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Introduction par Neil T. Anderson Traduction française: Dominique Egg, Ruth Morton, Tim Pooley

Alors Suis-je assez sage maintenantEBOOK

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Introduction par Neil T. Anderson

Traduction française: Dominique Egg, Ruth Morton, Tim Pooley

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ISBN 978-2-36957-047-9

© 2014, Carolyn Bramhall

Aucun extrait de cette publication ne peut être reproduit ni transmis sous une forme quelconque, que ce soit par des moyens électroniques ou mécaniques, y compris la photocopie, l'enregistrement ou tout stockage ou report de données sans la permission écrite de l'éditeur.

Publié par Editions l'Oasis, année 2014.

Ce livre a été publié sous la division auto publication ‘Publiez votre livre !’ des Editions l'Oasis. Les Editions l'Oasis déclinent toute responsabilité concernant d'éventuelles erreurs, aussi bien typographiques que grammaticales, et ne sont pas forcément en accord avec certains détails du contenu des livres publiés sous cette forme.

Dépôt légal: 2e trimestre 2014.

Imprimé en France

9, Rte d'Oupia, 34210 Olonzac, France

Tél (33) (0) 468 32 93 55 * fax (33) (0) 468 91 38 63

Email: [email protected]

Boutique en ligne sécurisée sur www.editionsoasis.com.

Vous avez écrit un livre, et vous cherchez un éditeur? Vous pouvez publier votre livre via Editions l'Oasis! RDV sur notre site, rubrique ‘Publiez votre livre !’ pour plus d’information.

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Préface 11

S’exposer 13

Introduction 15

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Chapitres

1. Secrets 19

2. Un enfant 23

3. Un changement 31

4. Un défi 37

5. Un choix 47

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6. Perturbations 61

7. Déclins 71

8. Départ 81

9. Détresse 87

10. Déroulement 97

11. Perversité 119

12. Désordres 131

13. Direction 139

14. Décision 151

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15. Réunion 163

16. Renouvellement 173

17. Résistance 181

18. Réjouissance 193

Proclamation 203

Conclusion 205

Annexes A et B et où trouver de l’aide 215

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Un livre profondément enrichissant. Comme je connais bien Carolyn, je me rends compte à quel point son histoire est miraculeuse. C’est un livre vraiment important.

Jennifer Rees Larcombe

L’horreur et la fascination d’une nouvelle de Susan Howatch, écrite avec une beauté poétique rappelant la sensibilité et le caractère détaillé des souvenirs de Cider with

Rosie, le tout raconté avec l’inimitable sens de l’humour de Carolyn. Le récit stupéfiant de cette expérience si profondément douloureuse mais malgré tout remplie d’amour et d’espérance, capte notre attention jusqu’à sa conclusion dont le triomphe nous remonte le moral.

Donna Fletcher Crow, auteur de Glastonbury: The Novel of Christian England

Une histoire bien écrite, décrivant une enfance apparemment sans problème, pourtant entachée par la subite révélation d’un grand désordre, suivie de maladies et du secours par la prière, l’amitié et la guérison qui ouvrent la voie à la vraie vie.

Gerald Coates

Un témoignage remarquable qui révèle la puissance de l’intervention divine. Alors que Carolyn lutte pour la guérison de la fragmentation de son âme, le thérapeute et les chrétiens qui l’entourent prient pour elle, l’accompagnant ainsi à travers les jours sombres. Par leurs encouragements et leur soutien, Carolyn apprend à se défaire des comportements qui l’avaient aidée à survivre jusque-là. Elle entre alors dans la guérison totale et devient la personne que Dieu a prévu qu’elle soit. Loué soit Dieu.

Linda Caine auteur de Out of the Dark

Il faut du courage pour écrire un livre tel que celui-ci. Je suis très heureuse que Carolyn ait pu l’accomplir. J’ai été émue par le récit du début à la fin. Je suis convaincue qu’il ouvrira des pistes pour beaucoup de gens, et leur apportera espérance et secours pour les amener à la vraie guérison.

Dr. Elaine Storkey, collaboratrice dans la recherche à Wycliffe Hall, Oxford

Carolyn Bramhall est responsable du Ministère Heart for Truth • Reading – Angleterre. Ministère chrétien qui vise à équiper les églises et les groupes afin d’aider efficacement les personnes traumatisées et abusées.

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Ce livre est dédicacé à John, mon mari et meilleur ami, et à mes deux merveilleux enfants, Amy et Luke. Je suis fière de vous, les trois personnes les plus précieuses de ma vie.

«Alors que vous vivez cette nouvelle vie, nous prions que vous soyez fortifiés par les ressources illimitées de Dieu afin que vous puissiez traverser toute épreuve, et l’endurer dans la joie. Vous pourrez même remercier Dieu, dans la douleur et les difficultés, partageant le destin des privilégiés qui vivent dans la lumière. Nous ne devons jamais oublier que Dieu nous a délivrés de la puissance des ténèbres et nous a rétablis dans le royaume de son Fils bien-aimé. Car c’est uniquement par son Fils que nous avons été rachetés et que nos péchés ont été pardonnés.» (Colossiens 1: 11-14; traduit de la version anglaise de J.B. Phillips)

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C’est un grand privilège d’avoir été aimée et soutenue par de nombreuses personnes qui ont été pour moi le témoignage vivant de la fidélité, de l’amour de l’église de Christ, et qui manifestent ainsi le royaume de Dieu.

Ma reconnaissance s’adresse à toutes les personnes merveilleuses dont je ne pourrai pas citer les noms. Beaucoup d’entre elles figurent dans ce livre et d’autres n’y sont pas, mais elles savent que je les connais et Dieu lui-même les connaît. Je prie pour que le Dieu de la liberté et des bonnes surprises les bénisse abondamment.

Quelques noms et lieux mentionnés dans ce livre ont été changés afin de protéger l’identité de certaines personnes. Les événements y sont racontés avec autant d’exactitude que possible. Pour pouvoir vous retracer mon histoire de façon précise, il m’a fallu puiser les informations dans tout le matériel produit lors de mes prises en charge thérapeutiques, c’est-à-dire notes, journal, photographies, créations artistiques des alter, témoignages d’amis et les nombreuses lettres envoyées d’outre-Atlantique alors que notre famille était séparée.

