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Le Piège n° 229 - Juillet 2017 Revue des anciens élèves de l’École de l’air Yves Riondet (68 - Bigand) Notre camarade, auteur de plusieurs ouvrages et articles historiques, nous rappelle le rôle de l’aviation pendant les huit années du conflit indochinois. Cette première partie, qui replace le conflit dans son contexte historique, résume les pre- mières opérations aériennes. Ailes françaises dans la guerre d’Indochine (1c,B-1c7,) 8 Prologue À la différence des deux grands conflits mondiaux et de la guerre d’Algérie, celle d’Indochine est oubliée par nos contem- porains, alors que près d’un demi-million d’hommes participèrent à cette cam- pagne de 1945 à 1954 au sein des TFEO (Troupes françaises d’Extrême-Orient). Malgré plusieurs ouvrages et témoi- gnages sur ce conflit, les combattants d’Indochine restent assez méconnus et se sentent parfois victimes de préjugés, d’autant que pour une bonne partie de nos concitoyens ces soldats étaient des volon- taires, alors que la plus grande majorité d’entre eux étaient des hommes sous contrat, désignés d’office pour effectuer des séjours d’environ deux ans. De plus, l’histoire de cette guerre a longtemps été occultée pour des raisons politiques, en particulier, mais aussi parce qu’elle s’acheva par le traumatisme de Diên Biên Phu en mai 1954. Les difficul- tés financières de la France n’avaient en effet pas permis au Corps expéditionnaire de disposer des moyens adéquats pour reconquérir une zone grande comme les deux tiers de notre pays. Concernant le volet aérien indochinois, des témoignages – dont celui du général Chassin –, des recueils d’articles publiés par le SHAA dès 1999 et plusieurs ouvrages ont abordé les différents aspects de cette guerre en présentant les missions et les matériels en service au sein des différentes unités. Ces regards croisés montrent aussi combien les aviateurs ont été durablement marqués par ce conflit auquel l’Armée de l’air, exsangue, n’était pas bien préparée Brefs rappels géographiques L’Indochine (environ une fois et demi la France) comprenait le Cambodge, le Laos et le Viêtnam, découpé en trois ré- gions du nord au sud (Tonkin, Annam et Cochinchine), avec des statuts différents, mais tous ces territoires étaient sous l’au- torité du gouverneur général français qui, lui-même, dépendait du ministère des Co- lonies. En 1940, l’Indochine avait une po- pulation essentiellement rurale d’un peu plus de 22 millions d’habitants (dont plus de 80 % vivaient au Viêtnam) et il y avait seulement 34 000 Français. Le relief de l’Indochine est constitué, au nord et à l’est, par des montagnes et des hauts plateaux (haut Laos, haut Ton- kin et Cordillère annamitique), alors que le sud et l’ouest sont traversés par des plaines et des rivières. Deux fleuves aux débits irréguliers sillonnent le pays : le fleuve Rouge, en provenance du Yunnan, se jette dans le golfe du Tonkin au niveau d’Hanoï, et le Mékong, qui coule à travers le Laos, le Cambodge et la Cochinchine. Le climat est commandé par le régime des moussons avec, en été, des pluies abon- dantes et, en hiver, un vent sec provenant du continent asiatique. Les importantes variations climatologiques et hydrogra- phiques obligent les hommes et le maté- riel à s’adapter à des conditions difficiles. Rappels historiques En 1930, Nguyên Tat Thanh, futur Hô Chi Minh, créa, à Hong Kong, le Parti communiste indochinois (PCI) avec lequel il organisa des émeutes paysannes dans la Cochinchine et le nord de l’Annam. Dès lors, le nationalisme vietnamien était en marche et, de plus, les Français durent faire face à la présence nippone au Tonkin à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ainsi qu’à la ligue pour l’indépendance du Viêtnam (Vietminh). En 1945 la péninsule indochinoise passa sous contrôle japonais et, avec leur appui, Bao Dai (empereur d’Annam) dénonça les traités passés avec la France et proclama, le 11 mars, l’indépendance du Viêtnam. Quelques jours plus tard, le Cambodge et le Laos faisaient de même et le Vietminh s’affirma en tant que parti indépendant et anti-japonais. Après Hiroshima, Hô Chi Minh consti- tua le Comité de libération du Viêtnam et déclencha, le 14 août 1945, l’insurrec- tion générale. Le Vietminh installa, le 18 Histoire (première partie) Carte de l’Indochine française.

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Le Piège n° 229 - Juillet 2017 Revue des anciens élèves de l’École de l’air

Yves Riondet (68 - Bigand)

Notre camarade, auteur de plusieurs ouvrages et articles historiques, nous rappelle le rôle de l’aviation pendant les huit années du conflit indochinois. Cette première partie, qui replace le conflit dans son contexte historique, résume les pre-mières opérations aériennes.

Ailes françaises dans la guerre d’Indochine (1946-1954)

8

PrologueÀ la différence des deux grands conflits

mondiaux et de la guerre d’Algérie, celle d’Indochine est oubliée par nos contem-porains, alors que près d’un demi-million d’hommes participèrent à cette cam-pagne de 1945 à 1954 au sein des TFEO (Troupes françaises d’Extrême-Orient). Malgré plusieurs ouvrages et témoi-gnages sur ce conflit, les combattants d’Indochine restent assez méconnus et se sentent parfois victimes de préjugés, d’autant que pour une bonne partie de nos concitoyens ces soldats étaient des volon-taires, alors que la plus grande majorité d’entre eux étaient des hommes sous contrat, désignés d’office pour effectuer des séjours d’environ deux ans.

De plus, l’histoire de cette guerre a longtemps été occultée pour des raisons politiques, en particulier, mais aussi parce qu’elle s’acheva par le traumatisme de Diên Biên Phu en mai 1954. Les difficul-tés financières de la France n’avaient en effet pas permis au Corps expéditionnaire de disposer des moyens adéquats pour reconquérir une zone grande comme les deux tiers de notre pays.

