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Du soleil aux étoiles C’est en 1908 que George Hale, de l’Observatoire du Mont Wilson aux Etats-Unis, découvre la présence d’un champ magnétique sur le Soleil, à l’intérieur des taches sombres qui maculent sa surface. C’est la première fois qu’on détecte un champ magnétique sur une étoile. Pour obtenir ce résultat, il utilise l’effet du champ magnétique (effet Zeeman) sur le rayonnement d’une source lumineuse, découvert et documenté 12 ans plus tôt par le prix Nobel Pieter Zeeman. Depuis cette première, nos connaissances sur le champ magnétique du Soleil ont considérablement progressé. On sait maintenant par exemple que ce champ ressemble, comme celui de la Terre, à un dipôle et que c’est lui qui orchestre tous les phénomènes d’activité observés sur le Soleil – notamment la délicate couronne révélée lors des éclipses totales ainsi que les éruptions explosives qui se produisent souvent dans son atmosphère. Il est même probable que l’activité solaire puisse agir sur la Terre en modifiant le climat; on pense en effet que la période de froid intense qui s’est installée sur l’Europe au 17 ème siècle, le « Petit Age Glaciaire », a été causée par une baisse notable de l’activité du Soleil. Malgré tout, on comprend encore bien mal les processus physiques, baptisés dynamos, qui produisent le champ magnétique du Soleil. Observer d’autres étoiles que le Soleil à la manière d’un docteur qui ausculte plusieurs patients pour mieux décrypter le mécanisme d’une maladie, peut se révéler très instructif. C’est dans ce but qu’une méthode similaire à celle employée par George Hale pour le Soleil, la spectropolarimétrie, est progressivement mise au point pour explorer le champ magnétique d’autres étoiles. Si le principe utilisé pour les mesures n’a pas été modifié, les techniques de détection, la sensibilité des instruments, la précision des données et les outils d’analyse ont énormément évolué depuis un siècle. Grâce à ces progrès, on a appris qu’à l’instar du Soleil, la plupart des étoiles peu massives possèdent un champ magnétique; on observe également que les étoiles plus massives, abritent un champ magnétique d’une nature différente, sans doute un « fossile » datant de l'époque à laquelle l'étoile s'est formée; on suppute enfin que le champ magnétique assiste et contrôle la naissance des étoiles et des planètes Polarimétrie et imagerie médicale appliquées à l’astronomie Le champ magnétique des étoiles n’est pas chose facile à détecter. On le mesure en général en examinant les modifications subtiles qu’il induit dans le spectre des étoiles, et notamment dans les raies causées par l’absorption plus ou moins forte du rayonnement en provenance des régions centrales de l’étoile par les espèces chimiques à l’état atomique présentes à la surface. Quand un champ magnétique est présent dans l’atmosphère de l’étoile, chaque raie spectrale se scinde en multiples composantes; de plus, les composantes ainsi produites sont polarisées, c’est à dire que la lumière émise ou absorbée dans cette raie possède des propriétés vibratoires spécifiques. Cette polarisation peut être linéaire ou circulaire, suivant notamment l’orientation du champ magnétique par rapport à l’observateur. Dans la majorité des cas, le champ magnétique n’est pas assez intense pour produire un clivage complet des raies spectrales, qui sont alors simplement élargies. La polarisation des composantes reste en revanche bien visible et permet d’estimer de manière fiable l’intensité et la direction moyenne du champ magnétique d’une étoile. Aimants cosmiques : le magnétisme des étoiles Jean-François Donati CNRS / Université de Toulouse / Observatoire Midi-Pyrénées / Laboratoire dʼAstrophysique, Toulouse Le champ magnétique joue un rôle décisif à presque toutes les phases de la vie des étoiles – lors de l'effondrement des nuages moléculaires qui les font naître, pendant leur adolescence et leur maturité où leur rotation s’amenuise, jusqu'au moment où elles rejoignent le cimetière cosmique sous la forme de naines blanches ou d’étoiles à neutrons. De nouveaux instruments, les spectropolarimètres ESPaDOnS et NARVAL, ont été récemment développés en France; installés aux télescopes Canada-France-Hawai’i (Hawai’i, USA) et Bernard Lyot (Pic du Midi, France), ESPaDOnS et NARVAL sont spécifiquement optimisés pour étudier le champ magnétique des étoiles. A terme, il s’agit de mieux comprendre d’où vient le champ magnétique des étoiles et comment il influence les mécanismes de formation et d’évolution stellaire.

