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| Imprimer | Agustín Colombo Foucault et le christianisme. À propos de la réception de Foucault en Amérique Latine Compterendu de Cesar Candiotto et Pedro De Souza (dir.), Foucault e o Cristianismo, Autêntica Editora, Belo Horizonte 2012 (160 p.) Sous le même titre que l’excellent travail pionnier de Philippe Chevalier[1], mais en langue portugaise, ce livre publié au Brésil dans le cadre de la collection « Estudos Foucaultianos » [« Études foucaldiennes »] est issu du I Fórum Internacional de Estudos Foucaultianos : O cristianismo em Michel Foucault [Ier Forum international d’études foucaldiennes : le christianisme chez Michel Foucault], qui a eu lieu à l’Université Fédérale de Santa Catarina (UFSC) les 25 et 26 novembre 2010. Dans son introduction[2], Pedro de Souza – qui est avec Cesar Candiotto l’un des deux éditeursde ce volume – explique que le but de ce Ier Forum était de croiser les perspectives autour des recherches sur les différentes manières dont Foucault problématise la question du christianisme dans ses travaux. De surcroît, ce livre visait à rassembler certains des travaux présentés à l’occasion de ce forum avec les contributions de Michel Senellart et de José Luís Câmara Leme. Le résultat est un ouvrage à la fois très hétérogène et très riche qui se compose de dix chapitres portant sur le traitement du christianisme dans les travaux de Foucault ainsi que sur la possibilité d’utiliser les concepts et les analyses foucaldiennes pour situer le christianisme dans un cadre théorique et historique plus large que celui des recherches de Foucault luimême. Dans le premier chapitre intitulé As religiões e o cristianismo na investigação de Foucault : elementos de contexto [Les religions et le christianisme dans la recherche de Foucault : éléments de contexte], Cesar Candiotto souligne l’intérêt que, durant la décennie 19701980, Foucault a significativement porté aux religions, et plus particulièrement à l’importance des pratiques religieuses orientales et occidentales. Évoquant la préface de la première édition d’Histoire de la folie à l’âge classique[3], Candiotto remarque que les pratiques orientales considérées par Foucault pourraient mieux être interprétées à travers sa fascination pour l’Orient, qui se serait par ailleurs accentuée suite à ses voyages et ses expériences personnelles. L’Orient, comme objet de fascination, serait alors un Autre situé à la limite de la culture et de la rationalité occidentale et qui en permettrait la critique. Quoi qu’il en soit, ce qui est au cœur de le contribution de Candiotto est davantage le rapport plus général de Foucault à la religion, ou comme il l’affirme : le principal foyer de ses intérêts est les processus d’individualisation, de subjectivation et de désubjectivation. C’est à partir de ce foyer que le christianisme peut être compris de façon adéquate dans le cadre de ses Página 1 de 9 Candiotto - De Souza | Foucault e o Cristianismo 25-11-2013 http://www.materialifoucaultiani.org/fr/component/content/article/209-candiotto-de-s...

Agustin Colombo Foucault e o Cristianismo Compte Rendu

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Agustín Colombo

Foucault et le christianisme. À propos de la réception de Foucault

en Amérique Latine

Compte­rendu de Cesar Candiotto et Pedro De Souza (dir.), Foucault e o Cristianismo,

Autêntica Editora, Belo Horizonte 2012 (160 p.)

Sous le même titre que l’excellent travail pionnier de Philippe Chevalier[1], mais en

langue portugaise, ce livre publié au Brésil dans le cadre de la collection « Estudos