Concernant le volet aérien indochinois, des témoignages – dont celui du général Chassin –, des recueils d’articles publiés par le SHAA dès 1999 et plusieurs ouvrages ont abordé les différents aspects de cette guerre en présentant les missions et les matériels en service au sein des différentes unités. Ces regards croisés montrent aussi combien les aviateurs ont été durablement marqués par ce conflit auquel l’Armée de l’air, exsangue, n’était pas bien préparée

Brefs rappels géographiquesL’Indochine (environ une fois et demi

la France) comprenait le Cambodge, le Laos et le Viêtnam, découpé en trois ré-gions du nord au sud (Tonkin, Annam et Cochinchine), avec des statuts différents, mais tous ces territoires étaient sous l’au-torité du gouverneur général français qui, lui-même, dépendait du ministère des Co-lonies. En 1940, l’Indochine avait une po-pulation essentiellement rurale d’un peu plus de 22 millions d’habitants (dont plus de 80 % vivaient au Viêtnam) et il y avait seulement 34 000 Français.

Le relief de l’Indochine est constitué, au nord et à l’est, par des montagnes et des hauts plateaux (haut Laos, haut Ton-kin et Cordillère annamitique), alors que le sud et l’ouest sont traversés par des

plaines et des rivières. Deux fleuves aux débits irréguliers sillonnent le pays : le fleuve Rouge, en provenance du Yunnan, se jette dans le golfe du Tonkin au niveau d’Hanoï, et le Mékong, qui coule à travers le Laos, le Cambodge et la Cochinchine.

Le climat est commandé par le régime des moussons avec, en été, des pluies abon-dantes et, en hiver, un vent sec provenant du continent asiatique. Les importantes variations climatologiques et hydrogra-phiques obligent les hommes et le maté-riel à s’adapter à des conditions difficiles.

Rappels historiquesEn 1930, Nguyên Tat Thanh, futur Hô

Chi Minh, créa, à Hong Kong, le Parti communiste indochinois (PCI) avec lequel il organisa des émeutes paysannes dans la Cochinchine et le nord de l’Annam. Dès lors, le nationalisme vietnamien était en marche et, de plus, les Français durent faire face à la présence nippone au Tonkin à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ainsi qu’à la ligue pour l’indépendance du Viêtnam (Vietminh).

En 1945 la péninsule indochinoise passa sous contrôle japonais et, avec leur appui, Bao Dai (empereur d’Annam) dénonça les traités passés avec la France et proclama, le 11 mars, l’indépendance du Viêtnam. Quelques jours plus tard, le Cambodge et le Laos faisaient de même et le Vietminh s’affirma en tant que parti indépendant et anti-japonais.

Après Hiroshima, Hô Chi Minh consti-tua le Comité de libération du Viêtnam et déclencha, le 14 août 1945, l’insurrec-tion générale. Le Vietminh installa, le 18

Histoire

(première partie)

Carte de l’Indochine française.

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août, un gouvernement à Hanoï et, après l’abdication de Bao Dai le 25 août, Hô Chi Minh annonça, le 2 septembre, la créa-tion de la République démocratique du Viêtnam. Mais, suite à la conférence de Potsdam d’août 1945, à laquelle la France n’avait pas été conviée, l’Indochine fut sé-parée en deux zones contrôlées, au nord du 16e parallèle, par les armées nationa-listes chinoises de Tchang Kaï-Chek, et, au sud, par les troupes britanniques de lord Mountbatten, qui se retireront fin janvier 1946.

Toutefois le général de Gaulle, décidé à maintenir une présence française en Indo-chine, avait proposé une Fédération indo-chinoise dans le cadre de l’Union française et, en août 1945, il nomma l’amiral Thierry d’Argenlieu haut-commissaire pour l’Indochine avec comme « première mission de rétablir la souveraineté de la France dans les territoires de l’Union in-dochinoise ».

Or les objectifs de la reconquête étaient en inadéquation avec les réali-tés du terrain, tout comme les moyens mis en œuvre pour les atteindre. À l’ori-gine, le corps expéditionnaire français de 70 000 hommes était prévu pour libé-rer l’Indochine des Japonais, mais à son arrivée, en octobre 1945, il dut d’abord affronter le Vietminh dans un contexte international défavorable, car Américains, Chinois et Japonais souhaitaient évincer le France d’Indochine. Il faut ajouter que le pouvoir français, changeant tous les six mois, fut incapable de définir une politique claire pour juguler la force révolution-naire du Vietminh, sans parler de l’opi-nion qui était indifférente à une guerre se déroulant à 12 000 km de la métropole.

Cependant, le général Leclerc, com-mandant supérieur des troupes, déclarait en février 1946 : « La pacification de la Co-chinchine et du Sud-Annam est achevée… Mais, il y a encore des bandes rebelles. » Effectivement, la guérilla orchestrée par le Vietminh était déjà très active et Le-clerc, contre l’avis de d’Argenlieu, décida de négocier avec Hô Chi Minh par l’inter-médiaire de Jean Sainteny, commissaire de France au Tonkin.

Après des négociations difficiles, il signa avec Hô Chi Minh, le 6 mars 1946, un accord stipulant : « Le gouvernement français reconnaît la République du Viêt-nam comme un État libre ayant son gou-vernement, son parlement, son armée et ses finances, faisant partie de la Fédé-ration indochinoise et de l’Union fran-

çaise. En ce qui concerne la réunion des 3 Ky – Cochinchine, Annam, Tonkin –, le gouvernement français s’engage à en-tériner les décisions prises par la popu-lation consultée par référendum. » Le 18 mars 1946, Leclerc fit son entrée à Hanoï mais d’Argenlieu, très méfiant à l’égard d’Hô Chi Minh, réussit à convaincre Félix Gouin, chef du gouvernement socialiste, de la nécessité de rétablir l’autorité de la France en Indochine.

À son instigation, la République de Co-chinchine fut proclamée, le 1er juin 1946, « État libre », sachant que cette initiative empêcherait la réunification du pays. Le 6 juillet 1946, s’ouvrit la conférence de Fontainebleau, mais il apparut que les deux délégations avaient de nombreuses divergences. Des incidents survinrent au Tonkin et, le 20 novembre, après l’arrai-sonnement par la Marine d’une chaloupe chinoise, les milices vietminh ouvrirent le feu sur les marins français qui ripostèrent.

Après cinq jours de combats, les troupes

françaises contrôlaient Haiphong mais, à partir de mi-décembre 1946, toutes nos positions furent attaquées. Au bout de deux mois, les derniers combattants viet-minh abandonnèrent le terrain et Hô Chi Minh, très affaibli, s’enfuit d’Hanoï. Mais le conflit était désormais inéluctable.

Au cours des années 1948 et 1949, le Vietminh transforma progressivement ses opérations de guérilla en offensives armées menées par des unités régulières entraînées en Chine. L’empereur Bao Dai forma un gouvernement avec l’accord de la France qui signa, le 30 décembre 1949, les accords d’abolition du protectorat et l’indépendance du pays avec la libre cir-culation des forces de l’Union française, ainsi que l’installation de bases et de garnisons pour poursuivre la lutte contre le Vietminh.

