PatriciaBriggs

Entrechienetloup

Alpha&Omega–4

Traduitdel’anglais(États-Unis)parClémentineCurie

Milady

Auxgenscharmantsquiontrenducepéripleavecleschevauxarabessiamusant:Brenda,quiétaitlàau début ; Ed et Adriana, mes super compagnons de voyage ; Alice, Bill et Joan de Rieckman’sArabians,quiontfaitletrekavantmoietm’ontdonnédesconseilsutilesencoursderoute;Dolly,DougetPeggyàOrrionFarms,quim’ontaidéeàdémarreretm’ontguidée;Deb,KimetPortiaàHighCountryTraining,pouravoirtransformémesponeysenbonscitoyens;RobertetDixieNorth,qui aiment les chevaux autant que moi ; et Nahero, mon grand hongre arabe, qui a été moncompagnon pendant ces vingt-huit années. Mais surtout à mon mari très patient, qui estparticulièrementdouépourréaliserlesrêves.

PROLOGUE

Décembre

Leseigneurfaearpentaitdelongenlargesacelluledepierregrise.Troispas,demi-tour,quatrepas,demi-tour,troispas.Ilpouvaitpasserlajournéeàça.Etc’étaitd’ailleurscequ’ilfaisaitdepuisdeuxsemaines.

Ilmarchait sans bruit avec ses bottes souples. Les bruits le détournaient trop de son objectif :pousserl’ennuiaupointdenepluspenseràrien.

Commesesbottes,sesvêtementsétaientfonctionnels,maisilssignalaientnéanmoinssapositiondeseigneurdelaHauteCour…mêmes’ilneluirestaitplusguèredesouvenirsdecetteépoquedesavie.Seslongscheveuxrouxn’enétaientpasmoinsretenusentressescomplexesquitraînaientsurlesol derrière lui, unemodede laCour qui datait d’aumoins unmillénaire. S’il existait encore desCoursetdesHautesCours,ilauraitsansnuldouteététotalementpassédemode.

Il avait porté la tenue de la Haute Cour la première semaine de son séjour là mais, n’ayantpersonne à impressionner, il l’avait troquée contre des vêtements plus confortables. Il auraitprobablementpumettreunjean,maisilprenaitsontempspourabandonnerleseigneurd’antan,etcesvêtementsluirappelaientceluiqu’ilavaitété…mêmesicertainsjours,voirecertainesannées,ilneparvenaitpasàserappelerpourquoiilétaitsiimportantdesesouvenirdeceluiqu’ilavaitété.

Onfrappaàlaporte,etilémitunsifflementirrité.Ilétaitpresqueparvenuàs’engourdirl’espritau point d’oublier son incarcération. L’immortalité était une malédiction, car on avait beau êtrepuissant,ilyavaittoujoursquelqu’unquil’étaitdavantage.Quelqu’unàquiilfallaitobéir.Quelqu’unquivolaitcequivousappartenaitetnelaissaitquedesmiettesdecequevousétiez.Puiscequelqu’unvousprenaitçaaussi.Etils’étaitretrouvédanscetteprison,l’estomacnouéetlecorpsenmanquedemagie.Sanslamagie,iln’yavaitrienpourlesauver.

Onfrappadenouveauà laporte. Ilavaitdûénerver lapersonnequiavait frappé,carsaprisonentière trembla dans un vacarme qui lui meurtrit les oreilles et le cœur. Splendide. L’une desPuissancesétaitvenue le solliciter. Il faillitnepas répondre ;quepouvaient-ilsbien lui infligerdeplus?

Il s’immobilisa au centre de la pièce. Bien sûr, ils pouvaient toujours lui infliger pire.Mieuxvalaitnepasémettredesuppositions.

—Ehbien,entrez,dit-ilalors.Lafemmequientraétaitpetiteetélégante.Ellefaillittirerdesonsommeillabêtequidormaiten

lui.Mais,lorsqu’ellepritlaparole,l’illusionsedissipa.Elle était l’archétype spirituel de la reinemaléfique des contes de fées, en partie parce qu’elle

avait participé à bon nombre des événements réels qui avaient engendré les contes. Elle adoraittourmenterleshumains,dontlavieétaitsicourte.Touscessièclesdepuissanceétaientaudiblesdanssavoix,mêmesielleaimaitparaîtreinoffensive.

—L’En-Dessouspeutprendrel’apparencequetuveux,dit-elleenfaisantlamouetandisqu’ellebalayaitduregardsonlieuderésidence,ettuaschoisiuneprison.

Ilseredressaprudemment.

—Oui,madame.Ellesecoualatête.—Etc’esttoiqu’ilsveulent?Elleneprécisapasqui«ils»étaient,nicequ’ilsvoulaientdelui.Commeilluirestaitencoreun

semblantd’instinctdesurvie,ilneposapaslaquestion.Ellefitletourdelapetitepièce.—Ilsdisentquetuasdel’imagination.Lesbras croisés, elle se contorsionna afindepouvoir observer lespierresduplafond, jusqu’à

trouver l’angle qui lui permettait de voir la courbe subtile dans lemur qui rendait la cachette duprisonniermoinsfacileàdiscerner.Elledélogealeblocdegranit,leseulsurlequeliln’yavaitpasdemortier.

— Ils disent que tu es capable de te cacher des humains, des faes et des autres créaturessusceptiblesdeteprendreenchasse,tanttonglamourestexcellent.

Ilvoulaitl’arrêter,l’empêcherdetrouversontrésor.Ilvoulaitladétruire.Orilsluiavaientprissonpouvoir,etilneluirestaitplusrien.Maisça,c’étaitsavanitéquiparlait;ilsavaitque,mêmes’ilavaitétéenpossessiondesonpouvoir,ilneluiauraitétéd’aucunsecourscontrel’undesSeigneursGris.

Illaregardaextraireleblocdumuretdécouvrirlepetitcompartimentqu’ilrenfermait.Ellesortitlapoupéequ’ilgardaitàl’intérieuretlissasesjolisjuponsjaunes,s’attardantsurlestracesdelarmespassées.

Uneenfantpleuredetoutsoncœur,sansaucuneretenue.Uneenfantvitdansleprésent,cequifaitquesadouleurestd’uneinfiniequalité.Toutdépouillédesamagiequ’ilétait, il ressentaitmêmeàdistancelepouvoirdecestracesdelarmes.

Ellereposalapoupéeetremitleblocenplace,pensive.Puiselleleregarda.—Ilsmedisentquetuétaisunmagiciendoué,subtiletpuissant.Qu’autrefoistuétaislefleuron

d’uneHauteCourpuissante…puisque,plustard,tuasétélacausedesaruine,lapremièresombreracinedesadestruction.Quetuéchappaisauxmeilleurstraqueurs.

—J’ignorequi ilssontetcequ’ilsracontent, luidit-ilen toutefranchise,s’efforçantdegardersoncalme.

Ellesourit.—Maistuneniespas.Elles’avançaversluietluitouchalevisagedelamaingauche.Leglamourdufaesedissipa,cetteillusionquirecréaitfidèlementl’imageduseigneurqu’ilavait

été jadis. Mais, à l’instar de sa magie, son apparence réelle s’était délitée au fil des années. Ils’attendaitàcequ’elleaitunmouvementderecul;iln’étaitpasbeauàvoir,maisellesourit.

—J’aiuncadeaupourtoi.Uncadeau,etunemission.—Dequellemissions’agit-il?demanda-t-il,sursesgardes.—Net’inquiètepas,répondit-elleenposantlamaindroitesurlecôtédesoncou.Ceboulotvate

plaire,jetelepromets.Et sa magie lui revint, inondant son corps comme la chaleur des morts. Il poussa un cri,

s’effondraetsetorditparterretandisquelasublimeagoniel’enveloppait.Ellesebaissaetluichuchotaàl’oreille:—Maisilyadesrègles.

CHAPITREPREMIER

—D’accord,fitCharlesCornick,filscadetduMarrokquidirigeaitlesloups-garousd’AmériqueduNord…etdurestedumonde,commeAnnaavaitfiniparlecroire.

Danslesfaits,àdéfautd’officiellement.QuandBranCornickdonnaitunordre,iln’yavaitpasunseulloup-garouaumondequiluidésobéissait,Alphaounon.

Charles avait hérité d’une bonne partie du sale boulot qui permettait à son père d’assurer lasécuritéde leurpeuplede loups-garous.Quandunhommedebienétaitcontraintdecommettredesactes abominablesmaisnécessaires, ses émotionspouvaientdevenirobscures,y comprispour lui-même.

Ilvenaitparexemplededirequ’ilétaitd’accord,alorsqu’Annavoyaitbienqu’ilétait toutsaufd’accordavec lesujetde leurconversation.Elle lesutà la façonabruptedontsonmarise levadutabouretsurlequel il jouaitetsuspenditsavieilleguitareuséeaucrochetdanslemur.Incapabledetenirenplace,ilfoulaleplancherjusqu’àlagrandefenêtreetregardalaneigequitombaitdehorsencemoisdefévrier.Ilentombaitbeaucoup;c’étaitl’hiverdansleshauteursduMontana.

Elleétaitpresquecertaineque,s’ilavaitétéunpeumoinsdiscipliné,ilseseraitvoûté.—Tuasdit qu’il fallait que jeme renseigne, se hasarda à lui rappelerAnna. (Elle connaissait

Charles mieux que quiconque, et pourtant son homme merveilleux et complexe restait parfoisimpossibleàdécrypter.)C’estdonccequej’aifait,encommençantpartonfrère.Samuelm’aditqu’iltravaillaitsurleproblèmedesbébésloups-garousdepuislongtemps,mêmes’ilnel’abordepastoutàfait sous lemêmeanglequenous.Apparemment, lesenfantsétaientunesorted’obsessionpour luiavant qu’il retrouveAriana. Est-ce que tu savais que l’ADN de loup-garou est identique à l’ADNhumain?Onnevoitladifférencequesil’échantillonestprélevéquandonestsousnotreformedeloup-garou…Là,ilestdifférent.

—Je lesavais,oui, réponditCharles,visiblementheureuxdepasseràunautresujet,quelqu’ilsoit.Samuelmel’aditquandill’acomprisilyaquelquesdizainesd’années.Cen’estpaslapremièrefoisqueças’avèreutiled’avoirundocteurdanslafamille.Ilmesemblequ’unscientifiquehumainapubliécetteinformationlemoisdernierdansunmagazineobscur…Çaferasansdoutelaunetôtoutard.

LechangementdesujetaidaCharlesàsedétendre,assezpourqu’ildécocheàAnnaunsourirenarquoispar-dessussonépauleavantdeseremettreàregarderlaneigedehors.

—Monpa’étaitravi.Àcausedeça,untestsanguinnepermetenaucuncasdesavoirsiquelqu’unestunloup-garouounon…Àmoinsdefaireletestsurlelouplui-même,cequin’aaucunintérêt.Jenesuispassûrqu’ilnousauraitpermisdevivreaugrandjours’ilétaitsifaciledenousidentifier.

—D’accord, acquiesça Anna. C’est une bonne chose. Pour l’essentiel. Sauf qu’il n’y a aucunmoyendedéterminersilesgènesdel’embryonsonthumainsoudeloup-garou,sionveutrecouriràunemèreporteuse.

—Unemèreporteuse,dit-il.Elle avait bon espoir pour la mère porteuse. La mère de Charles était morte en lui donnant

naissance. Elle savait que, s’il s’opposait à avoir des enfants, c’était en partie voire entièrement àcausedurisquequecelaprésentaitpourelle.

—Si je ne peux pas porter d’enfant à terme parce que je suis contrainte deme transformer àchaquepleinelune,unemèreporteuseestlasolutionquis’impose.Personnen’atentéçajusqu’ici…Pasànotreconnaissance,entoutcas.

Voyantqu’ilnerépondaitrien,ellepoursuivitenluiénumérantlesdifficultéspotentielles.— Puisqu’il n’y a apparemment aucun moyen de déterminer si un embryon est loup-garou,

humainouunesortedecombinaisondesdeux,lerisquedefaussecoucheresteélevé,commepourlescompagneshumainesdesloups-garous.Etilyaaussileproblèmedesavoircequiarriveàunefemmehumainequiporteunbébéloup-garoupendantneufmois.Deviendra-t-elleunloup-garou?Samuel a dit qu’on a intérêt à envisager unemère porteuse qui a envie de devenir un loup-garou.Çaélimineraitlerisquequ’elleattrape…euh…qu’ellesoitinfectée…

—Tutesensmalade,Anna?dit-il,trèspince-sans-rire.Non.Maiselleneselaisseraitpasdistraire.— Ça éliminerait certains problèmes si notre enfant est un loup-garou et que la grossesse

entraînaitleChangementdelamèreporteuse,rétorqua-t-elledignement.(Çaseprésentaittrèsmal.)Onignoresiporterunbébéloup-garouetluidonnernaissanceinfecteralamère…Etquand,siçaseproduit.Àparttamère,personnen’ajamaisportédebébéloup-garouàterme.SilamèreporteuseaenviedeChangeràlabase,çarégleraitenpartieceproblème.L’autresouci,c’estsilamèreporteuseChangeavantquelebébésoitviable.

Illuiavaitcomplètementtournéledoscettefois.—Çaressembleàduchantage.Portenotrebébé,ontepermettradeChanger.Sous-entendu,quoi

qu’ondiseouqu’onnie,qu’onnelalaisserapasChangersielleneportepasnotrebébé.Etlaréalitéc’estaussiquelaplupartdesgensmeurentaucoursduChangement,etqu’ilyamoinsdefemmesquisurviventqued’hommes.

—Ouais,reconnut-elle.Présentécommeça,c’estmoche.Maisilyadenombreusesnaissancesparmèresporteuseschaqueannée…Etunegrossessenormaleprésenteunrisquedemortaussi.Silamèreporteuses’engageenconnaissancedecauseetqu’elleestpartanteenéchanged’argentet/oudelapossibilitéd’êtreChangée,çanemeposepasdeproblème.Lerisquesubsiste,maisc’estunrisquehonnête.

—On peut donc se permettre demettre une autre personne en danger, c’est ça ? lança-t-il, undébutdegrondementférocedanslavoix.Puisqu’elleensauraautantquenoussurcequipeutarriver,mêmesionnesaitrienenréalité.

Elleouvritlabouchepourluiparlerducontenudel’épaisdossierqueSamuelluiavaitenvoyé,maisellesereprit.Peut-êtreobtiendrait-elledemeilleursrésultatsententantuneapprochedifférente.

—Sinon, dit-elle, sachant que la science a dumal avec lamagie, j’ai penséquequelqu’unquimaîtriselamagiepourraitavoirdesidées.J’aiappeléMoira…

Lorsqu’ilseretournaverselle,unfiletdelumièrefitressortirlesosdesonvisageetsoulignalescontours de ses épaules. Il était si beau aux yeux d’Anna. Il devait à son héritage salish sa peaubronzéeainsique son regard intense et ses cheveuxde lamêmecouleurpresquenoire.Quant auxmuscles qui saillaient sous sa peau chaude, ils étaient le résultat d’un travail acharné et du fait decourirsoussaformedeloup.Maisc’étaitsurtoutparcequ’ilétaitfondamentalementintègre,etqu’ilavait…cepetitquelquechosed’uniquequelecœurd’Annas’emballaitetqu’ellechaviraitdedésir.

Cen’était pasquedudésir charnel…Carquinedésirerait pasCharles ?Elle savoura sonêtreentier et pensa de nouveau : Qui ne désirerait pas Charles ? Mais elle brûlait du désir de lerevendiquer,des’envelopperdanssonessence.

Charlesluiavaitpermisdecomprendrelaphrasedanslesvœuxdemariagequidisait:«Cesdeux

deviendrontuneseulechair.»Cettephrasel’avaitprodigieusementagacéequandelleavaiteuneufoudixans.Pourquoidevrait-elle renonceràcellequ’elleétaitpourunstupidegarçon?Elleavait faitpartdesesobjectionsàsonpère,quiavaitfinipardire:«Sid’aventureun‘stupidegarçon’perdaitlatêteetconsentaitàt’épouser,ilneverraitsansdouteaucuninconvénientnonplusàfairel’impassesurcettephrase.»

Annaavait fait l’impassesur lepassageoù ilétaitquestiond’«obéissance»quand ils s’étaientmariés. Elle ne voulait pas mentir. Écouter, oui… obéir, non. Elle avait assez obéi pour dix viesentières.Elleavaitenrevanchegardélepassagequiparlaitd’«uneseulechair».

Avec Charles, elle ne se perdait pas elle-même, elle gagnait Charles. Unis, ils affrontaientensemble«lescoupsdusort».Ilétaitsonrefugechaleureuxdanslatempêtedumonde,etelle…elleseconsidéraitcommesonfoyer.

Ellevoulaitdesenfantsdelui.—Horsdequestion,proféra-t-il,etellecrutl’espaced’uninstantqu’ilavaitludanssespensées,

carelleavaitperdulefildelaconversation.Maisilajoutaalors:—Pasdesorcellerie.Ellen’étaitpasstupide.Illuiopposaittouslesobstaclespossiblesetimaginables.Elleauraitbattu

en retraite si le lienqui lesunissaitne lui avaitpasdonné laprofondeconvictionqu’ildésiraitunenfantencoreplusqu’elle.

—Nete tracassepas, luidit-elle.Jeneprocéderaipascommetamère. (Saufsiellen’avaitpasd’autre solution.) En fait, je me disais queMoira aurait peut-être des pistes pour Samuel. Ça mesemblaitbiendel’appelerpourluidirequejel’aienvoyélavoir…Ilavaitl’airdeprendretoutçatrèsausérieux.

Charlesdressalatêtecommeunchevalpaniqué.—Ah!j’avaismalcompris.Bien.Charlesaimait lesenfants.Elle le savait.Pourquoipaniquait-ilà l’idéequ’ilsenaientun?Elle

envisageade luiposer laquestion.Maiselleavaitdéjàessayédesvariantesdecelle-là ; il luiavaitdonnéplusieursréponses,vraiesjusqu’àuncertainpoint.Elleétaitpresquecertainequ’ilignoraitlavéritableréponse.Ceseraitdoncàelledeladécouvrir.

Une fois qu’elle aurait cerné le problème, elle verrait s’il était possible de le contourner. Lapanique, elle saurait la gérer, et, s’il ne voulait sincèrement pas d’enfants, ehbien, elle ferait avecaussi.Maisc’étaitlatristessequipersistaitderrièrelapanique,latristesseetl’envieprofondequesalouvesavaitêtrelàquilapoussaientàcreuserplusloinetàsebattre.Àlafaçond’Anna.

—Bon,fit-ellegaiement.(Femmequisebatetprendlafuiteresteenviepoursebattreunautrejour.)Jevoulaisjustetedonnerlesdernièresnouvelles.

Ellerassemblalesinformationsqu’elleavaitcollectéesetlesgardasouslecoude.Elles’avançajusqu’àlafenêtreetregardatomberlaneigequiavaitcouvertdegivrelesarbres

vertfoncéetcoiffélesmontagnesquisedressaientnonloindelà,donnantaumondel’airpropreetneuf.Froid,aussi.

—Sais-tucequetuvasm’offrirpourmonanniversaire?Il aimait fairedes cadeaux.C’était parfoisune fleurqu’il avait cueilliepour elle…parfoisdes

bijoux coûteux. Il avait découvert peu à peu que les cadeaux vraiment chers, ceux qu’il préférait,effrayaientAnna.Illesréservaitdoncpourlesoccasionsspéciales.

Ill’enlaça,détendu.—Pasencore.Maisçaviendrasûrement.

N’ayantpaslatêteauxchiffres,Charleséteignitsonordinateur.Avecl’argentvenaitlepouvoir,et

surlelongtermeilassureraitpeut-êtremieuxlasécuritédessiensquesesgriffesetsescrocs.Aprèsunepause,ilsedevaitdenouveaudeveillersurlesfinancesdelameute.

LePost-it jaunequ’il avait collé enhautde sonécran accrocha son regard…Levingt-sixièmeanniversaired’Anna.Ilfallaitqu’il lui trouveuncadeau.Ilavaituneprédilectionpourlesbijoux…Qui,commesonpa’ le luiavait fait remarquer,étaientenquelquesorteunmoyendemarquersonterritoirevis-à-visdesautreshommesdanslesparages.

«Macompagne»,leurdisaitlabaguequ’elleportaitaudoigt.Etquandellesehasardaitàporterlescolliersetlesbouclesd’oreillesqu’illuiavaitofferts,ceux-làdisaient:«Etjesuismieuxàmêmeque vous de la combler. »Après que son pa’ lui avaitmontré pourquoi il éprouvait le besoin decouvrirAnnadebijoux,ilavaitcommencéàréfléchiràdescadeauxdontelleavaitréellementenvie.

Annavoulaitdesenfants.IlregardafixementlePost-itdecouleurvive.C’était tout à fait raisonnable de sa part de vouloir des enfants. Il comprenait l’urgence de ce

besoin,mêmesicen’étaitpaslecasd’Anna.ElleavaitétéuneétudiantequandJustin,l’exécuteurdel’AlphadeChicago,l’avaitprivéedepresquetousseschoix.Depuis,elleavaitpasséleplusclairdesontempsàreprendrelecontrôle.Àreprendresavieàceuxquil’enauraienttotalementdépossédée.

Sontéléphonesonnaetildécrochad’ungesteabsent…jusqu’àcequ’ilentendelavoixauboutdufil.

—Salut,Charles,ditJosephSani,sonmeilleuramid’antan.Jepensaisàtoiaujourd’hui.Àtoietàtanouvellemariée.

—Passinouvellequeça,plaisantaCharles,sansriencacherdelajoiequil’envahissait.(Josephfaisaitceteffet-lààtoutlemonde.)Çafaittroisans…etquelquesmois.Commentvas-tu?

—Trois anset jene l’aipasencore rencontrée,proféra Joseph surun tonqui sous-entendait :«Pourquoi?»

Lesannéesfilaientsansqu’ilyprennegarde,songeaCharles.Etladernièrefoisquejet’aivu,tuétaisunvieilhomme.Jeneveuxpasquetusoisvieux.Çameserrelecœur.

—Jen’aipaspuveniràtonmariage,disaitJoseph,maistun’aspasassistéaumiennonplus.Onestquittes.

—Jen’étaispasaucourantpourletien,rétorquaCharles,pince-sans-rire.— Je ne connaissais ni ton adresse ni ton numéro de téléphone, allégua Joseph. Tu étais un

hommedifficileàtrouver.Jereconnaisquetum’asenvoyéuneinvitationautien,maisc’estMaggiequil’areçue…etjenel’aieuequelaveille.

Oui,Charless’étaitdoutéqueMaggienelatransmettraitpas.—Jesuismêmesurprisquetul’aieseuavantlemariage,dit-il,confessantsapropreculpabilité.

Maisonn’apaspostélesinvitations.Onajusteappelé.J’aiessayétroisfoisetsuistombésurMaggiedeuxfois.Ladeuxièmefois,j’aisimplementlaissélemessage.

Josephéclataderire,puisiltoussa.—C’estunemauvaisetoux,fitCharles,inquiet.—Jevaisbien,réponditJosephsuruntonléger.Jeveuxrencontrertafemme,pourvoirsielle

estassezbienpourtoi.Pourquoinel’amènes-tupasici?Charles fit le calcul. Josephavait eu environdouzeansquand il l’avait rencontré, peuaprès la

SecondeGuerremondiale.Josephavaitdanslesquatre-vingtsans.Ladernièrefoisqu’ill’avaitvu,ilavaiteulasoixantaine.Vingtans,songea-t-ilavecunsentimentd’horreur.Avait-ildoncétélâcheàce

point?—Charles?—D’accord,dit-il,sadécisionprise.Onvavenir.(IlposadenouveaulesyeuxsurlePost-it,et

uneidéeluivint.)Vouséleveztoujoursdeschevaux,toietHosteen?

Troisjoursplustard

ChelseaSanisegara,enlevaseslunettesdesoleiletsortitdesavoiture.Elletapotaaupassagelapancartedémesuréequidéclaraitqu’àlagarderieSunshineFunlesenfantsétaientheureux.Lesairesdejeuclôturéesdechaquecôtédutrottoirétaientdésertesmais,dèsqu’elletiralalourdeportedelagarderie,lejoyeuxbrouhahadesenfantsluidonnalesourire.

Ilyavaitdesgarderiesplusprèsdechezelle,maiscelle-ciétaitpropreetbienordonnée,et lesenfantsavaientdequois’occuper.Ilvalaittoujoursmieuxquesesenfantsaientdequois’occuper.

Michael la vit lorsqu’elle jeta un coup d’œil dans la salle de classe où il se trouvait avec sescamarades de quatre ans. Poussant un ululement, il lâcha le jouet avec lequel il s’amusait et seprécipitavers elle.Elle lehissadans sesbras, conscientequ’il ne tarderait pas àneplus la laisserfaire. Elle souffla dans son cou et il gloussa, puis il se tortilla pour redescendre et aller courirjusqu’aumurdeportemanteauxoùétaitaccrochésonsacàdos.

L’institutriceenchargeluiadressaunsignedelamain,maisnevintpasdiscuteravecellecommeellelefaisaitparfois.SonassistanteaidaMichaelàmettresonsacàdosenluisouriant,avantd’êtredistraiteparunepetitefilleenroberose.

MichaelpritlamaindeChelseaetsemitàdanseraurythmedelamusiquequ’ilentendaitdanssatête.

—D’abordonvachercherMackie,ensuiteonrentreàlamaison,luidit-il.—C’estça,acquiesça-t-ellealorsqu’ilsdescendaientlecouloir.ElleouvritlaportedelasalledeclassedeMackieetlatrouvaassisesurunechaiseaucoin,les

bras croisés.Chelseaconnaissait cet airbuté ; elle avaitvu sonmari arborer cette expressionplusd’unefois.

—Hé!mapuce,dit-elleentendantsamainlibrepourdonneràsafillelapermissiondeselever.Mauvaisejournée?

Mackieréfléchitauxparolesdesamèresansquitter lachaisepuishochala tête, l’airgrave.Lanouvelleinstitutrice,quidevaitavoirvingtans,accourutverseuxenlaissantlesautresenfantsavecsonassistante.

—Letempsdepartagenes’estpasbienpassé,annonça-t-elle,lamineunpeusombre.IlafalluexpliqueràMackiequ’elledoitêtregentilleaveclesautres.Jenesuispassûrequelemessagesoitpassé.

—Jevousl’aidit.Ellen’estpashozho,déclaraMackie,obstinée.Cen’estpasbond’êtreprèsdequelqu’unquin’estpashozho.

—Etelleestassezgrandepours’exprimerclairement,poursuivit l’institutrice,dont lenomnerevenaitpasàChelsea.

—Elleparleclairement,intervintMichael,toujoursprêtàdéfendresasœur.—Hozhoestunmotnavajo,expliquaChelsea tandisqueMackiese laissaitglisserdesachaise

pourenfinprendrelamaindesamèreetlaserrerfermement.Un geste qui voulait dire queMackie la considérait comme une alliée aumilieu d’ennemis, et

qu’ellenepensaitpasavoirfaitquoiquecesoitderépréhensible.Ellenevenaitjamaischercherde

l’aideauprèsdesamèrequandellesecomportaitmal.— Leur père ou leur grand-père leur en apprennent quelques-uns de temps de temps.Hozho,

c’est…(compliquéetsimpleàlafois,maisdifficileàexpliquer)cequelaviedevraitêtre.— Heureuse, dit Michael, désireux d’aider. Hozho, c’est comme les pique-niques et les

balançoires. Les petits arbres heureux. (Il tourna sur lui-même sans lui lâcher la main et dansa àmoitiétoutenchantonnant.)Lapetitebriseheureuse.

—Navajo?demandal’institutricesuruntonsurpris.—Oui.Chelsealuidécochaunsourireféroce.Personnenepouvaitpenserunesecondeenlavoyantque

c’étaitàelle,dontlesancêtresavaientvoguésurdesnaviresàtêtededragon,quesesenfantsdevaientleurpeaubruneetleursyeuxsombrescommeunenuitd’orage.Lepremierquiosefaireculpabilisermes enfants pour ce qu’ils sont, eux ou n’importe quel autre enfant d’ailleurs, je lui apprendraipourquoilesgenscraignentdavantagelesmamansgrizzlisquelespapas.Jeluiapprendraiquetoutenfantquientredanscettepiècedevrayêtreensécurité,mêmesisesparentssontdesMartiens.

—C’estgénial,ditl’institutrice,inconscientedudangerqu’ellecourait.Onaprévud’étudierlesAmérindiensdansquelques semaines.Est-cequevous croyezque leur père ouquelqu’undevotreconnaissancequiseraitnavajoseraitdisposéàvenirparlerauxenfants?

Leventquisoufflaitdans lesvoilesdunavireàbordduquelChelseaauraitdéfendusesenfantsjusqu’àlamortretombaavecl’enthousiasmedelanouvelleenseignante,etellefit tairesonVikingintérieur.

—Si vous voulez bien attendre la fin dumois pour le lui demander, répondit-elle. Sa familleélève des chevaux et le grand concours hippique est pour bientôt. Ils vont tous être sens dessusdessousjusqu’àcequecesoitfini.

Unepetite fille accrocha son regard.L’enfant se tenait au centrede lapièce, étrangement seuledanslejoyeuxtumultedéclenchéparlesparentsquicommençaientàarriver.

Àforcedevenircherchersesenfants tous les jours,Chelseaconnaissait levisagede laplupartdes élèves de leurs classes. Elle avait déjà vu celle-ci avant aussi. Cette fillette etMackie avaientfabriquédesfleursenargileensembleetlesavaientoffertesàChelseaetàlamèredel’autrefillettepourNoëlquelquesmoisplustôt.Lesdeuxgaminesavaientgloussécommedeshyènestriomphantesen essayant d’expliquer comment elles avaient fabriqué les fleurs. Elle avait un nom de pierreprécieuse.PasRubyniDiamant…Améthyste.Oui,c’étaitça.

Maiscejour-làAméthysteavaitlesyeuxrivéssurMackie,etilnerestaitaucunetracedel’enfanthilarequ’elle avait été.Alorsque l’institutriceparlait avecenthousiasmeduponeyqu’elle avait euelle-même petite, la fillette reporta le regard sur Chelsea. Elle soutint brièvement celui de cettedernièredesesyeuxgris-vert,puissedétourna.

—Jemonteunpeuàcheval,convintChelsea,àmoitiédéstabilisée.Maisjeneparticipepasauxconcours,engénéral.Monmarioui,etilaquelquesassistantségalement.

—Super,ditl’institutrice.Jepenseraiàdemanderquevotremariviennequandleconcoursserapassé.(ElleregardaMackie.)Aurevoir,machérie.Onvaconstruiredesmoulinsàventdemain.Jepensequeçateplaira.

Mackieladévisagead’unairsolennel,puishochalatêtecommeunereine.—Trèsbien,mademoiselleBaird.Àdemain.L’institutriceétaitprovisoirementpardonnée,semblait-il.Mackie était une enfant entière.Elle aimaitMmeNewman, qui avait été son institutrice l’année

précédenteetétaitcelledeMichaelcetteannée-là.Ellen’aimaitniladirectrice,nilegardien,niEric,

unamidesonfrèreMaxquiétaitbeaucoupplusâgéqu’elle.EricavaitcessédevenirchezeuxtantMackielemettaitmalàl’aise.Chelseatrouvaitqu’Ericétaitungarçontoutàfaitgentil,tandisqu’elleavaitdesérieusesréservesausujetdeMmeNewman.

Mackie tira sur la main de sa mère et les conduisit hors de la garderie. Pendant que Chelseaattachait la ceinture deMichael,Mackie attacha la sienne elle-même.Mackie faisait ça toute seuledepuisqu’elleétaitcapabledetirersurlaceinture.

«Indépendante»,c’étaitpeudire,songeaChelsea,chagrine.Mackietenaitçadesamère,demêmeque sa propension à diriger.Deux traits de caractère qui rendaient bien service à Chelsea dans lemilieudes affaires,mais à causedesquels cene serait sansdoutepas la seule foisque lanouvelleinstitutriceauraitdesproblèmesavecMackie.

Àcepropos…—Ques’est-ilpassé?demandaChelseaàsafille.(Sentantnaîtreunemigraine,ellesefrottales

tempes.)Pourquoilamaîtresset’a-t-ellemiseaucoin?Mackielaregardad’unaircontemplatif.Àsonpère,Mackieraconteraittoutelavérités’illeluidemandait.Maisçaluiarrivaitrarement,

carils’intéressaitdavantageàlafaçondontellegéraitlasituationqu’auxdétailsdel’incident.Avait-ellefaitcequiétaitjuste?Aurait-ellepuchoisirunautrecheminquiauraitdébouchésurunmeilleurrésultat?VoilàleschosesquiimportaientàKage.

Chelsea,elle,auraitdroitàcequeMackieestimaitquesamèreavaitbesoind’entendre.Elleavaitl’intime conviction que ce n’était pas parce queMackie cherchait à éviter les ennuis, mais parcequ’ellesedonnaitunmalfoupourépargneràsamèretoutfardeaudedouleuroudechagrin.

Mackieinquiétaitsamère.Sesdeuxgarçons,MaxetMichael,avaientuntempéramentjoyeuxetpositif.Mackieétaitnéesolennelleetvigilante,uneâmevieilled’unsiècledansuncorpsd’àpeinecinqans.Elleavaitdesmomentsd’insouciance,maiselleétaitméfiantepardéfaut.Kagedisaitquesafilleavaitl’âmed’uneguerrière.

—Lafilleavaitquij’étaiscenséepartagermescrayonsgrasétaitchindi,déclaraenfinMackie,cequin’avaitaucunsens.(Mêmesiellen’avaitqu’uneconnaissancelimitéedelalanguenavajo,Chelseaétaitpresquecertainequeleschindiétaientdesespritsdesmortsmaléfiques.)Maispaschindi,ajouta-t-elle,cequiétaitencoreplusobscur.

—Tun’espascenséedirechindi,ditMichaelsuruntonsinistre.Ánálihastiinditqu’ilt’arriverademauvaiseschoses.

—D’accord,fitChelsea,soudainagacéed’essayerd’interprétercequis’étaitpasséàlagarderie.KagepourraitenparleravecMackiequandilrentrerait.C’était lemoisdefévrier,et ilpleuvaitgénéralementunpeuàcetteépoquede l’année,maisce

jour-là le ciel était bleu et le soleil cognait, lui donnant mal aux yeux et au crâne. N’ayant pasd’antidouleur dans la voiture,Chelsea devait rentrer à lamaisonpour se soulager. Se soulager detout.

—Jepensequejevaisdevoirparleràvotregrand-pèreausujetdecequ’ilvousapprend,dit-elle.—Paspapi,objectaMackie.Ánálihastiin.Ánáli hastiin voulait dire « grand-père ». Mais ils n’employaient le terme navajo que pour

l’arrière-grand-pèredeMackie,Hosteen.—Trèsbien,consentitChelsea. Jediscuteraiavecánálihastiin decedont il est convenableou

nondeparleràdesenfantsdecinqans.Elle claqua la portière arrière de la voiture un peu plus fort que nécessaire et fit démarrer le

véhiculepourrentreràlamaison.

—Àcestadedutrajet,expliquaAnnasuruntonironiquequin’échapperaitpasàCharlesmalgré

lecasquequ’ilavait sur lesoreilles,onaparlédes tendancesactuellesde laBourseetdes raisonspourlesquellesellessontbonnespournousetmauvaisespourbeaucoupd’autresgens.Onaexposéenquoiilestcontestablederecouriràdesstratégiesmilitairespourrésoudredesproblèmesd’ordrepublic.Onadiscutédes libertés scénaristiquesqueprennent les réalisateurs lorsqu’ils adaptentdesclassiquesdelalittératurefantastique,ensedemandantsilesrésultatsétaientappréciablesouatroces.Ons’estrésignésàl’idéequ’onnetomberaitpasd’accord,mêmesijesaisquej’airaison.

Onn’apasabordélesujetdontondoitvraimentparler,monamour.Mamèreavaitl’habitudededirequ’iln’yavaitpasplusbutéqu’unLatham,etjeteleprouverai.Onaletemps.

Elleamenadoncl’autresujetdontiln’avaitpasétédisposéàparler.—Es-tuprêtàmedireoùonva?Charlessourit,justeunpeu.Ellesouffla,amusée.—J’essaiejustededéterminers’ils’agitd’uncadeaud’anniversaireoud’unboulot.Ça allait être un cadeau d’anniversaire, elle en était certaine. Son anniversaire n’était que dans

deuxsemaines,maisCharlesneplaisantait jamaisquandils’agissaitdestâchesqueluiconfiaitsonpère.

—D’accord,fitCharlessuruntonaimable,etelleluidonnapourrireunpetitcoupdepoingsurl’épaule.Doucement, ajouta-t-il en agitant àpeine les ailesde l’avion.On risquede s’écraser si tucontinuesàfrapperlepilote.

—Mmm,marmonna-t-elle,nullementinquiète.(QuandCharlesfaisaitquelquechose,illefaisaitbien.)Oùest-cequ’onva?ÀpartenArizona.

Illuiavaitdéjàditpourl’Arizona,quelquepartentreleurdiscussionsurletravaildelapoliceetcellesurlesfilms.

—C’estuntrèsgrandÉtat,l’Arizona.—Scottsdale,luirévéla-t-il.Ellefronçalessourcils.Scottsdaleneluiévoquaitqu’unechose.—Onvajoueraugolf?Sonpèreaimaits’adonneraugolflorsdesesraresvacances.—Non,onvafairel’autrechosepourlaquelleScottsdaleestcélèbre.—Allerdansuncentredevacancesettraîneravecdescélébrités?dit-elle,dubitative.—Onvatetrouveruncheval.—Jinxestmoncheval,objecta-t-elleaussitôt.Jinxétaitunbâtardqui,commeCharlesleluiavaitdit,n’étaitsansdoutequequarterhorse.Ilavait

acheté le hongre vieillissant lors d’une vente aux enchères libre, surenchérissant sur l’acheteur deviande.

Annaavaitapprisàmonteràchevalaveclui.—Non,affirmaCharlesavecdouceur.Jinxestunexcellentbaby-sitter,maistun’asplusbesoin

de lui. C’est un bon cheval pour apprendre, mais il est paresseux. Il n’aime ni les longueschevauchées,niqu’onluidemanded’accélérer.Iltefautunchevaldifférent.J’aiunbonfoyerentêtepourlui.Ilporteradesenfantsaupas,trèslentement,etilseraravi.

—N’ya-t-ilpasdechevauxquimeconviendraientdansleMontana?Ilsourit.—J’aiunvieilamiquiélèvedeschevauxarabes.Jel’aieuautéléphonel’autrejour,etçam’a

rappeléqueçavaêtretonanniversaireetqu’ilesttempspourtoid’avoiruneautremonture.Annasecaladans son siège.Unchevalarabe.Des imagesdeL’Étalonnoir dansèrentdans son

esprit.Elleneputretenirunpetitsoupirdebonheur.—J’aimebienJinx,dit-elle.—Jelesais,ditCharles,etilt’aimeaussi.—Ilestbeau,poursuivit-elle.—Il l’est, convintCharles. Il seraégalement soulagéde tevoir sellerunautrechevalet ira se

recoucher.—Leschevauxarabesressemblentàdeschevauxdemanège,insistaAnna,quiavaittoujoursle

sentimentdetrahirl’aimablehongrequiluiavaittantappris.Charleséclataderire.—Cen’estpasfaux.Lespur-sangneteconviendrontpeut-êtrepas…Ilsneconviennentpasàtout

lemonde.Ilssontcommedeschats:vaniteux,beauxetintelligents.Maistut’ensorsplutôtbienavecAsil,quiest luiaussivaniteux,beauet intelligent.Celadit,s’ilsn’ontrienqui t’aille ici,onpourratrouverunchevalquiteplairaplusprèsdecheznous.

—D’accord,fitAnna,maisdanslesecretdesoncœurellechevauchaitunétalonnoirsansrênesniselle,lancéaugrandgalopsurlaplaged’uneîledéserte.

Charlesavaitdûl’entendredanssavoix,carilsourit.Cefutalorsqu’undétailquilatitillait–ellenel’avaitpasrelevétoutdesuite,carcettehistoirede

cheval l’avait transportée– retint soudain toute sonattention.«Unvieilami», avait-il dit.Charlesn’avaitpasbeaucoupd’amis.Desconnaissances,oui,maispasdesamis…Etilchoisissaitsesmotsavecgrandsoin.Lespersonnesdontilétaitprochesecomptaientsurlesdoigtsd’unemain:Anna;sonfrère,Samuel;etsonpa’.Mercy,lacoyotemétamorphequiavaitétéélevéeauseindesameute,figuraitsansdoutesurlaliste.Maisças’arrêtait là.Charlesavaitpresquedeuxcentsans,et ilavaitcollectétrèspeudegensàaimer.

—Parle-moidetonvieilami,l’adjura-t-elle.Pendantunmoment,levisagedeCharlessefigeaetAnnaeneutl’estomacnoué.—JosephSaniestlemeilleurcavalierquejeconnaisse,ditlentementCharles.C’estuncasse-cou

qui n’a aucun instinct de survie. (Laplupart des gensn’auraient pas entendu l’admiration à la foisaffectueuseetteintéededésespoirdanslavoixdeCharles.)Plusunechoseestdangereuse,plusilyadechancesqu’ilsejettedessus.Lesgensn’ontaucunsecretpourlui,etillesaimequandmême.

Ilneprécisapasquecethommetenaitàlui,maisAnnal’entendittoutdemême.CeJosephétaitunhommequiconnaissaitsonmarietl’aimait.

Tul’aimes,toiaussi,songeaAnna.Etentroisansjenet’aijamaisentenduprononcersonnom.Elleneleditpasàvoixhaute,maisilposafurtivementleregardsurelleetellesongeaqu’ilavait

peut-êtreinterceptésapenséeparlebiaisdeleurliendecouple,dontl’utilitélasurprenaitparfois.Ilétaitdifficiledecacherdeschosesàsoncompagnon,etencoreplusdifficilederesterencolèrequandon sentait la douleur de l’autre personne… et son amour. Leur lien semblait transmettre leursémotionsmieuxquelesmots.Maisillaissaitparfoisfiltreraussilesmots.

—Oui,fit-il.Jusqu’àcequejeterencontre,ilétaitmonmeilleurami.Sijenel’aipasvuenvingtans,c’estparceque,ladernièrefoisquej’étaislà-bas,jemesuissoudainrenducomptequ’ildevenaitvieux.C’estunhumain,pasunloup-garou.(Sonregardseperditdanslecielbleu.)Jenemesuispasvolontairementéloignédelui,Anna.Pasvolontairement.Mais luirendrevisiteavaitcesséd’être…unebonnechose.Jecomptaissurluipour…mestabiliser.Cequetufaispourmoimaintenant,quandlesmissionsdepa’mepèsent.

Ilrelâchasonsouffleentremblant.—J’aidumalàdireaurevoir,Anna.Jenelefaispasdebonnegrâce,etcen’estpasjoliàvoir.

Lesadieuxvousarrachentlecœuretl’offrentenpâtureauxcharognardsdepassage.Elleposalamainsursacuisseetl’ylaissajusqu’àcequel’aviontouchelesol.LamigrainedeChelsearedoublasurlecheminduretour,et,aprèsquelqueséchangesacerbes,les

enfantsseturent.Ellen’avaitjamaiseuaussihâtederetrouversamaisondepuislafoisoù,àdixans,elleétaitrentréed’unecoloniedevacancesd’étéinterminableetcatastrophique.

Lorsqu’elleengagealavoituredansl’allée,ladouleurnesedissipapascommeparmagie.Ellefitsortirlesenfantsduvéhiculeetrentrerdanslamaison.

Elleauraitdû…fairequelquechoseaveceux,maisdanssonétatellecraignaitdelesfroisser…oupire.

Ellelesabandonnaettraversasachambreentitubantpouraccéderàlasalledebainsattenante.Sielleparvenaitseulementàsedébarrasserdecettemigraine,elleretrouveraitsonéquilibre.

Elleprittroisantidouleuralorsquelanoticedisaitd’enprendredeux.Lescachetsétaientsecsetrestèrentcollésdanssagorge;elleenpritdeuxautres,puisportalaboucheaurobinetetbutdel’eaupourlesfairepasser.

Elle songeaquec’était trop,maiselleavaitvraimentmalà la tête.Elleeut le sentimentqu’elledevait en prendre plus. Elle leva la main vers l’armoire à pharmacie dans laquelle il restait desantidouleurdelafoisoùelleavaitsubiuntraitementradiculairequelquesmoisplustôt.Ellerenversaleverreàbrossesàdents,quitombadanslelavaboetvolaenéclats.

Elleramassa lesmorceaux,maissamigraine larendaitmaladroite.Elles’entailla ledoigtavecuneéchardequ’elleallaitjeter.Lacoupuren’étaitpasprofonde.Ellemitledoigtdanssaboucheetseregardadanslemiroirau-dessusdulavabo.Sonrefletavaitquelquechose…d’anormal.Elleposalesmainssur lapeaudesonvisageet la tiraenarrière,cequi luiaplatitunpeulenezmaisnefitpaspartirl’étrangèrequ’ellevoyaitdanslemiroiràsaplace.

Elle se lava levisageà l’eau froide, et il lui semblaqueçaatténuait lamigraine.Sondoigtnesaignaitplus.

Jetant un coupd’œil à l’horloge, elle constataqueMaxn’allait pas tarder à rentrer.Âgéd’unedizained’annéesdeplusquesesdemi-frèreetsœur,ilétaitau…Dequelsports’agissait-il,déjà?Dubasket-ball.Ilavaitsonentraînementdebasket-ballaprèslescours.

Ets’iln’allaitpastarderàrentrer,c’estqu’elleétaitdoncrestéeuneheuredanslasalledebains.Elleavaitlaisséunenfantdequatreansetunautredecinqsanssurveillancependantuneheure.Ellesehâtadesortirdelasalledebainsetdedescendrel’escalier.Guidéeparlebruitdelatélévision,elleserenditausalonoùlesenfantsregardaientundessinanimé.Michaelnelevapaslatête,maisMackieluijetaunregardsuspicieux.

— Désolée, leur dit-elle. J’avais une migraine carabinée. Ça ira encore un moment, tous lesdeux?Ilfautquejecommenceàpréparerledîner.

—Dacodac,acquiesçaMichaelsansquitterlatélévisiondesyeux.Ilnesedonneraitpascettepeine.Latélévisionétaitplusimportantequesamère.Mackieneditrien.Ellesecontentadel’observeraveclesyeuxdesonpèreetdejugercequ’elle

voyait.Commetoujours,ellenelatrouvaitpasàlahauteur.Chelsea tourna les talons et alla à la cuisine. Les mains tremblantes, elle sortit des choses au

hasard du réfrigérateur : des carottes, du céleri, des saucisses et des radis. La planche à découpern’ayantpasétéremiseàsaplace,elledutlachercher.Quandellelatrouvaaumilieudescasseroleset

despoêlesalorsqu’elleauraitdûêtredansleplacardétroitàcôtédelacuisinière,elleétaitdansuneragenoire.

Maxentrapar laportede lacuisine,qu’il laissaclaquernégligemmentcontre lemur.Grandetblond,iltenaitdavantaged’ellequedesonpremiermari,quiétaitmortdansunaccidentdevoiture,lalaissantéleverseulesonfilsdedeuxans.L’espaced’uninstant, laprésencedeMaxfutcommeuneboufféed’airfraisquiluividalatête.

—Salut,maman,dit-ilsuruntonjovialquirappelaittellementsonpèrequ’elleenavaitparfoislecœur serré. (Elle aimait Kage, mais elle n’en avait pas moins aimé Rob aussi.) Qu’est-ce qu’onmangecesoir?

Ilétaitperpétuellementaffamé.Ils’attendaittoujoursàcequ’ellelenourrissealorsqu’ilétaitenâgedesubvenirlui-mêmeàsesbesoins.Elleresserralesdoigtsautourducouteaudecuisine,sifraisetpuissantdanssamain.

—Veux-tu bien faire quelque chose pourmoi ?marmonna-t-elle entre ses dents, incapable dedétournerleregarddelalameargentée,luisanteetpleinedepromesses.

—Biensûr,réponditMaxenchipantunecarottedusacqu’elleavaitposésurleplandetravail.C’étaitmalélevédevolerlanourritureavantquelacuisinièresoitprête.Mal.Anna bloqua les roues pendant que Charles finissait d’attacher l’avion aux ancres qu’il avait

fixéesdanslesol.L’avionn’étaitpassipetitqueça,maisilétaitconçupourvoler,cequisignifiaitqu’unventviolentledéplaceraits’iln’étaitpasattaché.Ilsavaientprocédéàl’opérationsuffisammentdefoispourqueCharlesn’aitpasàluidirecequ’elledevaitfairenicomment.

Unvieuxpick-upremontalechemindeterreàtouteblindedansunnuagedepoussière,ets’arrêtaàcôtéde leuravionsansavoirguèreralentientre-temps.LeconducteurétaitunjeuneAmérindien,dont la tenue était un mélange de cow-boy et de tradition amérindienne : un jean, des bottes, unchapeaudecow-boy,un tee-shirt,uncollieren turquoise,desbouclesd’oreilles.Sonpantalonétaitmaintenuenplaceparuneceintureencuircouverted’argentetdeturquoise.

Annadevinaàsajeunessequ’iln’étaitpasl’hommequ’elleetCharlesétaientvenusvoir.Charles ne détourna pas le regard de sa tâche lorsque l’inconnu contourna son pick-up par

l’arrièreets’avançaverseuxavecdiligence.Sicethommeavaitétéunétranger,Charlesauraitlevélatête.

L’homme qui se rapprochait avait lamine un peu sombre, comme s’il s’acquittait d’une tâchenécessairemaisdéplaisante.IlobservaCharlesjusqu’àêtreassezprèspourpouvoirs’adresseràluifacilement,puis jetauncoupd’œilpresqueabsentàAnna.Ilchancela,basculasur les talonsdesesbotteséliméeset laissaéchapperunsoufflesemblableàceluid’unhommequiaurait reçuuncoupdansleventre.

Commeleventsoufflaitdansladirectiondel’homme,Annadevinaàsonattitudeplusqu’àsonodeurqu’ilétaitunloup-garou.Unloup-garoudominant,àenjugerd’aprèssaréaction.Lesloups-garousmoinsdominantsneréagissaientpasdefaçonaussimarquéeàsaprésence.

Les loups-garous omegas étaient aussi rares que les poules avecdes dents.Anna savait qu’il yavait un autre loup omega enEurope.À sa connaissance, c’était tout.Bran disait que c’était parcequ’ilyavaitpeudeloups-garousassezfouspourattaqueretdoncChangerunepersonneprésentantlesqualitésd’unOmega.Samuel,lefrèredeCharles,appelaitAnnale«Valiumdesloups-garous».

Une fois certain que l’avion serait là à les attendre quand ils reviendraient, Charles regardal’inconnu et haussa les sourcils. Elle savait que la réaction qu’elle suscitait chez l’autre hommeamusaitsonmari,maisellenepensaitpasquel’étrangers’enapercevrait…Çaéchappaitàlaplupart

des gens. Bon nombre des expressions de Charles étaient plutôt… desmicro-expressions, surtoutlorsqu’ilétaitenpublic.

— Hosteen, déclara Charles, voici ma compagne et femme, Anna. Anna, voici Hosteen Sani,Navajopuresouche,AlphadelameutedeSaltRiver,etéleveurdechevauxarabesdenoble lignéedepuissoixante-quinzeans,àplusoumoinsunedécennieprès.

S’il s’appelait Sani, il était donc parent du Joseph de Charles. Anna allait forcer son mari às’asseoirdèsqu’elleseraitdenouveauseuleavecluietl’obligeràcracherlemorceau.

—Enchantée,ditAnna.Hosteeninclinalatêtesansriendire,secontentantdeladévisagertandisqueCharlesjetaitleurs

sacs à l’arrière du pick-up. Son compagnon ne parut pas s’inquiéter de l’absence de réponse deHosteen, tout embarrassante qu’elle fût. Il ouvrit la portière côté passager pour inviter Anna às’asseoiraumilieu.

Annamontaet regardaHosteencontournerpensivement lepick-uppar l’avant,sans lamoindrediligence cette fois. Il ouvrit la portière côté conducteur alors queCharlesmontait avec elle,maisrestaensuitedanslecadredelaportière,commes’ilétaitréticentàl’idéedes’asseoiràcôtéd’elle.

—Navajo?demandaAnna,cherchantà lemettreplusà l’aiseavecunbrindeconversation.JecroyaisquelesNavajosd’ArizonavivaientsurtoutaunorddeFlagstaff.

Hosteenétrécitlesyeux,etellecrutavoirditquelquechosequ’ilnefallaitpas.Puisilmarmonnaquelquechosedansunelangueétrangèrequ’ellenecompritpasbien,hochalatêtepourlui-mêmeetsautadanslesiègeconducteur.

Iln’ajoutariendeplusjusqu’àcequ’ilssesoientengagéssurlechemindeterrecahoteux.—Oui,dit-ilalors.LaplupartdesNavajosviventdansleNord,danslarégiondesFourCorners.

Ilyenaquelques-unsiciparcequ’ilyadutravail,maistuasraison,ontrouvesurtoutdesPimas,desO’odhams,desMaricopas,ainsiqu’unepoignéed’ApachesoudeKwtsaanspourpimenterletout.

Elletrouvaitl’atmosphèretendue,maisc’étaitpeut-êtresimplementparcequ’ilyavaitdeuxmâlesdominantsdanscepetitpick-up.Àmoinsquecesoitencoreàcausede la réactionqu’ellesuscitaitchezHosteen.Ellen’arrivaithonnêtementpasàsavoirsiCharlesappréciaitcedernierounon.Ilsseconnaissaientsansdoutetrèsbien;deuxloupsdominantsneseraientjamaismontésensembledanslemêmevéhiculesinon.

Elledécidadesetaireetdeleslaisserrésoudreça.Aubout d’environ cinqminutes de silence,Hosteenhocha la tête dans unmouvement saccadé,

commepourrépondreàunequestionqu’ilétait leseulàentendre.Puisilsedissociatotalementdel’imagedel’AmérindienlaconiquequeCharles,lui,incarnaitàlaperfection.

—Laraisonpourlaquellejemesuisretrouvéici,loindesterresdesDinés,desNavajos,estunelonguehistoire,continua-t-il.Quandj’aiétéChangéilyaplusoumoinscentans,jemesuisditquejedevais êtreun skinwalker. Je n’avais jamais entendu parler des loups-garous, vois-tu, et aucun desgensquejeconnaissaisnonplus.Sais-tucequ’estunskinwalker?

Oui,mais elle avait appris qu’il valaitmieux plaider l’ignorance, car il arrivait que ce qu’ellepensaitsavoirdumondesurnaturelsoitfauxouincomplet.

—Unpeu.— Les skinwalkers sont des sorciers maléfiques qui prennent l’apparence des animaux – en

général,cesontdesanimaux–qu’ilsdépècent.Ilssedélectentdeladestruction,delasouffranceetdeladouleur.Ilsrépandentlamaladieetlemal.J’aicruquec’étaitsansdoutecequej’étais…mêmesijenemesentaispasplusmaléfiquequ’avantd’avoirétéattaqué.

Il lui sourit, l’invitant à rire aux dépens du jeune homme qu’il avait été. Elle trouvait ça plus

terrifiantquedrôle;çaressemblaittropàsapropreexpérience.Voyantqu’elleneluirendaitpassonsourire,ill’observad’unairpensif,puisreportaleregard

surlechemindeterreaccidentéqu’ilssuivaient.—Jenedépeçaispasd’animalpourprendresonapparence.Maismêmelegarçonignorantque

j’étaispouvaitserendrecomptequelefaitdesechangerenloup,enloupmonstrueux,luidonnaitunpoint commun avec le peuple des sorciers, dit-il. (Il semblait se détendre au fur et àmesure qu’ilprogressait dans son histoire, et la cadence de sa voix laissait à penser qu’il l’avait racontée plusd’unefois.)Commeceuxquisuivent lavoiedelasorcelleriesontmaléfiques, j’enaidéduitquejedevais l’être aussi.Mes parentsm’aimaientmais, comme je présentais un danger pour eux etmafamille,jesuisparti.C’esticiquejemesuisretrouvé.

—Tuesd’abordalléenCalifornie,objectaCharles,etAnnaeutl’impressionqu’ilencourageaitl’autrehommeàraconterdeshistoires.Hosteenestunestardecinéma,Anna.

Hosteensourit…etsonapparencechangeadutoutautout.Annavitqu’elles’étaittrompéeenlecroyantunpeutaciturne.Ilyavaitduravissementetdel’innocencedanscesourire.

—Tupeuxvoirmatêtedansquelquesfilms,concéda-t-ilpresquetimidement.Maisseulementsituaimeslesvieuxfilmsmuets.Pasdevraisrôles,justeApachen°2,Hopin°8,cegenredechoses.Quand ilsontdécouvertque j’étaisdouéavec leschevaux, jen’aipas tardéàpassercow-boy. J’aitravaillésurLeFilsducheik.

EtAnnacompritqueCharlesavaitincitéHosteenàpoursuivreparcequ’ilsavaitquecettehistoireallaitluiplaire.

Charlesluidisaitsansarrêtquecen’étaitpasparcequ’unloupétaitvieuxqu’ilavaitforcémentrencontréunjourunecélébritédupassé.Elleetsonfrèreavaientpassédenombreuxsamedisaprès-midiàmangerdupop-cornenregardantdesfilmsavecsonpère.Ilaimaitlestrèsvieuxfilmsennoiretblanc,mêmes’iln’yavaitengénéralpasdebande-son,oulesfilmsdekung-fu.

Unaprès-midi,sonpèreavaitlouéuntasdefilmsdeValentinoetilslesavaienttousenchaînés.LedernieravaitétéLeFilsducheik.

—LedernierfilmdeRudolphValentino?demandaAnna.—Oui,réponditHosteen.J’aidirigéleschevauxdansquelques-unsdesesfilms.Valentinoétait

un cavalier. Il était célèbre,mais ça ne le dérangeait pas de prendre unmoment pour parler avecl’Amérindienquis’occupaitdeschevaux.Jel’appréciais.

Hosteen avait répondu à sa question,mais il poursuivit son récit. Soit il avait senti qu’il avaitretenusonintérêt,soitilaimaitraconterdeshistoires.Peut-êtreunpeudesdeux.

—Ilsontfaitvenirunpetittroupeaudechevauxarabespourlefilm.IlslesontlouésàKellogg,letype qui a inventé les corn-flakes. (Hosteen rit sous cape, comme s’il trouvait quelque chosed’amusant à cette transaction.) Bref, ils ont fait venir un certain nombre de chevaux arabes… Jen’avais jamais vu d’aussi belles bêtes. Le préféré de Valentino était un grand étalon gris. MaisValentinoétaittropprécieux,etJadaanpouvaitêtreimprévisible.Commelesproducteurscraignaientquel’acteursoitmalmené,ilasurtoutmontéd’autreschevauxpourlefilm.Valentinoétaitfurieuxets’estsentiinsulté.

Ilpinçaleslèvres.—C’étaitdesidiots,cesproducteurs.Valentinosavaitmonteràcheval.Hosteensetut,etAnnaessayaderéfléchiràunequestionpourlerelancer.Avantqu’elleaitpule

faire,ilreprit:—CeJadaan.Sesjambesavantétaienttrèsmauvaises.MaisilétaitaussidouéqueValentinolui-

mêmepourprendrelapose.Ilrendaitbienàl’image.

Ilscontinuaientàrebondirsurlechemindeterredéfoncé.—Ilsontfaitveniruncascadeurpourledoublage,quiétaitchargédestrucsdangereux,continua

Hosteenauboutd’unmoment.CarlSchmidt, c’était unboncavalier.Plus tard, il apris lenomdeRaswanetaécritbeaucoupdelivressurlechevalarabe.Unboncavalier,maisunindividuridicule…commecechanteurquiachangésonnompourunsymbole.CarlRaswan.(Ilricana.)Raswanétaituncheval.Celadit,Carlétaitunboncavalieret ila tourné laplupartdesscènesavecJadaanet toutescelles où il fallait aller au grand galop.Vu queCarl n’auraitmanqué à personne du tournage s’ils’étaitrompulanuque,àpartpeut-êtreàValentinoquiétaituntypegentil,ilsavaientbienchoisileurcascadeur.

Ilritdenouveauunpeusouscape.—Tuvoiscequec’est.Dèsqu’onmeposeunequestion,n’importelaquelle,çafinittoujourspar

me ramenerauxchevaux.Mais tum’asdemandéceque je faisais ici.EnCalifornie, j’ai rencontréFowler et Annie McCormick, des gens très riches, quand ils m’ont amené quelques-uns de leurschevauxpour que je les dresse. Ils avaient unemaison ici et étaient prêts àmegarantir du travail.Comme jevoulaiséleverdeschevauxarabes, j’aidéménagé ici. J’aiachetécenthectaresàcôtédeleur ranchet j’aimontémapropre affaire. (Il jetauncoupd’œil àCharles.)C’est àpeuprès à cemoment-làqu’ons’estrencontrés,hein?JusteavantlaSecondeGuerremondiale.

—CommentvaJoseph?demandaCharles,semblantsauterducoqàl’âne.Hosteenrepritsonsérieux.—Toujourshumain,etondiraitbienqu’ilmourracommeça.Quatre-vingt-deuxans,têtucomme

unemule.(HosteenregardaAnnapuislaroute.)J’aimeraisbienquetulefasseschangerd’avisàcesujet.

—J’aidéjàproposé,ditCharles.—Oui,acquiesçaHosteen.Jesais.(Ilgardalesyeuxrivésdroitdevantlui.)Tupourraispeut-être

faireplusqueproposer.L’ambiance dans le pick-up devint glaciale, alors qu’Anna était presque certaine que la

températuredehorsavoisinaitles20°C.—Non,ditCharles.—Valevoir,lesommaHosteen,ungrondementsoudaindanslavoix.Vavoirmonfils,cetesprit

brillantpiégédansuncorpsquidépérit.Valevoir…etensuitetumeregarderasdanslesyeuxettumerépéterasça.

—Hosteen,émitCharlesprudemment.SiJosephétaitrevenusursapositionaucoursdesvingtdernièresannées,ilnousauraitsollicitéstoioumoi.Jeneluiforceraipaslamainettoinonplus.UnloupquiChangeunevictimecontresavolontédoitlui-mêmemourir,ainsiquel’adécrétéleMarrok.

—Tonpèrenetetueraitpaspourça,rétorquaHosteen,maislefeudesacolères’étaitéteint.Ilmetuerait,moi–iltedemanderaitdemetuer–maistoi,ilt’épargnerait.

—Sic’estcequetupenses,fitCharles,tuconnaismalmonpère.Chelseas’efforçadenepasregarderlesangquandelleappelasonmari.—Kage,Kage,Kage,scanda-t-elleaurythmedelasonnerie.«Kage Sani, dit la voix deKage à son oreille, et elle se sentit prête à pleurer. Je ne suis pas

disponiblepourlemoment.Veuillezlaisserunmessage,etjevousrappelleraidèsquepossible.»—Lesenfants,gémit-elle.Kage.Lesenfants.Ellevoulaitluiparlerdesenfants,maisellehurlaàlaplace.Lorsqu’elleeutreprissonsouffleet

quelesilenceretomba,elleneputquechuchoter,commesiunnouveauvacarmerisquaitderéveiller

quelquechosedemaléfique.Encore.—J’étaistellementencolère,Kage.Cecouteau.Dusang.Vite.Vite.Vite.Dusang.Quand le téléphone de Kage bipa pour signaler qu’il avait cessé d’enregistrer, elle scandait

toujourslesmêmesmotsàl’appareil.

CHAPITRE2

Sans crier gare, le chemin de terre se couvrit de bitume. Alors qu’Anna se demandait ce quefaisaitunealléegoudronnéeaubeaumilieudenullepart,lamaisonsurgitdevanteux.

Leslignesdelabâtisseseconfondaientaveclesableenvironnantetlavégétationdudésert.Elleétaitadosséeàunepetiteformationrocheuse,tropgrandepourêtreunebuttemaispasassezpourêtreune colline. Entre sa forme et sa couleur sable, la construction avait l’air d’une excroissance dudésert.

Voyantsasurprise,Charlesl’éclaira:—LesBadlandsdesDakotasontcommeçaaussi.Ici, leschosessontassezfacilesàcamoufler.

Cette terre a bien plus de relief que ce que tes yeux peuvent voir… C’est une des raisons pourlesquelleslapisted’atterrissageestsiloin.Ilafalluqu’ilsaillentjusquelà-baspouravoirunterrainplatsansrecouriràdesbulldozers.

— Il y a beaucoup de terrains plats à Scottsdale, ajouta Hosteen. Mais le paysage est plusintéressantlàoùl’onest.

Hosteengaralepick-upsuruneplacelibreduparkingcouvertconçupourprotégerlesvéhiculesdusoleildudésert.Unefemmesortitparlaportelaplusprochedelamaison.Onauraitpuluidonnern’importequelâgeentresoixanteetquatre-vingtsans,etelletenaitunbalaiàlamain.

—Bienvenuecheznous,AnnaCornick,fit-elleaimablement.Elleavaitunevoixquiauraitdûapparteniràuneadolescentedequinzeans:douceetchantante

commecelled’unoiseau,sanslechevrotementquivenaitparfoisavecl’âge.Ellesetintplusdroite,releva le menton et regarda Charles dans les yeux, à la recherche de quelque chose que de touteévidenceelletrouva.Savoixdevintrauque.

—Bienvenuecheztoi,Charles.Annaneputs’empêcherdejeteruncoupd’œilàsonmarimais,siuneexpressionétaitpasséesur

sonvisage,ellen’avaitpaseuletempsdelavoir.—Hosteen,enlèvecesbottescrasseusesavantd’entrerdanslamaison,lançalavieillefemmesur

untonsec.S’ilteplaît.Elleavaitrajoutéle«s’ilteplaît»aprèscoup.—Oui,Maggie,réponditl’Alphaàvoixbasse.Etquidonct’adonnéunbalai?Ellehaussalesourcilàsonintentionettapadubalaisurlespierresdel’alléedevantlaporte.—Personnenemedonnedebalaidansmapropremaison,papa.Jel’aiprisàErnestine.C’estune

bravefille,maisellenebalaiepasjusqu’auxbordsoùlesolrejointlemur.Çan’apasd’importanced’habitude,maisaujourd’huinousavonsdesvisiteurs.

ElleregardaCharlesetl’expressiondesonvisages’adoucit.— C’est bon de te revoir, fit-elle avant de détourner le regard presque timidement. Joseph

s’excusedemanquervotrearrivée,mais ildéjeunetôtpuisfait lasieste l’après-midi laplupartdesjours.Ilaimeraitbeaucoupvousvoirplustard.

Charlespritlamaindelavieillefemmedanslasienneetl’embrassaavecunegalanteriequ’Annal’avaitrarementvudispenseràquiquecesoitendehorsd’elle.

—J’aihâtedeluiparler.

AnnasongeaqueJosephn’étaitpaslaseulepersonnedecettefamillepourquiCharleséprouvaitde l’affection. La tournure que prenaient les événements la rendait un peu méfiante. Il était clairqu’elleauraitdûépinglersonmarietleforceràluifournirplusinformations.

Miseengardepar lesavonqueMaggieavaitpasséàHosteen,Annaretiraseschaussureset lesposasuruntapisprèsdelaportetandisqueCharlesenlevaitsesbottes.

—Vousdeux,vousn’avezpaspassélamatinéeàjouerdanslefumierdecheval,ditMaggie.Vouspouvezgardervoschaussures.

—Cen’estrien,protestaCharles.Leschaussuress’enlèventetseremettentfacilement.L’intérieurdelamaisonétaittoutenmursdeplâtreblancetenplafondshauts,avecdespoutres

apparentesenboissombreetdegrandsventilateursconçuspourbrasserl’air.Mêmesic’étaitlemoisdefévrier,latempératuredehorsavaitétéagréablementchaude…SurtoutcomparéauMontana,quiétaitencoreprisdanslaglace.Lefroidnedérangeaitpaslalouve-garouqu’étaitAnna,maisellenevoyaitpasnonplusd’inconvénientàlequitter.

Il y avait duparquet au sol.Anna connaissait les parquets en chêne et ceux-ci avaient ungraindifférent, patinés par des décennies d’allées et venues et resplendissants de propreté. Elle ne puts’empêcherdevérifier,maisellenevitaucunetracedepoussièrelelongdumur.

— Maggie, Joseph et moi sommes les seuls à vivre ici en ce moment, expliqua Hosteen.Ernestine, la petite-nièce de Maggie, vient la semaine faire le ménage et la cuisine. La sœurd’Ernestine,Libby,enfaitautantlesweek-ends.

— Ce qui est un gaspillage d’argent, marmonna Maggie. Je suis parfaitement capable dem’occuperdedeuxvieillardsdeuxjoursparsemaine.

Çaavaitl’aird’êtreunevieilledispute…lesespritsnes’échauffaientplusdutout.— Kage sait que vous êtes ici, dit Maggie à Charles. Il a appelé de l’écurie pour dire qu’il

montera d’ici à une heure. Ilsmanquent de personnel car une des employées est partie la semainedernière, etmon filsest exigeantencequiconcerne lesgensqui touchentà seschevaux.Onvousserviraundéjeunertardif,puisilvousemmèneravoirleschevaux.

Elleajoutaàl’intentiondeHosteen:—Vadonctedébarbouiller,papa,etjevaismontrerleurchambreàCharlesetsafemme.EllesedétournasansattendrederéponsedeHosteen.Invitantseshôtesàlasuivred’ungeste,elle

lesfitpasserparungrandsalonconçupourrecevoir.Annasavaitreconnaîtreunemaisondemeute.Avec ses multiples niveaux et ses coins propices aux conversations, cette pièce pouvait accueillirvingtoutrentepersonnes,soitunemeuteentière,sansqu’ons’ysenteàl’étroit.

—Cevieuxloupestauxangesetflattéquevoussoyezvenusacquérirl’undenoschevaux,révélaMaggiedèsqu’ilsfurentseuls.Nelelaissezpasvousconvaincreducontraire.

Anna entendit un rire étouffé quelque part derrière eux.Maggie croyait peut-être qu’ils étaientassez loin pour ne pas être entendus, mais l’ouïe de Hosteen était bienmeilleure que celle d’unevieillehumaine.

Alorsqu’ellelesconduisaitàunescalierdestylecolonial,Maggies’arrêtaetjetaunrapidecoupd’œilàAnna.Puiselleditquelquechosedansunelangueétrangère,enchaînantlessyllabescourtesàunrythmepresquesaccadétandisquelesconsonnesétaientdouces.Pluspizzicatoquestaccato.

Charlesétrécitlesyeux.Quoiqu’avaitpudireMaggie,çaneluiplaisaitpas.—Oui, elle l’est, fit-il àvoixbasse.C’est impoli deparlerdansune langueque ton invitéene

comprendpas.Etçal’estencoreplusquandc’estd’elledonttuparles.MaggieregardaAnna.—Jeluiaiditquetuétaisbelleetjeune.(Danssabouche,çasemblaitêtreunemauvaisechose.)Il

t’écraserasansmêmes’enapercevoir.—Ilestbeauaussi,vousnetrouvezpas?déclaraAnna,lesyeuxécarquillés.Elle était incapable de résister à l’envie de réagir à l’air désapprobateur deMaggie. Elle était

fatiguéed’êtremaljugée,etplusfatiguéeencoredesgensquis’imaginaientqueCharlesépouseraitunepotiche.Ellepritunevoixaussisincèrementdoucequepossible.

—Etilmerendtellementheureuse.Jamaisdelaviejenelecontredirais.Pourquoileferais-je?Ilestfortettellementplussagequemoi.

ElletenditlamainetlafitcourirlelongdubrasdeCharles.Ellecraignaitd’enavoirtroprajoutéavecsadernièrephrase,maiscen’étaitàl’évidencepasle

cas.Maggie laregardaenfronçant lessourcils,manquant lesourirefugacequ’esquissaCharlesaupetitdiscoursd’adorationdociled’Anna.LavieillefemmesetournaversCharlesetsemitàdéverserunflotdeparoles.

—Tusaisqu’elleestomega,lançaCharleslorsqueenfinelles’arrêta.Hosteenlesait…Josephlesait,etc’estlegenredechosesqu’iltedirait.

Ellerajoutaautrechose,etsamouesemuaengrimace.Charleséclataderire,cesoncalmeetjoyeuxquineluiéchappaitquelorsqu’ilétaitencompagnie

d’amis.—LesOmegas ne sont pas soumis, dit-il àMaggie.Certains d’entre eux ontmême le sens de

l’humour,ettaquinentlesgensbienintentionnésquisefontdusoucipoureuxquandilstraînentavecdegrandsméchantsloups.Net’inquiètepas,ellemecontreditbeaucoup.Elletientmêmetêteàmonpère.

—ÀBran?MaggieregardaAnnacommes’illuiétaitpoussédescornes.—Mon beau-père aurait bien besoin qu’il y ait plus de gens qui soient prêts à le contredire,

déclara-t-ellemodestement.Çaluiseraitbénéfique.—Jet’aimaljugée,ditMaggie.Jesuisdésolée.Elle n’avait pas l’air d’être désolée. Charles s’imaginait peut-être queMaggie s’était inquiétée

pourAnna,maiscettedernièren’étaitpasdupe.Ellesavaitreconnaîtrelajalousie.Elle connaissaituncertainnombredepersonnes très âgéesqui semblaient avoirvingt-cinqans

alorsqu’ellesenavaientparexempledeuxcents.S’ilyavaitune leçonqu’elleavaitbien intégrée,c’était qu’une personne pouvait être très différente à l’intérieur de ce qu’elle était en apparence.MaggiecachaitunefemmequiavaitencoredessentimentspourCharles.

—Lesgensonttendanceàmeprendrepourunepetitenaturequandilsmevoient,reconnutAnna.Vousn’êtespas lapremière. (Ellecomprenaitqu’onpuisseaimerCharles, et,puisqu’il était à elle,ellepouvait faire l’effortd’êtreaimable.)Maisvousétiez inquiète,cequiétaitgentildevotrepart.Toutvabien.

Elleetlavieillefemmeéchangèrentdessouriresaussipeusincèresl’unquel’autre.Annaavaitlanetteenviedeleverlesyeuxaucieletdetirerlalangue.

Maggielesfitentrerdansunesuitecomposéed’unsalon,d’unechambreetd’unesalledebains.— Quand vous vous serez rafraîchis, descendez à la cuisine… Tu te souviens où elle est,

Charles?—Oui,dit-il.Entendu.Annapassaàlasalledebains,selavalevisageetrevintàlachambre.Maggieétaitpartie.Charles

sedirigeaaussiverslasalledebains,sansdoutepourl’imiter.Quandilenressortit,elleluiditsuruntonaussineutrequepossible:

—Maggiet’aimebien.Ilcompritcequ’ellevoulaitdire.—Ons’estfréquentésjadis,luiexpliqua-t-il,laminesombre.Mêmesi«sefréquenter»,c’estun

termetropformelpourqualifierça.«Flirter»estmieux,maistropléger.Enfindecompte,çan’apasfonctionné…EtelleetJosephétaientmariés.1962,jecrois.Maisc’étaitpeut-êtreunanplustôtouplustard.

Anna entendit dans sa voix tout ce qu’il ne disait pas. Le chagrin de voir ses amis vieillir etmourirtandisqu’ilrestaitlemême.Ellen’avaitpasencorevécuçaelle-même,maisellesavaitqu’ilétait probable qu’elle verrait son père et son frère vieillir etmourir alors qu’elle aurait toujoursl’apparence d’une femmed’une vingtaine d’années. Pour avoir parlé avec le père deCharles, ellesavait que ce dernier avait mis un point d’honneur à ne jamais fréquenter de femmes humaines.Jusqu’àAnna, il avait évité toute formede relation suivieavecune femme.Elle songeaquec’étaitpeut-êtreenpartiedûàMaggie.

Charles savait s’orienter dans lamaison ; elle n’avait guère changé au cours des vingt années

précédentes. Quelques nouvelles œuvres d’art, des tapis différents, mais pour l’essentiel elle étaitrestéeidentique.

Malgrécequ’elleleuravaitdit,Maggielesattendaitenhautdel’escalier.Charlesvitl’imagedecellequ’elleavaitétéplusjeunesesuperposerdanssonesprit.Elleavaitlemêmefeudansleregard,etcettecolonnevertébraledroitequiincitaitlesgensàs’écartersursonpassage.

Charleslaissalesfemmeslemenerauxpiècesprincipalesdelamaison.Maggiemarchaitentête,ledosraided’hostilité.Çaneluiavaitpaséchappéqu’elleavaitdécidéqu’ellen’aimaitpassonAnna,une réaction très inhabituelle vis-à-vis de sa femmeomega.Comme ça ne dérangeait pasAnna, illaissapasser.Elle luiavaitapprisqu’endépitdufaitqueFrèreLoupavait résolude laprotégerdetoutcequiluicauseraitdel’inconfortAnnaétaitparfaitementcapabledeseprotégerelle-même.

CharlesétaitconvaincuqueprotégerAnnadetoutluicauseraitplusdemalquedebien,etFrèreLoups’étaitincliné.Çan’empêchaitpasleloupd’envouloiràMaggie.

— Je n’arrive pas à trouver mon téléphone, dit un homme à la voix semi-familière dans lacuisine.Jel’avaiscematin.L’as-tuvuquelquepart?

—Jenesurveillepastesjouets,Kage,réponditHosteen.Maissic’étaitlecas,ilsepourraitquejel’aievucematindanslabuanderie.

— Je l’ai trouvé et l’aimis sur la console dans le couloir, annonçaMaggie en entrant dans lacuisine.Jemesuisditqueceseraitlàqueturegarderaisenpremier.Jevaislechercher.

Charlesposaunemainsurl’épauled’Annaetentradanslaspacieusecuisineàcôtéd’elle.À la vue d’un homme qui était une copie conforme de Joseph à quarante ans, Charles eut

l’impressionqu’uncheval luiavaitdonnéuncoupdesabotdans leventre.Kageavaitétéun jeunehommeladernièrefoisqu’ill’avaitvu,etlaressemblancen’avaitpasétéaussiflagrante.Focalisésursamère,Kagesefenditd’unsourireidentiqueàceluideJoseph.

—Merci,maman.Jesavaisquejepouvaiscomptersur toi.Si j’arrivaismaintenantàretrouvermajugeote,commeChelseaaimemeledire,ceseraitparfait.

Maggiesecoualatête.—Si tuavaisde la jugeote, tuauraisquittécetendroitpourdevenirbanquiercommetonfrère

aîné.Ettuauraisétéaussimalheureuxpourlerestantdetesjoursqueluis’ilétaitrestéici.Soisdéjàcontentquetontéléphoneaitétéretrouvé.

Elle lui tapota l’épaule et sortit par une autre porte, probablement pour aller chercher le

téléphone.—Votresuitevousconvient-elle?leurdemandaHosteen.—Elleestmagnifique,réponditAnnapoureuxdeux.Pourlapremièrefois,Kageregardadansladirectiondesesvisiteursetseraidit,sursesgardes.—Charles.Hosteenm’aditvosnoms,biensûr,maisjen’avaispasfaitlelienavectoi.Jecrois

quejen’aijamaisentendupapaemployertonnomdefamille.Charles ignorait ce qui lui devait la méfiance de Kage, mais il était fréquent que les gens le

craignent.Dansunflashsoudain,ilrevitKageenfant,quileregardaitcachéderrièresamèretandisqueMaggiesanglotaitenl’accusantde…

Ilnesesouvenaitplusdequoi.C’étaitaussiàcausedeMaggiequesadernièrevisiteremontaitàsiloin.Çan’avaitéténisafaute

à elle ni la sienne, mais la présence de Charles créait des tensions entre Joseph et sa femme.Curieusement, les problèmes ne venaient pas de Joseph, qui avait pourtant été le second choix deMaggie. C’était Maggie qui n’arrivait pas à enterrer le passé. Elle avait rejeté Charles, mais ellerestaitpossessivevis-à-visdelui.

Annasourit.—Ilyabeaucoupdegensquis’appellentCharlesdanslecoin,signala-t-elle.—Kage, fitCharles.Voicima femme,Anna.Anna, je te présente le fils de Joseph etMaggie,

HashkéGaajiiSani.Onl’appelleKage.Annasouritets’avançaentendantlamain.—Enchantée,dit-elle,chaleureusecommeelle l’étaitnaturellement.Si j’aibiencompris, tuvas

nousmontrerdeschevaux.—C’estcequiestprévu,oui,acquiesçaKage.(Sonvisagesedétenditsousl’influenced’Anna.)Il

fautjustequejerécupèremontéléphone…Maggierevintendoucedanslacuisineparuneautreporteetluitenditunvieuxtéléphoneàclapet.—Merci,maman.Préfères-tulesjumentsouleshongres?ToutenrestantattentifàAnna,Kageouvritletéléphoneetjetauncoupd’œilàl’écran.—Jenesaispas,avouaAnna.J’aisurtoutmontédeshongres.—Àcequej’aicompris,vousavezquelquessemainesdevantvous,ditKage.Legrandconcours

hippiquecommencedanstroisjours,etjevaisdevoirpasserleplusclairdemontempslà-bas.J’aiplusieurschevauxentête.Jevousenmontreraiquelques-unsaujourd’hui,puisjevousemmèneraienbaladedemain.

AnnadécochaàCharlesunregardsurpris,sansdouteenréactionaux«quelquessemaines».MaisCharlesavaitbesoindepasserdutempsavecJoseph.SilatensionentreMaggieetAnnaempirait,ilspourraient trouver un hôtel. Et puis choisir un cheval était une affaire sérieuse ; il importait deprendreletempsdelefairebien.

—J’aimanquéplusieursappelsdemafemme,grimaçaKageenfronçantlessourcils.Çalarendnerveusequandjenedécrochepas.Ellemonteplutôtbienàchevalpourunecitadine,maisellesaitqueleschevauxsontdegrandesbêtesetqu’unaccidentestvitearrivé.Jevaisluidonneruncoupdefil,puisondescendraàl’écurie.

Il appuya sur un bouton et attendit tandis que le téléphone à l’autre bout sonnait. Il tombadirectementsurlamessagerie.

—ChelseaSani.Veuillezlaisserun…Ilcoupalemessaged’absenceetjetaunregardirritéàsontéléphone.—J’aiquatrenouveauxmessagesdepuiscematin.Jesuisdésolé,ilvautmieuxquejelesécoute.

—Pasdesouci,ditAnna.Onaquelquessemainesdevantnous.Cenesontpasquelquesminutesquivontchangerquoiquecesoit.(Ellehésita.)TudoisdéjàlesavoirpuisqueHosteenestunloup-garou, mais si tu écoutes les messages ici Charles et moi les entendrons aussi. Alors, s’ils sontprivés…

Illuisourit.— Ne t’inquiète pas. On a un adolescent et deux enfants plus jeunes. Jamais elle ni moi ne

laisserionsdemessagesprivéssurnostéléphones.—Bonsang!Kage.Décroche.C’étaitlamêmevoixdefemmequ’avant.Mais,aulieud’êtreprofessionnelleetposée,elleétait

irritée et… Charles ne connaissait pas assez bien cette femme pour déceler plus qu’une émotionintense.

Ledeuxièmemessageétaitplusperturbant.«Kage,s’ilteplaît,ilfautqueturentresàlamaison.Jenemesenspasbien.J’aiunemigraine

atroce. (Elleéclatad’un rirequi tenaitdavantagedusanglot.)Et ilyauncouteau. Ilbrilleet il esttranchant.»

Kagefronçaitlessourcilsquandilconsultaletroisièmemessage.Cettefois,safemmechuchotait.«Quelquechosenetournepasrondchezmoi.Tupeuxm’aider?lesaider?»Auquatrièmemessage,ilsseprécipitèrenttousdehors,toussaufMaggie.Elledutresteràcause

desoncorpsvieillissantquineluipermettaitpasdecouriraveclesautres.FrèreLoupenconçutduchagrin,maisCharless’inquiétaitdavantagepourlesenfantsdeKage.

—Jeconduis,déclaraHosteensuruntonsec.Il n’y avait pas assez de place pour eux quatre dans l’habitacle. Jetant un coup d’œil à Anna,

Charles changea de trajectoire et sauta sur le plateau du pick-up. L’instant suivant, Anna atterritgracieusementàcôtédelui.Hosteenmitlamarchearrièreetsortitduparkingenfaisantcrisserlespneus.Ils’arrêtaetouvritd’unepousséelaportièrepourKagequi,avecsalenteurd’humain,étaitledernieràatteindrelepick-up.

Moinsdedixminutesplustard,Hosteenpilaitdevantunemaisonàdeuxétagesenstucdecouleurpâle. Une BMW bordeaux était garée dans l’allée. Alors qu’ils se jetaient tous hors du pick-up,Hosteenlevaunemain.IlregardaCharlesetluiindiqual’arrièredelamaison.

Frère Loup hésita, mais il décida qu’il était acceptable qu’il reçoive des ordres dans cettesituation. C’était la famille deHosteen qui avait des ennuis, et celui-ci serait lemieux placé pourorganiserlatraque.

Hosteenneluiayantdonnéaucunsigne,AnnachoisitdeveniravecCharles.Ellen’eutpasplusdemalqueluiàsauterenhautdumurencimentdedeuxmètresquiséparaitlejardindedevantdeceluide derrière. Elle y resta perchée avec lui pendant qu’il évaluait rapidement la situation dans saglobalité.

Composédequelquespetitsparterresdeplantesadaptéesauclimatarideetd’unchemincarreléqui entourait une piscine de taille moyenne, le jardin n’était pas grand. Les sens de Charles nedétectaientpersonneàproximité.Lesindividuslesplusprochesétaientdesenfantsquijouaientdansuneautrepiscineàdenombreuxmètresplusàl’ouest.

Il remarqua en revanche que quelqu’un regardait des dessins animés à plein volume dans unepièceàl’étagedelamaisondeKage.Ilseredressaetmarchalelongdumurjusqu’àêtreassezprèsde la maison. Par mesure de sécurité, on avait veillé à ce qu’aucune fenêtre ne soit facilementaccessibledepuislemurparunhumain.MaisCharlesn’avaitjamaisétéunsimplehumain.

Ilbonditendirectiondelamaison,serattrapaaureborddelafenêtreet levalementonafinde

pouvoirregarderàl’intérieurdelapièced’oùvenaitlebruit.Lelitétaitappuyécontrelemurdelafenêtre.Ilvitl’arrièredestêtesdetroispersonnesassises

par terres et adossées au lit. Deux d’entre elles étaient de jeunes enfants, blottis aussi près de latroisièmequepossible.L’undespluspetitstremblaitencoresousl’effetd’unecrisedelarmes.

—Papavavenir,hein?demandal’undesjeunesenfants.—Papavavenir,ditceluiquifaisaitlatailled’unadulte.Charlesentenditplusd’espoirquedecertitudedanssavoix.—Elleestencoredehors?interrogeal’autreenfant.Elleaarrêtédefrapperàlaporte.— Je ne sais pas, leur répondit le plus âgé. Ça va aller. Reste ici avec moi, Michael. Je te

protégerai.CharlesselaissatomberausolsansbruitpuisremontaenhautdumuroùattendaitAnna.—Lesenfantssontdanscettechambre.Jen’aipasl’impressionqu’ilssoientblessés,maisilfaut

quel’undenousentreetveilleàcequ’ilsrestentensécurité.Tuesmoinseffrayantequemoi.Ilparlaitàvoixbasse,bienendeçàdecequepouvaitentendrequelqu’unquisetrouvaitdansune

pièceoùlesondelatélévisionétaitmontéàpleinvolume.—Est-cequejetraverselafenêtreouest-cequejel’ouvre?demanda-t-elle.Lafenêtreétaitmoderne.Ilauraitfalluqu’ilcasselesloquetsouqu’ilbriselavitre.AvecAnna,il

yavaituneautresolution.—Situessayaisdevoirsi tupeuxobtenirdesenfantsqu’ils t’ouvrent?dit-il.Nebriselavitre

qu’endernierrecours.Jevaisattendrequetusoisensécuritéàl’intérieur.J’entreraiensuitedanslamaisonparl’arrière.

Ilsautadenouveauausolets’éloignaassezpournepasêtrevu.Annarejoignit lafenêtred’unbondgracieux,puisellelevalementoncommeill’avaitfait.Maisellesehissaencorejusqu’àcequelapartiesupérieuredesoncorpssoitclairementvisible,etellefrappaàlavitre.

—Excusez-moi?dit-elle.Ilpouvaitimaginerlespremièresréactionsd’ungrouped’enfantsquis’étaientenfermésdansune

chambrepour se cacher de…dequelque chose. Il espéra que le garçonplus âgén’était pas armé.Maislachambreétaitdécoréecommecelled’unejeunefille,pasd’unadolescent.Silegarçonavaitunpistolet,ilétaitprobablementdansuneautrepièce.

—Quiêtes-vous?demandalegarçonplusâgéd’unevoixhostile.— Je suis un loup-garou comme votre arrière-grand-père, répondit Anna sur un ton jovial et

parfaitement normal, comme si elle passait son temps suspendue à des fenêtres.Monmari etmoiétionsauranchquandvotrepèreareçuunappel…étrange.Luietvotrearrière-grand-pèrearriventparlaported’entrée.Monmarivaprendrel’escalierdederrière,maisils’estditquevousaimeriezpeut-êtreavoirunealliéeici.Jesuispluscoriacequej’enail’air.Maisilvad’abordfalloirquevousouvriezlafenêtre.

Leloquetfutsoulevédansuncliquetisetlafenêtres’ouvritversl’intérieur.LesgensfaisaientdeschosespourAnna.Cen’étaitpascommequandlepèredeCharlesleurdonnaitdesordresetqu’ilsluiobéissaient aussitôt sans avoir le loisir d’y réfléchir. Les gens voulaient faire ce qu’Anna leurdemandait.

—Merci,dit-elleenpassantlesjambespar-dessuslerebord.Jecommençaisàmesentirunpeubête.MonnomestAnna,maisjeneconnaispaslesvôtres.CommeCharlesetmoiétionsàl’arrièredupick-upquinousaconduitsicietquejevenaisderencontrerKage,votrepapa,jen’aipaspuavoirlesdétails.Ilvafalloirquevousvousprésentiez.

Ellebavardaitcommesitoutétaitnormal.Charlesmitsavoixensourdineetsetapitausolpour

serapprocherd’uneporte-fenêtreparlaquelleilavaitl’intentiond’entrer.Àl’intérieurdelamaison,Kageappelaitsafemmemaisnerecevaitaucuneréponse.

