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L’Eucalyptus : un arbre forestier stratégique * Bernard Martin Bien que dans les pays les moins développés l’arbre contribue encore largement à la production communautaire de bois de feu et de services variés, le développement (et la recherche) des plantations industrielles d’Eucalyptus échappent de plus en plus au secteur public ; il s’agit d’un système très intensif et de plus en plus étroitement intégré à l’industrie papetière. La forte concentration des investissements privés sur l’Eucalyptus contribue à un progrès très significatif dans les domaines de la génétique forestière et de la physiologie des arbres mais aussi en matière de sylviculture et de technologie du bois. L’intensification est le résultat combiné d’une productivité très élevée et de révolutions (ou de rotations) très courtes (5 à 15 ans). La fibre d’Eucalyptus est maintenant reconnue comme le standard international de la fibre courte et a pénétré tous les marchés. Pour l’industrie de la pâte, l’Eucalyptus est devenu un arbre straté- gique, un nouvel “or vert”. UNE DOMESTICATION RÉUSSIE Amélioration génétique rapide L’Eucalyptus, comme exotique, a déjà une longue histoire (Métro, 1955). Depuis les premiers essais de provenances sur l’Eucalyptus camaldulensis, organisés par l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO) en 1966, d’immenses progrès ont été réalisés dans ce domaine et on peut réellement parler aujourd’hui de domestication de l’Eucalyptus (Eldrige et al., 1993). Beaucoup d’espèces ont été testées dans un grand nombre de milieux, y compris les milieux tropicaux humides et tempérés froids, et il faut remercier le CSIRO (1) et le gouvernement indonésien qui ont participé très activement à la diffusion de cette précieuse ressource génétique hors des aires d’origine. Nous devons aussi rendre un hommage particulier au regretté Professeur L.D. Pryor, grand contributeur à la domestication des Eucalyptus. Pour toutes les espèces importantes et pour beaucoup d’autres, des essais de provenances multi-sites ont été installés, élargissant considérablement les bases génétiques locales. Ces essais ont permis de mettre en évidence des populations plastiques (à la fois vigoureuses et stables), parti- culièrement intéressantes, car résistantes aux fluctuations climatiques. Ces provenances ont souvent donné lieu à des programmes de conservation in situ et ex situ et ont constitué la base Rev. For. Fr. LV - 2-2003 141 AMÉNAGEMENT ET GESTION * Texte de la communication invitée présentée au Symposium international sur les plantations d’Eucalyptus qui s’est tenu du 1 er au 6 septembre 2002 à Canton (Chine) organisé conjointement par l’Académie forestière de Chine (Pékin), l’Institut de Recherche en Foresterie tropicale (Canton) et le “Sino Forest Corporation”. (1) CSIRO : Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation (Division of Forestry, Canberra, Australie).

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L’Eucalyptus :un arbre forestier stratégique *

Bernard Martin

Bien que dans les pays les moins développés l’arbre contribue encore largement à la productioncommunautaire de bois de feu et de services variés, le développement (et la recherche) desplantations industrielles d’Eucalyptus échappent de plus en plus au secteur public ; il s’agit d’unsystème très intensif et de plus en plus étroitement intégré à l’industrie papetière.

La forte concentration des investissements privés sur l’Eucalyptus contribue à un progrès trèssignificatif dans les domaines de la génétique forestière et de la physiologie des arbres maisaussi en matière de sylviculture et de technologie du bois. L’intensification est le résultat combinéd’une productivité très élevée et de révolutions (ou de rotations) très courtes (5 à 15 ans). Lafibre d’Eucalyptus est maintenant reconnue comme le standard international de la fibre courte eta pénétré tous les marchés. Pour l’industrie de la pâte, l’Eucalyptus est devenu un arbre straté-gique, un nouvel “or vert”.

UNE DOMESTICATION RÉUSSIE

Amélioration génétique rapide

L’Eucalyptus, comme exotique, a déjà une longue histoire (Métro, 1955). Depuis les premiersessais de provenances sur l’Eucalyptus camaldulensis, organisés par l’Organisation des NationsUnies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO) en 1966, d’immenses progrès ont été réalisésdans ce domaine et on peut réellement parler aujourd’hui de domestication de l’Eucalyptus(Eldrige et al., 1993). Beaucoup d’espèces ont été testées dans un grand nombre de milieux, ycompris les milieux tropicaux humides et tempérés froids, et il faut remercier le CSIRO (1) et legouvernement indonésien qui ont participé très activement à la diffusion de cette précieuseressource génétique hors des aires d’origine. Nous devons aussi rendre un hommage particulierau regretté Professeur L.D. Pryor, grand contributeur à la domestication des Eucalyptus. Pourtoutes les espèces importantes et pour beaucoup d’autres, des essais de provenances multi-sitesont été installés, élargissant considérablement les bases génétiques locales. Ces essais ontpermis de mettre en évidence des populations plastiques (à la fois vigoureuses et stables), parti-culièrement intéressantes, car résistantes aux fluctuations climatiques. Ces provenances ontsouvent donné lieu à des programmes de conservation in situ et ex situ et ont constitué la base

Rev. For. Fr. LV - 2-2003 141

AMÉNAGEMEN T E T G E S T I O N

* Texte de la communication invitée présentée au Symposium international sur les plantations d’Eucalyptus qui s’est tenu du 1er au6 septembre 2002 à Canton (Chine) organisé conjointement par l’Académie forestière de Chine (Pékin), l’Institut de Recherche enForesterie tropicale (Canton) et le “Sino Forest Corporation”.(1) CSIRO : Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation (Division of Forestry, Canberra, Australie).

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de départ de programmes d’amélioration génétique par voie récurrente (2) (VR), débouchant surdes gains importants pour de nombreux caractères (adaptation, vigueur, forme, résistance auxadversités, qualité du bois, etc.). Un tel développement s’est fait en dépit de nombreux obstacles,tant techniques que politiques.