En aidant militairement le Viêtnam naissant, une nouvelle phase militaire s’engagea car les troupes chinoises oc-cupaient la frontière nord du Tonkin et

Spitfire sur la base de Tourane en 1947.

P-63 King Cobra du Normandie-Niémen.

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Histoire

Le Piège n° 229 - Juillet 2017 Revue des anciens élèves de l’École de l’air

Ailes françaises dans la guerre d’Indochine

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le Vietminh pouvait désormais bénéfi-cier d’une aide substantielle. Le conflit s’internationalisa avec d’un côté l’URSS et la Chine communiste et, de l’autre, la France, la Grande Bretagne et les États-Unis qui accepteront, à partir de juin 1950, de nous livrer de nouveaux arme-ments. Durant les années 1950 à 1954, même si la guérilla se poursuivit au Sud Viêtnam, le Vietminh concentra ses ef-forts sur le Tonkin pour la conquête d’Ha-noï et sur le pays Thaï. Pour lui barrer la route du Laos, le général Navarre, com-mandant le Corps expéditionnaire fran-çais, décida alors d’implanter un camp dans la cuvette de Diên Biên Phu, avec l’issue que l’on connaît.

L’adaptation du dispositif aérien à la manœuvre terrestre

La Seconde Guerre mondiale avait dé-montré le rôle prépondérant de l’aviation dans tout conflit moderne, notamment avec l’acquisition de la supériorité aé-rienne. Mais à peine sortie de ce conflit la France se trouve engagée, dès décembre 1945, dans des opérations de type guérilla face à un ennemi dissimulé dans la jungle et sans réelle opposition aérienne. L’Ar-mée de l’air, en pleine mutation, devra tout d’abord remplir des missions d’appui et d’aérolargage au profit des forces ter-

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col.

Hum

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restres dans un pays hostile et sans infras-tructures routières.

L’avion était souvent l’unique moyen pour se déplacer rapidement, ravitailler des postes et secourir des hommes. Les missions s’avéreront très difficiles en rai-son de la mobilité des troupes vietminh qui faisaient régner une insécurité perma-nente en pratiquant sabotages et embus-cades. Les troupes françaises ayant subi des revers à Cao Bang, Lang Son et en différents points de la RC4, les régiments vietminh chercheront l’affrontement di-rect à partir de 1951. L’offensive du gé-néral Giap sera freinée dès l’arrivée du général de Lattre de Tassigny à la tête du Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient (CEFEO). Les batailles de Vinh Yen et Nghia Lo seront de sé-vères défaites pour le Vietminh en raison de l’appui déterminant de nos chasseurs bombardiers. Si au début du conflit les troupes d’Hô Chi Minh n’avaient pas de DCA, elles disposeront progressivement d’une défense antiaérienne efficace grâce aux livraisons chinoises.

Au déclenchement des hostilités, le 20 décembre 1946, les Spitfire intervien-dront pour défendre Hanoï et Haiphong tandis que les avions de transport assu-reront le ravitaillement des postes encer-clés, mais compte tenu de la faiblesse de

nos moyens aériens, le commandement de l’air devra en permanence optimiser son dispositif opérationnel pour répondre à la généralisation des troubles sur tout le territoire.

En avril 1947, le général Pierre Bodet, qui a remplacé le général Jacques An-drieux à la tête de l’Armée de l’air en Indochine, va créer deux groupements tactiques adaptés au commandement ter-restre. Début 1948, à la fin de l’opération Léa, il réorganise le dispositif en créant le sous-groupement tactique de Sud-Annam pour pacifier la Cochinchine et l’Annam, mais en novembre les opérations aéroter-restres reprennent au Tonkin, avec la par-ticipation des Ju-52 et des Dakota, ainsi que des Spitfire des groupes de chasse. En février 1949, suite à l’opération On-dine, il ne peut que constater que l’action de l’aviation a échappé au commandement air et, lors de son départ en mars 1950, il dresse un constat amer de la coopération interarmes en déclarant que « l’action de l’aviation a été limitée anormalement par le commandement terrestre qui en inter-dit l’action dès la mise à terre de troupes ».

Le général Hartemann, qui avait suc-cédé au général Bodet, poursuivit son ac-tion mais les violentes attaques vietminh en Annam en mars 1950, l’inciteront à créer un groupement tactique Annam puis le premier groupement aérien tac-tique. Le GATAC est alors adapté aux missions de l’Armée de terre pour per-mettre un meilleur rendement des moyens grâce à des contacts interarmes dans le cadre de l’état-major interarmées des forces terrestres (EMIFT), mais les avia-teurs se voient imposer les directives par l’Armée de terre, qui considère les forces aériennes comme une force d’appoint de-vant s’adapter aux servitudes du com-bat terrestre. Toutefois, la mise en place des GATAC se poursuivra pour aboutir à la création de trois secteurs d’opéra-tions dont celui du GATAC Nord (PC à Hanoï) adapté au commandement ter-restre de la zone d’opérations du Tonkin (ZOTPC Hanoï) et au commandement de la Marine (COMARPC Haiphong). Outre les opérations ponctuelles, les avions de transport du GATAC ont pour mission de ravitailler les quelque 900 postes recen-sés dans le Delta, de Haiphong à la fron-tière chinoise, mais dans cette zone il n’y a que trois bases pour les avions de com-

Un Spitfire sur la base de Séno au Laos.

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Le Piège n° 229 - Juillet 2017 Revue des anciens élèves de l’École de l’air 11

bat (Cat Bi près de Haiphong, Gia Lâm et Bach Mai-Hanoï) et quelques pistes de mauvaise qualité au Nord-Laos comme à Ventiane ou à Luang Prabang.

En août 1950, le général Dechaux, commandant du GATAC Nord, critique le fonctionnement de l’EMIFT en décla-rant : « De graves anomalies sont com-mises. Je constate que lors de réunions préparatoires, des ordres particuliers concernant les forces aériennes ont été remis aux responsables de l’Armée de terre sans même avoir consulté les com-mandements aériens. »

Le séjour du général Hartemann ne dura qu’un peu plus d’un an car le 28 avril 1951 il embarque de la base de Cat Bi à bord d’un B-26 Invader qui s’est sans doute crashé près de Cao Bang. Toute-fois, l’épave de l’avion n’ayant jamais été retrouvée, aucune explication des causes réelles de cette disparition ne put être formulée (panne, erreur de pilotage, sa-botage, etc.). À sa suite, le général Lionel-Max Chassin tentera vainement, en 1951, de mettre sur pied des comités d’objectifs avec la participation de représentants de l’EMIFT mais, en 1953, il se heurtera à

son tour au général Salan, nouveau com-mandant en chef du CEFEO.

