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AGROFORESTER LE MONDE, DE LA MACHETTE AU TRACTEUR
En générant des réseaux d’agriculteurs et des systèmes de production agroforestiers (unissant déjà plus d’un millier de familles de producteurs au Brésil)
Parce que la Terre ne nous appartient pas,
C’est nous qui appartenons à la Terre.
Auteurs : Nelson Eduardo Corrêa Neto, Namastê Maranhão Messerschmidt,
Walter Steenbock, Priscila Facina Monnerat
Traduction : Léo Godard
Projet graphique et illustrations : Claudio Leme
Coordination : Association des agriculteurs agroforestiers de Turvo et
Adrian ٖ ópolis, Cooperafloresta (www.cooperafloresta.com.br)
Organisme financeur : Petrobras, par le biais d u Programa Petrobras
Socioambiental
Barra do Turvo, 2016
« Quand la Forêt est vide, sans protection,
Mofokari, l’entité solaire, brûle les rivières et les ruisseaux.
Il les assèche avec sa langue de feu
et avale leurs poissons.
Et quand ses pieds se rapprochent du sol de la Forêt,
il devient brûlant et s’endurcit.
Plus rien ne peut germer en lui.
Il n’y a plus ni racines, ni graines logées dans l’humidité du sol.
Les eaux se sont enfuies au loin.
Ainsi le vent qui les accompagnait et nous rafraichissait
s’est retiré lui aussi.
Une chaleur ardente s’installe partout.
Les feuilles et les fleurs qui sont encore restées au sol se dessèchent
et recroquevillent. Tous les vers de terre périssent.
Le parfum de la Forêt se consume et disparaît.
Plus rien ne pousse.
La fertilité de la forêt se dirige vers d’autres terres. »
(Connaissance ancestrale indigène sur la forêt et le climat, savamment contée par Davi
Kopenawa pour la préface du livre Urihi, la Terre-Forêt Yanomami)
Table des matières
Note du traducteur..................................................................................................................... 1
1. Le début, la fin et le recommencement du monde. .......................................................... 2
2. Quelques mots sur ce livre ................................................................................................. 3
3. Quelques-uns des désastres causés par l’agriculture artificielle ....................................... 5
4. Voir le monde avec un regard nouveau ............................................................................. 9
4.1. La transformation de la manière de voir le monde au sein de la Cooperafloresta .... 9
4.2. La nécessité de voir avec un regard nouveau pour la construction de
l’agroforesterie agroécologique ....................................................................................... 14
5. Quelques notions fondamentales sur la vie au sein de l’organisme Planète Terre ........ 15
5.1. La source d’énergie .................................................................................................... 15
5.2. Le contrôle de la composition de l’atmosphère terrestre ........................................ 16
5.3. Le gaz carbonique et ses principales fonctions ......................................................... 17
5.4. L’oxygène et la gestion organique de l’énergie solaire ............................................. 21
5.5. La régulation organique des températures ............................................................... 24
5.6. Le rôle de l’eau dans le refroidissement et la régulation de la température ........... 26
5.7. Les océans et leur rôle dans le refroidissement et la régulation de la température 26
5.8. Les forêts et quelques-unes de leurs fonctions dans la régulation du climat et le
maintien du cycle de l’eau ................................................................................................... 28
5.9. Le contrôle de la circulation des nutriments minéraux ............................................ 30
5.10. La régulation et les fonctions de l’azote ................................................................ 32
6. Des sols naturellement fertiles et productifs ................................................................... 36
7. Succession Naturelle ........................................................................................................ 40
7.1. L’éternel recommencement en spirale de la Succession Naturelle .......................... 41
7.2. La succession des systèmes écologiques au sein des organismes forestiers ............ 42
7.3. Concepts de stratification et d’étages de la Succession Naturelle ........................... 46
7.4. Systèmes de lignines .................................................................................................. 49
7.5. Crises de vieillissement de l’Organisme Planète Terre ............................................. 49
7.6. Libérer de l’espace, des nutriments et de l’énergie pour l’éternelle renaissance de la
vie : l’apparition d’une clairière ........................................................................................... 51
7.7. La fonction essentielle des « Agents Rénovateurs » ................................................. 53
7.8. Les systèmes d’accumulation .................................................................................... 55
7.9. Les clairières du système d’abondance : le milieu parfait pour nos cultures ........... 56
8. Reprendre notre place dans la vie de l’organisme Planète Terre .................................... 58
9. La construction de la pratique de l’agroforesterie dans les communautés rurales de
Mario Lago à Ribeirão Preto (état de São Paulo) et de Contestado à Lapa (état du Paraná) . 59
9.1. Contexte et défis ........................................................................................................ 59
9.2. Maintenir le sol couvert, le meilleur commencement .............................................. 61
9.3. La litière végétale, la première étape ........................................................................ 65
9.4. Bien dimensionner pour produire la matière organique suffisante ......................... 65
9.5. Choisir l’herbe pour produire la couverture du sol ................................................... 67
9.6. L’utilisation du bananier pour la formation de la litière végétale ............................. 68
9.7. Toujours rénover pour maintenir la jeunesse du SAF ............................................... 70
9.8. Pourquoi élaguer les arbres ? .................................................................................... 70
9.9. Rentabiliser les lignes d’herbe ................................................................................... 72
9.10. Dimensionner pour permettre l’utilisation d’équipements .................................. 73
9.11. Décompacter le sol sans en inverser les couches .................................................. 75
9.12. L’importance de la planification ............................................................................ 75
9.13. Systèmes agroforestiers tournés vers la production fruitière ............................... 77
9.14. Viabiliser la production fruitière ............................................................................ 78
9.15. Le semis direct sur paille de céréales et de cultures annuelles dans les systèmes
agroforestiers ....................................................................................................................... 80
9.16. Systèmes agroforestiers adaptés à l’élevage ......................................................... 81
9.17. La production d’aliments destinés à l’autoconsommation ................................... 83
10. Références pour organiser les systèmes agroforestiers ........................................ 84
10.1. Utilisation de la succession et de la stratification lors de la combinaison de
cultures incluant des légumes .............................................................................................. 85
10.2. Certaines utilisations des arbres dans les systèmes agroforestiers
agroécologiques ................................................................................................................... 99
10.3. Exemples de combinaisons avec des arbres fruitiers .......................................... 108
11. Observation et mesure de la contribution des systèmes agroforestiers à la fertilité
du sol, à la capture du carbone atmosphérique et à la dynamique de la Nature. ........ 111
12. Notre dernière chance ......................................................................................... 118
REMERCIEMENTS DES AUTEURS ............................................................................................ 120
1
Note du traducteur
J’ai découvert les travaux d’Ernst Götsch, ainsi que des multiples personnes ayant mis
en pratique ses principes d’agroforesterie, alors que j’étais responsable d’un projet agricole
au Brésil au cours des années 2017 et 2018. Nous y développions un système de production
agroforestier de grande échelle en tentant au mieux de nos capacités d’appliquer les directives
de notre consultant Ernst Götsch. Je dis au mieux de nos capacités car il est difficile (en tout
cas au début) de comprendre et respecter à 100% les conseils techniques d’Ernst. Pour y
arriver, il est fondamental de remonter à la racine de sa réflexion et de dérouler le fil du
raisonnement constituant l’armature de sa pratique dénommée agriculture syntropique.
C’est pour cela que j’ai choisi de traduire ce livre : il en explique les fondements, du début à la
fin, tout en restant accessible à n’importe quel individu, quel que soit son niveau de
connaissance agricole. Car d’après moi, l’agriculture syntropique ce n’est ‘que’ cela : repenser
notre relation à la nature afin de refaire émerger des principes d’agronomie profondément
cohérents et intelligents fondés sur les processus naturels de création et d’élévation de la
fertilité des écosystèmes. Cela converge vers toutes les autres écoles de l’agroécologie, et
finalement on pourrait n’y voir rien de révolutionnaire là-dedans. Cependant, la profondeur
de la réflexion et les résultats magnifiques que l’on retrouve sur le terrain me portent à croire
que c’est l’un des plus beaux chemins vers une « vraie » agriculture, où l’humain retrouve son
rôle et sa place dans un environnement durable et beau.
Cet ouvrage a été écrit par plusieurs auteurs autour de la création d’une coopérative de
producteurs, la Cooperafloresta. On y retrouve un bel exemple de partage et d’apprentissage
collectif qui fait aujourd’hui défaut à nos modèles de production individualistes. Nous avons
encore énormément de choses à apprendre sur l’agroforesterie en France, et peu de temps
pour le faire. Ce n’est que grâce à un effort et une audace commune que nous arriverons à
recréer des agro-écosystèmes abondants et fertiles. Peut-on s’inspirer de l’agriculture
syntropique et suivre l’exemple de la Cooperafloresta sous nos latitudes, loin des tropiques ?
Oui. Comme il sera dit de nombreuses fois dans ce livre, il ne s’agit pas de suivre des pratiques
fixes comme on suit un livre de recettes, mais bien de s’en inspirer et de les réinventer à notre
avantage. L’agriculture syntropique ne se limite donc pas à un climat donné, ni à une culture.
Elle peut être appliquée et améliorée par tous, du plus petit éleveur à la plus grande
exploitation céréalière.
J’espère que la traduction de ce livre participera à éveiller la curiosité d’agriculteurs et non
agriculteurs français, et donnera des pistes à celles et à ceux qui souhaitent se lancer dans la
merveilleuse aventure qu’est l’agroforesterie. Ce n’est qu’un début et j’espère que de plus en
plus de parcelles agroforestières de ce type verront le jour en France. C’est ensemble que nous
construirons une agriculture de vie.
Léo Godard.
2
AGROFORESTER LE MONDE, DE LA MACHETTE AU TRACTEUR
1. Le début, la fin et le recommencement du monde.
En l’année 1500, quand les navires portugais débarquèrent au Brésil, ils rencontrèrent
des peuples qui agissaient et se reconnaissaient comme faisant entièrement partie de la
nature. Ils reconnaissaient la sacralité du monde et l’importance de la forêt ainsi que de tous
ses êtres vivants et de ses esprits, afin de pouvoir vivre dans cet environnement faste et
parfaitement adapté à la vie. Ils plantaient et vivaient avec leur milieu tout en pensant au bien-
être de toute vie. Leur agriculture était si intégrée aux processus naturels que les portugais ne
réussirent pas à la comprendre. Pour cela, dans la première carte envoyée au Roi du Portugal,
Pero Vaz Caminha affirme que ces peuples ne cultivaient pas de plante et n’élevait pas
d’animaux. Il comprit tout de même que ce qu’ils consumaient le plus était « ce manioc, que
l’on retrouve partout ». Et pourtant, cette plante obtenue par les indigènes selon des
processus séculaires, n’aurait jamais pu exister sans leurs pratiques agroforestières.
Comme le savait déjà les peuples qui habitaient l’Amérique en l’an 1500, et comme le
confirmèrent les études écologiques les plus avancées, le fonctionnement de la nature est
organique au niveau de chacun de ses niveaux d’organisations. L’organisation est présente
dans les organites des microorganismes qu’on appelle cellules. Ces cellules s’organisent en
tissus et organes et, à l’aide des microorganismes qui composent l’écosystème corps, créent
un milieu parfait pour accueillir la vie. Les niveaux d’organisations supérieurs, celui des
végétaux, des animaux et des microorganismes manifestent cette organicité sacrée de la vie
en écosystème, en biome, dans la biosphère et au sein de l’Organisme Planète Terre. Au
travers de ce système incroyablement coopératif, toutes les conditions sont maintenues afin
que puisse se développer la vie, comme le cycle des pluies, le climat et la composition parfaite
de l’atmosphère.
Le concept d’une société et d’une agriculture construites sur la compétition et la
domination de la nature et des autres êtres humains est complètement contre-intuitif et anti-
scientifique. Et pourtant il est bien plus répandu aujourd’hui qu’an l’an 1500. Par conséquent,
toutes les tragédies qui succèdent à l’expulsion de la vie dans les forêts et des Hommes dans
les champs, comme annoncées par le peuple Yanomani, sont actuellement en train de se
produire sur la Planète Terre. En même temps s’élèvent de grandes souffrances humaines,
elles aussi découlant de l’emprise de la compétition dans les relations humaines.
Ce petit livre a pour objectif de contribuer à la réflexion, à la perception, à l’étude et à
la reconstruction de comment chaque lecteur peut participer au développement du monde et
de l’agriculture, à partir de ses propres connaissances, sentiments et expériences.
3
2. Quelques mots sur ce livre
Ce livre est un des fruits du Projet Agroflorestar. Il relate les actions, résultats, textes et
impacts qui furent produits durant le projet, mené par 400 familles paysannes et leurs
associations, incluant des étudiants d’écoles tournées vers l’agroécologie.
Tout fut possible grâce au travail réalisé en grande synergie avec le Projet Flora, géré et
coordonné par l’Instituto Contestado de Agroecologia – ICA. Le Projet Agroflorestar, comme
le Projet Flora, furent sélectionnés au travers d’un appel d’offre publique, sponsorisé par
Petrobras depuis son Programa Petrobras Socioambiental.
Le Projet Agroflorestar est géré et administré par l’Associação dos Agricultores de Barra do
Turvo e Adrianópolis – la Cooperafloresta, qui réunit plus de 100 familles de petits producteurs
travaillant en Systèmes Agroforestiers (SAFs) Agroécologiques. Durant plus de 20 ans ces
familles observèrent et développèrent ces SAFs dans le but de mieux les comprendre et les
diffuser. Afin que cette réplication puisse contribuer à l’implantation de l’agroforesterie dans
d’autres contextes sociaux, économiques et environnementaux d’agriculture familiale, il est
cependant crucial d’adapter les techniques, les perceptions, les espèces et les technologies.
Afin de contribuer à la démocratisation des SAFs, en 2011 la Cooperafloresta prit le rôle
d’organisme de formation et de plateforme, procurant des ressources et des supports
permettant la diffusion de la connaissance accumulée par ses adhérents.
L’initiative de la Cooperafloresta entre en parfaite résonnance avec la volonté de transition
vers l’agroécologie de nombreuses autres organisations. De ce mouvement font aussi partie
un grand nombre d’écoles mettant en place des formations au sein de communautés
agricoles, comme par exemple les six écoles participant au Projet Agroflorestar. Dans ce sens,
on retrouve aussi la Journée de l’Agroécologie qui a lieu depuis déjà 15 ans dans l’état du
Paraná, réunissant à chaque fois plus de quatre mille familles paysannes ainsi que leurs
organisations luttant pour une agriculture familiale.
Les familles de la communauté de Contestado, de la ville de Lata de l’état du Paraná, ainsi que
de la communauté de Mario Lago, de la ville de Ribeirão Preto de l’état de São Paulo, sont les
auteurs de ce livre, encore plus que ceux qui l’ont écrit. Dans les deux cas, les familles de
paysans décidèrent il y a à peu près 15 ans de créer ces communautés afin de servir comme
références et expérimentations pour l’agroécologie et les SAFs. Ils y construisirent aussi des
écoles afin de former plus de gens à la pratique de l’agroécologie et de l’agroforesterie, venant
du Brésil et de pays voisins. De ces écoles on peut citer l’Escola Latino Americana de
Agroecologia (ELLA) qui fut créée dans la communauté de Contestado, et le Centro de
Fromação Sócio-Agrícola Dom Hélder Câmara de la communauté Mario Lago. La Cooperativa
Terra Livre a aussi joué un rôle important dans la création de ce livret.
Ce qui a permis le bon développement des projets Agroflorestar et Flora, ainsi que de la
connaissance autour des SAFs, est l’organisation et la fraternité existant entre les 50
communautés agroforestières où furent implantés plus de 1000 SAFs, ainsi que les
innombrables autres communautés agricoles du Brésil.
4
Le projet Agroflorestar est aussi le fruit du travail et de la détermination de l’agriculteur Ernst
Götsch qui a sans relâche développé de nouvelles techniques et machines pour toujours plus
mécaniser et viabiliser la pratique de l’agroforesterie. Il serait impossible de faire pleinement
justice à l’apport d’Ernst concernant les concepts et les techniques décrites dans ce livre. La
grande majorité des idées développées ici nous ont été transmises directement grâce à lui.
Cependant, nous n’avons pas la prétention de retranscrire dans son intégralité et son intégrité
le travail d’Ernst, non plus de différencier ce qui vient de lui de ce qui a été découvert ou
adapté dans la pratique par les familles d’agriculteurs du projet, ou d’autres sources.
Mentionner Ernst à propos de seulement quelques paragraphes se révélerait extrêmement
insuffisant et arbitraire, et choisir de le citer partout serait trop répétitif.
« Il n’y a pas de doute pour moi concernant le fait que ce travail nous est venu de Dieu
et de notre connaissance propre, de notre ville de Barra do Turvo. Et Ernst nous a apporté
un grand renfort, pas seulement au niveau des connaissances mais aussi en nous
donnant des exemples. J’ai visité sa ferme. C’est une propriété pionnière où nous avons
appris ce que nous savons maintenant. » (Sezefredo, agriculteur de la Cooperafloresta)
Sur la première photo, la parcelle d’Ana Rosa et Sezefredo, les deux personnes sur la gauche, en
1998 durant une visite de Ernst Götsch (sur la droite), avec la participation du groupe qui
formera plus tard l’ONG Mutirão Agroflorestal. Sur la deuxième photo, visite technique de Ernst
(sur la droite) dans la communauté Contestado, en 2014 pour le projet Agroflorestar.
Nous choisissons donc dans ce livre de mélanger sans distinction toutes les contributions,
recréant ainsi le processus de construction de connaissance vivant et collectif, qui a eu lieu au
5
sein du projet Agroflorestar. Il est fondamental que chaque personne et collectif s’approprie
et reconstruise sans cesse les connaissances, les visions, les techniques et les théories qu’ils
utilisent. C’est aussi Ernst qui nous pousse à cela, grâce à son exemple personnelle.
Sa relation avec la nature peut être considérée comme ce qui définit
pour nous la pratique même de l’agroforesterie. Ernst part de
l’observation directe de la nature, et synthétise ses observations par
des théories qu’il applique par la suite de ses propres mains. Il
observe les résultats et corrige ensuite les détails, peaufinant ou
parfois abandonnant une théorie pour une autre qu’il considère plus
utile pour son travail. Ceci est une façon de travailler digne des plus
grands scientifiques, que les familles paysannes et les diverses
communautés du projet Agroflorestar se sont mises à pratiquer et
qui se reflète aussi dans ce livre.
3. Quelques-uns des désastres causés par l’agriculture artificielle
Dans le monde entier, et en particulier ces 60 dernières années, les forêts, les arbres, les
animaux et les familles de producteurs sont expulsés des champs, avec toutes leurs
connaissances de la nature. A leur place fut installé un environnement artificiel destiné à
produire des aliments tout en concentrant le capital, les terres et le pouvoir dans les mains
d’un nombre toujours plus petit d’entreprises. Tout cela est le résultat de politiques publiques
dictées par l’intérêt de grandes entreprises internationales.
De cette manière, l’agriculture s’est transformée en simple maillon d’une chaine de valeur
industrielle incluant extraction minière, industries de machines agricoles, systèmes
d’irrigation, combustibles, fertilisants, plantes génétiquement modifiées, plastiques, fret,
emballages, publicité ; tout cela pour produire des aliments toxiques pour la santé humaine
et les vendre dans des boutiques sophistiquées. Ainsi, ces chaines de production cristallisent
les gigantesques intérêts économiques de nombreuses grandes entreprises.
Champs privés des hommes et de nature, et portion de ville, complètement artificielle.
6
Grâce à leurs ressources, ces grandes entreprises ont la capacité d’influencer ce que nous
croyons juste et vrai. Dédiant une fraction de leurs bénéfices à la recherche, elles financent
uniquement ce qu’elles souhaitent voir étudié. Dominant les principales institutions de
communication, elles s’emploient à réaliser de minutieuses études scientifiques sur l’art de
convaincre, dans le but de réaliser leur propagande par le biais d’un marketing soigné. C’est à
cause de cela que le grand public croit actuellement que ce qu’elles proposent est le seul
chemin vers la sécurité alimentaire mondiale.
Ce modèle d’agriculture et d’élevage est bien plus responsable que tout autre de la
déforestation et de l’effort continuel déployé pour empêcher les forêts de repousser. Il est
donc aussi la principale cause de l’assèchement des sources et des rivières, et de l’incapacité
des sols à retenir l’eau, forçant ainsi l’irrigation à consommer presque 80% de toute l’eau
douce disponible dans le monde. Eau qui est déjà extraite en quantités bien supérieures à ce
que peut durablement fournir la nature. Aujourd’hui plus d’un milliard de personnes souffrent
d’un manque grave d’eau, et cette situation s’empire chaque année.
Evolution de l’utilisation de l’eau dans le monde, classée par activité économique. En substituant
la biodiversité naturelle par des équipements et des intrants, l’agriculture artificielle rend les
sols incapables de stocker l’eau qui devrait être fournie aux aquifères et aux cultures. La courbe
verte du graphique ci-dessus nous montre l’impressionnante augmentation de la quantité d’eau
consommée par l’agriculture, qui nous obligera à choisir entre nourriture et eau dans un futur
proche. Source : UNESCO – International Hydrological Program
Des centaines de scientifiques étudiant le climat ont prouvé et continuent à démontrer
que la combustion des énergies fossiles et la substitution des forêts pour l’usage agricole sont
les deux principales raisons de l’augmentation de l’effet de serre et du réchauffement
climatique. Une étude de la FAO, qui couvre 223 pays et territoires a conclu que près de 130
millions d’hectares de forêts ont été converties pour d’autres usages ou simplement perdus,
seulement entre 2000 et 2010. L’Amérique du Sud a subi la perte nette la plus importante
durant cette période, avec 40 millions d’hectares, le Brésil seul cumulant une perte de 26
millions. Des données fournies par le Ministério da Ciência e Tecnologia montrent que la
substitution des couverts forestiers par l’agriculture a été responsable d’approximativement
7
80% des émissions nettes de gaz à effet de serre au Brésil, entre 1994 et 2005. La perte de
biodiversité est cependant encore plus inquiétante et grave que l’augmentation de l’effet de
serre. La communauté scientifique reconnait aujourd’hui que, du aux actions humaines, nous
sommes entrés dans la sixième extinction de masse, s’annonçant être la plus importante et
destructrice de toute l’histoire de l’organisme Planète Terre. Les conséquences d’un tel
cataclysme sont encore difficiles à concevoir et dimensionner, mais elles incluront très
probablement la fin de la Civilisation.
Dans le premier graphique, la somme des barres vertes et jaunes représente la plus grande part
des émissions brésiliennes. Le second graphique nous montre que 93% des émissions de gaz
survenant lors de la substitution de la forêt par l’agriculture artificielle est causé par la perte de
matière organique du sol.
Néanmoins, il est important de noter que la quantité actuelle de carbone présente
dans les sols est encore au moins deux fois supérieure à celle présente dans l’atmosphère et
encore huit fois supérieure à celle libérée dans l’atmosphère depuis le début de l’ère
industrielle. Il est encore stocké le double de cette quantité de carbone rien que dans les
parties aériennes (cimes, canopées) des forêts actuelles de la Terre. Cet énorme stockage de
carbone se réalise encore, bien que la moitié des forêts aient déjà été détruites, en majorité
pour libérer de l’espace destiné à l’agriculture. Quand les forêts sont substituées par
l’agriculture moderne, une grande partie du carbone contenu dans leurs sols et la quasi-
totalité du carbone de leurs parties aériennes, quand il n’est pas brûlé, est absorbé par les
êtres vivants avant de finalement se libérer dans l’atmosphère.
8
Heureusement, grâce à certains mécanismes dans lesquels les êtres vivants occupent
un rôle important, comme l’augmentation de la photosynthèse réalisée dans les forêts
restantes ou par les algues dans les océans (liée à l’augmentation de la concentration de
carbone dans l’atmosphère), une partie des émissions parviennent à être ré-absorbées. Ainsi,
tout le CO2 qui est émis par la déforestation ne se retrouve pas forcément dans l’atmosphère.
Cela complique d’autant plus l’estimation de la contribution du secteur agricole à
l’augmentation du CO2 atmosphérique. Cependant, il est clair que le secteur de
l’agroalimentaire moderne participe énormément à ce phénomène : notamment car il repose
énormément sur la combustion d’énergies fossiles pour l’utilisation des machines agricoles, le
fonctionnement des chaînes industrielles de transformation, et pour la circulation
internationale des produits alimentaires. Plus que toute autre erreur désastreuse, il a poussé
de grandes quantités d’individus à se concentrer dans les zones urbaines, là où les émissions
de carbone sont bien plus importantes.
Alors que la contribution du secteur agroalimentaire moderne au réchauffement
climatique est bien souvent sous-estimée, la quantité de carbone qui pourrait être retirée de
l’atmosphère par un retour à une agriculture basée sur les processus naturels et un retour des
hommes dans les champs l’est encore plus. Les chiffres cités plus haut nous permettent de
comprendre l’immense capacité des sols à stocker le carbone, si la dynamique forestière est
régénérée, pour le moins dans les zones de forêt historiques qui furent substituées par
l’agriculture. Cette possibilité est sous-estimée et méconnue car évaluer la productivité et la
viabilité des SAFs n’intéresse pas les grandes entreprises qui se chargent habituellement de
financer les recherches sur le secteur agricole. A cela s’ajoute la mainmise qu’ont ces
entreprises sur les médias, répandant l’idée que l’agriculture artificielle est la seule à pouvoir
nourrir la population mondiale grandissante. Les rares études menées sur les SAFs prouvent
toutes que l’agroforesterie permet de produire plus d’aliments que l’agriculture artificielle sur
une même aire, avec bien moins ou même sans intrants, tout en capturant autant voire plus
de carbone atmosphérique que les processus naturels de régénération forestière.
9
1e photo : Système agroforestier d’Ana Rosa et de Sezefredo. 2e photo : Réunion dans la
résidence de Maria et Pedro, entourée de SAFs, avec les chercheurs de l’EMBRAPA (Institut de
recherche agricole national du Brésil), ICMbio (Institut Chico Mendes de Conservation de la
Biodiversité) et de l’UFPR (Université Fédérale du Paraná) réalisant une étude sur les SAFs.
4. Voir le monde avec un regard nouveau
Le possesseur d’un cœur endurci par l’idée que la vie est une compétition n’aura
jamais ni les yeux, ni les oreilles lui permettant de percevoir, comprendre et apprécier la
grandeur et la beauté du colossal travail collaboratif que réalise la Nature.
