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Agir par la Culture N°29

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Dossier Précarité : Valeur en hausse. Portrait : Thierry Bodson. Médias : Le traitement des grèves. Rom : Dépasser les mythes.

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2 mars 2012 : première de la pièce « Roya l Boch, la der n ièr e dé fa ïence » auPalace de La Louvière. Cette pièce, conçue par les travailleurs de l’usine Boch et la

Compagnie Maritime, raconte leurs luttes, leurs espoirs déçus, leur quotidien...www.lacompagniemaritime.betemps fort

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C ris e éc ono mi que, co nséquenc es im médi ates . 14% des B elg es v i ven t so us l e s euil de pauv re té. A ux quel s on p eut ajo u-te r c eux qui s e débr oui ll ent , c eux qui s ur v iv ent to ut j us te, ceu x q ui v i v ent dan s l ’ in qui étude d e v oir leu r c ondi t i on sed égra der de m oi s e n moi s alo rs que tr av ail l er n’ empê ch e plu s d ’ê tre pau vr e.

S i l es as soc i at io ns et s er v ic es soc iaux c omm e l es CPAS tente nt de co lm ater le s br èc hes , no tamm ent en tentant de m et-tr e à p or tée de t ous l a cu ltur e, o n p eut se de mander s i o n d oit s e li mi ter à la s eul e g est i on des pénu ries . Pénu rie d’ em -p loi s , de l og ements d ispon ibl es . Mai s auss i pénuri e d e temp s pour c eux qui tr av ail len t c omm e des f ous pour joi ndr el es deux bo uts.

C ette préc ar is at i on c roi s sante n’ es t pas seulem ent l e f rui t de l a cr is e. D es p ol it i ques s tru ctu rel les d’ i nspi rat i on néo li -b éral e en sont, ell es -auss i r esponsabl es . U ne resp onsabi li té c oll ec t iv e et pol i t iqu e n iée par l es dis c our s domi nants quil a f ont por ter sur les ép aule s d es seuls i ndi v id us en j ouant no tamm ent, c ontre la sol i dari té, l a c arte de l a c ulp abi li -s at i on d e ce ux q ui son t en pre miè res li gnes : l es ch ômeur s sont des pr of ite urs , le s ar t i s tes des abuseur s .

PRÉCARITÉ, UNE VALEUR EN HAUSSE 

dossier

Le s c hô m eu rs f ra ud e urs , la t hè se d u c hô -ma g e vo lo n t ai re , la cu l pa b il isa t io n d es(p lu s) pa u vre s, l ’a lt é r it é fa u t ive d e s dé -ch us …  : t ou s ce s mé ca n ism e s d e t ra ns fe r ttro u ve nt à s’a n cre r d an s un te r re au m e nt a lfe r t il e d a ns le s t em p s d ’i ns éc ur i té é co no -mi qu e e t so ci al e gra n di ssa n te . La s t ig ma t i-sa t io n p u b liq u e d e s «   p r iv il èg e s  » d on tjo ui ss en t in dû m en t le s «   a ss ist é s  » a t ou -jo ur s se rvi à ju st if ie r l ’a bs en ce ou le rej etde p o lit i qu e vis an t à é rad i qu er la p au vre t é,et à d ivi se r l e sa la r ia t.

Ce que traduisent, de façon sous-jacente, les poli-tiques en vigueur de réduction des dépenses pu-bliques et de « réformes structurelles », telles qu’ellessont présentées, c’est que ces « dépenses » sont in-dues… pour d’autres que « nous ». Dès lors que laconjoncture et les politiques dressent les gens les unscontre les autres, chacun peut rapidement être amenéà penser qu’il vivrait mieux si d’autres, forcémentmoins légitimes (chômeur sans emploi de longuedurée, préretraité… a fortiori de la fonction publique,prestataire d’un crédit-temps, candidat réfugié…), nebénéficiaient pas d’autant d’« avantages ».

Paradoxalement, on pourrait penser que c’est juste-ment en temps de crise que le principe de la sécurité

sociale doit pouvoir faire jouer ses effets protecteursou compensateurs à plein pour tous. Or, cette fois, en-core, les mesures de rigueur décidées, à l’échelle eu-ropéenne, ne sont conçues et présentées que pourpermettre le retour au fonctionnement habituel d’unordre économique et social injuste : taxer moins lesriches pour libérer leur esprit d’entreprise ; diminuerles allocations des pauvres pour les encourager à tra-vailler davantage.

COM BA TT RE L A PAUV RE TE OU L ’I GN ORER   ?

Ce n’est pas neuf, comme le montre très bien la sériede contributions rassemblées autour du texte restécélèbre de John Kenneth Galbraith, « L’Art d’ignorerles pauvres », publié pour la première fois aux Etats-Unis en 1985. L’exercice permet, en revanche, d’éra-diquer la pauvreté et les pauvres… de la (mauvaise)conscience publique.

C’est toujours la même idée, aussi ancienne que laBible, qu’il est moralement contre-productif d’aiderles pauvres. Car ceux-ci sont responsables de leurs« malheurs ». Economiquement aussi, car l’aide pu-blique – les allocations de chômage, par exemple –aurait un effet négatif sur l’incitation à travailler.

En août 1984, lors de la convention du parti qui pré-céda la réélection de Ronald Reagan, l’économiste ré-

publicain Phil Gramm libellait comme suit l’acte d’ac-cusation qui produit toujours ses effets, aujourd’hui,sur les politiques d’emploi et les politiques socialesdes Etats de par le monde : « Il y a deux catégoriesd’Américains : ceux qui tirent les wagons et ceux quis’installent sans rien débourser, ceux qui travaillent etpaient des impôts, et ceux qui attendent que l’Etat lesprennent en charge. »

Pour mieux justifier les coupes « nécessaires » dansles budgets sociaux, quoi de plus convainquant eneffet, que de faire croire que ceux-ci opèrent un trans-fert de revenus des actifs vers les « oisifs », et que, dece fait, ils découragent les efforts de ces actifs et en-couragent le désœuvrement généralisé  ? «  Donc,comme le résumait ironiquement Galbraith, en prenantl’argent des pauvres et en le donnant aux riches, nousstimulons l’effort et, partant, l’économie. »

DE TOURNE R L’ A TT E NTI ON

Or, contre toutes les évidences assénées par les dis-cours d’austérité anti-dépenses, c’est bien en sens in-verse que s’est opéré un véritable transfer t derichesses. Les dépenses publiques, en proportion duPIB, sont stables ou en baisse, dans l’Union euro-péenne depuis le début des années 1990. En re-vanche, la « contre-révolution fiscale » menée par la

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L’ART D’ÉRADIQUER LA PAUVRETÉ… DE LA CONSCIENCE SOCIALE

©Fabienne Denoncin

DONNER A TOUS LES CODES DE LA CULTURERENCONTRE AVEC YVAN MAYEUR

Le CPA S, un ce nt re d ’ act i on so cia le pe u t- i lau ss i ê t re u n ve ct e ur d e cu lt u re p o ur lesge n s les p lu s d éf av or i sé s  ?

Le CPAS doit mener une politique culturelle parce quele problème de la pauvreté n’est pas seulement un pro-blème financier, d’infrastructures, d’accès de logementet de soins. Tout cela est fondamental mais la qualitéde la vie a aussi besoin d’un supplément d’« âme » quela culture doit apporter.

Au début, on a d’abord réfléchi en se disant il fallaitpermettre aux gens d’accéder à la culture. On est tou-jours dans la logique de l’accès au logement, auxsoins, à la culture. Et donc, on s’est posé la questionde la gratuité. On s’est rendu compte que le problèmen’est pas tant la gratuité que le décalage culturel, le faitd’avoir une population pauvre dont les codes ne sontpas ceux de la culture. Et on a constaté qu’il ne suffi-sait pas de dire aux gens : vous pouvez maintenantaller au théâtre presque gratuitement avec «  Arti-cle 27 », vous pouvez aller au théâtre pour 1,25 €.

Bien entendu, il y a des gens qui y vont. Mais on s’estrendu compte qu’il y en a aussi beaucoup qui n’y al-laient pas. Et ce, pas à cause des 1,25 €, mais parceque le théâtre n’était pas un lieu pour eux, parce qu’ilposait des problèmes très concrets : comment faut-ils’habiller ? Comment est-ce que l’on y va ? Commentréagit-on dans le théâtre ? On a très vite imaginé laformule des ambassadeurs culturels.

Qu’ e st - ce q u’ u n am b as sa de ur cu lt u rel  ?

Pour permettre aux gens d’accéder réellement à la cul-ture, pour pallier les autres obstacles que simplementl’aspect financier, on a demandé à des ambassadeursculturels d’aller vers les personnes, de leur donner lescodes. Par exemple : « On s’habille comme on veutpour aller au théâtre », etc.

Je me suis rendu compte à ce moment-là — je suisPrésident du Théâtre Varia et du Théâtre des Tanneursqui se veulent d’avant-garde et progressistes — quele théâtre relève quand même de la culture bourgeoise

inaccessible non pas pour des raisons financières, maispour des raisons de barrières culturelles.

Ce s am b as sa d eu rs cu lt u re ls on t - il s a u ssiun e a ct io n pé d a go g iq u e d’ a cc om p a gn e -me n t   ? E xp li q ue n t - ils , p ar ex em p le , leth è me d e l a p iè ce , le s p e rso n na g es av an tqu e l es g e ns pu is se nt y al le r  ?

C’est exactement cela. Non seulement il s’agit de dé-tendre les personnes par rapport au lieu et de leurdire que le lieu est aussi fait pour eux, les accompa-gner dans ce lieu, mais il s’agit aussi de les préparerà ce qu’ils vont voir. On a même été jusqu’à préparerdes gens à apprécier un opéra en décodant l’œuvrepréalablement, en expliquant ce qui allait se passer, àquoi il fallait être attentif.

Le rôle des ambassadeurs culturels ne se limite passeulement à celui d’être un guide, il y a aussi une di-mension pédagogique qui est évidemment fonda-mentale dans leur action.

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Yvan May eur, D éputé f édéra l e t Prés ident d u CPAS de Br uxe l les -Vi l le , mène depui s p lus de 15 ans un c ombat au quo -t idi en contr e la pauv reté et l’ exc l usi on s oci a le . I l a démul t ipl ié l es pr oje ts en mat ièr e d ’emp loi , de f or mat ion, de lo ge-ment p our p ermet t r e aux d émuni s de s a c om mune d ’ac c éder à un peu pl us de di gnité . Renc ontre ave c cet acte urimp ortant de l a lut te c ontre la m is ère s ous l ’ angle de l a cul ture .

dossier

©Fabienne Denoncin

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Re n co n t re.

D av id , t u p eu x n ou s ra p p e le r l’ o b je t d el ’a s bl S o li d ar i t és n o u ve ll es   ?

D av id Pra ile   : C’est une association d’éducationpermanente centrée sur la question du logement,organisée autour de la mobilisation des habitantsdans une logique de défense des droits des lo-cataires. On intervient avec les habitants des loge-ments sociaux, les personnes mal logées dans leprivé, les habitants des campings, des parcs rési-dentiels, et puis les habitants de la rue ici àCharleroi. L’objectif c’est que les habitants aient unemeilleure maîtrise de leur situation, qu’ils puissentfaire valoir leurs droits, qu’ils puissent devenir desacteurs de changement social.

D en is , t u e s a n im at e u r de ru e p ou r S o li -d a r it é s n o u ve ll es m ai s t u e s a u ss i à l’ o -r i g in e d u p ro je t c o m mu n a u t ai re e tb é n év o le «  Pos e to n sa c.   » Tu p e ux no u se n di re p l us   ?

D en i s Uv ie r  : J’ai toujours dit « donnez-moi unbâtiment et je vous montrerai qu’on peut faire dusocial autrement. » On cloisonne trop le social au-jourd’hui. On est dans un système de statistiqueset de réussite. Faire de la réussite, c’est commefaire une équipe de football : on prend les meilleurs,les autres on les jette ! On crée de l’exclusion…Alors, si je ne peux pas faire avec le social, je medémerde, c’est ça « Pose ton sac. », ouvrir des per-spectives d’actions différentes, c’est un peu ce

qu’on fait au « château » (une maison à Couillet quej’appelle le château) : tu poses ton sac et on voit cequ’on peut faire avec toi. Un parcours où on essayede trouver des solutions.

D P  : Denis est pionnier là-dessus au sein de Soli-darités nouvelles. C’est un projet différent, à lacroisée des chemins de l’éducation permanente etd’un travail social davantage axé sur le collectif :mettre des solutions en place en ouvrant des portesplus qu’en en fermant. Aujourd’hui, dans le fonc-tionnement des institutions sociales, il y a une ten-tation de travailler pour le plus grand nombre, pourceux qui peuvent se conformer, les autres n’ont qu’às’adapter… Autrement dit, s’il y a de moins enmoins à partager, partageons avec les plus méri-tants, ceux qui se conforment le plus. Or il y a deplus en plus de gens qui ne se retrouvent pas dansles mécanismes d’aides proposés, qui n’ont pasenvie ou qui n’ont pas de raisons de s’adapter.

Vo s cr i ti q u es d e s i n st it u t io n s so c ia le sv is en t a u ss i l e fo n ct i on n em e n t d es C PAS ?

DP  : Tout le monde doit balayer devant sa porte, in-stitutions publiques ou associations. Il y a des tra-vailleurs d’institutions qui font un boulotremarquable, heureusement qu’ils sont là. Sans çala situation serait bien plus dramatique. A Charleroien particulier où les institutions publiques commele CPAS sont en pointe sur des projets novateurs.Mais ce n’est pas toujours à la hauteur des réalitésde terrain. La difficulté pour certaines personnesen décrochage c’est de rentrer dans le moule. C’est

l’évolution sociale ça, des gens de plus en plus je-unes, à la rue, sans parcours scolaire ou d’insertionsocioprofessionnelle, rétifs à se conformer à unesérie de contraintes dont ils ne voient pas le sens :procédures administratives inextricables, empile-ment des réglementations où plus personne ne s’yretrouve même les juristes… Parfois le remède estpire que le mal. Exemple : les fermetures de loge-ments insalubres alors qu’il n’y a pas de mesures derelogement efficaces. Les gens sont deux fois vic-times de leur situation. On produit l’inverse de cequ’on veut. On est dans une situation de gestion dela pénurie : énormément de demandes et très peud’offres. Alors on responsabilise à outrance les genspour rechercher un emploi, on sait qu’ils ne vontpas en trouver mais il faut qu’ils en cherchent. Leparallèle est évident avec le logement : trouver unbon logement c’est comme trouver un bon emploi,c’est chercher ce qui n’existe pas…

D U : Des institutions comme le CPAS par exemple,à Charleroi, elles ont le monopole de la pensée. Ontravaille donc dans ce monopole. Finalement je mebats contre mon propre « social. » On a une libertéde dire mais on est cloisonné par des structuresqu’on s’est battu pour mettre en place. Je voudraisque ces structures écoutent plus les travailleurs,qu’on accompagne plus les mecs qui vont dans lessquats pour voir les gens dans quel état ils sont. Onessaye de travailler autrement mais ce n’est pas laseule solution, il faut de nouvelles formes de col-laborations.

« IL Y A DE PLUS EN PLUS DE GENSINUTILES AU MONDE… »

dossier

Dav id P ra i le et Deni s U vi er, r espec t i vement c oord inateur et ani mateur de Soli dari tés nou ve l les , posent un r egardluc id e mai s glaç ant s ur l’ é tat de la grande préc arité . Et s i Charl eroi , épic entre de l eurs ac t i ons, ac c umul e l esprobl èmes , l e c ons tat v au t aus s i pour l ’ ensem ble de la Wa ll oni e . I l es t grand temps , est i ment-i ls , d e r é inv enter lacol la borat i on avec des ins tances publ iques tentées par des poli t iques de pl us en pl us sé l ect i v es…

©Fabienne Denoncin

Les photos qui illustrent lespages de notre dossier sontissues de l’exposition« Regard au-delà del’horizon »de la photographe FabienneDenoncin.« Juge de paix de profession, je suis aussi photographe, de temps entemps. La photographie m’offre le privilège d’aller à la rencontre dessans-voix, des plus démunis, des oubliés, sur le terrain, là où je vis et làoù je travaille.Mon premier reportage photographique a été réalisé dans le cadre demon activité professionnelle. J’ai souhaité traduire l’intensité et la ri-chesse de mes rencontres avec les gens, confrontés à la justice de proxi-mité et aussi, humaniser la salle d’audience du Tribunal avec les portraits

réalisés. Les photographies des personnes rencontrées sur le terrain judiciaire y sont exposées depuis juin 2011.Depuis plusieurs mois, j’explore aussi le terrain social de ma ville (Charleroi) et vais à la rencontre des personnes vivant dans la grande précarité, tentant d’ex-primer par l’image, leur richesse plus que leur pauvreté, leur résistance plus que leur fragilité, leurs luttes plus que leurs échecs et leur dignité plus que leurdéchéance. Mon appareil photo est un outil de résistance à l’indifférence et à la déshumanisation ambiante. » (Fa b ie nn e D en o nc in )

Pierre BourdieuL a m is èr e d u m o n d eSeuil, 1993.

Le sociologue français,avec une équipe de 23chercheurs, restitue« l’expérience du mondesocial » au travers de ré-cits de vie d’une portéeexceptionnelle. Il y met enavant non seulement « lamisère de condition », liéeà l’insuffisance de res-

sources, mais aussi « la misère de position » où lesaspirations émancipatrices se heurtent auxcontraintes et à la violence des marchés du travail,du logement ou de l’école.

Robert CastelLe s M ét am o rp ho se sd e la q u es ti onso ci al eFayard 1995.

La description au traversd’une vaste fresquesocio-historique, de la fra-gilisation progressive du

lien salarial. Cet effritement, sous forme par exem-ple d’emplois de plus en plus précarisés, nousconduit au nœud de la question sociale d’au-jourd’hui. La flexibilité croissante et la gestion deplus en plus individualisée grignotent les systèmesde protection sociale et entraînent « une désaffilia-tion » qui peut faire verser nombre de travailleursdans le statut d’assistés.

Jacques GénéreuxL a Di ss oc ié t éSeuil, 2006.

Une déconstruction del’anthropologie libérale etdes illusions de la démo-cratie représentative.L’économiste démontel’édifice dominant selon le-quel l’humain est par na-ture, un être parfaitementautodéterminé et indépen-dant des autres, enconstante rivalité, et qui ne

peut tendre vers l’abondance que par la libreconcurrence étendue à toutes les sphères de l’ac-tivité des hommes. Cette « catastrophe imminente »produit un être dissocié, à la conscience altérée.Dernier pas vers l’inhumain, totalement aliéné.

Hartmut RosaAcc él ér at i on . Un e c r it iq u e s o cia le d u t e mp sLa Découverte, 2010.