Hybrides naturels et artificiels

Au-delà de la voie récurrente classique, pour l’amélioration génétique des espèces pures, lesEucalyptus ont bénéficié rapidement de programmes d’hybridations interspécifiques en féconda-tion libre ou dirigée par voie récurrente réciproque (3) (VRR). Cela s’explique parce que le genreEucalyptus comprend de très nombreuses espèces, souvent proches génétiquement et interfé-condes d’où une forte propension à l’hybridation naturelle, exploitée à partir des arboreta ou descollections d’espèces. En dehors des aires naturelles, les hybrides interspécifiques sont en effetfréquemment plus vigoureux et mieux adaptés localement que les espèces pures parentes et ce,d’autant que les sites sont plus marginaux (par rapport aux conditions des aires d’origine desespèces). Cela a contribué à l’émergence de races locales vigoureuses et bien adaptées, fréquem-ment constituées d’essaims d’hybrides au sein desquels on rencontre des individus exception-nels. C’est ainsi que, dans les pays à longue tradition d’Eucalyptus, le vaste développement desraces locales (dans l’espace et le temps) et le transfert du savoir-faire en matière de clonage ontsouvent permis des démarrages très rapides de plantations clonales d’hybrides à haute perfor-mance, sans avoir eu à recourir au préalable à un programme sophistiqué d’amélioration par VR(cas du Congo, du Brésil, du Maroc, du Vénézuela, etc.). Par la suite, des programmes par VRont alors été intégrés pour les générations suivantes mais la simple recombinaison entre hybridesnaturels reste une voie à tenter, le marquage génétique (4) pouvant être d’un précieux secours.

Création variétale

Le greffage, bien qu’assez difficile avec l’Eucalyptus, l’induction de la floraison, très efficace avecle paclobutrazole (Cauvin, 1991), et les croisements contrôlés, faciles mais encore améliorables,sont maintenant des pratiques courantes, permettant le développement accéléré des programmesd’amélioration et ouvrant aussi la voie à la création de nouveaux hybrides réunissant au seind’un même génotype de nombreux caractères avantageux complémentaires, dispersés dans lesespèces. Localement, des variétés nouvelles apparaissent donc toujours plus nombreuses et plusperformantes, au sein des plantations des diverses compagnies. En zone marginale, il est parexemple moins efficace et plus lent de sélectionner des arbres résistant au Phoracanta (voir plusloin, § “risques phytosanitaires”, pp. 145-146) à l’intérieur d’une espèce sensible, que d’obtenirdes hybrides résistants par croisement avec une espèce bien adaptée à la sécheresse. De même,pour améliorer la qualité du bois, les hybrides interspécifiques peuvent donner très vite desrésultats inespérés, voire impossibles à obtenir par sélection dans l’espèce pure.

Maîtrise croissante du clonage

Les premières boutures enracinées d’Eucalyptus furent obtenues avec E. camaldulensis, au Maroc(Franclet, 1956) puis en Tunisie (Franclet, 1970) ; mais les principaux essais de bouturage herbacédes arbres adultes ont été faits au Congo (Martin et Quillet, 1974). En 1975, la technique congo-

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(2) Voie récurrente : voie classique d’amélioration génétique des espèces pures, passant successivement à des générations de plusen plus avancées.(3) Voie récurrente réciproque : voie classique d’amélioration des variétés hybrides par croisements successifs entre deux voies récur-rentes parallèles.(4) Les gènes marqueurs rendent plus efficace la sélection, autorisent la recherche de paternité des hybrides naturels et améliorent laprévision des croisements.

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Aménagement et gestion

Productionde mini-boutures

à partir de vitroplantscultivés en parcs

à pieds-mères.Société indonésienne APP,

Île de Haïnan (Chine)Photo B. MARTIN

Vue aériennede plantations clonalesd’ARACRUZ SA (Brésil)

Photo ARACRUZ

laise fut transposée à grande échelle au Brésil, par ARACRUZ SA (Marcus Wallenberg Foundation,1984). Ce fut pour l’Eucalyptus la révolution verte des années 1970. Par la suite, de nombreuxperfectionnements du bouturage (Chaperon, 1983) et le développement de la culture in vitro (enparticulier par l’AFOCEL) ont fait du clonage de l’Eucalyptus une pratique courante. Le clonage apermis l’usage des hybrides interspécifiques, la production des graines hybrides “en open”n’étant pas toujours possible, mais toujours aléatoire et/ou difficile. La technique a été transféréeen Chine grâce à la FAO (Campinhos, 1987).

La culture in vitro, inscrite aux programmes de nombreux laboratoires depuis les années 1980, aété rapidement maîtrisée pour une majorité d’espèces, même les plus rebelles au bouturageherbacé. Par contre, pour des raisons économiques, cette pratique est restée limitée aux aspectsexpérimentaux, à la mobilisation et au rajeunissement des arbres plus, ainsi qu’à l’installationdes parcs à pieds-mères.

Plus récemment, d’importants progrès (en termes de potentiel d’enracinement, de qualité dessystèmes racinaires, et de prix) ont été réalisés. Le “minibouturage” (de Assis, 2001) intègre à lafois la culture in vitro et la multiplication in vivo pour un clonage industriel “super intensif”. Cesystème utilise les pousses axillaires récoltées sur vitro-plants, conduits sous serre en mini pieds-mères alimentés par hydroponique. Plus proche de la culture in vitro, ce système est hautementsophistiqué mais donne des plants bien rajeunis et permet d’étendre le clonage aux espècesrebelles (Eucalyptus globulus, nitens, citriodora, maculata, etc.).

