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Armand Colin UNE POÉTIQUE NÉO-CLASSIQUE: K. PH. MORITZ Author(s): Edoardo Costadura Source: Littérature, No. 78, ANATOMIE DE L'EMBLÈME (MAI 1990), pp. 87-96 Published by: Armand Colin Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41713166 . Accessed: 14/06/2014 13:21 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Armand Colin is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Littérature. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.73.34 on Sat, 14 Jun 2014 13:21:21 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

ANATOMIE DE L'EMBLÈME || UNE POÉTIQUE NÉO-CLASSIQUE: K. PH. MORITZ

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Armand Colin

UNE POÉTIQUE NÉO-CLASSIQUE: K. PH. MORITZAuthor(s): Edoardo CostaduraSource: Littérature, No. 78, ANATOMIE DE L'EMBLÈME (MAI 1990), pp. 87-96Published by: Armand ColinStable URL: http://www.jstor.org/stable/41713166 .

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« L'ÉPOUVANTAIL » ET LE NÉO-CLASSIQUE

Edoardo Costadura, École Normale Supérieure

UNE POÉTIQUE

NÉO-CLASSIQUE :

K. PH. MORITZ

Karl Philipp Moritz (Hamelin, 1756 ; Berlin, 1793) est Tun des grands « outsiders » - ou, selon l'expression due à Arno Schmidt 1 - , l'un des grands « hommes épouvantail » de la littérature allemande. Issu d'une famille très pauvre que plonge dans la misère la plus noire le quiétisme intransigeant du père, il ne manque pas de dénoncer, dans ses premières œuvres 2, les malaises sociaux et psychiques qu'entraîne à ses yeux le culte de la rentabilité écono- mique, recherchée aux dépens de tout idéal de réalisation de l'individu au sein de la communauté. Moritz stigmatise ainsi, avec une considérable avance sur Karl Marx, la logique de l'exploitation de l'homme par l'homme introduite par le capitalisme naissant, et remarque avec lucidité qu'une telle logique mène au partage de la société en deux « classes », dont l'une s'attribue le privilège d'utili- ser l'autre pour ses fins propres, en la privant de sa liberté de juger et de vouloir. D'où ce que Moritz appelle déjà l'aliénation, qui est pour lui la scission pathogène de l'âme et du corps.

L'incontestable « étrangeté » de son œuvre, et la singulière violence de sa pensée, font de Moritz un témoin particulièrement original de l'esprit de son époque. Étant né en 1756, sa formation et l'épanouissement de son œuvre se situent dans ces années 1770-1780 au cours desquelles la culture européenne semble avoir brûlé les étapes, entrant, soudain, dans la « modernité ». Contraire- ment à une certaine critique « néo-romantique » dont nous ne voulons pas méconnaître les mérites, nous pensons, en effet, que le « néoclassicisme » - mouvement qui côtoie, tout au long de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, la culture des Lumières et les premières expériences romantiques - s'impose comme le moment crucial de la culture moderne en Europe 3.

1. Arno Schmidt, dya na sore, Gespräche in einer Bibliothek , Stahlberg, Karlsruhe, 1958 ; Fischer, Frankfurt, 1985.

2. Ce sont les œuvres des années 1784-1786, qui précèdent significativement le voyage italien de l'auteur et sa rencontre avec Goethe : l'essai Das Edelste in der Natur, les deux premières parties du roman « psychologique » Anton Reiser et la Petite logique pour enfants (Versuch einer kleinen praktischen Kinderlogik).

3. Nous renvoyons à notre petit essai, Minerve, ou Nternelle modernité, paru dans Recueil, 12 (1989). Il faut souligner, par ailleurs, que la « réception » du néoclassicisme a été particulière-

