157

akusmatisk_L'espace du son 2

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: akusmatisk_L'espace du son 2
Page 2: akusmatisk_L'espace du son 2

Revue d’esthétique musicaleDirection : Annette Vande Gorne

www.musiques-recherches.be

Page 3: akusmatisk_L'espace du son 2

sous la direction deFrancis DHOMONT

MUSIQUES ET RECHERCHES3, Place de Ransbeck, B-1380 OHAIN

Page 4: akusmatisk_L'espace du son 2

illustrations hors texte : Luc COECKELBERGHSmise en page : Jacqueline GEZELSPublié avec l'aide de la Communauté française de Belgique

© Editions Musiques et Recherches, 1991 - réédition numérique, 2008

Page 5: akusmatisk_L'espace du son 2

SOMMAIRE

Editorial Francis DHOMONT 7Espace de la musique et musique de l'espace Pierre LOUET 9

Topophonies ou L'Espace-Paysage Acoustic space R.Murray SCHAFER 17 L'espace écologique Claude SCHRYER 23La musique environnementale Robin MINARD 25Sortir de la salle de concert Gabriel POULARD 30Deux espaces sonores urbains Cécile LE PRADO 33La composition de l'espace public sonore Charles de MESTRAL 35Comme un trou de mémoire... Lucien BERTOLINA 39Ecouter sous l'eau Michel REDOLFI 41Michel Redolfi : Musique et profondeur Daniel CHARLES 45Le projet de Vancouver Philippe MENARD 46La musique : une histoire de cadres ! Nicolas FRIZE 48

L'espace rayonnéL's-pace vide de sens Bernard PARMEGIANI 52March of time Pierre SCHAEFFER 53L'espace radiophonique : le son en plus Catherine PORTEVIN 55Une dramaturgie de la retransmission Michel CHION 58Au commencement était l'oreille René FARABET 61

Espace de projection/projection dans l'espaceLa polyphonie spatiale Patrick ASCIONE 68Stéréo ou multipiste ? Jean-François MINJARD 75Espace-support/Espace-Acousmatique Arsène SOUFFRIAU 76La forme dans le paysage (II) Jacques LEJEUNE 79Habiter l'espace acousmatique Jean Marc DUCHENNE 84Un espace pour la réflexion Daniel TERUGGI 87Un monde de simulacres Philippe JUBARD 89SYSDIFF, un système de diffusion Daniel HABAULT 91The well-tempered space sound instrument. A new musical instrument Léo KUPPER 95L'espace, la chair, la pluie Justice OLSSON 101L'espace des deux sons Christian ZANESI 105

Réfléchir l'espace... Des illusions Alain SAVOURET 109L'espace en soi Robert NORMANDEAU 113Musique/Espace Pierre BOULEZ/Jean-Jacques NATTIEZ 117Jeux d'espaces : Conjonctions et Disjonctions HoracioVAGGIONE 119Spatial experience in electro-acoustic music Denis SMALLEY 123Espace et structure Annette VANDE GORNE 127Un espace mental à favoriser François GUERIN 129Mi-lieu François BAYLE 133Les espaces de l'extase Denis DUFOUR 138

Rêver l'espace ?Quelques propositions pour étudier l'espace imaginairedans les musiques acousmatiques Jean-Christophe THOMAS 142

Annexe Ont participé à ce numéro : 147Table des illustrations 154

Page 6: akusmatisk_L'espace du son 2

L’espace est

l’ordre des choses

coexistantes.(Leibnitz)

Page 7: akusmatisk_L'espace du son 2

L'Espace du son II

EDITORIALFrancis DHOMONT

«Rarement pris au “sérieux” par la musique traditionnelle, l’espace n’a jamais été une dimension compositionnelle susceptible de rivaliser avec les autres». (Stroppa) (1).Voici, certes, une affirmation que nous ne reprendrons pas à notre compte. Est-ce parce que la musique qui nous occupe ici échappe à la tradition? Ou plutôt parce qu’elle est déjà la tradition de demain ?Affirmation qui ne semble pas davantage rencontrer celle de Stockhausen— composi-teur dont on ne saurait nier l’appartenance à la «tradition musicale» — qui répondait lors d’une interview pour Le Nouvel Obser-vateur : «La spatialisation de la musique est aussi fondamentale au moment de l’écriture que la construction générale de l’œuvre, que l’harmonie ou que le rythme».

Quoi qu’il en soit, L’espace du son «persiste et signe» : l’intérêt manifesté par nos lecteurs et par de nombreux compositeurs pour notre première enquête «Son/Espace» nous incite, en effet, à récidiver.Voici donc L’espace du son II, nouveau numéro thématique qui fait suite à la ré-flexion entreprise en 1988, l’élargit, suscite le débat contradictoire et donne la parole à de nouveaux auteurs. Ceux-ci ont été plus nombreux encore que la première fois à répondre gracieusement à notre proposi-tion; qu’ils soient ici remerciés et qu’ils considèrent ce numéro comme le leur.

C’est à un philosophe, Pierre Louet, et non à un compositeur, que nous avons demandé d’introduire ce nouveau questionnement.

Il était nécessaire, en effet, de prendre quelqu’élévation par rapport à l’espace en question et d’en balayer l’étendue à partir d’un point d’observation situé en terrain neutre. Espace de la musique et musique de l’espace dresse donc l’état des lieux, pose des questions fondamentales, avance quelques suggestions.

Suivent quatre grands dossiers :

Topophonies (2) ou l’espace-paysage se penche sur la présence du son dans les en-droits qu’habite l’homme, sur ses dangers et ses significations symboliques, analyse les problèmes de notre environnement so-nore, de ses nuisances, envisage certains remèdes, ose des adéquations musicales entre milieu et sonorité.

L’espace rayonné répond au souci exprimé dans le précédent éditorial de rappeler que «l’espace radiophonique» fut celui, physique (studios expérimentaux), des premières grandes œuvres électroacoustiques et qu’il demeure le lieu mental (simulations), de toutes les virtualités spatiales que favorise une écoute aveugle. Les articles sont signés par des réalisateurs fameux, des critiques et des théoriciens de l’art radiophonique.

Avec Espace de projection/projection dans l’espace, nous offrons une tribune à la controverse qui oppose aujourd’hui les compositeurs partisans d’un enrichissement de la projection spatiale par les techniques multipistes à ceux qui font confiance à la souplesse et aux avantages pratiques de

Page 8: akusmatisk_L'espace du son 2

8 L'Espace du son II

la stéréophonie. Dossier qui ne saurait être exhaustif mais qui tente, en alternant les points de vue, d’évaluer les enjeux du débat.Quelques «machines de l’espace», auxiliaires obligées de toute diffusion, sont également présentées.

Réfléchir l’espace, réplique symétrique de L’espace réfléchi qui ouvrait notre numéro un, tente une nouvelle fois de faire le point entre des positions compositionnelles qui ne s’inspirent pas toutes des mêmes stratégies mais qui toutes témoignent de l’irruption de l’espace comme dimension à part entière de la musique du XXIème siècle.

Enfin, avec Rêver l’espace ? le poète fait écho, dans la foulée bachelardienne, aux propos du philosophe, ancien élève de Bache-lard; Jean-Christophe Thomas se livre à une rêverie spatiale en questionnant l’espace imaginaire des musiques acousmatiques.

En Annexe on trouvera quelques éléments biographiques sur les auteurs qui ont par-ticipé à ce numéro.

Avant de clore cet éditorial, quelques re-marques s’imposent.Sans en tirer de conclusion, nous constatons que la notion d’espace interne/espace externe développée par Michel Chion (3) est com-mune à plusieurs auteurs bien qu’exprimée en termes différents. Ainsi Christian Calon fait allusion à l’espace virtuel qu’il oppose à l’espace réalisé (4), Horacio Vaggione, reprenant la terminologie de Chion, parle d’espace interne-composé (ou virtuel, lui aussi) (5), Denis Smalley de composed space et surimposed space (6), sans oublier Pierre Schaeffer qui, en 1952 déjà, établissait le distingo avec ces définitions : spatialisation statique et spatialisation cinématique.(7)

Et, puisque nous en sommes à la terminolo-gie, le comité de rédaction de L’espace du son pense qu’il serait plus clair et probablement fondateur que certains termes employés couramment le soient pour désigner le même concept (ou chose) et avec la même orthographe. Ainsi proposons-nous support pour toute bande ou disquette magnétique, disque «noir» ou compact, etc., mais format pour le nombre de pistes choisi (stéréo, 4, 8, 16 pistes, etc.); électroacoustique pour l’art et électro-acoustique pour la technique; bipiste, multipiste en un seul mot et s’accordant au pluriel s’il y a lieu : technique(s) multipiste(s). Peut-être ne faudrait -il pas non plus utiliser les termes piste, canal, voie (voix ?) de façon indif-férenciée. Sur toutes ces questions, il nous se-rait précieux de connaître l’avis de nos lecteurs.

Enfin, au risque de me répéter, j’aimerais rappeler le dévouement et l’efficacité de Jac-queline Gezels qui a conçu la mise en page de ce nouveau numéro et le courage — ne devrait-on pas dire la témérité ? — d’Annette Vande Gorne qui l’a commandité. Mais c’est le genre de risque qu’il est agré-able de prendre.

(1) STROPPA, M., «Un orchestre synthétique: Remarques sur une notation personnelle», Le timbre, métaphore pour la composition, Paris, I.R.C.A.M. Christian bourgois,1991, p. 493.(2) Topos : «lieu» et Phônê : «voix, son». Ce néologisle que nous avions forgé en 1988 figure déjà dans un écrit de Pierre Mariétan MARIETAN P., Musique Paysage, Paris, Pro Helvetia/GERM Ed., 1979, p.67. Dont acte. Une heureuse rencontre (NDLR)(3) CHION, M., «Les deux espaces de la musique concrète», L’espace du son , N°1, 1988, pp. 31–33. (4) CALON, C., «Occuper le temps» ibid, p.49.(5) VAGGIONE, H., «Jeux d’espace : Conjonctions et Disjon-ctions», L’espace du son, N°2 (voir ci-dessous)(6) SMALLEY, D., «Spatial experience in electro-acoustic music», ibid. (voir ci-dessous)(7) SCHAEFFER, P.,A la recherche d’une musique concrète , Paris, Ed. du Seuil, 1952, p. 206.

Page 9: akusmatisk_L'espace du son 2

9L'Espace du son II

ESPACE DE LA MUSIQUE ET MUSIQUE DE L’ESPACE

Pierre LOUET

Qu’il soit bien compris que j’interviens comme le naïf, paysan du Danube bleu avec ses gros sabots. Amateur à peine éclairé, je ne puis me prévaloir d’aucun titre à paraître ici, à moins que l’amitié précieuse de Francis Dhomont, dont j’ai suivi le travail, ne serve de caution suffisante. J’en appelle donc à l’extrême indulgence des autorités compétentes.Dans ce qui suit, des questions seront posées, des réflexions seront risquées, les unes et les autres pouvant être jugées impertinentes ou non pertinentes, ce qu’elles ne sauraient être à la fois...Je sais ce qu’il y a de regrettablement abstrait et comme de vulgairement emphatique à parler de «la» musique. Je ne vois pas comment contourner l’écueil, ni comment esquiver le reproche.Je négligerai la distinction, aujourd’hui un peu convenue, entre le bruit et le son : elle ne peut plus valoir pour des recherches et des créations dont c’est la nature même que de la récuser et d’assurer ainsi la promotion esthétique du bruit à la dignité du son.

la divisibilité indéfinie de leurs parties. Etre dans l’espace, c’est se tenir à distance. Mais la distance est aussi ce qui unit puisqu’il n’est aucun point qui ne puisse être lié à l’un quelconque de tous les autres par la droite qui les joint. Dans sa nudité géométrique, l’espace apparaît enfin comme la figure abstraite de l’unité de ce monde.

Jamais l’espace ne se montre ainsi : il peut seulement être conçu ainsi. Aucun des champs sensoriels ne le donne à percevoir en son essence ambiguë; c’est seulement à leur articulation qu’il se laisse entre-voir et concevoir.

Il est singulier que l’immensité vague nous soit si familière. La transparence de l’espace fait mystère en ce que l’élément de la matérialité affecte l’idéalité d’une vue de l’esprit. Une idéalité dont la rigueur opératoire permet de tisser ce réseau de «rapports sans support» où toutes choses se laissent circonvenir et capter. L’espace purifié et intériorisé, mentalisé plutôt, investit la vie de l’esprit, sinon tout entière, au moins la part de cette vie qui est affectée à la négociation des rapports conceptuels et pratiques avec le réel.

Espace «réel» -celui où j’occupe un lieu que remplit mon corps et où je puis me mouvoir- et espace mental -celui où je me donne à voir les figures que je conçois- sont pratiquement indiscernables : ils coïncident dans la lecture et l’affrontement du monde, c’est-à-dire dans ce que nous appelons l’expérience.

L’investissement de l’esprit par l’espace -et réci-proquement- s’effectue principalement sous les

n’est pas essentiellement ce que l’on croit communément

qu’il est. Il se présente comme l’englobant de toute réalité manifestée. Rien ne peut paraître qui n’y soit compris et situé. Qu’on écarte un instant la référence à la vacuité infinie dont l’inanité vertigi-neuse manquerait à concevoir l’essentiel : à savoir que l’espace n’est pas simplement ce en quoi les êtres se trouvent - au double sens de la situation et de la rencontre- mais aussi ce de quoi ils sont faits, autant qu’ils assument la condition corporelle. L’espace est, à la fois, une structure ontologique et une puissance universelle de connexion.

Considéré «en soi», l’espace est d’ordre élémentaire--comme l’eau, la terre et le feu. Mais élément para-doxal qui a la passivité des puissances matricielles: les mouvements qui le traversent passent sur lui sans y laisser aucune ride. Il est la Mère et non le Père dit Platon dans le Timée, (1) «réceptacle» et «nourrice», océan primordial et indifférencié par quoi tout ce qui existe ou arrive «a lieu», reçoit fig-ure et consistance, sans que lui-même ait figure ou consistance; materia prima de ce monde.

En un sens, l’espace n’existe pas : il est condition de l’existence, condition de possibilité universelle à quoi toutes choses sont soumises comme elles le sont à son frère jumeau -faux jumeau- : le temps. L’existence qu’il gouverne est assignée à résidence dans l’extériorité, c’est-à-dire dans l’exclusion récip-roque de ses contenus : ils ne coexistent que s’ils se séparent; existence «partes extra partes» de corps qui ne peuvent être qu’en se dispersant, séparés les uns des autres, et séparés d’eux-mêmes en raison de

L’ESPACE

Page 10: akusmatisk_L'espace du son 2

10 L'Espace du son II

espèces du visible. L’atlas visuel est le seul à pro-poser du monde une perception à la fois globale et différenciée, nous découvrant l’étendue en toutes ses dimensions et dans sa démesure. L’idée même d’univers est certainement d’origine visuelle. Avec une surprenante économie de moyens, la vue fait paraître le monde et nous en retire : elle épouse les formes, dessine les contours, creuse la profondeur là même où elle n’est pas, distingue les plans, accuse les reliefs, suit les mouvements... Elle confisque si bien la pensée que finalement, se représenter c’est voir ou chercher à voir: toute «vision du monde» lui est comme adossée.

L’ouïe est le sens toujours ouvert, et, à ce titre, il est aussi le sens de la nuit. Le regard est frontal, l’écoute est latérale, attestant la destination de l’oreille à nous informer de ce qui, dans les régions du monde actuellement soustraites à notre investigation, est susceptible de nous concerner ou simplement de nous intéresser. Mais sans le représenter.Le bruit est indiscret : il prend possession de moi, malgré moi, et me force à l’accueillir comme un visiteur importun. Souvent indésirable, il est par-fois inquiétant : il n’est que d’évoquer l’immobilité suspendue à laquelle l’écoute nous contraint pour entrevoir comment le bruit nous met sur le chemin de l’anxiété. Avec cette rumeur du corps tout à coup amplifiée. De toutes les variétés de l’attention, l’écoute est sans doute la plus tendue. La charge émotionnelle y compense maladroitement et im-prudemment le déficit d’information. Sens affectif et non représentatif, l’ouïe a pour fonction première d’alerter ou d’avertir.

L’ouïe est tressée à la voix. Le son commence avec la voix et la voix est au commencement. En sorte que la musique aussi est au commencement, s’il n’y a pas de musique sans l’invention et l’usage de la voix. La voix potentialise le son qu’elle ouvre à des registres expressifs où l’affection se noue à la signification. L’ouïe est ainsi le «sens» de l’humain pour qui la nature elle-même prend une voix dont la tessiture s’étend des «voix intérieures» à cette «auguste Voix... qui n’est la voix de personne tant que des ondes et des bois». (2)Dans la relation à l’espace, l’ouïe paraît mal partagée : les indications les moins incertaines se rapportent à la direction. L’évaluation des distances, vaguement mesurée à l’intensité, demeure passable-ment aléatoire : elle est suspendue à la possibilité inégale d’un repérage et d’une identification préala-ble, par le recours à d’autres données avec lesquelles interfère l’impression de familiarité. «Relief», «pro-fondeur», «volume» ne prennent sens que d’être lestées de significations étrangères à l’ouïe.Pourtant, la donnée auditive nous tire au dehors et fait entendre l’appel d’une extériorité qu’elle atteste à sa façon. En outre, l’ouïe nous ouvre un champ de résonance qui paraît jouir de l’ampleur différenciée qui appartient à la vision : les bruits du monde me parviennent ensemble et se distinguent plus ou moins nettement dans la rumeur confuse

d’où s’arrachent et s’isolent ceux que, pour diverses raisons, je cherche à localiser; en regardant de leur côté plus qu’en leur prêtant l’oreille.

L’appréciation des mérites comparés de la vue et de l’ouïe est un peu artificielle : un objet est simul- tanément et indivisiblement un «quelque chose» que l’on voit, que l’on touche, que l’on entend et que l’on flaire. Sa réalité ne se laisse pas disloquer entre divers registres. La sonorité ne vient pas ajouter un supplément d’âme à ce que nous croyons être la réalité «objective», c’est-à-dire l’inaudible matéria-lité des qualités premières : la sonorité des choses leur est inhérente et en reflète la structure intime; en quoi elle est aussi une manifestation de leur être -Une page de publicité : le timbre raffiné de la coupe de cristal où l’on verse le champagne «consonne» avec sa fragilité comme avec la silhouette, la parure, le maintien et la séduction de la femme élégante qui en reçoit l’offrande- «Il faisait plus noir puisqu’on n’entendait rien» écrit le Jules Romains des Copains. Le cinéma muet offre l’exemple d’un monde mutilé et comme aplati parce qu’il est sans voix.Non, les bruits, les sons et les voix ne «représentent» pas. Et cependant, où il n’y a rien à voir le son dispose d’un indiscutable pouvoir de spatialisation. Ainsi dans l’écoute radiophonique. Aux temps archaïques du bruitage, l’auditeur se laissait prendre au leurre acoustique. On en tirerait de quoi invalider la présence sonore. Mais la duplicité du bruitage souligne l’exigence de sens immanente au son et la puissance de suggestion d’une écoute qui cherche à capter le monde. La mise en ondes déploie, à son gré, des paysages quelconques que l’auditeur met en scène... En quoi la mise en scène ne «double» pas la mise en ondes : c’est le son lui-même qui plante le décor. A lui seul, il restitue la présence multipliée de cet espace total qui est l’espace de la vie et où il n’y a rien à entendre s’il n’y a rien à voir et à percevoir autrement.Il est un lieu dans les profondeurs de notre être sentant où, effectivement, «les parfums, les couleurs et les sons se répondent», où les différents sens échangent leurs messages et leurs voix. Merleau-Ponty rapporte des expériences curieuses, effectuées par des sujets sous mescaline : ce genre d’intoxication favorise les synesthésies. Un son de flûte donne une couleur bleu vert, les battements d’un métronome se traduisent «dans l’obscurité par des taches grises, les intervalles spatiaux de la vision correspondant aux intervalles temporels des sons, la grandeur de la tache grise à l’intensité du son, sa hauteur dans l’espace à la hauteur du son». (3) En frappant un morceau de fer sur l’appui d’une fenêtre, les arbres deviennent plus verts... La hauteur d’un son serait donc un peu plus qu’une métaphore ? Le son pourrait donc «émettre» une prétention légitime à la possession de l’espace, le monopole de la vision ressemblant alors à une usurpation ? Il ne faudrait pas forcer le trait : un son est l’analogue d’une couleur, il ne lui est pas identique et l’analogie ne conclut rien quant à la spatialité propre du son.

Page 11: akusmatisk_L'espace du son 2

11L'Espace du son II

L’ART d’un instrument qui ne saurait s’encanailler, ni simplement se commettre, avec le jazz ? Un violet pâle, un mauve un peu soutenu, un vermeil peut-être ? Mais la clarinette ? Il y faudrait une pointe de rouge, quelque chose d’un peu plus éclatant où le jaune paille ferait aussi bien l’affaire. Les trompettes vibrent dans l’écarlate; soit ! Mais le cor, le basson, l’éventail des cordes, les percussions ? On s’y perd-rait bientôt. Au reste, si les couleurs et les timbres se correspondent, c’est qu’ils se «fondent» dans l’impression abyssale d’où affleure une certaine tonalité émotionnelle. Convenons que les timbres consonnent avec nous-mêmes plutôt qu’avec les choses et que si la couleur entre dans la musique, elle y sert à «peindre» nos états d’âme. Les timbres engendrent et diffusent une ambiance affective à laquelle ils s’ajustent si étroitement qu’une néces-sité rigoureuse en gouverne le choix.

La musique «doit exprimer un contenu de telle sorte qu’il soit vivant dans l’âme». (5) En retour l’âme se nourrit de la musique. Platon proscrivait l’usage des modes lydiens et ioniens, (6) propices à la mollesse, à la douceur affaiblissante et à la complaisance en soi-même. Nous avons l’âme de notre musique et nos enfants ont aujourd’hui une âme de rockers...

Comment parler d’un «espace musical» sinon par métaphore ? Certes, la musique doit «avoir lieu» au sein de l’espace réel. Le studio ou la salle de concert sont des lieux musicaux : ils circonscrivent un espace aménagé mais découpé dans le monde, bruissant du raclement des gorges indiscrètes, où la physiologie tourne à l’indécence. L’espace de diffusion sert de support à la possibilité musicale mais c’est un espace dont il faut s’abstraire, qu’il faut neutraliser et comme absoudre. On ferme les yeux que la distraction guette et qu’une curiosité bête attache au soulier du premier violon... L’espace musical s’ouvre dans le silence et la nuit d’une invisible nativité.L’espace réel est la condition, non l’élément de l’existence musicale : la musique vient s’y concevoir comme le Christ en Marie. Et nous aussi nous pour-rions demander : comment cela se fera-t-il ?La vérité est que nous n’en savons rien. La musique se réduit physiquement en un système de vibrations entretenues, localisables et mesurables au sein de l’étendue. Comment donc s’effectue la transforma-tion de l’extension en expression ? Nul n’en sait rien. La physique est muette sur ce point, elle qui est déjà sourde... Aucun autre mystère en cela - mais mystère quand même - que celui par lequel le paysage que je vois de mes yeux, étalé dans le vis-ible, se livre aussi comme un champ sonore. D’une façon générale, la transition de l’ordre physique de l’étendue à l’ordre psychologique de la sensation est incompréhensible.L’espace réel «hante» la musique et la manière dont elle en émane participe des évocations, dans l’acception magique du terme. L’espace est ce médium dont la docilité passive permet à des entités venues d’un autre monde, qui peuplent l’espace sans être de l’espace, de se manifester à nos sens.Même lorsqu’il s’agit d’évoquer, au sens familier

suspend la visée du monde naturel. Les arts se partagent les territoires

d’un empire démembré; chacune des rubriques sen-sorielles y est explorée pour elle-même : libéré des servitudes empiriques, le son est mis en demeure de déployer ses ressources expressives, sans autre fin que cette expression même. Je négligerai ici la musique pure, celle qui n’a pas d’autre objet que de parcourir la «gamme» des combinaisons possibles et d’en tirer un plaisir désincarné, quasi intellectuel : un plaisir kantien. Dont L’art de la fugue offre l’impérissable modèle.«La musique doit exprimer l’intériorité comme telle.» (Hegel) Elle sera d’autant plus expressive qu’elle sera moins extensive, c’est-à-dire plus com-plètement affranchie de la référence spatiale. Le domaine propre à la musique, selon Hegel notam-ment, se développe dans la sphère du sentiment et elle est destinée à faire «vivre» et non à représenter. En quoi il n’y a rien d’étonnant si l’on tient compte des implications affectives du son.

La musique est bergsonienne et le bergsonisme est une philosophie d’inspiration musicale. Nul autre que Bergson (4) n’a plus radicalement -sinon rigou-reusement- isolé la durée comme qualité pure, de l’espace comme quantité pure. La mobilité fluide et diverse de la vie intérieure, jamais recommencée, désavoue et même renie la stabilité des solides que l’espace assujettit et qu’une affinité essentielle unit à l’intelligence, cette part de nous-mêmes que gouvernent des intérêts exclusivement pratiques. La dualité de la durée et de la spatialité traduit abstraitement la dualité du moi profond et du moi superficiel,et, finalement, la dualité de l’esprit et de la matière. Le moi superficiel étale et divise l’intériorité dans «l’espace» des mots qu’une secrète collusion asservit aux choses. Le moi profond con-stitue une nébuleuse mouvante dont les éléments, jamais isolables ni vraiment discernables, se pé-nètrent et se fondent, chacun d’eux contribuant à la tonalité de l’ensemble. Il n’y a pas, ici, un sentiment, là une idée, ailleurs une sensation : existence «partes intra partes», la vie spirituelle se présente comme une multiplicité de fusion que tout distingue de la multiplicité de juxtaposition qui est celle des choses dans l’espace. Seule la puissance de suggestion musicale parviendrait à restituer l’allure proprement symphonique, les ac-cents, les timbres et les variations imprévisibles de cette inexprimable intimité; où passe évidemment un écho «debussyste». Le dernier des philosophes musiciens de notre temps -Jankélévitch- était lui-même d’ascendance bergsonienne.

Le timbre est à la musique ce que la couleur est à la peinture. On rêverait d’une table de corre-spondance de l’un à l’autre. Elle ne mènerait pas loin. La variété des timbres déborde infiniment la palette des couleurs et leurs mélanges possibles; la musique dispose d’une richesse expressive sans équivalent... Essayons tout de même. Va pour le vert de la flûte. Mais le hautbois ? Comment trans-poser visuellement la distinction sereine et suave

Page 12: akusmatisk_L'espace du son 2

12 L'Espace du son II

du mot, la musique ne donne rien à représenter. Elle nous fait rêver les paysages, rêver la mer, la montagne ou la steppe, selon une modalité expres-sive qui dispense du recours médiocre à l’imagerie visuelle - ou bien est-ce le paysage qui se rêve ainsi en nous? La musique est de l’ordre du rêve : elle en a la plasticité et le pouvoir de transférer analogique-ment les significations d’un registre à l’autre; comme le rêve, elle traduit et symbolise nos émois.

L’écoute musicale implique un détachement à l’égard du réel, une autre attitude selon une autre modalité intentionnelle : on y adopte une disposition d’attente et d’accueil qui s’ouvre à ce fond de silence où les sons vont se découper; et qu’ils «remplissent». Mais c’est le temps plutôt que l’espace que l’attente et l’offrande musicales ouvrent «devant» nous, ou, plus exactement «en» nous.Spirituelle par vocation, la musique est temporelle par essence. Aucun autre art ne laisse mieux pres-sentir, ni n’approche davantage, le mystère de ces échanges entre l’âme et le monde, par lesquels il se fait que la matérialité se dissipe en spiritualité.

quée, la conquête de l’espace peut être comprise comme l’ouverture d’un espace analogique. Le mot «analogique» est pris dans le sens exact où il désigne l’identité des relations qui s’établissent entre des termes qui appartiennent à des ordres de réalité différents. Chez Platon, le soleil est à la région vis-ible ce que l’Idée du bien est à la région intelligible (7) ; ou encore, chez le même auteur, la justice est à l’âme ce que la médecine est au corps (8). Des termes analogues ne se ressemblent pas. Alain : «Un cheval de bronze ressemble à un cheval, et est analogue à un homme de bronze». Définir un espace musical comme analogique, revient à dire que les sons permettent de signifier, dans leur domaine propre et avec leurs ressources propres, ce qui, dans l’ordre du visible se présente à nous sous les traits de l’espace à trois dimensions, mais sans lui ressembler. On peut bien dire, par exemple, que l’émission stéréophonique produit un phénomène analogue à celui de la fusion binoculaire des images visuelles. Ce n’est pas un relief mais l’analogue d’un relief.

L’idée d’un espace analogique s’articule dans mon esprit au souvenir précis d’une pièce entendue naguère, dans un local à l’acoustique pourtant médiocre, où il m’avait soudainement paru que les structures sonores prenaient la place des choses et disposaient alors de la propriété remarquable d'inverser la relation habituelle qui subordonne l'écoute à la possibilité d’une reconnaissance vi-suelle. Il se passait un phénomène curieux: les questions relatives à la source, la signification, la nature même des contenus sensoriels -D’où ça vient? Où ça se trouve ? Qu’est ce que c’est ?- se ramassaient en une intentionnalité vide qui venait buter sur le son comme sur une réalité suffisante à soi et suffisante à faire un monde. Ce genre de musique tire sa fascination de son ambivalence même : elle exerce une sollicitation qu’elle déçoit et comble dans le même moment. A mes yeux, c’est ainsi que se propose le statut particulier de la musique enfin acousmatique.S’il faut se risquer à dire quelle est la finalité propre-ment esthétique de cette musique, on oserait avancer ceci : l’intention figurative récusée, la vocation de l'espace analogique est d'ordre essentiellement symbolique. Il lui appartient de déployer la sym-bolique de l’espace existentiel, sans jamais donner à voir, ni jamais représenter. On entrevoit ainsi le clavier, indéfiniment multiplié, des possibilités de «jeu» promises à la création : le clos et l’ouvert, le lointain et le proche, la plénitude et la vacuité, le confinement ou l’immensité... A quoi feraient écho les modulations innombrables qui, dans le registre des sentiments, «s’étendent» de l’angoisse moralement asphyxiée à l’exultation la plus expansive.S’il faut chercher à spécifier plus précisément la nature de cette musique, on se demandera où réside sa nouveauté. Après tout, je n’ai jamais pu entendre les premières mesures de la Neuvième sans avoir l’impression d’assister à la naissance du monde. La nouveauté acousmatique tient assurément aux potentialités de son matériau et aux manipulations

se passent autrement dans la musique,

naguère concrète, aujourd’hui électroacoustique. A la différence de la musique instrumentale où le son est l’unité simple et originaire sur laquelle s’édifie l’organisme musical, dans la musique nouvelle, le son constitue le matériau sur lequel on travaille, que l’on désintègre, que l’on fragmente et que l’on contraint de livrer des possibilités jusqu’alors inexploitées. Le compositeur s’y fait collectionneur, bricoleur, ferronnier et sculpteur de sons. Délivré des contraintes de la mesure, du rythme, de l’harmonie, de la consonance comme de la dissonance, l’artisan du son peut en obtenir des effets proprement in-ouïs. A quoi contribuent les ressources ambiguës de l’appareil technique sans lequel cette musique est impraticable. Le mouvement qui la porte vers la conquête de l’espace est lié à son essence même et comme inscrit dans son projet : s’il est vrai que la musique concrète s’est affirmée, et se tient en-core, en marge de l’autre musique, comment rêver détournement plus radical que ce mouvement vers l’extériorité comme telle ?Reste à dire de quelle façon l’espace peut être investi par cette musique et comment elle en ouvre l’accès, selon une intentionnalité étrangère à toutes nos habitudes perceptives et esthétiques.On laissera évidemment de côté la tentation pure-ment figurative qui n’introduirait aucun contenu nouveau, inscrivant plutôt la musique électroacous-tique dans l’ordre mineur de la simulation parodique. Le simulacre , ce son orphelin coupé de sa source et privé de son ascendance naturelle, n’est manifeste-ment pas voué à l’imitation mais à l’initiation, en vertu de sa puissance inaugurale : quelque chose d’autre doit avec lui commencer.Si, comme il paraît aller de soi, la possibilité de représentation, relation à un au-delà de la présence sonore, doit être soigneusement éradi-

LES CHOSES

Page 13: akusmatisk_L'espace du son 2

13L'Espace du son II

qu’autorisent les appareils dont elle ne saurait se passer, ni dans la genèse, ni dans l’exécution. En quoi le risque d’une dérive figurative n’est jamais tout à fait exclu : à cet égard, les effets de résonance, échos et réverbérations, fissurations, écroulements, éboulements etc, affecteraient parfois l’allure du procédé relaps par lequel on retournerait au réalisme de la suggestion. Le passage difficile du versant figuratif au versant analogique constitue l’enjeu même de la musique acousmatique et mesure la témérité de son pari. Surmonter cette difficulté n’est pas mon affaire : c’est celle des créateurs.

On peut encore aller plus «loin» : le développe-ment et l’organisation d’un espace homologique. J’entends par là un espace équivalent aux «autres» espaces et spécialement à l’espace visible. Cet espace s’ordonnerait selon les mêmes axes, permettrait les mêmes opérations et l’on y réaliserait les mêmes structures que celles qui s’effectuent ou s’observent dans le visible. A ceci près que cette géométrie acous-tique disposerait ses plans et construirait ses figures au moyen de points et de droites sonores. Un relief sonore y serait un relief dans le même sens et avec les mêmes caractères que le relief des choses que l’on voit. S’il n’en est pas ainsi, on ne conçoit pas qu’un autre espace musical soit possible que l’espace analogique. S’il en est ainsi, on entrevoit l’éventualité d’une architecture musicale, le mot «architecture» n’étant plus entendu métaphoriquement ni analogi-quement. Sur quoi je n’ai pas grand-chose à dire : j’ai surtout besoin d’écouter davantage...Sous réserve d’une distribution convenable, les dis-positifs techniques rendent possible l’édification de «volumes» sonores quelconques capables d’évoluer comme on voudra. On imagine sans trop de peine le déroulement de volutes, arabesques, spires et ondes acoustiques, décrivant les figures et les solides d’une stéréogonie musicale. La notion d’un «espace de projection», avec les connotations cinétiques et spéculaires qu’elle comporte me paraît significa-tive et traduit adéquatement le projet d’un espace homologique.Je schématise et je caricature : dans un espace ho-mologique, le son qui était ici, est maintenant là. Comme le furet de la chanson, il est passé par ici, il repassera par là, au terme d’un mouvement qu’il décrit c’est-à-dire produit devant nous. Il en serait du son comme d’une étoile filante dont les positions successives fusionnent pour dessiner une trajec-toire ? On pourrait donc «suivre» une ligne de son ? Ce qui n’est possible autrement qu’à en ressaisir et à en reproduire mentalement le tracé. «Suivre» ? Mais comment ? Avec les yeux de l’esprit ? Le visible serait ainsi restauré en cette souveraineté dont on cherchait peut-être à le déposer. D’autre part, si le son peut occuper une position, on doit aussi pouvoir le localiser. Dans quel espace, sinon l’espace réel ? Celui de l’auditorium qui est le seul à satisfaire pleinement aux conditions de l’extériorité.En résumé : le déploiement d’un espace homologique aurait pour effet pervers d’intégrer le visible et de le rabattre sur l’espace réel.

Ainsi comprise, la musique électroacoustique prend le risque d’être si largement tributaire des équipe-ments qui assurent l’amplification, la diffusion et la distribution des sons qu’on redouterait finalement que l’espace musical ne soit sournoisement subverti par l’espace réel, au point de s'y confondre.Par bonheur, l’édifice acousmatique ne saurait prétendre à la stabilité des choses : construit sur le vent, il se défait constamment et s’oblige à chercher dans le mouvement -c’est-à-dire dans la reproduction indéfinie de soi-même- la compensation fallacieuse de sa propre évanescence. Le son ne se laisse ni focaliser, ni canaliser : il envahit l’espace et n’a pas la docilité de la lumière dont la diffusion n’est pas tout à fait exclusive d’une certaine capacité à simuler l’immobile. Il n’existe pas d’écran capable de fixer l’image sonore qui demeure toujours virtuelle...

Je ne sais quelles peuvent être les ressources es-thétiques de cette approche équivoque : l’espace homologique est la limite vers laquelle tend l’exploitation du son à des fins descriptives. La puissance expressive me paraît hésiter ici entre le formalisme rhétorique de la virtuosité et le réalisme imprudent de la projection perceptive. L’essentiel réside dans la signification; de ce point de vue, la «perspective» d’un espace homologique me semble restreindre le champ des possibilités symboliques.

Mais enfin, qu’est-ce donc qu’un espace musical ?

On sait que les Anciens croyaient que le cosmos s’ordonne selon les rapports harmoniques dont la musique nous livrerait la clé. En un temps où le solide se résout en vibrations, où la physique ne décrit plus que des systèmes d’événements, la musique électroacoustique pourrait assumer une vocation cosmologique renouvelée. La croyance thibétaine (9) que chaque atome chante perpétuellement sa pro-pre chanson, que le son crée, à chaque instant, des formes grossières ou subtiles, qu’il existe des sons créateurs qui assemblent comme d’autres désagrè-gent et désintègrent, laisserait entrevoir la finalité ultime d’une musique à laquelle il reviendrait de nous mettre à l’écoute du monde et de faire vibrer l’âme des choses; et non plus la nôtre...

Bonnieux - septembre 1990

NOTES(1) PLATON, Timée -50 d(2) VALÉRY Paul, la Pythie in Charmes(3) MERLEAU-PONTY Maurice, Phénomènologie de la percep-tion , pp. 263-264(4) Cf. BERGSON, Essai sur les données immédiates de la con-science, Evolution créatrice(5) HEGEL, Esthétique(6) Cf. PLATON, République III , p.398(7) Cf. PLATON, République VI et VII(8) Cf. PLATON, Gorgias, pp. 464-465(9) Cf. DAVID-NEEL Alexandra,Au pays des brigands gentils-hommes, pp.252-253

Page 14: akusmatisk_L'espace du son 2

14 L'Espace du son II

Page 15: akusmatisk_L'espace du son 2

15L'Espace du son II

TOPOPHONIESou

L'ESPACE-PAYSAGE

Page 16: akusmatisk_L'espace du son 2

16 L'Espace du son II

Une salle d’exposition est

un espace d’où partent mille routes,

où on laisse derrière soi la porte qui donne accès au monde réel

pour ne s’occuper plus que de

l’exploration.

De la même manière, un morceau de musique descriptif

perce les murs de la salle de concert de trouées donnant sur la campagne. Ces fenêtres métaphoriques

brisent le carcan de la ville

et nous emmènent au-delà, vers le paysage

libre.

R. Murray SCHAFER, Le paysage sonore , p. 152

Page 17: akusmatisk_L'espace du son 2

17L'Espace du son II

ACOUSTIC SPACER. MURRAY SCHAFER

Anyone who has tried to hone a new concept for de-livery to the public knows how essential it is to find the right tag words to describe it.(4) Acoustic space is too awkward a term to have conferred fame on its inventor. Perhaps one reason is its hybridity, mark-ing it as transitional, caught between two cultures. The fixity of the noun «space» needs something more than the application of such a restless and vaguely understood modifier as «acoustic» to suggest the transition from visual into aural culture as McLuhan perceived it. Nor is it easy to subject aural culture to the same systematic analysis that has characterized visual thinking. The world of sound is primarily one of sensation rather than reflection. It is a world of activities rather than artifacts, and whenever one writes about sound or tries to graph it, he departs from its essential reality, often in absurd ways. I recall once attending a conference of acoustical engineers where for several days I saw slides and heard papers on various aspects of aircraft noise without ever once hearing the sonic boom which was the object of the conference. This lack of contact is characteristic of much of the research on sound still, and one aim of this essay is to show the extent to which considerations with space, the static element in the title of this essay, have affected the active element, sound.

When one first tries to conceptualize what acous-tic space might consist of, the geometrical figure that most easily comes to mind is the sphere, as Carpenter evoked it above. One would then argue that a sound propagated with equal intensity in all directions simultaneously would more or less fill a volume of this description, weakening towards the perimeter until it disappeared altogether at a point that might be called the acoustic horizon. It is clear at once how many spatial metaphors we must use to fulfill this notion. In every sense it is a hypothetical model. In reality what happens is that sound, being more mysterious than scientists would like to believe, inhabits space rather erratically and enigmatically. First of all, most sounds are not sent travelling omnidirectionally but unidirectionally, the spill away from the projected direction being more accidental than intentional. Then, since there is normally less concern with the transmission of sounds in solids than with their transmission through air, the model should be corrected to be something more like the hemisphere above ground level. Experience shows that this hemisphere is distorted in numerous ways as a result of refraction, diffraction, drift and other environmental condi-

As far as I know, the first scholars to use the term «acoustic space» were Marshall McLuhan and Ed-mund Carpenter in their magazine Explorations, which appeared between 1953 and 1959. There, McLuhan wrote:

«Until writing was invented, we lived in acoustic space, where the Eskimo now lives: boundless, directionless, horizonless, the dark of the mind, the world of emotion, primordial intuition, terror. Speech is a social chart of this dark bog.Speech structures the abyss of mental and acoustic space, shrouding the voice; it is a cosmic, invisible architecture of the human dark. Speak that I may see you.Writing turned the spotlight on the high, dim Sierras of speech; writing was the visualization of acoustic space. It lit up the dark. »(1)

This statement permeates all McLuhan’s writ-ings from the The Gutenberg Galaxy onwards. For McLuhan, the electric world was aural; it moved us back into the acoustic space of preliterate culture. Carpenter developed the theme in Eskimo Realities, where “auditory space” is employed as an inter-changeable term :

«Auditory space has no favoured focus. It’s a sphere without fixed boundaries, space made by the thing itself, not space containing the thing. It is not pictorial space, boxed-in, but dynamic, always in flux, creating its own dimensions mo-ment by moment. It has no fixed boundaries; it is indifferent to background. The eye focuses, pinpoints, abstracts, locating each object in physical space, against a background; the ear, however, favours sound from any direction .... I know of no example of an Eskimo describing space primarily in visual terms.» (2)

Despite McLuhan and Carpenter’s infatuation with the concept, acoustic space did not attract critical attention until the World Soundscape Project was established at Simon Fraser University in 1970. The project’s intention was to study all aspects of the changing soundscape to determine how these changes might affect people’s thinking and social activities. The project’s ultimate aim was to create a new art and science of soundscape design comple-mentary to those in other disciplines dealing with aspects of the visual environment.(3)

Page 18: akusmatisk_L'espace du son 2

18 L'Espace du son II

tions. Obstructions such as buildings, mountains, trees, cause reverberations, echoes and «shadows.» In fact, the profile of any sound under consideration will be quite unique, and a knowledge of the laws of acoustics is probably less effective in explaining its behaviour than in confounding it. Finally, and most importantly, the sphere described is assumed to be filled by one sound only. That is to say, a sound-sphere filled is a dominated space.

The sphere concept may have originated in religion. It is in religions, particularly those stressing a harmonious universe ruled by a benevolent deity, that the circle and the sphere were venerated above all figures. This is evident in Boethius’ Harmony of the Spheres, in Dante’s circles of paradise, and in the mandalas which serve as visual yantras in numerous Eastern religions. I will not dwell on this symbolism which, as Jung explained, seems to sug-gest completion, unity or perfection. The sounding devices used in religious ceremonies such as the Keisu or Keeyzee of Japan and Burma, the temple gongs of India and Tibet, and the church bell of the Western World all retain something of the circle in their physical forms, and by extension their sound may seem to evoke a similar shape.(5)

This circling is quite literally true of the church bell, which defines the parish by its acoustic profile. The advantage of the bell over visual signs such as clockfaces and towers is that it is not restricted by geographical hindrances and can announce itself during both day and darkness. In one of the studies of the Soundscape Project, it was determined that a village church bell in Sweden could be heard across a diameter of fifteen kilometers and there can be little doubt that in past times, given a much quieter ambient environment in the countryside, this kind of outreach was general throughout Christendom.(6) A similar study of a German country parish deter-mined how the profile of the church bells had shrunk since the building of an autobahn, which leads to the supposition that Christianity as a social force has diminished in recent years in part because of the rise in conflicting environmental noise.(7) But in the late Middle Ages, the intersecting and circumjacent arcs of parish bells quite literally gripped the entire community by the ears, so that when Martin Luther wrote that every European was born into Christen-dom, he was merely endorsing a circumstance that was in his time unavoidable. Those who could hear the bells were in the parish; those who could not were in the wilderness.

The same thing happened in Islam, which centered on the minaret, from which the voice of the muezzin, often blind, could be heard giving the call to prayer. To increase the sounding area, or to maintain it against increasing disturbance, Islam eventually adopted the loudspeaker, which can be seen throughout the Middle East today, hanging incongruously from mosaicstudded towers, booming out over perpetual traffic jams. Like Islam, Christianity was a militant

religion and as it grew in strength, its bells became larger and more dominating (the largest of those in Salzburg Cathedral weighs 14,000 kilograms), responding to its imperialistic aspirations for social power. There can be no doubt that bells were the loudest sounds to be heard in European and North-American cities until the factory whistles of the Industrial Revolution rose to challenge them. Then a new profile was incised over the community, ringing the workers’ cottages with a grimier sound.

Returning to Carpenter’s definition of acoustic space as «a sphere without fixed boundaries, space made by the thing itself, not space containing the thing,» one notes that the acoustic space here (which may or may not resemble a sphere) does have fixed boundar-ies and does indeed contain something. It contains a proprietor who maintains authority by insistent high-profile sound. That space could be controlled by sound and enlarged by increasing the intensity of the sound seems to be an exclusively Western notion, for I can think of almost no examples of it in other cultures or in antiquity. Lest it be objected that Buddhist temple bells produce a similar effect, I might point out that the Buddhist bell is struck by a muted wooden log rather than a metal clapper, which deepens the sound, perhaps giving the effect of «coming from a well,» which is how Sei Shonagon describes it in The Pillow Book.(8) This muting is also evident in language. In Sinhalese, for example, the Buddhist bell is called gahatáwa while the sharper Christian bell is called sinawa.

It is true that in practically all cultures, religious exercises tend to be soundful, and in many they are the noisiest exhibitions the society experiences. Whatever the means - sacred bones, rattles, bells or voices - it is almost as if man is trying to catch the ear of God, to make God listen. But it is the two most proselytistic religions, Christianity and Islam, that have shown the greatest desire to increase the sound output of their acoustic signals, enforcing the idea that there is no private space in God’s world. This point introduces a notion I call the Sacred Noise, which is special in that, unlike other noises which may be subject to prosecution, its proprietor is licensed to make the loudest noise without censure. (9) The Sacred Noise originated in religion at a time when the profane world was much quieter than it is now. In Christian communities, bell ringing was augmented inside the church with voices raised in song, often accompanied by instruments (the organ being the loudest machine produced anywhere prior to the Industrial Revolution). Both inside and out, the church produced the highest sound levels the citizenry experienced short of warfare. Yet no one ever laid a charge against a church for disturbing the peace.

With the outbreak of the Industrial Revolution, the Sacred Noise passed into the hands of new custodians. Then it was the turn of factory owners to establish

Page 19: akusmatisk_L'espace du son 2

19L'Espace du son II

their social authority by deafening society. It is only after the diminution of its power as a social force that the Sacred Noise becomes an ordinary noise and subject to criticism like any other. To-day, the church is weak; therefore, it is possible to criticize church bells, and many communities throughout Europe and North America have re-cently enacted antinoise legislation to restrict bell ringing. Similarly, as industrialists come under fire, aural hygienists march into the factories, though the deleterious effects of boilermaker’s disease were known from the outbreak of the Industrial Revolution. Today’s pluralistic society has thrown up numerous recent contenders for the Sacred Noise, among them the aviation industry, the pop music industry and the police. Here, at least, are three nuclei of social power, all of whom are permitted to celebrate their uncensored pres-ence with deafening weaponry.

Contenders for the Sacred Noise are never inter-ested in dialogue. They want only to hector the whole of society into acknowledging their territo-rial authority. Another example from contemporary times will make this point clear. The sequel to the parish in modern life is the sound profile of the community radio station. Since not only the frequency but also the wattage and transmis-sion direction of a radio station is established by regulation, one can witness in charts prepared by broadcasting authorities the most recent model of the unification of a community by sound.(10) One tends to think of radio as an international medium reaching out to gather information from around the world. Of course, this is exactly the potential that it has, but in practice it is scarcely realized. To prove this, I had students monitor radio stations and then draw maps on which they fixed dots for every toponym in the programming - the names of all towns, counties, business establishments, the location of all events, everything identified that could be tied to a place. What emerged were networks of dots clustered around the community itself, with a vague sprinkling over the rest of the world. Looking at these maps, one could not avoid the conclusion that radio is intensely regionalist, mildly nationalistic, and totally uninterested in the rest of the world except when it meant trouble. The whole globe may be transmitting, and satellites may be moving these transmissions around with fantastic precision, but the most healthy form of broadcasting is community-intensive and resists invasion. Despite the expectation that electronic technology would introduce the unrestricted flow of information, broadcasting remains ethnocen-tric, while proprietors dispute territories, buy up franchises as if they were parking lots or grocery stores, and reaffirm the territoriality of the whole system in the ground grid of cable linkage.

The territorial conquest of space by sound is the expression of visual rather than aural thinking.

Sound is then used to demark property like a fence or a wall. It stems from the bounded shape of visual perception. For the eye, most objects are bounded, either on the outside like a chair or a tree; or on the inside, like a room or a tunnel. Not only does the no-tion of bounded shape give us our physical sciences (which are concerned with weights and measures), but it also contributes to the establishment of private property and by extension to the private diary and the private bank account. Once the bounding line becomes a strong perceptual distinction, the whole world begins to take on the appearance of a succes-sion of spaces waiting to be filled with subjects or shattered by vectors. Obviously, this pattern works best where the subject can be fenced off physically (like the king’s hunting grounds) or mentally (like university departments). Where it cannot be divided into visual components, sound is driven to assist in demarcation, which is why the parish can be regarded as a steeple plus bells or a factory as a slum and a whistle.

The only place where sound can be naturally bounded is the interior space, in the cave, which was extended by deliberate design to the crypt, the vault, the temple and the cathedral. The magical sensation of unbroken, sound-filled space is only possible after man moves indoors and begins de-liberately to shape his buildings to achieve that sensation. Then, resonant frequencies are used as natural amplifiers to strengthen fundamental tones, and highly reflective materials are sought to extend reverberation time, giving sound a luminos-ity and amplification quite unlike anything possible en plein air. Spoken rhetoric seeks the long vowel, giving rise, for example, to Gregorian chant. In the uniform and continuous spaces of the reverberant hall or stone church, everyone falls into line as performer or listener. One sounding event is made to follow another in resonant sequence and without interruption. All contradictory sounds can finally be pushed out the door into obscurity. When Giedion says, «this is what one breathes in medieval cham-bers, quietude and contemplation,» he neglects the astounding resonance of the thriftily-furnished cloister or state-room, totally unobtainable in the cluttered and cushioned modern interior; and how the echo of these ancient chambers fortified the voice while reading aloud, singing or issuing orders.(11) What Giedion overlooked, McLuhan overheard and sensed how «a medieval space was furnished even when empty, because of its acousti-cal properties.»(12) When architectural historians begin to realize that most ancient buildings were constructed not so much to enclose space as to enshrine sound, a new era in the subject will open out. This pattern is true of Byzantine and Islamic architecture as well as European.

Nourished indoors, the notion of unbroken sound-filled space was later returned to the outdoor soundscape in the form of the church bell, which attempted to stencil its profile in regular and

Page 20: akusmatisk_L'espace du son 2

20 L'Espace du son II

originally nearly unbroken pealing over the entire community by sound. I do not think I need stress that the other examples I have given - the factory whistle and the broadcasting signal - are equally swivel-moored to inner space, from which they transmit uniform and continuous commands to the outside world.If indoor space waits silently to be filled with its destined and uncontradicted sound events, outdoor space is a plenum which can never be emptied or stilled. In nature, something is always sounding. Moreover, the rhythms and counterpoints of these soundings interact in dialogue; they never mono-logue. Who will have the next speech? The frogs may begin, the swallows arrive, geese may fly over, distant dogs may bark at the moon or at wolves. This is the soundscape of my farm, where the orchestra-tion changes every season and every hour. All I can do is listen and try to read the patterns, which is exactly what outdoor people have done for centuries. The influence of sounds on the agrarian calendar has been recorded as far back as Hesiod.

What is true of people living outdoors today was even more true in the primitive societies of the past. In totemic society, the sounds of nature ac-quired an enlarged meaning as the voices of good and evil spirits whose continued interaction plotted the course of the world. All nature resounded with these spirits and everything in nature had its real or implied voice, put there for some purpose by the totemic gods. In fact, the voice of each object was its ultimate indestructible force. Just as the soul of a man was often reckoned as his voice, which escaped him at death in the form of a death rattle, so the sounds of natural objects came and departed mysteriously from the soundscape. But when they were silent, they were still reckoned to be present. They were merely listening to the sounds of other spirits in order to learn their secrets.«Terror is the normal state of any oral society, for in it everything affects everything all the time.»(13) Like an animal, with ears bristling, man found himself in a world of strange and sudden voices. Which were his friends? Which were his enemies? And how could be exorcise those which possess evil power over him? He listened and he imitated. By the homeopathic reasoning that anyone who can imitate the specific sound of an object is in posses-sion of the magic energy with which that object is charged, primitive man cultivated his vocalizing and his music to influence nature for his own benefit. Marius Schneider writes:

«By sound-imitation, the magician can therefore make himself master of the energies of growth, of purification or of music without himself being plant, water, or melody. His art consists first of all in localizing the object in sound and then in coordinating himself with it by trying to hit the right note, that is, the note peculiar to the object concerned.» (14)

Much has been written about how the dancer, don-ning the mask, becomes the thing he represents, taking on its spirit or allowing it to possess him. This fact is equally true for possession by sound, and in an aural society probably even more so. Today, this possession survives faintly in the onomatopoeia of our speech, but more strongly in our creation of mu-sic, which is the ultimate transcendence of space by sound. For music, freeing itself from objects entirely, moves us quite beyond ourselves and the ordinary, Euclidean geometry of streets and highrises, walls and maps. It is the last kind of sound we really listen to, the last we have allowed to possess us, though most of it today is coalescent with uniformity and imperialism. The heavy amplification of rock music has more in common with the noise profiles of heavy technology in sustaining the grip of Western imperi-alism than it does with the subtle musical diversions practiced by aural cultures. The ethnomusicologist could provide many useful examples to support that distinction. Steven Feld, for instance, tells how Kaluli tribesmen imitating birds, quite deliberately refrain from synchronizing their drumming because birds never sing in unison.(15) The aperçu that the sound world possesses a million unsynchronized centers is illustrative of the consciousness I am trying to describe.

The phenomenologist Don Ihde reminds us that au-ditory space is very different from visual space.(16) We are always at the edge of visual space looking into it with the eye. But we are always at the center of auditory space listening out with the ear. Thus, visual awareness is not the same as aural aware-ness. Visual awareness is unidirectionally forward; aural awareness is omnidirectionally centered. This difference is one reason why aural societies are «unprogressive» - they don’t look ahead; their world is not streamlined, as the «visionary» would make it. Carpenter points out that the Eskimos «have no formal units of spatial measurement.»(17) Aside from the area inhabited at the moment, spatial apprehen-sion by non-literate peoples everywhere is vague, for everything over the hill or beyond the forest is hidden. Here, sound becomes light, making the hid-den visible. The cataract on the river is heard before it is seen.(18) The horn is the only straight road in the forest. News of the distant world is received by messenger, who often announces his approach by means of special sounds, for instance, the horns of the old postal coaches or the bells worn by the runners of Kublai Khan.(19) Where geography was impassable or extra speed was required, messages were sent over long distances in code. One thinks of the talking drums of Africa; trumpet communi-cations between armies (the Oliphant of Roland); the alp horns of the Carpathian Mountains; or the great copper drums of the Middle East, sounded by the chaouches. The Aborigines practised the art of listening to the ground to pick up the arrival of invaders, just as we used to listen to the rails to learn if a train was coming.(20) The aural man learns that the world beyond his vi-

Page 21: akusmatisk_L'espace du son 2

21L'Espace du son II

sion is crisscrossed with information tracks. Where I live, for instance, a hunter on the runway can tell by tracing the bark of his dog whether he is in pursuit of a deer or a rabbit: it is the difference between a straight line and a circle.

In aural cultures, the right position for settlement is often influenced by whether warning signals can be properly heard. When the Indians of Canada were numerous and threatening, the fields laid out by the first white settlers along the St. Lawrence were narrow, with habitations at one end. Families could shout warnings across to one another and congregate to defend themselves. We may compare this pattern to the larger and squarer fields of Upper Canada and the North American West, surveyed after the Indians had become peaceable. A book on Charlemagne tells how the ninth century Huns constructed their habi-tations in rings so that news could be voiced quickly from farm to farm, with the distance between the rings being determined by the outreach of a warning trumpet.(21) And from Marco Polo, one learns that in the city of Kin-sai, great wooden drums on mounds of earth were beaten by guards and watchmen to telegraph emergencies.(22)I have given these numerous examples to show how space enters the consciousness of aural society. Here, sound may transpierce space, animate space, evoke space or transcend space but never to the exclusion of contradictory transients.

Defining space by sound is very different from domi-nating space with sound. When sound articulates and denotes space (as it does for the blind person, or as it does at night, or as it did and does for any group of people in a forest or jungle) the perceptual emphasis is subtly shifted into the aural modality, so that we discover we are discussing something that might be better be called «spatial acoustics» - as if distant sounds, close sounds, sounds up and sounds down were merely a few of the demonstra-tives which could be used to describe how the sound world imparts its many meanings to us.

When the forests of eastern North America were dense - and they are in places still dense enough to sense the accuracy of what I am about to say - anyone living in them relied essentially on the ear and the nose for information beyond the six-foot range their eyes would carry them. The ear remained continually alert, just as one observes it today among animals. To survive in such a world, people have to learn to respect silence, or at least have to know how to participate in the pattern of give and take, sound-ing when it is safe or unsafe and listening between times to know when to do so.«Speak that I may see you,» said blind Isaac to Jacob. But the unblind Eskimo says the same today.(23) It is in the sounds one hears that the world becomes palpable and complete. Without the treasury of the soundscape, the world is barren and its objects remain “hidden.” Then the post horn or the train whistle is the sound that comes from far away (that is to say, it carries the symbolism of distance and travel wherever or whenever it is heard), just as the storyteller’s voice is the sound that comes from long ago. And the lover’s voice kisses the air near one, and the child’s laughter echoes into the future. Extension and duration acquire an immediacy that visual experience can neither emulate nor even suggest.

Seeing and sounding are different. Seeing is analyti-cal and reflective. Sounding is active and generative. God spoke first and saw that it was good second. Among creators sounding always precedes seeing, just as among the created hearing precedes vision.(24) It was that way with the first creatures on earth and still is with each new-born baby. For a projected publication (which never material-ized), I once asked McLuhan to write an article on acoustic space. The manuscript I received was «Changing Concepts of Space in an Electronic Age,» where acoustic space was characterized as «a simul-taneous field of relations . . . its centre is everywhere and its horizon nowhere.» In a letter he embellished this point, which is synonymous with the earlier cultures I have detailed, and which may be a fair comment on the culture we are today retrieving:

«We are living in a acoustic age for the first time in centuries, and by that I mean that the electric environment is simultaneous. Hearing is struc-

Page 22: akusmatisk_L'espace du son 2

22 L'Espace du son II

tured by the experience of picking up information from all directions at once. For this reason, even the telegraph gave to news the simulta- neous character which created the «mosaic» press of disconnected events under a single dateline. At this moment, the entire planet exists in that form of instant but discontinuous co-presence of everything. » (25)

At the outset, I called acoustic space a transitional term, touching on two cultures, but in a sense un-natural to each. In the one, everything sounds and has its sound presence, but like a spirit, incorporeal, without precise extension or shape. In the other, this resonating life is beaten down, first in the inner spaces of the church, the concert hall and the factory; then, by extension, through the external soundscape. In the past, it was the parish, today it is broadcasting that conquers space with sound. The first form will be more difficult for indoor man to comprehend, as he hides today behind glass windows listening to the radio and peering out at the silent cacophony of the streets. Glass shattered the human sensorium. It divided the visually perceived world from its aural, tactile and olfactory accompaniments. Or rather, it substituted new accompaniments to the accentuated habit of looking. Until this situation is corrected, all our thinking about the phenomenal world will remain speculative in the literal sense of the word. But fortunately, nature has ways of reinstating the neglected. The fact that we have a noise-pollution problem in the world today is largely a result of having ignored the soundscape. But the fact that we recognize that we have a noise-pollution problem is the best sign we have for the rehabilitation and improvement of the soundscape.

from Dwelling, Place and EnvironmentBy courtesy of ed. D.Seamon and R.Mugesraner,

pub.Nijhoff (Dordrecht, Boston, Lancaster) 1985, pp.87-98

NOTES1. Marshall McLuhan and Edmund Carpenter, eds., Explorations in Communication (Boston: Beacon Press, 1960), p. 207.2. Edmund Carpenter, Eskimo Realities (New York: Holt, Rinehart and Winston, 1973), pp. 35 -37.3. Publications of the World Soundscape Project include R. Murray Schafer, The Tuning of the World (New York: Alfred A. Knopf, 1977); R. Murray Schafer, ed., The Vancouver Soundscape (Van-couver: A.R.C. Publications, 1978; book and two cassettes); R. Murray Schafer, ed., Five Village Soundscapes (Vancouver: A.R.C. Publications, 1977; book and five cassettes); R. Murray Schafer, ed., European Sound Diary (Vancouver: A.R.C. Publications, 1977); Barry Truax, ed., Handbook for Acoustic Ecology (Vancouver A.

R.C. Publications, 1978). See, also, Sound Heritage, vol. 111, no. 4, (Victoria: Provincial Archives of British Columbia, 1974), which is devoted to a discussion of the World Soundscape Project; The Unesco Courier, November, 1976, which is given over to soundscape articles; and Keiko Torigoe, “A Study of the World Soundscape Project,” (Master’s thesis, York University, Toronto, 1982).4. Translation of the word “soundscape” is a good case in point. The French translation, le paysage sonore, has caused little dif-ficulty and is now widely employed. The Poles translated it as sonosphere and understood at once what it meant. But when the word was rendered into German originally as Schwallwelt, it had little impact. Klanglandschaft has also been employed. Klang-schaft, which would be most accurate, seems unacceptable to the German mind and as a result there is little interest in the subject in the Germanspeaking countries.5. Proust wrote of the sound of the bell as “oval.” A few years ago, when I had a group of students draw spontaneously to sounds played on tape, the bell was one of the sounds evoking the greatest circularity. The other sound was that of the air conditioner. See R. Murray Schafer, The Music of the Environment (Vienna: Universal Edition, 1973), p. 21.6. See European Sound Diary, p. 16.7. See Five Village Soundscapes, p. 15.8. Sei Shonagan, The Pillow Book, Ivan Morris, trans. (New York: Columbia University Press, 1967).9. See The Tuning of the World, pp. 51-52, 76, 114-115, 179, 183.10. For the sound profile of Vancouver radio stations, see The Vancouver Soundscape, p. 40.11. S. Giedion, Mechanization Takes Command (New York: Oxford University Press, 1970), p. 302.12. Personal communication, December 16, 1974.13. Marshall McLuhan, The Gutenberg Galaxy (Toronto: University of Toronto Press, 1962), p. 32.14. Marius Schneider, «Primitive Music», The Oxford History of Music (London: Oxford University Press, 1957), p. 4415. Personal communication. For an amplification of this subject, see Steven Feld Sound and Sentiment: Birds Weeping, Poetics and Song in Kaluli Expression (Philadelphia: University of Pennsyl-vania Press, 1982).16. Don Ihde, Listening and Voice: A Phenomenology of Sound (Athens, Ohio: Ohio University Press, 1976).17. Carpenter, Eskimo Realities, p. 37.18. There are numerous instances of this experience in the Leath-erstocking novels of James Fenimore Cooper.19. Marco Polo, The Travels (Atlanta: Communication and Studies Inc., 1948), p. 154.20. There is a striking instance of this long-distance hearing recorded in C.C. Bombaugh, Oddities and Curiosities (New York: Dover Publications, 1961), p. 280. On June 17,1776, a slave heard the battle of Bunker Hill at a distance of 129 miles by putting his ear to the ground. The same source records that the human voice has been heard a distance of ten miles across the Strait of Gibraltar.21. Notker the Stammerer, Life of Charlemagne, Lewis Thorpe, trans. (Harmondsworth, Middlesex: Penguin Books, 1969), p. 136.22. Marco Polo, p. 232.23. Carpenter, Eskimo Realities, p. 33.24. Cosmogonic mythology is full of examples and they occur in Egyptian, Indian, Mayan, Maori and other creation stories as well as in the Bible. See “Ursound,” in R. Murray Schafer: A Collection, B.P. Nichol and Steve McCaffery, eds. (Bancroft, Ontario: Arcana Editions, 1979), pp. 79-92.25. Personal communication, December 16,1974.

Page 23: akusmatisk_L'espace du son 2

23L'Espace du son II

L’ESPACE ECOLOGIQUEClaude SCHRYER

l’espace du sonl’espace n’est pas linéaire

l’écologie est un espace«...étendu. place, superficie, vide, libre, rempli, occupé... » *

lien, limite, lieu, volonté, connaissance

l’espace est multidisciplinaire«...espace-temps: milieu à quatre dimensions...» *

l’espace est mi-science, mi-art, mi-philosophiepresque rien

espaceconcret ou abstrait

centre ou milieuespace immatériel et inconcevable, pourtant perceptible

touchez-y«...caractérisé par l’extériorité de ses parties,

dans lequel sont localisées nos perceptions... » *

Page 24: akusmatisk_L'espace du son 2

24 L'Espace du son II

* = libre interprétation du Petit Robert

la nature d’espace«...ensemble des caractères qui définissent un être... » *

les espaces de la nature

les espaces synthétiques et virtuels«...état de simple possibilité dans un être réel... » *

l’imaginaire dans un monde limitéla limite de l’imagination

l’espace imaginaire«...point que ne peut ou ne doit pas dépasser une activité...» *

l’environnement de l’espacel’espace environnant

ce qui nous entoure: cercle vicieux

l’acousmate, astronaute électroacoustique«...espace lointain situé au delà par rapport à la terre...» *

créateur ou remplisseur d’espace

espace de viel’espace écologique: vibrations sympathiques, sensibles,

alarmantes, catastrophiques«...Les relations des êtres vivants entre eux

et avec leur milieu...» *concret ou abstrait

centre ou milieu

imaginer l’espace du son; le créerentendre le son de l’espace; l’écouter

dans son espace

l’espace du son

n’est pas linéairel’espace est une écologie

« ...étendu, place, superficie, vide, libre, rempli, occupé...» *connaissances, volontés, lieux, limites, liens

le respect du vide et de l’espace

Page 25: akusmatisk_L'espace du son 2

25L'Espace du son II

LA MUSIQUE ENVIRONNEMENTALE

Robin MINARD

Nous considérerons ici l’intégration de nouveaux sons et de nouvelles formes musicales dans nos espaces publics. Cela peut sembler contradictoire, puisque nous avons parlé ailleurs d’une esthétique architecturale et artistique qui est basée sur la recherche d’un certain «état de silence». Entre au-tres, nous avons souligné l’importance de construire des lieux et de concevoir des œuvres qui peuvent éliminer certains sons dans nos espaces publics. Pourquoi voudrait-on maintenant, rajouter du son dans certains de ces lieux ?

Par la suite, nous verrons que l’intégration du son et des structures musicales dans nos lieux publics peut jouer un rôle fondamental dans la recherche d’un environnement plus vivable. La présence d’une musique environnementale peut, en effet, rendre un lieu plus calme; elle peut éveiller l’ouïe à une écoute plus fine et enrichir notre perception de l’espace.

Qu’est-ce qui caractérise, alors, ce type de musique? Quelles sont ses règles, et par où doit-on commencer dans la conception d’une œuvre de «musique envi-ronnementale» ?

