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Ah, la paix qui règne sur ces moments où l’on ne dort ...ekladata.com/AP1EFrEusBFErwaFhS8VZ6wmMJ8/Ebook_Stark_Internat… · Mais souvent les rêves se transforment en cauchemars

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Ah,lapaixquirègnesurcesmomentsoùl’onnedortplustoutàfait,sansêtreencoretout à fait réveillé. Ces douces minutes qui semblent s’étirer en heures, chaudes etréconfortantes,commeuneoffrandeconsentieparununiversbienveillant.

C’est un monde peuplé de rêves, un monde sûr. Un monde en ordre. Je veux m’yinstallerpourdebon,etresterdouillettementnichéeensonsein.

Mais souvent les rêves se transforment en cauchemars, et tandis que j’arpente lescouloirs du sommeil, la terreur tend versmoi samain glaciale.Mon pouls s’accélère,marespirationsefaitcourte.Jeveuxmepelotonnercontrelui,j’aibesoindesoncontact,maisiln’estpas là,etsoudain jemeréveilleensursaut,poisseusedesueur.Moncœurbatsi fortqu’ilpourraitmebriserunecôteoudeux.

Jackson.Jesuisréveilléeàprésent,seuleetdésorientée,enproieàunefollepanique.J’aipeur,

maisjenemerappellepluspourquoi.Trèsvite,tropvite,toutmerevient.Lessouvenirsaffluenttandisquemaconsciencese

réveille elle aussi, et je voudrais replonger dans le sommeil. Mon cerveau peut bienéchafaudertouslescauchemarsqu’ilveut,aucunneseraplushorriblequelaréalitésombreetfroidequis’imposeàmoimaintenant.

Uneréalitéoùlemondes’effondreautourdemoi.Uneréalitéoùl’hommequej’aimeéperdumentestsuspectédemeurtre.En soupirant, je me frotte le visage pour faire disparaître les dernières brumes du

sommeil, etmamémoire se précise. Il a déposé un baiser surma joue avant de se glisserhors de notre cocon et de partir dans l’air frais du petit matin. J’avais alors éprouvé ungrand bonheur à rester au lit, bien enveloppée dans les couvertures tièdes encoreimprégnéesdesonodeur.

Àprésent, je regrettedenepasm’être levéeenmêmetempsque lui,parceque jeneveuxpasresterseule.Lasolitudeaidelapaniquerampanteàgagnerduterrain.

LasolitudenourritmaconvictionquejevaisperdreJackson.

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Lasolitudeestmonennemiejurée.Mais j’aiàpeine le tempsderuminerquecettesolitudevoleenéclats.Laportede la

chambres’ouvrebrusquementetunpetitsoleilbrunauxyeuxbleusfoncesurmoiavantdegrimper sur le litpour sauterdessus,avecun telenthousiasmeque j’éclatede riremalgrémoi.

–Sylvia!Sylvia!J’aifaitdestartinesaveconcleJackson!–Destartines?Vraiment?Çamedemandeuneffort,mais jeparviensàgarderunevoixenjouéemalgré lapeur

quis’accrocheàmoi.JeserreRonniedansmesbrasuncourtinstant,maissoudainjenefaisplusvraimentattentionàelle,carunhommeestapparudansl’encadrementdelaporte.

Ilsetientnonchalammentsurleseuil,unplateauenboisdanslesmains.Sescheveuxnoirssontencoreébouriffésetilporteunebarbededeuxjours,unpantalondepyjamaenflanelle et un tee-shirt gris clair. Voilà un homme qui vient de se réveiller, et s’apprêtesimplementàprendresonpetitdéjeunerenparcourantlejournalcalésoussonbras.

Etpourtant,monDieu,jenepeuxleréduireàcela.C’estlapuissanceetlatendresse,laforceetlecontrôleincarnés.C’estl’hommequidonnedescouleursàmavie,l’hommequiilluminemesnuits.

Jackson Steele. L’homme que j’aime. L’homme que j’ai stupidement voulu quitter, unjour.L’hommequiatenubonetm’aramenéeauprèsdelui.L’hommequi,enpourchassantmesdémons,aconquismoncœur.

Maiscesontcesmêmesdémonsquinousontconduitslàoùnoussommes.ParcequeRobertCabotReedétait l’undecesdémons,etqu’il estmort.Quelqu’una

pénétrédanssamaisonàBeverlyHillsetluiadonnéuncoupsurlatêteavecunesculptureenivoire.

Et je crains que ce quelqu’un ne soit autre que Jackson, et qu’il doive payer pour cequ’ilafait.

Nous étions arrivés à Santa Fe hier en fin d’après-midi, tous deux gais comme despinsons.Jacksonavaitl’intentiondepasserleweek-endavecRonnie,puisd’allerautribunaldès le lundi afin de fixer une date d’audience pour sa requête : il voulait être reconnucomme le père de Ronnie aux yeux de la loi. Ces projets, cependant, ont été fauchés enpleinvollorsquedesinspecteursdelapolicelocalesontvenusnousaccueilliràladescentedel’avion,pourinformerJacksonqu’ildevaitrentreràBeverlyHillsafind’êtreinterrogésurlemeurtredeReed.

Au lieu de baigner dans la douceur et la joie des retrouvailles, l’après-midi s’étaittransformée en un tourbillon frénétique de coups de fil entre le Nouveau-Mexique et laCalifornie,avecdeschamailleriesd’avocatsetdespourparlersdanstouslessens.

JacksonavaitfinalementdécrochélapermissionderesteràSantaFepourleweek-end,àconditiondeserendredirectementaupostedepolicedeBeverlyHillslelundimatinàla

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premièreheure.Envérité, Jacksonaurait puobtenirde rester ici bienplus longtemps– àmoinsd’avoirl’intentiondel’arrêter,lapolicenepouvaitpasfairegrand-chose–,maissonavocatluiaconseillédenerienenfaire:joueràcepetitjeun’estpaslameilleuremanièred’obtenirl’appuidelapolicenides’attirerlasympathiedupublic.Etsinousnesavonspasencoresurquellespreuvesmatérielleslapolices’appuiepourincriminerJackson,lemobileducrime,lui,esttouttrouvé.

Mobile.C’est unmot si net, si propre sur soi, comparé àReed qui était unmec dégueulasse,

uneorduredepremière.Nonseulementilavaitabusédemoiquandj’étaisunetoutejeunefille,maisilvenaitde

memenacerdediffuser leshorriblesphotosqu’ilavaitprisesdemoià l’époque,siJacksoncontinuaitd’empêcherletournaged’unfilmqueReedvoulaitproduire.Cefilm,enrévélantdessecretsetdestromperies,propulseraitl’innocentepetiteRonnieaucœurd’unscandalemonstrueux.

Jacksondésirait-ilempêcherlasortiedecefilm?Plusquetoutaumonde.Voulait-ilmeprotégerdelavisiond’horreurdecesphotospubliéessurInternet?Bien

entendu.Souhaitait-il punir Reed pour tout ce qu’il m’avait fait subir, des années plus tôt ?

Évidemment.Jacksonavait-iltuéReed,alors?Surcettequestion-là,franchement,jesèche.Et surtout, je n’ai pas le droit de la poser. D’après Charles Maynard, l’avocat de

Jackson, il esthautementprobableque lapolicem’interroge,moi aussi. Et il n’y apasdepasse-droitpourlespetitesamies.CequisignifiequejedoisaffirmerentoutehonnêtetéqueJacksonnem’ariendit,surlesconseilsdesonavocat.Niqu’ilatuéReed,niqu’ilnel’apastué,niqu’ilalaisséplanerledoute.Seulementqu’ilnem’ariendit.

Rien.Je sais cequeçaveutdire,bien sûr. «Rien»masqueun«probablement»à tous les

coups.«Rien»masqueun«commeçatunepourraspasl’incriminerplustard».«Rien»masqueun«onessaiedepareraupire».Le seul fait d’y penserme fait trembler, et jem’assieds, le dos contre la têtede lit et

monoreillerserrédansmesbras,pendantque l’hommeque j’aimedépose leplateauet lejournalsurlapetitetablesouslafenêtre,dontlesrideauxsontencoretirés.

C’estunetâchetrèssimple,maisil l’exécuteavecconfianceetprécision,toutcommeilmènesavie.Jacksonn’estpasdugenreàselaisserabattreparlesaléasdel’existence,etiltraiteracepréjudicecommeilsedoit.C’estunhommequiprotègecequiluiestcher,etj’ailacertitudequelesdeuxpersonnesqu’ilaimeleplusaumondesontsafilleetmoi.

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Ilpourrait, j’en suispersuadée, tuerpournousprotéger l’uneou l’autre,et cette idéeprovoque enmoi un léger frisson de plaisir, rapidement altéré par une terreur immense.ParcequeJacksoniraitplusloinencore;s’ilpensaitpouvoirnousprotégerparsonsacrifice,iln’hésiteraitpas.Etj’aipeurquecesoitexactementcequ’ilafait.

Si Jackson finit derrière les barreaux, j’ignore si j’aurai les épaules assez larges poursupporterlepoidsdelaculpabilité.

Ils’assiedauborddulit,immédiatementassailliparuncyclonedetroisansquiréclamedeschatouilles. Ilobtempèreensouriant,puismeregarde.Maissonsouriren’apastoutàfaitréchauffésesyeuxd’unbleuiceberg.

Je tends lamainpourprendre lasienne.Combiende fois,depuis lesquelquesheuresqui se sont écoulées depuis notre arrivée, ai-je tenté de trouver les mots justes pourl’apaiser?Maiscesmotsn’existentpas.Lemieuxquejepuissefaire,c’estd’êtrelà.

D’ungestedumenton,jedésignelejournalqu’ilaposésurlatable.–Onparledetoilà-dedans?–Non,çam’étonnerait,c’estlecanardlocal.–Tuveuxquejeregarde?dis-jeenfronçantlessourcils.Jeneparlepasdu journal local,et il lesait.Ceque jepropose,c’estdefaireuntour

sur Internet pour prendre la température des sites de tabloïds, et en particulier ceux quiparlentdeLosAngeles,deBeverlyHills,demeurtresetdecélébrités.

Il fait non de la tête, et son refus ne fait qu’accroîtremon inquiétude. Ilm’a dit hierqu’il voulaitque rienneviennegâchernotreweek-endavecRonnie, ceque je comprends.Maisnousavonsdéjàcenuagenoirau-dessusdenostêtes–etsavoircequel’onraconteausujetdecemeurtrenouspermettraitdenouspréparer.

J’ai déjà avancé l’argument hier soir, mais je compte bien défendre ma position denouveau.Etc’estcequejem’apprêteàfaire,quandilposesondoigtsurmeslèvres.

–J’airegardécematin,dit-ildoucement.Iln’yarien.–Vraiment?–Vraiment.Ilserremamainettendl’autreàRonnie.–J’aivérifiésurmatablettependantquecettepetite-làfaisaitgrillerlepain.Pasvrai?

luidemande-t-ilenlachatouillanttandisqu’ellel’escalade.Pasvrai?–Si!Si!glapit-elle,mêmesiellen’abiensûraucuneidéedecedontnousparlons.–Tontémoinm’al’airunpeucorrompu,dis-jeenmeforçantàsourire.Ilaendossésonrôledepèreavecunnatureletuneaisancequim’épatent.–Peut-être.Maissontémoignageestvéridique.Il l’embrasse sur le sommet de la tête et l’attire à lui, dans un geste empreint d’une

émotionbrute,sidéchirantequej’ensuisbouleversée.

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– Tu devrais aller voir Grammy dehors, dit Jackson à la fillette. Fred se demandesûrementoùtues.

Àl’évocationduchiot,lesyeuxdeRonniepétillent.IlssontdumêmebleuqueceuxdeJackson.

–Tuvasveniraussi?–Bien sûr, promet-il. Laisse-moidiscuter avecSyl pendant qu’elle boit son café, et je

viendraiterejoindre.–Ettuvasmangertestartines?medemande-t-elleavecsérieux.–Maisoui,j’ensalived’avance!Jepariequecesontlesmeilleurestartinesdumonde.–Ouais,confirme-t-elleavantdequitterlachambrecommeunefusée.Jackson la regarde sortir, et moi, je regarde Jackson. Lorsqu’il s’aperçoit que je

l’observe,ilsourit,l’airconfus:–C’estparfoisdifficileàcroire…qu’elleestvraimentmafille,jeveuxdire.Je songe aux cheveux noirs de la fillette, à ses yeux bleus. À son intelligence, son

caractèreénergiqueetsadéterminationd’airain.–Cen’estpasdifficiledutout.J’espéraisluiarracherunsourire,maisilatoujoursl’airaussitriste.–Iln’yavaitvraimentrien?–Rien,jetelepromets.Jedoisavoirunemouedubitative,carilenchaîne:–Lapolicenevapasdonnerdenoms.Pastantqu’iln’yaurapasd’arrestations.Saufsi

çatraînetropetqu’ellepréfèreéviterlesfuitesdanslapresse.–Etc’esttagrandeexpériencedelapègrequitepermetd’affirmerça?–Desannéesdesériestélé,corrige-t-il.Maistusaisbienquej’airaison.Jehochelatête.Çasetient.Etpuis,lapolicenesaitpasencoretout.Pourautantque

je sache, elle n’est au courant que de la détermination de Jackson à bloquer le film. Lechantageetl’existencedeRonnien’ontpasétédévoilés.

Toutefois,cesréflexionsn’apaisentenrienmonangoisse.Parcequesi…non,quandcesélémentsserontrévélés,ilsneferontquerenforcerlessoupçonsquipèsentdéjàsurJackson.

–Est-cequeçava?jeluidemande.C’estunequestionbêteetmaladroite,quirévèlemonimpuissancefaceàlasituation.–Non,admet-il.Ilmecaresselajoueduboutdesdoigts,attentifàmonexpression,cherchantàcroiser

monregard. Ilsembleperdutoutd’abord,maisdanssesyeux,c’est trèsvite lachaleur, lebesoin que je vois. C’est à moi qu’ils sont adressés, et il ne s’agit en aucun cas d’unequestion. Il n’y a pas de requête à exprimer, pas de permission à accorder. Il glissesimplement lamain autour demanuque etm’attire à lui, puis sa bouche s’empare de lamienne.

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Jem’offreàluisanshésiter.Jesuisàlui,corpsetâme,quellequesoitlamanièredontilabesoindemoi.

Son baiser s’intensifie, sa langue joue avec la mienne. Sa bouche est brûlante etaffamée.

Nousn’avonspas fait l’amourhier soir, tropharasséspar levoyageetpar la tornaded’émotionsquiontsuivi.TropprisparlafamilleetparRonnie.

C’est enpartie la raisonpour laquelle jem’attends àdavantagequ’à la fouguede cebaiser. Je m’attends à ce que ses mains pétrissent mes seins. Je m’attends à ce que, larespiration soudain hachée, ilm’allonge sur le lit et se lève pour aller fermer la porte ettournerleverrou.Jem’attendsàsentirlematelasbougerquandilmerejoindra,àentendrelefrottementducotoncontrelesdrapsquandilretireramaculotte.

J’anticipe lachaleurdesoncorpscontre lemien.Mespoignetsattachésavecson tee-shirt,celuique je luiaivolépourdormir,etqu’ilm’ôterabrutalementavantdes’enservirpourmecontraindre.

J’imaginelatensiondansmescuissesquandilécarteramesjambessansménagement,et la brûlure passagère quand il me pénètrera d’un coup, avant de se perdre dans cettepassiondébridéedontilabesoin.Terriblementbesoin.

Jem’attendsàtoutçaparcequejeleconnais.Parcequesonuniversaéchappéàsoncontrôle.Jacksonestnonseulementdugenreàavoirbesoindetenirlesrênes,maisaussides’enemparer.Jacksonnese laissepasballoterpar la tempête, ilnesubitpas lesélémentscommeunecoquilledenoixsurl’océan.Ilsebat.Ilvainc.Ilraflelamise.

J’aicanalisétoutecetteénergieàtraverslesexe.Ilm’avaitditça,unjour.Etilmel’adémontrédetrès,trèsnombreusesfoisdepuis.Pourtant,ilnevientpasàmoi.Ilnes’emparederien.Ilneconquiertrien.Lapeurs’insinueenmoialorsqu’ilmerelâcheetselève.Ilnecroisepasmonregardet

setourneverslafenêtreavantdesepasserlamaindanslescheveux.–Jackson?Il ne réagit pas. Immobile, il me tourne le dos, épaules voûtées. Je sais qu’il nem’a

même pas entendue ; comment le pourrait-il ? Il est à des kilomètres d’ici, loin de cettechambreauparquetdeboisbrut.

Devant lui, sur la table, mon café et mes tartines attendent. Il pousse le plateau etouvrelesrideauxpourlaisserentrerlalumièrematinale.

NoussommesdanslamaisondeBettyWiseman,l’arrière-grand-mèredeRonnie.C’estune famille aisée,mais cettemaisonduNouveau-Mexiquen’est qu’un «modeste » pied-à-terre de « seulement » 450 m2. Jackson et moi occupons l’une des chambres d’amis quidonnent sur l’arrière de la propriété. La vue que j’ai eu le temps d’admirer hier soir étaitsplendide, avec les montagnes habillées dans leurs couleurs automnales, les étenduesverdoyantesetlavégétationàfeuillagepersistant.Lesrougesetlesocresdelapierreetdes

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arbres.Et,bienentendu,lecield’unbleusoutenu,sivasteetsiresplendissantqu’ilsembleemplirvotreâme.

Maisdepuislelitoùjesuistoujoursassise,raide,empruntéeetlégèrementinquiète,jen’aperçois qu’une partie de la terrasse et la façade de la maison. Je n’ai pas accès aupanorama sublime que Jackson est en train de contempler. Nos perspectives diffèrentradicalement,etcetteréalitémemine.

Jem’humecteleslèvres.Jemesensdistante,paumée,bonneàrien.Unpeuencolère,aussi.Parcequejeneveuxpaslevoirsouffrir,pasquandj’ailesmoyensdelesoulager.

Maisc’estbienlecœurduproblème.Elleestlà,maplusgrandepeur.Jecrains,nondenepouvoirapaiserJackson,maisqu’ilpréfèreportersonfardeautout

seul.Oh,etpuismerde.Je repousse les couvertures et m’approche de lui. Le tee-shirt que je lui ai piqué

m’effleurelehautdescuisses.Deboutderrièrelui,jeglissemesbrasautourdesatailleetleserre fort, ma joue contre son dos. Je respire son odeur, virile, musquée, avec de légerseffluvesd’adoucissant.Çasentbonlepropre,etpeut-êtremêmeunpeulepèredefamille.MaissurJackson,c’estaussiunparfumtrès,trèssexy.

Mesmainssontposéessursataille,etilseraitfaciledelesfaireglisserunpeuplusbas.Delecaresser,delefairebander.Dejoueraveclui.Deleséduireetdelecombler.

De fairemonter sa fièvre au point qu’il ne puisse plus penser à rien d’autre qu’àmebaiser, qu’ilneveuille riend’autrequemoi.De le titiller jusqu’à cequ’ilmeprenneetmejettesurlelitpouruneétreinteexplosivequinousconsumeratouslesdeux,etdétruiraaupassage les ombres qui se sont glissées entre nous, par le feu, la chaleur et l’éclatéblouissantdenotreunion.

Maiscen’estmêmepascequejesouhaite.Pasvraiment.Cequejesouhaite–cedontj’aibesoin–,c’estqueJacksonviennemechercher.Qu’il seservedemoicomme il l’adéjàfaitparlepassé,pourpansersesblessuresetretrouversonintégrité.

Alors, au lieu de descendre ma main pour empoigner sa queue, je me contente derester sans bouger, agrippée à cet homme que j’aime et dont je ne peux plusme passer.Avecl’espoir,malgrétout,qu’iln’estpasentraindem’échapper.

Unangepasse,puisunautre.J’entendslechienaboyerdanslejardin,leséclatsderiresuraigus de Ronnie, puis les voix plus graves de son arrière-grand-mère et de Stella, lagouvernantedevenuenounou.

Jackson est immobile, jusqu’à ce que ses mains viennent se poser sur les miennes,toujours sur sa taille,maintenant fermementmon étreinte. Je ferme les yeux pourmieuxsavourercecontact,pourmieuxsentirsaforce.C’estalorsqu’ilécartedoucementmesmainspoursedégagerdemesbras.

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Jem’étreinsmoi-mêmepourcompenserlapertedesachaleur.Maisc’estinutile;jesuisglacéejusqu’àl’os.Perdue,courroucée,apeurée.Etseule,siseule.

Ilvas’asseoirauborddu litetse frotte levisage.Lorsqu’il relève lesyeuxversmoi, ilparaîtsilasquemacolèreetmonincertitudesemblentfondrecommeneigeausoleil,etjen’aiplusqu’uneenvie:leconsoler.Jevaism’agenouillerdevantluietjeposelesmainssursescuisses.

Bien que timide, son sourire me réchauffe le cœur, et je pourrais pleurer desoulagementlorsquedesonpouce,ilmecaressetendrementlajoue.

–Jesuisdésolé,jesuisenvrac.–Àpeine,jelecharrie,etjesuisrécompenséeparsonairamusé.Maistuvassurmonter

toutça.Onvasurmontertoutça.–Jevoulaisseulementramenermafilleàlamaison.Sesparoles résonnentbizarrement, comme si quelque chosene collait pas. Ilme faut

unmomentpourcomprendrepourquoi.–Tuvoulais?jerépète.–J’aiappeléAmycematin,dit-ild’untonneutreetdépourvud’émotion,qu’il semble

maintenirauprixd’uneffortconsidérable.–Oh.AmyBrantley est l’avocatequi gère ses affairesprivées àSantaFe.C’est elle qui s’est

occupéedudossierpourétablirlapaternitéetlesdroitsparentauxdeJackson.Jenel’aipasencorerencontrée,maisjesaisquec’estellequis’occuperadel’audiencepourlarequêtedeJackson,dèsquepossible.

–Alors,qu’est-cequ’elleadit?Sais-tuquandl’audienceserafixée?Sonregards’assombrit.–Iln’yaplusd’audience.Onvatemporiser.–Quoi?Mais…J’essaiederéfléchir.Jemerendscomptealorsque j’auraisdûm’yattendre.Jesaisce

queçasignifie.Çasignifiequ’ilnepensepasêtrelàpours’occuperd’elle.–OhmonDieu,Jackson.J’auraisvouluquemavoixnetrahissepasautantmoneffroi.–Non,dit-ilavantdelerépéterplusfermement.Non.Jen’abandonneraipas.Jeneme

coucherai pas. Mais je ne veux pas prendre de risques pour ma petite fille. Et si le pirearrivait et que jeme retrouvais en taule ? C’estMegan sa tutrice légale pour lemoment,mais ce ne sera plus le cas une fois que mes droits seront établis. Est-ce qu’un tribunalcalifornien renverraRonnie auNouveau-Mexique ?ÀMegan, son ancienne tutrice admisedansuncentrede soinspour ses troublesmentaux?OuàBetty,malgré songrandâge?Peut-être.Maisleplusprobable,c’estqueRonnieatterrissedansunefamilled’accueil,etjenepeuxpasprendrecerisque.Jeneprendraipascerisque.

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Je voudrais protester. Lui dire combien je suis affectéemoi aussi. Lui promettre qu’ilsurmontera tout ça. Mais je crains que le fait de mettre des mots là-dessus ne fasse quesoulignerl’étenduedesaperte.Alorsjemecontentedemurmurer:

–Jesuisdésolée.–Moiaussi.J’ai enviedemeblottirdans sesbras etd’y rester. J’ai enviedemeperdre en lui.De

m’étourdirdesonodeur,desapeau,jusqu’àcequetoutesmespeursaientdisparu.Maisilnem’ouvrepassesbrasetjen’osepastraversercenuagenoirquimeséparede

sonétreinte:ets’ilmerepoussait?Alors,j’agisàl’opposédemesdésirs.Jemerelèveetmeforceàsourire.–Bon.Alors,qu’est-cequiestprévu?IlfautquetusoisàBeverlyHillsdemainmatin,

c’estça?Àquelleheureonpartd’ici?Ilsemblepresquesoulagéquejechangedesujet.– Cet après-midi. Je veux avoir le temps de parler avec Charles et le nouvel avocat

avantdemejeterdanslafosseauxlionsdemain.Charles Maynard, son avocat à Los Angeles, lui a promis d’engager un ténor du

barreaupourledéfendre.Jel’interroge:–GraysonetDarrylsontaucourant?Grayson Leeds est le pilote à la tête de la flotte de Stark International, et quand

Damienaproposéà Jackson l’unde sespluspetits jets, il a choisidemettreGraysonauxcommandesetadésignéDarryl,unenouvellerecrue,commecopilote.Audépart, lesdeuxhommes devaient simplement effectuer les deux heures de vol jusqu’à Santa Fe, nous ydéposerpuisrentrerenCalifornie.Maisquandlapoliceestvenuenousaccueillirpournousannoncerlechangementdeprogramme,GraysonetDarrylsontfinalementrestés.Euxaussibénéficientdel’hospitalitédesWiseman.

–Jeviensdelesprévenir,ditJackson.Ilsserontprêts.J’aiprévudeleverlecampjusteaprèsledéjeuner.

–Alorstun’asrienàfairedanscettechambre.Jetournelatêteverslafenêtreetluitendslamainpourl’aideràserelever.– Va jouer avec ta fille, Jackson Steele, dis-je en caressant sa joue râpeuse. Ce sera

court,mais c’est pas grave. Très bientôt, tu pourras passer beaucoup plus de temps avecelle.

Ilsemblesurlepointderépliquerquelquechose,maissecontentedehocherlatête.–Tuviens?–Jevaisprendreunedouched’abord.Etpuis,dis-jeenfaisantungesteversmonpetit

déjeunerrefroidi,jenepeuxpassortirdelàavantd’avoirmangélesmeilleurestartinesdumonde.

Iléclatederire,etjenesuispasmécontentedemablagueàdeuxballes.

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Je le regarde s’éloigner avant de refermer la porte derrière lui. Puis je retourne à lafenêtrepourguettersonarrivéesurlapelouse.Ildébarqueauboutdequelquesinstants,etappelle Ronnie sousmon regard ému. La fillette court vers lui tandis que le chiot bonditautourd’eux.Illasoulèvedeterreetlafaittournerdanslesairs,levisageradieux.

Mon cœur se serre. Je sais que ce bonheur sera de courte durée. Et j’ai peur que lasituation ne s’aggrave durablement. Pire : les choses pourraient mal tourner et ne plusjamaiss’arranger.

Mon téléphone sonne au moment où je sors de la douche. Je ne reconnais pas lenuméro et l’espace d’un instant, j’envisage de laisser la messagerie prendre le relais. Jerépondsfinalement,aucasoùceseraitCass,mameilleureamie,quim’appelledechezunecopine, ouCharles, qui cherche àme joindre depuis le bureaud’un confrère. Ça pourraitmêmeêtreDamienStark,monpatron,quimetéléphonedepuisunhôteloùNikkietluiontdécidédepasserleweek-endsuruncoupdetête.

Bienentendu,ilnes’agitd’aucund’entreeux.Lavoixàl’autreboutdelaligneestcelledemonpère.–Sylvia.Machérie,ilfautqu’onparle.Jemeraidis.Cetermed’affection,autantqueletonqu’ilemploie,mehérissent.Comme

s’ilétaitsoucieux.Commes’ilenavaitquelquechoseàfoutredemoi.Jesaistrèsbienquecen’estpaslecas.Je sais qu’ilm’appelle uniquement parce que Jackson l’a forcé à se confronter à une

réalitéqu’ilabienprissoind’éviterdepuismesquatorzeans:lefaitqu’ilm’aitjetéedanslespattesdeRobertCabotReed,etqu’ilaitensuite regardéailleurspendantquecesalopardmedépouillaitdemoi-même.

–Sylvia,insiste-t-il.Sylvia,parle-moi.–Tutombesmal,là.Mavoixestsitenduequej’aidumalàexpulserlesmots.–Jet’ailaisséaumoinsdouzemessages.Tunem’aspasrappelé.–Donctuaspensém’avoirenm’appelantdepuisunnuméroinconnu?–Tunem’aspaslaissélechoix.J’aibesoindeteparler.–Tuasbesoin?Cesmots résonnent, pleins de noirceur et d’acrimonie.Quatremalheureuses syllabes,

quipourtantsemblentrésumertoutemonaffreuseenfance.–Onabesoin,corrige-t-ilimmédiatement.Onabesoindeseparler.ÀproposdeReed.

Decequis’estpassé.Desphotosaveclesquellesilt’amenacée.–Jenepeuxpas.Je secoue la tête, comme pour faire barrage à tout ce qu’il dit, comme si je pouvais

repousser tous les souvenirs qu’il évoque. En vain. Le sol semble se dérober sousmoi, etj’agrippelereborddulavabopourm’aideràresterdebout.

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–Tunepeuxpascontinueràm’ignorercommeça.Si.Biensûrque jepeux.Mais jeneparvienspasà le lui rétorquer.Pas là.Pasquand

magorge se serre, que lapiècedevientgrise et que le sol semet à tanguer, commepourpermettreàceshorriblessouvenirsderoulerplusfacilementjusqu’àmoi.

–Ilfautqu’onparle,Sylvia.C’esttrèsimportant.Sa voixme parvient de très, très loin, commeun vague bruit qui n’aurait rien à voir

avecmoi.Etjeneveuxplusl’entendre.Jenepeuxpas.Jenepeuxpas,jenepeuxpas,jenepeuxpas.Jenesaispas tropsi jeprononcevraimentcettephrase,ousi jene faisque lahurler

dansmatête.J’ignorecomment,maisjeparviensàraccrocherd’undoigttremblant,avantque le téléphone ne s’échappe de mes mains. Mes genoux défaillent soudain, et je meretrouve allongée par terre, en position fœtale. Je ferme les yeux et je serremes genouxcontre ma poitrine tout en me balançant d’avant en arrière pour contenir la vague depaniqueetlessouvenirsquim’assaillentetmenacentdemesubmerger.

J’aihorreurdeça,decetteterreur.Decesentimentd’êtreperdue.Horsdecontrôle.D’êtrerejetéebrutalementdanscepassédouloureux,sansavoirétéprévenue.Sij’avaissuquec’étaitlui,j’auraispumepréparer.J’auraispumeblinder.Ahbon?Tuauraispu?Maisl’aurais-tuvraimentfait?Oubienteserais-tucontentéedete

cacher,defuirsesparoles?Savoix?Lepoidsde lavéritéoppressemarespiration.Évidemmentque jemeseraisplanquée.

Sic’étaitpossible,jefuiraismonpèrejusqu’àmonderniersouffle.J’inspire profondément etm’ordonne deme ressaisir. Il est parti. C’est terminé. Et je

peuxgérerça.Maissurtout,jedoisgérerça.Çafaitmoinsd’unesemainequeJacksonluiarévélécequeRobertCabotReedm’avait

fait. Ce n’est pas que mon père ne se doutait de rien, non. Après tout, c’est lui qui m’aprésentée à Reed quand j’étais ado. C’est lui qui acceptait les sommes faramineuses queReedpayaitenéchangedemesservicescommemannequin,maisquiallaientenvéritébienau-delà.

Etc’estmonpèrequiaignorémesdemandespourquecesséancesphotoprennentfin.Alors,oui,monpèresavaitcequisepassaitdanslestudiodeReed,maisilatoujours

préféréfermerlesyeux.Jusqu’àmercredidernier,quandJacksonl’aobligéàreconnaîtrelepassé, mais aussi à regarder le présent en face. Un présent dans lequel Reed me faisaitchanter, menaçant de divulguer ces photos hideuses à la presse si je ne parvenais pas àconvaincreJacksondelaisserReedfairesonfilm.

Depuis ce mercredi soir, mon père n’a pas cessé de m’appeler, et je n’ai pas cesséd’ignorer sesappels. Jenesuispasprèsde transiger là-dessus.Pourmoi, ce typen’aplusétémonpèredepuislejouroùilm’aconduiteaustudiodeReedpourlapremièrefois.S’il

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téléphonepourmeprésentersesexcuses, jen’enaivraimentrienàcarrer.Etsic’estpourimplorermonpardon,ilpeutallersefairevoir.

Jemesecoueetmedonnedepetitesgifles,commesij’étaislavictimed’untraumatismeetqu’ilfallaitmeranimer.Enfindecompte,c’estexactementça.

Il fautque jeme ressaisisse,parceque jenepeuxpas, jenepeuxpas, je ne peux paslaisser Jacksonme voir dans cet état.Nonparce que je crains qu’il neme réconforte pas,maisparcequejesuiscertainequ’illefera.Ilpeutfaireensortedemeteniràl’écartdesesproblèmesetdesesangoisses,maisilneréussirapasàoublierlesmiens.Aucontraire:madouleurvafusionneraveclasienne,et jenepeuxpaslui imposerça.Pasmaintenant.Pasaujourd’hui.

Cependant,même si je sais que je prends la bonne décision en taisant cet appel, j’aipeurquemonsilencesoit lepremierpassurunsentierobscurquim’éloigneradeJackson.Etsijenemebatspaspourqu’ilresteàmescôtés,jeleperdrai,etlesombresaurontgagné.

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2

–MademoiselleBrooks?La voix de Grayson s’infiltre dans le coton qui sembleme remplir le crâne, et jeme

redressebrusquement,lecœurbattant,soudainprisedepanique.Jem’affole:–Quoi ?Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi vous êtes là ? Vous n’êtes pas censé faire

volercemachin?Jen’aimepaslesvoyagesenavion–çameretournel’estomacetmecolledesangoisses

paspossibles.Laseulechosequej’apprécie,c’estcemomentaprèsl’atterrissageoùjeréalisequej’aimiraculeusementsurvécu,alorsquej’aiétépropulséedanslesairsàl’intérieurd’uneboîtedeconservegéante.Alors,quandGraysonnousaannoncéqu’ilyavaitdesoragesau-dessusduNouveau-Mexiqueetde l’Arizona, j’ai cédéet j’ai prisdes cachets contre lemaldes transports, comme Jackson. D’habitude, ça me fait juste un peu somnoler. Mais audéjeuner,Stellaavaitposéunpichetdesangriasurlatable,etcommejemouraisdechaudaprèsavoirjouédanslejardinavecJacksonetRonnie,j’avaisvidéd’unetraitemonpremierverre,etjem’étaisunpeutropresservieensuite.

J’avais donc déjà un sacré coup de barre en montant dans l’avion, et les cachetsm’avaientachevée.Êtreréveilléeensursautn’afaitqu’accroîtremaphobie.

–Toutvabien.Rassure-toi,meditJacksond’unevoixdouceetapaisante.Jeme force àmedétendre. J’étais profondément endormie, et à présent que Jackson

mecajole,etque jeme laisse faireavecreconnaissance, jesongeque lesvoyagesenavionne sont peut-être pas si terribles après tout, du moment qu’il est à mes côtés, son brassécurisantautourdemesépaules.

Jesoupireenchérissantleconfortqu’ilmeprocure.Jeneluiairienditdelazonegrisequi semble s’étendre entre nous. Jeme cramponne commeune forcenée à tous les signesindiquant notre connexion,même les plus subtils. Nos doigts qui s’effleurent. Lamoindrepression de sa main sur mon dos lorsque nous sommes debout. Chacun de nos regards,chacundenossourires.

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Pourtant, ce n’est pas suffisant. Nous nous sommes toujours complétés à merveille,Jackson etmoi, comme les pièces d’un puzzle.Mais à présent, on dirait que quelqu’un atordu les pièces et que l’assemblagen’est plus si évident, si naturel.Cedécalageme renddingue.Jenesaispassijevaispouvoirlesupportertrèslongtemps,etbientôtilmefaudraconfronterJackson.Jevaisdevoirl’attraper,leprendreentrequatreyeuxetexigerqu’ilmedisepourquoi il est si loindemoi– toutenespérantque lamanœuvrene le ferapas fuirdavantage.

Mais ce n’est pas lemoment. Pas encore. Là, j’exige seulement de savoir pourquoi lecommandantdebordestagenouillédevantmoiaulieudes’affairerdanslecockpitoùilestcensésetrouver.Jeluilanceunregardsuspicieux.

–Sérieusement.Pourquoivousn’êtespasauvolant,ouaumanche,oujenesaisquoi?–Darryls’enoccupe,m’assureGrayson.Jesuisdésolédevousréveiller,maisilyaun

appelparsatellitepourvous.–C’estDamien?– C’est Trent, intervient Jackson. J’ai proposé de le prendre,mais il a insisté pour te

parler.C’estcurieux,maisjeravalemoninquiétudeetmedisquecen’estpasnécessairement

grave.Aprèstout,jetéléphonetoutletempsàDamienquandilestenavion.C’estjusteunmoyen de communication supplémentaire. Trent a sans doute besoin d’un numéro queRachel ne trouve pas. Ou bien que je le décharge sur un de ses projets parce qu’il seretrouve avec deux rendez-vous en même temps. Quelque chose de banal, qui sera viteréglé.

Maispasunecrise.Parcequefranchement,là,monquotadecrisesestrempli.Graysonme rapporteun casque téléphonique,puis retournedans le cockpitpourme

transférerl’appel.Quelquessecondesplustard,j’entendslavoixdeTrentLeiterdanslesécouteurs.–Tuesassise?–Jesuisdansunavion,Trent.Àtonavis?–Désolé.Pardon,désolé,débite-t-ilnerveusement.Commeilestplutôtplacideentempsnormal,sonattitudemepousseàmeleverpour

fairelescentpasdanslacabine.–Qu’est-cequ’ilya?articulesilencieusementJackson.Jenepeuxquehausserlesépaules.–Bonsang,Trent,qu’est-cequisepasse?–Oh,etpuismerde,dit-il,etjepeuxpresquevisualisersesépauless’affaisser.Trentn’estpasvilaingarçon,maisiln’estpascharismatiquepourautant.Sonprincipal

atout demeure son charme juvénile qui surprend les clients. Il sait s’en servir pour

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sympathiser avec eux en les emmenant dans des bars sportifs et auxmatchs des Lakers.Quelquesbières,lesdernièresstatistiquessurlesjoueurs,etc’estdanslapoche.

Là, sagêneet sanervositésontsipalpablesque lanouvellequ’ildoitm’annoncerestforcémentmauvaise. Et je suis persuadée que c’est en lien avec le complexe hôtelier ; lavague idée qu’il m’appelait à la rescousse pour que je tienne la main d’un investisseurpendantunevisiteguidéedeCenturyCitys’estperduedanslastratosphère.

–Trent!–L’infoafuité.Uneputaindefuite,etmaintenantelleestpartout.Jesuispresqueàlaporteducockpit,alorsjefaisvolte-face,croisantimmédiatementle

regard de Jackson. Il s’apprête à se lever aussi, manifestement inquiet, mais je secoue latête.

–Quoi?Quelleinfo?dis-jed’unevoixtendueàl’extrême.–UnarticleestparudansTheBusinessRound-Up,explique-t-il.Jevoisdequeljournalilparle.C’estunquotidienlocaldistribuédanslecentre-villede

LosAngeles.Trentpoursuit:–Jenesaispascommentilsonteuletuyau,maisc’étaitsurleursiteInternetcematin,

etlestabloïdsontrelayél’articlequelquesheuresplustard.Maintenant,c’estplusoumoinspartout.

–Maisquoi?Allez,Trent,accouche!Toutenparlant,jemerueversmonsiègeetfouillemonsacpourensortirmatablette

et vérifier moi-même sur le site du Business Round-Up. J’essaie de me connecter, puis merappellequenousavonspromisàGraysondenepasnous inquiéterausujetduWiFi– levol ne dure que deux heures, et nous allons nous abîmer dans la réalité bien assez tôtcommeça.

–L’articleracontequelesinvestisseurssontinquiets.IlsétaientdéjàflippésàcausedesGrandesMarées,souligneTrent.

L’hôtel des Grandes Marées est un projet concurrent du mien, et se situe à SantaBarbara,àquelquesheuresseulementdemoncomplexehôtelier,surl’îledeSantaCortez.C’est très irritant pour moi, car les promoteurs des Grandes Marées tiennent les détailssecretspourfairemonterlasauceenattendantl’ouverture.MaisjesaisdesourcesûrequeleprojetestdirectementinspirédemonidéepourCortez.Etçamefaitfranchementchier.

Trents’éclaircitlagorgeetpoursuit:– Maintenant, ils disent que si l’architecte du Domaine de Cortez est suspecté de

meurtre,alorscen’estpeut-êtrepaslegenredeprojetqu’ilsontenviedefinancer.–Putain.Je ne sais plus trop à quelmoment jeme suis rassise,mais je suis surmon siège, et

Jacksonsepencheversmoi,l’airsoucieux.–Raconte-moi,demande-t-ilensilence.

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Cettefois,j’obtempère.–C’estpublic,jemurmure.Ilyaeuunefuite.Ilssaventquetuessuspectédemeurtre,

dis-je,avantdem’adresseràTrent.Commentest-cearrivé?–Leplusprobable,c’estqu’unjournalisteaituninformateurdanslapolicedeBeverly

Hills.Situveuxdesscoopsbienjuteuxsurlesstars,c’estl’endroitidéalpoursortirtonfricetvoirs’ilyamoyendegraisserlapatteàquelqu’un.

–Merde.Je prends une profonde inspiration pour essayer de rester calme. À côté de moi,

Jackson semble prêt à défoncer la carlingue du jet à coups de poing. Cette idée jurantaffreusementavecmaphobiedel’avion,jem’empressedeluiattraperlamainpourlaserrerdetoutesmesforces.Jeveuxraccrocher.Jetercefichucasqueàl’autreboutdelacabineetme réfugier sur les genoux de Jackson. L’étreindre, le laisser m’étreindre, et simplementrespirer,enfin.

Non,en fait c’est faux.Jeveuxbienplusqueça. Jeveuxquesesmainsm’emportent.Quesabouchemedévore.Jeveuxqu’ilmefassetoutoublier.Qu’ileffacemespeurs.

Etjecomptebienluiréserverlemêmetraitement.Mais l’endroitnes’yprêtepas :unpetit jetdehuitplaces, séparéducockpitparune

portemincecommeunbristol…Ceseraitinsensé.Etàvraidire,jeredouteraisqueJacksonnemerepousse.Illeferaitgentiment,avecun

gestetendre,etmêmeunbaiser.Maisj’ensouffriraismalgrétout.De frustration, je me lève de nouveau. Je suis trop sur les nerfs pour rester assise.

Timidement,Trentm’appelle:–Syl?Tueslà?Onaétécoupés?–Jesuislà.Damienestaucourant?–Oui.Àl’évocationdesondemi-frère,Jacksonselèveàsontour.Sansunmot,iltouchemon

épauleduboutdesdoigts,parsolidarité,avantd’allerversl’arrièredel’appareil.Ilmarchemoins qu’il n’implose.Comme si toute sa colère et son énergie étaient siphonnées auplusprofondde lui-même. Ilabesoinderelâcher lapression– je lesaisbien.Etc’estavecuneappréhension mêlée d’impatience que j’attends la déflagration, quand nous aurons enfinquittécetaviondemalheur.Ilabesoind’exploser.Etmoiaussi.

JepresseTrent:–Alors?Damien,qu’est-cequ’ilenpense?–Ilsefaitdusouci.Àraison.Lesinvestisseursseretirent,toituteretrouvesdansune

positiondélicate.Ilessaiedelimiterlacassepourl’instant.–Comment?–Dallasestenville.LeRound-Upl’acontacté,enfait.

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Dallas est l’un des plus gros investisseurs du Domaine de Cortez. Toute histoire quitouchedeprèsoude loinaubadboyhéritierd’unempiredegrandsmagasinsestvouéeàprovoquerl’emballementmédiatique.L’attentiondesmédiasesttournéeversluidepuissonenfance, et les tabloïds se repaissent de ses frasques. Tout y passe : depuis les bagarresjusqu’aux fêtesorgiaquesenpassantpar les infractions routières, sansparlerde toutes lesfoisoùildisparaîtdanslanature,enbonnecompagnievraisemblablement.

–JedevraisappelerDamien,dis-je.– Pas besoin. Il est déjà en train de faire son numéro de charme à Dallas avec une

bonnebouteilledewhisky.Jeluiaiditquejet’appellerais.–Aidenestdanslecoin?–C’estmoiquiairepérél’article,protesteTrentavechumeur.–Désolée,dis-jeengrimaçant.Cen’estpascequejevoulaisdire.Je comprends sa susceptibilité. Il est en charge des projets dans tout le sud de la

Californie.Enprincipe, leDomainedeCortezdevrait lui revenir aussi.Mais commec’étaitmon idée au départ, Damien m’a nommée chef de projet – et c’est Aiden Ward monsupérieurdirect,levice-présidentdeStarkRealEstateDevelopment,sibienqueTrents’estretrouvésurlatouche.

–Écoute,c’estvraimentsympadem’avoirmiseaucourant.–Ouais,bah, jemesuisditquetuvoudraisprendre lesdevants.LeDomaineestdéjà

en mauvaise posture, ce serait moche que tu le perdes à cause de cette histoire. C’estn’importequoi.

QuejeperdeleDomaine.QuejeperdeleDomaine?Consternée, je réalise que j’avais des œillères depuis un moment. J’étais tellement

focaliséesurlapossibilitédevoirJacksonfinirderrièrelesbarreauxquej’avaisoccultélefaitque leDomainepouvaitme filer entre lesdoigts, simplementparceque sonarchitecte estsuspectédemeurtre.

Unepeuraussifroideetimplacablequelesanneauxd’unboam’étreint.J’aifaittoutcequiétaithumainementpossiblepourfairesortirleDomainedeCortezdeterre.Jen’aivécuquepourlui,àtraverslui.J’aifailliylaissermoncœur.

Jenemelaissepasdémonter.–HorsdequestionquejeperdeleDomaine!Cen’estabsolumentpasenvisageable.Maisendisantcela, jesens la terreurgagnerduterrain.Jen’aiaucunpouvoirsurce

que disent les journaux, et si les investisseurs pensent que Jackson est toxique, alors toutmon travail sera réduit à néant, aussi facilement qu’on fait s’envoler les aigrettes d’unpissenlitensoufflantdessus.

Trentbalbutie:–Jenevoulaispasdireque…

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–Non.Maréponseagiclécommeunfruitbienmûr,gorgédepanique.–Syl, intervientJacksond’unevoixdouceet ferme.Raccroche,maintenant.Onarrive

bientôtàL.A.TunevaspasperdreleDomaine.N’ypensemêmepas.Danslesécouteurs,j’entendsTrentseraclerlagorge.–Syl?–Ilfautquejetelaisse,jerépondsd’unevoixderobot.–Ouais,maisbon,écoute.Iln’yapasqueleRound-Upquienparle.Ilsétaientjusteles

premiers.–Jesais.Tul’asdéjàdit.– Oui,mais ce que je veux dire, c’est qu’ils ne se contentent pas de répéter qu’il est

suspect.Ilsspéculentsursonmobile,ettoutescesconneries.Monestomacsenoue,etjechercheimmédiatementlamaindeJackson.–Sonmobile?jedemandeenmeretenantdemordremalèvre.–Lefilm.L’agression.Àpeuprèstoutceàquoionpouvaits’attendre,résume-t-ild’un

tongêné.Franchement,moiaussij’aienviederentrersousterre.Àcôtédemoi,Jacksonsortmatablettedufilet fixédevant lesiège.Je levoisducoin

del’œiltapoterdessus,puisjurertandisqueleréseausefaitdésirer.–Écoute,tupourrasledécouvrirpartoi-mêmedèsquetuaurasatterri,etDamienadit

quevousverrieztoutçaensembleàlaréuniondecesoir.–OK.Parfait.Biensûr.–Çava?Non.Loindelà.–Oui,oui,net’enfaispas,çaira.Merci.Mercid’avoirassurémesarrières.Ilmarqueunsilence,puisréponddoucement,d’unevoixpleined’émotion:–Qu’est-cequetucroyais,Sylvia?Quej’allaist’envoyeraucasse-pipe?–Je,non…Jecherchemesmots,maispeuimporte.Iladéjàraccroché.–Raconte-moi,demandeJackson.Jerésumel’articleduRound-Upavantd’évoquerDallas.–Putain…Sonjuronvientdufondducœur,etjen’ajouterien,mêmesijen’enpensepasmoins.–Etpourlereste?Tuasditqu’onparlaitdumobileducrime.– Jen’en sais pas plus. Le film. L’agression.C’est tout ce queTrent a dit.Ça, et que

l’histoireétaitreprisepartout.Jepressedoucementlapaumedemamainsursacuisse.–Onsurvivraàtoutça,dis-je.LeDomaine,leprocès.Tout.

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Jevoudraisqu’ilmerépètecesparoles.Qu’ilposesamainsur lamienne.Jevoudraisqu’il passe son bras autour demes épaules, qu’ilme serre contre lui et qu’ilmepromettequequoiqu’ilarrive,nousaffronteronstoutcelaensemble.Jevoudraisavoirlesentimentdenefairequ’unaveclui,pourtantcequejedésiren’aguèred’importanceapparemment,carlorsque Jackson redresse la tête pour me regarder, j’ai soudain l’impression d’être dumauvaiscôtédutélescope,commesi leschosescenséesêtreprochessetrouvaientsoudainloin,trèstrèsloin.

–Jackson?J’ai chuchoté sonnomcommeunplaidoyer.Pendantun instant, il n’y répondpas. Il

resteassislà,raide,distant,levisagedur,leregardfroidcommelabanquise.Untorrentdepaniquem’assaille,etj’agrippelesaccoudoirspouryrésister.Iln’aencoreriendit,rienfait,et pourtant j’ai la conviction que Jackson s’éloigne inexorablement de moi. Sans que jecomprennepourquoi,sansquejesachecommentl’arrêter.

Jesuissurlepointderépétersonnomcommeonhurleàlamort,quandsoncorpssedétend.Ilmeregarde,etjedéfailledesoulagementenconstatantquesonregarddeglaceafondu.

Ilpassesesmainsdanssescheveuxtoutensepenchantvers l’avant,desortequesescoudess’appuientsursesgenoux.Ilgardelesmainsplaquéessursestempesetsoupire:

–Seigneur,Syl,j’aivraimentmerdédeboutenbout.Jemefigedurantunefractiondeseconde,saisieparl’unedesinterprétationspossibles

desesparoles.Ilestentraindemedirequ’ilatuéReed?Etsic’estbienlecas,qu’allons-nousdevenir?Jetendslamainpourtouchersonépaule,avecunbesoindecontactphysiquepresque

aussivitalqueceluid’oxygène.Maisjenel’atteinspas.Au lieu de quoi, jeme retrouve la seconded’après à hurler enme cramponnant aux

accoudoirs,commesi laboîtedeconservedans laquellenous fendons l’airavaitdécidédefairedutrampoline.Lesacquej’avaisposéàmespiedsseretrouveensuspension,partsecognerauplafondpuisretombeàterre,sesacrobatiesrythméesparmescrisperçants.

Le crachotement des haut-parleurs m’interrompt. C’est la voix de Grayson dansl’interphone:

–Désolépourlesturbulences,s’excuse-t-iltandisquel’appareilsestabilise.Onaheurtéun sacré troud’air endescendant,mais tout va bien.On atterrira dansune quinzainedeminutes.

J’exhale alors l’air que je gardais prisonnier dans mes poumons sans en avoirconscience. J’essaie de lâcher l’accoudoir, mais on dirait que ma main est définitivementincrustéededans.Jesuisencoresi remuéeparnotreexpériencedemort imminenteque jene tourne plus rond pendant quelques minutes. Puis la pensée rationnelle reprend le

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dessus, et je m’aperçois que Jackson me tient fermement la main. Son pouce caressedoucementledosdemonpoignettandisqu’ilmemurmure:

–Toutvabien,Syl.C’estfini.Je prends une grande inspiration tremblante, comme une bouffée de soulagement et

d’espoir.– Tout va bien, répète-t-il tandis que je me tourne pour le regarder. Ça va mieux

maintenant,dit-ilenportantmamainàseslèvrespourembrasserdélicatementmesdoigts.Jesoupireenhochantlatête,lecœurtoujoursauxcentcoups.Jacksonestlàpourmeréconforter,etDieusaitsij’enaibesoin.Maisçaneveutpasdirequejecroiscequ’ilraconte.

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3

Je parcours les réseaux sociaux tout en parlant au téléphone avec Rachel Peters,l’assistantedeDamienenchargedesweek-ends. Je suisen trainde traverser le tarmacetm’apprêteàdépasser lehangarJ, l’undeshangarsprivésdeStark International,aunorddel’aéroportdeSantaMonica.

Lasociétépossèdeautotaldixhangars,ainsiquela«RecRoom»,ungrandbâtimentquelconquequihébergelesbureauxdel’équipage,unecuisine,unesalleàmanger,unbarbienapprovisionnéouvertauxpassagersainsiqu’aupersonneldebord,unegrandesallededétenteavecunbillardetunetélévisiongéante,etdeuxchambresprivéesprévuespourlepersonnel.

C’estverslebarquejemedirige.Jacksonm’aprécédéedequelquesminutes,alorsqueDarrylluiproposaitunverre.

–C’estpresque l’happyhour, avait-ilplaidé.Et franchement,vousavez l’aird’enavoirbesoin.

Commeilfallaitquejepassed’abordcecoupdefil,j’avaispromisdelesrejoindre,etjeles ai suivis enmarchant plus lentement, toute àmes diverses tâches. Je veux prendre letemps de constater l’ampleur du désastre sur les réseaux sociaux avant de résumer lasituation à Jackson. Je pense que nous avons tous deux besoin de nous préparer à latempêtequis’apprêteànoustomberdessus.

–TuasdesnouvellesdeM.Stark?jedemandeàRachel.–Non,ilnem’ariendit.MontravailpourleDomainedeCortezm’aéloignéedubureaudeDamiendeplusen

plusfréquemment,etleshorairesdeweek-enddeRachelsesontmisàdéborderlargementsurlerestedelasemaine,bienplusquecequenousavionsprévuaudépart.Maisellefaitdubonboulot,etDamienm’aexplicitementdemandéde la formeraucasoù jeprendraisunjourunposted’encadrementàpleintempsaudépartementimmobilier.

Commec’estbienmonintention,jecoachescrupuleusementmonpoulain.Etc’esttrèsimportantqueRachelserendecomptequ’onnepeutpasêtre l’assistantedeDamiension

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neprendpasenpermanencelepoulsdelaboîte.Enfin,onpeut,maisalorsilnefautpasespérergardertrèslongtempsceposte.

C’estlaraisonpourlaquellejeluisouffle:–Ilnet’ariendit,mais…–Mais…Dallasatéléphonéilyaunquartd’heurepourdemanderquejeluiréservela

suiteduCenturyPlaza.–Ah,etqu’est-cequetuendéduis?Je sais ce que j’en déduis,moi, et je croise les doigts pour que Rachel ait compris la

mêmechose.–Qu’ilneseretirepasduprojet.Pasencore,entoutcas.Etmêmes’ilysonge,ilnel’a

pas dit. Mais honnêtement, je pense qu’il mise sur le long terme. Parce que profiter del’hospitalitédeM.Starketretirersesbillesjusteaprès,çaneferaitqu’énerverDamien.EtunhommecommeDallasSykesatoutintérêtàresterdanslespetitspapiersdeDamienStark.

–Bien.Maisencore?–Euh,leresteestunpeuplushasardeux.Jesuispeut-êtreàcôtédelaplaque.–C’estleboulot,Rachel.Unecarpettequin’estpascapabledefaireplusquecequeM.

Starkluidemandenesertàrien.–Oui.Bon,jenecroispasqueDallassoituntrèsbonbaromètre.Comparéàcequeles

autresinvestisseursferont,jeveuxdire.Elleestcenséem’exposersonpointdevue,maissontonresteinterrogateur.– D’accord, dis-je en réprimant un sourire tandis que je me rappelle combien j’étais

nerveusequandj’aicommencéàtravaillerpourDamien.Etpourquoi,d’aprèstoi?– Ben, c’est qu’il est tellement… électron libre. Un bad boy qui fait sans arrêt la

couverturedesmagazinespeople,c’estpasvraimentleprofiltypedel’investisseur,tuvois?Ce qui veut dire que les autres peuvent encore se retirer, surtout avec ce qui se passeaujourd’hui.Doncengros,onl’adanslecul.

Saconclusionmefaitéclaterderire,etjel’entendspresquerougiràl’autreboutdufil.–Jenel’auraisjamaisditcommeçaàM.Stark.–T’inquiète,jecomprends.Elleaplutôtbienrésumélasituation.J’ai utilisé mon kit mains libres pour pouvoir consulter Internet sur mon téléphone

pendant notre conversation. Et même sans avoir pris le temps de ne lire aucun articleentièrement, j’en ai assez vu pour savoir que Trent disait vrai. C’est la merde. LesjournalistesjouentlesCassandre,prédisantlaruinedesinvestisseursetl’abandonduprojet.Etàl’heurequ’ilest,jesuissûrequeJacksonaeuletempsdeliretoutça.

–Est-cequejet’envoielecommuniquédeNigel?demandeRachel.–Nigel?

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Jeneconnaisqu’unseulNigel.C’estunamideDamienquitravailleauPentagone,uncontact qui nous a été très utile cette année quand Stark Vacation Properties a faitl’acquisitiondel’îledeSantaCortez,surlaquelleseconstruit lecomplexehôtelier.S’agit-ilbiendelui?

–NigelGalway?–Oui,ausujetdesmines.Jepilesurletarmac.–PutainRachel,maisdequoituparles?–Trentnet’apasdit?–Trentm’aditpourlesfuitessurJackson,etpourlaspéculationautourdumobiledu

crime.Situparlesd’unchampdeminesmétaphorique,jetesuiscomplètement.Maissinon,jevaisavoirbesoinquetudéveloppes,dis-jelentementenprenantsoind’articuler.

J’ai une boule dans l’estomac, les mains moites, et la désagréable impression que jepeuxdevinercequ’ellevamedire.Indice:ceneserapasunebonnenouvelle.

– Les investisseurs ont reçuun e-mail disant queSantaCortez était trufféedemines.Pourlesbesoinsdel’entraînementmilitaire,àcequ’ilparaît.

–Putaindebordeldemerde.Faitchier.Lesjuronssortenttoutseuls.J’inspireprofondément:–Nigelapubliéuncommuniqué?–AidenetDamienontdiscutéavecluitoutàl’heure…Jen’enrevienspasqueTrentne

tel’aitpasdit.J’imaginequ’ilaconsidéréquec’étaitréglé.Etc’estlecas.Vraiment.Enfin,ilyaurapeut-êtreunretourdebâton,mais…

–Bonsang,Rachel,reprendsdepuisledébutetdis-moicequis’estpassé.Elleobéit. Il sembleraitque les investisseursaient reçu lacopied’unenote internedu

Pentagone suggérant d’enterrer desmines sur SantaCortez, à l’époque où l’île servait debased’entraînementmilitaire.Cettepropositionavaitfinalementétérejetée,etaucuneminen’ajamaisétéenterréelà-bas;c’estcequ’adéclaréNigeldanslecommuniquéqueDamienatransmisauxinvestisseurs.

Dansl’absolu,c’estunincidentmineur,quiaétéréglésansdifficulté.Maiscetincidentest révélateurd’unproblèmebienplus grave : quelqu’un chercheàmemettredesbâtonsdanslesroues.Etondiraitbienquecen’estqueledébut.

DepuisqueJacksona rejoint l’équipe, leDomainedeCortezaessuyé toutes sortesderevers bizarres. Des images de vidéosurveillance dérobées pour être envoyées à la presse.Des messages privés largement diffusés. Des nuisances limitées, somme toute. Maissuffisamment sérieuses pour me faire perdre du temps et entamer la confiance desinvestisseurs.

Jepensaisquec’étaitfini.Apparemment,jemetrompais.

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Je demande àRachel deme transférer le communiqué deNigel, puis je raccroche etpresse lepas,à la foisparceque j’aiàprésentun trop-pleind’énergieàévacuer,etparcequejeveuxretrouverJackson.

Jem’arrêtesurleseuildelaRecRoometbalaielapièceduregardpourletrouver.Elleestpresquevide– jesaisquenotrearrivéeétait laseuleprévueaujourd’hui,et l’équipenetravaillepasledimancheentempsnormal–,alorsjem’attendsàlerepérerimmédiatement.MaisalorsqueDarrylpoireauteaubar,jenevoisJacksonnullepart.

–Ilestauxtoilettes?Darryl lèvelesyeuxàmonapproche.C’estunhommeminceavecunetêtedeDroopy

qui le fait paraître plus vieux que ses vingt-huit ans, et lui donne un air perpétuellementmal réveillé. Je sais que c’est illusoire ; il suffit d’observer ses yeux gris auxquels rienn’échappepourvoirqu’iln’yapaspluscompétentquelui,etjesuispersuadéequ’ilhériteradupostedeGraysonunjour.

–Ilvientdepartir.Ilm’ademandédevousraccompagnerchezvous.Iladitqu’ilavaitdes choses à régler avant son rendez-vous de ce soir, ajoute-t-il avant dem’examiner enplissantlesyeux.Ilyaunproblème,j’imagine?

Ohoui,ilyaunproblème,maisjemecontentederépondre:–Nevousenfaitespas.Jevaisprendreunevoituredelasociété,plutôt.J’aimoi-même

quelquescoursesàfaire.J’aienviedepartirventreàterre,maisjeneveuxpaslaisserparaîtremoninquiétude,

aussijemedirigecalmementversleréfrigérateuretensorsunebouteilledePerrier.Puisjeprendsmonsacsurl’épaule,j’attrapelavalisequeDarrylavaitdéposéepourmoiàcôtédelaporte,etjesorstranquillementdelapièce.

Une fois dehors, en revanche, je me lance dans un sprint effréné en direction duparking couvert situé à l’arrière du bâtiment. Les voitures de Stark International qui sontgaréeslàsontréservéesauxclients,investisseursetautresconsultantsquiatterrissentici.Enpiquer une pour mon usage personnel revient à piétiner allègrement la politique del’entreprise,maisàcetinstant,jen’enaipasgrand-choseàcirer.

Jacksonjoueàuncache-cacheémotionnelavecmoidepuisquelesflicssesontpointésàSantaFe,etilvientdepasserauniveausupérieur.

Dommagepourlui,moijenesuispasdutoutd’humeuràjouer.Je tape le code du boîtier où sont rangées les clés et j’attrape celles d’uneMustang

jaune poussin. Je me précipite dedans et tourne la clé ; ah, le doux ronronnement dumoteur. C’est une voiture réactive, bien plus nerveuse que ma vieille Nissan, et j’espèrequ’elleaassezdechevauxpourrattraperJackson.

Il nepeutpas vraimentmettre les gaz tantqu’il est sur le terrainde l’aéroport,maismoi, je suis déterminée à enfreindre les règles. J’espère qu’il n’a pas franchi les barrières,

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parceque jen’aiaucunechancede retrouver sa traceenville.Mais iln’apaspuprendretantd’avancequeçasurmoi,toutdemême,si?

Iln’yaqu’uneseuleroutequipartdelazoneStarkdel’aéroport,doncc’estforcémentcellequeJacksonaempruntée.Maisjeconnaisunraccourci;enremontantparlavoiedeservicequilongeleshangarsàl’arrière, j’aiunechancederattraperJacksonauniveauduhangarC,làoùlavoieenquestionetlarouteconvergent.

Jenesaispastropcequejevaisfairequandjel’aurairattrapé,maisjen’hésiteraipasàleprendreenchasse,oùqu’ilchercheàs’évader.Parcequejesaistrèsbienqu’ilnerentrepas chez lui. Il a besoin d’une baston – il a besoin de se défouler. Il a besoin de rouer lemonde entier de coups jusqu’à prendre le dessus. Jusqu’à ce que l’univers rentre dansl’ordre.

Ilnesemblepasdutoutavoirbesoindemoi,enrevanche.Etl’idéequ’ilnesecontentepasdeprendrelatangentemaisfilecommeunsatanévoleurmedonneenviedemerouleren boule pour pleurer. Heureusement, ma colère a pris le pas sur cette envie. Je suisremontéecommeuncoucou,ivrederage.Jem’écrouleraiplustard;là,jeveuxseulementluimettre lamainau collet, le secouer et le sommerd’arrêter ses conneries. Il a assezdeproblèmescommeçapourl’instant.

Cesréflexionsalimententmafureuretjem’aperçoissoudainquej’aipoussélavoitureàprèsde150km/h,cequieststrictementinterditauxabordsdel’aéroport.

Jepressedavantagelepiedsurl’accélérateur,etl’aiguilleducompteurfaitunbond.Jene m’inquiète pas d’un quelconque danger – cette zone de l’aéroport n’est fréquentéequasimentquepourentreposerlespiècesdétachées,etmêmeensemaineiln’yapasgrandmondeici.Toutefois,mêmesileslieuxgrouillaientdemonde,j’auraisquandmêmelepiedauplancher.Parcequelerèglementestbienladernièrechosequimetracasseàcetinstant.Mon plongeon dans l’anarchie est récompensé alors que je dépasse un groupe d’avionsgarésàmadroite,àlahauteurduhangarD.Justederrière,j’ailetempsdevoirpasserentrombelaPorschenoiredeJackson.

Je suis à peuprès aumêmeniveau que lui, avec une petite longueur d’avance peut-être,etj’appuieencoreplussurl’accélérateur.JeralentisàpeineenatteignantlehangarCalors que je dois tourner à angle droit vers le nord, ce qui me positionneraperpendiculairementàluiàl’instantoùildépasseralehangar.

Je martèle le volant comme si ça pouvait forcer la voiture à rouler plus vite, et laPorschedeJacksonapparaîtsurmadroiteàlasecondeoùjelaisselehangarderrièremoi.J’écraselapédaledefreinetpileaumilieudelaroute,luilaissantjusteassezdeplaceetdetempspours’arrêter.Jemecrispeenentendantlespneuscrisser,etréaliseunpeutardquelesconséquencesserontextrêmementfâcheusess’ilmepercute.Jenepensepasseulementàd’éventuellesblessures,maisaussiauxdégâtscausésàsavoiture,sonbébé.

Ça,ilaurabeaucoupdemalàl’encaisser.

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Finalement, ce n’est pas la Porsche qui doit m’inquiéter : il l’a stoppée à quelquescentimètres de la Mustang, et il en sort avec un tel élan qu’il est à ma porte en troisenjambées à peine. Je sursaute tandis que sa paume s’abat brutalement sur le toit de lavoiture,etjedoisrésisteràl’enviedeverrouillerlesportièrespourresteràl’abri.

Maisilnes’agitpasd’êtreàl’abri.Ils’agitdefaireentendreraisonàcettefichuetêtedemule.– Qu’est-ce qui te prend ? Tu es folle ? s’exclame-t-il alors que je jaillis hors de la

Mustang.Mais au lieu de répondre, je nous surprends tous les deux en lui administrant une

claqueretentissante.

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4

–Maisenfin?–Tuveuxtebattre?jedemanded’unevoixdure.Jemesenscommeunvolcansurlepointd’entrerenéruption.Jem’aventureenterrainglissant,jelesais,maisjenepeuxplusfairedemi-tour:– Tu as besoin de cogner dans quelque chose ? De te défouler ? Je te l’ai déjà dit,

Jackson,etj’étaissérieuse.Toutcedonttuaurasbesoin.–J’aibesoind’êtreseul.–Monœil,dis-jeenlevantlamainpourlefrapperànouveau.Ilm’attrapelepoignetetletord,nemelaissantpasd’autrechoixquedelesuivredans

sonmouvement.Ils’adosseàlavoitureetjen’aiplusdepointsd’appui,seulementsamainpuissantequimecontraint.

Ilme lâche, sansmequitterdesyeux.Puis ilmarcheversmoiavec la résolutiond’ungrand fauve.Sonregardest féroce,et sonvisagedur, toutenangleseten traits saillants.Les reflets cuivrés dans sa chevelure de jais ont l’éclat du feu, contrastant de manièresaisissanteaveclebleuicebergdesesyeux.

Jem’humecteleslèvresetdéglutisenreculantd’unpas.Puisd’unautre,etencoreunautre,tandisqu’ils’avanceinexorablement.

–Àquoitujoues,Syl?demande-t-ild’unevoixsourde,pleinedecolèrecontenue.– Je te retourne la question. Enfin, Jackson ! Tu pensais vraiment que je ne

remarqueraisrien?Tucroyaisquejetelaisseraismerepoussercommeça?Sérieusement?Parle-moi,bonsang.Oubaise-moi,si tuneveuxpasparler.Onavaitunmarché.Et l’idéequetutebarresdetoncôtépourallerpéterlagueuleàjenesaisqui,çamefoutenl’air.

–Arrête.Ilsejettesurmoisanscriergare,etj’essaiedereculerencore.Maisiln’yanullepartoù

aller. J’avais arrêté laMustang tout près duhangar, et nous sommes à présent le dos aumur.

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Ilmeplaqueviolemmentcontrelafaçademétallique.Lechocfaitvibrertoutmoncorpsd’une énergie étrange. D’un besoin. Il ne s’agit pas de sexe – pas encore. Il s’agit decommunication.J’aibesoinde l’atteindre.Parceque j’aisipeur–si terriblementpeur–deperdrel’hommequis’esttantdémenépourmerécupérer.