Une bonne partie de mes informations proviennent des cassettes vidéo et audio enregistrées pendant les consultations; Ainsi, la plupart des conversations reportées dans ce livre, en sont une transcription exacte. Je suis particulièrement reconnaissante au Seigneur d’avoir pourvu au matériel et aux personnes engagées dans le travail du ministère de Liberté en Christ, qui m’ont fidèlement enseigné les vérités qui ont grandement contribué à ma libération et à ma guérison en Christ.

La Parole de Dieu est digne de confiance, Sa grâce ne change pas et Son amour nous guérit. En fin de compte, c’est à Lui que revient toute la gloire.

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J’ai eu le privilège d’aider des gens partout dans le monde à résoudre leurs conflits personnels et spirituels et à découvrir leur liberté en Christ. J’ai vu Dieu libérer les captifs, consoler et rétablir ceux qui avaient le cœur brisé par l’abus. Je n’ai jamais été aussi convaincue que la réponse se trouve en Jésus. C’est par la vérité de la Parole de Dieu que nous sommes affranchis pour devenir les hommes et les femmes qu’Il veut que nous soyons.

J’ai vu des enfants de Dieu remporter la victoire sur la dépression, l’anxiété et les dépendances sexuelles et chimiques, ainsi que sur toutes sortes d’abus, mais les cas d’abus rituels sataniques sont les plus difficiles. Pour y survivre, beaucoup de personnes ayant subi ces atrocités, expérimentent une fragmentation de l’âme qui compartimente la souffrance inhérente à ces actes. Cette faculté est appelée « dissociation ». Elle est permise et donnée par Dieu, tel un mécanisme de défense et de survie, dans des cas d’abus extrêmes. En présence d’abus, la personne se « dissocie »de l’événement, ce qui lui permet de se développer plus ou moins normalement, en oubliant le souvenir des traumatismes. Cependant, la partie de la personne qui était présente, a mémorisé l’atrocité de l’acte. Si vous n’avez jamais été confronté à une personne qui peut passer d’une personnalité à une autre en l’espace d’un instant, il est difficile de croire que cela puisse survenir. Certaines de ces personnalités se ressemblent à tel point qu’elles peuvent passer inaperçues lorsqu’elles se manifestent, alors que d’autres peuvent être radicalement différentes.

Dans le monde professionnel, le terme de «troubles de la personnalité multiple» qui désignait cet état, a été abandonné au profit du terme «trouble dissociatif de l’identité».

Ayant organisé une conférence au Texas il y a quelque temps, j’y suis retourné une année plus tard. Une conseillère professionnelle utilisait régulièrement dans le cadre de ses consultations notre approche de relation d’aide qui vise une croissance dans la maturité en Christ. Lors d’une consultation, elle s’est trouvée face à une personne qui résistait à tout effort. Lors de ma seconde visite, elle est venue me demander si je pouvais rencontrer sa cliente. Après les cinq premières minutes de l’entretien, la personne s’est levée de sa chaise en colère et dit: «J’en ai assez du fait que vous voulez vous débarrasser de moi.» La conseillère, pensant que c’était la manifestation d’un démon, me dit alors: «Vous voyez le problème!». Je lui dis que non, que c’est simplement une autre facette de sa personnalité.

Il arrive fréquemment dans les églises de croire, à tort, que ces différentes personnalités sont des démons et de vouloir les chasser. En revanche, beaucoup de conseillers professionnels qui manquent de connaissances théologiques tendent à vouloir intégrer les démons dans la personnalité de leur client pensant qu’il s’agit de

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fragments de personnalité. Pour tout compliquer, la victime elle-même ne sait pas différencier l’une de l’autre parce que chacune des différentes personnalités semble être une voix qu’elle entend. Ces clients posent de réels défis aux conseillers et thérapeutes, car la résolution de leur problème nécessite le discernement spirituel et l’exercice de la connaissance de la Parole de Dieu ainsi que la compréhension du phénomène de dissociation.

L’aspect spirituel du problème laisse les psychologues non croyants sans ressources. Ils expriment parfois le désir de voir l’Église s’engager mais ne croient pas en sa capacité d’intervention, ne connaissant rien de la puissance de guérison qui se trouve en Christ. Par conséquent, ils sont rarement ou jamais, témoins de l’intégration totale qui se produit lorsque Dieu se manifeste comme l’Admirable Conseiller. Ici, nous avons l’histoire de Carolyn Bramhall qui a expérimenté une guérison complète parce que les personnes l’ayant prise en charge et accompagnée étaient ouvertes à la vérité de la Parole de Dieu et, en même temps, sont restées à son écoute, persuadées de la véracité de son récit. Cela lui a permis de comprendre son identité en tant que personne dissociée aussi bien que sa nouvelle identité en Christ. C’est cette vérité qui lui a permis d’être totalement libre.

Au début, je croyais que les cas de troubles dissociatifs de l’identité étaient très rares mais au cours des années 80, j’ai rencontré bon nombre de pasteurs et conseillers dans différentes parties du monde, qui peinaient face à des personnes présentant ce syndrome. Ceux qui réussissaient à en sortir avaient réalisé leur identité en Christ et assumé leur propre responsabilité pour la guérison. À travers la repentance authentique et la foi en Dieu, ils ont appris comment se tenir en Christ dans leur intégrité retrouvée. Leur témoignage confirme que Jésus les a libérés en brisant leurs chaînes et en restaurant leur cœur meurtri.

Le témoignage contenu dans ce livre atteste le fait que, quand une personne permet à la vérité de pénétrer dans toutes les parties de sa personnalité et cela malgré l’extrême douleur que peut engendrer le processus, l’œuvre de grâce que Dieu y accomplit produit une restauration complète.

Carolyn est maintenant un instrument puissant dans les mains du Seigneur pour aider des personnes à entrer dans un processus de restauration en Christ, parce qu’elle sait, de par sa propre expérience, que seule la vérité libère des liens et des ravages du péché.