Une formidable remise encause de notre modernitépar la dissection concep-tuelle du temps. Rosa ana-lyse l’extraordinaireaccélération sociale, destechniques aux styles devie, des structures fami-liales aux affiliations reli-

gieuses, du stress au manque de temps, quidébouche sur le sentiment d’impuissance, la disso-lution des identités ou la détemporalisation de lavie. Joueur ou flâneur ?

J e an Co r ni l

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QUATRE OUVRAGES POUR ANALYSER LA PRéCARITé

dossier

dossier

TeMPs foRT

éDITo

PoRTRAIT PoLIT Ique :• Thier r y Bodson :

à la recherche d’une vraie culture wallonne

CôTé NoRD :• Jeune scène musicale flamande : half Gand,

half Anvers. Par sab ine Beaucamp

DossIeR :

PRéCARITé, uNe VALeuR eN HAusse 

• L’art d’éradiquer la pauvreté… de la conscience sociale. Par Marc s innaeve

• Yvan Mayeur  : Donner à tous les codes de la culture

• David Pr ai le e t Denis uv ier  : « Il y a de plus enplus de gens inutiles au monde… »

• quatre ouvrages pour analyser la précarité.Par Jean Cor n i l

à BAs LA CuLTuRe  : • La littérature de gare, ça n’existe pas

Par Denis Dar gent

RéfLeXIoNs  : • Comprendre, c’est désobéir

Par Jean Cor n i l

MéDIAs  :• Les mobilisations sociales

dans les interstices de l‘informationPar Marc s innaeve

CuLTuRe(s) • Rom, Tsigane, Gitan…

dépasser les mythes d’un peuple européenPar Anne-Lise Cydzik

L’A IR Du TeMPs• « Je suis née grecque

et je mourrai grecque »Par Danie l Adam

DéCouVeRTes

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éditoLa précarité gagne chaque jour du terrain, y compris pour celles et ceux qui ont encore un emploi.

Les CPAs croulent sous les demandes d'aide et les associations ne savent plus où donner de la tête pour rencontrer lesbesoins élémentaires de milliers de famille qui n’arrivent plus à se chauffer, se loger, se soigner, se nourrir convenable-ment. Notre télévision de service public s'est lancée à corps perdu dans la « Télé Charité » en mobilisant les téléspecta-teurs contre les conséquences d'un hiver glacial.

en présentant cette initiative, a priori fort sympathique et fondée sur des bases de solidarité, notre télévision a seulementoublié de nous parler des vraies causes de cette précarité grandissante, exacerbée par cet hiver glacial. Ces causes éco-nomiques, sociales et politiques qui conduisent, aujourd’hui, des milliers de gens à devoir mendier le minimum pour sur-vivre. elle aurait pu également rappeler que, sans notre remarquable système de protection sociale (aujourd'hui contestépar les forces libérales et la Commission européenne), le nombre de familles précarisées serait encore plus important.

enfin, la RTBf a omis de préciser que même quand on est pauvre, on veut rester digne !

que penser alors de cette journaliste au JT qui fait la morale à un sDf sur le ton du « Vous avez promis de faire un effortpour trouver du travail ? ».

Rappelons ici que la lutte contre la pauvreté passe par l’instauration de mesures structurelles, notamment via de nou-velles normes en sécurité sociale.

Il y a plus mal lotis que nous. que penser de la Grèce, contrainte de diminuer le sMIC à 400 euros, où plusieurs milliersde fonctionnaires vont grossir les rangs des chômeurs et où les pensions vont être rabotées ? Les jeunes grecs, espa-gnols, portugais, ont encore moins de perspectives que les jeunes d'origine étrangère qui subissent les discriminationsà l'embauche à Bruxelles. qui est responsable ? Le froid glacial ? Les banques ? La Commission européenne ?

Non, il parait que c'est le peuple grec lui-même, incapable de comprendre qu'il faut se sacrifier jusqu'à l'os pour assu-rer le dépeçage méthodique de l'économie grecque qui sert aujourd'hui de laboratoire de la dérégulation sociale euro-péenne.

seule une large remobilisation des forces progressistes en europe sur une contestation radicale du modèle néolibéral etde ses multiples dérives économiques et financières, pourrait demain ouvrir de nouvelles perspectives pour les peupleseuropéens.

Yanic samzunsecrétai r e génér a l, Di r ecteur de la publ icat ion

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AGIR PAR LA CuLTuRe N°29une publication de Présence et Action Culturelles AsBL – 8, rue Joseph stevens - 1000Bruxelles – Belgique - www.pac-g.be - N° Tél : 02 545 79 11

Tirage : 10.000 exemplaires - PefC-Certifié - Cette brochure est issue de forêts géréesdurablement et de sources contrôlées

editeur responsable : Yanic samzunRédacteur en chef : Aurélien Berthier - [email protected] – 02 545 77 65

equipe rédactionnelle : Daniel Adam, sabine Beaucamp, Jean Cornil, Denis Dargent, Marc sinnaeve. ont participé à ce numéro : Anne-Lise Cydzik, Nathalie Misson, Corinne Ricuort, stuart WrathallCrédits photographiques : Nathalie Caccialupi, Vincenzo Chiavetta, André Delier, fabienne Denoncin, Damienne flipo, Jean-françois RochezPhoto couverture : fabienne DenoncinLay-out : Nino LodicoAbonnement et mailing : Maria Casale

Pour recevoir gratuitement AGIR PAR LA CuLTuRe par la poste ou pour vous désinscrirede la liste d’envoi, prière de contacter Maria Casale par mail ([email protected]) oupar téléphone (02/545 79 11) ou de vous rendre sur le site www.agirparlaculture.be

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Cette publication reçoit le soutien du service éducation permanente du Ministère de lafédération Wallonie Bruxelles, de la Loterie Nationale, de la Région wallonne et del’Agence du fonds social européen.

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Comment dev i ent-on un syndi ca l is tewal lon ? Y a- t - i l des aspec ts par t icu l ie r sdans ton ex i s tence qu i t ’on t condui ts àce t eng agemen t s ynd ica l dans cet tepet i te rég ion d’europe ?

Il n’y a pas une recette unique, il y en a autant qu’ily a de syndicalistes. en ce qui me concerne, deuxéléments ont principalement forgé mes convictions. Mes premiers engagements, et non mes premierscombats, ont pris naissance autour des mouve-ments pacifistes contre les bombes présentes enBelgique, fin des années 70. on peut dire que vrai-ment le mouvement pacifiste m’a amené à la mili-tance.

Deuxième élément, je viens d’une famille originairepour moitié de mineurs, issue de la région liégeoisedans les grands charbonnages. De ce fait, une tra-dition familiale existe. une des images fortes qui merevient souvent en mémoire, c’est celle d’un onclemineur (le dernier à être le concierge de la mine de

Beyne-Heusay à l’est de Liège). quand j’allais le voir,il avait sa bonbonne qui trainait derrière lui et mal-gré tout, chaque soir, il continuait à faire inlassa-blement, consciencieusement un dernier tour dubâtiment avant de fermer.

Des pe r sonnages comme fi de l Cas t ro,sa lvador A l lende ou Lén ine n’ont- i l s pasin f luencé ton parcours syndica l  ?

Non, il n’y a pas une figure qui m’a marqué. Parcontre, lorsque je remonte le plus loin possible dansma mémoire, au niveau de mes premiers contactspolitiques, c’est sans conteste le courant régionalistequi, très jeune, vers 14-15 ans, m’a tout de suite in-téressé. Ainsi, je suis entré en contact, prolongé d’ail-leurs, avec Henri Mordant, le président duRassemblement Wallon à cette époque.

Pourquoi s i tôt cet te f ib re pour l erégiona lisme ?

Je pense que c’est déjà d’abord un étonnement, uneattirance pour un raisonnement économique car jene suis pas un régionaliste romantique, mais un ré-gionaliste pragmatique. à l’époque, c’était déjà cetteattirance pour une autre façon d’envisager les trans-ferts financiers et l’organisation de l’économie dansce pays qui me séduisait. et de nouveau pour l’anec-dote, quelque chose qui m’avait fortement frappé, etqui explique en partie ma fibre régionaliste, c’étaitde connaître le pourquoi qui faisait que les arbres setrouvaient en Wallonie et les meubles étaient fabri-qués en flandre. C’était une des raisons pour les-quelles j’ai été voir Henri Mordant. Ce fut pour moiune approche originale, différente du reste du mondepolitique de l’époque.

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TH IeRRY BoDsoN : à LA ReCHeRCHe D’uNe VRAIe CuLTuReWALLoNNe

T hier r y Bodson, secrétai r e généra l de l ’ I n ter régionale wa l lonne de la fGTB , a la c inquanta ine assumée, les cheveuxpoi vre e t sel , une tr a jectoi r e p ro fess ionne l le coulée dans le bassin s idér urgique l iégeo is, dans le monde et la cu l turesynd ica le. Lor s de ce tte r encontre , i l nous a fa i t par tager ses combats, ses indignat ions, ses goûts éc lect iques, sonamour du régional isme, mais auss i son a f f i r mat ion de c i toyen du monde avant tout . un moment pr i v i légié qu’ i l nous al i vré en toute humi l i té .

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Pour un régional is te comme to i , ex is te-t - i lune vra ie cu ltu re wal lonne aujourd’hui  ?

Il n’existe pas une culture wallonne, tout le monde lesait bien malheureusement. Il y a une série de tradi-tions culturelles qui existent, folkloriques ou autres,qui sont fortes. Certes, elles sont intéressantes, maisce qui manque aujourd’hui et c’est une des chosespour laquelle je revendique la régionalisation de laculture, c’est qu’on ne parvient pas à faire de cet en-semble de cultures diverses une vraie culture wal-lonne. C’est quelque chose qui bien souvent nouséchappe mais aujourd’hui il est impossible de créerun état d’esprit culturel, un lien culturel existant entrele Mouscronnois et l’Arlonais.

or, si demain on se dirige vers un pays de plus enplus régionalisé — probablement sur base de qua-tre régions, l’Histoire le dira, lors de la sixième ré-forme de l’état – chaque région devra alors vraimentse prendre en main aux niveaux social, économique,industriel, etc. La Région wallonne devra alors seprojeter sur les 10 ou 15 ans à venir. on ne peut pasdemander à une région d’organiser son développe-ment économique, d’avoir un projet de société sur10 ou 15 ans sans qu’elle ait la culture dans sesattributions.

Te sens-t u c i toyen du monde, européen ,be lge, fr ancophone, wal lon , l iégeois  ?

De toute évidence tout d’abord citoyen du monde carl’on se rend bien compte que tout est imbriqué. Toutesles décisions ou absences de décisions qui sont prisesau niveau politique ou autre, n’importe où dans lemonde aurait de toute façon immanquablement deseffets directs chez nous. on ne peut pas être absentde ce qui se passe ailleurs dans le monde.

Penses-tu que les nouveaux réseaux so-c iaux pu issent êt re un ins tr ument ef f i cacede lut te socia le  ?

Je pense que les réseaux sociaux peuvent en effetêtre un instrument efficace de lutte contre une séried’injustices comme les luttes sociales et politiques. àtitre personnel, je ne suis pas un spécialiste, j’ai be-soin de mes jeunes collaborateurs pour que l’inter-régionale reste au goût du jour.

Je n’ai pas Twitter, je ne suis pas sur facebook et jene le serai pas avant un bon bout de temps. Par rap-port à ces nouveaux médias, il y a une chose que jevoudrais mettre en évidence, c’est que si l’on vachercher uniquement l’information sur internet, s’encontenter en ne faisant pas le chemin parallèle quipasse par le filtre d’un journaliste, il y a un véritable

danger : perdre la qualité de l’information et toutsens critique. Le journalisme est un filtre très impor-tant entre ce qui se passe et la façon dont elle est ré-percutée, ce qu’on lit. à ce moment-là, on peut mieuxidentifier s’il s’agit d’un journaliste plutôt ou claire-ment de gauche, de droite, un croyant, un laïque etc.on connaît alors mieux à travers quel prisme on le lit.Tandis que quand on est sur les nouveaux outils, onconnaît moins la source d’information et donc l’œilcritique ne cesse de diminuer au fur et à mesure quel’on passe à côté de la presse classique.

Penses- tu que la cu l tu r e syndicale au-j ourd ’hu i so i t su f f i samment for te pourfa i r e f ace à un c l ima t idéologique ant iso-c ia l et tr ès ant isyndical dans les médias ?

en effet, le traitement réservé au mouvement socialen Belgique ces 2 derniers mois ½ [Décembre 2011et janvier 2012 NDLR] est profondément injuste. sion regarde rétrospectivement et historiquement,nous avons eu le 2 décembre 2011 la troisième plusgrande manifestation sociale en Belgique depuis laguerre 40-45. Le 22 décembre une grève dans lesservices publics qui est de loin l’une des plus réus-sie depuis l’Après-guerre. et le 30 janvier 2012, nousavons eu la première grève générale interprofes-sionnelle depuis 19 ans ! Ça a donc constitué troismouvements sociaux hyper bien suivis et de trèsgrande ampleur. Le traitement médiatique mis enplace autour de ces trois actions syndicales m’a sem-

blé un peu faiblard au vu de la mobilisation destravailleurs.

I l semble que ce ne so it pas seulement unproblème médiatique, mais auss i un pro-b l ème hi s tor ique e t soc io log ique. es t - cequ ’on obser ve un recu l fondamenta l surnos valeurs, mais aussi sur le f a it syndical,sur la nécess ité syndicale ?

La gauche dans son ensemble, et l’organisation syn-dicale peut-être en particulier, avons créé nos rap-ports de force, les outils de répartition de richesses,notre présence ouvrière dans les usines et dans lemonde socioéconomique sur base d’une économiequi était organisée à un niveau national, sur le mo-dèle économique de la reprise économique del’après-guerre. Ils ont été efficaces jusqu’au premierchoc pétrolier en 1973. à partir de cette date, ils nel’ont plus été. et au niveau du mouvement syndical,nous avons les pires difficultés à transformer nos ou-tils, non seulement de répartition de richesses, maisaussi de rapports de forces, de les adapter à cetteinternationalisation, cette mondialisation del’économie.

Pour être plus concret, on peut avoir la meilleure pro-tection sociale qui soit, des allocations de chômagedécentes, une bonne couverture de soins de santé,mais nous serons toujours perdants si on n’a pasune harmonisation fiscale tant au niveau de l’impôt

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des personnes physiques qu’au niveau de l’impôt dessociétés.

un des grands enjeux de la gauche européenne,c’est d’abord de construire un rapport de force syn-dical dans un espace qu’est l’europe doté d’une cer-taine homogénéité politique, économique etgéographique. Avec comme objectif de se réappro-prier l’outil fiscal. C’est la meilleure façon de pouvoirrépartir les richesses. on l’a abandonné à la droite.on a cru qu’il suffisait d’avoir le ministère des Affairessociales pour pouvoir gérer les choses. Cela a étévrai pendant 20 ou 30 ans après la Guerre, maismaintenant c’est complètement faux.

un troisième élément très difficile, tant en rapport deforce qu’en termes d’idéologie, appartient aux res-ponsables économiques et patronaux : c’est le dis-cours tenu aux jeunes demandeurs d’emploi. C’estdevenu impossible de tenir le même qu’il y a 20 ansd’ici. Aujourd’hui, dire aux jeunes que leur carrièreprofessionnelle ne se fera plus chez un unique em-ployeur, qu’ils changeront d’emploi tous les 5 ans,qu’ils passeront fatalement par des CDD et de l’inté-rim, mais que, dans le même temps, lorsqu’ils sontchez un employeur, ils doivent s’investir et lui don-ner tout ce qu’ils ont dans les tripes ! Ce messagene passe évidemment plus. Il est clairement impos-sible d’avoir une jeunesse qui s’investisse au niveauprofessionnel, études, ou formation si on lance unmessage aussi nébuleux que celui-là.

Le grand en jeu des procha ines années dela rég ion l iégeoise se ra év idemment la re-conver sion du bassin . quel va êt re le rô lede la cu l tu re ?

C’est une vaste question. Il y a deux manières d’y ré-pondre.D’une part, la culture peut amener à de la création denouveaux objets ou à d’adaptation d’objets, à dudesign, etc. Le lien entre la culture, l’art, la créationet l’économie est pour moi quelque chose de très im-portant. on croit souvent en Wallonie que quand onfait quelque chose de solide et efficace on sait le ven-dre. or, ce n’est plus le cas, en économie, il fautquelque chose en plus de « solide et efficace » pourqu’on puisse vendre, industrialiser, commercialiserun produit.

Le deuxième aspect en termes de redéploiement,c’est : quelle place va-t-on donner à la culture enWallonie et dans notre société de façon plus large ?Aujourd’hui, objectivement, la place de la cultureprise comme outil permettant aux gens de dévelop-per leur esprit critique est un échec complet. Au-jourd’hui, les budgets sont consacrés à 5 ou 6grands outils culturels wallons ou francophones. Bud-gétairement, on se trompe. seuls 2 à 4 % des fran-cophones vont dans ces lieux, les musées, etc.

et puis surtout, et je ne veux pas être moraliste parrapport à l’ensemble des citoyens, mais comprendre

que par le prisme de la culture, ils peuvent poser unregard critique sur l’évolution de la société, c’estquelque chose qui échappe complètement à unegrande partie des travailleurs. en cela, il y a dans lemonde d’aujourd’hui un échec de la culture. Pour mapart, je trouve que l’éducation permanente devraits’adresser aux laborantins, à l’employé de banque, àl’informaticien. Ce sont les travailleurs actuels, etceux de demain. selon moi, l’éducation permanentene parvient pas à accrocher, à ce que ces citoyens-là s’intéressent aux évolutions de la société. Il s’agitlà d’un grand enjeu à côté duquel on est en train depasser.

quelle est la pér iode de l ’histo i re ancienneet contemporaine que tu préfères le p lus  ?

Je pense que je m’arrêterais au siècle des Lumièrespour les raisons évidentes de ce que cette périodereprésente non seulement par rapport à nos socié-tés actuelles d’un point de vue politique et culturel.Mais aussi pour ce qu’elle représente comme para-doxe. Cette réflexion ouverte et humaniste, éminem-ment importante et positive par rapport à l’évolutiondes sociétés en occident ne s’adressait en effet qu’àune toute petite partie de l’humanité. L’évolution estintéressante et le paradoxe l’est tout autant.

quel les sont tes lectures  ?

Ayant peu de temps, j’avoue être d’un classicismetrès ennuyant. Je suis en train de terminer le prix Goncourt « L’artfrançais de la guerre » d’Alexis Jenni. Après je pas-serai certainement au prix Renaudot.

La mus ique que tu écoutes ?

J’adore Arno depuis TC Matic. J’aime beaucoup ledernier CD de Louis Chedid, mais ce n’est pas pourcela que j’aime tout ce qu’il fait. Adolescent, je jouaisde la guitare basse, je chantais, c’était l’époque duhard-rock, Deep Purple, Led Zeppelin…

Le mot qui te co l le le p lus à la peau ?