Nousavonstraversétantd’épreuves, luietmoi.Jenepeuxpassupporter l’idéequ’auboutducompte,RobertCabotReedsoitparvenuànousdétruire.

Jerespirebruyamment,toutcommelui.Sesbrasm’encagent, jesuiscoincée.Jesongesoudain que les choses pourraientmal tourner, et que j’ai peut-être commis une erreur ;Jackson semet facilement en colère, et il aparfois réellementbesoindedéfoncerquelquechosepoursecalmer.Etlàtoutdesuite,j’aiunpetitpeupeurd’êtreprisepourcequelquechose.

Jeregardesonvisagetandisqu’ilseforceàrespirer.Tandisqu’ilseretientàsonsang-froidcommeàunfilindesécurité.

–Mecherchepas,Syl.Pasaujourd’hui.Pasmaintenant.– Va te faire foutre, Jackson. On avait un pacte. Tu veux aller te battre ? Tu veux

démolirquelquechose?Ehbien, tunemontespassur lering.Tuterappelles?Tuviensmevoir,moi.

–Pasaujourd’hui.Ses mâchoires sont crispées, sa voix est tendue. Il essaie de se contenir, mais je suis

déterminéeàlebriser.Àprovoquerl’explosion.Jeveuxlepousserdanssesretranchementspourenfin–enfin–luifairerelâchertoutecettepressionquimenacedel’étouffer.

–Pourquoi,Jackson?Pourquoipasaujourd’hui?–Parcequejenefuispaspourallermebattre,là.C’esttoiquejefuis.Jeveuxquetu

melâches.Saréponseinattenduemetransperce,froideetacéréecommeunelame.Mesyeuxme

brûlent, et jedétourne le regardenclignantdespaupières. Jeneveuxpasqu’il voiequ’ilm’a blessée. Parce que Jackson Steele est la seule personne aumonde censée ne jamais,jamaismefairelemoindremal.C’estmonguerrier.Monchevalier.Monfoutuprotecteur.

C’estalorsquelavéritémefrappedepleinfouet,aveclamêmeforcequelagiflequejeluiaiassenéeuneminuteplustôt.J’aipigé.

Jerelèvelatêteverslui,mêmes’ilrefusedecroisermonregard.Jeposelamainsursajoue. Un muscle tressaille sous ma paume, je sens la tension dans ses mâchoires. Il secontrôle du mieux qu’il peut tandis que je fais le seul geste qui me vient à l’esprit pourl’ameneràlâcherprise.

–Tuesvraimentleroidescouillons,dis-jedoucement.Jet’aiforcéàmequitterilyacinq ans parce que j’essayais de me protéger. Je ne vais pas te laisser partir maintenantparcequetucroismeprotégertoiaussi.

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– C’est moi le couillon dans l’histoire, tu es sûre ? demande-t-il d’une voixdangereusementbasse.Tut’esentichéed’unmecquiaunenfant.Unmecquirisqued’allerenprison.Unmecquivafairecapoterleprojetauqueltutienspar-dessustout,puisquetonarchitectechériestbienpartipourfinirderrièrelesbarreaux.

–Tutetrompes.C’estàtoiquejetienspar-dessustout.Ilgrimace,justeunpeu,etjepoursuis:–Tuaspeur.Tupensesquejenecomprendspasça?Enfin,Jackson,moijechiedans

mon froc. Jene supportepas l’idéede teperdre.Et le simple faitd’êtremenacéedecetteéventualitémerenddingue.Jenepourraipassurvivreàtondépart,jelesais.

Ilmeregardeàprésent,sesyeuxbleusplantésdanslesmiens,etjevoistout,jusqu’auxtréfondsdesonâme.Lafrustration.Larage.Lebesoin.Bonsang,jenepeuxpasrestersansrienfaireenattendantqu’ilprennesadécision!

Jem’avancebrusquement.Notrebaiserestfougueux,éperdu.C’estunebatailledessensquejesuisdéterminéeà

gagner,enletitillantdemalangue,enletourmentantavecmesdents.Audébutseslèvressontserrées, ilmerésiste.Maisunglissementsurvient,etvoilàqu’ilenveutplus, toujoursplus. La conscience de cette petite victoire se diffuse en moi, embrasant mon corps d’undésirfouquej’aibienl’intentiondesatisfaire.

Jeglissemamainsursanuquepour l’attirerencoreplusàmoi,avidedebaisersplusprofonds. Plus intenses. Je le veux tout entier, sans retenue. Je veux qu’il se lâcheabsolument.Jeveuxanéantircettechosequinoustientàl’écartl’undel’autre.Cemurdeglacequejeneparvenaispasàfairefondre.

Maisj’yarriveàprésent,etcesentimentestlepluspuissantdesaphrodisiaques.Il rompt notre baiser, et je pousse presque un rugissement en guise de protestation,

avantdevoirdenouveausonvisage.Etd’ylirelachaleur,lapuissance,lebesoinféroce.Ledanger,aussi,quej’accueilleavectoutlereste.Jemurmure:

–Jackson…Etcettefois,iln’enfautpasplus.Ilmeplaquecontrelatôleondulée.–C’estçaquetuveux?gronde-t-il.Êtrebaisée?Utilisée?Parcequetueslàetquej’en

aibesoin?Ilachoisietaffûtésesmots,danslebutdemefairereculer.Maisj’entendscequ’ilditvraiment–Parcequej’aibesoindetoi.Seigneur,moiaussi,j’ai

besoindelui.Jeleregardeintensémentetréplique:–Oui.S’ilteplaît,oui.C’est avec un mélange de soulagement et d’excitation que je vois la convoitise

remplacerlafroideurdanssonregard.Jesuishumidededésir,etchaquecentimètrecarré

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demapeauestdirectementreliéàmonsexe.Passeulementparcequelemoindrecontactde Jacksonme fait toujours réagir au quart de tour,mais aussi parce je suis terriblementexcitée à l’idée qu’il ait autant besoindemoi.À l’idée qu’il s’appropriemon corps etmonâme.Àl’idéequ’ilseservedemoipourseretrouver.

Sa bouche s’écrase sur la mienne, animale, et sa langue réclame, prend,me baise,avantdeseretirertandisquesesdentstirentsurmalèvreinférieure.

Je perçois son souffle, aussi erratique que le mien. Et ça ne s’arrange pas quand ilsoulèvebrusquementmontee-shirtetdégrafemonsoutien-gorgequis’ouvresurledevant.Jesursaute,maispasseulementàcausedelasurprise:moncorpsatressaillideplaisir,etilm’enfautplus.IlmefautJackson.

L’airestfrais,etmestétonsdardentdeplusbelle.Jacksoneneffleureunduboutdesdoigts;unecaressesilégèrequ’elleenestpresquenégligeable.

Pourtant, elle me fait un effet incroyable. On dirait qu’il m’a touchée avec un filélectrique,et lasensationmepénètre, fulgurante, jusqu’à l’os.J’explose,pulvériséeparunorgasmeviolent,aussiincroyablequ’inattendu.

Jenem’aperçoismêmepas que j’ai fermé les yeux,mais lorsque je les rouvre, je voisJacksonquimedévisage,l’airaffamé.Jesonge:Oui.Encore.

Ce sont les seuls mots présents dans ma tête. Les seules pensées que je parviens àformuler,etmêmequandJacksonm’ordonnedemetourner,moncerveauneparvientpasàtraiterl’information,etildoitlui-mêmemefairepivoter.

–Penche-toi,dit-iltandisquesesdoigtsdéfontenungesteleboutondemonjean.Lesmainssurlemur.

Il est juste derrièremoi, et je sens la pression de son sexe, encore prisonnier de sonjean,contremoncul.

Il baissema fermeture Éclair, puismon jean. L’espace d’un bref instant, le brouillardsensuel quim’enveloppe se dissipe, et je réalise où nous sommes.Mais en vérité, jem’enfous.Nosvoituresnousprotègentdesregards,et iln’yapersonnedanslecoin,cehangarneservantqued’entrepôt.

Maissurtout,ilabesoindeça.J’aibesoindeça.Etjenevaispasprendrelerisquedetoutarrêter–lerisquedelerenvoyersurunfichuring,ouDieusaitoù–alorsquejesuissurlepointdelerécupérer.

Iladescendumonjeanetmaculottejusqu’àmesgenoux.Jesuispenchéeenavantetmon tee-shirt est remonté au-dessus de mes seins offerts. Je mouille tellement qu’aumomentoùilglissesamainentremesjambesetremontesurmonclitoris,jefrémisdedésir.

Je l’entends défaire sa braguette, avant de sentir son glandm’effleurer les fesses. Jegémis et tente d’écarter davantage les jambes,maismon jeanm’en empêche. Jeme sensdébridée, j’ai perdu toute pudeur. Et si ce n’était pas lui qui menait la danse, je medéshabilleraissanshésiterpourlebaisersurl’asphalte.

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–Tuenasautantbesoinquemoi,chuchote-t-il.Ce n’est pas une question, ni une affirmation. C’est l’expression d’un émerveillement.

D’uneconnexion.–Oui,ohoui,dis-je,pantelante.–Tum’asgiflé.Je sens poindre son désir de domination et je frissonne d’anticipation, mon corps

tressaillantauseulsondesavoix,àsonardeur,àsonautorité.C’estpeut-êtremoiquiaicommencé,maisjenepeuxniermonsouhaitdevoirJackson

prendrelasuite.Jeveuxm’oublierdanscequ’ilexigedemoi.Medissoudredansleplaisirde lasoumission.Etsurtout, jesaisquepourréglernotreproblème, il fautqu’ilprenne lecontrôle.

Dieumerci,c’estcequ’ilfait.–Vilainefille,dit-ilmalicieusementavantdemedonnerunepetiteclaquesurlesfesses.

Trèsvilaine.Cettefoisilmedonneunefesséeplusappuyée,puisilrecommence,encoreetencoreet

encore.Labrûlureetledouxplaisirquiendécoulentmecoupentlesouffle,puisjegeinsd’un

désiréperdulorsqu’ilsesertdesapaumepourapaisermonderrièrerougi,avantdeglisserdenouveausamainentremescuissesetd’enfoncerbrutalementsesdoigtsenmoi.

Mesmusclessecontractentautourde lui,moncorpsenveutplus–etheureusement,Jackson perçoit cette faim. Il appuie son gland, et me maintient les hanches tandis qu’ils’enfonceenmoi.Doucementd’abord,puisplusfort,jusqu’àmebaiseravecardeur.

Jememordslalèvrepourm’empêcherdecrier,mais jenemaîtriseplusrienquandilsepenchesurmoi, samainmemalaxant les seins tandisque l’autre titillemonclitoris. Jegardelesbrastendus,lesmainsbienàplatcontrelemurpourqu’iln’yaitpastropdejeumalgrésescoupsdereinstoujoursplusvigoureux.J’aimequ’ilm’utilisetoutenmedonnantduplaisir.

Jem’abandonneàlasensationd’êtremanipulée,emplieparlui.Deluiêtrenécessaire.Mespeursontvoléenéclats,détruitesparsapuissanceanimaleetdominatrice.Ilabesoindemoi.Etcommej’aibesoindelui,moiaussi…

Je sens son corps se raidir, se préparer pour l’explosion. Ses doigts se refermentdouloureusement sur ma poitrine, et je gémis alors que le plaisir rayonne de mes seinsjusqu’àmachatte.Jesuisaffamée,chaufféeàblanc,plusqueprête.Etlorsqu’ilexigedemevoir venir en même temps que lui, j’obéis sans hésiter et mon corps se brise en millefantastiqueséclatsdejouissancepure.

Jenemerappellepasavoirôtémesmainsdumur.Jenemerappellepasavoirglisséàterre. Je sais seulement que je suis soudain blottie contre lui, mon jean remonté, maistoujoursdéboutonné.Moncorpsirradie.Mapeauestmerveilleusementsensible.

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–Heureusementquetueslà,murmure-t-ild’unevoixrauque.Heureusementquetutebatsmieuxquemoi.

Je ne peux retenir un sourire. Mais en prenant la parole, j’ai retrouvé tout monsérieux:

–Jen’arrêteraijamaisdemebattrepourtoi.Mets-toibiençadanslecrâne.–Jepensequetuasréussiàenfoncerleclou.J’éclatederireetlecorrige:–C’esttoiquim’asbienenfoncétonclou,là.Il rit à son tour et me serre plus fort dans ses bras. Il faudrait qu’on se lève. Nous

sommesassissurlebéton,dansleseffluvesd’essenceetd’huiledemoteur,etlesavionsquivrombissentauloin.Mais jeneveuxpasbouger,et luinonplus.Pasencore.Nousrestonsdoncimmobiles,simplementalanguisdanslesbrasl’undel’autre.

J’aifermélesyeuxetmonespritpartdoucementàladérive,quandsoudainsavoixmeramènesurlaberge.

– Je suis allé là-bas. (Jeme raidis dans ses bras.) J’étais chez lui la nuit où il a étéassassiné,lâche-t-il,platementmaisfermement,commentantl’affairecommeonparleraitdelamétéo.

J’écarquillelesyeuxetdéglutis.Jenesaispastropquoirépondre.Jenesaispastropsij’aienvied’ensavoirplus.

–Je l’aidéjàditàCharles. Ilyauradespreuves.Desempreintesdigitales.Lacamérade surveillance. Qui sait ? En tout cas, ils en trouveront forcément, dit-il avant dem’embrasserlesommetducrâne.Quoiquelapolicesache,tulesaurasavant.

Çanesertàriendes’énerver.Ça,j’ensuissûre.Jemedécaledequelquescentimètres,carj’aibesoindeleregarderenface.

–D’accord.Pourquoituesallélà-bas?–Àtonavis?Pourlemenacer.Jeluiaiditdemerendrelesphotos,s’ilnevoulaitpas

lepayertrèscher.–Tuvasledireàlapolice?Sonsourireestsitendrequemoncœurfond.–Non.Sijeleurracontequoiquecesoit,jediraiquec’étaitàproposdufilm.Maisles

photos–lechantagequ’iltefaisait–,çarestesecret.Jetelepromets.Ilm’enlacedéjàétroitement,maisjem’étreinsmoi-mêmeaussi,carj’aibesoindetoutle

réconfortpossiblepourcequejem’apprêteàdire.Jeprendsmoncourageàdeuxmainsetjemejetteàl’eau:

–Est-cequetuvas invoquer lecinquièmeamendementpourgarder lesilence?Parceque si tu décides de collaborer, il faut que tu leur racontes tout, Jackson. Si tu gardesquelquechosepourtoi,çatereviendraenpleinetronche,tôtoutard.

–Chérie,ilsvontmebouffertoutcrusijefaisça,ettulesaisaussibienquemoi.

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–Non,dis-jeenagrippantsonbras.Tuserasinnocenté.Ilfaitundrôledebruit,àmi-cheminentrelerirenarquoisetlereniflementdésabusé.–Onpeutseraconterçasiçatefaitplaisir,mabelle.Maisonsaittouslesdeuxquece

n’estpasvrai.–Ilfautquecesoitvrai,dis-jed’unairdedéfi.Avantd’avoirpum’enempêcher, jem’entends luiposer laquestionque j’étais censée

éviter:–C’esttoiquil’astué?–Qu’est-cequeçachange?Lajusticeestcapricieuse,tulesaistrèsbien.Unevague terreurm’envahit, nonparceque j’ai peurque Jacksonait tuéReed,mais

parcequ’ilaraison.Sic’estbienluilecoupable,ildevrapayerpourlamortdeReed,mêmesi c’était un monstre. Et s’il n’a rien fait, ça n’aura pas d’importance. Il sera injustementcondamné,etl’onpunirasahaineplutôtquesesactes.Ilmequestionne:

– Est-ce que ça changerait quelque chose ? Si je l’avais tué, est-ce que ça changeraitquelquechoseentrenous?

–Non!jem’écriefarouchement.Il fautqu’ilsacheque jesuisonnepeutplussincère.Qu’ilyamêmeunetoutepetite

partiedemoiquiespère–voirequicroit–quec’estvrai.Oui,cettepetitepartiedemoiesttouchée,excitéemême,àl’idéequeJacksonpuissetuerpourmeprotéger.

Ilfermelesyeux–justeuninstant–,maisjedevinequemaréponselesoulageunpeu.Lorsqu’ilmeregardeànouveau,c’estavecunevulnérabilitéqu’ilmontrerarement.

–J’aipeur,dit-iltoutbas,sibasquejedoistendrel’oreille,bienquejesoisquasimentcollée à lui. Et je n’avais pas tellement l’habitude d’avoir peur, jusqu’à présent. Mais cestemps-ci,c’estuneémotionquim’estdevenueunpeutropfamilière.J’aipeurdeteperdre.DeperdreRonnie.Deperdremaliberté.

Jeperçoisladouleuretlaconfusiondanssavoix,etjecomprendstropbien.Ilnesaitpassionvaluiconfierlagardedesafille,ilnesaitpassionvaluilaissersaliberté.Etpourunhommequiabesoind’avoirlesrênesbienenmain,toutceflouestintolérable.

–Jepeuxtoutsupporter.J’ensuisconvaincu.Maisçaneveutpasdirequejen’aipaspeurdecequisedessine.Etjen’aimepasquetumevoiesdanscetétat.

– Tu ne peux pasme repousser à cause de cette enquête. Sauf si tu as besoin d’uneautregifle.

Ilmegratified’unsouriredésabusé.–J’aibiencompris.Maisjeneparlepasseulementdumeurtre.IlyaRonnie,aussi.Ça

megênequetumevoiesgaléreravecelle.–Galérer?Jesongecombienilassureavecelle–avecunnatureletuneaisancequimedépassent

totalement–etjesuisdéroutéeparsonaveu.

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–Qu’est-ceque j’yconnais,auxgosses,moi?Jen’aiaucuneidéedecequ’il faut fairepourêtreunbonpère.Dieusaitquelemienn’apasétéunsuperexemple.

–TuesmerveilleuxavecRonnie,dis-jeavecconviction.Jecomprendspourtantcequ’ilveutdire.C’estexactementpourcetteraisonquejen’ai

jamais envisagéd’avoirdes enfants –mesparentsm’ont tellementbousilléeque jene suispassûredesavoirêtremère.

–C’est elle qui estmerveilleuse.Mais ce n’estmêmepas le problème.C’est comme sichaquedécisionquejedevaisprendreétaituntest,etqu’enrépondantdetraversjerisquaisdefoutresavieenl’air.Est-cequejeluidisquejesuissonpère?Est-cequejecontinueàjouer le rôlede l’oncle?Est-ceque je la laisseàBetty?Quelsque soient les choixque jefais, il y en amille autres derrière. Et je n’ai aucunmoyen de savoir si je suis sur le bonchemin.

–Tucroisquelefaitdegalérerprouvequetuesunmauvaispère?Maisc’esttoutlecontraire, Jackson. Tu ne t’en rends pas compte ? C’est tellement capital pour toi, quechacun de tes actes est dicté par ce qui te semble le mieux pour elle. C’est la définitionmêmedubonpère,Jackson.Toietmoi,onlesaitmieuxquepersonne,dis-jeavecunpetitsourireaccompagnéd’unbaisersurlajoue.Etc’estassezsexy,enfait.

Ilneritpas,maissonvisagesedécrispelégèrement.J’insiste:–TufaislesbonschoixpourRonnie.Lesmeilleurs.Tutefocalisessurelleparcequetu

veuxqu’ellesoitheureuse.Parcequetul’aimes.LalaisseràBettyn’estpasuneerreur.C’estunchoix,etc’estlebon.

– Peut-être. Mais ça ne m’empêche pas d’avoir commis des erreurs. Et j’ai peur dedevoir en payer le prix très bientôt. J’ai peur que Ronnie en subisse les conséquences. (Ilglisse sesdoigtsdansmes cheveuxetme retient lanuqueenme regardantdroitdans lesyeux.)Et j’aipeurquetoiaussi,Syl, tudoivespayer lespotscassés.Sicen’estpasdéjà lecas.

–Non!dis-jeavecvéhémence,commesijepouvaisdissiperlesombresquiplanentsurson regard par la seule force de ma volonté. Ne fais pas ça, Jackson. Ne t’avise pas desombrerdans lamélancolieavecmoi.Ronnieaunechance follede t’avoirdans savie, etmoiaussi.Jet’aime,etjesuisprêteàtoutpourresteravectoi.

Ilmeregardesansmotdire,commes’ilassimilaitmesparoles.Commes’ilenévaluaitlavérité. Et ce silence dure si longtemps que je me sens presque obligée de parler, mais ildégainelepremier.

–D’avoirétéavectoiàSantaFe…–Ehbien?L’espaced’uneseconde,ilaunemimiquedesouffrance.– Je sais que j’ai été con. C’était à cause de Ronnie. Enfin, pas seulement.Mais c’est

surtoutàcaused’ellequejemefaisdusouci.

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–Oh.Un frissonmeremonte le longde l’échine,et jemecrispe,certainedesavoiroùcette

conversationvanousmener.Jenesuispassamère.Jen’aipaslamoindreidéedecommentjedevraismecomporterpourenêtreune.Etlà,Jacksonabesoindeseconcentrersurdeuxchoses:êtreblanchi,etêtreunpère.Autrementdit,cen’estpaslemomentpourmoid’êtreunboulet.Jacksonreprend:

–Jemesuis surprisàpenserquece seraitbien,enfin…rassurantpourmoide savoirqueRonnieestavectoidehors,silepiredevaitarriver.

Là,ilm’aperdue.–Etçafaitdetoiuncon?Ilesquisseunsourire.–Tunet’esrenducomptederien?Tuasdécouvertquej’avaisunenfantiln’yamême

pascinqminutes.Unenfantquetuconnaisàpeine.Etpourtant,dansmatête,c’estdéjàtoiquicombleslevidedanssaviequandjesaisquejerisquedefinirentaule.TatieSyl,direct.Quim’aideens’occupantdeRonnie.Enlaprotégeant.Tuterendscompte,machérie?Jetevoisdéjàquasimentjoueràlamaman.

Mapoitrineseserred’émotion.Ilnes’éloignaitpasdemoiparcequ’ilnevoulaitpasdemoi.C’esttoutlecontraire.Ilpoursuit:

–C’estégoïstedemapart,etcen’estpasréaliste,mais…Incapabledemeretenir,j’éclateensanglots.

***

–Oh,Seigneur,Syl.Oh,merde.Jacksonseseraitdonnédesbaffes.Qu’est-cequiluiavaitpris?C’était simple. Il se disait qu’il la voulait à ses côtés. Tout le temps. Toute la vie. Lui

voulaitd’elle.Etilavaitfalluqu’illuibalancetoutçasansréfléchiràcequ’ellevoulait.– Je suis désolé, dit-il promptement. Jen’aurais pasdû tedire ça.Merde, j’aurais dû

fermermagrandegueule.C’estpourçaqueRonnieestavecBettypour lemoment,parcequ’évidemment,jenem’attendspasvraimentàcequetu…

–Qu’est-cequetuesbête,c’estpascroyable,répliqua-t-elled’unevoixentrecoupéedesanglots.

Pendantuninstant,Jacksonseditqu’ilavaitdûmalcomprendre.Puisellereprit:–Turéalisescombienc’estimportantpourmoi?Quetum’accordesautantdevaleur?

Aupointdevouloirmeconfierlaprunelledetesyeux?Illadévisagea,stupéfait.L’avait-ilbienentendue?Serendait-ellecomptedecequ’elle

disait?

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– Je ne sais absolument pas comment on joue à la maman, poursuivit-elle. Mais jet’aime,Jackson.Cenesontpasdesmotsenl’air,ajouta-t-elleenluicaressantlajoue.Toutce dont tu auras besoin. Tu te rappelles ?Çanonplus, ce ne sont pas desmots en l’air.Pourlemeilleuretpourlepire.Onvasurmonterça,etonvalesurmonterensemble.

Ilneréponditpasimmédiatement.Ilvoulaitseulementlacontempler.Boiresesparolesets’engriser.

Pourlemeilleuretpourlepire.Unjour,songea-t-il.Unjour,elleluirépéteraitcesmots,justeavantqu’ilneluipassela

bagueaudoigt.Maisavant,ilfallaitqu’ilssurviventàtoutcequiallaitleurtomberdessus.

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5

Le cabinet de Bender, Twain&McGuire – notre destination – occupe trois étages du2049Century Park East, l’une des deux tours triangulaires emblématiques du quartier deCenturyCity,lesCenturyPlazaTowers.Ellessedressentau-dessusdenous,scintillantdansle ciel nocturne, tandis que Jackson conduit sa Porsche bien-aimée sur Santa MonicaBoulevard.

J’ai toujours aimé ces deux tours – leur silhouette élégante et sans fioritures, l’éclatsoyeuxdeleurfaçadeenaluminium.Ellesbrillentfranchementsousl’azurcalifornienmais,mêmeàlanuittombée,ellesconserventuneauraquireflètelapuissanceetleprestigeduquartieretdesgensquiviventettravaillentici.

–Ilestsurmalistederegrets,ditJacksonenpointantlestoursdudoigt.–Quiça?Yamasaki?– J’aurais dû me douter que tu le connaissais, sourit-il. Avec Frank Lloyd Wright,

MinoruYamasakiestl’unedespersonnesquej’invitetoujoursàdînerquandjejoueàcejeu.–Lejeududîneridéal,quelesconvivessoientvivantsoudisparus?–Exactement.Wrightestmort justeavantmanaissance,et jedevaisavoirquatreans

quandçaaétéletourdeYamasaki.JeconstruisaisseulementdestrucsenLegoàl’époque,maismêmesi j’avais été conscientdemondésirdedevenirarchitecte, jene croispasqu’ilauraitprismonappel.

–Non,probablementpas,dis-jesanspouvoirm’empêcherdesourire.Ilestsurmaliste,aussi.Sesimmeublessonttellementdistingués,tellementmajestueux,tunetrouvespas?

Minoru Yamasaki est certes l’architecte des Century Plaza Towers,mais il est surtoutconnupourlestoursd’origineduWorldTradeCenter.

Nousnousarrêtonsàunfeurouge,etJacksonsetourneversmoi.– Jene t’ai encore jamais emmenée faireunevisitearchitecturaledeLosAngeles.On

devraitfaireça,undecesquatre.Leweek-endprochain,peut-être.–Nefaispasça,dis-jed’untonplusbrusqueque jene l’auraisvoulu.N’essaiepasde

mechangerlesidées.Nefaispascommesitoutallaitbienalorsquelasituationestcritique.

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Queçateplaiseounon,c’estnotreviepourlemoment.–Syl…Lefeupasseauvert,maisilnedémarrepas.–Non,jesuissérieuse.Derrière nous, la voiture klaxonne. Je me retourne pour lancer un regard furieux à

l’imbécile dans sa décapotable – une blonde maquillée à la truelle qui ne semble pasconnaître lemoindre souci avec l’existence –, puis je regardedenouveau Jackson, encoreplusagacée.

–Vas-y,dis-je,maisiladéjàredémarré.Nousroulonsensilencependantunmoment.Jacksonalesdeuxmainssurlevolant,et

une tension très inconfortable envahit l’habitacle, anéantissant le sentiment de normalitéquenousavionsenfinretrouvé.

Tantmieux.Parcequecen’estpasnormal.Riende tout çan’estnormal.Etnousdevonsnousen

souvenir.Pourmieuxluttercontrel’horreur.Maiscommentluttercontrelespreuves?Contrelapolice?Commentcombattrecette

affreuseréalitéquinouscerneetserapprocheinexorablement?– Tu penses que je n’enmesure pas les enjeux ? demande Jackson d’une voix égale,

maisferme.–Jepensequetuessaiesd’arrondirlesanglespourmoi.Ettunepeuxpas.Pascomme

ça.Jeretiremesballerinesetposelespiedssurlesiège,puisj’enlacemesgenouxetjepose

lementondessus.– Fais ce qu’ils te disent, Jackson. Evelyn. Les avocats. Vraiment. Fais exactement ce

qu’ilstedisent.–BonDieu,Syl!Jenelespaiepaspourignorerleursconseils,dit-ild’unevoixpleine

decolèrecontenue.– Non, mais il t’arrive de perdre ton sang-froid. (Je sais que je devrais me taire

maintenant,mais jeneparvienspasàm’arrêter.)Tunepeuxplusfaireça,désormais.Lesmédiast’ontdanslecollimateur,etilssefoutentdelaprésomptiond’innocence,alorsilfautquetusoisprudent.Ilfautquetusoismalin.

Ilralentitpourtourneràdroite,etleslampadaireséclairentsestraitsaumomentoùjeledévisage.Sonexpressionestdure,sévère.

–Jesais,dit-ilsimplement.Pas d’énervement. Pas de reproche. Et le fait qu’il se contente d’acquiescer ainsi me

soulageénormément.J’hésite:–C’estseulementque…Jenesaispassi tu l’astuéounon,Jackson.Jenelesaispas

parcequetunemel’aspasdit,etçanemeposepasdeproblème,parcequejecomprends

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queCharlesneveuillepasquetum’enparles.Maisquetul’aiesfaitoupas,jesaisquetuenétaiscapable.Etmêmequetuenavaissûrementenvie.Etsijepeuxlevoir…

Mavoixsebrise,etj’inspiredenouveauavantdefaireunenouvelletentative.–Simoijem’enrendscompte,alorsqu’est-cequ’unjuryenpensera?Jesaisqu’ilentendlapeurdansmavoix.Mais ilnemeprendpas lamain. Iln’essaie

pasdemeréconforter.Je luiensuisreconnaissante,caràcet instant, j’aibesoindevérité,sansfard.Jeneveuxpasqu’onmeservedesplatitudespourmeconsoler.

– Tume connais, dit-il simplement. Tu sais que je ferais tout pour te protéger. PourprotégerRonnie,ajoute-t-ilavantdesoupirerlentement.Maisunjuryneverrapasça.C’estdansmoncœurqueçasepasse,mabelle.Etmoncœurn’appartientqu’àtoi.Toutirabien,finit-ilentendantlamainpourmecaresserlajoue.

–Tulecroisvraiment?–Jen’aipaslechoix.Le parking souterrain est immense,mais Jackson parvient à dénicher une place tout

prèsdesascenseurs.Tandisquenousnousdirigeonsverslasortie,jevérifiemontéléphoneune foisdeplus.Nonque j’adore recevoir toutes ces conneriesdenotifications,mais jenepeuxpaslesignorer.SinousdevonsdiscuterdelalignededéfensedeJackson,laquestiondes médias viendra sur le tapis, fatalement. Et j’ai besoin de me tenir au courant pourJackson,maisaussipourleDomaine.DallasSykesnenouslâchepeut-êtrepas,maisjerestepréoccupée par les autres investisseurs, et une tropmauvaise presse pourrait finir par lespousseràbout.

En naviguant sur Internet, je ne trouve rien de plus que ce que j’ai déjà lu – desspéculationssurl’agression,surlefilm,etlescancanshabituelsdessitespeople.

Mais alors que nous entrons dans l’ascenseur, un tweet s’affiche surmon écran, et jesuissiabasourdiequejedoismereteniraubrasdeJacksonpournepasm’effondrer.

– Ça va ? me demande-t-il, puis, voyant mon visage décomposé : oh merde, quoiencore?

Jeneveuxpasleluimontrer,vraimentpas,maiscen’estpascommesijepouvaisfaireautrement.Jeluipassemontéléphoneet,anticipantsaréaction,jefaisdemonmieuxpourréprimerunmouvementderecul.

–Putaindesarace.Je grimace malgré moi, et regarde de nouveau l’écran, même si les mots sont déjà

gravésenlettresdefeudansmonesprit:J.Steele, ledemi-frèredeD.Stark,convoquépourinterrogatoiresuiteaumeurtredeR.CabotReed#scandale#stark#sordide#steele

–Ouais…dis-jesombrement.Commetudis.Ilyaunlien,aussi,surlequelJacksontentedecliquer,maisbienentenduiln’yaplus

deréseaudans l’ascenseur.Peu importe.Sinoussommestombéssurce tweet,c’estqu’ily

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enamilleautres,etnoussavonsquec’estdésormaisleliendeparentéentreJacksonSteeleetDamienStarkquivaexciterlesjournalistes.

–Maiscomment ils l’ontsu?demandeJacksonenlevant lesyeuxdutéléphone.Monsiten’indiqueaucunlienavecDamien.Sicetenfoiréafaitfuiterl’info…

–Non,dis-jeavecfermeté.Ilneferaitpasça.Passanst’enparler.Impossible.Maistoutendémentant, jem’interroge.JecroissincèrementqueDamiennerévélerait

pasce secretparpuremalveillance…Mais siEvelyn luiavaitditde le faire?Sielleavaitinsistépourqu’ildévoilel’infosansmêmeattendrequeJacksonsoitdescendudel’avion?

Jenesaispas,etcommeJacksonestmanifestementàcran, j’évitede lui fairepartdemes hypothèses. Tandis que l’ascenseur s’élève, j’éprouve un curieux mélange desoulagement et de compassion. Bien sûr, je suis atterrée qu’une nouvelle part de sa vieprivéeaitétérécupéréeparlesmédias.Maisjemesenspluslégèreaussiàl’idéedenepasêtrelacausedecesmâchoiresserréesetdecetteposturerigide,pourunefois.

Lorsque les portes de l’ascenseur s’ouvrent au vingt-quatrième étage, nous sommesaccueillis par une assistante juridique, une blonde androgyne qui nous propose de nousguideràtraverslecabinet.Bienqu’ilsoitpresquehuitheuresdusoirundimanche,plusdelamoitiédesbureauxdevantlesquelsnouspassonssontoccupéspardejeunesavocatsauxvisages éclairés par leurs écrans d’ordinateur. Dans l’open space, quelques employéss’affairent, et le cliquetis des claviers sous leurs doigts confère au lieu une atmosphère deruchebourdonnantd’activité.

Bender,Twainestl’undescabinetsd’avocatslesplusrenommésdupays,etl’animationquirègneiciundimanchesoircontribuelargementàexpliquerpourquoi.

LebureaudeCharlesn’estpasaussiimmensequeceluideDamien,maisilesttoutdemêmesuffisammentgrandpouraccueillirsonbureau,unetablederéunionovaledebonnetaille,uncanapésur lequel sontassisdeuxhommesdevingtansetquelques,etplusieurssiègesconfortables.Sansparlerdesétagèresrempliesdetraitésjuridiquesdivers,deromanshistoriquesetdepilesdedossiers.

Noussommeslesderniersàarriver,etavantquej’aiepuprendremesmarquesouvoirexactementquiétaitprésent,Jacksonmedépasseàgrandesenjambéesenbrandissantmontéléphone.

–C’estquoicedélire?IlsedirigedroitsurDamien,etjedoutequ’ilremarquequiquecesoitd’autredansla

pièce.Deboutàcôtédelatablederéunion,Damienjetteàpeineunregardautéléphoneque

Jackson lui met sous le nez. Il pose en revanche sur lui ses yeux froids et calmes et luirépondd’untontranquille:

– Je n’ai rien dit. Crois-moi. Je me fais à l’idée d’avoir un frère, mais je n’étais pasencoreprêtàlecriersurlestoits.(IldésigneEvelynduregard,assiseavecundossierouvert

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devant elle.) On discutait de la manière dont on allait l’annoncer, et je n’étais pas trèscontent que quelqu’unme coupe l’herbe sous le pied. Je pensais que c’était peut-être toi,maisvutaréaction,jedoisrévisermeshypothèses,conclut-ildansundemi-sourire.

–Non,cen’estpasmoi,confirmeJackson.Enlevoyantsedétendre,jeconstatequ’ilcroitDamien.Cedernierluidemande:–Alors,çava?Tutienslecoup?–Maisoui,assureJacksond’untonsec.–Monœil.Tuaslesjetons,rétorqueDamien.Etsicen’estpaslecas,alorstun’espas

aussiintelligentquejelecroyais.JerestefigéeàcôtédeJackson.Malgrémadiatribedetoutàl’heurequantaufaitde

ne pas regarder les choses en face, les paroles de Damien me tordent l’estomac siviolemmentquejemedemandesijenevaispasvomir.Damienpoursuit:

–Situl’asfait,alorstuaslesjetonsqueçapuisseêtreprouvé.Situnel’aspasfait,tuasencorepluspeurdefinirenprisonavectonsavonbienserrédans lamainet ledosaumur, tout ça parce que tu te seras pris la tête aumauvaismoment avec lemauvaismec.C’estunesituationultrafoireuse,résumeDamien,suruntonmoinsrudeetplusconciliantqu’iln’avaitcommencé.Voilàpourquoionesttousréunisici.Pourfaireensortequetunetefassespasniquer.

Jackson me regarde juste assez longtemps pour me laisser percevoir le soulagementdans ses yeux. Puis il se tourne versCharles qui s’avance, laissant derrière lui, près de lafenêtre,unefemmequinem’estpasinconnue.

–Vousneconnaissezpastoutlemonde,jecrois,ditCharles.EvelynetDamien,si,biensûr, et vous avez déjà rencontré mon auxiliaire juridique, Natalie. Nous avons ici deuxétudiantsendroitdel’UCLA,ajoute-t-ilennousdésignantlecanapéoùsontassislesdeuxstagiaires.EtvoiciHarrietFrederick,conclut-ilenseretournantverslafemmeaveclaquelleilparlaitànotrearrivée.

J’étouffe un petit cri de surprise alors qu’il prononce son nom. Harriet Frederick estl’une des pénalistes les plus renommées de Californie, voire du pays. Elle a beaucoup declasse ; elle est habillée demanière élégantemais décontractée, façon « je travaillemaisnoussommesdimanche,toutdemême».Sescheveuxlongssontattachésetelleestàpeinemaquillée. Elle me donne l’impression de ne pas avoir besoin d’en faire des tonnes. Elleparaîtviveetcompétente,etmêmesiellen’avaitétéqu’unedesstagiaires,j’auraisétéraviequ’ellefassepartiedel’équipe.

Maislà,jesuiscarrémentemballée,parcequeHarrietFrederickaététrèsmédiatisée:il se trouve qu’elle a collaboré avec Charles depuis les États-Unis durant le procès deDamienenAllemagne. Je savaisqueCharlesallait embaucherunepersonnedepluspourdéfendre Jackson –même s’il n’a eu aucune difficulté à faire libérer Jackson sous cautionaprèsl’agression,saspécialitédemeureledroitd’entreprise,paslepénal.

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Mais je n’avais pas anticipé que nous aurionsHarriet, et la voir dans ce cabinet avecnous m’apporte plus que du soulagement – c’est comme une bonne dose de concentréd’espoir.

ElletraverselapièceavecassurancepourvenirserrerlamaindeJackson.–M.Starkaraison.C’esttoutàfaitnormald’avoirpeurétantdonnélescirconstances,

maissivousm’écoutez–sivousêtesfrancavecmoi–vousaurezplusdechancesderesterlibre.

Je serre les lèvres, détestant ce qu’elle ne dit pas mais que je sais déjà. Qu’il n’y aaucune garantie. Et en dépit de sa notoriété et de toute l’estime qu’on lui porte, mêmeHarrietFredericknepeutpasmejurerquel’hommequej’aimen’irapasenprison.

– Nous allons déposer un recours pour que le procès soit délocalisé, mais nous nel’obtiendronspas.Cequisignifieque lesmembresdu juryserontdesgensdesenvirons,etpar icionaime le cinémaet les célébrités…Reed,notamment. Jevous invitedoncàvousconduireparfaitement,monsieurSteele.

–Bienentendu.Elle leregardedebasenhaut,commesielleprenaitsesmesures,avantdehocher la

têteavecunairquej’espèreapprobateur.–Nousverronsbien,j’imagine.Etsioncommençait?propose-t-elle.Nousprenonstousplaceautourdelatablederéunion,maisellerestedebout.– C’est dommage que nous n’ayons pas pu prendre les devants au sujet de cette

révélationsurvotre liendeparentéavecM.Stark.Maiscelan’ad’importancequedans lamesure où le public s’intéresse à votre personnage.Malheureusement, dans le cadre d’unprocèstrèsmédiatisécommecelui-ci,ceseralecas.

Jacksonfroncelessourcils,etj’essaiedecroisersonregard.Jevoudraissavoircequ’ilaentête,maisilestconcentrésurHarrietetj’ensuisréduiteàémettredeshypothèses.

–EvelynetDamienpréparaientunplanpour l’annonceravant lamoindrefuite. Ilvafalloirrevoirl’angledecommunicationpourreprendrelamain.

–J’auraiquelquechosedeprêtd’icicesoir,ditEvelyn.J’imaginequelesvautoursvontvenirtournerautourdelaStarkTowerdemain,sansparlerdelapolice.

–Nous ferons entrer Jackson par l’arrière, répondHarriet. Je ne veux pas de face-à-face avec la presse demain. Et comme lesmédias vous font déjà comparaître devant leurpropre tribunal, notre objectif principal sera d’examiner les témoignages en nousdemandantl’effetqu’ilsproduirontsurlejury.

EllecroiselesbrasenétudiantJacksonduregard;ondiraitlastylisted’unemaisondecouturechargéedel’habillerpouruneavant-première.

–Vous n’allez pas témoigner. Vous ne répondrez pas à leurs questions demain. Vousvousprésentez,maisc’estmoiquimechargedesréponses.Vousallezinvoquerlecinquièmeamendementpourgarderlesilence,Jackson.

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–Çanevapasluidonnerl’aircoupable?jedemande.Ellesetourneversmoietsecouelatête:–Çavautmieuxpourluiqued’admettrequ’ilaétéchezReedcesoir-là.Oupire,qu’il

ne leprécisepas et que ça se retourne contre lui quand lapolice scientifiqueaura trouvédespreuves.Qu’ilnediserien;lapolicenesaurapeut-êtrejamaisqu’ilétaitlà-bas.S’ilsnepeuventpasprouversaprésencesurleslieuxducrime,ilsaurontbiendumalàétablirsaculpabilitédanscetteaffaire.

Jecomprendsl’idée–etjeconçoismêmequ’invoquerledroitausilencenesignifiepasnécessairement que l’accusé soit coupable –,mais sachant que c’est ce que lesmédias endéduiront, ce plan d’action me terrifie. Tous les journalistes vont y aller de leurcommentaire,çavaêtrel’enfer.

– Sylvia, dit Harriet d’une voix douce, me tirant de mes pensées. Pour la presse,Jacksonestdéjàlecoupabletoutdésigné.Choisirdegarderlesilencen’ychangerarien.Lamanièredontilapparaîtenpublic,enrevanche,peutmodifierlaperceptionqu’onadeluidans cette affaire. C’est pourquoi il sera dorénavant tout à fait charmant, un vrai gendreidéal. Et bien entendu, ajoute-t-elle avec un bref regard à son intention, il ne perdra passonsang-froid.

–Ohquenon,renchéritEvelyn.Evelyn Dodge est une figure incontournable de Hollywood, et elle s’y connaît mieux

quepersonneen relationspubliques. Je suis enchantéequ’elle soitdu côtéde Jackson.Etraviequ’ellesoituneamie.

ElledésigneCharlesetHarriet:–Onadiscutélonguementdelameilleurestratégieàadopter.Enrésumé:ilfautque

vousdeveniezunêtreabsolumentexquis,dit-elleenfaisantlamoue.Sitantestquevousensoyezcapable.

–Jeferaidemonmieux,répondJacksonavecunpetitsourire.–N’approchezpas les journalistes.S’ils empiètent survotreespacevital, vousavez le

droitde leséconduire.Mais sivous faites lemoindrecommentaire, soyezcharmant.Soyezchaleureux.Soyezadorable.

–C’estmoitoutcraché,ditJackson,provoquantleriredeDamienàl’autreboutdelatable.

Evelynhausseunsourcil.Ellem’évoqueunemamandontlesdeuxenfantsseraientunpeutropchahuteursàsongoût.Cetteidéemefaitsourire.

– Vous l’avez frappé. Bon, c’est ainsi, on ne peut rien y faire. Mais pour le reste,renvoyezlaballeversCharlesetHarriet.Ahlàlà,cesfichusavocatsquivousontordonnéde vous taire… Sans quoi vous raconteriez tout, bien sûr. Vous voyez le genre ? Faitescommesivousparliezàdebonsamis.D’accord?

–D’accord,ditJackson.

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–Vousêtescolérique,jeunehomme,insiste-t-elle,redevenuegrave.Gardezvotresang-froid. Si vous le perdez, vous perdrez aussi le procès, et votre liberté. Suis-je claire ?demande-t-elleenleregardantavecsévérité.

Sesmâchoiressecontractent,jesaisqu’ilseretientderiposterviolemment.Maisilfinitparrépondre:

–Oui,m’dame.Etc’estce«m’dame»quibriselaglace.Evelynrenverselatêteenarrièreets’esclaffe.–SeigneurDieu,Jackson,jenevoulaispasvousmettreenboule,dit-elleavecungeste

d’excuse.Ceci,enrevanche…Cecirisquedevousénerverunbrin.Toutenparlant,ellesortunephotographiedesondossieretlafaitglissersurlatable.Je pousse un petit cri en même temps que Jackson dit d’un ton aussi calme

qu’irrévocable:–Horsdequestion.C’estRonnie,surlaphoto.–Il fautqu’onprennelesdevants,ditdoucementHarriet.Ellefaitpartiedevotrevie.

Et honnêtement, il n’y a pas grand-chose dont la presse raffole davantage qu’un pèrecélibataire qui se bat pour sa fille. Vous voulez que le public vous aime ? Montrez-luicombienvoustenezàcettepetite.

Sansrépondre,Jacksonposesamainàplatsurlaphoto,commesicegestepouvaitlaprotéger.

Unangepasse.PuisDamien se lève, fait le tourde la tableet s’assieddessus, justeàcôtédeJackson.Gentiment,maisavecfermeté,ildit:

–L’infofiniraparsortir.Àcemoment-là, tout lemondefera le lienentreta filleet lefilm,ettoutlemondeverratrèsbienpourquoitunevoulaispasquelefilmsefasse.Gardelamainsurcettehistoire,etonpourraamortirlechoc.Situattendssansriendire,ceseraviolent.

– Jene jetterai pasma fille aux crocodiles, réplique Jackson.Pas àmoins que ce soitabsolumentnécessaire.

–Jackson…commenceDamien.MaisEvelynlecoupe.–Non,onpeuts’arranger.(ElleinterrogeHarrietduregard,etcommecelle-cihochela

tête presque imperceptiblement, elle se tourne de nouveau vers Jackson.) Mais restezconcentrésur l’objectif,d’accord?L’objectif,c’estdevous tenirà l’écartde laprison.C’estd’êtrelàpourvoirgrandirvotrefille.

Jacksonneditrien,maisilregardeEvelynavecintérêt.Ellepoursuit:–Onvafairecommeçapourlemoment,maisjenegarantispasqu’onnechangerapas

destratégieencoursderoute.Ilfautquejeprennelatempérature.Quejevoiesilesmédiascommencent à avoir un tant soit peu de sympathie pour vous, ou si la froideur de votre

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regardestmalheureusementcommunicative.Silethermomètreresteauxalentoursdezéro,monsieur Steele, nous aurons sûrement besoin de cette adorable fillette pour réchauffervotreimage.Vouscomprenez?

Jelevoisserrerlesdents,etsamainsecrispesurlereborddelatable.Maisilfinitparlâcher:

–Oui.Evelynhochelatête,satisfaite.N’ytenantplus,jedemande:–Concrètement,qu’est-cequivasepasserdemain?Est-cequ’ilsvontl’arrêter?Est-ce

qu’ilpeutpayerunecaution?J’ailavoixaltéréeparlapanique,etjesuistouchéeenvoyantJacksonretirersamain

delaphotodeRonniepourserrerlamienne.– Une arrestation est envisageable, dit Harriet comme si elle évoquait la possibilité

d’une averse en fin de journée. J’ai tendance à penser que ce ne sera pas le cas, commel’affaireest trèsmédiatisée.Mais Jacksona toutdemêmeagresséet le scénaristeetReed,bienqu’onignoresilapoliceaeuventdupremierincident.EtilestalléchezReedlejourdu meurtre. L’accusation ne le sait peut-être pas. Mais peut-être que si. Ils nousl’apprendrontpeut-êtredemain.Etçatournerapeut-êtreàl’arrestation.

Jacksonhochelatête,l’airabasourdi.J’ailabouchesèche,etj’aibeauserrerlamaindeJackson,jenesenspassesdoigts.Je

balbutie:–Maisvousavezditqueceneseraitpaslecas,d’aprèsvous.–Enrèglegénérale, lesenquêteursneveulentpasagirprématurément,parcequ’une

fois qu’ils ont procédé à l’arrestation, c’est une course contre la montre qui s’engage. Etsurtout quand l’affaire est médiatisée, ils préfèrent prendre leur temps pour menersoigneusementl’enquêteenamont.

–Etlà,pourquoiilsneprocéderaientpascommed’habitude?Harriet plante son regard dans le mien. J’ai beau détester son franc-parler à cet

instant,jedoisadmettrequec’estaussipourçaquejelarespecte.–Jecrainsqu’ilsn’aientdéjàtouteslescartesenmain.–Mais on serait déjà au courant, non ? Je croyais que la police avait l’obligation de

communiquerlesélémentsdepreuvesdontelledispose.Oualorscen’estvraiqu’àlatélé?Jeneparvienspasàmetaire.J’aibesoindecomprendre.Cettefois,Harrietmesourit,

aumoinsunpeu.– Elle en a l’obligation, effectivement. Mais pas encore. Et certainement pas avant

d’avoirprocédéàlamoindrearrestation.–Oh.

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Jesaisisenfin.Ellecraintqu’onnemetteJacksonfaceàunfeud’artificedepreuvesquil’accableraient, avant de conclure en beauté par un final où on lui passerait lesmenottespourlecoffreraussisec.

Ohlàlà.– Si le pire doit arriver, on optera pour une libération sous caution, bien sûr, dit

Charles.Maisenattendant,ongardel’espoirqueçanesepasserapasdecettemanière.Laréunionsepoursuitpendantpresquedeuxheures,etnousabordonstantdedétails

etd’hypothèsesquej’ail’impressiond’avoirlatêtefarcieàrasbord.Mêmemoi,j’aireçudesinstructions.CommeJackson,jedoismemontrerpolieetcharmanteaveclapresse.Maisj’ail’avantagedepouvoirpréciserqu’il était àune fêteavecmoi le soirdumeurtre.Bien sûr,cettefêted’Halloweenavaitlieudel’autrecôtédelacolline,danslequartierdeStudioCity,etn’importequel journalistedignedecenomremarqueraqueJacksonaurait trèsbienpus’arrêterchezReedavantdeserendreàlafête.

Là-dessusévidemment,jegarderailesilence.Comme pour mes échanges avec les investisseurs, je pourrai les rassurer quant à la

présence de Jackson à mes côtés ce soir-là, puis enchaîner avec brio sur son talentd’architecte–sansparlerdufaitqu’unlégerparfumdescandaledanslesillageduDomaineneferasansdoutepasdemalauchiffred’affairesdelasemained’inauguration.

Jacksonreçoitlaconsignedesuspendresestravauxd’intérêtgénéral.Charlesvaréglerçaaveclejuge:

–Onneveutpasattirerl’attentionsurlefaitquevousayezreçuunepeineaussilégèreaprèsl’agression.Ilnefautpassuggérerquevousbénéficiiezd’unquelconquetraitementdefaveur. Ça finira par se savoir, bien sûr, précise-t-il non sans cynisme. Mais pourquoibraquerlesprojecteurslà-dessus?

Harrietavaitfinipars’asseoir,maiselleserelève.–Jecroisqu’onafaitletour,saufpourlemobileducrime.Enl’état,leparquetadeux

pistes:celledufilm,etcelledel’agression.CelledufilmprévaudradèslorsquelesmédiasserontaucourantpourRonnie.Toutefois, ajoute-t-ellepromptement, j’ai l’intentiondenerien révéler à ce sujet dans l’immédiat, tant que vous êtes conscient des inconvénientspotentiels.

–Oui,jel’aidéjàdit,répondJackson.Quelquechosemefaittiquerdanslesproposd’Harriet.–Attendez…IlspenserontsincèrementqueJacksonaputuerReedpourl’empêcherde

luifaireunprocèsaucivil?Jesuislaseuleàtrouverçaironique?– Croyez-moi, dit Harriet. Les gens commettent des crimes pour desmotifs tous plus

idiotslesunsquelesautres.Lapolicelesait,etellelequestionneradanscesens.Onnesaitpas ce qu’elle découvrira si elle suit différentes pistes pour l’enquête. S’il existe unquelconqueautremobilequece soit, il fautque je le sachemaintenant, continue-t-elleen

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fixantJacksonduregard.Siquelquechosemesauteàlafiguredansquelquesjoursoudansquelquessemaines,c’esttoutel’affairequiserasabordée.

Jenebougepasd’uncil,maisjesuisterrifiéeàl’idéequ’onpuisseentendremoncœurcogner commeun forcenédansmapoitrine. Jene lèvepas les yeux vers Jackson,mais jesuiscertainequ’ilpenselamêmechose.Lesphotosdemoi.CellesqueReedm’amenacédepubliersijen’incitaispasJacksonàaccepterlefilm.

Ouais,clairement,c’estunmobile.MaisJacksonsecontentederépondre:–C’esttout.Iln’yariend’autre.Jem’aperçoisquejeretenaismonsouffle.Ilmeprotègetoujours.Mêmesicesecretpeut

l’envoyerderrièrelesbarreaux,ilcontinuedemeprotéger.Suis-jevraimentlâcheaupointdelelaisserfaireunechosepareille?–Bien,ditHarriet.Alorspassonsàla…–Ilyaautrechose.J’aiparlésibasquemesparolesétaientàpeineaudibles.Jegarde lesyeuxrivésà la

table.–Pardon,Sylvia?Jen’aipasentendu,ditCharles,quimeregardeattentivement.Jeprendsunegrandeinspirationetserrelespoings.–Sylvia.LavoixdeJacksonestdure.Exigeante.Jeleregardeenespérantqu’il lira lesexcuses

dansmesyeux.PuisjereportemonattentionversCharlesetHarriet.– Il me faisait chanter, dis-je sans détour, et sans plusmurmurer. Reed. Il avait des

photosdemoi.Jeposaispourluiet…ehbien,certainesimagesétaientexplicites.Je…jenevoulaispasquetoutlemondepuisselesvoir.Je…jenecroisvraimentpasquejepourraislesupporter.

Trèslentement,Harrietposesesnotessurlatable.–Jevois.Je me tourne juste assez pour apercevoir Jackson du coin de l’œil. Il secoue

imperceptiblementlatête,l’airdouloureux.Maisjedoiscontinuer.– Il m’a menacée de les diffuser si je ne persuadais pas Jackson d’abandonner son

travaildesapecontrelefilm.CharlesetHarrietéchangentunregard.–Bon,ditHarriet.Vousavezraison.C’estunmobiletoutàfaitconvaincant.J’avalemasalive.Jesaisqu’elleditvrai.–Vousavezcesphotos?demandeCharles.–Non,intervientJacksond’unevoixferme.Onabrûlécellesqu’illuiavaitenvoyées.C’est unmensonge,mais comme ça neme semble pas important – et puisque je n’ai

aucuneenviequ’ilsvoientcesphotos–,jeneleremetspasencause.

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– Il y a donc vraisemblablement d’autres tirages ? demandeHarriet. Àmoins que lapersonnequiatuéReednelesaitemportés?

J’acquiescedansunfrémissement.–D’autrespersonnessontaucourant?demande-t-elle.–Non.JemesuisempresséederépondreavantqueJacksonaitpumentionnerCassoumon

père.Jeveuxquelesavocatssoientaucourantduchantage,parcequec’estcrucialpourledossierdeJackson,maisjenesupportepasl’idéedemêlermonpèreànoshistoires.

–S’ilvousplaît,jevousensupplie,faitesqueçanesortepasdecettepièce.Cette fois, je lève lesyeuxversDamien,qui faitoui la tête.Jevoisqu’ilcomprendma

requête,etqu’ilsaitpourquoic’estsi importantpourmoiqu’ilgardelesecret,mêmevis-à-visdeNikki.

Harrietfinitparreprendrelaparole,d’unevoixdouce:– Ce n’est pas une information que nous sommes tenus de livrer. Et avec un peu de

chance, Reed aura enterré ces photos sous un rosier dans son jardin, et personne ne lesretrouvera jamais.Mais jevousremerciedenous l’avoirdit.Ceserautilepourpréparer ladéfensedeJackson.

J’approuve d’un signe de tête. Je le sais bien. Dieu sait que je n’avais aucune autreraisonderaconterça.

Le restede la réunionn’estplusqu’unesériede tâchesqu’onse répartitetd’horairesqu’on détermine, et dès que Jackson et Harriet ont convenu de l’heure à laquelle ils seretrouverontdemainpouralleraupostedepolice,luietmoiprenonscongé.

Tandisquenousnousdirigeonsvers l’accueil, jedevinecombienilest tendu,car ilnemeprendpas lamain. Je saisque la causede cette tensionn’estpas tant la réunionquemoi-même.

Je soupire et, lorsque je suis certaine que nous sommes suffisamment loin dans lecouloiretquenousnerisquonspasd’êtreentendus,jedisdoucement:

–Jen’avaispaslechoix.–Moncul,dit-ild’unevoixétranglée,decolèrepeut-être,oudetristesse,jenesaispas

trop.Jet’avaisditquejeprotégeraistonsecret.–Jackson…–Non,mecoupe-t-il.Bonsang,Syl.Tuauraisdûattendre.Siçase trouve,personne

nelesaurajamais.Etonauraitpus’arrangersilapolicetrouvaitlesoriginaux.–Jenepeuxpasêtrecellequicausetaperte,Jackson.Tunepigespas?J’aimequetu

veuillesmeprotéger,maislà,c’estmontour.–Putain.Ilfaitvolte-face,etc’estseulementquandilfrappesaproprepaumedesonpoingque

jemerendscomptequ’ilcherchequelquechoseàmassacrer.

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–Jacks…Jen’aipasletempsdefinir;ilm’empoigneetm’attireàlui.Sabouches’emparedela

mienne, et il bloquemon poignet dansmon dos enme tordant le bras. Ilme soulève deterre,écrasantmoncorpscontrelesien.

Je le sens dur et bouillant. Ce baiser n’est pas celui d’un amant fougueux,mais d’unconquérant.Etquandilsedétachedemoi,haletant,sesyeuxsontdurs.D’unevoixrauque,oùcouveledanger,ildemande:

–Tupensesquejenecomprendspascequeçatefait?D’imaginerseulementcequ’ilt’afait?Tucroisquejenemesurepasceàquoituasrenoncé,enleurdisantcequetuasenduré?

Oui, c’estvrai, c’étaitdur.Mais ça l’auraitétébienplusencore sansJacksondansmavie;jeveuxqu’illesache.

–Tum’asrendueplusforte,Jackson.J’aiétécapabledeleurdiregrâceàtoi.Parcequejesaisquesiçadégénère,etsimescauchemarsreviennent,jesaisquetueslàpourm’aideràlescombattre,dis-je,lagorgeserréedelarmesretenues.Etpourceàquoij’airenoncé…Pff, je devrai renoncer à tellement plus, si je te perds. Je ferai tout ce que je peux pourempêcherça.

–Tunedevraispasavoiràmeprotéger.(Ilmeserretoujourscontrelui,maissavoixaperdudesonmordant.)C’estmoiquit’aientraînéelà-dedans.

Jerespirebruyamment,émoustilléeparlatensionquicrépiteentrenous.Parsondésirpassionnédemeprotéger.Et,biensûr,parsoncorpsd’airainappuyéirrésistiblementcontrelemien.

Jemeforcefinalementàparler:– On est là-dedans ensemble, Jackson. Et je tiens autant que toi à ce que tu restes

dehors.Parcequejet’aime,etquejenesupportepasl’idéedeteperdre.Maisaussiparcequej’aibesoindetoipourterminermonputaind’hôtel.

Jeleregardefixement,l’airgrave.Etcecouillonéclatederire.–Oh,chérie.Il lâche mon bras, et m’embrasse cette fois avec tant de tendresse que je me sens

fondre.–Jenepeuxpasfaireunecroixsurceprojet.Etjenepeuxpasfaireunecroixsurtoi.

Alors,ouais.Sijepeuxt’aider,jeleferai.Etsiçat’emmerde,tantpispourtoi.Nous sommes devant l’accueil. À travers la baie vitrée, les lumières de la ville

scintillent,etplusloin,ondevinel’océan.Jackson me regarde tendrement. Calmement. Il incline la tête, à peine, mais

suffisammentpourmefairecomprendrequ’ils’excuse.Jesoupire,puism’avancevers labaievitréeetpose lamainàplatdessus.Ondevine

sanspeinelafrontièreentrelavilleetlesprofondeursinsondablesdel’océan.Maisau-delà

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de ce ruband’unnoird’encre, je vois les lumières vacillantesdeSantaCatalina.Derrière,invisible,ilyal’îledeSantaCortez.

Jackson s’approche derrière moi et pose sa main sur la mienne avec une immensedélicatesse.

–Onneleperdrapas.J’aienviedelecroire,maisjedoisadmettrequej’ailatrouille.J’aipeurdeperdremon

île.DeperdreJackson.J’aipeurqu’onm’arrachetoutcequicomptelepluspourmoi,toutcepourquoijemesuistantdonnée.

Mais je suis réconfortée de savoir qu’ilme comprend si bien – qu’il peut lire surmonvisageoùsedirigentmespensées.

Nous reprenons l’ascenseur en silence, main dans la main. Je suis éreintée,physiquement et mentalement. La journée a été très longue et difficile. La conclure parcetteréunionn’arienarrangé.Jen’aiaucunecertitude.Jecontemplel’avenir,etjenevoisriendetangibleàquoimeraccrocher.

Jeme tourne vers Jackson, consciente qu’il neme répondra peut-être pas.Que je nedevraismêmepas lui poser la question.Mais jemedébats dans les sablesmouvants et jecherche un appui. Quelque chose de bien, qui m’aidera. Quelque chose de mal, que jepourrairepousser.Quelquechose.Parcequel’incertitudemeronge.

–J’aibesoindesavoir,dis-jefinalement.J’aibesoindesavoirsitul’astué.Jackson me dévisage, et pour la première fois, je suis incapable de déchiffrer son

expression.L’espaced’uneseconde,jecrainsqu’ilnebotteentouche.Qu’ilmerappellelesrèglesetlesinstructionsdesesavocats.Maisilsecontentedesoupirerensecouantlatête.

–Çamedémangeait.BonDieu,çamedémangeaittellementquejem’yvoyaisdéjà.(Ilprend une grande inspiration et se passe lamain dans les cheveux.)Mais non, lâche-t-ilfinalement,sansmeregarder.Jenel’aipastué.

J’acquiesce d’un signe de tête, mais je ne me sens pas mieux. Au contraire, je suisétrangement désappointée. Comme si en ne tuant pas Reed, Jackson m’avait déçue, defaçonperverse.Etsurtout,jenesuispasdutoutcertainedecroireàcequ’ildit.

Maisçan’afinalementpasd’importance,etencreusantmonangoissepourenrévélerle fondement, je frémis : même Jackson, pour qui le contrôle est primordial, est pieds etpoingsliésdanscettesituation.Qu’ilsoitcoupableouinnocentnechangepasgrand-chose.Il ne s’agit pas de ce qui s’est réellement passé. Ce qui compte, ce sont les preuves, lemobile, les jugeset le jury.Douzepersonnesavec leurscroyanceset leurspréjugés.Et j’aibeau fairedemonmieuxpourgarder confianceen la justice, il faut croireque jemanqued’autopersuasion.

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6

Jesuisplongéedansun jeustupidesurmontéléphonequandJacksonquitteCenturyParkEastpour tourner surSantaMonicaBoulevard.Mais en le sentantprendreunautreviragedanslafoulée,jelèvelesyeux;àmoinsqu’iln’yaitdesembouteillagesmonstrueuxqu’ilchercheàéviter,noussommescensésroulertoutdroitjusqu’àla405avantdeprendreladirectiondelamarina.

Mais je ne vois aucun carambolage. C’est Jackson tout seul qui a décidé, pour uneraisonouuneautre,des’éloignerdelaplageetdenousconduiredansBeverlyHills.

–Onprendl’itinérairetouristique?–Enquelquesorte,répond-ilévasivement,lesyeuxrivésàlaroute.Cen’estpasfondamentalementétrange,maisjenepeuxignorerlefrissonquiremonte

lelongdemonéchineetmeprovoquedespicotementsdanslanuque.Jem’apprêteàluidemandercequ’ilfabrique,quandiltourneàgauche.Jevoistoutau

fond la maison qui surplombe la rue, et la réponse à ma question devient tout à coupaffreusementévidente.

– Mais enfin, qu’est-ce que tu fous ? Merde, Jackson, n’importe qui pourrait être entrainderegarder!

–Jeveuxseulementlavoir.Il serre le volant si fort que les jointures de ses doigts blanchissent. J’examine son

profil;sestraitssontcontractés,maisunpetitmuscletressautesoussajoue.Ilessaiedesecontenir–demaîtrisersarage,sapeur,tout.Merde,iln’arienàfaireici.

–Jackson,jenerigolepas.Ondevraitsetirerdelà.–C’estuncrimedepasserdevantlamaisond’unmort?D’unmortquiafoutulamerde

dansmavie ?Qui amenacémapetite amie ?Et qui trouve encore lemoyendeme fairechier,mêmedepuislamorgue?

–Uncrime?jerépèteenhaussantleton.J’ensaisrien.Laconnerie,c’estuncrime?Enfin,ilsetourneversmoi,d’unmouvementvif,etjevoislacolèreétincelerdansson

regard.

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Jemeredressesurmonsiège,parcequejesaisquej’airaison,etjen’endémordraipas.–Cen’estpasuncrime,maispasserenvoituredevantlamaisond’unhommequetues

accusé d’avoir tué, c’est vraiment crétin. Surtout quand on sait que tu y étais le jour dumeurtre,etqueturisquesd’êtreplacéendétentionprovisoiredemain.

Mavoixs’étrangleunpeu,trahissantmapeur.–Soitilsvontm’arrêter,soitilsmelaisserontrepartir,réplique-t-ild’unevoixmorne.Ce

n’estpasl’itinérairequejechoisisd’emprunterquilesferachangerd’avis.Je sais qu’il a raison. Mais ça ne change rien à mon envie de m’en prendre à cette

fichuetêtedemule.Oualors,j’aiseulementenviedecrier,dedonnerdescoupsdepiedsetdepiquermacrise,puisqueriennevacommejelevoudrais.Etjedétestecettesensationderegarder un train me foncer dessus sans bouger. Je me force à respirer. À simplementrespirer,pourmeressaisir,neserait-cequeparcequejedoisresterfortepourJackson.

Finalement, ilpasselapremièreetdémarre.Ilneditrientoutd’abord,maisquelquespâtés demaisons plus loin, il s’arrête et soupire, les yeux tournés vers la maison devantnous,toutaufonddel’impasse.

–Ilsbossentlà-dessus,tusais,dis-jedoucement.L’équiped’Harrietvatrouverquiafaitça.

LesmainsdeJacksonsecrispentsurlevolant.–Jesais.S’ilstrouventd’autressuspects,maculpabilitéseraplusfacilementremiseen

question.C’estjusteque…Ilnefinitpassaphraseetsecouelatête,puisselaisseallerenarrièresursonsiègeen

fermantlesyeux,l’airprofondémentépuisé.Lapeurmenouel’estomac.–Jackson…Maiscommelui,jenevaispasauboutdemapensée.Qu’est-cequejesuiscenséedire?

Tuaslatrouillequ’ilsnetrouventpersonned’autreparcequec’esteffectivementtoilecoupable?Oupeut-être :J’espèrequec’est toiqui l’as tuéparcequecette crevure leméritait,mais je suisterroriséeàl’idéedeteperdre?

–Jackson.Jefaisunenouvelletentative,maisjenetrouvetoujourspaslesmots.Cettefois,ilmeprendlamain.–Oh,madouce, toutvabien.Jevaisbien. (Ilhésite,me jaugedu regard, commes’il

tâtait le terrain.) C’est juste que ça me rend dingue de ne pas être aux manettes. Eh !ajoute-t-ilenesquissantunsourire,peut-êtreque jedevraismenermapropreenquête.Aumoinscommeça,j’aurail’impressiondefairequelquechose.Etquisaitcombiendesuspectsjepourraisretrouver?

Jemedétendsunpeu.

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–Jecomprends.Jetecomprends,évidemment,etjesaisquetudétestesnepasavoirlecontrôle.Maisilfautquetufassesattention,Jackson.Tuaspeut-êtreunegueuled’acteur,maisonn’estpasdansunfilm,ettunepourraspasjouerlesfinslimierscommesituétaisSherlockHolmesoujenesaisqui.

–Jenejouepaslesfinslimiers,dit-ilenretenantunsourire.Le soulagement papillonne dans tout mon corps, comme une brise caressante qui

chasselesnuagesau-dessusdenostêtes.–C’estvrai.Et tun’espasnonplus têtebrûlée façonBruceWillis.Unbonpointpour

toi.–J’essaieraislesdeuxsij’avaislaconvictionqueçapouvaitfaireavancerl’enquête.J’aienviedeluidirequ’ilnepeutpastoutcontrôler,etqu’ildoitlaissersesavocatsfaire

leurtravail.Maislesmotsrestentdansmagorge,creuxetinutiles.Parcequec’estJackson.S’ilnepeutpasavoirlecontrôlesurcetteaffaire,personned’autrenelepourra.Etpuis,sic’étaitma propre liberté qui se jouait là,moi non plus je ne serais pas capable de resterassisesansrienfaire.