Charlesouvritdoucementlaportelaplusprocheetseglissaàl’intérieursansperdredetemps.Annas’adossaaumurjusteàcôtédelaporte,entrelesenfantshumainsetcequelquechosequi

emplissaitlachambred’uneodeurdepeur.C’étaitlemieuxqu’ellepouvaitfaireàcemoment-làpourassurerleursécurité.

—Bon,fit-elle.Michael,MackieetMax.Dites-moicequis’estpassé.Toutcequ’onaeu,çaaétéquelquesmessagestéléphoniquesétrangesdevotremaman.

Elle restaità l’affût.Kageappelaitsa femmeàvoixbasse ;Annanepensaitpasque lesenfantspouvaientl’entendre.Safemmenerépondaitpas.

— Je suis rentré de l’entraînement, expliquaMax. Maman était dans la cuisine, et les enfantsregardaientlatélédanslesalon.Ellen’avaitpasl’airtrèsenforme,maisjemesuisditqu’elleétaitfatiguée…Elletravailledur.

Iljetauncoupd’œilàMichael,quiavaitdécidéquelesexploitsd’unpetitpoissonperduàl’écranétaientplusintéressantsquelafemmequiétaitentréeparlafenêtre.

Rassurédeconstaterqu’iln’allaitpaseffrayersonfrère,Maxpoursuivitd’unevoixcalme.Annasupposaquec’étaitpournepasattirerl’attentiondeMichael.

—Elledécoupaitdescarottessurlaplancheetj’aitendulamainpourenprendreune.Ilhésita,lesyeuxdenouveauposéssurlegarçonplusjeune.Sasœurluitapotalamain.—Chindi,fit-elled’unetoutepetitevoix.Maxluiréponditparunhochementdetête.—Chindi.—C’estquoi,«chindi»?demandaAnna.—Desespritssauvages,deschosesmaléfiques,deschosesmauvaises.(Maxhaussalesépaules,

nerveux.)C’estunmotnavajo.—Jenesuispascenséeleprononcer,avouaMackied’unepetitevoix.Jel’aifait,etpuismaman

s’estmiseencolère.Toutestmafaute.Maxsoupira.—Cen’estqu’unesuperstition.Cen’estpasréel.—Ánálihastiinditqu’ilne fautpasprononcercemot, sinon lesespritsmaléfiquesviennent te

chercher,déclara-t-elle.—Ánálihastiin…(Max ravala cequ’il était sur lepointdedire.)Écoute,moustique, tun’y es

pour rien dans tout ça. Kage…Ton papa dit que ce qu’ánáli hastiin raconte, ce sont souvent deshistoiresinventées.Tupeuxdemanderàtonpapa,maisiltediralamêmechose.Tun’asriencausédemal.

—Tupromets?demanda-t-elle,méfiante.—Promis.Il leva lamain,coinça l’auriculairesous lepouceet laissa troisdoigtsen l’air.Annaseditque

c’étaitpeut-êtrelesalutscoutmais,pourcequ’elleensavait,çaauraitaussibienpuêtrelesalutducroque-mitainevolant.Ellen’avaitjamaisétéscouteniriendecegenre.

Mackiesavaitdetouteévidencedequoiils’agissait,carellepoussaungrandsoupir.—OK.—Etdonc,tamèredécoupaitdescarottes?demandaAnnaàMax.—Etj’aitendulamainpourprendreunecarottedanslesachetetelle…

Ildéglutit,l’airsoudaintrèsjeune.Ilmimaquelqu’unquibrandissaituncouteauetl’abattaitd’uncoupviolent.

—C’étaitmoiqu’ellevisait,maiselleachangélatrajectoireauderniermoment.Elle…(ilvérifiaqueMichael était toujoursoccupé,mais il épela toutdemême lemot à lamanièreuniverselledesfrèresaînésquineveulentpasqueleurscadetsencorejeunesetillettréslescomprennent)l’ap-l-a-n-t-édanssapropremainetm’ahurléd’allerchercherlesenfants,dem’enfermeraveceuxetdenepasouvrirlaportejusqu’àcequepaparentre.Denelalaisserentrersousaucunprétexte.

IlregardaAnnaavecdegrandsyeuxdechiotetchuchota:—Elles…s-a-i-g-n-a-i-t.Samainétaitclouéeàlaplancheàdécouperetjel’aiabandonnéelà.

J’ailaissémonstupideportabledansmonsacàdosavecmonordinateur,etleseultéléphonefixedelamaisonestdanslacuisine.Jenepouvaisappelerpersonneàl’aide.

Ildétournaleregardetclignavivementdesyeuxtandisquesonnezrougissait.—C’étaitilyacombiendetemps?lequestionnaAnnapourqu’ilpenseàautrechose.—Mer…(Ilsetut,s’essuyalevisagesursonépauleetregardasasœur.)Mince!j’ail’impression

queçafaitdesheures,maiscefilmdureenvironuneheureetdemieetonn’enestqu’auxdeuxtiers.—Lechindiquiaprisl’apparencedemamèreafrappéàlaporte,ditMackieàAnnad’unevoix

grave,ensécuritédanslesbrasdesonfrère.ElleacriéàMaxdeluiouvrir.Puiselleapleuré.Etelleaessayéd’êtregentille…EtMaxamontélesondufilmpournepasqu’onécoute.

Oui, un chindi, songeaAnna. Cette façon d’expliquer les événements queMax avait décrits envalaitbienuneautre.Elleétaitmusicienne,paspsychologue,maisilluisemblaitbienqu’unemèrenesemettraitpasàperdrelatêteetàsepoignarderdujouraulendemain.

—Maxesttrèscourageux,déclara-t-elle.Mackiehochalatête.—Oui.Oui,ill’est.Quandjeseraigrande,j’épouseraiquelqu’uncommeMaxetjel’obligeraià

chasserleschindiavecmoi.LesalutscoutsincèredeMaxavaitclairementdissipélescraintesdeMackieausujetdecemot,

carelleleprononçasanshésitation.Maxeutunrireétranglé.—Bonneidée,minus.(Ils’adressaensuiteàAnna.)Quelqu’unl’alaisséeregarderSupernatural,

etmaintenantellenepensequ’àallercombattrelamagienoire.MackieregardaAnnaenfronçantlessourcils.—Tuasditquetuétaisunloup-garou.Commeánálihastiin.Annahochalatête.—Sic’estdetonarrière-grand-pèreHosteendonttuparles,alorsoui,c’estlecas.—Tupeuxvenirchasserleschindiavecmoi,décréta-t-elle.Maxnepeutpascarilseraunvieil

homme à cemoment-là.Michael est trop bruyant etmaladroit. Il est peureux et il commettra deserreurs.Leschosesmaléfiqueslemangeront.Etqu’est-cequejeferaiaprèssanspetitfrère?

—Jenesaispastrop,réponditlentementAnna,commesielleréfléchissaitàsoninvitation.Monmarin’aimepasêtremisàl’écart.Maissionl’emmène,leschosesmaléfiquess’enfuironttoutesetceneserapasdrôle.

—Tonmariestunloup-garouaussi?—Oui.—S’ileffraienosproies,ildevraresteràlamaison,ditMackie.Annasourit.—Tuasraison.Ilgâcheraitnotreplaisir.Maispeut-êtrequ’ilseraittristed’êtreexclu.

—S’ilpleure,tun’aurasqu’àluiexpliquer,émitMackieavecsagesse.—Mackie,laréprimandaMax.—Max,fit-ellesurlemêmeton.—Taisez-vous tous lesdeux, leur intimaMichael sansquitter la télévisiondesyeux.Le requin

arrive.Annaentenditdesbruitsdepasprécipitésdansl’escalier,et,justederrièrelaporte,Kagechuchota

lenomdesafemmeetessayad’entrer.Touslesenfantssemirentenalerte–tantpispourlerequin–,maispersonneneditrien.Peut-être

étaient-ilseffrayésparlavoixinsistanteettenduedeleurpère.Undeleursparentsleuravaitdéjàfaitunepeurbleuecejour-là,etilsredoutaientapparemmentquel’autreenfasseautant.

—Non,ditAnnaendéverrouillantlaporte.(EllerestasursesgardesaucasoùlemaldontleurmèreétaitatteinteauraitcontaminéKage.)Chelsean’estpaslà.Maistouslesenfantssontavecmoietilsvontbien.

Quand laportes’ouvrit,Kage ladépassaen la frôlantetattira lesenfantsdanssesbras,puis ils’écartapourlesexaminertousets’assurerqu’ilsn’avaientrien.Ils’empressatoutautantd’étreindreMax, dont le teint suggérait qu’il était son beau-fils plutôt que son enfant biologique.Hosteen lesregardaitcalmement,attentifàcequisepassaità l’extérieurde lapièce. Ilsavaitquecen’étaitpasterminé.

—Ilyaunebrumedemagiefaeaurez-de-chaussée,expliqua-t-ilàAnna.OùestCharles?—En bas, lui répondit-elle. Ilm’a envoyée ici pour que je vérifie que rien n’était arrivé aux

enfants.—Ilyaunemaredesangjustedevant laporte,chuchota-t-il,s’écartantafinqu’Annapuisse la

voirpendantque lesenfantsétaientoccupés.LesangdeChelsea.Jen’arrivepasà lasentiravec lapuanteurdecettemagiefaequiaenvahilamaison.

—Charleslatrouvera,dit-elle.Il…Salouvel’empêchad’allerauboutdesapenséelorsqu’ellebonditaupremierplan,porteused’un

message urgent queCharles lui envoyait par le biais de leur lien de couple.Elle sut que ses yeuxd’ordinairemarronétaientdevenusbleuglacierquandelleregardaKageetdit:

—Choisis.Kagesedétournadesesenfants.—Hein?Elleluidonnalesseulsmotsqu’elleavait.—Choisis.Choisismaintenant.Charles inspira une odeur de sang et demagie. Il s’était àmoitié attendu au sang, en tout cas

jusqu’à ce qu’il découvre que les enfants semblaient tous sains et saufs. Le sang n’était donc passurprenant.Maislamagiefaequ’ilsentaitluicaressernonchalammentlapeauchangeaitladonne.

Il n’était pas censé y avoir de faes en liberté. Ils s’étaient cloîtrés en grande pompedans leursréserves en se déclarant libérés des lois des États-Unis. Les derniers mois, ils n’étaient à saconnaissancepassortisdesréserves.

Maisilconnaissaitlamagie,ilétaitfamilierdelasensationdecelledesfaes.FrèreLoupsedressaetlescouleursdevinrentsoudainunpeuplusternes,tandisquelesombresrévélaientleurssecretsàsonregard.

Iln’yavaitpersonnedanslapièceoùilentra.C’étaitunsalonclassique,avecungrandécrandetélévisionsurunmuretdesétagèreschargéesdetrophées,dephotos,delivresetdejeuxsurl’autre.

Mais l’odeur du sang était fraîche et toute proche. Il inclina la tête pour voir s’il parvenait àdéterminerd’oùellevenaitsansfairedegrandmouvementquirisquaitdavantaged’attirerl’attentions’ilyavaitquelquechosequil’attendait.

Àl’étage,latélévisionétaittoujoursàpleinvolume.S’iln’yavaitpaseutantdebruit,sonouïeluiauraitétéplusutile.Mais,aveclebruit,unennemiauraitaussiplusdemalàl’entendre.

Leplanchergrinçaquelquepartdanslamaison.Illuisemblaitqueçavenaitdesagauche,maisc’étaitdifficileàdire.Ilsedéplaçarapidementdececôté-làdelapièceet,toujoursaurasdusol,ils’arrêtaàcôtédumur.Ilseméfiaitdesmurs…Ilenavaitlui-mêmetropsouventtranspercéquandiltraquait une proie. Les plaques de plâtre et les colombages n’arrêtaient pas un loup-garou, etbeaucoup de faes étaient tout aussi forts.Mais unmur ne remplissait pas tropmal la fonction debarrièrevisuelle.

Avecprécaution, il tournalatêteà l’angle.C’était labuanderie.Ilyavaitdusangpartoutsurlesol,deséclaboussuresainsiquedestraînéesquiserpentaientautourdesappareilsélectroménagersetdisparaissaient derrière. Il s’avança prudemment, dépassa le lave-linge et le sèche-linge… et seretrouvanezànezavecunefemmeauregarddément,quiétaittapiedanslasalledebainscachéeaufonddelapièce.Ilsefigeasurplace.

Elle était assisepar terre jambes croisées avecun sacrégrandcouteau à lamain, et cettemaintremblaitcommesielleétaitatteintedeparalysiemusculaire.Unmouvementqu’onpouvaitimputerausangqu’elleavaitperdu,autraumatismeouauxdeux.

De longues entailles sanguinolentes, certaines profondes et d’autres superficielles, ornaient sesdeuxbrasetsesjambessouscequiavaitétéuntrèsbeaupantalon.Ellemontralesdents.

—Le sang des enfants doit couler, lâcha-t-elle, et le couteau vibra dans samain droite. Il fautsaignerlesmauvais…

ElleplantalecouteaudanssacuisseetCharlesgrimaça.Mais,aulieudel’enfoncerplusloin,ellelefitsimplementglisserlelongdesacuisseparallèlementauxautresblessuresquisaignaientàcetendroit-là.

— Quelque chose dans ma tête veut que je tue mes enfants, continua-t-elle dans un murmureprécipité,trèsdifférentdelavoixaveclaquelleelleparlaitaudébut.Tudoism’enempêcher.

FrèreLoupgrondaàl’intentiondecetennemiqu’ilnepouvaitpascombattreàcoupsdegriffeetdecroc;lafemmeétaitentouréedemagiefae.Charlesdevaittrouverlemoyendel’aider.Dufaitdelamagiequi s’accrochaitàelle, il étaitmieuxéquipépourçaquen’importequelleautrepersonneprésente.Mêmes’iln’auraitpasrefusél’assistanced’unsorcieroudequelqu’und’autre.Sonpa’luiauraitétéutile.

— Chelsea Sani, dit-il en lui envoyant un peu de sa propre magie afin qu’elle puisse s’yraccrocher.

Çanesuffitpas.Ellemarquaunepause,puisbasculaenavantetsemitàramperàquatrepattes.Ildoutaitquece

soitverslui.Iln’étaitpassacible.—Ilyademauvaisenfantsici…Despetitsgarçonsquivolentlanourriture,despetitesfillesqui

nejouentpasgentimentaveclesautres,despetitsgarçonsqui…Elles’effondraalorsetsetorditparterreengrognant.—Chelsea!ordonnaFrèreLoup,puisantdanslepouvoirdesameuteetdesonpa’.Glacialcommel’hiver,lepouvoirréponditàsonappeletpercutalafemmelorsqu’ill’interpella.Ellesetutetcessatoutmouvementàl’exceptiondeceluidesacagethoracique.Puiselleroulala

têtejusqu’àcequ’elleparvienneàlevoir.Ellesoutintsonregard,ouvritlaboucheetlareferma.Elle

s’ouvritlamaind’uncoupsec,laissantlecouteaudanslaplaie.—Aveclesang,c’estplusfaciledelutter.Quies-tu?—JesuisCharles.UnamideJoseph.Peux-tumedirecequis’estpassé?Ilserapprocha,invoquantlesdonshéritésdesonpèreetdesamère.Sapeauseréchauffaetfut

parcourued’unpicotementdésagréable,maisilputvoirlessortilègesquiencerclaientlafemme.Lamagieseresserraitàl’endroitoùlesangfraissourdaitsurl’acier,sansjamaistoutàfaittoucherlalamefroide.Elles’accumulaittantbienquemalautourdelaplaiebéante,tandisqu’ellesedispersaitautourdurestedesoncorps.

Ilsongeaqu’ilfallaitqueChelseasoitunesorcière-néepourquesonsangsoitsipuissant.Maisunesorcièrequin’avaitpasétéformée,carelleauraitsinonbrisélegeis.

Elle laissa échapper un cri étouffé et fut secouée d’un spasme, comme si elle allaitmourir defroid.

—Loup-garou.Charles?Tuesleloup-garoudeJoseph?exigea-t-elleàmoitiédesavoir.—Oui.Jesuisicipourt’aider.Elleéclataderire,àboutdesouffle.—Troptardpourça.Troptardpourmoi.Jelesaienvoyésdansunechambredontilspouvaient

verrouillerlaportepourm’empêcherd’entrer,maisilfautqu’ilssortent.Toi,emmènemesbébésenlieusûr.

Il s’aperçut qu’il avait du mal à résister à l’autorité dans sa voix. Frère Loup trouva ça trèsintéressant.

—Ilssontensécurité,luiassura-t-il.Elle écarquilla les yeux, et la magie fae se déploya. Il se rendit compte trop tard qu’il avait

commisuneerreur.Certainsfaesétaientrapideset,quoiquelamagieaitfaitàChelsea,ellel’avaitdotéed’unevitesse

surhumaine.MaisCharles s’était rapprochéd’ellepeuàpeu, cequipermit àFrèreLoupde réagirencoreplusviteetd’intercepterlamaindanslaquelleelletenaitlecouteaujusteavantqu’elleleplantesoussamâchoire.

Ils’agissaitdoncd’ungeisendeuxtemps,quilaforçaitàtuersesenfantspuis,unefoisquec’étaitfait – ou si elle n’y parvenait pas –, à se tuer elle-même. Elle morte, il serait plus difficile deretrouverlefaeàl’originedusort.

Elle lutta pour reprendre le contrôle du couteau avec une force qui ne lui appartenait pas, etCharles finit par planter la lame dans le sol, transperçant le linoléum et le parquet en dessous. Ill’enfonçaprofondémentafindenepasêtreobligédeluicasserlebras.

Alors qu’elle essayait de déloger le couteau en sanglotant, l’odeur du fae disparut en unclaquementdedoigtsetelles’effondra.

—Ensécurité?chuchotaChelseaSanidansunfiletdevoix.Redis-le-moi.— Ils sont en sécurité, obtempéra-t-il, et le corps de la femme se relâcha comme si elle avait

épuisésesdernièresforces.Etilsutcequiavaitbrisélegeis.Ilembrassaduregardlesangquimaculaitlesol,remarquantqueladernièreblessuredeChelsea

nesaignaitpascommeellel’auraitdû.Sonrythmecardiaqueétaitirrégulier.Elleavaitperdutropdesang…etellecontinuaitàenperdrepartouteslescoupuresqu’elles’étaitelle-mêmeinfligéespourtenterdeprotégersesenfantsdelamagiequilacontrôlait.Çaavaitétéuneincroyabledémonstrationdevolontéetdeprésenced’espritdelapartd’unefemmequin’étaitqu’humaine.Maisilyavaiteuunprixàpayer.

Elleétaitentraindemourir.Mêmes’ilsétaientallésàl’hôpital,ilsauraienteupeudechancesderéussiràlasauverdanssonétat.Elleétaitentraindemourir,etceladonnaitsatisfactionaugeis.

—OnpourraitlaChanger,ditFrèreLoupàCharles.Ellesaitsebattre.Ilseraitàlalimited’enfreindrelerèglementdesonpa’.Iln’avaitpasl’avaldecedernier,mais

lessituationsdésespéréesétaienttraitéesaucasparcas.Entantquebrasdroitdesonpa’,ilavaituneplus grande marge de manœuvre que les autres loups. Puisqu’il n’avait joué aucun rôle dansl’incident qui avait réduit Chelsea à cette extrémité, ses actes seraient considérés impartiaux. LejugementlucidedeFrèreLouppèseraitdanslabalance,aumoinsauxyeuxdesonpa’.Toutcequ’illuifallait,c’étaitleconsentementdeChelsea.

Charless’agenouillaàcôtéd’elle.—Tuesmourante.Est-cequetucomprends?JepeuxteChangersitulesouhaites.Elleditquelquechosemaissavoixétaittropfaible,mêmepourl’ouïedeCharles.—Çadoitêtremaintenant,fitFrèreLoup.Etnousdevonsrevêtirlapeauduloup.Ellen’étaitpasenmesurededonnersapermission,mais ilyavaitquelqu’und’autredanscette

maison qui l’était. La silhouette de Frère Loup enveloppa Charles ; le loup avait dicté lamétamorphose.C’étaitsisimpledepasserd’hommeàloup,entrelapleinelunetouteprocheetlefaitqu’il n’avait pasmarché sur quatre pattes depuis des jours. Tandis qu’il prenait la forme du loup,Charlestransmitsavolontéàsacompagne.

Dis-luidechoisirpoursafemme.Dois-jelalaissermourir…oudois-jelaChanger?

CHAPITRE3

Le couloir derrière FrèreLoup s’emplit de gens, certains qu’il connaissait, d’autres non.MaisAnnaétaitlà,etc’étaitd’elledontilavaitbesoin.

Lorsqu’il riva les yeux sur elle, elle se tourna vers l’humain qui était le compagnon de lamourante.

—Tafemmesemeurt,dit-elle.Charlesditqu’elleadelavolontéetqu’elleestcourageuse.IlestprêtàlaChanger…maisellen’estpasenétatdeprendrecettedécision.

— Non, gronda soudain Hosteen. Pas elle. Ce n’est pas censé être elle. Si Charles refuse deChangermonfils,iln’apasledroitdedéciderdelaChanger,elle.Paselle.

Le silence se fit dans le couloir quandFrèreLoup soutint le regarddeHosteen et que l’Alphatombaàgenoux.Iln’appartenaitpasàcelui-làdeluidictersaconduite.

—Grand-père?demandaKagederrièreFrèreLoup.Ils’étaitruéverssacompagnedèsqu’ill’avaitvue,sanssesoucierdelaprésencedeFrèreLoup.— Il n’a rien, fit Anna, lamine sombre. Il a juste oublié qui commande ici, et Frère Loup…

Charles le luiarappelé.Tuasunedécisionàprendre,Kage,ouelleserabientôtprisepour toi.Tafemmeconsentirait-elleàvivrecommel’undenous?Tusaiscommentlerestedel’espècehumainenousconsidère.

Ilyavaitd’autreschosesqueCharlesvoulaitqu’AnnadiseàKage.Elleécoutapuisdit:—Charlesveutquejesouligneque,siellemeurt,ilestpeuprobablequ’onparvienneàdécouvrir

pourquoiunfael’aensorceléepourqu’elles’enprenneàsesenfants.Ceseradifficilederetrouvercefae et de le traduire en justice, ce qui laissera l’agresseur deChelsea libre de continuer à tuer.Tafemmeapayé leprix forten luttantcontre lamagieetensauvant lesenfants.Est-cesuffisantpourelle?ouvoudrait-ellearrêtersonagresseur?

Ilsétaiententraindeperdrelafemme.FrèreLoupjetaunregardimpatientàAnna.—Non,déclaraHosteen,sansseredressernileverlatête.PasChelsea.—Pourquoipas?demandaKage.Parcequ’ellen’estpaslafemmequetusouhaitaispourmoi?

Parcequ’ellenet’aimepas?C’esttafaute,vieilhomme.—C’estunesorcière-née,sifflaHosteen.Lessorcièressontmaléfiques.—Jesuissorcier-né,ditFrèreLoupàAnna.Elleluiadressaunhochementdetête,maisellen’intervintpas.Elleétaitplusdouéeaveclesgens

queluiouCharles.Siellenejugeaitpasutiledementionnercedétailàcemoment-là,elleavaitsansdouteraison.

—Sagrand-mèreétaitunesorcière,expliqualefilsdeJosephdansungrondementdécentpourunhumain.Chelsean’aaucunpouvoir.

Cen’étaitpasvrai.Sanspouvoir,jamaisellen’auraitvainculegeisqu’onluiavaitjeté.D’ailleurs,pluselleserapprochaitdelamort,plusilétaitfacilepourFrèreLoupdesentirl’odeurdelasorcière.Ce qui signifiait sûrement qu’elle avait un moyen de la masquer, et comme elle était en train demourir,samagiemouraitavecelle.

Iljetauncoupd’œilauxenfants,àlapetitefillequileregardaitsanscillermêmesielleagrippait

d’unemainletee-shirtdujeunehommequisetenaitàcôtéd’elle.L’odeurdecelle-làavaitquelquechosedeplus.Sorcière.

Hosteensifflaentresesdents,insatisfait.—Unesorcière-néenedevraitpasêtreunelouve-garou.— Maman ? fit une petite voix. (Frère Loup vit le plus jeune des enfants saisir la main de

l’adolescent.)Maman?—Çava aller,Michael, ditKage, anéanti et agenouillé à côté de sa femme.Oui,Charles, oui.

Change-la.Grand-père,emmènelesenfants,s’ilteplaît.—Jenepartiraipas,réponditHosteen.—Reste,tranchaAnna.Jevaisemmenerlesenfants.Hosteendevraitrester.Lavoixd’AnnarésonnadanslatêtedeCharles.—Illamettraencolère.Illapousseraàsebattrepourvivre.Jedoispartircarjenesuispasutile

àcestade.Ellerassemblalesenfantsmalgrélesprotestationsdujeunehommeetpartit.C’étaitjustequ’ilen

ailleainsi,songeaFrèreLoup.Lerôledel’Omegaétaitd’apaiser.LeChangementétaitunchampdebataille,etlafemmeétendueàsespiedsdevaitserappelercommentsebattresiellevoulaitsurvivre.

Ilattenditqu’Annaaitquittélapièce.—Qu’est-ceque…,commençalecompagnondelafemme.Il aurait aussi bien pu être en train de s’adresser à Hosteen qu’à Charles. Ça n’avait aucune

importancepourFrèreLoup.IlplantalescrocsdanslacuissedeChelseaeteutlegoûtdusangséchésurlalangue,ainsique

celuidelalessivedontilsentaitunpeul’odeursursesvêtements.Ilsecoualatêteafindedéchirerlachairetlaissasasaliveserépandredanslestissusendommagés.Iln’avaitpasChangébeaucoupdegens;sontravailàlui,c’étaitdetuer.Plussouventqu’ill’auraitsouhaité,c’étaitdetuerdelamanièrela plus atroce possible afin de dissuader d’autres de faire les mêmes choix que ceux qui avaientconduitàlamortdesesvictimes.Ça,c’étaitmieux.

Malgré son inexpérience, il connaissait le processus pour avoir été témoin de centaines deChangementsetdepresqueautantdedécèsdanslesjoursquiavaientsuivi.Ilsavaitquellesétaientleserreursànepascommettre.Ilnelamorditniprèsdelatête,niprèsducœur.Elleavaitbesoinquelesdeux fonctionnent pour que le Changement s’opère. La cuisse était charnue et pleine de petitsvaisseauxsanguinsquisegorgeraientdesamagieetladiffuseraientdanstoutlecorpsdeChelsea.

LecompagnondeChelseapoussauncrietvoulut s’interposer.MaisHosteen,quiavaitChangébeaucoupplusdegensqueCharles,l’enempêchaenpassantunbrasautourdesesépaules.Ilentraînasonpetit-filsloindeFrèreLoupetdelafemmedontilavaitlacharge,lemenanthorsdelasalledebainsetdanslabuanderieoùilspourraientregarderàdistance.

—Sic’estcequetuveux,assenaHosteen,etsituneveuxpasmourirouChangeravecelle,laisseleloupfairesontravail.Ilnetolérerapasd’interférence,plusmaintenant.Quoiqu’ilarrive,ellenesouffrirapaslongtemps.

FrèreLoupn’appréciaitpasHosteen,mêmes’ilsavaitqueCharlessi.Ilsavaientbeaupartagerlamêmeexistence,ilsn’étaientpastoujoursd’accord.MaisHosteenn’avaitpasditçaaucompagnondelafemmepourleréconforter.C’étaitlavérité.

Frère Loup relâcha la jambe deChelsea et réfléchit. Il fallait qu’ellemeure d’unemorsure deloup-garou…pasàcausedetoutlesangqu’elleavaitperdu.Pourlamorsuresuivante,ilchoisitsonventre tendre. Il se permit de savourer la douceur de sa chair, laissa le goût stimuler ses glandessalivaires…puisilfitquelquechosequ’ilavaitvusonpèrefaireunefois.

Ilentaillasapropre jambeet fitcouler lesangdans laplaie,afinque lamagiede lameutes’yintroduiseetlesliepouruntempscommecompagnonsdemeute.C’étaitunsentimentdéstabilisant…Il voulait qu’elle soit sienne, pour la protéger, la diriger et vivre avec elle ; qu’elle devienne unmembre de sa famille.MaisCharles ne voulait pas diriger demeute. FrèreLoup se réjouissait desavoirqu’ilsappartenaientauMarroketn’éprouvaitnulbesoind’êtreàlatêted’unemeute.Cen’étaitpas à lui d’amener une louve dans lameute duMarrok. Il laissa donc samagie reposer entre euxtemporairement.

Puisildéployalesfacultésextra-sensoriellesqu’ilpossédaitentantquefilsdeMarrok,sorcier-nécommesonpère,ettrouvalaconnexioncrééeparsonsangetceluideChelsea.

—Quelleesttaraisondevivre?demanda-t-ilàlamourante.Kage sebattait contre songrand-père cette fois,pour arrêter cequ’il avait initié sansvraiment

comprendrecequecelasignifiaitd’êtreChangé.Avait-ilcruqueceseraitsansdouleurnisacrifice?—Miens,ditlamourante.Il aplatit les oreilles de plaisir, car il entendait au-delà des mots. Elle parlait de ceux qu’elle

considéraitcommesiens.Sesenfants,soncompagnon…Ilsétaient«siens».C’étaitlàunefemmequiseraitdominante.Peut-êtreplusdominantequeHosteen.Voilàquiallaitresterentraversdelagorgeduvieuxloup.

—Tebattras-tupoureux? luidemanda-t-il, l’invitant àentendre lacolèredans lavoixde sonmari.

—Oui.Cen’étaitpasunesimpleréponsemaislecrid’uneguerrière.Alorsquesoncorpsvibraitencoresouslecoup,ilmorditlemolletdelajambequ’iln’avaitpas

encoreattaquée,laissantsescrocstrancherlachairetéraflerl’os.—Alorsbats-toi!rugit-ilavecunepuissancequ’aucunsonn’auraitpucommuniquer.L’énergie qu’il transmit à Chelsea par le biais du lien temporaire qu’il avait établi entre eux

s’emparad’elle,laretintdanssachairmouranteetlaforçaàvivre.Iln’avaitvusonpèrecontraindrequelqu’unàChangerdecettefaçonqu’unefois.Charlesavait

peut-êtreétéleseulàvéritablementcomprendrecequeleMarrokavaitfait.Ilavaitattenduqu’ilsseretrouventseulsdanslabibliothèquedesonpèrepourluidemanderpourquoicelui-làetpasd’autres.

«Onabesoindelui,avaitditsonpère.Ilétaitconsentantetferaunbonloup.Maissurtout,onabesoindelui…Onasipeudeloupssubordonnés.Ilstabiliseralameutedesonfrèreetsonfrèreparlamêmeoccasion,cequisauveradesdizainesdeloups.(Lessourcilsfroncés,ilavaitregardélelivrequ’ilavaitétéentraindelire,puisl’avaitreposé.)Cen’estpasvraimentuncadeaud’êtreunloup-garou.Onmel’aimposé,etj’ailongtempsgardédelacolère.Jen’infligeraisçaàpersonne.S’ilyenaquinetiennentpasassezàlaviepoursebattrepourelle,quisuis-jepourintervenir?Lavieestdure…Mourir,c’estplusfacileetplusdoux.MaisNealétaitconsentant,etilétaitàdeuxdoigtsd’yarriverseul.Jeluiaisimplementdonnéuncoupdepouce.»

Ilavaitsoupiré.«C’étaitsansdoutelamauvaisedécisionmalgrétout.»Ainsi, chaque année au mois d’octobre, quand ceux qui voulaient devenir des loups-garous

mouraientsouslescrocsduMarrokparcequ’ilsn’avaientpasréussiàsurvivreauChangement,seulsCharlesetFrèreLoupmesuraientlechagrindesonpère.

Quand ils devaient s’acquitter de la tâche plus horrible de tuer ceux qui avaient Changémaisétaientincapablesdecontrôlerleurloup,Charlesvoyaitenquoisonpèreétaitsage.SiunepersonneneparvenaitpasàsebattrepoursurvivreauChangementseule,quellesétaientseschancesd’arriverà

contrôlersanaturedeloup?Neals’enétaitsorti,maisçan’avaitpasétéfacilepourlui.Cettefemmen’étaitpasfreinéeparsanaturemaisparlesangqu’elleavaitversépourprotéger

sesenfants.PuisqueFrèreLoupsavaitqu’elleseraitunebonnelouve-garou,CharlesseservitdecequesonpèreluiavaitmontrépourlapousseràsurvivreauChangement.

Illamorditdenouveau,aubrascettefois,tandisquelecompagnondeChelseas’accrochaitàsongrand-pèreenpleurant.HosteenobservaitFrèreLouppar-dessus l’épauledeKage,de la fureuraufonddesyeux.Ilbaissaleregardauboutd’unmoment,carc’étaitFrèreLoupleplusdominantdelapièce.

—Ques’est-ilpassé?demandaMax,toujoursencolèrequ’onluiaitordonnédes’enaller.AnnaavaitentraînélesenfantsdehorsetremontaitlarueaveceuxpourserendrelàoùMaxlui

avaitditqu’ilyavaitunparc.Changerquelqu’unnesefaisaitpassansdouleur,etça impliquaitengénéraldescrisetd’autresbruitseffrayants.Aucunenfantnedevaitentendresamèreendurerça.Maxavaitredoublédefureurquandellel’avaitobligéàsortirdelamaison.

—Delamagiefae,ditAnna,quiavaitglanéquelquesinformationsauprèsdeFrèreLoup.—Qu’est-ceque çaveutdire ?marmonnaMaxen éjectantun cailloudu trottoir d’uncoupde

pied.(Ilpritlamaindesonfrèrequis’écartaitetl’obligeaàquitterlaroute.)Non,Michael,marcheàcôtédenous.Restesurletrottoir,mêmes’ilyauncaillousupercool.

—Cen’étaitpasuncaillou,ditMichaelavecdignité.C’étaituncentime.—Désolé, coco, il faut que tu restes avec nous. (Max relâcha son souffle.) Bon.Mettons que

«magiefae»neveuilleriendirepourmoi…Qu’est-cequeçaveutdirepourtoi?—Charlesditquequelqu’undefaeaensorcelétamèrepourqu’elleagissesouslacontrainte.—Quandt’a-t-ilditça?demandasèchementMax.Mackie,reposeça,tunesaispasoùçaatraîné.

Dis-moi,Anna,est-cequetusavaisçaquandtuesentréeparlafenêtre?Parcequ’ilfautentrequinzeminutesetunedemi-heureàunloup-garoupoursetransformerenloup.Etilétaitunloupquandonestdescendus.

—C’estmoncompagnon,luiditAnna,patientemalgréletonabruptdeMax.(S’ilétaitaussiencolère, c’était parce qu’il était inquiet et frustré de ne pas pouvoir protéger sa mère.) On peutcommuniquersansseparler.

—Delatélépathie?LavoixdeMaxétaitcinglante.—Écoute, soupira-t-elle, exaspérée.Moi, louve-garou.On a affaire à de lamagie si puissante

qu’elle a bien failli pousser tamère à essayer de te tuer…Et toi, tu bloques sur de la télépathie.Charlesestmoncompagnon,cequisignifiequenousavonsunlienspirituel.D’aprèscequej’aipudécouvrir, ce lien fonctionne un peu différemment selon les gens. Charles et moi pouvons nousretrouveraumilieud’unouragandansl’Atlantique…Etonpeutaussisetransmettrecertaineschoses.

—Leshommes,ditMackie, fièred’elle. (Elle réagissaitplutôtau tond’Annaqu’aucontenudeleurconversation.)Ilssontinsupportables,maisonnepeutpassepasserd’eux.

—Fermetonclapet,salegosse,ditMaxenluiassenantunetapesurlatête.—Jevaisledireàmamanquetuasdit«Fermetonclapet»,ditMichael.«Fermetonclapet»,

c’estungrosmot.—«Fermetonclapet»,çafaittroismots,Michael,ditMackie.Sanssedémonter,Michaeldit:—Jevaisdireàmamanquetuasdittroisgrosmots.—Faisdonc,gamin,luiditMaxaveclassitude.J’espèrequetuleferas.

Iljetauncoupd’œilàAnnaetdit:—Bon,parle-moidecettemagiefaequiapoussémamèreàessayerdenoustuer.Jecroyaisque

lesfaesétaienttoussouslesverrous.Annaricana.— Ils se sontmis sous les verrous eux-mêmes. Je ne sais pas qui s’en est pris à tamaman ni

pourquoi…Peut-êtrepourra-t-ellenouséclairerlà-dessusquandelle…—Tuneveuxpasplutôtdire,sielle…Ilneterminapassaphrase.—Çapourraitmalsepasser,admit-elle.Beaucoupdegensnes’ensortentpas.Maistamèreadu

courageetdelavolonté.Elles’estbattuepourvousprotéger.Apparemment,ellepouvaitcontrerlesortilègeenseblessant…C’estpourçaqu’elleavaittantdecoupuresetqu’elles’estpoignardéeavantdetedired’emmenerlesenfants.

— Mais elle a survécu, dit Max. Pourquoi n’ont-ils pas simplement appelé une ambulance ?PourquoilaChanger?

—Ellevousasauvés,acquiesçaAnna.Maisonamis tropdetempsàarriver.QuandCharlesafiniparlatrouver,elleétaitentraindemouriràcausedetoutlesangqu’elleavaitperdu.

Ildéglutit.—Mamanestentraindemourir?demandaMackie.Ehmince!songeaAnna.J’avaisoubliéquelespetitsécoutaient.—Jecroyaisqu’elleallait sechangeren loup-garoucommeánálihastiin, ditMackie.Mourir,

c’estcommeMmeGlover.Mourir,c’estpartirpourtoujours.Savoixétaitmontéedanslesaigusets’étaitmiseàtrembler.Sonpetitfrèrepritlerelaisenfondantenlarmes.—MmeGloverétaitgentille.J’aimaisbeaucoupMmeGlover.Ellemedonnaitdesbonbons.Maxsemblaitdépasséparleurréaction.Annaseressaisitetdit:—JenesaispasquiestMmeGlover,maisvotremèreestforte.FrèreLoupmel’adit,et ilne

mentjamais.—QuiestFrèreLoup?demandaMax.Ellen’avaitpaseul’intentiondeparlerdeFrèreLoup.Saprésencedéstabilisaitmêmedesgens

quiétaientloups-garousdepuisdessiècles.—C’estlegrandloup,ditMackie.Celuiquiaobligéánálihastiinàécouter.Annapenchalatêtedecôtéetobservalafillettequiavaitl’odeurd’unesorcière…Sorcière-néeet

perspicace,aussi.—Ça,c’étaitCharles,lemarid’Anna,ditMax.—Vousavezraisontouslesdeux,décréta-t-elle.C’étaitCharlesetFrèreLoup.—TuappellestonmariFrèreLoupquandilestsoussaformedeloup?Annajugeaqu’unediscussiontechniquecalmeraitladétresseémotionnelleambianteetfournirait

peut-êtreauxenfantsdesinformationsutiles.ÇanedérangeraitpasCharles;FrèreLoupn’étaitpasunsecret.

—Non,dit-elle. J’appelleCharles,Charles.Et j’appelleFrèreLoup,FrèreLoup.Çan’a rien àvoiraveclaformequ’ilsprennent,niaveclefaitqu’ilspartagentlemêmecorps.

—JesuisperdudansunépisodedeDoctorWho,déclaraMaxsansuneonced’humour.Explique-moiça.

—Lesloups-garousontdeuxnatures,luiexpliquaAnna.Lapartiehumaineetlapartieloup.Mais

leloupn’estpascommeunvrailoup…Ilestbeaucoupplusagressif.Commentexpliqueràunenfantquesamamanallaitêtreunmonstre?Peut-êtreaurait-elledûy

réfléchiravant.—Commel’incroyableHulk,fitMackiepensivement.Gentillemamanetmamanlouve-garou.Il

vautmieuxqu’onévited’embêteránálihastiinquandilestdemauvaisehumeur.Annalaregardaunmoment.—Exactement.Ilfautunanoudeuxàlaplupartdesloups-garouspourapprendreàcontrôlerle

loup,lapartieHulk.—Est-cequ’arrière-grand-pèreaunFrèreLoup?demandaMichael.—Jenesaispas,luiréponditAnna.Enfait,laplupartdesloups-garousneconsidèrentpasqu’ils

sont deux personnes, pas commemonmari.Mais il est né loup-garou, et ça fait de lui quelqu’und’étrangeàplusd’untitre.Pourlui,sonloupestunêtredistinctquivitavecluiàl’intérieurdesoncorps.

—Jecroyaisqu’iln’yavaitpasdegènesde loup-garou,déclaraMax.Kagen’estpasun loup-garouetJosephnonplus,mêmesilepèredeJosephl’est.

Annahochalatête.—Tu as raison.Sauf dans le cas deCharles.Samère appartenait à une tribu salish, lesTêtes-

Plates,etc’étaitunesagequiavaitsesproprespouvoirsmagiques.Leslouves-garousnepeuventpasavoird’enfant,maiselleenaeuunquandmême.(Commej’enauraiun.)ElleestmorteendonnantnaissanceàCharles.

—Jepourraisêtreunpetitloup-garou,fitMichael,pensif.Commeça,personnenepourraitmevolermesjouets.

—Ças’estpassé ilya longtemps,grognaMackie,agacée.Ne faispas lebébé.MmeGloveraobligéJoshuaàterendretonrobotetàdire«pardon».

Michaelavançalalèvreinférieure.—J’aimaisbienMmeGlover.Leslarmesluimontèrentauxyeux.—MmeGloverétaitmamaîtresse,ditMackie.Ellem’aimaitplusquetoi.—Fermez-la,espècesdecinglés,assenaMax.Fermez-la.—«Fermez-la»,c’estungrosmot,ditMichael,ravalantses larmesnaissantespoursautersur

l’occasiondesoulignerlafautedesongrandfrère.—Fermez-laquandmême,c’esttout.Annaluitouchalebras.—QuiestMmeGlover?—Mamaîtresse,braillaMackie.Elleestmorteetn’estjamaisrevenue.—Ellem’aimaitmoiaussi,assuraMichael,quipleuraitpourdebon.—Etmaintenantmamanestentraindemourir,ditMackie.Toutlemondemeurt.—Çasuffit,grognaMax,tendu.Arrêtez.—Votremaîtresse,oùça?demandaAnna.Mackieétaitpeut-êtreenâged’êtreenprimaire…maispasMichael.—Àlagarderie,ditMax.Ilsyvonttouslesdeux.Dansdesclassesdifférentes.Mackieacinqans,

mais comme elle est née après l’échéance de septembre, elle n’ira à la maternelle que l’annéeprochaine.

— Donc ta maman part du travail, va chercher les enfants et rentre à la maison, c’est ça ?interrogeaAnna.

—C’estça,acquiesçaMax.Jerentreenvironuneheureaprèseux.Hé!Mackie,est-cequemamanallaitbienquandelleestalléevouschercheràlagarderie?

MackieétaitentraindesechamailleravecMichael,maisellesetutàlaquestiondeMax.—Mackie?—Mackieétaitaucoin,ditMichael.Samaîtresseétaitfâchée,maispasmaman.—Si,ellel’était,contreditMackied’unepetitevoix.Ellen’enavaitpasl’airquandellediscutait

avecMlleBaird,maiselles’estmiseencolèreenmeparlantdanslavoiture.Ellenem’aplusparlédutout,puisellenousaenvoyésregarderlatélé.

—C’estinhabituel,ça?demandaAnna.Maxhochalatête.—Mamannenouspunit jamaispar lesilence.Magrand-mère,samaman,enabusait.Mamana

juréqu’ellenenousferaitjamaisça.Ellecrie.—Unefois,elleajetédesassiettessurpapa,ditMichael.Maisellesontatterriparterreàlaplace.

Puispapaarigoléetaramassélesboutsdeverre.Jen’aipastouchéleverre.—Ellen’essayaitpasde l’atteindre, justedese faireentendre.Maisoui,mamanestdugenreà

direcequ’ellepensehautetfort.Ellenepunitpaspar lesilence,etellen’aimepasquelesenfantsregardentlatéléseuls.

—Unedemi-heureparjour,expliquaMackie.Michaeladroitàunépisodeetmoiàunautre,saufsionestchezpapi.Voilàleparc.

— Et maman, Kage ou moi regardons ces épisodes avec eux, ajoutaMax. Jamais elle ne lesenverraitausalonseuls.(Iljetauncoupd’œilàAnnaetluiadressaundemi-sourire.)Surtoutdepuisquemamie lesa laissés regarderSupernatural…Michaela faitdescauchemars.Elleditqu’ellenepeutpascontrôlercequ’ilsregardentchezleurpapi,maisellepeutveilleràcequ’ilsneregardentpasdesériespouradultesàlamaison.

Petitet soigneusemententretenu, leparcnecomportaitpasuneoncedevégétation. Ilétaitbeautoutdemême.Deuxfontainesencadraientl’airedejeux,etunpréaugéantsedressaitsurdespoteauxenacierpeintau-dessusdesbalançoires.Latempératureétaitagréablementdouce,maisAnnadevinaitquetoutcequiétaitlaisséausoleilenpleinétédevaitdevenirbrûlant.

Unepoignéed’enfants jouaient sur lesbalançoires, tandisquequelquesadultesétaientassis surdesbancscommeonentrouvaitdanstouteslesairesdejeuxetdontlafonctionétaitd’encouragerlesparentsàsurveillerleursenfants.Unefemmeparlaitautéléphoneavecunenthousiasmeextrême,etunhommed’àpeuprèslemêmeâgeétaitabsorbéparlalectured’unlivre.

MichaeletMackieseruèrentvers lefortdèsqu’ilseurentposélepiedsur lesabledel’airedejeux,quitouchaitletrottoir.C’étaitdetouteévidencelepointàpartirduqueliln’étaitplusnécessairequ’ilsmarchentaveclesadultes.

—Parle-moidetamère,ditAnna.Oùtravaille-t-elle?—Elle est formatrice, un peu commeKage est dresseur, répondit-il avec un sourire narquois.

Mais,aulieudedresserdeschevaux,elleformelesgensàvendredeschoses.Elleesttrèsdouéepourça.Ellepossèdeenpartieunecompagniequivendcetteformationàd’autresentreprises.Etcommeelleestvraimenttrèsdouéepourvendredeschoses,beaucoupdesociétésfontappelàlasienne.

»Lesgensl’apprécient,ajouta-t-il.Ils s’étaient arrêtés au bord du trottoir, juste à l’endroit oùMackie etMichael s’étaient mis à

courir.MaisMaxs’avançaalorsd’unpasrapideetdéterminéversunbancinoccupé.—Elleditquetoutlemondel’apprécieparcequ’elleestdouéeaussipoursevendreelle-même.Ildéglutitetditsanshumour:

—SaufHosteen.Kageraconteque,siellesevendaitpourdevrai,elleauraittouslescheiksàsespiedsavecdesliassesdebillets.Àquoiellerépond:«L’autre,là,quiestvenut’acheterunepouliche,ilm’auraitachetéeaussi.»Ensuite,Kagedit…(IlregardaAnna.)Çaneserapluscommeça.Onnepeutpasressusciterlesgens…Ilssontdifférentss’ilsreviennent.

Annapinçaleslèvrespuishochalatête.—Jesaisd’expériencequelaviechangelesgensplusquelamort.Dansdixans,tunelaverras

pluscommetulavoismaintenant,demêmequetunelavoispasdelamêmefaçonquequandtuavaisl’âgedeMichael.

LevisagedeMaxs’empourpra.Ilsavaientatteintlebanc,maisilnes’assitpas.—Cen’estpas lapeined’êtrecondescendante.J’aibiencomprisque tuasunmilliond’années

commelegrand-pèredeKageetquetusaisdoncbeaucoupplusdechosesquemoi.Maislà,cen’estpas comme le regardqueporteunenfant sur sesparents. J’aivuHosteenquand il ne jouepas leshumains,et jen’aipasenviede regardermamèredans lesyeuxetdesavoirqu’ellepenseaubongoûtquedoitavoirmonfoie.

—Jevaisavoirvingt-sixans,ditAnnaavecdouceur.Cequinemefaitquedixansdeplusquetoi.Crois-moi,touslesgensquiviventavectoisedemanderontdetempsentempsquelgoûttonfoiepeutbienavoir,etcen’estpasparcequ’ilsontfaim.C’estlelotdetouslesadolescents…Tuinspiresdesenviesdeviolenceàceuxquit’aiment.Pourl’essentiel,çapassequandtuatteinslavingtaine.

Ilritàcontrecœur.Ellerepritsonsérieuxetdéclara:—Lanaturefondamentaledetamèrenechangerapas.Elleestvived’espritetelleenadansle

ventre.EllecontinuerasansdouteàjeterdesassiettessurKageetàlescasserparterrepoursefaireentendre. Elle va devoir apprendre à y aller doucement par contre, si elle ne veut pas laisser demarquesdanslesol.Ellet’aime,etelleterespectaitassezpoursavoirquetuétaiscapabledeprotégerlesdeuxenfantsenattendantqueKagepuisserentreràlamaisonpourt’aider.Riendetoutçaneseradifférent.

Ilselaissatombersurlebanc.—Çaneserait jamaisarrivésiellen’avaitpasépouséKage,dit-il, laminesombre.Onmenait

unevienormalejusqu’àcequ’ellelerencontre.—Ilestunpeutroptôtpourchercherdescauses,luidit-elle,décidantderéagiràlalogiquedesa

déclarationplutôtqu’àsesémotions.Elles’assitàcôtédeluietregardalafontaine.—Cetteattaquevisaitpeut-êtretonarrière-grand-pèreetsameute.Àmoinsquetamèreaitétéau

mauvais endroit au mauvais moment. Même si j’admets que, quand une personne rattachée à desloups-garousestattaquéepardesmoyenssurnaturels,monpremierréflexeestdepenserqueçaaunrapport avec les éléments surnaturels présents dans la vie de la victime.Que sais-tu au sujet de lameutedeHosteen?Ont-ilsfaitquoiquecesoitdernièrementquiauraitpuattirerl’attentiondesfaes?

—Jenesaisrienausujetdesloups-garous,confessaMax.HosteenSanidétestemamère.Iln’apasassistéaumariage.Illadétesteparcequ’elle…parcequ’onestblancsetqueKages’estséparédesafemmelégitimepourépousermamère.Ilnes’enprendpasauxgamins…mais,luietmoi,onn’arienàsedire.

—JeneconnaispasassezbienHosteenpourm’avancersurcequ’ilpensedelacouleurdevotrepeauetduprécédentmariagedesonfils,luiditAnna.Maisjepeuxtedireque,cequiledérangeaitaujourd’huiausujetdetamère,c’estqu’elleestsorcière-née.

Danslamaisonsaturéedemagiefae,ellenel’avaitpassentiaussibien.Maisassiseaugrandairà

côtédeMax,elledécelaitunelégèreodeurdesorcier.Mêmesiellenesentaitpaslamagieaussibienque Charles, la peau des sorciers et sorcières dégageait une odeur caractéristique, une fragrancesucréeetpiquante,presquefleurie.

Ilricana.—Ellen’estpasunesorcière.Cen’estqu’unehistoirequ’aimaitracontermagrand-mère,lamère

demamère.Elles’estenfuiedechezellequandelleétaitenfant.Ellen’ajamaisditàpersonned’oùellevenait.Ellea inventéunehistoiredeméchantesorcièrepourquemamèreneparte jamaisà larecherchedesafamille.

—Ehnon!lecontreditAnna.Désoléedechamboulertavisiondumonde,maistunepeuxpastepermettred’être ignorantàcesujet. Ilyadessorcières,desbonnesetdesmauvaises.Ilyapeudechosespiresqu’unemauvaise sorcière.Si samèreétaituneméchante sorcière, tagrand-mèreétaitintelligente et chanceuse. Je sens un peu l’odeur sur toi. Je suppose queHosteen peut la sentir, luiaussi.

Elle réfléchit unmoment.Êtremariée àCharles lui avait donné envie de se renseigner sur lespeuplesamérindiens.

— Hosteen est navajo. Les Navajos ont une saine peur des sorcières et de leurs semblables.D’aprèscequej’aicompris,ilyaeuetilyaencoredessorcièresnavajostrèsmaléfiques.Peut-êtrequeHosteenn’appréciepasque tamèrenesoitpasamérindienne– jene leconnaispasassezbienpour l’affirmer –, mais c’était son sang de sorcière qui lui posait un problème quand Charles aproposédeChangertamère.

AnnasoutintleregarddeMax.—Depresquetouteslesculturesamérindiennes,cesontlesNavajosetlesHopisquiontlemieux

préservéleuridentité.IlssontprochesdelaTerreetsesouviennentdecequenotresociétémoderneseplaîtàoublier:queleshumainsnormauxsontsérieusementdésavantagésquandilstombentsurleschoses lesplusdangereusesquiviventcachéesencemonde.Hosteenaapprisenfantquetousceuxquis’essaientàlamagiesontmaléfiques.Ilestdifficiledes’affranchirdetelsenseignements,mêmeenvieillissant,surtoutquandonadesolidespreuvesqu’ilssontpourl’essentielvéridiques.

—Jesuisunsorcier?demanda-t-ilsuruntonplusintriguéqu’inquiet.Cequirévélaitsimplementqu’ilignoraitvraimenttoutdessorcières.Annaespéraitqu’iln’aurait

jamaisàapprendrecequ’ilenétait.Annahaussalesépaules.—Jenepeuxquetedirecequejesens.Maiscen’estpasparcequ’onadusangdesorcièrequ’on

aforcémentaccèsàlamagie.D’aprèscequej’aicompris,lepouvoirn’engendrepaslepouvoir…Unsorcieretunesorcièrepeuventavoirdixenfantssansqu’aucund’euxn’aitdepouvoirs,quineserévélerontquedesgénérationsplus tard.Leshommesde la famille sont engénéralbeaucoupplusfaiblesquelesfemmes.

—Est-cequ’unfaepouvaitsavoirquemamandescenddesorcières?Est-cequeçapourraitêtrepourçaquequelqu’unaessayédenoustuer?

—Jenesuispasexperteenfaes,déclaraAnna,sarcastique.Toutcequejesais,c’estquecertainsd’entreeuxdétiennentdespouvoirssacrémenteffrayants,tandisqued’autres…ehbien,pastantqueça.Jetelaissedevinerlesquelssontlesplussusceptiblesd’êtrehorribles.

—Ouais,fitMax.C’estplusfaciled’êtrehorriblequandtupeuxécrasertousceuxquiessaientdet’arrêter.

Ilsrestèrentassisensilenceunpetitmoment.—Danscombiendetempsest-cequ’onpourrarentrer?demandaMax.

—Jenesaispas,répondit-elle.Quelqu’unviendranouschercher,ouCharlesmepréviendra.Çapeutêtredansquelquesminutescommedansquelquesheures.Lamagieestimprévisible.Maispasdenouvelles,bonnenouvelle.

Ilhochalatête.—D’accord.Bon,doncmamanallaitbiencematin.Elleestalléetravailleraubureauaujourd’hui,

etelleadéjeunélà-bas.Jelesaisparcequ’elleaprissondéjeuneravecellecematin.Ellepartdesontravailetserenddirectementàlagarderie.Etlesortilège…Est-cequ’ondit«sortilège»?

—Çameva,avouaAnna.—Donc,lesortilègel’afrappéeàuncertainmomentaprèsqu’elleaquittélamaisoncematin.—Michael n’est pas d’accord avec Mackie sur la façon dont elle a réagi en découvrant que

Mackies’étaitattirédesennuis,dit-elle.Est-cequ’ilestdouépourcernerlesgens?—Ilestobservateur,acquiesçaMax.EtMackiesesentaitcoupable.Maissielleaeul’impression

qu’elleétaitencolèreaprèselleplustard,elleavaitsansdouteraison.—Etdonc,siellen’étaitpasencolèreaprèsMackiequandelleestalléelachercherdanslasalle

declasse,maisqueçaachangédanslavoiture…(Annas’interrompitetsecoualatête.)Jeneconnaispasassezbienlesfaespourémettrelamoindrehypothèse.Lesortilègeapuluiêtrejetéilyaunanetunjourparcequ’elleacoupélaroutedequelqu’undanslesembouteillages.

—Onspécule,c’esttout,déclaraMaxauboutd’uneminute.Peuimportequ’onaitraisonoutort.Mettonsdoncquec’estarrivépendantletrajetduretour.

—Àquelledistancesetrouvelagarderie?—Environcinqkilomètres.Peut-êtresix.Anna se focalisa sur les enfants, qui se livraient à une sorte de partie de chat perché qui

commençaitàinclurelaplupartdesenfantsenâgedecourir.Quelquechoselachiffonnait.—MmeGlover,fit-elle.—Hein?—Parle-moideMmeGlover.Detouteévidence,illuiestarrivéquelquechose.—Elle était l’institutrice deMackie à la garderie. Elle s’est suicidée il y a quelques semaines.

C’étaitmoche,vraimenthorrible.Ellevivaitdansunemaisonavecunedecesgrandesouverturesenvoûtesurdeuxétages.Elles’estpendueàlarampedupremier.Apparemment,quelqu’unaoubliédefermer laportequandlapoliceestarrivéeet lesphotossesontretrouvéessurInternet. (Il frotta lepiedparterre.)Lesgensquitravaillentavecdesenfantsdevraientpenseràeuxavantdefaireuntruccommeça.

Cen’étaitsansdoutepaslié.Lesgenssesuicidaienttoutletemps.Maisquandmême.—A-t-ellelaisséunelettredesuicide?Ilsecoualatête.—Pasdelettre.Lapoliceasurveillélemarideprèslespremiersjours.Peut-êtrelesurveille-t-

elleencore.Maisilparaîtqu’ildonnaituneconférencedevantunparterred’ingénieursàl’autreboutdupaysquandelleestmorte.(Ilmarquaunepause.)Jel’aivuelaveilledesamortparcequemamanm’avait envoyé chercher les enfants. Elle était souriante et enjouée, comme toujours. Ellem’a ditqu’il fallaitqueMackievienneavecunvieux tee-shirtqu’ellepourraitporterpourpeindredans lecadred’unprojetdeclassequ’ilsétaientcenséscommencerlejoursuivant.

Annaréfléchit.Lesgenssesuicidaientdetoutessortesdemanières.Sependreneressemblaitpasà un acte impulsif, pas comme se tirer une balle. Se pendre prenait plus de temps, et laissait à lapersonne une chance de revenir sur sa décision. Trouver une corde. Décider d’un endroit où sependre. Enjamber la rampe en espérant ne pas glisser. Si on tombait avant de s’être correctement

attaché,onrisquaitfortd’atterriràl’étagedudessousetdesecasserunejambeouautrechose.—Est-cequ’ils’estpasséquelquechosed’inhabituelàlagarderierécemment?demanda-t-elle.

(Mackie bondit sur le filet en corde, puis marqua une pause et redescendit pour aider Michael àgrimper.)Jeparlededisparitions,demorts,cegenredechoses.

—Pasquejesache,réponditMax.Puisillança:— McKenzie Veronica Sani, tu n’as pas intérêt à essayer de grimper là-haut par l’extérieur.

Michaelcopieratoutcequetufais.Vousallezvousbriserlanuque.CommeMmeGlover.—Ily avait cegarçon,poursuivit-il.Dans la classedeMackie. Il estmortdansunaccidentde

voiture lemois dernier.Lui, ses deux frères et samamanont été percutés par une semi-remorquequandsamamanatraverséalorsquedesvoituresarrivaient.Ilyavaitunepluiebattantecejour-là.MamanditquelesconducteursdeScottsdalenesaventpasconduirequandilpleut.

Leportabled’Annasonna,etelledécrocha.—Çapourraitêtreutilequetureviennes,déclaraCharles.Kageaidesafemmeànettoyerunpeu,

puisonvatousresterchezHosteenunmoment.Ilraccrochasansriendiredeplus…signequetoutnesepassaitpasbien.—Tuasentenduça?demandaAnnaàMax.Ilsecoualatête.Elleprenaittropl’habituded’êtreentouréedeloups-garous.—Charlesditderameuterlesenfantsetderentrer,luidit-elle.Tamamanestvenueàboutdela

premièreépreuve.OnvatousretournerauranchdeHosteen.Ilfermabrièvementlesyeuxetpoussaunsoupirdesoulagement.—Jevaischercherlesrase-moquette,annonça-t-ilenselevant.Pourquoiest-cequ’onvatousau

ranch?—Parcequ’unenouvelle louveabesoind’aidepour secontrôler, lui expliquaAnna.Un loup-

garouplusdominantpeutl’aideràmaîtrisersespulsionsjusqu’àcequ’ellesoitenmesuredelefaireseule. Tu resteras peut-être là-bas quelques mois… En tout cas, ta maman risque d’y rester unmoment. Je suppose aussi qu’ils veulent vous garder à l’œil jusqu’à ce qu’ils sachent s’il y a deschancesqu’uneautreattaquesoitlancéesurvousetvotremaman.

—Génial,marmonnaMax.Mamanvaêtreauxanges.Elleetánálihastiinsontlesmeilleursamisdumonde.

Ilseleva,fitunpasendirectiondufortpuisdemanda:—Est-cequeçavaallerpourmaman?Elleneluimentiraitpas.— Je ne sais pas. Là, elle a survécu auChangement.Mais elle doit encore prouver qu’elle ne

constituededangerpourpersonne,qu’elleaassezdevolontépourcontrôlerlalouve.IladressaàAnnaunsourireàmoitiéinquiet.— Kage dit que ma mère a plus de volonté que leMahatma Gandhi. Ça ne le réjouit pas en

général,maisjemedisqueçasignifiepeut-êtrequ’elles’ensortira.Annasourit.—Vachercherlesenfants.Lorsqu’ilsarrivèrentàlamaison,Charlessetenaitdehors,deboutsursesdeuxjambes.Àcôtéde

lui,Hosteenavaitclairementl’airfurieux.Remarquantlesenfants,iladoptauneattitudeneutre.Annasentaittoujourssacolère,maislesenfantsétaienthumainsetneverraientquecequ’ilvoulaitqu’ils

voient.—Est-cequeChelseavabien?demanda-t-elleàCharles.Il hocha la tête, même si son air grave n’était pas rassurant. Soit il s’inquiétait encore pour

Chelsea,soitilétaitmécontentdeHosteen.HosteenregardaMackieetMichaeletpritunevoixàpeuprèsdouce.—Vousalleztousvenirchezmoipendantunmoment,jusqu’àcequ’ondécouvrecequiestarrivé

àvotremaman.—C’estchindi,ánálihastiin,ditMackie,etHosteentressaillit.—Ilyadesmotsquinedevraientpasêtreprononcés,luilança-t-il.—Necommencepas avec ça, fitMaxenhaussant le ton.Elle l’aprononcé aujourd’hui et elle

pensequec’estàcausedeçaquemamanaperdulatête.Alorsnecommencepas.LesyeuxdeHosteenjetèrentunéclatjaune,etilmontralesdents.—Prendsgarde,mongarçon,dit-il.—Arrête,luiintimaCharles.Cen’estpaslemoment.Écoutesesparoles,vieilhomme,etlaisse

passerlereste.HosteenjetaàCharlesunregardquidonnalachairdepouleàAnna.CharlessetournaversMackie.—Tonánálihastiin a raison. Il n’est pas sagede prononcer le nomdumal là où il risquede

t’entendre.Maistun’aspasappeléd’espritsmaléfiquessurtamère.Ilsn’écoutentpaslesenfants.Charlesétaitaumieuxintimidant.MackiereculaderrièreMaxetl’observaavecprudence.—TuesFrèreLoup?demanda-t-elle.Ilsecoualatête.—FrèreLoupdort.Jesuislemarid’Anna,Charles.—Leschindiontpeurdetoi,luidéclara-t-elle.Annal’adit.—Ahoui,c’estcequ’Annaadit?demanda-t-il.(Annadevinaqu’ilsouriait,mêmesiseslèvres

restèrentimmobiles.)Çadoitdoncêtrevrai.—Tunepeuxpasvenirchasserlesch…(Mackies’interrompitetjetauncoupd’œilàHosteen.)

TunepeuxpaschasserleschosesmaléfiquesavecAnnaetmoi.Tunousgâcheraistoutnotreplaisir.—Tuasl’intentiondetraquerlesméchants?demandaCharles.—Quandjeseraigrande,confirmaMackie.Ilhochalatête.—D’accord, je resteraià lamaison.Mais seulementsi tuacceptesd’attendred’avoiraumoins

l’âgedetonfrère(ilindiquaMaxd’unsignedelatête)avantd’allerchercherlesennuis.Sinon,tonánálihastiintesuivrapourteprotéger.Leschosesmaléfiquesontencorepluspeurdeluiquedemoi.

ElleseglissadevantMaxetattrapalamaindeHosteen.—D’accord.Jen’aipasenviedechasserlesméchantsaujourd’hui,detoutefaçon.—Allonsfairelesvalises,luiproposaHosteen.Toi,moietMichael,mmm?—Oui,dit-elle.Maxvientaussi.Cen’étaitpastoutàfaitunequestion.—Maxvientaussi,acquiesçaHosteensansquittersapetite-filledesyeux.Ainsiquetamamanet

tonpapa.—AlorsMaxdevraitvenirfairelesvalisesavecnous,affirma-t-elleavecplusd’autorité.—Jepeuxfairemesvalisesseul,minus,luiditMax.— Moi aussi, lui rétorqua-t-elle en suivant Hosteen et Michael dans la maison. J’aide juste

Michael.

AnnapouvaitentendreMichaelseplaindre:—Jen’aipasbesoind’aide.Maxlaissalaporteserefermerderrièreeux,prituneprofondeinspirationpuisallaàl’intérieur.— Jeme demande ce qui l’a poussée à dire chindi avant que sa mère se mette en colère, dit

Charlespensivement.

CHAPITRE4

Annapritlevolantdupick-upavecCharlesetMax.Charlesétaitassisaumilieu,cequin’étaitpasconfortablepourlui,seslonguesjambesnetenantfacilementnullepart.Maisellesongeaquec’étaitmieuxqued’obliger lepauvreMaxàseserrerentredeuxpersonnesqui luiétaientpourainsidireétrangères.Charlesauraitpuconduire,biensûr,maisils’étaitcontentédesecouerlatêtequandellel’avait suggéré. Elle pouvait deviner que Changer Chelsea l’avait vidé.Même s’il ne le dirait pasdevantMax.

Hosteen avait entassé dans la BMW les deux plus jeunes enfants, Kage et Chelsea, pâle maisdouchéedefrais.AnnalessuivitdanslesruesdeScottsdale.

—Mamanavaitl’aird’allerbien,ditMaxsansregarderCharles.—Çavaried’unepersonneàl’autre,expliquaAnna.Maisjem’attendsàcequ’elletiennelecoup

environdeuxheuresavantdedormircommeune souchependantunbonmoment.Ellepassera lesdeuxou troisprochains joursàdormir leplusclairdu temps.Ensuite, elledevrait êtreàpeuprèsrevenueàlanormale.

Charlesconfirmaparungrognement,etMaxsefermacommeunehuîtreàcesoninamical.Annapréférasetaireplutôtqued’accentuerlemalaise,etilsroulèrentjusqu’auranchensilence.

Maggie les attendait sur le pas de la porte avec une femmeminuscule qui avait plus oumoinsl’âged’Anna.Elle avait les traits et le teint d’uneNavajo,mais des cheveux couleurmiel.MaggiesuivitHosteenetKagedanslamaison,tandisquel’autrefemmerestasurlepalier.

—Ernestine,ditMaxsuruntonaffectueux,soulagé.Iltrottinajusqu’àelleetl’enlaça.—Commentsepasselebasket-ball?demanda-t-elleenl’étreignantàsontour.—Bien,dit-il.Est-cequ’ilyaàmanger?—Toujours,non?répondit-elle.Vadanslacuisineetsers-toi.Aprèssondépart,elleaccueillitAnnaetCharles.—Commentallez-vous?VousdevezêtrelesCornick.Charles,jedoutequetutesouviennesde

moi,maisjet’airencontréunefoisquandj’avaisàpeuprèsl’âgedeMackie.Jesuislapetite-niècedeMaggie,Ernestine.Entempsnormal,jenesuisiciquede6heuresà16heurestouslesjours,maisaujourd’huijevaisresterjusqu’àdemainsoir.Ilsm’ontappeléeenrenfort.

Ellesouritetécartalesbras,exhibantsonpetitcorpsdequarante-cinqkilos.Puiselles’avançaetsepenchaduhautdesdeuxmarchespourdéposerunbaisersurlajouedeCharles.

— Chelsea est mon amie, dit-elle ensuite. (Elle avait les joues un peu rouges, mais elles’exprimaitavecdignité.)Hosteenl’auraitlaisséemourir,alorsjesaisquiremercier.

CommeCharlesnedisaitrien,Annasourit.—Toujoursheureuxderendreservice.Ilsseretirèrentdansleurchambre.Charlespoussaunsoupirdesoulagementdèsquelaportese

refermaderrièreeux.—Rudejournéeaubureau,chéri?demandaAnna.—Meilleurequ’elleauraitpul’être,luirépondit-il.Personnen’estmort.Unejournéesansmorts

estunebonnejournée.Ilfautquej’appellepa’etluirapportecequis’estpassé.QuandAnna revint de la salle de bains, où elle avait frotté un peu de sang qu’elle n’avait pas

remarquésursapeau,ilavaitdéjàrangésontéléphone.—C’étaitrapide,fit-elle.—Iln’apasdécroché,luiexpliquaCharles.J’aidonclaisséunmessagepourqu’ilmerappelle.Si

tuasfini,jevaismedoucher.Ilyavaitplusde sangsur luique surelle.Pas sur sesvêtements,qu’il avait récupéréspropres

commed’habitudequandilavaitreprisformehumaine.Etils’étaitlavélesmainsetlevisagechezKage.Maisilyavaitdestachescouleurderouillejustesoussoncol.

—Ceseraitbien,admit-elle,etilluisourit.Il ressortitquinzeminutesplus tard, fraîchement raséet lescheveuxhumides.Malgré lepeude

poilsqu’ilavaitsurlevisage,ilserasaittouslesjours.Ilavaitleregardlasmaiss’étaitdépartidesaminesombre.

—JemedemandesiJosephestdanslesparages,dit-il.IlsretrouvèrentErnestinedanslacuisine.Ellejetauncoupd’œilàl’horloge.—Ilestréveilléàcetteheure-ci,engénéral.Ilesttoujoursdanslamêmesuitequeladernièrefois

quevousêtesvenus.Vousvoussouvenezcommentyaller?(Ellesecoualatête.)Jenesaispascequesafamillevadevenirquandilneserapluslà.Ilestlecimentquileslietous.KageetHosteensesonttoujours tournés autour comme deux coqs de combat mais, depuis que Kage et Chelsea se sontmariés,lesplumesvolentbeaucoupplussouvent.

Àcôtéd’Anna,Charlessefigea.—Pluslà?sehasardaàdemanderAnna.Est-ilmalade?—Mourant, répondit Ernestine, surprise puis un brin horrifiée. Je pensais que vous saviez. Je

pensaisquec’étaitpourçaquevousétiezvenus.Jesuisvraimentdésolée.Onluiadiagnostiquéuncancerdespoumonsilyaenvironcinqans.Ilad’abordréussiàlerésorberaveclachimio,maisilestrevenuenforceilyaquelquesmois.

Sansdireunmot,Charlestournalestalonsetrepassalaportedelacuisine.La maison sentait le loup et la sauge mais, au fur et à mesure qu’ils avançaient, les odeurs

devenaientplusirritantes.Desdésinfectants.Desmédicaments.Etendessousdetoutçal’odeurdelamaladieetdelamort.L’expressionduvisagedeCharlesnechangeapas,maisilserralamaind’Annadanslasienne.

Ilfrappauncouplégeràuneporte.—Entrez,entrez,fitunevoixchevrotante.Cettesuite-làétaitplusgrandequecellequ’ellepartageaitavecCharles,unvéritableappartement

au sein de la maison. La première pièce était un salon décoré dans un style asiatique élégant etmoderne, avec des meubles sobres en verre, acier et bois foncé. Comme partout ailleurs dans lamaison,leplancherétaitenboissombre,mais,àlaplacedescarpettesetdesquelquestapispersans,ilyavaitunimmensetapisenlainetisséeàlamainavecunmotifnavajotraditionnel.

Lesmursétaientpeintsengrisardoise,unecouleurquis’accordaittropbienàcelledutapispourque ce soit accidentel. Sur le mur en face de la porte était accrochée dans un cadre une grandephotographienoiretblancd’unjeunehommesurunchevalquiruait.

Lecheval était grispommeléetpasun seulde sespieds– lesdeuxpostérieurs tournésvers lagaucheetlesdeuxantérieursversladroite–,netouchaitlesol.Sessabotsétaientlégèrementabîmés,etleschevauxdel’écuriedeCharlesn’étaientjamaissimalpansés.Mais,surlui,lescrinsébouriffés

avaient quelque chose d’approprié et d’étrangement beau : ce n’était pas un animal de compagniebichonné, c’était une créature sauvage. Il y avait de la joie, de lapuissance et de lagrâcedans cetanimaldecinqcentskilos,capturéalorsqu’ilflottaitdanslesairs.

Sursondossetrouvaitunjeunehommeavecunchapeaudecow-boytachédesueursurlatêteetune tressenoirede trentecentimètresqui flottait auvent.Sespiedsbottésarrivaient justedevant lasangle quimaintenait la selle sur le cheval, talons pointés vers le sol. Il avait unemain en l’air ets’accrochaitdel’autreàl’épaissecordereliéeàlabrideentourant lenezducheval.Lechapeauluiombrageaitlesyeuxmaisilarboraitungrandsourire,aussifougueuxetsauvagequelechevalqu’ilmontait.

Danslecoininférieurdroitdelaphoto,quelqu’unavaitécrit«24juin1949».Lecavaliern’étaitpasKage,évidemment,maislaressemblanceétaitmarquée.

Charlesayantcontinuéàmarcherpendantqu’elles’arrêtaitpourregarderlaphoto,elletraversalerestedelapièceentrottinantetlerattrapaalorsqu’ilpassaitlaportesuivante.

La décoration de la chambre dégageait lamême sérénité que le salon,mais toute cette paix nepouvaitpasrivaliseraveclelitd’hôpitalquisiégeaitaubeaumilieudelapièce.Empilésautourdecedernier, toutes sortes d’appareils médicaux sifflaient, bipaient et clignotaient, remplissantvraisemblablementleuroffice.

Unhommeàlamaigreursquelettiqueétaitétenduaucentredulit,latêterelevéeafindepouvoirvoir les intrusquientraient. Ilavait lescheveuxgrisacier, soigneusementattachéscommeceuxdeCharles l’étaientparfoisendeux tressesqui reposaient sur sesépaules.Sonvisageétait couvertderidescommeceluid’unshar-peï,etsestraitsobscurcisparlessanglesquimaintenaientlestuyauxàoxygènesoussonnez.

—Joseph,appelaCharlestoutbas.L’hommedanslelitbougealatêteetouvritlesyeux.Illesclignaunmoment,commes’ilavaitété

perdudanssesrêves,puissonregardembrumédevintplusvif.—Charles.(Savoixétaitsifaiblequ’Annasedemandasiunhumainl’auraitentendue.)J’aurais

dû te le dire, je sais.Mais je ne voulais pas te forcer à venir si tu n’en avais pas envie.Ou je nevoulaispasquetuviennesuniquementparcequejesuismourant.Lafierté,tusaiscequec’est.

Ils’exprimaitenenchaînantrapidementdesgroupesdemots,avecdespausesentrechacunpourrespirer.Charlesneditrien,maissonregardsechargead’unincommensurablechagrin.AnnasutqueJosephétaitvraimentsonami,carillevitluiaussi.

Levieilhommesourit.—J’avaisl’intentiond’êtreunedecesgentillespersonnesâgées,legenrequifontexactementce

qu’onleurdemandeetquifinissentpars’allongeretmourirquandçaarrangetoutlemonde.— Je m’en souviens, acquiesça Charles, et le sourire qu’il esquissa à contrecœur adoucit

l’expressiondesonvisage.Telquejemelerappelle,c’étaitquandtuesmontésurcetétaloninfectauHalfMoonRanch pour relever un défi. Je t’avais dit que çame ferait de la peine de t’enterrer lelendemainmatin.

—J’aimontécecheval,ditJoseph.— Et tu gardais le bétail avec lui la semaine d’après, continua Charles. C’était tout de même

stupidedetapart.Josephcommençaàparler,maisilduts’arrêteretrespirerpendantuneminute.Puisildit:—Tropfieretbuté,tudisais.—C’estarrivéplusd’unefois,acquiesçaCharles.—Tuserasheureuxd’apprendre(Josephsourit)quejesuisplusfieretbutéquejamais.Jerefuse

d’aller à l’hôpital comme le souhaiteMaggie…Trop d’espritsmaléfiques avec tous cesmorts. Jemourraiicietjehanteraicettemaisonjusqu’àcequelepaternellaisseMaggieymettrelefeu.

Iltoussota.—Dans le temps, ilsm’auraient embrassé sur la joue et laissémourir dans le désert. Puisma

familleauraitpayéunHopipourallers’occuperdemoncorps,ouunhommeblanctropstupidepoursavoir le danger qu’il y a à manipuler les morts. Aujourd’hui, on est pris entre les coutumesmodernesetlesanciennes.Sijemeursici,seullefeuempêcheramonspectremaléfiquederendrelaviemisérableàtoutlemonde,etilssonttropraisonnablespourrecouriràça.

Il rit,un sonqui sevoulaitun ricanementdiabolique,mais iln’avaitpasassezd’airpour faireautantdebruit.

Charlesbasculasursestalons.—Jepourraist’emmenerdansledésert,Joseph,maisjenegarantispaslebaiser.Josephritdenouveau.Puisiltoussa,etdiversesmachinessemirentsoudainàgrinceretàbiper.

Charlesleurlançaunregardirritéetellesseturenttoutes.Àmoitiéhorrifiée,Annaespéraqu’ellesavaient simplement recommencéàcontrôler l’étatdeJosephetà legaverde tous lesmédicamentsdontilavaitbesoin.Maisellecraignaitquenon;leursilencesemblaittrèspermanent.

Charles se fraya un chemin entre les câbles et les tuyaux pour poser lesmains sur le torse deJoseph. Joseph se raidit lorsqu’il croisa le regard du compagnon d’Anna, telle une personne quiauraitplantéuncouteaudecuisinedansunepriseélectrique. Ilnemanquaitque les étincelles et lafumée.

Charlesétrécitlesyeuxetsemitàchantertoutbasdansunelanguequepersonneàpartluin’avaitparlédepuisprèsdedeuxcentsans,undialectedesTêtes-Platesquiétaitmortquand la tribudesamère avait succombé à l’une des maladies que les Européens avaient apportées dans le NouveauMondealorsqu’ilétaittoutjeunehomme.

Ilauraitpuêtreentraindediren’importequoi,maislalouved’Annaseréveilla,interpelléeparlesouffled’ozoneâcredusacréauquelCharlespouvaitseconnecterdetempsàautrequand,commeilledisait,lesespritsvenaientlesecouer.

Josephfinitparcesserdetousser,etlavoixapaisantedeCharlesdevintlesondominantdanslachambre.Alorsqu’iln’yavaitpasdeplantes,Annasentaituneodeurdepin.QuelquechoselapoussaàtoucherCharles.Sanuqueétantlapartieexposéelaplusaccessibledesoncorps,elleyposaleboutdesdoigts.Elle ferma lesyeuxetsentit savoixs’infiltrer jusquedanssesos. Incapablederésister,ellesejoignitàlui.

Commeelleneconnaissaitpaslalangue,elleréponditàsavoixdebasseenfredonnantdesavoixd’alto.C’étaitunchantamérindien,quinesuivaitdoncpaslesaccordsetlesrythmeseuropéens.Maisçaneladérangeaitpas.ElleavaitdéjàaccompagnéCharlesquandiljouaitouchantaitlesmorceauxdesonenfance,mêmesiçan’avaitjamaisinvoquélamagie.Aufuretàmesurequ’elletrouvaitlesbonnesnotes,illuisemblaitquelamélopéegagnaitenintensité.

Charlescessaabruptementdechanter,etellesetutaumêmeinstant.Ellenecomprenaitpeut-êtrepascequ’ilétaitentraindefaire,maislaconnexionentreeuxluiavaitsignalélafinduchant.Surlelit,Josephrespiraitpaisiblement.Ilétaitdétenduetavaitmeilleurteint.

Se détachant de son compagnon, Anna crispa les doigts pour se débarrasser d’un dernierpicotement intense laissé par cettemagie qui ne venait pas du tout de lameutemais de l’héritageétrangeetpeut-êtreuniquedesonmari,mélangedesorcier,dechamanetdeloup-garou.

—Quem’as-tufait?demandaJosephtoutbas.Ilavaitlesyeuxécarquillés.

— Je n’en ai aucune idée, admit Charles. Tu sais comment ça se passe quand les esprits mepoussentdansladirectionoùilsveulentquejecoure.Quoiqu’ilensoit,çaneresterasansdoutepaslongtemps.(Ilmarquaunepause.)Etçaneserabénéfiquepourpersonneicinonplus.

—Tuastoujoursétésioptimiste,ditJoseph,unelueuramuséedansleregard.C’estunsouvenirquej’aigardédetoi.

Charlesgrimaça.—Jenet’aipasguéri.Situnevoulaispasmourird’uncancerdupoumon,tuauraispuarrêterde

fumerilyacinquanteansquandjetel’aidit.Josephsemitàrire,maisilyavaitdelacompassiondansl’expressiondesonvisage.—J’ai quatre-vingts et quelques années,mon ami.Quelque choseva finir parme tuer bientôt,

alorsçapeutbienêtrelecancer.(Toutetraced’humourdisparutdesonvisage.)Saufsituasécoutémonpèreetquetuasl’intentiond’yremédier.

—Êtreunloup-garoun’estpasunepanacéecontre lamort,ditCharles.C’est tout l’inverse,enréalité.Jen’imposeraisjamaisçaàquiquecesoit.Mêmesij’avaisperdulanotiondubienetdumalaupointd’essayer,untelactes’accompagned’unepeinedemort.Étantlefilsdemonpère,jen’aurairienpourmadéfensesionm’accused’avoirChangéquelqu’uncontresavolonté.

—Monpèrepensequetun’asnulbesoind’unetelledéfense,puisquetuesjustementlefilsdetonpère.

CequiétaitàpeudechoseprèscequeHosteenavaitditàCharlesquandillesavaitramenésdelapisted’atterrissage.Annasongeaquec’étaitterriblederegardersonenfantmourirensachantqu’onavaitlesmoyensdelesauveretqu’ilnevouspermettaitpasdelefaire.

—Alors ilneconnaîtpasmonpère,affirmaCharlescomme il l’avaitdit àHosteen. Je suis ladernière personne avec qui il serait indulgent. Comme je suis son fils, leMarrok ne pourrait pastolérerquej’enfreigneseslois.

—Oui,ditJoseph.C’estceque je luiaidit.Mais je teconnais toiaussi,etmêmeunepeinedemortnet’empêcheraitpasd’agirseloncequetupensesêtrejuste.

—Tuneveuxpasdeça,déclaraCharlesensedésignant.Tun’enasjamaisvoulu.Situaschangéd’avis,jeseraitrèsheureuxdet’aider.

CharlesavaitdéjàproposéàJosephdeleChanger.Aucundesdeuxhommesneleditàvoixhaute,maisAnnal’entendittoutdemême.

Ilyeutunbrefsilence.PuisJoseph,quis’étaitdétenducontrel’oreiller,esquissaunpetitsourire.—Alors,commeça,tuesicipouracheterunchevalpourl’anniversairedetafemme.—Jesuisvenu icipourvoirmonvieilami,contestaCharles.Pour luiprésenterma femme,et

pourluidireaurevoir.Josephpoussaunprofondsoupir.—C’estmapremièrevraieboufféed’airdepuisdesmois.Merci.(Ilpritunegrandeinspiration,

retintsonsoufflepuislerelâcha.)Monpèreestunhommebien.Jel’aime.Ilessaiedefairecequiestlemieuxpour tout lemonde…et ildirigesa familleet sameuteavec lecœur.Mais ilpenseaussiqu’il a raison et n’écoute pas toujours les opinions des autres. Jemourrai quandmon heure seravenue,etelleesttrèsproche.Cequetuasfaitpourmoin’ychangerien.

Cen’étaitpasunequestion,pastoutàfait.Charlesacquiesça:—Non.Josephreprit:—Je sens leventde lamort surmonvisage,et j’ai entenduunhibouululer toutes lesnuits la

semainepassée.Lavolontédemonpèrenepeut rien contre ça. (Il prit unenouvelle inspiration etadressaunsourireàAnna.)Assezavecmoncinéma,ilmefatigue.Charles,tunem’aspasprésentécettejoliedemoiselle.

Elle ne s’était pas sentie délaissée. Les deux hommes avaient été conscients de sa présence ;Josephl’avaitétudiée.Maisilsavaienteudesaffairesnonrésoluesàdémêleravantdel’inclure.

Charlesréponditparunhochementdetêtesolennel.—Anna,voicimonbonamiJoseph,quim’aentraînédanssesfrasquesunnombreindécentde

fois.Joseph,voicimacompagne,Anna,quiestuncadeauqu’unvieuxloupinsensécommemoineméritepas.

—Dieunouspréservederecevoircequ’onmérite,ditJosephenexaminantAnna.Tuasunbeauchantdanslecœur,dit-ilenfin.Jesuisreconnaissantquemonvieilamiaittrouvéquelqu’uncommetoi,carilesttropsouventseul.Neluibrisepaslecœuroumonfantômetehanterajusqu’àlafindetesjours.

—Cen’estpasmoiquiluibriselecœurencemoment,luidit-elle.Josephhochalatête.—Mais telest lecadeauàdouble tranchantde l’amour,n’est-cepas?La joiederecevoiret le

chagrindedireaurevoir.(IlregardaCharles,yeuxétrécis.)Tuesvenuicipouracheterunjolichevalàcettefemme?Quelquechosed’exotique?Unchevalquiserauneœuvred’artvivante?

Iln’avaitpasl’aird’approuver.—Leschevauxarabessontleschatsdumondeéquin,intervintCharles,suivantdocilementlefil

delaconversationdeJoseph.Annan’apasbesoindedominer.Elleapprécierad’avoirunpartenaireplutôtqu’unserviteur.

—Unchevalarabepeutêtre tonmeilleurami,expliquaJosephàAnna.Ilne t’abandonnerapasquand tuaurasbesoinde lui. Il répondraà tonappelet sera tesailespour t’emmener làoù tudoisaller.

Charles éclata de rire. Elle avait cru qu’il ne riait comme ça qu’avec elle, et elle étaitreconnaissanted’avoireutort.C’étaitterribledevivredessièclessansjamaisriredetoutsoncorps.

—Jasperétaitunarabe,non?demanda-t-il.Ton«meilleurami» t’a jetésur lebas-côtéet t’alaissérentreràpieddenombreusesfois.

Josephsefenditd’unlargesourire,maisildit:—Chut.J’expliquequelquechose.Situpassesdutempsaveceuxetquetulestraitesdemanière

juste,ilsterécompenseront.(Ilseraclalagorge.)SaufJasper.—Jepeuxêtrejuste,fitAnna.—Monpèreaime leschevaux,confia JosephàAnna.Mais il aimeaussi l’argent.Cen’estpas

pourrienquecetteécurieacontinuéàfructifieraprèslacrisedumarchédeschevauxarabesdanslesannées1980,quanddesdizainesetdesdizainesd’élevagesontétéabandonnésauxbanques.IlsaitqueCharles peut se permettre de te gâter. Àmoins que tu veuilles concourir, tu n’as pas besoin d’uncheval à vingtmille dollars, ce qui est ce qu’il essaiera de vous vendre.Mon filsKage adore leschevaux, lui. Ilaime leshongresàcinqcentsdollarsautantque lesétalonsquivalentdesmillions.Écoute-leausujetdeschevauxquenousavons,pasmonpère.

—D’accord,acquiesça-t-elle.Josephfermalesyeux.—Jen’avaispasétédébarrassédeladouleurdepuislongtemps.C’estdifficilededormirquand

onamal.—Dorsdonc,luiditCharles.Tunemourraspasaujourd’hui.

Josephhochalatête,maisilouvritsesyeuxclairspoursoutenirleregardd’Anna.—NelaissepaspapateconvaincredeprendreHephzibah.C’estunesorcièrequin’ad’uncheval

quel’apparence.—JecroyaisquetousleschevauxarabesétaientgentilssaufJasper,ironisaCharles.Josephsourit,etc’étaitlemêmesourirequeceluiqu’ilavaiteuauxlèvresquandquelqu’unavait

prisunephotodeluisurledosd’unchevalquiruait.—Hephzibahfinirapartuerquelqu’ununjour.Ilyaquelquechosequinetournepasronddans

satête.(Ilfermadenouveaulesyeuxetsemitàbredouiller.)Peut-êtrequelesmortsmaléfiquesl’onttouchée.Peut-êtrequ’elleestréellementunskinwalker.Tienstafemmeéloignéed’elle.

—Jesuisunelouve-garou,ditAnna.Jenecoursaucundangeravecuncheval.MaisJosephs’étaitdéjàendormi.Maggielesretrouvasurlepasdelaportequimenaitaucouloir.—C’estbienquetusoisvenulevoir,fit-elleàCharles.AnnaserenditsoudaincomptequelasuitedeJosephavaitétéentièrementmasculine.Maggiene

lapartageait-ellepasaveclui?— Est-ce que tu vas faire ce que Hosteen demande, maintenant ? Tu vois ce que Joseph est

devenu?Ilestdéjàparti,cethommequej’aiépousé.Ellesepassaunemainsurlevisaged’ungesteimpatient,etAnnaconstataqu’ellepleurait.—Non,déclaraCharles,maisill’avaitditavecdouceur.Josephneveutpasêtreunloup-garou.Il

n’éprouveaucunbesoindevivreéternellement.Etquelsquesoientnosbesoinsànous,c’estàluiquecechoixappartient.

Elleluiempoignabrusquementlebras.D’instinct,Annas’avançapourl’intercepter,maiselleserepritavantqueMaggies’enaperçoive.

—Jeneveuxpasqu’ilmeure,Charles,luiditMaggieavecfeu.—Moinonplus,fit-ilaveclamêmedouceur.Maistoutlemondemeurt,Maggie.Cen’estpasla

piremortquej’aievue.Iln’apaspeur,pasdelamortentoutcas.Ellelelâchaetreculadedeuxpas.—Josephn’ajamaiseupeurdelamort,acquiesça-t-elle.Jepensequeçalesurprendd’avoirvécu

aussilongtemps.L’intense intimité de leur conversation se dissipa tandis que le langage corporel deMaggie se

modifiait;elleétaitredevenueleuraimablehôtesse.—Lerepasestservienbas,dit-elle.Kageaditqu’aprèsdînerilvousemmèneravoirquelques

chevaux. (Elle sourit soudain.) Il est reconnaissant pour Chelsea, et mon fils ne voit pas derécompenseplusgrandequedevousemmenervoirseschevaux.

