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1 LES SOUVENIRS DE LA GUERRE 1914-1918 de Maurice FLAGOTHIER Première Partie : LES MASSACRES ET LES INCENDIES DE LINCE. AOUT 1914 Depuis quinze jours, j'avais quitté l'école normale de Saint-Roch où j'avais terminé ma deuxième année. Avec les vacances débuta la tension diplomatique qui devait aboutir à la guerre. Les discussions relatives à la loi militaire de 1913 m'avaient convaincu que l'Allemagne violerait notre neutralité pour attaquer la France. Cependant nos journaux, craignant de semer la panique, étaient pleins de sérénité (feinte) sur le sort de notre pays, à tel point que ma conviction s'évanouit dans une naïve confiance dans les traités. 2 Août 1914, Dimanche .- J'apprends que trois civils allemands sont dans le village, et que les gendarmes en auto sont à leur poursuite. Je me dirige vers la place de la Goffe et je vois les trois hommes dans l'auto, gardés par les gendarmes et le garde-chasse particulier Seutin, ce dernier révolver au poing... Je dévisage longuement les trois étrangers avant le démarrage de l'auto vers Louveigné. L'après-midi, quatre cents vaches sont réquisitionnées et conduites par leurs propriétaires vers Liège. Deux forgerons et deux menuisiers, mon frère Raymond et Ernest Sluse, sont également réquisitionnés et se rendent à Liège. 3 Août 1914, Lundi . - Je me décide d'aller à Liège afin de voir l'activité des troupes autour du fort d'Embourg et dans la ville elle- même. J'y vais à pied. A proximité du fort, je vois une vingtaine de soldats armés de haches montant vers Beaufays. Je reconnais Félix LECLERCQ, de Lincé. Très détendu, il me dit qu'ils vont abattre les arbres qui peuvent gêner le tir du fort. Plus loin, je rejoins un groupe de cultivateurs de Rouvreux conduisant des troupeaux de vaches réquisitionnées. Parmi eux se trouve mon cousin Fernand DOGNE dont les deux frères (Joseph et Jules) sont mobilisés. "Aurait-on cru les Belges si patriotes ?" - me dit-il -, " On nous demande la moitié de notre bétail et sans hésitation ni récrimination, avec enthousiasme même, on le livre sans regret ". "Près de Chênée, je rencontre mon oncle PONTHIER revenant de Liège avec son attelage où il a conduit du fourrage pour les vaches. Dans sa charrette se trouve Ernest qui me dit que mon frère et lui ont été renvoyés, l'armée n'ayant pas besoin de leurs services. A Grivegnée, plusieurs batteries de campagne sont rangées près de l'Eglise.

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LES SOUVENIRS DE LA GUERRE 1914-1918

de Maurice FLAGOTHIER

Première Partie : LES MASSACRES ET LES INCENDIES DE LINCE.

AOUT 1914Depuis quinze jours, j'avais quitté l'école normale de Saint-Roch où j'avais terminé ma deuxième année. Avec les vacances débuta la tension diplomatique qui devait aboutir à la guerre.

Les discussions relatives à la loi militaire de 1913 m'avaient convaincu que l'Allemagne violerait notre neutralité pour attaquer la France. Cependant nos journaux, craignant de semer la panique, étaient pleins de sérénité (feinte) sur le sort de notre pays, à tel point que ma conviction s'évanouit dans une naïve confiance dans les traités.

2 Août 1914, Dimanche.- J'apprends que trois civils allemands sont dans le village, et que les gendarmes en auto sont à leur poursuite. Je me dirige vers la place de la Goffe et je vois les trois hommes dans l'auto, gardés par les gendarmes et le garde-chasse particulier Seutin, ce dernier révolver au poing... Je dévisage longuement les trois étrangers avant le démarrage de l'auto vers Louveigné. L'après-midi, quatre cents vaches sont réquisitionnées et conduites par leurs propriétaires vers Liège. Deux forgerons et deux menuisiers, mon frère Raymond et Ernest Sluse, sont également réquisitionnés et se rendent à Liège.

3 Août 1914, Lundi. - Je me décide d'aller à Liège afin de voir l'activité des troupes autour du fort d'Embourg et dans la ville elle-même.J'y vais à pied. A proximité du fort, je vois une vingtaine de soldats armés de haches montant vers Beaufays. Je reconnais Félix LECLERCQ, de Lincé. Très détendu, il me dit qu'ils vont abattre les arbres qui peuvent gêner le tir du fort. Plus loin, je rejoins un groupe de cultivateurs de Rouvreux conduisant des troupeaux de vaches réquisitionnées. Parmi eux se trouve mon cousin Fernand DOGNE dont les deux frères (Joseph et Jules) sont mobilisés."Aurait-on cru les Belges si patriotes ?" - me dit-il -, " On nous demande la moitié de notre bétail et sans hésitation ni récrimination, avec enthousiasme même, on le livre sans regret ". "Près de Chênée, je rencontre mon oncle PONTHIER revenant de Liège avec son attelage où il a conduit du fourrage pour les vaches. Dans sa charrette se trouve Ernest qui me dit que mon frère et lui ont été renvoyés, l'armée n'ayant pas besoin de leurs services. A Grivegnée, plusieurs batteries de campagne sont rangées près de l'Eglise.

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J'achète une édition spéciale de l'Express qui annonce en manchette :"Une première victoire française".C'est évidemment un canard prématuré. Bien qu'assez incrédule, cette victoire imaginaire me réjouit. En regardant nos canons, je pense : Ceux-là vont rester muets, alors que leur appoint serait peut-être utile aux Français, nos amis. J'arrive à Liège et, rue Grétry, je passe devant le consulat allemand où flotte le drapeau noir, blanc et rouge. J'en vois sortir un des trois Allemands arrêtés à Lincé. Je parcours la ville que je trouve moins animée que j'avais cru. Pas de troupes, çà et là quelques garde-civiques déambulent paisiblement. Comme je passe sur la place du théâtre, je revois encore mon Boche, une cage à pigeon à la main et accompagné d'un monsieur très bien mis. Etait-ce un espion ? Je me suis bientôt repenti de ne pas l'avoir fait arrêter. Quelques minutes après, des imprimeries de "La Meuse" toutes proches sortent des vendeurs qui crient : 'La Meuse! édition spéciale, ultimatum de l'Allemagne à la Belgique!" ... Hein? Vite j'achète la feuille. C'est bien cela! Ainsi ma prévision première se réalise!Fatigué par quatre heures de marches, je décide de retourner par le train. Au guichet, l'employé me dit : "Les trains ne vont plus au-delà d'Esneux."Mon retour sera un peu allongé, qu'importe! Au moment où le train démarre, un avion survole la ville à très grande hauteur. Ami ou ennemi? On ne saura pas. Je rentre à Lincé; tout le monde veut lire mon journal. Beaucoup ne veulent pas le croire ou doutent encore.

4 Août 1914, Mardi.- Tous les journaux confirment la nouvelle et publient un appel aux volontaires. J'ai dix-huit ans, j'ai ditsouvent à ma mère, et depuis longtemps déjà : "Maman, je ferai la guerre, un jour".Pour m'engager il me faudrait l'autorisation paternelle et je n'ose pas le demander immédiatement, mais je me propose de préparer le terrain, d'autant plus que parmi les signataires de l'appel figure Jean PIRMEZ de Lincé d'un an plus âgé que moi.Pour suggérer une réaction favorable, je vais dans la chambre où mon père conserve sa tunique et son shako à panache du deuxième chasseur à pied qu'il à porté de 1878 à 1881; je m'en affuble, prends un vieux fusil de chasse et, tout fier, je me montre dans la cour, au grand effroi de Renée SLUSE qui ne me reconnait pas et rentre apeurée dans sa maison. On annonce que les trains ne roulent plus sur la ligne de l'Ourthe et que les facteurs ne feront plus leurs tournées. Tard dans l'après-midi, nous voyons une colonne qui monte de Presseux sur Fraiture.

Monsieur Gaston PIRMEZ et son fils Robert qui ont circulé en auto toute la journée reviennent à pied de Lillé où les soldats allemands de la colonne aperçue ont crévé les pneus de leur voiture pour les forcer àl'abandonner. Nous en sommes tout abasourdis. Nous ne pouvons comprendre qu'ils soient déjà ici alors qu'on n'a pas entendu le moindre coup de fusil. La nuit nous ne pouvons dormir.

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5 Août 1914, Mercredi.- Au petit jour, une fusillade violente éclate à Presseux. Haletants, nous écoutons et nous croyons au premier contact avec notre armée. La pétarade cesse et, comme la veille, on voit monter une colonne vers Fraiture. Curieux, je veux savoir ce qui s'est passé et je me rends très tôt à Presseux. Il n'y a plus un seul soldat. Je vais chez mon oncle PONTHIER qui tout ahuri de mon audace me dit : "Malheureux! Ne circulez pas comme ça! Retournez bien vite chez vous! Les Allemands ont passé la nuit ici. Le matin ils ont tiré comme des enragés, je me demande sur qui ou sur quoi. Retournez vite et ne bougez plus." Un peu amusé de la frayeur de mon oncle, je reviens à Lincé et je raconte ce que j'ai appris. Maman trouve que mon oncle a raison et que je suit trop aventureux. Je lui réponds : "La guerre se fait entre soldats, les civils n'ont rien à craindre." Je monte au grenier et y installe un poste d'observation sous une lucarne d'où je découvre toute la colline de Sprimont à Fraiture. Mais je ne tiens pas en place, et l'après-midi je repars en reconnaissance jusque l'arrêt du tram. J'y trouve mon frère Raymond assis sur une borne le long de la voie. Je parle avec lui quelques instants, puis comme il ne se passe rien ici, je lui dit : "Je suis sûr qu'il passe des troupes à Aywaille et j'y vais voir."

A Lillé, j'entends tout à coup une galopade et je vois arriver un uhlan. En m'apercevant il abaisse sa lance et la dirige vers moi. Croyant à une plaisanterie, je le regarde en souriant et je continue à marcher sans inquiétude. A quelques mètres de moi, il relève sa lance et, riant à son tour, me crie quelques choses en allemand que je ne comprends évidemment pas.

Quand j'arrive à Aywaille, des troupes ennemies traversent le village et.se dirigent vers Comblain. Il fait très chaud, les soldats sont éreintés sous leur lourd équipement. J'en vois qui marchent sur leurs talons, leurs figures sont tirées et trahissent leurs souffrances.Des habitants compatissants (compassion que je ne partage pas et qui me révolte) donnent à boire aux soldats. Après l'infanterie, voici l'artillerie. Tout à coup un cheval fait un faux pas et son cavalier tombe devant un caisson en marche; la roue va lui écraser la tête, mais à la dernière seconde il parvient à se dégager. Dommage, car c'eut été un de moins à nous combattre.

Je reprends la route du retour vers Lincé. Une colonne se dirige maintenant vers Florzé, puis vers Rouvreux; je la traverse deux fois. Quand j'arrive sur la route de Sprimont à Chanxhe, une longue colonne d'infanterie (73e et 74e) descend vers Chauxhe.

Je rentre à la maison, on n'a encore rien vu à Lincé. Une demi-heure plus tard, on entend une fusillade dans le fond de Presseux où je vien de passer. On apprend bientôt que les Allemands y ont fusillé un civil. Dès lors ma belle assurance baisse un peu et je me promets de ne plus m'éloigner.

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Mais voici qu'on entend des pas de chevaux vers l'école et l'on voit apparaître un régiment de dragons prussiens qui s'égaille dans toutes les rues du village. Je vais sur la route pour les voir de près. Un officier à cheval, l'air sévère, s'arrête devant moi et me demande : "Un marchand ?" - Je réponds : "Un marchand de quoi ?" - Te pain, te fiande, te café, dit-il - Il y en a sur la place ici tout près, lui dis-je.A ce moment, un autre officier à pied, tout souriant et, il faut bien le dire, l'air sympathique, me tend la main et me dit un chaleureux "Bonjour Monsieur" avec l'accent français le plus pur.

Je rentre à la maison, bientôt se présente un sous-officier qui s'adresse à mon père et lui dit ce seul mot : "Chevaux". Mon père le conduit aux étables et remises. L'Allemand écrit sur la porte : 25 pferden. Les vingt-cinq chevaux et leurs cavaliers bien entendu, arrivent et prennent place. A l'école toute proche, les soldats sortent les bancs par les fenêtres et y installent leur cuisine.

Mes deux frères sont sur la place, une auto s'arrête, un officier en sort, s'approche des civils et demande "Flagothier ?". Interloqués, mes frères se présentent : "C'est nous !" - Comment c'est vous ? Montrez-moi le chemin du village de Flagothier ! - C'est par là - Bon, maintenant, conduisez-nous chez votre bourgmestre - Mon frère Eugène monte dans la voiture et les guide à Ogné et à Sprimont.

Le soir va tomber, les soldats puisent de l'eau dans le puits et en font boire à mon frère, croient-ils que nous l'avons empoisonnée ? Papa s'en va gravement écrire à la craie sur toutes les portes : "Défense de fumer. Niet rooken". Quelle naïveté !

Lorsque la nuit est venue, nous décidons, mon frère et moi, de rester tout habillés et de veiller à tour de rôle à une fenêtre de l'étage. Au commencement de la nuit, un violent orage éclate. Puis les troupes sont alertées et quittent le village, pas pour longtemps car elles réintègrent bientôt leurs cantonnements.

6 Août 1914, Jeudi.- Il fait toujours nuit, au loin dans la direction de Boncelles, une fusillade effrénée crépite sans interruption.A Lincé, les soldats se montrent nerveux, des coups de feu claquent dans tous les coins. Les deux soldats qui sont sur notre seuil tirent quelques balles dans la direction de l'école occupée par leurs amis. Peu après le tir s'intensifie dans toutes les parties du village. Mon Père dit : "Ce sont nos soldats qui viennent nous libérer".

Le jour se lève, nous voyons des Allemands se défiler le long des murs et tirer dans toutes les directions. Le cœur battant, nous nous attendons à voir arriver les nôtres. Voilà qu'une colonne de fumée s'élève derrière la maison d'en face, puis une deuxième, une troisième ...A cet instant, apparaît sur la place un groupe de civils entourés et frappés par les Boches, bousculés et jetés par terre. Ensuite, un étrange cortège se forme et descend la route. En tête marche le curé entouré de soudards qui le brutalisent, puis des civils encadrés de soldats.Que signifie cela ? Le curé est amené devant notre maison où il crie : "Monsieur Flagothier, rendez-vous ! Ces Messieurs prétendent qu'on leur a volé leur drapeau ". - "Restez, dit papa, je vais ouvrir". Mon frère le suis sur les talons. Maman et moi, nous allons dans la chambre à coucher du rez-de-chaussée.

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Nous entendons crier : "Madame, Madame !""Ma mère veut sauter par la fenêtre qui donne sur le jardin, je la retiens; cependant nous percevons des pas dans la cuisine. Maman ouvre la porte de la garde-robes et dit : "Cachons-nous là".Nous y entrons et tirons la porte. On marche maintenant dans notre chambre, nous entendons craquer des allumettes !...Ma mère me dit : "Rendons-nous". et elle ouvre la Porte. Nous nous trouvons en face d'un colosse qui place des journaux enflammés dans l'armoire à linge et sur une malle en osier. En nous voyant il ricane, m'empoigne par le collet et m'entraîne dans la cour; j'y suit accueilli par une dizaine de soldats qui me frappent de coups de crosse et de canon de leurs fusils. Je saute de droite à gauche pour les éviter autant que je peux; maman leur crie : "Ne le frappez pas ! Ne le frappez pas !" Un bandit me donne un tel coup de crosse dans les reins que le fusil se brise en deux. Cependant, je ne sais par quel phénomène, je ne sens pas les coups au moment même.Enfin, on me fait rejoindre la colonne où je retrouve mon père et mon frère Eugène. Nous sommes une trentaine d'hommes. Je vois au premier rang mon frère Raymond, pieds nus, ayant pour tout vêtement sa chemise et son pantalon; d'autres ne sont pas mieux vêtus. On nous conduit jusqu'au château de Xhygné. L'escorte nous fait arrêter devant l'entrée de la cour de la ferme. Le premier rang de cinq hommes dans lequel se trouve Raymond est détaché en avant et spécialement gardé par des sentinelles. Nous attendons là un long moment. Arrive un groupe de Boches très excités, l'un d'eux me montre du doigt en parlant avec colère. Est-ce celui qui m'a découvert tout à l'heure ? Que me veut-il Le soldat qui est à côté de moi me montre le bout de son fusil, puis il fouille la poche intérieure gauche de mon veston. J'ai compris : Je dis à mon père : "Je vais être fusillé". Il me répond : "Nous le serons tous ensemble". Quelques minutes plus tard, je m'évanouis. On me couche par terre, mon évanouissement ne dure guère et je me relève. Vers six heures et demie, on nous fait remonter le village.A l'entrée de la cour de Monsieur THIERNESSE, sur le Batty, un officier à cheval brandit un révolver, il montre la cour Lambert et, à son commandement, on nous amène en face de la grange dont le toit flambe déjà. Des soldats ouvrent la porte toute grande ... On va nous y enfermer ! Mais tout à coup, on nous fait faire demi-tour et nous reprenons notre chemin. La maison FELIX LAURENT est un brasier tellement ardent que nous devons longer le mur en face pour pouvoir passer. Voici de la cavalerie, nous courons devant elle d'abord, puis elle nous dépasse, nous bousculant dans le talus sous Sainte Barbe où plusieurs hommes sont atteints par les lances. Plus haut, on nous pousse dans la cour de Monsieur MORAY, d'où nous assistons au défilé d'une batterie au galop venant de Chanxhe. Pas un Boche ne passe sans nous injurier et nous menacer de la cravache ou du pistolet. Nous continuons notre calvaire, voilà notre maison, un flot de fumée noire s'échappe des fenêtres du grenier. Place de la Goffe, la maison de mon frère Raymond et ses voisines flambent comme des torches.

Nous traversons ainsi tout le village (deux Km) et on nous dirige vers Hornay. A l'entrée de la campagne de Hazotte, nos gardiens nous conduisent dans un champ d'avoine où se trouvent des officiers réunis en conseil de guerre. Nous rejoignons là d'autres groupes de Prisonniers.

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Les officiers interrogent le curé et des civils. Tout à coup, le curé crie de toutes ses forces : "Ces hommes ont menti ! ... J'ai toujours prêché le calme et la prière. Tous mes paroissiens peuvent l'affirmer ..." Pour l'empêcher de parler des soldats se précipitent rageusement, lui donnent des coups de pied, de poing; on lui pousse du gazon, son mouchoir dans la bouche qui saigne. Rien ne peut faire taire l'héroïque curé qui proteste avec indignation.

Un officier à cheval s'avance vers nous, et désignant le groupe des cinq où se trouve mon frère Raymond, déclare : "Ces cinq hommes seront fusillés. Quant à vous, allez dire dans tous les villages des environs que si l'on tire encore sur nos troupes, tous les hommes seront fusillés et toutes les maisons incendiées". A ce moment, quelques civils arrêtés sur la route sont amenés à coups de bâton dans nos rangs. Aussitôt après, les condamnés sont conduits au lieu d'exécution à une centaine de mètres plus bas. Nous les verrons toujours passer devant nous, la tête haute, vaillants, nous jetant un regard d'adieu qui éternellement restera gravé dans notre mémoire. Tandis que mon père fait vers son fils condamné un geste de bénédiction, celui-ci lève la main et s'écrie : "Au revoir mon petit Raymond ! Je n'oublierai jamais ce cri d'adieu d'un père à sa famille, car c'était bien à tous les siens qu'il pensait en citant le nom de son premier né. Quant à moi, j'ai sans doute été perdu de vue au cours de toutes ces tribulations car je ne suis plus spécialement visé par la brutalité tudesque.

Les Allemands nous conduisent alors dans la maison de Julien SIMON, la seule du hameau qui ne brûle pas. On nous entasse dans la maison, nous sommes une bonne centaine, bientôt on étouffe. Vont-ils mettre le feu à la maison ? Non, car il nous font sortir et marcher à travers champs et clôtures où ceux qui sont nu-pieds se déchirent la peau et saignent. On nous parque dans une prairie pendant une heure sous la pluie, nous y subissons toutes sortes d'avanies, injures et menaces. Enfin, nos bourreaux se décident à nous relâcher et nous font signe de partir vers Ogné. Nous y sommes reçus par le bourgmestre, Monsieur EVRARD et restaurés. On se raconte les uns aux autres tout ce que l'on sait et l'on apprend ainsi toute l'ampleur du carnage; les cinq victimes que nous connaissons sont les dernières d'une série de trente martyrs. Nous mangeons un peu chez le bourgmestre car personne n'a déjeuné, mais l'appétit manque.

Que faire maintenant ? Sans trop savoir pourquoi, nous allons à Sprimont. Au loin, le château de Presseux brûle ...Que sont devenues les femmes ? Pour le savoir, nous revenons vers Lincé qui continue à brûler. A Bawpuce, nous voyons quelques cavaliers, nous entrons chez MASSON et nous cachons dans la cave. Le danger passé, nous allons nous cacher au milieu d'un champ d'avoine; nous sommes cinq : Victor BRIFFOZ et son fils Mathieu, papa, Eugène et moi. Quelques balles sifflent soudain autour de nous, serions-nous poursuivis ? Un peu plus tard, nous sommes rejoins par ma belle-sœur et sa petite Rolande oui a un an et ne marche pas encore. Elle connaît son horrible malheur ... Nous restons là des heures complètement anéantis, on ne parle même presque pas.

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A l'approche du soir, nous décidons de gagner le bois le plus proche, au-delà de la route de Lincé-Lillé. Nous nous y abritons sous une charmille épaisse. Elise est repartie à Sprimont. La nuit approche et la faim commence à se faire sentir. Mon frère va à Lillé et, après quelques alertes angoissantes, rapporte d'une ferme un peu de pain et deux couvertures.Il pleut de nouveau et les gouttes percent le feuillage qui nous protège tant bien que mal. De temps à autre, nous entendons le cliquetis des équipements des soldats qui passent dans le chemin à soixante mètres au plus de notre cachette. Victor BRIFFOZ tousse souvent, Papa lui dit chaque fois à mi-voix : "Tais-toi donc Victor, tu vas nous faire tuer". Les aboiements et les beuglements des bêtes qui ont faim et soif et aussi quelques coups de fusil nous font une nuit de cauchemars.Nous implorons la Providence comme nous l'avons déjà fait tant de fois depuis ce matin tragique.

7 Août 1914, Vendredi.- Le jour paraît, la faim nous tenaille, je mâchonne quelques grains d'avoine. Que va-t-on faire ? On décide de rentrer au village. Eugène part en éclaireur, papa le suit, puis vient le reste du groupe. Le drapeau de la Croix-Rouge flotte sur la maison du docteur THIERNESSE, nous y entrons. Quel spectacle ! Des blessés et des malades gisent sur le parquet, un homme devenu fou, hagard, brandit un chapelet et débite des propos incohérents, un tuberculeux semble agoniser...Mon père veut se rendre compte de ce qui nous reste de bâtiments et surtout retrouver maman. Nous la retrouvons bientôt, puis nous contemplons nos ruines : la maison, l'étable, l'atelier et l'écurie ne présentent plus que leurs murs calcinés. Restent, le fournil, la grange et la porcherie depuis longtemps désaffectée. Heureusement le fournil, qui pendant l'été nous sert de cuisine, contient un peu de nourriture et l'équipement minimum de cuisine. La porcherie dans laquelle nous étalons de la paille va nous servir de chambre à coucher.

8 Août 1914, Samedi.- Avec papa, je vais voir les cadavres des martyrs dans la campagne du Hazotte. L'horrible tableau ! Il y a trois rangées de corps affaissés, le visage tourné vers le ciel. Certains ont la figure intacte, mais d'autres ont le crâne ouvert. Raymond a les mains jointes, un coup de bayonnette y a fait des coupures, une balle lui a traversé la bouche. Devant ce spectacle affreux, nous pleurons à chaudes larmes. De retour dans notre abri provisoire, nous y disposons quelques matelas et couvertures que nous ont prêtés des personnes dont la maison a échappé à l'incendie. Je trouve dans les orties près du jardin d'Armand SLUSE les deux morceaux du fusil cassé sur mon dos. Je constate des "bleus" sur mes bras et mes épaules.

9 Août 1914, Dimanche.- Notre curé est alité et il n'y a pas de messe. On apprend de plus en plus de détails sur la conduite barbare de nos ennemis, tant à Lincé que dans les villages voisins. Mon père et tout le monde d'ailleurs, s'impatiente de ne pas voir arriver les Français dont nous espérons notre libération.

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10 Août 1914, Lundi.- Depuis le jour néfaste du 6 août, nous n'avons plus vu que quelques Allemands dans le village; mais aujourd’hui, leur artillerie passe et va prendre position dans le vallon au nord de Lincé pour bombarder le fort d'Embourg.

Les Allemands disent qu'ils veulent le prendre au plus tard le samedi 15. Bientôt la canonnade se déchaîne. Elle se continue nuit et jour jusqu'au jeudi 13 dans l'après-midi. A notre grand désappointement, le fort a capitulé.

Quelques jours plus tard, des masses d'infanterie envahissent le village et tout le monde se cache. Je passe une partie de la nuit dans la tranchée entre le jardin et la maison ZANDERS, à quelques mètres d'un Allemand couché sur le talus et qui ronfle très fort. Nous n'osons faire le moindre bruit. Cependant, transi de froid, je me décide à sortir avec d'infinies précautions et, en rampant, je réintègre la porcherie. Une heure ou deux après, mon frère en fait autant.

Le jour suivant, les troupes s'en vont. Cette fois les Lincéens n'ont pas été molestés. Seulement mon père constate le vol d'un cric qu'il avait récupéré intact dans nos ruines. Des sacs, des cartouches, des caissons avariés ont été abandonnés sur la place de la Goffe; avec une charrette à bras, nous allons les charger, nous les ramenons chez nous, puis les plaçons dans la fosse à purin que nous couvrons de planches et de terre. Ils resteront là jusqu'à la libération.

Cette libération, nous l'attendons tous les jours. Chaque fois qu'on entend le canon, et cela arrive souvent, nous tressaillons d'espoir. Hélàs ! le bruit devient de plus en plus lointain et les mauvaises nouvelles se répandent : Namur est tombée, Bruxelles occupée, les Boches marchent à grands pas sur Paris ... On voudrait ne pas les croire et pourtant c'est vrai ! Alors commencent à circuler des messages soi-disant lancés par les aviateurs alliés. D'où viennent-ils en réalité ? Probablement de gens qui veulent lutter contre le découragement et ranimer l'espérance. Que disent ces billets ? Beaucoup de bonnes nouvelles : Les Russes ont pris Berlin, les Français ont reconquis l'Alsace ... Quelques jours après, nouvelles victoires : les Anglais ont débarqué à Hambourg, les Russes sont à Cologne, les Etats-Unis donnent huit jours aux Allemands pour évacuer la Belgique ! Cela devient tellement mirifique qu'on se met à douter. Et quand on annonce l'occupation d'Aix-la-Chapelle par les Russes, on est fixé sur l'invraisemblance des fameux messages et personne n'y croit plus.

En septembre, la vérité nous est enfin apportée par des journaux venus de Hollande, entre autres par le "Courrier de la Meuse" imprimé à Maastricht par des Belges réfugiés.La victoire de la Marne est un puissant réconfort qui ranime tous les espoirs.

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A la fin du mois, Eugène alla reprendre contact à Liège avec son école de Saint-Gilles. Deux instituteurs, Lekane et Maka, étaient mobilisés. Le curé ne trouvait personne pour remplir les intérims. Comme l'école normale n'avait pas rouvert ses classes, mon frère me proposa pour tenir une classe et le curé donna son accord. Me voilà donc promu instituteur provisoire sans aucun doute, mais j'allais gagner mon premier salaire fixé à septante-cinq francs par mois.

Nous prîmes pension chez le sacristain, Monsieur LAMBERTY. Chaque soir, après mon travail, je descendais en ville pour y acheter en cachette "Le Courrier de la Meuse".

Ce fut le siège, puis la prise d'Anvers. Coups très rudes pour le moral du pays envahi. Heureusement, la victoire de l'Yser nous rendit de l'espoir.

Nous retournions à Lincé le samedi après-midi pour rentrer à Liège le dimanche soir.

Maman fut accablée d'une dépression nerveuse telle qu'il fallut l'envoyer dans une maison de repos à Glain.

Chaque jour, on apprenait que tel ou tel jeune homme avait passé la frontière hollandaise pour rejoindre l'armée belge à Anvers d'abord, par l'Angleterre ensuite. Tous les jours, des avis de passage réussi étaient annoncés sous des pseudonymes dans le "Courrier de la Meuse". Mon ancienne idée de m'engager reprit corps et de renforça. Je m'informai des moyens employés par les évadés.

Le jour des morts, 2 novembre, au cimetière, une grande foule de Lincéens étaient penchés devant les tombes étroites de nos chers martyrs enterrés ici sans cercueils dans une grande fosse commune. Au loin, vers l'Ouest, le canon de l'Yser gronde sourdement. C'est un appel que j'entends, j'y répondrai ! Et sur la tombe de mon frère, je fais intérieurement le serment de le venger.

Pendant les vacances de Noël, je me renseignai chez Monsieur DONIS à la Haze, chez le curé d'Esneux, chez Julien FLAGOTHIER à Dolembreux. Enfin vers le 27 décembre, je trouvai à Herstal un Monsieur DONNAY, marchand de légumes, qui avait déjà conduit des dizaines d'hommes à Maastricht et qui me promet de m'y mener le 12 janvier.

Le 11 janvier, je logeai avec papa chez non oncle, rue Monulphe. Le 12, je me rendis chez Monsieur DONNAY. Celui-ci m'annonça que l'expédition était retardée de deux jours à cause d'une relève des soldats boches qui gardaient la frontière. Je restai donc à Liège jusqu'au jeudi 14.Il fut convenu que je signalerais mon arrivée à Maastricht par un avis dans "Le Courrier de la Meuse" libellé comme suit : "Tartarin arrivé, tout va bien".

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Deuxième Partie : DE LIEGE A L'YSER.

14 Janvier 1915, Jeudi.- Je quitte la maison de mon oncle de bon matin pour aller au rendez-vous que Monsieur DONNAY m'a fixé au café Blafard à Eben-Emael. Mon père m'accompagne jusqu'au tram de Wandre. Sur le quai, je l'embrasse pour la dernière fois; il fond en larmes quand je le quitte. Je maîtrise les miennes et le tram part ... Le sort en est jeté, j'accomplis la plus grave action de ma vie, et je n'ai pas encore dix-neuf ans !A Wandre, je monte dans le vicinal de Bassenge. Il est bondé de personnes qui se rendent à Maastricht, soit en fraude, soit avec des passeports allemands réguliers ou falsifiés. Tout le monde parle des difficultés croissantes de passer la frontière. Ce n'est pas encourageant et je pourrais me demander : "Que viens-je faire dans cette galère ?". Cependant l'idée de renoncer ne m'effleure même pas; ma décision est bien prise et le restera. Je change de tram à Bassenge et je débarque enfin à Eben-Emael. Je repère de suite le café Blafart et j'y trouve Monsieur DONNAY accompagné de six hommes, une femme et un garçon d'une douzaine d'années. Tous doivent passer en Hollande avec moi, mais aucun de ces hommes ne veut s'engager dans l'armée, ils sont tous quadragénaires d'ailleurs. (sauf un qui à 25 ans) J'interroge Monsieur DONNAY sur ma conduite à suivre. Il semble peu sûr de son affaire, nerveux, indécis. Il nous dit : "Vous suivrez ma voiture par groupes de deux à des intervalles assez espacés jusque Cannes. Madame, Monsieur, (il désigne l'homme au passeport falsifié) et le gamin viendront avec moi dans la voiture. Nous nous retrouverons tous au café Straetsman où je vous attendrai; mais faites comme si vous ne me connaissiez pas". Puis, s'adressant à moi : "Vous, comme vous êtes trop jeune, je ne pourrai peut-être pas vous faire passer; dans ce cas, revenez chez Straetsman, il se chargera de votre affaire". Après ces vagues consignes, nous nous mettons en route comme prévu. DONNAY part d'abord en voiture avec ses passagers. Tous nous trouvons que notre guide est inquiet et avare de renseignements précis. - "Il ne nous dit pas ce que nous devons faire", dit l'un. "Que devons-nous payer ? A qui et quand ?", dit un autre. - Faites lui confiance déclare un troisième, il sait bien ce qu'il fait; ce n'est pas la première fois qu'il conduit des hommes en Hollande.Je pars dans le dernier groupe. Chemin faisant, je rencontre Théo PERY, un compagnon de Saint-Roch, qui revient de Maastricht où, me dit-il, il va très souvent. (Il habite Eben-Emael)

Arrivés à Cannes, nous entrons au café Straetsman. Une dizaine de chasseurs à pied boches boivent au comptoir. Ils rient aux éclats en regardant les caricatures anti-allemandes du "Journal" de Paris qu'ils ont saisi sur un passeur de journaux interdits. Nous ne pouvons interroger DONNAY et nous restons perplexes devant nos verres de bière. Les soldats vident enfin les lieux, et DONNAY en profite pour nous dire : "Je vais partir avec Madame et l'enfant dans ma voiture. Quand je serai de l'autre coté, je vous enverrai le garçon et vous n'aurez qu'à le suivre". Des Boches entrent de nouveau. DONNAY part peu après, nous laissant décontenancés par son laconisme. Les Allemands sortent aussi et nous pouvons de nouveau nous concerter et échanger des propos inquiets sur le comportement étranger de notre guide. Il y a cependant un optimiste qui nous dit : "Fions nous sans crainte à DONNAY, il sait ce qu'il doit faire. A tout hasard, je vais apprêter une poignée de pièces d'un franc pour les complices éventuels de notre évasion". Enfin, le gamin rentre au café; nous nous levons, le cœur battant un peu plus vite, mais pleins de confiance puisque le plan de DONNAY commence à se réaliser.

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C'est le moment décisif ! Suivant le garçon, nous marchons pleins d'assurance vers le poste frontière, persuadés que notre guide nous en a acheté le passage. Hélas ! A quelques pas des deux guérites rayées des couleurs allemandes, deux mots retentissent tandis que les sentinelles nous barrent le chemin : "Passeports ? Passeports ?" Nous croyons à un malentendu. Le porteur du faux passeport le montre et obtient le libre passage. Il rejoint DONNAY qui, à cent mètres en territoire hollandais nous regard sans intervenir. Les cris des sentinelles ont attiré l'attention du chef de poste qui sort du corps de garde, une maison située en face des guérites. Il nous fait entrer dans cette maison. Sommes-nous arrêtés ? Que va-t-on nous faire ? Va-t-on nous fouiller ? J'ai des adresses de soldats et une lettre entre la doublure et l'étoffe de mon veston. S'ils allaient les découvrir ! Pourtant, je n'ai pas peur, j'ai confiance dans ma destinée. Le sous-officier demande en allemand si quelqu'un parmi nous connaît cette langue. Heureusement la réponse est affirmative et une conversation animée mais courtoise s'engage entre notre compagnon et le sous-off. Notre ami nous en traduit les conclusions : Nous devons aller à la Kommandantur de Lanaeken demander des passeports pour la Hollande. Un soldat me désignant d'un geste de la tête, fait remarquer à son chef que je suis trop jeune (je comprends le mot Jung = jeune) mais le gradé n'y prête aucune attention.On nous reconduit sur la route et les Allemands nous indiquent la direction de Lanaeken. Nous sommes libres ! Nous avons eu à faire à un chef assez condescendant et naïf pour croire le boniment que lui a débité notre compatriote. Notre chance est grande car un Allemand Plus méfiant et agressif aurait pu nous expédier en Allemagne tout simplement. Sur la route, celui qui a parlementé avec l'Allemand nous dit qu'il lui a raconté que nous étions des chômeurs qui voulions chercher du travail en Hollande. Maintenant qu'allons-nous faire ? Aller à Lanaeken ? Personne n'y pense. Tous, nous récriminons contre DONNAY qui n'a pas su nous conduire au delà de la frontière. Celui qui nous prêchait la confiance est le plus furieux et le plus violent dans ses commentaires. Je retourne chez Straetsman et lui raconte notre échec. Je lui dis : "Monsieur DONNAY m'a dit que vous pourriez me faire passer". - "Monsieur DONNAY ne m'a même pas parlé de vous ! Et puis, je ne me mêle pas de ces choses là; je ne veux pas me faire arrêter, il y a des Allemands ici tout le temps !", me répond-il. Mes compagnons rentrent à leur tour au café et sollicitent le patron pour qu'il nous guide en Hollande ou tout au moins qu'il nous donne le moyen de trouver un passeur. Rien à faire ... Straetsman; prudent ne veut pas se compromettre et prétend ne rien connaître. Des soldats viennent boire encore mais aucun ne semble trouver notre présence insolite. Nous restons de longues heures à nous morfondre devant nos verres et à critiquer vertement la conduite de DONNAY.

- "Ma femme et mon gamin sont en Hollande, dit l'un, ils ont la valise et moi je suis ici avec la clé. Les douaniers hollandais sont capables de la casser pour voir le contenu. Nous retrouverons-nous seulement ? –

Un bureau allemand est installé à l'étage juste au-dessus de nous. Deux soldats boches y amènent un jeune belge qu'ils ont arrêté près des fils barbelés qu'il voulait franchir. Présage peu réconfortant !!Nous voilà de nouveau seuls avec le cafetier, nous en profitons pour le harceler de questions, si bien qu'il finit par nous promettre un guide pour le soir. Devenu confiant, il nous raconte ses misères avec les Boches.

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Ceux-ci emplissent encore la salle; ils y font un tapage qui nous met les nerfs à fleur de Peau. Ils sortent, Straetsman les suit en nous faisant signe qu'il va arranger notre affaire. Pendant son absence, six ou sept jeunes wallons entrent au café.

Peu après, le patron revient et nous dit que tout va bien et que le guide c'est lui-même; il nous fait sortir par l'arrière de la maison et nous demande cinq francs par tête. Celui qui est parvenu à le mettre en confiance dit : "Je paie pour tous, nous nous arrangerons de l'autre côté entre-nous". Il est environ six heures. Passerons-nous cette fois ?

Suivant notre guide, nous prenons la rue qui part du café pour aboutir à la route de Lanaeken. Nous franchissons un réseau de barbelés, nous remontons la route de Lanaeken d'environ cent mètres, puis le cafetier nous arrête et nous dit : "Restez ici quelques minutes, ensuite redescendez la route et prenez à gauche le sentier qui conduit au château près des carrières. Le château est en Hollande. Pendant ce temps, je vais parler à la sentinelle".Il nous quitte, nous restons seuls sur la route, personne ne souffle mot. Je ne sais ce que pensent mes compagnons, mais moi, je crains une nouvelle dérobade, l'aventure de midi m'a rendu méfiant. Celui qui a payé pour tous éprouve sans doute la même inquiétude, car, sans rien dire, il suit Straetsman presque sans attendre pour ne pas le perdre de vue dans l'obscurité. Une minute après, nous partons à notre tour. Nous arrivons près du chemin du château. -"Pstt!! Pstt !! Venez par ici". C'est notre passeur caché contre la haie qui nous appelle. - "Allez droit au château, vous êtes libres !... Mais vous n'êtes plus que quatre ? Où est l'autre ? - Il vous a suivi de près et a disparu dans la nuit. - Grosse biesse, nom de Dieu ! ... Il va me faire prendre. Vous autres, allez vous êtes passés. Si je le retrouve, j'essayerai de le faire passer plus tard, mais cela devient terriblement dangereux pour moi". Nous parcourons les cinquante mètres qui nous séparent du château et nous frappons à la porte cochère. Au domestique qui vient ouvrir, nous demandons : "Waar zijn Wij hier ? - In Holland, répond-il". Nous respirons largement, un poids énorme nous tombe des épaules, nous allumons chacun un cigare, nos nerfs se détendent. Nous avons enfin échappé à la douloureuse atmosphère de la domination ennemie. Nous nous sentons légers et heureux après les longues heures d'incertitude inquiète de cette interminable journée. Je voudrais pouvoir crier à mes parents : "C'est réussi, je suis en Hollande". Avant qu'ils en soient informés, ils vont vivre deux ou trois jours dans l'anxiété, et je voudrais abréger cette pénible attente.

Cependant, il y a une ombre à notre tableau : un de la bande est resté du côté de l'ennemi, et c'est lui qui a payé pour nous tous ! Nous décidons de l'attendre sur la route de Maastricht. Une demi-heure se passe, puis nous marchons lentement jusque la douane où nous attendons encore, enfin nous allons jusque Maastricht où nous arrivons vers huit heures. J'annonce à mes compagnons que je vais les quitter, je leur donne une pièce de cinq francs, espérant qu'ils pourront la remettre à notre créancier commun.

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La lettre cachée dans ma doublure est de ma tante Léonie de Liège. Elle est adressée à ses amies de Maastricht, les demoiselles KOYMANS, Sint Lambertus laan, 25. Après quelques tâtonnements, je trouve un brave garçon qui m'y conduit. Malheureusement, la maison est précédée d'un jardinet grillagé. La barrière est fermée à clé et il n'y a pas de sonnette. Il m'est donc impossible de me présenter aujourd'hui.

Je savais que les Belges pouvaient trouver asile dans un bâtiment nomme "Vesta", je m'y fis conduire par mon obligeant Hollandais, à l'autre extrémité de la ville. Des Belges de toutes les régions y arrivaient. L'animation était grande. Je me rendis immédiatement au bureau. On m'inscrivit et on me donna un bon pour une couverture. Le chef me dit de repasser le lendemain pour mon Passeports. En sortant, j'entendis sa question à un collègue : "Est-ce que les jeunes gens de Comblain la Tour ont eu à manger ?" J'entrai dans le vaste hall aux murs noircis, surchauffé par des braseros rougeoyants et fumants. Des tables et des bancs étaient disposés sur toute l'étendue de la place. Les intervalles étaient occupés par une foule d'hommes de tous âges, mais surtout de jeunes. Trois se tenaient à l'entrée. Je leur demandai : "Est-ce vous qui venez de Comblain?" - "Oui, me répondirent-ils. - Vous connaissez bien Léon FLAGOTHIER ? Mais oui, dit l'un, j'ai encore fureté avec René hier ! - C'est mon cousin, dis-je. Tout de suite, nous fûmes des amis. On nous servit notre souper : de grosses tranches de pain gris graissées d'un peu de margarine et un bol de café. Cependant, la salle se vidait petit à petit, les hommes allaient se coucher, il était onze heures. A notre tour, nous échangeâmes nos bons contre une couverture et entrâmes dans les dortoirs. Le premier me fit une impression extraordinaire : dans une vaste salle, quatre rangées de dormeurs roulés dans leur couverture étaient alignés, la tête seule émergeant. Une faible lampe faisait briller quelques crânes chauves. Tous dormaient immobiles et silencieux. On aurait cru se trouver dans une morgue immense et sinistre pleine de cadavres. Au deuxième étage, les hommes n'étaient pas encore tous couchés et conversaient toujours.Au troisième, on s'installait seulement. Fous nous couchâmes sur des sacs â paille, tout habillés, nous débarrassant de nos souliers et de nos pardessus seulement. Nous étions aux combles, le vent gémissait sur le toit, soulevant les tuiles qui claquaient en retombant.

En dessous, ceux du deuxième étage se mirent â chantonner "Sous les ponts de Paris". N'étions-nous pas à peu près des clochards ? Tous les bruits se turent sauf ceux du vent. Bien que très fatigué, je ne pus m'endormir tout de suite. Je repassai les événements de cette journée décisive de ma vie, j'étais engagé dans une aventure dont j'ignorais tout, mais que je prévoyais pleine de faits surprenants.

Ainsi, ce premier contact avec la foule populaire était déjà une révélation. Je me sentais bien dépaysé, mais rassuré car j'avais déjà trois amis, les deux frères OPSTEYN et ROUSSEL de Comblain. En pensant à mes parents, je m'endormis enfin.

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15 Janvier 1915, Vendredi.- Nous nous levâmes assez tôt pour aller nous laver. Le lavoir était un petit trou obscur où se trouvaient une douzaine de robinets dont plus de la moitié ne fonctionnaient pas. On s'y bousculait. Je parvins tout de même à mouiller mes mains et mon visage. Après ce fut le déjeuner : le même pain gris avec un bout de saucisson et du mauvais café.

A huit heures, on commença à passer au bureau. Un départ pour l'Angleterre devait avoir lieu le lendemain. Comme je n'avais pas de photo pour mon passeport, on me donna un bon pour me faire photographier en ville. J'y allai en compagnie d'un liégeois, Paul GILLIS. Je me rendis ensuite chez les demoiselles KOYMANS. Aussitôt que je déclinai mon identité, les vieilles demoiselles m'accueillirent avec empressement. Je leur remis la lettre de ma tante et elles me retinrent à dîner. Assez bavardes, elles furent la cause d'un retard d'un jour pour mon départ. En effet, quand je les quittai, j'allai reprendre ma photo, puis je passai au bureau pour la rédaction de mon passeport et je me mis ensuite dans la file pour la visite du médecin, mais celui-ci interrompit son travail à X heure et convoqua ceux qui restaient pour le lendemain.

Je retournai chez les demoiselles, où je passai une agréable soirée en causant de ma famille qu'elles connaissaient très bien. Elles me montrèrent des illustrés anglais et me traduisirent les titres. Elles me préparèrent un lit à terre dans une mansarde, car leurs chambres disponibles étaient occupées par des réfugiés belges. Le lit n'en fut pas moins doux et j'y dormis une excellente nuit.

16 Janvier 1915, Samedi.- Je me levai très tard, je déjeunai et je repris le chemin de la "Vesta". Quand j'y arrivai, il y avait foule devant le cabinet du médecin, aussi, jugeant que je ne pourrais pas encore passer avant midi, je rebroussai chemin et je me rendis au bureau du "Courrier de la Meuse". Je fis insérer l'annonce prévue pour informer mes parents de ma réussite. (Tartarin bien arrivé, tout va bien). J'allai à la poste et j'envoyai des lettres â mes cousins Léon FLAGOTHIER et Ulric PONTHIER, tous deux soldats.

Je retournai enfin chez les demoiselles KOYMANS; je les mis au courant de mon départ fixé au lendemain à quatre heures du matin. Il ne pouvait donc être question de loger encore chez elles, je dormirai la nuit prochaine à la "Vesta". Je dinai avec mes charmantes hôtesses et je les quittai vers deux heures en les remerciant chaleureusement de leur généreux accueil.

Je passai la visite du médecin, puis je revins en ville. J'entrai dans un café qui affichait : "Ici, on prend les lettres pour la Belgique". J'écrivis à mes parents, les informant à mots couverts des péripéties de ces derniers jours. Passant devant une Eglise, j'y entrai, me confessai et enfin rentrai à la "Vesta".

Là, je me plaçai près d'un brasero pour me sécher car il avait plu tout l'après-midi et mon pardessus était tout trempé. Je fis connaissance avec le groupe que j'avais vu chez Straetsman; c'étaient des jeunes gens d'Anthisnes : les trois frères HOURAND, GAUTHIER,DEFECHEREUX, COLLINGE, SENDRON.

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Dans la soirée, le Directeur vint lire la liste des partants, je n'y figurais pas, mais tous mes amis y étaient. Mon départ semblait encore retardé, ce qui me contrariait beaucoup.

Je ne désirais plus dormir sous le toit comme la première nuit et je décidai de passer la nuit auprès du feu. Je restai donc là avec cinq ou six autres, séchant mes bottines et mes habits. De temps en temps, quand le sommeil, la fumée et la chaleur du brasero m'accablaient, j'allais me coucher sur une table, ma couverture pliée me servant d'oreiller.

17 Janvier 1915, Dimanche.- Vers trois heures, les jeunes gens désignés pour le départ se levèrent, déjeunèrent et partirent à la gare. Ils étaient sortis depuis dix minutes, lorsque le Directeur vint annoncer qu'une place était encore disponible. Quoique non lavé, à jeun et démuni de vivres, je me présentai et je partis aussitôt avec un retardataire, un Hutois. On nous donna un pain et des billets pour le train. Nous arrivâmes quelques secondes avant le départ du convoi. Mon idée de ne pas dormir m'avait bien servi.

Le train démarra, il devait nous déposer à Flessingue.La nuit était noire et le paysage ne pouvait occuper notre attention. Je me laissai aller à toutes sortes de pensées. Je songeais à l'inconnu dans lequel je me plongeais. Certes, je ne regrettais pas mon départ, mais je me sentais seul et j'aurais souhaité être accompagné d'un vieil ami, Ernest ou Florentin, par exemple; tandis que dans mon départ précipité de cette nuit, j'étais même séparés des nouveaux compagnons de la "Vesta".

Cependant, l'obscurité fit place au jour et je m'intéressai aux paysages qui défilaient sous mes yeux. Ce fut d'abord la Campine, plaine stérile, couverte de bruyères et de taillis, de terres incultes. De pauvres petits villages très éloignés, des maisons basses sans étage, aux toits de chaume bordés de tuiles rouges, des eaux stagnantes, un ciel gris de janvier, tel était ce paysage mélancolique. Nous passâmes Venloo, Ruremonde, Weert; le pays changeait un peu : villages plus opulents et plus rapprochés, mais plaine uniformément plate et inondations à perte de vue. Un convoyeur du train passa dans les compartiments, nous donna un florin à chacun et nous donna rendez-vous au "Pilotage belge" à Flessingue à six heures du soir. Eindhoven, Tilburg, Bréda, Bergen op Zoom, Goes, Middelbourg passèrent devant nous et nous descendîmes à Flessingue vers trois heures.

Nous nous dirigeâmes vers "le Pilotage belge". Il se trouvait sur la digue, face à la mer, que je voyais pour la première fois. Elle était déchaînée par la tempête. Je la contemplai longuement. Des vagues énormes venaient se jeter sur la digue haute d’une douzaine de mètres. L'eau écumante remontait le mur, le dépassait de quatre ou cinq mètres et retombait en averse sur les curieux civils et soldats qui étaient venus nombreux pour admirer le spectacle. Aux fracas des flots se mêlait la voix plaintive des mouettes qui survolaient le rivage. Je serais resté là longtemps si les tiraillements de mon estomac ne m'avaient rappelé que depuis la veille je n'avais mangé que quelques tranches de pain gris de la "Vesta". J'allai donc manger, puis je parcourus la ville. Je la trouvai très animée.

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Les Zélandaises dans leur pittoresque costume national parcouraient les rues au bras des soldats. Un allègre carillon égrenait sur la petite ville ses notes claires comme une rosée de musique. Le port était rempli de navires de toutes nations. Quelques bateaux allemands réfugiés y étaient bloqués. En résumé, Flessingue est une ville qui m'a plue très bien.

A six heures, je retournai au "Pilotage Belge". On nous distribua des cartes pour la traversée Flessingue-Folkestone et on nous envoya loger sur le navire "Deutchland". Cela ne manquait pas d'ironie !Après une dernière promenade en ville où j'achetai des provisions pour le lendemain, je me rendis au port, à la recherche du "Deutchland". Mais les ordres étaient changés et ce fut sur le "Prinses Juliana" que nous passâmes la nuit. Il n'y avait pas de lits pour tout le monde et je me trouvai avec une quarantaine de volontaires dans une salle assis sur les bancs. Il régnait là une ambiance joyeuse, des rires, des chansons accompagnées de musique à bouche, des fumées de tabagie, une vraie kermesse. Tard dans la nuit, on put dormir assis serrés l'un contre l'autre sur les bancs.

18 Janvier 1915, Lundi.- Le bateau partit vers huit heures. Le temps était affreux, il pleuvait et neigeait tour à tour. Je fis un tour sur le pont car la structure du bâtiment m'intéressait beaucoup. Il était d'un tonnage respectable et avait deux cheminées.

Nous quittâmes l'estuaire de l'Escaut et nous entrâmes en pleine mer. Le tangage et le roulis augmentaient rapidement. Dans la salle où je rentrai, les chants avaient repris de plus belle. Mais bientôt, le mal de mer fit ses premières victimes. Un malin rentra en disant : "Nous venons de passer â cinquante mètres d'une mine flottante". Après deux heures de voyage, je ne ressentais encore aucun malaise, mais par prudence, je pris un pliant et j'allai m'installer sur le pont. Il y faisait un froid terrible. Une pluie glacée m'engourdissait les mains et les pieds. Pour me mettre un peu à l'abri, je me rendis à la poupe. J’y retrouvai les Anthisnois. Nous y étions terriblement secoués. L'arrière du navire s'élevait bien haut sur une vague, puis retombait avec fracas dans le gouffre de la houle qui s'était creusée sous lui. Parfois, l'hélice apparaissait toute nue au dessus des flots et une longue traînée d'écume blanche marquait le sillage du vaisseau. Aussi loin qu'on pouvait voir, ce n'était qu'eau grise rayée de franges blanches et mouvantes sous un ciel gris.

Une douzaine de mouettes suivaient le bateau en poussant leurs cris aigus. Nous croisions des navires qui, de loin, semblaient des sabots ballottés sur un torrent. Par moment, ils disparaissaient derrière d'énormes vagues, comme s'ils s'enfonçaient dans la mer, puis remontaient en dansant. Nous avions quitté Flessingue depuis quatre heures; j'avais horriblement froid aux mains et aux pieds, je voulus rentrer dans le bateau afin de m'y réchauffer un peu. Je me dirigeai vers la porte en me cramponnant au bastingage. Des passagers penchés vers la mer y vidaient leurs estomacs ...

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Je poussai la porte, une bouffée d'air écœurante me donna une nausée insurmontable, je fis demi-tour, m'accrochai au bastingage, et à mon tour, je remis mon déjeuner aux poissons. Ce mal de mer est atroce, il devient un supplice lorsque l'estomac est vide et qu'il continue à se contracter violemment pour expulser ce qu'il ne contient plus. Il semble qu'on va s'arracher les entrailles et les vomir, mais plus rien ne sort et c'est alors qu'on souffre le plus. Nous étions à mi-chemin seulement et je me demandais dans quel état j'allais arriver en Angleterre. Je souffris pendant deux heures, puis le mal se calma petit à petit. La mer aussi s'apaisait, le froid était moins vif. Complètement rétabli, je pus manger, fumer, circuler sur le pont. La côte anglaise apparut, nous longeâmes les falaises de Douvres et de Folkestone où nous débarquâmes peu après quatre heures. Sur le quai, des Anglaises nous distribuèrent des cigarettes, des tartines et du chocolat. Sous la conduite d'un boy-scout, puis escortés de gendarmes belges, on nous conduisit en rangs et en chantant dans une grande salle de fêtes transformée en centre d'accueil. Nous eûmes la surprise et la joie d'y voir quelques soldats belges, qui furent aussitôt entourés et accablés de questions; mais c'étaient des Flamands ignorant le français. Nous ne pouvions sortir de la salle qui était fermée à clef. A l'heure des repas, on nous faisait traverser la rue par groupes de quarante pour aller manger au restaurant d'en face. Quatre gendarmes, deux de chaque côté,surveillaient le passage afin que nul ne puisse s'échapper. Nous en étions profondément vexés, nous ignorions encore la discipline et la servitude militaire. En compensation, nous étions très bien nourris. Le soir, je me couchai sur un sac à paille près d'un petit boulanger liégeois, Joseph CORNET.Mes pensées s'en allèrent vers mes parents. Il y avait quatre jours seulement que j'avais quitté Liège, mais il me semblait que c'était déjà toute une époque qui nous séparait. Je pris mon chapelet et m'endormis en le récitant.

19 Janvier 195, Mardi.- Je me levai, rangeai ma couverture et mon sac sur un tas et je pris place dans la file qui attendait la visite du médecin. Je m'aperçus soudain que j'avais perdu mon chapelet. Je fis tout mon possible pour le retrouver mais sans succès. J'en étais très peiné car c'était le chapelet de ma première communion, cadeau de mon oncle Léon et de ma tante Léonie. Après la visite du docteur, je signai mon engagement.

A deux heures et demie, nous retournâmes au port, toujours encadrés de gendarmes et nous prîmes place à bord du navire anglais "Invicta" de même grandeur que le hollandais "Prinses Juliana". De Folkestone et de l'Angleterre, nous n'avions presque rien vu. C'est avec un peu d'appréhension que je reprenais la mer; cependant, comme elle était calmée et la traversée courte, une heure et demie, j'espérais la faire sans inconvénients; n'avais-je pas tenu quatre heures dans la tempête sans mal ?

J'arrivai à Calais à quatre heures, frais et dispos.En débarquant, je vis pour la première fois des soldats français et leurs pantalons rouges. Quelques sous-officiers belges nous attendaient, ils nous conduisirent à la nouvelle mairie, beau bâtiment inachevé qui servait de centre de passage pour les Belges.

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Des soldats belges nous regardaient passer et nous dévisageaient, nous en faisions autant envers eux. Soudain, mes yeux se fixèrent sur un visage connu qui s'illumina d'un sourire joyeux, car lui aussi m'avait reconnu; c'était Joseph STASSART de Sprimont. Il me cria : "Je t'attendrai ici, à tantôt !". Nous entrâmes dans le bâtiment, qui n'était pas très propre, soit dit en passant. Après notre installation, je pus sortir et rejoindre Joseph. Il me dit qu'il travaillait à l'arsenal comme bourrelier et qu'avec deux autres Sprimontois il occupait une chambre dans une maison particulière. Il m'y conduisit, je fis connaissance avec ses compagnons et soupai avec eux. Je leur racontai les massacres de Lincé qu'ils ignoraient presque complètement.Mon récit les impressionna beaucoup car ils connaissaient la plupart des victimes. L'heure de la rentrée à la "Nouvelle Mairie" étant arrivée, ils m'y ramenèrent et me fixèrent rendez-vous pour le lendemain. Dans une grande salle glacée, il y avait de la paille par terre, c'est là que nous devions dormir sans couverture. A Maastricht et à Folkestone, il y avait du feu, des sacs à paille et des couvertures, mais ici, rien ! Je m'étendis près des frères Hourand, mais le froid et les courants d'air nous empêchèrent de dormir.

20 Janvier 1915, Mercredi.- Pour la première fois, ce fut le clairon qui nous réveilla, si l'on peut dire ... On nous servit du café dans des boîtes à conserve vides et malpropres, puis on nous accorda quelques instants de liberté. Je sortis et fis une série de rencontres inattendues. D'abord je retrouvai les Comblinois, partis de Maastricht un jour avant moi et arrivés ici un jour plus tôt. Puis ce fut Hypolite GOUVELANT que j'avais coudoyé sur les bancs de l'école à Lincé. Il m’apprit que Florentin GODIMAS avait quitté Calais la veille de mon arrivée. Quelle malchance ! J'aurais tant voulu le rejoindre et voilà que ça rate à un jour près !

Le clairon sonna le rassemblement, après l'appel on nous conduisit dans un local, où, une troisième fois nous passâmes nus devant le médecin et signâmes un engagement. Que de paperasseries ! On nous donna aussi un numéro matricule : 5053 pour moi. Pendant que j'attendais sur la rue avec d'autres volontaires, je vis passer un aumônier belge en bicyclette, je reconnus mon professeur de Saint-Roch, Monsieur HANSSEN. Je n'eus pas le temps de l'interpeler il était trop loin déjà. Un peu plus tard, je revis Joseph STASSART, et ses compagnons.

A la "Nouvelle Mairie", on nous servit notre dîner dans les mêmes boîtes à conserve que le matin. Ensuite, un sergent nous lut le code pénal militaire et son cortège de sanctions : peine de mort, prison, etc...Peu après, nous fûmes rassemblés pour un nouveau départ. C'est alors que je revis deux de mes compagnons de Cannes. Ils m'apprirent que le cinquième celui qui s'était égaré pendant le passage de la frontière, avait été retrouvé par Straetsman et conduit en Hollande par ce dernier. Il était arrivé à Maastricht une heure après nous.

Nous assistâmes alors à un bien triste spectacle :l'arrivée d'une longue colonne de réfugiés. Une lamentable cohue de femmes, d'enfants et de vieillards défilait lentement, encadrée de territoriaux. Des femmes portaient un enfant et en trainaient d'autres par la main; les plus grands et les vieux portaient des paquets volumineux enveloppés dans des draps de lit ou des couvertures.

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Quelques-uns poussaient une brouette surchargée d'objets hétéroclites; presque tous avaient emporté leurs parapluies. Les soldats de l'escorte se chargeaient d'une partie des bagages pour soulager un peu ces pauvres gens chassés de leurs foyers par la guerre et l'invasion. Ce morne cortège silencieux, ces visages pâles et crispés, ces yeux las et cernés nous firent une bien pénible impression.

Nous avions cru en débarquant à Calais que nous en avions bien fini avec la mer et que nous ne quitterions plus la terre ferme. Quelle désillusions lorsqu'on nous annonça que nous allions repartir en bateau jusque Cherbourg !!! Seize heures de traversée ! Pas moins ! A 2 h. on nous dirigea vers le port. Nous prîmes place sur le "Léopold II", malle belge du service Ostende-Douvres. Un autre navire arrivait à quai chargé de nouveaux volontaires belges. Nous échangeâmes avec eux de grands et bruyants gestes d'amitié.

Notre bateau ne partit qu'à six heures et demie, il faisait nuit. Nous étions installés dans deux immenses salles en hémicycle et à gradins tout comme des théâtres; l'air devint vite lourd et malsain. Vers neuf heures, craignant d'en être incommodé, je pris mon transatlantique sous le bras et je cherchai un endroit plus tranquille. De couloir en couloir, j'arrivai à la salle des machines. Il y faisait très frais, même un peu froid. Je m'y installai. J'étais surpris de l'énormité des machines; jamais je n'en avais vues de pareilles; les locomotives les plus grosses n'étaient rien, mais vraiment rien en comparaison de celles-ci. Elles actionnaient deux immenses roues à aubes sur les flancs du bateau. Je ne voyais pas ces roues, mais je les entendais; elles faisaient un bruit formidable et un peu d'eau jaillissait à la sortie des axes.

Je commençais à sentir le froid et je songeai à retourner dans la salle, lorsqu'un machiniste m'appela et me conduisit dans un magnifique salon de première classe inoccupé. Il me donna des coussins pour me couvrir. J'ôtai mes bottines, me couchai sur un sofa moëlleux, me couvris de coussins et m'endormis profondément.

21 Janvier 1915, Jeudi.- Je m'éveillai fort tard, j'avais passéune nuit excellente. Je montai sur le pont, la mer était très calme et personne n'était malade. Je me promenai, interrogeant ceux que je connaissais déjà. "Sait-on où l'on va ? - Au camps. - Mais à quelcamp ? - On nous le dira à Cherbourg, peut-être ...". Ce camp mystérieux me faisait un peu peur. Je l'envisageais sous les aspects sordides de la "Vesta" et de la "Nouvelle Mairie". Et puis je me sentais seul, sans doute j'avais fait connaissance avec pas mal de braves garçons, mais ce qui me manquait c'était un ami intime, un ami d'enfance. Ernest ou Florentin, par exemple. Peut-être aurais-je la chance de rejoindre ce dernier. Je m'assis et commençai un embryon de journal, ou plutôt un aide-mémoire où je notai, sans commentaires, les événements principaux et leur date.