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Qu'est-ce qui se produit avec le « néoclassicisme » ? Très sché- matiquement, ces années marquent la naissance du concept de culture tel que nous l'entendons aujourd'hui, articulation de l'es- thétisation et de l'industrialisation de la culture. C'est en effet avec le néoclassicisme que l'artiste prend conscience des nouvelles conditions de production et envisage les deux stratégies, symétri- ques et paradoxalement solidaires, qui marquent aujourd'hui encore la production artistique : ou bien l'on choisit de délimiter le champ esthétique, en soulignant l'autonomie de la pratique artistique par rapport au monde prosaïque de l'économie - tout comme la philosophie qui, avec Baumgarten et Kant, parvient dans les mêmes années à fonder l'esthétique comme discipline autonome ; ou alors on essaye d'adapter la pratique artistique aux modes de la produc- tion industrielle, tant dans l'organisation de la main-d'œuvre que dans la machinisation du travail. D'un côté l'on assiste à la naissance du concept de génie, qui n'est autre que la subjectivité esthétique moderne érigée en catégorie solitaire de production : l'art devient une profession et en même temps une « vocation » 4, un métier qui trouve paradoxalement sa légitimation sociale dans son altérité irréductible. De l'autre, en revanche, l'artiste se mue en « chef d'entreprise » ; il se borne à concevoir des œuvres dont il confie la réalisation matérielle aux « exécutants » : ainsi travaillaient Thor- valdsen et Canova 5. Ou encore, les ateliers deviennent de véritables manufactures, dont les plus célèbres - celles de Wedgwood en Angleterre, de Roentgen et Neuwied en Allemagne - jouèrent un rôle déterminant dans la constitution du « goût néoclassique ».

Les intellectuels, qu'ils acceptent ou qu'ils refusent ces données, ne peuvent éviter de s'intégrer dans le nouveau réseau des spécia- lisations, des disciplines bien délimitées, - d'autant que le travail idéologique des Lumières commence à donner ses fruits, et que la « popularisation » de la culture, jointe à l'expansion industrielle de l'édition 6, conduit à une hausse considérable de la production littéraire. D'où, inévitablement, l'exigence de cautionner un produit, de délimiter des compétences 1 . Cela fut immédiatement

ment occultée, en France - du moins dans la critique officielle -, par la grande vogue des études romantiques. Ce phénomène, qui n'a d'égal dans aucun autre pays européen doit son extension et sa ténacité à ses enjeux philosophiques, néo-hégéliens, puis heideggeriens. Les options esthétiques de Heidegger, en particulier, ont largement conditionné les approches et les choix de presque toute la « nouvelle » critique en matière de littérature allemande.

4. Ce n'est pas un hasard si la première version des Années d'apprentissage de Goethe s'intitule ha vocation théâtrale de Wilhem Meister.

5. Cf. à ce propos, G.C. Argan, Problemi del neoclassicismo et 11 neoclassico, in Da Hogarth a Picasso, Feltrinelli, Milano, 1983, pp. 112 et 149.

6. Lothar Müller (in Die kranke Seele und das hiebt der Erkenntnis. Karl Philipp Morit ^ Anton Reiser. Athenäum, Frankfurt, 1987) parle à ce sujet d'une véritable « fièvre de lecture » (Lesewut).

7. Nous renvoyons à un texte révélateur de Moritz (in Denkwürdigkeiten, aufgezeichnet %ur Beförderung des Edlen und Schönen ) qui met en scène un jeune écrivain venant de réaliser le rêve de son enfance - voir son nom imprimé sur la couverture d'un livre, être accepté parmi les savants ; mais c'est alors qu'il découvre que son nom est noyé parmi une infinité d'autres noms, tous « écrivains »... (cité par Uwe Nettelbeck, Karl Philipp Morit^, hesebuch, Greno, Nördlin- gen, 1986, pp. 57-59).

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Problématiques

ressenti, par les esprits les plus avertis (Goethe, Moritz, Schiller, Humboldt) comme le fait d'une réduction de l'homme. La « moder- nité » fut dès lors définie, bien avant Marcuse, comme l'époque de l'homme unilatéral ou « aliéné », l'époque de la grande fracture, de la perte de l'unité 8.

Toute l'œuvre de Moritz est une réflexion sur la condition de l'homme « sentimental », partagé intérieurement entre sa « subjec- tivité esthétique » et le monde économique. Moritz affronte ces nouvelles questions en s'appuyant sur les acquis méthodologiques des « Aufklärer », dont il reste largement tributaire 9. D'où l'étrange multiplicité de son œuvre, voire sa précarité formelle qui semble parfois porter préjudice à l'unité de son projet. Ses romans et ses « fragments » épistolaires 10 pourraient être considérés, en vertu de leur inachèvement quasi systématique, comme des « projets », des œuvres - à l'instar des œuvres des architectes néoclassiques 11 . Ses essais de culture et de mythologie classique 12, en revanche, sont parmi les premiers exemples de la nouvelle philologie qui devait bientôt triompher en Allemagne avec Wilhelm von Humboldt. Son traité de logique à l'usage des enfants, déjà cité (cf. supra), ses écrits maçonniques 13 et ses essais de psychologie « empirique » 14 enfin s'apparentent aux œuvres des « Popularphilosophen » 15.