Ellecommençaàdescendrelecouloir.—Là-dessus,luietsonpèresontpareils.Devraistoquésdechevaux.— Toi aussi, renchérit Charles, la main posée au creux des reins d’Anna tandis qu’il suivait

Maggie. Tu te souviens du pauvre cheval pie rachitique que tu as sauvé de ces deux cow-boys,Maggie?(IlregardaAnna,lesyeuxpétillants.)Unefemmecontredeuxhommesarmés,etellelesapourchassésavecunbalaiparcequ’ilsavaientàmoitiéaffaméunejument.Mais,quandlapoussièreestretombée,ils’estavéréqu’ilsvenaientd’achetercettejumentàunautretypecarilsn’appréciaientpaslefaitqu’ilnelanourrissaitpas.

—Jemesuisexcuséeetlesairégalésavecmesburritos,expliquaMaggie.Aprèsça,çaleurétaitégald’avoirquelquesbleus.

—Est-cequ’ilneferapastropnoirpourmonteràcheval?demandaAnna.

—L’écurieprincipaleestéclairée,ditMaggiesuruntonsec.Vousn’aurezaucunmalàyvoir.Ilsmangèrentdanslagrandesalleàmanger,carilsétaienttropnombreuxpourtenirautourdela

tabledelacuisine.Ernestineavaitpréparéunénormerôtidebœufetcomplétélerepasavecdupaindemaïsetunesaladeverte.Ellemangeaaveclafamille,ayantchoisides’asseoiràcôtédesenfants,etaidaMaxetMaggieàmainteniruneconversationnormale.

Assise à côté deCharles,Anna regarda tout lemonde – sauf sonmari – s’efforcer de ne pasdévisagerChelsea.

Quandellen’agonisaitpassurlesold’unesalledebains,Chelseaétaitunefemmetrèsattirante,voirebelle.Grande,elledépassaitKaged’unedemi-têteetétaitbâtiecommeuneathlète.SescheveuxblondsdeNordique,coupésavecbeaucoupdeclasse,s’accordaientbienavecsesyeuxgrisclairetencadraientsonvisageexpressifetplutôtanguleux.

MaxavaitbrosséàAnnaleportraitd’unefemmecharmanteetdrôle.MaisChelsean’engageaitlaconversationavecpersonne,mêmequandquelqu’unluiadressaitdirectementlaparole.Elleprenaitquelquesbouchées rapides,puis reposait ses couverts commes’il s’agissaitdespiècesd’unpuzzlequ’elle devait reconstituer. Elle avalait ensuite une gorgée d’eau, regardait lemur, la table ou sesmains…etsoudainelles’emparaitdesescouvertsetmangeaitdeuxoutroisautresbouchéesavecunevoracité extrême.De temps à autre, elle essayait demanger autre chose que de la viande, etAnnavoyaitqu’elleluttaitpourfairedescendrelanourriture.

Anna songea que ça venait probablement du Changement. Elle n’aimait pas repenser auxpremières semainesquiavaient suivi lemomentoùon l’avaitChangée. Ilyavaitdegrandsblancsdanssamémoire…

Elleserecroquevillasurelle-mêmeenfrissonnant,ayanttouràtourchaudetfroid.Lesbarreauxdelacageluibrûlaientlapeau,maisellesesentaitexposéeauxattaquessiellen’avaitpasquelquechosecontreledos.Ellesentaituneodeurdegraissequiprovenaitd’uneboîtedefast-food…

D’accord,ilyavaitdeschosesdontellesesouvenaittrèsbien,maisellepouvaitchoisirdenepaslesressasser.Iln’yavaitpasdecagelà,personnepourjeteràChelseauneboîteencartonpleinedepouletfrit.Annan’arrivaittoujourspasàremangerdupouletdelachaînederestaurationenquestion.

Iln’yavaitpasdevioleurslà.Soudain,Chelsea croisa le regard d’Anna à l’autre bout de la table et le soutint. Ses yeuxgris

commelaglacedevinrentencorepluspâles,etelledilatalesnarines.— Qui t’a fait du mal ? demanda-t-elle, tranchant dans les deux autres conversations qui se

tenaientautourdelatable.—Ilestmort,ditCharlesenremontantlamainlelongdudosd’Annad’ungesterassurant.Jel’ai

tué.Sijelepouvais,jeleramèneraisàlaviepourletuerdenouveau.ChelseatournaleregardversCharlesunmoment.—Bien,émit-elleavantd’êtrecontraintedebaisserlesyeux.(Elles’apaisa.)C’estbien.Charlesrapprochaleslèvresdel’oreilled’Anna.—Ilestmortetbienmort.Annaréponditparunhochementdetêtesaccadé.—Désolée.—Non,dit-il,sonsoufflechaudcontresoncou.Nesoispasdésolée.Sachejustequesiquelqu’un

essaieencoredetefairedumal…ilmourra,luiaussi.Certainsavaientessayé,n’est-cepas.Etelleconstataque,oui,ilsétaienttousmorts.Laprésence

chaudeetimposantedeCharlesdanssondosvalaitmieuxqu’unmuroudesbarreaux.

Ellepritsafourchetteetmangeaunebouchéederôti.—D’accord,dit-elleàCharles.Ilsdébarrassèrentlatabletousensemble,sousladirectiond’Ernestine.Annaseretrouvadansla

cuisineàlaverdescasserolestandisqueMaggielesrangeait.—Est-cequetupensesqu’Ernestinenousamisesensembleexprès?demandaAnna.—Sansaucundoute,acquiesçaMaggie.Ellen’ajoutariendepluspendantunmoment.Cen’étaitpasfranchementprivé;lesgensallaient

etvenaientavecdelanourritureetdesassiettes.Maxs’étaitpostédevantlelave-vaisselle,danslequelilmettaitlesassiettesaprèslesavoirraclées.

—J’aimaistonmariautrefois,fitMaggie.—J’avaiscrucomprendre,ditAnna.Iltientbeaucoupàtoi.Elleseforçaànepasajouter :«etàJoseph,aussi».C’étaitvrai,maisçadonnait l’impression

qu’elleétaitjalouse.Ellenel’étaitpas.Possessive,oui.Jalouse,non.— Je n’ai pas été aussi courageuse que toi, continuaMaggie.Vingt ou trente ans plus tard, je

n’auraispasprislamêmedécision,maisj’étaisjeuneetilm’aeffrayéequandj’aidécouvertcequ’ilétait.(Ellejetauncoupd’œilàAnna.)J’avaisàpeuprèstonâge.Effetssecondairesdusaufaitd’êtreunelouve-garoumisàpart,JosephaditqueCharlesallaitt’acheterunchevalpourtonvingt-sixièmeanniversaire.Tuétaisplusjeunequejel’étaisquandilt’atrouvée.Ettun’aspaseupeurdelui.

C’étaituneconcessiondetaille,quisous-entendaitqu’Annavalaitenquelquesortemieuxqu’elleparcequ’ellenes’étaitpasenfuie.

—Ouais. J’avaisdéjà rencontré lesvraismonstres,confessa-t-elleàMaggie.Çam’adonnéunpointdecomparaison.

—Sijen’avaispaseupeur,j’auraischoisiCharles,affirmacelle-ci.Ellesedirigeaversunplacardavecdescasserolespleinlesmains.Quandellerevint,elledit:— Joseph me convenait mieux. Charles et moi sommes tous les deux trop sérieux. Encore

maintenant, Joseph est un pur rayon de soleil. Je te passerai ma recette de burritos quand vousrentrerez.CharlesetJosephlesaimenttouslesdeux.

Aprèsça,ellesfinirentdenettoyerlescasserolesetderangerlesassiettesenparfaiteharmonie.—Hosteenalatêteailleurs,déclaraMaxlorsquelelave-vaissellefutchargéetlancé.(Ilprit la

grandecasseroledesmainsdeMaggieavecunsourire.) Iln’auraitpas laisséErnestine temettreàcontributions’ilavaitétéattentif.Tuneveuxpasmelaisserfinirçaetallert’asseoircommesic’étaitcequetufaisaisdepuisledébut?

Maggieetluiéchangèrentungrandsourire,puisellelaissalacuisineauxmainsdesplusjeunes.— Hosteen se montre plus protecteur vis-à-vis d’elle depuis que Joseph est tombé malade,

expliquaMax àAnna. Comme elle sait qu’il se sentmal, elle lui fait plaisir. (Il sourit.) C’est unevieillecoriace,cetteMaggie.Ilvaudraitmieuxpourluiqu’ilarrête,parcequ’ellenevapastarderàselasser.

Unefoislacuisinepropre,Hosteenorganisaunconseildeguerre.Ilcommençaparexpulserles

témoinsinnocents.—Hé!lesenfants,ditErnestineenréponseauhaussementdesourcilsdeHosteen,vousnevoulez

pasvenirregarderunpeulatéléavecmoidanslasuitedorée?(EllepritMichaeletMackieparlamain.)Tuviens,Max?

MaxjetaunregardàKageàmi-cheminentrelasuppliqueetledéfi.—Jepensequejevaisrester,répondit-il.

Kage hocha la tête. Ernestine sourit à Max et emmena les enfants tandis que les autres serasseyaientdanslasalleàmanger.

AnnaentenditKagedireàMax:—Jesuisfierdetoi.Tunousasétéd’uneaideextraordinaireaujourd’hui.C’esttoujoursdurde

restersurlatouchequandilyadel’actionailleurs.Mercidet’êtreoccupédesenfantscetaprès-midi.—Jenel’aipasfaitsansprotester,ditMaxsuruntond’excuse.—Maistul’asfait,réponditKage.Çamesuffit.Hosteens’installaenboutdetableetregardaChelsea,assisedel’autrecôtédelasurfacebrillante.—Il fautqu’onsachecequi t’estarrivé,dit-ilsansméchanceté.Es-tuenétatderépondreàdes

questions?Ellehochalatête.—Jenesaispassijeseraid’unegrandeaide.— Tu es une sorcière-née, dit Charles. As-tu senti quelque chose d’anormal ? Sais-tu à quel

momentont’ajetélesort?Ellesecoualatête.—Jen’aipasvraimentétéformée.Mamèrem’aapprisàmecacher,c’esttout.—Quandas-turemarquéquequelquechosen’allaitpas?demandaHosteend’untonvaguement

impatient.—Danslasalledebains,réponditChelsea,quisemblaitunpeuperdue.(Kagerapprochasachaise

etpassaunbrasautourd’elle.)Jecherchaisquelquechosedeplusefficacecontremonmalde tête.J’airenverséleverreàbrossesàdentsdanslelavaboetils’estcassé.Jemesuiscoupélamainenramassantlesmorceaux,etl’espaced’uninstantj’aieulesidéesclaires.

ElleregardaKage.—C’estcommeçaquej’aidécouvertquejepouvaism’empêcherd’agirsijesaignais.—C’estpourçaquetut’esplantélecouteaudanslamain?demandaMax.IlyavaitencoreunecroûtesurlamaingauchedeChelsea.Ellehochalatête.—C’étaittoioumoi,luidit-elle.J’aichoisimoi.Ilhochalatêtepuisdéclara:—Jenesuisplusunenfant,maman.Laprochainefois…choisis-moi,d’accord?—Çan’arrivera pas, fitMaggie. (Assise à côté deMax, elle lui tapota lamain.)Çan’a aucun

rapportavectonâge.Lesmèresprotègentleursenfants.—Quandlamigrainea-t-ellecommencé?demandaCharles.—Aprèsquejesuisalléechercherlesenfants,jecrois,ditChelsea.C’estàcemoment-làqueje

l’airemarquée,entoutcas.J’ailaissélesenfantsseulsetj’aicouruàl’étageprendrequelquechose.(Ellemarquaunepause.)J’aipristropdecomprimés,puisj’enaicherchédeplusefficaces.Sij’avaistrouvélescomprimésaulieudemecouper,est-cequelesenfantsauraientétéensécurité?

CefutAnnaquirépondit:— La douleur déconcentre… On peut se servir d’elle pour briser ta volonté. (Elle en savait

quelquechose.) Ilenvademêmepourcertainsmédicaments.De l’aspirinenesuffiraitpas…Maisquelgenredemédicamentsplusefficacescherchais-tu?

—IlmerestaitduVicodin,expliqua-t-elle.Maisj’essayaisjustedemedébarrasserdelamigraine.—AvecleVicodin,tuauraiseuplusdemalàluttercontrelegeis,ditCharles.Maisc’estàune

magietrèscomplexequ’onaaffaire.«Tuetesenfantspuissuicide-toi»,cenesontquedeuxordres.«Tuetesenfantssitulepeux,ets’ilssontmortsouquetuéchouesàlestuer,suicide-toiensuite»,

c’estpluscompliqué.Etlegeisaclairementessayédeteforceràtesuiciderquandjet’aiditquelesenfantsétaientensécurité.Silamagiet’apousséeàfairequelquechosequit’auraitrendueplusapteàmener à bien ta tâche…ça commence à ressembler à de lamagie qui surpasse les aptitudes de laplupartdesfaes.

—Combiendetempsçaauraitprispourluijeteruntelsort?demandaHosteen.— Un Seigneur Gris qui détiendrait la magie appropriée pourrait y parvenir en un instant,

réponditCharles.Maisçaaaussipuprendredesheures.—Laseulefoisoùj’aiperduconnaissance,c’étaitdanslasalledebains,déclaraChelsea,assez

sûred’elle.J’aiunemploidutempsàrespecterautravail.Jel’auraisremarqués’ilyavaiteuunblancdansmajournée.

—J’aifaitletourdelamaison,ditCharles.Ilyavaitdelamagiefaeàfoison,maisiln’yavaitpasdefaechezvous.

— Est-ce qu’ils ont pu lui jeter le sort plus tôt ? demandaMax. Le laisser inactif pendant unmoment,jusqu’àcequelesbonnesconditionssoientréunies?CommelamalédictiondelaBelleauboisdormant?

— Absolument, acquiesça Charles. Mais si c’est ce qui s’est passé, il est peu probable qu’ondécouvre facilement qui a fait ça et pourquoi. On a donc plutôt intérêt à se concentrer sur desscénariosplusutiles.

Chelseafronçalessourcils.—Ilyavaitquelquechosed’étrange…—Quoidonc?l’interrogeaKage.Elleportaunemainàsatête,tenditl’autreverslatableets’effondra.Hosteenbonditpar-dessusla

tableettiralachaisedeChelseaafinqu’ilspuissentl’atteindre.—Maman?demandaMax.—Toutvabien,luiditAnna.—Cen’estpastroptôt,assenaHosteenenmêmetemps.KageramassasafemmeparterreetHosteendéclara:—Emmène-ladans lachambred’amisabricot. (Ilposaunemainsur l’épauledeKage.)Jesais

quecen’estpaslàquevousrestezd’habitude…maislesenfantssontdansvotresuiteetilfautqu’onveilleàleursécurité.Iln’yaurasansdoutepasdeproblèmes,maisleChangementestperturbantetlesloups-garoussontdangereux.

—Qu’est-cequ’ellea?demandaKage.— Son corps subit beaucoup de modifications simultanées, dit Charles. C’est plutôt normal

qu’elle avait l’air d’aller bien juste après que leChangement a guéri les blessures qui l’ont rendupossible.Maisauboutdequelquesheures,parfoisquelquesjours,toutçavalarattraper.

—Annam’aparlédeça,stipulaMax.J’avaisjusteoublié.MaxétaitmontéaiderErnestineaveclesenfants.Hosteens’était installédans lachambredeChelseaavecun livre,demêmequeMaggie.Quand

Hosteenavaitessayédel’envoyeraulit,ellel’avaitfusilléduregard.—Cessedechercher àme fairepasserpourunevieille femme inutile, papa. Jepeux rester au

chevetdeChelseapendantqu’elledort.J’aiunbonromanpolicieràlire.Kagehésita,etsamèrelechassadelachambre.—Va-t’enmaintenant,luidit-elle.Jesaisquetuasbesoindet’occuper.Alorsemmènecesdeux

gentillespersonnesàl’écurieetpenseàautrechose.Chelsean’iranullepartaucoursdesprochaines

heures.KageregardaAnnaetproposa:—Ensupposantqueçat’intéressevraimentd’allervoirdeschevaux…—Oui?fit-elleavecespoir.Derrière ledosdeKage, samère intercepta le regarddeCharles et indiquaKagepuisCharles

d’unsignedelatête.Ilinclinalatête.Kagescrutaitlevisaged’Anna.—Pastrèsdouéepourresterimpassible,dit-il.— Emmène-la à Las Vegas et elle reviendra avec une petite fortune, suggéra Maggie

chaleureusement.Siellepartavec…—Unegrosse,acquiesçaCharles,etilsebaissadocilementquandAnnafitminedelefrapper.En dépit desmoqueries au sujet de son impassibilité, Anna décida de prendre un air à la fois

intéresséetdétaché.Ellenesavaitpasvraimentcequ’elleressentait,detoutefaçon.Elleétaitexcitée,oui,maisuncurieuxmalaisesemêlaàsonenthousiasmetandisqu’ilss’acheminaientversl’écurie.

Elle n’était jamais beaucoup montée à cheval avant de rencontrer Charles. Depuis, elle avaitparcouru unmillion de kilomètres – enfin, aumoins quelques centaines – dans lesmontagnes. Ilsétaient bien loin desmontagnes.Dans quelquesminutes, elle allait faire une démonstration de sesmaigrestalents.

Assisesurlesiègepassageràl’avantduvéhiculeutilitairequeconduisaitKage,Annasentitsonétrangemalaisecroîtreaufuretàmesurequ’ilsserapprochaientd’unesomptueusebâtissequiauraitpuêtreunhôteldeluxe.Elleneressemblaitàaucunedesimages«d’écurie»qu’elleavaitentête.Latopographieaccidentéel’avaitempêchéedelavoirdepuislamaison,etilétaitcenséyavoirencoreuneautrequelquepart.Elleétaitsurtoutimpressionnéeparcetteaptitudequ’avaitledésertd’Arizonaàfairedisparaîtreleschoses,carilsn’étaientpasàplusd’unkilomètredelamaisonetl’écurieétaitimmense.

Bâtie dans un élégant style espagnol, la gigantesque structure déroulait ses lignes gracieuseséclairéescommeunesorted’énormesapindeNoëlavecdescentainesdepetiteslumièresblanches.«Regardez,semblaitdireceluxueuxxéropaysageilluminéavecgoûtetfaitdepierresetdeplantesexotiquesdudésert. Ici résident les rois et reinesdes équidés ; soyezprêts àvous incliner et à lesvénérer.»

Anna regarda ses bottes d’équitation élimées et identifia cette deuxième émotion négative. Elleétaitplusexcitéequ’ellel’auraitpenséàlaperspectived’acquérirsonproprecheval,maiselleavaitlesentimentqu’ellen’étaitpasassezbienpourceschevaux-là.Lalaissermontersurunanimalquivivaitdansuneécuriecommecelle-là,ceseraitcommedonneràunélèvedesixièmeunvioloncelleLupothorsdeprix.

—Coquet,ironisaCharlesdepuislabanquettearrière(ilavaitinsistépourqu’ellemontedevant),pince-sans-rire.

Kage se mit à rire tandis qu’il se garait sur une place de parking juste à côté d’un véhiculeidentique.

—Ouais,Hosteentrouvequec’estunehorreur,maisçaincitelesgensàdépenserplusd’argentques’ils’agissaitd’unmotelenétain,commeilauraitpréféré.(KageregardaAnnaetluiexpliqua.)Unmotelenétainestuntoitenmétalquisurplombeungroupedepetitsenclos.C’esthideux,maisçaprotège les chevaux du soleil et de la pluie. Même si Hosteen aime se plaindre, il nous a faitconstruirecetteécurieuntiersplusgrandequecequepapaavaitprévuàl’origine,etilaeuraison.

Onl’apresqueentièrementremplie.Kagecoupalemoteurettapotalevolant.—Tuassauvémafemme,dit-ilàCharlessansleregarder.Encequimeconcerne,tuasdroità

n’importequelchevaldecetteécurie.—Cen’estpasnécessaire,répliquaCharles.EtpuisjeconnaisHosteen.Jenel’aipeut-êtrepasvu

depuisvingtans,maispersonnenechangeàcepoint.Iltefileraitunsavons’ilapprenaitquetum’asproposédemedonneruncheval.

Kagesourit,bienqu’Annasentîtqu’ilauraitrientempsnormal.Illuisemblaitêtreunhommequiavaitlerirefacile,commes’ilétaitheureuxdenature…quandonn’essayaitpasdetuersafemmeetsesenfants.Tantmieuxpourlui.Elleespéraitqu’ilnetarderaitpasàretrouversonéquilibre.

—D’accord,concédaKageensautantduvéhiculeutilitaire.Gardejustemonoffreàl’esprit.Jen’aipaspeurduvieilhomme.Sicequetuveuxesthorsbudget,onpourradiscuter.Papaditquevousrecherchezavanttoutunchevalderandonnée,jolietraisonnable.

Parcourtoisie,Charles tenditunemainpouraiderAnnaàdescendre.Ellen’avaitpasbesoindesonaide,maislecontactrassurantdesamainsurlasiennecontribuaàluidénouerl’estomac.

—Annamonte depuis quelques années, dit-il àKage.Des randonnées enmontagne.Mais elles’apercevrapeut-êtreplus tardquec’est autre chosequi l’intéresse,doncnousn’excluons rien.Entoutcas,quoiqu’elledécidedefaired’autreavecsoncheval,onsepromèneraenmontagne.Annaalamainlégèreettientbienenselle.Ellen’apasbesoind’unemonturededébutant…Justed’unchevalquinesoitpasdugenreàavoirpeurdesombres.

Kagesemitàrire.—Tusaiscequ’onditausujetdeschevauxarabes,n’est-cepas?Qu’ilssonttouspeureux.Etque

desarabesmétisséslesontdeuxfoismoins.(IlregardaAnna.)Cen’estpastoutàfaitvrai,maisilss’ennuient facilement. Ils bronchent et font des histoires surtout quand ils cherchent quelque chosed’intéressantàfaire.Ilspensentterendreserviceenpimentantunpeuleschoses.

Ilsecoualatête.—Quandj’étaisgamin,papaavaitunejumentqu’ilavaitlafermeintentiondedresserpourqueje

puisselamonter.Maisplusiltravaillaitavecelledanslacarrière,plusellebronchaitetrenâclait.Unjour,çal’atellementagacéqu’ilestpartienrandonnéeavecellependantunesemaine…Unbaptêmedufeu,commeilavaitdit.Ill’aemmenéedansdescriques,parmontsetparvaux…Ilsontmêmeétéklaxonnésparunidiotàmotoetellen’apasbougéd’unpoil.

IlregardaCharles.—Elles’ennuyait,ditcelui-ci.—Ellem’aapprisàmonteràcheval,repritKage.Uncamiondepompieravecdessirènesetdes

lumièresaveuglantes,çaneladérangeaitpasdutout,maissiparmalheurunbrindepaillevolaitentraversdesonchemin…J’aiapprisàêtreattentifetàresterenselle.

Kage les fit entrer dans une salle de réception spacieuse, décorée dans un style Sud-Ouestaméricainsansprétentionquiincluaitunbartraditionnelavecévier.Aprèsavoirpousséunedoubleportevitrée,ilsarrivèrentdansdestribunesquisurplombaientunearènegrandecommelesdeuxtiersd’un terrainde football.Un tracteur l’arrosait avecunballond’eauetungicleur.La femmesur letracteuradressaàKageunsignedelamainetrepritsontravail.

—Ilestplutôttardpourêtredecorvée,ditCharles.Kagehochalatête.—Lepersonneltermineengénéralà17heures,saufceuxquis’occupentdespoulains.Euxfont

desroulementsdevingt-quatreheuresàcettepériodedel’année.Maisonsepréparepourlegrand

concourshippique.Beaucoupdegensyviennentexprèspouracheterdeschevaux.Onauraplusieursprésentationsàassurericipendantleconcours,doncondoitpréparerl’écurieetpanserchacundescent soixante chevaux, pas juste les trente qui participent à la compétition.Ça implique des heuressupplémentairespourtoutlemonde.

IlregardaCharles.—Tudevraisl’emmenerauconcours.Cen’estpasaussipompeuxqueçal’étaitilyatrenteans.

(IladressaungrandsourireàAnna.)Onaccueillaittoutessortesdecélébritésetdepersonnalitésdel’industriedudivertissementà l’époque,et lesgensvenaientautantpour lesvoirquepourvoir leschevaux. Des millions passaient de main en main, aussi bien sous forme de monnaie sonnante ettrébuchante que de papier pour éviter les taxes, et l’industrie des chevaux arabes attirait un publicdifférent.Maisleconcoursvauttoujourslecoupd’œil.Beaucoupdebeauxchevauxetdemordusdechevaux.

Ilsentrèrentdans la sectiondesbox. Ily régnaituneodeurdecopeauxdecèdreetdechevaux,ainsiqu’unlégerrelentd’urineetdecuir.Encadréeparlesdeuxhommes,Annadécouvritlepremierboxquandelletournaàl’angle.

Unchevalàlarobecuivréeavançalatêteverselle,etelleseretrouvanezànezaveclui.Cen’étaitpasn’importequelcheval,maisunanimaldecontedefées.Chaquepoildesacrinière

etdesontoupetétaitdisposécommesiquelqu’unlesavaitséparéslesunsdesautrespourlesplaceràl’endroitexactoùilsseraientleplusenvaleur.Onauraitditqu’onavaitsaupoudrédutalcsurlafinerayure qui courait entre ses yeux et jusqu’à ses naseaux afin qu’elle soit d’un blanc immaculé, àl’exception d’un petit triangle rose au bout de son nez. Sa robe alezane étincelait, et, quandAnnatenditlamainpourluitoucherlajoue,lapeausoussesdoigtsétaitdouceetlisse.

— Attention, l’avertit Kage. Il n’a que deux ans et c’est un étalon, ce qui veut dire qu’il estmordeur.Iln’estpasméchant,ilespèrejustedelanourriture.Maisiltemordrasitun’yprendspasgarde.

—Commetoi,patron,criaquelqu’undepuisunboxvoisin.—Etjelicencielesgensinsolents,aussi,renvoyaKageaveclesourire.—Oh!j’aipeur,patron,gloussalemêmehomme.(Ilétaitcachéquelquepartdanslarangéede

box.)Situmerenvoies,tuaurasvingtboxàrécureravantdepouvoirallerdormir.J’ailasécuritédel’emploi.

— Pousse ton raisonnement plus loin, Morales, ajouta quelqu’un d’autre. Si tu veux plus desécurité,tupeuxaussinettoyermesbox.

Anna caressa la joue veloutée du cheval et avança la main juste derrière son oreille pour legratouiller.C’étaitlebonendroit,carilpressalecoucontresamainsifortqu’ellecognacontrelemuràcôtédelaportedubox,puisiltorditlecouafinquelesdoigtsd’Annaseretrouventpilelàoùillevoulait.Ilfermalesyeuxetbougealeslèvresd’extase.

—Pourquoi leschevauxn’ont-ilspasdavantagepeurdenous?demandaAnna.Ceque jeveuxdire,c’estqu’ilnemedemanderaitpasdeluifrotterlecousij’étaisungrizzly,n’est-cepas?

Charlesavaitadoptéunepostureplusdétendueàpeineétaient-ilsentrésdanslasectiondesbox;elledoutaitquecesoitconscient.Sonhommeaimaitleschevauxautantqu’ilaimaitlamusique.

Ilsourit,maiscefutKagequirépondit.— Les chevaux savent s’adapter. Imagine, je vais voir un pauvre poulain qui n’a pas fini sa

croissanceavecsurmoil’odeurdusandwichàlaviandequej’aimangéàmidi.Puis je lui jetteunboutdevachemortesurledosetluidisqueçaneluiferapasdemal.C’estassezincroyablequ’ilsnouslaissentlesapprocher.

Iltenditlamainetfrottal’autrecôtédelatêteducheval.—Situétaissoustaformedelouve,lesbabinesretrousséesetprêteàattaquer,jesupposequ’ils

paniqueraient,oui.Celui-làessaieraitpeut-êtrebiendetepiétiner…Iln’apaspeurdegrand-chose.Hosteenditqu’ilstrouventjustequevousavezl’odeurd’unchienunpeubizarre,etilsconnaissentleschiens.(Ilmarquaunepause,puisregardaCharles.)Alors,qu’enpenses-tu?

—Jolicheval,dit-il,pince-sans-rire.Ilalesoreillesenpointe.Kages’étrangladerire.—Papa avait dit que tu ferais ça. (Il regardaAnna.) Faire un compliment que tu sais être une

insulte. En ce moment, les milliardaires saoudiens boostent le marché des chevaux arabes. Ils semoquentdescorpsetdesjambes,maisilspaientcherunejolietête.

—Pas que les Saoudiens,maugréaCharles. Les juges récompensent des cous de plus en pluslongs,deschevauxdeplusenplusgrands.Quandonrécompenselesextrêmes,c’estversçaquesedirigel’élevage.

»Les longscousvont engénéraldepair avecde longsdos, continua-t-il en indiquant l’alezand’unsignedelatête.Bonnombredeschevauxplusgrandsontsimplementdesoscanonspluslongs,cequifragiliseleursjambes.Leschevauxarabesquejemontaispourgarderlebétailavectonpèredanslesannées1950et1960travaillaienttoutelajournéependantvingtans,septjourssursept,etilspartaientàlaretraiteenbonnesanté.(Ilricana.)Denosjours,onveutdejolisornementsdejardin.Àl’origine, les arabes étaient élevés pour être des armes de guerre, et à présent ce sont desœuvresd’art.LesvieuxBédouinsdoiventseretournerdansleurstombes.

—Iln’yariendemalàêtreuneœuvred’art,grondaKage,offensépourdeboncettefois.Anna songea queCharles agissait ainsi délibérément.Que cherchait-il à obtenir en provoquant

Kage?Elleregardasonmari,lesyeuxétrécis.Illuirenditunregardneutre.Kagetenditlamainets’emparad’unlicolsuspenduaumuràcôtédelaportedubox.—Oui,ilaunejolietêteetunjolicou,etçaluidonnedelavaleur.Commecespetitesoreillesen

pointequit’agacenttant.Maisnet’inquiètepas,tupeuxavoirlebeurreetl’argentdubeurre.Annas’écartadupassagequandKagefitcoulisserlaporteduboxetamenal’étalondedeuxans

danslagrandealléeéclairée.Maisc’étaitl’hommequ’elleobservait,paslecheval.Ellesongeaquecequiétaitarrivéàsafemmecejour-làluiavaitlaisséuneblessure.Ilétaitstoïque,maisblessé.Sacolèreréduisaittoutçaencendres.

Etdirequesonmariprétendaitnepassavoirs’yprendreaveclesgens!—Osemedirequece cheval aquoiquece soit à envier à ces arabesde lavieille époque, au

ventre rond et aux jarrets de vache, grommela Kage tandis qu’il obtenait on ne sait comment dupoulainqu’ilsefigesurplaceetétirelecouenl’air.

Son irritation retomba tandis qu’il regardait le poulain. Anna songea qu’il ne pouvait pass’accrocheràlafoisàsacolèreetàcequ’ilressentaitpourcecheval.

Avecfougue,Kagedéclara:—Celui-cit’emmèneraitpar-delàlessablesdudésert,dormiraitdanstatenteetveilleraitsurtoi.

Regarde-ledonc,etosemedirequesondosesttroplongouquesesjambessonttropfaibles.Anna trouvait lechevalspectaculaire,maisellen’étaitpashabilitéeà juger.La robecuivréedu

jeuneétalonbrillait,mêmeàlalumièreartificielle.Illesobservaitdesesgrandsyeuxsombresavecarrogance,unebonnedosedevanité…etellecrutaussiyvoirunelueuramusée.

Son corps lui paraissait équilibré, et son épaule présentait un joli arrondi qui se retrouvait auniveaude sahanche.Sacrinièrepâleet épaisseaccentuait la courbede soncou, et saqueueauraittouchélesolsiellen’avaitpasététresséeetenrouléedansunsac.

—Pourquoisaqueueest-ellecommeça?demandaAnna.Ilyaunproblèmeavecelle?—Non,réponditKageenjetantunregardméfiantàCharles.—Parceque,mêmedansunbox,unchevalfrotteetusesaqueueafinqu’ellesoitd’unelongueur

quinel’encombrepasaulieudelalaisserpousserjusqu’àcequ’elletraînederrièreluicommeunvoile demariée, lui ditCharles,mais en réalité il se focalisait plus sur le cheval que sur ce qu’ildisait.Lesjugesaimentquandlaqueuetraîneparterredansl’arèneduconcours.

Ilfitlentementletourducheval,s’arrêtantpoursouleverunsabot.Plusill’observait,plusKagese rengorgeait. Quand le compagnon d’Anna eut terminé son examen, son verdict ne fut pas unjugementmaisunequestion.

—Vousallezl’emmenerdansl’arènepourlegrandconcours?—C’estnotreintention,déclaraKage.Iln’apasconcourul’annéedernièrecarilétaitencoredans

l’âge ingrat. Son arrière-train dépassait son garrot de quinze centimètres. Cette année… il a seschances.Iln’auraassurémentpasl’airsurclassédanssacatégorie.

—Jeneconnaispaslescritèresdejugementpourunchevalarabe,ditCharles,levantunemainensigne de capitulation.Mais jem’y connais en chevaux.Celui-ci est sacrément bon… en supposantqu’il ait un cerveau entre ses petites oreilles en pointe. (Il sourit à Kage.) Ce serait tragique s’ilfinissaitornementdejardinouœuvred’artachetéepourquelesinvitésd’unhommeriches’extasient.

IlobservalonguementKage.—Tuasdéfenduavecsuccèscechevaletvotreprogrammed’élevage.Tutesensmieux?Kageluijetaunregardpénétrant,hésitapuisdit:—Tum’asprovoquépourquejemesentemieux?—Oui,convintCharles.Etaussipourquetuarrêtesdenoustraitercommedesclientsetquetu

nousparlesdeChelsea.Tamèreestconvaincuequetuneparleraspasd’elleàHosteen,etellepensequetuasbesoindeparleràquelqu’un.

Annaneputs’empêcherdehausserlessourcils.Charlesavaittirébeaucoupd’informationsdecetéchangemuetavecMaggie,quin’avaitpasduréplusdedeuxsecondes.

KagedévisageaCharlesenfronçantlessourcils.— Vraiment ? Je te suis très reconnaissant d’avoir sauvé Chelsea, Charles Cornick. Mais je

t’assurequejevaisbien.—Cen’estpaslecasdeChelsea,ditAnna.—Chelsea,fitKage.L’étalonluidonnauncoupdetête,etilluifrottalefront.Ilregardaautourdeluietbaissaleton

afinquelesgensquitravaillaientautourd’euxn’entendentpascequ’ilallaitdire.—Samèreluiaenseignéqu’elleestsouilléeparsonsangdesorcière.EtHosteennelâchejamais

lesujet.Ellen’apasencoreintégrél’idéequ’elleestunelouve-garoumaintenantetqu’elledoitobéiràmon grand-père, avec qui elle se querelle depuis huit ans.Mais ça va venir. Jamais elle nemepardonnera.

— Si c’est le seul problème, tu arriveras à le gérer, dit Anna. Si elle ne peut vraiment pas lesupporter,alorsdéménagez.Ilyad’autresmeutes.

—Et avec ta réputation tu peux décrocher un boulot dans n’importe quelle écurie de chevauxarabesdupays,ajoutaCharles.

—Possible, convintKage.Mais c’est très important pour elle d’être indépendante. Je viens dechangersaviesanslaconsulter.

—Iln’yavaitaucunmoyendeluidemandersonavis,soulignaCharles.J’aiessayéaudébut.SiellenevoulaitvraimentpasChanger…C’estbeaucoupplusfaciled’abandonnerquedesebattrepour

vivre,Kage.—Ellenemordrapasàcetargument,affirmaKage.(Maisenmêmetemps,pourlapremièrefois

depuisqu’ilavaitprissonportableetécoutélesmessagesdesafemme,ilsemblaitavoirretrouvésonéquilibre.)Tupensesqu’elleauraitfaitcechoixd’elle-même?Jenel’aipasforcée?

— Si quelqu’un l’avait forcée, ça aurait été moi, rectifia Charles. Mais non. Si j’avais penséqu’elle n’avait réellement pas le choix dans cette histoire, je ne l’aurais pas Changéemême si tum’avaissupplié.Elleachoisidemourirpoursesenfants,etelleachoisidevivrepourvoustous.

—Etmonpère,alors?demandaKage.Sionsuitcettelogique,tunepourraisleChangerques’illevoulaitsecrètement.Oronsaittousqu’ilneleveutpas.AlorspourquoiHosteencontinue-t-ildeteharcelerpourquetuleChanges?

—Parcequ’ilcroitavoirvumonpèreforcerunhommeàChanger.L’hommeenquestionn’étaitpascontre, ilétait simplement incapabled’yarriverseul,cequiestdifférent.Hosteenpenseque jepeuxfairepareil,ditCharles.

—C’estlecas?—Chelsea avait besoin d’un peu aide, mais je ne l’ai pas forcée, répondit Charles. Elle a vu

qu’elleavaitunechancedesurvivreetelleavoululasaisir.Ilnementaitpas,Annalesavait.MaislesmotsdeCharlesluipesaientsurl’estomac.C’étaitceque

Justinavaitditlorsqu’elleavaitsurvécuauChangement…commesielleavaitvoulucequiluiavaitétéinfligéettoutcequiavaitsuivi.

—Réconforte-toiavecça,déclara-t-elleàKage,parcequec’estvraiqu’ilafalluqu’ellesebattepourvivre.MaisnedispasçaàChelsea.Dis-luiquetul’aimesetquetuasbesoind’elle.Dis-luiquelesenfantsontbesoind’elle.Dis-luiquetuasessayédefairelechoixqu’elleétaitsusceptibledefaire.Dis-luiquetupensaisqu’ellevoudraitqu’onretrouvelefaequiluiainfligéçaafinqu’ilnepuissetuer personne d’autre. Mais ne lui dis pas que le fait qu’elle a survécu signifie qu’elle voulaitvraimentça.

Endisant«ça»,ellesedésignadudoigt.Ellevoulaitdirelouve-garou;louve-garouettoutcequivenaitavec.

—C’estl’expériencequiparle?interrogeaKagesuruntoncompatissant.—Oui.(Annaprituneprofondeinspiration.)Lavéritéademultiplesfacettes.Choisiscellesquila

rendrontheureused’êtreenvieplutôtquecellesquiluidonnerontenviedetegifler.—Es-tuheureuse?luidemanda-t-il.—Oui,répondit-elle,totalementconvaincue.Maisçaaprisdutemps.Çaluiprendrapeut-êtredu

temps,àelleaussi.—Oui,dit-il,maisilétaitloindesembleraussicontrariéqu’ill’étaitlorsqu’ilavaitcommencéà

seconfier.Jem’yattends.—Çapourraitêtrepire,fitCharlespensivement.Ellepourraitêtremorte.Kagehochalatête.—Oui.Là,çavapeut-êtreêtredifficile.Maisça,çaauraitétéintolérable.Mieuxvautquecesoit

difficile.

CHAPITRE5

—Lemarchéaremonté,n’est-cepas?demandaCharlesavecsarcasmeenregardantlalistedesventesqueKageluitendait.

—Enquelquesorte,ditKage.Leschevauxdetoutpremierrang,ceuxquiremporterontlesprixàScottsdale, aux concoursnationauxou àParis, sevendent aussi cherqu’avant.Plus cher, peut-être.L’annéedernière,onavenduunétalonàl’Arabiesaouditepourcinqmillionsdedollars,maisc’étaitune raretéde lanature.Leschevauxdedeuxièmerang,quiontdebonspedigreeset sontdebellesbêtessansêtretoutàfaitlacrèmedelacrème…c’estplusdifficiledelesvendreetdefaireduprofitavec.(IldécochaungrandsourireàCharles.)Cesontceux-làquejevaisvousmontrer.Mais,avantqu’oncommence,vousremarquerezqueHephzibahfiguresurcetteliste.

—Oui,émitCharlesenplissantlesyeux,amusé.Ilyaunsignemoinsàcôtédesonprix.Est-cequeçasignifiequ’onmepaierapourquejel’emmène?

Kagerit.— Je ne la vendrai à personne. C’estHosteen qui l’amise sur la liste.Ma femme adore cette

jument.C’est le seul cheval queHosteen n’ait pas réussi àmonter. Je pense que c’est pour ça queChelsea l’aime. Trop folle pour être vendue, trop bien portante pour être euthanasiée.Assez bellepourquelatentationdelafairesereproduireaitunjourraisondenoustous.Jen’aijamaiscôtoyédechevalplusmauvais.Elleesttoutedouceetgentille,jusqu’àcequ’elles’enprenneàvous.(Ilrepritsonsérieux.)Elleaenvoyédeuxdenospalefreniersàl’hôpitaletafaillientuerunautre.Iln’yaqueHosteenetmoiquilamanipulonsàprésent.Elleestfourbe.Àmaconnaissance,sonpèren’ajamaisengendré d’autre cheval avec un si mauvais caractère. Sa mère était une vieille jument qu’on aobtenuelorsd’unéchange,etHephzibahestleseulpoulainqu’ellenousadonné.

Unhommed’originehispaniquelesrejoignit.—Hé!Kage,cesontlesgensquivoulaientvoirdeschevaux?—Mateo…(AlorsqueKagecommençaitàfairelesprésentations,ils’interrompit.)OùestTeri?—Ellesellelepremiercheval.Tulesvoulaisdanslapetitearène,n’est-cepas?Allez-ydonc,je

vouslesamène.—Bien.Mateo et Teri s’occuperont des chevaux pendant que je feraimon speech de vendeur.

(Kagesourit.)Onvautiliser lapetitearèneparcequ’onprépare lagrande,commevous l’avezvu.Mateoestnotredresseurvétéranmais,commenoustous,ilintervientlàoùonabesoindelui.Teriestl’unedenosapprentiesetellemontepournouslorsdesconcours.

—Ilyabeaucoupdegensquitravaillentpourvouscesjours-ci,ditCharles.Kagehochalatête.—C’est parce qu’on gère tout : l’élevage, le dressage, les concours. Et on fait concourir nos

chevauxdanstouteslescatégoriesqui leursontadaptées.Cequi impliquebeaucoupdepersonnelàrémunérer, mais on table sur la diversité. En cemoment, ce sont les chevaux de Halter qui nousrapportentlesplusbellessommes,maisHosteenpensequec’estmauvaispourlesaffairesdetropsespécialiser.

EtceseraittoujoursHosteenquidirigeraitcetendroit;ilnevieilliraitjamais,nelaisseraitjamaissonpetit-filsprendrepeuàpeularelève.AnnasedemandasiçadérangeaitKage.

Tandisqu’ilssedirigeaientverslapluspetitearèneenlongeantlasectiondesbox,deschevauxpassaient la têtepar-dessus lesportesdesstalles,quiétaientà la foispluspropresetpluscoquettesquebeaucoupd’hôtelsqu’Annaavaitfréquentés.Toutenmarchant,Kagebavardaitsuruntonléger…s’adressantautantàAnnaetCharlesqu’auxchevaux.

—Ondressenoschevaux,maisondresseaussiceuxd’autresgens.Hélà!Bones,est-cequ’ilstenourrissentassez?Laplupartdeschevauxquejevaisvousmontrersontànous,maisquelques-unsd’entreeuxappartiennentàd’autresgens.Bonnefifille…Qu’elleestjolieaujourd’hui,dis?Pasdecarottes,désolé.Cequevousrecherchezenprioriténedevraitpasêtreunchevalcher.Leschevauxdeconcours,lesbonschevauxdeconcours,sontchers…Jevaisdoncsurtoutvousprésenterceuxqui,pourune raisonouuneautre,nepeuventpasprétendreà l’arèneduconcours.MaisHosteenamisquelquesbêtesdeconcourssurlaliste,justeaucasoù.Quic’estmabravepetite?Oui,c’esttoi.

Lepetitenclosétaitunearènerondequifaisaitenvironlequartdelatailledecellequ’ilsavaientdépassée.Laclôtureencontreplaquéétaituséeetcouvertedemarques,maiselleétaitencoresolide.Kagelesinvitaàentrer;avantqu’ilfermeleportillon,unefemmeminusculevêtuedecuirbrutfitentrerdansl’arèneunejumentbaieplutôtpetite,déjàselléeavecunesellewesternornéed’argent.

—VoiciHoneyBayBee,ditKage.Elleadouzeans.Onl’aprésentéeàl’épreuveHalterdeniveaurégional quand elle avait un an, puis elle a fait un ande classes dehunter comme jument futurité.Commeellen’estplusapteàprocréer,onl’amontéependantencoreunanetonvalavendreentantquechevalpouramateur.

Annaessayadesedonnerl’airdesavoirdequoiilparlait,maisill’avaitperdueà«régional»et«classesdehunter».

—Vas-y,demande,fitCharles.—Classesdehunter?—Équitationanglaise,expliquaKage.Maisleschevauxtrottentlongaulieudehautcommeilsle

fontdanslesdisciplinesanglaises.Tuverrascequejeveuxdire.Terimontaenselled’unsautgracieuxetfitletourdel’enclosaupas,autrotetaupetitgalopavec

lajument.Teriavaitungrandsourireauxlèvres;lechevalsemblaitvaguementagacé.Annalasentitagacéeaussiquand,beaucoupmoinsgracieusement,ellesehissasursondos.Elle

allaaupas,au trotetaupetitgaloppourAnnaavecautantd’enthousiasmequ’unenfant faisant sesdevoirs.Ellen’avaitpas lesoreillescouchées,maisellesn’étaientpasnonplusdresséesetalertes.«Labarbe»,disaient-elles.

Aumoins,ellenebronchapas.Charlessecoualatêteavantqu’Annasoitdescendue.—Ellemedonneunpointdecomparaison,ditKage.Maisnon.Anna monta quatre chevaux cette nuit-là. Arrivée au troisième, elle s’était débarrassée de

l’essentiel de sa timidité à l’idée de monter à cheval devant des inconnus qui s’y connaissaientbeaucoup plus qu’elle. Et c’était tant mieux, car le quatrième cheval qu’ils lui amenèrent était unminusculehongre«deloisiranglais,maispastoutàfaitunchevaldeparc»,mêmesiellenesavaitpascequeçasignifiaitaujuste.Mateolemontapoureuxenpremier.AnnacompritaussitôtcequeKageavaitvouludirequandil luiavaitexpliquéqu’unchevaldemonteàl’anglaisetrottaitenhautplutôt qu’en long.Cetteminuscule pile électriquemontait les genoux et les jarrets avec énergie etenthousiasme.

—Est-cequejepourraislemonteravecunesellewestern?demanda-t-elle.—Lessellesanglaisesnevalentrienpourlesrandonnéesenmontagne.(Kagesourit.)Biensûr

quetupeux.ÇanedérangerapasHeylight.Ilnedemandequ’àprendrelarouteets’amuser.

Mais ils n’iraient à l’évidence pas chercher la selle western ce soir-là, ce qui était un peu cequ’Anna avait demandé. Anna examina le minuscule bout de cuir auquel il manquait la corne àlaquelles’accrocher.

—Net’inquiètepaspourça,ditCharlestandisqu’ilréglaitsesétriers.Stylewesternouanglais,çan’apasd’importance.Répartisbientonpoids.Laselletefourniralemêmesoutien.Tonpostérieurlesauramêmesitesyeuxtedisentlecontraire.

—Enéquitationàl’anglaise,ontournecommeondirigeunvélo:tutiresunpeusonnezdansladirection où tu veux aller et tu relâches légèrement les rênes de l’autremain afin de ne pas justereculer. (Il lui montra avec ses propresmains en les bougeant ensemble.) Tu le dirigeras tout demêmesurtoutavectoncorpsettesjambes…commeàlamaison.

—Aupire,luidit-elle,onneferaquetournerenrondsijemerate.Illuidécochaunbrefsourireets’écarta.Elledemandaauhongred’avancer.Le petit hongre était resté parfaitement immobile quand elle était montée en selle mais, dès

l’instantoùelleexerçade lapressionsurses flancsavecsesmollets, il s’élançaen trottantau lieud’aller au pas comme elle s’y attendait.Ce n’était pas non plus le trot lent et doux de samonturehabituelle.Elle rebondit sur la selle commeuneballe en caoutchouc jusqu’à cequ’elle trouve sonassiette,unpeuplusenarrièrequecedontelleavaitl’habitude.Auboutdequelquesminutes,ellepritlepli et sentitungrand sourire lui étirer les lèvres.En termesdedistanceparcourue, il allait sansdoutemoinsvitequelapremièrejumentavecseslonguesfoulées,maiselleavaitl’impressionqu’ilsvolaient.Cehongreétaitcommeunevoituredesportultraperformante.Plusilallaitvite,plusilétaitréactif.Et lemeilleurétaitque,mêmes’ilétait toujoursdisposéàallervite, il savaitaussiavancerlentementets’arrêter.

À contrecœur, elle le fit ralentir et l’amena au centre de l’arène, où Charles, Kage et Mateoregardaient.

—Engénéral,onselèvequandiltrottecommeça,commentaKageavecunsourirequandelles’arrêta.Peudegenstenteraientderesterassis.

—C’estunemauvaisechose?demanda-t-elle.—Heylightalesoreillesdressées,cequiveutdirequetuneluitapaispassurledos…maisce

n’estpasévidentdegéreruntrotcommecelui-làassise.Ellen’étaitpascertainequ’ilavaitréponduàsaquestionjusqu’àcequ’ellejetteuncoupd’œilà

Charles,quiluiadressaunhochementdetête;c’étaituncompliment.Charlesfittoutletourduchevalpuisdemanda:—Ilnemesuremêmepasquatorzemains,si?—Cen’étaitpas toiqui teplaignaisà l’instantqu’onélèvedesarabesdeplusenplusgrands?

demandaKage.Oui,ellepourraitl’emmeneràuneclassedeponey.Celadit,ellenesemblepasêtretropgrandepourlui.Jenevousl’auraispasamenésinon.Ilpourraitteporter,maisc’estsûrqueceserait un drôle de spectacle. On serait obligés de mettre des roues sur tes étriers pour qu’ils netraînentpasdanslapoussière.Quelletaillefait-il,Mateo,tusais?

Mateohaussalesépaules.—J’aimesuré tous leschevauxavecunmètre.Jepeuxallercherchersahauteurexactedans le

bureau si tu veux.Mais c’est plus simple de classer les chevaux par catégories : petit, moyen ougrand. La plupart des gens ne voient pas la différence entre quinzemains et quinze deux de toutefaçon, alorspourquoi compliquer la chose?Cecheval estdepetite taille avecuncœurdegrandetaille.

Annatapotalechevaletritquandilsepressacontresamain.

Kageposalamainsurlefrontdel’animaletlefrottadoucement.— Je n’ai pas cessé d’attendre que ce cheval grandisse.Ça ne devrait pas être une question de

taille,maiscepetitpèren’estjustevraimentpasassezgrandpourconcourirdanslagrandearène.Ilya aussi le problème que, dans une classe anglaise, ses foulées sont parfois trop grandes et il estpénalisé.Dans une classe de parc, elles ne le sont en général pas assez et il est pénalisé aussi.Onpourraitpeut-êtrey remédier sion laissait ses sabotspousseraumaximumetqu’on luimettait lesfers les plus lourds qui soient autorisés dans l’arène du concours.Mais son sabot avant droit estsoupleetlesgrandsfersnetiennentpas.Ducoup,onlevendcommechevaldemontejunior:loisiranglais.Ilnepeutpasprétendreauxconcoursnationauxpourlesraisonsquejevousaidonnées,maisilpourraitremporterunchampionnatrégionals’ilfaitunbeautourdepisteetquelejugen’estpasregardantsurlataille.C’estpourçaquesonprixestsiélevé.

—L’as-tumontéendehorsd’unearène?demandaCharles.Kagehochalatête.— Enfin, pas moi. Hosteen l’a emmené lors d’un de ses treks d’une semaine dans le désert

l’automnedernier.Iladitqu’ils’enestbiensortipassélesquelquespremiersjours.Iln’yaeuquecette fois-là, mais il a aussi deux ans de concours dans les pattes. Ça, ça désensibilise un chevalcommeilfaut.

—Désensibilise?demandaAnna.—Ondésensibiliseunchevalàcequiest susceptiblede l’effrayer,ditCharles.À l’époque, ils

prenaientdessacsàgrainetfrottaienttoutlecorpsduchevalavecjusqu’àcequ’ilcessed’avoirpeur.Ces sacs étaient pratiques…et effrayants, car ils étaient de couleur claire et faisaient dubruit.Lesconcoursexposent leschevauxà toutessortesdesituations,et ilsapprennentànepasprendrepeurchaquefoisqu’ilssontconfrontésàquelquechosedenouveau.

—Laplupartd’entreeuxfinissentparapprendre,oui,renchéritKage.MaisHeylightestfiableetcourageux.Mackielemonterapourleconcours,etjenelaisseraispasmafilleavecn’importequelcheval.

—Onvalegardersurnotrelistedecandidatsprobables,ditCharles.Annaselaissaglisserdelaselleàcontrecœur.—Jen’aipasmonmotàdire?—Tongrandsourireenadéjàdittrèslong,luirétorquaCharles.Lesmotssontsuperflus.—Tudevraispeut-être luifaireessayerPortabella,déclaraunevoixessouffléeà l’extérieurde

l’arène.—Papa?(Kagesemblaitchoqué.)Qu’est-cequetufaisici…Tudevraisêtreaulit.C’étaitbeletbienJosephSaniquisetenaitlààregarder,lesdeuxmainsposéessurledessusdela

clôturedel’arène.— J’aurai tout le temps dem’allonger quand je seraimort. (Il adressa un hochement de tête à

Anna.)Portabellaestcommeçaaussi,pleined’entrain.Çaluiplairaitdepassersesjournéeslà-hautdanslesmontagnesduMontana.Çaluiplairaitbien.

—Vousavezdonnéunnomdechampignonàuncheval?demandaAnna.—SonnomestAlMazrahUhibokki,ditMateo.Ilfallaitqu’onlui trouveunnomprononçable.

Songrand-pères’appellePortBask…d’oùPortabella.—Sonvrainom,c’est…quoi?interrogeaAnna.—AlMazrah,c’estlafermed’étalonsd’oùvientsongéniteur,ditKage.OnpensequeUhibokki

veutdire«Jet’aime».D’oùAlMazrahUhibokki.LafermeAlMazrahestdansl’Indiana,etpersonneneparlearabelà-bas.Personneneparlearabeicinonplus,alorsonnesaitpasaveccertitude.Etonle

prononcesansdoutemaldetoutemanière.Josephrit,puisilfutprisd’uneviolentequintedetoux.—Papa!ditKage.—Netetracassepas,l’exhortaJoseph.Tupourraslefairequandjeseraimort.J’avaisbesoinde

sentirdenouveaul’odeurdeschevaux.Ilfermalesyeuxetinspiralaborieusement.Illesouvritpuisdéclara:—C’estlemeilleurdesremèdespourunvieilhomme.EtilfautquejeparleàCharles.Ernestine

aditquevousétiezàl’écurie.—Commentes-tuvenujusqu’ici?s’enquitKage.—J’aiprislederniervéhiculeutilitaire,répondit-il.MaisjepensequejevaislaisserCharlesme

ramener.Onpourraparlersurlaroute.(Iljetauncoupd’œilàKage.)ToietMateodevriezpeut-êtremontreràAnnaquelques-unsdesnouveauxbébés.IlparaîtquenotreKalliaaccouchéd’unepoulichequiravittoutlemonde.

ÀlademandemuettedeJoseph,CharlesattendittandisqueMateoetKageemmenaientAnnavoir

lespoulains.Lorsqu’ilsfurenthorsdevue,Charlesdemanda:—As-tubesoinquejeteporte?Çaneserapaslapremièrefois.Josephrit.—Çac’estsûr,bonsang!Commecettefameusesemaineoùj’avaisrésoludemettreàsectous

lesbarsdelaville.— Je neme souviens pas de ça, affirma Charles, l’air grave.Mais je pensais à la fois où ce

mustangt’adésarçonnéetquetut’escassélajambeàtrentekilomètresdetout.Lechevalaréussiàrentrerettonpèreetmoiavonsfiniparalleràtarecherchesousnotreformedeloup.Ilestretournédemanderdel’aideencourant,etjet’aiportélamoitiéducheminavantquedurenfortarrive.

—Vraiment?ditJoseph,hésitant.Tunet’ensouvienspas?— Quelqu’un m’a demandé de ne pas me souvenir, répondit Charles. Et je lui ai dit que je

respecteraisavolonté.Donc,non.Jenem’ensouvienspas.Josephhochalatête.—Tusais,jepensequejepourraisréussiràretournerauvéhiculeutilitaire,maisjesuissûrque

jeneseraisplusenmesuredeteparlerensuiteetça,c’estimportant.Jesuistropvieuxpouravoirdelafierté.

Charles souleva Joseph avec considérablement moins d’efforts que cette fois lointaine où ill’avait porté jusqu’à la ville, car un vieil homme frêle pesait bienmoins lourd qu’un cow-boy aucorpssec.Charlessedemandasic’étaitparcequeleshumainsvieillissaientetmouraientquesonpèrelesfréquentaitpeu.Iln’aimaitpasavoirduchagrin,maisiln’auraitpasnonplusvoulumanquerlesannéesdurantlesquellesilavaitétéamiavecJoseph.Unetellejoievalaitbienunpeudechagrin.

Les lumières de la grande arène étaient éteintes, et personne ne le vit porter Joseph jusqu’auvéhiculeutilitaire.Levieilhommeétaitallé trop loin.Mêmesi lesesprits luiavaient insuffléde laforce,sesmusclesrestésinactifspendanttroismoisd’alitementn’étaientpasaussifonctionnelsqu’ilsauraientpul’être.

Ilneditriendetoutcela,carillesavaitaussibienqueCharles.Celui-cidéposaJosephsurlesiègepassageretmontadanslevéhiculeutilitaireàcôtédelui.—Ilvafalloirquetumedisescommentdémarrercemachin,déclara-t-il.—Tuneteserspasdevéhiculesutilitairesoude4x4danstesmontagnes?demandaJoseph.Je

croyaisqu’unebonnepartiedesroutesdecampagneétaienttropaccidentéespourlespick-updansle

Montana.—C’estàçaqueserventleschevaux,luiréponditCharles,etJosephrit,mêmesiCharlesn’avait

pascherchéàêtredrôle.Avec l’aide du vieil homme, il parvint à faire démarrer le véhicule et à partir dans la bonne

direction.—Chelsea,ditJosephàvoixbasse.Est-cequec’étaitparcequejerefusaisquetumeChanges?

C’estcequepensemonpère.—Chelsea,c’étaitàcausedeChelsea,corrigeaCharles.J’auraisagidemêmesiellen’avaitpas

étéunmembredetafamille.Etparcequ’ils’agissaitdeJoseph,illuilivratoutelavérité,sihonteusefût-elle.Leconsentement

étaitunechoseimportante;çadevaitêtreindispensable.—Jesuiscontentd’avoirsuqu’elleétait lafemmedeKage,çam’apermisdelecontacterafin

d’obtenir sapermission.Mon loupadmirait l’endurancedeChelsea. Iln’yapasbeaucoupdegenscapables de s’opposer à un geis fae. Je pense qu’il aurait insisté pour qu’on Change Chelsea,indépendammentdel’avisdeKage.

Josephécoutaetdit:—C’estsacrémenttordu,ça.Maisçafinirasansdoutepars’arranger.—Jel’espère,lâchaCharles.—FrèreLoupnetenterapascecoup-làavecmoi,dis?demandaJosephsuruntonméfiant.Charlesrit,unpetitrirequisonnaitpresquecommeautrechose.—FrèreLoupadéjàcommencéàfairetondeuil.Ilseraitprêtàroulersurledosetàmourirpour

toi,maisilneferarienquitepousseraitàlehaïr,àmehaïr.Tunerisquesrien.Ilsroulèrentunpetitmoment.—J’aimebienChelsea,ditJoseph,brisantlesilencedétendu.ElletienttêteàHosteenquandtous

lesautrescapitulent.Elleestcoriace.(Ilmarquaunepause.)Mêmesijen’auraispaschoisiçapourelle.Lamortestuncadeau,Charles.

—Quandonestprêtàpartir,acquiesçaCharles.Maispasquandonatroisjeunesenfantsquiontbesoindenous.Est-ceque tupensesqu’elle elle aurait choisidemourirplutôtquededevenirunelouve-garou?

Josephneréponditpas.C’étaitunegrandequestion,etilaimaitprendresontempsavecça.—Ilestplusgentilquedansmessouvenirs,ditKagealorsqu’ilreconduisaitAnnaàlamaison.

Tonmari, Charles. Papa était si heureux quand il venait nous rendre visite,mais ilme fichait lesjetons.Mamanprenaitundrôled’airets’arrangeaitpourtrouveruneraisond’allervoirdelafamille.Parfois,ellem’emmenait.Ilmeregardaittoujourscommes’ilréfléchissaitàlameilleuremanièredemetuer.

Annaneputs’empêcherderire.—J’aidéjàvuce regard,confia-t-elle.Siçapeut te rassurer, jecroisquec’est son regardpar

défautquandquelquechoselepréoccupe.Cenesontengénéralpasdespenséesdemeurtre.Quandiltue,sonvisageestd’ordinairetrèscalme.Ondiraitqu’ilnepenseàriendutout.—Maisiln’étaitpascommeçaaujourd’hui,affirmaKage.Elle émit un son neutre, puis se reprit. Elle ne parlait pas de sonmari aux gens,mais il avait

raison,Charlesavaitétéplusgentilaveclui.—Tusaisquelestsonboulot,n’est-cepas?Kagehochalatête.

—Lemédiateuretl’exécuteurdeBran.—Exact,dit-elle.Cequi signifiequ’ilnepeut s’attacheràpersonne, tucomprends.Parcequ’il

pourraits’agird’untypequiperdlabouleetcommenceunbaindesangqueCharlesdoitfinir.C’estpire depuis le coming out des loups-garous, parce qu’à cause de ça la petite zone de flou qui luipermettaitdenepastuerabsolumenttousceuxquisortentdurangadisparu.

Kageseraidit.—Chelsean’estpastiréed’affaire,leprévint-elle.Maiselleestcoriaceetellesecontrôle,n’est-

cepas?J’aivusesenfants…Ilsontgrandiavecdesrèglestempéréespardel’amour.C’estunbonpointdedépartquandondevientunloup-garou.

—Maisçapourraitêtreluiquidevraits’occuperd’ellesiquelquechosesepassaitmal,dit-il.—Sansdoutepas,contesta-t-elle.Latâcheincomberaitàtongrand-père.—Hosteen?(Kagedéglutit.)Lui,illatueraitjustecommeça.Ellevoulutprotester,maiselleravalasesmots.ElleneconnaissaitpasHosteenetnepouvaitdonc

pasrassurerKageausujetdesesintentions.Ils roulèrent en cahotant sans parler pendant un petit moment puis, quand les lumières de la

maisonfurentenvue,Annadit:—Quoiqu’ilensoit…Charlesestendurci.Iln’apaslechoix.Lajusticeetlaloipassentavant

tout.Parceque,sansça,ilnepeutpasfonctionner.Iln’estpasprochedesgens…Seulementdesonpère,desonfrère,desasœuradoptiveetdemoi.EtdeJoseph.Çaterendimportantàsesyeux.

Illaregardacommes’iln’arrivaitpasàcomprendrepourquoielleluiavaitditça.—Tupeuxaller le trouversi tuasbesoind’aide,poursuivit-elle.C’estpourçaqu’il t’amisen

colèrecontrelui…Afinquetusachesquetunerisquesrienaveclui.HosteenadesproblèmesavecChelsea.Situvoisqueleschosesdégénèrent,appelle-nous,d’accord?Charlesn’estpasgentil.Ilnepeutpasselepermettre.Maisilesttoujoursjuste.(Ellesourit.)Etiln’apaspeurdeHosteen.

Kagehochalatête.—D’accord.Jeprendsnote.Ils se garèrent sur la place de parking à côté de la maison. Kage regagna la chambre où se

trouvaitsafemme,etAnnayallaaveclui.Chelseadormait,rouléeenbouledanslecoindulit.Ilsavaientlaisséleslumièresallumées,caril

auraitfalluaumoinsuneexplosionnucléairepourlaréveiller.Maggieétaitassisesurunechaiseàbasculeetlisaitunlivre,qu’ellereposaàlasecondeoùKage

apparut.Hosteenavaitunlivreluiaussi,maissonmécontentementétaitsiprononcéetmenaçantquelalouved’Annaluiaccordatoutesonattention.

Maggieobservasonfilspuisseleva.—Anna?dit-elle.Est-cequejepeuxavoirunmotavectoi?— Tu penses que j’ai pris la mauvaise décision ? En Changeant Chelsea au lieu de la laisser

mourir?demandaCharlesdenouveau.Ils se rapprochaient de lamaison,maisCharles dépassa l’embranchement quimenait à la voie

privée.—Sic’estcequejepense?Oui.Sonamiétaitainsi.D’unefranchisequifrisaitl’impolitesse,maisseulementavecCharles.—Etelle?(Josephémitunsonambigu,quiauraitpuêtreunsoupirs’ilavaiteuplusd’air.)Je

penseque,danslefeudumoment,elleseseraitbattuepoursavie.N’importequelgenredevie.Jepensequesituluidemandaismaintenant,ellediraitqu’elleestreconnaissante.Quantàcequ’elledira

danscinqoudixans…Ilhaussalesépaules.—Savais-tuqu’elleétaitunesorcière?demandaCharles.Josephhochalatête.—Elleme l’adit avantd’épousermon fils.Ellevoulait queMaggie etmoi comprenionsdans

quoi nous mettions les pieds. Les sorcières noires traquent les personnes comme Chelsea…Apparemment,lessorcièresinexpérimentéessontpourellesunegrandesourcedepouvoir.Elleestpresquecertainequesonpremiermariaététuéparunesorcièrequilatraquait.Elleachangédenom,aprisMaxsouslebrasetaquittéleMichiganpourl’Arizona.Jeluiaiditqu’onavaitdéjàdesloups-garous…etqu’unesorcièreçanouschangerait.

—EtMaggie?Josephsoupira.—Çaaétélapiredisputequ’onaiteue…Etjecroisbienquenil’unnil’autren’avonséchangé

unmotsurlesujet.(Ilhaussalesépaules.)Monpèreaimesedisputer,seservirdesmots.Jepensequesonapprocheestmeilleure…maiscen’estpascelledeMaggie.Onadoncgardélesilencependantunmomentetleschosessontrevenuesàlanormale.Maggiel’aimebien,maintenant.

—MaispasHosteen.Josephfronçalessourcils,l’airféroce.—Ils’attachetellementàgarderlestraditionsvivantesqu’ilnedistinguepluslevraidufaux.Il

croitquelessorcièressontmaléfiquesparcequ’elleslesontdanstoutesleshistoiresdesorcièresdesNavajos.Ilcroitencoreauxmonstresdeshistoiresquesamèreluiracontait,commelesracontaitlamèredesamère.

—C’est le propre de la sorcellerie navajo, et donc des sorcières navajos, d’êtremaléfique. Sielles ne le sont pas, ce ne sont pas des sorcières, dit Charles. Et ton père a raison au sujet desmonstres. J’en ai rencontré quelques-uns. Les pires d’entre eux sont ceux qui se fondent dans lamasse.

Josephleregardaengrimaçant.—Desmonstres,ici?—J’ai vudes skinwalkers porter des peaux d’hommesmorts afin d’avoir l’air identiques à la

personnequ’ilsavaienttuée.J’aivulaFemmeFroide,ditCharles.(Ilavaitoubliéàquelpointc’étaitfaciledeparleràJoseph.)Toiaussi.TutesouviensdelafemmedanscevieuxbaràWillcox?Cellequiinsistaitenessayantdenousconvaincretouslesdeuxdevenirchezelle?

—Oui,admitJoseph.Tuasdéclaréfermementqu’onattendaitunamiqu’onn’avaitpas.—Deuxhommesontdisparucettenuit-làetontété retrouvésmortsdans leurvoiturequelques

semainesplustard,àdeuxoutroiscentskilomètresdelà,ditCharles.—C’étaitlaFemmeFroide,dit-il.Commentl’as-tusu?—Jenel’aipassusurlemoment,jesavaisjustequ’ellen’avaitpasuneodeurd’humaine.Elle

étaitmagnifique.Alors qu’elle se trouvait dans une salle remplie d’hommes qui avaient l’air plusrichesetquiétaientassurémentplusbeauxquenous(Josephluidonnauncoupdecoude),elleajetésondévolusurdeuxcow-boyssalesetfatigués…Çasentaitlepiège.J’aicomprisquielleétaitquandles corpsont refait surface. Il n’y avait pas deblessures. Juste deuxhommesmorts assis dansunevoitureparuneagréablejournéedeprintemps,gelésjusqu’àl’os.Lemédecinlégisteasupposéqu’onlesavaitassassinésdansuneglacièreouuncongélateurcommercial,puisquelescorpsavaientétémisenscène.

—LaFemmeFroide…Pourquoinemel’as-tupasdit?demanda-t-il.

—Le temps que je comprenne, tu avais rencontréMaggie. La FemmeFroide n’était pas aussiimportantequed’autreschoses.

—Jecroisquejesuisheureuxdenepasl’avoirsu,affirmaJoseph.—Quandonensaittrop,onpeutdevenirparanoïaquetoutletemps,acquiesçaCharles.Onpeut

aussidevenirunecible.Ilsarrivèrentàl’intersectionoùlaroutedesSanirejoignaitl’autoroute.Ilfitdemi-touretrepartit

endirectionduranch.—Donc,simonpèrearaisonpourtout…Chelseaest-ellemaléfique?—Hosteen n’a pas raison pour tout. (L’ironie dans la voix de Joseph fit sourire Charles.) Et

Chelsean’estpasplusmaléfiquequetoioumoi.Ilmarquaunepause,pensif.—Quemoi,entoutcas.Encequiteconcerne,jenesaispas.Suruntonplussérieux,ilpoursuivit:—Lamagienoireauneodeurparticulière…Jelasentirais.—Ah!bien,ditJoseph.Puisilajoutasurlemêmeton:—MafemmetedemanderadelaChangeraprèsmamort.Charlesn’eutpas le tempsde sepréparer au choc. Il eut l’impressiond’avoir reçuun coupde

poing.Maggie.Il l’avait aimée autrefois. C’était une guerrière au tempérament de feu, Maggie. Coriace,

intelligente,drôle…etétonnammenttendre.S’ilfermait lesyeux,il lavoyaitencoreavecsonbeauregardvif,humideetbrillant.Letempsavaitestompébiendeschosesquis’étaientpasséesaucoursdesesannéessurTerre,maispascettenuit-là.Cettenuit-làétaitclairecommeunéclatdeverre.

—Situvoulaisdemoi,jeseraistienne,ditMaggie.Leclairdeluneadoucissaitlestraitsempreintsdepassiondesonjeunevisageetlarendaitplus

accessible.Ilsavaitcequecesmotscoûtaientàcettefemmefièrequinesepermettaitd’êtrevulnérableavec

personne.Sonenfancedifficileneluiavaitpasfacilitélatâched’accordersaconfiance.L’air nocturne étaitmordant ; celui du désert au printemps.Les planches en bois du perron de

MaggieétaientirrégulièressouslespiedsdeCharles.Ilentendaitleschevauxsauvagesquiavaientétécapturés se déplacer nonchalamment dans les enclos situés à une dizaine de mètres de la petitemaison.AinsiquelesoufflelégerdeJosephquidormait.

Elletenditlentementsesmainsrêches,etilnereculapas.Ilfermalesyeuxquandelletouchasonvisage,s’accordantledroitdesavourersoncontactréconfortant.Illuiarrivaitrarementd’êtretouchéavecamourdanssavie,etilchéritcetinstantets’enimprégna.

Elleétaitbelle,maisc’étaitsansrapportaveclaraisonpourlaquelleill’aimait.Ill’aimaitparcequ’ellerefusaitd’abdiquerdevantunmondequilajugeaitinjustementpourdeuxchoses,d’abordlacouleurdesapeaupuissonsexe.Ill’aimaitpourlajoiequeluiprocuraitlesoleilsursondosetleschevauxqu’ellemontait.Ill’aimaitparcequ’elleseriaitdudangeretdestempêtes.

Etc’étaitpourçaqu’ilavaitconsentiàcequeçaailleaussiloin.Siloinqu’ellerisquaitd’ylaissersoncœurmeurtri…Etilavaitsuqu’ilallaitleluibriser.L’enferqu’ilméritaitpouravoirinfligéçaàunefemmequ’ilaimaitn’avaitpasdenom.

Ils’écartaavecdouceur.—Tunemeconnaispas,Maggie.Situsavaiscequej’étais,tunemetoucheraispas.

Mais il la connaissait, elle. Et il savait donc qu’il n’avait aucun espoir auquel se raccrocher…Rienquipuisseexcuserqu’ill’aitlaisséecroirequ’ilpouvaityavoirdavantageentreeux.

—Jeteconnais,dit-elleentâchantdenepasmontrerqu’ill’avaitblessée.Ellenepouvaitrienluicacher,maisilnel’eninformapas.IlprotégeraitlafiertédeMaggiede

sonmieux;c’étaitplusfacilequedeprotégersonpauvrecœur.Leurpauvrecœuràtouslesdeux.—Onneseconnaîtpeut-êtrequedepuisquatremois,poursuivit-elle,maiscesquatremoissesont

comptésenjournéesdeseizeetparfoisdix-huitheures.Jeteconnais,CharlesSmith.Tuneconnaismêmepasmonvrainom,songea-t-il,audésespoir.Etjen’osepastelerévéler.Ilavaitenviedeprendrecequ’elleluioffrait,desenoyerenellejusqu’àcequ’ilcessed’êtreseul.—Jenesuispasceluiquetucrois,luidit-il.Jesuisunmenteur.J’aimentiparcequel’idéequetutedétournesdemoim’étaitintolérable.—Situmedisquetuesunmeurtrier,dit-ellefermement,jeterépondraiqueceluiquetuastuéle

méritait.Situmedisquetuesunvoleur,jen’ycroiraipas.Lesvoleursnetravaillentpasaussidurquetoi,etj’ensaisquelquechose.Monpèreétaitunvoleuretunmeurtrier…Iln’auraitpasmieuxtuémamères’illuiavaittiréuneballe.Jeconnaislemal,Charles.Etjesaisreconnaîtreunhommebien.

LesrèglesdesonpèrerésonnèrentauxoreillesdeCharles.«Nulnedoitsavoircequetues.»Ilavaitvécuassezlongtempsetenavaitvuassezpoursavoirquesonpèreavaitraison…etpourtant.Ellepensaitqu’ilétaitunhommebienalorsqu’iln’étaitpasunhommedutout.

—Tusaisreconnaîtreunhommebien,vraiment?demanda-t-il,sentantlacolèremonterenluietlatêteluitourner.

—Vraiment?demandaFrèreLoup,blesséetfurieuxd’êtrelacaused’unetelletragédie.Frère Loup aimaitMaggie, lui aussi, mais il savait qu’elle ne pouvait pas l’aimer. Qu’elle ne

l’aimeraitpas.—Alorsvois-moi telquejesuis,Margaret.Vois-moi telquejesuisetredis-moiencorequetu

m’aimes.Puis, de désespoir et de colère – conscient de ce qui allait se passer, car même si elle ne le

connaissaitpas,illaconnaissait–,ilfitcequ’ilavaitjurédenepasfaire.IllaissaFrèreLoupprendreforme,savourantl’étrangemagiequiluidonnaitlepouvoirdesemétamorphoserenunéclair.Cefutplus rapide cette fois, car il y avait bien longtemps qu’il n’avait pas permis à Frère Loup de semanifesterdanslemonderéel.

Maggie se figea. L’espace d’un instant, son visage resta dénué de toute expression, avant dedevenirblêmede terreur.Elle cria et s’éloignade lui en trébuchant, puis s’effondra et se roula enboule.Cen’étaitpasunepeurphysique,maisunepeurdecequ’ilétaitetdeceenquoiilpourraitlatransformer.LesNavajos avaientplusd’expérienceducôté sombrede lamagieque laplupartdesgens.

Josephdéboulapar laported’entréeetvitMaggieetCharles. Ilavait toujoursétévif ; il saisittoute la situation au premier coup d’œil. Fils de loup-garou, Joseph savait ce que Charles était etl’avaitsudèsledépart.

MaisJosephétaitaussilefilsdesamère,quiavaitétésieffrayéeendécouvrantcequ’elleavaitépouséqu’ellelesavaitquittésetétaitretournéeàlaréserve.JosephcomprenaitlaterreurquiavaitréduitMaggieausilence.

Joseph s’agenouilla, pritMaggie dans ses bras et la réconforta par des sons apaisants. Elle secalma,latêteenfouiecontresonépauleafindenepasvoirleloup.JosephregardaCharles.

—Donne-luidutemps,luiconseilla-t-il.Laisse-lavoirqueleloupesttoujourstoi.SiCharles l’avait écouté, sa vie aurait peut-être été différente, et celle de Joseph aussi.Mais il

n’avaitpasécouté…Ilétaitpartiencourant,conscientqu’elleseraitensécuritéavecJoseph.Quandilétaitrevenuunanplustard,iln’avaitpasétésurprisd’apprendrequeJosephetMaggieétaientmariés.

— T’est-il arrivé de songer à ce qui aurait pu se passer si tu n’étais pas parti cette nuit-là ?

demandaJoseph.Ça ne le surprit pas que Joseph ait compris à quoi il avait été en train de penser. Un homme

mourant côtoyait de très près l’esprit du monde, et des choses étranges se frayaient un passagejusqu’àlui.TantqueCharlesn’attiraitpassonattentionlà-dessus,Josephnes’enapercevraitmêmepas.

—Oui,ditCharles.Josephrit.—Est-cequetumens,desfois?—Pasàmoinsqu’ilyaitdesviesenjeu,répondit-ilàsonvieilami.—Ouais, jeme souviensdequelques-unesde ces fois, acquiesça Joseph.Maintenant que tu en

parles. (Lesilencesefitnaturellementuninstant.)Leshistoiresque j’aientenduesausujetde toietd’Anna…ellesmedisentquetuasapprisàtebattrepourcequetuveux.

Charlesrestaunmomentàréfléchiràlamanièredeformulerlavérité.—Jepensequej’aiappriscequejevoulais.Maggien’auraitjamaispuaimerFrèreLoupcomme

nousavionsbesoinqu’ellel’aime.Sistupidequecesoit,jepensequec’estpourçaquejelavoulaisàcepoint.

—Mincealors!c’est tordu,s’exclamaJoseph.Tul’aimaisparcequ’ellen’aimaitquetamoitiéhumaine.(Ilréfléchitunmoment.)Est-cequec’estcommeunesortederivalitéentrefrères?Çaveutdirequetuasunménageàtroismaintenant,espècedevieuxfripon?

Charlessesurpritàsourire.—Àquatreplutôt,tunepensespas?Annaaunemoitiélouve,elleaussi.Josephs’assoupit alorsqueCharles remontait l’alléede lamaison. IldormaitquandCharles le

porta jusqu’à l’entrée. Maggie ouvrit la porte avant qu’il ait à se demander comment il allait lafranchirsansréveillerJoseph.Ellelesuivitensilencejusqu’àlasuitedecedernieretleregardaleborder.Le tasd’appareilsmédicauxavaitétérepousséd’uncôtéde lachambreetsedressait telunrappelsilencieuxetsinistrequeletempsdontCharlesdisposaitpourparleravecsonvieilamin’étaitpasinfini.

—Tunedorspasici?demanda-t-il.Cariln’yavaitquelesaffairesdeJosephdanscettechambre.—Ilm’ademandédepartir,luiréponditMaggie.Justeaprèsquelecancerestrevenu.Ilm’adit

quej’avaisbesoindepréservermonsommeil.(Elles’appuyacontrelemuretregardaJoseph.)Ilétaitsans doute sincère. Mais à cause de la douleur il a beaucoup de mal à trouver le sommeil… Ilsomnole la plupart du temps, parce qu’il n’arrive pas vraiment à dormir. Je bouge dans monsommeil,jel’aitoujoursfait.Ilnepeutpasdormiravecmoidanssonlit.

Elles’écartadumurets’avançaverslelit.—Tupourraisdormiravecluicettenuit,luidit-il.Ilestépuisé,etladouleurnedevraitpasêtre

tropforte.—Uneffetdetamagie?demanda-t-elle.C’estbienquequelquechoseaitpuarrêterladouleur.

(ElleregardaCharles.)Jesaisqueçanedurerapas,maisj’aidumalànepast’envouloirdel’avoirlaisséseulalorsquetuauraispul’aider.Ilatellementsouffert.

Ilouvritlabouchepourluidirequecen’étaitpassamagie.Qu’ilignoraittotalementpourquoiles

espritsavaientdécidédesoulagerJosephdesonfardeauunmoment.Qu’ilsnel’auraientsansdoutepasaidéplustôt.Maisilrefermalabouchesansavoirprononcéunmot.Ellen’avaitpasbesoindelavérité.Elleavaitbesoind’êtreencolèrecontrequelqu’un,parcequelacolèreétaitplusgérablequeladouleur.Ilpouvaitbienluiaccorderça.

Elles’assitsurlelitetsefocalisasurJoseph,quidormaitcommeunenfant.—Espècedevieilidiot,dit-elle,écartantsescheveuxd’unemain.Tupensesqu’unpeudemagie

vatepermettrederemonterletemps?Pourquetupuissesdenouveausortirbriserdesmustangsetdescœursdefemme?

C’estpossible, songeaCharles.Car ilavaitmentiàKage. Ilpouvaitpousser JosephàChanger,quesonvieilamileveuilleounon.Chelsealuiavaitappriscomments’yprendre.

Soncœursaignaitencorepluspourcethommequ’ill’avaitfaitpourMaggie,etsoncœuravaitbeaucoupsaignépourelle.

—Qu’est-cequejevaisfairedetoi?demandaMaggieàsonmari.Josephneluiréponditpas,etCharlesnonplus.—Va-t’en,dit-elleenfinàCharles,lamainsurlajouedeJoseph.Commeellel’avaittouchéautrefois.Ilyavaitlongtempsdecela.Ilpartitenfermantdélicatementlaporte,etfeignitdenepassavoirqu’ellepleurait.

CHAPITRE6

Après avoir mis Joseph au lit, Charles alla s’enquérir d’Anna, qui était assise sur la chaise àbasculedans la chambredeChelsea et travaillait sur sonprojetde tricotdumoment.Hosteenétaitdanslachambre,luiaussi.Chelseaallaitavoirbesoind’unloupdominantdanslesparagespendantuntemps,jusqu’àcequ’ilssoientcertainsqu’ellesachecontrôlersalouve.Lemomentleplusdangereuxsurviendraitquandelleseréveilleraitdesonpremiersommeilprofond.

—Maggieavaitbesoind’unepause,ditAnnaenleregardant.ElleestmontéevoirJoseph.Elle se tut,maisCharles songea que c’était parce qu’elle avait commis une erreur en tricotant

pendantqu’elleleregardait,carelledéfitquelquespointsavantdepoursuivre.—Elleestlà-hautencemoment,luiannonça-t-il.Ildort.Onl’aépuisé.—Jeluiavaisditqu’ilétaitdescenduàl’écurie,luiconfiaAnna.Ellen’étaitpascontente.Maison

arenvoyéKage.Chelseasembleêtresurlepointdeseréveiller.Ilfautsortirleshumainsfragilesdelachambre,justeaucasoù.

—J’aidit àAnnaqu’une seulepersonne suffisait largementpourveiller sur le sommeild’uneautre,ditHosteen.Peut-êtresauras-tul’enconvaincre.

— Je suis très bien ici, réponditAnna. Il faut que je finisse de tricoter ça avantNoël, de toutefaçon.

—Onestenfévrier,fitremarquerHosteen.— Oui, je sais, rétorqua Anna, pince-sans-rire. J’aurais dû m’y prendre un peu plus tôt.

Maintenant,ilfautquejemedépêchedetricoterpourcompenser.Charlessongeaqu’ellenevoulaitpaslaisserChelseaseuleavecHosteen.Ilvoyaitl’influencede

Maggielà-dedans,etelleleconnaissaitmieuxquelui.Siellepensaitqu’ilvalaitmieuxnepaslaisserl’AlphadeSaltRiverseulavecChelsea,elleavaitsansdouteraison.

—Il fautque j’appellepa’,de toutefaçon,dit-ilàAnna.Restedonc icià tricoter.Jereviendraiquandj’auraiterminé.

Ilnerajoutapas:«Soisprudente.»Sonpa’recouraitsansarrêtàellepouraiderlesloupsquiseréveillaientdecefameuxpremiersommeil.Elleconnaissaitlesdangersetétaitplusàmêmedegérerleséventuelsproblèmesquelui-mêmeouHosteen.

Ildéposaunbaisersurla joued’Annaets’acheminaversleursuite.SonpèredevaitsavoirqueCharlesavaitétéàlalimited’enfreindrelaloiqu’ilsrespectaienttous.

—Tul’asChangéesanssonconsentement,proféraleMarrokàvoixbassequandCharleseutfini.

Sansm’enparler.Etc’estunesorcière-née.Comme son pa’ ne faisait que répéter ce queCharles lui avait déjà dit, il ne vit aucune raison

d’ajouterquoiquecesoit.IlsavaitaussiquesonabsencederéponseallaitagacerleMarrok,etdécidaquec’étaitméritéaprèslaréprimandeimplicitequ’illuiavaitadressée.Pa’savaitqu’ilneChangeraitjamaispersonneàlalégère.

Lesilences’étiraentreeux,assourdissant.Jusqu’àcequ’ilentendesonpèreprendreuneprofondeinspirationpuisrelâchersonsouffle.Lorsqu’ilprit laparole, ilsemblaitplusdisposéàdiscuterduproblème.

—Es-tucertainqu’elleaétéensorceléeparunfae?—Absolument,réponditCharles.Etc’étaitcelalavéritableraisondelacolèredesonpa’.Bran ne semblait pas content quand il poursuivit, mais il ne jouait pas non plus les Alphas

réprobateurs.—Tu as obtenu le consentement de sonmari, ce qui apaisera les plus rigides parmi ceux qui

appliquentlaloiàlalettre.Laplupartd’entreeuxsontassezâgéspourcroirequelaparoled’unmarisuffitpoursafemme.Jevaistedonnermapermissionrétroactive…C’étaitunesituationd’urgence.Quantaufaitqu’elleestsorcière-née,çapeutresterentrenous.Çanevapeut-êtrepasàl’encontredela loi de Changer une sorcière-née,mais c’est mal vu. Ça n’a pas de sens de rendre encore plushorribleunmonstrequil’estdéjà.

Charlescherchal’ironiedanscespropos,maisilnel’entenditpas.Çanevoulaitpasdirequ’ellen’était pas là. Bran était sorcier-né, et il se considérait assurément comme un monstre des plushorribles.Charlesaussi.Ilavaitaperçucequirôdaitsouslasurfacechezsonpa’etneverraitaucuninconvénientàneplusjamaislevoir.

—Ellen’estpasunesorcièrenoire,expliqua-t-ilàsonpa’,parcequec’étaitimportant.Elles’estbiendébrouilléepourmasquersonsangdesorcière.Jen’enaiperçuqu’unefaibleodeur,jusqu’àcequejelegoûteenlamordant.Maisc’estpeut-êtrecequiaattirél’attentiondufaesurelle.Àmoinsqu’elle ait vu quelque chose qui aurait échappé à un humain, et qu’il ait essayé de se débarrasserd’elle.

—Ilsemblequ’ilessayaitdesedébarrasserdesesenfants.Charlesgrommela.—C’estunemaniedefaedes’enprendreauxenfants.Maiselleétaitcenséesesuicider,aussi.Sonpèresoupira.—Jesupposequetuvaspartiràlarecherchedufae.Il y eut un long silence, car Charles se donnait rarement la peine de répondre aux questions

stupides.Sonpèrejuracopieusement.C’étaittempéréparlefaitqu’ils’exprimaitenécossais,unelangue

plus douce qui aurait pu induire en erreur quelqu’un qui ne le connaissait pas et nemesurait pasl’ampleurdesafrustration.Quandilpassaitàl’écossais,c’étaitlesignequ’ilétaitvraimentcontrarié.

—Çanousaprisbeaucoupdetempsdenégociercetaccord,seplaignit-il,unpeuamer.Etçanefaitmêmepassixmoisqu’ilestenplace.Monintentionétaitd’assurerlasécuritédesnôtres.

—Ils’estattaquéàdesenfants,rétorquaCharles.Ilneplaidaitpassacause,pasvraiment.Car,quoiquesonpa’dirait,iliraitàlapoursuitedufae.—Desenfantsmortels,grondasonpèresévèrement.Deshumains.Quandilpoussaungrandsoupir,Charlessutqu’ilavaitgagnémêmeavantquesonpèreparle.— La première transgression est de leur fait. Ils se sont attaqués aux arrière-petits-enfants de

l’Alpha de lameute de Salt River. Tu ne rompras pas le traité puisqu’ils l’ont déjà fait. Peut-êtrearriverai-jeàsauverlesmeubles.Trouvelecoupableetarrête-le.

—Partouslesmoyensnécessaires,clarifiaCharles.—Ils’agitd’unfaecapabled’obligerunefemmeàtuersesenfants,assenasonpa’.Ensupposant

qu’ellenenourrissaitpasledésircachédelestuer…—Non,ditCharles.Bienaucontraire.—Encecas,c’estunfaepuissant.Lecontrôlemental,forcerunepersonneàagiràl’encontrede

sanatureetàexécuterunetâchespécifique,àplusforteraisonunetâchequilarépugne,c’estrare.

C’estrareendehorsdel’En-Dessous,entoutcas.Ceseraitstupidedelaisservivreunennemipareil.Trouvecelui-ciettue-lesitulepeux.(Ilricanapourlui-même.)Jem’occuperaidesSeigneursGris.Toi,vatuercequis’attaqueauxenfants.EtdisàHosteenquejet’enaidonnél’autorisation.