Aimants cosmiques : le magnétisme des étoiles · instrument jumeaux conçus et développés à l’Observatoire Midi-Pyrénées, qui permettent de mesurer la totalité du spectre

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Page 1: Aimants cosmiques : le magnétisme des étoiles · instrument jumeaux conçus et développés à l’Observatoire Midi-Pyrénées, qui permettent de mesurer la totalité du spectre

Du soleil aux étoiles

C’est en 1908 que George Hale, de l’Observatoire du Mont Wilson aux Etats-Unis, découvre la présence d’un champ magnétique sur le Soleil, à l’intérieur des taches sombres qui maculent sa surface. C’est la première fois qu’on détecte un champ magnétique sur une étoile. Pour obtenir ce résultat, il utilise l’effet du champ magnétique (effet Zeeman) sur le rayonnement d’une source lumineuse, découvert et documenté 12 ans plus tôt par le prix Nobel Pieter Zeeman. Depuis cette première, nos connaissances sur le champ magnétique du Soleil ont considérablement progressé. On sait maintenant par exemple que ce champ ressemble, comme celui de la Terre, à un dipôle et que c’est lui qui orchestre tous les phénomènes d’activité observés sur le Soleil – notamment la délicate couronne révélée lors des éclipses totales ainsi que les éruptions explosives qui se produisent souvent dans son atmosphère. Il est même probable que l’activité solaire puisse agir sur la Terre en modifiant le climat; on pense en effet que la période de froid intense qui s’est installée sur l’Europe au 17ème siècle, le « Petit Age Glaciaire », a été causée par une baisse notable de l’activité du Soleil. Malgré tout, on comprend encore bien mal les processus physiques, baptisés dynamos, qui produisent le champ magnétique du Soleil. Observer d’autres étoiles que le Soleil à la manière d’un docteur qui ausculte plusieurs patients pour mieux décrypter le mécanisme d’une maladie, peut se révéler très instructif. C’est dans ce but qu’une méthode similaire à celle employée par George Hale pour le Soleil, la spectropolarimétrie, est progressivement mise au point pour explorer le champ magnétique d’autres étoiles. Si le principe utilisé pour les mesures n’a pas été modifié, les techniques de détection, la sensibilité des

instruments, la précision des données et les outils d’analyse ont énormément évolué depuis un siècle. Grâce à ces progrès, on a appris qu’à l’instar du Soleil, la plupart des étoiles peu massives possèdent un champ magnétique; on observe également que les étoiles plus massives, abritent un champ magnétique d’une nature différente, sans doute un «  fossile  » datant de l'époque à laquelle l'étoile s'est formée; on suppute enfin que le champ magnétique assiste et contrôle la naissance des étoiles et des planètes

Polarimétrie et imagerie médicale appliquées à l’astronomie

Le champ magnétique des étoiles n’est pas chose facile à détecter. On le mesure en général en examinant les modifications subtiles qu’il induit dans le spectre des étoiles, et notamment dans les raies causées par l’absorption plus ou moins forte du rayonnement en provenance des régions centrales de l’étoile par les espèces chimiques à l’état atomique présentes à la surface. Quand un champ magnétique est présent dans l’atmosphère de l’étoile, chaque raie spectrale se scinde en multiples composantes; de plus, les composantes ainsi produites sont polarisées, c’est à dire que la lumière émise ou absorbée dans cette raie possède des propriétés vibratoires spécifiques. Cette polarisation peut être linéaire ou circulaire, suivant notamment l’orientation du champ magnétique par rapport à l’observateur. Dans la majorité des cas, le champ magnétique n’est pas assez intense pour produire un clivage complet des raies spectrales, qui sont alors simplement élargies. La polarisation des composantes reste en revanche bien visible et permet d’estimer de manière fiable l’intensité et la direction moyenne du champ magnétique d’une étoile.