8. C'est là l'idée maîtresse de deux célèbres textes de Schiller, l'essai Sur la poésie naïve et sentimentale ( über naïve und sentimentalische Dichtung, 1795) et la série de Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme {über die ästhetische Erziehung des Menschen , 1796). L'on trouvera les mêmes considérations dans les Ideen %u einem Versuch die Grenzen der Wirksamkeit des Staates %u bestimmen (1792) de Wilhelm von Humboldt. L'« unilatéralité » de l'homme moderne est, en outre, le nouvel idéal bourgeois mélancoliquement accepté par Goethe dans les Années de pèlerinage de Wilhelm Meister ( Wilhelm Meisters Wanderjahre, 1821).

9. Les « cénacles » berlinois, où Moritz fut accueilli très tôt grâce à l'amitié de Mendelssohn, étaient encore profondément marqués par la culture de l'Encyclopédie.

10. Anton Reiser, ein psychologischer Roman (1785-1790) ; Andreas Hartknopf, eine Allegorie (1786) et Andreas Hartknopfs Predigerjahre (1790) ; Fragmente aus dem Tagebuch eines Geistersehers (1787) ; Die neue Cecilia (1793).

11. G.C. Argan remarque à propos des projets de Boullée : « Si l'activité spécifique de l'architecte n'est pas de construire mais de concevoir un projet, c'est le projet qui est la véritable œuvre d'art ; si l'œuvre d'art réalise un concept ou une théorie de l'art, elle ne saurait devenir œuvre sans formuler une théorie de l'art. Le projet est donc le rapport dialectique qui s'établit entre l'art et la théorie ou la philosophie de l'art. » (in Studi sul Neoclassico, Da Hogarth a Picasso, Feltrinelli, 1983, p. 168).

12. ANTHOYSA oder Roms Altertümer, ein Buch für die Menschheit (1791) et Götterlehre oder mythologische Dichtungen der Alten (1791). Ce dernier texte est, comme l'a souligné Karl Kerényi, un ouvrage-pionnier des études de mythographie ; c'est le premier traité qui entend analyser les mythes dans leur fonctionnement propre, sans greffer sur eux des « grilles » d'interprétation préconçues.

13. Die Große Loge oder der Freimaurer mit Wage und Senkblei ( 1793)- 14. Moritz a été le fondateur et le chef-rédacteur de la première revue de psychologie,

Gnothi Sauton, Magasin ^ur Erfahrungsseelenkunde (1783-1793). 15. Cf. N. Merker, L'illuminismo in Germania. L'età di Lessing, Editori Riuniti, 1988

( L'illuminismo tedesco. L'età di Lessing, Laterza, Bari, 1974), p. 108. Les « Popularphilosophen » eurent le mérite d'exploiter pragmatiquement et expérimentalement, les concepts abstraits fixés par Wolff. C'est grâce à eux, également, que l'on commença à relire Leibniz. En ce sens le jeune Kant est, lui aussi, un « Popularphilosoph ».

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ESTHÉTIQUE NÉO-CLASSIQUE

ET AUTOTÉLISME

Mais c'est avec ses œuvres de théoricien de l'art et de la littérature 16 que Moritz joue un rôle de tout premier plan dans le cadre de l'expérience néoclassique. Aussi, son grand mérite est-il d'avoir contribué à donner des assises théoriques à la nouvelle conception de la culture, qui venait de naître. Comme le rappelle Giulio Carlo Argan, ce qu'il est convenu d'appeler le «néo- classicisme » se démarque du baroque par le fait qu'il « substitue à la structure binaire de la théorie et de la pratique la structure unitaire de la poétique » 17 . En effet, le grand concept néoclassique est celui du tout organique, autonome, doué d'une finalité interne. Déjà Winckelmann parlait, en 1767, de la « divine suffisance du beau » 18 ; sa théorie de la « ligne elliptique », qui « ne saurait être dessinée au compas puisqu'elle change de direction à chaque instant » 19, est une première tentative de définir la loi interne, autonome, de l'œuvre d'art. En 1771 paraissaient deux textes aujourd'hui célèbres de Goethe et Herder, l'un sur la cathédrale de Strasbourg, l'autre sur Shakespeare, que l'on classe généralement parmi les productions du « Sturm und Drang », mais qui s'inscri- vent de plein droit dans le discours néoclassique puisqu'ils intro- duisent la notion fondamentale de l'œuvre organique, douée d'une cohérence « interne ».