Après leur départ presque simultané, le général Charles Lauzin, nouveau chef de l’Armée de l’air en Indochine, bien que disposant d’une certaine liberté d’action pour l’exécution des missions aériennes, constatera à son tour que les conceptions

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profondes des généraux de l’Armée de terre n’avaient pas beaucoup évolué et ses relations avec le général Navarre se dété-rioreront encore un peu plus à l’occasion de la bataille de Diên Biên Phu car les responsables Air et Terre se rejetteront mutuellement le poids de la défaite.

(à suivre)

BA 192 de Biên Hòa.

Mots croisés Paul Platel (1949 - de Seynes)

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I

V

III

VII

IX

II

VI

IV

VIII

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53 7 92 64 8 10 Horizontalement : : I - H 24. II - Fait le beau. III - Est publique pour l’AEA - La moitié d’une Lady. IV - On l’entend au deuxième degré - Sacrée Japonaise - Nous l’aimons tous. V - En hiver pour les républicains. VI - Ce qu’a fait Armstrong - Avec un frac peut en rapporter. VII - A pris un coup de jeune - Presque un millier de romains. VIII - La police de la police - Enregistrait. IX - Article d’importation - Marteau on enclume - Avec célérité. X - Mouve-ment de masse - F aire du bien ou rendre mauvais.

Verticalement : 1 - 7 sur 7. 2 - Au bout d’un arpion - Elle est collante. 3 - Monocolore - Celles de l’esprit sont utopiques. 4 - Mettions en rapport - Quand on est surpris. 5 - Elles ont besoin d’antennes. 6 - Prise au sein - L’ennemi de James Bond. 7 - Pour aller de Paris à Soissons - Fait monter la note. 8 - C’est la fin de tout - Changeait. 9 - Célèbre traître - Fait tout comme. 10 - On le priait pour qu’il pleuve - Double rappel.

Solutions page 64

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Le Piège n° 230 - octobre 2017 Revue des anciens élèves de l’École de l’air

Yves Riondet (68 - Bigand)

Notre camarade poursuit l’histoire des opérations aériennes pendant la guerre d’Indochine en se focalisant sur les moyens aériens mis en œuvre.

Ailes françaises dans la guerre d’Indochine (1946-1954)

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Fin1945, les premières unités aériennes sont dotées des neuf C-47 Dakota du GMEO (groupe de marche d’Ex-

trême-Orient, futur 2/1 5 « Anjou »), des seize Ju-52 Toucan du 1/34 « Béarn », de vingt-quatre Spitfire IX du 1/7 « Pro-vence » et du 2/7  « Nice », auxquels il convient d’ajouter quelques appareils divers, dont des Nakajima Ki-43 saisis aux Japonais et trois PBY Catalina de l’Aéronavale. Cette flotte aérienne représentait les 2/3 de l’avia-tion de transport, la quasi totalité de l’avia-tion de chasse à hélice et de bombardement, et toute la première partie de la guerre se fera avec ces uniques moyens aériens. Fin 1949, alors qu’une offensive du Vietminh est en préparation, l’Armée de l’air dispose de 68 chasseurs, 68 avions de transport et une vingtaine d’appareils légers. L’année 1950 sera celle du désastre de la RC4 et il faudra attendre l’arrivée de deux groupes de bom-bardement pour que le potentiel aérien soit renforcé. Au final, il apparaît que seuls les avions de transport et, à partir de 1951, les B-26, étaient bien adaptés aux conditions de ce conflit. Les avions de chasse, conçus pour le combat aérien n’ont pu donner leur pleine efficience mais il est vrai que le ministère de la Défense ne disposait pas d’autres avions à envoyer au corps expéditionnaire.

Les groupes de chasseLe personnel de la 1re escadre de chasse

arrive à Saigon en novembre 1945 mais n’a pas d’avions. Le 2/7 s’installe à Saigon

avec douze Spitfire Mk VIII prêtés par les Anglais et le 1/7 à Phnom Penh avec des avions abandonnés par les Japonais. Les deux groupes sont équipés, en mars 1946, avec un renfort de 48 Spit IX acheminés vers l’Indochine à bord d’un navire bri-tannique. Les opérations se déroulant au Tonkin le GC 1/7 s’installe à Hanoi et, fina-lement, l’escadre se scinde en détachements de deux à six appareils, répartis sur l’en-semble du territoire. Les deux GC seront remplacés par les GC 1/2 « Cigognes » et 2/2 « Alsace » au cours de l’été 1946. La 4e EC (1/4 « Dauphiné » et 2/4 « Lafayette ») arrive en opérations sans connaître le pays pour relever la 2e EC à la mi-août 1947 avec une escadrille de huit Spitfire IX du « La-

fayette » au Tonkin, six patrouilles légères (12 Spit des deux GC) en Annam et douze Spit du « Dauphiné » en Cochinchine. Les deux groupes de chasse resteront en Indo-chine jusqu’au mois d’octobre 1948 mais la relève avait été assurée par la 3e EC (1/3 « Navarre » et 2/3 « Champagne ») à partir d’août. C’est la dernière unité à utiliser le chasseur britannique Spitfire car cet inter-cepteur au modeste rayon d’action, conçu pour le combat aérien et non pour l’appui sol, bien que possédant d’indéniables qua-lités de maniabilité et une facilité de mise en œuvre, était aussi très sensible aux mau-vaises conditions climatiques.

Pour remplacer les Spit, dont beaucoup avaient été perdus par accident, le ministère

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Histoire

(deuxième partie)

Les moyens aériens

Grumman F-8F Bearcat du 1/8 Saintonge prêts à décoller.