La réponse proposée par l’industrie - masquer le bruit indésirable par de la musique «fonctionnelle» - est inacceptable. Le fait qu’un son «agréable» puisse dissimuler un son désagréable est un point important. Par contre, la stratégie qui consiste à utiliser une musique traditionnelle filtrée à des fréquences précises pour créer une musique sous-entendue, et de la pré-programmer pour af-fecter subconsciemment le comportement des gens, semble extrêmement douteuse. Si nous jouons une symphonie de Beethoven dans un espace public, de-vient-elle une musique environnementale ? Même si cette œuvre est filtrée et diffusée d’une façon homogène en plaçant des haut-parleurs au plafond à des intervalles de quelques mètres, la réponse semble évidente. La musique traditionnelle, de par son essence, est une musique narrative qui demande à l’auditeur d’être constamment attentif à l’œuvre et de suivre une syntaxe musicale définie en fonction de la salle de concert. Ce n’est pas en filtrant cette musique, ni en changeant son mode de diffusion, qu’elle devient une musique prête à enrichir notre environnement sonore quotidien. La diffusion de telles formes musicales dans nos

espaces publics n’a pour effet que de déformer le sens et la fonction originale de cette musique.

Ne peut-on pas, par exemple, travailler avec le son dans l’espace de la même façon que nous travaillons déjà avec la lumière et la couleur ? Nous savons qu’en peignant un plafond d’une couleur foncée, nous obtenons l’effet de renfermer l’espace. Et pour le son ? Si nous diffusons doucement une couche de sons graves sur le plafond d’un espace, quelle est notre perception physique de cet environnement ? Si ces sons évoluent presque imperceptiblement vers l’aigu, allons-nous percevoir une lente évolu-tion dans le caractère de l’espace ? Si nous entrons à plusieurs reprises dans cet espace évolutif, au-rons-nous à chaque fois une perception nouvelle de son caractère ? Voilà le type d’hypothèses qui peut donner naissance à une œuvre environnementale, une musique «non-narrative» qui met l’accent sur notre perception de l’espace en fonction du son, et qui n’exige pas une écoute dans le sens traditionnel. Mais que devient la fonction du rythme, du timbre et du registre dans cette musique non-traditionnelle ? Quel rôle jouera la technologie dans ce nouveau monde sonore ?

Dès maintenant, nous considérerons la musique environnementale en deux catégories générales : le conditionnement de l’espace, et l’articulation de l’espace. Puisque nous ne parlerons pas ici de spectacles musicaux qui «ont lieu dans notre envi-ronnement urbain», mais plutôt des états sonores qui sont intégrés dans l’espace de façon permanente ou semi-permanente, nos pensées seront souvent diri-gées vers le domaine de la musique électroacoustique. (Ce domaine musical est particulièrement approprié, par exemple, si nous désirons diffuser des sons d’une façon continuelle ou si nous souhaitons créer des textures sonores extrêmement statiques. De plus, seule la musique électroacoustique nous permettrait de faire «planer» le son dans l’espace, ou de simuler des acoustiques artificielles.) Dans l’ensemble de ces deux catégories, nous allons constater que la musique environnementale reconstruit un univers musical qui lui est propre dans sa conception, aussi bien que dans son mode de diffusion. Les paramètres musicaux traditionnels auront ici d’autres fonctions et d’autres significations; les éléments narratifs que nous trouverions dans une musique «traditionnelle»

Page 26: akusmatisk_L'espace du son 2

26 L'Espace du son II

feront place à des éléments qui nous seront transmis plutôt au niveau de notre perception de l’espace.

Certaines œuvres environnementales de l’auteur seront partiellement décrites, afin de démontrer la «mise en pratique» des principes proposés.

LE CONDITIONNEMENT DE L’ESPACE

En général, le «conditionnement»d’un lieu implique un état statique ou uniforme de l’espace; c’est-à-dire une coloration de l’espace ou une utilisation des sons masquants. Nous devons souligner que le terme «statique» est employé ici pour décrire la nature immédiate de l’espace et n’exclurait pas de lentes évolutions dans le caractère d’un lieu (comme dans l’exemple d’espace «évolutif» suggéré plus haut).

Dans une pensée strictement architecturale, l’évolution temporaire intervient par des change-ments dans la lumière naturelle (l’évolution dans la lumière du jour). Toutefois, il nous semble qu’une musique environnementale pourrait apporter une influence comparable à celle de la lumière sur notre perception de l’espace, et qu’une forme musicale pourrait, en effet, exprimer une métamorphose architecturale qui serait le mieux décrite comme un type «d’évolution lumineuse».

Le registre est un élément particulièrement impor-tant dans ce genre de traitement de l’espace. Avec l’accentuation de différents registres, nous pouvons obtenir l’effet des espaces «lourds» et «sombres» ou «légers» et«éclairés». Ce principe a donné naissance à Music for Environmental Sound Diffusion, une œuvre de l’auteur créée en 1984. Cette œuvre, une musique électroacoustique composée sur bande magnétique, a été conçue pour une diffusion à tra-vers dix haut-parleurs installés au plafond, et deux haut-parleurs installés sous des résonateurs en bois et placés au niveau du plancher. L’utilisation des magnétophones «auto-reverse» (recul automatique) a permis une diffusion ininterrompue dans l’espace. L’œuvre a été présentée, entre autres, à la galerie Tangente de Montréal, dans un large espace d’entrée et de passage situé entre la salle de performance et les espaces de bureaux.

Music for Environmental Sound Diffusion vise à créer une diffusion tout à fait uniforme et continue dans l’espace. Les dix haut-parleurs au plafond, distribués également à travers le lieu d’installation, créent une couche de son uniforme au-dessus de l’auditeur; les haut-parleurs placés au niveau du plancher dans deux coins de l’espace et instal-lés sous des résonateurs, accentuent certaines fréquences, donnent un timbre plus chaud au son, et aident ainsi à immerger l’auditeur dans un «état sonore» quasi statique. De lentes évolutions dans l’accentuation des registres musicaux et donc, dans le caractère de l’espace, sont composées sur bande magnétique.

Comme dans toute œuvre qui conditionne l’espace, l’intensité du son est un facteur important. Nous cherchons ici un niveau d’intensité où le son rem-plit et colore entièrement l’espace, sans que sa présence passe outre un effet de coloration ou de luminosité.

La théorie qui veut que l’accentuation de différents registres musicaux puisse influencer notre percep-tion de l’espace et qu’il existe vraisemblablement une association entre l’influence du son et l’influence de la lumière sur cette perception, est soutenue dans un article de Kurt Blaukopf, paru en 1971 dans La Revue Musicale. Dans son article -intit-ulé L’Espace en Musique Electronique - Blaukoft affirme que «l’application de la réverbération aux basses fréquences donne une impression d’espace obscurci» et que «l’augmentation de la réverbération dans la gamme des hautes fréquences produit une impression d’espace éclairci». De plus, il soutient que «la clarté et l’obscurité existaient aussi dans la musique conventionnelle en direct. Bessler, Schering, Dart et d’autres musicologues ont fait remarquer le caractère clair de la musique jouée dans les églises baroques (dont l’intérieur en bois favorisait l’augmentation de la réverbération dans les hautes fréquences), par opposition au caractère obscur de la musique jouée dans les cathédrales gothiques (caractérisées par un temps de réver-bération plus long dans les basses fréquences)». Il ajoute que «le degré d’obscurité ou de clarté est, dans la musique en direct, une constante qui ne peut être modifiée que par le transfert du concert dans un autre bâtiment, alors que la gradation de la lumière et de l’ombre peut, en musique élec-tronique, être modifiée dans le cadre d’une seule structure musicale.» (1)

Bien que dans cet article Blaukopf parle d’une musique électroacoustique conçue pour la salle de concert, nous arrivons (en ce qui concerne une mu-sique environnementale) à la même conclusion : la musique électroacoustique nous offre la possibilité de modifier notre perception de l’espace. Par la musique électroacoustique nous pouvons simuler, indépendamment du lieu de diffusion, différentes qualités d’espaces -«sombre» à «éclairée», «statique» ou «évolutive».

Si une telle musique est composée de fréquences ou de bandes de fréquences précises, elle peut aussi «masquer» certains sons indésirables (statiques ou intermittents) qui sont présents dans un espace par-ticulier. Ceci a pour effet de rendre l’espace plus calme, moins perturbé par des sons parasites. En général, une telle présence du son a pour effet de réduire l’acuité de l’audition des sons extérieurs, c’est-à-dire, d’élever le seuil de l’audibilité dans l’espace.

En utilisant la musique environnementale de cette manière, il serait important de noter les trois points suivants : (I) les tons graves dissimulent consi-dérablement les tons aigus, bien que les tons aigus

Page 27: akusmatisk_L'espace du son 2

27L'Espace du son II

produisent un effet faible sur les sons graves; (II) tout son, quel que soit son registre, dissimule con-sidérablement les tons plus aigus; et (III) l’effet de dissimulation d’un ton sur l’autre est plus marqué quand le ton «dissimulateur» est presque identique au ton dissimulé. C’est-à-dire que nous pouvons augmenter l’efficacité d’une texture musicale des-tinée à dissimuler le bruit, en incorporant dans sa structure les mêmes fréquences qui caractérisent le bruit en question.Puisque la fluctuation temporaire du bruit est un des facteurs les plus importants pour déterminer sa tolérabilité, l’intégration des textures musicales «quasi statiques» dans certains espaces perturbés par des bruits intermittents, peut nous aider à rendre ces lieux considérablement plus vivables.

Dans un article écrit en 1965, l’architecte américain William Farrell fait allusion à une telle intégration du son dans l’architecture. Dans une partie de cet article intitulée Parfum Acoustique (Acoustic Perfume), Farrell indique que dans la planifica-tion acoustique des bâtiments publics, «la plus grande partie du travail jusqu’à maintenant a été consacrée à la spécification des niveaux (du bruit) qui ne devraient pas être dépassés». Il propose, toutefois, qu’il devrait exister «un deuxième critère qui indique les niveaux au-dessous desquels le bruit ne devrait s’abaisser». (2) Pour Farrell, un élément important dans «l’isolation» de certains espaces publics, à part l’installation de barrières acoustiques, est le niveau stable, continu et peu élevé d’un bruit (fonctionnel) qui sert à «couvrir» certains autres bruits gênants.

Bien que le point de vue de Farrell puisse être extrême - il serait présomptueux de suggérer que dans notre lutte contre le bruit, nous devrions revêtir tous nos espaces publics d’une couche sonore continue - nous avons expérimenté que la présence d’une musique environnementale, par sa capacité de dissimuler des bruits extérieurs, peut rendre certains espaces considérablement plus calmes, voire plus propices à la concentration ou à la détente.

Nous venons de toucher à certains aspects qui particularisent le «conditionnement» d’un lieu. Comme nous l’avons indiqué, une musique envi-ronnementale de cet ordre est caractérisée par un traitement uniforme et quasi statique de l’espace. La musique électroacoustique nous permet une diffusion sonore tout à fait continue et homogène. Et avec l’accentuation de différents registres, nous pouvons obtenir certains effets de coloration ou de luminosité. De plus, une musique qui conditionne l’espace possède la capacité de «dissimuler» certains sons indésirables : le registre, le timbre, et les fréquences qui constituent une texture musicale, jouent des rôles importants dans une telle dis-simulation. En considérant maintenant la musique environnementale sous un autre aspect - celui de «l’articulation de l’espace» - nous découvrirons de nouvelles manières par lesquelles le son peut in-

fluencer notre perception de l’espace, et différentes fonctions possibles d’une musique conçue pour nos lieux publics.

L’ARTICULATION DE L’ESPACE

“L’articulation de l’espace” implique généralement une spatialisation du son; c’est-à-dire, le mouve-ment du son dans l’espace ou la séparation spatiale d’éléments musicaux.Dans la section précédente , nous étions à la recherche des effets d’espace tout à fait uniformes. Au point de vue de la diffusion, nous avons cherché à immerger l’auditeur dans un «état sonore homogène», une condition entièrement statique au niveau spatial. Considérons maintenant d’autres types d’espaces. Par exemple un espace dans lequel il existe - au lieu d’une coloration uniforme - différentes «régions» de couleur ou de luminosité, dans lequel nous per-cevrions une gradation spatiale dans les effets de coloration. Considérons des espaces dans lesquels différents éléments musicaux sont localisés à dif-férents points du lieu, ou encore des espaces dans lesquels le son se déplace à travers le lieu en une sorte de geste «décoratif».

Dans chacun de ces types d’espaces «articulés» - comme c’était le cas dans l’espace «conditionné» - les carac-téristiques propres du son, ainsi que nos méthodes de diffusion, joueront un rôle fondamental. Ici, nous chercherons plutôt à localiser le son dans l’espace, afin de créer des effets de mouvement, de distance, ou de profondeur spatiale par rapport à l’auditeur.

Nous avons déjà remarqué que le registre musical joue un rôle important dans la coloration d’un lieu; mais, puisque les fréquences aiguës sont beaucoup plus directionnelles que les graves, le registre mu-sical intervient aussi dans la localisation du son et l’articulation de l’espace. La recherche acoustique montre que «la localisation angulaire dépend en grande mesure de la différence dans l’intensité du son qui arrive aux deux oreilles», et «parce que cette différence est plus grande pour les fréquences aiguës que pour les graves, les sons aigus sont beaucoup plus faciles à localiser.» (3) Cette même recherche nous apporte également un aperçu sur la relation entre le timbre musical (c’est-à-dire le contenu harmonique d’un ton), et la localisation spatiale : «puisque la différence d’intensité aux deux oreilles dépend de la fréquence du son, la qualité d’un son complexe n’est pas pareille aux deux oreilles (...) cette différence aide dans la localisation auditive.» (4) Nous pouvons alors conclure, qu’en portant attention au contenu harmonique, même dans les tons plus graves, nous pouvons contrôler, dans une certaine mesure, le degré de leur localisation spatiale.

L’utilisation du registre et du timbre dans la créa-tion d’espaces articulés, a été appliquée dans Music for Passageways - œuvre de l’auteur créée en 1985. L’œuvre est un espace sculptural sonore, conçu

Page 28: akusmatisk_L'espace du son 2

28 L'Espace du son II

pour installation dans des lieux publics tels que les halls d’entrée, salles d’exposition ou d’autres types d’espaces intérieurs ouverts. L’œuvre crée un passage sonore à l’intérieur duquel le public est libre de se déplacer. La musique environnementale, composée sur bande magnétique, est diffusée à trav-ers un système sonore modifié, qui comprend trente deux tuyaux accordés à une échelle de tempérament égal (longueurs entre 16 cm et 3,50 m), trente deux haut-parleurs intégrés, et deux magnétophones stéréo (recul automatique). Entre autres, l’œuvre a été présentée à la Technische Universitat Berlin, Berlin-ouest, dans le «Lichthof» - une grande cour intérieure servant de point de rencontre et de repos pour les étudiants.

En contraste avec Music for Environmental Sound Diffusion (œuvre décrite dans la section précédente), Music for Passageways vise à créer une diffusion «hé-térogène». Le système sonore modifié de l’installation - formé de trente deux tuyaux, chacun fixé verticale-ment au-dessus d’un haut-parleur - fournit un champ sonore quadraphonique à l’intérieur duquel des sons spécifiques sont localisés selon les fréquences de résonance des tuyaux accordés. La plupart des textures musicales conçues pour cette installation ayant été réalisées sur des synthétiseurs commer-ciaux, les tuyaux ont été accordés selon l’échelle de tempérament égal de ces instruments.) Chacun des quatre côtés de l’installation est composé de huit tuyaux, accordés en sixtes mineures ascendantes; les quatre côtés étant décalés d’un demi ton. De cette manière, l’installation couvre un maximum de fréquences de résonance - fréquences fondamentales et premières harmoniques comprises. Aussi, chaque côté de l’installation est-il caractérisé par une série unique de fréquences de résonance fondamentales, c’est-à-dire, par un accord augmenté.

L’œuvre peut être installée dans l’espace de diverses manières, mais elle est toujours placée d’une façon symétrique, avec les longueurs de tuyaux ascendants des quatre côtés, vers l’intérieur du lieu. Huit haut-parleurs de gamme basse sont au centre de l’espace; seize haut-parleurs de gamme moyenne sont placés en ligne courbe à partir du centre; et huit haut-par-leurs de gamme aiguë sont placés aux extrémités de l’espace. Cette forme de distribution physique des tuyaux accordés crée un lieu de diffusion dans lequel le registre musical est «étendu» à travers le lieu de diffusion.

Music for Passageways permet, comme il est décrit ci-dessus, la localisation spatiale de différents re-gistres et de différents timbres. L’installation crée un espace dans lequel l’auditeur perçoit une profon-deur spatiale par rapport au son. Selon le contenu de la bande magnétique, l’œuvre présente soit une «gradation spatiale» dans la coloration du lieu, soit un espace dans lequel plusieurs éléments musicaux sont localisés dans différents points du lieu.

Toutefois, le degré de la localisation spatiale de cer-tains sons ou de certaines fréquences dépendra de l’acoustique qui caractérise le lieu d’installation. Le temps de réverbération d’un espace, les fréquences qui sont absorbées ou réfléchies, ainsi que les fréquences précises de résonance qui caractérisent le lieu, sont des éléments qui peuvent avoir une influ-ence décisive sur le caractère d’une installation. Dans le cas d’une installation conçue pour une diffusion dans divers espaces, nous pouvons toutefois «ac-corder» l’œuvre avec son environnement de diffusion; et ceci par l’utilisation des égalisateurs graphiques ou des «pitch shifters» (déplaceurs de fréquences). Par contre, dans une œuvre conçue pour une diffusion spécifique à un lieu, il est souhaitable d’incorporer les caractéristiques acoustiques de l’espace dans la conception de la musique.

Dans une étude créée par l’auteur en 1986, dont le résultat a été présenté dans le foyer du Hauptge-baude de la Technische Universitat Berlin à Berlin-ouest, les fréquences de résonance propres à ce lieu ont été intégrées dans la conception. Cette étude a été conçue pour bande magnétique à huit pistes et diffusée à travers huit haut-parleurs installés au plafond. Dans cette musique, les fréquences précises de résonance du foyer ont été employées afin de créer une «couche sonore» qui s’étende dans tout l’espace. Suivant les considérations exposées au début de cette section, le choix d’un matériau sonore avec très peu de sons harmoniques a aussi contribué à la «non-localisation» de cet élément dans l’espace de diffusion. Des mouvements spatiaux, en forme de gestes intermittents qui courent le long du foyer, ont été ensuite superposés sur cette couche homogène. Le choix d’un matériau avec un timbre complexe et non-accordé avec les fréquences de résonance de l’espace a aidé a bien localiser cet élément sur le plafond.

Nous soulignons dans cet exemple la combinaison de traitement d’espace : à travers le même système de diffusion, en utilisant le timbre musical et les fréquences de résonance afin de contrôler le degré de localisation du son, cette musique superpose des espaces articulés et conditionnés. En général, notre capacité de dissociation entre les sons d’un timbre similaire augmente quand ces sons provi-ennent de directions différentes. Ceci nous permet de combiner des sons d’un timbre ou d’une texture similaire dans différentes parties d’un espace, sans réduire la clarté ou l’indépendance de chacun de ces éléments. En même temps, et pour cette même raison, la localisation spatiale du son réduit consi-dérablement sa capacité de dissimuler des bruits extérieurs. Donc, la présence de certains éléments conçus pour conditionner l’espace peut aussi nous être utile dans une musique essentiellement «d’articulation». Dans la version originale de cette installation, des mouvements spatiaux ont été dif-fusés sur les surfaces intérieures de la sculpture; de l’extérieur, ces larges résonateurs créent l’effet d’un espace conditionné.

Page 29: akusmatisk_L'espace du son 2

29L'Espace du son II

bruit est-il un résidu vraiment inévitable de notre mécanisation ? La musique - l’art de combiner les sons d’une manière agréable à l’oreille - doit-elle se limiter strictement à nos salles de concert ?

Une pensée environnementale de la musique nous fait entrevoir de nouvelles utilisations pour notre technologie : des utilisations qui peuvent améliorer notre environnement sonore quotidien au lieu de le détruire. Une telle pensée, en liaison avec des connaissances du «phénomène sonore», donnera naissance à une nouvelle génération d’œuvres mu-sicales, des œuvres qui entrent en dialogue avec l’espace urbain et qui l’enrichissent. Ces œuvres nous permettront surtout de vivre dans l’espace. Elles pourront colorer l’espace, le caresser avec des gestes spatiaux ou simplement rechercher le silence pour mettre en relief les sons qui y existent déjà. Elles auront pour effet de nous guider vers une nouvelle perception de notre environnement, et d’éveiller nos oreilles à une écoute plus fine.

Mais il y a avant tout une conscience à développer : une conscience de l’oreille et de son importance dans notre fonctionnement quotidien; une conscience du son et de l’espace et des actions qui nous amèneraient vers une «nouvelle musique d’environnement».

Extrait de Une musique pour l'espace public

(vers une musique d'environnement)1989.

NOTES

(1) Blaukopf, Kurt, «L’Espace en Musique Electronique», La Revue Musicale, N°.269, 1971, p.162.(2) Farrell, William R., (Bolt, Beranek and Newman, Inc., Con-sultants in Acoustics, Cambridge, Massachussetts), “Acousti-cal Privacy”, tr. Minard, rep. dans : Architectural Engineering - Environmental Control, ed. Robert E. Fisher. McGraw-Hill inc. USA, 1965, p.186.(3) Knudsen, Vern O., et Cyril M. Harris, Acoustical designing in Architectural, tr. Minard, pub. The American Institute of Phys-ics pour The Acoustical Society of America, USA, 1950, 1978, p.272.(4) ibid.(5) ibid., p.163.(6) ibid., p.169.(7) Bregman, A. S., et H. Steiger, “Auditory Streaming and Vertical Localization : Interdependence of “What” and “Where” Decisions in Audition”, tr. Minard, dans Perception and Psycoacoustics, 1980, p.28.(8) Brant, Henry, “Space as an Essential Aspect of Musical Com-position”, New Music Quarterly, n.d.,n. pag.

Jusqu’ici, nous avons signalé l’importance du registre, du timbre, et de l’acoustique dans une mu-sique environnementale destinée à l’articulation de l’espace. Il nous manque quelques commentaires généraux au sujet d’autres éléments qui peuvent con-tribuer à une telle conception environnementale.

Nous avons déjà noté que la localisation du son dépend en grande partie de l'intensité qui arrive aux deux oreilles. La différence entre le temps d’arrivée du son à nos oreilles joue également un rôle dans la localisation spatiale. Pour ces raisons, notre capacité de localiser le son dans la direction horizontale est quelque peu meilleure que dans la direction verticale (5); en outre, il est beaucoup plus difficile de faire la différence entre un son venant directement de l’avant et de l’arrière, que de faire la différence entre un son venant d’un côté et de l’autre. (6) La connaissance de ces faits peut aider dans certaines conceptions ou «mises en pratique» de musiques pensées pour articuler l’espace.

Ainsi, la plupart des auditeurs perçoivent les tons aigus comme plus élevés dans l’espace que les tons graves. (7) Ceci nous permet d’ajouter du relief aux textures musicales ou de créer un certain degré de «spatialisation» dans une musique diffusée d’un point fixe. Par exemple, quand des sons bougent dans l’espace au-dessus de l’auditeur, nous avons expérimenté qu’en travaillant au niveau du contenu des harmoniques, nous pouvons créer une impres-sion de lignes droites, ou légèrement courbes. Un autre commentaire au sujet de la relation entre la hauteur du son et la perception verticale se lit dans un article du compositeur américain Henry Brant. Il constate qu’en général, «la hauteur verticale crée une impression de notes plus aiguës, même quand ces notes ne sont pas réellement plus aiguës que celles produites simultanément à une position plus basse». (8) Selon Brant, le positionnement du son dans l’espace peut aussi influencer notre perception de la hauteur musicale.

Finalement, nous remarquons que l’écoute est attentive à un son «rythmé». Pour cette raison, certains éléments rythmiques peuvent contribuer à l’articulation de l’espace. Nous sommes toutefois prudents. Des éléments rythmiques peuvent sou-vent se prêter à la création d’une qualité musicale «narrative», plutôt qu’à la création «d’états sonores». Nous constatons qu’en général, les considérations rythmiques dans une musique environnementale seraient plus souvent liées au «rythme formel» qu’à un contenu rythmique «immédiat».

UNE ECOUTE PLUS FINE

Notre société accepte le bruit comme un prix à payer pour les bienfaits du confort de la technologie moder-ne. Nous vivons dans un environnement sonore nocif, et cet environnement est en train de nous faire perdre la«jouissance quotidienne de l’ouïe». Mais ce

Page 30: akusmatisk_L'espace du son 2

30 L'Espace du son II

SORTIR DE LA SALLE DE CONCERT(1)

Gabriel POULARD

La technologie électroacoustique donne au composi-teur un outil extraordinaire qui entraîne un nécessaire examen du concept musique.L’électronique, par ses lois naturelles, diffère de la logique cause/effet gouvernant jusqu’à maintenant la musique occidentale instrumentale.En elle est inscrit un nouvel ordre, avec d’autres hiérarchies, appelant une autre conception. L’utilisation actuelle des outils informatiques est, dans la plupart des cas, au service d’une conception mécaniste binaire (qui n’a rien à voir avec le langage numérique) basée sur les oppositions héritées de la métaphysique; elle diffère en tout des extraordinaires finesses potentielles, à découvrir, permises par la spécificité électronique.

En considérant l’Espace frontal d'une disposition «à l’italienne» des haut-parleurs dans un concert élec-troacoustique traditionnel, j’observe que: - cette disposition favorise avant tout la «re-produc-tion» d’une image sonore virtuelle de type stéréo-phonique;- le nombre et la qualité des haut-parleurs favorisent un meilleur confort d’écoute, une grande qualité de définition, de puissance, d’occupation spatio-acous-tique;- cette disposition est indépendante du contenu musical.Nombre de compositeurs tentent de «sortir» de cette disposition (2) sans complètement y réussir, car tout point excentré (arrières, latéraux, plafond,...) ne fait que renforcer la «scène frontale à l’italienne».

Si je considère chacun des haut-parleurs comme un instrument en particulier (boomer, tweeter, bandes passantes variées, etc.), leur ensemble me donne un orchestre de haut-parleurs ou un trio, un duo, etc.-ce qui ne m’empêche pas de conserver la possibilité d’images virtuelles, capables de créer des «reliefs».

Mais alors, en prenant en compte les propriétés électroniques de la création musicale et les proprié-tés électroniques/acoustiques des haut-parleurs, cet «orchestre», ensemble «d’instruments», demeure sous-employé.Bien sûr, rien ne m’oblige à conserver cette disposition frontale, si ce n’est la référence à un modèle historique et l’acceptation non critique d’une conceptualisation obsolète de la musique.Cependant, le son «joué» et non plus re-présenté, l'abandon de la disposition traditionnelle d’un dis-positif électroacoustique vont entraîner un grand nombre de problèmes liés au domaine de l'espace.

ABANDONNER LE CONCERT

Il faut alors sortir de la salle de concert (celle-ci possède en effet une structure architecturale avant tout réservée à ce type traditionnel de manifestation), rechercher l'ouverture, renouveler l'aire de jeu.Dans une disposition différente le «fossé» entre public et lieu de« mise en son» de la musique n’a plus de raison d’être. Je vois plutôt une occupation totale du lieu (à la mesure de l’exigence poétique). Ici le public n'est plus contraint à l' immobilité et à une orientation imposée, l’espace acoustique de l’œuvre devenant omni-directionnel. Les périodes de fréquentation du public n'ont plus lieu à ho-raires fixes, le principe de «séance» est caduque : accès libre permanent.

L’œuvre de concert trouvait sa nécessité temporelle, organique, dans la conception du concert lui-même. L’abandon de ce dernier remet en cause la définition même de l’œuvre, son temps d'existence.Sa durée n’a plus la nécessaire limite imposée par le temps du concert. La situation mobile de l’auditeur et l’abandon de la disposition uniquement frontale invalide l’œuvre conçue comme message créé par un compositeur (émetteur) à l’intention d’un auditoire plus ou moins passif (récepteur).Cet abandon de la concentration du «dire» dans un temps donné remet en cause le système d’«écriture», d’organisation dialectique du temps musical.Le sonore électroacoustique débarrassé des exigen-ces tonales, est apte à utiliser d’autres techniques d’écriture, notamment spatiales, et de donner ainsi aux œuvres une dimension multi-directionnelle.«La musique occidentale plus occupée de la rela-tion entre les sons que des sons eux-mêmes» (Cage) trouve ainsi une issue.Révision du symbolisme de la notation, du pro-gramme, de l’explication-mode d’emploi (ce qu’il faut comprendre), entraînant une fonction pratique de celle-ci (tablatures). La notation n’est plus le support d’une «conception du monde» du compos-iteur. L’œuvre plus proche de l’essence sonore de la musique ne sera plus seulement jeu d’exercices syntactiques.

Il ne s’agit à aucun moment de substituer au concert traditionnel, où des choses précieuses sont en jeu, un type de diffusion musicale environnemental, décoratif, accessoire(je ne dévalorise pas ces formes qui ont leur domaine d’application précis). Mais il s’agit de préserver l’essence de la musique à

Page 31: akusmatisk_L'espace du son 2

31L'Espace du son II

téristiques et les exigences esquissées plus haut, la simple participation en aveugle et en sourd n’est plus possible.S’imprégner du travail de l’autre, afin de favoriser son dévoilement à travers le sien propre et inverse-ment, exige humilité, curiosité et souplesse inventive de création.Là, la lecture de Bergson sera enrichissante à bien des égards. Il s’agit de pensée créatrice et non d’assemblages d’éléments artistiques contrôlés par la raison :

«Et la pensée ne commence que lorsque l’on a éprouvé que la raison tant magnifiée depuis des siècles n’est que l’adversaire opiniâtre de la pensée»

Martin Heidegger.

ESPACE OUVERT

En fait il s’agit peut-être de retrouver en dehors de l’espace du concert une noblesse pour cet ar-tiste/créateur musicien, sculpteur, chorégraphe, peintre,... cette noblesse qui lui donnait droit à un titre en d’autres temps où son art bien qu’affirmé ne l’emmurait pas dans une aveugle et sourde autant que solitaire spécialisation.Ce titre était celui de tous les ESPACES internes et externes à l’humain...

«Plein de mérites, mais en poèteL’homme habite sur cette terre »

Hölderlin

Carnac, juillet 1990

travers un nouveau mode de rencontre musique-public- compositeur.(3)L’auditeur doit trouver ici les subtilités anciennes (paramètres traditionnels du son) et nouvelles (les jeux extrêmement riches et variés de diffusion spa-tiale du son permis par les haut-parleurs).

D’AUTRES QUESTIONS SE POSENT :

- En dehors du lieu du concert la Musique doit-elle demeurer solitaire ?- Si la pensée démocratique peut se développer, l’art, à l’aube d’une civilisation planétaire, ne doit-il pas s’orienter vers la multiplicité, la mixité ?- Les sens que nous possédons ne sont pas exclusifs et participent d’une même ouverture sur le monde. La situation antérieure à notre civilisation «moderne» (15ème-20ème) où la division du travail, des spéciali-tés et surtout des arts n’existait pas ou peu, n’est-elle pas à réinventer dans une forme similaire?

Sortir de la salle de concert, de son rituel, et retrouver une semblable énergie musicale n’est donc possible qu’en accompagnant cette sortie d’une réelle prise de conscience de notre planète, des civilisations venues d'autres lieux et d'autres temps. Nous ne pouvons plus ignorer qu'il existe ailleurs d'autres sensibili-tés artistiques, d'autres idiomes musicaux qui, s'ils n'obéissent pas aux modèles occidentaux, n'en sont pas moins riches et profonds. Connaissance aussi des autres arts : une situation de décloisonnement entre les arts n’est pas une nouveauté; elle existait avant la Renaissance en Occident et se retrouve dans la plupart des civilisations non-européennes. Mais pour nous la tâche risque d'être difficile car les ministères de la culture sont formés de départements bien étanches, gérés par des spécialistes souvent coupés des autres arts.

Travailler à un produit hybride, «multi racial», pourrait-on dire, impose plusieurs contraintes au compositeur ainsi qu'aux autres artistes :- Perte du pouvoir individuel sur l’œuvre finale; celle-ci doit constituer un tout cohérent où, pour être réussie, aucun des constituants ne sera l’illustration ou le commentaire de l’autre, des autres. Ceci est quelquefois réalisé dans certains films où scénario, mise en scène, jeu des acteurs, bande son, lumière, dé-cor, etc. sont généralement entiers et prégnants.Le narcissisme du compositeur peut, certes, en souf-frir mais l'œuvre y gagnera en richesse.

- Partage des droits d'auteur; la législation actuelle (SACEM) n'a pas toujours prévu ces situations nou-velles. L’électroacoustique , quant à elle, pose déjà problème car, hors du rituel du concert (qui lui a servi de légitimation et de rampe de lancement), son statut devient parfois équivoque.

- Nouvelles techniques de travail : Quand il s’agit de travailler à une œuvre commune avec les carac-

(1) Ce texte constitue la seconde partie d'une conférence de G.Poulard, Quels espaces d'écoute pour l'électroacoustique ?, (NDLR)(2) cf. notre dossier Espace de projection/projection dans l'espace (NDLR)(3) J’écarte ici la «musique répétitive» qui en fait , est une forme de concert désirant s’affranchir du concert en utilisant des moyens techniques compositionnels de type régressif.

Page 32: akusmatisk_L'espace du son 2

32 L'Espace du son II

Page 33: akusmatisk_L'espace du son 2

33L'Espace du son II

Il y a un an, la ville de La Chapelle sur Erdre (près de Nantes), demandait à des artistes de concevoir des projets sur le thème de la rivière qui la traverse, l’Erdre, en intervenant sur des sites particuliers.

Mon choix s’est fixé sur l’espace des Jardins de l’Hôtel de Ville (200x60 mètres) pour l’imprégner de l’imaginaire de l’eau. Ce terme d’imprégnation est pour moi, d’une part une façon d’utiliser les particularités de la topographie du jardin, les ef-fets de renvois, de masques, de réverbérations, de filtrages..., d’autre part une façon d’immerger le promeneur/auditeur dans la pièce musicale et non de le placer face à elle et ceci sans que l’aspect technique (câbles, diffuseurs,...) soit visible.

Le projet d’installation comportait 18 points de dif-fusion répartis sur l’ensemble du jardin :

- dans les deux puits en dirigeant les haut-par-leurs vers l’eau afin d’utiliser la réverbération de l’eau et l’effet de tube du conduit;- au fond de niches aménagées dans un mur de pierre afin d’atténuer la localisation et de donner une autre coloration;- dans des bosquets, le long de ce même mur en orientant les diffuseurs vers le mur pour utiliser le phénomène de renvoi;- dans les arbres, le plus haut possible afin d’utiliser l’effet de masque et de dispersion dans l’air.

J’ai cherché volontairement à laisser opérer certaines déformations de timbre, de plans, tout en conservant la structure élaborée en studio.(1)Le matériel sonore de départ était essentielle-ment constitué de sons d’eau réels, non pour leur réalisme, mais pour que les images suggérées con-tiennent de manière intrinsèque la trace, la mémoire du mouvement de l’eau. Au moment du travail de conception en studio, le plan du jardin avec les emplacements des diffuseurs, les transformations acoustiques probables étaient présents dans mon esprit. Peu à peu, en même temps que les différentes séquences s’élaboraient, se précisaient leurs trajec-toires et leurs implantations sur le site.J’ai choisi quatre pistes pour le mixage, sachant qu’ensuite, chacune des pistes pourrait être envoyée sur plusieurs diffuseurs grâce au système de diffu-sion assisté par ordinateur du GES - VierzonEnsuite, il y a eu l’implantation réelle dans le jardin. C’est-à-dire le moment où certaines propositions se sont avérées justes pour le travail spatial. L’écoute attentive de l’environnement sonore quotidien du

jardin m’a énormément aidé à préciser la mise en espace : ne pas plaquer une musique sur le jardin mais s’approcher intimement de lui et jouer avec.Le promeneur se déplaçait librement dans le jardin, sans aucune indication dirigée de parcours privi-légié et avec également la possibilité d’une écoute au centre du processus de diffusion.J’ai cherché à révéler un nouveau paysage, à créer une nouvelle perception de l’espace du jardin par la présence virtuelle de l’eau, ainsi qu’à faire entrer l’auditeur dans l’architecture musicale. Ce qui a entraîné en même temps une attention particulière pour l’environnement sonore naturel du jardin.

Le travail de l’espace en extérieur produit des phé-nomènes résiduels sur la coloration mais aussi sur le temps ; la propagation se fait en fonction des ob-stacles, des distances, des conditions climatiques.C’est ce qui m’intéresse particulièrement dans la création en rapport avec l’environnement.L’installation est restée en place une semaine au cours de laquelle j’en suis arrivé à diffuser en diminu-ant progressivement le volume et, curieusement, les détails musicaux et les formes dans l’espace ont acquis ainsi leur relief.

DEUX ESPACES SONORES URBAINS

Cécile LE PRADO

Page 34: akusmatisk_L'espace du son 2

34 L'Espace du son II

Il nous paraît intéressant d'ajouter à ces propos un extrait de l' Entretien avec Cécile Le Prado réalisé par Philip de la Croix à l'occasion de son émis-sion «Multipiste» (France-Culture, INA-GRM) et publié dans le catalogue de l'exposition «Sites choisis». Ce projet, réalisé par la ville de Niort (14 juin-1er septembre 1991), consistait pour quelques artistes à ponctuer, animer, interpréter divers espaces-paysages de cette ville.Follia, l'œuvre de C. Le Prado, tentait une «anamnèse» du Fort Foucault et la mise en place sonore d'une nouvelle architecture du lieu. (NDLR)

P.dlC. Comment conciliez-vous respect du lieu, de sa mémoire et dans le même temps volonté de faire découvrir ce lieu ? Comment, par exemple, avez-vous pu installer votre dispositif de diffusion, après la première étape de création; car qui dit diffuser dit privilégier des lieux dans le lieu ? Et ces choix sont autant de propositions subjectives qui viennent se confronter à l'objectivité du lieu, surtout quand il est question d'accoucher ce lieu des vérités non encore révélées qu'il renfermait .

CLP. J'ai commencé par réfuter d'emblée l'idée d'une diffusion frontale. J'ai tout de suite pensé qu'il fallait que l'auditeur se promène, circule dans les sons.

Bien entendu, j'ai choisi des sites de diffusion sonore en fonction de ce que je crois indispensable ou le plus favorable à la meilleure écoute.Et de la même manière qu'un lieu doit savoir et pouvoir faire bouger les idées préconçues d'un com-positeur, je souhaite que mon dispositif sache faire percevoir, voir et entendre des choses inattendues et même insoupçonnées à ceux qui voudront bien le parcourir.Diffuser, c'est vraiment jouer avec le réel.Je voudrais pouvoir dire que j'ai dessiné les contours d'une nouvelle carte de ce lieu avec des trajectoires de son.

Le dispositif de diffusion se rapporte à tout sys-tème de contraintes; c'est une étape indispensable, incontournable comme on dit, mais c'est un temps de la création qu'il convient de ne jamais oublier dès la conception même de l'écriture d'une pièce; il est passionnant d'être confronté à cela, mais c'est plein de pièges autant pour le compositeur que pour l'auditeur-spectateur-déambulateur.Pour moi, s'il y a deux temps de la composition : le travail sur bande et le travail sur la diffusion, ils font partie d'un ensemble absolument indissociable.

Concrètement, après un travail de prise de sons sur place, j'ai travaillé ces sons et donc ma partition en studio.Le résultat est une pièce musicale qu'il me faut installer dans le «décor»; j'ai choisi de multiplier les sites de diffusion pour troubler toute localisation précise de l'origine de la diffusion et j'ai placé ces sources dans la peau du site : le sol, la végétation, l'intérieur des bâtiments, toujours en utilisant les capacités de renvoi et d'absorption propres à chaque élément.

Il me restait ensuite à faire le choix d'une diffusion d'intensité très mesurée; j'ai ombré les zones de manière différente pour accentuer l'impression re-cherchée d'un bain de sons d'origine non identifiée, en fait pour créer une architecture virtuelle.

(1) Pour ces deux réalisations, le traitement des sons a eu lieu sur SYTER à l'INA-GRM et la conception spatiale avec le GES- Vierzon.

L’espace/paysage que décrit la musique n’est jamais tout à fait réel ou, si l’on préfère,réaliste. Il s’agit toujours, peu ou prou, d’une synesthésie : l’oreille perçoit ce qui s’adresse à l’oeil; «l’oreille voit».

F.DHOMONT, «De l’Espace», Acousmathèque 101

Page 35: akusmatisk_L'espace du son 2

35L'Espace du son II

LA COMPOSITION DE L’ESPACE PUBLIC SONORE

Charles de MESTRAL

Engagé depuis plusieurs années avec le groupe Sonde dans des réalisations électroacoustiques événementielles, mon travail individuel s’oriente maintenant vers les installations conçues pour des lieux publics. L’art électroacoustique incite à quitter les lieux et événements traditionnels et fournit les moyens pour le faire. Mon propos est ici, premièrement, de situer brièvement cette pratique et, deuxièmement, de décrire deux installations sonores réalisées dans le but d’explorer quelques-unes des possibilités multiples qui s’offrent.

On a souvent commenté la surdité générale de la tradition architecturale et urbaniste moderne (voir «Lieux sonores en lieux communs» dans les actes du festival Diffusion, de la Communauté électroa-coustique canadienne (CEC), Toronto, 1988). Les causes en sont multiples et il ne faut pas les im-puter principalement aux architectes. La société industrialisée contemporaine, particulièrement dans la version américaine temporairement domi-nante, se caractérise par sa nature agressivement «visuelle». On a beaucoup parlé de cette qualité de façon pas toujours très «scientifique». On se rappelle les réflexions anciennes d’un Marshall McLuhan, les études actuelles sur les fonctions perceptives sonores des hémisphères du cerveau et la notion d’une dominante, soit visuelle, soit auditive chez les êtres humains.

Quoi qu’il en soit, le point de départ créateur est essentiellement intuitif. On détecte un déséquili-bre psychique. L’ouïe étant une spécialisation de la sensation tactile, l’être humain contemporain ne «ressent», n’ «entend», plus la totalité de son monde. Il s’agit d’un autre résultat de l’évolution rapide de nos sociétés qui entraîne l’éclatement des schémas anciens de perception sans nous en fournir d’autres. Ceux-ci restent à créer.

Nous sommes quotidiennement assourdis par la ville. Le niveau sonore augmente sans cesse. Les camions de pompiers à Manhattan sont maintenant équipés d’un klaxon d’un genre nouveau qui produit un bruit rauque d’un volume et d’une qualité quasi apocalyptiques. Une augmentation du volume sono-re est marginalement possible mais on atteindra bientôt un seuil et la provocation temporaire ou permanente de la surdité, ce qui aura l’effet contraire à celui recherché!

Les moyens électroacoustiques permettent d’in-tervenir positivement. Il faut redonner à entendre

la réalité humaine et environnementale. Il faut premièrement baisser le niveau sonore général. Ceci est même un thème politique potentiel. L’as-sociation Greenpeace pensera-t-elle à harceler des pollueurs sonores? Verrons-nous un autre Rainbow Warrior coulé dans la défense du bruit industriel ? On en doute. Pourtant le bruit est un sous-produit nuisible de l’activité industrielle au même titre que les dioxines.

Réintroduire la conscience du son c’est retrouver une partie de notre humanité. Plusieurs individus et groupes y travaillent actuellement. Signalons le haut-parleur caché sous un îlot piétonnier à New York par Max Neuhaus. Cette installation se caractérise par l’extrême simplicité des moyens. Rappeler l’existence et l’intérêt du son. Point de départ modeste mais nécessaire. Une autre ins-tallation de Neuhaus au Kunsthalle de Bern fonc-tionne par la perception du silence, contrepartie en forme d’installation de la pièce 4' 33" de John Cage. Bernhardt Leitner travaille avec des moyens techniques relativement plus complexes, mais son installation à l’Université de Berlin diffuse des sons courts et non-complexes dans le but d’attirer brièvement l’attention de ceux qui passent.

Il y a une infinité de possibilités à explorer. Le terrain est relativement vide. Il ne faut pas non plus oublier les réalisations anciennes des sociétés où l’équilibre perceptif était différent. La sonorité des cathédrales ou des fontaines en constituent des exemples merveilleux. Les moyens actuels sont très variés. L’enregistrement numérique fournit un moyen de retransmission des sons d’une très grande qualité.

Au mois de novembre 1989, Sound cruise, une installation holophonique de ma conception a été inaugurée dans un puits d’escalier cylindrique de quatre étages au nouvel édifice des Arts médiatiques au Banff Centre en Alberta au Canada. (Je pensais avoir «inventé» le terme «holophonique» pour mes propres besoins mais il s’employait déjà, ce qui n'est pas étonnant). Il s’agissait d’une sonorisation dans un lieu architectural rendu déjà très intéressant en soi par le travail exceptionnel de l’architecte. On pourrait y imaginer une grande variété de types d’installation sonore. C’est un espace qui appelle le passant à une exploration du son. Il a un temps de réverbération très long, approchant une dizaine de secondes au point que les conversations sont

Page 36: akusmatisk_L'espace du son 2

36 L'Espace du son II

Schéma n° 1 : Sound Cruise

Schéma n° 2 : L'Arbre

Page 37: akusmatisk_L'espace du son 2

37L'Espace du son II

difficiles dans l’escalier. J’ai remarqué que la forme cylindrique du mur et le dégagement des escaliers, à l’exception de quelques points de contact, pro-duisent un effet analogue à celui qu’on découvre dans les dômes : la conduction très efficace du son d’un côté à l’autre. Il y a beaucoup d’autres effets particuliers à découvrir et à explorer. On entend clairement des sons de fréquences aiguës monter et se fondre dans la hauteur de l’espace. On peut créer du contrepoint avec les sons qui reviennent en écho. Il y a des effets de battement entre des sons orientés autour du mur.

Le choix retenu consistait à introduire des environne-ments sonores naturels relativement complexes, avec d’occasionnelles transformations électroacoustiques légères. Soixante minutes d’environnements sonores en stéréophonie : trains, voix, circulation, oiseaux, baleines, tonnerre, feux d’artifice... L’intention était de retenir l'attention des passants un certain temps selon leur disponibilité et l’intérêt des sons. En revenant à un autre moment ils entendraient un environnement différent.

Le système de diffusion sonore était conçu avec des séparateurs de fréquences «passifs» (à cause du bud-get) à quatre voies. Les deux canaux de fréquences graves, non-directionnelles pour l’oreille humaine, étaient mélangés dans l’enregistrement et diffusés essentiellement par un haut-parleur installé dans un tuyau vertical suspendu au milieu du puits de lumière. Cette forme centrale, remplie de laine mi-nérale, fonctionnait comme «cloison infinie». Elle a eu également un effet bénéfique pour le genre de sonorisation en question en absorbant du son et en réduisant la réverbération à un niveau où les sons étaient plus précis. Un deuxième haut-parleur sous l’escalier renforçait ces fréquences (les séparateurs de fréquences passifs fournissant deux sorties). Les autres fréquences étaient diffusées par deux colonnes d’une longueur d'environ 5 m (distance entre chaque palier). Chaque boîte contenait quatre haut-parleurs diffusant les trois autres bandes de fréquences plus un haut-parleur «piézo» renforçant les aiguës. Ces colonnes étaient placées sur le mur et le son orienté parallèle au mur, les deux en sens inverse et à des hauteurs différentes. Une extrémité de chaque boîte était respectivement au point central de la hauteur de l’escalier et les haut-parleurs diffusant les sons aigus étaient de plus en plus éloignés de ce point (voir schéma). Ceci respecte notre perception plus claire de la directionnalité du son aigu. Le but de cette installation était de créer une stéréophonie totale dans l’escalier, de plus en plus précise en rapprochant la tête du mur.

L’installation a fonctionné pendant un mois et aurait pu accueillir des sonorisations d’autres compositeurs.

L’Arbre est une sculpture visuelle et sonore élaborée en collaboration avec le sculpteur C. Paul Mercier, né

en France et établi à Montréal depuis une vingtaine d’années. Il s’agit d’une œuvre dont l’auditeur/specta-teur peut faire le tour, conçue pour un grand espace public relativement tranquille. Malheureusement on découvre que de tels espaces sont très rares. On con-clut à la nécessité d’une collaboration entre architecte et concepteur sonore dès le début de l’élaboration des plans d’un édifice. Il faut faire la promotion da la notion de décor sonore. Les architectes acceptent habituellement un niveau de laideur sonore qu’ils ne toléreraient sûrement pas au plan visuel. A ce sujet il faut se méfier de la notion de «sculpture sonore» qui fait tout de suite référence aux yeux tout en étant en principe invisible. Peut-être vaut-il mieux ne pas utiliser le terme ?

Visuellement cette œuvre est en forme d’arbre, construit avec le bois d’un noyer planté il y a plus de deux siècles, pendant le régime français au Canada, aux bords du Canal de Vaudreuil. Elle contient un système sonore holophonique de vingt haut-parleurs. Elle projette une image acoustique tridimensionnelle. La bande sonore est stéréo-phonique et les sons aigus proviennent de plus haut. Quatre haut-parleurs de moyennes-basses fonctionnent dans le tronc vidé et ouvert en bas comme un système «transmission line». Les deux canaux des fréquences graves sont mélangés dans la bande sonore. Il n’y a qu’une séparation de fré-quences en deux voies. Deux sortes de haut-parleurs d’aigus à réponse de fréquences différentes servent à distinguer ces fréquences. Ces haut-parleurs sont orientés à des points et hauteurs précis (voir schéma), une rangée non convergeante vers un cercle à 1,20 m du sol et l’autre plus aiguë placée plus haut et orientée en convergence vers quatre points à 1,50 m du sol. Le champ sonore est ainsi varié selon que l’on s’approche de la pièce, que l’on en fait le tour de plus près ou que l’on est assis ou même couché à ses côtés.

La base de la pièce contient un amplificateur- correcteur de fréquences d’automobile à sortie stéréophonique double et une cassette-baladeur à rembobinage automatique, système simple, économique et efficace. Les soixante minutes du déroulement sonore consistent en un collage de sons, principalement naturels, évoqués par les associations poétique, visuelle et musicale d’un arbre. On entend, entre autres sons : des oiseaux, des vagues, des voix d’enfants, des baleines, des ondes cérébrales stéréophoniques. Le niveau sonore est volontairement bas.

Ce type de système s’avère très efficace, diffusant une image sonore variée tridimensionnelle de tous les points d’écoute. La construction de versions plus grandes est en projet, conçues probablement pour l’installation en plein air et pouvant servir d’instrument de diffusion permanent.

Page 38: akusmatisk_L'espace du son 2

38 L'Espace du son II

Bunker de Notre Dame de La Garde (Marseille)vue du volume généralProjet de Création d’un Evénement Musical et Sonore dans le Bunker de Notre Dame de la Garde à Marseille.Présenté par Lucien BERTOLINA et Gilbert RACINA.

Page 39: akusmatisk_L'espace du son 2

39L'Espace du son II

COMME UN TROU DE MEMOIRE...Quelques notes à propos d’une réalisation en cours.

Lucien BERTOLINA

Il m'arrive d'avoir le sentiment que tous les travaux que j’ai pu réaliser et qui parfois se sont écartés des préoccupations musicales établies, ont fait ap-pel à un désir d’exploration sonore des lieux, des espaces, des situations, des êtres, des choses, au travers desquels peu à peu se serait dissout mon propre désir de création. Où l’imaginaire n’aurait été présent que pour tisser une relation amoureuse à la réalité réinventée, où la présence du réel et sa transposition musicale confrontées, auraient été le lieu de partage d’un autre contrepoint.

Par rapport aux lieux sonores qui m’inspirent, je perçois parfois le langage musical comme un abîme où se perdraient mes intentions premières, où la présence de ces lieux se serait dissoute. Des sons concrets, représentatifs d’images que la mémoire reconnaît, aux sons musicalement abstraits que le compositeur agence, le lien -lieu de passage- est rien moins qu’évident. Mais c’est bien parce que toute œuvre d’art est, à proprement parler, étonnante. Pour le compositeur qui est ainsi à l’écoute de ce panorama des capacités sonores, s’interroger sur cette extraordinaire «machine» à transformer les sons, c’est mettre à l’épreuve le sens de sa création, son esthétique. J’ai toujours accordé une place importante dans la préparation de mes compositions à une expérience «documentaire» qui consiste à fixer des images et des sons sur des lieux qui nourrissent mes projets, à les regarder, à les écouter, à y passer de longs moments.J’ai le sentiment que ces écoutes et ces recherches constituent déjà en elles-mêmes une démarche créa-trice et je regrette souvent que par la suite, elles se fondent dans la «fiction» musicale, que celle-ci en les transposant, les absorbe ou les masque. C’est pourquoi j’éprouve de plus en plus le besoin de laisser se dévoiler ces deux composantes au sein même de mes compositions. L’une étant portée par l’attention au réel et l’autre par la réalité réinventée, transformée par l’imaginaire, toutes deux transpo-sées dans l’univers de la création.

LE BUNKER COMME UN TROU DE MEMOIRE.

Dominant le Vieux Port de Marseille, on peut dé-couvrir dans les hauteurs que surmonte la basilique de Notre Dame de la Garde, un ensemble de hautes salles voûtées et de galeries aménagées durant la

seconde guerre mondiale. L’accès, par trois entrées à flanc de colline, offre, à qui entre et sort du Bunker, un panorama exceptionnel sur la Cité phocéenne.Ce lieu souterrain, mais qui surplombe la ville, ac-cueillera notre manifestation.Le public sera invité à un événement musical et sonore qui, quarante-huit heures durant, se dérou-lera sans discontinuité dans un lieu étonnant.

« Il en avait disposé les parties auxiliaires et annexes avec tant d’art que chacune d’entre elles semblait ajouter à l’unité et à l’harmonie du tout ensemble de ce merveil-leux concept ».

De Mainteglon Hist. de L’Académie de Peinture.

Une exposition musicale et sonore, suppose un ac-cueil qui la distingue d’autres manifestations ou ex-positions audio-visuelles ou de concerts et auditions publiques. Elle en diffère nécessairement dès lors que la diffusion sonore renouvelle ici chacune des parties constitutives, à commencer par le lieu dans lequel nous envisageons de créer un événement.Nous avons été conduits à rechercher dans Marseille des lieux permettant de conjuguer de façon originale les composantes de notre projet.

L’IDENTITE SONORE DE LA VILLE.

Si un inventaire sonore s’avère dans un premier temps indispensable, peut-il suffire à lui seul pour exprimer l’identité sonore d’une ville ? On ne peut se limiter à effectuer un relevé sonore et à donner à réentendre tels quels, des sons et des bruits. Il s’agira plutôt, comme pour un travail de création électroacoustique, de partir des lieux sono-res privilégiés dans Marseille, de les recomposer, de réaliser une suite de tableaux grâce auxquels le lent travail de la mémoire révèle peu à peu l’identité sonore recherchée.La création sonore participe à l’élaboration de ce cheminement émotionnel dans lequel l’imaginaire n’aurait été présent que pour tisser une relation amoureuse avec la réalité réinventée, et où la présence du réel et sa transposition musicale devien-nent le lieu de partage d’un nouveau contrepoint. Il ne s’agira donc pas d’offrir à un public immobile une composition narrative, mais bien au contraire, dans une logique différente que suggère le Bunker,

Page 40: akusmatisk_L'espace du son 2

40 L'Espace du son II

de permettre à la mémoire de chacun de trouver son propre cheminement durant sa découverte de l’architecture intérieure de ces espaces aveugles.

L’IDENTITE PLASTIQUE DU LIEU

Le choix du lieu de création de la manifestation était essentiel. Ne devait-il pas appartenir à la Ville et en être para-doxalement, son trou de mémoire comme peuvent l’être des parkings souterrains ou des abris, des catacombes ou des cryptes ? Parce qu’il mettait en défaut tout effort de représen-tation, le Bunker de Notre Dame de la Garde s’est ainsi imposé à nous, donnant tout son sens à notre démarche.

SCENOGRAPHIE

La manifestation sera caractérisée par plusieurs dispositions qu’appellent la démarche adoptée et la nature de cette création.

La scénographie est étroitement liée à la diffusion musicale et sonore qui guidera, tel le fil d’Ariane, le spectateur auditeur dans le Bunker.

La disposition du Bunker, ses accès, son aspect labyrinthique induisent une scénographie. Comme Ariane, les spectateurs-auditeurs seront guidés par la diffusion sonore que souligneront des dispositifs lumineux. Le rôle de la scénographie est d’inciter à un déplace-ment, un parcours, à des allées et venues incessantes qui augmenteront le pouvoir de mémorisation de chacun. Le caractère de la scénographie est donc essentiellement mnémotechnique.Il n’exclut pas cependant un sens de la «visite» puisque le public pourra entrer par un accès et sortir par un autre. Mais dans les deux cas l’effet de surprise jouera : on laisse à l’entrée l’image mag-nifique de Marseille pour la retrouver plus tard, la mémoire réveillée.

Marseille le 25 septembre 1990.

Page 41: akusmatisk_L'espace du son 2

41L'Espace du son II

ECOUTER SOUS L’EAU Les musiques subaquatiques

Michel REDOLFI

L’eau matérialise le son, le substantifie, le rend épais, palpable et pénétrable.La matière sonore n’est plus une image du vocabulaire musical : l’eau et le son, entrelacés au niveau moléculaire, créent une matière fluide et sonique que l’on ne se contente pas d’observer pour ses reflets de surface, mais dans laquelle on s’enfonce pour goûter son volume, sa masse, sa chaleur et ses vibrations.Fluide et Sonique est une musique amorphe au sens étymologique du terme; c’est en fait une substance acoustique, mesurable indifféremment en mètres cube, en décibels, en degrés centigrades ou en hertz. L’ auditeur est libre de la traverser quand il le veut, comme il le veut, et d’y découper des formes mentales personnelles.Le concert subaquatique est un réservoir onirique. (Extrait des notes de programme de Fluide et sonique (Sonic Waters ), premier concert subaquatique en piscine, Festival de la Rochelle, Juillet 1981)

Depuis dix ans aujourd’hui le projet des musiques subaquatiques explore à la fois les techniques de dif-fusion du son en milieu aquatique et tente de cerner, à des fins artistiques, les caractéristiques de l’écoute humaine en immersion .Contrairement à l’air, il n’y a aucune cohérence entre l’émission d’un signal et sa réception physiologique par l’individu. Le son se transmet à merveille sous l’eau, mais l’homme à l’écoute n’en percevra que cer-taines composantes captées par résonance de la boîte crânienne, les tympans étant devenus inopérants en milieu liquide. Il fallut concevoir un projet musical qui joue et se joue des limites de ce filtre qu’est la conduction osseuse -qui restreint le spectre et annule la dynamique- pour tenter de cerner les multiples incidences de cette situation inouïe sur l’espace perçu et vécu par l’auditeur. Cet espace d’écoute subaquatique s’avèrera être un espace mat et enveloppant évacuant toute latéralité, réverbérations et profondeur de champ; une sorte de mise à plat cubiste de nos paramètres d’écoute tels qu’ assimilés depuis notre enfance. Il s’agit bien d’une reprogrammation radicale de notre appareil auditif et mental qui oblige le compositeur à maîtriser le son également dans sa dimension psycho-acoustique . Les données sociales du concert sont aussi sérieuse-ment repositionnées : un groupe d’auditeurs dévêtus se mouvant tels des spationautes en gravité zéro dans une eau chauffée ne peut être considéré comme un auditoire conventionnel. Le public doit s’adapter à ce nouvel espace et prendre son écoute inédite en charge. Il relaie l’exploration du compositeur et souvent se l’accapare.La musique subaquatique sera donc tout autant

expérimentale pour le musicien qu’expérimentable pour l’auditeur (music to experiment and experi-ence). Là où on croyait ne trouver que du naturel, le culturel émerge à grands flots; cet article résumera les principes physiques et psycho-acoustiques de l’écoute en immersion et en esquissera les résonances esthétiques. L’essai du philosophe et musicologue Daniel Charles qui suit, traitera le sujet dans ses profondeurs poétiques.

QU’ENTENDRE SOUS L’EAU ?

De tout temps l’homme a rêvé d’une eau mysté-rieuse et sonore: les divinités, sirènes, et autres cathédrales englouties abondent et sont le bruit de fond de nombreux mythes et fantasmes; néanmoins aucune culture n’a jamais su produire concrètement une manifestation sonore, rituelle ou profane, sub-aquatique. Au delà du peu d’intérêt social que cela peut finalement bien avoir pour des homo-sapiens affranchis de leurs branchies originelles, force est de constater la stricte impossibilité de générer par la voix ou par des instruments acoustiques, une quelconque vibration dans un milieu des milliers de fois plus dense que l’air.Et pourtant, le son peut se transmettre parfaite-ment sous l’eau et quatre fois plus rapidement que dans l’air (1450 m/s contre 350 m/s). L’humain est tout à fait apte à le percevoir par conduction osseuse crânienne en s’immergeant ou, plus simplement, par simple contact de la tête avec la surface de l’eau; en flottant par exemple en position dite de planche.Cependant, cette étonnante adaptabilité physi-ologique de l’appareil d’écoute en immersion (sans corrolaire pour les autres sens) est toujours ignorée

Page 42: akusmatisk_L'espace du son 2

42 L'Espace du son II

de nos jours car il n’y a pas grand chose et même très souvent rien à entendre sous les plans d’eau publics, à quelques vrombissements anodins près : murmure des pompes de piscines, stridulations des hors-bords. Les occasions d’être dans une eau puis-sament sonorisée par haut-parleurs étant limitées à mes travaux, beaucoup se résignent à considérer la mer et l’eau en général, comme le «Monde du Silence». Loin des côtes cependant, les bruissements indus-triels de l’exploration océanique, inapprochables pour le commun des nageurs, commencent lente-ment à recomposer avec force les paysages sonores de certaines mers : bourdon des hélices géantes, piaillements des sonars, percussions des pilons, (honteuses) explosions atomiques ...Malgré cela et toujours hors champ d’écoute humaine, 20 000 espèces biologiques survivantes partagent une communication sonique subaquatique grâce à des organes spécialisés, dont beaucoup n’ont pas encore révélé leur morphologie secrète : les poissons grognent, tambourinent ou crissent, les crevettes cliquètent et les dauphins gazouillent, caquètent et sifflent. On dit que les baleines chantent, je dirais plus prosaïquement qu’elles meuglent. L’indubitable fascination des individus pour la dé-couverte d’une esthétique sonore immergée à leurs pieds (en piscine ou bord de mer) s’est vérifiée depuis 1981, date à partir de laquelle j’ai mis en pratique mes recherches acoustiques dans les concerts sub-aquatiques ; une appelation trivialement provocante, à mi-chemin entre l’utopie futuriste et les concerts impossibles post-cagiens et qui atteignit son objectif, celui de piquer au vif la curiosité du public et de l’inciter à plonger derrière le miroir.

PERCEPTION DU SPECTRE

Sous l’eau le son se propage rapidement (1450 m/s), «traverse» la chair de l’auditeur et n’est arrêté dans sa course que par les os qui entrent en résonance. La tête est ainsi mise en vibration comme sous l’effet d’un diapason et transmet directement et simul-tanément le son aux systèmes nerveux des deux oreilles internes, ancrées derrière les maxillaires. Les tympans, eux, de même densité (impédance) que l’eau comme toute notre peau, sont devenus acoustiquement transparents et n’ont presque pas frémi dans l’opération. La seule manière de les faire fonctionner est paradoxalement de se «boucher les oreilles» (occlusion du conduit auditif externe) afin de percevoir et même amplifier de 20 dB des vocalisa-tions graves; bouche fermée, faut-il le rappeler !

L’expérimentation personnelle de cet effet d’occlusion, identique dans l’air, est riche en con-séquences théoriques mais n’intéresse guère l’écoute de l’environnement subaquatique pour laquelle nous prendrons en compte les seules performances de la conduction crânienne excitée de l’extérieur : sa courbe optimale se situe entre 200 Hz et 8000 Hz mais la sensibilité moyenne, en écoute de sources ambiantes, est comprise entre 500 Hz et 5000 Hz.

La flottaison quant à elle, induisant la mise en eau partielle de la tête, va opérer un filtrage supplémen-taire suivant la conductivité des plaques osseuses en contact avec l’eau : nuque dans l’eau/nez en l’air (faire la planche) crée une emphase pénible entre 1000 Hz et 2000 Hz mais assure une excellente audibilité. Au contraire, la position face dans l’eau /nuque à l’air (avec masque et tuba par ex.) pro-voque une confortable atténuation de cette même zone, rehausse légèrement l’audibilité au dessus de 5000 Hz mais provoque une chute relative du volume général... Néanmoins je recommanderais cette position d’écoute.

Les timbres subaquatiques sont perçus comme médium-aigus avec une courbe en constante fluctua-tion entre 500 et 5000 Hz conférant une impression de fragilité cristalline à l’ensemble des timbres.

PERCEPTION DE LA DYNAMIQUE

La rigidité du récepteur crânien abaisse de moitié la sensibilité auditive aérienne. Elle retrécit aussi la dynamique à un système quasiment binaire de tout-ou-rien: à bas niveau de diffusion musicale le crâne n’entre pas en résonance, mais dès que la conduction devient opérante, les hausses de niveau de diffusion ne sont plus guère enregistrées.

Le court-circuitage des tympans est également responsable de l’absence d’impression dynamique, en ce sens que les pressions sur les membranes, allant jusqu’au seuil dit de douleur, sont absentes de l’écoute alors que la perception spectrale est relayée nerveusement par l’oreille interne... Une perte qui ôte sans doute au sujet la faculté d’évaluer la dynamique en terme tactile. Seule la proximité physique à un transducteur (haut-parleur sous-marin) induira une vibration intense de tout le corps et palliera à l'inefficacité du tympan en tant que capteur du volume réel (comme pour les personnes sourdes sur terre).

Dans l’eau les différences de volumes sont peu per-ceptibles à partir du moment où le son est capté : la rigidité crânienne agit comme un compresseur dy-namique autorisant une bande de nuances comprise en termes conventionnels entre le mezzo-piano et le mezzo -forte.

PERCEPTION DE L’ESPACE Dans l’eau, le son excitant simultanément les deux oreilles internes par une vibration unique de la masse osseuse crânienne, la localisation binau-rale, stéréophonique, telle que perçue dans l’air est remplacée par une perception monophonique évacuant la localisation gauche/droite. Tous les sons apparaissent spatialement centrés au milieu de la tête et même émis par la tête ou juste autour de celle-ci. Cette sensation est renforcée par l’absence de toute réverbération acoustique audible. En effet

Page 43: akusmatisk_L'espace du son 2

43L'Espace du son II

deux facteurs concourent à gommer la perception des retours du son :

-Les réverbérations longues parviennent avec une intensité inaudible pour la conduction osseuse (voir paragraphe ci-dessus).-Les réverbérations courtes -voyageant à quatre fois leur vitesse terrestre- se situent le plus souvent en dessous de nos seuils de perception de retard (évalués à 50 millisecondes en écoute monophonique).

Des expériences ont cependant démontré que l’individu pourra en piscine repérer la source d’émission (haut-parleur) à l’oreille à condition qu’il se meuve dans l’espace: les fréquences aigües du spectre étant rapidement atténuées avec la distance, ce sont les modifications harmoniques du son qui renseignent (au lieu du volume et des retards) sur la distance relative. La transmission crânienne du son simultanément aux deux oreilles internes provoque une perception monophonique de l’espace. La latéralité gauche/droite ainsi que la profondeur de champ disparais-sent, les réverbérations s’effacent et font place à un espace mat enveloppant le sujet. Le repérage spatial de substitution, s’il y a lieu de s’en soucier en concert, se fait au niveau des modifications spectrales en fonction de la distance à l’émission.

JOUER DERRIERE LE MIROIR

L’inventaire des effets de l’audition subaquatique (spectre haut-médium, dynamique compressée, es-pace monophonique et non réverbérant) se traduira inmanquablement par une série de déceptions si les musiques diffusées ou jouées sous l’eau n’exploitent pas, ou ne contournent pas, ces contraintes. C’est le cas de la plupart des enregistrements dis-cographiques (classiques ou pop) qui diffusés tels quels sembleront se retrécir dans l’eau, par manque de «punch», de basses, de volume, de stéréo, etc.