Aimants cosmiques : le magnétisme des étoilesJean-François Donati

CNRS / Université de Toulouse / Observatoire Midi-Pyrénées / Laboratoire dʼAstrophysique, Toulouse

Le champ magnétique joue un rôle décisif à presque toutes les phases de la vie des étoiles – lors de l'effondrement des nuages moléculaires qui les font naître, pendant leur adolescence et leur maturité où leur rotation s’amenuise, jusqu'au moment où elles rejoignent le cimetière cosmique sous la forme de naines blanches ou d’étoiles à neutrons. De nouveaux instruments, les spectropolarimètres ESPaDOnS et NARVAL, ont été récemment développés en France; installés aux télescopes Canada-France-Hawai’i (Hawai’i, USA) et Bernard Lyot (Pic du Midi, France), ESPaDOnS et NARVAL sont spécifiquement optimisés pour étudier le champ magnétique des étoiles. A terme, il s’agit de mieux comprendre d’où vient le champ magnétique des étoiles et comment il influence les mécanismes de formation et d’évolution stellaire.

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Les instruments développés pour réaliser ces mesures doivent donc à la fois mesurer le spectre de la lumière d’une étoile ainsi que sa polarisation – on les appelle des spectropolarimètres. Les deux plus modernes d’entre eux, ESPaDOnS et NARVAL, sont des instrument jumeaux conçus et développés à l’Observatoire Midi-Pyrénées, qui permettent de mesurer la totalité du spectre visible et proche-infrarouge d’une étoile (de 370 à 1000 nm) en une seule pose dans l’état de polarisation choisi. Ils sont respectivement installés au Télescope Canada-France-Hawai’i (au Mauna Kea à Hawai’i, un des meilleurs sites astronomiques au monde, Fig 1) et au Télescope Bernard Lyot du Pic du Midi. Leur efficacité hors du commun leur permet d’observer des classes d’étoiles non encore accessibles par les prototypes plus anciens. Ils scrutent souvent le ciel en tandem, afin de suivre en continu les évolutions temporelles des étoiles à travers leurs spectres. Si le Soleil est assez proche pour qu’on puisse distinguer des détails à sa surface, les étoiles, dans leur très grande majorité, n’apparaissent à l’observateur que sous la forme d’un point lumineux – même les outils et techniques d’imagerie les plus sophistiquées, comme l’interférométrie, ne parviennent pas à obtenir mieux qu’une mesure du diamètre ou de l’aplatissement pour les plus grosses d’entre elles. Pour dépasser cette limitation, on utilise la rotation des étoiles – plus précisément, il s’agit d’observer, dans le spectre de la lumière intégrée sur l’hémisphère visible d’une étoile et aussi continûment que possible sur une rotation complète, le défilement des différentes régions magnétiques couvrant la surface. Si la période de rotation est d’environ 28 jours pour le Soleil, elle peut être beaucoup plus courte pour certaines étoiles (seulement quelques heures pour les plus rapides), mais aussi beaucoup plus longue pour d’autres (plusieurs centaines de jours pour les plus lentes). Avec l’aide de techniques d’imagerie similaires à celles employées en médecine pour cartographier (par tomographie) l’intérieur du corps humain, il est possible d’arriver à reconstruire, à partir de telles observations, l’organisation complexe du champ magnétique d’une étoile. Cette méthode permet d’identifier la position des régions magnétiques à la surface de l’étoile, d’après

le temps pendant lequel les signatures polarisées associées restent visibles pour l’observateur. Pour les étoiles qui tournent rapidement, la position des régions magnétiques est aussi contrainte par le déplacement, à travers le profil des raies spectrales, des signatures qu’elles engendrent; ces signatures sont en effet successivement bleuies puis rougies (par effet Doppler) quand la région magnétique s’approche puis s’éloigne de l’observateur avec la rotation de l’étoile. De la sensibilité des signatures polarisées à l’orientation du champ magnétique, il est même possible de déduire la manière dont ce champ émerge de (ou plonge dans) la surface de l’étoile. En couplant toutes ces informations, il est enfin possible de retrouver la topologie à grande échelle du champ magnétique de l’étoile.