Je ne sais pas si c’est un mot, plutôt un sentiment. Jedéteste quand l’injustice entraîne la tristesse. C’estquelque chose qui me renverse.

Propos recuei l l is par sabine Beaucamp, Jean Corn i l et

Yanic samzun.

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De GAND. . .

une des découvertes musicales de l’année 2011 estsans conteste T he Bony k ing o f nowhere. Der-rière ce nom — tiré d’un morceau de Radiohead —se cache Bram Vanparys, un jeune gantois de 22 ans.Il est l’auteur d'un excellent premier album, « Alas MyLove » pourtant passé inaperçu au sud du pays. sondeuxième album, « eleonore », laisse la place à desmélodies pop-folk comparables à celles de Jeff Buck-ley. sa musique dépouillée, pure, cristalline portel’émotion à son sommet. Bouli Lanners ne s'est d’ail-leurs pas trompé en lui confiant la bande originale deson film « Les Géants ». C’est probablement grâce à luique Bram Vanparys est désormais connu et appréciédu grand public francophone. (www.myspace.com/thebonyking)

Autre talent gantois, soulwax, groupe formé en1996 par Dave et stephen Dewaele et Noah Dodson.entre la vague rock belge flamande du moment et mu-siques électroniques, les morceaux se fondent dansun univers musical très DJ. forcément, ils le sont. onse rappelle de leur double CD de mash-up sous le nomde 2manyDJ's. Ils en font aujourd'hui leur mode decommunication avec le public en mettant en ligne leurpropre radio sur www.2manydjs.com/radio, égalementdisponible pour iPhone et iPad. Le tout est disponible

gratuitement, seule conséquence directe pour lesfrères Dewaele : ne pas espérer de rentrées finan-cières de leur radio. Aujourd’hui, ils concrétisent leprojet de permettre aux gens d’écouter de la musiqueen tous lieux, tout le temps, avec le streaming, les por-tables. Leur société est basée en Angleterre, la licencede diffusion à laquelle ils ont souscrit permet aux gensde télécharger les shows. en ce qui concerne lesimages, il s’agit d’une licence « general entertainmentbroadcast ». un beau projet.

. . . à ANVeRs

on quitte Gand, pour la scène anversoise, avec Daau,acronyme de Die Anarch ist is che Abendunter-hal tung  ! (www.daau.be). C’est un quatuor propo-sant depuis 1992, une musique instrumentale,expérimentale, électroacoustique, colorée de cuivres,violons, violoncelles, clarinettes et accordéons. Lenom du groupe est une référence au roman d’Her-mann Hesse « Le loup des steppes ». Cet ensemblesingulier frappe les esprits de par la multiplicité desgenres et des influences. Très classique au premierabord, DAAu navigue dans un univers unique quilaisse souffler un vent de liberté.

et passons maintenant en banlieue anversoise, plusexactement à Berchem, avec Daan (www.daan.be).

Daan stuyven a commencé sa carrière au sein desDead Man Ray, groupe culte de rock new-wave, in-fluencé par Pavement, Wire, The fall ou Captain Beef-heart où officiait également Rudy Trouvé (ex-membrede Deus). Daan stuyven peut très bien être derrièreson piano et nous la faire à la Johnny Cash ou bienvous emporter dans un instrumental à la Neil Youngépoque Crazy Horse et du rock à l'électro. Les textessont généralement en anglais, parfois en français ouen néerlandais.

enfin, terminons notre tournée musicale en compa-gnie de M i low (www.milow.com). Jonathan Vanden-broeck, né dans la banlieue anversoise, est l'artistebelge le plus prometteur de sa génération. Le cimentmusical a sûrement pris dès 1996 lorsque Milow, ab-solument fan et subjugué par le talent de Nirvana, semet à jouer de la guitare. Dix ans plus tard, Milow sortson premier album intitulé « The Bigger Picture ». Au-teur-compositeur-interprète, c’est en 2007 qu’il faitconnaître son travail grâce au titre « You don't know »qui se classe dans le Top 5 des meilleures ventesbelges. C’est d’ailleurs la même année qu’il partici-pera au festival Werchter en remplacement du légen-daire Mika. sorti en 2011, l’album « North and south »vaut le détour.

sab ine Beaucamp

JEUNE SCÈNEMUSICALEFLAMANDE :HALF GAND,HALF ANVERS

on ne compte plus les talents venus du Nord. I ls sont jeunes , débal lent leur ver ve textuel le , font v ib rer les cordes, lesr i f f s de gui ta re, usent d ’a r t i f i ces é lec tro pop rock comme des nouve l les techno logies e t s’abandonnent pass ionnémentà leur s publ ics. et pour tant i ls ne sont pas tous auss i connus qu’on pour ra i t le croi r e en ter r e f r ancophone .

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C r ise économique, conséquences imméd iates. 14% des Be lges v i vent sous le seui l de pauvre té. Auxquels on peut ajou-ter ceux qui se débroui l lent , ceux qui sur v ivent tout jus te , ceux qui v ivent dans l ’ inquié tude de voir leur condi t ion sedégrader de mo is en mois alo r s que tr avai l le r n’empêche plus d’êt r e pauvre.

s i les associa t ions et ser v ices sociaux comme les CPAs tentent de co lmater les b rèches, no tamment en tentant de met -t re à por tée de tous la cu l ture, on peut se demander s i on doi t se l imi ter à la seule gest ion des pénur ies. Pénur ie d’em-p lois , de logements d isponibles. Mais auss i pénur ie de temps pour ceux qui tr ava i l lent comme des fous pour jo indreles deux bouts.

Cet te précar isa t ion croissante n’es t pas seulement le f r u i t de la cr ise . Des po l i t iques s tr ucture l les d ’ insp ir a t ion néo l i -bér ale en sont, el les-auss i r esponsables. une responsabi l i té co l lec t ive e t po l i t ique n iée par les discour s dom inants quila font por ter sur les épaules des seuls ind iv idus en jouant no tamment , contre la sol idar i t é, la car te de la cu lpab i l i -sa t ion de ceux qui sont en premières l ignes : les chômeur s sont des pro fi t eur s, les ar t ist es des abuseur s.

PRÉCARITÉ, UNE VALEUR EN HAUSSE 

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Les chômeur s fr audeu r s, l a thèse du chô-ma ge v o lonta i r e , l a cu lpab i l i s a t ion des(p lus ) pa uvre s, l ’ a l t ér i t é f au t i ve des dé-c hus… : tous ces mécanismes de tr ansf er tt rouvent à s ’ancrer dans un ter r eau menta lf er t i l e dans les temps d’ insécur i té écono-m ique et socia le gr and issan te . La st igmati -sat ion pub l ique des «   pr i v i l èges  » dontjouissent indûment les «  ass is tés  » a tou -jour s ser v i à ju st i f i er l ’absence ou le r e je tde po l i t ique vi sant à ér adiquer la pauvreté,e t à d i v iser le sa lar iat .

Ce que traduisent, de façon sous-jacente, les poli-tiques en vigueur de réduction des dépenses pu-bliques et de « réformes structurelles », telles qu’ellessont présentées, c’est que ces « dépenses » sont in-dues… pour d’autres que « nous ». Dès lors que laconjoncture et les politiques dressent les gens les unscontre les autres, chacun peut rapidement être amenéà penser qu’il vivrait mieux si d’autres, forcémentmoins légitimes (chômeur sans emploi de longuedurée, préretraité… a fortiori de la fonction publique,prestataire d’un crédit-temps, candidat réfugié…), nebénéficiaient pas d’autant d’« avantages ».

Paradoxalement, on pourrait penser que c’est juste-ment en temps de crise que le principe de la sécurité

sociale doit pouvoir faire jouer ses effets protecteursou compensateurs à plein pour tous. or, cette fois, en-core, les mesures de rigueur décidées, à l’échelle eu-ropéenne, ne sont conçues et présentées que pourpermettre le retour au fonctionnement habituel d’unordre économique et social injuste : taxer moins lesriches pour libérer leur esprit d’entreprise ; diminuerles allocations des pauvres pour les encourager à tra-vailler davantage.

CoMBATTRe LA PAuVReTé ou L’ IGNoReR ?

Ce n’est pas neuf, comme le montre très bien la sériede contributions rassemblées autour du texte restécélèbre de John Kenneth Galbraith, « L’Art d’ignorerles pauvres », publié pour la première fois aux etats-unis en 1985. L’exercice permet, en revanche, d’éra-diquer la pauvreté et les pauvres… de la (mauvaise)conscience publique.

C’est toujours la même idée, aussi ancienne que laBible, qu’il est moralement contre-productif d’aiderles pauvres. Car ceux-ci sont responsables de leurs« malheurs ». economiquement aussi, car l’aide pu-blique – les allocations de chômage, par exemple –aurait un effet négatif sur l’incitation à travailler.

en août 1984, lors de la convention du parti qui pré-céda la réélection de Ronald Reagan, l’économiste ré-

publicain Phil Gramm libellait comme suit l’acte d’ac-cusation qui produit toujours ses effets, aujourd’hui,sur les politiques d’emploi et les politiques socialesdes etats de par le monde : « Il y a deux catégoriesd’Américains : ceux qui tirent les wagons et ceux quis’installent sans rien débourser, ceux qui travaillent etpaient des impôts, et ceux qui attendent que l’etat lesprennent en charge. »

Pour mieux justifier les coupes « nécessaires » dansles budgets sociaux, quoi de plus convainquant eneffet, que de faire croire que ceux-ci opèrent un trans-fert de revenus des actifs vers les « oisifs », et que, dece fait, ils découragent les efforts de ces actifs et en-couragent le désœuvrement généralisé  ? «  Donc,comme le résumait ironiquement Galbraith, en prenantl’argent des pauvres et en le donnant aux riches, nousstimulons l’effort et, partant, l’économie. »

DéTouRNeR L’ATTeNTIoN

or, contre toutes les évidences assénées par les dis-cours d’austérité anti-dépenses, c’est bien en sens in-verse que s’est opéré un véritable transfer t derichesses. Les dépenses publiques, en proportion duPIB, sont stables ou en baisse, dans l’union euro-péenne depuis le début des années 1990. en re-vanche, la « contre-révolution fiscale » menée par la

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plupart des gouvernements depuis 30 ans – baissede l’impôt des sociétés, des taxations des hauts re-venus et du patrimoine – a nourri la concurrence fis-cale entre pays, en même qu’elle provoquait unehausse quasi générale des déficits publics et des tauxd’endettement. Les pouvoirs publics ont, alors, étécontraints de s’endetter auprès des ménages aisés etdes marchés financiers pour financer les déficits ainsicréés. Avec « effet jackpot » garanti, pointe le mani-feste des « économistes atterrés » : les montants éco-nomisés sur l’impôt non-payé ont permis aux plusfortunés de prêter aux etats et de se voir rémunéréspour cela en intérêts payés par l’impôt prélevé surtous les contribuables...

L’accroissement de la dette publique en europe, avantmême les opérations de renflouement des banquesau bord de la faillite, n’est donc pas le résultat de po-litiques sociales dispendieuses, mais bien plus de po-litiques fiscales en faveur des groupes privilégiés.

Il n’empêche : le discours sur les prodigalités des dé-penses sociales a pour effet – si pas pour fonction –de détourner l’attention et le ressentiment envers laminorité de possédants et de les centrer sur les sala-riés eux-mêmes, que le discours ambiant tend à op-poser entre travailleurs privilégiés et assistésillégitimes.

C’est ce que détaillait, voici cinq ans déjà, l’économistefrançais Laurent Cordonnier en s’appuyant sur lesPerspectives de l’emploi 2006 de l’oCDe : un docu-ment à l’intérieur duquel l’organisation regroupant lespays les plus industrialisés dévoile les grandes lignesstratégiques mises en œuvre dans l’«économie poli-tique des réformes » depuis 1994, notamment en ma-tière d’«activation des chômeurs » de « dualité dumarché du travail ».

L’idée pour rendre celui-ci plus flexible et plus efficient(en clair : amener les travailleurs à accepter de sevendre au prix du marché), c’est de fractionner le sa-lariat afin de s’attaquer à lui par étapes successives.Lisons plutôt : « Pour éviter les conflits avec les prin-cipaux groupes d’intérêt [NDA : les syndicats], lesgouvernements peuvent, dans un premier temps, in-troduire des réformes à la marge du ’’noyau dur’’ dumarché du travail, sans véritablement toucher auxstructures institutionnelles dont bénéficient les tra-vailleurs en place. Cela tend à renforcer la dualité dumarché du travail, ce qui peut ensuite permettre degagner progressivement le soutien de l’opinion pu-blique à des réformes plus fondamentales des insti-tutions et politiques du marché du travail. »

MeTTRe eN CoNCuRReNCe Les TRAVAILLeuRs

en ciblant d’abord la périphérie moins organisée deschômeurs et/ou des travailleurs précaires ou insta-bles, on laisse les « réformes » porter leurs effets im-populaires sur les moins nombreux et les moinsvalorisés socialement, tout en prévenant le déploie-ment d’une opposition politique plus forte.

La stratégie a porté ses fruits… Les mesures res-trictives prises à l’encontre des chômeurs européensdepuis 1994 rendent les chômeurs plus « empres-sés » à constituer une main-d’œuvre immédiatementdisponible. D’autre part, elles exercent une pressionà la baisse sur les revendications des salariés. Mêmedans le langage technocratique de circonstance, cettedernière préoccupation est transparente : « en abais-sant le coût d’opportunité de l’inactivité, [les indem-nités de chômage] sont susceptibles d’accentuer lesrevendications salariales des travailleurs et, en défi-nitive, de diminuer la demande de main-d’œuvre [desentreprises]. »

Dans les années 1930, encore, chez nous, les em-ployeurs redoutaient que les chômeurs indemnisés,tout en dépensant « inconsidérément » leurs alloca-tions, n’aient tendance à refuser le travail et, surtout,les salaires qui pourraient leur être proposés. Les pa-trons, note l’historien Guy Vanthemsche, accusaientdéjà les caisses de chômage syndicales d’hypothé-quer la compétitivité des entreprises en raison des« indemnités scandaleusement élevées » qui « émous-saient la volonté des ouvriers à travailler ».

Près d’un siècle plus tard, affaiblie, jalousée pour lemaintien de ses « droits acquis » qu’elle serait seule àpréserver, la fraction centrale du salariat, la plus syn-dicalisée, se retrouve elle, aujourd’hui, bel et bien iso-lée, et exposée à devoir faire des concessions sur lesdroits conquis autrefois.

Dans le quai de ouistreham, florence Aubenas mon-tre, avec des mots qui touchent au plus près du réel,comment le processus de déclassement et de déso-cialisation des travailleurs-chômeurs précarisés de larégion de Caen, pousse ceux-ci à se replier sur eux-mêmes, à se couper des mouvements sociaux encours, à se déchirer entre employés et ouvriers justelicenciés : « Ils décrochent le pactole. C’est facile poureux. Ils sont nombreux. » on leur en veut, à eux, jus-tement les ouvriers « rois » qui protestent pour obte-nir des primes de départ, de prendre ainsi la lumièreet les « avantages indus » : « Les chaînes [de télévi-sion] les montrent toute la journée (…) on en a

marre. Même quand ils sont chômeurs, ils se voientau-dessus du lot.» Les syndicats ne parviennent plusà assurer le lien. Le versement d’une « prime-carta-bles » supplémentaire de 150 euros, cette année-là,avant la rentrée scolaire est accueilli comme « notreparachute doré ».

Marc sinnaeve

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DONNER à TOUS LES CODES DE LA CULTURERENCONTRE AVEC YVAN MAYEUR

Le CPAs, un centr e d’ ac t ion soc ia le peut- i lau ss i ê t r e un vec teu r de cu l tu r e pou r l esgens les plus dé favor isés ?

Le CPAs doit mener une politique culturelle parce quele problème de la pauvreté n’est pas seulement un pro-blème financier, d’infrastructures, d’accès de logementet de soins. Tout cela est fondamental mais la qualitéde la vie a aussi besoin d’un supplément d’« âme » quela culture doit apporter.

Au début, on a d’abord réfléchi en se disant il fallaitpermettre aux gens d’accéder à la culture. on est tou-jours dans la logique de l’accès au logement, auxsoins, à la culture. et donc, on s’est posé la questionde la gratuité. on s’est rendu compte que le problèmen’est pas tant la gratuité que le décalage culturel, le faitd’avoir une population pauvre dont les codes ne sontpas ceux de la culture. et on a constaté qu’il ne suffi-sait pas de dire aux gens : vous pouvez maintenantaller au théâtre presque gratuitement avec «  Arti-cle 27 », vous pouvez aller au théâtre pour 1,25 €.

Bien entendu, il y a des gens qui y vont. Mais on s’estrendu compte qu’il y en a aussi beaucoup qui n’y al-laient pas. et ce, pas à cause des 1,25 €, mais parceque le théâtre n’était pas un lieu pour eux, parce qu’ilposait des problèmes très concrets : comment faut-ils’habiller ? Comment est-ce que l’on y va ? Commentréagit-on dans le théâtre ? on a très vite imaginé laformule des ambassadeurs culturels.

qu’est-ce qu’un ambassadeur cu lt ure l ?

Pour permettre aux gens d’accéder réellement à la cul-ture, pour pallier les autres obstacles que simplementl’aspect financier, on a demandé à des ambassadeursculturels d’aller vers les personnes, de leur donner lescodes. Par exemple : « on s’habille comme on veutpour aller au théâtre », etc.

Je me suis rendu compte à ce moment-là — je suisPrésident du Théâtre Varia et du Théâtre des Tanneursqui se veulent d’avant-garde et progressistes — quele théâtre relève quand même de la culture bourgeoise

inaccessible non pas pour des raisons financières, maispour des raisons de barrières culturelles.

Ces ambassadeur s cu l tur e ls on t- i l s auss iune a ct ion pédagogique d ’ac compagne -ment   ? exp l i quen t - i l s , p ar exemple , lethème de la p ièce, les per sonnages avantque les gens puissent y a l ler   ?

C’est exactement cela. Non seulement il s’agit de dé-tendre les personnes par rapport au lieu et de leurdire que le lieu est aussi fait pour eux, les accompa-gner dans ce lieu, mais il s’agit aussi de les préparerà ce qu’ils vont voir. on a même été jusqu’à préparerdes gens à apprécier un opéra en décodant l’œuvrepréalablement, en expliquant ce qui allait se passer, àquoi il fallait être attentif.

Le rôle des ambassadeurs culturels ne se limite passeulement à celui d’être un guide, il y a aussi une di-mension pédagogique qui est évidemment fonda-mentale dans leur action.