Ilmarmonna:—Nonpasqu’ilauraitattendumonapprobation,detoutefaçon.LeMarrokmitfinàlacommunication.Charlesrelâchalesépaulesafind’atténuerlatensioncauséeparl’impatiencedeFrèreLoup.—Jet’avaisditqu’iln’auraitpasd’objection,murmura-t-il.Ilssemettraientenchasse,maisilsallaientdevoirêtrepatientsetméthodiques.Chasserunfae,ce

n’étaitpascommechasseruncerfouunélan.Ledéfiétaitplusgrand…etplusgratifiant.Puissontéléphonesonna.—Tun’avaispasremarquéqu’elleétaitsorcière-néeavantd’avoirgoûtésonsang?demandason

père.—Tupeuxpartir,annonçaHosteenàAnna.Ilavaitpasséleplusclairdesvingtminutesquis’étaientécouléesdepuisqu’ilavaitrenvoyéKage

etMaggieàarpenterlachambred’amis,s’interrompantbrièvementquandCharlesétaitentré.Peut-être par hasard, il s’immobilisa juste entreAnna et le lit oùChelsea dormait du sommeil

comateux caractéristique du Changement d’humain à loup-garou. Les mains sur les hanches, ildévisageaAnnaetattenditqu’elleobéisse.

LesAlphasavaientl’habitudequelesgensleurobéissent.Annahaussalesourcilàsonintentionetcontinuadetricoter,sebalançantsurlachaiseàbascule

en bois foncé qui était beaucoup plus confortable qu’elle en avait eu l’air quand elle s’était assisedessus.Tricoterétaitnouveaupourelle.

Elleavaitcommencéparcoudredesdessus-de-litenpatchwork.Elleadoraitletoucheretl’aspectdutissu.C’étaitcommecréerdesvitrauxavecdel’étoffe,etc’étaitunebonneentréeenmatière.Lescours hebdomadaires qu’elle avait suivis avec l’un des tenanciers de la petite boutique de loisirscréatifs àAspenCreek lui avaient ouvert les portes d’un tout nouveaumonde.Elle avait trouvé letricotparticulièrementutile,carilluidonnaitdequois’occuperpendantqu’ellepatientait.

—Jeneluiferaipasdemal,insistaHosteenenindiquantlelitd’unsignedelatête.— D’accord, répondit Anna tout en continuant à travailler sur le pull qu’elle tricotait pour

Charles.Leprécédentlaissaitàdésirer,etelleétaitbiendécidéeàmieuxréussircelui-ci.Ilétaitrouge,la

couleurpréféréedeCharles.Ellen’étaitpasencoreprêteàselancerdansdesmodèlessophistiqués,maisjusque-làlepullressemblaitàl’imagedanssonmanuel,cequiétaitencourageant.Enfin,sil’onexceptaitlespetitstrousbizarresquiseglissaientçàetlà.

—Pars,exigeaHosteend’unevoixchargéedepuissance.Elleleréprimandad’unclaquementdelangue,mêmesicen’étaitpasdiplomatique.Maisellene

se sentait pas d’humeur très charitable vis-à-vis de ce loup-garou qui la pensait stupide. Anna lesentaitquandquelqu’unessayaitdemanipuler lavérité.Çanechatouillaitpassessensmagiquesdelouve-garou,maissabonnevieilleaptitudeàdécrypterlelangagecorporelsuffisaitamplement.Biensûrqu’ilneferaitpasdemalàChelsea;lamortpouvaitêtreindolore.

L’idée queHosteen pourrait tuerChelsea ne lui était jamais venue à l’esprit.Déjà et d’une, unmeurtreétaitunmeurtre,mêmechezles loups-garous.MaisKages’étaitmontréinquiet,etMaggieavait beaucoup insisté. Les actes de Hosteen depuis n’avaient pas été franchement subtils. Elle ne

connaissaitpasChelsea,maisellenepermettraitpasquequelqu’unsoitassassinésoussagarde.—Charlesm’ademandéderesterici,dit-elleplutôtquedemettreHosteenfaceàsonmensonge.

Tun’espasmonAlpha…Et,mêmesitul’étais,ilnepeutpasmeforceràquoiquecesoitnonplus.Ellesetapotalapoitrineavecl’unedesesaiguillesenchantantàmoitié:—Omega.Moi.Reprenantsavoixnormale,elleajouta:—En tant que louveomega, je ne ressens pas le besoin impérieuxde t’obéir. Pas du tout. Pas

mêmeuntoutpetitpeu.Net’inquiètepas,çarendleMarrokfouaussi.Ilyavaitencoreundecesdrôlesde trousdans larangéedepointsparailleurssoignéequ’elle

venaitdeterminer.—Quecrois-tuque jevais lui faire?demandaHosteen.Elleest lamèredemesarrière-petits-

enfants.Annasoutintsonregard.—Pourquoitiens-tutantàêtreseulavecelle,encecas?Iltressaillitàsonair.—Cen’estpaslapeinequ’ilyaitdeuxloups,répondit-il.Jepeuxdisciplinersalouve.Etexcuse-

moi,maistun’espasunmembredelafamille.— Je peux l’aider à se discipliner elle-même, lui rétorqua-t-elle, parce que je suis une louve

omega.(Ellesetutetlevadenouveausontricotdevantelle.Ilyavaitunautredecesstupidestrous.)Maiscen’estpaspourçaquejesuisici.Jesuisicipourlaprotégerdetoi.

PouruneraisonquiéchappaitàAnna,illuitournacomplètementledos.ElleavaitremarquéquelesloupsomegassuscitaientdesréactionsétrangeschezlesAlphas.Ilavaitpeut-êtrehonte,oubienils’efforçaitdecalmersonénervement.

—Lessorcièressontmaléfiques,éructa-t-ilsansseretourner.Ildisaitlavéritétellequ’illaconnaissait.Tellequ’Annalaconnaissaitelleaussi,pourl’essentiel.—C’estcequej’airemarqué,acquiesça-t-elle.Ilseretournaverselle,visiblementsurpris.Detouteévidence,ilavaitdûavoiraffaireàunidiot

quiavait contestécepoint.Annan’avaitpas rejoint lemondesurnatureldepuis longtemps,mais lapersonnelapluseffrayantequ’elleavaitrencontrée–autrequeleMarroklui-même–avaitétéunesorcière.

—Laplupartd’entreelles,entoutcas,poursuivit-elle.Maisçasevoitquandellesontchangédecamp.

Ellesetapotalenezavecleboutd’unedesesaiguillesetseremitautravail.—Touteslessorcièressontmaléfiques,luidit-il.Ellefitlamoue.—Afructibuseorumcognoscetiseos.—«Àleursfruitstulesreconnaîtras»?(Iln’avaiteuaucunmalàcomprendresonlatin…Elle

avaitdûs’améliorer.)Elleaessayédetuersespropresenfants.C’estça,sesfruits.—Non,répondit-ellepatiemment,mêmesiellenesavaitpasbienpourquoiellesedisputaitavec

lui.KageetChelseaétaientmariésdepuisassezlongtempspouravoireudeuxenfants.Sisonpropre

petit-filsn’avaitpasréussiàfairechangerHosteend’avis,ellen’yparviendraitsansdoutepas.SonboulotsebornaitàassurerlasécuritédeChelsea.

—Tulesais.Ellen’apastuésesenfants,alorsqu’elleétaitsousl’emprised’unpuissantsortilègefae.Charlespensequec’estsonsangdesorcièrequiluiapermisderésister.Lesfaesnerompentpas

leurssortilègesavec«dusangetdelasalive»,c’estuntrucdesorcière,ça.Elles’estpratiquementvidéedesonsangpours’empêcherdeleurfairedumal.Ça,d’aprèsmoi,c’est tout lecontrairedemaléfique.

Aprèsunmomentdesilence,Hosteenvintauprèsd’elleets’accroupitdevantlachaiseàbascule,latêteàlahauteurdelasienne.

—Tut’yprendsmal.Ellehaussalesourcil.—Letricot,luisignifia-t-il,l’airtoujourssérieux.(Illuiindiqualedébutdepullqu’elletricotait

pourCharlesd’unsignedumenton.)Ilyadestrous.Tuaslaissétonfildelainesemettreentraversdetontricot.C’estpourçaquetun’obtienspasunmotifrégulier.

Anna leva son tricot pour l’examiner, comme si elle n’avait pas déjà remarqué ces stupidestrous…Septentout,disséminésàdroiteetàgauche.

—Tun’espasattentiveàtonfildelaine,expliqua-t-il.Çanousarriveàtousdetempsentempsd’êtretellementobnubiléparl’idéedebienfairequ’oncommetdeserreurstoutesbêtes.Sitonfildelaineestdevantetentre tesaiguilles, tuvas tricoter tamailleà l’envers.Çalaisseuntrou.C’estunpointquiexiste,d’ailleurs…Ças’appelleunjeté.

—Nomd’unchien,dit-elle.C’estdelàqu’ilsviennent,cespetitstrucs.Ileutunrirelas.—Tusaistricoter?demandaAnna.Elleallaitdevoirtoutdéfairejusqu’auxpremiersrangspoursedébarrasserdestrous.Hosteenhochalatête.—Mamèrem’a appris à tisser.Çameplaît…Laplupartdes tapisque tupeuxvoirdans cette

maison sont demoi.Mais il faut unmétier à tisser, et c’est bien parfois de pouvoir s’occuper lesmains.J’aidoncapprisletricot,lecrochetetlepointdecroix.

—JecroyaisqueletissageétaittraditionnellementuneactivitédefemmechezlesNavajos?Ilricana.—Leshommesnavajosfaisaientcequ’ilyavaitàfaire…Toutcommelesfemmes.Annasoupira,regardalesquelquescentimètresdepullqu’elleavaitréussiàtricoter,puistirasur

lefildelainepourlesdéfaire.Hosteensoupiraaussi,unsoupirpluslégerqueceluid’Anna.—Est-cequetupensesqueceseraitpossiblequetuaiesétésiobnubilépartondevoirdeprotéger

tameuteettafamillequetuauraiscommisunepetiteetcrucialeerreurdejugement?demanda-t-elleavecdouceur.

Hosteenaffirmaalors:— D’après mon expérience, soit les sorcières sont maléfiques, soit ce sont des victimes qui

attendentqu’unedesleurslesremarqueetselanceàleurpoursuite.Etquandçaarrive,beaucoupdegensquitenaientàlasorcièreblanchemeurentaussi.

—D’accord,acquiesçaAnnasansrésistance,veillantàregarderletricotàmoitiédéfaitsursesgenouxplutôtquel’hommedevantelle.

Ellenevoulaitpas lemettremalà l’aisealorsqu’ilcommençaità luiparlersincèrement,maiselle n’allait pas non plus lui permettre de croire qu’elle avait baissé les yeux pour lui. Ça n’avaitaucunsensdelelaisserpenserqu’ilétaitsonchef.

—Je suisd’accord, pour l’essentiel, poursuivit-elle. Je connais exactementquatre exceptions àcetterègle:Charles,leMarrok,Samuel,etunesorcièreàSeattle.

—Branetsesfilsnecomptentpas.Siunesorcièreestsuffisammentpuissantepoursedéfendre,

çaveutdirequ’elleasacrifiéquelqu’unpourça,rétorquaHosteensanséquivoque.—Unsacrifice,oui,concédaAnna.Maislasorcièrequejeconnaisapréférépayerleprixdeson

pouvoirelle-mêmeplutôtquefairedumalàquelqu’und’autre.Ellen’estpasmaléfique,etelleesttrèspuissante.

C’étaitdécourageantdevoiràquellevitesseledébutd’unpullsechangeaitenpiledelaine.Elleprit la pelote et commença à rembobiner le fil, prenant soin de ne pas l’étirer tandis qu’ellel’enroulaitautourdelapelote.

—Pourquoipenses-tuqueleMarroketsesfilsnecomptentpas?—Cesontdesloups-garous,répondit-il,mordantàl’hameçon.Elleavaitapprisàdébattregrâceàsonpère,untrèsbonavocat.«Laisse-lesvenird’eux-mêmessur ton terrain si tu lepeux, luiavait-ildit. Ils seconvaincront

bienmieuxtoutseuls.»Annaregardal’AlphadeSaltRiverd’unairneutre.PuiselleregardaChelsea,quicommençaità

paraîtreplusjeune.Lespattes-d’oies’estompaientautourdesesyeux,etsapeaubronzéeparlesoleild’Arizonaétaitdevenuepluspâle.EllenevoyaitaucunedesentaillesqueChelseas’étaitinfligées,lapluparts’étanttrouvéessursoncorps,recouvertparundessus-de-lit.Mais,silalycanthropieeffaçaitlessignesdel’âge,Annasupposaitqu’elleavaitdéjàdûeffacerlesautresmarquesaussi.

Annanesoulignapasl’évidence.—Devieuxloups-garous,gronda-t-il.Quilesontdepuislongtemps.—Quiétaientautrefoisdejeunesloups-garous…sorciers-nés,luidit-elle.Etpasmaléfiques.—Êtremaléfique, c’est aller à l’encontre de la nature des choses, de la façon dont les choses

devraient être, lui énonça-t-il avec une sincérité douloureuse. Le mal serpente et sent le sang, lamaladieetlamort.Jesuismaléfique,moiaussi.Jelecombatschaquejour,cemalquim’habite.Maisjecrainsqu’ilsesoitemparédemoncœuretmetentedeforcerlamainàmonfilsafinquejenemeretrouve pas seul. Je le combats. Mais j’ignore si elle le fera. Comment peut-on combattre deuxmonstresdanssoncœuretensortirvainqueur?

Ilparutlégèrementsurprisparsespropresparoles,maissurtoutatterrédeluienavoirditautant.Onnepouvaitpastoutàfaitdirequ’Annaavaitprisl’habitudequedesloupsd’ordinairetaciturnesouinhibésluiconfientsoudainleurspenséesintimes,maisçaavaitcessédel’étonner.Ilsluiparlaientdeleurdouleuroudeleurchagrin,carleursloupssavaientqu’elleneconstituaitpasunemenace.

Face au désarroi deHosteen, elle décida qu’en plus de la couture et du tricot il fallait qu’elleapprenneàdonnerdesconseils.Silesgensvenaientluilivrerleursafflictionslesplussombres,ellesedevaitd’êtreenmesuredelesaider.Enattendant,ellenepouvaits’enremettrequ’àsonintuitionetà la sagesse accumulée au cours de ses vingt et quelques années de vie sur cette planète pourconseillercethommequiavaitcinqfoissonâge.

—Nousportonstousennouslesgrainesdel’enfantquenousavonsété,dit-ellelentement.Lesconceptsdebienetdemal,lecomportementqu’ondoitadopter.Charlesneprononcepaslenomdesmortss’ilpeutl’éviter.

EncequiconcernaitCharles,elleavaitl’intimeconvictionquecetabouétaitjustifié.Sesfantômesétaientdangereux.

— Les traditions de la culture au sein de laquelle nous sommes nés continuent de nousaccompagner,mêmesinousvivonsaussi longtempsqueBranou leMaure.Certainesdeces idéessont justes et bonnes, mais d’autres relèvent de modes de survie dépassés. Comme l’idée que leshommesnedevraientnitisser,nitricoter,ni…porterduroseetdesfleurs,àmoinsquecesoitsurunechemisehawaïenne.Touteladifficultésemblerésiderdansletriqu’ondoitfairedanscesidées.

— Tu penses que le monstre que je vois en Chelsea est un résidu d’une sorte de mémoireculturelledésuète,s’enquit-ild’unevoixneutre.

—Oh!non,réponditAnna,suruntonsicatégoriquequ’ellefaillitgrimacer.(Ellepoursuivitplusprudemment.) La plupart des gens abritent un monstre. Pas juste les loups-garous ou les faes, laplupart des gens.Cemonstre n’a rien à voir avec notre loup, si ce n’est que le loup le rend plusdangereux.C’estunmonstrenédenosdésirségoïstesetdesblessuresquelavienouslaisseàtous.Que la durée de ces vies soit de quelques décennies ou de quelques siècles, on ne vit jamais sansconnaîtrelasouffrance,etcertainesdecesblessuresneguérissentpasoupastotalement.

Elleavaitsonpropremonstre,non?Sespropresténèbresqu’elles’efforçaitdegardercachées.Unmonstre d’une férocité qui surprendrait son compagnon, né d’un sentiment d’impuissance quis’étaitrenforcéquandelleavaitcomprisqu’ilyavaiteudel’aidequil’attendaitmaisqu’ellen’avaitpassucommentl’atteindre.

Ellecachaitcemonstreàtoutlemonde,carCharlesseraitblessés’ilsavaitqu’elleportaitencoreces cicatrices.Mais puisqu’elle en était à admettre ses faiblesses, ne serait-ce qu’à elle-même, elles’inquiétaitaussiqueçainterfèreavecl’imagedelapersonnequ’ilpensaitqu’elleétait.Il lavoyaitcommequelqu’unde courageux,d’authentiqueetdebon, et cen’était pas cequ’elle était.Au fondd’elle,elleétaitsombreetféroce.S’ilcomprenaitréellementqu’elleavaitcetteparttorturéeetbrisée,peut-êtrenepourrait-ilpasl’aimer.

Maiscen’étaitpasd’elledontilétaitquestion.Hosteenavaitbesoindevoircequ’elleportaitenelle,afinqu’ilcomprennequ’iln’étaitpasseul.Ainsi,ilnesesentiraitpashumiliéausouvenird’uneconversationoùilluiauraitconfiétantdechosesetoùelleneseseraitpasexposéedelamêmefaçon.Ellelaissadonclesténèbresl’empliretleregardadanslesyeux.

Ileutunmouvementdereculinvolontaire.Elles’arrêtaetravalacesmorceauxbrisésd’elle-mêmejusqu’àcequ’ilssoienthorsdevue,làoù

ellelesgardaitcachéstantqu’ellen’avaitpasbesoindepuiserdanscetterageetcettecruauté.—Nousnousbattonstouspourêtremeilleursquenosinstinctsprimaires,Hosteen,luidit-elle,la

voixunpeurauque.—Ques’est-ilpassé?demanda-t-il.Ellevitl’instinctprotecteurdel’Alphaseréveiller;cen’étaitpaslaréactionàlaquelleelles’était

attendue.—Penses-tuqueCharlesn’auraitpasréglétouslesproblèmesauxquelsj’aipuêtreconfrontée?

demanda-t-elle.Ilhochalatête,l’airgrave.—Chicago.J’aientendudirequeCharlesatuéLeoàcausedelafaçondontiltraitaitunelouve

quivenaitd’êtreChangée.(Ilmarquaunepause.)C’estdeçadontilparlaitpendantledîner.Elleétaiten traindeperdre lecontrôlede laconversation ; ilétait tempsde la remettresur les

rails.— Leo n’a pas combattu son monstre. Il n’y a pas que les sorcières qui sont tentées par les

ténèbres.Quand les loups-garous que nous sommes échouons à contenir cemonstre, c’est à notremeutequ’il incombedeveiller à cequ’onne fassedemal àpersonne.C’est ànotreAlphaque çaincombe,envérité.PourChelsea,ceseratoi.

Ilhocha la tête.Sa responsabilité.Elleavait remarquéque lesAlphasétaientdespersonnes trèsresponsables.C’étaitça,laclé.Laraisonpourlaquelleilsesentaitledevoirdes’occuperdeChelsea,c’est-à-diredel’exécuter.

—Maisonn’échouepastous,n’est-cepas?poursuivit-elleàvoixbasse.Beaucouptropd’entre

nouséchouent,oui,maispastous.(Elleregardalafemmeinconsciente.)FrèreLoupestd’avisqu’ellen’échouerapas.C’estpourçaqueCharlesl’aChangée.Cen’estpasparimpulsionqu’ilaagi,maisparintuition.Sonintuitionestplusfiablequecelledelaplupartdesgens.

Hosteenselevaetregardasabelle-fille.—Elleaducaractère,avoua-t-il,puisilsouritunpeu.Jamaispersonnenem’avaittenutêtetout

enm’écoutant,jusqu’ici.TudoisrendreBranfou.Tuécoutesettutiresunpeu,puistuécoutesettupoussesunpeu,ettufinisparmepersuaderdenepasfaire…

—…cequetun’asjamaisvoulufaire.(Annafinitderembobinersalaineetseremitàtricoter,surveillantattentivementdequelcôtédesontricotlefiltombait.)Monpèredittoujoursqu’ilestplusfaciledeconvaincrequelqu’und’unechoseàlaquelleilveutdéjàcroire.

—ElleasauvélesenfantsdeKage.Il tendit lamain et toucha la joue deChelsea.Elle s’agita à son contact, puis se tranquillisa. Il

laissalamainoùelleétait.Anna se raidit. Elle était trop loin pour l’arrêter, en supposant qu’elle le puisse.Mais elle ne

pensaitpasavoiràlefaire.IlinclinalatêteetregardaAnnapar-dessussonépaule.—Tu…Ils’interrompitnet.SansdouteparcequeleMarrokluiparlait,àluiaussi.Anna, sors de là. La transition de sorcière à louve ne se fait pas toujours en douceur pour les

sorcières-nées.Sielleétaitassez fortepoursecacherdu loupdeCharles,elle l’estassezpourêtredangereuse.Etassezpoursecachersic’estunesorcièrenoire.Charlesarrive,mais toietHosteendevezsortird’icitoutdesuite.

Ellenepouvaitpasluirépondre.LeMarroknel’entendraitpas.Hosteenlaregarda.— A fructibus eorum cognoscetis eos, lui renvoya-t-il à voix basse. Es-tu toujours aussi

convaincuedeça,maintenant?Quepenses-tuqueleMarrokademandéàCharlesdeluifaire?Quepeut-ilfairequetoietmoinepourrionspas?

Annareposasontricotets’avançaverslelit.LesommeildeChelseaétaitagitédepuisunedemi-heure.LemessagedeBranavaitdéclenchéunpicd’adrénalinechezAnnacommechezHosteen,etcefutsuffisant.LerythmecardiaquedeChelseas’accélérait;Annasentaitmonterl’odeurdesapeuretdesafrustrationd’êtreimpuissanteenunevagueprêteàdéferler.Aprèscepremiersommeilprofond,il était fréquent que la mémoire des nouveaux loups-garous les ramène quelques secondes avantl’instantoùilsavaientétémordus.C’étaitpourcetteraisonqu’ils’agissaitd’unmomentsidangereux.

Elle prit une dernière inspiration profonde alors que la chambre s’emplissait de magie…beaucoupdemagie.Branavaitraison;ChelseaSanin’étaitpasunesorcièrefaible.Loindelà.

ChelseaseredressaensursautetdévisageaHosteensanslereconnaître,leregardfou.Paniquée,elles’accroupitetpoussauncri involontaire,unbruitdiscordantquiévoquaitunloup.L’airdevintsoudain difficile à respirer dans la chambre, comme si la magie avait remplacé l’oxygène enredoublantdepuissance.

Anna soutint le regard deHosteen puis, inondant la chambre de son propre pouvoir unique etsingulier,elleluimontracequ’êtreuneOmegavoulaitvraimentdire.

Charlesbonditenbasdesmarchesdel’escalier,conscientdeprendreKageparsurprisequandil

atterritàcôtédufilsdeJosephplusbruyammentqu’ilselepermettaitd’habitude.MaisàcetinstantprécisCharlessesouciaitdavantaged’êtrerapidequediscret.

IlouvritàlavoléelaportedelachambreoùHosteenavaitcachélafemmedeKage.Etfitunbondenarrièrecommeunchatéchaudé,presqueavantdesentirlamagied’Annasursapeau.

— Salut, Charles, bredouilla Hosteen comme s’il était ivre. (Il était appuyé contre le mur àl’opposédel’endroitoùAnnaavaitlaissétombersontricot,unenchevêtrementrougefoncédelaineetd’aiguilles.)Joins-toiàlafê-teuh.

PuisHosteengloussa.AnnajetaàCharlesunregardd’impuissance,ledostournéverslalouve-garousurlelit.CharlessouritàAnnadepuislepalieràtraverslaporteouverte,maisilnes’approchapasplus.

FrèreLoupavaitenvied’entreretdeseroulerdanslepouvoird’Annacommeunchatdansdel’herbeàchat,maisCharlesleretint.Sil’attaquedontChelseaavaitétévictimeavaiteulesloups-garouspourcible,quelqu’undevaitêtreprêtàdéfendrelesgensdanscettemaison.CeneseraitpasHosteen,pasavantquelquesheuresdumoins.Ets’ilentraitdanslasphèred’influencedesafemme,ceneseraitpasCharlesnonplus.

Kagedébouladanslecouloir,pasàlavitessed’unloup-garoumaisàcelled’unathlètehumain.IljetaàCharlesunregardintrigué,maisentraencourantdanslapiècesansralentir.

Kageétaithumain.Çairaitsansdoutepourlui.C’étaitsurlesloups-garousdominantsquel’armelaplusredoutabled’Annafonctionnaitlemieux.Surtoutsurlesloups-garousdominantsdontleloupétaitperturbécarsamoitiéhumainerestaitconvaincue,aprèsavoirétéloup-garoupendantunsiècle,que le loup était une chose maléfique. Charles pensait en tout cas que ça pouvait expliquer uneréactionaussiextrêmedelapartdeHosteen.

—Petit-fils,entonnaHosteen,solennel.J’aidécidédelaisserlavieàtafemmejusqu’àcequ’ellefassequelquechosedemal.

Une femme queCharles ne pouvait pas voir depuis le couloir ricana.Ce n’était pasAnna, quiadressaunegrimaceàCharlescarellesavaitquetoutçaallaitsepayercherlelendemain.Ilssavaienttousdeuxqu’unloupcommeHosteenneluipardonneraitpasfacilementdeluiavoirfaitça.

—Quelquechosedemal,dit l’autrefemmequinepouvaitêtrequeChelsea,mêmesielleavaitunevoixbiendifférentedelafemmequ’ilavaitentenduparlerpendantledîner.(Intentionnellementounon,elles’exprimaitsuruntonthéâtralteintéd’humour.)J’aimeraistefairedumaltoutdesuite,espècedevieilenfoiré.Maisj’aimeraissurtoutfairequelquechosedemalavecmonchéri.

Elleavaitunevoixdétendueetaguichante.—Chelsea?ditKage,scié.Charles nepouvait pas voir la femmede là où il suivait la scène, et il ne se rapprocherait pas

davantage tant que l’effet ne se serait pas un peu atténué. Le niveau de stress de Hosteen pouvaitexpliquer que l’Alpha glousse,maisCharles trouvait Chelsea bien atteinte elle aussi. Il n’était pasexcluqu’Annaaitplusforcéqu’àl’habitudesurladosedeson«superpouvoird’Omega»,commeelleaimaitl’appeler.

Annaseraclalagorge.—Parfois,lesgensseréveillentunpeuexcitésdupremiersommeilquisuitleChangement.Iln’y

apasdequois’inquiéter,etengénéralça…IlyeutunmouvementsubitquipoussaCharlesàavancer,mêmes’ilavaitconsciencedudanger

qu’il courait en se rapprochant tropd’Anna.MaisChelsea s’écroula sur leparquet, enfindans sonchampdevision.Elleétait tombéeendouceur, lesmusclesdécontractés,et restaétendue làoùelleavaitatterrienregardantsonmariavecunsouriresatisfait.

Charlesseressaisitetbattitenretraite.—…retombe,poursuivitAnnavaillamment,quandilsessaientdebougeretserendentcompte

qu’ils doivent apprendre à gérer desmuscles plus puissants et réactifs que ceux auxquels ils sonthabitués.C’estunebonnediversion,cariln’estpasjudicieuxd’expérimentercetteforceaccrueparlebiaisdusexe.Laplupartdesgensreviennentàlanormaleauboutd’unjouroudeux.

Kages’accroupitàcôtédesafemmeetluitouchalajoue.Charlesnevoyaitpasl’expressiondesonvisage,maisiln’eutaucunmalàlirel’amouretlesoulagementdansl’inclinaisondesatêteetlerelâchementdesesépaules.

—Hé!petitlapin,dit-ild’unevoixrauque.Çava?Chelsealeregardaenclignantdesyeux,puisellecontractalecorpsentier.—Lesenfants…je…lesenfants.Kage?—Ilsn’ontrien,luirépondit-il.Ilssonteffrayés.Maisilsn’ontrien.Ilssesontendormisilyadix

minutes.Ernestinerestedanslasuiteaveceuxcettenuit.Chelsea luttait pour rester concentrée, mais le pouvoir d’Anna la submergeait. Qu’Anna ait

presqueautantd’effetsurellequesurHosteenrévélaitàquelpointsalouveallaitêtredominante.Àmoinsqu’Annanesoitdevenueplusforte.Chelseasedétenditetunsourireadoucitsonvisage.

—Cet enfoiré voulaitme tuer, annonça-t-elle, pointant un doigt tremblant surHosteen. Je l’aientendu.

—Voulais pas, dit Hosteen. (Il semblait parler tout seul.) Ce n’est jamais une bonne chose dedevoirtuerlamèredesesarrière-petits-enfants.Çapourraitlesmarqueràvie.(Çan’avaitpasl’airdeledérangerbeaucoup.)Maisc’estcommetricoter.Jenesuispasobligé.Pastantquetunefaisriendemaléfique,sorcière.

KagetournalatêteetregardaHosteen.Sonhostilitéselisaitdanschaquelignedesoncorps.—Àvraidire,déclaraAnnaàvoixbasse,jepensequ’ilcherchaitvraimentuneraisondenepas

latuer.Vraiment.Çan’auraitpasétésifaciledel’endissuadersinon.Hosteengloussadenouveau.—LeMarrokm’aditdelefaire.Alorsquej’avaisdécidélecontraire.Ilaparlédansmatête.Je

détestequandilfaitça…C’estagaçant.Jemesuisdit,«Flûte!vieilhomme,situveuxquequelqu’unse charge de ton sale boulot, demande àCharles. Je n’ai pas l’intention de détruirema famille enexécutanttesordres.»

Soupirantdebonheuretde satisfaction, il se laissaglisser le longdumur jusqu’à se retrouverassisparterre,lespiedstendusdevantluipresqueaupointdetoucherlescheveuxdeChelsea.

IlregardaAnnaetessayadefroncerlessourcils.—Qu’est-cequetum’asfait,fillette?Jenemesuispassenticommeçadepuis…depuis…depuis

quej’avaissixansetquemonpèrem’adonnéunverredewhiskeyàboireavantdemeremettrelepoignetenplace.Unchevalm’avaitdésarçonnéetonvivaitenrasecampagne.Mama’nesefiaitpasàcesdocteursblancsdelaville,detoutefaçon.Ilsneconnaissaientpaslesespritsmaléfiques,ilsnesavaientpaschanterpourqu’ilssortentd’uncorps.Doncmonpa’l’aremisenplace.Çamelançaitdrôlementcertainsjours.Maisplusdepuisquejesuisdevenuunloup-garou.

—Queluiest-ilarrivé?demandaKageàAnna.Jenel’aijamaisvucommeça.Jepensaisquelesloups-garousnepouvaientpasêtreivres.

Chelseatenditlamain,attrapasonmarisurprisparlanuqueetattirasatêteverslasienne.—CharlesCornick,l’appelaMaggieàvoixbassejustederrièrelui.Charles se rendit comptequ’il s’était trop avancédans la chambre, carMaggie l’avait pris par

surprise.S’iln’avaitpasétésousl’influenced’Anna,personnen’auraitétécapabledeserapprocherdeluiendouce,encoremoinsunehumaine.IltournalatêteetvitMaggie,quileregardaitd’undrôled’air.

—Jecroisquejenet’avaisjamaisvurirecommeça,dit-elle.Anna se réveilla péniblement, ses aiguilles à tricoter sur les genoux. Ellemit unmoment à se

rappelerpourquoielledormaitsurunechaiseàbascule,avecCharlesrouléenbouleàsespiedssoussaformedeloup.

Chelsea continuait de dormir. Elle était restée éveilléemoins d’une demi-heure, et avait passél’essentieldecetemps-lààmanger.Quandelles’étaitrendormie,Kageavaitescortésongrand-pèreencore perturbé à l’étage.Maggie était retournée dans la chambre de Joseph dès qu’elle avait eul’assurancequ’iln’yavaitpasdequois’inquiéter.

Kageétaitdescenduvoircommentallait sa femme,etAnna l’avait renvoyéendouceurdanssaproprechambre.

—Pasdesexe,luiavait-elleredit.PasavantqueChelseaprennevraimentlamesuredesaforce.Etçasignifiequevousdevezdormirdansdeslitsséparés,carleChangementvabeaucoupaccroîtrelalibidodeChelsea.

Ilavaithochélatête,touchélevisagedesafemmeetsouriquandelles’étaitavancéeversluisansouvrirlesyeux.

—Vousveillerezsurelle?—PuisqueAnnaaneutralisélaseuleautrepersonnequiauraitpus’encharger,oui,onresteraici,

ditCharlesavecironie.—Commentas-turéussiça?demandaKage.Ellehaussalesépaules.—Jesuisunelouveomega.J’aiuneffettranquillisantsurlesautresloups-garous,maisjedois

admettrequejen’avaisjamaisrienvudetelquecequiestarrivéàHosteen.—Jen’avaisjamaisrienvudetelnonplus.(Ilhésitasurlepasdelaporte.)Çavaallerpourelle?Charleshochalatête.—Pourcettenuit,toutestenordre.Kageétaitpartiensuite.ElleavaitéteintleslumièresetCharlesavaitprislaformedeFrèreLoup,

puis il s’était installé à ses pieds et les avait gardés au chaud sous son épaisse fourrure.Elle avaittricotéunmoment;savueétaitassezbonnepourqu’elleyparvienne,mêmedanslenoir.Elleavaitdûfinirpars’endormir.

Charless’agita,sedressaets’étira.—Jelesentends,luiassuraAnna.Elleavaitététiréedesonsommeilparletapagequequelqu’unfaisaitdanslacuisine.ElleallavoircommentseportaitChelsea,maislanouvellelouvedormaitprofondément.—Ça ne risque rien si on la laisse le temps de se changer et se rafraîchir ? demanda-t-elle à

Charles.Enguisederéponse,ilsortitlepremierdelachambreetmontajusqu’àlaleur.Pendantqu’ellese

douchait, il troquasesvêtementspoursonlookpréféré,unjeanuséetuntee-shirtdecouleurvive.Celui-là était orange citrouille, moulait son ossature et ses muscles et donna envie à Anna de lecaresser.

Àlaplace,elletressasescheveuxhumidesets’habilla.—Metsquelquechosedeconfortable,luiditCharles.Onvasansdouteretournerauxécuriesce

matin.Ilsentrèrentdans lacuisine justeaumomentoùErnestineposaitunplateaudébordantdebacon

surlatable.Kage,sestroisenfantsetuninconnuétaientdéjàattablés.— Bien, dit Ernestine. J’étais sur le point d’envoyer Max vous chercher pour savoir si vous

vouliezdescendre.Vouspouvezvousasseoirlàoùc’estpropre.—Bonjour,ditKage.Voici le seconddeHosteen,WadeKoch.Hosteen luiademandédevenir

nousaideravecChelsea.Wade,voiciCharlesetAnnaCornick.—JeconnaisCharles,ditWade.Enchanté,Anna.J’aibeaucoupentenduparlerdetoi.C’étaitunhommeà lavoixcalmeetposée,nigrandnipetit.Leregardqu’ilposasurelleétait

pénétrant.—Wade,lesaluaCharlessuruntonquirévélaàAnnaqu’ilappréciaitcethomme.—JevaisappelerlebureaudeChelseacematin,annonçaKage.Tusaisdanscombiendetemps

elleseraprêteàretournerautravail?Charlessecoualatête.— Ça dépend d’elle et du stress qu’engendre son travail. Pas cette semaine, mais peut-être la

semaine prochaine. (Il hésita.) Si j’étais toi, je garderais tous les enfants ici pendant une semaineenviron.PasàcausedeChelsea,maisparcequeceluiquil’aensorceléecourttoujours.

—Çamarchepourtoiettescours,Max?demandaKage.Maxhochalatête,déglutitpuisdéclara:—J’allaisresteràlamaisonpourlespremiersjoursduconcours,detoutefaçon.Çanerajoutera

que quelques jours. La plupart demes professeurs postent leurs devoirs en ligne. Il faudra que tuappelleslelycéepourmoi,parcontre.

—D’accord,réponditKage.Jevaispasserlescoupsdefil,puisonpeutsortiressayerquelquesautreschevauxsiçavousdit.

—OùestHosteen?demandaCharles.—Cethommes’estlevéilyaàpeuprèsdeuxheures,aselléunchevaletestpartidansledésert,

ditErnestine.Ilm’aditqu’ilavaitbesoinderéfléchir.(ElleregardaCharles.)Iladitquec’étaitàtoideveillersursafamillejusqu’àsonretour.

—Vraiment?marmonnaCharlestoutbas.Ernestines’arrêtaalorsqu’elleavaitétéentraindeserapprocherdelatable.—Terappelles-tulesmotsexactsdeHosteen?demandaKage.—IladitquelafamilleseraitensécuritéavecCharlesici,prononça-t-ellelentement.Ilm’aditde

tedemanderdegarderunœilsureux.Charleshochalatête.—Bien.Ilseremitàmanger.Ernestineluijetaunregardcirconspectqu’ilnevitpas.Annaluisourit.—C’esttrèsbon,dit-elle.JenesaispasquandChelseaselèvera,maiselleauradenouveaufaim.

Çapourraitêtreunebonneidéedeluipréparerunpeudenourriture.Lesloups-garousbiennourrissontplusfacilesàgérerquelesaffamés.

Annamontatroisautreschevaux.SonpréférédelamatinéefutunhongrevifnomméAhmosequi

avaitunelonguecicatriceentraversdel’épaule.QuandAnna,CharlesetKage revinrentà lamaison,ensueuret sentant lecheval,Chelseaétait

attabléeetmangeaitvoracement.Ellelevalatêtelorsqu’ilsentrèrent.— Salut, dit-elle. J’ai repensé à hier. Je me sentais très bien pendant le trajet pour aller à la

garderie.Maisquandj’aiattachélesenfantsdanslavoiture, j’avaisunemigrainecarabinée.Jen’ai

jamais demigraines, et ilme semblebienque c’était un élément de ce sortilègequi a fini parmepousseràessayerdefairedumalauxenfants.

—Tuessorcière-née,ditCharles.Fie-toiàtoninstinct.C’estarrivéàlagarderie?—Oui.—D’autres drames sont survenus à la garderie ces derniers temps, signala Anna. J’ai eu une

longuediscussionàcesujetavecMaxhier.Iladitqu’ilyaeuuneenseignantequis’estsuicidée.Etilyaaussieuunefamilletuéedansunaccidentdevoiture.

Chelseahochalatête.— Les gens se suicident et meurent dans des accidents de la route, mais je ne suis pas

naturellementdisposéeà tuermesenfantspuisàmesuicider.Si l’undeces incidentsest le résultatd’unsortilège,peut-êtrel’étaient-ilstous?

—Jepensequ’Annaetmoiallonsvisiterlagarderie,annonçaCharles.S’ilyaunfaelà-bas,l’undenousdevraitréussiràdéterminerdequiils’agit.

—Devrait?demandaKage.—Cefaeestfort,réponditCharles.Unfaepuissantestcapabledesecacherd’unloup-garou.—Jevaisresterici,ditWade.J’aiposéquelquesjoursdecongé.

CHAPITRE7

Ilyavaitdesenfantspartout.Desenfantsquiselaissaientglissersurdestoboggansminiaturesetescaladaientdesfortsenplastiquedecouleurvive,ainsiqued’autresdecouleurterneblanchisparlesoleil.Desenfantsdansdesbacsàsablequicreusaientavecdespellesenplastiqueousejetaientdusable. Un petit garçon en jean et tee-shirt bleu pâle tentait d’échapper à deux fillettes qui lepourchassaient,l’airmeurtrier.Annaespérapourluiqu’ilcouraitvite,ouçaallaitêtresafête.

Des adultes s’affairaient au milieu du tumulte des bambins. Certains d’entre eux ramenaientl’ordrecommelesmeilleursAlphas.D’autresprovoquaientl’enthousiasmeetlajoie.Devantd’autresencore,lesenfantssedispersaientcommedespouletsdevantunrenard.

Ellelaissalamainposéesurlebrasdesonmari,sensibleàsatensionetconscientequec’étaitsafaute.Jamaiselleneferaitdemalàsonmari…Passciemment.

Etpourtantellen’étaitpasdisposéeàattendrecentansl’occasiond’avoirdesenfants.Cen’étaitpasdel’impatience,quoiqu’enpenseCharles.Lesloups-garouspouvaientvivreéternellement,maisleursviesétaientenmoyennedebienpluscourteduréequeceàquoileurmoitiéhumaineauraitpus’attendreàlabase.

Charles ne menait pas une vie paisible. Plus encore que le Marrok, il vivait avec une cibleplacardée sur le torse. À mesure que les loups-garous sortaient de l’ombre et investissaient lequotidiendesgensordinaires,lalistedesesennemiss’allongeait.

Anna n’était pasmorte le jour où elle avait étéChangée contre son gré.À vrai dire, elle étaitdevenueplutôtmoinsmortelle qu’avant.Mais elle avait perdu son ancienne identité comme si elleétaitvraimentpasséedevieàtrépas,etçaluiavaitapprisànepasêtrecomplaisante.Ellen’étaitpasimpatiente,maisellenevoyaitplus laviecommeun longfleuve tranquille.Elleétaitdevenueplusconscientedelanaturemortelledesgens,dufaitqu’ellerisquaitdemourir,etqueCharlesaussi.Lamortétaitdevenueplusconcrètequ’ellel’avaitétéquandelleétaithumaine.

Elle était loin de s’avouer vaincue. Les arguments de Charles selon lesquels tout enfant qu’ilauraitdeviendraitunecibleétaientinattaquables.Auseindelacommunautésurnaturelle,CharlesétaittrèsconnuentantquefilsetexécuteurduMarrok.Mêmeleshumainsfiniraientparsavoirquiilétait.Toutenfantqu’ilauraitseraitperçucommeunefaiblesse.Ellenepouvaitpascontestercepoint,maisilneluisemblaitpasnécessairepourautantqu’ilrefused’avoirunenfant.

Son autre objection déclarée, le fait qu’il n’existait à cemoment-là aucunmoyen pour eux deconcevoir,étaitplusdiscutable.Ellenevoulaitpassedisputeravec luietn’auraitpasdûavoirà lefaire.Elleavaitcruqu’ilseraitouvertauxsolutionspossibles.

Elle songeaque la clé était dedécortiquer lesproblèmes lesplus complexes etpour laplupartpasséssoussilencequeposaitàsonmarilesujetdesenfants,desespropresenfantsoudustatutdepère. Elle ne savait pas ce qui alimentait vraiment son refus catégorique. Une fois qu’elle auraittrouvé quelque chose de tangible, elle s’attaquerait au nœud de sa résistance jusqu’à réussir à ledéfaire.Puisellepasseraitaunœudsuivant.

Sonfrèrenel’appelaitpasAnnal’Implacablepourrien.Illuifallaitunfildirecteur,etjusque-làellen’étaitpasparvenueàletrouver.Son père saurait peut-être l’aiguiller, mais cela semblait malhonnête et potentiellement

dommageabled’allerdemanderconseilàuntierssanssavoiràquelgenredenœudelleavaitaffaire.Mieuxvalaitqu’elleledissolveelle-mêmesiellelepouvait.

Deux mois d’efforts n’avaient débouché sur rien, à part cette tension dans le bras de Charlestandisqu’ilsmarchaientdanslazonedesécuritédutrottoir.

—Mêmes’ildécidaitd’attaquer,luimurmura-t-elle,ilseraitentravéparcegrillageenvinyle.Jepensequetupeuxtedétendre.

—Levinylen’arrêtepaslamagie,murmuraCharles.Lefild’acierendessousaurapeut-êtreunpeud’effet,maisilvautmieuxsetenirprêts.

Endetellescirconstances,elleavaitdumalàdires’ilplaisantaitous’ilétaitsérieux.Ellenesefaisaitpasplusd’illusionsquelui:lacausedesatensionn’étaitpaslamenacequeposaitlefae.

Lesenfantsneprêtèrentaucuneattentionàcecoupled’adultesinintéressantquisedirigeaitversl’entréeprincipale.S’ilyavaitunfaeparmieux,ilremarqueraitsansdoutequ’AnnaetCharlesétaientunpeudifférentsdelaplupartdesgens,maispeut-êtrepas.

Charlesprituneprofondeinspirationparlenez,etAnnal’imita.Ellenesentaitpasdefae,maissonexpérienceenlamatièreétaitassezlimitée.Mêmesielleenavaiteuunsouslenez,ellen’étaitpascertainequ’ellel’auraitdétecté.CommeCharlesnedisaitrien,ellesupposaqu’iln’avaitriensentinonplus.

Hosteen aurait pu les épauler, sauf qu’il s’était absenté. Charles avait catégoriquement refusél’aidedeKage;entantqu’humain,ilétaittoutaussifacileàensorcelerqueChelsea.Sansdoutemêmeplus vuqueKagen’était pas sorcier-né comme sa femme.Wade avait été plus facile à convaincrepuisqu’ilavaitreçudeHosteenl’ordred’aiderChelsea,et ilsavaientpule laisserà lamaisonsansqueçadéclencheuneémeute.

Nerestaitdoncqu’AnnaetCharlespourmenerl’enquête.Annadoutaitfortementqu’êtreunloup-garou constituerait une défense par défaut, mais Charles n’était pas inquiet à la perspective de sefrotteràunfae.Elles’enremettaitàlui.

Annatressaillitlorsquequelqu’unsurl’airedejeuxdonnauncoupdesiffletstrident.Charlesnebronchamêmepastandisqu’illuitenaitlaporte.Ellesedemandacommentilfaisait.

Quandilsentrèrentdanslebâtiment,ilsvirentunegrandepancartesurlaportejusteàdroite.Elle

disait:«DirectriceEdison–Lesvisiteurssontpriésdeseprésenter.»Charlestrouvaçaamusant,unegarderien’étantpastantuneécolequ’uneformeefficacedebaby-sitting.

AnnafrappaàlaporteferméeetCharless’écartapourlaissersafemmeinteragiraveclepublic.Lesgensl’appréciaientet,pourneriengâcher,elleneleseffrayaitpas.LesgensparlaientàCharlesparcequ’il les intimidait.Annaparvenaitengénéralàobtenird’euxplusd’informationsdequalité,carilsvoulaientsincèrementluidonnersatisfaction.

Lafemmequiouvritlaportedubureaudeladirectricesemblaitfatiguéeetunpeusurprisedelesvoir,mêmesielleessayadelecacheravecungrandsourirequiétaitpourl’essentielsincère.

—Bonjour,dit-elleenseressaisissant.VousdevezêtremonsieuretmadameSmith.JesuisFarrahEdison.BienvenueàSunshineFun.Vousdisiezquevousavezunenfantdequatreansetundecinq,c’estça?

—Nousaimerionsdiscuteraveclesenseignantesdesenfantsdequatreetcinqans,expliquaAnna.Charles enprofitapour inspirer l’airdubureaude ladirectrice. Il ne trouvapasqueça sentait

particulièrementlefae.Maisiln’auraitdetoutefaçonrienremarqué,carladirectriceportaitOpium,undesparfumsquiavaienttendanceàneutralisersonaptitudeàsentirleschoses.

Annaconsultaunboutdepapierfroisséqu’elleavaitsurelle.

—NousaimerionsvoirMlleBairdetMmeNewman.Vousnousaviezditqueceseraitlemomentopportunpourleurparleràtouteslesdeux.

Le tond’Annaen findephrasesemblaitdemanders’ilsétaientvenusà labonneheure,commepourlaisseràMmeEdisonlapossibilitédereporteraisémentlerendez-voussiçaluiétaitnécessaire.C’étaituneréponsepleinedetactàlasurprisequeMmeEdisonavaitmanifestée;leurvisiteluiétaitàl’évidencesortiedelatête.

—Oui.Vouspouvezparler àMmeNewmanenpremier.Ses enfants sont en coursdemusiquepourencorequinzeminutes.Quandilsreviendront,lesélèvesdeMlleBairdpartirontetvouspourrezvousglisserdanssasalledeclasse.

Des « élèves » et des « enseignantes » dans une garderie ? Charles soupesa le vocabulaireemployé.Sansdoutelesenfantsapprenaient-ilsbeaucoupdechosesentredeuxetcinqans.Ilpinçaleslèvresetregardadenouveaulapancarte.Peut-êtres’agissait-ilbiend’uneécole,enfindecompte.

Tandisqu’ilssuivaient ladirectricedans lecouloir,elle leurexpliquacomment lesrepasqu’ilsservaient étaient planifiés et les informade leurshoraires et de leurs tarifs, qui étaient très élevés.SansregarderCharles,elleleurassuraqu’ilsnefaisaientpasdediscriminationracialeoureligieuse.Chaqueenseignantavaitunassistantpargroupededixenfants.

Elleleurparladessortieshebdomadairesauxparcsvoisins,etleurditqu’unefoisparmoislesélèvesdechaque tranched’âgeallaient àunepiscine localeprivéeoù ils apprenaient ànager.Unenuée d’enfants de deux ans dans une piscine, ça évoquait pourCharles le désastre assuré. Le plusremarquablen’étaitpeut-êtrepaslenombrededécèsparmilesenfants,lesenseignantsetlesparentsassociésàcetteécole,maisqu’iln’yenaitpaseudavantage.

MmeEdisonparlabeaucoup,etilauraitpréféréqu’elleaitchoisiunparfumdifférent.IlrestaàlatraînederrièreAnnaetladirectriceafind’épargnersonnez.Enrèglegénérale,plusunparfumétaitcher, meilleur il sentait ; il trouvait que la plupart des odeurs de synthèse sentaient le produitchimique.L’odeur d’Opium,dumoins celle duparfum,n’était pas désagréable,mais il ne pouvaitjusteplussentirgrand-chosed’autreaprèsyavoirétéexposétrèslongtemps.

Juste avant qu’elle ouvre la porte,MmeEdison jeta àAnna un regard pénétrant. Charles avaitremarquéqu’elleavaitévitédeleregarder,mêmesic’étaitpeut-êtreparcequ’ilavaitmaintenuunedistanced’environtroismètresentreeux.Ils’agissaitsansdouteplutôtdelaréactionhabituelledesgens qui se retrouvaient près d’Anna : tant qu’il n’attirait pas l’attention sur lui, ils se focalisaienttellementsurellequ’ilsenoubliaientCharles.

—Commevouslesavezcertainement,MlleBairdvientdenousrejoindrecemois-ci.Quivousadonnésonnom?

—Mabelle-sœur,mentitAnnaavecaisance.Maisc’était l’amied’uneamieàellequiavaitdesenfants dans votre garderie. Je ne connais pas leurs noms, je suis désolée. Juste les noms desenseignantes.

—Pourêtretoutàfaithonnête,ditMmeEdison,laminesombre,jedoisvousdirequenousluiavons notifié son licenciement. Elle est nouvelle et à l’essai, et il y a eu des perturbationsinacceptablesdanssasalledeclasse.

—Jevois,fitAnna.J’aimeraistoutdemêmeluiparler.—Oui,sansproblème.Jenevoulaisjustepasvousinduireenerreur.Annasourit.—J’apprécie.MmeEdisonleurprésentaMmeNewman,unepileélectriquequiportaittropdemaquillageetun

parfumquifitéternuerFrèreLoupdedégoût.Maisilnesentaitquemauvaisetnel’empêcheraitpas

dedétecterd’autresodeurscommeceluideladirectrice.Letéléphonedecettedernièrevibra.Yjetantuncoupd’œil,ellevituntexto,fronçalessourcilset

s’excusa,puislesabandonnaàleursortavecl’enseignantedesenfantsdequatreans.MmeNewmanbavardapendantquinzeminutessanslaisserAnnaplacerunmot.Àladifférencede

MmeEdison, l’enseignanten’eutaucunmalàprêterattentionàCharles.Elle leurparla–ouplutôtparlaàCharlescarellefaisaitcommesiAnnan’étaitpaslà–desalicenceenpsychologiedel’enfantet de la façon dont elle envisageait l’éducation. Au passage, elle se débrouilla pour glisser denombreusesinformationsausujetdesondivorcequiavaiteulieutroisansplustôtetdeladifficultéqu’elleavaitàtrouverdeshommesbienquin’étaientpasdéjàencouple.

Annaseraclalagorge.—Jesuisd’avisquel’ordreestbénéfiquepourlesenfants,souligna-t-elle,toujourssansregarder

Anna.Ilsarriventtouslesjoursdansmaclasseà7h30précises,etonsorttousnoscrayonsgrassurlespupitrespourlesinspecter.Ilsdoiventmediredequellecouleurestchaquecrayonetmenommerquelquechosedecettecouleur.

Alors qu’elle décrivait le programme très strict auquel elle soumettait les enfants, Charles sesurprit à avoir de la peine pour eux. Les bambins auraient dû pouvoir courir et s’amuser au lieud’êtreforcéspourleurbiend’ingurgiterdesconnaissancesdèsl’instantoùilsarrivaientàlagarderieetjusqu’àleurdépart.MaislegarçondeKageavaiteul’aird’appréciercettefemme;elleensavaitdoncpeut-êtreplusqueCharles.

—Jesuismembredel’équipedepuisdixanset j’aiplusd’expériencequen’importequelautreenseignantici,dit-elleàCharles,surletonqu’onpourraitemployerpourrévélerdessecretsd’État.QuandMmeEdisonestmaladeouqu’elledoitsedéplacer,commelafoisoùelleaétéappeléepourundécèsdanssafamilleavantNoël,c’estmoiquigardeunœilsurcequisepasse.

Elle prit une profonde inspiration, attirant ainsi l’attention sur un atout qui ne pouvait guèrel’aiderdanssontravail.

Était-ilconvenabledeporterdeshautsdécolletéspours’occuperd’enfants?sedemanda-t-il.Lesmœursdumondeavaienttendanceàchangerplussouventqu’ilyprêtaitattention,maissatenueneluisemblaitpastoutàfaitappropriée.

Mme Newman le regarda si longtemps qu’il eut le sentiment d’être une côte de bœuf qu’elleenvisageaitdemangerpourledîner.CommeMmeEdison,elleavaitpeurdelui.Mêmes’iln’avaitpasréussiàsentirlapeurdeladirectrice,ilavaitentendusonrythmecardiaques’accélérer.Mais,àladifférencede la directrice, la peur semblait exciterMmeNewman.FrèreLouppréférait de loin ladistancedeMmeEdisonàlatentativedeséductiondel’enseignante.

Uneclochesonnaquelquepartdanslebâtiment,etMmeNewmanserenfrogna.—C’est l’heure pour moi, j’en ai peur. C’était très agréable de discuter avec vous, dit-elle à

Charles.Jevousreverraiavecplaisirquandvousamènerezvosenfants.—MadameNewman,ditAnnaàvoixbasse.Celle-ci se força à détacher le regard deCharles.Anna posa lamain sur lui et se pencha vers

l’autrefemme,quirecula;unefemmeintelligente.—Il fautquevouscompreniezquelquechose,dit-elleavec feu.Charlesestmonmari.Vousne

pouvezpas l’avoir.Àmoi.Pasàvous. Ilexistebeaucoupd’hommesbienetsansattaches, j’ensuissûre.Choisissez-enunetvousvivrezpeut-êtrepluslongtemps.(Puisellesedétenditetrepritsavoixjovialehabituelle.)Mercidenousavoiraccordévotretemps,madameNewman.

Alors qu’ils partaient, Charles se retourna vers l’enseignante et haussa les épaules en signed’impuissance.PuisilpritsonairleplusdocileetemboîtalepasàAnna.

—Jet’aivu,marmonna-t-elle.—Vuquoi?demandaCharlesavecuneinnocencefeinte.FrèreLoupétaitraviqu’ellelesaitrevendiqués.Charlesaussi.Elle lui jeta un regard qui le fit sourire, puis frappa à la porte de la salle sur laquelle était

accroché un bout de papier avec « MLLE BAIRD » écrit en lettres capitales. Des accords decontrebassemontaientderrièrelaporteornéedefleursprintanièresetdefeuillesvertvifporteusesd’espoir.CharlesreconnutunenregistrementdeYo-YoMaqu’ilécoutaitsouventseul.Futuresans-emploi,MlleBairdavaitdebonsgoûtsmusicaux.

LafemmequiouvritàAnnaavaitl’airtristemalgrésonsourirechaleureux.Ilsongeaqu’elleétaittrèsjeune,unpeuplusquesafemme.CommeMmeNewman,sonodeurétaitcelled’unehumaine.

Ses cheveuxblond cendré coupés court révélaient des boucles d’oreilles éléphants de lamêmecouleur violet vif que son tee-shirt. Les couleurs éclatantes ne contribuaient qu’à accentuer ladépressionquipesait sur sesépaules.Elleneportaitpasdeparfumdu tout…etdece fait,Charlesl’aimaitdéjàmieuxqueMmeNewman.

—Bonjour,fit-elleprudemment.MmeEdisonm’aprévenuedevotrevisite.Elleaégalementditvousavoirinformésquejeparsàlafindelasemaine.

Annahochalatête.—Oui.Nousaimerionstoutdemêmevousparler,siçanevousdérangepas.LeregarddeMlleBairdsefitpluspénétrant,maisellereculaetouvritlaportepourlesinviterà

entrer.Sasallen’étaitpasaussigrandequecelledelatrèsdisponibleMmeNewman,maiselleétaitdécoréeavecdesdessinsdetouteévidencecréésparsesélèvesdecinqans.

Dosàeux,uneélèvenettoyaituneardoiseblancheavecdusprayetunchiffontachéd’encre.Ellesemblaittotalementabsorbéeparsatâche.IlyavaituneraideurdanssesmouvementsquineplaisaitpasàFrèreLoup,toujoursàl’affûtdedétailsinquiétantsouanormaux.

L’enseignantevitsonregard.—Améthysteachoisidenepaschanteraujourd’hui,etlaprofesseurdemusiquel’arenvoyéeici.

C’est bien de choisir, mais elle a le choix entre faire de lamusique ou travailler, pas faire de lamusiqueoujouer.

Il avaitd’abordcruqu’elleétaitdenaturedocile, cequiaurait eneffetposéunproblèmepourrégenteruneclassedejeunesenfants.Maissontonfermeétaitparfaitementdominant.Laminedéfaiteaveclaquelleellelesavaitaccueillisavaitdoncsansdouteplusàvoiraveclanaturetemporairedesonemploiqu’avecsapersonnalitéhabituelle.

—Voicilasalledeclassedesenfantsdecinqans,dit-elleàCharlesetAnnasurlemêmetonquecelui qu’elle avait employé pour Améthyste. C’est la classe la plus petite jusqu’à plus tard dansl’année.Lesenfantsquionteucinqansàl’automneontcommencélamaternelle,cequifaitquenousn’avonsquelesenfantsquionteucinqansaprèsdébutseptembre.Cetteclasses’agrandiraaufuretàmesurequelesélèvesdelaclassedeMmeNewmanaurontcinqans.Lesenfantsdematernelle,quivontàl’écolepubliquelamoitiédelajournée,sontdansunesalledeclassedifférente.Nousavonscependant des cours du soir pour les enfants plus âgés, répartis par classe… Les première etdeuxièmeannées,lestroisièmeetquatrièmeannées,lacinquièmeetau-dessus.

Elle les regarda tous les deux, ajusta ses lunettes sur son nez et dit sur un ton légèrementaccusateur:

—Maisvousn’êtespaslàpourça,n’est-cepas?Jetantuncoupd’œilpar-dessussonépauleàlafillettequinettoyaitl’ardoiseblanche,ellebaissa

leton.

— Il me semblait bien que vous aviez l’air familier, mais je viens seulement de comprendrepourquoi,déclara-t-elleàCharlesd’unevoixquineseraitpasentendueàl’autreboutdelapièceaveclevioloncelledeYo-YoMa.Monbeau-pèreest(nouveaucoupd’œilàlafillette)l’undevous.Quandj’avaisdixans,vousêtesvenuluiparlerdeses…amis.NousvivionsàCody,dansleWyoming.Jesaisquivousêteset je saisquevousnevivezpasàScottsdale.Sivousaviezquitté leMontana,çaauraitétéunenouvelleassezimportantepourquemonbeau-pèremel’apprenne.

Ilnesesouvenaitpasd’elle,mêmes’ils’étaiteffectivementrenduàCodydixansplustôtenvironpouréliminerunAlphaquiavaitperdulecontrôledesonloup.Ilavaiteuunediscussionprivéeavecchaqueloupdelameute.Certainsd’entreeuxavaientétémariésetavaienteudesfamilleshumaines.

—Vousnevivezpasici,reprit-elle.Vousn’avezpasd’enfants.Alorspourquoiêtes-vouslà?Prenantuneprofondeinspirationpouracquérirplusd’assurance,ilsuivitl’implacableverdictde

FrèreLoupet se retourna faceà l’enfantquinettoyait toujours lamêmeardoise,propredepuisunmoment.

—Noussommesicipourparleravecelle,dit-il.L’enfantsefigea.Puiselleseraiditetsecontorsionnamaladroitement.Àcôtédelui,Annaaussis’étaitimmobilisée.—Çaneteconcernepas,loup,déclaralafilletteaveclavoixd’uneenfantdecinqans.—ChelseaSaniappartientaupetit-filsdel’AlphadelameutedeSaltRiver,luirétorqua-t-il.Mlle Baird était déjà familière des loups-garous et des secrets. Elle ne révélerait à personne

d’autreleliendeChelseaaveclameute.Ilétaitimportantquelefaesacheenquoiilavaitcommisuneerreur.LameuteétaitunmoyendedissuasionquiassureraitlasécuritédeChelseaetdesesenfants.

—Tuaschoisilamauvaisevictime.ElleestprotégéeparlameuteetparleMarrok.Unegrimacequin’avaitriend’enfantindéformalestraitsdelacréature.— Pas de loups-garous. C’est la seule règle. La mère de Mackie n’est pas une louve-garou.

Mackien’estpasunelouve-garou.LefrèredeMackien’estpasunloup-garou.—Ilssontdesnôtres,expliquaCharles,notantquelefaes’intéressaitdavantageàChelseaentant

quemèredeMackiequ’entantquepersonneàpartentière.Ce qui révélait que l’attaque avait en réalité eu Mackie pour cible. Il s’avança vers l’enfant,

veillantàcequ’ellerestefocaliséesurluiplutôtquesursacompagneousurl’humaine,quiétaitplusvulnérablequ’euxdeux.

Ilsentaituneodeurdemagiefae;elleimprégnaitlasalleoùcettefaeavaitapparemmentjouélerôled’uneenfantdecinqans.Maisl’odeurnes’intensifiapasàmesurequ’ilserapprochaitd’elle.Ilnedécelaitparailleursquedelamagie,paslafaeelle-même.S’était-elledébrouilléepourmasquersonodeur?Mais,encecas,pourquoinepaségalementcamouflerlamagie?Etquefabriquait-elleaveccettemagiequ’ilsentaitcommeuneprésencetangible?

Elleretroussaleslèvressansbruit,reculantavantqu’ilsoitassezprèspourlatoucher.— Non. Elle n’était pas une louve-garou. J’avais le droit. J’avais le droit. Sorcière mais pas

louve-garou.Jepouvaislatuer,lesrèglesledisent.Elleavaittoujourslavoixd’uneenfantdecinqans.—Améthyste?fitl’enseignantesuruntoneffrayé.—Améthysteestàmoi,aboyal’enfantdecolère.(C’étaitditaveclamêmepossessivitéquecelle

dontAnnavenaitdefairepreuveavecl’enseignantedesélèvesdequatreans.)Tunepeuxpasl’avoir.Elleestàmoi.

Charlessavaitcequ’elleétait.Elles’étaittrahieavecsadernièrephrase.Sicen’étaitpasAméthystequis’adressaitàeux,unecréaturequiavaitsonapparenceetsavoixne

pouvaitêtrequ’uneseulechose.Laraisonpourlaquelleiln’arrivaitpasàsentirlafae,c’étaitqu’iln’yavaitquedelamagiedanscettesalle.

— Entends ma charade, déclama Charles, scandant lentement ces paroles d’un autre temps.Charadequirime,charadequifile.Troisfoisprononcée,lesortenestjeté.Parlarègledetroisetparlacoutume,tuesliéett’inclines.Réponds-moi,jetel’intime.

—Distacharade,distacharade,ripostalacréature,ainsiqu’elleyétaitcontrainteenvertudecequ’elleétait.Dis-moitacharade,etjeterépondrai.

Lamagiedesfaes,etlesfaeseux-mêmes,sepliaitàdesrèglesquiluipermettaientd’existerdansunmondeoùelleétaitchoserare.Lescharadesexigeaientqu’onyréponde.

—Qu’est-cequimarchecommeunenfant,parlecommeunenfantetestlaisséparlefaeàlaplacede l’enfant ? demanda Charles d’une voix chantante qui contribuait au caractère irrésistible de lacharade.Qu’est-cequifaitcaillerlacrème,rendlesvachesmalades,faitgémirunemère?Qu’est-cequisecachecommedupoisonetrépandlapourritureauseindelafamilleetdufoyer?

—Undoublefantôme!Undoublefantôme!Undoublefantôme!réponditlacréature.Àpeinelatroisièmeréponseeut-ellequittéseslèvresquel’enfantdisparutetqu’untasdebâtons

tombèrent au sol. Des rubans usés rattachaient les bouts de bois en une sorte de figure humainecomposéedebras,dejambesetd’unetête.Unemèchedecheveuxquiliaitlehautetlebasavaitétéfourréedanslecorpsdelacréature.

Une odeur de soufre et de vinaigre prit Charles au nez et lui déclencha une quinte de touxmonumentale.Derrièrelui, ilentendaitAnnatousseraussi.L’odeurnedérangeaitpasl’humaine,enrevanche.

— Améthyste ? Améthyste ? (Mlle Baird se précipita vers l’ardoise, puis se retourna versCharles.)Qu’est-ilarrivéàAméthyste?

—Quandavez-vousparléàsesparentspourladernièrefois?demandaAnna,lavoixrauque.Ilseretournaetvitqu’elles’étaitcouvertlenezaveclebras.—Cematin,réponditMlleBaird.Maispasàsesdeuxparents.Samèrel’adéposéeetestcensée

venirlachercher.Sesparentssontaubeaumilieud’undivorcehouleux.Aprèsletroisièmeincident,onaeuunelistepoursavoirquivientlachercherqueljour.

Ellesetut.—Oùest-elle?demandal’enseignantetoutbas.Queluiest-ilarrivé?AnnaregardaCharles,etilsortitsonportable.—Jecroisqueçadépasselasphèredemonautorité,déclara-t-il.Ilappuyasurleboutonquicomposaitlenumérodesonpère.C’étaitpeudireque lespoliciersn’apprécièrentpasqueCharlesetAnnarefusentde témoigner.

Mlle Baird leur parla jusqu’à ce qu’elle eût la voix rauque tandis que les parents d’Améthysteregardaient,complètementapathiques.Elleneditrienausujetdesloups-garousdontelleconnaissaitlessecrets,seulementqueCharlesetAnnaétaientvenusposerdesquestionsauxenseignantesde lagarderie.

—C’estundouble fantôme,ditMlleBairdà l’officierdepolicepour lacinquièmeousixièmefois. Pas du tout une enfant. Il n’a pas changé une enfant en tas de bâtons, il lui a simplement faitadmettrequec’étaitcequ’elleétait.Non.Jenesaispaspourquoiçaamarchénicequ’ilafait.

Anna ignoraitpourquoielleetCharles refusaientdeparlerà lapolice.Àpartpeut-êtrepour laraisonévidentequelesexplicationsdeMlleBairdn’avaientaucuneffetsurl’incrédulitédespoliciers.Pourquoi leurs réactions à ce que Charles ou Anna avaient à dire seraient-elles différentes ? Si

personne ne croirait la vérité, à quoi bon dire quoi que ce soit ?Mais ça ne ressemblait guère àCharles.BranneleuravaitpasditdegarderlesilencequandCharlesl’avaitappelé.

Bran avait écouté le récitminutieusement détaillé queCharles lui avait fait des événements quis’étaientdéroulésdepuis l’instantoù ils étaient entrésdans la salledeclassedeMlleBaird.QuandCharles eut fini, il leur avait dit d’appeler la police. Ils devaient attendre à l’école jusqu’à ce quel’aidearrive,sous-entenduquecetteaidemettraitunmomentàvenir.

Branavait ensuitemis finà l’appel, et ils avaientpassé leplusclairde l’après-midi à attendre.D’abordavecMlleBaird,puislapoliceétaitarrivée.MmeEdisonavaitfiniparvenirdanslasalle,etenfinlesparentsd’Améthyste,lesMiller,étaientarrivésséparémentpoursejoindreàeux.

LesMillerétaientplutôtsilencieuxpourdesgensdontlafilleuniquevenaitdesechangerenuntasdebâtonscassés.Avec ladescriptionqueMlleBaird leuravait faitedeparentsenguerre,Annas’étaitenquelquesorteattendueàplusd’hostilité.Plusd’énergie.Ilsétaientassisl’unprèsdel’autre,sanssetoucher…nicommuniquerdequelquemanièrequecesoit.Ilsn’avaientpasditgrand-chosequandMlleBaird avait essayé de leur expliquer ce qui s’était passé.Contrairement à la police, ilsn’avaient pas cherché à remettre en cause ce qu’elle disait,même s’ils n’avaient pas eu l’air de lacroirenonplus.

Ilssemblaient…effacés.Ellesongeaque,s’ilsattendaientaveclesautres,c’étaitplutôtparcequepersonne ne leur disait de rentrer chez eux que par curiosité. Ils n’avaient été ni en colère, niincrédules,niriendecequ’ilsauraientdûêtre.Soitlesenfantsrendaientlesgensaussifousquelepèred’Annaleprétendait,soitlechangelingyétaitpourquelquechose.EllerepensaàlacharadedeCharlesetaufaitqu’unpoisonpouvaitagiraussibiensurl’espritquesurlecorps.

Lesagentsdepolicedoutaientclairementqu’uneenfantaitpusechangerenuntasdebâtons.IlsétaientenclinsàconsidérerMlleBairdcommeunpigeonstupideprêtàcroiren’importequoi.SoitCharlesetAnnaétaientdesescrocsprofessionnels,acteursd’un jeu torduqui incluait l’enlèvementd’Améthyste, soit ils étaient des pigeons stupides comme Mlle Baird qui avaient eu la mauvaisefortuned’êtretémoinsd’unesortedetourdepasse-passe.Lefaitqu’elleetCharlesrefusentdeparlerauxpolicierslesincitaitplutôtàpencherpourlapremièreoptionquepourlaseconde.

LesagentsdepolicedeScottsdalen’avaientde toute évidencepas l’habituded’avoir affaire ausurnaturel.Ilsauraientrenvoyétoutlemondeetseraienteux-mêmesrentréschezeuxs’ilsn’avaientpasreçul’appeldequelqu’unàquiilsdonnaientdu«oui,chef»etquileuravaitdemandédedétenirlestémoinsàlagarderieetd’attendrel’arrivéed’unenquêteur.

MmeEdisonauraitpurentrerchezelleaprèsledépartdesenfants,maiselleétait«réticente»àl’idée de laisserMlleBaird se dépêtrer seule. Ellemonta dans l’estime d’Anna, qui avait déjà étédisposéeàl’apprécierdèsledépart.

Vinrent ensuite les agents duCantrip,Marsden et Leeds. LeCantrip était l’agence fédérale quis’occupaitdesaffairessurnaturelles.Comptetenudel’attitudedelapolice,Annafutsurprisequ’elleaitdesreprésentantsdanslarégiondePhoenix.

Anna ne reconnut aucundes deux agents,mais son expérience avec leCantrip était limitée.Cen’étaitpasnonplusuneexpériencedontellegardaitunbonsouvenir.Ellen’arrivaitpasàdéterminerd’aprèslaréactiondeCharless’ilsavaitquiilsétaient,mêmes’ildétenaitdegrosdossierssurcetteagencevuqueBran lapercevait commeunemenace.Elle aurait pariéqueces agentsn’étaientpasl’aidepromiseparBran.

—VousêtesdoncmonsieuretmadameSmith,ditl’agentduCantripàCharles.Elleétaitpresquecertainequ’ils’agissaitdeceluiquis’appelaitMarsden.Entoutcas,ilparvintà

leuradresserunrictuscrédible.

—Etvousétiezlàquandl’enfants’estchangéeenuntasdebâtons?LeCantripsemblaitattirertoutessortesdegens,dugeekconvertiàlacausejusqu’aufouàlier

dontlamentalitéétait«tuez-lestousetlaissezDieufaireletri»enpassantpartoutetn’importequoi.Anna songea que Leeds entrait dans la catégorie des geeks, mais Marsden avait l’air d’être unsceptique.Çan’avaitpasdesens.Qu’est-cequipouvaitbienpousserquelqu’unquirefusaitdecroireàlamagieàdevenirunagentduCantrip?

Jusque-là,personnen’avaittouchélesbâtons.Annasongeaqueçan’avaitpasétélamiseengardequeCharlesavaitprononcéeàvoixbasseausujetdudangerqu’ilpouvaityavoiràtoucheràdelamagiefae,mêmeinactive,quiavaitdissuadélapolicedelestripoter.Elleétaitd’avisquepersonnenevoulaitêtreceluiquiramasseraitletasdebâtonspourlerapportercommepièceàconviction,etquis’attireraitdanslafouléelesbrimadesdetousceuxdudépartementpouravoirécoutéunebandededégénérés.

Jusque-là,lesfaesavaienttropbiensusedonnerl’airfaibleetraconterauxgensqueleshistoiresdesTuathadeDanann,capablesdenivelerdesmontagnesetdefairemonterleniveaudeslacs,étaientinventéesdetoutespièces.

Lavérité,c’étaitqueleshumainsvoulaientquecenesoientquedeshistoires.Ilsnevoulaientpasavoirpeur,ilsnevoulaientpascroirequeleursancêtresquiseserraientlesunscontrelesautresdansdesfermettesenpierreetdescabanesenboisavaienteuraisondesecacher.Ilsécoutaientdonclesfaesquitissaientunehistoirefictivetiréedelavérité,etlesgensycroyaient.

Laseulefoisqu’ilss’étaientécartésdecetteimagequ’ilss’étaientfaçonnée,çaavaitétélejouroùBeauclaireavaitdécapitélefilsd’unsénateuraméricaindevantuntribunaldeBostonquelquesmoisplus tôt.Et,àvraidire,çaavaitdavantageétéunedémonstrationdeforcequ’unedémonstrationdepouvoir.

Maiselleétaitquelquepeusurprisequ’unagentduCantripadopteunetelleattitude.CharlesregardaMarsden,etcommeill’avaitfaitpourlapolice,ildéclara:—Nous ne voulons raconter l’histoire qu’une fois.Nous attendons l’autorité légitime à qui la

raconter.Branavaitpeut-êtreditàCharlesquiilcomptaitappeleràl’aidelorsd’unedecesconversations

mentales à sens unique qui étaient sa spécialité, même si Anna en doutait. Bran avait tendance àinclureAnnadanslaplupartdecesconversations,saufs’ilavaituneraisonimpérativedenepaslefaire.MaisCharlesparaissaitdétenduetcertainquequelqu’und’autreallaitarriver.

Marsdenfronçalessourcils.— C’est nous, l’autorité légitime, monsieur Smith. Le Cantrip est responsable de toutes les

affairesquisemblentimpliquerdelamagie.Êtes-vousentraindedirequ’iln’yapaseudemagie?—Iln’yapaseudemagie,décrétaunepolicière,pince-sans-rire.Pourêtrehonnête,ellel’avaitchuchotéaupolicieràcôtéd’elle.Annaétaitpresquecertaineque

tousceuxquin’étaientpasdesloups-garousn’avaientpasdûl’entendre.Dansunerégionoùlapolicenecroyaitpasausurnaturel,entoutcaspasdansleurjuridiction,les

deuxagentsduCantripdevaients’ennuyeràmourir.L’attitudedudépartementdepoliceluiappritégalementqueHosteenSaniétaituntrèsbonAlpha.

Qu’aucundesesloups–etils’agissaitd’unemeuteconséquente,quicomptaitvingt-septmembresenplusdeChelsea–n’aiteud’accrochagesaveclesforcesdel’ordreétait lamarqued’unedisciplinepeucommune.MêmeBrannepouvaitpassevanterdeça,sachantceladitquesameute…quiétaitaussi celle d’Anna… avait tendance à compter beaucoup plus de loups dangereux, ceux qu’il nepouvaitpasconfieràunautreloup-garou.

LepetitspeechdeMarsdenn’eutaucuneffetsurCharles,maisMlleBairdavaitfinipararriverauboutdesapatience.

—Idiots,lâcha-t-elle.Pasétonnantqu’ilrefusedevousparler.Vousêtescensésêtredesexpertsensurnatureletvousnereconnaissezmêmepaslessignesd’unenlèvementfaealorsqu’ilscrèventlesyeux.C’estundoublefantôme.Unpantinensorcelé,conçupourressembleràunenfantetenadopteruncomportementassezprochepourquelesgensquin’yconnaissentriencroientquec’estunenfant.(Elle regarda les agents du Cantrip en fronçant les sourcils.) Double fantôme, c’est lemot qu’onemploiepourdésignerunchangelingquiaprislaplaceduvéritableenfant.

LesautresconversationsdanslasallefinirentparsetairelorsquelavoixdeMlleBairdsefitunpeustridente.Elleétaitfatiguée;ilsl’étaienttous.

Leeds – Anna était presque certaine qu’il s’agissait de Leeds – ne prêtait aucune attention àMlle Baird ni à personne d’autre. Il déambulait dans la salle depuis unmoment, laissantMarsdenmenerl’interrogatoire.Annal’avaitvuexaminerlespeinturesdesenfantsdecinqansaccrochéesaumuretjeterunœilauxétagèresdejeuxetdejouets.Ilavaitatteintlapartiedelasalleoùlesbâtonsetles rubans avaient atterri. Alors queMlle Baird était au beau milieu de la définition d’un doublefantôme,ils’étaitlaissétomberausolluiaussi,justeàcôtédupaquetinformequiavaitauparavanteul’apparenced’unefillette.Lesyeuxrivéssurletasdebâtons,ilpenchalatêtedecôté.

Annasongeaqu’elleétaitlaseuleàl’observer,mêmesionnepouvaitjamaissavoiravecCharles.MlleBairdfulminaittoujours.Elleindiquad’ungestedelamainlepèreetlamèresilencieux,qui

avaient l’air incongrus assis sur les petites chaises qu’occupaient d’habitude les enfants. Ils étaientserrésl’uncontrel’autreetnedisaientmot.

—MmeEdison,deuxautresenseignantset lamoitiédesenfantsde lagarderiepourraientvousparlerdeladisputehouleusequecesdeux-làonteuedanslecouloirilyaunesemaine.Regardez-lesmaintenant que le changeling est parti. On croirait qu’ils sont dans le coma. Ils n’ont même pasintégréquel’Améthystequiestvenueàl’écoleaujourd’huin’existeplus,sansparlerdufaitqu’ellen’était en réalité pas leur fille du tout. Une famille au sein de laquelle s’immisce un changelingsouffreetmeurt,messieurs.

—Et comment se fait-il que vous en sachiez tant sur les faes ? demandaMarsden d’une voixmauvaise.

— Je lis, rétorqua-t-elle sèchement. Ce que je vous recommande d’apprendre à faire. (ElleregardaCharles.)J’espèrequeceluiquevousattendezn’estpasuncrétinfini.

Toujoursparterre,Leedssemitàrire.Marsdenregardasonpartenaire,quidit:—IlestduCantrip,mademoiselleBaird…«Crétin»pardéfaut,donc.Sansvouloir t’offenser,

Jim,jepensequ’onatouslesdeuxétédescrétinsdanscetteaffaire.—Vraiment?demandaMarsdend’unevoixdéformée.(Ilpritsoninspirationpuisregardalepetit

groupedepoliciersdanslasalle.)Voussavezquoi,lesenfants.Lafindevotreserviceestdansunedemi-heure.Ongère.Ondiraitbienqu’ilsvonts’enteniràaffirmerquec’estdelamagie,alorsonenverranotre rapportàvotredépartement.Siçachiffonne l’undevossupérieurs,vousconnaisseznosnomsetnosnuméros.Onprendlerelaisàpartirdemaintenant,etvouspouveztousrentrerchezvous.

—Çamarche,ditl’agentquiétaitapparemmentlechef.Onremballe,lesgars.Hé!Marsden,toietLeedsêtespartantspourjouerausoftballsamedi?

—Oui,m’sieur,ditMarsden.Dixheurestapantes.Ilsattendirentquelapolicequittelasalle.

—Bon,ilssontpartis,ditMarsden.C’estvrai,cettehistoire?Toujoursparterre,sonpartenairedit:—Iln’yapaseudecasdedoublefantômedepuisqu’onadécouvertquelesfaesexistent.Onavu

quelquescasdechangelingstandard,oùunfaesedéguiseenenfanthumain.Maisundoublefantôme,unobjetinaniméquiaétéensorcelépourimiterlavie,c’estinédit.

Marsdenprituneboufféed’air.—Leeds,soisattentif.Est-cequec’estuncasauthentique?—Onarecenséplusieursévénementsétrangesdanslevoisinage,n’est-cepas?(Leedssefocalisa

sur Mlle Baird.) J’ai entendu dire que vous étiez nouvelle. Avez-vous obtenu ce poste parce quel’enseignanteprécédente–jesuisdésolé,sonnomnemerevientpas–s’estpendue?Jemesouviensavoirluqu’uneenseignanteiciétaitdécédéerécemment.

Ellehochalatête.—Bon,ditlentementMarsden.C’estuncasauthentique.—Etcecurieuxaccidentdevoiture,Jim,poursuivitLeedscommes’ilparlaittoutseul…même

s’ils’adressaitàMarsden.C’étaitdanslemêmequartier,etilyavaitdesenfantsdanslavoiturequiavaientl’âged’êtreàlagarderie.(IlinterceptadenouveauleregarddeMlleBaird.)Ya-t-ilunélèvedevotreclassequisoitmortrécemmentdansungraveaccidentdevoitureavecsafamille?

—Non,réponditMlleBaird.— Si, contreditMme Edison. Environ trois jours avant le décès malheureux deMmeGlover.

HenryIslington.Samèreatraverséleterre-pleincentraletelleetsestroisgarçonssonttousmorts.Henryétaitleseulàêtreinscritici.(Ellemarquaunepause.)Ilyaeuunincidentlaveilledesamortentreluietunedesfillesdelaclasse.Jenesaispassic’étaitAméthyste.

— Ça l’était, déclara la mère d’Améthyste d’une voix éteinte. Mme Glover nous a donné lesexcusesécritesdugarçonaprèssamort.

—SiHenryétaitdanscetteclasse,ilavaitcinqans,intervintAnna.Ils’estexcuséparécrit?—C’estMmeGloverquiaécritlemot,biensûr,expliquaMmeMiller.Ill’asigné…Son«r»

étaitàl’envers.Puisilestmortetc’étaithorrible.EtmaintenantAméthyste…MmeEdisons’avançaverselleetluitapotal’épaule.—Jesais,Sara,murmura-t-elle.Lamèred’Améthystes’essuyalesyeux,maispasparcequ’ellepleurait.Peut-êtreétaient-ilstrop

secs.—Améthyste etHenry étaientmeilleurs amis depuis le premier jour.Elle parlait de lui tout le

temps.Puisunjour,sansraisonapparente,illuiadonnéuncoupdepoing.—Henryaditqu’elleavaitditquelquechosedemal, leurexpliquaMmeEdison. Ila refuséde

nous dire quoi, et elle a simplement souri. (Elle marqua une pause.) Avec le recul, c’était uncomportementtrèsétrangedelapartd’Améthyste.Çanem’apasfrappéesurlecoup,maisc’étaitengénéraluneenfantsociableetenjouée.

—Améthyste ? fitMlleBaird.Enjouée ? (Elle secoua la tête.)Mais ce n’était pas àAméthystequ’onavaitaffaire,n’est-cepas?

—C’estuncasauthentique,Jim,fitLeeds.Marsdenledévisageaunmoment,puisilregardaattentivementletasdebâtonsparterre.—Est-ce que tu sais combien de faux appels on reçoit ?Ça fait un an qu’on est postés ici, et

l’affairelaplusexcitantequ’onaiteue,çaaétélafoisoùdesgossesontjuréqu’undémonmangeaitlanourrituredeleurchienchaquenuit.Aprèsvingtheuresdesurveillance,onasurprisuncoyoteàpeineadulte.Puis il y a eu ladamequi avaitvuune licorne,qui s’est avéréeêtre legaminde son

voisinquis’amusaitàcourirdanssondéguisementd’Halloweende l’annéedernière.Moncerveaumarchebizarrement…Ilatendanceàs’atrophiersijenem’enserspas.Authentique,hein?

Leedshochalatête.—Authentique.Marsdenattendituneseconde.—Bon,d’accord.Ilsortitunbloc-notesélectroniqueetdemandasuruntonposéetprofessionnel:—Est-cequejepourraisavoirlesnomsdetoutlemondeetconnaîtrelanaturedevotrerelation

aveclafillettedisparue?Annas’appuyacontresonmariethaussalessourcils.Illaregarda,yeuxétrécis,maisilsemblaità

Annaqu’ilsouriaitunpeu.C’étaitdifficileàdire.MarsdencommençaparMlleBaird.—J’enseigneicidepuisdeuxsemaines,luiexpliqua-t-elle,toujoursfroissée.Unepérioded’essai.

Onm’ainforméecematinquemoncontratneseraitpasprolongéparcequ’ilyaeutropd’incidentsdansmaclasseetquelesparentsseplaignaient.

—Quatorzeendeuxsemaines,fitMmeEdison.Notremoyenneestd’environunparmoispourtoutel’école.(Elleadressaundemi-sourireàMlleBaird.)Jepensequ’ilvafalloirrevenirsurcettedécision.Toutescesplaintestournaientautourd’Améthysteetcurieusementaucundenous,nimoinilesmembresduconseild’administration,n’yaréfléchiàdeuxfois.Et jevousassurequenousn’ymanquonspasd’habitude.Siunélèvecauseplusdetroisincidentsparmois,ilestmisàl’essaietestrenvoyélafoissuivante.Entempsnormal,Améthysteauraitreçuunavertissement,puisonluiauraitdemandédepartir.

—Votrenom?demandaMarsden.Detouteévidencesatisfaitd’avoirmisMarsdensurlabonnevoie,sonpartenaires’étaitremisà

examinerletasdebâtons.—FarrahEdison,ditMmeEdison.Jedirigecetasiledefous.Jesuisrestéeparcequecequeje

sais pourrait aider. Cathy,Mlle Baird, n’est ici que depuis peu de temps. (Elle prit une profondeinspiration.)Jesuisassisedanscettesalledepuispresquequatreheures,etàchaqueheurequipassej’ai l’impressiond’avoir les idéesunpeuplusclaires.Avant,Améthysteétaitunefilletteenjouéeetsociable,etelleestrevenuedesvacancesdeNoëltotalementdifférente.J’avaisl’intentiond’appelerchezelle,maissamère,Sara,estvenuemeparleravantquej’aiepulefaire.Ellem’aditqu’elleetsonmarienvisageaientledivorce.Ensuite–jesuisdésolée,Sara–,ilsontcommencéàsedisputerbruyammentquandilsvenaientchercheroudéposerAméthyste.J’enaidéduitquecelaexpliquaitlebrusquechangementdepersonnalitédecelle-ci.

Marsdenhochalatête.—D’accord.Merci.Etvousêteslesparentsd’Améthyste,c’estça?Vosnoms,s’ilvousplaît?Lesparentsd’Améthystes’appelaientSaraetBrentMiller.Elleétaitadministratricedebanque,il

étaitmédecin.Non,ilsn’avaientrienremarquédedifférentchezleurfille.Niquandelles’étaitbattueavecHenry,niàaucunautremoment.

—Quand avez-vous commencé à vous battre, vous deux ? demandaAnna, les yeux posés surleursmainsjointes.

Sara leva la tête et dévisagea Anna en clignant des yeux, mais le regard de son mari se fitpénétrant.

—C’était juste avantNoël, commença-t-il lentement.Nous allions rendre visite àmes parents,c’étaitleurtour.Maislaveilledujouroùnousétionscensésyaller,Améthysteaditqu’ellenevoulait

pas. Puis Sara a déclaré catégoriquement qu’elle ne voulait pas non plus.Mes parents ne sont pastoujoursgentilsavecelle,maisellelesavaittoujourssupportéstoutescesannées.Maispascettefois.(Ilseraclalagorge.)Jeradote.

Annan’avait jamaisentendupersonneradoteraussi lentement,mêmes’ilparlaitpeut-êtreplutôtdecohérencequedevitesse.

— Ils ne sont pas si horribles, dit soudain Sara. Tes parents. J’aime bien ton père. Il est drôlequandtamèren’estpasdanslapièce.

MarsdensurveillaitAnna,maisiltapaittoutdemêmesurleclavierdesonbloc-notesaussivitequ’illepouvait.

Charlesintervintàcemoment-là.—DocteurMiller,vousavezjouédemalchancedepuisNoël,dit-il,etc’étaitmoinsunequestion

qu’unedéclaration.Millerouvritlabouche,puishochabrusquementlatête.—Deuxaccidentsdelaroute…Lesecondadétruitmavoiture.Notrechatdesixansestmort.On

dirait qu’on est incapables de garder un appareil électroménager en état de marche plus d’unesemaine.

Ilritàmoitiéethaussalesépaules.—Jen’arrivepasàfairedupain,ajoutasafemme.PasdepuisNoël.Lapâterefusedelever.— La plupart de ces incidents surviennent chez vous ? demanda Charles. Ça ne vous a pas

poursuivisurvotrelieudetravail,n’est-cepas?LesMillerhochèrentlatête.—C’estexact,réponditSara.Cen’estqu’àlamaison.MarsdenregardaCharlesdanslesyeuxetditsuruntonabrupt:—Bon,monpote.Tuesquiaujuste?AnnasentitCharlesseraidircontreellefaceàcedéfi,maisilréponditd’unevoixassurée.—JesuisCharlesetvoicimafemme,Anna.—Smith,ditMarsden.—Çaferal’affaire,convintAnna.Onnousademandédevenirparlerauxenseignantesdecette

garderieausujetd’uneaffaireliée,puisquenousavonsunpeud’expérienceaveclesfaes.NousnousattendionsàtrouverunfaerebellequiseseraitéchappédelaréserveduNevada.Sitelavaitétélecas,nousserionsvenuset repartissansquepersonnenes’aperçoivederien.Ça(elle indiqua le tasparterre),c’étaitinattendu.

—Uneaffaireliée?demandaMarsden.—Unedenosamiesnousadonnédesraisonsdecroirequ’ilyavaitunproblèmeavecunfaeici,

expliqua-t-elle.MmeEdisonsourit,leslèvrespincées.—Était-ce l’amie d’une amie de votre belle-sœur ? Pas étonnant que vous souhaitiez parler à

Mlle Baird même si je vous avais dit qu’elle n’allait pas rester. (Elle regarda Marsden, sedésintéressantd’Annapourdebon.)Vouspensezdoncqu’un faeaenlevé lavraieAméthysteet l’aremplacéeparun…simulacre?