Foucaultianos » [« Études foucaldiennes »] est issu du I Fórum Internacional de

Estudos Foucaultianos : O cristianismo em Michel Foucault [Ier Forum international

d’études foucaldiennes : le christianisme chez Michel Foucault], qui a eu lieu à

l’Université Fédérale de Santa Catarina (UFSC) les 25 et 26 novembre 2010. Dans

son introduction[2], Pedro de Souza – qui est avec Cesar Candiotto l’un des deux

éditeursde ce volume – explique que le but de ce Ier Forum était de croiser les

perspectives autour des recherches sur les différentes manières dont Foucault

problématise la question du christianisme dans ses travaux. De surcroît, ce livre

visait à rassembler certains des travaux présentés à l’occasion de ce forum avec les

contributions de Michel Senellart et de José Luís Câmara Leme. Le résultat est un

ouvrage à la fois très hétérogène et très riche qui se compose de dix chapitres

portant sur le traitement du christianisme dans les travaux de Foucault ainsi que sur

la possibilité d’utiliser les concepts et les analyses foucaldiennes pour situer le

christianisme dans un cadre théorique et historique plus large que celui des

recherches de Foucault lui­même.

Dans le premier chapitre intitulé As religiões e o cristianismo na investigação de

Foucault : elementos de contexto [Les religions et le christianisme dans la recherche de

Foucault : éléments de contexte], Cesar Candiotto souligne l’intérêt que, durant la

décennie 1970­1980, Foucault a significativement porté aux religions, et plus

particulièrement à l’importance des pratiques religieuses orientales et occidentales.

Évoquant la préface de la première édition d’Histoire de la folie à l’âge classique[3],

Candiotto remarque que les pratiques orientales considérées par Foucault

pourraient mieux être interprétées à travers sa fascination pour l’Orient, qui se

serait par ailleurs accentuée suite à ses voyages et ses expériences personnelles.

L’Orient, comme objet de fascination, serait alors un Autre situé à la limite de la

culture et de la rationalité occidentale et qui en permettrait la critique. Quoi qu’il en

soit, ce qui est au cœur de le contribution de Candiotto est davantage le rapport

plus général de Foucault à la religion, ou comme il l’affirme :

le principal foyer de ses intérêts est les processus d’individualisation, de

subjectivation et de désubjectivation. C’est à partir de ce foyer que le

christianisme peut être compris de façon adéquate dans le cadre de ses

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recherches en tant que pratique de soi et comme dispositif de savoir­pouvoir

[4].

Ainsi, même si Foucault n’a jamais publié de livre dédié exclusivement au

christianisme, ce sont les pratiques religieuses chrétiennes occidentales qui

constituent le foyer principal des intérêts qui sont au cœur des recherches

généalogiques foucaldiennes. Sous cet angle, c’est dès Surveiller et punir que les

pratiques chrétiennes de normalisation et de « docilisation » se révèlent imbriquées

aux pratiques institutionnelles séculaires, composant ainsi « le cadre historique

moderne de la société disciplinaire »[5], ce qui amène Candiotto à conclure que

Foucault n’a jamais opéré une rupture totale entre religion et culture moderne, entre

christianisme et sécularisation. Enfin, cette contribution se focalise sur la réception

critique du christianisme chez Foucault par le biais des études développées en

France par Michel Senellart et Philippe Chevalier et dans le monde anglophone par

James Bernauer et Jeremy Carrette. Face à ces recherches, Candiotto ne manque pas

de signaler une « lacune » au sujet de la question des rapports entre Foucault et le

christianisme qui, dans le contexte brésilien, n’a jusqu’à présent presque jamais été

explorée, d’où l’importance qu’il assigne à cette entreprise éditoriale en langue

portugaise autour de ces questions.

Dans A desração, a confissao e a profundidade do homen europeu [La déraison, l’aveu et le

profondeur de l’homme européen], José Luís Câmara Leme part lui aussi de la préface à

la première édition de l’Histoire de la folie à l’âge classique, en remarquant que dans le

programme de travail énoncé par Foucault au tout début de ce livre apparaît

l’hypothèse selon laquelle il faudrait comprendre la déraison comme une expérience

chrétienne[6]. Dans cette perspective, l’histoire du concept de déraison autoriserait

selon Câmara Leme deux versions : une version « triste » et une version

« mystérieuse ». La version triste suggère que, parmi tous les concepts que Foucault

a inventés, celui de « déraison » est celui qui a eu la vie la plus courte, alors que la

version mystérieuse avancer l’idée que, même si la référence explicite à la déraison

disparaît rapidement des travaux de Foucault, sa problématisation continue de

traverser la dernière partie de ses recherches, en en constituant un enjeu capital et

incontournable. En prenant nettement parti pour cette deuxième version,

l’hypothèse de Camara Leme est que « l’expérience de la déraison est une

expérience chrétienne. C’est dans le cadre de la culture chrétienne que la déraison

s’est constituée comme une modalité de l’expérience que l’homme européen a avec

soi­même »[7].