Les étoiles peu massives: convection, rotation, dynamo & activité

C’est dans les éclipses totales que le Soleil révèle sa nature magnétique et dévoile sa couronne. Cette structure, composée d’un gaz ténu chauffé à plusieurs MK, visualise les lignes de champ magnétique émergeant du Soleil. Par endroits, la couronne est bien ancrée à la surface par des arches magnétiques; en d’autres points en revanche, les lignes de champ sont ouvertes et le gaz coronal

Figure 1: Le spectropolarimètre ESPaDOnS inclut deux modules, un polarimètre installé au foyer du télescope (en haut a droite) et relié par fibre optique à un spectrographe monté dans une enceinte thermique (en haut à gauche). Equipé d’un miroir de diamètre 3.6m, le télescope Canada-France-Hawai’i est situé au sommet du volcan Mauna Kea sur la grande île de l’archipel d’Hawai’i, un des meilleurs sites astronomiques au monde (© JF Donati & CFHT)

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s’échappe librement vers l’espace interstellaire à des vitesses supersoniques – c’est le vent solaire. Si la nature magnétique de cette couronne (ainsi que des taches, des éruptions et de toutes les manifestations d’activité que le Soleil exhibe) a longtemps été soupçonnée, c’est Hale qui le prouve en premier puis qui montre que ce champ, complexe à la surface (Fig 2), inclut également une composante simple de type dipolaire. Depuis, les études ont montré que cette composante globale, relativement faible (quelques 0.1   mT seulement, soit environ 1000 fois plus faible que le champ mesuré à l’intérieur d’une tache), bascule et change de polarité tous les 11 ans environ – c’est le cycle d’activité, qui modifie également, avec la même régularité, le flux que la Terre reçoit en provenance du Soleil. A travers le vent, le champ magnétique va également provoquer une hémorragie de moment cinétique, cause probable de la très lente rotation du Soleil et de la grande majorité des étoiles froides sur eux-mêmes. Tous les théoriciens s’accordent aujourd’hui à dire que le champ du Soleil est produit par effet dynamo, c’est à dire par l’effet combiné de la rotation et de la convection dans les couches externes. Dans ce schéma, le cycle magnétique du Soleil procède de la manière suivante: la rotation différentielle enroule le champ autour de l’étoile et l’amplifie, transformant progressivement le faible champ poloïdal initial en un champ toroïdal très

intense; la convection (rendue cyclonique par la rotation) et la circulation méridienne régénèrent ensuite le champ poloïdal à partir du champ toroïdal devenu instable (Fig 3). Si la description physique de ce mécanisme est encore peu précise, il semble en tous cas acquis que l’essentiel des processus dynamo se concentrent à la base de l’enveloppe convective du Soleil (située environ à 30% du rayon sous la surface); c’est en effet dans cette zone que les gradients radiaux de rotation (mesurés à partir des pulsations du Soleil, très sensibles à la rotation interne) sont les plus intenses.

Les étoiles peu massives (de 0.1 à 1.5 masses solaires) sont très nombreuses dans l’Univers; parmi celles-ci, les naines rouges (de 10% à 40% de la masse du Soleil) sont de très loin les plus courantes et représentent environ 80% de la population de la voie Lactée. Mais en plus d’appartenir à l’espèce stellaire la plus commune, ces étoiles possèdent une particularité très intéressante pour des études sur le magnétisme du Soleil et des étoiles de faible masse. En effet, ces étoiles sont si petites et si froides en surface (moins de 3500  K, contre 5800  K pour le Soleil) qu’elles sont entièrement convectives et qu’elles ne possèdent donc pas, à la différence du Soleil, de fine couche d’interface avec un coeur interne où l’énergie est évacuée par rayonnement. Pour cette raison, les

