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A liénor, dans la splendeur de ses20ans! Jamais les habitants de la petite bourgade de Nieul-sur-l’Autise n’oublieraient cette journée de l’an 1141 ! Depuis des semaines, ils l’atten- daient! Elle arrivait enfin! Ils ne pouvaient cacher la fierté qu’ils éprouvaient de recevoir leur reine. C’était une très belle femme dans la splendeur éclatante de ses vingt ans, parée comme une reine dans sa robe écarlate, un diadème sur la tête. Elle était suivie d’un brillant cortège d’apparat, un magnifique ost de 50 che- valiers recrutés parmi les meilleurs du duché, la suite royale longuement applaudie par les habitants, se déployait au rythme des chevaux, suivis d’une impressionnante litanie de chariots attelés à des bœufs progressant lentement. Malgré tout ce faste, l’heure était à l’intimité, au recueillement. Aliénor, duchesse d’Aquitaine et reine de France, revenait au pays natal se recueillir sur la tombe de sa mère Aénor, décédée et inhumée dans cette église voilà maintenant onze années. Quand elle descendit, les habitants furent émerveillés par la magnificence de son habit, une belle robe à longues manches traînant jusqu’à terre et s’ou- vrant sur une doublure de soie. Enfant, elle s’était maintes fois fait raconter l’aventure à laquelle avaient pris part ses pères. Cette grande épopée avait commencé un jour non connu de 1068, lorsqu’était arrivé en ces lieux un groupe de chanoines, appelés par le Seigneur de Vouvant Airault Gassedenier, propriétaire de la terre de Nieul, pour construire une abbaye. Le commanditaire entendait ainsi, pratique courante à l’époque chez les sei- gneurs, assurer le salut de son âme et de sa famille en affirmant son pouvoir. Cortège royal d’Aliénor d’Aquitaine (détail), chapelle Sainte-Radégonde, Chinon.

Aliénor, dans la splendeur de ses 20 ans

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Page 1: Aliénor, dans la splendeur de ses 20 ans

Alié n o r,d a n s lasp le n d e u r d e se s 20 a n s !Jamais les habitants dela petite bourgade deNieul-sur-l’Autisen’oublieraient cette journée de l’an 1141 ! Depuis des semaines, ils l’atten-daient ! Elle arrivait enfin ! Ils ne pouvaient cacher la fierté qu’ils éprouvaientde recevoir leur reine.

C’était une très belle femme dans la splendeur éclatante de ses vingt ans, paréecomme une reine dans sa robe écarlate, un diadème sur la tête.Elle était suivie d’un brillant cortège d’apparat, un magnifique ost de 50 che-valiers recrutés parmi les meilleurs du duché, la suite royale longuementapplaudie par les habitants, se déployait au rythme des chevaux, suivis d’uneimpressionnante litanie de chariots attelés à des bœufs progressant lentement.Malgré tout ce faste, l’heure était à l’intimité, au recueillement. Aliénor,duchesse d’Aquitaine et reine de France, revenait au pays natal se recueillirsur la tombe de sa mère Aénor, décédée et inhumée dans cette église voilàmaintenant onze années.

Quand elle descendit, les habitants furent émerveillés par la magnificencede son habit, une belle robe à longues manches traînant jusqu’à terre et s’ou-vrant sur une doublure de soie.Enfant, elle s’était maintes fois fait raconter l’aventure à laquelle avaient prispart ses pères. Cette grande épopée avait commencé un jour non connude 1068, lorsqu’était arrivé en ces lieux un groupe de chanoines, appeléspar le Seigneur de Vouvant Airault Gassedenier, propriétaire de la terre deNieul, pour construire une abbaye.Le commanditaire entendait ainsi, pratique courante à l’époque chez les sei-gneurs, assurer le salut de son âme et de sa famille en affirmant son pouvoir.

Cortège royal d’Aliénor d’Aquitaine (détail),

chapelle Sainte-Radégonde, Chinon.