Il s’agit d’une hypothèse qui essaie de poser à nouveaux frais l’importance de la

préface originale de l’Histoire de la folie ; suite à la suppression de cette préface, on

n’arrive plus selon Camara Leme à saisir pleinement le moment historique à partir

duquel l’homme européen a pu se constituer à travers la relation avec la déraison –

ce qui pour l’auteur reste un point saillant et de rupture dès lors que ce rapport à la

déraison est absent dans l’Antiquité classique. Cette hypothèse ne peut pas pourtant

ne pas apparaitre risquée, et cela pour deux raisons. D’une part parce que chez

Foucault la « déraison » en tant qu’événement[8] se réfère à un moment historique

précis (ce qui, de fait, est négligé dans l’idée d’un rapport continu et silencieux à la

déraison de l’âge classique à nos jours) ; ce que l’on risque de manquer c’est le fait

que l’émergence du concept de déraison chez Foucault est aussi bien lié à un

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moment historique particulier (l’âge classique[9]) qu’à une phase très déterminée de

l’itinéraire de recherche foucaldien. D’autre part, le deuxième risque de cette

hypothèse est peut­être de lier trop étroitement le christianisme au phénomène de la

déraison. Dans la tentative de vouloir restituer une cohérence et une continuité au

programme de recherche qui s’annoncerait depuis le premier livre de Foucault,

Camara Leme semble manquer l’importance d’autres questions que Foucault

soulève de manière bien plus explicite par rapport au christianisme.

Quoi qu’il en soit, c’est selon Camare Leme dans les années 1970 que Foucault

s’interroge sur la spécificité du christianisme par rapport à l’homme européen. En

considérant les trois axes du savoir, du pouvoir et de l’êthos ainsi que leur

corrélation, laquelle constituerait pour Foucault l’expérience[10], il serait possible de

parler de la déraison comme d’une expérience spécifiquement liée au christianisme

« dans la mesure où ces trois axes concordent pour qu’un sujet se reconnaisse en

tant que sujet de déraison »[11]. C’est afin de comprendre cette configuration que

les cours de Foucault au Collège de France font l’objet d’une analyse qui met

ensemble le pouvoir pastoral, le savoir en tant qu’exégèse de soi et l’éthique comme

mortification de soi. Cela amène Camara Leme a conclure que la déraison n’était

qu’apparemment absente des analyses développées par Foucault dans les années

1970 et 1980, puisque « la déraison est à la fois une expérience induite par le pouvoir

pastoral, à commencer par la figure du Démon que l’exégèse de soi affronte, et un

effet de la résistance à cette même mécanique du pouvoir »[12]. Ce que nous

retrouvons au cœur de la déraison est donc la voix du Démon et la brebis égarée. À

partir de là, Camara Leme arrive à affirmer que s’il est vrai que la déraison est une

expérience corrélative du christianisme, alors l’homme de la déraison a un autre

maitre, à savoir une voix intérieure qui l’inquiète, un autre êthos, c’est­à­dire celui de

la désobéissance, et enfin un autre savoir, celui d’être trompé.

Dans le chapitre 3 O Cristianismo como confissão em Michel Foucault [Le christianisme

comme aveu chez Michel Foucault], Philippe Chevallier, reprenant un des points les

plus importants de son travail[13], s’interroge sur la manière dont chez Foucault le

christianisme se constitue en tant qu’objet historique de réflexion. Bien qu’avant les

années 1980 Foucault se réfère à maintes reprises au christianisme, Chevallier

observe qu’il ne constitue pas un objet historique comme le système pénal ou la

psychiatrie ; s’inspirant des réflexions de Max Weber sur ce sujet, Chevallier en

arriver à conclure que « le christianisme, comme concept historique, n’existe pas