–Bon,SherlockHolmesouBruceWillis,c’estpastonstyle,dis-jeavecdésinvolture.TuveuxquejeparleàRyan?

Jemedisquesiquelqu’unpeutdonneruncoupdemainutilepouruneenquête,c’estbienlechefdelasécuritédeStarkInternational.

–Non.Jem’enoccupe.–Quoi,tuvasembauchertonpropredétective?–Enfait,jepensequejevaisdemanderconseilàmonfrangin.–Vraiment?dis-jesanspouvoirdissimulermasurprise.–Cemecest toujours incroyablementbien renseigné…Et jepensequ’il sait comment

réagir face à des accusations demeurtre, aussi. Auminimum, il sait qui payer quand il abesoinderésultats.

–Alorsilgagneàêtreconnu,finalement?– Eh bien, tu le respectes, remarque-t-il. Alors il ne peut pas être complètement

mauvais,j’imagine.Ilsouritsurcesmots,etjesaisqu’ilestsincère.Enpartie,toutdumoins.Jem’enfonce plus confortablement dansmon siège tandis que Jacksonmanœuvre en

directiondel’autoroute.LuietDamienneserontsansdoutejamaisaussiprochesquenousle sommes,mon frèreetmoi,maisaumoins ilsontabandonné laméfianceet l’agressivitéqu’ils nourrissaient l’un envers l’autre jusque-là. Cela dit, avec le père qu’ils se traînent,peut-être que leurs enfances malheureuses pourront les rapprocher. Ils se retrouveraientalors loin devant Ethan etmoi, parce que j’ai beau adorermon frère, jamais je ne lui airaconté l’enfer que j’ai traversé durant nos jeunes années. Pas seulement parce que je neveuxpasdesapitié,maisaussipournousépargneràtouslesdeuxsaculpabilité.

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Ethansaitquej’aitravaillécommemannequin,etquel’argentgagnéaserviàpayerletraitementquiluiasauvélavie.Maisilignorecombienlesmédicamentscoûtaient,etilnesaitpasexactementcequemonpèrevendaitàReed:passeulementmondroità l’image,maisaussimoi-même.Ledroitdemephotographier,demetoucher.Dem’utiliser.

Et même si j’ai haï chaqueminute de cette période –même si j’ai suppliémon pèred’arrêter–, jen’ai jamaisfait laseulechosequiétaitenmonpouvoir.Jenemesuis jamaisenfuie. Parce que je savais qu’on avait besoin de cet argent. Et malgré l’horreur de lasituation,d’unecertainemanière,jegardaismonfrèreenvie.

Jemerecroquevillesurmonsiège,parcequecesidéesmeramènentàmonpère,etjen’aivraiment,maisalorsvraimentpasenviedepenserà luimaintenant.J’avaisréussià lesortirdemonespritaprèsl’avoireuautéléphoneàSantaFe,etjenesuispascontentedutoutdel’avoirlaissérevenir.

–Ohnon,marmonneJackson,etpendantuninstantjesuisconvaincuequ’ilcommentemespropresréflexions.

Puisjereprendspied,etj’éprouvealorsunereconnaissanceabsurdepourladistractionqu’ilm’offre.

–Qu’est-cequ’ilya?– J’ai complètement oublié d’appeler Ronnie ce soir avant qu’elle se couche, et

maintenantilestpresque23heureslà-bas.Merde.Sijesuispasélupèredel’annéeavecça,dit-ilamèrementaprèsavoirfrappélevolantduplatdelamain.

–EnvoieuntextoàBetty.Dis-luidenepasrépondreàsontéléphone,etappellepourlaisserunmessage.Ronniepourral’écouterdemainmatin,commeça.

Jacksons’arrêteauniveaudelaroutequimèneàlamarina,oùsonbateauestàquai.Puisilsetourneversmoietmedévisage.

Jemetortilleunpeu,troubléeparl’intensitédesonregard.–Benquoi?–C’esttoiquiserasélue«pèredel’année».Tuesgéniale.J’éclated’unrireperlé.–Àtonservice.Ilfaitglisserlentementsamainsurmacuisse.–Oh,maisoui.Tuestellementdouéepourmesatisfaire…Le ton sensuel de sa voix et la chaleur de sa main me donnent des frissons qui

perdurent tandisquenousapprochonsde l’entréede lamarina.Elleest surveilléeparungardienquimanœuvreunebarrièrepourpermettreauxrésidentsetàleursinvitésd’entrer.Pasunefoiscependant,jenel’aivuebaissée,etengénéral,legardiennousfaitsimplementunsignedelamaindepuissacabinepournousinviteràpasser.

Ce soir, pourtant, la barrière est baissée, et il n’est pas difficile de voir pourquoi.Desdizaines de journalistes bordent l’allée – certains sont même installés sur des chaises de

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camping ou vautrés par terre, comme s’ils attendaient depuis des heures. Mais tous serelèvent d’un bond à l’arrivée de la Porsche de Jackson, et fondent sur nous comme unessaimd’abeilles.

–Merde ! s’exclame-t-il, et je suis bien de son avis,même si nous aurions dû nous yattendre.

– Jackson ! Depuis combien de temps savez-vous que Damien Stark est votre demi-frère?

–Avez-voussuivileprocèsdevotrefrèreenAllemagne?–Sylvia,saviez-vousquevotrepatronetvotrepetitamiavaientunliendeparenté?–OùenestlefilmsurlademeureFletcher,Jackson?Est-cequeleprojetestrepoussé,

aveclamortdeReed?Jacksonrouleàunevitessed’escargot,maisjesuisprêteàparierqu’ilmeurtd’enviede

foncer, quitte à écraser quelques orteils sur son chemin. Il finit par atteindre le poste degardeetbaissesavitrepours’adresseràl’hommequisetrouveàl’intérieur:

–Depuiscombiendetempssont-ilslà,Charlie?– Quelques heures, monsieur Steele. Les gestionnaires vont embaucher plus de

personneldesécurité.Onferaensortequ’ilsvousfichentlapaix.–Jepaierailessalairessupplémentaires,ditJacksond’unevoixtendue.– Ça,monsieur, c’est vous qui voyez. On a la vidéosurveillance, et des gars qui vont

fairedesrondescettenuit.MaisveillezbienàfermerleportaildevotrequaietlesportesduVeronica.

–Jen’ymanqueraipas.Merci,Charlie.Etdésolé.–C’estpasdevotrefaute,monsieurSteele,répondlegardienavecloyauté,mêmesije

devinequeJacksonn’estpasdecetavis.Ilrestetendujusqu’àsaplacedeparking,devantleVeronica;là,ilcoupelemoteuret

se tourne versmoi, prêt à parler,mais je pose l’index sur ses lèvres. J’ignore s’il veut lesmaudire ou s’excuser de leur présence,mais de toute façon ça nem’intéresse pas. Ce quim’intéresse, c’estde lui changer les idées.Alors, jemepenchevers luienposantmamainsur sa cuisse, suffisammentprèsde son sexepour lui faire comprendrequ’à cet instant, jemeficheéperdumentdespaparazzis.

Il ne dit rien,mais je perçois un changement dans son corps. Une tension différentes’installe.Etenmemordantlalèvre,jevoisuneétincelleembrasersonregard.

–Àquoivousjouez,mademoiselleBrooks?–Moi?Àrien.J’étaisperduedansmespensées.–Vraiment?Quelgenredepensées?–Jepensaisàunhommequejeconnais.–Ahbon?dit-ilenhaussantunsourcil.–Mmh.Unsupercanon.Vachementsexy.Sesmainssurmapeau…C’estmagique.

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Ilpeineàretenirsonsourire,etunsentimentdevictoirem’envahit.–Jecroisbienquejesuisjaloux.Jeremonteunpeumamain,etmonpetitdoigteffleuresaqueuequis’éveille.–Quellejournéedechiotte.Çatediraitqu’onrentre,qu’onsedéshabilleetqu’ontâche

d’oubliertoutça?Sesyeuxsontdeuxflammesbleues.–C’estuneidéefantastique.Autonchauddesavoix,moncœuretmonsexesegonflentàbloc.Jem’écartedeluiàregret,puisouvremaportière.–Danscecas,monsieur,jevouspriedemesuivre.Nous sortonsde lavoiture,et jeprends samainpour le conduire sur lequai, jusqu’à

son bateau. Une petite passerelle y est toujours arrimée ; au bout, la porte ouvre sur lepont.Jeconnaisdésormaissuffisammentlaconfigurationdeslieuxpourouvrirlamarche.

Je pose le pied sur le pont avec prudence car il est parfois glissant, je promènemonregardsurledécorfamilier,aperçoisl’intrus,etpousseuncridefrayeur.

Jacksonseprécipiteau-devantdemoiavantmêmequel’échodemonhurlementnesesoitévanoui.

Je respire fort, mon cœur bat à tout rompre, mon corps dopé au cortisol est prêt àdétaler.Maisilnes’agitqued’uneréactionphysiologique,carmapeuradisparu.

L’hommen’estpasunpaparazzi.Àvraidire,cen’estmêmepasvraimentunintrus.Oudumoins,paslegenrequej’imaginais.

Maisenfait,ilestpeut-êtreencoreplusdangereuxqueça.L’intrus,c’estJeremiahStark.

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7

Jacksonregardaitfixementsonpèreenessayantdeseconvaincrequ’ilnes’agissaitqued’uneapparition.Unfantômeaffreux.MaispasJeremiahStarkenpersonne.

Pasici.Pasaujourd’hui.–L’étaittemps,fiston.J’étaissurlepointdelaissertomber.Jacksonrestaimmobile.Muet.Sylviaétaittoujoursderrièrelui,etl’airvibraitencorede

soncri.Jacksondutfaireappelàtoutesavolontépourgardersespiedsplantésdanslesolet

sesbrascollés le longducorps.Àcet instant, trèspeudechosesaumondeluisemblaientplusdésirablesousatisfaisantesquedetordrelecoudeJeremiah.

Quandilfutcertaindepouvoirbougersanssejetersursonpère,ilfitunpasdecôtéetreculapourpasser sonbrasautourde la tailledeSylviaet la serrer contre lui. Ildonnaitainsil’impressiondelaréconforter,ilenétaitconscient.Maiscen’étaitqu’uneillusion.C’estluiquiavaitbesoinde la tenirdans sesbras,de s’arrimeràellepour se calmer.Sesnerfsavaientétésiéprouvésaujourd’huiqu’illessentaitsurlepointdelâcher.

Ilseconcentrasurlevisagedesonpèreetsoutintsonregard.–Tuveuxbienm’expliquercommenttuasréussiàteretrouversurmonbateau?–Pasdifficile,ditJeremiahenlevantsontéléphone.Yavaitdestasdephotosdemoiet

demesfilssurInternetaujourd’hui.J’enaijustemontréuneàtongardien,jeluiaiditquejedevaisvoirmonfistondetouteurgence,etilm’alaissépasser.Çam’étonnequetun’aiespasremarquémavoituredehors.

–Jetediraisbienque je feraiplusattention laprochainefois,mais iln’yaurapasdeprochainefois.Dégagedemonbateau,papa.

–Ilfautqu’onparle,ditJeremiah.–Non,ilfautquetut’enailles.–Cequ’ilfaudraitsurtout,c’estquejeparvienneàconvaincremonfilsdenepasêtresi

crétin.

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–Tonfils?C’estcequejesuis,aujourd’hui?Jen’aijamaisréussiàm’yretrouver.Sa vie entière s’était construite autour des caprices d’un père qui se préoccupait

davantagedesonautrefamille–celledeDamien.Jacksonavaitététenudegarderlesecretsurleurliendeparenté,carlepublicnedevaitapprendresousaucunprétextequeDamienStark,lasuperstardetennis,avaitundemi-frèreillégitimecachéquelquepart.

Pendant des années, Jackson en avait voulu à Damien, dirigeant sa colère et safrustrationverscefrèrequ’ilneconnaissaitmêmepasalorsqu’il lesdevait,entoutétatdecause,aumanipulateurnarcissiquequ’étaitleurpère.MaisDamien,deloin,semblaitavoirtout ce qu’il voulait, et ce au détriment de son frère. Tout récemment, Jackson avaitdécouvertqueleurpèreavaitégalementfaitbeaucoupsouffrirDamien.

Bref:Jeremiahpouvaitbiententerdeprendresacasquettedepère,cen’étaitpaspourautantqueJacksonavaitenviedejouerlesbonsfils.

Comme il en faisait lui-mêmedouloureusement l’expérience ces temps-ci, la paternitéétaitloind’êtreunesimpleaffairedebiologie.

–J’aifaitcequej’avaisàfairepourquetuaieslabellevie,ettut’apprêtesàtoutfoutreen l’air.MademoiselleBrooks, dit Jeremiah en se tournant vers Sylvia sans prévenir, vousdevriezrentrer.Jacksonetmoi,onaquelquespetiteschosesàrégler.

–Jenebougeraipasd’ici,rétorqua-t-elled’untonsansappel,etJacksondutretenirunsourire.

Il avait oublié qu’elle connaissait son père, évidemment. Jeremiah Stark n’était pasprochedeDamien,maisc’était legenrede typequin’avaitpas sonpareilpour s’incrusterpartout.CequisignifiaitqueSylviaavaitdéjàeuplusd’unefoisleprivilègepeuenviabledelerencontrer.

–Commevousvoudrez,ditJeremiah.Jevaisdirepourquoijesuisvenu,puisjepartirai.Maistudoisprendrelesdevants,fiston.Tudoisapprouvercefilmpubliquement.

Cesparoles,sortiesdenullepart,firentàJacksonl’effetd’uncoupdepoing.–Mais de quoi vous parlez ? demandaSylvia à la place de Jackson, qui était encore

souslechocdel’absurdité.Pourquoiferait-iluntrucpareil?–Lemobile,répliquaJeremiah.Vouscroyezquej’aienviedevoirmonfilsderrièreles

barreaux?Ilfautquetulajouesfine,gamin.Tudoisfaireensortequetoutcequitedonnel’aircoupablesoitcomplètementbalayé.

–Cefilmneseferapas.Quandils’étaitretrouvéprisentrelefilmetlechantage,Jacksonavaitfaitlechoixde

protéger Sylvia ; de renoncer à se battre contre le film et de protéger ensuite sa fille duscandale, comme il le pourrait. De la garder près de lui, en sécurité, à l’abri du feumalveillantdesprojecteurs.

MaislamortdeReedavaitrésolulaquestionduchantageunefoispourtoutes.Ilavaitdésormaislesmainslibrespoursebattreavectoutelarageettoutel’endurancenécessaires

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contre ce film, afin d’épargner Ronnie du scandale. NomdeDieu, il se battrait depuis sacellule s’il le fallait,mais il était absolumenthorsdequestionpour luide laisser arriver àl’écranunfilmquiétaleraitaugrandjourcettetragédiedontsafilleestaucentre.

–Alors tuesencoreplusconqueceque jecroyais,ditJeremiah.Ce filmsera tourné,que tu le veuilles ou non. Tu crois vraiment avoir le pouvoir d’empêcher ça ? Réfléchis.Maintenantqu’ilssaventquetues liéàDamien, ilvayavoirencoreplusdepressionpourque le filmse fasse.Etmêmesi tu réussisà leurmettredesbâtonsdans les rouespour ledocumentaire,ilss’arrangerontpourenfaireunefiction,ettoutlemondeferalelien.Quoiquetufasses.D’unefaçonoud’uneautre,lepotauxrosesseradévoilé.

Àsescôtés,Sylvialuiserraitlamain,commepourluitransmettresaforce.Jacksonnedésirait qu’une chose : que son père disparaisse pour qu’il puisse prendre Sylvia dans sesbras. Il voulait oublier les photographes, oublier les journalistes, oublier l’homme qui setenait devant lui.À cet instant, Jacksonn’avait besoin quedeSylvia. Il avait besoinde laprendre, brutalement, de plier son corps au sien. Besoin de la sentir contre lui,désespérément. Et le désir de la rendre folle – de manipuler son plaisir – le transperçacommeuneflèchetrempéedansunpoisonviolent.

Son pouls s’accéléra tandis qu’il s’imaginait déjà observer le spectacle de la passionmontantenelle,aveclecontentementd’êtreceluiquilapousseraitàbout.Il luirestaitaumoinsça,l’emprisequ’ilavaitsurcettefemme–sursoncorps,sursonplaisir.

Tantdechosesautourde luipartaientenvrille,échappantà soncontrôle.Sonpère.LemeurtredeReed.Etmêmecesconneriesdesabotageducomplexehôtelier.Savieétaitprise dans la tourmente, et Syl était dans l’œil du cyclone. Il avait besoin d’elle. Tout desuite.

C’était plus qu’un besoin encore. Et ça le rendait fou de ne pas pouvoir le satisfaireimmédiatement,toutçaparcequesonpèrecontinuaitdedéblatérer.

–Disquetun’asriencontrecefilm,commeçalemobiledisparaît.Yapasderaisondeletuersilefilmtelaisseindifférent,pasvrai?

–Tudevraisyaller,ditfroidementJackson.Onvarentrer,ettun’espasinvité.–J’essaiedeveillersurtoi.–Vraiment?–Bonsang,fiston…–Fiston?Tuenessûr?Pourautantquejesache,jen’aijamaisététonfils.J’étaisune

vague obligation, rangée dans un placard. Le môme dont personne ne devait connaîtrel’existence. Et il ne fallait surtout pas qu’on fasse de vagues,maman etmoi, parce qu’onauraitrisquédeperturberlapontedetaprécieusepouleauxœufsd’or.

Jackson sentait sa voix trembler de fureur – des décennies de vieilles blessures – et ilregrettad’avoirrépondu.Ilnevoulaitpasquesonpèreaitdeprisesurlui,àaucunprix.

–Jemesuisoccupédetoietdetamère,s’énervaJeremiah.

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C’étaitunhommeplutôtséduisant,avecunetêted’acteurquivieillissaitbien.Mais là,toutrougeetbredouillant,ilneressemblaitplusàgrand-chose.

Jacksonluijetaunregardlourddeméprispourluisignifiercombiensesexcusesétaientvaines.

– Je rapportaisde l’argent, continuapourtant Jeremiah.Vousavez toujoursmangéàvotrefaim,grâceàmoi.

–Ouais,c’estça.Tuesunvraisaint.À ses côtés, il sentit Sylvia remuer, mal à l’aise. Son mouvement était presque

imperceptible,maisilsavaitcequ’ellepensait.EllenevoyaitplusJeremiah,maissonproprepère,etJacksonfut frappépar laressemblanceentrecesdeuxhommesquis’étaientservisdeleursenfantscommedepionssurunéchiquier.

–Jackson…–Qu’est-cequetufichaisàlapremièredemonfilm?La question, qui semblait sortie de nulle part, coupa court aux protestations de son

pèreetlefitreculerd’unpas.–TusaistrèsbienquejesiègeaucomitéduprojetdeConservatoirenationald’histoire

etd’architectureavecMichael.MichaelPradoétaitleréalisateurdeStoneandSteele,ledocumentairesurJacksonetle

musée qu’il avait réalisé à Amsterdam. Il avait été projeté peu de temps auparavant auChineseTheater ; cette soirée restait gravéedans lamémoirede Jackson,nonà causedufilm,niparcequesonpères’yétaitpointé,maisparcequ’elleavaitmarquéledébutdesareconquête de Sylvia. Et rien que pour ça, Jackson aurait voulu faire de ce jour une fêtenationale.

–Même si ça n’avait pas été le cas, je serais quandmême venu, ajoute Jeremiah. Jevoulaiscélébrerlaréussitedemonfils.

Auboutd’unmoment,sonpèrecommençaàsedandiner,commes’ilcherchaitunsujetde conversation. Comme il paraissait ne rien trouver, Jackson lui demandanonchalamment:

–TuconnaissaisReed?Jeremiahfitunedrôledetête.–Qu’est-cequec’estquecettequestion?–J’attendslaréponse.–Non.Pasvraiment.Jel’airencontréunefoisoudeux.–Àquelleoccasion?–Maisqu’est-cequiteprend,fiston?C’estuninterrogatoire?–Peut-êtrebien.Tuasl’airdrôlementintéresséparcefilm.–Cequim’intéresse,c’estdetesauverlamise,crachaJeremiah.

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– Je peux m’en occuper moi-même, merci. (Il serra Sylvia d’un peu plus près.) Etmaintenant,ilfautvraimentquetut’enailles.Tuaslargementabusédemonhospitalité.

–Jackson,s’ilteplaît.Jesuistonpère.–Jeteconseilledeneplusjamaisdireça.Jeremiahparutsurlepointderépliquer,etJacksonsentitsatensionmonterd’uncran.

Lavache, ilespéraitpresquequecetenfoirétenteraitquelquechose, justepourpouvoirsebattreaveclui.N’importequoi.N’importequelleexcuse.

Aussi Jackson fut un peu déçu –même s’il devait admettre que c’était mieux ainsi –quandsonpères’apprêtaàquitterlebateau.Cependant,Jeremiahs’arrêtaaprèsquelquespasetseretournaversJackson.

– Tu n’aurais pas dû dire à Damien que tu étais son frère. Mais j’imagine que c’estmieuxdel’avoirfaitavantqu’ont’aitcoupél’herbesouslepied.C’étaitmoinspéniblepourtouslesdeux,commeça.

–Tupensesvraimentquejevaisgoberça?Quetuenasquelquechoseàfoutre,decequ’ilyademieuxpournousdeux?Tunet’esjamaisintéresséàpersonned’autrequ’àtoi-même.

–Cen’estpasvrai.– Jene saispaspourquoi tuesvenu ici,monvieux,mais je suis sûrque tuavaisune

idéederrièrelatête.Jen’entreraipasdanstonjeu,quelqu’ilsoit.–Iln’yapasdejeu.Jesuistonpère.Jemefaisdusoucipourtoi.Ilsoupira,puisenfonçasesmainsdanslespochesdesaveste, l’airsoudainfatigué,et

beaucoupplusvieuxquesessoixanteetquelquesannées.– Je sais qu’onaune relationhouleuse.Mais jem’inquiètepour toi. Je suis tonpère,

quandmême.–C’estunmotcommeunautre.Etilsonnesacrémentcreux,là.

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8

J’observeJacksonquiregardesonpèredisparaîtredanslanuit.J’ai mal partout. Je me rends compte que je suis crispée depuis notre arrivée sur la

marina.Enfin,plutôtdepuisquenousavonsquitté lecabinetdeCharles.Non,depuisqu’ona

quittéSantaFe.Non,depuisquelesinspecteursdepolicenousontaccueillissurletarmac.Il ne reste qu’une poignée d’heures avant que Jackson ne franchisse les portes des

servicesdepolicedeBeverlyHills.Et j’ai tellementpeurqu’il en ressorte lesmenottesauxpoignets.

Nomd’unchien, jedevraispeut-êtreremercierJeremiahet tous lesvautoursquinousattendent dehors. Aumoins, grâce à eux, pendant quelquesminutes je n’ai pas eu peur.J’étais simplementencolèrecontreeux.Contre les journalistes, contre lepèredeJackson,contrelemien.

Je prends une grande inspiration. Je ne veux plus penser à aucun de ces hommes àprésent. Seulement à Jackson.Mais il me tourne toujours le dos, face au quai désormaisdésert.

Jefaisunetentative:–Jackson?Ilseretourne,etmêmesi lacolèresursonvisagedisparaîtquandilposelesyeuxsur

moi,jelavoistoujoursluireaufonddesonregard.– Je savaisqu’on sepaierait lapresseàunmomentouunautre,mais lui… Iln’avait

aucundroitdevenirici.Quelculot!Venirnousemmerdercommeça,sansprévenir…–Jesais.Maisilestparti,maintenant,dis-jedoucement,dansl’espoirdel’apaiser.Ilsoupire.Ilparaîtsifatiguéquej’aienviedeleserrerdansmesbras.– Tu es épuisé, et la police t’attend demainmatin. Viens, il faut dormir, dis-je en le

tirantparlamain.Je le conduisà l’intérieur,dans l’espacequi lui sertdebureau,puismedirigevers la

portequimèneàlacabine.

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MaisJacksonmeretient.–Non,dit-ilrudement.Jemeretourneetlissursonvisagelafaimdévoranteàlaquellej’auraisdûm’attendre.

Parce que ce n’est pas de sommeil qu’il a besoin. Pas quand le monde entier s’effondreautourdenous.

Il m’attire à lui, ne me laissant d’autre choix que de trébucher dans ses bras. Jem’écrasecontresapoitrine,lesoufflecourt,lecorpstremblantdedésir.

–Comment jepourraisdormir,alorsquec’estpeut-êtrenotrederniersoir?Alorsquecetteputaindeguillotineestprêteàmetrancherlecou?

–Arrête,jet’enprie.Jeconnaistropbienlavérité,etjeneveuxpasl’entendre.–Arrête quoi ?De te toucher ?D’avoir besoin de toi ? chuchote-t-il tout contremon

oreille,feignantdenepascomprendre.Deteprendretoutcequejepeuxteprendre,pourpouvoirm’yraccrocherdemain,etaprès-demain,etlesjoursd’après?

–S’ilteplaît,Jackson.Jeneveuxpas…–Lavérité?Il recule sa tête pour me regarder droit dans les yeux, mais je détourne le regard,

honteused’avoirétésifacilementdémasquée.–Jeregardelaréalitéenface,mabelle,ettudoisfairepareil.Ilpromèneleboutdesondoigtsurleborddemonoreille,puisglisselentementlelong

demoncou.– J’ai besoin de toi, Sylvia. J’ai besoin de toi en permanence.Mais ce soir… si tume

repoussaiscesoir…–Ehbien?Jetrembledéjàdedésir.Déjàsoumiseàlui,àtoutcequ’ilpourramefaire.Lentement, sabouches’étireenunsourirecarnassier,et jevois sespupilles sedilater

commesousl’effetd’unedroguepuissante.–Alorsjemecontenteraideprendrecequimechante.Ilm’empoigneetheurtemoncorpscontre le sien. Ilbandecomme jamais,et samain

surmonculmeserresifortquejenepeuxm’écarter,tandisquel’autreagrippemonseinetquesabouchedévorelamienne.

C’estunassautgénéralisé,quimesurprendparsarapidité,sonardeuretsapuissance.Ettandisquemoncorpssecolleausien,jegémis:

–Oui…Moncorpsélectriséestensurchauffeetgrésillepresque.– Dis-moi que tu en as envie, chuchote-t-il en rompant notre baiser. Dis-moi que tu

veux te plier àma volonté.Me donner les pleins pouvoirs sur ton plaisir. Dis-moi que tuveuxêtremonjouet.

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Chaquemotmefaitmouillerunpeuplus,etmesseinsdardentdouloureusementsousmon soutien-gorge. J’ai terriblement envie de bouger les hanches en rythme pour memasturbercontrelui,etmesoulagerunpeudecettetensionquim’envahit,maisjen’enfaisrien.Jemeforceàresterimmobile.

–Dis-le,Sylvia, répète-t-il.Dis-moique jepeux teprendre.Quand jeveux.Comme jeveux.

Jerelèvelatêteetleregardedanslesyeux.–Non,dis-jedansun souffle, tandisqu’unevaguede chaleur interditeme submerge,

détrempantmaculotteetrendantmestétonssisensiblesquelemoindremouvement,mêmeceluidenotrerespiration,mefaitchavirerdedésir.

Il soutient mon regard un instant, l’air parfaitement neutre. Le tic nerveux de samâchoireestlaseuletraced’émotionquejediscerneenlui.

Puis il saisit ma poitrine à pleines mains. Il serre. Ses doigts trouvent mes tétons ets’empressentdelestourmenter,àtraverslefintissudemonchemisieretladentelledemonsoutien-gorge.

–Jevaistebaisercommeunechienne,dit-il tandisquesesdoigtsdéclenchentenmoidestorrentsdedésirbrûlantquitombentencascadejusqu’àmonsexe.

Ilmevoleunbaiserquimelaissehaletante,embrassemagorgeavecdélectation,puismesseinspar-dessusmonchemisier.

Jefaisdemonmieuxpourresterdeboutalorsquej’ailatêtequitourne.Ils’agenouilleetrelèvelatêtepourmeregarder.Ilabeauêtreàmespiedsàcetinstant,c’estbienluilemaîtredujeu.

–Déshabille-toi.Jesecouelatête.Ilhaussetrèslégèrementlessourcils.–Déshabille-toi.Cettefois,ilaprisuntonplusautoritaire.Jepassemalanguesurmeslèvres.–Non.Ilserelèvelentement,avecunsourireencoin.–Non?Jeleregarded’unairdedéfi.–Jecroyaisquetuprenaiscequitechantait.–Exact.Etcequejeveux,c’esttesoumettre.–Oh.Jevoisunelueurdetriomphedanssonregard,justeavantqu’ilserelèveetcommence

às’éloigner.

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– Choisis comment tu veux jouer, chérie. Mais sache que moi, je ne suivrai que mespropresrègles.

Ilapresqueatteint l’escalierquimèneaupontquand je l’appelle. Il se retourne, l’airinterrogateur.

Jeretiremesballerines.Puis,tandisqu’ilrevientlentementversmoi,j’enlèvemonjeanetmaculotted’unmêmemouvement.Ilsebaissepourlaramasseretd’undoigtlalèvebienhautpourl’admirer.

–Deladentelle.Trèsjoli.–Contentequeçateplaise,dis-jed’unevoixlégèrementvoilée.Jen’aiplusquemonhautetmonsoutien-gorge.La fenêtrequidonnesur l’océanest

ouverte,etl’airfraisdelanuittitillemonsexedéjàtrempé,jusqu’àm’emmenertoutaubordde l’abîme. Je suis àdeuxdoigtsde chavirer, tellementprocheque jene suis pas sûredesurvivreauxquelquesinstantsquimeséparentencoredel’orgasme.

–Jen’enveuxplus,dit-il,etilmefautunmomentpourcomprendredequoiilparle.–Je…quoi?–Jeneveuxplusquetuenportes.Quand jepenseàtoi, jeveuxmerappelerquetu

n’aspasdeculotte.Portelecollier,enrevanche.Àpartirdemaintenant.Etenpermanence,jusqu’ànouvelordre.

–Oh.Jesuisparcouruedepetitsfrissonsdeplaisir.Lecollierdontilparleestunechaînette

dotée d’un pendentif qui se trouve être un vibromasseur. C’est un bel objet, classe, etdélicieusementefficace.Jel’airetiréavantqu’onpartepourSantaFe,etjenel’aipasportédepuis.

–Oui,dis-je,maisenlevoyantprendreunairréprobateur,jecorrige:oui,maître.–C’estbien.Maistun’astoujourspasfinidetedéshabiller.–Ah,oui.Jeretiremonchemisier,jelelaissetomberàterre,etmonsoutien-gorgeprendlemême

chemin.–Tuestellementbelle,commente-t-ilensuivantlacourbedemahancheduboutdu

doigt.C’estraredepouvoirposerlamainsurunetellebeauté.Toutenparlant,ilcontinuedepromenerleboutdesondoigtsurmapeau,unecaresse

légèremais tellement efficace. Il suit lamarquedu soutien-gorge sousmes seins.C’est uncontactplusdélicatqu’uneailedepapillon,etpourtantsiintensequemoncorpssemblesechargerd’électricité.

Jegémislorsqu’ilromptlecontactentrenous.–Dans lesmusées, les règles sont claires.N’importeoù, en fait,dèsqu’il y aquelque

chosedebeau,onn’apasledroitdetoucher.

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Ilsepenchepourmurmureràmonoreille.Ilnemetouchepas,maissonsoufflemefaitl’effetd’unecaresse.

–Maiscesrèglesnes’appliquentpasaupropriétaire.Alors,dis-moi,Sylvia:est-cequetum’appartiens?

–Oui.Oh,oui.–Lepropriétairepeuttoucher,poursuit-ilcommes’ilnem’avaitpasentendue.Ilpeut

explorer,ilpeuttitiller.Commepourillustrersonpropos,ilreprendsescaressesduboutdudoigt,parcourant

lentementtoutmoncorps.Mesbras.Mesépaules.Manuque.Ceszonesnesontpasparticulièrementérogènes,etpourtantJacksonéveillemessens

partoutoùilpasse;mesnerfsaffoléstransmettentlemessagejusqu’aucentredemonêtre,merendantàlafoislanguideetsurvoltée,poisseusededésir,etterriblement,terriblementimpatiente.

Il s’agenouille de nouveau devant moi, et maintient mes hanches entre ses grandesmainspuissantes.Ilpenchelatêteenarrièrepourmeregarder,etjevoisdanssesyeuxtantd’ardeur,tantdepassionquej’ailesentimentd’êtreunedéessequ’onhonore.

Il pose la bouche surmon ventre etm’embrasse endescendant, de plus en plus bas,suivant lamince bande de poils jusqu’à la peau tendre de l’aine. Je suis perdue, flottantdans une région sauvage où je ne suis plus que sensation et besoin, désir et prière. Etlorsqu’ilentreprenddemelécherdoucementleclitoris,jemecambrecontrelui,prisedansunfaisceaucrépitantdeplaisirquiseconcentreversl’intérieurdemonsexe.

Jesuisauborddel’extase,etjen’aibesoinqued’uneminusculepousséepourmefairebasculer.Undernierpetit coupde langue.Unedernière caresseduboutdudoigt. Je suisréduiteàmonseuldésir,éperdu,dévorant.

Jackson,toutefois,refusedelesatisfaire.Ilretiresesmainsdemeshanches.Ildécollesabouchedemoncorps.Puisilseredresse

lentement,sonsourirepleindesuffisanceindiquantqu’ilsaittrèsbienoùilveutenvenir.– Va en bas, dit-il d’une voix pleine de promesses. Allonge-toi sur le lit. Écarte les

jambesetfermelesyeux.Jemerueverslachambre.Jejetteunœilderrièremoipourvoirs’ilmesuit,maisjene

levoispas.J’hésite;pasplusd’uneseconde.C’estunjeu,jelesais.Nousenavonsbesoin.Nous avons besoin d’une manière de nous perdre l’un dans l’autre. D’oublier ce quiadviendra.D’avoirunsouvenirauquelnousraccrocherplustard.

Jem’allongesurlelitcommeilmel’aordonné,jefermelesyeux,etmonimaginationsemet aussitôt enmarche. Il aime ça.Me savoir là, en train de l’attendre. Il aime que jemouillepour lui, que jeme languissede lui.Que je sois allongée,bien sage,offerte,pourqu’ilpuissefairedemoicequ’ilveut.

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Moiaussij’aimeça.Fantasmerlasuitelogiquedecetteposition,demanudité,demonexcitation. Jouirdu simplecontactde l’air surmapeau.Êtreattentiveauxgrincementsetauxmouvementsdubateauquigardentmoncorpssurlabrèche,carjenesuispascertainedepouvoirdistinguercesbruitsdeceuxdespasdeJackson.

Maisceque jepréfère,c’estmeplieràsesexigences.M’abandonner,et savoirqu’ilvam’emmenertrèsloin,etqu’enplusilmeramèneraentoutesécurité.

J’ignorecombiendetempsapus’écoulerquandjeperçoisunmouvement.Jetournelatêtesurlecôté,etmonoreilleeffleureseslèvres.

–Magnifique.Ilneditriendeplus,maislachaleurdecemotserépercuteenmoicommeunessaim

depapillonsenflammesquivienttournoyerentremescuisses.Jesuisaubordduprécipice.Son haleine mentholée me surprend, Jackson ne mange pas de bonbons ou de

chewing-gumsd’habitude.Mais jenedis rien,car je saisqu’ilmeveutmuette.Etde toutefaçon,macuriositéest rapidement satisfaite : sansprévenir, ilm’écarteplus largement lescuissesetposesabouchesurmonclitoris.

OhmonDieu.Sa languemetitillesavamment,maiscen’estpasexactementçaquimerenddingue.

C’estlapastilledementhe.Brûlanteetglacéeàlafois,excitante,délicieuse,avecjusteunepointededouleurpourreleverletout.

Je me trémousse pour échapper à l’assaut de sensations qui menacent de mesubmerger,mais Jacksonme tient fermement. Jenepeuxallernullepart. Jenepeuxqueme soumettre à la volupté. À la douleur. À la chaleur éblouissante, explosive, qui mepropulseverslesétoiles.Jemecambresurlelit,lesmainsserréessurmesseinstandisquelalanguedeJacksonmeréduitencendres.

Une foisque les tremblementsont cessé, jepeuxenfin reprendremonsouffle.Mais jen’aiguèrederépit,carJacksonm’attrapealorsparleshanchesetmefaitglissersurlelitdesortequemonculseretrouveauborddumatelas.Ilmesoulèveets’enfonced’uncoupenmoi.

Jemeliquéfiedeplaisir.Leplaisird’êtreprise.D’êtrebaiséeavectantdefougue.Etquandjeglissemamainsurmonclitorispourl’agacerunpeuplusencore,j’entends

ledouxgrondementd’approbationde Jackson, et son corps cognedeplusbelle contre lemien,encoreetencoreetencore.

Je le sens approcher de l’orgasme, et je bande tousmesmuscles pour offrir plus derésistanceàl’explosion.Pourqu’ellesoitplusintense.Plusdévastatrice.

Quandiljouitenmoi,moncorpsl’aspirejusqu’audernierfrissondel’extasequinousatousdeuxravagés.

Lorsque nous nous sommes un peu remis de nos émotions, il m’autorise à ouvrir lesyeux. Je le voisme sourire, l’air amoureuxet repu. Il sortdu lit etme tend lamainpour

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m’aideràmerelever.Maisj’optepourunitinérairedifférent.Jemeredresseenembrassantchaquepartiede

soncorps.Sonmollet.Songenou.Sacuisseferme,tonique.JetombesurletatouagetoutfraisqueCass luiafait, justeàcôtédupubis–SB,mes

initiales – et je pose un baiser léger dessus. Puis je lèche délicatement sa queue encore àmoitiédure,luiarrachantungrondementsensuel.

Je lui décoche un sourire satisfait et remarque au passage la boîte de pastilles à lamentheposéesurlatabledechevet.

Jetends lamainpour l’attraper,mais ilmeprendlespoignetsenriantetmesoulèveenmefaisantglissercontreluijusqu’àcequesesbrasenserrentmataille.

–C’estpasjuste.Jeveuxessayer,moiaussi,dis-jed’untonboudeur.–Etmoi,jeveuxtegarderdansmesbras.Il nous fait rouler sur le lit et nous nous retrouvons emboîtés l’un contre l’autre. Ses

doigts caressent paresseusement mon épaule et mon bras tandis que je commence àsombrer.

Jesuisauborddusommeilquandlesmotss’échappent.J’ignorecequimepousseàlesprononcer – c’est peut-être la volonté de faire savoir à Jackson que nous n’avons passeulementexorcisélefantômedeJeremiah,maisceluidemonpère,aussi.

–Monpèrem’aappelée.J’ai parlé tout bas, mais je sais qu’il m’a entendue à la manière dont son bras se

resserre,presqueinsensiblement,autourdemoi.–Quand?–QuandonétaitàSantaFe.TuétaisdehorsavecRonnie.Jesortaisdeladouche.–Pourquoi tunem’enaspasparléplus tôt ?Attends, je sais pourquoi. Parceque je

jouaisaucon.Jemeretournepourvoirsonvisage.–Non,dis-jeenl’embrassantdoucement.Tuessayaisdemeprotéger.Demanièretout

à fait conne, effectivement, j’ajoute pour le faire sourire. Mais ça partait d’une bonneintention.Etjenet’enaipasparléparcequetuavaisassezdesouciscommeçaavecRonnieetReed.

Ilfaitunegrimaceironique.–Alorstoiaussi,tuessayaisdemeprotéger.Onvabienensemble,hein?–J’aimeàlepenser,oui,dis-jedansunlargesourire.Ilcontinuedemecaresser l’épaule,et jesoupired’aise.Maisauboutd’unmoment, je

meredressesurmoncoude,sourcilsfroncés.–PourquoiJeremiahnevoulaitpasquelelienentreDamienettoisoitrévélé?Jeveux

dire,çaavaitvaguementdusensàl’époqueoùDamienétaitunjeuneprodigedutennisquiavaitsaphotosurlespaquetsdecéréales.Maisaujourd’hui?

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– Jen’en sais rien.Pour être franc, jemedemande si cen’estpas lui qui a fait fuiterl’info.

–Ilprotesteunpeutroppourêtrehonnête?–Quelquechosecommeça.–Maispourquoi?–Aucuneidée,admetJackson.Etlà,toutdesuite,jem’enfiche.(Ilm’attireàluietje

nichematêtecontresapoitrine.)Sylvia,demain…–Jeneveuxpasparlerdedemain.S’ilteplaît.Onpeutéviter?Ilnerépondpasimmédiatement.–D’accord.Maisonserabientôtdemain,qu’onleveuilleounon.Je le sais. Mais pour quelques heures encore, je veux m’accrocher au présent, et

souhaiterquedemainn’arrivejamais.Etsijem’accrocheassezfort,sijeprieavecassezdeferveur,peut-êtrequelemiraclese

produira.

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9

S’ilyavaitunconcoursdescommissariatsdepolice,celuideBeverlyHillsremporteraitsansdoutelapalme.Jenesuispasexperteenlamatière,maisj’airegardésuffisammentdeséries policières pour avoir une image assez précise de ce à quoi peuvent ressembler cegenredelocaux:desmursd’ungristernequiétaientprobablementblancsàl’origine,descloisons en Plexiglas qui n’ont plus rien de transparent, et des notes de service froisséesplacardéesunpeupartout.

Mais iln’yariende toutça ici.Jesuisassisesurunbancenboispoli,aumilieud’ungrandcouloir.Le soln’estpascarrelédemarbre,mais ilest toutdemêmepropreetbienentretenu.D’ailleursici,toutresplendit,leslocauxcommelesemployés.Etpourlemoment,jesuistrès,trèsconcentréelà-dessus.Parcequesijeconsacretoutemonattentionàadmirercombien la lumière qui provient de la fenêtre rebondit en jolismotifs géométriques sur lemur d’en face, alors j’éviterai peut-être la crise de panique quand je me rappellerai queJacksonetHarrietsontdans lasalled’interrogatoireavecdeuxinspecteursdepuispresqueuneheure.

Ilssontarrivésavantmoi,àhuitheurescematin.Jacksonm’avaitditdenepasvenir.– Tu vas te retrouver toute seule, à te ronger les sangs en attendant la fin de

l’interrogatoire.Vabosser.Faisquelquechose.Jeteretrouveraiavantquetuaiespuvoirletempspasser.

C’était un superplan, en théorie, et quand Jacksonm’adéposée àmonappartementavantdefileràBeverlyHills,j’étaispartante.Maismavoitureadécidéden’enfairequ’àsatête,etj’aiatterrisurRexfordDrive,devantl’immeubled’inspirationArtdéco.

Et maintenant, je fais exactement ce que Jackson avait prédit : je flippe au lieu detravailler.

Je sais qu’il ne dira rien d’autre que : « Sur le conseil de mon avocat, je refuse derépondre»,blablabla.Maiss’ilsl’arrêtent?Sisesderniersinstantsdelibertéavaienteulieuhiersoir?

Etsic’étaitaujourd’huiquejeleperdais?

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JesorsmontéléphonepourappelerCass,maiscommelelundiellen’ouvrepaslesalonavantdeuxheuresdel’après-midi,elleenprofitesouventpourfairelagrassematinée.Sijelaréveille, jesaisqu’ellenem’entiendrapasrigueur,surtoutvulescirconstances,maisçanefaitpaslongtempsqu’elles’estremiseavecSiobhan,etjen’aipasenviedelesdérangertouteslesdeux.D’autantquejesuistrèsheureusequeSiobhansoitderetourdanslaviedeCass–etencoreplusheureusequeZeeensoitsortie.

Je balaie l’écran de mon téléphone avec mon pouce, hésitante. Mais je finis par lerangerdansmonsac.Jesuisunegrandefille,aprèstout.Jepeuxrestertouteseule.

Cette idée me transperce comme une lame de couteau. Je ne veux pas rester touteseule.Pasmaintenant,danscecouloir,etencoremoinspourlerestantdemesjours.

Respire.Respire.Je m’exécute, me répétant ce nouveau mantra en boucle pendant une dizaine de

minutes – respire. Mais ma peur augmente inexorablement à mesure que les minutess’égrènent.Quandjen’ytiensplus,jesorsdenouveaumontéléphonepourappelerCass.Jesuis sur le point de la trouver dansmes favoris quand j’entendsmon nom depuis l’autreboutducouloir.

Automatiquement, je jetteun regardvers lesportespar lesquelles jem’attendsà voirJackson apparaître. Il n’est pas là, évidemment, et quand jeme tournede l’autre côté, jevoisOrlandoMcKees’avancerversmoiàgrandesenjambées.

–Ollie?OllieestassociéchezBender,Twain,maisjenesaisabsolumentpaspourquoiilestlà.

Jesautesurmespieds,soudainenalerte.–Qu’est-cequ’ilya?Qu’est-cequinevapas?–Rien.Jen’aiaucuneinfo.Nikkim’ademandédevenir.–Vraiment?Jeleregardeavecunairvisiblementhébété,cariléclatederire.–J’imaginequeDamienluiaditquetun’étaispasaubureau,etelleenadéduitquetu

étaislà,mortedetrouille.Alorsellem’aappelé.–C’estvraimentadorable,dis-jeenm’asseyant.Jesuissincèrementtouchée.J’aimebeaucoupNikki,etnoussommesdevenuesbonnes

copines,maisdansl’absolu,onneseconnaîtpasencoresibienqueça–Cassestmaseuleamievraimentproche.Cependant,jepensequec’estuneamitiéprometteuse,etlefaitqueNikkiaitenvoyéOlliepourmetenirlamainprouvequ’elleestdumêmeavisquemoi.

–CommentvaCass?demande-t-il.Ellesaitcequ’ellevafaire,finalement?IlparledesonprojetdefranchiserTotallyTattoo.–Oui,elleveutse lancer.Ellenedevraitpastarderàt’appelerpour l’étapesuivante,

mais en cemoment elle est très occupée à roucouler avec sa nouvelle amoureuse. Enfin,c’estplutôtunnouveaudépartavecuneancienneamoureuse,maisonnevapaschipoter.

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–Tantmieuxpourelle.J’espèrequeçavamarcher.J’ai entendudireque sespropres tentativespour recoller lesmorceauxde soncouple

n’avaientriendonné,alorsjechangedesujet.–Jelavoisdemainavecmonfrèrepourl’apéro.Jeluidiraiquetuasdemandédeses

nouvelles.Çalapousserapeut-êtreàsebougerlesfesses.–Biensûr,passe-lui lebonjourdemapart,maiscen’estpaslapeinedeluimettrela

pression.Ilfautqu’elleprennesontemps,qu’ellesoitsûredesadécision.–Tuasvraimentl’aird’unavocatquandtudisça.–Jem’entraînetouslesmatinsdevantlaglace,réplique-t-il,pince-sans-rire.–Tuassoignétonlookd’avocataussi,disdonc.Il a coupé ses cheveux longs et troqué ses lunettes pour des lentilles de contact. En

gros,ilestpassédehippieàBCBG.–Oui,j’aidécidé…qu’ilétaittempsderentrerdanslerang.Jeluisouris,maisàvraidirejen’aiplustroplecœuràpapoter.Jemeretourneversla

porteferméeàl’autreboutducouloir.Ellemèneauxbureauxdesemployés,auxcellulesdedétentionprovisoireetauxsallesd’interrogatoire,notammentcelleoùJacksonsetrouveencemoment.

–Jecommenceàavoirvraimentlatrouille,dis-jeàvoixbasse,sibassequ’Ollienem’aprobablementpasentendue.

–Jesais.Ilpassesonbrasautourdemesépaules,etjem’appuiecontrelui.–Maismêmes’ilsdevaientl’arrêter,çaneveutpasdireque…Il n’a pas le temps de terminer sa phrase, car la porte s’ouvre enfin. Pendant une

fraction de seconde, sous l’emprise de l’angoisse, je crois voir Jackson en combinaisonorange,menottesauxpoignets.

L’imageestsinette,siaffreusequejemerelèved’unbond.Etquandjelevoispourdebon–sansentrave,etmarchantversmoil’airsûrdelui,commed’habitude–,c’estplusfortquemoi:jem’élanceversluietmejettedanssesbrasgrandsouverts.

–Tueslà,constate-t-il tandisqu’HarrietpartrejoindreOlliepournouslaisserunpeud’intimité.

–Évidemment,banane.J’ai les jambes enroulées autour de ses hanches et ilme tient par la taille. Ilme fait

doucement glisser à terre, et je me délecte de la sensation de nos corps se frottant l’uncontre l’autre. Je suisavec lui. Jepeux le toucher.LaTerre s’est remiseà tournerdans lebonsens.

Quandmespiedstouchentenfinlesol,jepasselesbrasautourdesoncou,ilsepenchesurmoietappuiesonfrontcontrelemien.

–Commentças’estpassé?

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–Onnem’apas confisquémaceintureetmes lacets,donc je considèrequec’estunepremièrevictoire.

–C’estpasdrôle,dis-jeenfronçantlessourcils.–Non,machérie.Cen’estpasdrôledutout.J’observesonvisage–latensiontoujoursprésente, l’épuisement.Et l’inquiétudereflue

dansmestripes.–Oh,non.Qu’est-cequ’ilssavent?– Pas grand-chose. Pas encore, soupire-t-il en se passant la main dans les cheveux,

avant de croisermon regard. Il y avaitmon numéro dans son téléphone portable. Je l’aiappelé,lesoird’Halloween,avantdeluirendrevisite.

–Ohlàlà.Jem’appuieaumuretm’écroulesurlebanc.Jacksons’assiedtoutdesuiteàmescôtés.–Non.Non.Toutcequ’ilssavent,c’estqueje l’aiappelé.EtcommeditHarriet,est-ce

quej’auraisfaitçasij’avaisprévudeletuer?Laisserdestracesaussiévidentes?Çan’auraitpasétémalin.(Iltournemonvisageverslesienpourquejeleregarde.)Etonsaitbien,toietmoi,quejesuismalin.

Je croise les bras sur ma poitrine pour réprimer un frisson, mais je ne peuxqu’approuver.Ilestmalin.Assezpourrevenirsursespas,créerdefaussespistes.Assezpourplanifierunmeurtre, s’il levoulait.Ouassez furieuxpourperdre lespédalesetenoublierd’être malin. Quelle que soit la manière dont les policiers mèneront l’enquête, c’est unélément qui compteparmi les piècesd’unpuzzle bienplus vaste.Un élément que j’auraispréférénepasvoirautableau.

Jacksonentremêlesesdoigtsaveclesmiens.–Eh,dit-ildoucement.Jesuisunhommelibre,pourl’instant.Fêtonsça,d’accord?J’acquiesced’unsignedetête.Jemesensvidée,àfleurdepeau;çameferaitdubien

depleurerunbon coup.Toutes ces émotionsm’ont laminée.C’estnormal, je le sais bien.Maisjeneseraispascontreunpetitcomaartificiel,là.

–Jesuiscontentquetusoislà.Jenesaispassijepourraissupportertoutçasanstoi.Jeluiadresseunfaiblesourire,parcequejesaisquec’estcedontilabesoin.–Jenet’abandonneraijamais.Endisantça,jeréalisesoudainquelquechose,quelquechosequifrappaitauxportesde

maconsciencedepuisunbonmoment,etquimedonneenvied’enfouirmonvisagedanslachemisedeJacksonetdepleureràgrosbouillons.

Parcequej’aiditlavérité:jeseraitoujourslàpourlui.Maiss’ilestarrêté–s’ilestcondamné–,laréciproqueneserapaspossible.Jeseraitouteseule.Ethonnêtement,j’ignoresijesuisassezfortepoursurvivresansJackson.

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***

–Celle-là,c’estvraimentmission impossible,ditRachelenme tendantuneenveloppeadresséeàDamien.

Jeviensdepasseruneheureavecellepourl’aideràréglerlesdifférentsproblèmesquise sontaccumuléspendantmonabsence.Çame faitdubiende travailler. Jacksonetmoiavons pris ensemble un rapide petit déjeuner de fête avant d’aller travailler, mais noussommes encore loin d’être sortis de l’auberge. Et je ne peux pas passer la journée à medemandercequenousréservelasuite.

AvecRachel–avecleboulot–,jesuisforcéedemeconcentrer.C’estunebonnechose.Je sors la carte de l’enveloppe ; il s’agit d’une invitation du sénateur Robertson au

mariagedesafille.LesénateurRobertsonestlegenred’hommedontl’amitiéestprécieusepourlesgrandsgroupescommeStarkInternational.Rachelenestparfaitementconsciente,je le vois à sa nervosité.Mais je sais aussi queDamien ne pourra pas y aller – il sera enChine, avec d’autres chefs d’entreprises multimilliardaires, pour parler affaires avec desreprésentantsdugouvernementchinois.

–Est-cequejedoissimplementdéclinerenenvoyantuncadeau?–Oui,mais il faut queDamien ajoute un petitmot de samain aussi, pour expliquer

qu’ilseraàl’étranger.Etilyaautrechose,aussi,dis-jeenmerappelantundétail.Jesuisdeboutderrièrelebureaupourquenouspuissionstoutesdeuxregarderl’écran

d’ordinateur.JemepenchepourprendrelasourisetouvrirledossierquenousgardonssurlesénateurRobertson.Puisjereculeavecunpetitsourirevictorieuxendésignantl’écran.

–Tiens,regarde.Rachel parcourt le petit article que j’ai copié dans le dossier – un entrefilet dans le

Washington Post au sujet de la femme du sénateur et de son implication au sein d’uneassociationpromouvantl’adoptiondeslévriersdecourseàlaretraite.

–IlfaudravérifierauprèsdeDamien,biensûr,maisc’estunecausequ’ilsoutiendra.–Donc,unpetitmotausénateurassortid’unedonationàl’associationdesafemme?–Maistudeviensexcellentedansceboulot,dis-moi!Ellefaitlagrimace.–J’aipassélamatinéeàréorganiserlesréunionsetàm’occuperdeDallas.–Laville?OuDallasSykes?Unfrissond’inquiétudemeremontelelongdel’échine.–Non,pas laville…Non,non,cen’estpasausujetduDomaine,s’empresse-t-ellede

merassurer,etjem’aperçoisquej’ailaissétransparaîtremesémotionsdavantagequejenel’aurais souhaité. Il organise une soirée de lancement pour un nouveau magasin à SanDiego,et ilveutqueDamienetNikkisoient là,mais ilsonttouslesdeuxdesplanningsdedingue,et…

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–Héoui,dis-jeenluiposantlamainsurl’épaule.Crois-moi,jecomprends.–Unconseil?–Entraîne-toiàmaîtriserl’artdedirenonentoutedélicatesse.(Elleserenfrogne.)Eh,

situveuxceposte…– Si on n’était pas au travail, je te traiterais de tous les noms. Mais je sais rester

parfaitementcourtoiseensituationprofessionnelle,dit-elleavecungrandsourire,alorsjetelaisseimaginercequeçadonnerait.

Jeglousse,amusée.Plus jecôtoieRachel,plus je l’apprécie,et jesuiscontentequecesoit elle qui prenne ma place quand j’aurai un poste à plein temps au départementimmobilier.Sij’obtiensunposteàpleintemps,devrais-jedire.Çan’arriverapastantquejen’aurai pas mené le Domaine de Cortez à bien. Il y a le budget et les délais à ne pasdépasser,évidemment.Maisentre lesmines, lesphotosscandaleuses, lese-mailspiratésetle procès pour meurtre, les écueils se rapprochent et je dois me battre de plus en plusférocementpourfairesortircecomplexehôtelierdeterre–alorsquej’aivraimentd’autreschatsàfouetterparailleurs.

–Alors, tu tiens lecoup?demandeRachel,et jesursauteenm’apercevantque j’étaisde nouveau au fond de mon propre puits d’anxiété. Je veux dire, avec Jackson, et ceshistoiresd’arrestation.Çava?

Bien sûrquenon, çanevapas. J’ai lesnerfsenpelote. Je suis terrifiéeà l’idéequ’onm’enlèveJackson.Terrifiéeàl’idéedecequeçaimpliquerait.Pourmoi.PourRonnie.

Jackson et moi n’en avons pas reparlé depuis la dernière fois, sur le tarmac del’aéroport.Etçaaussi,çamefaitflipper.Cetteincertitude.S’ilvaenprison,qu’est-cequejedeviens?«TataSylvia»?«Maman»?

Etdanscecas,quefaire?Commentsuis-jecenséem’ensortirsanslui?Je me secoue intérieurement, dans l’espoir de chasser ces pensées de ma tête. C’est

absolumentnécessaire pour préserverma santémentale.Oudumoins, pour empêcher lapeurdem’envahirjusqu’àl’os.

Alorsjemeforceàsourire,mêmesijesensbienquejedoisavoirl’airmisérable.–Çan’apasétéfacile.Maistoutvabien.Jehausseuneépaule,façonmartyrequitâchedefairecontremauvaisefortunejoyeux

visage.– Oh, Syl… dit Rachel d’une voix peinée, et je suis touchée de la voir sincèrement

navrée.Je baisse les yeux au sol, comme si je pouvais voir plusieurs étages sous nos pieds à

traverslesépaisseursdemoquetteetdebéton, jusqu’aubureauoùJacksonestentraindes’affairer.

–Çal’aidedetravailler,tusais.Depenseràautrechose.–Toiaussi,çat’aide,souligne-t-elle,àraison.

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Il n’y a que deux choses qui me permettent de m’écarter temporairement de latrajectoiredececauchemarquifoncedroitsurnous:meperdredanslesbrasdeJackson,etm’absorberdansletravail.

Jepréfèrechangerdesujet:–Ettoialors,avecTrent?dis-je,etlavoyantrosir,jesouris.Vousavezpasséunweek-

endenamoureuxàSantaBarbara?Leroses’évanouit,lescoinsdesaboucheretombent,etjevoudraismegifler.–SantaBarbara?–Désolée,c’estcequej’avaiscrucomprendre.J’aidînéavecmonancienpatronl’autre

jour,etiladitqu’ilavaitcroiséTrentàSantaBarbara.Etjesaisquevoussortezensemble,alorsj’aipenséque…

Jeneterminepasmaphrase,etluiadresseunsourirecontritenhaussantlesépaules.Maisinpetto,jemerépèteenbouclemerde,merde,merde.

–Ehnon,réplique-t-elled’unepetitevoixquiseveutenjouée.Mais il faisaitpeut-êtredesrepéragespourunefutureescapade.

–Sansdoute.Oubiençan’avaitrienàvoir,ilapeut-êtredelafamillelà-bas.Ellepenchelatêtesurlecôté.–Maisoui,jecroisbienqueoui.Elle hoche la tête avec conviction, comme si elle venait de résoudre un casse-tête et

qu’elle était prête à passer à autre chose. Mais une vague hébétude subsiste dans sonregard,etjesensquejevienspeut-êtredesemerlazizanieentreeux.

Étantdonné ladiscrétiondont je faispreuveà l’égardde lavieprivéedeDamien,onauraitpumecroireégalementcapabledefermermagrandegueulelerestedutemps.

C’estlemomentquechoisitDamienpoursortirdesonbureau,etjel’embrasseraisbienpourleremercierdecettediversion.

– Rachel, je vais retrouver Aiden sur le site de Stark Plaza avant ma réunion avecDallas.

Jefroncelessourcils.–Est-cequejedoisvenir?Vousallezparlerdesesinvestissements?– Non, pas aujourd’hui. Dallas est toujours des nôtres, répond-il en me fixant du

regard.Jesuisdésolé,Syl,maisTarrantPropertiess’estretiréduprojet,enrevanche.Jen’aipas encore la confirmation, mais je crois qu’ils ont été courtisés par les Grandes Marées,ajoute-t-il.

SituéàSantaBarbara,l’hôteldesGrandesMaréesconcurrencedirectementmonprojet.LavoixdeDamienesttendue,reflétantmaproprecolère.–Voussavezquiapulesapprocher?Les promoteurs des GrandesMarées sont des roublards ; ils ont gardé le silence sur

l’identitéde l’architecteet se sont servisdece secret commed’unargumentmarketing,en

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prétendantqueleplusimportant,c’estleprojet,paslespersonnes.Pourmoi,toutcequeçasignifie,c’estqu’ilsn’ontpasunnomaussivendeurquecelui

deJackson.Damiensecouelatête.–Non,maisune foisqu’ilsauront signéavec lespremiers investisseurs, ils serontbien

obligésd’êtreplustransparents.–Tantmieux.J’ignorequia lancéceprojet,mais trèsclairement,cesgens-làm’ontpiquémon idée.

Jenepeuxpaslesenempêcher,maisjeveuxsavoirquijedoishaïr.Damienprendunairentendu.–Nevousinquiétezpaspourlacompétition.Assurez-vousseulementqueCortezsoitle

plusréussipossible.Lerestesuivra.–Àsupposerqu’onneperdepastousnosinvestisseurs.–Personned’autrenes’estfaitlamalle.–Maispersonnen’aencoreétéarrêté.Cen’estpascequejevoulaisdire.Jenevoulaispasdétournerl’attentionduDomaine

pour embrayer sur Jackson.Mais lesmots sont sortis tout seuls –mon inquiétude de voirJackson finir derrière les barreaux est tout simplement trop prégnante pour que jeparvienneàenfaireabstraction.

–Sionenarrivelà,alorsonavisera,ditgentimentDamien.Faisonslepointensembleaprèsmondéjeuner.

Jehochelatête,etilsedirigeversl’ascenseurquandlesportess’ouvrentsurJackson,quidébouledanslapièce.

–Vousavezvuladernière?demande-t-ilentendantsontéléphoneàDamien.–Demieuxenmieux,commentecedernieraprèsuncoupd’œil.Mêmesijenesuispas

franchementsurpris.Jemeprécipitesureux–etmêmeRachelabandonnesonpostepournousrejoindre.Je

suis entre les deux hommes, la main sur l’épaule de Jackson pour m’aider à garderl’équilibretandisquejemehissesurlapointedespiedspourmieuxvoir.

Jenedistinguequeletitre:UnautreAlcatrazsurlacôtecalifornienne?Perplexe,j’interrogeJacksonduregard.–C’est cet éditorial à lamords-moi-le-nœud. Sur lemeurtre deReed. L’agression. Et

mon implication supposée dans les deux, et dans le projet Cortez. Et puis histoire depousserl’absurditéjusqu’aubout,lemecajouteDamienaumilieudetoutça,biensûr.

–Meurtreset compagnie,blablabla…Unduodechoc…, litDamienen se renfrognantàtouteallure,avantdese tournerversJackson.TupeuxfaireRobin.Mais je tepréviens, jeneporteraipasdecape.

JeprendsletéléphonedesmainsdeDamienpourparcourirl’article.

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–Cen’estpasdrôle,ditJackson.–Non,c’estvrai,répliqueDamien.Maiscen’estpasnonplustrèssurprenant.Jelesécouteàpeine.Mestripessenouentàmesurequejelisl’article.–C’estencoreuncoupportéauprojet,dis-jeenregardantlesdeuxhommesàtourde

rôle.Commecesconneriesdeterrainsoi-disantminé.CenesontpasdespotinssurJacksonetvotreliendeparenté,nisurReed,niriendetoutça.Lebut,là,c’estdeflinguerCortez.Uneîleentachée,lis-je.Baignéedesangetdetragédies.Onpariecombienquelesinvestisseursvonttousrecevoircettemerdedansleurboîtemail?

JacksonetDamienéchangentunregard.–Ellearaison,répondStark.Unflotderagem’envahit.–Jejurequejevaism’occuperpersonnellementd’étranglerleconnardquiestderrière

toutça.Jacksonme prend lamain pourm’apaiser ; cette inversion des rôlesm’amuse etme

réconforteunpeu.D’habitude,c’estmoiquitentedelecalmer.Jacksonregardesamontreets’adresseàDamien:– Dis-moi, tu as quelque chose de prévu, cet après-midi ? Je peux t’offrir un verre

pendantl’happyhour?Pendant une seconde, je ne réagis pas. Puis je me rappelle que Jackson a émis le

souhait de mener sa propre enquête sur l’assassin de Reed, et de demander de l’aide àDamienàcepropos.Malheureusement,aprèssonentrevueavecAiden,jesaisqueDamienaunagendasurchargéjusquetardcesoir;àmonavis,c’estmortpourl’apéro.

–Jesuispris, répondDamiend’untonégal.Maiscesontdesrendez-vousqu’onpeutdécalersansproblème.Rachel,vouspouvezvousenoccuper?

–Biensûr,monsieur.Jacksonmedécocheun sourire satisfait tandisque je le regardeavecdesyeux ronds,

bouchebée.Ilss’éloignenttousdeuxversl’ascenseur,etunefoislesportescloses,Rachelpousseun

longsoupir.Jem’esclaffe.–Allez,c’estpassiterrible.Appelletoutlemondeetdis-leursimplementqu’ilyaeuun

contretemps.AvecunhommecommeDamien,çan’ariend’inhabituel.–Ohnon,cen’estpasleproblème.Regarde,dit-elleentapotantsonécran.Jeme ruederrière le bureau, saisied’un effroi devenuunpeu trop coutumier àmon

goût.Àlasecondeoùjevoisl’écran,jelaisseéchapperdansunsouffleunmot,unseul:–Merde.

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Sousmesyeux,unescènede lanuitdernière,sur lebateau.Noussommes là tous lestrois,moiunpeuenretraitderrièreJackson,qui regardesonpèreavecuneexpressiondefureur contenue. Sa position évoque la puissance et le contrôle, etmême si l’image a étépriseau téléobjectif,elleest sinettequ’ondistingueparfaitement lacicatricequicoupeendeuxlesourcilgauchedeJackson.

La légende narquoise – Steele boude à cause de son papa ? – me cause un peu plusqu’une légère irritation.Parceque lecliché lui-mêmemeterrifie,etpasseulementàcausede l’intrusiondupaparazzi pour voler des images d’une conversation qui aurait dû resterprivée.

Non,cequimefaitlepluspeur,c’estcequejevoisdanscettephoto.Cequelemondeentierpeutvoir,maintenant.

Parceque l’appareilphotoacapturé l’imaged’unhommeprêtà toutpourobtenir cequ’ilveut,mêmeàpartirenguerrecontreceuxquisemettraiententraversdesonchemin.Unhommequiprotègecequiluiappartient.Unhommecapabledetuers’illefaut.

Etill’afait,j’ensuispersuadéeàprésent.Commentnepasredouterquelemondeentiers’enaperçoiveaussi?

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10

Phil, le barman du Gallery Bar, déposa deux verres de whisky devant Jackson etDamien.

–Autrechose,monsieurSteele?–Merci,non.C’estparfait.Lebarmanhésita,puishochalatête.– D’accord, n’hésitez pas en cas de besoin, dit-il avant d’aller s’occuper d’un couple

assisàl’autreboutdulongbardegranitpoli.Jackson retint un sourire. Phil l’avait servi à plusieurs reprises, et il savait que la

proposition du jeune homme ne se limitait pas simplement à un verre supplémentaire.C’étaitunemarqued’amitié,desoutienàJacksonquitraversaitleseauxtumultueusesdelapresseàscandales.

–C’estunamiàtoi?–Non,mais ilestdiscret, il faitbienson travail,etpuis son jugementest très sûr.La

preuve,ilm’aimebien.Damien rit, et prit une gorgée dewhisky. Ils avaient quitté la StarkTower ensemble,

ignorant lesappelset lesquestionsde lanuéedepaparazzisqui faisaient lepieddegruedevantl’immeuble.

Onavaitcontinuédelesmitraillerdeflashsetdequestionstandisqu’ilsdescendaientlacollineàpied.Jacksonavait senti sesnerfs sevriller– ilavaithâtedesemettreà l’abri–,mais iln’avaitpuqu’admirer la facilitéavec laquelle son frèreavaitmisdesœillères,et samerveilleusecapacitéàignorerlesrequêtesvociféréesparlesjournalistestoutencontinuantà bavarder avec Jackson, comme si de rien n’était. Damien se payait ce cirque depuislongtemps,etmaintenantqueJacksoncomprenaitmieuxcequ’esquiverlapressesignifiait,iln’enavaitqueplusderespectpourcefrèrequ’ilcommençaittoutjusteàconnaître.

Ilsavaientdécidédeserendreaubarmythiquedel’hôtelMilleniumBiltmore,unpetitbijou d’architecture et, accessoirement, le bar préféré de Jackson à Los Angeles. Damiens’étaitautomatiquementdirigéversunetabledansuncoin,maisJacksonavaitrefusédes’y

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installeretlesavaitconduitsaubar.Ilaimaits’asseoirlà,faceauxangesdeboissculpté,ledostournéàlasalle.Accoudéaucomptoir,ilsesentaitchezlui,tandisqu’assisàunetable,ilavaitlesentimentd’êtreuninvitésoumisauxcapricesdesonhôte.

