Ahikar - La Pseudepigraphie Chez Les Indiens

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  • La pseudpigraphie chez les Indiens

    Je ne pense pas quil faille regarder lArthaastra comme un tableau politique de lInde sous Candragupta. Je pense plutt que Cnakya a crit ce trait en vue des gnrations futures pour prserver lInde des invasions, pour lui viter de tomber sous les griffes de conqurant comme Alexandre le Grand. Si Cnakya est n vers 350 et a fait ses tudes Taxila, on peut imaginer leffroi du jeune homme lorsquen 326 Alexandre le Grand entre dans la ville et sen empare. On peut mme penser que cest linvasion de lInde par Alexandre le Grand qui a orient la pense de Cnakya vers la politique. Comme beaucoup de gnies avant ou aprs lui, il fait uvre de circonstance. Luvre de Goethe aurait-elle t la mme si Napolon avait envahi lAllemagne vers 1770 ? Certainement pas.

    Je pense que Cnakya a crit lArthaastra dans la ou les dcennies qui ont suivi linvasion dAlexandre le Grand. Tout a d se faire trs vite. Il y avait urgence. Alexandre le Grand ne venait-il pas de brler les somptueux palais de Perspolis ou de raser compltement la ville de Thbes ? Quen serait-il alors de lInde ? Le pire flau que lhumanit ait jamais port tait en marche. Cnakya a crit lArthaastra pour contrer Alexandre le Grand. Il propose ses services aux Nanda qui les refusent. Il va alors favoriser laccession au trne de Candragupta, qui daprs la lgende aurait t le fils que le dernier des Nanda aurait eu avec une dra. Une fois Candragupta sur le trne, il va alors mettre en place sa politique. Et avec quelle russite, puisquelle se soldera en 303 par un trait de paix avec Sleucos o celui-ci rendit aux Maurya les territoires en-de de lIndus. Aux historiens qui voient dans lArthaastra une uvre dune grande maturit de rflexion prcde dune lente et longue laboration, je ne rpondrai quune chose : Tocqueville a crit De la dmocratie en Amrique alors quil navait pas 30 ans, et pourtant quel ouvrage extraordinaire ! Pour moi, il sagit dun crit vnementiel, cest--dire li un vnement dterminant. Ce nest dailleurs pas un hasard si Cnakya a choisi dappeler son personnage principal Kauilya, qui signifie le retors. En choisissant de lappeler ainsi, il nous dit deux choses : dune part quil nest pas le personnage, puisquil a parfaitement conscience du ct retors de son personnage, dautre part quil va nous prsenter une pense dont seule la russite finale lui importe, au dtriment de la morale. Il

  • va nous prsenter une pense qui se situe en dehors dun cadre thologique et moral. Il avait parfaitement conscience que face un conqurant comme Alexandre le Grand, il fallait une rponse adapte et que la religion ne leur serait pas dun trs grand secours. Il nest dailleurs pas impossible du tout que Cnakya se soit inspir dAlexandre le Grand lui-mme pour crer son personnage.

    LArthastra ne nous donne donc pas voir un tableau de lempire Maurya sous Candragupta, puisquil a t pens et conu comme un programme mettre en place et raliser. Dans quelle mesure celui-ci a-t-il pu tre ralis, ce serait difficile dire. De mme que Cnakya a cr le personnage de Kauilya, il pose encore diffrents personnages fictifs comme Bhradvja, Vilka, Piuna ou encore Kauapadanta, pour faire lexpos des diffrentes thories qui pourraient lui tre opposes, et ce, pour mieux ensuite les rfuter travers la bouche de son personnage principal.

    Quand la guerre a lieu, un prince doit regarder comme du bois sec des serviteurs mme quil aime comme sa vie, quil protge et quil chrit.

    Et ainsi : Quil conserve toujours ses serviteurs comme sa vie, quil les nourrisse

    comme son corps, pour un seul jour o a lieu la rencontre de lennemi.

    Ces stances ne sont pas tires de lArthastra, mais du Pacatantra (Livre III, la guerre des corbeaux et des hiboux). Le Pacatantra est un prolongement de lArthastra. LArthastra et le Pacatantra sont trop proches pour tre de deux gnies diffrents. La singularit extrme de la pense de Cnakya ne se retrouve chez aucun autre grand gnie de la littrature universelle. Cest ce qui me fait dire que nous sommes en prsence du mme auteur. Derrire Viugupta, Viuarman ou encore Kauilya il y a Cnakya. Pourquoi Cnakya aurait-il cr tous ces personnages ? La raison fondamentale est lextrme raret du gnie, il y en a rarement plus dun par sicle. Or, une des particularits de la culture indienne est davoir pos des lignes de sages. Au VIme sicle avant notre re, nous voyons lintrieur de la Bhad-ranyaka-upanisad, Yjavalkya poser les lignes de sages qui ont assur la transmission du savoir. Or en ralit ceux qui ont ralis la fusion tman-brahman sont

  • extrmement rares. Do trs vite, lide de se ddoubler. Ainsi presque tous les gnies de lInde ont crit sous diffrents noms.

    Cette forme de pseudpigraphie a eu un impact considrable. Elle a permis de donner beaucoup plus de poids lexposition dune doctrine. Les gnies de lInde en crivant sous diffrents noms ont ainsi donn limpression que lInde ancienne avait compt une multitude de trs grands sages. Or il ny a pas autant de gnies quil y a de chefs-duvre. Une tude approfondie des textes nous montre dailleurs que nombre de chefs-duvre sont rapprocher dune cole et dune priode. Par exemple, au IIIme sicle avant notre re, sous Aoka, un des plus grands empereurs de lInde, on sattendrait naturellement trouver en architecture ou en littrature quelques merveilles. Or il nen est rien, parce que tout simplement aucun penseur de gnie nest apparu sous Aoka. En revanche, au IIme sicle de notre re, sous Kanika, un souverain bien moins connu, nombre de chefs-duvre font leur apparition. Nous devons ici rendre hommage Sylvain Lvi davoir russi sortir de lombre le nom dAvaghoa en lui consacrant nombre de travaux jusqu la fin de sa vie. Par lampleur de son uvre Avaghoa est bien le Saint Augustin du canon sanscrit. Sylvain Lvi crit en 1896, dans Notes sur les Indo-Scythes : Lanalogie des procds entre le Strlamkra et la Jtaka-ml est galement frappante ; lun et lautre dveloppent le rcit la manire dune prdication, en prenant pour thme un texte des livres saints ; lun et lautre entremlent avec got la prose et les vers ; et mme, travers la version chinoise, apparat un gal bonheur de style. Si la Jtaka-ml nest pas dAvaghoa, elle sort probablement de son cole. Il est clair que le grand indianiste avait vu juste. La Jtaka-ml est bel et bien une uvre dAvaghoa crite sous le nom drya ra. Pour moi, il en va de mme pour le Milinda-paha et le Lalitavistara, deux uvres dobdience sarvstivdin. Avaghoa a d aussi participer la rdaction du Vinaya des Mlasarvstivdin