—Exact,acquiesçaMarsden,laminesombre.—Qu’est-ilarrivéànotrefille,alors?demandaledocteurMiller.Il n’avait pas l’air de penser que c’était quoi que ce soit de bon. Anna songea qu’en tant que

docteurildevaits’yconnaîtreenmauvaisesnouvelles.—Çadépenddugenredefaeauquelonaaffaire.(Unefemmenoire,minceetmusclée,vêtued’un

éléganttailleurgristourterelle,entradanslasalle.)AgentspécialLeslieFisher,FBI.Désoléed’êtreenretard.

CHAPITRE8

VoilàdoncquiCharlesattendait.Annaleregardaenfronçantlessourcils.Commentavait-ilsu?Illuisourit,unsimplepliaucoindel’œil.Iln’avaitpassu,ilavaitsimplementdevinéjuste.Elleenétaitpresquecertaine.

—Leslie,ditAnna.Çafaittrèsplaisirdetevoir.Rassure-moi,tun’aspasprisunaviondeBostonpourvenirici.

Lesliesourit.—Salut,Anna.Charles.PasdeBoston,Dieumerci.JesuispostéedansleNevadamaintenant,dans

uneville dedeux cents habitants qui se trouve être la plusprochede la réserve faede JamesEarlCarterJr.Apparemment,notrepetitaccrochageafaitdemoil’unedesexpertesenrelationsfaesduFBI,doncilsm’ontmutéelà-bas.

—Jesuisdésolée,s’excusaAnna.C’étaitcommeçaqueCharlesavait su. Ilavaitgardéunœil surLeslie.Sachantqu’ellevivaità

proximité,ilenavaitdéduitqu’elleseraitsollicitée.—Mafoi.(Lesliehaussalesépaulessanssedépartirdesonsourire.)C’estça,êtreagentduFBI.

Onvalàoùonabesoindenous.—Commentl’aprisJude?Elle avait apprécié lemari de Leslie, un homme immense qui avait le sens de l’humour et un

caractèreenaciertrempé.Ilavaitétédéfenseurdanssonéquipedefootballàl’universitéetvisaitunecarrière professionnelle quand une blessure avait changé le cours de sa vie. Il était professeur deprimaire.

—Ça l’adéchirédequittersesélèves. (Lesliesourit,unsourire intime.)Mais iladécrochéunpostetoutdesuite.Apparemment,peud’enseignantssontprêtsàallervivrelàoùilpeutfairejusqu’à50°Càl’ombreetoùlerestaurantleplusprocheoùj’envisageraisdemangerestàquatreheuresderoute.Lesenfantsd’iciontbienplusbesoindeluiqueceuxdeBoston.Unefoisqu’ils’enestrenducompte,çaaété.Lefairepartird’iciquandlemomentviendraseraplusdifficilequeçal’aétédelefairevenir.

—Jeprésumequevousconnaisseztouslesdeuxl’agentFisher?interrompitMarsden.— Oui, acquiesça Leslie. On a déjà travaillé ensemble. Vous, en revanche, je ne vous ai pas

rencontré.—AgentJimMarsden,Cantrip,etvoicimonpartenaire,HollisterLeeds.Ceciestnotreenquête.

Enquoi cette affaire intéresse-t-elle leFBI?Nousne sommesmêmepascertainsqu’ilyait euunenlèvement.

Leslie lui adressa un sourire à la fois bref et professionnel, remarquable par la quantitéd’informationsqu’ilcommuniquait:«Jesuisdésolée,jevousrespecteainsiqueletravailquevousfaites,mais je suis compétente aussi et, cette fois, vous devezme soutenir. » L’expression était siparfaitequelesmotsparaissaientsuperflus.

Ellelesprononçatoutdemême.—Désolée,messieurs.Ledépartementde laJusticeadéterminéquecetteaffaireestrattachéeà

uneopérationterroristedeplusgrandeampleur,cequiexigequejeprennelesrênes.Jeseraisravie

d’avoirvotreaide.MarsdenmarquaunepauseetregardaLeeds,quiétaittoujoursàgenouxàcôtédutasdebâtons.Il

avaitsortiuncarnetdecroquisetledessinait.—Desterroristes?demandaMarsden.Commentavez-voustirécetteconclusion?Ellesouritauxcivilsdanslasalle.—Cesmessieursont-ilsdéjàprisvotredéposition?—Venez,mademoiselleBaird,ditMmeEdison.Jecroisquenous lesgênons.Jevais renvoyer

MlleBairdchezelle,maisj’aidutravailàfairedansmonbureau.Veuillezm’eninformerquandvouspartirezafinquejefermelagarderie.

—Parfait,luiréponditLeslie.Merci.MlleBairdlevalementon.—Cetteenfantétaitdansmaclasse,déclara-t-elle.Jemesensresponsabledecequiestarrivé.Y

a-t-ilmoyenquejesoisinforméedessuitesdel’affaire?—Biensûr,intervintAnnaavantquequiquecesoitaitpurejetersademande.(Ellesortitsacarte,

cellesurlaquelleiln’étaitécritqu’«AnnaSmith»enlettrescalligraphiquesetuneadressee-mail,etellelaluitendit.)Envoyez-moiunmail,etjevousdiraicequejepeux.

»VoiciledocteuretMmeMiller,dit-elleensuiteàLeslie.Ellenesesentaitpastellementàl’aisededire:«Jenepensepasqu’ilssoientcapablesderentrer

chezeuxtoutseuls.»Avecunpeudechance,Leslies’enapercevraitd’elle-même.—Cesontlesparentsdenotrevictime.Jepensequ’ilsontétéassezinterrogés.—Peut-êtrequeMmeEdisonetmoidevrionslesraccompagnerchezeux,proposaMlleBaird.Je

ne suispas sûrequece soitunebonne idéequ’ils conduisent. (Elle regardaMmeEdison.)Sivousprenezleurvoiture,jevoussuivraietvousramèneraiici.

—Jepensequeceseraitunetrèsbonneidée,fitAnna,soulagée.ElleveillaàcequelesMillerobtiennentlescartesdesagentsduCantripetdeLeslieafinqu’ils

puissentlesappelers’ilsavaientdesquestions,etraccompagnalesquatreadultesdanslecouloiretdehors.

—Elleestvraimentpartie.(SaraMillerregardasonmari.)Notrepetitefilleestpartie.Ilpassalebrasautourd’elleetdit:—Elleestpartiedepuisunmoment.—Ilfautqu’onlarécupère,repartitsafemmeavecsérieux,maisellenesemblaitpasavoirpris

pleinementconsciencedeladisparitiondesafille.LedocteurMillerregardapar-dessussonépauleetsoutintleregardd’Annapendantunmoment

déstabilisant.—Oui,fit-il.—DocteurMiller,onnepeutpasvouspromettreça,déclaraAnna.Maisjepeuxvouspromettre

quenoustrouveronsleresponsableetveilleronsàcequeçan’arriveplusjamaisàpersonne.MmeEdisons’arrêtapourfroncerlessourcilsàl’intentiond’Anna.—Comment pouvez-vous promettre ça ?C’est un fae.Vous ne savezmême pas ce dont il est

capable.—J’aidéjàtravailléavecl’agentspécialFisher,expliquaAnna.Etmonmari…Charlesvaaubout

deschoses.(ElleseretournaverslesMiller.)Ondécouvriracequiluiestarrivé,etons’occuperadufaequil’aenlevée.

—D’accord,opinaledocteurMiller.D’accord.Ilconduisitsafemmedehors.

—Jereviens,ditMmeEdisonlorsquelesportesserefermèrentderrièrelesMiller.Commelesportessefermenttoutesdel’extérieur,sivousdevezpartiravantmonretour,vérifiezjustequ’ellessontverrouillées.

—Lesterroristes,disaitLesliequandAnnarevint,sontdesindividusquicommettentdesactesde

violenceàl’encontredegensafindefaireplierunepopulationousongouvernement.Hé!Anna,terevoilà.

—Elles sont parties ramener lesMiller en sécurité chez eux, expliquaAnna. T’ont-ilsmis auparfum?

—Oui,fitCharles.Leslie hocha la tête puis regarda Marsden. Anna vit que Leeds glissait les restes du double

fantômedansungrandsacpourpiècesàconviction.—Marsden, l’informa Leslie, je me suis renseignée sur vous deux. Vous êtes innovateurs et

compétents,mêmesivotrepointfortestd’agacervossupérieurs.CesontdesanalystesduCantripquinous–c’est-à-direleFBI–ontavertilespremiersquelesfaesenvoyaient…desindividusquiavaientdesantécédentsparticulièrementgraves,etqu’ilsleslâchaientsurlapopulation.

Charlesémitl’undesesbruitscaractéristiques,etLeslieluiadressaunhochementdetête.—Ha!Jemedoutaisquetuauraispeut-êtreremarquécequelesfaesfabriquaient.LeFBIespérait

quevousautresnouscontacteriezafinquel’onpuissetravaillerensemble.Ouaumoinsenvisagerdetravaillerensemble.

Ilneréponditrien,etAnnas’enremitàsonjugement.MarsdendévisageaitCharlescommes’ilétaituneénigme.

Bienvenueauclub.Annacachasonsourire.Ayantapparemmentconcluqu’ellen’obtiendraitpasderéponseàcestade,Lesliepoursuivit.—Lesfaesveulentattirernotreattention.Onaéliminéquelqu’un…quelquechoseenFloride,on

pensequec’étaitunkelpie.Ilmangeaitlesgensquinageaientdanssonlac.Ilyaeud’autresincidentségalement.Nosanalystespensentqu’ils’agitsansdouted’unetechniquedemarchandage,unefaçondedire:«Regardezdequoinousvousavonssauvéstoutescesannées…Vousleshumains,vousavezintérêtàcommenceràréfléchiraudéroulementdesnégociations.»Ça,c’estlaversionoptimiste.Laversion pessimiste, c’est qu’il s’agit de la première vague d’une guerre que nous ne sommes pascertainsdepouvoirgagner,parcequetoutcequ’onsaitdenotreennemivientdescontesdeféesetdecequ’ilsnousonteux-mêmesraconté.Ilsnepeuventpeut-êtrepasmentir,maisilsontlaissédecôtéunsacrépaquetdedétails.

ElleregardadenouveauCharlesetdemanda:—Quesais-tuàcesujet?Charlesinclinalégèrementlevisagetandisqu’ilréfléchissaitàsaquestion.Enfin,ildit:—Àpeuprèsautantquetoi.Première nouvelle pourAnna.Même si, pour sa défense, elle n’était pas activement impliquée

danstoutcequ’ilfaisaitpourlesmeutesoupoursonpère.Entoutehonnêteté,ellen’étaitpascertainequeBranseraitcontrariéquelesfaess’attaquentàdesgensnormaux.Elleavaitbeauaimersonbeau-père,ellen’étaitpassansconnaîtresesdéfauts.Ilsefocalisaitsurlesloups-garousàl’exclusiondetoutlereste.

Il se pouvait aussi queCharles n’ait pas eu connaissance des attaques avant queLeslie leur enparle.Ildevaitunepartiedesaréputationdedétenteurd’incroyablespouvoirscosmiquesaufaitqu’ilnedisaitàpersonnecequ’ilsavaitaujuste.Lesgensenvenaientdoncàsupposerquelaréponseétait

«tout».Lerestedesaréputationétaitpleinementmérité.Charlesjetauncoupd’œilàLeeds,oupeut-êtreàcequirestaitdelafausseAméthyste.—Onsedemandaitquelcamponrejoindrait,sitoutefoisonenrejoignaitun.—C’estcequejepensais,fitLeslie.(Elledésignalasalleenagitantlesbras.)J’oseespérerque

votreprésenceicisignifiequevousavezdécidédenousaider?—Bon,quiêtes-vousaujuste?MarsdenagitavaguementlamainendirectiondeCharlesetAnna.—Cetrucestvraimenttrèscool,annonçaLeedsdepuislesol,commes’ilavaitmanquélatotalité

delaconversationquisetenaitàdixpasdelui.Jen’auraisjamaispenséquej’enverraisundemesyeux. Imaginez le genredepouvoir qu’il faut détenir pour être capabledeprendreunpantin–oun’importe quelle chose qui ait vaguement forme humaine – et de le faire marcher, parler et secomportercommeunhumain.Enfin,pourl’essentielentoutcas.Etçaatrompélesgenspendantdesmois.Jesupposequeçaauraitpuêtreunepoupéeouunestatuetted’argile,maisunpaquetdebâtons,c’est le plus traditionnel. Je pense que ce ruban a dû être porté par l’enfant d’origine. Je penseégalement,même si je ne peux pas l’affirmer sans tout démonter, qu’il y a aussi des cheveux là-dedans.

Ilparlaitavecl’enthousiasmeintensed’unmineurquidécouvraitdel’orpourlapremièrefois.LesliejaugeaLeedsduregard.—Lui,jetiensàl’avoirdansmonéquipe.Lesgeekssontvraimentutiles.— Je le suis aussi, ditMarsden.D’où connaissez-vous les Smith, agent spécial Fisher ?Et qui

sont-ils?—J’aitravailléaveceuxl’annéedernière…Vousavezsansdouteentenduparlerdel’affaireen

question, répondit-elle.LepointculminantaétéquandBeauclaire, leprincedeselfes,adécapité lefils d’un sénateur américain. Charles et Anna Smith ont été envoyés pour nous aider dans notreenquête.

Marsdenfronçalessourcils,maisilnefutpaslongàladétente.—Desloups-garous.Uncoupledeloups-garousaétéappelésurl’affaire.Ilsonttémoignésous

pseudonymes en vertu d’une dispense spéciale… (Il regardaCharles.)M. etMmeSmith, dit-il. Çaauraitdûfairetilt.

—Des loups-garous? interrogeaLeeds,quisedétournaenfindu tasdebâtonsbienempaquetédanslesac.

Charlesluidécochaunsourirecarnassier.—Desloups-garous,oui,mafemmeetmoi.Cequevousdevezsavoir,c’estquecefaealancé

une attaque qui a échoué de justesse sur des enfants qui sont sous la protection de l’Alpha local.Commenousétionsdisponibles,nousnoussommesportésvolontairespourvoirsinouspouvionsmettrelamainsurlecoupable.NoussommesentrésdanscettesalleavecMlleBairdetavonstrouvéledoublefantôme.IlnenousapasfallulongtempspourcomprendrecequedevaitêtreAméthyste,ouplutôtlachosequiavaitprissonapparence.

IlregardaLeslie,etl’expressiondesonvisages’adoucit.—Et,oui,puisquecefaes’enestprisàplusieursdesnôtres,nousavonschoisidetravailleravec

leshumainscontrelesfaesdanslecasprésent.Jenepeuxpasaffirmerquecettealliancedurera,niquenousne redeviendronspasun troisièmecampneutreune foiscet incident résolu.L’expériencequej’aidesfaesmeporteàcroirequ’unetellemanœuvreseraitvaine.Jeferaipartdemaconvictionà…ceuxquisontplushautplacés.

—Quiétaient lesenfantsquiontétéattaqués?demandaMarsden,prêtàprendredesnotes.On

devraitallerleurparler,àeuxaussi.Charlessecontentadeleregarder.—Paslapeined’êtrediscourtois,lançaAnnaàCharles.Puis,s’adressantàMarsden:—Nousconnaissonslesdétailsetvouscommuniqueronsceuxquis’avérerontutiles,maisdisons

pourrésumerqu’ilsnousontsimplementmenésauchangeling.Certainsloups-garoussesontrévélésaupublic,maisd’autresontchoisides’enabstenir.Cettemeuten’estpaslanôtre.J’ignorequis’estounes’estpasrévélé,etnousnevousdonneronsleursnomsquesiçadevientnécessaire.

Ilyeutunsilencegênant.Marsdenavaitclairementenvied’insister,maisCharlesétaitintimidantaupossible.EllevitpresquelemomentoùMarsdensesouvintqu’ilavaitaffaireàunloup-garou,etquecen’étaitpastrèsmalindesoutenirleregardduditloup-garouàmoinsd’êtreprêtàunebataillededomination.Lorsqu’ilbaissalesyeux,ilétaittroptardpourinsister.

—Voussavezdoncàquoil’onaaffaire?demandaLeslie.—Unfae,ditCharles.Maisça,tulesaisdéjà.—Unfaecapabledeconstruireundoublefantôme.Marsdenindiquadumentonletasdebâtons.— Je croyais qu’un double fantôme était une réplique exacte de nous-mêmes qui vient nous

avertirqu’onestsurlepointdemourir,ditLeslie.—Ouquinoustue,ajoutaAnna.—Ouuntasdebâtonsensorceléquiressembletraitpourtraitàunenfant,renchéritCharles.—Unautremotpour«changeling»,ditMarsden.Leedssecoualatête.—Non. Enfin, si.Mais le terme de double fantôme désigne spécifiquement un changeling qui

n’est pas une chose vivante… (Il indiqua les bâtons.)La plupart des changelings sont des faes quiprennentl’apparencedel’enfantquiaétéenlevé.Çanedemandequetrèspeudemagie,puisquecen’est qu’une simple variante du glamour dont ils se servent pour ressembler à des êtres humainsnormaux.Mais ce qu’on a là, c’est très rare. J’ai vu six… sept cas de changelings. Aucun d’euxn’impliquaitdedoublefantôme.

AnnaregardaCharles.Elleignoraitquelesfaesavaientétéaussi…actifsavantqueBeauclairetuel’agresseurdesafillepuisseretireaveclerestedesfaesderrièrelesmursquetoutlemondeavaitpris pour des prisons. Il s’avérait que ces prisons étaient en réalité des forteresses. Il secouasubtilementlatête.Iln’avaitpassu,luinonplus.

—Sept?demandaLeslie.Jenesuisaucourantd’aucun.—Oh!deuxd’entreeuxn’étaientpasauthentiques.Dans l’un,desparentsavaientpenséquece

seraitarrangeant si l’enfantqu’ilsavaientbattuàmortn’étaitpasvraiment le leur.Quantà l’autre,c’étaituncasdebébésintervertisàlanaissance,cequiestassezcurieuxànotreépoque.Çaadonnélieuàunpaquetdeprocès,etçaademandébeaucoupdetravailpourdéterminerquelsbébésavaientétéintervertisetprocéderàl’échangeinverse.Maiscinqchangelings…(Il leurdécochaunsourirenarquois.)L’und’eux,c’étaitmoi.Mesparentsnel’ontjamaissu.Ilssontmortsdansunaccidentdevoiturequandj’avaisenvironvingtans.Jenel’aidécouvertquelongtempsaprès,quandjemesuisportévolontairepouruntestADNafinde…Disonsjustequemafamillehumainecompteuncertainnombredecassociaux.Ils’estavéréquejesuismi-humain,mi-fae.Mamoitiéhumainen’arienencommunaveclesdeuxpersonnesquej’aitoujourscruêtremesparents.

Ilregardalesoletmarmonna:—Àvraidire,jemesuissentienquelquesortesoulagé.Pasd’êtreàmoitiéfae,maisdenepas

êtreapparentéauxgensquim’ontélevé…Ça,c’étaitextra.Marsdenseplaçaentreeuxetsonpartenaire.Annadoutaitquesongesteaitétéconscient.Maisil

sepositionnademanièrequ’ils sachent tousqueceluiquivoudrait critiquer sonpartenairedevraitd’abordluipassersurlecorps.

Personneneditrien.Leedssouritavecdouceuràsoncoéquipierquiluitournaitledos,ethaussalesépaules.

—Mespatronsmeconfientlescasdechangelingspourdesraisonsévidentes.Ledernierendate,celuidugarçonquiaétébattuàmort,m’aconduitàPhoenix.Apparemment,j’aiétéplusbrutalquenécessaire.

—Illesaeffrayéspourlesforceràavouer,expliquaMarsden.Çamarche,maiscen’estpaslaméthodeapprouvéepoursoutirerlavéritéauxgens.

Leedsavaitl’airplutôtinoffensifauxyeuxd’Anna,maislesgensinoffensifsn’effrayaientpaslesgenspourqu’ilsconfessentunmeurtre.

—Cechangelingaprislespetits-enfantsdemonamipourcible,ditCharles.Lefaequiafabriquéce double fantôme saura-t-il ce qu’a fait celui-ci ? Les faes se servent-ils des changelings pourespionner?

Leedssecoualatête.—Jenepensepas.Etondoitsupposeraussiquelefaen’estpasici.D’aprèstoutcequej’aipu

déterrer à leur sujet, un double fantôme fonctionne tout seul. C’est un objet inanimé auquel on adonnédel’intelligenceetunbut.

Ilsméditèrenttouslà-dessusunmoment.—Combiendesenfantsenlevésontétérécupérés?demandaLeslie.Leedss’accroupitetluiadressaundemi-sourireempreintdesympathie.—Aucun.Maisilfautdireaussiqueceuxquej’aivusétaienttousdesadultescommemoiquand

lachoseaétédécouverte.Àmaconnaissance,c’estlepremierenfantenlevéenvingtans.Ledoublefantômerestemalgrétoutunsignetrèsencourageant,mêmesijen’auraispasditçadevantlesMiller.Jen’aimepasdonnerdefauxespoirs.

—Pourquoiencourageant?demandaLeslie.—Parcequ’undoublefantômepompebeaucoupdemagie,n’est-cepas?leurexpliquaLeeds.Et

quelleestlafonctionpremièred’undoublefantôme?—Masquerladisparitiond’unenfant,réponditAnna.—Et pourquoi lamasquer, si ce n’est pour empêcher les gensde chercher la fillette disparue.

(Leedshochalatête.)C’estplussimpledesedébarrasserducorpsd’unenfantmortoudelecacherque de cacher un enfant vivant. Le truc, c’est qu’à la différence d’un changeling vivant un doublefantôme a une durée de vie limitée…Le temps de l’animation.On peut présumer que, si Charlesn’avait pas forcé les choses, le double fantôme aurait continué d’occuper la place d’Améthystejusqu’àcequelavraieenfantmeure.

—IlaaussipuêtrelaissélàpourempêcherlesgensdechercherlefaequiaenlevéAméthyste,ajoutaCharles.

—Et c’est précisémentpour çaque jen’ai riendit pendantque lesMiller étaient là, acquiesçaLeeds.

IlregardaMarsden.—Sil’agentspécialFisheraraisonetquelesfaessontvraimententraindelâcherleursméchants

surnous,tusaiscequeçaveutdire.—Non,réponditMarsden.

Leedssoupira.—Quelleestleurproiefavorite?— Les enfants, dit Anna, et un frisson glacé lui parcourut la colonne vertébrale. Ce sont les

enfants.—Ondevraitallerchez lesMiller,déclaraCharlesàAnnaalorsqu’ilssedirigeaientvers leur

voiture.Comme ils l’avaient empruntée aux Sani, ils l’avaient garée sur le parking d’un centre

commercialàunkilomètreenvirondelagarderie.ÇaauraitétéstupidedelivrerlesSaniauxfaes,auFBIouauCantripavecuneplaqued’immatriculation.

—Peux-tuobtenir leur adresse ?demanda-t-elle, et elle fut récompenséepar le sourirede soncompagnon.

»Est-cequ’ilsnouslaisserontentrer?ajouta-t-elle.—Leurfilleadisparu,dit-il.Maintenantqu’ilscommencentàsortirdubrouillarddanslequelle

sortilègedufaelesavaitplongés,ilsaccepterontl’aidedetousceuxquileurenproposeront.Ilfaisaitnuitlorsqu’ilstrouvèrentlabonnerue.Toutesleslumièresétaientalluméesàl’intérieur

delamaison.Annasongeaàcequ’elleressentiraitsiellesavaitquesonenfantavaitdisparudepuisdesmois,etqu’ildevaitêtreblesséeteffrayéàdéfautdemort.Et,pendanttoutcetemps,ilsavaientcruqueledoublefantômeétaitleurfille.

—C’estimportantqu’ilsaientdel’espoir,dit-elleens’engageantdansleurallée.—Onneleurenlèverapas,promitCharles.LedocteurMillerouvritlaporteavantqu’ilsfrappent.—Quiêtes-vous?—Monmarietmoisommesenquelquesortedesexperts,expliquaAnna.Fae, loup-garou,peu

importe. On fait appel à nous. Si ça ne vous dérange pas, on s’est dit qu’on trouverait peut-êtrequelquechoseiciquinousaideraitàretrouvervotrefille.

—Elle estmorte, déclara-t-il sur un ton grave. Elle est partie depuis desmois. Le délai pourretrouvervivantsdesenfantsquiontétéenlevésestengénéraldevingt-quatreheures.

—Peut-être,ditAnna.Ellevitqu’elles’était trompée.Ilsnerisquaientpasde leurenleverunespoirquin’existaitpas.

C’étaitpeut-êtrecrueldeleurenredonner,maiselleneputs’enempêcher.—Sielleavaitétéenlevéepardeshumains,ceseraitpresquecertain.Maislesfaessontdedrôles

decréaturesquandilestquestiond’enfants.Parfoisilslestuent,maiscertainstypesdefaesprennentlesenfantsafindelesgarderpoureux.Onn’ensaitpasassezsurcelui-cipoursavoircequiestarrivéàAméthyste.

—Laisse-lesentrer,intervintMmeMillerderrièresonmari.LedocteurMillerhésita,puisilouvritlaportepourlesinviteràl’intérieur.—Nelafaitespassouffrir,leurintima-t-il,sérieux,etilneparlaitpasd’Améthyste.—Laviefaitsouffrir,ditCharlesavecdouceur.Maisonnevousmentirapas,niàvousniàvotre

femme.Lachambred’Améthysteétaitimpeccable.Lesjouetsétaientrangéspartaillepuisparcouleursur

lesétagèresblanchesaumur.Lelitétaitfait,etAnnasoupçonnaitqu’elleauraitpufairerebondirunepiècedemonnaiesurlecouvre-lit.

—Était-elletoujoursaussiordonnée?demandaAnna.

Sarasecoualatête.—Non.Jenel’aimêmepasremarquéquandçaachangé.Ellecommençaitquelquechose,puis

ellesedéconcentrait.Sonlitétaitdoncàmoitiéfait.Ellenecoloriaitqu’unepartiedelapaged’unlivredecoloriages.

—Elle nemettait qu’une chaussure, ajouta le docteurMiller. Parce qu’elle se rappelait qu’ellevoulaitdesfloconsd’avoinepourlepetitdéjeuneravantd’avoirtrouvélaseconde.

Charles avait la tête inclinée et les yeuxmi-clos, signe évident qu’il était en train de sentir lachambre.

—Commentai-jepunepasremarquer?s’exclamalamèred’Améthyste.Quelgenredemèreneremarquepasquesonenfantaétéremplacéparune…unechose?

—Lesfaespeuventembrouillervosperceptions,ditAnna.Sivousavezcommencéàremarquerquequelquechosen’allaitpas,ledoublefantômeadûdétournervotreattention.

QuandMackies’étaitrenducomptequequelquechosen’allaitpas,ledoublefantômeavaitessayédelatuer.

—Ya-t-il quelque chosequ’Améthystegardait prèsd’elle ?demandaCharles.Un jouet favoriaveclequelelledormait?Unechoseàlaquelleledoublefantômenetouchaitpastrop?

—Unechosequidonneraitàunchienuneodeurpourlaretrouver,ajoutaAnna.—Vousallezvousservirdechiens?LedocteurMillerfronçalessourcils.—Nousallonsnousservirdetoutcequenouspourrons,ditAnna.Certainesdenosméthodesne

sont pas orthodoxes… La magie. Et ça nous aiderait d’avoir quelque chose qui appartenait àAméthyste.

—Sonlapin,suggéraSara.(Elleallaàlabibliothèquepourprendreunlapincrasseuxquin’avaitqu’uneoreilleetletenditàAnna.)Est-cequeçaira?

Annaleportaàsonfront,commel’undecesmédiumsquipassaientàlatélé.Sonnezluiappritque, si le double fantôme l’avait touché, ça n’était pas arrivé très souvent. L’odeur corporelle desenfantsn’étaitpasaussimarquéequecelledesadultes,maisilsnelamasquaientpasnonplusavecdusavonetduparfumcommelefaisaientcesderniers.

—Çaira,convint-elle.Auriez-vousunsacplastiquedanslequeljepuisselemettre?Saran’avaitpasl’aird’êtresûredevouloirqu’ilsleprennent.—Jevousprometsqu’onlerapportera,l’assuraAnna.—Vachercherunsacdanslacuisine,ditledocteurMilleràsafemmeavecdouceur.Dèsqu’ellefutsortiedelachambre,illesregarda.—Desloups-garous?demanda-t-il.Annaluisourit.—Nousnesommespasmédiums.Oui.—Ma femme prendrait peur si elle savait, expliqua-t-il à Anna.Mais j’ai déjà eu affaire aux

vôtresquandj’étaisdansl’armée,ilyauneéternitédeça.Pourquoinousaidez-vous?—Parcequelesenfantsméritentd’êtreensécurité,réponditCharles.CharlesetAnnarentrèrentauranchdesSanibienaprèsl’heuredudîner.Kagelesattendaitsurle

palier,cequilaissapenseràCharlesqu’ilavaitguettéleurretour.—Hosteenesttoujoursencavalequelquepart,dit-ilenlesinvitantàentrer.Papan’avaitpasaussi

bienmangé depuis desmois, et il s’est assoupi. Chelsea a dormi l’essentiel de la journée. (Kagepoursuivit sa récitation avec acharnement.) Les enfants sont dans la salle télé avec maman et

Ernestine,oùilsregardentunesérietéléquiparledetueursensérie,dezombiesoud’autreschosestoutaussisainespoureux.

Kageattendit,mais,quandilluiapparutévidentquepersonned’autren’allaitdirequoiquecesoit,ilrepritlaparole.

—Ilyadesrestesdudînerdanslacuisinequejepeuxpréparersivousavezbesoindemanger.(Ilprit son inspiration.)Voilàpour lesnouvelles ici.Devous, j’ai reçuun textodisantdenepasvousattendrepourledîner.Çan’apasbeaucoupaidé.Avez-voustrouvéquelquechose?

—Fae,luiditCharlesenretirantsesbottesetlesposantlàoùleschaussuresdetouteslesautrespersonnesétaientalignées.

Annaroulalesyeuxàl’intentiondesonmari,avec–ill’espérait–unbrind’affectionpouralleravecsonexaspérationfeinte.

—Ce serait merveilleux d’avoir de la nourriture, merci. On a en fait découvert beaucoup dechoses…Pasassez,maisbeaucoup.Sionallaitmanger,etjetediraicequ’onsait.

—Annasaitseservirdemots,murmuraCharlestranquillement,luitenantlebrastandisqu’elleenlevaitseschaussuresàsontour.

—C’estutile,fitKageenlesmenantàlacuisine.—C’est ce que pensent certaines personnes, acquiesçaCharles, etAnna lui donna un coup de

hanche.Ledînerétaitcomposédepouletfrit,depetitspainsetd’uneénormesalade.Wade,lesecondde

Hosteen,entraavantquelanourrituresoitsurlatable.Ilétaitl’unedecespersonnescalmesdontlaprésence inspirait l’ordre autour d’elles. Il se sentait de toute évidence comme chez lui dans lamaison, et aida Kage à sortir la nourriture et les assiettes. Quand Anna voulut aider, Wade l’enempêchad’ungestedelamainavantqueKageaitpulefaire.

— C’est mon boulot de donner un coup de main, dit-il. Même avec toutes ces questionsdésespéréesdevieetdemort,vousêtesaussiicipourvoirleschevaux,n’est-cepas?Çafaitdevousdesclients…Asseyez-vous.

—Wade a un vrai boulot, expliquaKage alors qu’ils s’installaient autour de la table.Mais safamilletravailledanslemilieudel’élevageetdesconcoursdechevauxarabesdepuispresqueaussilongtempsquelamienne.Ilvientnousdépannerquandonabesoind’uncavaliersupplémentairepourunconcours.

—IlyavaitunchangelingdanslaclassedeMackie,commençaAnnadèsquelesgenssemirentàmanger.Apparemment,Mackieaplusoumoinsdevinécequ’elleétaitetlechangelingadécidédesedébarrasserd’elle.

Charlesmangeaetécoutatandisqu’entredeuxbouchéesAnnatâchaitdefourniràKageetWadeuncompte-renducomplet.Wadeétaitendroitdel’entendre.L’attaqueavaitétémenéeàl’encontredelafamilledesonAlpha,etlavictimequiensouffraitleplusallaitprobablementdevenirunmembrepermanentdelameutesiHosteenseressaisissait.

Mais,toutenécoutant,Charlessurveillaitégalementlevisagedeshommes,quisedétendaientaufuretàmesurequesacompagneracontaitsonhistoire.LatensionquittalesépaulesdeKageetWaderit éperdument quandAnna décrivit la fascination deLeeds pour le tas de bâtons qui avait été unefillettependantquetouslesautresessayaientdedéterminerquidirigeaitlesopérations.EllelefitsansdonnerunemauvaiseimagedeLeeds,carilétaitclairqu’ellenelesous-estimaitpas.C’étaitbiensûrune affaire sérieuse,mais rire aunezdumal privait celui-ci d’unepartie de sonpouvoir.Anna lecomprenaitmieuxquelaplupartdesgens.

—Vousallezpartiràlarecherchedelafillettedisparue,c’estça?demandaKage.

Mais,àsonton,iln’avaitpasl’aird’enêtresûr.Annahochalatête.—Charlesetmoisommespasséschezelle.Leseulvrai lienavec lagarderie,c’était ledouble

fantôme.Si onveut retrouver le faequi a enlevé la fillette, notremeilleurepiste devrait être celled’Améthyste.Maiselleaétéenlevéeilyasilongtemps.Charlesditqu’àenjugerd’aprèssonodeuràpeine perceptible dans sa chambre ça fait desmois. On a aussi inspecté à pied plusieurs pâtés demaisonsàproximitédelasienne,maisaucundenousn’adécelél’odeurd’unfae.

—Quelleestlaprochaineétape,alors?demandaWade.—LeFBI,leCantripetuncertainnombred’infortunéspoliciersvontpasserlesprochainsjoursà

éplucher les rapports de police jusqu’à ce qu’ils trouvent quelque chose, ditAnna. Leslie va nousappelers’ilsontbesoindenotreaide.

—Ondirait…—Qu’ilsprennentladirectiondel’enquêteetqu’ilsnouséjectent,grondaWade.Tel qu’il voyait les choses, c’était la traquede lameute…C’était aussi ce quepensaitCharles,

d’ailleurs.L’interventiondesorganisationshumaines,siutilessoient-elles, l’agaçait toutautant.S’ilencomprenaitlanécessité,çanevoulaitpasdirequ’ilappréciait.

—Ilsontaccèsàdesinformationsquenousn’avonspas,lesapaisaAnna,mettantenévidencelaraisonpourlaquelleBranavaitdécidédelesimpliquerdanscetteaffaire.Laissez-lessechargerdutravail sur le terrain.Enplus,notrebutestd’éviterdemêler lameuteàça. Ilyaurasansdoutedutapagemédiatiquequandtoutçaserafini…D’unemanièreoud’uneautre.Jeconnaisl’agentduFBI,et,mieux,ellenousconnaît.Ellenousappelleraenrenfortquandilstiendrontquelquechoseetqu’onpourraserendreutiles.

—LeCantrip?Faireappelàunloup-garou?Wadeavaitl’airdevouloircracherparterre.—Oui,jesaisbien.(Annacompatitd’unhochementdetête.)Maisl’agentspécialFisherduFBI

noussollicitera,queleCantripleveuilleounon.Peud’humainssontréellementéquipéspourgérerunfaequiadécidédelesprendreouvertementpourproies.EtmêmesiLeedsestàmoitiéfae,jenesuispassûrequ’ilsaientquelqu’unquisoitcapablededétecterundoublefantôme.

Ellesetapotalenez.—Ilyaaussilefaitqueleshumainsveulentlesoutiendesloups-garoussilesfaesdécidentque

c’est la guerre, ajouta Charles, qui se leva et racla son assiette avant de la mettre dans le lave-vaisselle.

Ilyeutunbrefsilence,etWadedemanda:—Est-celecas?Sommes-nousenguerre?—Monpèreapassédessemainesànégocierafind’avoirl’assurancequ’onneseraitrattachésà

aucuncamp.Charlesmarquaunepause,nevoulantpascritiquersonpèreenpublic.Bran considérait les humains comme « étrangers ». Il était si loin de l’époque où il avait été

humainqueCharlesdoutaitqu’ilsoitcapabledeselaremémorersansefforts.Alorsqu’iln’avaitjamaisétéhumain,Charlesavaitgrandientouréparlafamilledesamère.Les

oncles et le grand-père qui avaient contribué à l’élever, les tantes et la grand-mère qui l’avaienthabilléetgâté.Grâceàsongrand-père,quiluiavaitléguésavisiondumonde,ilcomprenaitquelesloups-garous,leshumainsetlesfaesappartenaienttousàunecommunautéplusvaste.

Siuneguerreéclatait,toutlemondeseraitperdant.Lesfaesneportaientpasleshumainsdansleurcœur;pire,ilslesméprisaient.Cequisignifiaitqu’uneguerrecontreleshumainsn’effrayaitqueles

faeslesplusperspicacesetlesmoinsarrogants…Autrementdit,peud’entreeux.Maislesloups-garousétaientrespectés,eux.Iln’yauraitguèredefaesprêtsàdéclarerlaguerre

siçaimpliquaitd’affronteraussilesloups-garous.IlpourraitdoncyavoirdesbénéficesinattendussiCharlesforçaitlamaindesonpère.

Charlessoupira.—Regardez-nousdanscettepièce,danscettemaison.Noussommeshumainsetloups-garous,et

nousnoustenonsprêtsàallernousoccuperd’unfaequis’estattaquéauxarrière-petits-enfantsd’unloup-garou. La plupart d’entre nous sommes rattachés à la communauté humaine par des liensd’amouretdeloyautéqu’aucuntraiténesurpassera.Iln’yapasàsedemandersil’onseraentraînésdansunconflit.Onnepeutpasêtre séparésdeceuxquenousaimonsparcequ’ils sonthumains…commenouslesommesàbiendeségards.

Kagesefenditd’unsouriredeprédateur.—C’estjuste.DumomentquecequiafaitdumalàmaChelseaestmishorsd’étatdenuire,jeme

moquequecesoitànous,auxloups-garousouàlagendarmerieroyaleduCanadaquereviennelemérite.Mêmesij’aimeraisjouerunrôle.

Ilremitlanourritureauréfrigérateuretpoursuivit:—Mais cette attaque n’a pas étémenée à l’encontre deHosteen ou de sameute.Ondirait que

Chelseaaétéchoisiecommevictimeparhasard.Oualorsc’étaitàcausedesonhéritagedesorcièreetçan’avaitrienàvoiraveclesloups-garous.

—Chelseaestlapetite-filledeHosteenparmariage,grondaWade.C’estuneattaqueàl’encontredelameute,quelquesoitlemotifdufae.

Charleshochalatête.—Jesuisdecetavis.—Etsionavaitapprisqu’unenfantavaitétéenlevéparlesfées,intervintAnna,n’importequel

enfant,onseraitàsarecherche.Qu’ilsoithumain,sorcièreouloup-garou.Il entendit l’instinct protecteur qui l’animait au plus profond… Un instinct qui n’avait aucun

rapportaveclefaitd’êtreunloup-garou.Avecmélancolie,ilreconnutqu’elleferaitunemerveilleusemère.

Wadesouritàsafougue.—Biendit.Comptezsurmoi.—Entoutétatdecause,ditCharlesàKage,jepensequel’attaquemenéeàl’encontredeChelsea

n’avaitpaslameutepourcible,maisMackie.Lefaeasautésurl’occasionparnécessité…Cen’étaitpasplanifié.Cependant, les faes sont connuspour êtrepersévérants. Jeneconsidéreraispasque tafamilleestensécuritétantquenousn’auronspastrouvélecoupable.

Kagegrommela.—Jevaisgarderlesenfantsici,oùHosteenpourragarderunœilsureux.(Ilmarquaunepause.)

Quandilcesseradebouderetqu’ilreviendra,dumoins.Chelsea…Illaissasaphraseensuspens.—NotremeuteveillerasurChelsea,lerassuraWade.(Ilsouritausonprudemmentneutrequ’émit

Kage.)Hosteensefaitparfoisdesnœudsaucerveau,maisjeleconnaisdepuislongtemps.Ilfiniraparsesortirlatêtedu…

Iljetauncoupd’œilàAnnaetreformulasaphrase.—Ils’enremettra.Ils’enremettoujours.—Ouais,fitKagesansconviction.

—Est-ceque tupensesqu’on laretrouvera?demandaAnna lorsqu’elleémergeade lasalledebains,prêteàalleraulit.

—Oui,ditCharlesauboutd’unmoment.Parcequ’onnes’arrêterapasavant,quitteàmettrecettevillesensdessusdessous.

Ellesefigea,puissetournaverslui.—Tulesens,toiaussi?—Elleacinqans,dit-il.Et,danslemeilleurdescas,elleestentrelesmainsd’unfaedepuisdes

mois.Danslemeilleurdescas.Annahochalatête.—J’ailesentimentqu’ondevraitêtreencoredehorsàchercher.Maisjenevoispasenquoiça

nousavancerait,parcequ’àpartlamaisondesMilleretlagarderied’oùonestressortisbredouillesiln’yanullepartoùregarder.

—Vienslà,dit-il.Elleseglissadanslelitetdanssesbras.—Ontrouveracefae,luipromit-il.JenesaispassionarriveraàtempspourAméthyste,maison

arriveraàtempspourlavictimesuivante.Elleseblottitcontrelui.—D’accord,fit-elle.D’accord.IlsentaitFrèreLoupseréjouirdel’impétuositédesacompagne.Jamaisilnetiendraitpouracquis

lecadeaudesaprésencedanssavie. Ilavaitétéseulsi longtempsavec lacertitudequ’iln’yauraitpersonnepourlui.Ileffrayaitmêmelesautresloups-garous.Etunepartdelui–deCharles,pasdeFrèreLoup–n’avaitpasvoulutrouverquiquecesoit.Ilavaitcomprisqueteniràuneautrepersonnecommeil tenaitàAnna le rendraitvulnérable.L’exécuteurdesonpèrenepouvaitpassepermettred’avoirdesfaiblesses.EtpuisunjoursonAnnaétaitarrivée:forteetpleined’humourmalgrélemalquiluiavaitétéfait.Elleavaitd’abordapprivoiséFrèreLoup,maisàpeineavait-ilpassédixminutesensaprésencequ’ilavaitsuqu’elleseraitsienne.Qu’ilavaitbesoinqu’ellesoitsienne.

—Tugrondes,gémit-elled’unevoixensommeillée.Àquoitupenses?—Jepensequejet’aime,dit-il.Quejesuisreconnaissantchaquejourquetum’aiespermisdete

garder.Ellesoupirad’aiseetroulasurluiavecuneassurancedurementacquise.—Bien, fit-elle. La gratitude, c’est bien. L’amour, c’est mieux. (Alors que sa bouche touchait

presquelasienne,ellemarquaunepause.)Jet’aime,moiaussi.Illuiavouaalors:—Lejouroùjet’airencontréeaétélepremierjourdemavieoùj’airessentidelajoie.Elleprituneinspiration,surprise.—Moiaussi,déclara-t-elleavecunetellesincéritéquelesyeuxdeCharleslebrûlèrent.Moiaussi.Puiselleparcourutlesquelquesmillimètresquiséparaientleurslèvres.Ils firent l’amour. Il fut amusé de la voir lui saisir la main et la plaquer sur sa bouche afin

d’étouffer les bruits qu’elle faisait. Il la laissa là jusqu’à ce qu’elle soit trop impliquée pour s’ensouvenir,puisilseservitdecettemain-làaussi.

Elle ne voulait pas qu’on entende ses cris, mais dans cette maison où les seuls loups-garousétaientChelsea etWade,qui se trouvaient à l’autrebout et àun tout autre étage, il n’y avait aucunrisque.

Lorsqu’ilseurentfini,elles’étenditmollementsur luietsombrasanseffortdanslesommeil.Ilrestaéveilléunmomentàécouterlapluiebattantedehors.

LapluieauraituneffetsalutairesurlesruminationsdeHosteen,ilenétaitcertain.C’estça,vieilhomme,réfléchisdoncavantdet’énervercontremafemme,quiasauvéChelsea.Cen’estpassafautesiçaaeuautantd’effetsurtoiquel’alcoolsurtonpèreetsiçaaréveillédevieuxdémons.Renvoie-lessecoucher,vieilhomme.

Etprépare-toiàaccueillirChelseadanstameuteenymettanttouttoncœur.Oubientuperdrastonpetit-filsettonfilslamêmeannée,car,siChelseadoitpartir,ilpartiraaussi.IlestaussibutéquetoiouJoseph.

Charlesn’avait jamais le trucpour envoyer sesparoles dans la tête d’autres gens, sauf parfoisdanscelled’Anna.Maisilseditquelapluies’enchargeraitpourlui.

Annas’agitadanssesbras.—Ondoitlaretrouver.Ildéposaunbaisersurlesommetdesatête.—Oui,ditFrèreLoup.

CHAPITRE9

Leslielesappelaà7heureslelendemainmatin.AnnadécrochaleportabledeCharles,carcelui-cisortaitàpeinedeladouche.

—IlparaîtquevousvousêtesarrêtéschezlesMilleruneheureenvironavantquedeuxdemesagentsduFBIypassent,dit-elle.Avez-voustrouvéquelquechose?

—Ouietnon,luiréponditAnna.Nousavonseulaconfirmationqu’Améthysteadisparudepuisdesmois.Nousavonspris l’unedesespeluches,dontCharlesetmoipourronsnousservirpourlaretrouveràl’odeursionparvientàserapprochersuffisamment.Personneduvoisinagen’estunfae.À moins qu’il masque sa piste olfactive en permanence, mais Charles m’a assuré que c’est peuprobable.Laplupartdesfaesnes’attendentpasàavoirdesloups-garousauxtrousses.

—Bien,fitLeslie,maisj’auraispréféréquevousm’enparliezavantdepartiràlachassedevotrecôté.

—D’accord,opinaAnna,s’abstenantsciemmentdepréciseràquoielleacquiesçait.Leslieeutunrirelas.—J’aichargédesgensdevérifier lesantécédentsde toutes lespersonnesquiont travailléà la

garderie,maiscen’estpasunepriorité.Jepensequelesproblèmeslà-basontétécausésparledoublefantôme.TouslesgensquisontmortsavaientunlienouunautreavecAméthyste.

—C’estcequ’onpenseaussi,affirmaAnna.—Ons’estoccupésdedresserdeux listes.Lapremière recense lesévénementsétrangesquise

sontproduits à proximitéde lagarderie.Pour la seconde,Leeds a émis l’hypothèseque ledoublefantôme n’était peut-être ni le premier ni le dernier créé par ce fae. Nous avons donc appelé lesconseillersetpsychologueslocaux,ainsiquetouteslespersonnessusceptiblesdenousaiguillerversdes enfants dont la personnalité aurait subitement changé.On continuede recevoir des appels à cesujet. Ce qu’on aimerait, c’est que tu fasses équipe avecmoi pour les événements étranges et queCharlesaillesepenchersurlesenfantsavecLeedsetMarsden.Jesaisquevoustravaillezensembleengénéral,maisni lesagentsduCantripnimoineserionscapablesdedistinguerun faed’undoublefantômesionenavaitunsouslenez.

—Leedsn’estpascapabledereconnaîtreunfae?s’étonnaAnna.—Ilditqu’iln’estpastoujoursfiable,etonnepeutpassepermettred’erreur.Onaonzecoupsde

filàpasser…Avecunpeudechance,onréussiraàs’occuperdelaplupartaujourd’hui.—Efficace,approuvaAnna.Elleentenditunsoufflequiauraitpuêtreunrire;difficileàdireautéléphone.—Onauneenfantendanger,Anna.Onprendçaausérieux.Beaucoupdepersonnesontveillé

toutelanuitafinderassemblercesinformationspournous.—OK,ditAnna.Oùveux-tuqu’onseretrouve,ducoup?Commejeneconnaispaslecoin, je

vaisavoirbesoind’uneadresseprécise.Quandelleraccrocha,elleregardaCharlesquiseséchait lescheveuxavecsaserviette ; ilavait

entendul’essentieldelaconversation.—Onalapermissiond’allerfaireparlerdesgens.—Çame va, dit-il. J’éviterai de terrifier un pauvre gosse au point qu’il ne puisse plus parler

pendantunan.Toi,évitedetefaireattaquerparunfaequin’apasidéedudangerquetureprésentesparcequetuasl’airsidouceetgentille.

Elleréfléchitunmomentavantderépondre,carlavoixdeCharlesétaitjusteunpoiltropneutre.—Nan,objecta-t-ellesuruntondétaché,commesiellerépondaitàlalégère.Tuesplutôtdoué

poureffrayerlesadultes…Tudégagesuntrucquidit:«Jepourraistetueravecmonpetitdoigt»mais lesenfantsou lesadultesmeurtris…ilsn’ont rienàcraindrede toiet ils le savent.Çane lesempêchepasd’êtreintimidésentaprésence,maisilssontconscientsquetuneleurferaspasdemal.

Ellel’avaitsuelle-même.Bien sûr, elle avait eu peur de lui la première fois qu’elle l’avait rencontré…Elle n’était pas

stupide.Ilétaitimposantetellesavaitpertinemmentquelataillecomptait,mêmeentreloups-garous.Maisson instinct luiavaitditquecelui-làsedresseraitentreelleet tousceuxquiessaieraientde lablesser.Cetteauradeprotecteur…c’étaitcequifaisaitdesoncompagnonunAlphasipuissant.

Charlessecontentadeladévisager.—Tulesaisça,n’est-cepas?Laplupartdesgens t’évitent,maisceuxquisontsansdéfenseet

meurtris,c’estcommes’ilsseglissaientpeuàpeudanstonombre.Làoùtunelesremarqueraspastrop…Ettutienslesmauvaiseschosesàdistance.

Ilnedisaittoujoursrien.Elleboutonnasonjean,puiss’avançadedeuxpaspoursepressercontrelui.

—Onlesait,luichuchota-t-elle.Nousquiavonsétéblessés,onsaitàquoiressemblelemal.Onsaitqu’onestensécuritéavectoi.

Ilneditrien,maisilpassalesbrasautourd’elleetellesutqu’elleluiavaitditquelquechosequ’ilignorait…etqueçacomptaitpourlui.

Charlesdemandaàl’undesemployésdeKagedelesdéposeràl’aéroport,oùillouaunevoiture

souslenomdeM.Smith.Ilsortitlefauxpermisdeconduireainsiquelacartedecréditqu’ilréservaitauditM.Smith.Annaleregardanoterlafausseadressesanshésitation.

Alors qu’ils se dirigeaient vers l’ascenseur du parking qui les mènerait à leur voiture, ellechuchota:

—Tumensplutôtbienpourunhommehonnête,monsieurSmith.Illagratifiad’undesessouriresquin’étaientvisiblesquedanssonregard.Ilsavaientlechoixentrequatrevoitures,identiquesàl’exceptiondelacouleur.Charleshaussale

sourcilàl’intentiond’Anna,etellesemitàtournerautourdesvéhiculesenréfléchissant.—Lagrise,lablancheetl’argentéepasseronttoutesinaperçues,observa-t-elle.—Ilfautdoncabsolumentquel’onprennel’orangemétallique,acquiesça-t-il,l’airgrave.Elleluidécochaungrandsourire.Elle prit le volant de la voiture orange et il lui indiqua le chemin. Frère Loup n’aimait pas la

circulation, iln’aimaitpasconduiredu tout, et soncomportementétait si imprévisible sur la routequeCharlesn’aimaitpasconduirenonpluss’ilpouvaitl’éviter.EtilavaitditàAnnaqu’ilssefiaienttouslesdeuxàelle.

Elle savait qu’elle n’était pas une conductrice hors pair. Au mieux, sa conduite était fluide etrespectueusedelaloi.Elleneprenaitpasderisquesetsemoquaitdesconducteursmalpolis.CharlesluiavaitditquemêmeFrèreLoupavaitdumalàsemettreencolèrecontrequelqu’unquiamusaitAnna.

Elle espérait sincèrement qu’ils ne tomberaient pasdurant les jours suivants sur le typequi luiavait faitundoigtd’honneuralorsqu’ilsquittaient l’aéroport.Cen’estqu’enécrasant lapédalede

freinqu’elleavaitévitédelepercuter.Qu’est-cequipoussaitlesgensquisecomportaientcommedesimbécilesàaggraverleursfautesenfaisantdesdoigtsd’honneuràceuxquilessauvaientd’erreurspotentiellementmortelles?

Oui,elleespéraitquececrétinnes’approcheraitpasdeCharlesdesitôt.AvecCharlesquigéraitlenavigateurdelavoiture,ilsarrivèrentaucafépileàl’heure.Ilsfurent

accueillispartoutlemonde…etparducaféservidansdegrandsgobelets.—Sionpouvaitm’injecterenpermanencecetrucdanslesveines,murmuraMarsdenalorsqu’ils

sortaientducafépourretournerauparking,jesombreraisdansunmerveilleuxcomacaféinéetn’enressortirais plus jusqu’à mourir de pur bonheur. Pas n’importe quel café, attention, seulement lemokacaramelextra-noirdecetteenseigne.

Illeserraentresesmainscommesicelareprésentaitquelquechosedeprécieuxpourlui.LeedssirotasoncidresansalcooletregardaAnna.—Jesaisquejesuisbizarre,fit-il.Maisj’avaisl’espritailleursetjen’aipasétéattentifàcedont

vousdiscutiez.Ilfaudramepardonnersijeteposeunequestionàlaquelletuasdéjàrépondupourlui.Tudisaisquetoiettonmariêtesdesloups-garous?

—Oui,acquiesça-t-elle.—Commentest-cearrivé?demanda-t-ilsérieusement.Est-iltombéamoureuxdetoiavantdete

mordreouest-cetoiquil’asmordu?Oues-tualléesurunsitederencontrespourloups-garous?Jenesavaismêmepasqu’ilexistaitdeslouves-garous.Onnevoitquedeshommesàlatélé.

Marsdenluidonnaunepetitetapeamicalesurlatête.— Je ne peux te laisser seul avec personne, hein ? J’aime t’avoir comme partenaire. C’est

rafraîchissantdetravailleravecquelqu’unquisaits’exprimeravecdevraiesphrases,etavecquijepeuxutiliserdesmotsquifontplusd’unesyllabe.S’ilteplaît,tâchedenepasirriterlesloups-garous.Pourmoi.Lesnouveauxpartenaires,c’esthasardeux.

—Non,ditAnnaenriant.Cen’estrien.Ons’estrencontrésparcequejem’étaisattirédesennuisetquej’aiappeléàl’aide.(Ellejetauncoupd’œilàLeslie.)Commetessupérieursdansl’affairedeBoston. Charles est arrivé et a réglé mes problèmes sans laisser de traces. Je me suis dit qu’unhommepareilpourraitm’êtreutile.Alorsjel’aigardé.

—Tunet’espasattiréd’ennuis,grondaCharles.Tut’enessortie.LeedsregardaCharles,etAnnavitdanssesyeuxqu’ilétaitl’undeceuxqu’onavaitmeurtris,l’un

deceuxquicomprenaientquesonCharlesprotégeaitlespersonnessansdéfense.Choseintéressante,Marsdenlevitluiaussi.Ilserral’épauledeLeedssurlaquelleilavaitposélamain.Leedsluijetauncoupd’œiletsourit.

—Voilà pourquoi je te prends avecmoi, confia tout basLeslie àAnna.Tu saisis beaucoupdechosesquisontéchangéessansparoles.

Puis,àvoixhaute,elledéclara:—Bon, les sbires. Trouvez-nous notre coupable. On se donne rendez-vous ici à 16 heures si

personnenetrouverienquivaillelapeined’appelerlesautres.Ils’avéraqueLeslieetAnnaavaientdesvoituresdelocationidentiques,garéesàquelquesplaces

d’intervalle.Annajetauncoupd’œilàLeslieetrit.—Ondiraitqu’onvadevoirseservirdelaclépoursavoirquellevoitureestàqui?—Non,réponditLeslieauboutd’unmoment.Lamienneauneégratignuresurlaportièrecôté

conducteur.C’estlaplusproche.Autantquetulaisseslatienneverrouillée,poursuivit-ellesuruntonsansappel.C’estmoiquiconduis.

Annalevalesyeuxauciel.

—Lavoixdemaman,çanemarchepasavecmoi,informa-t-elleLeslie.J’aiétéélevéeparmonpère,unhommetrèsrationneletcalmequiexpliquaitleschosessuruntonnormal.Quandiljurait,c’étaitenlatin,etças’adressaitleplussouventàmonfrère.

Leslielajaugeaduregard.—Laseulepersonneàquijemefieàpartmoipouramenermesfesseslàoùellesdoiventaller

sansencombreenseigneencemoment la tablededeuxàdesélèvesdeprimaire.Ça t’embêtesi jeconduis?

—Tuvois,plaisantaAnnaencontournantlavoiturepourrejoindrelesiègepassager,cen’étaitpassidifficilequeça,si?

—Anna,déclaraLeslie, jepenseque jen’auraipasdemal à apprendre àm’entendre avec toi.Parcourscesdossiersetvoisparquoituveuxcommencer.

Il y avait une pile de dossiers calée entre les sièges. Quatorze étaient neufs et de différentescouleurs,tandisqu’unétaitabîméetdécoloré.Elleouvritceluiquiétaitenmauvaisétatetdit:

—1978?—Ungarçondecinqans…Tentatived’enlèvement,saufquelegarçonavaitungroschienquil’a

entenducrier.Et…(Elles’interrompit.)Liscedossier,tumedirascequetuenpenses.Annaobtempéra.Etréfléchit.—Çaal’airdetenirdebout.Lesfaesn’aimentpaschangerdelieu.Branluiavaitditçaunefois.Ilyenavaitquelques-unsquisedéplaçaienttoutletemps,maisla

plupartd’entreeuxtrouvaientunendroitoùs’installeretyrestaients’ilslepouvaient.—Laplupartd’entreeux,entoutcas.Ilsnevieillissentpas.Etilsnechangentpasleursrituels,à

moinsqu’ils’agissedefaesdelaHauteCour.(Etdirequequelquesannéesplus tôt, toutcequ’elleavaitsuausujetdesfaesvenaitdesfilmsdeDisney.)Ilsnepeuventpas.

—C’est ce queLeeds a dit.D’après lui, on humanisait trop ce coupable.C’est lui qui est alléfouillerdanslesdossiersplusvieux.Ilatrouvéquatrecasquicollaient,maiscelui-ciétaitleseuloùl’enfant s’était échappé. Il a grandi et vit toujours dans la région de Phoenix. Il enseigne lesmathématiquesavancéesàl’universitéd’ArizonaState.(ElleadressaàAnnaunsourirededéfi.)Situl’appelaispourvoirsionpeutobteniruneentrevue?

Ils’avéraqueleprofesseurAlexanderVaughnvenaitàpeinedefinirsesdeuxcoursdelamatinée

etqu’ilétaitlibrelerestedelajournée.SiellesvoulaientlerencontrerchezluiàTempe,ilseraitraviderecevoirunagentduFBIetsaconsultante;ellesdevraientarriveràsamaisonàpeuprèsenmêmetempsquelui.

Annaluiditquec’étaittrèsaimabledesapart.—Iln’apasdemandédequoiilétaitquestion,notaAnnaaprèsavoirraccroché.—C’est peut-être un fan de crimes, observa Leslie. Beaucoup de gens le sont. Peut-être qu’il

s’ennuieouqu’ilsesentseul,vasavoir.Pasdespéculationstantqu’onneluiapasparlé.—C’estlapolitiqueduFBI?—C’estmapolitique.Lessuppositionsempêchentl’interviewdeprendreuntournantintéressant.—D’accord,acquiesçaAnna.Allonsparlerauprofesseur.Leslies’arrêtadevantunemaisonquiavaitétéconstruitedanslesannées1950.Detouteévidence,

ellesavaientprisleprofesseurdevitesse.Leslienerespectaitpasleslimitationsaussibienqu’Anna.Elleavaitquinzeminutesd’avancesurl’estimationdunavigateurdelavoiture.

Lamaisonétaitgrandeetsedistinguaitsurtoutparlefaitqu’ellen’étaitpasconstruitedanslestyleen adobe du Sud-Ouest auquel Anna commençait à s’habituer. Le jardin n’était pas non plus

xéropaysager, conformément au programme scrupuleux de préservation de l’eau qu’elle voyaitpartout. Le tout petit jardin de devant était tapissé d’herbe verte, et d’immenses vieux arbresentouraient la maison. C’était sans doute grâce à leur ombre que l’herbe survivait aux étés de larégion.

Une Volvo ancienne mais en parfait état s’engagea dans l’allée en ronronnant. Il en sortit unhommeathlétiquedontlacoupemilitaireparvenaitàatténuerl’effetdesescheveuxcarotte.Ilclaqualaportièreetlesobservaenprenantsontemps.Annaluirenditlafaveur.Ilsemblaitunpeuplusjeunequequelqu’unquiavaiteucinqansen1978.

Ils’avançalentementversellesetproposa:—Puis-jevousaider,mesdames?—ProfesseurVaughn?demandaLeslie.Ilsecoualatête.—Non.Quiêtes-vous?Pourquoicherchez-vousAlex?Ilsfurentinterrompusparlerugissementd’unmoteur,etungrandpick-upsegaradansl’alléeà

côtédelaVolvo.Ilétaitpeintennoiravecdesflammesrosevif,etsihautperchéqu’ileutdumalàpasserlevirage.

Laportières’ouvritetunscientifiquefouenjaillit,endécalagetotalavecsonvéhiculedebeauf.—C’estbon,monamour,lança-t-il.Situavaisdécrochétonportable,jet’auraisprévenu.L’hommeauxcheveuxrouxsetournaversleprofesseur,inclinalatêteetdéclara:—Jeneparlepasquandjeconduis.Ettunedevraispasappelerquandtuconduis.Mêmeavecles

oreillettes.Jeneveuxpasrecevoirdecoupdefil.Lescientifiquefouhochalatête,embrassal’hommeimposantsurlajoueetluitapotal’épaule.—JesuisAlexVaughnetcebouledogueestmonpartenaire,DarinRichardsdudépartementde

policedePhoenix.Ilsefaitdusouci,c’estsonboulot.Dare,cesdamessontduFBI,ellesveulentmeparler.

Darintournavivementlatêteverssonpartenaire,puisverslesdeuxfemmes.Ilétrécitlesyeux.—Piècesd’identité,fit-il.Leslieluimontrasonbadgeetill’examina.Ilfronçalessourcilsetdit:—Jenevousconnaispas.JetravaillebeaucoupaveclebureaulocalduFBI.—Ilsm’ontfaitvenirexprèspourcetteaffaire,expliquaLeslie.IlregardaAnna,quilevalesmains.—Nemeregardezpas,jenesuisqueconsultante.—EtvousêtesicipourparleràAlex.—AvecledocteurVaughn,ditLeslie.Oui.—Dare,fitlescientifiquefou.C’estbon.—Peut-être,admit-ilsansacquiescerdutout.Pourquoiêtes-vousici?—Faut-ilquel’onfasseçasurlapelouse?demandaLesliesanssedépartirdesonsourire.—Dare,ditAlexavecdouceur.Quepourraient-ellesbienmefaire?Metirerdessus?Allonsà

l’intérieurprendreuncaféetdiscuter.(IlregardaLeslie.)J’aiquelqu’unquimeharcèle,uneancienneélève.Elledéposerégulièrementdesplaintes,etonaeudespoliciersquisontvenusausujetdebruitsétranges,decris,decoupsdefeu.Untasdechoses.LapolicedeTempelaconnaît,maisdetempsentempselle tombesurunbleuau téléphone.Lespompiersétaient ici lasemainedernièreà2heuresparcequ’elleasignaléunincendie.Jesupposequ’elles’estlasséedenepasobtenirderéaction.

—Nousnesommespasdutoutvenuesparcequequelqu’unadéposéuneplainte,expliquaLeslie.On aimerait vous poser des questions au sujet d’une tentative d’enlèvement – le vôtre – qui est

survenueenjuin1978.Lesvisagesdesdeuxhommesdevinrentblêmesdesurprise.Darinfutlepremieràseremettre.—Tu nem’as jamais dit qui tu avais été enlevé. Bon sang ! Alex, tu devais avoir six ans en

juin1978.Non,cinq.—Une tentative seulement. (Le docteurVaughn semblait sous le choc.) Je ne crois pas que la

policem’aitcru.Monpèreainstalléunsystèmedesécuritéetmamèreadonnédusteakàmangerauchientouslesjourspendantunesemaine.

— Personne ne croyait aux fées à l’époque, dit Anna. Mais on ne parle plus que de la féeClochette,maintenant.Onauneenfantdisparuequivitàquatrepâtésdemaisonsdelàoùvousavezgrandi.Est-cequevousvoudriezbiennousparlerdecequis’estpassé?

—Biensûr,dit-il.Jesupposequeoui.Maisj’avaiscinqans.Etc’étaitilyalongtemps.—Et si j’allais frapper à côté voir si tamère est rentrée ? proposaDarin.Cette femme a une

mémoireinfaillible.Ellesesouviendradecequetuluiasditquandc’estarrivé.—Vouspensezquec’étaitunfae?demandaledocteurVaughn.—Ilétaitvertetpoilu.Ilavaitsixdoigtsgriffusàchaquemain,indiquaAnna,pragmatique.Elleavaitmémorisésadescriptiondèslapremièrelecture;çan’avaitpasétédifficile.Laterreur

dugarçonetlescepticismedupoliciertranspiraientderrièrelesmotsfroidementtapésàlamachineàécriresurdupapierplusvieuxqu’elle.

Ellepoursuivit:—Ilavaitunedrôledevoix…Commeàlatéléparfois.Ilavaitunelonguelanguejauneetilt’a

appelé«berne».Iladit,«Viensici,berne».(Elleregardalepolicier.)DarinRichards,siquelqu’unvenaitfaireunedépositionaujourd’huiplutôtqu’àl’époqueoùlesfaesn’avaientpasencorerévéléleurexistence,quediriez-vousquec’était?

—«Berne»,réponditDarin.Bairn’veutdire«enfant»,non?S’ilavaitétéenÉcosseplutôtqu’àScottsdale.

—Oui,confirmaLeslie.—Entrezdoncprendreducafé,leurproposaDarin.D’unevoixplusdouce,ildit:—Çaexpliquecertainsdetescauchemars,Alex.Fais-lesentrer,jerevienstoutdesuite.Lescientifiquefou–enfin,lemathématicienfou–arpentaitlamaisondelongenlarge,mêmes’il

avaitinvitéLeslieetAnnaàs’asseoiràlatableetavaitposéducafédevantelles.Ilavaitdescheveuxfrisés qui étaient du genre à ne jamais rester en place, et ils étaient environ cinq centimètres troplongs ou vingt-cinq centimètres trop courts pour avoir l’air présentables. D’autant qu’ilsappartenaientàquelqu’unquiavaittendanceàlesempoigneretàlestordreoulestirerquandilétaitnerveux.

Annaletrouvaitadorable.Ellevoulait l’adoptercommegrandfrèreet luidonnerungroscâlinpourcalmersonanxiétégrandissante.

—Monpèreétaitflic,dit-il.Lesliehochalatête.—C’étaitdanslerapport.—S’iln’avaitpasétéflic, iln’yauraitpaseuderapport,observaleprofesseurVaughn.Ilm’a

cru.Arrivéàl’âgededixans,jemesuisdemandépourquoi.Mince!c’estàpeinesij’ycroismoi-mêmemaintenant.Enfinquoi,cetrucavaitl’airdemesurerdeuxmètres,etilaprislafuiteàcausede

monchienetd’unferàchevalquejeluiaijeté?—Cechienaimpressionnéceluiquiaécritlerapport,fitremarquerAnna.Iln’yavaitpaseudephotosduchiendedans,maiselle sedoutaitbienque lamention«Chien

groscalibre»–accompagnéed’unpointd’exclamationetd’uneremarqueaucrayondepapierquidisait:«Cetrucm’auraitfaitfuiraussi»–signifiaitquecen’étaitpasunchienbanal.

—Ouais.(LeprofesseurVaughncessad’alleretveniretsourit.)Monpèrel’aramenéduboulotunjour,quelquesannéesavant…l’incident.Jenem’ensouvienspas,maisc’estunedeceshistoiresde famille, vous savez ?Mamère avait peur de lui et voulait que papa le ramène là où il l’avaittrouvé.C’estalorsquecegroschienestvenujusqu’àelleetaposélatruffesursonpiedensoupirant.Ill’adévisagéejusqu’àcequ’ellelenourrisse.Elleétaitsouslecharmeaprèsça.

Ilsouritàcesouvenir,puisrepritsonsérieux.—Onnel’aeuqu’unmoisdeplusenvironaprèsça.Unjour,ilatoutsimplementdisparu.Peut-

être a-t-il été renversé par une voiture ou quelque chose comme ça. Je pense que papa savaitexactement ce qui s’était passé, parce qu’il n’est jamais allé à sa recherche. Et renversé par unevoiture,c’estlegenredechosequ’onévitededireàunenfant.Hé!jesuistombésurunephotodeluil’autrejour.

Il quitta la cuisine à une vitesse qui disait qu’il était reconnaissant de cette diversion, et Annal’entenditouvriretfermerdestiroirsdansuneautrepièce.

Lesliecommençaàdirequelquechose,maisAnnasecouala tête.Elleentendaitdesgensparlersurlepalier.Uninstantplustard,DarinouvritlaporteetescortadanslacuisineuneversionféminineminusculeduprofesseurVaughn.

Ellefronçalessourcilsàl’intentiondeLeslieetd’Annaets’assitenfaced’ellesavecladignitéd’unereine,l’airsoupçonneuse.

—Darinmeditquevousêtesicipourensavoirplussurlafoisoùquelquechoseestvenudansnotrejardinetaessayéd’enlevermonfils,dit-elle.

—Nouspensonsquec’étaitunfae,expliquaLeslie.Çaressemblaitàunfae.Ças’estcomportécomme un fae. Et un fae a enlevé une petite fille et a laissé à sa place un changeling, un doublefantôme.Nousessayonsde retrouvercettepetite fille.Elleacinqans.La tentatived’enlèvementdevotrefilsaeulieunonloindelàoùl’onpensequenotrepetitefilleaétéenlevée.Trenteetquelquesannées,çanousparaîtpeut-êtrelong,maiscen’estqu’uneminutepourunfae.

LamèreduprofesseurVaughnsedépartitdesaraideurets’adoucit.—Trenteans,çanemesemblepassiloinqueçaàmoinonplus.Elleregardalepartenairedesonfilsetdit:—Assieds-toidonc,Darin.Jedevinequ’Alexnet’ajamaisparlédeça.—Non,m’dame,acquiesça-t-il.—Qu’enpensez-vous?demandaLeslie.—J’enpensequemonfilsn’a jamaisexagérénimentiàproposdequoiquecesoitdesavie,

mêmequandça lemettait trèsmalà l’aise. Ilavaitdouzeansquand ilnousaditqu’ilpréférait lesgarçonsauxfilles.C’étaitjusteaprèsqu’undesesamisavaitétééjectédechezluipourenavoirfaitautant.IlfallaitquecesgenssoientstupidespourrejeterlachoselaplusprécieusequeDieuavaitjugébon de leur donner, voilà ce que j’en dis. (Elle regarda Leslie.) Donc oui, je l’ai cru. Je croiségalementquenousn’avonspasétéprésentées.JesuisMaryLuVaughn.

—AgentspécialLeslieFisher,duFBI,seprésentaLesliealorsqueleprofesseurVaughn,quiétaitrevenudanslapièce,posaittranquillementunephotosurlatable,l’airtriomphant.

—AnnaSmith,consultantespéciale,ditAnna,lesyeuxrivéssurlaphotodedeuxpetitsenfants

quiessayaientdeprendreunecordeàunénormeanimalnoir.Etça,c’estunloup-garou.Charlesétaitassisàl’avantcôtépassager.Dèsqu’ill’avaitvuessayerdemonterderrière,Leeds

avaitdit :«Hé !monvieux, çanemarcherapas,hein?Pasde souci, je vaisprendre labanquettearrière.»

Charlesn’étaitpasravid’avoirunétrangerdanssondosmais,commeFrèreLouplui-mêmeneparvenaitpasà luidonner lesentimentquecethommeconstituaitunemenace, ilenconclutqueçairait. Iln’aimaitpasnonplus laconduitedeMarsden. Il roulait tropviteetn’avaitpas les réflexesd’unloup-garou.Maiss’ilyavaitunaccident,Charlesseditqu’ils’ensortirait,luiaumoins,etgardadoncsescommentairespourlui.

—Bon,onaconcentrénoseffortssurScottsdaleparcequeLeedspensequeleterraindechassedecefaenedoitpasêtretrèsvaste.Ceuxquienlèventlesenfantsonttendanceàs’attacheràunlieuprécis,encoreplusquelesfaesordinaires.

Voyantqu’ilattendait,Charlesremarqua:—Çasembleêtreunemanièreraisonnablederéduire lechampdesrecherchesquiseraitsinon

beaucouptropétendu.—Bien,ditMarsden.Pourcommencer,onvaallerchezunefamilled’accueilrendrevisiteàune

jeune fille de quatorze ans.Les parents de cette fille l’ont abandonnée à l’État sous prétexte qu’ilsn’arrivaientplusàlagérer.Ilsontaffirméqu’elleétaitpossédée,qu’ilyavaitdesobjetsquivolaientdanslapiècealorsquepersonnenelestouchait,etc’estpourçaqu’onvalavoirmêmesielleestplusâgée que la fillette qui a été enlevée. Même si ses parents ont dit qu’elle était dangereuse, lepsychologue qui nous a contactés à son sujet a déclaré qu’elle était renferméemais qu’elle ne semontraitpasdutoutviolente.Lamèreadoptiveditqu’onpeutluiparlerdumomentqu’onluipermetderesterdanslapièce.

—Pourquoin’est-ellepasàl’école?demandaCharles.—Ouais,acquiesçaMarsden.Jenesaispas.Maisonposeralaquestion.Lamaisonoùilsserendirentressemblaitàtouteslesautresmaisonsdelarue.Cen’étaitpasun

quartierhuppé,maisiln’étaitpaspauvrenonplus.Lafemmequileurouvritétaitunehumained’environcinquante-cinqans,d’aprèsl’estimationde

Charles. Elle se présenta sous le nomde JudyWhite, examina les badges deMarsden etLeeds, etfronça les sourcils à l’intention de Charles. Leur présence ne la contrariait pas, mais elle étaitprudente.

—Ilestconsultant,expliquaLeeds.Pasdepièced’identitéofficielle.Elleavaitlaminesombre.Encoreplussombrequ’avant.Maisellesecontentadehocherlatête.—Blairneparleraàaucundevous,dit-elle.Elleestarrivéeiciilyadeuxsemainesetn’aadressé

laparoleàpersonne.Ellenemangepasbeaucoup.Si jepouvaisentoucherunmotàsesparents…(Elleprituneinspiration.)Ehbien,nerestezdoncpasdehors.Entrez.

Ellelesmenadansunemaisonquisentait…(Charlesfermalesyeuxpourinspirerprofondément)lescookiesàpeinesortisdufour…lepainmaisonfrais…unhomme,unefemme, troisenfantsetquelqu’unentre eux ; cedevait être la fillequ’ils cherchaient.Lechagrinaussi.Cettemaisonavaitconnu beaucoup de chagrin, mais elle dégageait également de la chaleur. Il ne décela nulle partl’odeurdudoublefantôme,quiavaiteudesaccentsdesous-bois,demagieetdeténèbres.

Il ferma laportederrière lui et tâchadenepas se sentir commeungéant envahissantquand lafemme les mena dans une pièce qui comportait deux canapés et quelques-uns de ces fauteuilsmoelleux équipés de repose-pieds dépliables. Charles se serait laissé tirer dessus plutôt que de

s’asseoir dans l’un d’eux. Il avait toujours l’impression qu’ils essayaient de l’aspirer, et c’étaitimpossibled’ensortirrapidement.

Ilétaitencoreentraindesedemanderoùilallaits’asseoirquandlafemmefitvenirunegrandefilled’environquatorzeansquiportaientdesvêtementstailléspourunefemmedeuxfoisplusépaissequ’elle. Elle ne regarda aucun d’eux, se contentant de s’asseoir au bord de l’un des fauteuils quiengloutissaientlesgens.C’étaitunefilleauteintblancetauxcheveuxpâlesquin’avaitguèreplusquelapeausurlesos.Lemotquivintàl’espritdeCharlesnefutpas«affamée»mais«effacée».Voilàpourquoipersonnene l’envoyaità l’école.Même leshumains, toutaveuglesqu’ils soient,devaientbienvoirqu’elleétaitdéjàpresquepartie.

JudyWhiteluiprésentaMarsdenetLeeds,maisellenefitaucunementiondeCharles;cequiluiallait trèsbien. Il regardaMarsdenetLeeds interpréterhonorablement les rôlesdugentil flicetduméchantflic.Contretouteattente,c’étaitLeedsquiendossaitceluiduméchant.Lafillelesvoyaitbien,pasdedoute,maisellen’ouvritpaslaboucheetneréagitàriendecequ’ilsdisaient.

Elleestabandonnée,chuchotaunevoixàsonoreillegauche.Àsadroite,uneautredit:Sonvrainomest«chagrin».

Iln’agissaitpastoujoursenfonctiondecequeluisoufflaientlesesprits.Cettefillelesintéressait.Invisiblesmêmepourlui,ilsflottaientdansl’airautourd’elle.

Ellepourraitincarnerlacolère,luidirent-ils.Ellepourraitincarnerlavengeance,carelleabiendesraisonsd’êtreencolère,biendesmotifsdevengeance.Ceuxquiauraientdûprendresoind’elleontagidansleurpropreintérêtalorsqu’ilsauraientlégitimementdûagirdanslesien.Onluiacausébeaucoupdetort.

Il songea que c’était de cette fille mi-femme mi-enfant que venait le chagrin qui tentaitd’enveloppercettemaison.IlavaitditauxagentsduCantripqu’ilneparleraitpas,maisilnepouvaitpaslaisserpasserça.Quelqu’undevaitl’aideravantqu’elledécidedequittercetteexistence.Ilavaitlenetsentimentqu’onauraitbesoind’ellequelquepartun jour,qu’ilsepasseraitdeschoses terriblessanselle.Maiscenefutpaspourçaqu’ilchoisitd’intervenir.FrèreLoupl’appréciait.

Il s’agenouilla par terre à ses pieds, interrompant Marsden qui essayait de l’amadouer pourqu’elleparle.JudyWhitesepenchacommepours’interposerentreeux,puiselleserepritlorsqu’elleserenditcomptequ’iln’yavaitpasd’agressivitédesapart.

Sansrientempérerdesonimpétuositéhabituelle,FrèreLoupdit:—Petitesœur,pourquelleraisontesyeuxversent-ilsdeslarmessèchesettoncœurcourageuxse

serre-t-ildedouleur?Enquoipeut-onterendreservice?Noustedéfendronsdetouteslesmanièresnécessaires.

Etparcequec’étaitFrèreLoupquiparlait,Charlessentitlesmotstraverserlesbarrièresqu’elleavaitdresséesentreelleetlemonde.

Elleleregardaenclignantdesyeux,ettousseturentenattendantqu’elleparle.Elleseraclalagorge.—Jenesuispastasœur,lança-t-elled’unevoixrauque.Maiscommec’étaitdelaconfusionplutôtqu’unrejet,Charlesetsonlouppatientèrent.Ilsétaient

làpourlaservir,paspourluiextorquerdesinformations,paspourprendre.Tropdegensluiavaientdéjàprisdeschoses.

—Mon bébé, dit-elle enfin. Ilsm’ont forcée…Et jeme suis demandé, comment j’allaism’ensortiravecunbébé?Sonpèrenevoulaitpasd’elleetmesparentsnonplus.Alors je lesai laissésfaire. J’aurais dû les en empêcher. J’aurais dû la protéger. Elle n’avait personne d’autre. Elle estmorte,elleestmorteavantd’avoireulachancedenaîtreettoutlemondes’enmoque.Ilsontvoulu

fairecommes’iln’yavaitaucunproblème.Etlorsqu’elleprononçacederniermot,àpeineunmurmure,lecontenudetouteuneétagèrede

jeuxpourenfantstombadelabibliothèqueoùilsétaientrangésdansunfracassonore.Environuneheureetdemieplustard,CharlesattachadenouveausaceinturedanslaChevroletet

attenditqueMarsdenconduise.Maisilsrestèrentassislàunmomentaveclemoteurquitournait.—Commentas-tusu?demandaMarsden.— Je suis un loup-garou, lui répondit-il. Je sais toutes sortes de choses. Les magiciens, des

humainscapablesdemanipulerlemondephysique,cen’estpascommunmaisçaexiste.—Ça a dû être effrayant pour elle, observaLeeds.De découvrir que, quand elle s’énerve, les

choses se mettent à voler. Est-ce que tu penses que la femme à qui tu as recommandé à sa mèreadoptivedeparlerpourraitl’aider?

Ilavaitl’airdebiensavoircequeçafaisaitd’êtreseulavecdespouvoirsbizarres.—Jeneluiauraispasdonnésonnomsinon.Charles se demanda ce que le sang fae de Leeds lui avait laissé en héritage. Mais, tant qu’il

n’enlevaitpasd’enfants,Charless’enmoquait.Ilyréfléchitunmoment,maisilsentaitlesangfaedeLeedsassezdistinctementetilneprésentaitaucunesimilitudeaveccequiavaitensorceléChelseaetenlevél’enfant.

—Quatorzeans,fitMarsden.(Iljuraavecvéhémence.)Onauraitdûtireruneballeàlapersonnequiveillaitsurelle.

Ilmarquaunepause.—Lepèredecebébéestmort…Vousavezentenduça?Percutéparunevoituredansunaccident

improbable.—J’espèrequec’étaitelle,déclaraLeeds,puis,secontredisantpresque,etj’espèrequ’ellenele

saurajamais.—C’étaitpuissant,ditMarsden.Cequetuasfaitlà-bas,Charles.(Ilfrottalevolant.)Çaauraitdû

êtreabsurde…Tuvoiscequejeveuxdire.Maisc’étaitpuissant.—C’estunloupdominant,expliquaLeeds.Quandils’estinclinédevantelleetsavolonté…bien

sûrquec’étaitpuissant.Et si elle t’avaitdemandéde tuer sesparents?Ceuxqui l’ontabandonnée,deuxfoisd’aprèsmoncompte.

—Sonnométait«chagrin»,ditCharles.Elleavait simplementbesoinquequelqu’un l’écouteafinqu’ellepuissefairesondeuil.

—Maissic’étaitarrivé?IlnedevaitpascetteréponseàLeeds,d’autantqueFrèreLoupétaitoffenséqu’ilposelaquestion.Etpourtant.—Àtonavis?demandaCharlestoutbas.Auboutd’unmoment,Marsdens’éloignadutrottoir.—Pourrais-tumedonnerl’adressedusuivant,Leeds?Le suivant était une autre fille, Helena, âgée de treize ans. Ses parents et son psychologue

insistèrentpourassisteràl’entrevue.IlsrépondirentégalementàtouteslesquestionsqueMarsdenouLeeds posèrent à Helena. Résultat des courses, ses parents et son psychologue étaient convaincusqu’elleétaitpossédéeparundémon.

—Delameth,murmuraCharlesàl’oreilledeMarsden.Marsdens’empressadelesextirperdelà.

—Onabesoind’aide,ditlepsychologue.Vousêtescenséssavoirvousoccuperdeça.Marsdenfronçalessourcils.—Êtreaccroàlameth,cen’estpasêtrepossédéparundémon.Trouvez-luidenouveauxamiset

envoyez-laencurededésintoxication.Jenedevraispasavoiràvousdireça.(Il jetauncoupd’œilauxparents.)Vousdevriezaussiluitrouverunmeilleurpsychologue.

Letroisièmeenfant,uneautrefilleappeléeIris,avaitcinqans.Parentuniquerépondantaunomde

TrentCarter,sonpèreavaitlatêtesousl’eauetçasevoyait.Etil lesavait,d’aprèslesnotesquelepsychologueleuravaitdonnées.

Lamèredelafillettes’étaitsuicidéealorsqu’Irisn’étaitqu’unbébé.Vêtud’unsweat-shirtetd’unjean,sonpèreavaitl’airexténuéetétaittropmaigre.Lapetitefilleportaitunetenuesimilairemaisrose,etelleavaitlescheveuxattachésendeuxcouettesasymétriques.

CharleslaissaMarsdenetLeedsinterrogerlepèreetl’enfantsansdirequoiquecesoit.Lapetitefilleleurparlavolontiers,mêmesiellebaissaittimidementlatêtequandilsluiposaientunequestiondirecte.Elle finit par leurmontrer les bleus sur sespoignets et ses jambes, et leur dit qu’elle étaitmaladroiteetétaittombéedansl’escalier.Sonpèreblêmitetregardaailleurs.

QuandMarsdensetournaenfinversCharles,ilsecoualatête.Ellen’étaitpasfae.Cen’étaitpasdutoutcequ’ilscherchaient.

Avecréticence,lesagentsduCantriplaissèrentlepèreetsafille,assischacund’uncôtéopposédelapièce.

—Bonsang!explosaMarsden.Vousavezvucesbleus?C’estunpsychologuequinousadonnéletuyau,non?Pourquoin’ont-ilspassorticettefillettedelà?

LeedsregardaCharles.— Pourquoi n’es-tu pas en colère ? Je veux dire, quand la première fille est arrivée… la

températuredelapièceestdevenueglaciale.— Parfois, déclara Charles, la colère, même si je la connais bien ainsi que sa cousine utile

nomméevengeance,n’estpaslaréactionappropriée.MarsdenouvritlaboucheetCharlesdemanda:—Où,maintenant?Ilmontadanslavoitureetclaqualaportière.Auboutd’unmoment,lesdeuxagentsl’imitèrent.Ils

s’éloignèrentsagementd’Irisetdesonpère.—Etça,messieurs,c’étaitunvraicasdepossessiondémoniaque,fitobserverCharlesunefois

qu’ilsfurentloin.—L’homme?demandaMarsden.C’estpourçaqu’ilafaitdumalàsafille?Commes’ilétait incapabled’imaginerquequiquecesoitpuisse fairedumalàsapropre fille

autrement.Charlesn’étaitpaspartipourapprécierlesdeuxhommes,mêmes’il lesconsidéraitutilesvoire

nécessairespoursatraque.LesautresagentsduCantripàquiilavaiteuaffaire…Maiscesdeux-làétaientdesgensdécents.

—Lesempreintesdedoigtssurlesbleusétaienttroppetites,fitsoudainLeeds.Cesbleus,elleselesest infligéselle-même.Ilmesemblaitbienquequelquechoseclochaitchezelle. (Ilmarquaunepause.)Est-cequ’onpeut fairequelque chosepour eux?Tuconnaîtraisquelqu’unque tupourraisenvoyerlesaider?

—Jemerenseignerai,promitCharles.— Bon, d’accord, dit Marsden. Le suivant est un garçon, un adolescent, et son cas a peu de

chancesdenousintéresser.Ilnecorrespondpasànotreprofiletn’estpasdumêmequartier.Maissonpsychologueabeaucoupinsistésurlefaitqu’ilyavaitunproblème…

—Ehbien,oui, confessa lamèreduprofesseurVaughnavecdouceur.L’arrière-grand-pèrede

Sid, quelque chose comme ça. Sa femme humaine venait demourir et toute la famille s’inquiétaitpourlui…Ilnemangeaitpasetnebuvaitpas.OnacruquesonAlphaallaitpeut-êtretoutsimplementmettrefinàsestourments.Sids’estdoncrenduchezluiavecsavoituredepoliceet luiaditqu’ilsallaient rentrer ensemble.EtquandArchie s’est transforméen louppour ledécourager,Sid adit :«Trèsbien.Soisunloup.Maistuvasveniràlamaisonavecmoi.»

ElleregardaAnna.— Il adorait nos enfants, cet Archie. Il laissait la sœur aînée d’Alex lui mettre toutes les

fanfreluchesrosesqu’ellevoulait.IlatiréunchariotpourlesenfantsetasauvélaviedemonAlex,jepense.Ilétaitacariâtreentantqu’humain,maisçaaétélemeilleurchienquenotrefamilleaiteu.

— Je n’en reviens pas que personne nem’ait jamais dit qu’il était un loup-garou. (Alex laissaéchapperunrire.)TutesouviensdeladindedeNoël?Jecomprendsquetuaiesétésifâchée.

Ilmarquaunepausepuisregardasamère,horrifié.—Leshampoingantipuces.Tuaslavéunloup-garouavecdushampoingantipuces.Iln’apasdu

toutapprécié.Tum’étonnesquepapaétaitmécontentquandilestrentré.—Ilavaitdespuces, fit-elle remarquerbiensagement. Jen’allaispas le laisserdormirdans ta

chambreavecdespuces.—Queluiest-ilarrivé,alors?demandaleprofesseurVaughn.—SonAlphaafiniparvenirlechercher.Iladitàtonpèrequecen’étaitpassainpourunloup-

garou de rester sous sa forme de loup aussi longtemps. Il est retourné chez lui.Apparemment, lameuteavaitveilléàcequesamaisonsoitentretenueetsesfacturespayéespendantqu’ilvivaitavecnous.Ilnousarenduvisitequelquesfois,maisilafinipardevoirdéménagerpourletravail.Jepensequevivredanssamaisonn’étaittoutsimplementpasbonpourlui.(Elleserraleslèvres.)Onn’aplusjamaisentenduparlerdeluiaprèsça.Jesaisquetonpapaenétaitattristé,maisiln’yavaitpasgrand-choseày faire.Les loups-garousnepermettentpas auxhumainsde semêlerdeshistoiresde leurmeute.Lasituationestmoinstenduemaintenant,biensûr,puisquetoutlemondeestaucourantpourles loups-garous.Maisà l’époque…jepensequ’ilyaeuun loupquinousasurveilléspendantunmoment,justepours’assurerquepersonneneparlait.