4.1. La transformation de la manière de voir le monde au sein de la
Cooperafloresta
« La Nature est intelligente. C’est quand j’ai commencé à observer les systèmes
agroforestiers que j’ai commencé à percevoir la valeur de la Nature. » (Felipão,
agriculteur en agroforesterie, Cooperafloresta)
Lors d’un cours réalisé pour la Cooperafloresta en 1996, Ernst Götsch a raconté ce qu’il
se produit dans ses agroforêts. Il nous a ouvert les yeux sur le fait que la coopération et
l’organisation sont les deux lois majeures de la vie. Il nous a raconté comment il a pu observer
que les fourmis ne s’attaquaient pas à ses cultures au hasard, sans raison. Bien au contraire, il
comprit que quand il élaguait un arbre ayant besoin de lumière au-dessus d’un arbre ayant
besoin d’ombre, les fourmis corrigeaient son erreur en élaguant encore plus l’arbre inférieure
ayant besoin d’ombre1. Cet exemple, et d’autres encore plus subtils et complexes, lui a permis
de se rendre compte que les fourmis peuvent être considérées comme de grands professeurs
de la pratique agroforestière. Toutes les espèces d’êtres vivants sont capables d’enseigner, de
façons très différentes les unes des autres. La nature entière est devenue son professeur, le
1 Au Brésil, il existe plusieurs espèces de fourmis qui attaquent les végétaux (légumes, arbres…) en coupant leurs feuilles. Ces « nuisibles » sont très présents sur le territoire et représente un des cauchemars des agriculteurs brésiliens conventionnels.
10
poussant à percevoir que tous les êtres vivants travaillent ensembles, de manière organique,
pour le plus grand bien de l’organisme forêt. Ernst nous a aussi montré que si on s’appliquait
à participer au travail que la nature réalise, on finissait par récolter une plus grande quantité
d’aliments, de bois et d’autres produits.
Sa vision organique du monde, en complète cohérence avec ses pratiques
agroforestières a énormément marqué le cœur et l’esprit des premiers pionniers de la
Cooperafloresta.
« C’est une agriculture multiplicatrice, pleine de vie… Qui rappelle la vie de la Nature à
nos côtés, les oiseaux et les animaux. Je parle de multiplication parce que la Nature ne
s’arrête jamais de travailler, jamais. Et nous profitons tous de ce travail. » (Sezefredo,
groupe de Salto Grande)
La création de la Cooperafloresta provoqua dans les familles de petits producteurs,
pour leur majeure partie quilombolas2, une relecture de leur histoire, de leur expérience de
vie et de leur héritage culturel, qui fut forgé en grande intimité avec les processus naturels.
Tout cet héritage culturel entra fortement en résonnance avec les principes d’organisation de
la vie et de la pratique agroforestière inculquée par Ernst. Ainsi, cela entraîna une véritable
reconstruction, de l’intérieur vers l’extérieur, des concepts et des connaissances, de la part
des familles impliquées dans le projet, en collaboration avec les techniciens accompagnant la
Cooperafloresta.
Les deux photos ci-dessus sont des témoignages de la formation du premier groupe d’agents
multiplicateurs de la Cooperafloresta, en 2005. Les agriculteurs et les participants du projet
ayant la capacité et la volonté de diffuser la pratique agroforestière sont appelés agents
multiplicateurs.
« Ce que nos ancêtres connaissaient des plantes et de la qualité du sol était un grand
savoir. Ils connaissaient l’abc de la terre. Je trouve cela extrêmement fort. Et ce qui est
aussi intéressant c’est que cela a été renforcé, car ce que les uns ne savaient pas, les
autres le savaient. Ce qu’il s’est passé ici fut donc très riche. » (Pedro, agriculteur en
agroforesterie, Cooperafloresta)
2 Peuple dont l’origine provient d’anciens esclaves en majeure partie africains, fuyant les propriétés agricoles brésiliennes et formant des communautés agricoles. Il existe actuellement plus de 2000 communautés quilombolas au Brésil.
11
La méthodologie « producteur x producteur »3 a été un aspect essentiel de la création
de la Cooperafloresta. Dès le début, les familles de producteurs ont dû prendre un rôle crucial
dans la multiplication du modèle, entraînant une véritable révolution dans la façon de voir et
d’agir sur le monde.
« Le travail des agents multiplicateurs est un point clef en agroforesterie. Cela m’a
énormément enthousiasmé… J’ai appris et ça m’a plu, et quand l’apprentissage ainsi que
la théorie plait aux gens, ça fonctionne merveilleusement bien après dans la pratique.
Après on a encore plus envie de partager ce qu’on a appris. Travailler ensemble,
transférer les connaissances avec une grande attention. C’est au travers de cette amitié,
de cette union, de cette passion que l’agent multiplicateur parvient à léguer à une autre
famille de producteurs la pratique qu’elle ne possède pas encore. Ainsi, le phénomène
grandit. » (José Baleia, agriculteur en agroforesterie, Cooperafloresta)
« Je suis allée visiter l’exploitation de Sidinei. Cette visite fut très importante pour moi.
Au début je ne croyais pas qu’une densité si élevée de plantes pouvait fonctionner. Je
pensais que c’était impossible, mais après j’ai pu constater que si. On a vu des plantes
servant d’alimentation pour d’autres plantes. Je n’y croyais pas mes yeux ! Mais
aujourd’hui je comprends qu’il est juste question de travail. Ce qui m’intéresse le plus
c’est de planter des arbres, comme Sezefredo. J’expérimente plein d’associations :
palmiers, arbres fruitiers, arbres pour bois d’œuvres… et de nouvelles techniques. Mon
exploitation est grande et jamais je ne m’arrête. » (Dolíria, agricultrice en agroforesterie,
Cooperafloresta)
Les deux photos ci-dessus montrent des agents multiplicateurs réalisant leur travail. A gauche,
Nelma recevant des élèves d’une école municipale et, à droite, Pedro recevant la visite de
consommateurs.
Le mutirão4, pratique traditionnelle de la culture locale, a énormément contribué à la
construction des valeurs de solidarité, d’aide mutuelle et de renforcement de connaissance
basé sur l’échange, valeurs qui forment la base de la Cooperafloresta. Prenant cette forme ou
une autre, l’organisation collective tient toujours une place fondamentale en agroforesterie,
3 La formation des producteurs est menée de façon collective et participative : les producteurs se réunissent et échangent afin d’apprendre à l’un ce que l’autre a déjà appris. 4 Le mutirão est une activité collective et solidaire où tous collaborent gratuitement et avec enthousiasme pour la réalisation d’un projet social et communautaire pour le bien de tous. En France on parle de chantier participatif.
12
autant dans les activités de formation et de production que dans les processus de certification
et de commercialisation.
Les photos ci-dessus témoignent du processus de formation au sein de la Cooperafloresta, la
première photo montre un mutirão dans les cellules de Estreitinho et d’Aroeira, la deuxième
photo est une photo de groupe de l’unité de mutirão de Jorlene et Gilmar.
Divers professionnels de la santé et du bien-être social, ainsi que bien d’autres
personnes de cultures et de formations variées ayant visité la Cooperafloresta ont témoigné
que le sentiment d’appartenance à la Nature et la reconnaissance de la perfection quasi-divine
des processus naturels se retrouve jusqu’à la façon de parler, amenant de réels réflexes
positifs pour la santé, la joie de vivre et l’estime des familles de producteurs qui furent à la
tête de la construction de la Cooperafloresta.
« Il vient ici des groupes entiers de consommateurs alors quand on va vendre au marché,
mon dieu ! C’est un vrai plaisir. Les clients ayant déjà visité notre exploitation ramènent
d’autres clients et leur explique notre façon de produire, ensuite ils leur disent. « Il faut
que vous achetiez ces produits ! ». Ils font vraiment ça ! Ils sont juste contents de savoir
comment on fait ! » (Clovis, Cooperafloresta)
Le projet Agroflorestar a permis de viabiliser plusieurs initiatives grâce auxquelles la
Cooperafloresta peut partager les fruits de son travail avec des héros et des héroïnes qui iront
eux aussi reproduire, protéger et transférer cette façon de travailler avec les autres.
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Ci-dessus, des moments de fraternisation et de prières, à gauche durant un rassemblement de
la Cooperafloresta, à droite lors d’une séance de formation dans l’unité de Terra Seca.
Séances d’échange à la Cooperafloresta, à gauche avec le Centro de Formação Dom Helder
Câmara localisé dans l’unité de Mario Lago, à Ribeirão Preto (état de São Paulo), et à droite
avec l’Escola Latino Americana de Agroecologia localisée dans l’unité de Contestado à Lapa
(état du Pará).
Mais l’histoire n’est pas encore parvenue à sa fin ! L’interaction permanente de la
Cooperafloresta avec le réseau d’organisations qui ont participé à la construction de la
Reforma Agrária Popular5, qui voit en l’agroécologie un de ses piliers fondamentaux, continue
à porter ses fruits. La dimension de ces fruits est si grande qu’il est encore difficile de concevoir
son impact historique, qui ne se révèlera qu’avec le passage des années.
« Aujourd’hui je récolte les fruits. Je dis les fruits, mais je ne parle pas que des fruits que
l’on peut vendre mais aussi des fruits qui ont pour moi le plus de valeur, comme la
satisfaction intérieure de voir une chose si belle se développer, et me dire que j’ai pu
participer à ça. » (Pedro, Cooperafloresta)
5 Mouvement social au Brésil, porté par de nombreuses associations et familles de producteurs, proclamant un retour à une agriculture plus humaine, de taille familiale et régie par des pratiques agroécologiques. Plusieurs initiatives s’y rattachent, que ce soit des actions d’occupation de terrains agricoles (notamment par le groupement des Sem Terra), ou des projets ambitieux comme la Cooperafloresta.
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4.2. La nécessité de voir avec un regard nouveau pour la
construction de l’agroforesterie agroécologique
Lors de ces deux derniers siècles, l’essor de la science et de la technologie a permis la
réalisation d’énormes changements sur la face de la Terre et dans notre façon de vivre. Cela a
apporté, bien que de façon très inégale, des conforts et des bénéfices que l’on n’aurait pas pu
imaginer auparavant. Mais en même temps, les richesses et le pouvoir de la science et de la
technologie se sont concentrées de plus en plus sur des intérêts corporatifs gigantesques qui
rentrent en opposition avec le bien-être de tous les êtres vivants qui font partie de l’organisme
Planète Terre, dont nous faisons partie aussi.
Il est crucial dans la stratégie d’obtention du pouvoir sur la société d’utiliser les
méthodes et les techniques les plus raffinées comme le marketing, et d’obtenir l’emprise sur
les secteurs fondamentaux de formation d’opinion. De cette manière, on nous imprime au
plus profond de nous une façon de voir le monde qui nous laisse croire l’illusion que la science
et la technologie peuvent à elles seules substituer complètement, et en mieux, Dieu et la
Nature, apportant des bénéfices pour tous.
Si cette perpétuelle tentative de nous convaincre un jour se révèle être un échec, cela
réduirait du jour au lendemain leurs très grands pouvoirs en poussière. C’est pour cela que les
visions les plus organiques concernant la santé, l’environnement, l’agriculture et d’autres
secteurs seront toujours attaquées des façons les plus diverses et subtiles. Pourtant il est
décisif de les rationaliser, de les fortifier, de les protéger et de rester alerte.
Substituer les environnements naturels par des environnements artificiels rend
toujours plus difficile la réalisation par la Nature de ses processus indispensables à la vie. Ceci
contribue chaque jour plus à l’accumulation de preuves par une partie du monde scientifique
(celui le plus indépendant des grands intérêts du capital) de ce qu’il existe une immense
interconnexion entre tous les êtres animés et inanimés de la Planète Terre. La communauté
scientifique adopte et défend de plus en plus l’idée que tenter de substituer les processus
naturels est un réel suicide pour la civilisation. Reconnaitre et préserver le rôle central de la
Nature, ainsi que ses processus divinement mystérieux, redevient aujourd’hui une nécessité
absolue pour la civilisation.
« Si l’être humain se déclare complètement autonome et se constitue comme
dominateur absolu, il désagrège l’essence même de son existence. » (Papa Francisco,
Encíclica Louvado Seja)
D’un autre côté, de nombreuses études montrent que la connaissance scientifique et
notre vision du monde interfère parfois directement avec ce qu’il nous est possible de
concevoir et de découvrir. Au fil des années passées avec les communautés paysannes, nous
avons entendus énormément de témoignages qui nous firent nous rendre compte que la foi
dans le pilotage divin et infiniment intelligent des processus naturels est décisive afin que nous
puissions observer et étendre notre connaissance de ces processus. Nous avons vu fleurir de
grands maîtres de l’agroforesterie grâce à cette foi, qui grandissent en apprenant et en
enseignant que, dans la nature, la maxime la plus ultime est « d’aimer son prochain comme
soi-même ». Au final, nous appartenons tous à un seul et unique organisme sacré.
15
5. Quelques notions fondamentales sur la vie au sein de l’organisme
Planète Terre
« On se rend compte que la Nature est complète, c’est nous qui la déréglons et qui
pensons après que c’est Dieu qui est coupable. Car sans Nature, sans eau, sans vert, la
vie n’existe pas. Nous devons donc saisir cette sagesse, la valeur qu’elle présente pour
nous et en profiter. C’est ce qu’on essaye de montrer ici. En ayant cette extraordinaire
qualité de vie, on veut montrer que c’est le chemin qu’il faut adopter pour continuer à se
développer. C’est un chantier pour la nouvelle génération. Car pour ceux qui vivent dans
les champs, aller vivre dans la ville est une perte de temps. Ce que je fais, je le fais pour
mes fils et pour mes petits-fils. Quand je plante un arbre qui sera grand seulement dans
deux cent ans, je peux voir qu’il sera un sanctuaire pour les oiseaux, qu’il appellera la
pluie et la brise, ainsi que l’air que nous recevons. Beaucoup de gens ne sont même pas
reconnaissants pour l’air qu’ils respirent. » (Sezefredo, Cooperafloresta)
5.1. La source d’énergie
Le soleil est la source d’énergie. C’est la captation de quantité toujours plus grandes
d’énergie solaire qui a rendu possible le perfectionnement de la vie et la continuelle
augmentation de la diversité et de la quantité d’êtres vivants qui travaillent chaque jour à ce
perfectionnement, en chaque endroit de la planète.
Nous oublions souvent que n’importe quel être vivant de la planète, afin de se
déplacer, de bourgeonner, de penser, de respirer, ou d’effectuer tout type d’activité
demandant de l’énergie, a besoin d’énergie solaire.
C’est avec l’énergie qui vient des rayons du soleil que les plantes peuvent réaliser la
photosynthèse, produisant des sucres qui formeront par la suite leurs tissus et rendront
possible leurs actions. Quand les êtres qui ne réalisent pas la photosynthèse s’alimentent de
plantes, ils cherchent eux aussi ces mêmes sucres afin de libérer leur énergie, et continuer à
vivre. C’est pour cela qu’il existe un vieux proverbe chinois disant que « l’agriculture est l’art
de capter et de stocker le soleil ».
16
Potager agroforestier dans lequel les bananiers, les arbres et l’excellente occupation de l’espace
par les plantes permettent de capter au mieux l’énergie solaire par le travail de création et de
maintien de la fertilité par les êtres vivants.
5.2. Le contrôle de la composition de l’atmosphère terrestre
L’air que nous respirons contient une grande quantité de diazote (N2) avec 78%, et
d’oxygène (O2) avec 21%, les 1% restants sont tous les autres gaz, entre autres le gaz
carbonique (CO2). La composition de l’atmosphère a changé radicalement durant toute la
durée de l’existence de l’organisme Planète Terre. Il est le fruit du travail organique déployé
de manière coopérative et coordonnée par tous les êtres vivants. Par exemple, il y a 4,5
millions d’années la teneur de l’oxygène de la Terre était de 0%. Actuellement, la composition
de l’atmosphère est relativement stable, maintenue et contrôlée dans les conditions parfaites
à la vie grâce au travail des êtres vivants. La vapeur d’eau et certains autres gaz jouent aussi
un rôle très important, même si leurs teneurs sont très faibles, pour la réalisation de fonctions
essentielles au sein de l’organisme Planète Terre.
C’est en comparant la composition de l’atmosphère de la Terre avec celle de Mars
(révélée grâce à l’analyse de la lumière provenant de cette planète) qu’en 1968, les
scientifiques James Lovelock et Lynn Margulis conclurent qu’il n’y a jamais eu de vie sur Mars.
Ceci fut déterminé bien avant que les premières navettes spatiales quittent la gravité terrestre
pour aller se poser sur cette planète. C’est aussi en faisant ce genre de comparaisons qu’ils
découvrirent que l’atmosphère terrestre n’a rien à voir avec ce qu’elle devrait être si elle
suivait seulement les lois de la chimie pure, comme toutes les autres planètes étudiées jusque-
là. La principale incohérence est la grande présence d’oxygène, gaz volatile ayant tendance à
17
se lier avec d’autres substances, qui serait impossible à trouver en si haute teneur dans sa
forme libre s’il n’était produit de façon continuelle par les êtres vivants.
Les études citées dans le paragraphe précédent ne laissent pas de doutes sur le fait
que la composition si précise de l’atmosphère terrestre soit générée et contrôlée par tous les
êtres vivants. Ceci se produit de façon extrêmement similaire avec la façon dont les
microorganismes de notre corps – appelés cellules – contrôlent la composition de notre sang.
La spectaculaire conclusion que l’on peut tirer de cette observation se rapproche énormément
des croyances de nombreux peuples primitifs, qui considéraient la Terre comme un titanesque
organisme vivant. De cet organisme font partie tous les êtres et tous les processus de la
planète, même ceux qui étaient considérés antérieurement comme n’ayant rien à voir avec la
vie, comme le volcanisme. Lovelock et ses confrères donnèrent le nom « d’Hypothèse Gaia »6
à cette théorie qui considère la Terre comme un unique organisme.
Montage réalisé avec des photos de la Terre et de Mars, prises dans l’espace par la NASA. Le
contraste qui en résulte révèle bien le miracle de la vie qui se produit dans l’organisme Planète
Terre.
5.3. Le gaz carbonique et ses principales fonctions
La teneur en CO2 de l’atmosphère avant la révolution industrielle était
approximativement de 0,028%, elle est actuellement proche de 0,040%. Cette quantité
apparemment infime de CO2 exerce pourtant diverses fonctions fondamentales au
développement de la vie dans l’organisme Planète Terre.
6 Voir le livre « Gaia, une médecine pour la planète » de James Lovelock. Œuvre qui se dénote par la beauté de son texte mais aussi par sa rigueur scientifique. Voir aussi « Gaia » du scientifique brésilien José Lutzemberger.
18
5.3.1. Le rôle du gaz carbonique dans le stockage et la circulation de l’énergie solaire
Les végétaux supérieurs et les algues captent l’énergie solaire grâce au mécanisme de
photosynthèse, et la stocke sous la forme d’énergie chimique qui maintient unies les
molécules de gaz carbonique et d’eau en une espèce de batterie solaire vitale, que nous
appelons aliment. Sans le CO2 de l’atmosphère et la photosynthèse, la vie de quasiment tous
les êtres vivants de la Terre serait impossible.
Les corps des végétaux, des animaux et des microbes sont aussi constitués en grande
partie des aliments produits par la photosynthèse, bien qu’étant présents sous une forme
différente, transformés par divers processus. Pour cela l’énergie solaire accumulée dans les
aliments s’écoule et s’échange entre les êtres vivants, au fil de la chaine alimentaire. La quasi-
totalité des organismes obtiennent leur énergie de la photosynthèse, ou de la consommation
de plantes et d’algues, ou d’êtres s’étant alimentés de ces derniers.
5.3.2. Le rôle du gaz carbonique dans la régulation de la température
C’est principalement grâce au CO2 que l’atmosphère est capable de retenir une partie
de la chaleur générée par les rayons solaires la traversant. Cette chaleur retenue est
proportionnelle à la teneur de CO2 de l’atmosphère. Nous appelons ce processus l’effet de
serre, il est indispensable à la vie car, sans lui, la Terre serait gelée.
En contrôlant la concentration en CO2 de son atmosphère, l’organisme Planète Terre
peut ainsi contrôler, dans une certaine mesure, sa propre température moyenne. Ce contrôle
du CO2 est réalisé de manière complexe grâce à de nombreux cycles, dans lesquels les êtres
vivants tiennent un rôle clef. Dans un de ces cycles, le processus est continu et très lent, il se
réalise dans la même échelle de temps que le mouvement des plaques rocheuses
occasionnant le déplacement lent des continents : c’est pourquoi on l’appelle le cycle
géologique. Dans ce cycle, le CO2 est lentement dissolu dans l’eau de pluie qui pénètre le sol,
formant une solution acide qui extrait le silicium, le calcium et d’autres minéraux des roches,
lors d’un processus appelé érosion des roches. Ce cycle est le principal responsable de la
capture du CO2 depuis le début de l’Histoire de la vie. Il est bien plus ancien que la lente
création des conditions nécessaires à la vie des forêts sur Terre.
Ces minéraux ainsi extraits et dilués dans l’eau de pluie sont ensuite transportés
jusqu’aux océans. Divers êtres vivants dans les océans les utilisent pour former leurs
carapaces, toutes plus belles et différentes les unes des autres : les coquillages. Après la mort
des êtres qui habitent ces coquillages, ils chutent sur le plancher océanique et s’accumulent
en larges dépôts, stockant ainsi le CO2 faisant partie de leur composition dans les profondeurs.
19
Plusieurs exemples de coquillages
De cette manière, de grandes quantités de CO2 sont retirées de l’atmosphère, grâce à
la participation active de nombreux êtres vivants. Une partie de ces dépôts finissent par arriver
à des profondeurs où la chaleur et la pression les fait fondre, créant un magma qui, bien
longtemps après, sera répandu sur la surface de la planète par les éruptions volcaniques,
retournant ainsi le CO2 à l’atmosphère.
La rapidité d’extraction du CO2 par le cycle géologique fut beaucoup augmentée par
l’apparition des forêts. La teneur en CO2 de l’air pénétrant le sol des forêts est quarante fois
supérieure à celle de l’atmosphère, ceci est dû à la respiration des êtres qui consomment la
matière organique des feuilles. Ainsi, la concentration du CO2 dans l’eau qui pénètre les sols
forestiers est très élevée, multipliant aussi la rapidité d’extraction du calcium et du silicium
composant les roches du sol. A cela s’ajoute aussi le fait que l’action de la vie augmente
l’érosion des roches en y générant des canaux par lesquels s’écoule la solution d’eau et de
CO2, multipliant la surface de roche sujette à cette solution acide.
Le cycle impliquant le plus grand flux de CO2 est celui de la photosynthèse, réalisé par
la végétation. Le CO2 ainsi capturé est en partie accumulé dans le corps des êtres vivants et en
partie rendu à l’atmosphère par la respiration.
Au moment où l’organisme Planète Terre n’en était encore qu’au début de l’évolution
de la vie, une forte augmentation de la puissance du soleil aurait pu entraîner sa surchauffe.
Mais l’apparition de la photosynthèse permit d’éviter ce processus qui aurait pu lui être fatal
en retirant une partie du CO2 de l’atmosphère, faisant baisser l’effet de serre. D’un autre côté,
ce CO2 capturé se mit à s’accumuler dans les entrailles de la Terre sous forme de matière
organique se transformant en pétrole, en charbon minéral ou en gaz naturel.
L’intelligence et la bienveillance de la Nature est infinie. L’organisme Planète Terre
travaillera toujours pour le bien-être de tous les êtres vivants qui le constitue. C’est pour cela
que travailler de façon opposée au labeur de la Nature entraînera toujours de lourdes
conséquences pour tous les êtres, voire peut devenir fatal pour l’organisme entier.
Le contrôle de la teneur en CO2 de l’atmosphère par la photosynthèse et la respiration
est une façon pour l’organisme Planète Terre de contrôler sa température, cela se produit de
façon similaire chez beaucoup d’autres êtres vivants.
20
Du bas vers le haut, le premier graphique met en exergue l’augmentation quasi-verticale de la
concentration de CO2 atmosphérique ces cent dernières années, comparée à la régularité des
cycles antérieurs. En parallèle, le second graphique montre l’augmentation des émissions de CO2
d’origine humaine comparée à l’augmentation globale terrestre. Ces deux graphiques ne laissent
pas de doute sur le fait que ce sont les activités humaines qui sont responsables du phénomène
global d’augmentation de CO2. Le troisième graphique montre la température moyenne en forte
augmentation depuis les années 1900, coïncidant avec l’évolution de la concentration en CO2
atmosphérique témoignés par les deux graphiques précédents.
En rapport avec sa fonction dans le contrôle de la température de l’organisme Planète
Terre, le CO2 peut être comparé à une hormone. Régulant certains processus vitaux à
l’intérieur d’un organisme, une quasi-imperceptible altération de la teneur en hormone peut
21
entraîner des altérations majeures au niveau de l’individu. Et il existe toujours des mécanismes
de contrôle et de régulation de la teneur de l’hormone.
Prenant comme principes la compétition, l’exploitation et la domination à l’inverse des
comportements naturels de coopération, la société humaine a, bien avant d’en connaître les
profondeurs, commencé à déséquilibrer les mécanismes de contrôle de l’organisme Planète
Terre, provoquant sa surchauffe et, avec elle, des conséquences désastreuses pour elle-même
et la vie en général.
Au-delà des chiffres et des données numériques, certaines images comme celles-ci-dessus sont des
témoignages poignants du réchauffement climatique.
5.4. L’oxygène et la gestion organique de l’énergie solaire
L’oxygène a pour fonction de défaire la liaison entre l’eau et le gaz carbonique qui a
été créé lors de la photosynthèse, libérant ainsi l’énergie qui maintenait ces deux molécules
unies et libérant le CO2 qui est retourné à l’atmosphère. Ce processus peut se produire à
l’intérieur des êtres vivants, de façon contrôlée, il s’appelle alors respiration, il peut aussi se
produire à l’air libre, il s’appelle alors combustion.
Par la combustion du bois ou du pétrole, l’énergie solaire libérée peut alors être utilisée
pour réaliser des travaux physiques tels que le déplacement de véhicules comme les trains et
les voitures, ou alors transformée en d’autres formes d’énergie, comme l’électricité.