Ce livre apportera de l’espoir à ceux qui désirent comprendre un client ou membre de l’église qui souffre, ainsi qu’à ceux et celles qui sont tourmentés par des voix et par l’angoisse.

Tout ceci est possible parce que Celui qui est en nous est plus grand que celui qui est dans le monde. Loué soit Dieu de qui vient toute bénédiction.

Dr. Neil T. Anderson, fondateur de Liberté en Christ, et président de Discipleship

Counseling Ministries (Formation de disciples et relation d’aide).

(www.discipleshipcounselingministries.org).

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Est-ce que j’ose…?

Est-ce que j’ose prendre le risque?

Est-ce que je prends le risque d’exposer mon cœur si las de la vie et vous permettre d’y pénétrer?

Si vous me touchez, je ressens la douleur.

Cette douleur sacrée.

Seulement un petit nombre a la permission d’entrevoir…

…Osera jeter un coup d’œil

Sur ce mélange vulnérable de douleurs et de joies appelé «moi»

Mais supposons seulement….

Que je vous permette de ressentir la douleur

D’entrevoir cette âme qui se fend, ce cœur qui se brise, la peur qui me fait douter de moi-même

Supposons que je vous laisse voir même un seul instant mes rêves brisés en mille éclats

L’espoir étouffé mais qui malgré tout brille encore

Peut-être aurez-vous une caresse, un baume, une huile d’amour

Peut-être, se pourrait-il, que vous puissiez m’aider à me libérer de ce lien qui m’étouffe et qui hurle en moi

Afin que je puisse à nouveau respirer.

Peut-être, peut-être pourrez-vous soulever le poids glacial de ma propre condamnation

Et m’offrir les tendres vagues de l’amitié

Pour inonder les rivages asséchés de ma dignité épuisée afin de me ramener à la VIE.

MERCI.

Merci de me permettre

D’être en souffrance

Écrasée mais non détruite

Pour vous révéler

Qui je suis

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Des cris aigus explosent sans répit dans l’atmosphère chargée d’une terreur aveuglante. S’agit-il d’un animal blessé ou d’une chambre de torture ?

Une voix paisible interrompt le cri effrayé du cœur angoissé de la petite victime, me rassurant, témoin réticent que je suis, qu’elle se trouve maintenant dans un endroit de sécurité. Mais la terreur du traumatisme me pourchasse, et trouve son écho dans toutes les parties de mon être.

J’arrête la cassette et je m’appuie sur le dossier de mon fauteuil bien rembourré, m’installant confortablement pour mieux peser ce que je viens d’entendre.

Ces cris provenaient de la voix d’une petite enfant, juste une enfant, prise sans pitié dans l’étau d’une peur dévastatrice et incontrôlable. Quelle atrocité est à l’origine d’un cri d’une telle violence? Quel est le tourment inavouable qui a dénaturé cette innocence en herbe? Est-ce que je peux supporter d’en entendre encore?

En tremblant, je me penche sur le magnétophone pour relancer la cassette et l’écouter encore une fois, poussant les limites de mon endurance à l’extrême pour à nouveau écouter cette tirade angoissante. Je me penche vers l’avant, les muscles tendus, les tempes pulsantes et la bouche desséchée. Vers la fin de l’enregistrement, les hurlements font place à des gémissements, alors qu’une voix d’homme rassurante et douce calme la petite victime. Ses mots sont exprimés avec constance. Les petits cris aigus diminuent peu à peu et se muent en plaintes pathétiques empreintes de douleur. On entend encore faiblement des gémissements imprégnés d’une grande fatigue provenant du magnétophone posé sur la table basse juste en face de moi: «Plus jamais…non plus jamais… non plus jamais.» Silence. La voix apaisante continue: «Tu viens juste de te souvenir…juste de te souvenir. Je suis là, tu es en sécurité maintenant. Ça s’est passé il y a longtemps. C’est simplement un souvenir. Plus personne ne te fera du mal, plus jamais. Plus personne. Tu es en sécurité maintenant.»

Le soupir inconscient d’un soulagement me renvoie au présent et encore une fois je me penche pour arrêter la cassette, comme si mon esprit secoué lançait un défi à mon intelligence de peser les affreuses implications de ce que je venais d’entendre.

Cette enfant pourra-t-elle un jour décrire ce qu’elle a vu? Lui sera-t-il permis d’exprimer ce qui lui a été fait? Lui sera-t-il possible de ressentir de la joie, de la liberté? Et qui est cette enfant?

Cette dernière question m’a entraînée dans une intense bataille intérieure, sachant qu’au fond j’en connaissais la réponse, tout en m’accrochant désespérément à la branche d’incrédulité qui se rompait petit à petit. Oui, je connaissais cette enfant et plutôt bien, très bien même, car j’ai souvent entendu ses cris…

Cette enfant, c’est moi!

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J’ai un secret. N’en avons-nous pas tous? Des cadavres dans le placard? Seulement le mien ressemblait moins à un cadavre qu’à une personne tout en sang, en vie, qui cognait vigoureusement. En fait, il y en avait plus qu’un: mon placard était bruyant et semblait vouloir éclater. Pendant des années j’en ai ignoré le secret. Néanmoins, je savais qu’il y avait des cadavres! Je ne savais seulement pas qui ils étaient. Et lorsque je l’ai su, je me suis sentie mal à l’aise et coupable, un peu comme lorsqu’on surprend quelqu’un en train de s’habiller. Je me suis vue luttant pour me recouvrir en mon for intérieur. Je n’étais pas prête à voir ce que j’y avais vu.

D’autres l’ont appris, et la honte sournoise qu’on apercevait de temps à autre se changeait en horreur jusqu’à ce que j’aie pu reconnaître l’amour chez des personnes qui ne portaient aucun jugement sur moi. Elles me considéraient comme étant différente des autres mais ne me condamnaient pas.