Toutefois, c'est dans les années 1780 - lorsque Moritz affirme la priorité absolue du concept d'achèvement en soi sur le principe traditionnel de mimésis 20 - que l'esthétique néoclassique acquiert définitivement sa légitimation théorique. C'est là un véritable « renversement copernicien ». Désormais l'œuvre d'art est considé- rée dans son autonomie irréductible, dans sa réalité propre - et non pas, comme cela avait été le cas jusqu'à alors, jugée d'après sa conformité à des lois prescrivant les modalités de composition et de réception du Beau. Peter Szondi, dans ses résumés de cours intitulés Antiquité et modernité dans F esthétique à l'époque de Goethe , a pu légitimement indiquer dans cet exploit théorique une véritable révolution, le « passage d'une esthétique de l'effet (Wirkungsästhe- tik) à une esthétique du réel (Realästhetik) » 21 .

Quels en sont les enjeux ? La nouvelle esthétique redéfinit le beau dans son rapport avec la nature et les modèles normatifs de l'Antiquité. L'œuvre d'art cesse d'être imitation de la nature mais ne renie pas pour autant son rapport avec la nature - elle en définit un autre, qui est de l'ordre de Yhomologie structurelle . Par ailleurs, l'on regarde soudainement les œuvres du passé classique en perspective, historiquement et idéalement, non pas comme des modèles qu'il

16. Ses écrits principaux en cette matière sont le Versuch einer deutschen Prosodie (1786) et les Vorlesungen über den Stil (1793).

17. G.C. Arean, Studi sul neoclassico, in Da Hogarth a Picasso, Feltrinelli, 1983. 18. J.J. Winckelmann, Monumenti antichi inediti, in 11 bello nel? arte, éd. établie par Federico

Pfister, Einaudi, Torino, p. 151. 19. Ibid., p. 59. 20. En 1785, avec l'essai Über den Begriff des in sieb selbst vollendeten. 21. Peter Szondi, in Poetik und Gescbichtsphilosopbie I, Suhrkamp, Frankfurt, 1974, p. 90.

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Problématiques

faudrait imiter ou copier : on désavoue même la conviction propre aux hommes de la Renaissance - ces « naïfs » modernes - que la modernité puisse recréer l'Antiquité. D'un côté, l'œuvre néoclassi- que se pose comme un emblème 22, ou encore un symbole de la nature : une forme « polaire » réunissant au sein d'une seule et même expression « deux signes égaux et contraires » 23. De l'autre, on étudie les œuvres du passé dans le but d'en extraire des types 24 , des principes formels abstraits dont on pourra se servir pour la réalisation d'un « tout » radicalement « moderne ».

La théorie de l'autonomie de l'art implique enfin une redéfini- tion de la perception esthétique, et, partant, une réforme de la critique (critique littéraire, critique d'art). Moritz est à ce sujet le plus innovateur parmi les théoriciens du néoclassique. Si d'un côté il bat en brèche l'esthétique de 1'« effet », en affirmant l'autotélisme du Beau, de l'autre il essaye de donner une légitimation structurelle au rôle du destinataire. Il ne faut pas oublier que le néoclassicisme est l'époque des premiers musées de notre histoire 25 - donc un moment crucial pour la réflexion sur le regard du destinataire. Aussi dans l'esthétique de Moritz voit-on se côtoyer, de façon à première vue paradoxale, deux postulats antithétiques : l'œuvre d'art est absolument autonome - mais elle ne saurait exister sans le regard que nous portons sur elle 26. Le dilemme se résout à la lecture des Voyages ď un Allemand en Italie, où la perception esthétique est pensée comme un axe interne à l'œuvre - comme une fonction de l'œuvre 27 ; dans les Vorlesungen über den Stil Moritz va même jusqu'à appliquer la théorie leibnizienne des points de vue à la création littéraire, formulant ainsi une singulière théorie du lecteur implicite. D'où, nécessairement, une redéfinition du regard critique, qui s'efforce désormais de retrouver la loi qui régit l'œuvre. D'où, aussi, la théorie des « lignes de beauté » : l'œuvre d'art transforme les « lignes de vérité » imperceptiblement courbes décrites par la nature en lignes plus accentuées, formant ainsi un petit cercle à l'intérieur du grand cercle. Par conséquent le critique d'art doit essayer de

22. Cf. Jean Starobinski, 1789 - Les emblèmes de la raison, Flammarion, Paris, 1977, p. 97, où l'œuvre néoclassique est définie comme « l'emblème d'une réalité hors d'atteinte ».