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Un site déjà habité depuis le néolith ique

Le choix du lieu n’était jamais laissé au hasard. Traditionnel -lement, on bâtissait les monastères sur les ruines d’un lieu deculte ancien, tombé dans l’oubli ou anéanti lors des périodestroubles des IXe et Xe siècles. Il est probable qu’il en fut ainsi àNieul, si l’on s’appuie sur la datation carolingienne de quelquespierres tombales.Ces établissements religieux n’avaient pas vocation à s’implanterdans des zones désertes. Le site choisi était humainement occu-pé depuis fort longtemps. Le nom de Nieul désigne un espacenouvellement défriché.La présence d’un habitat aux époques gauloise et gallo-romaineest confirmée par la découverte de pièces de monnaie au siècledernier. L’existence d’une cour à l’emplacement du futur châteaudes ducs d’Aquitaine atteste la continuité de la présence humai-ne à l’époque mérovingienne.

Un carrefour stratégique

La situation géographique était propice à cette édification : Nieulétait situé aux portes de la vallée de l’Autise et sur le passage duchemin vert, route extrêmement importante à l’époque puis-qu’elle reliait la côte aux grandes villes de la province.

Des fondateurs généreux

C’est donc dans un tel lieu, propice à la méditation que s’instal-lèrent les chanoines. Pour mener à bien leur entreprise, ils reçu-rent du seigneur de Vouvant la terre et seigneurie de Nieul avectoutes ses dépendances; le seigneur leur abandonna, en outre,tous les droits qu’il possédait sur la seigneurie et terre de Benet.Le geste n’était pas banal à une époque où la possession de la terredemeurait le fondement de la richesse et donc de la puissance.

Aux IXe et Xe siècles,le royaume esttroublé par lesinvasionsnormandes :ces barbarescherchent avant toutdes métaux précieuxqu’ils trouvent dansles riches églises.

Nieul tire sonorigine du gauloisnovio – ialos quise traduit par" nouvelleclairière ".

Autrefois dénommé" chemin de Sainte-Radegonde ",le chemin vertreliait à l’époquemérovingiennel’abbaye Ste-Croix-de-Poitiers à certains deses domaines deJard. Ce chemin, quidevait par la suiteêtre emprunté parles sauniers, partaitde Limoges et passaitpar Niort, Benet,Lesson, Nieul,Xanton, St-Martin,Darlais et rejoignaità Fontenay lechemin des Sauniers,venant de Parthenaypar Charzais.

St-Michel-en-l’Herm

Luçon

Marans

Fontenay-le-Comte

Nieul-sur-l’Autise

Maillezais

Niort

Le golfedes Pictonsau débutdu Moyen Âge

Vaste triangle d’environ 100000 ha, le Marais poitevin était recouvert, il y a 10000 ans, par le golfe des Pictons d’oùémergeaient une vingtaine d’îles. Les moines, au XIIe et XIIIe siècles, entreprirent les premiers travaux d’assèchementdu marais né du retrait progressif de l’océan.

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Une naissance pr incièr e

À quelque temps de là, se produisit un heureux événement auxretombées bénéfiques pour l’abbaye : la naissance d’Aliénor, fillede Guillaume X d’Aquitaine, au château ducal. Cette naissance loinde Poitiers, résidence principale des ducs, s’explique par l’habi-tude qu’avaient les seigneurs de parcourir leur domaine, de châ-teau en château, pour vivre des produits de leurs terres et rendrela justice.Huit ans plus tard, c’est à l’abbaye que fut confié le dernier reposd’Aénor de Chatellerault, mère d’Aliénor. La tradition voulaitqu’elle soit inhumée à Poitiers ou à Maillezais. Son attachementà Nieul et les circonstances religieuses en décidèrent autrement.En effet, dans le conflit qui opposait les papes Innocent II etAnaclet, élus en même temps, Guillaume X d’Aquitaine soutenaitAnaclet. Or les moines de Maillezais s’étaient rangés du côtéd’Innocent II tandis que les chanoines de Nieul, à l’instar deGeoffroy de Loroux, membre influent de leur ordre, avaient adop-té une attitude de réserve et ne purent s’empêcher d’accueillir ladépouille de leur bienfaitrice.