Pour fournir l’énergie dont la vie de notre corps a besoin, il est nécessaire d’apporter
de l’oxygène et des aliments finement désagrégés par la digestion à chacune des 100 trillions
de cellules de notre organisme. Ainsi, en chacune de nos cellules peut se produire le
désagrégement du mélange eau, énergie solaire et gaz carbonique qui a été formé lors de la
photosynthèse, durant la respiration cellulaire.
Pour que cette respiration cellulaire puisse bien se réaliser, les aliments sont
premièrement hachés et prédigérés par la salive dans la bouche. Dans l’estomac, les sucs
gastriques acides se chargent de continuer à désagréger les aliments, pour que quand ils
arrivent dans les intestins ils soient bien dissous. Une partie des aliments sera rendue au milieu
extérieur, auquel elle servira à nouveau d’aliment pour une infinité d’êtres vivants qui
participeront à la fertilité du sol. Une autre partie sera utilisée par des microbes qui habitent
nos intestins (encore plus nombreux que la somme de toutes les cellules du corps) afin de
réaliser leurs rôles indispensables qui participent à notre santé. Enfin, la partie restante sera
22
diluée dans le sang et transportée jusqu’à nos cellules. Pour rendre possible cette absorption
des aliments par le sang, les intestins sont dotés d’une irrigation sanguine intense.
Nos poumons sont des structures très spécialisées afin que l’oxygène que nous
inspirons durant la respiration puisse pénétrer la circulation sanguine et être fourni aux
cellules qui l’utiliseront pour extraire l’énergie contenue dans les aliments grâce à la
respiration cellulaire. Au même moment, dans nos poumons, le CO2 produit lors de la
respiration cellulaire et transporté par le sang est déchargé dans le système respiratoire pour
être retourné à l’atmosphère à chaque fois que nous expirons.
Les minuscules veines et artères des poumons permettent l’échange du gaz carbonique récupéré
lors de la respiration cellulaire par l’oxygène capté par l’appareil respiratoire.
Les aliments sont stockés sous des formes variées par notre corps, grâce à cela nous
pouvons survivre plusieurs jours sans manger. Mais si une panne nous empêche de respirer,
seules quelques minutes suffiront à ce que les cellules manquent d’oxygène pour réaliser la
respiration cellulaire, et nous mourons par manque d’énergie pour nos organes.
Comme toutes les conditions nécessaires à notre vie, la teneur en oxygène de
l’atmosphère de l’organisme Planète Terre est aussi le fruit de l’action coordonnée des êtres
vivants. L’oxygène s’est accumulé par le passé dans l’atmosphère pour atteindre les 21%
actuels grâce à la photosynthèse. Ce processus libère deux tiers de l’oxygène présent dans les
molécules d’eau (H2O) et de gaz carbonique (CO2) qu’il utilise, avec l’énergie solaire, pour
produire les aliments.
Ainsi, afin que les êtres vivants puissent utiliser l’énergie solaire stockée dans l’union
de la molécule d’eau et de gaz carbonique, cette union doit être rompue lors de la respiration.
23
L’énergie solaire utilisée est captée par les plantes ou par les algues, puis stockée sous forme
d’aliments pour les Hommes, dans le bois pour la locomotive à vapeur, et dans le pétrole ou l’alcool,
ou plus récemment les batteries, pour les voitures.
La respiration consomme la même quantité d’oxygène que celle libérée par la
photosynthèse. Pour cela, une forêt arrivée à maturité peut cesser d’être productrice
d’oxygène quand la quantité totale qu’elle en produit est consommée par la population
d’êtres vivants qui l’habite.
Dans l’histoire de la Terre, une partie des aliments produits par la photosynthèse ne
fut pas complètement consommée par la respiration cellulaire. Cette part fait partie du corps
des êtres vivants, de la matière organique morte qui fait partie des sols ou qui fut transformée
en pétrole, en charbon minéral et autres produits générés par la vie. Pourtant, la
photosynthèse totale fut supérieure à la respiration totale sur Terre. Ce reste positif de
l’équilibre photosynthèse-respiration est à l’origine des 21% d’oxygène présents dans
l’atmosphère terrestre et de l’oxygène présent dans le sol qui se lie avec d’autres substances
comme le fer.
L’oxygène peut jouer le rôle de libérer l’énergie solaire présente dans les aliments
justement parce qu’il possède la forte capacité de se lier à d’autres substances. Pour cela, si
toute vie disparaissait sur Terre, la teneur en oxygène libre atteindrait très rapidement les 0%.
Ceci se produirait car l’oxygène libre se lierait avec la matière organique morte et d’autres
24
substances. Une grande partie du fer rencontré dans le sol est aujourd’hui déjà lié avec
l’oxygène généré par la photosynthèse. Cependant, la continuelle action de diverses bactéries
rompant l’union de l’oxygène avec le fer permet de maintenir encore un important stock de
fer non lié dans nos sols.
Sans l’action de ces bactéries et de la photosynthèse, les 21% d’oxygène de
l’atmosphère seraient quasi-instantanément consumés par l’union avec le fer et la matière
organique, rendant ainsi à l’atmosphère le CO2 et l’eau qui avaient été unis par la
photosynthèse.
Grâce au travail de tous les êtres vivants de la biosphère, l’organisme Planète Terre
parvient à maintenir la teneur exacte de 21% d’oxygène dans l’atmosphère. Seulement 1%
supplémentaire doublerait les risques d’incendie, et si cette teneur atteignait 25%, la
libération de l’énergie solaire présente dans les aliments serait si facile que même les feuilles
vertes prendraient feu spontanément. D’un autre côté, si cette teneur était bien inférieure, il
nous serait extrêmement difficile d’obtenir des aliments l’énergie qui nous est nécessaire pour
vivre. Avec 15% d’oxygène dans l’atmosphère, le feu serait impossible.
5.5. La régulation organique des températures
Dans l’univers, les températures varient de -273° Celsius (le zéro absolu) à des
centaines de billions de degrés. Les moindres petits détails lors de l’évolution organique de
l’univers ont dû se produire d’une manière extrêmement précise et improbable afin que la vie
puisse se développer sur Terre. Parmi eux on trouve la distance entre la Terre et le Soleil.
Pourtant, au-delà de la précision des mécanismes cosmiques, ce fut l’action coordonnée des
êtres de la planète Terre qui a permis, et continue de permettre, que les températures soient
maintenues dans le minuscule intervalle favorable à l’apparition de la vie.
La majeure partie des êtres de la Terre possèdent un grand pourcentage d’eau dans
leur corps et vivent dans la fourchette de température entre 0° et 40°. Cela parce qu’en
dessous de 0°, l’eau gèle et empêche les fonctions vitales de se produire, et au-dessus de 40°,
25
les protéines des êtres vivants commencent à se détruire. Il existe très peu d’organismes
pouvant vivre dans des températures s’approchant de 70°.
A l’intérieur même de cet intervalle de 0° à 40°, chaque espèce s’adapte à une
température spécifique, dans laquelle il puisse vivre et réaliser ses fonctions de façon plus
efficace pour le bien-être de l’organisme Planète Terre. Quand un être vivant s’éloigne des
conditions propices à sa vie, il est transformé en aliment pour les autres. Ceci est permis grâce
à l’action de divers êtres que l’on appelle dans l’agriculture des nuisibles ou des maladies. De
cette manière, ces êtres créent des conditions plus favorables afin que des espèces mieux
adaptées au milieu puissent réaliser leur travail plus efficacement, en faveur du bien-être
commun. C’est pour cela qu’il est très difficile de cultiver des plantes ou d’élever des animaux
dans des climats qui ne leur sont pas adéquats.
Ces images témoignent de comment les différences de climat et de type de sol donnent naissance
à des biomes avec une végétation et des animaux aussi différents que la Forêt Atlantique (Photo
1), le Pantanal (Photo 2) et la Tundra des régions polaires (Photo 3).
26
5.6. Le rôle de l’eau dans le refroidissement et la régulation de la
température
La grande majorité des êtres vivants sont refroidis par l’eau. Nous autres êtres humains
nous possédons des glandes sudoripares dans tout notre corps. Quand nous émettons de la
sueur, l’eau qui la constitue s’évapore. Faire s’évaporer l’eau nécessite de l’énergie. Pour avoir
une idée de la quantité d’énergie requise pour faire s’évaporer un litre d’eau il suffit juste
d’imaginer la quantité de feu nécessaire pour la faire s’évaporer dans une bouilloire. Pendant
seulement un jour chaud, nous pouvons suer plus de 10 litres d’eau.
L’eau peut absorber une quantité relativement grande de chaleur pour chaque degré
qu’elle se réchauffe, et rend cette énergie pour chaque degré qu’elle se refroidit. Cette
caractéristique rend très difficile aux milieux riches en eau de beaucoup se réchauffer ou se
refroidir : à mesure que l’eau va se réchauffer, une grande quantité de chaleur va être retirée
du milieu, et cette chaleur est rendue à mesure que l’eau se refroidit à nouveau. De cette
manière, plus la quantité d’eau est grande dans un milieu, plus sont proches les températures
extrêmes de ce milieu. L’eau a donc un fort effet tampon de la température.
Au-delà du contrôle de la température, l’eau détient bien d’autres fonctions
fondamentales. Les cellules, qui sont à la base de tout être vivant, sont par exemple remplies
d’eau. C’est en milieu liquide, formé par l’eau, que la plupart des processus vitaux peuvent se
produire. Les canaux qui transportent l’oxygène, les nutriments, le CO2, ou toute autre
substance vitale pour les cellules (que ce soit des veines, des artères ou les vaisseaux des
plantes) les transporte toujours dissoutes dans de l’eau.
5.7. Les océans et leur rôle dans le refroidissement et la régulation de la
température
L’organisme Planète Terre est lui aussi refroidit par l’eau. Les océans sont ses
principaux systèmes de refroidissement. Tous les jours s’évapore des océans un volume d’eau
bien supérieur au volume que tous les fleuves réunis du monde jettent dans la mer.
L’évaporation de cette immense quantité d’eau retire une grande quantité de chaleur de la
superficie de la mer, la rendant plus froide que l’atmosphère. La chaleur ira toujours du milieu
le plus chaud au milieu le plus froid, cela rend ainsi la superficie de la mer énormément
consommatrice de chaleur. Au même moment, cette chaleur est emportée par la vapeur d’eau
dans les hautes altitudes, permettant ainsi aux processus vitaux de s’y produire aussi. Quand
il pleut, la chaleur qui fut absorbée par l’évaporation de l’eau des océans et des forêts est
rendue à l’atmosphère en très haute altitude, ce qui la rend plus facilement retirable de
l’organisme planétaire par irradiation dans l’espace sidéral.
Grâce à l’effet tampon de l’eau, les océans permettent de contrôler et d’abaisser les
variations de températures de l’organisme Planète Terre.
27
Des nuages formés par la Forêt Amazonienne pris en photo par la NASA.
Cette photo prise par la NASA montre une partie de l’océan couvert par les nuages produits par lui-
même. C’est au niveau des océans que se réalisent plus de 97% de la transpiration terrestre. Cette
fonction physiologique de l’organisme planétaire permet le transport de la chaleur vers les hautes
altitudes où elle sera diffusée dans l’espace sidéral.
La quantité d’eau de la planète est constante, elle ne peut augmenter ni diminuer.
Cependant, elle est prise dans un mouvement constant que nous appelons cycle de l’eau. Ce
sont les êtres vivants qui veillent au bon fonctionnement de ce cycle, et sur les continents, ses
principales gardiennes sont les forêts.
28
5.8. Les forêts et quelques-unes de leurs fonctions dans la régulation du
climat et le maintien du cycle de l’eau
Parmi leurs nombreuses fonctions, les forêts ont la même action que les glandes
sudoripares des humains pour les écosystèmes continentaux. Les arbres pompent l’eau des
profondeurs de la Terre et la place dans leurs feuilles. Toutes les plantes possèdent, sur le
tissu de leurs feuilles, des ouvertures qui s’ouvrent et se ferment afin de contrôler certains
processus comme l’entrée de CO2 et la sortie de l’eau. On les appelle les stomates.
Le volume d’eau évaporé grâce aux forêts est plus grand que le volume de tous les
fleuves du monde réunis. Ainsi, les forêts retirent d’immenses quantité de chaleur tous les
jours, agissants comme de gigantesques systèmes de refroidissement des écosystèmes. Dans
les endroits les plus éloignés de la mer, la majorité des pluies sont formées grâce à l’eau
pompée par les forêts. Le refroidissement de l’air ainsi provoqué par les pluies fait beaucoup
baisser la pression atmosphérique, contribuant ainsi à attirer l’air humide provenant de la
superficie de la mer vers les continents. De plus, les particules projetées dans l’air par les forêts
favorisent aussi la chute des pluies. Sans la présence des forêts, une grande partie des pluies
continentales seraient dispersées par la montée de l’air chaud et irait se perdre dans les
océans. Enfin, les nuages formés par les forêts reflètent la lumière du soleil, la renvoyant en
dehors de l’organisme Planète Terre, contribuant au refroidissement du climat.
De nouveau grâce à l’effet tampon de l’eau, les forêts parviennent à réduire les
extrêmes de températures sur les continents. Cela est possible parce que les forêts exercent
des fonctions essentielles dans le cycle de l’eau, la retenant sur les continents notamment
parce que les êtres vivants qui les constitue sont composés à 70% d’eau. L’absence de vie rend
les extrêmes de températures entre la nuit et le jour impossibles à supporter, comme c’est le
cas dans les déserts.
La Forêt Amazonienne tire du sol et fait s’évaporer par ses feuilles près de 20 trillions
de kilos d’eau par jour, 20% plus que la quantité d’eau que le fleuve Amazone déverse dans
l’océan. L’évaporation d’un kilo d’eau permet de retirer du milieu 540kcal (la calorie est une
unité de chaleur), ou 2.260kJ (le joule est une unité d’énergie) de chaleur. D’un autre côté,
cela veut dire que pour que cette évaporation massive puisse se réaliser, l’énergie requise est
considérable : 45.200 trillions de KJ par jour. Cette quantité de joules est égale à 45.200 x
0.000277kWh (Kilowatt heure, autre unité d’énergie), c’est-à-dire approximativement 12.500
billions de kWh par jour. L’usine hydroélectrique de Itaipu, une des plus grandes du monde,
produit 90 billions de kWh par jour. Sa production annuelle est quasiment 140 fois inférieure
29
à l’énergie nécessaire pour évaporer la quantité d’eau que la Forêt Amazonienne fait
s’évaporer en un jour seulement. Afin de pouvoir faire s’évaporer ces 20 trillions de kilos d’eau
journaliers mentionnés plus haut sur une année entière, il faudrait faire fonctionner 140x365
= 50.000 usines d’Itaipu, à 100% de leurs capacités, 100% du temps. Ce type de réflexion et de
prise de conscience est aujourd’hui indispensable à la survie de la civilisation humaine7.
La valeur de construction de l’usine d’Itaipu serait approximativement de 60 billions
de dollars. Nous savons aujourd’hui que même si nous avions l’argent nécessaire pour
construire 50.000 usines d’Itaipu, ce serait un véritable désastre écologique. De plus, puisque
les facteurs de productivité de ces usines (volume et retenue d’eau) seraient de plus en plus
bas à chaque usine, le coût de production serait toujours plus élevé. Bon, nous allons quand
même supposer qu’il serait possible de construire ces usines pour 60 billions de dollars
chacune. Cette valeur est deux mille fois supérieure au PIB du Brésil et quarante fois
supérieure au PIB mondial, qui représente la somme de toutes les richesses matérielles du
monde entier.
Les deux paragraphes précédents mettent uniquement en relief que la valeur du travail
associé à l’évaporation de l’eau réalisé par la Forêt Amazonienne. Afin de réaliser le cycle
complet de l’eau qui permet la réfrigération et qui maintient humide les régions éloignées de
la mer, qui seraient désertiques sinon, il faudrait aussi prendre en compte la quantité
d’énergie nécessaire au pompage de l’eau provenant des entrailles de la Terre, ainsi qu’à son
transport jusqu’aux feuilles des plantes, etc… De plus, la Forêt Amazonienne assure aussi le
maintien de son incroyable biodiversité, de la fertilité de ses sols, et de bien d’autres fonctions
connues et inconnues des êtres humains, toutes aussi essentielles les unes que les autres pour
que la vie puisse continuer d’exister. Ce type de calcul démontre bien à quel point sont sous-
estimés les services écosystémiques rendus par la Nature. Cela montre aussi l’absurdité de
certains raisonnements actuels qui cherchent à prouver que l’on peut substituer et surpasser
le travail de la Nature par le travail artificiel à tous les niveaux, que ce soit l’agriculture,
l’environnement ou la médecine.
7 Lire à ce sujet l’article du scientifique Antônio Nobre, O Futuro Climático da Amazônia, disponible (en portugais…) sur ce lien : https://www.socioambiental.org/sites/blog.socioambiental.org/files/futuro-climatico-da-amazonia.pdf
30
Les photos précédentes, prises par la NASA, montrent la partie indispensable de l’évaporation de
l’eau du continent sud-américain. Elle se produit durant la saison sèche, pendant laquelle
l’Amazonie ne reçoit quasiment aucune humidité de l’océan, les nuages qui se forment alors sont
exclusivement le résultat du travail de la forêt. Le Sud et le Sud-Est du Brésil deviendraient
complètement désertiques sans cette fonction de la Forêt Amazonienne.
L’exponentielle croissance des
centres urbains, dans lesquels les structures
artificielles sont prédominantes, entraîne le
réchauffement du climat et
l’agrandissement de l’écart entre les
extrêmes de température. Plus grave encore
est l’artificialisation de l’agriculture, qui
expulse la Nature et les êtres humains de
surfaces gigantesques.
Sur la photo à gauche on compare la carte
de répartition de la végétation de la municipalité de São Paulo avec la carte de répartition des
températures. Sans grande surprise, les zones forestières sont les plus fraiches et les zones
urbaines sont les plus chaudes.
5.9. Le contrôle de la circulation des nutriments minéraux
A mesure que les roches vont s’éroder face à la pluie, au soleil, aux vents et à l’action
des êtres vivants, la terre se transforme. Ce processus de transformation est extrêmement
lent et peut prendre des milliards d’années. Mais quand les roches sont enfin transformées
en terre, leurs minéraux sont libérés et rendus disponibles pour les êtres vivants. Dans les
régions chaudes, où la présence de la vie est déjà très intense, la dissolution des roches
broyées est relativement rapide et peut être accélérée grâce à un travail du sol réalisé par la
vie, permettant ainsi d’augmenter la captation d’énergie. Quand sont brûlés les arbres et les
plantes, leur eau s’évapore et leur matière organique est consumée par le feu, il ne reste que
leurs nutriments minéraux sous la forme de cendres. C’est pour cela que la cendre est un
excellent fertilisant pour les plantes.
La majeure partie des minéraux n’est présente sous sa forme liquide qu’à des
températures infernales, dans les profondeurs de la Terre. Grâce à l’activité volcanique, ces
minéraux sont déversés à la surface et forment les roches volcaniques. C’est pour cela qu’au
niveau des régions où les dernières éruptions volcaniques sont encore récentes, ou des
31
régions dans lesquelles la roche qui forme le plateau du sol n’a pas encore été beaucoup
modifiée (par exemple par les pluies qui lessivent les minéraux et les emportent dans les cours
d’eau), les sols sont très riches en minéraux, on les appelle les sols basaltiques. Si les conditions
requises au travail de la vie sont réunies, ces sols peuvent alors devenir extrêmement fertiles
en peu de temps.
Les roches sédimentaires sont constituées de terre, de sable, de matière organique et
d’autres sédiments soumis à des conditions spécifiques de pression-température. La terre et
le sable qui forment les roches sédimentaires viennent à l’origine de roches volcaniques, mais
ils peuvent avoir perdu une grande partie de leurs minéraux, dissous dans l’eau. Pour cela, les
roches sédimentaires peuvent donner naissance à des sols à faible teneur en minéraux.
La fabuleuse exubérance des paysages proches de volcans sur les photos ci-dessus confirment la
fameuse richesse minérale et la fertilité des sols volcaniques du Costa Rica.
Même sur des sols pauvres en minéraux, l’action collective des êtres vivants peut
permettre de former de grandes forêts riches en aliments comme cela est le cas pour la plus
32
grande partie de la Forêt Amazonienne8. Dans ces cas précis, le recyclage des nutriments qui
circulent entre les êtres vivants est encore plus crucial, les nutriments sont d’ailleurs recyclés
de manière si optimale par la vie qu’ils ne passent généralement plus par les sols, qui sont très
pauvres en minéraux. Dans ce type de milieu, comme la Forêt Amazonienne, retirer la vie
forestière des sols peut avoir des conséquences extrêmement dramatiques. Au contraire, une
gestion qui maintienne et dynamise la vie est encore plus importante afin de conserver un
environnement fertile et productif.
Le retrait de la structure et de la dynamique forestière rend impossible pour
l’organisme planétaire de maintenir les minéraux. Pour éviter la perte des minéraux, il recourt
donc à l’acidification des sols, rendant les minéraux insolubles dans l’eau et ainsi capturés
dans les sols. De cette manière, l’organisme sécurise et stocke des minéraux qui pourront être
de nouveau utilisés s’il est permis à la vie de revenir habiter ce milieu. Si un processus de
récupération forestière s’engage, petit à petit, plusieurs êtres comme les vers de terre, les
mycorhizes, et bien d’autres iront corriger l’acidité du sol.
Grâce au chaulage 9 , on peut corriger chimiquement l’acidité du sol et libérer de
nouveau et rapidement la majeure partie des minéraux rester prisonniers du sol, au profit des
cultures. Cependant, si on n’arrive pas à reconstituer un cycle de la vie permettant la capture
de ces minéraux dans le corps des êtres vivants et dans la matière organique, ces minéraux
libérés risquent d’être très vite lessivés par les pluies et finiront dans les cours d’eau puis dans
l’océan, appauvrissant toujours plus le sol de cet endroit.
En raison du processus de dissolution des minéraux des roches et du sol, les cours
d’eau et les fleuves contiennent toujours une petite quantité de sels minéraux, contrairement
à l’eau de pluie. Les océans sont salés pour cette raison : ils reçoivent de l’eau chargée en sels
minéraux mais l’eau s’évapore toujours sans ces sels, ils ne peuvent pas passer par l’état
gazeux. L’eau de mer est riche en sels minéraux bénéfiques pour tout type de vie, et
notamment la végétation. Cependant, l’excès en chlorure de sodium de l’eau de mer la rend
néfaste au développement des plantes. S’il n’existait pas certains mécanismes spécifiques qui
maintiennent cette teneur en chlorure de sodium aux alentours de 3%, les océans seraient
encore plus salés, empêchant tout type de vie marine de se développer, ayant de lourdes
conséquences pour l’organisme Planète Terre…
5.10. La régulation et les fonctions de l’azote
Dans l’atmosphère actuelle de la Terre, pour 100 litres d’air, on trouve 78 litres d’azote.
Il y a près de 5 fois plus d’azote dans l’atmosphère que dans les océans, et plus de 10 fois plus
dans les océans que dans les sols.
Contrairement à l’oxygène, il faut beaucoup d’énergie pour lier l’azote avec d’autres
substances. Cette caractéristique de l’azote, et cette opposition avec l’oxygène, sont
8 Dans le cas de la Forêt Amazonienne, on s’est rendu compte qu’un grand volume de minéraux est lui apporté chaque jour par les vents venant du désert du Sahara. En étudiant les photos de la NASA du flux des vents on peut donc observer un des mécanismes naturels de « fertilisation » planétaire. 9 Le chaulage est une technique agricole de récupération des sols qui consiste à ajouter de la chaux ou du calcaire afin de baisser le taux d’acidité, ou pH, du sol.
33
essentielles pour la vie et pour le processus de la respiration. Ce serait désastreux pour nos
corps si d’autres gaz que l’oxygène, ayant la possibilité de se lier facilement, faisait aussi partie
du processus de la respiration. Le rôle principal de l’azote dans la respiration est de diluer
l’oxygène. L’azote a aussi un rôle important au sein de l’atmosphère, sa présence permet de
maintenir la pression atmosphérique à un niveau adéquat aux êtres vivants.
Le fait que l’azote ait du mal à se lier lui permet de jouer un rôle essentiel pour certains
mécanismes d’autorégulation des corps vivants, par exemple dans le processus de
transmission génétique des caractères de génération en génération. Cette fonction de l’azote
est exercée grâce à sa participation dans les molécules d’ADN et d’ARN, clefs de la génétique.
Pour cause de sa très faible réactivité, bien que l’azote soit présent en très grande
quantité, sa disponibilité pour les êtres vivants dépend de l’action d’organismes très
spécialisés. C’est pour cela que contrôler la teneur en azote est la principale façon pour les
organismes écosystèmes de contrôler l’activité des êtres vivants, toujours en direction de
l’abondance et de la biodiversité.
L’organisation de la société actuelle, créée sur le principe que chaque individu doit
veiller sur ses propres intérêts afin de créer des richesses nous a porté à un point de rupture
avec les mécanismes de contrôle censés nous orienter vers le bien de l’organisme tout entier,
et non la richesse et le pouvoir des individus. L’usage intensif de fortes doses d’azote chimique
dans l’agriculture a déséquilibré complètement la capacité des organismes écosystèmes de
doser parfaitement l’activité des êtres vivants.
Dans les sols, l’activité incontrôlable et déraisonnée des êtres vivants, causée par
l’usage d’azote chimique a contribué énormément à la consommation intempestive de la
matière organique par le processus de respiration. Cette consommation excessive finit par
provoquer la forte diminution de la litière10 qui structure le sols et l’humus. Il en résulte une
désertification croissante des sols sur toute la planète, contribuant ainsi, entre autres
cataclysmes, à la perte de sa fertilité et de sa capacité à retenir l’eau. De cette manière, il en
suit une perte rapide de toute la biodiversité et de la structure propice à la vie que les
organismes forestiers ont mis tant de temps à accumuler au travers des millénaires.
« Dieu nous a unit de manière si étroite au monde qui nous entoure que la désertification
du sol est comme une maladie pour chacun de nous. » (Encíclica Louvado Seja, 2015,
Papa Francisco)
10 La litière désigne de manière générale l'ensemble de feuilles mortes et débris végétaux en décomposition qui recouvrent le sol (des forêts, jardins, sols plantés de haies, etc.).