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Croisements à grande échelle

Rares sont les programmes qui utilisent les meilleurs croisements à grande échelle. Pourtant,cette question n’est pas sans intérêt car la lenteur des tests clonaux retarde beaucoup les sortiesvégétatives. De ce fait, les nouveaux hybrides sont souvent plus performants que les clones encours d’utilisation. C’est en particulier le cas du programme marocain de Sidi Amira qui produitchaque année de 100 à 200 000 plants hybrides, souvent plus performants que les clones sélec-tionnés 10 ans plus tôt. Au Chili, la production de la Société FAMASA (ex SHELL Forestry) est de4 kg/an de graines d’Eucalyptus globulus, nitens et hybrides, ce qui couvre près de 40 % desbesoins annuels de la compagnie et permet un gain génétique élevé. Ces nouvelles plantationsindustrielles issues de graines contrôlées, en plus du gain de production, sont des réservoirsconsidérables pour la sélection de nouveaux clones, tout spécialement si on les compare avecles minuscules placettes des tests de descendances. Avec les Eucalyptus, les croisementscontrôlés à grande échelle sont maintenant une réalité pratique (Harbard et al., 1999) facilitéepar la maîtrise de l’induction de la floraison et les possibilités de pollinisation sur stigmatecoupé et sans ensachage (Cauvin, 1988) ou sur stigmate plus ou moins réduit et protégé par untube, technique appelée “one stop pollination” (OSP).

Nouvelles perspectives des biotechnologies

Nous sommes à l’ère des biotechnologies et l’Eucalyptus, qui bénéficie déjà d’une domesticationavancée, fait l’objet de recherches très actives dans tous les domaines de cette nouvelle disci-pline :

— prospection du génome,— sélection assistée par marqueurs,— production d’OGM.

LLaa pprroossppeeccttiioonn dduu ggéénnoommee est maintenant possible avec les nouveaux marqueurs moléculaires del’ADN : RFLP, RAPD, Microsatellites (Haines, 1984). En s’appuyant sur les essais de prove-nances/descendances, les bio-technologistes tentent de répondre aux nombreuses questions desaméliorateurs, tant au niveau des populations (caractérisation des provenances et des descen-dances et estimations des distances génétiques), qu’au niveau individuel (identification desclones, niveau de consanguinité, erreurs de croisements, généalogie, etc.).

LLaa sséélleeccttiioonn aassssiissttééee ppaarr mmaarrqquueeuurrss ((SSAAMM)) n’est pas encore opérationnelle pour les Eucalyptusmais les recherches sont actives (Grattapaglia et al., 1995). Étant donné le handicap des arbressur les plantes herbacées, notamment pour la longueur des générations, l’optimisation des croi-sements est une première urgence. La possibilité de choisir les meilleurs géniteurs “sur carte”(génétique) serait un avantage considérable pour prévoir l’hétérosis par exemple. Cela exigecependant une importante avance en matière de cartographie génétique ; dans ce domaine, lesétudes les plus fréquentes sont basées sur la ségrégation de QTL (quantitative traitlocus = ensemble de gènes codant pour un caractère quantitatif) entre parents et descendantshybrides (Myburg et al., 2001).

LLaa pprroodduuccttiioonn dd’’OOGGMM est déjà une réalité chez les Eucalyptus (Harcourt et al., 1995) mais denombreux tests sont encore nécessaires avant un usage courant. Elle ne concernera que desclones exceptionnels et portera sur quelques caractères particuliers monogéniques, comme larésistance aux herbicides (en particulier au glyphosate), la résistance à certains parasites (insectespar exemple), la faible teneur des bois en lignine (existe déjà sur le Peuplier au stade expéri-mental). Ces clones modifiés présentant de grands avantages mais à prix élevé, les méthodes depropagation végétative devront être très efficaces avec régénération de plantes entières à partirde cellules et multiplication in vitro très sophistiquée, voire automatisée (Teasdale, 1995).

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Les discussions médiatiques actuelles et les fortes oppositions de certains retardent la sortied’OGM (Coventry, 2001) mais montrent l’obligation d’examiner tous les aspects de l’acceptabilitéde cette technique, notamment son absence de risque pour l’environnement, avant une utilisa-tion à grande échelle. Remarquons toutefois que, s’agissant d’une culture non alimentaire, lesrisques environnementaux sont réduits puisque l’aire naturelle du genre Eucalyptus est trèslimitée (Australie, Papouasie, Îles de la Sonde, Îles Célèbes, Céram et Mindanao) et qu’en dehorsde cette zone, la famille des Myrtacées est très peu représentée dans la flore locale.

LA PRISE EN COMPTE DES RISQUES

Risques agronomiques

Le risque principal concerne la réduction de fertilité des sols, spécialement pour les sols pauvresutilisés en plantations forestières et le plus souvent rejetés par l’agriculture. Ces sols, générale-ment mal pourvus en matière organique, présentent souvent un grave déficit en phosphore. Leproblème est traité comme en agriculture par l’apport de fertilisants de compensation, à la plan-tation, en cours de rotation de taillis, et après chaque exploitation.

En comparaison avec les productions agricoles, le bois est pauvre en minéraux, la majorité deceux-ci retournant au sol par les feuilles, les écorces et les branches. Cependant, la productivitépouvant être très grande (50 m3/ha/an) et l’écorçage n’étant pas toujours effectué en forêt, lemaintien de la fertilité des sols à un niveau convenable est de première importance pour lesCompagnies, d’où des programmes de recherches très développés et des formules variées defumure, allant jusqu’à un degré de finesse tel que chaque clone peut recevoir une fertilisationpersonnalisée. La question des besoins en azote, faiblement satisfaits en région tropicale (Bouilletet al., 2001), fait actuellement l’objet d’études approfondies, intégrant en particulier l’usage d’es-pèces fixatrices d’azote. Les plantations mélangées par ligne semblent un excellent système, enparticulier avec les Acacias (Bauhus et al., 2000) qui restent subordonnés aux Eucalyptus. Lesproportions (1 ligne pour 2 à 5 lignes d’Eucalyptus) peuvent dépendre de la qualité du sol, duniveau de productivité requis, mais aussi de la qualité de pâte désirée. Certaines compagnies,complètement intégrées (allant jusqu’à la production du papier), peuvent trouver un certainintérêt dans la récolte des deux types de bois en mélange.