ElleregardaAnna.—Êtes-vousunelouve-garou,machère?—Oui,réponditAnna.Cettequestioninattendueneladérangeaitpas,maisellel’avaitpriseparsurprise.—Maman,fitleprofesseurVaughn,nefaispasça.—Fairequoi,chéri?demanda-t-elle.Darineutunpetitrire.—Jet’aime,MaryLu.Etilfautquejeterecrutedanslapolice.Lenombredeconfessionsqu’on

auraitmonteraitenflèche.—Connaissez-vouslenomcompletdeceloup-garou?l’interrogeaAnna.Ilavulefaeetn’était

pasunenfantdecinqans.Peut-êtrepourrait-ilnousaidersionarriveàletrouver.—ArchibaldVaughn,machère.— Quelque chose me dit que tu auras moins de mal à retrouver Archibald Vaughn que moi,

observaLeslie.—Sansdoute,acquiesçaAnna.Veux-tuquejecommenceàpasserdescoupsdefil?—Allonsd’abordvoirlesautres,répondit-elleaprèsunmomentderéflexion.Onadécrochéle

groslotaveclepremier,peut-êtrequ’ilyenauraundeuxième.—D’accord.Anna choisit un autre dossier et lut l’adresse. Elle composa le numéro du témoin avant de

parcourirlerapportdequatrepages.Pasderéponse.Elleexaminalesdocumentsetnetrouvaaucunautrenumérodetéléphone.Ellelutlerapportendiagonale.Celui-ciétaitimpriméproprementsurdupapierblanc.

—Ilfautquetuécoutesça,ditAnna.(Elleessayadegarderuntonprofessionnel tandisqu’ellelisaitàLesliedesextraitsdeladépositiondutémoin.)Ilyavaitunelicorneetdeuxpetitsdragons,pasplusgrosqu’uncaniche.Paslespetitscaniches.Enfin,pasvraimentceuxdetaillemoyennenonplus.Maisungroscaniche,quoi.Taillestandard.Lalicorneétaitplusgrande.Plutôtcommeunlabradornoir,peut-être.Ouungrosbergerallemand.

—Pourquoiavons-noussélectionnécelui-ci?demandaLeslie.Annapoursuivitsalecture…cettefoisdanssatête.—Oh!Voilà.Ellecherchelesféesdepuisqu’elleavul’hommevertquivitdanssonjardinilya

quelques années. Il ne part jamais et personne d’autre ne peut le voir. Sauf le chien qui passe encouranttouslesjoursavecsapropriétaire.Lechienaboiesurl’hommevertchaquefoisqu’ilpassedevantlejardindenotretémoin.

—D’accord,ditLeslie.Essaiedenouveaud’appelercenuméro,ets’iln’estpaschezlui…—Elle,lacorrigeaAnna.KathrynJamison,soixante-quatreans.Ilyavaitunesecondedépositionderrièrelapremière;elleétaitaunomd’unautretémoin.Elle

déclaraitquesonchienaboyait tous les joursquandilspassaientdevant le jardindeMmeJamison.Ellenedisaitrienausujetdelalicorneetdesdragons.

—Onpeutaumoinsjeterunœilàsonjardincommelefaitlechiendelajoggeuse,non?Elles n’eurent pas à s’abaisser à rôder autour de la clôture du jardin de Mme Jamison. La

deuxièmefoisqu’Annaessayad’appelerlenuméro,ladamedécrochaàlapremièresonnerie.—Appelez-moiKatie,dit-elleenmangeantunpeusesmots.Kathryn,c’étaitmagrand-mère.Vous

voulezvenirmeparlerd’unedépositiondepolicequej’aifaiteausujetd’unelicorneetdedragons?(Elleéclatad’unriregraveetsensuel,unriresexypourunefemmedesoixante-quatreans.)Ilyavaitlongtempsquejen’avaispaseuàm’inquiéterd’unelicorne,hein?

Elleritdenouveau.—Maiscesdragonspourraientréduirequelquechoseencendresetceseraitdommage,vousne

croyezpas?C’estpourçaquejemesuisditqu’ilfallaitquejelessignale.Biensûr.Venez.MmeJamison,«Appelez-moiKatie»,vivaitàGilbert,uneautrebanlieuedePhoenixsituéeau

sud-est de lamaisonduprofesseurVaughn, à environquinzeminutesde là.Leslie s’engageadansl’alléeendemi-cercle immaculéeetsegara. Ilyavaitdeuxfontainesdevant lamaison,et l’endroitdonnaituneimpressionglobaledebeautéetderichesse,toutesdeuxexhibéessansmodération.

Annaseretournapourregarderàdroiteetàgauchedelarouteetnevitaucuntrottoiroùcourir.Bien qu’immense, la demeure était bâtie entre deux autresmaisons qui s’en distinguaient par leurarchitecture,tandisqueleurstucétaitdelamêmecouleur.

—Commentunejoggeusepourrait-ellevoircequisepassedanslejardin?demandaAnna.Oùunejoggeusecourrait-elle?

—Peut-êtreque la joggeuseconnaît la licorneet lesdragons, supputaLeslie.Etqu’elleavolépar-dessuslemurenpierrepourregarderdanslejardinavecsonchien.

Unsourireexercéauxlèvres,ellesedirigeaverslaporte.—Jet’aurai,majolie,murmuraAnnaenprenantsameilleurevoixdeméchantesorcière.Etton

petitchienaussi.Mme Jamison était grande et musclée sous sa peau bronzée et bien entretenue. Ses cheveux

noisette étaient élégamment coupés court. Elle avait l’air plus proche de la quarantaine que de lasoixantaine.Çapouvaitêtredûenpartieàlachirurgieesthétique,maispasseulement.Ellen’étaitpaséblouissante,maiselleétaitmémorable.

Deplus,elleportaitunjeantrouéavecdelaterreauxgenouxetunvieuxtee-shirtdefootballtrèsmiteux.Ellesentaitl’alcool,cedontelles’excusa.

—J’étaisdehorsàjardineretàboirequandvousavezappelé,leuravoua-t-elle.Etmaintenant,jesuisunpeusoûle.Jenefaisgénéralementpasd’excès,maisjeviensàpeinededivorcerdemonmarinumérotrois.Masœurm’avaitditqu’iln’yavaitquel’argentquil’intéressait,etelleavaitraison.

Ellesoupira.— Je savais qu’elle avait raison.Mais il avait trente ans. Il était enmesure deme suivre. Les

hommesdemonâge…(Ellesecoualatête.)Maiscommejel’aiditàmasœur,c’estàçaquesertunarrangementprénuptial.J’imaginequ’ilacruque,sijelepensaisamoureuxdemoi,jeseraisstupideaussiàd’autreségards.Jel’aiprislamain…enfin,lesfessesdanslesacpourtoutvousdire,etj’aidesphotosqui leprouvent.Ilestdoncpartisansrienemporterendehorsdesonventre liposucéetdeuxansdeviedeluxe.J’auraispayéungigolopluscherpoursesservices.Maisj’auraissansdouteeudroitàdemeilleursservices.

Elleavaitl’airpensif.—Voulez-vousqu’onrevienneplustard?demandaLeslie.—Non.C’estbon,dit-elle.Vousperdriezvotre tempsetmoi lemienàattendre. Jen’aibuque

deuxshots…D’accord,trois.Maisj’avaisleventrepleinetjen’aibuquedel’eaudepuisquevousavezappelé.

Lesliesemblaitdubitative,maisAnnaintervint:—Écoute,onn’enapasaprèselle.Onnevapasseservirdecetémoignageautribunal.Siona

besoind’unvraitémoignage,tupourrasrevenir.—Vousêtessûrequeçava?demandaLeslie.Nouspouvonsrevenirplustard.—Cettestupide joggeusem’amis lapolicesur ledos.Sononcleest juge, jecrois.Maintenant

ellem’envoieleFBI.Biensûr.Venezmeparlerdelicornesetdedragons.

CHAPITRE10

Elleslasuivirentàl’intérieurdelamaison,quisentaitlacannelleetlavanille.L’odeurn’étaitpasforteaupointdeperturberAnna,mêmesielleallaitêtrecontentederepartir.Aprèslehalld’entrée,elles arrivèrent dans une immense pièce circulaire dont le sol était en parquet, tandis que la petitefontaineensoncentreetlacheminéesurlemurenfaceduhallétaientbordéesdepierre.

Lapièceprincipales’ouvrait surd’autrespièces.Annaaperçutunecuisine,unesalleàmanger,unesalledemusculation,etunepièceoùtoutavaitétéarrachéàpartlesmontants.Laplaquedeplâtre,deslambeauxdemoquetteetdesmorceauxdemeubleséparsavaientétéjetésentasparterre.

—Lebureaudemonex-mari,claironnaKatieenpassantdevant.Jel’aidémolimoi-même.C’estmieuxqu’unethérapie.Maismonentrepreneurvam’envoyerdesouvriersdanslesprochainsjourspourleretaper.Etnettoyercebazar.(Ellemarquaunepause,puisregardaAnnaetluiadressaunclind’œil.) Il a posé cettemoquette pourmoi juste après que jeme suismariée.Quand il est venumedonneruneestimationducoûtdesréparations,ilm’ademandéquelavaitétéleproblèmeaveccettemoquette.

Ellesourit.—Jeluiaiditqu’iln’yavaitpasdesangdessus.Katielesconduisitàsonproprebureau,grandetlumineuxavecvuesurunepiscinequidominait

un immense jardin. À part la piscine, il était pour l’essentiel xéropaysager, mais il y avait desparcellesdeverdurecachéessousdesarbresfruitiers.Laclôturedufondétaitunegrilleenferforgédedeuxmètresdehautquidonnaitsuruncoursd’eau.Annasupposaqu’ilyavaitaussiunparcoursdejogging,maisellenepouvaitpaslevoirdelafenêtre.

Lebureauétaitassezgrandpourengloutirunetable,uncanapéetunecauseuse,etilrestaitdelaplace.Katieselaissatombersurlacauseuse,ramenantsousellesonpiedchausséd’unesandale.

—Alors,vousa-t-elleditqu’ildoityavoiruncorpsdansmonjardinparcequesonchienaboietout le tempsquand ilpassedevant? (Ellepritunevoixplusaiguëmaisplusdouce.)«Remingtonn’aboienullepartailleurs, justedevant son jardin.Remingtonestun intellectuelgénialet il saitdesourcesûrequ’ildoityavoiruncorpsenterrélà.Ilessaiedenousledire.»

ElleregardaLeslie,yeuxétrécis,etpoursuivitavecsaproprevoix:—Remingtonestuncrapaudcourtsurpattesquifourresonnezdans lesaffairesdesautres.Si

j’avaisvouluenterrerquelqu’undansmonjardin,çaauraitétémonmari.Quedis-je,mari.Ex.Ex-mari.Maisilesttoujoursvivantetvitdanslepéchéavecsapetiteamie,quiestcelleaveclaquelleilvenaitderomprequandjel’airencontré.Stupidechien.Stupideshommes.Ilsdevraienttouscroupirenenfer.

—C’estdonclajoggeusequiafaitsadépositionlapremière,observaAnna,comprenantsoudaincequis’étaitpassé.Commeelleadesrelations,lapoliceestvenuevousinterrogerausujetdevotrejardin.

Katieavaithochélatêtejusque-là,maisellelevaundoigtpourarrêterAnna.—Correction.Ilsontretournémonjardinetçam’apristroissemainespourleremettreenétat.

L’undemesyuccasestcondamné,j’enaipeur.—Etvousleuravezdoncditqu’ilyavaituneféequivivaitdansvotrejardin,intervintLeslie.

Katielevaundoigt.— Non. Je les ai rappelés à 1 heure du matin pour leur dire qu’il y avait quelque chose de

dangereuxici.Quelquechose.Lapoliceestvenueetm’ademandécequ’ilyavaitdedangereux.Jeleuraiditquej’avaisvuunelicorneetdeuxdragonsassezpetitsquicouraientdanslarue.Cequiétaitvrai.Mesvoisinsonttroismerveilleuxenfantsquiaimentmettreleursdéguisementsd’Halloweendel’annéedernière. Je supposequ’ilsont échappéà lababy-sitter, que j’ai vue leur courir après.Lesdeuxdragons tenaient des briquets…vous voyez ce que je veuxdire. Pas ceuxpour les cigarettesmais ceux pour allumer un barbecue. La licorne n’était armée que de sa corne. (Ellemarqua unepause.) Il se peut que j’aie laissé de côté certains détails dansmon histoire. Et il se peut que j’aieappelécinqousixheuresaprèsavoirvulalicorne.

AnnavitlatêtedeLeslieetneritpas,mêmesielleenavaitenvie.Leslieditavecfroideur:— Vous avez donc sciemment demandé à des policiers de venir chez vous parce qu’ils vous

avaientcausédudésagrément.Etvouslesavezretenusicialorsqu’onauraitpuavoirbesoind’euxailleurs?

Katieétrécitlesyeuxetcessatotalementdejouerlafemmedouceetàmoitiéivre.—Non.Jevousdisquejelesaiappeléspoursignalerunemenacepotentielle.Àaucunmomentje

n’ai vu la baby-sitter rassembler les petites terreurs, voyez-vous.Deux enfants de dix ans peuventcauserbeaucoupdedégâtsavecdesbriquets.Cen’estpasmafautesil’agentdepolicen’apasposélesbonnesquestions.

Leslie se redressa, et Anna l’interrompit. Elles étaient ici pour obtenir des informations. Unsermonsurlefaitqu’ilétaitstupidedecrierauloup,mêmes’ilétaitmérité,nelesmèneraitnullepart.

—Nousnesommespasréellementvenuespourlalicorne.C’estsurtoutl’hommevertdansvotrejardinquinousintéresse,expliquaAnna.

Katieseraiditdavantage,etsonodeurseteintad’uneangoissequin’étaitpastoutàfaitdelapeur.—Ilfallaitquevousdétourniezl’attentiondelapolicedevotrejardin,déclaraAnna.L’histoirede

la licorne et des dragons a très bien rempli cet office. Ils ne vont pas vouloir revenir ici de sitôt,n’est-cepas?Maisilsvousontconsidéréecommeuneexcentrique.(Çaavaitétéunsacrésacrificepourcette femmequiconsacrait tantde tempsetd’énergieàsonapparence.)Maiscecommentairedésinvolteausujetd’unmonstrevert…ilsonnevrai,etc’estcequinousaamenéesici.Qu’est-cequivitdansvotrejardin,madameJamison?

—Jepensequej’aimeraisappelermonavocat,fitKatie.—Noussommesiciparcequenousrecherchonsunefillettedecinqansquiaétéenlevéeparun

faequialaisséunchangelingàsaplace,ditLeslie.Cefaetuedesenfants,madameJamison.—Voussavezoùestlaporte,lançacelle-cisuruntonacerbe.—Le tempsnousestcompté, luiditAnna,sanspréciserqu’Améthysteavaitdisparudepuisdes

moisdéjà.Commentvoussentirez-vousquandontrouveralecorpsdel’enfant?Vousdemanderez-vous si elle aurait pu survivre si vous aviez coopéré ? ou serez-vous capable de balayer ça d’unreversdemain?

— Il n’a rien àvoir avecdes enlèvementsd’enfants,morigéna la femmeplus âgéed’unevoixdure.

—Peut-être,réponditAnna.Maispeut-êtresaurait-ilquiestlecoupable.Peut-êtrepourrait-ilnousaider.

Katie leva la tête et Anna intercepta son regard. Elle n’était pas une louve alpha capable decontraindrelesgensàsesoumettreàsavolonté,maiselleétaitdebonnefoiettêtue.CefutKatiequi

détournalesyeuxlapremière.—Sivousnotezquoiquecesoit,jevousferaipasserpourdesidiotes.Annapenchalatêtedecôté.—Nousn’avonsaucuneintentiondevousfairepasserpouruneidiotenidevousattirerd’ennuis.Lesliehésita.— Si ça n’a rien à voir avec la disparition de la fillette, ça ne nous sera pas nécessaire de

consignerplusque le faitquenousavonsvérifiévotrehistoireet concluqu’elleétait sans rapportavecnotreenquête.

Katiegardalesilenceunmoment.—D’accord.D’accord.C’estbon.J’aiunlégerdondeclairvoyance.Mamèreenavaitunaussi,et

samèreavantelle.Magrand-mèreétaituneguérisseuseetunesage.Mamère…avaitdesmigrainesdurant lesquelles elle voyait des choses. Certaines d’entre elles se réalisaient, d’autres non. Ellepensaitqu’ils’agissaitdefutursprobablesqu’elleentrevoyait.Moi?Jevoislesfaestelsqu’ilssont,quelquesoit ledéguisementqu’ilsportent.Et je leuraicachécedoncar ilsn’aimentpasceuxquivoientlessidhes.Sivousmetrahissez,mavieseradetrèscourtedurée.

—Compris,acquiesçaLeslie.Katie Jamison dépassa la grande piscine et ses fontaines, son jacuzzi et ses chaises longues

assorties,sonbaretsonbarbecue…bref!unepiscinecomplète.Ellesedirigeaàlaplaceverslepetitcoindeverdureaufonddesonjardin.

Trois gigantesques palmiers formaient le haut de la voûte des arbres, et d’énormesmassifs delavandequi arrivaientpresqueà la taillebordaient lemurdepierrededeuxmètresqui séparait lejardindeKatiedeceluidelamaisonvoisine.Ilyavaitunesortedebuissonaumilieudelalavandeavec de jolies fleurs orange.Mais la plante la plus spectaculaire était indéniablement un immenseorangerrongéparletemps.

Ilsedéployaitavecarroganceau-dessusdelagrilleenferforgéetduparcoursdejogging,lesbrancheschargéesdefruitsvertsquicommençaienttoutjusteàdevenirorange.Ilétaitàl’évidenceplusvieuxquelejardinqu’ilprésidait,plusvieuxquelarésidence,queleparcoursdejoggingetquelestroisautresarbresfruitiersàcôtédelui.Annanes’yconnaissaitpasenjardinage,maislesautresarbresfruitiersluiparurentassezvieuxeuxaussi,mêmes’ilsétaientbienpluspetits.

Elle se concentra sur lesmessages que lui transmettait son nez. Par-dessus la légère odeur delavande–mêmesipourl’essentiellalavandeenquestionn’avaitpasencorefleuri–,par-dessuscelledes fruits verts et de la chose à fleurs orange, elle sentait quelque chose de sauvage, demagique,quelquechosedefae.

—Cesgensveulent teparler,ditKatie, le regarddirigévers lagrilleornementalequi séparaitefficacementlejardinducanaletduparcoursdejogging.C’estausujetd’uneenfantdisparue.Jenepensepasqueçalesdérangequetusoisici…Oui.Jesaisquec’étaitstupide,maiscen’estpasnonplusmoiquiaiprisplaisiràtourmentercemauditchienpendantdesmois.

Apparemment,Katie entendait aussi bien les sidhes qu’elle les voyait car,même avec son ouïeperfectionnée,Anna n’entendait pas la personne à qui elle parlait. Elle posa les yeux sur le grandoranger.

Letroncétaitcourbéetcouvertdenœudsauxendroitsoùdesbranchesavaientétécoupéesbiendes années plus tôt. Les oranges étaient vertes et grosses comme des prunes. Anna ne savait pasgrand-choseau sujetde lavégétationenArizona.Aprèsavoirpasséquelquesaprès-midi aucalmedanslaserred’AsildansleMontana,elleavaitacquisdesconnaissancespratiquessurlesrosesrares

et un petit nombre de fleurs et de plantes qui plaisaient au vieux loup. Le seul arbre fruitier qu’ilpossédaitétaitunclémentiniernainquiarrivaità la taille.Asildisaitquec’étaitunhommageàsonhéritageespagnoletauxorangesqu’ilfaisaitpoussersurlapropriétéagricolequ’ilavaitpossédéeàunecertaineépoque.

Katieseretournaverselles.—Ilestjoueur,expliqua-t-elle.Ilm’aditque,sivousarriviezàletrouver,ilrépondraitàtrois

questions.—Entendu,opinaAnna.EllesortitsontéléphoneportableetenvoyaunbrefmessageàCharlesafinqu’ilnes’inquiètepas

quandillasentiraitsetransformer.—Jenesuispasmonmari,dit-elleàLeslie.Jevaisprendremaformedelouve.Contrairementà

lui,jenepourraisansdoutepasreprendremaformehumaineavantquelquesheures.—Tunepeuxpasjuste…Ellesetapotalenezdudoigt.Annasecoualatête.—Sic’étaitaussisimple,ilnepasseraitpasdemarché.Pensejusteàformulertesquestionsavec

leplusgrandsoin.Prendstontemps.Lesfaesrépondenttoujourslavérité,maispastoujourstoutelavérité. S’ils peuvent te tromper de cette façon, ils ne s’en priveront pas.Ne pose pas de questionsrhétoriques,carellescompteront.

Elles’avançaàcôtédugrandarbre,làoùelleseraitàl’abridesregardsdesgensàl’extérieurdujardin,etellecommençaàsedéshabiller.

—Çavaprendreunmoment,lesprévint-elle.—Quefaites-vous?demandaKatiealorsqu’Annasedébarrassaitdeseschaussures.—Jesuisunelouve-garou,luiexpliquaAnna.Jevaisprendrelaformedemalouve.L’odoratde

lalouveestmeilleuretplusdifficileàembrouiller.Commec’étaitbientôt lapleine lune, samétamorphoseauraitdûêtre facile.Ladouleurqui lui

traversait le corps quand il se réarrangeait était devenue une vieille amie. Elle glissa sur sa têtecommedesmainsdefeuquicreusèrentdanssachairetluidisloquèrentlamâchoiresiviolemmentquelasouffrancedanslerestedesoncorpsluiparutdoucecomparéeàcelle-là…jusqu’àcequesesdeuxépaulessedéboîtentenmêmetemps.

Quandlameuteseréunissaitlesnuitsdepleinelune,samagiecontenaitlesbruitsdedouleurquefaisaientlesloups-garousensemétamorphosant,etlalunepouvaitparfoischangercelle-cienextase.Mais,seulesouslesoleildeplombd’Arizona,Annaétaitobligéedetairetouslesbruitssusceptiblesd’attirerl’attention.Elleétaitdouéepournepasattirerl’attention.

Certainesmétamorphosessepassaientmieuxqued’autresindépendammentdesphasesdelalune,maisc’étaitmillefoispirecettefoisquetoutes les transformationsauxquelleselleavaitprocédésiprèsdel’appeldelapleinelune.Avantqueladouleurlacontraigneàsefocalisertoutentièresursarésolutiondegarder le silence,Anna s’aperçut trop tardquec’était laméfiancede sa louvequi lapoussaitàaccélérer lamétamorphose.Celle-cinepouvaitpassedéfendrecorrectement lorsqu’elleétaitpriseentredeuxformes.Annaavaitchoisidesetransformerdevantuneparfaiteinconnueetunfaequ’ellenevoyaitpasetdontellenesavaitrien.Unfaequipouvaittrèsbienêtrelacréaturequ’ilstraquaient.

Anna comptait sur Leslie pour assurer ses arrières. Mais la louve accordait sa confiance demanièreplusréfléchie,etLeslien’étaitniunmembredelameute,niquelqu’unqu’ellesconnaissaientde longuedate. Il était doncnécessairequ’elles sedépêchent, et la souffrance importait peu si elle

garantissaitleursécurité.Quandcefutterminé,Annaétaitétendueparterre,àboutdesouffleettremblante,cequin’était

pas franchement sûr nonplus.Elle roula sur ses pattes et chassa les derniers picotements dans sesmuscles. Elle était incapable de dire combien de temps ça avait duré. Avec la douleur, le tempsdevenaitsubjectif.

Elles’étira, sortant lesgriffes jusqu’àcequ’ellesseplantentdans la terre.Aprèss’êtreassuréequesoncorpsétaitfonctionnel,elletournalatêteverslesdeuxfemmesquiprenaientsoindenepaslaregarder.

—Est-cequeçava?demandaLesliequandAnnavintseplacer faceà l’agentduFBI.Çaavaitl’air…Onauraitditquec’étaitdouloureux.Onentendaittesossecasser.

Annaéternuaetagitalaqueue.KatieregardaAnna,puissehâtadedétournerdenouveaulesyeux.Lamainsurlabouche.

— Ce n’est pas… Ce n’était pas…, bégaya-t-elle avant de s’interrompre abruptement… et departirencourantverssamaison.

Annasoupira.Oui,lesloups-garousétaientdesmonstresetlechangementn’étaitpasbeauàvoir.Cen’étaitpasjustededemanderauxgensordinairesdesupporterça.Ellen’avaitpaseulechoix.

— Peux-tu trouver le fae ? demanda Leslie. Je suppose que le marché tient toujours. Si tu letrouves et qu’on ne parvient pas à communiquer, je retournerai à l’intérieur et ramèneraiMmeJamisondeforce.

Oui.Finissons-en,songeaAnna.Elleinspectad’abordlegrandarbre,mêmesic’étaittropévident.Ilsentaitlamagiefae,pasde

doutelà-dessus.Mais,avecl’odoratdesalouve,lejardinentiersentaitlefae.Ellefitletourdujardinentrottinantetselivraàunpetitjeudechaudetdefroidpourconfirmer

qu’elleavaitraisondepenserquelefaesetrouvaitquelquepartprèsdugrandoranger.Sonodeur,quinesentaitnicommelamaisondeChelseanicommelagarderie,sedissipadèsqu’elleatteignitleborddelapiscinequijouxtaitlamaison.Ellequadrillal’espaceautourdelapiscineetseretrouvadenouveaudevantl’oranger.

Cen’était pas le buddleia, pas le rocherdegranit ornédepetits potsd’herbes aromatiquesquiavaientétédisposésdanslescreuxnaturelsdublocderoche.Paslesquelquesbuissonsderosesthé.Paslesyuccas…quidonnaienteneffetdessignesd’avoirétédéterréspuisreplantés.Toutsentaitlefae,maispasdemanièreassezprononcée.Annareculaetcherchaattentivementcequ’elleavaitpumanquer.

Où?sedemanda-t-elleautantqu’elleledemandaitàl’espritdelalouve.Oùest-il?La louve se focalisa sur l’un des citronniers, le plus petit et le plusmal en point d’entre eux.

Commelesyuccas,ilsemblaitsouffrird’avoirétémalmené.Elleserapprochadelui,fermalesyeuxetlaissasonodoratlaguiderdel’autrecôtéducheminde

pierreetjusqu’augravierquitapissaitlesolautourdesplantes.Sonouïedécelalebruitd’uneportequis’ouvraitdanslamaison,celuid’unevoiturequipassaitdanslarueetlesbattementsdecœurdeLeslieàvingtpasdelà.Ellesuivitlapistefurtivejusqu’àneplussentirquel’odeurdufae.

Elleouvrit lesyeux…etunepeurviscéraleet inattendue liquéfiasesarticulationset laprità lagorge,l’empêchantderespireretd’émettrelemoindreson.Justin,leloup-garouquil’avaitChangéeetfaitdesavieunenfer,setenaitlàdevantelle.

Etellen’eutplusqu’uneseulepensée:Tuesmort.Tuesmort.Jet’aivumourir.Le textod’Annaétait simple. Ildisait :«Ne t’inquiètepas. J’aibesoinde l’odoratdema louve

pour trouver un fae. » Alors que Charles finissait de le lire, il sentit sa compagne entamer lamétamorphose.

Elleleconnaissait.Elleavaitpeurqu’ilparteàsarecherchesiellesetransformaitenlouve,etluiassuraitdoncqu’ellenecouraitaucundanger.S’iln’yavaitpaseu la findesonmessage, il auraitlaissésontextolerassurer.

Elle cherchait un fae toute seule ? Alors que celui qu’ils traquaient était assez puissant etsophistiquépourcréerunenfantàpartird’untasdeboutsdebois?Passanslui.

— Range-toi sur le bas-côté, ordonna-t-il àMarsden, interrompant l’agent qui leur parlait dunouvelendroitoùilsserendaient,ouplutôtavaientétéentraindeserendre.

—Pardon?Impatient,Charlesinterceptaleregarddel’autrehommeetreditàvoixbasse:—Range-toisurlebas-côté.Lavoiturequittalarouteenfaisantuneembardéeets’arrêtadansunsursaut.— Qu’est-ce qui te prend, mec ? gronda Marsden en regardant ses mains, comme s’il n’en

revenaitpasdecequivenaitdesepasser.Ilvenaitd’obéiràdesordres.Leshumainsn’avaientpasl’habitudedeseplieràlahiérarchiedelameute,maisellefonctionnait

sur eux tout de même. Du moins, elle fonctionnait sur eux quand c’était Charles qui donnait lesordres.Cen’étaitpasdelamagie.Maiscen’étaitpaspourrienqueCharlesétaitengénéralleplusdominant dans son monde rempli de loups dominants. Les humains avaient eux aussi ce cerveauprimitifquetouslessergentsinstructeursdumondesavaientstimuler,cettepartieducerveauliéeàl’instinctdesurvie.Quandellerecevaitunordre,cettepartie-làsebornaitàobéir.

Charlessortitetcontournarapidement lavoiturepar l’avantafinque lecharme liéàsonordren’aitpasletempsdesedissiper.Ilouvritlaportièrecôtéconducteuretdéclara:

—C’estàmoideconduiremaintenant.VoyantqueMarsdennebougeaitpas,ilsoutintdenouveausonregardetdit:—Sorsdelavoiture,agentMarsden.C’estmoiquiconduis.—Jim?fitLeeds.Marsdendétachasaceintureetsortit,troplentementaugoûtdeCharles,maiscefutfait.Charles

s’assitets’attacha.TandisqueMarsdens’installaitsurlesiègepassager,Charlesbidouillalatabletteencastréedansletableaudebordjusqu’àcequ’elleluifournisseunecarte.Ilnes’étaitjamaisservidecetteversiond’unetabletteauparavant,maistoutappareilassimilableàunordinateurfinissaitparluilivrersessecrets.

Charles avait connu Phoenix vingt ans plus tôt,mais la ville nouvelle et ses banlieues avaientbeaucoup changé. La douleur d’Anna résonnait dans sa tête et les vibrations étaient pires qued’habitude.Ilsentaitl’angoissedesalouve,maisAnnaallaitbien.

Savoirça luidonna lapatienced’attendrequeMarsdensoitattachéàcôtéde lui.Puis ilmit lesgaz, traversa quatre voies de circulation et s’engagea en biais sur la voie d’urgence réservée à lapolicequireliaitlesdeuxcôtésdel’autoroute.Ilyavaitunvéhiculedanslafilelaplusproche,etlavoituredel’agentduCantripétaitmoinspuissantequelepick-updel’autreconducteur.

Sur la barre de contrôle de la sirène, un interrupteur comportait la mention fort utile«GYROPHARESANSSIRÈNE».Ill’enclencha,coupalarouteauvéhiculequiarrivaitpuiss’inséradanslafilesuivantesansprêterattentionauxbruitsquefaisaientsespassagers.

Il appuya sur le champignon, regrettant que la voiture n’en ait pas davantage dans le ventre. Ilroula un peu plus lentement qu’à fond, car il aurait peut-être besoin de cettemarge d’accélération

pourlestirerd’unmauvaispas.Touteslesquelquesminutes,iljetaituncoupd’œilàlacartesurlatablette. Il ne savait pas où était Anna, mais il la sentait et se dirigea vers elle aussi vite qu’il lepouvait.

—Jecroyaisquetudisaisnepassavoirconduire,remarquaMarsden,tendu.Àl’arrière,Leedsscandaitavecferveur:— J’mourrai pas aujourd’hui, Seigneur. J’mourrai pas aujourd’hui, non pas aujourd’hui,

Seigneur.Charles dépassa un barrage routier mobile formé par quatre véhicules en serrant à gauche.

L’espacen’étaitpastoutàfaitassezlarge,et ildut jouerdescoudespourquelesablefluidenelesentraînepasdanslefossé.Leedssemitàrécitersaprièredeplusenplusviteetdeplusenplusfort,jusqu’àcequelavoitureaitdenouveaulesquatrerouessurlebitume.

—J’aimemieuxéviter,réponditCharlesàMarsdenalorsqu’ilchangeaitdenouveaudefile.Maisilestpréférablequejeconduisequandmonloupestenchasse.

Puisilcessadeparleretd’écouter,secontentantdeconduiretandisquesonAnnacomplétaitsamétamorphose,etsadouleurlerenditlucide.

Ellen’avaitpasbesoindelui.Elleétaitunelouve-garou,etilavaitpassétoutleurtempsensembleà s’assurerqu’elle était capabledeprendre soind’elle-même.Elleétait coriaceet intelligente.Ellen’avaitpasbesoindeluipours’occuperd’unfae.

Maisilvenaitquandmême.Il songea que les agents du Cantrip le vivaient plutôt bien, compte tenu du fait qu’ils étaient

habituésauxtempsderéactiondeshumainsetqu’iln’enétaitpasun.C’étaitlavoiturequilelimitaitleplus,tantauniveaudelavitessequedelaroutequ’ilpouvaitemprunter.Elledérapasérieusementlorsqu’ilsortitdel’autorouteets’engageadanslesruesdelaville,carlasuspensionnevalaitpasunclou.Ildutralentir,maistrèspeu.Ilsgrillèrentdesfeuxrougesetdépassèrententrombedespassagespiétonssurlesquelstraversaientdesenfantsetdespetitesvieilles.

LeedssetutetMarsdenfermalesyeux,agrippantd’unemainlapoignéedesécuritétandisqu’ilseretenaitdel’autreautableaudebord.Lesilencedanslavoitureétaitappréciable.IlpermitàCharlesd’entendrelemoindreglissementdesrouessurlachausséeavantmêmedelesentir.Çaluilaissaitunpeuplusdetempspourréagir,etilaccéléradoncunpeu.

Mêmeaveclacarte,ilfitdeuxfoisletourdel’endroitoùAnnasetrouvaitavantdetrouveruneroutequimenaitàlamaisondevantlaquellelavoitureorangeétaitgarée.Ils’arrêtaderrièreelleetouvritlaportièreenprenantuneprofondeinspiration.Cefutàcemoment-làquelapaniqued’Annafaillitluiscierlesjambes.

Iln’avaitjamaisétéaussireconnaissantd’êtrecapabledetroquersapeauhumainecontresapeaudeloupenl’espaced’unsouffleaulieudedevoirendurerlemêmeprocessusinterminablequesonpère et les autres loups. C’était douloureux, mais Anna était effrayée et le reste n’avait aucuneimportance.

Sur sesquatrepattes, il s’élançaetbrisa lavitre enverrepoli de la fenêtre ; leverre le coupaprofondément,maisilneprêtapasattentionauxdégâts.Sesblessuresguérirenttandisqu’iltraversaitencourantlamaisonenpierre.Ilsautapar-dessusunepetitefontaineridiculeetsortitparlesportesferméesdupatio,disséminantdel’eau,dusangetduverredanssacourse.

Lalouvenoiregracieusequiétaitsacompagneétaitaccroupielaqueueentrelespattesàl’autrebout du jardin. Elle savait mieux contrôler ses réactions sous sa forme humaine. Il n’y avait quelorsqu’elleétaitsursesquatrepattesqu’illavoyaiteffrayée.

Quoi qu’elle ait vu – il ne voyait rien de l’endroit sur lequel elle se focalisait –, ça l’effrayait

vraiment.SonAnnaavaituncœurdelion.Quellequefûtcettechosequil’effrayait,ilfallaitqu’illatueetl’amèneàsespieds.Ceseraitun

gaged’amour,songea-t-il,uneidéesaugrenuequiluitraversal’esprittandisqueFrèreLoupcalculaitoùlacréatureinvisiblequ’ilsupposaitêtreunfaedevaitsetrouverd’aprèslapositionetlelangagecorporeld’Anna.

Charleslapercutadepleinfouet.FrèreLoupavaittrouvéleurcible.Lorsqu’elletombaetluisurelle,illalacérapartoutoùillepouvait.Deuxchosesseproduisirentquandilplantalescrocsdansdelachairquiavaitungoûtd’écorce,desèveetdecitron.D’abord,ilputvoirlefae.Ensuite,lapeurd’Annasedissipaaussivitequ’elleétaitvenue,etileutl’impressionqu’uncharmeserompait.

Ce n’est pas notreméchant. Il n’y avait aucun doute dans les pensées d’Anna. Il est ici depuislongtemps.Ilsaitpeut-êtrequelquechoseausujetdufaequenoustraquons.Quimieuxqu’unautrefaesauraitquiestencavaledanslemêmecoin?Ilapromisderépondreànosquestions.Situletues,onnesaurajamais.Charles,tunepeuxpasletuer.Pasavantqu’ontrouveAméthyste.

Anna n’était pas blessée. Mais Frère Loup voulait que le fae meure ; ce n’était pas malind’épargnersesennemis.UnfaequieffrayaitAnnaétaitsonennemi.Lapeurétaitunpouvoirdontlesfaes se servaient pour se protéger, pour immobiliser leur proie, pour tuer. Il le savait et lecomprenait,mêmesicen’étaitpaslecasd’Anna.C’étaitunearme,etcelui-cis’enétaitservicontreAnna.

—S’ilteplaît,l’imploracelle-cienluiinsufflantunpeudecalme.Pas assez pour l’influencer ; il doutait qu’elle l’ait fait exprès. Peut-être qu’elle essayait de se

calmerelle-mêmeetquel’effetavaitfiltréparleurlien.Maisquelqu’aitété lebutrecherché,elle l’avaitamenéàréfléchir.Annan’étaitpasblessée.Et,

Annan’étantpasblessée,iln’avaitparconséquentpasbesoindetuercefae.Etvuqu’ilnel’avaitpasblessée,s’illetuait,ceseraitparcequ’ilenavaitenvie.Tuerquandcen’étaitnipoursedéfendrenipourobéiràlaloi,c’étaitunmeurtre.

—Les faes des bois sont trop coriaces pour être tués facilement, de toute façon, grogna FrèreLoupàl’intentiond’Anna.

Charlesdesserralescrocsetrecula,laissantlegrondementdanssapoitrinerésonnerdansl’air.Le fae blessé appartenait bel et bien au peuple des arbres, mais il n’était pas particulièrement

dangereux puisqu’il avait été trop effrayé pour riposter quand Charles l’avait attaqué. Sa peaus’apparentait plutôt à de l’écorce d’arbre, et il n’avait pas de chair pour lui donner l’air moinsdécharné.Pétrid’effroi,ilregardaCharlesenclignantdesyeux,l’unrougeetl’autrejaune.

Charlessongeaquesonattaqueauraittuéunhumainmaisquecefaeétaitàpeineblessé.Lesfaesétaient coriaces, et ceux des bois étaient parmi les plus coriaces d’entre eux. Comme Frère Loupl’avaitconstaté,celui-lànesuccomberaitpasfacilementauxcrocsd’unloup-garou.

Àcôtédelui,Annasesecoua,frissonnapuissesecouadeplusbelle.Mêmesisaterreurs’étaitdissipée,elleétaitclairementperturbéeetlaissaCharlesresterentreelleetlefae.

S’il n’y avait pas eu les humains qui regardaient, l’agent du FBI, les agents du Cantrip quienjambaientprudemmentcequirestaitdesportesdupatioetlafemmedanslamaisonquiépiaitparunefenêtreàl’étage,ill’auraitattiréecontreluietluiauraitassuréqu’ellen’étaitpasseule.Ill’auraitfaitendépitdel’audiencesielleavaitencoreétésouslecoupdelapeur.Maiselleseremettaitdesafrayeur,etilneluienlèveraitpascemérite.

Charles contourna le fae qui se relevait péniblement. Les dégâts qu’il lui avait infligés seréparaient d’eux-mêmes. La peau comme de l’écorce se ressouda dans un mouvement fluide, nelaissantaucuneplaienitracedemorsure.

Leslieseraclalagorge.—Salut,Charles,fit-elle.Quelleentréeenscène.Savoixétaitassurée,mêmes’ilsentaitsapeur.Illuijetauncoupd’œilpuissedétourna.Danssonétat,ceseraitdangereuxpourelles’ilcroisait

sonregard.Àcausedutrop-pleind’adrénaline,illuiétaitimpossibledetenirenplace.Ilarpentadonclepatiocommeunlionencageetattenditquequelqu’unfassequelquechose.

—Bon,d’accord,commençaLeslie.Monsieur, jeneconnaispasvotrenom.Jepensequevousdevezconvenirquenousvousavonslocalisé.Cen’estpasunequestion.

Le fae frémit et prit une apparencehumaine ; unhommeaux traits quelconques, de taille et decorpulence moyennes, vêtu d’un costume couleur sable en laine épaisse qui aurait été à la modecinquanteansplustôt.

—Cen’estpasjuste,gémit-il.Cen’estpasjuste.Jenesavaispasquec’étaitunelouve-garou.Sij’avaissuquec’enétaitune,jen’auraispaspassécemarché.Cen’estpasjuste.

—Vousn’avezpasposélaquestion,luifitremarquerLeslie.Vousdevriezsavoirqu’ilnefautpasfairedesuppositions.

—Pasjuste,répéta-t-il,boudeur.Vousavezgâchélejeu.Silefaeparlaitde«jeu»,Leslieallaitpeut-êtreavoirbesoind’unpetitcoaching.Lesfaeshostiles

pouvaientêtredifficilesàgérer.Charlesprituneprofondeinspiration,convoquasaformehumaineetlarevêtit.Quelqueséchardesdeverretombèrentausolentintantquandilsecoualatête.Ils’époussetaetsedébarrassadequelquesautres.Sapeaulebrûlaitlàoùleverrel’avaitentailléprofondémentetoùlamagieduloup-garoucontinuaitàopérerpourleguérir.

—Leslie,fit-il.Ilavaitencorelavoixrocailleuse,maisiln’ypouvaitrienavecFrèreLoupsiprèsdelasurface.Elle recula d’un pas, puis se ressaisit et s’avança de nouveau. Il sentait sa peur, mais elle n’y

céderaitpas.Ilavaitprisl’habitudedenepasenattendremoinsdesapart.—Mets-moiauparfum,luidemanda-t-il.Laisse-moit’aider.MarsdenetLeedsarrivèrentetLesliesedétenditpeuàpeu.Elleleuradressaunhochementdetête

puissetournaversCharles.—OnestvenuesicipourensavoirplussurunedépositionqueMmeJamisonafaiteausujetde

licornes, de dragons et d’un homme vert dans son jardin. C’était pour l’essentiel une faussedéposition dont le but était de camoufler la vérité, à savoir qu’il y avait un homme vert dans sonjardin. D’après le marché qu’on a conclu, si on le trouvait, il nous donnerait trois réponsesvéridiques.

—Pourcommencer,cen’estpasunhommevert.Charles regarda sans sympathie l’homme quelconque et feignit de ne pas remarquer qu’Anna

s’était rapprochéedèsqu’ilavaitcessédebougerpoursepressercontre lui.Onnerévélaitpas lesfaiblesses de sa compagne devant l’ennemi. Il ne pouvait pas le tuer tant que Leslie n’aurait pasdécouverts’ilpouvaitlesaideràtrouverAméthyste.

—Un fae des bois, un homme-arbre apparenté à l’hommevert.Les anciensAnglo-Saxons lesappelaient« wearden ». Je n’ai aucune idée du nom qu’il se donne. C’est un des faes les moinspuissants,cequineveutpasdirequ’iln’estpasdangereux.Justepasaussidangereux.

Lefaefitlamoueetsifflaàl’intentiondeCharles.—D’accord,ditLeslie.—Poseunequestionquiexigeuneréponsedétaillée,luidemandaLeeds.Pasdequestionsdontla

réponseestouiounon.Curieusement,celles-làsontassezfacilesàdétourner.

—Que… (Le fae se pencha en avant, juste un peu. Mais cela alerta Leslie qui reformula saphrase.)Leeds,explique-moiça,s’ilteplaît.Ouiounon,çameparaîtplutôtsimple.

—Prends laquestionque tous lesmaris redoutent. (Leedsregarda le fae,puisse retournaversLeslie.) Tu sais, quand une femme demande si son pantalon la grossit. Un fae pourrait répondre«non»,ettupenseraisqueçaveutdirequetun’aspasl’airgrosse,alorsqu’enréalitéçaveutdire,«Lepantalonnetegrossitpas,cesontteskilosentropquilefont.»

Leedsseraclalagorgeetlerougeluimontaauxjoues.—Pasquetuaiesl’airgrosse.Cen’étaitqu’unexemple.Leslieluisouritetopina:—D’accord,merci.—Avant que tu commences, je peux te fournir quelques détails supplémentaires au sujet de ce

weardenafindet’aideràciblertesquestions,luiditCharles.Jesuisabsolumentcertainquecen’estpas lefaequiaenlevé l’enfant. Iln’apas labonneodeur,et jedoutequ’ilsoitcapabledecréerundoublefantômeaussiconvaincantqueceluiquiaprislaplaced’AméthysteMiller.Cenesontpaslesfaesdesonespècequidétiennentcegenredemagie.Lamagiedesfaeslesmoinspuissantsest trèsspécifique.Iln’apasnonpluslepouvoirdepousserChelseaàtuersesenfants.S’ilestici,c’estparcequec’estdifficilepourlesfaesliésàunarbredesedéplacer.Ceuxquilepouvaientontétémisdanslesréservesplustôt.

—Est-cequetu…(Lesliejetaunnouveaucoupd’œilaufae.Elleseraclalagorge.)Jenecherchepasàtedonnerdesordres,maisilssontplusadéquatsquedesquestionsvulescirconstances.Sachantqu’ilestliéàcetendroit,dis-moisitupensesqu’ilsauraquoiquecesoitausujetdenotrecoupable.S’ilteplaît.

Charleshaussalesépaules.—Ilyadebonneschances…Lesfaesaimentlesragotsautantquen’importequi.—D’accord.Unefemmesortitde lamaisonencourant.Charlessongeaqu’elleétait relativementâgée,mais

qu’elle tenait une forme impressionnante pour une humaine de son âge. Elle avait à la main unappareilphotoavecuntrèsgrosobjectif.

—Est-ceque jepeuxprendredesphotos ?demanda-t-elle lorsqu’elle eut couru jusqu’à eux, àboutdesouffle.

ElleregardaitAnna,maiselleneprécisapasàquielles’adressait.—Oui,réponditlefaed’unevoixsoudainrailleuse.Tupeuxprendredesphotos,Katie,maisje

crainsque tun’en aiespas ledroit. Il va falloir que tudemandes aux loups. (Il regardaCharles etsourit.)C’étaitlapremièrequestion.Encoredeux.

Lafemmeblêmitlorsqu’ellesaisittoutelascène.—J’aifaitunebourde.—Leslie,posetesquestions,s’énervaCharles,sentantqu’ilsallaients’enliserdansunediscussion

superfluequirisquaitdecomporterd’autresquestionshorssujet.—Jesuisvraimentdésolée,fitl’inconnue,maisellesecalmaquandCharlessecoualatêteàson

intention.Leslieprituneprofondeinspirationpuisselança.Elledécrivitendétailcequ’ilssavaient,parla

aufaedelafillettedisparueetdeChelseaqu’onavaittentédeforceràtuersespropresenfants.Ellerapportaaussicequ’elleetAnnaavaientdécouvertàproposd’unetentatived’enlèvementquiavaiteulieu près de quarante ans plus tôt. Elle ne parla pas du reste, ni des cas dont ils n’avaient pas lacertitudeabsoluequ’ilsétaientliésàleurfae,nidel’enseignantequis’étaitpendue,nidel’accidentde

voiture.—Mapremièrequestionestdonc,quesavez-vousaujusteausujetdufaequiaenlevéAméthyste

Milleretalaisséàsaplaceundoublefantôme,unchangeling?Les yeux mi-clos, le fae chercha une échappatoire. Ça ne lui coûtait sans doute rien de leur

racontercequ’ilsavait,saufquelesfaesn’aimaientpasrévélerleurssecrets.—IlétaitunefoisunfaedelaHauteCour,dit-ilenfin.IlfautsavoirquelesfaesdelaHauteCour

sonttrèsdouéspourenleverdesenfantshumainsetleurapprendreàrapporterdeschoses,àtravailleretàdonnervieauxterresdel’En-Dessous.Peut-êtreaimait-iltroplesenfants,celui-ci,àmoinsqueladistorsion se soit produite au cours du très longmoment qu’a pris la chute du pays des fées dansl’AncienMonde. Ceux de son espèce enlèvent les enfants, mais celui-ci, celui-ci les aimait. Il lesdérobaitauxhumainspourfaired’euxsesjouets,jusqu’àcequ’ilsmeurentetqu’ilsoitobligédelesremplacer.

Lefaeregardafurtivementautourdelui.—Leshumainssontsifragiles.C’étaitunpasse-tempspourlui,maisquandlamagieadécliné,

est revenueen forcepuis adéclinédenouveau, cettepartiede lui s’estdistordueenungeis. Nousautresfaesinférieurssommescontraintsdenousplieràcegenredesortilège,maiscen’estpaslecasdesfaespuissantscommeceuxdelaHauteCourd’habitude.(Ilyavaitdelajubilationdanssavoix,mêmesisafaçadehumainerestaitneutrecommelevisaged’unepoupée.)Illuifautdoncunenfantpoursacollection,maintenant.Illesgardependantunanetunjourpuislesconsumeentièrement,etarrivéàcestadeildoitencollecterunautre.Ilsenourritduchangementqueletempsprovoquechezeux,voyez-vous.

Il regardaAnnaet sourit.Charles sentit un souffledemagie etposaunemain sur la têtede sacompagne.Ellelalevaetmontralescrocsàl’hommefaeengrondant.

—Ilnem’aurapascommeçadeuxfois.(Lavoixclaired’Annarésonnaitdanssatête.)Justinestmort.Silefaeveutportersonvisage,çam’estégal.

LafureurqueCharlesavaitétoufféeplustôts’élevatelunphénix.Celui-là,FrèreLoupletueraitsanslemoindreétatd’âme.Cen’étaitpascommesilesloupsregrettaientgrand-chose.Laplupartdutemps,ilslaissaientlesremordsetlaculpabilitéàleurmoitiéhumaine.Ilsecouvritlesyeux,carilsavaitquesesirismarronfoncéd’humainavaientprislacouleurambréeplusclaireduloup.

Lesliecommençaàposeruneautrequestion,maisCharlessecoualatête.—Iln’apasfiniderépondreàlapremièrequestion,dit-il.Ilavaitdenouveau lavoix troprauque,mais iln’ypouvait rien. Il regarda leweardendans les

yeux.Lacréaturereculad’unpas,puissamagiecrépitaetmourut.—Etnel’interrogepasausujetdesfaesdelaHauteCour.Jeconnaisceuxdeleurespèceetpeux

répondreàtoutestesquestions.Leweardenricana.Charlessecontentadel’observerfroidement.Lefaerepritpeuàpeuunairmaussade,puisfinitparpoursuivre.— Il y a un siècle, les humains d’Écosse se sont introduits dans l’un de ses repaires. Ils

l’appelaientleCollectionneurdePoupéesparcequelesfillettesétaienthabilléescommedespoupées.Cellequiétaitencoreenvierefusaitdeparler.Elleestmortequelquessemainesplustard.Maisc’estdevenuimpossiblepourlesfaesdecontinueràvivreenÉcosse.Commebonnombred’entrenous,quoiqueplustardquecertains,ilestmontéàbordd’unbateauàvapeuretestvenudansleNouveauMonde.

Ilsattendirent.QuandLeslievoulutdirequelquechose,Charlessecoualatête.Enfin,leweardenrepritlaparole:

—Ilavécuici…(LefaedonnauneadressequeLeslienota.)Pendantlongtemps.MaisquandlesSeigneursGrisontdécidéqu’ilétaitnécessairequelesfaesrévèlentleurexistence…

Ilsefrottalesmainssursachemiseetjetadesregardsnerveuxautourdelui.—Jenedevraispasvousraconterça.— À ce qu’il me semble, il arrive malheur aux faes qui reviennent sur leur parole, déclara

Charlesd’unevoixdoucereuse.Lesautoritéssuprêmesnevoientpaslemensonged’unbonœil.Lefaeluijetaunregardmauvais.—LesSeigneursGrissontalléstrouverlesfaeslesplusréticentsetlesontobligésàrentrerdans

lerang.IlssontalléstrouverleCollectionneurdePoupéesetluiontprissespouvoirs.Ilsontfigésonbesoind’enlever lesenfantsetsonaptitudeà lefaire,et ils l’ontabandonnéàsonsort.Jen’aiplusentendu parler de lui jusqu’à ce que les Seigneurs Gris libèrent certains des monstres qu’ilsdétenaient,etcelui-ciestrevenuiciaffamé.(IlbraquasurCharlesunregarddehaineintense.)C’esttout ce que je sais au sujet du Collectionneur de Poupées, en dehors des informations que vousm’avezdonnées.

—Qu’est-cequipeutl’arrêter?demandaLeslie.Lefaesefenditd’unlargesourire.Seulesabouchebougea,cequiluidonnaunairétrange.Soitil

cherchaitàeffrayerleshumains,soitilavaitvraimentpeud’expérienceenmatièred’imitation.—Lamortarrêtetout.Il sedépartitde sonapparencehumaineet reculaparmi lesarbresdans lecoindu jardin,où il

devintunpetitarbremaltaillédansl’ombredugrandarbrefruitier.—Désolée,ditLeslieàCharles.Jecroisquej’espéraisdelakryptoniteouquelquechosedansce

genre.Charlessecoualatête.—Ta première question était bonne. Il nous a dit tout ce qu’il savait. (Il jeta un coup d’œil à

Leeds,quiavaitprisdesnotespendantquelefaeparlait.)Tuasl’adresse,n’est-cepas?— Je l’ai. Je l’ai envoyée à notre département de recherche. Ils nous transmettront dès que

possiblelesregistresdepropriétéainsiquetouteslesautresinformationsqu’ilstrouveront,commelesplansdelamaison.

—Excusez-moi. (Lafemmequ’ilneconnaissaitpasetqu’ilsupposaitêtre lapropriétairede lamaisons’adressaitàLeslie.)Est-cequevouscroyezquejepourraisprendreunephotodelalouve-garou?Laphotographieestl’undemespasse-tempsetelleestsuperbe.

LesliehaussalessourcilsetregardaCharles.—Qu’enpenses-tu?Ilétaittentéderefuser.—Anna?Ellesautasurlegrosrocherengranitetpritlapose,gracieuse.Etmignonne.Cequiétaitassez

prodigieuxcar,même si les loups-garouspouvaient êtrebeaux, c’était desprédateurs. «Mignon»n’entrait généralement pas dans la liste de leurs caractéristiques. D’un autre côté, son Anna étaitextraordinaire.

—Onaunpeudetempsdevantnousparcequ’ondoitattendrederecevoirplusd’informationsàproposdel’adresse,c’estça?(Çaluiparaissaittoujoursaussinouveauetmerveilleuxd’entendrelavoixd’Annadans sa tête. Il était si reconnaissant denepas être seul.) Il faut qu’on sache si on vas’introduiredanslaprisond’unfaeouchezunpauvrehèrequiauraitachetécettemaisonaucoursdes cinquante dernières années. Et on a une dette enversMme Jamison. Quelle est l’ampleur desdégâtsquetuasfaitschezelle?

Illuisourit.— Oui, répondit-il à Anna, oubliant que tout le monde ne l’entendait pas comme lui. Je

rembourserai les dégâts, bien sûr, mais un petit coup de main des relations publiques pourraits’avérernécessaire.

CHAPITRE11

CharleslaissaàMmeJamisonunedesescartesdevisitequinecomportaientqu’uneadressee-mailetuncodepostal,afinqu’ellepuisseluienvoyerledevisdesréparations.Ellevoulaitqu’ilsigneunedéchargepourlesphotographies,maisilsecoualatête.

—Cen’estpasmoiquevousavezphotographié,dit-il.—Ilmefautuneautorisationécritepourlesphotosoùl’onvoitlesvisagesdesgens,sinonjene

peuxpasm’enservir,seplaignitâprementMmeJamison.—Pour les loups-garous, rienn’estclairementdéfiniàcesujet, lui répondit-il.Servez-vousde

cesphotos.Siquelqu’unvouscréedesennuis,écrivezàl’adressesurlacarteetons’enoccupera.Le téléphonedeLeeds sonna.Lapersonne aubout du fil avait dunouveau.Lamaison située à

l’adresse que leur avait donnée le wearden faisait partie des possessions d’une femme qui étaitdécédéevingtansplustôt.Unecompagniedegestiondepropriétéss’enétaitoccupéelescinquantedernièresannées,jusqu’àcequ’ilaitétédemandéauxlocatairesdepartirquelquesmoisplustôt.

—Continuez à chercher le propriétaire, leur demanda Leeds.On va se rendre à cette adresse.Troisagentsfédérauxavecdeuxloups-garousenrenfort.Çairapournous.(Ilrangeasontéléphone.)Allonsvoirça.

—Bonnechance,ditMmeJamison.J’espèrequevouslatrouverez.Charlesmonta avec Leslie. Ils se laissèrent guider parMarsden et Leeds, qui connaissaient le

secteurpuisqu’ilsétaientducoin.Annas’étira sur labanquettearrièrede lavoituredeLeslie.Ellegrognait.Iln’yavaittoutsimplementpasassezdeplacesurlabanquettepourqu’unelouve-garoudequatre-vingt-dixkiloss’ysenteàlafoisàl’aiseetensécurité.

—Cen’estpasconçupourlesloups,dit-ilàAnna,pleindecompassion.C’étaitmoinspéniblequandc’étaitLeslieauvolantplutôtquelesagentsduCantrip.Charlesneles

trouvaitpastropmal,maisFrèreLoupappréciaitLeslieetelleconduisaitmieux.Ils suivirent la berline foncée de Marsden pendant encore quelques kilomètres. Lorsqu’ils se

furentéloignésdesmaisonshautdegammeetarrivèrentdansdesquartierssituésunpeuplusbassurl’échellesociale,Leslierepritlaparole.

—Lamétamorphosed’Annaaététrèslentecomparéeàlatienne.—Noussommestousdifférents,expliqua-t-ilaprèsunmomentderéflexion.Maisjelesuisplus

quelaplupartd’entrenous.Et,oui,ilyauneexplicationplusdétailléequejenesuispaslibredetefournir.

Elleeutunrireinattendu.—Jen’aipaslesautorisationsnécessaires?—Tun’espasunelouve-garou,dit-il,presquesuruntond’excuse.—Oui,monsieurSmith,ironisa-t-elle.Souviens-toijustequelessecretsonttendanceàsortirau

piremoment et à nous exploser à la figure, comme beaucoup de politiciens pourraient en attesterpersonnellement.

—Onessaiedelesrévéleraucompte-gouttes,sedéfendit-il.Elleritdenouveau,etilsedemandasiellechantaitbien.Peut-êtreaimerait-ellelefaireavecAnna

et luiun jour.Si savoixquandellechantaitétait commeson rire,elle s’accorderait trèsbienaveccelled’Anna.Alorsqu’ilajoutaitlevioloncelled’Annaetunpeudepiano…oupeut-êtremêmedelaguitareàlachansondanssatête,Marsdens’arrêtadevantlaboîteauxlettresd’unepropriétéceinted’unmurdedeuxmètresenparpaing,taguéetcroulant.

Àl’angledupâtédemaisonssedressaitunimmeubledélabréavecunparkingremplidevoituresquiavaitl’aird’avoirpassédixouvingtanssouslesoleilimpitoyabledel’Arizona.Àcôtéetenfacede là où ils s’étaient garés, il y avait unepetitemaison avecun jardin clôturé oùun chiot et deuxgarçonsjouaientàunjeudeballecompliqué.

—C’est là,ditMarsden.Du faitde l’approche terroriste etde l’enfant endanger, laprocédurepourobtenirunmandatdeperquisitionaétéaccélérée.Leedsaappelé lacompagniedegestion.Àleurconnaissance,c’estvidedepuisqu’onleurademandédefairepartirlelocataire.Ladamequ’ilaeueautéléphoneaditqu’enprincipeilslagéraienttoujours,maisqu’ellen’avaitaucunetraceécritedetravauxoud’interactionsaveclespropriétairesdepuisdécembredernier.Elleignorepourquoiilsontfaitévacuerlesprécédentslocataires…Ellesaitjustequec’étaitàlademandedespropriétaires.SonpatronestenvacancesenFloride.Ellecherchelesdocuments.

Leportailenboisétaitentrouvert.Laportedegauchepenchaittristementverslesol.AlorsqueMarsdens’apprêtaitàouvrirlavoie,Charlesintervint.—LaisseAnnaetmoipartiren tête.On ignorecequ’onva trouver,et ilyamoinsde risques

qu’elleetmoisoyonsblesséssiçabarde.Marsdenbattitenretraite,lesmainsenl’air.—D’accord.—Etrestezavecnous,ajoutaCharles.Sic’estlamaisondufae,ilestpeuprobablequ’ilprennela

fuite. (C’était pour cette raison qu’il n’aimait pas travailler avec les humains : ils mouraient tropfacilement.)Restezavecnousetonferanotrepossiblepourvousgarderenvies’ilattaque.

Lesliesortitsonarmeetlatintcontresajambe.—Onenferaautantpourvous,dit-elle,pince-sans-rire.Illuisourit,puisilsebaissapourseglisseravecAnnaparl’intersticedelatailled’unepersonne

entrelesdeuxgrandesportes.Ce n’était pas la première situation dangereuse dans laquelleAnna s’aventurait avec sonmari.

Pourêtrehonnête,ellesesentaitassezhumiliéeaprèssoncomportementaveclefaedanslejardindeMmeJamison.Unegrandeméchantelouve-garouterroriséeparunechochottedepetitfaedejardin.CommentCharlesl’avait-ilappelé,déjà?Unwearden.

L’humiliation était préférable au frisson d’horreur qui l’avait parcourue à la pensée de Justin.Curieusement,ellenesesouvenaitpasd’avoirététerrifiéeàcepointquandilétaitvivant.Elleavaiteutrèspeur,oui,maispasaupointdetremblercommeuneméduse.Lamagieduweardenavaitpeut-être contribué à amplifier sa frayeur. Or, si tel était le cas, pourquoi avait-elle encore l’estomacnoué?

Maiselleavaitduboulot,etellerepoussaJustindanslecachotobscuroùellelegardaitdanssonesprit,etd’oùilnesortaitpourvenirladérangerquedanssescauchemars.

Lejardinentrelesmursétaitdésolé,moinsxéropaysagerquezéropaysager.Avecsestouffesdevégétationmorte,laterrerougen’offraitaucunabriderrièrelequelsecacher.Annaprituneprofondeinspirationmaisnesentitriend’inhabituel:nimagie,nifae,rienquedelapoussière.

Etpourtant…ellecollalatruffeausoletavançaenrampantàmoitié.Ellecouchalégèrementlesoreilles,malàl’aise,uneréactionqu’ellenepensaitpasêtredueàsaterreurprécédente.

—As-turepéréquelquechose?luidemandaCharles.Elleretroussalesbabinessanslevouloir,commepourmenacer…—Rien,luidit-elle,etpourtant…Malgrélachaleurdusoleilhautdansleciel,ellefrissonna.Cen’étaitpasl’été,maisçanevoulait

pasdirequ’ilnefaisaitpaschaudàScottsdale,prèsde27°C.Ellesentaitlasueurdesautres.—J’ailaissécefaemeflanquerlatrouille,luidit-elle.Maréactionestexagérée.Ilsecoualatête.—Pasd’oiseaux,pasd’insectes,riendevivantdutout.Ilyadesfantômesici…Leursouffleme

brûlelapeau.Restevigilante.—Parlaported’entrée?demandaLeslie.— S’il est là-dedans, il sait déjà qu’on est là, lui répondit Charles. Qu’on entre par la porte

d’entrée,parcelledufondouparlacheminée,onnepourrapascomptersurl’effetdesurprise.Ilajouta:—Jenesenspersonne.Anna?Ellesecouavivementlatête,maisungrondementvibradanssapoitrine.—Est-cequetuleressens?—Oui, fit-il enposant lamain sur sa tête.Lepoidsdesmortspèse sur ce lieu.Cet endroit est

hantédanslevraisensnavajoduterme.Jesensqueçaveuts’yaccrocher.—N’essaiepasdenousdonnerducourage,surtout,ironisaMarsden,pince-sans-rire.Jemesens

tellementmieuxaprèscespeech.Lecompagnond’Anna lui décochaun sourire. Il n’offrait engénéralpasde sourires auxgens

avantd’avoireuunpeuplusdetempspourlesconnaître,dumoinspasdesouriresamicaux.—Jenepensepasqu’ontrouveraquiquecesoitdevivantici,dit-il.Çavousrassure?—Pasvraiment,réponditLeeds.Non.—Non,acquiesçaLeslie.La porte d’entrée était fermée à clé. Personne ne répondit quand Marsden frappa un coup

vigoureuxàlaporte.Leedssortitdesapocheuntrousseaud’ustensilesàcrocheteretsemitàtriturerlaserrure.

Annaconçutaussitôt ledésird’apprendreàen faireautant.Çan’avaitpas l’air tropcompliqué.Charless’yconnaissaitsansdoute.Ilpourraitluimontrer.

—Éloignetonmuseau,s’ilteplaît,m’dame,ditLeeds.Tunemegênespas,maisj’aidumalàmeconcentreravecunfichuloup-garouquimesouffledanslecou.

—Tun’asrienàcraindred’elle,murmuraCharles.— Je le sais, ça, déclara Leeds calmement. (Ilmaniait toujours les ustensiles délicats, un dans

chaquemainetlatêteinclinéedesortequ’unedesesoreillesétaitplusprèsdelaserrurequel’autre.)Moncerveaulesait,entoutcas.Mestripesmedisent:«Cours,cours,espècedecrétin.C’estunloup-garou.»

Annarecula.Elleessayaderegarderparlesfenêtres,maislesstoresétaientbaissésetorientésdetellefaçonqu’ellenevoyaitrien.Ellepouvaitaffirmerqu’aucunecréaturevivanten’étaitvenuesurceperrondepuisunbonmoment.Elledécelaunlégerrelentdeparfumqu’ellesupposaêtreceluidela personnequi avait loué lamaison,mais riend’autre.Si le fae s’était tenudevant cette porte, çaremontaitàlongtemps.

Leverroucédaetlaportes’ouvritsurunsalonvidequisentaitlapoussièreetledétergeant,cequifitéternuerAnna.ElledépassaLeslieentrottinantetentradanslapièceprincipale,quiétaitaussividequelereste.Ellesentitfaiblementlesodeursdeshumainsquiavaientvéculàautrefois:unefillette

danslachambreroseetquelqu’unquifumaitdescigarettesdanslagrandechambre.Ilsavaienteuunchienaussi.Elleprofitadufaitquetouteslesportesétaientouvertespourentrersansdevoirattendrequequelqu’unavecdesmainsvienneluiouvrir.Sonodoratnedétectariendansleschambresetlessallesdebains.Cependant,d’aprèslesbruitsquiprovenaientdusalon,quelqu’unavaittrouvéquelquechose.

Uneéchelleétaitclouéeaumurdans lacuisine.Elleavaitétépeinteencrèmeetvertmentheetornéede feuillesen tôlepeintepour la transformerenobjetdedécoration.Enhautse trouvaitunetrappe dans le plafond, verrouillée et sur laquelle était scotché unmot : « ACCÈSAUGRENIERINTERDITAUXLOCATAIRES.»

Ellecollalatruffesurl’échelleetnesentitrien.Maiscettemaisonn’étaitpasnonpluslemanoirdeHosteen. Il n’y avait guère d’endroits où cacher des choses, et une porte verrouillée paraissaitintéressante.Ellegrimpa jusqu’à la trappeenplantant lesgriffesdans lebois, laissantdesmarquesderrière elle. La planche étroite au sommet de l’échelle lui faisait mal aux pattes, et elle songeaqu’elledevrait peut-être laisser l’undesbipèdes confortablement chaussés essayer à saplace.Sanscompterquelescorpsdesloups-garousn’étaientpasfranchementconçuspourgrimperdeséchelles.C’étaitunemaisonancienneauxplafondshautsdetroismètresaumoins.

Ellenesentait riendeplusenhautqu’enbas.La trappebougeaunpeulorsqu’elle lapoussadumuseau.Dèsquelebordsedétachaducadre,uneodeurs’échappadugrenierpourdisparaîtreaussitôtquelebattantrevintàsaplace.

Maisc’était suffisant.Elle sentait lapetite filledont le lapincrasseuxse trouvaitdans le sacenplastiquequiétaitrestédansleurchambreauranchdesSani.

Elleselaissatomberausoletcourutjusqu’àCharles.Danslesalon,ilsavaientretirédespierresautourdelacheminéeetinspectaientuntroudoubléde

métalquinerenfermaitpasgrand-chose.—Je l’ai trouvée, dit-elle àCharles avant de retourner à la cuisine en courant, dérapant sur le

carrelageavecsesgriffes.Cette fois, elle grimpa l’échelle en flèche et donna un coup d’épaule dans la trappe, aussi fort

qu’elle le put. Le bois craqua et Anna retomba sur le sol. Quand elle leva la tête, la trappe étaittoujoursintacte.Elleremontaencourantpourlapercuterdenouveau.Lorsqu’elleseréceptionnadenouveauparterre,latrappeatterritenmêmetempsqu’elleentroismorceauxtandisquelequatrièmerestaitaccrochéauplafond.

Lapuanteurde lamort se répanditdans lacuisineenunmélangede relents anciensetde sangfrais.Charlesyfutplussensiblequeleshumains.

Ilramenasonavant-brassursonnez.—Resteenbas,ordonna-t-il.MaisAnnan’attenditpas.Ilyavaitlà-hautuneenfantquiétaitforcémentblesséeeteffrayée,une

enfant qui avait été retenue prisonnière pendant desmois. Elle se précipita par le trou en haut del’échelle,sansécouterCharlesquilarappelait.

L’airétaitchaudetétouffantdanslegrenier,unepiècequimesuraitpeut-êtresixmètressursix.Leplafonddetroismètresétaitenpenteraideetsuivaitl’inclinaisondutoit,jusqu’àneplusfairequ’unmètredehautsurdeuxcôtés.Lelinoléumdémodéauxmarbruresvertkakiétaitplusfroidquel’airambiant,etilrappelaitàAnnalesphotosdelamaisondesagrand-mère.

Aucentredelapiècesedressaitunlitd’enfantàbaldaquin,peintenblancetdécoréàlafeuilled’or.StyleLouisXIV, songeaAnna,ou peut-être LouisXVI.Un voile blanc et transparent avait étéhabilementdrapétoutautour,commepour–ellerepensaàMmeJamison–unesortedeshootingde

mode.Despétalesderosesséchéesetrosepâlejonchaientletissu,lelit,lesolautourdulitetlapetitefillequiétaitcouchéedessuscommelaBelleauboisdormant,vêtued’unerobeensoiedelamêmecouleurquelesfleurs.Sapeauétaitd’unblanclaiteux,etellenerespiraitpas.

Charlesgrimpaàcôtéd’Anna,puislançaàl’intentiondeceuxquiétaientenbas:—Non.Restezenbas.C’estunescènedecrimeetiln’yapasassezdeplaceici.Sivousmontez

aussi,vouscompromettrezlascène.—Qu’ya-t-illà-haut?demandaLeslie.Jevaislesignaler.— De multiples victimes d’homicide, dit Charles d’une voix assurée, mais son effroi se

confondaitavecceluid’Anna.Jedénombrevingtcorps,aumoins.Tousdesenfants.Laplupartsonticidepuisunmoment.JedevinequelesmeurtresonteulieuavantquelesfaesrévèlentleurexistenceetquelesSeigneursGrismettentuntermeauxhabitudesdenotreCollectionneurdePoupées.

Lescorpsétaiententasséscommeduboisdecordecontrelemurd’unmètredehautquiséparaitlesolduplafonddesdeuxcôtésde lapièce.Devieuxcorpsà lapeauparcheminéeetauxcheveuxraidesetsecs.

Ils ressemblaient davantage à la poupée rembourrée et cousue que la mère d’Anna lui avaitfabriquéeavecdunylonqu’àdesrestesdepersonnes,d’enfants.Lenezd’Annaluiconfirmacequeses yeux refusaient de croire. CommeAméthyste, certains enfants portaient des robes en satin quibrillait sous les couchesdepoussière.D’autresportaient des costumes sombres.Tous avaient l’aird’êtrehabilléspourunmariage.

Annasongeaqu’àcompterdecejour-là,dèsquel’airseraitchaudetstagnantetqu’ilsentiraitlecuiretlamort,ellesesouviendraitdecesenfants.EllesepressacontreCharles,etilposalamainsurlesommetdesatêtepourlesréconfortertouslesdeux.

—Améthysteest-ellelà-haut?C’étaitLeeds.—Oui,réponditCharles.Ils’avançaalorsverslelit.CourageuxCharles.Améthysteétaitsilencieuse.Ellenerespiraitpas,soncœurnebattaitpas.Annagémitàl’intention

de Charles. S’il la touchait, il contaminerait la scène. Les autres enfants étaient morts depuis desdécennies.AméthysteétaitlavictimelaplusrécenteduCollectionneurdePoupées.Cellequiseraitlaplussusceptibledeleurfournirdesindices.

—Est-ellevivante?demandaMarsden.—Ellenerespirepasetsoncœurnebatpas,réponditCharles.—Jeprendsçapourunnon,ditMarsden.Bonsang!j’auraisaiméarriveràtemps,pourunefois.—Pasdeconclusionhâtive.(Charlestirauncouteaudesabotte.)Ilfaitchaudici.Ellen’estpasen

traindesedécomposer.Toutelaputréfactionquejesensestancienne.Lamortcombinéeàlachaleurentraînelepourrissement.Soitill’atuéeilyamoinsd’unedemi-heure,soitellen’estpasmorte.

—Àmoinsqu’ellesoitmorteetquelefaeaittrouvéunmoyendepréserversoncorps.Charles adressa un hochement de tête à Anna, mais il ne relaya son commentaire à personne

d’autre.Ilseservitdelalamedesoncouteaupourécarterletissu,exposantAméthystetandisquelespétalestombaientcommedesfeuillesd’automne.Ilposaledosdelamaincontresapeauetlaretiraenlasecouantetensifflant.

—Si leCollectionneurdePoupées ignorait quenous étions ici jusque-là, il le saitmaintenant,s’exclama-t-il.

—Quesepasse-t-il?— J’ai touchéAméthyste et activé une sorte demagie, leur dit Charles. Je vais tenter quelque

chose.—Attends,l’arrêtaLeeds.Onaunexpertenmagiefaequiarrived’Oaklandenavioncesoir.—Çapourraitêtretroptard,déclaraCharles.Ilfitroulerlecouteaudanssamain.Annal’avaitcommandésurmesurepourluiàNoël.C’étaituncouteauSanMai,composéd’une

couche d’acier au carbone prise entre de l’acier inoxydable. L’acier au carbone lui conférait unmeilleurtranchant,etildevaitêtreefficacecontrelamagiefaecarilétaitplusprochedu«ferfroid»quel’étaitdusimpleacierinoxydable.

Ilpressalalameducouteaucontrelebrasd’Améthyste.Ellerestaposéeunedemi-secondecontresapeaupuisl’entama.Alorsquelapremièregouttedesangentachaitlecouteau,lesoreillesd’Annase bouchèrent comme si la pression de l’air baissait. Puis Améthyste se redressa et poussa unhurlementdeterreur.

Cen’étaitpasunsonagréableàentendre,rauqueetgrinçantcommedesonglessuruneardoise.Ilblessa les tympans d’Anna. Ça faisait longtemps qu’elle n’avait pas été aussi heureuse d’entendrequelquechose.

Charlesprit la filletteet laserradanssesbras, levisaged’Améthystepressécontresonépaule.Anna se demanda si c’était une bonne idée. Un homme inconnu qui la tenait dans ses bras ? Quipouvaitsavoircequelefaeluiavaitinfligéaucoursdesmoisquiavaientsuivisonenlèvement?

—Chhhut,larassuraCharlesalorsquelestroisautresseruaientenhautdel’échelle.Chhut.C’estfini.C’estterminé.Onnelaisserapluspersonnetefairedumal.Jenelaisseraipersonnetefairedumal.

Etpeut-êtreparcequ’ils’agissaitdeCharles,lafilletteempoignasontee-shirtàdeuxmainsetyenfouitsonvisage.Sescrissemuèrentensanglotsencoreplusterriblesquelescris.Annagémitenseremémorantlesparolesdufaedejardin,duweardenquiavaitditquel’enfantquiavaitétésauvéenÉcosseétaitmortquandmême.

Leslie embrassa la scène du regard et redescendit du grenier.Au bout de quelques instants, onl’entenditdire:

—Salut,Hemmings,c’estFisher.Peux-tuallerchercherlesMilleretlesameneràcetteadressedans le suddeScottsdale. (Elle lui lut l’adresse.)Dis-leur qu’on l’a trouvée,mais pas avant qu’ilssoientmontésdanslavoiture.Jeneveuxpasqu’ilsaientunaccidenttragiqueenvenantici.Ilyadéjàassezdemortsquihantentcetendroit.Préviensl’équipe…leFBI,leCantripetlapolicedeScottsdale.Dis-leurdeveniriciauplusvite:onaunescènedecrimeàtraiter.Etchargequelqu’undetrouverquiestlepropriétairedecettefichuemaison.

—Entendu, fit l’homme au bout du fil, qui devait êtreHemmings.Et j’ai de bonnes nouvellesconcernant le propriétaire.On a un nom.Unedizaine d’agents sont chez lui en cemomentmême.SeanMcDermit. Il est à la retraite pour l’essentiel, mais il travaille dix heures par semaine à lagarderieSunshineFun.

Charles regarda une bonne fois autour de lui, et, s’abstenant d’utiliser l’échelle, il sauta pourretourner à l’étage principal. Il encaissa la chute en pliant les genoux. Anna aurait pu parierqu’Améthyste n’avait rien remarqué. Anna sauta après lui. C’était plus facile pour elle que dedescendrel’échelledanslecorpsdesalouve.

EllesuivitCharlesdehors.Alorsqu’elleobservaitsesgestes,elleseremémorasoudainquelquechosequ’ellesavaitdéjà.LesAlphass’estimaientresponsablesdelasécuritéetdubien-êtredetousceuxquilesentouraient.Charlesn’étaitpasunAlpha–ilavaitcédécerangàsonpère–,maisilétaitplusdominantquen’importelequeld’entreeuxendehorsdesonpère.SafaçondetenirAméthyste

Millerdisaitqu’ilsesentaitresponsabled’elle.Quelquechosefittiltàcemoment-là,etellecompritlaréticencedeCharlesàavoirdesenfants.

Elleavaitremarquéelle-mêmequ’ilpouvaitcompterlesgensauxquelsiltenaitsurlesdoigtsd’unemain.Elle,Bran,Samuel,sansdouteMercy.Aveccevoyage,elleavaitpuajouterunepersonnedeplusàcetteliste:Joseph.Cinqpersonnes,parcequ’ilnepouvaitpasenprotégerdavantage.EtJosephétaitmourant.

Oh,Charles!CharlestintAméthystedanssesbrasjusqu’àcequesesparentsarriventetlaréclament.C’étaitun

peucommetenirunchiot.Chaude,mouilléeet frissonnante,elle respiraitparà-coups. Il luichantaMalbroughs’envat’enguerre,parcequec’étaitlongetrépétitifetquesonpèrelaluiavaitchantéequandilavaiteul’âged’Améthyste.Ilnesavaitpascequelesparentsdemaintenantchantaientàleursenfants,maisilyavaitdebonneschancesquecettechanson-làluisoitfamilière.

Illuifrottaledosenmarchantdansl’ombredumur,àl’abridespassantsetloindesbruitsetdessirènes.Annaallaitetvenaitàcôtédelui,enveloppéedanslamagiedelameuteafinqu’ilsoitleseulqui puisse la voir. Il ne pensait pas qu’elle le faisait exprès. Lamagie de lameute n’attendait pastoujoursqu’onlaconvoque.Aprèscoup,ilsedemandasilesphotosqueMmeJamisonavaitprisesseraientnettes,ousiAnnan’apparaîtraitquecommeunesilhouettefloue.

Améthystedormaitquandsesparentsarrivèrent,etLeslielesescortajusqu’aucoinisolédujardinoùCharles faisait lescentpas.LedocteurMillerhésitaquand ilvit lepaquet inerteblotticontre letorsedeCharles,maissafemmegémittoutbasetpritsafilledesbrasdecedernier.

—Bébé?Deslarmescoulaientlelongdesesjoues.—Maman?(Enclignantdesyeux,Améthysteregardasamère,quilatenaitmaladroitementcar

ellen’étaitpastrèsgrandeetquelafilletten’étaitplusunbébé.)Maman?Iladit, iladitquejenevousmanqueraispas.Quevousaviezunenouvellefillequiétaitcommemoi,maisenmieux.

—Non,luiassurasonpèreenl’étreignantsansvraimentlaretirerdesbrasdesamère,desortequ’ilsseretrouvèrenttousblottislesunscontrelesautres.Ilnousatrompéspendantunpetitmoment,maisonatoujourssuqu’ilmanquaitquelquechose.Cellequ’ilalaisséeàtaplacen’étaitpasnotrebébé.Onajustemisdutempsàteretrouver,tropdetemps.

—Jeveuxrentreràlamaison,dit-elle.Papa,jeveuxrentreràlamaison,s’ilteplaît?— Docteur Miller, l’interpella Leslie, je vous recommande d’appeler son médecin et de lui

demanderdevous retrouver auxurgences.L’undemeshommes, le chauvequiporteunevesteduFBI,vousattendpourvousemmener tous là-bas. Ilveilleraaussiàcequevous rentriezchezvoussansencombre.

Alorsqu’ilscommençaientàpartir,ledocteurMillers’arrêta.Ilseretourna,laissantsafilleauxsoinsdesamère.Ils’essuyalevisage,puiscroisaleregarddeCharlesetlesoutint.

—Merci.—Ce n’était pas quemoi, réponditCharles. (La gratitude qui se lisait sur le visage de l’autre

hommeétait tellequemêmeFrèreLoupneparvenaitpasàvoirdedéfidanssonregard.)Ilafallubeaucoupdegenspourlaretrouver.Etnousnetenonspasencoreceluiquil’aenlevée.Notretravailn’estpasterminétantqu’iln’estpashorsd’étatdenuire.

Ilavaitentenducequel’agentdeLeslieavaitditautéléphone.Maisilétaittroptôtpourdéclarerqueleravisseurd’Améthysteavaitétécapturé.

LedocteurMillerregardalamaisonetdit:

—Jesuismédecin,etj’aijurésurl’honneurdenefairedemalàpersonne,maisjepourraisletuerdemesmainssansenperdredu tout le sommeil.Pas justepourmafille,maispour toutes lesfillesetlesfils.J’aiappriscequevousaveztrouvédanscegrenier.

Charlesluiadressaunhochementdetête,puislaissaFrèreLoupsortirafinqueledocteurMillerpuissevoirleprédateurquirôdaitdanssesyeux.

—Jem’occuperaideluisij’enail’occasion.MmeMillerditalors:—Vousêtesunloup-garou.—Oui,acquiesçaCharles.Iln’avaitpaseul’intentiondeluimontrerleloupàelleaussi,maisiln’allaitpasluimentir.—Bien,fit-elle.Tuez-le.—C’estmonintention,luirépondit-il,sourdàl’inspirationquepritLeslie.Certainespersonnes

doiventmourir.LedocteurMillerregardasafille.—J’aicru…Elleavaitdisparudepuisdesmois,etonn’ensavait rien. J’aicruqueçamettrait

encoredesmois,et…vousl’aveztrouvéeenunjour.Ilavaitcruqu’ilslatrouveraientmorte.Ill’avaitmêmedit.Charlescomprenait;c’étaitcequ’il

avaitpenséluiaussi,pourl’essentiel.C’étaitAnnaquiavaitgardéespoirpoureuxtous.—Cen’estpasterminé,luiditCharles.Çavaêtredifficilependantencoreunlongmoment.Lepèred’Améthysteluiadressaunsourirequin’enétaitpasvraimentun;ilcommuniquaittrop

d’expérience.— Je suismédecin. Spécialisé en pédiatrie. Je connais quelqu’un de très bien, qui ramasse les

morceauxetaidelesgensàlesrecoller.Améthystes’ensortira.(Ilregardasafille,et,quandilrelevalatête,ilavaitleslarmesauxyeux.)Çademanderadesannéesdethérapie.Pournoustous,sansdoute,unelongueetrudebataille.Maisonestencoredeboutàsebattrepourcequiestjuste,toutmeurtrisqu’onsoit,etj’aiconsciencequec’estunmerveilleuxcadeau.

QuandLeslielesramenaàleurvoiture,ilétaitpresquel’heuredudîner.—Çan’arrivepastoutletemps,ça,ditLeslieàCharlesalorsqu’elleprenaitl’autoroute.Anna gronda quand elle glissa de l’autre côté de la banquette. Comme ce n’était pas un

grognementdedouleur,Charlessecontentadevérifierqu’elleallaitbiend’uncoupd’œil jetépar-dessusl’épaule.

—C’estpourçaquej’airejointleFBI,tusais,poursauverdesgens.—Ellen’estpasencoresauvée,objectaCharlesàLeslie.—Jesais,desannéesdepsychothérapieetmêmedemédicaments,maisc’estbienmieuxquece

quejepensaisqu’ilsallaientrécupérer.—Oui,approuva-t-il,maiselleneserapasensécuritétantquelefaeneserapasmort.Lesliepritunebrusqueinspiration.— Nous détenons l’individu qui possède cette propriété. Il a aussitôt appelé son avocat, mais

l’hommequej’aisurleterrainmeditqu’ilestclairementfae.Ilnesupportaitpaslecontactdumétal.—Lesystèmejudiciaireactueln’estpasdetailleàgérerunfaedececalibre.PassilesSeigneurs

Grisontlevésesrestrictions.Sionneletuepas,cepauvretasdecorpsdanslegrenierneseraqu’unegoutted’eaudans l’océan.Les faesnemeurent pasd’eux-mêmes… il faut leurdonnerun coupdemain.

—Jepensequ’ilvafalloirconvenirqu’onnetomberapasd’accord,dit-elle.

—Veillejusteàcequ’ilnevousfilepasentrelesdoigts,répliquaCharles.Anna se changea sur la banquette tandis que Charles restait appuyé contre la voiture pour

s’assurerquepersonnenes’approcheraitassezprèspourregarderparlavitrearrière.Quandellefutdenouveauhumaineethabillée,ellesortitduvéhiculeetleserrasimplementdanssesbras.

Ill’enlaçaàsontouretsepermitd’admettreàquelpointilavaitbesoindesoncontact.—Touscesenfants,gémit-elle.Touscesenfantsmorts.Etdirequeças’estpasséjusteici,dans

cetteville.Quanda-t-ilcommencé?Unparanpendantcombiendetemps?Milleans?Deuxmilleans?EtAméthyste?Est-cequetupensesque…?

Ellenetrouvaitmêmepaslecouragededirelesmots.Toutcequ’ilpouvaitluidonner,c’étaitlavérité.

—Jenesaispas.Probablement.(Ildéposaunbaisersursatêteets’aperçutqu’ilseréconfortaitlui-mêmeautantqu’il la réconfortait.)Maison l’aarrêté,etAméthystedeviendraune femmeforte.Sesparentsyveilleront.Etelleestcoriace.

Ilsongeaqu’Améthystes’étaitaccrochéeàlui.Elles’étaitaccrochéedesdeuxmainsetnel’avaitpaslâché,parcequ’elleavaitsuqu’illaprotégerait.Ellevoulaits’ensortir,etc’étaitunpasdanslabonnedirection.

—Ellesurvivra,Anna.Ilnegagnerapas…Onletient,maintenant.Laissonslesystèmejudiciairehumainfairecequ’ilpeut.Quandilslerelâcheront,jeletraqueraijusqu’auboutdumondes’illefaut.

Desmotsclichés…etquiluiparaissaientcreux,mêmes’ilétaitparfaitementsérieux.Leplusabsurde,c’étaitqu’ilssemblaientêtrecedontAnnaavaitbesoin.Elleprituneprofonde

inspirationetlâcha:—Oui.Oui.C’estça.Commelemondeadelachancedet’avoir.Elles’écarta,s’essuyalesyeuxetluioffritunsourire.Il ignorait ce qu’elle entendait par là. Il était un tueur auxmains tachées de sang,mais il était

nécessaire.Peut-êtreétait-cecequ’ellevoulaitdire.—Unepartiede lasolution,continua-t-elle.Monpapanousdisait toujoursdefairepartiede la

solution,pasduproblème.Tufaistoujourspartiedelasolution.—Delasolutionàquoi?—Àn’importequoi.Àtout.Àmoi.Sonsourireétincela,puisilmourut.Savoixétaittrèssérieusequandellerepritlaparole.—Lemal existe,Charles. Je saisque jene t’apprends rien.Mais tous cesgens…(elle indiqua

d’ungestedelamainlesvéhiculesquicirculaientàl’heuredepointesurlaroutequipassaitdevantleparkingoùilssetenaient)touscesgensnesedoutentderien.Ets’ilsnesedoutentderien,c’estparcequetueslàpourlesprotéger.ToietBranetLeslie…etLeedsetMarsden,aussi.Maissurtouttoi.Làoùtues,ilyaaussidel’espoir.L’espoirquelebienestassezfortpourl’emporter.

Ellepritunegrandeinspiration,puisrelâchasonsouffle.—Jeveuxunenfantdetoi.L’estomacdeCharlessenoua.Iln’étaitpascertaindepouvoiravoircettediscussionàcemoment-

là. Pas avec son tee-shirt encore humide des larmes d’Améthyste et la puanteur desmorts qui luirestaitdanslenez.

Anna se détourna de lui, se balançant sur la pointe des pieds. Il se demanda si elle songeait às’enfuir.Ousielleauraitvoulupouvoirretrouverl’Annaqu’elleavaitétéavantd’apprendrequelemalexistait.

—Jecomprendsmaintenant,jecrois,luidit-elleàvoixbasse,toujoursdosàlui.Tusaiscequ’il

ya,là-dehors.Tupensesquesituas…quesinousavonsunenfant,ilsviendrontlechercher.Ceuxquiserventlemal.Tuconsidèresunenfantcommeunotagedudestin.C’estduShakespeareça,non?Lemals’enprendtoujoursauxinnocents,Charles.Maisaucuninnocentneseraplusensécuritéqueceluiquiserasoustaprotection.Tuasamenél’espoirdansmonmondequandj’yavaisrenoncé.

Elleseretournaverslui,etelles’essuyaitdenouveaulesjoues.Ellehésita,lesyeuxécarquillés…puiselletenditlamainetessuyadoucementlessiennesaussi.

—Maisjet’aivuaujourd’hui,chuchota-t-elle.Jepensequetuastort,vraiment.Jepensequetonenfantseraitlapersonnelamieuxprotégéedel’univers.Maisj’enaifinidetefairedumal.J’aivutonvisageetjesaispourquoituaspeur.Tuasressentibeaucoupdepeinepourelle.Toutvabien.Jen’aimepas la façondont cettediscussion est venue entrenous.Quand tu serasprêt tume le diras,d’accord?N’attendspaséternellement.

Lesenfantsmeurent,songea-t-il.Ilétaitpresquecertaind’avoirgardécesmotspourluietdenepaslesavoirlivrésàAnna.

Ellesedressasurlapointedespiedsetattenditqu’ilsepencheverselle.Ellel’embrassaquandillefit,d’abordsurlenezpuissurlabouche,avecplusdefouguecettefois.