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Yvan Mayeur, Député fédéra l e t P rés ident du CPAs de Br uxel les-Vi l le , mène depuis plus de 15 ans un combat au quo-t idien cont re la pauvre té et l ’exc lus ion socia le. I l a démul t ipl ié les p roje ts en mat iè re d’emplo i , de fo r mat ion, de loge-ment pour per mett r e aux démun is de sa commune d ’accéder à un peu p lus de d ign i té . Rencont re avec ce t ac teu rimpor tant de la lut te contre la misère sous l ’ang le de la cu l ture .

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Ber na rd foc rou l le a f a i t exa ctement lamême chose lor squ ’ i l é ta i t D i r ec teur del ’opéra Royal de la Monnaie . Aujourd’hui, i ll ’a reproduit au fest iv al d ’ar t lyr ique d’Aix -en-Provence. est - ce que le CPAs deBruxe l les met en œuvre avec la Monnaie ,un t r ava i l r écur rent , per manent , une co l -laborat ion r enforcée ?

on a commencé avec Bernard focroulle et on conti-nue maintenant avec la nouvelle direction. un autretravail mis en place consiste à faire aller des gens dela Monnaie dans une des maisons de repos à Pacheco.Ils viennent faire des exercices lyriques avec des rési-dents, ce qui a un double avantage.

D’une part, cela produit un exercice pulmonaire pourles gens. Il faut apprendre à respirer, à expirer, à chan-ter au bon moment et à jouer avec ces capacités pul-monaires.

D’autre part, c’est important du point de vue de la mé-moire parce que les gens sont entrainés à retenir desstrophes, des phrases qu’ils doivent chanter. Pour despersonnes âgées comme à l’Institut Pacheco, c’est trèsimportant de promouvoir cet exercice-là.

Y a- t - i l un t r ava i l concer nan t la lec tur eavec le s b ib l io thèques de la v i l l e deBruxe l les ?

Non. Ce que l’on a fait, c’est d’abord réfléchir à laconsommation culturelle, à l’accessibilité à la culture.ensuite, on a essayé de faire un travail de participa-tion culturelle et notamment avec le Théâtre des Tan-neurs. Tous les ans, il y a un spectacle réalisé aveccomme acteurs, comme concepteurs du spectacle,les gens du quartier. Le Théâtre des Tanneurs l’a parexemple fait avec le Bal des Marolles. Il s’agissait dedemander aux gens du quartier des Marolles de ra-conter leur histoire, leur vie. Puis on a demandé à unmetteur en scène et à un scénographe de rédiger cesrécits et d’en faire une pièce. ensuite, on a demandéaux gens de la jouer, de jouer leur vie sur scène de-vant d’autres. Ce qui était formidable, c’est l’histoirede Marolles racontée par les Marolliens et jouée pardes Marolliens. Avec cette diversité, des jeunes, desvieux, des anciens Belges, des nouveaux Belges, unmélange savoureux qui correspond bien aux Marolles.

est -ce qu ’ i l ex is te une démarche par t icu-l i èr e pour r app roche r le m i l ieu de

l ’ épanou issement cu l tu re l et le s gens decondi t ions modes tes  ?

La culture, si on nous en donne les moyens, est lemeilleur outil pour rompre l’isolement. or ce à quoiconduit l’extrême pauvreté qui se répand de plus enplus chez nous, c’est à cet isolement.

Les gens sont tous seuls chez eux avec comme in-terlocuteur la télévision qui leur parle, mais eux nerépondent pas évidemment. et donc, on est danscette scène absurde où les gens restent chez euxavec un flot de sons et d’images continus qu’ils in-gurgitent mais eux ne sont plus que passifs. Il fautvraiment sortir de cette logique, permettre aux gensde sortir de chez eux, de rencontrer d’autres per-sonnes, de ne plus avoir peur et donc de sortir del’isolement. La seule solution pour sortir de l’isole-ment, c’est par le biais culturel mais il faut consacrerplus de moyens pour cette politique.

es t -c e que l ’ on pour r a i t imag iner, pa rexemple, qu ’ i l y a i t un jou r un or ches tr ecomposé de gens bénéf ic ia i r es du CPAs ?

oui et non. oui, il y a évidemment beaucoup d’artistesqui sont à charge du CPAs parce qu’ils n’ont pas dedébouchés alors qu’ils ont une formation artistique.Dès lors que l’on peut donner aux gens par exemplela capacité de produire un orchestre puisqu’on a desmusiciens de différents instruments, on pourrait faireun orchestre. C’est un vrai boulot.

Il faut donner un boulot et décréter que cet orches-tre est un vrai travail parce que cela doit l’être. Il nefaut pas que la production artistique ou la produc-tion culturelle soit cantonnée dans le domaine del’aide sociale. Cela ne va pas.

Il faut accepter que l’art soit un métier professionnel.Les gens qui l’exercent doivent donc être rémunéréscomme le chauffeur de tram ou le banquier.

I l f aut donc un vra i statu t de l ’ar t is te ?

Il faut un vrai statut de l’artiste et à côté de cela, il fautsurtout accepter de soutenir la création artistique. Ilne suffit pas de donner un statut d’artiste. C’est in-suffisant.

Il faut aussi permettre que des artistes puissent seproduire. Il faut donc aussi soutenir la création.

Propos r ecuei l l i s par Jean Cor ni l

I n fo   : www.cpasbr u . i r i sne t .be

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DONNER à TOUS LES CODES DE LA CULTURERENCONTRE AVEC YVAN MAYEUR

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Davi d , tu peux nous r appe ler l ’ob j et del ’asbl sol idar i tés nouvel les ?

David Pr a ile   : C’est une association d’éducationpermanente centrée sur la question du logement,organisée autour de la mobilisation des habitantsdans une logique de défense des droits des lo-cataires. on intervient avec les habitants des loge-ments sociaux, les personnes mal logées dans leprivé, les habitants des campings, des parcs rési-dentiels, et puis les habitants de la rue ici àCharleroi. L’objectif c’est que les habitants aient unemeilleure maîtrise de leur situation, qu’ils puissentfaire valoir leurs droits, qu’ils puissent devenir desacteurs de changement social.

Denis, tu es an imateur de r ue pour sol i -dar i tés nouve l les ma is tu es auss i à l ’o-r i g ine du p r oj e t communauta i re e tbénévo le «   Pose ton sac.   » Tu peux nousen d i re p lus ?

Deni s uvie r   : J’ai toujours dit « donnez-moi unbâtiment et je vous montrerai qu’on peut faire dusocial autrement. » on cloisonne trop le social au-jourd’hui. on est dans un système de statistiqueset de réussite. faire de la réussite, c’est commefaire une équipe de football : on prend les meilleurs,les autres on les jette ! on crée de l’exclusion…Alors, si je ne peux pas faire avec le social, je medémerde, c’est ça « Pose ton sac. », ouvrir des per-spectives d’actions différentes, c’est un peu cequ’on fait au « château » (une maison à Couillet quej’appelle le château) : tu poses ton sac et on voit ce

qu’on peut faire avec toi. un parcours où on essayede trouver des solutions.

DP  : Denis est pionnier là-dessus au sein de soli-darités nouvelles. C’est un projet différent, à lacroisée des chemins de l’éducation permanente etd’un travail social davantage axé sur le collectif :mettre des solutions en place en ouvrant des portesplus qu’en en fermant. Aujourd’hui, dans le fonc-tionnement des institutions sociales, il y a une ten-tation de travailler pour le plus grand nombre, pourceux qui peuvent se conformer, les autres n’ont qu’às’adapter… Autrement dit, s’il y a de moins enmoins à partager, partageons avec les plus méri-tants, ceux qui se conforment le plus. or il y a deplus en plus de gens qui ne se retrouvent pas dansles mécanismes d’aides proposés, qui n’ont pasenvie ou qui n’ont pas de raisons de s’adapter.

Vos c r i t i ques des ins t i t ut i ons soc ia l esv isent aussi le fonct ionnement des CPAs ?

DP : Tout le monde doit balayer devant sa porte, in-stitutions publiques ou associations. Il y a des tra-vailleurs d’institutions qui font un boulotremarquable, heureusement qu’ils sont là. sans çala situation serait bien plus dramatique. A Charleroien particulier où les institutions publiques commele CPAs sont en pointe sur des projets novateurs.Mais ce n’est pas toujours à la hauteur des réalitésde terrain. La difficulté pour certaines personnesen décrochage c’est de rentrer dans le moule. C’estl’évolution sociale ça, des gens de plus en plus je-unes, à la rue, sans parcours scolaire ou d’insertion

socioprofessionnelle, rétifs à se conformer à unesérie de contraintes dont ils ne voient pas le sens :procédures administratives inextricables, empile-ment des réglementations où plus personne ne s’yretrouve même les juristes… Parfois le remède estpire que le mal. exemple : les fermetures de loge-ments insalubres alors qu’il n’y a pas de mesures derelogement efficaces. Les gens sont deux fois vic-times de leur situation. on produit l’inverse de cequ’on veut. on est dans une situation de gestion dela pénurie : énormément de demandes et très peud’offres. Alors on responsabilise à outrance les genspour rechercher un emploi, on sait qu’ils ne vontpas en trouver mais il faut qu’ils en cherchent. Leparallèle est évident avec le logement : trouver unbon logement c’est comme trouver un bon emploi,c’est chercher ce qui n’existe pas…

Du  : Des institutions comme le CPAs par exemple,à Charleroi, elles ont le monopole de la pensée. ontravaille donc dans ce monopole. finalement je mebats contre mon propre « social. » on a une libertéde dire mais on est cloisonné par des structuresqu’on s’est battu pour mettre en place. Je voudraisque ces structures écoutent plus les travailleurs,qu’on accompagne plus les mecs qui vont dans lessquats pour voir les gens dans quel état ils sont. onessaye de travailler autrement mais ce n’est pas laseule solution, il faut de nouvelles formes de col-laborations.

« IL Y A DE PLUS EN PLUS DE GENSINUTILES AU MONDE… »

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David Prai le e t Denis uvier, r espect i vement coordina teur et an imateur de sol idar it és nouve l les, posent un r egard lu-c ide ma is g laçant sur l ’é tat de la grande précar i té. et si Char le roi , ép icentre de leur s ac t ions, accumule les problèmes,le constat vaut aussi pour l ’ensemble de la Wal lon ie. I l est grand temps, est iment-i ls, de réinventer la co llaborat ion avecdes ins tances publ iques tentées par des pol i t iques de p lus en plus sé lect ives… Rencontr e.

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Vos avis sur la si tua t ion à Char le roi au-jourd’hu i  ?

DP  : on a fait des choses, les réseaux de travailsocial sont beaucoup mieux organisés, plus ouverts,prospectifs et, osons le terme, plus performantsqu’il y a dix ans. Chapeau au boulot accompli, maisce n’est pas à la hauteur de la situation. Avant il yavait la loi du silence, on ne parlait pas de ce qui sepassait. Maintenant on est dans une autre loi du si-lence, Charleroi va mal, Charleroi est une villepresque violentée dans l’inconscient collectif, tusens qu’il y a un malaise et dès lors, il ne faut plusdire du mal de Charleroi… Mais il suffit de faire letour du centre-ville pour voir le nombre de loge-ments et d’immeubles abandonnés ou inoccupés,c’est invraisemblable ! Les aménagements urbains,ce sont des processus lourds et lents, mais on voitbien aussi qu’on a du mal à reprendre la maîtrise dela ville, à mettre sur pied un vrai projet de ville. oùles personnes les plus précarisées auront aussi uneplace. La ville s’appauvrit et le réflexe c’est de dire :faisons venir des classes moyennes… Personne neva revendiquer le fait qu’il faut se débarrasser desplus pauvres mais ça arrange tout le monde s’ilsdisparaissent de la circulation. C’est compliqué àdire, parce que que tout le monde fait du bonboulot, tout le monde se démène et du coup on nepeut plus être critique…

Du  : Les squats à Charleroi, ce n’est pas unique-

ment des maisons, il y aussi des tentes dans lesbois, des tentes dans des maisons squattées, descaves, des souterrains… Aujourd’hui, des gensvont même squatter des maisons à vendre ! on nese rend pas compte de tout ça et on s’étonne queles gens se détournent du social, moins de gensvont dans les centres.

Conna î t -on les c h i f f r es exac t s de lagr ande pauvre t é à Char le r oi   ? en Wa l-lon ie ?

Du  : Non. Pour les sDf notamment, les seuls quisont reconnus comme tels sont ceux qui ont uneadresse de référence au CPAs. Mais il y a un quotaà ne pas dépasser… sans oublier qu’il y a beau-coup de gens avec un logement qui sont très mal-heureux…

est-ce qu’on sous-évalue les problèmes ?

DP  : Il y a une forme de déni de la réalité. en par-tie compréhensible : à une époque où on dit que laWallonie doit se relever, ça fait mal de voir ce qui neva pas. Ce n’est pas simple d’avoir des données fi-ables. on sait qu’il y a 32.000 demandes de loge-ment social en Wallonie, sans compter ceux qui nedemandent plus ; 10 ou 12.000 personnes qui lo-gent dans des caravanes ou des chalets à l’extérieurdes centres urbains, et puis on sait que d’après lesétudes 2006 de la Région, un locataire sur cinqhabite dans un logement en mauvais état. en

matière de lutte contre l’insalubrité, globalement lapolitique menée est bonne et donne de bons résul-tats. Le problème c’est à la marge, avec les per-sonnes dans les situations les plus difficiles. Anouveau on perçoit une tendance à nier la réalité, unmanque de confiance dans ces personnes. engénéral, on vient sanctionner la débrouille. exem-ple : la cohabitation. Tout le monde sait que c’estplus facile de s’en sortir en logeant ensemble, etbien non ça ne va pas ! Ce n’est pas l’objectif de laréglementation !

Dès que les gens tentent de s ’o rganisereux-mêmes, on leur coupe l ’herbe sous lep ied  ?

DP  : Tout à fait. on n’est pas contre la fermeturedes logements insalubres, mais les gens sedébrouillent avec les moyens qu’ils ont. une tra-vailleuse sociale me disait récemment : notre seulrecours ce sont les marchands de sommeil, il n’y aque chez eux qu’on peut envoyer les gens… C’estinterpellant. on n’est pas contre la fermeture, leproblème ce sont les conséquences pour les habi-tants dans la mesure où ils ne sont pas relogés. Demarchand de sommeil en marchand de sommeil, onfabrique des sans abris... effarant.

o n vo i t donc gr oss i r une masse degens… hor s cadr e ?

DP  : Il y a de plus en plus de gens inutiles au

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Les chômeurs en première ligne

Les chômeurs –c’est-à-dire des travailleurs privés d’emploi- subissent une triple peine. 1) Ils sont fortement stigmatisés, perçus comme seuls responsables de leur sort (dé-douanant au passage le rôle des politiques économiques), voire comme des « assis-tés », des fainéants qui coûtent chers aux « vrais » travailleurs (ce qui accentue laconcurrence entre ces deux groupes).2) Ils sont sommés de tout côté de trouver du travail et subissent notamment pour cefaire un contrôle accru et des pressions à multiplier les démarches de recherchesd’emploi qui peuvent s’avérer inutiles en période de chômage de masse.3) Ils vont voir leurs conditions financières se réduire à moyen terme avec la dégres-sivité des allocations et la limitation des allocations chômage dans le temps.L’assurance chômage, c’est-à-dire la garantie pour un travailleur de savoir que sub-sistera un revenu s’il perd son emploi est pourtant un maillon essentiel de notre sys-tème social et d’une condition de vie moins précaire. Ni la (faible) part de fraude, nile nombre grandissant de chômeurs ne l’invalide.Ces thématiques sont traitées de manière approfondie par le Collectif pour la solida-rité, contre l’exclusion : www.asbl-csce.be (Aurél ien Ber th ie r)

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La précarité s’aggrave d’autant plus que le coûtde la vie a tendance à augmenter fortement cesderniers mois. Palpable dans les loyers, l’énergie,le transport, cette inflation des prix est égalementdouloureuse dans le cas de l’alimentaire. Présentédans le cadre de la campagne de Présence et Ac-tion Culturelles Caddy minimum garanti qui abordecette problématique d’actualité, le webdocumen-

taire «Cash-cash caddy » décortique la construc-tion des prix du producteur au consommateur, enmettant en avant les zones d’ombre dans celle-ci… (à voir sur www.caddyminimumgaranti.be ). sile maintien de l’indexation des salaires et presta-tions sociales reste nécessaire pour assurer lepouvoir d’achat de tous les citoyens, d’autres me-sures sont à envisager afin d’enrayer cette aug-

mentation du prix des denrées alimentaires et degarantir un caddy minimum pour tous. Ainsi, l’etatpourrait mettre en place un contrôle des prix decertains aliments de base nécessaires à notre ali-mentation quotidienne (pain, œufs, lait, pâtes, fa-rine…), par le biais d’un observatoire des prixdotés de pouvoirs coercitifs sanctionnant les aug-mentations injustifiées. (Anne-Lise Cydzik)

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monde, c’est évident, mais le danger ce n’est pasle nombre de gens hors cadre c’est le cadre lui-même qui se rétrécit. on gère la pénurie, j’en re-viens à ça. quand on n’a pas les moyens de sapolitique, on devient de plus en plus sélectif. Plusles gens sont dans la merde et plus on met des con-ditions sur leur tête, c’est épouvantable, la vie estdéjà super compliquée, tu dois te trimbaler des dé-marches à n’en plus finir, courir toute la journéeentre l’onem, le forem, le CPAs…. on bourre lesjournées des gens pour les occuper, l’oisiveté est lamère de tous les vices, non ? T’as pas de perspec-tives mais tu te bouges, comme ça, pendant cetemps-là, tu ne fais pas de bêtises. et on passe à lavitesse supérieure avec les retombées de la crise…Ce qui se prépare est encore plus effrayant. Jepense que les mesures à venir auront des effetsplus dévastateurs.

Le f roid en févr ier a r efocal isé l ’a t tent iondes méd ias sur les sans abr is . on a vudes fo r mes de so l i dar i té spont anée ,c i toyenne , se mettr e en place  ? Tendanceou e f fet passager se lon vous ?

Du  : effet médiatique. Mais depuis des années, àCharleroi, j’ai toujours eu des aides extérieures. Cesont des citoyens privés qui ont payé la maison

qu’on occupe avec « Pose ton sac », on n’a pas deloyer à payer. sauf l’électricité en quote-part. Lanouveauté, ce sont les gens qui mettent une pièceou un hangar à disposition. C’est bien mais qui lessurveille ? Les gens ne se rendent pas compte dudanger. Avant la mentalité de la rue c’était : je terends au centuple ce que tu m’as donné, au-jourd’hui ce serait plutôt je te prends au centuple…on te menace facilement.

DP : Il faut être clair là-dessus : la violence socialese traduit par l’exaspération quand tu n’as plus au-cune perspective, que tu ne vois pas ce que tu faisdans ce système où tu n’as pas ta place, quand tun’as pas des repères forts, d’ancrage familial ouquelque chose qui te raccroche aux règles de la so-ciété… Les gens ne sont pas plus cons ou cra-puleux qu’avant, c’est une lame de fond qui produitdes comportements violents.