Risques phytosanitaires

Le risque est grand et réel, accentué par l’aspect clonal des plantations. Bien que les Eucalyptussoient des arbres exotiques dans la plus grande partie du monde, l’apparition des parasites estcroissante dans les plantations, en provenance de l’aire d’origine, ou de source locale, et causantfréquemment de sévères dommages. On doit mentionner les principaux parasites suivants :

•• Insectes

Sur les Eucalyptus en tant qu’exotiques :

— Phoracanta semipunctata. Coléoptère cerambycidae creusant de grosses galeries dans letronc des arbres souffrant de la sécheresse (Eucalyptus globulus).

— Gonipterus scutellatus (goniptère). Coléoptère curculionidae défoliateur, sur beaucoupd’espèces commerciales en Afrique du Sud et en Espagne (surtout Eucalyptus viminalis et espècesdu groupe globulus).

— Helopeltis schoutedeni. Hémiptère miridae, piqueur-suceur faisant des dégâts sévères auCongo sur les jeunes plantations.

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Aménagement et gestion

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Sur les Eucalyptus dans leur aire naturelle :

— Mnesampela privata (autumn gum moth). Lépidoptère défoliateur au stade larvaire enAustralie du Sud et en Tasmanie (surtout sur Eucalyptus globulus et nitens).

— Chrysophtharta bimaculata (tasmanian Eucalyptus leaf beetle). Coléoptère défoliateurcausant des ravages en Tasmanie (sur Eucalyptus regnans et Eucalyptus nitens).

• Champignons

— Cryphonectria cubensis (ex Diaporthe cubensis). Provoque de graves chancres du troncaccompagnés d’une abondante gommose (surtout sur les arbres installés en situation trop chaudeet trop humide pour l’espèce).

— Micosphaerella juvenis. Cause de très sérieux dommages sur le feuillage juvénile d’ungrand nombre d’espèces, et plus particulièrement sur Eucalyptus globulus (Australie, Chili, Afriquedu Sud, Espagne).

— Puccinia psidii, Cylindrocladium sp., Coniothirium sp. Il s’agit de rouilles sévissant actuel-lement en Argentine et en Uruguay (dégâts très sévères en pépinière mais rares en plantation).

Toutes les stratégies de lutte sont utilisées, chimique, génétique et biologique, avec souvent desrésultats très positifs. Le marquage génétique est une aide considérable pour la détection desgénotypes résistants (Sherperd et al., 1995) et le clonage, malgré la réduction de la variabilitégénétique qu’il entraîne, apparaît comme un moyen de lutte très efficace en facilitant la sélec-tion et la multiplication rapide des clones les plus résistants. Ce fut le cas au Congo en 1986avec la rapide sélection massale des clones résistant à l’Helopeltis. Plus récemment, en Amériquedu Sud, la lutte contre Puccinia psidii est un remarquable exemple de lutte par sélection clonale,assistée par marqueurs moléculaires (très efficaces dans ce cas puisqu’un seul couple d’allèlecontrôle la résistance ou la sensibilité de l’Eucalyptus grandis à cette rouille). Les champignonscomme Micosphaerella, qui semblent plus virulents sur les hybrides Eucalyptus globulus x Euca-lyptus nitens que sur les espèces parentes, apparaissent bien plus dangereux que les insectespour lesquels la lutte biologique peut s’avérer très efficace (exemple de l’introduction d’Anaphesnitens, parasite des œufs du goniptère).

Risques écologiques

Les écologistes reprochent aux Eucalyptus aussi bien la stérilisation des sols, le déclenchementd’érosion, que la perte de biodiversité. Bien qu’il s’agisse plutôt de procès d’ordre politique àl’encontre des grandes compagnies internationales et de leurs plantations industrielles, les plan-teurs doivent cependant rester vigilants.

• Stérilisation des sols

En dépit d’une teneur élevée des feuilles en terpènes et une décomposition lente des litières, leseffets d’allélopathie (comme peut-être chez l’Eucalyptus astringens très peu utilisé) sont plutôtrares chez les Eucalyptus. Au contraire, les plantations se défendent mal du recrû initial herbacéet les entretiens doivent être intensivement suivis au cours des deux ou trois premières années.La propreté sous les plantations d’Eucalyptus ne concerne que les jeunes plantations vigoureuseset homogènes c’est-à-dire intensives et bien conduites, ce qui est un objectif dans cette culture.Avec le temps, lorsque les plantations sont installées à des densités faibles, le couvert, enprenant de la hauteur, se clarifie et laisse en général la place à un recrû abondant. Concernantles litières, les mélanges avec des acacias en accélèrent l’évolution et conduisent à un enrichis-sement plus rapide du sol en matière organique.

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• Érosion

L’érosion sous Eucalyptus est possible et l’arbre doit être utilisé avec prudence en dispositif anti-érosif dans les terrains fragiles et en pente. Il peut par contre constituer une excellente armaturedu sol du fait de son très puissant enracinement mais il faut éviter le ruissellement sur sol nuen respectant quelques principes :

— disposer les lignes suivant les courbes de niveau,

— respecter de faibles densités pour laisser passer la lumière,

— planter en mélange des arbrisseaux bien adaptés et améliorants.