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Le Piège n° 230 - octobre 2017 Revue des anciens élèves de l’École de l’air 11

de la Défense, avec l’aval des Américains, autorisa l’envoi de quarante-huit Kingco-bra P-63C sur le porte-avions Dixmude, qui arriva en Indochine fin juillet 1949. Les P-63 équipèrent successivement les groupes de chasse 1/3 puis 1/5 « Vendée », 2/5 « Île-de-France » et 2/6 « Normandie-Niemen ». Seul le 2/3, qui avait récupéré tous les Spitfire restants, fut relevé par le GC 1/6 « Corse », qui sera le dernier à voler sur cet appareil avant sa transformation, en décembre1950, sur Grumman F-6F Hell-cat. Le 1er janvier 1951, il ne restait plus que douze Spitfire en Indochine dont six, encore en bon état de vol, seront convoyés vers Meknès. Les Kingcobra, malgré leur effi-cacité dans l’attaque au sol avec leur canon de 37 mm, seront retirés du service en 1951 pour des problèmes d’entretien moteur et d’approvisionnement. Ils seront peu à peu remplacés par des Hellcat au sein du GC 2/6 et par des Grumman F-8F Bearcat en avril 1951 au sein du GM 3/6 « Roussillon », qui avait relevé, en août 1950, le GC 1/5. De nombreuses unités ont ensuite été équipées avec des Bearcat, version allégée et plus per-formante du Hellcat, dont l’autonomie avait été améliorée en adaptant les pylônes d’ar-mement à l’emport de réservoirs largables. Ces chasseurs très maniables pouvaient em-porter d’importantes charges de bombes, de roquettes ou de napalm, mais son moteur de 2 000 cv était fragile. Les quarante-quatre premiers exemplaires sont arrivés à Sai-gon en février 1951 à bord du porte-avions Windham Bay et la deuxième livraison (quarante-six exemplaires), fin mars, par le porte-avions Sitkoh Bay. D’autres livraisons de F-8F1 et F-8F1B (version canon) furent effectuées en 1952 et 1953, portant le total à 209 exemplaires, qui furent déstockés par le Parc de l’air n°482 de Bien Hoa en fonction des besoins des groupes de chasse présents en Indochine.

Les groupes de bombardementQuand le conflit indochinois éclate,

notre aviation de bombardement n’existe plus alors que la guerre contre le Vietminh et l’étendue du théâtre d’opérations néces-sitent l’emploi de bombardiers légers. La France les obtiendra finalement auprès des Américains, après le plaidoyer du gé-néral Hartemann, puis celui du général de Lattre. Au total 112 Dougla B-26 Invader de différentes versions porteront nos co-cardes et permettront, à terme, la consti-tution de trois groupes de bombardement (1/19 « Gascogne », 1/25 « Tunisie » et

1/91 « Bourgogne ») et d’un de reconnais-sance (ERP 2/19 « Armagnac »). Ce bom-bardier léger rapide (400 km/h) ayant un bon rayon d’action sera le plus souvent en-gagé en soutien des forces au sol, soit en vol en formation accompagné de chasseurs Bearcat, soit en vol individuel à basse alti-tude pour des missions de reconnaissance (RB-26C) ou de bombardement en semi-piqué suivi de straffing.

Dans sa version straffer, conçue pour l’attaque au sol, le B-26B pouvait disposer de seize mitrailleuses de calibre 50 (12,7 mm) dans le nez et sous les ailes et, dans sa version attaque au sol, le B-26C pou-vait emporter, outre six mitrailleuses 12,7 mm sur le fuselage, des bombes en soute et des roquettes sous les plans. Fiable, ce bombardier sera apprécié pour ses qualités de vol lors des opérations de bombarde-ment sur des objectifs terrestres (dépôts de munitions ou de vivres, états-majors ou

concentration de troupes vietminh, etc.). Le 1/19 « Gascogne » (indicatif Cinzano),

recréé en janvier 1951, fut le 1er groupe de bombardement stationné à Tourane avec un détachement permanent à Cat Bi et occasionnel à Vientiane. Il fit alors de nombreuses missions opérationnelles sur l’Annam puis, début 1954, sur le Tonkin. Le GB 1/25 « Tunisie », 2e groupe ayant par-ticipé à la campagne d’Indochine, fut tout d’abord chargé de convoyer des Dakota des-tinés au « Franche-Comté » qui arriveront mi-décembre 1951. Les équipages effec-tuèrent, depuis Cat Bi, des détachements à Tourane, Saigon et Hanoï, en attendant la livraison de leurs B-26 qui sera échelonnée au cours du mois de mars 1952. Après une rapide transformation sous le contrôle du 1/19 « Gascogne », le GB 1/25 participa à toutes les importantes opérations en cours (RC1 et RC3, Nghia Lo, Tu-Lê) puis, en 1953, il sera engagé dans toutes les batailles

P-63C Kingcobra du GC II/6 Normandie Niemen.

Armement d’un F-8 Bearcat.

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Le Piège n° 230 - octobre 2017 Revue des anciens élèves de l’École de l’air

Histoire Ailes françaises dans la guerre d’Indochine (1946-1954)

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contre le Vietminh (Hirondelle, Camargue, Mouette et surtout Castor) suite à l’implan-tation du camp de Diên Biên Phu.

En 1954, les deux groupes participeront activement à la défense du camp retranché jusqu’en mai et ils interviendront ensuite dans les opérations qui précédent l’armis-tice. Suite à la livraison, en janvier 1954, de nouveaux appareils, cinq équipages de l’Aé-ronavale après transformation viendront renforcer, début avril, les 1/19 et 1/25 à Cat Bi, alors que, le 1er juin, le GB 1/91 « Bour-gogne » renait sur la base de Tourane pour absorber le surplus de B-26 libérés à la fin de la guerre de Corée. Replié à Tourane le 1/25 sera dissous le 1er août et le 1/91 le 1er novembre. Quant au « Gascogne », il pour-

suit son entraînement jusqu’à sa dissolution effective le 1er novembre 1955.

Pendant cette campagne les groupes de bombardement seront intervenus partout avec une très forte activité à Diên Biên Phu où les B-26 Invader effectuèrent 1 130 sor-ties du 13 mars au 7 mai 1954 au cours desquelles plusieurs appareils avec leurs équipages seront perdus dans cette bataille.

La reconnaissance

Elle était effectuée soit par des Morane 500 des GAO, des Bearcat ou des B-26. L’es-cadrille de reconnaissance d’outre-mer n°80 (EROM 80), 1re unité de reconnaissance, fut d’abord installée en 1949 à Bach Mai (Hanoï) avec des NC-701 Martinet, appareils déri-

Diên Biên Phu : novembre 1952 - juin 1954

Le général Henri Navarre, commandant le CEFEO avait choisi, contre l’avis des gé-néraux Dechaux et Lauzin, d’installer une base aéroterrestre en pleine brousse à 250 kilomètres d’Hanoi dans une région contrôlée par le Viêt-Minh pour lui barrer la route du Laos. Le 30 novembre 1952 le poste est enlevé une première fois par le Vietminh et il faudra l’intervention de l’aviation pour dégager le secteur. Au-dessus de la vallée de Diên Biên Phu, le 20 novembre 1953 au cours de l’opération « Castor » les parachutistes du Bataillon Bigeard sont largués par toute la flotte de Dakota (67 avions en 2 vagues).