Deux options sont possibles pour reconstituer sous l’eau une écoute de qualité aérienne :

A/ Diffuser par transducteur des musiques instrumen-tales dont les timbres et la dynamique se rapprochent des caractéristiques de l’écoute crânienne.

Les soli ou petits ensembles de flûtes, bois, violons, instruments à cordes pincées, petites percussions, métallophones seront performants ainsi que toute lutherie à spectre étroit sans fondamentale grave. Pour ces mêmes raisons les cuivres, pianos à queue, orgues, peaux etc... sont à bannir de la palette instru-mentale subaquatique. La voix humaine (chantée ou parlée) bénéficie quant à elle du plus fort indice de reconnaissance sous l’eau et certainement du plus fort impact émotionel chez l’auditeur de fond. Il est vrai que, depuis les sirènes antiques jusqu’au téléphone sans fil de poche, en passant par les com-

munications avec les spationautes, l’homme cherche et reconnaît (ou croit reconnaître) sa voix dans les espaces les plus inhabitables.

Mais finalement, peu de musiques du répertoire orchestral peuvent être infusées sous l’eau sans dommage. Ironiquement, seules les orchestrations «légères», conçues pour assoupir le consommateur américain depuis les bouches de diffusion plafon-nières des lieux publics (lobby d’hôtel, banques, supermarché, etc.), répondent très précisément aux critères d’efficacité subaquatique : la dynamique d’une «Muzak» est inexistante, sa bande passante réduite est sans basses, et des réverbérations arti-ficielles démesurées sont ajoutées pour donner de la profondeur là où il n’y a que de la monophonie en acoustique sèche. Mais voilà : ce qui convient socialement à une cage d’ascenseur moquettée pendant vingt secondes aura beaucoup de mal à captiver esthétiquement un auditoire dans une pi-scine pendant une heure, ou dans une crique pour une journée.

Il sera donc question aussi de style dans le domaine du subaquatique...

B/ Diffuser par transducteur ou interpréter en direct des musiques originales composées exclusivement pour ce nouvel espace.

C’est le sujet de ma série de musiques subaquatiques Sonic Waters, essentiellement de genre électroacous-tique, c’est-à-dire composée en studio à partir de sons de synthèse ou échantillonnés et sans références à des lutheries orchestrales. Ainsi évite-t-on les écoutes comparatives. Des palliatifs aux limitations de l’écoute sont mis en œuvre : des illusions harmoniques recréent par synthèse additive certaines franges du spectre inaudibles et une déclinaison de réverbérations digitales permet de créer des décollements spatiaux du son hors du centre de la tête, en agrandissant ou rétrécissant virtuellement l’espace acoustique autour du baigneur.

Plus récemment, avec la collaboration du sculpteur Sosno, du compositeur et designer américain Dan Harris et grâce à l’obstination du percussionniste Alex Grillo, j’ai pu intégrer plusieurs instruments à percussion Midi dans mes concerts. Le plus per-formant d’entre eux a été mis à l’eau pour Sonic Waters 3, lors du concert de Brisbane, Australie en 1991. Il consiste en un portique de douze lames d’un bronze nouveau très résonant et qui enferme des mi-cros-contacts détecteurs de dynamique. Ce dispositif permet au percussionniste -en tenue de plongée- de déclencher à distance des synthétiseurs et échantil-lonneurs conservés en régie aérienne et émettant sous l’eau par haut-parleurs subaquatiques. Ainsi le soliste peut-il jouer de toute une famille de tim-bres électroniques préparés spécialement pour leur audibilité en ce milieu (trois timbres différents par lame, soit une disponibilité de trente-six sons subaquatiques).

Page 44: akusmatisk_L'espace du son 2

44 L'Espace du son II

TOUT EST QUESTION DE STYLE ...

Le style des musiques subaquatiques prend en compte, autant que faire se peut, des facteurs psy-chologiques qui me sont apparus comme inhérents à la situation de cette nouvelle écoute. Je citerai pour exemple deux hypothèses sans m’étendre ici sur leur résolution musicale :

- La pulsion rythmique est certainement liée dans l’histoire de la musique à l’intégration culturelle des effets haut/bas de la pesanteur (les sauts de danse pouvant être considérés comme un fantasme de délivrance), mais n’a plus lieu d’intéresser des êtres flottant en suspension non-gravitationnelle dans un milieu épais. A la place du «beat», l’organisation périodique du son se fera par la synchronisation de cycles lents de tenues dont les modèles d’ailleurs abondent en mer (marées déferlantes, ondulations d’algues et d’anémones, bancs de poissons, etc.). Cependant, de temps à autre des événements courts (telles les percussions subaquatiques) créeront les surprises nécessaires pour garder un certain éveil de l’écoute. On trouvera un modèle dans la langueur des mers tropicales zébrées par les interventions capricieuses des poissons coraliens.

- Le fait que le son diffusé sous l’eau ne filtre quasi-ment pas dans l’air (1/5000° de l’énergie seulement passe) crée une situation où l’auditeur flottant oscille entre des plages de musiques subaquatiques et des plages de silence aérien, au gré de ses rétablissements corporels. Il faut donc composer de telle sorte que le discours musical puisse soutenir ces interruptions sans trop de dommage. Pour ce faire, je compose généralement des séquences autonomes, assez con-trastées entre elles, de trois à dix minutes au plus et que je considère comme des macro-objets sonores. A l’intérieur de ces unités, les timbres s’organisent selon des cycles lents et répétitifs (voir ci-dessus). Ainsi je bâtis des formes dilatées, articulant des modules ambiants, dont la continuité ne souffrira guère des interruptions momentanées de l’écoute.

…ET D’ATTITUDE Parlons pour finir des intéressés, c’est-à-dire de ces auditeurs-ludions qui depuis une décade laissent leurs habitudes et préjugés au vestiaire.

Contrairement à des courants psychologisants ma-nipulatoires (de la musicothérapie de grand-papa au New-Age grand dadais), je n’ai jamais eu d’autres désirs que d’installer mes auditeurs momentanément dans le cadre d’une utopie libertaire musicale et sociale. Ni relaxant, ni révélant, ni provoquant, ni psychanalisant, ni esthétisant, ni conceptualisant (sauf dans le cadre de cet article attendu depuis des mois par Francis Dhomont !), ni modernisant, ni mythifiant, le concert subaquatique peut être aussi tout ou partie de cela si l’auditeur en a le besoin. C’est son choix et mon rôle de compositeur consiste avant tout à lui préparer la construction sensorielle complexe dans laquelle il évoluera à son gré. Ainsi, ai-je du plaisir à m’occuper, entre autres, de la température exacte de l’eau de piscine qui va le porter en équilibre thermique (33°), ou de l’autorisation de plonger des haut-parleurs dans une crique autour d’un massif de posidonies (Décision n°64/89 de la Direction des Affaires Maritimes pour le concert Nucleus).

Enfin, je ne me lasserai jamais de cette scène qui se répète à chacun de mes concerts subaquatiques en piscine et qui est révélatrice de nouvelles at-titudes: le concert vient juste de commencer sous la surface, mais rien ne s’entend à l’extérieur. Le public se glisse alors dans l’eau chaude, s’ébroue bruyamment au contact surprenant avec le son, puis se calme et se cale dans des positions de flottaison très personnalisées; alors le silence aérien retombe et tire un rideau acoustique sur les deux cents corps qui dérivent en absorbant secrètement la matière sonore des fonds. Dans cette salle où il n’y a plus de scène, plus de musiciens visibles, pas de chef et où l’auditoire est l’acteur principal de la soirée, il n’y a plus de place pour le compositeur ou même sa représentation imaginée. Le public, en sortant de l’eau, n’aura de mots que pour lui même, pour son expérience d’écoute, pour son vécu en général. C’est devenu son concert et loin de m’en désoler, cette réaction m’offre au contraire une récompense émotionnelle sans équivalent. Compositeur et public peuvent enfin partager les initiatives et fusionner dans le vertige de l’écoute au lieu de s’observer en chiens de faïence (ou de laboratoire). Est-ce là le retour d’un refoulé de la musique contemporaine appelé : plaisir musical ?

Singapour-Nice, Juin 1991

La qualité du son, sa production dans un espace déterminé peuvent désormais s’élever à un degré de différenciation comparable aux domaines de la mélodie, du timbre, du rythme ou de l’intensité, et offrir un champ beaucoup plus vaste à la liberté subjective.

SZERSNOVICZ P., «Le temps et l’espace», Avant-programme du Festival Musica 89.

Page 45: akusmatisk_L'espace du son 2

45L'Espace du son II

MICHEL REDOLFI: MUSIQUE ET PROFONDEUR

Daniel CHARLES

L'originalité de Michel Redolfi est d'avoir proposé une nouvelle définition - subaquatique - du milieu sonore ambiant, et d'avoir commencé ainsi à re-nouveler radicalement les conditions de perception de la musique. Celle-ci résonnait jusqu'alors dans l'air, que ce fût -au grand dam, comme on sait de Berlioz- le plein air, ou bien l'air contingenté, voire feutré, d'un lieu clos, cathédrale, salle de théâtre ou de concert. Et dans le droit fil de cette dépendance à l'égard de l'air, l'acousticien se devait d'accorder un statut préférentiel aux vibrations atmosphériques: n'était-il pas naturel que le musicien s'intéressât moins que le biologiste à la propagation des sonorités profondes, chant des baleines, clicks des dauphins et autres raclements d'écrevisses en migration sur les fonds marins? La première musique sous-marine sérieusement écoutée datait seulement de la dernière guerre; émise par les moteurs des U-Boote traqués dans l'Atlantique Nord par les sonars, intégrés ou remorqués, des corvettes et frégates de Sa Majesté, elle n'avait guère concerné qu'un public restreint d'aficionados; et depuis, rien, sinon les recherches de quelques spécialistes à l'Aquarium de Concarneau, ou du côté de San Diego...

Qu'on se rassure: l'approche des bruits sous-marins par Michel Redolfi n'a rien de militaire; elle se veut douce et paisible, et toute violence en est muselée, pour ne pas dire expurgée, sans exclure parfois une certaine vivacité. C'est que le compositeur a fait ses armes non pas à la base navale, mais à l'Université de San Diego; et il ne s'est résolu à annexer aux innombrables bruissements de la rumeur océane son propre grain de sel qu'au terme d'une étude scientifiquement poussée, qui l'a conduit à tenir le plus grand compte, au niveau de l'élaboration des sonorités ajoutées comme à celui de l'enregistrement hydrophonique, des requisits de la physiologie humaine. De la directivité de l'émission sonore, du coefficient de réverbération des diverses composantes de l'entourage, et, bien sûr, du degré d'agitation du récepteur comme de celui des masses liquides dans lesquelles il baigne et avec lesquelles il se fond, dépend l'optimisation du rapport signal/bruit; et à l'intérieur du signal, la répartition entre graves et aigus des fréquences perçues oscille au gré de la succession des effets Doppler que dictent vagues et lames de fond : non seulement les sons bourlinguent, mais ils se liquéfient et se recomposent en fonction des intensités (physiologiquement appréciées) plus que des pressions (physiques). On conçoit que la Bible des opérateurs sonar, les chapitres 8 et 9 des

Principles of Naval Weapons Systems du Lieutenant Commander David R. Frieden, de l'U.S. Navy, ne satisfasse qu'à moitié un musicien; ou plus exacte-ment à micrologie, micrologie et demie : Redolfi, virtuose de l'écoute en finesse, est un minimaliste de l'écholocation.Car cet écho-logiste a lu Bachelard; et il a retenu de L'eau et les rêves que la musique «a besoin de s'instruire sur des échos» - mais aussi que cette instruction ne suffit pas. Certes, si le merle chante «comme une cascade d'eau pure», c'est qu'il chante non pas «pour le ciel», mais «pour une eau prochaine». Encore faut-il, pour qu'il y ait art, que soit dépassé le stade de la reconnaissance et de l'imitation; une «oreille poétisée» ne se contentera pas de se soumettre «au chant de l'eau comme à un son fondamental», elle l'augmentera ou l'amoindrira selon le cas, mais de toute façon elle le métamorphosera - fût-ce en lui-même. «L'imagination, précise Bachelard, est un bruiteur, elle doit amplifier ou assourdir. Une fois l'imagination maîtresse des correspondances dynamiques, les images parlent vraiment.» Voilà pourquoi Redolfi se sert de la clameur océanique comme d'un bourdon, d'un drone: il l'orne d'un jappement de flûte, il la décore d'une bulle de harpe, mais pour mieux l'exalter ou la réduire, pour mieux la dynamiser. Donc, pour qu'elle soit davantage elle-même: qu'elle bénéficie d'un «augment d'être». Comme Alvin Lucier, comme Max Neuhaus, Redolfi compose en laissant au maximum la bride sur le cou aux valeurs tactiles de l'environnement; et comme eux, il révèle par là la nature «physique» du musical. Mais il va au-delà: les instruments, classiques ou inventés, et les appareils complexes, «sur mesure», dont il fait usage, ne mettent en jeu un équipement électroacoustique sophistiqué et repensé que pour atteindre, au travers de l'évidence sonore la plus grande possible, à une appropriation véritable de l'environnement par l'œuvre, celle-ci ne cherchant nullement à triompher de celui-là, mais à en magni-fier les traits saillants - telle lenteur rythmique, telle retenue du tempo, ou telle précipitation dans le défilement des volutes spectrales. D'où l'impression de liberté instantanée dans laquelle vous plonge cette musique: Redolfi est le premier compositeur qui soit parvenu à rendre sensible - c'est-à-dire non métaphorique - à l'aide du seul médium musical, le coup de sonde, la de-scente en vrille, bref la plongée en profondeur, que Bachelard désignait jadis sous le vocable d'instant vertical, et qu'il définissait, par opposition à l'instant prosodique, comme le seul instant poétique vrai.

Page 46: akusmatisk_L'espace du son 2

46 L'Espace du son II

diffusion complexes «design-és» par le compositeur lui-même. Ainsi dans Vu du Pôle, le dispositif com-prenait trois réseaux stéréophoniques de dix-huit enceintes, alimentés par six pistes de magnétophone multipiste. Beaucoup plus audacieux, le dispositif de Nouvelles Frontières comprenait quatre réseaux d’un total de cinquante haut-parleurs individuels, alimentés par quatorze pistes. Les quatre réseaux avaient les configurations suivantes :

A. Réseau des coins

B. Réseau de l’ovale

C. Réseau 3 voies(2 séparateurs de fréquences)

LE PROJET DE VANCOUVERPhilippe MENARD

La réalisation dont je parlerai ici eut lieu de mai à décembre 1986, au Pavillon du Canada, à l’occasion d’une exposition universelle thématique à Vancouver. Ma collaboration à deux gigantesques multimédias comprenait tant le volet de la composition que celui de la sonorisation la plus spatialisée possible. Le contexte de ce projet est celui de multimédias de masse, de musique originale appliquée, de sonorisation automatisée à partir d’un magnétophone multipiste analogique, d’une mise en espace du son ou d’une animation spatiale du son à la diffusion, soit au dernier stade de la création musicale et, il va sans dire, sans interprète.

Les musiques de ce projet étaient des musiques électroacoustiques dramatiques théâtrales, aux di-mensions des vastes multimédias dont elles étaient parties. Elles étaient électroacoustiques en ce pre-mier sens qu’elles mélangeaient les sons acoustiques et sons électroniques synthétiques, échantillonnés ou synthétisés, ornementés ou profondément modifiés par les technologies numériques les plus actuelles. Elles l’étaient aussi pour une certaine filiation au vaste répertoire électroacoustique international.

C’étaient des musiques qui se souvenaient des audacieuses expérimentations des Xenakis, des Stockhausen; au Québec, des Tremblay, des Joachim, connus des visiteurs des expositions internationales de Montréal en 1967, ou d’Osaka en 1970. Elles puisaient avec un égal plaisir dans le répertoire de la musique rock ou de la musique environnementale, partageant avec ces impressions plus populaires une manipulation semblable des technologies récentes de synthèse et de traitement sonores; partageant avec elles également un goût du «beat», des nouvelles couleurs électroniques, d’une mise en scène et d’un espace sophistiqués.

Appuyé dans cette démarche par l’équipe de pro-duction, j’ai relevé le défi dans ces musiques d’une écriture fondamentalement expérimentale, mais extrêmement séduisante pour de larges auditoires de passage. Dans le choix de mes concepts musicaux, j’ai privilégié ceux qui me permettaient de faire jeune et actuel; de construire une superpolyphonie de l’espace; de styliser ou transporter les matières et les sens des sons naturels ou culturels.

POLYPHONIE DE L’ESPACE

Une des caractéristiques importantes de ces mu-siques est d’avoir été conçues pour des dispositifs de

Page 47: akusmatisk_L'espace du son 2

47L'Espace du son II

D. Réseau 2 voies(1 séparateur)

Chaque réseau avait sa propre polyphonie et sup-portait un grand nombre de «patterns» cinétiques. Prenons l’exemple de L’horloge de l’attente, pre-mière minute et demie d’un total de 9’30.

En même temps sur le réseau A :Cornes de brume en rapprochement/éloignement; aboutissement de trajectoires prenant origine dans l’ovale.

Sur le réseau B :Sons électroniques directs et retardés, avec écho et réverbération, dans toutes sortes de circulations.

Sur le réseau C :Grondement de moteurs imaginaires; vagues arti-ficielles.

Sur le réseau D : Nappe aquatique suraiguë; bips sonores stylisés.

La composition se développait similairement sur tous ces réseaux pendant 9’30" en trois parties ou mouvements différents :1er mouvement : L’horloge de l’attente, 1’30 ;2ème mouvement : La plongée et la promenade subaquatiques, 2’30 ;3ème mouvement : La remontée et l’exploration cosmiques, 5’30.

MUSIQUE VU DU POLE

Cette musique a été composée dans le même esprit de transposition stylistique, avec, par moments, des dimensions carrément épiques. Elle était très liée à la scénarisation des deux films 35 mm en projection sur deux immenses bols d’antennes de télécom-munication, et de plus, suivait à la trace un laser scripteur. Pour cette œuvre, je me suis beaucoup laissé inspirer par les chants de gorge inuit (katajjak) dont j’ai à l’occasion tiré de grandes polyphonies ou étendu les rythmes répétitifs aux sons de machines et de piano acoustique.

Par rapport à Nouvelles Frontières, on retrouvait la même démarche de spatialisation, mais dans des dimensions beaucoup plus réduites :

Réseau A : antennes

Réseau B : plafond

Réseau C : mur hémisphérique

Page 48: akusmatisk_L'espace du son 2

48 L'Espace du son II

LA MUSIQUE: UNE HISTOIRE DE CADRES !

Nicolas FRIZE

LE SUJET

Cadre esthétique, cadre formel, cadre instrumental, cadre aléatoire, cadre social, cadre collectif, cadre historique, cadres..: le sujet de l’œuvre musicale est l’énoncé de son Cadre, c’est-à-dire de ce qu’il veut voir (le champ) et de ce qu’il ne veut pas voir (le hors-champ); on traduira, au moment du concert, par ce qu’on entend, et ce qu’on n’entend pas: on parlera alors de Champ Musical.

LA PROJECTION

Ecrire en tenant compte de la diffusion, c’est dédier aux sons leur espace virtuel vital, c’est donc composer en se projetant déjà, et ainsi à chaque fois, ou alors exceptionnellement, écrire pour un gros plan, pour des plans lointains, pour une façade verticale, pour une grande scène large et étale, pour des sources cachées et elles-mêmes aveugles, pour des interprètes imbriqués, disposés en surfaces planes sur une surface unique, pour une résonance, pour une matité, pour une puissance, pour un volume, pour une intimité, pour un petit coin,

écrire pour une fois, pour une bonne fois.

Ecrire pour une accumulation visuelle, pour un mur de silence, pour une sonorisation empirique, pour des espaces sonores infimes, microscopiques, ou bien écartelés, accidentés, acrobatiques, écrire pour l’histoire d’un espace, les évolutions de sa lumière, ses aveuglements et ses éclipses, pour les évolutions de son âme, ses habitants en guerre, ses habitants absents, ou fous, ou riches..

Ecrire pour une fois quoi !!

LE TOURNAGE

Les partitions sont des espèces d’espaces: la composition prend son écriture à deux mains et s’allonge, se mutant en un grand territoire de croquis, de surfaces cadrées,

Page 49: akusmatisk_L'espace du son 2

49L'Espace du son II

de graphismes qui se répandent en plans conjoints et successifs, dans des déploiements de temps virtuel là, jamais le son ne peut s’immobiliser pour se définir un cadre, un champ, un décor, un sujet géographique, un lieu. Il avance ou fuit, selon le point de vue où l’on se place, annonce, appelle, mémorise, calcule, prospecte, capitalise, rappelle, spécule, engendre, piétine, répète, varie, mais jamais en l’absence d’un écoulement de lui-même...

Si bien que lorsqu’il veut revenir en arrière, ou s’arrêter, il doit répéter l’écoulement, ou le nommer, toujours en s’écoulant: le simulacre du temps contraint l’espace à proliférer!

Les notations sont des ébauches (ou des embauches) d’espaces, et de signes figuratifs en codes abstraits, elles se donnent des règles d’envahissement d’un support en papier; étirement, fourmillement, verticalité, rareté, débordement, horizontalité, linéarité, accidents...

QUAND ESPACE DE PROJECTION

DEVIENT ESPACE DE TOURNAGE

A quel moment, et pour combien de temps, peut-on considérer qu’une œuvre musicale obéit déjà ou encore au cadre qu’elle s’est fixé.

Page 50: akusmatisk_L'espace du son 2
Page 51: akusmatisk_L'espace du son 2

L' E S P A C E R

É

N N O Y A

Page 52: akusmatisk_L'espace du son 2

52 L'Espace du son II

L’ S-PACE VIDE DE SENSBernard PARMEGIANI

Tombant silencieusement : la nuit... L’espace de la pièce devint sombre-obscur. J’allumai la radio. Enfin ! L’espace m’éblouit : cécité totale.Un son silencieux traversa la pièce que je ne vis point tant il était petit.Il courut tant et en tous sens qu’il devint bruit. Un oiseau peut-être, une mouche, un mot, une idée, un cercle, un cheval, des parasites... avides de fréquences ? Mais ces dernières modulèrent avidement les dits parasites dont évidemment, le vide fut enfin empli. Des notes mélodiquèrent, venant de partout à une vitesse incroyable pour s’enfuir tout aussi rapidement, se heurtant dans leur désordre crescendotant aux miroirs, se multipliant ainsi en échos infinitifs qui bientôt saturèrent l’espace où je me trouvais.Je démodulai toute la pièce, striée de kilohertz au mètre cube. Et l’espace s’ignifia. Plus rien. J’enfermai mes yeux au-dedans.Mes oreilles devenues alors bienvoyantes me révélèrent une voix : “Ici Pythagore ! Pythagore vous parle” J’approchai mes oreilles pour mieux voir. Ce que l’Acousmatique m’avait enseigné : Qui point ne voit, mieux entend, se confirma. Quelqu’un venait de pénétrer dans la pièce radio - phonique, traversant l’espace dans tous les sens tout en prononçant des mots que je ne compre-nais pas : ils sonnaient faux tels des verbes désaccordés, vides de sens. Tout comme l’espace s’ignifiant, qui de ce fait perdait lui aussi tout sens. Ce quelqu’un vint vers moi écrasant au passage les balbutiements qui lui tombaient de la bouche : incompréhensibles. Je lui adressai la parole voulant savoir de quelle pièce il sortait. Je-vis-qu’il-ne-m’entendait-pas. Il me tendit l’oreille puis disparut à ma vue. Plus rien. L’espace de la pièce était sombre obscur. Je tournai le bouton de la radio dans le sens inverse des aiguilles d’une montre : huit heures. En hiver, c’est à cinq heures que la nuit tombe, silencieusement. Et l’espace de la pièce s’illumina. J’entendis alors que QUELQU’UN balbutiait à côté de moi. Progressivement, ses mots me devinrent compréhensibles.Tout cela n’avait duré que l’espace d’un instant.L’S passe le temps et s’ignifie pour retrouver son sens. Si quelqu’un le dépasse qu’on nous le dise. On en tiendra compte pour réfléchir sur la question : l’espace a-t-il un sens.Huit heures. J’allumai la radio pour écouter les informations. En hiver, c’est à huit heures que l’espace s’éclaircit...“Aujourd’hui, changement de temps”... dit la météo. Alors ?...

Etc...

Page 53: akusmatisk_L'espace du son 2

53L'Espace du son II

Le XIXème siècle culmine à la Tour Eiffel, au XXème siècle de prendre le relais. Relais est le mot juste : vieille idée des feux allumés de colline en colline, du tam-tam de brousse, du signal qui chevauche l’espace. Les poutrelles de Eiffel le Hardi avaient pris le ciel d’assaut voici juste cent ans; on ne pouvait poursuivre que sans fil.

Restaient de la Tour deux prémisses, deux thèmes, en quelque sorte sublimés. Le thème du réseau ou network, cette fois immatériel, mais également arc-bouté, et trouvant comme par miracle ses échos dans l’ionosphère. Puis cette étrange propriété du fer, porteur du magnétisme, qui se trouve être aussi bien la ligne tellurique du cosmos que du sang, qui préside à l’aimant, à l’hémoglobine et au canon.

Mais laissons là ces rencontres d’une alchimie for-tuite ou insondable. Revenons aux patients travaux des pionniers, bien incapables d’imaginer l’avenir, tout occupés d’exploiter l’étincelle qui modifie, au bout du laboratoire, les propriétés du cohéreur. On pourra s’étonner (et ils s’étonneront) que l’étincelle porte bientôt au-delà de ces murs, parvienne au lointain bateau, aux aéronefs, bientôt aux antipodes, fasse le tour de la terre plusieurs fois, revienne de la lune. Puis, que d’autres étincelles, nommées étoiles, nous en apprennent plus sur le cosmos en cinquante ans que n’en surent jamais nos aïeux.

L’idée à retenir est cette prise indirecte par l’appareillage, non du signal lui-même, mais des propriétés qu’il induit dans le récepteur; tout comme dans la lampe à trois électrodes on ne demande au signal qu’une infime présence, laquelle n’est décelée que grâce à une énergie localement ajoutée, une amplification. Telle se présente la parabole physique (et pour ainsi dire métaphysique) que cette époque s’est bornée à exploiter sans bien la comprendre : le récepteur ne peut rien capter s’il ne fournit pas lui-même de l’énergie.

De même pour la propagation des messages : il fallait des vecteurs, des ondes porteuses qui fourniraient le grossier signal à longue portée, festonné seulement par l’information noble, celle des sons, et bientôt des images. Et c’était là reprendre techniquement ce que la linguistique a bien mis en lumière dans son propre domaine: que le niveau du signe rompait délibérément avec celui du signal.

MARCH OF TIMEPierre SCHAEFFER

Ainsi, aux deux extrémités de la communication, les techniques du codage et du décodage répondent-elles à deux ingéniosités réciproques, on pourrait même dire à deux ruses, qui requièrent sans doute de part et d’autre deux offensives de loyauté. Telle fut l’épopée technique dont nous aimerions tirer philosophie, jusqu’à demander son respect en politique.

Car ce que le technicien élabore, sans rien prévoir des conséquences, le politique s’en empare avec ses propres intentions. La société tout entière en est transformée. Si les signaux de détresse sauvent le navire en péril, le pilote perdu, ils sont aussi des signaux de puissance, capables de donner des ordres de mort aussi bien que de vie. Ainsi l’invention, sans référence morale, fournit les arsenaux com-me les bazars. Des microphones miniaturisés de l’espionnage et de leurs secrets d’état aux transistors des plages et à leur bouillie sonore, voici les temps de l’équivoque.

On peut se demander si les contemporains, désor-mais habitués aux fantasmagories de la science, se sont bien rendu compte de ce qui arrivait, de ce qui leur arrivait, s’ils ont même reconnu le conte de fées qu’il leur était offert de vivre dans le plus banal quotidien, dans la plus prosaïque habitude des conforts de l’information. On peut regretter que la Fleur qui parle qu’évoqua Jean Cocteau dans les Chevaliers de la Table Ronde risque de n’être qu’un objet de consommation où retentit la voix de son maître.

Pourtant, dans le déchet massif, la radio fut aussi, et reste encore parfois, le temps des poètes. Pourquoi ? Précisément par cette privation de la vue dont Pythagore avait fait un artifice, masquant derrière une tenture la présence du maître pour que les disciples pénètrent mieux son discours. Etrange conseil en une époque d’images, idolâtre du spectacle. Intuition prodigieuse que celle de cette mobilisa-tion énergétique requise du disciple qui reçoit le message pour en faire l’appoint. L’imagination au pouvoir, c’est celle que mobiliserait dans sa propre conscience l’homme contemporain, pour faire face aux messages qui l’assaillent.

Mais le combat n’est pas fini que se livrent, dans la civilisation actuelle, les forces en présence : affronte-

Page 54: akusmatisk_L'espace du son 2

54 L'Espace du son II

ments de la science et de la conscience, du pouvoir et de la masse, des créateurs et des marchands. Non qu’on puisse distinguer si facilement les bons et les mauvais, qu’ils soient savants ou politiques, entrepreneurs ou créateurs, car les uns et les autres peuvent œuvrer par égoïsme et par sottise aussi bien que par inspiration, que par souci du bien commun.

Ce qui est le plus étrange dans les entreprises comme celles de la Radiodiffusion, c’est de voir associés d’aussi près des hommes aux vocations si différentes, si peu faits pour se comprendre : ceux de la technolo-gie, du langage et de l’économie, indissolublement liés dans une œuvre qui les dépasse. L’étrangeté même des mass-média, c’est que l’immense foule, naguère si fractionnée, soit prise dans les mailles d’un réseau dont la responsabilité écrasante ap-partient à quelques-uns.

Un chroniqueur d’époque avait clairement décrit ce qui allait nous arriver, cette mise en boîte de l'événement, du témoignage, de l’émotion : Rabelais en personne. Ces Paroles gelées que Pantagruel jetait sur le tillac, semblant «dragées perlées de diverses couleurs»..., on pouvait y voir des «motz de gueule, des motz en sinople,des motz de azur, des motz de sable, des motz dorés». «Vendez-m’en donc» disait Panurge! Aussi sommes-nous devenus une industrie...

Entre Pantagruel et Panurge, l’abondance et la ruse, la générosité et le profit, tout l’enjeu des mass-média se voit préfiguré. Dans cette époque de surproduction et de surconsommation puisse la communication radiophonique rester digne de son haut lignage, et son ressort spirituel répondre à la parabole technique de ses mystérieuses origines.

25 septembre 1990

L’espace n’est pas le milieu (réel ou logique)

dans lequel se disposent les choses, mais le moyen

par lequel la position des choses devient possible.

C’est-à-dire qu’au lieu de l’imaginer comme une sorte d’éther dans lequel baignent toutes les choses ou

de le concevoir abstraitement comme

un caractère qui leur soit commun, nous devons le penser comme la puissance universelle de leurs connexions.

MERLEAU-PONTY Maurice,Phénoménologie de la perception , Paris, Ed. Gallimard, 1945, p. 281.

Page 55: akusmatisk_L'espace du son 2

55L'Espace du son II

L’ESPACE RADIOPHONIQUE : LE SON EN PLUS

Catherine PORTEVIN

Cinq notes de musique qui tombent du ciel. En 1981, La voix du lézard investissait les ondes, en émettant les cinq sons qui permettent aux hommes de com-muniquer avec les extra-terrestres, dans Rencontres du troisième type, le film de Steven Spielberg. Ce signe-là m’a semblé alors une intuition radiopho-nique extraordinaire (1), peut-être le souvenir le plus juste que l’on peut garder des radios libres à cette époque.La radio parle de l’espace, fait entrer le son dans l’espace, prend possession de notre espace, la radio est extra-terrestre. Parler de l’espace radiophonique, c’est donc aussi prendre en compte l’espace radio-diffusé. Tous ces sons, parlés ou non, qui, littérale-ment, tombent du ciel dans votre chambre : quelle magie, quel mystère et quelle plénitude lorsqu’ils vous captent et vous laissent immobile devant votre poste, comme naguère les Résistants cherchant Radio Londres.

La radio, c’est le son au quotidien, c’est le monde au quotidien : Bagdad en direct. L’infiniment grand qui débarque au coeur de l’intimité. Son espace, c’est aussi l’espace dans lequel elle est entendue, qui n’a rien de commun avec celui d’un concert. L’espace de la radio est un espace choisi, familier, déterminé par les nécessités de la vie (cuisine, salle de bain, voiture) et il est celui de la solitude. Il présuppose le silence mais n’exclut pas une autre activité : on peut bouger en écoutant la radio, on peut remplir l’espace avec autre chose. Espace ouvert.

L’ESPACE PERDU : LA-BAS SI J’Y SUIS

Dans cette quotidienneté de l’espace, arrive une quotidienneté radiophonique : les informations du monde. C’est dans cette activité radiophonique que l’on devrait trouver la plus grande magie, car elle est presque le fondement de la radio.

On a beaucoup commenté le traitement de l’information par la télévision pendant le Guerre du Golfe. Cette dramatique absence d’images qui —a-t-on dit— a condamné la télévision à «faire de la radio». Soyons plus expéditif : images ou pas, télé ou radio, ce qui a rendu cette guerre insupportable pour les médias, c’est qu’il n’y avait pas d’information, pas de réalité tangible («la guerre du Golfe n’a pas eu lieu», écrit Jean Baudrillard). Voilà tout.Mais cette absence d’images de la télévision, vécue comme une frustration, la radio s’en accommode tous les jours. Mieux, alors que la télé n’a que le recours

de produire des images en deux dimensions derrière un écran de verre, la radio est sans limite. Quand la télé vitrifie le réel, la radio a le pouvoir de lui rendre ses trois dimensions : elle, a le son en plus. L’auditeur n’est pas, comme le téléspectateur, dans tous les cas extérieur (physiquement extérieur) à l’événement. Il n’est pas systématiquement der-rière la caméra. La radio ne lui montre pas, ne lui démontre pas. Le micro en reportage attrape tout et restitue un espace, avec ses codes (les bruits au fond, le commentaire devant...) où il appartient à l’auditeur de trouver sa place. «La radio, écrit Pierre Schaeffer (2), c’est bien la coquille de notre oreille : à demi-mot, elle nous offre l’inépuisable ressource du monde et en sourdine, elle déchaîne l’imaginaire».

Dans l’information radio, un son n’est pas une indi-cation suffisante. Le sens provient du son plus de ce que l’on dit du son. La définition de l’espace passe forcément, dans l’information, par les mots, la des-cription, l’explication, l’indication de la provenance du son : «en ligne de Beyrouth, Alain Ménargues». Cependant, si vous n’avez que les mots, que le journaliste qui lit son «papier» à l’antenne, fût-il en direct de la lune, l’espace ne passera pas la rampe. Et vous écouterez la radio comme vous regardez la télé : en deux dimensions.

Or - complexes, défaitisme, économie ou surdité ? - la radio d’information aujourd’hui semble avoir renoncé au son. Europe 1 au coeur du Quartier Latin pendant Mai 68, c’est bien oublié; les reporters de la Rdf qui font vivre la Libération de Paris, c’est très loin. En ayant renoncé au reportage, en croyant par de stupides réflexes journalistiques que seul vaut le témoignage parlé, la radio -et presque toute la radio- est revenue quasiment à l’antique «journal parlé» de l’Ortf. Celui-là même que l’apparition des radios privées (RTL puis Europe 1) avait remis en cause.

Le Nagra a été pour le reportage une révolution de courte durée : aujourd’hui, les reporters-radio par-tent même pour un long reportage avec un magnéto à cassettes et un seul micro. Un micro d’interview, unidimensionnel. Il y a dans ce mot-là tout l’espace perdu de la radio d’information.

La radio s’est interrogée sur le temps, sur l’accélération du temps, sur sa rapidité; elle semble n’avoir jamais réfléchi à l’évolution de l’espace, à la réduction des distances, à la stéréo, à ce qu’elle

Page 56: akusmatisk_L'espace du son 2

56 L'Espace du son II

voulait -et pouvait- donner à entendre. France Info, la première chaîne d’information continue, apparue en 1987, aurait dû mettre son point fort sur «partout à la fois, comme si vous y étiez». Non, elle proclame : «l’info quand vous le voulez». Elle n’a pas le don d’ubiquité; elle est juste rapide.

Cette obsession de la rapidité se traduit par le direct, et quel direct ! Voyons par exemple l’utilisation que les radios font du téléphone. Avec le confort d’écoute de la FM, un son-téléphone est très connoté. Il dit, au moins, la distance entre mon salon et le lieu d’où le journaliste me parle. Or, avec les liaisons-satellite, vous entendez le correspondant de France Inter à Tokyo aussi clair que s’il prenait son café au studio 105 de la maison de Radio France. Et deux minutes plus tard, vous avez, cette fois au téléphone, Jacques Chirac en direct de la Mairie de Paris. Que signifie ce son-téléphone ? Simplement comment la radio est faite : dans l’urgence.Aujourd’hui, le téléphone n’indique plus que la dis-tance est grande (indication spatiale), mais qu’on n’a pas eu le temps (indication temporelle) ou les moyens (c’est cher une liaison satellite, c’est cher l’heure que prendra le journaliste pour aller interviewer Jacques Chirac à la Mairie) de faire autrement. En d’autres termes, c’est en perdant sa référence spatiale que la radio perd son sens radiophonique.

Et ce n’est pas un hasard si la seule émission de reportage qui perdure sur France Inter s’appelle «Là-bas si j’y suis» (3)

L’ESPACE FIGURE : LA RADIO A IMAGES

«Si je ne veux pas me contenter d’être spectateur, mais participer au son, être dans le son, je dois augmenter le volume, faire taire les bruits environ-nants. Je crois à l’écoute avec tout mon corps. Pour le sens, l’information, les oreilles suffisent» (Yann Paranthoën) (4). Quand la radio force ainsi à pousser le volume, c’est en effet qu’il s’y passe autre chose, qu’elle ne peut plus n’être qu’un «fond sonore». Cette radio-là n’est pas quotidienne; d’année en année, elle s’est réfugiée dans quelques «espaces» de grille de programmes de quelques chaînes particulières (France Culture, par exemple).

Je ne suis pas de la génération qui écoutait la radio pour les feuilletons et les dramatiques. Jusqu’à une date assez récente (jusqu’à ce que je m’intéresse à la radio professionnellement), la fiction pour moi, hors les livres, ne pouvait être que filmée. Est-ce pour cette raison que les dramatiques «classiques» à la radio m’apparaissent comme des succédanés du cinéma ?Est-ce plutôt le souvenir très ancien d’une visite à Ra-dio France où je vis dans un studio d’enregistrement des dramatiques, quelques-uns des artifices de mise en ondes, qui permettent de figurer par le son un espace concret (paravents pour la réverbération des voix, différentes sortes de portes et de revête-ments de sol, etc.) Bien pauvres artifices, qui

pourtant me fascinèrent : ainsi donc, on pouvait truquer le son.

J’ai toujours depuis, une certaine tendresse pour la radio simple, qui donne l’illusion du bricolage. L’essentiel est que l’auditeur puisse y croire, «entrer dedans».Or, quel espace figurent certaines «vieilles» drama-tiques ? Celui, parfois très soigneusement restitué (avec côté cour et côté jardin en stéréo) de la scène de théâtre. Et l’auditeur se retrouve spectateur, assis dans son fauteuil, happé, au mieux, par la beauté d’un texte, l’excellence d’un comédien.Ce qui est captivant dans cette radio-là (qui sait donner avec ces conventions des œuvres remar-quables), c’est son côté «illustratif», sa capacité à recomposer un équivalent sonore d’un espace visuel, de le rendre tangible... et en même temps soumis à la sensibilité de l’auditeur, aux images mentales qu’il saura créer chez lui.Cette façon de composer la radio a quelque-chose de littéraire, ou du moins de «littéral». On a tendance à mépriser le réalisme comme la forme la plus pri-maire de l’art; je trouve la démarche humble, la voie étroite, et le résultat parfois lumineux !

En octobre dernier, le réalisateur Etienne Vallès a mis en ondes pour France Culture une pièce très réaliste de Véra Feyder : Impasse de la tranquillité. Elle illustre parfaitement mon propos. Pour cette histoire banale de meurtre minable dans une petite ville de province qui transpire la bêtise et l’ennui, Etienne Vallès a choisi de définir l’espace -étroit- de façon extrêmement précise, presque étriquée. On pourrait décrire (dessiner) la cuisine du couple Pichon avec autant de détails que Balzac la pension Vauquer dans «Le Père Goriot». Comment ? Avec les bruits, les silences, les voix, et les mots, les uns et les autres placés sur différents plans, agissant simultanément à nos oreilles pour construire cet «invisible visuel».Il existe donc un art radiophonique de la description, qui est à placer dans la radio aussi haut que Balzac dans la littérature.

Moins réaliste, mais tout aussi concrète, est la ra-dio d’Orson Welles. Ce qui est remarquable -outre qu’on y reconnaît la version sonore de son style cinématographique- c’est l’art du conteur dans sa plénitude (là encore, art littéraire). Dans l’lIe au trésor (5), par exemple, Orson Welles est Jim Hawkins adulte et, comme plus tard dans Citizen Kane, l’histoire en images (sonores) soutient le récit et le double.Art concret que celui d’Orson Welles, art de la rapidité et de l’économie de moyens : en deux ou trois bruitages, parfois même pléonastiques avec le texte, un travail sur les voix (distordues, traves-ties, entendues à travers une cloison en bois ou un tube de carton), Orson Welles pétrit l’espace sonore à grands traits. Il joue sur la profondeur de champ (une chanson de marin au loin, la conversation de Jim et sa mère, la voix du narrateur) et le relief inat-

Page 57: akusmatisk_L'espace du son 2

57L'Espace du son II

tendu d’un bruit ou d’une voix qui, bien qu’au second plan sait envahir l’espace : la canne de l’aveugle qui martèle le chemin verglacé et approche de l’auberge où se cache le jeune Jim.

Défini moins précisément dans ses contours, l’espace que met en ondes Orson Welles est proprement un espace imaginaire : il respecte les conventions essentielles (si c’est une maison, elle a une porte, un extérieur et un intérieur, si c’est un navire, il y a le bruit de la mer, du vent et l’agitation sur le pont)... et s’en affranchit. Exactement comme l’image wellesienne s’en échappe : quel spectateur pourrait décrire avec des détails réalistes la maison où meurt Charles Kane (un écriteau “No trespassing”, une ombre de château dans un parc glauque, une grande fenêtre avec un vitrail opaque) ?

Chez Orson Welles, tout est fait pour le récit et ses personnages. L’espace, c’est aussi le récit, les voix en sont partie prenante. Rien n’est inutile. Le tout est compact et s’entend d’un seul bloc.Allez savoir pourquoi : je suis persuadée, depuis que je l’ai entendu, que l’L’Ile au trésor d’Orson Welles est en fait un film !Non par analogie; par sensation.

L’ESPACE TRANSFIGURE : LES COMPOSITEURS DU REEL

Avec Orson Welles, on pénètre déjà dans le mystère de l’espace radiophonique : un espace non pas figu-ratif, non pas analogique de l’espace visuel, mais, en s’appuyant sur l’imaginaire visuel, un espace transfiguré.Cela est particulièrement frappant dans le docu-mentaire -genre radiophonique à mon sens le plus riche et cependant en voie de disparition-, justement parce qu’on ne s’y attend pas. Bien souvent, dans le documentaire, l’espace est moins défini que dans la fiction. Le sujet est premier : il faut d’abord savoir de quoi l’on parle. Tout ce qui concourt à donner un espace au son n’est parfois qu’anecdotique : le seul plaisir d’un bruit pris comme ambiance.Il n’y a pas cela chez les grands documentaristes de la radio : Yann Paranthoën ou Kaye Mortley (à l’atelier de création de France Culture, également à la radio australienne pour la seconde). Eux, sont des compositeurs du réel. On ne se demande pas, en écoutant leurs œuvres, où suis-je ? On y est d’emblée. Mise en scène transparente.

Avec Yann Paranthoën, la question de l’espace se pose à peine : il y a quelque chose d’instinctif chez lui; quelque chose de la pure sensation chez l’audi-teur. Chaque son a sa vie propre, comme une couleur. Les mêler les uns aux autres, ou les opposer, c’est composer. L’art de Yann Paranthoën se rapproche de celui du sculpteur ou du peintre : il fait entrer le quotidien dans un espace abstrait, recréé de toutes pièces, qui ne ressemble à rien de connu et pourtant possède une manière de naturel.Le récit ne se déroule que par les sons, les voix, loin

d’une démarche discursive. Ces sons-là ont de la chair : que la pluie tombe sur le parapluie de Yann en Hollande, et c’est toute la campagne du Drent que l’on imagine (couleurs et odeurs).

L’émission de Paranthoën où il a le plus travaillé sur l’espace, est Lulu. Elle se déroule entièrement dans la maison de la radio à Paris et joue sur l’opposition espace clos (la maison de la radio, ses couloirs, ses ascenseurs)/espace ouvert, qui entre par la parole (souvent étrangère) des gens de ménage (surtout celle de Lulu, l’Auvergnate) qui racontent leur vie, ailleurs. L’espace clos est ultra-clos, presque car-céral, mais immense et plein de recoins, d’échappées possibles.C’est en prenant son temps que Yann Paranthoën construit son espace : il y a ce long couloir où se trouve le studio 208 de Yann ( à gauche la porte battante, à droite l’ascenseur) pris en plan fixe et qui s’anime, qui prend une existence sonore, quand Lulu arrive de la gauche avec son chariot à balais, ses sandales qui claquent sur le lino, passe, fait un brin de causette, et s’en va vers l’ascenseur. Le bruit de cette porte d’ascenseur, brutal comme un couperet, rythme toute l’émission comme une ouverture et une fermeture au noir.

L’espace que recompose Yann Paranthoën n’a rien d’essentiellement visuel, c’est un espace «ailleurs», un sens de la durée, un ensemble de volumes sono-res, de silences très pleins, de voix très présentes, une attention particulière à la parole des gens. Le grain du son chez Yann Paranthoën est reconnais-sable comme une mélodie de Schubert ou une image d’Orson Welles.

En un mot, il nous ouvre un espace poétique. Et pour celui-là, il serait vain d’imaginer des équivalences. Lulu est bien une émission de radio. Yann Paran-thoën un authentique façonneur de sons. Aucune image, aucun film, ne me vient à l’esprit quand je retrouve gravé dans ma mémoire le bruit mat de la hache, de l’arbre haut qui gémit, qui craque, avant de tomber, fracassant et déchiré.

Voilà la radio.

(1) intuition non confirmée, hélas, et illusion perdue : quelques an-nées plus tard, La voix du lézard muait en Skyrock, l’un des plus im-portants réseaux musicaux (ou robinet à disques) d’aujourd’hui.(2) dans Machines à communiquer.(3) produite par Daniel Mermet (lundi à vendredi, 14h00).(4) dans une interview donnée à Alain Velnstein pour l’Autre Journal.(5) que Phonurgia-Nova a très opportunément édité en disque compact en 1990.

Page 58: akusmatisk_L'espace du son 2

58 L'Espace du son II

UNE DRAMATURGIE DE LA RETRANSMISSION

Michel CHION

Quand j’était enfant, cela veut dire dans les an-nées cinquante, l’espace de la radio, c’était pour moi d’abord un espace géographique - celui évoqué par les cadrans éclairés sur lesquels, en tournant un gros bouton, on déplaçait une aiguille qui vous faisait passer de Paris à Bruxelles, mais aussi à «Hilversum». C’était où sur la carte, Hilversum ? De fait, ce que je prenais pour des noms de ville étaient des noms de stations. Mais de ce malentendu est venue pour moi une grande part de la poésie et de la magie de l’écoute de la radio. Le jour où à la fin de ces années cinquante, une radio a été lancée qui se baptisait «Europe I», cette magie a été perdue, car désormais il n’y avait plus de confusion possible entre le lieu et la station.

La radio était alors reçue en monophonie, bien sûr - mais elle n’en suggérait pas moins beaucoup de dimensions spatiales, à cause de la variété des définitions du son, et des effets de brouillage et de fading lorsqu’on passait d’une station à une autre, notamment sur la bande des «petites ondes», ou d’une longueur d’ondes à une autre. C’est ce papillotement, ce clair-obscur que Stockhausen a magnifiquement exploité dans ses Hymnen - je parle de la version pour bande seule, qui est un des joyaux de «l’art des sons fixés», bien supérieure aux autres versions plus ou moins heureusement habillées d’intervention «live» - et que j’ai recherchée pour ma part très souvent (par exemple dans certains mouvements de La Ronde, et plus récemment dans les Crayonnés Ferroviaires). Aujourd’hui, on n’en a plus aucune idée si l’on écoute uniquement la bande FM, dans laquelle l’on n’entend plus que des sons au premier plan, au même niveau de définition. Il faut s’acheter un poste spécial à ondes courtes.

Mais lorsque la stéréophonie est arrivée en grandes pompes à la radio, pour les émissions de musique classique - on avait beau parler de «relief sonore» - je n’ai aucun souvenir qu’elle ait introduit un espace particulier. La FM stéréo, ou plutôt la «modulation de fréquence en stéréophonie» comme on disait alors sans abréviation, m’a bien plus frappé à l’époque par son effet de présence accrue des musiciens et de l’orchestre et par le gain en définition des instru-ments et des voix, que par un quelconque sentiment d’espace. Ou plutôt, l’espace devenait avec elle une autre dimension plus concrète, plus prosaïque peut-on même dire, localisable dans le réel du lieu d’écoute, accompagnée d’un sentiment d’élargissement de «l’écran sonore» tel un cinémascope pour l’oreille - mais un scope où tout restait figé. Les violoncelles

restaient toujours à droite et ne sautaient pas dans l’espace, et n’échangeaient pas leur place avec les premiers violons.De fait pour moi l’espace, dans les sons par haut-par-leurs, a peu à voir avec le nombre de pistes utilisées. Et lorsque je pense «espace acousmatique», je me remémore par exemple le sentiment spatial donné par les retransmissions de théâtre ou d’opéra sur France-Culture (à l’époque «France III»), et France-Musique (alors «France IV»).

De même que j’ai toujours aimé lire des pièces de théâtre et m’en offrir mentalement la représenta-tion, j’adorais suivre des retransmissions d’opéras à la radio - et m’imaginer moi-même le décor, les déplacements des acteurs, à partir d’indices sonores divers qui se superposaient au chant et à l’orchestre: craquements de sièges, toux et réactions du public, bruits de pas sur les planches, changement de couleur de la voix survenant lorsque l’acteur tourne le dos au micro, etc... C’est peut-être ce qui m’a fait composer, devenu adulte, des mélodrames électroacoustiques auxquels il arrive de simuler une représentation retransmise, avec ses différents plans de profon-deur, voix d’un commentateur proche, scène de la représentation, et enfin, mélangé à cela, diffus et intermittent, le bruissement d’un public.

Ainsi la Tentation de Saint-Antoine, sortie récem-ment en disque compact dans la série de l’INA-GRM, est-elle parsemée de quelques «effets» inspirés par cette expérience primitive de la retransmission radiophonique : comme des bouffées passagères de la présence d’une assemblée dans les tableaux intitulés Le Prêcheur et Le Trésor - qui font comme éclater l’espace représenté, le font comme basculer du côté d’une salle jusque-là muette. Issue de cette expérience, aussi, est la conception du rôle de la «Narratrice», traitée comme une journaliste décriv-ant en direct les actions physiques du protagoniste à l’intention d’un public aveugle de radio : «Il marche dans l’enceinte des roches, lentement » - telle est la première phrase que profère à mi-voix, comme pour ne pas déranger l’acteur, la voix sourde et intime de Michèle Bokanowski.

Au début du premier tableau, Le Désert, on entend clignoter un «cluster» pâle, estompé et intermittent, comparable à la lumière d’un phare dans la brume. Ce son n’a pas de plan de présence bien défini, et ce n’est que lorsqu’arrive au tout premier plan un crépitement intime de feu, nourri de petits détails minuscules qui dénoncent la proximité, que se

Page 59: akusmatisk_L'espace du son 2

59L'Espace du son II

creuse un espace, celui dans lequel va entrer la voix fatiguée de Saint-Antoine («Est-ce la clarté de l’aube, ou bien un reflet de la lune ?»), et plus tard encore la première intervention de la Narratrice.

Le livre de Flaubert dont j’ai tiré le livret de La Tentation se prêtait d’autant mieux à un tel projet qu’il a été conçu par son auteur comme une pièce de théâtre imaginaire et injouable - sur le modèle du Second Faust de Goethe, mais aussi de certaines pièces de Musset, voire des livrets de Wagner lorsque celui-ci n’espérait pas encore que ses opéras fussent jamais achevés et représentés. Mais l’ouvrage de Flaubert est un cas bien à part dans le genre, cher au XIXème siècle, du «théâtre à lire», du fait que les didascalies - autrement dit les indications de jeux de scène et de décor - y tiennent une place énorme, bien plus grande que dans les autres œuvres de ce type. Ainsi, les monologues et les dialogues à voix haute qui constituent La tentation sont-il fréquem-ment coupés par des descriptions d’actions et décors au présent, dans le temps réel et indéfini d’une représentation permanente. Cela crée une tempora-lité spéciale - qui se refuse les dimensions du passé (l’imparfait de Madame Bovary ou de l’Education Sentimentale) ou du conditionnel. L’auteur donne le sentiment de décrire en simultané un spectacle ou une fresque à l’intention de quelqu’un qui ne le voit pas, en lui permettant de combler ce manque avec des projections personnelles à partir des mots qu’il lui propose. Or, c’est ce sentiment très fort que j’ai éprouvé tout petit dans les retransmissions de radio - qu’à partir des sons, il y avait à recon-stituer l’ensemble d’un espace, et que le caractère forcément lacunaire de cette reconstitution avait sa magie propre.

L’espace acousmatique tel que par exemple la ra-dio l’a longtemps incarné, c’est en effet, qu’on nous pardonne cette évidence, un espace pour aveugle. Imaginons un voyant et un non-voyant côte à côte au seuil d’une grande salle. Le voyant aura d’un coup -d’un coup d’oeil-, l’appréciation de son volume global avec les différents plans en profondeur. L’aveugle, lui, reconstituera pièce par pièce cet espace au fur et à mesure en fonction des événements sonores qui se produiront. Il y aura toujours quelque chose qui pourra surgir à son oreille inopinément et le faire basculer. C’est cette dramaturgie du surgissement qui est caractéristique de l’acousmatique (bien que le cinéma l’ait parfois retrouvée lui-même, avec l’usage par exemple du gros plan et de ses bords-cadre dont n’importe quoi de menaçant ou de tutélaire peut surgir : voir chez Bergman dans La Flûte enchantée, et dans L’Œuf du serpent).

A l’époque où j’ai reçu ces «impressions», je ne con-naissais pas ce qu’on appelle aujourd’hui la créa-tion radiophonique ; j’étais juste impressionné de manière diffuse par les effets mêmes, le mystère de la retransmission acousmatique (qu’il s’agisse des jeux radiophoniques, des concerts symphoniques ou

des classiques donnés par les Comédiens Français, avec remue-ménage de pas sur les planches - ces bruits de planche devenus synonymes pour moi de théâtre, à travers justement les impressions so-nores venues des retransmissions radio, plus que de l’expérience directe, marquante cependant sur d’autres plans, de la représentation théâtrale). Les feuilletons conçus et mis en scène spécialement pour la radio, et se déroulant dans un espace abs-trait de studio, me fascinaient beaucoup moins que cette porte sonore ouverte sur un monde parallèle et simultané.

Il me semble donc que dans mes musiques «théâtral-es» - Le prisonnier du Son, Tu, La Tentation de Saint Antoine-, la dimension spatiale prépondérante est celle de la profondeur scénique dans l’axe d’une représentation, depuis le lointain jusqu’au proche - le très proche étant représenté par la voix d’un commentateur qui vous parle comme à l’oreille. Les dimensions latérales données par les deux pistes servent juste de cadre - elles donnent l’encadrement de la scène. C’est pour cela que lorsque je réalise une pièce en studio, je coupe les haut-parleurs arrière, je ne mets pas du son tout autour de moi - j’écoute au contraire toujours devant moi, et je ne m’immerge pas dans le son. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle je travaille toujours en deux pistes.

Il y a dans La Tentation plusieurs références directes à la radio : non pas tellement par la présence de la voix de Pierre Schaeffer dans le rôle-titre (une voix que j’ai découverte d’abord en chair et en os, si je peux dire, avant de l’entendre sur les ondes par haut-parleur, et qui n’est donc pas marquée pour moi par la radio, bien qu’elle soit diablement microgénique !). Mais par divers détails : comme quelques interventions de sons hertziens dans Le désert (où l’on entend des ondes courtes enregistrées à l’aide de mon frère, qui est à ses heures de loisir un radio-amateur fervent), et dans La Terre (bousculade d’éclats de stations de radio sur une bande FM sur-encombrée, celle des années quatre-vingts, destinée à représenter la prolifération naturelle). Ce sont des sons «on the air», comme on dit en anglais, et qui matérialisent un espace sonore hertzien non-acoustique.

Gagnons l’endroit le plus isolé possible, un plateau par exemple ou un site de haute montagne, en emportant un minuscule transistor. Il suffit de déployer la petite antenne, et d’allumer le poste, et voilà des sons qui se font entendre de tous les points. Ces sons étaient donc là, latents dans notre air, partout. Ils tendent dans l’espace une multitude de fils invisibles, et ignorent avec insolence les lois de la propagation acoustique telles qu’on les enseigne dans les manuels. Ce sont pourtant les sons tels que nous les vivons aujourd’hui, déliés de l’acoustique - d’où le léger dérisoire, pour moi, des pinaillages d’audiophiles sur «l’effet stéréophonique», alors que les trois-quarts des sons que nous entendons aujourd’hui sont relayés électriquement et mécon-naissent toute perspective.

Page 60: akusmatisk_L'espace du son 2

60 L'Espace du son II

Comme on le voit, dans ces considérations à bâtons rompus, j’ai surtout parlé de la radio comme canal, relais, médium, plutôt que comme un espace de créa-tion propre, qu’elle a été aussi et qu’elle est toujours, notamment en France avec le prestigieux Atelier de Création Radiophonique de France- Culture. C’est que je pars d’une expérience qui est la mienne, et de mes souvenirs d’enfant, dans lesquels la radio fonctionnait comme une doublure acousmatique de tous les autres genres spectaculaires existants - le concert, le théâtre, l'opéra et même le cinéma (une émission de Roger Régent sur Paris-Inter, Cinéma sur les ondes utilisait les bandes sonores dialoguées

des films pour les adapter en «dramatiques radio», moyennant quelques textes additionnels pour racon-ter les scènes manquantes et poser les décors). Cette doublure acousmatique avait quelque chose de fascinant, en partie dans le fait d’exprimer par touches successives, jamais achevées, un espace supposé d’emblée réel et entier. Et c’est peut-être en me souvenant de cette expérience que finalement, sans l’avoir concerté, je me suis retrouvé plus tard à faire de la musique de sons fixés, et à y composer des drames qu’on ne voit pas.

Juin 1991

Page 61: akusmatisk_L'espace du son 2

61L'Espace du son II

AU COMMENCEMENT ETAIT L’OREILLE

René FARABET

A. dit soudain: «En ce temps-là, j’étais replié à la façon d’une coquille. J’étais une oreille-qui-grandit: corps sculpté par le son, déjà. Du fond de la cave où j’avais été jeté, je ne voyais rien. La scène col-orée m’était cachée, la représentation se déroulait sans moi, derrière cette membrane vibrante, ce rideau frémissant tendu tout contre moi.Ce que je percevais était de l’ordre de la secousse: une sorte de train d’ondes, des vagues déferlant, venant se cogner à moi - donnant des coups, oui, ou plutôt des caresses: dans ma retraite lacustre, tout était amorti. Saviez-vous à quel point le son peut faire pression sur vous? Le son est tactile. Voilà! C’est ainsi que j’ai commencé à mémoriser le monde. Quelque temps après, je suis né au milieu du vacarme et des violences. Plus tard, quand mes yeux se sont dessillés, je suis peut-être devenu sourd.» Il ajouta en se tournant vers B.: «Je vais vous conduire dans un endroit où vous aurez peut-être envie de fermer les yeux». Il l’amena alors dans ce qu’on appelle un auditorium, une espèce d’austère parallélépipède sans fenêtres, au fond duquel il crut discerner, à chaque coin, deux haut-parleurs grillagés comme les fenêtres d’une prison.

A.— Asseyez-vous ici,au centre, voyez, à égale dis-tance de ces deux cages à sons. B.— C’est une place privilégiée, c’est la place du Roi. Mais si j’ai bien compris, vous m’interdisez de loucher,ou de me pencher du côté de ma voisine. Il faut rester au garde-à-vous, pétrifié, quoi... A.— Oui, attention, un peu de turbulence, et la scène bascule, l’équilibre est perdu. B.— Eh bien donc, je serai cet auditeur unique, cet auditeur d’élite, ce spectateur aussi, dans un sens : à cette pointe d’angle où je suis, j’ai devant moi une sorte de tableau... A.— C’est cela, il y a ce qu’on appelle un «cône de présence», qui part de vos yeux... B.— Voilà, on me demande de visualiser, de faire du repérage par le regard! A.— Et savez-vous comment on appelle parfois l’arc qui délimite le seuil d’intelligibilité? : «Rideau» ! D’une certaine manière, on est un peu comme au théâtre en effet.B.— Donc le tableau de scène est devant moi, avec ses effets de perspective, ses points de fuite, son horizon (du lointain qui s’amenuise) son cadre. A.— Enfin, il faut admettre que la boîte scénique est tout de même moins rigide qu’au théâtre. Ici les parois sont perméables, les lisières imprécises. Le son ne cesse de déborder. B.— Et de m’immerger? A.— Oui, c’est cela. Vous faites partie de la scène sonore.

Bien qu’il eût répondu de bonne grâce à l’invitation de son ami, B. se demandait s’il n’eût pas préféré que cette séance d’écoute eût lieu chez lui, et dans la solitude : il se serait étendu sur son lit, par exemple, sans se soucier de géométrie. «Il faut se garder de solenniser l’écoute», se disait-il.« Je devrais pouvoir, si l’envie m’en prenait, me placer de dos ou de pro-fil, ou même aller dans la pièce voisine. Ecouter, ce n’est pas une activité militaire, circonscrite dans un espace quadrillé. Je ne suis pas là pour décrypter, interpréter, dénoter. Je préfère paresser dans la matière sonore, et parfois m’évader. C’est un exercice de liberté. Il me faut simplement des «propulseurs de rêve», des déclics qui me poussent à la dérive». Il choisit de plaisanter :

B.— Je pourrais mettre mes mains en cornet pour en avoir plein les oreilles... Mais non, Aristote pré-tendait que «les grandes oreilles proéminentes sont une marque de sottise.»A.— Dans la phrase que vous citez, on a l’impression que l’oreille n’est qu’un organe passif, une sorte de protubérance dérisoire et grotesque, un chou-fleur décoratif, un coquillage d’apparat. B.— Oui bien sûr, alors que c’est au delà de ce ber-ceau tout rose, tendu d’un duvet de velours, que le son danse et tourbillonne, j’imagine. Tout se passe dans les vestibules intérieurs, dans les canaux souterrains.A — Sans doute. Donc pas de rabat si vous voulez, et surtout pas de bonnet de coton. L’oreille est un calice, et le son n’est pas meurtrier. Rien à voir avec le poison infligé au père d’Hamlet. B.— Une question : faut-il avoir les oreilles bien soudées ? A.— Pardon? B.— J’ai l’impression qu’elles sont disjointes parfois: la tête soudain coupée en deux, il y a comme une fissure...A.— Tendre l’oreille, c’est peut-être ne tendre qu’une seule oreille... B.— Et à certains moments, ça entre par l’une et ça sort par l’autre. A.— Ne croyez-vous pas plutôt que les sons s’enfoncent et s’embourbent dans la tête ? B.— La tête comme champ d’assourdissement, comme sac de sable en somme ? Non, je ne dirais pas cela. Les sons l’irriguent, la fouillent... A.— Et brusquement ne sont plus là... B.— Ecouter, c’est se faire poreux.A.— Laissons un peu le monde s’installer et bruire en nous, voulez-vous.

De ce qu’ils écoutèrent,A. ne dit presque rien, sinon qu’il s’agissait d’une sorte de fête populaire, avec

Page 62: akusmatisk_L'espace du son 2

62 L'Espace du son II

des saltimbanques et des musiciens. Peut-être eut-il mieux fait de se taire, de ne pas mentionner, par exemple, la présence d’un cracheur de feu.

B.— Ce son craché qui déchire l’espace, je me le représente bien comme une flammèche, vous ne trouvez pas ? A.— En êtes-vous sûr vraiment ? C’est une petite tornade aussi bien. Ou le soupir d’un ogre, peut-être. Ou le cri figé d’un samouraï. Ou tout simplement un son musical. Un son orange, disons... B.— Au fond, c’est vrai. Si je me réfère au corps qui l’émet, je me fais sourd à ce qu’il est. Il est masqué par le sous-titrage, sa légende me le dérobe. A.— Alors qu’il n’est que reste, traînée bruissante, trace fragile...B.— Oui, le corps est loin derrière.

B. essaya de renoncer à étiqueter les sons. «Du reste», se dit-il, «tout son est dû au frottement de plusieurs corps. C’est un «combiné» déjà. Pour le conceptualiser, je dois donc enjamber plusieurs choses, imaginer des espaces intermédiaires de glissement, etc. C’est le produit d’une force active : il s’échappe de ce qui souffle, de ce qui frappe, de ce qui pousse...Le bruit ne cesse de sourdre du vivant».

B. se montrait toujours bon public :

B.— Je voudrais vous dire : ces musiciens de tout à l’heure, ils remplissaient tout l’espace pour moi. Avec vous, je me suis approché d’eux, et je crois avoir écouté pleinement tous les sons qu’ils produisaient.A.— Mais que dites-vous des danseurs, dont il ne restait plus que le martèlement rythmique des sabots sur le plancher : la danse des corps réduite à un piétinement cadencé? B.— Votre conclusion : tout tableau vivant ne laisse que des dépôts sonores partiels, et plus ou moins aléatoires, ou même insignifiants -un peu de ca-cophonie, quoi.

A. continuait à sourire.

B.— Et pourtant, un aboiement, c’est d’abord un chien. A.— Oui, mais pas ce chien. B.— Un certain type de chien tout de même. Entre un bouledogue et un pékinois... A.— C’est cela, oui, nous sommes renvoyés à des types, à des séries. Mais que savez-vous de cet épag-neul breton appelé Totor (je l’ai su par la suite), une oreille beige, l’autre blanche... B.— Silencieux ? A.— Oui. Flanqué de son maître,un vieil homme boitillant... B.— Muet ? A.— Oui. Voilà autant de figures absentes. Dans la bande sonore, il y a des tas de zones mortes.

B. avait peine à croire que cette représentation donnée par le son ne fût qu’une mascarade. Mais il s’était mis à douter.

B.— On me dit que ce personnage est juché sur des échasses. Pour moi, à l’oreille, c’est aussi bien un cul-de-jatte.

Tout lui devenait suspect. B. n’était même plus sûr de l’authenticité de la scène réelle.

B.— Vous avez des sons «off» ?A.— Vous vous croyez au cinéma ? B.— Voulez-vous dire qu’ici, tout est «off»? A.— Oui, ou le contraire. Le corps sonore n’a pas d’ombre. Le présent est un «mélangeur». B.— Une autre fois, je vous interrogerai sur le son qu’on n’entend pas encore -et aussi sur celui qui vient de disparaître...

«Il y a»,réfléchissait B., «des effets d’attente, des effets de persistance qui ne cessent de traverser mon écoute. Pour tout événement sonore, on devine confusément une sorte d’escorte poudreuse qui point de l’horizon, et dans son sillage, comme un panache nuageux qui va se dissiper lentement. Et tel que je le perçois, le son n’est pas canalisé dans une ornière sans faille, il suit une sente lumineuse, faite d’empreintes légères, de traces inégales de frôlements et de pressions. Ecouter,c’est une activité rêveuse, pensive».