Figure 2: Boucles magnétiques à la surface du Soleil, telles que vues par le satellite TRACE. Cette image illustre la complexité du champ magnétique près de la surface (© TRACE/NASA)

(a) (b) (c)

(d) (e) (f)

surfaceinterface

Figure 3: Cycle magnétique du Soleil, d’après les théoriciens de la dynamo. La rotation différentielle transforme le champ poloïdal initial en un champ toroïdal intense (a, b), qui émerge sous la poussée d’Archimède (c) et régénère un champ poloïdal de polarité opposée sous l’effet de la convection cyclonique et de la circulation méridienne (d, e, f) (© M Dikpati, HAO/NCAR)

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théoriciens prédisent que la dynamo de ces étoiles doit être très différente de celle du Soleil; en particulier, les premières simulations numériques suggèrent qu’elles sont incapables d’engendrer un champ poloïdal simple et aligné avec l’axe de rotation de l’étoile. Si le magnétisme et l’activité de ces naines rouges étaient connus depuis longtemps, la topologie du champ en revanche n’avait encore jamais pu être observée en détail. Grâce à ESPaDOnS et NARVAL, il a été possible de cartographier le champ à la surface de différentes naines rouges de différentes masses et taux de rotation. Comme prévu, un changement notable intervient dans la configuration magnétique dès que l’étoile devient entièrement convective. Mais les observations indiquent que les naines rouges parviennent sans peine à produire un champ magnétique très simple et à peu près aligné avec l’axe de rotation de l’étoile, au moins pour les plus actives d’entres elles (celles dont la période de rotation est inférieure à une semaine environ); le dipôle magnétique engendré par les naines rouges est même près de 1000 fois plus intense que le champ magnétique global du Soleil! Cette conclusion bat en brèche les spéculations théoriques récentes (qui prévoient un champ non-axisymmétrique) et suggère qu’on est encore bien loin de comprendre le mécanisme dynamo des étoiles froides en général, et du Soleil en particulier

Les étoiles massives: champs fossiles, anomalies chimiques & vents confinés

Le Soleil, malgré ses éruptions, est une étoile plutôt calme. En comparaison, les étoiles beaucoup plus massives vivent intensément et meurent très jeunes; elles sont si grosses et chaudes qu'elles rayonnent à elles seules plusieurs millions de fois l'énergie lumineuse du Soleil. Elles parviennent même à expulser, à une vitesse qui peut atteindre 1% de la vitesse de la lumière, les couches externes de leur atmosphère sous la seule pression de la lumière qu'elles rayonnent (Fig 4). Ce vent joue un rôle déterminant sur l'avenir de l'étoile; de plus, la matière ainsi expulsée peut interagir avec d'autres étoiles proches, mais aussi alimenter le milieu interstellaire en matière et en énergie, ou encore provoquer l'effondrement de nuages

interstellaires voisins et induire de nouvelles poussées de formation stellaire. A ce titre, les étoiles très massives, bien que très rares (une pour mille Soleils) sont des acteurs majeurs dans la vie d'une galaxie. Seule une faible fraction des étoiles massives sont magnétiques. Contrairement au Soleil, ce champ serait une empreinte fossile datant de l’époque à laquelle l’étoile s’est formée, une sorte d’empreinte primordiale que le milieu interstellaire local donne à l’étoile nouvellement née. En effet, quand l’étoile se forme suite à l’effondrement d’un nuage interstellaire, le nuage emporte dans sa chute une parcelle du champ magnétique galactique qu’il amplifie lors de sa contraction en étoile. Pourtant, si toutes les jeunes étoiles possèdent à l’origine une telle empreinte magnétique (plus ou moins marquée), seules les étoiles massives parviennent à la conserver; la convection opérant dans l’enveloppe externe des étoiles froides efface rapidement cette empreinte, dont on ne peut alors plus déceler la trace. Sur les étoiles de masse intermédiaire (2 à 10 masses solaires), on parvient à identifier ce «  fossile magnétique  » sur environ 5% à 10% d’entre elles; il est possible que ce soient celles nées d’un nuage interstellaire dont le champ magnétique était supérieur à la moyenne. Ces étoiles magnétiques montrent souvent des particularités dont le champ magnétique est la cause probable. Ainsi, les étoiles magnétiques de masse moyenne surabondent toutes en certaines espèces chimiques dans une région proche de la surface; on observe aussi qu’elles tournent en moyenne plus lentement que les étoiles non