IlinterrogeaDamien:–Tupensesqu’ellearaison?–Àproposdusaboteuretdel’articlesurAlcatraz?Probablement.– Putain, commenta Jackson, avant de ponctuer son point de vue par une bonne

lampéedeMacallandix-huitansd’âge.Ilfautqu’onsachequijoueauconavecnous.EtilfautquejesachequiavraimenttuéReed,dit-ilenreposantsonverre.

Quandilrelevalesyeux,Damienleconsidéraitattentivement,presqueaveccuriosité.–Honnêtement,jepensaisquec’étaittoi.Jacksonhésita,puismeublalesilenceavecuneautregorgéedewhisky.–Tun’espasleseul.J’aibesoindesavoirquid’autrevoulaitlapeaudecetteenflure,

etpourquoi.C’estcrucialpourmadéfense.Etparailleurs,j’aimeraisbienluiserrerlamain.Damienlejaugeaduregard,etJacksoncompritquesonfrèreévaluaitlavéracitédeses

paroles. Jouait-il franc jeu?Oubien fabriquait-ildenouvellespiècesdupuzzle,pourqueDamienpuissedireà lapoliceen toute sincéritéqueson frère luiavaitdemandéde l’aidepourretrouverletueur,etainsiaffirmerquecen’étaitprobablementpaslui?

Damienrestasilencieuxpendantsi longtempsqueJacksonsedemandas’iln’allaitpasl’envoyersefairevoir.

–ArnoldPratt,dit-ilfinalement.C’estledétectiveprivéquej’emploieparfois.Iltravailleprincipalementpourlaboîte(RyanluienvoiedesCVàvérifier,cegenredechoses),maisj’aidéjà faitappelà luipourdesaffairespersonnelles.Pour lesquelles il fallaitparfoiscreusertrèsdélicatement.S’ilaletemps,ils’enoccupera.Danslecascontraire,ilsuffirad’ymettreleprixpourqu’ildégageletempsnécessaire.Sylasonnuméro.Pourquoiellenetel’apassuggéré,d’ailleurs?

–Ellel’auraitsansdoutefait,maisjeluiaiditquejevoulaist’enparler.–Pourunconseildefrère?– De frère ? Ce n’est pas la question. Tu as un certain talent pour trouver des

informations.Etquandj’aibesoind’aide,jem’adressetoutdesuiteaumeilleur.–Bienvu,ditDamienenlevantsonverrecommepourporteruntoast.– Enparlant de ça, est-ce que tu as demandé à Pratt de chercher qui a révélé notre

lien?–Non.–Pourquoi?Jackson avait certes d’autres préoccupations, mais il était tout de même curieux de

connaîtrel’identitédusaboteur.DamienvidasonverreavantdeleleverpourfairesigneàPhil.

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–Parcequejen’aipasbesoindePrattpoursavoirquiafaitlecoup.Jeconnaisdéjàlaréponse.Etjepensequetoiaussi.

–J’aipenséàJeremiah,admitJackson.Maisçan’apasbeaucoupdesens.–Aucontraire.C’esttoutàfaitlogique.Jesaisqueçanevientpasdemoi.Tudisque

cen’estpastoinonplus,etj’aitendanceàtecroire.–Merciinfiniment.Damienfitunesortedegrimace,maispoursuivit:–OnsaittouslesdeuxqueSylvian’ariendit,pasplusqueNikki.– D’autres personnes étaient au courant. Cassidy, Jamie, Ryan…Mais j’ai du mal à

croirequel’und’euxaitpudivulguerl’info.–Laseuleautrepersonnedanslesecret,c’étaittamère,ditDamien.Etellen’estplus

enmesuredelerévéleràquiquecesoit.–Tusaisdeschosessurmamère?Penelope Steele avait déclaré un début d’Alzheimer dix ans auparavant. Elle vivait à

présent dans une institution du Queens, qui était relativement accessible pour Jacksondepuissesbureauxnew-yorkais.Ils’yrendaitfréquemment;laplupartdutemps,ellenelereconnaissaitmêmeplus.

–Commetul’asdit, jesuisdouépourl’information.Toi, tuasgrandiensachanttoutdemafamille.Çamesemblaitdebonneguerredechercheràmieuxconnaîtrelatienne.

–Tuauraisputoutsimplementmedemander.Savoir que Damien avait fouiné dans sa vie agaçait Jackson. Ce n’était pas une

découverte,biensûr.IlavaitdéjàéprouvécesentimentdeviolationquandDamienavaitmislamain sur sa requête pour faire établir ses droits parentaux vis-à-vis deRonnie, assortiedestestsADNprouvantqu’elleétaitbiensafille.

–C’est ce que je ferais aujourd’hui.Mais à l’époque, je ne te faisais pas confiance. Ethonnêtement,avouequetoinonplus.J’auraisputedemander,maistum’auraisenvoyésurlesroses.

Jacksonne répondit pas ;Damienavait raison. Il finit son verre à son tour et leva ledoigt pour demander à Phil de lui en verser un autre. Dès que le barman l’eût rempli,Jacksonbutunelonguegorgée,etlasavouraavantdereprendrelaparole:

–Ilm’afaitchiercommepaspermisparcequej’allaistravailleravectoi.Etaprès,ilm’aemmerdéparcequejet’avaisditlavérité.Est-cequeçanecontreditpasnotrehypothèse?

–Tutrouvesqueçalacontredit?–Non,soupiraJackson.JepensequeJeremiahStarkatoujourseuetauratoujoursdes

intentionscachées,etvouloirdevinercequ’iladerrièrelatêteestaussivouéàl’échecqued’essayerdeprédirelesnumérosgagnantsduloto.

–Jesuisheureuxquetu l’admettes,ditDamien,avantdesetournersursontabouretpourluifaireface.Jeveuxtemontrerquelquechose.

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Ilsortitsontéléphoneetnaviguauninstantsurl’écranavantdeletendreàJackson.–BonDieudemerde,s’exclamacedernierendécouvrantlaphotodelaveilleausoir.Jackson, Syl et Jeremiah sur le pont, à peu près aumoment où Jackson disait à son

pèredefoutrelecampdesonbateau.Sansprendreletempsdelirelalégende,ilrenditletéléphoneàDamien.–Quellebandedeconnards,putain.Heureusement qu’il n’avait pas vu cette photo avant de descendre la colline avec

Damien,carilauraitcertainementpétélesplombs.Il réprima un frisson en se rappelant la suite des événements après le départ de

Jeremiah.IlavaitquasimentprisSylviasurlepont.Il luiavaitintimédesedéshabiller.Deresternuesouslesétoilespendantqu’illacaressait,qu’illatouchait,qu’illabaisait.

Ileutlanauséeàl’idéequ’ilavaitfaitfrôleràleurintimitélepiredesviolspossibles,etilserralespoingspourluttercontresaréactioninstinctive,épidermique,dedéménager.Des’installeràl’hôtel.Defuir,parcequecesvoyouss’enprenaientàlui.

Qu’ilsaillentsefairefoutre.–Tuaslesboules,notaDamiend’unevoixlégère.–Untrouduculque jeneconnaispasabraquésonobjectif surmamaisonetprend

desphotosdemoietdemacopine,rétorquaJacksonenlançantàDamienunregardnoir,commesilefaitquesonfrèreluiaitmontrélaphotolerendaitresponsabledelasituation.Tuparlesquej’ailesboules.

Damienhochalatête,commesilaréponselesatisfaisait.–OnpeutpariersansrisquequeJeremiahn’apaslesboulesdutout,lui.Aucontraire,

ilraffoledetoutecetteattention.(Ilmarquaunepause,justepourlaisseràJacksonencorebouillant de colère le temps de s’imprégner de ses paroles.) Ne lui fais pas confiance,Jackson.C’estjusteunconseildefrèrequejetedonne.

JacksonrefoulasacolèrepourseconcentrersurDamien.–Tusais,jemedemandaiscequiavaitpusepasserentrevousdeux.Jecroyaisquetu

étaisunemmerdeurdepremièreaveclui.Jeveuxdire,j’avaismesraisonspourledétester.Iln’étaitjamaislà.Ilnousobligeaitàresterdansl’ombre,mamanetmoi.Ettul’avaispourtoi ; je te regardaiset jemedisaisque tuétaisvraimentunconnardcapricieux.Unediva.Complètementimbudetapersonne.

–Jesuisraviquetusoisrevenudetapremièreimpression,grinçaDamien.Jacksoneutunpetitrire.–Surcertaineschoses,oui.Pas toutes.Mais sérieusement,aprèsavoirentenduparler

duprocèsenAllemagne,quandçaafaitlaunedesjournaux…Il s’interrompit avec un léger frisson, songeant à tout ce que son frère avait enduré,

alors que leur père était au courant et qu’il n’avait jamais levé le petit doigt pour leprotéger. Il pensa à Sylvia, qui avait souffert d’une situation similaire, et il fut pris d’une

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bouffée de colère contre Jeremiah, Reed et le père de Sylvia. Sans parler de ce mondeinsupportableoùdesenfantssubissaientdetelleshorreurs.

Ilrepritunegorgéedewhisky, luttantcontre l’émotionqui l’envahissait,caràprésentc’était àRonniequ’ilpensait. Iln’arrivaitpasà comprendre comment ceshommesavaientpusacrifier leursenfants,parcequ’iln’yavait rien–rien–qu’iln’auraitpas fait, lui,pourprotégerlafillette.

–Enfinbref,dit-ilfinalement.Jecomprendspourquoituascréétafondation.C’estunecausejuste.J’yreferaidubénévolatdèsqu’ilsmelepermettront.

Damienhochalatête,maisneditriendeplus.Jacksons’yattendait.– Ce que je veux dire, c’est que j’ai compati, quand les journaux ont fait leurs choux

grasdetonhistoire.Mais jepensais toujoursquetuétaisunsalaud.Jesavaisàquoim’enteniravectoiaprèsBrighton,tuterappelles?Dumoinsc’estcequejecroyais.

Àsongranddésarroi,JacksonavaitappristoutrécemmentquelorsquesonfrèreavaitfaitmainbasseàladernièreminutesurdesterrainsàAtlanta,cinqansplustôt,illuiavaitalors sauvé la mise, au lieu de le gruger comme Jackson l’avait cru pendant toutes cesannées. Si Damien ne s’était pas immiscé dans ce projet de construction pour le fairecapoter,laplupartdespersonnesimpliquéesdansleBrightonConsortiumseraienttombéespour trafic d’influence et délit d’initiés ; leur fortune et leur réputation auraient étéanéanties.

Cependant, lamajoritédesacteursduprojetnes’étaitpasrenducomptequeDamienleuravaitsauvélapeau.

– Pourmoi, tu étais sans foi ni loi, continua Jackson. Forcément. Sinon, comment tuauraisputeretrouverausommetsivite?

–Jepeuxêtreunsalaudsansfoiniloi,répondittranquillementDamien.– Tu peux, oui. Mais ce n’est pas vraiment toi, dit-il en terminant son whisky d’une

traite.J’aivucequetuavaisfaitpourlacarrièredeSyl.Jet’aivudéfendretafemmebecetongles.J’aientenduparlerdecequetuavaisfaitpoursesamis.Etaujourd’hui,jesaisquetun’essayaispasdemebaiser,nimoinipersonne,pourBrighton. (Il gratifia son frèredesonsourirelepluscharmeur.)Attention,hein,jesuisprêtàtedésavoueràlasecondeoùjete soupçonnedevouloir faire foirerCortez.Mais sinon, cemecqui s’appelleDamienStarkn’estpeut-êtrepasl’êtredémoniaquequejecroyais.

–Évitedel’ébruiter,lepriaDamien.J’aiuneréputationàtenir,toutdemême.– Je serai une tombe, promit Jackson avant de regarder sa montre. On devrait y

retourner,non?–Mmh.Au fait, l’inspecteurGarrison a demandé àme voir demain, ditDamien d’un

tonneutre.C’était l’undesinspecteursquiavaientcuisinéJacksontoutelamatinée.Celui-cisentit

sonventresenouer.

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–Pourquoi?– Peut-être parce qu’il pense que mon demi-frère a commis un meurtre. Ou plus

vraisemblablement parce qu’il se trouve que tu travailles pour moi, et que j’ai rencontréReedunefoisoudeux,commejecroisl’avoirdéjàdit.Maiscenesontquedessuppositions.

–Bon,merde.Jesuisdésolé.–Désolé?ditDamienenhaussantlégèrementlessourcils.–Qu’onviennet’emmerderaveccettehistoire,toiaussi.–Lesmeurtres,engénéral,çafoutlebordel.–Etqu’est-cequetuvasluidire,alors?–Quejenepensepasquecesoittoilecoupable.Jacksonlescrutauninstant.–Cen’estpascequetudisais,troisminutesplustôt.Damiennesouritpas,maisJacksonremarqualalueurd’amusementdanssonregard.–Cen’estpasà lapoliceque jeparlaisàcemoment-là,si?Je leurdiraique jenete

connaispassibienqueça,maisquejesaisquetun’espascomplètementstupide.Etletueràpeinequelques joursaprès luiavoirpété lagueule,ceseraitvraiment,vraimentstupide.(Ilsetutuninstantavantdesepencherverslui,lescoudessurlebar.)Jackson,laconnerien’estpasuntraitdefamille.Jeremiahestunsalaud,maisiln’estpasbête.Sic’estluiquiarévélénotrelien,c’estqu’ilaunplan.

–Quelgenredeplan?–Aucuneidée,ditDamienenseredressant.Maistuvoulaissavoirquid’autreenavait

aprèsReed.Jetesuggèred’ajouterJeremiahàlalistedessuspects.IlconnaissaitReed.Tul’asdittoi-même.

Jacksonméditalesparolesdesonfrère.–J’enparleraiàHarriet.Histoirequ’ellegardeunœilsur lui.Ceserapeut-être luien

findecompte,quimettramaculpabilitéendoute.–Tun’aspasbesoindefaireça.–Si,tum’asconvaincu.–Non,jeveuxdire,c’estdéjàfait.–Ahbon?–Jetel’aidit,JeremiahStarkesttoujoursentraindemijoterunsalecoup.J’aimerais

ensavoirpluslà-dessus.Enplus,c’estpeut-êtreluiquiatuéReed,ajoutaDamienavecunairentendu.

–Toutestpossible,répliquasèchementJackson.Maisqu’est-cequeçaluiapporterait?– Je ne sais pas, admit Damien. S’il s’agissait de quelqu’un d’autre, je dirais qu’il

essayaitpeut-êtredeteprotéger.D’empêcherlefilmdevoirlejour.D’empêcherReeddetetraînerenjustice.Peut-êtremêmedeprotégersapetite-fille.

–Ilneconnaîtpassonexistence,réponditJacksondutacautac.

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–Tuenessûr?Évidemment que non, il n’était pas sûr. Devant le silence buté de Jackson, Damien

reprit:– Peu importe. Tout ce que je veux dire, c’est que Jeremiah Stark ne pense qu’à sa

gueule.Alors,surveilletesarrières,Steele.Parcequeturisquesdenepaslevoirvenir.

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11

Comme la journée de travail touche déjà à sa fin mais que je suis incapable de meconcentrer, encore bien trop sur les dents à cause de cette satanée photo, je décide deprendrequelquesdossiersetd’allerbosserdessusàlamaison.

Maisonétantlemot-clé,biensûr.ParcequeJacksonetmoipassonsdeplusenplusdetempssursonbateaudepuisqu’ilyainstallésonbureau.Quantàmoi,j’aimem’installersurunedeseschaiseslonguesavecunverredevinetmedétendrefaceàl’océan.C’estcequej’auraisvoulufairecesoir,d’ailleurs.Maisjenepeuxpas,etçamefoutenrogne.

Parcequecesoir, jenemedirigepasvers lebateau,maisversmonappartement.Cen’estpasquejenem’ysentepasbien–aucontraire.Maisjepréféreraisretrouvermonchez-moi parce que j’en ai envie, plutôt qu’à cause de ces maudits paparazzis qui nouspourrissentlaviesurlebateau.

Bien sûr, je fais confiance aux gérants de la marina, je sais qu’ils font leur travail ;aucundecescharognardsn’aaccèsaubateau,nimêmeauparking.Mais çane lesapasempêchésdeprendrecesphotoshiersoir,etc’étaitdéjàlargementassezenvahissantàmongoût.

Cesoir,jedorsdansmonproprelit.En atteignant SantaMonica, je songe soudain que la presse surveille peut-être aussi

mon appartement, mais, soulagée, je ne vois personne en pénétrant dans le parkingsouterrain avec ma Nissan. Il y a peut-être quelques traînards devant l’entrée del’immeuble,maisilsserontàl’extérieur,surThirdStreetPromenade,doncjen’auraimêmepasàlescroiser.

J’envoie un texto à Jackson tout enme dirigeant vers l’ascenseur : « Arrivée saine etsauveàl’appart.Àplustard.»

Je n’ai toujours pas reçu de réponse une fois arrivée à mon étage, mais ça ne mesurprendpas.IlestavecDamien,etenplusdetouslesévénementsrécentsdontilsdoiventdiscuter,ilsonttouteunevieàrattraper.

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Etmoiaussi,medis-jeenpénétrantchezmoi.Bon,peut-êtrepastouteunevie,maisaumoinsunebonnesemaine.

Jeplisse lenez, çane sentpas la rose ici.C’estdûenpartieau linge salequi traîne,maissurtoutauxorduresquej’aioubliédesortir.

Je commence donc par vider les poubelles de chaque pièce avant de verser quelquesgouttesd’huileessentielledansmondiffuseur,quejemetsenrouteletempsd’allerauvide-ordures.Avantdesortir, j’ouvre laporte-fenêtrepouraérer lamaison,etquand jerevienstrentesecondesplustard,uneagréablebrisevenuedel’océanrafraîchitdéjàleslieux.

En tempsnormal, jem’enseraisvoulud’avoirétéassezstupidepouroublierdesortirles poubelles. Mais aujourd’hui n’est pas un jour comme un autre. J’ai besoin d’unedistraction,etfaireleménagesembleêtreexactementcequ’ilmefaut.

Enunedemi-heure,j’aifaitletourdesplacardsetduréfrigérateurpourbalancertoutelanourriturepérimée.J’emploiel’heuresuivanteàpasserl’aspirateurenajoutantdeshuilesessentielles aupot-pourri sur la tablebasse,puis je lanceunemachineet enprépareunedeuxième. Je me répète que si l’absence de réponse de Jackson ne m’alarmait pas deuxheuresplustôt,iln’yaaucuneraisonpourqu’ellem’inquiètemaintenant.Nousavonstousquittélebureautrèstôt,etlà,iln’estqueseptheures.Pourautantquejesache,leurapéroa très bienpu se transformer endîner.Et si c’est le cas, çadevraitme faireplaisir.Aprèstout,j’aimeJacksonetjerespecteDamien;j’aienviequ’ilss’entendentbien.

Mais j’ai beau me dire tout ça, l’angoisse diffuse qui m’habite ne disparaît pas. Àcontrecœur,jesorsmontéléphone.Cettefois,jenevaispasenvoyerdemessageàJackson.

Cettefois,jeparsinspecterlesréseauxsociaux.Bingo,levoilà.Pasjusteunephoto,maistouteunesérie.JacksonetDamienserendantauBiltmore,vraisemblablementuneimagepriseparun

desphotographesquiavaientinstalléàtouthasardleurbivouacaupieddelaStarkTower,dansl’espoird’obtenirunclichéaussijuteuxqueceluideMeganembrassantJackson.

Puis la photo des deux frères pénétrant dans l’hôtel Biltmore, puis les abords dubâtimentsousdifférentsangles,aveclehashtag#FactionStarkSteele.

Demieuxenmieux.Bien sûr, ces photos ne font de mal à personne, dans l’absolu. C’est le fait qu’elles

existentquimedérange.EtellesexistentparcequeJacksonaétédépouilléd’unepartiedesonintimité.

Damien a toujours été sur le devant de la scène médiatique, bien sûr, mais il n’y apresquepluspersonnepourcamperaupieddelaStarkTower,notammentparcequ’iln’yaaucunscandaleliéàStarkencemoment.Enfin,iln’yavaitaucunscandale.

À présent, avec lemeurtre, le sabotage et les spéculations autour des deux frères, lapressesedéchaînedenouveau.

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Jesoupire,conscientequecettefrénésienesecalmerapastantqueJacksonn’aurapasétésoitinnocenté,soitcondamné.EttantquejeresteliéeàJackson,jesuisaucœurdelatourmente,moiaussi.Pour lemoment, lapressenes’intéresseàmoiqu’entantquepetiteamie de Jackson, et chef de projet duDomaine deCortez. Certes, ils savent que j’ai posépour Reed il y a longtemps, mais les photos qui avaient été publiées alors sont si fadesqu’elles n’ont pas fait long feu sur le net.Mais plus je reste sous le feu des projecteurs àcausedeJackson,pluslesjournalistesrisquentdecreuserdavantageàmonsujet.

Ets’ilsapprennentl’histoireduchantage–sicettehistoiredevientpublique…Jefrémis.Cetteidéem’estintolérable.Essayant à grand-peine de penser à autre chose, je branche mon téléphone sur les

petitesenceintesdemacuisineetlancemaplaylistpréféréeàpleinvolume,encommençantparBasketCase,deGreenDay.Çadevraitfairel’affaire,medis-jeavantd’allerchangerlesdraps.Sijem’attaqueauxvitresensuite,jedevraisavoirdequoim’occuperpourunebonnedemi-heureencore.

Et si je n’ai toujours pas de nouvelles de Jackson d’ici là, j’appellerai Nikki. Elle aumoinssaurasûrementcommentpistersonmari.

Je retire les draps et les roule en boule avant de les apporter dans la minusculebuanderie attenante à la cuisine.Mais enme retournant, je les laisse échapper enmêmetempsqu’unpetit«Oh!»desurprise.

–Onyva?ditJackson.Accoudéaucomptoirdemacuisine,iltapotelegranitaveclacléquejeluiaidonnée.

Un peu trop raide pour être honnête, il a le regard dur et un air de défi. Que défie-t-ilexactement?Ça,jel’ignore.

–Onyva?Oùça?jedemande.Maquestionsemblel’irriterquelquepeu.–Surlebateau.–Tutefousdemoi?–Non.Pasdutout.Je le regarde bouche bée, en secouant légèrement la tête comme pour essayer de le

comprendre.–Jackson,dis-jedoucement.Ilyadespaparazzispartout.Tut’enesforcémentaperçu,

puisque j’ai vu les photos de toi etDamien en chemin pour le Biltmore. Et hier soir, à lamarina ? Si tu n’es pas encore au courant, laisse-moi t’apprendre que ces enfoirés ontbalancédesphotosdenousetdetonpèrepartoutsurInternet.

–J’aivu.–Bon,alors,tuvoisbien?Jen’aiaucuneenviederetournersurlebateau,là.Unmusclesecontractedanssajoue,etjemeraidis,carildevientdeplusenplusclair

que Jackson n’est pas simplement de mauvaise humeur. Il est d’humeur dangereusement

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mauvaise.–Bon.Qu’est-cequis’estpassé?jedemande.–À l’aller, çaa été,maisquandona voulu repartir, ona vuqu’ils avaient envahi le

Biltmore.Philnousafaitsortirparl’entréedeservice.J’étaiscontentdemoisurlecheminduretourparcequ’avecDamienonafait lamêmechosepourretourneràlaStarkTower,onestpassésparlazonedelivraisonàl’arrière.

–Doncvouslesavezbieneus.–Ons’estfaufilésendoucecommedesrats…Oucommedescriminels,dit-ild’unevoix

dure,enmeregardantlesyeuxpleinsdecolère.–Jackson…– Non.Ce n’est pas comme ça que je vais vivre. On va sur le bateau. On va bosser

normalement. On va faire comme si ces trous du cul n’existaient même pas. Prépare tesaffaires,Sylvia.Tuviensavecmoi.

Je pince les lèvres, parce que je comprends maintenant. Je comprends ce qu’il aéprouvé.Cequ’ilessaiedefaire.

Unjour,j’avaisditàJacksonquedanssonmétier,toutétaitquestiondepouvoiretdecontrôle,etilavaitapprouvé.Maisilétaitalléplusloin:«Cen’estpasseulementcommeçadansmonmétier.C’estcommeçaaussidansmavie.»

Cesparoles,prononcées ilya tantd’années, reviennentmehanteràprésent.Elleestlà, l’origine de sa colère : dans son impuissance à contrôler le scandale, à dompter latempêtemédiatique.Ilvoudraitpouvoirrétablirlasituationenappuyantsimplementsurunbouton,maisc’estimpossible.

Alors, oui. Je comprends sa frustration.Sadouleur.Et je comprendspourquoi il veutretournersurlebateau.

Jelecomprends.Maisçaneveutpasdirequejel’approuve.–Onresteicicesoir.–Certainementpas.– Nom de Dieu, Jackson ! (Je m’échauffe, comme pour rester à son niveau.) Je suis

désolée que lemonde ne tourne pas à ta convenance actuellement,mais tu ne peux pastuerunmecetfaireensuitecommesiderienn’était.

Ils’étaitavancéd’unpasversmoi,maisàprésentilrecule,latêtelégèrementpenchéesur le côté tandis qu’ilm’examine comme si c’était la première fois qu’ilme voyait. Je nebougepas,lecœurbattant,conscientedel’avoirébranlé,maissanssavoirprécisémentsij’aipufairevaloirmonpointdevue,ousi jel’ai justeénervédavantage.Finalement,quandilreprendlaparole,c’estd’unevoixneutre,lente:

– Je pense que si je tuais un mec, c’est exactement comme ça que je devrais agir.Commeuninnocent.

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–Jeteparled’êtremalin.Deresteràl’écartdecesputainsdejournalistes.Nevapastebaladersousleurnez.Neleurdonnepasdegrainàmoudre.

Sonexpressionseradoucit.–Tupensesvraimentquejel’aitué.–Je…–Etpourtanttuestoujourslà.–Évidemment,oùveux-tuquejesois?dis-jedoucement.Quoiquetuaiesfait, tu l’as

faitpourmoi.PourRonnie.Onenadéjàparlé,Jackson.Jesaisquetuchercherastoujoursàmeprotéger.Toutcequej’essaiedefaire,là,c’estdeteprotéger,toi.

Il se rapproche de moi, suffisamment pour que je puisse humer son parfum. Unmélangedemuscetdeboisavecunepetitetouchedewhisky.

–Mabelle,dit-ild’unevoixpleinedechaleur,cen’estpasdeçaquej’aibesoinpourlemoment.

J’étouffeunpetit cri alorsqu’ilmepoussecontre lemur,puis soulèvemesbraset lesmaintient au-dessus dema tête, samain droite retenantmes poignets. J’ouvre la bouchepourparler,maisilmefaittaired’unbaisertorridetandisquesamaingaucheseglissedansmon pantalon de yoga. Ses doigts trouvent ma chatte, l’amadouent un instant puiss’enfoncentenmoi.Jegémis,moncorpsréagissantimmédiatement,commeillefaittoujoursaucontactdeJackson.

Il n’y a aucun doute quant au désir animal qui a surgi entre nous, cependant j’enignorelasource.S’agit-ildecontrôle?Meprend-ilcequelemonderefusedeluidonner?

Oubienest-cedelacolèreenverslespaparazzis?Enversmoi?Ousimplementlaréactionchimiquehabituellelorsquenoscorpssontmisenprésence

l’undel’autre?Sincèrement,jenesaispas,etjecroisquec’estlapremièrefoisqueJacksonm’estaussi

opaque.Jevoudraisluiposerlaquestion,maisjemetais.Unepartiedemoicraintlaréponse,

mais une autre est tout simplement en train de fondre sous les caresses appuyées de sesdoigtsetlapressiondesabouchecontrelamienne,salanguemebaisantdéjà.

Et c’est seulementquandmon téléphonesemetà sonnerbruyamment–unesériedecarillons indiquant que c’est mon frère qui m’appelle – que je retrouve la raison et queJacksons’écarte,lesoufflecourt.

–Tudevraisrépondre,dit-il.–Oui.Oui.Tuasraison.Désorientée, jechercheun instantmon téléphone,que je finispar trouver sur leplan

detravaildelacuisine.–Salut,quoideneuf?

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– Y a moyen qu’on se retrouve ce soir plutôt que demain pour l’apéro ? J’ai déjàdemandéàCass,çaluivasic’estbonpourtoi.

–Oh.Jenesaispassiçavaêtrepossible,dis-jeenregardantJacksonducoindel’œil.Pourquoituvoulaisdécaler?

–Ilfallaitquejemetiredelamaison.Étantdonnéqu’ilséjournecheznosparents,jelecomprendstoutàfait.–Alorsj’aiprislacaisse,poursuit-il,etj’aiatterriici.Etçameferaitvraimentplaisirde

tevoir.–Ettuaslaflemmederefairelaroutedemain?jeletaquine.–Oui,aussi.Jesoupire.–Écoute,jenesaispassijepeux.Cen’estpasvraiment…–Vas-y,m’interromptJackson,d’unevoixclaireetferme.–Hein?dis-jeenclignantdesyeux.–C’estbienEthan?Etilpréfèreraittevoircesoirplutôtquedemain.J’approuved’unsignedetête.–Tudevraisyaller.J’aienviedeprotester–deluidirequejeneveuxpasyaller,parcequemaintenantj’ai

l’impression qu’il veut se débarrasser de moi. Mais en même temps, je n’ai pas envie dediscuternidecompliquercequinel’estpas.Etj’aivraimentenviedevoirmonfrère.

SansquitterJacksonduregard,jerépondsàEthan:–D’accord.Où?Àquelleheure?Dèsquenousavonsfixélerendez-vous,jeraccrocheetmetourneversJackson.–Tuveuxnousrejoindreplustard?– Je croyaisque c’étaitune soirée sans lespièces rapportées,dit-il avecun sourireen

coin.CasssansSiobhan.Toisansmoi.–C’estpeut-êtreuneconfigurationdontjeneraffolepas.Sesyeuxseplissentquandilsourit.–C’estpeut-êtrebonàsavoir.–Jackson,dis-jetoutàtrac.Est-cequetoutvabienentrenous?Ils’avancepourposer lesmainssurmesépaules,etm’embrassetendrement.Jeferme

les yeux, grisée par cette connexion, par la douce chaleur qui m’inonde inévitablementchaque fois qu’il est près de moi. J’ai fini par devenir accro à cette sensation. À cetteétincelle.Maisaujourd’hui,alorsquetoutdevientunpeumoinsévident,jeredoutecequisepasserasicetteflammevientàs’éteindre.

– Bien sûr que tout va bien entre nous, dit Jackson, et j’attends que le soulagementm’envahisse.

Maisriennevient.Parcequejenesuispascertainedelecroire.

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12

J’hésiteunpeusurletrottoirunefoisdevantleGeminiRising,undecesnombreuxbarsà la mode qui durent ce que durent les roses à Santa Monica. Celui-là est géré par desjumeaux,dontl’unestsortiavecCassilyapresquedixans.Ellem’ajuréqu’ilyavaitunesuper ambiance – c’est-à-dire qu’on peut discuter sans avoir à hurler pour se faireentendre–etquelescocktailscommelesplatsétaientàseroulerparterre.

C’estévidemmentpourçaqu’elleachoisicebar.Maismoi,mêmesij’avaishâtedeboireunverreavecmonfrèreetmameilleureamie,

toutàcoup,jenesuisplustellementsûred’êtred’humeuràbavarder.Jesuistropoccupéeà faire comme sima vie entière n’était pas sur le point de basculer dans le chaos le plustotaletleplusdésastreuxquisoit.

Enbref,jesuisdansunsaleétat.Etmêmesisortirestunebonnefaçondesechangerlesidées,jen’aivraimentpasenviededéversertousmesproblèmessurEthanetCass.Etjepressensqu’aprèsunoudeuxverresdevin,c’estexactementcequivaseproduire.

J’attrapelapoignéedelaporteensoupirantettirepourl’ouvrir,aprèsavoirdécidédenepastropm’écouter.Aprèstout,sijedoisfinirparpleurnichersurl’épauledequelqu’un,ilestlogiquequeçatombesureux,non?

L’éclairageest tamisé,et ilmefautunmomentpourdistinguerCassetEthan.Jefinispar les apercevoir, assis à une table tout au fond, et en traversant la salle pour lesrejoindre, je dois admettre que Cass n’a pas tort – c’est un chouette endroit, avec de labonnemusique.

Le bar se trouve au centre de la pièce, et en passant à côté, je perçois les vibrationsfamilières de la drague, des flirts et des couples naissants. C’est une expérience douce-amère, parce qu’une semaine plus tôt, j’aurais eu un sourire plein de suffisance entraversant cette zone, confortée par ma relation avec le seul homme que j’aie jamaisvraimentdésiré–etcertainequecedésirétaitréciproque.

Maiscesoir,jesuisaccabléeparlapeurdeleperdre.

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Jerepoussecetteidée,etplaquesurmonvisageunsourirejoyeuxpoursaluerCassetEthan.

Cassporteunjeanetuntee-shirtblancmoulant,avecsurledevantundessinquejenevois pas bien de là où je me trouve. Même habillée aussi simplement que ça, elle estsublime.Letee-shirtcouvresesépaules,maisonnepeutpasignorerlescouleursvivesdesplumestatouéessursonbras.Sescheveuxsontnoircorbeauavecquelquesmèchesbleues,etelleneportepasdebijoux–exceptélepiercingendiamantqu’elleaaunez,etquibrilleparintermittence.

Ethan aussi est beau commeun astre. Et s’il n’était pasmon frère, j’irais jusqu’à direqu’il est canon.Luiporteunechemiseenvoiledecotonqu’iln’apas jugéutilede rentrerdans son jean. Il a un air je-m’en-foutiste qui colle bien avec ses cheveux ébouriffés. Onpourraitpresqueleprendrepourundecesclochardsdesplages,maissonallurecontreditcettehypothèse.Ouais,grandesœuroupas,yapasàdire:ilestcanon.Etàencroirelesregards appuyés que lui lancent les femmes autour de nous, je ne suis pas la seule à lepenser.

Cass et lui sont assis l’un en face de l’autre, et sont en pleine conversation quandj’arrive.

–Salut!Désoléed’êtreunpeuenretard.Cassmeregarde,puisfroncelessourcils.– Ça va ? À part tout ce qui ne va pas, bien sûr. J’en ai vu passer de belles sur les

réseauxsociaux.Elledoit sedirequ’elledémarrepeut-êtreunpeu trop fort finalement, caravantque

j’aieputrouvercommentrépondre,ellesetourneversmonfrère.–Lalunedemieldoittoucheràsafin.Jecroispasqu’elleaittirésoncoupcematin.Ethan s’étrangle avec sa boisson, et j’éclate de rire. Un rire authentique, qui me

rappellepourquoij’aimetantCass.–Tu as raison, je n’ai pas tirémon coup cematin, dis-je enm’asseyant à côtéd’elle.

Mais il faut dire qu’hier soir, c’était vraiment exceptionnel, je continue avec un sourirediabolique.

–Nonnonnonnonnon!s’exclamemonfrèreàbrûle-pourpoint,l’airsidéterminéqueCassetmoiéchangeonsunsourireamusé.Necommencepas,sinonjevaisêtreobligédetefairelalistedesnanasquej’airencontréesdanslecomtéd’Orange.Sansdéconner,LagunaBeachestunterraindejeuincroyable.

Jen’hésitepaslongtemps.–Désolée, dis-je à Ethan, avant deme tourner vers Cass. C’est juste que Jackson est

tellement…Ethangémitdouloureusement.–D’accord,d’accord,pardon.Alors,Cass,commentvontlesamours?

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–Oh,allez, intervientEthan.Pourquoionnesauteraitpas lapartie romantiquepourenvenirtoutdesuiteàtaviesexuelle?

Nousnoustournonsverslui,etillèvelesmainscommepoursedéfendre.–Benquoi?Deuxmeufsetzérofrangine,çameconvientparfaitement.–Excusemonfrère,dis-jeàCassavecunsourirenarquois.C’estuntrouducul.–Maisplutôtmignonpouruntrouducul,non?–Toutàfaitcharmant,conviens-je,etmêmesinousnousamusonsàleprovoquer,ilse

trouvequec’estlavérité.J’adoremonfrère,depuistoujours.Ilestlaseulebonnechose,defait,quisoitadvenue

ducalvairequefutmonenfance,carcetépisodeluiapermisderetrouverlasanté.AprèsdesannéespasséesàLondres,ilvientjustederevenirpours’installerauxÉtats-

Unis.Etentreletravailetleméloqu’estdevenuemavie,j’aiàpeineeuletempsdelevoir.Ilaquelquessemainesdecongéavantdesereprendreleboulot,alorsenattendant,ils’estinstallécheznosparents.Cettesituationnem’incitepasàmultiplierlesvisites,puisquej’aiàpeuprèsautantenviedevoirmesparentsquedemependre.Desortequej’étaisraviequ’ilm’appelle pourme proposer de boire des coups tous les trois avec Cass. « Pas de piècesrapportées,avait-ilprécisé.Jacksonestsuper,maisjeveuxavoirtouslesragots.»

Manifestementilneplaisantaitpas,carilentreaussitôtdanslevifdusujet:– Bon, j’ai lu tous les torchons qui parlaient de Jackson.Qu’est-ce qui s’est passé, en

vrai?demande-t-il,sonregardplantédanslemien.La serveuse débarque avec l’avocat frit, le tartare de thon et les martinis qu’ils ont

commandésavantmonarrivée.J’attendsqu’elles’éloignepourbalancerlasauce.Enfin,unepartiedelasauce.

–Sérieux,commentemonfrèreenprenantunetranched’avocatqu’ilpointeversmoi.C’estpaslui.

–Qui a tuéReed, tu veux dire ? demandeCass, comme si on pouvait parler d’autrechose.

–J’aipassédutempsaveclui.Jacksonn’estpasunassassin.–Mercipourcetémoignageprécieux,dis-je.–Jet’enprie,c’estnormal,souritEthan.Jesuisd’accord,enfait.Jacksonn’estpasunassassin.Maisc’estunhommecapablede

tuersinécessaire.Ets’ilestdéclarécoupable,commentvais-jepouvoirvivreensachantqu’ilacommisunmeurtreàcausedemoi?

Ethansemblevaguementtriste.Jelequestionne:–Alors?Qu’est-cequis’estpasséavecpapaetmaman,pourquetuviennesteréfugier

àLosAngeles?– Rien, répond-il en balayant ma question d’un geste de la main. Vraiment. J’avais

seulementbesoinderespirerunpeu.Etcen’estmêmepasàçaquejepensais.Jemedisais

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justequeçacraint,quetudoivestetapertoutesceshistoiresdemeurtre,etpar-dessusçalesconneriesquelestabloïdsdiffusentpartout…C’estpourri,c’esttout.

Jenepeuxqu’approuver.–JecroisqueleplusdurpourJackson,c’estden’avoirpaspuramenersafillechezlui,

dis-je.–Carrément,renchéritCass.Setapertoutletrajetjusqu’àSantaFepourseprendrela

suspiciondemeurtreenpleinetronche,bonjourl’angoisse.Ethanneréagitpasdutoutdelamêmemanière.Ilmeregardecommesij’avaisperdu

latête:–Jacksonaunefille?Je hoche la tête,m’apercevant que si j’aimis Cass au courant dès que je l’ai sumoi-

même,monfrèreenrevanchen’apaseuventdecepetitsecretdefamille.– Lesmédias ne le savent pas. Il ne veut pas en parler pour la protéger de tout ce

cirque.Alors,situpouvais…–Bien sûr que je vais la fermer, Syl, dit-il sur le ton de l’évidence,mais attends une

seconde!Tusorsavecunmecquiaunenfant?–C’estunmec,pointbarre,intervientCass.Onnepeutpassimplementledéfinirparle

faitqu’ilestpère.–Non,ditEthanenluijetantunbrefregard.Non,biensûr.Maissic’estsérieuxentre

Jacksonettoi,etsitupensesquec’estlebonetquepeut-êtreunjourvousvousmarierez…Ilne terminepassaphrase.C’est inutile.Dumoinsencequimeconcerne.Parceque

lui et moi avons largement assez parlé comme ça du fait d’avoir des enfants. Et noussommesarrivésàlaconclusionqu’avecdesparentscommelesnôtres,ilvalaitmieuxqu’onsetiennetrès,trèsàl’écartdecettevocationparticulière.

Ethanignorel’enferquej’aisubiàcausedenotrepère,maisilabienvucombienj’étaisdevenue distante vis-à-vis de nos parents. Et même s’ils le traitaient comme un princedurant sa maladie, en vérité, cette relation-là est tendue, parce qu’ils ne l’ont jamais vucommeunenfant.Plutôtcommeunemarchandiseextrêmement fragile.EtmêmesiEthanveutpasserdutempsaveceuxetlesaimedetoutsoncœur,ilmeserinedepuislongtempsqu’iln’estpassûrdepouvoirêtrepèreunjour,cariln’ajamaisconnudevéritableintimitéaveclenôtre.

Jenesaispass’ilaraisondesefairedusouciquantàsescapacitésparentales,maisjevoisbienqu’ilpapillonned’unerelationamoureuseàl’autre.Jefaisaislamêmechose,moiaussi.Jusqu’àcequejerencontreJackson.

MaisCassnel’entendpasdecetteoreilleetregardeEthand’unairoutré.– C’est quoi ton problème ? s’indigne-t-elle, avant de se tourner vers moi pour me

prendrelamain.Tum’asditquec’étaitunange,cettegamine,non?–Absolument,dis-jeavecaplomb,enfixantmonfrère,commepourledéfier.

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Maisfaceàsonexpression,jeperdsmonairbravache.Carjevoistoutàcoupmonenfance.Toutemadouleur–dontilignorelaplusgrande

part.Jevoislafaçonqu’avaitmamèredem’ignorer.Jevoislacolèrequejenourriscontremonpère,etladistancequ’ilmaintiententrenous.

Jevoislafragilitédesenfants,etcombienilestfaciledebousillerleurvie.Je vois tout ça, parce que tous les matins devant le miroir, une enfant fragile me

regarde,etlafemmequ’elleestdevenuenesaitabsolumentpascommentêtremère.Cettefillenesaitmêmepasexactementcommentelleasurvécuàsonenfance!

–Jeneveuxplusparlerdeça,dis-je.–Oh,merde.Syl…– Laisse tomber, Ethan. Ça va. C’est juste que ces derniers jours ont été vraiment

éprouvants. Et puis Ronnie n’est pas vraiment le problème numéro un, tu sais ? Ce quim’empêchededormirpour lemoment, cen’estpasdepenserque jevaispeut-êtredevoirregarderSesameStreettouslesmatins.C’estl’idéequeJacksonpuissefinirenprison.

JemetourneostensiblementversCass:–Alors.ToutbaigneavecSiobhan?Dieumerci,Casscomprendmonbesoindechangerdesujet.– Tout est parfait. Je nage dans le bonheur, dit-elle avant de poser lamain sur son

cœur en poussant un soupir théâtral. Je ne suis plus qu’une grosse pomme d’amourdégoulinante de mièvrerie. Je m’écœure moi-même. J’ai presque envie de me coller desbaffes tellement je suis niaise. Mais non, je continue de me vautrer dans mon nuage debarbapapa.

Jeme penche pour la bousculer d’un coup d’épaule, avant deme tourner versmonfrèreenhaussantlessourcils:

– Évidemment, elle laisserait tomber Siobhan enmoins de deux si Kirstie Ellen Toddétaitlibreetconsentante.

Cass porte lamain à son front comme une femme de l’ère victorienne qui aurait sesvapeurs.

– Hélas, elle n’est plus sur le marché ! Elle sort avec Graham Elliott. Et elle estenceinte,ajoute-t-elleenaparté.

Ethansemblehésiter,maisfinalementsonsourires’élargitfaceauxpitreriesdeCass.–Elleaunlégerbéguin,dis-je.–Eh!C’estnormal,non?Toddestsublime.–Exactement,ditCass.MoinsqueSiobhan,biensûr,ajoute-t-elleens’éventantavecsa

serviette.Ethanpiochel’olivedanssonmartinietlajettesurCassenriant.J’interrogemonfrère

sursavieamoureuse.

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– Je butine de-ci de-là dans la joie et l’allégresse. Tu nem’as pas entendu parler deLagunaBeach?Bombassesàvolontéseptjourssursept.

–EspècedeCro-Magnon.–Etfierdel’être.Nousabandonnonslesinsultespourabordersarecherched’appartement.–Jen’aibesoinqued’untrois-piècesavecunesalledegymdansl’immeuble.Jenesuis

pasdifficile,tusais?Jeveuxsurtoutpartirrapidementdechezpapaetmaman.–Jenevaispastelereprocher,dis-jesèchement.Sous la table, Cass me prend la main. Elle connaissait une partie de mon histoire

douloureusedepuislongtemps,maiscen’estquetoutrécemmentquejeluiairévélélerôledemon père pendantmon adolescence. Ethan ne sait rien de tout ça, et je compte bienemportermonsecretdanslatombe.

– Papa m’a dit qu’il t’avait appelée, dit Ethan. Je pense vraiment que… non, laissetomber.

–Qu’est-cequetupensesvraiment?–Que…tusais.Tudevraisaumoinsécoutercequ’ilaàtedire.Ildétournesonregardpourmeparler,etletartaredethonnepasseplustropbien.Ça

nem’intéressepasd’écoutercequemonpèreveutmedire.EtEthanlesait.Cassgrimace,etjem’aperçoisquejeluibroielamaindepuistoutàl’heure.Jeluilance

unregardd’excuseenlarelâchant,puisjerépondsàEthan.–Onn’arienàsedire.–Ilt’aprislatêtel’autresoir,pendantledîner,constate-t-il.Cefameuxdînerauquelnosparentsnousavaientconviés,Jacksonetmoi,pourfêterle

retourd’Ethan.C’estcesoir-làqueJackson–mauditsoit-il–aditàmonpèrecequeReedm’avaitfait.

–Jepeuxleconcevoir,poursuitEthan.Maistunecroispasque…–Non.J’étaisvraimentfurieusecontreJackson,etnousavonsréussiànousréconcilier.Maisça

neveutpasdirepourautantquej’aienviederetrouvaillesémouvantesavecmonpère.C’estmêmeladernièrechosequejesouhaite.

–Silly…commence-t-il,maisilnevapasplusloin.Jesorsmontéléphonepourvérifierl’heure.Jemens:–Bon,jedoisyaller.J’aiditàJacksonquejeleretrouveraisaprèsl’apéro.–Merde,maintenanttuesfâchée.–Maisnon.Promis.Maisnerevienspluslà-dessus,d’accord?Ilhésite,avantd’obtempérer:–Rangeça,dit-ilalorsquejesorsunbilletdemonporte-monnaie.C’estmatournée.–Merci.Onsevoitbientôt,d’accord?

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JemepenchepourétreindreCass.Ellemeserrefortetchuchote:–Çava?J’acquiesced’unsignedetêteetlaserreàmontourunpeuplusfort.Ethanselèvepourmedireaurevoir.Jel’embrasseetinsiste:–Jet’aime.Maisjenepeuxpas…–Ouais, dit-il avant d’enfoncer sesmains dans ses poches en regardant par terre. Je

sais.Jenesaispastroppourquoiilestcommeça.Jeveuxdire,jecomprendssonsouhaitde

fairepartied’unefamilleunieetheureuse.Moiaussi,c’estcequejevoudrais.Ouplutôtc’estcequejevoulais,ilyalongtemps.Maisj’aifiniparaccepterquemesparentsnefontpas,etne feraient plus jamais partie demon entourage. Et je voudrais qu’Ethan se fasse à cetteidée,luiaussi.Parceques’ils’acharneàvouloirtousnousréuniràchaquefoisqu’onsevoit,leschosesvontmalfinir.

Jeveuxquemonfrèrefassepartiedemavie,maisjen’aivraiment,vraimentpasenviedemecognerlesupplémentdebagages.

Je suisdéjàdansmaNissan,moteur enmarche, quand je voisEthan courirdansmadirection.J’étaisgaréeàcôtédelaCamrygrismétallisédemesparents,maisjenecroispasqu’Ethanfonceverssavoiture.Non,ilsedirigetoutdroitsurmoi.

Jebaissemavitre.–Jeneveuxplusenparler.–Jesais.J’aicompris.Jesuisdésolé.Écoute,jepeuxmonterjusteuneminute?–Je…D’accord.J’aimetropmonfrèrepourluirefuserquoiquecesoit–ouresterfâchéecontrelui.Ilouvrelaportièreets’assiedàcôtédemoi,maisneditrien.Lesmainsposéessurses

genoux, il s’arrache les petites peaux autour des ongles. C’est une habitude qu’il avaitdélaisséeenentrantàlafac,etlevoirrecommencernefaitquemeconfirmercequej’avaisdéjàdeviné:quoiqu’ilaitàm’annoncer,cen’estpasunebonnenouvelle.J’avaiscommencépar penser qu’il s’agissait demoi ou demon père,mais jeme demandemaintenant s’il aautrechoseentête.Jel’interroge:

–Tuasdesennuis?–Non, non, je vais bien. Enfin, corrige-t-il avec une curieusemimique, je ne vais pas

bien.Mais c’est pas la question. Oh, et puis merde. Écoute, je voulais te dire que je suisdésoléàproposdetoutça.ÀproposdelafilledeJackson, jeveuxdire.C’est justequetum’as surpris.Et j’étaisunpeuà cranà causedecettehistoireavecpapahier, et…merde.Rha,jen’avaispasprévudedirequoiquecesoitlà-dessus.Putain.

–Ilestmalade?Tumefaispeur,là,Ethan.Je n’ai peut-être pas une super relation avec mon père – d’accord, je n’ai pas de

relationdu tout avecmonpère –,mais je ne lui veuxpasdemal.Ne serait-ce queparce

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qu’Ethanseraitterriblementmalheureuxsinotrepèretombaitmalade.Monfrèreprenduneprofondeinspiration,puisillâche:–Ilm’araconté.Pendantuneseconde,jen’aisincèrementaucuneidéedeceàquoiilfaitallusion.Puis

l’horreurfondsurmoi.Monestomacsenoue,etjeportelentementlamainàmabouche.Jeveuxhurler,protester,maisjeneparviensplusàarticulerlemoindremot.

–Oh,Seigneur,Syl.Jesuisdésolé.Jesuistellement,tellementdésolé.Il se penche en avant, pose les coudes sur ses genoux et se prend la tête dans les

mains.Ilrespirefort.Peut-êtremêmepleure-t-il.–Pourquoi?jemurmure.Mamainaétouffémaquestion,et jesuissurprised’avoirsimplementréussiàémettre

unson.Jenesuisplusvraimentmoi-même.Jesuis figée.Pétrifiée.Piégéedansunmondehostileetprofondément injuste.Unmondeoù les secrets sontdévoilés,où lescauchemarstournentenboucleetnes’arrêtentjamais,mêmesivouspensiezavoirtournélapage.

Cettequestionm’obsède–pourquoi,pourquoi,pourquoi,pourquoi,pourquoi–etplusriend’autre n’existe. Seulement les ténèbres, la trahison et la torture lancinante de mescauchemars.

Soudain,jesenslesmainsd’Ethansurmesépaules,etjel’entendsm’appeler:–Syl?Bonsang,Syl.Ohlàlà,merde!Jeréalisealorsquej’étaisailleurs.Etmêmesijen’enaipasenvie,jedoisrevenir.Parce

quec’estEthan,parceque je l’aime.Jenevoulaispasqu’ilapprennecombien j’aisouffert,maismaintenant,ilsait.

Respire,enfin.Allez,respire.–Syl.Lesmainstoujourssurmesépaules,ilsepenchedavantagepourm’enlacer.Iltentede

mecalmer:–Là,çava,là…Jesuisdésoléquetuaiesvécuuntrucpareil,etjesuisdésoléquece

soitàcausedemoi,et…–Non!jem’exclameviolemment,d’unevoixquemagorgeserréearenduerauque.Ne

t’avise pas de te sentir coupable. Bon sang, Ethan, je ne voulais pas que tu le saches.Pourquoiiltel’adit?Pourquoit’imposercefardeau?

–Il…iladitqu’ilnecomprenaitpasvraimentcequisepassait…–Moncul.–Iladitqu’ontefaisaitduchantagemaintenant.QueJacksonl’amisaucourant.C’est

vrai?Jehochelatête.–Iladitqu’ilfallaitquejelesache…–Non!Jen’aijamaisvouluquetulesaches!

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–Iladitqu’il fallaitqueje lesacheaucasoùceseraitrévélé,continue-t-ild’unevoixapaisante. Il a dit que c’était possible, parce que c’était Reed qui avait pris les photos, etqu’avec lemeurtre lapoliceou lapresse risquait de tomberdessus.Et que si çadevait sesavoir,alorstuauraisbesoindemoi.

– C’est des conneries. Il se fout de ce dont j’ai besoin. Il s’en est toujours foutu. Ilchercheàseprotéger,lui.Etàprotégersarelationavectoi.Ilapréférétedirelavéritésurcetargentplutôtquedeprendrelerisquequetul’apprennesparlesjournaux.

–Syl,non.Ilestvraimentdésolé.Ilveut…–Non!jecrie,puisjeplaquelesmainssurmesoreilles.Jem’enfous,decequ’ilveut!Àcôtédemoi,Ethans’affaisse.– Je suis désolé, répète-t-il, avantdeme reprendremaladroitementdans ses bras. Je

suistellement,tellementdésolé,chuchote-t-ilenmeberçantdoucement.Je le laisse faire pendant quelques minutes, parce que je l’aime et que je sais qu’il

souffre,luiaussi.Maisj’aibesoind’êtreseule.Jemedégagedesonétreinteetleregardeàtraversmeslarmes.–Ethan,je…–Jeneveuxpastelaisserseule,réplique-t-il,etjesuisreconnaissantedenepasavoirà

luiformulermondésirdelevoirpartir.–Çavaaller.J’aiseulementbesoin…j’aiseulementbesoind’unpeudesolitude.S’ilte

plaît,Ethan.Çavaaller.Jen’ensuispascomplètementpersuadée.Jesuisàuncheveudel’effondrement,mais

qu’ilmevoiecraquerestbienladernièrechosequejesouhaite.–S’ilteplaît,j’insiste.Ilm’observe,commes’ilcherchaitàévaluermasincérité.Puisilcède.–D’accord,çamarche.Jet’appelledemain?propose-t-ild’unevoixdouce,unpeutrop

prudente.–Oui.Merci.Etpuis,commejesaisqu’ilestmalheureux,luiaussi,j’attrapesamainaumomentoùil

ouvrelaportière.–Cen’étaitpastafaute,Ethan.Tulesais,hein?Cen’étaitpastafaute.Ilmedévisage,lesyeuxemplisdetristesse.– Je sais.Mais ça n’est pasmoins douloureux pour autant. (Il se penche versmoi et

m’embrassesurlajoue.)Çavaaller,toietmoi.–Promis?Je ne peux pas supporter l’idée de perdre mon frère, et le fait que mon père ait si

allègrementrisquéderuinerlarelationquenousavonsconstruiteaufildesannéesmefaitbouillirderage.

–Jurécraché.

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Ilsortensilenceetrefermelaporte.Jeleregardemonterdanssavoituregaréeàcôtéde la mienne, puis je penche la tête en arrière et me force à respirer. J’ai le réflexe devouloirappelerJackson,maisjem’interdisdesortirmontéléphone.Jenesaistoujourspasquoipenserde lamanièredontnousnoussommesquittéstoutà l’heure.Jeveuxlevoir–j’encrèved’envie,même–maisj’aid’abordbesoindemeressaisir.

Jecroiselesbrassurmapoitrineetj’inspireprofondément,avantdesursauteraubruitd’un moteur qui démarre. Perdue dans mes pensées, je n’avais même pas remarquéqu’Ethann’avaitpasbougédesaToyotadepuistoutàl’heure.

Iltournedansmadirectionetm’adresseunderniersourire,tristeetgentil.Jeluirendssonsourireetclignedesyeuxpourrefoulermes larmesquand ilm’envoieunbaiseravantdepartirpourdebon.Dèsqu’iladisparu,jem’adosseàmonsiègeetmeconcentresurmarespiration.J’essaiederetrouvermoncalme.D’étoufferl’angoissequimonte.

Tout en luttant avecmoi-même, je songe combien j’ai changé.Avant, j’aurais roulé àtouteberzingueversuneboîtecommel’Avalon,avecdesboissonsbonmarché,deslumièrestamiséesetdelatechnohardcore.J’auraisprisunmecauhasard.Jel’auraisbaisé.Enétantaux commandes, moi. Pour me prouver que je pouvais m’en sortir. Pour dire au monded’allersefairefoutre.

Puis je serais allée voirCass pour qu’elleme tatoue sur la cuisse le nomdumec quej’avais consommé puis jeté, un mec de plus dont je n’avais rien à foutre, qui m’avaitseulementserviàmeprouverquejepouvaismedominer.Quejeneperdaispaslecontrôle.Quejepouvaistenirlescauchemarsenrespect.

Désormais,jeneveuxplusgarderlecontrôle.Désormais,jeveuxlâcherprise.Désormais,jeveuxJackson.Jeveuxdéposerlesarmes,mesoumettreàlui.Lelaissermeprendreenmain,lelaisser

mevenirenaide.C’estcequejeveux.Maisc’estsurtoutcedontj’aibesoin.Siéperdumentqueçam’effraiepresque;commentm’ensortirsansJackson?Comment

surmontertoutçasionmel’enlève?Je ferme les yeux en serrant fort les paupières, car je ne peux pas penser à ça. Pas

maintenant.Jesuistropécorchéevivepourlemoment.Jevoulaisattendredem’êtrecalmée,mais tantpis : jeprendsmontéléphone.Çame

tuederetardercemoment;làtoutdesuite,j’aibesoindel’hommequej’aime.Jesuissurlepointdel’appelerquandletéléphonevibredansmamain–Jackson.–Jesuisenroute,dit-ilenguised’introduction.Etjeréalisecombienj’étaistenduequandmoncorpsserelâchedesoulagement.Ethan,medis-jeenm’agrippantautéléphonecommeàunebouéedesauvetage.Merci,

Ethan.–Neraccrochepas,jel’implore.Resteavecmoi.

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–Jesuisjustelà,mabelle.Jesuistoujourslà.

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13

–Quelenfoiré,ditJacksonenmesortantdemavoiturepourmeserrerdanssesbras.Il est incroyablement tendu, commes’il était contenuparunchampde force invisible

qui craquait de partout sous la pression du volcan qui bout en lui, et la puissance qu’ildégage me réchauffe. Mais elle ne m’apaise en rien, et mes cauchemars surgissent desombresautourdenouspourm’engloutir.

Monpère.Reed.Etlaterreuràl’idéequeleschosesaientchangéentreJacksonetmoi.Jem’écartepourleregarder.–Jackson,dis-jelagorgeserrée,d’untonimplorantetrévoltéàlafois.Est-cequeçava

entrenous?–Oh,machérie…(Ilsembletraverséparunregret,etposesapaumesurmajoue.)Je

nesaispassijesuislemeclepluségoïstedelaplanèteoulepluschanceux.Maisoui,biensûrqueçavaentrenous.Çanepeutpasnepasaller.

Jeclignedespaupières,etdechaudeslarmesruissellentsurmesjoues.–Jepensais…jen’étaispassûre.J’avaisl’impressionqu’ilyavaitunfosséentrenous.–Non,proteste-t-ilenmereprenantdanssesbras.Iln’yapasdefossé.Paslamoindre

crevasse.Jesuisjustelà.Oui, il est là – Dieu merci. Mais je n’ai pas besoin de ses bras. Pas ce soir. Pas

maintenant.Jesaiscedont j’aibesoin–c’estJacksonquime l’aappris.Avant, jecroyaisquepour

vaincremescauchemars jedevaisprendre lecontrôle.Jecroyaisque jedevaisbaiserpourmemettrehorsdedanger,prendrecequejevoulaischezlesmecsettenirmesémotionsàdistance.Froide.Commeunrequinsillonnantdeseauxpeupléesd’hommes.

Maiscedontj’aibesoin,envérité,c’estdecapituler.Etj’enaidésespérémentbesoin,là.Parce que les ténèbres ont de longs doigts glacés, et qu’elles commencent à les enroulerautourdemagorge.

– Viens, dit Jackson en me prenant le bras pour m’entraîner vers sa Porsche. Je teramèneàlamaison.

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–Non.Jedéglutis. Jenepeuxriendiredeplus. Jenepeuxpas formulercedont j’aibesoin.

Notammentparcequej’aibesoinqu’illecomprennesansquej’aieàleluiexpliquer.Pendantuninstantilmedévisage,l’airdur,méfiant.Puisilm’attireàluietmemurmureàl’oreille:–Tun’aspasledroitdedirenon,chérie.Toutcequetupeuxdire,c’est«oui,maître».Immédiatement, jemedétends. Il comprend.Dieumerci, il comprend.Et je croisqu’il a

besoindeça,luiaussi.–Oui,maître,dis-jeensentantmoncorpsfourmillerdedésirtandisques’accentueune

pressionintenseaucentredemonêtre.C’estlebesoind’êtreprise.Pénétrée.Sonvisageest toutprèsdumien. Il fait sombredans ce coinduparking, et ses traits

sontdurcisparlesombres.Maissesyeuxflamboient.–Tuveuxquejetebaise?J’engémispresque.–Oui.–Tuveuxquecesoitbrutal?–Oui.Ilmecaresse la joueetpoursuit songeste jusquedansmes cheveuxpourenprendre

unepleinepoignée.–Oui,qui?–Oui,maître.Je respire avec difficulté, dans un mélange d’excitation et d’appréhension. C’est

différentde ce qu’on a fait jusque-là.Luiest différent. Et bien que je lui fasse confiance – bien que j’aie la conviction que je lui ferai toujours confiance –, je ne sais pas à quoim’attendrecettefois-ci.

Etçamefaituneffetdingue.–Tuveuxquejet’écartelescuissesetquejetedéfonceavecmaqueue?–Oui,maître.–Alorsilvafalloirêtrebiensage.Tout en parlant, il me fait m’agenouiller, en me guidant à l’aide de sa main qui a

empoignémes cheveux. Jem’abaisse volontiers. Je ne pense à rien d’autre qu’à ce qui sepasseencemoment.Toutleresteadisparu.Ethan.Monpère.Mesdémons.

Iln’yaplusqueJacksonetmoi, leplaisiret lasoumission.Je le laissem’emmener là-bas.Jelelaisseprendrelesrênes.

–Allez,dit-il.Je pose lamain à plat sur l’érectionquimenacede faire craquer les couturesde son

pantalon.

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J’ai faimde lui,mais jeme force à descendre sa braguette avec lenteur. Je glissemamaindansl’ouverturepourlibérersaqueue,sidurequejel’imagineprochedel’implosion.

Sesdoigtssonttoujoursemmêlésdansmescheveux,etlorsquej’entreprendsdetitillersonglandavecmalangue,ilresserresaprise:

–Non.Ilm’empêchederelever la tête,desorteque jenepeux levoirqu’en levant lesyeux,

dansuneattitudedesupplicationencoreplusforte.–Ta joliepetitebouche, je laveux,dit-il, et au lieude se laisser sucer, il fait aller et

venirbrutalementsaqueuedansmabouche.Cen’estpasfacile–iln’yvapasdemainmorte,etilfautquejesuivelerythmetouten

réussissantànepasm’étouffer.Maisj’aimeça.Pourlapremièrefois,ilm’utilise,précisémentcomme je voulais qu’il le fassequand il avait enviede sebattre.Et je sais qu’il y ade ça.Parcequ’il enabesoinautantquemoi. Il abesoindeprendre le contrôle, complètement,absolument.

C’est son plaisir qui l’occupe, pas le mien, et l’idée que nous nous satisfaisonsmutuellementm’exciteetmecomble.Commeuneserrureetsaclé,nousnouscomplétonsetnousnesommespasentiersl’unsansl’autre.

Bien que l’on soit dans l’obscurité, cachés par les ombres et les voitures, l’idée qu’onpuisse nous voirme traverse.Moi à genoux sur l’asphalte, Jackson occupé àme baiser labouche.

Cetteidéemefaitgémir,etjemouilledeplusbelle,lapreuvedemonexcitationluisantsur mes cuisses. Comme Jackson me l’a ordonné, je ne porte pas de culotte, et je suisterriblementtentéedeglissermamainsousmajupe.Maisça,c’estinterdit.

–BonDieu,Syl,cettebouche…Savoix étrangléem’indiquequ’il est toutproche,mais à l’instantoù je songequ’il va

exploser, ilseretireetmeremetdebout. Ilsoulèvemonchemisieretdéfait l’attachesur ledevantdemonsoutien-gorgeavantdem’appuyercontrelecapotdemavoiture.

Lemétalestfroidsurmapeau,etmestétonsdardentdouloureusement.–Dis-moiqueça t’aplu,gronde-t-il,caressantmondosd’unemaintandisque l’autre

remonteentremescuisses.Dis-moiquetuasaimégoûteràmaqueue.–Oui,oh,oui…Samainrencontremonintimitépoisseuse,etilgrognedoucement.–Ohoui,mabelle,c’estcommeçaquejet’aime.Bienàpoint,rienquepourmoi.Ilremontemajupeautourdemataille,sibienquejemeretrouveàmoitiénue.–Écartelesjambes,majolie.Jevaistebaisercommeunechienne.Je m’exécute et, fidèle à sa parole, il me pénètre. Ses va-et-vient vigoureux me font

glissersurlavoiture,etlafrictionmebrûleunpeuleventreetlesseins.

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Jesenspoindresonorgasme,etmoncorpsen réponse le réclame, se serreautourdeluijusqu’àcequ’ilfinisseparjouirenmoi,songrondementdesatisfactionrésonnantdanslanuit.

Pourtant,ilneseretirepasencore.Samainretientmahancheetl’autrepassedevantpourtrouvermonclitoris.Jesuissimûrequ’ilmefaitchavirerpresqueaussitôt,etuneondedeplaisirpurmesecoueviolemmenttandisquemachattepalpiteautourdelui.Ilcontinuedemetitiller,nemelâchantquelorsquemesgenouxdéfaillent;seuleslavoitureetsamainm’empêchentdem’effondrer.

Aprèsm’avoir rhabillée, ilprendmamainetnousnousasseyons tousdeuxpar terre,dans l’ombrede la voiture.Alanguie, repue, jemepelotonne contre lui. Il passe sonbrasautourdemesépauleset jemepressedavantagecontre son flanc,désireusedene laisseraucunespaceentrenous.

–Merci,jemurmure.Maître.Ilritdoucement,puisreprendavecsérieux:–J’enavaisbesoinaussi,tusais.(Ilm’embrassesurlefront,etjepourraisenronronner

de plaisir.) J’étais tellement furieux contre ton père. Et contre moi, ajoute-t-il en meregardant.

Jedétourne le regard. Je lui enai tellementvouluquand il a racontéàmonpère ceque Reedm’avait fait. Quand il lui a révélé que Reedme faisait chanter. Et à l’évidence,monpèreavaittoujourssuqueReednesecontentaitpasd’innocentesphotospublicitairesavecmoi.

J’aisurmontémafureur,maisçanesignifiepasquejesouhaiterevivrecetépisode.Cequeçasignifieenrevanche,c’estquejecomprendsdequoiJacksonparlequandilditqu’ilenavaitbesoin,luiaussi.

Ilétaitencolèreetilavaitbesoindeprendrelesrênes.J’étaisencolèreetj’avaisbesoind’êtredomptée.Jesourisenypensant,maisrapidementjemerembrunis.J’avoue:–Çameficheunpeulatrouille.–Quoidonc?–Ça.Avectoi.Jerelèvelatêtepourleregarderdanslesyeux,etjelisl’inquiétudeetlaconfusionsur

sonvisage.–Lamanièredontjelâcheprise.Dontjeveuxêtreutilisée.Jecomprendscommentça

fonctionne–vraiment.Leplaisir liéà l’abandonducontrôle.C’estunerevanchesurReed,quim’avolécecontrôle,encoreetencore.Ethonnêtement,plusçavaloinetplusj’aimeça.Cetteintensité,çamedonneunéquilibre,uneancre.Çam’aideàmesentirvivante.Alors,d’accord.Maisjeveuxêtreplusfortequeça,Jackson.Etcebesoindemesoumettreàtoiestsifortqueparfoisj’aipeurdenepaslesupportersitun’espaslà.

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–Tupensesquetedonneràmoiterendfaible?demande-t-ilenmecaressantlajoue.N’importequoi.Lafaiblesse,ceseraitdetefermercommeunehuître.Ceseraitd’avoirtroppeurdedemandercequetuveux.Tucroisqu’êtreforte,c’estn’avoirbesoindepersonne?C’est faux.Êtrefort,c’estseconnaîtresoi-même.C’estconnaîtresesdésirs.Etnepasavoirpeurderéclamercequ’onveutvraiment.

–C’esttoiquejeveux,jechuchote.–Jesais.Maisçanesignifiepasquetun’espasautonome.Situenasbesoin,quandtu

enaurasbesoin,tut’ensortirastrèsbientouteseule.–Commenttupeuxlesavoir?–Parceque je teconnais, réplique-t-ilenm’embrassant tendrement.Et jedois tedire

quelquechose,machérie.Jeleregarde,unbrinanxieuse.–Jenel’aipastué.–Hein?J’ignore si c’est son affirmation qui me surprend, ou si c’est le fait qu’il remette la

questionsurletapisquimerendperplexe.– Jen’ai pas tuéReed.Tu es restée àmes côtés alors que tu croyais le contraire.Tu

méritesbienquejetediselavérité.Je suis infiniment soulagée, et pourtant il reste au fond de moi une étrange petite

pointededéception.Parcequej’aimaisl’idéequecesoitJacksonquiaitsupprimélasourcedemesmalheurs.