Par manque d’équipages, le colonel Jean-Louis Nicot, commandant l’Aviation de Transport, prendra lui même les commandes d’un C-47 ainsi que tous les membres de son état-major. Trois zones de largage ont été aménagées entre les différents points d’appui au cas où la piste deviendrait inutilisable. Le 1er janvier 1954, les services de renseignements indiquent que l’ennemi achemine depuis la Chine des moyens consi-dérables et Navarre prédit que Diên Biên Phu sera avant tout une bataille d’aviation.

De fait du 20 novembre 1953 au 7 mai 1954, les équipages de l’Armée de l’air et de l’aviation embarquée, avec le concours des compagnies aériennes civiles réquisitionnées mais aussi de pilotes américains, durent accomplir des actions à la limite de la résis-tance humaine souvent dans des conditions météorologiques médiocres et face à une DCA meurtrière. À la-mi mars 1954 la garnison de 10 000 hommes commandée par le colonel de Castries doit affronter les 70 000 soldats du général Giap qui attaquent successivement les positions françaises.

La piste, neutralisée dès les premiers jours de l’attaque par l’artillerie vietminh, obligera les Dakota et les C-119 Flying Boxcar à faire du ravitaillement d’assaut dans des conditions particulièrement difficiles tandis que chasseurs et bombardiers pilon-naient mitrailleuses et canons ennemis. Grace aux parachutages l’effectif de nos forces sera porté progressivement à 15 000 hommes mais dès la mi avril le vietminh occupe le nord de la cuvette et lance son offensive générale le 1er mai qui aboutit au cessez le feu une semaine plus tard.

Le bilan est lourd pour le CEFEO car, outre les 1 700 morts, 10 300 sont faits prison-niers dont 4 400 blessés et seuls 3 300 retrouveront la liberté car nombre d’entre eux sont morts faute de soins ou d’épuisement. Les pertes ennemies sont d’environ 8 000 hommes et 15 000 blessés.

Les aviateurs jouèrent ensuite un rôle important pour la récupération des blessés et des évadés après les combats entre mai et juin 1954 mais il est clair que sans l’interven-tion de l’aviation le camp retranché serait tombé depuis longtemps. Le 21 juillet 1954 les accords de Genève mettent fin à la guerre d’Indochine.

vés des Siebel allemands. Ces bimoteurs peu performants furent employés pour diverses missions : transport, observation, recon-naissance, évacuation sanitaire et, au besoin, appui feu avec des mitrailleuses de 7,5 mm, puis reversés aux ELA quand arrivèrent les Bearcat, en mai 1951, et les RB-26C. Le Bearcat de reconnaissance, avion puis-sant, très maniable, était la version chasse à laquelle ont avait ajouté un bidon ventral équipé de trois caméras (verticale, oblique gauche, nasale) qui exigeaient une parfaite stabilité par obtenir des photos exploitables. L’EROM 80 disposait ainsi d’une douzaine de RF-8F et, lors de leurs missions, les équi-pages de Bearcat étaient en contact radio avec le GATAC Nord à Hanoï, où il y avait un officier photo de l’unité.

L’escadrille de reconnaissance photo 2/19 basée à Tourane était, quant à elle, dotée de cinq RB-26 C entretenus par le GB 1/19 et, à partir d’octobre 1953, de deux Bearcat entretenus par le GC 1/21. Cette deuxième unité de reconnaissance dispo-sant de cinq pilotes polyvalents, était sou-vent en détachement et elle fournissait en outre un officier photo au GATAC Centre (Hué). À noter que le RB-26C aménagé en version reconnaissance n’emportait pas de bombe ni de mitrailleuse 12,7 mm dans la tourelle arrière et les ailes, mais un réser-voir de convoyage installé dans la soute et des caméras réparties entre le nez vitré et le poste du radionavigant à l’arrière. La plu-part des missions consistaient en des map-pings de zone ou des strips à basse altitude, ainsi que des reconnaissances à vue au profit des troupes terrestres, dans le cadre d’un soutien aérien planifié ou sur demande en cas d’urgence. Quand un poste, attaqué de nuit, était dans une situation critique, il de-mandait une mission « luciole » (largage à haute altitude et à la verticale d’une bombe éclairante) suivie d’un straffing.

Les escadrons de transport À la fin de septembre 1945, l’« Anjou »

débuta, avec ses C-47, les liaisons vers l’Afrique et l’Indochine, où il fut basé à Tan Son Nhut, près de Saigon. À partir de dé-cembre 1946, le groupe de marche d’Ex-trême-Orient, doté d’une vingtaine de C-47 et d’autant de Ju-52 Toucan, sera alors mis à contribution pour effectuer diverses mis-sions transport dans un environnement dif-ficile. La destruction des réseaux vietminh (opération Léa) nécessitera la mise sur pied, fin octobre 1947, du groupe de transport

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Le Piège n° 230 -octobre 2017Revue des anciens élèves de l’École de l’air 13

DR3/64 « Tonkin » à Bach Mai. Même si les

Toucan avaient remarquablement complété le dispositif transport durant les premières années de la guerre, à partir de 1950 seuls les Dakota, opéreront sur le terrain et la li-vraison par les États-Unis, en 1953, d’une cinquantaine d’appareils permettra de for-mer alors quatre groupes de transport in-dispensables lors des grandes opérations aéroportées.

De 1948 à 1952, les GT 1/64 « Béarn », 2/64 « Anjou » et 2/62 « Franche-Comté » (Hanoï-Bach Mai) ont une activité intense qui s’achèvera avec la mise en place d’un pont aérien dans l’Est du Laos, au profit d’une gar-nison de 12 000 hommes à Nasan, qu’il faudra ravitailler chaque jour jusqu’à son évacuation, en juillet 1953.