Ce qui s’est passé, vous le comprendrez plus tard, c’est que pour certaines raisons ma personnalité s’était fragmentée en plusieurs parties afin que je puisse simplement faire face à la vie. Je vivais comme plusieurs vies différentes mais c’était toujours moi. Il me fallait fournir de gros efforts pour avancer et continuer la marche. Sans ces «secrets» j’aurais peut-être pu accomplir de grandes choses! J’aurais peut-être été une personne importante et pu accéder à des hauteurs insoupçonnées… mais j’étais obligée de traîner ces secrets, ces échardes dans ma chair, cette connaissance du passé jusqu’à en être épuisée. J’étais prête à tout abandonner, à jeter l’éponge, à piquer une colère et crier: « Je ne veux plus jouer le jeu de la vie.» Puis il s’est passé quelque chose … de nouvelles personnes sont entrées en scène, des personnes prêtes à apprendre mon histoire, et à m’aimer quand même.

Bien sûr, vous avez le choix de croire ou pas mon récit, car il est plutôt étrange, et certains d’entre vous pourraient très bien vouloir écarter trop vite des phénomènes que vous trouvez à la fois incompréhensibles, et étrangers à votre propre expérience. Mais je vous demande au moins de le considérer attentivement, car je ne suis pas si étrange que ça. Et Dieu dans son infinie sagesse et tendresse a transformé des horreurs innommables en un kaléidoscope des couleurs de l’espérance.

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Comme les multi-fragments de ma personnalité contenaient les couleurs qui ne me plaisaient pas, la vie me semblait plus facile lorsque j’en étais inconsciente. Jusqu’au moment où une autre personne le décela. Une lueur de lumière émanant de cette personne a pu saisir un fragment d’une de mes couleurs et le secret fut dévoilé.

J’ai souhaité vous raconter mon histoire parce qu’elle ne m’effraie plus et que je n’ai plus honte de mon kaléidoscope de couleurs, aussi étrange soit-il. Ces couleurs furent miennes et m’appartiennent toujours. Les vôtres sont sûrement différentes, peut-être tout aussi variées, mais différentes.

Pendant des années, j’ai porté le fardeau de mon passé comme quelque chose d’inavouable, tel un péché qu’on ne peut confesser. Aujourd’hui, je ne le vois plus comme un bagage non désiré que je traîne à contrecœur sur un dos déjà douloureux. Mon passé fait maintenant partie de la merveilleuse histoire de ma rédemption et de cette chronique magnifique et sans fin, qui raconte comment Dieu a délivré l’humanité toute entière d’un passé triste et terni, et comment il transplante joyeusement tous ceux qui le veulent, dans un royaume de lumière et de beauté, où coulent sans contrainte les eaux de la fontaine de la vie.

Au cours de ce cheminement, certains ont découvert les multiples facettes de ma personnalité et en ont été effrayés, d’autres ont été choqués ou repoussés. Beaucoup, par contre, sont venus vers moi pour me secourir. J’ai été pendant toute cette période l’objet tantôt de leur pitié, tantôt de leur admiration, de leur amour, tantôt de leur haine, de leurs reproches. J’ai parfois aussi été dorlotée. Certaines personnes ne m’ont pas cru, mais la plupart ont donné foi à mon témoignage. J’ai aussi été manipulée, utilisée et exploitée mais plus souvent soutenue, protégée et aimée. Dans tout cela je me voyais comme une victime impuissante livrée aux humeurs et aux fantaisies passagères des autres, qui par moments me prodiguaient leurs soins, et à d’autres me mettaient à l’écart, voulant se débarrasser de moi, comme on jette le journal de la veille.

Le Père Jésuite John Powell a écrit un livre ayant pour titre: Pourquoi suis-je

effrayé de vous dire qui je suis? Et en sous-titre, Je suis effrayé de vous révéler qui je

suis car vous ne m’aimeriez peut-être pas, mais c’est tout ce que je suis et tout ce que

j’ai.

Aujourd’hui je prends le risque de vous dire qui je suis, un risque car ce que vous verrez, ce que vous apprendrez me concernant, pourrait très bien vous déplaire. Mais je suis prête à me risquer dans cette aventure car je suis persuadée que nous avons plus de choses en commun que de différences. Je crois que nous partageons les mêmes peurs et les mêmes aspirations à la base et voilà aussi pourquoi Jésus a pu dire qu’il connaît tout homme, y compris la gente féminine, car nous nous ressemblons tous. Lorsque je lis d’autres témoignages, je m’y retrouve également sous certains aspects. En écrivant ces pages, je pars du principe que vous vous y rencontrerez vous-même, ou si cela vous fait trop peur, au moins quelqu’un que vous connaissez.

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Je vous permets maintenant de fouiller dans mon armoire à secrets et de regarder mes cadavres, de vous plisser les yeux sur moi pour ajuster mon kaléidoscope, et voir la merveille multicolore de l’esprit humain créé par Dieu. Car c’est Lui qui m’a restaurée et cela sans soudaine explosion miraculeuse, accompagnée de fanfares et d’éclats de lumière, mais à travers un cheminement de persévérance et de renouvellement de l’intelligence sous l’action de l’Esprit Saint, quand j’ai fait le choix de croire à ce qu’Il disait sur moi. Il n’y a pas eu de «grand moment». Le miracle s’est produit lorsque des chrétiens m’ont aimée suffisamment pour m’aider à confirmer jour après jour, le choix souvent pénible de croire à la vérité, dans les bons et dans les mauvais moments, sans trompette ni fanfare. C’est la vérité qui m’a affranchie. Aujourd’hui, je suis «UNE»: j’ai une personnalité complète et j’en témoigne sans gêne, sans honte et sans crainte.

Je suis née, tout comme vous, et tout allait plutôt bien pendant un moment. Mes parents et mes tantes montraient beaucoup d’affection pour le petit amas de chair et de sang enveloppé de langes mouillés que j’étais. Il m’est donc difficile de dire quand les choses se sont dégradées, mais ma vie ne s’est plus déroulée comme on pourrait s'y attendre. Mais de toute façon, c’est rarement le cas. L’aspect positif est que le Seigneur dans Sa sagesse infinie et dans Sa puissance extraordinaire, sans parler de Son appréciation de ce qui est à la fois sublime et ridicule, savait exactement ce qui se passait et me tenait fermement dans la paume de Sa main. Voilà le début d’un certain nombre d’«incidents divins» qui m’ont maintenue bien en vie jusqu’à aujourd’hui.