–Alorsnet’inquiètepas.Lavéritééclatera,etjen’iraipasenprison.Jeseraitoujoursàtescôtés.

J’acquiesced’un signede tête,parceque je saisqu’il dit çapourm’apaiser.Mais c’estunemaigreconsolation;innocentoupas,cen’estpasJacksonquidécideradesonsort.

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14

Jem’éveille seule, nue dansmon lit, et jem’assieds immédiatement, effrayée à l’idéequeJacksonaitchangéd’avisetsoitretournésursonbateau.

Ilm’aramenéechezmoihiersoirparcequejeluiavaisditquej’avaisbesoindedormirdansmonlitàmoi,etj’étaisdansuntelétatqu’iln’apasessayédediscuter.Maisausujetdespaparazzisetdubateau,nousn’avonspasvraimentclosnotrediscussion–àmoinsquecenesoitplutôtunedispute,jenesaispas.

Nous serons forcés d’en reparler, notamment parce que nous allons avoir besoin dubateauaujourd’huipournousrendresurl’île.Àmoinsqu’onpuisseprendreundesbateauxdeStarkInternational.Oumême,soyonsfous,unhélicoptère.MaislebureaudeJacksonsetrouvesursonbateau,ets’ilveutprofiteraumaximumdel’expédition,alorsilaurabesoind’avoirsonordinateur,seslogicielsettoussesgadgetsaveclui.Mais iln’esttoutdemêmepasdéjàpartilà-bas,sansmêmem’avoirattendue,si?

D’ungeste raide, je repousse ledrap et j’enlacemesgenoux contremapoitrine.Monattentionseportesurl’étoiletatouéesurmacheville.Machinalement,jerepasseledoigtsurle dessin, comme pour renouveler l’accord entre elle et moi. Cette étoile, j’y tiens ; ellereprésentelaforce.Ellemarqueuneévasion–celledelamaisonfamilialequejehaïssais,etquej’aiquittéepourentreràl’internatquandj’étaisenpremière.

Je pousse un soupir et quitte le lit à regret,mes doigts caressant à présent le rubantatouéenhautdemacuisse,unrubancouvertdesinitialesd’hommesquej’aiutiliséspourmeprouverquej’avaislecontrôlesurmavie.

Lentement,mamainglissedansmondos,làoùlespleinsetlesdéliésd’unJetd’unSs’entrelacent gracieusement. Cass m’avait fait ce tatouage cinq ans plus tôt, après marupturebrutaleavecJacksonàAtlanta.Jenousavaisalorsbrisélecœuràtouslesdeux;àl’époque, jecroyaisque jenepourrais jamais leretrouver,et jenesupportaispas l’idéedevivresanslui.Cetatouageavaitétéunmoyendegarderunepartiedeluiavecmoi.Demerappelerqu’ilseraittoujourslà,qu’ilmedonneraittoujoursdelaforceetducourage.

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Jefermelesyeuxetsoupiretandisquemesmainscontinuentdecheminersurmapeau,faisant halte cette fois sur le tatouage le plus récent : une flamme, surma poitrine. Casss’estoccupéedecelui-làilyamoinsd’unmois,quandj’avaisdécidéderefaireuneplaceàJackson dans ma vie, en dépit du bon sens. Car je fuyais le feu pour me jeter dans lesbraises,avait-elleremarqué.

N’avais-je pourtant pas appris à mes dépens que mes cauchemars remontaientdangereusementàlasurfaceavecJackson?Quelapassionquinousfaisaitvibrertousdeuxpulvérisaitmacarapaceetmelaissaitànu,plusvulnérablequejamais,ouvrantunebrècheàmesdémons,ausouvenirdeReed?

Maisj’étaisprêteàtoutpoursauvermonprojetdecomplexehôtelier,alorsj’avaisprisune grande inspiration, j’avais enfilé mon armure et je m’étais jetée dans mon enferpersonnel.

Jacksonavaitbienentenduenfoncétoutesmesdéfenses.Maissurtout, ilavaitréussiàretourner la situation : l’homme qui autrefois invoquait mes démons les pourfendait àprésent.Grâceàlui,désormais,jesuisàl’abridelafolie.Jesuisàl’abridemonpassé.

Grâceàlui,jemesensbelle,jemesenschérie.AvecJackson, jepeuxrendrelesarmessansouvrir laporteàlapeuretaudégoûtde

moi-même.AvecJackson,jepeuxm’abandonneràlasoumission.Àlapassion.Àl’amour.Nousavonsfaitduchemin,luietmoi,maisj’aipeurmaintenantqu’onsoitsurlepoint

de heurter un mur. J’ai peur qu’on ait nargué les dieux, et que les dieux n’aient pasapprécié.

Jesuisterrifiéeàl’idéequ’ilsoitarrêtépourmeurtre.Qu’onmel’enlèveàtoutjamais.Je ne veux pas devenir une faible femme, incapable de se débrouiller seule.Mais en

mêmetemps,jesaisquejesuisplusforteaveclui.Etquevais-jedevenirsijeleperds?Soudain j’ai froid, et j’enfile le tee-shirt qu’il avait laissé sur le dossier de la chaise la

dernièrefois.C’estsontee-shirtDominionGate,ungroupedeheavymetaldont ilest fan ;l’ourletm’arrivepresqueauxgenoux,j’ail’aird’avoirétéavaléeparlevêtement.

Montéléphoneestposésurlatableàcôté,etlorsqu’enyjetantunœiljeconstatequ’ilest quatre heures du matin, ma petite séance d’introspection se transforme en francheinquiétude.

Laportedemachambreestfermée,maisjeremarqueunraidelumièreendessous.Jesors dans le minuscule couloir qui mène au salon et m’avance à pas de loup ; s’il s’estassoupisurlecanapé,jeneveuxpasleréveiller.

Jelevoistoutdesuitequandj’arrivedanslapièce;ilestdehors,surlaterrasse,assisauborddelaméridienne,etilutiliselachaisepliantecommebureaudefortune.Satablette

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estallumée,et,cheveuxenbataille,ildessineàgrandstraitsvifssurunblocdepapierposésursesgenoux.Jeperçoisd’icilegrattementdesaminedeplombsurlafeuille.

J’aienviedelerejoindre.Dem’approcherdanssondos,depassermesbrasautourdesontorseetdeleserrercontremoi.

Maiscen’estqu’undésirégoïste.CequeJacksonveut–non,cedontilabesoin–,c’estde s’absorber dans le travail. Je sens presque les ondes de concentration et de plaisirémanerdelui,etjeneveuxpasêtrecellequiromptlecharme.Pasmaintenant.Pascesoir.

Jem’apprêteàfairedemi-tourquandunevoixdefemmes’élève.–Jesuislà.Désolée,àcetteheure-cilecaféétaitplusquenécessaire.–Merci,Amy,ditJackson.Jenem’attendaispasàcequevousrépondiezsirapidement

àmone-mail.Interdite,jefinisparcomprendrequ’ilestsurSkype.Jemedécaleverslagauchepour

voirl’écran,etm’aperçoisqu’ilparleàAmyBrantley,sonavocateàSantaFe.– Il est quasiment 6 heures ici, jeme suis levée avant l’aube pour aller à la salle de

sport. J’ai pensé que ce serait plus simple de vous parler. Vous tenez le coup ? MaîtreFrederickaprisl’affaireenmain?

–Ellefaitdesonmieux,maisonsaitbienquec’estsansgarantie.–Non,c’estvrai.– J’aieuStellaau téléphonehier.Betty refusededirequoiquece soit,mais sa santé

déclinerapidement.–Jesais,ditAmy.J’allaisvousappeleraujourd’huiàcesujet.Actuellement,s’ilarrive

quelquechoseàBetty,lagardedeRonnievousrevientenattendantl’établissementdevosdroitsparentaux.Mais sivousêtes incarcéré, c’est toujoursMegan lapremière sur la liste,théoriquementdumoins.Est-cequevousêtesàl’aiseavecça?

Jacksonhésite,etmêmesijesaisqu’iladelapeineàl’admettre,ilrépondsimplement:–Non.C’est le bon choix, évidemment. Megan est peut-être la tante biologique de Ronnie,

mais elle a décidé de se faire admettre dans une clinique psychiatrique pour soigner sestroublesmentaux.Ellen’estplusenmesuredes’occuperdeRonnieaujourd’hui,etJacksonenalecœurbrisé.

–C’est bien ce que je pensais, ditAmy.Et très franchement, étant donnéqueMeganséjourne en clinique psychiatrique, le juge pourrait bien décider de ne pas lui confierRonnie. Elle se retrouverait donc en famille d’accueil, à moins qu’Arvin ne décide des’occuperd’elle.

Arvin,lepèredeMegan,estl’hommequiaengagéJacksonpourconstruirelafameusemaisondeSantaFe,cellequeReedvoulaitabsolumentprendrecommesujetpoursonfilm.Etbienqu’Arvinsoit legrand-pèredeRonnie, ilatrès largementprissesdistancesaveclafillette.

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–Ce seraitpire,dit sèchement Jackson.Eton saitparfaitementqu’Arvinn’accepteraitjamaiscetteresponsabilité.Maisj’aidéjàpenséàtoutça,voussavez.C’estnotammentpourçaquejevoulaisvousparler.Pourça,etpourl’argent.J’aipassélanuitàypenser.JesaisqueRonnie ahéritéd’Amelia,mais cet argent constitue sonpatrimoine ; il nedevrait pasêtreutilisépourl’élever.

Ameliaest lamèredeRonnie.Maiselleestsurtout laraisonpour laquelleHollywoods’intéresse au projet de film de Reed. Même si aucun scénario n’est encore officiellementsorti,toutlemondesaitquelefilmracontelatragédiequis’estdérouléedanslamaisondesFletcher,cetteincroyabledemeurequeJacksonaconçueilyaplusieursannées.C’estcetteréalisation qui a lancé la carrière de Jackson, et a transformé le simple architecte en«starchitecte»–avectoutcequelacélébritéimplique.

QuandJacksonconstruisaitlarésidenceFletcherpourArvin–undeshommeslesplusriches du pays –, il fréquentait la sœur jumelle d’Amelia, Carolyn.Amelia voulait Jacksonpourelle,etfutassezfollepoursefairepasserpoursasœurauprèsdelui,uneseulefois,mais qui suffit à la faire tomber enceinte de Ronnie. Dès que la maison fut terminée etJackson parti, le bébé est né. Et Amelia a perdu la tête. Elle tua sa jumelle avant de sesuicider,etRonniefutconfiéeàsatante,Megan,lasœuraînéedeCarolynetAmelia.Unetragédiequin’avaitpasmislongtempsàattirerleschasseursdescandalesàHollywood.

CommeAmeliaavaitnombred’amants,lesgensnesaventpasqueRonnieestlafilledeJackson,etilsnes’endouterontprobablementpastantquelajusticen’aurapasconfirmélapaternité,ouquelarequêtedeJacksonneserapastombéedanslesmainsd’unjournaliste.Pour le moment, le public ne voit que le meurtre et le suicide survenus dans la maisonfantastiquequiafaitlarenomméedeJackson.

QuandJacksonasuqueRonnieétaitsafille,ilaenvisagédedemanderimmédiatementsagarde,maisilsavaitaussiquelescandaleliéàlamaisonetl’échoquetrouveraitlefilmplongeraient la fillette dans une terrible tourmente médiatique. Elle était alors à l’abri,choyéeparsatanteMeganetsononcleTony,sanscomptersonarrière-grand-mère,Betty.Jacksonadoncendossélerôledel’oncle,luirendantvisiterégulièrementetsubvenantàsesbesoinsfinanciers.

Mais les chosesont changé récemment.Tony estdécédé, et les troubles bipolairesdeMegansontdevenustropenvahissantspourqu’elledemeurelatutricelégaledeRonnieentoutesécurité.MaislaisserlagardeàBettyn’estplusraisonnablenonplus,auregarddesasantédéfaillante.

Etsurtout,Jacksonveuttoutsimplementrécupérersafille.Etc’estcequ’ilétaitentraindefaire,quandcesatanéprocèspourmeurtreluiesttombédessus.

–Doncvousvoulezdésigneruntuteuréventuel,etmettreenplaceuncomptepourlesfraisliésàl’éducationdeRonnie?

–Exactement.

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Ilsdiscutentencorequelquesminutes.JacksonluiexpliquequelecompteseraalimentéavecsespartsduWinnBuilding,unimmeubledelogementsetdecommercesdeManhattanquisetrouveêtrelepremierprojetqu’ilaàlafoisconçuetdéveloppélui-même–etdontilaconservéunepartiedesrevenus.

– J’ai 40%des parts et IsaacWinn en a 60. Il cherche à peser plus lourd depuis ledébut.Sij’aibesoind’unapportpourRonnie,Isaacmerachèteradespartssansproblème.

–Ilfaudrait10%pourlefidéicommis,répondAmy.Vouspourrezymettredavantagesibesoin.

–D’accord.Après avoir rappelé à Jackson qu’il ne pourrait imposer de tuteur tant que ses droits

parentauxneseraientpasétablisparlejuge,elleluidemande:– Qui envisageriez-vous ? Je suis sûre que Betty et le juge prendront votre avis en

considération.– Je veux que ce soit Sylvia, dit-il, et je dois plaquer mamain sur ma bouche pour

étouffer mon cri de surprise. Et puis, je veux qu’on se lance, pour la procédure dereconnaissancedepaternité.Jeveuxquevousdemandiezl’audience.

–L’audience?Jackson,vousêtessûr?Etsi…–Jeveuxqu’elleaitunpère.J’enaiassezd’attendre.Jeveuxmafille,Amy.Etsilepire

devaitseproduire,alorsjeveuxm’assurerquelafemmequej’aimes’occuperad’elle.–EtSylviaaccepterad’endosser cette responsabilité?demande-t-elle tandisquemon

cœurcognedouloureusementdansmapoitrineetquejemerepliesurmoi-mêmesanstropsavoircequej’éprouve,àpartunefranchehébétude.Lejugeneferaqueluiproposerd’êtrela tutricedeRonnie, ilne la forcerapasà laprendreavecelle.Sielle refuse,Ronnieserapeut-êtreplacéeenfamilled’accueil.

–Onenaunpeuparlé.Etonenreparlerapluslonguement.Maisjepensequ’elleserad’accord.J’aibesoinquecesoitréglé,Amy.Jesuisdansl’expectative,jenesaispascombiendetempsjevaispouvoirsupportercettesituation.J’aibesoindemafille.Et j’aibesoinquevousm’aidiezàlaretrouverleplusvitepossible.

– D’accord, Jackson, dit-elle doucement. Je devrais pouvoir vous obtenir une dated’audienced’iciquelquesjours.

–Merci,dit-il,etilsemblesisoulagéqueleslarmesmemontentauxyeux.Jenefaisplusvraimentattentionàlafindeleurconversation.Jesuisperduedansun

mondedepossibles.UnmondeoùJacksonn’estpaslà,etoùj’élèveseulesafille.Je suis secouée d’un frisson, soudain frappée par l’idée que ce scénario est plus que

probable. Et je ne peux me défaire de ce terrible constat : peu importe combien j’aimeJackson – combien j’adore sa petite fille –, je ne sais absolument pas comment élever unenfant.Mamèrem’atraitéecommesijen’existaisplusàpartirdumomentoùmonfrèreesttombémalade.Quantàmonpère,jeneveuxmêmepasypenser.

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Je frémis et retourne dans ma chambre d’un pas hésitant, l’estomac noué. Je titubejusqu’à la salledebains etm’agenouilledevant la cuvettedes toilettes, convaincueque jevaisvomir.Riennevient,mais jem’agrippeà laporcelaine jusqu’àmesentirsuffisammentd’aplombpourmerelever.

J’étaissincère,l’autrejouràl’aéroport–jeveuxêtrelàpourJackson,etjesuishonoréedelaconfiancequ’ilmetémoignepourprendresoindesafille.

Maisça?MonDieu,ça?Jemeforceàrespirerprofondémentetmepersuadequeçanevapassepassercomme

ça.Jacksonn’apastuéReed.Ilnevapasêtrearrêté.Iln’irapasenprison.Ronnieferapartiedenosvies,etc’estfantastique.JepeuxassurersiJacksonestlà.Je

suiscapabledeprendrelerôledelamaman,dumomentqu’ilestavecmoipourmetenirlamain.

C’est ce que jeme répète en boucle, avant de réaliser que j’ai soulevémon tee-shirtpourvoirmes tatouagesdans lemiroir.Seulementcette fois, jenesongepasauxcombatsquechacund’euxreprésente.Non,jesongeàunenouvellebataille.Jemedisquesijeveuxlaremporter,jevaisavoirbesoind’inscrirecetteenfantsurmapeau.

Jefermelesyeux,furieused’êtresifaiblequandJacksonabesoinquejesoisforte.Quandjelesrouvre,Jacksonestlà,sonrefletjusteàcôtédumiendanslemiroir.–Jecroyaisquetudormais,murmure-t-il.–Jeviensdemeréveiller.J’ai tellement honte demonmensonge que je dois réprimer l’envie deme faire toute

petite.Son front se plisse un peu, et je comprends qu’il s’inquiète pourmes cauchemars ; il

craintquelaconfessiond’Ethannelesaitfaitressurgir.–Tuvasbien?–Maisoui.Jen’aipasfaitdecauchemarcettenuit.Tulesastousvaincus,dis-jeavec

sincérité.C’estjustequejemesuisréveilléesanstoi.Jen’aipasaimé.Jenesaispascequ’illitsurmonvisageenmeregardant,maisc’estsuffisantpourqu’il

m’attirecontreluietpresseses lèvressurlesmiennes.C’estunbaiser léger,maispuissant.Profond, mais tendre. Je fonds à son contact, et toutes mes peurs, tous mes doutes sedissipent dans un brouillard sensuel. Mes angoisses ne font pas le poids face au pouvoirdontJacksondispose.

Notrebaisers’éternise,etlessecondespassant,mapassionenfle,messenss’embrasent.Je frotte ma poitrine contre lui, et le plaisir fuse en moi en décrivant des vrillesvoluptueuses.

–C’est lematin, chuchote-t-il en s’écartant. Il faut qu’onprenne le bateaupour allersurl’île.

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–Pasencore,s’ilteplaît.S’ilteplaît,encoreuninstant,serre-moifort.Ilmedévisage,puismeconduitensilencejusqu’aulit.Ilretiresonjeanetsachemise,

puisseglissesouslescouverturesetsecoucheencuillèrederrièremoi,encalantmesfessescontresonsexeenérection.

J’en veux plus, j’ai besoin de plus. J’ai besoin de ses mains pour me calmer et merecentrer.Mais je sais que Jacksonn’apasdormide lanuit, et jene veuxpas le solliciterquand il est fatigué. Et surtout, je veux être capable de me passer de lui, parce que j’aiterriblementpeurdeneplusavoirlechoixbientôt.

Alors, je fermelesyeuxenessayantd’êtrecourageuse.D’appréciertoutsimplement lasensationdesesbrasquim’entourent.

Dieumerci,Jacksonnel’entendpasdecetteoreille.D’unemainsilégèrequejenelesenspastoutdesuite,ilentreprenddemecaresserla

cuisse,etjemetrémoussedeplaisir.Unesensationdechaleurondoiesensuellement,presqueparesseusementàtraversmon

corps, et je bougeunpeu, écartant légèrement les jambes pour offrir unmeilleur accès àJackson.Commejel’espérais,ilenprofitepleinement,etsamaincheminejusqu’àmonsexe.Je halète tandis qu’il écarte lemajeur et l’index pour caressermes lèvres déjà crémeusestoutenévitantsadiquementmonclitoris.

–Jackson…jemurmure.Meshanchesbougentàleurproprerythme,s’efforçantdedirigersamain,sescaresses.

Mais Jackson esquive avec adresse, gardant hors de portée la délivrance que mon corpsrecherche.

Frustrée, j’écrase mes fesses contre sa queue, et ferme les yeux, satisfaite, enl’entendantgronderdeplaisir.Puissaboucheeffleuremonépaule:

–J’aibesoindeteprendre,mabelle.Commeça.Maintenant,annonce-t-il,d’unevoixsisensuellequemafièvreaugmenteencoredequelquesdegrés.

–Oui…–Caresse-toi,exige-t-il.Noussommestoujoursemboîtés,maisilrepliemacuisseverslehautavantd’introduire

ses doigts en moi, et cette position me fait perdre la tête. Puis il retire ses doigts et mepénètreavecsaqueue,m’imprimantavec lenteurd’amplesva-et-vientquim’arrachentdesgémissementsinterminables.

Puisilaccélèrelacadenceetl’intensité,etàchaquefoisnousnousdécalonsunpeusurlematelas.Mais je veux qu’il me pilonne plus fort, plus profondément, et j’arrête dememasturberpourrepousserlatêtedelitetoffrirunemeilleurerésistanceàsescoupsdereins,encoreetencore,deplusenplusviolents, jusqu’àcequ’il jouisseet s’écroule surmoi, songrandcorpsdefauveétendusurlemien.

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Jesoupired’aiseetm’étireavecbonheur.Jesuisprochedel’orgasme,et jesaisquejen’auraipasbesoindememasturberlongtempspouryparvenir,maisjenesuispaspressée.Àcetinstant,mêmelacaressedel’airmefaitdel’effet,etj’aienviedeprolongercetétatdevolupté commeun chanteur tient une note. Alors, quand Jackson tend lamain versmonclitorispourjoueravec,j’arrêtesongesteetsecouelatête.

–Jeveuxresterlà,dis-je.Toutaubord.–Pourquoi?Commentrépondrealorsquejenelesaispasvraimentmoi-même?Toutcequejesais,

c’estquejeveuxresterencoreunpeulà,danscetéquilibreprécaire,avantdesuccomber.Alors,jeluirépondscequejesais:–Parcequec’esttoiquim’asemmenéelà.

Moinsd’uneheureplus tard, je sorsdu litet commenceàm’habiller. J’ai l’impression

qu’il s’estpasséuneéternité.Commesi jem’étais régénéréedans l’intervalle, etque jemelevaisfraîcheetdispose,pleined’unnouveaucouragepouraffronterlasuite.

Cesentiments’évanouit toutefois lorsqu’aprèsavoirpassé latêtehorsde l’encoluredemontee-shirt,jevoisJacksonmeregarder,redresséenappuisuruncoude,l’airmaussade.

–Qu’est-cequinevapas?–J’aiparléavecAmycematin.J’enfileunshortetleregardedenouveau.–Tonavocate?jedemanded’untonléger,commesijen’étaisaucourantderien.–J’enaiassezquemapetite fille soitballotée.J’aidemandéàAmyde fixerunedate

d’audience.JeveuxramenerRonnieàlamaison.Jeboutonnemonshortavantdem’asseoirauborddulit.–Trèsbien.Tuessonpère.Envoyantlesoulagementsursonvisage,jesaisquej’aiditcequ’ilfallait.–Ilyaautrechose.Tuterappellescequ’ons’estditàl’aéroport?–Biensûr.Waouh,jesuisfièrequemavoixparaisseaussinormale!–Tupensaisvraimentcequetum’asdit?Parcequejeveuxquecesoitofficiel.–Officiel?–Oui.Siquelquechosem’arrive,jeveuxquetusoisdésignéecommetutricedeRonnie.

Je veux qu’Amy fasse les démarches pour. Je veux que ce soit toi, et pas Megan, quit’occupesdeRonniesijemeretrouvehors-jeu.

–Je…Je déglutis, avec l’envie deme coller une baffe pour avoir hésité ne serait-ce qu’une

seconde.Ils’enaperçoit,évidemment.

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–Hier, quand je commençais à devenir hystérique à cause des paparazzis, ce que tum’asditquandtucroyaisquej’avaistuéReed…Tuasditqueturesteraisavecmoiquoiqu’ilarrive,dit-ild’unevoixhachée,etjeluiprendslamain.Çam’aconvaincu,poursuit-ilavecplusd’aisance–etjesuisémuedevoirquec’estgrâceàmoi.J’aicompriscombienjevoulaisquecesoittoiquilaprotèges.Quirestesavecelle.Maisjesaisquec’estégoïstedemapart,etsituneveuxpasque…

–Tuétaishystériqueàcausedespaparazzis?jeluidemandepourletaquiner.Je le regrette aussitôt, mais je n’arrive pas à me confronter à la vraie question. Je

n’arrivepasàenvisagerlapossibilitéd’éleverunenfanttouteseule.–Oui,admet-il.J’étaisfurax,jedéraillais,ettuavaisraison.Ilfautquejelesévite,pas

quejelesnargue.Etquandjen’aid’autrechoixquedelescroiser,ilfautquejejouelejeu,commeEvelynmel’adit,etque jesoispolietamical.Jedétesteça,mais je le ferai,parceque je sais que ça augmente mes chances de rester dehors, donc de rester avec toi. EtRonnie.

J’éprouve un certain soulagement. Voilà au moins une chose pour laquelle je peuxarrêterdemefairedusouci.

–JevaisrappelerAmycematin,jeluidiraidenerienchanger,dit-ildoucement.C’esttroptedemander.Jen’aipasréfléchi.Jen’aipas…

–Non!dis-jeprécipitamment,serrantsamainplusfort.Non,jesuisd’accord.Biensûrquejesuisd’accord.

Etc’estlavérité.Malgrémespeurs,jesuissûredemoi.Jen’aipaslechoixdetoutefaçon,n’est-cepas?Dans la vie de Jackson, nous formons tous les trois une bulle d’amour, lui, sa fille et

moi.Ilm’aime,jelesais.Mais s’il devait faire un choix entre nous deux, il privilégierait Ronnie. Parce que

contrairementàJeremiahouàmespropresparents,Jacksonestunbonpère.Etpourlui,lebien-êtredeRonniepasseratoujoursenpremier.

Etmoi,là-dedans…Toutcequejepeuxfaire,c’estm’assurerqu’iln’aurajamaisàfairecechoix.Toutcequejepeuxfaire,c’esttenterlecoupetjoueràlamaman.Maisest-cequej’accepteparcequej’aimeJackson?Oubienparcequejecrainsdeleperdresijerefuse?

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15

L’odeur alléchante du beurre et de la cannelle me parvient sur le bateau, et monestomacengargouilled’impatience.

–Çasentdivinementbon,dis-jeàJackson,quis’affairedanslakitchenettepoursortirlesroulésàlacannelledufour.

Nousavonsfaitletrajetjusqu’àlamarinaavantl’aube,etnousavonseulachancedenepascroisertropdepaparazzisenchemin.IlssavaientsansdoutequeJacksonn’étaitpassurlebateauetsontrentrésdormirchezeux–oubienilssontpartiscamperaupieddelaStarkTower.

Nousapprochonsdel’îleàprésent,maisavantd’accoster,nousallonsrattraperlepetitdéjeunerquenousn’avonspaspriscematinpourpartirplusvite.

Jacksonsortunepochedeplastiqueremplied’untrucblancetvisqueux,sansdouteleglaçage au sucre pour les roulés à la cannelle. Jem’approche de lui et la lui prends desmains, avec l’idée de contribuer un tant soit peu à la préparation du repas. Jackson faitmainbassesurlepremierroulédèsqu’ilestprêtetl’enveloppedansuneservietteenpapierenmedésignantl’avantdubateau.

–Jevaisvérifiernotreposition.–D’accord.Jemeconcentresurmontravaildemarmitonenl’attendant.–Onyestpresque,dit-ilenrevenant.Encoredixminuteset je repasseraienpilotage

manuel.Ilfaituntempsmerveilleux,onvamangersurlepont?J’approuveavecenthousiasme.Ilprendlesviennoiseriestandisquejem’occupedujus

d’orange,desassiettesetdesgobelets.Il a raison.C’estune journéemagnifique, et jedécrète silencieusementqu’aujourd’hui

nous ne parlerons ni de meurtre ni de prison. Que nous ne nous inquiéterons pas pourRonnie.

Aujourd’hui,iln’yauraqueletravail,l’île,Jacksonetmoi.

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Aujourd’hui sera une journée normale, et ces instants sur la mer sont un très bondébut.

Le ciel est d’un bleu limpide, sans le moindre nuage en vue. L’océan est calme,seulement ridé à la surface par une brise légère. Nous sommes suffisamment proches deSantaCatalinaetdeSantaCortezpourquelesmouettesvolentau-dessusdenostêtes,etjeles regarde plonger en piqué pour pêcher leur propre déjeuner. Je jette un morceau derouléàlacannellepar-dessusbordetaussitôtl’uned’ellesfoncedessus.

–Eh,s’indigneJackson,jemesuisdonnédumalpourcesroulés!Jelesaisortisdelaboîte,ettout.

–Tuasfaitdubonboulot.Ilssontdélicieux.Nousnoussommesinstalléssurlepontprincipal,surunbancàbâbord,justeàcôtédu

postedepilotage.Lebancestmatelassé,fixécontrelacloisondelacabineàlaquellenouspouvonsnousadosser.Jeversedujusd’orangedansnosverres,quenousposonsdanslesporte-gobelets intégréssur lescôtés.Jecale lepichetà l’aided’ungiletdesauvetagepourqu’ilneserenversepas.

J’aiposéleplateauderoulésentrenous,etJacksonenattaqueuntroisième.Ilprendunebouchéeetmefaitungrandsourire;ilyaunpeudeglaçageàlacommissuredeseslèvres.Dureversdemonpouce,jel’essuie,etlentement,jelesucepourlenettoyer.

SansquitterJacksondesyeux.–C’esttrèscochonça,mademoiselleBrooks.–Jenevoisabsolumentpasdequoivousparlez,monsieurSteele.Ilselève,etm’aideàfairedemême.–Jeparledufaitquevotreîleestjustelà,dit-ilenpointantcelle-cidudoigt.Etdufait

quejedoisdésactiverlepilotageautomatique.Ilpassesondoigtsurmeslèvres,etjelelècheavantdeleprendredansmabouche.Il

pousseunlégergrognement.– Je parle du fait que nous n’avons pas le temps pour que je vous baise comme j’ai

enviedevousbaisermaintenant.Maisvousneperdezrienpourattendre,dit-ilenlibérantsondoigtpourposersamainsurmonsexe,àtraversmonshort.

Ildescendsurmacuisseetremontesousletissu,puisécarquillelesyeuxendécouvrantque non seulement je ne porte pas de culotte, mais que je suis poisseuse d’excitation etbrûlantecommel’enfer.

Jememordslalèvreenl’entendantgrognerdesatisfaction.–C’estbien,ça,dit-il.Jeleregardeinnocemment.–Qu’est-cequetudisaisàproposdemebaiser?Ilenfoncedeuxdoigtsenmoi,mefaisanthaleter.–Bientôt,promet-il.Patience.

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Jepousseunsoupirdedésappointementtandisqu’ils’écarte,melaissantsiaffamée,sisensiblequeletissuquifrottecontremonsexemetourmentedélicieusement.

Pendantquelquessecondes,sonregards’attardesurmoi,chaudetlourddedésir,puisilsedétournepourallerpiloterlebateau,melaissantfantasmersurcequim’attend.

Pendantqu’ilmanœuvre,jedescendslesrestesdenotrepetitdéjeuneràlacuisine.Jesuis en train de couvrir les derniers roulés à la cannelle de film plastique quand Jacksonm’appelled’unevoixrude:

–Syl.Viensvoir!J’abandonne les roulés et remonte à toute allure sur le pont. Je m’apprête à lui

demandercequisepasse,maisdèsquejesuisàl’extérieur,jelevoismoi-même.Jevoisquejepeuxdireadieuàmamerveilleusejournée.Lequai a été enfoncé sur toute sa longueuret se trouvebizarrement incliné ; il n’est

pluspraticable,saufsionaimeledanger.–Maiscommentonvapouvoiraccoster?dis-je,avantdemerendrecomptequec’estle

cadetdenossoucis.Parce qu’en regardant ce que Jacksonmemontre du doigt, je constate que toute la

zoneaétévandalisée.Delàoùjemetrouve,jedevraisvoirlesréservoirsdecarburant.Àlaplace,iln’yaquelestoilettesdechantier,maisquisemblentavoirperduleurtoit.Ont-ellesétérenversées?Misère,jecroisquejepréfèrenepasypenser.J’interrogeJackson:

–Tuasdesjumelles?–Desjumelles,maisoui,s’écrie-t-ilavantdeseruerverslebancsurlequelnousvenons

de manger pour soulever le couvercle matelassé, et sortir les jumelles du coffre derangementdissimulédessous.

Ilremetlecouvercleenplaceetseredressepourobserverlesdégâts.–C’estlamerde,commente-t-ilavantdemepasserlesjumelles.Jeregardeàmontour,etilamalheureusementraison.Lesréservoirsdecarburantont

étérenversés.L’héliportestcouvertdedébris.Ilyadescâblesetdescordageséparpillés,etdesmorceauxdemachinescasséesquitraînentunpeupartout.Laseulechosequin’aitpasété défoncée apparemment, c’est le poteau en haut duquel se trouve la caméra desurveillance.

J’aienviedevomir.C’est lamerde.C’estvraiment lamerde. Ilne s’agitplusde fuitesd’e-mails, de photos compromettantes ou de rumeurs absurdes sur des armes dugouvernement.Là,c’estduvandalisme.Dusabotage,puretdur.

Etjeleprendstrès,trèspersonnellement.– Il faut qu’on aille voir l’étenduedes dégâts, dis-je. Tu crois qu’on peut se servir du

quai,danscetétat?Ouest-cequetupeuxterapprocherpourjeterl’ancre,etonfiniraàlanage?

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–Non,répondfermementJackson.Ilfautqu’onfassevenirRyanetsesgars.Jeneveuxpasprendrelerisquedetoucheràquoiquecesoitavantleurarrivée.Etilyadel’essencepartout.Jeneveuxpasquetuailleslà-basavantqu’onsoitsûrsqu’iln’yaaucundanger.

Je m’apprête à répliquer que je suis parfaitement capable de me débrouiller touteseule,maisilaraison,alorsjemetais.Lesportablesnecaptentpasici,maislebateauaunsystèmedecommunicationparsatellite;letéléphonesemetàsonneretjemeprécipiteenbaspourrépondre.

Jenesuispasétonnéed’avoirRyanauboutdufil.Jelequestionne:–Tuasvulavidéodesurveillance?Tuaspuvoirquiafaitça?–Pasexactement,répond-il.Cen’estpaslogique.Manifestement,ilsaitdequoijeparle,alorscommentpeut-ilêtre

aucourantsansavoirvulesimages?–Je t’expliqueraienarrivant,dit-il,anticipantmaquestion.Damienetmoionsera là

dans trois quarts d’heure, maximum. On arrive en bateau, et une équipe nous rejoindravingtminutesaprès.Nemettezpaslespiedssurl’île,d’accord?

Jeretournesurlepont,etjepassementalementenrevuemato-dolistquis’estsoudainconsidérablementallongée.Ilvafalloirnettoyer,ilyaurauneenquête,et…lapresse.

Touscesdétailsmedonnentlevertige.JeracontelecoupdetéléphoneàJackson,quiesttoutaussisurprisquemoi.

Jecroisqu’ilafaitlescentpassurleponttoutletempsquej’étaisenbas,etqu’ils’estarrêtédèsque jesuisrevenue. Il s’approchedemoietmetient fermementpar lesépaulesenexaminantmonexpression.

–Est-cequetuvasbien?–Çava.Jesuisfurax,maisçava,dis-jeenmeforçantàsourire.C’estleboulot.Avec Jackson, je sais que jen’ai pasbesoind’endireplus, parcequepour lui c’est la

mêmechose:letravailestnotreéchappatoire.C’estcequinousmotive,cequinousaideànous recentrer. Le travail peut être source d’agacement, voire de colère, mais il ne meparalyserajamais.

Jemeglissedanssesbrasetrelèvelatête,pourréclamerunbaiser.–Viens,dis-je.Onvafairelalistedetoutcequ’ondoitvérifierunefoisqueRyannous

auraautorisésàallersurl’île.Nousallonsdanssonbureau,etils’installeàsonordinateurtandisquejefaislescent

pasderrièreluientâchantd’envisagertoutesleséventualités.Je suis en train de calculer de combien les heures supplémentaires de l’équipe de

maintenance vont amputer mon budget quand le téléphone sonne de nouveau. Jel’empoigne:

–Danscombiendetempsvousarrivez?–Sylvia?

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Ce n’est pas Ryan au bout du fil, mais une femme. Et il me faut un moment pourreconnaîtreHarrietFrederick.

–MaîtreFrederick.(Magorges’estserrée,etj’aidumalàarticulersonnom.)Je…Jerenonce.Jenetrouvevraimentrienàdire.–Puis-jeparleràJackson?demande-t-elledoucement,commesiellecomprenaitqu’un

timbrenormalrisquaitdemeblesser.Ils’étaitlevéenm’entendantprononcersonnom,etsetrouveàprésentàmescôtés.Je

luipasseletéléphone,tremblante.Jacksonresteàcôtédemoi.–Jesuislà,Harriet.Quesepasse-t-il?Je tends l’oreille pour capter la conversation. Je voudrais que Jacksonmette le haut-

parleur, même si je sais qu’il doit faire en sorte de préserver la confidentialité de leurséchanges.Alors,j’essaied’interpréterl’expressionsursonvisage.

Étantdonnéqu’ilnebougepasd’uncil,jesuismalbarrée.Auboutd’unmoment,ildit:–Jevois.Etdanslepiredescas,ceseraitquand?Danslepiredescas.Oh,merde.Oh,putaindemerde.Jenecherchemêmepasdechaise.Jemelaissetomberetm’assiedsparterre.–D’accord.Mercid’avoirappelé,dit-il,avantd’éclaterderire.Non.Jeneleferaipas.

C’esttentant,maisnon.Puis il raccroche et se penche vers moi en me tendant la main pour m’aider à me

relever.Jedécline:–Jepréfèreresterlà,tantquejenesaispasdequoiils’agit.Ilsouritfaiblement.–Apparemment,lapolicesaitquej’étaischezReed.–Oh.Comment?Jeregrettefinalementdenepasm’êtreécrouléesurlepetitcanapé.Aumoinsj’aurais

puprendreleplaidpourluttercontrelefroidquim’envahitsoudain.–Ilyauntémoin.C’étaitlesoird’Halloween,tuterappelles?Reednedistribuaitpas

de bonbons alors il n’avait pas éclairé son porche, mais une mère m’a vu sous unlampadaire.Ellearemarquéunhommequimarchaitseul…

–Toi?Etellet’aidentifié?–Ilsluiontmontréunesériedephotos.Ellem’arepéréaumilieudesautres.Jefermelesyeux,etquandjelesrouvre,Jacksons’estaccroupifaceàmoi.–Ilyaautrechose,Syl.Ellem’aentendumedisputeravecReed.–Oh,Seigneur,dis-jeenfrémissant,avantd’attrapersamain.Tuasdit«danslepire

descas».Tuparlaisd’êtrearrêté?

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Ilacquiesceensilence.–Alors?Quand?–Ellen’apassumedire.Çapeutêtrel’infodéterminantequilesdécideraàm’arrêter

demain.Maisilspeuventaussichoisirdecontinuerleurenquête.–Cen’estpastoilecoupable,dis-je,lagorgenouée.Ilsnepeuventpasmepriverdetoi

puisquecen’estpastoilecoupable.–Syl…Cen’estpasnotreproblème,pourlemoment.Cen’estpaspourçaqu’onestsur

le bateau. Ce n’est pas pour ça qu’on est à Santa Cortez. Là, on travaille, d’accord ?Ontravaille,etons’inquièteraplustard.

Ilaraison.Çanesertàriendepaniquer,onad’autreschatsàfouetter.Etc’estplusquejamaislemomentdeconsidérerletravailcommeunrefuge.Nousen

avonstousdeuxbesoin.–D’accord,j’approuveenmeforçantàréfléchirdenouveau.D’accord.Ilfautqu’on…Il

fautqu’onseprépareaupire, jepoursuisen trébuchant surcesmotsdouloureux.Pour leDomaine,jeveuxdire.Ilnousfautunplan.(Jemerelève.)Situteretrouves…

Jeneparvienspasà terminermaphrase.Lesimple faitd’envisagercettehypothèseàvoixhautemerendmalade.

–SijemeretrouvedansunecelluledublocA?–Arrête ça, je rétorque sèchement. Je suis capabled’enparler, d’accord ?Mais jene

peuxpasenrigoler.–Jesais.Excuse-moi,dit-ilenmeprenantdanssesbraspourm’embrassersurlefront.

Continue.– Je me disais seulement qu’on devrait peut-être embaucher quelqu’un qui puisse

prendretarelèveets’assurerquelesconstructionssontréaliséesexactementcommetulesvois.

–Tu as raison. J’aurais déjàdû y penser, lâche-t-il en soupirant.Apriori, je pense àChester. Tu sais ? C’est l’un de mes stagiaires new-yorkais qui nous a rejoints ici, à LosAngeles.

–Maisiln’apasencoresondiplôme,alorsjenesuispassûrequeçaplairaittellementaux investisseurs. Et puis, honnêtement, j’aimerais mieux quelqu’un avec qui j’ai déjàtravaillé.

–TupensesàNathanDean?–Ehbien,oui,enfait.Deanétaitl’architectedeDamienpoursamaisonàMalibu,etj’aitravaillémaindansla

mainavecluipendanttoutelaconceptionetlaréalisation.Jacksonl’acroiséiln’yapastrèslongtemps, lors d’un cocktail dans cette maison, d’ailleurs, et ils avaient sympathisé enparlantpoutresetarcsenpleincintre.

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Nathanestuntypesympaetunarchitectesérieux,mêmes’iln’arrivepasàlachevilledeJackson.D’aprèsAiden,DamienrefuseraitqueNathanDeansoitl’architecteprincipalduDomaine;apparemment,ils’étaitengagéàconstruireunbungalowpourDamienavantdele laisser tomber, à peu près au moment où nous avons commencé à travailler sur leDomainedeCortez.Maislà,ilnes’agiraitpasdeledésignercommeconcepteurduprojet,seulement d’avoir unmaître d’œuvre capable de respecter la vision de Jackson si le pirearrivait.

–Ilavaitl’aircorrect,ditJackson.S’ilaletempsetqueDamiendonnesonfeuvert,jepensequec’estunetrèsbonneidée.

–OK.Jevaisd’abordtâterleterrainpourvoirs’iladesprojetsencemoment,ets’ilal’airdisponible,jesoumettrail’idéeàDamien.

Jereportemonattentionsurlalisteprovisoirequejedressepourlaremiseenétatdel’île,etJacksonretourneàsatableàdessin.

Lorsque nous entendons le hors-bord approcher, ma liste s’est considérablementallongée,etjesaisqu’elleseraencorepluslonguequandj’auraipuexaminerlesdégâtsdeplusprès.

Je sors accueillir Damien et Ryan. Tandis qu’ils montent à bord, je questionne cedernier:

–Commenttul’asappris?–Notresaboteuraimesemettreenscène,intervientDamien.J’aireçuçacematin,par

mail.Ilme tend son téléphone, sur lequel s’affiche une photo de la destruction. Elle a été

prise de nuit, si bien qu’on ne distingue que les éléments éclairés par le flash. Ils sontbeaucoup trop blancs, ce qui donne à l’image un aspect fantomatique, comme si onregardaitunesortedecimetièremécaniquefuturiste.

–Vousavezpuretrouverlaprovenance?demandeJackson.– Oui, répond Ryan. Un de mes gars vient de trouver quelque chose. Le mail a été

envoyé depuis un smartphone acheté pour l’occasion, et balancé juste après. Pareil pourl’adresse mail, le nom est bidon, évidemment. Tout ce qu’on sait, c’est que le mail a étéenvoyé de Los Angeles,mais ça ne nous aide pas beaucoup. Depuis le début, je pars duprincipequecetenfoiréestducoin.Etmêmetrèsprobablementdelamaison.

–Aumoins,cen’estplusmoiqu’onsoupçonne,ditJacksonavecunepointed’ironie.–Tul’asdittoi-même,observeDamien.Tuastropd’estimepourtontravail.Tunele

foutraispasenl’airpourunevulgairehistoiredevengeance.Etsurtoutpascontremoi.Jenecomptepasassezpourtoi.

Damienmejetteuncoupd’œiletpoursuit:– Ilyaeuunmomentoùtuauraispubalancer tontravailpar la fenêtresiçat’avait

permisdetevengerdeMlleBrooks.Maisjecroisquecettepériodeestrévolue…

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–En effet, dit Jackson avec froideur.Mais tu as raison, tu ne comptais pas tellementpourmoi.Etsiç’avaitétélecas,jen’auraispasvouluquetulesaches.

–Etmaintenant,j’ailedroitdelesavoir?rigoleDamien.Jacksonsembleaussidéconcertéquemoi.–Tuasditque jenecomptaispaspourtoi.Dois-jeendéduirequetonrespectet ton

admirationontévoluédepuis?Il pose la question d’une voix légère, presque taquine, mais Jackson répond avec

sérieux.– Oui, j’imagine, dit-il en plantant son regard dans celui de Damien, avant de lui

adresserunmincesourire.Maisfautpasqueçatemonteàlatête.–Jeferaidemonmieux,ditDamienenretenantunsourire.– Vous avez des indices ? je demande à Ryan. L’équipe a forcément trouvé quelque

chose.Ilsnepeuventpasavoirfaitautantdedégâtsenpassant inaperçus.C’estbienpourçaqu’onaunecaméradesurveillancedanscettezone.

RyanlanceunregardàDamienetfroncelessourcils.–Ilsontpiratélecanaldediffusion.C’étaitunenregistrementquitournaitenboucle.–Quoi?jem’exclame.–Dequelledurée?demandeJackson.–C’estuneboucled’unedemi-heure.Ilsontdûenregistrerversdeuxheuresdumatin,

etilsontcommencéàrépéterladiffusionàpartirde2h30.Iln’yavaitpasdelunelanuitdernière, donc c’était filmé en infrarouge, et personne n’a rien remarqué au poste desurveillance.

–Alorscommentvousavezcompris?–UnefoisqueDamienareçul’e-mail,onsavaitquoichercher.Je regarde Jackson, qui garde vaillamment son sang-froid. Mais je vois la colère

sourdre,etlapressionaugmenterpeuàpeu.Ilsetourneversmoi,tenducommeunearbalète:–Jevaispeut-êtremeretrouverenprisonfinalement,parcequejejurequejevaisfaire

lapeauàcechacal.–Ilfaudrad’abordquetutebattesavecmoipourgagnerceprivilège,ditDamien.Jelesdévisagetouràtour.–Jevousinterdisdeblaguerlà-dessus,touslesdeux!Ilssejettentunregardencoin,etmalgrétout,jeperçoisunelueurd’amusementdans

leursyeux.Jefinisparsouriremalgrémoi.Ilssontbiendelamêmefamille,cesdeux-là.

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16

Je passe une grande partie du mardi et toute la journée du mercredi sur l’île avecJacksonàorganiserlaremiseenétatetàpataugerdanslesvestigesdecetinfâmeactedevandalisme.J’aicommencéàavoirmalauventredèsl’instantoùj’aiposélepiedsurl’îleetoù j’aivu lesdestructionsdeplusprès– lesenginsmassacrés, lesentrepôtsdémolis.Etcen’étaitquelapartieémergéedel’iceberg.

Toutaétésaccagédefaçonméthodique.Jenedésireplusquedeuxchoses:trouverlesalopardquiafaitça,etréparerlesdégâts.Parcequ’enréparant,j’aurail’impressiondeluifaireungrosdoigtd’honneur,etdeluiannoncerqu’ilaperdu.

Le jeudi matin, je suis de retour au bureau, mais la journée ne s’annonce pas plusréjouissante. Je suis sur le pont depuis quatre heures dumatin, carDamien a une flopéed’appels àpasser à l’étranger. Le seul avantagede ces coupsde filmatinaux, c’est que jen’aipasletempsderuminerlesabotageoudem’inquiéterqu’unenquêteurdébarquepourpasser lesmenottesà Jackson.Lemardi soir comme lemercrediont étémerveilleusementexemptsdetoutearrestation,maisjerestesurlequi-vive.

Lamatinéesedérouledansunbrouillardd’appelstéléphoniques,d’e-mailsetdecrisesmineures, à la fois personnelles et professionnelles. Ces dernières concernent toutes leDomaineet l’agendadeDamien.Nouspréparons son séjour enChinedumieuxquenouspouvons ; il nepasse qu’une semaine àBeijing,mais avec tous cespréparatifs, on croiraitqu’ilvayresterplusd’unmois.Ilpartdimanchesoir,ettoutlemondeestsurlesdentsaubureau.

Quantauxcrisespersonnelles,ellesneconcernentquemoi.Noussommesrentréstardàlamarinahiersoir,etdèsqu’ilyaeudenouveauduréseau,montéléphonem’anotifiéed’unedouzainedemessagesd’Ethan,quimedemandait si j’allaisbienetmerépétaitqu’ilm’aimait.

MêmechosepourCass,quiapassétoutelajournéedumardietdumercrediàm’écriremessagesurmessage.

«Tueslà?

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Houhou?PourquoiEthant’acouruaprèslundisoir?»

«Tuveuxveniràlamaison?Tuveuxquejevienne?Jacksonn’estpasendétentionprovisoire,quandmême?»

«Pourquoitunemerépondspas?»

«Tain,Syl,tufaischier.»

«Pardon.Désolée.(Passidésolée,maisréponds-moi,quoi!)»

«Bahalors?»

«Sylvia?J’aiappelétonboulot.T’yespas.»

Dèsquej’enaifiniaveclerendez-voustéléphoniquede8heuresdeDamien,jeréponds

àCass.

«Excuse-moi!Pardon!J’étaissurl’île.Çacaptepaslà-bas.C’est le gros bordel avec Cortez et avec Jackson.Mais pas de panique. Pas trop. Pas

encore.Fautquejetelaisse.J’aiuntafdemalade.»

Ellemerépondpresqueaussitôt.Manifestement,elleattendaitdemesnouvelles.

«T’essûre?Attends:tum’aspasditpourEthan.Qu’est-cequis’estpassé?»

Je me renfrogne en songeant que mon père a traîné Ethan au beau milieu de mon

dramepersonnel,undétailquis’étaitretrouvéenfouisouslesdécombresdel’îlevandaliséeetlamenaced’arrestationau-dessusdenostêtes.

«Monpèreluiatoutraconté–jesuisVRAIMENTvénère.»

Saréponseestcourteetvadroitaubut.

«Putain,lavache.Çava?»

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J’hésite,puisrépondshonnêtement.

«Maintenant,oui.Àpeuprès.Sérieux,fautquej’yaille.T’inquiètepaspourmoi.Pasbesoind’autrestatouages.Promis.»

Saréponse–Bisousbisous–mefaitsourire.PourEthan,toutefois,jenepeuxpasmecontenterd’untexto.Maisjesaisaussiqueje

nepeuxpas l’appeleravant10heures.Saboîte–uneagencedevoyagesen ligne– luiadonnétroissemainesdecongépourqu’ilaitletempsdeseréinstallerauxÉtats-Unis.Pourmonfrère,çasignifiefaireunecuredegrassesmatinées.

Franchement,çamevatrèsbiend’attendreunpeu.Monpèreestladernièrepersonneàqui j’aienviedepenser,aussi jereplongedansletravailavecuneardeurredoublée.À9heures,Damienentameuneconférencetéléphoniqueprévuepourdureruneheure,etMilaseprésenteàmonbureau.

C’est l’unedes secrétaires volantesde la boîte, et j’avais demandé à ce qu’elle viennem’aider,étantdonnémadoublerationdetâchesaujourd’hui:commeassistantedeDamienetcommechefduprojetCortez. J’auraispréférédélégueràRachel,maiselleestde reposjusqu’àsamedi.

Même avecMila, je ne parviens pas à prendre de pause, car la presse a eu vent dusabotage de l’île et je dois répondre à une avalanche de coups de fil. Journaliste aprèsjournaliste, j’affirme que la situation est sous contrôle, que la photo de la destruction quileurestparvenueesttrompeusecarlesdégâtssontbienmoindresquecequ’ellemontre,etque la remise en état ne retardera en rien l’ouverture, qui aura lieu à la date prévue. Etchaque fois que je répètemon laïus, j’ai envie d’étrangler le trou du cul qui a causé cesdégâts,quiapriscettephoto,etquim’afoutuedanslamerde.

Etencore,s’iln’yavaitquelapresse;maisnon,lesinvestisseursappellent,euxaussi,etmême si j’ai réussi à apaiser laplupartd’entre eux, il y ena encoreunqui vientdenouslâcher. Et bien que mon contact n’ait pas spécifié qu’on perdait cet argent au profit desGrandes Marées, je ne peux pas me défaire de l’idée que c’est le cas. Ainsi, sans l’avoirsouhaiténimêmeanticipé,jemeretrouvedansl’arènepourunduelàmortaveccemaudithôteldeSantaBarbara.

Etaumilieude toutça, j’essaiedepréparerceque j’aiannoncécommeétantdéjàencours : l’organisationet la supervisiondunettoyagede l’île,quidébuteradèsqueRyanetsonéquipeaurontfinidecollecterlesélémentsnécessairesàl’enquête.

Enrésumé,jesuisfrustréeetsurlesrotules.Horsdemoiaussi,àl’idéequequelqu’unchercheàm’emmerder.

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Enfin, techniquement, c’est le Domaine qui est visé. Mais j’ai tendance à prendrepersonnellementtoutcequiestliéàCortez.

À 11 heures, Damien enchaîne avec une autre conférence téléphonique, cette fois-ciprévuepourdurerunedemi-heure.Miraculeusement,lecalmerevientetjepeuxconfierlesrênesàMilaletempsd’allermechercheruncaféàlasalledepause.

Enchemin,jecroiseTrent,cequimerappellelaconversationquej’aieueavecJacksonàproposdeNathanDean.JesaisqueDeantravaillesurlanouvellemaisondeTrent,maiss’iln’apasd’autresprojetsencours,çapourraitl’intéresserdeseconderJacksonaucasoùilseraitarrêté.Pire:condamné.

Lesimplefaitd’ypensermemetdanstousmesétats.Aprèstout,jesuisdéjànerveuse.Chaque fois que l’ascenseur s’ouvre, jeme tourne enm’attendant à voir deux inspecteursmunisd’unepairedemenottes.

Jenepeuxpascesserd’ypenser.Ilfautquejeprennedesdispositions«aucasoù».Ilfaut que je sache que quelqu’un remplacera Jackson si le pire arrive. J’envisage desoumettre leplanàDamien,mais endéfinitive, c’estmoi le chefdeprojet, et cegenredecoupdefil,c’estàmoidelepasser.

Alors, dès que je suis de retour au bureau de Damien, je décroche le combiné endemandantàMila:

–Tupeuxprendrelesappels?JedoispasseruncoupdefilpourleDomaine.–Pasdeproblème,répond-elle.Elle est intelligente et compétente ; dans unmois ou deux, elle pourra travailler ici

touteseule.Avecunpeudechance,ceseraàRachelde la formerparceque je seraidéjàdans mon nouveau bureau, au département immobilier. Pour l’instant toutefois, elleapprendenmeregardanttravailler.

Deanrépondàlapremièresonnerie,etsembleunpeuessoufflé.–Euh,NathanDeanàl’appareil.–BonjourNathan.C’estSylvia.Commentvas-tu?–Oh,répond-ilavantdeseraclerlagorge.Désolé.J’étais…J’étaisentraindefaireun

truc.Jecroyaisquec’étaitDamien.Est-cequ’il…–Ilvabien,maisjen’appellepasdesapart.En général, Nathan est réservé et assez impressionnable. S’il comprend que Damien

n’est pas sur le point de s’immiscer dans la conversation, il se tranquillisera, dumoins jel’espère.

–Jevoulaissavoirsionpouvaitprendrerendez-vousensemble.J’aiunprojetpotentielàvenir,etsituasletempsdet’enoccuper,onpourraitenparler.Tusaisquejetravailleaudépartementimmobiliermaintenant?

–Oui,biensûr.Je…Ehbien, jesuis flattéquetuaiespenséàmoi,maispour tout tedire,j’aiunagendadeministrejusqu’auprintemps,aumoins.

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–Ah,c’estchouette!Je suis sincèrement heureuse pour lui. Comme je n’avais rien lu à son sujet dans la

pressespécialisée,jecraignaisqu’iln’aitpasbeaucoupdeprojets.– Je suis au courant pour lamaison de Trent, évidemment,mais sur quoi d’autre tu

travailles,sinon?–Ehbien,ilyaunautreprojetavecTrent,et…– Avec Trent ? (Je sais que ce n’est pas pour le compte de Stark Real Estate

Development.)IlsefaitconstruireunemaisondevacancesàSantaBarbara?J’aiposé laquestionunpeuauhasard, simplementen repensantau faitqueTrenty

étaitdernièrement.SibienquelesbalbutiementsdeNathanmesurprennent:–SantaBarbara?Non.Non,pasdutout.Jeveuxdire,iln’estpas…Écoute,enfaitje

vaisêtreenretardàuneréunion,là.–D’accord,pasdeproblème.Je luidis au revoir etnous raccrochons.Mais jemedemandeàprésent cequeTrent

mijote.Jenevoisvraimentpaspourquoiilvoudraitgarderunprojetsecret.Àmoinsqu’ilnesoitentraindechangerdeboîte,etqu’ilneveuillepasencorequeçasesache?C’estunehypothèse tout à fait plausible. Il l’avait eue vraiment mauvaise quand le projet Cortezm’était revenu plutôt qu’à lui. Mais je ne l’aurais pas cru vexé au point d’aller postulerailleurs.

Çam’ennuieraitqu’ilparte,maisjenepeuxpasfairetairelapetitevoixégoïsteenmoiqui souligne que l’absence de Trent au département immobilier signifierait davantaged’opportunitésdecarrièrepourmoi.

Je note mentalement de penser à demander à Rachel si elle a des infos à ce sujet,quandMilarelèvelesyeuxdutéléphone,justeaprèsavoirterminéunappelpourDamien.

–Toutvabien?– Mouais… C’est juste que le mec que j’espérais appâter avec la promesse d’un bon

boulotn’estpasdisponible.–C’estunebonnenouvelle,non?– Pour lui, oui, dis-je en gonflant les joues avant de souffler doucement, vaguement

énervée,etunbrinfrustrée.Maispourmoi,c’estpasgénial.Bon,j’aibesoind’unautrecafé.Jet’enrapporteun?

–Non,merci.Maisjepeuxallertelechercher,situveux.Jedéclinesapropositiond’ungeste.–Çavamefairedubiendemarcherunpeu.Montéléphoneportablesonneaumomentoùjemelève.C’estEthan,etjerépondsen

m’éloignantdemonbureau.–Ouf,jevoulaist’appeler!J’étaissurlebateauetjen’aipasreçutestextosavantd…–Sylvia,chérie,c’estpapa.

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Jetendslamainpourmereteniraubureau.–Pourquoituappellesavecletéléphoned’Ethan?–Tusaispourquoi,réplique-t-ild’unevoixà lafoisdouceetbourrue,commes’ilétait

agacémaisqu’ilfaisaitdesonmieuxpournepaslemontrer.–Jenepeuxpasteparlermaintenant.Tun’avaispasledroitdeluidire.–Chérie,tu…–Arrêtedem’appelercommeça.–Jet’enprie,écoute-moi.Jet’aime.J’aiunmouvementdereculenentendantcesmots,siâpresvenantdelui.–Tuasunedrôledemanièredelemontrer.Arrêtedem’appeler.Jeteparleraiquand

jeseraiprête.–Ceseraquand?–Jamais,jemurmuretandisqu’unfrissonglacémeremontelelongdel’échine.Cesera

jamais.Jeraccrocheetchercheàreposerletéléphonesurlebureau,maismesmouvementsne

sont plus coordonnés, et le téléphoneme glisse desmains avant de tomber. Je lâche unjuron,etvoislefrontdeMilaseplisser.

–Toutvabien?– Oui, ça va, dis-je en souriant. J’ai juste… je n’ai pas assez dormi, tu vois. Je vais

prendrel’air.Dixminutes.D’accord?Jen’attendspas sa réponse. Jeme rue vers la caged’escalier, ouvre laporte à toute

voléeetlarefermeenm’adossantaumétalfroid.J’aienviedepleurer.J’aienviedehurler.Maisjen’enfaisrien.Àlaplace,jemerappellequejenesuispasunepetitechosefragile.J’entendslavoixdeJacksonmerépéterquejepeuxsurmonterça.Enpensée,jeluiserrelamaindetoutesmesforces.Etpuis–parceque jesaisqu’ilaraison–, je fermelesyeux, je laisseallermatêteen

arrière,etjerespire.

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17

Quand j’atteins enfin le vingt-sixième étage, je vois Lauren, l’assistante de Jackson,occupéeavecChesteretDoug,deuxdesesemployésnew-yorkaisarrivésiciavantlesautres.Jelessalueaupassagetoutencontinuantmaroute.

J’entredans le bureau vitré etm’arrête sur le seuil pour contempler Jackson.Deboutdevantunetableàdessinsurélevée,lesmanchesdesachemiseretroussées,sonattitudeestdétendue–ilestdanssonélément.Iladesécouteursauxoreilles,etàsafaçondebougerlamain, avec précision et fluidité, j’imagine qu’il écoute de lamusique classique.Quelquechosedepuissant.D’envoûtant.

Jem’avance,etmonattentionestattiréeparlepanneaudeliègequeJacksonainstallésur le seulvraimurde lapièce. Il est couvertdecroquisde travail encours,ainsiquedephotographiesdel’îlesoustoutessescoutures.

–Salopards,dis-jeentremesdents.Tasdesalopardsmerdeux.Je ne sais pas trop si je suis descendue ici parce que je voulais me débarrasser de

l’irritation persistante causée par le coup de fil demon père, ou pour raconter à Jacksonque j’y avais survécu.Que c’était horrible de lui parler,mais que jem’en suis sortie, sansm’effondrernimêmeverserunelarme.

Jenesaisplusvraiment,maisçan’apasd’importance.Parcequelavuedecesphotosme rappelle que ma priorité aujourd’hui, c’est le Domaine, pas mon père. Il faut que jeremettel’îled’aplombpourqu’ellepuisseaccueillirletravaildeJackson.Carc’estuntravailfantastique,etilesthorsdequestionquejelaisseuneordureinvisibletoutsaccager.

JesuispresqueàlaportequandJacksonm’arrête:–Salut.Je fais demi-tour. Il me regarde avec une expression chaleureuse et tendre qui me

réchauffejusqu’auxorteils.–Saluttoi-même,jerépliqueavecungrandsourire.–Tudébarquesettureparsaussisec,sansmêmedirebonjour?Jepenchelatêtesurlecôté,amusée.

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–Tuesdebonnehumeur.–Jedevraisfairelatronche?J’avancebiensurleprojet.Machérieestpasséemevoir.

Monbureauestenfinterminé.Etjusque-là,personnen’estencorevenum’arrêter.–C’estjuste,dis-jeenriant.Tuastouteslesraisonsd’êtredebonpoil.Ilpresseunboutondecommandesurlatable,etdesstoresdescendentduplafondle

longdechaquevitre, transformant l’aquariumenboudoir intimeenautantde tempsqu’ilenfautàJacksonpourmerejoindre.

– Ils ont terminé l’installation pendant qu’on était sur l’île, m’explique-t-il pourrépondreàunequestionquejen’aipasposée.Jemesuisditqu’unpeud’intimiténeferaitpasdemal,ajoute-t-ilenmeregardantd’unairsoudainlubrique.

Ilfermelaporteetj’entendsdistinctementleclicduverrouqu’iltourne.Jecroiselesbrastandisqu’ilseretourneversmoi,ethausseunsourcil.–Qu’est-cequevousêtesentraindefaireexactement,monsieurSteele?–J’explorelespotentialitésdemonnouvelespacedetravail.– Oh, vraiment ? Dois-je vous rappeler que nous sommes en plein travail ? je lui

rappelle, amusée, émoustillée aussi… Que vous devez me remettre des plans trèsprochainement?Qu’ilyadesgensjustederrièrecetteporte?

– Ah bon ? demande-t-il en soulevant lentement ma jupe, jusqu’à découvrircomplètementmonintimité.

Ungémissementm’échappe.Ilglissesamainentremesjambesetenfoncedeuxdoigtsenmoi.Jepousseuncri,desurpriseetd’excitationàlafois.

– Voyons,mademoiselle Brooks. Vous ne voudriez pas attirer l’attention sur ce qui sepasseici,n’est-cepas?

Jefermelesyeux,emportéeparunedéferlantedesensations.–Jackson,s’ilteplaît.–S’ilteplaît,quoi?Jen’ensaisrien.S’ilteplaît,arrête?S’ilteplaît,caresse-moi?S’ilteplaît,baise-moi?Je sais que je devrais protester. Je devrais reculer. Mais comment, alors que chaque

terminaisonnerveusedemoncorpss’enflammepourlui?Commentgardermonsang-froidalorsquejesuisivrededésiretdevolupté?Quandlatentationdesimplementlâcherpriseestsifortequejen’aipasd’autrechoixqued’ycéder?D’ysuccomber?Etdem’envoler?

Etpuisquec’estJackson,c’estexactementcequejefais.Ilmecaressed’undoigt,jouantavecmonclitorisetmeslimites.–Seigneur,tuestellementbellequandtuesexcitée.Tuirradies,commes’ilyavaitune

petite flamme qui brûlait en toi. Mais ce que je veux, moi, c’est un incendie, Sylvia,chuchote-t-ilenglissantsamainderrière,entremesfesses,pourtitillermonanus.Jeveuxteréduireencendres,découvrirtoustessecrets.

–Jen’enaipas.Jen’enaiplus.Tusaistoutdemoi.

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Moncorpsvibrededésir,commeunpur-sangdanssaboîtededépart.Seslèvresfrôlentmonoreille,etlasensationlégèredesonsoufflesurmapeaumerend

dingue.Quandilprendlaparole,jemesensfondre:–J’aitellementenviedet’enculer,là,toutdesuite.Deteprendredelamanièrelaplus

intime possible, ici, en pleine journée, vingt-six étages au-dessus de la ville. Dis-moi, mabelle.Est-cequeçat’excite?

–Oui,dis-je,incapabledenierquoiquecesoit.–Jenet’aijamaispriseparlà.Dis-moiquetuenasenvie.–J’enaienvie.–Pourquoi?Pourquoi?Parceque jepensequeceseradélicieux.Parceque jeveuxmeplieràtous

sescaprices,àtoussesplaisirs.Àtoutcequ’ilpeutavoirenviedemefaire,oudemefairefaire.Jen’aiaucunepudeuravecJackson.Jenesuisguidéequeparleplaisiretlafaimdelui.

Cen’estpascequejeréponds,cependant.Jemecontentededire:–Parcequej’aienviedetoi.Parcequej’aiconfianceentoi,parcequej’aibesoindetoi.Ilémetundouxgrondementapprobateur,puis,délicatement,remetmajupeenplace.Stupéfaite,jeleregarde:–Mais?…Jem’interromps,perturbée.Nonseulementiln’apasfaitcequ’ilavaitpromisdefaire,

maisilnem’amêmepasfaitjouir.Iln’afaitquem’allumer.Très,trèsconsciencieusement.Ilyaunepointed’espiègleriedanssonsourire.–Bientôt.Jeledévisage,incrédule.–Ordure.Iléclatederire.– Ilme semblequenous sommes enplein travail,mademoiselleBrooks. J’espèrebien

quevous serezenmesuredevous concentrer,dit-il aprèsm’avoir regardéedespiedsà latête.

J’essaie de trouver une insulte à lui balancer quand la sonnerie de son interphoneretentit.C’estLauren,pourleprévenirdel’arrivéed’EvelynDodgeetArthurPratt.

Jacksonsourit.–Sauvéparlegong!Jelèvelesyeuxaucieletajustemesvêtements,enespérantquemonexcitationnesera

paspercéeàjour.–Allonsvoircequ’ilsveulent.–Attends,dit-ilenmeretenantavantdem’embrasser–legenredebaiserquiconstitue

quasimentun substitutau sexe, etmecomble jusqu’au centredemonêtre.Unepromesse

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pourl’avenir…Jesoupired’aise.–Jenemanqueraipasdeterappeleràtesdevoirs.–J’espèrebien.Arthur et Evelyn attendent devant une table surmontée d’une maquette du projet.

Jacksons’ensertpourréglerdesquestionsd’aménagementdel’espace,etilabeaurépéterqu’ellen’estni à l’échelle, ni représentativedu résultat final, je la trouve sublime. J’adorepouvoirvisualiserlesbungalowsprivatifs,l’hôtel,lesairesdeloisirs…

J’aienviedeluidirecombiensontravailestfabuleux.Lefaitquechaquepierre,chaqueédifice soit en harmonie avec le terrain. Le fait que les lignes semblent tomber sinaturellementduciel.

L’architecture a toujours été une de mes passions, et je suis en admiration devantl’hommequej’aime,etdevantsacapacitéàmêlersispectaculairementformeetfonction.