dans l’œuvre de Michel Foucault avant 1980 »[14]. Ce n’est qu’à partir de son cours

au Collège de France de 1980,Du gouvernement des vivants, puis de celui de 1982

L’herméneutique du sujet, que Foucault pose à nouveaux frais la grande question

inaugurale que l’on trouve dans la préface de Folie et déraison : quelle distance

séparer l’Orient de l’Occident ? N’y­a­t­il pas eu un déplacement profond dans

notre histoire à l’époque de l’Antiquité tardive ? Afin de préciser en quoi consiste la

différence chrétienne, Philippe Chevallier considère deux hypothèses. La première

conçoit la rupture produite par le christianisme à partir de l’aveu en tant que

rupture dans la manière de dire la vérité sur soi­même : l’aveu aurait ainsi introduit

un changement fondamental dans les relations entre subjectivité et vérité dans

l’Antiquité tardive, changement qui devient clairement perceptible à partir de

l’opposition entre le stoïcisme et le christianisme. La deuxième hypothèse met

l’accent sur le rapport toujours provisoire du sujet avec la vérité. De cette manière,

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la nouveauté chrétienne serait d’avoir introduit dans un monde de l’Antiquité où

l’illumination était atteinte une fois pour toute, une manière non­définitive d’avoir

accès à la vérité :

Voilà la coupure chrétienne par rapport à la philosophie antique : la vérité

n’est jamais ce que j’incorpore chaque jour un peu plus par l’usage de ma

raison, toujours plus éclairée et toujours mieux équipée contre l’adversité –

c’était le schéma stoïcien – en revanche, elle est ce que je ne cesse de perdre

en dépit du fait qu’elle m’est donnée à nouveau sans cesse – c’est le schéma

de la pastorale chrétienne[15].

Il s’agit d’un « salut dans l’imperfection » et c’est pour cela que Foucault peut

affirmer que le christianisme a apporté un élément nouveau dans le monde romain

et hellénistique, à savoir la possibilité de la rechute, une idée qui était étrangère à la

culture grecque, hellénistique et romaine ainsi qu’à la religion hébraïque[16].

Dans le chapitre 4 intitulé Técnicas de si e subjectivação no cristianismo primitivo :

umaleitura do curso Do governo dos vivos [Techniques de soi et subjectivation dans le

Christianisme primitif : une lecture du cours Du gouvernement des vivants ], Antony

Manicki se propose d’analyser les opérations intellectuelles qui permettent à

Foucault d’isoler certaines pratiques sociales qui ne le sont pourtant pas dans le

contexte où elles émergent. Afin de remplir cet objectif, Manicki se focalise sur un

axe expressément mis de côté par Foucault dans son analyse du rapport entre le

sujet chrétien et la vérité : l’axe sujet/dogmes[17]. À cet égard, l’auteur vise un

objectif très précis : « envisager les raisons pour lesquelles Foucault a choisi de ne

pas travailler à partir de l’axe qu’il laisse de côté et des présupposés

méthodologiques sous­jacents à la méthode généalogique »[18]. Dans un passage

très intéressant qui lui permet de critiquer la compréhension foucaldienne de

l’obéissance chrétienne et de s’adresser par le même geste à l’un des diagnostics

plus importants de la généalogie du christianisme, Manicki soutient que c’est

justement l’axe exclu par Foucault qui constitue l’élément à partir duquel on peut

concevoir un côté positif propre à l’acte chrétien d’obéissance. En s’appuyant sur

certaines sources comme Le Pédagogue de Clément d’Alexandrie, La catéchèse des

débutants d’Augustin et les Conférences de Cassien, Manicki trouve plusieurs

techniques productrices d’effets de subjectivation sur l’axe sujet/dogmes, comme

l’enseignement, la lecture des Écritures et la prière. En reconnaissant les vertus et les

dangers de la méthode foucaldienne qui procède par l’isolement sélectif de certaines

pratiques, Manicki conclut :

Foucault exclut explicitement des pratiques qui étaient historiquement liées

d’une manière essentielle aux pratiques qu’il étudie avec précision dans le

cours. Ainsi, malgré cette exclusion arbitraire, les conclusions proposées par

Foucault sont parfaitement recevables, puisqu’il n’a pas l’objectif de

construire une synthèse exhaustive du christianisme antique, mais des

éléments de généalogie. Les opérations intellectuelles rendent ces

conclusions oscillantes, dans un jeu difficile à jouer, entre réductions

formelles d’un côté et discontinuités qui respectent les singularités

historiques de l’autre[19].