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Les choses ordinaires peuvent étinceler même dans un esprit des plus enténébrés. Ces petites choses qui persistent à briller et à apporter leur lumière grâce à leur pureté inhérente. Si vous insistez à regarder la chambre ténébreuse de mon enfance, vous y discernerez quelques étincelles de bonté, de petites lueurs qui se transformaient en rayonnements de beauté qui, si on ne les en empêchait pas, amenaient quelque espérance à mon âme d’enfant irradiant encore de leur éclat et enrichissant mon présent de leurs bontés. Dieu a doté les petits enfants de cette capacité enviable de jouir de l’instant présent comme d’un délicieux moment céleste, qui peut alors engloutir tout souvenir traumatisant du passé ou toute appréhension de l’avenir. De simples instants de pur plaisir comme : la chaleur ressentie lorsque des bras solides d’amour enveloppent notre petit corps, ou les couleurs du ciel crépusculaire juste avant d’aller au lit ou encore le chant des moineaux qui se disputent.

À une époque, j’étais une enfant…

Il y avait une balançoire, je m’en souviens, parmi la rangée informe d’hortensias parfois bleus, parfois roses tout au bout de notre jardin étroit, car la plus grande partie du sol était couverte de ciment pour garer la voiture de papa. Elle était là, suspendue entre un abri de jardin à moitié effondré et un mur blanchi à la chaux qui me semblait presque toucher le ciel mais ce n’était tout de même qu’un mur.

Le Grand Mur Blanc s’étendait tout le long de la maison à Chelsea Street et était censé nous séparer de la fabrique d’automobiles qui se trouvait à côté. Mais il ne servait à rien. Nous n’étions pas protégés du bruit. Les plaintes sonores des perforatrices métalliques nous heurtaient sans arrêt les oreilles, comme une fraiseuse de dentiste extraordinairement bruyante. Ma maman s’en plaignait du matin au soir. Une fois elle a enregistré tout ce bruit sur cassette pour se rendre au poste de police et la faire entendre. Elle a écrit beaucoup de lettres, sans succès, ils continuaient à fabriquer des carrosseries de voitures toujours aussi bruyamment. Je jouais au fond du jardin malgré ce tintamarre, faisant semblant que ces bruits provenaient d’un atelier de maréchal ferrant qui frappait le métal pour en faire des fers à cheval, comme dans l’ancien temps.

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Je n’aimais pas le bruit non plus mais je n’en pleurais pas comme ma maman. Parfois même pendant la nuit nous étions réveillés par le bruit du moteur ou le crissement des pneus d’une voiture. Je me demandais pourquoi ces gens venaient à une fabrique déserte au milieu de la nuit fantomatique. Qu’est-ce qu’ils pouvaient bien y faire?

Le siège en bois lisse de la balançoire était fixé sur des cordes que mon papa avait tissées. Il était habile de ses mains. Il savait fabriquer des choses avec des bouts de corde et en faire des nœuds magnifiques, car pendant la guerre il avait servi dans la marine. Il y a aussi appris à faire la cuisine alors que la mer était déchaînée et l’air chargé de brouillard.

Voilà, nous avions notre balançoire et j’y ai installé mon nounours pour le pousser très, très haut. Je ne me souviens pas de m’y être moi-même balancée. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne l’ai pas fait. Je ne suis pas à l’aise avec les cordes et les ficelles.

Il y avait beaucoup de va-et-vient dans notre maison. C’était ma mamie qui commandait tout le monde, même maman et papa et bien sûr ma sœur Kate. Elle s’asseyait comme une reine dans le salon, où elle vivait avec papy. Chaque jour de nombreuses tantes, qui elles aussi recevaient des ordres de mamie, venaient prendre une tasse de thé et parler des gens du village et du prix de la rhubarbe.

Ça ne m’intéressait pas et je passais la porte du salon sur la pointe des pieds, en rentrant de l’école, pour éviter qu’elles ne se rendent compte de ma présence et me demandent de venir les embrasser et de boire une tasse de thé avec elle. Mais ça ne m’intéressait pas du tout. Je préférais regagner ma chambre pour lire ou sortir jouer dans les champs qu’on appelait la lande au bout de la route car là, j’étais tranquille, seule. Mais cela, mes tantes ne le comprenaient pas, comme le fait d’attraper des vairons dans la rivière ou de regarder le coucher du soleil. Nous n’avions elles et moi, que très peu d’affinités. Elles m’ont juste porté un peu d’intérêt lorsque j’ai planté quelques fleurs au fond du jardin près de la surface en béton, quand papa m’a aidée à creuser un petit bassin, et que j’y ai mis quelques petits poissons rouges que j’avais achetés avec mon argent de poche. Elles se sont exclamées: «C’est très joli ma chérie», mais leur avis m’importait peu de toute façon.

Cela m’avait fait plaisir de réaliser ce travail et je me réjouissais de voir les petites pousses de plantes pointer leur nez au printemps. J’aimais ça, jardiner, je m’en sentais fortifiée intérieurement.

Ma sœur Kate et moi partagions une chambre. Nous sommes jumelles, mais vous ne vous en seriez pas aperçu, tellement nous sommes différentes l’une de l’autre. Elle était plus grande et, avec ses cheveux blonds, plus jolie que moi. Nous n’avions ni les mêmes amies ni les mêmes goûts. Elle était plutôt «normale» mais moi, je ne l’étais pas, du moins c’est ce que je pensais. En général, nous nous entendions plutôt bien. Quand nous étions plus grandes, nous avions reçu de vieux lits superposés. Moi, j’occupais le lit du bas et je l’embêtais en poussant des pieds sous son matelas, la

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projetant en haut en bas alors qu’elle essayait de s’endormir! Elle se fâchait et appelait maman à grands cris.

J’aurais voulu occuper la place du haut mais maman me disait que je tombais souvent du lit pendant la nuit. Il est vrai que la nuit m’apportait certaines difficultés. Je n’aimais pas dormir, il me fallait rester éveillée et regarder les ténèbres pendant longtemps, juste «au cas où». Une fois, un gros scarabée est passé sur ma figure, alors qu’il faisait de l’orage. Maman est venue me rassurer en disant qu’il venait de l’extérieur pour s’abriter de la pluie. Mais j’aurais souhaité qu’il n’entre pas pour ramper sur moi.