Nous arrivâmes devant Cherbourg, des navires de guerre étaient disposés çà et là dans la rade. L'île Pelée et la digue fortifiée barraient l'entrée du port de leurs murailles hérissées de canons. A dix heures et demie, nous prenions pied sur la terre ferme et sans nous arrêter nous traversâmes la ville d'un bout à l'autre, défilant devant la statue équestre de Napoléon. Les pignons rectangulaires des maisons, surmontés d'énormes cheminées nous parurent bien curieux. Après une longue marche, nous prîmes place dans un train, qui partit à travers le Cotentin. Le pays, assez ondulé nous parut bien pauvre.

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Les maisons étaient rares et vétustes, les murs en torchis, les toits couverts de chaumes, les tours des églises coiffées d'un toit à deux pentes et trapu. De vastes campagnes étaient inondées comme en Hollande. Quelle région morose !! Et c'était là cette France qu'on disait si riche ... 0 Belgique, que tu nous paraissais belle et opulente !

Nous passâmes à Valognes et à Carentan. Je savais que des volontaires belges y tenaient garnison et je pensais que nous allions y descendre, mais chaque fois le train repartait. Dans les gares suivantes, il y avait de nombreux wagons remplis de pommes. Des volontaires descendaient du train et en faisaient des provisions malgré les engueulades des sous-offs convoyeurs. Une fois le train qui s'était remis en marche dut s'arrêter pour attendre les pillards qui courraient éperdument pour le rejoindre. Nous passâmes à Saint-Lô. La ville étagée sur une colline et dominée par les deux tours de sa cathédrale, nous apparut dans la brume du soir. Puis ce fut la nuit. Une lanterne à pétrole éclairait notre wagon. Comme chaque soir, je me sentis envahi par une certaine mélancolie. L'incertitude de notre destination, l'idée d'un camp inconfortable et cette marche vers l'inconnu me donnaient certaines appréhensions. A Coutances, on nous informa de notre destination : Cérences. Ce n'était plus bien loin et cela nous fit plaisir car c'était enfin une certitude.

Enfin, on arriva à Cérences et le train se vida. Sur le quai, on nous fit ranger, on nous compta et recompta, puis on nous annonça que nous avions une marche de six kilomètres avant d'arriver à Bréhal, notre cantonnement où nous serions logés et nourris par les habitants. Il n'était plus question de camp, quel soulagement !! Tout cela avait pris une demi-heure.

En colonne par quatre, nous traversons Cérences, chantant la Brabançonne et la Marseillaise. Les habitants nombreux sur leurs seuils, nous acclament en criant : "Vive la Belgique!!!". "Le curé n'est pas le moins exubérant".

Les six kilomètres nous semblent bien longs. Nous sommes tous exténués par notre voyage éreintant de huit jours. J'ai l'impression que la route tangue sous mes pieds comme le pont des bateaux où nous avons passé tant d'heures. Mes voisins éprouvent la même sensation. Comme je me plains de soif, Lucien Hourand me donne un peu de vin. Plus loin, une voiture nous attend pour prendre les malades éventuels, mais personne ne monte. Les chefs nous disent que les gens du village nous ont préparé notre souper. Nous arrivons sur la place de Bréhal où beaucoup de gens nous attendent. Le maire nous reçoit et s'excuse de ne pouvoir nous donner des lits pour cette nuit, mais nous en promet pour la prochaine. Ce soir, nous serons répartis dans les fermes par groupes de dix. Les fermiers sont là et emmènent chacun leur contingent. Quand le dernier est parti, il reste une quinzaine de volontaires à loger, et je suis du nombre. Le maire décide de nous placer dans les maisons du village. Il en case quelques-uns puis rencontre le châtelain et lui demande d'héberger deux hommes; - "Mais je dois loger des officiers, moi, ",dit-il -" - "acceptez deux soldats pour cette nuit" - " D'accord !". La place doit être bonne, aussi je me précipite pour être l'un des privilégiés, suivi par un petit flamand. Le châtelain nous conduit dans sa demeure.

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Une vieille servante nous reçoit dans la cuisine et nous prépare une énorme omelette que nous mangeons avec un appétit féroce; puis elle nous sert de la viande froide, du pain, du beurre et un bol de café sucré dans lequel elle verse du rhum et du cognac. Il est onze heures. Après une causerie avec la vieille, elle nous conduit à notre chambre. Sous l'effet de l'alcool, je sens les marches qui semblent balancer et m'agrippe fermement à la rampe pour monter. Nous entrons dans un bon lit, mais j'ai l'impression qu'il flotte et va basculer, aussi je me retiens aux couvertures pour ne pas rouler dehors. Enfin je m'endors du sommeil du juste ... et du pochard, à côté de mon petit Flamand inconnu une heure avant.

22 Janvier 1915, Vendredi.-Après le déjeuner, nous nous rassemblons dans le halle aux grains. Le chef de notre détachement, le sous-lieutenant Pat, nous adresse un petit discours patriotique et des consignes pratiques pour notre comportement chez nos hôtes de Bréhal. Puis le premier-sergent-major Gens nous donne les premiers rudiments de la vie militaire.

Après-midi, nous nous retrouvons dans le halle qui devient notre salle de réunion pour les instructions, les théories et le reste. On nous demande de nous grouper par deux pour la distribution des billets de logements définitifs. Joseph HOURAUD s'accorde avec moi pour faire équipe. C'est un solide paysan d'Anthisnes, débrouillard et plein de bon sens, bien éduqué, intelligent, pondéré, doté d'une excellente instruction primaire, un tantinet raisonneur. Agé de vingt-quatre ans, il est l'aîné des trois frères volontaires; il connait mes oncles et tante Mignolet et leur famille.

Notre billet porte le nom de Madame veuve Olivier. La maison est toute proche de l'église, route de Cérences. Nous y sommes accueillis cordialement par Madame Olivier et ses deux filles : Marie, la plus jeune, et Marguerite dont le mari est soldat au front.

Un quart d'heure après, une voisine entre tout alarmée et demande : "Madame Olivier, est-ce que vos Belges parlent français tous les deux ? - Oui. - Moi, j'en ai qui ne savent pas un mot de français, ne pourriez-vous accepter un échange pour l'un d'eux ?" - Les voilà, demandez leur ce qu'ils en pensent. "Joseph répond que nous ne connaissons pas le flamand et que nous ne pouvons quitter sans ordre de nos officiers la maison qu'ils nous ont assignée."La pauvre femme se retire toute déçue. - "Je suis bien contente que vous n'avez pas accepté" - nous dit Madame Olivier.

Jusqu'à l'heure du coucher, nos bonnes hôtesses nous questionnent et nous font raconter l'invasion, les atrocités allemandes, notre évasion et notre voyage. Entre-temps, nous avons soupé avec elles. Quelques détails nous ont surpris. D'abord la façon de couper le pain; elles ne font pas des tranches fines et régulières comme chez nous, mais de gros morceaux épais et informes. De plus, le couvert ne comporte pas de couteau, on doit prendre chacun son canif ! La chambre n'a pas de cheminée et par conséquent, pas de feu. Comme meubles, une table et quelques chaises, c'est tout ! Les murs sont blanchis à la chaux et, pour tout ornement, on y voit qu'une carte du front découpée dans un journal et fixée par quatre punaises. Les repas sont préparés dans une minuscule et obscure cuisine sur un feu de bois dans un âtre ouvert.

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Il y règne une âcre odeur de fumée de bois vert. Pour activer le feu, on sert d'un soufflet qui pendant de nombreuses minutes fait fft... fft... fft... fft... J'étais bien mieux hier chez le châtelain ! Mais c'est lorsqu'on nous conduit à notre chambre à coucher que notre étonnement est à son comble. Nous passons dans un réduit obscur où nous distinguons deux bicyclettes et tout un bric à brac, puis nous sortons de la maison. Diable ! où nous mène-t-on ? Nous gravissons un escalier de pierre et, au palier, nous rentrons à l'intérieur de la maison !!!Un étroit et long couloir nous conduit à notre chambre. Qu'allons-nous trouver ? Heureuse surprise ! Elle est bien meublée et contraste très fort avec le reste de la maison. Le lit entouré des tentures Qui descendent du ciel-de-lit est excellent et bien propre. Les meubles sont très convenables. Sur une table, il y a des coffrets contenant des bijoux... Vraiment on nous accorde une confiance sans limite ! Après des réflexions et des commentaires sur les faits du jour, nous nous endormons.

Mon séjour à Bréhal, du 23 Janvier au 6 Mars 1915.

Le village de Bréhal, "Le bourg" comme disent ses habitants, compte onze cents âmes; c'est le chef-lieu d'un canton et d'un doyenné. Il est situé sur la grand-route de Coutances à Grandville, et desservi par le chemin de fer vicinal de cette ville à Cérences. Coutances est à 19 km, Grandville à 10 et Briqueville-sur-mer à 3 ou 4.

Au centre, se trouve la place du Marché encadrée par l'église, jolie avec sa tour élancée, la mairie, la halle aux grains, des magasins et des maisons particulières. Des habitations du centre avaient des façades généralement propres, mais quand on entrait dans certaines, on était étonné du désordre, de l'inconfort, et de la malpropreté qui y régnaient. Dès qu'on s'éloignait vers les campagnes, on trouvait des fermes aux murs crevassés, des murs en torchis des toits de chaume troués. Le purin inondait la cour, tout ; était délabré, certaines fermes étaient même totalement abandonnées et tombaient en ruines. Les gens du peuple se nourrissaient mal; par contre, la classe aisée vivait mieux, dans une grande propreté et même dans un luxe relatif.

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Mais ce qui nous étonnait le plus, c'était l'absence de poêle dans les maisons. "Le fourneau" comme disaient les Normands était un luxe qui classait son propriétaire dans la classe fortunée. Les repas étaient cuits sur des feux de bois dans des chaudrons et des poêlons noirs de fumée. Dans les pièces sans feu, les gens se chauffaient les pieds sur des "chaufferettes", boîtes en fer remplies de braises ardentes.Beaucoup de femmes les emportaient même à l'église pour la messe du dimanche. Bien que l'hiver fût assez clément dans ce pays, ce que j'y ai eu froid ! Une nouveauté aussi pour nous fut le cidre. Les Normands en boivent à tous les repas, ils les terminent par une tasse de café augmentée d'un peu de cognac ou de rhum, ou des deux, la "bistouille". Bréhal avait aussi un dépôt de blessés convalescents français et belges. Ils étaient très populaires dans le village. Les jeunes femmes travaillaient bénévolement à leur hôpital.

Pendant tout mon séjour à Bréhal, je fus très bien matériellement et moralement. Mon meilleur réconfort était l'affection que Madame Olivier et ses filles me témoignaient ainsi qu'à mon ami Joseph HOURAND.

Dès le 23 janvier, nous fûmes nourris par l'armée. A vrai dire, la nourriture qu'elle nous donnait n'était pas fameuse, mais les habitants suppléaient à cette lacune. Bon nombre de soldats ne mangèrent jamais de la gamelle à Bréhal.

L'instruction militaire commença immédiatement. Le cadre était très réduit : deux, puis trois officiers et une dizaine de sous-officiers et caporaux pour 340 hommes. Le clairon sonnait le réveil à 6 h. mais nous nous levions seulement à 6 h. pour la distribution du café et du pain. Nous partions pour l'exercice à 7 h. Nous allions faire des évolutions à rangs serrés sur les routes et nous rentrions vers 11 h. On nous distribuait la soupe à midi. Nouveaux exercices de 2 à 4 h puis théorie et corvée d'épluchement occupaient nos après-midi. Nous terminions la journée à bavarder avec nos hôtesses. Plus tard, les dunes de Saint Martin-le-Vieux et de Briqueville-sur-mer furent le théâtre de nos exercices. Dès les tous premiers jours, j'avais écrit des lettres à mes cousins Ulric et Léon, à Florentin et à mes parents, à ces derniers par l'intermédiaire des demoiselles KOYMANS de Maastricht. J'attendais impatiemment leurs réponses. Le 19 février, je reçus celle de Florentin. Il me disait sa surprise de me savoir si près de lui. Il se trouvait à Coutances à 19 km de Bréhal !La première lettre de Lincé arriva le 24 février. J'étais dans la halle pour la soupe, je vis arriver la fille aînée de Madame Olivier, (Madame DEBIEU) tout affairée tenant une lettre à la main. Je reconnus immédiatement l'écriture de mon frère et je lus sa lettre avec émotion. Le même jour, le facteur militaire me remit la réponse de mon cousin Léon. Un mois après notre arrivée, nous étions toujours sans uniforme et sans arme. Beaucoup manquaient de linge et leurs souliers étaient en lambeaux. Les gens de Bréhal leur avaient payé des sabots. Ils étaient une soixantaine ainsi chaussés et groupés dans un pelletons spécial, qui manœuvrait sur la place du marché.

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Enfin, vers le 22 février, les premiers effets d'habillement arrivèrent. C'était bien peu de chose encore : un bourgeron de grosse toile blanche, une paire de bottines, des bandes milletières gris foncé, et un peu de linge de corps ; mais pas de capote, pas de coiffure. Il nous était défendu de porter notre pardessus civil sur ce misérable uniforme de toile, mais le problème fut immédiatement résolu en mettant le pardessus .... dessous, ce qui gonflait anormalement le fond des culottes ! Inutile de dire que notre tenue blanche fut rapidement un sale torchon.

Afin de procurer aux soldats et aux habitants un peu de distractions, il se forma bientôt parmi les volontaires une fanfare, une chorale et une dramatique. Les instruments furent prêtés par la fanfare de Cérences dont la plupart des membres étaient mobilisés. Des concerts furent donnés les dimanches après-midi dans la halle pleine de soldats, de Bréhalais et de blessés convalescents. A la première séance, un blessé belge monta sur la scène pour chanter; il fut spontanément ovationné par l'assistance. C'était toute l'armée belge, symbolisée par ce soldat, que les jeunes volontaires saluaient dans un élan de patriotisme. Sur cette terre amie et fraternelle, mais étrangère quand même; terre d'exil, provisoire sans doute; mais terre d'exil malgré tout, nos pensées ne cessaient de se porter vers notre terre natale, vers nos chers parents dont nous parlions souvent et auxquels nous pensions toujours. Nous rêvions de rejoindre le front au plus tôt et de reconquérir notre sol, de venger nos morts et de retrouver notre famille qui nous attendait avec autant d'impatience. Sans doute, pensions nous, il faudra bien quelques mois pour que tout cela se réalise ...

Notre instruction militaire avançait et nous croyions recevoir bientôt des fusils. Nous faisions des marches jusque Briqueville, Cérences, Briqueville. C'était ordinairement le lundi, jour de marché à Bréhal. Cela nous permettait de connaître les paysages normands. Dans les campagnes, le même spectacle se représentait; des fermes mal entretenues, abandonnées et croulantes parfois, conséquence de la désertion des campagnes et de la dépopulation. Le département de la Manche où nous sommes, a perdu cent mille habitants en cinquante ans. La campagne se composait surtout de prairies et de vergers séparés par des murs de terre hauts de cinquante centimètre et surmontés de haies épaisses et d'arbres ébranchés jusqu'aux trois quarts de leur hauteur.Chemin faisant, nous rencontrions les paysans et les paysannes qui venaient au marché sur des charrettes à très hautes roues. Ils y apportaient des volailles, des légumes, du beurre, du grain, etc. Souvent, les femmes venaient seules, les maris étant mobilisés, conduisant les chevaux et les ânes, ces derniers très nombreux dans la région. Au retour, elles remportaient des objets des magasins du bourg ou des échoppes et souvent un pain énorme de sept kilos et demi en forme de couronne.

Un jour, deux compagnies belges de Grandville passèrentà Bréhal et y firent halte. Ce fut un spectacle humiliant pour nous. Ces soldats étaient des miliciens de la classe 1914 mobilisés dans les Flandres avant l'abandon d'Anvers.

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Ils avaient des visages pâles, minables, des capotes loqueteuses qui cachaient à peine des bourgerons luisants et raides de crasses. Tous étaient petits et chétifs, vraiment nous n'étions pas fiers. A les voir, on devinait qu'ils étaient mal nourris. Notre fanfare fut mobilisée sur le champ et placée en tête de la colonne et c'est ainsi que nous les reconduisîmes jusque Coudeville sur la route de Granville.

Un jour, je fus atteint de dysenterie, le médecin me fit rester à la maison où Madame DEBIEU me soigna maternellement pendant trois ou quatre jours.

Dans les derniers jours de février, on commença à parler sérieusement de notre transfert à Granville, à la caserne pour y occuper les chambres laissées vides par un détachement parti au front. Ce bruit nous attrista beaucoup car nous étions si bien à Bréhal et les civils en avaient de la peine aussi. Les misérables piottes que nous avions vus quelques jours plus tôt et les paroles des sous-officiers venus de Granville nous faisaient une peinture noire de la caserne et de la vie qu'on y menait.

Le 28, le premier chef nous annonça avec un sourire mauvais que notre départ était fixé au 2 mars. Il nous parla longuement des rigueurs de la caserne, du cachot, des privations diverses, prenant un méchant plaisir à tout exagérer. "Vous serez vissé !" disait-il en joignant le geste à la parole. Bref, la caserne nous apparut comme un épouvantail. Le soir quand je rentrai à la maison, il n'y avait personne. Je m’accoudais à la fenêtre et pendant que la nuit tombait, je rêvai mélancoliquement à ma destinée. Après avoir quitté mes parents, il fallait maintenant abandonner ce foyer si accueillant de Madame Olivier. Cependant, le soir même j'appris que les habitants de Bréhal allaient faire une pétition pour nous garder parmi eux. Cette nouvelle nous rendit de l'espoir.

Le résultat du Pétitionnement fut connu le surlendemain : nous obtenions tout juste une prolongation de séjour jusqu'au 6 mars. L'ordre était formel. Les derniers jours furent consacrés aux préparatifs du départ. Nous reprîmes nos costumes civils pour pouvoir lessiver nos bourgerons et notre linge. Pour emporter nos maigres bagages, il nous fallait un sac que l'armée ne pouvait nous fournir mais qu'elle nous obligeait à acheter à nos frais. Comme tout le monde, j'achetai donc de la toile et Madame DEBIEU se chargea d'en confectionner un sac avec bretelles.

5 Mars 1915, Vendredi.- Précédé de la fanfare, nous allons à Cérences, pour y remettre les instruments à la société qui les avait prêtés. L'après-midi, la compagnie rassemblée sur la place du Marché est divisée en quatre pelotons qui demain seront incorporés aux compagnies de même numéro à Granville. Je suis désigné pour la 2ème compagnie. On nous donne les consignes pour demain. Je suis malheureusement séparé de Joseph HOURAND qui passe à la 4ème Cie.

6 Mars 1915 Samedi.- Levés tôt, nous assistons à une messe d'adieu célébrée par l'aumônier belge de Granville. Après son sermon bilingue, le doyen de Bréhal prend la parole.

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Il rappelle ce que la France doit à la Belgique et nous dit la joie qu'ont eue ses paroissiens de payer leur dette de gratitude envers nous, en nous recevant dans leurs foyers comme des frères très chers. Il exprime ses regrets de nous voir partir si tôt.

La messe terminée, nous rentrons chez nos hôtesses pour faire nos adieux et nous mettre en tenue. Nous nous rassemblons sur la place, les quatre pelotons en carré. Notre commandant nous adresse une allocution en français et en flamand. - "J'avais vu dès les premiers jours, dit-il, que vous étiez de bons soldats, courageux et résolus. Aussi, j'avais espéré marcher avec vous à l'ennemi. Si plus tard, je vous retrouve au front, vous pourrez compter sur moi, comme je compterai sur vous". De nombreux Bréhalais assistent à notre départ : quand la compagnie s'ébranle sur la route de Granville, nous leur adressons un dernier salut, le cœur un peu serré.

Nous entrons à Granville â 10 h, nous traversons toute la ville pour remonter la rue des Juifs et pénétrer dans la cour de la caserne du Roc. On nous répartit en chambrées. Je me trouve dans la chambre 84, au 2ème étage, en compagnie de Hannesse, Gouvelant, Opsteyn, Jérusalem, Lacroix...Nous faisons connaissance avec notre nouveau caporal, Van Haelen, qui nous accueille très aimablement. Ma première impression est rassurante, nous ne serons pas si mal qu'on nous avait dit. Nous sommes 28 dans la chambre. Sur la porte on lit : "chambre 84. 20 hommes. Maximum 24". Ce n'est pas trop mal. Nous avons des sacs à paille, une table, deux bancs, un poêle, une lampe à pétrole. La nourriture vaut mieux que celle de Bréhal. L'après-midi, on nous distribue des capotes usagées mais convenables, des couvertures, mais toujours rien comme coiffure. Le soir, on cause intimement, complètement détendus et débarrassés de toutes nos appréhensions au sujet de la caserne.

Mon séjour à Granville.

Le lendemain, 7 mars, c'est dimanche, jour de sortie, j'en profite pour visiter la ville après la messe à l'église Notre-Dame du Loup.

Granville, surnommée par ses habitants "Le Monaco du Nord", est petit port de la Manche (12 à 15.000 habitants). Elle est bâtie en partie sur une presqu'île élevée et rocheuse, en partie sur l'isthme en contrebas et en partie sur les contreforts de l'intérieur. La ville haute, la plus ancienne, est perchée sur les rochers de la presqu'île. Elle domine la mer de 25 mètres et est défendue du côté de l'isthme par de vieux remparts. On y entre par une porte moyen- nageuse avec pont-levis du côté sud.

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Les républicains y soutinrent un siège victorieux contre les Chouans sous la Révolution. On y voit la vieille église Notre-Dame-du-Loup. L'extrémité du plateau, "la Pointe du Roc" est occupée par les casernes et le phare. Elle est souvent balayée en hiver par un vent violent et glacé. Par temps clair, on aperçoit les îles Chausey à l'Ouest et les côtes bretonnes au sud. La ville basse est la partie vivante; elle s'étend de la plage sablonneuse du nord jusqu'au port au sud. Là, se trouvent le Casino, les hôtels, les magasins, le "Cours Jonville" place centrale au bord du ruisseau, Le Boscq. La troisième partie s'étage sur le flanc de la colline du "Calvaire" dominée par l'élégante église Saint-Paul toute blanche avec ses trois coupoles. Cette jolie ville est un centre balnéaire très fréquenté en été. La caserne du Roc est occupée en temps de paix par le deuxième de ligne français. Actuellement, elle héberge les dépôts des 2ème et 202ème de ligne et du 79 ème territorial et le centre d'instruction belge de la 3ème DA.

Les quatre bâtiments principaux portent des noms de batailles : Gènes, Zurich, Polotsk, Solferino. C'est dans les étages de ce dernier que logent les Belges. Des fenêtres, on a des vues superbes sur la ville et sur la mer.

Le lundi, on nous donna enfin des Képis et les exercices recommencèrent. Nous allions sur la plage de Donville, à une heure de la caserne dans une plaine sablonneuse et en partie inondée. Les jours de grande pluie, on nous donnait la théorie dans les chambres. Petit à petit, on nous donna un uniforme plus ou moins militaire Pour arriver enfin à une tenue presque réglementaire.

Le 11 mars, je reçus la première lettre de mon cousin Ulric, c'étaient les premières nouvelles que je recevais de lui depuis le début de la guerre, j'en fus très heureux. J'écrivis aussitôt à mes parents et je joignis la lettre à la mienne.

En compagnie de cinq amis, j'allai me faire photographier en ville; il y avait les trois frères HOURAND, GAUTHIER, SENDRON et moi-même. (14 mars). Lorsque je reçus les photos quelques jours plus tard, je m'empressai d'en envoyer une à Lincé.

Enfin, nous reçûmes des fusils, des sacs et des cartouchières et nous apprîmes les maniements des armes dans les dunes de SaintP et ailleurs. Ce mois de mars fut très froid; le vent était si violent dans la cour de la caserne qu'il soulevait les morceaux de viande et les faisait tomber hors des bacs où on les transportait : la soupe était aussi soufflée partiellement hors des bidons.

A la même époque, l'eau manqua à la caserne; on devait se laver à 10 ou 12 dans la même eau. On finit par ne plus se laver. Aussi, le major ordonna de nous envoyer chaque matin au bord du Boscq, en pleine ville, pour nous laver dans le ruisseau, torse nu selon la consigne. Cela dura bien un mois, puis l'eau revint à la caserne. Quant au linge, je faisais laver le mien en ville.

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A la fin du mois de mars, un peloton spécial d'élèves-caporaux fut formé. Tous ceux qui avaient fait quelques études y étaient versés d'office; j'en fis donc partie. Nous étions exempts de garde et de corvée, aussi, au début cela me plaisait.

Au début d'avril, un nouveau contingent de volontaires arriva à Granville. Parmi eux il y avait plusieurs Sprimontois qui m'apprirent quelques nouvelles du pays.Pour leur faire place, nous dûmes nous serrer à 44 dans chaque chambre. Heureusement quelques semaines plus tard, presque tous les miliciens de 14 partirent au front et nous fûmes plus à l'aise.

Parmi les nouveaux volontaires, se trouvait un chef d'orchestre de talent, Corneil de Thoran, qui mit une fanfare sur pied. Tous les dimanches, cette fanfare donna un concert sur le kiosque du Cours Jonville. Les soldats belges et français et les civils y assistaient très nombreux. Invariablement, le concert se terminait par les hymnes nationaux alliés chantés par le premier-chef Lambotte; la Brabançonne et la Marseillaise en Français, le God save the King en anglais, le Boge Tsaria Krani en russe et Fratelli d'Italia en italien. Il obtenait toujours un grand succès car il avait une voix magnifique et puissante. Le dimanche, il chantait aussi "Vers l'avenir" à la messe à N.D. du Loup.

4 et 5 Avril 1915, PAQUES.- A l’ occasion de la fête de Pâques, je demandai et obtins une permission de deux jours pour aller voir Florentin GODINAS à Coutances. Je fus très heureux de retrouver cet ami d'enfance. Il était logé dans un grand bâtiment vétuste dénommé "l'évêché". J'y passai la nuit. Le lendemain nous visitâmes la ville qui possède des édifices remarquables, la cathédrale, une des plus belles de France avec ses trois hautes tours, l'église Saint Pierre, l'hôtel de ville, le jardin public, etc. Je mangeai à la gamelle et je constatai que celle de Granville ne valait pas moins. Je rentrai à Granville dans l'après-midi.

Le service au peloton spécial ne tarda pas à devenir excessif, les officiers sévères et exigeants. Une semaine on nous imposa trois marches de nuit en plus des exercices ordinaires déjà très durs. Je demandais à rentrer à la compagnie, ce qui me fut refusé. A la fin du mois d'avril, les soldats du peloton spécial furent convoqués au rapport du commandant qui devait faire des propositions pour le grade de caporal. Je renouvelai ma demande de rentrer dans les rangs et cette fois, mon désir fut exaucé.

Au mois de mai, l'Italie entra en guerre à nos côtés. Ce fut une grande joie car on pensait bien que cette intervention allait amener la fin rapide de la guerre.

Le 11 juin, je reçus la seconde lettre de mon frère. Elle m'apportait de bonnes nouvelles, notamment la complète guérison de maman. J'en eu le moral remonté au maximum.

Depuis que j'avais quitté le fameux peloton, il y avait plus de variété dans mon service, garde, corvée de cuisine, service de garde-chambre. Celui-ci était le plus désiré, il consistait à laver, nettoyer et ranger la chambre.

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Ceci fait, on n'avait plus qu'à tuer le temps en lisant, écrivant, fumant et à regarder trimé les autres. Nous avions comme chef de peloton un brave sous-lieutenant bruxellois, Deussen, qui nous traitait comme un bon papa sait le faire. Nous l'aimions beaucoup et pour le lui prouver, nous lui offrîmes sa photo agrandie dans un cadre de luxe. Il en fit reproduire en format carte postale et nous en dédicaça une à chacun.

Pendant l'été, nous fûmes entraînés aux longues marches vers Bréhal, Carolles ou Saint Jean le Thomas. Elles nous plaisaient; à Bréhal, elles nous permettaient d'aller saluer les bonnes gens du bourg; à Carolles et à Saint Jean, nous pouvions admirer la célèbre silhouette du prestigieux Mont Saint-Michel semblable à un gigantesque vaisseau immobile sur la mer bleue, et la côte bretonne s'allongeant vers l'occident où elle se confond avec l'infini de la mer.

La marche à Carolles du 7 juin fut mémorable, la chaleur était étouffante, beaucoup de soldats furent malades, on en ramena plusieurs sur des charrettes, tous nous avions les pieds en compote. Nos figures étaient noires de poussière collée par la sueur. Au retour, comme dernière épreuve, on nous fit rentrer à la caserne par un chemin abrupt dans les rochers. Sans doute les officiers avaient évité la ville pour ne pas montrer aux civils nos visages défaits et nos pas titubants. Quand nous rentrâmes dans la cour de la caserne, nous étions à bout de souffle et de force. Rentrés dans nos chambres, nous nous jetâmes sur nos sacs à paille.

Il y avait à Granville un camp de prisonniers civils allemands et autrichiens; ils étaient logés dans une corderie désaffectée; ils étaient gardés par des soldats français. Chaque fois que nous passions en colonne devant le bâtiment, nous chantions à tue tête : "A bas les Boches, à bas les Boches, à bas les autres chiens !!!" sur l'air d' "A bas la calotte".Le 12 juillet, les Belges se substituèrent aux Français.Le 13, j'y pris la garde pour la première fois. Pour la première fois aussi, nos fusils étaient chargés ... Les trois à quatre cents Allemands et Autrichiens qui étaient là, avaient été arrêtés en Belgique et en France où ils habitaient en août 1914. Parmi eux, il y en avait deux qui avaient habité Liège : un coiffeur de la rue Pierreuse, l'autre, quai Coronmeuse employé à l'usine Lempereur et Bernard de Herstal.Ils nous le dirent en wallon. Nous étions fiers de notre nouvelle fonction; elle nous donnait la satisfaction de dominer quelques-uns de ces Boches que nous haïssions tant. Au corps de garde, les Français nous avaient laissé leurs sacs à paille en héritage. Nous ignorions qu'ils étaient infestés de poux; nous n'avions pas encore connu ces parasites jusqu'alors. Nous ne nous en aperçûmes pas tout de suite. Pour ma part, je sentis d'abord leurs piqûres en dessous des genoux, mais j'attribuais ces démangeaisons à la ligature de mes molletières. Un jour, je m'aperçus de la cause véritable. Horreur ! des douzaines de ces bestioles répugnantes grouillaient dans les replis de mon pantalon. A grand renfort d'eau et de savon, j'entrepris de les détruire. Les autres soldats firent la même constatation désagréable. Dès ce moment, on s'efforça de se débarrasser de cette engeance, mais jamais on ne parvint à s'en défaire définitivement. Il fallut souffrir cette vermine jusqu'en 1918.

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21 Juillet 1915 Fête nationale.- Notre fol espoir de célébrer notre fête nationale a Bruxelles a été déçu, c'est en exil que nous allons le faire. Granville a voulu s'y associer, elle est abondamment pavoisée de drapeaux alliés, les belges sont les plus nombreux après les français. De plus, la ville nous offre un magnifique drapeau. Pour la circonstance, les pelotons venus de Bréhal ont étrenné la nouvelle tenue de toile kaki. Le bataillon est rassemblé devant la "Corderie", le temps est magnifique. Nous parcourons les principales rues de la ville avant de nous masser sur la vaste place de la gare. Là, le Maire remet à notre major le drapeau offert par la ville. Puis nous défilons devant notre nouvel étendard avant de regagner la caserne. Sur tout le parcours, une foule sympathique nous manifeste son amitié. Cette fête nationale nous inspire des réflexions diverses. Pour la première fois le bataillon entier a paradé en ville, la beauté de ce millier de volontaires marchant dans un ordre impeccable, la vue de nos couleurs partout à l'honneur ont exalté notre patriotisme et notre résolution de reconquérir notre Patrie. Mais nous avons pensé aussi intensément à nos parents, à nos frères du pays envahi, qui, privés de tout spectacle réconfortant comme celui-ci, ne voient partout que des uniformes gris surmontés de hideux casques à pointe. Comme leurs cœurs doivent en souffrir !

Au cours d'un exercice de nuit, nous commentions le déroulement de la guerre avec le lieutenant Deussen; il rabattit notre optimisme et notre espoir d'une fin rapide de la guerre en nous disant : "La guerre sera encore longue. En octobre, 14, les Anglais ont loué des bâtiments en France pour trois ans".

Au mois d'août, notre camarade Désiré CORTIN d'Aywaille mourut à l'infirmerie. Depuis longtemps, il traînait son corps anémié. Mal soigné d'abord, traité de carottier ensuite, envoyé à l'exercice où l'infâme premier-chef Van Mello le faisait courir "pour le punir d'avoir tiré au flanc", envoyé à l'hôpital de Saint Pair où il fut refusé parce qu'il s'y présentait un jour trop tôt, il s'y traîna de nouveau le lendemain et y mourut quelques jours plus tard.Quelle lamentable histoire ! Le même jour, un jeune Flamand, Vuylsteke, se tuait en tombant d'une fenêtre de l'infirmerie. La veille je l'avais encore entendu chanter à la cantine.

Les deux soldats furent enterrés le même jour. Avec quelques camarades, je portais le cercueil de Cortin. Les obsèques furent chantées dans la chapelle de l'hôpital de Granville. Puis, le cortège se mit en marche, tout le bataillon y assistait. En tête les clairons sonnaient lentement "Aux champs". Nous arrivons au cimetière perché sur la falaise et incliné vers la mer qui murmure plaintivement en contrebas. Une longue rangée de petites croix noires indique les tombes des soldats, de nombreux Français et une douzaine de Belges. Au bout de la rangée, deux fosses béantes attendent leurs hôtes. Nous déposons les cercueils drapés de nos trois couleurs. Tour à tour, le capitaine Pioch, de la '4 ème Cie et le lieutenant Paulus, de la 2ème, prononcent leur discours. Les clairons lancent un dernier "Aux champs" pendant que le wallon et le Flamand descendent côte à côte dans la terre qui va se refermer sur eux.

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Puisse cette noble terre de France leur être légère. Pendant cette longue cérémonie mon esprit se porte vers le petit cimetière de Lincé où reposent mon frère et ses compagnons qui n'eurent même pas l'honneur d'un enterrement décent.

Parfois, le dimanche, je retournais à Bréhal, soit en train, soit à vélo que je louais, soit même à pied. J'y étais toujours bien reçu.

Le 6 août, anniversaire des massacres de Lincé, j'étais de garde à la Corderie. Les journaux annonçaient la prise de Varsovie par les Allemands. Les déceptions apportées par les Russes et le souvenir de 1914 me portaient aux idées moroses. Je souhaitais qu'un prisonnier tentât de s'évader afin d'avoir l'occasion de l'abattre comme un chien.

Quelques jours plus tard, on nous annonça que les volontaires de Bréhal allaient partir au front le 15 août. Cette nouvelle nous réjouit car depuis longtemps déjà, nous nous demandions pourquoi on nous laissait moisir à Granville.Mais certains durent bientôt déchanter : trente-cinq hommes par peloton devaient partir, et nous étions soixante ! Je ne fus pas désigné comme partant, mon copain Hannesse non plus, notre consolation fut de partager le même sort.

La veille du départ, les officiers offrirent le vin d'adieu à la cantine. Le capitaine Pioch et l'aumônier militaire adressèrent de vibrantes allocutions aux partants. Ceux-ci étaient exaltés tandis que ceux qui restaient nageaient dans la mélancolie. Le soir j'étais de garde. Je fis la ronde dans les chambres avec Hannesse et un caporal. Personne ne dormait; dans certaines chambres, on continuait à fêter le départ à grands coups de pinard. A peine étions nous rentrés au corps de garde qu'on vint nous prévenir qu'un soldat était tombé dans les rochers. Le pauvre type avait bu plus que de raison, s'était attardé en ville et avait voulu rentrer par escalade. Il avait dégringolé et s'était cassé la jambe. On le rapporta à l'infirmerie sur des planches.

Le départ eut lieu à quatre heures du matin. Chaque soldat portait un petit drapeau à son fusil. Je dis un dernier au revoir à mes amis. Les officiers nous promirent un nouveau départ pour le 15 septembre. Cette date passa sans que la chose se réalisât.

A la fin du mois, nous apprîmes qu'un détachement allait être dirigé sur le centre d'instruction de mitrailleurs de Griel-sur mer. Cette fois je fus inscrit sur la liste, mais Godefroid Hannesse non. Ce sera une nouvelle séparation. Le départ était fixé au 30 septembre. Je décidai de faire une dernière visite à la famille Olivier à Bréhal le dimanche 26. Malchance ! Ce jour là, je fus commandé de piquet, je ne pouvais quitter la caserne ! Risquant une punition sérieuse, je partis quand même avec Hannesse. Nous revîmes pédestrement. En rentrant dans la caserne, nous apercevons les hommes de piquet, en tenue et en armes rassemblés près de la grille. Nous nous précipitons en coup de vent dans notre chambre, nous nous équipons en hâte et courons comme des lièvres jusqu'au rassemblement.

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L'appel était déjà commencé mais nos noms n'avaient pas encore été cités et nous pûmes répondre : 'Présent !" quelques secondes plus tard. On parlait de l'évasion de deux prisonniers de la Corderie, cependant on nous fit rentrer en recommandant de nous tenir prêts à répondre à l'alerte.Un peu après minuit, le clairon sonna : "Piquet, rassemblement, pas gymnastique !"En quelques minutes, le piquet est sur pied armé dans la cour. Les deux Boches sont réellement évadés; le lieutenant Deussen organise des patrouilles qui parcourent la ville.Avec lui et quatre ou cinq camarades, je me dirige vers le port. Nous fouillons les quais, interrogeant les marins anglais et norvégiens. On arrête deux Polonais, un Espagnol et un Italien, qu'on relâche aussitôt. Je suis chargé de surveiller un navire norvégien. De Boches, pas de traces. Nous rentrons bredouilles après trois heures de recherches.

29 Septembre 1915, Mercredi.- C'est la veille du départ, les officiers nous payent le traditionnel vin d'adieu. Nous préparons nos bagages. Nous devons rendre nos armes, sacs et ceinturons. Le petit sac de Madame DEBIEU va me servir une nouvelle fois.

30 Septembre 1915, Jeudi.- Notre détachement s'embarque à 10 h. Au moment du départ "Shrapnell", le chien fidèle de notre compagnie, suit le convoi. Le train accélère son allure et le pauvre chien se voit distancé. Il continue à courir éperdument mais disparait à nos yeux au premier tournant. Brave chien, va, nous te regrettons !

Nous passons à Villedieu qu'habite maintenantMadame DEBIEU, puis Saint Séver, Vire, Flers, Briouze, Argenton, Mézidon, Lisieux, Bernay, Serquigny. Ces villes sont assez belles et possèdent de curieuses églises. Le paysage change peu à peu, les champs cultivés deviennent plus nombreux. Le train fait de longues haltes dans les gares, notamment à Elboeuf. Ici, la nuit est complète.

1er Octobre 1915, Vendredi.- Nous passons à Noiselle puis à Rouen. Le jour commence à poindre. Nous traversons une région qui ressemble beaucoup à ma région natale. A Dieppe, on se croirait dans le Condroz. Nous descendons à Touffreville-Criel. Nous Prenons à pied la direction de Criel-sur-mer, nous ne faisons qu'une courte halte dans ce village et nous continuons jusque Tocqueville, sur le plateau qui domine la mer. Nous attendons longtemps sur la place où l'on finit par nous répartir entre les divers régiments. Je suis versé au 5e de ligne ainsi que Beaudoin Mathieu qui va devenir mon ami et une dizaine de Flamands et Bruxellois. Le sergent-fourrier Maurice TONGLET nous conduit à notre cantonnement, une ferme du petit hameau de Mesnil-à-Caux. Nous y trouvons une douzaine de soldats venus du front avec qui nous serons amalgamés pour former la section de mitrailleurs de la 2e Cie du 4e bataillon du 5e de ligne (4/2 du 5).

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Mon séjour â Mesnil-à-Caux et à Criel-sur-mer.

Le centre d'instruction de Criel était destiné à former des mitrailleurs pour tous les régiments d'infanterie, sauf pour les régiments de la 3 DA. Il était divisé en deux groupes, le premier cantonné à Criel et le deuxième à Tocqueville et Mesnil-à-Caux.

Au début notre activité comportait un jour d'instruction théorique suivi d'un jour de travail consacré à l'achèvement des champs de tir. Quand ceux-ci furent terminés, le temps fut réparti entre la théorie, le tir, les exercices pratiques et les manœuvres en campagne.

Des baraquements étaient en construction â Criel. Au fur et à mesure de leur achèvement, ils étaient occupés par les sections du premier groupe. Le 2e, le nôtre, s'y installa à son tour le 28 octobre. Ici, la mer est bordée de hautes falaises verticales toutes blanches. La plage est couverte de galets ronds et polis. Les vagues les font rouler sur eux-mêmes avec un bruit continu. Marcher dessus pieds nus est très douloureux, aussi peu de baigneurs s'y hasardent.

Le premier dimanche, on nous fit lever à 4 h. en pleine nuit, pour élever des buttes de terre sur le champ de tir de la falaise. Ce travail pénible dura jusque midi. Nous avions à peine dîné que le clairon sonna le rassemblement. On nous conduisit à Criel-Plage pour prendre un bain !Ordre absurde et stupide : 1°) nous venions de manger,

2°) nous n'avions pas de maillots de bain,3°) il faisait froid,4°) cette plage est impropre aux baignades.

Quelques-uns trempèrent leurs pieds.

Les ordres idiots seront à peu près journaliers; ils émanent du commandant du C.I.M., le major Lambotte, sorte de matamore prussien, orgueilleux comme un paon, mégalomane, dur, chercheur de petite bêtes, cordialement haï par tous, officiers comme soldats. Il avait pris le 2e groupe en grippe, l'accablait de corvées et le consignait presque tous les dimanches. Lorsque nous cantonnions à Mesnil-à-Caux, il nous interdisait de descendre à Criel. Nous ne disposions, pour nos achats, que d'une toute petite boutique à Tocqueville où l'on ne trouvait presque rien. Cependant, deux choses nous faisaient oublier le terrible major : la gentillesse de nos sous-officiers et caporaux et l'instruction.La mitrailleuse Colt nous passionnait, le tir surtout était une fête. Au début, les journées de travail étaient harassantes, terrassements, transport de lourds matériaux pendant des journées entières, ramassage des pierres sur les champs de tir, même le dimanche parfois.En plus de cela, nous étions mal nourris, mal logés à Mesnil dans une bergerie malpropre. Cependant, lorsque nous occupâmes les baraques de Criel, nous y trouvâmes du confort; la nourriture fut considérablement améliorée et il nous fut enfin permis d'aller à la messe le dimanche, en colonne par quatre à l'aller comme au retour. Le major y assistait et s'y faisait rendre les honneurs royaux Tartuffe !

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Le jour de la Toussaint, j'eus la surprise de rencontrer Henri DEFAYS de Lincé. Il travaillait à la construction des baraquements. Il m'apprit quelques nouvelles de Lincé, s'informa de mes ressources, et, comme elles se bornaient à ma solde, il me donna un billet de cinq francs, ce qui me fit un grand plaisir.

Vers la fin du mois, on nous vaccina deux fois sous l'omoplate. Cette vaccination donne de la fièvre pendant un jour ou deux. Nous l'avions déjà subie trois fois à Granville et nous avions obtenu 48 h. de repos chaque fois. Ici, le cruel major trouva encore le moyen d'exercer sa méchanceté. Il nous fit vacciner deux samedis après-midi, pour nous priver de notre sortie du dimanche et nous imposa le lundi des exercices particulièrement éreintants.Je pourrais écrire des dizaines de pages si je devais raconter toutes les vexations que ce bourreau nous a infligées.

Notre instruction achevée, on nous habilla en kaki, pour partir au front. Comme arme individuelle, je reçus une toute petite carabine et une très longue bayonnette. Le départ était fixé au 6 décembre.

6 Décembre 1915, Lundi.- A une heure et demie, sac au dos, nous prenons la route 'Eu où le train nous attend. Le major nous précède à cheval, paradant majestueusement. Henri DEFAYS m'accompagne pendant un bon kilomètre; il a du mérite car il pleut bien fort. Eu est à dix km, nous y arrivons tout trempés. Fous embarquons; le major est sur le quai, très digne, l'air solennel. Au moment où le train s'ébranle, il salue gravement et, de toutes les fenêtres des wagons, sort une huée formidable et hurle : "A bas le major !, Crève, major !, Smeerlap !, Crapule !, Bandit !, Boche !" et j'en passe. Je ne sais si le ... (voir ci-dessus) a compris les injures, tellement les vociférations étaient violentes, mais s'il en a saisi l'une ou l'autre il aura su tout ce que ses soldats avaient sur le cœur. Le train roule dans la nuit, nous essayons de dormir.

7 Décembre 1915, Mardi.- Quand le jour se lève, nous sommes à Dunkerke. Peu après nous entrons en Belgique. Il y a presqu'onze mois que je l'ai quittée. Nous regardons avidement cette terre qui est la nôtre et où nous allons combattre pour arracher à l'ennemi la partie qu'il occupe et tyrannise. A Adinkerke, nous descendons et foulons avec émotion le sol partial. La vie du front commence.

Cadre de ma section :

Adjudant : Jules MAESSergent-fourrier : Maurice TONGLETSergent : Louis SCHOETERSCaporaux : Jean-Baptiste DERDER et Emile BUISSERET.

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Troisième Partie : AU FRONT DE L'YSER.

Avertissement

Ce qui suit n'est pas une histoire de la guerre, c'est l'histoire d'UN soldat belge d'infanterie qui est arrivé au front après les batailles épiques de Liège, d'Anvers et de l'Yser. La guerre de mouvements avait fait place à la guerre de tranchées, guerre monotone, fastidieuse, routinière. La guerre de mouvements ne devait reprendre pour nous que fin septembre 1918.Le général et l'historien voient la guerre sur des cartes et sur des plans, ils la voient sur toute l'étendue du front, mais de haut et de loin. Le soldat ne voit rien au delà de son étroit champ visuel, mais il voit de près, il sent et il vit l'action. Dans tous mes récits, je me suis efforcé d'être froidement objectif; je n'ai rien exagéré, je n'ai pas cherché à éblouir par des phrases ronflantes et menteuses, mais j'ai serré la vérité du plus près que j'ai pu. Si, par instants, j'ai essayé d'être éloquent, c'est que la réalité du fait ou du tableau l'exigeait pour être vrai.

Avant de passer à mon journal de campagne écrit au jour le jour, il est nécessaire, pour que le lecteur puisse bien le comprendre qu'il ait une connaissance suffisante des lieux de l'action, de l'organisation de l'armée, de la vie du soldat, ses misères, ses distractions, ses pensées. C'est pourquoi je fais Précéder mon journal proprement dit de commentaires généraux sur tous ces sujets.

Dans la suite, la plupart des jours et des nuits sont résumés par un mot : garde, travail, repos. Je ne pourrais décrire les mêmes faits quotidiens sans tomber dans une répétition monotone qui engendrerait chez le lecteur un mortel ennui.

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Les divers secteurs du front belge

Près de la mer, en avant de Nieuport, s'étendait le secteur des dunes. Après la bataille de l'Yser, il fut occupé par les Français jusqu'au printemps de 1917, par les Anglais ensuite pendant quelques mois, et enfin par les Belges jusqu'à la fin. Les armées adverses occupaient chacune une rive de l'estuaire de l'Yser sauf à Nieuport où les Belges tenaient une tête de pont sur la rive droite : le Redan de Nieuport.Il n'y avait pas d'inondation ici.

Au sud de Nieuport et jusqu'au nord de Dixmude et du sud de cette ville au sud de Noordschoote s'étendait la région inondée, vaste nappe de deux à trois kilomètres de large, parsemée d'îlots marécageux émergeant de quelques décimètres seulement au dessus du niveau de l'eau. La profondeur variait d'un centimètre à deux mètres. De Nieuport à Caeskerke, elle était limitée par le remblai du chemin de fer formant digue et où se trouvait la ligne principale de défense. En face, la première ligne allemande suivait les digues de l'Yser.

Dans le secteur de Dixmude, il n'y avait pas d'inondation. Les premières lignes opposées étaient creusées dans les digues de l'Yser distantes d'une trentaine de mètres. Au nord et au sud de la ville, les Belges occupaient six ou sept avant-postes sur la rive droite.

Enfin, du sud de Noordschoote au nord d'Ypres, les secteurs de Steenstraete et de Roesinghe n'étaient pas inondés. Les Belges bordaient la rive gauche du canal d'Ypres (Yperlée canalisée). Sur l'autre rive, les Allemands avaient leurs tranchées dans la digue ou en retrait de 100 ou 200 mètres.

Description des secteurs et travaux sur le front

Dans les secteurs inondés, les lignes de tranchées principales bordaient les inondations. Entre ces deux lignes très éloignées, des avant-postes belges et allemands construits sur des îlots, se surveillaient les uns les autres. Ils étaient reliés entre-deux et à l'arrière par des passerelles en bois posées sur des pilotis ou, pour le passage des ruisseaux sur des tonneaux ou des blocs de liège.

L'établissement de ces avant-postes avait demandé une somme de travail considérable. En effet, à l'Yser, l'armée belge n'a jamais pu "creuser" des tranchées, elle a dû les élever, les construire au dessus du sol. Quand on enlevait une pelletée de terre, l'eau suintait aussi tôt au fond du trou et le remplissait en peu de temps. Il fallait donc bâtir la tranchée, élever deux murs de terre distants d'un mètre à un mètre et demi. Pour que les terres ne s'écroulent pas; les parements étaient faits de petits sacs remplis de terre ou maintenus par des fascines. Dans ces conditions, il fallait enlever un volume de terre considérable pour faire un petit bout de tranchée.

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Schéma du secteur du régiment au sud de Ramscappelle.

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La besogne se compliquait du fait que très peu de terre était disponible. Ne pouvant creuser a plus de trente centimètres de profondeur à cause de l'eau, il fallait la prendre en largeur, mais alors on s'éloignait de la tranchée en construction et on devait lancer la terre de très loin. Cette terre argileuse collait tellement à la pelle qu'elle ne s'en détachait pas et entraînait la pelle, et parfois l'homme qui la lançait dans le fossé déjà creusé et rempli d'eau.

Quand la distance devenait trop grande, on portait la terre dans de petits sacs surnommés "vaderland's" qu'on transportait sur l'épaule. Il arrivait que l'îlot disparaissait et que la tranchée seule émergeait de l'inondation. S'il fallait encore de la terre, on allait la chercher sur un autre îlot voisin à cent mètres ou plus. Ces travaux se faisaient par tous les temps. Quand le sol était gelé, on devait briser la croûte durcie et glacée pour découvrir de la terre friable. Dans l'obscurité, la pelle heurtait parfois des débris de bois, d'obus, voire de cadavre en décomposition.

Les tranchées devaient être protégées par des réseaux de fils barbelés. D'ordinaire, les soldats du génie plaçaient les piquets. La pose des barbelés incombait souvent aux fantassins. La nuit, ployant sous le poids des armes et des lourdes bobines, on allait travailler à la barbe de l'ennemi, pataugeant dans l'eau ou la boue. Ignorant les endroits profonds, on s'y enfonçait parfois jusqu'à la ceinture. Sans voir, ou si peu, on clouait à Côté du fil et nos doigts recevaient des coups de marteau ! Que de fois les piquants nous déchirèrent les mains ou les jambes ! Si l'ennemi tirait ou lançait des fusées, il fallait s'accroupir dans la vase. Ces travaux se répétaient jusque trois nuits consécutives... La quatrième, on se reposait ... en montant la garde ou en faisant des corvées de ravitaillement ou autres.

Secteurs non inondés. A Dixmude, à Steenstraete et Boesinghe, le terrain se relevait quelque peu et la terre quoique très humide encore n'était pas couverte d'inondations. Cependant, les tranchées étaient toujours construites au-dessus du sol; elles étaient plus solides et plus nombreuses, car on disposait de terre à volonté. Elles étaient reliées à l'arrière par des boyaux formant bretelles dans ces secteurs, l'Yser et l'Yperlée, soit vingt à trente mètres, séparaient les tranchées adverses.Aussi, la lutte à la grenade et aux lance-bombes était chose fréquente. Malgré cette proximité, on parvint à construire en première ligne des abris en béton et une ligne Decauville pour le ravitaillement. Les Allemands firent exactement la même chose de leur côté. D'une rive à l'autre, il n'était pas rare de s'entendre travailler, circuler ou parler.

A la fin de 1917, à la suite de l'offensive franco-anglaise qui avait porté les lignes alliées cinq km en avant de l'Yperlée, l'armée belge releva les Français dans le secteur de Merckem-Bixschoote, et en avril 1918, les Anglais dans celui de Langemark. Secteurs de chaos où les tranchées n'étaient qu'ébauchées, les passerelles rares et rudimentaires : bref, presque tout était à faire dans ces terrains ravagés, et, cela malgré une grande activité de l'artillerie ennemie.

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Ordre de bataille de l'armée belge

La composition de l'armée a changé plusieurs fois au cours de la guerre. Après la bataille de l'Yser, elle comprenait six divisions d'armée. (DA) La 3e DA se composait de six régiments d’infanterie plus les autres armes. Les régiments d'infanterie avaient 3 bataillons à 4 compagnies plus des compagnies de mitrailleuses. Dans les autres DA, il n'y avait que 3 régiments d'infanterie, mais à 4 bataillons de 4 compagnies. Chaque compagnie était renforcée d'une section de mitrailleurs. (2 pièces) Il y avait en outre des compagnies de mitrailleurs régimentaires.

En décembre 1916, toutes les DA furent uniformisées. Quinze nouveaux régiments furent créés à l'infanterie. Des DI comprenaient : 3 Régts d'inf. à 3 Bats de 4 Cies dont une de Mitr. (les 4e, 8e et 12 e), plus une Régt. d'Artillerie, un du génie et d'autres troupes. Les DA étaient complétées par un Régt. d'Art., un de génie, un groupe de cavalerie, une compagnie cycliste, une Cie de réhabilitation (Rh), etc.

Composition de la 3 DA

a) la 3e division d'infanterie (3DI) soit : les 9e, 11e et 12e de ligne le 3e d'art. (3A), le 3e génie (3 Gn);

b) la 9e DI, soit : le 14 e de ligne, les 1er et 4e chasseur à pied le 9e d'art. (9A) et le 9e Gn;

c) le 15e d'art., le 15e Gn, la 3e Cie cyclistes, un groupe du 2e lancier, la 3e Rh, le 3e corps de transport, etc.

Lors de cette réorganisation, des compagnies de la3 DA furent transférées dans d'autres divisions (Une de chaque bataillon).

Occupation des tranchées

Cinq divisions tenaient le front. L'autre était en réserve, (au grand repos) près de la frontière française et même au delà Pour un mois, ou deux, parfois plus. Après, elle retournait aux tranchées et la division relevée avait son tour de repos. La division de cavalerie n'allait au front qu'en hiver. Dans un régiment en ligne, un bataillon était en première ligne, un autre en deuxième ligne (piquet), et le dernier au repo.

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La vie aux tranchées

La durée du séjour a varié de 2 à 3, 4 ou 6 jours, selon les époques, les secteurs, l’organisation ou d’autres circonstances.

La relève avait toujours lieu le soir, au début de la nuit.Dans les secteurs pourvus d’avant-postes, on y passait ordinairement un jour sur trois. Là, in n’était pas question de dormir, ni de se déséquiper ; on pouvait déposer son sac et veiller les vingt-quatre heures. Entre les factions, on pouvait s’asseoir, manger mais surtout ne pas se montrer à l’ennemi. Celui-ci faisait de même et il était extrêmement rare de la voir. Pour ma part, une seule fois, j’ai vu cinq ou six allemands pendant quelques secondes avant 1918. Mes compagnons et moi-même en étions tellement sidérés que lorsque nous avons pensé à tirer dessus, ils avaient déjà disparu.Mais on les entendait bien plus souvent, surtout la nuit, alors on tirait dans le noir, à tout hasard ; eux aussi, et ce n’était pas toujours en vain. Dans les tranchées de première ligne, non protégées par des inondations, la situation était identique. Ici, on observait par des créneaux, ou moyen de périscopes, on tirait sur ceux d’en face qui nous rendaient la pareille ; il arrivait qu’un périscope volait en éclat, ou qu’un soldat était atteint derrière son créneau. Dans les premières lignes protégées par les eaux, les soldats qui n’étaient pas de garde pouvaient dormir tout habillés, parfois on se déchaussait. Dans les meilleures situations, on jouait aux cartes, on lisait, on écrivait, et même (s’était mon cas), on étudiait. On avait aussi les corvées : ravitaillement des avant-postes, transports, etc...

Au repos, le premier jour, on se lavait, on décrottait ses vêtements et ses souliers, on changeait de linge, on se faisait raser ; c’était bien nécessaire après 4 ou 6 jours. Puis on nettoyait les armes qui en avait bien besoin aussi, et on présentait à un officier pour l’inspection. On se réapprovisionnait en cigarettes, chocolat, fromage, margarine, etc.Le lendemain on se débrouillait pour faire sa lessive. Cependant, à partir de 1917, l’armée se chargea de cette besogne. Certains bricolaient. Pour ma part, pendant ma présence au 5e de ligne, avec Mathieu, je gravais des fleurs et des inscriptions sur des douilles d’obus que mon copain allait ensuite vendre aux civils et même aux officiers au prix de cinq francs la paire. Mathieu se procurait ces douilles auprès des artilleurs, ce n’était pas permis, mais on sait que le Belge à d’excellentes aptitudes à la resquille. Nous gravions aussi des coupe-papier faits avec des ceintures d’obus et d’autres babioles. Parfois on assistait à un concert donné par une musique militaire sur une place publique. De temps à autre, on avait la bonne fortune de passer une soirée théâtrale donnés par des amateurs du régiment, de voir des matches de football, des exercices sportifs, d’aller aux bains-douches, et même aux bains de mer lorsqu’on se trouvait à la côte. La bonne humeur se manifestait au cantonnement par des chants, des blagues, des farces, des pitreries de toutes sorte. Il y avait aussi les bibliothèques, presque tout le monde lisait, et de auteur encore !

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On profitait du repos pour aller visiter des amis d'autres régiments proches, ou de les recevoir. Certains allaient dans les "estaminets" ou les "herberg's" boire de la mauvaise bière et rentraient ivres, ce qui amusait les autres.Enfin, il y avait l'éternelle chasse aux poux !...Pendant le grand repos, il y avait autres choses encore : des exercices de combat dans les dunes, des marches, des travaux de terrassement, de déchargement de matériaux, de munitions, des revues par les généraux, par le Roi, lui-même.

Au piquet, on occupait des cantonnements ou des abris proches des tranchées. On ne pouvait s'en éloigner. Toutes les nuits, on allait aux tranchées, voire aux avant-postes pour y porter des madriers, blocs de béton, tôles, barbelés, etc. : y remplir des "vaderlands" et exécuter divers travaux. Ici, on dormait une partie du jour, on pouvait se déshabiller, se laver et exterminer les totos. (les poux)

Le Moral

Le moral du soldat belge fut toujours excellent. Il était soutenu par l'optimisme sincère ou feint des dirigeants et de la presse qui ne reculait d'ailleurs devant aucun "bourrage de crânes" pour éviter le découragement et les défaillances dans les armées.

Malgré tout, quelques âmes faibles ne purent supporter les conditions inhumaines de la vie du front. Certains devinrent fous, (j'en ai connu quatre personnellement), d'autres mirent fin à leurs misères par la désertion ou le suicide. Je ne connais aucun cas, mais je sais qu'il y en a eu. L'immense majorité des soldats supporta les privations et les épreuves avec courage, les plus vaillants réconfortant les découragés par une boutade, une chanson, une clownerie, ou tout simplement par leur exemple. Une cause du bon moral était certainement l'amitié, la fraternité qui régnait entre les soldats et la confiance envers leurs chefs.Par groupes de trois ou quatre, on avait reformé ce qui manquait le plus, une famille. La vie au coude à coude de tous les instants avait créé une intimité profonde et confiante. L'entraide mutuelle se pratiquait en toute occasion.Celui qui recevait un colis le partageait avec ses copains. Celui qui avait une capote neuve ou une veste neuve la prêtait à un ami partant en congé. Au besoin, on s'avançait un peu d'argent. (Personne n'en avait beaucoup).Bref, on pratiquait la plus large charité. Malgré tout, il y eut des périodes de pessimisme et de "cafard" individuel ou collectif. C'était surtout à l'approche de l'hiver, parce que l'on prévoyait les misères de cette dure saison et qu'on savait que la guerre ne pouvait prendre fin qu'en été ou au plus tard en automne.

L'espoir renaissait avec le printemps qui, croyions-nous, allait permettre le déclanchement de l'offensive finale et victorieuse des alliés; hélas ! les offensives de 1915, 1916 et 1917 furent autant d'échecs et de pénibles désillusions. Le printemps de 1918 fut pire encore. La Russie s'effondra et fit la paix, les offensives foudroyantes des Allemands enfoncèrent profondément les fronts anglais et français.

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Ce fut pour nous une affreuse déception, car nous attendions l'inverse et, pour la première fois le doute sur notre victoire finale nous ébranla douloureusement. Le recul anglais au sud d'Ypres nous inquiétait particulièrement, car nous pouvions être pris à revers. Déjà, de Merckem, nous voyions le front allemand devant nous, à notre droite et derrière nous; nous risquions d'être encerclés. C'était d'ailleurs l'intention des Allemands. Dans notre secteur, les batteries étaient ramenées à l'arrière, il n'en restait qu'une seule sur la rive droite de l'Yperlée, le génie vidait en hâte ses dépôts avancés, nous mêmes fantassins, nous avions évacué sans combat et la mort dans l’âme tous nos avant-postes. Nous étions très inquiets sur la suite des événements. Cet état d'esprit régna jusqu'à la veille de la bataille de Merckem. Celle-ci fut pour nous une victoire éclatante et sa répercussion sur le moral fut formidable. Nous avions tenu et vaincu sous les coups de boutoir des Boches, tandis que tous nos alliés y avaient succombé. Dès ce jour, une confiance inébranlable en notre valeur porta notre moral à un niveau suprême, d'où il ne descendit plus jusqu'à l'armistice.