Pour en revenir aux solidarités, mon avis est plusnuancé. on a pris l’habitude de vivre dans des so-ciétés avec des systèmes de solidarité institution-nalisés, c’est la solidarité froide  : la sécu, l’aidesociale, etc. on a un peu perdu les réflexes de sol-idarité de proximité, familiale, interpersonnelle, dessolidarités plus chaudes, plus vivantes. C’est ce quemontre l’opération de la RTBf, il suffit de lancer un

appel et que les gens soient touchés dans ce qu’ilsvivent pour qu’ils soient prêts à partager. C’est gé-nial ! evidemment, on risque de simplifier à outrancele problème. Au call center, j’ai entendu des gensdire  : il y a l’offre et la demande, faut faire« matcher » les deux… C’est de la gestion de stocks,on a déjà pas mal de dérives avec les services so-ciaux ! on est face à des situations devenues trèscomplexes où il ne suffit pas de dire « y a qu’à. »Plus fondamentalement, il ne faut pas que ça effacele besoin d’avoir des mécanismes structurels de re-distribution des richesses. C’est très bien d’avoirenvie de partager mais ce n’est pas ça qui va ré-duire les inégalités sociales. Ce qui me frappe àCharleroi, c’est presque autant la richesse que lapauvreté. Le fossé qui sépare ces deux mondes quicohabitent à 250 mètres de distance est énorme !La dualisation de la société, le grand écart, ce n’estpas la bonne volonté citoyenne qui va la résoudre,ce sont les politiques structurelles.

Propos recue i l l i s par Denis Dargent

Retrouvez l’intégralité de cette interview surnotre site www.agirparlaculture.be

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Nourriture : contrôler les prix ?

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Les photos qui illustrent lespages de notre dossier sontissues de l’exposition« Regard au-delà del’horizon »de la photographe FabienneDenoncin.

« Juge de paix de profession, je suis aussi photographe, de temps entemps. La photographie m’offre le privilège d’aller à la rencontre dessans-voix, des plus démunis, des oubliés, sur le terrain, là où je vis et làoù je travaille.Mon premier reportage photographique a été réalisé dans le cadre demon activité professionnelle. J’ai souhaité traduire l’intensité et la ri-chesse de mes rencontres avec les gens, confrontés à la justice de proxi-mité et aussi, humaniser la salle d’audience du Tribunal avec les portraits

réalisés. Les photographies des personnes rencontrées sur le terrain judiciaire y sont exposées depuis juin 2011.Depuis plusieurs mois, j’explore aussi le terrain social de ma ville (Charleroi) et vais à la rencontre des personnes vivant dans la grande précarité, tentant d’ex-primer par l’image, leur richesse plus que leur pauvreté, leur résistance plus que leur fragilité, leurs luttes plus que leurs échecs et leur dignité plus que leurdéchéance. Mon appareil photo est un outil de résistance à l’indifférence et à la déshumanisation ambiante. » (fabienne Denonc in)

Pierre BourdieuLa misère du mondeseuil, 1993.

Le sociologue français,avec une équipe de 23chercheurs, restitue« l’expérience du mondesocial » au travers de ré-cits de vie d’une portéeexceptionnelle. Il y met enavant non seulement « lamisère de condition », liéeà l’insuffisance de res-

sources, mais aussi « la misère de position » où lesaspirations émancipatrices se heurtent auxcontraintes et à la violence des marchés du travail,du logement ou de l’école.

Robert CastelLes Métamorphosesde la quest ionsoc ia lefayard 1995.

La description au traversd’une vaste fresquesocio-historique, de la fra-gilisation progressive du

lien salarial. Cet effritement, sous forme par exem-ple d’emplois de plus en plus précarisés, nousconduit au nœud de la question sociale d’au-jourd’hui. La flexibilité croissante et la gestion deplus en plus individualisée grignotent les systèmesde protection sociale et entraînent « une désaffilia-tion » qui peut faire verser nombre de travailleursdans le statut d’assistés.

Jacques GénéreuxLa Dissocié téseuil, 2006.

une déconstruction del’anthropologie libérale etdes illusions de la démo-cratie représentative.L’économiste démontel’édifice dominant selon le-quel l’humain est par na-ture, un être parfaitementautodéterminé et indépen-dant des autres, enconstante rivalité, et qui ne

peut tendre vers l’abondance que par la libreconcurrence étendue à toutes les sphères de l’ac-tivité des hommes. Cette « catastrophe imminente »produit un être dissocié, à la conscience altérée.Dernier pas vers l’inhumain, totalement aliéné.

Hartmut RosaAccé lér a tion. une cr i t ique soc iale du tempsLa Découverte, 2010.

une formidable remise encause de notre modernitépar la dissection concep-tuelle du temps. Rosa ana-lyse l’extraordinaireaccélération sociale, destechniques aux styles devie, des structures fami-liales aux affiliations reli-

gieuses, du stress au manque de temps, quidébouche sur le sentiment d’impuissance, la disso-lution des identités ou la détemporalisation de lavie. Joueur ou flâneur ?

Jean Cor n i l

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QUATRE OUVRAGES POUR ANALYSER LA PRÉCARITÉ

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on dés igne par l ’express ion «   l i t té ra turede gare » , une l i tté rature pour gens p res-sés. De pet i ts r omans essent i e l lemen t ,dest inés à être consommés sur un quai degare, dans un ha l l d ’aéropor t , entr e deuxdest ina t ions. Vi te lu s, v i t e d igérés, v i teoubl iés. I l s’ag it d’une l it téra ture peu cul -t i vée ma is dis t rayante , superf ic ie l le ma isdo tée d’un imag ina ir e cer ta in , b ien quesuspec t aux yeux de la bourgeois ie ou del ’ in st i t ut i on l i t té r a i r e , ce qui r ev i en t aumême.

Historiquement, c’est-à-dire, en gros, jusqu’aux an-nées 70 (avec quelques notables exceptions – cf.les collections trash du fleuve noir des eighties), lesromans de gare se reconnaissaient à leurs embal-lages criards, fruits des délires graphiques dequelques illustrateurs pervers et des titres savam-ment racoleurs usinés par des romanciers stakha-novistes. on comprend ainsi pourquoi ces romans

devenus livres-objets font le ravissement des col-lectionneurs d’ar t modeste et constituent un dé-partement for t prisé du Musée international dessous-cultures qui n’existe pour l’instant que dans lecrâne des amateurs.

La littérature de gare se confond parfois avec la lit-térature dite « de genre », façon dédaigneuse dequalifier la science-fiction, le fantastique, le polar, leroman noir, le roman d’espionnage, le thriller, etc.on utilise aussi, pour nommer l’innommable, le motle plus con jamais inventé : paralittérature.

De tout cela, il ressort qu’il existe, a contrario, unelittérature purement littéraire, officielle, rétive àtoute forme d’imagination et présentée dans deséditions originales graphiquement neutres afin dene pas rebuter le lecteur. Ajoutons que cette litté-rature interdite de gare par manque d’entrain peuts’avérer tout à tour verbeuse, prétentieuse, chianteà mourir, complètement niaise ou joliment vide…

Dès lors, plutôt que prétendre instaurer la lutte desclasses en littérature, nous préférons recourir à unedistinction des genres plus pertinente. selon la-quelle il n’existe que deux formes de littérature : labonne et la mauvaise.

Dans la première catégorie, on trouve certains ro-mans d’André Héléna (1919-1972), pionnier mau-dit du roman noir français, souvent réédité, toujourssnobé. Dans J’aurai la peau de salvador, publié en1949, Héléna écrit  : «  C’était une nuit pluvieused’automne, quelque part, vers Montmartre. unebruine légère huilait les trottoirs gras. De rares pas-sants se hâtaient vers des destins provisoires. »

Ce sont les premières phrases du livre, celles dontle but est de vous prendre par la main et de vousemmener ailleurs. Ailleurs mais où ? Vers des plai-sirs provisoires ? à chacun de choisir sa destina-tion. Rien n’est écrit.

Denis Dargent

LA LITTÉRATURE DE GARE ÇA N’EXISTE PAS 

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Le g rand phys icien al lemand Max Planckécr iv ai t déjà i l y a longtemps : «  une nou-vel le théorie ne t r iomphe jama is. Ce sontdes adver saires qui f inissent par mouri r » .Ma is que le chemin semble long pour sor-t i r du coma qui anesthés ie notre époque .

Cette idéologie dominante, qui imprègne presquetoutes les expressions médiatiques et politiques,c’est cette conviction sans cesse répétée qu’il n’y apas d’alternative crédible au modèle de compré-hension du monde et de gestion de la cité, à savoirl’économie néo-classique, l’individualisme posses-sif et la rationalité marchande. Toutes celles et tousceux qui osent penser et agir en dehors de cesclous bien balisés sont au mieux des rêves uto-pistes, au pire des inconscients suicidaires.

Cette hégémonie de la pensée libérale, ce triomphede capitalisme, plus ou moins tempéré par une so-ciale démocratie souvent trop frileuse se présentequasi comme l’aboutissement de l’histoire humaine.L’économie de marché et les droits de l’humain se-raient l’horizon indépassable de notre condition. Laplus optimale des civilisations contemporaines. elles’appuie sur tous les relais idéologiques, de la télé-vision à Twitter, et sur les véritables maîtres dumonde, ceux du consensus de Washington, à savoirles sociétés transnationales, les organes de banqueet d’assurance et les institutions financières inter-nationales. Avec, chez nous, le bras armé de laCommission européenne et la Banque centrale.quand le système se grippe, il ne s’agit que d’unecrise passagère en attendant que celui-ci ne se ré-tablisse par une simple autorégulation. Commel’écrivait Bernard stiegler : « Comme si le véritableproblème était la dette publique et non le discréditmajeur par lequel l’économie capitaliste, qui a sys-tématiquement cultivé l’endettement tout en priva-tisant, a installé une insolvabilité généralisée, àcommencer par celles des banques privées ». Aufond, pas de soucis à se faire à long terme. unebonne crise d’austérité pour rééquilibrer les fi-nances publiques et nous voilà repartis vers lesjoyeux sentiers de la croissance et de la consom-mation. Tout au plus, quelques gauchistes égarésou quelques peuples exacerbés contesteront les

mesures de rigueur, voire le schéma intellectuel do-minant.

Ce récit du monde, qui accumule de la souffrance etde l’exclusion, des ventres ronds d’obésité ou defamine, se doit d’être radicalement contesté. C’estla grandeur de l’éducation populaire que d’injecterde l’esprit critique dans le monolithe du politique-ment correct. et d’offrir, humblement, mais sans re-lâche, les outils conceptuels et pratiques permettantde contester l’ordre dominant du monde. seule uneautre compréhension du réel permettra de nourrirune désobéissance dans l’action. à s’en passer et àne compter que sur les colères de la misère, onrisque, comme l’histoire l’illustre, de précipiterhommes et peuples vers le repli populiste, le pro-phète providentiel ou la barbarie intégriste.

Car comment imaginer que nous serions arrivés aubout de notre aventure institutionnelle et écono-mique ? que la démocratie représentative, aussiprécieuse soit-elle, et que le libre marché, aussi ré-gulé et mondialisé soit-il, balisent définitivementl’émancipation humaine. René Passet, dans un vo-lumineux et passionnant essai, démontre combien,depuis l’antiquité, notre représentation du monde,dans les sciences de la nature comme dans cellesde l’homme, évoluent et se transforment sanscesse. Physique classique et équilibre de l’offre etde la demande, thermodynamique et marxisme, des-truction créatrice et complexité croissante, tous lesmodèles de compréhension de la réalité, et qui dé-terminent notre action sur celle-ci, sont en perma-nence en correspondance, en dialogues, encontestations. et aujourd’hui, face aux limites de la

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réflexions

COMPRENDRE,C’EST DÉSOBÉIR

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biosphère et à la rupture des équilibres écolo-giques, face aux extraordinaires avancées des tech-nosciences, des nanotechnologies à l’émergence del’immatériel, et face à la mondialisation économiqueet financière, d’autres paradigmes, telle la bioéco-nomie, s’élaborent, se discutent, souvent balbutient.

Mais ils demeurent inaudibles dans le débat démo-cratique à l’exception de quelques cercles confi-dentiels. Comme si nous n’avions plus la mémoiredu continuum de l’histoire. Comme si nous nous sa-tisfaisions des vieux principes du modèle néo-clas-sique, sans cesse répétés par les économistesmédiatiques, après l’injuste disqualification dumarxisme. Au fond, nous sommes abreuvés du récit,d’un récit quasi totalitaire, comme si nous ne pou-vions penser ailleurs, que dans les marges échap-pant aux tyrannies de la réalité. Mais le réel n’estque le regard que nous portons sur lui. et nous nel’envisagerons qu’au travers d’un filtre unique, celuide l’humain rationnel et prométhéen, doté de toutesles vertus de la science et du progrès, uniquementmû par un insatiable désir d’accumuler l’or, l’infor-mation immédiate et l’énergie.

Il nous appartient, très modestement, de faire en-tendre d’autres voix que celles qui inondent les édi-toriaux, les commentateurs, les livres à la mode oules débats parlementaires. Cultiver l’esprit critique,c’est-à-dire réfléchir et examiner d’abord sa proprepensée, sans suivre aveuglément slogans, motsd’ordre, bon sens et lieux communs, pour permet-tre à chacun, du plus démuni à celui qui est formatépar le système scolaire, de se construire patiem-ment une vision du monde en homme libre. Le che-min sera toujours inachevé, mais l’étonnement, ledoute, la curiosité, le libre examen, la remise encause systématique, la reconnaissance de son igno-rance en sont les jalons permanents. un esprit ou-vert et un cœur vaillant, loin des dogmes, desincantations et des certitudes définitives. quellessoient émises par son voisin, son ami, son parti ouune agence de notation.

Ce cheminement, enthousiasmant, mais exigeant,passe par des rencontres, des dialogues, des dés-accords, des livres ou des films. Des universités po-pulaires aux cafés philos. De l’examen solitaire destextes novateurs à la confrontation des convictions.Ce parcours présuppose une soif de comprendre,

au-delà du J.T. qui juxtapose des faits sans cadreconceptuel et au-delà des querelles balisées par lepolitiquement correct. Il implique, selon l’expressionde Geneviève Azam, un changement du regard, laprise de conscience de ses limites comme celles dela planète. Tenter de comprendre un peu mieux,c’est nous permettre de désobéir un peu plus à tousles déterminismes et à tous les conditionnementsqui brident notre liberté de conscience et d’action.

Jean Cor n i l

4 ouvrages pourrefuser l’ordreprésent :

Monique Altan et Roger-Pol Droit, Humain  :une enquêt e ph i losophi que sur cesrévo lu t i ons qu i c hangent nos v ies,flammarion, 2012.

Geneviève Azam, Le temps du mondef in i . Ver s l ’ap rès capi ta l isme, Les Liensqui Libèrent, 2010.

René Passet, Les g r andes r eprésenta-t ions du monde e t de l ’économie àtr aver s l ’h is toi re, Les Liens qui Libèrent,2010.

Bernard stiegler, etats de choc. Bêt isee t savo ir au XXI è s ièc le , Mille et uneNuits, 2012.

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réflexions

Mardi 8 mai 2012 à 20hComment combattre la bêt ise ? - Ber nard st iegle respace Magh - Rue du Poinçon 17 - 1000 Bruxelles

Info : www.pac-g.be

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LES MOBILISATIONS SOCIALES DANS LES INTERSTICES DE L’INFORMATION

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en réac t ion à la grève génér ale du 30 janv ier der n ie r s ’est dressé, comme r ar ement , un d iscour s de quest ionnement un i laté ra l e tsystémat ique de la légi t im i té de l ’act ion syndicale . Ce t te rhé tor ique a é té por tée à la fois dans et par les médias d’ in for mat ion.que nous d i t cet te contr e-mobi l isa tion média tique ? Comment s ’expr ime-t-el le , en dehor s des espaces consacrés du commenta i reou de l ’édi tor ial , dans les for mes et les techniques du jour na lisme qui , lo in d’êtr e neutres, imposent leur s manières de l i re le réel  ?et , plus lar gement , comment expl iquer cet te vis ion commune spontanée de la par t d ’obser vateur s p ré tendus impar t iaux qui s ’é ri -gent de fa i t en juges d’except ion ?

médias

La rhétorique de « la prise en otages » des usagerset de l’économie n’a rien de nouveau. Le 1er

décembre 2011, déjà, à la veille de la grande ma-nifestation du front commun syndical, la Libre Bel-gique annonçait la couleur dans son face-à-facequotidien  : «  La manif de vendredi est-ellelégitime ? »

Mais le parti pris antisyndical a revêtu, cette fois,une dimension nouvelle, tant il s’est avéré unanimedans son déploiement, resserré dans ses anglesd’attaque, intransigeant dans son oubli de l’argu-mentaire de fond du front commun syndical…

La problématisation (la mise en scène, en forme eten mots) de l’évènement a ainsi exclu d’emblée qu’ilpuisse exister des alternatives aux réformes gou-vernementales des systèmes de (pré)retraite etd’allocations de chômage. en résumé : on n’a pas lechoix ! TINA, donc : le fameux slogan « There Is NoAlternative / Il n’y a pas d’alternative » de l’ex-pre-mière ministre conservatrice britannique MargaretThatcher. à quoi bon cette grève, dès lors ?

Il est parfaitement légitime que les journalistes

interrogent la pertinence d’un mouvement de grèvegénérale. Mais on est en droit d’attendre d’uneinformation véritablement indépendante, sans êtreneutre pour autant, un cadrage plus large que lesseuls questionnements de l’utilité, de la modernité,de la responsabilité ou de la légitimité de l’actionsociale.

C’est un trait commun de la couverture médiatiquemainstream aujourd’hui  : elle porte toujoursdavantage sur la représentativité, le statut ou leréalisme des mobilisations sociales que sur les re-présentations, les processus ou le réel véhiculés parcelles-ci. Pourtant doté a priori d’un capital desympathie plus élevé auprès des journalistes, lemouvement des jeunes indignés se voit, lui, renvoyéà son manque de programme, de structure, oud’identité revendicative, bien plus souvent qu’à sadémarche ou à son propos effectifs.

Le DIsCouRs ANoNYMe De L’éVIDeNCe

Certes, les responsables syndicaux ont eulargement l’opportunité de s’exprimer à travers lesmédias. Mais quasiment exclusivement pour y être

sommés de se justifier : « est-ce que ça ne va pastrop loin  ? est-ce que vous cautionnez cesactions ? ».