Les haut-parleurs continuaient à déverser du plein-air dans cette pièce capitonnée. B.— Une fois enregistré, le son acquiert une autre fibre. A.— Voulez-vous dire qu’il est devenu un peu fan-tomatique, par exemple ? B.— J’écoute, comme en sourdine, toute cette vé-gétation sonore un peu fanée. Les sons n’ont pas de support, pas de points d’appui, on dirait. Tout flotte. Ce sont des voix sans corps, comme des têtes qu’on balladerait au bout de piques. A.— Un théâtre d’ombres, en somme...Vous savez, le fantôme - l’ombre - n’apparaît plus que par la voix.B.— Voilà! C’est peut-être pour cela que le discours radiophonique m’a toujours paru un peu funéraire. A la radio, on parle d’outre-tombe, on est sépulcral. On grave dans le grave ! A.— «Grave», en anglais, c’est la tombe. B.— Mais dans ce «grave», il n’y a pas d’épaisseur. Pas de consistance. La voix est sans bords. Ce n’est plus telle ou telle bouche qui la gaine. Elle s’enfle, se répand confusément dans l’espace. A.— Oui, résonnante, ballonnée. Ombreuse.

Ils écoutaient depuis un grand moment déjà. L’horloge ne réglait pas leur destinée (ils n’étaient pas prisonniers de ces «grilles de programme» grâce auxquelles les radios d’aujourd’hui décou-pent le temps en tranches de plus en plus infimes, dérisoires).

B.— Pardonnez-moi, mais mon écoute est tout à fait divagante.

Page 63: akusmatisk_L'espace du son 2

63L'Espace du son II

A.— Loin de moi l’idée de vous reprocher des cligno-tements d’attention, ou des humeurs d’écoute. B.— Oui, enfin, je sens bien que je m’égare. Je m’égare par rapport au parcours que vous avez proposé.A.— Vous avez failli dire «imposé»! Mais non : vive l’âme vagabonde! Il y a tout de même une chose que je crois pouvoir affirmer : le son pré-écouté, c’est lui qui a les plus grandes chances de vous captiver. B.— Je salue en vous le premier auditeur !A.— C’est un son qui, disons, se serait coulé dans un corps confident. B.— Je salue le confident, et sa haute fonction dramaturgique !A.— Un son à vous dédié. B.— Après avoir été traité ? A.— Ou bien non-traité. Simplement sauvé de l’ano-nymat, de l’insignifiance. B.— Grâce à cette caresse un peu pressante... A.— Grâce à une écoute intense, oui, exigeante.

Un peu plus tard, B. se tourna vers A.

B.— Est-ce là un fond sonore ? Comme un décor qui coulisserait le long de la dernière travée? A.— Attention, toute ambiance est prégnante, prête à vous envelopper.B.— Dois-je préparer mon scaphandre ?

A. parfois montrait des signes d’énervement, lorsque les sons se superposaient, s’agglutinaient jusqu’à former un ensemble brouillon et pâteux, une sorte de pudding sonore dont plus rien ne se détachait, comme si faire la fête, à ce moment-là, avait consisté à additionner des décibels, à répandre partout le tonnerre, c’est-à-dire à abasourdir les gens, à les «couler» dans le bruit. Ce fracas avait pour effet de saturer l’espace acoustique, et provoquait chez les acteurs comme chez les auditeurs la plus grande inattention.

A.— Et la foule est là, grouillante, absorbant tout. B.— Bavard : buvard ! A.— Elle fait de la figuration, c’est tout. Les voix bourdonnent confusément dans le lointain, amal-gamées, indistinctes, anonymes. B.— Ah! ce n’est pas l’harmonie militaire d’un choeur de grillons, non. A.— Ecoutez cette rumeur parasite, comme une salissure. Ça fourmille dans le crin-crin de la vielle, ça vrombit dans les soupirs musicaux. B.— Oui, et vous ne l’effacerez pas. Elle adhère à tout le reste. Elle avale tout. Vous voulez travailler sur le terrain, comme on dit. Il paraît que vous étouffez dans les studios, que vous avez horreur des sons propres. Eh bien, vous l’avez, votre ambiance, la vie est là : ne vous plaignez pas ! A.— Ce cafouillis de bruits me gêne, parce qu’il me montre une foule distraite, futile, des gens qui n’écoutent pas... B.— Et vous rêvez bien sûr de ces moments un peu vertigineux ou soudain une mouche se met à voler: l’air s’est figé tout à coup, et l’on est médusé.A.— Oui, et le bruit s’est combiné avec l’haleine, un léger souffle s’est déposé sur lui, il vit.

B.— Que faire ? Il faudrait introduire des zones d’exclusion, des sortes de «carrés blancs». Trouer la bande peut-être ?A.— Trouver des lieux latents, des espaces vides, soudain. Mais le son est un passe-muraille. B.— Alors c’est cela : un peu de bande vierge ça et là. Dix-neuf centimètres de rapiéçage par ci par là.A.— Du patchwork, de la dentelle, je vois. Vous vous croyez dans la couture ? B.— Vous avez bien des ciseaux et des bobines.

Tous deux s’efforçaient de lutter contre le brouhaha, d’aiguiser leur écoute. «C’est qu’il ne suffit pas d’entendre, il faut écouter», reprenait A. «le monde habituellement s’engouffre dans nos oreilles comme par un goulot, sans filtre : des sons en fusion qui se parasitent les uns les autres, qui «bouillonnent» à feu plus ou moins doux - et la radio parmi eux (pensez aux transistors, aux haut-parleurs dans les lieux de commerce) qui se contente de faire du bruit,un bruit un peu plus coloré au milieu de nos activités quotidiennes». Et il continuait: «Tout microphone devrait être appelé macrophone. Il faut pouvoir saisir l’infinitésimal. Le monde est plein de miracles. Percevons l’accident, l’imprévu, c’est-à-dire la vie même : la fêlure des choses, les cahots du rythme, les «cabosses» des sons, etc., etc. » Les hauts-parleurs dégorgeaient toujours leur magma, à l’intérieur duquel, parfois, un tableau se découpait.

B.— Votre plan d’ensemble n’est qu’un fragment. A.— Sans doute. B.— Je veux dire, tout saute toujours «hors du cadre». L’image sonore n’a pas de pourtour. A.— Oui, ça bave du «poste», quoi. B .— Si l’on veut. A.— Vous savez, on ne consomme pas le son comme on «broute» un tableau. Il est bon de perdre les traces. Ecoutez sans vous retourner.B.— Le son est donc porteur d’oubli ? Bien. Situons-nous à l’avant, là où il fonce.

Une fanfare se mit à jouer.Et l’on sait que ce genre de musique a tendance à durer sans se renouveler...

A.— C’est assez monotone, je l’avoue. B.— Fragment brut du réel... A.— Je me sens exclu. B.— Et vous rêvez de manipulation.Vous voulez jouer à l’apprenti-sorcier: la machine vous fascine. A.— Ce n’est pas cela. Mais si je reste de côté, le monde est en sommeil. Il n’existe pour moi que si je le respire, si je le secoue, si je l’interpelle. B.— Ce n’est pas en soufflant dessus qu’il va respirer. Sillonnez-le de vos pensées, ridez-le de vos humeurs: c’est dans la tête que tout se passe.A. avait déjà rejoint la cabine technique.Il s’était mis à jouer avec les sons, à les ralentir ou les précipiter, à les superposer et les transformer. La fanfare s’était démultipliée jusqu’à devenir un horrible «couac», plus faux encore qu’au naturel. Tout finit dans un rire.Après une courte pause, la conversation reprit :A.— Les «ondes» ! J’aime cette métaphore liquide. Le son ondule, oui, il avance par rouleaux, il y a en

Page 64: akusmatisk_L'espace du son 2

64 L'Espace du son II

lui des montagnes russes, il sinue... B.— Et s’insinue... A.— Il se propage, avec ce frisson sans cesse répété, qui est sa palpitation vitale. Il s’insinue,oui...B.—Et s’infiltre. Sentez-le, toujours en train de sourdre... A.— Et puis de s’enrouler. Il déploie des torsades, des tores, à l’image de la bande magnétique entortillée autour de son noyau...B.— Et l’auditeur lui-même est un «tortillon», une sorte de momie bruissante, bruitée... A.— Oui, le son me lèche, et me traverse, danse en moi, s’insinue, c’est bien cela. M’enveloppe, puis se dérobe, prend la fuite... B.— Passe. Même lorsqu’il paresse dans un si-lence. Même lorsqu’il a l’air inscrit sur une portée. Passe,s’évente... A.— Et la rue, pour lui, c’est un peu le lit de la rivière.

A. ajouta soudain:A.— Et ne croyez pas que l’oreille, c’est l’entonnoir où va s’engouffrer toute la masse liquide. Le son, en fait, diffuse dans tous les sens, il jaillit, il éclabousse. B.— C’est tout mon corps qui est arrosé, je le sais bien. A.— Vous écoutez, nimbé d’une sorte de brouillard g1issant.

Pendant que la bande continuait à tourner, A. se mit à penser tout haut: «Le son teste l’élasticité de mon corps, son aptitude à la pulsion. Je crois même savoir qu’au coeur du labyrinthe de mon oreille interne, il y a des mouvements liquidiens, une espèce de danse des membranes qui me tient le corps en éveil. Et si j’écoute intensément, je vais finir par m’écouter moi-même, tout le corps me remonte à l’oreille : le tam-tam du sang, le bruit de tension de la peau et des muscles, le claquement des articulations et des os, - ce concert tapageur que le monde donne en moi. Le monde joue en moi (se joue de moi). C’est par l’effet de ses charges, de ses stimuli, que je suis vivant».

B.— Deux oreilles - de cartilage ou de métal, c’est pareil - ont traversé l’espace, balayé le paysage. A.— Scène mobile, scène visitée. Mais front d’écoute aussi : souvent ça fait tableau. B.— Oui,il y a une alternance de rencontres et d’abandons. A.— Le corps dicte sa loi. B.— Aviez-vous des semelles de caoutchouc? A.— Souvent, dans un milieu homogène, on ne se rapproche que de ce que l’on quitte. Le passage est annulé. B.— Faites comme les puces, qui avancent par sauts: elles travaillent sur le différent.

A. se mit alors à parler de diverses techniques d’enregistrement. B. l’interrompit:B.— Votre perche, là, c’est un peu la gaule du pêcheur? A.— Prise de son : prise de poisson ? B.— Vous trouvez que la comparaison manque de

rigueur? A.— Le but n’est pas de retirer le son de son eau vive. Mais gardons un instant votre suggestion; vous ne m’identifierez pas au pêcheur de carpes.B.— Vous voulez dire, un de ces pères tranquilles qui, le cul sur un strapontin, jettent un regard vide et éteint sur le bouchon. Je comprends, c’est une gymnastique!

Il questionna encore:

B.— Avez-vous un «point d’écoute», comme on dit un «point de vue»? A.— Plusieurs même, de préférence. Mais dans ce plein-air, les champs sonores s’interpénètrent. On a beau varier les postures de guet, l’ensemble reste brouillé. C’est de la poix, je pêche en eau trouble. Et voilà bien le problème du brouhaha. Tout fait chorus, et s’entremêle. L’image est bloquée,on ne peut rien lui retrancher. B.— Alors mariez-la, ayez recours à la syntaxe : collures, suites, ruptures, alternances, répétitions, variations, chevauchements, pulsations rythmiques, structures et figures éclatées... A.— Etc., etc., etc.

Et c’est ainsi que tout doucement, ils en vinrent à aborder le problème du récit. Et au fond, c’est ce qui motivait le plus A. dans son travail : cette construc-tion progressive du sens, à partir de tous les sons qu’ils avaient écoutés.

A.— La vraie question,là, est de se battre contre «l’indifférencié». B.— Alors vous allez scinder la scène en unités parfaitement discrètes. Mais rien ne me dit que ce repérage va me convenir. J’ai déjà envie, avant de les connaître, de dissoudre votre découpage et votre hiérarchie. A.— Vous préférez une sorte de vrac où tout s’annule? B.— Non, mais surtout pas de schémas rigides. Un mouvement, oui, un vecteur de désir...

La nuit, au dehors, était déjà tombée depuis long-temps. Avant de se quitter, ils échangèrent encore quelques mots :

B.— Pouvez-vous me dire ce que nous avons écouté? Je m’aperçois que je me suis laissé glisser dans les sons jusqu’à m’y perdre. A.— Pour moi, tout cela a eu lieu. Comment se dé-faire de cette idée? B.— Jouez plutôt avec elle. A.— Mais que faire de tous ces matériaux ? Vous voyez, ils sont là, étiquetés, classés par thèmes,catégories, moments, que sais-je. Des bobinos par dizaines, tous également ronds, identiques.B.— Il est vrai que sur le plateau, ils tournent tous de la même façon. Mais ils n’émettent pas le même air. A.— A la limite,si. B.— Faites-les tourner ensemble, ils vont peut-être raconter une histoire, à la manière des deux mouches accouplées dans l’oreille du philosophe. Tenez, on en prend un au hasard...

Page 65: akusmatisk_L'espace du son 2

65L'Espace du son II

ESPACE

DE PROJECTION

PROJECTIONDANS L'ESPACE

Page 66: akusmatisk_L'espace du son 2

Il s’agissait d’assurer au mieux la projection sonore, en utilisant nos appareils en fonction de l’acoustique et du volume de la salle, en in-stallant nos haut-parleurs aux endroits les plus favorables, et surtout en réalisant une projection en relief. Nous savions qu’en multipliant les expériences, nous parviendrions à dégager des règles précieuses pour l’avenir, mais pour l’instant nous n’en étions qu’à la première tentative de concert public, et cela n’allait pas sans tâtonnements, ni sans angoisse.

SCHAEFFER Pierre, : A la recherche d’une musique concrète, Paris, Ed. Du Seuil, 1952.

Page 67: akusmatisk_L'espace du son 2

Dans le premier numéro de l’ Espace du Son, Michel Chion soulevait, dans son article Les deux espaces de la musique concrète, le problème du format des œuvres et, notamment, de la résurgence des tentatives de composition faisant appel à un nombre de pistes sans cesse différent :

«Aujourd’hui cependant, la musique sur bande n’est pas épargnée par la manie ou la coquetterie propre aux compositeurs contemporains de vouloir changer pour chaque œuvre la règle technique du jeu, modifiant aussi bien les principes de disposition des haut-parleurs que le nombre de pistes de l’œuvre, et que la façon dont les sons enregistrés se mélangent ou non à des sons «live», etc..., tant et si bien que l’auditeur n’a plus aucun moyen d’y construire des repères: une telle affectation, outre le gâchis financier et social qu’elle entraîne, aboutit à bloquer le progrès esthétique et à disperser le travail sur des innovations souvent éphémères et sans intérêt. Les compositeurs auraient donc intérêt à se pencher sur la question d’une certaine standardisation technique des formats de leurs œuvres (par format, je veux dire, tout simplement, le nombre de piste) et des systèmes de diffusion, cette standardisation permettant seule une évo-lution des formes. Si le cinéma ne s’était pas fixé rapidement, pour sa part, sur certains formats de réalisation et certains standards de projection, il en serait peut-être encore à balbutier dans son langage.» (1)

Ce même thème est repris dans son récent essai-manifeste, L’Art des sons fixés ou La Musique Concrètement :

«Ainsi la répartition et la diffusion des sons à travers l’espace sur plus de deux pistes fut-elle techniquement possible, et pratiquée, dès le début des années 50. Les œuvres en quatre pistes ont même été légion dans la production des années 60, et si beaucoup de compositeurs sont revenus dans les années 70 au bi-pistes et à un style moins éclaté et plus centré, c’était une limitation assumée, pour permettre un centrement, un resserrement et une linéarisation du discours. Certains ont même systématisé alors le principe d’un front de diffusion (par opposition à la formule en rond répandue jusqu’alors), proposant une image cinémascope plus centrée, mieux repérable, et peut-être plus propice à une intériorisation de la scène acoustique.

Quelques années plus tard, voilà que les mêmes compositeurs sont de nou-veau tentés par l’éclatement des pistes, et par une matière sonore dispersée, empilée.» (2)

Les mêmes compositeurs ? Peut-être pas.Mais il est vrai qu'aujourd'hui des regards se tournent vers la technologie multipiste et les ressources d’une diffusion éclatée sur de nombreux canaux. Toutefois l’accord n’est pas parfait. Aussi nous a-t-il paru éclairant de donner la parole à quelques compositeurs qui ont sur cette question des points de vue divergents ou complémentaires.

(1) CHION Michel, «Les deux espaces de la musique concrète», L'Espace du son, Editions Musiques et Recherches, 1988, p. 33(2) CHION Michel, L’art des sons fixés ou La Musique Concrètement, Editions Metamkine/Nota-Bene/Sono-Concept, 1991, p. 68

Page 68: akusmatisk_L'espace du son 2

68 L'Espace du son II

LA POLYPHONIE SPATIALEPatrick ASCIONE

A la suite de premières expériences personnelles de travaux réalisés et diffusés en seize pistes, je voudrais développer ici quelques-uns des points que j’avais abordés lors d’une précédente communication parue dans cette même revue et mieux cerner ce qui différencie deux modes d’occupation de l’espace : le mode stéréophonique et le mode multiphonique.Bien que les mécanismes régissant ces deux tech-niques de composition soient à bien des égards divergents, les fondements et particularités de l’approche multiphonique ne sont pas pour autant incompatibles avec l’art acousmatique.Bien au contraire !

UNE DUALITE :«L’ESPACE STEREOPHONIQUE»

DE L'ŒUVRE DANS «L’ESPACE REEL»

DE LA SALLE DE CONCERT

L’utilisation d’un dispositif de diffusion destiné à mettre en valeur la dimension spatiale d’une œuvre stéréophonique en public, est supposée rendre plus prégnants et sensibles les éléments de spatialisa-tion inclus dans l’œuvre et convaincre l’auditeur de l’existence de plans, de reliefs, de profondeurs, de mouvements...

En cherchant à déployer les rapports d’espace qu’il a conçus, symbolisés dans son studio, le musicien espère ainsi révéler, traduire en «vraie grandeur» cette dimension jusque là simplement simulée sur le ruban magnétique...En d’autres termes il tente de passer de son image à sa traduction dans le réel. De provoquer une sorte de métamorphose.

Ce qui n’était au départ qu’une «illusion spatiale stéréophonique», la «photographie d’un paysage virtuel», va devenir avec l’aide d’une console et de potentiomètres, une réalité vivante et mouvante, même s’il ne s’agit pas toujours d’imiter le réel ou le vraisemblable...Cette impression d’espace «peint» par le compositeur dans le studio, traduction donc d’une projection mentale, est précisément en ce sens une image, un compromis formel.

Or, comment transporter de telles «images» dans le réel, les inclure dans les dimensions d’un lieu physique sans que celles-ci en souffrent obligatoire-ment ? Comment les interpréter, les «remodeler» (si

tant est qu’on puisse modeler une image) afin de leur procurer plus de relief, de volume, les rendre plus perceptibles ? Comment opérer cette conversion, passer d’un état dans un autre tout en conservant pour bases de données communes le même code ?N’est-ce pas au fond une utopie que de vouloir ainsi confondre deux entités de vecteurs et de dimensions de nature si différentes ?On pourrait en cela se demander si, ce qui a le plus de chance de convaincre ou de sembler réaliste, ne devrait pas au fond émaner de la réalité même; celle-ci étant, si l’on en croit le vieil adage, quelque peu supérieure à la fiction...

Cette question de la coexistence possible de deux univers de constitutions divergentes revêt une ampleur particulière au moment de la diffusion si l’on s’attache à analyser ce qui est perçu de manière globale à cet instant :Lorsqu’on projette dans un lieu quelqu’œuvre que ce soit «spatialisée» par le moyen de la stéréophonie, l’espace évoqué (inscrit sur la bande bi-piste) se trouve tout à coup plongé dans un autre espace (un autre format), celui-ci bien réel et multidimensionnel de la salle de concert qui le reçoit.Or le premier (l’espace illusion) permet de suggérer par sa fonction des dimensions souvent sans rapport et en disproportion complète avec celles de la salle ! Un peu comme la projection cinématographique si l’on veut.Cependant dans notre cas, s’il s’agissait (comme au cinéma) d’un choix délibéré, ce choix ne se justi-fierait pleinement qu’à condition qu’aucun acte d’interprétation proprement dit n’ait lieu et que la projection de l’œuvre soit la plus «neutre» possible, c’est-à-dire sans installation destinée à épouser les structures du lieu de projection et par là même, à refabriquer l’architecture d’ensemble de la pièce.

Au cinéma, s’il n’y a pas véritablement de déperdition du message ou de l’image, dans nos salles au con-traire une grande partie du travail stéréophonique est absorbé et se dissout généralement; les rapports de plans, de profondeurs, étant moins sensibles et perdant de leur définition, de leur sens, ce qui n’est naturellement pas sans incidence sur la syntaxe générale de l’œuvre : les sons eux-mêmes.De plus, lorsque nous diffusons une pièce stéréo-phonique dont l’espace représenté est par nature «illusion auditive», l’aire acoustique du lieu (l’espace environnant) se trouve sollicitée par des sonorités qui, elles, n’ont rien d’illusoire ou de «virtuel» à pro-prement parler, et sont reçues comme des «objets»

Page 69: akusmatisk_L'espace du son 2

69L'Espace du son II

réels, tout à fait perceptibles, se répercutant partout dans l’air. (Je reviendrai plus loin sur ce point).Mais la situation devient particulièrement para-doxale lorsque ces mêmes «objets» se trouvent en même temps placés à l’intérieur de «paysages de studio» imaginaires, scènes et perspectives irréelles ou virtuelles (donc par nature sans «poids» ni force, sans tensions ni valeurs mesurables) et soumis aussi aux exigences physiques acoustiques de la salle; masse d’air obstinée, envahissante et lourde, omniprésente et permanente qu’il leur faut pourtant solliciter, brasser, remuer...Ces sonorités contredisent ainsi par leur émergence la nature conceptuelle de l’espace évoqué qui leur est assigné; cette incohérence offrant alors deux niveaux de lecture antinomiques du propos...

Comment l’auditeur perçoit-il ce mélange de dimen-sions contradictoires, ce véritable «mixage naturel d’espaces» opposables ?L’oreille est-elle réellement discriminante à ce niveau ?

Or les dispositifs d’interprétation censés pouvoir adapter ces espaces virtuels aux lieux de diffusion ne peuvent prendre en compte que des données physiques sensibles, c’est-à-dire des fréquences, donc des sons, et ne sont pas fait pour gérer sans en modifier considérablement la portée, les convertir, des paramètres aléatoires, virtuels ou subjectifs tels que des perspectives simulées, des effets de déplacement ou les qualités suggestives d’une géo-métrie plane...

S’ils peuvent effectivement affecter telle sonorité à tel endroit de la salle, en revanche ils n’ont pas le pouvoir de différencier le paramètre espace inclus dans l’œuvre du matériau sonore lui-même ! Tout comme de sélectionner certaines données extérieures de l’œuvre plutôt que d’autres. Et s’ils offrent la possibilité de répartir les sons dans le volume de la salle sans trop altérer leur intelligibilité, cela n’est pas sans conséquences à l’égard du travail réalisé sur l’espace qui lui, subit les contre-coups de l’action rédhibitoire des potentiomètres qui tantôt le disloque, tantôt le froisse et le déchire, en désarticule l’impalpable et fragile structure.Certes, on déplace à loisir les sons, mais on défait l’espace !Si de telles altérations peuvent quelquefois se révé-ler intéressantes, pourquoi alors se donner tant de peine à la composition ?Quelle écoute adopter ?N’est-ce pas en fin de compte l’espace du lieu qui fait l’espace de l’œuvre ?

LA DIFFUSION STEREOPHONIQUE : UNE PROJECTION EN «BAS RELIEF»...

A la console, afin de réduire au mieux ces ambiva-lences et proposer une solution convaincante en accord avec la salle, il nous faut évaluer les dimen-

sions physiques et acoustiques de ses volumes, en fonction de l’espace qui est évoqué, «préfabriqué» sur la bande.Puis étirer celui-ci comme s’il s’agissait d’une matière élastique jusqu’à ce qu’il revête le plus possible l’aspect désiré en prenant en compte (ou pas) les proportions du lieu donné.Tout cela dans le but de convertir les qualités tridi-mensionnelles virtuelles de l’œuvre en un réalisme avéré des rapports et des formes, «presque réalité» dont l’auditeur pourrait mesurer la portée et don-ner l’échelle...Mutation impossible, paradoxale, chaque fois es-pérée.

Or les diverses sonorités (comme l’ensemble du ma-tériau sonore résultant du mixage stéréophonique définitif) sont par avance (hélas!) coulées dans le moule de cette «photographie de mise en espace» originelle et l’on voudrait pour les besoins de la cause qu’elles s’en libèrent le soir du concert.A cette fin, on tire parti de cet état de fait par quelques astuces et par le biais d’interventions sur les fréquences ou les intensités, ou par la possibilité de «démixer» (1) certaines sonorités au moyen de la console de diffusion et de ses «correcteurs de timbre».Ceci afin de réduire quelque peu l’impression de flou résultant de l’amalgame produit par la rencontre des deux univers pré-cités, où l’esprit d’un audit-eur novice a bien du mal à se forger des repères et a tendance à osciller continuellement entre deux possibles...

Pourquoi ne pas faire en sorte que ces sonorités-là puissent se déployer indépendamment les unes des autres dans un espace réellement tridimensionnel, ouvert et qui ne serait pas le résultat irréversible d’un «mixage» originel contre lequel on ne peut plus grand-chose par la suite ?Je ne crois pas que l’imaginaire de l’auditeur ait à en souffrir, pas plus que celui, inventif, du compo-siteur...Pourquoi ne pas dépasser ce concept d’espace abstrait stéréophonique si peu maniable ?Plutôt qu’outils de projection et d’interprétation de ces musiques, les dispositifs actuels de diffusion ne sont-ils pas avant tout des moyens inavoués et im-possibles de conversion d’un espace-plan représenté en un espace à trois dimensions ?Et le résultat ainsi obtenu ne s’apparente-t-il pas davantage à la notion de «bas-relief acoustique» dans un espace symbolisé au sein duquel toute liberté, toute exploration et toute progression sont par avance rendues quasiment vaines ?

VIRTUALITE / REALITE

En studio lorsque le volume aérien ambiant est réduit à peu de chose, ou mieux encore au casque lorsqu’il devient inexistant, l’espace inscrit sur la bande prend alors le pas sur l’environnement extérieur

Page 70: akusmatisk_L'espace du son 2

70 L'Espace du son II

immédiat (puisque celui-ci n’existe plus) et devient prépondérant. Nous ne sommes plus en présence de la rencontre de deux mondes contradictoires et tout conflit disparaît.L’effet de prégnance est alors suffisant pour que l’auditeur se trouve plongé dans un univers homo-gène qu’il admet et considère d’emblée comme évident (pas forcément réaliste) et dont il a le sentiment qu’il pourrait en explorer les moindres contours.

Il en est rarement ainsi dans le lieu du concert à cause de cette confusion d’espaces non addition-nables, confusion qui en engendre une autre tout aussi significative. A savoir précisément l’ambiguïté perceptive tendant à se produire entre d’une part la réalité sonore (l’émergence des sons eux-même dans l’air) et d’autre part le caractère allégorique, métaphorique de «l’espace-image» qui les contient.D’un côté cette réalité physique des sons est incon-tournable (vibration aérienne, grain, relief, couleur, puissance, etc...), d’un autre côté, quand il est bien perçu, l’espace évoqué et qui représente en même temps la structure englobante et porteuse de l’œuvre, apparaît, lui, factice.De sorte qu’à ce niveau s’installe une contradic-tion, pas forcément perçue d’ailleurs de manière immédiate.

On peut alors se demander si ce qu’il importe de percevoir ce sont les images de sons ou bien les im-ages d’espaces, ou bien les deux simultanément et si le contexte de mise en situation spatiale (artificielle et rapportée) dans lequel ces sonorités évoluent, ne discrédite pas dans une certaine mesure le rapport des sons entre eux, leur sens, leur mobilité et finale-ment la lisibilité du discours lui-même.Peut-il exister réellement la possibilité d’une efficace et objective mise en scène du propos et non pas plutôt son approximative résolution ?Son relatif déploiement ?Rien n’est moins sûr.

Dans nombre de cas l’oreille semble soumise à une série de compromis, d’ambiguïtés, malgré le fait que le compositeur à la console essaie de clarifier la situation pour la rendre moins équivoque, de se débarrasser de la gêne apportée par cette «stéréo-phonisation» qui, depuis les derniers mixages, a pris comme un ciment et dont tous les composants se trouvent prisonniers, pétrifiés malgré leur ap-parente mobilité.Ne voit-on pas souvent l’interprète aux commandes du pupitre agiter les potentiomètres comme s’il voulait «secouer» un peu les sons, les sortir de leur emprisonnement, leur faire franchir les frontières du mixage ?

Comment une fois encore intégrer deux domaines faisant intervenir des pôles contradictoires de la per-ception ? L’un utilisant les qualités de l’abstraction, de l’illusion; l’autre par sa nature même, sa réalité exté-rieure, incarnant le domaine du concret perceptif.Lequel prime l’autre ? Car il faut bien choisir...

Cet espace-illusion n’est-il pas une solution de sec-ours à laquelle il ne faudrait pas recourir quand il y a risque de prédominance de l’espace d’un lieu, d’une salle, d’un site, sur l’espace projeté de l’œuvre?Dans la majorité des cas ce dernier résiste mal.

Heureusement il arrive que les choses ne soient pas si noires et que la musique acousmatique, de ce point de vue formel, soit assez bien perçue en concert.Certaines œuvres particulièrement sobres, assez peu chargées par exemple, requièrent simplement un minimum de moyens et comportent en elle-mêmes une charge émotionnelle suffisante ainsi qu’une excellente lisibilité.Mais l’exception ne fait pas la règle et il est à remar-quer que trop souvent les intentions de perspec-tives spatiales (profondeur des plans, localisation, mobilité, mise en scène, définition) inscrites pourtant en filigrane dans les œuvres, apparaissent peu.Ne sont-elles pas desservies par une technique qui aurait été prévue originellement pour une simple amplification du signal et que l’on aurait ensuite détourné à d’autres fins d’utilisation, ou bien alors manque-t-il à ces dispositifs un maillon supplé-mentaire à trouver pour pouvoir les rendre plus fonctionnels ?

UNE APPROCHE DIFFERENTE

Aborder la dimension par le biais d’une utilisation appropriée des principes et techniques du multipiste, permettrait d’ouvrir des voies nouvelles et de pro-gresser dans le développement de cet art.Quelques-uns de ces divers aspects mériteraient d’être abordés de manière plus systématique.Compter sur l’apparition de nouveaux outils infor-matiques et leur développement tous azimuts n’est sans doute pas la solution.Mieux vaudrait que l’amélioration provienne d’une réflexion mutuelle consentie, faisant appel au sens esthétique et aux intuitions des artistes. Seul un tel engagement est susceptible de renouveaux durables. Le bricolage technologique relevant davantage d’une manie de techniciens en mal de créativité, pourrait risquer à la longue de brouiller les pistes et de dé-tourner notre expression de son propos...

En l’état actuel des choses la situation semble quelque peu piétiner et manquer d’ouverture, mais des solutions existent forcément.L’intégration dans le discours des paramètres liés au mouvement, à leur agencement réel dans l’espace et qui ne sont aujourd’hui qu’entrevus, en constitue un exemple; de même que cette idée d’organisation scénique des sons à qui la technique stéréophonique a ouvert la voie et permet de sug-gérer des plans, des profondeurs, des trajectoires, des déplacements ou d’esquisser des contours. Reste la possibilité véritable d’en exploiter les richesses et les potentialités.Conduit plus largement, cet aspect du problème devrait pouvoir constituer une étape essentielle

Page 71: akusmatisk_L'espace du son 2

71L'Espace du son II

dans l’évolution des caractéristiques liées à l’espace et a fortiori à cette expression, en lui permettant de se procurer une identité propre l’obligeant à se démarquer plus nettement encore dans sa forme des autres productions sonores et musicales.De l’étude rationnelle de ces notions fondamentales pourrait alors résulter un affinement de ses cons-tituants, permettant de mettre en œuvre d’autres moyens, d’autres ressources, existants ou à décou-vrir et provoquant en nous de nouveaux réflexes, d’autres centres d’intérêt. Une meilleure maîtrise de cette idée d’espace ne peut être cependant at-teinte qu’au prix d’une étude patiente de tout ce que le constitue. Sans a priori, retenue ou économie.L'espace pourrait alors s’avérer d’un abord beau-coup moins flou qu’on ne le pensait au départ si l’on s’attache à considérer qu’il suppose, pour être révélé, tout un ensemble d’éléments discernables, une succession de paramètres définis dépendants les uns des autres, précis, sans lesquels il n’y aurait aucune perception possible de ses multiples aspects ni rien pour témoigner de son omniprésence et de sa fugitive existence.Il naît de points qui le déterminent.L’Espace en tant que tel n’existe pas !Et rien n’indique en attendant comme le disent certains, qu’il suffise «d’en avoir tâté» pour s’en faire une idée juste, une opinion !

INTERPRETATION : NECESSITE OU FATALITE ?

En évoquant les raisons qui conduiraient à nous libérer davantage de la technique de composition stéréophonique au profit d’une utilisation de l’espace réel comme support architectural de l’œuvre, je fais référence à la prédominance de cet espace dont ni l’oreille, ni l’esprit ne peuvent faire abstraction, même si l’on tente de lui substituer la projection magnifiée d’un espace imaginaire ou d’un espace-fiction.

Les données physiques d’un lieu de diffusion ne pou-vant être prises en compte a posteriori sans risque, il semble donc implicite de réduire cette dichotomie dès la conception du travail en prenant en compte très tôt la réalité de ces paramètres; de les prévoir en les incluant dans l’acte de composition proprement dit, d’en évaluer les possibles et les ressources, sans feindre d’occuper la sphère acoustique aérienne en se servant d’artefacts.

J’entends par ce terme les dispositifs d’interprétation dont l’existence suppose finalement la reconnaissance d’une lacune fondamentale; à savoir, l’acceptation que dès l’acte de composition puisse s’établir d’emblée une incohérence résultant du heurt de deux entités spatiales divergentes dont il faudra, pendant le con-cert, à tout instant, maîtriser les conséquences afin de tenter d’en opérer la fusion.

Cette diffusion serait-elle donc un remède à cela, un cache-misère inavoué ?

En d’autres termes, l’art acousmatique porte-t-il fon-damentalement en lui cette notion d’interprétation (tout droit issue, semblerait-il, de la musique tradi-tionnelle instrumentale) et quel rapport existe-t-il entre eux ?L’Acousmonium, nous dit A. Vande Gorne est le prolongement naturel des images (i.sons), signes et illusions de perception inscrites sur le support-son.(2) Ou encore, comme le définit F. Bayle « l’Acousmonium est l’instrument de mise en scène de l’audible ».(3)On pourrait cependant se demander si ce n’est pas du fait que la technique traditionnelle d’élaboration des œuvres n’a pas permis une investigation pluridi-mensionnelle de l’espace, que nous sommes obligés aujourd’hui «d’interpréter», comme palliatif, la majorité des productions acousmatiques.

La musique traditionnelle, quelque peu abstraite par son état, nécessite effectivement pour être com-muniquée, reçue, la présence d’interprètes. Ceux-ci ont en outre la possibilité que nous n’avons pas d’agir sur le tempo de l’œuvre et donc sur son déroulement en lui imprimant leur vision personnelle en fonc-tion de leur sensibilité et des facteurs émotionnels dispensés par l’œuvre. L’acte d’interprétation est ici indispensable, sans quoi il n’y aurait tout simple-ment pas de musique !En revanche rien n’indique qu’il en soit de même dans notre cas ni que, en ce qui concerne l’esprit même de l’art acousmatique, l’interprétation soit un phénomène implicite inhérent à ses fondements ou réellement indissociable de lui.Si une inférence s’établit dans ce cas, elle ne peut être que la manifestation, logique en apparence, d’une déviation consécutive à des choix résultants eux-même de certains partis pris.Pourquoi l’acousmatique n’aurait-elle pas justement pour caractéristique essentielle de ne pas nécessiter d’interprétation ?Dans ce cas que penser de ces machines à diffuser, manuelles ou automatiques ?Que penser a fortiori de théories, telles celle que développe Michel Chion dans un texte paru dans le premier numéro de cette revue et au cours duquel il évoque, non d’ailleurs sans clarté et une logique de prime abord fort séduisante, l’opposition de deux espaces (interne et externe) particuliers aux œuvres sur support ? (4)

LA DIFFUSION AUTOMATIQUE ?

Alors qu'aujourd’hui, l’ordinateur peut générer seul des mouvements complexes, ordonnancer l’espace et gérer la diffusion, quelques tentatives sont réalisées dans ce sens et certains sont tentés de mettre au point des systèmes, tous plus ou moins sophistiqués, dans l’espoir de résoudre la problématique de la mise en équation spatiale des œuvres en situation

Page 72: akusmatisk_L'espace du son 2

72 L'Espace du son II

de concert. Mais il est à craindre que ceci relève da-vantage d’une opportunité technologique que d’une nécessité fondamentalement esthétique.Même si certains de ces outils d’assistance peuvent permettre une plus grande souplesse d’exécution, la simulation fine du mouvement etc., ils n’apportent pas grand-chose sur le fond. Leur efficacité demeure relative lorsqu’ils s’appuient sur les schémas habi-tuels de diffusion et concernent les travaux réalisés par la méthode stéréophonique, sans remise en cause suffisamment profonde de la manière dont est incluse la dimension spatiale dans l’acte même de création en studio.

En outre, un excès de sophistication de ces machines risquerait de produire à plus ou moins long terme des musiques de pur mouvement par un brassage intempestif de l’aire acoustique sans rapport par-ticulier avec les intentions musicales originelles du compositeur.Dans le cas d’une meilleure interaction son/espace avec par exemple un dispositif permettant dès le studio de simuler la diffusion au fur et à mesure de la création de l’œuvre, le point primordial serait de pouvoir disposer d’un système de synchronisation fiable dont la transparence puisse être telle qu’entre l’acte de création de la pièce et la mise en situation spatiale de celle-ci, le contrôle permanent du résultat soit irréprochable.Ce qui ne semble pas encore être le cas avec les méthodes usuelles de composition.

Or si les ordinateurs sont d’excellent virtuoses, les solutions qu’ils proposent ne résident pas dans leur possibilité à résoudre des situations bancales, étant donné qu’ils en sont incapables. Et il est à prévoir qu’il faille un jour repenser le fond du problème, à savoir : la technique de composition proprement dite.C’est à ce niveau que tout se fait.

DES ŒUVRES POUR LE CONCERT D’ABORD...

Dans leurs formes, leurs techniques de réalisation, les œuvres électroacoustiques sont immédiatement utilisables pour la radio ou pour le disque et ne néces-sitent aucune modification particulière importante. Elles correspondent donc parfaitement aux formats imposés par ces médias, semblant faites sur mesure pour eux. On pourrait dire : uniquement pour eux, dans la mesure où, lorsqu’il s’agit de jouer ces travaux en concert, il devient alors nécessaire de se munir de dispositifs particuliers pour pouvoir les adapter à l’écoute en salle. Ce qui pourrait laisser finale-ment supposer que l’accent est mis d’emblée sur une utilisation avant tout domestique du produit plutôt que sur son exploitation et sa vraie mise en valeur en public. Qu’en d’autres termes les réalisations électroacoustiques aujourd’hui sont plutôt faites pour le disque ou la radio, que pour le concert.

Quel fatalisme peut bien être à l’origine de cet état de fait ? Quelles explications donner, sachant

toutefois que cela ne semble pas provenir d’une volonté délibérée?L’auteur dans son studio n’aurait-il pas tendance à identifier quelque peu l’espace artificiel de la pièce qu’il fabrique avec celui du lieu auquel il la destine et à intégrer de ce fait inconsciemment les deux phénomènes ? Comme si par le biais de la mise en scène de ses sons sur la bande et de ce qui lui permet les effets spatiaux (ou spéciaux) de la stéréophonie, il avait implicitement le pouvoir de simuler une salle de concert imaginaire idéale dont il serait l’architecte et dans le volume de laquelle évoluerait son œuvre.A fortiori n’aurait-il pas la sensation confuse (mais confortable) de se trouver plongé lui-même dans cet espace virtuel à l’intérieur duquel il organiserait ses sonorités, ses formes, ce qui aurait pour conséquence d’entretenir davantage encore cette confusion ?

Rien ne prouve non plus que l’intérêt de l’acousmatique soit de reproduire des espaces et de créer des pay-sages virtuels, internes aux œuvres, plutôt que de penser ces œuvres pour l’Espace !

Mais il est vrai que le médium stéréophonique, représentant le support idéal de communication et de transmission de la musique en dehors du concert, demeure bien tentant et bien pratique à de nombreux égards !Le disque, cette «référence», ce «standard» vers quoi toute production tend aujourd’hui en est une preuve. Mais il n’est pas sans danger et notre art en a trop souvent fait les frais.Ne lui devons-nous pas d’avoir beaucoup trop condi-tionné notre rapport à l’espace et introduit en nous des réflexes très significatifs ?C’est au point que nous sommes arrivés nous-même (pourtant spécialistes de la diffusion) à conceptu-aliser cet espace, à le symboliser et ainsi en avoir empêché pratiquement toute investigation, unique-ment parce que les moyens d’enregistrement sont ce qu’ils sont...

On peut comprendre alors qu’on ait quelque mal à aborder la question pourtant primordiale aujourd’hui, d’une meilleure approche de la percep-tion de cette expression en spectacle et à s’engager plus fermement dans la voie d’un développement des caractéristiques de ces notions d’espace si spé-cifiques de notre art. La musique traditionnelle a résolu cette question de la «mise en spectacle» de fait depuis belle lurette ce qui, soit dit en passant, ne l’a pas empêché d’exister aussi par le disque ou la radio malgré les «déformations» parfois sévères qu’elle devait subir...

En ce qui nous concerne donc, pourquoi ne pas prévoir de la même manière deux «versions» (deux formats) d’une même œuvre ? L’une (principale) pour le concert faisant appel à des méthodes plus adaptées à la mise en espace (multipiste, dérivés et autres) et à une «mise en scène de l’audible» plus avérée.

Page 73: akusmatisk_L'espace du son 2

73L'Espace du son II

L’autre, simple réduction stéréophonique, n’occasionnant aucune difficulté particulière sup-plémentaire (regroupement sur deux pistes de la totalité des éléments sonores utilisés sur les diverses voies ou les divers systèmes) qui serait alors destinée au disque ou à la radio.

Il semble en effet plus logique de concevoir d’abord l’œuvre pour le concert, plutôt que le contraire. Il est bien plus difficile dans ce dernier cas d’en réaliser une «extension» ; on sait, pour les vivre régulière-ment, les problèmes que cela pose !

En ce qui concerne les «différences peu sensibles» (ce dont certains semblent convaincus) qu’il existerait entre la diffusion d’un ouvrage sur un grand nom-bre de pistes et la diffusion de ce même ouvrage en stéréophonie, j’aimerais en toute amitié faire ici une remarque étant entendu que je ne partage naturel-lement pas trop cet avis : sur le plan de la syntaxe de l’œuvre, du «message», que cette différence ne soit pas d’une importance capitale est une chose; mais que, sur le plan de la forme, de la lisibilité et sur celui, fondamental, de l’existence extérieure de l’œuvre, si éclairante et majeure pour l’auditeur, certains puissent en douter, cela semble relever d’une réticence particulière à vouloir aborder la question, ou alors peut-être, d’une pratique insuffisante dans ce domaine.C’est un peu comme prétendre que voir un film en salle ou sur écran de télévision chez soi, en couleur ou en noir et blanc revient au même ! Un écran de télévision, même en couleur et de grande dimen-sion, ne remplacera jamais l’écran de cinéma. De même, la diffusion en salle (même excellente) de l’enregistrement stéréophonique sur disque d’une œuvre instrumentale ne saurait égaler l’exécution de cette œuvre par les musiciens jouant en direct dans la même salle !Pour rester dans le domaine des analogies (bien que toutes relatives), lorsque pour certains organisateurs de concerts annoncent fièrement : «concert de mu-siques sur bande» ou plus court encore, «concert de bandes», il ne faut pas s’étonner que ces manifesta-tions soient désertées !«Concert de disques» ferait à peu près le même ef-fet... Quoique !

UNE PREMIERE EXPERIENCE DE REALISATION D’UNE PIECE EN 16 PISTES (5)

J’ai commencé en 1985 à travailler sur un projet de composition où l’espace allait être conçu et «écrit» dans le studio en rapport étroit avec le sens de l’œuvre, les sonorités, la mobilité et l’évolution des événements. Une fusion originelle entre les paramètres liés à l’espace de l’œuvre d’une part, et l’acte de diffusion proprement dit d’autre part, devait être atteinte.Mais il m’était matériellement impossible à cette époque, étant donné les techniques utilisées dans

les studios électroacoustiques, de bénéficier de machines d’au moins seize pistes et de systèmes informatiques pour leur gestion, tel qu’il soit pos-sible d’affecter n’importe quel son à n’importe lequel des seize points de diffusion devant être situés dans la salle...

L’idéal aurait été d'utiliser un dispositif de gestion multiphonique adéquat nécessitant un nombre important de VCAs afin que l’une ou la totalité des seize sources disponibles (seize voies indépendan-tes) puissent être affectées simultanément ou non à l’un ou plusieurs des seize canaux de sortie vers les haut-parleurs.Mais ce dispositif, utilisable aussi bien en studio qu’en salle, n’existait évidement nulle part !

J’eus cependant plus tard au G.R.M. la possibilité de travailler sur un magnétophone seize pistes et réalisai alors ce projet par le moyen de méthodes plus simples, c’est-à-dire sans le recours aux VCAs et au système d’assistance souhaité. Il aurait été bien sûr aisé avec l’aide d’un ordinateur supplémentaire d’augmenter les possibilités en me facilitant la tâche, mais cela n’aurait pas changé fondamentalement les choses et n’aurait rien apporté de plus sur le principe.

Dans l’optique d’une assistance informatique plus soutenue, il serait grandement souhaitable qu’un tel prototype soit mis au point sous le contrôle et les indications des compositeurs concernés (cela ne va pas forcément de soi dans ce genre d’entreprise) afin de tenir compte de nécessités artistiques et esthétiques réalistes. Ceci éviterait la naissance d’engins dont les performances «illimitées» et les abords «très conviviaux», s’avéreraient hélas ! in-utilisables à la pratique.

Une telle approche, si elle suppose de rompre avec les réflexes de compositions stéréophoniques de base -comme ceux qui d’ailleurs conditionnent aussi cer-taines méthodes dites multiphoniques et qui en fait n’en sont pas (sur 4, 6 ou 8 pistes stéréophoniques)- , offre en revanche d’innombrables ouvertures, de multiples et nouveaux cas de figures susceptibles de faire évoluer cette forme d’art vers un «spectacle des sons» plus affiné, plus affirmé.

Mais il est déjà permis de dire, à la lumière de quelques expériences préliminaires, que la compo-sition spatiale polyphonique, - outre le fait qu’elle permette, depuis le studio d’adapter plus efficace-ment l’espace au propos musical, grâce au contrôle permanent de l’affectation des sons dans la sphère aérienne - , rend surtout possible une meilleure évaluation de la plasticité de l’œuvre.Comme il est possible aussi de réaliser des parcours, de donner plus de perspective et de relief aux plans, de mieux répartir les masses et les formes qui s’opposent, se répondent, de préciser pour l’auditeur les localisations sans le «secours» de l’écran stéréo-phonique !

Page 74: akusmatisk_L'espace du son 2

74 L'Espace du son II

Cette ouverture vers une plastique de l’espace en tant que révélation des qualités architecturales et structurelles de l’œuvre me paraît être l’une des dimensions majeures nouvelles apportées par la polyphonie spatiale.

La disparition de la notion de mixage final au profit de la mise en valeur dans l’espace des éléments constitutifs de l’œuvre permet à ceux-ci de retrouver leur autonomie, chacun d’eux ayant alors un rôle à jouer par rapport au contexte spatial d’une salle et étant soumis à l’attention d’un public à qui l’on a rendu ses chances.Le compositeur retrouve la possibilité d’un corps à corps privilégié avec le réel, les volumes à investir, à interpréter, modeler, déformer, dont il peut utili-ser les résistances, les forces, calculer et prévoir les tensions.Il s’agit pour lui de révéler l’architecture d’un lieu, d’en exprimer sa «musicalité» ainsi que d’en con-firmer les potentiels et d’en évoquer les dimensions, de les interpréter ou simplement de les investir. D’en traduire le paradoxe en réinventant sa réalité, ou son inexistence...

POST-SCRIPTUM :

L’acousmatique en concert doit sortir de ses fron-tières conceptuelles et peut-être ainsi trouver sa vraie dimension.Car de l’espace, qu’avons-nous exploré ?N’est-il pas encore trop tôt pour n’en parler qu’avec des mots ?

(1) DHOMONT Francis, «Navigation à l'ouïe : La projection acousmatique », L’Espace du son 1,1988, Ed. Musiques et Re-cherches (2) VANDE GORNE Annette, «Les deux côtés du miroir», L’Espace du son 1, 1988, Ed. Musiques et Recherches(3) BAYLE François, «A propos de l’Acousmonium» , Recherche Musicale au GRM(4) CHION Michel,« Les deux espaces de la musique concrète», L’Espace du son 1,1988, Ed. Musiques et Recherches(5) Espace - Paradoxe, 1989 (dont copies stéréophoniques)

Page 75: akusmatisk_L'espace du son 2

75L'Espace du son II

STEREO OU MULTIPISTE ?Jean-François MINJARD

Tous les choix n’étant heureusement pas guidés par une expérience, autrement dit puisque choisir relève aussi du débat d’idées, je peux alors dire que pour moi, composer en stéréo est un choix. Jusqu’à présent je ne me suis jamais confronté à l’écriture multipiste et la totalité de mon travail de composi-tion acousmatique est pensée et réalisée en stéréo, sans que je me sente à «l’étroit». Un des intérêts étant justement de trouver ce délicat équilibre entre chacune des voies de mixage afin de laisser paraître les choses à leur juste valeur, ce qui ne réduit en rien l’accès à une polyphonie généreuse, bon nombre d’œuvres du répertoire l’attestent. Ceci correspon-dant, il faut bien l’avouer, au désir de voir sortir du studio une chose finie, de clore avant de donner, la diffusion n’étant qu’une prolongation.

Alors l’écriture multipiste serait-elle seulement une exigence de «riche», de «gourmand», ou bien une réelle possibilité de rendre accessible un peu plus, ou de manière différente, ce «faire dire aux sons encore plus de sensible» cher à tout compositeur ? Ce qui pourrait justifier mon choix, en apparence contradictoire, et me fait parler d’exigence de «riche», c’est que l’économie de l’art acousmatique se trouve aujourd’hui être du côté de l’ultra-confidentiel. Il me paraît donc plus souhaitable de fixer, pour un temps dont la durée nous échappe, des formats, des stan-dards éprouvés permettant de fonder le genre. Au fond il s’agit de dire au public : «voici les données»; celles-ci se doivent d’être simples mais toujours identiques afin de les rendre transparentes et de laisser juger les qualités intrinsèques de l’œuvre et non pas la maîtrise d’un dispositif plus ou moins complexe et opérant.

On le voit, ce n’est pas seulement l’aspect tech-nologique qui est en jeu, bien qu’il faille reconnaître que maintenant nous disposons de standards stéréo,

analogique et numérique, prêts à rendre tous les services attendus, ce qui est loin d’être le cas du multipiste. Mais notre situation est suffisamment précaire pour ne pas nous perdre à vouloir régler, chacun à sa manière, une question qui le sera, dans un proche avenir, par l’adoption de la bonne solu-tion technologique répondant enfin à nos attentes. Autrement dit, il est encore un peu trop tôt pour faire du multipiste une référence, aucun système n’étant compatible avec un autre, ce qui se traduit souvent par une désastreuse prestation qui laisse amer le compositeur et ne favorise, en aucun cas, le genre.

Se pose également le cas de la «réduction» stéréo, nécessaire dans le cadre de l’édition mais aussi, et de façon non négligeable au niveau des échanges professionnels. A quoi bon faire une œuvre qui ne pourra être entendue que dans des conditions par-ticulières, au point d’en limiter confidentiellement sa diffusion. Je ne condamne évidemment pas pour autant toutes les tentatives, légitimes, susceptibles de faire évoluer, changer, avancer cet art; mais outre les raisons évoquées plus haut, je pense que nous avons encore beaucoup à «dire» avec une banale bande stéréo. Peut-être qu’ainsi nous pourrions espérer lever cette incompréhension dont souffre l’art acousmatique, soit trop sophistiqué, trop dé-taillé mais reconnu comme riche et prometteur (!), soit décrit comme un ramassis sonore peu enclin à flatter l’oreille mélomane.

L'adoption d' un standard de diffusion ainsi que le passage obligé à des références d’écoute est certaine-ment une forme de limite, mais qui nous permet aussi d’avancer, de pousser encore plus loin les découvertes du studio, favorisant toutes les prises de risque sans limiter pour autant les subtilités d’écriture.

Août 1991.

Page 76: akusmatisk_L'espace du son 2

76 L'Espace du son II

ESPACE-SUPPORTESPACE-ACOUSMATIQUE

Arsène SOUFFRIAU

L’obsession qui me tenaille depuis de nombreux mois, prend son origine dans les années quarante-huit. A cette époque, je faisais de la prise de son et du montage sonore pour des films documentaires industriels.C’est là que j’ai pu expérimenter les rapports «Im-age et Son» : gros plan - prise de son rapprochée, plan éloigné - prise de son éloignée, avec toute une échelle de variantes entre ces deux pôles, avec des jeux subtils sur le plan des volumes et celui des corrections par filtres passe-haut, passe-bas et passe-bande, de même qu’avec l’ajout de la réverbération .Convaincu par les résultats obtenus dans le domaine du bruitage, je fis des essais semblables sur les rap-ports «Image et Musique».

Au cours de l’année 1959, j’abordai la musique Con-crète et je pus prolonger mes expériences, toujours dans le domaine du film, mais aussi dans celui du ballet filmé.

En 1963, avec mes Improvisations opus 166, réa-lisées uniquement avec des matériaux de percussion et en monophonie, j’ai pu donner l’illusion que derrière le haut-parleur, il y avait un long couloir où se trouvaient plusieurs percussionnistes qui, à certains moments, s’éloignaient ou se rapprochaient de l’auditeur (effet de travelling avant ou arrière) alors que d’autres restaient en place.

L’autre réalisation, cette même année fut Metastasis dans laquelle j’avais trois couloirs - c’est-à-dire qu’il y avait trois bandes magnétiques monophoniques, contenant chacune des éléments sonores de plan variable.L’occupation du lieu acoustique consistait, en quelque sorte, en trois couloirs virtuels assez profonds en-tourant le public - de plus, la diffusion spatiale se faisait en trois endroits simultanément, avec des balances différentes d’un lieu à l’autre.

Il y eut bien d’autres expériences du même type et à partir de 1978, grâce à la transformation de mon studio, j’ai pu aborder les problèmes propres à la stéréophonie et à la quadriphonie, ainsi que ceux liés aux 2 et 4 pistes.

Aujourd’hui, j’expérimente en «8 pistes» (à ne pas confondre avec l’octophonie).

Fig.1 : enregistrement monophonique (1 piste)Image du relief sonore dans un couloir.avec 1 haut-parleur

des mouvements de travelling avant-arrière et inverse.

Fig.2 : avec 2 haut-parleurs

sensation d’un couloir plus large.

Fig.3 : Image du relief sonore en 2 pistes.

double couloir contenant des matériaux sonores dif-férents, conçus pour être diffusés simultanément.

Fig.4 : Image du relief sonore en stéréophonie (sur 2 pistes).

note : il y a non seulement des mouvements de trav-elling, mais également des effets de panoramique gauche-droite et inverse, ou oblique gauche-droite/avant-arrière et autres combinaisons.

La sensation de «couloir» est remplacée par l’effet de «scène».

Page 77: akusmatisk_L'espace du son 2

77L'Espace du son II

Cela est également réalisable avec l’ordinateur pilot-ant les instruments MIDI (synthétiseurs, échantil-lonneurs, boîtes à rythmes, etc.).Au niveau du matériel de reproduction cela néces-siterait une installation très sophistiquée, surtout en ce qui concerne la console de diffusion spatiale, de préférence assistée par ordinateur.Nous sommes nombreux à rêver en ce sens ; il existe aussi différents projets de diffusion spatiale, dont certains, sous forme de prototype et d’autres déjà commercialisés ou en passe de l’être.Comme l’envisage mon collègue et ami Patrick As-cione, l’Espace-Support conçu en 16 pistes pourrait être projeté sur 16 haut-parleurs (ou multiples) avec la possibilité d’envoyer le signal de chacune des 16 pistes sur chacune des 16 sorties audio.Une fois de plus, c’est au niveau de la console de diffusion que se poserait le problème. En effet, pour permettre aux 16 entrées d’aboutir à chacune des 16 sorties, il faut pouvoir disposer de 256 potentio-mètres qui règleraient (chacun séparément ) les intensités des 16 pistes.Nous sommes loin du souhait légitime de notre ami Michel Chion qui espère voir un jour les composi-teurs de musique sur support (nouvelle appellation générique englobant (1) les musiques concrètes, électroniques, électroacoustiques, assistées par or-dinateur, etc.) se mettre d’accord pour le standard 2 pistes, le seul actuellement utilisé par les médias (radio-TV ou disques).

Et si nos oreilles ne se contentaient plus d’écouter en stéréophonie ?

C’est mon cas, depuis quatre à cinq ans déjà, et je réalise avec amertume que pour faire entendre les musiques conçues de cette façon, il faudrait que nous puissions disposer de salles entièrement construites pour les besoins spécifiques de ces ré-alisations ; salles en forme de dôme ou entièrement sphériques, ou encore de forme parallélépipède à géométrie variable.Il y a une très belle et remarquable revue, Aujourd’hui - Art et Architecture qui a consacré un numéro double (42-43) en octobre 1963 au problème des salles de l’avenir - ce numéro était entièrement conçu par Jacques Polieri, metteur en scène et scénographe français. Nous sommes encore loin de ces projets.

Quant aux techniques de diffusion par les médias n’y pensons pas, ce sera pour dans un siècle.

D’autre part, ces musiques n’étant pas conçues pour des interprètes-instrumentistes, le compositeur est son propre interprète (et cela encore, à de rares oc-casions). Après sa mort, il n’y a aucun doute à ce sujet, ses œuvres iront droit aux oubliettes.

Mais cela a-t-il vraiment de l’importance ?Juin 1990

(1) sous certaines conditions précises (NDLR).

Fig.5 : Image du relief sonore en 4 pistes.

quatre couloirs contenant des matériaux sonores dif-férents conçus pour être diffusés simultanément.

Fig.6 : Image du relief sonore en quadriphonie (sur 4 pistes).

Chacune de ces figures représente une forme d’Espace-Support, pouvant contenir une polyphonie simple ou des structures temporelles complexes.La diffusion spatiale ou projection cinétique, donnera naissance à l’Espace Acousmatique, en fait, l’une des multiples versions de l’œuvre électroacoustique, dont le modèle original est inscrit sur la bande magnétique.L’Espace Acousmatique peut être réduit à sa plus simple expression (2 haut-parleurs pour les fig. 3 et 4, 4 haut-parleurs pour les fig. 5 et 6) ou encore avec un grand orchestre de haut-parleurs (24-32-64 ou plus de 100, pourquoi pas ?).Encore faut-il dès le départ, avoir fait son choix : 2 pistes, 4 pistes ou plus (les couloirs) ou stéréo, quadri ou octophonie (l’effet de scène).La projection cinétique des 2 pistes, 4 pistes ou plus, s’accommodera davantage d’un orchestre de haut-parleurs afin d’envahir le lieu acoustique et d’orchestrer les timbres dans l’espace tout autour des auditeurs.La projection cinétique d’un Espace-Support stéréo, quadri ou octophonique sera plus délicate à interpré-ter, compte-tenu des déplacements de timbres déjà inscrits sur les pistes et du risque de distorsion de l’image du relief sonore.

Actuellement, j’ai tendance à croire que l’Espace-Support pourrait être conçu en 16 pistes, ce qui permettrait une projection cinétique très subtile et précise, très claire et raffinée ou, au contraire, très floue et opaque sur 32-48-64 ou 80 haut-parleurs (chaque piste pouvant être dirigée vers 2-3-4 ou 5 éléments de reproduction simultanément ou alter-nativement selon la conception du compositeur ou de l’interprète éventuel).

Page 78: akusmatisk_L'espace du son 2

78 L'Espace du son II

Page 79: akusmatisk_L'espace du son 2

79L'Espace du son II

LA FORME DANS LE PAYSAGE (II)

Jacques LEJEUNE

Ce texte prolonge et complète celui que Jacques Lejeune nous avait livré pour notre précédent numéro.Dans ce premier article, l’auteur affirmait son attachement à la stéréophonie en pré-cisant dès le premier paragraphe : «ce propos s’applique à des musiques se présentant sur un support bipiste».Dans le texte qui suit, il reprend une idée qu’il exprimait déjà en 1988, dans l’ Espace du Son : «Personnellement, je compose toutes mes musiques sur bande 6,25 stéréo car le multipiste m’apparaît comme une limitation de l’espace à habiter dans la mesure où il l’occupe, par nécessité technique, d’une manière imposée.» (voir ci-dessous)Aussi avons-nous estimé que sa réflexion trouverait tout naturellement sa place dans un dossier dédié aux mérites comparés des différents formats.

«L’œuvre terminée en studio est entièrement constituée; cependant, un peu comme l’insecte ayant atteint son ultime métamorphose au sortir de sa chrysalide et qui doit encore ap-préhender l’espace auquel il est destiné, c’est également dans l’espace d’un lieu où l’œuvre va désormais se déployer comme «imago musi-cal» que l’apparence de sa forme va trouver sa définition la plus favorable.Nous voici projetés dans un grand désert dans lequel il faut d’abord se promener pour le sentir, le rêver.» (1)

Mais précisons deux définitions pouvant apparaître ambiguës. L’une touche à l’espace du son et à ses espèces, et l’autre à la notion de diffusion ou de mise en jeu de l’imago dans l’espace par rapport à celle d’interprétation.

I. L’ESPACE DU SON

D’une pièce instrumentale solo, on percevra net-tement le point-source par rapport à l’espace topographique et seules se distingueront les images d’espace issues des relations de hauteur. A partir de deux ou plusieurs instruments, on percevra une latéralisation de l’ensemble et éventuellement une certaine profondeur. On aura alors le sentiment d’un volume dont les contours seront représentés par la disposition scénique de chaque instrument. On parlera donc d’espace parcouru entre les dif-férents registres de la tessiture; d’espace issu du déplacement des masses sonores entre tel et tel groupe d’instruments; d’espace de profondeur lorsque l’instrumentiste ou le chanteur se trouve à

l’écart ou se déplace par rapport à la masse instru-mentale principale (les quatre groupes de cuivres dans le Tuba Mirum de Berlioz ou le principe des voix off dans certains opéras véristes, pour citer des exemples très connus). Mais ce sentiment d’espace reste relié au corps de la musique par la logique même de l’écriture et, quelles que soient les étendues de ces trois dimensions, nous restons encore dans l’espace d’un volume circonscrit puisque les points-sources, ou leur déplacement rudimentaire, sont ici fixés d’avance. Et il en sera de même pour une pièce sur bande qui ne serait simplement entendue que sur deux haut-parleurs (encore que les modes de composition sur support magnétique permettent de jouer sur ces dimensions de manière beaucoup plus accusée, notamment par des effets d’espace prédéterminés).

A l’inverse et indépendamment de tous mouvements spatiaux se situant préalablement dans l’écriture du support, c’est le volume entier de l’œuvre sur bande qui peut se déplacer dans l’espace grâce à l’orchestre de haut-parleurs. La multiplication des diffuseurs de son et leur répartition judicieuse permettent sa totale mobilité dans un espace d’écoute agrandie qui n’a de limites que celles imposées par le lieu : l’œuvre se répand dans de nouvelles directions et gagne l’espace d’un véritable paysage.

De ce propos, découle une déclinaison de l’espace. «Entre terre et ciel est un espace flou, imaginaire (je suis dans mon lit mais aussi dans une chambre, une maison, une ville, un pays, le monde, dans ...). Succession de lieux non délimités dans le temps ...» M’inspirant de ce début du texte de présentation de ma pièce, je tenterai la classification suivante :- les images d’espace ou les espaces variés contenus

Page 80: akusmatisk_L'espace du son 2

80 L'Espace du son II

dans l’intimité de l’imago, suggérés par des figures ou des configuration particulières d’écriture mais aussi par des images réalistes signifiant l’espace,- l’espace vital qui est celui de l’architectonique globale de l’imago résonant de manière fixe dans un lieu déterminé (toute œuvre instrumentale ou électroacoustique entendue sur deux haut-parleurs et assimilable à un volume à peu près stable par rapport à l’étendue du lieu d’écoute),- l’espace topographique ou celui de la disponibilité offerte par le site pour sa qualité de résonance (mat, réverbéré, plein-air),- l’espace organisé par l’implantation éclatée de l’orchestre de haut-parleurs qui remodèle les pro-priétés de résonance du lieu envisagé,- l’espace de trajectoire, dessiné par la diffusion de l’imago, par sa mise en jeu dans l’espace organisé et qui est donc celui d’une écoute agrandie, d’un nouvel espace conquis par l’œuvre mise ainsi en perspective,- l’espace reçu par l’auditeur qui perçoit l’œuvre dans son imaginaire de manière individuelle et particulière.

II. LA DIFFUSION DE L’ŒUVRE

Deux cas se présentent. Dans le premier, celui de l’interprétation traditionnelle, l’instrumentiste traduit une abstraction codée et représentée par une notation symbolique, en un objet clair. Il va le faire selon une stratégie de jeu et des choix (phrasé, tempo, etc.) qui lui sont propres et qui s’efforcent de mettre en valeur certaines potentialités (parmi toutes celles contenues dans l’œuvre) dont il se sentira - au sens fort de ce terme - «l’interprète».

Dans le second cas, l’objet n’est pas obscur et le compositeur travaillant sur bande magnétique établit un choix parmi ces potentialités au cours de la réalisation de sa musique; de ce fait, il discerne et inscrit lui-même l’interprétation de son œuvre.On pourrait d’ailleurs faire le parallèle avec d’autres arts et dire par exemple que le cinéma s’oppose au théâtre en ce que le premier passe par l’exposition d’un support complètement abouti en tant qu’œuvre et le second par la création en direct. La musique sur bande en est arrivée à un équilibre dynamique et de relief dans sa forme.

QUELQUES EVIDENCES :

Compte tenu que le support enregistré, en termes de nuances, ne permet guère d’évoluer qu’entre le p et le f, notamment pour des raisons de souffle ou de saturation que chacun connaît bien, il faudra donc naturellement redessiner les évolutions d’intensité ainsi que les nuances extrêmes au moment de l’écoute. Les intentions contenues dans la musique sont ici tout à fait claires :- Le changement de discours par une articulation de matières différentes ou par un silence peut induire une nécessité de déplacement du son dans l’espace de trajectoire.

- Un continuum compact donnant le sentiment d’une masse unique et dense : sa vocation est de l’ordre de l’envahissement ou de la fuite; il devient plastique-ment malléable.- Un élément simple, une ligne par exemple, per-met d’envisager plus librement une localisation précise.- Un système ajouré, composé d’éléments diversifiés, représente un ensemble équilibré d’une écriture où chaque élément a sa place déterminée qu’il convient de respecter; il existe comme tel et, comme certaines figures de géométrie, supporte difficilement sa dis-torsion dans la diffusion.- Les espaces suggérés par la réalité ont également une qualité de transparence ou d’opacité; ce sont des cas particuliers qui, s’ils ne sont pas fortement dessinés et donc orientant ainsi leur conduite de diffusion, sont à ménager.- Dans un ensemble peut apparaître un thème dy-namique ou une figure-point de mire. C’est ce motif dominant qui peut être dégagé ou accentué. (Dans ces deux derniers cas, il s’agit pratiquement d’une diffusion dans la diffusion). - Etc.