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Ce jeu dont, selon Manicki, Foucault n’explicite jamais les règles, exige beaucoup du

lecteur. C’est pourquoi il faut partir du travail de reconstruction des opérations

intellectuelles de Foucault pour nous mieux placer par rapport à ses réflexions.

Michel Senellart, dans le chapitre 5 Verdade e subjetividade : umaoutra história do

cristianismo? [Vérité et subjectivité : une autre histoire du christianisme ?], insiste sur

l’accent qu’il faudrait mettre sur le christianisme en tant qu’objet particulier des

réflexions de Foucault, même si on devrait considérer l’intérêt de Foucault pour le

christianisme à partir de la perspective du sujet. En faisant écho à un article qu’il a

récemment publié[20], Senellart explique que l’importance du sujet dans le

christianisme comme axe central des travaux de Foucault doit être nuancée, sinon

remise en cause, cela pour deux raisons :

d’une part, parce que Foucault, tout au long de ces années, approfondit sa

recherche selon une stratégie régressive qui le fait remonter par étapes des

XVIe­XVIIe siècles (Contre­réforme tridentine) aux IVe­VIIe siècles

(organisation du pastorat et monachisme) ; puis aux premier et troisième

siècles (pratiques de véridiction) et, dans le dernier cours, au tout début du

Ier siècle (parrêsia) ; d’autre part, parce que ce parcours le conduit à poser

avec insistance la question du « propre du christianisme » par rapport aux

autres formes de civilisation[21].

En se demandant quelle histoire du christianisme résulte des six dernières années

d’enseignement de Foucault, Senellart considère que cette histoire se caractérise par

la mise à l’écart de trois problèmes majeurs de l’historiographie du christianisme,

sur lesquels Senellart se focalise à travers une grande maîtrise de sources diverses.

Ces problèmes sont ceux de la fondation, de l’eschatologie et du rapport entre les

pouvoirs spirituel et temporel[22]. Or, le but de Senellart n’est pas de corriger les

analyses foucaldiennes du christianisme, mais de faire apparaître la tension entre

certaines prémisses des analyses de Foucault et le développement concret de celles­

ci, afin de montrer – parmi d’autres lectures possibles – comment on peut explorer

les espaces ouverts par les recherches de Foucault, sans risquer de se trouver piégé,

comme on l’a longtemps été, par les « mots clés » par lesquelles ces recherches sont

normalement résumées.

À cet égard, Senellart considère qu’il faudrait mettre entre parenthèses la question

du rapport entre les pouvoirs spirituel et temporel en raison d’une option

méthodologique. Pour Foucault celle­ci excède les bornes de son analyse, même si à

partir d’elle on pourrait développer une archéologie de l’idée même de théologie

politique plutôt qu’une généalogie de la gouvernementalité moderne. L’auteur de

l’article s’arrête ainsi sur l’analyse de l’eschatologie et sur la question de la

fondation en tant qu’origine qui, d’après Senellart, devient une question de apousia

Christou, d’absence du Christ. Par ce biais, on arrive aux deux raisons qui expliquent

pourquoi, dans les recherches de Foucault, l’importance du sujet dans le

christianisme devrait être nuancée. Premièrement, c’est à partir de certains éléments

que Foucault tire de Nietzsche que nous devrions chercher le « propre du

christianisme », en essayant de le comprendre en tant qu’événement– ce qui nous

permettra enfin d’envisager à la fois sa particularité par rapport aux autres cultures,

ainsi que les ruptures que le christianisme a produit par rapport à la civilisation