La correspondance épistolaire

Une des plus grandes préoccupations et des plus agréables aussi était l'échange de lettres avec les parents au pays envahi, avec les cousins ou amis d'autres régiments et, la plus passionnante, avec les marraines de guerre. Pour ma part, j'avais un répertoire de trente cinq correspondants et correspondantes. J'étais parmi ceux qui s'adonnaient le plus au style épistolaire. Les lettres destinées aux parents étaient le souci principal de chacun de nous; mais c'était aussi celles qui nous donnaient le plus de déceptions. Il n'y en avait pas une sur dix qui arrivait au pays; les Allemands déployant tous les moyens pour les intercepter dans le but de démoraliser les soldats et leurs parents. De même, une proportionSemblable de leurs missives ne nous parvenaient pas. Celles qui atteignaient leur destinataire mettaient un, deux ou trois mois pour arriver au but. En ce qui me concerne, j’ai reçu en tout, 18 lettres et 3 photos en trois ans et dix mois. En voici les dates :

Dates de réception

1. 24 Février 19152. 11 Juin3. 16 Avril 19164. 5 Mai5. 5 Mai 6. 18 Juin7. 18 Juin 8. 3 Avril 1917

29 Avril9. 16 Mai10. 30 Juillet11. 27 Octobre12. 21 Novembre

11 Décembre13. 28 Janvier 191814. 18 Mars15. 9 Juin 191816. 10 Juillet 17. 2 Août 18. 26 Septembre

Dates d’envoi

8 Février 191514 Avril12 Décembre 1915Sans date24 Décembre 191531 Mars 191631 Mars17 MarsPhoto d’Elise et ses 3 enfants26 Mars 1917 (avec photo de papa et maman)23 Juillet 7 Octobre 7 NovembrePhoto d’Eugène23 Novembre 19175 Mars 19189 Avril 191821 Mai9 Juillet19 Septembre

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Soit 2 lettres en 1915, 5 lettres en 1916, dont deux fois deux ensemble, 5 lettres et 3 photos en 1917, 6 lettres en 1918.

A remarquer deux longs intervalles :a) du 11 juin 1915 au 17 avril 1916, soit 10 mois et 6 jours;b) du 18 juin 1916 au 3 avril 1917, soit 9 mois et demi;c) le temps écoulé entre l'envoi et la réception, parfois plus de

quatre mois.Quelques-uns de mes amis étaient un peu plus favorisés que moi, maisla plupart étaient bien plus mal lotis encore.

Lorsqu'un soldat recevait une lettre de ses parents, tout rayonnant, il en faisait part à toute la compagnie, puis il annonçait la nouvelle par écrit à ses cousins et amis éloignés. Il lisait et relisait sa lettre au point de la connaître par cœur. C'était un événement particulièrement réconfortant.

Il y avait ensuite les lettres des ou aux connaissances et amis. Elles ne manquaient pas d'intérêt ni d'attrait bien au contraire. Mais la correspondance la plus abondante et la plus soignée était celle destinée aux marraines de guerre. Cette institution vit le jour en 1915 et se développa fortement dans la suite. Les premières marraines furent naturellement les Belges réfugiées et les Françaises; mais plus tard, il y en eut du Canada, d'Italie, des Etats-Unis, d'Angleterre. Au début, on se contentait d'une seule marraine, mais bientôt certains soldats en eurent deux, trois, ou ... six. Le grand luxe était d'en avoir de plusieurs nationalités. Comment s'y prenait-on ? Il existait à Paris une Madame Tédesco qui recevait les adresses des candidats filleuls d'une part et d'autre part, les demandes des candidates marraines. Elle jumelait deux adresses et le contact était créé. Il y avait aussi les petites annonces que les soldats faisaient insérer dans les journaux, les rencontres pendant les congés et d'autres circonstances encore.Au départ, il était bien convenu qu'il s'agissait uniquement d'un échange de lettres; mais voyons l'évolution la plus fréquente des choses. Les premières épîtres étaient amicales sans doute mais réservées; les suivantes devenaient plus intimes, et timidement on sollicitait une photo; ce désir était aussitôt réalisé et la réciproque aussi; puis certaines marraines envoyaient un colis de douceur, suivi d'autres colis ... Une espèce de flirt épistolaire s'ébauchait; enfin l'aspiration suprême du filleul était comblée : la marraine l'invitait à passer son prochain congé dans sa famille. Dans certains cas, exceptionnels cependant, après deux ou trois congés, cela finissait par des fiançailles et même par un mariage. Généralement, c'était le fait de gens peu raisonnables.

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Mes correspondantes

Depuis mon arrivée au front, j'avais écrit régulièrement à Madame Olivier et à sa fille Madame Debieu, mais je ne les considérais pas comme des marraines, car l'une veuve âgée et l'autre jeune mariée, ne correspondaient pas à la conception de la marraine de guerre idéale qui devait être une jeune fille inconnue qui donnait à l'imagination de son filleul l'occasion de se donner des sujets de rêves pendant les longues heures de garde. Je n'aurais peut-être jamais pensé à une marraine de guerre si Ulric, mon cousin, ne m'avait dit un jour; à la fin de novembre 1916 : "Il nous faudrait à chacun une marraine. Je vais écrire pour nous deux à Madame Tédesco". Un peu surpris de la proposition, j'acceptai. Quelques jours après, le 1er décembre, je partais en congé à Lourdes. C'était ma première permission. A mon retour, une lettre m'attendait; elle m'était adressée par Mademoiselle Paule Avond de Die (Drôme). C'était ma marraine de guerre. De son côté, Ulric était devenu le filleul de Mademoiselle... de Cholet (Maine et Loire). L'échange de correspondance commença. Le 12 janvier suivant, Ulric partit en congé à Paris.Dans une lettre que je reçu le lendemain, ma marraine m'écrivait ceci "Votre cousin qui est avec vous, a-t-il une marraine ? Sinon, j'ai une amie, institutrice qui l'adopterait volontiers, s'il le désire, comme son filleul."Je lus cette proposition à mes amis Charles Liégeois, Jean Knubben et Gilles Coeymans. Ils me dirent unanimement : "Écris qu'il n'en a pas. Nous allons bien rigoler à son retour, nous ne lui dirons rien mais nous observerons ses réactions lorsqu'il recevra la première lettre." Ainsi fut fait.Vers le 24, Ulric était rentré de son congé, nous étions à la corvée d'épluchement quand le facteur apporta la correspondance. Il avait plusieurs lettres pour mon cousin. Tous les initiés au complot le regardaient du coin de l'œil. Ulric lisait attentivement cette adresse inconnue, me lança un regard interrogateur que je feignis ne pas voir, puis regarda Charles et les autres. Il soupçonnait une machination. Rentré dans la baraque, il ouvrit la lettre, la lut et me dit : "C'est toi qui as échafaudé cette histoire ! Je ne suis pas content du tout. J'ai justement écrit à l'autre qu'elle était ma seule marraine, elle m'avait posé la question. Ce n'est déjà plu vrai. Si je m'écoutais, je ne répondrais même pas, je le ferai pourtant pour ne pas te mettre dans une situation embarrassante. Je vais me présenter comme un paysan du Danube afin de la dégoûter de moi. En tout cas, elle ne sera jamais que le numéro deux." C'était Mademoiselle Marcelle Valentin, des environs de Die. Quelques jours plus tard, mon cousin fut tué à côté de moi au poste D sur la rive droite de l'Yser, au sud de Dixmude. De retour au cantonnement, j'écrivis de nombreuses lettres pour annoncer la triste nouvelle à mes parents, à mes autres cousins et aux deux marraines d'Ulric. Celles-ci me répondirent pour me dire leurs regrets et l'amitié qui les liait déjà à leur filleul. La lettre de Mademoiselle ... (de Cholet) était vraiment admirable. Elle m'annonçait l'envoi de fleurs et me chargeait de les déposer en son nom sur la tombe du disparu. J'eus la satisfaction de pouvoir réaliser son désir.

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Revenons à mon cas; il fut semblable à beaucoup d'autres, c'est-à-dire qu'après un échange de lettres où l'on apprenait à se connaître l'un l'autre, je reçu quelques colis et finalement une invitation en congé.Auparavant, je lui avait demandé de chercher une marraine pour mon ami Gilles Coeymans, avec l'accord de celui-ci, cette fois. Elle l'avait mis en rapport avec Mademoiselle Rose Long de Grâne près de Grest (Drôme).Gilles fut aussi invité et nous partîmes ensemble le 29 mai 1917. Je fus de nouveau à Die le 20 septembre. Ma marraine me rendit un service capital en me procurant l'adresse d'un correspondant en Suisse, Monsieur De Steiger de Berne, par qui je pus écrire à mes parents et en recevoir des réponses. Mais l'exemple de quelques camarades me donna bientôt l'envie de cumuler moi aussi les marraines. Mon copain François Lemaître qui en avait en France, en Italie et au Canada me donna l'adresse d'un Inspecteur de l'enseignement qui s'occupait de marrainage. Je lui écrivis donc et c'est ainsi que j'eus ma marraine numéro deux : Mademoiselle Marie Tuffay, institutrice à Saint-Aubin de Locquenay près de Fesnay-sur-Sarthe. L'histoire recommença identique à la première : lettres, photos, colis, invitations. J'y allai à la fin de décembre 1917. J'y passai la Noël et le nouvel an. Je fus réinvité le 10 mars, mais quelques jours avant les congés avaient été suspendus à causes des offensives boches.

En décembre 1917, je reçus des Etats-Unis une carte de Noël illustrée. Elle contenait une longue phrase en flamand et était signée Victorine Lootens, de South Bend(Indiana). Mon adresse était celle du 5e de ligne que j'avais quitté depuis plus d'un an. Cette carte m'intriguait beaucoup. D'où cette Américaine tenait-elle mon ancienne adresse ? M'avait-on fait le coup que j'avais moi-même fait à Ulric ? En toute honnêteté, je devais répondre, et en flamand encore ! C'est ce que je fis, je dois le dire très péniblement, à cause du flamand, que je me fis traduire. Je commençai la réponse en flamand encore, mais n'en sortant plus, je l'achevai en français, en m'excusant. Je reçu la suivante écrite dans un français très acceptable. Madame Lootens, originaire de Loochristy, près de Gand était aux U.S.A. depuis une vingtaine d'années. Son fils était soldat américain et elle avait deux filles plus jeunes. Et je fut ainsi, sans l'avoir cherché pourvu de la marraine n° 3. Ce n'était pas tout ! L'aînée des filles, Julia m'écrivait à son tour ... en anglais ! Elle m'appelait "Dear Friend". Je reçus des photos de toute la famille et un billet d'un dollar !

Mes études au front

Dés 1916, je m'étais soucié de continuer mes études etj'avais demandé à l'œuvre "Le livre du soldat belge" à Londres une grammaire et un livre d'exercices. Je reçus ces livres et je me mis au travail. Pour la correction, j'envoyais mes devoirs a mon cousin Jules Dogné, régent, qui me les renvoyait annotés.

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En Octobre 1917, Florentin Godinas m'informa d'une décision du gouvernement : les soldats qui voulaient achever leurs études pouvaient obtenir gratuitement tous les livres nécessaires et un jury central les accueillerait en mai ou en novembre à Paris pour les examens de fin d'études et l'octroi du diplôme. Florentin s'était fait inscrire pour la session de mai 1918. Je m'empressai de commander les livres et je me fis inscrire à la session de novembre 1918. Je reçus tout un tas de bouquins et me mis à étudier autant que les circonstances me le permettaient. Je transportais mes livres des cantonnements aux tranchées et des tranchées aux cantonnements. Heureusement, je pouvais charger mon sac sur le caisson de la compagnie et je le portais seulement à l'approche des tranchées. Quand le mois de novembre arriva, c'était la victoire, l'armistice et la rentrée au pays libéré. Le gouvernement avait bien trop de soucis que pour penser au jury. La session prévue n'eut pas lieu. Ce ne fut qu'en août 1919 que je fus convoqué au jury central de Nivelles. J'en revins avec le diplôme d'instituteur.

LES LONGES

L'institution des "congés de détente" en été 1915 eut une influence favorable très marquée sur le moral du soldat du front.

En principe, chaque soldat y avait droit, sauf punition, à tour de rôle. Leur durée a varié de huit à quatorze jours, voyage compris.En théorie, le tour de chacun devait se présenter tous les trois mois. En théorie seulement, car les congés étaient suspendus chaque fois qu'une offensive importante se déroulait ou se préparait sur le front occidental. Par exemple, en 1918, aucune permission ne fut accordée de mars à fin juillet et du 27 septembre à l'armistice. Pour obtenir un congé, il fallait présenter à son capitaine une invitation formelle d'une personne qui s'engageait à fournir au soldat invité le logement et la nourriture. La signature devait être légalisée par le maire de la commune. On pouvait aussi partir sans invitation à condition de montrer une somme d'argent suffisante pour vivre à l'hôtel. Le transport par chemin de fer était gratuit allé et retour. Pour les voyages supplémentaires, on payait quart de place. Il y avait des hommes pour permissionnaires à Paris, Londres, Le Havre et Saint Etienne qui recevaient gratuitement les soldats, mais en nombre limité. Il en existait encore un à Lourdes, mais là, il fallait payer trois francs cinquante par jour. Pendant sa permission, le soldat touchait, outre sa solde ordinaire, l'indemnité de "hors ménage", soit un total de 25 à 30 francs pour la durée du congé. Certains soldats ne jouirent jamais d'une seule permission, soit faute d'invitation, soit volontairement. C'était pour ceux-ci une sorte de coquetterie cocardière de pouvoir dire : Moi, je n'ai jamais quitté le front un seul jour !".D'autres, plus réalistes, ne ratèrent aucune occasion : ceux dont les parents habitaient la région de l'Yser ou qui étaient réfugiés en France ou en Angleterre; et encore ceux qui avaient des marraines ou des amis assez fortunés pour les recevoir chaque fois. On rêvait longtemps à l'avance à ces congés, on économisait des sous, parfois on empruntait auprès des copains, on faisait des provisions de cigarettes, on préparait son plus beau linge, on empruntait même des vêtements neufs aux amis.

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Quant à moi, ce ne fut qu'après plus d'un an de séjour au front que je sollicitai une invitation au "Foyer du soldat belge" à Lourdes par l'intermédiaire de Monsieur l'Aumônier Hansen, mon ancien professeur de Saint-Roch.Je partis le 3 décembre 1916 et rejoignis le front le 14. Je passai mon deuxième congé à Die, chez ma marraine, du 29 mai au 10 juin. Le troisième fut un vrai tour de France. Parti le 10 septembre, je rentrai le 24, après un périple passant par Paris, Saint-Jean-De-Luz, Pau, Lourdes, Toulouse, Mîmes, Valence, Die, Paris. Le 10 décembre 1917, je m'en allai pour la quatrième fois; Le Hâvre, où je vis mon cousin Léon et Saint-Aubin-De-Locquenay où habitait ma deuxième marraine, en furent les destinations. Je rentrai au front le 2 janvier 1918. Enfin, je passai ma cinquième permission à Nice du 4 août au 17 août 1918. En résumé : un congé à la fin de 1916, trois en 1917, et un en 1918. La relation détaillée de ces permissions se trouve dans mon journal de campagne à leurs dates respectives.

TA FAUNE DES TRAUCHEES

Les inondations permirent une prolifération extraordinaire de grenouilles, de canards sauvages et de moustiques. Lorsqu'on se trouvait aux avant-postes, on s'amusait parfois à tirer au milieu d'une troupe nombreuse de canards qui s'envolait dans un grand bruit d'ailes et de cris. Comme on tirait toujours dans la direction de l'ennemi, on ne se hasardait pas à relever le gibier abattu. Les moustiques étaient un véritable fléau en été. Pendant la nuit, ils nous piquaient même à travers la couverture dont nous nous couvrions le visage. Ils étaient tellement nombreux qu'ils formaient des nuages qui plusieurs fois furent pris pour des gaz asphyxiants et déclenchèrent les sonneries d'alerte au gaz. Les rats et les souris se promenaient la nuit, on les sentait parfois circuler sur soi.Ils s'attaquaient à nos provisions dans nos sacs et nos besaces qu'ils trouvaient pour atteindre les vivres. Les poux et les puces étaient les bestioles les plus irréductibles. Malgré la chasse incessante qu'on leur faisait et les désinfections périodiques, elles ne furent jamais définitivement vaincues. A partir de 1917, quelques soldats se firent accompagner par un chien, cadeau d'un civil. Les chiens se multiplièrent rapidement, au point qu'en 1918, ils furent interdits par le ministre. Les uns rendirent leur bête aux civils, d'autres les tuèrent, mais un certain nombre bravèrent l'interdiction, les, officiers fermèrent les yeux et c'est ainsi que plusieurs soldats rentrèrent au pays libéré avec leur brave toutou. Pendant les offensives, ils les avaient confiés aux cuisiniers.

LA NOURRITURE

On Peut dire que d'une façon générale, la nourriture du troupier s'est régulièrement améliorée au cours des années de guerre. En 1915, nous recevions du pain français, surnommé "pain Joffre",pas mauvais mais très rassi. A partir de 1916, la boulangerie militaire belge commença à nous fournir du pain excellent et frais qui remplaça progressivement le "Pain Joffre". Celui-ci disparut complètement en quelques mois.

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En 1918, les avions allemands bombardèrent notre boulangerie qui cessa de fonctionner pendant une douzaine de jours. Entre-temps, on nous distribua du pain anglais qui était très bon aussi. Pendant très longtemps, la cuisine nous donna des tranches de lard très gras d'Amérique, qui fut baptisé "lard Wilson". A certaines époques, nous reçûmes des harengs saurs aussitôt appelés "boustringues Vandervelde". Ils étaient très peu appréciés, des centaines liés deux à deux par une corde pendaient en longues rangées sur les fils téléphoniques. Pendant l'hiver extraordinairement rigoureux de 1916 à 1917, les, pommes de terre gelèrent dans les silos et nous en fûmes privés complètement pendant deux mois. Elles furent remplacées par des haricots et du riz. La ration de sucre fut la seule qui diminua; de 5 morceaux par jour, elle tomba à 4, à 3 et enfin à deux morceaux. La viande fraîche ne manqua jamais. En plus, nous recevions certains jours des boîtes de sardines, de saucisses, de viande dite "plata" ou "singe", des rations de margarine, de saindoux et même de lard maigre. Pour compléter nos menus, nous achetions des boîtes de lait condensé, du fromage, du chocolat et mais très rarement du beurre. En hiver, on nous accordait un peu d'eau-de-vie, la "gnole", aux tranchées et très exceptionnellement, un gobelet de vin. Enfin l'intendance nous distribuait cinq cigarettes par jour ou l'équivalent en tabac.

L'HIVER 1916-1?-12

L'hiver 1916-1917 fut d'une rigueur extraordinaire, surtout en janvier et février. L'intendance nous octroya à chacun deux couvertures supplémentaires dans les cantonnements. Comme on dormait à deux, cela nous faisait six couvertures par lit, si l'on peut dire lit pour sac à paille. C'était suffisant, car on y ajoutait encore les toiles de tente et les capotes. Le café gelait dans les gourdes, l'encre gelait dans les encriers et même sur la plume. Les jours de repos, on restait presque tout le temps sous les couvertures.Ai cours des relèves, la marche sur les passerelles était fort pénible le verglas qui les recouvrait provoquait des chutes et des heurts. Pour mieux tenir debout, on enveloppait les pieds dans des sacs. J'ai même marché une fois sur mes chaussettes pendant des kilomètres. Dans les abris des tranchées, on était mieux protégés, dans quelques-uns, on pouvait faire du feu. Durant les factions, on avait horriblement froid. On disposait bien de quelques peaux de moutons taillées en chasubles mais elles étaient insuffisantes en nombre. Il m'est arrivé, aux avant-postes, de tirer dix ou douze balles de suite, afin d'échauffer le canon de mon fusil et de me réchauffer les mains en les plaçant dessus. Dans certains baraquements, les fissures entre les planches laissaient passer la neige que le vent chassait.

LA SOLDE

La solde du soldat belge était de 35 centimes par jour. Elle fut majorée en 1915 de cinq centimes par chevron de front.

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Le premier juillet 1917, l'indemnité de combat fut instaurée. Elle s'élevait à un franc par jour de combat ou de tranchées. La moitié était payée avec la solde et l'autre moitié inscrite dans un "carnet de pécule à toucher après la guerre. En même temps la haute paie de guerre fut créée. Son montant, 15 centimes par jour, était aussi inscrit dans le carnet de pécule. A la fin de mai 1918, l'indemnité de combat fut portée à trois francs, dont deux versés au carnet. En même temps, une prime de travail était créée : dix centimes par heure à deux conditions : le travail devait durer au moins trois heures et être exécuté pendant les jours de repos.Aux tranchées et au Piquet, le travail restait non rétribué. Inutile de dire que ces attentions du gouvernement étaient bien accueillies. Malheureusement, le pouvoir d'achat du franc baissait d'année en année, et tout compte fait, l'amélioration était à peine sensible. A titre d'exemple, le bâton de chocolat se payait dix centimes en 1915 et trente en 1918.

AVIONS ET LES BALLONS

Un spectacle très intéressant nous était donné par les aviateurs lors des combats aériens. Ceux-ci devenaient de plus en plus fréquents avec le déroulement de la guerre. En 1918, il n'était pas rare de voir une cinquantaine d'avions se mitraillant dans le ciel. Un jour, nous vîmes trois appareils anglais abattus presqu'en même temps : deux tombèrent dans les lignes allemandes, le troisième vint atterrir à cent mètres en arrière de nos tranchées, près de nos cuisines. L'avion se souleva par l'arrière et se retourna. Le pilote blessé sortit seul et fut secouru par nos cuisiniers qu'il avait pris d'abord pour des Allemands à cause de leurs salopettes bleues. Quelques minutes après, les artilleurs boches prirent pour cible l'avion abattu ... Une autre fois, nous vîmes un avions belge sortir des nuages et abattre en flammes successivement trois ballons captifs ennemis. Willy Coppens était l'auteur de cet exploit.

LES SIGLES ET L'ARGOT MILITAIRE

L'armée fait un usage surabondant des sigles. Exemples :12 = 12e de ligne IV/3 = 4e bataillon, 3e compa.5 = 5 e de ligne 6 Rh = 6e Cie de

deRéhabilitation

2c = 2e carabiniers QG = Quartier gGénéral4L = 4e lanciers P C = Poste de combat7A = 7e d'artillerie OJA = Or= ordre du jour de

l'armée etc.

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Les mots d'argot étaient très nombreux dans les conversations. J'ai déjà cité pain-Joffre, lard-Wilson, boustringue-Vandervelde, signe, plata, pinard, grole. Il faut y ajouter :cabot = caporal, premier bidon = premier sergent-major, adjupette, capiston, colon pour les gradés, piotte = soldat de ligne ou lignard, carapatte = carabinier, sous-marin = lancier (en souvenir de lacapture par les lanciers d'un sous-marin allemand échoué sur la plage), régiment sans drapeau = 5e de ligne (d'après une légende : au cours de manœuvres en temps de paix, le 5e aurait eu son drapeau enlevé), compagnie sans floche = Cie de réhabilitation, formée de soldats condamnés par les conseils de guerre et dont le bonnet de police était dépourvu de gland, de "floche", chapeau boule ou pot de chambre = casque, rabat de col = mauvais morceau de viande, bidoche = viande, poilu = soldat français, tommy ou jampot = soldat anglais, fritz, boche ou alboche = soldat allemand, flingot = fusil, panamme = Paris, perme = congé, vaderland = sac à terre, clouer = trembler de peur, clopeur = froussard, cotche = réduit exigu, vî paltot = soldat d'une vieille classe qui, désarmé, travaille sans zèle derrière le front. Ces soldats gardèrent les uniformes sombres de 1914 jusqu'en 1917. Pekin = civil, foute-foute = faisant-fonction, f.f. se planquer = coucher par terre, pieu, bed, pucier = lit, pieuter, pioncer ou roupiller = dormir, ketge = poulbot de Bruxelles, embusqué = soldat de l'arrière (méprisé par les soldats du front), plouc = simple soldat, pinnemouche = bonnet de police, rabiot = supplément, Bachten de kup = pays de l'Yser, ménapien = flamand, piottepak = gendarme, toto = pou, scribe = soldat occupé au bureau du sergent-major, cafard = découragement, ennui, bourrage de crânes = discours ou article de journal destiné à soutenir le moral par des affirmations d'un optimisme absurde et délirant, saucisse = ballon captif, godasses = souliers, train bloc = obus de gros calibre.

LE COMMUNIOUE OFFICIEL DU G.Q.G.

Le Grand Quartier Général (G.Q.G.) de chaque armée transmettait tous les jours un communiqué officiel aux journalistes et aux agences de presse dans lequel il résumait les opérations militaires de la veille. La presse française et la belge publiaient les communiqués alliés mais omettaient ceux de l'ennemi. Ces relations des faits étaient très tendancieuses, tant d'un côté que de l'autre. Les succès étaient mis en évidence, les revers cachés ou minimisés à l'extrême. Si l'on avait conquis une position, on énumérait le nombre de prisonniers capturés et de canons pris à l'ennemi "qui avait fui en désordre". De ses propres pertes, on ne soufflait mot. Si l'on avait perdu une position, on dorait la pillule en disant "Après un violent bombardement, l’ennemi, supérieur en nombre a réussi à prendre pied dans nos tranchées aux prix de lourdes pertes. Après une résistance acharnée, nos troupes se sont retirées en bon ordre sur des positions préparées d'avance".

En 1918, la presse française donna timidement les extraits des communiqués allemands, les passages qui avouaient des revers. Les Allemands résumaient ainsi la bataille de Merckem: "Au nord d'Ypres, notre avance a été enrayée par une contre-attaque alliée".

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Ce dernier mot est révélateur de l'orgueil allemand blessé. Se reconnaître refoulé par la petite armée belge, c'était trop humiliant; en disant "alliée", ils ne mentaient pas, tout en sauvant leur amour propre.

LES ADRESSE MILITAIRES A FRONT

Vers le milieu de 1915, il fut interdit d'indiquer le numéro et le nom des régiments sur les adresses. Chaque régiment reçut un numéro conventionnel qui changeait tous les six ou sept mois. Ainsi, le 5e de ligne eut d'abord pour indicatif A 82, le 12e A 44, ensuite on passa à la série des B, des C, des D. Pour le 12e, ce fut successivement B137, C184, D5. On disait en rigolant : quand nous serons à Z, il faudra bien que la guerre finisse.Cela nous mènera jusque 1930 ... Mais en 1918, on sauta de D à Z !(Z 282 pour le 12e). On ricana : "Cette fois, on veut faire finir la guerre!" Et le plus drôle, le plus incroyable, ce fut vrai !

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Troisième Parie : AU FRONT DE L’YSER.

Journal de Campagne - (d'après des notes prises au jour le jour)

= signifie : jour complet passé aux tranchées ou au combat.- signifie : jour partiellement passé aux tranchées (jour de relève).

7 Décembre 1915, Mardi.- Nous descendons du train à Adinkerke à8 heures nous plaçons nos sacs sur le caisson et partons vers Hoogstade, par des chemins boueux. En cours de route, je vois Van Leemputte, ancien de Saint-Roch. Après une halte de deux heures à Hoogstade, nous continuons jusque Rabbelaer, où se trouve notre bataillon au piquet. Nous sommes exténués. Nous trouvons à nous caser plutôt mal que bien dans un fenil au-dessus d'une étable. Nous nous endormons rapidement.

8 Décembre 1915, Mercredi.- Le matin, je reste couché assez tard, puis j'écris quelques lettres pour annoncer mon arrivée au front et donner ma nouvelle adresse : A 82 TV/2. Après-midi, je vais à Loo pour me rendre compte des effets des bombardements.

9 Décembre 1915, Jeudi.- Repos. Je me rends de nouveau à Loo.

10 Décembre 1915, Vendredi.- A une heure et demie, nous partons pour les tranchées. Nous traversons les villages en ruines de Loo, SaintJacques-Cappelle et Nieuwcappelle. Après deux heures de marche, le caisson s'arrête, il ne peut aller plus loin. Nous le déchargeons de nos sacs, des mitrailleuses et des munitions qu'il contient.Chacun prend son sac et en plus, une pièce, un trépied ou deux caisses de cartouches. On m'attribue deux caisses. Encore une demi-heure de marche éreintante dans la boue et nous arrivons aux tranchées. Nous y croisons deux brancardiers qui transportent un blessé sur une civière, un blessé ou un cadavre, on ne sait car une couverture le cache à nos yeux. Nous parcourons la tranchée jusque la redoute Elisabeth où nous installons nos mitrailleuses et leurs munitions. Nous logeons dans un abri abandonné en très mauvais état.Le sol est si humide que nous ne pouvons nous coucher. A la lueur d'une bougie, je note les faits du jour dans mon journal. Les autres bavardent, fument, mangent ou bricolent.

11 Décembre 1915, Samedi.- Vers deux heures, quelques obus tombent non loin de notre abri qui reçoit des éclats. A deux heures, je vais monter la garde à la redoute avec Mathieu. Plusieurs shrapnells allemands éclatent au-dessus du fortin, la fumée entre dans notre casemate par l'embrasure. Nous avons reçu le baptême du feu. Après-midi, le bombardement recommence.

12 Décembre 1915? Dimanche.- Le matin, je parcours le secteur jusqu'au 6e de ligne. A 4 heures, nous nous mettons en tenue pour aller occuper l'avant-poste sur la rive droite de l'Yser. Nous chaussons de grandes bottes en caoutchouc et retroussons pantalons, caleçons et capotes.

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Les souliers à la main, nous traversons l'Yser sur une passerelle; nous nous engageons dans un boyau où l'eau nous monte au-dessus des genoux; nous avançons péniblement car nos bottes s'engluent dans la boue collante; elles y resteraient si nous ne les tirions avec force par le bord supérieur. Nous arrivons enfin tout mouillés et crottés. Nous remettons nos bottines et nous nous installons dans un abri où se trouvent les mitrailleuses. Un homme prend la garde dehors avec des fantassins de la compagnie. Vers 9 heures, une trentaine d'obus éclatent autour du poste, alors que je viens de sortir pour prendre mon tour de garde.

13 Décembre 1915, Lundi.- Quelques obus tombent vers 1 heureset un peu plus tard. A quatre heures et demie, nous retournons sur la rive gauche en passant sur les parapets car nous n'avons plus de bottes et nous voulons éviter la vase du boyau; mais le parapet est fangeux lui aussi et nous pataugeons dans quinze centimètres de boue. Nous réoccupons notre abri et subissons un nouveau bombardement. A onze heures, je prends la garde à la redoute avec Mathieu.

14 Décembre 1915, Mardi.- A une heure, je peux enfin m'endormir jusqu'au matin. Le deuxième bataillon nous relève à 7 heure du soir. Nous partons vers Alveringhem où nous arrivons à 10 heures très fatigués.

15 Décembre 1915, Mercredi.- Repos complet.

16 Décembre 1915, Jeudi.- Après-midi, nous allons rechercher le caisson cassé de la 11/2 en panne quelque part. Nous l'attachons au nôtre et nous partons cahin-caha. Après bien des difficultés, le cheval épuisé s'arrête et refuse de repartir. Nous prenons sa place dans les brancards et nous traînons les caissons pendant une heure. Il est 8 h 1/2 quand nous rentrons au cantonnement fatigués et surtout affamés.

17 Décembre 1915, Vendredi.- Repos, je vais à Alveringhem.

18 Décembre 1915, Samedi.- Nous allons au cantonnement de piquet à Rabbelaer. Nous couchons derrière les vaches. Chaque fois que nous mangeons, elles éprouvent le besoin de lever la queue ...

19 Décembre 1915, Dimanche.- Repos.

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20 Décembre 191 Lundi .- Repos.

21 Décembre 1915, Mardi.- Je vais à Alveringhem.

22 Décembre 1915, Mercredi.- Départ pour les tranchées vers 13 h; nous occupons un abri à la digue de l'Yser.

23 Décembre 1915, Jeudi.- Il pleut, le plafond perce, l'eau coule partout. Pour nous en préserver, nous installons des gamelles et des boîtes vides pour recueillir l'eau.

24 Décembre 1915, Vendredi.- Je vais rendre visite à mes amis à l'avant-poste, puis je m'installe avec Mathieu dans la caponnière gauche de la redoute Elisabeth. C'est là que nous faisons la veillée des Matines. Nous parlons de nos parents qui là-bas, pensent à nous aussi.

25 Décembre 1915, Samedi.- NOEL A une heure, je me couche entre les pieds de la mitrailleuse. La trêve tacite de Noël est respectée, pas un obus, pas une balle. Nos pensées se portent intensément vers le pays et nos parents. Nous espérons fermement que ce deuxième Noël de guerre sera le dernier.

26 Décembre 1915, Dimanche.- Nous sommes relevés le soir et nous retournons à Hoogstade.

27 Décembre 1915, Lundi.- Nous allons à Alveringhem pour y prendre le caisson cassé et le conduire en réparation à Pollinchove. Retour.

28 Décembre 1915, Mardi.- Exercice de tir sur de vieilles boîtes à conserve.

29 Décembre 1915, Mercredi.- Je suis garde-chambre; j'écris.

30 Décembre 1915, Jeudi.- Théorie.

31 Décembre 1915, Vendredi.- Théorie et exercices d'appréciation des distances.

1er Janvier 1916, Samedi.- Repos. Je visite le cimetière militaire de Hoogstade.

2 Janvier 1916, Dimanche.- Repos. Pour la première fois depuis mon arrivée au front, j'ai l'occasion d'aller à la messe.

3 Janvier 1916, Lundi.- Notre section passe en subsistance à la III/2 pour 4 jours de tranchées. Nous la rejoignons à Loo. Nous occupons la redoute Elisabeth, 24 heures.

4 Janvier 1916, Mardi.- Le soir, nous déménageons dans l'abri 27.

5 Janvier 1916, Mercredi.- Le soir, nous occupons l'avant-poste. Nous encaissons quelques obus.

6 Janvier 1916, Jeudi.- Retour à l'abri 27 le soir.

7 Janvier 1916, Vendredi.- Les mitrailleurs de la II/2 nous relèvent et nous retournons au piquet à Rabbelaer.

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8 Janvier 1916, Samedi.- Repos.

9 Janvier 1916, Dimanche.- Repos.

10 4anvier 1916, Lundi.- Repos.

11 Janvier 1916, Mardi.- Nous partons aux tranchées.

12 Janvier 1916, Mercredi.- Anniversaire de mon départ de Lincé. Je récapitule en pensées tous les faits de cette année.

13 Janvier 1916, Jeudi.- Il fait très froid. Je ravitaille l'avant-poste.

14 Janvier 1916, Vendredi.- Il y a un an, je passais la frontière. Je suis de garde à la redoute Elisabeth.

15 Janvier 1916, Samedi.- Nous sommes relevés par la 1/2 et regagnons notre cantonnement près d'Alveringhem.

16 Janvier 1916, Dimanche.- Repos. Je vais à la messe à Pollinchove.

17 Janvier 1916, Lundi.- Repos.

18 Janvier 1916, Mardi.- La deuxième division part en grand repos. Nous allons cantonner à Isenberghe dans une ferme peu confortable. Une cloison de planches mal jointes nous sépare d'une porcherie où une grosse truie grogne sans cesse. Pour la nuit, nous grimpons sur le fenil et dormons sur un tas de féveroles aux tiges dures et raides.

19 Janvier 1916, Mercredi.- Nous partons à 11 h pour aller reprendre nos mitrailleuses à la redoute Elisabeth. Nous y arrivons à 3 h. Je me charge de quatre caisses de cartouches, c'est bien lourd ! Le caisson nous attend sur la route à 2 km. Nous chargeons tout le matériel et revenons par le même chemin, c'est-à-dire, par Grenier, Forthem, Alveringhem et enfin Isenberghe.

20 Janvier 1916, Jeudi.- Nettoyage des pièces.

21 Janvier 1916, Vendredi.- Nettoyage des cartouches.

22 Janvier 1916, Samedi.- Idem.

23 Janvier 1916, Dimanche.- Repos, Messe.

24 Janvier 1916, Lundi.- Exercices, une heure le matin, autant l'après-midi.

25 Janvier 1916, Mardi.- Idem.

26 Janvier 1916, Mercredi.- Idem.

27 Janvier 1916, Jeudi.- Idem.

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28 Janvier 1916, Vendredi.- Idem.

29 Janvier 1916, Samedi.- Idem.

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30 Janvier 1916, Dimanche.- Repos.

31 Janvier 1916, Lundi.- Exercices.

1er Février 1916, Mardi.- Exercices.

2 Février 1916, Mercredi.- Idem.

3 Février 1916, Jeudi.- Garde de cantonnement jusque deux heures. Nous nous embarquons à 2 heures de l'après-midi sur le tram vicinal qui nous transporte près de Nieuport. Nous continuons à pieds pendant trois quarts d'heure, nous traversons Nieuport qui n'est que ruines. Nous remplissons des sacs de terre jusque dix heures de la nuit. Nous retournons à Iserberghe par les mêmes moyens.

4 Février 1916, Vendredi.- Nous rentrons au cantonnement à une heure et demie. Après, nous faisons la grasse matinée. Repos l'après-midi.

5 Février 1916, Samedi.- Réveil à quatre heures et demie pour aller aux bains à la Panne. Nous partons au train jusqu'Adinkerke, de là nous continuons à pied jusque la Panne. Nous attendons notre tour dans les dunes jusque deux heures. Enfin, nous pouvons entrer dans la salle par groupes de dix ou douze, il n'y a pas plus de baignoires.C'est la première fois que nous pouvons nous laver complètement et, pour un temps, nous débarrasser de nos poux. Nos vêtements et notre linge passent dans des étuves où les bestioles maudites et leurs œufs sont détruits par la chaleur. Nous repartons comme nous sommes venus et rentrons près de notre truie grognante à huit heures.

6 Février 1916 Dimanche.- Repos.

7 Février 1916, Lundi.- Exercices.

8 Février 1916, Mardi.- Idem.

9 Février 1916, Mercredi.- Nous quittons notre ferme pour un séjour à la Panne. Nous partons de bon matin sans regret pour notre amie la truie.Après une marche de cinq heures, nous nous installons dans la villa "Jeannot" dans les dunes de la Panne. Le soir, je vais à la bibliothèque et je commence la lecture de "Tartarin de Tarascon !".

10 Février 1916, Jeudi.- Inspection.

11 Février 1916, Vendredi.- Nous montons de garde sur la plage. Entasses dans un petit abri, nous ne pouvons nous coucher. Mathieu et moi, nous passons presque toute la nuit à graver des douilles d'obus.

12 Février 1916, Samedi.- Le soir, je vais à la bibliothèque. Tout à coup, des bombes éclatent dans la ville et immédiatement, les lampes s’éteignent. L'avion boche s'éloigne, revient et repart pour de bon. Il a lancé une vingtaine de bombes.L'alerte terminée, la lumière revient. Je continue ma lecture jusqu'à l'heure de fermeture.

13 Février 1916 Dimanche.- J'ai aujourd’hui vingt ans ! A Lincé, on y pense aussi certainement et avec inquiétude sans doute !Ah ! Si, je pouvais rassurer toute ma famille ! Vingt ans !...C'est l'âge chanté par les poètes et les chansons, l’âge idéal, des rêves et ces grands élans.

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Et cela m'arrive dans des circonstances tout à fait extraordinaires et ne portant guère à la joie. Allons, ne nous laissons pas sombrer dans la mélancolie, ce n'est pas digne d'un soldat ! Après tout, n'ai-je pas de la chance que cela m'arrive ici ? A la Panne, la jolie petite ville au bord de la mer, et logé dans une coquette villa ne vous déplaise ! et en grand repos encore ! En somme, c'est du grand luxe je suis en villégiature ! Je suis un privilégié, le Roi est mon voisin... Ah ! Si mon anniversaire était arrivé cinq jours plus tôt, j’aurais pu le célébrer en compagnie de la vieille truie, d'Isenberghe ! Ha, ha, ha, Rions ! Je fais l'inventaire de mon porte-monnaie : quelques francs et des "bouroutes". Il y a sur la place, des aubettes où l'on vend de bonnes crêpes, des "Koekebaken". Je vais m'en régaler jusqu'à épuisement de ma bourse. En chemin, je rencontre Lacroix, un ancien de Bréhal et de Granville, parti au génie. L'estomac bien lesté et le porte-monnaie délesté, je rentre à la villa "Jeannot".

14 Février 1916, Lundi.- Exercices dans les dunes. Le soir, bibliothèque.

15 Février 1916, Mardi.- Théorie. Bibliothèque.

16 Février 1916, Mercredi.- Je rencontre Jérusalem, un copain de Granville. Le soir, bibliothèque. Je lis "Tartarin sur les Alpes".

17 Février 1916, Jeudi.- Exercices de tir dans les dunes l'après-midi. Bibliothèque le soir.

18 Février 1916, Vendredi.- Inspection du major. Bibliothèque le soir.

19 Février 1916, Samedi.- Nous sommes de garde à la côte, les mitrailleuses pointées vers la mer.

20 Février 1916, Dimanche.- Repos. Bibliothèque. Je lis "Port Tarascon" 

21 Février 1916, Lundi.- Manœuvres de bataillon dans les dunes. Bibliothèque.22 Février 1916, Mardi.- Manœuvres de régiment. Alerte la nuit. Bibliothèque.

23 Février 1916, Mercredi.- Théorie. Nous apprenons la cause de l'alerte; les Allemands attaquent violemment Verdun. Bibliothèque "Eugénie Grandet".

24 Février 1916, Jeudi.- Manœuvres de divisons. Revue par le Général Drubbel.

25 Février 1916, Vendredi.- Repos. Bibliothèque. Lecture d' "Eugénie Grandet".

26 Février 1916, Samedi.- Le Roi passe la division en revue. Je n'y assiste pas, car je suis garde-chambre. J'ai le plaisir de voir arriver mon cousin Ulric Ponthier. Il y a presque deux ans que nous ne nous sommes plus vus.Nous nous promenons ensemble jusqu'au soir. Bibliothèque.

27 Février 1916, Dimanche.- Nous faisons nos préparatifs de départ, Pour un nouveau secteur. Ulric vient encore me voir. Le facteur me remet un mandat de dix francs que j'ai sollicité d'une œuvre de Londres. Ulric m'accompagne jusqu'au tram. Notre- bataillon débarque à Pollinchove, à 1 h ½. Notre cantonnement est assez convenable.

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28 Février 1916, Lundi.- Repos.

29 Février 1916, Mardi.- Nettoyage.

1er Mars 1916, Mercredi.- Aujourd'hui, nous devons aller aux tranchées, mais à une heure on nous annonce que notre section passe en subsistance au 7e de ligne. Nous partons vers quatre heures. Nous dépassons Oostvleteren puis nous nous engageons dans un champ de boue où l'on s'enfonce jusqu'à mi-mollet. Je chois dans le marécage. Nous arrivons enfin dans un assez beau cantonnement. Nous y retrouvons la section de mitr. de la 11/2 du 5e qui comme nous, passe momentanément au 7e. Une compagnie de Mitr. à traction canine nous prend en charge.

2 Mars 1916, Jeudi.- Inspection.

3 Mars 1916, Vendredi.- Ce soir, nous devons partir aux tranchées. A midi, on nous dit que les deux sections passent à la cavalerie, puis un peu plus tard, aux carabiniers-cyclistes. Va-t-on nous donner des vélos ? Cela nous plairait beaucoup ! A quatre heures, nous partons avec la 11/1 de CC (première compagnie du 2e bataillon, de carabiniers-cyclistes) dans le secteur de Steenstraete. Il n'est ras question de vélos, les "carapattes" vont eux-mêmes à pied. Nous faisons le chemin avec nos sacs et tout le matériel sur le dos. Nous faisons de longues haltes sous la pluie. Enfin, nous nous engageons dans les boyaux et nous arrivons à la première ligne en bordure de l'Yperlée. Nous plaçons notre pièce dans le Fortin. Un homme doit rester sur la pièce, un autre dehors. Pour les autres, il y a un abri rudimentaire et trop petit où ils s'entassent. Je monte la garde le premier pendant deux heures. Il pleut toujours, puis il neige. Il fait très froid et l'obscurité est totale. De nombreuses fusées et deux projecteurs éclairent par intervalles le paysage dévasté. Les tranchées ennemies sont à 150 mètres. Ma faction terminée, je rentre dans l'abri où l'eau suinte de partout, il y fait glacial. Pas moyen de s'allonger. La nuit semble interminable.

4 Mars 1916, Samedi.- Il neige toute la journée. Vers midi, nous allons chercher du coke et nous faisons un bon feu dans un brasero. Cinq hommes partis en corvée de ravitaillement sont bombardés. Nous commençons une deuxième nuit de garde. Pendant ma faction à la pièce, le sommeil me torture et je grogne et me remue sur la selle pour m'empêcher de dormir.

5 mars 1916, Dimanche.- Nous passons la journée près du feu. Nos vêtements sont enfin séchés. A 6 h du soir, les soldats de la première pièce viennent nous relever. Nous allons au piquet dans une toute petite maison de Pypegaele. Je vais ensuite au ravitaillement, et, sous la pluie, j'attends la cuisine presque deux heures. Enfin, fourbu, je peux me coucher et dormir. Depuis soixante heures, nous n'avons pu nous étendre un seul instant.

6 Mars 1916, Lundi.- Je me lève bien tard, je n'ai rien à faire et j'en profite pour explorer les environs.

7 Mars 1916, Mardi.- La journée se passe tranquillement. Le soir, le 2/2 nous relève. Nous allons à pied jusqu'à Oostvleteren. Là, le tram nous attend pour nous ramener à Beveren-Sur-Yser. Nous cherchons longtemps notre ferme éloignée du village. Nous occupons à trois un petit "cotche" bien confortable.

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8 Mars 1916, Mercredi.- Nettoyage.

9 Mars 1916, Jeudi.- Repos. Concert de musique du 7e sur la place du village.

10 Mars 1916, Vendredi.- Repos.

11 Mars 1916, Samedi.- Idem.

12 Mars 1916, Dimanche.- Repos. Concert par la musique du 7e de ligne.

13 Mars 1916, Lundi.- Repos.

14 Mars 1916, Mardi.- Repos. Je vais à Pollichove avec Mathieu.

15 Mars 1916, Mercredi.- Nous partons à 2 h pour le piquet dans la maisonnette de Pypegaele. Je cherche vainement la tombe de mon cousin Jules Mignolet enterré dans ces parages.

16 Mars 1916, Jeudi.- Nous restons à la maison; elle est si petite qu'elle a échappé aux bombardements jusqu'à présent. Une batterie proche est canonnée par les Boches. Je cherche encore la tombe de Jules, sans la trouver.

17 Mars 1916, Vendredi.- A six heures du soir, nous allons relever les hommes de la première pièce, à 120 mètres des tranchées ennemies. Je suis de garde de 9 à 11 heures. J'entends très distinctement les Allemands qui travaillent et causent à haute voix. La lune est pleine mais un léger brouillard empêche de bien voir la tranchée d'en face. Ma faction terminée, je me promène jusqu'au secteur français. Il est dans un état encore plus déplorable que le nôtre.

18 Mars 1916, Samedi.- Journée assez calme. Je vois pour la première fois tomber des torpilles allemandes. Garde.

19 Mars 1916, Dimanche.- Je monte de garde de 5 à 7 heures. Quelques obus allemands. La relève arrive vers 7 heures. Nous retournons au cantonnement près du "Lion belge" sur la route d'Ypres.

20 Mars 1916, Lundi.- Repos.

21 Mars 1916, Mardi.- Le commandant des carabiniers nous ordonne de travailler la nuit. Notre adjudant invoque le privilège des mitrailleurs, en vain; l'ordre est maintenu, mais à l'heure du rassemblement, aucun mitrailleur n'est présent. L'affaire n'a pas de suite.

22 Mars 1918, Mercredi.- Repos.

23 Mars 1916, Jeudi.- Nous partons aux tranchées à 4 h ½ .Garde toute la nuit en première ligne.

24 Mars 1916, Vendredi.- Garde. Je suis exténué.

25 Mars 1916, Samedi.- Relevés par nos camarades de la première

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pièce, nous retournons à Pypegaele.

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26 Mars 1916, Dimanche.- Le soir, nous allons rechercher les cartouches aux tranchées.

27 Mars 1916, Lundi.- Nous sommes relevés à la nuit tombante. Il pleut sans cesse. Nous devons rejoindre notre compagnie du 5e ce soir, à Pollinchove, à 20 km d'ici. Nous arrivons tout trempés à Pollinchove. Nous ne trouvons pas notre compagnie au cantonnement, car elle est aux tranchées. Nous sommes sans vivres et sans solde. On se couche le ventre creux.

28 Mars 1916, Mardi.- Qui dort dîne, je me lève à midi. Rien à manger et pas un sou en poche ! Heureusement, Mathieu, le débrouillard part au village et revient avec un pain de civil. Vers 2 h nous reprenons notre bagage et retournons à la 5e Cie de mitr. du 7e de ligne, 12 km en arrière. Là, le fourrier nous prend en compassion et nous distribue du pain et des sardines. Après une heure ou deux, nous nous remettons en marche pour rejoindre les Carabiniers que nous avons quittés hier. Nous les retrouvons à 11 heures; nous avons trimballé deux jours pour rien.

29 Mars 1916, Mercredi.- Repos.

30 Mars 1916, Jeudi.- Le 2e bataillon de Car-cy part en repos a Gravelines; il sera remplacé par le premier bataillon dont on nous dit beaucoup de bien. Nous sommes hors ménage pour deux jours et nous touchons de ce fait la grosse solde, mais nous devons suffire à tous nos besoins. J'ai la chance de trouver un œuf dans la cour de la ferme où nous logeons. Je n'en ai plus mangé depuis 1914. Je vais à Stavele acheter des vivres. Le premier bataillon arrive en fanfare.

31 Mars 1916 Vendredi.- Repos. Nous passons en subsistance à la 1ère Cie du 1er bataillon de Car-cy.

1er Avril 1916, Samedi.- Repos.

2 Avril 1916, Dimanche.- Je vais à la messe à Oostvleteren.

3 Avril 1916, Lundi.- Je vais me promener à Oostvleteren.

4 Avril 1916, Mardi.- Nous allons aux tranchées en 3e ligne.

5 Avril 1916, Mercredi.- Je commence avec le fourrier, Maurice Tonglet, une partie du "jeu de guerre" qu'il a inventé.

6 Avril 1916, Jeudi.- La partie dure toute la journée.

7 Avril 1916, Vendredi.- Le jeu finit peu après minuit. Le soir, nous allons à quatre au boyau franco-belge. Nous y montons 24 h de garde prés de notre mitrailleuse.

8 Avril 1916, Samedi.- Nous sommes relevés le soir vers 8 h etnous retournons au Lion belge, près d'Oostvleteren.

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9 Avril 1916, Dimanche.- Repos.

10 Avril 1916, Lundi.- Idem.

11 Avril 1916, Mardi.- Idem.

12 Avril. 1916, Mercredi.- Nous allons aux tranchées de première ligne à 100 mètres de la limite du secteur français. Calme.

13 Avril 1916, Jeudi.- Garde. Pendant mes heures libres, je parcours les tranchées françaises sur 100 à 200 mètres. Je suis surpris de l'état lamentable de leurs tranchées. Celles de notre secteur oui sont les plus mal fichues de tout le front belge, et de loin, sont une perfection à côté de ce que je vois ici. Il n'y a pas le moindre abri pour les soldats qui dorment accroupis sous une toile de tente jetée sur leurs épaules, exposés à toutes les intempéries et à tous les projectiles.Les parapets sont si bas qu'il faut se courber pour échapper à la vue de l'ennemi. Les brèches causées par les obus ne sont pas réparées. Chez nous, on répare les dégâts immédiatement ou au plus tard la nuit suivante s'il est impossible de le faire le jour. Je finis par trouver un misérable abri couvert d'une tôle. C'est le poste d'un officier... Je constate là l'insouciante et, disons le, la paresse du Français, mais cela se paie souvent !

14 Avril 1916, Vendredi.- A la pointe du jour, nous sommes tous dehors, regardant vers l'arrière. Soudain, nous voyons arriver par le boyau franco-belge un officier de très haute taille suivi d'un autre moins grand. " Mais, ne serait-ce pas le Roi ?" demande Trigaut. C'est peut-être lui ... Intrigués, nous ne quittons plus des yeux le grand officier. Celui-ci arrive à la tranchée et se dirige vers le groupe des quatre ou cinq Français qui font la liaison avec les Belges. Il leur adresse la parole, puis fait demi-tour et se dirige de notre côté. A mesure qu'il se rapproche, sa physionomie se précise. Plus de doute, c'est lui ! Il s'arrête près d'un groupe de Belges et leur parle. Il ne peut évidemment tenir de longues conversations avec chacun, et parfois il passe sans rien dire devant quelques carabiniers déçus. Le voici près de nous. Va-t-il nous parler nous le souhaitons de tout cœur. La tranchée est étroite, pour laisser le passage libre nous nous collons le dos au parapet. Le voici, la tête légèrement penchée pour voir et éviter les aspérités du fond irrégulier de la tranchée, mais la taille droite. C'est la première fois que je le vois; mes yeux s'attachent sur ce visage grave et doux. Il n'est plus qu'à trois pas, à deux pas... Va-t-il s'arrêter pour nous dire quelque chose ? Nous souhaitons cet honneur et ce bonheur ! Il est passé, nous frôlant dans l'étroit boyau, nous a regardés, mais ne s'est pas arrêté....Plus loin, nous le voyons parler à un groupe de soldats. Un peu déçus de notre malchance, nous sommes cependant réconfortés par cette visite royale inattendue. Tournant la tête vers l'ennemi, le caporal dit : "Si ceux-là savaient !" Le soir, nous retournons en troisième ligne.

15 Avril 1916, Samedi.- Rien de saillant à signaler, si ce n'est un violent tir de l'artillerie française sur les positions allemandes à l'heure de la relève.

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16 Avril 1916, Dimanche.- Le soir, nous retournons au Lion belge Je reçois une lettre de mon frère, la troisième depuis mon départ de Lincé. La précédente date de plus de dix mois, aussi c'est pour moi une immense joie.

17 Avril 1916, Lundi.- Repos.

18 Avril 1916, Mardi.- idem.

19 Avril 1916, Mercredi.- Idem.

20 Avril 1916, Jeudi.- Nous partons aux tranchées en 3e ligne. Le soir, bombardement frénétique des tranchées allemandes par les Français pendant cinq minutes.

21 Avril 1916, Vendredi.- Je cherche des ogives d'obus aux alentours, j'en trouve trois. Sans m'en apercevoir, je me suis avancé devant une batterie française, à courte distance. Brusquement, les quatre canons lâchent une salve, un bruit formidable me fait sursauter, je suis littéralement assourdi pendant tout un temps tellement mes tympans vibrent.

22 Avril 1918, Samedi.- Le soir, la 2e section du 1er bat. nous relève. Je la conduis au boyau franco-belge. Nous rejoignons notre Cie du 5e à Pollinchove, où nous arrivons à minuit.

23 Avril 1916, Dimanche.- PAQUES. Messe. L'après-midi, nous allons reprendre nos sacs déposés dans l'église d'Oostvleteren.

24 Avril 1916, Lundi.- Repos.

25 Avril 1916, Mardi.- Nous partons pour les tranchées de Noordschoote. Nous traversons Reninghe en ruines. A Noordschoote, nous ne trouvons pas d'abri disponible. Finalement, le IV/1 nous en procure.

26 Avril 1916, Mercredi.- Il fait très chaud. Devant le village, ou plutôt les quelques morceaux de murs qui restent, l'inondation s'étend à perte de vue. Nous nous installons dans un abri construit dans les ruines de la brasserie. Cet abri est très confortable.

27 Avril 1916, Jeudi.- Garde.

28 Avril 1916, Vendredi.- Je visite le secteur. Garde à 7h.du soir.

29 Avril 1916, Samedi.- La relève arrive très en retard. Nous partons en repos à Gaapaard, près de Hoogstade.

30 Avril 1916, Dimanche.- Repos.

1er Mai 1916, Lundi.- Nous partons vers 7 h. du soir pour travailler aux tranchées. Après trois heures de marche, nous découpons et transportons des gazons.

2 Mai 1916, Mardi.- Nous abandonnons le travail à 2 h. et retournons au cantonnement bien fatigués.

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3 Mai 1916, Mercredi.- Pendant la journée, nous nettoyons les cartouches. Le soir, nous repartons au travail en passant par Loo et Reninghe.

4 Mai 1916. Jeudi.- Nous quittons le travail vers une heure. Pendant le retour, nous dormons presque sur pied, et pendant les haltes, nous dormons tout à fait. On se réveille l'un l'autre quant on doit reprendre la route.

5 Mai 1916, Vendredi.- Ce matin, le réveil est sonné à 4 h. pour le branlebas préparatoire à l'Inspection du général Drubbel, commandant de la deuxième division. Après l'inspection, repos

6 Mai 1916, Samedi.- Nous allons encore au travail en première ligne à droite de Noordschoote. En complément, nous écopons d'une corvée.

7 Mai 1916, Dimanche.- Nous quittons les lieux de travail vers une heure. Nous tenons à peine sur nos jambes. Complètement fourbus, nous rentrons dans notre grange à 5 heures. On se couche aussitôt. Je me lève exactement douze heures plus tard. Je ne suis pas le dernier à le faire. Certains dorment encore à 19 heures.

8 Mai 1916, Lundi.- Repos. Je vais à Pollinchove.

9 Mai 1916, Mardi.- Je suis envoyé en corvée à Pollinchove. A 5 heures, nous prenons le tram jusqu'Oostvleteren. De là, nous marchons jusque Noordschoote. Nous logeons à la brasserie.

10 Mai 1916, Mercredi.- Le soir, en cherchant ma gourde avec une bougie, je mets le feu aux hamacs de l'abri. Nous parvenons rapidement à éteindre le commencement d'incendie. J'ai eu bien peur de ma responsabilité. Heureusement, les dommages sont minimes : quelques "vaderlands" brûlés.

11 Mai 1916, Jeudi.- Je vais en corvée à Reninghe.

12 Mai 1916, Vendredi.- Construction d'une barbette la nuit dans un boyau.

13 Mai 1916, Samedi.- Relevés tard, nous retournons à Pollinchove.

14 Mai 1916, Dimanche.- Repos.

15 Mai 1916, Lundi.- Repos.

16 Mai 1916, Mardi.- Repos.

17 Mai 1916, Mercredi.- Le matin, on nous fait évacuer notre cantonnement. Nous campons sur l'herbe jusque 7 h.du soir, puis nouspartons aux tranchées. Nous sommes de garde à la tranchée 3.

18 Mai 1916, Jeudi.- Garde.

19 Mai 1916, Vendredi.- Nous retournons à la brasserie deNoordschoote. Travail de nuit.

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20 Mai 1916, Samedi.- L’après – midi, je suis envoyé à Oostvleteren, à la 2e Cie de Mitr. pour demander un homme de renfort qui doit prendre la place d'un blessé. Je rencontre six batteries de la 5 DA. Je rentre au cantonnement à Pollinchove, vers 9 heures.

22 Mai 1916, Lundi.- Repos.

23 Mai 1916, Mardi.- Idem.

24 Mai 1916 Mercredi.- Exercices de tir.

25 Mai 1916, Jeudi.- Nous allons avec nos pièces à la tranchée 3, garde.

26 Mai 1916, Vendredi.- Garde.

27 Mai 1916, Samedi.- Retour à la brasserie. Travail de nuit.

28 Mai 1916, Dimanche.- Corvée.

29 Mai 1916, Lundi.- Relève et retour à Pollinchove.

30 Mai 1916, Mardi.- Repos.

31 Mai 1916, Mercredi.- Je suis de garde contre avions la nuit.

1er Juin 1916, jeudi.- Nous rentrons au cantonnement a 5 h.Dans l'après-midi, je vois arriver Ulric. Je me promène avec lui; le soir, il attend vainement le tram pour retourner, puis il vient loger avec moi.

2 Juin 1916, Vendredi.- A 4 h. du matin, je reconduis mon cousin jusqu'au tram. Le soir, nous allons aux tranchées à la brasserie de Noordschoote.

3 Juin 1916, Samedi.- Je vais en corvée de ravitaillement 10 h., puis je participe à la construction d’un abri.

4 Juin 1916, Dimanche.- Travail le matin, garde à la tranchée 3 le soir et la nuit.

5 Juin 1916, Lundi.- Garde.

6 Juin 1916, Mardi,- Garde, relève et retour à Pollinchove.

7 Juin 1916, Mercredi.- Repos.

8 Juin 1916, Jeudi.- L’après-midi, garde contre avions.

9 Juin 1916, Vendredi.- La garde continue ; jusqu’une heure de l’après-midi

10 Juin 1916, Samedi.- A 6 h. du matin, nous quittonsPollinchove pour nous installer à Stavele.

11 Juin 1916, Dimanche.- Nous partons pour les tranchées, troisheures et demie de marche, nous restons à la brasserie avec la 2e pièce.

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12 Juin 1916, Lundi.- I1 pleut, je vais en corvée de ravitaillement à Reninghe.

13 Juin 1916, Mardi.- Il pleut toujours, nous faisons cependant deux petits ouvrages de terrassement, ensuite, je vais en corvée de vivres à Reninghe. A 8 h. du soir, nous prenons la garde à la tranchée 3. Il pleut ...

14 Juin 1916, Mercredi.- Il pleut sans cesse. A 11 h. de lanuit, nous avançons nos montres d'une heure. C'est l'heure d'été pour la première fois.

15 Juin 1916, Jeudi.- Garde. Relève et retour à pied jusqu'Oostvleteren. De là, le tram nous ramène à Stavele.

16 Juin 1916, Vendredi.- Repos.

17 Juin 1916, Samedi.- Repos.

18 Juin 1916, Dimanche.- Le soir, nous partons au tram jusqu'Oostvleteren; puis à pied à Noordschoote en première ligne.

19 Juin 1916, Lundi.- Garde à la tranchée 3.

20 Juin 1916, Mardi.- Il fait beau et calme. Tous les soldats sont dehors. Tout à coup, quelqu'un crie : "Le Roi !". En effet, notre souverain accompagné d'un officier arrive dans la tranchée. Il adresse la parole à un sergent de notre Cie, un Hollandais volontaire et décoré pour action d'éclat. Aurons-nous plus de chance cette fois ? Non, car à quelques mètres de notre groupe, il y a une bifurcation et le Roi prend la direction qui n'est pas la nôtre. Le soir, nous allons en corvée, puis au travail jusqu'à 2 h. de la nuit.

21 Juin 1916, Mercredi.- Nous travaillons pendant le jour.

22 Juin 1916, Jeudi.- Nous travaillons encore le matin. L'après-midi, je me promène et me trouve nez à nez avec Désiré Docquier, un ancien de Saint-Roch. Tout autour de lui, je vois une trentaine de grenouilles amputées des pattes de derrière. Je l'interroge à ce sujet. Il m'explique qu'il a coupé les pattes à ces batraciens pour les faire frire et les manger... Au moment de la relève, alors que nous attendions tout équipés, une violente fusillade éclate, des rafales de mitrailleuses crépitent. Les balles passent heureusement au-dessus de nos têtes. Cela dure peut-être dix minutes, puis le calme revient. La relève se fait tardivement. Nous retournons à Stavele comme d'habitude pédestrement puis en tram.