Ces cas patents ou d’autres encore font partie d’un ensemble de situations archétypiques de conduite de diffusion dont n’importe qui ressentira le besoin à peu près identiquement. Le problème devient plus subtil lorsqu’il s’agit d’aller au delà, c’est-à-dire de consi-dérer à la fois la qualité de l’espace topographique et le caractère de la musique. Il faut peut-être ici l’acquis d’une certaine production, qui permet de comprendre les directions et les aboutissements de son propre style pour tenir compte véritablement de la diffusion de la forme au travers de son architec-ture, de son écriture et de sa poétique. En fonction de ses couleurs, ses articulations, son épaisseur ou son débit, telle musique ne sonnera pas de la même manière dans deux espaces topographiques dif-férents; de même deux musiques ne sonneront pas à l’identique dans le même espace. Une séquence musicale peut aller de l’intime à l’extériorisé, du retenu à la plus grande exubérance, du simple au complexe, etc. et ses valeurs lui assignent une qualité particulière d’être qui la fera ranger dans telle ou telle autre catégorie. On remarquera des pièces rela-tivement stables; d’autres touchant à une certaine préciosité; d’autres encore ayant un caractère plus dramatique, etc. On peut comprendre alors que pour telle catégorie, correspond un espace topographique de dimensions particulières et pour telle autre, un autre type d’espace. Il y a ainsi des pièces nécessitant obligatoirement un espace étendu et d’autres dont la diffusion sera mieux gérée dans un espace intime. Par ailleurs, certaines recherches de diffusion assistée par ordinateur permettent d’envisager le jeu idéal de l’espace de trajectoire et, après mémorisation, de le reproduire. L’intérêt de pouvoir inventer des figures de mouvement impossibles par la seule ac-tion de la main sur les potentiomètres de la console est bien sûr évident mais, par rapport à ce qui vient d’être dit, il faut se garder de répéter à l’identique

Page 81: akusmatisk_L'espace du son 2

81L'Espace du son II

deux espaces de trajectoire ou même deux figures de mouvement d’une même musique qui serait donnée successivement dans deux endroits différents.

TROIS TYPES D’ESPACE

En envisageant les types d’espace topographique possibles pour la diffusion, on pourrait classer ceux-ci grosso modo en trois catégories principales :- l’espace circonscrit ou l’espace fermé à tendance mate (salle de concert, théâtre, etc.).- l’espace cataphonique ou l’espace fermé réverbéré (église, halle, cave, etc.).- l’espace dégagé ou l’espace de plein-air (cour, clair-ière, cloître, square, etc.)Et l’on pourrait dire que l’espace fermé mat convient bien aux sons intimes, à la définition délicate aussi bien qu’aux phénomènes complexes, aux registres et aux vitesses variées. Ici, rien ne se perd vraiment et chaque détail peut a priori être rendu. L’avantage apparaîtrait évident si ce n’était que l’espace est limité et se situe très généralement dans un dispositif de salle à l’italienne (c’est-à-dire prévu pour un face à face scène-public et non véritablement pour une mouvance totale de l’œuvre dans l’espace du lieu).

L’espace réverbéré sied davantage à des évolutions relativement simples, calmes et de plénitude; mais en échange de cette restriction, l’amplification sono-re naturelle propre à ce type d’endroit peut alors enrober la musique et la colorer d’une sorte d’aura plastique.

Quant au plein air, celui-ci permet une répartition géographique très éclatée, à la fois rapprochée et lointaine, et donc de parer au défaut de la dilu-tion inhérente ainsi que d’allonger les distances entre les plans d’écoute. Il faut savoir qu’alors l’inconvénient majeur reste celui du vent qui, s’il se manifeste, peut brouiller l’écoute. Le plein air est donc tributaire du choix de certaines périodes privilégiées de l’année. On pourrait imaginer le compromis idéal mais très hypothétique d’une salle extensible et transformable à volonté selon le car-actère propre à chaque musique et qui prendrait en compte la possibilité à la fois de jouer sur l’étroit et le spacieux, sur un revêtement intérieur pouvant proposer le choix dans une diversité de matériaux naturels ou synthétiques, sur le fermé ou l’ouvert sur un extérieur aéré, sur la disposition du public, compacte ou dispersée, etc.

L’espace topographique est donc une donnée qu’il faut gérer en fonction des moyens de la sonorisa-tion dont on dispose et placer ceux-ci par rapport à leur rendu. Cet espace devenu organisé offre alors des couleurs, des transparences potentielles et des zones d’activités particulières pour le son : il sert de support à la musique donnée à entendre. J’ai voulu illustrer concrètement ce propos au travers des Trois études sur l’espace de diffusion qui sont, au demeurant, davantage un exercice de pédagogie

personnelle que destinées au concert :1. Pour une salle de concert ou un espace fermé mat op-pose des mélanges de lignes aiguës fines exubérantes et agitées à des dynamismes lourds et lents; propose des ruptures de matière, des changements et une diversification des couleurs; joue sur des dualités du type chaud-froid, fin-épais, clair-obscur, etc.2. Pour une église ou un espace fermé réverbérant reprend en ralenti un élément électronique en jeu de coulures de la première étude auquel s’ajoute un réseau stable de lignes scintillantes. L’ensemble est traversé deux fois par une masse sombre dans une fonction d’alourdissement. Pièce assagie dans un registre médium; homogénéité du débit et du timbre.3. Pour le plein-air ou un espace dégagé reprend les réseaux pointillistes de l’étude précédente qui devi-ennent ici comme une ligne d’horizon électrique et cristalline sur laquelle vient se heurter une matière concrète épaisse, sorte d’objet-personnage évoluant dans un jeu kinesthésique et virtuose par irruption, grossissement, éloignement, accompagnement, op-position, masque, etc.

STEREO vs MULTIPISTEMUSIQUES MIXTES

Il faut considérer enfin que toutes musiques ne figurent pas sur le même type de support. Si la plupart d’entre elles sont en stéréo, d’autres sont en multipiste et nécessitent un emplacement des haut-parleurs spécifique; d’autres encore sont conçues pour dialoguer avec une partie instrumentale en direct, etc. Personnellement, je compose toutes mes musiques sur bande 6.25 stéréo car le multipiste m’apparaît comme une limitation de l’espace à habiter dans la mesure où il l’occupe, par nécessité technique, d’une manière imposée. Le cas des musiques mixtes pose un autre problème par leur écoute qui se rapproche de celle d’une pièce instrumentale, c’est-à-dire d’un volume quasiment immobile plus que d’un véritable espace de trajectoire et je ne suis pas loin de penser que Paysaginaire ou La Prière des anges sont davantage des pièces instrumentales avec accompagnement d’une bande que des pièces pouvant voyager librement dans l’espace topographique. En effet, la fixité du point-source que représente l’instrument ou le chanteur induit souvent une diffusion statique de la bande, même si celle-ci est constituée d’éléments différents et ne fait, en définitive, que servir d’enveloppe. D’autre part, la partie instrumentale est alors le véritable point de mire du regard et de l’oreille et, ce faisant, il existe une déperdition certaine de l’acuité de l’écoute de la bande. Sur un plan pratique, on peut ajouter que les pièces mixtes, à l’occasion d’une reprise par l’interprète, ne bénéficieront , pour des raisons budgétaires, que d’un orchestre simplifié, que d’une sonorisation très souvent ramenée à deux ou trois couples de haut-parleurs. Une implantation particulière du dispositif de diffusion en fonction du lieu est alors inenvisagée ou inenvisageable.

Page 82: akusmatisk_L'espace du son 2

82 L'Espace du son II

ANNEXE

a) implantations différentes pour une même musique : parmi les diffusions dont la Messe aux oiseaux a fait l’objet, on pourrait en retenir trois comme autant d’archétypes d’espace organisé.

. en plein-air abrité, dans un cloître (Musée Saint-Pierre, Lyon - sonorisation GMVL, septembre 1988) orchestre éclaté; répartition des haut-parleurs par taches couvrant l’ensemble du lieu; points de puis-sance à la périphérie représentant le territoire de l’ailleurs; points de couleurs différenciées dans un périmètre intérieur, à la fois territoire central et territoire de contact, le public se déplaçant pendant l’écoute.

. en plein-air , sur une façade (Château de la Roche-jagu, Côtes du Nord - sonorisation Jean Luc Bernard, septembre 1989) : espace scénographique ramené à un plan vertical; orchestre étalé sur la façade (points installés aux fenêtres des deux étage et du rez-de-chaussée : registre grave, medium, aigu situés par niveaux); Points de contact au centre et autours du public, lointains à la périphérie.

. Dans une église (Temple des Billettes, Paris - sonorisation Acousmonium GRM, octobre 1989) : rétrécissement de l’espace d’écoute pour limiter les effets de réverbération et ramener le volume princi-pal en direction du public : l’espace organisé est ici proche de celui d’une salle de concert; suppression de l’ailleurs remplacé par deux types de lointains artificiels : haut-parleurs situés dans la tribune dirigés vers le haut de la nef ; haut-parleurs situés face à la paroi du chevet hémicycle, réfléchissant le son de manière indirecte.

b) implantations spécifiques à des cas particuliers :Musique pour une fête nautique : musique ayant été réalisée pour accompagner l’accostage d’un bateau dans le port de Nantes puis le débarquement d’un cortège devant remonter une cale ouverte, dans toute sa longueur. Pièce conçue en deux temps; trames et appels lents pendant l’accostage et le débarquement et jeu de boucles et de scansions répétitives durant le cortège. Public situé sur la rive à l’arrivée puis venant se masser le long de la cale.Espace organisé selon trois principes : a) deux points stéréo en hauteur, aux extrémités de la cale; b) une ligne de points au sol, face au public, suivant le cortège de A à B; c) des points extérieurs très puissants, à terre et en hauteur, sur une grue, exprimant un son dilué et retardé. Jeu entre le son présent et se déplaçant avec le cortège et les taches sonores lointaines.

Page 83: akusmatisk_L'espace du son 2

83L'Espace du son II

(1) LEJEUNE Jacques, 1988 : «La forme dans le paysage», L'Espace du son, n°1, pp 71-74.

. La Prière des anges : cette pièce pour orgue et bande est destinée à être jouée pratiquement toujours dans une église et prend en considéra-tion la réverbération naturelle et obligée du lieu avec notamment des masses lentes destinées à être nimbées ou des silences prévus pour prolonger et laisser résonner certains sons. Les matériaux figurant sur la bande (sons vocaux, synthétiques ou d’orgue principalement) sont assez souvent proches de la sonorité de l’ins-trument en direct : fusion des matières dans un espace de couleur commun entre bande et instrument. Trois groupes principaux de haut-parleurs : l’un est situé dans la tribune de façon à obtenir la même directionnalité de son que celle de l’instrument, le second au sol, près de l’autel ou du jubé, représentant un flux dirigé vers la tribune, le dernier latéral, légèrement évasé, sert d’intermédiaire ou de relais. Des figures de mouvement relativement simples sont prévues dans la partition pour que l’espace de trajectoire reste centralisé dans la nef.

87révis. 89

Page 84: akusmatisk_L'espace du son 2

84 L'Espace du son II

HABITER L’ESPACE ACOUSMATIQUE

Jean-Marc DUCHENNE

Comme l’architecture, et beaucoup plus que la musique, l’acousmatique me semble être fonda-mentalement un art de l’espace.Les sons, libérés de leur causalité grâce à leur fixa-tion sur support, se matérialisent à notre écoute par leur «projection» dans l’espace d’un lieu donné. La position des haut-parleurs, leur nombre et leur qualité, la nature et les dimensions du lieu d’écoute, la place de l’auditeur etc ... ne sont pas neutres : ils forment un ensemble de relations et d’influences réciproques qui agissent directement sur notre per-ception de l’œuvre, pouvant aussi bien la renforcer qu’annihiler en partie ses effets.

A partir de ce constat, et sans entrer dans les détails, deux attitudes existent : considérer cette étape comme «sous-entendue» dans la fabrication de l’œuvre mais non nécessaire puisque non réalisée (cas de la diffusion d’un support stéréophonique) ou au contraire l’intégrer dès le départ au sein de la composition au même titre que les autres paramètres du son (diffusion dite «multipiste»).Sans revenir sur les caractéristiques de chaque conception qui ont déjà fait l’objet de plusieurs articles, je préciserai simplement tout d’abord la nature des problèmes soulevés par cette deuxième approche, puisque c’est celle que j’ai adoptée depuis quelques années.

La position des sons dans l’espace est certainement le paramètre le plus difficile à cerner (ce qui expli-querait sa quasi absence des ouvrages sur le son, le T.O.M. (1) y compris).C’est pourtant un des aspects les plus caractéris-tiques de l’acousmatique, «preuve et justification» de l’autonomie des phénomènes sonores par rap-port à leur production initiale. L’auditeur ne s’y trompe pas, et son émerveillement devrait plutôt être reconnu et développé que considéré comme manifestation épidermique devant tôt ou tard laisser place à une écoute plus «raisonnée». Phé-nomène insaisissable, instable, il semble trop lié à la sensation pour paraître sérieux et mériter qu’on s’y intéresse autrement que comme «enluminure» de dernier moment; comme si on lui concédait son pouvoir de séduction et son efficacité à condition de n’y consacrer que peu de temps, en marge du travail créateur lui-même, coiffé de «l’excuse» d’interprétation.Une écriture de l’espace réel, celui des sons dans l’espace de diffusion, venant s’ajouter à celle «tradi-tionnelle» de l’espace virtuel contenu dans les sons

eux-mêmes, permet pourtant de démultiplier les pos-sibilités expressives et formelles de l’acousmatique et même, me semble-t-il, de lui donner sa véritable dimension en assumant jusqu’au bout le rôle de support qui est de fixer l’évanescent, le mobile, évé-nement rare et «quasi-miraculeux» pour construire une architecture «définitive»!...

Les problèmes que pose cette attitude sont cepen-dant nombreux.Je passerai sur ceux, matériels et de méthode, que rencontre l’acousmate dans son travail qui, bien qu’intéressants, sortent du cadre de cet exposé, pour m’attacher à ceux directement liés à la diffu-sion en public.

Un des avantages du «système stéréophonique», outre sa parfaite adéquation avec certaines écri-tures, est de pouvoir s’adapter assez facilement à n’importe quel dispositif et acoustique, moyennant certains risques et compromis. Composer la diffusion d’une manière totalement intégrée à l’écriture des sons revient par contre, si on pousse la logique à son maximum d’efficacité, à restreindre considérable-ment les «débouchés» de l’œuvre...ou à en trouver de nouveaux.De plus, l’essentiel des compositions étant conçu jusqu’à présent selon la première méthode, les (quelques) systèmes de diffusion actuels sont presque tous du type «orchestre différencié» comportant à peu près la moitié d’enceintes de bonne définition, le reste apportant de la «couleur» par déformation du son, utile pour «démixer» partiellement une réa-lisation stéréo.Or, dans le cas présent, la polyphonie peut être déjà totalement déliée, chaque son étant complètement libéré de tout assujettissement aux autres. Un cas de figure bien différent, qui conduit à considérer chaque voie de diffusion comme pouvant avoir une égale importance en précision et en efficacité, selon les nécessités de la composition.

Un autre aspect que j’évoquerai avant de présenter quelques explications, est le «point de vue» de l’auditeur.

A l’heure où l’acousmatique semble chercher les moyens d’affirmer son individualité, son statut d’art à part entière, il me paraît important d’insister sur le rôle déterminant de la place du public, de sa récep-tion des œuvres : c’est bien avec ses deux oreilles, quelque part, qu’il va les percevoir.

Page 85: akusmatisk_L'espace du son 2

85L'Espace du son II

Créer des conditions d’écoute, des orientations, qui lui montrent d’emblée que «non, ce n’est pas de la musique», il y a quelque chose à voir mais c’est dans sa «vision intérieure» qu’il faudra chercher, il y a quelque chose à sentir, quelquefois «touchable», «palpable», et que tout cela a besoin d’espace pour se déployer, vivre, prendre littéralement corps, que c’est un art réellement «sensationnel»...Peut-être qu’en ce sens le contenu lui-même, qui finalement est aussi variable que le monde des sons semble «infini», est moins important que la manière dont il touche le public : ce qui définit le cinéma n’est-ce pas la pellicule et l’écran ?L’écran, ici, grâce à la faculté qu’ont les sons de se glisser n’importe où et de l’oreille attentive d’être «omnidirectionnelle», c’est l’espace entier d’un lieu donné, «pondéré» par la place de l’auditeur à l’intérieur.Il convient d’ajouter ici que, contrairement à la dif-fusion «classique» stéréophonique qui est centripète (le «diffuseur» ainsi qu’une petite partie privilégiée du public se situe au «point focal» d’écoute, les au-tres subissant des distorsions, voire des contresens, dans ses intentions), la diffusion multipiste permet la multiplication des angles d’écoute, différents les uns des autres mais possibles, comme au sein d’une cathédrale différentes positions en font découvrir des aspects complémentaires dont l’ensemble sera la cathédrale même... D’un espace réduit à un seul point idéal on passe ainsi à un espace qu’il est possible d’investir entièrement, «d’habiter» acoustiquement , et permet ainsi aux sens de se répandre à l’intérieur, entraînant avec eux l’imaginaire.Si je me place délibérément dans un propos «poétique»(sous-entendant tout un travail formel dans son sillage) c’est qu’il me semble que c’est lui qui a le plus de chances de «toucher» l’auditeur, de faire qu’il se sente intimement concerné et qu’il puisse entrer de plein-pied dans les architectures sonores qu’on lui propose.

C’est de l’expérience progressive acquise depuis quelques années ainsi que de la réflexion sur ces problèmes que m’est apparue la nécessité de réa-liser une série d’œuvres explorant pas-à-pas ce domaine, le souci principal en étant de trouver l’adéquation maximum entre le dispositif de diffu-sion, le lieu, le projet «poétique» et formel, l’attitude d’écoute des auditeurs et «l’environnement».Conçues comme des explorations d’espaces à la fois réels (ce qui est donné à entendre) et «psy-chologiques» (ce qu’entend l’auditeur), certains de ces douze «essais» pourront paraître s’éloigner en fait de ce qui est communément reconnu comme acousmatique. Pour ma part ces cas-là, pour «limites» qu’ils soient en s’échappant complète-ment de la salle de concert et de l’attitude qui en découle, explorent simplement certaines régions encore peu fréquentées des «mondes sonores pos-sibles», somme toute beaucoup plus logiques avec le principe acousmatique qu’une simple œuvre dite «mixte».

Ce n’est ni le lieu ni le propos de présenter le projet dans son ensemble. Je me bornerai uniquement à situer dans leur contexte les quatre exemples qui me serviront d’illustration.

- Chaque pièce, totalement indépendante des autres, est conçue pour un dispositif et un seul.- Elles sont chronologiquement regroupées par trois en ce qui concerne le nombre de voies de diffusion (12, 16, 20 et 24... cela laisse le temps aux systèmes d’évoluer !) ainsi que le «thème» global.- Tous les dispositifs ont en commun le fait d’utiliser des enceintes de qualité, relativement proches par la sonorité les unes des autres (au-delà des différences de puissance, taille... variables selon les cas).- L’environnement - intérieur ou extérieur, dimen-sions, lumière, éléments visuels ou plastiques éventuels- est prévu dans une certaine mesure.- La présentation au public est selon les pièces de trois types : - diffusion unique traditionnelle («concert») - séances à intervalles fixes (indépendantes de la quantité d’auditeurs) - installations continues permettant une «visite» répétée conduisant à plusieurs «lectures» possibles- Le propos peut être aussi bien «abstrait» qu’ «anecdotique», réclamer une écoute active ou plus «contemplative», en accord avec les autres aspects du projet.- Les douze dispositifs sont les suivants : en ré-seau, en hélice, en pyramide, en écran, en cercle, en plans, en rosace, en étages, en îlots, en ruban, en cuvette, en voûte.

(Je présenterai bien sûr chaque exemple uniquement du point de vue de ses rapports à l’espace).

Le premier cas, Petite Féerie en quatre dimensions (n°1 : en réseau), offre ceci de particulier qu’il ne s’adresse qu’à un seul auditeur à la fois. Prévu pour une petite salle -30 m2 environ- les haut-parleurs situés à chaque angle et le groupe de quatre situés au centre à mi-hauteur, tissent un réseau de tra-jectoires sonores à l’intérieur desquelles le visiteur peut se déplacer. L’acuité sonore provoquée par la précision des enceintes, leur proximité obligée de l’auditeur qui ne peut que se rapprocher de l’une en s’éloignant de l’autre, l’éveil de ses sens provoqué par sa «solitude», la pénombre globale, etc..., tout concourt à attirer son écoute à l’intérieur de cette œuvre concise (onze minutes, cela suffit !), riche en détails, qu’une attitude plus «distanciée» amalgam-erait en un fourmillement incohérent.«L’éclatement» du dispositif permet ici une individu-alisation totale des différents éléments sonores et rend ainsi possibles des «contrepoints d’images», des évolutions simultanées «contradictoires», des jux-tapositions de «sens» complexes tout en préservant leur lisibilité. L’écriture de l’espace fonctionne sur-

Page 86: akusmatisk_L'espace du son 2

86 L'Espace du son II

tout par positionnements des éléments, échanges de place ou brefs déplacements individuels.

Le deuxième exemple, Cent vingt huit instantanés (n°4 : en écran), donne lui plus à «voir» qu’à sentir.Les quatre rangées superposées de quatre haut-parleurs, situées de front face au public donnent d’emblée la référence à l’attitude propre au cinéma (la présentation se fait bien entendu en séances).Cet écran virtuel de seize «pixels» seulement (mais avec tellement de points intermédiaires !) permet aussi bien des jeux de «dessins» formés par les trajec-toires sonores en lignes et figures géométriques, ara-besques, taches ou points, que l’apparition d’images réalistes en «trompe-l’oeil», en «multifenêtrage» etc. dont l’essai des combinaisons comme autant de pièces d’un gigantesque puzzle sature peu à peu l’espace complet de l’écran.L’aplat de l’écran n’empêche pas pour autant l’utilisation de l’espace virtuel de la profondeur, comme de la perspective en peinture, mais le jeu essentiel se fait néanmoins principalement sur le premier plan permettant ainsi une localisation extrêmement précise, l’espace de l’écoute recoupant celui de la vision.Ici, tous les «spectateurs» partagent à peu près le même angle d’écoute, les influences acoustiques de la salle (si la diffusion est intérieure) devenant en même temps négligeables.

Dans le troisième cas, Hommage à Georges Perec (n°8 : en étages), on s’éloigne beaucoup plus de l’écoute habituelle qui reste unitaire. Même dans le n°9 «en îlots» (Le théâtre de la mémoire), l’auditeur peut encore relier facilement ce qui lui parvient des différentes zones et se fabriquer ainsi, même inconsciemment, une «vision» globale de l’ensemble. Ici, les quatre salles superposées et indépendantes acoustiquement rendent nécessaire une visite suc-cessive de chacune. Seul l’escalier, en mélangeant quelque peu les différentes provenances sert de «tampon» et de lien. Il s’agit évidemment d’un cas extrême, justifiant une diffusion continue, où chaque

auditeur, par son parcours, construira sa propre «histoire» de l’œuvre.En ce qui concerne chaque salle, on retrouve un peu le premier exemple à cause des dimensions, mais ici les cinq petits haut-parleurs sont totale-ment intégrés dans le mobilier et la décoration de la pièce. Les images peuvent surgir de n’importe où et leur caractère anecdotique permet de jouer des «déphasages» qui peuvent naître de leur appari-tion en tel ou tel endroit (derrière un pot de fleurs, sous un fauteuil, sur le rebord d’une fenêtre...). Il se crée ainsi au fil des écoutes une «topographie» sonore des quatre salles, de leur rapports, se super-posant à celle visuelle des lieux visités. L’espace morcelé reprend cohérence grâce à «l’information» qu’il contient.

Enfin, le dernier exemple que je présenterai, Les grandes oreilles (n°11 : en cuvette (!)) , tout en étant beaucoup plus traditionnel dans son principe con-duit également à une différenciation importante de la perception de chacun. En effet, les dimensions du lieu - amphithéâtre ou autre vaste excavation naturelle - associées à la dissémination des haut-parleurs (au sol, face tournée vers le haut) et des auditeurs (fixes cette fois) sur ses parois créent un environnement acoustique «ouvert», induisant une écoute ouverte elle aussi. Si le déroulement est homogène, l’existence, pour chacun, de voies de diffusion proches ou très éloignées établit une sorte de «dépression» qui aspire l’attention vers des phénomènes parfois à la limite de l’audible.Tendre l’oreille, car là où l'on n'est pas il se passe quelque chose.La disposition convient aussi bien à une écriture «pointilliste» où chacune des vingt-quatre voies porte un signal différent -l’ensemble pouvant alors ressembler à un grand contrepoint «naturaliste» comme autant de voix individuelles qui s’élèvent- qu’à de vastes déplacements, rotations, plongeons..., démultipliés par les distances ainsi que la précision de l’acoustique proche d’une propagation en champ libre.

(1) SCHAEFFER Pierre, Traité des objets musicaux, Paris, Le Seuil, 1966 (NDLR)

Page 87: akusmatisk_L'espace du son 2

87L'Espace du son II

UN ESPACE POUR LA REFLEXION

Daniel TERUGGI

L’espace dans les musiques acousmatiques est un des paramètres les plus décevants à l’écoute. Je m’explique : disposer d’un espace complexe de pro-jection sonore, d’une acoustique intéressante, d’une multitude de haut-parleurs, d’un système de projec-tion sophistiqué me paraît indispensable à l’écoute de musiques en situation ou non de concert. Mais l’intégration de l’espace comme paramètre de com-position musicale me paraît très difficile à maîtriser et bien que pouvant être fascinant à l’écoute, il nous place très souvent devant une situation d’unicité.

Le problème est vaste, depuis le support utilisé jusqu’au système de projection et le lieu même d’écoute en passant par les complexités des musiques et les rapports timbriques extrêmement subtils; le compositeur, se trouve devant une telle complexité de situations, dans lesquelles tout semble comploter pour apporter du brouillage et de la confusion dans l’écoute de sa musique! Il veut toujours être maître de la situation, exigeant sa présence au concert pour assurer la «fidélité» de la reproduction.

Mais les musiques ne sont pas des objets précieux que les compositeurs sortent dans des rares occa-sions remplissant toutes les conditions voulues, les musiques voyagent, sont éditées et écoutées dans des lieux et conditions très variés que le composi-teur maîtrise de moins en moins. Les musiques acousmatiques sont alors «auto-contenues» sur les deux voies d’une bande magnétique ou d’un sup-port numérique, tous les rapports dynamiques et d’espace sont inscrits sur le support bipiste, moyen universel, aseptisé, garantissant la pérennité et la véracité de la propagation du produit.

Ceci a toujours été ainsi, et malgré toutes ces cri-tiques, nous écoutons des quantités de musiques dans ces conditions, nous nous en faisons des opi-nions et c’est sous cette forme que le plus souvent la musique est diffusée. Néanmoins il existe des situations exceptionnelles de projection sonore qui induisent, suscitent des musiques dans lesquelles le paramètre spatial devient un élément moteur au niveau compositionnel et pas seulement un paramètre ajouté au moment de la projection en concert. Quand le compositeur connaît l’outil final de projection, ses possibilités et ses sonorités, il peut être tenté de conditionner certains aspects spatiaux ou timbriques de sa musique en fonction de l’outil. Quand ceci arrive, il fait au moins deux versions de l’œuvre : une pour l’outil en question et une autre aseptisée pour d’autres sites et conditions.

Dans mon cas j’ai toujours conçu mes œuvres pour l’Acousmonium de l’INA-GRM qui est un outil exceptionnel pour mettre en espace des pro-ductions sur support bipiste. Sa multiplicité de projecteurs sonores et son manque d’homogénéité en font sa richesse. J’ai toujours été très tenté par l’utilisation de l’Acousmonium avec des supports 4 pistes qui réduisent légèrement les possibilités de jeu mais qui offrent un spectre de timbres extrêmement varié.

Dans quatre œuvres qui forment un cycle j’ai exploré différentes situations et rapports entre le support 4 pistes et l’Acousmonium. Ces œuvres sont Eterea, Aquatica, Focolaria, et Terra qui sont les quatre parties du cycle Sphaera. Chaque œuvre explore un principe différent d’utilisation du 4 pistes et l’ensemble joue sur l’ambiguïté des mouvements spatiaux in-scrits sur le support et les mouvements et rapports spatiaux simulés sur l’Acousmonium.

La première œuvre, Eterea, de 20' qui traite de l’air, a comme sous-titre : Formes dessinées dans un espace inexistant Sur le support sont super-posés d’une part des éléments communs à toutes les pistes, sous forme de fond, et d’autre part des déplacements réalisés en studio qui simulent des déplacements de masses d’air dans un espace cir-culaire à des vitesses relativement lentes et avec des trajectoires complexes. L’effet est très saisis-sant : sur un continuum joué sur l’Acousmonium de façon traditionnelle apparaissent des traînées qui se déplacent dans tous les sens, parfois de manière circulaire autour du public, parfois localisées sur une zone frontale ou latérale. La distribution des 4 pistes sur l’Acousmonium permettant la réalisa-tion de nombreux «quadrilatères» symétriques ou dissymétriques spatialement et acoustiquement.

Aquatica (19') est conçue comme un mouvement lent, une sorte d’Andante dans le cycle. Le 4 pistes perd sa fonction cinétique et est conçu comme la super-position de deux stéréophonies aux caractéristiques timbriques propres qui exigent une distribution très précise des voies sur les différents types de haut-parleurs. Apparaît ici un des inconvénients le plus souvent reprochés au support 4 pistes, au moins sur l’Acousmonium qui possède un certain nombre de contraintes de distribution : son aspect réducteur des possibilités combinatoires des voies de projection. Le fait que les voies soient définitive-ment affectées sur tel haut-parleur empêche d’avoir certains sons sur certains haut-parleurs réduisant

Page 88: akusmatisk_L'espace du son 2

88 L'Espace du son II

les possibilités de simulation d’espace. J’ai traité le problème comme si je disposais simultanément de deux Acousmoniums réduits. L’intégration des deux «couches» musicales se faisant acoustiquement,c'est une sorte de mixage en direct. A condition de bien réfléchir à la distribution des sons sur les voies par rapport à l’Acousmonium et à bien maîtriser les «deux Acousmoniums», je trouve finalement que cette contrainte permet une grande souplesse au moment de la projection.

Focalaria est un moment assez court (5') explorant le principe des déplacements inscrits sur le support jusqu’au paroxysme. Le mouvement est principale-ment construit autour d’un certain nombre de «feux follets» tournant très rapidement. Les trajectoires se croisent et se superposent créant une impression d’extrême agilité. Tous les mouvements sont inscrits sur le support. Le jeu consiste, sur l’Acousmonium, à basculer d’un quadrilatère à un autre, déplaçant ainsi l’espace circulaire.

Dans Terra (23') j’utilisais une aide à la projec-tion grâce au système Syter. Une des pistes du 4 pistes passait à travers Syter et le résultat était envoyé vers 8 haut-parleurs. Je pouvais contrôler manuellement les déplacements d’un haut-parleur à un autre introduisant aussi des petits effets Dop-pler et des délais pour localiser plus précisément la source. Sur l’écran graphique étaient représentés les haut-parleurs et je déplaçais la souris d’une source à une autre à des vitesses différentes, créant des trajectoires plus ou moins rapides. Je pouvais très rapidement reprendre la main sur l’Acousmonium, donc j’utilisais Syter sur certains passages dans

lesquels les matières étaient continues, à évolution très lente, permettant l’adjonction de petits délais et variations de hauteur dues à l’effet Doppler. Les autres trois voies étaient distribuées avec les poten-tiomètres de la console.

Pendant la composition des quatre œuvres et surtout dans les deux dernières, j’avais toujours présent à l’esprit le lieu du concert (le studio 104 de la Maison de Radio France) et les caractéristiques de l’Acousmonium. L’organisation de l’espace avec le 4 pistes était conditionnée par la distribution des haut-parleurs dans le lieu de concert pour lequel j’avais un certain nombre de contraintes d’installation sur le volume et l’emplacement de certains haut-parleurs, autour desquels j’articulais les mouvements inscrits.

Je suis loin d’avoir exploré toutes les possibilités du 4 pistes par rapport à l’Acousmonium et je pense continuer dans cette voie dans mes prochaines œu-vres. Je suis un défenseur de ce type de support, qui présente certes quelques problèmes. Mais au fond, ce sont les outils de projection qui sont difficiles à maîtriser et à expérimenter, d'où la tendance à réduire le nombre de voies du support pour mieux contrôler le dispositif. Les outils de projection conti-nueront à se perfectionner et on peut espérer que leur maniement sera simplifié et que nous aurons une maîtrise des lieux plus proche d’une pensée spatiale que d’un maniement généralement très intuitif mais hasardeux donnant lieu sauf pour de rares exceptions à des projections qui peuvent aller du meilleur au pire.

Août 1991

Page 89: akusmatisk_L'espace du son 2

89L'Espace du son II

UN MONDE DE SIMULACRESPhilippe JUBARD

L’ «orchestre de haut-parleurs» a introduit à sa manière une autre répartition spatiale d’un contenu acoustique que celle proposée par la disposition sté-réophonique. Deux approches principales se sont dégagées de l’expérience, l’une renforce la concep-tion stéréophonique, diffusion par plans, l’autre la pervertit, diffusion «éclatée».La première approche a pour principe de situer l’image sonore en respectant au mieux l’équilibre stéréophonique du contenu (1), la sensation de loca-lisation provenant d’une variation différentielle du volume acoustique entre des couples d’enceintes afin de sauvegarder les rapports de phase. (2)La seconde présente le contenu sonore sous div-ers aspects, plus ou moins altéré; la réponse des haut-parleurs, la disposition des enceintes et la puissance qu’elles dégagent, les caractéristiques de l’auditorium entraînant une coloration du contenu, lorsque plusieurs diffuseurs jouent en même temps, il se produit des phénomènes d’interférences, de va-riation de phase..., l’image acoustique se complexifie, s’ «éclate» en différents points.

Bien entendu, il ne faut pas négliger le contenu lui-même, lequel est écrit le plus souvent sur un support pré-constitué en studio et satisfaisant à une écoute-témoin stéréophonique; tantôt réaliste (prises de sons acoustiques in situ...), tantôt artifi-ciel (objets traités, sons de synthèse...), ce contenu sera perçu soit comme étant dans un espace donné, soit comme étant projeté comme le ferait un canon; de ces deux cas de figure, l’un tente de simuler un contexte spatial où l’auditeur serait en quelque sorte spectateur, tandis que l’autre ne fait que révéler le médium de diffusion.

En concert, l’un des enjeux peut consister à jouer sur l’espace virtuel de la bande, si celui-ci est suggéré, et l’espace réel de l’auditorium de façon à ce que tout ou partie de l’ensemble de diffusion agisse, soit comme révélateur d’une image, soit comme plusieurs «instruments en symphonie»; ces modes de diffusion ne se contredisent pas dans la pratique puisqu’ils reviennent tous deux à doser le volume acoustique de chaque enceinte en procédant par différence négative ou positive ; en conséquence de ceci c’est la localisa-tion du contenu qui toujours prédominera.

Le terme couramment utilisé d’orchestre de haut-parleurs prête alors à confusion, d’autant plus que les transducteurs actuels émettent un front d’onde plutôt directionnel alors qu’une source sonore vibrant

naturellement dans l’air rayonne dans plusieurs directions.Les modifications de localisation du contenu, révé-lant peu à peu une disposition topographique de l’ensemble de diffusion, plongent l’auditeur dans un état d’écoute (telle que définie dans le Traité des objets musicaux de Pierre Schaeffer) spatiale; l’espace devient un paramètre musical alors que dans la tradition instrumentale celui-ci n’a, sauf exception, que peu d’importance, les sons devant se mélanger de façon à créer une Gestalt plus ou moins homogène.Pour illustrer ceci, la présence de synthétiseurs, guitares amplifiées, au sein d’un ensemble instrumen-tal peut être gênante (3); d’autre part la disposition bande/instruments en direct est acoustiquement ingérable (4).

L’ambiguïté de l’appellation «orchestre de haut-parleurs» n’est pas levée dans le contexte de la dif-fusion multipiste; bien que certaines expériences aient été tentées dans ce domaine, leur nombre est aujourd’hui insuffisant pour pouvoir tirer des conclusions définitives.On constate néanmoins que le meilleur parti à pren-dre afin d’offrir un tout à-peu-près acoustiquement homogène consiste à mixer au préalable les divers objets sonores.Dans le cas contraire, les objets se trouvant sur des pistes (ou groupe de pistes) séparées, on obtient le même phénomène d’éclatement spatial ; cependant un contenu multipiste présente comme avantage de prévoir la répartition spatiale (5) et a fortiori d’en jouer (6).Selon cette analyse, contenu et mise en situation de concert seront davantage liées dans le produit multi-piste que dans le stéréophonique (7).La conception des différents systèmes de diffusion liée à leur pratique, révèle à quel point le monde des musiques faisant appel à des techniques électro-acoustiques est celui des simulacres.L’état actuel des connaissances ne permet pas en-core d’envisager un véritable mode de reproduction sonore venant en quelque sorte se substituer à un contenu acoustique et faisant illusion.Le domaine est vaste car il englobe à la fois prise de son, synthèse, stockage et restitution du son.Cependant, avec les moyens actuels, peut-être est-il possible de suggérer le positionnement d’une source virtuelle sur deux dimensions ou bien de simuler des trajectoires avec des moyens limités; ce problème topographique est à l’étude au GES.

Page 90: akusmatisk_L'espace du son 2

90 L'Espace du son II

Pour conclure, toute innovation dans le domaine de la reproduction sonore ne manquera pas de modifier la pratique des musiques électroacoustiques.Ce que permet le système de diffusion développé au GES-Vierzon. (8)

Notes(1) Cf. les diffusions par L. Ferrari de Presque rien nr1 et 2; son optique jusqu’au-boutiste dans le respect de l’image a pour incon-vénient de privilégier l’auditeur placé au centre du dispositif.(2) La pratique de l’Acousmonium par les membres du GRM illustre bien ceci.

(3) Se reporter à certaines œuvres de H-W. Henze ou M. Land-owski.(4) La solution d’amplifier considérablement les instruments afin d’annuler l’onde directe peut être éventuellement proposée afin de réaliser l’équilibre avec la bande.(5) Se reporter à la Légende d’Eer de I. Xenakis.(6) Répartition vers des sous-groupes matriçables avec le cas échéant traitements en ligne (processeur d’effets).(7) La conception multipiste s’applique aussi aux dispositifs multi-sources synthétiques ou instruments amplifiés; se reporter à Kurzwellen de K. Stockhausen ; l’usage du système Matrix 32 que fait Pierre Boulez dans Dialogue de l’ombre double pour clarinette seule, permet d’imaginer un brassage spatial étendu à plusieurs sources.(8) Lire à ce propos la description sommaire qu'en donne Daniel Habault dans l'article qui suit (NDLR).

SYSDIFF, système conversationnel de diffusion sonore assisté par ordinateur développé au GES-Vierzon, est destiné tant au concert de musique sur support qu’au spectacle faisant inter-venir des musiciens, acteurs ou divers dispositifs sonores ou visuels.

SYSDIFF permet de générer un certain nombre de pistes au moyen d’accès temps réel ou d’accès virtuels; ces pistes représent-ant une courbe amplitude/temps sont mémorisées et éditables. Parallèlement à ceci, le système réagit au déclenchement d’événement extérieurs préalablement établis ou gère l’envoi de commandes particulières.Les accès pilotent chacun un ou plusieurs VCAs dont les entrées et sorties sont configurables grâce à une matrice de commuta-tion numérique.

Les accès temps réel, de type potentiomètre, stick ou souris, sont adaptés au mode de diffusion pratiqué (réglage des niveaux sur console ou positionnement d’une image acoustique) : ils ne sont cependant pas spécialisés, la notion d’amplitude/temps s’y rap-portant peut ne pas s’appliquer uniquement à une variation de volume sonore, mais à n’importe quel phénomène.Les accès virtuels sont des logiciels permettant soit l’édition graphique des pistes soit leur génération par un métalangage.

Pour pallier la rigidité d’une utilisation trop contraignante au niveau des actions que le système doit effectuer, sont pris en compte des événements extérieurs (déclenchement par un instru-mentiste, par exemple); l’envoi d’un signal ou d’un code convenu indique la routine que le système doit mettre en œuvre.

Page 91: akusmatisk_L'espace du son 2

91L'Espace du son II

SYSDIFF, SYSTEME DE DIFFUSION

DU GES-VIERZONDaniel HABAULT

Le développement du système de diffusion du GES, appelé dans la suite SYSDIFF, a débuté courant 1987. Sa première version opérationnelle a été utilisée durant le 2ème Festival des Arts Electroniques de Rennes en juin 1988. Il est depuis l’objet de dével-oppements constants.

La sophistication de l’outil se paie évidemment d’un minimum de formation et de la lecture de plus de deux cents pages de documentation. La description rapide qui suit ne saurait donc être exhaustive.

MOTIVATIONS

Comment manipuler intelligemment, pendant plu-sieurs dizaines de minutes, après quelques heures de répétition (dans le meilleur des cas), les niveaux (pour ne parler que de cela) de plusieurs dizaines de points de diffusion ? Avec métier, brio, feeling ... me direz-vous... Mon oeil ! ... Excusez la formule.

Le projet SYSDIFF est parti de cette boutade.

Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit. Certains compositeurs font des prouesses devant les potentiomètres, mais la machine est lourde et la manipulation humaine a ses limites. Il nous a donc semblé utile de créer un outil capable d’intégrer au mieux les objectifs listés ci-dessous.

OBJECTIFS

Améliorer la virtuosité* factorisation des actions élémentaires de jeu* variété et ergonomie des accès Améliorer la précision* apprentissage par jeux/corrections successifs* écriture Permettre l’exécution en tout automatique (instal-lations musicales)* asservissement temporel* commande des supports( magnétophones, magnétoscopes, outils de généra-tion et traitement... )Couvrir les besoins du spectacle et de la production multi-média* synchronisation avec les acteurs d’un spectacle vivant,( synchronisation ponctuelle, synchronisation sur reconnaissance MIDI )

* alléger le travail en régie(factorisation des actions, mémorisation/enchaîne-ment d’ensembles d’actions )* synchronisation aux autres “effets”(lumière, laser, image ...)* synchronisation image ( SMPTE ).

DE LA VIRTUOSITE

Il fut une époque ou les «orchestres de haut-parleurs» se déclinaient au poids (nombre d’enceintes voire de haut-parleurs, métrage de câble, puissance); vu en ces termes le dispositif du GES compte 53 enceintes, 2200 mètres de câble et 6000 Watts ... qui ne sortent que très rarement tous ensemble.

Qui ne s’est interrogé pendant un concert sur la nécessité de tant de haut-parleurs ?

Ils ne servent bien souvent pas à grand chose, le compositeur-interprète se contentant de quelques ajustements de nuances, de couleur, de spatialisa-tion, prisonnier du peu de degrés de liberté laissés tant par la bande magnétique (temps figé) que par l’ergonomie réduite de la console de diffusion (potentiomètres, un par enceinte, alignés les uns à coté des autres).

Une première approche consiste à factoriser au maximum les actions élémentaires (pousser un seul potentiomètre au lieu de trois ou quatre à la fois par exemple); ce n’est pas nouveau, les jeux d’orgue lumière disposent de cette fonction depuis des lustres. SYSDIFF permet d’affecter à 16 accès virtuels une ou plusieurs de ses 64 voies; le niveau de chaque voie du groupe étant doté d’un réglage relatif. L’ensemble des affectations accès/voies/ré-glages relatifs constitue une configuration. 128 con-figurations par séquence sont disponibles en temps réel, une séquence pouvant durer de 10 minutes à plus d’une heure.

Une deuxième approche consiste à améliorer l’ergonomie en offrant en temps réel un choix d’accès. SYSDIFF permet d’utiliser une console à 16 poten-tiomètres rectilignes, une console de 8 “sticks”, une souris, une table graphique, une boule roulante ... Cette liste n’est pas limitative, tout accès délivrant une tension continue, un signal MIDI, ou une infor-mation numérique 8 ou 16 bits peut être adaptée à la demande des utilisateurs.

Page 92: akusmatisk_L'espace du son 2

92 L'Espace du son II

sans doute l’apport le plus original de SYSDIFF. C’est, l’expérience l’a prouvé, également le mode d’entrée le plus efficace ... dès que l’on sait ce que l’on veut... Ce métalangage permet de définir des groupes repérés mnémoniquement puis de leur affecter des processus à un instant donné (niveau absolu ou relatif, trajectoire, rotation, évolution aléatoire ...); il gère également les changements de configuration, la valeur instantanée de la dynamique, les commandes et synchronisations...

DE LA SYNCHRONISATION

SYSDIFF sait évidemment suivre un signal SMPTE (via un convertisseur SMPTE/MIDI PPS 100 par exemple). Le pas d’échantillonnage est dans ce cas un multiple ou un sous-multiple de l’information de trame. Cependant ce type de synchronisation n’est adapté que lorsqu’un support sert de référence temporelle (musique sur bande, post-synchronisa-tion vidéo).

Dans les applications du spectacle (concerts, théâtre, danse ...) la référence est bien souvent l’être humain, au temps ô combien fluctuant. SYSDIFF sait donc se re-synchroniser sur un signal tout ou rien ou un message MIDI convenu. On entend par re-synchro-nisation le passage à la séquence suivante, que la précédente soit terminée ou non (il est ainsi possible d’enchaîner en cas de raté dans le spectacle). La référence temporelle au niveau de chaque séquence peut être «absolue» (horloge de l’ordinateur) ou SMPTE s’il y a un support qui impose une synchro-nisation rigoureuse de chaque séquence.

SYSDIFF DANS UN CONTEXTE MULTI-MEDIA

Un spectacle contemporain fait souvent appel à une multitude d’effets différents. Il est donc souhaitable, même si on considère la diffusion comme première, d’assurer la virtuosité et la précision de l’ensemble. SYSDIFF est donc à même de gérer, grâce à ses en-trées/sorties MIDI et tout ou rien, outre les niveaux de diffusion, les départs et arrêts des magnétophones, magnétoscopes, effets divers (laser, machine à fumée, éclairage ...), les périphériques pilotables par une liaison MIDl (modification de paramètres, change-ment de programme ...).Dans les applications automatiques SYSDIFF sait démarrer à une heure de consigne, exécuter une liste d’actions (diffusion d’une suite de séquences synchronisées ou non) ou boucler sur une action à des heures données.

SYSDIFF EN STUDIO

SYSDIFF conçu pour la diffusion est également directement utilisable en studio, en mixage assisté classique (il se connecte alors aux insertions de

Une troisième approche, plus radicale, évacue ou plus exactement déplace l’acte d’interprétation. Elle est discutée au chapitre suivant.

DE LA PRECISION

Les limites de la gestique humaine, confrontée au déroulement immuable de la bande magnétique d’une part, à quelques dizaines de potentiomètres rectilignes d’autre part, ne permettent pas une grande exigence lors de la projection de l’œuvre. Toute tentative de spatialisation élaborée risque rapidement d’échouer en concert, réduisant à néant l’œuvre patiemment élaborée dans le confort feutré du studio. A quoi bon prendre un tel risque au nom d’une interprétation qui n’est bien souvent faite que d’à-peu-près.Le premier pas consiste à admettre que si au départ la machine ne sait rien, elle est par contre, à terme, capable de reproduire fidèlement les évolutions les plus élaborées qu’on lui aura apprises. C’est la situation aujourd’hui bien acceptée en mixage assisté. SYSDIFF est capable d’enregistrer tout jeu effectué en répétition, section par section, puis de reproduire, d’enchaîner automatiquement ces différents jeux. Une séquence peut avoir une durée quelconque, le nombre de séquences préenregistrées enchaînées en temps réel, automatiquement ou sur commande, n’est limité que par les ressources mémoire du micro-ordinateur. Les possibilités clas-siques de correction en temps réel (lecture sur une partie des accès, enregistrement sur les autres) permettent une construction par enrichissements ou par approximations successifs. Cette approche ne résout évidemment que partiellement les limites gestuelles; elle assure par contre la projection de la meilleure version possible.

Le second pas, plus radical, substitue à l’entrée manuelle en temps réel une écriture en temps différé, à charge ensuite au dispositif d’exécuter fidèlement ce que l’on aura «programmé». SYSDIFF offre trois niveaux d’écriture.

1. L’édition potentiométrique en temps différé, permet l’entrée instant après instant des niveaux des potentiomètres (comme on le fait en temps réel avec les potentiomètres réels). La précision est no-tablement améliorée mais l’opération est longue et fastidieuse bien qu’il ne soit nécessaire d’indiquer que les instants où des modifications de niveau débutent et se terminent, SYSDIFF se chargeant du calcul des instants intermédiaires.

2. L’édition des profils dynamiques (niveau à chaque instant) voie par voie, présente les mêmes incon-vénients qu’en 1. Elle permet cependant de mieux apprécier le contexte temporel. Une évolution pro-chaine permettra en outre de se repérer sur le profil dynamique de la musique.

3. Le recours à un métalangage spécialisé constitue

Page 93: akusmatisk_L'espace du son 2

93L'Espace du son II

la console de mixage) mais aussi pour faciliter la réalisation des musiques multipistes. La matrice analogique, associée aux 64 VCAs permet le routage de 8 sources distinctes vers 8 sorties (ou de 4 sources vers 16 sorties ...). Un éditeur graphique spécialisé, temps réel et temps différé, simplifie notablement cette opération. Associé à la télécommande informati-sée développée par ailleurs au GES, il est également en mesure de réaliser automatiquement tout mixage, si complexe soit-il, à partir de 5 magnétophones et de contrôler parallèlement un appareillage MIDI (traitements, réverbérations ...).

SYSDIFF EN CONCERT

Le dispositif est capable de prendre en charge avec une précision et une virtuosité inconnue à ce jour, on l’a vu précédemment, une diffusion conventionnelle (pièce stéréophonique projetée sur quelques dizaines de haut-parleurs - jusqu’à 64 pour SYSDIFF ). Il est également à même, en configuration matricelle ( 4 x 16 par exemple ), de permettre le «mixage final» sur le lieu du concert ou de l’événement. Les différentes voies, couchées sur un magnétophone multipiste ou plusieurs bipistes synchrones, peuvent être dirigées vers une voie quelconque de diffusion. Travaillée pas à pas en répétition, l’œuvre, bien que diffusée par une machine ( heureusement !.. 64 informations devant être fournies toutes les 10 ms) est authen-tiquement interprétée.

UNE STATION DE TRAVAIL CONVIVIALE

Les 12 modules que comporte SYSDIFF sont intégrés dans un environnement qui ne suppose aucune con-naissance informatique particulière. Chaque module est doté d’une interface graphique et le recours au clavier est limité. Des «utilitaires» permettent de gérer la sauvegarde et la restitution de fichiers d’un nombre quelconque d’utilisateurs.

DES DEVELOPPEMENTS CONSTANTS

Les études en cours portent sur- I’intégration des modules sous l’environnement Windows 3,- l’introduction de «stratégies» de diffusion ( images acoustiques mobiles dans un nuage de points par exemple, je n’en dirai pas plus ...).La numérisation intégrale du dispositif, qui per-mettrait d’étendre le nombre de voies disponibles à 256, ce qui est surtout utile en configuration ma-tricielle, est également envisagée.

L’équipe de développement (Benoît Dehaine, Daniel Habault, Philippe Jubard) est évidemment à l’écoute des demandes et suggestions de compositeurs con-cernant l’évolution du dispositif.

Vierzon, octobre 90.

Un «instrument spatial» digne de ce nom existera-t-il jamais, ou faudra-t-il tou-jours s’adapter à une réalité sans cesse changeante, différente ?

STROPPA Marco, «Timbre et espace»,Un orchestre synthé-tique, Remarques sur une notation personnelle , IRCAM et Christian Bourgeois, 1991, p. 526.

Page 94: akusmatisk_L'espace du son 2

94 L'Espace du son II

Figure 3Auditorium, RAI, Rome, Italy.Festival Nuova Consonanza, Decembre 8, 1982.

Figure 1Maison de la Culture, Grenoble, France, February 7-13, 1973

Figure 2Beethovenhalle, Bonn, Germany, November 22-28, 1975

Page 95: akusmatisk_L'espace du son 2

95L'Espace du son II

THE WELL-TEMPERED SPACE SOUND INSTRUMENT

A NEW MUSICAL INSTRUMENTLéo KUPPER

In order to understand space perception in the present evolution of music, it is of interest to briefly describe the evolution of pitch culture.

PITCH CULTURE

Ever since the first known musician (Hufu-’an, 2700 BC, during the pharaonic civilisation), music evolution has been concerned mainly with pitch problems. From primitive stone sound music to the present day twelve tone and electronic music a long and complex pitch evolution took place with scales developing from one to twelve tones (from monody to polyphony, through the ragas scales, dastgah, maquam and modal scales). This pitch culture is still very much in full evolution, with micro-intervals experimentations, new scale uses in electronic music and complete liberty sound field pitch conception.Pitch culture, however is not eternal and there are still countless possibilities to experiment with permutations, combinations and enumerations (pitch in relation to timbres). Timbre scales have, at yet, not really been created nor have intensity scales been used as pitch scales. Pitch seems to be richer than timbres (tone colour is derived from the demand of sinus sound colour) and still is the most popular parameter (even after the modern revolu-tions in music).

SPACE CULTURE

As we shall demonstrate, the space parameter is richer than the pitch parameter and, in the future, should prove a very important means of expression and probably the most important in the history of music. Trough lack of technical means, it has proved impossible, in the past to develop this parameter even though many examples of space mentality ex-ist (primitive use of space in relation to real space shapes such as temples, churches, theatres, concert halls...).Space has been used primitively , i.e. with no scale organization of the parameter, as an effect of pitch music, by such great polyphonist composers as Monteverdi, Palestrina, Gabrieli, Tallis, later Bach, Beethoven, Mozart , Berlioz and in today’s music world by Stockhausen and many others in venues such as the Philips Pavilion in Brussels, the Dome in Osaka and our own Sound-Domes in Rome, Linz and Venice).

Nowadays, space culture, even though still in the initial stages, should follow the same evolution as the discovery of the techniques which enabled mono-phony to progress through stereophony, tetraphony, multiphony, acousmatic, stereo-kinesy holophony to kinephony. All these space solutions, however, are but effects or imitations of the orchestral space aspect in a room and tend to synthesize the real-ity of the acoustical world. We are nowhere near a general space system with scale and articulation structures as efficacious as was the pitch modula-tion system. We are now entering a period where space will be the fundamental preoccupation for musicians, composers and public alike.

SPACE PERIOD RESEARCH

With the creation of new equipment (audio- channels of superior quality, space distribution machines...) the electronic music age has given us new pos-sibilities of resolving space problems. For about 200 years, concerts have been performed in many different shaped rooms and obviously the musical performances have been adapted to the venues. From the many examples available, we have chosen a few of the more interesting ones.

Figure 1Projections of sound automatisms and concerts. In relation to the early years of electroacoustic music (1973) the quantity of loud speakers is very high. For the first time some sound sources are attached to the ceiling. Space diffusion in three dimensions.

Figure 2Projections of sound automatisms and concerts. The pentagonal room form is clearly determined by four sound pentogrammes. The sound projection point is in the center. The sound structures are turning on these pentogrammes in a horizontal plane.

Figure 3New space movements are experienced : the sound flows in the room, through the audio-channel lines, with a speed lower, equal or higher than the natural sound speed in the air, because the room is very large and long.

Page 96: akusmatisk_L'espace du son 2

96 L'Espace du son II

Page 97: akusmatisk_L'espace du son 2

97L'Espace du son II

SPACE EXPERIENCES WITH CONCERTS AND CUPOLA

The first space projections are in the horizontal plane. They then go over to the vertical plane (but with the greatest difficulty because the rooms are unable to give this dimension normally). After the difficult three dimensional conquest (horizontal, ver-tical and longitudinal planes) there is the tendency to construct primitive space scales (the increase in quantity of the audio-channels). From points diffu-sion (like the orchestra on the stage) we go over to surface diffusion and then to volume diffusion. The articulation of these primitive space forms brings us slowly to the necessity to construct sound domes. But to construct sound domes we need to know more about the psychoacoustical dimensions of our space perception, from a scientific and a musical point of view .

Figure 4The figure shows 5 psychoacoustical curves in rela-tion with the tested sound-space points on the fun-damental half circumference of a sphere (diameter = 4 m), namely the horizontal plane (front right and back right), the vertical plane (front and right), the vertical plane (right side up).The X axis shows the distances in cm between two minimal perceived space points. The Y axis indicates the number of perceived space points.

ObservationsThe most regular and the finest perception of space is situated in the horizontal plane (front right). Mini-mum angle of perception is 1,7°, the maximum, 2,9° and the mean angle is 2,5°. The perceived line is far away from the 15° line (the determined tempered space interval : one half space tone).The second line (horizontal plane : back right) is more or less sensible. At the point (7,60) the line begins to fall.The third line (vertical plane : front up) is continu-ously falling from the point (20,150).The fourth line (vertical plane : back up) indicates a lesser sensitivity for space perception.The fifth line (vertical plane : right side up) is de-creasing from the point forth (20,150).

Figure 5This represents the circumference in the horizontal plane, 45° up (around 1m43 high).The first line (horizontal plane : front right) is very regular, just like the first line on figure 4 (horizontal plane : front right).The second line (horizontal plane : back right) is a little less sensitive but very parallel to the first line.The general sensitivity is very good in relation with the 15° line (half space-tone interval).

ObservationsSome space points are clear and easy to detect, others are more difficult, imprecise. Some sources are mov-ing psychologically (on acoustically fixed sources), or

inversed. There is also a difference between the sound sources detected by the eyes and the sound sources perceived by the ear. In all we should distinguish two sound sources (both are rapidly identified). Er-rors of detection are more errors of interpretation of the space received information than a real different perception of both sound sources (confusion in the interpretation of the space analyses).If, in front of two loudspeakers, in a vertical plane (one low, the other high), we change a pitch (from low to high) on the lowest loudspeaker alone, the highest pitch is perceived on the upper loudspeaker. There is a fast relation between pitch highness and space highness. Both parameters create optical and acoustical illusions.If, on two vertical sound sources, a sound is send on the upper loudspeaker, then a silence, and after a second sound higher in pitch on the second lower loudspeaker, the sound source is then perceived on the upper loudspeaker (and not where it really is : on the lowest). There is some incertitude between two dimension (from low to high). Both together are creating illusions and errors, just as we have error dimensions between low and fast intensity degrees in relation with near and far away space perceptions. There should be three perception dimensions: physical sound source, the conscions sound source and the unconscious sound source. If all three are in accord about the perceived space sound, then only the source is really detected. Any difference between the three states creates an error or an illusion.

SOUND DOMES

Sound cupolas should be constructed in each great city with computer installations. In the domes, continuous music diffusion (public-computer-music music stimulated by the public) should be organized (like a technological nature).Space music concerts (space composed pieces) would be performed in the domes.In the old chinese culture there is a temple called Ming Tang. Each important city was required to construct a Ming Tang. The edifice was constructed on a square base (representing the earth) with a dome overhead (representing the sky).It was a calendar house, an official temple where the emperor, at fixed dates came operating.Sound domes should be built with this model in mind. In front of man is situated the South of the cupola (summer, hot and red), behind him the North (winter, cold and white), at left side the East (spring-time, green), at right the West (automn, yellow). The colours should help visual space detection. The sound rotations in the cupola should be related to any periodicity in our nature (seasons, day / night, infancy / adolescence / maturity / old age, earth rota-tions...) periodicity from micro to macro movements. The upper zone of the cupola should be related with the sky (astronomical rotations). All these natural rotations are helping man to better determine his

Page 98: akusmatisk_L'espace du son 2
Page 99: akusmatisk_L'espace du son 2

and closes, the studio-channels in space in a variety of forms. The attack, decay, sustain and release of sound should be realized manually or regulated by machines. This is the kinephone without any distorsion or noise.

CONCLUSION

Pitch perceptionThere are around 1500 pitch perceptions in the normal sound field (1800 from 20 Hz to 20 Khz).

Intensity perceptionThere are around 325.000 intensity perceptions in the sound field.

Space perceptionThere are around 6.000 space perceptions in a complete sphere.

Timbre perceptionThere are certainly many timbres, even though not yet calculated, but certainly more than pitch percep-tions (as timbre is a combination of pitches).

Why is it that we have historically inherited a pitch culture and not an intensity or timbre or space culture ? Why is pitch articulation so rich ? Prob-ably because of the mathematically precise forms that we can compose and well memorize. Intensity is very changing and not precise in memory (it is a second quality of pitch). Our phonetic language uses timbre expression, but up until now it was dif-ficult to create mathematical timbre scales. Space articulations exist in greater number than pitch modulations. Space modulation needs a space form (like architecture or sculpture) : it is a 3 dimensional art. Space should be well structured and equally well memorized. Because the technique was unavailable space articulation has thus far not been possible : now with machines and computers it is !

The future will be a space culture.

feeling in the room (when I have a space feeling, then I am !). The more precise this space feeling is, the more I have consciousness of my being.

Figure 6- 7With a sphere of 180 space points (or a cupola with 102 space points) we obtain a musical instrument with a rich language combination. The geometrical forms that can be composed (monophonically or polyphonically) are very numerous and complex.This space dome instrument would be the most fantastic music instrument ever imagined. The com-posed space movements are so rich that generations could develop their own space culture (adapted to any society). With partitions and computer machines for the space performance (or space interpreters) a new culture could find a long and new way of expression.Pitch (with intensity) could be regarded as a two dimension expression (a flat culture, as says Mi-chelangelo Buonatti when he speaks of the medieval painting in comparison with his 3 dimensional new sculpture). Space music is a new 3 dimensional art. The integration of the other music parameters like pitch, timbre, intensity, phase and rythm..., with thousands of geometrical forms will create an in-strument (unique) in the history of music.

Figure 8A new space instrument : Kinephone

In a pitch instrument, the keyboard cannot be separated from the pitch, in a space instrument the keyboard cannot be separated from the room (the room is a part of the instrument).

Kinephone(Kiné = movement and Phonê = voice)

Sound in movements for space articulation. The Kinephone is a 50 key instrument that permits space articulation. The performances are manual. The performer uses touch sensitive keys, he opens

L’appréhension neuve de l’espace musical

devient de plus en plus incompatible avec les exigences et l’esthétique

du concert et de ses lieux traditionnels.

SZERSNOVICZ P., «Le temps et l’espace»,

Avant-programme du Festival Musica 89.

Page 100: akusmatisk_L'espace du son 2

100 L'Espace du son II

Figure 8A new space instrument : Kinephone

Page 101: akusmatisk_L'espace du son 2

101L'Espace du son II

L’ESPACE, LA CHAIR, LA PLUIEJustice OLSSON

« a single point, pure nothingness, hums and moves though all of this. This single point can also make...Quiet rain on a dreaming lake.« (Un point seul, du néant purChante à travers tout ceci. Ce même point crée égalementLa pluie tranquille sur un lac rêvant.)

Un jour - calmement assis - je lisais la énième de-scription vulgarisée de la théorie du «Big Bang». Il y a x milliards d’années, il n’existait pas de cosmos, d’espace, de galaxies, rien. Il n’y avait qu’un point Les astronomes (dixit l’article) l’ont nommé singu-larité. Ses hauteur, largeur, et longueur étaient nulles. Zéro. et puis PAN ! La singularité explosa. Zéro virgule zéro zéro zéro trente-trois secondes plus tard elle était grande comme ci. Et après 4 secondes entières, grande comme ça. Vous ne pouviez plus la mettre dans votre poche. A l’heure du déjeuner, elle était bien plus grande que notre soleil, et lors du coucher de celui-ci elle aurait pu avaler la galaxie sans un rot. Depuis, disait l’article sur le ton du triomphe extasié, le taux de sa crois-sance n’a jamais cessé de grandir.

Cela faisait un certain temps que cette théorie me causait une légère irritation, peut-être parce qu’elle me semblait être un bel exemple de la poésie déguisée en pensée scientifique. Mais ce jour-là je n’était pas irrité. La partie rationnelle de mon esprit cédait le terrain à une lumineuse image de la singularité. Je la voyais toute douillette, dans son néant, attendant d’exploser. Quelque chose au moins allait venir la faire partir... je retenais mon souffle pour voir ce qui allait arriver. Et au lieu d’une explosion je fus témoin de la naissance d’une théorie nouvelle... je voyais un Doigt Cosmique qui tirait la singularité ... tirait, tirait. Et je voyais la singularité qui résistait de toutes ses forces à cet horrible Doigt insistant qui ne voulait pas la laisser roupiller tranquillement dans la tiédeur de son néant noir. Et puis TSOIN ! d’un coup le Doigt l’avait lâchée. Mais contrairement à la corde d’une guitare qui fait un va-et-vient dans une dimension seulement, la singularité, cherchant désespérément à revenir à son point de repos primi-tif, alla sautillante, trépidante, écumante dans un milliard de directions avec une telle vélocité qu’elle sembla être partout à la fois.

Tantôt elle était graine de poussière sur la lune; tantôt feuille d’herbe pourpre ondulant dans une brise méthanée quelque part dans Tau Ceti ou Fom-alhaut. L’instant suivant, vous la dénichiez dans un flocon de neige sur l'Himalaya, ou glougloutant le samedi soir dans un égout en Egypte. Et comme toute théorie qui se respecte, celle-ci ne changeait pas grand-chose à l’univers, si ce n’est que là où il y avait eu le silence, à présent il y avait la musique.

Tout compte fait, cette théorie, je ne la trouvais pas plus dure à avaler que le scénario du Big Bang. L’univers n’est pas né de la violence aveugle... par-tout où l’on regarde, on voit la vie et le mouvement basés sur l’onde vibratoire. Explosions, éclats, et autres événements destructeurs sont simplement un aspect de la musique et non pas le contraire... plus tard, lorsque j’étais en train de composer une chanson, s’est présentée à mon esprit la strophe citée en tête de cet article, me donnant l’idée d’appeler ma théorie celle de la «quiet rain».

De toutes les choses que ce singulier petit point nous a si généreusement données, il me semble que la plus contradictoire et la plus fascinante est justement l’espace. (Imaginez le fait d’avoir grandi dans un univers où il n’existait point d’espace, et puis subitement l’on nous laisse errer en plein air ou même dans une pièce de taille moyenne. Vertigineux !). L’espace est sûrement l’entité la plus étrangère à la singularité mais aussi la chose la plus essentielle à sa nature. Qu’on le veuille ou non, l’espace est la plus puissante de nos drogues. A mon avis, il est également à la base de la fascination exercée sur nous par la féminité. La femme ne possède-t-elle pas cette extraordinaire incarnation de l’espace «vide» qu’est l’organe reproducteur féminin?En fait, où que l’on regarde, on ne trouve pas au-tre chose que l’espace et les ondes... les immenses

Page 102: akusmatisk_L'espace du son 2

102 L'Espace du son II

distances qui séparent les étoiles, compte tenu des dimensions de celles-ci, ne sont autre chose que l’expression de la gigantesque disproportion entre l’espace et la «matière», disproportion également présente en ce qui concerne les galaxies. Et si nous braquons notre regard en direction des molécules, atomes, protons et autres quarks, à chacune de leurs échelles respectives nous constatons toujours cette même disproportion. Si la quête pouvait aboutir, il y a fort à parier qu’elle n’aboutirait pas à une particule de matière, ni même probablement à une onde... la «matière», c’est de la musique, et nous sommes les paroles d’une chanson.

Notre premier élément de structuration musicale fut, bien entendu, le rythme. Il constitue, probable-ment, ce que nous possédons de plus proche de la perception directe de la nature du temps. (Enfin, c’est ce que j’ai toujours ressenti personnellement !). Puis, au 18ème siècle nous avons formellement organisé la hauteur (le mot anglais pitch est moins ambigu)... si nous parvenons à jouer l’espace , 1951 aura été aussi important que 1722. Mais rien n’est moins certain... étant donné que la combinaison hauteur/rythme est ancrée dans l’esprit et dans le coeur humains d'une façon incroyable. Une mélodie peut y vivre et prospérer avec la même autonomie qu’un visage, un paysage, une parole, une odeur. Elle peut survivre dans des environnements aussi étonnamment disparates que le papier, l’oxyde de fer, la mémoire populaire, ou les lèvres d’un enfant. Elle pèse des mégatonnes, cette éthérée, et la space music pourrait ressembler à ces infortunés rayons de lumière qui n’arrivent pas à quitter leur trou noir, retenus par l’épouvantable masse gravitationnelle de celui-ci.