J’ai toujours désiré devenir institutrice quand je serais grande. Être capable de transmettre aux petits enfants les choses qu’ils aimeraient apprendre. Mes élèves m’écouteraient, même si personne ne m’écoutait à l’époque. Je serais très gentille, la plus gentille des institutrices. Lorsqu’on est institutrice, on doit lire des livres et s’entretenir avec des personnes intelligentes pour apprendre encore plus de choses. Je ne pouvais penser à une profession plus excellente, excepté peut-être celle d’écrivain. Je pourrais aussi devenir écrivain et écrire des histoires, tout en utilisant un vocabulaire choisi pour dévoiler mon monde imaginaire, mais je ne pourrai jamais concrétiser mes rêves, car je n’étais pas suffisamment instruite. Mes tantes et ma maman faisaient des ménages et il y avait toutes les chances pour que je sois obligée de faire la même chose. En tout cas, c’est ce qu’elles disaient. Mais je ne voulais pas faire comme elles, nettoyer des cheminées, laver le linge, le mettre dans l’essoreuse et avoir des mains toutes plissées, boire du thé et parler du prix de la rhubarbe ! Mon désir était de m’instruire et d’être «gentille».

Cela se passait à peu près bien à l’école, sauf pendant ces périodes assez fréquentes où je ne me sentais pas bien. Alors je m’effondrais en larmes ne sachant quoi faire d’autre. Mme Croft, la secrétaire de l’école, me prenait par la main pour me ramener à la maison, et ma maman allait me prendre des trucs chez le médecin, ce qui signifiait que j’irais bientôt mieux et que je retournerai à l’école.

Lorsque je n’étais pas bien, je ne m’en sortais pas à l’école, car là je devais parler aux autres enfants. Ça ne pose pas de problème, quand tout va bien, mais c’est plus difficile lorsqu’on se sent drôle et qu’on a l’impression de se trouver ailleurs, qu’on se sent trop fatigué pour parler. Les autres enfants faisaient trop de bruit et ils voulaient toujours savoir des choses que je ne voulais pas leur dire car il fallait que je sois sage, voyez !

En général, j’étais sage, car ça ne payait pas de se tenir mal. Il valait mieux être appréciée des enseignants pour qu’ils croient que j’étais gentille même si je ne l’étais pas. Ainsi ils me laissaient tranquille et ne me choisissaient pas pour répondre à une question ou pour écrire au tableau, car ça me gênait et me faisait rougir et bégayer. J’ai donc essayé de toutes mes forces d’être sage pour ne pas être choisie. Une fois, il s’est passé quelque chose. J’ignore ce que j’ai pu faire et je n’ai jamais su pourquoi on m’avait dit de monter au bureau de la directrice. En général, on devait y aller

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seulement quand on avait fait une grosse bêtise. Parfois je me demande quelle bêtise j’ai bien pu faire.

Intérieurement j’étais toute agitée, on pouvait presque entendre mon cœur battre quand j’ai frappé à sa porte et que j’ai attendu qu’elle me dise d’entrer.

Ça me faisait drôle de voir le bureau tout propre et bien rangé, pas du tout comme les salles de classe à l’étage inférieur. Il y avait une odeur de propreté qui faisait penser à un crayon qu’on vient de tailler. Les livres sur l’étagère étaient bien alignés et la directrice était assise derrière son bureau bien dégagé, avec un bloc-notes devant elle pour prendre des notes. Sa jupe verte avait des plis parfaitement droits, comme on en voit dans les magasins et son chemisier avait un grand nœud juste sous son menton, sans faux pli. Ça ne ressemblait en rien à ma vieille blouse blanche d’école avec son col tout croqué et ses manchettes déformées. Elle paraissait beaucoup plus petite là dans son bureau que lorsqu’elle se tenait debout devant tout le monde, et même plus chaleureuse. J’aurais aimé rester là avec elle, surtout après avoir réalisé qu’elle ne voulait pas me gronder mais juste m’encourager à ne pas recommencer! Ça m’aurait plu qu’elle soit ma maman. Elle me parlait et elle savait beaucoup de choses. Elle était forte et ne pleurait jamais et moi je pourrais faire comme elle et être une bonne élève. Puis j’ai redescendu l’escalier. Heureusement que la grande salle était vide et je n’ai été vue de personne. C’était bizarre de me glisser dans ma salle de classe quand les autres élèves étaient déjà occupés.

Tout dans l’école avait une odeur de craie, de crayons de cire et de puzzles en bois et les pupitres de la première rangée étaient couverts d’une poussière blanche. Lorsqu’il pleuvait, tout prenait une odeur de laine mouillée et il faisait humide. Quand une porte s’ouvrait, les courants d’air amenaient à notre nez le parfum des géraniums qui poussaient dans les bacs à fleurs posés sur les bords des fenêtres. Par temps de pluie, il nous était permis de lire des BD pendant la récré.

Normalement nous devons rester chacun à sa place, et lire tranquillement, mais beaucoup d’enfants circulent dans la classe tout en chahutant, spécialement les garçons. Moi, je reste tranquille. J’obéis toujours à ce qu’on me demande même si personne d’autre ne le fait, car ça ne paie pas de faire des bêtises. Mais moi, il faut que je sois sage! Ça se passe mieux si je me tiens bien. Nous n’avons pas de BD à la maison parce que ça coûte trop cher, mais je pouvais les lire en classe par temps de pluie. Si on regardait bien dans la pile de BD sur le bureau de la maîtresse, et si on était rapide et qu’on avait de la chance, on pouvait trouver une BD qui enseignait plein de choses sur les animaux ou l’histoire. Celles-là sont les meilleures. Souvent je me sens un peu mal à l’aise de les ramener à ma place, parce que ce sont les enfants riches ou intelligents qui ont ces BD-là. Elles contiennent plus de pages pleines de couleurs et on ne les achète pas pour des enfants comme moi. Alors je les survole en faisant attention de ne pas écorner les pages et puis je les ramène et les range avec soin comme l’exige la maîtresse. Alors il faut que je me contente des histoires débiles des

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BD défraîchies parlant de filles en petites chaussettes blanches qui jouent avec des chiens qui portent des nœuds autour du cou et partent à l’aventure.