L’abbaye placée sous la protection royale

Devenue reine, la jeune duchesse d’Aquitaine n’oublia pas l’ab-baye et la prit sous sa protection. C’est le roi en personne quiconfirma l’acte de fondation du monastère et les nombreusesdonations dont il avait été le bénéficiaire, en 1141, lors de son pas-sage dans la ville de Niort accompagné de son épouse. Il prit soussa protection cette abbaye et lui conféra le titre d’a bba y e r o y a le .Dans ces temps de troubles et face aux nombreuses tentativesd’usurpation de titres et de terres de la part de guerriers peu res-pectueux des droits de l’Église, se réclamer du patronage du roiétait une garantie sérieuse et précieuse. Cette protection serait plustard renouvelée par Philippe VI et Jean II précisément au débutde la Guerre de cent ans.Capital pour le développement de l’abbaye fut donc cet attache-ment d’Aliénor à sa terre natale, attachement qui se manifesta parla participation à la croisade royale du seigneur de Vouvant et deNieul, Sebrand Chabot en 1147.

La construction

Les chanoines, confortés par les appuis royal et seigneurial, et parl’affluence continuelle de dons, achevèrent au début du XIIe sièclela construction de leur monastère. Le chœur initial, provisoire, lais-sa la place à une abbatiale aux majestueuses proportions. Lafaçade, richement ornementée, comportait alors deux étages et seterminait par un fronton, l’unique clocher des églises poitevines

Guillaume X,Comte de Poitierset duc d’Aquitainede 1126 à 1137.Père d’Aliénor,vassal direct du roide France, il est à latête d’un duché beau-coup plus étendu quele domaine royal.Il meurt en avril 1137à Compostelle, àl’âge de 38 ans.

Aénor deChatellerault,épouse Guillaume Xd’Aquitaine en 1121et donne naissance àAliénor en 1122.Elle faisait de fré-quents séjours àl’abbaye de Nieul.

Geoffroy deLoroux, théologien,chanoine augustin,archevêque deBordeaux (1136-1158),avait choisi de nepas prendre partidans cette affaire.C’est lui qui mariaAliénor et Louis VII àBordeaux et qui pro-nonça,quatorze ans plustard, la nullité de cemariage, invoquantla consanguinité quiévitait la répudiationet conservait lalégitimité des deuxfilles du couple.

Aliénor deux foisreine. À la mort deson père en avril1137, elle devientduchesse d’Aquitaine.Très courtisée en rai-son de sa beauté sen-suelle et surtout deson pouvoir poli-tique, elle est mariéeau fils du roi deFrance le 25 juillet1137 à Bordeaux.Une semaine plustard, à la mort du roi,Aliénor devient…

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…reine de France.Elle a 15 ans. Elleapporte en dot unterritoire qui courtde la Loire auxPyrénées. Au retourde la croisade, le roiLouis VII jaloux deson épouse fait pro-noncer le divorce.Elle se remarie deuxmois après avecHenri Plantagenêt,duc de Normandie,qui devient roid’Angleterre en 1154.

Fin XIe, la familleChabot acquiertla seigneuriede Vouvant parle mariage d’Alicede Vouvant avecThibaut Ier, témoinde la fondation del’abbaye. Son filsSebrand sera l’undes grands person-nages de la courd’Aliénor et prendrapart à la 2e croisade.

La 2e croisade(1147-1149)est prêchée parBernard deClairvaux et dirigéepar l’empereurd’Allemagne etle roi Louis VIIaccompagnéd’Aliénor quirevient subjuguéepar les fastes del’Orient.

coiffant la croisée du transept. Il semble qu’à la fin du XIIe un clo-cher trapu entouré de deux flèches symétriques soit venu cou-ronner la façade. Faut-il voir dans ce remaniement la trace de lafaveur de quelque grand?

La façade de l’égliseabbatiale deNieul-sur-l’Autiseau XIXe siècle, avantle remaniementdu clocher.Gravure d’Octavede Rochebrune.

La Blanche

Île d’Yeu

Île Chauvet

Breuil Herbaud La Grainetière

Les Fontenelles

Bois Groland

St-Jean d’Orbestier Talmont

Lieu-Dieu Angles

St-Michel-en-l’Herm

Luçon

Moreilles Nieul-sur-l’Autise

Maillezais

Trizay

NoirmoutierLes abbayes du bas-Poitou au Moyen Âge

Cisterciens+OSBOSAPrémontrés