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gréco­romaine. Deuxièmement, au­delà des limites des analyses foucaldiennes

soulignées par Senellart qui résulte du fait d’avoir négligé de développer le thème

de l’eschatologie ou la question de la figure scripturaire de Jésus, on peut également

chercher à suivre Foucault d’un point de vue critique dans son étude de l’histoire

du christianisme à partir de l’interrogation sur la formation du sujet occidental, ce

qui ouvre à son tour une nouvelle perspective sur les techniques de gouvernement

des hommes. Mais là aussi il faudrait encore poser la question « christique » en

confrontant la généalogie foucaldienne du sujet moderne à une ligne

historiographique traversée par la question eschatologique, qui va de Nietzsche

jusqu’à William Werde et au courant historico­critique qui est postérieur à ce

dernier. Cette perspective, d’après Senellart pourrait contribuer de manière

novatrice à une autre histoire du christianisme.

Dans A prática da direção de consciência em Foucault : da vida filosófica à vida monástica

cristã [La pratique de la direction de conscience chez Foucault : de la vie philosophique à la

vie monastique chrétienne ], le chapitre 6 du livre, Cesar Candiotto se focalise sur une

comparaison entre la direction de conscience dans le stoïcisme et la direction de

conscience chrétienne. Comme il le dit au tout début de son article[23], il s’agit de

montrer comment Foucault situe au IVe siècle la direction de conscience chrétienne

en soulignant des discontinuités par rapport au stoïcisme impérial des premiers

siècles de notre ère. Par ce biais, il s’arrête sur les traits principaux de la direction de

conscience stoïcienne, comme la finalité d’obéissance (l’obéissance comme une étape

toujours nécessaire mais jamais définitive), l’examen de conscience (dont l’objet sont

les actes et la finalité envisagée par celui qui réalise l’examen) et la vérité sur soi­

même (le dirigé doit être lié aux discours qui opèrent comme armure pour la vie :

paraskeué). En revanche, dans la direction de conscience chrétienne, il est question

d’une obéissance intégrale ; d’une verbalisation de soi­même et d’un examen de

conscience ;mais à la différence de l’examen de conscience stoïcien, dans le

christianisme, l’objet de l’examen est la pensée. Comme le remarque Foucault en

citant Cassien : nullas cogitationes celare[24] non analysée. Ceci amène l’auteur à

conclure qu’ « on est devant deux dispositifs différents lorsqu’on analyse la

problématique de l’assimilation des techniques fondamentales de la vie

philosophique dans le cadre des institutions monastiques »[25]. Enfin, Candiotto

met en relief comment de là découlent trois discontinuités par rapport à l’analyse de

ces deux formes de direction : maitrise de soi­obéissance, verbalisation­silence,

examen accusatif­examen administratif.

Dans A política das identidades como pastorado contemporâneo [La politique des identités

comme pastorat contemporain], Kleber Prado Filho se concentre moins sur l’axe

subjectivité/vérité que sur la question du pouvoir pastoral, en analysant sous cette

perspective certaines pratiques contemporaines de gouvernement. Il aborde ainsi

l’étude des relations de pouvoir à partir d’une dimension moléculaire ou micro­

politique – qu’il met en relation avec le pouvoir pastoral – d’où il devient possible

d’examiner la critique ainsi que l’instrumentalisation des pratiques de résistance par

rapport aux pouvoirs quotidiens. Il s’agit alors de considérer les aspects centraux du

pastorat à la lumière d’autres concepts foucaldiens comme ceux de discipline et de

biopolitique afin de comprendre ce qu’il appelle « la politique des identités »

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Le chapitre 8 Parresia, prática de si e moral de código : mais umelo do problema do sentido

histórico em Foucault [Parrêsia, pratique de soi et morale de code : un autre chainon du

problème du sens historique chez Foucault], signé Hélio Rebello Cardoso Jr. et Alfredo

dos Santos Oliva, porte sur la multiplicité du « sens historique » à partir de quelques

considérations sur la parrêsia dans le christianisme primitif. En circonscrivant leur

analyse aux Actes des apôtres, les auteurs remarquent que, bien que chez Foucault le

diagnostic de l’axe éthique vise à considérer le christianisme en termes généraux,

c’est­à­dire à partir d’une morale du code, on peut pourtant trouver dans le

christianisme primitif un autre type de rapport à soi­même :

S’il est vrai, d’une part, que le christianisme est déterminé par une morale

prescriptive du code qui ne laisse pas beaucoup de place à l’élaboration d’un

autogouvernement, il est vrai aussi, d’autre part, que les pratiques

chrétiennes, normalement relatives au christianisme primitif ou aux sectes

minoritaires, suivent une morale d’expérimentation appuyée sur

l’autogouvernement[26].