Je déteste les mercredis après-midi parce que nous avons couture dans la grande salle. Les minutes passent bien trop lentement pour moi. Pour moi, c’est une perte de temps de pratiquer les divers points de broderie et de fabriquer de petits sacs dans lesquels on ne peut rien mettre! Je voudrais être ailleurs, seule, au lieu de regarder les autres, faire du bon travail alors que je passe un temps fou à défaire mes points ratés. J’ai peur que la maîtresse vienne regarder mon travail parce que je fais toujours des erreurs. Supposons qu’elle me demande des explications. Je suis tellement fatiguée que je peux à peine voir devant moi, alors comment est-ce que je pourrais coudre ces petits points de couture bien compliqués? Mais il faut que je sois sage et souriante et que je fasse croire à la maîtresse que je peux y arriver. En réalité, j’ai envie de pleurer parce qu’elle pourrait me gronder, mais ça voudrait dire que je suis méchante et moi je ne dois pas être méchante. Alors je montrerai que je suis forte et sage, je ne pleurerai pas comme un bébé.

Il y a des araignées dans les toilettes des filles. Elles sont bien grosses et il faut faire attention quand on s’assied, car elles peuvent glisser sur toi. J’aime pas ces WC. Il vaut mieux se retenir jusqu’à ce qu’on puisse rentrer à la maison. Ces toilettes se trouvent à l’extérieur dans la cour de récréation. Elles sont froides et sentent mauvais. Même en été, l’humidité dégouline des murs. Quand il pleut et que l’institutrice te laisse y aller, en cas d’urgence, tu as intérêt à courir bien vite sinon t’es trempée. Mais il vaut mieux ne pas dire à la maîtresse que t’as des habits mouillés. Il vaut mieux ne pas faire d’histoires au cas où elle te poserait des questions. Si tu sais pas y répondre, tu rougis et c’est affreux. Moi, je sais pas très bien répondre aux questions, car j’oublie des choses.

J’avais 11 ans lorsque j’ai commencé les éclaireuses. On m’avait permis de participer au camp même si je n’avais pas d’uniforme et que je n’avais pas suivi l’instruction. Ma sœur n’y est pas venue, juste moi. Nous sommes allées au bord de la mer, à une ville du nom de Bracklesham Bay.1 C’était un endroit froid et venteux, il y avait de l’herbe dans la nourriture, nos habits étaient tout fripés et prenaient l’odeur de la rivière. Nous chantions autour d’un feu de camp lorsque la nuit tombait et jouions à la thèque dans un champ rempli de touffes d’herbes dures. J’étais douée pour marquer des points, car les adultes disaient que mes jambes étaient vigoureuses. Quand tu as les jambes solides, tu peux courir très vite. J’étais si petite, que ça faisait rire tout monde et me permettait de faire des écarts et de passer à côté des jambes des plus grandes filles. Elles m’aimaient bien et me prenaient sur leurs épaules quand on allait à la plage. Elles avaient composé une petite chanson à mon sujet, rythmée sur le chant thématique de la Coupe du Monde de 1966:

1 Station balnéaire du sud de l’Angleterre près de Chichester dans le West Sussex.

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Rouge, blanche et bleue mignonne petite Carrie,

Nous l’aimons toutes, mignonne petite Carrie,

Elle est aussi solide qu’un chaton

Elle n’abandonne jamais

C’est pourquoi elle est notre favorite dans le camp.

Je ne connaissais rien sur l’origine de la mélodie, mais j’étais fière de la chanson qui me donnait de l’importance, pour un peu de temps en tout cas. Les gens ont un comportement différent au camp que dans la vie courante et lorsque le camp fut terminé, ce n’était plus pareil. J’essayais de faire croire que cela ne me faisait rien de ne plus être appréciée. Je me mettais avec d’autres filles pour créer l’impression que j’étais sage et que j’avais beaucoup de copines.

Plus tard, je suis devenue chef de patrouille pour un groupe de scouts. J’étais stricte. Il fallait bien car sinon, vu ma petite taille, on ne m’aurait pas respectée. Comme j’étais vraiment de petite taille, je me sentais obligée de faire l’importante. C’est comme ça que ça marche! À l’âge de 12 ans, la prof d’éducation physique m’a mesurée car je n’arrivais même pas à la barre qu’on utilisait pour le saut en hauteur. Je mesurais 1m 30 cm et mon amie Samantha pouvait sauter par-dessus ma tête. Beaucoup de gens se moquaient de ma taille, me traitant de gringalet, de nain ou de bébé. Ça me déplaisait, mais je ne réagissais pas. Je refusais de pleurer car il fallait que je sois sage. S’ils m’avaient vue pleurer, ils auraient pu me traiter d’autres noms, ou ils auraient pu le dire à un prof qui m’aurait posé des questions. Il vaut mieux éviter cela et être sage.

Quelquefois au cours de l’été, papa m’emmenait avec lui en promenade à la nuit tombée. Nous passions la lande à travers un champ de boutons d’or et au-delà d’une petite chute d’eau. Il n’y avait que nous deux. Nous entendions parfois le cri du renard ou le gai ululement de la chouette. Parfois papa me prenait la main alors que j’étais déjà une adolescente et normalement les ados ne font pas ce genre de choses avec leur papa! Quand nous rentrions de ces escapades nocturnes, il faisait déjà nuit noir et j’allais me coucher. Je ne savais pas pourquoi papa m’emmenait en forêt la nuit, mais il le faisait.

Chaque jour, toutes mes tantes venaient boire le thé et parler tout le temps avec mamie. Quelle joie de ne pas être une tante, ça doit être très ennuyeux! Une tante doit s’asseoir dans cette petite pièce surchauffée par le feu de la cheminée même quand il faisait beau en été, et boire du thé dans des tasses avec des sous-tasses non assorties et manger des biscuits rassis tirés d’une vieille boîte qui sentait le moisi. Les biscuits toujours ramollis avaient un goût de craie. La cheminée était toujours pleine de poussière et le vent renvoyait la fumée dans la pièce. Mais cela n’avait pas l’air de les

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déranger, pas plus que la fine couche de suie qui s’était posée sur les biscuits. Toutes mes tantes étaient obèses et de petite taille, peut-être parce qu’elles mangeaient trop de biscuits rassis. Ma maman avait six sœurs et je trouvais qu’elles ressemblaient aux sept nains du conte de fées.