23 Juin 1916, Vendredi.- Le jour se lève quand nous arrivons au cantonnement.

24 Juin 1916, Samedi.- Nous allons aux bains à Elsendamme.

25 Juin 1916, Dimanche.- Repos.

26 Juin 1916, Lundi.- Inspection. Nous partons aux tranchées parune pluie torrentielle. Elle ne cesse qu'à notre arrivée à la tranchée 3. Garde.

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27 Juin 1916, Mardi.- Garde.

28 Juin 1916, Mercredi.- Garde jusque 9 h. du soir.

29 Juin 1916, Jeudi.- Nos artilleurs bombardent copieusement les Allemands.

30 Juin 1916, Vendredi.- Le bombardement recommence. A 10 h., nous transportons nos mitrailleuses, les cartouches et le matériel à la IV/I. Ensuite, nous sommes relevés. Sur la route de Reninghe, nous sommes bombardés à notre tour, des schrapnells éclatent au-dessus de nos têtes, les balles crépitent sur la route autour de nous. Personne n'est touché; l'avalanche passée, nous repartons, mais devant nous, la route d'Oostvleteren est canonnée à son tour, aussi, pour l'éviter, l'adjudant nous détourne par Pollinchove.

1er Juillet 1916, Samedi.- il fait jour quand nous arrivons au cantonnement.

2 Juillet 1916, Dimanche.- Nettoyage des pièces et de tout le matériel.

3 Juillet 1916, Lundi.- Inspection par le général Cabra, en tenue de combat.

4 Juillet 1916, Mardi.- Exercice le matin, le soir nous partons aux tranchées. Garde à la tranchée 3.

5 Juillet 1916, Mercredi.- Garde.

6 Juillet 1916, Jeudi.- Garde.

7 Juillet 1916, Vendredi.- Nous sommes bombardés.

8 Juillet 1916, Samedi.- Relève et retour à Stavele, pédibus et tram.

9 Juillet 1916, Dimanche.- Repos.

10 Juillet 1916, Lundi.- Théorie.

11 Juillet 1516, Mardi.- Bain à Elsendamme.

12 Juillet 1916, Mercredi.- Départ aux tranchées. Garde à la tranchée 4.

13 Juillet 1915, Jeudi.- Garde.

14 Juillet 1916, Vendredi.- Idem.

15 Juillet 1916, Samedi.- Garde.

16 Juillet 1916, Dimanche.- Relève et retour à Stavele.

17 Juillet 1916, Lundi.- Inspection.

18 Juillet 1916, Mardi.- Exercice de tir et nettoyage.

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19 Juillet 1916, Mercredi.- Nettoyage.

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20 Juillet 1916, Jeudi.- Alerte au gaz. Le soir, nous allons à la tranchée 9.

21 Juillet 1916, Vendredi.- Garde.

22 Juillet 1916, Samedi.- Garde. Relave et retour la nuit.

23 Juillet 1916, Dimanche.- Repos.

24 Juillet 1916, Lundi.- Tir et exercices.

25 Juillet 1916, Mardi.- Idem.

26 Juillet 1916, Mercredi.- Exercices le matin. Départ pour la tranchée 0. Garde.

27 Juillet 1916, Jeudi.- Relevés par la 4/3, nous allons à la tranchée E2 Corvées.

28 Juillet 1916, Vendredi.- Je trouve un bel abri inoccupé et je m'y installe avec mon copain Mathieu.

29 Juillet 1916, Samedi.- Je fais des corvées.

30 Juillet 1916, Dimanche.- Relève et retour à Stavele comme d'habitude.

31 Juillet 1916, Lundi.- Je pars l'après-midi pour Isenberghe où j'espère trouver mes cousin Dogné. Je marche deux heures et demie, mais je suis encore si éloigné du but que je me décide à rebrousser chemin.

1er Août 1916, Mardi.- Exercice de tir.

2 Août 1916, Mercredi.- Exercice de tir.

3 Août 1916, Jeudi.- Exercice de tir le matin. Départ aux tranchées le soir, Garde à la tranchée 25.

4 Août 1916, vendredi.- Garde. Sombre anniversaire ! II y a deux ans dejà

5 Août 1916, Samedi.- Garde.

6 Août 1916, Dimanche.- Nous occupons la tranchée 14. Encore un anniversaire !!

7 Août 1916, Lundi.- Garde. Nous retournons à pied à Stavele.

8 Août 1916, Mardi.- Repos.

9 Août 1916, Mercredi.- Théorie. Tir.

10 août 1916, Jeudi.- Théorie et tir.

11 Août 1916, Vendredi.- Le matin, nous allons charger les bandes de cartouches à la colonne de munitions. Départ aux tranchées le soir.

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12 Août 1916, Samedi.- Garde à la tranchée 14.

13 Août 1916, Dimanche.- LA nuit, quatre camarades de la compagnie réussissent un magnifique coup de main. Les Allemands occupent Drie Gratchen en face de Noorschoote. Seule, la route qui relie les deux villages émerge de l’inondation. Deux avant-postes y sont établis, un belge et un allemand. Pendant les jours précédents, le soldat Vandewalle, camouflé dans les herbes, s’est approché le plus près possible de poste allemand. Il s’est rendu compte qu’il est inoccupé le jour et qu’un solide réseau de barbelé le protège. Aujourd’hui, quatre soldats, Vandewalle, Burion, Hugé et Nicolay vont tâcher de surprendre les Allemands. Bien camouflés avec des herbes, ils rampent lentement sur les côtés de la route. Ils arrivent ainsi aux barbelés, y pratiquent une brèche, entrent dans le poste vide, le dépassent avec d’infinies précautions et se blottissent un peu en arrière dans les hautes herbes. Là, ils attendent la nuit. Ils entendent les Allemands marcher et parler dans la première ligne toute proche. Nicolay, l’Arlonnais, les comprend car il sait l’allemand. La nuit tombe. Cinq soldats boches s’avancent sur la route, sans méfiance, pour occuper le poste ; nos amis retiennent leur souffle, les bottes ennemies les frôlent. Les Allemands s’arrêtent près d’eux pour charger leurs fusils, mais ils n’ont rien vu. Pas un de nos quatre piottes ne bouge. Les Allemands s’installent dans leur bout de tranchées. Nos lignards attendent le signal de l’attaque.

Brusquement, nos canons crachent une salve d’obus sur le poste allemand. Nos hommes profitent du bruit pour se lever et s’approcher de l’ennemi. Nicolay crie an allemand : "Rendez-vous nous ne vous ferons aucun mal ! " Les boches croient à une farce de leur camarades et l’un d’eux répond : "Allons, pas de blagues, hein ! ". Pour les détromper et les forcer à se rendre, l’un de nôtres veut tirer un coup de fusil, mais l’arme s’enraie stupidement. Les Allemands se ressaisissent et épaulant à leur tour, une balle érafle la tête de Bution et fait tomber sa coiffure d’herbes.Aussitôt nos soldats lancent chacun une grenade. Deux Allemands s’affalent blessés, les autres lèvent les bras. Nos gaillards se précipitent dans la tranchée. Un des blessés est gravement atteint aux jambes et supplie qu’on l’emporte. C’est impossible, car il s’agit de rentrer au plus tôt dans non lignes, la contre-attaque pouvant surgir dans un instant. Cependant, nos camarades lui font un pansement sommaire avant de l’abandonner, puis rentrent dans nos lignes précédés de leurs prisonniers qui courent si vite qu’ils ont peine à les suivre.

Tous ces faits nous sont racontés par les acteurs mêmes de cette action d’éclats.

14 Août 1916, Lundi.- Garde.

15 Août 1916, Mardi.- Garde, puis relève et retour à Stavele.

16 Août 1916, Mercredi.- Repos. Les quatres héros de la compagnie sont convoqués à la Panne auprès de nos souverains. A leur retour, ils nous racontent l’entrevue. Le Roi les a félicités et décorés.La Reine leur a donnée des cigarettes et les douceurs Elle a été particulièrement touchées par leur humanité envers le blessé et les a vivement félicités. Des journalistes les ont interviewés.

17 Août 1916, Jeudi.- Inspection.

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18 Août 1916, Vendredi.- Exercice de bivouac. Le bataillon s'installe dans une vaste prairie. Nous montons nos tentes et aussitôt il se met à pleuvoir. Nous laissons passer l'averse, puis nous démontons les tentes et rentrons au cantonnement.

19 Août 1916, Samedi.- Inspection du major.

20 Août 1916, Dimanche.- Repos.

21 Août 1916, Lundi.- Inspection de l'armurier.

22 Août 1916, Mardi.- Exercice de tir.

23 Août 1916, Mercredi.- Exercice de campagne.

24 Août 1916, Jeudi.- Tir et exercice de peloton.

25 Août 1916, Vendredi.- Nous faisons une marche par Leysele et Hondschoote.

26 Août 1916, Samedi.- Nettoyage, escrime.

27 Août 1916, Dimanche.- Nous partons aux tranchées. Garde à la tranchée 9.

28 Août 1916, Lundi.- Nous apprenons l'entrée en guerre de la Roumanie. Alerte aux gaz vers 10 h. du soir.

29 Août 1916, Mardi.- Garde.

30 Août 1916, Mercredi.- Garde.

31 Août 1916, Jeudi.- Nous allons chercher nos mitrailleuses a la tranchée 25, puis nous retournons au Piquet à Oostvleteren.

1er Septembre 1916, Vendredi.- Repos.

2 Septembre 1916, Samedi.- Nous allons travailler le matin près de Noordschoote. La nuit, le clairon sonne quatre fois pour les gaz.

3 Septembre 1916, Dimanche.- Repos.

4 Septembre 1916, Lundi.- Nous allons à Noordschoote pour y travailler, mais il n'y a pas de besogne pour nous. Retour à Oostvleteren. Le soir, nous partons aux tranchées à Noordschoote. Garde à la tranchée 14.

5 Septembre 1916, Mardi.- Garde à la tranchée 14.

6 Septembre 1916, Mercredi.- Idem.

7Septembre 1916, Jeudi.- Idem.

8 Septembre 1916, Vendredi.- A 6 h. du soir, nous allons chercher nos pièces et tout le matériel à la tranchée 9 pour les apporter au caisson

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près de la cuisine.

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Un peu avant la relève, nos avions vont jeter leurs bombes sur les tranchées boches. A leur retour, ils sont suivis par un avion allemand. Au moment où il nous survole, nous entendons siffler une bombe. Nous nous abritons sous le caisson, derrière les pattes du cheval. Quatre bombes explosent de plus en plus prés de nous, la dernière à moins de quarante mètres. Notre cheval n'a pas bronché. Après réflexion, nous nous demandons si ce n'est pas un des nôtres qui nous a pris pour des Allemands. Il est reparti vers l'est pourtant. Ce doit être un Boche. La relève arrive et nous retournons à Stavele à pied et en tram comme d'habitude.

9 Septembre 1916, Samedi.- Nettoyage.

10 Septembre 1916, Dimanche.- Repos. L'après-midi, je vais à Rous Brugge et à Haringhe avec mon ami Maingie, de la 11/2.

11 septembre 1916, Lundi.- Je vais travailler à la forge avec Mathieu.

12 Septembre 1916, Mardi.- Idem.

15 Septembre 1916, Mercredi.- Idem le matin. L’après-midi, Mathieu qui a vendu quelques douilles gravées par nous deux, et qui de ce chef a le gousset bien garni, me propose de nous offrir une bonne fricassée. Nous commandons dans un café deux œufs et une tranche de lard pour chacun. Après le repas, nous déambulons dans le village. Après une heure de ballade, Mathieu me dit à brûle pourpoint : " la fricassée n'était pas mauvaise, mais elle aurait pu être meilleures, Allons-nous en commander une autre ici ?". Nous étions en face d'un autre café. D'accord ! nous entrons. Mathieu demande : "Madame, pouvez-vous nous faire une omelette ?". La réponse est affirmative. - "Alors, rôtissez-nous six œufs avec trois tranches de lard !" Nous avalons tout.En sortant, mon copain me donne son impression : "Celle-ci valait bien mieux que la première, hein !". Cette goinfrerie terminée, nous rentrons au cantonnement. Inutile d'ajouter que ce soir, nous dédaignons la ratatouille de notre cuisine.

14 Septembre 1916, Jeudi.- Nous changeons de cantonnement.

15 Septembre 1916, Vendredi.- Exercice de bataillon.

16 Septembre 1916, Samedi.- Repos.

17 Septembre 1916, Dimanche.- Je vais à Elsendamme avec Maingie. Nous nous faisons photographier. Après nous assistons à une fête sportive organisée par le 6e de ligne.

18 Septembre 1916, Lundi.- Exercice de bataillon vers Westvleteren.

19 Septembre 1916, Mardi.- Nettoyage des pièces.

20 Septembre 1916, Mercredi.- Nous allons au piquet à reninghe.

21 Septembre 1916, Jeudi.- Repos.

22 Septembre 1916, Vendredi.- Garde de cantonnement.

23 Septembre 1916, Samedi .- Repos.

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24 Septembre 1916, Dimanche.- Tous allons à la tranchée 9. Garde.

25 Septembre 1916, Lundi.- Garde.

26 Septembre 1916, Mardi.- Garde.

27 Septembre 1916, Mercredi.- Garde.

28 Septembre 1916, Jeudi.- Relève et retour à Oostvleteren.

29 Septembre 1916, Vendredi.- Garde de cantonnement.

30 Septembre 1916, Samedi.- Repos.

1er Octobre 1916, Dimanche.- L'après-midi, un avion allemand abat en flammes le ballon captif de la 5 DA.

2 Octobre 1916, Lundi.- Nous allons reprendre le matériel à la tranchée 14, puis nous revenons à Stavele.

3 Octobre 1916, Mardi.- Je demande le rapport du commandant pour solliciter ma mutation au 12e de ligne, afin d'y rejoindre mon cousin Ulric. Le commandant Flament me demande de rédiger une lettre pour le général et me promet d'appuyer ma requète.

4 Octobre 1916, Mercredi.- Exercice de régiment. Pluie. Je rédige la lettre pour le général et la remets au sergent-major de la Cie.

5 Octobre 1916, Jeudi.- Repos.

6 Octobre 1916, Vendredi.- Marche à Beveren-Sur-Yser.

7 Octobre 1916, Samedi.- Exercice de régiment. Nous allons à Rous brugge, passons la frontière et marchons jusqu’Oostcappelle (France).Retour.

8 Octobre 1916, Dimanche.- Je suis atteint de la gale. Le médecinm'envoie à l'infirmerie de Ghyverinchove pour y prendre un bain sulfureux. Je dois me frotter tout le corps avec une brosse et de l'eau chaude et savonneuse, puis un infirmier m'enduit le corps d'eau sulfureuse. Après ce bain, je vais voir Ulric à Isenberghe.

9 Octobre, 1916, Lundi.- Repos.

10 Octobre 1916, Mardi.- Théorie.

11 Octobre 1916, Mercredi.- Idem.

12 Octobre 1916, Jeudi. - Le sergent-major m'annonce que mon transfert au 12e de ligne est accordé et que je passe à la 11/2 du 12 le 14 octobre. Le soir, nous partons aux tranchées. Garde à la tranchée E I.

13 octobre 1916, Vendredi.- Garde.

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14 Octobre 1916, Samedi.- je fais mes adieux à mes camarades; ils sont bien tristes de me voir partir, surtout mon fidèle compagnon Mathieu. Je quitte Noordschoote à 8 h 30. J'arrive à Stavele à midi. Je me restaure dans un café et j'y prends le paquet de linge et d'objets divers que je laisse là chaque fois que je pars aux tranchées pour ne pas alourdir mon sac. Aujourd'hui, je dois tout emporter car Dieu sait si je pourrai encore revenir à Stavele. De ce fait, mon sac prend un embonpoint et un poids respectables. Je repars à 1 h 30 et j'arrive à Isenberghe vers 3 h. Je me présente au bureau de la 11/2. A ma demande, on me verse à la troisième section; celle d'Ulric.Mon cousin me présente à ses amis qui vont devenir les miens aussi. Je ne suis plus mitrailleur et j'ai échangé ma légère carabine contre un lourd Mauser.

15 Octobre 1916, Dimanche.- Je vais avec Ulric et Jules Adam faire visite a Auguste Adam, frère de ce dernier, a Leysele.

16 Octobre 1916, Lundi.- Marche à Leysele. Après le retour, je porte ma capote, ma veste et mon bonnet de police au tailleur de la Cie pour qu'il me remplace mes numéros 5 par des 12.

17 Octobre 1916, Mardi.- Exercice de régiment.

18 Octobre 1916, Mercredi.- Marche à Leysele.

19 Octobre 1916, Jeudi.- Départ pour la Panne. Le soir, Ulric et moi nous allons à la cantine. Le gérant nous annonce l'arrivée sur la scène du célèbre chansonnier français Théordore Botrel. Le barde breton nous régale de ses chansons humoristiques ou sentimentales.

20 Octobre 1916, Vendredi.- Exercice de brigade dans les dunes.

21 Octobre 1916, Samedi.- Retour à Isenberghe.

22 Octobre 1916, Dimanche.- Repos.

23 Octobre 1916, Lundi.- sous partons à Oeren.

24 Octobre 1916, Mardi.- Vers 5 h., nous partons aux tranché de 3e de ligne devant Dixmude.

25 Octobre 1916, Mercredi.- Travail de Caeskerke.

26 Octobre 1916, Jeudi.- Même travail et retour à Lampernisse dans les baraques. Jusqu'à ce jour, j'ai toujours cantonné dans les fermes.

27 Octobre 1916, Vendredi.- Repos.

28 Octobre 1916, Samedi.- Idem.

29 Octobre 1916, Dimanche.- Repos. Travail de nuit a Caeskerke.

30 Octobre 1916, Lundi.- Travail de nuit à Caeskerke

1er Novembre 1916, Mercredi.- Repos.

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2 Novembre 1916, Jeudi.- Ulric part en congé à Saint-Etienne.

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3 Novembre 1916, Vendredi.- Départ aux tranchées, à la briqueterie prés de Caeskerke.

4 Novembre 1916, Samedi.- Nettoyage des voies Decauville; le soir, garde à la digue de l'Yser, à trente mètres des Allemands. On les entend parler et traîner des wagonnets. (poste 7).

5 Novembre 1916, Dimanche.- Garde. Retour à Caeskerke. Corvée et garde.

6 Novembre 1916, Lundi.- Corvée et garde.

7 Novembre 1916, Mardi.- Relève et retour à Oeren.

8 Novembre 1916, Mercredi.- Repos.

9 Novembre 1916, Jeudi.- Garde à Alveringhem.

10 Novembre 1916, Vendredi.- Travail à la tranchée 3 bis.

11 Novembre 1916, Samedi.- Exercice de lancement de grenade.

12 Novembre 1916, Dimanche.- Repos.

13 Novembre 1916, Lundi.- Exercice de lancement de grenade. Ulric rentre à la Cie après son congé.

14 Novembre 1916, Mardi.- Travail à la tranchée T3 ter.

15 Novembre 1916, Mercredi.- Nous partons aux tranchées à la digue devant Dixmude. Garde.

16 Novembre 1916, Jeudi.- De 10 à 12 h., les Allemands nous arrosent copieusement de bombes de mortiers de tranchées. Nos artilleurs de tranchées ripostent vigoureusement en lançant des bombes et des chapelets de grenades. Pendant deux heures le bruit est infernal. Deux soldats de notre compagnie sont tués dans leur abri. Le soir, nous retournons à la briqueterie.

17 Novembre 1916, Vendredi.- Nous partons à la digue pour réparer les dégâts causés par les bombes. Nous sommes à peine au travail que nous subissons un nouveau déluge de grenades et de bombes. Cela dure de 14 à 16 h. Retour à la briqueterie.

18 Novembre 1916, Samedi.- Toute la matinée, l'ennemi bombardele secteur à coups de bombes, d'obus et de grenades. Après-midi, nous allons réparer les dégâts.

19 Novembre 1916, dimanche.- Nous travaillons de nouveau à la digue de l'Yser. Nous rentrons dans nos baraques de Lampernisse le soir.

20 Novembre 1916, Lundi.- Repos.

21 Novembre 1916, Mardi.- réveillés à 3 h. de la nuit, nous allons travailler à Caeskerke. Nous rentrons au cantonnement à onze heures.

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22 Novembre 1916, Mercredi,- A une heure du matin, nous partons au travail à Caeskerke. Nous rentrons dans nos baraques à 9 h 30.

23 Novembre 1916, Jeudi.- -Repos.

24 Novembre 1916, Vendredi.- Exercice de lancement de grenades.

25 Novembre 1916, Samedi.- Repos.

26 Novembre 1916, Dimanche.- Repos.

27 Novembre 1916, Lundi.- Nous allons aux tranchées près de l'église de Caeskerke. La nuit, nous transportons des matériaux par Decauville. Les wagonnets déraillent à tout instant; nous sommes obligés chaque fois de décharger les wagonnets, de les remettre sur les rails, de les recharger, de repartir pour dérailler un peu plus loin. Il pleut. Nous enrageons.

28 Novembre 1916, Mardi.- A huit heures du soir, relève et retour à Oeren.

29 Novembre 1916, Mercredi.- Repos.

30 Novembre 1916, Jeudi.- Exercice de lancement de grenades.

1er Décembre 1916, Vendredi.- Nous allons cantonner à Eggewaertscappelle. Je rencontre Albert Legru du IIe de ligne, ancien de Saint-Roch.

2 Décembre 1916, Samedi.- Travail de nuit à Oostkerke.

3 Décembre 1916, Dimanche.- Rentrée au cantonnement à une heure. Je reçois mon premier congé : je vais à Lourdes. Je pars à pied à Alveringhem, là, je prends un tram jusque Furnes, puis un autre jusqu'Adinkerke.Ici, je m'embarque dans le train de permissionnaires qui doit me déposer à Paris. Il fait nuit, mais le train n'est éclairé qu'à partir de Calais pour ne pas se signaler à l'ennemi.

4Décembre 1916, Lundi.- Après une nuit blanche, j'arrive à midià la gare du Nord à Paris. J'éprouve une curieuse sensation de liberté et d'indépendance totale. Pendant douze jours, je n'ai d'ordre à recevoir de personne; je suis libre comme les oiseaux...Je dois reprendre un train direct pour Lourdes à 10 h. du soir à la gare du quai d'Orsay. Je dispose de dix heures pour visiter la ville lumière. Avant tout, je veux repérer la gare d'Orsay, afin de la retrouver facilement le soir. Je consulte la carte du métro, je trouve la ligne désirée, et me rends au quai d'Orsay, sur la rive gauche de la Seine. Le métro est vraiment une merveille !

Je sors de la gare et longe les rives de la Seine, point de repère idéal. Je marche des heures dans Paris, visitant la cathédrale, Le Louvre, le Grand et le petit palais, les Invalides et le tombeau de Napoléon, la tour Eiffel, le Trocadéro, l'arc de l'Étoile, l’immense place de la Concorde et les fameux Champs Elysées. Quant à la tour Eiffel, ses énormes dimensions m'ont frappé, mais ce n'est tout de même qu'un amas de ferrailles. Je rejoins le quai d'Orsay, le train part à 10 h. plein de permissionnaires français et belges.

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5 Décembre 1916, Mardi.- Je sommeille quelques heures. A la pointe du jour, nous sommes à Bordeaux. Nous traversons les landes désolées, nous passons à Dax, à Pau. Dans le lointain, nous voyons les cimes enneigées des Pyrénées.Enfin Lourdes apparaît dans son cadre impressionnant. Nous y débarquons a une heure. Sur la place, une délégation de soldats belges nous attend sous un grand drapeau belge. Elle nous conduit à l’hotel Saint-Louis. Après le dîner, je vais à la grotte et au calvaire ; je visite les églises et la ville.J’y rencontre Karcher, un brancardier de ma compagnie. Après de souper, nous assistons à l’impressionnante procession aux flambeaux. Le cantique «Sur la Belgique, étends ta main bénie... ", chanté par trois cents poitrines belges est profondément émouvant. Ah ! Si mes parents pouvaient savoir que je suis ici et me voir, comme ils seraient heureux ! Nous rentrons à l’hôtel en bandes joyeuses.

Je monte dans ma chambre, je regarde le lit avec ses draps blancs immaculés, ils y a vingt et un mois que je n’ai plus vu cela. J’en suis tout intimidé et j’ai l’impression qu’en me glissent dedans, je vais commettre une incongruité. Cependant, avant de quitter le front, j’ai pris un bain et j’ai mis du linge parfaitement propre et complètement épouillé. Je me couche donc sans craint de souiller la literie. Quel moelleux ! ...Je rêvasse longtemps avant de m’endormir.

6 Décembre 1916, Mercredi.- Je me lève à 7h30. Pendant la matinée, je visite la grotte, les basiliques et la maison, de Bernadette.La neige se mets à tomber. L’après-midi, nous partons en groupe à la gare : nous prenons le train pour Bétharam par Saint-Pé. Nous visitons la grotte de Bétharam. C’est la première fois que je visite une galerie souterraine important. Quelles merveilles ç ! Nous rentrons à Lourdes par le train de 7 h et assistons à la procession aux flambeaux.

7 Décembre 1916, Jeudi.- Pendant la matinée, nous visitons le château-fort occupé par les prisonniers de guerre alsaciens et lorrains. Ces prisonniers privilégiés jouissent d’un régime de semi-liberté. On leur a donnée des uniformes bleu-horizon, ils peuvent sortir travailler en ville à certaines heures. Comme presque tous ne parlent que l’allemand, ils ne sont guère sympathiques aux Lourdais qui les appellent "des Boches".De la terrasse du château, le panorama de la ville et de son cadre de montagnes est splendide. Nous allons au cinéma l’après-midi.

Demain, c’est la fête de l’Immaculé conception. Nous allons nous confesser en grand nombre. Le soir, procession aux flambeaux.

8 Décembre 1916, Vendredi.- LE matin, nous assistons à la messe et nous communions. Après-midi, je pars en promenade avec Godefroid, un brancardier du 12e. nous visitons Argèles, saint-Savin et sa toute vieille église du 11ème siècle et La Piéta. Les montagnes aux sommets enneigés sont grandioses.Nous retournons à Lourdes par le train que nous prenons à Argelès. Après le souper, nous allons à la procession. Les basiliques sont illuminées de milliers de lampes électrique. Le spectacle est féerique !

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9 Décembre 1916, Samedi.- Godefroid me propose de changer d'hôtel et d'aller rue du Bourg, chez Dantras, où l'on est, paraît-il, mieux nourri. Nous y allons donc. Toujours ensemble, nous allons au lac de Lourdes d'où la vue des Pyrénées est magnifique. Nous ramassons des poignées de châtaignes. Puis nous entreprenons l'ascension du pic du Jer, mais à mi-chemin, la pluie nous surprend et nous redescendons à Lourdes.

10 Décembre 1916, Dimanche.- Messe le matin à la basilique. Encoreà deux, nous prenons le train jusque Pierrefitte, puis le tram jusque la Raillère où nous sommes arrêtés par une épaisse couche de neige. Il est impossible d'aller plus loin. Nous redescendons à Cauterets, puis nous montons au point de vue de la reine Hortense. Le panorama est merveilleux. Nous regagnons Pierrefitte à pied et de là, le train nous ramène à Lourdes.

11 Décembre 1916 Lundi.- Le matin, nous nous promenons en ville, nous allons voir le marché très pittoresque. L'après-midi, nous faisons l'ascension du Béout, et nous revenons par les villages intéressants de Ségus, Ossen et Omex.Ces villages sont très pauvres. Certaines maisons communiquent avec une étable et n'ont qu'une porte commune pour les gens et les animaux. Dans les cimetières, les tombes sont recouvertes d'une immense ardoise où l'épitaphe est gravée. Tout dénote la pauvreté et un grand retard de civilisation.

12 Décembre 1916, Mardi.- Toujours accompagné de mon fidèle Godefroid, je fais une promenade circulaire autour de la ville en direction de Tarbes pendant la matinée. Après-midi, nous montons au sommet du pic de Jer, d'où nous découvrons un vaste panorama. Après une dernière visite à la grotte, je vais à la gare où je prends à 6 h 25 l'express de Toulouse et là, un autre pour Bordeaux.

13 Décembre 1916; Mercredi.- Je pars à 8 h 50 vers Paris. Je vois maintenant les régions que j'ai traversées la nuit en voyage aller. Ces contrées n'ont rien de fascinant : des vignobles et encore des vignobles et toujours des vignobles. Les villages sont, comme partout, délabrés, vétustes; les toits sont caractéristiques, peu inclinés et couverts de tuiles roses. Les bords de la Loire sont plus riants et coquets. J'arrive à Paris-Nord cinq minutes avant le départ du train de permissionnaires pour le front. J'ai juste le temps d'y grimper. Il part à 18 h.

14 Décembre 1916, Jeudi.- quand le jour arrive, nous sommes à Abbeville. Je change de train à Adinkerke et je débarque à Elsentap. Je rejoins enfin ma compagnie à Wulveringhem vers 4h de l'après-midi.

15 Décembre 1916, Vendredi.- Repos.

16 Décembre 1916, Samedi.- Exercice de régiment, près d’Hoogstade.

17 Décembre 1916, Dimanche.- Repos.

18 Décembre 1916, Lundi.- Marche à Houthem, Hondschoote (France) Leysele.

19 Décembre 1916, Mardi.- Exercice de regiment à Hoogstade. Bain.

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20 Décembre 1916, Mercredi.- Inspection.

21 Décembre 1916, Jeudi.- Repos.

22 Décembre 1916, Vendredi.- Nous partons à 8 h pour Zandheek près de Pollinchove.

23 Décembre 1916, Samedi.- Je vais rendre visite à mon ancienne section du 5e (devenue du 15e) à Hoogstade-Linde.

24 Décembre 1916, Dimanche.- Je me promène à Loo le matin et à Alveringhem l’après-midi

25 Décembre 1916, Lundi.- NOEL.- Après la messe,je vais à Loo. Après-midi, nous partons aux tranchées. Ma section occupe le poste 2, au milieu des inondations, sur la rive droite de l'Yperlée. Pendant mes heures de garde, pour tuer le temps, je passe et repasse d'une rive à l'autre sur le radeau. Les canards sauvages font un grand tapage.

26 Décembre 1916, Mardi.- Je m'amuse à tirer au milieu des bandes de canards. Nous retournons en première ligne le soir.

27 Décembre 1916, Mercredi.- Garde le soir.

28 Décembre 1916, Jeudi.- idem.

29 Décembre 1916, Vendredi.- Retour au cantonnement.

30 Décembre 1916, Samedi Bain l’après-midi.

31 Décembre 1916, Dimanche.- A 14 h. Départ pour les tranchées, secteur gauche de Loo, où j'étais il y a un an avec le 5e. Je vais en corvée de ravitaillement. A onze heures, (minuit pour les Allemands) nos ennemis nous mitraillent furieusement au fusil et à la mitrailleuse en guise de cadeau de nouvel an.

1er Janvier 1917, Lundi.- Je suis de corvée de ravitaillement l'après-midi. Nous partons à Decauville à une heure pour rentrer à 7h.

2 Janvier 1917, Mardi.- Ravitaillement par Decauville. Rentréeà 10 h.

3 Janvier 1917, Mercredi.- Idem vers 7 h.

4 Janvier 1917, Jeudi.- Relève et retour au cantonnement par Nieuwcappelle.

5 Janvier 1917, Vendredi.- Nous changeons de cantonnement. Nous allons à Rabbelaer.

6 Janvier 1517, Samedi.- Inspection le matin. Travail de nuit àCaeskerke. Retour en camions Oudecappelle et Nieuwcappelle.

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7 Janvier 1917, dimanche.- Inspection.

8 Janvier 1917, Lundi.- Départ pour les tranchées au secteur droite de Dixmude T 17. Pluie.

9 Janvier 1917, Mardi.- Le soir, ma section va à l'avant-poste D sur la rive droite de l’Yser. Il fait horriblement froid et la pluie continue à tomber.

10 Janvier 1917, Mercredi.- Nous retournons sur la rive gauche. Garde.

11 Janvier 1917, Jeudi.- Le soir, relève et retour au cantonnement.

12 Janvier 1917, vendredi.- Ulric part en congé à Paris.

13 Janvier 1917, Samedi.- Le soir, transport à Caeskerke.

14 Janvier 1917, Dimanche.- Garde à Alveringhem.

15 Janvier 1917, Lundi.- Travail de nuit aux tranchées.

16 Janvier 1917, Mardi.- Repos.

17 Janvier 1917, Mercredi.- Départ aux tranchées, corvées jusque minuit avec Jean Knubben.

18 Janvier 1917, Jeudi.- Nous allons à l'avant-poste E sur la rive droite. La nuit semble interminable et terriblement froide. Pour me réchauffer les mains, je tire rapidement une dizaine de coups de fusil, puis je serre le canon tout chaud entre mes mains transies. Le jour se lève enfin, il neige. J'entends au loin, au-delà des positions boches, des trams .qui sifflent ainsi que des clairons allemands qui sonnent lugubrement. Je tire encore quelques coups de feu. Le soir, nous retournons à la ferme SW.

19 Janvier 1917, Vendredi.- Travail le matin à la digue, transport et déchargement la nuit.

20 Janvier 1917, Samedi.- Travail le matin à la digue. Le soir, relève et retour au cantonnement.

21 Janvier 1917, Dimanche.- Repos.

22 Janvier 1917, Lundi.- Travail aux tranchées, remplissage de sacs.

23 Janvier 1917, Mardi .- Travail à Forthem.

24 Janvier 1917, Mercredi.- Garde d'incendie.

25 Janvier 1917, Jeudi.- Garde jusque midi.

26 Janvier 1917, Vendredi.- Départ aux tranchées. Corvée de ravitaillement

27 Janvier 1917, Samedi.- Corvées : ravitaillement puis transport.

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28 Janvier 1917, Dimanche.- Garde à la digue. Nuit glaciale.

29 Janvier 1917, Lundi.- Idem. Le soir relève et retour au cantonnement.

30 Janvier 1917, Mardi.- Repos.

31 Janvier 1917, Mercredi.- Travail à Forthem.

1er Février 1917, Jeudi.- Repos.

2 Février 1917, Vendredi.- Repos.

3 Février 1917, Samedi.- Inspection.

4 Février 1917, Dimanche.- Départ pour les tranchées. (Saint-Jacob). Nous sommes trois dans un petit abri : Charles Liégeois, Ulric et moi. Il y a un âtre dans l'abri. Je parcours les environs à la recherche de morceaux de bois, puis j'allume le feu et l'entretiens pendant que mes deux compagnons écrivent à leurs marraines.

5 Février 1917, Lundi.- Je fais encore du feu. Ulric et Charles écrivent toujours. Nous devons occuper le poste D ce soir. Par ce froid rigoureux, cela ne nous sourit guère. Ulric dit même : " Je voudrais bien carotter l'avant-poste aujourd'hui". La nuit venue, nous franchissons l’Yser encombré de glaçons sur un radeau et pénétrons dans ce poste exposé. A cause du froid, le sergent Dierickx décide que les sentinelles se relèveront toutes les heures. A 6h., Ulric et moi nous occupons le poste d'écoute de droite. Le froid est intense, la bise gerce nos oreilles. Pour nous protéger, nous coiffons nos casques d'un "vederland" arrangé en forme de capuchon.Une chasuble en peau de mouton est à notre disposition; plus jeune et moins frileux que mon cousin, je la lui laisse volontiers. Nos pieds sont glacés, aussi nous parcourons en frappant la semelle les quelques mures qui nous séparent du réseau de barbelés. Là, des soldats du génie réparent les dégâts causés par le bombardement de la veille. Quelques rares coups de feu claquent. La première heure écoulée, deux soldats viennent prendre notre place et nous retournons dans l'unique abri du poste. C'est un abri très rudimentaire d'ailleurs : un mur de terre du côté de l'ennemi, une tôle ondulée et percée de trous supportée par deux pieux du côté de l'arrière. Au milieu, treize ou quatorze soldats se pressent et se bousculent autour d'un brasero où le coke achève de se consumer.Il faudrait du bois si l'on veut garder du feu. "Qui va en chercher ?" Les balles sifflent avec insistance depuis quelques minutes, aussi, personne ne bouge. "J'y vais" - dis-je, et je saute sur le parapet. Ulric me crie : "Reviens Maurice, ne t'expose pas pour du bois, tant pis pour le feu !". Mais je suis déjà près du réseau, ramassant les bobines que les soldats du génie ont laissées sur place, leur besogne achevée. Je rentre dans l'abri avec ma récolte, tandis qu'une balle sectionne un fil de fer et produit une courte étincelle. Il est l'heure de reprendre notre faction : nous retournons à notre poste d'écoute, un parapet croulant de deux mètres de long qui nous protège à peine plus haut que la ceinture. Qu'il fait clair ! La plaine couverte de neige est presque aussi visible qu'en plein jour. Le sergent nous signale la sortie d'une patrouille belge dans le "no man's land". Nous ne pouvons donc tirer mais les Boches eux, ne s'en privent pas.

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Ulric regarde l’ennemi de face pendant que je surveille la droite.Des balles déchirent l’air comme des coups de fouet sonores.Soudain, un claquement brusquement interrompu et étouffé suivi d’un long cri déchirant me fait sursauter et tourner la tête. Je vois mon pauvre cousin s’affaler sur le parapet. Déjà, il râle sinistrement." Où es-tu blessé ? " – lui dis-je. Le râle cesse. Je le tire par les pieds et l’étends face au ciel. Il est déjà livide. J’appelle :" Brancardier". Celui-ci et d’autres soldats qui ont entendu le cri de détresse accourent. Le brancardier Jaeger entrouvre la capote et la veste. Dans la région du cœur... C’est grave...On doit l’évacuer toute de suite. dit-il. Ces paroles me font l’effet d’un coup de poignard. Je vois le portefeuille d’Ulric qui dépasse de sa poche intérieure. L’idée de le prendre pour le rendre à ses parents plus tard m’effleure un instant, puis je me ravise en pensant qu’il en réchappera peut-être. On apporte un brancard et on transporte le blessé, le mourant ou le mort au poste de secours. Je reste seul avec mes sombres pensées. Jamais garde ne m’a semblé si longue et si pénible. Ah ! Si je pouvais assouvir ma fureur sur l’ennemi ! Mais je ne peux pas tirer tant que notre patrouille n’est pas rentrée. La voilà qui arrive en longeant l’Yser et presque en même temps deux soldats viennent me relever.

Je retourne au poste central et j’y retrouve le brancardier revenu du poste de secours. Je le questionne, il m’affirme que le blessé a repris connaissance. Tout à fait rassuré, je me dis qu’après quelques mois d’hôpital, mon cousin viendra nous rejoindre et, qui sait ? la guerre sera peut-être finie. Mais un peu plus tard, je surprends quelques mots prononcés à mis-vois qui me font supposer qu’on me cache la vérité.Cependant, je peux espérer et mes camarades entretiennent cet espoir. Je reprends mon tour de faction en compagnie d’un ami. Les Allemands ne tirent presque plus. Toute la nuit, je rumine ma peine et ma haine pour le Boche.

6 Février 1917, Mardi.- Le matin, nous retournons à la digue sur la rive gauche. Dès que je suis installée avec Charles Liégeois, je veux me rendre au poste de secours pour prendre des nouvelles.

C’est alors que Charles se décide à me dire : "N’y vas pas cela ne servira à rien, je vais te le dire, Ulric est mort. Il l’était déjà quand on l’a mis sur la civière". Cette nouvelle m’afflige profondément, car Ulric était devenu un véritable frère pour moi. Malgré la fatigue de 24 h. de veille, je ne peux m’endormir. Le soiu, nous retournons à la ferme dite "du colonel". J’occupe un petit abri avec Liégeois.

7 Février 1917, Mercredi.- Pendant la journée, j’écris l’affreuse nouvelle à mes cousins Dogné. Pendant la relève, je revois Joseph Maka, un ancien de Saint-Roch. Il m’annonce que mon frère est nommé instituteur à Lincé. Je me demande si cela est possible. Nous rentrons au cantonnement. On nous annonce l’enterrement pour demain.

8 Février 1917, Jeudi.- Je quitte le baraquement vers 8h. pour avertir Théodore Lawarée et les Adam. La compagnie se rassemble à 10h. pour aller aux obsèques à l’église d’Alveringhem. On enterre en même temps un officier du IIe de ligne. On prend les cercueils à la morgue.

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Drapés du drapeau national, ils sont portés à l'épaule par des soldats, d'autres en armes forment l'escorte. Les officiers suivent les cercueils. Je leur demande la permission de marcher à côté d'eux comme seul représentant de la famille. Cela m'est accordé sans hésitation. La musique du 12e ouvre la marche. La messe commence à10 h 30. Le général Jacques y assiste. Après l'absoute, les cercueils sont chargés sur des camions pour être conduits à Adinkerke et inhumés. Je suis autorisé à assister à l'enterrement avec le caporal André Lejeune. Oh ! La triste journée ! Si on savait à Presseux ! Pauvres parents, vous ignorez votre malheur, comme vous allez souffrir en apprenant le sort de votre fils !

9 Février 1917, Vendredi.- J'écris à mes parents pour leur annoncer la mort d'Ulric. J'écris aussi à ses marraines de guerre et â la mienne. Inspection en tenue de piquet.

10 Février 1917, Samedi.- Alerte d'incendie.

11 Février 1917, Dimanche.- Repos. Garde à la cuisine à midi.

12 Février 1917, Lundi.- Garde jusque midi.

13 Février 1917, Mardi.- Mon 21e anniversaire, je suis majeur aujourd'hui. Nous allons aux tranchées. Garde de nuit à l'avant-poste A. Je suis aphone.

14 Février 1917, Mercredi.- Le matin, retour à la digue de l’Yser, tranchée 16. Corvée de ravitaillement.

15 Février 1917, Jeudi.- Corvée de ravitaillement.

16 Février 1917, Vendredi.- Travail et retour au cantonnement.

17 Février 1917, Samedi.- Le médecin m'envoie en consultation d'un spécialiste à Alveringhem en compagnie de Hennet atteint du même mal que moi.Diagnostic laryngite aiguë. Pillules.

18 Février 1917, Dimanche.- Corvée à Forthem.

19 Février 1917, Lundi.- Travail à Forthem. Chargement de briques. Nos doigts transis par le froid s'écorchent douloureusement.

20 Février 1917, Mardi.- Même travail.

21 Février 1917, Mercredi.- Le clairon sonne le réveil à 5 h. Nous quittons Rabbelaer à 7 h 30. Nous Passons à Alverinhem, Houthem, Ghyvelde (France) et nous occupons les baraquements de Bray-Dunes vers 3 h.

22 Février, 1917, Jeudi .- Je suis garde-chambre.

23 Février 1917, Vendredi.- Exercice sur la plage le matin.

24 Février 1917, Samedi.- Idem. Passage du Roi.

25 Février 1917, Dimanche.- Repos.

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26 Février 1917, Lundi.- Exercice dans les dunes le matin.

27 Février 1917, Mardi.- Idem.

28 Février 1917, Mercredi.- Idem.

1er Mars 1917, Jeudi.- Exercice dans les dunes l'après-midi.

2 Mars 1917, Vendredi.- Exercice le matin.

3 Mars 1917, Samedi.- Idem.

4 Mars 1917, Dimanche.- Repos.

5 Mars 1917, Lundi.- Exercice le matin.

6 Mars 1917, Mardi.- Repos. L'après-midi, je suis désigné avec Désiré Charlier et Joseph Brabant pour former une équipe de fusiliers-mitrailleurs. Nous passons en subsistance au 9e de ligne en repos à la Panne pour y recevoir l'instruction adéquate au CIFM (Centre d' Instruction de Fusil-mitrailleur). Notre instructeur est le sergent russe Konikof du 12e.

7 Mars 1917, Mercredi.- Le matin, nous allons au tir dans lesdunes; l'après-midi, le sergent nous donne la théorie de notre nouvelle arme.

8 Mars 1917, Jeudi.- Théorie, tir et exercice.

9 Mars 1917, Vendredi.- Le général Jacques assiste au tir. Il demande à se servir de mon arme, mais comme la détente est très dure, il ne la presse pas suffisamment et aucun coup ne part. "I n va nin t'fisique !" - me dit-il. Je lui dis d'appuyer plus fort sur la détente. Alors les balles partent.

10 Mars 1917, Samedi.- Tir et théorie.

11 Mars 1917, Dimanche.- Je vais à Adinkerke sur la tombed'Ulric. J'y dépose les fleurs que sa marraine de Cholet m'a envoyée à cette intention.

12 Mars 1917, Lundi. - Exercices.

13 Mars 1917, Mardi.- C'est aujourd'hui l'examen théorique. Désire, désigné au départ comme chef d'équipe et tireur, s'embrouille dans ses réponses. Le sergent Konikof m'interroge après Joseph Brabant. Il décide d'intervertir les rôles, il refoule le pauvre Désiré à la troisième place (deuxième Pourvoyeur) et me nomme chef d'équipe, Brabant restant premier pourvoyeur.

14 Mars 1917, Mercredi.- Examen pratique : simulacre de combat. A 5 h. de l'après-midi, nous rejoignons notre compagnie à Bray -Dunes.

15 Mars 1917, Jeudi.- Exercice de brigade le matin.(IIe et 12e)

16 Mars 1917, Vendredi.- Repos.

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17 Mars 1917, Samedi.- Repos.

18 Mars 1917, Dimanche.- nous quittons Bray-Dunes et la France pour Avecappelle.

19 Mars 1917, Lundi.- Départ pour les tranchées à gauche de Pervyse.

20 Mars 1917, Mardi.- Nous occupons l’avant-poste T5.

21 Mars 1917, Mercredi.- Retour à la première ligne (chemin de fer).

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22 Mars 1917, Jeudi.- Nous allons à l'avant-poste A 7. Les Allemands font beaucoup de bruit pendant la nuit. A quoi travaillent-ils ? Je me le demande. A un certain moment, j’entends "plouf !!!" Un Boche est tombé à l'eau, ce qui déclenche de bruyants éclats de rire de ses compagnons. Histoire de les calmer je leur envoie une volée de balles. Les rires et les bruits cessent aussitôt.

23 Mars 1917, Vendredi.- Retour à la ligne du chemin de fer.

24 Mars 1917, Samedi.- Je vais à l'avant-poste T 5. Garde.

25 Mars 1917, Dimanche.- Retour au cantonnement le soir.

26 Mars 1917, Lundi.- Repos.

27 Mars 1917, Mardi.- Repos.

28 Mars 1917, Mercredi.- Repos.

29 Mars 1917, Jeudi.- Travail à Pervyse le matin.

30 Mars 1917, Vendredi.- Idem.

31 Mars 1917, Samedi.- Départ pour les tranchées de Pervyse.

1er Avril 1917, Dimanche.- Garde sur la route de Schoorbakke (grand'garde).

2 Avril 1917, Lundi.- Retour à Pervyse.

3 Avril 1917, Mardi.- Je reçois une lettre de Lincé. Retour à Avecappelle.

4 Avril 1917, Mercredi.- Repos. Bain-douche à Steenkerke.

5 Avril 1917, Jeudi.- Repos.

6 Avril 1917, Vendredi.- Nous allons aux tranchées.

7 Avril 1917, Samedi.- Garde à l’avant-poste 2

8 Avril 1917, Dimanche.- Pâques. Retour à la ligne du chemin de fer.

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9 Avril 1917, Lundi.- Retour au cantonnement d’Avecappelle.

10 Avril 1917, Mardi.- Repos.

11 Avril 1917, Mercredi.- Nous partons au travail, une pluie torrentielle nous fait rebrousser chemin.

12 Avril 1917, Jeudi.- Travail à Pervyse.

13 Avril 1917, Vendredi.- Repos.

14 Avril 1917, Samedi.- Départ pour Houthem.

15 Avril 1917, Dimanche.- Messe à Leysele.

16 Avril 1917, Lundi.- Promenade à Leysele.

17 Avril 1917, Mardi.- Inspection.

18 Avril 1917, Mercredi.- Inspection.

19 Avril 1917, Jeudi.- Exercice.

20 Avril 1917, Vendredi.- Idem.

21 Avril 1917, Samedi.- Départ pour Adinkerke. Une souscription entre les camarades d'Ulric a réuni assez d’argent pour faire placer une pierre sur sa tombe. Nous allons la commander chez un tailleur de pierre. Je dépose un paquet de lettres chez Monsieur ALLO, 48, rue de la Station à Adinkerke. Nous retournons en auto-camion comme nous sommes venus.

22 Avril 1917, Dimanche.- Messe a Leysele.

23 Avril 1917, Lundi.- Marche à Hondschoote. (France)

24 Avril 1917, Mardi.- Marche à Leysele et Hondschoote.

25 Avril 1917, Mercredi.- Marche.

26 Avril 1917, Jeudi.- Idem.

27 Avril 1917, Vendredi.- Inspection.

28 Avril 1917, Samedi.- Marche de Houthem à la Panne. Nous y cantonnons.

29 Avril 1917, Dimanche.- Repos. L'après-midi, j'assiste à la finale du championnat de football de l’armée entre le 15e de ligne et le 1er grenadier. Le 15e gagne à ma grande satisfaction car si je n'étais pas venu au 12e, je serais maintenant au 15e, comme mon ancien bataillon qui y est, passé en bloc. Je reçois la photo d’Elise et de ses enfants.

30 Avril 1917, Lundi.- Exercice

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1er Mai 1917, Mardi.- Garde à la côte.

2 Mai 1917, Mercredi.- Fin de la garde.

3 Mai 1917, Jeudi.- Exercice à Saint-Idesbald.

4 Mai 1917, Vendredi.- Marche à Coxydeet St-Idesbald.

5 Mai 1917, Samedi.- Idem.

6 Mai 1917, Dimanche.- Repos. Concert au mess.

7 ai 1517, Lundi.- Exercice à Coxyde. Le soir, garde à la côte. Je fais les cent pas sur la grève. Une barque est échouée sur le sable. En faction, pendant la nuit, je vais m'asseoir dedans pour me reposer un peu? Je m'y endors. Mais la marée monte et je m'éveille soudain balancé par les flots qui soulèvent la barque. Heureusement elle est amarrée. J'attends le reflux pour sauter à l'eau et regagner la terre ferme. J'ai les pieds à peine mouillés. Si je m’étais réveillé trop tard, j'aurais dû attendre la marée descendante pour quitter le bateau.

8 Mai 1917, Mardi.- Garde à la côte jusqu'au soir.

9 Mai 1917, Mercredi.- Exercice à Coxyde.

10 Mai 1917, Jeudi.- Le soir, garde à la côte, à l'intérieur de l'hôtel Terlinck. D'une fenêtre face à la mer, nous surveillons le large au moyen d'une longue-vue. Nous devons signaler l'apparition de navires suspects. C'est assez amusant et pas fatiguant du tout.

11 Mai 1917, Vendredi.- Garde à l'hôtel jusqu'au soir.

12 Mai 1917, Samedi.- Nous partons à 8 h. pour cantonner à Wulpen.

13 Mai 1917, Dimanche.- Nous allons aux tranchées à Ramscappel-le. Garde à la ligne du chemin de fer.

14 Mai 1917, Lundi.- Travail aux avant-postes la nuit.

15 Mai 1517, Mardi.- Le soir, nous allons occuper l'avant-poste A 29. Garde toute la nuit.

16 Mai 1917, Mercredi.- Le soir, retour au chemin de fer. Je reçois la photo de Papa et Maman. Quelle joie ! Il me manque encore celle d'Eugène, mais du train d'où vont les choses maintenant, je l'espère pour bientôt.

17 Mai 1917, Jeudi.- Repos.

18 Mai 1917, Vendredi.- Fausse alerte pour les gaz. Ce sont de gros nuages de moustiques. Garde à l'avant-poste 17 le soir.

19 Mai 1917, Samedi.- Relève et retour à Wulpen.

20 Mai 1917, Dimanche.- Repos. Je reçois la visite de Henri Michel de Presseux.21 Mai 1917, Lundi.- Travail sur la route de Pervyse près

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d’Avecappelle.

22 Mai 1917, Mardi.- Travail sur la même route.

23 Mai 1917, Mercredi.- Travail au-delà de Pervyse.

24 Mai 1917, Jeudi.- Travail vers la gauche de Pervyse.

25 Mai 1917, Vendredi.- Repos.

26 Mai 1917, Samedi.- Marche à Saint-Idesbald et exercice à Coxyde.

27 Mai 1917, Dimanche.- Repos.

28 Mai 1917, Lundi.- Exercice à Wulpen le matin.

29 Mai 1917, Mardi.- Le premier-chef m’annonce que mon congé est prêt au bureau et que je dois le retirer l’après-midi. Gilles Coeymans est dans le même cas. Nous allons partir ensemble en permission chez nos marraines de guerre. Gilles à Grâne, et moi à Die, cinquante Km plus loin. Pour être bien propres et exempts de poux, nous allons tous deux aux bains-douches à Wulpen. A 6h. du soir, nous prenons le train à Furnes. En entrant dans le compartiment, je me trouve nez à nez avec Paul Winand de Lincé. Quel heureux hasard !...

30 Mai 1917, Mercredi.- Nous arrivons à Paris à 10h. Nous traversons la ville pour atteindre la gare de Lyon. Nous y prenons l’express de Dijon à 12h35. A minuit, nous sommes dans la capitale de la Bourgogne.

31 Mai 1917, Jeudi.- Nous quittons Dijon à 2h42 par l’express de Valence. Les vallées de la Saône et du Rhône sont bien jolies. Nous arrivons à Valence à 10h. Nous sortons en ville, admirons ses monuments, surtout son beau pont sur le Rhône et le monument Augier. Nous dînons dans un restaurant, puis nous prenons un train omnibus pour Livron où nous débarquons à 3h. Ici, nous devons attendre un train pour Grest et Die. Nous consultons l’horaire et constatons qu’il n’y a qu’un seul train par jour à 8h50, donc demain... Gilles qui va à Grâne, se renseigne sur la distance : 14 ou 15 km. Pour un fantassin endurci, c’est une promenade ! Ilse décide donc d’y aller à pied. Pour moi, le problème est moins facile : 48km me séparent de Die. Il ne peut être question de faire cette étape à pied et je suis obligé de loger ici. Gilles me quitte donc en me donnant rendez-vous pour le retour. Je réserve une chambre au "café de la gare" puis je parcours la petite ville qui se trouve à l’embouchure de la Drôme. Cette rivière m’impressionne par son volume et son courant impétueux, c’est un vrai torrent ! Quand le soleil baisse, des milliers de cigales commencent leur concert strident. Je tâche de les voir dans les herbes du talus, mais en vain. 1er Juin 1917, Vendredi.- Après le déjeuner, je fais une courte promenade ; je suis très surpris de trouver la Drôme presqu’à sec : ce n’est plus qu’un ruisseau. On m’explique : hier la rivière était en crue à cause d’un orage sur les Alpes.

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A 8 h 50, je monte dans le train qui va m'emmener à Die. Dans mon compartiment, je suis un objet de curiosité. Dame, un soldat belge ! Pour la plupart des voyageurs, c'est le premier qu'ils voient.

Une demoiselle me regarde avec une insistance particulière. Après une longue attente, elle se décide à me parler : "Pardon, Monsieur, ne seriez-vous pas le filleul de mademoiselle Paulette Avond ?". Sur ma réponse affirmative, elle se présente : "Berthe Viogeat, une amie de Paulette". Je connaissais ce nom depuis longtemps déjà, car ma marraine m'en avait parlé dans ses lettres. Je débarque à Die à 10 h. Ma marraine et sa cousine Yvonne Gevrey m'attendent sur le quai; elles n'ont aucune peine à me reconnaître à mon uniforme,mais moi ? Mademoiselle Berthe me dit : "Voilà votre marraine". La rencontre est un peu guindée, de ma part du moins, car ceci est tout de même une singulière aventure et je suis un peu intimidé. Nous traverson toute la ville, qui n'est pas bien grande d'ailleurs, et arrivons à l'autre bout, à la maison de ma marraine, rue du Viaduc. Je suis reçu par la maman Avond, le papa étant mobilisé. La glace est bientôt rompue et je dois répondre à une multitude de questions sur la Belgique, mes parents; la vie au front, etc. L'après-midi, nous faisons une promenade dans la ville. On me présente chez toutes les amies de Paulette. L'accueil est partout chaleureux.

2 Juin 1917, Samedi.- Nous allons nous promener en bande au bois Purgnon.

3 Juin 1917, Dimanche.- Nous allons à la messe à la cathédrale, oui, cathédrale, car Die a été au moyen-âge un évêché et une ville fortifiée importante. Nous allons à Romeyer l'après-midi et combinons une grande excursion pour demain.

4 Juin 1917, Lundi.- Nous nous levons à 4 h. 30. Nous nous rassemblons chez Monsieur Sarlin. Nous sommes six : Melle Anna Sarlin et son cousin, le lieutenant Arnaut en permission comme moi, Melle Berthe Viogeat, Paulette, sa cousine Yvonne et moi. Nous entreprenons une longue randonnée qui nous conduit à Romeyer, au col du Mesnil, à l'abbaye du Valcroissant et à la ferme de Gratton. A ce moment, la pluie nous force à chercher refuge à la ferme. Nous entrons dans une grande chambre qui sert de cuisine et de chambre à coucher. Le lit est entièrement entouré de tentures qui forment un grand ciel-de-lit. Il y a de tout dans cette chambre et surtout du désordre et de la malpropreté.

La pluie cesse bientôt et nous redescendons vers Die où s'achève cette promenade joyeuse et animée dans un magnifique décor de montagnes.Le lieutenant et Yvonne ont été les boute-en-train de la bande.

5 Juin 1917, Mardi.- Nous partons à bicyclette, Paulette, Yvonne et moi, vers Saint-Roman. La pluie nous oblige à rebrousser chemin. Nous préparons pour demain une nouvelle excursion à six.

6 Juin 1917, Mercredi.- Nous nous levons à 4 h 30. Touts les six à vélo, nous pédalons jusque Chamalloc, au pied du col. Nous y laissons nos bicyclettes et nous continuons à pied l'interminable montée par une route en lacets, qui nous mène au refuge du col du Rousset, à 1343 m d'altitude.

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Le paysage est d’une impressionnante grandeur. Mais du fond de la plaine, voilà que des nuages montent vers nous, nous enveloppent, nous dépassent et se résolvent en pluie. Heureusement, nous sommes sous toit. L’averse passée, nous traversons le tunnel de 600 m qui fait communiquer les deux versants de la montagne et nous entrons dans la forêt de Lente. Nous pique-niquons sur l’herbe, nous prenons quelques photos, puis nous retournons à Chamalloc. Pour la première fois, j’entends chanter "La Madelon" par les jeunes filles du groupe.

Nous reprenons nos vélos à Chamalloc et dévalons en roue libre jusque Die. Nous nous sommes follement amusés.

7 Juin 1917, Jeudi.- C’est aujourd’hui le jour de la séparation, déjà !Madame Avond me paie un taxi pour Livron, car le train de Die arrive trop tard à Valence pour l’express de Paris. Je quitte Die et mes charmantes hôtesses à 5 h du matin. J’arrive à Livron à 7h30.

Gilles n’est pas au rendez-vous, mais il a le temps jusque deux heures et demie. Je dispose de quelques heures et je vais me promener à Loriol, village situé à 4 km, que je trouve intéressante.

Je reviens à Livron, toujours pas de Gilles ! A 2h30, je prends le train omnibus jusque Valence et là, l’express de Paris.

Il fait très chaud dans le train ; de plus ; je suis la proie du "cafard". Pendant huit jours j’ai connu la vie d’un civilisé, j’ai vécu dans une famille, j’ai mangé dans une assiette, dormi dans un lit, j’ai été entouré de toutes sortes d’attentions, de sympathie, d’amitié, et je retourne vers les baraques, les sacs à paille crasseux, les corvées, les gardes, les poux ... Encore si Gilles m’avaient rejoint.Ensemble, ce serait moins pénible, nous nous raconterions nos belles journées ! Le temps passerait plus vite au lieu de nous débattre dans cette noire mélancolie. Hélàs ! Le beau rêve est fini !

8 Juin 1917, Vendredi.- Je débarque à Paris à 10h gare de Lyon. Le train de permissionnaires pour le front part de la gare du Nord à 6h10.

J’ai toute la journée pour visiter la ville-lumière. Je vois donc la cathédrale, Le Louvre, les Invalides, Montmartre et sa basilique... Les heures passent sns que je m’en rende compte...Tout à coup, mes regards tombent sur une horloge publique elle marque six heures moins cinq ! J’en suis tout décontenancé, il me reste quinze minutes pour atteindre mon train... Heureusement, une gare de métro est proche, je m’y précipite et constate avec soulagement que le prochain arrêt est justement la gare Nord. J’y arrive en quelque minutes et je vois les soldats qui arrivent sans hâte pour le train. Hélàs, je ne suis pas encore tranquille, car j’ai laissé ma capote et ma besace dans un café voisin de la gare j’y cours et reviens au plus vite car les minutes sont comptées.J’arrive juste à temps... pour voir la lanterne rouge du train qui démarre au bout du quai... Les gendarme belges de service ma disent : "Trop tard ! Il Faudra revenir demain. Donnez-nous votre congé nous y apposerons tout de même le cachet".

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Assommé par cette malchance et tout essoufflé par ma course, je bois une grande gorgée à la bouteille de vin que Madame Avond a glissé dans ma besace. Et Gilles ? Il est sans doute dans le train se demandant ce que je suis devenu. J'ai donc bien involontairement, un jour de congé supplémentaire à Paris; mais je risque fort de le payer bien cher. En effet, quelques ,jours avant notre départ, le capitaine a déclaré devant toute la compagnie : "Depuis quelque temps trop de soldats ont pris l'habitude de rentrer de congé en retard d'un jour et même de deux. Cet abus ne sera plus toléré. A l'avenir, tout retard injustifié sera puni de huit jours de cachot et d'un retard de trois mois pour le congé suivant. Tenez-le vous pour dit". Me voilà dans de beaux draps ... Si au moins Gilles était avec moi...Il y a dans les sous-sols de la gare une cantine tenue par des miss anglaises, on peut s'y restaurer et dormir. Je m'y rends donc, je soupe et me mets au lit de bonne heure. On ne sait jamais s'il fait jour ou nuit puisqu'il n'y a pas de fenêtres.

Je m'éveille, je vois des soldats qui mangent. Tiens, me dis-je, c'est l'heure du déjeuner. Je me lève, me lave et m'approche d'une table où quelques hommes écrivent penchés sur leurs lettres. Soudain, je reconnais le crâne à moitié chauve de Gilles. J'en ai le souffle coupé; je l'interpelle "Gilles ! Que fais-tu ici ?" Il redresse la tête tout ahuri de me voir. - "Et toi ?" - J'ai manqué mon train hier. " Comment cela, hier ? Mais tu es revenu un jour trop tôt, tu ne t'amusais pas ?" - Mais nous devions repartir hier, hein ?" - "Mais non, il était encore temps aujourd'hui !" - "Mais non !" -"Mais si". - Mais enfin, sais-tu quel jour nous sommes ? Je regarde l'horloge de la cantine, il est onze heures et demie ... Tout s'explique : nous sommes toujours vendredi et je me croyais samedi matin. Là dessus, nous pouffons de rire tous les deux. Les explications sérieuses sont maintenant possibles. Mon ami a tout simplement pris un train trop tardif pour obtenir la correspondance à Paris. Il faudra se justifier le mieux possible au rapport du capitaine et nous échafaudons une histoire où le vrai et le faux se trouvent mélangés. Nous bénissons notre rencontre : isolé, le cas de chacun était très mauvais. Ensemble, cela ira mieux.Nos craintes s'en trouvent presque oubliés. Gilles va se coucher et moi, me recoucher.