Figure 4: L’étoile très massive η Carinae (au centre, en blanc/bleu) expulse un vent stellaire (en rose) qui insémine le milieu interstellaire ; elle devrait finir par exploser en devenant une supernova (© J Morse, HST/NASA/ESA)

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magnétiques. Peu de choses sont connues en revanche sur le champ des étoiles très massives. Des résultats récents obtenus avec ESPaDOnS et NARVAL suggèrent que la situation est similaire: les étoiles sur lesquelles un champ vient d’être détecté sont en effet celles qui tournent lentement et exhibent des singularités spectrales. Les modèles théoriques récents montrent en effet qu’un champ de quelques cT suffit à modifier la rotation interne de l’étoile; en rigidifiant la rotation globale, le champ inhibe aussi le mélange des éléments chimiques et perturbe l’évolution. Mais en revanche, dans la grande majorité des cas, le champ ne peut expliquer leur lente rotation; en effet, ces étoiles n’expulsent pas leur matière assez vite pour que leur rotation puisse être affectée notablement au cours de leur brève existence. Il est donc probable que ces étoiles magnétiques naissent avec un handicap de rotation qui accompagne l’empreinte dont elles ont été marquées. Même si le champ ne parvient pas à freiner les étoiles massives, il affecte leur vent et parvient en particulier à le confiner. En effet, si les flots de matière expulsée associés aux lignes de champ ouvertes s'échappent librement vers le milieu interstellaire, ceux associés aux arches magnétiques restent captifs. Ainsi, au sein de chaque arche magnétique, les flots en provenance des deux pieds de l’arche se rencontrent et produisent un choc, chauffant le plasma au somment des arches à des températures excédant 10  MK. Si des chocs peuvent également se produire dans le vent des étoiles massives non magnétiques, ils ne sont pas assez énergétiques pour expliquer l’émission très intense X des étoiles chaudes magnétiques. Mais le rôle du champ sur les étoiles massives ne s’arrête probablement pas là. Lorsque ces étoiles ont épuisé leur combustible nucléaire, elles s’effondrent puis éjectent 90% de leur masse dans le milieu interstellaire (supernova). Des observations indiquent que cette éjection de masse est parfois très anisotrope, ce qui pourrait être la signature d’un champ à la surface de l’étoile, favorisant l’éjection de matière suivant deux jets (ou deux cônes) diamétralement opposés. Le coeur de l’étoile (d’une masse solaire environ) devient alors une étoile à neutrons très dense et compacte, qui produit parfois de violentes éruptions de rayons γ. On attribue ces phénomènes à de puissants séismes dans un champ magnétique si intense qu’il fait craquer la croûte solide de l’étoile et libère l’énergie detectée. Ces objets, baptisés magnétoiles, possèdent les champs magnétiques les plus

intenses de tout l’Univers; ils pourraient être l’ultime phase de la vie de ces étoiles massives marquées dès leur naissance d’une forte empreinte magnétique.

La naissance des étoiles: accrétion, disques, jets et protoplanètes

Ce sont les nuages interstellaires qui servent de berceau aux étoiles. Les premières observations des régions de formation stellaire révèlent la présence de grumeaux denses et froids contenant plusieurs fois la masse du Soleil. En s’effondrant, par exemple sous l’effet initial d’une onde de choc engendrée par une supernova voisine, ces globules se mettent à tourner de plus en plus vite sur eux-mêmes, s’aplatissent pour former un disque d’accrétion puis donnent naissance à des étoiles et à leur cortège de planètes, conformément à l’intuition initiale de Laplace. Ce qui en revanche n'a pas été prévu par Laplace, ce sont les pinceaux de matière très collimatés qui semblent s'échapper du centre des disques dans une direction perpendiculaire à leur plan (Fig   5). Ces jets, longs de plusieurs années lumière, ont une masse comparable à celle de la jeune étoile; on pense aujourd'hui que c'est