34
Désertification dans l’état de Rio Grande do Sul
Désertification du cerrado11 brésilien
Désertification dans le Nord-Est du Brésil
11 Biome de savanes spécifique aux zones Nord et Est Brésil
35
La suite de photos ci-dessus montre l’escalade de la perte de matière organique au Brésil, rendant
les sols désertiques, c’est-à-dire sans vie ni eau. La 1e photo montre ce phénomène dans le Sud,
avec l’unique arbre araucária survivant tant bien que mal, puis la 2e photo témoigne de ce qui se
passe dans le Centre-Ouest, la 3e dans le Nord-Est. Cette série se termine sur la Planète Mars avec
la dernière photo, destinée terrible vers laquelle nous nous acheminons et que nous atteindrons si
la civilisation n’apprend pas à reconnaitre et à aimer l’organisme dont elle fait partie.
Une autre conséquence terrible de l’utilisation excessive de l’azote est
l’enrichissement immense de l’eau des lacs et des fleuves, rendant là aussi l’activité des êtres
vivants incontrôlable. Etant donné que l’oxygène n’est présent qu’en petites quantités dans
l’eau, une trop forte activité des êtres vivants le consommerait entièrement avec la
respiration. A cause de quoi tout type de vie finit par mourir par manque d’oxygène et donc
d’énergie. Ce processus, appelé eutrophisation, a déjà eu lieu dans la majeure partie des
fleuves et des lacs de la planète et dans d’immenses régions déjà « mortes » des océans. Ce
phénomène tragique est la principale raison qui rend l’agriculture et l’élevage basés sur
l’égoïsme des désastres écologiques comme il n’en a jamais existé de tels sur 4,5 billions
d’années d’histoire de la Vie sur notre planète.
La teneur de l’azote dans l’atmosphère est aussi contrôlée de façon complexe et
sensible grâce au cycle de l’azote. Dans ce processus, grâce à une grande quantité d’énergie,
une quantité considérable d’azote est retirée de l’atmosphère par décharges électriques et
incorporée dans les mers et les sols. Une autre partie est retirée de l’atmosphère par des
bactéries très spécialisées, qui l’incorpore dans les sols sous formes organiques.
La prolifération des algues consomme l’oxygène et tue par asphyxie tous les êtres vivants dans
d’énormes zones des océans et des lacs. Ci-dessus une forte prolifération d’algues rouges en Chine
à Qingdao et sur la plage du Ceará au Brésil.
36
S’il n’existait pas cette activité continuelle des êtres vivants en charge du cycle de
l’azote, en seulement quelques millions d’années, tout l’azote de l’atmosphère serait dissout
dans les océans avec comme conséquence dramatique une salinisation fatale pour la vie
marine.
La quantité d’azote incorporée dans la végétation et dans les chaînes alimentaires des
sols par les êtres vivants est considérablement plus forte que celle incorporée par les pluies.
Si les conditions étaient favorables à ce type de mécanismes, il serait alors possible de rendre
l’agriculture indépendante de l’addition d’azote externe. Actuellement, la quantité d’azote
incorporée dans les sols par voie de fertilisation chimique est 10 fois supérieure à celle
incorporée par voie naturelle.12
6. Des sols naturellement fertiles et productifs
« On n’y connaissait pas grand-chose, mais on était sûrs que c’était le bon moment pour
que l’agroforesterie se développe. Je me suis tout de suite rendu compte que le
phénomène avait sa volonté propre. Je suis heureux d’avoir pu participer à cette histoire.
Même face à toutes les difficultés qu’on a rencontrées, je n’ai jamais pensé à
abandonner. J’avais la conviction que c’était le moment de réaliser l’apprentissage d’une
vie. Il faut qu’on apprenne ce que l’on a oublié. Je parle pour le compte de toute
l’humanité parce que notre monde n’en peut plus de toutes les agressions que nous,
humains, lui faisons subir. » (Pedro, Cooperafloresta)
Dans les paragraphes précédents, nous avons tenté de montrer notre foi dans l’infinie
interdépendance, intelligence et organisation présentes dans tous les processus qui se
réalisent sur chaque centimètre carré de l’organisme Planète Terre.
A partir de maintenant, l’objectif est de se concentrer sur les processus pouvant rendre
fertiles les sols. Grâce à l’infinie intelligence de la Nature, ces processus permettent aussi la
réapparition des cours d’eau, la correction du changement climatique, le retour des oiseaux
et la survie d’un monde où « les printemps ne deviendront jamais silencieux ».
Les sols sont formés par le travail de la Nature toute entière qui, grâce à la présence
de la vie, augmente la matière organique et transforme les roches. A ce travail incroyablement
parfait participent la pluie, le soleil et un nombre incalculable d’êtres comme les plantes, les
microbes, les vers de terre, les fourmis, les tatous et les oiseaux.
12 Le guide « Agricultura Ecológica, Princípios Básicos” elaboré par le Centre Ecologique et disponible sur le lien : http://www.centroecologico.org.br/Agricultura_Ecologica/Cartilha_Agricultura_Ecologica.pdf, outre de nombreux contenus de grande importance pour la pratique d’une agriculture basée sur les processus naturels, montre en page 21 que presque 500kg/ha d’azote pourrait être fournis aux cultures grâce aux processus naturels.
37
Les roches sont de différents types et origines, il en existe qui se désagrège plus ou
moins facilement, et dont la composition est plus ou moins riche en nutriments. Selon une
combinaison complexe de facteurs, comme le type de la roche, le climat, le relief et l’histoire
de la vie dans un lieu en particulier, les sols seront naturellement profonds, fertiles, de couleur
obscure et riche en matière organique, ou non.
Même s’il existe une infinie diversité de sols d’origines différentes, on peut observer
que, toute chose égale par ailleurs, les sols des forêts sont toujours immensément plus fertiles,
aérés, souples, humides et productifs. Ils seront éternellement couverts par les feuilles mortes
et les branchages. Entre la couverture du sol et la terre, on peut voir des champignons
blanchâtres captant l’azote de l’air et une grande quantité d’êtres et de vers de terre aérant
et fertilisant la terre grâce à leurs déjections rondes.
Si nous pouvions voir à travers la terre, nous verrions que la profondeur atteinte par
les racines, par la matière organique et par toute la biodiversité souterraine, est
proportionnelle à la biodiversité qui est au-dessus de la surface, étant ainsi comme la réflexion
dans un miroir de la végétation et de la vie au-dessus de la terre. Cela nous permet de mieux
nous rendre compte de pourquoi un sol sous couvert forestier est bien plus vivant et fertile
qu’un sol sous tout autre type de couverture végétale.
La matière organique est formée par les restes des animaux et des plantes et leurs
rejets, c’est pour cela qu’elle est généralement obscure. Cependant, les rejets des uns seront
l’alimentation des autres. La matière organique est toujours l’aliment, la source d’énergie qui
rend possible le travail de tous les êtres qui, à leur tour, rendent le milieu fertile et adapté à
la vie.
Au Brésil, il est fréquent de rencontrer des sols forestiers qui contiennent de 5% à 6%
de matière organique, alors que les sols cultivés par l’agriculture conventionnelle en
contiennent moins d’1%. Pour cela, les sols brésiliens étaient par le passé naturellement très
38
fertiles, rendant l’agriculture simple et productive. Aujourd’hui le Brésil est la nation
important et usant les plus grandes quantités d’intrants chimiques au monde.
Dans les conditions naturelles, le sol est humide et mou, capable de stocker et de
permettre la circulation de l’air et de l’eau, avec des espaces qui facilitent la pénétration des
racines, riche en matière organique et en nutriments, et abritant une grande quantité et
diversité d’êtres vivants. Une partie de la matière organique est composée d’une multitude
d’aliments divers, indispensables à la santé parfaite de la végétation. Cette grande diversité
d’aliments sera libérée en temps et en dose adapté et ne peut être produite que par une
biodiversité intense, présente uniquement dans les écosystèmes qui ont atteint les degrés les
plus élevés du parcours de la vie. Un autre facteur participant à ces conditions parfaites est le
climat généré par les forêts avoisinantes, avec des températures stables qui ne subissent ni
augmentations ni diminutions radicales, ainsi qu’un contrôle de la quantité de vent, pouvant
assécher les plantes.
C’est cette situation, cette combinaison parfaite, que nous devons atteindre.
L’évolution vigoureuse du système agroforestier de Jorlene et Gilmar, juste après être passé par
un stade d’intense rénovation, dans la ville de Barra do Turvo, état de São Paulo.
Dans le type de clairière montré par la
photo à gauche, les espèces pionnières de
vie courte ou longue et les arbres qui
poussent dans leur ombrage poussent
ensemble, à partir du moment où la
clairière se forme. Pousser ensemble est
une stratégie qui permet à ces plantes
d’obtenir la dose exacte de lumière dont
elles ont besoin, et profiter de la
compagnie des racines des unes et des
autres afin de pénétrer le sol de manière
conjointe et extraire les nutriments plus
efficacement. Chacune de ces espèces possède des capacités de colonisation du sol
différentes et de captation des nutriments bénéfiques à tous. Ces nutriments sont partagés
entre toutes les plantes par le biais de la chute des feuilles, des branches, des racines et des
échanges mettant en relation les réseaux des filaments des champignons. Ensemble, elles
39
parviennent à atteindre les conditions parfaites pour leur développement. C’est pour cela que
dans les systèmes agroforestiers, on cherche à installer en même temps des plantes qui ont
des fonctions écologiques complémentaires, permettant ainsi que chaque fonction soit
réalisée par une espèce spécialiste. On cherche aussi à occuper les strates aériennes par des
canopées et les strates souterraines par les racines de différentes plantes.
En réalité, il est erroné de penser que dans une forêt, chaque plante possède un
système racinaire, puisqu’on peut observer qu’il existe en fait toute une toile de racines
formant ensemble un gigantesque organe-racine appartenant à l’organisme forestier entier.
Que ce soit dans les forêts ou dans les systèmes agroforestiers, la majorité des graines
et des plants n’arriveront pas à maturité. Cependant, ces plantes qui ne verront jamais l’âge
adulte ne seront en aucun cas des pertes puisqu’elles auront aéré le sol, dissout les nutriments
accrochés aux argiles, alimenté la vie du sol et seront finalement transformées en matière
organique, complétant ainsi leur fonction écologique dans l’organisme. Il ne restera que les
plantes les plus saines et les mieux adaptées au local et au sol. Grâce à la très haute densité
utilisée, si un quelconque accident provoquait la perte d’un plant, il y aurait toujours un autre
pour le remplacer.
L’occupation parfaite des strates garantit l’utilisation optimale de la lumière parvenant
jusqu’au sol. Ceci permet que la production d’aliments, mécanisme le plus important
permettant l’ascension de l’échelle de la vie, soit réalisée de la manière la plus abondante
possible. Ainsi, le semis de graines en grande quantités par la Nature est une étape
fondamentale pour la marche de la vie, ce principe est donc tout aussi fondamental pour la
création de systèmes agroforestiers. L’élagage permanent en est aussi un principe fondateur,
aidant la canopée des arbres à occuper la place la plus adaptée à leur strate aérienne naturelle,
laissant passer jusqu’au sol la quantité exacte de lumière pour chaque espèce cultivée.
A mesure que le temps passe, la clairière va finir par se refermer, ne laissant plus passer
la lumière suffisante pour les espèces se développant dans les strates inférieures. C’est pour
cela que les arbres les plus jeunes rencontrent alors de grandes difficultés à se développer.
Ainsi, pour qu’une espèce se développe pleinement, il est primordial qu’elle ait été implantée
au même moment que la création de la clairière, ou alors elle devra attendre la création d’une
nouvelle clairière. Dans la gestion d’un système agroforestier, c’est la raison qui justifie les
rénovations du système.
Reconnaître les principaux processus qui font que les organismes forestiers réalisent
leurs fonctions avec une efficacité grandissante est très important pour pouvoir ensuite les
reproduire et les valoriser afin de récolter, finalement, des aliments, des remèdes, des fibres
et tous les autres produits dont nous avons besoin.
40
7. Succession Naturelle
Dans les clairières des forêts, on trouve en général de grandes quantités de graines
dans le sol car la stratégie des plantes a toujours été d’éparpiller un maximum de graines afin
qu’elles puissent tenter de germer dans les milieux les plus différents si elles en ont la
possibilité. Ainsi, quand une clairière se forme, elle porte dans son sol l’héritage de toutes les
espèces d’arbres qui occupait ce lieu auparavant.
Toutes les espèces (colonisatrices, pionnières, secondaires et climax) ont tendance à
pousser ensemble, bien qu’à des rythmes différents, pour cela elles font partie d’un seul et
même « Système Ecologique ». Les colonisatrices ont une vie courte et leur fonction est de
servir de « placenta protecteur ». En effet quand la forêt renait, les arbres sont encore aussi
fragiles que des fœtus. Sous cette protection peuvent grandir les espèces pionnières, qui sont
les plus rapides, par la suite viennent les secondaires et enfin les climax. Dans la catégorie des
secondaires il existe les secondaires initiales, puis les secondaires moyennes et les secondaires
tardives. Le placenta formé par les plantes colonisatrices va installer les conditions parfaites à
la croissance des espèces suivantes, qui grandissent plus lentement et ont une durée de vie
toujours plus longue. A chaque degré de la succession naturelle, la forêt comme un tout
grandit aussi et avance d’un stade initial aux différents stades moyens puis, finalement, par le
stade le plus avancé, appelé de climax.
Schémas réalisés par l’Association Française d’Agroforesterie, tirés d’une traduction de documents
de l’association Life in Syntropy. On peut voir la succession végétale d’un système écologique, avec
une représentation schématique des cycles de vie de certaines catégories de plantes (placenta,
secondaire, climax) ainsi que les différentes strates.
41
7.1. L’éternel recommencement en spirale de la Succession Naturelle
Nous allons maintenant parler de la Succession des Systèmes Ecologiques, dont fait
partie la Succession Végétale dont il était question dans le paragraphe précédent. A la fin de
chaque cycle, quand il se forme une nouvelle clairière, toute la végétation est remplacée par
un nouveau groupe, plus adapté pour interagir avec le nouveau degré de fertilité plus élevé
généré lors du degré précédent. A chaque degré de fertilité apparaissent de nouveau des
plantes colonisatrices générant un placenta pour les espèces pionnières, ces dernières sont
un placenta pour les espèces secondaires et enfin pour les espèces climax.
C’est pour cela que nous décrivons cette succession comme suivant un chemin en
spirale, qui passe plusieurs fois par les mêmes étapes, mais toujours à des degrés de fertilité
différents. Quand l’Homme se comporte comme acteur en harmonie avec la Nature, cette
spirale se dirige toujours vers le haut. Mais quand l’Homme cède aux illusions le portant à
croire que le monde est régi par la compétition et non par la coopération, il détruit la matière
organique et toute la structure des écosystèmes. Le chemin en spirale se dirige alors vers le
bas, ou alors il se produit une rupture. Dans ces cas-là, malheureusement les plus fréquents
dans notre monde actuel, la succession en spirale peut recommencer à zéro…
A chaque centimètre de sol de la Terre, tous les êtres vivants travaillent ensemble de
manière intelligente pour améliorer les conditions de vie du milieu et de l’organisme Planète
Terre entier. L’éternel recommencement en spirale de la Succession Naturelle fait partie d’une
grande stratégie visant à promouvoir les conditions les plus favorables pour les générations
futures. Reconnaitre ce processus nous permet de percevoir les lois qui le régisse. La
compréhension de ces lois est fondamentale afin que nous puissions revenir à une agriculture
pour laquelle la fertilité repose sur des processus naturels.
42
7.2. La succession des systèmes écologiques au sein des organismes forestiers
Les systèmes qui se succèdent sont différents pour chaque biome et chaque niche
écologique, en fonction notamment du climat, du relief et des caractéristiques du sol.
Néanmoins, cette succession possède des lois communes, qui ne dépendent pas du biome
dans lequel elle a lieu.
Les forêts sont en réalité un grand mélange de « systèmes écologiques ». Dans chaque
petit morceau d’une forêt se réalise toujours plein de rénovations. A chaque endroit différent,
la succession naturelle peut suivre des rythmes différents d’évolution, selon plusieurs facteurs
comme les compositions hétérogènes de sol, les microclimats et d’autres particularités.
Stimuler les processus de digestion et de respiration consomme la matière organique.
Cependant, lorsque le sol est constitué d’un humus et de matière organique en quantités
suffisantes, l’intensification modérée de ces processus peut résulter en l’augmentation
significative de la photosynthèse. C’est pour cela que les organismes forestiers, du placenta
des plantes colonisatrices jusqu’aux espèces climax, tendent à produire une matière
organique toujours plus riche en azote et plus pauvre en substances difficiles à digérer, comme
la lignine13.
Prioriser l’accumulation de matière organique et d’humus entraîne un coût écologique.
En effet, afin d’améliorer les conditions de vie du milieu, les êtres vivants utilisent la matière
organique comme source d’énergie pour, par exemple, creuser des canaux, tirer de l’azote de
l’atmosphère, ou encore extraire les nutriments des roches érodées présentes dans le sol.
Dans un cas extrême de manque, les organismes forestiers ralentiront automatiquement ces
actions d’amélioration afin d’économiser la matière organique.
Ernst Götsch a donné le nom de « systèmes de lignine » aux systèmes composés par
des espèces colonisatrices, pionnières, secondaires et climax qui apparaissent quand les
conditions du milieu sont encore extrêmement dégradées, ou que le chemin en spirale en est
encore à ses débuts. Dans ces systèmes, les teneurs en azote sont encore très faibles et la
quantité de matériaux lignifiés, difficilement décomposables, est à son maximum.
Dans les systèmes de lignine, une grande partie de la matière organique produite par
la végétation est accumulée sous différentes formes composites, comme l’humus. L’humus
possède une fonction de « colle » qui unit les grains d’argile, de sable et de limon14, formant
de petites boules de terre mêlée à la matière organique. Ces boules sont arrondies et ne
s’encastrent donc pas bien entre elles, laissant des espaces creux à l’intérieur du sol.
Ces espaces dans le sol se joignent aux petits chemins ouverts par les êtres vivants et
les racines, transformant peu à peu le sol en une éponge où peuvent circuler l’air et l’eau. Cela
peut permettre à l’eau de rester disponibles pour les microbes, les animaux et la végétation
durant de nombreux jours sans pluie. La matière organique colle les nutriments présents dans
13 La lignine est un des principaux composants du bois. 14 Un limon est une formation sédimentaire dont les grains sont de taille intermédiaire entre les argiles et les
sables c'est-à-dire entre 2 et 50 micromètres.
43
le sol avec une intensité parfaite : assez pour qu’ils ne soient pas lessivés par l’eau de pluie
mais pas trop afin que la végétation puisse les absorber.
Les photos ci-dessus montrent respectivement les espèces Guanxuma, Carqueja et Sapé, espèces
typiquement génératrices de placenta. Ensuite, le Bracatinga et l’Embaúba-branca qui sont des
arbres pionniers. Toutes ces espèces sont liées à des systèmes relativement au début du chemin
en spirale de la succession végétale. Les espèces constituant ces systèmes varient beaucoup entre
chaque biome différent.
Les systèmes qui succèdent aux systèmes de lignine possèdent des teneurs en azote et
lignine intermédiaires dans leur végétation. Dans ces systèmes la vie a déjà commencé à se
structurer de façon suffisante à ce que les augmentations modérées de la respiration résultent
en de grandes augmentations de la photosynthèse, portant la quantité de matière organique
à ses niveaux les plus élevés. Ernst Götsch nomma ces systèmes les « systèmes
d’accumulation », car ils sont spécialisés pour accumuler de façon la plus rapide la matière
organique.
44
Après les systèmes d’accumulation, viennent les « systèmes d’abondance15 », où les
teneurs en azote et l’efficacité de la photosynthèse se rapprochent de leurs maximums
possibles. Les endroits où sont prépondérants les systèmes d’abondance en sont arrivés là
grâce à un grand nombre de rénovations. Il existe des lieux, généralement en bordure de
fleuves et proches de montagnes, dans lesquels le passage d’éventuels vents violents ou crues
déracinent les vieux arbres ayant déjà réalisé leurs fonctions, accélérant ainsi les processus de
rénovation. Le bois de ces milieux sont généralement plus mous et les branches tombent plus
facilement, favorisant encore plus l’apparition d’événements de rénovation.
Les paragraphes précédents montrent à quel point les organismes forestiers sont régis
par une infinie intelligence, dosant la croissance des êtres vivants grâce au contrôle des
teneurs en azote de la matière organique et du sol. Dans l’évolution d’un organisme forestier,
il n’y a généralement pas de système majoritaire sur tout le territoire occupé par la forêt, mais
il peut exister des tronçons où prédominent un système en particulier.
Les roches les moins lavées et érodées par la pluie, qui possèdent encore une
constitution riche et proche du magma originel, rendent plus rapide l’accession aux systèmes
d’abondance. Dans les endroits où le sol fut engendré par des roches déjà très lavées par le
passé, l’utilisation de poudre de roche de nature volcanique (basaltique) peut permettre de
pallier les faiblesses du lieu. Un relief peu accidenté et principalement en forme de bassin, qui
facilite l’accumulation du sol et de la matière organique, est plus emprunt à suivre une
évolution rapide, au contraire des collines et des monts où l’inclinaison favorise le
ruissèlement de l’eau, contraire à l’accumulation.
Les processus de rénovation qui permettent
d’atteindre les systèmes d’abondance peuvent être
très largement accélérés grâce à la pratique de
l’élagage : qu’il soit permanent comme dans les
systèmes agroforestiers intensément cultivés, ou
qu’il suive des cycles de 5, 10, 20, 50 ou 100 ans. Pour
qu’un système gagne plus vite en fertilité, il est
important que se manifestent des perturbations. Elles
peuvent être totales et prendre la forme
d’événement climatiques violents (ouragans,
éclairs…) et créer des chablis (clairières), dans ce cas
les arbres les moins adaptés ou en moins bonne santé
laisseront ainsi place à d’autres plus efficaces, tout en
les nourrissant de leur matière morte. On parle alors
de rénovation. Les perturbations peuvent aussi être
partielles et ne concerner qu’un ou peu d’individus.
15 Ernst a choisi le terme abondance car en latin, abundancia vient du verbe déborder. Le système d’abondance déborde de vie et de fertilité sur les zones environnantes. Les espèces apparaissant dans ce système sont donc vouées à « exporter » cette vie vers d’autre systèmes moins avancés et plus pauvres. C’est typiquement un des rôles des grands animaux qui consomment les aliments dans un système d’abondance et les redépose dans un autre grâce à leurs excréments.
45
Elles sont provoquées par des animaux de grand port comme l’éléphant ou même des plantes
grimpantes comme le lierre. Là aussi ces perturbations peuvent permettre de retirer un
individu peu efficace de l’organisme, mais elles peuvent aussi stimuler la croissance d’un
individu : un arbre bien élagué peut atteindre une bien meilleure santé. Nous pouvons
reproduire ces processus grâce à un élagage plus ou moins radical, choisir de rénover un
système, ou bien de seulement perturber le système.
Ce principe de rénovation partielle ou totale est fondamental dans la pratique
agroforestière agroécologique. Il fut historiquement utilisé dans l’agriculture traditionnelle
pratiquée par les quilombolas et d’autres populations anciennes qui basaient leurs pratiques
sur le repos de la terre afin de recomposer sa fertilité : un des exemples connus est
l’agriculture sur brûlis. C’est en usant de ce genre de techniques que les indigènes générèrent
ce que l’on appelle aujourd’hui le phénomène de « terre noire des indiens ». Dans ces sols,
encore présents en Amazonie, la matière organique est prédominante, en couches qui
peuvent atteindre une profondeur supérieure à deux mètres. Plusieurs études ont démontré
que ces sols ont été produits par l’action des peuples indigènes.
Quand toute la végétation d’une clairière est abattue, une fraction de la matière
organique est alors consumée par la respiration des êtres vivants. Cependant, la majeure
partie finit aussi par retourner dans le sol grâce au bois mort qui reste à la surface et qui sera
lentement digéré. Le processus de succession se reproduira dans la clairière à un niveau de
fertilité supérieur au précédent, s’il n’est pas entravé.
Pratiques agroforestières ; La photo du paragraphe précédent montre l’élagage intensif d’un
eucalyptus et la photo ci-dessus la rénovation d’une parcelle en agroforesterie.
46
Ce niveau de fertilité supérieur permet à des espèces plus exigeantes de se développer,
capables de produire plus de matière organique, à tous les niveaux, du placenta aux arbres
climax. Ainsi, lors de ce nouveau stade de la succession, plus de matière organique pourra être
accumulée et se sommera à la matière organique qui ne fut pas complètement consommée
lors du stade antérieur.
Cet usage savant et modéré des processus de rénovation permit aux peuples natifs
d’Amérique de laisser un héritage de terres hautement fertiles, et des systèmes agroforestiers
dotés d’une majestueuse biodiversité. Ces systèmes étaient tellement bien intégrés aux
processus naturels que les colons portugais n’arrivèrent même pas à concevoir qu’il s’agissait
de parcelles cultivées par les peuples indigènes, et non des forêts vierges. Déjà les premiers
rapports écrits par les colons sur le Brésil racontent à tort que les indigènes ne cultivaient pas
la terre. Pourtant, Pero Vaz de Caminha16 écrit à propos de « cette igname qui se retrouve
partout », cette igname n’était pas une espèce sauvage mais bien une plante sélectionnée
durant de nombreuses générations, une plante qui, sans le travail et l’expérience des peuples
indigènes n’auraient jamais pu produire autant…
7.3. Concepts de stratification et d’étages de la Succession Naturelle
La stratification est un processus par lequel les organismes forestiers s’organisent en
étages à chaque stade de la succession naturelle, afin que chaque espèce puisse capturer en
collaboration avec les autres le maximum d’énergie solaire arrivant au sol.
La strate d’une plante est l’étage que sa partie aérienne (feuillage) occupe dans
l’organisme forestier et le stade de la succession auquel elle appartient. Par exemple, si un
arbre est de la strate haute et du stade climax, il occupera l’étage supérieur de l’organisme
forestier lorsque l’organisme atteindra le stade climax. Si un arbre est une espèce de la strate
moyenne du stade secondaire, il occupera l’étage moyen de l’organisme forestier lors du stade
secondaire de la succession, etc.
16 Pero Vaz de Caminha est un écrivain portugais, connu par ses fonctions de secrétaire de l'escadre de Pedro Álvares Cabral, « le découvreur du Brésil », en l’année 1500.
47
Ainsi, la pratique agroforestière consiste, par exemple, à permettre grâce à l’élagage à
une espèce climax de la strate moyenne d’occuper l’étage moyen du système, précédemment
occupé par une espèce secondaire elle aussi de strate moyenne. Le but étant bien sûr de
réaliser ce travail au bon moment, quand l’espèce secondaire a déjà réalisé son travail et que
le système a atteint le stade climax.