9 Juin 1917, Samedi .- Nous déambulons dans Paris toute la journée et le soir, nous sommes à l'heure pour le train de permissionnaires, bien entendu !!! Pendant notre retour, nous achevons la mise au point de notre justification. Mon titre de congé porte le cachet de la gendarmerie, mais celui de Gilles ne l'a pas. Pour éviter toute contradiction, nous cherchons et trouvons une explication acceptable et nous apprenons notre rôle par cœur.

10 Juin 1917, Dimanche.- Nous rentrons à la compagnie. Le premier chef nous annonce que nous comparaîtrons au rapport demain.

11 Juin 1917, Lundi.- Travail le matin aux tranchées. L'après-midi, nous nous présentons au rapport, Gilles et moi. Je débite aucapitaine la leçon que je me suis répétée à moi-même dix fois au moins. A la fin, le capitaine nous dit : "Oui, vous êtes de bons soldats, allez". Nous sortons soulagés et heureux.

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12 Juin 1917, Mardi.- Travail aux tranchées le matin.

13 Juin 1917, Mercredi.- Nettoyage des tranchées prés des baraques. Cette besogne est répugnante, car ces tranchées servent de latrines à certains personnages que nous vouons à tous les diables. Et dire qu'il y a quelques jours, j'étais au paradis de Die !

14 Juin 1917, Jeudi.- Exercice à Zeepanne.

15 Juin 1917, Vendredi.- Exercice à Wülpen.

16 Juin 1917, Samedi.- Idem.

17 Juin 1917, Dimanche.- Repos. Messe dans l'église à moitié démolie de Wülpen.

18 Juin 1917, Lundi.- Nous partons aux tranchées à l'avant-poste T 18. Garde.

19 Juin 1517, Mardi.- Retour au chemin de fer le soir.

20 Juin 1917, Mercredi.- Garde la nuit.

21 Juin 1917, Jeudi.- Le soir, départ pour T 18. Garde toute la nuit.

22 Juin 1917, Vendredi.- Retour au chemin de fer. Alerte. Travail

23 Juin 1917, Samedi.- Travail le matin.

24 Juin 1917 Dimanche.- Travail l'après-midi. Le soir, nous allons occuper la redoute près de la briqueterie de Ramscappelle.

25 Juin 1917, Lundi.- Travail de nuit derrière l'avant-poste A 29. Pluie.

26 Juin 1917, M a rdi .- Repos.

27 Juin 1917, Mercredi.- A 9 h 30, nous partons, la 3e section et une partie de la 4e au travail derrière l'avant-poste A 29. Nous remplissons des "vaderlands" de terre puis nous les portons et les mettons en place sur le parapet. De la ferme Terstille, avant-poste ennemi juste en face du nôtre, les Allemands lancent des fusées éclairantes à une fréquence inhabituelle. Auraient-ils remarqué notre présence ?Si c'est ainsi, nous sommes certains d'être bombardés.

28 Juin 1917, Jeudi.- Heureusement le travail est presque terminé. Pour ma part, il me reste trois ou quatre sacs à transporter.

Comme je me baisse pour en saisir un, brusquement, une avalanche d'obus s'abat sur le poste. Je me trouve à ce moment à une quinzaine de mètres de l'extrémité gauche de la tranchée, complètement à découvert, mais j'estime que je suis ici moins exposé que dans le poste même. Je me couche à plat ventre, je me protège la tête avec les trois sacs de terre, et derrière cette fragile protection, j'attends la fin de la cannonade qui semble ne pas vouloir finir.

Des paquets de terre et de boue retombent sur moi et tout autour. Un obus

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siffle si près que j’ai l’impression qu’il tombe à moins de deux mètres, je sens la terre que se soulève sous moi, je crois vivre ma dernière seconde et me confie à la divine Providence. Miracle ! l’obus n’éclate pas ! Je l’ai encore échappé belle.Mais ce n’est pas fini. Après une demi-heure, le vacarme prend fin et un long coup de sifflet retentit. Je crois que notre lieutenant veut nous rassembler et je me lève. A ce moment des explosions secouent la tranchée, je me recouche aussitôt. Le silence définitivement revenu, je reviens vers la tranchée à travers le terrain bouleversé. Je n’y vois qu’un soldat couché, mortellement blessé à la tempe et au bras, Mangon, qui appelle faiblement le brancardier : "Jaeger !? " A cet instant, je réalise enfin ce qui vient de se passer : les Allemands ont pénétré dans le poste et emmené les hommes valides. Et je me crois le seul rescapé de l’aventure...Je m’avance dans la tranchée déserte et dévastée. Quand j’arrive à la passerelle qui la relie à l’arrière, deux soldat belges surgissent en trombe par la passerelle ; l’un d’eux Merlin, crie : "Halte-là qui vive?". Je réponds "Flagothier, de la 6e". Ils se précipitent au parapet et se mettent à tirailler et à lancer des grenades avec fuereur. N’est-il pas trop tard ? Si, les Boches ne sont pas encore rentrés dans leur poste, on peut encore leur infliger des pertes. Aussi, jépaule le fusil-mitrailleur qui se trouve en batterie sur le parapet, je presse la détente, mais le coup ne part pas. L’arme est enrayée par la terre qui a jailli de toute part. Trois fusils sont appuyés contre le parapet ; je prends le premier, je tire une balle, je veux réarmer, impossible : la boue cale le verrou. Je saisis le deuxième fusil, après la première cartouche, il est en panne. Il en est exactement de même avec le troisième. Sans arme valable, il n’y a plus rien à faire. Je me dirige vers l’autre bout de la tranchée, j’enjambe des cadavres puis je vois arriver des blessés. Je crois reconnaître la silhouette du premier. "Est-ce toi, Jean ? " - "oui". - " Je vais t’aider jusqu’au poste de secours". Nous nous engageons sur la passerelle. Je marche derrière Jean (Knubben)le soutenant à bout de bras sous les épaules. Il me dit : "Je voudrais bien que tu me cherches ma capote". –As-tu quelque chose de précieux dedans ? "-Oui, ma pipe.- "Où est-elle ? "- Un peu à gauche d’ici. Je cherche à tout hasard dans l’obscurité et j’ai la chance de la trouver et de la rapporter à son propriétaire. Nous continuons notre marche pénible sur la passerelle démolie par endroits. Je transpire sous l’effort. "Où es-tu blessés ? ", lui dis-je-"Aux jambes, aux bras, à la tête et aux mains", me répond-il. Nous arrivons ainsi à la tranchée 19. Je me sens incapable de continuer seul et je dis : "Ecoute Jean, je vais chercher un brancard et un camarade pour te transporter". Je cours à l’abri du capitaine. Celui-ci m’indique l’endroit où se trouvent les civières. A ce moment arrive Désiré Charlier : je lui demande de m’aider ; nous installons notre blessé sur le brancard ; puis Désiré devant, moi derrière, nous prenons la passerelle vers la grand-garde.

Nous avons parcouru une vingtaine de mètres à peine qu’une rafale de mitrailleuse éclate sur nous. Désiré s’écrie : "Arrête un peu, je crois que je suis blessé". Retroussant sa manche gauche, il découvre son avant-bras. "Oui sais-tu, nom de Dieu ! ". Sans plus de commentaires, il retourne vers la tranchée 19, me laissant seul avec Jean sur son brancard au-dessus de l’inondation.

Que faire ? - "Jean, il faut bien que je t'abandonne quelques minutes pour

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trouver un nouveau copain pour te transporter". Je retourne près du capitaine de la 9e compagnie et lui demande un homme pour m'aider. " Je n'ai plus ici que deux signaleurs, me dit-il, tous mes hommes sont partis en avant, mais l'adjudant X... vient en renfort avec son peloton, attendez-le sur la passerelle, il fera le nécessaire".

En cet instant, d'autres blessés arrivent; l'un d'eux, la tête ensanglantée, hurle de douleur. Je rejoins jean et le réconforte de mon mieux; il me fait des recommandations relatives à ses affaires qui se trouvent dans son sac. Le peloton de renfort s'amène et je m'adresse à l'adjudant qui marche en tête. Il m'adjoint deux soldats pour porter l'ami Jean. Epuisé de fatigue, je leur laisse faire tout le trajet jusqu'au poste de secours du régiment.

Le jour est maintenant venu. Les blessés affluent; il y en a treize de la 6e Cie (sur les 29 partis au travail) et je ne sais combien de la 9e qui occupe les avant-postes. Notre lieutenant Uytspruyt qui gît sur une civière a les deux pieds cassés et pendants. Les autos-ambulances sont déjà là, elles partent bientôt, vers la Panne, vers l'hôpital de l’Océan.

Je retourne à la redoute et je m'occupe à récupérer les affaires de Jean comme il me l'a demandé. Mes camarades me racontent ce qui s'est passé dans le poste. Le coup de sifflet que j'ai entendu était le signal de l'assaut donné par l'officier allemand à ses soldats. Ceux-ci ont sauté dans la tranchée où ils ont été accueillis par des coups de fusils et de grenades. Ceux qui en sont ressortis vivants ont enmené cinq prisonniers dont deux de notre compagnie. Le camarade Blommé a rapporté le casque du Boche qu'il a tué presque à bout portant.

29 Juin 1917, Vendredi.- Repos; le capitaine interroge tous les rescapés pour rédiger son rapport.

30 Juin. 1917, Samedi.- A huit heures du soir, retour au cantonnement Wülpen.

1er Juillet 1917, Dimanche.- Je vais à Eggewaertscappelle.

2 Juillet 1917, Lundi.- Repos. 3 Juillet 1917, Mardi.- Marche, exercice à Zeepanne, repos à la Panne. Je revois ma section du 15e.

4 Juillet 1917, Mercredi.- Inspection.

5 Juillet 19117, Jeudi.- Nettoyage des baraques. Désinfection.

6 Juillet 1917, Vendredi.- Départ pour les tranchées du chemin de fer. Travail de nuit près du canal de Nieuport.

7 Juillet 1917, Samedi.- L’après-midi, on nous fait bêcher des parcelles le long des tranchées pour y semer et repiquer des légumes. C'est un nouveau genre, de travail tout à lait inattendu, mais que l'on exécute avec beaucoup de plaisir. Il va sans dire qu'on respecte les tombes des soldats du 5e de ligne qui reposent là depuis octobre 1914.

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8 Juillet 1917, Dimanche.- Même travail de jardinage. Le soir, nous occupons l'avant-poste T 17. Garde toute la nuit.

9 Juillet 1917, Lundi.- Retour au chemin de fer le soir, garde.

10 Juillet 1917, Mardi.- Travail en avant de la tranchée 18.

11 Juillet 1917, Mercredi.- Le soir, garde à l’avant-poste A29.

12 Juillet 1917, Jeudi.- Relève et retour au cantonnement à Wülpen.

13 Juillet 1917, Vendredi.- Travail. Alerte le soir.

14 Juillet 1917, Samedi.- Chargement de rails à Ramscappelle.

15 Juillet 1917, Dimanche.- Repos. Je vais me promener à Eggewaertscappelle.

16 Juillet 1917, Lundi.- Déchargement de branchage l’après–midi.

17 Juillet 1917, Mardi.- Repos. Je me promène à Avecappelle et à Egewaertscappelle.

18 Juillet 1917, Mercredi.- Nous allons couper des roseaux à Allaertshuizen près de la batterie anglaise de 380.

19 Juillet 1917, Jeudi.- Travail, coliques.

20 Juillet 1917, Vendredi.- Repos.

21 Juillet 1917, Samedi.- Départ pour les tranchées du chemin de fer.

22 Juillet 1917, Dimanche.- Nous allons à la tranchée 19, le soir.

23 Juillet 1917, Lundi.- Le matin, retour au poste de Wolvenest. J'y reçois une lettre de Lincé.

24 Juillet 1917, Mardi.- Travail le soir.

25 Juillet 1917, Mercredi.- Le soir, nous occupons la grand’ garde de Rijkenhoek. Pendant la nuit, les Anglais tirent plusieurs gros obus qui tombent derrière nous et n'éclatent pas. Notre capitaine leur téléphone qu'ils tirent comme des c...

26 Juillet 1917, Jeudi.- Le matin, nous retournons au poste de la ferme Roodestekte, et le soir au chemin de fer.

27 Juillet 1917, Vendredi.- Le soir, départ pour la Panne par Wülpen et Coxyde. Nous sommes bombardés en cours de route.

28 Juillet 1917 Samedi.- Repos. Nous occupons une villa à la digue de mer.

29 Juillet 1917, Dimanche.- Je vais à la messe à la chapelle royale

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30 Juillet 1917 Lundi.- Repos.

31 juillet 1517, Mardi.- Nous allons cantonner à Bulscamp.

1er Août 1917, Mercredi.- Repos.

2 Août 1917 Jeudi.- Nous retournons à Wülpen le soir.

3 Août 1917, Vendredi.- Repos.

4 Août 1917, Samedi.- Travail à Rousdamme le soir.

5 Août 1917, Dimanche.- Repos.

6 Août 1917, Lundi. - Travail au dépôt du génie.

7 Août 1917, Mardi.- Travail à Rousdamme le soir.

6 Août 1917, Mercredi.- Départ pour les tranchées. Pluie. Garde au poste A 29.

9 Août 1917, Jeudi.- Nous encaissons une dizaine d'obus. Retour au chemin de fer le soir.

10 Août 1917, Vendredi.- Travail le matin.

11 Août 1917, Samedi.- Travil de minuit à 3h. Le soir, garde à Roodestekte.

12 Août 1917, Dimanche.- Retour au chemin de fer, le soir. Garde.

13 Août 1917, Lundi.- Garde et travail en avant de la tranchée 20.

14 Août 1917, Mardi.- Le soir, retour au cantonnement à Bulscamp par Wülpen et Furnes.

15 Août 1917, Mercredi.- Repos.

16 Août 1917, Jeudi.- Repos.

17 Août 1917, Vendredi.- Marche à Wulveringhem.

18 Août 1917, Samedi.- Bain.

19 Août 1917, Dimanche.- repos.

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20 Août 1917, Lundi.- Départ pour la redoute de Ramscappelle. Piquet.

21 Août 1917, Mardi.- Encore un nouveau genre de travail : la confection de masques de camouflage avec des roseaux. Des soldats du génie nous apprennent le métier. C'est amusant ! On travaille par équipe de six. Deux hommes tirent et tordent les fils de fer, deux autres préparent les poignées de roseaux et les passent aux deux derniers qui les placent entre les fils de fer. Les deux premiers tordent les fils de fer et le jeu recommence indéfiniment. On fabrique ainsi des espèces de paillassons longs de cinq à six mètres qui seront suspendus à des poteaux pour masquer des batteries, des routes ou d'autres cibles qu'on veut dissimuler aux yeux des observateurs allemand.

22 Août 1917, Mercredi.- Même travail.

23 Août 1917, Jeudi.- La nuit, nous allons placer des barbelés devant A 29.

24 Août 1917, Vendredi.- Après-midi, travail aux masques de camouflage.

25 Août 1917, Samedi.- Idem.

26 Août 1917, Dimanche.- Idem. Le soir, nous allons aux tranchées du chemin de fer. Garde.

27 Août 1917, Lundi.-

28 Août 1917, Mardi.- Nous allons à l’avant-poste T17.G arde.

29 Août 1917, Mercredi.- Retour au chemin de fer. La nuit, je fais un rêve étrange : je me vois couché sur une passerelle et des obus éclatent autour de moi dans l'inondation. Brusquement, je m'éveille, je sens une forte odeur de poudre et je touche des morceaux de briques sur ma couverture. "Pourtant je rêvais", me dis-je. Au même moment, mon voisin, Alfred Konings, se dresse sur son séant en disant : "je suis blessé". J'allume une bougie, Alfred regarde son coude légèrement égratigné, des morceaux de briques parsèment nos couvertures. Nous sortons tous les trois de l'abri (Joseph Brabant, étant le troisième). Une dizaine de trous d'obus au moins entourent notre abri. Le dernier projectile est tombé à un bon mètre juste devant la porte ouverte de notre abri. Un éclat a emporté l'angle du montant et est venu se loger dans la paroi à quarante centimètres au-dessus de la tête d'Alfred. S'il avait été assis, il aurait été atteint. Voilà un rêve qui s'achève en réalité.

30 Août 1917, Jeudi.- Travail aux tranchées du chemin de fer.

31 Août 1917, Vendredi.- idem. Le soir, nous occupons la grand'garde.

1er Septembre 1917, Samedi.- Relève et retour à Bulscamp.

2 Septembre 1917, Dimanche.- Repos.

3 Septembre 1917, Lundi.- inspection.

4 Septembre 1917, Mardi.- Repos.

5 Septembre 1917, Mercredi.- Repos.

6 Septembre 1917, Jeudi.- Repos.

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7 Septembre 1917, Vendredi.- Départ pour Wülpen.

8 Septembre 1917, Samedi.- Inspection.

9 Septembre 1917, Dimanche- Travail aux masques de camouflage.

10 Septembre 1917, Lundi.- Je pars en permission pour Lourdes. Avant de partir, je vais aux bain-douches. Je prends le train à Furnes à 6h du soir. Lorsque nous approchons de Gravelines, la nuit est tombée et des avions allemands survolent la région ; des projecteurs français fouillent le ciel de leurs pinceaux lumineux. Les Boches lancent des fusées éclairantes d’une grande puissance. Soudain, trois autres à droite à notre hauteur. La fumée entre dans les compartiments par les fenêtres sans vitres ; six autres encore éclatent vers la queue du convoi qui s’est arrêté. La défense contre-avions tire maintenant avec ardeur sur un appareil pris dans un faisceau de rayons de lumière. Les Allemands s’en vont et notre train repart.

11 Septembre 1917, Mardi.- J’arrive à Paris le matin. Je m’y promène jusqu’au soir en attendant le train-express qui me conduira vers Lourdes. La tête du train va directement à Lourdes, tandis que la queue doit être détachée à Dax et dirigée vers Hendaye. Je décide de faire un crochet par Biarritz et je prends place dans le dernier wagon. Pourvu que le contrôleur ne me fasse pas changer de wagon !

12 Septembre 1917, Mercredi.- Toute se passe bien et à Dax, je continue vers Hendaye. Je regarde les noms des gares et je trouve que Biarritz tarde bien à se montrer. Je finis par demander à mon voisin si nous y arriverons bientôt.- "Mais vous êtes beaucoup trop loin ! Il fallait changer à la Négresse ! Cela S’arrangera cependant, descendez à Saint-Jean-de-Luz et là, vous aurez un train à Xh. Pour Lourdes. " Je descends donc à Saint-Jean-de-Luz, j’y dîne et je fais un petit tour en ville jusqu’à la côte du golfe de Gascogne.

Je reprends ensuite le train de Lourdes, mais je ne suis pas pressé d’t arriver. Ayant raté Biarritz, je décide de visiter Pau. C’est une bien belle ville, je fais le tour du célèbre château de Henri IV. Des remparts, la vue les Pyrénées est magnifique.

Je soupe et je loge dans un hôtel où j’apprends à connaître les punaises. Les poux et mêmes les puces ne sont pas grand-chose à côté de ces sales parasites.

13 Septembre 1917, Jeudi.- J’arrive à Lourdes à 10h. Je prends pension à l’hôtel Dantras, rue du Bourg, 41 ; Je vais à la grotte. Après-midi, je fais une longue promenade à pied jusqu’Argelès et je reviens en train.

14 Septembre 1917, Vendredi.- Le matin, je vais à la grotte, puis je me fais photographier chez Viron. L’après-midi, promenade à Arcisac.

Les permissionnaires arrivés aujourd’hui nous disent que leur train a été bombardé par les avions boches. Près de Gravelines, deux bombes ont

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atteint leur but. Le train a été coupé en trois et le nombre de tués et blessés dépasse soixante.

15 Septembre 1917, Samedi.- Une excursion collective est décidée à destination du pont d’Espagne. Nous sommes une bonne centaine au départ. Nous allons en train jusque Cauterets, puis nous montons à pied dans un décor de montagnes splendide. Nous chantons en chœur : "Montagnes des Pyrénées, vous êtes nos amours... ". C’est impressionnant ! Nous admirons une série de cascades toutes différentes et également magnifiques. La dernière est celle du Pont d’Espagne. On ne peut aller au-delà, la frontière espagnole est proche et des sentinelles françaises barrent le passage à qui n’a pas de passeport.

Nous rentrons à Lourdes pour la procession de soir.

16 Septembre 1917, Dimanche.- Après les offices, je me promène en ville Après le dîner, je cherche un compagnon pour aller au Pic du Midi.Comme il s’agit d’aller passer la nuit à près de trois mille mètres d’altitude, cela ne séduit personne. Qu’importe, j’irai seul ! Je prends le train pour Bagnères de Bigorre par Tarbes, puis le tram jusqu’Artigues. Je me renseigne sur le chemin de Pic et sur son ascension. Le soleil commence à baisser quand j’entame la montée.Des montagnards qui descendent avec leurs mules s’étonnent de me voir entreprendre l’ascension si tard, il est six heures et il faut trois heures pour atteindre l’hôtellerie.- "Vous ne serez pas seul là-haut, me disent-ils, il y a déjà du monde". La route, ou plutôt le sentier, est très praticable, il ziguezague sans cesse. La nuit approche, je ne vois plus trace de vie humaine, seuls, quelques tintements des cloches que les vaches portent au cou et des cris d’oiseaux de proie troublent le silence de la nuit, avec le bruit de me spas et de ma canne ferrée. Les énormes rochers forment des silhouettes fantastiques sur le ciel noir. J’ai l’impression d’être seul au monde et j’en éprouve une sensation étrange et voluptueuse.

Enfin, j’aperçois le toit de l’hôtel, puis à la terrasse, trois silhouettes : celles d’un officier français, de sa femme et de leur garçon d’environ treize ans. J’entends :- "Tiens, un Belge". Après les salutations, la dame me dit : "Oh ! Monsieur, quel dommage que vous ne soyez pas arrivé une heure plus tôt ! Nous avons assisté à un spectacle inoubliable : le coucher de soleil sur les glaciers de Néouvielle. C’était splendide !".

L’hôtel est ouvert comme un moulin, mais il n’y a personne pour accueillir les clients. Il n’ya ni vivres, ni boissons ; seulement des lits sans couverture ni draps... Il y a des matelas tout de même. Heureusement ma besace est pleine de victuailles, mais ma gourde est vide et j’ai soif ! J’aperçois un étang à quinze ou vingt mètres en contrebas : je descends pour y remplir ma gourde, mais plus j’avance et plus l’étang semble s’éloigner, si bien que je rebrousse chemin et rentre à l’hôtel. Le froid est vif, je regrette d’avoir laissé ma capote à Lourdes où la chaleur était accablante. Nous décidons de nous coucher. Les Français ont eu la précaution d’apporter

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des couvertures et des bougies, ils étaient sans doute prévenus. Moi, je me couche tout habillé et me couvre d’un matelas, ce qui fait rire le jeune garçon. Le vent soulève les tuiles du toit qui retombent avec bruit. Je n’arrive pas à m’endormir que bien tard et pas pour longtemps.

17 Septembre 1917, Lundi.- Vers deux heures et demie, une grosse cloche se met à sonner vigoureusement et nous éveille tous. Au dehors, il y a un grand brouhaha et des piétinements de mulets. Nous nous levons et sortons. Nous trouvons sur la terrasse toute une caravane : un officier français, un civil, une dizaine de femmes, autant de guides et leurs mules. Ces messieurs et dames viennent pour admirer le lever du soleil du sommet du pic. Il n’est plus question de dormir.

En bavardant, on attend jusque quatre heures pour se remettre en route. La côte devient plus raide et plus rocailleuse ; les femmes n’osent plus rester en selle, l’une au moins, se fait remarquer en tenant à pleine main la queue de sa monture. A certains moments, la colonne se profile en ombres chinoises sur le ciel.C’est assez cocasse ! Nous atteignons la plate-forme de l’observatoire, à 2860 mètres d’altitude, alors qu’il fait toujours nuit. L’air est très vif et le vent perce nos vêtements. Nous cherchons un abri à l’observatoire, mais une baraque en bois où nous attendons la venue du jour. Il paraît enfin. Nous gravissons les derniers mètres qui nous séparent du sommet du pic. (2877 m. d’alt.). Il y a là un petit espace aplani avec au centre une table d’orientation.

Le soleil se lève du côté de la plaine, un immense tapis de nuages blancs couvre tout à perte de vue ; mais du côté sud, la chaîne imposante des hauts sommets des Pyrénées se dégage sous les rayons obliques qui font scintiller les glaciers et les neiges éternelles.

Le panorama est d’une sauvagerie impressionnante. Pas de trace de vie, pas une maison, pas de végétation, rien qu’un amas monstrueux de rochers découpés, torturés, et couronnés de neige. A nos pieds, les flancs du pic descendent à la plaine, soit en pente relativement douce, soit presqu’à la verticale. On se sent si petit devant tant de grandeur et de majesté que l’on est transporté vers le Créateur de ces merveilles. Nous restons là une bonne heure avant de nous résoudre à redescendre de cet unique point d’observation.Nous identifions le sommet à l’aide de la table d’orientation, est enfin ouvert et que nous visitons sous la conduite d’un membre du personnel. Nous y soignons le livre d’or. Je découvre un jardinet de dix ou douze mètres carrés, où végètent péniblement quelques plantes chétives.J’y cueille des fleurs de lotier. Nous dévalons jusqu’à l’hôtel, là, je me sépare de mes compagnons pour descendre le flanc opposé à celui de l’ascension. Me voilà de nouveau seul dans l’immensité de la montagne. Je mets une demi-heure pour arriver au lac d’Oncet, que j’ai pris hier pour un étang proche de l’hôtel. Je m’y baigne les pieds, car la descente est plus pénible que la montée : les pieds se serrent dans les pointes des souliers et s’échauffent douloureusement.J’ai étrenné des souliers neufs au départ de Wülpen, ils sont à peine assouplis. Je m’arrête plusieurs fois pour voir et pour tremper mes pauvres pieds dans les ruisselets limpides.

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J'arrive à la route du col du Tourmalet. Quelle route !Et dire que les cyclistes de Tour de France monte cette côte raide, rocailleuse, dangereuse !Mais aussi quels paysages grandioses ! Voilà Barèges : des ruines, de grands pans de murs ébréchés sont les témoins d'une avalanche qui a déferlé sur le village. Ces ruines me font penser aux villages dévastés du front, front dont je suis bien loin, tant au sens propre qu'au sens figuré. J'arrive enfin à Luz-Saint-Sauveur tard dans l'après-midi et complètement épuisé. A la gare, je passe devant un miroir, j'ai les traits tellement tirés que je me reconnais à peine. Je n'ai plus le courage de visiter la ville et j'attends le tram. Quand je rentre à l'Hôtel à Lourdes, mon premier soin est de prendre un bain complet. Rafraîchi, restauré, je vais gaillardement participer à la procession aux flambeaux. La vie est belle !

18 Septembre 1917, Mardi.- Lors de mon précédent congé à Lourdes, mon camarade d'excursion Godefroid m'avait raconté que pendant un congé antérieur : il avait falsifié son titre de congé en ajoutant lui-même "et Rome" à la suite de la destination indiquée : "Lourdes". Il avait pu ainsi se rendre dans la ville éternelle. Cette astuce n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Dès mon départ du front, j'avais résolu d'user du même moyen pour faire un grand périple en France. J'avais prévu de revenir par le Midi et la vallée du Rhône. Ma marraine, à qui j'avais fait part de mon projet, m'avait écrit "En passant, faites un saut à Die". C'était exactement tout ce que je désirais; aujourd'hui, je passe à l'exécution. J'ajoute donc "et Die" après Lourdes sur mon titre de congé. Je vais consulter les horaires à la gare. Un train part à 6 h 22 vers Toulouse. Je passe ma dernière journée à Lourdes dans les parages de la grotte, puis je m'embarque le soir. J'arrive tard dans la nuit à Toulouse et je vais dormir au dortoir de la gare.

19 Septembre 1917, Mercredi.- Je me lève tôt et fais un petit tour en ville. Je quitte Toulouse à 9 h par l'express d'Avignon.

Je traverse le Languedoc; je vois les imposante fortifications de Carcassonne, puis Narbonne, Béziers, Agde et ses marais salants, Cette, où un gendarme français me demande mon congé, le lit de A à Z, puis me le rend sans dire un mot. J'ai eu un peu chaud !

Le train longe la Méditerrannée que je vois pour la première fois. Il la quitte pour passer à Montpellier, Nîmes, Tarascon (qui évoque Tartarin) et Avignon, terminus. Le prochain train pour Paris par Valence est interdit aux permissionnaires. J'aperçois un maréchal des logis belge qui attend comme moi et je lui dit mon embarras. - "Je sais, dit-il, mais-nous le prendrons quand même". Lorsque le train arrive, déjà bondé, c'est la ruée des voyageurs. Nous nous faufilons parmi eux malgré les cris des employés, et emportés par le flot, nous nous trouvons dans le train. Nous recevons une nouvelle admonestation du chef-garde qui nous dit : "En tous cas, vous devez descendre à Lyon". Moi, je descends à Valence où je prends une chambre à l'Hôtel.

20 Septembre 1917, Jeudi.- Je m'embarque à 8 h 40 pour Die. La vallée de la Drôme est très pittoresque et bordée de montagnes.

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J'arrive à destination à 11 h. Comme je n'ai pas fait connaître l'heure de mon arrivée, personne ne m'attend à la gare, mais je connais le chemin. L'après-midi, je vais avec ma marraine et sa cousine à Montmaur chez mademoiselle Valentin, la marraine éphémère d'Ulric.

21 Septembre 1917, Vendredi.- Nous allons en promenade au Fondeau et aux environs.

22 Septembre, 1917, Samedi.- Promenade le matin vers la roche de Romeyer.A 4 je prends le train pour Valence. Là, j’attends le train express pour Paris. C'est celui qui est interdit aux permissionnaires, j'espère renouveler la tactique de mercredi. Hélas ! Je suis refoulé à toutes les portières où je me présente, je contourne le train et essaye de monter à contre-voie; en vain, les portes sont fermées, à clef ! Le train se met en marche : sans hésiter, je grimpe sur le marchepied d'un wagon et je passe les avant-bras dans les barres qui encadrent, la portière. De l'intérieur plein à craquer, des voyageurs me font des signes et me crient des choses que je ne craquer, des voyageurs me font des signes et me crient des choses que je ne comprends pas. Le train entre dans un tunnel où je suis copieusement enfumé. Enfin, le chef-garde arrive, ouvre la portière et me demande ma permission, je lui expose ma situation : ce train est le dernier qui me permette d'avoir la correspondance pour le front et de rejoindre mon unité à la date extrême et m'éviter ainsi un punition sévère. Le chef-garde admet mes explications, mais me fait payer dix francs de supplément parce que je suis dans le couloir d'un wagon de première classe. Je respire enfin librement, tout est arrangé maintenant.

23 Septembre 1917, Dimanche.- J'arrive à Paris le matin. J'achète une montre en acier avec cadran lumineux pour 22 francs près de lagare du Nord. Je circule jusque six heures du soir et m'embarque alors pour le front.

24 Septembre 1917, Lundi.- J'arrive à Bulscamp à midi et je retrouve ma Cie après un "tour de France" de trois mille kilomètres au moins. J’ai longé quatre mers, vu les Pyrénées et les Alpes, grimpé à 2877 m d'altitude, parcouru Paris. Bref, un voyage encyclopédique !

25 Septembre 1917, Mardi.- Inspection. Le soir, nous partons à Wülpen pour y cantonner. Travail de nuit près de la briqueterie de Ramscappelle.

26 Septembre 1917, Mercredi.- Repos.

27 Septembre 1917, Jeudi.- Repos. Les Allemands bombardent nos baraques.

28 Septembre 1917, Vendredi.- Travail de nuit près de la briqueterie.

29 Septembre 1517 Samedi.- Repos.

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30 Septembre 1917, Dimanche.- Repos.

1er Octobre 1917, Lundi.- Départ pour les tranchées. Garde la Tranchée 19.

2 Octobre 1917, Mardi.- Retour au chemin de fer.

3 Octobre 1917, Mercredi.- Travail l'après-midi et le soir.

4 Octobre 1917, Jeudi.- Travail l'après-midi. Le soir, Garde Roodestekte.

5 Octobre 1917, Vendredi.- Le soir, retour au chemin de fer.

6 Octobre 1917, Samedi.- Corvée, transport de bottes de paille, la nuit.

7 Octobre 1917, Dimanche.- Relève et retour à Bulscamp.

8 Octobre 1917, Lundi.- Enterrement à Furnes du soldat Sortet, tué par une grenade offensive qu'il manipulait.

9Octobre 1917, Mardi.- Repos.

10 Octobre 1917, Mercredi.- Exercice le matin.

11 octobre 1917, Jeudi.- On nous photographie pour les cartes d’identité dont nous allons être pourvus bientôt.

12 Octobre 1917, Vendredi.- Repos.

13 Octobre 1917, Samedi.- Départ pour la redoute de Ramscappelle. Pluie.

14 Octobre 1917, Dimanche.- Repos.

15 Octobre 1917, Lundi.- Travail aux masques de camouflage.

16 octobre 1917, Mardi.- Le soir, réparation des camouflages.

17 Octobre 1917, Mercredi.- Travail aux masques.

18 Octobre 1917, Jeudi.- Idem. Garde le soir et la nuit.

19 Octobre 1917, Vendredi.- Nous allons aux tranchées du chemin de fer.

20 Octobre 1917, Samedi.- Nettoyage.

21 Octobre 1917, Dimanche.- Nous occupons le poste 17 le soir. Garde.

22 Octobre 1917, Lundi.- Retour au chemin de fer.

23 Octobre 1917, Mardi.- Travail de nuit.

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24 Octobre 1917, Mercredi.- Nous occupons la grand'garde de Rijkenkoek le soir.

25 Octobre 1917, Jeudi.- Relève et retour à Bulscamp.

26 Octobre 1)17, Vendredi.- Repos.

27 Octobre 1917, Samedi.- Je reçois une carte de mon frère.

28 Octobre 1917, Dimanche.- Je vais revoir mon ancienne section à Isenberghe.

29 Octobre 1917, Lundi.- Repos.

30 Octobre 1917, Mardi.- Marche de bataillon par Wulverinhem et Vinckem.

31 Octobre 1917, Mercredi.- Départ pour Wülpen. Cantonnement.

1er Novembre 1917, Jeudi.- Repos.

2 Novembre 1917, Vendredi.- Repos.

3 Novembre 1917, Samedi.- Inspection des armes.

4 Novembre 1917, Dimanche.- Repos.

5 Novembre 1917, Lundi.- Travail le matin au dépôt du secteur.

6 Novembre 1917, Mardi.- Le matin, travail près du canal. Départ pour les tranchées le soir. Chemin de fer.

7 Novembre 1917, Mercredi.- Garde le soir et la nuit à l'avant-poste A 29.

8 Novembre 1917, Jeudi.- Le matin, retour à la tranchée 20. Bombardement, un tué à dix mètres à notre droite. Retour au chemin de fer le soir.

9 Novembre 1917, Vendredi.- Travail de nuit au poste 17.

10 Novembre 1917, Samedi.- Dès 8 h du matin, les Allemands commencent un bombardement général de tous nos avant-postes et de toutesnos passerelles depuis Nieuport jusqu'à Pervyse. Les salves se suivent rapidement, des shrapnels font de grosses tâches noires dans le ciel. A la longue, nos oreilles finissent par bourdonner. Ce bombardement nous semble être la préparation d'une attaque sur nos avant-postes. Or, nous devons occuper A 29 ce soir. Ainsi, nous aurons à le défendre une seconde fois cette nuit. A l'heure de la relève, l'ennemi redouble de violence. Nous nous équipons et nous rassemblons pour aller relever ceux qui subissent l'avalanche depuis ce matin. Charles Liégeois, qui doit rester à la tranchée 19, vient me serrer la main en me souhaitant bonne chance ! Mais un incident comique se produit. Notre sergent, le lunatique Versé, n'est pas au rassemblement. On le cherche et on le trouve mangeant tranquillement dans son abri. Il arrive, traînant son sac par une bretelle et grommelant "on ne vous laisse pas même le temps de manger !".Ce qui provoque des réflexions ironiques de ses soldats. Nous partons sur la

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passerelle par groupes de quatre ou cinq. A l’arrivée de chaque salve, on se couche ou on s’accroupit, puis l’explosion passée, on se remet en route. Plus on avance et plus les dégâts sont important ; les passerelles sont coupées, il faut marcher dans la vase. Bien que la nuit soit froide, de grosses gouttes coulent sur nos fronts. Les ponts de Beverdyk sont intacts mais visés par les canons ennemis et leurs abords sont complètement bouleversés. Le lieutenant Lejeune nous fait garer sur un îlet plus ou moins épargné et envoie deux hommes à la recherche d’un passage, ils ne réussissent qu’à plonger dans un trou d’où ils sortent tout trempés jusqu’à la ceinture. Il faut donc franchir le pont sous le feu, entre deux bordées, ce que nous faisons par groupe de trois ou quatre.

Nous arrivons ainsi à la grand’garde, nous y soufflons un peu ; puis reprenant notre course en avant, nous nous trouvons à l’endroit où la passerelle bifurque devant les deux branches démolies. L’endroit est très marécageux et les obus pleuvent toujours. Nous pataugeons dans un pied de boue. A la tranchées 19, le parados est effondré et forme un amas de terre molle où je m’enfonce jusqu’aux genoux. Je l’ai à peine franchi que mon copain Alfred Konings qui me suit m’appelle :- "Maurice, je meurs". Je le vois enlisé jusqu’à la ceinture et me tendant le bras. Je le tire du bourbier et l’assieds dans la tranchée. Je lui demande :- "Tu es blessé ?"-"Non, je meurs", me répète-t-il. Je le débarrasse de son sac et des multiples courroies qui lui écrasent la poitrine.Il respire mieux, et après un instant, me dit : "Cela va mieux, je n’ai eu qu’une défaillance». Nous repartons vers le poste A29. La passerelle est coupée en maints endroits. Au moment où je passe entre deux cratères, je glisse dans la boue, un pied dans le trou de gauche, et l’autre celui de droite. C’est un "grand écart" parfait que mon pantalon ne résiste pas au choc et se fend largement... Je me relève péniblement et j’arrive enfin à la tranchée A29 où j’occupe l’extrême gauche. Les hommes relèves ma disent que pas un obus n’est tombé sur ce poste.

"Evidemment, me dis-je, les Boches ne le canarderont qu’un peu avant l’attaque ! "J’installe mon fusil-mitrailleur sur le parapet en le protégeant le mieux possible. Je vérifie son fonctionnement en décochant quelques balles vers la ferme Terstille, l’avant-poste ennemi qui nous fait face. Le bombardement continue. Notre artillerie riposte et canonne furieusement Terstille et les rives de l’Yser. Une pluie froide tombe sans répit et la nuit est opaque. Le sergent Versé s’approche tout courbé. – Ah ! Bon, on me demande au téléphone d’observer le tir, mais moi, je ne vois rien dans cette nuit noire. Au fait, cela vaut mieux ainsi : les Boches, ils ne verront pas et ne nous attaqueront pas, tu ne trouves pas, Sacré sergent va, c’est la trouille qui te fait raisonner comme ca ! Malgré les difficultés, on nous ravitaille en café. Les hommes de corvée nous apprennent qu’il y a des blessés derrière nous et parmi eux, Charles Liégeois !

Peu après quelque chose d’insolite se passe au centre du poste : un grand dégagement de fumée et tout un remue-ménage.Revoici la silhouette voûtée du sergent. Tout penaud, il me raconte : "Il vient de m’arriver un petit accident ; on me passe le pistolet lance-fusée...

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Je ne savais pas qu’il était chargé. J’ai fait partir le coup dans l’abri... heureusement le caporal a éteint la fusée en vidant sa gourde dessus... il y avait des grenades dans l’abri... Mais il fait plus clair maintenant... Ne trouves-tu pas que ça vaut mieux ? Les Allemands vont se dire : "On va nous voir si nous sortons" ... et ils ne nous attaquerons pas". Si la situation n’était pas qi grave, j’éclaterais de rire, mais je me borne à répondre : " Oui, sergent". Et tout bas, je pense : "Bougre d’idiot ! Stupide imbécile ! Froussard de première classe ! " Vers minuit, la canonnade prend fin.

11 Novembre 1917, Dimanche.- Toute la nuit, nous attendons l’attaque, fermement résolus à la repousser ; le froid nous engourdit et nous voudrions faire quelques pas pour nous réchauffer, mais nous ne voulons pas quitter nos armes un instant de peut d’une surprise.Cependant, notre attente est vaine et le jour se lève sans que les Allemands se soient montrés. Versé, doit se féliciter de son jugement ! A l’aube, nous retournons à la tranchée 20. Notre artillerie s’acharne sur Terstille, même l’artillerie lourde anglaise se met de la parti ; c’est d’ailleurs à cause d’elle que nous avons évacué complètement A29. Avec des pointeurs comme les Anglais, il est prudent de s’écarter le plus possible de la cible... Naturellement, l’ennemi riposte et nous encaissons... Le soir, nus retournons au chemin de fer. Nous apprenons que le peloton spécial de patrouilleurs du régiment va se lancer cette nuit sur Terstille.Quand le tir de nos canons se déchaîne, nous sortons pour voir le spectacle. Une heure plus tard, nous voyons revenir nos soldats avec des prisonniers. Ils n’ont perdu qu’un seul homme, un tué ; mais ils n’ont laissée aucun Allemand vivant dans leur poste. DE plus, ils y ont placé une mine à retardement avant de la quitter. Le poste A29 est bien vengé ! Le peloton d’assaut était commandé par le lieutenant Balteau, dit" Le cosaque".

12 Novembre 1917, Lundi.- Le soir, relève et retour à Bulscamp.

13 Novembre 1917, Mardi.- Les sacs des fusiliers-mitrailleurs n’arrivent qu’à quatre heures du matin. En attendant, nous grelottons de froid. A deux heures de l’après-midi, nous allons à Steenkerke, notre nouveau cantonnement. Nettoyage.

14 Novembre 1917, Mercredi.- Repos. Pendant des heures, nous grattons la boue de nos vêtements et de notre harnachement.

15 Novembre 1917, Jeudi.- Repos, bain.

16 Novembre 1917, Vendredi.- Je me promène à Steenkerke et Avecappelle.

17 Novembre 1917, Samedi.- Je vais voir Charles à l’hôpital de l4ocean à la Panne. Il a eu le mollet traversé par un grand éclat d’obus.

18 Novembre 1917, Dimanche.- Nous retournons dans la barque de Wülpen.

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19 Novembre 1917, Lundi.- Travail à la briqueterie de Ramscappelle le matin. Nous apprenons que le sergent Versé est rétrogradé au rang de soldat de deuxième classe. Il en a fait lui-même la demande afin d'éviter la honte d'être rétrogradé d'office pour ses "exploits au poste A 29".

20 Novembre 1917, Mardi.- Repos.

21 Novembre 1917, Mercredi.- Travail près de la petite briqueterie. Je reçois une lettre de papa.

22 Novembre 1917, Jeudi.- Travail au dépôt du secteur.

23 Novembre 1917, Vendredi.- Travail à la petite briqueterie.

24 Novembre 1917, Samedi.- Nous allons aux tranchées. Garde à Rodestekte.

25 Novembre 1917, Dimanche.- Travail après-midi. Retour au chemin de fer, le soir.

26 Novembre 1917, Lundi.- Travail au chemin de fer. Le soir, transport à A 29, puis remplissage de "vaderlands" à la tranchée 19.

27 Novembre 1917, Mardi.- Le soir, nous occupons la grand'garde.

28 Novembre 1917, Mercredi.- Retour au chemin de fer. Transport de piquet à la grand’ garde deux fois.

29 Novembre 1917, Jeudi.- Travail l'après-midi et le soir à la tranchée 17.Les Boches nous soumettent à un bombardement violent. Un obus tombe sur la latrine et projette çà et là des paquets d'excréments. Nous nous réfugions dans un abri. Le sergent qui commande la tranchée ordonne à tous les soldats de se porter en avant dans le no man's land afin d'échapper aux obus et surtout de surprendre les Allemands au cas où ils voudraient nous attaquer. Notre sergent nous donne le même ordre. -"Mais sergent, je n'ai pas d'arme", dis-je. Comme toujours et selon le règlement, j'étais parti au travail sans mon fusil disponible, celui d'un blessé. Je le prends, ainsi que les cartouchières. Nous prenons position en tirailleurs à une vingtaine de mètres en avant de la tranchée. Tapis contre le sol, nous attendons l'agresseur an toute sérénité; il tombera sur un beau bec de gaz. Mais rien ne se produit, nous quittons notre embuscade et retournons aux abris de chemin de fer.

30 Novembre 1917, Vendredi.- Travail après-midi. Retour à Steenkerke.

1er Décembre 1917, Samedi.- Repos.

2 Décembre 1917, Dimanche.- Je vais revoir Charles à l'hôpital de La Panne.

3 Décembre 1917, Lundi.- Repos.

4 Décembre 1917, Mardi.- Je vais à Bulscamp.

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5 Décembre 1917, Mercredi.- Repos.

6 Décembre 1917, Jeudi.- Départ pour la redoute. Travail aux barbelés à la tranchée 17.

7 Décembre 1917, Vendredi.- Repos.

8 Décembre 1917, Samedi.- Travail aux masques le matin et aux barbelés à la tranchée 17 la nuit.

9 Décembre 1917, Dimanche.- Nous rentrons du travail à 3 h du matin.

10 Décembre 1917, Lundi.- Travail de nuit de 1 à 6 h.

11 Décembre 1917, Mardi.- Travail aux masques le matin. Je reçois la photo de mon frère Eugène. Le soir, travail à la tranchée 17. Nous clouons des barbelés, nous marchons sur la glace, elle se rompt sous mes pieds et je plonge dans l'eau glacée jusqu'aux genoux. Le sergent me renvoie à la redoute. Je tords mon pantalon et change de chaussettes.

12 Décembre 1917, Mercredi.- Nous allons aux tranchées du chemin de fer Garde.

13 Décembre 1917, Jeudi.- Transport de piquets et de barbelés à la tranchée 19.

14 Décembre 1917, Vendredi.- Travail pendant la journée. Le soir, nous allons à l'avant-poste 17. Garde.

15 Décembre 1917, Samedi.- Pendant le jour, retour à la tranchée 19.

16 Décembre 1917, Dimanche.- Travail de jour et de nuit à la tranchée 19.

17 Décembre 1917, Lundi.- Travail de jour, Garde à la tranchée 17, la nuit.

18 Décembre 1917, Mardi.- Retour à la tranchée 19 le matin et chemin de fer le soir.

19 Décembre 1917, Mercredi.- Le matin à 5 h, relève de la division par la 4 DA, retour à pied Furnes. Là, nous prenons le train jusque Bray-Dunes (France). Enfin, pédibus, nous gagnons notre cantonnement à Ghyvelde (France). Nous nous installons dans des baraques.

Je suis à peine arrivé que le sergent-major me remet mon titre de congé que je n'attendais pas de si tôt et qui me prend au dépourvu. J'ai été invité par ma seconde marraine de guerre, Marie Tuffay, institutrice à Fresnay-sur-Sarthe, et demeurant à Saint-Ubin-de-Locquenay (Sarthe). Cette permission me réjouit certes, mais elle arrive un jour trop tôt pour me permettre les préparatifs nécessaires. Je sors d'un séjour de treize jours aux tranchées, le plus long que j'ai jamais fait, je manque de linge propre, de cigarettes et... d'argent.

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Il m'est impossible de prendre un bain et de m'épouiller; mes vêtements et mes souliers sont crottés et je ne dispose que de quelques heures pour me mettre en ordre. Heureusement, la camaraderie du front joue à fond comme toujours. L'un me prête une chemise neuve, et un autre un peu d'argent. Pour les cigarettes, il n'y a rien à faire car nous sommes en France où elles sont à des prix prohibitifs et notre cantine n'est pas encore installée.Je me démine si bien que je suis prêt à temps pour prendre le train à 16 h., à Ghyvelde. J'ai décidé de faire un crochet par Le Havre et Graville Sainte-Honorine pour rendre visite à mon cousin Léon Flagothier qui est occupé à l'usine belge de munitions. Je dois changer de train à Amiens. Je me couche au dortoir pour permissionnaires de la gare Saint-Roch.

20 Décembre 1917, Jeudi.- Je repars le matin et je débarque à Rouen vers midi. Je visite cette ville-musée, sa célèbre cathédrale, et l'Eglise Saint-Ouen. Le soir, le train me à Graville Sainte-Honorine où j'arrive à 8 h du soir. Je me rends à l'usine ACCH, je demande à voir Léon Flagothier; on me répond, qu'il a une chambre en ville, mais on ne peut m'en donner l'adresse. Je retourne en ville et loge à l'hôtel.

21 Décembre 1917, Vendredi.- De bon matin, je vais de nouveau à l'ACCH et cette fois, je rencontre mon cousin. Le soir, nous parcourons le Havre et allons au cinéma. Je dors avec Léon dans sa chambre. S'il n'a jamais connu les poux, c'est l'occasion d'en avoir un échantillon.

22 Décembre 1917, Samedi.- Nouvelle promenade au Havre et au port, seul, car Léon a son boulot à faire. Je loge encore avec lui.

23 Décembre 1917, Dimanche.- Après la messe, nous parcourons la ville. A 9 h du soir, je prends le train de Rouen. Je dors à la gare après une petite promenade nocturne.

24 Décembre 1917, Lundi.- Je quitte Rouen à 7 h à destination de Fresnay-sur-Sarthe. Malheureusement, le train ne s'y arrête pas. Je dois descendre à Alençon ou continuer jusqu'au Mans. Je m'arrête donc à Alençon et j'y dîne. Je m'informe des moyens d'atteindre Fresnay. Il y en a deux : attendre un train jusque demain, ou faire à pied aujourd'hui les vingt kilomètres qui me séparent de cette ville. Entraîné à la marche, je choisis la route. Il fait nuit quand j'entre à Fresnay où je demande le chemin de Saint-Aubin de Locquenay. Il y a encore trois km. A une bifurcation, je me renseigne à nouveau auprès d'un fermier. - "Je vais vous y conduire, me dit-il, chemin faisant mon guide me demande chez qui je vais - " Chez Madame Tuffay".- " Ah! fait-il, c'est ma locataire, je vous conduis jusque là".

Nous entrons donc, et ma première impression est plutôt une déception. La cuisine ou nous sommes est pauvrement meublée : un petit poêle antique répand la faible chaleur de son pot minuscule. Dessus, des betteraves rouges mijotent dans une casserole et la lampe répand une faible lumière. Et les gens ? Ma marraine n'est pas jolie, sans être laide cependant. Sa mère a un tic nerveux qui, de cinq en cinq minutes lui fait secouer vivement la tête de gauche à droite.

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La conversation s'encage et la glace est vite rompue. Ces deux femmes son intelligentes et cultivées. Le père défunt était officié. Comme nous sommes à la veille de NOEL, je demande les heures des messes.Cesse question ne semble pas du goût de la vieille, car elle déclenche le balancement de la tête chenue et une petite moue retenue. Elles éprouvent une certaine difficulté pour me renseigner. Visiblement, on n'est pas très catholique ici, pas de crucifix au mur, rien de religieux. J'ai l'impression que mon congé sera assez moche.

Enfin, on me conduit dans ma chambre à coucher, très simple aussi, mais parfaitement propre. Il y a un âtre, et on me promet du feu pour demain.

25 Décembre 1917, NOEL, Mardi.- Je vais seul à la messe dans la petite église où jamais encore on n'avait vu un soldat belge, ce qui fait de moi la cible des regards curieux. Je rentre chez mes hôtesses. Je me promène l'après-midi à Fresnay avec elles. Mes premières impressions assez défavorables se dissipent.

26 Décembre 1917, Mercredi.- Promenade dans les environs. Le pays est sans charme, il fait froid et le ciel est gris.

27 Décembre 1917, Jeudi.- Promenade dans les mornes environs.

28 Décembre 1917, Vendredi.- Idem. Nous allons passer la soirée chez des vieilles femmes autour d'un feu de bois dans l'âtre. On a chaud aux pieds et froid dans le dos. Les vieilles évoquent leurs souvenirs de l'occupation prussienne de "soixante-dix".

29 Décembre 1517, Samedi.- Nous entreprenons aujourd’hui une longue promenade a Saint-Léonard dans les Alpes mancelles. Alpes est un nom bien prétentieux pour ces collines qui ne valent guère celles de nos Ardennes. Elles ne manquent pas d'intérêt quand même. Le voyage se fait en partie en tram.

30 Décembre 1917, Dimanche.- Je vais seul encore à la messe. Pluie.

31 Décembre 1917, Lundi.- Rien de bien spécial.

1er Janvier 1918 Mardi .- Le matin, je prends un train à Fresnaypour Le Mans, et là, un autre pour Paris. En passant à Chartres, je vois les belles tours de la célèbre cathédrale. A Paris, je m'embarque sur le train de permissionnaires à destination du front.

2 Janvier 1918, Mercredi.- J'arrive à Ghyvelde où je rejoins ma compagnie.

3 Janvier 1918, Jeudi.- Exercice le matin, théorie l'après-midi.

4 Janvier 1918, Vendredi.- Exercice le matin.

5 Janvier 1918, Samedi.- Idem.

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6 Janvier 1918, Dimanche.- Repos. Concert par la symphonie de la reine sous la direction de Corneil de Thoran, le même qui dirigeait la fanfare belge de Granville au temps où j'y étais. (1915).

7 Janvier 1918, Lundi.- Exercice le matin.

8 Janvier 1918, Mardi.- Idem.

9 Janvier 1918, Mercredi.- Idem.

10 Janvier 1918, Jeudi.- Concert par la musique du 12e.

11 Janvier 1918, Vendredi.- Exercice le matin.

12 Janvier 1918, Samedi.- Idem.

13 Janvier 1918, Dimanche.- Repos.

'Y' Janvier 1918, Lundi.- Exercice le matin.

15 Janvier 1918, Mardi.- Bains à la Panne. Pluie.

16 Janvier 1918, Mercredi.- Repos.

17 Janvier 1918, Jeudi.- Exercice le matin.

18 Janvier 1918, Vendredi.- Idem.

19 Janvier 1918, Samedi.- Idem.

20 Janvier 1918, Dimanche.- Repos. Concert par la musique du régiment.

21 Janvier 1918, Lundi.- Exercice le matin. Promenade Zuidschoote l’après-midi.

22 Janvier 1918, Mardi.- Exercice le matin. Concert l'après-midi.

23 Janvier 1918, Mercredi.- Exercice de brigade. Garde d'incendie.

24 Janvier 1918, Jeudi.- Exercice. Concert.

25 Janvier 1918, Vendredi.- Exercice le matin.

26 Janvier 1918, Samedi.- manœuvres de division dans les dunes.Le soir, garde au village.

27 Janvier 1912, Dimanche.- Repos.

28 Janvier 1918, Lundi.- Exercice. Je reçois une longue lettre de Lincé.

29 Janvier 1918, Mardi.- Exercice. Concert.

30 Janvier 1918, Mercredi.- Exercice.

31 Janvier 1918, Jeudi.- Exercice le matin. L'après-midi, j’assiste à un match de football entre les équipes des 9e et 12e de ligne. Je vois Charles. Le général Jacques donne le coup d'envoi. Le 12e gagne et devient champion de la 3e DA.

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1er Février 1918, Vendredi.- Exercice le matin. Des soldats du génie arrangent nos baraques l’après-midi.

2 Février 1918, samedi.- Exercice le matin.

3 Février 1918, Dimanche.- Repos. Garde le soir.

4 Février 1918, Lundi.- A 7h du matin, départ pour Killem (France), 4 heures de marche. Nous logeons à trois dans une petite remise. Garde d’incendie.

5 Février 1918, Mardi.- Garde jusque midi.

6 Février 1918, Mercredi.- Marche jusque Rexpoede.

7 Février 1918, Jeudi.- Exercice.

8 Février 1918, Vendredi.- Revue à Hondschoote par le général Joostens.

9 Février 1918, Samedi.- Marche à Rexpoede.

10 Février 1918, Dimanche.- Repos. Garde le soir.

11 Février 1918, Lundi.- Repos.

12 Février 1918, Mardi.- Exercice de lancement de grenades, le matin.

13 Février 1918, Mercredi.- Mon 22e anniversaire. Réveil à 4h30 ; préparatifs de départ pour le secteur de Merckem où nous allons relever la 4e DA. Départ à 8h. Nous passons à Rexpoede, Oostkappel, passons la frontière, traversons Rousbrugge, Crombeke, Westvleteren, Le Lion belge. Nous arrivons, après cinq heures de marche, à notre nouveau cantonnement, des baraques près de Pypegaele. Une fois installé, je vais voir mon cousin Jules Dogné à sa batterie. C’est la première fois que je réussis à le rencontrer.

14 Février 1918, Jeudi.- Le matin, je vais à Ostvleteren, j’y rencontre Vercheval, d’Aywaille, ancien de Saint-Raphaël, puis je rends visite à Lekane, ancien de Saint-Roch. Enfin, un peu hasard me fait rencontre Florentin Godinas. Que de rencontres en deux jours !

15 Février 1918, Vendredi.- Bains à Elsendamme.

16 Février 1918, Samedi.- Le soir, transport de barbelés à l’avant-poste du bois du trapèze. Ce secteur, champ de bataille de l’automne 1917, est un chaos total. Les trous d’obus sont si nombreux qu’ils se touchent, les chemins sont rudimentaires. De mauvaises passerelles en rondins mènent aux avant-postes. Cà et là, des abris en béton sont en ruines, à moitié démolis ou inclinés sur leur base.Des arbres, il n’en reste que des moignons de troncs déchiquetés. Le village de Bixschoote ne se signale que par quelques tas de briques. C’est la dévastation la plus complète que j’aie jamais vue. Les Français ont combattu ici pendant plus de deux mois l’automne dernier.

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17 Février 1918, Dimanche.- Repos. Je suis convoqué au bureau pour faire des écritures, principalement pour la confection des cartes d'identité.

18 Février 1918, Lundi.- Nous partons le soir pour aller occuper les tranchées du bois du trapèze en première ligne. Nous passons par Zuidschoote, Lizerne et Bixchoote. Je suis à l'extrême droite du bois en liaison avec les Anglais.

On nous annonce que ceux-ci vont exécuter un raid sur les tranchées allemandes cette nuit. Vers dix heures l'artillerie et les mitrailleuses anglaises entrent en action avec une violence qui nous étonne. Mon voisin, Vandenberg, fait cette réflexion : "On dirait qu'ils veulent reprendre toute la Belgique". Les Fritz lancent des fusées pour demander le secours de leur artillerie. Elle ne tarde pas à riposter vigoureusement et elle nous englobe dans ses représailles furieuses. Heureusement, son tir est trop long et ses obus éclatent un peu derrière nous. Vandenberg, qui doit partir demain en congé, n'en mène pas large : "Tu vois que je me ferais blesser cette nuit, me dit-il, ce serait trop injuste à la veille de ma permission". La bagarre prend fin et un silence lourd succède au vacarme. Mais voilà qu'un cri prolongé s'élève du no man's land; pas de doute, c'est en anglais que ces appels sont lancés. La voix se tait. Sans doute, les Anglais recherchent ce blessé qui les appelle. De nouveaux cris de détresse se font entendre, une rafale de mitrailleuse allemande y répond. Un long silence encore, puis la voix plus faible l'interrompt, et la sinistre mitrailleuse aussi. Ce dialogue du mourant et de la mitrailleuse se répète sept ou huit fois pendant la nuit.

19 Février 1918, Mardi.- Lorsque le jour se lève, la voix s'est tue. Nous apercevons derrière nous un monceau d'obus allemands abandonné. Si par malheur un projectile allemand l'avait atteint cette nuit, que serait-il advenu de nous ?

Je fais du feu pour réchauffer mon café. Le lieutenant Geelen, qui à quinze mètres à ma gauche surveille le secteur le voit, et furibond, s'approche et me dit : "Flagothier, je vous donne l'ordre d'éteindre ce feu immédiatement, vous allez nous faire repérer". Il faut bien se soumettre et je disperse le feu.Deux anglais viennent se coucher prés de nous et nous demandent des tartines. Je leur en donne et je refuse la puce de cinquante centimes qu'ils m'offrent.

Le lieutenant Geelen, toujours à son poste ne quitte pas des yeux les positions ennemies. Comme il porte des lunettes, Vandeberg fait cette réflexion : "Si les Allemands le voient, ils vont le prendre pour un périscope !". Périscope sera à partir de ce jour le sobriquet du lieutenant Geelen. On en fera même une chanson !

Voilà qu'arrive le Capitaine Sieben, adjoint au colonel. Périscope immobile et absorbé par ses observations, ne l'a pas vu venir, alors qu'il est derrière son dos. Le capitaine l'interpelle avec hauteur, le lieutenant s'excuse comme un petit enfant, puis tous deux s'en vont vers la gauche pour inspecter les positions.

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Ils reviennent un quart d’heure plus tard. Au moment où le capitaine va le quitter, "Périscope" lui dit d’un ton papelard : " Mon capitaine, j’espère que vous ne me garderez pas rancune de ce petit incident". A quoi le capitaine répond : "j’en référerais ai colonel, lieutenant". Cette petite scène nous amuse follement et ne rehausse pas le prestige compromis de Périscope.

Le soir , nous somme relevés et nous allons au "poste intermédiaire" où nous pouvons nous coucher et dormir. Vandeberg lui, part en congé.

20 Février 1918, Mercredi.- Le soir, nous allons dans l’énorme abri de Papegoed, abri de la grandeur d’une ferme dans laquelle les Allemands l’ont construit. Il comporte six chambres où l’on se tient debout et il abrite une demi-compagnie au moins. Il garde dans son flanc un obus français de 155 non éclaté encastré dans le béton.

Nous apprenons par nos camarades la suite de l’entrevue du capitaine Sieben et du lieutenant Périscope. La voici : Ensemble ils visitaient tous les postes de la 6e Cie. A un certain endroit, Périscope dit : "Ceux-là sont de la 7e Cie, mon capitaine". Sieben veut une confirmation et demande aux soldats : "De quelle compagnie êtes-vous ?-De la 6e, mon capitaine". "Comment lieutenant, vous ne connaissez-même pas vos hommes ?, ni leurs positions ? Cela ne passera pas ainsi". Voilà pourquoi le capitaine était si mécontent quand nous l’avons vu repartir.