Les raisons de l’arrêt de travail et les propositionsportées par le front commun syndical sont, en re-vanche, restées très marginales, quand ellesn’étaient pas tout simplement absentes, dans la hié-rarchisation de l’information, dans les titres de uneou d’ouverture, dans les angles de traitement desreportages en radio et en télévision, dans la naturedes questions posées aux acteurs.

or, c’est dans les interstices de ce niveau de lectureet d’écriture des énoncés journalistiques, ainsi quedans les non-dits ou non-traités, tout autant quedans les façons de dire et de nommer une mobili-sation sociale, que s’opère le formatage d’un « dis-cours anonyme » de l’évidence. Concrètement, lavérité de ce qui est désigné paraît préexister àl’énoncé ; elle semble présupposée, comme déter-minée a priori. exemple  : «  l’impopularité de lagrève  », nominalisée, mais jamais démontrée demanière contradictoire.

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Du coup, le combat engagé par les syndicats pourimposer le bien-fondé de leur point de vue et deleurs revendications s’est doublé d’une épreuve deforce symbolique pour faire reconnaître la légitimitéde leur action en tant que force collective et struc-turante du conflit social.

N’est-ce pas là, précisément, d’ailleurs, ce qu’onleur reproche fondamentalement, aux « vieux » syn-dicats : rallumer le feu d’une conflictualité socialedépassée, car peu efficiente dans son approche desdéfis du présent, et, plus encore, de l’avenir ?

on se souvient que c’est ce même discours qui aprésidé à l’intronisation effective de l’ère néolibé-rale : en 1981, le nouveau président des états-unis,Ronald Reagan, mettait fin sans ménagement à lalongue grève des aiguilleurs du ciel, en faisant li-cencier du jour au lendemain 11.000 membres dupersonnel, remplacés par d’autres, fraîchement re-crutés pour se montrer plus flexibles et plus mo-dernes.

son émule britannique Margaret Thatcher fit demême en matant le mouvement social des mineursanglais, trois ans plus tard, de manière à se débar-rasser de toute résistance syndicale. «  Laconscience collective, ça n’existe pas », martelaitcelle qu’on appelait la Dame de fer… ou, du moins,ça ne devait pas exister, dans sa vision idéologiquedes choses. Car, ainsi que le note un document of-ficiel de l’époque du Parti conservateur, « ce qui me-nace la nation, ce n’est pas l’existence des classes,mais l’existence d’un sentiment de classes ».

L’ANGLe MoRT De L’ INfoRMATIoN

Notre époque a refoulé la conflictualité socialecomme outil de structuration et de progrès de la viedémocratique pour la remplacer par l’imaginaireconsensuel de la « gestion », d’une part, le cultecompétitif du résultat et de la performance, d’autrepart. Ce qui a permis, analyse le sociologue MatéoAlaluf, de faire adopter par les catégories dominéesde la société les modes de pensée des couches do-minantes. à l’encontre de leurs propres intérêts,donc…

en témoigne, ici, la fiction maintes fois évoquéed’une communauté de destin dans l’adversité. faceà « la crise », nous serions en effet « tous dans lamême galère », unis par un commun intérêt. Pau-vre ou riche, syndiqué ou non, nous serions tousappelés à ramer dans la même direction, de ma-nière à « remettre les choses en ordre » au plus vite.

C’est que s’échineraient à ne pas vouloir compren-dre les syndicats : leur mobilisation, dans cette lec-ture, apparaît, pour ainsi dire, comme un facteur dedivision de l’union sacrée. stupéfiant hold-up rhé-torique sur le sens même de la solidarité…

si l’image a pu s’imposer, c’est qu’en vertu de lamême logique d’effacement rhétorique et normativede la conflictualité sociale, il n’y a eu, dans le ca-drage général de la grève, ni désignation explicitedes responsables premiers et des gagnants ultimes(ce sont les mêmes) de la crise, ni éclairage du ré-seau d’autorités de décision entrecroisées à l’œu-vre. C’est l’angle mort du traitement journalistiquedu mouvement du 30 janvier. Ce qui a rendu d’au-tant moins accessible une lecture globale, complexe,de l’événement, et donc une compréhension poli-tique des choses.

Heureusement pour la profession, un des siens, unjournaliste irlandais, dont l’interview circule sur laToile, a eu, lui, la présence d’esprit ou l’indépen-dance de pensée suffisante pour mettre en exergueces non-dits, en même temps qu’il les a soumis àun haut responsable de la Banque centrale euro-péenne, Klaus Masuch  : que répondrait-il à unchauffeur de taxi de Dublin, lui a demandé, à plu-sieurs reprises, Vincent Browne, si celui-ci l’interro-gerait sur la raison pour laquelle les citoyensirlandais ordinaires doivent consacrer des fortunesà éponger des dettes non garanties dont ils ne sonten rien responsables ? Le représentant de la BCe,après avoir tenté d’esquiver, n’a tout simplementpas trouvé de réponse…

à cet égard, la question de Vincent Browne est enquelque sorte au journalisme ce que la grève gé-nérale est à la démocratie : le pouvoir, le devoirmême, de contester l’ordre des choses lorsque la

légitimité démocratique de la souveraineté paraîtmise en péril.

LA PuIssANCe D’AG IR DéTouRNée

« Nos » médias d’information ont fait exactement l’in-verse en adoptant, de manière spontanée, un pointde vue de discréditation de la grève au nom, entreautres motifs, du tort causé à l’économie. L’argu-ment est édifiant : il revient à indexer l’intérêt gé-néral sur la valeur actionnariale et l’exigence derentabilité. L’efficacité d’abord, puis, à titre secon-daire, la démocratie…

De ce point de vue, l’injonction à la responsabilitéadressée au front commun syndical ne peut qu’obs-curcir un peu plus l’imaginaire et l’horizon démo-cratique. Car elle enferme un peu plus encore lesgens dans la peur de se projeter dans l’avenir res-senti comme une menace, dans la tristesse de vivreun présent sans promesses, et dans le seul désirde consommation comme manière d’être. « Touteévocation du futur a tendance à nous inhiber, à nouspaniquer, constate le philosophe Miguel Benasayag.Comment bouger si nous n’avons pas la motivationd’une promesse ? ».

C’est bien ce qui rend si ingrate la position des syn-dicats dans l’action sociale. A fortiori lorsque celle-ci est perçue et présentée comme purement« défensive ».

A contrario, la participation à une entreprise de pro-testation sociale (grève, manifestation, occupationd’une place publique…) procure le sentiment, col-lectif et individuel, d’avoir prise sur le réel, d’agir etde se battre pour quelque chose d’utile et juste.C’est là expérimenter un incomparable air de liberté,d’ouverture des possibles et de puissance d’agir :cela même que le turbo-capitalisme et la techno-souveraineté en marche ont réussi à capturer et àdétourner en nous.

L’incapacité de l’information d’actualité de « positi-ver » socialement ou de lire politiquement, au sensle plus profond du terme, les mouvements decontestation ou de refus actuels en dit plus, en finde compte, sur les médias eux-mêmes et leurs pro-pres enfermements que sur la grève et lessyndicats.

Marc s innaeve

médias

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suR Les DIVeRses DéNoMINATIoNs

Certaines de ces appellations sous-tendent un ra-cisme primaire ; plus d’un parent a traité ses enfantsde « romanichels », quand ils revenaient sales à lamaison (cela vaut pour les appellations bohémien etgitan). La formulation gens du voyage est quant à elle plusexplicite. elle concerne les personnes nomades,celles que nous croisons dans des aires de station-nement, généralement peu, voire pas équipées pourles accueillir. Cette appellation peut concerner destsiganes... mais aussi bien d’autres personnes quivivent en nomades (bateliers, saisonniers, forains...).

Ajoutons à cela que si certaines appellations sontexogènes dans une langue, elles seront endogènesdans une autre langue européenne. si en france, lemot Rom peut être perçu de manière péjorative dufait de l’usage qu’en ont les élites politiques fran-çaises, en Allemagne, le terme Zigeuner (tsigane),renvoyant à une période sombre de l’histoire (le gé-nocide par les nazis), peut être perçu comme une in-sulte.

La dénomination Rom a été adoptée par plusieursinstitutions internationales, comme l’oNu par exem-ple, pour parler de ceux qui représentent la plusgrande minorité d’europe. C’est aussi le nom qu’achoisi l’union internationale romani, en 2000, pourse désigner. Parallèlement, c’est aussi l’appellationd’une partie des tsiganes d’europe, ceux originairesdes pays des Balkans. qui plus est, tous les tsiganesne se reconnaissent pas sous cette appellation. etde brouiller les cartes.

uN BRIN D’HIsToIRe. . . q uI ResTe D’ACTuALITé

L’une des raisons d’apprendre àmieux connaître le/les monde-s tsi-gane-s est bien entendu son histoire.une histoire composée de discriminations, d’exclusion,d’esclavage (l’abolition de l’esclavage des Tsiganesen Roumanie date du milieu du XIXe siècle) et mêmed’un génocide, perpétré en même temps que le gé-nocide juif sous le régime nazi, dont notre sociétécontemporaine parle peu. Interdit aux nomades, deRaymond Gurême, raconte l’histoire des camps d’in-ternement en france, d’un témoin encore vivant decette histoire du XXe siècle. La discrimination et l’ex-clusion restent toujours d’actualité. en 2011, des manifestations anti-roms s’organisent,soutenues par des groupes néo-nazis en Bulgarie ouen slovaquie. Nicolas sarkozy, en 2010, a renvoyé enRoumanie et Bulgarie, dans la plus grande cacopho-nie et pêle-mêle des milliers de personnes, identifiéescomme Roms. à l’été 2011, à Bruxelles, nous noussouvenons de l’abandon général par les pouvoirs pu-blics de familles roms avec enfants sur la « place Gau-cheret », livrés à la seule solidarité des riverains.

Aujourd’hui, au sein de l’union européenne existe uneprésomption de respect des Droits de l’Homme, àl’égard des états la constituant... une présomption quiquestionne, quand on voit les situations dramatiquesdes Roms dans certains pays de l’union. Même si lesexemples de stigmatisation et d’exclusion sont nom-breux et avant tout liés à des stéréotypes.

uNe IDeNT ITé CoMMuNe eT LA NAT IoNRoMANI

L’union internationale Romani fut créée en 1971,sous l’impulsion de Roms convaincus de la nécessitéde se regrouper pour défendre leurs droits. unionreconnue pour notamment avoir réalisé un travaild’écriture d’un statut-cadre du peuple Rrom dansl’union européenne, elle ne fait cependant pas l’una-nimité au sein des Roms eux-mêmes. Rappelons quela volonté de certains militants tsiganes de détermi-ner un dénominatif commun (Rom) participe d’unsouci d’émancipation face aux appellations péjora-tives données par les non-Roms.

Précaution prise, l’union Internationale Romani défi-nit la nation romani comme « une nation sans terri-toire compact et sans prétention à l’être  ». enprécisant qu’il ne s’agit pas de «  critères défini-toires », ce texte avance un « faisceau de références »à travers lesquelles se reconnaît la nation rom : — une origine indienne commune. Ceux que nousappelons Roms ou Tsiganes auraient quitté l’Inde auxalentours du Xe siècle ;— une langue commune, le romani, que cette languesoit encore pratiquée ou qu’elle corresponde au sou-venir d’ancêtres qui l’ont parlée. Des auteurs et pro-fesseurs, tel que Marcel Courthiade, dans cettemême volonté de fédérer pour mieux défendre leursdroits, travaillent à la standardisation du romani. Les

I l est un peuple en europe dont les f ront iè res ne sont pas cel les d’un ter-r i toi r e , n i d’un éta t-Nat ion. I l est un peupl e en europe qui ne vi t pascomme les autr es . I l est un peup le en europe , rédui t à une mythologie ,la p lupar t du temps d iscr iminante… négat ivement , mais auss i pos i t ive-ment . on le d i t tour à tour nomade, mus ic ien vi r tuose , l ibr e comme levent . Mai s éga lemen t vo leur de poule , s al e, un enfant dans les b r as,dans les r ues de nos v i l les . on les appe l le Roms, Ts iganes, G i tans, Gens du voyage… Au-delà desimages, des stéréotypes bien ancrés dans la mémoire co llect ive se cacheune réal i té complexe .

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ROM, TSIGANE, GITAN,… DÉPASSER LES MYTHES D’UN PEUPLE EUROPÉEN

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réalités géographiques et les stratégies d’intégra-tion/inclusion, ont en effet donné un langage em-preint des langues du territoire dans lesquels lesRoms se sont installés et donc des langues romaniplutôt qu’une langue romani ;— une intégration par le sang ou les alliances auréseau des familles romani en europe ; — une « conscience d’appartenir avec fierté à unecommune nation romani, quels que soient les motsutilisés localement pour la nommer, les personnesn’appartenant pas à cette collectivité étant désignéestraditionnellement sous divers noms dont le plus ré-pandu est ‘’gadjo’’, féminin ‘’gadji’’ » ;— un certain nombre de valeurs philosophiques ethumaines communes. Celles-ci prennent leur sensdans une forme d’organisation sociale dans lesquelsles liens familiaux de premier niveau sont primor-diaux, s’élargissant en cercles concentriques, jusqu’àla distinction de Rom / Gadjo, c’est-à-dire Rom / non-Rom.

Ces valeurs, comme dans tout peuple, sont défen-dues variablement d’un groupe et d’une personne àl’autre. Comme dans toute organisation sociale. Nouspouvons y voir émerger, par exemple, des revendi-

cations féministes. à cet égard, le documentaire deMeritxell de la Huerga, Gitana soy, est particulière-ment parlant. L’on y voit, dans l’espagne actuelle,des femmes discuter de leur statut de femmes ausein des Gitanos (Tsiganes d’espagne), de traditionset d’éducation.

outre les critères repris ci-dessous, nous pourrionsajouter, comme le propose Alain Reyniers, uneconception particulière du territoire. La conceptiondu territoire reviendrait à dire que c’est « l’individuqui construit le territoire à sa mesure et non le ter-ritoire qui cloisonne l’activité humaine sur un espacepréalablement délimité ». Dans cette perspective, leterritoire varie en fonction des nécessités écono-miques, commerciales, familiales... un groupe se dé-placera pour un travail (comme par exemple, dansles travaux saisonniers) et profitera de ce déplace-ment pour rendre visite à la famille vivant dans larégion.

Des PR oDuCT IoNs CuLTuReLLes CoMMeVeCTeuR D’IDeNTITé

Créées de toute pièce ou non, les identités tsiganes

existent et avec elles un monde de création spéci-fique. L’émergence de nouvelles formes d’expres-sion culturelle dans le giron artistique est favoriséepar des médias roms propres. Les prémisses ap-paraissent dès le début du XXe siècle en Russie,ainsi que dans certains pays des Balkans. Au-jourd’hui, des radios en romani aux magazines, lalangue rom permet à certains groupes de connaîtreet reconnaître, et d’unifier. Cela en lien avec les réa-lités politiques, d’exclusion, de soumissions des po-pulations tsiganes.

en france, dans les années 1980, une maisond’édition est initiée par le Père Jean fleury. structureassociative, Wallâda développe la collection Warout-cho, consacrée à la parole tsigane. Wallâda publiel’auteur qui reste encore aujourd’hui l’un des prin-cipaux, et est initiateur du passage à l’écrit de l’au-teur tsigane : Matéo Maximoff.

en Belgique, le nom du guitariste Django Reinhardtsonne comme le fondateur du jazz manouche. Tsi-gane et nomade, il est issu d’une famille de sinti —que l’on appelle manouche en france. Beaucoup delieux qu’il aura traversés célèbrent encore au-jourd’hui le musicien.

PouR CoNCLuRe

Nous retiendrons les propos de Nicolae Gheorghe,sociologue rom de Roumanie : « Être Tsigane ne si-gnifie pas nécessairement parler tsigane, agir entsigane, avoir une église différente. La tsiganité estune définition qui est toujours négociable et négo-ciée, selon que l’on veut ou non se déclarer tsi-gane. » L’objectif de ce texte n’est pas d’enfermerles Tsiganes dans un statut un et indivisible, maisde tenter de montrer qu’il existe des réflexions, par-fois contradictoires, comme il existe des particulari-tés et une forme d’universalité, dans ces cultures...comme dans les autres.

Anne-Lise Cydz ik

Présence et Action Culturelles vous propose,dans le cadre de la campagne que l’AsBLmène sur la question des représentations etde l’histoire des Roms, de visiter l’exposition« Roms, Tsiganes, Gitans, Gens du voyage...entre mythes et réalités » à la Maison du Livreà saint-Gilles (Bruxelles) jusqu’au 18 avril2012. Cette exposition se déplacera en Wallo-nie par la suite. Programme complet disponi-ble sur www.romstsiganesgitans.be.

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encore aujourd’hui, en le repassant sur mon élec-trophone Philips, le mélange de cette voix et del’harmonica me laisse au bord des larmes. on nesavait pas alors que le nom de cette ville allait ré-sonner différemment ; Bagdad, vous associez avecquoi ? Barrage de sécurité, explosion, ambassade,morts, civils... La carte de la poésie change de cou-leur avec les époques, et les régimes aussi. Dansma boîte de vieux vinyles, à croire que je les avaisrangés, il a aussi la musique de Maurice Ja r re dufilm Mour i r à Madr id. Vous vous souvenez del’affiche ? Mais si, un dessin en noir et blanc dePier r e Teulon représentant un civil, à genoux, lesbras ouverts, fusil à la main. « De 1936 à 1939,mille ans d’histoire ont explosé en espagne. Lesmystiques de la nation et les mystiques de la révo-lution ont engagé leur ultime combat. Le monde en-tier s’est retrouvé dans ce combat. » C’est ce quiest indiqué sur la pochette. Il n’y est pas écrit queles pays proches ont regardé les républicains sefaire massacrer grâce aux nazis. L’espagne vient dedépasser son million de chômeurs. en 2012, je veuxdire. et, oh, même pas peur de vous dire qu’il y aaussi le disque avec les chansons de Mar yPopp i ns, en français, chantées par e l i aneT hibaul t ... supercalifragilisticexpialidocious... Jevous jure, qu’avec ma sœur, on jouait à qui le disait

le plus vite sans se tromper. on avait été le voir àl’eldorado, avec notre père. Mais question miracle,c’était pas terrible. on n’a pas vraiment volé dansles airs sous un parapluie. on est même resté lespieds bien sur terre, un peu dans la boue même,quand on l’a enterré. Bon, allez, hop.

Manos Hadj idak i s a composé la musique deJama is le d imanche, de Ju les Dass in (oui, lepère de Joe). Mel ina Mercouri y chante, et c’estmagnifique, comme ce qu’elle a dit lorsqu’elle a étéprivée de ses droits politiques à la suite du coupd’état des colonels, en 1967 : « Je suis née grecqueet je mourrai grecque. M.Pattakos est né dictateuret mourra dictateur ». et puis en 1981, elle fut mi-nistre de la Culture, quand Mitterrand était Prési-dent. sans doute une plus belle europequ’aujourd’hui. ou alors je vieillis ? Je rêve ou enGrèce, les colonels ont revêtu des tenues civiles etchangé les tanks en banques ? elle dirait quoi, au-jourd’hui, Mélina Mercouri ?