En 1982 ou 1983, lorsqu’un ami m’amena dans le studio 104 de Radio France pour entendre Voyage au Centre de la Tête de François Bayle, je n’avais pas la moindre idée de ce que pourrait bien être le but de l’exercice acousmatique. Le compositeur, que je reconnaissais pour l’avoir vu en photo, était assis devant une console de mixage de taille moyenne, et à 21h00 précises je l’ai vu cliquer sur un grand chronomètre lumineux. Bien que la salle (comble) ne fût pas encore calme, ni le public tout à fait assis, des sons commençaient à sortir de l’énorme déploiement de haut-parleurs sur la scène et autour de la salle pendant que Bayle touchait la console. Le concert avait démarré. Aucun magnétophone n’était en vue.

Ma première impression fut que différents sons sortaient de différents haut-parleurs, et que d’autres sons se déplaçaient d’un haut-parleur à l’autre. En-suite, j’ai cessé toute pensée analytique ou technique, exactement comme cela peut m’arriver en écoutant des instrumentistes traditionnels dans une bonne salle. J’avais déjà écouté une bonne quantité de musiques extra-instrumentales dans ma vie et j’en avais même composée, mais ici je découvrais un univers totalement autre. Je crois que j’ai eu de la

chance d'assister à mon premier concert acousma-tique sans y être «préparé». Par la suite, lorsque j’entendis bon nombre de diffusions ayant parfois moins de qualités artistiques, j’aurais très bien pu devenir assez pessimiste quant aux chances qu’avait ce nouvel art de survivre à son enfance.

Car il est bel et bien au stade de l’enfance. (Ce qui, en aucune façon, ne nous empêche de recon-naître les prodigieux exploits de certains de ses pratiquants). Non pas seulement du point de vue technique, mais aussi en ce qui concerne son pub-lic et l’oreille de ce public. J’ai l’impression que beaucoup d’interprétations acousmatiques sont basées sur l’intellect plutôt que l’oreille et de plus, qu’elles sont le fruit de l’imagination intellectuelle plutôt que d'une imagination plus globale, une sorte d’imagination de bio-feedback, comme lorsque nous racontons une histoire, et que la façon dont nous la racontons se trouve subtilement influencée par les réactions de nos auditeurs. Rien à voir avec les manipulations grossières du type «audimat», ni la soi-gneuse quantification que subissent les réflexes des assistants d’une harangue électorale d’un Georges Bush. Non, il s’agit d’un processus infiniment plus riche, plus délicat, plus vivant. Le musicien et ses auditeurs se réunissent pour découvrir une vérité toujours nouvelle.

Cette soirée me réservait encore une surprise. Après le concert, je demandai à mon ami combien de pistes comportait la bande. 16 ? 24 ? Je n’oublierai jamais ma stupéfaction en apprenant qu’il s’agissait de deux ou au maximum quatre.

Après réflexion, je me suis rendu compte qu’un en-registrement à 16 ou 24 pistes joué pour l’auditoire dans une salle ne pourrait jamais avoir la même vigoureuse souplesse que deux ou même une seule piste. Il me devenait clair que l’artiste, pendant ce concert, avait en effet «employé son imagination de bio-feedback». C’était un contraste énorme avec certaines expériences tentées par moi-même dans la salle de concert, où une machine 8-pistes lisait une bande préalablement enregistrée à l’aide d’une planche sur laquelle étaient fixés 8 microphones. Je balayais l’espace autour et entre les microphones avec diverses sources sonores, y compris un haut-parleur. Les résultats dans la salle de concert furent toujours décevants.

Plus j’y pensais, plus me devenait apparent le pur et simple génie de cette technique de «croisement» de potentiomètres alimentés par une même source mais alimentant des haut-parleurs séparés (sans parler du magnifique détournement d’un outil des-tiné à d’autres usages). L’interprète, en fermant un potentiomètre tout en en ouvrant un autre, peut décider précisément à quelle hauteur ils se croiseront et avec quelle vitesse. Sa décision pren-dra en compte non seulement la «phrase» qu’il joue mais aussi l’instrument et l’entourage acoustique, exactement comme un musicien «traditionnel». A

Page 103: akusmatisk_L'espace du son 2

103L'Espace du son II

l’intérieur de cette charpente serrée, il jouit d’une liberté énorme.

Une grande simplicité et une grande liberté. Cela rappelle l’archet du violoniste, le trait du crayon, et la baguette du chef d’orchestre qui sont, à mon avis, trois des plus puissants outils de l’expression humaine. (Il me vient à l’esprit qu’il y a ici un curieux parallèle avec la singularité dans ma théorie de la «quiet rain» - mais qui, elle, ne revendique pas le statut de «puissant outil de l’expression humaine», bien entendu ).

Par la suite, j’allais m’apercevoir que cette technique «du point et du trait» n’était pas la seule approche valable de l’acousmatique; qu’en fait, la technique du multipiste contient elle aussi de belles possibilités, telle qu’elle est prônée par Patrick Ascione, par ex-emple. Je dois avouer que lorsque j’ai lu ses recom-mandations pour la première fois, j’étais sceptique. Depuis un certain temps, j’employais déjà, en salle de concert, une configuration à 8 voies alimentées par synthétiseur à huit modules. Après avoir lu Ascione, j’essayais cette configuration en program-mant chaque module avec un timbre identique. Dans certains cas, cela donnait, en salle de concert, des sons d’une grande beauté, introuvables ailleurs. Il est clair que ceci pourrait aller bien plus loin en ce qui concerne la bande multipiste. Ascione (ainsi que d’autres qui préconisent cette technique) a raison.

Toutefois, cette technique plus complexe ne doit pas nous faire abandonner la simplicité spectaculaire de la méthode «du point et du trait». Je ne vois pas d’obstacle à leur cohabitation sur une même console, laissant libres le compositeur et l’interprète de se servir de l’un ou de l’autre ou des deux simultané-ment.

Il me semble que c'est précisément cette merveilleuse simplicité que nous risquons d’oublier. Je ne dis pas que les compositions doivent être simples - cette décision appartient au compositeur ! Mais nous devons distinguer entre l’oreille que notre auditeur amène avec lui dans la salle de concert et l’oreille dont il se sert pour écouter un disque compact chez lui. Il n’y a aucun doute que celle-ci est infiniment plus fragile et vulnérable que celle-là : sans une vraie présence humaine elle va se ratatiner et puis se faire balayer par les vents solaires... le premier concert acousmatique qu’entendra le non-aficionado, s’il ne comporte aucune chaleur humaine, ou un peu de l’énergie du coup d’archet-pinceau-crayon, bref, un peu de mythologie, sera également le dernier.

A une échelle locale, pour ma part, j’ai expérimenté l’exportation de l’appareil acousmatique vers le monde de la musique instrumentale. Exemple : une diffusion de Moon over Sandra (ma propre composi-tion) venait après une interprétation de Rhapsody in Blue (by guess who). Cet outrageant contraste semblait être bien reçu... à une autre occasion, j’ai installé un orchestre de 12 haut-parleurs dans un

square lors d’une Fête de la Musique. Je ne peux pas dire que c’était une grande réussite, mais instructif et amusant, oui ! Un homme qui avait écouté div-ers instrumentistes avec un plaisir évident prenait un air perplexe pendant que je diffusais Points de fuite e Dhomont. La pièce finie, il est venu me de-mander: «Pourquoi continuer à tripoter la console quand vous aviez déjà une bonne balance ? » (Mais certains auditeurs étaient quand même intrigués et voulaient en savoir plus...).

Quelques expériences pratiques que 1 : j’ai essayées. 2 & 3 : en cours. 4 : j’aimerais essayer.

1. l’Expérience des Balles de Tennis Fatiguées.J’ai mendié à la poste 50 mètres de câble téléphoni-que à 41 brins. Ensuite j’ai monté 40 petits haut-parleurs (diam. 2 ou 3 pouces) dans 40 moitiés de balles de tennis (pour une plus grande localisation sonore). Les unités ainsi constituées furent fixées sur le câble à intervalles réguliers d’un mètre et bran-chées sur leurs brins respectifs, lesquels sortaient chacun par un trou pratiqué à cet effet dans la gaine du câble. Le 41ème brin servait, bien entendu, de masse. L’autre extrémité de chaque brin, au bout du câble, fut soudée à l’une des bandelettes en cuivre d’un morceau de plaquette standard «travaux élec-troniques». Un autre fil fut branché sur une source hi-fi. En glissant le bout (dénudé) de ce fil à travers les bandelettes, je pouvais «écrire» des sons à volonté le long du câble. Primitif et efficace dans la salle de concert mais aussi comme traitement en studio.

2. Synthèse Directe à 8 Voies dans la Salle de Con-cert.Il suffit d’envoyer chaque module d’un synthétiseur à 8 voies sur un haut-parleur indépendant. Pour ma part, j’emploie le Yamaha TX 802, dont chacun des 8 modules équivaut à un DX 7 2ème génération. Par le biais du contrôle par le souffle (dispositif magnifique très injustement négligé par les musiciens), «after-touch» , pédale et molette, il est possible de balader les sons de manière spectaculaire. Bien entendu, ceci exige des programmations très spécifiques. Je travaille les sons chez moi sur un acousmonium à 8 voies.

3. Bascule à Réverbération. (Surnommée le «swib»)(cas d'espèce de la configuration précédente)Comme les Balles de Tennis Fatiguées : primitif et efficace. Pour quelques francs, j’ai acheté l’un de ces commutateurs qui servent normalement dans les postes à transistors pour changer de longueur d'onde. Ensuite je l’ai monté dans une petite boîte bleue de telle façon que je pouvais à volonté envoyer le son de chaque paire de modules de synthèse vers sa paire respective de haut-parleurs, en passant par l’unité de réverbération digitale. Le but initial était de traiter les 4 paires de modules de synthèse par une seule unité de réverbération, à tour de rôle. Mais je me suis aperçu qu’en basculant le son en pleine

Page 104: akusmatisk_L'espace du son 2

104 L'Espace du son II

phrase, j’obtenais les résultats les plus étonnants. Par exemple, lors d’un concert, un auditeur adulte en pleine possession de ses facultés est tombé de sa chaise (sa chute ainsi que des jurons en sourdine sont nettement audibles sur l’enregistrement).

4. Un Acousmonium Instantané.Il diffère du type conventionnel par le nombre re-streint de haut-parleurs (12) ; asservi par un ampli interne, chaque haut-parleur, 1. sera alimenté par un sans-fil plutôt qu’un câble; 2. sera petit et léger afin de permettre un positionnement rapide et facile dans la salle de concert. C’est un fait bien connu que la «directionnalité» et partant, le mouvement , ont tendance à avoir plus de présence dans les fréquences relativement élevées. On laissera à 2 ou 4 haut-parleurs câblés le soin de véhiculer les composantes plus graves.

«and when you close those dreaming eyes you see the point materialize.

What else you see I’ll never know... I only guess, I theorize.»

(et lorsque tu fermes ces yeux rêveurs tu vois se matérialiser le point.

Ce que tu vois d’autre, je n’en saurai jamais rien... je ne peux que deviner, théoriser.)

Page 105: akusmatisk_L'espace du son 2

105L'Espace du son II

L'ESPACE DES DEUX SONSChristian ZANESI

Lorsqu'on mélange en monophonie deux sons, trois principaux cas de figure se présentent :

- on entend les deux sons,- on entend un son, l'autre étant masqué.- on entend un nouveau son, par fusion des deux.

Si l'on transpose cette simple expérience dans le cadre de la stéréophonie, tout peut changer et s'enrichir : par exemple en positionnant un son à droite et l'autre à gauche il n'y a plus d'effet de masque ou de fusion. Si l'on fait bouger nos deux sons dans l'espace, ces effets deviennent transitoires, et s'y ajoutent ceux de vitesse. Restent aussi les jeux de dynamique pour créer des lointains et des proches ou de nouveaux masques, et aussi les traitements spatiaux proprement dits (échos, réverbérations, effets doppler, etc.).Bref, de ce simple exemple aux deux sons, on se trouve en face d'une incroyable série de possibilités, ce qui, et c'est là le point important, induira forcé-ment des choix dans l'écriture musicale même. On entre en fait et tout de suite dans le domaine de l'orchestration.La musique bien sûr est faite de plus de deux sons et la stéréophonie n'est pas le seul format. On com-prend alors que devant cette «complexité spatiale» on puisse hésiter à en fixer tous les paramètres dès le studio et qu'une musique qui ne serait inscrite dans son espace qu'au moment même de sa projec-

tion en public est possible. Dans ce cas, les espaces interne et externe de l'œuvre seraient confondus en une seule opération finale.Cela, évidemment suppose un lieu et un équipe-ment particuliers. En effet, dans cette hypothèse, il faudrait pouvoir élaborer et mémoriser, avec le temps expérimental voulu, les mouvements et effets spatiaux dans le lieu même de leur déploiement. Quitte à réaliser, par ailleurs, une version stéréo adaptée au disque et à la radio.C'est l'idée, qui n'est pas nouvelle, d'une salle spéciali-sée dans la projection des musiques sur support. Salle qui permettrait aussi de projeter avec beau-coup de précision les œuvres du répertoire dans leur véritable dimension, rarement atteinte.Pour l'heure ce n'est pas le cas, et le format de la stéréophonie est loin d'être épuisé qui permet, on l'a vu, de véritablement créer des espaces complexes, liés au discours musical et surtout adapté au disque compact.Disons, pour conclure, que de ce point de vue le problème se pose en termes de communication : d'un côté le rêve de concerts très sophistiqués dans l'élaboration spatiale, un rêve partagé par le plus grand nombre mais très lourd en moyens, un rêve institutionnel en quelque sorte; de l'autre un rap-port intime à l'auditeur, personnel et immédiat, à la manière des écrivains, qui fait qu'en face du composi-teur, aujourd'hui, il se trouve un auditeur.

La notion de polyphonie est réactivée par

l'usage de l'espace

Szersnovicz P., Le temps et l'espace, Avant-programme de Festival Musica 89

Page 106: akusmatisk_L'espace du son 2

ECAPSE'L RIHCELFER

Page 107: akusmatisk_L'espace du son 2

REFLECHIR L'ESPACE

Page 108: akusmatisk_L'espace du son 2

Qu’il s’agisse de la musique électroacoustique ou de l’art issude l’ordinateur, la musique de notre temps est une musique de l’espace.DUFOUR Hughes,«Timbre et espace», Le timbre, métaphore pour la composition ,

Paris, IRCAM et Christian Bourgeois, 1991, p. 272-273.

Page 109: akusmatisk_L'espace du son 2

... DES ILLUSIONS ...Alain SAVOURET

Qu’il est difficile de traiter un sujet dont on évite prudemment (terrain miné ?) de prononcer les mots-titres. Par exemple le «son» : je n’ai pas d’atomes crochus avec le mot (mais j’aime bien ce qui «sonne») et je m’en sors toujours avec des pirouettes du genre «je ne compose pas avec des sons mais avec du sens» ou encore «le son ne m’intéresse pas en soi, il n’y a qu’à partir du moment où il y en a deux que je dresse l’oreille», ça ne va pas beaucoup faire avancer notre affaire ...Quant à l’espace, le mot est déroutant tellement à la fois il me paraît flou, voire trivial, et tellement il est porteur d’envies de conquête, justifiées et passion-nément défendues dès le premier numéro. On ne peut qu’adhérer vaille que vaille à cette nécessaire entreprise même si, cela est évident, l’expérience de chacun ne peut recouvrir intimement celle de l’autre : le sujet est trop vaste et trop neuf en fait. Il faut se résoudre à être une particule d’un savoir futur; mais puisque personne ne semble être en mesure de donner des leçons, au moins allons-y sans frilosité, sans ronds de jambe, le temps se chargera d’élaguer. Je laisse donc mon stylo errer autour de «l’espace du son» puisqu’en fin de compte je n’ai pas à prononcer un discours et que je ne confonds pas l’écriture et l’oralité, on verra plus loin pourquoi.

«L’espace du son» c’est peut-être déjà s’interroger sur l’importance de l’espace entourant le son au moment premier de sa fixation sur support (captation ou fabrication). Entre un son de synthèse brut «collé» aux haut-parleurs et un son acoustique finement cadré par une prise de son «couple ORTF», on peut mesurer l’importance d’une première utilisation du mot «espace». Dans ce cas-là plutôt que son et espace, je préfère renvoyer à un couple de mots bien com-mode : texte (pour le son) et contexte (pour l’espace qui «l’accueille»). Ainsi j’ai, comme d’autres je sup-pose, pu vérifier que par exemple dans le cas d’une volonté de réussir un contraste fort entre deux objets sonores (devenant objets musicaux ... si ça marche) c’est plus le contraste entre les deux contextes que celui entre les «morpho-typologies» de chacun des deux objets qui est à soigner [confronter par exemple un objet enregistré en mono sur un mini-cassette (avec le Beyer de base) avec un objet tétraphonique capté en studio hyper-clean par quatre Schoeps de compétition...].Ce qui est amusant dans ce rapport du texte au contexte, c’est de vérifier avec émotion ce vieux

dicton de la campagne quant au mariage : «c’est pas la fille qu’on épouse, c’est la famille...». C’est à méditer : ce qui n’est que moyennement grave pour une modulation ratée (on peut toujours en chercher une autre) est plus pesant si c’est parti pour la vie. «L’espace», où donc se confrontent «le son» et son contexte immédiat (lors de la phase initiale de prise en charge des matériaux qui est pour moi fortement distincte de la phase compositionnelle), je le qualifie de «massique» : ce n’est pas beau mais c’est français et cela ajoute une petite touche morphologique qui situe bien l’aspect pré-compositionnel évoqué à l’instant.

Mais qu’est ce qui se passe si je pousse, du bout des doigts, encore craintif, le mot «espace» vers la phase de «composition» proprement dite, celle où je «pose ensemble», j’organise diachroniquement et/ou synchroniquement mes «voies de mixage» ? Un souvenir quasi réflexe aussitôt, sous forme de remerciements aux hasards de mon errance profes-sionnelle qui me fait reprendre la baguette pour diriger (entre 1976 et 1981 environ) principalement des formations symphoniques après avoir, pendant dix années de rang, vécu la sainte et unique vocation électroacoustique. Quel fantastique choc perceptif depuis le pupitre de direction, face à une centaine d’instruments qui m’apparaissent à ce moment-là (contrairement à «l’habitude» d’une globalité «or-chestre symphonique» que le concert impose avec le temps) comme fondamentalement hétérogènes; et quel plaisir pour notre écoute «stéréophonique» de découvrir alors l’intelligente fonctionnalité des places occupées par chacune des familles instrumentales. Plus jamais il n’était question alors de «mélanger les torchons et les serviettes» ni d'oublier qu’il faut «une place pour chaque chose et que chaque chose a (en elle) sa place». Le hautbois solo ou les contrebasses à cordes ont chacun leur «caractère» (l’instrument bien sûr, mais aussi celui qui le joue, façonne le son), donc ils ont un certain «rôle» dans la musique produite, et ils occupent bien une certaine place dans l’espace (qu’il faudrait appeler «étendue» puisqu’il il y a délimitation) : problème de «territoires» revendi-qués par chacune des familles qui mériterait plus ample développement... De même la comédienne débutante qui doit dire «Madame est servie...» tra-verse rarement tout le plateau pour le dire, ou ne descend qu’encore plus rarement des cintres pour le chanter (ou bien alors il y a «gag» voulu, plus dif-

Page 110: akusmatisk_L'espace du son 2

110 L'Espace du son II

ficile à assumer : les dispositions «contemporaines» de l’orchestre des années 1960 n’ont pas toujours été des «gags» assumés...).

Bref, la place des objets musicaux (des termes musi-caux, je préfère dire) dans l’étendue stéréophonique (par exemple) participe du sens de l’œuvre; de même que les espacements entre ces termes vont affirmer leur caractère, leur rôle, leur signification à l’intérieur du grand sens général.

Cette expérience symphonique me confortera donc dans mes premières hypothèses compositionnelles électroacoustiques : attention à la gesticulation des sons, à une simple «instrumentation» de l’espace où un terme musical peut se promener comme bon lui chante entre le haut-parleur de gauche et celui de droite. Tout déplacement ou positionnement en profondeur doit être justifié, avoir du sens : l’espace n’est pas tant affaire d’instrumentation que de com-position. Ainsi je suis passé d’une conception un peu centralisatrice, jacobine, de l’espace (des «valeurs d’espaces», des hiérarchies volontaristes) dans Tango (1971) à une conception plus fonctionnelle, «lourde-ment» significative (à cause des mauvais jeux de mots sur la «gauche» et la «droite»...) dans le Scherzo de la Sonate Baroque (1977). A cette époque donc, il n’est pas question d’envisager autre chose qu’une musique polyphonique au sens «généralisée», et cette utilisation polyphonique de l’étendue disponible est déterminante : est «généralisée» une polyphonie non-contrapuntique où l’autonomie «forcenée» des voix est nécessaire. Pas de relation hiérarchique de dépendance mais une affirmation de chacune des voix en fonction de son rôle à jouer (autonomie dans la façon d’être, la vitesse apparente, le comportement cinétique ou local...).

Merci à Charles Ives d’avoir composé au début du siècle La question sans réponse qui hurle (mais cela va prendre du temps pour qu’il soit entendu) qu’il y a une alternative compositionnelle : à côté des mu-siques «à système» (tonal, sériel ou autres) peut se penser une musique relationnelle où se confrontent démocratiquement des «personnages musicaux» dont on retient le «caractère» plutôt que la «valeur» (...les Druides qui savent...la Question de l’existence...les Humains qui voudraient tant savoir...) et qui vont co-habiter, chacun à sa vitesse, avec ses usages, dans son étendue et dans le respect des espacements.

De cet «espace» (étendue + espacements) je dis qu’il est «matérialisé» comme l’est une route avec ses lignes jaunes et ses panneaux de signalisation. Ce refus d’une notion d’espace ouvert et infini comme un désert africain tourne d’ailleurs à l’obsession dans une pièce plus récente : le 1er Cahier d’Enluminures (1989). Là, plus question de laisser s’échapper des termes musicaux hors-champ, en dehors du cadre délimité par les haut-parleurs; plus de sons du type «véhicules 4 x 4 de Paris-Dakar» disparaissant der-rière les dunes dans un lointain couchant... Tout le long de la pièce, ou presque, quelques impulsions

anodines mais fonctionnelles dessinent le cadre à l’intérieur duquel la «musique» se déroule, face au spectateur-acoustique, qui est là comme devant un grand livre dont on tourne les pages une à une; des pages bordurées de frises comparables à celles qui ornent les enluminures du XIIème.

Je passerai plus rapidement sur la question suivante: quoi de l’espace en situation de concert ? Non pas que la question me soit indifférente mais elle renvoie à une interrogation plus générale que j’aborderai plus loin. Une seule brève remarque quant à la projection du son dans un espace donné (intérieur ou extérieur) : elle me semble d’autant plus efficace que le son aura été capté dans ce même espace. J’ai en mémoire les expériences sur le son tétraphonique capté et projeté dans le studio 52 du Centre Bourdan (Service de la Recherche de l’O.R.T.F.), expériences menées avec Pierre Boeswillwald et Robert Cohen-Solal, et qui ont donné naissance, pour ce qui me concerne, à l’Arbre Et Caetera et la Valse Molle» dans certaines conditions reconductibles nous obtenions une similitude troublante, perturbante même, entre le son direct d’un Marimba et sa restitution tétrap-honique ultérieure. L’illusion et le plaisir perceptif de cette illusion étaient tout à fait remarquables : trop, c’était presque trop. Mais extrapolons un peu : pourquoi ne pas considérer que l’un des objectifs de «l’art haut-parlant» est l’atteinte de l’illusion parfaite quant à l’existence matérielle, palpable du son au moment de sa projection ? L’illusion holophonique serait notre quête, deviendrait l’expression de notre savoir-faire, au delà de toute préoccupation institu-tionnellement culturelle : la composition, les œuvres, l’histoire de la musique, le patrimoine. Je me mets à rêver pour notre profession d’un savoir-faire im-médiatement reconnu par tous, dans l’évidence du résultat, de l’effet produit, un savoir-faire dans lequel tout le monde trouve son compte, s’y retrouve, sans le barrage des connaissances que seuls les privilégiés (ceux qui savent ou ceux qui font) franchissent.

Cette petite modulation me permet d’amener le terme d’espace sur le terrain de la société en général: dans cette suite de conquêtes de l’espace - à la fois espaces conquis et «espace» faisant la conquête du son, de la composition, des lieux de diffusion - quel espace social l’art haut-parlant a-t-il investi ?Une série d’expériences récentes me laisse à la fois optimiste pour l’avenir et relativement embar-rassé pour le présent : énonçons cela sous forme d’hypothèses de réflexion et de travail totalement subjectives.Les musiques électroacoustiques (ou acousmatiques ou haut-parlantes) se sont trompées d’espace cul-turel. Tout d’abord une part de ses agents se don-nent occasionnellement l’illusion de participer à la «Culture de Masse» via les grands «média», les grands événements : «ça ne mange pas de pain», car un événements a pour seul avenir le fait d’être aussitôt du passé dès qu’il est terminé. Cela ne peut pas gêner en profondeur un art jeune et en pleine croissance. Il n’y a pas à faire de fixation là-dessus.

Page 111: akusmatisk_L'espace du son 2

111L'Espace du son II

Plus problématique me semble être la croyance «instituée» que l’art haut-parlant appartient pleine-ment à l’espace culturel dit «cultivé» par certains sociologues : espace des arts savants, officiels, espace des «objets» en fait (livres, tableaux, partitions) qu’on peut exposer, vendre, honorer, transporter, exporter, dupliquer, festivaler, etc.

Comment nier que depuis les années 1970 (assou-plissement de l’attitude de la S.A.C.E.M. vis-à-vis des productions électroacoustiques, ouverture d’un dossier «Recherche Musicale» à la Direction de la Musique, construction d’un lieu de culte international avec l’IRCAM, entrée de la musique électroacoustique au C.N.S.M.P.,etc...) la musique des «nouveaux moy-ens» a «bon chic-bon genre», surtout, et ce n’est pas un point de détail, quand la musique dite mixte se met à hausser le ton. Je ne peux m’empêcher d’avoir des haut-le-coeur théoriques à cette occasion (théorique parce que j’en ai fait, un peu, j’en referai, peut-être, et il existe dans le répertoire des réussites...il faut bien assumer la contradiction). Mais quelle aber-ration que le mélange du son acoustique produit en direct sur scène, localisable à l’oeil, avec des sons sans causalité visible, sortant plus ou moins de boîtes en bois et carton; le temps se gâte encore plus quand des sons de même nature que l’instrument présent sont projetés par des haut-parleurs «co-latéraux», parfois des sons semblables, parfois des transformés en «live electronic», parfois des transmutés, auxquels on sur-ajoutera un pré-enregistrement du même... j’en passe et des meilleures : bonjour la lisibilité !

Qu’en est-il des rapports infiniment subtils qu’entretiennent toujours un son et son contexte ? Il a fallu bien plus d’un siècle pour que l’orchestre symphonique «gagne» sa cohérence et son évidence, et en quarante ans nous ferions comme si on avait déjà résolu la réalité existentielle d’un son entre deux haut-parleurs ? : doucement ! du calme ! a-t-on envie de dire; ce n’est pas en noyant le poisson par multiplication, prolifération contrôlée ou non, créa-tion d’hyper-dispositifs à la branche-moi comme j’te pousse que l’on va maîtriser à tout moment et pour le plus grand nombre la magique et mystérieuse jubila-tion que peut produire un méchant son entre deux méchants haut-parleurs, à la fois présent tellement il est évident et si curieusement absent.Bien sûr c’est bien que notre savoir-faire ait conquis technologiquement les espaces architecturaux ur-bains (intérieurs et extérieurs) ainsi que les espaces naturels (grottes, carrières, vallées...) mais ce n’est pas suffisant : nous ne savons pas à coup sûr con-quérir les espaces mentaux individuels, et y laisser quelques traces. Cette conquête de l’espace devrait «zoomer» sur l’individu (oublier un peu la notion de public... c’est quoi d’ailleurs un public...), aller voir si cela a du sens pour lui, l’imprègne, si cela «c’est de la culture» (qui ne peut être qu’ appropriation individuelle) et laquelle ?

Revenons un peu en amont : j’interprète la montée des «musiques mixtes» comme la tentative de rat-

tacher l’art haut-parlant à la culture «cultivée» parce que, par le biais de la partition instrumentale conjointe au support électronumérique ou mag-nétique (les «musiques pour instrument et bande magnétique», que c’est appétissant...) on a (encore une) l’illusion que cet art haut-parlant accède à un langage de traces (une écriture) donc, par osmose, à une certaine «notabilité». «On» ferait bien partie de la Culture de l’objet déjà évoquée . C’est loin d’être le cas (je tiens encore pour négligeables les tenta-tives de représentation graphique de nos musiques; bon sujet mais la route va être longue) et j’ai même l’intime conviction, comme on dit au tribunal, qu’un art haut-parlant non perverti trouvera un meilleur accomplissement quand il prendra conscience que c’est la culture orale, vivante (ex «populaire» trop connotée) qui est son espace social privilégié. La culture «orale» est bien celle qui ne se résout pas à exister par l’intermédiaire de l’objet (partition ou autre); c’est en priorité une culture du sujet, c’est-à-dire des hommes qui la défendent et ceux qui la reçoivent; c’est la culture de leur savoir-faire, qui n’est ni du côté de l’objet (déjà fait), ni du côté du savoir (écrit).

L’urgence n’est donc pas de se trouver un «langage de traces» ; il n’y a pas non plus à se contenter d’être technologiquement virtuose avec les «traces» mag-nético-numériques qui supportent notre art. Notre objectif pourrait être cette conquête des espaces men-taux déjà citée, c’est-à-dire notre capacité à inscrire des traces profondes, durables dans la mémoire des hommes : ce sont ces traces-là qui feront la vraie pérennité de nos musiques, pas celles inscrites sur bande. Il y a donc bien à «impressionner» celui vers qui on projette «un son», immédiatement, en être proche, proche de ses usages , de son histoire, investir ses lieux à lui, les déranger, étrangement (Je fais allusion ici à des expériences dites «veillées haut-parlantes» menées avec Jean Pallandre dans le cadre d’une action de création dans un quartier de Calais, sur la base de phonographies captées dans ce quartier.)

Il y a donc à s’interroger sur une production haut-parlante actuelle limitée à des œuvres dûment déposées à la SACEM et qui vont, fortes de cette protection privilégiée, pouvoir voyager, être diffu-sées aussi bien à Tombouctou qu’à Toronto, dans le cadre de concerts où on «convoque» un public indif-férent, par essence, à l’œuvre. On est proche, dans ce cas, de la notion de «folklore» que combattent les musiciens traditionnels d’aujourd’hui; le folklore comme arrêt, fixation, gel d’une musique dans un répertoire pour touristes alors que l’essence et la pérennité de la musique de tradition orale tiennent au fait que dès sa transmission elle est transformée dans l’acte même de mémorisation (transformation toujours infinitésimale qui préserve l’origine, mais manifeste la vitalité du présent).

Peut-il donc exister une musique des haut-parleurs que l’on serait «sans cesse» en train de réaliser,

Page 112: akusmatisk_L'espace du son 2

112 L'Espace du son II

non-omnibus, et dans laquelle chaque individu pourrait monter et descendre en marche, au gré de sa fantaisie ?

Ce ne serait pas tant l’œuvre «finie-figée», exposée à tout public qui serait la base de notre fonctionnement mais cette circulation incontrôlable d’une «façon de faire», entendue par l’un, répercutée «à sa façon» sur un autre, ainsi de suite. Le savoir-faire est un fluide bien difficile à représenter; on ne peut «échanger» à son sujet que dans des relations de proximité, de bouche à oreille, il ne se vend ni ne s’achète, il ne se consomme pas. Ca va être dur pour nous, dans une société marchande... aura-t-on seulement droit à la reconnaissance du ventre ? Néanmoins, un cran au dessous de l’utopie, ici et maintenant j’ai la conviction que les musiques haut-parlantes sont des «patois», et les studios des «cantons» qui n’ont pas les mêmes moeurs à 10 km de distance.Il faut en mesurer les conséquences : les linguistes le savent bien, les langues vernaculaires (vernus = esclave) qui n’ont pas «d’écriture» pour maîtriser conjointement le temps et l’espace sont soumises à la domination des «langues véhiculaires» qui, fortes

de leur écriture deviennent langues officielles, privi-légiantes, imposant leur loi, dans le temps et dans l’espace. L’oralité, donc les individus qui en sont les agents, est mal admise dans notre société. La SA-CEM n’est pas tant portée à protéger les «auteurs et compositeurs», que les partitions qu’ils fournissent; les «commandes d’Etat» ne sont pas étayées depuis si longtemps que ça par des «missions» ou «résidences» qui concernent directement le compositeur.

Mais comment ne pas remarquer en cette fin de siècle que rien n’est inéluctable pour ce qui est de la destinée des ethnies «fines», particulières; et si même le prix est parfois cher à payer, les civilisa-tions à volonté globalisante sont soumises à quelques soubresauts. Le XXIème siècle sera nécessairement celui du renforcement des différences «en caractère» (et non plus «en valeur»), celui de la reconnaissance de ces différences, celui de la co-habitation à vrai-ment inventer, et certainement pas le siècle de la mondialisation démagocratique qu’on essaie de nous faire avaler en ce moment. Un peu de patience et d’action, cela suffira.

avril 1991

Page 113: akusmatisk_L'espace du son 2

113L'Espace du son II

L’ESPACE EN SOIpar Robert NORMANDEAU

L’électroacoustique a apporté une contribution fondamentale au monde musical en élargissant non seulement l’ensemble des valeurs disponibles pour chacun des paramètres qui la composent mais surtout en leur conférant une notion de continuité qui a remplacé la notion de valeur discrète. Ainsi, la musique peut-elle aujourd’hui se construire grâce à un ensemble de continuum. La conséquence la plus radicale de cela a été l’apparition de la notion d’espace.

La musique instrumentale était en quelque sorte à trois dimensions, soit celles de la fréquence, de la durée et de l’intensité ou, si l’on préfère, la hauteur, le rythme et la dynamique (par ordre chronologique d’apparition dans l’histoire et par conséquent dans la notation). La musique électroacoustique est venue lui greffer une quatrième dimension: l’espace. Plus qu’un simple système de coordonnées spatiales — gauche-droite, proche-lointain, avant-arrière —, l’espace est venu relativiser les autres dimensions de la musique.

Ainsi, pour ce qui est de la hauteur, où chaque note occupe un palier distinct d’une échelle formée au cours des siècles, a succédé un continuum auquel les valeurs permettent de rejoindre et d’épouser les autres paramètres du son et de mettre en lumière de nouvelles catégories perceptives, notamment celle de la position verticale du son — tel son est en haut, tel autre est en bas.

Le temps également ne peut plus être considéré comme un simple déroulement d’événements se succédant les uns à la suite des autres. Ce qui avait été intuitivement perçu et expérimenté par certains compositeurs du début du siècle, notamment la superposition de couches temporelles différentes, est devenu par la notion de l’espace-temps un prin-cipe de composition incontournable où les événe-ments existent à une vitesse qui leur est propre, indépendamment de la volonté du compositeur. Par ailleurs, la notion de durée, traditionnellement limitée par la réalité physique des instrumentistes, a atteint des valeurs telles, autant dans l’infiniment grand que dans l’infiniment petit, qu’une nouvelle dimension, l’espace psychologique, est conférée au son qui s’y installe.

Quant à l’intensité, de valeur de contraste entre des événements successifs dont elle est issue —piano-forte, sfp, ppppp, fffff— elle est devenue véhicule d’une information sur le lieu d’un son, donc sur sa résonance poétique.

LA FREQUENCE

La hauteur a été le premier paramètre noté dans l’histoire de la musique occidentale. D’un registre limité à celui de la voix à l’origine, l’étendue des hauteurs s’est agrandie au fur et à mesure des progrès de la lutherie mais sa fonction est demeu-rée essentiellement la même au cours de l’histoire: établir des points de repères fixes sur un continuum. Pour noter ces repères, il suffisait d’une simple règle formée par les lignes et les interlignes de la portée. La note relève donc d’un système de coordonnées à une dimension car en fait, en elle-même, elle n’est qu’un point.

LE TEMPS

Puis la notion de temps est apparue (simultanément en fait mais essentiellement pour des raisons de com-modité au début, car il fallait bien spécifier l’ordre d’apparition des notes). Pour arriver à représenter l’emplacement temporel du point correspondant à la note, le système de coordonnées de la géométrie plane était amplement suffisant: au système de la portée déjà retenu pour la hauteur (axe vertical) s’est ajoutée une valeur pour la succession temporelle (axe horizontal).

L’INTENSITE

Plus près de nous dans l’histoire, une troisième no-tion est apparue, celle de la dynamique. A l’origine essentiellement destinée à créer un effet de contraste, elle n’était pas notée en tant que telle mais résultait plutôt de l’opposition de groupes orchestraux ou vocaux d’importance inégale d’où le contraste res-sortait. Puis la dynamique a été notée mais de façon extrêmement vague (de pp à ff , ce qui totalise une dizaine de valeurs différentes tout au plus) et il aura

Page 114: akusmatisk_L'espace du son 2

114 L'Espace du son II

fallu attendre la musique sur support pour obtenir un résultat aussi précis que ceux réalisés dans les domaines de la hauteur et du rythme. Sur le plan de la notation, la représentation adoptée a été de nature littéraire plutôt que graphique. Aux deux axes déjà retenus sont venus s’ajouter des mots qui étaient censés représenter le troisième axe. Cela a conduit à une grande imprécision dans l’interprétation des valeurs lues. Mais pouvait-il en être autrement ? Ne s’agit-il pas, en fait, de l’absence de désir des compositeurs d’utiliser cet aspect comme composante déterminante? Ou du reflet des limites de la percep-tion? Quoi qu’il en soit, les limites théoriques d’un type de représentation par la notation littéraire sont vite atteintes car il est difficile d’utiliser des valeurs au-delà d’un certain nombre sans parvenir à l’arbitraire et à l’inefficacité. Comment distinguer en effet ppppp de pppp ? Et surtout comment arriver à les reproduire exactement d’une fois à l’autre ?

LE TIMBRE

On peut résumer l’emploi du timbre en musique à la science de l’orchestration. Il s’agit en effet d’une notion complexe dont on n’a connu la véri-table nature qu’au cours du XXème siècle. On sait aujourd’hui qu’il est formé d’une combinaison des trois paramètres fondamentaux du son et que sur le plan de la perception, il relève probablement de la notion de forme (1). On peut établir un parallèle ici avec la géométrie euclidienne: un cube est une forme que l’on reconnaît en tant que telle, qu’il soit bleu ou rouge, petit ou grand, loin ou proche. Cette notion fait appel à la fois à l’expérience — celle par laquelle on peut distinguer un son de violon dans une infinité de conditions différentes — et à l’inné — un enfant, même très jeune, «connaît» les formes. Le timbre c’est l’objet sonore à trois dimensions et il est très difficilement représentable par un système de coordonnées. Ne reste plus alors que la calligra-phie pour venir au secours du compositeur, celle par laquelle on nomme les instruments par leurs noms. Cela peut être satisfaisant tant et aussi longtemps que l’on se contente des flûtes, violons et autres clari-nettes mais se complique singulièrement lorsqu’il s’agit de représenter, pour une interprétation ulté-rieure, tel son de verre, de métal ou d’atmosphère champêtre. C’est ici qu’apparaît une différence fonda-mentale entre l’art d’interprétation qu’est la musique et l’art des sons fixés (2) que représente la musique sur support (magnétique, informatique ou autre). Pour cette dernière, il n’est plus nécessaire, en effet, de représenter le son pour une réactualisation éven-tuelle donc de passer par un système intermédiaire qui a une grande part d’arbitraire — les nombreuses et diverses interprétations des œuvres classiques étant là pour le démontrer — pour que ce nouvel art existe de plein droit comme le cinéma par exemple. Cet aspect a une conséquence fondamentale sur la notion d’espace puisque le compositeur, débarrassé de l’inquiétante problématique de la notation, peut désormais l’explorer directement sans avoir à justi-

fier le fruit de son travail par la transcription écrite. Ici, son œuvre suffit, comme l’œuvre du peintre se suffit à elle-même.

L’ESPACE

L’espace est apparu sporadiquement dans l’histoire de la musique sous forme de coordonnées spatia-les: un groupe de chanteurs dans la partie gauche du transept, l’autre dans la partie droite, puis un troisième au centre et nous voilà à St-Marc de Venise avec les Gabrieli. Mais leurs musiques s’écoutent aussi bien «à plat» et sans rien perdre de leurs qualités expressives, pourvu que l’on prenne le soin d’équilibrer les parties entre elles. Autrement dit, la notion d’espace n’est pas ici déterminante sur le plan du langage musical lui-même, elle n’en est que la «mise en espace» dans un lieu donné (comme on dit «mise en place» (et non pas «mise en scène» au théâtre).Le véritable espace est apparu au cours de ce siècle par la dilatation jusqu’à l’infini des valeurs des trois dimensions fondamentales du son. Le fait de donner à celles-ci toutes les grandeurs possibles entre les deux limites fixées par la perception leur a conféré une dimension insoupçonnée jusqu’alors. Cette dimension, c’est celle de l’objet sonore qui non seulement possède trois dimensions mais les possède dans un espace précisément déterminé. Ou, pour être plus exact encore, cet objet possède trois dimensions avec un espace. Autrement dit, l’espace et l’objet sont inséparables l’un de l’autre, le premier conférant au second une valeur inalié-nable, comme le timbre des cordes est inséparable des quatuors de Beethoven. Mais cet espace n’est pas en-dehors de l’objet, comme un ensemble de paramètres que l’on plaquerait sur le son, il en découle directement.

LES COMPOSANTES DE L’ESPACE

L’espace est généralement représenté comme un ensemble de coordonnées spatiales : le son est loin-tain/proche, gauche/droite, haut/bas (cette dernière notion étant presque automatiquement induite par la notion de hauteur, les aigus sont en haut, les graves en bas). Mais à cause de la manière cou-rante de procéder en électroacoustique, l’espace est souvent ajouté au son après coup, réverbérations et délais provenant d’appareils de traitement à travers lesquels on fait passer le son. L’incompréhension réelle de cette étape se manifeste couramment chez les étudiants et les dilettantes (lire les compositeurs de musique instrumentale qui viennent s’acoquiner avec l’électroacoustique) par une inadéquation entre l’espace du son et l’espace qui vient l’entourer, qui vient le situer. On utilisera par exemple une réver-bération très longue, de type cathédrale, sur un son capté de très près avec des composantes spectrales très riches dans les aigus. Hormis l’intérêt artistique indéniable qu’il y a à jouer de ces dichotomies, le fait

Page 115: akusmatisk_L'espace du son 2

115L'Espace du son II

demeure qu’une mauvaise intelligence de celles-ci conduira le plus souvent à des contresens. Cet aspect de notre art n’est pas réductible à de simples considérations techniques comme d’aucuns aimeraient le faire croire, mais touche tout un pan de ce nouvel art du sonore. On sait depuis longtemps que l’utilisation de telle ou telle lentille ou de telle ou telle pellicule au cinéma est loin d’être étrangère au résultat artistique projeté dans les salles obscures. On sait aussi que la vidéo se trouve en manque de perspective à côté de son grand frère et que cela est en partie dû à un manque de définition de l’image électronique face à la pellicule argentique, et a en-traîné une autre manière de dire, donc un nouveau langage. L’espace n’est pas un paramètre du son aussi tangible que la hauteur ou la durée par exemple. Comme le timbre, il est plutôt un résultat, une combinaison de différents facteurs qu’un facteur en soi, quantifiable et mesurable. Cela est à ce point vrai que certains n’y sont pas sensibles (le n°1 de L'Espace du son consacré à ce sujet, l’a clairement montré) allant parfois même jusqu’à en nier la réalité. Mais cela n’a rien d’étonnant, beaucoup ne voient pas de dif-férence entre le visionnement d’un film sur le petit écran ou sur grand écran. Alors, qu’on ne soit sensible qu’aux paramètres traditionnels du son n’est guère surprenant même chez des musiciens.

Les différents facteurs susceptibles d’induire la no-tion d’espace sont de deux ordres. D’abord ceux qui sont directement reliés à la géométrie à trois dimen-sions, soit les valeurs de délai et de réverbération acoustique, ensuite ceux plus directement rattachés aux paramètres traditionnels comme l’intensité ou la fréquence. En fait, en ce qui a trait à ces derni-ers, il semble que la notion élargie de timbre soit plus directement responsable d’une perception de l’espace.Tel objet nous paraîtra lointain parce que son timbre est pauvre même si son intensité est forte. On connaît mal comment l’être humain décode ces informations mais on sait que pendant longtemps sa survie en dépendait. Savoir apprécier la proximité d’une source sonore avec justesse pouvait avoir des conséquences radicales sur la vie même. Parions qu’en ces temps-là personne ne doutait de la notion d’espace! Pour revenir à un exemple cité plus haut, il sera impossible de créer l’illusion qu’un son très riche en aigus et en transitoires d’attaque est lointain par le seul fait de le noyer dans une réverbération de cathédrale. Personne ne sera dupe.

Cela nous ramène à la première catégorie de facteurs susceptibles de créer la notion d’espace, soit les différentes modifications des coordonnées spatiales d’un son donné. L’exemple précédent est trivial mais il est le reflet d’une réalité évidente pour qui a un tant soit peu d’expérience dans le domaine du son: il doit exister une relation très forte entre le son et sa mise en espace physique pour que le ré-sultat, le son spatialisé, soit crédible. Et qu’il le soit non seulement sur le plan réaliste mais également sur le plan psychologique, autrement dit qu’il soit

efficace au niveau artistique. Sinon le son décroche de son effet et l’on entend ce dernier pour lui-même. L’histoire de l'électroacoustique est remplie de ces musiques à effet, victimes de la dernière trouvaille technologique. L’unité de traitement devient ainsi une sorte de moulinette où tout passe et où tout est banalisé par une coloration trop typée. Le son n’est plus mis en espace, il ne se présente plus comme un tout, il arrive sur un fond d’espace. C’est la toile de fond, à l’image de la voûte étoilée, du studio de pho-tographie. C’est une illusion d’infini qui est présentée ici. Un bon photographe nous y fera croire, on ap-préciera les autres pour leur aspect kitsch… Mais la photographie de M. Chose devant la voûte étoilée, même bien réussie ne nous fera pas croire aux anges pour autant. Autrement dit, la nature de M. Chose n’est pas transformée par cette mise en situation parce que, de toute évidence, elle est factice. Il en va de même pour le son. Ne pas reconnaître le caractère spatial inhérent à un son et tenter de lui conférer une mise en espace qui lui est étrangère revient à le placer en conflit sémantique. Encore une fois, on peut en jouer et l’auteur ne s’en est pas privé bien au contraire, mais on doit en jouer en toute connaissance de cause. Enfin, avec une cer-taine connaissance des choses tout au moins. Car il apparaîtrait téméraire aujourd’hui de dresser un lexique ou une grammaire de l’espace sonore tant le champ reste vaste et tout entier à explorer.

LA MISE EN ESPACE EN CONCERT

Il apparaît de plus en plus clairement aujourd’hui que pour rendre justice à cette notion d’espace, un certain nombre de conditions doivent être réunies notam-ment dans une situation de concert. Premièrement, pour intéressante qu’elle soit sur le plan de l’écoute privée, il semble que la stéréophonie ait aujourd’hui atteint certaines limites quant à la diffusion en salle (3). Le plus grand désavantage de celle-ci est qu’elle n’est perceptible de façon adéquate, c’est-à-dire en fonction de ce qui a été prévu par l’auteur, que par un petit groupe d’auditeurs situés autour d’un point privilégié. Pour les autres auditeurs, cette image stéréophonique est forcément tronquée, transformée, inversée, annulée. A l’idée de la diffusion à l’aide d’un orchestre de haut-parleurs développée par un certain nombre de groupes et d’individus, j’ajoute aujourd’hui, pour qu’elle soit complète, l’importance de la notion d’équivalence avec les sources sonores. Autrement dit, pour qu’une diffusion à multiples haut-parleurs soit complète, il faut qu’elle soit le reflet d’une composition à multiples sources so-nores. Et que chaque source soit acheminée à un ou plusieurs émetteurs de façon individuelle. Ainsi, l’espace réel que constitue la salle de concert, et qui n’est pas réductible à une écoute au casque ni à une extrapolation de celle-ci — la notion de stéréophonie n’est complètement valable que dans ces conditions — jouera un rôle essentiel dans la «mise en espace» des sons («mise en espace» prise cette fois au sens de «mise en scène» théâtrale).

Page 116: akusmatisk_L'espace du son 2

116 L'Espace du son II

Et pour que cette pratique soit complète et surtout conséquente, il faut que le compositeur, en amont, puisse bénéficier des conditions de composition qui soient le reflet de cette démarche. Qu’à l’ensemble des éléments déjà sophistiqués qui constitue la lu-therie du studio de composition électroacoustique s’ajoute un ensemble d’enceintes acoustiques qui lui permettront d’explorer adéquatement cette notion d’espace autrement que par hasard. Que la fabrication de l’espace devienne, par conséquent, un élément du travail de composition.L’art de la composition de l’espace en est forcément à ses premiers pas et il reste encore beaucoup de choses à découvrir. On vient à peine de commencer à explorer cette notion de façon un peu plus ap-profondie autrement que comme compensation à la prise de son en studio ou que comme reproduction de la réalité. Il ne faudrait pas en laisser l’initiative aux mains de ceux qui considèrent notre pratique comme du «bricolage» car leur méconnaissance

réelle finirait par tout réduire à des notions anci-ennes, dont certains aspects restent certes encore à découvrir, mais auxquelles nous ne devrions pas limiter notre pratique.Pour terminer, il semble important de rappeler que toute cette approche ne peut être valable que pour les musiques qui sont réalisées par les compositeurs eux-mêmes, ceux-ci devenant de la sorte à la fois les artistes et les artisans de leurs musiques, exacte-ment comme les peintres et les écrivains.

Notes(1) prise probablement au sens schaefferien de «morphologies» ou encore de «Geschtalt» (psychologie de la forme) (NDLR)(2) lire à ce propos : CHION, M., L'Art des sons fixés ou la musique concrètement. Fontaine (France), ed.Metamkine (NDLR)(3) cf le dossier «Espace de projection/projection dans l'espace». (NDLR)

Page 117: akusmatisk_L'espace du son 2

117L'Espace du son II

MUSIQUE / ESPACEPierre BOULEZ

Un entretien avec Jean-Jacques NATTIEZ

J.-J. N. : Quiconque aura entendu Répons, Dialogue de l’ombre double ou le fragment initial de la nou-velle version d’ explosante-fixe aura relevé la place importante que vous accordez désormais à la spa-tialisation de la musique. Lorsque vous avez présenté explosante-fixe en janvier 1991, à Paris, vous avez, bien entendu, beaucoup insisté sur cet aspect, puisque c’est une des dimensions importantes de l’œuvre qui était immédiatement «donnée à entendre». Cepen-dant, vous avez peu écrit sur le sujet. Pourrions-nous tenter de voir ensemble à quelle nécessité, au niveau de l’écriture, correspond le recours à la spatialisation dans vos dernières œuvres ?

P.B. : Je préciserai d’emblée que la spatialisation peut être de deux ordres. Ce à quoi on pense spon-tanément : l’utilisation dynamique du mouvement sonore dans un espace, mouvement, d’ailleurs, qui n’est pas nécessairement spectaculaire, qui peut être lent ou dispersé. Mais la spatialisation, ce peut être aussi la localisation fine, statique et très précise du son. C’est pourquoi elle est, pour moi, une composante directe de l’écriture, pas seulement quelque chose qui, par le biais des haut-parleurs, lui est surajouté. La spatialisation permet la clarifica-tion de l’écriture. Si on a divers éléments, opposés ou contrastés, plus ou moins indépendants, le fait de les distinguer dans l’espace clarifie l’audition. Ainsi, dans la musique instrumentale habituelle, on place des groupes d’instruments à divers endroits pour qu’ils soient écoutés différemment. Cela permet de mettre la dimension polyphonique en valeur et donne à l’auditeur les vrais rapports auditifs et acoustiques, psycho-acoustiques je dirais même, de l’écriture. Quand des musiciens sont sur scène et que nous les voyons là où ils sont, il faut que la densité d'un groupe sonore soit portée par ce groupe-là et que la densité de l’écriture, quelques temps après, se porte sur un autre groupe, mais que tous deux décrivent le même phénomène sonore sous des aspects différents. On obtient ainsi un véritable relief sonore, mais avec des instrumentistes qui, naturellement, ne bougent pas. Avec les haut-parleurs, on n’a plus besoin de recourir à un artifice d’écriture pour suggérer la disposition spatiale des groupes d’instruments : l’écriture est en quelque sorte directe.

Lorsque je conjugue, dans les œuvres que vous avez citées, l’univers instrumental direct et l’univers non-instrumental qui passe par les haut-parleurs, j’essaie de jouer avec le rayonnement direct d’un instrument et son rayonnement mobile. Ce qui

m’intéresse, ce n’est pas seulement la mobilité par rapport au statique, mais la rencontre de sources instrumentales et de sources virtuelles, c’est-à-dire la greffe du domaine de l’illusion sur celui de la réalité. Ainsi, il y a des moments où l’on parvient à créer une illusion totale, car on ne sait plus du tout d’où vient le son. Ce qui importe, à mon avis, c’est de créer ce décor illusionniste, une sorte de perspective sonore en trompe-l’oeil, si j’ose dire.

J.-J. N. : Si on remonte dans votre carrière de com-positeur, quand avez-vous commencé à avoir cette préoccupation pour la spatialisation ?

P. B. : A partir d’une œuvre pour orchestre qui s’appelait Figures, Doubles, Prismes et que j’ai en-registrée récemment. (1) C’est avec elle que j’ai com-mencé à me poser des questions sur le fonctionnement de l’orchestre. En 1958, je n’avais pas beaucoup d’expérience orchestrale et aucune, comme chef d’orchestre, puisque j’ai commencé à diriger surtout à partir de 1958-59. J’ai commencé cette œuvre en même temps que Stockhausen composait ses Grup-pen. Il y a là trois entités qui utilisent l’espace, pas seulement pour l’occuper, mais elles représentent trois groupes instrumentaux qui ont des structures rythmiques spécifiques, des structures temporelles qui tantôt se joignent, tantôt se corroborent, tantôt au contraire s’opposent ou observent les subdivi-sions différentes d’une même pulsation. Ces trois groupes constituent des ensembles instrumentaux «normaux» et l’effet ne résulte pas d’autre chose que de leur placement loin l’un de l’autre sur la scène.

Dans Figures, Doubles, Prismes, j’avais au contraire pensé l’orchestre comme un tout, avec une pensée temporelle plus homogène , plus unifiée. Ce qui m’intéressait, c’était de mêler les sonorités. Il n’y avait pas les cordes, et puis les bois derrière et en-core les cuivres à un autre endroit. Je voulais que les cuivres soient dispersés pour obtenir un relief nouveau, que les bois soient plus centraux et que les cordes envahissent tout puisqu’elles sont les plus nombreuses. Evidemment, si les instruments de l’orchestre traditionnel sont disposés comme ils le sont, il y a de bonnes raisons : le poids des instruments à cordes est plus faible que celui des bois et encore plus faible que celui des cuivres. C’est pourquoi, dans Figures, Doubles, Prismes, j’ai été amené à modifier la disposition initiale que j’avais prévue. Si on place les cuivres tout à fait devant, on n’entend plus les cordes parce que le

Page 118: akusmatisk_L'espace du son 2

118 L'Espace du son II

poids acoustique des premiers est beaucoup trop grand. Mais j’ai tout de même obtenu une sonorité des tutti complètement différente, parce qu’avec la disposition adoptée, elle est beaucoup plus mélangée que dans la sonorité de l’orchestre traditionnel. S’il y a donc de nouveaux problèmes qui apparaissent, on obtient tout de même des résultats très intéres-sants. Avec Alleluia, Berio eut à la même époque des préoccupations analogues. Beaucoup plus tard dans Coro, et avec un autre type de combinaison, il a placé les chanteurs tout près des instrumentistes et non pas isolément, avec les chanteurs d’un côté et les instrumentistes de l’autre. Autour de 1958, Stockhausen, Berio et moi ne voulions pas aborder le grand orchestre dans les mêmes conditions que nos prédécesseurs.

J.-J. N. : Qu’en est-il du fameux «Halaphon» ,considéré comme l’ancêtre de l’instrumentarium électronique qui, aujourd’hui, vous permet la spatialisation sonore ? L’aviez-vous utilisé pour Poésie pour pouvoir ?

P.B. : Non. J’ai travaillé à Poésie pour pouvoir égale-ment en 1958, mais les procédés utilisés restaient très mécaniques, avec des haut-parleurs placés autour de la salle et l’un d’eux au plafond. L’espace était envahi par les sonorités des haut-parleurs. A l’époque, on ne pouvait faire pivoter le contrôle par voltage, et tout ce qu’on pouvait faire, c’est de donner plus ou moins de relief à chacune des pistes. Une opération très mécanique, vous le voyez, et plutôt sommaire.

Le «halaphon» n’a pas été construit pour moi. Un ingénieur allemand nommé Lawo a réalisé, pour le studio de Freiburg, une machine qui permettait à un son de passer d’un haut-parleur à un autre. Il s’était inspiré d’une idée de Hans-Peter Haller qui était le chef du studio à ce moment-là. Ils ont ac-colé les deux noms et c’est devenu «halaphon» (2). C’est seulement en 1972, lorsque j’ai travaillé à la première version d’explosante-fixe, que j’ai commencé à utiliser cette machine, sans beaucoup d’illusion, car je ne l’avais jamais expérimentée. Je croyais que les instruments pouvaient rester indépendants tout en exerçant, sous forme de modulation, une influence les uns sur les autres par l’intermédiaire du halaphon. Cette idée, je l’ai réalisée en fait avec la disposition et l’écriture du Rituel à la mémoire de Maderna, puisque, dans cette œuvre, les groupes

sont indépendants les uns des autres et ne sont synchronisés qu’à la fin.

Si j’ai échoué dans cette première version d’explosante-fixe, c’est parce que l’écriture que j’avais choisie pour chacun des instruments était beaucoup trop complexe. Pour que les instruments s’influen-cent, il ne faut pas qu’ils fassent la même chose, sinon, les rencontres sont purement aléatoires. Si, pour un instrument, vous avez un passage rapide, il faut un passage lent à un autre instrument. Al-ors vous pouvez obtenir une influence réciproque et un résultat vraiment appréciable. Entre deux choses lentes, avec une harpe et un vibraphone par exemple, ça marche très bien, mais entre deux cho-ses très rapides, l’une pour le violon et l’autre pour la flûte, il y a très peu de chances que l’influence s’exerce. C’est pourquoi, à partir de ces difficultés, et puisqu’il y avait sept parties indépendantes, j’ai pensé à organiser l’œuvre autrement, en isolant une des partie, celle de la flûte, qui a sa texture propre. C’est seulement aujourd’hui, dans la nouvelle ver-sion d’explosante-fixe, avec la flûte qui déclenche les programmes transformant le son des autres in-strumentistes de l’orchestre, que je réussis à obtenir l’articulation souple du son électronique sur le son instrumental «live» et les effets de spatialisation correspondants.

Propos recueillis le 16 janvier 1991.

(1) Paru en 1990 avec le BBC Symphony Orchestra (Erato, 2292-45494-2). Un enregistrement-pirate du 9 septembre 1968, avec l’Orchestre de la Résidence de la Haye dirigé par Bruno Maderna, a été publié en compact par la maison italienne Stradivarius (STR 10028).(2) Le Halaphon permet la répartition universelle et l’évolution spatiale d’informations musicales transmises par des haut-parleurs. Selon le nombre et la disposition des haut-parleurs, les sources sonores peuvent évoluer dans un ou plusieurs niveaux. La direc-tion (cercle à gauche ou à droite, diagonale, huit) et la durée de l’évolution peuvent être variées continûment même pendant le live-concert. Là aussi le contrôle entièrement automatique est possible. L’appareil permet toutes les transitions depuis la superposition des modulations dans tous les haut-parleurs jusqu’à l’indépendance ponctuelle de chaque haut-parleur; en outre, sont aussi possibles l’accélération ou la décélération de l’évolution spatiale dans un ou plusieurs trajets circulaires. Ainsi dispose-t-on d’une possibilité d’intégrer valablement l’espace dans la composition.HALLER H.P., «Mutations et spatialisation du son», Musique en jeu, n° 8, 1972, p. 43. (NDLR)

Je ne me tourne vers les machines pour découvrir des sons que parce que les instruments musicaux actuels ne sont pas adaptés à mes besoins. Sur une bande magnétique, je peux faire ce que je veux.

Edgar VARESE, Ecrits , p. 127

Page 119: akusmatisk_L'espace du son 2

119L'Espace du son II

JEUX D’ESPACES : CONJONCTIONS

ET DISJONCTIONS Horacio VAGGIONE

aussi dans celui du traitement des sons concrets; qu’on pense à toute la panoplie d’opérations sur le contenu fréquentiel dont on dispose actuellement : filtrages, résonances, accumulations avec fenêtres d’harmonisation, inversions spectrales, modulations, interpolations, etc. Un système souple de traite-ment du signal comme le processeur SYTER fait largement usage de ces opérations sur le timbre, tout autant que des opérations sur la dynamique des amplitudes ou les proliférations et les distribu-tions spatiales des matières. Souvent, ces différents types d’opérations sont présents simultanément dans beaucoup d’instruments logiciels disponibles sur SYTER, assurant ainsi leur corrélation (Teruggi 1990).

2.J’emploie le mot «timbre» dans le sens de «struc-ture spectrale» plutôt que dans celui de «référence causale». Il correspond ainsi au concept énoncé par Schönberg à la fin de son Traité d’Harmonie (1911): le timbre (en allemand klangfarbe, couleur sonore, et non pas cause instrumentale) est le substrat dans lequel se déploie une logique des hauteurs, ces dernières correspondant en fait à une focalisation déterminée de ce substrat - «la hauteur est le timbre mesuré dans une seule direction» -. Cette conceptu-alisation a permis plus tard -quand l’appropriation musicale de la technologie électronique l’a rendu possible- de poser clairement la différence entre hauteur tonale et hauteur spectrale (Risset 1969, 1977). La nouveauté de la vision de Schönberg (si différente de celle -pythagoricienne- de Rameau, qui postulait un «fondement naturel» propre à l’harmonie fonctionnelle, mais aussi de celle de Hemholtz et de la théorie classique de l’oscillateur harmonique, dépourvue d’enjeu compositionnel) a été de con-cevoir le timbre en tant qu’espace-substrat d’une morphologie composée. La directivité dont il parle constitue une affaire de focalisation, de définition (composition) d’une structure spectrale, comme l’a bien vu Risset. Les hauteurs tonales parcourent le timbre-substrat selon l’image d’une spirale. Chaque point qu’on prélève dans cette spirale contient la structure spectrale qui correspond à sa position dans l’espace-substrat. C’est ainsi que, en voulant explorer ce substrat, on parle aujourd’hui d’espace de timbres -de la même manière que la topologie

Les moyens électroacoustiques, ayant engendré la nouveauté radicale d’une musique dans laquelle les morphologies se trouvent émancipées des ré-férences causales instrumentales, ont fait émerger une conscience et une pratique de l’espace réel. Ou plutôt de deux espaces, auparavant inaccessibles au travail compositionnel: un espace interne -virtuel dans un certain sens, mais néanmoins ancré dans la réalité physique (qui est celle des sons à l’intérieur de l’œuvre), et un espace externe, correspondant au déploiement de l’espace interne de l’œuvre dans l’espace réel d’une salle de concert. (1)

1. L’espace interne de l’œuvre est devenu composable à partir du moment où l’on a eu accès à des moy-ens de codage du son sur des supports physiques, d’abord analogiques puis numériques. Cela a permis de réaliser des opérations sur les matières sonores elles-mêmes, et non pas uniquement sur leurs sym-boles. On peut ainsi, grâce à ces moyens, déterminer l’énergie spectrale d’un son indépendamment d’une force d’attaque, d’une distance physique et en général de toute référence à une causalité directe. Cette par-ticularité spécifique aux moyens électroacoustiques de s’éloigner des causalités d’origine des sons enlève au terme «timbre» une partie de sa signification tra-ditionnelle, celle qui le relie à sa source d’émission. Néanmoins, il me semble que le concept de timbre contient un élément qui a été mis en valeur par les moyens électroacoustiques, dans la mesure où ils permettent de définir une catégorie de relations propres au domaine des fréquences spectrales, le «timbre des masses» ou encore «timbre harmonique» du vocabulaire shaefferien. Un tel type de relations joue un rôle bien spécifique dans la composition des morphologies.Les moyens électroacoustiques ont donc placé les relations de fréquence dans un contexte élargi, permettant une prise en charge des dimensions micro-spectrales qui étaient hors de portée dans les limites de l’ancienne combinatoire de surface propre aux moyens instrumentaux mécaniques. Tout se passe alors comme si la notion de timbre, loin de se dissoudre avec la perte de la référence causale (Chion 1986) s’était au contraire précisée dans ses aspects physiques. Ceci reste pertinent non seule-ment dans le domaine de la synthèse sonore, mais

Page 120: akusmatisk_L'espace du son 2

120 L'Espace du son II

parle d’espace de contrôle et la physique actuelle d’espace de phases.

3.Le questionnement de Schönberg sur les aspects structurels du timbre-substrat s’inscrivait dans une situation de renversement de la primauté on-tologique accordée traditionnellement aux hauteurs tonales. Ce n’est pas par hasard s’il se trouve évoqué à la fin de son Traité d’Harmonie, donc à la fin de l’ère tonale, au moment où il scrutait les voies d’issue possibles. Le passage de l’harmonie au timbre pouvait être réalisé à condition de trouver le moyen convenant à la descente d’échelle que cela impliquait, puis de développer une micro-composition, pour ensuite la relier à la surface d’un discours musical sous-tendu par une vision articulée de l’ensemble des relations mises en jeu. Mais Schönberg, pas plus que Debussy ou Stravinsky, n’avait les moyens techniques et con-ceptuels pour poursuivre cette voie et la consolider. Après Farben et Erwartung, elle apparaît bloquée. La série, avec sa combinatoire de surface, se situe au contraire dans le sillage du thématisme tonal, et comme telle constitue une voie de secours qui traduit un constat d’échec face à l’intuition première. Varèse, cependant, y a beaucoup songé, avec clairvoyance, mais également trop tôt. Ce n’est que plus tard, avec l’appropriation compositionnelle des moyens électroacoustiques - à travers les avatars successifs de la technologie de notre siècle - qu’on a pu faire face à cette possibilité toute théorique d’ampliation conceptuelle et perceptuelle, en lui donnant une existence concrète.

Il est aisé aujourd’hui de reconnaître l’influence décisive de l’électroacoustique sur l’évolution de l’écriture instrumentale. Mais l’interprétation de ce fait semble être faiblement conceptualisée: si une telle influence a bien pu avoir lieu, ce n’est pas précisément dû à une imitation, par l’écriture instrumentale, de certains effets issus des tech-niques de studio (comme les boucles de réinjection, par exemple) mais parce que la problématique posée par l’expérience électroacoustique, au fil de son cheminement de l’analogique au numérique, a ouvert la voie vers une conception plus «profonde» (au sens physique du terme) du matériau sonore, en élargissant l’étendue des échelles de grandeur entre le local et le global. La finesse de perception (et de structuration) musicale aurait ainsi gagné des dimensions où elle pourrait s’épanouir davantage.