21 Février 1918, Jeudi.- Un violant bombardement s’abas sur le IIe de ligne à notre gauche. Nous allons occuper les positions de contre-attaque. Relève et retour à Pypegaele le soir.

22 Février 1918, Vendredi.- Bains à Elsendamme.

23 Février 1918, Samedi.- Le "Scribe" Joseph Leroy part en congé pour 14 jours ; je suis appelé au bureau pour le remplacer pendant son absence.

24 Février 1918, Dimanche.- Au bureau, j’aide le sergent-major Frankard dans les écritures administratives. Le soir, je vais à oostvletren.

25 Février 1918, Lundi.- Travail au bureau.

26 Février 1918, Mardi.- Idem. Mon travail consiste à établir des bordereaux de solde, des cartes d’identité, des titres de congé, des avis de mutation, des listes diverses, etc.

27 Février 1918, Mercredi.- Travail au bureau de la Cie. Le soir, nous partons aux tranchées, à l’avant-poste de gauche. On nous annonce un nouveau raid des Anglais pour cette nuit. La préparation d’artillerie se déclenche à 6h30. Les Allemands répliquent aussitôt, aussi bien sur nous que sur les Anglais. Le tir ne s’arrête qu’à 9h.

Peu après, nous voyons venir vers nous par la gauche, deux hommes qui conversent en français. A leurs vois, nous reconnaissons le lieutenant Périscope et le caporal Bauwens.

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Ce dernier soutient le lieutenant qui patauge et titube. Périscope pue l’alcool à deux pas : il me dit : "Ah ! C’est toi Flagothier,’il me tutoie maintenant), as-tu des cigarettes ?-oui, mon lieutenant.-Si tu n’en avais pas eu, je t’en aurais données, mais puisque tu en as, j’en veux bien une à toi". Abasourdi par cette logique pour le moins singulière, je lui présente une cigarette. Il tire sa boîte d’allumettes- "Mais mon lieutenant, dit Bauwens, vous n’allez pas l’allumer ici à la vue des Allemands ? "-Qu’est-ce que ça me fout, moi ! " réplique Périscope devenu bravache par la vertu de la gnole. Ils nous quittent pour continuer leur ronde. Le lieutenant ne voulant pas voir renouveler sa mésaventure du premier jour. Bauwens a bien du mas à le maintenir debout dans le camp de boue et d’entonnoirs. Nous le voyons choir dans la vase malgré les efforts du caporal pour le retenir. Nous rions aux larmes. Ils reviennent une demi-heure plus tard, toujours bras-dessus, bras-dessous. A onze heures, les Boches déclenchent un nouveau bombardement qui dur une trentaine de minutes.

28 Février 1918, Jeudi.- Je suis rappelé par le sergent-major qui a besoin, de mon aide au bureau. A la première lueur de l’aube, je quitte mes copains pour retourner au cantonnement. Je ne reconnais pas mon chemin dans ce chaos sans points de repère. Après une demi-heure de marche, j’aperçois deux soldats à trente ou quarante mètres devant moi et je pense qu’ils pourront m’indiquer la route du retour.Comme je m’approche d’eux, l’un crie : "as-tu oublié quelque chose ? " Je reconnais les deux camarades que je viens de quitter ; j’ai tourné en rond sans m’en apercevoir et je suis revenu à mon point de départ. "Dépêche-toi de t’éloigner car on commence à vois assez loin et tu pourrais te faire canarder ?, me dit Joseph Jaspart. Je suis ca conseil tout à fait inutile d’ailleurs, et, le jour grandissant, je peux m’orienter et rejoindre le cantonnement en suivant la voie Decauville.

1er mars 1918, Vendredi.- Je travaille au bureau.

2 Mars 1918, Samedi.- Travail au bureau. Nous sommes informés que ce soir notre compagnie a été sévèrement bombardée et que le premier peloton a été décimé, il y a 12 ou 13 tués et quelques blessés.Deux heures après, la compagnie rentre au cantonnement. Tous les visages ont les traits tirés. La baraque du premier peloton est lugubre tant il y a de places vides.

Le premier-sergent-major Lambert m’appelle : "Flagothier, tu es reposé, toi, tu vas porter cet inventaire au lieutenant X à l’ouvrage du Tour". Le lui faire signer et me le rapporter".-"Entendu, premier-chef".

Je me mets en route. Au début, cela va très bien, je connais l’itinéraire. A un carrefour, j’hésite, puis je prends à gauche. Je marche, je marche et je ne reconnais plus les lieux. Je ne vois personne pour me renseigner ; je frappe à la porte de plusieurs abris, mais je n’obtiens aucune réponse. Je marche toujours en avant et je vois enfin deux hommes devant moi.- "Halte-là ! Qui vive ? ", me crient-ils".-"Soldat de la 6e Cie".-"Approche ! Que viens-tu faire ici ? ". J’explique ma mission.- "Lieutenant X ? Ouvrage du Tour ? Nous ne connaissons ni l’un ni l’autre. Mais de quel régiment es-tu ? -"Du 12e"-"Tu t’es fourvoyé, mon vieux, tu es ici aux avant-postes du 9e".-"Du 9e ! Ah ! bien merde alors... Dois-je aller par là ?. -"Non, malheureux, par là, ce sont les Boches". Il ne me reste qu’à rebrousser chemin jusque la voie Decauville, la suivre vers la gauche, traverser tout le onzième de ligne et repartir vers l’avant dès que je me retrouverai dans le secteur du 12e.

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C'est ce que je fais. Je finis par trouver l' "Ouvrage du Tour", et le lieutenant X. Il signe le fameux inventaire et je prends le chemin du retour.

3 Mars 1918, Dimanche.- Il est 3h du matin quand je rentre bien fatiguer au cantonnement. J'ai trimballé toute la nuit pour ce foutu papier ! Cinq heures de marche dans l'obscurité et par des chemins difficiles pour satisfaire la paperasserie !

4 Mars 1913, Lundi.- Travail au bureau. Le sergent-major et moi, nous dressons les actes de décès et les mutations à l'hôpital des blessés.

5 Mars 1918, Mardi.- La compagnie va à la redoute , mais je reste au bureau.

6 Mars 1918, Mercredi.- Travail au bureau.

7 Mars 1918, Jeudi.- Idem.

8 Mars 1918, Vendredi.- Idem.

9 Mars 1918, Samedi.- Joseph Leroy rentre de congé. Il reprend sa place au bureau et moi la mienne à la compagnie. Finie la belle vie sans corvée ! J'abandonne la plume pour reprendre le lourd fusil-mitrailleur. L'après-midi, nous allons aux tranchées et la nuit au travail à l'avant-poste A 4.

10 Mars 1918, Dimanche.- Garde à la passerelle le soir.

11 Mars 1918, Lundi.- Relève et retour au cantonnement.

12 Mars 1918, Mardi.- Après-midi, travail le long de la route.

13 mars 1918, Mercredi.- Travail le matin. Le soir, transport de piquets par Decauville au dépôt Saint-Jean.

14 Mars 1918, Jeudi.- Bains. Le soir, transport de piquets

15 Mars 1918, Vendredi.- Transport de piquets le soir.

16 Mars 1918, Samedi.- Repos.

17 Mars 1918, Dimanche.- Nous partons aux tranchées le soir. Nous occupons le gros abri de Papegoed.

18 Mars 1918, Lundi.- Je reçois une lettre de Mademoiselle Philippine Gillard, fiancée de mon frère.

19 Mars 1918, Mardi.- Le soir, nous allons à l'avant-poste "Nid 5",Pluie.

20 Mars 1918, Mercredi.- Nous sommes relevés et retournons aux baraques. Pendant notre retour, les Anglais exécutent un nouveau raid.

21 Mars 1918, Jeudi.- Repos.

22 Mars 1918, Vendredi.- Repos. Les Allemands percent le front anglais

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en Picardie. Les permissions sont supprimées. Et moi, qui pensais bientôt y repartir !

23 Mars 1918, Samedi.- Nous allons dans les tranchées de Pypegaele. Je cherche encore à retrouver la tome de mon cousin Jules Mignolet, mais en vain. A 9 h du soir, nous allons travailler à la ligne de tranchées de Draaibank.

24 Mars 1918, Dimanche.- Nous rentrons du travail à 9 h du matin. Nous y retournons à 11 h du soir.

25 Mars 1918, -Lundi.- Même travail que hier.

26 Mars 1918, Mardi.- Nous rentrons du travail à 7 h 30. Le soir, départ pour les tranchées. Garde à l' "Ouvrage du Tour".

27 Mars 1918, Mercredi.- Même garde.

28 Mars 1918, Jeudi.- Le soir, nous allons à l'avant-poste "Nid I". Le onzième de ligne, à notre gauche, effectue un raid sur les tranchées allemandes.En une demi-heure, tout est bien terminé et réussi sans grand tapage. Quelle différence avec la méthode anglaise.

29 Mars 1918, Vendredi.- Il pleut et il neige. Je vois quelque chose qui brille légèrement sur le parapet, c'est un gobelet émaillé enterré à moitié dans la boue. Il me plait, il me servira pour y mettre du saindoux, de la margarine ou autre chose. Le jour se lève et nous pouvons nous coucher à trois dans un abri exigu et très sommaire. Un bout de branche sort de terre et se plante dans mes côtes. J'essaye de l'arracher mais en vain, je me résigne à me coucher dessus tandis que la neige tombe sur mes pieds qui n'ont pu trouver place dans l'abri. Le froid nous empêche de dormir. La relève se fait longtemps attendre et nous rentrons bien tard au cantonnement.

30 Mars 1918, Samedi.- Repos. Je vais voir Lekane à Elsendamme. Les nouvelles du front anglais en Picardie sont très mauvaises. Notre moral s'en ressent. Cette guerre nous apporte déception sur déception.

31 Mars 1918, Dimanche. PAOUES.- Repos.

1er Avril 1918, Lundi.- Nous quittons les baraques à 7 h. pour les positions de piquet au poste de secours en avant de Bixschoote. Travail de nuit dans un boyau près du gros abri de Mazeppa.

2 Avril 1918, Mardi.- Même travail.

3 Avril 1918, Mercredi.- Idem.

4 Avril 1918, Jeudi.- Nous occupons l'abri Mazeppe le soir, garde.

5 Avril 1918, Vendredi.- Garde.

6 Avril 1918, Samedi.- Alerte à 4h. Nouvelle alerte le soir. Nous occupons les tranchées du Tour.

7 Avril 1918, Dimanche.- A l’aurore, nous quittons nos positions pour aller à celles de la ferme Poitiers. Le soir, travail à l’ouvrage du Tour,

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puis retour aux baraquements. En cours de route nous constatons que les grosses batteries anglaises ont quitté le secteur. Elles sont parties en renfort vers le front de Picardie que cède de plus en plus.

8 Avril 1918, Lundi.- Repos. Je vais à Boesinghe. Les nouvelles sont toujours déprimantes. Le recul anglais tourne à la déroute.

9 Avril 1918, Mardi.- Repos. Je vais au dentiste à Ostvleteren. Nous apprenons que les Boches attaquent les Anglais et les Portugais au sud d’Ypres. La bataille se rapproche de nous.

10 Avril 1918, Mercredi.- Repos. Les Anglo-Portugais sont enfoncés. Nous craignons d’être encerclés.

11 Avril 1918, Jeudi.- Je retourne au dentiste. Le soir, nous allons aux tranchées pour ramener vers l’arrière les matériaux que nous nous sommes échinés à porter en avant. Mauvaise humeur générale.

12 Avril 1918, Vendredi.- Repos. Le charroi évacue du matériel vers l’arrière comme si l’on préparait une retraite. Le moral est dans les talons ; pour la première fois la confiance en notre victoire finale est ébranlée, mais non notre volonté de combattre avec courage.

13 Avril 1918, Samedi.- Nous partons aux tranchées. Nous remarquons que toutes nos batteries sauf une se sont retirées sur la rive gauche de l’Yperlée. Le génie a aussi déménagé vers l’arrière. Nous seuls, obscurs fantassins, restons sur nos positions. Nous occupons à trois un trou d’obus entre le bois du trapèze et Papegoed.

14 Avril 1918, Dimanche.- Le soir, nous nous installons à l’avant-poste gauche du bois du trapèze. Nous avons l’impression que des événements graves se préparent sur notre front.

15 Avril 1918, Lundi.- Nous retournons à Papegoed le matin. Nous reprenons position le soir à l’avant-poste, puis au trou d’obus. Garde.Au cours de la nuit, nous recevons l’ordre de démolir nos tranchées et tout ce qu’on peut détruire. C’est çà, nous allons reculer à notre tour, sans même attendre d’être attaqué ! Nous en sommes désolés et furieux à la fois. Nous nous acharnons à coups de pelles sur les sacs de terre, nous les basculons dans le fond de la tranchée. Nous suons de fatigue et rage.

16 Avril 1918, Mardi.- A l’approche de l’aube on nous fait emporter tout ce qui reste de matériel et de caisses de grenades et nous évacuons nos positions avancées : le bois du trapèze, Papegoed, Mazeppa et le Tour. Nous devons nous replier sur la tranchée B1 bis.Nous apprenons que notre repli nous est imposé par les Anglais qui reculent aussi à notre droite. Il fait jour quand nous arrivons à la tranchée qui nous est assignée. Cette tranchée n’existe que sur le papier. Sur le terrain, elle est signalée par un piquet portant une planchette sur laquelle on lit : B1 bis... c’est tout !

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On se met aussitôt au travail pour en faire une réalité. Nous travaillons par équipes à mi-temps ; pendant les pauses, on essaie de dormir car notre fatigue est extrême. Mais que signifie cela ? A notre droite, ce ne sont plus de Anglais, mais des Belges. Je vais les voir et j’apprends que le 19e et le 13e ont pris la relève de nos alliés cette nuit ! Décidément, çà doit aller bien mal chez eux !

Les surprises se suivent : voici des avions allemands qui nous survolent à basse altitude, nous tâchons de nous dissimuler dans nos tranchées embouchées. Nous besognons fébrilement jusqu’au soir. LA nuit vient et aussi la relève par le troisième bataillon.

Mais ce n’est pas tout encore ; sur la route nous subissons un bombardement par des pièces de marine. Ce tire est si tendu que nous entendons le coup de départ après l’explosion de l’obus. Nous réintégrons le cantonnement totalement épuisés.

17 Avril 1918, Mercredi.- on dort la grasse matinée. Je vais me laver dans un trou d’obus assez éloigné de la baraque. Je vois passer sur la route proche un bataillon du onzième de ligne, colonel et major en tête. De ses rangs, un soldat, Florent Renard de Hornay m’interpelle : "Maurice !, n’êtes-vous pas alertés vous autres ?-Non- Les Boches attaquent ! " Ce n’est pas pour rien que le colonel a mis son casque à l’envers... Je me hâte de rentrer à la baraque que je trouve en plein branle-bas d’alerte. Comme tout le monde, je me mets rapidement en tenue. Je liquide la canne que j’ai rapportée de Lourdes lors de mon premier congé, j’abandonne aussi l’imperméable que j’ai reçu en 1916 au 5e de ligne. Le grand Floridor s’approprie l’héritage.Quand à moi, je veux m’encombrer le moins possible pour partir au combat. Chose étonnante, les esprits si tendus hier encore sont maintenant calmes et résolus. En quelques minutes la compagnie est prête. Cependant, l’ordre de départ se fait attendre. Pendant ce temps, la cantine est assiégée par les soldats. Pour aller à la bataille, il vaut mieux d’avoir la besace bien rempli que le porte-monnaie. J’y achète du chocolat, de la confiture et des cigarettes jusqu’à mon dernier sou. Les autres font de même.

Enfin, l’ordre de départ est donné. L’idée de livrer un grand combat nous exalte : le découragement qui nous accablait ces derniers jours à fait place à une ferme résolution est c’est plein de confiance que nous parons pour la bataille.

Nous traversons d’abord la ligne des batteries de 120 qui tirent sans arrêt. Puis nous approchons de l’Yperlée où nos canons de 75 sont installés, et effectuent des tirs rapides et bruyants. Ils sont contrebattus par les obus allemands qui éclatent tout autour.

Nos artilleurs ne s’en soucient pas ; en bras se chemise, le front ruissèlent de sueur, magnifique à voir, ils se passent vivement les obus montés sur leurs douilles. Les coups se suivent à une cadence folle. Ce spectacle nous remplit d’admiration et e sympathie pour nos vaillants artilleurs.

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Le pont sur l’Yperlée est soumis au tir de l’ennemi, aussi pour léviter, nous franchissons la rivière sur une étroite et légère passerelle. On nous a prévenus que les sacs des fusilier-mitrailleurs seraient déposés au carrefour X... Sous la conduite du caporal André Lejeune, nous nous dirigeons vers cet endroit qui est pilonné par les canons lourds allemands de 210. Chaque fois que nous entendons venir des projectiles, nous nous planquons au sol. Les obus creusent des cratères énormes, profonds de deux ou trois mètres et larges de sept ou huit mètres. Nos sacs sont là. Nous les prenons et nous nous éloignons en hâte de cet endroit dangereux. Nous traversons encore un barrage de 77 et nous rejoignons la gauche de note Cie qui occupe l’ouvrage du Coquelicot, en troisième ligne. Nous devons prendre position à l’extrême droite de la tranchée qui d’étire de part et d’autre de la route de Bixschoote. A proximité de la route, le tir allemand est particulièrement violent. Nous y voyons notre capitaine François et un groupe de soldats aspergés par la boue qui jaillit à chaque éclatement d’obus.

Nous nous installons tout à droite en liaison avec la 7e Cie. Le capitaine Yvan Gérard qui commande cette compagnie, se promène crânement sur le parapet, sourire aux lèvres, méprisant le danger. La tranchées est inachevée, elle n’a pas de parados et les abris n’ont que leur carcasse en bois ; leur face arrière est formée d’une simple claie de fascines. On s’y entasse. Mes compagnons sont un peu surpris lorsqu’ils me voient manger bien calment. Un obus explose à deux mètres en arrières, nous sortons, je constate qu’un éclat s’est encastré dans le bois auquel j’étais adossé. Nous avons un blessé, le capitaine Gérard est atteint lui aussi. Nous restons dehors et observons le bombardement. Un peu à gauche, où se trouve notre capitaine, çà barde furieusement. Nous voyons un spectacle incroyable : pendant une fraction de seconde, nous distinguons des obus basculer et plonger vers le sol avant d’éclater. Nous n’avions jamais vu cela. Devant nous, à Bixschoote et au-delà, c’est un déchaînement d’explosions. Derrière, la meute de nos canons de tous calibres aboie rageusement. Tout le secteur est secoué, une forte odeur de poudre flotte dans l’air. Et cela dure des heures.

Les 3e et Ier bataillons du 12e qui occupent les deux premières lignes n’ont pas reculé d’un mètre devant l’attaque boche. A droite le 19e

et à gauche Ie IIe ont dû abandonner leurs avant-postes momentanément, mais les ont repris ensuite. Plus loin, le 9e, le 13e, le 14e de ligne et le Ier chasseurs à pieds ont fait de même. C’est le délégué Jacques Dechaineux qui nous apporte ces nouvelles. Un peu plus tard , il nous apprend que 300 prisonnier boches vienne de passer sur la route.

La nuit est maintenant tombée. On nous prévint que des bottes de pailles sont à notre disposition. Nous allons en chercher, mais à peine l’avons nous étalée dans l’abri qu’on nous fait évacuer celui-ci pour faire place au capitaine. Il n’y a plus d’abris libres. Dechaineux et moi, nous décidons d’en édifier un. Nous nous mettons à la recherche de matériaux. Près d’un gros abri en béton nous trouvons un édicule couvert d’une tôle. -"Voilà quelque chose qui nous convient dit Jacques.- "Qu’est-ce truc là ? ", dis-je. -"C’est la chiotte du colonel ! ", me répond mon ami.

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Sans la moindre hésitation et sans scrupule nous enlevons le toit de la latrine et l’apportons, ainsi que d’autres matériaux, à notre tranchée. Nous construisons un abri de fortune dont nous garnissons le fons de paille. Dechaineux va aux nouvelles ; elles sont encore meilleures : le nombre des prisonniers ennemis dépasse maintenant 500.

Nous sommes à peine couchées que l’ordre nous arrive de retourner au cantonnement. Nous le faisons d’un cœur léger.

18 Avril 1918, Jeudi.- Nous rentrons dans nos baraques à 2h30. Alerte à 9h30. Est-ce une nouvelle attaque allemande ? Non, car on nous fait rentrer à midi. Après, je me rends au dentiste à Oostvletren. Nous apprenons l’ampleur de notre victoire : 779 prisonniers, dont vingt officiers, 60 mitrailleuses et un matériel considérable sont restés entre nos mains.Nous en concevons un légitime orgueil. C’est la première fois cette année que les Allemands subissent un échec, un échec total et cinglant.Et c’est nous, les "petits" Belges qui avons cet honneur ! Notre moral est regonflé à bloc et désormais, un complexe de supériorité maintiendra notre confiance dans la victoire finale.

19 Avril 1918, Vendredi.- Départ pour le piquet au poste de secours.

20 Avril 1918, Samedi.- Alerte le matin, les Boches pourraient reprendre l’offensive. Travail le jour.

21 Avril 1918, Dimanche.- Alerte le matin et travail la nuit.

22 Avril 1918, Lundi.- Alerte le matin et départ pour les avant-postes le soir.

23 Avril 1918, Mardi.- Alerte le matin. Garde toute la nuit.

24 Avril 1918, Mercredi.- Alerte le matin. Les Boches se tiennent cois.

25 Avril 1918, Jeudi.- Alerte le matin. Comme les jours précédents, notre attente est vaine ; les Allemands ne désirent plus se frotter au Belges semble-t-il. Retour au baraquement le soir.

26 Avril 1918, Vendredi.- repos. Les régiments qui ont participé à la bataille sont cités à l’ordre du jour de l’armée : 9e, IIe, 12e, 13e, 19e, 14e de ligne, Ier et 4e chasseurs à pied et plusieurs régiments d’artillerie. Tous ces régiments sont autorisés à faire broder sur leurs drapeaux le mot "Merckem". Le 9e de ligne et le Ier chasseurs à pied reçoivent en outre la croix de l’ordre de Léopold. Le IIe et le 12e l’on depuis 1914. Le roi Albert reçoit les félicitations du Maréchal Foch et du général anglais Plumer qui commande l’armée voisine.

27 Avril 1918, Samedi.- Je vais au dentiste à Oostvleteren.

28 Avril 1918, Dimanche.- Je rencontre Mr l’aumônier Hanssen, ancien professeur à Saint-Roch. Le soir, piquet à Lizerne.

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29 Avril 1918, Lundi.- Le matin, alerte et travail.

30 Avril 1918, Mardi.- Idem. Je vais revoir le secteur de Steenstraete où je me trouvais il y a deux ans avec les carabiniers-cyclistes.

1er Mai 1918, Mercredi.- Comme chaque matin, alerte et travail. Le soir, nous partons aux tranchées de Draaibank. Garde toute la nuit.

2 Mai 1918, Jeudi.- Garde à Draainbank. Le vent nous apporte des gaz lacrymogènes

3 Mai 1918, Vendredi.- Garde à Draainbank. Sur la rive droite de l’Yperlée, nos effectifs sont fortement réduits. En cas d’attaque nous avons l’ordre de battre en retraite en combattant jusqu’à la rivière qui redeviendra comme en 1914, 15, 16, notre ligne de défense à tenir coûte que coûte. Cette éventualité ne nous plaît guère...

4 Mai 1918, Samedi.- Garde jusqu’à la relève, puis retour aux baraques.

5 Mai 1918, Dimanche.- Repos. Plus d’alerte.

6 Mai 1918, Lundi.- Repos. Je vais à oostvleteren.

7 Mai 1918, Mardi.- Toute la division part en repos. Nous prenons le tram au Lion Belge. Nous en descendons à Leysele et cantonnons près du village. Je rencontre Joseph Stassart de Sprimont que je n’avais plus vu depuis janvier 1915 à Calais. Garde d’incendie la nuit.

8 Mai 1918, Mercredi.- Repos.

9 Mai 1918, Jeudi.- Lever à 5h. Départ en tram par Leysele, Houthem, Hondschoote (France), Rexpoede, Bambecque. Nous allons creuser des tranchées au –delà de l’Yser. C’est la première fois que nous "creusons" des tranchées au sens littéral du mot. La cuisine roulante nous accompagne. Travail jusque 6h du soir et retour en tram.

10 Mai 1918, Vendredi.- Même voyage et même travail. Prévoirai ton un recul si profond ? Dans ce cas, toute la Belgique serait abandonnée. Nous ne pouvons y croire et cependant, ces travaux en sont une préparation.

11 Mai 1918, Samedi.- Même voyage et même travail encore.

12 Mai 1918, Dimanche.- Repos. Je vais me promener à Hondschoote. Je vois un cinéma ouvert, l’entrée coûte 25 centimes pour les soldats, mais je n’en ai plus que dix...

13 Mai 1918, Lundi.- Je vais au dentiste le matin. La anuit, des avions allemands bombardent le dépôt de munitions de Klein-Leysele. Nos baraquements son secoués par les explosions.

14 Mai 1918, Mardi.- Je vais au dentiste le matin. Le soir, nous

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allons monter la garde au dépôt bombardé la nuit dernière. Dans un rayon de cinq mètres, les tuiles des toits sont par terre ou en désordre.

Au dépôt même, des tas d’obus ont été touchés et ont sauté creusant des entonnoirs de dix mètres de diamètre et de quatre de profondeur. LE corps de garde a été soufflé et des soldats ont été blessés sous les tôles effondrées. Le caporal Lejeune qui nous commande nous donne comme signale : " Si les avions reviennent cette nuit, nous nous éloignerons au maximum des tas de munitions". Il y a des tas d’obus hauts d’un mètre et de dis mètres de côté. Chacun contient des milliers de projectiles. Plusieurs ont sauté hier. Une heure à peine après notre arrivée, le ronron des avions se fait entendre ; ils se dirigent vers nous. Lejeune accourt :- "Viens Flagothier"-, et nous filons dans la campagne. Les Allemands nous survolent, puis continuent vers Calais où ils laissent choir leur cargaison de bombes. La D.C.A. française tire à toute volée. Cela fait un beau feu d’artifice. Le danger passé, je reprend ma garde.

15 Mai 1918, Mercredi.- Garde jusque 16h. Je vois le lieutenant Maka.

16 Mai 1918, Jeudi.- Repos. Je reçois la visite d’Abraham de Rouvreux. Le pauvre a totalement perdu la raison, mais comme il est calme, on ne l’interne pas. Triste effet de la vie au front !

17 Mai 1918, Vendredi.- Repos.

18 Mai 1918, Samedi.- Nous partons à Wülpen. Garde au dépôt Km 32.

19 Mai 1918, Dimanche.- Le soir, nous allons cantonner dans les baraques de Wülpen ; beaucoup de soldats grippés sont évacués.

20 Mai 1918, Lundi.- A mon tour, j’attrape la grippe ainsi que de nombreux camarades. Une barque est transformée en infirmerie régimentaire. J’y suis envoyé avec les autres. Je reçois la visite des carabiniers de Lincé : Auguste Bertrand, Arthur Haveaux, Théophile Compère et Norbert Hanique, qui sont cantonnés près de Coxyde, non loin d’ici.

21 Mai 1918, Mardi.- Repos évidemment. La baraque est pleine de grippés, une deuxième absorbe les nouveaux malades.

22 Mai 1918, Mercredi.- Repos.

23 Mai 1918, Jeudi.- Je vais mieux et je vais me promener à Furnes et à Steenkerke.

24 Mai 1918, Vendredi.- Guéri, je retourne à la compagnie.

25 Mai 1918, Samedi.- Nous allons aux tranchées de Ramscappelle. Garde au chemin de fer. Cette fois, notre secteur est au nord du village. Il s’étend des écluses de Nieuport à la gare de Ramscappelle.

26 Mai 1918, Dimanche.- A 2h15, les Allemands exécutant un raid sur Nieuport tenu par les carabiniers et les grenadiers, à notre gauche.

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27 Mai 1918, Lundi.- Travail l’après-midi au chemin de fer.

le-e Juin 1918 Sam-di.- Je vais avec François Lemaître revoir , 28 Mai 1918, Mardi.- Même travail. Le soir, nous occupons l’avant-poste Gamma.

29 Mai 1918, Mercredi.- Le soir, nous gardons le poste Delta.

30 Mai 1918, Jeudi.- Nous revenons à Wolvenest le soir.

31 Mai 1918, Vendredi.- Retour au cantonnement le soir.

1er Juin 1918, Samedi.- Je vais avec François Lemaître revoir mon copain Beaudoin Mathieu à Furnes. Il a quitté le 15e de ligne et est occupé à la surveillance d'un moteur à Furnes.

2 Juin 1918 Dimanche. Je rends visite aux "carapattes" lincéens à la Panne.

3 Ju i n 1918, Lundi .- Je vais au dentiste à Steenkerke.

4 Juin 1918, Mardi .- Idem.

5 Juin 1918 Mercredi.- Repos.

6 Juin 1918, Jeudi .- Départ pour les tranchées. Chemin de fer.

7 Juin 1918, Vendredi.- Garde le soir.

8 Juin 1918, Samedi.- Garde.

9 Ju i n 1918, Dimanche .- Je reçois une lettre de mon frère Eugène.

10 Juin 1918, Lundi.- Travail.

11 Juin 1918, Mardi.- Travail.

1 2 Ju i n 1912, Mercredi .- Garde à l'avant-poste 24 le soir.

13 Juin 1918, Jeudi .- Idem.

14 Juin 1918, Vendr e d i .- Idem et corvée de ravitaillement.

15 Juin 1918, Samedi .- Retour au chemin de fer le soir.

16 Juin 1918, Dimanc h e .- Garde le soir.

17 Juin 19 1 8 L u n d i - Garde.

18 Juin 1918, Mard i .- Relève et retour à Wülpen.

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1 9 Juin 1918, Mercredi .- Repos.

20 Juin 1918, Jeudi.- Je vais au dentiste à Steenkerke, avec Lemaître.

2 l Juin 1918, Vendredi .- Idem. A dire vrai, nous tirons notre carotte...

22 Juin 1918, Samedi. - Idem.23 Juin 1918, Samedi.- Repos.

24 Juin 1918, Dimanche.- Le soir, nous allons occuper la redoute prè de Ramscappelle.

25 juin 1918, Mardi.- Transport de charpentes d’abris à la tranchée V.

26 juin 1918, Mercredi.- Repos.

27 juin 1918, Jeudi.- Transport de dalles en béton aux avant-postes.

28 juin 1918, Vendredi.- Transport de gîtes aux avant-postes.

29 Juin 1918, Samedi.- Transport de bombes aux avant-postes.

30 Juin 1918, Dimanche.- Nous allons aux tranchées du chemin de fer.

1 Juillet 1918, Lundi.- Garde.

2 Juillet 1918, Mardi.- Garde à l'avant-poste X.

3 Juillet 1918, Mercredi.- Idem.

4 Juillet 1918, Jeudi.- Retour au chemin de fer le soir.

5 Juillet 1918, Vendredi.- Travail l’après-midi.

6 Juillet 1918, Samedi.- Travail le matin. Retour à Wülpen le soir.

7 Juillet 1912, Dimanche.- Repos.

8 Juillet 1918, Lundi.- Bains à la Panne.

9 Juillet 1918 Mardi - Exercice le matin.

10 Juillet 1918, Mercredi.- Idem. Je reçois une lettre de mon frère.

11 Juillet 1918, Jeudi.- Exercice et inspection.

12 Juillet 1918, Vendredi.- Garde d'incendie.

13 Juillet 1918, Samedi.- Repos.

14 Juillet 1918, Dimanche.- Après-midi, nous partons au repos dedivision à Wulveringhem, dans les baraques du "camp de Dixmude"

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Wulveringhem.

15 Juillet 1918, Lundi.- Inspection.

16 Juillet 1918, Mardi.- Repos.

17 Juillet 1918, Mercredi.- Travail le matin.

18 juillet 1918, Jeudi.- Repos.

19 Juillet 1918, Vendredi.- Travail le matin.

20 Juillet 1918, Samedi.- Corvée de voirie à Wulveringhem.

21 Juillet 1918, Dimanche.- Repos. Fête nationale.

22 Juillet 1918, Lundi.- Travail le matin.

23 Juillet 1918, Mardi.- Repos.

24 Juillet 1918, Mercredi.- Travail.

25 Juillet 1918, jeudi.- Garde à Elzentap à partir de 16h.

26 Juillet 1918, Vendredi.- Garde.

27 Juillet 1918, Samedi.- Repos.

28 Juillet 1918, Dimanche.- Repos.

29 Juillet 1918, Lundi.- Le matin, je vais au dentiste à Steenkerke. L’après-midi, j’assiste à une fête sportive organisé par la 3 DA.La reine, les princes et la princesse y assistent aussi. Le sergent Merx du 9e de ligne présente des fleurs à la reine. Ce sergent à tête grise est le plus vieux volontaire de guerre de l’armée belge. Le général Jacques est là également. Une musique militaire anime les compétitions.

30 Juillet 1918, Mardi.- Travail le matin.

31 Juillet 1918, Mercredi.- Je vais au dentiste à Steenkerke.

1er Août 1918, Jeudi.- Prise d’arme près de l’hôpital de l’"Océan" à Wulveringhem.

2 Août 1918, vendredi.- Travail le matin.

3 Août 1918, Samedi.- Je vais au dentiste à Steenkerke.

4 Août 1918, Dimanche.- Je pars en congé à Nice. J’emprunte cent francs au lieutenant Maka, car je n’ai pas d’invitation et je devrai payer ma pension dans un hôtel. Je prends un train civil jusque Calais. Je sors en ville et je revois la "Nouvelle Mairie" qui me rappelle mon premier contact avec le sol français et l’armée belge. Il

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ya plus de trois ans et demi de cela ! Quand cette guerre prendra-t-elle fin ? Pas encore cette année certainement ! D’aucuns prétendant que c’est une nouvelle guerre de cent ans. Ils n’y croient pas, évidemment, mais toute de même, la fin ne s’annonce pas encore.

5 Août 1918, Lundi.- Je débarque à Paris pour la huitième fois.Promenade, cinéma, commissions. Je me rembarque dans un train archibondé à la gare de Lyon. Je me faufile dans un couloir parmi des réfugiés et des soldats et je trouve enfin moyen de m’asseoir sur une malle de réfugiés.

6 Août 1918, Mardi.- La nuit semble bien longue et lorsque le jour est venu la chaleur devient de plus en plus accablante. Les paysages sont agréables à voir, surtout Lyon, Avignon et son palais des papes, Tarascon, son château et le pont de Beaucaire, Arles, le désert sauvage de la Crau.

Je descends à Marseille, terminus de train. Je me dirige vers le centre de la ville, je parcours le port, je visite la cathédrale de style bysantin. L’intérieur renferme des mosaïques admirables.

Je monte ensuite à l’église Notre-Dame de la Garde perchée au sommet d’une colline. De là, le panorama est merveilleux ! On découvre la mer, les îlets, le château d’If, le port et la ville entière. Je redescends et, en tram, je boucle le circuit de la corniche et de la célèbre Cannebière.C’est l’heure du crépuscule, la mer, la terre et le ciel prennent des teintes splendides. Je retourne à la cantine de la gare et me couche au dortoir.

7 Août 1918, Mercredi.- Je me lève à trois heures de la nuit, car je crains que le train de Nice ne soit aussi rempli que celui de Marseille. Je me présente sur le quai à 4h. Le train est là... plein comme un œuf ! En jouant des coudes, je parviens à m’introduire dans un couloir. Ouf !, il n’y a que deux trains par jour entre Marseille et Nice, deux banlieues car le trafic des troupes accapare la majeure partie du matériel ferroviaire. Des trains de troupes italiennes se dirigent vers le nord. Des centaines de voyageurs sont bientôt sur les quais, quelques-uns réussissent encore à se pousser dans les wagons où ils s’encaquent. A 5h20, les soldats du corps de garde viennent se ranger devant les portières et refoulent de force les voyageurs vers l’extérieur.

Nous démarrons à 5h30. La ligne du chemin de fer longe parfois la côte et s’en écarte en certains endroits. Le spectacle est varié et toujours admirable. On découvre la Ciotat, Toulon, Fréjus, Hyères blotties dans leurs golfes. La côte d’Azur est très découpée et escarpées ; caps, baies, montagnes varient continuellement d’aspect. Le sol rougeâtre contraste avec les forêts vertes et la mer bleue.

Je débarque enfin à Nice que je traverse du nord au sud pour arriver à la Méditerranée. Je prends une chambre dans une pension de famille tenue par Mr Vanhalst, un Ostendais réfugié ici.

Nous sommes entre Belges, civils ou militaires, une douzaine environ. De ma fenêtre, je domine la plus belle place de Nice. D’un coup d’œil, je vois les "Nouveaux Jardins" avec leurs fontaines monumentales, leurs grottes, leurs statues et leurs palmiers ; le Casino, le jardin Albert

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Ier ; la promenade des Anglais ; le monument du cinquantenaire du rattachement de Nice à la France, enfin le Palais de la Jetée construit sur pilotis au-dessus des flots de la Baie des Anges. Pendant le reste de la journée, je visite cette ville luxueuse.

8 Août 1918, Jeudi.- Le matin, je me rends chez Messieurs Breuer, deux réfugiés herviens, dont le camarade François Dresse m’a donné l’adresse. Je suis cordialement reçu et l’un d’eux me propose comme cicérone pour la soirée. Après-midi, je vais au château de Nice d’où l’on domine toute la ville, puis à Saint-Sylvestre. Le soir, Mr Breuer me conduit au théâtre de la Scala où j’assiste à une revue très amusante intitulé : "A l’Américaine".9 Août 1918, Vendredi.- Je prends le tram de Monaco le matin. La ligne suit la route de la corniche, le long de la mer. C’est une promenade magnifique. Je descends à Monte-Carlo. Je visite ses jardins d’une beauté inégalée, puis je passe à La Condamine pour remonter à Monaco. Là, piloté par un guide, je visite avec un groupe une partie du palais du prince, une dizaine de salles et de chambres à coucher d’un luxe extraordinaire. J’entre ensuite au Musée Océanographique. On y voit tout ce que concerne les mers et les océans : la flore, la faune dans un immense aquarium, les maquettes de bateaux des toutes les époques (la caravelle de Christophe Colomb, entre-autre) bateaux de pêche, d’explorateurs, cartes marines immense, etc... Je visite encore un petit musée préhistorique et enfin la cathédrale.

Rentré de Nice, je passe la soirée en compagnie de Mr Breuer au théâtre des Variétés où long jour une revue joyeuse.

10 Août 1918, Samedi.- Le matin, je visite l’église russe. L’après-midi, je vais au cap Ferrat où je parcours l’ancien domaine de Léopold II. J’y vois un petit monument élevé en son honneur par "ses amis de la Côte d’Azur".

Toujours accompagné de Mr Breuer, j’assiste le soir à la revue "çà, c’est bath ! ", à l’"Eden-Théâtre".

11 Août 1918, Dimanche.- J’assiste à la messe à la cathédrale qui me paraît bien petit mais jolie. Après la messe, je me promène jusqu’au château. Je passe l’après-midi au cinéma " Exelsior" et la soirée au "Palais de la Jetée" toujours en compagnie de mon obligeant Mr Breuer. Le programme comprend de la musique symphonique et des chants d’opéra. C’est merveilleux.

12 Août 1918, Lundi.- Aujourd’hui, Julien Cornet, soldat de ma Cie, arrive à Nice, en congé chez des réfugiés belges qu’il connait. Avant mon départ au front, il m’ya donné rendez-vous. Je me rends donc à l’adresse qu’il m’a donnée et je l’y trouve. Il me présente à la famille, puis me propose d’aller à Saint-Maurice pour y saluer Mr Marquet, financier millionnaire ostendais. -"Si nous pouvons le voir, me dit Julien, il nous donnera cinq francs à chacun". Notre visite n’était pas désintéressée, Diable, C’était toujours les fons qui nous manquaient le plus ! Malheureusement, Mr Marquet est absent, la thune espérée ne garnira pas notre bourse ! Nous sommes accueilles par deux servantes que Cornet connait bien car ce n’est pas la première fois que l’appât des cent sous l’a amené dans ce château entouré d’un par cet de jardins superbes.

Nous projetons pour demain une excursion à Menton en compagnie de

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ses hôtes. Le soir, je vais au cinéma "Fémina", seul, cette fois.

13 Août 1918, Mardi.- Les amis de Julien, lui-même et moi, partons à 8h40. Nous allons à pied jusque Roquebrune, pittoresque village bâti dans le flanc de la montagne, très haut parmi les rochers. Nous y dînons dans un restaurant formé d’un seul mur, la façade ; tout le reste est incrusté dans le roc.

De là-haut, le panorama est merveilleux vers la côte et la mer. Nous redescendons à la corniche en cueillant des figues vertes aux arbres que nous rencontrons. Nous montons dans le tram qui va nous conduire à Menton. Nous sommes ici à la frontière de l'Italie et nous voyons Vintimille au loin. Menton est très jolie mais bien moins que Monaco ! Nous reprenons le tram de Nice à cinq heures et demie.Je passe ma dernière soirée au théâtre de l' "Eldorado" où l'on présente la revue : "Oui, sans blagues" (Huit cents blagues).

14 Août 1918, Mercredi.- Le matin, je prépare mon retour au front, je fais mes adieux aux Breuer et aux amis de Cornet.

A une heure, je m'embarque dans le train de Marseille et je suis de nouveau serré dans un couloir pendant longtemps. Enfin, des voyageurs descendent et je puis m'asseoir.

15 Août 1918, Jeudi.- Je passe la nuit dans le train. Je descends à Valence à 4 h du matin, car j'ai décidé d'aller voir Gilles Coeymans à Grâne où il est en convalescence chez sa marraine. (J'ai oublié de signaler que Gilles a quitté le 12e en août 1917 pour rejoindre son cousin, aumônier, au 1er chasseurs à pied, et qu'un obus lui a cassé les deux pieds à Merckem).

Je vais à la messe à la cathédrale, puis je prends le train à 8 h 40 pour Grest; après une demi-heure de marche, j'arrive à la maison de Madame Long et je trouve mon ami Gilles prenant l'air et le soleil sur le seuil.Je passe quelques heures avec lui, puis il me ramène en cariole à la gare de Livron.

A cinq heures, je monte dans l'express de Paris.

16 Août 1918, Vendredi.- Je débarque à Paris à 7 h 30. Je me rends chez Ms de Dorlodot qui a constitué un dépôt d'archives et de souvenirs pour les soldats belges qui veulent mettre en sécurité des choses qu'ils désirent retrouver après la guerre ou faire envoyer à leurs parents si la mort devait les frapper.J'y dépose mes carnets de campagne et tout un tas de lettres que j'ai reçues.A 2 h 12, le train de permissionnaires m'emporte vers le front.

17 Août 1918, Samedi.- Je rentre à la Cie à Wulveringhem.

18 Août 1918, Dimanche.- Repos. Promenade à Alveringhem.

19 Août 1918, Lundi.- Je vais au dentiste à Steenkerke. Après-

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midi, j'assiste à la représentation de la revue "Chantons clair" au théâtre de l'hôpital de l' "Océan". Le camarade François Dresse y tient le rôle du compère.

20 Août 1918, Mardi.- Travail le matin. Après-midi, je vais au théâtre de la Reine à Hoogstaede.On y joue "Les Saltimbanques". Pendant le dernier entracte, un acteur vient lire le communiqué du général Foch. Les alliés ont remporté de nouveaux grands succès en France. Sur notre front, nos soldats ont effectué la nuit dernière plusieurs raids victorieux dans les lignes allemandes. Ces bonnes nouvelles provoquent des applaudissements prolongés dans la salle.

Au dernier acte, quand les soldats de l'opérette portant de grands drapeaux alliés entrent en scène et chantent : "Va petit soldat" l'enthousiasme est à son comble.

Le spectacle terminé, je retourne au cantonnement dans une grande exaltation. Mes oreilles sont pleines du refrain : "Va petit soldat", va droit au combat !". Depuis un mois, les alliés ont pris l'offensive et leurs victoires successives ont fait oublier les funestes déboires du printemps. Nous avons le pressentiment que notre tour de bondir sur l'ennemi viendra bientôt et nous y aspirons vivement.

21 Août 1918, Mercredi.- Travail le matin.

22 Août 1918, Jeudi.- Garde aux baraquements.

23 Août 1918, Vendredi.- Je vais pour Xe fois au dentiste à Steenkerke. L'après-midi, j'assiste à un concert donné par la symphonie de la Reine au théâtre de l'hôpital de l' "Océan" à Vinckem. Le chef d'orchestre est Corneil de Thoran qui dirigeait la fanfare belge de Granville en 1915.

24 Août 1918; Samedi.- Travail le matin.

25 Août 1918, Dimanche.- Repos. Promenade à Alveringhem.

26 Août 1918, Lundi.- Travail le matin.

27 Août 1918, Mardi.- Travail le matin à Forthem.

28 Août 1918, Mercredi.- Travail le matin; après-midi, j'assiste à une séance théâtrale. La 2e Cie du 12e interprète : "Un client sérieux" de Courteline et "Le poignard" de Botrel. Belle réussite.

29 Août 1918, Jeudi.- Repos. La nuit, les Boches canonnent nos baraques sans les toucher.

30 Août 1918, Vendredi.- Je rends visite à Jean Knubben à Isenberghe. Après-midi, nous passons dans une chambre à gaz pour éprouver nos masques.

31 Août 1918, Samedi.- Visite au dentiste, la carotte continue. Garde à l' "Océan" l'après-midi.

1er Septembre 1918, Dimanche.-Garde jusque 5 h.

2 Septembre 1918, Lundi.- Visite au dentiste. Garde à l' "Océan".

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3 Septembre 1918, Mardi.- Garde jusque 5 h de l'après-midi.

4 Septembre 1918, Mercredi.- Travail le matin.

5 Septembre 1918, Jeudi.- Repos.

6 Septembre 1918 Vendredi.- Inspection. Allons-nous remonter en ligne ? Voilà prés de deux mois que notre division est au repos. Jamais nous n'en avons eu de si long, c'est anormal, peut-être nous tient-on en réserve pour une offensive prochaine ? C'est même probable car les armées alliées attaquent à tour de rôle. Les Boches sont partout en recul, nous aimerions de les bousculer nous aussi et notre inaction commence à nous peser.

7 Septembre 1918, Samedi.- Nous changeons de cantonnement : nous partons à 13 h; nous passons à Hoogstaede, Gyverinchove, Stavele et nous nous installons dans des baraques près de Proven. Quelque chose se prépare mais quoi ?

8 Septembre 1918, Dimanche.- Repos. Pour la première fois, j'assiste à une messe en plein air. Avant, c'était toujours dans une église de village, parfois à moitié démolie comme à Wülpen, ou dans une chapelle en bois.

9 Septembre 1918, Lundi.- Exercice vers Saint-Sixte, garde le soir.

10 Septembre 1918, Mardi.- Repos.

11 Septembre 1918, Mercredi.- Inspection.

12 Septembre 1918, Jeudi.- Vaccination.

13 Septembre 1918, Vendredi.- Repos.

14 Septembre 1918, Samedi.- Exercice. Il y a deux mois que nous sommes en repos.

15 Septembre 1918, Dimanche.- Repos. Messe en plein air.

16 Septembre 1918, Lundi.- Exercice à Proven.

17 Septembre 1918, Mardi.- Marche de division d'infanterie à Rousbrugge.

18 Septembre 1918, Mercredi.- Exercice l'après-midi. Nous sommes intrigués par le silence de nos gradés sur nos opérations futures. Ils ne nous disent rien ou plutôt, disent ne rien savoir, ce qui est probable.

19 Septembre 1918, Jeudi.- Exercice.

20 Septembre 1918, Vendredi.- Exercice l'après-midi. Les jours se suivent sans que s'éclaircisse le mystère qui plane sur l'armée belge et sur notre division en particulier.

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21 Septembre 1918, Samedi.- Notre lieutenant Beckers rassemble la 3e section dans notre baraque. Visiblement, il y a des choses importantes à nous dire. En effet, il nous annonce notre offensive très prochaine.

Il nous donne la théorie de l'assaut et de la progression.

En résumé, voici les principales conclusions :

1) L’objectif sera atteint en quelques heures, puis nous serons relevés par les Français.

2) L’ordre de bataille est le suivant :

a. – première vague d’assaut : le deuxième bataillon, le nôtre ;

b. - deuxième vague : le Ier Bon ;c. – troisième vague : le 3e Bon.

3) La compagnie avancera en petites colonnes ; en tête de chacune, un fusil-mitrailleur, le tireur en avant, prêt à tirer. (Je serai donc au tout premier rang).

4) Devant une résistance, on se déploie en tirailleurs, et l’on progresse par bonds.

5) Défense de s’arrêter pour soigner ou transporter des blessés, ce soin étant réservé aux brancardiers.

Notre lieutenant nous donne des leçons de tactique en manœuvrant des allumettes sur le coffre du cordonnier. Il est très optimiste et nous aussi. Finies les incertitudes des jours passés, nous en sommes soulagés mais les réactions ne sont pas les mêmes chez tous les soldats. Certains paraissent soucieux et inquiets, d'autres résignés et fatalistes, d'autres encore enthousiastes. Pour moi, je pense que l'occasion tant attendue de venger les martyrs de Lincé arrive enfin et je suis heureux de porter une arme redoutable. Les commentaires entre soldats après la théorie sont animés. L'optimisme prévaut largement, le souvenir de Merckem nous a donné conscience de notre valeur. Comme si le mot d'ordre en avait été donné, chacun se met à écrire à ses parents, à ses amis, aux marraines, Dame, qui sait ? C'est peut-être la dernière lettre...

22 Septembre 1918, Dimanche.- Repos. Messe en plein air encore, Après-midi, le chansonnier de l'armée Genval vient nous chanter son répertoire.

23 Septembre 1918, Lundi.- La compagnie est embarquée dans des camions et transportée au Lion Belge. Nous déchargeons des wagons de munitions que nous rechargeons sur les wagonnets Decauville.

En portant des obus de gros calibres et des caisses de dix obus de 75, j'attrape un tour de reins qui me force à interrompre le travail, avec le consentement du sergent. Nous revenons au cantonnement, sur les mêmes véhicules automobiles. Les cahots incessant me font bien souffrir.

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Rentré dans la baraque, je me couche sur mon sac à paille et bouge le moins possible, le moindre mouvement me torture les reins.

On nous donne l'ordre de nous tenir prêts à partir cette nuit même. J'en suis atterré, car dans mon état, je ne suis pas capable de me tenir debout ; on me prendra peut-être pour un carottier ou un froussard. Rien que d'y penser me plonge dans l'angoisse, Je n'arrive pas à m'endormir craignant à tout moment l'ordre fatal.

24 Septembre 1918, Mardi.- Enfin, la longue nuit s'est passée sans alerte. Je me sens soulagé, surtout moralement. Je me présente à la visite du médecin qui me fait frictionner avec de l'alcool camphré et me signale : "exempt de travail". L'après-midi, on nous commande un exercice en tenue de campagne.Je suis exempt de travail, mais pas de service, je m'aligne donc dans les rangs; comme tout le monde, je doit courir, me coucher, ramper, me relever, courir encore et cela pendant deux heures. Mon tour de reins se fait toujours sentir, mais je le supporte assez facilement.

A 8 h du soir, nous recevons l'ordre de départ. Nous passons à Crombeke, Westvleteren, Oostvleteren et nous cantonnons dans des baraques près de Reninghe. J'espère une nuit réparatrice.

25 Septembre 1918, Mercredi.- Repos. Je me sens complètement rétabli.

26 Septembre 1918, Jeudi.- Nous sommes témoins d'une activité extraordinaire des charrois de toutes sortes. L'artillerie se porte en avant et accumule d'énormes provisions d'obus. Des troupes françaises occupent les cantonnements que nous avons quittés à l'arrière de nombreux ballons captifs belges observent l'ennemi, tandis que les siens sont abattus dès qu'ils osent monter dans le ciel. Nous voyons notre "as national" Willy Coppens, en incendier trois en quelques minutes. Les esprits s'enfièvrent. Visiblement le jour J est tout proche. Partirons-nous cette nuit ? Des canards circulent, et d'énormes encore, après tout ce n'est pas étonnant, les imaginations sont en ébullition.

27 Septembre 1918, Vendredi.- Je décide de faire un dernier nettoyage de mon fusil-mitrailleur, des huit chargeurs et des treize ou quatorze cents cartouches de mon approvisionnement. Je démonte, nettoie, huile et remonte mon arme avec le plus grand soin. Aidé par mes pourvoyeurs, Louis Leloup, et le petit Constant Pannekoek, qui remplace Désiré Charlier en congé, nous frottons une à une toutes les cartouches, nous les décrassons à la gorge et nous les huilons légèrement de manière à assurer le bon fonctionnement de l'arme. Je veux être fin prêt pour la bagarre.

Dans l'après-midi, l'aumônier du bataillon nous annonce qu'il sera à notre disposition dans une demi-heure pour les confessions et les communions à la chapelle-baraque toute proche. Je m'y rends et j'ai la surprise d'y trouver des compagnons que je n'attendais guère en ce lieu. Tant mieux ! Le danger qui nous menace amène de profondes réflexions et de salutaires retours. A la fin de ma confession, l'aumônier me dit : ... "et demain vous offrirez votre vie à Dieu en expiation de vos fautes et vous combattrez vaillamment pour la libération et le salut de la Belgique". Ces paroles impressionnantes renforcent ma décision de me conduire bravement quoi qu'il puisse arriver.Je reviens à ma baraque et je prépare mon équipement. Tous les effets et objets superflus sont placés dans des "vaderlands" étiquetés et portés à

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la cuisine; de là, ils seront transportés dans un dépôt à la Panne. Il en est de même de nos capotes.

Les commentaires vont tous les trains. Des ordres du jour, des proclamations éloquentes de divers grands chefs sont affichées et lues avec avidité. Des batteries françaises et anglaises arrivent en renfort.

Je rencontre Niname d'Aywaille qui me dit sans rire : "Là, plus loin, il y a bien soixante canons dans un petit pré". - "On les a placés sur des étagères, sans doute ! Tu n'es pas Marseillais pourtant ", lui dis-je.

Près du baraquement des officiers, le lieutenant Montfort revêtu de son plus bel uniforme et portant des manchettes blanches va et vient, l'air soucieux et nerveux. Il a dit à son ordonnance "Je veux me faire beau pour mourir". Pressentiment ?

Des ordres : "Préparez-vous, on part à 6 h 30". Tous les soldats sortent de leurs baraques et installent leurs équipements sur le sol.

A ce moment, nous voyons venir le brancardier Beudin revenant de l'hôpital, harassé et ployant sous le sac. Bien qu'incomplètement guéri, il a voulu être présent pour le grand jour. Les médecins de l'hôpital lui ont refusé cette faveur. Alors, il a falsifié ses papiers et, grâce à quelques complicités, il a pris le chemin du front. Descendu du train à Adinkerke, il a erré toute la journée à la recherche du régiment et il le trouve enfin, prêt pour le grand départ. Il lui reste une demi-heure pour se reposer et se restaurer. Brave Fernand, va ! Pendant qu'il mange à la hâte, il peste contre la veulerie des soldats de l'arrière, les embusqués, contre leur égoïsme et leur frousse. Cette mentalité lui était insupportable. Les paroles et surtout l'abnégation de ce petit soldat chétif et malade nous remplissent d'admiration.

Le sergent-fourrier nous octroie une distribution extraordinaire: trois bâtons de chocolat, deux rasades de gnole et un gobelet de pinard. C'est notre viatique ! On nous distribue encore une besace supplémentaire contenant quatre grenades Mills et quatre grenades offensives, des objets divers : serpes, scies, cordes, etc. Les fusiliers-mitrailleurs échappent à cette générosité et ne s'en plaignent pas, leur propre harnachement étant déjà bien lourd. Les signaleurs armés de leurs énormes pistolets sont munis de nombreuses fusées, à feu vert, rouge, blanc, à 3 feux, à 6 feux et que sais-je encore. Pour nous alléger un peu, on nous fait déposer nos capoter au fourgon; nous partirons donc en veste.

"En tenue!" Je me harnache; d'abord mon ceinturon avec mes cartouchières en demi-lune contenant 4 chargeurs de 25 cartouches, la grosse cartouchière rectangulaire remplie de 50 cartouches et de la burette à l'huile, ma pelle, mon poignard, mes deux besaces à vivres contenant un pain, une boîte de singe, le pot de margarine, le chocolat, le couvert, le gobelet, le bonnet de police, etc. , ma besace à munitions et ses 4 chargeurs pleins, mes deux gourdes de café, mes deux masques à gaz et mon sac. Je l'ai allégé le plus possible, mais il renferme quand même ma couverture, ma bâche, une paire de chaussettes, du papier à écrire et ma gamelle. Enfin, le principal, mon F-M de 9 kg et sa gaine. Quel poids cela fait-il ? Je ne sais, mais ce fourbi pèse rudement sur les épaules. A vrai dire, ce n'est pas exceptionnel. D'habitude, je porte en

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plus ma capote, du linge, des livres et un imperméable. Ce qui est nouveau, c'est que je porte le tout dès le départ, alors qu'auparavant, les sacs des F-M étaient chargés sur les caissons et déposés le plus près possible des tranchées à occuper.

"Eh avant, marche!" La colonne s'ébranle. Nous n'avons pas parcouru trois Kilomètres que le poids de l'équipement se fait douloureusement sentir, les courroies meurtrissent les épaules, écrasent les poitrines; le ceinturon scie les hanches; les cartouchières compriment le ventre. Pourtant depuis quatre ans nous avons porté le même fardeau des centaines de fois et jamais il ne nous a pesés ainsi. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'on nous a enlevé nos capotes ! On a un peu diminué notre charge, mais du même coup on a supprimé les coussins que la capote formait sur nos épaules et sur nos hanches. Tout le mal vient de là. Plus personne ne parle, si ce n'est se plaindre laconiquement ou pousser un soupir. A la cinquantième minute, le repos réglementaire tant attendu nous est accordé. Les sacs sont jetés par terre avec des "Ouf" de soulagement. Mes deux pourvoyeurs se plaignent amèrement de leurs sacs à carcasses métallique bourré de cartouches et surchargés des bâches et couvertures. L'arête inférieure leur coupe le dos en deux sous les omoplates.

Compatissant, je m'offre pour l'étape suivante à échanger nos sacs avec le plus frêle, le petit anversois Pannekoek. Les dix minutes de repos sont bientôt passées.

"Sacs au dos !". Et dans la nuit tombante, on se remet en marche. Mes pourvoyeurs n'ont pas exagéré leurs doléances, car le sac de Pannekoek que je porte maintenant me fait terriblement mal sous les omoplates. Les pas sonnent lourdement sur la route inégale, un piotte heurte une aspérité et grogne, un autre jure parce que son suivant lui marche sur les talons.

Il fait nuit maintenant; on croise d'interminables convois qui vont et viennent, apportant des munitions. On coudoie une autre colonne de fantassins. Dans l'obscurité, on s'adresse quelques mots : "De quel régiment êtes-vous ? - "Du onzième". - Bonne chance ! On les aura !Dernière halte horaire. Tout heureux, je rends le sac à son propriétaire et je reprends le mien. Des propos désabusés sont exprimés avec des mots énergiques : "Nous serons crevés avant d'arriver aux parallèles de départ ! - Comment veut-on que nous allions à l'assaut avec un fourbi pareil sur le dos ? - J'ai bien envie d'abandonner mes grenades ! Ah ! la sale guerre ! Ces récriminations sont interrompues par une voix qui chante dans les ténèbres. C'est celle de François Dresse qui entonne une romance en vogue à la 6e Cie :

"La nature est endormie "Le zéphir caresse l'eau, "M'apparaîtras-tu ma mie ? "M'ouvriras-tu ton rideau ? "Le rossignol fait son trille "Et chante sa liberté"...

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O, magie de la musique ! Les plaintes cessent et c'est en chœur que la compagnie fredonne le refrain. A vrai dire, cette tendre mélancolie ne cadre guère avec les circonstances, elle est plutôt d'une cruelle ironie. Il n'y a ni lune, ni rossignol, ni "mie", ni même de nature dans cette terre dévastée.

Cependant, la sérénade idyllique a des paroles sereines et apaisantes, Elle ranime les courages mieux peut-être que ne l'auraient fait la joyeuse "Madelon" ou la cocardière "Marseillaise".

Le front est étonnamment calme. Seul un canon allemand envoie de temps en temps un shrapnell au-dessus de la route. En sourdine, la romance continue à soutenir nos cœurs et ... nos pieds.

On nous défend de fumer car on approche de la ligne de feu.

Il n'y a plus de route maintenant, nous marchons sur des passerelles puis à travers les champs d'entonnoirs.

28 Septembre 19181 Samedi.- A minuit, après cinq heures de marche pénible, nous sommes sur nos positions d'attente à la ferme Mondovi (il n'en reste rien) où nous relevons le 4e de ligne. Ce régiment va prendre position à notre gauche, d'où il partira à l'attaque en même temps que nous. Cela nous surprend, nous pensions qu'il irait au repos au moins quelques jours; mais après réflexion, nous nous disons que ces soldats sont moins fatigués que nous-mêmes.

Notre lieutenant Beckers nous fait prendre position une vingtaine de mètres en avant des tranchées, il nous dit : Creusez une petite tranchée pour vous abriter jusqu'à l'heure H qui est fixée à 5 h 30, défense absolue de fumer ! Il installe son peloton par petits groupes de trois ou quatre hommes. Leloup, Pannekoek, et moi, creusons un petit trou et nous nous y blottissons. Nous plaçons nos sacs sur le parapet comme protection supplémentaire, puis nous mangeons de bon appétit. Il ne nous reste qu'à attendre patiemment dans la nuit froide. Ah ! comme nous regrettons nos capotes.

Depuis notre arrivée, un canon boche tire à coups espacés. Ses obus tombent un peu à notre droite; l'un d'eux tue notre adjudant Verdeyen.Une mitrailleuse ennemie lâche quelques rares rafales. Les minutes semblent bien longues, nous échangeons quelques réflexions, puis je me mets à chantonner tous les refrains que je connais, histoire de tuer le temps.

Voici une ombre qui s'approche et crie : "Flagothier ?" - "Ici, mon lieutenant !’. Il nous rejoint et nous communique les dernières instructions : "Le bombardement préparatoire commencera à 2 h 30, il s'intensifiera à 5 h. A 5 h 30, nous partirons en avant, des fusées blanches lancées au ras du sol indiqueront la direction nous serons protégés par un tir de barrage que nous suivrons pas à pas. Vous connaissez votre place, la première. Ca ira ! Vous n'avez pas froid ? –"Un peu, mon lieutenant ! ". Il s’en va vers la gauche, répétant les consignes à chaque groupe.

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Je regarde l'heure au cadran lumineux de ma montre. Les aiguilles tournent si lentement ! Nous ne parlons plus guère, mais nous pensons à beaucoup de choses et surtout aux personnes qui nous sont chères, à nos parents tout d'abord.