• Perte de biodiversité

À l’image de l’agriculture, les plantations d’Eucalyptus n’ont pas pour objectif d’augmenter labiodiversité mais bien de produire durablement un maximum de bois à l’unité de surface. Lesplanteurs doivent éviter l’amalgame entre ligniculture et sylviculture. La ligniculture est plusproche de l’agriculture que de la sylviculture en forêt naturelle ; non seulement elle ne remplacepas les forêts, mais, concentrée en savane ou sur des terres abandonnées par l’agriculture, laligniculture réduit fortement la pression humaine sur les forêts naturelles (Martin, 1991) de plusen plus sollicitées pour des intérêts dits “alternatifs” (environnementaux et social). C’est pourquoiles écologistes devraient admettre que les plantations d’Eucalyptus ne détruisent pas les forêtsnaturelles mais les complètent en jouant un rôle différent.

Cependant, installés au départ sur terrain nu, pour des raisons avant tout économiques (dessou-chage trop coûteux et problématique), les Eucalyptus, grâce à leur couvert haut et léger, favori-sent plus ou moins fortement le recrû naturel (selon le site et la densité) et, en cas d’abandonde l’objectif de production, les anciennes plantations ne retournent à la savane que si elles sontparcourues par les feux ; dans le cas contraire, elles sont rapidement envahies par un sous-boisabondant (favorisé surtout par les oiseaux) et peuvent même se transformer en réserve de faune(cas des plantations de Loudima au Congo) tout en constituant d’excellents puits de carbone.

Recherche-Développement (R & D)

La particularité du secteur des plantations d’Eucalyptus est d’être assisté en permanence par unerecherche-développement très active, partie intégrante de la stratégie de chaque entreprise.Reliées à de vastes réseaux de chercheurs, ces unités permettent l’échange d’informations lorsde réunions internationales (IUFRO) (5) ou en tant que membres d’organisations plus restreintescomme CAMCORE (6) qui offre des aides directes aux entreprises, ou qui organise des coopéra-tions entre compagnies d’une même région. Le besoin de recherche est très grand car les culturesintensives d’Eucalyptus sont soumises à de nombreuses contraintes et sont basées sur le principede l’amélioration continue. En particulier, la bonne évolution du matériel génétique est unepriorité absolue afin de pouvoir bénéficier de nouveaux gains génétiques, d’être capable derelever les nouveaux défis des entreprises et de s’adapter aux variations environnementales. Enrésumé, les unités de R&D exigent de lourds investissements mais sont la garantie de bonsrésultats.

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Aménagement et gestion

(5) IUFRO : International Union of Forestry Research Organizations. Union internationale des Instituts de Recherches forestières.(6) CAMCORE : Central America and Mexico Coniferous Ressources Cooperative. L’organisation a été fondée en 1980 par l’Universitéde Caroline du Nord (Raleigh) en association avec 4 grandes compagnies et la Banque nationale de graines du Guatemala. Elle a pourbut la conservation et la domestication des arbres forestiers avec une orientation vers le développement du secteur privé. CAMCOREregroupe aujourd’hui 25 institutions sur 4 continents et traite de 38 espèces, tant résineuses que feuillues. Elle contrôle plus de10 000 arbres plus sur 400 sites à travers le monde et gère 2 500 ha de plantations conservatoires.

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LA PREMIÈRE ESSENCE LIGNICOLE

Foresterie de plus en plus clonale

La multiplication végétative était le complément indispensable permettant la capture de tout legain génétique. D’ailleurs, on peut dire qu’il y a eu une véritable synergie entre l’améliorationgénétique et la faisabilité du clonage. La réussite du bouturage herbacé industriel a été unélément décisif pour bien des compagnies orientées aujourd’hui sur l’utilisation des hybridessous forme de plantations entièrement clonales (comme pour le Peuplier). De nouvelles avancéesse profilent déjà avec le mini-bouturage, pour une efficacité accrue, une application à davantaged’espèces, et une incidence plus forte sur les programmes d’amélioration.

Progrès constants en sylviculture

En foresterie intensive, les contraintes sont nombreuses. En plus de la réduction des coûts, ilfaut être sans cesse plus efficace dans de nombreux domaines : gestion des pépinières, prépa-ration du terrain, travail du sol, espacements, fertilisation, entretiens, gestion des taillis.

• Mycorhization

La mycorhization des plants d’Eucalyptus n’est pas une opération courante en pépinière. Géné-ralement, les champignons mycorhiziens parviennent naturellement dans les nouvelles planta-tions (Pisolithus est très fréquent). La question de l’optimisation des symbioses reste toutefoisun point important (spécialement dans les sols pauvres), et peut conduire à des avantages trèssignificatifs durant les 5 à 8 premières années, effet largement démontré en Chine du Sud (Zhonget al., 2001).

• Pépinières

Le “bouturage herbacé classique” comprend 3 phases successives :— production des jeunes pousses en parc à pieds-mères,— fabrication des boutures et enracinement sous brouillard,— élevage des boutures racinées et cernage aérien.

Le “minibouturage” nécessite un laboratoire de culture in vitro et comprend les trois mêmesphases ; la première est cependant plus sophistiquée avec des pieds-mères cultivés en hydro-ponique et des tailles très précises. Dans tous les cas, la question des conteneurs et du substratest latente. Il est crucial d’éviter les déformations racinaires, malheureusement encore tropfréquentes dans les plantations. D’une manière générale, les mottes sont préférables aux godetsmais elles sont encore très rares en pépinière.

• Fertilisation

La recherche de formules de fertilisation a été systématique et a donné lieu à de très nombreuxessais. Parmi les meilleurs résultats, d’intérêt souvent local, on peut retenir quelques tendancesà portée plus générale :

— fertilisation de fond (P, K) avant plantation (amélioration de départ),— fertilisation “starter” (NPK), avec libération lente de l’azote,— fertilisation en cours de croissance, et après récolte (compensation).