23. G. Baioni, Classicismo e rivoluzione, 3e édition, Guida, Napoli, 1988, p. 322, où la « forme polaire » est analysée dans son fonctionnement au sein de l'œuvre et de la poétique de Goethe. Mais aussi pour Moritz 1'« union des contraires » est la loi structurelle de toute forme véritablement autotélique, qu'il s'agisse d'un mythe ou d'une œuvre d'art.

24. C'est la démarche de Quatremère de Quincy dans son Encyclopédie méthodique. Architecture (1788-1825), où le type est défini comme un « schème qui ne peut avoir aucune détermination formelle » (cf. G.C. Argan, in II neoclassico, op. cit., p. 143).

25. Le Fredericianum à Kassel est inauguré en 1769, la Sala Rotonda au Vatican est aménagée dans les années 1772/1781, le Musée du Belvédère à Vienne, conçu par Christian von Mechel, un ami de Winckelmann, naît en 1779 (cf. H. Honour, Neoclassicism, Penguin Books, London, 1968). Winckelmann avait du reste consacré deux écrits au problème de la perception des œuvres d'art, les Avertissements sur la façon d'observer les œuvres ďart anciennes (1756) et la Dissertation sur la faculté du sentiment du beau dans Fart et sur F apprentissage de cette même faculté (1763).

26. K.Ph. Moritz, Werke, Insel, Frankfurt, 1982, II, p. 544. 27. Moritz oppose au jardin à l'italienne le jardin néoclassique à l'anglaise, dont la

structure implique un équilibre entre le libre langage de la nature et les exigences du regard.

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LA POÉTIQUE DE MORITZ

localiser le centre de l'œuvre, en se laissant guider par sa structure interne.

Or la question est de savoir comment la poésie peut accéder à l'autotélisme. Dans sa manière d'aborder cette question, Moritz se révèle l'héritier attitré et original de Lessing 28. Il est le premier à saisir non seulement les enjeux du projet de Lessing, mais aussi les problèmes qu'il soulève. Nous n'en rappellerons que les points essentiels : le but du Laokoon est de définir et de différencier entre eux les modes de représentation propres à la littérature et aux arts plastiques, en évitant soigneusement de privilégier l'un des deux modes d'expression. Aussi Lessing établit-il (chap. XV) que la littérature œuvre dans l'ordre du temps (succession), les arts plastiques dans l'ordre de l'espace (coexistence). Toutefois, lorsqu'il s'agit de cerner le statut respectif du signe dans les deux cas, Lessing trahit son souci d'équilibre. Etant admis que le signe doit aspirer au « naturel » - ce qui revient à dire, dans une terminologie moderne, que le signe doit être motivé - , il s'avère que les arts plastiques disposent en quelque sorte a priori de signes motivés, alors que le signe linguistique, impliquant par essence de l'arbitraire, doit sans cesse veiller à en expulser les résidus 29 . Cette entorse, véritablement minime, au projet initial, n'échappe pas à Moritz. Il en déduit que la langue souffre d'une insuffisance structurelle - un défaut que la poésie se doit de « rémunérer ». Le signe linguistique se limite à signifier, sans être ; il n'actualise plus, en même temps que la signification, la parenté qui devrait le lier nécessairement à la chose - ce lien qui, à l'orée de son histoire 30, le rendait chose à son tour. En outre, le signe linguistique est incapable de saisir l'être, de s'élever à la signification des concepts abstraits ; comme la pensée humaine, il est condamné à tourner autour des concepts sans jamais pouvoir les pénétrer. Le langage est donc à la fois allusif - il ne présente pas la chose, mais se limite à la désigner : « ceci est un arbre » - et tautologique - il ne peut que répéter indéfiniment le nom du concept : « le style est le style ». D'un côté, la littérature s'affronte à l'épaisseur des choses ; de l'autre, elle est contrainte au mutisme par le langage aérien de la musique. D'où la polémique contre Winckelmann, qui avait précisément fondé un nouveau genre littéraire - la description des œuvres d'art - sur le présupposé tacite que la langue est en mesure de signifier le Beau.