On peut observer que les arbres de la strate haute forment une canopée bien plus
éloignée du reste du système que les strates inférieures. De cette manière, plus la strate est
haute, plus elle laisse passer de lumière aux strates inférieures. Ernst Götsch, afin de vulgariser
son observation des processus naturels dans le but de les adapter à la pratique agroforestière,
a estimé que la strate émergente (la plus haute) laisse passer 80% de la lumière qu’elle reçoit,
la strate haute 60%, la strate moyenne 40% et la strate basse 20%.
Il faut être prudent quand on souhaite utiliser les classifications technico-scientifiques
standards des végétaux car elles ne prennent pas toujours en compte les mêmes bases que
celles décrites ici : système de succession (colonisation, accumulation, abondance), place dans
la succession (espèce pionnière, secondaire initiale-moyenne-tardive, climax) et stratification
(étage bas, moyen, haut et émergent). Cela ne doit cependant pas être un frein car il est
important de pouvoir profiter de l’immense connaissance écologique cataloguée dans ces
classifications.
Il est important de noter qu’il existe des écosystèmes de toutes les hauteurs. Cela a
pour cause les différents facteurs environnementaux limitant la croissance des arbres, le plus
souvent le climat et le type de sol. Il est normal de rencontrer des espèces de la strate haute
d’une forêt haute de taille plus petite que des espèces de la strate moyenne d’une forêt plus
basse. Pour donner un exemple parmi les espèces les plus connues, on peut citer l’acerola et
l’avocatier. L’acerola est une espèce de la strate haute car il occupe l’étage haut dans son
écosystème d’origine. L’avocatier est, lui, une espèce de la strate moyenne, pourtant, il est
fréquent de rencontrer des acerolas plus petits que les avocatiers. Ceci vient du fait que la
forêt dont est originaire l’acerola atteint une hauteur inférieure à la forêt dont est originaire
l’avocatier. Or un acerola ne se développera jamais bien s’il se retrouve en dessous d’espèces
de strates inférieures à la sienne, dans le cas présent, l’avocatier. Une telle association sera
néfaste à la croissance de l’acerola.
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Schéma de synthèse réalisés par l’Association Française d’Agroforesterie, tirés d’une traduction de
documents de l’association Life in Syntropy. On peut y voir les différents principes abordés
précédemment, appliqués à des espèces du climat méditerranéen.
49
7.4. Systèmes de lignines
Quand les terres sont abandonnées aux bras de la Nature nues, dures, pauvres, sèches
et craquelées afin qu’elles se reposent, les premières espèces à apparaître sont des herbes et
de petits arbustes, capables de grandir et résister dans les pires conditions. Peu de temps
après, grâce à la matière organique et l’ombre que ces premières espèces génèrent, vont
commencer à pousser des arbres pionniers, secondaires puis finalement climax. Toute cette
végétation produira de la matière organique dure et rêche, venant du fait que les teneurs en
azote sont faibles comparées à la grande quantité de matières difficilement digérables par les
organismes du sol, comme les lignines.
Le manque de conditions favorables ne laisse alors se développer qu’une faible variété
d’animaux et de microorganismes, capables de résister eux aussi aux mauvaises conditions
présentes dans le sol et à l’air libre. Ces êtres ne digèrent et ne profitent que d’une petite
partie des aliments qu’ils consomment. La majeure partie de ces aliments est modifiées et
rejetées sous la forme d’excréments, qui devient alors une réserve grandissante d’aliments
riches en énergie, ainsi qu’une colle qui va permettre aux grains du sol d’adhérer entre eux,
structurant ainsi la terre.
Exemple de système de lignine avec des espèces adaptées à l’aridité et l’inhospitalité du milieu.
7.5. Crises de vieillissement de l’Organisme Planète Terre
Les espèces pionnières ont une vie plus courte que celles qui ont besoin de leur ombre
pour grandir. Les espèces pionnières se développant dans les terres très pauvres ont une vie
encore plus courte. Quand elles vieillissent, leurs feuilles perdent le verre de la chlorophylle
et jaunissent, rendant impossible la captation de l’énergie solaire pour la transformer en
aliments. Il arrive alors un moment où elles ne peuvent même plus capter assez de lumière
50
pour réaliser les tâches indispensables à sa survie et son rôle à l’intérieur de l’organisme
forestier, comme produire de la matière organique, tirer l’eau du sol, capter et rendre
disponibles les nutriments coincés dans les profondeurs du sol…
Quand ce moment arrive et que les espèces qui réalisent les tâches les plus
importantes de l’organisme forestier entrent en décrépitude, tout le système perd lui aussi en
vigueur. Il se produit alors la décadence globale de l’organisme, car les racines des arbres sont
toutes entrelacées en réseau dans les entrailles de la terre, échangeant nutriments et
informations, formant ainsi un organe unique : les racines de la forêt. Ainsi, le vieillissement
ou la régénération d’une ou plusieurs plantes participe au vieillissement ou à la régénération
de l’organisme forestier entier. De cet organe géant appelé « racines de la forêt » font aussi
partie activement les êtres qui vivent dans le sol. Ces considérations nous montrent à quel
point il est important de veiller à maintenir les plantes d’un SAF agroécologique toujours
jeunes et vertes grâce à l’élagage, la récolte et l’extraction des individus les plus vieux. Ceci
nous a été démontré de nombreuses fois par la pratique et par le récit de beaucoup de familles
de producteurs.
Les espèces secondaires et climax vieillissent aussi, rendant fondamentaux les
processus de rénovation partielle (quand seulement un individu est substitué) et de
rénovation totale (décrite dans le prochain chapitre) afin de poursuivre le parcours de la
succession naturelle.
Images relatives aux mycorhizes, champignons vivant en synergie avec les racines de la végétation.
Entre autres, elles permettent d’agrandir le volume de sol accessibles par les racines des plantes,
dissolvent et captent des nutriments et de l’eau, et participent à l’échange constant de nutriments
et d’information entre toute la communauté.
51
7.6. Libérer de l’espace, des nutriments et de l’énergie pour l’éternelle
renaissance de la vie : l’apparition d’une clairière
Quand une rafale de vent déracine les arbres les plus vieux dans la forêt, entraînant
d’autres arbres liés à eux par des lianes, s’ouvre alors une clairière. Certaines espèces
bourgeonnent de nouveau et d’autres non. Pour celles qui ne renaissent pas, toutes leurs
racines meurent ; celles qui rebourgeonnent se débarrassent d’une grande partie de leurs
racines les plus fines (les radicelles) chargées d’absorber l’eau et les nutriments, car sans
feuilles pour capter de l’énergie, il faut réduire le nombre de racines à alimenter. Ainsi, dans
les clairières se forme toujours une grande quantité de racines mortes. Cette quantité varie
en fonction de l’espèce et du milieu. En règle générale, le poids total des racines d’un arbre
est proportionnel au poids de son feuillage. A mesure que la vie du sol va s’alimenter de ces
racines mortes vont se créer des tunnels structurant la terre, laissant entrer l’air, l’eau, les
animaux et les racines de nouvelles plantes.
Les feuilles et le bois mort vont recouvrir le sol, maintenant une forte humidité et
protégeant les agglomérats de terre et de matière organique du poids des gouttes de pluie.
Grâce à ces agglomérats, les grains de terre sont bien collés entre eux et ne peuvent ainsi
disparaître en se dissolvant dans l’eau. La matière organique qui reste au sol empêche l’eau
de prendre de la vitesse en s’écoulant, même dans les endroits les plus inclinés. De cette
manière, il n’apparaît quasiment pas d’érosion, phénomène classique dans les zones
découvertes, et responsable majoritairement de la perte de la terre la plus fertile du milieu,
qui s’en va remplir les rivières.
De plus, la température au sol des clairières se met à augmenter grâce à l’entrée des
rayons du soleil, provoquant ainsi la germination d’une grande quantité de graines qui étaient
justement en train d’attendre patiemment l’arrivée de cette chaleur.
Une petite partie de la matière organique sera recyclée sous la forme de composés
organiques qui apportent une forte santé à la végétation et à la vie des sols. La majeure partie
52
sera consommée durant les processus de digestion et respiration des êtres vivants,
fournissant énergie, minéraux et carbone, essentiels pour la croissance de la végétation et des
autres êtres vivants. Grâce à ce processus, une grande quantité de nutriments qui étaient
présents dans le sol sont libérés.
Une partie importante de la matière organique sera intégrée à l’intérieur du sol, le
rendant plus souple et poreux, et servant aussi de réserve d’énergie et de nutriments mise à
disposition de manière lente pour les êtres vivants.
Mais pour que tous ces processus se réalisent rapidement et finissent par refermer à
nouveau la clairière ouverte, les êtres habitant les sols ont besoin de beaucoup d’énergie.
C’est pour cela qu’au début d’une phase de rénovation, l’organisme forestier se met à
produire une matière organique plus riche en azote, et pauvre en composés dont les
nombreuses liaisons chimiques les rendent difficiles à digérer, tels que la lignine. Lorsque cette
fonction de rénovation est effectuée grâce notamment à la consommation d’une partie de
l’énergie accumulée lors du stade antérieure de succession, les organismes forestiers se
remettent à produire une matière organique riche en lignine, plus difficilement digérable,
comme le bois. Cette nouvelle matière organique, sera en grande partie accumulée à son tour
pour être ensuite partiellement mise à disposition dans le futur, rendant possible la nouvelle
vie de l’organisme forestier, toujours plus abondante et active à chaque stade du parcours en
spiral de la succession naturelle.
Dans la pratique agroforestière, juste après un élagage de rénovation, la matière
organique est consommée et transformée rapidement. Afin que la Nature continue à aller de
l’avant sur le parcours de succession, il est important que les excellentes conditions soient
parfaitement exploitées, depuis le début, pour une croissance forte de la nouvelle végétation.
Cette végétation se doit d’être bien diversifiée et doit former le plus tôt possible plusieurs
53
étages afin que la production de feuilles, branches et bois soit maximales et supérieures à
avant l’élagage effectué.
Cependant, si pour n’importe quelle raison ces processus venaient à être empêchés ou
ralentis, l’organisme forestier continuerait à digérer et respirer plus qu’à réaliser la
photosynthèse. En conséquence, il se produira une perte croissante en minéraux et matière
organique qui structurent le sol. Les organismes forestiers ont des moyens pour éviter cela, et
permettre à la renaissance de se produire plus loin dans le futur, dans de meilleures
conditions. Ils se servent de l’acidification des sols. L’acidité fait que les minéraux se mettent
à adhérer énormément aux argiles du sol, les rendant insolubles dans l’eau. De cette manière
ils ne pourront pas disparaître, lessivés et emportés par l’eau de pluie, mais ils restent alors
indisponibles pour la majeure partie de la végétation et des êtres vivants.17
7.7. La fonction essentielle des « Agents Rénovateurs »
Toutes les rénovations opérées par la Nature ne sont pas toujours réalisées de manière
aussi totale que la formation de clairières. La plupart du temps, seul le travail des agents
rénovateurs suffit afin que la Nature puisse passer le pas et continuer son parcours.
Les agents rénovateurs sont des animaux et des microbes qui ont pour fonction de
retirer du système tout ce qui ne contribue pas au bien être de tous et à la poursuite du
parcours vers l’abondance. De cette manière, ils sont de véritables catalyseurs des processus
naturels. La fonction des agents rénovateurs est, de nos jours, très mal interprétée. Ainsi, ces
êtres extraordinaires, que l’on nomme aujourd’hui « nuisibles » ou « ravageurs » sont
généralement combattus avec férocité.
Quand les plantes et les arbres ne grandissent pas dans les meilleures conditions et
qu’ils ne reçoivent pas ce dont ils ont besoin, le développement de leur corps est incomplet
et les parties qui le composent sont mal assemblées. Techniquement parlant, ces plantes ne
réussissent pas à synthétiser leurs protéines correctement, elles deviennent très peu efficaces
pour les former. Ainsi, les molécules qui composent ces protéines, les aminoacides, faute
d’être assemblés en protéines, se retrouvent en excès et finissent par se dissoudre avec les
sucres dans la sève. Seule une plante dans cette situation peut devenir un aliment pour un
agent rénovateur. En effet, ces êtres ne
disposent pas d’un système digestif très
sophistiqué et ils sont incapables de séparer les
protéines en aminoacides, il leur manque ces
« ciseaux chimiques » que l’on appelle les
enzymes pour réaliser ce travail. Pour cela, les
plantes saines sont indigestes pour les agents
rénovateurs. Pour qu’ils puissent survivre et se
reproduire ils ont besoin de trouver des plantes
malades, dont les sèves sont gorgées d’aminoacides et de sucres qui devraient normalement
17 Ce phénomène de création de clairière est appelé « chablis » dans le jargon forestier français. Voici une petite vidéo en français en expliquant aussi les grandes lignes : https://www.youtube.com/watch?v=nmFA9OlfxzY
54
faire partie de leurs tissus végétaux. On ne voit d’ailleurs aucune plante saine attaquée par
des « ravageurs » dans la forêt, seules les plantes malades ou vieilles ainsi que les feuilles
mortes leur servent d’aliments.
Cette fonction organique des agents rénovateurs est ce qui les rend importants dans le
système, et ce pourquoi il nous faut les observer et apprendre d’eux plutôt que de les chasser.
Ils retirent du milieu les plantes qui sont le moins bien adaptées, qui ne sont pas dans les
conditions adéquates pour se développer de façon saine et ainsi participer activement au
parcours vers l’abondance. C’est pour cela qu’on observe parfois des lignes entières de
fourmis faire de grandes randonnées pour aller couper une espèce de plante dont on peut
pourtant trouver des individus juste à côté de leur colonie. Dans ce cas-ci, il est fort probable
que les individus de cette espèce se trouvant proches de la colonie profitent de conditions
plus adaptées à leur développement, sont donc plus saines et ne conviennent pas comme
aliment pour les fourmis, les plus grands agents rénovateurs de la Nature. Les fourmis sont de
véritables architectes de la Nature.
Selon les situations, il est parfois nécessaire pour le développement des organismes
forestiers que les agents rénovateurs s’occupent de retirer un arbre entier, ou alors une simple
branche, qui empêchait la croissance d’une espèce faisant partie d’un stade plus avancé du
parcours en spirale de la succession végétale. Par exemple, il peut être nécessaire de retirer
un arbre pionnier qui procurait auparavant une ombre bienvenue pour la croissance d’une
espèce secondaire mais qui, maintenant que cette espèce est plus âgée, l’empêche de recevoir
la quantité de lumière suffisante pour se développer pleinement. Ainsi, les organismes
forestiers sont souvent amenés à se servir des agents rénovateurs, comme les fourmis, les
coléoptères ou les chenilles, pour corriger des erreurs.
Comprendre cette fonction essentielle des agents rénovateurs peut nous permettre
de voir les choses sous un autre angle et tirer certaines conclusions sur la pratique intensive
de l’agriculture artificielle aujourd’hui, et l’effet des produits chimiques sur les plantes.
Pourquoi, constate-t-on des populations de ravageurs toujours plus élevées dans les champs ?
Cet indicateur, mal interprété, pousse l’agriculteur à utiliser toujours plus de pesticides pour
se débarrasser de ces nuisibles. Cependant, il entre alors dans un cercle vicieux et ne traite
pour ainsi dire qu’un symptôme sans réellement percevoir la cause…
Les plantes traitées en conventionnel, subissant l’usage intensif de fertilisants de
synthèse sont en réalité dans un tel état de décrépitude que les agents rénovateurs y sont
absolument attirés. Une plante recevant des fertilisants chimiques n’est en réalité pas du tout
55
dans les meilleures conditions pour son développement, ces composés chimiques lui sont
extrêmement difficiles à digérer. Ainsi, pour réussir à les décomposer elle utilise beaucoup
d’énergie, de plus, comme ces composés contiennent beaucoup d’éléments toxiques pour
elle, la plante se doit ensuite de les éliminer, processus de détoxification qui consomme
encore plus d’énergie. Ce laborieux travail préliminaire laisse la plante avec une réserve
d’énergie très basse pour réaliser les cycles organiques qui lui permettent finalement, de
synthétiser les protéines nécessaires à sa survie. Elles se retrouvent alors dans le même cas
que les plantes dont on a parlé plus haut, incapables d’associer correctement les aminoacides
en protéines et donc avec une sève gorgée de ces aminoacides, les aliments des agents
rénovateurs. Une plante nourrie aux fertilisants chimiques est en fait moribonde, sa couleur
verte n’étant qu’un maquillage masquant sa situation critique18.
7.8. Les systèmes d’accumulation
C’est au sein de ce système, de ce niveau de fertilité, que les organismes forestiers
atteignent leur vitesse de création et d’accumulation maximum de la matière organique. Alors
qu’une plus grande quantité de vie va se structurer, la disponibilisation croissante d’énergie
et de nutriments, qui se produit parallèlement à la production d’une matière organique de
plus en plus riche en azote, va résulter en une augmentation de la photosynthèse supérieure
à la respiration.
C’est ainsi que va s’intensifier la croissance d’herbes et d’arbres plus grands et plus
variés qui produiront des tissus végétaux de plus en plus tendres et succulents. Ces espèces
vont pouvoir générer plus de matière en utilisant de moins en moins de matière organique
par kilo de matière digérée, et ainsi la matière organique va s’accumuler rapidement dans les
sols du système.
Cependant, si les conditions des sols et de la vie en général n’ont pas encore atteint le
niveau adéquat, s’ils ne sont pas encore capables de générer cet excès d’énergie et de
nutriments, la production de matière organique plus riche en azote provoquera une
diminution, et non une augmentation, de la matière organique totale du sol. C’est à cause de
ce phénomène que certaines études agronomiques ont déjà détecté des quantités de matière
organique totale décroissantes dans un sol après culture et incorporation de couverts
végétaux à haute teneur en azote. Dans ce cas en particulier, si l’ascension en spirale de la
succession naturelle avait été mieux comprise, il aurait été cultivé des espèces qui produisent
une matière organique pauvre en azote et plus riche en carbone comme les herbacées. De
plus, il aurait fallu tondre et laisser en surface ce couvert et non l’incorporer dans le sol.
Plus nous arriverons à comprendre ce type de phénomène, plus nous parviendront à
nous rendre compte que les espèces qui apparaissent naturellement sont toujours les plus
efficaces, étant sélectionnées avec soin par les organismes forestiers afin de faciliter
18 Pour aller plus loin, lire le livre « Les plantes malades des pesticides », écrit par Francis Chaboussou, directeur de recherche à l’INRA, où il y développe la théorie de la Trophobiose qui peut être résumée par la phrase : « un nuisible meurt de faim sur une plante saine ».
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l’ascension du système vers des niveaux plus élevés de fertilité, de richesse et de diversité de
la vie.
Les espèces adaptées aux conditions les plus adverses sont souvent spécialisées pour
survivre dans un type d’environnement hostile et, généralement, elles sont peu efficaces pour
réaliser leurs fonctions dans des stades de fertilité plus élevés, elles disparaissent donc dans
les systèmes plus avancés. Parfois, des espèces peuvent parvenir à demeurer dans un système
qui passe au niveau supérieur. Dans ces cas-là, grâce à divers facteurs comme la plus grande
disponibilité d’eau et d’azote, ces espèces vont se mettre à produire des feuilles plus épaisses
et humides, riches en azote.
7.9. Les clairières du système d’abondance : le milieu parfait pour nos
cultures
Dans les systèmes d’abondances, la vie est déjà tellement riche que l’accumulation de
matière organique n’est plus une priorité pour les organismes forestiers. Afin de mieux réaliser
leur fonction globale au sein de l’organisme Planète Terre, ces organismes forestiers vont se
mettre à déborder, exportant leur matière organique à d’autres endroits.
Dans ces stades de haute fertilité, les plantes produisent des feuilles épaisses et
humides et de grandes quantités de fruits variés, plus gros, plus savoureux et aux parfums plus
intenses. Ils favorisent l’apparition et attirent une grande diversité d’animaux qui vont manger
ces fruits et éparpiller leurs graines dans les endroits où elles pourront au mieux se développer
et participer à l’ascension de la vie. Ainsi la vie à l’intérieur et au-dessus du sol atteint une
quantité et une diversité sans précédent.
C’est à l’intérieur des clairières des étapes les plus avancées de la succession naturelle
végétale que l’on retrouve les conditions les plus parfaites pour le développement de nos
cultures. Ce sont les lieux naturels où l’on retrouve les plantes les plus proches de nos cultures.
C’est pourquoi chercher à rapprocher les conditions de nos champs aux conditions des
meilleures clairières est à la base de la préparation et de la manutention des SAFs
agroécologiques.
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58
8. Reprendre notre place dans la vie de l’organisme Planète Terre
« Je me suis tout de suite rendu compte que le projet commençait à avoir une volonté
propre. Et cela m’a rendu heureux de pouvoir participer à l’histoire de ce moment, même
face à toutes les difficultés que nous avons rencontrées, je n’ai jamais eu envie de laisser
tomber. J’avais la conviction que c’était l’apprentissage d’une vie. Nous devons
réapprendre ce que nous avons oublié. Quand je dis ‘nous’, je parle de l’humanité. La
Terre ne parvient plus à supporter toutes les agressions que nous autres humains nous
lui faisons subir. » (Pedro, Cooperafloresta)
Aujourd’hui, l’idée prédominante est qu’il est nécessaire de retirer les arbres d’une
parcelle pour réaliser une agriculture performante et productive. Dans ce contexte, ramener
les arbres dans les champs est déjà un grand pas en avant vers la durabilité de l’organisme
Planète Terre et de l’agriculture. Mais pour atteindre des systèmes de production auto-
suffisants, nous devons aller encore plus loin. Nous devons apprendre à reconnaitre et
coopérer avec les processus naturels qui rendent les sols fertiles et productifs.
C’est pour cela que, jusqu’à présent, l’objectif principal de ce livre a été de renforcer
notre foi dans l’importance de préserver et renforcer les processus naturels. Cet ouvrage aura
déjà rempli un grand rôle s’il a réussi à stimuler la curiosité et la réflexion à propos des grandes
thématiques abordées jusque-là.
A partir de ce chapitre 8, nous allons plus loin, présentant certaines techniques,
stratégies et méthodologies pédagogiques permettant de transformer une agriculture
artificielle menée même dans les milieux les plus désertiques et soutenue uniquement par la
dépendance lourde à l’industrie chimique, en une agriculture supportée par les processus
naturels.
Afin que cette transformation puisse se réaliser de la meilleure façon et le plus
rapidement possible, il est indispensable de promouvoir les échanges humains entre les
producteurs et autres acteurs autour de la connaissance, des expériences, de la stratégie et
des méthodologies, comme il en fut le cas pour le Projet Agroflorestar. Le développement du
projet fut particulièrement facilité par la bonne organisation déjà existante parmi les
producteurs et la conscience de ceux-ci qu’il est indispensable de partager les expériences de
chacun.
Nous allons donc décrire les étapes méthodologiques qui nous ont permis de
développer le projet dans les communautés de la Lapa (état du Paraná) et de Mario Lago, à
Ribeirão Preto (état de São Paulo). De cette manière nous espérons que cela donnera la
volonté au lecteur de connaitre et de reproduire ces processus, ou d’autres de même
importance.
Il ne faut pas oublier que rien ne remplace la pratique, comme par exemple quand les
communautés paysannes commencent à maitriser les principes et les techniques enseignées
et commencent à les modifier et les reformuler, puis les enseigner à leur tour à d’autres qui
les reformuleront… C’est une histoire qui ne connait pas de fin.
59
9. La construction de la pratique de l’agroforesterie dans les
communautés rurales de Mario Lago à Ribeirão Preto (état de São
Paulo) et de Contestado à Lapa (état du Paraná)
« Un grand nombre de personnes nous ont accompagné, ont sensibilisé le gouvernement
et ont cru dans ce projet. Nous avons recherché un autre chemin. Notre communauté est
proche d’une zone de recharge et d’affleurement de l’Aquifère Guarani, il faut donc plus
que jamais faire attention à la manière de produire, pour ne pas contaminer ces réserves
précieuses d’eau pure, dont dépendent complètement la ville de Ribeirão Preto. La
qualité de vie de ceux vivant dans les villes dépend de la campagne. La production d’une
diversité d’aliments sains, les relations sociales refusant le travail esclave et la
déforestation. Sans les forêts aucun projet ne pourra nous sauver du manque d’eau dans
les centres urbains. » (Kelli, agricultrice et multiplicatrice)
9.1. Contexte et défis
Depuis le début du projet, le plus grand défi de ses acteurs a été d’adapter, de créer et
de réorganiser les techniques agroforestières, en prenant comme point de départ l’expérience
agroforestière de la Cooperafloresta et l’histoire de l’agroécologie dans les communautés
paysannes. Réussir ce défi est fondamental pour la réplication de l’agroforesterie
agroécologique dans différentes régions, biomes et contextes socioéconomiques.
Ce défi fut relevé en particulier par les familles d’agriculteurs des communautés
Contestado (Lapa, état du Paraná) et Mario Lago (Ribeirão Preto, état de São Paulo). Ces deux
communautés, depuis leur lutte pour obtenir la terre, ont été créées par les familles
paysannes avec pour but de devenir des références en agroécologie et en agroforesterie.
L’histoire de cette lutte et de ces conquêtes commença cependant bien avant les moments
décrits dans ce livre.
Dans ces deux communautés, les familles et leur réseau d’organisations nationales et
internationales ont construit des écoles d’agroécologie et ont formé des personnes de bien
d’autres endroits du Brésil et de pays voisins. On peut énoncer ici l’Ecole Latino-Américaine
d’Agroécologie (ELLA) dans la communauté Contestado, et le Centre de Formation Socio-
Agricole Dom Hélder Câmara à Mario Lago. Dans ces écoles étudient des jeunes du Brésil et
de toute l’Amérique Latine, en particulier des enfants d’agriculteurs. Regroupant la pratique
et les grands principes d’enseignement, ces écoles permettent de raccourcir le chemin de la
réplication des SAFs agroécologiques par-delà le monde entier.
« J’ai étudié la Réforme Agraire par le passé, j’aimerais aujourd’hui voir naître une
Réforme Agraire Agroforestière. » (Monica, doctorante en géographie)
Pour réussir l’adaptation des techniques agroforestières dans ces communautés, il a
été important d’identifier les trois grandes différences entre la région de la Cooperafloresta
et la région de chacune d’elles : différences écologiques, de relief et des pratiques agricoles
traditionnelles.
