est-ce pas un des aspects de ces hommes qui passent leur vie à jouer auxcartesdansunepiècequ’illuminentdetrèsforteslampesàacétylèneetquidormentaprèslerepasdemidi sous les grands caroubiers de la vallée ou sur les nattes sales de la mosquée, chassantparesseusement lesmoucheset les taonsquivolentautourd’eux,digérantcommeunemultitudedecrapaudsquel’ombrebienfaisanteetlaroséed’unparadisoubliésaupoudrentderêvesapaisants?Ilssongent encore aux fusils et aux cartouchières qu’exhibaient leurs ancêtres qui n’hésitaient pas às’entretuer pour s’approprier un amandier ou modifier à leur profit les bornes d’un champ…Saccagésparunpassétribaljamaisexorcisé!S’entredéchirantderechefparlejeu,l’algarade,inhibésseulement par les péroraisons religieuses et les ablutions quotidiennes que leur corps subit pour

s’épurerdescoïtsetdespoussièresaccumuléessouslapatineetlasueurgrassequelesoleiljettesureuxcommeunblasphèmeinexpiable!

Paris,1973-1975