« Here’s to you, Nicola and Bart, rest forever herein our hearts, the last and final moment is yours,that agony is your triumph ! » Vous connaissez. Biensûr que vous connaissez, vous fredonnez déjà.Bon, pour les plus jeunes : sacco e t Vanzett i .Musique de ennio Mor ricone. ouais, il était une

fois dans l’ouest deux gars exécutés par un juge quin’aimait ni les Italiens ni les anarchistes. Ça ne ri-golait pas aux etats-unis dans les années 30. Com-ment ? Aujourd’hui non plus ? on exécute toujours? Mais qu’est ce qu’on a foutu en 80 ans ?! A pro-pos de Morricone, voilà Le bon, la br ute et let r uand. une pochette faite sur un coin de table oùon ne voit rien; s’emmerdaient pas dans le temps.Allez, pour rire, vite fait ; en Belgique aujourd’hui, ceserait qui, the good, the bad and the ugly ? Bon jepioche, je regarde les pochettes, et ben tiens, uncorbeau avec les yeux perdus de Gér a l di neChap l i n, une musique légère, chantée parJeanet te, et composée par Jose Lu is Pera les.encore l’espagne. C r ia cuer vos, de Car lossaur a. Il doit être à la médiathèque, non ? Bon, jelaisse de côté Love stor y, même si francis La iest un grand compositieur de film, mais celui-là,dans le genre nanar, c’est le meilleur ! Ah, il est là,L’espagne, Ga to Barbi e r i , avec Le der n ie rt ango à Par is . Bon d’accord, Br ando joue àBrando et tout ça n’est pas bon pour le cholestérol,mais fallait bien que je termine cette chronique surdu light. et puis on espère quand même qu’à Pariset dans le reste de la france, le soir du 6 mai, cesera vraiment le dernier tango au fouquet’s !

Danie l Adam

l’air du temps

« JE SUIS NÉEGRECQUE ET JE MOURRAIGRECQUE »(MÉLINA MERCOURI)

un so ir d’oc tobre 1988, j ’a i entendu à la r ad ioune vo ix qu i vena i t du fond d ’un déser t e t j ’a i sutout de su i te qu’e l le chanta i t la même soi f que lam ienne . Le lendema in, j ’ac heta i s le der n i e r 45tour s neuf de ma v ie, «   Ca l l ing you  » , chanté parJeve tta stee le , du f i lm Bagdad Cafe.

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R oMAN

Dans l ’ombr eedouard Philippe et Gilles BoyerJC Lattès, 2011

Le rituel captivantde la campagneprésidentielle vascander notreprintemps sousles joutes descandidats hexago-naux. Il meuble lesconver sat ions,suscite passionset polémiques,enflamme lesblogs et rythme

nos regards sur la chose publique. une série, réus-sie, sur france 2, « Les hommes de l’ombre ». Despassages chez Pujadas et Ruquier. Des biographies,de Hollande à Mélenchon, des programmes, destracts et des affiches. Je vous propose un roman.Le style en est un peu conventionnel mais les cou-lisses et les leçons de politique (très politicienne),les stratégies et les dialogues font sourire et sou-vent rire à chaque page. Le narrateur est le conseil-ler principal du candidat de la droite, désigné parson camp lors d’une primaire. Mais plane un soup-çon de fraude informatique lors du vote… L’atmo-sphère de la campagne, le rôle des communicants,la description des flatteurs d’un jour, les jeux infiniset dérisoires du pouvoir sont décryptés avec uneallégresse touchante. Ce roman est en plus écrit pardeux pros de la politique française. Beaucoup plusdrôle que les très policés débats de la langue debois. (Jean Cornil)www.ed i t ions-jc la t tes .f r /

Ce so ir, je va is tuer l ’assass in de mon f i lsJacques expertéditions Anne Carrière, 2010

Dans l’énorme pro-duction de romans, lespolars prennent uneplace grandissantedans l’édition. Près de40 %. et comme par-tout, on y trouve lepire comme le meilleur.Je suis depuis près de35 ans un dévoreur delittérature noire pour

laquelle j’ai la plus haute estime. Loin d’être ungenre littéraire de gare, de concierge ou de demi-demeuré, je pense au contraire que le thriller est unprofond révélateur de la trame cachée de nos so-ciétés à la dérive. entre Gilles Vincent et LaurentGuillaume, entre James ellroy et Arnaldur Indrida-son, entre Peter May, David Peace ou Natsuo Kirino,le panel international est d’une diversité fascinante.Je souhaite juste ici vous suggérer un policier deJacques expert qui m’a passionné tant par la struc-ture narrative que par l’ingéniosité de l’intrigue. Dela même veine que le décapant « Venge-moi » dePatrick Cauvin. (JC)

Le s i lence ne ser a qu’un souvenirLaurence Vilaineéditions Gaïa, 2011

Le titre de ce premierroman de Laurence Vi-laine donne la mesure dela poésie dont est em-preint ce texte. une jolieplume pour nous conter,à travers le temps, l’his-toire, faite de douleurs,d’un groupe roms, ins-tallé sur une rive du Da-nube en slovaquie.L’histoire d’un groupe et

l’histoire d’une famille dont le narrateur, d’outre-tombe, nous conte le secret (je suis obligée de letaire…) d’un enfant blond parmi les Roms sur fondde l’histoire du XXe siècle : le régime nazi, le rideaude fer jusqu’à aujourd’hui. Les brimades, l’exclusion,l’intégration… autant de sujets que traite ce texte.L’humiliation, les viols, les rafles, la stérilisation for-cée se dévoilent au long du récit en laissant appa-raître la continuité de l’exclusion.Pourtant, le « cœur sensible s’abstenir » n’est pas demise ici. L’horreur de l’histoire se fondant dans lesjoies quotidiennes, les rencontres, laissent unedouce musique – mélancolique, comme une mu-sique tsigane ? – jaillir et la dernière page tournée,il vous faudra du silence. (Anne-Lise Cydzik)

C IToYeNNeTé JeuNesse

on n’a r ien vu venirouvrage collectif Alice éditions, 2012

« on n’a rien vu venir » est un roman à 7 voix des-tiné aux enfants de 10 ans et plus. Il décrit, à traversle regard de 7 familles, l’arrivée au pouvoir du

«  Parti de la Li-berté » et les me-sures radicalesqui s’ensuivent.Les 7 chapitresprésentent di-verses facettesde la politique ex-trémiste d’unparti qui s’est faitdiscrètement saplace et pour qui

la plupart ont voté, parce que ce qu’il disait avaitl’air si bien… un texte qui montre, avec des motsadaptés à son public, les dégâts que peut produirela propagande démagogique, lorsqu’« on n’a rienvu venir ». « on n’a rien vu venir parle de ce qui peutarriver si l’on n’y prend garde. C’est pourquoi jeconsidère que c’est un livre important, et je vousencourage à le lire » nous dit stéphane Hessel quia préfacé cet ouvrage. (stuart Wrathall)www.al ice-ed i t ions.be

éCoNoMIe

Pour év i ter le Krach u lt ime Pierre Larrouturou(Préface de stéphane Hessel)Nova éditions, 2011

Parmi les nombreuxessais qui tentent dedéchiffrer la crise fi-nancière et écono-mique que noustraversons, le livrede Pierre Larroutu-rou est un petit bijoude pédagogie, deprofondeur et d’anti-cipation. C’est rare

car l’analyse rompt avec la pensée commune del’économie néo-classique libérale dont les décideurset les médias nous abreuvent. Parmi les forces dedomination qui masquent l’aliénation des dominés,Karl Marx cite la religion, l’école et l’économie poli-tique qui postule un agent économique rationnel etégal dans le champ économique. Cette impostureintellectuelle et politique a plus que jamais cours denos jours. Austérité, rigueur, lutte contre les défi-cits, allongement du temps de travail, activation deschômeurs, rien n’a changé dans le menu que le ca-pitalisme nous sert depuis plus de deux siècles pourmaintenir sa logique. Vers le krach ultime ? Non.Pour l’éviter justement, l’économiste français nous

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rappelle à l’histoire, nous les enfants de la mémoiresi courte.Il nous remémore la politique entreprise par f. D.Roosevelt pour conjurer la crise des années 1930dont on se plaît tant à la comparer avec nos effon-drements contemporains. La stricte séparation desbanques de dépôt et des banques d’affaires (leGlass-steagall Act) a été voté en 1933 aux états-unis, et un taux d’imposition sur les revenus desplus élevés porté à 91 % — oui vous avez bien lu91 % — en 1941 et qui persistera à 70 % jusquedans les années 1970. Pendant près de 50 ans,jusqu’à l’arrivée de Ronald Reagan, le taux supé-rieur fut en moyenne de 80 %. Vous imaginez pro-poser une telle imposition aujourd’hui ? Gauchisteinconscient, utopiste dangereux… Larrouturou dé-monte aussi le mythe de la croissance infinie, no-tamment en raison de son impact catastrophiquesur les systèmes écologiques, échafaude des scé-narios possibles, dont celui d’une guerre avec laChine pour l’accaparement de ressources de plusen plus rares, compare les progressions des tauxde chômage en france et en Allemagne qui, elle, arecouru massivement aux temps partiels sans li-cencier les travailleurs lors de la chute des expor-tations en 2009… Ce petit livre est passionnant,visionnaire et pédagogique. formidable antidote àl’hégémonie de la pensée dominante de l’économiedes gouvernements européens qui outre l’erreurhistorique de l’évacuation de la question environ-nementale, se complaisent dans le cadre mental ducapitalisme, modernisé mais toujours aussi des-tructeur. qui, un jour, tirera les leçons de l’histoire ?(JC)ht tp :/ /novaed i t ions. f r/ht tp :/ /www. lar r outurou.ne t/

PH ILo

Le Ci toyen de ver re , entre sur vei l lance e t exh ibi t ionWolfgang sofskyL’Herne, 2011

Journaliste, sociologue,philosophe, Wolfgangsofsky est fasciné par lepouvoir, la terreur et laguerre. Le citoyen deverre aborde la terreurambiante du cauchemarclimatisé que nous vi-vons actuellement et quis’opère au moyen desoutils de plus en plus

développé et omniprésent de surveillance. Nous au-tres, devenus « citoyens de verre », au temps d’une« transparence » érigée comme étalon des rapportshumains, vivons dans une ère de soupçon généraleoù c’est la discrétion même qui paraît suspecte.Comme toujours avec sofsky, l’écriture imagée mêlerécits fictionnels et analyse sociologique. elle permetde saisir dans toutes ses dimensions un dispositifqui, non seulement érodent les libertés, mais dé-chirent également les liens entre les individus.Contrairement à beaucoup d’auteurs, ce n’est pastant à Big Brother (ni même à ses « petits frères »,les entreprises tenant à jour d’énormes fichiers dedonnées sur ses clients) qu’il s’attaque. Il cible plu-tôt notre manque de réflexes et de défense sphèreprivée. et de rappeler que : « Celui qui croit qu’il n‘arien à cacher a déjà renoncé à sa liberté et refusede mener son existence sous sa propre égide. » quedonnons-nous contre un confort et unesécurité supposés meilleurs ? Nous sommes com-plices de l’installation de l’exigence de transparence.Nous n’y trouvons rien à redire, au contraire : « onn’a pas peur d’être observé mais de ne pas l’être ».sofsky utilise l’histoire de la vie privée, « un bienrare qui a été difficile à acquérir », le rapport aucorps, l’approche de la proxémie afin d’évaluer cequ’est le territoire physique et moral de la personneet les transgressions qu’il subit. ou encore d’autresaspects liés à cette question comme la pudeur, l’hy-giène et l’habitat, la propriété privée ou le respectdes zones sensorielles. Décrivant une époque oùl’impudeur s’est imposée, et où la nudité ne choqueplus personne, sofsky signe un portrait de l’individuactuel qui facilite le travail d’un état « aux oreilles etaux yeux gigantesques et à la mémoire longue » in-quisiteur et soupçonneux à l’égard de ses citoyens.(Aurélien Berthier)www. lher ne .com

Le complexe d'or phée la gauche, les gensordina i res e t la r el ig ion du p rogrèsJean-Claude MichéaClimats, 2011

Jean-Claude Michéa a laréputation d’être un pen-seur inclassable. L’intérêtpremier de ses analyses,c’est la sortie du cadreconvenu du politiquementcorrect de gauche commede droite. De «  ImpasseAdam smith » à « L’empire

du moindre mal », en passant par ses références àorwell ou à l’enseignement, chargé de diffuser

l’ignorance demandée par le capitalisme, ce philo-sophe de Montpellier démonte à la fois le libéralismeculturel de la gauche, le libéralisme économique dela droite et les impasses du rêve communiste. Dansce dernier essai, il fait l’éloge du rétroviseur, loue leregard en arrière, la continuation historique, lachaîne infinie des ascendances.Il combat le sentier escarpé du Progrès en nous in-vitant à briser le tabou du « c’était parfois mieuxavant » sans se laisser enfermer dans une attituderéactionnaire et populiste. une charge brillantecontre l’anthropologie noire du capitalisme(« L’homme est un égoïste par nature ») repris enchœur aujourd’hui par le social-libéralisme ultrado-minant. (JC)

sC IeNCes

Le Cosmos et le Lo tusTrinh Xuan ThuanAlbin Michel, 2011

Il existe des lec-tures magiquesqui enchantent lacompréhensiondu réel dans sesmultiples dimen-sions. élargirnotre regard encombinant lessciences exacteset d’anciennesspiritualités, àl’heure où la pro-

duction du discours dominant ne véhicule que dusoi-disant bon sens, du conformisme, de l’utilita-risme, du slogan et de la petite phrase. en témoignele superbe essai de l’astrophysicien Trinh XuanThuan qui marie avec bonheur sa culture vietna-mienne, son instruction française et sa formationscientifique américaine. Après «  La mélodie se-crète », « Le Cosmos et le Lotus », au travers de labiographie de l’auteur, rapproche le bouddhisme etConfucius avec les interrogations les plus pointuesde l’étude du ciel. Jubilatoire et profond. Loin detous les enfermements des spécialisations scienti-fiques ou de la rationalité occidentale. une grandeouverture sur la beauté des étoiles et la nostalgiede la lumière. (JC)

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LeCTuRe

Pourquoi l i re  ?Charles DantzigGrasset, 2010

une thérapie par lesmots, ces êtres vivantsselon la formule deBernard Pivot. une bi-bliothérapie par le livre.un outil majeur de laprogression de laconnaissance et del’éducation populaire.une volonté de se his-

ser un peu plus haut que soi. Pourquoi lire ? CharlesDantzig y répond : « Pour moi, presque tout ce quej’ai appris de bien, je l’ai appris par les livres. et macompréhension du monde, ou le peu que j’en ai,s’est obscurcie à partir du moment où j’ai eu de l’ex-périence ». J’y réponds : parce que l’imaginaire et leconcept sont sans frontières, ni spatiales ni tempo-relles. Les textes permettent toutes les époques,toutes les vies, tous les voyages, tous les senti-ments, toutes les utopies, tous les rêves. que nosneurones seraient vides de sens sans l’empathieavec l’ajustement infini de nos 26 lettres. Les motspeuvent tout. Ils sont immortels. Je les aime. (JC)

seXuALITé

sexe, Pr ost i tut ion et contes de féesun regard compl ice sur la l iber té sexuel le Catherine françoisLuc Pire, 2011

Dans cet essai auton libre écrit enc o l l a b o r a t i o navec Marie, uneprostituée, Cathe-rine françois,prolonge le débatautour de la pros-titution déjà en-tamé avecParoles de prosti-tuées (2001).Peut-on réduire

les prostitué(e)s à des êtres asservis et soumis ? Laprostitution constitue-t-elle un travail ou un escla-vage sexuel ? N’y a-t-il pas multiplicités des situa-tions vécues  ? Les lois abolitionnistes nerisquent-elles pas de créer plus de problèmes

qu’elles n’en résolvent en poussant à la clandestinitéet à la précarité les prostituées ?L’auteure questionne la manière dont on perçoit laprostitution. elle renverse des représentations ettente de montrer que notre perception est large-ment liée à notre rapport à la sexualité, à la pro-priété, à l’argent, au corps, au consentement, à lamorale (y compris le moralisme présent dans cer-taines franges du féminisme). elle n’élude pas lesconditions de vie des prostituées, le proxénétisme etnotamment le « proxénétisme immobilier » dont peu-vent faire preuve les propriétaires de « carrée »,c’est-à-dire du local où reçoivent les prostituées.C’est plus largement toute la question de la libertésexuelle dans nos sociétés à l’heure actuelle qui esttraitée à partir de l’activité de prostitution. (AB)www. lucp ir e.be

PoLITIq ue

Jean Vo lder s, Républ icain et révo lut ionna ireAnthologie présentée et annotée par Roger Barbier éditions Aden, 2011

Présence et ActionCulturelles et les édi-tions Aden ont vouluressortir de la mé-moire collectivebelge, et plus spécifi-quement saint-Gilloise, unpersonnage à la foisjournaliste, polémiste,

pamphlétaire, fondateur du Parti ouvrier belge etvéritable héros du suffrage universel : Jean Volders,né à Bruxelles, rue des Minimes dans le quartierdes Marolles et actif en politique dès l’âge de 15ans. à travers une sélection de ses éditos parusdans le journal progressiste le National Belge, l’ondonne à redécouvrir un personnage un peu oubliéde l’histoire du mouvement socialiste. un écrivainpourtant fougueux qui séduisait le public populairetout en scandalisant le bourgeois. Dans cet ouvrage,il est question de conflits entre catholiques et libé-raux sur la question scolaire, de l’hostilité à la mo-narchie, du combat contre le suffrage censitaire etde la montée de l’opinion socialiste en Belgique.Toutes ces nobles causes lui valaient bien une ave-nue qui porte son nom dans la commune de saint-Gilles. (sabine Beaucamp) en vente à PAC au pri x de 10 € fra is de por tcompr is. Commande à ed i t [email protected] ou 02/545 79 18

sPeCTACLe

Compl ic i tés , His to i re d’un spec tac le De Laurent Ancionéditions PAC, 2011

édité dans la collec-tion « Les Voies dela création cultu-relle  », ce livre re-trace le projet« Complicités », cetteaventure ar tistiquemenée par l’espaceCatastrophe et leCréahm-Bruxelles.