Concernant le contexte écologique il est important de noter : la région de la Vale do
Ribeira fait partie de l’écosystème forestier très ombragé et dense de la Forêt Atlantique, avec
60
des températures élevées, beaucoup de pluie, une forte humidité et une structure forestière
très diversifiée. Dans la communauté Contestado, faisant partie de l’écosystème des Forêts
d’Araucárias (aussi du biome de la Forêt Atlantique), il pleut moins et les températures sont
bien plus froides (il se produit fréquemment des gelées), la structure forestière est aussi moins
stratifiée. La communauté de Mario Lago fait partie du biome Cerrado, avec une végétation
native très différente de la Forêt Atlantique et un climat bien plus sec. Son sol provient de
roches avec un plus grand potentiel de fertilité naturelle que celles de la Vale do Ribeira,
cependant ce sol a été fortement dégradé par la culture de la canne à sucre, implantée il y a
des décennies de cela, avant l’arrivée des familles formant aujourd’hui la communauté. Ainsi,
le développement de la pratique agroforestière au cœur même d’une région marquée par
l’agro négoce de l’état de São Paulo représente une adéquation de l’agriculture comme
processus productif avec une forme de récupération écologique du Cerrado.
Concernant le relief, il est important de noter la présence de hautes collines dans le
Nord de la Vale do Ribeira. Dans cette région, il est très rare de pouvoir évoluer sur terrain
plat sur plus d’une dizaine de mètres. Les variations d’altitude sont très grandes sur de petits
espaces car les collines sont entrecoupées de nombreux fleuves et rivières. Que ce soit dans
la communauté Contestado que dans celle de Mario Lago, le relief est moins accidenté avec
de faibles ondulations, sauf quelques exceptions. Ces deux communautés sont sur des
plateaux et plus éloignées de la mer que le Nord de la Vale do Ribeira.
Les différences écologiques se reflètent dans les différentes manières de cultiver, qui
sont aussi influencée par les contextes culturels et sociaux des groupes d’agriculteurs.
Dans le Nord de la Vale do Ribeira, la mécanisation est bien moins présente : il est
compliqué de manipuler des machines, et leur utilité ne justifie pas l’investissement requis.
D’un autre côté, l’utilisation de l’agroforesterie en sous-bois est historique dans cette région,
usant de ses processus naturels de régénération, avec des sols couverts et une pression
superficielle d’adventices. Dans ces conditions, l’usage de machines agricoles n’est pas
forcément économiquement viable.
Les sols où ont été installés les systèmes agroforestiers n’étaient pas occupés par un
couvert forestier, et ne présentaient pas un environnement particulièrement favorable pour
les cultures. Dans cette situation, il a été nécessaire d’améliorer les sols par un chaulage, une
fertilisation et un travail du sol réalisé grâce à des machines agricoles, de manière adaptée aux
principes de l’agroforesterie. Un autre aspect à noter est que, dans le contexte de la
communauté Mario Lago, le climat particulièrement sec rendait plus périlleux que dans les 2
autres régions la mise en place d’une agriculture sans irrigation.
61
9.2. Maintenir le sol couvert, le meilleur commencement
La technique qui a montré les meilleurs résultats est le fait de couvrir le sol. Certaines
familles qui ne faisaient pas partie du Projet Agroflorestar, voyant les résultats positifs des
participants, ont aussi adopté cette méthode. Cependant, le manque de matière organique,
de connaissance et d’expériences pousse souvent, au début, à couvrir seulement légèrement
les lignes de culture.
Ci-dessus deux photos de lignes de culture faiblement couvertes
La pratique de l’agroforesterie est un apprentissage continu de la Nature. La sagesse
que l’on peut observer se manifester dans la Nature est immense. Par exemple, les animaux
construisent des nids pour protéger leurs petits. Ils nous enseignent que la façon de modeler
la matière organique dans nos lignes de culture. L’idéal est de placer la matière organique
toujours un peu plus haut sur les bords des lignes qu’au centre, formant ainsi un nid, ou un
berceau, pour les jeunes plantes. Cette forme de nid permet à l’eau et aux nutriments de
s’écouler vers le centre des lignes là où les plantes pourront les absorber, et de les protéger
de vents trop violents.
62
Dans les deux images ci-dessus on peut observer des lignes de cultures en forme de nid, avec leurs
bordures renforcées en matière organique.
63
La stratégie de surélever les lignes de cultures peut aussi être pertinente afin de rendre
les premiers 40 centimètres du sol plus fin et aéré. Cependant, il est possible d’arriver au
même résultat grâce à une plus forte fertilisation et un travail du sol plus intense. Dans les
endroits humides il est important de surélever les lignes afin de les drainer d’un excès
d’humidité. Dans ces cas-là il faut trouver un moyen d’augmenter la matière organique afin
de conserver cet environnement de nid.
Quelques exemples d’expériences où l’on a essayé d’accumuler plusieurs types de résidus dans les
interlignes afin de recréer une situation où la matière organique est plus grande dans les interlignes
que dans les lignes de culture.
Quand on place de la matière organique au pied d’un plant d’arbre qui ne se trouve
pas dans une ligne de culture, on doit aussi lui donner cette forme de nid, plus haute sur les
bords qu’au centre. Si on se borne à empiler la matière organique sur le pied de la plante, elle
reste toujours en contact avec le tronc et favorise l’apparition de maladies. De plus, les
nutriments déplacés par la chute de la pluie s’écouleront toujours vers les côtés et
n’atteindront pas le pied de la plante.
L’épaisseur des couches de matière organique, du paillage, doit être suffisante pour ne
pas avoir à désherber les mauvaises herbes par la suite. Il est difficile au début de trouver la
bonne hauteur de paillage, mais le besoin de désherber et le compactage des lignes doit être
interprété comme un manque de matière organique.
64
La manière la plus simple de procéder est de couvrir la surface totale de la ligne avec
de la matière organique et ensuite de venir ouvrir de petits trous afin de planter à l’intérieur,
de cette façon chaque plant se trouve dans un nid, protéger du vent pouvant les casser à un
moment encore fragile de leur existence. Même si un plant est recouvert par la matière
organique, il trouvera toujours le moyen de le percer pour pousser, et le sol autour de lui
restera couvert. Quand les plantes ont un peu poussé, il est important de venir approvisionner
de nouveau en matière organique aux endroits peu couverts.
« Plus vous couvrez le sol, plus la terre est bonne et les insectes protégés. Quand vous voulez
planter, ouvrez un petit espace et essayez de ne pas trop recouvrir la graine. Comme ça on organise
au mieux pour la croissance de la plante. Si le sol est un peu découvert autour d’une salade, on va
le recouvrir de matière et elle va beaucoup apprécier. » (Paraguai, agriculteur et agent réplicateur)
Un agriculteur ouvrant un petit espace pour planter des graines dans une ligne bien couverte
Les producteurs du projet ont toujours trouvé des méthodes ingénieuses pour planter
dans des lignes avec une bonne couverture de matière organique. Un exemple de ces
techniques est d’installer des bambous là où seront planter les carottes puis de recouvrir la
ligne de paille. De cette manière, quand vient le moment de planter les graines de carotte, on
retire les bambous, laissant un petit trou où on sème les graines.
Il est important d’insister sur le fait que l’agroforesterie n’est pas, et ne sera jamais
une technologie finie et prête seulement à être adoptée. Il sera toujours possible et nécessaire
de l’améliorer. Il est essentiel de s’efforcer à faire preuve de créativité pour découvrir de
meilleures façons de cultiver en maintenant toujours le sol couvert.
Exemple de lignes avec une couverture en forme de nid, avec plus de matière organique dans les
interlignes, favorisant la concentration de l’eau et des nutriments pour la plante et la protégeant
du vent.
65
9.3. La litière végétale, la première étape
La litière est le nom donné aux branches et feuilles mortes tombées au sol d’une forêt,
couvrant sa surface et alimentant les organismes qui l’habitent.
La litière est extrêmement importante pour la productivité des SAFs, elle améliore
l’infiltration, le stockage de l’eau de pluie et l’activité de la vie du sol, elle protège aussi contre
l’érosion. Afin de couvrir un hectare de sol de 10cm de litière (ce qui est relativement peu), il
faudrait 10’000m² * 0,1m = 1’000m3 de feuilles et de branches, c’est-à-dire 100 camions de
10m3 ! Ce simple calcul nous montre assez facilement que, sauf quelques exceptions, couvrir
le sol avec des matériaux venant de l’extérieur n’est généralement pas économiquement
viable.
Il est donc crucial de générer de la litière à l’intérieur de la parcelle, même dans des
zones déforestées. Dans ces zones en particulier, le vent sèche les feuilles et rend obligatoire
pour les plantes d’absorber l’eau du sol afin de ne pas faner. Cependant, à cause du manque
de matière organique, le sol n’a pas la capacité de stocker beaucoup d’eau. Ainsi, les plantes
se retrouvent dans l’obligation de fermer leurs pores (les stomates) pour limiter l’évaporation
de leur eau, stoppant ainsi par la même occasion leur photosynthèse.
Les plantes herbacées ont su évoluer afin de pouvoir continuer à fonctionner de
manière efficace, même dans ces conditions extrêmes : ces espèces arrivent à capter du gaz
carbonique, même avec leurs stomates à moitié fermées, concentrant ce CO2 dans une
structure créée spécialement pour cela, appelée gaine foliaire. Ces espèces herbacées ont
évolué afin de pouvoir remplir leur fonction dans les zones déforestées : générer de la matière
organique peu concentrée en azote. Ainsi, dans les zones dépourvues d’arbres, ces herbes
permettent d’accumuler une litière végétale riche en matière organique difficilement
digérable, ce qui permet de garder le sol couvert plus longtemps. Pour réaliser ce travail crucial
de manière optimale, ces herbes doivent être bien entretenues.
Il peut être utile de compléter cette couverture d’herbacées par des légumineuses,
équilibrant ainsi les teneurs de carbone et d’azote afin de favoriser la décomposition de la
litière pour former de l’humus plus rapidement, augmentant ainsi la disponibilisation des
nutriments pour les plantes.
« Toute la matière organique produite par l’eucalyptus, le guandu, le bananier, l’amora, le gliricídia,
est ici afin de me permettre de couvrir mes lignes de culture. Entre chaque paire de ligne de culture,
il y a une ligne d’arbre. » (Zaqueu, agriculteur en agroforesterie et agent multiplicateur)
« Je plante une ligne d’arbre tous les 4 mètres, et dans les entrelignes de cultures, je plante de
l’herbe que je tonds afin de pouvoir couvrir les lignes. » (Vandeí, agriculteur en agroforesterie et
agent multiplicateur)
9.4. Bien dimensionner pour produire la matière organique suffisante
Avant de commencer à planter n’importe quel type de SAF, il est fondamental de le
dimensionner de façon à obtenir la matière organique nécessaire afin de pouvoir couvrir
constamment, dès le début, les lignes d’arbres et de culture. Laisser des espaces suffisants
66
entre les rangs de culture afin de faire pousser de l’herbe et des engrais verts19 permet de
diminuer énormément le travail et les coûts de production d’un SAF. C’est une source de
production de litière facile à être appliquer par la suite dans les rangs.
La largeur de ces espaces doit être pensée afin de pouvoir appliquer dans les rangs une
couche de matière organique assez épaisse pour ne pas laisser pousser les mauvaises herbes,
s’émancipant ainsi du laborieux travail de désherbage. Il est aussi primordial de laisser au
moins la moitié de la matière organique dans ces espaces intercalaires afin que l’herbe puisse
repousser par la suite. Bien que n’étant pas à but commercial, il ne faut pas oublier de rendre
fertiles ces lignes d’herbes, appliquant s’il le faut la même quantité de poudre de roche, de
fumier et de chaux que les rangs de culture. On peut limiter, voire compenser, les coûts de
production de ces lignes d’herbes en leur associant des cultures commerciales adaptées, au
début de leur croissance. En investissant dans ces « usines de matière organique » on s’assure
l’abondance future du SAF.
Il est important de profiter de la matière organique déjà présente aux alentours de la
parcelle au début de son implantation afin de pouvoir déjà pailler les rangs avec une
couverture suffisante, dés la première année. Dans ce cas-là, il faut planter la moitié de ce
qu’on avait prévu pour la parcelle, et couvrir ces rangs avec toute la matière organique
disponible. Quand l’herbe et les engrais verts plantés dans les entrelignes sont assez grands
et vigoureux pour pouvoir produire une matière organique suffisante à couvrir l’ensemble des
rangs de la parcelle, on peut planter les rangs restants. Généralement, des entrelignes faisant
3 à 4 fois la taille de la zone totale à couvrir sont suffisantes. Il faut cependant garder en tête
que ce dimensionnement est une référence initiale, à modifier si la pratique démontre le
contraire.
19 Un engrais vert est une plante semée par un agriculteur dans le but d'améliorer et de protéger un sol, et non dans l'optique d'être récoltée.
67
Apporter de la matière organique, de la paille ou de la sciure, venant de l’extérieur est
beaucoup mois efficace que la produire au sein même du SAF. C’est pour cela que les
agriculteurs pratiquant l’agroforesterie depuis un certain temps reconnaissent qu’il est
toujours meilleur d’exagérer la taille des entrelignes plutôt que de planter trop peu d’herbe
et d’engrais vert.
Si on laisse trop pousser et vieillir l’herbe cela diminue sa capacité à produire de la
matière organique, poussant alors à augmenter la taille des entrelignes. De plus, si on laisse
vieillir l’herbe, les cultures seront aussi influencées par ce vieillissement, recevant leurs
informations et leurs hormones (voir paragraphe 7.5 et 9.7). L’inverse est aussi vrai, si on tond
continuellement l’herbe, il se propagera dans tout le SAF une dynamique de croissance et de
vitalité.
Une herbe vieille produira une matière organique plus difficile à digérer pour les
plantes et qui libèrera beaucoup plus lentement l’énergie nécessaire aux micro-organismes
pour réaliser leur travail du sol.
Il faut garder à l’esprit que surdimensionner les entrelignes et planter trop d’herbe
diminue l’espace disponible pour planter les arbres et les bananiers qui seront, par la suite, la
principale source de matière organique. Cela augmente aussi le travail de tonte. Trouver le
bon équilibre et donc le bon ratio entre les lignes et les entrelignes sera toujours un défi
important à relever avec le temps et l’expérience collective.
9.5. Choisir l’herbe pour produire la couverture du sol
Dans la région de la communauté de Mario Lago, on trouve beaucoup de capim-
colonião qui pousse spontanément. Cette espèce produit une bonne quantité de matière
organique et peut être utilisée afin de pailler les rangs de culture. Elle n’apparaît
spontanément que dans des sols fertiles.
Cependant, quand on substitue le capim-colonião avec la Mombaça20, plantée avec
une forte densité (comme recommandée pour la plantation de pâture), la production de
matière organique double, diminuant ainsi de moitié la largeur des interlignes laissées à cet
effet. Planter la Mombaça peut apporter de grands avantages pour un SAF, le plus important
étant la baisse des coûts de manutention.
Le capim-colonião peut être tout de même une bonne option pour les interlignes,
surtout la première année, car la Mombaça est une espèce exigeante en termes de fertilité du
sol. Dans des conditions de sol pauvre, d’autres espèces, telles que le capim-Napier produiront
plus abondamment.
Il n’y a pas de consensus sur le choix de l’herbe à installer dans les interlignes, si elles
sont bien gérées, et tondues au bon moment, elles peuvent toutes bien fonctionner.
Dans les zones plus froides, telles que la région de la communauté de Contestado, il
nous a paru important d’associer la Mombaça avec un engrais vert d’hiver. On peut par
20 La Mombaça (panicum maximum cv.) est une plante graminée, très utilisée en tant que fourrage dans les zones tropicales. Elle peut produire jusqu’à 36t/ha/an.
68
exemple planter la Ervilhaca. L’engrais vert d’hiver produit de la matière organique pendant
une saison où la Mombaça ralentit sa croissance. Ainsi on compense et on peut avoir une
bonne quantité de matière organique toute l’année. De plus, la Ervilhaca protège la Mombaça
du gel, améliorant sa repousse au printemps. Etant donné que l’on laisse la Ervilhaca terminer
son cycle de culture avant de la tondre et de l’appliquer en paillage, on la laisse produire ses
graines qui pourront germer l’année suivante.
Préparation du sol pour un rang de culture entouré de Mombaça associée à de l’Ervilhaca à la fin
de l’hiver. Une partie de l’Ervilhaca sera tondue et utilisée pour le paillage du rang, la Mombaça
restante repoussera vigoureusement au début du printemps.
9.6. L’utilisation du bananier pour la formation de la litière végétale
Le bananier est peut-être la plante la plus typique des systèmes d’abondances. Au
niveau des bordures de fleuve proches de montagnes, où les rafales de vent favorisent
continuellement la rénovation de la végétation, la production de matière organique est
particulièrement stimulée. Cela entraîne aussi une augmentation de l’activité des êtres qui
génèrent la fertilité des sols propre aux systèmes d’abondance. Dans ces endroits, le bananier
se répand facilement, spontanément, ses boutures étant transportées par les inondations
fréquentes.
Sa « tige » est formée par la base de ses feuilles, et est donc extrêmement riche en
azote, en minéraux et en eau. Il est important de bien savoir gérer le bananier car il peut être
une grande source de fertilité pour les cultures d’un SAF. Quand on commence un nouveau
69
cycle de plantation d’espèces annuelles, il est important de retirer toutes les tiges de la section
du bananier, ne laissant qu’une ou deux des meilleures tiges. Cela permet, entre autres, de
créer artificiellement une « perturbation » dans le système, qui pousse toutes les cultures à
entrer en état de rénovation (comme après une inondation).
Ces tiges coupées ne peuvent pas être laissées entières au sol, sinon elles se
transformeront en de véritables petits nids de prolifération du charançon du bananier
(Cosmopolites sordidus), le pire de ses ravageurs. Le mieux est de couper la tige au milieu et
de laisser la partie intérieure face contre sol, cela permet d’accélérer sa digestion par la vie du
sol. De cette manière, ces tiges coupées en deux deviennent des pièges pour le charançon car
il y aura pondu ses œufs mais les larves n’auront pas le temps de se transformer au stade
coléoptère et finiront par toutes mourir. Cette technique permet aussi de placer au sol des
« réserves d’eau » pour les plantes, la tige du bananier étant très riche en eau, cela peut être
très utile lors de périodes de sécheresse.
Les feuilles du bananier doivent être découpées car si on les laisse entières sur le sol,
elles agissent comme des parapluies, laissant une grande partie du sol très sec.
La première photo montre comment couper une tige de bananier en son centre, les photos
suivantes montrent différentes manières d’appliquer par la suite ces moitiés de tiges au sol.
70
9.7. Toujours rénover pour maintenir la jeunesse du SAF
Il est fondamental d’apprendre l’importance de maintenir au maximum les plantes du
SAF jeunes et vertes, les empêchant d’entrer dans leur phase de vieillissement. Ainsi, elles
transmettront toujours aux autres organismes un message de vitalité et de croissance.
On observera toujours un ralentissement de croissance chez toutes les plantes si on
laisse par exemple les interlignes d’herbe dépasser leur point de tonte, alors que si on respecte
ce rythme, et qu’on paille bien les rangs avec la matière organique tondue, les résultats sont
très positifs.
« En plus du bananier, on plante le gliricídia et l’eucalyptus parce qu’ils produisent beaucoup de
matière organique. Les feuilles et le bois mort apportent beaucoup d’azote au sol, et ça nous a
beaucoup fait avancer pour la fertilisation biologique. C’est devenu très gratifiant de travailler en
collaboration avec le sol. » (Clailton, agriculteur en agroforesterie)
« Il est important de s’occuper de tout le système afin que tout puisse repousser ensemble et afin
de ne pas avoir d’influence négative de l’herbe vieillissante. J’élague l’eucalyptus 3 à 4 fois par an,
coupant la pointe toujours à la même hauteur et appliquant ses feuilles et ses branches sur le sol
dans les rangs de culture. De cette manière, contrairement à la monoculture d’eucalyptus,
l’eucalyptus sera une bonne plante compagne qui apportera beaucoup d’eau au système. »
(Paraguai, agriculteur en agroforesterie et agent multiplicateur)
Toutes les plantes de ces photos sont jeunes et vertes. Maintenir les plantes en bonne état de
jeunesse grâce à des processus de rénovation tels que la tonte ou l’élagage, ou les retirer du
système participe au bon développement du SAF.
9.8. Pourquoi élaguer les arbres ?
Il y a différentes raisons pour lesquelles il faut constamment élaguer les arbres :
1) Afin de maintenir toujours les arbres dans un état de repousse permanente,
transmettant ainsi une dynamique de rajeunissement et de croissance dans le
système, même pour les autres plantes ;
2) Afin d’augmenter la production de matière organique par les arbres qui repoussent
facilement ;
3) Afin de laisser entrer la lumière ;
71
4) Afin d’éviter que les branches basses puissent pousser. Ces branches ne sont pas
favorables à la croissance des arbres de strates inférieures, elles occupent leur
espace. Au Brésil, on dit qu’on « suspend la jupe de l’arbre » ;
5) Afin de limiter la hauteur de l’arbre, dans ce cas on coupe « la tête », on fait une
coupe apicale. Elaguer de cette manière est très important car il en va de la sécurité
de l’élagueur, et de l’arbre car s’il pousse trop haut, sans la protection des autres
arbres, une rafale de vent peut le casser. Enfin, limiter la hauteur de l’arbre favorise
l’accroissement de son tronc, augmentant donc la valeur commerciale du bois ;
6) Afin de bien maintenir la stratification du SAF ;
7) Dans le cas des arbres fruitiers, l’élagage est bien différent et on le réalise pour
d’autres raisons : apporter une forme à l’arbre, stimuler la production de fruits,
augmenter la taille des fruits, retirer les branches peu productives, etc…
La première photo montre la coupe apicale d’un guapuruvú, un arbre de bonne croissance et qui
repousse très vite après cet élagage. Sur la photo suivante, des lignes de gliricídia et d’eucalyptus
recevant des coupes apicales afin de rénover un nouveau cycle de cultures annuelles.
72
9.9. Rentabiliser les lignes d’herbe
Les coûts de plantation des lignes d’herbe peuvent être remboursés dès la première
année. Une des options pour cela a été réalisée avec succès dans la communauté de
Contestado où l’on a planté en association avec l’herbe un haricot de la variété tuiuiú. Cette
variété a pour caractéristique d’avoir des feuilles poussant verticalement et non
horizontalement, produisant ainsi les cosses en hauteur. Ceci facilite son association avec la
Mombaça car ce haricot laisse donc entrer plus de lumière pour l’herbe. D’autres associations
telles qu’avec le maïs ou le riz n’eurent pas le même succès. Dans le cas du riz, le problème
est venu du manque d’équipement pour planter correctement, ainsi les grains ont été plantés
trop en profondeur. Dans le cas du maïs une des raisons possibles est la mauvaise sélection
de la variété, elle doit être la plus rapide possible en croissance verticale afin de pouvoir laisser
de l’espace à la Mombaça pour grandir.
Les haricots ont été placés dans la même semeuse que les graines de Mombaça, avec
des granulés de fumier de volaille dans les compartiments d’intrants supérieurs. De cette
manière, cela a permis au haricot et à la Mombaça de germiner et grandir ensemble, dans des
lignes espacées de 40cm. Un débroussaillement est nécessaire tant que la Mombaça et le
haricot sont encore jeunes car les herbes qui étaient déjà présentes antérieurement sur la
zone ont tendance à grandir plus vite qu’eux. Il faut donc les tondre afin de ne pas les laisser
occuper l’espace de la Mombaça.
Il est important de noter que la Mombaça germine mieux si elle n’est pas enterrée, ou
alors enterrée superficiellement (1cm de profondeur), il est très bon de la recouvrir d’une fine
couche de matière organique.
73
De haut en bas, les étapes suivies pour l’établissement des lignes d’herbes pour la couverture du
sol et des rangs de culture. Sur les deux premières photos, une parcelle plantée avec le haricot et
la Mombaça, le haricot a grandit plus vite. Sur les photos du milieu, la collecte des haricots, la
Mombaça est déjà grande. Enfin, sur les photos du bas, les haricots ont été récoltés et la Mombaça
domine l’entreligne, une ligne est ouverte afin de pouvoir planter les arbres du SAF (fruitiers,
bananiers) et les cultures.
Lors de la plantation de la parcelle représentée sur les photos précédentes, il a été
important de réaliser un chaulage modéré, afin que les nutriments de la terre puissent être
disponibilisés pour les plantes à une vitesse adaptée à la croissance de la végétation. La
préparation du terrain a aussi été très importante, que ce soit le travail du sol ou la fertilisation
à base de fumier et de poudre de roche. Le nivelage de la parcelle est crucial afin de pouvoir
par la suite tondre facilement l’herbe.
Il est fondamental d’utiliser à bon escient les techniques de l’agriculture biologique ou
conventionnelle afin de bien préparer la parcelle tant que l’organisme SAF n’est pas encore
prêt à fonctionner en auto-suffisance.
9.10. Dimensionner pour permettre l’utilisation d’équipements
Mécaniser est un facteur important dans la conduite d’un SAF et il faut donc bien
choisir la largeur des rangs de cultures et des entrelignes pour pouvoir profiter un maximum
du potentiel des équipements. Nous allons prendre exemple sur ce qui a été fait dans la
communauté de Contestado : il y a été acheté un équipement qui permet de tondre et triturer
l’herbe, et l’envoyer jusqu’à 6 mètres de chaque côté. Cette machine facilite énormément le
travail des lignes d’herbe, diminuant son coût et permettant aussi l’augmentation des surfaces
travaillées (meilleur pour les SAF orientés sur la production de fruits ou de céréales).
Cette machine ne peut tondre que sur une largeur de 1,20 mètres et est attelée à un
tracteur de 2,10 mètres de largeur. Pour un travail efficace, il est important que le tracteur
puisse faire un aller-retour sans rouler sur l’herbe. Ainsi un des arrangements les plus
intéressants serait d’ouvrir une interligne de 4 x 1,20 = 4,80 mètres. En considérant que les
interlignes doivent avoir une surface trois fois supérieure à la surface qu’elles vont devoir
couvrir de matière organique, cela permet d’avoir un rang de 1,60 mètres en espaçant les
rangs de 6,4 mètres. Ainsi on obtient plusieurs options :
74
a) Des rangs de cultures de 1 mètre de largeur avec des arbres et des bananiers en
son centre, avec 30 cm de chaque côté de la ligne pour remplir de matière
organique de façon à obtenir la forme de « nid » dont a parlé précédemment.
b) Le même arrangement que le a) mais en laissant une bordure de 60 cm du côté
où il y a le plus de soleil.