La fertilisation “après plantation” est à faire de préférence avant la quatrième année car il a étémontré qu’au cours des trois premières années, l’arbre fait un important stock d’élémentsminéraux. Ensuite, il est capable d’utiliser ses propres réserves ainsi que les éléments qui retour-nent dans la litière (Suarez et al., 2001), ce qui peut réduire l’effet des fertilisations en cours de

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croissance. Les teneurs en éléments minéraux (Ca et Si) sont des préoccupations plus récentes.Les macro-éléments (N, P, K, Ca, Mg, S, Si) et les micro-éléments (Fe, Mn, Zn, Cu) dépendent dela fertilité des sols mais aussi des génotypes. L’efficience nutritionnelle de chaque clone est unnouveau concept qui conduit vers un choix très “pointu” de génotypes très rustiques appropriésà chaque site.

• Espacements et conduite du taillis

Le choix des espacements et la conduite du taillis sont des points très importants nécessitantencore davantage de recherche. Les rotations pour la production papetière varient de 5 à 15 anset les densités adoptées vont de 500 à 1 100 plants à l’hectare. La crainte des pertes de produc-tion a souvent conduit à planter à des densités excessives (jusqu’à 2 500/ha) avec beaucoupd’inconvénients (surcoût à la plantation et à l’exploitation, mécanisation plus difficile, perte debois commercial, mortalité excessive de souches, compétition trop élevée dans le taillis, etc.) ;c’est pourquoi certaines compagnies commencent à réduire leurs densités de plantation. Concer-nant la conduite du taillis, les souches sont mieux équilibrées avec au moins deux rejets diamé-tralement opposés (ce qui élimine les repousses) mais, avec deux brins par souche, les densitéssont vite excessives. Les dépressages devraient donc être couplés avec des “éclaircies desouches”. On peut souligner un manque de recherche dans ce domaine, certaines compagniespréférant changer de clones à la fin de la première rotation, ce qui leur permet d’intégrer immé-diatement le gain génétique tout en évitant les problèmes de taillis. Cependant, le progrès géné-tique ne sera peut-être pas toujours aussi rapide et le retard dans la gestion du taillis pourras’avérer préjudiciable.

Matière première de plus en plus compétitive

L’amélioration pour la qualité du bois de pâte continue à progresser, tant en matière de métho-dologie (microanalyses non destructives) que de résultats concrets. Aujourd’hui, tous lesprogrammes intègrent la sélection pour la densité du bois (indirectement mesurée au pilodyn (7)

dans le tronc des arbres sur pied) et les rendements en pâte, souvent corrélés avec la fertilitédu site, la densité de plantation et l’âge des arbres.

L’améliorateur a longtemps manqué d’outil efficace pour sélectionner sur le rendement en pâte.La détermination des meilleurs génotypes au sein des familles nécessite en effet des analysestrès nombreuses et non destructives (évitant l’abattage des arbres testés). On a maintenant lechoix entre les micro-cuissons et les analyses NIRS (mesures indirectes par spectroscopie dans leproche infrarouge).

LLeess aannaallyysseess ppaarr mmiiccrroo--ccuuiissssoonn demandent seulement de petits échantillons de bois allant dequelques centaines de grammes (mini-cuissons) à quelques grammes (micro-cuissons). Ce derniersystème n’est pas nouveau (Janin, 1981). Il est basé sur les cuissons séparées de carottesextraites des arbres sur pied. Il s’agit d’une méthode directe qui donne le poids de pâte obtenueà partir de chaque carotte. L’étalonnage est fait par comparaison avec les résultats des cuissonsindustrielles.

LLeess aannaallyysseess NNIIRRSS, beaucoup plus récentes, se sont révélées très adaptées aux préoccupationsdes généticiens. Après une phase initiale de “calibration” obligatoire, cette méthode est trèsrapide et donne le rendement global en pâte à des coûts bien plus faibles que par analyse

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(7) Pilodyn : petit appareil portatif permettant de mesurer la longueur d’enfoncement radial d’une tige métallique, sous-tendue par unressort, et libérée brutalement dans le tronc de l’arbre (la tige s’enfonce d’autant plus profondément que le bois est moins dense).

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chimique classique. Cette méthode a permis d’étudier les variations à l’intérieur d’un même arbremais elle reste surtout un outil essentiel de sélection (Raymond et Shimleck, 2002).

Émergence d’une production de bois d’œuvre

En dépit de sa mauvaise réputation comme bois d’œuvre (fortes contraintes de croissance, fentesen bouts, collapses, etc.), le bois d’Eucalyptus est déjà orienté vers la production de bois desciage ou de déroulage dans quelques compagnies.

EEnn AAffrriiqquuee dduu SSuudd ((““ttrreeee ffaarrmm””)),, eenn AArrggeennttiinnee eett eenn UUrruugguuaayy, la production de bois d’œuvre avecEucalyptus grandis n’est pas récente mais il existe aujourd’hui des programmes d’améliorationmodernes ayant pour objectif le bois de déroulage et/ou de sciage. Pour TAPEBICUA, COFUSA,etc., le principal objectif des plantations est le bois d’œuvre et non la pâte.

AAuu CChhiillii, le bois d’Eucalyptus globulus est fréquemment scié et placé sur le marché internationalsous le nom de “Chêne du Chili”. Fort de cette expérience, des tentatives de diversification dela production existent dans ce pays avec Eucalyptus nitens et probablement Eucalyptus nitens xglobulus (SHELL Chili). Par rapport aux plantations strictement papetières, les rotations sont pluslongues (20 ans) et la sylviculture comprend une ou deux éclaircies fortes.