Je me dis : s'ils me voyaient dans ce trou en ce moment ? S'ils savaient quels dangers je vais affronter ? Je me remémore mon départ de Lincé, premier pas d'une longue aventure qui arrive cette nuit à son point culminant. J'en revois les étapes variées, les unes pénibles et douloureuses, d'autres joyeuses, exaltantes même. Je pense aussi aux "embusqués" qui à cette heure dorment béatement dans une lit douillet et se pareront après la guerre des lauriers que nous aurons cueillis. Je pense enfin à ceux de mes camarades qui vivent leurs dernières heures... Je n'envisage nullement que je puisse être du nombre, j'ai une confiance absolue en mon étoile, mon optimisme habituel est peut-être ridicule, mais c'est ainsi...

L'artillerie d'en face tire toujours régulièrement son obus isolé; la mitrailleuse, sa rafale. De notre côté, c'est le silence complet. Je regarde ma montre très souvent : 2 h 27... 28 ... 29...

Brutalement une multitude d'éclairs illuminent le ciel. Un rugissement assourdissant y succède et nos premiers obus entament les lignes allemandes.Le spectacle est magnifique ! Derrière nous, les éclairs fusent de partout à la fois. Les projectiles de tous calibres sifflent et roulent au-dessus de nos têtes. Leur course vertigineuse s'arrête là devant nous dans un éclatement formidable depuis les avant-postes ennemis jusqu'à ses cantonnements lointains. La terre tremble, se soulève et crache ses entrailles avec des flammes d'enfer. Toutes ces explosions éclairent le champ de bataille d'une lueur rougeâtre avivée par saccades. Des arbres mutilés, des abris apparaissent comme des fantômes dans le rougeoiement de la fournaise.L'ennemi affolé lance des fusées qui montent en clignotant, puis déversent leurs gerbes rouges, blanches, vertes ou orange. C'est le signal de détresse, l'appel au secours. De toutes parts, l'horizon est fermé par le feu. Nos tympans sont secoués par les claquements secs des coups de départ et les bruits plus sourds des explosions en avalanches. L'atmosphère se charge d'une forte odeur de poudre. Les Allemands ne répliquent que faiblement. Devant nous la mitrailleuse boche hoquette de temps en temps, puis se tait.

A cinq heures, le bombardement redouble pour atteindre vers 5 h 30 son maximum d'intensité. La tornade est inouïe, les positions allemandes s'embrasent sous le déchaînement de la trombe qui les écrase sous des tonnes de projectiles. La terre est en éruption, les obus tissent dans le ciel une trame de fer qui se précipite avec fracas dans les tranchées ennemies et les transforme en un immense volcan. Nous assistons haletants à ce spectacle hallucinant qui nous arrache des exclamations : "Il ne restera pas un Boche vivant dans les premières lignes - Quelle dégelée, mes frères ! Attrape Fritz !".

Notre lieutenant passe : - "En tenue, on part à mon coup de

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sifflet". Quelques secondes s'écoulent, le coup de sifflet retentit et le lieutenant crie : "En avant !".Les cœurs battent plus vite, on se lève et on avance... A la même seconde, sur un front immense, cent mille Belges partent à la reconquête de leur sol; ils apparaissent à gauche et à droite en une longue vague de silhouettes courbées en avant, noires sur le fond de l'horizon embrasé, s'avançant comme un flot irrésistible. A travers le terrain boueux, les cratères, les débris de toutes sortes, on se presse, on court autant que le permettent le lourd équipement et l'état du terrain.

Mes pourvoyeurs ont peine à me suivre et me crient "Flagothier, tu vas trop vite avec tes grandes jambes !" - "Maurice, je ne peux pas te suivre !». Lorsque je les attends, des soldats me dépassent. Or, le lieutenant m'a assigné la première place et je ne veux la céder à personne; je la reprends et je perds de vue mes deux coéquipiers. Tant pis, je marche...

Je m'attendais à rencontrer tout de suite des soldats boches mais on n'en aperçoit nulle trace. Auraient-ils évacué leurs positions au début de la canonnade pour nous attendre de pied ferme dans des tranchées plus éloignées et intactes ? Dans ce cas notre avalanche de projectiles serait tombée dans un terrain vide et n'aurait été qu'un gaspillage insensé et inutile de munitions. Ce serait vraiment dommage.

Mais voici que tout à coup, je me trouve à quatre mètres devant un vaste entonnoir où grouillent une vingtaine de Boches serrés les uns contre les autres. A ma vue, ils lèvent les bras en criant. Je suis furieux de ne pouvoir tirer dans une si belle cible ! La tentation est grande, car je me suis promis de venger mon frère Raymond, mais mes scrupules retiennent mon doigt posé sur la détente.Mes compagnons qui me suivent à quelques secondes ne résistent pas tous à la même tentation et tirent dans le tas hurlant où les bras s'agitent en signe de capitulation. Pour ne pas être entraîné à suivre leur exemple, je repars seul en avant.

Je n'ai pas fait dix pas que j'aperçois trois ombres immobiles et debout dans un trou d'obus. Je crie "Bras en l'air! ". Les Boches ne bougent pas. J'en éprouve une joie féroce et je presse avec rage la détente de mon FM. L'homme du milieu s'affale en hurlant. Les deux autres braillent en levant les bras. Pendant ce terme, mes camarades m'ont rejoint et nous repartons en avant.

Chose curieuse, le sac qui nous écrasait les épaules hier ne pèse plus rien, tant l'exaltation est grande.

Le tir de barrage de notre artillerie n'avance pas assez vite à notre gré. La fougue est telle que plusieurs soldats sont touchés par nos obus. Les signaleurs lancent des fusées à six feux qui signifient : "Allongez le tir". Je me demande ce que mes pourvoyeurs sont devenus. Je me trouve en compagnie de soldats inconnus, les unités sont mêlées. Cependant l'ennemi commence à se ressaisir, des balles sifflent et des obus éclatent dans nos rangs. Tout en marchant je lâche deux courtes rafales. Le lieutenant Balla de la 7e Cie m'interpelle : "De quelle Cie êtes-vous ? De la 6e - Je vous défends de tirer. - Pourquoi mon lieutenant ? nous n'avons que des Boches devant nous, ils tirent, ne pouvons-nous pas riposter ? - Toutes les compagnies sont mélangées, je vous défends de tirer. De fait, je ne vois plus un seul soldat de ma Cie. On avance toujours, je louvoie vers la droite puis vers la gauche et je dévisage les

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soldats sans en reconnaître un seul.Enfin, je retrouve le lieutenant Beckers un court moment. Je me retrouve bientôt désemparé parmi des soldats que j'interroge :"De quelle Cie es-tu ? - de la 10e - De quel régiment ? - du 4e. Je dois donc appuyer vers la droite pour rejoindre mon peloton.

L'obscurité diminue enfin et l'on peut reconnaître un homme à vingt mètres. L'ennemi aussi voit plus clair et sa résistance s'affermit. Des mitrailleuses fauchent dans nos rangs. Nous progressons d'entonnoir en entonnoir. Je me trouve soudain à côté du caporal Antoine de ma Cie, le premier que je revois. La mitraille nous oblige à nous terrer contre un petit talus. Je voudrais répondre à l'ennemi mais je n'en vois pas la trace. Je demande à Antoine : "Vois-tu d'où ça vient ? Il me semble que c'est de l'endroit où tu vois de la fumée". Je tire une bonne rafale dans cette direction. Ai-je atteint le but ? Toujours est-il que la mitrailleuse se tait. Je me remets en marche en roquant toujours vers la droite. Je parcours une douzaine de mètres et je vois un groupe de sept ou huit tués et blessés parmi lesquels je reconnais Derijcke de ma Cie. Il a découvert son ventre où l'on voit le petit trou d'une balle mortelle. Il semble souffrir atrocement mais ne profère pas une parole. Quelques pas plus loin, un soldat de 4e de ligne a déchiré la jambe de son pantalon, une balle lui a traversé la cuisse. Il me demande : "Tu ne veux pas me mettre mon pansement ? - Tu sais que nous ne pouvons pas nous attarder avec les blessés. - Oui, mais il ne faut qu'un moment". Je n'ai pas le courage de lui refuser mon aide, je lui enroule rapidement son pansement autour de la cuisse pendant qu'il vitupère : "Les cochons ! Ils m'ont eu ! Mais ils le payeront !" Je le quitte et continue à obliquer vers la droite. Je reconnais le lieutenant Balteau, le "Cosaque", et son peloton spécial que je traverse. Il fait grand jour maintenant, je vois mon capitaine François à 200 m à droite. Je le rejoins à grandes enjambées. Je suis heureux de retrouver mes copains et je m'informe du sort de mes pourvoyeurs que je ne vois pas. J'apprends que Pannekoek a eu la poitrine percée d'une balle, quant à Leloup, personne ne l'a vu.

L'avance continue, nous nous trouvons devant une batterie abandonnée, mais non, car voici des Boches qui sortent des abris les bras en l'air. Je me poste à la porte d'un de ces abris et je crie "Dehors !". Un Allemand en sort tout courbé, les bras levés, un pain noir dans une main. On parle dans l'abri, je comprends deux mots : "mein brot" et sortent deux Fritz tenant leur "brot" à bout de bras. Croient-ils que chez nous on laisse les prisonniers crever de faim ? Ils sont blèmes de peur, hagards, tremblants. Ah ! La morgue prussienne est bien effondrée !Pour celui, qui, comme moi, les a vus hautains et superbes dans nos villes envahies, cruels et barbares dans nos villages martyrisés, quelle revanche ! Nous la savourons avec fierté. A notre tour, nous avons des regards méprisants pour nos vaincus, et nous rions de leur terreur.

Un peu plus loin, nous dépassons une autre batterie désormais muette. Nous apercevons ses servants qui s'éloignent à deux cents mètres devant nous. Aussitôt je mitraille la petite colonne qui disparait bientôt à nos yeux.

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Quelques minutes plus tard, c'est un caisson attelé que nous voyons fuir au galop. Il y a un cheval blanc dans l'attelage, ce qui le rend très visible. Je vide mon chargeur sur les fuyards. Pendant ce temps, les mitrailleurs de la 8e Cie installent une pièce à ma gauche. Emile Pierrard de la 8e me crie : "Tape dedans, Maurice !" La mitrailleuse ouvre immédiatement le feu. Je lui laisse le soin d'achever la besogne car je dois ménager mes munitions, mes pourvoyeurs n'étant plus à mes côtés pour me ravitailler.

Sur la droite, le premier peloton s'empare d'un abri et les prisonniers en sortent. A ce moment un obus venu on ne sait d'où, éclate au milieu du groupe tuant le lieutenant Montfort, le soldat Vandervecken et je crois, un ou deux Allemands. Le pressentiment de Montfort s'est réalisé.

Plus loin, un fortin allemand crache sa mitraille. Le capitaine François commande : "Halte". Debout sur un tertre, il fait regrouper les pelotons, il nous fait des recommandations, puis explique comment nous allons nous emparer du fortin. Une colonne de soldats grenadiers sous les ordres du bouillant caporal Bauwens va contourner l'abri par la gauche tandis que de face, il sera criblé de balles. "Flagothier, je vous charge de cette mission, visez bien l'embrasure'" . J'installe mon arme, vise avec soin et tire - "Bien Flagothier, tu tires en plein dedans, me disent mes voisins. Le capitaine me crie "Assez, nos hommes sont tout près". Bauwens et ses soldats lancent leurs grenades et les Boches se rendent.

Nous avançons jusqu'au chemin de fer de Staden, où nous trouvons deux gros abris vides. Le capitaine nous fait arrêter une centaine de mètres plus loin; à gauche, le 4e de ligne retardé dans la difficile forêt d'houthulst que nous longeons, ne peut progresser aussi vite que nous. Le capitaine ordonne même de reculer d'une cinquantaine de mètres, ce que nous faisons bien à contrecœur. Nous nous installons dans les entonnoirs. Il est 9 h 30, la halte se prolonge et nous déposons nos sacs. Tout à coup, des rafales de mitrailleuses balaient la compagnie, tuant les soldats De Beir, et Woessen. Nous ne pouvons découvrir l'ennemi qui se cache dans un bois. La pause continue, aussi plusieurs soldats se mettent à manger. Je fais de même. Joseph Leroy, qui a perdu son pain dans la bagarre, me demande quelques tranches de pain que je lui accorde sans hésiter. J'entame une boîte de plata et je jette le reste. Peu après, le capitaine voit la boîte jetée et demande : "Qui a jeté cette viande ?" - C'est moi, mon capitaine "Elle était mauvaise ?" - Non, mais je n'avais plus faim "Vous en aurez faim !». Le clairon Roefs qui a entendu la conversation s'empresse de ramasser la boîte et de la glisser dans sa besace. Si j'ai été prodigue, c'est parce que notre lieutenant Beckers (qu'on ne voit plus) nous a dit que nous serions relevés après quelques heures.

La pluie se met à tomber, une pluie fine et pénétrante qui nous fait une fois de plus regretter nos capotes. On ne reçoit plus d'ordre et nous restons sur place. Leroy qui a déchiré une jambe de son pantalon de haut en bas la rafistole avec un lacet.

Devant nous, des Allemands sortent du bois et installent une mitrailleuse. Le capitaine me commande de la canarder. Je lui fais remarquer que j'ai presque épuisé mes munitions et que mes pourvoyeurs sont disparus. C'est donc Cerfontaine que l'officier charge de la besogne.

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Les Boches disparaissent dans le bois, puis se montrent à nouveau. - "Ne tirez plus, dit le capitaine, nous allons tâcher de les prendre vivants".. - "J'y vais !", s'écrie le caporal Delcourt. Il part avec quelques hommes, les Allemands s'enfuient, et Delcourt revient portant fièrement la mitrailleuse conquise.

Cerfontaine est toujours accompagné de ses pourvoyeurs; je lui demande s'il ne peut me céder des cartouches pour regarnir mes chargeurs vides. Il y consent volontiers. Mais quelles cartouches encrassées ! Dommage que mon millier de cartouches bien propres soit perdu ! Pas entièrement cependant car je vois mon Leloup qui rapplique enfin. Je m'empresse de remplacer les sales cartouches de Cerfontaine par celles de mon équipier. Celui-ci me raconte qu'il n'a pu me suivre, puis qu'il s'est égaré dans le onzième de ligne qui est à notre droite. C'est très plausible, je me suis perdu moi-même dans le 4e de ligne. Pendant la nuit, la confusion a été grande, mais tous les soldats égarés ont rejoint leurs compagnies dès qu'il a fait jour. Je suis heureux de n'être plus seul.

Comme le capitaine passe, un soldat lui dit : " Quelle terrible journée, mon capitaine !" - Oui, mais nous avons tout de même repris un bon morceau de notre pays - Oui, seulement si nous devons le reprendre tout entier, dans cet état et de cette manière, nous serons tous morts avant d'être au bout !

Après quelques jours comme celui-ci, reprend le capitaine, l'ennemi sera anéanti et nous avancerons plus rapidement. D'ailleurs les Français qui nous suivent vont bientôt nous relever.

La pluie qui avait cessé recommence à tomber et le froid perce nos vestes mouillées. Le capitaine François nous annonce que nous ne bougerons plus aujourd'hui et nous commande de creuser des tranchées peu profondes. Avec Louis, je creuse un petit trou et je mets mon FM en position de tir. Il est défendu de dormir et de fumer. Nous mangeons ce qui nous reste de vivres. La fatigue nous accable; pour vaincre le sommeil, nous commentons les événements de la journée. Les pertes sont sensibles, mais inférieures à ce que nous imaginions avant la bataille; notre compagnie a perdu une bonne trentaine d'hommes, soit près de 20 % de l’effectif. La nuit, est venue, la conversation languit, une lassitude profonde et un sommeil accablant s'appesantissent sur nous. Nous luttons contre cet engourdissement; mais Louis y succombe bientôt; je le laisse dormir, tant que je veille, il n'y a aucun danger. Je me sens envahi d'une torpeur insurmontable et je m'empresse de réveiller mon ami en le secouant rudement. Nous échangeons encore quelques paroles, puis je sombre dans un océan de ténèbres. A son tour Louis me laisse dormir. Au bout d'un certain temps, il m'éveille. Je ne peux d'abord réaliser la situation et pendant une longue minute, je m'efforce de rassembler mes souvenirs pour me rappeler où je suis et ce que j'y fais.

Un calme relatif règne sur le front, une brume légère ouate la plaine. Derrière nous nos artilleurs avancent leurs pièces et les réapprovisionnements pour demain. L'ennemi est peu actif, cependant quelques salves d'obus s'abattent sur notre secteur. Nous entendons un

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appel : "Un brancardier !". Il y a donc un ou des blessés. La nuit semble interminable et le sommeil nous assomme; tantôt mon camarade ou moi y succombons mais nous nous entendons pour ne pas y tomber en même temps.

29 Septembre 1918, Dimanche.- Enfin, l'aube apparaît, nous n'espérons plus la relève promise. Il n'en est pas question en effet, car notre capitaine nous annonce aujourd'hui la préparation d'artillerie ne durera que trois minutes et que l'heure H est fixée à 6 h.

Il nous fait des recommandations tirées des enseignements de la journée d'hier : ne plus se précipiter dans notre tir de barrage; ne plus s'égarer dans les unités voisines; garder les distances et les liaisons convenues; ne pas s'exposer imprudemment. Le major Delrez confirme ces instructions.

A 6 heures, le tir de préparation se déclenche formidable, il est pourtant moins impressionnant qu'hier, car le jour est presque complet. Trois minutes après, le coup de sifflet retentit et nous partons calmement. Au début, tout va très bien. Ma section suit la ligne du chemin de fer qui traverse un petit bois. Des balles sifflent mais aucune ne nous atteint. Presque tous, nous avons allumé une cigarette, ce qui nous donne un air désinvolte et bravache. Nous dépassons des canons de gros calibre abandonnés par leurs servants boches. La poursuite est fructueuse, la griserie du triomphe nous gonfle le cœur, sacs et équipements ne nous pèsent plus !

Cependant des rafales crépitent, les Allemands sont si bien cachés dans le bois qu'on ne les voit pas. Heureusement, ils tirent trop haut et leurs balles ne nous font aucun mal.

Nous progressons sans résistance notable jusqu'à la crête qui précède celle de Stadenberg. Mais là, nous sommes accueillis par un tir nourri de mitrailleuses qui nous immobilise sur place. Je me blottis derrière un tronc d'arbre abattu en compagnie de Joseph Leroy et de François Dresse. Nous avons l'impression que les balles s'enfoncent dans notre gros arbre protecteur. Nous restons là un certain temps. Le capitaine nous voit et nous dit : - "Ne restez pas là, la compagnie est un peu en avant". Vexé de ne pas être à ma place, je dis à mes compagnons : "Partons". Dresse me répond : " Attendons encore un peu, la compagnie n'est pas loin". - "Faites ce qu'il vous plaît, mais moi, j'avance". - "Bon, nous te suivons". En rampant sous la nappe de balles, suivi à quelques mètres des deux autres, je progresse péniblement, puis Dresse prend la tête du groupe. Des sifflements d'obus se font entendre, je me jette dans un trou. Un projectile éclate près du tronc que nous venons de quitter. Nous rampons encore une vingtaine de mètres et nous retrouvons notre peloton. Nous apprenons que notre lieutenant Beckers, blessé est parti pour se faire soigner. Nos camarades ont déjà creusé de petites tranchées, nous en faisons autant. Je ne vois plus Leloup, est-il encore égaré ?

Nous attendons là jusque 3 h 30 pendant que les Allemands continuent à bombarder derrière nous. A ce moment, Joseph Jaspart, qui assure la liaison entre le capitaine et le major, passe près de nous, un papier en main; il nous dit : "On va attaquer". Il porte son message au capitaine qui se lève et nous communique ceci : "Notre artillerie ne peut plus nous soutenir parce que nous sommes arrivés à un point qu'elle ne

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peut atteindre sans se déplacer. Une batterie est en route. Dès qu'elle sera installée elle dirigera son tir sur la maison du passage à niveau où se trouvent les mitrailleuses qui nous arrêtent.

Alors, nous progresserons en rampant et par bonds. Lorsque nous serons à bonne portée, nous lancerons nos grenades, puis nous livrerons l'assaut". Ce petit discours est à peine terminé qu'une salve de nos canons déchire l'air. Un obus explose en plein dans la maison; une poussière rouge-brique se dégage des ruines tandis que d'autres obus s'abattent tout autour.

Notre capitaine commande : "En tirailleurs ! Le deuxième peloton à gauche ! encore plus à gauche !". Nous nous trouvons tout de suite devant un haut réseau de barbelés; heureusement, il y a des brèches et nous le dépassons. Mais l'ennemi a vu notre ligne, qui au lieu de ramper comme prévu avant debout en courant dans une nappe de balles. Entraînée par son capitaine qui, oubliant ses propre recommandations, donne l'exemple, la 6e Cie charge à corps perdu dans la mitraille mortelle. Je pense : "Cette fois, c'est la course à la mort, en sortira qui pourra !". Des soldats tombent, d'autres plongent dans des trous. L'instant est tragique, le crépitement des balles est assourdissant. Un grand entonnoir dont le fond est rempli d'eau, se présente devant nous. Je dis à mes compagnons : "Abritons-nous dans ce trou !". Le caporal Slachtmuylders et quelques soldats s'y précipitent, j'en fais autant.Nous sommes là, sept ou huit en demi-cercle sur le pourtour du cratère. Je suis le dernier au bord droit; François Dresse, le dernier au bord gauche. Tous sons serrés au maximum, personne ne lève la tête. Il faut savoir pourtant ce qui se passe, je ne veux pas rester en arrière quel que soit le danger.Je me soulève un peu et regarde à gauche; rien; à droite, rien; devant, j'aperçois à cinquante mètres un soldat qui a continué sa course jusqu'au réseau de barbelés qui entoure la maison et y a trouvé la mort. Il est tombé sur les genoux, le corps penché en arrière et retenu par les fils de fer, sa tête est renversée en arrière, le casque lui a glissé dans la nuque et reste suspendu par la mentonnière; dans la main du mort, le fusil pointe sa baïonnette vers le ciel; derrière et un peu à droite, un soldat creuse fébrilement le sol; quatre ou cinq mètres en arrière, Leroy est aplati sur la terre. Toute la compagnie est planquée. Il ne nous reste qu'à attendre. De temps en temps, je regarde à nouveau, mais rien ne bouge. Dresse me regarde avec des yeux inquiets et me dit : "Tu as de la chance, toi, Maurice !" Je ne réponds rien, mais je me demande pourquoi il s'adresse à moi plutôt qu'à un autre; le danger n'est-il pas le même pour tous ? Quelques instants après, François me crie à nouveau sur un ton angoissé : "Mais tu as de la chance, toi, Maurice !". Cette fois, je veux connaître la cause de cette insistance et je lui demande : "Mais pourquoi donc ?" - "Il y a les balles qui pètent là derrière ta tête !". Je me retourne et je vois la terre se soulever et gicler à cinquante centimètres de ma tête ! Je me renfonce aussitôt dans le trou, tout en évitant de plonger mes pieds dans l'eau. Jusqu'à présent, j'ai été le seul à surveiller les alentours et je pense que le caporal pourrait bien le faire

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aussi; il est chef après tout, mais il n'y pense même pas. Pour corser la situation, voilà que l'artillerie allemande se met de la partie, ses obus éclatent très près de nous et nous envoient des éclats et des mottes de terre. Par bonheur, seules ces dernières nous atteignent. Derrière moi, Joseph est dans une situation terriblement exposée; il crie : "N'ya-t-il pas encore une place dans votre trou ?" Je lui réponds : "Si, viens ! ". En rampant, il vient se placer derrière moi.

Notre situation est vraiment tragique et je me dis que cette fois, nous n'irons pas plus loin. Seule la nuit peut nous sauver, me dis-je, nous sommes arrivés au point mort de notre offensive; l'ennemi fortement retranché ne pourra être délogé que par un coup de boutoir bien préparé comme celui d'hier. Comme cela demande plusieurs jours, notre salut ne peut venir que d'une relève ou de la Providence. En attendant, nous devons craindre une contre-attaque à bref délai.

Tout-à-coup, des cris se font entendre derrière nous. Je me retourne et vois arriver une vague d'assaut dans laquelle je reconnais des mitrailleurs de la 8e Cie. Electrisé et réconforté par ce renfort inattendu, je dis à mes compagnons : "Nous repartirons avec ceux-ci !" Mais sans les attendre, je me lève et les autres aussi. Au même moment, nous voyons s'avancer sur le chemin de fer un lieutenant du premier bataillon, brandissant un petit drapeau belge dans sa main ensanglantée; des soldats sortent de leurs trous et le suivent; tandis que des Boches se précipitent devant eux les bras levés.D'autres fuient vers la gauche comme des lapins, je dirige mon arme vers eux et je presse la détente de mon FM qui s'enraie du coup; je le secoue rudement en lâchant : "Nom de Dieu mon fusil se cale !". Et le mien aussi !, ajoute Leroy. En deux ou trois secondes je me dépanne et je tire dans la troupe des fuyards qui disparaissent aussitôt. Sont-ils tués ? Blessés ? ou simplement cachés dans des trous ? Le réseau de barbelés m'empêche d'aller voir. Je me dirige vers la maison du passage à niveau; j'y arrive en même temps que le caporal Delcourt qui m'apprend que notre capitaine, le lieutenant Cleuren et de nombreux soldats sont tués. Je le quitte, et par une brèche dans le réseau, j'entre dans la position allemande. A gauche de la maison, un cadavre allemand est étendu en X sur un pan de mur écroulé, ses vêtements sont tout rouge de sang. A droite, il y a des mitrailleuses près desquelles se trouvent des tas de douilles vides haut de trente centimètres, des tués, des blessés et quelques hommes valides qui se rendent. Un blessé étendu sur le dos, le pantalon ouvert, laisse voir son ventre troué d'une balle, exactement comme notre pauvre Derijcke hier. Une soif terrible me colle la langue au palais... et ma gourde est vide depuis longtemps, je secoue celles des Allemands, espérait y trouver à boire; elles sont vides !toutes ! eux aussi ont eu soif ! J'arrive à l'escalier qui de l'extérieur descend dans la cave-abri et je crie à l'entrée. Un bras orné du brassard de la croix-rouge se montre d'abord puis un buste et une tête boche qui me dit : "Rote Kreuz ! Rote Kreuz !". Je ne sais pourquoi, il me vient une idée folle de le descendre mais je me ravise en pensant qu'il pourra être utile pour soigner nos blessés. A dix mètres en avant, le long du talus du chemin de fer, deux Boches sortent d'un abri et lèvent les bras, l'un ne dresse qu'un bras car l'autre pend nu et sanglant. A ce moment, le sergent-major Frankard et Leroy surgissent un peu à droite et aperçoivent les trois bras levés, Leroy crie : "Lève les deux bras ou je tire ! - Il ne peux pas, dis-je, il est blessé". Je tâte les gourdes des

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deux gaillards; elles sont vides comme toutes les autres !

Je vois que le valide des deux a une montre et l'envie saugrenue de la lui chiper me tente, je la tire de sa poche, elle est très vulgaire, aussi, après avoir regarde l'heure, je la remets à sa place sous les yeux ahuris du Fritz qui humblement me laissait faire. Pendant ce temps, Joseph Leroy m'a rejoint et me dit : "Tu as sauvé la vie à ce blessé, de l'endroit où j'étais je ne pouvais voir qu'il était amoché et j'allais le zigouiller !". Ainsi, j'ai sauvé la vie à un Allemand ! Dans ma surexcitation, je ne sais si je dois le regretter ou m'en féliciter.

La soif me tenaille toujours ... Un petit groupe de soldats se reforme : le caporal Delcourt, Paul Gruson, le brancardier Beudin et quelques autres se joignent à nous. Le petit Beudin, la figure tirée, les yeux fiévreux, s'approche d'une eau noirâtre croupissant au fond d'un trou, la gourde à la main. Je lui dis : "Tu ne vas pas boire de cette eau infecte ? - Bah !, autant crever de cela que d'une balle ! ça m'est bien égal" - Il boit ... et je ne peux m'empêcher de l'imiter. Pouah ! Quelle boisson ! Il me semble que j'avale des œufs de grenouilles. Je bois cependant mais pas tant que je le voudrais, car cette eau puante me dégoûte...

Delcourt commande : "Allons ! En avant ! - Attends au moins que notre artillerie allonge son tir, " lui dis-je, car nos obus éclatent à courte distance devant nous. Mais le caporal ne veut rien entendre et nous entraîne le long du chemin de fer. Des grenades sont jetées dans les abris creusés dans le remblai. Une rafale de mitrailleuse s'abat sur nous, venant de la gauche. "Flagothier, crie Delcourt, tire dans la direction de ces lueurs d'incendie". Je vide deux chargeurs vers cet objectif imprécis. L'ennemi lui, ne tire plus et nous nous remettons en marche. Nos canons tirent maintenant plus loin. Le jour commence à baisser. J'aperçois vers la gauche des Boches qui mettent en batterie une mitrailleuse ou un canon et je tire dessus le premier. Quelques minutes plus tard, c'est de la droite que nous arrive une pluie de balles. "Qui vient avec moi? dit Delcourt, nous irons prendre leur mitrailleuse". Gruson seul se présente et ils partent à deux. Cinq minutes après, Paul Gruson revient en courant; "Le caporal est blessé ! nous dit-il. Beudin s'en va le soigner. Qu'allons-nous faire maintenant?

Le major Borms du premier bataillon nous rejoint au moment où une nouvelle volée de balles claque autour de notre groupe. "Couchez-vous ! Couchez-vous !, nous dit-il tandis que lui-même reste debout et inspecte l'horizon. - "De quelle Cie êtes-vous ? -De la 6e, mon major - Bon, restez sur place, le premier Bon va passer en première ligne. Vous avez bien fait votre part, je vous en félicite". Le premier bataillon nous dépasse et nous nous couchons sur place. Une eau jaunâtre stagne au fond d'un cratère, et comme je suis toujours altéré, j'en bois, je la trouve meilleure que la première, elle a bien un goût terreux mais l'autre avait un goût de pourriture.

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La plupart des hommes sortent leurs bâches et couvertures et s'en couvrent car une pluie fine et froide commence à tomber. Je suis couché sur le sol en pente, la tête appuyée sur mon sac que je n'ai même pas détaché de mes épaules. Une immense lassitude m'accable. Depuis cinquante-huit heures, je n'ai dormi que quelques heures et assis encore, je n'ai bu que trois ou quatre gorgées d'eau vaseuse et je n'ai rien mangé depuis la veille.

Ah ! Le capitaine avait bien raison de dire que j'aurais faim du plata que j'ai bêtement jeté ! Mais pourquoi nous a-t-on trompés en nous disant que nous serions relevés après quelques heures ?

Le sergent-major Frankard qui a perdu son sac dans l'aventure me demande : "N'as-tu plus ta couverture, Flagothier ?" - Si Chef. - Et ta bâche ?, Oui - Tire les donc, ne te laisse pas tremper par la pluie !". Je sors bâche et couverture de mon sac et je m'en couvre. Le soin que prenait Frankard de ma personne n'était pas désintéressé : "Tu veux bien que je m'abrite avec toi ?", me dit-il. Nous partageons amicalement les tissus protecteurs. La pluie continue; la bataille aussi, mais c'est le premier bataillon qui trinque maintenant. Quelle nuit abominable en perspective ! Etendu sur la terre boueuse, frissonnant, je sens l'eau qui s'infiltre sous mes épaules, glisse le long de mon corps et de ma jambe droite qui se contracte sous l'effet d'une crampe formidable, mes dents claquent comme des castagnettes et ma tête est en feu. Surmonterai-je une pareille épreuve.

Un appel interrompt mes réflexions. - "Sergent-major Frankard. Ici. - Le major Delrez vous appelle. - J'y vais." Un quart d'heure après, Frankard revient. - 6e Cie, Debout ! Nous allons loger à Stadenberg -Ce village est à cinq cent mètres devant nous, l'artillerie allemande le canonne, une maison flambe... Un soldat s'exclame : "C'est là qu'on va coucher ? On y dormira bien ! Merci !... ". Les soldats se lèvent, je me dresse péniblement, je jette ma couverture et ma bâche sur mon bras gauche et, en titubant, je suis la petite colonne. Nous marchons sur la voie ferrée d'abord, sur un chemin boueux et défoncé ensuite. Dans l'obscurité, on trébuche presque à chaque pas, accrochant ou bousculant ses voisins.

Nous voilà dans le hameau ou éclatent encore des obus. L'incendie éclaire les ruines, plusieurs maisons ont encore leur toit. Je retrouve là Désiré Charlier, rentré de congé et aussi Louis Leloup que je ne vois jamais dans les moments critiques. Nous devons occuper les maisons encore debout.La moitié des hommes peuvent dormir, les autres doivent veiller. Il est défendu d'allumer quoi que ce soit. Nous entrons dans un bâtir on y voit goutte mais il règne une odeur infecte d'excréments. François Dresse indigné braille : "C'est ici qu'il faut se coucher ? Dans la m.... des Boches ? Si au moins on en tenait un pour lui fourrer la gueule dedans ! Je vais étendre ma bâche par terre et me coucher dessus, mais je ne la reprendrai pas". Ceux qui peuvent se coucher s'installent en maugréant coutre les "sales Boches". Je suis de ceux-là. Malgré l'immense fatigue, on ne peut dormir. Le fracas des obus assez proche, les déplacements des piottes qui sortent pour prendre la garde et ceux qui rentrent provoquent des récriminations véhémentes; dans le noir, l'un pose le pied sur la figure ou la poitrine d'un dormeur et ce sont des invectives : "Fais donc

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attention où tu marches, nom de Dieu !" - Mais je ne vois pas, hein ! -"Et, Godferdom ! par ci et "Pas op !", par là, sans oublier les protestations de François qui n'arrête pas de fulminer contre la puanteur.

30 Septembre 1918, Lundi.- Vers la fin de la nuit, le lieutenant Jorissen entre dans notre taudis et nous dit : "Le major me donne le commandement de la 6e Cie. Les Français qui nous relèvent sont là. Debout et en tenue". En quelques instants tout le monde est dehors.

Le lieutenant nous dit :"Il y a des canons boches à ramener en arrière. Que les hommes de la première section les traînent d'abord, ils seront très tôt relayés par la deuxième section, et ainsi de suite". Des protestations s'élèvent : "Mon lieutenant, comment voulez-vous que nous traînions des canons, nous tenons à peine debout". Jorissen insiste, il a reçu l'ordre de ramener les pièces capturées. Un soldat propose : "N'y a t-il pas des prisonniers qu'on pourrait atteler à leurs canons !". Excellente idée, dit le lieutenant, Sergent X... allez chercher les Allemands. Les prisonniers ne se font pas prier et démarrent avec leurs pièces. Nous les suivons. La perspective d'aller goûter un repos si nécessaire nous rend courage et nous marchons presque joyeusement vers la gare de Westroosebeke qui nous est assignée comme lieu de repos.Nous y arrivons avec le jour.

En réalité, de la gare, il ne reste qu'un tas de matériaux sous lequel se trouve un grand abri qui a servi de poste de commandement aux Allemands. Je m'y installe en compagnie de Frankard, Leroy, Charlier et quelques autres. Le reste de la Cie est disséminé dans les abris environnants.Nous dormons à poings fermés jusque 13 heures.

Une fois éveillés, notre souci unique est le ravitaillement. Une belle cruche traîne dans l'abri. Je la prends et me mets à la recherche d'une eau plus ou moins potable. J'en trouve une d'une limpidité inespérée, j'en remplis mon récipient après m'être désaltéré moi-même, puis je rentre à l'abri tout heureux de ma trouvaille. Chacun boit selon sa soif, ce qui n'est pas peu dire, et remplit sa gourde du précieux breuvage. On n'a plus soif mais une furieuse fringale nous tiraille l'estomac. Il y a maintenant quarante heures que nous n'avons plus rien à nous mettre sous la dent. Je fouille un tas de documents abandonnés par l'ennemi; j'y trouve des plans de secteurs avec la désignation des troupes belges qui les occupaient à l'époque, des rapports sur les interrogatoires de prisonniers belges capturés il y a un mois ou plus, que je parviens à déchiffrer partiellement, et des considérations sur les rapports Flamands, Wallons et Belge-alliés.

Une colonne de troupes françaises montant vers la première ligne passe sur la route et y fait halte. Nous allons à sa rencontre et nous nous plaignons de notre manque de ravitaillement, espérant au moins un petit secours de nos alliés les plus sympathiques. Il faut bien dire les choses telles qu'elles sont : nous n'obtenons rien, absolument rien, pas même le réconfort moral d'une félicitation pour notre victoire. Ils la minimisent même; d'après eux, nous n'avons rencontré aucun obstacle comparable à ceux qu'ils ont surmontés en Champagne, en Argonne ou ailleurs. Bref, à les entendre, nous avons enfoncé une porte ouverte. Nous sommes vexés par ces commentaires. - "Nous verrons bien ce qu'ils vont faire, eux, les vantards !", dit

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Joseph Leroy.

A la fin de l'après-midi, nous apprenons que la cuisine roulante est arrivée avec le ravitaillement tant attendu. Joseph Brabant et moi nous y sommes envoyés. Lorsque nous arrivons à la roulante, il n'y reste presque plus rien : quelques morceaux de viande, un peu de pommes de terre et du café. Pas de pain !Les cuistots ont tout distribué avant notre arrivée, et croyant tout le monde servi, ils s'apprêtaient à repartir lorsqu'ils nous ont vus.

Nous rapportons notre maigre pitance à notre groupe, la partageons fraternellement et l'avalons goulûment.

A peine avons-nous terminé notre pauvre repas que nous recevons l'ordre de nous équiper et de nous rassembler. Nous partons pour Westroosebeke, en réserve derrière la 9e D.I. Nous dépassons des cavaliers français qui attendent près de leurs chevaux sellés un ordre de poursuite. L'un d'eux nous apprend que la Bulgarie a capitulé. Plus loin, pendant une halte, un bataillon du onzième nous dépasse. Je reconnais dans ses rangs Florent Renard de Hornay, qui pour se protéger de la pluie n'a rien trouvé de mieux que de revêtir une capote allemande ! Quelques autres ont fait de même. Cela jette une note insolite dans la colonne Kaki. Des cadavres allemands et des équipements belges gisent çà et là. On se remet en route et bientôt nous sommes à destination.

De Westroosebeke, aucune trace... En regardant bien, on voit des restes de fondations et quelques briques éparses qui indiquent qu'ici un village a existé. On nous ordonne de dresser des tentes avec nos bâches. C'est vite dit, mais la moitié des soldates ont abandonné leur toile. Nous formons un groupe de six Jaspart, Binet, Charlier, Leloup, Brabant et moi. Nous disposons de trois bâches dont la mienne. Nous plaçons un bout de passerelle dans le fond d'un trou d'obus, au-dessus de l'eau qui croupit dans le fond; nous formons une charpente rudimentaire avec quelques bois et assemblons nos bâches en formes de pyramide sur le tout. Nous nous tassons sous ce frêle abri, imbriqués les uns dans les autres.

La nuit tombe et la pluie recommence. Mon dos touche la toile que l'eau perce bientôt, ma veste et ma chemise sont trempées, je frisonne, je ne parviens pas à fermer l'œil. J'interroge mes compagnons, aucun ne répond. Ils ont de la chance de pouvoir dormir dans de telles conditions. Je voudrais changer de position car je suis recroquevillé en trois, mais je n'ose remuer sous peine de faire écrouler le fragile édifice qui nous abrite plutôt mal que bien. Coincé de toute part, je reste donc immobile et finis par m'assoupir.

1er Octobre 1918, Mardi.- Dès le matin plusieurs équipes sont envoyées à la recherche de la cuisine, elles reviennent bredouilles. Ordre est donné aux soldats qui ont abandonné une partie de leur équipement de le recompléter en récupérant sur le champ de bataille les objets qui leur manquent. La plupart se dispersent vers l'avant et reviennent complètement rééquipés. Comme il ne me manque rien, je reste au camp. Nous devons passer une nouvelle nuit sur place, ce qui nous décide d'édifier une tente plus confortable et mieux située. Nous disposons maintenant de six bâches, nous seront mieux à l'aise. Nous choisissons un emplacement favorable, nous découpons des gazons rectangulaires que nous entassons pour former un muret à la base de la tente. Je suis tellement épuisé de fatigue et de faim que le vertige me

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saisit lorsque j'ai donné quelques coups de pelle dans le sol, et que je dois interrompre mon travail à tout moment pour reprendre haleine. Quand j'ai porté un gazon à deux ou trois mètres de distance, je dois m'asseoir tellement je me sens faible.

Des avions français volant bas nous survolent et continuent vers les premières lignes. Là, ils laissent tomber des sacs remplis de vivres. De nombreux piottes se précipitent vers les points de chute. J'y cours aussi, mais la distance est grande et me décourage, aussi, je reviens à la tente.

Joseph Jaspart apprend qu'un cheval tué se trouve non loin d'ici. - "Donnez-moi vos gamelles, dit-il, je vais vous chercher de la viande". Le gros Joseph revient bientôt porteur de deux gamelles pleines de viande saignante. On allume un feu, et, dans un peu d'eau salée puisée dans un trou, on cuit la bidoche avec un peu de sel que le prévoyant Jaspart seul avait emporté. Cette viande sera le seul repas de la journée.

La nuit commence; nous nous couchons, à l'aise cette fois, sur la mince couche d'herbes sèches dont nous avons garni le sol humide. Tout à coup des obus sifflent et explosent dans le camp. Des mottes de terre retombent sur nos toiles de tente. Des jurons retentissent à notre droite. Intrigué, Jaspart, qui est à l'entrée, sort la tête pour voir ce qui se passe et s'il n'y a pas de blessé à secourir. Rien de grave heureusement. Bellefontaine et ses copains avaient attaché leurs bâches au moyen d'un fil de fer au moignon d'un tronc d’arbre resté debout; un obus a éclaté sous les racines; il a projeté le tronc en l'air et avec lui, le fil de fer qui a entraîné la tente entière, laissant ses occupants indemnes mais sans abri et couverts de boue. Tout en pestant, ils s'évertuent dans l'obscurité à reconstruire leur demeure. Les Boches tirent encore quelques salves, puis nous laissent dormir en paix.

2 Octobre 1918, Mercredi.- Le premier, l'unique souci est toujours le ravitaillement. Comme hier, des corvées partent en vain à la recherche de la cuisine introuvable. Il est près de midi quand on annonce enfin l'arrivée de la roulante. Je suis désigné avec Brabant et Leloup pour la corvée. Je prends ma couverture pour rapporter les pains. Cette fois, c'est heureusement vrai, les camions sont là. Il n'y a malheureusement que du pain et du café. Je prends ma charge de pains et retourne vers le camp. En passant près de notre tente, j'y jette un pain, puis je porte les autres au sergent chargé de la distribution. Nous recevons chacun un pain entier (1200 g). Aussitôt le repas des affamés commence. Pour ma part, je dévore un demi-pain, plus le 1/6 du pain escamoté. Du bon pain blanc frais et du café un peu tiède, c'est le menu du meilleur festin de ma vie. Bien restauré et réconforté, je me promène dans le camp. Je vois l'ancien capitaine de la 7e Cie, Yvan Gérard, tout fier et heureux des exploits de son cher régiment.

Le soir, je mange le reste de mon pain et reprends place dans la tente, espérant une nuit calme.

3 Octobre 1918, Jeudi.- On nous réveille à quatre heures de la nuit, on nous ordonne de nous harnacher pour partir en repos à l'arrière. Par des chemins difficiles et encombrés de charrois de toutes sortes, nous arrivons à Zuydschoote à l'aube. Nous comprenons Pourquoi nos cuisines n'ont pu nous ravitailler. De longues colonnes de caissons, de camions, de canons, de cuisines sont embourbées, immobilisées pendant des heures, des jours sur des chemins détruits par les obus et dont les côtés sont des bourbiers. Les soldats du génie doivent construire des pistes avec des

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madriers et des rondins. Les canons et leurs caissons ont la priorité de passage; mais il est certain que nos armées ne peuvent plus avancer tant qu'un réseau suffisant de toutes ne soit rétabli. Nous faisons halte à Zuydschoote.

Notre major Delrez, assis sur un talus, regarde ses hommes; il a les traits terriblement tirés, les yeux brillants et sur les lèvres un petit sourire d'immense satisfaction.

Un tram vient nous chercher et nous transporte à la Panne. Enfin, à pied, nous gagnons Bray-Dunes. En cours de route, je rencontre Gilles Coymans qui, réformé à la suite de ses blessures, est occupé au service "des petits colis" dans les environs. On nous prévient que notre cuisine nous attend avec des rations doubles, ce qui nous réjouit beaucoup car nous avons de nouveau l'estomac dans les talons.

Sitôt installés dans les baraques, nous courons à la cuisine où nos gamelles sont remplies jusqu'au bord. On nous permet d'y retourner une deuxième fois. On bouffe comme des goinfres puis on se débarbouille le visage et les mains. Après cinq jours de bataille, nous sommes crasseux de la tête aux pieds. Enfin, on peut dormir en silence sur de la bonne paille.

4 Octobre 1918, Vendredi.- Repos. Nous nettoyons nos armes et nous décrottons nos vêtements et nos godasses. Comme les jours précédents, on continue à se raconter et à commenter les scènes qu'on a vécues; on lit les journaux qui sont pleins d'éloges pour l'armée belge. Nous apprenons que notre D.I. a été relevée la première parce qu'elle avait subi les pertes les plus lourdes. Les autres sont restées en ligne jusque hier. Bilan de l'offensive pour la 6e Cie : 70 tués et blessés sur 180 hommes. Officiers : 4 au départ; 3 tués dont le capitaine, un blessé. Un adjudant tué, un blessé. Au total 40 %.

J'écris de nombreuses lettres à tous ceux qui peuvent être inquiets sur mon sort. Mes compagnons en font autant.

5 Octobre 1918, Samedi.- Repos. Le lieutenant Jorissen, commandant provisoire de la Cie, convoque tous les gradés au rapport et leur demande de luis signaler les hommes qui se sont distingués au feu afin de les proposer pour une décoration. Après les gradés, des soldats sont appelés aussi, je suis du nombre. Je cite les caporaux Delcourt et Bauwens qui ont fait merveille. - "Oui, on me les a déjà nommés, et qui encore ?", me demande Jorissen. - "Tout le monde a fait son possible, mon lieutenant". - "Et vous-mêmes ?". - "J'ai fait de mon mieux, comme les autres". Le lieutenant prend quelques notes. Quand Joseph Brabant rentre dans la baraque, il me dit : "J'ai regardé la feuille du lieutenant; il y avait des noms et de petits traits à côté, c'est le tien qui en avait le plus".

Un camion nous ramène de La Panne les vaderlands où nous avons entassés nos objets superflus avant le départ pour l'offensive. Ils ont été pillés par les embusqués, les objets de quelque valeur, les cigarettes et les vivres ont été volés. Nous sommes indignés contre ces vols scandaleux et sacrilèges. Je constate qu'on ne n'a dérobé que peu de chose, je n’avais d’ailleurs rien de bien précieux.

6 Octobre 1918, Dimanche.- Repos. Promenade à Ghyvelde.

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7 Octobre 1918, Lundi.- Je rends visite à Gilles Coeymans sur la route de Bray-Dunes, à la Panne.

8 Octobre 1918, Mardi.- On nous réapprovisionne en munitions et en équipements. Nous montons dans un train à Bray-Dunes; lentement et avec de longues haltes dans la campagne, il nous conduit à Ypres complètement détruite et à Wieltje où nous débarquons.

De là, nous allons pédestrement à Boesinghe. Nous y occupons les abris le long de l'Yperlée, ancienne première ligne jusqu'en 1917.

9 Octobre 1918, Mercredi.- Nous devons aller au front ce soir. Nous accumulons cigarettes et victuailles avant de partir. Nous ne voulons plus être démunis comme nous l'avons été lors de la première attaque.

Le soir, nous prenons place dans des petits wagons Decauville à Wieltje. Nous y sommes serrés comme des sardines et cependant, nous avons froid malgré nos capotes qu'on nous a rendues. Le train se met en marche et avance avec lenteur, s'arrête, repart, recule, puis avance encore. La voie est coupée par les obus allemands, on doit attendre qu'elle soit réparée avant de repartir. Pendant les arrêts on grogne, on rouspète. A pied, nous serions arrivés depuis longtemps.

10 Octobre 1918, Jeudi.- Nous arrivons au terminus du rail à Zonnebeke, et nous continuons à pied jusque Moorslede. Il fait jour quand nous prenons place dans des tranchées peu profondes. Nous y dormons quelques heures. Lorsque je m'éveille, poussé par la curiosité, je me dirige vers un baraquement à moitié démoli et j'y entre. Quel carnage s'est-il déroulé entre ces planches ? Partout des traces de sang, des sacs éventrés, des morceaux de bois, des lambeaux de capotes, des armes tordues ou brisées, des pansements ensanglantés ! Tout est belge hélas ! Je sors et je vois par terre un porte-monnaie que je ramasse. Le gousset a été percé par un éclat d'obus. Les pièces de monnaie qu'il contient sont tordues par le choc. A ce moment apparaît Beudin, qui comme moi explore ce triste endroit. Je lui dis : "Je viens de trouver un porte-monnaie" - "Et moi, je viens d'enterrer une jambe" -, me répond-il. Je rentre dans ma tranchée et j'y subis les reproches de Leloup; "Tu circules, tu te montres, tu vas encore nous faire bombarder !". Charlier éclate de rire.

Le soir, nous sommes envoyés en avant. Nous devons creuser une ligne de soutien derrière la première ligne et l'occuper. Nous creusons donc un trou pour nous trois, Charlier, Leloup et moi. C'est un plaisir de fouiller la terre ferme, nous sommes loin des boues de l'Yser ! Désiré et moi, nous nous ménageons un siège, tandis que Louis s'enfonce plus profondément et s'assied tout au fond.

Nous couvrons notre tranchée d'une bâche sur laquelle nous plaçons une couche d'herbes sèches. La pluie se met à tomber et l'eau s'accumule sur la bâche d'abord, puis à la partie la plus basse de notre trou, donc à la place de Leloup qui se trouve ainsi le cul dans l'eau.

Mais le pauvre Louis n'est pas au bout de ses misères. Le caporal Masuy, qui fait une ronde, ne voit pas notre tranchée et tombe lourdement sur le dos de Louis, entraînant dans sa chute la bâche et l'eau qu'elle contenait, les herbes et des éboulis de terre. Leloup est furieux et lance: "Grosse bête de Masuy, tu ne saurais pas regarder où tu marches ?".

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- Le caporal éclate de rire -. "C'est ta faute, si tu n'avais pas si bien camouflé ta tranchée, je l'aurais vue". En grommelant mon copain répare les dégâts tant bien que mal. Nous dormons et veillons à tour de rôle.

11 Octobre 1918, Vendredi.- Avant le lever du jour, nous sortons pour nos besoins naturels. Un obus siffle et éclate à trente mètres. Bannière au vent, Louis bondit et file vers la tranchée, il y plonge avec la rapidité d'un lapin. Désiré et moi, nous rigolons de bon cœur. Avec le jour, la pluie recommence. Notre artillerie canonne l'ennemi. Dans l'après-midi, la pluie cesse et, chose inattendue, on nous apporte la correspondance. Comble de chance ! Je reçois un colis de ma marraine de Die !

On nous annonce la reprise de l'offensive pour demain matin. Devant cette perspective, nous bouffons ensemble le contenu du colis. La nuit tombe, un sergent nous communique les ordres : "Ce soir, distribution de vin, de gnole, et de chocolat à la tranchée du sergent Dierix, on ne peut s'y rendre qu'un à la fois. Demain : heure H, 6 h. Notre bataillon formera la troisième vague". Tour à tour, nous allons chercher nos rations. Cette fois, nous ne recevons que deux bâtons de chocolat. "Nous finirons par ne plus en recevoir", dit Leloup.

Une heure plus tard, une voix appelle : "Désiré ?, Désiré ?" C'est François Dresse. - "Ici", répond Charlier. - Viens avec moi, le sergent à une gourde de gnole de reste, nous la boirons ensemble. Notre Désiré se hisse hors de la tranchée et s'en va. Un peu plus tard, j'entends crier : "Maurice !, par ici !". Il rentre dans le trou et me demande si j'ai une bougie. - "Oui, mais tu sais qu'il est défendu de faire de la lumière". - "Oui, seulement le temps de faire une tartine". - Sans voir, je creuse une petite galerie dans la paroi de la tranchée, j'y introduis tout au fond la bougie que j'allume en disant : "Dépêche-toi !". Charlier fait sa tartine puis je souffle la bougie. Deux minutes après, j'entends des hoquets et je sens des relents d'alcool; j'appréhende un vomissement de mon ami et je m'écarte de lui autant que je peux dans l'étroit boyau. Je l'appelle et n'obtiens comme réponse que des borborygmes inquiétants. Je rallume un instant la bougie et je vois mon camarade affalé et hoquetant; sa tartine et son chocolat sont tombés à ses pieds dans la boue. "Bien, mon vieux, tu es propre pour partir demain à l'attaque !". La nuit se passe dans le calme.

12 Octobre 1918, Samedi.- On nous prévient que l'offensive est retardée d'un jour. Notre artillerie canarde encore les tranchées boches avec vigueur. Soudain, nous voyons les Allemands sortir de leurs trous et fuir à toutes jambes dans un nuage de fumée noire. La nuit venue, c'est la relève et nous retournons à Moorslede où nous dormons dans un abri passable.

13 Octobre 1918, Dimanche.- La bataille est encore remise d'un jour. Nous nous y préparons. Le soir, je suis envoyé en corvée de ravitaillement. Comme je m'approche de la cuisine, des obus à gaz tombent à proximité. Le clairon sonne "les gaz"; je mets mon masque et, sans bouger, j'attends la fin du bombardement. Enfin, je prends les vivres et je rentre à l'abri pour y dormir.

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14 Octobre 1918, Lundi.- Cette fois, c'est vrai, on va attaquer. Le deuxième bataillon, le nôtre, formera la troisième ligne, et dans celle-ci, notre Cie sera en réserve, donc tout en queue du régiment.

Le bombardement préparatoire est d'une extrême violence, mais ne dure que trois minutes. Notre Cie formée en trois colonnes de peloton parallèles s'ébranle. Après une dizaine de minutes, nous traversons un tir de barrage. Coup sur coup, deux obus éclatent sur le troisième peloton, tuant et blessant plusieurs camarades.

Plus loin, un ruisseau nous barre la route; le premier-chef Pierrard veut le traverser à gué et s'y enfonce jusqu'aux cuisses. Heureusement, nous trouvons un ponceau un peu à droite.

Bientôt, les prisonniers gris affluent. Il y a parmi eux de tout jeunes gens qui semblent épouvantés en nous voyant. Duribreux qui n'est guère plus âgé qu'eux, les terrorise ne les menaçant de son fusil et de sa baïonnette. Sans pitié pour ces vaincus, nous rions de leurs mines affolées et de leurs yeux effarés.

Nous tombons dans un brouillard de plus en plus dense, nous dépassons Beythem et le chemin de fer de Menin à Roulers. Nous avons franchi la zone entièrement dévastée et nous trouvons maintenant des champs cultivés et des maisons intactes. Nous avons hâte de voir les premiers civils libérés de l'occupation. En voilà un... un vieux paysan poussant une brouette; il est immédiatement entouré de tout le peloton; chacun veut lui serrer la main; les Flamands engagent avec lui une conversation cordiale.

Le brouillard s'épaissit de plus en plus, les liaisons se perdent avec les compagnies qui nous précèdent. Finalement, on ne voit plus à dix mètres et la liaison entre les trois pelotons est rompue. Le capitaine Warimont, qui a succédé à François au commandement de notre compagnie, se trouve avec nous. Il envoie des hommes pour rétablir le contact, mais ceux-ci se perdent dans le brouillard, et ne reviennent pas.Des balles claquent, il en vient de partout, même de derrière. Nous avançons toujours, nous dépassons des canons abandonnés et un mitrailleur allemand tué sur sa pièce. Nous sommes anxieux et nous nous serrons autour du capitaine comme des poussins autour de la mère poule, tellement nous craignons de nous égarer.

Des coups de fusil-mitrailleur belge pètent un peu à notre gauche. Le clairon Roefs crie en flamand pour savoir ce qui se passe. Il s'ensuit une conversation que je comprends mal. - "Restez ici, dit le capitaine, je vais voir moi-même". - Il disparaît dans le brouillard. Une nouvelle rafale de FM retentit. Que se passe t-il ? Roefs interroge de nouveau mais n'obtient pas de réponse. A son tour, le sergent-major Frankard nous quitte pour aller voir ce qui se trame. Il revient aussitôt et nous dit : "Le capitaine est tué, tué par un soldat du 6e de ligne qui a cru se trouver en présence d'un Boche". Le désarroi est extrême, on ne voit pas au-delà de cinq mètres, la confusion est pire que pendant la première heure de l'offensive, du 28 Septembre. Où est l'ennemi ? Où est l'ami ?

Stupeur ! Un clairon sonne derrière nous : "12e de ligne, rassemblement !". Nous ne pouvons en croire nos oreilles. Cependant, l'appel se répète. Sous la conduite de Frankard, nous faisons demi-tour

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et reculons d'une centaine de mètres. Nous trouvons rassemblés les trois majors du régiment, des soldats de toutes les Cies du 12e et du 6e, ainsi que des prisonniers boches. Dans le brouillard, nous avons remonté tout le régiment et, sans le savoir, nous nous sommes portés en première ligne.

Les majors donnent des ordres pour regrouper les compagnies et repartir quand le brouillard le permettra.

Celui-ci se dissipe progressivement. Le 3e Bon repart en première ligne. Je reconnais le lieutenant Maka Joseph, vêtu d'une capote de soldat, un fusil à la main, qui entraîne son peloton avec de grands gestes. Nous repartons les derniers comme le matin. Le brouillard qui nous a désorganisés nous a été finalement favorable car des Allemands sont surpris et capturés avec leurs canons, leurs caissons et leurs chevaux. Il n'y ont vu que du feu, ou plutôt du ... brouillard. Maintenant, c'est la pleine clarté, nous progressons encore, puis nous faisons halte à gauche de Winkel-Saint--Eloi. Tout va bien, sauf notre aviation; alors qu'à la première offensive nos avions étaient seuls dans le ciel, aujourd'hui nous ne voyons que des Allemands qui nous survolent à hauteur des toits.

Chaque fois que la progression s'arrête, Louis Leloup s'empresse de creuser un trou où il s'enterre. Il y est à peine blotti que l'on repart. Il garde sa pelle à la main pour ne pas perdre de temps. Après sept ou huit avatars, écœuré, il se décide de ne plus se fatiguer en vain et rengaine sa pelle.

A la halte suivante, on nous ordonne de creuser des tranchées pour y passer la nuit. Quand elle vient, un contre-ordre nous fait repartir en avant. Des incendies illuminent le ciel à gauche, vers Iseghem. Nous perdons la liaison avec le Ier Bon qui nous précède. Le major Delrez qui nous accompagne est en rapport téléphonique avec le colonel. Nous entendons tout ce qu'il lui dit : "Mon colonel, nous avons perdu la liaison avec les autres bataillons, on nous tire dessus de tous les côtés et les civils nous disent qu'ils n'ont pas vu de soldats belges avant nous".Nous n'entendons pas la réponse du colonel, mais nous la comprenons quand le major nous dit : "En avant !".

Nous marchons dans la campagne obscure, nous franchissons des réseaux de barbelés, non sans déchirures, grognements et jurons. Empêtré dans des barbelés, le lieutenant Leroy laisse tomber sa boussole et tâche de la récupérer. Le major l'interpelle : "Leroy, suivez-moi.- Oui, mon major, mais je cherche la boussole que j'ai perdue. - Vous avez perdu la boussole ?". On rit. L'instrument retrouvé, la progression continue. Une nouvelle conversation téléphonique s'établit entre le major et le colonel. - "Mon colonel, nous sommes en plein inconnu; à gauche, le 6e n'avance plus; nous ne savons où se trouvent les Ier et 3e Bons... Mon colonel, nous allons au devant d'une catastrophe !". Ces paroles pessimistes ne sont guère rassurante La conclusion est un nouvel ordre : "En avant !".

Nous voilà une nouvelle fois en première ligne. Le lieutenant Veughs appelle : "Mon major ? - Appelez-moi "Patron", Veughs, nous sommes en plein dans les Boches". lui répond Delrez, Enfin le major décide que nous n'irons pas plus loin; il donne ses ordres : En ce qui concerne la 6e Cie, elle doit occuper une ferme qui se dresse à deux cents mètres devant

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nous. Pendant ce temps, tout le monde s'est couché et beaucoup de soldats crevés de fatigue se sont endormis. On les réveille en les secouant pour repartir. Le lieutenant Jorissen, qui a repris le commandement de la 6e après la mort du capitaine Warimont, ordonne la reconnaissance de la ferme par deux patrouille. Bientôt un soldat revient en courant : "N'avancez plus, dit-il, la ferme est pleine de Boches".

Un bref combat s'engage, à la grenade et au fusil nos deux patrouilles mettent les Allemands en fuite et en capturent seize cachés dans la cave avec la famille du fermier. Quand nous entrons dans la cour de la ferme, les seize Fritz y sont en rangs pour être conduits à l'arrière. J'ai besoin d'une bâche car à Moorslede, j'ai abandonné la mienne trop trempée et crottée pour l'emporter. J'en aperçois une sur le sac d'un prisonnier; je commence à la détacher pour me l'approprier, ce que voyant, un autre Boche s'empresse de m'aider à dépouiller son compatriote. Je fouille les besaces des captifs, mais je n'y trouve rien d'intéressant. Joseph Leroy leur débite un bref discours quoique trilingue :"Deutchland Kapout, klein ! Belgique,groot !". -Ia, ia, acquiècent les prisonniers.

Nous nous installons dans la ferme. La moitié des hommes sont de garde, Les autres peuvent dormir tout harnachés. Comme je ne suis pas de la première faction, je suis tout heureux de m'étendre dans l'écurie sur de la bonne paille. Cette béatitude est de courte durée, car le sergent Degauquier me commande avec d'autres pour la corvée de ravitaillement.Nous nous chargeons des gourdes, gamelles et couvertures, et nous partons vers Winkel-Saint-Eloi où nous devons trouver notre cuisine. Je repère l'étoile polaire et constate que le chemin que nous suivons se dirige vers le nord, c'est-à-dire vers l'ennemi puisque le 6e de ligne n'est pas à notre hauteur.

Heureusement, la route tourne tout de suite à gauche. Nous marchons un temps assez long, puis nous sommes arrêtés par un sonore : "Halte là ! Qui vive ?". Nous nous faisons connaître et nous approchons. - "Où allez-vous ? - Au ravitaillement. - D'où venez-vous ? -D'une ferme située par là. - Vous êtes si avancés ? Ici, c'est la première ligne du onzième". En conclusion, nous sommes bien en avant des deux régiments voisins. Nous entrons à Winkel-Saint-Eloi, nous en parcourons les rues, pas de cuisine. Nous décrivons alors un vaste cercle dans la campagne autour du village; nous franchissons des barbelés, mais nulle part nous ne voyons trace de cuisine.