75
c) Utiliser le même format que le a) avec les arbres et les bananiers plantés à 30 cm
du centre, du côté qui reçoit le moins de soleil. Par la suite, faire les prochaines
plantations avec le format b).
Les formats b) et c) sont en fait une amélioration du format a). En effet, ces formats
ont été créés dans la communauté Contestado car la présence des arbres au milieu du rang
de culture rendait quasiment impossible l’utilisation du motoculteur lors de la rénovation d’un
rang. Cela peut être particulièrement intéressant pour planter des légumes qui ne se
développent bien que dans un terrain mou et aéré, comme les carottes. Normalement, un SAF
bien entretenu avec des rangs couverts n’a pas un grand besoin de ramollir le sol avec un
motoculteur, mais si on n’entretient pas bien ses lignes d’herbe et que les rangs finissent par
ne plus être couverts, ils peuvent de nouveau s’endurcir.
9.11. Décompacter le sol sans en inverser les couches
Il est crucial de ne jamais inverser les couches du sol car les êtres vivants y vivant ont
des organismes très spécialisés, ainsi ils ne peuvent parfois pas survivre dans une couche du
sol qui ne leur est pas adaptée. On peut par exemple utiliser des fourches qui permettent de
décompacter le sol sans en inverser les couches et sans trancher des êtres vivants importants
comme les vers de terre. Ci-dessous des photos d’un modèle très pratique qui peut être fait
sur commande par un charpentier. En France, cet outil est appelé grelinette.
9.12. L’importance de la planification
« Je pense que je vais continuer le maraîchage en SAF, particulièrement parce qu’ici on a une bonne
disponibilité de l’eau, et cela permet de rester proche de chez soi. Plus tard on aura aussi du bois,
et ça me permettra de terminer ma maison, de construire une barrière pour mes vaches, plein de
choses. » (Jesuíta, agricultrice en agroforesterie)
« Si je commence à planter de ce côté-là, mes rangs de culture finiront à l’ombre. Si je le fais plutôt
de ce côté-là les rangs seront plus ensoleillés. Oui, je vais plutôt faire comme ça. » (Zaqueu,
agriculteur en agroforesterie et agent multiplicateur)
76
Même si on utilise des schémas identiques pour l’implantation de SAF à finalités
différentes, il est important de toujours garder en tête où on veut arriver, et planifier
l’implantation des parcelles en fonction de leur production.
Par exemple, si on investit dans des plants d’arbres fruitiers couteux dès le début de
l’implantation du SAF, et qu’on les plante autour de notre lieu de résidence, leur ombre finira
par empêcher la plantation de légumes, éloignant donc toujours plus le potager. Comme le
maraîchage demande beaucoup de travail, il est plus intéressant de garder son potager proche
de la maison, afin d’optimiser le temps et rendre le travail plus agréable.
Au-delà de cela il faut aussi bien planifier les différentes étapes de succession
du SAF, et toujours évaluer la quantité de matière organique qui sera disponible à
chaque étape, afin de garantir l’alimentation du SAF.
« Si je plante un pied d’oranger ou d’avocatier, je ne pourrais plus le couper pour implanter un
potager par la suite ! On planifie de cette façon. » (Paraguai, agent multiplicateur)
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9.13. Systèmes agroforestiers tournés vers la production fruitière
« Ici c’est maraîchage, il y a une zone plus âgée qui produit plus de fruits, et une autre plutôt tournée
sur le bois. On a plusieurs modèles, comme ça on arrive à se limiter à 1 hectare. Mais rien qu’avec
0,5ha bien travaillés on obtient déjà un bon revenu et on parvient à avoir une bonne diversité et
plein d’aliments. » (Vandeí, agent multiplicateur)
En prenant en compte les différents contextes socio-environnementaux qu’on
rencontre au sein de la Cooperafloresta et des communautés du projet on finit par se rendre
compte du besoin de définir des schémas différents et stratégiques en agroforesterie.
Ci-dessus des SAFs en conditions montagneuses et proches de la Forêt Atlantique, forçant ainsi à
la mise en place d’un design moins aligné. Sur la dernière photo, visite d’un SAF riche en en cactus
et jurema, des plantes bien adaptées à la production d’humus dans des conditions semi-arides.
Il existe de nombreux chemins différents, mais nous choisissons plutôt d’expliquer ici
les principes de la pratique de l’agroforesterie en montrant des schémas relativement proches
des vergers les plus communs. Il est relativement commun de cultiver les vergers en ligne avec
des arbres fruitiers espacés selon leur taille adulte, et de laisser un entreligne afin de
permettre de drainer la plantation.
Si l’on choisit de faire un verger en SAF, il est important de lui ajouter certains
éléments fondamentaux afin de le rendre auto-suffisant dans le temps. En particulier :
a) Dés le début, privilégier des espèces qui peuvent former rapidement, et en abondance
un bon humus, et qui ont souvent besoin d’élagage.
b) Que les espèces soient choisies de manière à s’adapter aux conditions du lieu.
c) Elaguer régulièrement les arbres fruitiers afin d’assurer une bonne productivité.
78
9.14. Viabiliser la production fruitière
Il est possible d’orienter un SAF sur la production fruitière, mais toujours en continuant
de cultiver des cultures annuelles. Un des grands avantages de cette association est qu’il est
possible de rembourser les coûts d’implantation très vite grâce à la vente des annuelles. Cela
permet aussi de développer un environnement mieux géré, meilleur pour la croissance des
arbres fruitiers.
De façon générale on peut planifier un SAF de ce genre de la manière suivante : planter
les arbres fruitiers au centre des rangs de culture d’un mètre de largeur, associés avec les
cultures annuelles et les arbres voués à la production de matière organique. Entre ces rangs il
est important de mettre en place des entrelignes de taille suffisante pour cultiver assez
d’herbes et autres types de fertilisant vert pour couvrir les rangs de culture, mais aussi pour
permettre d’éviter la venue d’adventices sur les bords des rangs, qu’il faudrait par la suite
retirer laborieusement.
Planter une ligne d’arbres fertilisants et de bananiers entre les lignes d’arbres fruitiers
permet de faciliter la production de matière organique. Cette ligne intermédiaire ne gênera
pas la croissance de l’herbe et des cultures annuelles des rangs car elle sera continuellement
élaguée, ne projetant que très peu d’ombre. Cela permet de pouvoir garder cette ligne tout
au long de la vie du SAF. Il est important de profiter du moment de l’élagage de ces lignes
intermédiaires pour y planter des légumes, cela peut permettre de viabiliser économiquement
ces lignes. Dans ces lignes intermédiaires, où ne seront pas plantés d’arbres fruitiers, il est
important de planter des espèces typiques des systèmes d’accumulation, afin de favoriser
l’accumulation de matière organique, apportant une meilleure structure au sol.
Pour les premières années du SAF il faut planter des arbres à croissance et repousse
rapide dans les rangs de cultures, afin de fournir les meilleures conditions de développement
aux jeunes arbres fruitiers. Par la suite, quand les arbres fruitiers seront entrés en production,
79
il faudra retirer ces arbres producteurs de matière organique et ne laisser que des arbres
émergents, ayant un bois à haute valeur ajoutée, pouvant être élagués qu’une seule fois par
an, comme par exemple : l’andiroba, l’araribá, l’aroeira verdadeira, la castanha do pará, le
Cèdre Rouge d’Australie, l’ipês amarelo, rosa et roxo, le jatobá, le jequitibá, l’acajou et le
peroba rosa.
Sur la première photo, des pêchers plantés avec des eucalyptus dans un rang où l’on a déjà récolté
des cultures annuelles. Sur cette même photo à gauche on peut voir une ligne plantée uniquement
avec des arbres fertilisants, producteurs de matière organique, et des légumes. Sur la photo ci-
dessus, des eucalyptus et des bananiers poussant avec un pied d’igname en fin de cycle, les autres
cultures ont déjà été récoltées. A droite on peut voir de l’ervilhaca associée avec l’herbe Mombaça,
qui va apporter plus d’azote au système et protéger la Mombaça d’éventuels gels.
Tout ce qui a été dit dans ce paragraphe montre que les SAFs orientés vers la
production fruitière suivent les mêmes principes que les SAFs plus focalisés production
maraîchère ou autre culture annuelle.
80
9.15. Le semis direct sur paille de céréales et de cultures annuelles dans
les systèmes agroforestiers
Le semis direct de céréales dans un SAF est encore une pratique très expérimentale,
qui n’a pas été encore beaucoup testée au moment de l’écriture de ce livret. Il faut donc
considérer le paragraphe qui suit comme la présentation des résultats des récentes
expérimentations menées sur le sujet, et non des pratiques dont l’efficacité a été démontrée.
Un design présenté dans le schéma qui suit peut être imaginé pour permettre la
production de céréales dans un SAF. Il est important de prendre en compte l’évolution de
l’ensoleillement de la parcelle car il faut placer le rang de céréales du côté le plus ensoleillé
comparé à la ligne de bananiers et d’arbres émergents.
La culture de céréales et de plantes annuelle est exigeante en termes de fertilité et
structuration des sols. Pour réussir à viabiliser ce type de production il faut donc bien assurer
la fertilisation et le travail du sol avant la plantation, et mettre en place un système pouvant
produire beaucoup de matière organique afin de sustenter les cultures.
Ce type de production est aussi très intense en termes de passages de tracteur. Cela
peut entraîner une compaction qui peut être fatale pour la vie du sol et donc la fertilité du
SAF. Pour s’affranchir de ce problème, il faut rechercher des machines toujours plus légères
et petites, que ce soit pour le travail du sol, la gestion des cultures ou la tonte des interlignes
avec de l’herbe.
Enfin, lors de l’installation d’un SAF destiné à la production de céréales, il faut toujours
chercher à augmenter le nombre de plantes pouvant être commercialisées. Par exemple, sur
le schéma ci-dessous on observe un SAF à un instant donné. Mais sur ce SAF il aurait été
possible de planter une annuelle au même moment que l’herbe, la récolter et ensuite laisser
les interlignes avec l’herbe.
Ensoleillement plus fort
81
9.16. Systèmes agroforestiers adaptés à l’élevage
« Ici on produit beaucoup de fruits, on récolte aussi des légumes, mais l’idée c’est de mettre en
place une parcelle de 2000m² adaptée à l’élevage, poules, canards, de manière simple, avec
beaucoup de nourriture et d’ombre, un environnement agréable pour les animaux. » (Paraguai,
agriculteur en agroforesterie et agent multiplicateur)
« Je vais préparer le poulailler comme s’il s’agissait d’un potager agroforestier, en plantant des
arbres, des bananiers, mais je vais aussi planter une série de plantes spécialement pour
l’alimentation des poules » (Zaqueu, agriculteur en agroforesterie et agent multiplicateur)
L’élevage a généralement été développé sur des zones forestières. La fertilité des sols
des organismes forestiers sont maintenus par la coopération des êtres vivants qui y séjourne,
avec un taux de matière organique entre 5% et 6%, et une surface toujours bien couverte par
l’humus.
Sans la dynamique des forêts, la fertilité du sol ne peut être maintenue que par des
technologies développées dans le cadre de l’agriculture artificielle. Son taux de manière
organique peut alors diminuer de 5 à 10 fois. Entre autres effets dégradants, ce sont en
majeure partie le manque de nutriments et la destruction de la structure du sol qui rendent
incapables les terres de stocker l’eau et de la rendre disponible à la végétation et aux cours
d’eau. Au Brésil, les aires de pâturage sont gigantesques, entraînant donc des impacts
environnementaux gigantesques.
En intégrant des animaux d’élevage à un SAF on peut récupérer, sinon entièrement, au
moins la majeure partie de la fertilité d’un organisme pâturage, dont la vocation naturelle est
de devenir forestière. Ceci peut être très important pour les familles de petits producteurs,
les rendant indépendant en intrants extérieurs et en énergie.
Les principes de la Nature sont les mêmes, que ce soit pour la production végétale ou
animale. Dans le cadre des projets Agroflorestar et Flora, certaines familles de producteurs
ont fait de nombreuses avancées dans ce domaine, bien que l’élevage ne fût pas l’objectif
principal du projet Agroflorestar. C’est pourquoi, bien que nous connaissions l’importance de
l’élevage, nous ne pouvons pas présenter dans ce livre les connaissances détaillées que
mériteraient ce sujet. Nous choisissons tout de même de partager certaines idées et
expériences qui pourraient éveiller la curiosité de producteurs voulant se dédier à l’élevage et
à l’agroforesterie.
Un des principes fondamentaux de l’élevage au sein d’un SAF est la présence d’arbres,
réalisant diverses fonctions, comme ramener à la surface des nutriments présents dans les
profondeurs de la terre et diminuer l’impact des vents. Il est aussi primordial de maintenir les
sols bien couverts. Les arbres plantés pour fournir de la matière organique au sol doivent être
sélectionnés afin de ne planter que ceux qui nécessitent un élagage 2 à 3 fois par an. Ainsi, les
pâturages pourront aussi produire du bois.
Un schéma possible pour l’élevage en SAF est d’alterner les lignes d’arbres et de
bananiers avec des lignes d’arbustes voués à l’alimentation du cheptel.
82
En élaguant 2 à 3 fois les arbres et les bananiers, cela permet de ne pas les laisser
projeter trop d’ombre pour les pâturages. Le niveau d’ombre doit toujours être contrôlé pour
rester bénéfique pour les pâturages et les animaux. On peut aussi penser à des schémas de
SAF avec des lignes d’arbres plus rapprochées afin de fournir plus de bois et de matière
organique pour l’organisme pâturage, cependant les espèces d’arbres doivent être alors
sélectionnées dans ce but.
L’idéal est de mettre en place en premier la structure végétale du SAF pour recevoir
par la suite le cheptel. On peut d’ailleurs commencer par un SAF orienté sur la production de
céréales, car il aura une structure plus facilement adaptable à la mise en place d’un SAF
pâturage. Si l’idée est de transformer un pâturage conventionnel en SAF, il peut être
intéressant de commencer par de petites zones carrées et de les agrandir au fil du temps.
Pour mener un élevage en SAF, le mieux est de pratiquer un élevage en rotation
(modèle Voisin), qui est d’ailleurs le modèle historiquement pratiqué par l’agriculture familiale
à travers le monde. Dans la communauté de Mário Lago, certaines parcelles ont été créées
pour débuter en maraîchage mais déjà en pensant à l’intégration de l’élevage de poule. Ces
zones commencèrent de manière classique avec des lignes d’arbres fertilisants entrecoupées
d’entrelignes d’herbe et de lignes d’arbres fruitiers. Puis furent installées des aires de
poulaillers divisées en 4 par des barrières. Le poulailler doit avoir une sortie indépendante
pour chacune des 4 zones. Ces poulaillers devront par la suite changer d’endroit afin de suivre
les principes de pâturage en rotation.
La différence principale d’un SAF avec élevage est qu’il faut sélectionner des espèces
d’arbres pouvant être élagués 2 à 3 fois par an, fournissant ainsi plus de matière organique au
système qui doit sustenter les animaux. Le plus intéressant est de choisir des espèces d’arbres
pouvant fournir un fourrage de bonne valeur nutritionnelle au moment où les pâturages
produisent moins (typiquement des arbres qui soient verts et vigoureux lors de la période
sèche où les pâturages végètent). Ainsi on obtient une continuité dans la ressource fourrage.
83
9.17. La production d’aliments destinés à l’autoconsommation
« Planifier sa production en pensant au court, moyen et long terme permet une source de revenu
toute l’année. Ici on a aussi bien des arbres dont le bois sera commercialisé d’ici 30 ans que des
espèces comme le radis ou la roquette qui produisent dès 25 jours. » (Paraguai, agriculteur en
agroforesterie et agent multiplicateur)
Avant de commencer à planifier la mise en place d’un SAF, il est important de penser
à sa vocation environnementale et sociale. De nombreux facteurs doivent être pris en compte,
tels que le climat, le sol, la disponibilité de matière organique, l’accès à l’eau pour l’irrigation,
la distance par rapport aux points de consommation les plus proches, le goût des personnes
qui vont s’alimenter des produits, mais aussi la propre affinité de l’agriculteur pour les
différentes activités et espèces du SAF.
Dans les deux communautés du projet Agroflorestar, il a été important de planifier la
production de fruits, de légumes et d’autres espèces importantes pour l’alimentation des
familles de producteurs, comme les céréales. La production d’une grande variété de légumes
est déjà bien implantée dans les communautés de Mário Lago et de Contestado. La production
de fruits va suivre. La production de céréales et de cultures comme le manioc sont aussi
maitrisées, cependant réussir à produire tout ce qu’il faut au bon moment pour l’alimentation
des familles de producteurs reste encore un défi.
Les parcelles de Mário Lago sont de 1,7ha, c’est-à-dire 17’000m². Sur 500m² de
cultures, une famille peut parvenir à produire son alimentation et gérer une recette
satisfaisante grâce à un SAF. Il faut cependant aussi compter la surface nécessaire à la
production de la matière organique (les entrelignes d’herbe). Si, comme on l’a dit dans un
Poulailler
Fruitiers
Fruitiers
Arbres MO
Herbe
84
chapitre précédent, il faut 4 fois plus de surface pour la production de matière organique, on
arrive à un total de 2’500m². La production de légumes, suivie par la production de fruits sont
majoritairement destinées à la commercialisation. L’élevage de petits animaux et la
production de céréales et d’espèces comme le manioc sont importants pour alimenter la
famille du producteur avec des produits de bonne qualité, mais ont aussi un bon débouché
commercial.
Au sein de la communauté de Contestado, les parcelles sont au moins six fois plus
grandes qu’à Mário Lago. Le maraîchage est devenu la plus importante source de revenus pour
les familles de producteurs. Toutefois, les conditions locales permettent aux espèces de climat
tempéré ou subtropical – pommes, poires, pêches, coings, figues, prunes, nectarines, noix de
pécan, châtaignes, agrumes, mûres, pitangas, cerises du rio grande, guabirobas, guabijus,
goyaves, raisins, aracás, jaboticabas, pinhão, mate, espinheira santa, safran, cannelles et bien
d’autres – de fournir un revenu de moyen terme, et même parfois de court terme. Il est parfois
plus intéressant d’évoluer vers ces productions plutôt que de maintenir un maraîchage total.
Dans le cas de Mário lago, la majorité des familles considère que les parcelles de 1.7ha
sont trop petites pour l’élevage de grands animaux. A Contestado, les parcelles plus grandes
(10ha) permettent d’avoir un cheptel, cependant cette vocation n’a pas été jugée la plus
rentable car il faut pour cela mettre en place un SAF destiné à cet usage avant de commencer
l’élevage. Il faut donc pouvoir compter sur un plus grand capital de départ.
L’élevage de petits animaux, comme les poules et les cochons, surtout quand son but
est d’alimenter la famille, parait une alternative très prometteuse pour les communautés de
Contestado et de Mário Lago.
Dans les deux communautés du projet Agroflorestar il a été crucial de planifier la mise
en place des SAFs avec une logique de long terme, en considérant la communauté entière
comme un tout.
10. Références pour organiser les systèmes agroforestiers
« Même dans des conditions très différentes de son lieu d’origine, une plante ayant un sol riche, un
lieu adéquat et étant associée de la bonne façon à d’autres plantes ne sera pas attaquée tant que
ça par les ravageurs. Les ravageurs viennent s’en prendre aux plantes faibles, qui ne sont pas dans
les conditions adéquates. Cela ne sert à rien de se lancer dans une plantation sans commencer par
comprendre la forêt ! Il faut y entrer et y observer les étages et les cycles de vie de chaque plante !
Avez-vous déjà vu une forêt avec un seul type d’arbre ? Tous de la même taille ? Avec un sol
découvert ? Non. Il y a les plantes proches du sol, les arbres moyens, les grands et les émergents !
L’agriculture devrait être tout à fait pareil, on doit organiser les plantes de sorte qu’elles puissent
collaborer entre elles, de la même façon que dans la Nature. Le pied de papaye est émergent et
grandit très vite, on peut donc l’associer au manguier. J’ai planté beaucoup de pieds de papaye
avec des manguiers et jamais la croissance des manguiers n’a été gênée. » (Paraguai, agent
multiplicateur)
Si l’on ne discutait que des grands principes, sans tenter de donner des exemples
pratiques, il serait beaucoup plus simple de ne pas se tromper, car en agroforesterie on
travaille avec beaucoup de plantes ayant chacune une fonction différente. Les principes sont
plus simples à comprendre et à expliquer que leurs applications pratiques.
85
Nos concepts, comme ceux de n’importe quel agriculteur en agroforesterie, changent
avec le temps, avec la pratique. C’est pour cela que, bien que tous les exemples décrits dans
ce chapitre aient été tirés d’expériences réelles, ils doivent être étudiés avec un œil critique,
ils doivent être considérés comme un début et non une fin.
Il est aussi important de se rappeler que la base de l’agroforesterie est l’organisation
de la vie dans chaque endroit de la Planète Terre. Il est fondamental que l’organe qui exécute
sa fonction dans l’organisme soit parfaitement adapté à sa fonction et au contexte dans lequel
il va l’exécuter. C’est pour cela qu’avant d’utiliser les plantes décrites en exemples dans ce
chapitre, il est crucial de se poser la question si elles s’adapteront bien aux conditions
climatiques, au sol, au relief, à l’exposition au soleil et aux autres caractéristiques de
l’environnement.
Tout peut varier énormément, en fonction de l’environnement et du travail personnel
de chacun. Quand on veut utiliser des exemples et des références, il faut tout d’abord les
tester et les améliorer de façon collective, afin de développer la pratique de l’agroforesterie.
Ayant donné au lecteur ces précautions, nous choisissons donc de publier certains exemples
de SAFs dans le chapitre qui suit.
10.1. Utilisation de la succession et de la stratification lors de la
combinaison de cultures incluant des légumes
« Sur une parcelle de 500m², on peut cultiver 20 à 30 espèces, et avoir une production de bois au
bout de 7, 10 à 40 ans. Un acajou, un cèdre, les gens commencent à voir un horizon plus lointain. »
(Zaqueu, agent multiplicateur)
Les suggestions de SAFs présentés ci-dessous sont basés sur des expériences
concrètes, appliquant les concepts de succession et de stratification. Il n’est pas superflu de
rappeler que les espacements et les cycles des plantes peuvent changer avec les conditions
do sol, le climat et la saison. Ainsi, même si nous avons eu du succès avec certaines
associations, cela peut ne pas du tout marcher dans des conditions de climat différentes. Cela
86
est vrai pour les associations mais, plus que tout, pour les espacements et le nombre de rangs
de culture.
Dans un sol très fertile, dans des conditions favorables et une bonne humidité, les
plantes poussent mieux et tendent à être plus imposantes, on doit donc planter en
conséquence, en espaçant plus les lignes. L’inverse est valable dans des conditions adverses,
où l’on doit planter de manière plus rapprocher pour garantir une bonne production mais
aussi mieux couvrir le sol. Nous proposons tout de même des espacements moyens, basés sur
des expériences réelles pour aider à la visualisation des SAFs, afin qu’ils soient moins abstraits
dans l’esprit du lecteur.
L’unique certitude que nous avons est que planter en respectant les principes de
stratification et de succession vaut la peine, même si cela demande un plus grand
investissement personnel pour comprendre comment adapter ces principes à ses propres
conditions environnementales. Nous croyons fortement que ces principes apportent des
résultats incroyables : améliorer l’alimentation de la famille du producteur, générer des
recettes, régénérer et préserver le sol. Ainsi, l’effort initial et les possibles premiers échecs
seront récompensés pour ceux qui persistent et cherchent toujours à améliorer la pratique de
l’agroforesterie.
« On a fait des tableaux qui montrent comment on a monté les associations, avec rénovation au bout de 30, 60
ou 90 jours. » (Clailton, agriculteur)
87
Bas
88
Nous allons maintenant expliquer comment peut être utilisé le tableau précédent, qui
est un tableau général, avec des exemples d’associations construites sur la base de la
succession végétale et de la stratification. Une des pratiques les plus importantes si l’on veut
que les associations fonctionnent est de bien récolter les plantes avant qu’elles en arrivent à
vieillir. Vous pourrez observer que quand les plantes commencent à vieillir il se passe comme
une sorte de transmission d’informations de vieillissement, et les autres plantes, plus jeunes,
se mettent aussi à jaunir. A l’inverse, si toutes les plantes sont maintenues toujours jeunes,
vertes et en bonne santé, le système entier profite de cette dynamique et devient plus
vigoureux.
« C’est vraiment très beau, j’aime passer du temps ici, j’aime ce qu’on peut en retirer en retour. Je
ne comprenais pas le concept d’association. On a appris tous ensemble. » (Clailton, agriculteur).
89
90
91
Ces photos montrent l’association du tableau ci-dessus en pratique, sur la photo de gauche une parcelle de 50
jours, et à gauche une de 60 jours. La roquette a été récoltée au bout de 30 jours, le cresson est sur le point
d’être récolté sur la photo de droite. Après la récolte du cresson, il restera une ligne centrale de quiabo et deux
lignes latérales de brocolis.
92
Ces 5 photos sont de la même parcelle. Les bananiers d’à peu près un an ont été complètement
coupés afin de pouvoir commencer un nouveau cycle, en ne laissant que 2 ou 3 rejets. Cela permet
d’utiliser toute la matière organique des bananiers et d’à nouveau faire entrer la lumière sur la
planche de culture. Le pourtour des eucalyptus a été légèrement élagué jusqu’à ce qu’ils atteignent
4 mètres de hauteur, 90% de leur houppier a alors été élagué (coupe apicale, on parle d’étêter
l’arbre), comme on peut le voir sur la photo du haut à droite. Lorsqu’un nouveau cycle de
maraîchage commence, on réalise une coupe apicale. Sur les photos du dessous on peut voir
l’évolution de la parcelle, la dernière photo a été prise 25 jours après la plantation d’un nouveau
cycle de maraîchage.
93
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Photos de l’association du tableau ci-dessus, dans 2 parcelles et sous 2 formes différentes. Sur la
photo de gauche, la parcelle a été plantée il y a 27 jours, il reste une partie des radis, des laitues,
des aubergines et du maïs vert. Sur la photo de droite, la parcelle a 30 jours, le radis a déjà été
récolté et on peut encore voir la laitue, le brocoli et le maïs.