EEnnffiinn,, aauu BBrrééssiill, d’importants changements sont à signaler chez ARACRUZ SA qui s’est lancédepuis 1999 dans une nouvelle et importante production avec une grande scierie d’Eucalyptusurophylla x grandis. Originellement destinées à la pâte, les plantations clonales ont été fortementéclaircies vers 10 ans et coupées à 17 ans. Dans le futur, cet âge devrait d’ailleurs être ramenéà 14 ans grâce à l’amélioration génétique. Une importante part de la production (séchée et semi-finie) est commercialisée sur le marché international sous le nom de “LYPTUS” (ARACRUZ, 2000).Les résultats semblent probants et l’entreprise fait aujourd’hui le pari d’un changement impor-tant d’objectif (in : “Enquête Brésil”, Boismag, 2002) permettant aux ventes de bois d’œuvred’atteindre 30 % du budget de la société, et comptant aussi sur d’autres possibilités (on pensedéjà au panneau MDF et au bois lamellé).

On voit qu’après un parcours très spécialisé vers la production unique de fibre, l’Eucalyptussemble aller vers des horizons forestiers plus classiques avec un objectif bois d’œuvre, la fibrereprenant une place de ssoouuss--pprroodduuiitt (même si c’est pour la majorité du volume). Il faut enattendre une très forte augmentation de rentabilité, une plus grande compétitivité pour le boisde pâte d’Eucalyptus, ainsi qu’une meilleure intégration des industries de la pâte dans le déve-loppement local.

UNE GRANDE CONVERGENCE DE FACTEURS

Comme beaucoup de futuristes l’ont annoncé, on tend de plus en plus vers une scission entredeux types complémentaires de foresterie (Sedjo, 2001). D’un côté, les forêts naturelles, à objec-tifs multiples, très sollicitées pour la conservation, et, de l’autre, les plantations intensives, toutparticulièrement dans les pays subtropicaux et tropicaux. La conjoncture forestière internationalesemble bien confirmer ce scénario et de nombreux éléments contribuent à renforcer la cultureintensive des Eucalyptus.

Investissements croissants vers les nouveaux potentiels forestiers

Il n’est pas évident d’attirer des fonds privés vers les plantations forestières. De nombreusesconditions doivent être réunies :

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— au plan écologique : climats chauds et humides, sol profond mais marginal pour l’agri-culture ;

— au plan économique : main-d’œuvre peu coûteuse, terres disponibles et bon marché,proximité des côtes (pour l’exportation) ;

— au plan industriel : infrastructures locales et environnement industriel à un niveau suffi-sant ;

— au plan sécuritaire : environnement politique, financier et fiscal suffisamment sûr.

Concernant les plantations forestières, quelques pays du Sud, grâce à une bonne politique d’in-vestissements, ont particulièrement bien réussi et leurs exportations de bois et dérivés sont unepart importante de leur production. Pour l’Eucalyptus, 6 pays sont principalement concernés(Brésil, Chili, Australie, Afrique du Sud, Argentine et Uruguay). Ces nouveaux gisements (AFOCEL,1991) ont une importance stratégique par leur extension (4,7 millions d’ha, soit un tiers desEucalyptus plantés dans le monde), leur niveau de production très élevé (souvent supérieur à30 m3/ha/an), leur haut degré technologique et leur capacité à générer une industrie lourde etintégrée, très concurrentielle. Ces capacités, encore largement extensibles, menacent directementla suprématie des producteurs de pâte de l’hémisphère Nord, lesquels consomment une matièrepremière coûteuse et/ou contraignante à mobiliser.

Le flux des capitaux vers les plantations d’Eucalyptus dans “les nouveaux potentiels forestiers”est croissant. Une étude récente (Neilson, 2000) a montré qu’au-delà des entreprises locales, l’at-traction concerne surtout les entreprises multinationales et touche désormais le secteur financier,lui-même, avec la participation des groupes d’investissement. Les forestiers ne sont pas habituésà une telle dynamique qui est propre à la rentabilité élevée de l’Eucalyptus. La faible valeurintrinsèque du bois a été compensée par son intérêt industriel stratégique, sa très haute produc-tivité et ses très courtes révolutions (ou rotations). De plus, les fortes concentrations des plan-tations, à proximité des usines, conduisent à une réduction des coûts de transport et àd’importantes économies d’échelle.

Bois tropical, en déclin

Le défrichement des forêts tropicales est un phénomène dont l’ampleur n’a d’égal que le manquede maîtrise. Le sous-développement et l’accroissement des populations ont comme effet combinéd’exacerber le problème. Les sociétés d’exploitation sont les cibles faciles des groupes depression mais les vraies causes que sont l’agriculture itinérante, l’exploitation informelle et lacorruption, sont plus rarement dénoncées.

Quoi qu’il en soit, la production commerciale des forêts naturelles tropicales continuera àdiminuer jusqu’à ce que l’on parvienne à établir et à respecter les possibilités forestières. Dansun tel contexte, l’Eucalyptus apparaît comme un véritable challenger puisqu’il alimente la filière-bois sans toucher aux forêts naturelles et la possibilité de produire du bois d’œuvre à très courtterme est une nouvelle alternative, très intéressante pour les industries de première transforma-tion en manque de matière première.