—Montedanslavoiture,monchou,lesomma-t-ellesuruntonabrupt,mêmesielleavaitlavoixrauque.J’aideschevauxàallervoir.

—Anna,dit-ilalorsqu’ils’attachaitdanslesiègepassager.—Oui?Ellemitlesgazetsortitduparkingpourprendreladirectiondunord.—Nem’appellejamais«monchou».Elleluidécochaungrandsourire,puisseconcentrasérieusementsurlaroute.Alorsqu’elleles

emmenait au ranchdesSani, il sedemandacommentelle arrivait à le regarder, luidont lesmainsresteraientàjamaissalies,etàvoirdel’espoir.

Hosteenétaitlààleurretour.Ilfronçalessourcilsàl’intentiond’Anna,méfiant.MaisAnnaavait

vudeschosesterriblescejour-là.Avoiraffaireàunvieuxloup-garougrincheuxquipiquaitunecriseparcequ’elleétaitcapabled’endormirsonloupétaitlecadetdesessoucis.Elles’inquiétaittroppourCharles,quin’avaitpasditunmotdetoutletrajet.

Mais il avaitposé lamainaucreuxde ses reins.Çadevaitvouloirdirequeçaallait entreeux,n’est-cepas?

—Wadem’aditqueleCantripetleFBIvousont«permis»delesaideràretrouverlefaequiaessayédetuermesarrière-petits-enfants,grondaHosteen.

Ils’adressaitàCharles,maiscen’étaitpasl’attitudeàavoiraveclemarid’Annaàcemoment-là.Annaintervint:

—On a travaillé avec le FBI et le Cantrip aujourd’hui. On a retrouvé la fillette qui avait étéremplacéeparlechangeling.Elleestvivante,etonpensequ’elles’ensortira.WadeetKaget’ontditpourlechangeling,n’est-cepas?Deplus,leFBIpensetenirceluiquil’aenlevéeetajetéunsortàChelsea.Ilétaitlegardiendelagarderie.

Elleattendit,sentantmonterlatensiondansl’airàmesurequegrandissaitlacolèredesonmari.C’était comme si une odeur d’ozone avait commencé à envahir tout le couloir ; l’odeur étaitimaginaire,maisl’énergiecrépitait.

—Voussavezquoi?fit-ellesoudain.Cen’estpaslemomentpourça.Onvientdedécouvrirlescorpsdedizainesd’enfantsentasséscommedespoupéesdélaissées.Allez-y,battez-vous.Cen’estpasmonproblème.

Charlesrefermalamainsursanuque.—Elles’enflamme,hein?ditHosteen.—Elleaeuassezdedramespouraujourd’hui,réponditCharles.Etmoiaussi.Quelque chose passa entre eux, Anna en eut la certitude. Quelque chose qui lui échappa car

Charlessetenaitderrièreelle,àmoinsquecenefûtuntrucdemecs.Maislatensionsedissipa.Charlesdemandaalors:—Va-t-ilyavoirundrameici?Hosteensefrottalevisagedesdeuxmains.—Mince!Charles,ilyatoujoursplusoumoinsdesdramesici.Situpensesquelesmeutesde

loupsaimentlesdrames,jeteconseilledepasserunpeudetempsaveclesamateursdechevaux.(Ilregarda Anna.) Mon problème avec toi, c’est justementmon problème. Je n’avais encore jamaisrencontrédevraiOmega.Jenecomprenaispascequeçasignifiait.Jen’aimepasmeridiculiser…Monpèreétaitunivrogneetj’aijurédenejamaisendevenirun.

Iln’étaitpaslepremierloup-garouàdisjoncterendécouvrantcequeçasignifiaitvraimentd’êtreunOmega.Ellepressentaitqu’ilneseraitpasledernier.Puisqu’ilsemontraitcourtois,ellepouvaitbienl’êtreaussi.

—Oui, répondit-elle. Il paraît que ça touchedavantage les loupsdominants.Çavaut ce que çavaut,maisjenel’aipasfaitexprès.J’ignoraisqueçapouvaitavoirunteleffetsurquelqu’un…Sijel’avaissu,jet’auraisprévenu.

Elleseseraitexcuséeplustôt,maisilneluienavaitpasdonnél’occasion.Elleavaitfaim.Elleétaittoujoursaffaméeaprèslamétamorphose,ainsiqu’aprèslesdrames.—Jesensdelanourriture.Est-cequ’ilenreste?Hosteen sourit, puis il s’inclina. Elle devina une formation en arts martiaux derrière cette

salutation.—Jepensequ’ilst’enontlaissé,fit-il,l’airmalicieux.Onpourraitallervoir.Chelsea sortit de sa chambre pourmanger avec eux, portant à quatre le nombre de personnes

attablées autour de ce dîner tardif. Kage était parti travailler à l’écurie avec les trois enfants. Ilsavaienttransportéquelqueschevauxsurleslieuxduconcourscettenuit-là,etcomptaientenemmenerd’autres le lendemain matin. Maggie et Joseph avaient mangé dans la suite de Joseph plus tôt.Ernestinesoufflaitunpeudanssachambre.

Quand ils apprirent à Chelsea qu’ils avaient retrouvé Améthyste, et probablement le faeresponsabledetouscesmaux,elleaccueillitlanouvelleparunlégersourire.

—C’estbien,dit-elleàvoixbasse.Annas’inquiétaitdelavoiraussitranquille,commelecalmeavantlatempête.Branavaitmisaupointuneméthodedestinéeàminimiserautantquepossiblelesproblèmesqui

survenaient avec le Changement. Ceux qui voulaient devenir des loups-garous transmettaient leurrequêteàBran,leMarrok.Ilsdevaientremplirdesquestionnaires,recueillirlestémoignagesdegensqu’ils connaissaient – des loups-garous –, et exposer par écrit leurs motivations. Ceux dont lesraisons tenaient debout et dont la personnalité était stable – même si Anna avait soutenu qu’unepersonne qui tenait à devenir un loup-garou ne pouvait en aucun cas être déclarée « stable » –obtenaientgaindecause.

Le Changement en lui-même avait lieu à la même date chaque année, et s’accompagnait d’unensembledecérémoniesdontlebutétaitd’éliminerlesmauvaisesgrainesetceuxdontlavolontéétaitfaible,puisquecesderniersnesurvivraientpasauChangementauquelilsaspiraient.

L’intentiondeBranétaitd’augmenterletauxdesurviedesloups-garous.Etçafonctionnait.CeuxquiétaientChangésdanslecadrefixéparBranavaientbeaucoupplusdechancesdesurvivresurlelongtermequeceuxquil’étaientsimplementparaccidentouparcequ’onlesavaitattaqués.

Ils savaientàquoi s’attendre, ilsconnaissaient leprixàpayeret ilscomprenaientdansquoi ilsmettaient lespieds.Lesautres,commeAnnaetChelsea,étaientcontraintsd’apprendresur le tascequeçaimpliquaitd’êtreunloup-garou.Chelseaavaitl’aird’avoirdumalàs’adapter.Annapouvaitpeut-êtrel’aider.

Ellepritunebouchéedetrèsbonneslasagnesetdit,suruntonaussilégerquepossible:— J’essayais gentiment d’expliquer à ce type que j’avais décidé qu’on ne devrait plus sortir

ensemblequand ilm’a attaquée etm’aChangée en louve-garou. (Elle regardaHosteen.)C’est trèsbon…C’estErnestinequilesapréparées?

Ilsecoualatête.—Non.C’estmoi.(Ilsourit.)C’étaitpourmeracheterenpartiedem’êtreenfuienlaissanttouten

plan.—J’adoreraisavoirtarecette.Ellemangeauneautrebouchée.—Jetelanoteraiavantquetupartes,dit-il.Ellehochalatête.—Jeteremercie.(ElleregardaChelsea.)Ilscherchaientunloupomegadepuisunmoment,car

lesOmegassontentreautrescapablesdecalmerlesloups-garous.L’AlphadeChicagooùj’habitaisétait fouamoureuxdesacompagne.Elledevenaitdeplusenplusviolente…Çaarriveparfoisauxvieuxloups-garous.Bref(elleseforçaàprendreuneautrebouchéeetàl’avaler),ça,c’étaitavantquelesloups-garousfassentleurcomingout.Jenesavaismêmepasqu’ilsétaientréelsquandj’ensuisdevenueun.

Labouchéesuivanterestacoincéedanssagorge,l’empêchantdeparler.—Ilsl’ontgardéeprisonnière,expliquaCharlesàvoixbasse.Ilsontabuséd’elle,parcequ’iln’y

avait que comme ça qu’ils pouvaient la contrôler. Comme vous le savez, les meutes reposentbeaucoup sur lahiérarchie.UneOmega reste endehorsde cettehiérarchie, qui structure lameute.Elle–ouil–n’éprouvepaslemêmebesoind’obéirquelesautres.

CharlesadressaàChelseaunregardcompatissant,mêmesiAnnasedemandasiellen’étaitpaslaseuleàleconnaîtreassezbienpourvoirlasympathiedanssesyeux.

—Commequandtuaséprouvélebesoindetejoindreànouspourledîner,uniquementparcequeHosteentel’avaitdemandé.

Chelsea regarda son assiette, la mâchoire crispée. Anna avait cru qu’elle comprenait ce queChelsea traversait,mais cet élément-là lui avait échappé. Peut-être parce qu’en tant qu’Omega ellen’avaitjamaisressenticebesoinimpérieuxd’obéiràquelqu’undeplusdominant.Oui,songea-t-elle,çadevaitporterunsacrécoupàunefemmecommeChelsea.

Charlespoursuivit:— L’Alpha est ou est censé être le plus apte à protéger sameute. Ce n’est pas simplement la

sécurité de lameute qu’il doit assurer,mais le bien-être de chaquemembre.Or le premierAlphad’Annanesesouciaitquedesacompagne,etavaitbesoind’Annapouréviterquesacompagneattirel’attentiondemonpère.Ilsavaitquecelui-cilaferaittuer,carIsabelleconstituaitundangerpourtousceuxqu’ellecôtoyait,humainsetloupsconfondus.Puisqu’ilnepouvaitpasdominerAnnacommeildominait touslesautresloups, il l’abrutalisée.Il luiaapprisàlecraindrepourtenterdegarderlamainmisesurelle.

CharlesetHosteenéchangèrentunregard.CefutHosteenquidéclara:—C’étaittrahirtoutcequedevraitêtreunAlpha.—Oui,l’approuvaAnna.Sijeteracontecettehistoire,Chelsea,cen’estpaspourmemettreen

avant. (Ellepritunevoixgraveet imitaunanimateurderadio.)Tucroisque tugalères,maisc’estfacilecomparéàcequej’aivécu.

Puisellerepritsavoixnormale.—Parcequeça,cen’estpasvrai.C’estdifférentpourtoi.Maisilfautquetusachesquetun’es

passeule…Jecomprendscequetutraverses.Ellereposasafourchette,carellen’avaitpaslecœuràmanger.—Quandtut’esréveilléehier,tuétaissimplementreconnaissanted’êtreenvie.Desavoirquetes

enfantsallaientbien.Cesoir,tucommencesàentrevoirleprixquetuvaspayerpourça.Tun’espasentièrementsûrequeçaenvaillelecoup.

—Mourir,c’estfacile,fitHosteen.Lavie,c’estbrutal.—Ilyabeaucoupdemauvaiscôtés,acquiesçaAnna.Tuconnaissansdoutelaplupartd’entreeux.Ellen’allaitpaslesénumérer.Iln’yavaitriendemieuxpourchangerladéprimed’unepersonne

enenviedesuicidequedeluidireàquelpointsaviepourraitêtrehorrible.—CeuxquivontvoirBranpourêtreChangéssaventdansquoiilss’engagentetilsontletemps

deprendreleurdécision.Toietmoi…onn’apaseuletempsdedécider.Maislesmauvaiscôtésnesont là que parce que tu es vivante. Tu as des gens qui t’aiment. Et on peut espérer que tu aurasbeaucoupdetempsdevanttoipourteréconcilieraveccequetues.

Souslatable,Charlesposalamainsursongenou.Elledéglutit.—Tufaisencemomentledeuildecellequetuétais,parcequetunepeuxpasrevenirenarrière.

Gardejusteàl’espritqu’ilyaaussidebonscôtés.—L’undesbonscôtés,c’estquetun’asplusàcraindrelessorcièresnoires,ajoutaHosteensurun

tondétaché.Chelseaseraiditetleregarda.—Tun’espasstupide.Biensûrquetulescrains.(Ilfittournersatassedecaféentresesmains,les

yeuxrivéssurelleplutôtquesurChelsea.)Quandonnaîtsorcièreetqu’onneveutpastuerettorturerpourlepouvoir,onestàlamercid’êtretuéeettorturéesoi-même.C’estpourçaquetut’esdonnétantdemalpourgardertonidentitésecrète.Kages’inquiétaitpourtoi.Ilnem’enapasparlémaisilenaditunmotàJoseph,quiestvenumetrouver.J’aihonted’admettrequejen’aipasproposémonaide.

—Peut-êtrequejesuisunesorcièrenoire,fit-ellesuruntonhostile.—Non,lacontreditHosteenenlevantlatête.Jesenslessorcièresnoiresàunkilomètre.Non.Tu

te cachais.Mais tu appartiens désormais à unemeute. Notre meute peut te protéger des sorcièresnoires,etellelefera.

— Pourquoi maintenant ? demanda-t-elle. (Ses yeux bleu-gris virèrent à un blanc de glace,commeceuxdufrèredeCharles,Samuel.)N’étais-jepasdigned’êtreprotégéequandjen’étaisquelafemmedeKage?

—Si,ditlentementHosteen.Maisjen’étaispasdignedeteprotéger.—Qu’est-cequec’estcensévouloirdire,ça?demandaChelseaens’écartantbrusquementdela

table.Ellesedressa,lespoingsserrés.—Çaveutdirequejesuisunvieuxloupborné,réponditHosteen.Etquejepréfèrepeut-êtrem’en

teniràmesopinionsqu’écoutermonpetit-fils,quiestunhommeintelligent.Làestmonéchec.L’un

desbonscôtés,c’estpeut-êtrequelefaitquetusoisdevenueunelouve-garoum’achangé,moiaussi.Etçaveutdirequenotrefamilleestplusaccueillante,commeelleauraitdûl’êtredepuisledébut.

— Je n’arrive pas à réfléchir, confessa Chelsea, le souffle court. Pourquoi je n’arrive pas àréfléchir?

—Maman?Anna avait été si focalisée sur Chelsea qu’elle n’avait pas entenduMax avant qu’il prenne la

paroledansl’embrasuredelaporte.Chelseatournaunregardfouverssonfilsets’effondraausol,secouéedespasmes.

CHAPITRE12

Annaselevaetposalamainsurl’épauledeMaxpourl’empêcherderejoindreChelsea.—Çavaaller,dit-elle.Maisellenevoudraitpasquetuvoiesça.Chelseapoussauncrirauqueetguttural.—Maman,chuchotaMaxtoutenrésistantàAnna.Elle cessa d’essayer de l’éloigner et se contenta de se placer entre lui et samère afin qu’il ne

puisseatteindreChelseaàmoinsdeluipassersurlecorps.—Latransformationestdouloureuse,luiexpliqua-t-elle.Ellel’estchaquefois,maislapremière

estlapire.Quandilsseréveillentdeleurpremièretransformation,laplupartdesloups-garoussonttotalement incontrôlables.Iln’yarienquetupuissesfairepouraiderouarrêter leprocessus.Et jepeuxtegarantirqu’avecHosteenetCharlesici,tamèrenerisquerien.

Elleattenditetajouta:—Ilfautquetusortesd’iciavantqu’ellesetransforme.Sielleteblesse,çal’anéantira.Max resta sur ses positions encore un moment. Il voulait tellement aider que ses muscles

palpitaient.PuisilhochalatêteetlaissaAnnal’entraînerhorsdelapièce.Ellel’emmenatoutaufonddugrand salonavantde l’autoriser à s’arrêter.De là, ils écoutèrent les crisdedouleurdeChelseapendant quelquesminutes.Max tressaillit et serra les poings au fur et àmesure que les bruits quefaisaitsamèredevenaientdemoinsenmoinshumains.

—Est-cequeceseraitplusfaciles’ilyavaittroisloups-garouslà-bas?demanda-t-il.— Moi, tu veux dire ? (Anna secoua la tête.) Pas pendant qu’elle se transforme. Charles

m’appellera quand elle aura fini. Ma louve a un effet calmant sur les autres loups-garous. En cemoment,Chelseaabesoindegarderl’espritcombatif.Jeseraiplusutilequandelleauraprissaformedelouve.

Quelqu’un frappa à laported’entrée juste aumomentoùChelsea recommençait à rugir.Avantqu’Annaaitpudécidercommentelleallaits’occuperd’unvisiteur,laportes’ouvritetWadeentraencourant.

Lavued’AnnaetdeMaxlecoupadanssonélan.—Chelsea?demanda-t-ilàAnna.Ellehochalatête.—Danslacuisine.Wadeluijetauncoupd’œil.—Tuviens?—Non,luirépondit-elle.Ons’estaperçusqueçaralentitlapremièretransformationquandilya

unOmegatropprès.Il grimaça ; personne n’avait envie de ralentir une transformation. Puis il prit une brusque

inspiration.—Omega?(Illaregardaunmomentenclignantdesyeux.)C’étaitdoncça.Illuidécochaunsourire.—Merci.Jen’avaisjamaisréagiaussibizarrementàunloupavant.Chelseafitunnouveaubruit,etilseruaverslacuisine.Auboutd’environquinzeminutes,iln’y

eutpluslemoindreson.—As-tuvuHosteen sous sa formede loup?demandaAnnaàMax,mêmesi elle regardait en

directiondelacuisine.Elleavaitlenetsouvenirdes’êtresentitrèsseuledurantlespremiersmoisdesaviedelouve.—Oui,dit-il.—Çat’aeffrayé?—Pasaprèslapremièrefois,déclara-t-il.Ellesetournaverslui.—Dis-moifranchement.Jenetejugepasdutout.Mêmeunloupnormalincitelaplupartdesgens

àtrouveruneportederrièrelaquellesecacher,qu’ilsenvoientsouventounon.Ilsourit.—Ilestbeau,fit-ilsansdégagerlamoindrepeur.—Anna,appeladoucementCharles.—C’estàmoi,dit-elleàMax.Attendsici,etsitoutvabienonteprésenteralalouvedetamère.QuandAnna revint à la cuisine,Chelsea avait l’arrière-train coincé entre le réfrigérateur et le

mur.Elleavaitlatêteàmoitiébaissée,maisellenecessaitdegronderenplissantlemuseau.Commele frèreaînédeCharles,Samuel,sa fourrureavait lablancheurde laglaceetsesyeux

étaientd’unbleulaiteux,maislapointedesesoreillesetsesyeuxétaientbordésdumêmemarronqueceluiquicouvraitsonventreetledessousdesaqueue.

Wadeétaitleplusproched’elle.Ilavaitmisungenouàterreetinclinélatête.Ohoui!Annaauraitpu parier que Chelsea allait être dominante. Ils allaient avoir des problèmes s’ils essayaient de lareléguer tout en bas de l’échelle, aumême rangque les femelles qui n’avaient pas de compagnonloupquileurauraitpermisdemonterengrade.D’autantqueleseconddelameutereconnaissaitdéjàqu’elleétaitplusdominantequelui.

—Salut,Chelsea,ditAnnasuruntonenjoué.(Lanouvelle louverivasesyeuxargentéssur lessiensetcessaderetrousserlesbabines.Annapoursuivit.)Cen’estpasgravesileschosessontunpeuconfusespourl’instant.Attendsunesecondeettoutrentreradansl’ordre.

Elles’avançadevantWadeetlaissasalouveréduirelatensiondanslapièce.—Çan’aidepasdutoutd’êtreprévenu,grommelaHosteen.—Biensûrquesi,rétorquaCharles.Tunegloussespas,cettefois.Hosteen fitunbruitétrangeàmi-cheminentre legrondementet le rire,quiattira l’attentionde

Chelsea.Lanouvellelouvesehérissaetpoussaungémissementplaintif.L’Alphasedétachadel’éviercontrelequelilétaitappuyéetrejoignitChelsea.Illuipritlemuseau

dans samain, croisa son regard et le soutint. S’il redoutait qu’elle ne se contrôle pas assez pourempêchersalouvedelemordre,Annanelevoyaitpas.

Lentement,frissonnantedestress,Chelseaselaissatomberausoletroulasurledos,exposantàHosteensonventrevulnérable.Illamaintintdanscettepositionunmoment,puislalaissaserelever.

—C’estbien,lacomplimenta-t-il.Continuecommeça,Chelsea.Tuesauxcommandesetlalouvedoitt’écouter.

—Maxattend,ditAnna.Tupensesqueçanerisquerien,Hosteen?Chelseapoussaunjappementdepaniqueetseterradenouveaudanslecoin.—Chelsea,larassuraHosteen.Jeprometsquetuneluiferaspasdemal.Ellesoutintsonregardl’espacedetroisbattementsdecœur.—Çavaaller,l’assura-t-il.Ellebaissalesyeuxets’éloignaducoindedeuxpas,l’airtoujourscontrariée.

Répondantàl’appeld’Anna,Maxs’arrêtadansl’embrasuredelaporte.Pendantunmoment,Annacrutqueçaallaitdégénérer.Maisensuiteilsourit.

—Waouh!maman,tuessijoliequeKagevaavoirunecrisecardiaque.IlvadevoirtransporterunfusilavecdesballesenargentpourteniréloignéslesloupsdelameutedeHosteen.Ilfautquetuvoiesçadansuneglace.Viens,ilyaunmiroirenpieddanslasalledebainsprincipale.

Illeurrestaitencoreuneheureavantlecoucherdusoleilquandilsarrivèrentàl’écurie.Annaétait

fatiguéeetstressée.ElleauraitpariéqueCharlesl’étaitencoreplus,mêmes’ilnelemontraitpas.Hosteenavaitbalayélacuisineduregardetdéclaréquecedonttoutlemondeavaitbesoinpour

« panser les blessures spirituelles de la journée », c’était d’une chevauchée dans le désert. Annatrouvaitimpressionnantqu’ilpuissesortirdetellesphrasessansêtregnangnan.

Chelsealesaccompagnaencourantàcôtédu4x4avecCharles,quiavaitluiaussiprissaformedeloup.Ilsarrivèrentparl’arrièrecettefois, làoùilyavaitdespoteauxpourattacherleschevauxderrièrel’écurie.Quatred’entreeuxétaientéquipésdeselleswestern.L’airstressée,Terisedépêchaitdedémêlerlaqueuedel’und’euxavecunebrosse.

—Denouveauxchiens?demanda-t-elleàHosteenenregardantChelseatandisqu’ilsdescendaienttousdu4x4.Ilssontbienbeaux.

Lamagiedelameutefaisaitvoirauxgenscequ’ilss’attendaientàvoir.Sansça,lesloups-garousn’auraientjamaispurestercachésaussilongtemps.

—Unnouveauchien…Lafemelleblanche.LerouxappartientàAnna,notreinvitée,ditHosteenàlafemme.

—Comments’appelle-t-elle?—Onn’apasencoredécidé.Veux-tubienallerchercherKage?Jevaisprendrelerelaisici.On

lesrangeracommeilfautquandonaurafini.Teriluidécochaunsourireéclatant.—Poursûr.Iladitdevousdirequ’ilsorttoutdesuite,maisjevaisquandmêmeleprévenirque

vousêteslà.Dès qu’elle disparut à l’intérieur de l’écurie, Charles reprit sa forme humaine, un peu plus

lentement que d’habitude. Anna songea que c’était sa deuxième transformation de la journée. S’ildevaityenavoiruneautre,elleseraitencorepluslente.Ils’étirapourtenterdedétendresesmusclesendoloris.

—Chelsea,l’avertitHosteen,leschevauxnesesoucierontpasdetoitantquetunelesregardespasdanslesyeuxtroplongtemps.Situsoutiensleurregard,ilst’identifierontcommeunemenace.(IlsetournaversAnna.)Laisse-moiteprésenterPortabellaenattendantqueKagearrive.

Chelsea resta près de Hosteen lorsqu’ils s’avancèrent vers les chevaux. Comme promis, saprésencen’eutl’airdedérangeraucund’eux.

—Lavoilà,ditHosteenavantdes’écarterpourqu’Annapuisselaregarder.Portabellaétaitunegrandejument.Annadutsemettresurlapointedespiedspourvoirpar-dessus

sondos.Saroben’étaitpastoutàfaitnoire,maisellerestaittrèsfoncée.Bai,songeaAnna,mêmesilespartiesnoirescaractéristiques–lesjambes,lacrinièreetlaqueue–étaientvraimenttrèsprochesdelacouleurdesoncorps.Unerayureblanchequipartaitd’uneétoilecouraitentresesdeuxgrandsyeuxpourrejoindreuneautretacheblanchesursonmuseau.Elleétaitéléganteetbelle.Mêmesiellen’étaitqu’uneamatriceenlamatière,Annavoyaitbienqu’elleétaitspectaculaire.

Annaneputs’empêcherdetendrelesmainspourlatoucheretseretrouvaàcaresserdel’acierdansungantdesoie.Ellefitcourirlesmainslelongdesjambesducheval,etlajumentlevalesabot

avant à sa demande.Elle n’était pas ferrée et le dessous de son sabot ressemblait…au-dessous dusabot d’un cheval.Elle semoqua d’elle-même en son for intérieur, car elle ne s’y connaissait pasassezpourquecetteinspectionluiapprennequoiquecesoitendehorsdufaitquecettejumentvoulaitbiensetenirtranquillependantqu’uneidiotelatouchaitdepartout.

Anna fut un peu surprise quand ses doigts rencontrèrent une bosse sur son cou qui lui parutétrange.Elleétaitplussurprised’avoircomprisquecettebosseétaitanormalequed’avoirtrouvéundéfautàcechevalparfait.

Ellejetauncoupd’œilàHosteen.—Çavient d’unvaccin, lui expliqua-t-il.Certains chevauxy réagissentde cette façon, parfois.

J’aiunrapportduvétérinaireàcesujetdanssondossier.—Est-ceunejumentdevotreélevage?demanda-t-elleaprèsavoircherchéunequestionquine

luidonneraitpasl’airtropstupide.Charles était très silencieux, même pour lui. Il devait être aussi épuisé qu’elle. Hosteen avait

raison:c’étaitunefatiguede l’espritplutôtqueducorps.Malgré tout,ellesentaitqu’elleauraitdûinsisterpourqu’ilsseretirentdansleurchambre.

Hosteensecoualatête.— Il y a trois ans, Joseph s’est rendu à l’écurie d’un dresseur à la recherche de chevaux

intéressants,leurracontaHosteen.Etilatrouvécettejument.Commeelleétaitdevenueaigrieàforced’être dans l’arène, ils l’avaient mise dans l’écurie d’élevage, mais elle n’était pas apte à lareproduction. Ils l’ont donc renvoyée aux dresseurs. Mais dire qu’elle était aigrie, c’est loind’exprimer à quel point elle détestait le travail dans l’arène. Quand elle a envoyé son assistant àl’hôpital,ledresseurajetél’épongeavecelle.

Hosteensecoualatête.—Mon fils a un don avec les chevaux, et il est prêt à relever n’importe quel défi. Il a voulu

reprendresondressagelui-même.Onl’apayéepluscherqu’onauraitdû,maisbeaucoupmoinsquecequ’ellevaudraits’ilétaitparvenuàlareprendreenmain.Avantqu’ilaitpucommenceràtravailleravecelle,sasantés’estdenouveaudétériorée.

Hosteen sedétourna et fit courir unemain le longdu cou lustréde la jument.Le sourirequ’iladressa àAnnaquand il la regardade nouveau était triste,mais elle était sûre que ce n’était pas àcauseducheval.

—Quoiqu’ilensoit,ellearejointdepuisnotreéquipedechevauxdepiste.Onveilleàcequ’ilsrestent en forme et soient prêts pour les acheteurs ou les clients qui veulent se promener dans ledésert.Elleadoncétémontéerégulièrementdepuissonarrivéeici,maispasdansl’arène.

—Portabella, fitAnna. (Elle avait réfléchi aunomde la jument et avait trouvéuneexplicationdifférentedecellequiétait liéeàsonpedigree.)Parcequ’onl’atellementfait tournerenbourriquequ’elles’estchangéeenchampignon.

Hosteenéclataderire.—Kageaessayédetravailleravecelleleprintempsdernieretilvoulaitl’appelerSoyuz.Annafronçalessourcils.—Comme le lanceur orbitalmonoétage russe, ditKage, pince-sans-rire, alors qu’il sortait de

l’écurie. Je n’avais jamais été désarçonné si vite et si violemment de ma vie. C’était une leçond’humilité, d’autant que mon père de quatre-vingts ans l’avait montée dans l’arène plusieurs foisavant…

IllaissasaphraseensuspensquandilaperçutlalouvequisetenaitàcôtédeHosteen.Chelsealeregardaprudemment.Ayantl’habitudedegérerlesanimauxnerveux,ils’arrêtalàoùil

étaitets’accroupit.—Oh,chérie!chantonna-t-il.Jet’auraisreconnuemêmesituavaiseusixpattesetdesécailles.

Maisjenemedoutaispasquetuseraisunesibellelouve.Elle bondit vers lui…et, ayantmal évalué sa force, elle le fit tomber à la renverse.Portabella

reculad’unbondetHosteentirasurlacordequirattachaitlechevalaupoteau.Illalibérad’unseulgeste,salongeàlamain.Elles’écartadequelquespaspuiss’apaisaenobservantletasforméparlalouveetl’homme,lesoreillesdresséesdedédain.

Chelsearecula,angoissée.Kageritetsepenchaenavantafindepouvoirluifrotterlecou.—Net’inquiètepas,moncœur.Tuprendraslecoup.Annaeutl’impressionqu’ilhésitaitunpeuquandilsereleva,maiss’ilavaitmalilnelemontra

pasdavantage.C’étaitintelligentdesapart.Chelseaseraitperturbéesiellepensaitl’avoirblessée,etiln’étaitpasbonqu’unloup-garoulesoitlorsdesapremièresortie.

—Si tu t’occupes d’Anna, déclaraKage en regardantHosteen, je vais présenterCharles à soncheval.

Renâclantunpeuaprèstoutceremue-ménage,PortabellalaissatoutdemêmeHosteenlabridersansfairetropd’histoires.Ellemâchonnalemorspuissetintimmobile,lesoreillesdresséesetlesmusclesfrémissantstandisqu’Annamontaitenselle.Ellenebougeapas,maisAnnaeutlesentimentqu’illuiencoûtaitderestertranquillependantquelesautresmontaientsurleurschevaux.

LechevaldeCharlesétaitunhongreefflanquéaulongcousoupleetauchanfreinconvexe.—Jenepensaispasquelesarabespouvaientavoirlechanfreinconvexe,ditAnna.—Paslespur-sang,entoutcas,réponditKage,voyantcequ’elleregardait.Mêmesijepourraiste

montrer quelques photos…Mais Figaro est un cheval de compétition de niveau national qui estmoitiéarabe,moitiéchevaldeselleaméricain.Ils’avèrequ’ilatouteslescaractéristiquesphysiquesd’unchevaldeselleaméricainetl’allured’unarabe.C’estàpeuprèsl’inversedecequ’onrecherchequandonélèvedeschevauxdecompétitiondeniveaunational.Maisilesttrèsbonensautd’obstacles,etiladorelapiste.(IlregardaCharles.)Ilestàvendre,luiaussi.Ilestassezgrandpourteporter.

Charlestapotalehongre.—C’estpourAnnaqu’onestvenus.Quandelleserapprochadesonmari,Annas’aperçutquelehongredeCharlesétaitunpeuplus

petitquePortabella.Enplus,lagrandejumentmarchaitàgrandesenjambées.Ellenetardapasàdistancerlesautres

chevaux.Annafutforcéedeluifairefairedemi-tourpourresteraveclesautres.CommeHeylight,lehongre gris du premier jour, la jument était très sensible aux directives.Anna finit par ne plus seservirdelabridequepourcontrôlersavitesseetsecontentadepesersurunehancheousurl’autrepourtourner.

—Àl’aise?demandaHosteenenarrivantsursagauche.Ilmontaitunhongrealezanetcourtsurpattes,quiavaitl’airamicaletunegrandeétoileblanche

surlatête.IldevaittrottinerpourresteràlahauteurdePortabella.—Très,répondit-elle,redressantunpeuledosetveillantàcequesestalonspointentverslebas.Portabellaralentit.—Ah!ditHosteen,maintenantsanseffortsonchevalàcôtédeceluid’Anna,net’occupepasde

moi,détends-toi.JamaisCharlesn’apprendraitàquelqu’unàmalmonteràcheval.Tumontesmieuxquebeaucoupdepersonnesquetuverrasauconcoursdemain.Prêtepouruntrot?

—Biensûr!serécria-t-elle.Allaient-ilsauconcourslelendemain?ElleallaitdevoirposerlaquestionàCharles.

—Vas-yalors,demande-le-lui,dit-il.Onsuivra.Veillejusteàcequ’ellerestesurlapiste.Ilyaunefourcheunpeuplusloin,prendslecôtéquetuveux.

LetrotdePortabellaétaitfluidesansêtrelourd.Annaneluitapadoncpassurledos,maiselledutvraimentsedétendrepour resterenselle.Lorsqu’elle le fit, la jumentdressa lesoreillesetadoucitl’allure.

—Petitgalop,lançaKage.Et,avantqu’Annaluienaitdonnédedirective,Portabellas’élançaàunevitessefulgurante,latête

levéeet laqueueauvent.Annaéclatade rire et se laissaaller enarrière, tirant légèrement sur lesrênes pour qu’elle ralentisse jusqu’au petit galop.C’était très différent de quand ellemontait Jinx.Chelseacouraitàcôtéd’elles,lesmembresétirésetlalanguependantedeplaisir.

Tuvois,pensaAnna,ilyadesavantagesmerveilleuxàêtreunloup-garou.DèsqueHosteenessayadereveniràleurniveau,Portabellaaccéléral’allure.Lapistesedivisaen

deuxetAnnapritlesentierdegauche,quipassaitparunepetitebutte.Ausommetdelacolline,elleluidemandad’alleraupas.Debonnegrâce,lajumentréduisitl’allureetlaissalesautreslesrattraper.

—Onnevaplusavoirde lumière, fit remarquerKage. Ilvaudraitmieuxqu’onne tardepasàrentrer.

—J’aimeraisvoircommentellesecomportedansl’arène,déclaraCharles.Peut-être y avait-il du vrai dans ce queHosteen avait dit, carCharles avait l’air d’allermieux.

Annaarrivaitdenouveauàdécrypterlesexpressionsdesonvisage,cequiétaituneamélioration.—Undéfi,fitHosteenenriant.Tuastoujoursétépartantpourlesdéfis.D’accord,c’estdebonne

guerre.Ilsregagnèrentl’écurieaupas.AnnaseretrouvadenouveauàcôtédeHosteen.—Jeviensderepenseràquelquechose,dit-elle.Çanenousserviraplusàretrouverlefae,mais

j’imagine que j’aimerais savoir. Connais-tu un loup-garou nomméArchibald Vaughn qui était icidanslesannées1970?

—Archie?demandaHosteen,surpris.—Ilestmort,déclaraCharlesenlesrejoignant.Tuéparunfae…Ilyaaumoinstrenteansdeça,

maintenant.Pourquoicettequestion?—Tuéparunfae?demanda-t-elle.Tuenessûr?Charlessecontentadelaregarder,maisHosteenajouta:—J’aitrouvélecorps.Oui.J’ensuissûr.C’étaitàl’automne1979.Annaeutlachairdepoule.—T’a-t-ilracontéqu’ilasauvéunpetitgarçond’unecréaturefae?Aumoisdejuindel’année

précédente.Onestquasicertainsquec’estlamêmequiestàl’originedudoublefantômequiafaillipousserChelseaàattaquerlesenfants.

—Jen’airienentendudetel,réponditHosteen.Aprèslamortdesacompagne,ilestallévivreavecsafamillependantquelquesannées.Onaespéréqueçaaiderait,maisj’aiensuitedécouvertqu’ilétaitrestésoussaformedelouptoutcetemps.Jesuisdoncallélechercherpourleréintégreràlameuteetl’aiobligéàsetransformerenhumain.Iln’estjamaisredevenuceluiqu’ilavaitété.Quandjel’aisentimourir,j’aieulacertitudequ’ilavaittrouvéunmoyendesetuer.J’aipenséquec’étaitunsuicideparfaeinterposé.

—Jepensequ’ilapuêtretuéparvengeance,l’avisaAnna,parcequ’ilaempêchécefaed’enleverson petit-fils. Ou arrière-petit-fils. Enfin, quelque chose dans ce genre. C’est une sacrée grossecoïncidencesinon.

—Peut-êtrequ’ilestpartitrouverlefae,suggéraCharlespensivement.Etvousauriezraisontous

lesdeux.—Dans tous les cas, repritAnna, le fae qu’on recherche est assez puissant pour tuer un loup-

garou.—Ill’aréduitenpiècesavecsamagie,fitHosteen,songeur.—Onsedemandecommentuntelfaeapulaisserunepoignéed’agentsfédérauxetdepoliciers

l’escorterenprison,prononçalentementCharles.—Tupensesqu’ilstiennentlemauvaisfae?demandaAnnaIlneréponditpastoutàfaitàsaquestion.—Jepense… jepensequ’il fautqu’on t’emprunte tes loups,Hosteen.Ce fae-làne lâcherapas

Améthyste,lapetitefillequ’onasauvée.OndevraitsansdouteenvoyerdesloupsprotégerledocteurVaughn,aussi.EtongarderaunœilsurChelseaetlesenfants.

—QuiestledocteurVaughn?demandaHosteen.—Lepetitgarçonquetonloupasauvéen1978.—Combienvousenfaut-il?—Tous. Pour protéger nos victimes, ainsi que l’agent duFBI et les agents duCantrip qui ont

trouvé la dernière en date avec nous. Aumoins deux loups-garous en permanence. Et ils devrontrestercachés,ajouta-t-il.Jesaisqueçavamettredelapressionsurlameute.TupeuxleurdirequeleMarrokveilleraàcequ’ilsn’ensouffrentpas financièrement,etque jenepensepasqueçadureralongtemps.

— Peut-être tiennent-ils bien le bon fae, observaHosteen. C’est parfois difficile de cerner lesmotifsdecescréatures.

Le cheval de Charles renâcla, et Charles inclina la tête de côté en fermant les yeux. Puis ilmurmura:

—Lesentez-vousdansl’air?Unetempêteseprépare.Quandilouvritlesyeux,ilsétaientjaunes.Ilseredressa,et,mêmesiAnnanelevitfaireaucun

autremouvement,sonchevalpartitaupetitgalop.IlsramenèrentlesautreschevauxàleursboxavantdeconduirePortabellaàlamêmepetitearène

oùAnnaétaitmontéeàcheval le jourprécédent.Lajumentnesemblaitpasdifférentedecequ’elleavaitétéavantqu’Annal’enfourchedehors.Ellesemblaitpeut-êtreencorepluscalme,carelleavaitétéirritéeparChelseaquandelleétaitmontéeenselle.

Charlesrallongeanettementlesétriers,vérifialasanglepuispritsonélanpourl’enfourcher.Lajumentlevalatêteetroulalesyeux,sibienqu’Annaputenvoirleblanc,quiétaitd’habitudecaché.Puisellesecabraetdansad’unejambesurl’autre,malàl’aise.

Charles se contentade rester assis, le corps soupleetdétendu ; sesmouvements se limitaient àceuxgénérésparlajumentquandellebougeait.Entraînantlessabots,ellefitquelquespasenavant,deuxenarrière,unbonddecôté.Iln’essayapasdelacorriger,restantsimplementenéquilibresurellesanspesersursondos.

Ilsvontbienensemble,songeaAnna:legrandhommeetlegrandchevalaussiténébreux,élégantsetfortsl’unquel’autre.Unsourirejouasurseslèvresàcettepensée,mêmesiellecraignaitquelegardiennesoitpaslefaequ’ilscherchaientvraiment.

—Vousvenezauconcoursdemain?demandaKage.MichaelpasseradanslapremièreépreuveetMackieprendralepetitgrisquetuasmontéhierpourcelledetrotanglais.

—JedemanderaiàCharles,répondit-elleenregardantlajument.(Livréepourl’essentielàelle-même,elleavaitenfincessédebouger,àl’exceptiondesaqueuequ’elleagitait,contrariée.)Jepense

qu’onvaessayerd’allervoir letypequeleFBIamissouslesverroussionpeut.Maisj’adoreraisvenirvoirlesenfantsmonteràcheval.

Ets’assurerqu’ilsétaientensécurité.Aprèsencorecinqminutes–Annasurveillaitsamontre–,commeCharless’entenaittoujoursà

rester assis là, la jumentbaissa la tête et semit àmâchonner sonmors.Aussitôt,Charles se laissaglisseràterre.Illuitapotalecouetlafitsortirparleportillon.

—Situveuxlamettresurnotrelistedecandidats,çam’irait,fit-ilàAnna.Etelleeutlaconfirmationqu’elleluiplaisaitvraiment.Annal’aimaitbeaucoup,elleaussi.—D’accord,opina-t-elle. (Elle regardaKage.)Elleest surnotre liste,maispas sur la listedes

prixquetunousasdonnée.Combienveux-tupourelle?—Dixmille,ditHosteen.Kagericana.—Loindelà,Hosteen.C’estcinqmillepourunjolichevalbiendébourrépourlapiste,àsavoir

deuxmille cinq cents pour le dressage, et deuxmille cinq cents parce qu’il est joli.Mais ne vousdécidezpastoutdesuite,ilyaencoredebonschevauxquevousn’avezpasvus.

Et alors que Kage et Hosteen partaient ramener la jument à son box, Anna entendit Hosteenglousser:

—Tul’asentendu?Ellereprésenteundéfipourlui.Illaveut.Ill’auraitpayéedixmille.—Onnegonflepaslesprixdenoschevaux,vieilhomme,rétorquaKage.C’estunbonmoyende

seforgerunemauvaiseréputation.EtjesoupçonneCharlesdesavoirtrèsexactementcombienvautcecheval.(Ilmarquaunepause.)J’auraisdûmetaire.J’auraispusimplementdireàpapacequetuasessayédefaire…Là,tuauraisvraimenteudesennuis.

Hosteenluirépondit,maisAnnaneparvintpasàentendrecequ’ildisait.Savoixsemblaitenjouée.—Jelesaimebien,déclaraAnnatoutbas.Charlesesquissaunsourire.—TuasvuqueHosteenobservaitKagequandilnousaannoncéceprix?— Il avait raison, cela dit, fit remarquer Anna. Tu l’aurais payée dix mille parce qu’elle

représenteundéfi.Ilsourit,deladouceurdansleregard.—J’aidéjàundéfi,luidéclara-t-ild’unevoixrauque.Ellesecoualatête,feignantlatristesse.—Jenesuispasundéfi,Charles. Jenesuisqu’une femmedeplusqui tebavedessus,comme

l’enseignanteauregardvoracedelagarderie.Iléclatad’unriresonore.—Biensûrquesi,dit-ilenpassantunbrasautourdesesépaules.Biensûrquesi.Ellesavaitpourtantquec’étaitvrai,mêmes’ilnelacroyaitpas.Paradoxalement,sonbrasquila

déstabilisaitunpeulamaintenaitenmêmetemps.Charlesavaitaussiceteffet-làsursoncœur.Il ledéstabilisait commepour lemettre à labonneplace,unhavrede sécuritéqui restait toutdemêmeexcitant,grisantetterrifiant.

Quedeviendrais-jesijeleperdais?AnnaappelaLeslielematinsuivant.—Non, jenepeuxpasvousobtenird’entrevueavecSeanMcDermit, regretta-t-elled’unevoix

préoccupée.Sonavocatestunrequin,etilneditpasunmot.Apparemment,toutcequ’onsaitsurluic’estquelescorpsontétéretrouvésdanssamaison,unemaisondanslaquelleiln’ajamaisvécu.Et

quec’estunfae.Cequirendtoutecetteaffaired’autantplusbrûlantesurleplanpolitiquecomptetenudestensionsactuellesaveclesfaes.

—Onn’estpascertainsquevousayezlabonnepersonne,avouaAnna.Ilyeutunsilenceauboutdufil.—J’aitrouvéArchieVaughn,luiexpliquaAnna.Ilaététuéunanetdemiaprèsavoirempêchécet

enlèvement.Réduitenpiècesparunfae.Pourquoiquelqu’unquiseraitcapablederéduireenpiècesunloup-garoulaisserait-ildespoliciershumainsl’embarquersansrésistance?

—Je transmettrai tes inquiétudes ànotre expert en faes, réponditLeslie.Çanemeplaît pasdel’admettremais,oui,çaaététropfacilepournepaséveillermessoupçons.J’aidoncchargédesgensdeserenseignersurlesantécédentsdetousceuxquionttravailléàlagarderieouyontinscritleursenfants,etdetouteslesconnaissancesdecespersonnes-là.(Ellemarquaunepause.)Onéplucheaussiles registres d’enfants disparus pour essayer d’identifier les corps. Certains sont sur ordinateur,d’autres surmicrofiches, et bien plus encore sont dans des dossiers papier disséminés aux quatrecoins de la ville.On a aussi deux pauvres larbins qui pataugent dans desmicrofiches de journauxvieux d’un siècle.Ça n’aide pas que le champde recherche ne se limite pas qu’à Scottsdale,maisinclutaussiPhoenixettouteslesautresvillesdebanlieue.Onvamettredesdécenniesàidentifierlescorpsdanscegrenier.

Annaémitunsondecompassion.—Quoiqu’ilensoit,poursuivitLeslie, surun tonplusposéetmoinsdésespéré, tuserasaussi

heureusequemoid’apprendrequ’il sembleraitque lapauvrepucequ’ona sauvéehiern’apasétéviolée. Elle n’en est pasmoins traumatisée ; elle a peur du noir, les poupées la terrifient – et quipourraitluienvouloir–,etellepleurechaquefoisquesesparentsnesontpasdanslachambreavecelle.

—Qu’a-t-ilfait?demanda-t-elle.—Ill’ahabilléecommeunepoupée,luiachantédeschansons,luiafaitdumal.Elleaditque,

quand il la touchait, c’était douloureux comme une piqûre d’abeille sur tout le corps. Il lui a faitquelquechosepourl’empêcherdebouger.Ellenedormaitpas,ellenepouvaitjustepasbouger.

—Terrifiant!s’offusquaAnna.—Oui,acquiesçaLeslie,quisemblaitfatiguée.— Puisque tes hommes sont focalisés sur les recherches, tu seras heureuse de savoir qu’on a

chargédesloupsdeprotégerlesparentsd’Améthyste,ledocteurVaughn,sonpartenaireetsamère.Ainsiquetoi,LeedsetMarsden.Vousneremarquerezpasleurprésence.

AnnapoursuivitmalgrélesprotestationsindignéesdeLeslie.—Ce fae-là a tué un loup-garou en le réduisant en pièces avec samagie.Un humain n’a tout

simplementaucunechance.Les loups-garousporterontdesConversenoires, afinquevous sachiezqu’il ne faut pas leur tirer dessus ni réagir à leur présence. Ils font ça parce que ça nous semblenécessaire, Leslie. Ilsmettent leurs vies en péril. Tous lesmembres de cettemeute (Hosteen avaitclarifié ce point) vivent commedes humains. Si vous révélez ce qu’ils sont au public, ça pourraitdétruireleurvie.

Leslielaissaéchapperuneexclamationcontrariée.—OK, jegarderai leurssecrets,etveilleraiàcequeMarsdenetLeedssoientaucourantaussi.

Combiendetempsallons-nousêtreprotégés?—Merci, souffla Anna, soulagée que Leslie lui ait donné son accord. Et, pour répondre à ta

question, jusqu’àcequenoussoyons tousconvaincusquevous tenez lebonfae.Si tuasbesoindenous, on va au concours de chevaux arabes deWestWorld, dans le nord de Scottsdale. Si on ne

décrochepasletéléphone,envoie-nousuntexto.—Leconcourshippique?s’enquitLeslie.Voyonsvoir.LaclassedesquatreansdeMmeNewman

yseralematinetlaclassedescinqansdeMlleBairdl’après-midi.Apparemment,ilsfontçachaqueannée.Demainceseralesdeuxans,puislaclassedestroisansdeMmeHepplethwaite.Est-cequetuveuxlesemploisdutempsjournaliersd’unedecesclasses?Leprofesseurdemusiquedulundietdumercredifaitaussiofficedeprofesseurdenatationlemardietlejeudi.Jet’avaisditqu’onsurveillaitcettegarderiedetrèsprès?

Annarit.—Pourquoi les deux ans ont-ils une institutrice ? s’interrogeaLeslie. Tu ne penses pas qu’ils

devraientplutôtavoirunebaby-sitter?oubienquelqu’unpourlesdivertir?Est-cequ’ilsn’ontpasledroitd’êtrejustedesbébésplutôtquedesélèves?

—Uneécolefaitpayerpluschersesélèvesqu’unebaby-sitterpours’occuperdebébés,déclaraAnna.

—Mmm,fitLeslie.C’estvrai.C’estpluslogique.Merci.— Abstiens-toi juste de trop parler à Mme Newman, lui conseilla Anna, ou tu risques d’être

envahie par la tentation d’arracher tous ses élèves à sa loi impitoyable pour les emmener courirdehorsets’amusercommedesenfantsdequatreansnormaux.

Leslierit.—Écoute, jenesuispasenmesuredevouspermettreà toietàCharlesd’allervoirMcDermit

avantquenotreexpertl’aitinterrogé.Maisappelle-moicetaprès-midi.—Ont’enserareconnaissants,luiditAnna.—Jeneprometsrien,maisj’essaierai,déclaraLeslie,etelleraccrocha.Anna enfila ses chaussettes et ses bottes, puis descendit l’escalier en trottinant et traversa la

maison vide ; tous les autres, y comprisMaggie et Joseph, étaient déjà au concours hippique.Lesdeuxplusjeunesenfantsmontaienttouslesdeuxàchevalcejour-là,etpersonnenevoulaitmanquerça.

Personne.Unfrissoncourutlelongdelacolonnevertébraled’Anna.Lesfaesétaientfarceurs.Ilsétaientaussicensésêtre tousenfermésdansdesréserves,mais ilyenavaiteuundans le jardindeKathrynJamison.Onpouvaitsupposer,commenielleniCharlesnel’avaientvu,quelegardienenétaitundeuxième.Lescorpsavaientétédécouvertsdansunemaisonqui luiappartenait,maisAnnaavait appris à écouter son intuition, et celle-ci lui disait qu’il y avait un troisième fae, le vraiCollectionneurdePoupées,ettouslesélémentsquilerattachaientàlagarderie,audoublefantômeetaugardien.

Parbonheur,Annan’étaitpaslaseuledontl’intuitionlachatouillait.Hosteenavaitrevendiquélaresponsabilitédeveillersur lesenfants lui-même,etWadeétait responsabledeChelsea.MaisAnnatrouvaitçabienqu’elleetCharlesyaillentaussi.Deuxloups-garoussupplémentairespourgarderunœilsurquatrevictimesrescapées–dumoinspourl’essentiel.Leurtravailconsisteraitàsurveillerdeloin,àresteràl’affûtdesignesquelefaetraquaitlafamilleSani.Çaluisemblaittrèsintéressantquel’emploidu tempsde lagarderieSunshineFunsoitconçude tellesorteque tous lesenseignantsetélèvesallaientseretrouverauconcoursàunmomentouunautre.

Charlesétaitenbasàlacuisine,oùilterminaitsonpetitdéjeuner.Lafamilleetlaplupartdeleursemployésétaientpartisavantl’aube.Hosteenavaitsuggéréqu’elleetCharlesviennentunefoisqueleconcoursseraitouvertaupublic.

— J’ai prévenu Leslie, l’informa Anna. Elle m’a dit que toute la garderie sera au spectaclehippiqueaujourd’huietdemain.Elleaaussiajoutéqu’iln’yavaitaucunechancequ’onpuissevoirle

faequ’ilsdétiennentaujourd’hui.Ellevaessayerdenousobteniruneautorisationcetaprès-midi.Ilavaitposésescouvertscommes’ilavaitfinidemanger.Elles’assitsursesgenouxetmangea

sonderniermorceaudebacon.—Jesupposedoncquetuvaspouvoirm’emmeneràmonpremierconcourshippique.—Ladernièrefoisquejesuisalléàceconcours,c’étaitàParadisePark.Jepensequec’étaitvers

1965,bienavantquetusoisnée.Ilsetutetlaregarda,lessourcilslégèrementfroncés.—Est-cequetucomptest’inquiéterdenotreécartd’âgequandtuaurasquatrecentsansetqueje

n’enauraiquedeuxcents?demanda-t-ellesuruntonintrigué.Sijeposelaquestion,c’estuniquementparce que mon père a dit que c’était dangereux quand on commence à ne plus être sur la mêmelongueurd’ondequesoncompagnon,maisjenesaispassiçam’inquiéteratrèslongtemps.

Enriant,ill’entouradesesbrasetlaserrabrièvementcontrelui.—Etpuis,poursuivit-ellesuruntonlégerenselaissantglisserdesesgenoux,ilparaîtqueVlad

l’Empaleuraétablisansl’ombred’undoutequ’avoirunbâtondanslesfessesétaitmauvaispourlasanté.Etjetiensbeaucoupàcequeturestesenbonnesanté.

Ellen’avaitpasatteintlaportequ’ill’avaitattrapée,unbraspasséautourdesesépaulesetl’autreautourdesataille,etl’attiraitdenouveaucontrelui.

Ilapprochalabouchedesonoreilleetgronda,joueur:—Jecoursdonc le risquede subir le sortdesvictimesdeVlad,c’est ça?Peut-êtredevrais-tu

fairequelquechosepourmesauver?Lavibrationdesavoixcontresonoreillelafitfrissonner,maiselleessayatoutdemêmedelui

répondresuruntonassuré.—Oh!monsieur,quepouvez-vousbienvouloirdire?Meferiez-vousdesavances,àmoi?Ilgrondaàsonoreille,etellecouinaparcequeçachatouillaitetdéclenchaitunesensationplus

intéressantedanssonventre.Puisilavançalamaindroitepourétreindresonseinetfitdescendrelagaucheplusausud.Ilprononçaquelquesphrasesenfrançaisd’unevoixrauqueetavide.Ellesongeaqu’ilavaitpeut-êtreoubliéqu’elleneparlaitpasvraimentcettelangue.

—Charles,fit-elle.Savoixaussiétait rauquededésir, carelleavait toujoursdumalà résisterà sonmari.Mais il

n’étaitjamaisaussiséduisantquelorsqu’ilétaitd’humeurjoueuse.Il la souleva et l’emmena dans leur chambre avec une lenteur délibérée… Et c’était déjà une

formedepréliminaires.Il se passa unmoment avant qu’ils arrivent sur le lieu du concours. Ils étaientmalgré tout en

avance.Kageavait dit qu’il n’y avait vraiment foulequ’àpartir des troisouquatrederniers jours.Celadit,laplaceoùilstrouvèrentenfinàsegarerétaitàquatrecentsmètresàpieddel’entrée.

Arméd’unecarte,Charleslaguidad’unbonpasàtraverscequiressemblaitàdeskilomètresdestands commerciaux dans le gigantesque bâtiment principal. Il ne prêta pas attention aux regardsintrigués qu’il attirait sur lui, à cause de son apparence mais aussi, songea Anna, de son airdangereusementconcentré.

Alors qu’un appel était lancé à l’intention des participants à l’épreuve de Michael pour lesprévenirdeleurentréeenscènedansquinzeminutes,ilstombèrentenfinsurlessiègesréservésparleranchdesSanidansl’arèneintérieure.AnnacommençaitàdésespérerquandCharlesavaitrepéréle chariotmobile qui portait le logo du ranch en argenté etmarron, serré derrière les rangées desiègesdestadebleus.Àpartirdelà,ilsn’eurentpasdemalàtrouverdesvisagesfamiliers.

AnnaetCharlesprirentplaceàcôtédeMateoetTeri,justederrièreMaggie,Joseph,Max,ChelseaetWade.MaxseretournaetsouritàAnna.

—Mackieestunpetit tyran,dit-il.Elleadéclaréquetoutlemondedevait laregardermonteràcheval.(Ilpritunevoixcriardequiétaitcenséeressembleràcelledesapetitesœur.)Toutlemonde!

Ilsefenditd’unlargesourire.—EtpournepasêtreenresteMichaeladécrétéqu’ondevait tousêtre làpour le regarder, lui

aussi.PapaetHosteensontdoncalléspréparerlesenfantsetleschevauxpourl’épreuveafinquelerestedel’équipepuisseregarderdepuislabalustrade.

Annatrouvaitçaraisonnable:desenfantsquiallaientmonteràchevaldanscetimmensebâtimentdevaientpouvoirréclameruneaudiencesanssegêner.Lesgradinsétaientvides,maislessiègesdestadequibordaientlabalustradedel’arènesemblaientoccupéspourlaplupart.

—OùestMackie,alors?demandaAnna.Sonépreuven’estquecetaprès-midi,non?—Elleal’airdepenserqueMichaelpourraitavoirbesoindecoaching,réponditJoseph.(Sisa

voixétaitunpeutremblante,lalueurmalicieusedanssonœilnel’étaitpas.)J’appelleplutôtçajouerlespetitschefs.Unechancequecegarçonsoitdécontracté,ouceseraitinfernalchezKagejusqu’àcequ’ilsgrandissentetpartentdeleurcôté.

—Elleaboncœur,grommelaMaggiesuruntondereproche.Josephlaregarda,etAnnavitqu’iladoraitlafemmeassiseàcôtédelui.—Elleest exactementcommesagrand-mère,dit-il en lui tapotant lamain.Coriace, francheet

déterminée. Tu n’as pas tropmal tourné,Maggiemon amour. Si elle t’arrive ne serait-ce qu’à lacheville,lemonden’aqu’àbiensetenir.

— Joseph, dit un inconnu en descendant les quelquesmarches qui le séparaient du siège de cedernier,quiétaitassisàcôtédel’allée.Jenem’attendaispasàtevoirici.

—Monpetit-filsmonteàcheval,rétorquaJosephavecdignité.Oùveux-tuquejesoisd’autre?Et les deux hommes semirent à discuter des jours anciens et d’autres concours. Des chevaux

qu’ils avaientpossédés,des chevauxqued’autresgensavaientpossédés. Ils furent rejointsparunefemmeplus âgéequi avait l’airde sortir toutdroitduGrandOleOprydes années1980.Elle étaitcouvertedepaillettesdoréesetderayuresdetigrenoires,portaittropdemaquillageetavaitunevoixquedesdécenniesà fumeravaient rendueaussi rauquequecelledeMarleneDietrich.Sonhumourgrivois fit rire les deux vieux hommes. Maggie se pencha sur le côté et glissa une remarquespirituellequimontraqu’elleétaitelleaussiunélémentbienvenudecegroupe.

Ilsessayèrentd’inclureChelsea;ellesouritaubonmoment,maissatensionétaitvisibleaumilieudecettegrandefoulebruyante.Annajetauncoupd’œilàCharles,quisurveillaitChelsealuiaussi.

Commeiln’avaitpasl’airinquiet,ellesecaladanssonsiègeetregardaautourd’elle.Justedevanteux,ungrandgroupedechevauxétincelantsetpansésàlaperfectionfaisaittrèslentementletourdel’arèneaupetitgalop.Dèsqu’ellesemitàlesregarder,Charlesluichuchotaàl’oreille:

—Moitiéarabe,anglo-arabedeloisirwesternpourcavalieramateur,sectionune.C’estunroundéliminatoire. Les meilleurs d’entre eux iront en demi-finale. C’est pour ça que ça ne passionnepersonnedansl’audience,endehorsdessectionsquiencouragentchaquechevaletsoncavalier.

—Ilssonttrèslents,fit-elleauboutd’unmoment.Est-cequ’ilsnesontpascensésallerplusvite?Et si quelque chose les pourchassait ? Je crois que Portabella allait plus vite que ça au pas, hier.Qu’est-cequ’unanglo-arabe?

—Moitié pur-sang,moitié arabe.Ça a été le premier arabedemi-sang àgagner enpopularité.Leurmoitiépur-sanglesrendplusgrands,cequipermetàdesgenspluscorpulentsde lesmonter.Ceux-cisontpresquetousdesquarterhorsesoudescroiséspaint,àl’exceptiondel’appaloosalàen

bas.(Ilmarquaunepause.)C’estvraimentunbelappaloosa.Alorsqu’ilbavardaittoujoursavecsesamis,Josephavaitapparemmentobservéleschevauxlui

aussi.—Tuastoujoursl’œil.Cettejumentaremportécetteépreuvelesdeuxdernièresannéesd’affilée.

Siceschevauxconstituentunéchantillonreprésentatifdesesconcurrents,elleadebonneschancesdelaremporterdenouveau.Saufsilabelle-filled’Hélènel’emporteavecsonhongreshiningspark.

Anna cessa d’essayer de traduire leur jargon équestre – par exemple, que diable était donc unhongreshiningspark?–etsecontentadesemettreà l’aiseetderegarder les jolischevauxquisedéplaçaienttrèslentementavecleurscavaliersapprêtés,vêtusparfoisdecouleurscriardesetcouvertsdepaillettes.Mieuxlotisquelesfemmes,leshommesparaissaientsobrescomparésàelles.

Pendant tout ce temps-là,Anna inspira profondément, attentive à ce que son odorat pouvait luiapprendre.Illuiappritsurtoutqu’aumoinsdeuxpersonnesàproximitéportaienttropdeparfum,etqu’ilyavaitbeaucoupdechevauxdanslesparages.

Lescavaliersfurentappelésaucentreetceuxquipassaientauniveausuivantfurentannoncés,puisils quittèrent l’arène. Presque aussitôt, les sièges de stade furent pris d’assaut et les gradins seremplirent.LescompagnonsderagotsdeJosephetMaggies’enallèrenttrouverleursplaces.

Danslehaut-parleur,leprésentateurannonça:—Voicil’épreuveun-seize,âgesdeuxàseptans.Avecd’abordCandiceHart,quimonteLittleJoe

GreenparMisterVanilla,nédeDesertWindDoll,aveclesdresseursJosieHartetKarenTucker.Etuneminusculefillette,plusjeunequeMichael,entradansl’arènevêtued’uneminusculetenue

decow-boy rosecouvertedebrillants rosesqui scintillaient à la lumièreartificielle.Elleavaitdesbottesrosesriquiquisauxpiedsetdesjambièresencuirrosevif.Elleétaitassisesurunetoutepetitesellenoirequiavaitl’airparfaitementridiculeetadorableàlafois.Àlaplaced’unchapeaudecow-boy, elle était coiffée d’une bombe rose vif. Samonture, un palomino à la robe très pâle, portaitmajestueusement son minuscule fardeau, l’air solennel. Les deux adultes marchaient sur le côtégauche,l’untenantunelongeattachéeàlabride,l’autreavecunemainsurlajambedelaminusculefillette.

—Jen’aijamaisrienvud’aussimignon!s’exclamaAnna,sérieuse.—Attendsunpeu,ditMaggie.Cen’estpasencorefini.Etl’unaprèsl’autre,chaquepetitjockeyfutannoncéetmenédansl’arène.Ilyavaitdescavaliers

anglais, des cavaliers western et un qui ressemblait à un figurant du Cheik, vêtu de ce que leprésentateurqualifiade«costumetraditionnel».Ilétaittaillédansunematièrefluidedecouleurvive,avec assez de pompons, de bijoux et de bracelets pour faire fuir en courant tout Bédouin qui serespectait.

—NousavonsensuiteMichaelSanisurletriplechampionnationalSAPhoenixparXenophonn,nédeSARoseQueen.IlssontmenésparKageSani.

Michaelnepouvaitpasconcurrencerlapetitepoupéeroseàpaillettes.Àlaplace,commecertainsdeshommesqu’Annaavaitvuslorsdel’épreuveprécédente,ilportaitunechemisebleueàlacoupewesterntoutàfaitrespectableetunecravateaméricainenoire.CommesonpèreetHosteen,Michaelparaissaittrèsàl’aisesurlegrandhongrebaimenéparsonpère.

QuandMichael passa devant eux, il adressa un hochement de tête solennel à son grand-père ettapotasoncheval.Josephluirenditsonsalut,maisilyajoutaunsouriretoutentenantlesdeuxmainsjointesenl’air,lesignetraditionneldelavictoire.Quandlederniercavalierfutentré,leprésentateurdemandaaugroupedepartiraupasensensinverse.Ilsparadèrentpendantenvironcinqminutesafinquetoutlemondeaitletempsdefairedesphotos,puisilsfurentmenésaucentredel’arène.

Anna ne put réprimer un ridicule pincement d’angoisse. Michael était magnifique, mais quipouvaitconcurrencerunbébéenrose?ouuneprincessecouvertedepomponssurunchevalblancdontlaqueuetraînaitparterre?ElleserralamaindeCharlesetilserralasienneàsontour,l’airsisérieuxqu’ellesutqu’ils’amusait.Ellesoupçonnaitquec’étaitpeut-êtreàsesdépens.

—Bien,mesdamesetmessieurs,fit leprésentateur.Nosjugesontététrèsimpressionnésparcegroupecematin.Qu’endites-vous?

Ilyeutuntonnerred’applaudissementsetdesifflements.Charlescouvritlesoreillesd’Annapourlesprotégeretgrimaçaunpeu.C’étaitfort.Chelseas’étaitcouvertlesoreilles,elleaussi.Elleavaitbienfait.

Quandlafoulesecalma,leprésentateurannonçasuruntongrave:—C’est exactement ce que nos juges ont dit.Avec des concurrents de cette qualité, ils ont été

incapablesdedésignerunvainqueurunique.Siçaavaitétéunecourse,ilsauraientétéobligésdelesdéclarerexaequo.Parconséquent,nousavonsdécidédedécernerlapremièreplaceàtouslesenfantsdel’épreuve.

S’ensuivirentdenouveauxapplaudissements.AnnasecaladanssonsiègeetjetaàCharlesunregardindigné.—Ilsonttouslepremierprix,s’étonna-elle.—Exact,fitCharles.—Chaquefois.—Tuauraispuchoisirunvainqueur,toi?Elleluidonnaunepetitetapesurlacuisse,puislafrottaaucasoùellel’auraitfrappétropfort.

Quandledernierenfantfutmenéhorsdel’arène,Annalaissaéchapperunsoupirdejoietandisquelespalefreniers,lesdresseursetlescavaliersdesSaniselevaientetcommençaientàsortir.

— Joseph et moi allons regarder d’ici, déclara Maggie. Vous devriez sortir vous balader.L’épreuvedeMackieserajusteavantlapause-déjeuner.OnvagarderMaxicipourqu’ilnousprennedelanourritureetdesboissons.

CHAPITRE13

Endépitdesagrandetaille,l’arènedanslaquelleilsétaientallésnefaisaitpasundixièmeduparcd’expositionsdeScottsdale.Leprogrammeduconcourshippiqueleurpromettaitplusdedeuxmillechevaux,etAnnasupposaqu’untelnombrenepouvaitpastenirdansunespaceréduit.

Et ilssuscitaient tous l’intérêtdeCharles.Annane tardapasà troquer leplaisirderegarder leschevaux pour celui de regarder son mari les regarder. Il émettait de temps à autre un sond’approbation,etellesavaitqu’ilavaittrouvéquelquechosequiluiplaisaitvraiment.

Pendantunmoment, ils restèrentàcôtéd’unearènecouverte– ilyenavaitbeaucoup–oùdesgens procédaient entre autres à des répétitions de dernière minute et à des échauffements ou desexercicesdivers.Deschevauxanglaisavecdegrandsfersauxpiedsétaientlancésautrotetprenaientuntourd’avancesurleschevauxwestern,dontl’allurelenteavaitquelquechosedepresquezen.Lenombredecavalièressurpassaitdepeuceluidescavaliers,saufpourlacatégoriedesdixàdix-huitansquiavaitl’aird’êtreenmajoritécomposéedefilles.Unchevaltranspirait,l’écumeauxlèvres,etilsemblaitavoirdumalàtenirsonallurewesternsaccadée.Sacavalièrenecessaitdetirersursonmorsetdel’éperonnerenmêmetemps.Charlesgrommelaets’éloignadel’arène.

—Quecherchait-elleàfaire?demandaAnna—Jenesaispas,grommelaCharles,contrarié.Etjepeuxtedirequecepauvrechevalnelesavait

pasnonplus.Ilss’arrêtèrentpouradmirerungroupedejeuneschevauxrassemblésdevantuneénièmearène,

portantuniquementdeminceslicolsafindemettreenvaleurleurstêtesexotiques.Ilsmarchaientdecôté, renâclaient et faisaient les beaux. Quelques-uns étaient effrayés – Anna le sentait –, mais laplupart d’entre eux sautillaient joyeusementde-ci de-là, pleinsd’entrain, et sepavanaient quand ilsremarquaientqu’onlesregardait.

CharlesachetaàAnnauncornetdeglace,qu’illéchadebonnegrâcequandelleleluitendit.Etilsnesentaientdefaenullepart.Lesbâtimentsqui renfermaient lesboxdeschevauxétaientconstruitsparallèlement lesunsaux

autresenbordureduparcd’expositions.Certainsd’entreeuxétaientjonchésdebannièresappartenantà l’une ou l’autre écurie. Ils trouvèrent ceux des Sani par hasard plutôt que parce qu’ils lescherchaient.

Une foule d’enfants étaient attroupés autour du cheval que Michael avait monté lors de lapremière épreuve. Il neportait que son licol et somnolait debout tandis qu’undespalefreniers desSaniletenaitafinquelesenfantspuissentlecaresser.

Kagesetenaitàcôtédelacroupedel’animal,redirigeantavecdouceurlesenfantsversl’avantetrépondant patiemment à leurs questions.Mackie semblait l’aider enmontrant aux enfants les plusjeunes comment le caresser gentiment. Elle portait une chemise blanche rentrée dans un pantalonélastiquegrisfoncéetdesbottesd’équitationanglaisesmontantes.

—Anna, Anna ! claironnaMichael, qui s’extirpa de la foule pour se précipiter vers elle. J’aigagné,j’aigagné,tum’asvu?

Ellesourit.—Jet’aivu.Tut’esbienamusé?

—J’aimemonterNix,acquiesça-t-ilensautillantjoyeusement,cequirappelaàAnnalegroupedejeuneschevauxqu’ilsvenaientdevoir.C’est lechevaldepapiet ilaimelesenfants.Lesenfantsdemonécolesontici.Ilsm’ontvugagner,euxaussi.Jeleslaissecaressermoncheval.

—Jevoisça.Pour l’essentiel, Mme Newman était trop occupée à admirer Kage pour regarder dans leur

direction.Même si elle se débrouilla pour glisser à Charles un coup d’œil en douce, avant de sereprendredèsqu’Annacroisasonregard.MmeEdisonsefenditd’unsourireentendu,maisellerestapostéederrièrelatrouped’enfants.

Annasedemandaitsic’étaitunebonneouunemauvaisechosequeladirectriceaitdevinéquiétaitlapersonnequilesavaitmissurlapistedecequisepassaitàlagarderie.Aucund’entreeux,nilesenfantsnilesenseignantes,nesentaitlamagiefaenonplus.EllesentaitleparfumdeMmeEdisonetleshampoingdeMmeNewman,etl’undesenfantsavaitunchat,maisellenesentaitpasdefae.

EllesuivitCharleslorsqu’ilcontournalesbambinsetadressaunhochementdetêteàKageavantd’entrerdansl’écurie.Hosteenbuvaitdel’eaud’unebouteilleetbavardaitavecWade.Assisevoûtéesurunballotdepailleàcôtéd’eux,Chelseaavaitfermélesyeux.

Anna laissaCharles pour aller s’asseoir à côté d’elle.Elle finit ce qui restait de son cornet deglace,léchasesdoigtscollantsetessayad’irradierlecalme.EllefutrécompenséequandChelseasedétenditpeuàpeu,mêmesiellen’ouvritpaslesyeux.

—Tropdegens,murmura-t-elle.Tropdebruits,tropd’odeurs.—Ouais, acquiesçaAnna. Ça a cet effet-là sur nous tous de temps en temps. Tu as besoin de

rentreràlamaison?Chelseasecoualatête,prituneprofondeinspirationetouvritlesyeux.—Pasavantd’avoirvul’épreuvedeMackie.Beaucoupd’entrenousrentreronsensuiteauranch.

Tous lesenfantsetmoi.OnprendraNix,aussi. Ilavingt-huitans,c’estunvieuxde lavieille.Unejournéed’excitationluisuffit.

—Danscombiendetempsestl’épreuvedeMackie?demandaAnna.CefutHosteenquiluirépondit:—Environuneheure.—Sij’attendaisiciavecvous,alors?Chelseaesquissaunsouriretendu,maiscefutHosteenquidéclarad’unevoixdouce:—Jepensequeceseraittrèsutile.Merci.Àpeuprèsaumêmemoment,MmeEdisonentradans l’écuriepour remercierChelsead’avoir

laissélesenfantsdequatreanscaresserlamonturedeMichael.Ellesemontrasourianteetaimable,etnes’attardapas.

L’épreuve de Mackie comptait beaucoup moins de participants que la première. Elles étaient

seulementtroisfilles,dontl’unedevaitavoirenvirondixanstandisquel’autreavaitàpeuprèsl’âgedeMackie.

—Cesontdeschevauxde loisiranglais,expliquaJosephpour lagouverned’Anna. Ilsontuneallure plus enlevée, ce qui signifie qu’ils lèvent les jambes plus haut et sont généralement plusexcitables.Iln’yapasbeaucoupdechevauxdeloisiranglaisquisoientassezsûrspourêtremontésparquelqu’undemoinsdedixans.

Les cavalières firent le tour de l’arène au trot. Heylight paraissait beaucoup plus grand avecMackie sur le dos. Anna se pencha en avant, attentive. La fillette plus jeune semblait un peudéséquilibrée sur sa selle, et son cheval alezan au joliminois n’avait pas le dynamisme des deux

autreschevaux.Annaremarquaquelesmembresdelafamille,assisauborddeleurssièges,étaientplustendus

cettefoisqu’ilsl’avaientétépourMichael.Leschevauxallèrentaupasjusqu’àlamoitiédel’arène,puisilschangèrentdesensetsemirentàtrotter.

MaxgrommelaetMaggiesetintplusdroite.—Changedediagonale,Mackie,marmonna-t-ildanssabarbe.Allez,concentre-toisurcequise

passe.Arrêtedetefocalisersurlafouleetsoisattentiveàcequetufais.AnnasepenchaversCharles,l’interrogeantensilence.—Quandonvaautrotenlevé,onmonteetonredescendaveclajambeavantduchevalaulieude

rebondiràchaquepas,luiexpliquaCharles.Çaressemblaitàdelamusique,etAnnacomprenaitlamusique.—Commeunemesureàdeuxtempsaulieudequatre.—Exact,c’estplusconfortablepourlechevaletpourlecavalier.Maisquandondécrituncercle,

il fautmonteret redescendreenmême tempsque la jambeexterne…car,dansuncercle, la jambeinternesupportedéjàplusdepoids.Mackieestsurlamauvaisejambe.Ilvafalloirqu’ellesauteunemesurepourchanger.Là,voilà.Bienjoué.

—Ellearriveradeuxième,proféraJoseph.C’estbiencommeça.Cen’estpaslapremièreerreurqu’ellecommetdansl’arèneetçaneserapasladernière.

—Uneépreuveoùtufinisenselleplutôtquelatêtedanslapoussièreestuneépreuveréussie,fitMax,pince-sans-rire,maisilétaitévidentqu’ilcitaitquelqu’un.

—Ellemaîtriselesmainsetl’assiette,intervintMaggie.Commesongrand-père.Elleferapartiedesbons.

—Sielleleveut,déclaraChelsea.ElleétaitvenueregarderavecWade,AnnaetCharlespendantquesonmarirestaitdansl’enclos

derrière le portiquepour veiller à ce queMackie entre dans l’arène et en ressorte sans encombre.Anna remarqua queChelsea gérait beaucoupmieux l’arène bondée qu’auparavant. L’heure qu’elleavaitpasséeaucalmedansl’écurieavecAnnaquiluienvoyaitdesondesapaisantesluiavaitoffertlerépitdontelleavaiteubesoinpourreprendrelecontrôled’elle-même.

Maxrit.—Personnen’estcapabledeforcerMackieàfairecequ’ellen’apasenviedefaire,maman.Tule

sais.Lescavalièresvinrentseplacerenrangaucentre,etleclassementfutannoncé.Mackieremporta

en effet la deuxième place. Les chevaux décrivirent un dernier cercle au trot puis sortirent par leportillon.

Chelseaselevacommesielleétaitsurressort.—Jevaisallerrassemblerlesenfants.Max,peux-tuaidertesgrands-parentsàrentrerquandils

serontprêts?—Çamarche,dit-il.Charlesselevaàsontour.—Faisonsunepause.S’ilyaunfaedansleparcdesexpositions,lachancen’estpasavecnous

pourletrouver.Ilsseretrouvèrentdansunrestaurantchinoisplutôtcorrect;meilleurquetoutcequ’ilyavaità

Aspen Creek, en tout cas. Comme il était tard pour déjeuner et tôt pour dîner, ils ne partageaientl’endroit qu’avec un seul autre couple. Charles se détendit et écouta la conversation téléphonique

qu’avaitAnnaavecl’agentspécialFisher.Lesliesemblaitfrustréeetcontrariée.—NotreexpertapassédeuxheuresavecMcDermitcematin,maisilveutrevenirlecuisinercet

après-midi.Désolée.—Demande-lui si elle amoyen de savoir siM.McDermit s’est absenté quelques semaines en

novembredernier,quandtouslesfaesontdisparudanslesréserves,l’enjoignitCharles,pensif.Ilnedevrait pas être du nombre de ceux qui se sont cachés comme le wearden dans le jardin deMmeJamison.Sielleserenseignesurlesantécédentsdesautrespersonnesassociéesàlagarderie,elledevraitsepencherlà-dessusaussi.

QuandAnnarelayalasuggestion,Lesliesoupira.—Ony travailledéjà,maisc’étaitpilependant lapériodedeThanksgiving.Beaucoupdegens

sontallésrendrevisiteàdelafamille.Messbiressontentraindevérifierquelesgenssontbienalléslàoùilsledisent.Jusqu’ici,onatrouvéunefemmequiétaitcenséerendrevisiteàsesparentsetquicouchait en fait avec un homme marié. Et un autre qui était en cure de désintoxication. C’estcompréhensiblequ’ilaitditàsontravailqu’ilprenaitdesvacancesprolongées.Jeprometsd’appelerquandj’auraiquelquechose,ousij’arriveàvousobtenirl’autorisationdeparleràM.McDermit.

Environdeuxheuresaprèsavoirquittéleparcdesexpositions,ilsrevinrentauranchdesSaniet

letrouvèrentdésert.AnnaappelaKage.— Chelsea est restée avecMichael, Mackie et la fille qui est arrivée dernière à l’épreuve de

Mackie,expliquaKage,unsourireaudibledanslavoix.Charles se demanda pourquoi personne ne les avait appelés pour leur dire que tout le monde

restait au concours.MaisHosteen avait pris lesmesures nécessaires pour que sa famille soit biengardée,mêmesansAnnaetCharles.

—Mackie se sentait plutôtmal, jusqu’à ce qu’elle voie que la petite fille sur le cheval alezanpleurait,ditKage.ElleluiatenulemêmediscoursdemotivationqueceluiqueHosteentientàtoutlemonde.Est-cequetuasfaitdetonmieux?Bon,çavaalors.Uneépreuveoùtunefinispasparterreestuneépreuveréussie.(CharlesentendaitlajoiedeKage.)ChelsealesaemmenéestouteslesdeuxmangeruneglaceavecHosteen.

—Jet’avaisditdenepast’inquiéter,lamorigénaCharlesquandelleeutraccroché.— Si j’étais un fae qui cherchait à enlever des enfants, ce concours hippique avec toutes ses

distractionsseraitl’occasionidéale,répliqua-t-elle.—Ilfaudrad’abordqu’ilpassesurlecorpsdeHosteen,deWadeetdelapoignéedeloups-garous

dispersésdanslafoule,parcequeriennelesdistrairadeleurtâche.Etilyadumonde.Jusqu’ici,cefae-cis’estdonnébeaucoupdemalpourpasserinaperçu.

—Lapoignéedeloups-garous?(Annafronçalessourcils.)Jen’enairepéréquedeux.—Ilssontrestéshorsduchampdetonodoratlaplupartdutemps,dit-il.Çan’auraitserviàrien

qu’ilsinspectentlesemplacementsdanslafoulequ’onsurveillaitdéjà.Sionn’apasdétectédefae,ilsn’en auraient pas détecté non plus.Mais je connais de vue la plupart desmembres de lameute deHosteen.

Charless’installaavecsonordinateurportablesurlaseulechaisedeleurchambrepourtravaillersur les finances de la meute. Ce n’était pas parce que les faes étaient de sortie et terrorisaientScottsdalequelerestedesonboulotdevaitattendre.

Anna sortit un livre relié sur lequel figurait un homme àmoitié nu qui tenait une épée d’unelongueurimprobable.Charlessedemandasil’épéeétaitcenséeêtremétaphorique,puissiçadevait

l’inquiéterquesacompagneliseunlivreavecunhommenusurlacouverture.Annas’étenditsurleventrepourlire,lespiedsverslui.SapositionoffraitàCharlesunevuesympathiquequandilavaitbesoindesouffleraumilieudesescalculs,etilcessadesepréoccuperd’hommesnus.

Quelquesheuresplustard,ilsentendirentunevoiturearriverdanslamontéeetlaported’entrées’ouvrir.Auxbavardagesenjouésquileurparvinrent,Charlessutquelesplusjeunesenfantsétaientrentrés… ainsi que Max. Il ne semblait pas aussi joyeux que les petits. Alors que Charles sedéconnectaitetéteignaitsonordinateur,onfrappauncouplégeràleurporte.

Annasautadulitetallaouvrir.—Euh…excusez-moi,ditMax.Maispapiestenbasdanslavoitureetilesttropfatiguépouren

sortir.Mamiem’aenvoyévouschercher.Charless’élançadansl’escalier,lefrôlantaupassage.Ilétaitinquiet,mêmes’ilsavaitquec’était

ridicule. Joseph était mourant. Il pouvait mourir cette nuit-là, en attendant que quelqu’un viennel’aideràsortirdelavoiture.Toutcommeilpouvaitmourirunesemaineplustarddanssonlit.

Ridicule ou non,Charles se précipita jusqu’à la voiture oùMaggie se tenait devant la portièreouverte.

—Ne t’avise pas dememourir dans les bras, vieil homme, le tança-t-elle.On doit encore sebattre.

—Etsedisputer,aussi,ditJoseph.Mêmeessoufflé,ilneperdaitriendesonhumour.—Jet’avaisditqu’onauraitdûpartiraprèsl’épreuvedeMackie,assena-t-elle.—Maisilfallaitqu’onvoiecequevalaitvraimentcetétalondontConradchantaitleslouanges.Et

ensuite il y a eu Lucy qui participait à l’épreuve des amateurs avec cette pouliche qu’elle nous aachetéeilyadeuxans.

—Jesaispourquoituesresté,rétorquaMaggie.Etcen’étaitpasdutoutàcausedelapoulichedeLucy,maisparstupidefierté.Tun’aspasvouluadmettrequetutesentaismal.

Sielleleréprimandait,c’étaitqueJosephallaitbien.AlorsqueCharlessepenchaitpoursouleversonvieilami,Maggieposalamainsursonbrasetappuyalatêtecontresonépaule;sadouleurétaitpresquepalpable.Elleétaittoujoursplusacerbequandellesouffrait.

—Onvat’emmeneràl’intérieur,ditCharles.—Çanemedérangeraitpasdemouriraprèsavoirpassélajournéeàregarderdebeauxchevaux,

déclaraJoseph.Lesespritsqui semblaient toujours flotterautourde Joseph,mêmesiCharlesétait le seulà les

voir,percutèrentCharlessifortqu’ilfaillitenavoirlesoufflecoupé.Chancelantsouslechoc,ildutcesserdemarcheretécarterunpeulesjambespourgarderl’équilibre.

—Il teresteune tâcheàaccomplir,murmura-t-ilquandil leput. (Ilsedirigeavers lamaison.)Laisse-moivoirs’ilst’accorderontunpeuplusdeforcepourfairelenécessaire.

—Disàcesespritsque, s’ils leveulent tellement, ilsn’ontqu’à leguérirde soncancer, lançaMaggiesuruntonamer.

—C’estmaviequejejouesijem’opposeauxesprits,réponditCharles.Tusaisquelaquestionneseposepas.

Ces esprits commençaient à lui laisser une drôle d’impression. Les esprits qui l’interpellaientn’étaientpashumains,c’étaientdesespritsdelaterreetdel’air.Cequin’excluaitpasqu’ilssoientdesespritsdedéfunts.Engénéral,lesmortsdonnaientunsentimentdelourdeur,d’anormalité.LesespritsquientouraientJosephbrûlaientdedétermination,unechaleurquifaisaitbattreàtoutromprelecœurdeCharlesettrouvaitunéchoenFrèreLoup.Iln’yavaitriendecorrompunidemauvaiseneux.

Etpourtant.Cetteaffairequ’Annaetluiétaiententraindedémêlerimpliquaittellementd’enfantsmorts,desenfantstuésavantd’avoireulapossibilitédedéciderquiilsallaientdevenir.Inachevés.

Lesdéfuntsinnocents…Iln’enavaitrencontréqu’un,etsiMercy,quivoyaitlesfantômesmieuxquequiconque,n’avaitpasétéaveclui,iln’auraitjamaisreliécetespritàl’enfantquiavaitététuésurce segment de route des dizaines d’années plus tôt.Mercy avait vu le garçon très nettement,maisCharles n’avait senti qu’un crépitement chaud sur sa peau, comme un coup de soleil mais plusprofond.

Peut-êtrequelachaleurqu’ilsentaitémanerdecesespritsétaitcommecetenfant,maismultipliéepar tous les morts pour lesquels justice devait être rendue parce qu’ils avaient été privés de leurchancedevivre.Pasdelacolère,maisundésirdevengeance.

Mais quel service un vieil homme que le cancer tuait à petit feu pouvait-il bien rendre à desenfantsdécédés?

—Charles?demandaAnna,hésitante.Est-cequetucomptesgarderJosephdehorstoutl’après-midi?

Il se demanda combien de temps il était resté immobile. Sans répondre, il porta Joseph àl’intérieurdelamaison.

—Anna?demanda-t-il.Est-cequetupeuxveniravecmoi?(Ilréfléchitdenouveau.)Maggie,ceseraitmieuxsiturestaisavecMackieetMichael.

— Et moi, où veux-tu que j’aille ? l’interrogea Max. Je sais comment brancher toutes lesmachinesdepapi.

CharlessongeaqueMaxétaitcommeSamuel,unhommequ’ilétaitbond’avoirpourassurersesarrières.EtilneportaitrienenluiquirisquaitdechangerlanaturedecequeCharlesvoulaitfaire.

Maggie…Il seméfiaitunpeudecequeMaggievoulait.Ellen’était jamaisheureuse làoùelleétait,ellecherchaittoujourslebonheuretlaplénitudeailleurs.MêmesielleaimaitJoseph,etoui,ellel’aimait,ellen’étaitpasunepersonnesereine.

—Oui,fit-ilàMax.Viensavecnous.Maggieposasurluiunregardmeurtri,etileutl’impressiondel’avoirfrappée.—Laforceetladéterminationsontdesqualitésutiles,luiexpliqua-t-il.Maispourcequejevais

entreprendre,onabesoind’âmestranquilles.Ilnesavaitpassiçasuffisait,mais il laissaMaggieet lesenfantsdanslesalonetserendità la

suitedeJoseph.Max et lui aidèrent le vieil homme à s’occuper des nécessités de la vie dans la salle de bains,

tandis qu’Anna tirait les draps et se faisait discrète pour ne pas mettre Joseph dans l’embarras.Charlesn’avait rieneuà luidire.Sacompagneétait l’unedespersonnes lesplusperspicacesqu’ilavaitrencontrées.

Ils déposèrent sur le lit ce vieil homme qui avait jadis été l’un des plus coriaces que Charlesconnaissait,etilinspirapéniblementassezd’airpourparler.LecœurdeCharlesseserradelevoirainsi.

—Chhut,ditCharles.(Ilbalayalapièceduregardàlarecherchede…quelquechose.)Jesupposequ’iln’yaplusdevioloncelleparici,si?

Ilyenavaiteuunautrefois.Kageavaitjouéduvioloncelle.Maxfronçalessourcils.—Àvraidire, jepenseque si.LevieuxvioloncelledeKageest toujoursdans sachambre ici.

Mamieluidemanded’enjouerchaqueannéeàNoël.Ilcommenceàs’entraînerendouceverslemoisdenovembre.Ilditqu’ilnelerapportepasàlamaisonparcequ’ilprendlapoussièreetqu’ilsesent

coupabledenepass’entraîneruneheurepar jourcommemamie l’obligeaità faireà l’époque.Nebougezpas.

Dèsqu’ilfutparti,Annademanda:—Tuveuxquejejoue?—Ilnousfautdelamusique,fit-il,sachantquec’étaitvrai.Jecroisquejevaisavoirbesoinquetu

commences,etc’estaveclevioloncellequetamusiqueprendvie.—Ilsteparlentaujourd’hui,remarqua-t-elle.Lesesprits.Quetedisent-ils?—C’estçaleproblème,dit-il.D’habitude, jesaisexactementcequ’ilsattendentdemoi.Jen’ai

qu’àdécidersijevaisaccéderounonàleurrequête.Cettefois…jenepeuxquesuivremonintuition.—Çamesuffit,déclara-t-ellealorsqueMaxrevenaitdanslachambreavecunvioloncelledans

unehoussedetransportentoile.Annapritl’instrument,lesortitdesahousseetl’inspectarapidement.—Lescordessontneuves,observa-t-elleenl’accordant.Cen’estpasunmauvaisinstrument.Ellepritl’archet,ypassarapidementunpeudecolophaneetletirasurlescordes.Ellehaussalessourcilsausonqu’elleobtint.—Ilestmeilleurquejepensais.Pasaussibonqueceluiquetum’asoffert,maismeilleurquela

plupartdesinstrumentspourélèves.As-tuunmorceauentête?— Quelque chose de… beau, mais tout de même entraînant, dit-il, s’efforçant de mettre ses

sentimentsenmots.Ellehochalatêtepuissemitàjouer.—LeSeigneurdesAnneaux,fitMax,surpris.Charlesécoutalesyeuxfermés,ettoutétaitcommeçadevaitl’être.Savoixs’élevaenréponseau

violoncelle. De la musique sans paroles, jusqu’à ce que les mots deviennent nécessaires. À cemoment-là, il était si immergé dans lamusique qu’Anna et lui avaient transformé en leur propremorceauqu’ilnesavaitmêmeplusdansquellelangueilchantait,etencoremoinsquelétaitlesensdesparoles.Ilsn’étaientqu’unsimpleélémentdel’airqu’Annaetluicréaientensemble.