Durval Muniz de Albuerque Júnior, dans le chapitre 9 intitulé A pastoral do silêncio :

Michel Foucault e a dialética entre revelar et silenciar no discurso cristão [La pastorale du

silence : Michel Foucault et la dialectique entre révéler et taire dans le discours chrétien],

considère l’actualité du pastorat dans l’Église à partir d’un commentaire de la Lettre

aux évêques de l’Église catholique sur le traitement pastoral des personnes homosexuelles. À

partir de là, il examine la distinction, opérée par l’Église catholique elle­même, entre

la condition d’homosexuel et les pratiques homosexuelles. À travers cette analyse, il

parvient à montrer de quelle manière l’Église catholique refuse d’admettre que les

homosexuels puissent être conçus en tant que sujets de droits, comme de vrais

sujets publics et politiques[27].

Dans le dernier chapitre, Entre o assujeitamento e a constitução de si : pastoral cristã à luz

de Michel Foucault [Entre l’assujettissement et la construction de soi : la pastorale

chrétienne à la lumière de Michel Foucault], Edelcio Ottaviani, André Luiz Fabra et

Jerry Adriano Chacon s’arrêtent sur quelques traits des travaux de Foucault sur le

pouvoir pastoral en essayant de les mettre en rapport avec la Théologie de la

libération. Il s’agit de prendre Foucault au sérieux comme un critique rigoureux de la

pratique pastorale en tant qu’incitation à l’action qui résiste aux pratiques de

domination, en considérant la responsabilité de soi comme un gouvernement de soi­

même au sein des institutions qui visent le gouvernement des autres[28]. À cet

égard, les auteurs observent que lire Foucault à la lumière de la pratique de la

Théologie de la libération implique une manière de concevoir la pastorale qui est

opposée à la façon dont elle est conçue par l’Opus Dei. Sous une perspective

foucaldienne, cette considération est développée à travers l’analyse des pratiques de

direction de conscience opérées par l’Opus Dei ainsi que des pratiques de

constitution de soi auprès des Communautés ecclésiastiques de bases (CEBs) au

Brésil dans les années 1970 et 1980. Par ce biais, les auteurs en viennent à affirmer

que « l’exercice négatif de la pratique pastorale, ne contribue pas à la constitution

du sujet libre et du règne de Dieu, dont déjà la tradition prophétique montrait

l’absence de domination »[29]. Cette conclusion montre comment, du côté de l’Opus

Dei, la perspective de Foucault serait, davantage qu’un défi, quelque chose à

combattre.

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Ce qu’il faut souligner en termes généraux et en guise de conclusion à propos de cet

ouvrage va assurément au­delà de l’intérêt que chaque contribution dont se

compose ce volume peut receler pour les études sur Foucault. Comme le dit

Candiotto lui­même, ce livre représente une entreprise remarquable si l’on se

focalise sur l’enjeu fondamental de la réception de Foucault en Amérique Latine et,

par le même geste, permet aux lecteurs latino­américains de se familiariser avec le

traitement que Foucault fait du christianisme dans Du gouvernement des vivants bien

avant sa traduction et publication en Amérique Latine. Cette publication ne

manquera du reste de produire d’autres discussions et avancements dans les études

foucaldiennes qui sont d’ailleurs déjà le lieu de nombre de débats en Amérique

Latine, laquelle constitue un véritable laboratoire où Foucault commence à être

utilisé pour interroger notre actualité à partir d’une perspective assez décalée par

rapport à celle de l’Europe et du Nord global[30].