Demande “alternative” pour les forêts du Nord

Dans les pays à haut niveau de vie, l’urbanisation croissante induit une forte demande écolo-gique et récréative et les espaces forestiers sont peu à peu assimilés à un patrimoine sauvagepour lequel l’écologie prime l’économie (Martin, 1985). Conservation et Biodiversité deviennentde nouveaux objectifs entraînant des contraintes croissantes de gestion rendant encore moinscompétitive la production de bois, déjà très coûteuse pour de nombreuses raisons (coût élevéde la main-d’œuvre, réduction des coupes rases et donc des possibilités de mécanisation, fortes

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densités de gibier induisant des protections coûteuses ou limitant les plantations, multiplicationdes zones protégées, écocertification, etc.). À cela, il faut ajouter les risques accrus dus auxchangements climatiques en zone tempérée, qui semblent se confirmer (tempêtes, incendies). Endéfinitive, ces diverses forces encouragent toute la ligniculture dans le monde, et donc tout parti-culièrement les plantations d’Eucalyptus dans le Sud. Pour les forêts du Nord, proches de lagrande consommation, on aurait pu penser que cette concurrence ne devait pas jouer. En fait, lademande dite “alternative” est tellement forte qu’elle commence à menacer l’intérêt économiquedes forêts tempérées, alors que les experts estiment déjà que « nous n’aurons pas assez deforêts » (Nilsson, 1996) pour nos seuls besoins en bois.

De leur côté, les grandes compagnies, soumises les premières aux pressions écologiques, ont sutrès vite réagir pour relever un tel défi. Établies sur terrain nu, leurs pratiques s’apparentantdavantage à l’agriculture qu’à la sylviculture, elles contribuent à réduire la pression sur les forêtsnaturelles, tropicales en particulier. De plus, les périmètres plantés entourent des zones proté-gées (galeries forestières) et les plans d’aménagement intègrent les aspects environnementaux etsociaux. Enfin, bon nombre de ces domaines, aménagés durablement, sont d’ores et déjà écocer-tifiés. Certaines compagnies ont même signé la charte de La Haye par laquelle elles s’engagentà faire de l’écologie une de leur priorité.

CONCLUSIONS

L’irrésistible ascension de l’Eucalyptus se confirme.

AAuu ppllaann ééccoonnoommiiqquuee, alliant forte vigueur et bois dense, l’Eucalyptus est un des champions dela biomasse. Genre très diversifié, il se prête particulièrement bien à l’amélioration génétique etaux biotechnologies mais répond aussi très efficacement à l’intensification culturale. Largementadopté par les grandes sociétés forestières internationales, le bois d’Eucalyptus est devenu, enpeu de temps, l’or vert de l’industrie papetière. Les plantations continuent à attirer les investis-sements, tant leur compétitivité est grande, mais l’Eucalyptus va probablement vers d’autressuccès et semble maintenant prêt à gagner le pari du bois d’œuvre, puisque la production desciages de qualité a déjà commencé.

AAuu ppllaann ééccoollooggiiqquuee, répondant à la consommation croissante de pâte, l’Eucalyptus permet déjàde réduire la pression sur les forêts naturelles. De plus, il sera probablement une des essencesde base pour la constitution des puits de carbone ; en effet, parfaitement adapté à l’afforesta-tion des savanes et à la recolonisation des terres agricoles abandonnées, c’est un pionnier, quinon seulement, fixe très vite un maximum de carbone, mais en plus, favorise le recrû naturel.Doué d’une grande longévité, il peut, grâce à une sylviculture adaptée, conduire à des boise-ments stables à long terme et biodiversifiés. L’Eucalyptus est donc en passe de devenir un despremiers instruments écologiques de la planète, libérant les forêts tropicales d’une demandeéconomique excessive et purifiant en même temps l’atmosphère de son excès de gaz carbonique.

En conclusion, avec une bonne économie et une bonne écologie, les plantations d’Eucalyptussemblent assurées d’un grand avenir.

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BERNARD MARTIN

Bernard MARTINICGREF, IGCI

Chargé de MissionÉCOLE NATIONALE DU GÉNIE RURAL,

DES EAUX ET DES FORÊTS14, rue Girardet

CS 4216F-54042 NANCY CEDEX

([email protected])

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L’EUCALYPTUS : UN ARBRE FORESTIER STRATÉGIQUE (Résumé)

Le rapide développement des plantations d’Eucalyptus dans le monde est dû au succès combiné de l’amé-lioration génétique, du bouturage et des biotechnologies. Avec une croissance très rapide, une grande homo-généité, une excellente fibre et un bois de densité élevée, l’Eucalyptus est l’un des meilleurs arbres pour laligniculture. Il a la faveur des investisseurs privés, spécialement des industriels de la pâte (auxquels commen-cent à se joindre certains groupes financiers), lesquels poursuivent de façon continue leur effort de recherche-développement, pour une optimisation des gains et une réduction des risques, agronomiques, pathologiques,et écologiques de cette culture. De plus, les plantations d’Eucalyptus, développées hors forêts, contribuent àréduire la pression sur les forêts naturelles et la récente possibilité de production partielle de bois d’œuvreainsi que leur excellente aptitude à la création de puits de carbone, renforcent encore leur double intérêt,économique et écologique. Ainsi, l’Eucalyptus, nouvel “or vert” de l’industrie papetière, devient aujourd’huiun “arbre forestier stratégique”.

EUCALYPTUS - A STRATEGIC SPECIES FOR FORESTS (Abstract)

Eucalyptus plantations throughout the world have developed rapidly due to the successful combination ofvarietal improvement, propagation techniques and biotechnologies. With its very rapid growth, high degreeof regularity, excellent fibre and high-density wood, Eucalyptus is one of the best species for intensivelymanaged plantations. Private investors favour it, particularly the pulp industry (recently joined by a numberof financial groups) which is continuing with its research and development efforts aimed at optimisingearnings and reducing the agronomic, pathological and ecological risks relating to Eucalyptus culture. Further-more, Eucalyptus plantations, which are established outside of forests, contribute to reducing the pressureon natural forests. The possibility that has recently emerged of partially producing timber from Eucalyptusand its excellent ability to create carbon sinks compound both its economic and its environmental benefits.Thus the paper pulp industry's new “green” Eucalyptus tree has now become a “strategic species for forests”.

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