Ma tante Cath avait un tic. Alors qu’on ne s’y attendait pas, elle secouait ses épaules de façon à ce que sa tête les touche d’un côté puis de l’autre. Ma maman disait que c’était parce qu’elle avait eu la tuberculose pendant la guerre et avait dû rester dans un bâtiment qu’on appelle un sanatorium. On mettait son lit dehors à l’air frais, parce que cela était censé lui faire du bien. Mais lorsqu’une fois je suis allée visiter cet édifice de briques rouges qui tombait en ruines, il y avait de gros trous dans la toiture et le vent soufflait si fort que la pluie faisait des diagonales. Dans ce climat, pas étonnant que Tante Cath ait pris un tic.

Tante Milly était celle que je préférais. Elle parlait de choses sensées parce qu’elle avait été éclaireuse et avait dû se soucier des tentes et des grades. C’est mieux pour l’esprit que de parler du prix de la rhubarbe. Elle ne venait pas voir Mamie tous les jours et quand elle venait, elle ne restait pas longtemps, car elle était raisonnable. Tante Milly bégayait et ça lui prenait un temps fou pour prononcer convenablement le premier mot d’une phrase. On avait donc le temps de deviner le reste de la phrase. Mais personne ne lui reprochait quoi que ce soit parce qu’elle avait une certaine importance, car elle occupait un poste de responsabilité. Elle savait comment fabriquer des choses avec de petits branchages pour maintenir les sacs au-dessus du sol et ranger des bols en plastique et d’autres trucs. Tante Milly était si importante que lors des grandes cérémonies des éclaireuses, elle était placée avec les plus hauts responsables et portait un uniforme spécial. J’étais fière qu’elle soit ma tante parce que même si elle était avec des personnes importantes, elle venait me parler pour montrer à tout le monde que j’étais sa nièce.

Tante Bet n’avait quasiment plus de dents, à part deux crocs jaunes. Maman disait qu’elle n’avait jamais consulté de dentiste et c’était sûrement vrai. Son haleine était fétide. Elle sentait mauvais un peu comme quand maman cuisinait du chou-fleur à midi. Elle était aussi sourde que mamie et nous devions crier pour nous faire entendre car elle n’avait jamais consulté de médecin et elle refusait de prendre un appareil. Mamie, par contre, portait un appareil auditif qui sifflait tout le temps. Parfois lorsqu’il n’était pas réglé correctement, une de mes tantes essayait de l’ajuster et ça faisait un bruit perçant qui nous faisait mal aux oreilles. Ajoutez à tout cela les bruyantes discussions, le tintement des cuillères contre les tasses, la lourde porte d’entrée s’ouvrant et se fermant à tout moment, en plus du bruit des perceuses qui allaient à fond dans la fabrique d’à côté, et vous comprendrez pourquoi il fallait que je me sauve jusqu’à la lande pour être tranquille.

Pour moi, cette lande était vraiment le meilleur endroit du monde. J’aimais bien y aller avec mon amie Susan ou mes cousins mais je préférais m’y trouver seule. Une fois j’ai confié mon histoire à une vache qui m’a répondu de son beau regard aux yeux

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bruns, en restant près de moi. Une autre fois, nous y avions trouvé aussi un nid de rouge-gorge sous la souche d’un arbre qui était tombé en travers du cours d’eau. Nous pouvions faire trempette dans ce ruisseau jusqu’à l’endroit où il se jetait dans une plus grande rivière. Je souhaitais que nous ayons un autre cours d’eau car celui-là avait un drôle de nom que j’oubliais toujours. Je l’aurais appelé Tamise, Avon, ou un autre nom connu, mais il fallait que j’accepte le vrai nom même s’il ne me plaisait pas. Si on fixait des yeux le ciel, on pouvait s’imaginer en Suisse comme Heidi.2 Une fois, il m’est arrivé de regarder le ciel si longtemps que j’en ai pleuré. J’aurais tellement souhaité me trouver loin de là en Suisse, dans un lieu où il n’y a ni fabrique de voitures ni tantes, ni béton au fond du jardin. Un lieu où on entend le son des cloches des chèvres, où on peut manger du fromage et regarder des montagnes recouvertes de sapins. Un jour, lorsque je serai grande, j’irai vivre dans un endroit comme la Suisse à des millions de kilomètres des usines qui te remplissent la tête d’un bruit de perceuses. Et je dormirai chaque nuit dans la paix et la tranquillité et sans être dérangée par des personnes qui viendraient me demander de vider le pot de chambre de mamie.

Mais, pour l’instant, j’avais la lande. Et si je marchais jusqu’au prochain champ où il y avait un vieux rouleau tout rouillé, je pouvais m’imaginer à des kilomètres de la maison, ou en vacances, ou à la campagne vivant dans une ferme avec des poules et des canards devant la porte, un chat devant la cheminée et un chien berger, assis dans sa niche dans la cour. Je rêvais un jour de me marier à un fermier. Quand je rentrerais chez moi après le travail d’institutrice ou d’écrivain, je mangerais de délicieux gâteaux aux pommes provenant de notre verger et préparés par le cuisinier, puis je me promènerais dans les champs et je donnerais à manger aux animaux. Le soleil brillerait dans le ciel et tout autour de moi, il y aurait des oiseaux et des animaux, de l’herbe, des arbres et par-dessus tout la paix profonde et la tranquillité. Il n’y aurait personne pour m’embarrasser de questions auxquelles je ne veux pas répondre. Les nuits seraient courtes et remplies de pensées joyeuses et je n’aurais pas à attendre qu’on éteigne la télévision pour lire mon livre du club des Cinq.

2 Titre et principal personnage d’un roman suisse de Johanna Spyri publié en 1880. Il s’agit de

l’histoire d’une orpheline qui est recueillie par son grand-père.