De novembre 1953 au 7 mai 1954 la ma-jorité des appareils du GMMTA, y compris ceux du GT 2/63 « Sénégal », créé le 1er no-vembre 1953, et les Fairchild C-119 Flying Boxcar prêtés par les Américains, largueront 22 500 tonnes de matériel ainsi que des mil-liers de parachutistes. Ils évacueront aussi un nombre important de blessés sous le feu en-nemi mais, le 28 mars, le dernier C-47 sani-taire posé à Diên Biên Phu sera endommagé et ne pourra redécoller avec son chargement de blessés. Geneviève de Galard, convoyeuse infirmière, restera la seule femme du camp. Le 31 mars 1954, le Vietminh contrôlera la piste et, dès lors, plus aucune évacuation ne pourra être réalisée.

Les hélicoptères participeront également à de nombreuses Evasan dans des condi-tions éprouvantes. Les premiers Nord 2501 seront envoyés en Indochine en juin 1954 pour renforcer les Dakota dans leur mis-sion d’évacuation des Vietnamiens fuyant le régime communiste. Les GT quittent l’Indochine en juin 1955 pour retrouver la métropole et l’Algérie, nouveau théâtre d’opérations pour lequel l’expérience ac-quise sera précieuse. Avec 103 avions tou-chés par la DCA et neuf abattus, les groupes de transport auront payé un lourd tribut en Indochine au cours des diverses missions « luciole », d’aérotransport ou de largage de vivres et de munitions.

Les infrastructures de l’Armée de l’air

Compte tenu du contexte opérationnel, l’Ar-mée de l’air, pour faire face aux multiples de-mandes de soutien de l’Armée de terre, aurait eu besoin d’avoir de bonnes infrastructures au sol, mais les installations de la plupart des aé-

cloua une bonne partie de la flotte au sol, à tel point que, parfois, les escadrilles ne possédaient aucun Spitfire en état de vol et que l’activité des Dakota devait être ralen-tie pour économiser le potentiel. De plus, la plupart des appareils en service venant des États-Unis, il fallut faire appel aux MAAG (Military Agency Advisory Group) pour obtenir des rechanges, mais souvent en vain.

En juin 195,1 le général Hartemann adressa au ministère de la Défense un rap-port car la cinquantaine de P-63 en service arrivaient à bout de potentiel, il n’y avait que huit moteurs de rechange en Indochine et l’approvisionnement en obus de 37 mm fai-sait défaut. Les Dakota durent aller, quant à eux, jusqu’à Singapour pour se faire révi-ser dans des ateliers britanniques. De plus le principal parc de révision aéronautique se trouvait sur la base de Bach Mai, mais il ne pouvait accepter qu’un avion à la fois alors que six appareils étaient en perma-nence en attente de révision. En 1952, le général Chassin, commandant l’Armée de l’air en Indochine, se plaindra des retards de livraisons de pièces pour les bombar-diers B-26 car les officiers du MAAG pri-vilégiaient leurs B-26 servant à la même époque en Corée.

L’aviation a cependant effectué des di-zaines de milliers d’heures de vol au service du corps expéditionnaire avec un matériel inadapté et un personnel peu nombreux mais motivé. En prenant en compte tous ces facteurs, on ne peut que rendre hom-mage à l’action des mécaniciens qui ont fait preuve de courage pour maintenir les appa-reils en état de vol, même si la disponibilité est restée faible.

(à suivre)

rodromes étaient rudimentaires : peu de pistes bétonnées, quelques-unes avec des plaques métalliques, et la plupart en terre battue ; bali-sage des pistes de nuit rare. Durant la saison des pluies, certains aérodromes étaient plus ou moins inondés et si les grandes bases de Tan Son Nhut (Saigon) et de Tourane étaient praticables presque toute l’année, d’autres, comme Gia Lam ou Nha Trang, ne pouvaient recevoir en période de pluie que de petits appareils. Certaines pistes, comme celles de Seno, Paksé et Xieng Khouang au Laos, étaient fermées de mai à octobre et dans le delta du fleuve Rouge, il n’existait que trois bases pour les avions de combat : Cat-Bi près d’Haiphong ; Gia Lam (réservée à l’avia-tion de chasse) et Bach Mai à Hanoï pour les groupes de transport. En 1952 il n’y avait que six bases aériennes en Indochine à comparer aux 168 bases aériennes et aéronavales américaines au Viêtnam en 1968. Sur la base de Tourane il y aura, en 1953-54, jusqu’à deux escadrons de bombardement, un groupe de liaison et des uni-tés de l’Aéronavale en surveillance le long des côtes de la péninsule indochinoise. De plus, les installations de radioguidage ou radar étaient peu nombreuses, aussi la plupart des sorties aé-riennes devaient s’effectuer de jour et, pour indi-quer les objectifs aux pilotes, on tirait des obus fumigènes ou bien des panneaux de tissu blanc étaient placés au sol.

La logistiqueAu début du conflit, l’aviation française

était exsangue et les appareils utilisés en In-dochine étant de fabrication étrangère, les unités ne disposaient pas de rechanges et étaient confrontées à des problèmes d’ap-provisionnement en pièces détachées et en munitions. La logistique fut aussi défaillante par manque d’ateliers de réparation, ce qui

Embarquement de paras à bord d’un AAC.1 Toucan (Ju-52).

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Le Piège n° 231 - janvier 2018 Revue des anciens élèves de l’École de l’air

Yves Riondet (68 - Bigand)

Notre camarade termine la saga des opérations aériennes pendant la guerre d’Indochine en se focalisant sur celles me-nées par l’aviation de l’Armée de terre et de l’Aéronautique navale.

Ailes françaises dans la guerre d’Indochine (1946-1954)

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Les GAOA (groupe aérien d’observation d’artillerie)

Au cours de l’été 1945, l’état-major avait décidé que l’artillerie du corps ex-péditionnaire serait dotée d’une aviation légère issue des éléments de la 9e division d’infanterie coloniale pour fournir à l’ar-tillerie des observations pour le réglage des tirs et assurer les liaisons aéroter-restres. Les GAOA participeront aussi à la recherche de renseignements sur l’ennemi et au guidage de patrouilles aé-riennes ou des troupes vers les DZ. Cette unité mixte, comprenant du personnel de l’Armée de l’air (pilotes et mécaniciens) et de l’artillerie (observateurs et services généraux), était constituée d’appareils fournis et entretenus par l’Armée de l’air.