Jel’observe.Lalignedesamâchoire,lestraitsanguleuxdesonvisage.Ilsetientdroit,fier,etondevinesanspeinelaforceetlavolontéquiontpermisdecréertantdesplendeur.À le contempler,ma peur diminue. Parce qu’un être capable d’accomplir de telles chosesn’estpasdeceuxqu’onpeutenfermer.

Peut-êtrequ’ilvaréellements’ensortir.Evelynnoussalued’unsignedetêteensetournant,avantdemontrerlamaquettedu

pouce:–Beautravail.J’aihâtedepasserunweek-endlà-baspourmedétendre.–Voussereznotreinvitée,biensûr,dis-je.–Danscecas,disonsplutôtunesemaine,plaisante-t-elleavantdetournersonregard

versPrattetd’ajouter : regardezsurqui jesuis tombéedans l’ascenseur.Etcomme jesuisaussi curieusequevousde savoir cequenotreenquêteurde chocadécouvert, jeproposequ’ilparleenpremier,ettantpispourlagalanterie.

–Alorsvousavezapprisquelquechose?demandeJackson.– Je suis en train de rassembler des éléments, précise-t-il. C’est un processus. Mais

quelquechosesedessine.Jackson nous conduit à la salle de conférence, et Pratt reste debout tandis que nous

prenonsplaceautourdelatable.–Plusieurschoses.Nousavonsrécupérélesimagesd’unecaméradesurveillanceplacée

àquelquesmètresdechezReed.L’angledevisionn’estpasextraordinaire,maisaumoinscinqpersonnesontapprochélamaisondeReedlesoirdumeurtre.

–J’enfaispartie,ditJacksonengrimaçant.Apparemmentuntémoinm’areconnu.–Jesais,monchou,ditEvelynenluitapotantlamain.Charlesmel’adit.Maisons’en

arrangera.

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– Nous savons à présent que vous n’étiez pas le seul, dit Pratt. Ça donnera desmunitionsàHarriet.

–Trèsbien,dis-je.– Oui, c’est très bien, confirme Pratt. Mais c’était le soir d’Halloween, et Reed avait

éteintlalumièrepourdécouragerlesgamins.Lesimagessontdetrèsmauvaisequalité.Onessaiede les retravaillerunpeu,mais iln’y apasgrand-choseà faire surunevidéoaussisombre. On ne peut pas faire apparaître des détails qui n’ont tout simplement pas étéfilmés.Avecunpeudechance,quelqu’und’autredans levoisinageauraunecaméraavecune meilleure définition et la porte de Reed dans le champ. Mes gars bossent là-dessus.Mais ce qu’il y a de vraiment intéressant, c’est que j’ai eu la confirmation que votre pèreavaiteuuntête-à-têteavecReedrécemment.

–Lesoird’Halloween?jedemande.–Non.Quelquesjoursplustôt,unesemainepeut-être.Maisçam’aparusuffisamment

étrange pour être mentionné. Et apparemment, les policiers sont du même avis. Moncontact là-basm’a prévenu qu’ils avaient parlé avec lui. Le père Stark dit qu’il a taillé leboutdegrasavecReedàproposd’architecture. Ilessayaitde lui fairemettredu fricdansunefondationdontilfaitpartie.

Evelynm’avaitditqueJeremiahsiégeaitaucomitéduprojetdeConservatoirenationald’histoire et d’architecture, et il se trouve qu’il s’agit d’une des principales sources definancementdeStoneandSteele,ledocumentairesurletravaildeJacksonquivientjustedesortir.

Jacksonfroncelessourcils.–Etenquoic’estintéressant?–Çanedonnerapeut-être rien,admetPratt.Mais j’aiquandmêmeenviedecreuser,

parcequejen’encroispasunmot.Jacksonsecarreplusconfortablementdanssonfauteuilenétirantlesjambes.–Jevousécoute.Prattfaitcraquersesdoigtsenarpentantlapièce.– Le truc, c’est que Reed se la jouait. Il avait un assistant, et son assistant avait un

assistant. Vous voyez le genre. Très entouré. Il avait besoin d’eux pour aller chier, parcequ’ilsetrouvaittrèsimportantetqu’ilvoulaitquelemondeentiersoitaucourant.

Jenecommentepas,maisjenesuisabsolumentpassurprise.–Continuez,ditJackson.–Cen’étaitpaslegenreàsepointerseulauxrendez-vous.J’aiposélaquestionàtrois

de ses anciens assistants et ils ont tous confirmémon hypothèse. Donc, soit il a fait uneexceptionpourStark…

–…soitStarkamenti,jeconclus.–Exactement.Resteàsavoirpourquoi.Est-cequ’ilauraituneraisondeletuer?

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–C’estdubontravail,ditJackson.Merci.–Eh,vousmepayezpourça.D’ailleurs, jevous laisse.Jen’aipasderaisonderester

pourécouterEvelyn,aussifascinantqueçapuisseêtre.IlserrelamaindeJackson,prometderevenirbientôt,ets’enva.–J’aimeraisqu’onreconsidèrel’idéedemettrelapresseaucourantausujetdeRonnie,

ditEvelyn.–Certainementpas,rétorqueJackson,maisEvelynnerelèvepas.–C’estunbonangle.Unpèredansl’adversitéquiessaiedefairecequ’ilyademieux

poursafille.Lepublicenraffolera,etilfautqu’onprennelesdevants…–J’aidéjàditnon,Evelyn.Ellelèvelesmains:–C’estmonboulotdecontinueràessayerdevousconvaincre…Maispassons,dit-elle

envoyantqu’ils’apprêteàl’interrompredenouveau.Quelquesmagazinesontmanifestédel’intérêtpourvous.Ilsveulenttousparlerdumeurtre,aucunnes’intéresseàvotretravail.

–Jesupposequevousleuraveztousditnon.Ellemeregarde.–Cegarçonnemeconnaîtpasencoretrèsbien.–Vousleuravezditd’allersefairefoutre,dis-je.–Vousvoyez?Sylvia,ellemeconnaît.Jacksonéclatederire.–Donc,c’estréglé.–Oui,mais jen’aimepasque lapressegrandpublicvousvoiecommeça.Làaussi, il

faut qu’on prenne les devants. Et il se trouve qu’une occasion vient de se présenter.Architecture in View. Le journaliste veut faire un portrait, mais qui serait centré sur leDomaine,passurlemeurtre.Jepensequevousdevriezacceptercetentretien.

–Vouspensezqueçavautlecoup?Evelynfaitunepetitemoue.– Je pense qu’on a la garantie qu’ils vous dépeindront favorablement. C’est un

magazine récent, donc encore confidentiel. Pour le moment, ils ont surtout réussi àinterviewerdesarchitectescommeNathanDean.Vousseriezunbeaucouppoureux.

–Ilaétéinterviewépourcemagazine?Il ne m’a jamais parlé de ses autres projets, et je suis plus curieuse que jamais d’en

savoirdavantage.–C’estcequemoncontactm’adit.Entoutcas,lemagazinefaitdessortesdeduels,en

opposant deux ensembles architecturaux. Cemois-ci, ce sont les stations de ski. Vous, ceseralesîlesdevillégiature.

– Des duels ? je demande. Dans ce cas, ils devraient opposer Cortez aux GrandesMarées,parceque…

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Jem’interromps,lespiècesdupuzzles’assemblent.–Quoi?demandeJackson.–Venez,dis-je.Jevousexpliqueraienchemin.

J’exposemathéorieàEvelynetJacksontandisquenousmontonslesmarchesquatreà

quatrepournousrendreaubureaudeTrent,auvingt-septièmeétage.Dèsquenousavonsatteintlepalier,Jacksonprendlatêteetfonce.

–Merde,jejureenmedépêchantpournepasmelaisserdistancer.Karen,laréceptionniste,nousregardepasserenécarquillantlesyeux.–Maisqu’est-ceque…–AppelezDamien.Dites-luidedescendretoutdesuite.IlnousfautAiden,aussi.J’échangeunregardavecEvelyntandisquenouspressonslepas.Jeveuxentendrece

queTrentvadirepoursadéfense.Mais surtout, j’aiunpeupeurqueJacksonne lui fassebouffersesdentsavantquej’aieeuletempsd’arriver.

Pourl’instant,mathéorien’ariend’avéré;elleestseulementnourrieparl’idéequelesdeux complexes hôteliers sont engagés dans un duel où tous les coups sont permis.Quiconque développe les Grandes Marées a manifestement une dent contre StarkInternational – et je parie qu’on a recruté des initiés pour faire le sale boulot. Trent, quiétait dégoûté de ne pas avoir la main sur Cortez. Et Nathan Dean, qui aurait vouluconcevoirlecomplexe,maisqu’onn’amêmepasenvisagé.

Unepartiedemoiespèrequejemetrompe,mêmesiçavoudraitdirequenoussommestoujoursdanslebrouillard.

Maismalheureusement,jesaisquej’airaison.–Espèced’enfoiré!Le grondement féroce de Jackson résonne dans le couloir, suivi d’un fracas

impressionnant. Je déboule dans la pièce pour voir Trent plaqué par Jackson contre unebibliothèque,quiavisiblementencaisséunsacréchocpuisquedeslivresetdesbibelotssonttombés. Le bras de Jackson écrase la gorge de Trent, qui semble être sur le point de sepisserdessus.

–Jackson!jebraille.Je ne crains pas qu’il fasse du mal à Trent, en revanche l’enquête sur le meurtre

m’angoisseterriblement–lamoindresauted’humeurrisquedeseretournercontrelui.AidenWard,levice-présidentenchargedudépartementimmobilier,etnotresupérieur

direct,àTrentetàmoi,accourt,sansdoutealertéparlebruit.–Lâchez-le,ordonne-t-ild’untonsec.Sonaccentbritanniqueestplusprononcéquandilestencolère.Jacksonl’ignore.– C’est vrai ? demande-t-il à Trent, son visage tout proche du sien. C’est toi qui

cherchesàniquermonhôtel?Aidenmeregarde,stupéfait:

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–Qu’est-cequec’estquecettehistoire?Maisjen’aipasbesoinderépondre.Trentlefaitpournous:–C’estdevenuhorsdecontrôle.Jen’aijamaiseul’intentionde…Levandalisme,jejure

quecen’étaitpasmoi.–NomdeDieu!rugitAiden.Apparemment,lespiècesdupuzzleviennentdes’assemblerpourluiaussi.–Lâche-le,dis-jeàJackson,maisd’unevoixplusdoucequecelled’Aiden,unpeutriste,

même.Jackson finit par s’exécuter. Il reste tendu comme un arc, vibrant de fureur. Il a très

enviedecasserlagueuledeTrent.Etjelecomprends.–T’escomplètementtaré,aboieTrentensefrottantlagorge.Jepariequec’esttoiqui

asassassinél’autrecon.Lavache,tuasfaillimetuer.–Nemelefaispasregretter,lâcheJacksond’unevoixdangereusementdouce.Derrière nous, presque tout le département s’est attroupé à la porte. À côté demoi,

Evelynsedécale,etjesaisàquoiellepense,parcequej’yaipenséaussi:siuntémoindelascèneracontecequ’ilvientdevoiràlapolice,çavasentirleroussipourJackson.

Jemedisquepersonneicinepiperamot.IlssontloyauxenversStark.Enversleprojet.Detoutefaçon,iln’yarienquejepuissefairepourlesenempêcher.Etj’aiautrechose

àréglerpourlemoment.–C’esttoilepromoteurdesGrandesMarées?C’esttonprojet?–Non…non, ilssontvenusmechercher. IlssavaientqueCortezm’étaitpassésous le

nez,et…euh,ilsm’ontcontacté.–Quiça?demandeAiden.–Legroupedepromoteurs.Maisc’estRogerCalloway,leboss.–Jeconnaiscenom,ditJacksonensetournantversmoi.Jesecouelatêteensignededénégation.Cenomm’estvaguementfamilieraussi,mais

jeneparvienspasàmerappelerpourquoi.JelanceàTrent:–QuiestRogerCalloway?Maisiln’apasletempsderépondre.Damienentredanslapièced’unpasdécidé.–Calloway faisait partieduBrightonConsortium,dit-il, etuneautrepiècedupuzzle

trouvesaplace.Callowayn’apeut-êtrejamaissuqueDamienavaitsauvélapeaudetouslesacteursdu

projet,àl’époque.Ilapeut-êtresongéqu’iltenaitsarevanche,aveclesGrandesMarées.EtquelesabotagedeCortezluipermettraitdefairecoulerDamienunebonnefoispourtoutes.

MaisjemefousdecequiapusepasserdanslatêtedeCalloway.Toutcequejeveux,c’estquelesmanœuvresdesabotageprennentfin.

–Parle,ordonneDamien.

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–Je…IlaapprochéNathan,d’abord.Maisentoutehonnêteté,vraiment.Nathanétaitaucourantdecequejefaisais,maisiln’ajamaisrienfaitdemal.Iln’afaitquebossersurlesplans.

–Toi,enrevanche…continueDamien.Trenthochelatête.–Callowayvoulaitdesinfossurlaconception,lesfournisseurs,leplanmarketing…–Ilavaitbesoind’unespion,dis-je.Trentacquiesceensilence.–Ilst’ontfaitpiraterlesystèmedevidéosurveillance,lesboîtesmail,toutça?demande

Aidend’unevoixdure,autoritaire.–Oui,presquetout.Mais je leuraiditqueçasuffisait, ilyaquelquessemaines.Et le

saccagede l’île, jen’y suispour rien. Je le jure. Ilsontdûengagerquelqu’unpouryalleret…

–Çasuffit,lecoupeDamien.Ilseretournepournousfaireface,Jackson,Aiden,moi,etlespersonnesquisetrouvent

toujoursderrièrenous,dansl’encadrementdelaporte.–Allez-y.JevaisavoiruneconversationenprivéavecM.Leiter.Trentblêmit,maisneprotestepas.JeregardeJackson.Ilal’airépuiséetsoulagéàlafois.Cequ’ilmeconfirmedèsquenoussommesdanslecouloir,aprèsavoirrefermélaporte

dubureaudeTrent.–Aumoins,onalaclédel’énigmemaintenant.C’est leseultrucrésolu,aumilieude

touteslesemmerdesquej’aiencemomentdansmavie…Onsevoitplustard,d’accord?Jevaisretournertravailler.

Ilmedéposeunbaisersurlajoue,maisavantqu’ilaitpus’éloigner,Evelynl’arrête.–Navrée de ne pas en avoir fini avec lesmauvaises nouvelles,mais je n’ai pas eu le

tempsdetoutvousraconteravantcetteinterruptionspectaculaire.JecroiseleregarddeJackson,quisembleaussiinquietquemoi.–Desmauvaisesnouvelles?demande-t-il.–Ehbien,plutôt,oui. Jen’aipaseude confirmation,mais il sembleraitqu’uneautre

sociétédeproductionaitcourtiséGrahamElliott,etilesttoujourspartantpourfairelefilm.Jesuisdésolée.

–Attendez.Quoi?demandeJackson,commesiEvelynn’avaitpasparlédistinctement.–Lefilm,répète-t-elle.Reedestpeut-êtremort,maisjecrainsquecenesoitpaslecas

dufilm.

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18

–J’ycroispas!s’exclameCass.Nous sommes vendredi matin, et elle est venue en ville parce que Siobhan a un

entretiend’embaucheaumuséed’Artcontemporain,àdeuxpasdelaStarkTower.Nous nous sommes installées dehors, à côté du kiosque à café de Java B’s, et nous

buvonsunlatteenmangeantunpainauchocolat.–Jel’avaisrencontréunefois,non?Àunefêtedeboulotoùtum’avaistraînée?JeviensjustedeterminermonrécitdudrameoùTrenttientlerôleprincipal.–Oui.ÀlafêtedeNoël,l’annéedernière.Ilt’avaitdraguée.–Ahoui,c’estvrai.Jeluiavaismisunrâteau,toutendouceur,évidemment.Jemasquemonsourirederrièreunegrossebouchéedeviennoiserie.–Jel’aimaisbien,àvraidire.Peut-êtrequej’auraiseudesdoutesplustôtsiçan’avait

pasétélecas.– Faut pas t’en vouloir. C’est pas évident de voir ce qu’il y a de pire chez les gens.

Damienadûlemassacrer.–Ill’aviré,sansménagement.EtilaappeléCalloway,aussi.–LemecdesGrandesMarées?Qu’est-ceque j’auraispasdonnépourêtreunepetite

sourisdanslapiècependantcecoupdefil!–Grave.–DamienvaleforceràfermerlesGrandesMarées?– Non. Il a dit qu’il laisserait lemarché décider, çame convient tout à fait, puisque

Cortezva toutdéchirer.Mais il aprévenuCallowayque s’il pressentait encore lamoindrevacherie,illependraitparlescouilles.Texto.

–Ilenestparfaitementcapable,enplus.Callowaydoitsechierdessus.–J’espèrebien.C’estpourRachelquejesuisdésolée…ElleaimaitvraimentbienTrent.

Jel’aiappeléehiersoirpourtoutluiraconter.Jenevoulaispasqu’elledébarquecematinetqu’elleseprennetoutenpleinepoiresanscomprendre.Lapauvre,elleestàramasseràlapetitecuillère…Elleaprissajournée,j’ajouteenfaisantlagrimace.

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–Donctabonneactiont’apermisderécolterunedoubledosedetravail?– Mouais. Mais c’est pas grave. Plus je suis occupée, moins j’ai de temps pour

m’inquiéter.–EtJackson?Je roule mon sachet en boule et pose les mains sur mon gobelet de café pour me

réchauffer.–Ils’inquièteassezpourdeux.–Àcausedecequ’Evelynvousaditàproposdufilm?–Àcausedetout.Maislefilmestenbonneplacedanssaliste,oui.Ildevaitsepayer

l’enfer d’être suspecté de meurtre, mais au moins, le bon côté des choses, c’est que lechantageetlamenacedufilmavaientdisparu.

– Et donc maintenant, il est toujours suspect et le film pourrait bien se faire quandmême,c’estça?Ledestins’acharne.

–C’estàpeuprèsça,oui.Dansl’ensemble,jetrouvequ’ilaplutôtbienprislanouvelle.Noussommesalléschez

moi hier, puis nous avons passé la soirée à nous promener sur Third Street Promenadeavantdedescendre jusqu’à la jetée.Ensuite,nousavons regardé la téléau lit jusqu’àuneheureavancée,puisnousnoussommesendormisdanslesbrasl’undel’autre.D’uncôté,j’aisavouréleplaisird’êtresimplementaveclui.Maislasoiréeaététeintéed’inquiétudeetdefrustration.

– Je voudrais justeunevienormale, sans tous cesdrames et ces incertitudes,dis-je àCass.

J’ail’airgeignardeetcafardeuseendisantça,maisavecelle,jen’aipasbesoindefairebonnefigure.

Ellepassesonbrasautourdemesépaulesetjemeblottiscontreelle.–Jesaisbien…Çavavenir,net’inquiètepas.Elleal’airsûred’elle,maisjenelacroispas.Jesuischaquejourunpeuplusterrifiée

que laveille.Parcequechaque joursembleprouverque lesbonneschosesnedurentpas.Ellessonttoutesbroyéesparledrame,lesunesaprèslesautres.

C’estl’histoiredemavie,non?Monenfancedétruiteparmonpère.Monhistoired’amouravecJacksoninterrompueparmesproprescauchemars.Etàprésent, chaque foisquenous faisonsunpasenavantdansnotre relation,nous

nousprenonsdesgiflesdeplus enplus étourdissantes.Sabotage.Meurtre.Même lespluspetitesvictoiressontpiétinées,commehier.Nousavionsàpeinerésolul’énigmedusabotagequenousavonsétécueillisparlanouvelledecesatanéfilmquirenaîtdesescendres.

Et ce schémaqui semble implacableme terrifie ; si les bonnes choses sont fatalementsuiviesdesplusmoches,suis-jevouéeàperdreJacksond’unemanièreoud’uneautre?Soit

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parcequ’il finiraderrière lesbarreaux,soit,pireencore,simplementparcequ’onn’arriverapasàvivreensemble?

Jegrattel’étiquettesurmongobeletenfronçantlessourcils.–Cen’estpastout.AusujetdeRonnie,jeveuxdire.Comme elle me connaît suffisamment pour comprendre que j’ai quelque chose

d’importantsurlecœur,Casssetourneaussitôtversmoi.–Jet’écoute.–JacksonveutquejesoislatutricedeRonnies’ilestcondamné.–Lavache!Celadit,jenesuispassurprise.Jeveuxdire,ilt’aime,quoi.Quid’autreil

pourraitchoisirpourgardersafille?–Jesais.Crois-moi,jesuisconscientedetoutça.Mais…–Tuaslatrouille.–Jesuismortedetrouille.–C’estinutile.Iln’irapasenprison.Jegrimace.Étantdonné toutcequis’estpassédernièrement,cegenrededéclaration

optimisten’estàmonsensriendeplusqu’unegentilleplatitude.–Ets’ilyva,jepensequec’esttrèsbienqueRonnieresteavectoi.Tuserassuper,Syl.

Jeteconnais,etjesaisdequoituescapable.Jemeraccrocheàsesparolesencourageantescommeàunebouéedesauvetage.Cass

avaitunerelationfantastiqueavecsonpère;jesaisqu’ellecroitvraimentàcequ’ellevientdemedire,etsafoienmoimeréchauffedel’intérieur.Cettechaleur,toutefois,nefaitpaspourautantdisparaîtremesdoutes.

Cassm’observeattentivement.–Tun’aspasàêtrequelqu’und’autre,tusais.–Commentça?–Tun’aspasàêtre«Maman»,ou«TataSylvia»,oujenesaisquelautrenomqu’elle

pourraittedonner.SoissimplementSylvia.Soissimplementtoi-même.Tuserasparfaite.–Peut-être.Jenesaispas.Çamefoutvraimentlesjetons.–Jesais…Maisçavaaller.IlvalafairedéménageràLosAngeles,ducoup?–Jenecroispas.Ilypense,mais…hiersoir,ilm’aditqu’ilenvisageaitdelafairevenir

iciceweek-end,pourpasserdutempsavecelleaucasoù.Enfin…aucasoùilseraitarrêté.Maiscettehistoiredefilmestrevenuesurletapisentre-temps,etils’inquièteàl’idéequelesprojecteurssoientbraquéssurelle.

–Çasecomprend…PauvreJackson,quandmême.Jesuisbiend’accordavecelle.Maisjemesensaffreusementcoupable,carjesuisaussi

secrètementsoulagée.C’estminabledemapart,parcequejeneveuxpaspriverJacksondesa fille. Mais je suis vraiment nerveuse à l’idée de jouer un rôle dans cette petite vie si

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fragile,dontjepourraisdevenirresponsable.Etmêmesi jesuisquasimentconvaincued’enêtrecapable,égoïstement,cesursismesatisfait.

LetéléphonedeCassbipe,etellejetteunœilàl’écran.–Siobhanapresqueterminé.Tuveuxmarcherjusqu’aumuséeavecmoi?Jesuistentée,maisjerefuse.–Ilfautquej’yretourne.Nousnous levons et jeme rappelle enfin la commissionque jedevais lui fairedepuis

plusieursjours:– J’ai vu Ollie lundi, il m’a dit de te passer le bonjour. Y a pas le feu, mais il se

demandaitoùtuenétaisaveclafranchise.–Oh,dit-elleenserasseyant.–Ilyaunsouci?–Non. Jenediraispasça.Mais j’enaiparléavecSiobhan,et jevaisplutôtattendre,

finalement.–Vraiment?Jesuisàlafoissurpriseetinquiète.Ellesepassionnaitpourceprojet,etc’étaitl’undes

gros problèmes avec Zee, sa copine précédente, qui ne la soutenait pas du tout. Je nem’attendaispasàcequeSiobhansecomportedelamêmemanière.

– Pas éternellement, dit Cass, apparemment capable de lire dansmes pensées.MaisSiobhanm’a fait remarquer quepour lemoment, c’étaitmoi le visagede la société. Et endehors desmurs demon salon, personne neme connaît. Alors je vais engager quelqu’unpours’occuperdelapublicité.Ilfautquejecréeunlogo,quejememetteenavantpourmefaire connaître, ce genre de trucs… J’en ai besoin pour appâter les franchisés,mais aussipourdonnerplusdepoidsàmamarque,tuvois?

–Jepensequec’estunplangénial.– C’était l’idée de Siobhan, précise-t-elle, et je parie qu’elle voit le soulagement se

peindre surmon visage. Je sais, je sais : Zee était un vrai boulet.Mais avec Siobhan, ons’entendvraimentbien…Etàplusd’untitre,dit-elleavecunsouriremalicieux.

Elleselèvedenouveauetmetendlamainpourm’aideràmemettredebout,avantdemeserrerdanssesbras.

–EntreJacksonettoiaussi,çacollevraimentbien,dit-elle.Etc’estimportant.C’estcequivouspermettradevousensortir.

–Peut-être.–Fais-moiconfiance.Toutirabien.Jenerépondspas.J’espèrequ’ellearaison,évidemment,maisj’aidumalàlacroire.

Deux heures plus tard, je regrette d’avoir décliné sa proposition demarcher jusqu’au

musée, parce que ma tête va exploser à force de jongler entre huit millions de projetsdifférents.

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– Je vous trouverai le budget, dis-je au superviseur récalcitrant au bout du fil.Travaillez jour et nuit s’il le faut, mais toute la zone autour de l’héliport doit êtreopérationnelledèslundi.

Je raccroche, excédée, et ferme les yeux pourme calmer. J’ai eu beau travailler sansinterruptiondepuismapause-café, j’aiàpeineavancédans laremiseenétatde l’île.Et jen’aiquasimentrienrayédansmato-dolist.

Jem’apprête àme lancer dans la tâche suivante quand Ethan appelle. Dumoins, jepensequec’est lui.Jesupposequemonpèren’oseraplusmerefairecesalecoup,alors jeprendslerisquededécrocher.

–Jesuisdésolé,ditEthan.Jeviensdem’enapercevoir.J’arrivepasàcroirequ’ilaitprismontéléphone.Jesuistellement,tellementdésolé.

–Cen’estpastafaute.C’estluilesalaud,jeluiréponds,avantdeprendreunegrandeinspiration. Jem’excuse de ne pas t’avoir rappelé tout de suite. C’est vraiment de la foliefurieuse,encemomentauboulot.

–C’estpasgrave.J’aipenséquetuétaisfuraxàcausedepapaetquetuavaisbesoindetempspourtecalmer.

–Maisnon,dis-je,mêmesijel’étaiseffectivement,etquejelesuisencore,d’ailleurs.Unangepasse,péniblement,puisEthanreprendlaparole:–Jen’auraispasdûteledire.Merde.Je ne sais pas quoi répondre à ça, parce qu’une partie demoi est tout à fait

d’accord.Maisl’autredétestel’idéequ’ilyaitencoreplusdesecretsentremonfrèreetmoi.Finalement,ellel’emporte:

–Nedispasça.J’étaisencolèrecontrepapa,pascontretoi.Mêmesijenevoulaispasque tu soisau courant, çame rendaitmalheureusequ’onaitdes secrets.Et je te jurequec’estleseulquej’avaisdemoncôté.

J’attendsqu’ilmerépondelamêmechose,maisilneditrien.J’ignore si son silenceestéquivoque,ou s’il est simplement soulagéque jene soispas

fâchée.–Bon,alors,toutvabienentrenous?demande-t-ilenfin.–Toutvabien.Promis.Peuimportemessentiments,peuimportelessecrets,jenelaisserairiensedresserentre

monfrèreetmoi.–D’accord.Cool.Écoute…àproposdelafilledeJackson…–Jacksonveutquejem’occuped’elles’ilfinitenprison.–Oh,Syl.Merde.–J’aiaccepté.Et je te ledisseulementpourqu’iln’yaitpasdesecretsentrenous.Je

n’aipasenvied’enparlerpourlemoment.

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C’estsurtoutavecluiquejen’aipasenvied’enparler.Jesaiscequ’ilvadire,etjemesuis déjà assez fait peur comme ça toute seule aujourd’hui avec ces perspectives dematernité.

–Je…D’accord.Commetuvoudras.Tu…Tunem’enveuxpas?–Non,promis.Ilfautquej’yaille.Jenesuispasenvacances,moi.–C’estvrai,dit-ilenriant.Jet’appellebientôt.Jevaispeut-êtret’appeleràlarescousse

pourm’aideràacheterdesmeubles.–Tuastrouvéunappart?–Minuscule,maisavecvuesurlaplage.–Pasdeproblème,jet’aiderai.Tandisquenousparlons,lesportesdel’ascenseurs’ouvrentsurJackson.–Super.Merci,sœurchérie.Jet’aime.–Moiaussi,jet’aime.Jeraccroche,lesourireauxlèvres.– J’espère que c’était Cass ou Ethan, dit Jackson en traversant l’aire de réception

jusqu’àmonbureau.Sinonilvafalloirqu’onparle,toietmoi.–C’étaitmonamant,jerépliqueavecespièglerie.Maissitutravaillestrèsdur,tupeux

peut-êtreréussiràmelefaireoublier.–Jeferaidemonmieux,crois-moi.Ils’appuieaumurentremonbureauetlaportedeDamien.Lesmainsdanslespoches,

son sourire suggère qu’il n’a pas que le travail en tête. Quelque chose qui déclenched’agréablespicotementsenmoi.

–Quemevautceplaisir,monsieurSteele?–Jepensaisàcesoir.–Quellecoïncidence.Moiaussi.Nousavonsprévud’allersurl’îledemainaprès-midipourfairelepointavecl’équipede

nettoyage,puisdepasser lanuit là-bas.Mais ce soir,nous seronsencorechezmoi. Jemedélectaisà l’idéedesiroter tranquillementunbonverredevinsur la terrasse,mais lavuedeJacksonmefaitsongerqu’unesoiréeplussportiveseraitaussilabienvenue…

–Tuavaistrèsenviederesteràl’appartementcesoir?demande-t-il.–Tuasd’autresplans?dis-jeenfaisantunemouesanséquivoque.–TuterappellesceconcertdeDominionGatedontjet’aiparlé?–Oui,dis-jeencroisantlesbras.Pourquoi?– J’ai gagné quatre places pour y aller. J’ai pensé que ce serait unmoyen sympa de

s’évaderunpeu.–Sûrement,oui.Attends…Tuasditqueleconcertétaitcesoir?–Oui.C’estauxRafters,leclubquiaouvertilyaquelquetempsàBurbank.–AufinfonddelaVallée?

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–C’estlà-basqueçasepassepourlamusique.Çateditd’yaller?Jemens:–Biensûr.J’aiportéletee-shirt.Ilfautbienquejevoielegroupe.Aulieud’enchaîner,ilresteimmobileetm’étudieduregard.–Quoi?jefinispardemander.–Tun’asvraimentpasenvied’yaller,hein?J’hésiteunesecondeavantd’avouer:–Vraimentpas.Maistoioui,et jet’aimevraiment.Et jesaisquejevaism’amuserune

foislà-bas.–Tuessûre?Jemelèveetm’approchedeluipourpassermesbrasautourdesataille.–Jeferaisbienplusqueçapourtoi.Oui,jesuissûre,dis-jeavantdel’embrasser.Ettu

asraison,c’estunetrèsbonneidéedes’évaderunpeu.Ilmesoulèvelementonpourmeregarderdanslesyeux,sesirisbougeantlégèrement

tandisqu’ilmesonde.–Sais-tuàquelpointjet’aime?Unbonheurchaudetdouxmesubmerge,et jesourissi largementquej’enaimalaux

joues.–Oui.Jesais,dis-jesimplement.Jeposematêtecontresapoitrineenrespirantprofondémenttandisqu’ilmecaressele

dos, et à cet instant, j’ai une vision assez précise du paradis. Un endroit sûr, douillet,merveilleux.

Jesoupired’aise,puismedégagedesesbrasauboutd’unmoment:–Tuasditquetuavaisquatreplaces?–Audépart,j’aipenséqu’onpourraitinviterNikkietDamien.–Vraiment?dis-je,untantinetincrédule.–Eh, jenesuispascontre lefaitdetisserdes liensavecmonfrère.Mais ilestàPalm

Springscesoir,etNikkiestdéjàprise.–Week-endauspaavecJamie.–Tuestrèsbieninformée.–C’estmonboulot.EtNikkim’avaitinvitée.Jeluiaiditquejepréféraisresteravectoi.

(Jemehissesurlapointedespiedspourchuchoteràsonoreille.)J’espèrequetumeferasunmassagetrèscomplet,d’ailleurs.Commejeneprofiteraipasdeceuxduspa,jeveuxdire.

–Tupeux compter surmoi,dit-il endescendant samain le longdemondos jusqu’àmesfessespourlespincer,mefaisantglapir.Tuenaurasbesoin,aprèsavoirpassélasoiréedebout.

Jereculed’unpasetletoised’unairdubitatif.–Debout?

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–Iln’yapasdeplacesassisesauxRafters.Maisilyadelabonnebière,etdelasupermusique.

Il a l’air si enthousiaste que je n’ai pas le cœur de refuser, surtout quand je songe àl’enferqu’ilvitencemoment.

–Bon,d’accord.Jeviens!–Alorsonva faire les choses comme il faut. Jepasserai teprendreà septheures. Le

concertdémarreàdixheures.Ondîneraeton ira là-basauxalentoursdeneufheuresetdemie.Çateva?

–C’estparfait.–Est-cequej’inviteCassetSiobhan?J’aitoujoursdeuxplacesenrab.Saquestion–poséesisimplement,entoutesincérité–meprocureunejoieinattendue.– Oui, ce serait super ! (Je m’avance de nouveau dans ses bras pour l’embrasser

tendrement.)Etàvraidire,toiaussi,tuessuper.

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19

Quandnous sommesarrivés auxRafters –unbâtiment indéfinissable àBurbank,nonloin deNorthHollywood –, j’ai cru qu’Edward s’était trompé d’endroit.On aurait dit uneespècedecabanepeinteennoiraufondd’unjardin.Enfin,unetrèsgrossecabane,toutdemême.

MaisJacksonnousassuraqu’onétaitbienarrivés,etenregardantdeplusprès,jedusme rendre à l’évidence : non seulement un panneau annonçait Dominion Gate dans leparking,maisonvoyaitaussiunefiled’attenteserpenterautourdubâtiment.

J’avais lancé un regard dubitatif à Jackson, mais il s’était contenté de rire et de mepromettrequ’onallaitbiens’amuser.

Et,mafoi,ilavaitraison.À présent que nous sommes à l’intérieur, je me demande comment cet endroit a pu

passer avec succès toutes les inspections requises pour être déclaré conforme, car je suispersuadéequelaréverbérationdesbassesvafaires’effondrerlesmurssurlepublic.Mêmelesoldecimentvibre;maisilnes’agitpeut-êtrequed’uneillusion.Oubienc’estlerésultatdescentainesdepersonnesquidansentfollementsurlamusiquestridente.

Malgrétout,jem’éclate–etaveclafoulecompacte,l’absencedeclimatisationetnotrebien trop grandeproximité des enceintes, autant dire que cen’était pas gagnéd’avance !C’est peut-être grâce à la musique. Mais c’est surtout parce que Jackson passe un supermoment. Il est débarrassé de ses inquiétudes, décontracté. Sa joie a quelque chose depresqueenfantin.

Etjesuisprêteàsupporterbeaucoupdechosespourlevoirheureux.JesuisécraséeentreluietCass,quisepencheversmoipourmehurlerquelquechose,

mais jen’entendsrien.Je faisunegrimace interrogative,etelle lève lesyeuxaucielavantdememontrerdudoigtune fillequidanseàquelquesmètresdenous. Je commenceparcroirequeCass lamate– cequine lui ressemblepasdu tout,puisqueSiobhanest à côtéd’elle.

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Puis jem’aperçoisque la fille est en traindeprendredesphotosavec son téléphone.Pasdugroupe,maisdeJackson.

J’aimeraispenserquec’estparcequ’ilestincroyablementsexydanscejeanéliméetcetee-shirt qui colle à sa peau luisante de sueur, d’une manière qui m’hypnotisecomplètement.

Malheureusement, il n’en est rien. Quelqu’un l’a reconnu alors qu’on entrait, et j’aientendu la rumeur de « l’architecte qui a buté le producteur » se propager dans la fouleavantqueleconcertnedébute.

Toutefois, personne ne nous a abordés de front, et Jackson prend les choses avecphilosophie.

Je me retourne vers Cass et hausse les épaules pour lui signifier qu’on ne va pass’inquiéterpourça.Cesoir,onestlàpours’amusertouslesquatre,alorstantquepersonnene vient se planter devant nous, les gens peuvent bien prendre toutes les photos qu’ilsveulent.

Je suis pratiquement sourde quand le concert se termine. Je suis moi aussi couverted’unefinepelliculedesueur,etmontopàcolroulésansmanchesmecolleàlapeau,toutcommelapetitevesteencuiret laminijupeassortieque j’avaischoisiespour lasoirée.Unchoix peu judicieux,malgré la fraîcheur de novembre, car le contact du cuir collé àmesfessesetàmescuissesn’estpasfranchementagréable.

Quant àmes pieds, certes, je ne peuxm’en prendre qu’àmoi-même. Jacksonm’avaitprévenuqu’on serait debout. Il semblerait quemes sandalesnoires àpetit talonne soientpasleschaussurestout-terrainquejecroyais.

Ensomme, j’attendsavec impatiencedesortirpourprendreuneboufféed’air frais.Jesuisdoncraviequ’onsedirigeversl’extérieur,mêmesic’estsousformedemaréehumaine,sidenseetsiprochequejepeuxsentiraumoinsdix-septparfumsdifférentsdeshampoingetdedéodorant.

Jacksongardesonbrasserréautourdemataille,etjesensCassmecollerdansledospour ne pas me perdre dans la foule. Les doubles-portes, plutôt larges, donnentdirectement sur le parking, si bien que nous avançons assez vite, et je soupire decontentement quand l’air dudehorsme caresse enfin le visage. Immédiatement après, j’aiunmouvementdereculfaceauxflashsquisemettentàcrépiter.

Jackson me prend la main et Cass garde la sienne sur mon épaule, tandis que jeremarque que les appareils photo ne sont pas de simples smartphones. Non, je vois desNikon,desCanon,desRicoh,etilssontdanslesmainsdephotographesprofessionnels,quisetiennentauxcôtésdereportersarmésdemicrosdécorésdelogoscommeTMZ,ETetDieusaitquoid’autre.

Jeme tourne vers Jackson, ahurie et paniquée, parce que nous sommes un cran au-dessusdespaparazzisquenousévitionscesderniersjours.J’espèredetoutmoncœurqu’ily

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aunestardecinémadanslasalledeconcert.ToutceramdampourJackson,c’estabsurde.Mais jeme trompe. Ils interpellentJackson. IlsévoquentReed. Ilsparlentdu film.De

Damien. De l’agression. De la maison Fletcher à Santa Fe. Et je ne pige pas, parce queJacksonn’apasétéarrêté,etrienn’achangé,et…

–Est-cevraiquelapetitefilled’ArvinFletcherestvotrefille?–Pourquoilacachez-vous?–Est-ceàcausedeVeronicaquevousessayezd’empêcherlefilmdesetourner?–Ilparaîtquelaproductiondufilmaétélancée,est-cevrai?Pensez-vousquelamortde

Reedaprovoquédavantaged’intérêtpourceprojet?

Derrièremoi,Casspousseuncouinementetmetiredel’étrangeparalysiedanslaquellece flotdequestionsm’avaitplongée.J’entendsSiobhanmarmonnerquelquechose,puissemettreàcourir,jouantdescoudesàtraverslafoule.

J’ignorecequ’ellefait,maisçan’apasd’importance,parcejeneparvienspasàbouger.Mamainmefaitmal,etjeréalisequec’estparcequeJacksonestentraindelabroyer.C’estunebonnenouvelle:s’ils’accrocheàmoi,c’estqu’iln’estpasentraindecasserlagueuledequelqu’un.

Mais quand je le regarde, j’ai la conviction que c’est ce qui va arriver. Et quand uneautrequestionretentit–Avez-voustuéReedpourgarderlesecretsurvotrefille?–,jesaisquecepaparazziestallétroploin.

JesensJacksonseraidir.Lacolèreluigonflelesveines.Et j’éprouve un sentiment glacé d’impuissance quand il me lâche la main pour se

précipiter,entoutelogique,surcetabrutidereporterquin’aaucuneidéedecequil’attend.JebondissurJacksonetparviensàlerattraperparlaceinture.Ilsetourneversmoi,lestraitsdéformésparlarage,etjesonge:Oh,merde.Cettephoto

vaseretrouverdanstouslesjournaux.Ilplongedenouveausurl’imbécilequin’apasbougé,lepoingenavant,etavantquej’aiepucriersonnom,lereporterseretrouveassis,àterre,lamainappuyéesursamâchoire,etJacksons’apprêteàcognerunedeuxièmefois.

–Non!Je hurle si fort que j’ai l’impression de me déchirer la gorge, mais ça fonctionne.

Jacksonsetourneversmoi,étrangementblancsouslesflashs.Ilrespirefort, ilesthagard,et jenesaispascomment jevaisnoussortirdecepétrin.

Puis j’entends quelqu’un appelerCass, quime tire par lamanchedema veste la seconded’après.

Siobhanasortilatêteparletoitouvrantdelalimousineetnousattend.–Viens,dis-jeàJackson,etcetordresembleluifaireretrouversesesprits.Nous fendons la foule, Cass devant lui et moi derrière, et nous atterrissons dans la

limousinedontSiobhannousaouvertlaporte.

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–Allez-y!crie-t-elleenécrasantl’interphoneduplatdelamain.Lalimousinedémarre,etSiobhanseretourneversnous:–J’aipenséqu’ilfallaittrouverunmoyendesetirerenvitesse.–Heureusementquetuétaislà,dis-je.Ellenepeutpasrépondre,parcequeCassluiasautédessuspourluiroulerunénorme

patin.Dehors, lesappareilsphotonousmitraillent toujours,mais jecommenceàrespirerun

peuplusfacilement.Jackson,lui,sembletoujoursàvif,etilsortsontéléphonetandisquejem’assiedsàcôtédelui.Ilcommenceàcomposerunnuméroquandletéléphonesonne.

–C’estEvelyn,medit-ilendécrochant.–Nomd’unepipe,jeunehomme.C’estçaquevousappelezfairepreuvedesang-froid?Sa voix est assourdie par le haut-parleur, mais son exaspération retentit très

distinctement.Jacksonignoresaquestion.–Commentilsl’ontappris,putain?–Vousavezdéposéunedemandedereconnaissancedepaternité,monchou.Onsavait

qu’ilyavaitunrisque.Voussaviezqu’ilyavaitunrisque.Àprésent,ilfautfaireavec.Aveclafuite,etavecvotrecharmanteréaction.Ilsontfilmél’intégralitédufiasco,lesenfants.EtilssontdéjàentraindeharcelerDamienpourqu’illeurparledesanièce.

Jackson abat violemment samain sur la cloison de bois poli, nous faisant sursauter,Cass,Siobhanetmoi.

–Putaindebordeldemerde!Il souffle entre ses dents serrées. Je m’apprête à lui prendre la main, mais quelque

chosemeretient.Pasencore,medis-je.Pastoutdesuite.–J’aimerdé,dit-ilavecdifficulté,commesichaquemotluitransperçaitlecœur.Jeme

suisemporté.Jen’aifaitqu’aggraverlasituation.–Ça,vouspouvezledire,rétorqueEvelynd’unevoixferme.Jepeuxbroderunpeu–

vousétiezinquietpourvotrefille,vouscherchiezàlaprotégerduscandale,etaveccefilm,toute cette pression, etc. Mais vous venez d’envoyer votre poing dans la figure d’unjournaliste, Jackson. Et nos enquêteurs risquent de trouver cette vidéo drôlementinstructive.

–Vouscroyezqu’ilsvontl’arrêter?jedemande.–Harriet vous lediramieuxquemoi.Mais ils saventque Jacksonétait chezReed, et

qu’ils se sont disputés. Ils savent qu’il avait agressé Reed peu de temps auparavant. Ilssaventqu’ilavaitdebonnesraisonsdevouloirsamort.Etmaintenant,lemondeentiersaitcombienJacksonestsanguin.Honnêtement,lesenfants,ilfautquevousvousprépariezaupire.

JeregardeJackson,accablé.Ilsembleàboutdeforces,maisfurieuxmalgrétout.

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–Oui,dit-iltandisquelalimousinesegaredevantunemaisonquejenereconnaispas.Oui,jesais.

–Essayezdenepluspenseràtoutça.Laissez-moim’inquiéteràvotreplace,d’accord?Je vais contacter Charles et Harriet. Vous, restez à distance des journalistes et tâchez deretrouvervotrecalme.C’esttoutcequevousavezàfaire.Oubliezcequis’estpassécesoir.Toutirabienpourvotrefille.Est-cebienclair?

–Oui.D’accord.Ilabrègelaconversation,empêchantEvelynd’ajouterquoiquecesoit.Il y a pourtant quelque chose qu’elle n’a pas dit : elle n’a pas dit que tout irait bien

pourJackson.J’essaie de faire baisserma peur d’un cran quand je réalise que Siobhan s’apprête à

sortirdelavoiture.Elleouvrelaportièrepuisdescend,etjelanceunregardinterrogateuràCass,quis’estapprochéedemoipourm’étreindre.

–C’estchezSiobhan,murmure-t-elle.Ons’estditquevousaviezbesoind’intimité,touslesdeux.

Avant que j’aie pu répondre ou la remercier, elle sort de la limousine pour suivreSiobhan.

Elleclaquelaportière,lavoitureredémarre,etjemeretrouveàcôtéd’unJacksonassisbiendroit,dangereusementimmobile.

Jedéglutis.Ilfaitsoudainpluschaud.Jerespireavecdifficulté.Mapeauestbrûlanteetlasueurquiperledansmoncoume

picote.Il tourne lentement la tête et son regarddur et fiévreux croise lemien. Il étincèlede

voracité,etpendantuninstant jecrainsqu’ilnefassequ’unebouchéedemoi.Qu’ilnemefasse payer pour les rats qui ont divulgué l’information sur Ronnie. Pour la peur qui leconsume.

Maisneluiai-jepasrépétéque jepouvaisencaisser,mêmedans lesmoments lesplusdurs?Quejeseraisasoupapedesécurité,songarde-fou,quoiqu’ilarrive?

Quej’accueilleraisadouleuràbrasouverts–pourlasublimerenpassionaveclui?Je soutiens son regard, et jeme sens clouée surplace, simplementpar la forcede sa

volonté.Ilnem’apastouchée,etbienquenousn’ayonsencorepasditunmot,jesaisqu’ilneferarientantquejen’auraipasaccepté.Pascesoir,alorsqu’ilabesoinderepousserleslimites.D’alleraussiloinquenécessaire,etdelà,avancerencore.

–Oui,dis-je.Ilrestesilencieux,neremuepasd’uncil,àl’exceptiondumusclequisecontractedans

sa joue. Il secontentedemeregarder, le tempsd’unbattementdecœur,puisd’unautre.Commes’ilmejaugeait,commes’iltestaitmarésolution.Jenelequittepasdesyeux.Sansbougerdemonsiège,lentement–trèslentement–,j’écartelescuisses.

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Jacksonprendunegrande inspiration.Puis il sepenchevers l’interphoneetpresse lebouton.

– Ne nous ramenez pas à la maison, Edward, demande-t-il d’une voix dure, souscontrôle.Continuezàrouler.Allezoùvousvoulez,jem’enfiche.Roulez,c’esttout.

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20

– Plus que ça, ordonne-t-il d’une voix si brûlante de désir que ma culotte sedésintégreraitsij’enportaisune.Jeveuxvoir.Jeveuxvoircommetumouilles.

J’humectemes lèvres, puis soulève les fesses, juste assez pour attraperma jupe et laremonter au-dessus de mes hanches en me tortillant, avant de me rasseoir, jambeslargementécartées.Lecuirestpluschaudquecequej’avaisanticipé,maisjesaispourquoi:moncorpsentierestbouillant,enflamméparmonpropredésir.

–OhmonDieu,Syl.Sa voix est presque rauque, et son regard descend surmon sexe, à présent très, très

offert.Ettrès,trèslubrifié.–Tuveux…–Toi,coupe-t-il.Unseulmotpourcontenirtoutelapassion,ladouleur,lapeur,lasoif.C’estnotre issuede secours.Notre catharsis.Unmoyende repousser la terreurd’une

arrestationtoujourspossible.Unmoyenpourluid’oubliercequ’ilvientdefaire–d’oublierqu’ilasansdouteaggravésasituation.

–Jesuisàtoi,dis-jeenpesantmesmotspourqu’ilsachecombien jesuissincère.Dis-moiseulementcommenttumeveux.

Ilsecouelatêteenposantl’indexsurseslèvres.Puisils’agenouilledevantmoi,etd’ungeste souple, il soulève mes jambes pour les faire reposer sur ses épaules tandis que sabouche s’écrase contre ma chatte. La férocité de son offensive me renverse en arrière,m’arrachantuncridesurpriseetdevoluptémêlées.

Sa langueme tourmente, et je gémis tandis qu’il sucemon clitoris. Jeme trémoussepourtenterd’échapperàcetassauttumultueuxetimplacable.Maisilneveutriensavoiretme tient fermement, refusantdeme laisseréchapperàne serait-cequ’uneonceduplaisirquim’empoigneetmesoulèvepourm’emmenertoutaubord.

Etpuis–àlasecondeoùjevaisjouir–,ils’écarte,melaissantpantelante,désemparée,prêteàtoutpourretrouverl’ardeurdesabouchesurmonsexe.

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–Jackson…Ilmefoudroied’unregardsévère,merappelantqu’ilm’aintimélesilence.Il repose mes pieds sur le sol de la limousine. Je suis étalée sur le siège, jambes

ouvertes,lesexeàl’air,trempéetpalpitant;demoi-même,jeretiremonhautetm’extirpede ma jupe, pour ne plus garder que mon soutien-gorge de dentelle noire, ainsi que levibromasseur en pendentif qu’il m’a ordonné de porter en permanence. Je m’apprête àdéfairel’attachedemonsoutien-gorge,maisJacksonsecouelatêteavecundemi-sourire,etjemedemandecequ’ilmeréserveàprésent.

Il s’avance vers moi et me retire lentement mon collier en le passant par-dessus matête. Il appuie plusieurs fois sur le bouton pour faire vibrer le pendentif à sa puissancemaximale.Puisilmeletend,etsonregardplongeentremescuisses.

Jesaiscequ’ilveut.Ilveutquejefinissecequ’ilacommencé.Ilveutmematerpendantquejememasturbe.Etmêmesijen’aipasdelimitesavecJackson,jenepeuxpasnierquecetteidéem’affole,commeuncomblededécadence.

Décadence ô combien attirante. Parce qu’au bout du compte, il n’y a rien que je neferaispasaveclui,etlefaitdesavoirqu’ilmeregardemefaitdémarrerauquartdetour.

Sanslequitterdesyeux,jeprendslepetitcylindreenmemordantleslèvres.Puisjelefaiscourirsurmapeau,trèslégèrement,depuismesseinsjusqu’aubasdemonventre,surmonsexe,puisplusprécisémentsurlazoneultraréactiveautourdemonclitoris.

Je suis si proche de l’orgasme que l’intensité des vibrations est presque douloureuse,presqueinsupportable.Jefermelesyeuxetlaisseéchappermalgrémoidesgémissementsdeplaisiretdedouleur.J’essaiedetrouverlabonnedistance,labonnepression.Jenesuispasloin– jesens la tempêtesesouleverenmoi, leséclairs fuserdansmesveinesetconvergerversmoncentre.

Toutenrespirantfortement–sanssavoirsij’essaiedefairedurercettesensationoudem’enlibérer–,j’ouvrelesyeux,frappéeparl’aviditésansfardquesonvisageexprime.

À genoux devantmoi, lamain appuyée sur sa queue à travers son jean, je sais qu’illuttecontreunepulsionprimitive,qu’ilseforceàmeregardersansbougeraulieudevenirmeposséder.

Sondésir est si palpable qu’il envahit la limousine, électrifiant l’habitacle. Je ne veuxpasêtreenreste–jeveuxallerplusloin.Pimenterencorepluslasituation.

Je veux le rendre fou. Le briser. Le rendre incapablede faire autre chose quedemebaiser.

Alors, tout en continuant de nous procurer à tous les deux du plaisir grâce auvibromasseur,jetired’unemainsurmonsoutien-gorgepourexhiberundemesseins.Jelecaresse,dessinedepetitscerclesautourdumamelon,avantde le titillerplus franchemententirantdoucementdessus.

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Jacksonneditrien.Misàpartunecrispationpresqueimperceptibledesestraitsquejeconnais bien, il ne semble pas réagir. Du moins pas immédiatement. Mais au bout d’unmoment, il déboutonne son jean et sort sa queue pour semasturber d’un geste ample etrapide.Jemesensalorstellementvictorieusequej’ignorecommentjeréussisànepasjouirsur-le-champ.

Sonregardenfiévrécroiselemien,attisantencoreunpeuplusmapassion.Jenepeuxm’empêcherdegémir,etmonsexeoffertsecontracted’anticipation.Jacksonleremarque,jelevoisàsonexpression.

Jeplantemonregarddanslesien,etsansréfléchir,j’articuleensilence:Baise-moi.Jenem’attendspasàcequ’ilm’obéisse.C’estluiquidonnelesordres,pasmoi.Alors,même si c’étaitmonbutde le faireplier, je suis surprisepar la violencede ses

gestes quand il s’avance sur moi et m’attire contre lui. J’en lâche le vibromasseur, quicontinuedebourdonnerinutilementsurlamoquette.

Jacksonprendplace sur la banquette etm’assied sur ses genoux.Puis ilme retournepourque jemeretrouvedosà lui. Ilmesoulèveensuite, jusqu’àcequesonglandeffleurel’oréedemachatte.

–Vas-y.Empale-toi.Complètement.C’estundéfique jerelèvebienvolontiers,mais jem’exécutetrès lentementpournous

torturertouslesdeux.Puisjemerelèvepourrecommencer,parcequec’esttellementbon.–Plus,exige-t-ilenplaquantsesmainssurmesseins.Jemecambretandisqu’ilpincecruellementmestétons–etcettesensationconjuguée

aufaitdel’accueillirsiprofondémentenmoiestincroyablementérotique.–Plus,répète-t-ild’unevoixrauque.Plusfort,insiste-t-il.Mainsàplat,jeprendsappuiauplafonddelavoiture,etjelebaiseencoreetencoreet

encore,frénétiquement,etsaqueuemeremplit,etsesdoigtsmetitillent,etjefinisparmeretrouver dans un état second, mon corps a disparu, je ne suis plus qu’une masse desensations ondoyantes. Le plaisir. La douleur. La faim. Je suis réduite àmes instincts lesplusprimaires.Jeveuxtout.L’éblouissement.

Jackson.Lalimousineroulaittoutendouceurjusque-là,etquandsoudainilyauncahot,jesuis

enfinprojetéeauseptièmeciel, siviolemmentque jepousseuncri tandisquemonsexesecontracte autour de Jackson. Il jouit à son tour, sesmains se crispent surmes seins et ilmordmonépauletoutenréprimantungrognement.

Quandsoncorpscesseenfindetrembler–etqu’ilmefaitpivoterpourquejevoiesonvisageetlapassionàvifquis’ypeint–,jepeineàretrouvermonsouffle.

– Ça va mieux ? finis-je par demander quand j’ai retrouvé l’usage de la parole.Normalementoui,parcequejemesensdélicieusementutilisée.Maissituasbesoin,jeseraisraviederecommencer.Tusais,pourlabonnecause.

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Iléclated’unrirequirésonnemerveilleusementenmoi.–Commenttufais?demande-t-il.–Quoi?–Pourmedébarrasserdetoutça.Detoutecettemerde,detoutecettefolie.Cetterage.

Cettetrouille.C’estaussiefficacequequandjecolleunedérouilléeàuntrouduculsurunring.Etbienplusamusant,ajoute-t-ilavecunsourirediabolique.

–Jesuisraviedel’entendre.Ilcroisemonregard,etsonexpressiondevientlentementplussolennelle.– Tu esmonmiracle, dit-il d’une voix devenue douce, avant deme serrer contre sa

poitrine.Jesoupire,carc’estréciproque.Etj’aibeausavoirquerienn’estparfait,quelemonde

esttoujoursaussiterrifiant,àcetinstant,aumoins,toutvabien.

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21

Commenousdevonspartirpourl’îlelelendemainmatin,nousdécidonsd’allerbraverlespaparazzisàlamarina.Maislahordeestremarquablementréduite,etnousfranchissonslesportessansdifficultéjusqu’auparking.

–Ilsontviteprisl’habitudequejedormecheztoi.Etaprèslascènedecesoir,ilssontsûrementlà-bas,prêtsàmequestionnersurcepauvrereportersansdéfensequej’aicogné.

–Neblaguepaslà-dessus,dis-jetandisqu’ilpassesonbrasautourdemesépaules.–Tuasraison.Jesuisdésolé.Ils’arrêtepourmecaresserlajoueavecsonpouce.Ilestpluscalmeàprésent.Jesais

qu’il est toujours inquiet, mais pour le moment, on peut se détendre. S’il y a d’autreshorreursàvenir,ellespourrontbienattendredemain.EtJacksonsaitqu’iln’apasbesoindemelerappeler.

–Tuveuxvenirprendreunedoucheavecmoi?– J’irai n’importe où avec vous, monsieur Steele, dis-je noblement, et je suis

récompenséeparsonsourire.Nousmontonsàbord.Ilmedevancedequelquespastandisquejem’arrêtepourôter

meschaussures.–Tuveuxduvin?medemande-t-il.Ilesttard,maisjeprendraisbienunverre.Jenerépondspas.Àvraidire,j’aiàpeineentendusaquestion.Unbruitdepasadétournémonattention.Quand jemeretournepour regarderpar-

dessus mon épaule, je vois Harriet sur le ponton, qui semble attendre la permission demontersurleyacht.Elleestinscritesurlalistedesvisiteursautorisésàl’entrée,maisj’avaisespérénejamaislavoirici.

Etsavenuen’augureriendebon.Je tends la main pour attraper Jackson par le tee-shirt. Il se retourne vers moi, un

sourireinterrogateurauxlèvres.PuisilaperçoitHarrietetseraiditimmédiatement.– Vous êtes venue faire lamorale à Jackson sur ce qui s’est passé tout à l’heure ? je

demande.Parcequ’Evelyns’enestdéjàoccupée.

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–Non.Jepeux?interroge-t-elleendésignantlepontd’unregard.–Biensûr,répondJacksonsansconviction.Ellemonteàbord,etjebalaiel’espacedesyeuxsanssavoiroùmemettre.J’ailesnerfs

à vif, je suis à cran. Si quelqu’un éternuait, je bondirais sûrement comme une grenouilleélectrifiée.

Je sais que la situation est critique. Il est plus deminuit, et on a largement dépassél’heuredes visites de courtoisie. Il est arrivé quelque chose, etmême si j’ai désespérémentbesoindesavoirquoi,jen’aipaslecouragedeposerlaquestion.

Alors,àlaplace,jeproposefaiblement:–Vousvoulezvousasseoir?–Non,merci.Jesuisdésolée,Jackson.Ilsveulentquevousvousrendiezlundimatin,à

9heures.Ma poitrine se serre. J’ai du mal à respirer. Alors j’ignore comment je parviens à

souffler:–Ets’iln’yvapas?– Ils l’arrêteront. S’il n’y va pas de lui-même, je vous laisse imaginer le cirque

médiatique.S’ilserend,onpourraéviterlafanfare.–Jackson,jemurmure.Ilmeprendlamainetlaserredetoutessesforces.Jemesensminable,parcequ’ilest

entraindemeréconforteralorsqueceseraitplutôtàmoidelefaire.Oh,monDieu.OhmonDieuohmonDieuohmonDieu.Harrietcontinuedeparler,etJacksonderépondre.Savoixestpresquenormale.Peut-

être légèrement altérée, mais c’est tout. Je n’écoute même pas. Je crois qu’elle passe enrevuecequivaarriverlundi.Lesprocéduresauxquellesildevrasesoumettre.LademandedemiseenlibertésouscautionqueprésenteraHarriet,quiserapeut-êtrerefuséeàcausedutempéramentimprévisibledeJackson.

– Ils veulent également vous poser des questions, Sylvia, annonce-t-elle, et je relèvebrusquement la tête. Je peux faire reporter l’interrogatoire d’un jour ou deux, je pense.J’expliqueraiàl’inspecteurGarrisonquevousêtesenétatdechoc.

–C’estvrai,dis-je,etellehochelatêteaveccompassion.–Ilfautquevouscompreniezbientouslesdeuxquecen’estpasfini,déclare-t-elleen

regardantJackson.–C’estpas fini,mais c’estpasbrillant, répond-il.Entre la foisoù j’ai tabasséReed, le

témoinquim’a vu, et qui nous a entendusnousdisputer…Le film etRonnie.Tout. Toutprouvequec’estmoilecoupable.

–Oui,ditHarriet.Maisc’estmaintenantqu’ilfautseprépareràsebattre.Ilnerépondrien.

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–Jesaisquevousvousfaitesdusouci.Jesaisquevousnesavezplusoùvousenêtes.C’estnormal.C’estpourçaquejesuislà.C’estmonjob,Jackson.C’estpourçaquevousmepayez.Pourque jeprennevotrerelaisdans labataille.Faites-moiconfiance,d’accord?Jevoustrouveraiunesolution.

–Trouverune solution, çapeut vouloirdireplaider coupable. Purgerunepeinepluscourte,maisdeplusieursannéesquandmême.

–Peut-être,concède-t-elle,etmonestomacsenoue.–Jenel’aipastué,dit-ilenlaregardantbienenface.–Jevouscrois.Maisnoussavonstoustroisqueçan’apasvraimentd’importance.

***

Après le départ d’Harriet, je serre dans mes bras un Jackson vibrant d’énergiecontenue.D’unbesoind’action.Etd’undésirfoudesebattre.

Maispourl’instant,iln’yariennipersonnecontrequisebattre.Il me serre encore plus fort contre lui, dans un geste si farouche et désespéré que

pendant une minute je pense qu’il veut me prendre à nouveau. S’oublier dans le sexe.Anéantirsapeurparlapassion.

Mais ce n’est pas ce qu’il recherche. Pas maintenant. Après m’avoir étreinte commepourscellerunenouvellefoisnotrealliance, ils’écarteetcommenceàfairelescentpas.Ilmarche d’un pas si décidé qu’il ne lui faut que quelques enjambées avant d’atteindrel’extrémitédupontetdedevoirfairedemi-tour;bienqu’ilnediserien,jevoisclairementàsonvisagequ’ilestentrainderéfléchir.D’élaborerunplan.

Ildressementalementuneliste,s’assurantquetoutcequiluiimporteadéjàétéréglé,ouleserad’icileleverdusoleil.

–Chester,dit-ilenmeregardantfixement.Demande-luiunelisted’architectesavecquij’aidéjàtravaillé.Iltefaudraquelqu’unpoursuperviserletravail,commetuavaisenvisagéDeanpourlefaire.

–Jackson.Arrête.Jepeuxm’occuperdeça.Ilmedévisaged’unairégaré.Jerépète:–Jepeuxm’occuperdeça.–Tupeux?Vraiment?Parcequemoi,jenesuispassûrdepouvoir.Jem’avanceversluietluicaressedoucementlajoue.–Mais si, tuenescapable.C’est justeuneétapeduprocessus, commeHarriet l’adit.

Tuvast’ensortir.Tun’iraspasenprison.–Tulecroisvraiment?–Oui,dis-je,cariln’yapasd’autreréponseàluidonnercesoir.

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Ilseprendlatêtedanslesmains.–Ilfautquej’appelleRonnie.–IlestplusdeminuitàSantaFe.–Jesais.Maisjerisquedenepas…Ilneterminepassaphrase.C’estinutile.–Vas-y.Pourelle,ceseralagrandeaventuredeteparleraumilieudelanuit.Il m’adresse un sourire éperdu de reconnaissance, puis disparaît dans la cabine.

J’hésite,jenesaispastropcequejeveuxfaire.Moiaussi,j’aibesoind’action.J’aibesoindebouger.J’aibesoindefaire.

Maisdefairequoi?Iln’yarienquejepuissefaire,bonsang.Jelesais,parcequesic’étaitlecas,jem’yseraisatteléedepuislongtemps.Enfin, après avoir éprouvé trop longtemps ce sentiment d’impuissance, je prends une

couverturedansl’undescoffresetmeblottisdansunechaiselongue.JesorsmontéléphonepourappelerCass,maisjetombedirectementsursamessagerie.Jenemefatiguepasàluilaisserunmessage,ellemerappelleradèsqu’elleauravuquej’aiessayédelajoindre.Maisvul’heure,jenem’attendspasàavoirdesesnouvellesavantdemainmatin.

Jefermelesyeux,traverséeparl’idéequelesommeilpourraitêtreunbonrefuge,maisçanemeditrienquivaille.Pasmaintenant.Pasavecl’arrestationimminentedeJackson.Àtouslescoups,jevaisenfairedescauchemars,etjenepeuxpasmelepermettrecettenuit.

Pasparcequejenem’enremettraispas,maisparcequejeneveuxpasqueJacksonsesentetenudem’apaiser.

Je reprendsmon téléphone, et cette fois j’appelle Ethan. Il décroche dès la premièresonnerie,manifestementaviné:

–C’estmagrandesœur!Eh,lesgars,c’estSyl!J’entendsderrière luiunchœurdevoixmâleségalementbienalcooliséesquibraillent

deschosescomme«Ouais!»et«Yo,meuf!»,etmalgrélasoiréequivientdes’écouler,jenepeuxpasm’empêcherdesourire.Unefoisqu’ilssesontcalmés,jel’interroge:

–Oùes-tu?–AuMexique.Gracias,porfavor.Arriba!J’éclatederire.–Tonespagnollaisseàdésirer.TuesvraimentauMexique?–Seulementpourleweek-end.JesuisavecLarryetJim,tusais?Mespotesdulycée.

Jemesuisditqu’ilvalaitmieuxyallertantquej’étaisencongé.Onnefaitpasdeplongéesous-marine.Onsebaladejusteavecunmasqueetuntuba,etonpicole.Toutenprofitantdulargeéventaildenanasdisponibles.

Jelèvelesyeuxauciel.–Monfrère,cechiendechasse.–Etfierdel’être.Quoideneuf?

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–J’avaisjusteenvied’entendretavoix,dis-je.Ceàquoi,meconnaissantbien,ilrépond:–Moncul.–Bon,d’accord.C’estJackson.Ildoitserendreàlapolicelundimatin.Savoixperdtoutàcoupcejoyeuxtond’ébriété.–Ohmerde,lavache.Syl,je…C’estn’importequoi.–Jesais.–Çava?–Non.Non,maisilfaudraquejefassebonnefigure,j’imagine.Mavoixs’étrangleunpeu,maisjesuisdéterminéeànepaspleurer.–Tuveuxquejerentre?Jemepelotonnedanslacouverture,dégoulinanted’amourpourmonfrère.–C’estgentil,maisnon.Çavaaller.(J’ignorecomment;letout,c’estd’ycroire.)Mais

tuesunamourdemeleproposer.–Jet’enprie.Jeferaisn’importequoipourtoi.Tulesais,hein?–Oui.Jesais.–EtJackson,commentilréagit?–Ileststoïque.Angoissé.Furax…Àpeuprèstoutceàquoionpouvaits’attendre.–Etpoursafille?Elleest…Jeveuxdire,tuvast’occuperd’elle?– Je ne sais pas. Elle est à Santa Fe pour lemoment. Je ne sais pas ce que Jackson

compte faire. Ilestau téléphoneavecelle, là. Ilvoulait… ilvoulait luiparleravantd’êtreplacéengardeàvue.

–Mmh,dit-il,avantdeprendreunegrandeinspiration.Écoute,jenevaispasteretenirtroplongtemps.Ilesttard.

–Biensûr.Jesuiscontentedet’avoirparlé.Amuse-toibien.Ons’appelle…–Samanthaétaitenceinte,lâche-t-ilsoudain.Jerepasselaphrasedansmatête,pastoutàfaitcertained’avoirbienentendu.–Pardon?–C’estpourçaqu’onarompu.C’estpourçaquej’aiquittéLondres.Elleétaitenceinte.

Jenevoulaispasd’enfant,jenemevoyaispasm’occuperd’unenfant.Ons’estdisputés.Jesuisparti.

–Oh…Jesuisdésolée.–Non,c’estmoiquisuisdésolé.–D’êtreparti?–Non, dit-il, l’air soudain exténué.Non, je crois sincèrement que je n’ai pas le profil

pour être papa. Mais je suis désolé de t’avoir charriée avec cette histoire de gosses. Jeprojetaismesproblèmessurtoi.

–Alorstucroisquejesuiscapabledefaireça?

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–Oui.Non.Jesaispas,avoue-t-il,etjel’imaginerenverserlatêteenarrière,commeillefaitd’habitudelorsqu’ilest faceàundilemme.J’ensaisvraimentrien.Regardequionacommemodèles,quoi.Maisaprèstout,ons’enestplutôtpasmalsortis,nous.