Lamusiques’amplifiaetilsentitlepouvoirbrûlerlelongdesesbrasjusquedanssesmains,qu’ilposa alors sur Joseph. Quand ce fut terminé et que la chaleur se fut dissipée, Joseph dormaitconfortablement. La chaleur, le feu dans les veines de Charles étaient partis. La chambre étaitsilencieuse,etilsutquelathéoriequ’ilavaitémiseplustôtétaitlabonne.

Pour une raison qu’il ignorait, les enfants tués par le fae qui s’était attaqué à la famille Sanis’intéressaientbeaucoupàJoseph.C’étaitunechosedontilneferaitpaspartàMaggie,quiavaitunevisiontrèsnavajodesmorts.Peut-êtredevrait-illedireàJoseph.

Il couvrit l’hommeendormi tandisqu’Anna rangeait levioloncelledans sahousse.Max lepritsans un mot et ils partirent tous en fermant doucement la porte. Alors que Max commençait às’éloignerdanslecouloir,ils’arrêta.

IlseretournaverseuxetsoutintleregarddeCharles.—N’importequiquientendçaestforcédecroireàlamagie,déclara-t-il.Il les quitta. Anna entraîna Charles dans la direction opposée, vers la partie principale de la

maison.—Qu’as-tufait?demanda-t-elle.—Jen’enaiaucuneidée,luidit-il.Jetrouveçaquelquepeudéstabilisant.Elleprituneprofondeinspiration,commeuneactricesurlepointd’entrerenscène,sefenditd’un

grandsourirefacticeetdit:— Je trouve ça « quelquepeu» rassurant de nepas être à la seule à avoir le sentiment que je

devraismemettreàcourirencriant :«Oùest lescript?Oùest lescript?Siseulementj’avaisunscriptjesauraisquelfichurôlejesuiscenséejouer.»

Pendant que Charles se livrait à de la magie,Maggie,Mackie etMichael avaient préparé des

sandwichs pour tout le monde, Ernestine étant de repos ce jour-là. Maggie avait également faitl’immenseeffortd’êtredebonnehumeurpourlesenfants.

—OùestChelsea?demandaCharles.Annasesouvintquecettedernièreavaitprévuderentreraveclesenfants.— Teri a mangé quelque chose qu’elle n’a pas digéré, alors maman a emprunté une tenue et

prendralamonturedeTeripourleroundéliminatoiredeschevauxfuturitédeloisirwestern,ditMax.—Ánálihastiinaditqueceseraitbien,déclaraMackie.—Mangez, lesenjoignitMaggieenposantuneassiettedesandwichsgéantesur la tableoùelle

avaitdéjàmisunepiled’assiettes.— Quels sont vos projets pour le reste de l’après-midi ? demanda Max. Si vous n’êtes pas

occupés,Hosteenasuggéréquejevousemmènefaireunebaladeàchevalautourduranch.Ilm’aditdevousrappelerquevousêtesdesinvités,pasdesgardes.Ilachargédeuxmembresdesameutedenoussuivrequandonestpartisduparcdesexpositions.Ilspatrouillentleslieux.

AnnaregardaCharles.—Çameva,dit-il.—QuelschevauxHosteenveut-ilvousmontrer?demandaMax.—J’ailaissélalisteàl’étage,réponditAnna.Laisse-moiallerlachercher.AnnaetMackie s’occupèrentdevaissellependantqueMaxparcourait la listeavecuncrayonà

papierdontilseservaitpourfairedesannotations.—Onpeutallersebalader,Anna,suggéra-t-ilquandileutfinidegriffonner.Merrylegsestici.

On ne la présente pas au grand concours cette année. C’est plus un cheval de piste qu’un chevald’arène,mêmesic’estloind’êtreaussimarquéquepourPortabella.

Annasongeaqueçaleurdonneraitl’occasiondesortirdelamaison,etqueçaluipermettraitdese soustraire à l’hostilité de Maggie. C’était Charles qui l’avait obligée à rester en bas. Alorspourquoisnobait-elleAnna?Ellenel’avaitmêmepasregardéedepuisqu’ilsétaientdescendus.

D’accord…pourêtrehonnête,ellecomprenait.Çaneluiplaisaitpas,çacontrariaitsonsensdelajustice,maisellecomprenait.CharlesavaitexpliquéàMaggiepourquoiillalaissaitenbas,etcelle-cipouvait l’accepter.MaisAnnaétaitmontée avec lui et Joseph.Anna,qui était jeune et qui était unelouve-garou,luiavaitprissaplace.

—Çanousdistrairait,unebalade,acquiesçaAnna,etCharleshochalatête.—Est-cequejepeuxvenir?demandaMichael.—Biensûr,ditMaggie.Mackiecommençaàdirequelquechose,maiselle regardasagrand-mèreethésita.Anna levit

quandellepritsadécision.—Mamie?j’enaimarredeschevauxaujourd’hui.Jeneveuxpasremonteràcheval.—Tupeuxresteravecmoi,alors,ditMaggie.OnjoueraàCandyLand.Cettefois,ilséquipèrenteux-mêmesleurschevauxpendantqueMaxallaitchercherdessellesde

labonnetailleetdesbridesfonctionnelles.—La première fois que je suismonté à cheval, j’avais huit ans, leur dit-il. (Il aidaMichael à

brosser l’animalqu’il luiavaitchoisi,undemi-arabenomméRoméoà la robemarron tachetéedeblanc,petitetrobuste.)Kagefréquentaitmamèreetilnousaproposéunebaladeàcheval.Quandelleetmoisommesrentréscettenuit-là,j’aidit…

—«Ilfautquetul’épouses,maman,terminaMichael.Iladeschevaux!»Maxrit.—C’est ça,moustique.Peut-êtreque si jen’aimaispasautant leschevaux,mamann’auraitpas

épouséKage.Etducoup,tuneseraismêmepaslà.—Si,réponditMichael.Parcequepapaditquejesuissapénitencepourseserreurspassées.Annacachasonsourirealorsqu’ellesoulevaitlesabotdeMerrylegspourlenettoyer.Merrylegs

étaitune jumentdeseptansderaceneutre–selon lesmotsdeMax–quis’était retrouvéechez lesSanipourêtredressée.Quandsapropriétaireavaitcommencéàs’intéresserauxgarçons,elleavaitcédélajumentetsespapiersenéchangedesfraisdepensionetdedressage.

—Elleestdoucecommeunagneau,ditMax.Ellen’ariend’unchevaldecompétition.Maisellesemettraenquatrepourtoietveillerasurtoi.Mackielamontesouventsurlespistes.

PourCharles,MaxamenaPortabella.—Elleestsurvotreliste,ditMax.Etons’amuseavecellesurlespistes.Commepromis,Merrylegsétaitdouceetréactive.Elleavaitaussiunefaçondetrotterquirendit

Annaheureused’avoirhéritéde ladentitiondesamèreplutôtquedecelledesonpère,car sielleavaiteudesplombagesilsn’auraientplusétélààlafindelarandonnée.Songalopétaitmeilleuretellemarchaitd’unpasvif,maissontrotétaithorrible.

—Ouais, fitMax,même si Anna n’avait rien dit. C’est à cause de ses paturons très courts etraides. On se croirait sur un marteau-piqueur. Mais elle peut galoper sans fin, et son galop estagréable.

Ils dépassèrent la colline où Anna avait fait faire demi-tour à Portabella la veille. Max lesconduisitdansledésertau-delà.

—Bon,déclara-t-il.Autantquetuvoiessespointsforts,n’est-cepas?Etc’esticiqu’elleexcelle,oùlebonsensetlabonnevolontéontplusd’importancequ’unebelleenveloppe.

Ilschevauchèrentdonc,etalorsques’installaitentreeuxunesorted’espritdecamaraderie,MaxjetaàCharlesunregardunpeutimide.

—Commentas-turencontrépapi?lequestionna-t-il.Anna se demanda s’il allait répondre àMax. Il n’évoquait pas souvent le passé, sauf si c’était

importantpourquelquechosequisedéroulaitdansleprésent.SamuelavaitditunefoisàAnnaquec’étaitainsiquelesvieuxloupssupportaientlepassagedutemps.SamuelétaitbeaucoupplusâgéqueCharles.

Maiselleeutl’impressionqu’aveccettebaladesouslesoleilquidéclinait,l’odeurdeschevauxetlerythmedelachevauchée,ils’étaitlaisséhapperparlamagiedel’expériencepartagée.Oupeut-êtren’avait-ilpaslecœuràréduireMaxausilenceavecl’unedesesréponsesminimalistesquiclôturaienttoutediscussion.

—Lapremièrefoisquejel’aivu,ilavaitàpeuprèsl’âgedeMichael,commença-t-il.Quandjel’ai vraiment rencontré, il était à peine adolescent. C’était lors d’une bagarre dans un bar dePhoenix…Ça peut être dur à vivre d’avoir une couleur de peau différente quand les hommes seretrouvent pour se soûler ensemble.Alors que je passais par là, j’ai entenduun cri deguerre. (Sajument renâcla et secoua la tête ;Charles la tapota.) Puis il y a eu une ribambelle d’injures et desbruitsdeverrebrisé.Maisc’est lecrideguerrequim’apousséàme frayerunchemindanscettebagarreetàfaireleménage.Sousunepiledevétéransivres–c’étaitjusteaprèslaSecondeGuerre

mondiale–,j’aidécouvertunpetitAmérindienmaigreletd’environdouzeoutreizeans.Unsourirecommeilluienvenaitparfoisilluminasoudainsonvisage.—J’aidit:«Ilfautêtreunvraihommepourfrapperungamin.»(Sonsourires’agrandit.)L’un

destypes–quicommençaitàavoirunjolicoquard–adit:«Bonsang!m’sieur,toutcequej’aiditc’est qu’il feraitmieux de filer de là, parce qu’il était trop amérindien pour être en sécurité avectoutescesbrutesquibuvaientcommedestrous.Etcegossem’estrentrédedanscommesijeluiavaismisuncoupdepoing.»

Charlesfitcourirlamainlelongducoulustrédesoncheval,puisilreprit:—Josephn’ajamaissus’arrêter.Mêmes’ilafiniparapprendreàchoisirsescombats.Alorsque

j’étais monté gérer les affaires de mon père avec Hosteen, quelqu’un lui a dit que Joseph avaitdisparu.Quandelleavaitdécouvertcequ’étaitHosteen,lamèredeJosephavaitfaitsesvalisesetétaitpartie.JesupposequeJosephavaitentendul’undescow-boysquitravaillaientauranchdirequ’elleavait dû s’enfuir àPhoenixpourgagnerdurement sa croûtedans lesbars là-bas, cequi était faux.Hosteenl’avaitsuiviejusqu’àlamaisondesasœurdanslarégiondesFourCornerspours’assurerqu’elleétaitensécurité.MaisiladitàJosephqu’ilneluiparleraitpasd’elle,etcommecelui-cil’aprisaumot, iln’apassuoùelleétaitallée.Quandilasurpris l’échangedescow-boys, iladécidéqu’ilnepouvaitpas laissersamèredans lepétrin.Iladoncvolé l’undespick-upduranchets’estrenduàPhoenixavec la ferme intentionde trouver samère,quitteà faire tous lesbarsde laville.QuandHosteenacompriscequis’étaitpassé,lesdeuxcow-boysontétérenvoyésduranchdesSanietilestpartiavecmoiettoutelameutechercherJosephàPhoenix.

CharlesgardalesilenceunpetitmomentetAnnacrutqu’ilavaitterminésonhistoire,maisillapoursuivit.

—J’aidoncregardécegarçonetj’aidit:«Es-tuJoseph?»Ils’estrelevé,ils’estépousseté,ilaessuyélesangsursonmentonetiladit:«Oui.J’aiencoredouzebarsàfaire.»J’airépliqué:«Ilfautquetuchoisissesmieuxtessources.TamamanvitavecsasœurprèsdeMonumentValley.»Çaluiadonnématièreàréfléchir.Pendantcetemps-là,j’aidit:«Ilyaautrechosedontilfautquetutesouviennes.Situcomptesaffronterplusgrandetplusfortquetoi,gamin,tuasintérêtàêtremieuxarmé. » Je lui ai donnémon couteau et son fourreau. On a pris le temps de donner l’adresse deHosteenaugérantdubarafinqu’ilrèglelafacture,parcequej’estimaisquec’étaitsafiertéquiavaitcausétoutcebazar.

—Vousavezcavaléensemble,observaMax.Kageaditque toiet luivousêtesattirébeaucoupd’ennuis.

—Ça,c’étaitplus tard, réponditCharles. Je supposequeçaacommencéquand tongrand-pèreavait environdix-sept ans. Il s’était enfuidenouveauetmarquait desvaches au fer rougepourunranchernavajo.Hosteenetluisebattaientpourunrienàcetteépoque-là.Hosteenm’ademandésijevoulaisbienpasservoircommentilallaitetessayerdeleconvaincrederentreràlamaison.Çaauraitpunepasmarcher,maisilm’aenvoyélà-basavecunchevalarabequ’ilavaitachetéàunéleveurenCalifornie.Josephétaitcapablederésisteràpresquen’importequoi,saufàdejoliesjuments.

—Çadevaitêtredanslesannées1950,non?demandaMax.Pourquoiétiez-vousàcheval?—Le ranch était en pays navajo, expliquaCharles. Je pense qu’aucunmoyende locomotion à

quatrerouesn’auraitpuarriverjusque-là.J’avaisunpick-upetunvanpourchevauxgarésàenvironquarante kilomètres du ranch. (Ilmarqua une pause.)À peu près à cemoment-là,mon pa’ etmoiavions dumal à nous accorder. Ça nous a donné un sujet de conversation à Joseph etmoi sur lecheminduretour.Jenesuispasrentréàlamaison.OnatravaillésurleranchdeHosteenjusqu’àladispute suivante. Puis Joseph et moi sommes partis de notre côté. On travaillait surtout avec des

vaches, etongrossissaitnotrepactoleavecun rodéode tempsen temps.Tonpapi était capabledemontern’importequellebêteàquatresabots.Lorsd’uneoccasionmémorablequiafailliêtrefatale,çaainclusunélan.Jepensequej’aiunephotodeçaquelquepart…Sijelatrouve,jet’enverraiunecopie.

—C’estàcemoment-làqu’ilarencontréMaggie,n’est-cepas?l’interrogeaMax.Papiditqu’iltravaillaitsursonranch.

Charleseutunpetitrire.—Sonranchs’étendaitsurdeuxcentshectares,etjen’avaisjamaisgardédevachessuruneterre

aussiingrate.Maisilyavaitunesourced’eaupurequirestaitclaireetfroideenpleinété.Nousnousétionsrendusàlavillelaplusproche…Sonnomm’échappe,maisçamereviendrapeut-être.Josephetmoivenionsde terminer le rassemblementd’automneetavionsbeaucoupd’argentetde tempsànotredisposition,carnousavionstouchénotresoldecommelaplupartdesautrescow-boysaprèsleconvoyage.Elleestarrivéeenvilleauvolantd’unvieuxpick-updéfoncépouracheterdumatérielets’estattirédesennuisdanslemagasin.

—Parcequ’elleétaitnavajo…Jeveuxdire,diné?Charlessecoualatête.—Laplupart des gens là-bas étaient navajos…dinés, si tu préfères.Non.C’était parce qu’elle

étaitunefemmequiessayaitd’êtreunhomme.Cegenred’attitudedelapartdesfemmesn’étaitpastrèsnavajoàvraidire,maisc’étaittrèsannées1950.Bref,Josephetmoisommesintervenus.Josephétantcequ’ilest,lescoupsdepoingn’ontpastardéàpleuvoir,etMaggien’étaitpasenrestedececôté-là.Maiselleétaitplusintelligentequenousautres,parcequ’elleestretournéeàsonpick-upetasortisonfusil.Çaamarquélafindecettebagarre.Onatravaillépourelletoutl’hivercetteannée-là.

IlregardaAnna.— Enfin, sauf si on va vraiment dans les hauteurs, les hivers ne sont pas très rigoureux en

ArizonacomparéauMontana.Jesuispartiauprintemps,maisJosephestrestéetl’aépousée.Jepensequ’elle possède toujours cette parcelle de terrain, mais ils sont revenus ici au bout de quelquesannées,quandletravailacharnédeHosteenavecleschevauxarabesacommencéàpayeretqu’ilavraimenteubesoindeplusd’aide.

—Pourquoiunélan?demandaAnna.Elle avait vu quelques élans depuis qu’elle avait emménagé dans leMontana.Même les loups-

garousseméfiaientd’eux.—Il faudraitque tu soisungarçondedix-huit ansqui chercheà impressionnerune fillepour

comprendre,ditCharles.Maxrit.—Deseizeans,çamarcheaussi,déclara-t-il.Letéléphoned’AnnasonnajusteavantceluideCharles.—McDermitétaitundoublefantôme,ditLesliedèsqu’Annadécrocha.J’aisouslesyeuxuntas

debâtonsdanslefauteuiloùilétaitassisiln’yapasdixminutes.Tandisqu’ilseconcentraitsurlaconversationd’AnnaavecLeslie,Charlesdécrochasonpropre

téléphone.Annaentenditlavoixauboutdufil,maisellenecompritpasuntraîtremot.—Anglais,ditCharles.Monnavajon’ajamaisététrèsbonetjel’aiàpeineparléenvingtans.—Lefae,fitJoseph,lefaepeutprendrel’apparenceden’importequi.Elleestici.—Jeterappelle,ditAnnaàLeslie,etelleraccrocha.

CHAPITRE14

Josephseréveillaavecl’impressiond’avoirdenouveaudix-huitans.Iln’avaitmalnullepart.Ils’assitdanssonlitetsedemandas’ilétaitmortetsic’étaitcequisepassaitensuite.Maissoncorpsavaitl’apparencedeceluid’unvieilhomme,etilavaittoujourslesouffletropcourt.

Ilselevaprudemment,s’attendantàtoutmomentàsesentircommeill’avaitfaitdanslavoiture,piégéetimpuissant.Ilsavaitquevieillirfaisaitpartiedelavie,etquec’étaitcequ’ilavaitchoisiaulieud’écouter les arguments de sonpère et de sa femme. Il s’était aperçuque çane rendait pas lafrustrationd’êtredépendantplusfacileàvivre.

Maislorsqu’ilfutsursespieds,soncorpsluiobéissaittoujourscommeçan’avaitplusétélecasdepuisdesannées.Nonseulementiln’avaitpasmal,maisilréussitàsouleverunelourdeplanteenpotposéeparterreprèsdelafenêtre.Ilavaitretrouvélamajoritédesaforced’antan.

«Tuasquelquechoseàfaire»,avaitditCharles,ouquelquechosed’approchant.Josephn’étaitpasunhommeparticulièrementspirituel.PascommeCharles, son frèredecœur.

Pourl’essentiel,ilenavaitétéreconnaissant.Leshommesquivoyaientlesespritsétaientcontraintsdelesécouter…MêmesiCharlesnelesécoutaitquequandilenavaitenvie.

Maismêmeunhommequin’étaitpasspirituelpouvaitserendrecomptequ’ilsetramaitquelquechosequandlepoidsdequatre-vingtsetquelquesannéesdevies’évanouissait : ildevaitêtretempspour lui d’accomplir ce quelque chose. Dommage qu’il n’eut pas la moindre idée de ce dont ils’agissait.

Il n’empêchaitqu’unhommequi avait quelquechoseà faire sedevait de le fairehabillé.Etunvieuxcow-boyquiavaitquelquechoseàfaireallaitlefaireavecsesbottesauxpieds.Ilsortitdoncunjeanneuf…qu’ildélaissaauprofitd’unautrequiétaitdélavéetusé. Ilpriten revancheunebonnechemise qui se fermait par des pressions devant, chose indispensable pour une chemise quiappartenaitàuncow-boy.Lemétierdecow-boyétaitrudepourlesmains.Toutcow-boyquimaniaitdescordessurladuréeseretrouvaitviteavecdesarticulationsquinefaisaientpasbonménageaveclesboutonsminuscules.

Aprèsréflexion,ilnemitpasdechapeau.Iln’avaitpaslesentimentqu’unchapeauallaitluiêtreutile.Ils’examinadanslemiroirdesasalledebains.

—Tuesvieux,fit-ilàsonreflet.Maisilnesesentaitpasvieux.Pasdutout.Ilserralepoingdroit.Ilvoyaittoujoursledoigttorduqu’ils’étaitcasséquandcetétalondequatreansavaitdécidéde

désarçonnerlevieilAmérindienqu’ilétait.Ilétaitremontéaussitôtetnes’étaitrenducomptequesondoigtétaitcasséquevingtminutesplustard,quandl’adrénalineétaitretombée.

Ilavaiteumalàcedoigtpendantdixans,maiscen’étaitpluslecas.Ilsedétournadumiroiretcroisaleregardbleuvifd’unpetitgarçonauxcheveuxroux.—Lefaepeutprendrel’apparenceden’importequi,déclaralegarçon.Ilarrive.—Quies-tu?demandaJoseph…maislegarçon,quis’étaittenudansl’embrasuredelaportede

lasalledebains,avaitdisparu.—Chindi,ditJoseph,mêmesilegarçonneluiavaitpassemblémaléfique.Peut-êtrequesonimaginationlui jouaitdestours.Maisilprit toutdemêmesoindecontourner

l’emplacementoùs’étaittenulegarçonlorsqu’ilretournadanssachambre.Passantdevantsacommode,ils’arrêtaetouvritlepetittiroirenhautàgauche.C’étaitlàquese

trouvaitlevieuxcouteauqueCharlesluiavaitdonnéaprèsl’avoirsauvéd’unebagarredansunbar.C’étaituntrèsboncouteau,unelamed’acierdequinzecentimètresavecdesmotifssoudés.Iln’avaitcomprisàquelpointilétaitbonquequatreoucinqansplustard,quandquelqu’unavaitessayédeleluiacheterpourquatrecentsdollars.Ças’étaitpasséaumoinssoixanteansplustôt.Iln’avaitaucuneidéedecequ’ilpouvaitvaloiràprésent.Maisc’étaitunvieilami.Jusqu’àpeu,ill’avaitgardésurluitous les joursdesaviedepuisceluioùCharles l’avaitdonnéàungaminamérindienmaigreletquiavaiteuunecoupureàl’épaule.

Ilmituneminuteàtrouverlefourreauetlaceinture.Convenablementvêtu,ilouvritlaportedesachambreetcommençaàdescendrelecouloir.MackieetMaggiejouaientàCandyLand.IlledevinacarMaggies’exclama:«J’ailedroitd’alleraumontGumdrop!»tandisqueMackielafélicitait.

QueMackiesemoquedegagneroudeperdren’étaitpaslefaitdujeu.Josephsongeaquedansvingt ans, quand ce serait elle qui concourrait à la place de Kage dans l’atmosphère raréfiée desmeilleurscentreséquestresdeleurgénération,ellecontinueraitd’encouragersesadversaires.

L’espaced’uninstant,Josephfutenvahid’uneprofondetristesseàlapenséequ’iln’auraitjamaisl’occasiondevoirça.Maissontempstouchaitpresqueàsafin,etilneleregrettaitvraimentpas.Tantdechosesavaientchangé,et tantdechosesétaient restées lesmêmes. Ilétaitprêtpour…CommentdisaitPeterPan,déjà?Unesacrémentbelleaventure.

—Jevoulaisresteravectoi,mamie,disaitMackie.Maisjem’inquiètepourMichael.NixesttropfatiguépourêtremontéetMichaelesttoutpetit.Quiest-cequ’ilmonteaujourd’hui,àtonavis?

—Jenesaispas,réponditMaggie.MaxsaitquelschevauxserontbienpourMichael.Unviolet.Tontour.

— Orange, fit Mackie. Est-ce que tu penses qu’Anna va acheter Merrylegs ? J’aime bienMerrylegs.

Detouteévidence,Maxavaitemmenésonfrère,CharlesetAnnaenrandonnée,songeaJoseph.—J’espèrequ’elleachèteraHephzibah,déclaraMaggie.Toujourscachédanslecouloirau-dessusdel’escalier,Josephsourit.Mackiesemoquaitpeut-être

degagneroudeperdre,maiscen’étaitcertainementpaslecasdesagrand-mère.SiAnnaavaitétécequ’elleavaitsembléêtreaudépart,unefemmefaibletropjeuneettropinnocente,Maggieauraiteupitiéd’elle.Maiselle l’auraitaussiprisesoussonaileetauraitessayéde luiapprendreàgérer leshommesdecaractère.

Or,àsamanière,AnnaavaitautantdecaractèrequeMaggie.Cesdeux-làn’auraientjamaispuêtreamies.Maggielaverraittoujourscommeuneconcurrente.Lefaitqu’AnnasavaitreconnaîtrecommeMackie la valeur de la concurrence, sauf quand il s’agissait de Charles, n’incitait pas Maggie àl’apprécierdavantage.

—Hephzibahestjolie,observaMackiesuruntondubitatif.Maispapal’appelle«FilledeSatan».Jenepensepasqu’AnnadevraitacheterunchevalappeléFilledeSatan,si?Maiscen’estpasgrave,MaxaideraAnnaàtrouverleboncheval.Deuxrouges.C’esttontour.

Unevoiture s’engageadans l’alléedehors.Alorsqu’il s’était avancéd’unpas, Josephhésita. Ilreculaunpeuet alladans l’unedeschambresd’amiquidonnait sur leparking.Lavoiturene leurappartenaitpas,etilnelareconnaissaitpasnonplus.

En revanche, il reconnut la femme qui en sortit. Pourquoi la propriétaire de la garderie deMichaeletdeMackie,quipouvaitbiensedonnerletitrededirectricesiellelevoulait,seprésentait-elledevantchezeux?

Lespoilsdesanuquesehérissèrentsoudain.Elleestici.Ilsentitlachaleurdumurmureinaudibledanssonoreille.Ilsavaitquelesagentsfédérauxtenaientlapersonnequid’aprèseuxavaitensorceléChelseaettué

touscesenfants.IlsavaitaussiqueCharlesn’avaitpasétéconvaincu.Connaissant son père comme il le connaissait, Hosteen avait dû poster des loups autour de la

maison. Pourquoi ne l’avaient-ils pas arrêtée, alors ? Un fae pouvait prendre l’apparence den’importequi.Peut-êtrepouvait-ilprendrecelled’unefemme,celledeladirectricedelagarderiedeMackie.Ilfutsaisid’unecertitudeintuitive,etJosephavaitapprisàécoutersonintuition.Lafemmequiserapprochaitdelamaisonétaitlefaequiavaitessayédetuerlespetits-enfantsdeJoseph.

Charles lui avait dit que ce fae avait exécuté un loup-garou ; Joseph se souvenait d’ArchibaldVaughn.Ilavaitétéungrandméchantvieuxloupeffrayant,etcefael’avaitréduitenpièces.Cen’étaitpasunvieilAmérindienquiallaitl’arrêtercommeça.

Ilyavaituntéléphonedanslachambre.IlpritlecombinéetcomposalenumérodeCharles.Dèsquecelui-cidécrocha,illuiditcequisepassait.

Lasonneriedelaported’entréeretentitalorsqueCharlesdisait:—Anglais.Monnavajon’ajamaisététrèsbon,etjel’aiàpeineparléenvingtans.Enbas,Maggieselevaetallaàlaporte.Lesfaesavaient-ilsl’ouïefine?Étaient-ilscommeson

père?—Lefae,chuchotaJosephprécipitamment,lefaepeutprendrel’apparenceden’importequi.Elle

estici.Puisildutraccrocher,carlaportes’ouvrit.SielleétaitvenuepourMackie,elleallaitvouloirl’emmenerloinduranch.Unedeschosesqu’il

avait apprises au contact des loups-garous, c’était que, même si quelqu’un avait des pouvoirssurnaturels,iln’endemeuraitpasmoinsquelesvoiturespermettaientdeprendrelafuiteplusvite.

Il retira ses bottes et courut en chaussettes dans le couloir jusqu’à l’autre bout de lamaison. Ilpassaparlafenêtre,selaissatombersurletoitduperrondederrièreetglissaaussiloinqu’illeputavant de sauter à terre en espérant que sa nouvelle jeunesse lui éviterait de se casser les genoux àl’atterrissage.Àdix-huitans,unetellechuteneluiauraitpasfaitpeur.

Ilfutpresquesurprisdeseréceptionnersursespieds.Ils’élançajusqu’auxvoituresetsortitsoncouteau. Ilplanta la lamedansunedes rouesdechacundesvéhiculesduparking.Peut-êtreque leshommesdeHosteenallaient levoir.Mais cederniern’aimait engénéralpasque lesgardes soientaussiprèsdelamaison.Ilsétaientsansdoutepostésquelquepartverslarouteprincipale.

S’ilavaiteuunportable, ilauraitpuappelersonpèrepour l’alerter. Ilauraitpu l’appelerde lamaisonaulieud’appelerCharles.MaisCharlesétaitplusprès…etilavaitdemeilleureschancesd’ensortirvainqueur.Sonpèreétaitcoriace,maisCharles…c’étaitCharles.

Il lui fallutmoins d’uneminute pour rendre inutilisables les voitures et les deux4 x 4…PourdonneràCharlesplusdetempspourreveniretsauverMackie.Soncouteauétaitvraimenttranchant;Charlesluiavaitapprisàl’affûter.

Pasdevoiturepourfuir.Qu’allaitfairelefae?TuerMaggie.Soncœurseserraetilmontralesdentsdansungrondementmuet.Lefaen’avaitpasbesoind’elle

etiln’envoulaitpas,etsaMaggienelaisseraitpersonneemmenerMackiesanssebattre.Ildutserendreàl’évidence:lesortdelafemmequ’ilavaitaiméependantplusd’undemi-siècle

échappait totalement à son contrôle. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était aller dans cette maison etmouriràcôtéd’elle.

Ill’auraitfaitvolontiers,s’iln’yavaitpaseuMackie.Iln’étaitpasenmesured’influersurlesortdecettedernière.Qu’elleviveouqu’ellemeure,ce

seraitsanslui.Ildéglutit.Maggieseraitheureusedemourirsiçadonnaitàquelqu’ununechancedesauverMackie.

Bon.Lefaeallaitsortirde lamaisonavecMackieetdécouvrirqu’ilnepouvaitpluscomptersur les

voiturespours’enfuir.S’ilessayaitdepartiràpied,lesloupsdeHosteenlerepéreraient.S’ilsétaientencorevivantspourrepérerquoiquecesoit.

Leschevaux…Peut-être.Ilyavaitunpick-upderrièrel’écurie.Commeilsnelaissaientjamaislespick-upatteléstoutela

nuit,ildevaitêtregaréàcôtédelaremorquedanslaquelleilsavaientramenéNix.Mackielesaurait.Lefaepourraitsansdoutelaforceràparler.CommelesortdeMaggie,c’étaitunautrefaitqu’ildevaitassimilersansréagir.Ilfallaitqu’ilse

servedesatêtes’ilvoulaitqueMackiesoitsauvée.Aulieudeserueràl’intérieurdelamaisoncommesoncœurlevoulait–oh,Maggie!–,Joseph

courutversl’étableaussivitequ’illeput.C’est-à-diretrèsvite.Ilnepouvaitpascourircommel’undeseschevauxbien-aimésnicommeunloup-garou,maisilavaitcourupartoutquandilavaitétéunjeunehomme.

Il creva lepneudupick-uppuis sebaissapourentrerdans l’écurie. Ilyavaitbeaucoupdeboxvides,carc’étaitdanscelle-làqu’ilsgardaientleschevauxdecompétition.L’écuried’élevageétaitàquatrecentsmètresplusloinsurlaroute,ainsiquelesenclosoùilsgardaientlerestedeschevaux.

IlseretrouvanezànezavecHephzibahquiledévisageait,unelueurmalicieusedansleregard.Ill’attrapaetlasella.Puisillaremitdanssonboxetaccrochasabrideàcôtédelaporte.Ilsprocédaientcommeçaparfoisavec leschevauxqu’ilsavaient l’intentiondesortiroudemontreràdesclients,afindepouvoirpasserrapidementd’unchevalàl’autre.

Les autres chevaux dans cette partie-là de l’écurie n’avaient qu’un an ou deux ; aucun d’euxn’avait étédressépour êtremonté.Alorsqu’il réfléchissait à samanœuvre suivante, il entendit lescrisdeMackie.

Mackieappréciaitlaplupartdesgensdelagarderie.MlleBairdétaitsapréféréedumoment,mais

elle aimait bien aussi l’institutricedeMichael,MmeNewman.Elle était prévisible et déterminée…comme ánáli hastiin. Quand elle disait quelque chose, elle s’y tenait. Elle l’avait dit à Michael.Michaeln’aimaitpasêtreloindelafamillequandilétaitàlagarderie,maiscommeilsesentaitensécurité avecMmeNewman, il n’avait pluspeur et ne lesobligeait pas à aller la chercherpour lerassurer.IlavaitétécontentqueMmeNewmanamènesaclasseauconcourshippiqueafinquetoutlemondelevoiemonteràcheval.

MackieregrettaitqueMlleBairdnesoitpasvenuelavoir,elleaussi.Mme Edison était effrayante. Elle souriait et disait des choses aimables, mais Mackie ne lui

trouvait pas un regard gentil du tout. Mais comme les grands l’appréciaient, elle en parlaitrarement…sauf àMax.Maxécoutait cequedisaitMackie, et,même s’il n’était pasd’accord avecelle,ilneluidonnaitpasl’impressionqu’elleétaitstupide.

QuandelleavaitditàMaxqu’ellen’aimaitpasMmeEdison,Maxavaitdéclaré:—Suistonintuition,moustique.Moi,jemefieàelle.Cen’estpastamaîtresse,n’est-cepas?Bon.

Si elle agit d’une façon qui temetmal à l’aise, fais beaucoup de bruit. C’est-à-dire, crie à pleinspoumons. Comme les fois où Hosteen est obligé de se couvrir les oreilles. Les gens devraient

accourir, et quand ce sera le cas, demande-leur d’aller chercher maman ou ton papa ou moi,d’accord?Netetaispastantquelasituationneteconvientpas.

Maxluiavaitdonnéunpland’attaque.Etdonc,quandmamies’étaiteffondréecontrelemuretqueMmeEdison lui avait empoigné le bras, elle avait suivi son conseil et avait crié à s’en casser lescordesvocales.

Elle criait toujours quand Mme Edison l’emmena à la voiture, et elle criait encore quand ladirectricechangead’avisetlaportajusqu’àl’écurie.Mêmesiellesavaitqu’iln’yavaitpersonnequipouvaitl’entendre.Maxluiavaitditdecrier…etellelefit.

Elle cria jusqu’au moment où la chose qui avait pris le visage et le corps de Mme Edisonl’obligeaàarrêter.

JetantàAnnaunregardfou,CharlesdescenditdePortabellad’unbondetlançasesrênesàMax.—Sijetedisaisquelefaeestunefemme,demanda-t-ilàAnna,quiest-cequetudésignerais?—MmeNewman,dit-elle.OuMmeEdison.—MackiepensequeMmeEdisonestmauvaise,déclaraMichael.Elleaditqu’ilnefallaitpasque

jesoisseulavecelle.—Vraiment?(Charlessouffla.)OnauraitdûparleràMackie.Ilse transformaàcemoment-là, l’unedecesmétamorphoses instantanéesauxquelles ilpouvait

procéderensituationd’urgence,puisildétala.—Quesepasse-t-il?demandaMax.—Josephaappelépournousdirequelefaeesticiet«qu’elle»enaaprèsMackie,luiexpliqua

Anna. L’homme qu’ils détenaient était un double fantôme, comme celui qui a pris la placed’Améthyste.

—ElleenaaprèsMackie?demandaMax,etsonchevalsecabra,prêtàpartir.AnnasautaàbasdusienetempoignafermementlabrideduhongredeMax.Ellegardaunœilsur

luietl’autresurMichael.—Vousdeux,vousrestezici.Mackieavosgrands-parentsetlesloupsdeHosteen,etCharlesest

enchemin.—Onestàdeskilomètresdelamaison,objectaMax.—EllevaprendreMackiecommeelleaprisAméthyste,ditMichaelsuruntonpaniqué.Il faut

qu’onl’enempêche.—Charlesestrapide,leurassura-t-elle.Max,est-cequetuastonportable?Ilhochalatête.—AppelleHosteenetdis-luiquelefaeestlà.Quesaformehumaineestcelled’unefemme.Sans

doute l’une des enseignantes (elle regardaMichael), probablement la directrice de la garderie deMackieetMichael.Ensuite,turestesiciettutiensMichaeléloignédecettechoseafinqu’onminimiselesdégâtsqu’ellerisquedefaire,d’accord?Ellenevoustrouverapasici.

Maxprituneprofonde inspirationet relâchasonsouffle. Il sautaàbasdesonchevaletprit lesrênesdeMichael.

—D’accord.— Je vais aller aider Charles. Je ne peux pas me transformer comme lui. Personne ne se

transformecommemonmari.JevaisprendreMerrylegsetrentrer.Latâchequiterevientestlapire,mais c’est la plus importante. Reste ici jusqu’à ce que quelqu’un t’appelle. Ou jusqu’à ce que tupuissesparleràtonpèreouàHosteenetqu’ilstedonnentlefeuvert.

Maxhochalatête,l’airgrave,puisildit:

—PrendsplutôtPortabella.Elleestbeaucoupplusrapide.Situremonteslapistesurunecentainedemètresdanscesens(il lui indiqualadirectionopposéeàcellequeCharlesavaitprise)etquetutournesàgauchelàoùilyaundrapeaublanc,tuteretrouverassurl’unedesroutesentravaux.Jenesuispascensélefaire,maisjel’emmènecourirsurcetteroutetoutletemps.Ilyatroisclôturesquibarrent la route. Tu peux descendre de cheval et les ouvrir…On ne peut pas ouvrir ce genre declôture sansmettrepiedà terre.Maisellepeut sauterpar-dessus. Je le fais avecelle sansarrêt.Tupratiquesbeaucouplesautd’obstacles?

—Non,ditAnna.(ElleluipassaMerrylegsetluipritlesrênesdePortabelladesmains.)Çam’estarrivéquelquesfois,maiscen’étaitquedeuxtroncsd’arbresdesoixantecentimètressurlapiste.

Elle resserra l’étrier de six trous et prit rapidement la mesure avec son bras. Comme ça luiparaissait à peu près bon, elle contourna le cheval pour s’occuper de l’autre côté tandis qu’elleintégraitlesinstructionsdeMax.

—Ellesmesurent à peuprès unmètre vingt de haut, et autant te prévenir que c’est la plaie desauter avec une selle western. Veille juste à décoller les fesses quand ellemontera. Reste en l’airjusqu’àcequesesquatrepiedsaienttouchélesol.Metstonpoidsdanslesétriersettesgenoux,pastesfesses.Ellenesefatiguerapas…Donne-luijustelesignaletnetirepassursonmorsquandelleseréceptionne.

—Compris,réponditAnnaalorsqu’ellemontaitenselleetprenaitlesrênes.Nepaslataperavecmesfessesnilabrusquerpendantqu’ellefaitcequ’ellepeutpoursauterpar-dessuslaclôture.

—C’estça,approuvaMax.—Soyezprudents,leurrecommanda-t-elle.—Toiaussi,dit-il.Elledonna àPortabella le signaldudépart.La jument fit trois courtes enjambées commepour

demander:«Dois-jelaissermesamis?»QuandAnnaluidonnaladirectiveunesecondefois,ellepartitcommeunefusée.Elletournaauniveaududrapeaublancavantqu’Annaleluidemande,detouteévidencehabituéeà

cechemin.Quatreenjambéesplustard,ellesrejoignirentunerouteétroite,plateetbienentretenue,etlajuments’yengageabilleentête.

Audépart,Annaessayades’adapteràcettenouvelleallurecommeCharlesleluiavaitappris,enplaquant les fesses sur la selle et en suivant lemouvement avec le dos afin que sesmains restentstables.Maisuneenjambéeparticulièrementviolentelapropulsaau-dessusdesépaulesdelajument,etlachevauchéedevintfluidecommedel’eau.Enéquilibresursespiedsetsesgenoux,ellesongea:C’estdonccommeçaquelesjockeysarriventàrestersurunchevaldecourse.

Elle ne pensa même pas à ralentir en arrivant au niveau des clôtures. Le premier saut fut undésastre, si ce n’était qu’elle ne tomba pas. Portabella coucha les oreilles et rua àmoitié pour seplaindredelafaçondontAnnas’étaitréceptionnéesursondos.Ledeuxièmesautfutmeilleur,mêmesilacornedelaselleluiheurtaleventre.Letroisièmesautfut…magique.

Charles courut ventre à terre jusqu’à la maison. Il percuta la porte d’entrée et en brisa le

chambranle,sibienquelalourdeetvieilleportesortitdesesgonds.IlchancelasurquelquespasetvitMaggie.

Elles’étaitaffaisséecontrelemur,unebienpetitesilhouettepourunesigrandepersonnalité.Enunriendetemps,ilvitqu’elleétaitdéjàpartie.

Elleavaitlesjointuresdesdoigtsouvertes;elleavaitdûfrappersonagresseuraumoinsunefois.Ilprituneinspirationdouloureuse…maisildevaitpenseràJosephetàMackie.Ilferaitledeuilde

Maggieplustard,quandceuxqu’elleaimaitseraienthorsdedanger.Ilperdituneminuteàinspecterlamaison,et,lorsqu’ilnesentitlefaenullepartailleursquedans

lesalon,ilsuivitlapistedeJosephparunefenêtreàl’arrièredelamaison.Quandiltombasurlesvéhicules auxpneuscrevés, il songeacommeça lui étaitdéjà arrivéune fois auparavant :Je peuxcomptersurtoi,Joseph.

Suivantlapisteolfactivequelefaeavaitlaissée,Charless’élançaversl’écurie.C’était éprouvant de rester caché dans l’ombre et d’écouterMackie crier. Joseph semordit la

lèvreets’accroupitdansleboxvide.Lepersonnelayantétéoccupé,iln’avaitpasétébiennettoyé.Ilétaitpresquecertainquemêmesilefaeavaitunbonodorat,l’odeurdel’urinedechevalmasqueraitcelled’unvieilhomme.

IllesaperçutlorsquelafemmetraînaMackiehorsdel’écurieetjusqu’aupick-up.Ilavaitcrevélepneuducôtéopposé,l’obligeantàcontournerlevéhiculepours’enapercevoir.Ilentenditlaportièredupick-ups’ouvrir,etsoudainMackienefitplusunbruit.

LapetitefilleavaitétécommeçaquandCharlesetAnnal’avaienttrouvée,illesavait.Cen’étaitpas lamortmais lamagiequiavait réduitsaMackieausilence.Ilseraccrochaàcettepensée.Il…Elle…Lachose.Ilnepouvaitconsidérercefaequecommeunechose.Lachosenevoulaitpasfairede mal à Mackie, pas encore… pas avant d’avoir pu se servir d’elle. Charles lui avait dit que,lorsqu’elleétaitlibredesuivresespréférences,lachosegardaitsesvictimespendantunanetunjour.

Tremblantetensueur,coincéderrièrelaportedubox,JosephpriaquecesoitàcausedelamagiequeMackie avait cessé de crier.Au bout de quelquesminutes, un nouveau bruit lui parvint, le crid’unefemmefrustrée.

—Oùes-tu?rugit-elle;«elle»,puisqu’onauraitditunevoixdefemme.Ouais,biensûrqu’ilallaitsortir,commes’ilétaitencorecegaminstupidedanslebardePhoenix.

Il avait beaucoup appris ce jour-là ; il le devait enpartie àCharles.Mais il le devait surtout à cesvétérans de la Seconde Guerre mondiale qui avaient risqué leur vie pour leur pays, et quidécouvrirent à leur retour que leurs promesses les engageaient nécessairement à changer la façondont ils traitaientceuxquin’avaientpas lamêmeapparencequ’eux. Ilsn’avaientappriscette leçonquelorsqueJosephlesavaitdéfiésetqueCharlesétaitvenuàsonsecours.Sespoingsneleuravaientrienapprisdutout,maisCharles,avecsonlaconismeetsavoixposée…Lepeudemotsqu’ilavaitprononcés les avaient fauchés net et laissés sur le carreau. Il aurait pu parier qu’ils n’avaient plusjamaistabasséquelqu’unsousprétextequ’ilétaitdifférentd’eux.

CharlesavaiteudesmotspourJoseph,aussi.«Situcomptesaffronterplusgrandetplusfortquetoi,gamin,tuasintérêtàêtremieuxarmé.»Il

entendait le ton ironique de Charles comme si ça s’était passé la veille plutôt que soixante-dix etquelquesannéesplustôt.

Sesseulesarmesétaientlecouteauqu’iltenaitàlamain,lecerveauqu’ilavaitdanslecrâneetlacertitudequeCharlesallaitveniraussivitequ’illepourrait.EntrelecouteauetCharles,Josephétaitbienarmé,tantqu’ilagissaitjudicieusement.

Lafemmerevintdansl’écurieenportantMackiesurl’épaulecommeungigotdebœuf.Ilserralecouteaudanssamainmaissetintimmobile.Elles’arrêtaàcôtéduboxd’Hephzibahetgrommela:

—Deschevaux.Ellenesemblaitpasravie,etellen’avaitplustellementlavoixd’unefemmenonplus.Il lavoyaitplutôtbienquandelle laissatomberMackieparterre; ilcroisaleregardfixedesa

petite-fille par l’interstice où passait la lumière du jour entre la porte entrouverte du box et

l’encadrement.Lefaes’emparadelabridequ’ilavaitsuspendueaucrochetetouvritlaporte.—Vienslà,canasson,grondalachose.Josephavaitunpeuhésitéàseservird’Hephzibahpour lepiéger ;etsicefaeavaitété l’unde

ceuxqui étaient capablesdemontern’importequoi ?Hephzibahétait rapideetpuissante.Si ce faeparvenaitàlamonter,ilspourraienttoujourscourirpourlerattraper…vuqu’ilavaitcrevélespneusdetouslesvéhiculesmotorisésdelapropriétéàl’exceptiondestondeusesàgazon.

Mais aucun cavalier de cette trempe n’aurait employé le mot « canasson » pour décrireHephzibah,entoutcaspasavantd’avoirmordulapoussièreàcaused’elleuncertainnombredefois.Kagenevoyaitaucuninconvénientàlatraiterde«canasson».

Hephzibahsortittranquillementdubox,lesoreillesdressées.Toutlemondes’ylaissaitprendrelapremièrefois.Ellesemblaitheureusequ’onlaselle.Elleétaitcalmeetdocile,jusqu’àcequ’ellenelesoitplus.

LefaeempoignaMackieparunejambeetmontasurlajument.Josephavaitestiméqu’ilyauraitautantdechancesquelefaesorteparl’arrièredel’écuriequ’ilpasseparlagrandearèneetsorteparl’avant.Hephzibahs’arrêtajustedevantsacachette.Ellebaissalatêteetrenâcladanssadirection.

N’importe qui aurait su qu’elle leur signalait la présence d’un vieil homme caché derrière laporte.MaislefaetirasurlemorspourforcerHephzibahàreleverlatête.Lajumentnebougeamêmepaslesoreilles.Ohnon!çan’allaitpasdurerlongtemps.IlregrettadenepasavoirdéplacéNixplusprèspourpouvoirl’atteindre,maislerisqueavaitététropgrandquelefaechoisisseNix.Et,surNix,lacréatureauraitpuréussiràs’échapper.

Josephallaitjustedevoirveilleràcequ’ilsnelesèmentpas.L’occasiondeluireprendreMackiefinirait par se présenter. Quand il l’aurait récupéré, il s’enfuirait en espérant que Charles seraitredescenduentre-temps.

Cedernierétaitpeut-êtreentraindelesobserverencemomentmême,attendantl’instantpropicecommelui.Ilétaitprêtàlecroire.Çaluidonnaitdel’espoir.

LefaedépassaleboxdeJosephsurledosd’Hephzibahetsedirigeaverslagrandearènequilesséparaitdelaported’entréedel’écurie.Josephcomptajusqu’àcinqdèsquelebruitdessabotsdelajumentsurlaterrebattuedel’alléecédalepasàdessonsplusétouffésdansl’arène.Puisilseglissahorsduboxetlessuivit.

Ilestimaquelajumentallaittrotterpaisiblementjusqu’àenvironlamoitiédel’arène,pourmieuxdupersoncavalierquin’auraitensuitequesesyeuxpourpleurer.Ilyavaitàpeuprèstrentepourcentde chancesqu’elle décidedepiétiner le fae, soixante-huit pour cent qu’elle se contentede s’enfuirdanslescollines…etdeuxpourcentqu’elles’attaqueàMackiesilefaelalaissaittomberenessayantderesterenselle,maisça,ilpréféraitnepasypenser.

UnjouroùHephzibahavaitdésarçonnéKage,elles’enétaitpriseàsonchapeau,quiavaitroulédesatêtequandilavaitatterriparterre.Ellel’avaitmâchonné,puisavaitfaittroisouquatrefoisletourdel’arèneaugalopenletenantdanssabouche.Lorsqu’elleavaiteul’attentiondetoutlemonde,elle l’avait lâché et piétiné jusqu’à cequ’il n’en resteplusqu’unpauvre tasdepaille.Mais leplussouventquandelledésarçonnait soncavalier, soitelle filaitvers la liberté, soitellepourchassait lapersonnequiavaiteul’audacedeluimontersurledos.

Josephsepréparaitàn’importelaquelledeceséventualités.Charlestraversaitenflèchelagrandearènelorsqu’ilentenditlefaecrierquelquepartdevantlui.

Ilcrutl’entendredire:«Oùes-tu?»,maisiln’enavaitpaslacertitude.Dèsqu’ilfutarrivédel’autre

côté de l’espace ouvert, il adopta la même démarche discrète que lorsqu’il chassait le cerf. Il seplaqua au sol et sa fourrure lui permit de dissimuler certains mouvements qu’un regard vigilantauraitpusurprendre.

Ilbifurquadanslecouloirquiséparaitlesrangéesdeboxetcessaaussitôtdebouger.Iltrouvaunendroitàl’ombrededeuxtonneauxencaoutchoucplacésjusteàl’angleoùilpourraitconcentrerlamagie de la meute et disparaître. Par la grande ouverture au bout de la rangée de box, il vitMmeEdisonquitterlegrandpick-upblancgaréenévidenceetregagnerl’écurie.

Elleavait jetéMackie sur sonépaule.L’enfant était inerte commedugibiermort, et le fae,quibouillonnaitdefureur,claquaitdesdentsd’unefaçonnettementinhumaine.Ilmarquaunepausealorsqu’ilpassaitdevantunbox.

Ilsentaitl’odeurdeJoseph.Ilétaitlàquelquepart.Danslebox?—Deschevaux,grommela-t-elle.Ellecrachaparterre,puisjetaMackiedansl’allée.Quandelleretombamollement,Charlesrevit

Maggieaffaisséesurlesoldelamaison.Ilretroussalesbabines,maissongrondementrestamuet.MmeEdison s’empara d’une bride et fit coulisser la porte du box. Elle entra un bref instant à

l’intérieuravantd’enressortiravecunchevaléquipéd’unesellewesternélimée.Quiavaitsellécechevaletl’avaitlaissédanssonbox?Etquelcheval!Saqueuepâletraînaitparterre,etsacrinièreépaisse–c’étaitrarequ’unalezanait

une crinière aussi épaisse – dépassait de quinze centimètres son cou gracile et bien dessiné. Elleregardaitlemondeavecsesimmensesyeuxsombresetunairpleindedouceur.Elleavaitdesjambespuissantesetbiendroites.C’étaitlàunejumentquipourraitcourircentkilomètresetarriverfringanteetprêteàrepartir.

Pourquoicechevaln’était-ilpasàScottsdaleoudansl’écuried’élevage?Ilavaitvubeaucoupdechevauxaucoursdesalonguevie,etcettejumentétaitparmilestroisouquatremeilleurs.Peut-êtremêmelameilleure.

LefaesesaisitdeMackieetlajetadenouveausursonépaule.MmeEdisonsehissasurlechevalavecassezdemaîtrisepourqu’ilendéduisequecen’étaitnilapremièrenilavingtièmefoisqu’ellemontaitàcheval.C’étaitlogique.Jusqu’auXXesiècle,lechevalavaitétélemoyendelocomotionleplususité.

L’animal renâcla devant la porte entrouverte d’un box.C’est donc là que tu es, Joseph. Restetranquille.Tuasremplitonofficeencontraignantlefaeàrestericijusqu’àcequej’arrive.L’endroitestmalchoisipoursebattreenprésencedetémoinsinnocents.Ilnousfautungrandespaceouvert.L’arèneouleterrainderrièrel’écurie.Lesdeuxferaientl’affaire.

Le fae tira un coup sec sur lemors, et Charles grimaça en pensant à la bouche délicate de lajument.Celle-ci secontentade lever la têteet sedirigeadocilementvers l’arène.Ellepassa justeàcôtédeCharlessansmarquerdepause,cequin’étaitpassurprenantpuisqu’ilétaitcaché.Mêmesiellel’avaitremarqué,Hosteenetlesmembresdesameutepassaientleurtempsàcourird’unboutàl’autredelafermesousleurformedeloup.Elleneleverraitpascommeunprédateur.

Alorsqu’ils’apprêtaitàquittersonposte,Josephémergeaduboxetpartitàlasuitedelajumentensemouvantcommeunjeunehomme.

Charleslaissalamagiesedissiperetsortitentrottinantpourluibarrerlaroute.Josephs’arrêta,luiadressaunsouriretenduetluiindiqual’arèneaveclescinqdoigtslevés.—Cinq,articula-t-ilsilencieusement.Quatre.Trois.Ilignoraitàquoicorrespondaitcecompteàrebours,maisils’enremitàJosephetsuivitlecheval

dansl’arène,oùils’attendaitàcequ’ilsepassequelquechosedanslesdeuxsecondes.Uneexplosion.

Quelesgrandsspotsdel’arènes’allumentsoudain.Unbruitassourdissant.Ehbien,iln’étaitpastombéloinavecl’explosion.La jument au doux visage allongea le cou et tira sur les rênes jusqu’à avoir environ quinze

centimètresdelest.Puisellesemitàlévitersanss’êtreramasséesurelle-même.Toutcavalierqu’ilétait,Charlesnelavitmêmepasbougerqu’elleavaitdéjàlesquatrefersenl’airetl’avantducorpsquipartaitd’uncôtétandisquel’arrièrepartaitdel’autrecommeunchatquise tordait.Quandelleatterrit, elle planta un sabot avant dans le sol, baissa l’épaule et lança l’arrière-train si haut queCharles aurait pu jurer qu’il se retrouva un bref instant devant ses jambes antérieures avant deretomberàsaplace.

Mackiefutéjectéed’uncôtéetlefaetombadel’autre.Sansunbruitnirienquiauraitpualerterlachosequiavaitété ladirectricedeMackie,Charlesbondit surelleetplanta lescrocset lesgriffesdanssachair.Illalacéraenmaintenantsoncorpsclouéausolavecsespattestandisqu’ilrejetaitlatêteenarrière.

Ellehurla,unsonquicommençacommelegrondementsourdd’ungroschatetdevintsiaiguquec’était une armeen lui-même.Lebruit strident vrilla les tympans et toute la colonnevertébraledeCharles.Illâchasachairdéchiquetéeetlamorditdenouveau…Dumoins,çaavaitétésonintention.Samâchoirenefonctionnaitpas.Quandlacréatureroulasurelle-même,iltombamollement…aussiinerteetflasquequeMackieetAméthysteavantlui.

Sa première réaction fut de ne pas y croire. Jamais son corps ne l’avait lâché auparavant, pascommeça.Samagiedeloup,desorcieretdechamannel’avaitjamaisdéserté.Charlesfutprisd’unebouffée de panique, que Frère Loup balaya dans un sursaut de fureur débridée. Il perdit quelquessecondesàcausedecetteréaction.Ilavaitétéenfantladernièrefoisqu’ilavaitlaisséleloupprendreledessusaupointdeperdredutemps.QuandileutmaîtriséFrèreLoupetreprislecontrôledeforce,lefaes’étaitdéjàrelevé.Sonépauleétaitdéboîtée,jusqu’àcequ’ellecoincesonbrasgauchesousledroitetfasseunmouvementbrusque.L’épauleseremitenplacedansunbruitsecetseressouda.

Àcemoment-là,elleabandonnatotalementsonapparencehumaine.Soncorpssecouvritdepeauverte et marbrée… Son corps à lui, comme on pouvait le voir puisqu’il était nu. Ses membress’allongèrentpuissoncorpssetenditd’uncoup,commesiquelqu’unluiavaitaccrochéunhameçonàlanuque,etilsedépliajusqu’àmesurerentredeuxettroismètresdehaut.

Ilsetintdroitcommeungorille,aveclesjointuresdesdoigtsquitraînaientparterre.IltorditlapartiesupérieuredesoncorpsafindepouvoirregarderCharles, levisagecouvertdepeauverteetbosselée, peuplé de minuscules yeux rouges et d’une bouche qui s’ouvrait comme celle d’unesangsue,assortiedelonguesdentsétroitesetpointuesetd’unelangueàtachesjaunesetrouges.

EtCharlesnepouvaitpasbouger.Ilbrûlaitdefrustrationetdecolère,n’exprimantqu’undixièmedelafureurdeFrèreLoup.Ilcherchaitàtransformercesémotionsettoutecettepuissanceenmagiecapabledecontrerlesortilègequil’immobilisait.

Lefaerugit;iln’yavaitpasdutoutdemagiedanssoncricettefois,seulementdutriompheetdelarage.Deuxloups-garousatterrirentalorssurledosdelacréature,chacund’uncôtécommes’ilsavaientdéjàcombattuensemble.

Charlesreconnutlevisageaumasquederatonlaveurdeceluileplusàgauche,unloupquiavaitappartenuàHosteenlapremièrefoisqu’ilétaitvenuvoirl’AlphadelameutedeSaltRiverprèsd’unsiècle plus tôt. Sa fourrure était tachée de sang séché. Ce n’était à l’évidence pas la premièreconfrontationdeceloup:MmeEdisonn’étaitpasarrivéejusqu’àlamaisonsansencombre.

Lefaesaisitl’undesloupsd’ungestequirévélaqu’ilétaitdésarticulé.Ilavaitlamainsigrandequ’ilputlarefermersurlatêtedel’animal.Ill’arrachadesondosetl’éjectahorsduchampdevision

deCharles.Quantà l’autre loup, il suffitque le fae le touchepourqu’il tombecommeunemasse.CommeCharles.

Charlesserenditcomptequeçan’avaitpasétéunsonmaisdelamagiequis’étaitrépercutéedanssoncorpsplustôt.Ledeuxièmeloups’effondraàmoitiésurCharles.Celuiquiavaitétééjectérevintà la charge. Il se comportait comme un chien de troupeau face à un taureau enragé, l’attaquant ets’écartanttouràtour.

Pendantunmoment,Charlescrutqueceloupavaitunechance,jusqu’àcequ’ilessaiedesauteràla gorge de son adversaire. Les articulations du fae ne fonctionnaient pas comme celles d’unhumain… ni comme celles d’aucun animal que Charles connaissait. Sa tête suivit simplement lemouvementduloup,soncoujaillissantd’entresesépaulescommeunressortsortid’uneboîte.Illapivotaetmorditleloupaucou.Celui-cihurlatandisquedusangrougeperlaitautourdelaboucheferméedufae.

Charlesfutprisd’unesueurfroideetreplialapatte.JosephlaissaCharlespartirentête.Ilétaitonnepeutplusheureuxdelevoir.Sonsoulagement

étaittelqu’ileneutletournis.VoirHephzibahlaMaléfiquedésarçonnerlefaesursondosnefutquelacerisesurlemeilleurgâteaudesavie.

Maislefaenesuivitpaslescript.Charless’effondrad’uncoup.Deuxloupsdesonpèrebondirentpar-dessuslaclôturedel’arènepoursejoindreàlabataille.Surlesdeux,l’unfutenvoyéautapisenmoinsd’uneminute.Cefutàcemoment-làqueJosephsutquelerôlequ’ilavaitàjouern’étaitpasterminé.

Il ignorait totalementpourquoiHephzibahn’avaitpasprocédéàl’unedesescélèbressortiesdescène. Alors que les portillons de l’arène étaient ouverts de chaque côté, elle continuait à fairetranquillement le tour au petit galop, le regard posé sur…Mackie, songea Joseph. Il attendit queHephzibahrepartepouruntouretseservitducorpsdelajumentpoursecacherquandilentradansl’arène.Ilcourutàcôtéd’elle,lamaintenantentreluietlefae.

Ilattrapasesrênesetfutreconnaissantqu’ils’agissed’Hephzibah.Aucunautrechevaldel’écuriene se serait approché d’une chose aussi redoutable que la créature en laquelleMmeEdison s’étaittransformée.MaisHephzibahétaitlaFilledeSatan,etcequil’effraieraitn’étaitpasencorené.

Elle observa Joseph avec méfiance mais n’objecta pas à ce qu’il coure à côté d’elle, mêmelorsqu’ilcommençaàlapousserpourserapprocher.Jetantuncoupd’œilsoussoncou,ildécouvritqueledeuxièmeloup-garouétaitàterreaveclefaequiluimâchaitlagorge.

Joseph remercia le ciel d’avoir resserré la sangle lui-même et que Hephzibah ait un garrotsuffisammentlargepourquelasellerestedroitequandilrecourutàlavieilleastucedel’enfourcheràmoitié.Unpieddansl’étrier,unemainsurlacornedelaselle.Iltirasursonnezd’ungesteferme,ladirigeantdroitsurlefaetandisqu’illuidonnaituncoupdesonpiedlibredansl’arrière-train.Toutçaenmêmetemps,sinonriennefonctionnerait.

Ellesepropulsadecôtésurlefae,et,dansunmouvementdisgracieuxqu’ellen’auraitjamaisfaitsiJosephnel’avaitpasdéséquilibrée,elleatterritpilesurlacréature.Lefaefutarrachéduloup.Lechevalmoulinalesjambespourresterdeboutetdonnaplusieursbonscoupsdesabotaumonstredansl’intervalle.

Sansqu’elleleremarque,Josephselaissatomberausolderrièrelacréature.Ilsortitsoncouteau,et,pesantde tout sonpoidscommeCharles le luiavait appris, ilplanta la lamedans ledosdu faependantqu’ilétaitencoredésorientéparl’attaquesurprised’Hephzibah.

LebrasdelachosedécrivitunarcimprobableetfrappaJosephenpleinepoitrine.Ilentenditses

côtessefendreavantdelesentir,puisseretrouvadanslapoussièreàcôtéd’unloupquisaignaitdelaplaieàsagorge.

Ilavaitéchoué.Quand la jument alezane s’était jetée sur le fae, Charles était resté un moment pétrifié

d’incrédulité. Il n’y avait pas de raison que… Puis il avait vu Joseph. C’était un vieux trucd’Amérindien,seteniràcôtédesonchevalafindepouvoirserapprocherdel’ennemi.

Il s’accorda un instant d’admiration. Il n’y avait rien que Joseph ne puisse accomplir avec uncheval. L’animal avait atterri sur le fae, aussi surpris que sa victime. Et le fae avait desserré sonétreintesurCharles.

Ilsehissasursesquatrepattes,uneffortquiluiarrachaungrognementmuet.AlorsqueJosephplantait son couteaudans le dosdu fae,Charles se rapprochadedeuxpas en chancelant, libérédel’emprise de lamagie… pour quelques secondes. Puis elle revint en force et son corps refusa denouveaudeluiobéir.

Maislapoignedufaen’étaitplusaussipuissante.CharlesnepouvaitpassepréoccuperdeJoseph,quiétaitétendusurledosavecdusangquis’écoulaitdesonnezetdesabouche.Ildevaitsereleverettuerlefaetantqu’ilétaitencoreàterre.

LajumentalezanecourutversJoseph,s’arrêtantàenvirontroismètresdelui.Puisellerenâcla,fitunpetitbonddecôtéetrepartitautrot.

Josephavait tranchélacolonnevertébralede lacréatureaveclecouteau.TandisqueCharlesserapprochait en rampant, il la regarda essayer de se saisir de la lame. Mais par chance ouintentionnellement, Joseph l’avait logée à un endroit que le fae n’arrivait pas à atteindre. La chairautourducouteaubougeaitcommes’ilyavaitquelquechosesouslapeauverte,marbréeetbosseléequiétaitàlafoisrepousséetattiréparl’acier.

Lefaerenonçaàatteindre lecouteau.À laplace, il se focalisasur…Mackie.Sehissantsur lesbras, il commença à rampervers la fillette impuissante àpeuprèsdeux foisplusvitequeCharlesauraitpulefaire.

Lajumentalezanepoussaunhennissementstridentetgalopaentrelefaeetlafillette.Commeellen’avaitpascessédecourirdanstouslessens,niCharlesnilefaeneluiprêtèrentattention.Jusqu’àcequ’elle recommence, plus intimidante que rapide, les oreilles couchées tandis qu’elle piétinaitviolemmentlesol.

Ellefitunjolipetitdemi-toursurleshanches,lajambearrièregaucheplantéedanslesabletandisqu’ellepivotaitsurelle-mêmeetcroisaitlajambeavantdroitesurlagauchedanslesrèglesdel’artéquestre.Puisellevintdenouveautrotterdanslepassagedufae,laqueuedresséeau-dessusdesondos,latêtelevéeetsesminusculesoreillespointéesenavant.Ellerefitundemi-toursurleshanchesdansl’autresens.

Et,cettefois,elleseplantaentreMackieetlefae,couchalesoreillesetledépassaencourant.Ellebaissasonlongcoudansunmouvementsinueuxetmontralesdentsàlacréature,puisfitvolte-faceetluidécochaunméchantcoupdesabotjustesousl’omoplate.

Le fae laissaéchapperuncriaiguen tombant…et la jument revintà lachargepour le frapperaveclesjambesavant.Elletraînalefaesouselleetlepiétinadeuxfoisavantdesauterpar-dessusetdedétaleravecuncouinementtriomphal.

Deretour,ellemarchadecôtéenrenâclantpourvenirseplacerentrelachoseetMackie.Puisellerejetalatêteenarrière,unemiseengardeclassiquequidisait:«Va-t’enoumeurs.»Ellesecabraàmoitiéethennit…commeunejumentquiprotégeaitsonpoulain.QuiprotégeaitMackie.

Annan’eutpasbesoind’allerdans lamaison.SentantqueCharlesétaitdans l’écurie,elle lança

Portabelladanscettedirection.Lagrandejumentpeinait;Annaestimaitqu’ellesavaientdûcourirsixkilomètres.Maiselles’engageadesonpleingrédansl’entréesombrequimenaitàl’arèneetfitunsautdequinzecentimètresau-dessusdel’immenseclôture.

Anna sortit les pieds des étriers puis descendit de la jument, qui s’apprêtait à continuer sur salancée.D’unseulregard,Annaembrassalascènedansl’arène:Mackieétaitàterre,Josephetdeuxloups-garousquinebougeaientpasl’étaientaussi,Charlestenaitàpeinedeboutetlacréaturefae,unechose immense et hideuse, avait un couteau planté dans le dos. Lentement, elle se rapprochait deMackie.Laseulechosequiluibarraitlepassageétaitunegrandejumentalezane.

CommeAnnan’étaitpasarmée,ellesejetasurlecouteauquidépassaitdudosdufae.Unpiedenappuisursondos,ellesaisitl’armeetlatournadanslaplaiejusqu’àcequelalamesoitparallèleàlacolonnevertébraledelacréature.Annaenappelaàlaforcedesalouvepourtirerlecouteautoujoursfichédansl’osjusqu’enhautducorpsdufae.Lachaircommençaàserefermerderrièrelalame,etAnnaavaitdumalàgarder l’équilibreaveclefaequise tortillaitsouselle.Mais,àmesurequ’elletirait le couteau, le processus de guérison ralentissait et finit par s’arrêter enmême temps que lesmouvementsdufae.Lorsqu’elles’approchadelatêtedelacréature,trompéeparsoninertie,lachoseallongealecouetparvintàluimordrelebiceps.Annachangeasimplementdemainetforçalapointedelalamejusquedanslecrânedufae.Ils’immobilisadenouveau,sansvie.MaisAnnasesouvenaitdelarapiditéaveclaquelleils’étaitrégénéréaudébut,etFrèreLoupluiavaitditquelesfaesétaientcoriaces. Elle rectifia sa prise sur lemanche devenu glissant. Elle pensa àMackie, aux corps quijonchaientlesabledel’arèneetàceuxquiavaientétéentassésdanslegrenierétouffantdelapetitemaison,etelletranchacomplètementlatêtedumonstre.

Dèsquelefaedesserralesdentsetrelâchasonbras,ellejetalatêteàl’autreboutdel’arène.Vulavitesseà laquelle ilavait ressoudésacolonnevertébrale,ellenevoulaitpasprendre lerisquequ’ilréparelesdégâtsqu’elleluiavaitinfligés.

Lecorpssursautasanscriergare,etAnnaperditalorsl’équilibre.Elleroulajustesouslessabotsduchevalalezan.LajumentsecabraetfilarejoindrePortabella,quisetenaittêtebaisséedel’autrecôtédel’arène.

FrèreLoupbonditsurlecorpsdufaeetentrepritdeledéchiqueter.Annanesentaitqu’unvoilerougeparlebiaisdeleurliendecouple.Lesautresloupsserelevaientsanstropdegrâce.Josephnebougeapas.

Àpeuprèsàcemoment-là,Mackies’assitetsemitàhurler.Annaparvintjusqu’àelleencourantet clopinant à moitié. L’enlaçant avec douceur car l’un des bras de la fillette présentait un angleanormal,elleladétournadumonstrequiavaitessayédel’enleveretdel’autremonstrequicherchaitàdétruirelecorps.

—Charles!cria-t-elle,maisleloups’acharnaitsurlefaemort.FrèreLoup?J’aibesoindetoi.Le loup se figea, laissant échapperungrondement sauvageavantde se transformer.Charles se

tenaitsurlecorpsdelachosemorte,l’airaussipropreetposéquelorsqu’ilsavaientquittélamaisonce matin-là. Il ne l’était pas. Elle ressentait sa fureur brûlante, son besoin de détruire. Qu’il aitréponduàsonappeldanscetétatd’esprit…

Ehbienoui,ellel’aimaitelleaussi.—Jem’occupedeMackie,fit-elle.IlfautquetuaillesvoirJoseph.Anna était venue.Quand elle avait tranché la tête de l’abomination, Frère Loup et lui auraient

pousséunhurlementdefiertéetdetriomphes’ilsl’avaientpu.Maisiln’enretrouvalacapacitéquelorsquetoutfutterminé.

Frère Loup s’était dit que la créature pouvait être encore vivante. Les très vieux faes étaientcapablesdesurvivreunlongmomentsansleurtête.Iltenaitàs’assurerquelachosenesurvivraitpasàsadécapitation.Charleslelaissasortiretfairecequ’ilvoulait.

Cettechoseavaittuétouscesenfants.Ilsavaientconnuunemorthorribleetextrêmementlente.SilesespritsdesmortsvoulaientsejoindreàlasauvageriedeFrèreLoup,ilétaitdisposéàyconsentir.

Jusqu’àcequ’Annal’appelle.ElleétaitassisedanslesableettenaitMackiecontreelle.—VavoirJoseph,l’exhorta-t-elle.Ilvintd’abordauprèsd’elle.Elleavait essuyédescoups,mais lablessurequ’elleavait aubras

cicatrisaitdéjà.—Jevaisbien,luidit-elle.Mackies’enremettra.Tuentends,sespoumonssontfonctionnels.Va

voirJoseph.Charless’agenouillaàcôtédeJoseph.Àsagrandesurprise,levieilhommerespiraitencore.—Mort?demandaJosephdansunmurmure,lesoufflecourt.—Lachoseestmorte,luiréponditCharles.Tuluiastranchélacolonnevertébrale.Ellenetuera

plusd’enfants.Josephfermalesyeuxetseconcentrasursarespiration,mêmesiçanelesoulageaitguère.—Maggie?Charlesfermalesyeux.Quandillesrouvrit,Josephleregardait.—C’est c’que jepensais, dit-il.Laverrai bientôt.Elle aura étéheureusedemourir pournotre

petite-fille.(Ilesquissaundemi-sourire.)J’entendsqueçairapourelle.—Elleadebonspoumons,reconnutCharles.Mackiehurlaittoujours.—Meilleursqu’lesmiens,acquiesçaJosephensouriant.DonnecouteauàMax.—Ceserafait,ditCharles.—Montre-lui.Montre.—Jeluimontreraicomments’enservir.Commejet’aimontré.Josephhochalatête.— Bien. C’est bien. (Il prit une nouvelle inspiration douloureuse, puis se fendit d’un large

sourire.)C’étaitamusantd’être…d’êtredenouveaumoi-même.Charles s’assit à côté de lui, les yeux rivés sur Joseph tandis que son ouïe lui indiquait que

Hosteenetbeaucoupd’autresgenss’attroupaientdansl’arène.Mackiecessadehurler.Kages’assitdel’autrecôtédeJoseph.Celui-cinepouvaitplusparler,maisiltenditlamainetKagelaprit.

Charlesavait suquecemomentviendraitdepuisqu’il avait comprisque Josephn’avait aucuneintentiondedevenirun loup-garoucommesonpère.Chaque instantpassé en sa compagnie l’avaitrapprochédelui.Est-cequeçaavaitvalulecoup,àprésentqu’ildevaitaffrontersamort?

Il repensaà toutes leurs expériencespartagées. Il sentit le trou immenseque lamortde Josephcreusaitdanssonesprit,untrouquis’emplissaitdedouleur.Est-cequeçaavaitvalulecoup?

—Jesuissireconnaissantdet’avoireucommeami,déclara-t-ilàJoseph.Iln’auraitpasrenoncéàunseuldecesmomentspours’épargnerladouleurdecetteséparation,

encoremoinsàtous.Oui,çaavaitvalulecoup.Lecalmefinitparrevenirdansl’arène.Maxvintdireaurevoir.Kageseleva,passaunbrasautour

desonfilsetpartit.Hosteenpritsaplace.Annavints’asseoirprèsdelui.

JosephessayadedirequelquechoseàHosteen,mais iln’avaitplusdevoix.Lamainque tenaitCharlesétaittrèsfroide.

Hosteenluidit:—Jet’aime.Tuvasmemanquer.Jesuissifierd’avoirététonpère…Etplusfierencored’avoir

ététonami.Tonespritaenrichilemonde,monfils.N’aiepaspeurdelâcherprise.Ildéposaunbaisersurlefrontdesonfils.CommeCharles,ils’installapourlaveillée.Lanuittomba.Josephprituneinspiration.Expira.Puisilnerespiraplus.CharlesouvritlaboucheetlaissaFrère

Louphurlersonchagrin.

CHAPITRE15

Iln’yeutpasdefunérailles.CharlesetAnnachargèrentlefaemortdanslecoffredelavoituredeMmeEdisonetplacèrentsatêtedansuneboîtequ’ilsmirentsurlabanquettearrière.Ilsemmenèrentlavoitureauparkingdelagarderie,laverrouillèrentetrepartirent.PuisilsappelèrentLesliepourluidireoùlatrouver.

Ellen’étaitpasravie,maisellelesrappelalorsqu’ilseurentrécupérélecorps.—Mieuxvalaitqueçasoitvousquenous,dit-elle.CecorpsvafairelajoiedeLeedspourlescinq

prochainesannées.—Mieuxvautluiquemoi,rétorquaAnna.—Prenezsoindevous,luirecommandaLeslie.—Toi aussi, lui ditAnna. Embrasse tonmari pourmoi. Je suppose qu’on se reverra.Charles

pensequelepireresteàvenir.—C’estgai,fitLesliesuruntonmorose.J’imaginequevousavezraisontouslesdeux.Maisen

cequimeconcernej’ail’intentiondefêtercettevictoire.Lefuturnousréservepeut-êtretoutessortesdefaeshorribles,maiscelui-cinetueraplusd’enfants.

Ilsrestèrentencorequelquesjours.Mêmes’iln’yeutpasdefunérailles,lesmembresdelafamillefirentleurdeuil,disposésàpartagerleurchagrinavecCharles.Çaeutl’airdel’aidermais,commeilétaitplusréservéqued’habitude,Annanepouvaitpasenêtresûre.Ellepréparaàmanger,s’occupadesenfantsetfittoutsonpossiblepourrendreleschosesplusfacilespourlesautres.

BranvintaccompagnédeMoiralasorcièreetdesonloup-garou,Tom.MoiraétaitvenueaiderChelseaetvérifierqu’Améthysteétaitbienlibéréedelamagiedufae.AnnaauraitpariéqueTométaitvenuparcequepersonnen’avaiteuenviedeluidirederesteràlamaison,pasmêmeBran.AnnaetCharless’envolèrentpourleMontanadixjoursaprèsl’avoirquitté.

KatieJamisonregardaitlesruinesdesamaison,l’airchagrin.Siellen’avaitpasétésoûle,aurait-

elleeulaprésenced’espritdedireàl’agentspécialduFBIetàsesamislesloups-garousd’alleraudiable?Etsiellel’avaitfait,l’auraient-ilsécoutéeetluiauraient-ilsépargnélecalvairedenouveauxtravaux?

Maisilsavaientretrouvélefae,celuiquituaitdesenfants.Ellel’avaitvuauxinformations.Etelleavaitvudesloups-garousdansleurétatsauvage.Dommagequelesphotosn’aientriendonné.«Lamagiepeutparfoisêtreétrange»,luiavaitditsonfaedejardin.

Ellen’avaitdoncpas lesphotosdugrand loupqui avait saccagé son salon, cellesqu’elle avaitprisessansdemanderlapermission.Maiscellesdelalouvenoiredanssonjardinétaientravissantes.Pasaussiintéressantesquel’avaitétéleloupféroceetfurieux,maisbellestoutdemême.

Lesnettoyeursétaientrepartiscommeilsétaientvenus.Sonentrepreneurpréféréavaitappelécematin-là pour lui dire qu’il lui envoyait unouvrier pour remplacer la fenêtre de sa façade le jourmême.

—Etcettefois,nel’épousepas,luiavait-ildit,pince-sans-rire.Oui,bon,s’était-elleavoué.Çaavaitétéuneerreur…Etellelereconnaissait.Maisilavaitétési

joligarçon.

Celui-ciétaitjoligarçonaussi.Ilavaitunsourirechaleureux…etdesmusclesfermes.Iln’avaitpas debague à lamaingauche.Elle admira cettemain, imaginant les sensationsqu’elle aurait s’iltouchaitsapeau.Ilétaitterriblementjeunepourelle.

—Êtes-vousmarié?demanda-t-elle.Ilsourit.—Jel’aiété.Elleestpartieaveclecomptebancaire,monmeilleuramietmonchien.Cechienme

manquedrôlement.Tropjeune,songea-t-elleenleregardanttravailler.—Hé!l’interpella-t-elle.Aimeriez-vousdelalimonade?Elleestàbasedecitronsfraîchement

pressésquejefaispousserdansmonjardin.—Çaal’airvraimentbon,dit-il,etelleremarquaqu’ilavaitdesfossettes.Peut-êtrepastropjeune,décida-t-elle.Puiselleallaluiverserdelalimonade.TrentCarterraccrochaletéléphoneetenvisageasérieusementdeprendresavoitureetdesejeter

d’unefalaise.Maissafilleseretrouveraitseule.Cinqans,c’étaittropjeunepourêtreseule.—Papa?Ilaimaitsafillede toutsoncœur.Elleétait toutcequ’il lui restaitde lamèred’Iris.Mais ilne

savaitpascommentlasauver.Ilnesavaitmêmepasvraimentcommentsesauverlui-même.—Tuasl’airtriste,remarqua-t-elle.Parfois,dansdesmomentscommecelui-là,ellesecomportaitcommeuneenfantnormale.Elle

s’amusaitavecsesjouets,habillaitsespoupéesetl’invitaitàfairesemblantdeprendrelethé.Lanuit précédente, la baby-sitter de sa fille l’avait appelépour lui direqu’ellenepouvait plus

garderIris.—Elle torturait notre chaton, avait-elle dit. Elle lui arrachait lesmoustaches avec une pince à

épiler.Çanepeutplusdurer.Jesuisdésolée.Ilfautquevousl’emmeniezvoirunthérapeute.Il n’avait pas protesté, s’était abstenu de dire qu’elle voyait déjà un thérapeute. Ça n’avait pas

marchéaveclababy-sitterprécédente.Çan’auraitsansdoutepasmarchéaveccelle-lànonplus.Il avait contacté son travail ce jour-làpour leurdirequ’ildevait resterà lamaisonparcequ’il

n’avaitpersonnepours’occuperd’Iris.Sonpatronvenaitdel’appelerpourl’informerquecen’étaitpas la peine qu’il revienne, à part pour reprendre ses affaires.C’était son deuxième boulot en sixmois.

—Papa?—Net’inquiètepas,chérie,luidit-il.Jenesuispasenformeaujourd’hui,c’esttout.—Si j’allaischercherM.Doudouetqu’onregardait la télé jusqu’àceque tu tesentesmieux?

suggéra-t-elle.Onsonnaàlaporte.—Bonneidée.Jevaisvoirquiestlà,etensuiteonpourraregarderdesdessinsanimés.Ilouvritlaportesansregarderparl’œil-de-bœuf.Sursonpaliersetenaitunhommeauphysique

très banal, tellement quelconque qu’il aurait dû travailler pour la CIA. La femme était petite etpulpeuse, avec des cheveux noirs et des lunettes de soleil couvrantes aux verres si foncés qu’iln’arrivait pas à distinguer ses yeux derrière. Une voiture qu’il n’avait jamais vue avant – uneMercedes noire – était garée juste devant son immeuble, et un homme balafré qui avait l’airdangereuxétaitappuyécontrelepare-chocs.

Peut-être était-cebien laCIA.Vaguement anxieux, il repensa à son entrevue avec les agents duCantrip.Avait-ilditquelquechosequ’ilnefallaitpas?

Ils’étaitplusoumoinsattenduàrecevoirlavisitedesservicesdelaprotectiondel’enfance…Çaaurait été la troisième fois. Étrangement, les bleus disparaissaient toujours avant l’arrivée desservicessociaux.Aussibienlesbleusd’Irisquelessiens.

—MonsieurCarter,dit l’hommeen tendant lamain, jesuisBranCornick.Nousétionsenvillepouruneaffaire liée.Onm’asuggérédepasservousaideravecvotreproblèmependantquenousétionsici.(Samainétaittrèschaude.)Voicimonassociée,Moira.

—Papa?ditIrisdelavoixquin’étaitpascelled’Iris.Dis-leurdes’enaller.Lafemmeentrachezluienlefrôlantaupassage,ettenditlamainpourlarefermersurlepoignet

d’Iris.Elletouchalefrontdesafilleetmurmuraquelquesmotsqu’ilnesaisitpas.Alorsqu’ellesedébattait,Irissetintsoudainimmobile.

—Oui, déclara-t-elle. Il avait raison à son sujet, Bran. C’est clairement un cas de possessiondémoniaque.(ElletournalatêteversTrent,etilserenditcomptepourlapremièrefoisqu’elleétaitaveugle.) Ça ne va pas prendre très longtemps. Les démons ont du mal à bien s’accrocher auxinnocents.

BranCornickinvitaTrentàrentreretrefermalaporteaveceuxdeuxàl’intérieur.—MonsieurCarter,dit-il,monassociéemaîtrisesonsujet.—Quiêtes-vousdonc?demanda-t-il.—Lesgentils,fitMoira.Onestlàpouraider.Anna rêva que c’était l’été et qu’elle etCharles chevauchaient dans lesmontagnes. L’air était

fraisetpur,etlesoleilluiréchauffaitledos.Heylighttrottaitsurlapisteaveclemêmeenthousiasmeque dans l’arène. Se retournant pour voir comment allait Portabella, elle fronça les sourcils àl’intentiondeCharles.

—C’estunélan,dit-elle.Pourquoies-tusurledosd’unélan?—ParcequePortabellaneserapaslàavantleprintemps,luiréponditJoseph.Charlesneferait

jamaisvenirdeschevauxdel’ArizonaauMontanaenpleinhiver.—C’estvrai,acquiesçaAnna.Onlesramèneenmars.—TuauraisdûacheterHephzibah,luiditMaggieenriant,maisc’étaitunriresansmalice.Ledouxbruitdesonrirerésonnaitauxoreillesd’Annaquandelleseréveilla.Commelachambre

étaitencoresombre,elleendéduisitqu’ilétaittôt.Charlesn’étaitpasaulit,cequiétaitsansdoutecequil’avaitréveillée.

Ellesehâtad’enfilerdeschaussettescarlesolétaitfroid,etunerobedechambrecarlamaisonl’était aussi. Puis elle alla à la cuisine en traînant les pieds, et y trouva Charles qui allumait labouilloire.Elles’avançajusqu’àsondosetseréchauffacontrelui.

—Bonjour,rayondesoleil,dit-il.— J’ai rêvé de Joseph et Maggie, lui raconta-t-elle. Maggie m’a dit qu’on aurait dû acheter

HephzibahàlaplacedePortabellaetHeylight.—Kageneseséparerapasd’elle,pasaprèsqu’elleasauvéMackie,luiditCharles.—Hé!répondit-elle.JetedisjustecequeMaggieadit.Ilfinitcequ’ilétaitentraindefaireetseretourna,sibienqu’elleseretrouvaplaquéecontreson

torse.—Jeréfléchissais,fit-il.—Unpasse-tempsdangereux,l’avertit-elle,etellefutrécompenséeparlerireheureuxdeCharles

quin’appartenaitqu’àelle.—C’étaitàJosephquejepensais,expliqua-t-il.Pendantqu’ilétaitentraindemourir,jemesuis

soudainrenducomptedetoutcequej’auraismanquésijenel’avaispasconnu.—J’aimaisbienJoseph,luidit-elle.Jeregrettedenepasavoireuletempsdemieuxleconnaître.Charlesluisourit.—Aimer,c’esttoujoursprendreunrisque,n’estpas?observa-t-il.J’aitoujourspenséqu’iln’y

avait aucune certitude dans la vie, mais j’avais tort. L’amour est une certitude. Et l’amour donnetoujoursplusqu’ilneprend.(Ilfitcourirlamainlelongdesondos.)Jemedisqu’ondevraitadopter.Qu’est-cequetuenpenses?

Adopter?Ellevoulaitsesenfants.Àluietàelle.Puiselle se remémora levisagedeCharles lorsqu’il avait serréAméthystedans sesbraset lui

avaitchantonnéunepetitecomptine,etellesutquen’importequelenfantquiviendraitvivreaveceuxseraitàlui.Àluietàelle.

—Çapourraitmarcher,luidit-ellelentementtandisqu’unsourirenaissaitsurseslèvres.Oui,çamesemblebien.

REMERCIEMENTS

Aucunlivrenes’écritdanslasolitude.Jeremercielespersonnessuivantesquim’ontaidéeàrendreréelle l’histoire d’Anna et de Charles : Doug Leadley et Maegan Beaumont pour leur aide avecScottsdale ;LindaCampbell,quiensaitplussurmes livresquemoi ;CollinBriggs,MikeBriggs,MichelleKasper,AnnPeters,AmyJ.SchneideretAnneSowardspourleursapportsrédactionnelsquiontdépassétoutesmesattentes;etDaybreakWarrioretsesfascinantesvidéosYouTubesurlalangueetlaculturenavajo.Commetoujours,s’ilyadeserreurs,ellessontdemonfait.

PatriciaBriggsmenaitunevieparfaitementordinairejusqu’àcequ’elleapprenneàlire.Àpartirdecemoment-là, ses après-midi sedéroulèrent àdosdedragonouà la recherched’épéesmagiques,quand ce n’était pas à cheval dans les Rocheuses. Diplômée en histoire et en allemand, elle estprofesseuretauteur.EllevitavecsafamilledansleNord-OuestPacifique,oùelletravailleàlasuitedesaventuresdeMercyThompson.

Dumêmeauteur,auxéditionsBragelonne,engrandformat:

MercyThompson:6.LaMarquedufleuve7.LaMorsuredugivre8.LaFailledelanuit

Ombresmouvantes

(Recueildenouvelles)

ChezMilady,enpoche:

MercyThompson:1.L’AppeldelaLune2.LesLiensdusang3.LeBaiserdufer

4.LaCroixd’ossements5.LeGrimoired’Argent6.LaMarquedufleuve7.LaMorsuredugivre8.LaFailledelanuit

Alpha&Omega:

Alpha&Omega:L’Origine1.LeCriduloup

2.Terraindechasse3.Jeudepiste

4.Entrechienetloup

Corbeau:Corbeau–Intégrale

Masques

L’ÉpreuveduloupLeVoleurdedragonL’EmpreintedudémonLesChaînesdudragonLeSangdudragonLePacteduHob

www.milady.fr

MiladyestunlabeldeséditionsBragelonne

Titreoriginal:DeadHeatCopyright©2015byHurog,Inc.

©Bragelonne2016,pourlaprésentetraduction

Illustrationdecouverture:DanielDosSantos

L’œuvreprésentesurlefichierquevousvenezd’acquérirestprotégéeparledroitd’auteur.Toutecopieouutilisationautrequepersonnelleconstitueraunecontrefaçonetserasusceptibled’entraîner

despoursuitescivilesetpénales.

ISBN:978-2-8205-2501-7

Bragelonne–Milady60-62,rued’Hauteville–75010Paris

E-mail:info@milady.fr

SiteInternet:www.milady.fr

C’ESTAUSSI…

…LESRÉSEAUXSOCIAUX

Toutenotreactualitéentempsréel:annoncesexclusives,dédicacesdesauteurs,bonsplans…

facebook.com/MiladyFR

Poursuivrelequotidiendelamaisond’éditionettrouverdesréponsesàvosquestions!

twitter.com/MiladyFR

Lesbandes-annoncesetinterviewsvidéosontici!

youtube.com/MiladyFR

…LANEWSLETTER

Pourêtreavertitouslesmoispare-maildelasortiedenosromans,rendez-voussur:

www.bragelonne.fr/abonnements

…ETLEMAGAZINENEVERLAND

Chaquetrimestre,unerevuede48pagessurnoslivresetnosauteursvousestenvoyéegratuitement!

Pourvousabonneraumagazine,rendez-voussur:

www.neverland.fr

MiladyestunlabeldeséditionsBragelonne.