Les textes ont été écrits par Laurent Ancion, jour-naliste spécialisé dans le théâtre et les arts de lascène tant en presse écrite qu’audiovisuelle. Le tra-vail d’observation et d’écriture qu’il a réalisé reflèteune approche des plus originales. Celle de « la dif-férence » portée par onze handicapés mentaux ac-teurs qui évoluent dans un spectacle de cirquecontemporain accompagnés par quatre circassiens,deux comédiens et un musicien sous la conduite dela metteuse en scène Catherine Magis. Le résultatest émouvant, l’écriture est sensible, les photogra-phies sont dignes et empreintes d’une certaine vo-lupté. Cet ouvrage invite à vivre et comprendre del’intérieur une aventure partagée exceptionnelle.(sB)en vente à PAC au p rix de 19  € f ra is depor t non compr i s. Commande àedi t [email protected] ou 02/545 79 18

BIoGRAPHIe

sans t r icheréva Jolyéditions les Arènes, 2012

éva Joly, les écologistesfrançais l’ont choisiecomme candidate à laprésidence de la Répu-blique. Cet ouvrage estune autobiographie, elledéclare qu’entre elle et lafrance, c’est d’abord unehistoire d’amour. quandelle arriva en france à

ses 20 ans, éva Joly fut tour à tour jeune fille au pair,puis secrétaire et dactylo en parallèle à ses étudesde droit. en 1994, elle devint juge d'instruction fi-nancière alors qu'elle traitait l'affaire elf. elle écrit

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ces lignes à ce propos : « Au moment de l’affaire elf,quand j’ai pu apercevoir le dessous des cartes desmultinationales, je suis tombée de haut (…). Ma vi-sion du monde a commencé à changer. J’ai acquis laconviction que les décisions politiques n’étaient pasprises dans l’intérêt collectif. en tout cas, l’indigna-tion qui m’a saisie a décuplé mon énergie (…).Voilà d’où vient ce que mes ennemis appellent ma‘’dureté’’ ». sa carrière politique est particulière, ellen’est pas passée par l’eNA contrairement aux au-tres candidats. en réalité, son entrée en politique,elle l’a faite seulement en 2008. D'abord tentée parBayrou, elle a finalement rejoint le parti écolo aprèsavoir été contactée par Daniel Cohn-Bendit : « Il ve-nait de fonder europe ecologie (...). J'étais enthou-siasmée par son projet, sa chaleur humaine, sonénergie (...) Il est arrivé dans ma vie comme un frèrechoisi. ». à l’heure actuelle, les sondages lui profilent3 % des suffrages, elle espère en obtenir 5 %. sanstricher, l’avenir nous le dira ! un ouvrage sans deprise de tête qui décrit une femme militante qui re-fuse les codes et le mensonge ordinaire. (sB)

CAMPAGNe

J ’ai un peu d’av anceAlternative Culture AsBLA partir du 29 avril 2012

L’abandon des « vieux »est-il inscrit dans notremode de vie ? Dès le 29avril 2012, débuteraune campagne un peuparticulière de sensibili-sation au vieillissementet à la solidarité inter-générationnelle. Péda-gogique et culturelle, «J’ai un peu d’avance –

Le grand batelage des seniors » lancée par l’asso-ciation Alternative Culture s’inscrit dans le cadre del’année européenne 2012 entièrement dédiée àcette thématique. Durant plus de quatre mois, unepéniche, porte-drapeau du projet, sillonnera lesvoies navigables wallonnes et bruxelloises pour allerà la rencontre des citoyens. une large place est lais-sée aux associations locales pour les inviter à venirparticiper et à utiliser les outils mis à dispositionpour valoriser les initiatives citoyennes et la poli-tique des villes en faveur des « ainés ». Il y a urgenceà mettre en débat la façon dont nous pouvons ga-rantir un avenir à notre société vieillissante. (Corinne Ricuort)www. jaiunpeudavance .be

DoCuMeNTAIRe

Ate l ier s urbains  : flagey / Le g rand nordŒuvre collectiveCVB / PTTL, 2011

à l’instar d’autresgrandes métropoles eu-ropéennes, Bruxelles setransforme à vitessegrand V et, la plupart dutemps, sans se poser dequestions, sans tirer lesbilans sociaux et géo-graphiques d’évolutionsqui sont le plus souvent

imposés. C’est vers ce bilan / analyse que ces deuxdocumentaires s’orientent, réalisés dans le cadredes Ateliers urbains lancés par le CVB (Centre VidéoBruxelles) et PTTL (Plus Tôt Te Laat). Ce bel objetforme, dans tous les sens du terme, une véritableœuvre d'éducation permanente puisqu’il est le fruitd’une démarche collective qui a fait travailler en-semble professionnels de la vidéo et habitants priscomme observateurs avisés. Le récit s’arrête surdeux quartiers « en mouvement » de Bruxelles : lequartier Nord (« Le Grand Nord ») et le quartier fla-gey (« flagey »). Le livret est très soigné, composéde textes et illus au stencil qui présente notammentdes cartes imaginaires de la ville rendant compte duzonage social dans les têtes. Le contenu des vidéosn’est pas seulement constitué de témoignages oud’informations concrètes mais aussi d’éléments pluspoétiques : des sons, des bruits, des scènes de viequotidienne, des impressions, des endroits quicomptent (ou ne comptent pas) pour les gens quiles traversent, leurs opinions sur les évolutions duquartier, les déchirures, leurs attaches et leurs at-tachements. Il n’est pas seulement centré sur la mé-moire du lieu et les anecdotes historiques, mais metla lumière sur les socialités existantes ou disparueset les enjeux, politiques et économiques, latents oupatents, qui président à cette réorganisation urbainepassée (Nord) ou actuelle (flagey) et aux intérêtsdes différents acteurs que sont les politiques, lespromoteurs, les habitants, les navetteurs, les entre-prises, les publicitaires, etc. Ce travail, drôle, poétique, et politique a notammentreçu un prix au festival ecolywood de Lille. Il nousrappelle que l'observation et la compréhension col-lective de son environnement de vie immédiat estl’un des premiers gestes d’éducation permanente.(AB)www.atel ie r s-urba ins.bewww.cvb -videp.be

Ins ide JobCharles H. fergusson, 2010

Ce film, qui sert desupport à nombre dedébats, est un coupde poing dans l’am-biance du temps qui,pour caricaturer unpeu, fait payer par lespeuples les profits as-tronomiques des mar-chés financiers. on

sort après la vision du documentaire de Charles fer-guson encore plus révolté qu’avant. Tous les res-ponsables, banquiers, traders, politiques,professeurs d’économie, des crises financières sonttoujours debout. sans aucune inculpation. sans lemoindre remord. sans un début d’esprit critique. Bienau contraire. Ils assument, engrangent encore plusde faramineuses indemnités, continuent à professerdans les universités, voire conseillent la MaisonBlanche. « Inside Job » démonte le système, pointe les res-ponsabilités, dévoile les mécanismes, met à jour lasuffisance d’un pseudo-savoir, l’économie libérale,enseignée comme une science exacte. Rien n’a étémis en œuvre pour corriger cette logique infernalemalgré tous les discours, du G20 à la Commissioneuropéenne. L’économie, comme la sociologie, estun sport de combat. Puissent ces images et ces en-tretiens, d’un cynisme absolu, déciller les yeux detous ceux qui croient encore que la rationalité et lagénérosité imprègnent, même légèrement, les « élitesmondialisées ». à défaut de venir des gouvernements,le refus vient et viendra du seul lieu qui reste pourcrier son désespoir et sa résistance : la rue. (JC)

WeBsITe

www.ubuweb.com

Ce site est un fonds d’archives qui référence destravaux de plus de 400 artistes. Il donne à voir en

découvertes

Bruxelles - Anderlecht - Ittre - Mons - Péruwelz - Tournai - La Louvière - Pont-à-Celles Charleroi - Thuin - Sambreville - Floreffe - Dinant - Profondeville

Huy - Liège - Herstal - Flémalle - Amay - Namur

Du 29 avril au 1er octobre 2012.

www.jaiunpeudavance.be

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libre accès et en bonne qualité de multiples œuvresde 1960 à nos jours des mondes de la création enmusiques concrètes, arts visuels et vidéo, poésiescontemporaine et d’une manière générale de toutesles avant-gardes. De Jean Cocteau à Mike Kelley. DeWilliam Burroughs à Luc Moullet en passant par Du-champ, les situationnistes, John Cage, Bunuel, Ken-neth Anger, Banksy ou Naim June Paik, GlennBranca, John Zorn, les œuvres réputées introuva-bles ou épuisées y trouvent leur place. (AB)

DVD/CINéMA

Miss Moucheun film de Bernard Halut2010

on peut faire debelles chosesavec peu de bud-get. BernardHalut, le papa deBla-Bla, (série té-lévisée disparuede nos écrans, quimettait en scèneun personnageex t r a te r r es t r es’adressant aux

lardons), le prouve avec la réalisation de son pre-mier long métrage de fiction. « Miss Mouche » c’estNina, qui « armée » de son portable filme tout cequ’elle voit au quotidien. elle filme aussi ce qu’ellen’aurait sans doute jamais découvert sans sonacharnement à ne rien laisser au hasard. Cette ado-lescente parée de grandes émotions vivra la déli-quescence parentale à travers son portable. Ce filmréussit sous la contrainte budgétaire, un scénarioinventif, entremêlé de tendresse, de qualités hu-maines et stylistiques. un film prometteur pour unréalisateur qui ne l’est pas moins. Ce film a été sé-lectionné dans 12 festivals internationaux, il est dis-tribué par Big Bang Distribution, société deproduction indépendante. si vous souhaitez connaî-tre les prochaines projections de ce film, rendez-vous sur le site ci-dessous. Miss Mouche étantréalisé avec un petit budget, il ne sera malheureu-sement pas à l’affiche partout à Bruxelles et en Wal-lonie. (sB)www.missmouche.be

Natur e contr e na tur eun film de Lucas Belvaux2005

sébastien Chan-toux, psychana-lyste, a décidéde s’établir à stMar tin-Château,dans la Creuse. àpeine installé, ild é c o u v r e«  Troc’enCreuse  », asso-ciation inspiréedes s.e.L (sys-

tèmes d’échanges Locaux), système de troc où l’onpeut échanger tout contre n’importe quoi. sceptiqueet peu partant à l’idée d’échanger ses séances psy,sébastien finit par s’y résoudre. si bien qu’au fil dutemps son agenda se remplit et son garde-mangeraussi… sébastien finit par s’adapter aux us et cou-tumes, aux traditions du coin, en diversifiant sa pra-tique. Le seul à voir ça d’un très mauvais œil restele président de la s.C.P, société Creusoise de Psy-chanalyse : il a entendu parler des séances, à sesyeux « contre-nature » de sébastien et somme celui-ci d’abandonner ce type de pratiques. La guerre estdéclarée : « Troc’en Creuse » contre la s.C.P, l’éco-nomie conviviale contre le capitalisme sauvage. Aidéde ses amis de «  Troc’en Creuse  », sébastiencherche une contre-attaque… Réussira-t-il à fairede sa pratique un code éthique ? Réponse dans lefilm ! (sB)

A lber t Nobbsun film de Rodrigo Garcia2011

Albert Nobbs estun personnageincarné par l’ex-cellente GlennClose. elle y joueun rôle de com-position à mer-veille. L’histoire sedéroule dans leDublin du 19e siè-cle où Glenn Closerevêt l’apparence

d’un homme afin de se donner toutes les chancesd’être engagée comme majordome dans un hôtelchic. à cette époque, la gente féminine avait peude moyens pour s’émanciper dans le droit au travail.

La seule issue du personnage Albert Nobbs résidedans le travestissement. Ce qui l’amène a une viede solitude, résignée, une vie qu’il cache à son en-tourage pendant 30 ans. Pourtant, Albert Nobbstravaille dans le but de monter un projet, celui d’ou-vrir un jour un magasin de tabac, qui aurait pignonsur rue. Le salaire et les pourboires qu’il reçoit luidonnent tous les jours un peu plus d’espoir de réa-liser son rêve. Il fait la connaissance d’un peintre enbâtiment qui vit la même situation que lui. Leur ami-tié se scelle et puis un soir Albert Nobbs connaîtraune fin tragique. Ce film relève à la fois d’une co-médie, mais aussi d’un drame psychologiquementmoderne. Il s'agit de la survie des gens face à lapauvreté, sont-ils capables d'en échapper ? Tournéà Dublin en 32 jours, "Albert Nobbs" pourrait bienêtre l'un des événements de cette année. GlennClose voulait jouer ce personnage au cinéma depuislongtemps, elle avait interprété une pièce adaptéede la même nouvelle de George Moore  : "AlbertNobbs et autres vies sans hymen". (sB)

La Dame de ferun film de Phyllida Lloyd2012

Margaret That-cher, interprétéepar une Merylstreep tout à faitmagistrale et ré-cemment oscari-sée, nous retracel’ascension poli-tique de la pre-mière et uniquefemme Premierministre du

Royaume-uni. une femme emblématique, inébran-lable, conservatrice qui a occupé deux mandats po-litiques (11ans), elle a renoncé à se représenterune troisième fois. Dans le film, on la retrouve àl’âge de 86 ans atteinte de la maladie d’Alzheimer,refaisant défiler sa vie et ses souvenirs d’enfance,la naissance de ses jumeaux, son amour sans bornepour son mari défunt Denis à qui elle continue à par-ler depuis deux ans. en flash back, on y revoit sonarrivée au 10 Downing street, ses succès et échecspolitiques, ses décisions controversées, son carac-tère d’acier trempé, sa solitude face au Parlementqui la chahute. on y voit des extraits d’archives oude scènes reconstituées : les manifestations vio-lentes, l’explosion des bombes de l’IRA, la guerredes Malouines. Adulée par certains, détestée parles autres, on peut s’interroger sur le non-rôle de la

découvertes

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couronne britannique, absolument absente detoutes décisions importantes que Thatcher fut ame-née à prendre durant ses mandats. Pour les jeunesgénérations qui ne l’ont pas connu, on en seraitpresque attendri, balayant d’un revers de la mainune histoire contemporaine britannique qui a souf-fert du Thatchérisme. et Margaret aurait pu rétor-quer : « ceux qui ne m’aiment pas parce que mesdécisions sont dures, ils comprendront un jour queje l’ai fait pour leurs enfants » ! film à voir absolu-ment en version originale, Meryl streep a travaillé savoix de façon à prendre un ton politique au plus prèsde celui de Margaret Thatcher, le résultat est souf-flant. (sB)

MusIque/RoCK

flo rence and the machineCeremonialsIsland Records, 2011

sortie du secondalbum de flo-rence and themachine fin octo-bre 2011. sontitre "Ceremo-nials". Ce groupelondonien, plutôtflorence + The

Machine, nous plonge dans un univers musical pastrès éloigné de celui de siouxie and the Banshees,PJ Harvey ou encore Kate Bush, ça c’est pour lecôté références. on retrouve les sonorités musicalesindie pop et indie rock, avec des textes qui ne ca-chent pas l’héritière d’un passé sombre et trouble,adepte d’étranges problèmes moraux. si son pre-mier album intitulé Lungs, s’était placé en deuxièmeplace dans les charts en 2009, il est depuis janvier2012, 6ème au classement américain. enfant, elle aété très vite influencée par des groupes comme Thesmiths, The Velvet underground. Normal que le ta-lent soit au rendez-vous ! (sB)

Connan Mockas inforever Dolphin Love Because Music, 2011

Ce groupe Néo-Zélan-dais aujourd’hui installéà Londres est vérita-blement une des révé-lations et curiosité del’année 2011. un pre-mier album étonnant,

onirique, beau, étrange, envoûtant, passionnant, dela pop/rock psychédélique qui n’est pas sans rap-peler le son des années 60, à la syd Barrett. Per-sonnage lunaire, genre électron libre, à la voixandrogyne, il est le petit fils de Robert Wyatt et lecousin de Beck, rien que ça ! un disque songeur, àécouter avant de tomber dans les bras de Morphée,ou lors d’une sieste tranquille et détendue. Ce talenton le doit à l'imagination de ce chanteur aérien,sans borne et sans retenue, proche des Gains-bourg, Air, Miyazaki ou les flaming Lips. un peubossa, folk Music par moments, mais complètementsoufflant. à écouter sans plus tarder (sB)

Cat’s eyesCat’s eyesPias, 2011

Ce duo anglaisest mené parfaris Badwan,leader énigma-tique du groupeThe Horrors. Cetalbum est unerencontre entrefaris et la so-

prano canadienne Rachel Zeffira. Ce qui laisse placeà une pop rêveuse, un travail particulier, soigné surles voix et accompagnement orchestral. Ce qui faitla singularité de cet album, c’est qu’il met en har-monie des instruments peu utilisés dans le rock ac-tuel  : Hautbois, cor anglais, zurna, violon, viole,piano, vox jaguar, vibraphone, harmonium, juno106. on en reste bouche-bée ! Musique alternative,résolument pop et pourtant magique. entretenezvotre curiosité, écoutez-le ! (sB)

Daniel Dar cLa taille de mon âmesony Music, 2011

Daniel Darc, ex TaxiGirl, nous revientavec un nouvelalbum « La taille demon âme » une es-pèce d’autobiogra-phie absolumentsublime et intense.Celui que l’on ap-

pelle l’écorché vif, le chanteur à cœur ouvert nousentraîne dans son univers des plus intimes, unemise à nue qui prend aux tripes. son phrasé « gains-bourien », son autodérision à la 3ème personne

nous envoient « vers l’infini », ode aux amis dispa-rus absolument bouleversante. Les textes et poé-sies sont fragiles, on les associe parfois auximprovisations textuelles de William Burroughs. Da-niel Darc, l’homme torturé, à la voix traînante,l’homme de la rédemption, le rescapé des paradisartificiels nous livre un chef-d’œuvre complet. Il re-visite dans cet album « les chants de Maldoror » deLautréamont. Le dicton qui lui colle à la peau « Jesuis doué pour l’addiction, pas très pour la diction »le rend encore plus tendre et plus transparent quejamais. un album qui nous fait dresser l’oreille tantles textes sont remarquables. (sB)www.danieldarc .com

fr ançois and the At las MountainsPlaine inondableTalitres, 2009

françois Marry,Charentais d’ori-gine, vivant àBristol est à lafois chanteur, gui-tariste, pianiste età ses heures per-dues aquarellistedu groupe « fran-

çois and the Atlas Mountains ». Cet album sorti en2009 est comparable côté chanson française à « Lafossette » de Dominique A, d’une douce et lumi-neuse mélancolie. Côté anglo-saxon, on retrouve lesinfluences de la pop anglaise à la « Belle & sebas-tian ». un album constitué de textes pour une moi-tié en français et l’autre en anglais à l’accent peuassuré. Des émotions transmissibles, une expé-rience onirique, une certaine pureté transparaît decet album, notamment avec le morceau « Je suis del’eau ». « friends » la plage titulaire de l’album nousaide à entrer d’emblée dans cet univers fragile. Avecplusieurs albums solo à son actif et un album toutrécemment sorti « e Volo love » chez Domino Re-cords, l’écurie anglaise des Arctic Monkeys, The Killsou encore franz ferdinand, on n’a pas fini d’enten-dre parler d’eux ! (sB)www.myspace.com/ f ranco is inbr isto l

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