Là,jesuisobligéederigoler.–Jenesuispaspersuadéequecesoitlemeilleurargument.–Nonmais…toutcequejedis,c’estquesitut’ensenscapable,alorstudevraisfaire

confianceàtonintuition.D’accord?–D’accord.–Çat’aide?–Oui…C’estunmensonge.Envérité,jenesaispasdutoutsijem’ensenscapable.Etsic’estàceténormedoutequejesuiscenséemefier,qu’est-cequejevaisdevenir?Plusimportantencore:qu’est-cequeJacksonetmoiallonsdevenir?

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22

Jem’éveilleaveclesrayonsdusoleiletlamerveilleusevisionduregardbleudeJacksonposésurmoi.

–Salut,dis-jeenclignantdespaupièrespouressayerdemeréveiller.Jesuistoujourssurlepont,souslacouverture,etjem’aperçoisavecstupeurquej’yai

passélanuit,seuleapparemment.Jeluidemande:–Tun’aspasdormi?Ilnerépondpasàmaquestion,ets’assiedauborddemontransat,l’airsisérieuxque

jeprendspeur.–Ilfautqu’onparle.Quoiqu’ilaitàdire,jen’aipasenviedel’entendre.–Non,jen’aipasdormidelanuit,admet-il,accablé.Jemeredresse,mapeurvirantàlapanique.Ilfautquejemecalme.Avectoutcequi

sepasse,ladernièrechosedontJacksonabesoin,c’estdemevoirperdrelespédales.Jefaisuneffortpourmedominer,etposeaffectueusementmamainsursacuisse.–Monamour, je sais que tu as peur,maisHarriet a raison.C’est pour ça que tu l’as

engagée.Toutn’estpasperdu,etilfautqu’onycroietouslesdeux.Ilhochelatêteparpurepolitesse,commesionétaitàuncocktailetquej’évoquaisun

sujetsansintérêt.–J’aibeaucoupréfléchi,dit-ilenfin.Jepensequec’estplus logiqueque jedemandeà

DamienetNikkid’êtrelestuteursdeRonnie.–Je…Ahbon.D’accord.Jedéglutis.Jenem’attendaispasàça,etj’opèreavecdifficultécechangementdecap

dansmonesprit.Jedevraissauterdejoie,moiquiétaisépouvantéeàlaperspectived’êtrelatutricede

Ronnie.Aulieudequoi,j’éprouveuneimmensedéception.Jedisbravement:–Tuasraison,c’estpluslogique.Aprèstout,Damienestsononcle.–C’estenpartiepourça.Maispasseulement.

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Une étrange sensation glacéeme picote la nuque et descend le long dema colonnevertébrale.

–Tumefaispeur,Jackson.–Jesais.Jesuisdésolé.Maisj’aibesoinquetufassesquelquechosepourmoi,Syl.Sans

discuter.Sansposerdequestions.Je ne réponds pas. Ces paroles ressemblent trop à celles que j’avais prononcées à

Atlantacinqansplustôt.Etellesnousavaientdétruitestouslesdeux.Ilmeprendlamain.Lasienneestfroideetmoite.Lanauséemegagne.–Non,jechuchote.Nedispasça.–Jen’aipaslechoix,réplique-t-il,etchaquesyllabem’évoquelecloud’uncercueil.J’ai

besoinquetut’enailles.–Non, dis-je en secouant farouchement la tête, si fort que je doism’arrêter, prise de

vertiges.Non.Jenesaispasàquoi tu joues,mais tun’aspasbesoindeça.Tune leveuxpasvraiment.Ettupeuxtoujourscourirpourquejet’obéisse.

– Ce n’est pas un jeu, rétorque-t-il, sa douleur disparue, remplacée par une fermeintensité.J’auraisdûfaireçaàl’aéroport.J’auraisdûterenvoyeràLosAngelesdèsquelesflicssesontpointésàSantaFe.

–C’estvraimentn’importequoi!Jechercheàrépliquer,àargumenter,àcomprendre.Maisjenetrouverien,alorsjeme

metsàpleurer:–Pourquoitumefaisça?Pourquoitunousfaisça?J’ai levisagebaignéde larmes,et lamaindeJackson tressaille,commes’ilvoulait les

essuyer,mais il ne fait pas un geste. Il semble lutter de toutes ses forces pour ne pasmetoucher.

–Qu’est-cequiteprend,Jackson?Tudisaisquetuneferaisjamaisrienquipuissemefairedemal.Quetunevoulaispaspayerceprix.(Mavoixsebriseensanglotsetmesemblelointaine, commesi jeparlaisdepuis l’entréed’un très long tunnel.)Qu’est-ceque tucroisquetufais,là?

–Jeteprotège,mabelle.Etjelefaisdelaseulemanièrequejeconnais.–Moncul.– Je t’ai déjà dit qu’en ce qui te concernait, je n’étais ni fort ni courageux, parce que

l’idéedeteperdremefoutaitenl’air.Etc’estlavérité.Maislà,Syl,j’aitrouvécetteforce.Etcen’estpastoi,c’estlemondequimefoutenl’air.

–Jackson…jecommenced’unevoixempliedesouffrance,etdecompréhension,aussi.Maisilnemelaissepascontinuer.–Jesuissuffisamment fortpournousdeux,madouce.Etc’est terminé.Onn’apas le

choix.Alorsàpartirdemaintenant,c’estfinientrenous.Parcequejerefusedevivreente

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sachantliéeàunhommequinepeutmêmepastetoucher.Tuméritesunevraievie,Syl.Jenevaispastejeterdansunecagesousprétextequejeseraienfermédansuneautre.

–Cen’estpasunedécisionquetupeuxprendreàmaplace.–Onparie?Tum’asdonnélecontrôle,mabelle.–Lecontrôle?Aulit,oui.Maislà?Horsdequestion,vatefairefoutre.–Tuterappelleslaphotoquej’aiprisedetoi?Jesaisdequoiilparle,évidemment.Jeluiavaisdemandédemephotographier,nueet

attachée,aprèsqueReedm’avaitenvoyéceshorriblesclichéspourmefairechanter.J’avaisbesoindereprendrelamainsurcequeReedm’avaitvolé.

Alors,oui.Biensûrquej’aicetteimageentête.Je ne réponds rien, mais il sait que je m’en souviens. Comment pourrait-il en être

autrement?–Cettephotoétaitlasoumissionsuprême,ditJackson.–N’importequoi.C’estmoiquit’aidemandédelaprendre.–Eneffet.Mais elleest àmoi,maintenant. Je lagarde. Je la contrôle.Cen’étaitpas

qu’unequestiondesexe,Sylvia.Àlaminuteoùtum’asdemandédeprendrecettephoto,tum’as donné les pleins pouvoirs sur ta vie. Parce que je pourrais te détruire en unclaquementdedoigts,àprésent.

–Tuneleferaispas.Etjesuissûred’avoirraison.Sonsourireestunpeutriste.–Non. Jamais.Mais çanechange rienau faitque tu t’esdonnéeàmoi.Que tum’as

confié ta réputation. Ton intimité. Et maintenant, il faut que tu me fasses confiance là-dessusaussi.

–Jenepeuxpas!Ilsoupire.–Commetuveux.Maisjesaisquej’airaison.Etsituneparspas,Syl,ajoute-t-ild’une

voixquimefendlecœur,alorsc’estmoiquipartirai.

***

–Tuessûrdetadécision?demandaDamienàJackson.Ilsétaientchez lui,àMalibu,etarpentaient lessentiersquiallaientde lamaisonà la

plage.Ilsavaientfinipars’arrêterprèsdescourtsdetennis.Damienouvritlaporte.Jackson le suivit sur la surface engazonnée et s’assit au premier rang, à côté de son

frère.–Crois-moi,j’airetournéleproblèmedanstouslessens.Pendantplusieursheures,ils’étaitsentiperdu.Vide.Ill’avaitvraimentquittée.

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Il allait vraiment vivre sans Sylvia à ses côtés. Il s’était tellement battu pour elle, etvoilàqu’ilvenaitdetoutfoutreenl’air.

Non.Non,ilnepouvaitpasconsidérerleschosesdecettemanière.Illasauvait,putain.Elle

méritait mieux qu’une vie morne de semi-veuve. Et même s’il la croyait quand elle avaitpromisdes’occuperdeRonnie, ilnepouvaitpaslui infligerça.Àmoinsd’êtreunconnardégoïste,non,ilnepouvaitpasfaireça.

Oui,ilauraitvouluquesafilleresteaveclafemmedesavie.Maisplusencore,ilsouhaitaitqueSylviasoitheureuseetlibre.Ilnevoulaitpasqu’elle

soitemprisonnéeelleaussi.Alors,oui.Mêmesiçaletuait,ilétaitsûrdesadécision.Suffisammentpourlaquitter.

Suffisammentpourluiplanteruncouteaudanslecœur.–Jesuissûrdemoi,dit-ilàsonfrère.Damien ne parut ni approbateur ni critique. Il le regarda d’un air neutre, ses yeux

vaironsvoyantplusquecequeJacksonvoulaitbienmontrer.–Ellet’aime,dit-ilfinalement.Tupensesvraimentqu’ellet’aimeramoinsparcequetu

laquittes?Jacksonfutplusblesséparcetteremarquequ’ilnes’yseraitattendu.–Jepensequeçaluipermettradevivresavie.Damienhaussaunsourcil,presquenarquois:–Commetoiaprèsqu’ellet’aquittéàAtlanta?Les tripes de Jackson se nouèrent tandis qu’il cherchait à se défendre. Damien avait

raison,oui,mais…maislà,c’étaitdifférent.Ilallaitmoisirenprison.– J’ai seulement besoin de savoir si tu accepterais d’élever Ronnie, Damien. Pour le

reste,ledébatestclos.Ilcrutquesonfrèreallaitrépliquerquelquechose.MaisDamienfinitparavoirungeste

d’assentiment.–Biensûrque j’accepte. Il fautque j’enparleavecNikki,mais jesaisdéjàqu’ellesera

d’accord.Ronnieestmanièce,aprèstout.Jacksonacquiesçalentement,soulagé.–Merci,fit-ilsimplement.Toutdéconnaitdans savie,maispourRonnie, aumoins, iln’avaitplusde soucià se

faire.

***

–Damienm’adit ce qui s’était passé, annonceNikki endébarquant chezmoi. Je saisqu’il n’est que midi, mais j’ai pensé qu’on pourrait en avoir besoin, ajoute-t-elle en me

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tendantunebouteilledevin.–Merci.Jem’effacepourlalaisserentrer.Jenesuispaspersuadéed’avoirenviedecompagnie,

mais son attention me touche. Et je sais qu’elle comprend ce que je ressens. Damien l’aquittée, aussi,une fois. J’étaisdéjà sonassistanteà l’époque, etmêmemoi, j’ignoraisoù ilavaitdisparu.CommeJackson,ilavaitagiainsi,soi-disantpourlaprotéger.

Alors si jedoisme lamenteravecquelqu’un,Nikki est lapersonne tout indiquéepourça.

–Commenttutesens?demande-t-ellependantquej’ouvrelabouteilledevin.Nousnoussommesinstalléessurlaterrasse,moisurletransatetNikkidanslefauteuil.

Maisjen’aipasenviederesterassise,alorsjemelèvepourallerm’accouderàlabalustrade.Jecontemplelavilleetl’océanauloin.

–J’ail’impressionquelecielmetombesurlatête,finis-jeparadmettre.C’estladècheavec Cortez. Rien que ce matin, on a encore perdu deux investisseurs parce que l’info acirculéausujetdelagardeàvuedeJackson.Etbiensûr,lesjournauxenfontdestonnes,ilsdisentqueleprojetest«endifficulté».Qu’est-cequeçam’énerve!

–Oui,c’estdur.MaisjeparlaisdeJackson.–Jesais,dis-jeavantdemerasseoirensoupirant.Honnêtement,jenesaispassijesuis

encolère,oublessée,ouautrechose.–Unpeudetoutça,j’imagine.–Mmh.Jesaisquejepeuxresterseule.C’estlastrictevérité–etc’estgrâceàJackson,quim’aapprisàavoirconfianceenmoi.

Àpuiserducouragedansmespropresressources.–Maisjeneveuxpasresterseule.JeveuxqueJacksonsoitavecmoi.–Mêmes’ilrisquedenepaspouvoirêtrelà, justement?Ilaraison,tusais.Damiena

parléavecCharlesetHarriet.Avectoutcequi tendàprouverqueJacksonestcoupable…Harriet est à peuprès sûre que le procureur n’ira pas demainmorte avec lui. Et elle estcertainequ’ilstrouverontdespreuvesdesescombatsclandestins.

–Quoi,tuesaucourantdeça?–Oui.Etbientôtlejugeleseraaussi.–Putain.Ellearaison;lerapportdeJacksonàlaviolencevalefairepasserpourunetêtebrûlée

quiapétéuncâblequandReedarefuséd’abandonnerlefilm.– Il a peut-être raison, répèteNikki d’une voix douce. Peut-être qu’il vautmieux que

vousvoussépariez.–Maisnon!JeveuxJackson.JeveuxRonnie.Jeveuxl’hommequej’aimeettoutcequi

vientavec.Unelueurilluminebrièvementsonregard.

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–Jesaisquec’estcequetuveux,dit-elle.Jesuissoulagéequ’ellemecomprennevraiment.– Alors comment je peux le récupérer ? Commentm’y prendre pour que cette fichue

têtedemulechanged’avis?–Jenesaispas.–Commenttuavaisfait,toi,avecDamien?–J’aiénormémentpleuré.Etpuis jemesuisbattue,ajoute-t-elleavantdesourire.En

fait,sebattrequandils’agitdeJackson,c’estsûrementunebonnefaçondefaire.

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23

LavoixdeJacksonmeréveille.Une vague de soulagementme submerge, rapidement suivie d’une intense déception

quandjeréalisequ’iln’estpasdansmachambre,maisàlatélévision,quejen’aipaséteinteavantdem’écroulerdesommeilhiersoir.

LesinformationsdumatindiffusentlesimagesdeJacksonsurlepontdesonbateauencompagnied’Harriet.

–Vousallezvouslivrerdemainàlapolice?demandeunjournaliste.–C’estexact.–EtleDomainedeCortez?Vousdémissionnez?–Non. Si je bénéficie d’une remise en liberté sous caution, je continuerai à travailler

normalement.Sinon,soitnoustrouveronsunmoyenpourmoidetravaillerdepuislaprison,soitj’apporteraimonaideauprojetpourtrouverunautrearchitecte.

–Leprojet?répèteunautrereporter.VousvoulezdireSylviaBrooks?C’estellequiestenchargeduprojet,non?

–Toutàfait.– Où est-elle aujourd’hui ? Vous êtes en couple par ailleurs, comment vit-elle votre

arrestation?Sonvisagesecrispe.–Ma relation avecMlle Brooks est strictement professionnelle. Nous ne sommes plus

ensemble.Sadéclarationdéclencheunbrouhahaparmilesjournalistes,maisjen’éprouvequ’une

sensationdebrûlure à l’estomac.Maudit Jackson.Je sais ce qu’il fait. Il s’assure quenotreruptureestconsommée.

Ilveutquejecomprennequ’elleestbienréelle.Ehbien,qu’ilaillesefairevoir.Nikkiaraison.Sijeveuxlerécupérer,jevaisdevoirmebattre.

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C’estunebonnechosequeJacksonsoitadeptedescombatsàmainsnues.Parcequejen’aipasl’intentiondeprendredegants.

Je suis prête en un clin d’œil, mais j’ignore où aller. Je commence par essayer lamarina,mais iln’estpassursonbateau.Puis je tentesonbureau,ensongeantqu’ilessaiepeut-êtred’abattreleplusdetravailpossibleavantdemain.

Maisiln’yestpasnonplus.Je roule jusqu’à son terrain à Pacific Palisades, en me disant qu’il est peut-être

simplementmélancolique.Làencore,jefaischoublanc.Perplexeetdésemparée,jepassevoirCass.Elle,aumoins,elleestlà.–Ilestpeut-êtreentraindesecastagneravecquelqu’un,suggère-t-elle.Jegrimace,craignantqu’ellen’aitraison.–J’espèrequenon.Silapressetombaitlà-dessus,çaneferaitqu’aggraverlasituation.–TuasappeléHarriet?C’estunebonneidée,jen’yavaispaspensé.Maisaprèsavoircomposésonnuméro,je

tombedirectementsursamessagerie.Jem’apprêteàgeindredeplusbelleauprèsdeCass,quand mon téléphone sonne, et je ne peux m’empêcher d’être impressionnée par lapromptituded’Harriet.

–Vousallezbien?medemande-t-elle,etjesuistouchéequ’elles’ensoucie;jenesuispassacliente,aprèstout.

–Pasvraiment.Ilfautquejeletrouve,Harriet.Voussavezoùilest?J’aipeurqu’ellemerépondeparlanégative,àcausedusecretprofessionnel.Oupire,

qu’ellesoitpersuadéequ’ilaprislabonnedécisionetqu’ellepenseplussagedenepasm’eninformer.

Aussijesuissurprisequandellerépond:–IlaprisunechambreauBiltmore.– Merci, dis-je avec chaleur, éperdue de reconnaissance et de soulagement. Est-ce

qu’il…enfin,commentva-t-il?–Disonsquejenevousauraispasrévéléoùilsetrouvesijenepensaispasqueçalui

feraitdubiendevousvoir.Ilmesemblequ’ellem’aôtéunpoidsdontjen’étaispasconsciente.–Merci,vraiment,jerépèteavantderaccrocher.JelanceunregardhésitantàCass.–Neperdspasdetempsavecmoi,dit-elle.Vas-y.Jem’exécuteaussitôt.Etjepariequejebatstouslesrecordsdevitessepourcouvrirla

distanceentreVeniceBeachetlecentre-villedeLosAngeles.Jelaissemesclésauvoiturieret déboule dans l’hôtel, mais le réceptionniste refroidit mes ardeurs en refusantcatégoriquementdemedonner lenumérodechambredeJackson. Ilm’opposececoncept

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fumeux de respect de la vie privée et n’en démord pas, se braquant davantage encorequandjerefusedetéléphoneràJacksonsursasuggestion.

NomdeDieu.Il n’estmême pas trois heures de l’après-midi encore,mais si je dois faire le pied de

gruedanslehalldel’hôtel,jeleferai,etaussilongtempsquenécessaire.Avant,néanmoins,jevaisfaireuntourauGalleryBar,justeparcequec’estl’endroitpréférédeJackson,etqueçam’aideàmesentirprèsdelui.

Àlasecondeoùj’entre,jelevois.Je nem’y attendais pas, pas si tôt.Mais il est là, au bar, et Phil est devant lui, qui

bavardetoutenluiservantunverre.Jeredresselatête,pleinededétermination,etmarchedanssadirection.Il saitque je suis làavantque j’aieditquoiquece soit. Je levoisà saposturequi se

raidit.Àlamanièredontleverrequ’ilportaitàseslèvress’immobilise.–Sylvia,dit-il,avantdepivotersursontabouretpourmefaireface.Jem’assiedsàcôtédelui.–Raviedetecroiserici.Ilmeconsidèreuninstantsansriendire,maisl’étincelledeplaisirquejediscernedans

sonregardmedonnedel’espoir.–Tunedevraispasêtrelà.–C’estunpayslibre,non?– Bon sang, Syl, lâche-t-il d’une voix frustrée, tandis que Phil s’éloigne discrètement

pournouslaisserparler.–Arrête.Jel’aivudanstesyeux.Tuescontentdemevoir.–Toujours.C’estpourçaquec’étaitsidurdetequitter.–Tun’auraispasdû.Ilneprotestepas.–Commenttum’astrouvé?– Je t’ai cherchéà lamarina, aubureau. J’ai finiparappelerHarriet.Ne lui enveux

pas.–Jeneluienveuxpas,dit-il,etmonbourgeond’espoirs’épanouit.Je luiprends sonverredewhiskydesmains etboisunegrossegorgée sans lequitter

desyeux.Puisjeposeleverresurlebard’unairdedéfi.–Jeveuxquetum’écoutes.Tumedoisbiença,aumoins.Àmagrandesurprise,aprèsunsilence,ilacquiesce.–Trèsbien.Alorsj’attaque:–Tuesunabruti.Tu temets ledoigtdans l’œil si tu croispouvoir tedébarrasserde

moiaussifacilement.C’estimpossible,ettulesaisaussibienquemoi.

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Jeprendssonsilencecommeunencouragement.– Tu te rappelles quandDamienm’avait ordonné de te virer et que jem’étais sentie

coupabledenepasdémissionner,moiaussi?–Évidemment.–Tuterappellescequetum’avaisdit?(Jen’attendspassaréponse.)Tuavaisditque

tunemedemanderaisjamaisdequitterquelquechosequej’aime.Maisenfin,Jackson,iln’yariennipersonneaumondequej’aimeplusquetoi!

–Syl…–Non.C’estmoiquiparle.Tum’asditunefoisqu’il fallaitquejefasseconfianceàce

trucentrenous.Jet’aiobéi.Tuavaisraison,Jackson.J’aiconfianceaussilà,maintenant.Ettoiaussi,tudevrais.Prisonoupas,gamineoupas,c’estuntrucvéritable.Untrucjuste.Bonsang,Jackson,ilfautquetucroiesennous.

Ilfermelesyeux.–C’estlecas.Dansmapoitrine,moncœurfaitn’importequoi.–Vraiment?Parcequejenepartiraipasd’icisanstoi.Ettusaisquoi,pourRonnie?Je

mefousqueDamiensoitsononcle.Jeveuxm’occuperd’elle,Jackson.Etmêmeplusqueça.Jeveuxêtresamère.

Ilpenchelatêtesurlecôté,l’airméfiant.–Qu’est-cequetudis?–Jedisque jeveuxt’épouser,Jackson,et lesmotsmeviennenttoutnaturellement,si

justes,siparfaits.Jedisquejeneveuxpasvivreunjourdeplussanssavoirquejeseraitafemme.

***

Unmariage.Jacksoneutl’impressionquesoncœurallaitexploser.Ilcroyaitl’avoirperdue.Ilcroyaitl’avoirfaitfuir.Etvoilàqu’ellerevenait,résolueàêtre

safemme.Qu’avait-il bien pu faire pour la mériter ? Il n’en avait aucune idée, mais il n’allait

certainementpasêtreassezbêtepourserefuseràelle.LorsdesadiscussionavecDamienlaveille,ilavaitréaliséquelaquitternerimaitpasà

grand-chose,etilruminaitdepuis,sedemandantcommentilpourraitlareconquérir.Ilsavaitàprésentquelaseulebonnesolutionpoureux,c’étaitd’êtreensemble.Parce

qu’êtreséparésl’undel’autrelesravageaittouslesdeux.–Jackson?l’interrogea-t-elled’unevoixdouce,l’airtimide.Ilsetournaverselle,sachantquesonlargesourirevoulaittoutdire.

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–Ohqueoui,tuvasêtremafemme.Ilvitsonvisages’illuminer,détenduparlesoulagement,etileutenviedesegiflerpour

toutlemalqu’illuiavaitfait.–Jesuisdésolé,dit-il,mêmesicesparolestraduisaientàpeinesesémotions.–Net’enfaispas,jecomprends.Tuaspeur,voilàtout.–Jesuismortdetrouille,oui.L’idéedet’abandonnermeterrifie.Laprisonmeterrifie.

Lefaitquetoutsoitsurlepointdebasculermeterrifie.–Moiaussi,souffla-t-elle.Maisonvafairefaceensemble,d’accord?Aulieuderépondre,ilselevadesontabouretettenditlamainàSylviapourl’aiderà

descendre.–J’aibesoindetoi,Syl.J’aibesoindetoimaintenant.Ilsentaitcebesoingrandirenlui.Commeunefossequ’ilfallaitcombler.Uneexigence

qu’ilfallaitsatisfaire.–J’aibesoindegraverlasensationdetoncorpsenmoi.Jeveuxquetumedonnesta

chaleur.Quetumemarquesauferrouge.Parcequemêmeenprison,jeneveuxplusjamaisêtreséparéde toi.Et j’aibesoinde tepossédercomplètement,Syl,ajoute-t-ilavec fougue.Mafemme?Tuestellementplusqueça.Tuesmavie,Syl.Tuesmonsang.Tueslaseulepersonneàpouvoirmemettreàgenoux,laseuleàpouvoirmesauver.Etlà,j’aiplusbesoindetoiencorequed’oxygène.

***

Saboucheestsurlamienneàlasecondeoùlaportedesachambreserefermederrièrenous,etnotrebaiserestfiévreux,passionné,commesinousrattrapionsletempsperdutoutenbalisantl’avenir.

–Enlèveça,dit-ilenm’ôtantfébrilementmonchemisier.Nousnousdéshabillonsprécipitammentetsommesnusenquelquessecondes.Je me frotte contre lui pour sentir sa peau sur la mienne, mais il me soulève sans

préveniretmeportejusqu’aulit,surlequelnousnousécroulons.Jacksonroulesurledosetmecontemple.–Embrasse-moi,demande-t-il.Sanshésitation,jel’enfourche,enm’arrangeantpourmepositionnerjusteau-dessusde

songland.Puis jemepenchepour l’embrasserfougueusementtoutenm’empalantsur lui.Je suis déjà trempée, mon corps est moite d’excitation et l’accueille tout de suiteprofondément.

Ilgémitcontremabouche,sesdoigtsplongentversmonpointcardinalpourletitiller,puissamainremontesurmonventre,mataille,mondosavantdedescendreversmoncul.

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Là,ilenfoncesondoigtdansmonanus,mefaisanthaleterdeplaisir,carcettesensationestaussiexquisequ’érotique.

–Oui…Oh,oui,tupeuxmeprendrecommeça,jemurmureencroisantsonregard.–Jeteprendraicommejelevoudrai,merappelle-t-il,etlachaleurintenseconjuguéeà

sa puissance virile m’assèche la bouche tandis que mon sexe palpite de plus belle. Maisd’abord,jeveuxquetuaillescherchermonportefeuille.

Jesuissurpriseparsademande,maisneprotestepas.Jedescendsdulitetreviensavecleportefeuillequej’aipêchédanslapochedesonpantalon.Alorsquejem’agenouillesurlelit,ilensortunpetitétuiquiressembleàceluid’unpréservatif.

Je le regarde sans comprendre, parce que nous avons dépassé ce stade depuislongtemps,etilmerépondavecunsourire:

–C’estdulubrifiant.J’aipenséqueçapourraitnousêtreutile.Je déglutis et hoche la tête, impatiente et pourtant hésitante. Nous n’avons encore

jamaisfaitça,etbienquelasensationdesondoigtenmoiaitétéindéniablementdélicieuse,je suisunbrinnerveuse.Mais Jacksonbalaiemes inquiétudes, oudumoins les apaise, enm’attirantàluipourprendremonseindanssabouche.Iljoueavec,memordilleletétonduboutdesdents,puisaugmenteunpeulapression.C’estdouloureux,maisc’estlegenrededouleurquisediffuseennuéeardentedeplaisirdanstoutmoncorps,etjelechevauchedenouveau, puisme cambre et gémis. Je sens alors la caresse froidedu lubrifiant entremesfesses,justeàl’endroitoùJacksonmetitillaitquelquesinstantsplustôt,etoùilrevientpourmeprépareràuneintromissiond’unautreordre.

De son autre main, il s’occupe de mon clitoris, si bien que je suis assaillie de toutesparts,etmoncorpséperdudesensualités’ouvreàluietleréclame.

–C’estça,mabelle.Détends-toi.Laisse-moit’emmenerlà-bas.Tuvasadorerça.–Ohoui,dis-je,carjeluidonneraitoutcequ’ildésire.Moi aussi, c’est ce que je veux. La respiration entrecoupée de gémissements, je sens

monsexepalpiterdeplusbelle.J’aitellementbesoind’êtrebaisée,etcommes’ilsepliaitàmavolonté,ilglissesesdoigtsàlafoisdansmachatteetdansmoncul.J’onduleavecforceetavidité.J’enveuxencoreplus.

Je garde les yeux rivés à ceuxde Jackson, quime répondmuettement avec lamêmeardeur, la même intensité. Ça l’excite deme voir réagir aussi puissamment, et je sens saqueue tressaillir contrema cuisse, comme si elle attendait son tour avec impatience. Je lesupplie:

–Maintenant.Jet’enprie,Jackson,maintenant.Jecommenceàm’écarterpourmemettreàquatrepattessurlelit,maisilmeretient.–Non.Restecommeça.Jeveuxteregarder.–Mais…Mais,jen’aijamais…

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– Je veux te regarder, répète-t-il. Et comme ça, tu as plus de contrôle, dit-il enm’embrassant,commes’ilmeconcédaitquelquechose.

Mais c’est faux. Il m’a complètement ensorcelée, je suis à sa merci, et il le saitparfaitement.

–C’estcommeçaquejeveuxteprendre.Maintenant.Vienslà,ajoute-t-il,d’unevoixsifermeetbrûlantequej’ailasensationdemeliquéfierd’excitation.

Jemepencheenavantetlelaissemecapturerd’unbaiser,puisgémisquandsalangues’enfoncedansmabouchetandisquesondoigtlubrifiécontinuesontravaildesape,là-basderrière,insistantencoreetencore.

J’entends le petit rire de Jackson, et je le sens ajouter un doigt pour me dilaterdavantage.

–Maintenant,mabelle.Sinonjevaisteretourneretteprendrepar-derrière.Jem’assiedssursaqueueetlelaissemeguider.Ilaraison,j’aiplusdecontrôle.Jesens

son gland appuyer sur ma petite porte, et j’ondule des hanches, montant et descendanttandis que Jackson me masturbe pour me mettre en confiance et me rendre plusaudacieuse.Maisaussipourm’affamerdavantage.

Il ferme les yeux et grogne, de plaisir autant que de frustration, et ce bruitm’exciteencoreunpeuplus. Jem’empaledequelques centimètres sur lui etmemords la lèvreenréaction à cette brûlure remarquablement, merveilleusement douce. Et lorsque mesgémissementsdeplusenplusrauquessemêlentàmonnomqu’ilchuchoteavecferveur,jen’y tiens plus et m’enfonce complètement sur lui, ravalant la douleur pour accueillirl’incroyablesensationd’êtrepossédéedelasorteparcethomme.

Labrûlurediminueetjecommenceàmonteretàdescendrelentementtandisquemessensationss’amplifient.Leplaisirdéferleenmoialorsquemoncorpss’adaptepeuàpeu.

–Allez,fait-ilenmeglissantdeuxdoigtsdanslachatte,sansquesonpoucenequittemonclitoris.Allez,majolie.Baise-moifort.

–Jenem’attendaispasàcequ’ons’yprennecommeça,dis-je,etsonéclatderiremerapprocheencoredelui.

–Maistuaimesça.–Ohoui.J’obéis à sesordres et le chevaucheavec ferveur. Je suisdéjà simûreque lapression

contre mon clitoris associée à la sensation nouvelle et incroyablement érotique d’êtredoublementpénétréemefaitjouirbeaucouptropvite.

Mais c’est sans importance, parce que Jackson, lui, n’est pas près de s’arrêter, et ilprend le contrôle.Agrippantmeshanches, il semetàmepilonnerprofondément,etmoncorpssecontracteautourdelui,avide,insatiable.

Etmême s’il ne titille plusmon clitoris, je suis tellement à vif qu’un second orgasmedame le pion au premier, plus puissant, plus tumultueux, et je me dissous en un feu

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d’artificetandisqueJacksonexploseenmoi.Jem’écroulesursapoitrine,pantelante,noscorps toujours liés l’unà l’autre,et ilme

caressedoucementledospendantquenouslaissonsl’universsestabiliserautourdenous.Lorsquenousnoussommesremisdenosémotions,ilpresseseslèvressurmonfront.Il

faudraitbouger,maisjen’enaipasenvie.J’aimesentirsabiteredevenuemollecontremoncul. Nous formons un cercle, un circuit fermé, me dis-je soudain, et cette idée m’apaise.Commesipeuimportaitl’endroitoùjemetrouve,ladistancequinoussépare,parcequ’endéfinitive,noussommesconnectés.Etjen’aiqu’àcontinuerd’avancerunpeupourretombersurJackson,àtouslescoups.

Je suis tirée d’un profond sommeil par des coups frappés à la porte de la chambred’hôtel.

–Qu’est-ceque…–Toutvabien,ditJackson.J’yvais.Letempsqu’ilrevienne,jesomnoledenouveau.Jem’apprêteàparler,maisilposeun

doigtsurmeslèvres,puismetendlamainpourm’aideràmeredresser.–Jesaisqu’ilesttard,maisilfautqu’onaillequelquepart.Tuviens?–Biensûr.Le voiturier nous attend en bas, et lorsque nous commençons à rouler sur la Pacific

CoastHighway,j’aiunepetiteidéedenotredestination.Messoupçonssontconfirmésquandil prend un virage pour se diriger vers le quartier de Pacific Palisades. Quelquesminutesplus tard, il gare lavoituredevantunmagnifique terraindonnant sur l’océan. Il ena faitl’acquisition il y a des années, mais rien n’a encore été construit dessus. Il n’a pas ditpourquoiilvoulaitveniricicesoir,maisjeledevinesanspeine.Ilvoulaitbâtirunemaison.Pourlui.Poursafille.

Etmaintenant,ilestvenudireadieuàtoutça.Cen’estpasquelquechoseque j’ai envied’entendre,mêmesi je crains fortquecene

soitpasinutile.Jeluiprendslamainavantqu’ilaitpusortirdelavoiture.–Arrête,dis-je.–Arrêtequoi?–Nevapascroirequetunepourrasjamaisréalisercerêve.Sonsourireestsitendrequ’ilenestpresquedouloureux.–Viens.Il sortde la voiture, et je le suis. Il prendunpetit sacdans le coffre, et commenceà

marcherversl’obscurité,àl’autreboutduterrain.C’estl’océan,jelesais,maiscettenuit,onnediraitriend’autrequ’ungouffredanslequelJacksons’apprêteàdisparaître.

Leterraindescendunpeuauboutdequelquesmètres,presqueaménagéenterrasse,cequipermetundegrésupplémentaired’intimité.

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–Justelà,dit-ilendésignantlesarbresquiàcetendroitdélimitentunhémicycle.C’estlàquejeveuxluiinstalleruneairedejeux.

Jeledévisage,surprise.Iladitjeveux.Pasjevoulais.Etunpetitespoirfleuritenmoi.Jenerelèvepas,etmecontentededire:–C’estl’endroitidéal.Ilsetournepourcontemplerl’océanquis’étalesousnospieds,justeaprèslaroutequi

serpentelelongdelacôte,entrelerivageetlacollineoùnousnoustrouvons.– J’hésitais à me mettre aux plans, dit-il, le regard tourné vers le large. Parce que

j’avaispeurquetoutsoitfoutuenl’air.Jenedisrien;ilfaitéchoàmesproprespensées,etjeveuxvoiroùsonraisonnement

valemener.–J’hésitaisàfairevenirRonnieici,aussi.J’hésitaisàrendremapaternitéofficiellealors

que j’aurais dû le faire il y a longtemps. J’ai mis ma vie sur pause parce que quelqu’und’autre a tué un homme. Tu te rends compte, Syl ? J’ai fait ça,moi. Alors que je n’avaisjamaisrienlaisséinfléchirlecoursdemavie,etsûrementpaslecoupdetêtedequelqu’und’autre.Maislà,j’aiplié.J’aiarrêtéd’avancerdansmavieparcequej’avaispeurqu’onmelavole.

–Ettun’aspluspeuràprésent?–Jesuisterrifié.Maisc’estvraimentuneexcuseminable.Je déglutis, tiraillée par tant de questions et d’émotions que je ne parviens pas à les

distinguerlesunesdesautres.–Qu’est-cequetuvasfaire,Jackson?Sansrépondre,ilmeprendlamainetlaporteàseslèvres.Ildéposeunbaisersurmes

doigts,maiscegesteamoureuxestteintédetristesse.Jenesaissijedevraism’eneffrayerouypuiseruneformed’espoir,etcetteincertitudemepèsepresquephysiquement.

– Parle-moi des photos, dit-il d’une voix douce, sans que je comprenne où il veut envenir.Lesphotosdemaisonsquetuprends.

–Jet’enaidéjàparlé,jerépliquetendrement.Je pratique la photographie en amateur, et mon sujet favori a presque toujours été

l’architecture. Pas seulement les gratte-ciels majestueux ou les immeubles originaux. Jem’intéresse aussi auxmaisons. Parfois quelconques. Parfois incroyables.Certaines en pleinquartierrésidentiel.D’autresnichéesdanslacampagne,aubeaumilieudenullepart.

–Raconte-moiencore.Je fronce lessourcils,unpeudéstabilisée.Jenesaispaspourquoi ilveutparlerdeça

maintenant,maisjenevaispasleluidemander.Pascesoir.– Je l’ai toujours fait. Je supposeque je voulais imaginer comment ça sepassaitdans

cesmaisons.Chacuneavec ses caractéristiques.Lespetites, lesgrandes.Les luxueuses, lesdélabrées.Jemedemandaissi lesgensquiyvivaients’ensortaientmieuxquemoi.Si leur

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père les protégeait. Si leurmère se rappelait leur existence… Je faisais une collection, enquelquesorte.Despetitsmorceauxdeviequej’auraisaiméavoirunjour,peut-être.

–Etquelgenredemaisontuverrais,surceterrain?–Ehbien,unbâtiment touten longueur, jepense,avecunepartiecentraledeplain-

piedet lesextrémitéssurdeuxniveaux.Le terrainestassezgrandpourça.D’uncôté, ilyaurait un salon avec unhome cinéma. Et de l’autre, une suite parentale.Avec un balconentrelesdeuxailesquidonneraitsurl’océan.

–Çameplaîtbien.Etoùseraitlacuisine?– À l’arrière, avec une baie vitrée. Comme ça, on pourrait prendre le petit déjeuner

dehors,sionveut.–Auborddelapiscine.– Ça va de soi. À la bonne franquette, quoi. Et puis il y aurait trois, non, quatre

chambres,enplusdelasuiteparentale.– Pas mal. Assez proche de ce que j’avais en tête, je dois dire. Il faudra juste que

j’arrangequelquesdétailspourintégrertesidées.Ilmeprendlamainpourmeguiderverslenord.–C’estlàqueseranotrechambre,àl’étage,donc.Etl’espaceaurez-de-chausséeserait

idéalpourtonbureau.–Ahoui,tucrois?Ettonbureauàtoi,oùserait-il?–Justeàcôtédutien,évidemment.Avecuneportecommunicante.–J’aimebience jeu,dis-je,maisJacksonmedévisagealorsd’unemanière troublante.

Euh?…Est-cequec’estunjeu?Unepointed’humourfaitbrillersonregardpleindechaleur.–Çadépend.Sic’estunjeuavecungagnantàlafin,alorsoui.Jevaisconstruirecette

maisonpourtoi,mabelle.Tamaisonavecvuesurl’océan.Mêmesijedoisdessinerlesplansenprisonetdéléguerlechantier,j’auraiunfoyerpourmafemmeetmafille.

– Oh… dis-je dans un souffle, et malgré la joie qui vibre en moi, je ne trouve riend’autreàrépondre.

Parceque c’est juste ; commentRonnie etmoipourrions-nous vivre ailleurs quedansunemaisonconstruiteparJackson?

–D’accord?–Oui.Biensûr.L’émotion altèrema voix. Elle est si dense qu’elle en éclipse presque – presque –ma

peur.–J’aiquelquechosepourtoi,dit-ilensortantunepetiteboîtedesapoche.Jel’ouvrepresquetimidement,pourtrouverunebaguesertied’unsolitaire,d’unéclat

siprofondqu’ilétincèlemêmeauclairdelune.C’estunebagueancienne,avecunmotifdefeuillesdevignegravésurlamontured’orblanc.

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–C’étaitcelledemagrand-mère.J’aiappeléLaurenaprèsquetut’esendormie,pourluidemanderd’allerlacherchersurlebateau,dansmonbureau.

J’acquiesce en silence ; c’est donc son assistante qui a toqué à la porte de notrechambre,toutàl’heure.

Ilsortlabaguedesonboîtieretmelapasseaudoigt.Parchance,ellemeva.–Magrand-mèrenes’estjamaismariée,alorsellenel’ajamaismise.J’aimeraisquetoi,

tulaportes.Je suis trop émue pour parler. Même si l’amour a fini par triompher de toutes nos

difficultés,cesymbolescellevraimentnotrecouple.Jacksonestàmoi,etjesuisàlui.Pourtoujours.Pourdebon.

JeregardeJackson.–Elleestmagnifique.–Sicen’estpastonstyledebijou,jenemevexeraipas.Je contemple la bague, hypnotisée par son éclat. Puis je lève des yeux embués de

larmesversJackson.–Elleestparfaite.

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24

Jackson et moi finissons la nuit au Biltmore, blottis l’un contre l’autre. L’épuisementayant fini par l’emporter sur la peur, aumoins pendant quelques heures, nous profitonsd’unsommeilbéat.

Jesuisheureuse.J’ai lachancedepouvoir le tenirdansmesbras ;et j’espèrede toutmon cœur que ce n’est pas la dernière fois. À présent que nous roulons en direction deBeverlyHills,jemerépètequejesuisheureusedepartagercemoment-làaveclui,aussi.

C’est unmensonge, évidemment. Je ne veux pas seulement cemoment. Je veux êtreavecluiàchaqueinstant.Jeneveuxpassongerquejel’aiserrécontremoipourladernièrefois.Jeveuxsentirsoncorpsprèsdumienchaquenuit.

Maiscen’estpasmoiquimèneladanse,alorsjerestesagementassisedanslavoiture,en faisantdemonmieuxpourêtre courageuse. Jacksonn’apasbesoinqu’unepetiteamielarmoyanteluiruinelemoral.Entoutcas,Dieusaitsimoi,j’enaibesoin.

–StellaetRonniearriventàdeuxheures,dit-il.–Jesais.Tumel’asdithiersoir.DèsqueDamienavaitacceptéd’êtreletuteurdeRonnie,Jacksonavaitimmédiatement

entamé les démarches pour la faire venir ici.Maintenant, bien sûr, il est entendu que sagardemerevient.

Jeposelamainsursacuisse.–Jem’occuperaidetout.Jetelepromets.Ilacquiesceensilence,l’airàlafoistristeetreconnaissant.–Jackson…Jem’interromps,carjenesuispascertainedevouloirlancercettediscussion.J’ignorepourquoiilafalluquej’ouvrelabouche.–Oui?J’envisagedeluidiresimplementquej’aipeur.C’estvrai,aprèstout.Maisillesait,etje

doisêtrehonnêteaveclui,alorsjemejetteàl’eau:

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–Est-ce que tu es sûrde vouloir la faire venir ici ?Maintenant qu’on sait que le filmpourraitêtreréalisé,etquelapresseestaucourantdesonexistence…

Jene finis pasmaphrase, détestant le simple fait de lui rappeler ce scandale qui luicausetantdesouci.

–Jesais,dit-il.Çamerendfouquand j’ypense.Maisonadéjàétudié laquestion,etmêmesilasituationn’estpasidéale,onpeutlaprotéger…Saufquejeneseraipaslàpourt’aider, dit-il après une petite pause. Tu préfères que Damien et Nikki la gardent ? TupensesquejedevraislalaisserauNouveau-MexiqueavecBetty?

–Non.Jeveuxm’occuperd’elle.Lesmotsme viennentmachinalement,même si je ne suis pas sûre qu’ils reflètent la

vérité. Mais c’est seulement un mensonge dans la mesure où je redoute ma propreincapacitéàm’occuperdesafille.Ausujetduscandale,jepensequ’ilaraison.Onpeuts’enaccommoder. Ce ne sera pas drôle et ce ne sera pas facile, mais c’est possible. Les gensconnuslefontquotidiennement,etpourcequiestdenotreimagepublique,jenetrouveraipasdemeilleur attachédepresse ailleursqu’à LosAngeles. Jehoche la tête avecunpeuplusd’assurance.

–Sérieusement,çavaaller.Lescandalenemefaitpaspeur.Ilmedévisage,puisgardelesilenceunesecondedetropavantdediregentiment:–Tuferasunesupermaman.Jesenslerougememonterauxjoues.–Tumesurestimes,Jackson.– Tu en es capable, dit-il enme prenant lamain. Tu es forte. Je te connais, Sylvia.

Vraiment.Tuvastrèsbient’ensortir.J’esquisse un geste de protestation, pas envers ce qu’il dit – même s’il ne m’a pas

convaincuedutout–,maisparcequejen’enrevienspasquecesoitluiquimeréconfortecematin.

Jeserresamain.–Net’inquiètepaspourmoi.J’aidelaressource.Vraiment.Ils’apprêteàdirequelquechose,maismontéléphonebipepourmesignalerune-mail,

et en le consultant, jem’aperçois que j’aimanqué un appel hier soir. Je regarde quim’alaisséunmessageetpousseunjuron–c’estmonpère.

–Tuvasl’écouter?demandeJackson.–Non.Venantdesapart,c’estinutile.Maistoutenparlant,j’appuiesurleboutonduhaut-parleurpourl’entendre.Jenesais

pas pourquoi. Je suppose que, quoi qu’il ait à dire, ça ne peut pas être pire que ce queJacksonetmoivivonscematin.

–Chérie, c’est papa. Je voulais juste te direunedernière fois que je t’aime, et que je suisdésolé. Je ne t’appellerai plus. J’espère seulement… eh bien, j’espère qu’un jour on pourra se

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parlerdenouveau.Lemessageseterminelà.Je reste perplexe, car j’ai entendu une souffrance authentique dans la voix de mon

père;maisjeneveuxpaséprouverdepitiépourcethomme.Pasmaintenant.Jamais.Merde.JemetourneverslavitrepourqueJacksonnevoiepasl’expressionsurmonvisage.Je

neveuxpasavouerquequelquechosedanslavoixdemonpèrem’aréellementtouchée.Auboutd’uninstant,jesenslamaindeJacksonmecaresserledos.–Tuasledroit,c’estnormal.–Dequoituparles?– C’est normal de ne pas le détester complètement. Ce n’est pas lamême chose que

d’accepter,oumêmedepardonner.Commejeneréagispas,ilcontinue:–TevendrepoursauverEthan,c’étaitatroce.Etjetejurequejepourraisletuerpour

cequ’ilt’afait.Maisenmêmetemps,jemedemandes’iln’estpasdéjàmort,àl’intérieur.Sifairecechoixnel’apasdéjàtué.

Çan’apasd’importance.Jemefousdelui,etçamevatrèsbiencommeça.–Peut-êtrequeçal’atué,dis-je,déterminéeàgardermacolèreintacte.Parcequepour

moi,c’estcommes’ilétaitdéjàmort.Etlà,laseulepersonneàquij’aienviedepenser,c’esttoi, j’ajoute en le regardant de nouveau, avant de lui prendre lamain.On va s’en sortir,touslesdeux.

Si je le répète, çava sûrement finirpar être vrai.Ou, toutdumoins, je commenceraipeut-êtreàycroire.

Nous atteignons le poste et nous nous garons à l’emplacement qu’Harriet nous aindiqué,avantdenousrendreàl’accueil.Delà,onnousconduitàunesallederéunion,oùCharlesnousattendavecDamienetNikki.À laminuteoùnousentrons,Damien s’avanceversJacksonpourluiserrerlamain.

–VousêtescenséêtreenroutepourlaChine!luidis-je,unpeupaniquéeàl’idéequemonpatronacomplètementfichuenl’airleprogrammequej’avaissoigneusementconcoctépourlui.Votreaviondevaitdécollerhiersoir.Bonsang,Damien,ilsvontêtre…

Illèveunemainpourmefairetaire.– C’est réglé. Rachel s’est occupée de tout. Mais mon frère est placé en détention

provisoire et ma nièce arrive bientôt. Je reste ici, au moins jusqu’à la lecture de l’acted’accusationet l’audiencepour la libérationsouscaution.Justeaucasoùtuauraisbesoindequelquechose,ajoute-t-ilàl’adressedeJackson.

Ce n’est pas d’argent que parle Damien – même si la caution fixée par le juge estastronomique,Jacksonauradequoilapayer.Non,c’estdesoutienmoral.Jacksons’enrendcompte,jelevoisàsonexpression.Ilsouritàsonfrèreavecungestedereconnaissance.

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–OùestHarriet?demandeJackson.–Avecl’inspecteurGarrison,répondCharles.Ilsviendrontvouschercherici.Jacksonhochestoïquementlatête.Quantàmoi,jemesenspâliràtouteallure.–Qu’est-cequ’onpeut faire, Jackson? interrogeNikki.Si tuasbesoindequoiquece

soit,tun’asqu’àledire.–Est-cequetupourrasaccompagnerSylàl’aéroport?Stellaarrivetoutàl’heureavec

Ronnie.Tupourraispeut-êtrelesaideràs’installer?–Biensûr,ditNikki.Jeneprotestepas:mêmesij’aimeraispouvoirdirequejegèrelasituation,jecroisque

jen’enmèneraipaslargedansquelquesheures.–Ilfautquejenoustrouveunappartement,aussi,dis-je.Ilyaunechambred’amissur

le bateau,mais ce n’est pas le lieu idéal pour une petite fille. Et il n’y a qu’une chambrechezmoi.MêmesijelalaisseàRonnie,ceseraquandmêmetropgalèretantqueStellaseralà.

Stellaestunesainte.Elleva resterquelques jourspournousaiderà faireplusampleconnaissance,Ronnieetmoi,etpourm’apprendreàm’occuperd’unefillettedecetâge-là.

Jackson avait prévu de trouver une maison à louer, mais les quelques visites qu’il afaitesn’ontpasétéconcluantes,etiln’apaseuletempsdecontinuersesrecherches.Jeleregarde.

–Siseulement…Maisjenevaispasplusloin.Ilsaitcequejeregrette,parcequejel’aiditaumoinscinq

foiscematin.–Jesais.Tuauraisvouluqu’ellesarriventplustôt.Moiaussi,crois-moi.–Harrietteferalibérersouscaution,intervientDamiend’unevoixferme.Tuvasvoirta

filletrèsbientôt.JecroiseleregarddeJackson.Nousespéronstousdeuxqu’ilaraison.Nouscraignons

tousdeuxqu’iln’aittort.– Vous devriez vous installer à la Stark Tower, dit Nikki en interrogeant Damien du

regardpouravoirsaconfirmation.–Ellearaison,approuve-t-il.Prenezl’appartementdudernierétage.Nikkietmoi,on

restera à Malibu pendant ce temps. Vous serez bien. Et Syl pourra passer voir Ronniependantlajournée,commeça.Toiaussi,dèsquetuserasderetouràtatablededessin.Etvousallezdevoirsacrémentcravacher,ajoute-t-ilironiquement.Jeveuxquemonhôtelsoitfinidanslestemps.

–Tonhôtel?répèteJackson,etDamienluirépondparunsourirederequin.Pendant quelques secondes, l’ambiance est légère, et on apresque l’impressiond’être

simplementréunisicipourbavarder.

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Jackson me sonde du regard, et j’approuve d’un signe de tête. L’appartement estéquipé et très fonctionnel. Et merveilleusement bien situé, en effet : j’aime l’idée de merendreautravailenascenseurplutôtqu’envoiture.

–D’accord,ditJacksonà l’adressedeDamien,avantdese tournerversNikki.Merciàtouslesdeux.

–Allons,ditDamien,c’estàçaquesertlafamille,non?–J’imagine.Jen’aijamaisvraimentpratiqué,jusqu’àprésent.Un ange passe, et pour rompre le silence, je m’apprête à demander à Nikki quelle

chambre serait la plus adaptée pour une fillette de trois ans, quand la porte s’ouvre.J’agrippe la main de Jackson tandis qu’Harriet entre, suivie de l’inspecteur Garrison, quinoussalue.

–MonsieurSteele,mercid’êtrevenu.Jacksonhausseunsourcil.– Dans mon souvenir, je n’avais pas le choix… mais je vous en prie. (Il prend une

grandeinspiration.)Bon,allons-y,qu’onenfinisse.–C’estinutile,Jackson,ditHarriet,levisageéclairéd’ungrandsourire.Vousêteslibre.Misàpartsamainquibroielamienne,Jacksonnebougepasd’uncil.Quantàmoi,je

me demande si je n’ai pas fait un petit AVC ni vu ni connu, car j’ai l’impression que lesproposd’Harrietn’ontaucunsens.

Lentement,Jacksondemande:–Qu’est-cequevousvoulezdire?–Nousavonsunsuspectengardeàvue,monsieurSteele,ditl’inspecteurGarrison.Ila

toutavoué.Desamainlibre,Jacksons’appuieà latableets’assiedauralenti. Ilouvre labouche,

maisn’émetaucunson.C’estmoiquifinisparm’exclamer:–OhmonDieu,alorsc’estfini?C’estvraimentfini?Harriet confirme les dires de l’inspecteur, et Jackson cherchemon regard, comme s’il

s’agissaitd’uneblagueetqu’ilattendaitlachute.– C’est fini, je répète, et nous nous regardons sans mot dire, complètement ébahis,

éblouis.Jemedemande si l’universne s’estpasditqu’il s’était suffisammentamuséavecnous

comme ça.Que la plaisanterie avait assez duré, et qu’il nous laissait retourner à nos viestranquillementaulieudenousimposerpluslongtempscetteespècedeballeauprisonniercosmique.

–Seigneur,merci,murmureJackson.Merci.–Qui a fait des aveux ? demandeDamien, et je réalise alors que le sourire d’Harriet

n’estpasaussilargequejecroyais.–Qu’est-cequ’ilya?jedemande,soudaininquiète.

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– Je suis désolée, répond-elle, et j’ai juste le temps de trouver bizarre qu’elle meregarde,moi.Sylvia,c’estvotrepère.Ils’estlivréàlapolice.

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25

–Tiens,ditJacksonenmetendantunverredevin,quoiqu’ilnesoitmêmepasencoremidi.Boisça.

Noussommeschezmoi,soi-disantdans l’optiquederassemblerquelquesaffairespourlesemporteràl’appartementdelaStarkTower,aprèsavoirétéchercherRonnieetStellaàl’aéroport.Mais à vrai dire, je suis pour lemoment plus occupée à ruminermes penséesqu’autrechose.

–C’estgentil,maisçava,dis-jeenmepelotonnantsurlecanapé.Vraiment.Je prends quandmême le vin, parce qu’en vérité, ça ne va pas du tout. Le choc de

l’annoncesembleavoirfaitvolertoutesmesémotionsenéclat.C’était déjà lesmontagnes russes depuis que les policiers nous avaient accueillis à la

descentedel’avionàSantaFe.D’abordl’annoncedessoupçonsquipesaientsurlui.Puislamenace et l’imminence de son arrestation. Et enfin, le soulagement et la stupeur lorsquenousavionsapprisqu’ilétaitblanchi.

Onauraitdûs’entenirlà.Jenedevraispasavoiràéprouverça–cetiraillementdansleventre,cepincementque

je ne tiens vraiment pas à identifier. Je ne veux pas éprouver ça pour lui. Pas pourmonpère.

Etpourtant,cetteémotionestbienprésente,etmeronge.Toutcequejevoudrais,là,c’estunebonnegrosseanesthésie.Etàdéfaut, lemieuxrestedeprolongerquelque tempscetétatdesaisissement,enespérantqu’uneformedequiétudem’attendraàlasortie.

Jen’aipasencoreparléàmonpère. Jene saispas si j’enaienvie.D’aprèsHarriet, ilfaudraunmomentavantquecesoitpossible,detoutefaçon, letempsdesuivretouteslesprocédures;lesystèmejudiciaireestloind’êtrerapide.Toutcequejesais,c’estquec’estluilemeurtrier.Pourdevrai.Apparemment,lapoliceavaitprissoindenepasrévélertouslesdétailsducrime ;parexemple, le faitqu’unecitationsoitgravéedans l’ivoirede la statueaveclaquelleReedaétéestourbi.

Monpèrel’arécitéeàl’inspecteurGarrison.

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Illuiaditqu’ilavaitagipourprotégerJackson,l’hommequesafilleaimait.Maisjenelecroispas.Ouplutôt,pascomplètement.Je pense que mon père a tué Reed après que Jackson lui a parlé des photos et du

chantage.Je pense quemonpère a tuéReedpourmeprotéger, pour que ces photosne soient

jamaispubliées.Jepensequemonpèreessayaitdemesauver.Maisc’estmonpère,l’hommequejehaïssaisdepuistantd’années.Ethonnêtement,je

nesuispastropsûredecequej’éprouveàl’idéequ’ilm’aitsauvée.Aprèstout,ilaattendula dernière minute, en laissant Jackson se débattre au milieu des paparazzis qui nousassaillaient.Iln’apasbougéetnousalaissémorflertouslesdeuxalorsqu’ilauraitpunousl’épargnerdèsledébut.

Maisjen’aipasenviedepenseràtoutcelamaintenant.Toutcequejesouhaitepourlemoment,c’estsavourerlavictoiredeJackson,saliberté.Ilestensécuritémaintenant.Ilestavecmoi.

Ils’assiedàmescôtésetsoulèvemespiedspourlesposersursesgenoux.J’aiôtémeschaussures,maisjeportetoujourslajupequej’avaischoisiecematin,etjefermelesyeuxenmedélectantdelasensationdesesdoigtsquisepromènentsurmesmollets.

–Jesuistellementdésolée,dis-je.–Pourquoi?J’ouvrelesyeuxetlevoismesouriretendrement,l’airsiattentionnéquej’enaipresque

lecœurbrisé.–Parceque jesuismélancolique.Ondevraitêtreentraind’acheterdesconfettispour

leslancerduhautdel’immeuble.– Je suisquasiment certainqu’il yaunarrêtémunicipalqui interdit ça. Jen’aimerais

pas avoir d’ennuis avec la police, dit-il d’un air malicieux, m’arrachant un rire.Sérieusement,tuasledroitd’êtreheureusepourmoiettristepourtonpère.Ouperturbée,oujenesaisquoi,s’empresse-t-ild’ajouterenvoyantmatête.

–Jesuis tellementheureusequetusoismishorsdecause.Etc’estgrâceàmonpère,c’estvrai.Maisenmêmetemps…cequ’ilafait,etcequ’ilt’afaitensuite,enn’allantpasserendreimmédiatement…

–Jesais,madouce.Maistun’espasobligéed’ypensertoutdesuite.Laissecoulerunpeud’eausouslesponts.

–Jenesaismêmepassij’aienviedelevoir.J’aiparlétoutbas,presquehonteusement,parcequ’ilatué l’hommequimetorturait.

Etmêmes’ilsétaienttardifs,sesaveuxontsauvé l’hommeque j’aime.Pourtant, jeneveuxrienluidevoir.Parcequ’ilnepourrajamaispayerpourtoutlemalqu’ilm’afait.

–Pourçanonplus,tun’espasobligéedeprendreunedécisionmaintenant.

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Ses doigts continuent deme caresser les jambes, d’un geste souple et nonchalant. Jefermedenouveaulesyeuxpourm’abandonneràcebesoind’êtrecajoléeetapaisée.

Sa main remonte le long de mes jambes, si légère que par moments je ne suis pluscertainede lasentir surmapeau.Mais ledouten’estpaspermis :Jacksonest là,et ilmetouche.Ilprendsoindemoi.

Ilm’aime.J’ignorecombiendetempsilmecaresse,maisàchaquesecondequipasse, jemesens

de plus en plus vivante. Comme s’il me polissait, faisant resplendirmon corps d’un éclatsensuel.Sibienquelorsquesesdoigtsseglissentsousmajupepouragacerlapeautendrede l’intérieurdemescuisses, jesuisdéjà languide.Etquand,poursuivantsonascension, iltrouve mon fruit mûr à point, gorgé de désir, je laisse échapper un gémissement enanticipantlasuite.

Je respire avec difficulté, le corps brûlant, les seins douloureux, et je me cambre,commepourl’implorerdemepénétreravecsesdoigts.

Iln’enfaitriencependant,aucontraire,etjepleurnichepresqueensentantlecontactrompu.Lecanapébougelégèrement,m’indiquantqueJacksons’estlevé,etj’ouvrelesyeux.Ilsetientau-dessusdemoietmecontempleavecunetellepassionquetoutmoncorpsenfrémit.

Il avait troqué son costume contre un jean en arrivant, et je vois sa queue faire unebossesousledenim.Cettevisionmefaitsourire;j’aimequ’ilsoitlégèrementcontraint.Qu’ildevienne juste un peu dingue. J’aime ça, parce qu’alors l’explosion à venir n’en sera queplusdévastatrice.

–Viensavecmoi.Sans attendre ma réponse, il me prend dans ses bras et me soulève pour me tenir

serréecontresapoitrine,tandisquejem’arrimeàsoncou.C’estunepositionquiinspirelatendresse, le confort, mais quand il me pose sur le lit et recule d’un pas, son regard debraisesuggèreuntoutautreprogramme.

–Accroche tes jambesautourdema taille.Maintenant,ordonne-t-il, commesi j’allaisprotester.Pasunmot.Pasdequestions.

J’obéis.Cette position plie mes genoux de telle sorte que mes jambes forment un losange

autour de Jackson, et il ne reste qu’unminuscule espace entre son bassin et lemien. Il yauraitjusteassezdeplacepourqu’ilglissesamainetmetourmentedélicieusement.

Et c’est exactement ce qu’il fait. Ces doigts qui s’étaient aventurés tout près de monintimité reviennent paresseusement se promener de haut en bas tandis que jeme tortille,ondulantdeshanchespresquemalgrémoisouslapressiondudésir.

–J’aimeça,ditJackson,sibasquejel’entendsàpeine.Tevoirmesupplierensilence.Tachattebrûlanteetonctueuse,rienquepourmoi.

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Jememordslalèvre.–Jackson.S’ilteplaît…–S’ilteplaît,quoi?Ça?dit-ileneffleurantmonclitorisduboutdudoigt,déclenchant

unecascadedeplaisirenmoi.Ouça?Il glisse deux doigts en moi et appuie sur mon clitoris avec son pouce. Je m’arque

davantagecontrelui,avide.Sesdoigtss’activentalors,etjeperdstoutefacultédeconcentration.–Jevaistefairejouir,mabelle.Assieds-toietlaisse-toifaire.J’essaie de répondre, mais il ajoute alors un doigt supplémentaire en moi, et je ne

parviensplusàarticulerlemoindremot.Ma chatte se contracte autour de ses doigts. Je veux qu’il me baise plus fort. Plus

profondément.–Fermelesyeux,dit-il.Passeunemainsoustonchemisier.Jem’exécute.Lesangboutsousmapeau.–Remonteetpince-toiletéton.Plusfort,majolie.Jesaisquetuaimesça.Il a raison, et je réponds à son ordre, dévorée de sensualité. Il me fait haleter plus

encorequandilprendmonautremainpourlaglisserentremesjambes.–Caresse-toipourmoi,maintenant,exige-t-ilencontinuantdemedoigter.Et toutes mes inquiétudes, toutes mes angoisses s’écroulent comme un château de

cartes.Lafièvremonte,commeunecélébrationdel’instant.Delaliberté.Delavie.Denotreamour.– Jouis pour moi, ma belle, dit-il d’une voix grave et ferme, aussi sensuelle que ses

mouvements.Jouispourmoietdis-moiquetum’appartiens.– Je suis à toi… Oh, oui Jackson, je suis toute à toi, dis-je en hoquetant alors que

l’orgasmemesoulèvebrutalement,mefaisantconvulseravecviolence.Je laisse la tempête s’abattre sur moi puis se retirer. Je soupire ensuite tandis qu’il

chuchote:–Onvasemarier…–Oui,dis-je,encoreessoufflée.Ohoui!

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26

–Papa!Stella!Sylvia!Yad’autresgensquiarrivent!Ronnie traverse l’appartement comme une flèche en direction du vestibule, où

l’ascenseursetrouve.Je suis accoudéeaubardu salonavecNikki et Stella,mais c’est le visagede Jackson

que j’observe, et il exprimeune telleadorationque jene remercierai jamaisassezBettyetStellapourleurbonté.

NonseulementStellaestvenuearméed’uncahierremplidetouslesdétailspossiblesàproposdeRonnie,maisenplus,depuisqueJacksonadécidéqu’ellevivraitavecnous,Bettyaexpliquéàlafillettequ’oncleJacksonétaitenréalitésonpapa,qu’ellevivraitbientôtavecluipourdebonetqu’enattendant,elleallaithabiterdansunevilleauborddelamer,avecuneplagepourjouerdanslesable.

BettyafaitensortequecetépisodepotentiellementeffrayantressembleàuneaventurepourRonnie,etjeluienseraiéternellementreconnaissante.

Nousnevoulionspas submerger la fillette,maisnousavions toutdemême trèsenviede fêter son arrivée, alors nous avons commandé des pizzas et des nuggets de poulet, etnous avons invité quelques amis. Charles et Harriet sont déjà repartis, et je suppose queCassetSiobhannevontpastarderàarriver.

EnsuivantRonniedansl’entrée,jeconstatequej’avaisraison.–Jem’appelleRonnie,annoncelapetiteàCass.Etluic’estmonpapa,etellec’estma

tanteSylvia.–Jesais,ditCass.Tatanteestmameilleureamie.Ducoup,nousaussionestcopines,

non?Elles’adresseàRonnieavecunetelleaisancequej’ensuis intimidée.Moi, j’aitoujours

unpeul’impressiondejouerunrôlequandjeparleavecelle.Commesij’étaisunemauvaiseactricepascomplètementdanslapeaudesonpersonnage.

–Jem’appelleCass,aufait.EtvoiciSiobhan.

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RonnieexamineCass, sapetiteboucheencœurplisséeenunemoueconcentrée,puisellesetourneversSiobhan:

–Tuaimesleschiens?–Tuplaisantes,répondSiobhan,j’adoreleschiens.–Sylvianousaditquetuavaisunchien,enchaîneCass.Tunousleprésentes?Ronniem’interrogeduregard,etjehochelatête.Aussitôt,elledétale:–Venez!–On revient,ditCassenme lançantuncoupd’œilamusé,avantde s’élancervers la

chambredeRonnie.Fredestnichédanssonpanier,mascottedelachambrefraîchementdécoréedestickers

murauxd’animauxmignons,grâceàNikkietDamienquiont réussià transformer lapièceenchambred’enfantenseulementquelquesheures.

– Comment vas-tu,ma chérie ? demande Jackson en glissant son bras autour dematailletandisquenousretournonsausalonpourretrouverNikkietDamien.

Jenesaispastrops’ilm’interrogesurlasituationvis-à-visdemonpèreoubiensurlacohabitation avec la fillette, mais pour l’instant, ma réponse aux deux questions est lamême:

–Jevaismerveilleusementbien,dis-jeenmepenchantpourattraperunepartdepizzaaupepperoniposéesurlatablebasse.Tueslibre.Ronnieestavecnousetelleestheureuse.Fredaeuletempsd’apprendrelapropreté.Etmonprojetvabienpuisquemonarchitectepeut se remettre au travail, dis-je en adressant un sourire à Jackson et à Damien. Je nem’inquiètemêmeplusdesinvestisseursquisesontdésistés,parcequejevaism’activerpourentrouverd’autresdèsdemain.

–Enfait,ceneserapaslapeine,ditDamienenéchangeantunregardavecsonfrère.C’estréglé.

Jelesdévisageàtourderôle,l’airinterrogateur.–OnaparléavecDamien,expliqueJackson.Pourquoidemanderàquiconquedeparier

sur un projet sans y mettre moi-même quelques billes ? J’estime que ce n’est pas unplacementàrisque.Jepensequ’onserabientôtpleinsauxasgrâceauDomaine.

– Tu es déjà plein aux as, dis-je. Mais je connais le prix des parts, et ça représentequandmêmeunsacrépaquetd’argent,Jackson.Tuastantdeliquiditésqueça?

–Nousavonstoutcequ’ilfaut,dit-il,etjesensuneagréablechaleursediffuserenmoienl’entendantm’incluredansl’équation.Jevaisvendremes30%duWinnBuildingàIsaacWinn, la part que je ne destine pas à Ronnie, et avec l’argent, je rachèterai les parts duDomainedeCortez.

–Jackson!Tuessûr?LeWinnBuilding constitue un jalondans sa carrière. J’ai dumal à croire qu’il serait

prêtàs’endétachercomplètement.

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Ilhausseuneépaule,commes’ilnes’agissaitqued’untrocsansimportance.–Jeconnaistouslespartenairesimportants.Jepensequec’estunboninvestissement.–Ça va sans dire, leDomaine va faire un tabac, il y aura de gros bénéfices à la clé.

MaisavecleWinnBuilding,c’étaitlapremièrefoisquetuavaisdespartsdansunimmeublequetuavaistoi-mêmeconstruit.Tuveuxvraimentt’endéfaire?

– Sylvia n’a pas tort, intervient Damien. Et 30 %, ce n’est pas rien. Surtout poursacrifierunbiencommecelui-là,avecuntelpotentieldecroissance.

Jacksonnemequittepasdesyeux.–JepensequeCortezalemêmegenredepotentiel.– Je suis d’accord avec toi, dit Damien. D’ailleurs, j’ai une suggestion. (Nous nous

tournonstousdeuxverslui.)Cèdeseulement15%àWinn.J’ajouterailadifférencedemapoche.

J’enrestebouchebéequelquessecondes,avantdemeressaisir.–Maisvousnefaitesjamaisça!Damienprotègejalousementsespropresactifs.Enfait,quandles investisseursavaient

menacé de se retirer après la démission de notre premier architecte, Damien avait bienspécifiéqu’iln’investiraitpasàtitrepersonnelpourautant.