[1] Philippe Chevallier, Michel Foucault et le christianisme, Lyon, ENS Éditions, 2011.

[2] Cesar Candiotto et Pedro De Souza (dir.), Foucault e o Cristianismo [Foucault et le

christianisme], Belo Horizonte, Autêntica Editora, coll. « Estudos Foucaultianos »,

2012, p. 11 (« Apresentaçao »).

[3] Michel Foucault, Folie et Déraison. Histoire de la folie à l’âge classique. Préface, dans

Dits et écrits, Paris, Gallimard (Quarto), 2001, vol. I, p. 186­195.

[4] Cesar Candiotto et Pedro De Souza (dir.), Foucault e o Cristianismo, op. cit., p. 17.

La traduction du portugais au français est la mienne, sauf indication contraire.

[5] Ibid.

[6] Ibid., p. 23.

[7] Ibid., p. 29.

[8] Sur le concept d’événement chez Foucault et en particulier sur son rapport avec

la notion d’émergence voir Nietzsche, la généalogie, l’histoire, dans Dits et écrits, op. cit.,

vol. I, p. 1004.

[9] À cet égard voir par exemple les analyses de Foucault dans le chapitre II de la

Deuxième partie de Histoire de la folie à l’âge classique, « La transcendance du

délire » : Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, coll.

« Tel », [1972] 2012, p. 268­318.

[10] Michel Foucault, L’usage des plaisirs. Histoire de la sexualité II, Paris, Gallimard,

1984, p. 10.

[11] Cesar Candiotto et Pedro De Souza (dir.), Foucault e o Cristianismo, op. cit., p. 30.

[12] Ibid., p. 42.

[13] Philippe Chevallier, Michel Foucault et le christianisme, op. cit. Sur la question de

la construction de l’objet historique « christianisme » chez Foucault, voir en

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particulier la première partie de ce travail, « Le christianisme comme objet

historique, une question de méthode », p. 17­126.

[14] Cesar Candiotto et Pedro De Souza (dir.), Foucault e o Cristianismo, op. cit., p. 46.

[15] Ibid., p. 53.

[16] Sur la question de la rechute dans le christianisme, voir Michel Foucault, Du

gouvernement des vivants. Cours au Collège de France. 1979­1980, Paris,

Seuil/Gallimard, coll. « Hautes études », 2012, p. 183.

[17] Sur le « choix méthodologique» de Foucault concernant les actes d’aveu et non

les actes de foi, voir ibid., p. 82 et 91.

[18] Cesar Candiotto et Pedro De Souza (dir.), Foucault e o Cristianismo, op. cit., p. 58.

[19] Ibid., p. 71.

[20] Michel Senellart, « Michel Foucault : une autre histoire du christianisme ? »,

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, hors­série n° 7, 2013, mis en ligne le 29

mars 2013, consulté le 23 avril 2013 : <http://cem.revues.org/12872>.

[21] Cesar Candiotto et Pedro De Souza (dir.), Foucault e o Cristianismo, op. cit., p. 73.

[22] Ibid., p. 74.

[23] Ibid., p. 93.

[24] Michel Foucault, Du gouvernement des vivants, op.cit., p. 292.

[25] Cesar Candiotto et Pedro De Souza (dir.), Foucault e o Cristianismo, op. cit., p.

107.

[26] Ibid., p. 126. Il serait intéressant de compléter ces observations à partir des

considérations réalisées par Foucault sur les discontinuités affectant le terme parrêsia

à la fin de sa dernière leçon au Collège de France : Michel Foucault, Le courage de la

vérité. Le gouvernement de soi et des autres II. Cours au Collège de France. 1984, Paris,

Seuil/Gallimard, coll. « Hautes études », 2009, Leçon du 28 mars.

[27] Cesar Candiotto et Pedro De Souza (dir.), Foucault e o Cristianismo, op. cit., p.

140.

[28] Ibid., p. 147.

[29] Ibid., p. 154.

[30] Je voudrais remercier spécialement Fernando de Almeida qui m’a aidé à

accéder au livre dont fait l’objet cette notice (AC).

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