4. L’un des concepts fondateurs de l’approche acousma-tique (ayant trait à une composition de morphologies émancipée des références causales instrumentales) est celui d’objet sonore. L’objet sonore repose en quelque sorte sur l’espace du timbre-substrat, de par sa structure spectrale, mais il implique une relativisation du contenu fréquentiel par rapport à la pluralité (interactive) de dimensions qu’il articule

et à la complexité du contexte qu’il instaure. Dans ce sens, l’objet sonore se définit comme un multiple, une entité non-atomique, comportant une pluralité d’événements formant une unité perceptuelle mais néanmoins articulée. Au contraire de la note (qui est un symbole atomique pré-compositionnel), l’objet sonore est déjà le produit d’un acte de composition. Il se distingue cependant des figures, groupes ou autres agrégats de notes par le type d’opérations compositionnelles subséquentes qu’il véhicule. Il constitue ainsi une catégorie en-soi, formelle et per-ceptuelle, déjà assez structurée pour se poser à son tour en tant que principe structurant, généralisable à toutes les échelles de grandeur. Il relie la structure interne d’un spectre à la manifestation dynamique d’une morphologie.L’objet sonore n’est donc pas une espèce de boîte noire -un objet «trouvé». Les corrélations d’éléments de sa structure apparaissent comme une unité per-ceptuelle façonnée par un travail de composition. La nouveauté de ce travail réside dans le fait qu’il prend appui sur des données de l’espace sonore réel. Un exemple simple : soit un son échantillonné et ensuite transposé au delà de ses «limites spectrales» (c’est-à-dire, au delà de son substrat, de l’espace de corrélation de ses dimensions, correspondant à la structure de son spectre). Dans ce cas, il est clair qu’on ne peut pas se contenter de réaliser une transposition linéaire mais qu’il faudra créer une méthode de mise en place de nouvelles corrélations pertinentes, adaptées à la complexité de la situa-tion. Naturellement, la composition des méthodes de transformation pertinente des objets sonores doit tenir compte d’une pluralité de facteurs. Ceux relevant du contenu fréquentiel font partie d’un champ d’interactions dans lequel ils sont corrélés avec des facteurs morphologiques tels que l’évolution des courbes d’amplitude, de densité, de position (le proche, le lointain), qui contribuent à l’articulation de l’espace interne de l’œuvre. On pourrait dire que dans chaque cas de corrélation, ainsi que dans l’ensemble des corrélations prises en compte, se joue une pertinence compositionnelle. On pourrait rap-peler, par exemple, ce qui se passe quand on utilise des traitements globaux (réverbération, etc.) en les imposant de l’extérieur, et non pas en les intégrant en tant que méthodes propres aux objets composés -ce qui équivaut à nier la singularité des objets et par conséquent à rendre floue la définition de l’espace interne de l’œuvre.

5.L’espace externe, quant à lui, n’est pas directement homologable à l’espace interne de l’œuvre. Il existe bien une disjonction de nature entre les particula-rités acoustiques -voire l’aléatoire des résonances- de l’espace d’une salle et les caractéristiques fines (les degrés divers de jeu entre le proche et le lointain, entre le brillant et l’opaque, etc.) contenues dans l’espace interne -composé- de l’œuvre. Face à cette disjonction, il est nécessaire d’assurer la coïncidence des deux espaces par un acte supplémen-

Page 121: akusmatisk_L'espace du son 2

121L'Espace du son II

taire de mise en forme de l’œuvre dans l’espace réel : c’est la fonction de la diffusion électroacoustique, dont l’un des exemples paradigmatiques est la pratique de l’Acousmonium, inaugurée par François Bayle dans les années 70 (Bayle 1977, 1986). Il serait donc vain de chercher la raison d’être de cet instrument de diffusion dans le fait de l’absence d’un côté visuel qu’il faudrait pallier à tout prix par la multiplica-tion spectaculaire des haut-parleurs. Il s’agit bien d’une nécessité structurelle de disposer d’un moyen de re-créer l’espace interne de l’œuvre.

Mais, si parler de déploiement, de diffusion, est par-ler d’une conjonction d’espaces, il est aussi permis de voir le versant temporel impliqué dans cette ac-tion. Etre aux commandes de l’Acousmonium nous donne encore quelque chose de plus que la possibilité d’agrandir une image sonore: c’est également celle de re-créer son mouvement virtuel. C’est ainsi que le son se met à vivre, que les plans -les multiples degrés d’énergie contenus dans les morphologies composées- se manifestent à la perception. La «lisibilité» des morphologies découle de leur mise en mouvement, et donc d’un certain déséquilibre, c’est-à-dire d’une cinématique de la projection sonore. Il ne s’agit donc pas de maintenir une image stéréophonique stéréotypée, mais de la briser en permanence, pour mieux restituer la pluralité concrète contenue dans l’espace interne de l’œuvre.

La problématique, autant perceptuelle que con-ceptuelle, de l’acte de projection sonore contrôlée qui constitue le concert acousmatique, est celle d’un frayage entre dimensions disjointes du réel; il s’agit alors de conjuguer des espaces-temps, par un acte supplémentaire de com-position, afin de faire émerger des morphologies en mouvement, et par là d’en éclairer leur sens.

Note(1): à propos de cette distinction, Cf. CHION M.,«Les deux espaces de la musique concrète» L'Espace du son, n°1, 1988, pp.31-33. (NDLR)

RéférencesBayle, F. , «Support-Espace», Cahiers Recherche-Musique n° 5, Paris, INA-GRM, 1977.Bayle, F. , «A propos de l’Acousmonium», in Revue Musi-cale, Paris, Richard-Masse, 1986.Chion, M. , «La dissolution de la notion de timbre», Analyse Musicale n° 3, Paris, SFAM, 1987.Chion, M., «Les deux espaces de la musique concrète», l’Espace du Son n° 1, 1988. Teruggi, D., « SYTER: manuel d’utilisation». Document interne INA-GRM, 1990.Risset, J.-C., «A Preliminary Catalogue of Computer-Syn-thesized Sounds». New Jersey, Bell Labs, 1969.Risset, J.-C., «Hauteur et timbre des sons», Revue d’Acoustique n° 42, Paris, 1977.

Mais quand le timbre et l’espace supplantent la hauteur, la dissolution des formes devient la condition de l’émergence d’un nouvel ordre figuratif qui confère à l’apparence sensible de nouvelles propriétés métaphoriques.

DUFOUR Hughes, «Timbre et espace», Le timbre, métaphore pour la composition, IRCAM et Christian Bourgeois, 1991, p. 279.

On peut proposer des modèles géométriques d’espace subjectif de timbres représentant les sons individuels comme des points de l’espace : les sons jugés très dissemblables y sont éloignés, et les sons jugés similaires, proches.

RISSET J.C. et WESSEL D.,«Timbre et espace»,Exploration du timbre par analyse et synthèse , IRCAM et Christian Bourgeois, 1991.

Page 122: akusmatisk_L'espace du son 2

122 L'Espace du son II

Page 123: akusmatisk_L'espace du son 2

123L'Espace du son II

SPATIAL EXPERIENCE IN ELECTRO-ACOUSTIC MUSIC

Denis SMALLEY

The recording medium, which permits the compos-ing of music freed from the constraints of real-time sound-making by performers, has for the first time truly opened up the exploration of musical space . Electro-acoustic composers working in the invisible domain of a music which can exist only in a recorded format can now create unique affective, spatial experiences. Human experience of space - how we feel in it and how we feel about it - has therefore become a new dimension of musical experience. The aim of this article is to provide guidelines for conside-ring the conditions which determine the listener’s interpretation of musical space, to identify its basic affective content, and to provide some descriptive terminology so that we are better placed to discuss spatial properties. I am only concerned with music that exists in recorded format .

Spatial imaging is commonly thought of by the composer in a relatively objective way as a means of enhancing the sounding properties inherent in spectro-morphologies (1) and structural relations. Simply stated, a musical gesture can be more viv-idly dramatised through spatial displacement, just as a texture can be made more «environmental» through spatial distribution. Such spatial imaging, considered by the composer and composed into the music, I shall call composed space .

In music-listening the composed space is transferred to and experienced in a listening space which may be either private and personal, or shared with oth-ers in public. While the composed space is imbed-ded in the determined, musical content of a work, the listening space, which can vary from listening to listening, usually lies outside the composer’s control. The (indoors) listening space encloses and may either confine or expand the composed space. This ultimate space where the listener perceives is therefore a superimposed space, a nesting of the composed spaces within a listening space.

The superimposition process causes acoustical changes which have consequences for the percep-tion of musical content and structure, particularly in public spaces. The public space, where listeners are distanced from loudspeakers, undermines the sonic articulation and clarity considered so impor-tant and dealt with so carefully by the composer in

the studio-space where the work was created. This is the negative consequence of the act of transfer-ence. But a multi-speaker system in public space also offers positive aspects : the potential for draw-ing attention to sound in space rather than sound projected by loudspeaker cabinets, the possibility of expanding spatial dimensions and perspectives, for varying spatial orientation (surround-sound, lateral sound, sound overhead or to the rear), for adding to the drama of gesture and the environmental feel of texture, and for exploiting loudspeaker colorations, all of which may affect fundamentally the listening experience. A whole art - sound diffusion - has arisen to deal with this act of transference. This experience of listening space I refer to as a diffused space.

To highlight the relationship between composed and listening space I have invented the notions of spatial consonance and spatial dissonance. Com-posed sound-spaces may be either «consonant» or «dissonant» with the listening space, changing the nature of the listening experience to an extent often not contemplated by the composer. For example, there is a very significant difference in presenting intimate, composed-space content within large listening spaces (dissonant spatial relationship) compared with small listening spaces (consonant spatial relationship), or in transporting a vast open space into a small space (dissonant) compared with a large auditorium (relatively consonant). Spatial consonance and dissonance are neither good nor bad by definition : they may often just be considered as different. In the preceding examples the spatial dis-sonance resulting in lost intimacy would probably be considered negatively and obstruct the listener’s apprehension of musical content; the dissonance between the vast composed, open space and the small listening space, however, could quite likely be a positive addition to the listener’s experience.

In order to be aware of the nature of superimposed space and how it affects listening experience one has to have accumulated enough experiences of lis-tening to electro-acoustic works in different spatial contexts : it can only be an experiential knowledge gained through comparative listenings. To gain a closer insight one needs to have been able to listen to the same work under different spatial conditions. The most intimate knowledge is acquired by (usu-ally) composers who have significant experience of

Page 124: akusmatisk_L'espace du son 2

124 L'Espace du son II

dealing with diffused space performances and can therefore compare composed and listening spaces. Surprisingly there are many composers who remain ignorant of superimposed space and the potential of diffused space, both because they lack sufficient direct comparative experience, but more seriously because they possess a fixed «image» of their music as conceived and perceived within the composed space of recorded formats.

For most listeners the superimposed space is insepa-rable from their experience of the music. In public spaces the responsibility for creating this experience is devolved from the creator of the composed space to the creator-interpreter of the diffused space. Regrettably there is much electro-acoustic music which does not adapt well to the diffused space, and even more regrettably there are still too many public listenings where the need for a diffused space has not been taken into account. Very poor listening experiences are created when no attempt has been made to adapt the spatial scale and types inherent in the composed space, to the expanded scale and changed spatial focus of the listening space. When the listener cannot diagnose what the trouble is, the work in question and the electroacoustic medium itself take the blame.

The personal space which forms the setting for home listening is more closely able to duplicate the condi-tions in which the composer created the composed space as long as loudspeaker quality is good enough. A listening volume suitable for the perception of detailed spectral (and therefore spatial) informa-tion is retained, and a suitable horizontal width of image is created by loudspeaker placement. But the personal space is a casual, fragile space, and there are no guarantees that the listener will chose listening circumstances which favour an enhanced reception of spatial experience. For example, some spectro-morphologies, in spite of their invisibility, can be apprehended as physical objects living and moving in personal space. Their perception is best enhanced by encountering and localising them within the visual field. Turning one’s back and closing one’s eyes would reduce this affective experience.

There are two further types of personal space which should be noted headphone listening, and the car stereo. Headphone listening is a retreat into an ultimate personal space : roomspace gives way to headspace. In headspace listening, transcendence of room enclosure is more feasible than in roomspace listening. In other words, music perceived in head-space can more easily break down wall-confinement so that the listener is more susceptible to being transported beyond the immediate physical space. This encouragement to withdraw into imagined sonic environments occurs with composed spaces of large dimensions where distance perspectives are

involved. However, headspace can be more confining than roomspace in the case of sounds whose composed space is very present. Sounds which are physically some distance (however small) from the composer during the creating of composed space, or from the listener in roomspace. now become closer, and often seem to occur overhead or pass through the head. Perspective in stereo imaging is based on linear perspective vision. When such composed spaces are transferred to headspace without any adaptation, the listener’s affective relationship with space changes because linear perspective is disturbed. Thus, like diffused space, headspace reveals both advantages and disadvantages.Headspace listening can encourage concentration when the listener is immobile in a room. However, when the listener is mobile, a more distracted listen-ing is encouraged since some attention must be paid to events in the surrounding environment. Whether the music or the surrounding environment is the distractor depends on concurrent activity outside the music. As a creator of careful, composed spaces I should like to think that my music has not been transferred to the less attentive manifestations of mobile headspace, or in the case of the preoccupied car driver, to mobile roomspace. Such is the nature of the music that hopefully it is considered too dis-tracting for ambulant listeners and too dangerous for drivers. On the other hand the idea of the car as a sonic listening dome should not be dismissed. During the voyage between places of work, meeting or rest, if there is not too much external distraction there can be a curious feeling of temporary separation from the world which creates suitable circumstances for musical experience. As a personal listening space the car has considerable potential.

The discussion has so far concentrated on highlight-ing the influence of the listening space and condi-tions on the listener’s apprehension and reception of spatial qualities. But what are these qualities ? Of primary significance is how the dimensions of musical space relate to human experience of space-scale : the opposition between intimacy and immensity (2). Of related significance is the space-type : whether the space is open as it can be in the environment, or en-closed, as in a room. (Enclosure is not only an indoors experience.) The continuum between intimacy and immensity is the most important affective property of sounding space, and is fundamental to human experience. We are constantly aware of a personal space either in daily life or in personal relations. Our attitude to sounds which emerge into, intrude on, break into, close in on, or comfortably inhabit our space can create divergent emotional experiences : confrontation, threat, solace, and so on. If, on the other hand, the listener feels drawn outwards into an environment beyond the immediate listening space so that the boundaries of personal space no longer operate, then a further set of affective responses is activated: for example, distance and spaciousness can invoke feelings of insignificance faced with vast-

Page 125: akusmatisk_L'espace du son 2

125L'Espace du son II

ness, loneliness, peace-of-mind, calm etc. Thus, in the intimacy-immensity continuum, the listener can respond physionomically to the relationship between musical content and space. That is, the listener associates the perceived space with cultural and personal states of mind which have been or could be experienced in such spatial conditions. I should add that musical spaces need not be simulations of real spaces and that the identity of spatial dimension and type can often be elusive : imagination, fantasy, illusion and ambiguity are important ingredients of musical experience. The special uniqueness of these spatial experiences whether quasi-real or imagined is that they are created invisibly in sound and time i.e. spectro-morphologically : they are specially de-signed life-experiences which compress the plurali-ties of spatial experience into a specific, sounding time-frame. The intimacy-immensity continuum is in close alliance with temporal experience : the continuum between the proximity and physicality of the present moment of a personal «now», and the vast, perhaps other-worldly, stretching out of an «eternity» beyond the person.

Musical space is not empty and cannot be separated from its sounding content. The elastic continuum of composed and superimposed space is expressed through its sound materials and sound-behaviours. Therefore a full understanding of the nature of musi-cal space requires a discussion of musical language. This means that a comprehensive discussion of the musical space is an enormous task which cannot be fulfilled in a single article. The following formative influences of content on spatial interpretation would need discussing : whether sounds are realistic or not, whether we detect human content either through sounding gesture or utterance, the energy and motion of sounds, how sounds «behave» among themselves (conflict, coexistence, cause and effect. etc), whether we regard sounds as things or objects, whether we are reminded of visual or environmental phenomena - in other words all the interpretative mechanisms involved in how we relate spectro-morphologies and musical contexts to our experience outside music. It remains to draw attention to a number of concepts relating to content which can assist us in describ-ing spatial experience: pitch-space, temporal space, spatial texture and spatio-morphology.

The impressions of space created through pitch - pitch-space - are intrinsic to music : for example, how the pitch-space boundaries of vocal and instrumental practice are explored (depth, brightness, the high note, etc) has always been part of music’s psychology. The height/depth occupancy and spread of pitch-space affects the impression of dimension.The relationship between space and the psycho-logical experience of time - temporal space - is also intrinsic to music. Temporal space is an impression of space, invariably large and beyond personal space, created through relative stability and continuity

in time. This occurs where evolution and forward motion are slow or seem static, and the listener’s attention is not focussed on lower level activity. In other words, continuing existence can approach a quasi-permanence analogous to the contemplation of the visual permanence of a landscape.

Spatial texture concerns the articulation of topologi-cal content, and is inseparable from spectro-morphol-ogy : the spectral makeup and shaping of sounds in themselves may suggest spatial experience. We can approach a definition of the properties of spatial texture by posing a series of questions. Firstly, what are the dimensions of the space, and is it bounded ? Do individual sounds exhibit dimensions as if they were objects ? Do the textural components suggest groupings into dimensional hierarchies ? (We can not always attribute concrete dimensions to sounds and textural components). Secondly, what are the properties of spatial continuity and spatial contiguity. Are sounds connected through space in an unbroken linear fashion or is the space’s topology revealed through erratic shifts? What is the density of spatial distribution ? What is the distribution behaviour? How clearly can sounds be localised and how does this localisation style affect spatial definition? How does it suggest particular types of space ?

An invisible music does not have to confine itself to a single space-type. Thus, unlike reality, spaces can themselves be transformed. The rate of change can vary between degrees of gradual transformation graduated shifts - and juxtaposition or interruption - interpolatory shifts. The term spatio-morphology refers to such changes in composed space in the course of a work. We can now conceive of spatio-morphological development as a new type of sounding «material». If the contextual circumstances are propitious, rather than perceiving changes in spectro-morphologies resulting from changes in spatial texture and setting, we call invert this spatial-to-spectral perceptual re-lationship, instead using spectro-morphological cues to identify spatio-morphological development. I can clarify this difficult concept with a simple hypothetical example. If I announce an object in a very present perspective with no added room acoustic, and then repeat what is perceived to be the same object but this time set at a reverberant distance, then the focus of perception is the spatio-morphological change : spectro-morphological change is the means by which spatial change is perceived. Thus spectro-morphologi-cal change can be harnessed to invest spatio-morphol-ogy with significance. However, it is more usual for spectro-spatio relationships to merge perceptually since the listener feels no need to discriminate clearly between them, and indeed often cannot so inextricably is space interwoven with its content.

Frequently the composed spaces in a musical work may be by-products of the compositional process.

Page 126: akusmatisk_L'espace du son 2

126 L'Espace du son II

For example, when resonant sources are trans-formed merely through transposition and mixing, the resonant space originally recognised to be at the interior of the sound’s spectro-morphology rap-idly becomes perceived as an exterior space. Many signal processing methods produce spatial changes as by-products of the process. It is then up to the composer to recognise and exploit their potential. Space is therefore often composed through discovery and empirical exploration rather than as the result of a conscious strategy planned from the outset.

It is clear that the combination of human spatial experience and the circumstances of the superim-posed space endow musical spatial experience with indeterminate qualities. Moreover, since spatial experience depends on all aspects of content and context, it is the product of a collaboration of factors

which cannot be conveniently packaged or easily discussed as an independent «parameter.» Musical spatial experience can therefore not be system-atically controlled by the composer. Ultimately the composer cannot work «abstractly,» theoretically and technically with space, but must approach spatial awareness experientially.

Notes

(l) I invented the term «spectro-morphology» to represent the dy-namic shaping of the pitch-spectrum of a sound or sound-structure over time. See D.Smalley, «Spectro-morphology and Structuring Processes», The Language of Electro-acoustic Music, S.Emmerson ed.Macmillan 1986.(2) The idea of «intimate immensity» is developed in G.Bachelard, The Poetics of Space, tr. Maria Jolas, Orion Press. NY L~4. (Original text. Presses Universitaires de France, 1958).

Page 127: akusmatisk_L'espace du son 2

127L'Espace du son II

ESPACE ET STRUCTURE propositions pour

une écriture de l’espace

Annette VANDE GORNE

Cet espace-mouvement, s’il n’est pas gratuit, aurait donc surtout une fonction ornementale ou méta-phorique à l’appui expressif des sons eux-mêmes auxquels il offre un support spatial. Au XIXème siècle, le timbre et la ligne mélodique entretenaient le même rapport...

Espace internePour reprendre le distinguo si probant de Michel Chion(2), quel espace interne utiliser qui con-viendrait le mieux à des mouvements réels un tant soit peu complexes? Tout système permettant une écriture mémorisée de ces mouvements, à partir de plusieurs sources, qu’il s’agisse d’un support matériel (une bande multipiste) ou logiciel (écriture en temps différé d’un traitement spatial en direct d’une source multiple). Dans le premier cas, un nombre relativement élevé de pistes/sources (minimum16), couplées en studio au même nombre de haut-parleurs et à une assis-tance informatisée du mixage, permettra l’écriture contrôlée d’ une polyphonie de mouvements (3) et, en tout cas, une division de l’espace en un nombre suffisant de points pour sa perception fine (4). Les sons pourraient être plutôt monophoniques et sans traitement artificiel, de façon à ne pas gêner la lisibilité des mouvements mêmes.Dans le second(logiciel), si le point de départ est semblable au précédent (encore qu’il faille faire la différence entre un logiciel de mémorisation d’opérations - temps réel - et un logiciel d’écriture - temps différé - plus précise), la lecture des mouve-ments mémorisés se fera en direct lors de la spa-tialisation en concert, par le même outil numérique, permettant ainsi une éventuelle dissociation de l’écriture de l’espace d’avec celle des sources sonores et par conséquent, une «pensée de l’espace» abstraite, indépendante, peut alors se structurer (5).

Espace externePuisque tous les mouvements sont prévus à la conception, pourquoi en effet (6) s’encombrer d’un système de diffusion lourd quand, dans le cas du multipiste, le principe simple et linéaire: une piste, une voie, un canal, un haut-parleur suffit pour une diffusion automatisée où le rôle de l’interprète est limité au placement des haut-parleurs en fonction de la géographie acoustique du lieu.Néanmoins rien, à mon sens, ne remplace l’immense plaisir de sentir sous ses doigts, en relation avec un public, des configurations d’espaces multiples, com-plexes et changeantes, plaisir chaque fois renouvelé où, libérée du souci d’équilibrer les niveaux entre les voies, je suis à l’écoute de l’espace.

Si l’on considère l’espace comme paramètre d’écriture sonore, trois cas sont, entre autres, envi-sageables (1):

1. L’ESPACE-MOUVEMENT: RÉEL

2. L’ESPACE-GÉOMETRIE: DESSINÉ

3. L’ESPACE-ILLUSION: VIRTUEL

1. ESPACE-MOUVEMENT

Le vingtième siècle, celui de la vitesse, perçoit l’espace non comme un état fixe, une surface englobante avec laquelle on établit un rapport anthropocentrique (espace-paysage) mais plutôt comme un déplacement, un mouvement, lié au temps, à la vitesse de la lumière.

«L’honnête homme» d’aujourd’hui ressent, après Einstein, toute la relativité de l’objet mobile (plus de plan stable, horizontal ou vertical; penser à l’espace flottant vécu par les astronautes !). Concevoir le son comme une entité mouvante dans l’espace à partir de points-sources vivants ou haut-parlants semble par conséquent, en première étape, tout à fait en accord avec notre époque.

Si l’on considère l’expression musicale d’un point de vue énergétique, les trajets peuvent alors renforcer l’énergie interne du son. Combien d’oeuvres l’histoire ne nous donne-t-elle pas à entendre pour leur carac-tère agogique même comme facteur d’expression (je pense à Monteverdi et son stile concitato, au figur-alisme, particulièrement dans l’œuvre de J.S. Bach, à Berlioz, à la majorité des poèmes symphoniques) puis de structuration(Stravinski et son sacre, pacific 232, Scelsi...) !Si tant est que l’on me pardonne un exemple banal, une circumduction autour du public ou d’un pivot quel-conque soulignera aux oreilles de tous le mouvement rotatif d’une toupie (im.son), d’un tourbillon (di.son)), d’une répétiton (écriture). Ou bien encore, les ciconvo-lutions buissonnières d’un «souffle serpentin» dans un lieu donné préciseront son caractère capricieux.Une dispersion entre de multiples points-sources différents renforcera l’impression pointilliste d’une séquence accumulative, corpusculaire. Enfin, l’application à un son de caractère neutre et ab-strait d’un mouvement spatial en balancement lui donnera une signification particulière, celle d’une berceuse par exemple. Il faut peut-être rappeler ici combien temps et espace sont liés: une rotation lente ou rapide ne génère pas la même signification, et si elle passe progressivement à un tempo plus rapide, elle change de forme et devient spirale.

Page 128: akusmatisk_L'espace du son 2

128 L'Espace du son II

Dans ce cas, le système de diffusion, dont la console, est spécialement dédié à un usage multisource en entrée, chacune d'elles étant multipliée vers des canaux au choix en sortie (7). D'autre part on peut aussi prévoir des dispositifs mobiles pour haut-par-leurs (déplacement dans les rues par des grues : S.de Laubier, rotation sur plateau tournant:création de toupie dans le ciel de F.Bayle,GRM 1979).

Constatons le paradoxe: la «mise en mouvement» des sons recquiert souvent un investissement important, tant pour la réalisation qu'en moyens techniques, au profit d'une pensée musicale encore trop neuve pour n'être pas incohérente (bouger pour bouger) ou ornementale.

2. ESPACE-GEOMETRIE

Là où tout n'est qu'ordre et beauté...La sensibilité occidentale a, on le sait, souvent oscillé au cours de son histoire entre les pôles dyonisiaques et apolliniens. Aux périodes d'explorations utopiques, d'explosions créatrices ou au contraire, de replis sur soi, d'incertitudes et de retour au passé, succède le désir d'adaptation, d'ordre et de synthèse.

Si l'on considère l'espace d'un point de vue structurel, on peut l'imaginer comme le lieu d'intersection de lignes et de plans différents, comme surface ou volume entrecoupé de lignes bissectrices, obliques, vertica-les transversales etc. A partir de sources multiples (multipiste si l'oeuvre est acousmatique), penser le sonore en terme de composition de l'espace mono, bi, quadri, triple stéréo, double quadri, octophonique...avec tous les jeux de combinaisons possibles, appliqués à une seule chaîne acoustique ou à plusieurs d'entre elles, simultanément ou par séquences, en plans rap-prochés ou éloignés, c'est donner à l'espace le statut de paramètre du son équivalent aux quatre autres . Le mouvement fait partie de la forme lorsqu'il devient figure, répétition, transition, rupture, déclenchement etc.Ici l'espace-géométrie n'est donc pas un support, c'est un objet musical réel et abstrait qui conduit l'écoute et structure la perception par son évolution dans le temps.

Espace interne et externeL'espace organisé, contrôlé, nécessite de prévoir un schéma de principe du dispositif de diffusion en fonction duquel on choisira les configurations spatiales à inscrire sur le support comme, par exemple, dans le cadre des sonorisations de lieux spécifiques ou d'installations (8). Pour le reste,les systèmes sont similaires à ce qui en a été discuté au chapitre précédent, à ceci près qu'une trop grande complexité (en nombre de pistes, de varia-tions possibles à la diffusion) nuirait sans doute à la transparence de l'architecture. A l'inverse, des logiciels de «traitement de l'espace» en temps réel devront être au moins quadriphoniques.L'agencement à priori, l'écriture de l'espace pour lui même à partir de points-sources multipho-niques génère une pensée musicale stabilisatrice qui lie l'espace à la forme, donc une fois encore, au temps.

3. ESPACE-ILLUSION

La réalité ? celle de ma perception...Déjà défendu par les sophistes, ce concept déve-loppé par la phénoménologie trouve beaucoup d'applications dans le monde de la communication actuelle et future. De la publicité à la T.V. et à la «guerre en direct», de l'image de synthèse au data-glove (avec rétroaction) et aux machines de vision, tout est fonction de la perception, la mienne ou celle déterminée par programmation (9).

Les techniques d'enregistrement stéréophonique - illusion du relief sonore par l'imitation de l'écoute binaurale - étant historiquement antérieures (plus de cinquante ans!) sont toujours aujourd'hui le format standardisé de la reproduction et le modèle de la simulation acoustique (réverbération).Nombreuses sont donc les œuvres (10) et les écrits théoriques (11) qui prouvent toute l'efficacité de la composition avec l'illusion de perception de l'espace (cadrages, profondeurs de champs, images, mouve-ments fictifs (12)) et de sa projection dans un espace acoustique en perspectives multiples par écrans de phases plutôt que par points-sources:Acousmonium (F. Bayle).Inutile donc de développer le sujet dans le cadre de cet article, d'autres l'ont fait depuis long-temps et les oeuvres parlent d'elles-mêmes.On peut alors constater combien, avec une très grande économie de moyens, les espaces virtuels conduisent et font résonner l'imaginaire...

CODA: TAO

J'ai tenté, dans une œuvre en cinq éléments (qua-tre en format stéréo, le dernier, Terre, en 8 pistes) d'explorer différents types d'espaces, allant de son absence (Métal) à sa fonction ornementale (Eau), dra-matique et narrative (Feu, Bois) jusqu'à l'utilisation synchronique ou diachronique des trois espèces d'espaces dans Terre, avec une préférence, dans ce dernier élément, pour l'espace - géométrie.

Notes(1) je m'aperçois de l'étrange corrélation possible avec les trois espèces de son (im-son iconique,di-son diagrammatique, mé-son métaphorique) citées par F.Bayle dans son article Mi-lieu .(2) cf Chion M., «les deux espaces de la musique concrète», L'Espace du Son I, Musiques et Recherches,1988.(3) cf les articles de P.Ascione et R.Normandeau dans ce nu-méro.(4) cf les articles de L.Küpper dans L'Espace du son I et II.(5) je pense, entre autres, au spatialisateur développé au Centre de Recherche de Wallonie, basé sur un nombre de modules vca d'entrée et de sortie laissé au choix de l'utilisateur et gérés par un programme (sur atari) en temps différé. Egalement au Syter (GRM), au Kinéphone(Küpper), à la matrix 32 (IRCAM).(6) cf P.Ascione op.cit.(7) cf l'article de D.Habault sur le Sysdif, dans ce numéro.(8) cf les articles de J.M.Duchenne, J.Lejeune, C. Le Prado.(9) Virilio P., les machines de vision.(10) surtout de filiation «GRM» en France et ailleurs.(11) particulièrement ceux de F. Bayle sur l'image sonore (i-son), de M.Chion, de F.Dhomont.(12) «cinéma pour l'oreille», selon F.Dhomont.

Page 129: akusmatisk_L'espace du son 2

129L'Espace du son II

Une expérience comparative conduite en Angleterre en 1972 (1) sur des populations sourdes et entendan-tes, abordait le rôle de l’audition dans l’organisation temporelle des événements. Cette expérience con-sistait à présenter successivement à des sujets une série de stimuli dans un ordre quelconque, tout en les déposant aléatoirement devant eux. Par exemple, un premier objet placé au centre, un deuxième placé à gauche et un troisième placé à droite. Lorsqu’on demandait à chaque sujet de reproduire ce qu’il venait de voir, les personnes entendantes respec-taient l’ordre temporel de la séquence qui venait de se dérouler (centre, gauche, droite), tandis que les personnes sourdes recouraient plutôt à l’ordre spatial, c’est-à-dire la même disposition des objets placés devant eux (gauche, centre, droite). Les personnes sourdes semblaient donc privées d’une certaine aptitude à ordonner les événements dans le temps, à reproduire l’ordre temporel d’une suite d’événements ou d’une séquence de stimuli, ce qui amenait à conclure que le fait d’entendre pourrait conditionner directement toute notre expérience du temps.

On disserte depuis longtemps sur les liens de la musique à la notion de temps. Parler de la musique comme d’un «art du temps» appartient désormais au domaine des lieux communs. Et il est vrai que les compositeurs, sciemment ou non, traduisent d’abord et avant tout dans leurs musiques des pré-occupations d’ordre temporel, en soumettant aux auditeurs une construction formelle appréhendée essentiellement à travers un déroulement dans le temps. C’est pourquoi on reconnaît aux musiques une propension remarquable à véhiculer des im-ages du temps et des propositions d’organisations temporelles. Cela bien sûr de manière idéalisée et symbolique, mais également sur un plan cognitif. Une «image du temps» est la représentation sym-bolique d’un déroulement temporel qui s’intègre au dispositif perceptif et symbolique d’un individu et y acquiert un sens. Ce sens justifie l’activité en cours, la stimule, la nourrit. Il enrichit le comportement, provoque les conduites et favorise l’évolution des schèmes et leur adaptation à des situations nou-velles. L’interprétation de ces images temporelles par le système symbolique de chaque individu, et les impacts générés sur ce même système, constitue un des moteurs premiers de notre motivation à écouter de la musique et renvoit aux fonctions premières de la perception auditive.Si les compositeurs, autant ceux du passé que ceux

du présent, peuvent donc influencer notre concep-tion implicite du temps par leurs œuvres, si les différentes musiques que nous entendons peuvent contribuer à l’évolution de nos conceptions reliées à l’organisation des événements dans le temps et à leur compréhension, si les déroulements sonores que nous déchiffrons peuvent symboliquement affecter notre discernement de l’avant et de l’après, de ce qui vient et de ce qui suit, d’un début et d’une fin, des changements et des transitions, c’est d’abord par les liens intrinsèques du son avec sa percep-tion temporelle. On le voit, le fait de percevoir une musique pendant une activité qui dure présente des ramifications que l’on commence à peine à recon-naître et à expliquer.

On pourrait croire alors qu’en attribuant à la musique une dimension temps aussi capitale, il devienne paradoxal d’insister également sur la dimension espace et de s’y intéresser au même titre. Ce serait toutefois négliger les autres fonctions de l’audition et ses impacts au niveau simplement spatial sur une multitude de comportements que nous accomplissons machinalement ou instinctivement.

QUELQUES FONCTIONS DE L’AUDITION

Ainsi le rôle de l’audition sur notre sens de l’équilibre est bien connu. Tous ont éprouvé un jour ou l’autre les sensations de vertige et d’étourdissement, condition-nées en partie par notre ouïe. Différentes maladies de l’oreille affectent notre perception de l’espace, par la déstabilisation qu’elles provoquent.

La faculté de localiser la provenance d’un événe-ment sonore, dont la source est invisible, assure une fonction auditive primordiale pour chacun, même si son rôle s’est quelque peu relativisé dans nos environnements urbains. L’oreille n’en est pas moins extrêmement précise pour repérer la direction d’un son qui lui parvient. Les personnes aveugles développent leur audition à un point tel qu’elles peuvent souvent sans difficulté non seulement dé-tecter les obstacles sur leur chemin, mais encore la distance à laquelle ils se situent, leur dimension et même leur matériau. L’effet Doppler (différence de la hauteur du son avant et après le passage rapide d’une source sonore devant un auditeur, comme par exemple le bruit d’un train en marche) fait partie des phénomènes qui assistent le travail de l’oreille dans cette détection.

UN ESPACE MENTAL A FAVORISER

François GUERIN

Page 130: akusmatisk_L'espace du son 2

130 L'Espace du son II

Une autre vertu de l’audition repose sur la capacité de distinguer à travers des sources sonores qui nous parviennent de manière disparate dans un lieu quelconque. Cela permet par exemple de nous concentrer sur une conversation dans une récep-tion, de percevoir adéquatement (avec l’appui de «l’effet de clôture» grâce auquel nous parvenons à reconstituer un mot ou une phrase à partir de bribes) ce que l’interlocuteur nous communique et à différencier dans le flux des conversations ambi-antes celle qui nous concerne. Divers indices sonores guident l’oreille dans ce travail de reconnaissance : les différences de fondamentales (fréquence de base de l’objet sonore entendu), les types d’attaque, les contrastes sonores, les changements de fréquence (une bonne oreille peut distinguer environ mille quatre cents hauteurs différentes), les variations d’intensité, et la localisation spatiale ordinaire.

La distinction de la forme sur le fond permet à chacun d’entre nous de décider entre les stimuli qui sont importants et ceux qui ne le sont pas. Une incapacité de l’oreille à ce niveau peut engendrer de la distraction, des problèmes de concentration, des difficultés de communication. Enfin, on sait que les conséquences d’une déficience auditive sur le développement du langage sont très sérieuses et dans plusieurs cas irréversibles. L’oreille est le premier véhicule de communication par lequel le langage s’impose et s’acquiert.

Les implications sociales de ces facultés de l’oreille au niveau spatial ne sont pas moins nombreuses. De multiples signaux exploitent ces facultés et en-richissent différentes situations. On en distingue plusieurs types. Il y a les signaux avertisseurs qui ont pour but de mobiliser les personnes susceptibles d’être compromises dans une circonstance conflic-tuelle ou dangereuse. Ce sont par exemple, les dé-tecteurs de fumée, les signaux anti-vol, les signaux des passages à niveaux, les sirènes des véhicules utilitaires (camions, trains, bateaux, ambulances, voitures de police, de pompiers, etc.), ainsi que les divers signaux émis par les véhicules motorisés (klaxons, signaux de marche arrière, avertisseurs de ceinture de sécurité, etc.).

D’autres signaux profitent du déplacement du son dans l’espace pour provoquer un comportement ou une réaction à distance : appeaux, applaudissements, klaxons, cloches, signaux du téléphone ou de la porte d’entrée, etc.

Enfin, d’autres signaux servent explicitement de repères dans l’espace. Mentionnons les cloches pour le bétail, les cornes de brume, les sonars, les appareils détecteurs (métaux, gaz, radio-activité, etc.), les signaux des ascenseurs, etc. La canne que l’aveugle frappe devant lui l’aide à s’orienter dans l’espace; les signaux émis rencontrent des obstacles et transmettent des informations qui sont interpré-tées par l’aveugle pour s’orienter correctement. La capacité des personnes aveugles à traiter les données

sonores de leur environnement est quelque chose de simplement prodigieux.

LE PARAMETRE ESPACE EN MUSIQUE

Ces quelques exemples confirment que l’oreille a aussi son rôle à jouer sur le plan spatial. Les com-positeurs ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, et ils accordent de plus en plus d’importance à la dimension spatiale des paramètres sonores qu’ils manipulent. Peuvent-ils toutefois parvenir à se servir de la mu-sique, «art du temps», pour influencer durablement nos habitudes perceptives liées à l’espace, tout comme ils le font pour celles liées au temps ? Peuvent-ils proposer de nouvelles dimensions ou conceptions de l’espace de la même manière qu’ils élaborent de nouveaux schémas temporels L’espace acoustique n’est-il pas limité par rapport à ce que l’oreille est capable d’interpréter ? Enfin, la musique peut-elle nous communiquer des images de l’espace au même titre que des images du temps?

Il n’est bien sûr pas possible de répondre ici à toutes ces questions, mais recensons tout de même les dif-férents outils à la disposition des compositeurs pour organiser l’espace musical.

Il y a d’abord les changements de hauteur des sons, par exemple lors d’un parcours mélodique. Ces changements peuvent se produire dans tout le spectre sonore audible, de l’extrême-grave à l’extrême-aigu, et simulent ainsi les sensations de montée et de descente. Les sons aigus sont assimilés à ce qui est haut; les sons graves à ce qui est bas.

Il y a ensuite les changements au niveau de l’intensité sonore. Cette fois ce sont les sentiments de proximité (les sons forts) et d’éloignement (les sons faibles) qui sont concernés.

On note ensuite les différents changements au niveau du spectre sonore, changement de l’épaisseur du son ou encore de sa texture, de lisse à itérative en pas-sant par rugueuse. Parallèlement, lorsque plusieurs objets sonores sont combinés, différents niveaux de densité sont définis selon les types d’accroissement ou d’accumulation du nombre d’éléments ou à l’inverse de leur réduction ou de leur amenuisement.

Enfin, il y a bien entendu les mouvements spatiaux eux-mêmes. Ces mouvements concernent en premier lieu la situation des éléments dans le flux sonore. Ils peuvent ainsi se retrouver devant ou derrière, en avant-plan ou en arrière-plan. Ensuite, ces mêmes éléments peuvent se déplacer dans le flux sonore en se rapprochant ou en s’éloignant, ou encore s’imbriquer ou alterner.

Depuis l’apparition des moyens électroacoustiques cependant (et malgré quelques tentatives instru-mentales précoces), les déplacements du son dans un espace acoustique génèrent aussi des mouvements

Page 131: akusmatisk_L'espace du son 2

131L'Espace du son II

spatiaux. En disposant les sources sonores autour de l’auditeur, il est possible de réaliser des mouvements sonores dans les trois dimensions de l’espace réel, gauche-droite, haut-bas et avant- arrière. Différents sentiments kinesthésiques sont alors communiqués à l’auditeur, de la stagnation la plus complète au tourbillon le plus étourdissant.

Les moyens informatiques ont même permis l’émergence de mouvements spatiaux qu’on pourrait rapprocher des illusions optiques sur le plan visuel. Jean-Claude Risset les appelle des sons paradoxaux. Les sons qui donnent l’impression de monter tout en devenant plus graves ou ceux qui semblent aller plus vite tout en ralentissant sont maintenant des exemples notoires.

L’ESPACE MENTAL

Ces différents paramètres sonores liés à l’espace font l’objet d’expérimentations assidues de la part des compositeurs. Parmi les nombreux critères d’ex-ploration sonore qui se sont ajoutés aux paramètres traditionnels de la hauteur, du rythme, de l’intensité et du timbre, ceux de l’espace constituent à coup sûr les plus importants et les plus étudiés. On a pu entrevoir que la manipulation des paramètres sonores de l’espace engendre à l’audition des senti-ments analogues à ce qui se produit dans l’espace réel (montée, descente, rapprochement, éloignement, etc.) ou évoque certains attributs d’objets en trois dimensions (épaisseur, texture, etc.). Ces senti-ments sont mis en branle par le rapprochement des différents mouvements sonores repérés, avec leur équivalent physique.

La musique se déploie donc dans le temps, mais elle s’installe également dans un espace. Tout cela se met en place au moment de l’écoute par l’intermé-diaire de structures mentales et par des schèmes de reconnaissance. Ces structures et ces schèmes décortiquent l’information sonore et en organisent le déroulement au fur et à mesure. En raison des différences individuelles, conditionnées par une multitude de facteurs, ce travail d’interprétation perceptif peut emprunter plusieurs directions po-tentielles, toutes pouvant coexister à l’intérieur d’un même flux musical. Un de ces facteurs provient des mécanismes d’anticipation stimulés par le jeu de relations entre les éléments sonores. Ce jeu varie en fonction de l’importance attribuée lors de l’écoute à tel ou tel trait perceptif ou combinaison sonore. Les résultats produits peuvent donc parvenir de différents cheminements activés durant l’écoute. En d’autres mots, si la musique peut susciter différen-tes images de temps et d’espace chez un auditeur, cela s’effectue à travers un travail d’interprétation complexe qui ne sera pas forcément le même pour chacun. L’ensemble des relations qui s’établissent à l’écoute d’une musique prennent ainsi place à l’intérieur d’une sorte d’espace mental plaqué à un phénomène perceptif d’ordre avant tout temporel.

Un espace mental renvoie donc à tout un travail d’organisation perceptif qui structure les éléments sonores de diverses manières, proposant ainsi pour chacun d’entre nous des architectures propres. L’espace mental, c’est encore le territoire à l’intérieur duquel ces architectures prennent forme pour chaque auditeur, territoire délimité autant par les structures sonores du déroulement musical, que par les apti-tudes de l’auditeur à interpréter ces structures et à les organiser de manière signifiante. Enfin, l’espace mental réfute une communication trop directe, une tentative d’asservir l’audition dans un canevas trop strict, de la part du compositeur; sa musique n’acquiert corps et sens que dans cet espace mental qui appartient en propre à chaque auditeur.

Mais comment la musique parvient-elle à stimuler cet espace mental et quel est l’importance de son rôle?

Il existe un certain nombre de conditions susceptibles de générer des espaces mentaux diversifiés. Toutes les musiques ne stimulent pas au même titre un jeu de relations riches à l’intérieur d’un espace mental déterminé. Plus une œuvre sera «ouverte», plus cet espace mental potentiel sera grand. En parlant d’œuvre ouverte, nous voulons parler d’œuvres dont la construction dans le temps favorise une certaine «liberté» (plusieurs jeux de relations) de l’auditeur. Liberté dont il se sert à l’intérieur de l’espace mental établi au moment de la perception, pour y interpréter le parcours musical qu’il entend.

Suggérons quelques-unes des conditions qui au niveau musical semblent les mieux adaptées à ce processus.

- L’œuvre peut présenter plusieurs configurations sonores. Une configuration sonore est un ensemble d’objets sonores rassemblés au sein d’une entité perceptive, c’est-à-dire un tout perçu par l’oreille, possédant une certaine unité et distincte d’une autre entité. Le jeu d’ensemble des configurations sonores données à entendre, ainsi que le réseau de relations qu’elles tissent entre elles, suscitent des associations diversifiées. Autrement dit, l’organisation des con-figurations sonores durant leur déroulement dans le temps permet à l’oreille de déployer son écoute dans plusieurs directions formelles cohérentes à l’intérieur de la structure qui est décortiquée.

- La forme ne devrait pas se conclure (lorsqu’elle se conclut...) sur une fin trop préparée, laissant l’impression que le travail de l’audition est dé-finitivement achevé. Les éléments qui terminent la pièce peuvent au contraire suggérer différentes conclusions virtuelles que l’auditeur concrétisera à son gré, dans le silence qui suit la fin effective du déroulement sonore. De la sorte, la musique pour-suit encore quelque peu son chemin dans l’espace mental de l’auditeur.

- Il semble préférable d'éviter un déroulement trop

Page 132: akusmatisk_L'espace du son 2

132 L'Espace du son II

directif, qui canalise l’écoute dans une suite trop logique des enchaînements. L’oreille devient alors passive, n’ayant qu’à prendre acte d’un parcours pré-déterminé.

- La structure proposée peut être à la fois complexe et transparente à l’écoute. On évitera par exemple les grandes masses indistinctes et la prolifération pointilliste d’objets sonores, au profit d’un contre-point articulé des éléments mis ensemble. L’écoute peut alors circuler librement à travers la structure, se concentrer sur tel ou tel objet ou configuration sonore, dessiner des liens particuliers et créer son propre jeu de relations, puisque le tout s’entend clairement.

- Enfin, les schémas d’organisation stéréotypés (com-me l’est par exemple la forme ABA) forcent l’écoute dans des ornières délimitées, trop référencées pour stimuler un espace mental appréciable.

Ces quelques principes respectent les modalités perceptives de l’audition qui souhaite une certaine clarté de l’écoute, mais également une certaine richesse d’événements à assimiler. Ils permettent à l’espace mental de chaque auditeur d’assurer son rôle en tant qu’aire d’interprétation où s’exerce une certaine liberté face au processus sonore entendu. L’idée est de stimuler l’oreille dans des directions nouvelles à chaque écoute. L’idée est de favoriser ainsi un espace mental à partir des éléments de con-

struction soumis par le compositeur. L’idée est ainsi tout simplement d’impliquer davantage l’auditeur dans un travail de reconstruction d’un espace sym-bolique signifiant et évolutif, et de lui permettre une certaine attitude critique, une certaine marge de manoeuvre, en regard des propositions musicales des compositeurs. C’est alors que l’impact des musiques par rapport à notre perception et à nos conceptions implicites du temps et de l’espace atteste sa pleine importance et revêt sa pleine signification. Lorsque les études en sciences humaines, qui s’intéressent aux conséquences du temps et de l’espace sur chaque individu, auront cerné avec assurance toutes leurs implications, alors la perception des sons et des musiques sera pleinement reconnue comme un pro-cessus fondamental et non plus comme un simple et charmant divertissement culturel.

Septembre 1990

(1) O'CONNOR N. et HERMELIN B., «Seeing and Hearing and Space and Time», Perception and psychophysics, n°11, 1972, p.46-48.

Page 133: akusmatisk_L'espace du son 2

133L'Espace du son II

MI-LIEUFrançois BAYLE

«.. je suis seulement le primitif de ma propre voie» P. Cézanne

1.Il est impossible, à propos de l’espace dans lequel se meuvent les sons sans corps, ces entités pseudo-cau-sales que constituent les pictogrammes ou figures d’énergie sonore, de ne pas retracer les conditions d’existence d’un art de la pensée perceptive, l’art acousmatique par exemple.Rien de nouveau ni d’utile ne pourrait être exprimé sur les trois propriétés essentielles de mobilité, de lisibilité polyphonique, polymorphique, ou polychromique, et de mise en scène de toutes les narrativités, si l’on ne rétablit au préalable les caractères spécifiques qui constituent la clef de voûte de cette transgression musicale. La pratique acousmatique la réalise autant à partir d’un savoir, d’ailleurs voilé et invérifiable en dehors de l’écoute, tout autant que de son contraire, l’ensemble des savoir-faire, procédés et outils de la production électroacoustique.

Considérer l’espace et son traitement au seul titre des outils et techniques électroniques ne donne d’explications qu’au premier niveau de perception proprioceptif, et ne concerne qu’un espace-objet, une «chose» tridimensionnelle parcourue par le temps et la vitesse.Même si on dé-réalise cette première étape pour reconstituer en virtuel - dans un espace de phases - les aventures du relief sonore perceptif, on reste court sans parvenir à dépasser n’importe quel «vi-déo-game», match, bataille navale ou guerre des étoiles, en posant la question d’ailleurs difficile des accès multidimensionnels, joystick, track-ball, gant de données, qu’ils soient dépourvus ou au contraire dotés récemment de «retour d’effort».La chose n’est pas si simple, et ne laisse pas plus attraper qu’une «mouche non-euclidienne» (J.C. Risset) en son vol. Tant il est vrai que l’espace se donne à comprendre à la fois comme une pratique, un phénomène, une représentation.

Reformuler les conditions d’existence d’un nouvel «espace de travail» des sons, c’est avant tout revenir à la case départ : on prend un son et on en tire une image.C’est-à-dire que du texte ou du contexte qui produit

l’existence du son il ne sera retenu après filtrage qu’un ensemble de propriétés pertinentes, qui permet une économie de réalité, celle de la mise en œuvre des causes et agents matériels, au contrat de vraisemblance près. Comme si c’était la même chose (la même cause) qui fait que l’on entend ce qu’on entend. Et dans le cas des processus électroniques, c’est comme s’il s’agissait d’êtres énergétiques, qu’on en vient à entendre des figures, diagrammes, cartes d’un territoire télé-observé.

Ainsi assemblage, agent, aléa, un moment sollicités pendant une première étape - à dire vrai artificieuse- se voient renvoyés au magasin des accessoires, pour qu’à la deuxième étape naissent de nouvelles entités sous forme d’images de son - ou i-sons - en leurs trois espèces : im-son iconique, di-son diagrammatique, mé-son métaphorique. Ce que j’ai appelé, et pourquoi pas, Paysage, personnage, nuage, dans la deuxième partie de Son Vitesse-Lumière.

Il faut s’arrêter sur ce point difficile. Et noter qu’il n’est pas du tout naturel à l’audition de se représenter le concept d’image. Le fameux Magritte «Ceci n’est pas une pipe»n’a pas été immédiatement clair non plus à ceux du domaine de l’art plastique. Il a fallu atteindre à la conscience d’une phénoménologie de la perception, attendre la modernité, pour comprendre que le vieux problème de la peinture - parfaitement assimilé par les anciens d’ailleurs - n’est rien d’autre que la question du regard. Et la représentation doit y être interprétée comme le contrat, le coût et la rémunération, du regardable.Dans le cas de l’écoutable et du domaine musi-cal, même par l’acousmaticien moyen, le concept d’image n’est considéré que du seul cas des paysages sonores : captation d’une scène écologique claire, ambiance, oiseaux, trafic ferroviaire, situations typiques telles que défilés, conversations, accordage d’instruments, soit tout son tiré d’un catalogue de bruitages. Et ceci est parfois dénommé, non sans condescendance «musique concrète». La question «qu’est-ce qu’une image ?» n’émerge jamais, tant reste prioritaire le désir d’illusion référentielle, que celle-ci existe ou non.

Page 134: akusmatisk_L'espace du son 2

134 L'Espace du son II

Il me paraît donc scandaleusement nécessaire de de-voir aujourd’hui rappeler qu’une image se définit :- 1. pour ce qu’elle est - un contour, une trace sur un support, qui dénote l’action et le point de vue de l’observateur tout autant qu’il décrit l’objet observé. La trace peut être fidèle ou remodelée, permanente ou modifiable à l’infini, une anamorphose.Ainsi pour tout ce qui se présente à l’état d’image c’est d’un «acte mémorable» produit et retenu par quelqu’un hors ma vue qu’il s’agit, et que celui-ci vient montrer. Qui est-il, que veut-il et comment ça marche ? Questions.- 2. ... et pour ce qu’elle n’est pas - de la même façon que l’on sait bien que l’image visuelle : il n’y a rien derrière, pour l’image auditive c’est l’absence du signifié causal, qui est ici remarquable. Reste seu-lement du signifiant, de la souvenance.Ainsi un i-son, d’abord parce qu’il sonne «comme si» c’était un son, semble bel et bien en être un. Mais - et ceci semble comme donné en plus, comme une qualité supplémentaire littéralement magique - l’i-son n’est son de rien. Donc successivement trouvé, perdu, retrouvé, doté de cet attribut ailé de légèreté et d’économie radicale : venu d’ailleurs !

D’où je tire que l’i-son, - à la fois son et reflet d’une absence - pourrait bien se dénommer mi-son, ou son apparent, appartenant à un mi-lieu (1), dont il faudra bien se résoudre à admettre le statut d’ap-parence, c’est-à-dire de projet en vue d’une raison d’être supérieure à sa propre cause, à savoir peut-être musicale.

D’où je tire que le jeu des i-sons pourrait bien s’appe-ler, pourquoi pas, son-mu, parce qu’à la fois musical et mutant, mû par le mouvement physique donné à entendre comme une promesse d’organisation. (Cf. la définition d’Edgar Varèse : sons organisés).

Et enfin que les ensembles d’i-sons, ou pourrait-on dire de mi-sons du fait de leur demi-existence, se meuvent donc dans un mi-lieu, c’est-à-dire aussi bien un lieu réellement tri-dimensionnel, qu’à l’inverse un lieu proprement utopique, constitué d’aucune place spéciale mais aussi et surtout de nombreux lieux, décrits comme petites cosmophonies origi-nelles, espaces où règnent localement les lois d’un ici/maintenant typiquement identifiables (cas des im-sons référentiels), ou reconnaissables à tel trait (cas des di-sons indiciels), ou encore évocateurs de causes imaginaires (cas des me-sons figuratifs).Le mi-lieu constitue alors le lien entre ces lieux de nulle part et de partout, ce «lien des lieux» ne devant qu’à la cohérence de son écoutabilité, et l’intérêt de son scénario, l’apparent désordre de ses séquences.

Cette volontaire architecture qui réorganise les lieux est-elle le propre de l’écriture acousmatique ?Et qu’en est-il du support physique où se matérialise la continuité élaborée par le «montage», les «mixages» préparatoires, antérieurs à la «projection» finale ?

2.D’abord faisons l’effort de comparer pour ensuite les distinguer, les pratiques du mode instrumental et celles du monde qui agit directement à partir du total sonore, qu’il soit capté (im-son), tracé (di-son) ou transfiguré (mé-son).Il serait superficiel de penser (qui l’oserait) à pro-pos de la musique procédant de la notation, qu’elle reste longtemps fixée à son graphisme initial, pour conventionnel que reste le choix de telle ou telle disposition d’effectif instrumental habillant le «mor-ceau» de musique.Certes un tel cadre va prédéterminer l’écoute par le contrôle visuel constant qui s’opère au moment de l’interprétation en temps réel. Mais elle va aussi l’emporter dans une «figuration» d’une autre nature: l’espace au-delà des notes symbolisé par le système musical.Et puis d’évidence, il y a eu un «avant» : la composi-tion du morceau, les modèles dont il s’inspire. Puis la mise au point de l’oeuvre, sa répétition avec les interprètes. Sans parler des savoir-faire acquis - formation musicale des actants, élaboration élevée de la lutherie.Même si l’œuvre se donne comme «surgie de la croupe et du bond», elle opère sa magie virtuose en montrant/cachant ses espaces de travail antérieurs. De plus dans l’écriture des éléments dont l’auditeur ne discerne que l’enveloppe globale, mille détails sont tressés pour rester à la limite de l’audible et nourrir le jaillissement spontané par une adroite organisa-tion fonctionnelle. Ainsi les motifs ou agrégats qui se présentent, qui se dissolvent et se ramifient pour se perdre en dédales, d’où subitement se reformera une nouvelle association qui fait progresser l’idée, tous ces «complexes» sonores entendus, dépassent en intention comme en résultat le moyen artificiel et abstrait de la sèche notation dont pourtant ils proviennent.

La musique instrumentale - la bonne s’entend - ne se réduit ni à sa partition, ni à l’émission de notes, nous le savons très bien. Le miracle étant que mal-gré cela, le «texte» constitue un «potentiel» qui se déploie. Le savoir-faire musical amplifié par une intense élaboration orale au moment de la prépa-ration, efface les traces du travail et atteint par une vitesse supérieure du corps son but musical.

Si, d’en référer par cette digression aux méthodes bien connues qui canalisent le fonctionnement de la pratique conventionnelle peut ici avoir quelque utilité, c’est de rappeler que celle-ci n’est ni ignorée, ni disqualifiée dans l’élaboration acousmatique. Transgressée en toutes ses étapes, et déplacée dans un espace sonore et mental différent - ce mi-lieu que nous avons à décrire - cette pratique ne nie pas la précédente, l’inclue, l’exploite dans un autre état des choses.

D’abord elle s’appuie sur les propriétés de la technique du son «simulé» par le medium électroacoustique.

Page 135: akusmatisk_L'espace du son 2

135L'Espace du son II

Si j’en reviens toujours à l’image de son, c’est que le haut-parleur, transducteur, projecteur d’i-sons - maillon central - n’est pas un instrument comme les autres.S’apparentant de façon très lointaine à une «per-cussion» : un tympan au centre duquel un moteur fournit un effort selon un programme, ce dispositif rend en effet de façon assez naturelle tous les sons percussifs, les bruits concrets.Mais la neutralité à laquelle les techniciens s’ingé-nient consiste à faire que la machine «parle», c’est-à-dire fournisse un effet isomorphe à un référent : une image, qui forçément doit se détacher d’un «bruit de fond».Et ainsi s’ouvre l’accès à un domaine nouveau, un rapport complexe entre les données plus ou moins volontaires du réel, formant constellation saturée d’indices : l’image de son ou i-son.D’où je tire cet axiome que tout son émis par un projecteur (et à plus forte raison par un ou plusieurs ensembles stéréophoniques) n’est pas un son au même titre que les autres, dont il ne s’approche qu’en tant que vibrations de l’air et diffère comme phénomène perçu par l’audition.Il est bien autre, du fait que cet i-son présente une modulation globale qu’une culture auditive interprète comme des figures de formes et de fonds - intentions et interactions - et du fait aussi que le dispositif de projection conditionne par la fixité de son installation la variabilité des sonorités et de leurs mouvements cinématiques apparents, dans ce mi-lieu figuré qu’établit l’aire acoustique.On doit tirer la conséquence qu’il s’agit là d’objets complexes, mi-son pour une part, mi-acte de repré-sentation d’écoute pour l’autre.

De la même façon, une fleur parmi le bouquet cons-titue un objet à part entière (que je la regarde ou non, et de la regarder m’ouvre au détail de son or-ganisation mais ne la change pas ontologiquement), tandis qu’une fleur peinte ou filmée aura plus ou moins l’apparaître de la fleur - à la stylistique près - mais seulement en surface, et pour l’autre part, essentielle, elle aura été le travail d’une intention organisatrice du regard-même. Une image.

Ainsi j’ai posé l’i-son comme objet imaginal artificiel, incluant déjà en lui-même le code de sa production d’écoute, au contraire du son naturel pour qui ce code se réfère à un système qui lui est extérieur.On devra revenir sur ces systèmes de référence propres.

Reste à dire maintenant une autre propriété capitale de l’i-son, et qui est consubstantielle à sa nature : celle de re-jeu.N’est i-son que son projetable d’une part, et autant que cette projection puisse être maîtrisée dans sa répétition, d’autre part.En effet, d’une action devant un microphone ou à partir d’un synthétiseur, il est possible d’obtenir des familles d’i-sons qui offrent en temps réel des variétés, révélatrices d’une histoire locale : ce qui

s’agite devant le microphone ou sur le clavier/pro-gramme.C’est le cas visé par le mode de production qu’on définira proprement d’électroacoustique. Chaque geste éphémère produit sa variété éphémère elle aussi, d’i-sons. Un seul caractère en émane, l’acti-vité, ramenée à un acte instrumental étendu par les propriétés électroacoustiques de transformation, et de mouvement spatial cinématique. L’essentiel de la rhétorique de l’objet artificiel y est ici réduit, au bénéfice de l’acte en temps réel, réajustable et toujours différent.Tandis que la propriété d’établir un «lien des lieux» n’est autorisée qu’à partir d’un support intermé-diaire, dotant d’un niveau extra-temporel le pou-voir formel de l’i-son. Ici interviennent supports, mémoires, sens, vitesses de parcours, modèles, autres mi-lieux.S’ouvre un registre nouveau : la variabilité de l’écoute, c’est-à-dire son «inconscient».

3.Objet rhétorique artificiel et imaginal, ainsi avons-nous posé l’i-son, considéré comme un mi-son se mouvant dans un mi-lieu. C’est dire qu’il sera bien intéressant de sonder les couches superposées de la production d’écoute auquel le mode acousmatique prédispose. Au point qu’on peut maintenant ici poser que c’est justement là sa justification même.Pourquoi avoir accepté de perdre la merveilleuse efficacité de figuration du texte musical convention-nel pour le seul avantage d’un simple accroissement de complexité du matériau sonore ? Seul intérêt de cette affaire : l’écoute de l’écoute elle-même. De ses registres, de ses espaces, de ses couches cachées.Et ceci par l’effet de l’arrêt-sur-image, et du retour, propriété que je résume par le terme de rimage, qu’on pourra aussi bien comprendre comme un re-tour sur l’image, que comme rime, assonance aux échos intérieurs que seul le travail sur l’i-son peut expérimenter et exploiter.

Au point où nous en sommes parvenus, on pourra utilement construire un premier diagramme qui fixera ces quatre pôles :

objet

i-son interprétant rimage

Ce qui définira l’espace des propriétés de ce mi-lieu.On retrouvera dans ce diagramme - celui de l’espace substrat de tout objet ou oeuvre acousmatique - le vieux triangle sémiotique de Ch. S. Pierce :

Objet Interprétant Représentant

Page 136: akusmatisk_L'espace du son 2

136 L'Espace du son II

mais plusieurs fois parcouru, trois fois au moins, selon la sensation, la compréhension, l’interprétation :

— en O — en i-son — ou encore en rimage

Ri Ri Ri

I-son rimage O

O étant mis pour oeuvre i-sonique, Ri pour système de référence.

C’est le premier de ces espaces, celui-là musical dont je voudrais tirer cinq autres régions où se définis-sent les positions qu’occupent les uns par rapport aux autres, les cinq «actants» essentiels du monde acousmatique.

D’abord énumérer et décrire ces cinq actants :1. le compositeur-auteur (Ca), comme sujet supposé être à l’origine, et le savoir.2. le compositeur-interprète (Ci), comme sujet sup-posé savoir faire, et capable de donner un déploie-ment de l’œuvre.3. l’élève (E), comme sujet supposé entendre, et projeter à partir de son expérience un fantasme représentatif.4. l’amateur (A) comme sujet supposé aimer, qui s’approprie volontiers l’œuvre en toute subjectivité.5. le mystique (M), enfin, comme sujet supposé comprendre les positions précédentes et se relier (religere) par le médium de l’oeuvre à l’espace objectif plus vaste, ceci pouvant se réaliser de plus d’une façon, soit exhaustive, soit caricaturale.

Ces cinq acteurs entretiennent chacun avec l’objet acousmatique une relation se déployant dans un espace figuré, relié à un espace réel déterminé. C’est, comme je l’ai dit, l’espace à la fois défini comme représentation, phénomène, pratique.Aucun de ces espaces n’est fini, et au contraire, ceux-ci s’assemblent de façon circulaire, dans l’ordre indiqué, dont l’ensemble constitue, pour l’objet acous-matique, le milieu sensible, que je désigne à cause de son inachèvement, de son ouverture, comme ce mi-lieu, précédemment décrit.

4.Si l’on a bien voulu me suivre jusqu’ici, on aura com-pris que la thèse finale que je soutiens montre bien qu’il n’y a pas qu’un seul espace propre aux mouve-ments des sons acousmatiques, qui serait l’espace physique tridimensionnel, maîtrisable à l’aide de bonnes simulations audionumériques portant sur la phase du signal par exemple.Moyennant quoi tout aurait été dit à propos de l’espace du son.On aura compris qu’il s’agit d’un «voyage au centre de la tête», et que l’espace reste à décrire tout aussi bien par l’esprit, comme une cosa mentale, surtout

dans le monde des i-sons, puisqu’il s’agit d’espaces de représentation.On aura alors pu suivre mon trajet qui fait néces-sairement intervenir les interlocuteurs du système spatial en cause, chacun entretenant avec l’objet acousmatique une relation pratique et psychologique se déployant dans son propre champ d’action.Décrivons-les schématiquement, au risque et péril de l’exercice :

1. le travail du compositeur-auteur (Ca) se déploie par rapport à une maquette (Mi) : l’oeuvre (O) con-struite pour la perception, dans le cadre réduit de l’espace d’élaboration (Ee).Ce qui peut donner la chaîne Ca —> Mi —> Ri —> O —> Eeoù Ri désigne le système de référence i-sonique.

2. L’activité du compositeur-interprète (Ci) s’organise à partir de l’objet achevé ou maquette, dans le cadre en vrai grandeur de l’espace public d’écoute (Ep).Cette activité se représenterait par O —> Ci —> Ri —> Ep

3. L’étude de l’élève (E) s’effectue à partir de l’objet-maquette en se maintenant dans l’espace de trans-formation (Et), relation de l’espace d’élaboration (Ee) à l’espace public (Ep).On peut le décrire par la chaîne O —> E —> Ee / Ep —> Et

4. L’amateur (A) fonctionne en s’appropriant l’objet d’écoute par un re-jeu approfondissant le système (Ri) de référence i-sonique, et s’effectuant dans un espace domestique (Ed).Ceci se décrirait par O —> A —> Ri —> Ed

5. Le mystique (M) - à la fois interprète, élève, ama-teur ... transducteur - élabore, de façon clairvoyante ou non, son activité de compréhension en établissant un lien métaphorique, par le médium de l’œuvre, mettant en relation les espaces précédents (Ee, Ep, Ed) avec un espace figuré (Ef).Soit Ee, Ep, Ed —> O —> M —> Ef

Ces cinq positions déterminent autant de champs d’expérience, fonctionnant comme espaces concrets et abstraits.Retenons qu’ils constituent autant de «points de vue», tous justifiés mais ne se recouvrant que par-tiellement. Ils donnent de l’espace acousmatique une description en autant de «scènes», selon un«jeu de rôle».

5.Encore, et sans fin, il y a dans cette histoire d’espaces enchevêtrés et de liens des lieux, l’idée d’une com-munication intermédiaire, ce mi-lieu ou lieu moyen que l’espace de projection aide à bâtir entre les points extrêmes des bords de l’image projetée.

Page 137: akusmatisk_L'espace du son 2

137L'Espace du son II

Les bords de jaillissements construisent entre eux un centre où se tient la moyenne d’écoute : le moyeu autour duquel tourne l’écoute.Le rimage, c’est ce tour, ce retour auquel revient le sens, l’instinct de sens qui retrouve ce qui fut une fois déjà trouvé puis perdu. Mais retrouvé au mi-lieu.

Ainsi l’espace, pour n’être pas encore en-corps, au départ, par l’effet de cette distance - où se définit le corps comme ce point qui le considère - l’espace dis-je, alors rejoint le corps.

Et qui, ce corps, d’être extérieur à l’espace un mo-ment pour l'observer pendant l’étape perceptive, va dépasser et transgresser toute perception, par nature contingente et incomplète, effacer toute distance, pour en opérer la synthèse et l’appropriation intui-tive, qui sont opérations du corps- même.