–Jen’aijamaisfaitçajusqu’àprésent,c’estvrai,ditDamienenregardantJacksondroitdanslesyeux.Maiscettefois,jepensequeçavautlecoup.

***

–Sérieux,ils’estpassétellementdetrucsquej’ailatêtequitourne,ditCass.Nous sommes toutes lesdeuxdans l’immensechambreoùJacksonetmoiallonsnous

installer.Ons’estéchappéesuninstantdelafêtepourunerapidesessionderattrapage.– Je suis surprise que tu sois toujours sained’esprit, poursuit-elle, avantdem’étudier

d’unairsoupçonneux.Tuestoujourssained’esprit,n’est-cepas?Jelèvelesyeuxauciel,etm’assiedsauborddulit.–Autantquejel’étaisavant.Maisjenememouillepastropentedisantça.Casssecontentedesourire,puisentreprenddecomptersursesdoigts:–Fiancée.Unenfantenbasâge.Unamoureuxquin’estpasuncriminel.Etunpèrequi

vientd’avouerunmeurtre.Cen’estpastout, jepense,maisçarésumel’essentiel.Blagueàpart,dit-elleplusdoucement,commenttutesens?

–Bien.MaislefaitqueJacksonsoitblanchil’emportesurtout.–Grave.Mais…jeveuxdire,tonpère.Çafoutlesboules.TuasparléàEthan?– Non. Je lui ai laissé un message pour qu’il me rappelle. Je crois qu’il rentre du

Mexiqueaujourd’hui.Jenevoulaispas l’inquiéter,comme ilnepourrapasallervoirpapatoutdesuite.

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–Ettoi,tuiraslevoir?–Jenesaispas.Honnêtement,jen’aipasenvied’ypenser,nid’enparler,enfait.Pas

éternellement,hein.Maispasaujourd’hui.Parcequ’iln’yarienàfairedansl’immédiat,detoute façon. Et puis Jackson est libre, et Ronnie est avec nous : ce soir, c’est tout ce quicompte.

–D’accord.Tum’appellerassituasbesoindemoi?–Évidemment,banane.Elleéclatederire.–Bon,trèsbien.Tuestiréed’affaire,àprésent.Mais…Ellefaitlagrimace.Jemeforceànepassourire:–Quoi?–Ronnieestabsolumentadorable.Ettuasl’airdetrèsbient’ensortiravecelle.–Jesuisfolleamoureused’elle,etJacksonestsurunpetitnuage.Cependant, jeneprécisepasque jeneparvienspasàmedébarrasserde l’impression

d’êtreunpersonnagedeL’Îleauxenfantsoud’uneautreémissiondetélédumêmegenre,oùjenefaisquejouerlerôled’uneadulte.J’aimeraismedétacherdecerôle,maisjen’yarrivepas.Ce serait quoi,monpersonnagede rechange ? La fille qui a grandi avec ses propresparents?J’aibesoind’unscénariopournepasavoirl’impressiondesautersansparachute.Mais quel que soit le scénario que j’inventerai, il m’empêchera toujours d’être toutsimplementmoi-même.

Mais pourme rassurer, jeme dis que cette situation est inédite pourmoi. Et commej’aimevraimentJacksonetRonnie,leschosesvonts’arranger.

C’estcequejemedis.Maisjenesuispascertained’ycroirevraiment.–Aufait,oùenestJackson,pourlareconnaissancedepaternité?Cass se dirige vers la porte et je la suis, consciente qu’elle change de sujet pourme

mettreàl’aise.Jeluiensuisreconnaissante.– L’audience est fixée pour la semaine prochaine. Il faudra qu’on se rende quelques

joursàSantaFe.–Etlemariage?–Là,onaunpeuplusletempsdevoirvenir.Ceseral’étéprochain.Jeveuxmemarier

auDomainedeCortez.–Tum’étonnes!Jeseraitontémoin?–Carrément.Nousarrivonsdans le salon, oùNikki est enpleinediscussionavecStella et Siobhan.

Jackson est à l’autre bout de la pièce, main dans la main avec Ronnie. Tous deux setiennent face à la fenêtre et contemplent le spectacle de la nuit tombant sur la villeilluminée.

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–Waouh!s’exclameRonnie,etJacksonaunpetitrireattendri.–Oui,commetudis.Elleluilâchelamainets’accrocheàsajambe.–Jet’aime,papa,dit-elle.Etàcetinstant,jeveuxbiencroirequetoutirabiendésormais.Etj’ycroispendantencoreseptbonnesheures.

Jesuislaseuleàêtredeboutdansl’appartement.Nous avons mis Ronnie au lit à 19 heures, après qu’elle a dit bonne nuit à tout le

mondeetdistribuéquelquesbaisersmouillésà«macopineCass»età«oncleDamien».Stellaestalléesecouchersanstarderàcaused’unrhumedecerveau.Cass et Siobhan sont parties environ dix minutes après Nikki et Damien, et même si

j’attendais avec impatience de pouvoir décompresser tranquillement avec Jackson, j’ai surapidementqueceneseraitpaspourcesoir.Dumoins,passijelevoulaisconscient.

Ilm’adit qu’il allait s’allonger, enproposant que je le rejoigne avecunebouteille devin. Mais le temps que j’arrive, il avait sombré dans un profond sommeil, encore touthabillé,surlecouvre-lit.Jeluiairetiréseschaussures,riend’autre,etmesuiscontentéedelecouvrird’unplaid.Dieusaits’ilétaitàboutdeforces,physiquesetmentales,etjen’aipasvoulurisquerdeleréveiller.

J’ai tenté de m’assoupir, moi aussi, en vain. Et j’étais sur le point d’essayer dem’assommeravecunverredevinquand lescris suraigusd’unepetite fillem’ont fait jaillirhorsdulitetsprinteràtraversl’appartement.

Jesuisdanssachambreàprésent, faisantdemonmieuxpour laconsoler.Je la tiensdansmesbras,petitpaquetàmoitiéendormi,rouge,larespirationentrecoupéedesanglots,quiréclamesamamie.MaisBettyn’estpaslà,etjesuistropdésemparéepourtrouverquoifaire.Moi,quiaivécutoutemavieaveclescauchemarsetquin’aitoujourspaslesmoyensd’aidercettepauvrepetite…

J’ai l’impression que ça dure depuis des heures, j’ai les tympans vrillés par ses cris,Jacksonnevientpas, et j’ai des crampesà forcede tenirRonniedansmesbras.Mais ellepleure toujourset jememetsàpleurermoiaussi,avec l’enviedehurlerà lamort, tant jesuisperdue,effaréeetimpuissante.

C’estalorsqueStellaarrive,cheveuxdéfaits,sarobedechambreenfiléeà lahâtesursalonguechemisedenuitencoton.

–Oh,machérie,dit-elle,pleinedecompassion.Jem’aperçoisquec’estàmoiqu’elles’adresse,etsoudainjemehais.Jehaislefaitque

montroubleetmondésespoirsoientsivisibles.–Là,passez-la-moi.ElleprendRonnieetlacalesursahanche.–Toutvabien,montrésor.Stellaestlà.Tuasfaitunvilainrêve?

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Tandis qu’elle la cajole, les sanglots de la fillette s’espacent et se transforment enhoquets,puis,miraculeusement,finissentpardisparaître.Sonpetitcorpssedétend,épuisé,etellesemetàsucersonpouce.

–Jem’occuped’elle,mademoiselleSylvia,vousenfaitespas.Je réalise que je n’ai pas bougé et que je la fixe du regard depuis tout à l’heure,

pendantqu’elleaccomplitcetteespècedetourdemagiequejenemaîtrisepas.–D’accord,oui.Merci.Puisjesorsdelachambrepourretournermecoucher,enmesentantunpeuhagarde,

unpeuinutile,ettotalementdésemparée.

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27

–Alors,qu’est-cequitefaitenvie?jedemandeàRonnie,quiestplantéeàcôtédemoifaceauréfrigérateurouvertdontnousexaminonslecontenu.

Nikkil’aremplipournousavecdesyaourtspourenfants,dulaitetdespetitesbriquesde jusde fruit.Dans lesplacards, il yadespâtes,desboîtesde céréalesavecdesdessinsd’animauxdessus,etdegrossesréservesdebiscuitssalésaufromage.

Maisjenevoisguèredenourriturepouradultes.Apparemment,ilfautquejedescendefairequelquescourses.Il est dixheuresdumatin, et Jackson,Ronnie etmoi sommesdeboutdepuisunpetit

moment.Nousavonsregardélatélévisionennouscâlinantsurlecanapé,etavonsmangédescéréalespourlepetitdéjeuner.Pourautantquejesache,Ronnienesemblepasaffectéeparl’épisodedelanuitdernière.

Jenepeuxpasendireautant. Je suis encore secouéepar cequi s’estpassé,mais j’ail’intentiond’oublierl’incidentetdelemettresurlecomptedemonmanquedepréparation:j’ai étéprise audépourvu, voilà tout. Jen’en ai pasparlé à Jackson, cependant, et Stellanonplus,quisurl’insistancedeJacksonestsortiefaireunpeudetourisme.

–Dujusdepomme,demandeRonnieentendantsapetitemainverslabrique.Je la lui donne et l’aide à percer l’opercule avec la paille, avant de considérer de

nouveauleréfrigérateur,pensive.–Et sioncuisinaitundîner spécialpourpapa?Onpourraitalleracheterdebonnes

chosesaumagasintoutàl’heure.–J’aientenduparlerdemoi,ditJacksonenarrivantdusalonoù il travaillait surson

ordinateurportable.–Onréfléchitaudéjeuner,dis-jeenlelaissantm’embrasser.–Onpourraitmangerdelaglace?suggèreRonnie,l’airtoutàfaitsérieux.–Jepensequ’ilnousfaudraitunplatquinesoitpasundessert,ditJackson.Àsamoue,ellesembleméditerlaquestion.–Pourquoi?

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–Elleteposeunecolle,là,dis-jeàJackson,avantdemetournerverslapetite.Qu’est-cequetudiraisd’unpaindeviande?

Ilsetrouvequec’estunplatquejesuiscapabledecuisiner,etd’aprèslecahierquiestdésormaismabiblepersonnelle,Ronnieenmangera.Jedécouvreeneffetquelesenfantsdetroisansontdesgoûtsplutôtrestreintsdansl’ensemble…

–Avecdelaglace?demande-t-elle,ayantmanifestementhéritédelaténacitédesonpère.

Jacksonadumalànepassourire.–Ceseraparfait,dis-je.Etpuisquelquesharicotsverts,peut-être?Elle fronce le nez en tirant la langue. Jackson se retourne en faisant semblant

d’éternuer,maisjesaistrèsbienqu’ilestentrainderire.– Plutôt des frites ! S’il te plaît ? demande-t-elle en joignant lesmains en prière, ses

yeuxd’unbleusifamilierquemoncœurfondinstantanément.S’ilteplaît,Sylviachérie?Je m’accroupis pour la regarder dans les yeux en prenant mon expression la plus

sérieusepournégocier.Enréalité,jenesaispasdutoutcequejesuisentraindefaire.J’aicru comprendre que je devais fixer des limites. Être ferme. Établir des règles pour laconsommationdeglaces.Chanterleslouangesdeslégumesverts,repasaprèsrepas.

Maisbon,jefaiscequejepeux.Jeluitapoteleboutdunez:–Voilàcequejetepropose:situprometsdemangeraumoinsquelquesharicotsverts,

tupourrasavoirdesfritesaussi.Çamarche?–Çamarche.Ellemetendunemaincollanteduchocolatquesonpèreluiadonnéendouceunpeu

plustôt.Noustoponssolennellement,puisjemetourneversJacksond’unairaccusateur.Ilhausselesépaules,penaud.

–Tôtoutard,ilfaudraquetuarrêtesdelagâtercommeça,dis-jepourletaquiner.–Oh,jesais,jesais.Encoredixoudouzeans,etpuisj’arrête.Jem’esclaffe. Franchement, je pense qu’il voit un peu juste. Jem’adosse au plan de

travailtandisqueRonnietendlesbrasverssonpèrepourqu’illuifasseuncâlin.Illaposesur sa hanche et la laisse s’accrocher comme un petit singe. Il semble heureux,complètementinvestidanssonrôledepère.Trèsàl’aiseaussi,etraidedinguedesafille.Jenel’aijamaistrouvéplussexyqu’àcetinstant.

– Allez, vous deux. Il faut que je descende acheter de quoi préparer ce fameuxdéjeuner.Jen’enaipaspourlongtemps.

–Moiaussi,jeveuxvenir!–Qu’est-cequetuenpenses?jedemandeàJackson.Tunousaccompagnes?–Désolé,j’attendsunappel.C’estpourtonDomaine,ajoute-t-ilenplissantlesyeuxde

malice.Mais allez-y toutes lesdeux.Ce sera votrepremière sortiemère-fille, ajoute-t-il ensouriantdetoutessesdents.

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Cette idée me fait naître des papillons dans le ventre, et je suis sur le point deprotester,maislafillettedansedéjàdejoieàl’idéedesortir.

–Bon,d’accord,dis-jeaprèsuninstantderéflexion.Pourquoipas?Çaneserapaspluscompliquéqueça,aprèstout.

JesuispersuadéequetousleshabitantsdeLosAngelessesontdonnérendez-vousau

Ralphs aujourd’hui. C’est du moins l’impression que j’ai en essayant de manœuvrer monchariotd’unemainparmilafoule,tandisquedel’autrejetiensfermementcelledeRonnie.

–Viens,chouquette.Tuessûredenepasvouloirmonterdanslechariot?J’ai essayé de l’installer dedans quand nous sommes arrivées, mais comme elle est

visiblementdéterminéeàm’aider,elletientàmarcheràcôtédemoipendantquejeslalomeentrelesclientsenessayantdetrouvercedontnousavonsbesoin.

Ellesecoueobstinémentlatête.–Non,jeveuxmarcher.Etc’estmoiquipousselechariot.–Tuestroppetitepourpousserlechariot,jeréplique.Maisd’accord,tumarches.J’aidéjàmis lamainsur lebœufhaché, lesœufs, la sauce tomateet laglace. Ilnous

manque encore les pommesde terre, les oignons et les fameuxharicots verts si âprementnégociés.

Jem’orientefacilementdanscemagasinquejeconnaisbien,carilesttoutprochedelaStarkTower, et jem’y rends souvent lemidi pour y chercher de quoi déjeuner.Au rayonfruitsetlégumes,jebriefeRonnie:

–Voilà,onatoutcequ’ilnousfaut.Jevaispesertoutça,etensuiteonpourrapasseràlacaisse,d’accord?

Sansrépondre,elleobservelesgestesdelafemmedevantnous;elletapeuncodesurlabalance,quiluidélivreenretouruneétiquetteautocollante.

–C’estmoiquifais!s’écrieRonnietandisquelafemmes’éloigne.–Tuconnaisleschiffres?Consciencieusement,ellecomptejusqu’àdix,ens’emmêlantunpeulespinceauxaprès

six.Çameparaîtsuffisammentconcluant.–D’accord,dis-jeenposantlesacd’oignonssurlabalance.Jelaprendsdansmesbrasetluidicteleschiffresàtapersurl’écran:–Trois…quatre…un…deux.Ellemanque se tromper avec le quatre,mais je redirige fermement sondoigt et nous

finissons par voir sortir la bonne étiquette, qu’elle accueille en battant des mains avecenthousiasme.

Pourparveniràcerésultat,onasûrementmishuitfoisplusdetempsqued’habitude.–Tues trop forte, luidis-jeen la reposantà terre. Jevais faire lesautresmoi-même,

trèstrèstrèsvite.Tuveuxvoircommejevaisvite?

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Elleacquiesced’unsignedetête,sesbouclesbrunesrebondissantautourdesonvisage,etjetapelescodesendisantleschiffresàvoixhaute.

Quand j’ai terminé, je prendsmes légumes etme retourne pour prendre lamain deRonnieavantderécupérerlechariot.

Elleadisparu.Lapaniquem’envahit,mais je tentede lacontenir.Ellenepeutpasavoirdisparu.Elle

estsansdoutedanslerayond’àcôté.Ouderrièreundecesclients.Mais je ne la trouve pas, et la réalité m’envoie un uppercut dans l’estomac. Je l’ai

perdue.J’aiperdulapetitefilledeJackson.Moncœurfaituneembardée,etjeravaleunenauséesoudaine.Jen’aipasletemps.Il

fautquejelaretrouve.–Vousl’avezvue?Lapetitefillequiétaitavecmoi?J’aboiepresquelaquestionàdeuxdamesquibavardentàcôtédestomates.Pourtoute

réponse, elles m’adressent un regard de poisson mort. L’une semble agacée d’avoir étédérangée,l’autrefinitparmesourire,commepours’excuser:

–Désolée,jen’airienvu.OhmonDieu.–Ronnie!Jemefichecomplètementdesregardsquelesgensmejettentetcontinuedehurlerson

nomàpleinspoumonsenremontantl’alléecentraleaupasdecoursepourvérifierchaquerayon.

–Veronica!Rien.Etjenesaisabsolumentpasquoifaire.Jeneveuxpasm’éloignerdecettepartie

dumagasin,mais j’ai besoin d’aide. Jem’apprête à appeler carrément au secours, quandunefemmeauvisageavenantmetapotelebrasendemandant:

–Ceseraitpasvotrepetitefille,là-dessous?Jeregardeattentivementdansladirectionqu’ellem’indiqueettrouveRonnieaccroupie

sousunstanddechoux-fleurs.–OhmonDieu,merci,dis-jeensentantmesjambesflageoler.Ronnie.Ronnie,vienslà,

mapuce.Elle sort de sa cachette etmemontre la petite balle rouge qu’elle avait repérée sous

l’étal.– Jepeux la garder ?demande-t-elle,mais jene répondspas, lamain serrée surma

poitrine,tropoccupéeàretrouvermesespritsetunrythmecardiaquenormal.Jemetournepourremercierlafemmequim’aaidée–j’ignorecequiseraitarrivésielle

n’avaitpasétélà.Maisjenelavoisnullepart.Je garde Ronnie serrée dans mes bras, j’abandonne notre chariot et je me rue au-

dehors.

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Jen’arriveplusàpenserauxcourses,audîner,àlaglaceouaupaindeviande.Laseulepenséequitourneenboucledansmonesprit,c’estquej’aimerdé.Laseulechosequejetrouveàfaire,c’estderentreràlamaisonleplusvitepossible.

–Calme-toi,ditJacksonalorsque je fais lescentpasdans lachambreenessayantde

retenirmeslarmes.Machérie,calme-toi.Toutvabien.Ellevabien.Tunel’aspasperdue.Tuneluiaspasfaitdemal.

Ronniefaitlasieste,etjenecroispasl’avoirtraumatisée.Elleapleurédanslavoiture,maisjesuispresquesûrequec’estparcequ’elleasentimapropretensionetleslarmesquejerefoulaistantbienquemalenserrantlevolantdetoutesmesforces.

–Maissi,jel’aiperdue!Ellen’étaitpeut-êtrepasloin,maisjel’aivraimentperdue.J’aijuste eu de la chance. Et si j’étais partie chercher un responsable avant que cette femmeintervienne?Ronnieauraitpusortirdesacachetteetquitterlemagasin.Lerayonfruitsetlégumes est à côté des portes automatiques, et il y a le parking juste devant, et tu as vucommelesbagnolespassentàfondlacaisse,alorsqu’ellessontcenséesrouleraupas?

Jesuishorsd’haleine,mesphrases–mespeurs–sebousculentlesuneslesautres.Etjesaisqu’ilaraison.Ellevabien.

Jenesuispaslapremièrepersonneàquitterunenfantdesyeuxdansunsupermarché.Maiscen’estpasleproblème.L’incidentaseulementservidecatalyseurpourfaireexplosermescraintesetmesdoutes.

Jesaiscequejedoisfaire–etjedétesteça.Parcequeceseraincroyablementdur.Maisjedoism’yrésoudre.PourJackson.PourRonnie.Etmêmepourmoi.

Jacksonm’immobilisequandjepasseprèsdelui,etm’enlaceétroitement.–Tuaseupeur,machérie.Jecomprends.Maisilfautquetuprennesunpeuderecul.

Respireàfond.Jemedégagebrutalementdesonétreinte.–Peur?Jen’aipaseupeur,Jackson.J’étaisterrifiée,putain.Exactementcommecette

nuit.Elleafaituncauchemar,et…– Je sais, dit-il doucement. Stellam’a raconté.Mais tu t’en sors très bien, Sylvia. Ce

n’estpasparcequetugalèresquetufaisdumauvaistravail.C’estpresquemotpourmotcequejeluiavaisditlorsdenotredisputeàl’aéroport.– Bon, écoute. Je t’ai dit que je t’aimais. Que je te donnerais tout ce dont tu aurais

besoin.Etj’étaissincère,Jackson.Maiscedonttuasbesoin,c’estd’unlienavectafille.Unlien fort.Un liensolide.Et je suisen trainde faireobstacle.Jenepensaispas…Quand jemesuisbattuepourterécupérer,jeveuxdire.Jen’avaispas…

–Tuaseupeur,répète-t-il.Maisc’estnormal,mabelle.Qu’est-cequetucroyais?Ons’occuped’unenfant,etpouf,toutesnosangoissesdisparaissentd’uncoup,commeça?

–Jen’ensaisrien.C’estbienleproblème,dis-jeavantdem’asseoirauborddulit.Jenepeuxpasservirdecobayepourlaviedecettepetite.Enfin,Jackson,jesuisdansunétatpas

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possible.Jenesaispascommentgérermesproprescauchemars,alorsceuxdeRonnie,laissetomber…

–Mais si, tu saiscomment faire.Tu t’es trèsbiendébrouilléecesderniers temps,avecton père, avec mon arrestation. Et tout ce qui s’est passé avant. Tu n’as pas fait decauchemardepuislongtemps,dit-ilenmecaressantlebras.Tuesdevenueplusforte,ettulesais.

–Oui,c’estvrai.Maispaslà.–Alorslaisse-moit’aider.–Tunecomprendspas?C’estcequimeposeproblème.Si jedoisdevenir ta femme,

alorsjedevraispouvoirt’aider,moi,aulieud’êtreunboulet.–Syl…J’entendslapeurdanssavoix,etjesaisqu’ilvoitoùcetteconversationvanousmener,

aussiclairementquemoi.–Jet’aiditunjourquej’étaisprêteàtoutpourresteravectoi.Etjesaisquec’estmoi

quisuisvenuetechercher.Jesaisquejemesuisbattuepourtoi.Pourelle.Etjel’aifaitenmonâmeetconscience.Maisj’avaistort,Jackson.Parcequejeneveuxpasrisquerdefairedumalàcettepetite.Jenesaispascommentm’yprendre.Jen’aurais jamaisdûaccepter.C’était mal de ma part. Égoïste, même. J’étais tellement galvanisée par ta foi en moi,tellementeffrayéeà l’idéedeteperdre…J’aioubliéquelafoinesuffitpas,etquelapeurestvraimentmauvaiseconseillère.

Jemelève,dansunbesoinfrénétiquedebouger.Maissurtoutparcequejedoispartird’ici.

–S’ilteplaît,machérie.Attends.– Je ne peux pas. Je… je suis désolée, Jackson. J’ai besoin dem’en aller. J’ai besoin

de…Jelaissemaphraseensuspens.C’estdeluiquej’aibesoin.Maisalorsquejesorsdela

chambre – en déposant ma bague de fiançailles sur la commode –, je ne me crois plusautoriséeàresteraveclui.

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28

Jepasselerestedelajournéecloîtréechezmoi,devantdesrediffusionsdeHowIMetyour Mother, et je ne ris pas une seule fois. D’ailleurs, je ne suis pas sûre de vraimentregarder.Mesyeuxsonttournésversl’écran,maismonespritestailleurs.

Lelendemain,Cassappellepourprendredemesnouvellesetjel’assurequejesuisenpleine forme,même si nous savons toutes les deux que jemens comme un arracheur dedents. Après tout, j’étais dans un état pitoyable quand je l’ai appelée la veille pour luiracontertoutel’histoire,lecauchemardeRonnie,sadisparitionausupermarché,jusqu’àmadésertion.Moi,êtreenpleineforme,alorsquej’étaisuneépavelaveille?Impossible.

–Jevaispasseraprèsleboulot.Ondiscutera.–Non.S’ilteplaît.J’aibesoind’êtreseule.Jeveux…J’imaginequejeveuxm’ensortir

sansl’aidedepersonne.Sonhésitationestpalpableàl’autreboutdufil,etjelacomprends.Cassm’asoutenue

àchaquecrisequej’aitraverséedansmavie.Etquandcen’étaitpaselle,c’étaitJackson.C’estd’ailleurspourçaquejepréfèreêtreseule.J’aibesoindemeprouverquejepeux

digérer ça – ce jus saumâtre plein de bile où surnagent les mots père, Jackson, Ronnie,parents,choix.Cetamasdecolère,depeuretdeconfusionquimetordleventre.

–Tusaisquetupeuxcomptersurmoi.–Oui,jesais.–Tupensesquetuaurasbesoind’untatouage?Je comprends cette interrogation, aussi. Vais-je avoir besoin de cette force que me

donnentlestatouages?Del’aidequ’ilsm’apportentpourtenirbonfaceàlatempête?–Jenesaispas,dis-jeentoutehonnêteté.–D’accord,soupire-t-elle.C’estcommetuvoudras.–Jesais.Merci.Promis,çavaaller.Elles’apprêteàraccrocher,maisauderniermoment,jel’interpelle:–Cass!–Oui?

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JevoudraisluidemandersiJacksonl’aappelée,maisjeravalemaquestion.Jeneveuxpasentendreparlerdecetteréalitéoùjenesuispasàsescôtés,mêmesijerestepersuadéed’avoirpris labonnedécision.Et ilseraitbientropdouloureuxd’apprendrequ’ils’inquiètepourmoi,ouquejeluimanque,oumêmequ’ilestfurieuxcontremoi.

–Non,rien.Laissetomber.Ellelaisseplanerunlongsilencepuis,commesiellechoisissaitd’honorercetterequête,

elleobtempère:–Bon,d’accord.Ons’appellebientôt.Jenevaispasaubureauaujourd’hui.Toutd’abord,jenesuispasprêteàvoirJackson,

maisenplus,l’avocatdemonpères’estarrangépourquejeluirendevisite.Seulement,lerendez-vous est pris pour 16 heures, ce qui me laisse toute une journée à occuper. Etcommejen’aipasenviedelapasseràruminer,jemetournedenouveauversl’apaisementcathodique.Maisvoilà:lesrediffusionsdeFriendsnemefontpasrirenonplus.

Le téléphone sonne et je me précipite dessus, avant de ralentir mon geste quand jeréalisequejen’aiqu’unepenséeentête–Jackson.

Maiscen’estpasluiquiappelle.C’estEthan.–Salut,dit-il.Tuasvupapa,oupasencore?–Non,pasencore.J’yvaistoutàl’heure.Tuirasdemain?–Ouais.Jesuiscensélevoiràmidi.Tuluidiras,d’accord?–Çamarche.–Disvoir,est-cequemamant’atéléphoné?–Non,dis-jeenfronçantlessourcils.Difficile d’avoir une relation plus merdique que celle que j’entretiens avec ma mère.

C’est tout juste si j’existe pour elle, et je ne saismême pas si elle soupçonne ce quim’estarrivé–cequesonmariainfligéàsafille.Elles’estdétournéedemoipourconcentrertoutesonattentionsurmonfrère,enmelaissantlivréeàmoi-même.Étantdonnécequejesaisdemesparents,c’étaitpeut-êtremieuxcommeça.

–Jeluiaiditdet’appeler,bonsang!Notrepèreestenprison.Cen’estpascequ’unemèreestcenséefaire?

Paslanôtre,visiblement.Maisjemecontentedel’interroger:–Etalors,qu’est-cequ’ellearépondu?–Ellem’ademandépourquoijedisaisça.Jesoupire.Jenesaispastroppourquoiilmeraconteça.Rienn’achangé,finalement.– J’ai juste…Elleamerdé,Syl. Ilsontmerdé tous lesdeux.Mais çaneveutpasdire

queceseratoncasaussi.Jepréfèrenerienrépondre.Jen’aipasenviedeparlerdeça,etjeregrettemêmedelui

avoirannoncédansmonmessagequej’avaisquittéJacksonetRonnie.

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– Je sais qu’on a grandi en se disant qu’on n’aurait pas d’enfants à cause de cettefoutuereproductiondeschémas,maiscen’estpasunefatalité.Tupeuxfaireautrement.

–C’estexactementcequejefais,là.–Tusaiscequejeveuxdire.Jelesais,oui,maisjen’aipasenvied’enparler.–Écoute,ilfautquej’aillemepréparer.–Merde,jesuisdésolé.Jen’auraispasdû…–Çava,dis-jepromptement.–Non!Çanevapas.Écoute,j’airéfléchi.Letruc,c’estquetul’aimes.–Ethan,s’ilteplaît…Mavoixsebrise.–Bonsang,Syl,écoute-moi.Tupensesquetunepeuxpasêtremaman.Tupensesque

tun’aspaseudemodèle.Maistutetrompes!Tunepigespas?Tuestonpropremodèle.Jesuistropaccabléepouressayerdecomprendrecequ’ildit.–Ethan…–C’estvrai!Siêtreparent,c’ests’occuperdequelqu’un,sic’estêtreprêtàsesacrifier

etàprendredesdécisionsvraimentdifficiles,alors,tusaisdéjàlefaire.Tunevoispas,Syl?Tuasdéjàfaitçapourmoi.

J’ailesoufflecoupé,etleslarmesmemontentauxyeux.–Tuasveillésurmoiautantqu’eux,sinonplus.Jesuisdésolédet’avoirfaitdouter.Je

n’auraispasdû.Parcequetupeuxêtremère,Syl.Tuenescapable.Jetelepromets,ettusaisdéjàcommentfaire.

–Je…Les sanglotsm’empêchent de parler. Je renifle en essayant de retrouvermon souffle,

puisjeparviensàluidirequejedoisyaller.Parcequejenepeuxpassupportercequ’ilmeditàcet instant.Jenepeuxpasdigéreruntrucpareil,quecesoitvraiounon,parcequec’esttropénorme.

–Jesuisdésolée.Ilfautquejetelaisse.Jeraccrochesansattendrequ’ilm’aitditaurevoir.Sepourrait-ilqu’ilaitraison?J’aienviedelecroire,maisjesuistoujoursterrorisée.Et

aveclavied’unepetitefilleenjeu,jenepeuxpasprendrelerisquedemetromper.

Celafaitdeuxheuresquej’attendsdanslasalledesvisitesdelaprisonoùmonpèreestdétenu.L’endroitestaustèreetfroid,etmêmesijedétestemonpèrepourcequ’ilm’afait,jesupportemall’idéequ’ilsoitcondamnéàvivrelà-dedanspourlerestantdesesjours.

Laportes’ouvreenfinetonfaitentrermonpère,menottesauxpoignets,habilléd’unecombinaisonorange.

Jemelèvepourveniràsarencontre.

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–Lescontactsphysiquessontinterdits,prévientlegardienenuniforme,etjemerendscompteque j’étaissur lepointdeserrermonpèredansmesbras,choseque jen’avaispasfaitedepuismestreizeans.

–Oh.D’accord.–Jeseraiàl’extérieur,dit-il.Jenepeuxpasvousentendre,maissivousavezbesoinde

quelquechose,faites-moisigne.Je le remercie d’un signe de tête avant dem’asseoir à la table tandis quemon père

prendplaceen facedemoi.Legardien lui retire lesmenottes le tempsde lespasserdansunanneaufixéàlatable.Puisilquittelapièceenverrouillantlaporte,quiémetcommeuncliquetisdéfinitif.

–TuastuéReed,dis-jesanspréambule,etjem’aperçoisalorsquec’estlapremièrefoisdepuisbienlongtempsquejemesensprotégéeparcethomme.C’estvraimenttoi.

–J’auraisdûlefairebienplustôt,répond-ilenplongeantsonregardpleindechaleurdanslemien.

Jebaisselesyeuxcarjeneveuxpasqu’ilvoiecombienj’approuvecequ’ilvientdedire.Unefoisressaisie,jeleregardedenouveau,etjesaisquej’ail’airaccusateur.

–TuaslaisséJacksons’enprendrepleinlagueule.Toutcetemps.Ilafailliêtrearrêté.Ilafailliêtredéclarécoupable,bonsang!

–Jesais.Jesuisdésolé.Jepensais…oh,etpuismerde.J’avaispeur,voilà.Jepensaisqueçapasserait.Jepensaisqu’ilsarrêteraientdeluitournerautour,puisqu’ilétaitinnocent.Etquandc’estdevenucritique,j’avaispeurdecequim’arriverait,et j’aicontinuéàespérerquetouts’arrangeraitpourlui.

J’aiunmouvementderecul.Jen’aimepascequ’ilafait,maisjecomprendspourquoiilaagiainsi.

–Tuesalléchezluiavecl’intentiondeletuer?–Non. J’y suis allé pour lui parler du chantage qu’il te faisait subir, avec les photos,

cellesdontJacksonm’avaitparlé.Cesalopardm’a riaunez. Ilenamêmesortiunepourmelamontrer…C’estlàquej’aiperdumonsang-froid.J’aipriscettefoutuestatueetjel’aiassomméavec.

–Tu l’as racontéà tonavocat?Qu’il t’avaitmontréunephoto?Cequ’onnousaditaprès tes aveux, c’est qu’en gros, tu l’avais tuépour rendre service à Jackson.Mais s’il t’aprovoqué,çarentrerasûrementenlignedecomptepourtadéfense.

– Je ne dirai pas unmot sur ces photos. Tu penses que j’ai envie de les voir circulerpartout?Là,personned’autren’estaucourant,n’est-cepas?

J’acquiesceensilence.Harriet sait,pour lechantage,maiselleest tenuepar le secretprofessionnel.D’autantquepourcequ’elleensait,lesphotosdeReedontdisparu.

–Jegardelesilence,répètemonpère.Aprèstoutlemalquejet’aifait, jenevaispasenrajouterunecouche.

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–Papa.Jeclignedesyeuxetm’aperçoisqu’ilssontremplisdelarmes.Iltendlamainversmoi,maissesmenottesl’arrêtentdanssongeste.–Oh,bonDieu,machérie.Est-cequej’aimerdéàcepoint?Est-cequejet’aidétruite?–Je…Jenesaispasquoidire.Oui?Non?Parfois jemesensbien?Parfois j’ai l’impression

d’êtreenmillemorceaux?Jechoisisdemetaire,etilsoupire.–J’aifaitunegrosseconnerie,Sylvia.Etjesaisquejet’aifaitdumal,maisregarde-toi.

Tuessiforte.Regardetoutcequetuasfait.Cequetuesdevenue.Tuesintelligente,pleined’assurance, et tu tebatspourobtenir cequi te tientà cœur.C’est la seule raisonquimepermetdemesupporteraujourd’hui.Parcequejesaisquemalgrécequejet’aifait,tuétaisassezfortepournepastelaisserdétruirecomplètement.(Ilprendunegrandeinspiration.)Jacksonestuntypebien.Je luienaivouludem’avoirmis lenezdansmamerde.Mais jesuiscontentqu’ill’aitfait.Tuméritesunhommequiteprotège.Dieusaitquecen’étaitpastonpère.Entoutcas,tantquej’ailaissécesalopardenvie.

Ilfautqu’unegrosselarmes’écrasesurlatableenmétalpourquejem’aperçoivequejesuisentraindepleurer.

–Papa…Jenepeuxpasallerplusloin,jen’arriveplusàprononcerlemoindremot.Aprèsavoir

prisquelquesinspirationspourmecalmer,jefaisunenouvelletentative.–Papa, il fautque tu leurdisespour le chantage. Il fautqu’ils sachentque tuasagi

souslecoupdelacolère.C’estimportant.–Certainementpas.–Alorsjedonnerailesphotosàlapresseetj’enparleraimoi-mêmeàlapolice.Endisantcesmots,jeréalisequejenebluffepas.Pendantdesannées,j’aieupeurde

ces satanées photos. Du passé qu’elles représentent. De la honte.Mais je suis fatiguée deleur accorder une telle emprise sur moi. Je suis fatiguée de donner autant de pouvoir àReed.

Jackson a raison ; je sais comment lutter contre mes cauchemars. L’estocade finaleconsisteàarracherauxmainsdeReedlesrestesducontrôlequ’ilavaitsurmoi.

–Non,chérie,non.J’aidéjànégociéunarrangement.Unbonarrangement.Onplaidel’absencedepréméditation.J’écoperaidetroisans,toutauplus.

Il a raison, je le sais.C’estunepeine clémente.Maisonpourrait l’alléger encore si jerévélaisl’affairedesphotos.

Maislorsquejeleluisuggère,monpèresecouerésolumentlatête.–Non,dit-ilenmeregardantdroitdanslesyeux.

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– Pourquoi pas ? Je peux le faire. Et si on les remet au procureur, elles serontprobablementplacéessousscellés.

–Peut-être,maisjeveuxpurgercettepeine.–Quoi?Maispourquoi?–Jete ledois.Je l’aimérité,Elle,dit-ildoucement,enm’appelantpar leprénomque

j’aicesséd’utiliserquandReedacommencéàmetoucher.–Moisirderrièrelesbarreauxn’ychangerarien.Sonsourireestinfinimenttriste.–Peut-êtrepas.Maisjemesentiraimieux.Legardienfrappeàlavitre;ilestdéjàl’heure.– Je ne sais pas si je peux vraiment te pardonner, papa, dis-je alors que le gardien

ouvrelaporteetsedirigeverslui.Maisjepensequej’aienvied’essayer.

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29

La seule raison pour laquelle Jackson avait tenu le coup ce jour-là, c’est parce qu’ildevait s’occuperdeRonnie.Et la seule raisonpour laquelle il avait survécuau lendemainmatin,c’estparcequeStellas’étaitàsontouroccupéedeRonnie,pendantqueluisejetaitàcorpsperdudansletravail.

Maisvers lemilieude l’après-midi,même la forced’attractionduDomaineneparvintplusàlegardersurdesrails.Ilétaitàcran.Perdu.Encolère.

Il avait besoin de relâcher la pression, et plus d’une fois durant la matinée, il avaitenvisagé d’appeler Sutter pour lui demander de lui ouvrir le gymnase. Voire,éventuellement,deluidégoteruncombatoudeux.Maisl’idéedes’oublierdanslescoupsetles esquives, la sueur et la douleur, les muscles au supplice et l’ivresse de l’adrénaline…Non,cetteidéeneluidisaitrienaujourd’hui.

Ilsavaitdequoiilavaitbesoinpourcontrecarrersonasphyxie.Maissonfoutuantidotel’avaitlaisséenplan.

BonDieudemerde.Il la maudissait. Il voulait être patient. Ne pas l’embêter. Mais en même temps, il

mouraitd’enviedel’attraperparlesépaulesetdelasecouerjusqu’àcequ’elleretrouvesesesprits.Etilétaitterriblementfrustrédenepouvoirlacontrôlerqu’aulit,etd’admettrequedanslavie,elledevaitfairesespropreschoix,prendresespropresdécisions.

Ilespéraitseulementqu’elleprendraitlesbonnes.Parcequ’ill’aimait,etilsavaitqu’ellel’aimait. Il voulait construire une famille, une vie avec elle. Et il croyait de tout son cœurqu’elleavaitlesmêmesdésirs.Maisc’étaitlapeurquil’avaitfaitfuir.Ettoutcequ’ilpouvaitfaire, c’était espérer que sa force innée la ramènerait auprès de lui. Après tout, elle étaitvraimenttrèsforte.Elleétaitbienparvenueàlefairerevenir,lui,pasvrai?

Quelcauchemar.Iljetaunœilàl’horloge;ilétaitl’heurepourRonniedeprendresongoûter.Ildécida

de monter pour voir s’il pouvait partager un sandwich au beurre de cacahouète et à la

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confitureavecsa filleetsanounou. Ilavaitpresqueatteint l’ascenseurquandLauren,sonassistante,l’interpela.

–MonsieurSteele?Rachelvientd’appeler.Ilyaquelqu’unautrente-cinquièmeétage,quiestvenupourvousvoir.

Sylvia?Sansdoutepas,maispeut-êtrejouait-ellelestimides?Ils’accordaleplaisird’ycroire, mais en arrivant à son bureau, il fut déçu de constater que ce n’était bien qu’unfantasme,etsurprisdevoirGrahamElliottàlaplace.

–MonsieurSteele,ditGrahamenluitendantlamain.Jesuisdésolédevousdérangerenpleintravail.J’airencontréEvelynDodgeuneoudeuxfoislorsdegalas,etquandjeluiaiditquej’aimeraisvousparler,elleasuggéréquejepassevousvoirici.MllePetersaeulagentillesse de me tenir compagnie en vous attendant, dit-il en décochant un sourirehollywoodienàRachel,quisemblaitavoirquittésonfauteuilpourunpetitnuage.

–Je,euh,del’eau?Aimeriez-vousunverred’eau?Ouuncafépeut-être?Ou…–Merci,c’estparfaitcommeça,ditaimablementGraham.Jacksonenfonçasesmainsdanslespochesdesonpantalon.–Quepuis-jepourvous?Il tâcha de parler poliment, sans être certain du résultat. C’était l’hommequi voulait

jouersonrôledansce filmsur lamaisonFletcher,après tout.C’était l’hommedésireuxdecontribuerauscandalequiéclabousseraitlafilledeJackson.

–Jevoulais simplementvousdiredeuxchoses.Toutd’abord,vous féliciterd’avoirétéinnocenté.Ensuite,vousannoncerquejemeretiredufilm.

Jackson changea imperceptiblement d’attitude. Il n’était pas détendu – pas encore –maisintéressé.Etdubitatif.

–Ahoui,vraiment?Grahamparutperdreuntantinetcontenance.– Écoutez, je trahis un secret, mais il faut que vous sachiez que votre père était de

mèche avecReed. Il voulait que le film se fasse. Il se disait qu’il allait toucher le jackpot.C’est même lui qui a lâché l’info à propos de votre lien de parenté avec Damien Stark,quandl’intérêtpourleprojetacommencéàs’émousser.J’imaginequ’ilespéraitrelancerlamachine.

Jacksonrestaitdemarbre.–Etvous?Qu’est-cequevousfaisiezlà-dedans?– Le matériau de base du scénario, c’était de la bombe. Et ce n’est pas de la

diffamation.Toutcequivousestarrivé–àvousetauxFletcher–,c’estunepurehistoire,quidonneraitunfilmd’enfer.

–Etpourtant,vousn’allezpasyparticiper.Grahamcroisasonregard.

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–Non,eneffet.C’estunebonnehistoire,maismonpointdevueachangé.Macopineest enceinte, et si quiconque s’en prenait àmon enfant, je le démolirais en bonne et dueforme.Vousvoyezcequejeveuxdire, jepense.C’estpourçaquevousessayiezdetuer lefilmdansl’œuf.

–Toutàfait,oui.–C’estvotrepèrequiafaitfuiterl’info,d’ailleurs?Àproposdevotrefille,jeveuxdire.–Jen’ensaisrien,maisjenecroispas.Jepensequelesjournalistesontfaitleurboulot

etqu’ilsonttrouvélerecoursenjusticequej’aidéposéauNouveau-Mexique.Grahamhochalatête.– Écoutez, je ne peux pas promettre que personne d’autre ne sautera sur l’occasion,

maisjevousgarantisquejen’apporteraiaucunsoutienauprojet.Etcommevousn’êtesplussuspectédemeurtre, j’aibonespoirque lestabloïdsvous laissentenfintranquille.Jepariequ’ilsvontsedésintéresserdetoutel’histoire.

–Merci,ditJackson,sansparveniràexprimerl’étenduedesagratitude.Etfélicitations.Grahamsefenditd’undecessouriresquiavaientfaitsarenommée.–Merci.C’estassezincroyable,vousnetrouvezpas?–Quoidonc?–D’êtrepère.Çachangetout,c’estdingue.–Oui,réponditdoucementJackson.C’estvrai.Quelquesminutes plus tard, les portes de l’ascenseur se refermèrent sur Graham, et

Rachelpoussaungrandsoupir.–Waouh…Jackson sourit avec indulgence. Après avoir été si douloureusement déçue par Trent,

Rachel avait besoin d’une consolation, et ce moment passé avec une célébrité lui avaitclairementmisdubaumeaucœur.

–Damienestlà?–Non,désolée.Voulez-vousquejeluitransmetteunmessage?–Merci,cen’estpaslapeine.Jeluiparleraiplustard.Ilretournaversl’ascenseuraveclafermeintentiondemonteràl’appartement.Maisau

derniermoment, il appuya sur le boutonduparking souterrain. Son cerveaubouillonnaittandis qu’il marchait à grands pas vers sa Porsche. Le père de Sylvia et Jeremiah Starkétaientdelamêmeengeance.Maisaumoins, lepèredeSylviaessayaitderéparercequ’ilavaitdétruit,mêmesilemeurtreétaitunemanièrefranchementdramatiquedes’excuser.

OnnepouvaitpasendireautantdeJeremiah. Ilcontinuaitdeburiner lesviesdesesfils,commes’il s’étaitagidepierresprécieusesetqu’ilessayaitd’endétacherunéclat,peusoucieuxd’endommagerl’ensemble.

C’étaitquelquechosequeJacksonétaitcertaindenepasreproduireentantquepère.Il commettrait des erreurs, bien sûr.Mais pas celles de sonpère. Sylvia le savait – il était

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persuadéqu’ellecroyaitenlui,qu’ellelesavaitcapabled’éleversonenfant.Alorspourquoineparvenait-ellepasàcroireaussienelle-même?Ilavaitdéjàquitté leparkingquand il réalisaqu’il se rendaitàSantaMonica. Ilavait

essayédeluilaisserdutemps,maisc’étaitterminé.Ilavaitenvied’elle.Ilavaitbesoind’elle.Etilétaitconvaincuqu’elleavaitbesoindelui.Ilétaittempsd’allerchercherlafemmedesavie,cellequ’ilallaitépouser.Ilétaittemps

deladécideràresterauprèsdelui.Del’assurerqueçamarcherait.Parcequemerde,ilétaitrésoluànepaslalaisserluifilerdenouveauentrelesdoigts.

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30

Jenesaispasexactementcomment j’aiatterri là,maisau lieude rentrerà lamaisonaprèsavoirvumonpère,jemesuisrenduedanslequartierdeVanNuys,oùReedavaitsonstudio.C’estlàqu’ilm’asisouventphotographiée.

À présent, je suis assise au volant demaNissan, dans le parking, les yeux rivés à lafaçade érodée de ce bâtiment quelconque. Je me demande bien ce qui se passe dedansdésormais.D’ailleurs,quisaitcequisepassevraimentderrièren’importequellefaçade?Oudanslatêtedequiconque?

Je ne sais pas ce quemon père pensait à l’époque, mais je le crois aujourd’hui. Sesregretssontsincères,sondésirderéconciliationestréel.Jeneseraijamaisaussiprochedeluique JacksondeRonnie, et jen’yauraispas cruune seconde sionme l’avaitpréditunjour, mais j’ai vraiment envie d’essayer de renouer avec lui. D’accepter ses excuses et detournerlapage.

Je redémarre, sans trop savoir pourquoi je suis venue ici. Pour classer l’affaire ?Possible.Oupeut-êtrevoulais-jesimplementmeprouverquel’enferd’autrefoisn’existeplus.Qu’il n’y a pas de flammes, pas de soufre.Quant aux démons qui vivaient ici et dansmatête,jelesaiterrassés.

Je retourne sur l’autoroute en direction de SantaMonica,mais je fais un détour parBrentwood, le quartier où nous vivions quand j’étais enfant. C’est là que j’ai commencé àphotographierdesmaisons,carjen’arrivaispasàcroirequ’unendroitauxabordssicoquetspouvait abriter d’aussi terribles secrets. Cette perfection n’était qu’une façade, et je medemandaiss’ilenétaitdemêmepourlesautresmaisonsquejevoyaisautourdemoi.

CeneserapaslecaspourlamaisonqueJacksonconstruiraàPacificPalisades.Ceseraunfoyerremplid’amouretdesincérité.C’estcequ’ilyadeplusimportant.

Jem’imagine là-bas,m’éveillant aux côtésde Jackson. Je voisRonniedéboulantdansnotrechambrepoursautersurlelit.Nousnousasseyonssurlebalconpourboirenotrecafélematin,unverredevinlesoir,etnouscontemplonsl’océanquis’étendjusqu’àl’infini.

Jepenseàunepetitefille,àsonchiotetàl’hommequej’aime.

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C’estçaquejeveux.Oh,Seigneur,j’enaitellementenvie.J’aitoujourspeur,maisj’apprendraiàmedébrouiller.Jeneseraipascommemamère

qui disparaît quand les choses se corsent. Ni commemon père, qui attend des décenniesavantdeleverlepetitdoigtpourtenterderépareruneerreuretprotégersonenfant.

Ceneserapasfacile.Jetrébucherai.MaisavecJacksonpourmerattraper,çaira.Jackson.Soudainj’aibesoindelevoir,sansperdreunesecondedeplus.Jefaisdemi-tourpour

merendredanslecentre-ville,àl’appartementdelaStarkTower.Il y a des embouteillages monstrueux, et chaque minute qui passe est une torture.

Enfin, j’atteins ma place de parking, et je me rue sur les ascenseurs pour monter àl’appartement,danslequeljedébarqueenlesappelanttouràtour,Jackson,Ronnie,Stella.

Mais seul le silenceme répond. Et à cet instant, je suis certaine d’avoir tout détruit.D’avoir convaincu Jackson que je ne valais pas la peine de prendre le risque. Que mesgesticulationsmaladroitestroubleraientréellementsarelationavecsafille.

Qu’ilétaitmieuxpourRonniequejen’encombrepasleursvies.Seigneur,qu’est-cequej’aifait?Jefaisletourdel’appartement,hébétée,sanscomprendreoùilsontpudisparaître.Je

téléphoneàJackson,maisilnedécrochepas,etjemesensencoreplusperdue.Encoreplusseule.

Quelquepartdansuncoindematête, jesaisqu’unappartementvidenesignifierienensoi.Maisjemesenssilasse.J’enaitellementbavécesderniersjours,etmaintenantquejeréalisemonerreur,j’aidumalàcroirequeleschosesvontenfins’arranger.D’aprèsmonexpérience,c’estplutôtlecontrairequiseproduit,engénéral.

J’essaiedenepasypenser.Jenesuisplusbonneàrien,ilesttempsd’allerdormir.Sur le chemin du retour, je roule très lentement, comme ces gens qui ont trop bu et

saventqu’ilsnedevraientpasconduire,maistententdésespérémentdeseconcentrersurlaroute. Je gravis l’escalier jusqu’àmon étage comme une somnambule. Je n’ai plus qu’uneenvie, m’écrouler sur mon lit. Demain, j’essaierai de nouveau. Et si Jackson est toujoursintrouvable, j’irai voir Cass pour qu’elle me fasse un nouveau tatouage, parce que cettedouleur,jedoislacombattreetm’ensouvenir.

Monappartement est plongédans l’obscurité, et je regrettedenepas avoir laisséunpeudelumièreenpartant.Jeretiremeschaussuresetmedéshabilletoutenmedirigeantàtâtonsversmachambre.Jejettemontee-shirtetmonsoutien-gorgeparterre,monjeansurlecanapé,etj’arriveàlaportedemachambre.

C’estlàquej’entendssavoix.Unseulmot,quidittout.–Sylvia.

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Jem’arrêtedansl’encadrementdelaporte,entièrementnue,etmêmesijenemesuisjamaissentievulnérabledevantJackson,c’est lecasmaintenant.Mesyeuxs’habituentà lapénombre, et je le distingue qui se lève du lit et s’approche. Il s’arrête à quelquescentimètres de moi, et soudain je suis consciente de tout. De ma respiration. De chaquecheveu,dechaquepoildressésurmoncorps.Delaproximitédesoncorps,àlui.Et,oui,demafaim.

–J’étaisàl’appartement,jetecherchais.–C’estmarrant,réplique-t-ildoucement,jetecherchaisaussi.Ils’avanceverslefauteuilàcôtédelaportepourramassermarobedechambre,puisil

melatend.Siprévenantenapparence,cesimplegestemeterrifie.Mon cœurmanque un battement, et un petit hoquetm’échappe. Je serre la robe de

chambre contre moi, mais je ne l’enfile pas. En tentant vainement de déchiffrer sonexpression,jebalbutie:

–Jackson,je…jesuisdésolée.Est-cequej’aitoutgâché?Jeneveuxpasvousperdre,toietRonnie,parcequej’aieupeur.

–Eupeur?Tun’aspluspeuràprésent?– Si, dis-je en baissant les yeux. J’ai toujours peur. Mais j’ai peur de choses qui

n’arriveront peut-être pas, et je ne veux pas vivre comme ça. J’ai toujours une trouillemonstrueuseàl’idéedemerder,maisjepréfèrerisquerdemeplanteravectoiplutôtquedeneriententerdutout.Jet’aime,Jackson,j’aitellementpeurdet’avoirperdu.

Unelueurdetendresseetdesoulagementilluminesonvisage.Ils’approchedemoi,etjeremarquelamanièredontsonjeanesttenduparsonérection.

–Tunesaispasencorequetunepeuxpasmeperdre?dit-ilenmecaressantlajoue.Tupensesquejenecomprendspastesangoisses?Êtreunparent,etmêmeêtreamoureux,d’ailleurs,c’estfairedeschoixeffrayants.Maistechoisir,toi?Choisird’êtreensemble?Ça,cen’estpaseffrayantdutout.

Moncœurseserred’émotion,et jenepeuxplusattendre.J’aibesoinquesescaressesentérinent ses paroles. J’ai besoin de savoir que nous sommes vraiment ensemble denouveau,quelemondes’estremisàtourner.

Jelâchemarobedechambreetj’attirebrusquementJacksonàmoipourledévorerdebaisersenmecollantàlui.

Jelesensbandercontremoi.Mesmainsglissentaubasdesondospouragrippersonculbien ferme,et il gémitdedésir, faisantmonter lemienen flèche.Mapeaunueest enfeu,toutmoncorpsleréclametandisquesonbassinheurtelemien.

Je prends sa main posée sur ma hanche et recule de quelques centimètres pour laglisserenmêmetempsquelamienneentremescuissesdéjàpoisseuses.

– Je suis à toi, dis-je d’une voix rauque, tandis qu’un petit orgasme inattendum’électrise.Ettuesàmoi.

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–Ohoui…Ilsoutientlongtempsmonregard,etj’yvoissapassion,sespromesses,notrecomplicité.

Puis il retire samain et se lèche les doigts.Ma chatte se contracte en réaction à ce gestesimplemaistellementérotique.

Ilreculed’unpasetretiresontee-shirt,puisentreprenddedéboutonnersonjean.–Non,dis-jeenm’approchantdelui.Jedescends la fermetureÉclairetbaisseson jean jusqu’àsesgenoux,enmêmetemps

quesoncaleçon.Ilbandedeplusbelle,etjeravaleunsouriresatisfait.Jem’agenouilledevantlui,faceàsaqueuefièrementdressée.Jerelèvelatêteetcroise

sonregardcomplice,quisaitexactementcequejem’apprêteàfaire.Jen’agispasseulementpar envie et par besoin, non. C’est aussi unemanière pourmoi de lui demander pardon.C’estmasoumission.C’estmapromesse.

Jeletitilled’abordduboutdelalangue,enleléchantsurtoutesalongueur,jusqu’auxtesticules,avantdereveniràsongland.Mais jeveuxplusqueça.Jeveuxle fairegrimperauxrideaux.Jeveux luioffrircemomentoùsonêtreentier sedissoutdans lavolupté.Jeveuxfairedisparaîtreladouleurquej’aicausée.

Je prends ses testicules dans une main et sa queue dans ma bouche ; son goûtcaractéristique, simâle,me foudroie,etmes tétonsdardent tandisquemoncorps réclamequ’ons’occupede lui.Mais jeresteconcentréesurJackson.Sur lamanièredont ilatenduunbraspourgarderl’équilibre.Surlesgrondementsquiluiéchappenttandisquesafièvremonte.

Et–ohoui–sursesmainsposéessurmatête,quimeguidentalorsqu’ils’approchedel’orgasmeetjouitenfindansmabouche.

Il me maintient toujours la tête, alors j’avale. Puis je me relève et l’embrasse pourpartageravecluisapropresaveur.Ilglisseunemainentremesjambespourcaressermonsexehumide:

–Àtontour.Jeglapistandisqu’ilmesoulèvepourmeposersurlelit.Puis,lentement,ilcommence

àmecaresser,partout,déchaînanttousmessens.Jemetrémousse,pantelante,lesnerfsenalerte, le corps enmanque. Il ne cède pas, s’affairant à connecter chacun demes nerfs àmoncentre,etlorsqu’ilmepénètre,jeperdslatête.C’estcommesilesoleilselevaitenmoi,illuminanttoutmoncorpsd’unjoursiaveuglantquejenepeuxpastenirpluslongtemps;j’exploseenunmilliardderayonsdorés.

Jeredescendslentement,tremblante,avantdemeloverdanssesbras.Jeluidemande:–Est-cequecette intensitéest lamêmepourtout lemonde?L’impressionque jevais

meratatinersijenepeuxpastetoucher?Tuvoiscequejeveuxdire?–Tusaisbienqueoui.–Est-cequec’estparcequ’onestunpeuperdus,toietmoi?

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– Perdus ? répète-t-il avant de m’embrasser le front. Oh, non, ma chérie. Plusmaintenant.Ons’esttrouvés.

Au bout d’un moment, nous nous glissons sous les couvertures. Il se tourne pourprendre quelque chose sur la table de chevet, que je reconnais immédiatement. C’est labaguedesagrand-mère.Mabague.Cellequej’avaisabandonnée.

–Tum’asdemandédet’épouserunefois.Maintenantc’estmontour.Ilsortdulit,etàmongrandplaisir,ils’agenouilleenmetendantlabague.–SylviaBrooks,voulez-vousm’épouser?Jeleregardetoutsourire.S’accorderunedeuxièmechance.C’estainsiqueçafonctionne,entreJacksonetmoi.Etcettefois,jeneficheraipastoutenl’air.–Oui,dis-jeenletirantpourlefaireremonterdanslelitavecmoi.Tandisquejel’embrassetendrement,uneseulepenséefleuritdansmonesprit.Être sa

femme.J’aivraimenthâte.

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Épilogue

Je suis là, sur la plage principale de Santa Cortez, avec Jackson. Derrière nous, lemondequenousavonsconstruits’élève,resplendissant,etsibienintégréaupaysagequ’onpeineàcroirequelesbâtimentsn’ontpasémergéaumomentdelaformationdel’île.

Tout est prêt. Les finitions sont terminées dans les chambres, les lits sont faits et leschromesbrillentdemillefeux.Leschefss’activentdéjàdanslescuisinesdesrestaurants.Lesrayonnagesdesmagasinsdébordentdemarchandises.Lespiscines scintillent sous le soleilcalifornien.Toutestparfaitjusquedanslesmoindresdétails,ettouslesmagazines,touslesjournaux,touslesblogsquiontparléduDomainel’ontdécritcommelaplusbelleréussitedeStarkRealEstateDevelopment.

La liste des invités s’allonge, et nous sommes déjà complets pour les deux années àvenir.

L’ouverture officielle n’aura pas lieu avant un mois encore, mais l’île fourmille déjàd’employés qui s’activent à l’administration, au service et à la maintenance. La plupartd’entreeuxsontdéjà installésdans leurs logementsde fonctionsur l’île,maisaujourd’hui,nous recevons une douzaine de personnes supplémentaires qui ne vivent pas ici à pleintemps.

Ilssontvenuspournotremariage.L’officiant qui se tient devant nous a bientôt terminé la lecture des vœux,mais j’ai à

peineentendulemoindremot.Difficiledecapterquoiquecesoitdepuismonpetitnuage.Maislorsqu’ildemandesinousavonslesalliancesetqueRonniebonditenglapissant:

«Oui!Moi!Jelesai!»,jesaisquejenesuispasentrainderêver.Elle me tend le petit coussin sur lequel attendent les alliances. Je prends celle de

Jacksonetlaluipassetendrementaudoigt,sanslequitterdesyeux.Ils’exécuteàsontour,etjesensauplusprofonddemoi-mêmelechocdecetinstant,

cettenouvelle réalitéquis’ancreenmoi tandisque labaguene faitplusqu’uneavecmondoigt,toutcommeJacksonavecmoi.

–Lesmariéspeuventàprésents’embrasser,ditl’officiant.

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Jacksonneperdpasde temps. Ilm’attireà lui,me renverseenarrièreetm’embrassefougueusementsouslesapplaudissementsetlessiffletsdenotrepetiteassemblée.

–Tiens!Voilàmafemme,ditJacksonenmeredressant.– Tiens, mon mari ! je réplique à mon tour en souriant, avant de passer mes bras

autourdesoncouetdesoupirerd’aise.– On va bientôt vous laisser tranquilles, promet Nikki en s’approchant avec Damien.

Maisonvousaorganiséunepetiteréceptiondanslerestaurantprincipal.Je coule un regard vers Jackson, qui secoue la tête. Nous n’avions pas prévu de

réception.Justeunepetitecérémonievitefaitbienfaitavantlafrénésiedel’ouverture.Et,biensûr,unlongweek-endpournotrelunedemiel.Aunordde l’île,unedouzainedebungalowsontétésoustraitsduDomainepourêtre

proposésà lavente.NikkietDamien–désormaismabelle-sœuretmonbeau-frère–nousenontoffertuncommecadeaudemariage.

–Justeunpetitquelquechosepourlesjeunesmariés,avaitditDamienàJacksonavecundemi-sourire.Commetulesasconçustoi-même,jemesuisditqu’ilsseraientàtongoût.

Jacksonavaitéclatéderire.Jem’étaisdemandés’iln’allaitpasrefusercecadeausousprétextequ’ilétaitbeaucouptropsomptueux,maisils’étaitcontentéderépondre:

–Tuparlesqu’ilssontàmongoût!Jackson se penche à présent pour que Ronnie – désormais officiellement Veronica

AmeliaSteele–puissemontersursondos.Nousnousrendonsensuitemaindanslamainàlaréception.

Ilestpiedsnusàcausedusable,mais ilm’avaitprévenuequ’ilétaithorsdequestionpour lui de se marier autrement qu’en costume. Il en a choisi un noir, à la coupeimpeccable,dontl’étoffesatinéebrillelégèrementsouslesoleil.Saseuleconcessionaustyledécontractédenotremariageaétédefairel’impassesurlacravate.Ilamêmedéboutonnélehautdesachemise,etlorsqu’ilsetourneversmoipourmesourire,radieux,j’aperçoislecreuxàlabasedesoncou.

J’aisoudainl’irrésistibleenvied’ydéposerunbaiser.Degoûteràlasaveurdesapeauàcetendroit.Parcequ’ilestvraimentàmoimaintenant.Chaquecentimètrecarrédesapeauexquiseestàmoi.

Je parviens à contrôler cette impulsion ; après tout, nous avons la vie devant nousdésormais.

Contrairementàmonmari,j’aichoisiunetenueenaccordavecl’idéed’unmariageenborddemer. Jeporteundébardeurblanc en soiedélicatementbrodéede fils d’argent etune jupe fluide,blancheégalement.Ellen’estpas transparentemais les superpositionsdetissuvaporeuxendonnentl’illusion.

Les musiciens du Domaine jouent déjà lorsque nous arrivons au restaurant. Unemagnifiquepiècemontéetrôneaumilieudelapistededanse,etRonnieseprécipitepourla

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voirdeplusprès.Elleseretourneversnous,l’airextatique:–Papa!Maman!Yadugâteau!s’écrie-t-elleenbattantdesmains,ettoutlemonde

éclated’unrireattendri,tandisquejesuisauborddeslarmes.Parce qu’aujourd’hui, enfin, je suis vraiment «maman ». Et lemois prochain, ce sera

mêmeofficiel,parcequelaprocédured’adoptionserafinalisée.Je sais que je ne suis et ne serai pas une mère parfaite, et par moments je regarde

encoreRonnieenmedemandantcequejefabriquedanssavie.Maisenmêmetemps,jesaisquejefaisdemonmieux,etqueJacksonestlàpourassurermesarrières.

Maissurtout, jen’aipluspeur,parceque jesaisqueRonnieestheureuseetenbonnesanté,etqu’ellereçoittoutl’amourdontelleabesoin.C’estcequicompteleplus.

JeserrelamaindeJackson.Ilmeregardeattentivement,puism’embrassesurlefront.–Jesais,murmure-t-il.Moiaussi.Nousdansons, Jackson etmoi, puis c’est JacksonavecRonnie etmoi avecEthan, qui

n’a pas cessé de sourire de toute la fête. Il m’envoie ensuite dans les bras de Cass. SansquitterSiobhandesyeux,quise trouveengrandeconversationavecRonnieà l’autreboutde la salle,ellemeditàvoixbasseque je luiaidonnédes idées.Jedansemêmeune foisavecDamien,tandisqueJacksonfaitvalserNikki.

BettyetStellasontlàaussi,avecMeganquisembleheureuseetenforme,danssarobed’étéjauned’or.Jacksonluiprendlamainainsiqu’àRonniepourlesentraînersurlapistetandisquelesmusiciensenchaînentsurTheTwist.Çanedurepaslongtemps:lafillettenecessedes’écroulerderireavantdecrier:

–Papa!Meggie!Jetouiste,moi!Nos pères et ma mère brillent par leur absence. Mon père, parce qu’il a encore

plusieursmoisdepeineàpurgeravantd’êtrelibéré.Mamère,parcequ’elleestcommeça,etquej’aifiniparl’accepter.EtJeremiah,parcequ’iln’estpaslebienvenuici.

Jacksonm’aracontésonentrevueavecGrahamElliott.MêmesiJeremiahluiajuréparla suitequ’ilne se serait jamais impliquédans ce film s’il avait étéaucourantau sujetdeRonnie,pourJackson,cetteénièmetrahisonn’étaitplusleproblème.

Le problème, ce n’était pas Ronnie. Ce n’était même pas le film. C’était le fait queJeremiahjoueaveclaviedeJacksonpoursonintérêtpersonnel.EtJacksonaordonnéàsonpèredeneplusjamaiss’approcherdelui.

Mais jenevaispaspenseràJeremiahStarkaujourd’hui.Pas le jourdemonmariage,alorsqu’autourdenoustoutlemonderit,mangeets’amuse.Alorsqu’autourdenoustoutlemonde s’aime.Quand la fête touche à sa fin, nousdisons au revoir ànos invités avantd’embrassernotrepetitefille,carNikkietDamienl’emmènentpasserleweek-endchezeux,àMalibu.

– Je sais bienque c’estnotre lunedemiel, dit Jacksonalors quenousnousdirigeonsvers notre bungalow.Mais jeme suis tellementhabitué à sa présence que çame fait tout

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drôlequ’ellesoitpartie.Lesoleilsecoucheetleciels’embrase,orangeetpourpre.–Cen’estpasdésagréable,hein,ajoute-t-il.Maisc’estbizarre.–Peut-êtrequejepeuxterendreleschosesunpeumoinsbizarres…Jel’arrêteetluiprendslesmainspourlesposersurmonventre.J’hésiteunefractiondeseconde,puisjerelèvelatêtepourleregarderdanslesyeux.–Ilyaencoreunenfantavecnoussurl’île,Jackson.Sonairincréduleet–Dieumerci–heureuxmanquedemefairechavirer.–Onattendunbébé?Jen’aipasletempsderépondre,carmon«oui»estétoufféparlecouinementqueje

poussequandilmesoulèvedeterrepourmeserrerdanssesbras.–Jet’aime,murmure-t-il,etjesensunedoucechaleurm’envahir.C’est l’anticipation, l’émerveillement et l’excitation qui me gagnent. Parce que pour

Jackson etmoi – pour notre famille –, la vie vient tout juste de commencer. Et elle serafantastique.

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DUMÊMEAUTEURAUXÉDITIONSMICHELLAFON

Délivre-moi,2013Possède-moi,2013Aime-moi,2013

Tedésirer,2014T’enflammer,2014T’envoûter,2015

Surteslèvres,2016Surtapeau,2016

TitreoriginalUndermyskin

©JulieKenner,2015.

Tousdroitsdetraduction,d’adaptationetdereproductionréservéspourtouspays.

Lespersonnages,leslieuxetlessituationsdecerécitétantpurementfictifs,touteressemblanceavecdespersonnesoudessituationsexistantesnesauraitêtrequefortuite.

PremièrepublicationenlangueoriginaleparBantamBooks,unemaisond’éditiondeTheRandomHousePublishingGroup,unedivisiondePenguinRandomHouseLLC,NewYork.

Ouvragepubliéavecl’accorddeBantomBooks.

©ÉditionsMichelLafon,2016,pourlatraductionfrançaise.118,avenueAchille-Peretti–CS70024

92521Neuilly-sur-SeineCedex

www.michel-lafon.com

Photographiesdecouverture:©ErikAsla/GalleryStock-Photographiedutissu:©DominiqueSilberstein

ISBN:978-2-7499-3167-8