Figure 5: L’étoile jeune HH34 de la nébuleuse d’Orion éjecte un jet de matière collimaté (en rouge), sur une distance d’une année lumière environ. Ce jet se termine par un choc en étrave (en jaune), témoin de la rencontre du jet avec le milieu interstellaire (© FORS/VLT/ESO)

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grâce à ces jets que le disque parvient à évacuer une part importante de sa masse et surtout de son moment cinétique, avant de former les futures planètes. Les modèles théoriques de jets invoquent la présence d'un champ magnétique. La rotation du disque torsade le champ initialement poloïdal et engendre une composante toroïdale; en réponse, le champ toroïdal freine la rotation du disque, provoque des instabilités et accélère l’accrétion. Les lignes de champ prennent alors une forme d’hélice évasée particulièrement propice à l’éjection magnéto-centrifuge de la matière superficielle du disque. C’est cet effet qui donne naissance aux jets, propulsant la matière perpendiculairement au disque à des vitesses pouvant atteindre plusieurs milliers de km/s. Mais peu d’observations du champ magnétique des disques sont disponibles pour contraindre ces modèles. Aujourd’hui encore, seul ESPaDOnS est parvenu à détecter un champ dans les régions centrales d’un disque d’accrétion; ces observations ont permis d’établir que le champ y est intense (environ 1 dT) et que les lignes de champ y sont torsadées, comme prévu par les modèles. De plus amples observations sont nécessaires pour imager en détail la topologie du champ émergeant du disque et comparer les composantes poloïdale et toroïdale reconstruites aux prédictions des modèles. Il sera aussi possible d’examiner si la variabilité des raies spectrales du disque est due à la présence de planètes géantes en formation, et donc d’étudier si le champ participe à la formation des planètes. Les observations montrent également qu’une fois la protoétoile formée, elle utilise son champ magnétique pour évacuer le centre du disque et confiner la matière accrétée dans de minces tubes de flux reliant le bord interne du disque à la surface stellaire; en retour, il semblerait que le disque freine la rotation de l’étoile (par exempe par couplage magnétique entre le disque et l’étoile), puisque les protoétoiles tournent en moyenne moins vite lorsqu’elles possèdent un disque. En cartographiant le champ de plusieurs protoétoiles (Fig 6), ESPaDOnS et NARVAL ont pu démontrer qu’elles abritent des champs d’une topologie complexe, mais pourtant capable de coupler l’étoile avec son disque jusqu’à une distance de 5 à 10

rayons stellaires. De nombreux points restent à élucider. Les jets sont ils produits par le champ des disques ou des protoétoiles? Comment le champ parvient-il à freiner les étoiles chaudes dès leur naissance? Quel rôle le champ a t’il sur la formation des planètes géantes proches du type de celles détectées en grand nombre autour d’étoiles comme le Soleil? Cette nouvelle étude devrait à terme révéler bien des secrets sur la naissance des nouveaux mondes.

Pour en savoir plus

Landstreet JD, 1992, A&ARv 4, 35, Magnetic fields at the surfaces of stars

Mestel L, 1999, Stellar Magnetism, Oxford University Press

Charbonneau P, 1995, LRSP 2, 2 Dynamo models of the solar cycle

Thomas JH, Weiss NO, 2008, Sunspots & Starspots, Cambridge University Press

Donati JF & Landstreet JD, 2009, ARA&A 47 (sous presse), Magnetic fields of non-degenerate stars

Figure 6: Topologie magnétique à grande échelle à proximité de la protoétoile V2129   Oph, déduite d’observations spectropolarimétriques ESPaDOnS et NARVAL. Les lignes de champ ouvertes sur le milieu interstellaire sont tracées en bleu et les arches magnétiques en blanc (© JF Donati & MM Jardine).