Désormais, nous assistons (en direct ou en différé) à une COPRODUCTION de la réalité sensible où les perceptions directes et médiatisées se confondent pour donner une représentation instantanée de l’espace, du milieu ambiant.

Paul VIRILIO, L’espace critique, pp. 36, 37.

Ainsi s’exprima une fois par exemple pour Newton la «raison» de la chute d’une pomme. Plus facile-ment, plus naturellement aussi pour le musicien du son-mu, toute musique, qui toujours idéalise l’espace en-corps.

Position de poésie par excellence.A vrai dire mi-lieu du jamais plus que mi-dit !

(1) C’est Lacan dans son Séminaire du 14 janvier 1970 qui rappelle que : «si l’interrogation des sens de la vue, voire de l’ouïe, nous démontrent quelque chose, ce n’est rien sinon quelque chose que nous devons recevoir tel qu’il est, avec, exactement, le coefficient de facticité sous lequel il se présente».Et dans celui du 21 janvier, sous le titre de : Vérité, soeur de jouissance, il évoque le conte enfantin de l’Histoire de la Moitié de Poulet... ce profil, cet être de pur dessin.

Page 138: akusmatisk_L'espace du son 2

138 L'Espace du son II

LES ESPACES DE L’EXTASEDenis DUFOUR

Le talent du compositeur est d’avoir conscience de ce qu’il crée inconsciemment et de le communiquer. Quoi qu’il fasse, il crée des espaces, aussi étriqués soient-ils. Chaque son, chaque séquence prend place à côté des autres sons, des autres séquences, en se singularisant par son environnement. Dans l’Art Acousmatique nous ne manquons pas de moyens pour donner aux phénomènes sonores la dimension spatiale que nous désirons leur adjoindre. Quand je dis «moyens», il s’agit non des moyens technologiques, mais des moyens personnels, subjectifs. L’espace dont je veux parler est celui que j’invente, que je joue, voulu ou trouvé, offert ou capturé, selon mes moyens et mes envies, et non celui qui serait la plus parfaite reproduction de l’espace«réel», «naturel» de mon environnement de tous les jours. Il n’est pas forcément l’espace technique de la «vraie stéréo» ou de la «vraie quadriphonie», etc. car je ne vise pas l’objectivité de devenir, à coup de moyens sophisti-qués, un faussaire fabriquant de faux espaces qui ressembleraient aux «vrais» ! Même donné en mono sur une vieille machine, un son possède son espace propre, ni mieux ni pire qu’un autre, seulement tel qu’il est, simplement. La plénitude des espaces n’attend pas les moyens de se peupler. Et celui qui réclame plus de moyens sera toujours insatiable. En cherchant à créer avec la profusion des moyens qu’il attend, il entretient et cultive le manque, fait des musiques de manque, des musiques manquées.

L’espace est subjectif pour tout le monde, et par là il peut être généré avec des coefficients affectifs car il n’est pas seulement une question mécanique d’écho, de réverbération, de proche ou de loin, etc. L’enfant avec un bout de bois invente un univers entier. Je plains le compositeur qui a perdu cette faculté. Aux nombreuses et incessantes prières et invocations aux machines qui nous sauveraient (!?) du primitivisme, de l’obsolescence, voire de l’impasse (!?), j’oppose l’aptitude au rêve. Savoir rêver et donner à rêver plusieurs espaces possibles semble incompatible avec la recherche d’une perfection technique idéale. Le propre du compositeur n’est-il pas d’écrire une musique juste, non juste comme un calcul, mais juste comme un sentiment ? N’est-il pas aussi de créer des espaces neufs, improbables, d’incroyables ren-contres ? En ne refusant ni n’attendant le «progrès», comme un nourrisson attend sa mère, je peux par-venir à éviter l’impuissance stérile que pourrait dicter la recherche éperdue des outils idéaux. La fin n’est pas distincte des moyens et je n’attends

pas les moyens pour composer. L’art est un luxe et le véritable luxe est d’être capable de se passer de tout et de faire quelque chose avec.

On dirait que l’accession aux espaces du son de-mande autant de technologie, de préparation et de conditionnement que pour l’astronaute qui va embarquer ! Certains auraient-ils le mal de l’espace électroacoustique, qui les empêcherait d’atteindre les espaces du son ? A travers la peur qu’ils ont de manquer de moyens pour y parvenir, n’est-ce pas la peur de l’espace même qui s’exprime ? La peur que la musique ne parvienne pas à créer son espace revient à mettre en avant la peur fondamentale des espaces déjà existants ou disponibles, qu’ils soient à l’intérieur ou hors de soi. La perception fine de l’espace se conjugue avec notre propre imaginaire. Il n’y a pas d’espace absolu, comme il n’y a pas de hauteur ou de timbre ou de durée absolus. Il y a seulement des conventions et des règles qui préten-dent rendre tout cela absolu. Les mesures «exactes», «précises» des paramètres ne nous donnent pas la mesure exacte de notre perception et encore moins de celle des autres. La création est beaucoup plus un jeu, un jeu social précis dans ses conséquences, bien que très relatif dans sa mise en oeuvre, plutôt qu’une affaire de technique et de technicien.J’ai toujours pensé et constaté que l’espace d’une œuvre ne se réduisait pas à sa simple place (répu-tée bonne ou mauvaise selon le cas) que l’auditeur occupe dans la salle de concert. Je ne cherche pas, dans l’immédiat, la maîtrise de la perception que le public a de l’espace en salle, car les recherches et surtout leurs applications ne sont pas assez avancées dans ce domaine. Lorsque je compose sur le papier, comme en studio, c’est de façon artificielle. Dès qu’il y a eu intervention, et donc artifice, transformation, il ne reste que des apparences de naturel. Je cherche donc à rendre les espaces autres que s’ils étaient naturels ou dans leur dimension supposée réelle. Il n’est pas reproché au peintre de restreindre son espace à la dimension du plan, ni au photographe, ni au cinéaste. Le sculpteur ne fait pas de meilleures œuvres parce qu’il travaille en trois dimensions.Lorsque je compose c’est en toute conscience du possible qui m’est offert : dans l’art acousmatique, je traite mes espaces dès le stade de la prise de son (acoustique, électronique ou numérique), en plaçant les sources de sons dans des situations spatiales (espaces physiques tout autant que psychologiques) variées et souvent inhabituelles - surtout lorsqu’il s’agit d’enregistrer un texte. J’ai fait dire des textes

Page 139: akusmatisk_L'espace du son 2

139L'Espace du son II

en demandant au lecteur de marcher, de courir ou de tourner en rond dans le studio, ou en lui faisant faire autre chose en même temps, ou en le véhiculant, ou en le faisant entrer ou sortir d’un bâtiment, ou la tête dans l’eau, ou dans un sac, etc. J’ai enregistré un même corps sonore de près, de loin, dedans, de-hors, dans une cave, dans un bois, dans une basse-cour, dans une cuve métallique, etc. J’ai enregistré avec des enfants déambulant dans un lieu vaste et multiple, parsemé d’instruments de percussion et de microphones. J’ai aussi effectué des mixages en reprenant par micro le résultat de la diffusion, dans quatre pièces différentes de ma maison, de quatre voies de mixage jouées sur quatre paires d’enceintes différentes, etc. Autant de situations différentes, autant d’espaces différents... Une attitude, un contexte qui suggèrent des espaces magnifiques peuvent suffire à magnifier des espaces ordinaires. Lorsque je réalise et construis une pièce, j’alterne les moments de clarté avec les strates, les textures, les empilements de sons, non parce que je ne pourrais

faire autrement, mais bien parce que je veux créer ces espaces-là, qui ne sont en rien approximatifs.

L’intelligibilité d’une oeuvre provient de la façon dont, par son déroulement dramatique, elle conduit l’auditeur, et non de la lisibilité démonstrative et technique du travail d’écriture. Pour cela je considère l’espace du son sous plusieurs de ses aspects: espace physique (celui de l’objet sonore même), espace af-fectif (celui du contexte et de l’environnement psy-chologique de l’objet sonore), espace culturel (celui du contexte social et historique de l’objet sonore), etc. Et il apparaît que ces espaces-là sont proches de quelque chose de réel, riche, varié, loin de la «spectaculaire lisibilité» que pourrait revendiquer un papier peint, quelque chose de complexe, de multiple : la vie tout simplement.

15 octobre 1990

Toutson est,aujourd’hui, en permanence,susceptible d’entrer dans le domaine de la musique. Le nouvel orchestre, c’est l’univers acoustique !Ses musiciens, tout ce qui peut émettre un son !R. Murray SCHAFER, Le paysage sonore , p. 18

Page 140: akusmatisk_L'espace du son 2

140 L'Espace du son II

(...) la contemplation de la grandeur détermine une attitude si spéciale, un état d’âme si particulier que la rêverie met le rêveur en dehors du monde prochain, devant un monde qui porte le signe de l’infini. (...) Elle fuit l’objet proche et tout de suite elle est loin, ailleurs, dans l’espace de l’ailleurs.

Gaston BACHELARD, La Poétique de l’espace, p. 168

Page 141: akusmatisk_L'espace du son 2

141L'Espace du son II

Page 142: akusmatisk_L'espace du son 2

142 L'Espace du son II

QUELQUES PROPOSITIONS POUR ETUDIER

L’ESPACE IMAGINAIRE DANS LES MUSIQUES

ACOUSMATIQUESJean Christophe THOMAS

1. POSITION DE L’ESPACE IMAGINAIRE

On se doute que si l’espace est une catégorie fonda-mentale (il l’est !) - la moindre allusion, le moindre indice, suffira au sujet (écoutant) à stimuler en lui sa rêverie spatiale.

«Rêverie» : si j’invoque cette notion (1), c’est qu’elle va dans le sens de l’intention : dépasser la spatialité concrète, morphologique. L’espace envisagé ici sera imaginaire.

C’est-à-dire ? Qu’il est dans la tête du sujet, à peine sollicité par les traits objectifs (le proche et le loin, le centre ou les bords...) de la musique.

Une notion bien fuyante ! bien cavalière... Un es-pace qui se trouve dans la tête du sujet. Et certes, il faut quand même que la musique «y mette un peu du sien»... (Bachelard) Mais la rêverie spatiale ne s’appuie pas seulement (on peut dire ça) sur les objets spatiaux ; même si elle prend aussi parmi ceux-ci son bien.

Précisons donc la «position» de cet espace. On peut partir du distinguo si clair de Michel Chion : espace externe/espace interne (Les deux espaces de la mu-sique concrète ) (2). L’espace externe - le plus voy-ant, celui auquel tout le monde pense d’abord - c’est celui qui remplit un lieu, réel, un «local» : quand on l’investit physiquement, par le concert; par la «projection» de l’œuvre invisible. Il est géométrique, tangible et gesticulatoire. Trivial et contingent. «Lié aux conditions d’écoute, à l’acoustique du lieu, au nombre, à la nature des haut-parleurs» (M.C.)... il manifeste, bien ou mal, l’espace «interne» (c’est le deuxième espace) : comme l’interprétation (dit Chion) manifeste la partition. L’espace interne, ainsi «mag-nifié», «contient souvent implicitement, de manière latente, toutes les nuances, les dimensions qui seront révélées par l’orchestre de haut-parleurs» (M.C.). L’espace interne, c’est celui qui attend - comme la belle - d’être réveillé sur la bande.

Chion veut ici rendre hommage au support - dévelop-per ce concept, le penser, le nourrir : ainsi l’espace interne, celui qui est sur le support (indissolublement solidaire du support), est garant de l’intégrité - ici spatiale - de l’œuvre; c’est bien «l’espace interne» qui l’intéresse le plus ; car c’est l’image «fixée» de l’intention du créateur - avant toute trahison possible. Du reste, l’espace ici demeure entendu strictement, et non «dans une acception vague, métaphorique» (M.C.) : pour Chion, un chat est un chat et l’espace, le «positionnement apparent des sons dans les trois dimensions».

L’espace imaginaire, alors ? C’est un peu «l’espace du dedans», on pourrait dire (pour parler comme Henry Michaux) : l’espace intime; le ressenti humain d’espace (psychique, corporel, esthétique); plus intérieur encore que «l’espace interne» de Chion. En fait il est à l’autre bout : à l’opposé de l’espace neutre et virtuel du sup-port («interne»), c’est un espace lui aussi projeté - en nous -, réalisé. Tout comme l’espace externe est de l’espace interne projeté au dehors.

Autre point de vue : l’espace imaginaire - au contraire de celui de Chion, normatif, solfégique, informé par une compétence, défini par l’écoute réduite, soumis à l’objectivité - est un espace «sauvage», turbulent et profane, situé du côté incertain de l’effet, et de la libre écoute (non réduite).

N’est-il donc que métaphorique ? Voilà bien un sujet d’inquiétude. En effet, d’allusion en indice, ne peut-on pas penser qu’il s’agit simplement d’une lecture, en termes spatiaux, de traits qui pourraient «aussi bien» se décoder en d’autres termes ? Nous allons voir que non (pas tout à fait), en regardant d’un peu plus près les ingrédients qui servent de tremplin à l’imagination spatiale.

Donc passer de l’étude d’un espace «objectif» à celle d’un espace subjectif, imaginaire, cela entraîne quelles conséquences ?

Page 143: akusmatisk_L'espace du son 2

143L'Espace du son II

2. LE SUJET DANS L’ESPACEAVENTURES DU SUJET

D’abord hors des traits strictement morphologiques (le près, le loin, qui ne sont de l’espace qu’un indice comme un autre) il faudrait prendre en compte tout ce qui très directement peut «allumer» l’imaginaire spatial : images, indices, symboles qui nous jettent dans l’espace... dans un «paysage», familier ou étrange. Examiner ces signes et aussi leur traite-ment, leur écriture.

Ainsi oiseaux, avions - vrais ou factices - résonnent d’abord en nous, plus que dans telle «réverbe», na-turelle ou artificielle.

A côté de l’espace dénoté, élargissons à l’espace con-noté, donc - cherchons l’espace de résonance interne à ces indices, qui font en nous image.

Une façon de nourrir cette notion (d’espace imagi-naire), de lui donner un centre, c’est sûrement de partir de l’humain, du «sujet» : nous-même...

Notre corps par exemple n’est-il pas un repère-étalon ? Au plan phénoménologique, ne nous fournit-il pas, pour toutes choses, «l’échelle humaine» (F. Bayle). Depuis leur glorieuse origine, beaucoup d’oeuvres acousmatiques sont, peu ou prou, des «symphonies pour un homme seul». Les allusions au corps (à son espace : interne/externe) y sont légion.

Le «sujet» que nous sommes, fait face à ces musiques (du pas humain qui nous rassure aux espaces «il-lusoires» - Risset - qui nous font perdre nos repères) continuellement des expériences spatiales : plus ou moins familières, équivoques, abstraites.

Pour l’auditeur ou le compositeur (la zone com-mune entre ces deux instances étant précisément la zone «imaginaire»), quel est l’espace proposé par ces oeuvres, en termes de symboles - et comment y sommes-nous sensibles ? (selon quelles sémantiques, éventuellement sophistiquées)...

... Seraient deux questions, successives et distinctes: par la deuxième on s’enfonce davantage dans la sphère subjective.

Mais la première nous laisse à la surface des choses (des musiques, des objets) : images du corps, indices émanés de nous-mêmes ; et, en nous éloignant de «nous» (centre du monde), par cercles concentriques, signes émanés de notre environnement : Lejeune - Symphonie au bord d’un paysage - travaille l’ambiguïté de cette topographie : l’espace interlope personnage/paysage.

Donc on pourrait questionner le traitement, l’écri-ture, de la panoplie si connue «anecdotique» : les sons du corps, son intérieur (coeur, souffle, voix), son extérieur (voix, gestes, remuements); et ensuite ses objets familiers (porte, escalier, gravier, plan-

cher), ses habitats, ses lieux clos résonnants : puits, églises, labyrinthes... puis ouverts : ciels, déserts, campagnes. Regarder comme ils sont traités, écrits, à quelles trouvailles sémantico-formelles ils donnent «lieu» - ces symboles véhiculateurs d’espace.

Quittant ces indices familiers, on peut interroger les états de matière et d’énergie sinon abstraits, du moins pas si directement figuratifs qui «remplissent», dynamisent l’espace; et à quoi nous réagissons : l’espace est toujours habité, même si c’est de vide, même si c’est d’un trop-plein qui nous le rend «in-habitable».

(C’est pour ça que l’étude de l’espace sémantique est une abstraction difficile : l’espace toujours est chargé d’autre chose; sa neutralisation, en toute rigueur, est impossible).

Ainsi de proche en proche, partis des seuls indices du moi-sujet (le centre du biotope acousmatique), on gagne peu à peu la sphère environnante - familière puis étrange, irréelle, abstraite...

Quelques traitements simples du «sujet imagi-naire»:

a) Anamorphoses, métamorphoses

Donc, le «sujet» est à lui-même son premier espace: dans ces conditions, pas de mise en scène plus efficace que celle qui s’accomplit (comme un attentat ? ) sur son propre corps... symbolisé par les métonymies qu’on sait : voix, souffle, coeur etc... Sur des symboles si forts, les manipulations d’échelle - par exemple - nous concernent beaucoup, sont très «persuasives» : par exemple par la contraction/ dilatation, nous nous sentons directement manipulés...

Berio (Visage) dilate à l’infini une voix retournée comme un gant , gonflée soudain comme une voile; on passe sans solution de continuité de l’icône fami-lier à son monstrueux double. Philippe Mion, lui, (L’Image éconduite) fait refluer un grognement géant, inhumain, de la voix narratrice humaine («mangé par l’orange»). Chion dans le Requiem met la noyade à la première personne, nous fait couler avec son personnage : détresse en gros plan, agonie. Tous ces exemples sont des anamorphoses agressives de l’ego; notre image distendue nous affecte aussi fort qu’un trucage cinéma (c’est Mauriac, qui je crois reprochait à Picasso non le cubisme, mais d’avoir osé le cubisme sur la «face humaine»).

Moins fréquente est la contraction (miniaturisation) d’ego : Berio, dans l’Omaggio à Joyce, n’utilise que la voix; ses franges extrême-aiguës pourtant semblent des miniatures électroniques; mais là on ne reconnaît pas l’humain. Il y a des métamorphoses sensibles, parce qu’on y assiste en direct : dans Hymnen (Stock-hausen), ces voix qui deviennent en montant des oiseaux - ou, étirée érotiquement comme une pâte, la voix d’adolescent ductile qui dans Gesang fait

Page 144: akusmatisk_L'espace du son 2

144 L'Espace du son II

dans la tessiture des loopings improbables (entre trop aigu et trop grave).

b) Commutation de l’ego et du monde

Autre façon de promener l’ego, de lui donner des aventures spatiales - les mises en regard du sujet avec son environnement. Très spectaculaire : par un effet plus ou moins brusque de collage, le sujet «devient» son contexte (qui présente avec lui une parenté sonore, mais par contre sémantiquement, une opposition radicale). A la fin du Voyage (Pierre Henry), le souffle humain, étriqué dans les cavités nasales, se délivre de toute contention et devient, vaste et lisse, un halètement de train : pour peu qu’un temps l’identification persiste, nous étions le mourant, nous devenons l’espace immense : échanges imaginaires entre le monde et le corps propre, pour le plus grand profit de l’imagination cosmique. Ce procédé sera exploité ludiquement, dans Dedans Dehors (Parmegiani). En rapprochant, grâce à l’analogie du son, un grincement de porte et un croassement d’oiseau, on accole deux espaces opposés sémantiques : l’intérieur domestique, et l’extérieur sauvage. (Ailleurs : un chuchotement proche et une rumeur de foule au loin; une respiration et le ressac marin). Naïfs, merveilleux, impeccables, ces petits tours s’emboîtent comme des puzzles, comme des jeux de mots. Et d’ailleurs, ils fonctionnent sur le principe du calembour : signifiants proches et signifiés lointains. Il «suffit» pour cela que les sons aient un sens, qui leur soit attaché, pour une fois, sans trop d’équivoque. (C’est le propre peut-être de certains «archétypes» d’Epinal). Les sons alors sont comme des paronymes («Un zeste de citron/lemon incest» : Gainsbourg).

3. LE SUJET DANS L’ESPACECATEGORIES LUXUEUSES

Ces aventures, dans un espace morphologique ou connoté, vont maintenant être vécues «avec toutes les partialités de l’imagination» (Bachelard).

L’imaginaire (de l’auditeur ou du compositeur), sur ce canevas, va broder, renchérir. Apporter son raf-finement, son luxe - luxe nécessaire : les fantaisies de l’auditeur, légitimes puisqu’ indispensables au plaisir musical; et les «délires» d’auteurs, aussitôt justifiés par l’oeuvre qu’ils suscitent (délires sans quoi l’oeuvre n’aurait pas vu le jour).

Une recherche pourrait être, à partir d’une liste de base de notions spatiales«bêtes» et sûres, de rayonner : de traquer les broderies imaginaires, les catégories «luxueuses»...

Nous ne parlerions plus seulement d’«espace clos» par exemple (pourtant déjà une catégorie luxueuse du «dedans») mais de puits et de grotte... glacés ! Nous saurions distinguer le silence d’un désert et le vide mat d’une chambre sourde...etc

Non seulement il faut prendre au sérieux ces méta-phores sophistiquées (qu’elles viennent des auditeurs ou des compositeurs), mais ne pas craindre d’en produire soi-même, et de hardies : les mots risqués (et les images) vont en effet nous être très utiles. Loin de nous égarer dans les sables mouvants du superflu, ils nous désigneront le top-niveau de la pertinence onirique. D’apparentes sous-catégories morphologiques, dans l’imaginaire peuvent devenir «images premières». Des hiérarchies sont renversées. Tout au rebours de l’attitude «réduite» - tempérance et sagesse, prudence - faisons jouer la nuance, le différentiel, le subtil. Il faudrait susciter une ef-fervescence sémantique.

... Et ceci à des fins heuristiques : ce peut être une méthode utile d’investigation... formelle. Si la mu-sique naturellement stimule l’imaginaire, l’affectif, le délire - suscite des «réponses» sémantiques - il serait pour le moins logique qu’en renversant les choses, en «délirant» (parlant) d’abord, on trouve à l’autre bout «de la musique» qui y réponde... Met-tons donc la musique à l’épreuve des mots (sinon à la question...). Et allons à la pêche. La musique suivra-t-elle ? «Le répertoire acousmatique, écrit Francis Dhomont, abonde d’exemples où jouent les lieux [les plus divers] de la pensée» (Parlez-moi d’espace). Voyons-voir... Si nous demandons par exemple un espace de vertige (ceci n’est pas grand chose)... le trouverons-nous ? Un espace sans con-tour, un espace de vitesse ascensionnelle (cela n’est toujours pas la lune)... Un espace caverneux... où un effet de creux volumétrique, qui fasse aspirateur, vous happe ? Ou un espace gluant, visqueux ?

Ainsi en remplaçant tel vocable banal ou passe-par-tout par un questionnement pointu, circonstancié et bariolé [qui mette l’accent non sur le substantif mais sur l’adjectif] - aurons-nous toujours «de la forme» qui y réponde ? Jusqu’où peut-on aller ? Jouons un peu.

Déjà, tous les espaces «demandés» ci-dessus exis-tent : ils sont dans François Bayle; c’est lui-même qui les nomme.

(Nous supposons les deux «imaginaires», de l’auditeur et du compositeur, tout aussi arbitraires - c’est-à-dire légitimes - l’un que l’autre. Ce qui existe ici, on suppose, peut exister là. Dans nos exemples, nous les mêlerons sans façon).

Prenons une des catégories basiques de notre espace humain : le dedans. Bien sûr, pour la rêverie, et donc pour la musique, ça ne suffit pas : «dedans» tout de suite se singularise. D’abord une image familière : veut-on un escalier ? (qui ramifie de sa géométrie un espace souvent domestique). Tout de suite, il n’y en aura pas deux pareils : escalier abstrait de Lejeune, qui facétieusement compare ses marches aux degrés de la gamme (Teratologos) ; résonnant escalier à vis de Notre-Dame, révélé par une ascension brouillonne, escarpée et fougueuse

Page 145: akusmatisk_L'espace du son 2

145L'Espace du son II

(Denis Dufour : Entre-Dames) ; escalier de BéDé de Lady Piccolo (Eugénie Kuffler, Philippe Drogoz), qui y fait retentir son énergie humoristique, son poids de femme, ses talons érotiques.

Des escaliers figuratifs. Il en est d’autres, éloquents tout autant, mais qui transcendent l’anecdotique : ils généralisent l’ascension : ce sont des lieux tournants, des entités concrètes-abstraites, déclinables qualita-tivement à l’infini : il y a chez Bayle des mouvements tournoyants, ascensionnels avec ampleur, ténacité (Purgatoire, ascension de la montagne ; Vibrations Composées, Texture). Ces tropismes vertigineux négocient quelquefois la montée et son contraire : Risset, ses fameux sons paradoxaux.

L’ego, dans les exemples ci-dessus, est soumis au vertige. Pour structurer un peu ces espaces «rayon-nés», si foisonnants, peut-être pourrait-on prendre pour guides quelques axes fonciers des affects, du désir humain ?

Tentons quelques exemples, autour de la catégorie Dedans/Dehors:Remplir : Le corps, qui est à lui-même un dedans, voudrait bien remplir le dehors. Il ne le peut. Il ne peut que remplir un (autre) dedans.

Par exemple le faire résonner. Echo et réverbéra-tion... Désir primaire. Saturer l’espace. Faire craquer ses parois. La voix, spécialement - cet «organe» - s’y prête (cri de la Symphonie pour un homme seul). On fera résonner des puits (Lignes et points), des grottes (Jeïta)...

Dehors (tout au contraire) sera ce qui ne peut être rempli. L’insaturable. Espaces légers, ténus, aé-riens : Ferrari (Presque rien).

... Sur un plan plus abstrait on va bien sûr remplir l’espace imaginaire avec des «voix» - au sens poly-phonique du mot -, des masses, des processus, des proliférations : formes savantes et moins directes du désir foncier d’envahir, physiquement, l’espace... (Ou, au contraire, on l’évidera : raréfactions, filtrages).

Non loin on trouvera être englobé ou pas (doublet physiologique du paradigme exprimant l’obsession du pouvoir : Dominant/Dominé).

Quelques fantasmes «monarchiques» (Bachelard) d’auteurs : la célèbre vision de haut pour Parmegiani (Géologie sonore); Chion qui boucle son Requiem comme un western-spaghetti, par un triomphal zoom arrière, en vue plongeante. Bayle dans sa Rosace V englobant l’auditeur, l’emmaillotant dans une résille tournante. Enfermé dans une bulle de verre (ou un verre de cognac géant ?) celui du Labyrinthe goûte des délices claustrophiliques certaines... Le

Prisonnier du son (Chion) est au coeur de l’espace menaçant, explosif, d’un larsen.

S’enfoncer : «J’entre dans mon sommeil comme dans un œuf» écrit Schaeffer, qui fait de cette rêverie archétypique (visite du corps) l’argument de sa symphonie fameuse : «Suivez le guide, ici l’aorte, l’échelle descend dans le ventricule gauche, je des-cends l’escalier intérieur» etc

Pierre Henry propose souvent des proliférations arborescentes, où l’on se perd progressivement comme dans un bois... (Bayle, Labyrinthe; Reibel, Machination).

De là on passe facilement à explorer (un potentiel), opération qui s’apparente à s’enfoncer, mais avec quelque chose d’heuristique et de méthodique; qui se sent, par exemple dans l’exploitation, «degré par degré», d’un paramètre ou d’une valeur, ou dans le parcours circulaire, exhaustif, d’un programme de synthétiseur (Jeïta).

Déboucher sur, s’engouffrer dans, version luxueuse d’entrer/sortir, est un trope familier de l’écriture acousmatique. Bayle en est l’inventeur très imité. C’est souvent sur le «vide» qu’on débouche, happé dans un espace d’accueil, un gouffre (grâce au défaut soudain d’une partie du «support», imaginaire, qui perd ses strates de soutènement). Souvent situé au terme d’une acmé (Texture), ce geste est psychique-ment gonflé, sur-valorisé en «passage» - au sens rituel du mot (pensons à la musique classique, qui pour le matérialiser inventa l’«ouverture», si bien nommée). Il peut en effet être emphatisé «portique», monument solitaire et baroque, concrétion verticale absurde débouchant sur un rien somptueux, mal-larméen (Motion-Emotion, 10’36).

A l’opposé de cet espace d’accueil serait bien sûr l’espace «inhabitable», hostile (hérissé ou trop plein, enchevêtré, inextricable)... Qui nous fournit, comme une dissonance superlative, la catégorie Rebuter.

... Espaces «topophiliques» ou espace répulsifs font la rêverie contrastée de plus d’un musicien - entre le séraphique et l’infernal naviguant avec volupté (Parmegiani, Enfer : l’oasis de fraîcheur de Revoir les étoiles; Bayle, Ange-Feu/Béatrice ;et Malec qui dans Triola, alterne la «fureur» et les «petits sourires»).

C’est le moment de remarquer (pour en finir) que si l’espace rêvé est affaire sémantique, aucun espace n’est jamais neutre, platement géométrique (il n’y a pas de degré zéro du spatial). Qu’il est toujours

Page 146: akusmatisk_L'espace du son 2

146 L'Espace du son II

investi d’énergie, par exemple. Et que même sans «image» interne, l’espace à proprement parler est toujours subsumé, débordé de partout par son «contenu», sa substance. L’espace, comme une boîte vide, s’ouvre sur toutes les catégories qu’on voudra... (prendre comme pertinence d’écoute, comme dirait Delalande). Bayle par exemple rêvera l’espace en termes énergétiques : «espace fléché, vide at-tracteur»... Certains (Malec) mettront l’accent sur l’affectif, le coloris sentimental. D’autres (Parme-giani) seront sensibles à la matière - qui «courbe» le cosmos spatial. Catégories qu’on fera aussi bien, donc, d’étudier en ces termes, directement. On s’en doutait: l’espace - même rêvé - n’existe pas.

Notes

(1) Que veut dire «rêverie» ? Ce mot est, on le sait, du lexique bachelardien : c’est l’imagination; et (loin des connotations vaporeuses) une imagination active, spécialement foisonnante, créative. Très émancipatrice par rapport au réel : «L’imagination n’est pas, comme le suggère l’étymologie, la faculté de former des images de la réalité; elle est la faculté de former des images qui dépassent la réalité, qui chantent la réalité» (L’eau et les rêves, p. 23). Même, elle s’oppose (dans l’optique bachelardienne), à la plate perception; perception conçue elle comme «une servitude descriptive à l’objet» (Poétique de la rêverie, p 4).(2) cf. L'Espace du son, 1988, pp. 31-33 (NDLR)

Page 147: akusmatisk_L'espace du son 2

147L'Espace du son II

ANNEXEOnt collaboré à ce

numéro :

Patrick ASCIONE France, 1953 - ParisPériodes au GMEB de 1979 à1984, puis au GES jusqu’en 1990. Ses travaux sont orientés depuis 1986 vers l’idée de polyphonie spatiale et l’élaboration, pour le concert, d’une méthode de composition consistant à intégrer dans le processus même d’écriture de l’oeuvre les paramètres de spatialisation et de diffusion : Espaces-Paradoxes, Les Chants Sphériques... Il explore aussi les rapports unissant l’art acousmatique et la peinture : Métamorphose d’un Jaune Citron, Polyphonie-Polychrome...Depuis quelques années réalise principalement ses oeuvres à l’INA/GRM.Lauréat du X ème Concours International de Musique Electroacoustique de Bourges et oeuvre recommandée à la Tribune Internationale de Musique Electroacoustique en 84.Sélectionné au Prix Noroit/Léonce Petitot 1989 (CD NOR/1).Prix Léonard de Vinci (Secrétariat d’Etat aux Relations Culturelles Internationales) en 1991.

François BAYLEFrance, 1932 - Tamatave«Depuis mes premiers travaux des années soixante -L’oiseau chanteur, Espaces inhabitables ou Jeïta - jusqu’aux récentes fresques - Erosphère, Son Vitesse-Lumière - en passant par L’Expérience Acoustique, le Purgatoire de la Divine Co-médie, Aéroformes ou Théâtre d’Ombres, mon propos a toujours été le même : résister à «faire voir» comment marche la musique.Résister jusqu’au bout au masque des haut-parleurs, à l’handicap d’une scène à la fois pleine et vide, résister à l’absence de cette collaboration des interprètes si chaleureuse, si médiatrice. A partir de ce manque tragique, résister encore à la tentation technologique, zig-zag dans ce palais des glaces aux mille portes pour une. Puis de cette résistance générale, tirer une force ténue et entêtée, comme celle qui vient des faits d’évidence. Puisqu’on peut écrire maintenant avec des images de sons, eh bien ! apprenons à le faire...Hors champ voilà un monde qui se démontre. Le vieux monde avec de nouvelles relations. C’est évident. Mais il faut ap-prendre à prendre. Patiemment et normalement.»

Lucien BERTOLINAFrance, 1946 - MarseilleProfesseur à l’Ecole d’art de Marseille Luminy (Atelier de création sonore)Co-créateur du groupe de musique expérimentale de Marseille, actuellement compositeur au Grand Jeu.Prix Secam 1980: Retour à Marseille (film de R. Allio)Prix Phonugia Nova 1987: Un groupe d’enfants de la Zup de Marseille (Création radiophonique)Compositions récentes pour le cinéma, la télévision, la radio (France-Culture), les expositions.Créations musicales : Aller simple et Au delà du rivage (commandes d’état)

Pierre BOULEZ France, 1925 - Montbrison.Elève de Messiaen et de Leibowitz. Fondateur des concerts du «Domaine musical» (1954), il s’est appliqué à réaliser la synthèse des enseignements de Schönberg, Berg et Webern, qu’il a contribué à faire mieux connaître en France. Figure dominante de la musique du XXème siècle, il compte parmi ses oeuvres principales : Le visage nuptial (1946-1950), Le soleil des eaux (1948), Polyphonie (1951), Le manteau sans maître (1955), Pli selon pli (1960), Repons (1980), ex-plosante-fixe (1972 et 1991). Après une brillante carrière à l’étranger comme chef d’orchestre (New-York Philarmonic, orchestre de la BBC (1971), il assume la direction de l’IRCAM et de l’ensemble intercontemporain à Paris.

Daniel CHARLESFrance, 1935Musicien (élève d’Olivier Messiaen), il a fondé et dirigé le Département de musique de l’Université Paris VIII - Vincennes (1969-1989). Philosophe (élève d’Henri Birault, Gilles Deleuze et Mikel Dufrenne), il a enseigné l’esthétique à l’Université Paris IV- Sorbonne (1970-1980). Depuis 1989, titulaire d’une chaire de Philosophie et d’Esthétique à l’Université de Nice/Sophia Antipolis. Principales publications : Pour les oiseaux (conversations avec John Cage), Paris, 1976; Gloses sur John Cage, Paris, 1978; Le temps de la voix, Paris, 1978; John Cage oder Die Musik ist los, Berlin, 1979; Musik und Vergessen, Berlin, 1984; Poetik der Gleichzeitigkeit, Bern, 1984; Zeitspielraüme, Berlin, 1989.

Page 148: akusmatisk_L'espace du son 2

148 L'Espace du son II

Michel CHIONFrance, 1947 - CreilIssu du GRM et du Service de la Recherche, il se dirige, à partir de 1977, vers le cinéma et l’écriture, tout en restant en contact avec ses sources : d’une part par la composition dans les studios du GRM, d’une quinzaine de pièces sur bande (dont Requiem, La ronde , La Tentation de Saint-Antoine , etc...) d’autre part par l’historiographie du genre électroacous-tique (trois ouvrages publiés) et la publication de travaux théoriques. A un Guide des objets sonores , synthèse des travaux schaefferiens, répond un essai L'Art des sons fixés ou La musique concrètement . Par ailleurs, il a consacré trois ouvrages à la problématique du Son au cinéma , sujet qu’il a enseigné à l’IDHEC et au Paris Center of Critical Studies. Auteur d’un manuel sur l’écriture du scénario (éd. Cahiers du cinéma), il contribue à la F.E.M.I.S. à l’enseignement de Pascal Bonitzer. Il donne des chroniques au Cahiers du cinéma (dont il rejoint l’équipe rédactionnelle en 1981), au Monde de la Musique et à Première , et a participé de façon importante au Larousse de la Musique de Marc Vignal et au Dictionnaire des Per-sonnages du Cinéma de Gilles Horvilleur. A publié un Jacques Tati . A obtenu plusieurs récompenses , dont le Grand Prix du Disque 1978 pour son Requiem (disque INA.GRM AM 689 05) et le Prix Jean Vigo 1985, le Grand Prix du Festival de Clermont-Ferrand et le Grand Prix de Montréal pour le film de court-métrage Eponine qu’il a réalisé en 1984.

Francis DHOMONTFrance, 1926 - Paris.Pratique l'écriture acousmatique depuis les origines de cet art (premières tentatives sur fil magnétique en 1947) et s'y consacre à partir de 1963.Cinq fois lauréat du Concours International de Musique Electroacoustique de Bourges dont le Prix «Magisterium» en 1988.1er Prix au «Tape Music Competition» de Brock University, Ontario.Auteur pour l'INA-GRM de plusieurs «Acousmathèques» à Radio-France.Partage ses activités entre la France et le Québec où il enseigne la composition électroacoustique à l'Université de Montréal.

Jean-Marc DUCHENNEFrance, 1959 - AuxerreEtudes musicales traditionnelles puis électroacoustiques avec Denis Dufour au C.N.R. de Lyon (1981-1984). Pratique du synthétiseur de 1982 à 1986. Assistant de la classe de Denis Dufour depuis 1988. Particulièrement intéressé par l’espace de la diffusion acousmatique, il tente dans ses dernières oeuvres d’intégrer ce paramètre dans la composition même, don-nant à chaque élément sonore ses propres places et trajectoires sur l’orchestre de haut-parleurs. Outre les Quatre études d’espace et Le jeu des possibles en huit pistes, il a composé La cicatrice du geste (1984), Gaïa Helia Selia (1986-87) et Mobilis in mobile (1989) commande du GRM.

Denis DUFOURFrance, 1953 - LyonElève d’Ivo Malec et de Pierre Schaeffer au CNSM Paris de 1974 à 1979. Entre à l’INA - GRM en 1976, assistant de la classe de Guy Reibel, puis créateur, à l’initiative de François Bayle, de l’Ensemble Instrumental Electroacoustique TM+.Avec Laurent Cuniot et Yann Geslin, il y suscite, de 1977 à 1987, la création d’un répertoire entièrement nouveau de musique de chambre pour des formations alliant instruments électroniques et traditionnels.C’est à cette époque qu’il élabore les caractéristiques essentielles de son style de compositeur instrumental : lyrique, fluide, morphologique, influencé pour partie par son travail de musicien acousmatique. Il enseigne au Conservatoire National de Région de Lyon la composition instrumentale et l’art acousmatique depuis 1980.

René FARABETFrance.Docteur en littérature française (Paris-Sorbonne).Ancien élève du Conservatoire d’art dramatique de Paris.Depuis 1969, producteur-coordinateur, responsable de l’Atelier de Création Radiophonique de France-Culture.Prix radiophoniques : Prix de la RAI, Prix Ondes, Prix Futura, Prix Paul Gilson, mentions spéciales Prix Italia.

Nicolas FRIZEFrance Il mène depuis une quinzaine d’années sa recherche musicale sur trois fronts :- interprète. Pour un nombre important de ses partitions, la composition use d’une double écriture : ainsi, professionnels et interprètes non musiciens se trouvent-ils souvent réunis dans des créations nécessitant la co-existence d’une notation traditionnelle et d’une notation graphique.- instrumentation. Son goût des combinaisons le conduit à faire voisiner et communiquer instruments traditionnels, choeur et voix, bandes magnétiques et objets détournés. La liste de ces détournements est longue... : baisers, jouets, sons de machines, sons ferroviaires, pierres, etc...- lieux et circonstances. Les lieux, inattendus ou traditionnels, vastes ou intimes, les circonstances telles que festivals, fête de la musique, inauguration etc... sont, presque chaque fois instigateurs de la musique qui leur est consacrée et de la forme quelle emprunte ; ainsi, d’années en années, les créations, bien qu’imbriquées les unes dans les autres, sont individuelle-ment ponctuelles et uniques.

Page 149: akusmatisk_L'espace du son 2

149L'Espace du son II

Il se consacre également à la composition de commandes originales pour le théâtre, la danse, le cinéma, la vidéo,..., et beaucoup d’autres applications.Depuis 1975, Nicolas Frize dirige une association «Les Musiques de la Boulangère», qui travaille à créer, promouvoir et diffuser la musique contemporaine.

François GUERINCanadaIl a étudié la musique électroacoustique et la psychologie expérimentale (maîtrise en 1978, avec Michel Imberty) à Paris, ainsi que la psychologie sociale appliquée à la perception musicale, à Strasbourg, où il a suivi les cours d’Abraham Moles et reçu un DEA. Il a obtenu en 1988 un doctorat en musicologie de l’Université de Montréal, sous la conduite de Marcelle Deschênes, en défendant une thèse sur les critères perceptifs des musiques électroacoustiques. Il travaille actuellement comme analyste en informatique.

Daniel HABAULTEtudes universitaires de Physique, Electronique et Automatique. Responsable de recherche et développement (systèmes numériques) dans l’industrie aéronautique.Crée en 1973, avec Nicolas FRIZE, le studio GES Vierzon qui a pour vocation principale l’aide à la création et à la diffusion des musiques contemporaines. Y assure la coordination des activités et la direction des études appliquées au musical.

Philippe JUBARDFrance, 1957.Se consacre principalement à la mise en oeuvre des nouvelles technologies dans le domaine de la composition, de la pédagogie et de la mise en situation de concerts du répertoire contemporain.Depuis 1979, collabore aux activités du groupe GES de Vierzon et compose dans les principaux studios français et étrangers.Participe à la conception et au développement du synthétiseur numérique d’éveil musical (MSP-2) et du Système Automa-tique de Diffusion (SYSDIFF) dans le cadre des activités du GES.

Léo KUPPERBelgique, 1935 - NidrumEtudes de musicologie à l’Université de Liège et de Bruxelles.Musicien à la Radiodiffusion Télévision Belge. Fondateur et directeur du Studio de Recherches et de Structurations Electroniques Auditives, à Bruxelles, en 1967. Créateur d’Automates Sonores et d’un Ordinateur (analogique et digital) stimulé par la voix humaine (dès 1970). Construction de coupoles sonores pour la diffusion de la musique dans l’espace (jusqu’à 104 canaux de diffusion).Fondation du Groupe Phonémique et Vocal (avec machines électroniques) présenté à de nombreux concerts internationaux.

Jacques LEJEUNEFrance, 1940 - Talence.Etudes musicales à la Schola Cantorum (Daniel Lesur) et au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (Pierre Schaeffer et François Bayle). Membre du Groupe de Recherches Musicales depuis 1969, il participe successivement aux activités de radio, de musique pour l’image et de pédagogie.Un élément foncier de sa démarche, dans la recherche d’un polyfigurisme mêlant les différents registres du réel quotidien, de ses métaphores et des figures issues de la plastique des matériaux, s’intègre d’abord dans un discours anecdotique ou surréaliste (Cri - 1971, Oedipe-Underground - 1973), pour s’éclairer dans une combinaison plus dessinée avec notamment l’émergeance du motif du personnage (Parages - 1973/74, Blancheneige - 1975, Paysaginaire - 1977). Parallèlement s’affirme l’attirance pour une iconographie du bariolage, les formes-durées suggérant l’itinérance et le cycle, l’utilisation dramatisée des grands archétypes dynamiques opposés à une écriture du vibratile et de la miniaturisation de l’image(Symphonie au bord d’un paysage - 1981, L’Invitation au départ - 1983, Une danse macabre - 1986). Sa facture tend alors vers une approche multiplicationniste de l’épaisseur et des coloris (Symphonie romantique - 1983, Requiem cantus tenebrarum - 1984) et un approfondissement du relief et de l’architectonique (Le cantique de la résonance - 1985, Les palpitations de la forêt - 1985, Messe aux oiseaux - 1986/87, Le cantique des cantiques - 1989).Son catalogue comprend aujourd’hui une soixantaine de numéros consacrés au concert, au spectacle, à la création radio-phonique et télévisuelle ainsi qu’à la pédagogie.

Cécile LE PRADOFrance, 1956.Etudes au Conservatoire de Nantes et parcours autodidacte (musique vocale et musique improvisée). Une rencontre avec des compositeurs du GRM canalise son intérêt pour la pensée musicale acousmatique. S’intéresse particulièrement à la mémoire des lieux, au paysage, à l’architecture et à la con-ception d’oeuvres en liaison étroite avec leur environnement. Collabore depuis plusieurs an-nées pour la réalisation des installations sonores avec le GES Vierzon. Créations de musiques appliquées à l’image et à la chorégraphie.

Page 150: akusmatisk_L'espace du son 2

150 L'Espace du son II

Pierre LOUETFrance, 1925, Saint-Germain-en-Laye.Agrégé de philosophie, sa trajectoire ressemble un peu à celle de Bachelard qui fut son maître : une vie professionnelle dispersée qui débouche tardivement sur des études de philosophie. Fréquentation de la Sorbonne des années 50 où l’on entend, outre Bachelard, Alquié, Hyppolite, Jean Walh... Merleau Ponty au Collège de France.Une vie consacrée à l’enseignement de la philosophie, dans les classes terminales puis en classe préparatoire, et à la médi-tation obstinée de quelques grands auteurs, parmi lesquels Platon occupe la première place.

Philippe MENARDCanada.Stages G.R.M., G.M.E.B., IRCAM. Membre fondateur de l’A.C.R.E.Q. (Association pour la Création et la Recherche Electroacoustique du Québec). Professeur au département des communication de l’UQAM (Université du Québec à Mon-tréal). Concepteur du SYNCHOROS, instrument numérique interactif Espace/Son par lequel l’interprète manipule l’espace pour produire de la musique. Reçoit en 1975 le prix Fylkingen et en 1976 le prix Radio-Canada.

Charles de MESTRALCanada, 1944 - Montréal.Ses études regroupent : BA (Université de Toronto), baccalauréat en musique (composition, Université McGill), Maîtrise, PhD (Université de Montréal). Il est compositeur, exécutant de musiques électroacoustiques, sculpteur sonore, et membre fondateur de Sonde (1976). Il enseigne actuellement au Cégep du Vieux-Montréal. Il est membre fondateur de la Com-munauté électroacoustique canadienne (CEC).

Robin MINARDCanadaRobin Minard est admis au Conservatoire de musique à la suite de l’obtention de son baccalauréat en musique de l’Université Western Ontario en 1977. Il étudie la composition et l’analyse musicale avec le compositeur Gilles Tremblay (1980-81). En 1984, Minard reçoit sa maîtrise en musique (composition) de l’Université McGill, ayant étudié sous l’égide du compositeur John Rea. Durant cette période, il a également obtenu plusieurs distinctions, notamment un prix au concours national des jeunes compositeurs de la CAPAC et de la SDE Canada en 1981.Depuis 1984, une partie de son oeuvre évolue dans le domaine de la musique «environnementale», c’est-à-dire des mu-siques destinées à créer une ambiance ou à être diffusées dans des espaces publics ou différents environnements. Dans ce genre, ses compositions comprennent autant de musiques pour instruments traditionnels que de musiques électroniques destinées à des enregistrements sur bande et à des installations spécifiques d’enceintes acoustiques.Il a reçu plusieurs commandes grâce au Conseil des Arts du Canada; depuis le début de 1987, il a maintes fois travaillé à des projets de musique environnementale et de musique de concert, en qualité de compositeur indépendant, au studio de musique électronique de la Technische Universität Berlin, à Berlin-Ouest. A l’automne 1988, le Conseil des Arts du Canada lui a attribué un studio à Paris pour entreprendre des études de doctorat à l’Université de Paris VIII.

Jean-François MINJARDFrance, 1953 - Saint-Etienne.Guitariste au sein de l’ARFI (association de musiciens lyonnais) de 1978 à 1980, année pendant laquelle il entreprend la classe de composition acousmatique du Conservatoire National de Lyon, avec Denis Dufour, jusqu’en 1983.Depuis il se consacre uniquement à la composition et à la pratique instrumentale du synthétiseur. En 1984, il est co-fon-dateur du collectif de compositeurs et interprètes QUARK et depuis 1986 assistant dans la classe de Denis Dufour, chargé des cours de synthétiseur et d’analyse.Il est l’auteur depuis 1982 de nombreuse oeuvres acousmatiques et instrumentales : Madame, Petites histoires noires, Les espaces du temps, Avohé ..., ainsi que de musiques appliquées pour la danse, le cinéma et le théâtre avec la compagnie lyonnaise Image Aiguë.

Jean-Jacques NATTIEZProfesseur titulaire à la Faculté de musique de l’Université de Montréal. Ses derniers livres : Musicologie générale et sémiologie (1987),Wagner androgyne (1990) et l’édition critique de la Correspondance Cage-Boulez (1991) aux éditions Christian Bourgeois. Récipiendaire du prix Molson, Canada (1990) pour les sciences humaines.

Robert NORMANDEAUCanada, 1955 - Québec.Baccalauréat en composition (électroacoustique) de l’Université Laval (Québec, 1984). Maîtrise en composition de l’Université de Montréal sous la direction de Marcelle Deschênes et Francis Dhomont (1988). Membre fondateur de la Communauté électroacoustique canadienne (CEC). Membre de l’association pour la création et la recherche électroacous-tique du Québec (ACREQ). Lauréat des concours internationaux de Bourges (France, 1986 et 1988), Phonurgia-Nova (Arles, France, 1986 et 1987) et Luigi-Russolo (Varese, Italie, 1989). Compositeur invité des studios d’Ohain (Belgique, 1987), de Bourges (France, 1988) et de Banff (Canada, 1989). Chargé de cours en acoustique et en électroacoustique à l’Université de Montréal depuis 1988. Depuis 1984, se consacre surtout à la composition acousmatique, mais réalise

Page 151: akusmatisk_L'espace du son 2

151L'Espace du son II

parfois des œuvres en collaboration avec des artistes venant de différentes disciplines comme l’holosculpture (Musique holographique, 1985 et Reliqua Terrae, 1986 avec Georges Dyens) et la danse (Panic Time, 1985 et Signes et rumeurs, 1987 avec Lucie Grégoire).

Justice OLSSONAfrique du Sud/France,1949, Johannesburg.Justice Olsson vit en France depuis 1975 où il a étudié la direction d’orchestre, l’électroacoustique et le jazz aux conser-vatoires d’Aix-en-Provence et de Marseille. En 1981, il acquiert la nationalité française.Les rythmes africains présents pendant toute son enfance ont marqué profondément ses compositions écrites (Spiral Keyboard) comme improvisées (Trans-African Piano). Ses autres influences incluent Stockhausen avec qui il a étudié et travaillé en 1977.Trois prix internationaux lui ont été décernés pour ses compositions : le 1er prix en catégorie musique à programme au Concours International de Musique Electroacoustique de Bourges en 1991 pour up ! ; le prix Phonurgia Nova en 1986 pour Moon Over Sandra et le prix du Festival FM de la Rochelle en 1985 pour Rencontre Sur Starless .

Bernard PARMEGIANIFrance, 1927 - Paris.Le vaste répertoire de cet auteur se réalise depuis 1959 au Groupe de Recherches Musicales, depuis Violostries avec le violoniste D. Erlih (1963) en passant par l’Enfer de Dante (1971-1972).A travers cet itinéraire, il manifeste un goût particulier du travail sur le son de la matière et le son capté dans la nature dont il se sert comme modèle.L’éphémère, le passager, les mouvements de l’air, la transparence ou l’opacité de l’espace dans lequel il étage les plans de profondeur, le répétitif et «l’effet de miroir», sont autant d’éléments dont il use à travers la notion de métamorphose sur laquelle repose un grand nombre de ses oeuvres.Sont intérêt pour l’image le conduit à réaliser quelques expériences à travers lesquelles on retrouve, mais transposées, ses idées appliquées jusque là au sonore.

Catherine PORTEVINFrance, 1962.Etudes musicales au Conservatoire de Blois de 1969 à 1979. Maîtrise de linguistique française à Paris IV- Sorbonne, avec comme sujet de recherche : «le langage de la critique musicale» (1983).Journaliste à TELERAMA depuis 1984, d’abord au service télévision, puis, dès 1985 au service radio, qu’elle dirige depuis 1989.

Gabriel POULARDFrance,1954.Etudes de piano classique puis jazz. Etudie la composition instrumentale en autodidacte (première oeuvres en 74). Stage de formation pour la musique électroacoustique au GMEB de 77 à 80.Compositeur indépendant résidant près d’Amboise. Travaille pour le Concert, le cinéma (documentaires écologiques), la TV (Crdp/FR3), le Théâtre (Le voyage en soie avec l’UNESCO). Fonde avec Sophie Marchand l’association «PHOSPHO-NIE» (association d’arts différents). Deuxième prix au 16ème concours international de Bourges (88) pour La mémoire des pierres (éditée sur CD).

Michel REDOLFIFrance, 1951Co-fondateur en 1969 du GMEM (Groupe de Musique Expérimentale de Marseille).De 1973 à 1983 il poursuit parallèlement ses activités de composition aux USA, en étant l’invité de plusieurs studios de musique électronique, dont ceux du Dartmouth College, de l’Université du Wisconsin, de l’Université de Californie et du California Institute of the Arts. Ses concerts en pleine mer et en piscine pour un auditoire flottant feront connaître internationalement ce nouveau domaine sonore. A partir de 1984, il collabore avec deux jeunes studios parisiens spécialisés dans le design sonore pour l’architecture et la radio ( Espaces Nouveaux /Louis Dandrel et La Muse en Circuit /Luc Ferrari). Depuis1986, à Nice, il est le directeur du Centre International de Recherche Musicale (CIRM), ainsi que du Festival des Musiques Actuelles MANCA.

Alain SAVOURETFrance, 1942.Etudes musicales au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris .Chargé de Recherche au GRM de l’ORTF (68-72).Producteur occasionnel à Radio-France (France-Culture - programme musical).Activité de Compositeur (Electroacoustique/Instrumentale) ininterrompue depuis 1969 grâce à des commandes régulières de l’Etat, de Radio-France, du GRM de l’INA, du GMBE. Créations et reprises dans les Festivals de Paris (SMIP, Biennale, Festival Estival), SIGMA, Bordeaux, Avignon, Munich, Stockholm, Bourges, Montréal, La Rochelle, Rio de Janeiro...

Page 152: akusmatisk_L'espace du son 2

152 L'Espace du son II

Grand Prix des Compositeurs de la SACEM 1982.Depuis 1987, maître d’œuvre d’actions et de créations «formatives», à long terme, s’appuyant sur un cahier des charges établi par une ville, un département, une région, incluant l’approche (imprégnation réciproque) des milieux musicaux con-cernés (amateurs ou professionnels), formation éventuelle, stratégie de réalisation dans le cas d’une manifestation finale du projet, etc... (Roi Artus, département des Landes - Le Plan du Logis, Vallée de l’Yerres - Célébration Orphéonique, département de la Seine et Marne -Comment ça sonne Fort-Nieulay, ville de Calais).Compositeur «résident» en Auvergne (1991) auprès de l’Université de Clermont-Ferrand (département Sciences physiques - Intelligence artificielle) et de l’Agence des Musiques Traditionnelles d’Auvergne (Recherche et Création).

Pierre SCHAEFFERFrance, 1910 - Nancy.Sorti de Polytechnique en 1931, il est détaché au Service de la Radiodiffusion en 1936. Pour avoir fondé le studio d’essai de l’O.R.T.F. (1942), la radio d’Outre-Mer et le Service de la Recherche, il peut décrire et critiquer les média de masse (Machines à communiquer, Seuil, 1970) et aborder la musique sous l’aspect fondamental (Traité des objet musicaux, Seuil, 1966). Il réserve pourtant une grande part de ses travaux à des œuvres d’imagination : des nouvelles (Excusez-moi, je meurs, Flammarion, 1981) et des romans (Le gardien de volcan, Seuil, 1969, Prélude, Choral et Fugue, Flammarion, 1983). Il a publié, en outre, des essais (L’avenir à reculons, Casterman, 1967, Les antennes de Jéricho, Stock, 1978), et d’un genre inclassable (Faber et Sapiens, Belfond, 1986).Discographie : Parole et Musique (INA.GRM 9 106 sc), Solfège de l’objet sonore (trois cassettes, INA.GRM 4001-2-3).

Robert Murray SCHAFEROntario, 1933.Il est actuellement l’un des compositeurs canadiens les plus connus. Auteur de musiques acoustiques et électroacoustiques, il a reçu de grands prix internationaux. Fondateur de l’ARC (Aesthetic Research Center) et du World Soundscape Project (1972), il est également l’auteur de nombreux ouvrages de pédagogie sonore et de quatre ouvrages dont Le paysage sonore (1976) forme en quelque sorte la synthèse.

Claude SCHRYERCanada, 1959 - Ottawa.Il a étudié la musique au Wilfrid Laurier University. Il s’inscrit au Banff Center en 1981-82 où il travaille avec Frederic Rzewski, Rudolf Komorous et Mario Davisdovsky. En 1982, il entreprend des études en électroacoustique et en composi-tion à l’Université McGill (Montréal) avec Bengt Hambraeus, Bruce Mather et Alcides Lanza. Il est membre fondateur du Group of the Eletronic Music Studio (GEMS), membre de l’ACREQ et membre de la Communauté électroacoustique canadienne (CEC). Il a beaucoup travaillé comme musicien, et producteur d’événement de musique nouvelle et multidisci-plinaire. Sa pièce A kindred spirit a reçu le deuxième prix du 14ème Concours international de musique électroacoustique de Bourges. Collabore avec Jean-François Denis aux éditions de disques I-Média diffusion.

Denis SMALLEYNouvelle-Zélande/Angleterre, 1946A étudié la musique à l’université en Nouvelle-Zélande et a commencé à se spécialiser en électroacoustique après des études au Groupe de Recherches Musicales de Paris. Il a ensuite déménagé en Angleterre où il a complété un doctorat à l’Université York. Depuis 1976, il enseigne à l’Université d’East Anglia, Norwich où il est professeur et directeur des studios d’électroacoustique et d’enregistrement. Son œuvre est entièrement consacrée à l’électroacoustique et elle a reçu de nombreux prix internationaux notamment le prix Ars Electronica en 1988.

Arsène SOUFFRIAUBelgique, 1926, IxellesEtudes musicales au Conservatoire Royal de Musique de Bruxelles, de 1939 à 1943 et avec Francis de Bourguignon, de 1942 à 1948.Chef d’orchestre, producteur à la Radio Télévision belge, chargé de cours à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et des Arts Décoratifs (section film expérimental) de 1960 à 1963. Il collabore à l’élaboration du programme de l’INSAS (école de cinéma et de télévision) où il enseignera de 1963 à 1970.Dès 1943, il se passionne de plus en plus pour la musique fonctionnelle.En 1989, il fête le trentième anniversaire de son studio, le STUDIO BIMES où il a réalisé plus de 150 opus de musique électroacoustique, ainsi que des séquences destinées à une quarantaine de musiques de films, de scènes et de ballets.Pour ses oeuvres non-fonctionnelles, il adopte très tôt la technique dodécaphonique et, après des recherches dans le domaine sériel, il aboutit à la musique électroacoustique ainsi qu’à la musique aléatoire et stochastiqueDepuis six ans, il expérimente le domaine de l’informatique musicalePrix SABAM 1985, pour les Nouvelles formes d’expression musicale.

Page 153: akusmatisk_L'espace du son 2

153L'Espace du son II

Daniel TERUGGIArgentine, 1952 - La PlataEtudes musicales de composition et de piano en Argentine, poursuivies en France, au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, classe de composition électroacoustique et de recherche musicale.Assistant de cette classe de 1981 à 1984.En 1983, devient membre du Groupe de Recherches Musicales, s’occupant de l’accueil des invités.Il est actuellement responsable de la pédagogie sur le système SYTER, ainsi que de la production musicale du Groupe avec François Bayle.Il s’intéresse principalement à la composition de musique sur support, avec des incursions dans le domaine des musiques mixtes et transformées, le son acousmatique restant le centre de ses préoccupations.

Jean Christophe THOMASFranceClasse de composition électroacoustique au Conservatoire de Paris. Collaborateur du GRM. L’esthétique - spécifique ou pas - des musiques pour bande lui semble mériter réflexion.

Horacio VAGGIONEArgentine/France, 1943. Etudes de composition musicale à l’Université Nationale de Cordoba (Argentine). Doctorat en Esthétique à l’Université de Paris-VIII. Boursier du Fullbrigth Fund, il prend contact avec l’ordinateur en tant qu’outil musical à l’Université de l’Illinois, USA (1966). Co-fondateur du Centre de musique expérimentale de l’Université Nationale de Cordoba, Argentine (1965-68) et du groupe ALEA de Madrid (1969-73). Compositeur-chercheur à l’Université de Madrid (1969-73) puis aux USA et en Europe. Boursier du Service Académique de l’Allemagne Fédérale (1987-88). Premier Prix NEWCOMP de composition assistée par ordinateur (Cambridge, USA, 1983) Lauréat du Prix de Bourges en 1982, 1986 et 1988. Réside à Paris depuis 1978, où il est Maître de conférences à l’Université de Paris-VIII, ainsi que responsable du Studio Elec-troacoustique.

Annette VANDE GORNEBelgique, 1946, CharleroiCompositeur «acousmatique», dont le goût pour la matière du son (ascendances flamandes ?) l’oriente vers la transforma-tion du réel en studio, plutôt que vers la synthèse pure. Rien ne remplace la richesse timbrique de la nature !Faisant flèche de tout son, son écoute s’oriente vers l’énergie sonore pure. Elle tend à en dégager un vocabulaire, un classement qui retrouve, malgré son apparente diversité, quelques critères d’unification de cette matière fluide, oscillante, rebondissante ou corpusculaire (par exemple).De la nature à l’abstraction, au delà de la matière.Du point de vue stylistique, elle se sent plus proche d’Aristote que de Platon, de la physique que de la mathématique, de l’expérimentation avec le sonore que du calcul prévisionnel malgré le sonore...

Christian ZANESIFrance, 1952, LourdesFormation musicale à l’Université de Pau et à Paris au Conservatoire National Supérieur de Musique avec Pierre Schaeffer et Guy Reibel. En 1977, il rejoint le Groupe de Recherches Musicales de l’INA où il pratique les métiers du son et plus particulièrement celui de réalisateur radio. Il est actuellement responsable avec François Bayle des émissions du GRM sur France-Musique.Producteur-Réalisateur des séries : Acousmathèque (1985-1990), autour de Minuit (1989), Studio 116 (1990), Plein Ciel-Studio 116 (1991).Primé par la deuxième Tribune Internationale des Musiques Electroacoustiques, Stockholm 1988

Page 154: akusmatisk_L'espace du son 2

154 L'Espace du son II

Table des illustrations

Achevé d'imprimer le 31 octobre 1991Pour Musiques et Recherches

sur les Presses des Ateliers du Manoirà Marcinelle

Imprimé en Belgiquedépôt légal n° D/1991/5368/1

couverture Luc COECKELBERGHS Acrylique sur papier, sur panneau, 1986-88, 280 X 211 X 22 P. 14 Luc COECKELBERGHS Papier asphalte sur bois, 1990, 250 X 375 X 375P. 15 Luc COECKELBERGHS acier, 1989, 300 X 400 X 17P. 21 Luc COECKELBERGHS Etude pour installation, Charbon de bois et craie sur papier, 1983, 35 X 50P. 23 Photo : Nathalie JEANP. 33 Photo : Michel CORBOV Fort Foucault P. 38 Marseille, vue de l’entrée du Bunker de Notre-Dame de la GardeP. 50 Luc COECKELBERGHS Acier, 1981, 300 X 45P. 51 Luc COECKELBERGHS Acier, 1976, 52 cm de diamètreP. 60 Luc COECKELBERGHS Acrylique sur papier, sur panneau, 1985, 85.5 X 49.5P. 65 Luc COECKELBERGHS Acrylique sur papier, sur panneau, 1988, 31.5 X 103 X 8 (Photo H. Spelmans)P. 74 Luc COECKELBERGHS Acrylique sur papier, sur panneau, 1987, 500 X 180 X 100P. 78 Luc COECKELBERGHS Eau forte, 1979, 18 X 24P. 104 Luc COECKELBERGHS Craie, aquarelle sur papier, 1990, 42 X 29.5P. 106 Luc COECKELBERGHS Craie, aquarelle sur papier, 1988, 31.5 X 13.2P. 107 Luc COECKELBERGHS Craie, aquarelle sur papier, 1988, 31.5 X 13.2P. 112 Luc COECKELBERGHS Acrylique sur fibre de verre sur panneau, 1989, 111 X 89 X 8P. 116 Luc COECKELBERGHS Craie sur papier, 1987, 72 X 53P. 122 Luc COECKELBERGHS Installation «Speelhoven», 1983, fil d'acier/miroir P. 126 Luc COECKELBERGHS Craie, aquarelle sur papier, 1988, 42 X 29.5P. 132 Luc COECKELBERGHS Craie sur papier, 1984, 53 X 72P. 141 Luc COECKELBERGHS Eau forte, 1976, 28 X 20P. 146 Luc COECKELBERGHS Terre cuite et acrylique, installation Hôtel New Siru Bruxelles, 1988, 250 X 195 X 10

Page 155: akusmatisk_L'espace du son 2

155L'Espace du son II

L’espace, le grand espace, est l’ami de l’être.

Gaston BACHELARD, La poétique de l'espace p. 188

Page 156: akusmatisk_L'espace du son 2

«Rarement pris au “sérieux” par la musique traditionnelle, l’espace n’a jamais été une dimension compositionnelle susceptible de rivaliser avec les autres». (Stroppa)Voici, certes, une affirmation que nous ne reprendrons pas à notre compte. Est-ce parce que la musique qui nous occupe ici échappe à la tradition? Ou plutôt parce qu’elle est déjà la tradition de demain ?

Quoi qu’il en soit, L’espace du son «persiste et signe» : voici donc L’espace du son II , nouveau numéro thématique qui fait suite à la réflexion entre-prise en 1988, l’élargit, suscite le débat contradictoire et donne la parole à de nombreux auteurs :

Patrick ASCIONE, François BAYLE, Lucien BERTOLINA, Pierre BOULEZ, Daniel CHARLES, Michel CHION, Jean-Marc DUCHENNE, Denis DU-FOUR, René FARABET, Nicolas FRIZE, François GUERIN, Philippe JUBARD, Daniel HABAULT, Léo KUPPER, Jacques LEJEUNE, Cécile LE PRADO, Pierre LOUET, Philippe MENARD, Charles de MESTRAL, Robin MINARD, Jean-François MINJARD, Jean-Jacques NATTIEZ, Rob-ert NORMANDEAU, Justice OLSSON, Bernard PARMEGIANI, Catherine PORTEVIN, Gabriel POULARD, Michel REDOLFI, Alain SAVOURET, Pierre SCHAEFFER, R. Murray SCHAFER, Claude SCHRYER, Denis SMALLEY, Arsène SOUFFRIAU, Daniel TERUGGI, Jean-Christophe THOMAS, Horacio VAGGIONE, Annette VANDE GORNE, Christian ZANESI.

C’est à un philosophe que nous avons demandé d’introduire ce nouveau questionnement : Espace de la musique et musique de l’espace dresse donc l’état des lieux.

Topophonies ou l’espace-paysage se penche sur la présence du son dans les endroits qu’habite l’homme, analyse les problèmes de notre environnement sonore et ose quelques adéquations musicales entre milieu et sonorité.

L’espace rayonné rappelle que «l’espace radiophonique» fut celui des pre-mières grandes œuvres électroacoustiques et qu’il demeure le lieu mental de toutes les virtualités spatiales.

Espace de projection/projection dans l’espace offre une tribune à la con-troverse qui oppose techniques multipistes et stéréophonie. Quelques «machines de l’espace» y sont également présentées.

Réfléchir l’espace tente de faire le point entre des positions composition-nelles qui ne s’inspirent pas toutes des mêmes stratégies mais qui toutes témoignent de l’irruption de l’espace comme dimension à part entière de la musique du XXIème siècle.

Enfin, Rêver l’espace ? questionne l’imaginaire des musiques acousma-tiques.

Page 157: akusmatisk_L'espace du son 2