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« On a réussit à montrer par la pratique que la production agroforestière peut être diversifiée et
abondante, elle permet de nourrir la famille mais aussi de commercialiser. Celui qui plante un
système agroforestier pense aux autres. Cela va créer un courant bien plus fort que tout autre
mouvement social du Brésil ou du monde. Ce type de conscience a besoin de se répandre. C’est un
projet pour la société brésilienne toute entière. » (Keli, agricultrice)
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10.2. Certaines utilisations des arbres dans les systèmes agroforestiers
agroécologiques
10.2.1. Arbres pour la production de matière organique en association avec des plantes
annuelles
Afin d’obtenir de bonnes récoltes, dès le début de la mise en place du SAF, il est
obligatoire de diminuer artificiellement la différence entre les conditions du sol de la parcelle
et celles des terres qui accueilleraient, dans la nature, nos cultures. Afin d’arriver à cela, il est
possible d’utiliser une préparation du sol, des intrants organiques, des amendements
calcaires, de l’irrigation et encore d’autres techniques. Même avec tout cela, il est souvent
important d’inclure des arbres du système d’accumulation dans le design initial afin qu’ils
contribuent à une régénération plus durable de la parcelle. Cependant, lorsqu’un décide
d’implanter des arbres du système d’accumulation, il est important de choisir des espèces aux
caractéristiques proches de celles du système d’abondance, afin qu’elles puissent devenir des
compagnonnes de nos cultures.
Les tailles intenses des arbres du SAF, suivies de très fortes repousses, ont pour effet
de rapprocher les caractéristiques de la végétation à celles d’espèces des systèmes
d’abondance, rendant ainsi moins contre-nature la présence d’arbres du système
d’accumulation. Une des raisons pour expliquer ce phénomène est le fait que ces tailles
promeuvent la production de matière organique plus riche en azote (plus facilement digestible
par le sol), ainsi que des informations de croissance et de verdissement, 2 caractéristiques
typiques des systèmes d’abondance.
Ci-dessous nous avons réunis dans un tableau général certaines espèces d’arbres avec
la capacité de générer de la litière et accumuler de la matière organique, lorsqu’associées avec
des cultures annuelles et suivant un plan de tailles continu. Ces arbres repousseront après
qu’ils aient subis une taille apicale, retirant une grande partie de leur houppier, parfois 2 à 3
fois par an, produisant ainsi une grande quantité de matière organique.
Il est toujours important de tester de nouvelles espèces afin de trouver celles les mieux
adaptées aux conditions de climat, sol et aux pratiques de chaque agriculteur.
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10.2.2. Succession des arbres pour la production de litière organique et de bois
Généralement, il est très utile de pouvoir compter sur des espèces d’arbres qui
peuvent se succéder pour la production de matière organique. Dans un premier temps, la
matière organique sera fournie par des espèces pionnières, puis par des espèces secondaires
ou des espèces dont la croissance s’en rapproche comme l’eucalyptus ou le Cajá-mirim. On
peut aussi utiliser des espèces climax dont la repousse est vigoureuse, comme l’Aroeira
verdadeira, mais elles ne parviendront à produire une bonne quantité de matière organique
qu’après plusieurs années.
Le retrait d’une espèce ne doit arriver que quand l’espèce pouvant la remplacer dans
la succession bénéficie de conditions propices à sa croissance et à la réalisation de sa fonction
de production de matière organique. Si cette succession n’a pas été prévue, on peut opter
pour une rénovation, sachant qu’on recommencera ce nouveau cycle à un seuil supérieur de
fertilité (grâce aux cycles précédents).
« On ne fait pas de la reforestation avec un arbre tous les 3 mètres. Moi j’en plante un maximum
et je vois ensuite lesquelles sont les meilleures et complètent mieux le système, le reste je coupe et
j’utilise la matière organique pour le sol. Je n’ai pas peur de planter des arbres ! Ma production est
horizontale mais aussi verticale. » (Zaqueu, agriculteur et agent multiplicateur)
Il est important d’avoir certaines références concernant la capacité de repousse de
chaque espèce d’arbre après un certain type de taille, ainsi que leur capacité de production
de matière organique en fonction des conditions climatiques, des saisons…
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10.2.3. Arbres pour la production de zones d’ombre adaptées, de bois et de matière
organique, au sein de la même ligne que les arbres fruitiers
Planter des lignes de graminées et de fertilisants verts entre les lignes d’arbre est
primordial afin de garantir la production de matière organique. Au-delà de cela, la pratique
nous a montré qu’il pouvait être très avantageux de planter entre les lignes d’arbres fruitiers
une ligne d’arbres et de bananiers destinée à la production de matière organique, comme
pour les systèmes orientés maraîchage ou grande culture. Cette ligne intermédiaire, étant très
intensément taillée, ne gêne pas le développement des graminées à ses côtés, permettant
ainsi de laisser ces lignes durant toute la vie du SAF. A chaque taille de cette ligne
intermédiaire, on peut planter des céréales annuelles dans l’interligne, pouvant être de haute
valeur ajoutée et rentabiliser le travail de cette interligne et du SAF entier.
De cette manière, on peut tailler qu’une seule fois les arbres présents dans la ligne des
fruitiers, cela étant suffisant pour émettre un message de rénovation annuelle, laissant ainsi
savoir aux fruitiers que la reproduction (et donc la fructification) est possible, entraînant donc
de bonnes productions de fruits annuellement. Il est compliqué de tailler plus d’une fois par
an les arbres se trouvant dans la ligne des fruitiers, l’accès est difficile et les branches taillées
peuvent tomber et abimer les arbres fruitiers.
Ne tailler qu’une fois par an permet de pouvoir utiliser des espèces d’arbres dont le
bois peut être de haute valeur dans la ligne des fruitiers, comme le Cèdre australien ou
l’Acajou, mais uniquement si elles font partie du système d’abondance (ou ayant des
caractéristiques proches) afin qu’elles puissent bien s’associer aux fruitiers.
Il est tout de même important de planter des bananiers et des arbres de croissance
rapide et forte production de MO (à tailler plusieurs fois par an) dans la ligne car quand ils
sont bien gérés, ces arbres fournissent rapidement une quantité et une qualité d’ombre
nécessaire au développement initial des fruitiers. Il est alors recommandé de retirer ces
espèces du système au moment où les fruitiers commencent à entrer en pleine production,
laissant ainsi la place aux espèces citées plus haut, ayant un bois valorisable et une croissance
plus lente. Ainsi dans les premières années des fruitiers, on favorise leur croissance végétative
avec les tailles régulières des espèces pionnières, puis on favorise la fructification avec la taille
unique annuelle des espèces plus lentes. Ci-dessous un tableau pour illustrer l’usage de ces
arbres dans un système fruitier :
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10.2.4. Références pour les associations de fruitiers
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10.3. Exemples de combinaisons avec des arbres fruitiers
Les tables présentées précédemment ont pour but de donner quelques indications pour
l’élaboration de plans de vergers qui respectent la stratification et la succession naturelle. Il
est important de sélectionner et de tailler les arbres de façon à ce qu’ils n’occupent que
l’espace de leurs strates respectives. Par exemple, le caféier est une espèce de strate basse,
on doit donc réaliser régulièrement une taille apicale afin qu’il puisse rester dans sa strate,
sinon il commencera à occuper l’espace des strates supérieures, gênant les autres arbres.
Il existe certaines espèces, comme les citrus, qui ne peuvent pas recevoir de taille apicale,
mais dans une certaine mesure on peut limiter leur houppier.
Dans la pratique, il est recommandé de laisser un à deux mètres de hauteur entre 2 strates
différentes, particulièrement si la densité de la plantation est élevée. Ainsi, si l’on décide de
planter sur une même ligne toutes les espèces pour remplir toutes les strates, on finirait par
obtenir un SAF très élevé (car on devrait laisser 1-2 mètres entre chaque strate), et donc
difficile à gérer. C’est pour cela qu’il est plutôt recommandé de laisser une strate vide entre
des espèces plantées très proches les unes des autres. Par exemple le Caféier, le Citronnier, le
Cabeludinha et le Bacupari Miúdo sont tous de la strate basse, ils seraient donc parfaitement
adaptés à être plantés sous des Manguiers ou des Jacquiers, de strate haute, avec la strate
moyenne laissée libre. Dans la même logique, il n’est pas pratique de les planter sous les
Cacaoyers, les Orangers ou les Caramboliers qui sont de strate moyenne.
Ci-dessous nous proposons donc des associations d’arbres fruitiers à planter sur une
même ligne, en prenant en compte les tableaux précédents ainsi que les recommandations
des lignes précédentes. Ces propositions ont été validées par la pratique. Il est possible au sein
du verger d’alterner les lignes afin d’avoir des associations différentes.
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Sur la photo de gauche un Cabeludinha sous un Biribá (en tout petit) qui ont été plantés par semis
dans le même trou qu’un bananier nanica qui les aide à grandir car il fait partie des espèces dites
« placenta » qui protègent les nouveaux plants. Sur la droite, un Pitanga de 5 mètres ayant sur sa
droite un oranger qui commence à produire et un Araçá encore plus à droite. Ces 3 espèces sont
de la même strate moyenne, pour qu’elles puissent cohabiter elles ont besoin d’un bon
espacement (équivalent au conventionnel). Au-dessus d’eux on peut voir 3 jeunes araucárias, il ne
faudra en laisser qu’un.
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Ces différents exemples ont tous été validés par la pratique chez des petits producteurs,
cependant il est primordial que chacun teste ses propres associations et partage sont
expérience. Ce ne sera qu’ainsi que l’on pourra réellement générer de nombreuses références
fiables pouvant s’adapter à diverses situations.
Sur la photo du dessus, des lignes de bananiers avec au milieu une entreligne de Mombaça,
formant ainsi une bonne structure pour la production de matière organique, mais qui peut être
aussi géré de façon à permettre le maraîchage, la production de grains et céréales, l’élevage… Sur
les 2 photos du bas, une parcelle avec des citronniers occupant la strate moyenne et des palmiers
juçara dans la strate haute.
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11. Observation et mesure de la contribution des systèmes
agroforestiers à la fertilité du sol, à la capture du carbone
atmosphérique et à la dynamique de la Nature.
Des recherches furent démarrées en même temps que la mise en place des premières
parcelles agroforestières des communautés de Mário Lago et Contestado, afin de suivre
l’évolution de la fertilité des sols et des différents cycles écologiques. Ces recherches furent
menées ensemble par des agriculteurs, des techniciens de la coopérative, des chercheurs de
l’Université Fédérale du Paraná, l’Institut Embrapa Florestas et l’Institut Chico Mendes de
Conservação da Biodiversidade (ICMBio).
Pour réaliser l’étude, on a choisi des parcelles avec des SAFs déjà bien développés,
d’autres en friche avec leur couverture historique (herbe colonião ou brachiaria) et enfin on a
aussi choisi des aires au sein de parc naturels ayant une couverture forestière non gérée.
On a collecté périodiquement des échantillons de sol et de végétation que l’on a analysé
par la suite en laboratoire afin d’évaluer la matière végétale produite au-dessus et en-dessous
du sol (racines), la fertilité chimique du sol, la densité du sol et la quantité de racines. De cette
manière, on a pu suivre l’évolution de ces différents indicateurs dans chaque parcelle.
Au moment de la rédaction de ce petit livre, ces expériences n’avaient commencé que
depuis 2 ans, cependant, on peut tout de même identifier certains résultats préliminaires
intéressants ainsi que des tendances se détacher clairement.
Une des questions importantes à laquelle tente de répondre ces recherches est la
suivante : Quelle est la quantité de matière organique produite et rendue disponible pour la
fertilisation des plantes ?
Afin de répondre à cette question, des échantillons de végétation ont été collectés à chaque
semestre dans les aires étudiées. Pour se faire, on a utilisé des cadres en bois de 50x50cm,
placés aléatoirement au sein de la zone et dans laquelle on a collecté toute la matière
organique au-dessus et en-dessous du sol. Le matériel ainsi collecté a été ensuite séché à
l’étuve afin d’en obtenir seulement sa biomasse sèche.
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Dans les zones de SAF, ces échantillonnages furent réalisés dans les planches de culture
et dans les entrelignes (où est produite la matière organique par des graminées et des
légumineuses). Pour rappel, on coupe les graminées et les légumineuses pour pailler les
planches de culture, ainsi la matière organique collectée dans les planches est aussi constituée
de cette paille, alors que celle dans les entrelignes est uniquement constituée des brins
restants.
Après deux ans d’étude, la quantité moyenne de biomasse sèche au niveau des planches
de culture était de 4kg par mètre carré, cette biomasse est en constante décomposition. Dans
les entrelignes, la quantité de biomasse moyenne est d’un peu moins de 2kg par mètre carré.
En sachant que les graminées de l’entreligne sont tondues 3 à 5 fois par an, on peut considérer
que leur production de matière végétale annuelle se situe entre 6 et 10kg de biomasse sèche
par mètre carré par an (voir le schéma plus bas).
Il est important de rappeler que la production de matière végétale dans les entrelignes
est primordiale pour le SAF, car si on décidait d’utiliser de la biomasse venant d’un autre
endroit pour pailler les planches, il faudrait prévoir le transport de 60 à 100 tonnes de matière
sèche par an, ce qui ne serait ni viable économiquement ni cohérent écologiquement.
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Une question à laquelle prétend répondre l’étude menée actuellement sur les SAFs est :
comment la pratique de l’agroforesterie (qui inclue aussi l’utilisation de couverts végétaux) se
reflète sur la fertilité du sol ?
Schéma des sources de la matière végétale produite et utilisée pour pailler la planche
Pour tenter de répondre à cette question on a réalisé plusieurs analyses du sol comme :
• Le pH dont l’augmentation signifie que l’acidité du sol diminue, ce qui rend les
nutriments plus facilement disponibles pour les plantes ;
• La concentration en carbone, qui montre l’évolution de la quantité de matière
organique présente dans le sol, ce qui le rend, entre autres bénéfices, plus
poreux, plus humide et plus fertile ;
• La concentration en certains nutriments (calcium, magnésium et phosphore) ;
• La saturation du sol par les bases (appelée V%) qui montre le pourcentage
d’occupation du sol par des nutriments favorables au développement des
plantes.
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En général dans toutes les zones de SAF analysées il y a eu réduction de l’acidité et
augmentation du carbone, et donc augmentation de la fertilité du sol au fil du temps. Dans les
zones non exploitées que l’on a aussi analysées on a constaté quasiment aucune modification
des indicateurs durant les 2 premières années de l’analyse.
Parmi ces analyses, on détaille ici les résultats comparatifs entre 2 zones très proches
l’une de l’autre. Une de ces zones était une friche couverte d’une graminée appelée Brachiária
et l’autre était un SAF exploité par l’agriculteur appelé Paraguai sur un couvert de Brachiária.
Dans la zone avec uniquement la Brachiária, le pH passa de 5,74 à 5,77, la
concentration en carbone de 18,1 à 17,9g/dm3 et le V% de 78 à 76% : quasiment pas de
changement. Dans la zone de SAF les changements furent importants, que ce soit dans les
planches que dans les entrelignes enherbées (voir le schéma plus bas). En seulement un an, le
pH passa de 4,73 à 5,30 dans les entrelignes et de 5,30 à 6,27 dans les planches ; la
concentration de carbone passa de 10,5 à 21,4g/dm3 dans les entrelignes et monta à
34,0g/dm3 dans les planches ; le V% passa de 32,5 à 59,3% dans les entrelignes et à 79,0%
dans les planches.
Résultat des analyses de sol dans un SAF de Mário Lago
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Il est important de noter que les seules différences entre les deux zones étudiées sont
les techniques d’exploitation (plantation en forte densité et tonte des entrelignes), associées
à une faible fertilisation initiale (1000kg de fumier par hectare) et une application réduite de
chaux (800kg par hectare). On peut donc en déduire que les techniques d’exploitation ont été
fondamentales pour l’amélioration de la fertilité du sol.
Dynamique de production et utilisation de la fertilisation dans les SAFs en phase initiale de production
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12. Notre dernière chance
Depuis l’apparition de la vie sur Terre, chaque génération d’être vivant a laissé derrière
elle un environnement plus adapté à la diversité de la vie. En héritant de ces conditions
favorables, les générations suivantes peuvent être encore plus efficaces dans l’amélioration
de leur milieu. La transformation vers de meilleures conditions et une plus grande quantité et
diversité de la vie n’a ainsi jamais cessé depuis le début de l’évolution de la vie sur Terre. Ce
chemin qu’emprunte sans relâche l’organisme planétaire peut être observé partout sur Terre,
et a été le thème principal de ce livret.
Cependant, la Science a montré qu’il y a eu des épisodes durant lesquels une
catastrophe a pu perturber ce cheminement, comme la chute d’une météorite par exemple.
Durant ces périodes, un grand nombre d’espèces peut disparaitre en un très petit laps de
temps. Des preuves montrent qu’il y a eu 5 périodes d’extinction de masse durant les 4
milliards d’années qui constituent l’histoire de la vie sur Terre. Le dernier épisode en date eu
lieu il y a 65 millions d’années, plus de 500 fois la durée de l’existence de l’espèce humaine.
En mesurant la rapidité à laquelle les espèces s’éteignent aujourd’hui, de nombreux
scientifiques ont découvert que nous sommes actuellement en train de vivre la 6ème extinction
de masse sur Terre, et qu’elle est la plus destructrice de toute. Jamais autant d’espèces ne se
sont éteintes aussi rapidement. Si cette dynamique n’est pas stoppée, l’espèce humaine fera
parti de cette grande extinction, sachant qu’elle en est elle-même la cause, contrairement aux
autres espèces.
Dans l’immensité de l’histoire de la vie, chaque moment a été unique et sacré. Nous,
les êtres humains, nous n’avons participé qu’à 0,005% du temps de cette histoire. Cependant
ce court instant de notre existence, représentant cent à deux cent mille ans et à peu près dix
mille générations d’humains, nous parait déjà comme une éternité.
Mais pourquoi nous revient-il à nous, qui sommes si insignifiants dans l’histoire du
monde, de participer au grand combat final pour le salut de tous les êtres vivants de la Terre ?
Ceci restera le plus grand mystère de nos vies ! Il est indispensable de garder cette lutte à
cœur, qu’elle dirige nos actions chaque jour, et qu’elle ravive l’ardeur de nos âmes.
De nombreuses religions et mythologies mettent en cause une faute originelle, qui
entraine toutes les autres et que seul l’être humain peut commettre. Cette faute, c’est se
sentir séparé du monde, et agir par pur égoïsme. Cette erreur primordiale, répétée chaque
jour, a causé énormément de souffrance durant des siècles, des millénaires, créant la guerre,
l’asservissement, la destruction de la nature et d’énormes inégalités sociales.
Ce dernier siècle, l’égoïsme a montré de plus en plus sa face la plus extrême. Certaines
organisations se sont mises à concentrer des richesses et du pouvoir à un niveau jamais
imaginé auparavant, piétinant la nature et les Hommes. En conséquence, les sols, les rivières,
les mers et l’atmosphère furent empoisonnées, et continuent de l’être à une vitesse affolante.
Les forêts ont été substituées par des milieux artificiels. Les rivières s’assèchent et le climat se
modifie d’une façon inadéquate à notre survie. Les peuples et la nature ont été expulsés des
champs.
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Petit à petit, de plus en plus d’organisations se déclarent maîtres de toujours plus de
terres, de graines, de gênes et de la régulation de la distribution et de l’utilisation des aliments
et des médicaments. Elles se mettent à contrôler les institutions et les mécanismes des nations
qui les freinait dans leur course folle au profit. Elles utilisent les stratégies les plus raffinées de
marketing et de contrôle des médias et des formateurs d’opinions afin de pouvoir assoir leur
domination. Enfin, elles s’émancipent de leurs anciens créateurs et propriétaires. Elles
finissent par être régies par des lois, des codes de conduite et des conseils, qui priorisent le
profit sur l’éthique, ou sur les nécessités de tous les êtres vivants de la Terre. Et tout cela
même s’il est chaque jour plus évident que les personnes les plus riches et les plus puissantes
finiront aussi par périr avec le reste de l’humanité et les innombrables espèces disparues.
Ce livret est un ouvrage technique créé sur les bases de la grande science qu’est
l’agronomie. Mais aujourd’hui, il est difficile de pouvoir parler d’un quelconque secteur
d’activité sans faire des choix éthiques primordiaux. L’apologie de la neutralité de la science
et de la technologie participent aussi aux intérêts immenses des organisations citées plus haut,
et c’est pour ça que nous décidons dans ce livre de ne pas rester neutres.
En essayant dans ce livre de décrire les fondamentaux de la pratique de
l’agroforesterie, nous empruntons un chemin qui a déjà été suivi par plus de mille familles
paysannes. Ce chemin ne se résume pas à la proposition technique faite dans les chapitres
précédents, il comprend aussi une vision participative et horizontale de l’éducation, en
passant par la construction de réseaux de coopération, de solidarité et d’amour entre les êtres
humains et la nature. C’est pour cela que nous désirons la construction d’un projet pour le
bien de toute la société, passant par une grande réforme agraire inclusive et populaire, qui
tient pour pilier fondamental l’agroécologie.
Nous luttons aussi pour les peuples traditionnels, leurs cultures et leurs valeurs, pour
les personnes exclues, pour les travailleurs et travailleuses ainsi que les organisations
défendant la vie de tous les êtres vivants. Nous luttons pour une vie plus proche des savoirs
divins, des savoirs de la nature. Pour un monde sans frontière, où les terres, les graines et la
nature sont la propriété collective de tous les êtres de la Planète Terre. Pour une vie plus
naturelle, sans l’infinité de choses inutiles qui finissent par nous asservir. Pour faire
reconnaitre et aimer l’organicité de l’organisme Planète Terre. Pour remettre la science et la
connaissance humaine à profit de tous les être de la Planète, dans les limites que dictent
l’humilité, la responsabilité et l’éthique. Nous luttons pour la libération des individus et de la
nature de toute forme d’esclavage, nouvelle ou ancienne. Mais nous luttons aussi par amour
pour notre patrie qu’est le Brésil, et pour toutes les autres patries du monde. Ceci est notre
lutte, que nous mènerons avec fermeté et un amour indéfectible.
Nos cœurs se renforcent grâce à la foi en l’amour universel présent dans chaque petite
parcelle du monde, nous procurant la force pour triompher contre l’empire de l’égoïsme qui,
s’il n’est pas freiné, nous mènera inévitablement à la mort collective de l’humanité et de la
plus grande partie de l’infinité des espèces qui partagent et forment avec nous ce corps sacré
qu’est l’organisme Planète Terre.
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REMERCIEMENTS DES AUTEURS
A Dieu, pour sa présence dans chaque recoin du monde et pour nous laisser la percevoir.
A nos mères, pères, filles et fils, à nos familles et nos amis et à toutes les personnes qui de manière toujours
différente, à un certain moment, nous ont enseigné, par la pratique, l’amour qui nous pousse aujourd’hui à
écrire chaque page de ce livre.
Aux peuples originels d’Amérique, pour le lègue de leurs connaissances sacrées et de leurs immenses
agroforêts dont la fertilité et la biodiversité sont grandioses.
A tous les individus, organisations et réseaux qui travaillent pour la justice et l’équité sociale, et pour donner
conscience que nous sommes plus que des frères et sœurs car ensemble avec tous les autres êtres nous
appartenons à l’Organisme Planète Terre.
A tous les individus, organisations et réseaux qui assument la mission de ramener dans les champs la nature,
l’agroécologie, l’agroforesterie, les peuples traditionnels et les gens, construisant ainsi une réforme agraire
inclusive et populaire.
A Vandeí, Cristine, Paraguai, Zaqueu, Zé das Couves, Kelli, Biju, Guê, Tassi, Jesuíta, Rodrigo, Eduardo, Márcio,
Paulinho, Mario, César, Edson, Daniel, Joison, Capitani, Ademir, Luis Paulo, Claudio, George, Neotune, Rafael,
Diogo, Pedra, Japonês, Rogério, Fernanda, Daniel et à tous les autres compagnons et compagnonnes qui
portèrent le Projet Agroflorestar dans les installations rurales de la Réforme Agraire Populaire.
Aux compagnons et compagnonnes qui formèrent le Projet Flora, parce que de corps et de cœur ils appuyèrent
la création du Réseau Agroflorestal dont parle ce livre, qui réunit déjà plus de 1000 familles de producteurs
dans l’état du Paraná et de São Paulo.
A tous les producteurs et productrices, protagonistes du processus d’implantation de plus de milles systèmes
agroforestiers qui ont donné naissance à ce livre.
Aux élèves, aux professeurs et aux coordinateurs des cours populaires d’agroécologie, qui participèrent
activement à ce processus.
A Edu, Fabiane, Luisão, Rodrigo et tous les chercheurs et chercheuses qui, bien qu’à l’instar du système, se
dédient à révéler au monde entier les caractéristiques des systèmes agroforestiers agroécologiques du Réseau
Agroflorestal, dont traite ce livre.
A toutes les familles de producteurs qui ensemble ont construit la Cooperafloresta, ouvrant un sentier de
lumière pour le monde et les nombreux individus, organisations et réseaux qui contribueront, grâce à leurs
ressources et leur dévouement, à la concrétisation globale de leur travail.
A Lucilene, Osvaldinho, Eliziana, Rogério, Bernardo et Arthur, qui, de corps et de coeur, ont été des frères et
sœurs essentiels pour la construction de la Cooperafloresta.
A Sezefredo et à sa famille, aux frères Pedro, José et Felipe pour avoir semé la Cooperafloresta et pour s’en
être occupé de tous leurs cœurs.
A toutes les personnes qui ont contribués, toujours avec enthousiasme, à la gestion, l’administration et la
réalisation des projets, de l’agroindustrie et de la commercialisation collective des produits de la
Cooperafloresta.
A Ernst Götsch, tuteur gigantesque, qui, par la théorie et la pratique, a su inspirer la Cooperafloresta et la
grande majorité de ce dont traite ce livre. Communiant avec la Nature, et l’âme et le savoir des peuples
d’Amérique il a enseigné et ouvert les yeux, les cœurs et les esprits de toute une génération d’acteurs de
l’agroforesterie.
A Petrobras et à toutes les personnes qui contribuèrent à la construction du Programa Petrobras
Socioambiental, pour l’importance de ce programme pour le Brésil et pour le financement des projets
Agroflorestar et Flora, dont les résultats sont décrits dans ce livre.
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Traduit par Léo Godard.