Le 1er GAOA équipé de Morane 500 Criquet arriva au Tonkin en février 1946, le 2e GAOA débarqua en Cochinchine en mars 1946 avec des appareils à bout de souffle et le 3e GAOA fut créé en mai 1947 à Haiphong. Après restructuration, le commandant en chef en Indochine dé-cida, en 1950, que les 3 GAOA [21e(Cat Bi), 22e (Tan Son Nhut) et 23e GAOA (Gia Lâm)] seraient rattachés pour emploi aux groupements aériens tactiques (GATAC) et actionnés dans le cadre de l’appui aérien tout en restant des unités d’artillerie, ce qui sera un motif de discorde car le géné-ral Bodet souhaitait les faire passer sous tutelle de l’Armée de l’air pour centraliser le renseignement.

Le décret du 3 mars 1952, créant offi-

ciellement l’aviation légère d’observation d’artillerie (ALOA), entraîna, dès février 1953, l’arrivée à Saigon des premiers pi-lotes de l’Armée de terre avec un contin-gent de mécaniciens. Dès lors, la relève se poursuivra et, le 1er août, le détachement aérien d’observation d’artillerie devien-dra le 24e GAOA. Le 1er janvier 1954, les GAOA feront partie intégrante de l’Ar-mée de terre et la relève des Morane dé-butera en mars avec l’arrivée des Cessna L-19A. Après le cessez-le-feu les forma-tions seront rapatriées vers la métropole ou l’Afrique du Nord à partir d’août 1954.

Aéronautique navaleLa contribution apportée par l’Aéro-

nautique navale durant cette guerre dé-

Histoire

(troisième et dernière partie)

Les PBY Catalina de la 8F effectuèrent aussi des missions d’appui feu.Grumman F-6F Hellcat de la 11F au roulage sur le pont de l’Arromanche.

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buta par l’arrivée, en octobre 1945, sur l’aérodrome de Saigon-Tan Son Nhut de quatre hydravions Catalina de la flottille 8FE, qui symbolisent sa réimplantation en Indochine. La flottille, devenue 8F le 1er janvier 1946, verra le remplacement de ses Catalina en janvier 1951 par des Privateer qui seront utilisés pour la sur-veillance maritime et pour des missions de bombardement. Au cours du 1er trimestre 1953 quatre de ses Privateer basés à Cat Bi seront mis pour emploi au profit du GATAC Nord, deux seront détachés à Tourane et les autres resteront station-nés à Tan Son Nhut. D’octobre 1953 à fin mars 1954 les Privateer de la 28F (nou-velle appellation de la 8F depuis juin) seront détachés à Haiphong, Tourane, ou Nhatrang. Des Morane 500 destinés à l’observation seront aussi affectés à la flottille de juin 1953 à août 1954.

L’escadrille 8S fut, quant à elle, créée sur l’hydrobase de Cat Lai en décembre 1945 et armée tout d’abord avec des hy-dravions de récupération (quatre Aichi

japonais et un Loire 130). À partir d’août 1947, elle abandonnera ses hydravions vétustes pour se doter de Sea Otter d’oc-casion achetés aux Britanniques et de quelques Catalina de la 8F. Ces appareils seront retirés du service en février 1952 et remplacés par des Grumman-Goose qui effectueront des missions d’appui rapproché au profit des forces terrestres. Des Morane 500 lui seront également af-fectés pour des missions d’observation. À noter que la 8F et la 8S formaient le grou-pement d’aéronautique navale Indochine qui sera dissous fin 1952.

L’escadrille 9S fut créée en octobre 1950 à Cat Lai et, avec ses Sea Otter, elle effectuera, au cours de l’année 1951, des missions d’éclairage et des opérations combinées mais l’usure de ses appareils entraînera sa dissolution fin mars 1952.

Côté aviation embarquée, dès mars 1947, la flottille 3F, transportée à bord du Dixmude, participa avec ses Daunt-less à une brève campagne le long des côtes d’Annam et du Tonkin. Par la suite,

le porte-avions Arromanches prendra la relève avec la 4F d’octobre 1948 à février 1949, puis, en septembre 1951, avec la flottille 1F dotée de F6F-5 Hellcat et la 3F de SB2C Helldiver. Ayant appareillé à Toulon fin août 1952, il arrivera à Sai-gon fin septembre avec la 9F équipée de SB2C Helldiver et la 12F de Grumman F6F Hellcat qui effectueront des mis-sions de bombardement, principalement en Annam. Au cours du 1er semestre 1952 les flottilles opéreront successivement au Tonkin, en Cochinchine puis en Annam et, en février 1953, basées à Cat Bi, elles rempliront des missions en collabora-tion avec l’Armée de l’air jusqu’en juin. L’Arromanches revint pour une 3e cam-pagne en octobre 1953 avec la 11F qui sera basée à Haiphong Cat Bi et la 3F à Hanoi-Bach Mai. À l’issue de sa 4e cam-pagne il quittera les eaux indochinoises le 20 août 1954.

Les porte-avions La Fayette et Bois Belleau, prêtés par les Américains, ren-forcèrent le dispositif aéronaval à partir de 1953. Le 1er arriva en Indochine en mai 1954 avec la flottille 12F chargée de relever la 14F équipée de Corsair et le se-cond livra divers appareils destinés aux flottilles et à l’Armée de l’air.

ConclusionAprès la Seconde Guerre mondiale les

questions doctrinales et des considéra-tions budgétaires ont empêché l’Armée de l’air d’occuper toute sa place dans la lutte contre le Vietminh. Parent pauvre du CEFEO en Indochine, l’aviation a joué cependant un rôle tout à fait dé-terminant dans les diverses opérations tout au long de cette guerre en accom-plissant, avec des appareils vétustes et en nombre très insuffisant, toute la pa-lette des missions en soutien des forces terrestres : bombardement stratégique, support des opérations au sol, rensei-gnement, largages de parachutistes et de ravitaillement. Les machines et les hommes s’usèrent loin d’un comman-dement toujours réticent à renforcer les forces aériennes en Indochine, ce qui n’empêcha pas certains responsables de l’Armée de terre, à l’issue du conflit, de juger sévèrement l’action de l’Armée de l’air sans prendre en compte les condi-tions particulièrement difficiles dans les-quelles elle évoluait quotidiennement.

Le règlement du conflit indochinois au-rait pu laisser espérer aux responsables de l’Armée de l’air qu’ils pourraient réorga-niser et réarmer nos forces aériennes pour répondre aux critères de l’OTAN, mais le déclenchement de la guerre d’Algérie en décida autrement.

Atterrissage d’un Hellcat sur l’Arromanche en baie d’Haïphong.

Morane 500 Criquet utilisé pour les missions de reconnaissance.