15 Octobre 1918, Mardi.- Le jour se lève et nous décidons de rentrer à la ferme d'où nous sommes partis. Nous sommes fourbus de fatigue d'avoir pérégriné toute la nuit. Notre retour les mains vides est un cruel désappointement pour tous. Je me couche, espérant profiter de quelques heures de repos. On nous communique les ordres : Rester sur place en attendant que les régiments voisins soient à notre hauteur, puis partir en s'alignant sur eux.

Les brancardiers veulent mettre ce délai à profit pour enterrer le cadavre d'un Allemand trouvé dans la ferme. Beudin fait appel aux bonnes volontés pour aider à l'opération. Personne ne se présente, on est trop las et on a le ventre creux. - "Viens, toi, Flagothier", me dit Beudin. Puis-je refuser à ce pur héros le service qu'il me demande ? Le cadavre est porté près du pignon de la ferme. Nous commençons à creuser

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une fosse. Quand elle atteint cinquante centimètres de profondeur, notre artillerie déclenche son tir, signal de la reprise du combat. Ses premiers obus explosent dans le toit de notre ferme. Nos signaleurs lancent des fusées à six feux (tir trop court). La salve suivante est encore plus courte et tombe un peu derrière nous. Nous n'allons pas rester exposés pour un cadavre.

Nous le basculons donc au fond du trou, et rapidement nous le recouvrons d'un pied de terre. Je place sur le tertre le pot vide de confiture qui est tombé de ma besace pendant le travail. Ma marraine n'a certainement pas prévu une telle utilisation de son pot quand elle me l'a envoyé.

Nos canons allongent leur tir et canardent enfin l'ennemi. Nous sommes en ligne en attendant nos voisins. Les voilà ! Nous partons immédiatement, en deuxième ligne. Nous progressons sans trop de difficultés. A chaque halte, Leloup creuse, creuse, car les balles sifflent à nos oreilles. Sil pouvait entrer dans un trou de souris Nous traversons un champ de navets, chacun en arrache un, le frotte sur sa capote pour en détacher la terre et y mord à belles dents. Ils sont très amers, mais ventre affamé n'a pas de répugnance; on marche le fusil à une main, le navet dans l'autre.

En vue de Lendelede, le 3e Bon, parti ce matin en 3e ligne, revient en 2e ligne. Nous restons sur place pendant qu'il nous dépasse. Un malheureux accident se produit sous nos yeux, à dix mètres.Une grenade explose dans la besace d'un soldat du 3e Bon. Il staffaise ainsi que son voisin. Nous les croyons morts touts les deux, mais le second se relève brusquement et court en avant comme s'il avait le diable à ses trousses.

Nous repartons et passons devant une ferme. Un cheval est tué, étendu sur le seuil, le fermier et sa famille le regardent, ils semblent consternés. Soudain, un obus siffle et éclate à faible distance, il fait tomber mon casque; comme je me baisse pour le ramasser, je vois derrière moi tout le monde couché et le major courir pour s'abriter derrière un arbre. Nous continuons à marcher jusqu'à la route qui va de Lendele à Iseghem. Là, on nous fait rester sur place car les 6e et IIe de ligne sont de nouveau en retard et nous devons les attendre.

A cinq cents mètres à droite se trouve le village de Lendele dominé par la haute cheminée d'une brasserie. Nos canons le démolissent un obus perce la cheminée sans la faire tomber.

Tout le monde à la cigarette à la bouche. Pour ma part, je fume tout un paquet, plus le reste d'un autre, soit une bonne trentaine de cigarettes, en allumant la nouvelle au mégot de la précédente.

Le major Delrez accompagné du capitaine Simon de la 8e, blessé à la joue, passe devant nous. Nous l'entendons dire : "Ce sera encore une dure journée, mais il faut bien y passer !". On nous donne les ordres : Nous allons passer en première ligne et livrer l'assaut contre les positions allemandes qui résistent au premier bataillon.

On se prépare à un nouvel effort en pensant à ceux qui y laisseront leur vie. Revoici le major et le capitaine accompagnés cette

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fois d'un tout jeune prisonnier. Les obus éclatent à une centaine de mètres derrière nous. Chaque fois qu’ils sifflent, le jeune Boche est saisi de panique, il saute à gauche et à droite, blême de peur. Nous lui raisons des signes moqueurs.

A notre gauche Lendelede tombe aux mains de nos troupes, du onzième, je crois. Mais voici de nouvelles instructions : l'attaque est décommandée; on a observé des rassemblements et des mouvements de troupes ennemies en face du vide qui existe entre notre gauche et la droite du 6e de ligne; on suppose qu'elles vont tenter de s'y infiltrer et de nous prendre à revers. En conséquence, notre bataillon va combler ce vide face au nord, une compagnie cycliste achèvera le colmatage et nous reliera au 6e; notre artillerie est prévenue et a pris ses dispositions pour nous protéger par un tir de barrage. Ceci nous donne une confiance absolue.

La nuit est venue, nous allons prendre position, nous creusons des tranchées et installons nos armes sur le parapet à portée de main. Chose inattendue, inespérée, la cuisine nous ravitaille en soupe chaude, pain, viande, sucre et café !

Nous attendons l'attaque de pied ferme, l'ennemi ignore notre présence ici, quel bec de gaz nous lui réservons ! Nos artilleurs se mettent à tirer devant nous; nous entendons des cris qui semblent être des cris de femmes.Tristes conséquences de la présence de civils dans le champ de bataille... Ce sont des femmes belges, des enfants peut-être que nos projectiles atteignent. Le silence revient et aucun signe ne révèle l'approche des Allemands. Il pleut.

16 Octobre 1918, Mercredi.- L'ennemi est resté bien tranquille toute la nuit. Le matin, nous devons attendre encore que le 6e avance. Comme il pleut, nous nous abritons dans une ferme proche et déserte jusque midi. Un jeune homme se présente, il est chez lui et pense retrouver ses parents à la maison. Il nous raconte que les Boches ont emmené avec eux tous les jeunes gens en âge de porter les armes. Il a pu leur fausser compagnie et il essaye de rejoindre sa famille.

Vers midi, on nous commande de passer en première ligne. Le front est d'un calme extraordinaire. Nous dépassons le 3 e Bon, puis l’Ier. Tous les hommes sont debout hors des tranchées. Ils nous disent : "Les Allemands ne tirent plus depuis une heure, on n'en voit plus". Nous avançons sans la moindre résistance jusqu'à la grand'route de Courtrai à Ingelmunster, à gauche de Hulste. Une grosse ferme borde la route. Nous en voyons sortir une jeune fille rayonnante de joie, elle nous dit avec un large sourire : "Les Boches sont partis depuis une demi-heure". Ils foutent le camp !, pensons-nous.

Halte ! Restez ici ! La cavalerie va passer devant nous, crie le lieutenant Jorissen. Nous entrons dans la cuisine de la ferme où nous sommes reçus à bras ouverts et à bouteilles débouchées. On nous cuit même des pommes de terre et du lard.

Pendant ce temps, nous voyons par la fenêtre des cyclistes

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roulant et des cavaliers galopant aux trousses des Boches en fuite. Notre joie est à son comble.

Une heure plus tard, on nous rassemble sur la route. En colonne par quatre, l’arme à la bretelle, nous marchons comme à l'exercice sur les traces de l'ennemi vaincu.

Mais il faut une avant-garde et des flancs-gardes; je fais partie de la flanc-garde gauche. Nous devons marcher parallèlement à la colonne à travers la campagne à cent mètres à gauche de la route. Cela s'avère tout de suite impossible; des haies, des fossés, des clôtures doivent être franchis ou contournés; et pendant ce temps, la colonne a pris de l'avance et nous sommes obligés de revenir sur la route et de courir pour rejoindre la tête, de rentrer dans la compagnie pour être de nouveau distancés. Aussi, les flancs-gardes sont tout simplement supprimées, et nous rentrons dans la colonne, tout en sueur.

Nous traversons des hameaux, il y a des inscriptions à la craie sur les portes des cafés : "Geen hier", ce qui fait dire à Lambert Leruth : "Qu'est-ce que ça veut dire : "Jambière ?".

Nous arrivons à Oyghem, sur la Lys. La 6e Cie doit rester à l'entrée du village, les autres doivent border la rivière. Nous nous installons dans une maison déserte. Aussitôt on la fouille, on y trouve des pommes de terre et un morceau de lard immédiatement partagé. Le propriétaire rentre, Leruth le salué : "Bonjour Patron nous avons mangé votre lard !". Cela ne semble pas plaire au 'Patron", mais on en a cure.

Le sergent Degauquier me place en sentinelle sur le seuil de la maison. La nuit est tombée. Je vois accourir deux soldats hilares, Jean Delbrouck et un autre. Tout essoufflé, le premier me dit : "Nous venons d'avoir une drôle d'aventure. Le lieutenant nous a envoyés pour assurer la liaison avec la 7e Cie au bord de la Lys. Quand nous y sommes arrivés, il n'y avait personne; nous avons grimpé sur la digue et nous avons vu des soldats sur l'autre rive. Nous avons crié : "De quelle compagnie êtes-vous ?". Pour toute réponse, nous avons reçu une volée de balles, c'étaient des Boches !".

Ma garde terminée, je rentre, me couche et dors à poings fermés.

17 Octobre 1918, Jeudi.- La garde continue. Le lieutenant Beckers, revenu de l'hôpital, reprend le commandement de son peloton, le 2e, le nôtre. Désiré Charlier rentre en rigolant; il vient de voir le lieutenant Veughs en civil. Ainsi déguisé, Alfred est allé reconnaître la position des mitrailleuses allemandes. Un peu plus tard, Beckers se met en tête d'aller les détruire à la grenade, il se fait blesser mortellement, hélas !.

A la tombée de la nuit, un avion allemand nous survole à basse altitude, il est abattu à coups de fusil. Nos soldats pillent l'appareil, l'un s'empare des jumelles, d'autres y trouvent des cigarettes, du chocolat, etc. Le reste de la nuit est très calme.

18 Octobre 1918, Vendredi.- Le lieutenant Krutwig, venu de l'arrière, succède à Beckers au 2e peloton. Il nous apporte des nouvelles

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sensationnelles : les Belges ont franchi l'Yser et les inondations, ils ont libéré Ostende et poursuivent les Boches en retraite.

A notre gauche, le 15e de ligne, qui a relevé le 6e, a lui aussi atteint la Lys.

A 9 h du soir, on nous annonce que les Anglais nous relèvent et nous prenons la route de Lendelede. Il est défendu de fumer.

A la première halte horaire, nous formons les faisceaux et nous nous asseyons sur les bords de la route. Soudain, des obus tombent et éclatent sur la chaussée. Une horrible fumée nous embrase les poumons. Ce sont des gaz asphyxiants ! J'arrête aussitôt ma respiration et j'applique fébrilement mon masque sur le visage. Tout le monde fait de même et nous nous éloignons du côté du vent. Le calme revenu, nous venons reprendre nos sacs et nos armes; et, toujours masqués, nous courons vers Lendelede. L'air contenu dans le masque s'échauffe, la vapeur de la respiration couvre les lunettes de buée, nous n'y voyons plus, nous suons et nous étouffons. Nous nous arrêtons, quelques-uns soulèvent leurs masques et constatent que l'air est respirable; alors tout le monde enlève le masque et nous reprenons notre marche vers Lendelede. Bien réfléchi, il est heureux que ces obus aient été à gaz; des obus fusants ou percutants nous auraient causé des pertes car certains sont tombés si près qu'ils ont renversé des faisceaux.

19 Octobre 1918, Samedi.- Nous arrivons à Winkel-Saint-Eloi à 3 h du matin. Nous y logeons dans des maisons intactes. Nous nous levons tard et cherchons de la nourriture. Avec Joseph Jaspart, nous fouillons les maisons abandonnées et nous sommes heureux de découvrir deux choux blancs que nous cuisons et mangeons avec les autres camarades. Dans une maison détruite, nous voyons deux cadavres d'Allemands parmi les décombres. Leurs têtes sont aplaties comme des tartes de quarante centimètres de diamètre.

Le ravitaillement arrive et nous logeons dans la même maison.

20 Octobre 1918, Dimanche.- Nous partons à 8 h en direction de Cortemark. Nous traversons Rumbeke et Roulers. Les carrefours de Roulers ont été minés par les Boches. Ils sont transformés en vastes entonnoirs. Les maisons voisines ont beaucoup souffert, elles sont effondrées aux trois quarts. Nous dépassons Hooglede et arrivons à Cortemark à 3 h. de l'après-midi. Le village est en grande partie détruit. Cependant, nous y trouvons assez de place pour y cantonner. La cuisine nous suit et nous ravitaille normalement.

21 Octobre 1918, Lundi.- Repos. J'écris de nombreuses lettres.

22 Octobre 1918, Mardi.- Nous partons à 9 h pour Thourout. Là, nous installons à 7 ou 8 dans la cabine du garde-barrière du passage à niveau sur la route de Bruges.

23 Octobre 1918, Mercredi.- Repos.

24 Octobre 1918, Jeudi.- Repos.

25 Octobre 1918, Vendredi.- Inspection.

26 Octobre 1918, Samedi.- Repos. Une mine à retardement saute à la bifurcation des lignes de chemin de fer de Bruges et d'Ostende, à quatre

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cents mètres de notre cabine. Nous sommes rudement secoués. Nous allons voir le cratère, on y mettrait une maison.

27 Octobre 1918, Dimanche.- Repos. Je vais à la messe à Thourout.

28 Octobre 1918, Lundi.- Repos.

29 Octobre 1918, Mardi.- Repos. Je suis délégué avec un sergent pour représenter la 6e Cie du 12e à la messe célébrée pour tous les morts de la 3e D.A. en l'église de Thourout. L'église est bondée. Toutes les compagnies, batteries ou escadrons de la 3 D.A. sont représentées.Une musique militaire rehausse la cérémonie.

30 Octobre 1918, Mercredi.- Exercice, tir !...

31 Octobre 1918, Jeudi.- Exercice de tir. Nous prend-on pour des bleus ?

1er Novembre 1918, Vendredi.- Messe le matin. En ce jour, je pense à tous les morts que j'ai connus et à ceux qui, inconnus, tomberont aujourd'hui même. Après-midi, je visite un cimetière allemand. Ce sont des ennemis qui reposent ici, mais ils sont morts et contre eux, je n'éprouve nulle haine, je lis leurs noms avec un certain respect. Sur une tombe, je déchiffre cette inscription : "Ein dapfere belgisch soldat". (Un brave soldat belge). Ainsi, eux aussi, respectaient nos morts ! Sans moi, nul ne serait venu se recueillir sur la tombe de ce camarade, isolé dans un cimetière allemand.

Les nouvelles de la guerre sont toujours excellentes. La Turquie a capitulé, l'Autriche est aux abois, l'Allemagne recule partout et sera bientôt seule. C'est bien dommage que nous n'ayons pas deux mois de bon temps devant nous, nous pourrions terminer la guerre victorieusement cette année. Mais nous sommes à la porte de l'hiver qui va entraver les opérations et nous forcer à vivre dans les tranchées encore de longs mois. De toutes manières, la victoire est assurée pour le début du printemps prochain. Dans une lettre datée du 24 septembre, Gilles Coeymans m'écrivait : "Bonne chance pour les opérations futures !!! De très bonnes sources... on m'a certifié la fin de la guerre pour avril 1919". A l'époque, je n'osais pas me fier à cette prophétie optimiste, mais maintenant, j'y crois fermement.

2 Novembre 1918, Samedi.- Inspection. Voilà quinze jours que nous avons quitté la Lys, et il nous semble que notre tour de reprendre le combat est venu. Nous n'espérions guère un repos si long. Peut-être nous tient-on en réserve pour un nouveau coup dur ? Ne sommes-nous pas la "division de fer" ?

3 Novembre 1918, Dimanche.- Repos. Je visite de nouveau le cimetière allemand.

4 Novembre 1918, Lundi.- Garde contre-avions le matin. A 2 h de l'après-midi, nous partons pour cantonner à Ruddervoorde.

5 Novembre 1918 Mardi.- Départ le matin pour Ruysselede où nous logeons dans l'école de redressement des garçons délinquants.

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6 Novembre 1918, Mercredi.- Repos. Nous apprenons la capitulation de l'Autriche.

7 Novembre 1918, Jeudi.- Départ le matin pour Hansbeke, au nord du canal.

8 Novembre 1918, Vendredi.- Repos.

9 Novembre 1918, Samedi.- Repos. Je vois un homme qui emporte sous son bras un petit cercueil d'enfant au cimetière. Triste spectacle.

10 Novembre 1918, Dimanche.- Réveillés à 3 h de la nuit, nous partons seulement à dix heures. Nous passons à Nevele, Leerne, Deurle, et Astene où nous cantonnons. Des affiches nous font connaître les conditions de l'armistice soumises aux Allemands. Certains les trouvent trop dures et craignent qu'elles ne soient repoussées. Je ne suis pas de leur avis. Si les Allemands ont demandé l'Armistice, c'est qu'ils sont au bout de leur rouleau; et pour éviter une débâcle générale, ils accepteront tout ce qu'on leur imposera. Dire qu'il y a seulement quatre mois nous tremblions pour Paris et Amiens qu'ils menaçaient ! Quel retournement stupéfiant !!

Des artilleurs français occupent la ferme voisine. Je fais la connaissance d'un Alsacien qui me raconte son histoire... Au reçu de son ordre de rappel de l'armée allemande en 1914, il a franchi clandestinement la frontière et s'est engagé dans l'armée française.

Nous couchons dans la cave d'une maison. C'est curieux la dernière nuit de guerre est la première que je passe dans une cave !

Des ordres nous sont donnés : nous tenir prêts à partir au front cette nuit. Si l'Armistice n'est pas conclu, nous devons franchir l'Escaut par la tête de pont que les grenadiers ont conquise et marcher sur Alost. Les pessimistes envisagent une nouvelle bataille. Quant à moi, je n'en démords pas : les Boches signeront. Quoi qu'il en soit, nous vivons une nuit de suspense et d'impatience. La tension nerveuse de ceux qui sont en première ligne doit être terrible; être si près de la fin et à la merci d’un dernier obus ou d'une dernière balle... Je ne voudrais pas y être.

11 Novembre 1918, Lundi.- ARMISTICE. "Enfin l'aube attendue et trop lente à paraître" se lève. Je sors dans la rue, tout est calme dans le village. Mais bientôt le bruit circule que l'Armistice est signé. La musique du 12e s'avance en jouant la marche du régiment; plus de doute maintenant ! De toute part sortent des centaines de piottes et des dizaines de poilus. Derrière la musique, c'est une folle farandole; soldats belges et français, civils, femmes en sabots se livrent à de bruyantes démonstrations de joie.

La musique se dirige vers un château. Là, elle exécute la Brabançonne et la Marseillaise. Un officier belge se montre au perron et nous dit : "Attendez un moment, le général Joostens désire vous adresser la parole, il va venir dans un instant". Le général de la 3 DI paraît et prononce une vibrante proclamation dans laquelle il associe à ses glorieux régiments les Français qu'il est heureux de voir parmi nous. Nous revenons au village toujours avec la musique qui s'en va jouer devant la maison où loge le général C.I.D.I. Richard qui nous salue à son tour. (C.I.D.I. = général commandant l'infanterie de la division d'infanterie). Les onze heures sonnent qui mettent fin à la plus terrible des guerres.

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L'après-midi, je vais à Deynze avec Joseph Leroy. Sur la route, nous voyons deux Français en conversation. L'un dit à l'autre : "Notre commandant c'est une Vâââche, qu'est-ce-qu'il faut faire alors ?". Ainsi, dans toutes les armées, il y a des "vaches"; mais je dois dire qu'au front belge, nos officiers nous ont toujours traités comme des amis. Notre promenade terminée, nous rentrons dans notre cave.

Chez tous, l'imagination travaille. Nous allons revoir nos parents, nos amis restés sous la botte ennemie. Nous évaluons le nombre de jours nécessaires pour atteindre Liège, où j'ai toujours espéré retrouver les miens. Nous partirons demain, le cœur léger, l'âme sereine, fiers de notre victoire, délivrés de tous soucis; car maintenant, nous sommes mathématiquement certains de vivre, de vivre libres et heureux dans nos familles retrouvées. Déjà de nombreux Flamands des Flandres ont pu revoir leurs foyers.

La nuit, je ne peux m'endormir, je me remémore les étapes de mon extraordinaire aventure de plus de trois ans, ses jours angoissés, ses jours joyeux, ses jours de découragement, ses jours d'exaltation, ses jours mornes et tristes, ses jours radieux et triomphants dont celui-ci est le couronnement mémorable. Pendant cette odyssée, j'ai acquis une richesse de souvenirs que bien des gens âgés n'ont pas et n'auront jamais. J'ai parcouru quatre pays, traversé trois fois la mer, vécu dans des familles françaises, connu les nostalgies de l'exil, les privations, la fièvre des combats. J'ai visité Paris, Lourdes, Nice, Marseille, Rouen; escaladé les Pyrénées et les Alpe-rêvé aux bords de la Manche, de la mer du Nord, de l'Atlantique et de la Méditerranée. J'ai vécu dans l'intimité de nombreux amis toujours fraternels. Hélas ! combien ne connaissent pas ce jour triomphal dû à leur sacrifice suprême !Toutes ces idées bouillonnent dans ma tête, mais celles qui dominent et reviennent sans cesse sont celles-ci : la guerre est terminée, j'en sors indemne, je vais bientôt embrasser mes parents, mon frère, toute ma famille.

J'en rends grâce à Dieu.

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Quatrième partie : LE TRIOMPHAL RETOUR.

12 Novembre 1918, Mardi.- Nous attendons vainement l'ordre du départ derrière l'envahisseur obligé d'évacuer la Belgique. Nous continuons à commenter les événements qui se sont précipités pendant ces trois derniers mois. Ce qui nous semble inexplicable, c'est leur succession si rapide dans les derniers jours. Il y a une semaine, personne n'aurait osé espérer une fin si proche de la tourmente. Les plus optimistes l'envisageaient pour le printemps 1919.

13 Novembre 1918, Mercredi.- Le major Delrez rassemble son bataillon et lui adresse un discours de félicitations. Il commence ainsi : "On disait toujours : on les aura; maintenant nous pouvons dire: on les a eus". Nous attendons l'annonce de l'ordre de marche, mais nous rentrons tout bonnement dans nos cantonnements.

Des centaines de jeunes Français de la région de Lille se dirigent vers cette ville. Les Allemands les avaient emmenés avec eux dans leur retraite pour les soustraire à leur mobilisation dans l'armée française.

14 Novembre 1918, Jeudi.- A notre grande déception, il n'y a pas encore de départ annoncé. Pour tuer le temps, je circule dans le village. J'aperçois des prisonniers allemands que l'on fait travailler à la réparation de la voie ferrée démolie par les mines. L'un d'eux sert d'interprète, il ne travaille pas et traduit les ordres à ses compatriotes. Je l'interroge, c'est un Alsacien. Lors de la retraite de l'Yser, il a faussé compagnie à son groupe, s'est caché dans une cave et s'est rendu aux premiers soldats belges qui sont arrivés. "Avec ce sale uniforme, on me prend pour un Boche", me dit-il.

15 Novembre 1918, Vendredi.- On ne bouge pas encore, cela devient énervant et on rouspète amèrement. Puisqu'on n'a rien à faire, je saute dans un camion qui se dirige vers Gand. La ville est en fête et pavoisée. Aux vitrines s'étalent des objets en cuivre et en laine que les Gantois ont cachés pendant l'occupation pour les soustraire aux réquisitions des Allemands. Je suis surpris d'entendre tant de Gantois parler français entre-eux. J'admire la célèbre enfilade des édifices médiévaux : la cathédrale, le beffroi, l'hôtel de ville, l'église Saint-Nicolas et la poste. Je vois aussi quelques maisons de collaborateurs saccagés par les patriotes. Je rentre à Astene le soir en me hissant sur un camion.

16 Novembre 1918, Samedi.- Enfin l'ordre de marche tant désiré est donné. Nous parcourons notre première étape vers Liège. Nous allons à Zwynaarde près de Gand. Une fois installés dans nos cantonnements, nous filons à quelques-uns à la ville où la fièvre de la délivrance n'est pas

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encore calmée. Dans les cafés, on danse au son des orchestrions. Nous voyons quelques femmes aux cheveux tondus..., châtiment réservé à celles qui ont manifesté trop de tendresse aux Fritz...

17 Novembre 1918, Dimanche.- 2e étape. Nous allons à Wetteren. Nous voudrions que les étapes soient plus longues pour arriver plus tôt à Liège. Le soir, des bruits circulent concernant les décorations.

Il paraît qu'il y a une croix de chevalier de l'ordre de la couronne pour le sergent-major Frankard, deux croix de chevalier de l'ordre de Léopold II, une pour le caporal Delcourt et l'autre pour... moi; des médailles militaires, des croix de guerre belges et françaises. Je suis surpris de l'honneur qui m'échoit; je m'attendais bien à la croix de guerre que je reçois aussi, mais pas plus. On commente toutes ces attributions. Comme je dis que je me trouve trop récompensé, Joseph Jaspart déclare : "Ce qui est certain, c'est que le lieutenant t'a remarqué à la deuxième offensive, je lui ai entendu dire au premier-chef : "Regardez ce grand Flagothier, il est toujours en tête".

18 Novembre 1918, Lundi.- 3e étape. Nous marchons jusque Appels, près de Termonde. Nous aimerions faire des étapes doubles.

19 Novembre 1918, Mardi.- Repos. Nous en sommes déçus et mécontent Je vais au bureau prendre connaissance de ma citation. Je lis :

Est nommé Chevalier de l'Ordre de Léopold II et décoré de la croix de guerre :FLAGOTHIER Maurice : brave et courageux, volontaire de guerre; prudent au front depuis 34 mois; soldat modèle au feu; fusilier-mitrailleur, intelligent et audacieux, a fait tomber plusieurs nids de résistance pendant les journées des 28 et 29 septembre 1918.Le 29 au soir, alors que sa compagnie était sans officier, presque sans gradés, a pris le commandement d'un groupe et a capturé plusieurs prisonniers.

Tout çà sous le titre : ORDRE JOURNALIER DU 11.11.18. Donc à la date de l'Armistice.

Je suis presqu'assommé par l'avalanche de termes laudatifs dont je suis bombardé. Il y a même une expression dans la dernière phrase que je trouve inexacte : "a pris le commandement d'un groupe". Il s'agit de l'assaut sur la maison du garde-barrière au bas de Stadenberg. J'ai pris deux initiatives : la première pour entrer dans le trou d'obus; la seconde pour en sortir (voir 29 septembre). Dans mon esprit, les paroles que j'ai adressées à mes compagnons étaient des conseils, des exhortations et non des ordres; car un caporal était avec nous pour les donner, les ordres. Il est vrai qu'il n'en a donné aucun et que mes camarades m'ont suivi lorsque je me suis levé pour courir vers la maison du passage à niveau. "A entraîné un groupe", serait selon moi plus conforme à la vérité. Ma citation a été rédigée d'après les témoignages de mes compagnons. S'ils ont interprété mes paroles comme des ordres et les ont rapportées comme telles au lieutenant Jorissen, je comprends qu'on m'attribue une prise de commandement.

20 Novembre 1918, Mercredi.- 4e étape. Nous allons cantonner à Wolverthem, à quinze kilomètres au nord de Bruxelles. A la fin de chaque étape, les soldats de la région filent vers leurs villes ou leurs villages pour retrouver leurs familles. Certains rentrent le lendemain ou le sur

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lendemain. Le capitaine ne tolère plus ces absences et commence à les punir. La discipline militaire ne fait pas de sentiments. Leloup est ainsi puni pour la première fois après six ans de service.

21 Novembre 1918, Jeudi.- 5e étape. Grimbergen est notre destination. Une marche de 5km, n'est-ce pas ridicule? Bruxelles n'est qu'à 11 km, aussi, décidons-nous à quelques-uns de nous y rendre en tram. Une animation joyeuse règne dans la ville où flottent des milliers de drapeaux. Des fanfares parcourent les rues en jouant des marches martiales. Je pilote mon petit groupe à travers la capitale, nous montons au sommet de la colonne du Congrès. Je trouve là un civil de Spa qui rentre demain chez lui. Je lui remets un court billet rédigé au moment même en le priant de faire son possible pour qu'il parvienne à mes parents. Nous suivons la rue Royale et celle de la Régence, admirant au passage le palais du Roi et celui de la Justice. Nous revenons vers le nord et j'ai la surprise de me trouver nez à nez avec Paul Winand, place de Brouckère. Nous restons si tard qu'il n'y a plus de tram et nous rentrons à pied à Grimbergen.

22 Novembre 1918, Vendredi.- On nous donne un jour de repos. A ce train là, quand arriverons-nous à Liège ? C'est aujourd'hui la rentrée officielle du Roi dans sa capitale. Nous décidons, Joseph Jaspart, Léon Lebeau et moi d'y retourner. Les trams ne roulent pas pour ne pas entraver les mouvements de troupes. Qu'à cela ne tienne, nous irons à pied, nous avons assez d'entraînement. Bon nombre de mamans envoient leurs petits enfants vers nous pour nous embrasser. Ce geste nous touche profondément. A Bruxelles, c'est la cohue...On nous dit que le Roi est à l'Hôtel de Ville. Nous tâchons d'y aller mais les rues étroites qui mènent à la Grand'Place sont embouteillées par de nombreuses sociétés avec leurs drapeaux. Elles y forment de véritables bouchons. Nous nous y infiltrons en jouant des coudes, mais bientôt nous sommes bloqués, serrés au point que de temps à autre, je soulève mes deux pieds et reste suspendu, balloté par la foule qui avance ou recule selon les poussées en sens contraires... Nous renonçons à atteindre la Grand'Place et nous nous dégageons doucement de l'étreinte de la foule.

Nous entrons au théâtre de l'Alhambra, on refuse notre argent à la caisse, pour nous l'entrée est libre. Le spectacle est une revue avec ballets. Soudain, un Ecossais en kilt, ivre, se hisse sur la scène et participe à sa manière aux évolutions des ballerines. Il rentre avec elles dans les coulisses et reparaît aussitôt affublé d'oripeaux de théâtre. Il danse d'une façon grotesque et la foule l'applaudit bruyamment. Il se débarrasse de ses vêtements de théâtre pour rentrer dans la salle, mais le public l'en empêche, pousse de force un soldat belge et un poilu français sur la scène et les acclame frénétiquement. C'est du délire ! L'orchestre attaque la Brabançonne, la Marseillaise et le God serve the King; les cris, les applaudissements du public frisent l'hystérie. Fatigués de saluer les hymnes nationaux que l'on joue et rejoue partout, nous prenons le chemin du retour, à pied encore car le dernier tram est parti depuis longtemps.

23 Novembre 1918, Samedi.- 6e étape. Nous rentrons au cantonnement à une heure du matin. Le clairon sonne le réveil à quatre heures. Nous ne

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sommes pas reposés de nos fatigues et on nous annonce une longue étape. Nous l'aurions accueillie avec joie les jours précédents, mais aujourd'hui, nous aurions préféré dormir quelques heures supplémentaires. Comme chaque jour, nous trouvons à l'entrée de chaque commune : le Bourgmestre, les autorités, les écoles, les fanfares locales et des foules enthousiastes pour nous accueillir. Discours du Bourgmestre, réponse du colonel, Brabançonne... Tout cela prend du temps et nous restons l'arme au pied au garde à vous.

Quand les discours sont terminés, la musique civile s'octroie l'honneur de conduire la colonne. Elle le fait d'un pas trop court et trop lent, il nous est impossible de marcher convenablement sur cette cadence de tortue.Tout en rendant hommage aux bonnes intentions de ces musiciens, nous les souhaitons au diable, car ils nous fatiguent plus qu'ils ne nous entraînent. Avec çà, ils croient nous faire plaisir et après une marche, ils en recommencent une autre. Heureusement, notre chef de musique veille au grain et lorsque les pékins exhalent leur dernière note, il fait sonner la clique du 12e et notre musique reprend en force notre marche allègre. Du coup, l'allure redevient militaire, les tailles se redressent, le pas s'accélère et la joie rentre dans les rangs. Mais aujourd'hui, l'étape est plus longue que d'habitude. Nous sommes fatigués par les pérégrinations que nous avons presque tous faites à Bruxelles. Pour la première fois aussi, nous voudrions nous arrêter au plus proche village. Nous avons parcouru 29 km, quand nous nous installons à Winxelle, près de Louvain.

24 Novembre 1918 Dimanche.- 7e étape. Nous partons bien reposés et nous cantonnons à Lubbeek.

25 Novembre 1918, Lundi.- 8e étape. Nous arrivons à Tirlemont. Les officiers nous font savoir que les Tirlemontois nous offrent à tous des lits pour la nuit. Joseph Leroy et moi recevons un billet de logement chez un huissier. Nous nous y présentons. Il nous reçoit très cordialement et nous dit : "Il n'est pas question de gamelle, vous êtes mes invités, c'est moi qui vous reçois; je suis célibataire, mais je vais vous commander un dîner à l'hôtel X."Il nous conduit au dit hôtel où l'on nous sert un dîner royal..."Ce n'est pas un bifteck çà, dit Leroy, c'est une demi-vache !". Nous rentrons chez notre hôte qui débouche une vieille bouteille en notre honneur. Enfin, il nous emmène faire un tour en ville et boire encore dans un café.

Partout les soldats sont choyés, nourris et abreuvés ! Jamais nous n'oublierons la réception chaleureuse que Tirlemont nous a réservée.

26 Novembre 1918, Mardi.- 9e étape. Nous quittons Tirlemont pavoisée en faisant des gestes d'adieu à ses aimables habitants. Nous traversons Saint-Trond et Brusthem et nous cantonnons au couvent des Ursulines à Saffraenberg. Les Boches qui l'ont occupé avant nous l'ont souillé comme des pourceaux avant de l'évacuer.

De nombreux Liégeois filent vers leurs foyers par le tram.

Marcellin Petit vient m'avertir que des civils de Lincé demandent à me voir à la porte du couvent. J'y vais et je suis en présence de Prosper Haveaux, Alphonse Lambert et Prosper Bertrand qui sont à la recherche de leurs frères soldats. Je les rassure en leur donnant à tous de bonnes nouvelles; puis je les conduis à Brusthem, à la 8e Cie où ils trouvent Émile Pierrard et Jules Adam. Nous revenons

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loger au couvent.

27 Novembre 1918, Mercredi.- 10 étape. Nous entrons dans la province de Liège par Oreye, mais c'est à Lowaige, dans le Limbourg que nous prenons nos quartiers dans une ferme wallonne.

La fermière est acariâtre, ce qui fait ironiser les Flamands sur l'hospitalité wallonne.

Sitôt mon sac déposé, je retourne à Oreye où je prends le tram de Liège. Lorsque j'en descends, place Saint-Lambert, je me demande si je rêve... Non, c'est bien vrai I "Lidje, vi r'veye" que nous avons tant chanté est devenu une réalité ! Les gens qui me dévisagent et m'interpellent sont des Liégeois qui cherchent un visage cher et attendu depuis longtemps. Je ne sens pas le pavé sous mes pas. Comme un pigeon rentrant à son colombier, je vole vers le n° 41 de la rue Monulphe où depuis des années, j'espère retrouver mes parents, et certainement mon oncle et ma tante. Je sonne le cœur battant. Un jeune homme inconnu vient m'ouvrir et me dit : "C'est Maurice ?" - Oui. - Ton père est ici, je vais le prévenir, en attendant, va trouver Louise dans sa chambre". En me voyant, Louise, ma cousine, pousse un cri de surprise et de joie. Puis je descends dans la cuisine et tombe dans les bras de mon père qui me serre à m'étouffer. J'embrasse ensuite ma tante et la vieille servante Véronique. J'apprends que mon frère et mon oncle sont à ma recherche en ville, et que je pourrais peut-être les rejoindre au café du "Mille Colonnes". Nous nous y rendons Papa et moi. Mon oncle y est, mais Eugène parcourt la ville en quète de nouvelles. Il revient peu après et nous nous embrassons longuement. Nous rentrons tous ensemble à la maison de mon oncle, et passons la soirée en famille. Le jeune inconnu qui m'a ouvert la porte à mon arrivée est le fiancé de Louise. On me questionne et on me fait raconter les événements du front.

28 Novembre 1918, Jeudi.- 11e étape. Nous allons nous coucher à une heure de la nuit. Je me lève une heure plus tard pour refaire à pied les vingt-deux kilomètres qui me sépare de Lowaige. Mon frère et le fiancé de Louise m'accompagnent. Il fait jour quand nous arrivons à la ferme et la compagnie s'apprête pour la onzième marche. Je m'équipe pour parcourir le même trajet pour la troisième fois. Pendant une halte horaire, Désiré Charlier reconnait son père sur la route : "Voilà mon papa !, s'écrie t-il, et les deux hommes s'embrassent en pleurant". - "Et maman ?" est la première parole de Désiré. - "Elle va bien", répond le père.

Le régiment cantonne à Ans. Comme à Tirlemont, nous sommes logés chez les habitants. Charlier, Brabant et Jaspart et moi, nous sommes accueillis par une brave maman qui nous dit : "Mon fils est soldat aussi". La première chose qui me tombe sous les yeux, est la photo d'un soldat en kaki.Cela me rappelle la poésie de Déroulède : "J'ai mon gars soldat comme toi". Mes camarades descendent en ville et je reste seul, car je suis terriblement fatigué. Depuis hier matin, j'ai marché plus de 60 km à pied et j'ai dormi une heure seulement ! Aussi, je m'endors dans le fauteuil de la "bonne vieille". Je suis réveillé par l'arrivée de mon frère accompagné de sa fiancée et de ma belle-sœur Elise. Tous ensembles, nous redescendons chez l'oncle où je passe la soirée et la nuit. Il est convenu que papa ira chercher maman demain et la ramènera ici.

29 Novembre 1918, Vendredi.- Je remonte à Ans. Le fils de la maison n'a

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pas encore donné signe de vie. Un civil qui revient du Hâvre donne de l'espoir aux parents inquiets.

Mais profitant d'un moment où il est seul avec nous, il nous confie "Il ne faut pas le dire maintenant, mais il ne reviendra pas, il a été tué en juillet dernier". Pauvre parents ! A partir de ce moment, nous sommes mal à l'aise dans cette maison; nous nous efforçons de faire bonne contenance et de paraître optimistes sur le sort du malheureux soldat. Dans l'après-midi, je retourne chez mon oncle où j'ai l'immense bonheur de revoir et d'embrasser Maman, elle aussi pleure d'émotion.

Le soir, je rentre à Ans. Les parents du soldat sont toujours dans l'attente, leur inquiétude augmente car presque tous les combattants du voisinage sont revenus ou tout au moins ont donné de leurs nouvelles. Le père qui est membre de "La Légia" chante pour nous distraire les plus beaux airs de son répertoire. Cela nous fait mal, mais nous gardons notre triste secret.

30 Novembre 1918, Samedi.- 12e et dernière étape (officielle).

C'est aujourd'hui la rentrée du Roi et de l'armée à Liège. Nous sommes rassemblés à Ans pour la dernière marche qui ramènera 12e de ligne à sa caserne de la citadelle. Le 12e et le 14e sont côte à côte pour défiler dans la ville. Pendant une halte, rue de Hesbaye, le prince Léopold descend d'une auto et prend place dans les rangs de la 3e Cie du 12 pour le défilé de la victoire.

La ville est pavoisée à profusion; une foule énorme se presse sur les trottoirs, sur les balcons et aux fenêtres. De l'une d'elle, une femme nous jette des fleurs; je lui fais signe, elle en lance une dans ma direction, je l'attrape au vol et la fixe à ma boutonnière. Cette fleur, je la conserverai toute ma vie en souvenir de ce jour inoubliable. Au centre de la ville, les soldats qui ne participent pas au défilé forment la haie au bord des trottoirs. Ils sont venus hier soir follement acclamés. Aujourd'hui, c'est mieux encore. Nous suivons le Roi, la Reine, le Prince Charles, la Princesse Marie-José et le Général Jacques, tous à cheval. Leur passage déclenche des ovations délirantes, des milliers de mouchoirs s'agitent aux fenêtres et jusque sur les toits. Les clameurs du peuple libéré sont telles qu'elles exercent sur nous un effet physique extraordinaire nous avons la sensation d'être devenus sans pesanteur; rien ne pèse plus sur nos épaules; nous ne sentons plus le pavé sous nos pas. Nous marchons comme des automates, portés par une force indéfinissable. Lorsque le public reprend haleine et que les voix semblent faiblir, le lieutenant Jorissen les relance en nous montrant de son épée et en criant : "Vivent nos soldats !". Son geste et ses paroles rendent du souffle à la foule qui redouble son tonnerre de cris enthousiastes.

Dans sa marche triomphale, la colonne s'est légèrement tassée et la compagnie s'arrête pour reprendre la distance réglementaire.Nous en profitons pour échanger quelques réflexions en wallon, entre voisins. Une femme qui nous entend croit bien faire en criant : " Vivent les Wallons !". Le sergent Dognée, un Liégeois, lui répond en wallon : "Madame, il n'y a ici ni wallon, ni Flamand, il n'y a que des Belges". Cette réplique judicieuse est ponctuée d'un "Bien, sergent !" du caporal

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anversois Slachtmuylders. La foule qui a compris la leçon d'une seule voix : "Vivent les Belges !".

Aux terrasses d'Avroy, nous défilons devant la famille royale et le général Jacques. Nous continuons jusqu'au bout de la rue Blonden, puis nous revenons vers le centre de la ville en longeant la Meuse. Je reconnais dans la foule devant le pont du Commerce, l'Abbé Rappe, professeur à Saint-Roch; je lui fais signe et lui crie bonjour; il me reconnaît et me salue avec un sourire jusqu'aux oreilles.

Nous remontons à la citadelle. C'est avec émotion que les anciens de 1914 rentrent dans leurs vieilles casernes qu'ils ont quittées aux premiers jours de la guerre. Ils y ramènent leur glorieux drapeau et les jeunes volontaires ou miliciens qui ont comblé les vides laissés par les 1250 morts du régiment, morts qui peuplent les nombreux cimetières jalonnant les étapes meurtrières de la guerre de quatre ans.

De là-haut, nous dominons la ville d'où montent des rumeurs joyeuses et où les drapeaux flottent par milliers.

Dès que nous sommes installés, les gradés nous annoncent qu'une permission de 24 heures est accordée à tous les soldats de Liège et des environs. Je m'empresse de redescendre chez mon oncle. Mon père, ancien soldat qui sait juger une armée, est enthousiasmé par le spectacle qu'il a vu.Il ne trouve pas de mots assez expressifs et admiratifs pour décrire ses impressions.Ce qui l'a surtout frappé, c'est notre artillerie lourde; nos canons de 150 longs et nos gros obusiers de 210 montés sur pneus et tractés par des camions, luisants de tous leurs aciers polis, l'ont rempli d'une admiration étonnée. - "Nous étions découragés, dit-il, quand nous voyions le matériel de l'ennemi. Nous aurions été pleins de confiance si nous avions su que les nôtres avaient un armement encore plus puissant, sacrebleu !".

Nous retournons tous ensemble à Lincé; papa et maman dans la charrette du messager Pickard, Eugène et moi, nous suivons à pied.

Il fait nuit quand nous rentrons au village natal. Dans l'ombre, je revois les maisons et les ruines que j'ai quittées en Janvier 1915 et auxquelles j'ai tant pensé pendant les 1418 jours de mon odyssée qui vient de finir dans l'apothéose de l'ardente cité de Liège.

Demain, commencera pour moi une ère nouvelle.

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Composition de mon équipe de F-M (fusiliers et mitrailleurs)

1. A l'origine : Moi, Joseph Brabant, Désiré Charlier. 6 Mars 1917.2. Pendant un congé de Charlier, il est remplacé par Gérome Debruyne,3. Le 28 Juin 1917, Charlier est blessé; Alfred Konings le remplace.4. En Novembre 1917, Charlier revient de l'hôpital et reprend sa

place.5. Un peu plus tard, Brabant devient tireur d'une nouvelle équipe; il

est remplacé dans la mienne par Louis Leloup.6. Fin Février 1918, Leloup part en congé; Joseph Jaspart fait

l'intérieur.7. Vers le 17 Septembre, Charlier part en congé; Constant Pannekoek

prend sa place.8. Le 28 Septembre, Pannekoek est blessé; le 29, Charlier revient

et reprend son poste.9. Pendant mes congés, à moi, je ne sais plus qui a complété l'équipe.

Pertes subies par l'armée belge pendant les offensives des Flandres. (tués et blessés )

Première division d'armée : 180 officiers et 4.725 sous-officiers et soldats.

Deuxième division d'armée : 133 officiers et 3.978 sous-officiers et soldats.

Troisième division d'armée: 221 officiers et 5.760 sous-officiers et soldats.

Quatrième division d'armée: 148 officiers et 4.733 sous-officiers et soldats.

Cinquième division d'armée: 119 officiers et 4.193 sous-officiers et soldats.

Sixième division d'armée : 150 officiers et 4.538 sous-officiers et soldats.

Totaux ...................1.012 officiers et 29.056 sous-officiers et soldats.

TOTAL GENERAL : 30.068.

Infanterie seule : 861 officiers (86 %) et 23.969 s-of et soldats (85%)

Autres armes réunies: 151 officiers (14 %) et 5.087 s-of et soldats (15%)

Proportion des tués : sur 253 officiers, 227 à l'infanterie, 27 auxautres armes. (90 % de fantassins).

Sous-officiers et soldats : 3.083 dont 2.707 fantassins et 376d'autres armes, soit 88 % de fantassins.

La 3 DA fut de loin la plus éprouvée.

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Cinquième partie : APRES LE RETOUR.

1er Décembre 1918, Dimanche.- Je vais saluer mes neveux et nièces, mes voisins et cousins, la famille Sluse, puis je me rends à l'église pour la messe. Je suis évidemment le point de mire de tous les regards. Après l'office, je suis entouré de toute l'assistance, chacun veut me serrer la main et m'accabler de questions.Je monte "sur les Fosses" pour embrasser mon oncle, ma tante, mon cousin et mes cousines. Je rentre ensuite à la maison pour dîner : à tous moments, des amis et connaissances viennent me voir. On m'annonce que l'harmonie de la maison du peuple de Sprimont est dans le village et qu'elle m'attend ainsi que Jean Pirmez et Auguste Bertrand, eux aussi, rentrés dans leurs foyers, pour nous honorer d'une aubade musicale.Je me rends sur la place et j'y retrouve mes deux camarades. La fanfare socialiste nous accueille par la Brabançonne. Ensuite, notre curé nous entraîne à l'église, harmonie rouge comprise, nous place dans le chœur et chante une action de grâce.

La guerre a fait l'union sacrée de tous les Belges. Enfin, le soir, je reprends le chemin de Liège sur le vélo de mon frère.

Suite du mois de Décembre 1918.- A partir de ce jour, je cesse de noter dans mon carnet les faits de chaque journée. Tout ce qui suit n'a plus guère d'importance, c'est du rabiot de service militaire, de la moutarde après souper. L'épopée est bien terminée, elle va finir en queue de poisson. Je noterai cependant encore quelques faits et dates jusqu'à ma démobilisation que j'espère très proche.

A la caserne, nous nous ennuyons ferme. Les jours se passent à flâner sur les remparts de la citadelle, à discuter de démobilisation et de retour définitif dans nos foyers. On ne peut sortir en ville qu'après six heures du soir; alors je descends chez mon oncle ou je passe la soirée au théâtre ou au cinéma.

On nous promet une permission de 24 heures pour le dimanche 8 Décembre. Hélas ! Le samedi soir, on la supprime car nous devons défiler à Seraing. Nous paradons donc dans la cité du fer, où, comme partout on nous acclame, mais après le triomphe de Liège, ce n'est que du réchauffé qui commence à nous lasser.

Nous espérons nous rattraper le dimanche suivant, le 15 Décembre. Ouais ! Nous allons défiler encore à Herstal. Est-ce que tous les faubourgs de Liège vont nous prendre tous nos dimanches ? Non on exagère, nous en avons marre ! Nous ne sommes tout de même pas un cirque de bêtes curieuses qu'on exhibe partout !

Autre chose nous attendait ! Le 17, on nous embarque dans un train à destination de la frontière. Nous débarquons à Henri-Chapelle où nous logeons à l'école. Le lendemain, nous allons à Welkenraedt pour

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garder la frontière. Nous la franchissons, et notre premier acte en foulant le sol allemand est de pisser dessus, délibérément bien entendu.

Notre rôle ici est d'empêcher la fraude des vivres vers l'Allemagne affamée. Nous sommes sans pitié pour les fraudeurs, ravitailleurs de la Bochie. Nous leur confisquons leurs marchandises café, beurre, chocolat, tabac, savon, etc. J'en ai bientôt tant que j'écris à mon frère de venir en chercher une cargaison.

Après une douzaine de jours, nous retournons à Henri-Chapelle. Je cherche une chambre (gratuite) et j'en trouve une dans la ferme Beckers. Je la partage avec Désiré Charlier.

Nos rapports avec les civils belges sont très cordiaux, sauf avec les fraudeurs que nous dévalisons bien entendu ! Les Allemands eux, ne fraudent pas, ils ont une terrible frousse de nous. Après ce qu'ils ont fait en Belgique, ils craignent des représailles. Nous prenons plaisir à les humilier, mais nous ne les molestons pas. Nous ne sommes pas des barbares nous! Lorsque le corps de garde se trouve chez eux, nous sommes corrects et polis mais distants.

Un jour, que j'étais dans une ferme allemande, le patron me dit en français : "N'est-ce pas, Monsieur, que les Anglais n'on pas bien fait d'affamer l'Allemagne par le blocus ?". Je lui réponds par une diatribe cinglante; je lui raconte ce que les Boches ont fait à Lincé. Tout abasourdi, il se tait; et sa femme qui ne comprend pas le français devine à mon ton que je ne fais pas des compliments à son mari, remplit une tasse de café et la pose près de moi. Je fais semblant de ne rien voir et continue à vider mon sac de reproches envers l'Allemagne. - "Ne laissez pas refroidir votre café, Monsieur, me dit le patron, chez nous, on ne fait pas de différence entre soldats belges ou allemands. – Oh !, dis-je, c'est tout le contraire de chez nous, où la différence est énorme".

Le 17 Janvier, nous sommes relevés par le premier bataillon et nous rentrons à la citadelle de Liège.

Deux jours plus tard, j'obtiens un congé de 24 h que je passe en famille à Lincé et en visite chez mes oncles et tantes.

Le 17 Février, la Cie retourne à Welkenraedt pour un mois.Je loge seul chez Monsieur Lennertz, rue Neuve. Ce Monsieur Lennertz est né Allemand, à quelques pas de la frontière; il a fait ses études en Belgique à Dolhain; il a séjourné en Eypte au Caire; il a émigré aux Etats-Unis, y a épousé une Française; s'est fait naturalisé Américain; enfin est revenu en Belgique à Welkenraedt. Il a deux fillettes qui fument comme des Turcs. Il se demande et me demande de quelle nationalité sont ses filles.

Le 17 Mars, nous retournons à Liège où l'on s'ennuie à mourir. Et l'on n'entrevoit pas encore la démobilisation. Seuls, les "vîs paletots" sont définitivement rentrés dans leurs familles. On ne mobilise pas non plus les classes de 1914 et 1919 qui n'ont pas fait de service militaire, ce qui nous fait littéralement enrager.

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Le 17 Avril 1919, nouveau départ pour un séjour d'un mois à Welkenraedt. Là, du moins, on est bien logé, et, en dehors des gardes et de rares exercices, on est totalement libre.

Le 7 Mai, je suis muté au Groupement Temporaire des Etudiants Militaires. (G.T.E.M.). Je suis autorisé à rentrer à l'école normale de Saint-Roch pour y continuer mes études. De plus, je sui nommé caporal (à titre précaire). Je retourne à Lincé avec l'intention d'aller à Saint-Roch le lendemain. Mais ce lendemain, une forte fièvre me retient au lit. Le docteur Thiernesse me soigne pour une grave angine. Incomplètement guéri, je reçois un ordre de rappel pour le 28 Mai. Je rejoins ma Cie à Welkenraedt où je loge avec Joseph Brabant chez des gens bien sympathiques.

Vers le 20 Juin, on nous embarque à destination de l'Allemagne. Nous descendons du train à Friemersheim, et à pied, nous gagnons Bliersheim, au bord du Rhin. Nous nous installons dans une ferme, puis nous allons contempler le fleuve célèbre. Nous y renouvelons le geste de Manneken-Pis. Nous pouvons dire, parodiant le Poète de Musset : "Nous l'avons eu votre Rhin allemand; nous avons p... dans son lit". Les Allemands sont inquiets devant l'afflux de troupes. Un train de chars d'assaut français est en gare de Friemersheim. Le traité de Versailles est rédigé; si les Allemands refusent de le signer, nous reprendrons les hostilités. On nous ravitaille en munitions et on nous fixe nos missions : franchir le Rhin à Urdingen et marcher vers Essen. La guerre va-t-elle recommencer ? Nous ne le pensons pas, l'Allemagne est incapable de résister.

Le 27 Juin, un soldat de ma Cie, un jeune volontaire d'après l'armistice, se noie en se baignant dans le Rhin.Le 23, ses obsèques sont célébrées dans l'église de Friemersheim. Je remarque parmi les quelques femmes qui y assistent une vieille Allemande qui pleure. Pour qui ? Probablement pour son fils tombé au front. Surmontant tout ressentiment, elle a voulu prier pour ce soldat étranger, ennemi, en pensant que lui aussi avait une mère.Au cimetière, nous voyons de nombreuses tombes de prisonniers alliés, surtout de Russes.

Dans l'après-midi, nous apprenons que le parlement allemand a voté l'acceptation du traité de Versailles. Que pouvait-il faire d'autre que de se soumettre ?

Aussitôt un rassemblement spontané de soldats se forme à Bliersheim. Un piotte s'est procuré un drapeau belge, on se demande où. Suivi de quelques clairons, il se dirige vers la ville de Friemersheim. Deux ou trois cents soldats emboîtent le pas. En cours de route, la colonne grossit et des poilus français s'y mêlent. Le groupe s'arrête devant la statue de Guillaume Ier, (Wilhelm I der Grosse). Un soldat escalade le piédestal, tourne une corde au cou du kaiser, puis lui attache le drapeau belge au bout de son bras tendu. On acclame le drapeau et on entonne la Brabançonne. Les Allemands qui ne se découvrent pas voient leurs drapeaux jetés par terre. La troupe se disperse ensuite dans les cafés. On commande à boire, mais beaucoup ne paient pas. -"Le kaiser paiera !", dit-on aux garçons affolés qui servent quand même avec des sourires jaunes.

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Il y a quelques pillages où les Français se distinguent spécialement. Devant la tournée des choses, nous rentrons au plus vite à Bliersheim pour ne pas être compromis dans des affaires regrettables.

Le 29 Juin 1919, je suis de nouveau versé au G.T.E.M. Je reviens donc à Lincé. Le lendemain, je me rends à Saint-Roch pour y reprendre mes cours interrompus depuis 1914. Je n'y trouve que les professeurs. Les cours sont terminés et les élèves sont retournés dans leurs familles. Le directeur me signale qu'une session du Jury central commence à Nivelles le lundi suivant et me conseille vivement de m'y présenter.

Je file donc à Nivelles. Mon entrée en tenue militaire dans la cour de l'école normale fait sensation. Je subis les épreuves écrites avec une centaine de candidats. Pour les examens oraux, il faut attendre plusieurs semaines, le temps nécessaire au jury pour corriger les épreuves écrites. Les candidats ayant réussi seront rappelés au mois d'août à raison de trois par jour pour les oraux. Entre-temps, je me prépare de mon mieux pour ces dernières épreuves.

Le 15 Août 1919, je suis démobilisé, j'abandonne l'uniforme et je revêts un costume civil. Désormais, je suis et resterai un pékin, mais un pékin marqué pour la vie par un passé lourd de souvenirs que j'aimerai d'évoquer en moi-même et surtout en compagnie mes anciens frères d'arme, les anciens combattants.

Esneux, le 23 Juin 1963.

La durée de mon service militaire : 4 ans, 6 mois et 27 jours ou 54 mois et 27 jours, dont 2 ans, 2 mois et 4 jours au front ou 35 mois et 4 jours ou encore 1080 jours.

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RECAPITULATION

Périodes de tranchées et de repos.

Secteurs S-Sect. DATES Durée Jours aux tranchées

1. Loo Nord Du 7/12/1915 au 18/1/ 1 M et 11 J. 161916

Repos Du 18/1/1916 au 27/2/ 1 M et 9 J.1916

2.Steenstraete Sud Du 27/2/1916 au 22/4/ 1 M et 26 J. 221916

3.Steenstraete Nord Du 22/4/1916 au 14/10/5 5 M et 22 J. 68(Noordschoote) 19164. Dixmude Nord Du 14/10/1916 au 8/12 1 M et 24 J. 9

1916Repos Du 8/12/1916 au 22/12 14 J.

19165. Loo Sud et Du 22/12/1916 au 5/1/ 14 J. 8

Nord 19176. Dixmude Sud Du 5/1/1917 au 21/2/ 1 M et 16 J. 15

1917 Repos Du 21/2/1917 au 18/3 25 J.

19177. Pervyse centre Du 18/3/1917 au 14/4/ 27 J. 12

1917 Repos Du 14/4/1917 au 12/5/ 28 J.

19178. Ramscap- Sud Du 12/5/1917 au 19/12 7 M et 7 J. 91 pelle 1917 Repos Du 19/12/1917 au 13/2 1 M et 24 J.

19189. Merckem Sud Du 13/2/1918 au 7/5/ 2 M et 24 J. 43-(Bixschoote) 1918 Repos Du 7/5/1918 au 18/5/ 11 J.

191810. Ramscap-elle

Nord Du 18/5/1918 au 14/7/1918

1 M et 28 J. 30

Repos Du 14/7/1918 au 27/9/ 2 M et 13 J.1918

11. Langemark- Du 27/9/1918 au 3/10/ 6 J. 6Stadenberg 1918Repos Du 3/10/1918 au 9/10/ 6 J.

191812. Moorslede- Du 9/10/1918 au 18/10/ 10 J. 10 Oyghem 1918 Repos Du 18710/1918 au 11/11 23 J.

1918

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Chevrons de front : cinq.

M = moisJ = jours

TABLE

Première partie : LA TRAGEDIE DE LINCE.

Les derniers jours de paix 1L'invasion 2Les massacres et les incendies de Lincé 4La vie sous l'occupation ennemie 7

Deuxième partie : DE LINGE A LA NORMANDIE.

Passage de la frontière hollandaise 10Mon séjour à Maastricht 13Voyage de Maastricht à Bréhal (France) 14Mon séjour à Bréhal 22Mon séjour à Granville 26Mon séjour à Mesnil-à-Gaux et à Criel 33Mon départ pour le front 34

Troisième partie : AU FRONT.

Avertissement 35Commentaires :Les divers secteurs du front belge 36Description des secteurs et travaux sur le front 36Ordre de bataille de l'armée belge 39Composition de la 3 DA. Occupation des tranchées 39La vie aux tranchées 40Le moral 41La correspondance épistolaire 42Les congés de détente 46La faune des tranchées 47La nourriture 47L'hiver 1916-1917 48La solde 48Les avions et les ballons 49Les sigles et l'argot militaires 49Le communiqué officiel du G.Q.G. 50Les adresses militaires 51

JOURNAL DE CAMPAGNE. Arrivée au front. 52

Baptême du feu au 5e de ligne 52Avec les Carabiniers-cyclistes à Steenstraete 58Visite aux tranchées françaises 61Le roi Albert aux tranchées de Steenstraete 61Notre retour au 5e de ligne 62Le roi Albert aux tranchées de Noordschoote 64Je quitte le 5e de ligne pour passer au 12e 71

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Mon premier congé à Lourdes 73La mort de mon cousin Ulric Ponthier 79Je deviens fusilier-mitrailleur (F.M.) 82Mon deuxième congé (à Die) 86L'attaque allemande du poste A 29 90Mon troisième congé (à Lourdes et à Die) 96

Une relève mouvementée (à Ramscappelle) 102Mon quatrième congé (au Hâvre et à St-Aubin-de-

Locquenay) 106A côté des Anglais devant Bixschoote 111La bataille de Merckem 116Mon cinquième congé (à Nice) 124La première offensive (Langemark-Stadenberg) 131La deuxième offensive (Moorslede-Oyghem/lys) 150L'Armistice 159

Quatrième partie : LE TRIOMPHAL RETOUR.

A Gand 161A Bruxelles 163A Tirlemont 164A Liège 164La rentrée du Roi et de la famille royale à Liège 166

Cinquième partie : A LIEGE ET A LA FRONTIERE.

A la caserne de la citadelle de Liège 168A la frontière allemande 169En Allemagne, au bord du Rhin 170A Lincé, démobilisation 171Récapitulation 173

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AGENDA.

Plusieurs officiers cités dans mes souvenirs ont pris part à la deuxième guerre, ils méritent un hommage particulier.

Le capitaine GERARD (Yvan) de la 7e Cie, devenu colonel du 12e de ligne, commanda ce régiment jusque la Lys où il se défendit farouchement à Kuurne. Après la capitulation, il entra dans la résistance, puis gagna l'Angleterre. Nommé général, chef de l'armée de l'intérieur, il fut parachuté en Belgique occupée et dirigea la résistance jusqu'à la libération.

Le capitaine SIMON, de la 8e, devenu Colonel, se rendit aussi à Londres et fut nommé attaché militaire à Moscou.

Le lieutenant BALTEAU, dit le "Cosaque" promu major, lutta aussi dans la clandestinité. Arrêté, il alla mourir au camp de Dachau, cinq semaines avant la libération de ce camp.

Le lieutenant LEJEUNE, s'engagea dans l'armée du Paraguay et fit la guerre du Chaco contre la Bolivie qui fut vaincue. Il reprit du service dans notre armée en 1940; comme capitaine, il commande une compagnie du 12e. Sur la Lys, il entraîna sa compagnie dans une contre-attaque couronnée de succès.Après la capitulation, il fit de la résistance. Arrêté et condamné à mort, il fut décapité à la hache, peine que les nazis réservaient à ceux qui leur avaient fait un tort considérable.

Le lieutenant JORISSEN, devenu major, participa à la résistance, puis commanda un bataillon en Irlande.

anticipa à la

Dans une autre voie, Corneil DE THORAN, devint directeur du théâtre royal de la Monnaie.

Entre les deux guerres, le 12e de ligne, continua à occuper les casernes de la citadelle de Liège. Les chambres des soldats reçurent le nom d'un gradé ou d'un soldat bien noté au cours de la grande guerre. L'une d'elles fut dénommée : "Chambre Maurice Flagothier".

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