28. L'esthétique de Lessing est exposée dans le Laokoon (1767), écrit avec ie but de contrecarrer les Gedanken über die Nachahmung der griechischen Werke in der Malerei und Bilhauerkunst (1755) de Winckelmann, qui prétendaient imposer l'idéal plastique de la sculpture grecque à la littérature. Il est significatif que le néoclassique Moritz adhère à la révision du classicisme winckelmannien, dont la fidélité au dogme de l'imitation contredit les exigences de la nouvelle esthétique.

29- Cf. sur ce point Tzvetan Todorov, Théories du symbole, Paris, Seuil, 1977, pp. 169-178. 30. Il y a chez Moritz une ébauche d'histoire de la langue, ce qui n'est certes pas une

nouveauté au XVIIIe siècle. Ce qu'il y a d'original, c'est l'idée que le signe linguistique était à l'origine une métonymie motivée par son rapport analogique avec une partie de l'objet désigné.

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Problématiques

Le génie de Moritz fut de renverser la perspective - en systématisant le défaut de la langue. La rhétorique moritzienne, ainsi, se fonde précisément sur une généralisation délibérée du principe d'allusion ; la poésie peut motiver le langage en établissant un réseau de correspondances entre les signes, donc interne au langage (alors qu'à son origine la langue tirait sa motivation de son rapport avec la chose signifiée)31. La prosodie, en revanche, se définit comme un système rythmique permettant d'organiser la tendance du langage à la tautologie, à la répétition.

Le point de départ de Y Essai de prosodie allemande (1786) est constitué par une mise en scène de ce que l'on pourrait appeler la querelle entre les classicistes et les néoclassiques - sorte de réédition subtile de la querelle des anciens et des modernes 32 . Le classiciste Arist défend une position radicalement anti-moderne, en affirmant que la prosodie des auteurs classiques est un modèle inatteignable en vertu de la supériorité de leur langue sur la langue moderne 33 . Le néoclassique Euphème, au contraire, tout en recon- naissant la valeur exemplaire (ou plutôt : précisément parce qu'il reconnaît cette valeur exemplaire) de la prosodie classique, soutient que la prosodie moderne peut se mesurer avec elle, à condition qu'elle fonde ses règles sur la nature spécifique de la langue moderne, à condition, donc, de considérer la prosodie ancienne comme un type qu'il ne s'agit pas d'imiter mais de comprendre 34 .

Pour construire les règles de la prosodie moderne, Euphème analyse le fonctionnement de la prosodie ancienne, en ajoutant, comme prémisse, que la poésie des Anciens était déjà le résultat du raffinement d'une langue primordiale - chant sans règles et sans art - , dont les rythmes désordonnés s'organisèrent peu à peu 35. L'hypothèse de Moritz est la suivante : de même que le sautillement des premiers hommes devint peu à peu le mouvement structuré de la danse « prescrivant à soi-même ses propres lois », de même le chant primitif devint peu à peu la « langue du sentiment » en constituant par lui-même « une mesure récurrente » 36. C'est ainsi

31. « Une expression ne devient figurée que si elle peut être référée de façon allusive, non dans son sens accompli, à l'expression qui la précède. » ( Vorlesungen über den Stil, in Werke, III, p. 636).

32. Subtile puisque ici les termes de la polémique sont rigoureusement identiques : les modèles classiques sont dans les deux cas les seuls et uniques référents culturels. La question n'est plus de savoir si les Anciens sont des modèles valables ou pas - cela est posé comme acquis - , mais quel type de rapport il s'agit d'établir entre la poésie moderne et la poésie classique.

33. Le nom même d'Arist signifie en effet « celui qui tient un discours du privilège », « celui qui défend dogmatiquement une tradition ».

34. Le nom de Euphème est lui aussi très éloquent : il signifie « celui qui pratique un beau discours », « celui qui se situe dans le discours du Beau ».

35. On retrouvera le même raisonnement dans la Götterlehre. Moritz déconstruit ainsi le mythe de la perfection originaire (« et in Arcadia ego ») - ce qui est une intuition de très grande portée, si l'on songe à la démarche de Nietzsche dans La naissance de la tragédie (cf. Minerve, ou F éternelle modernité, Recueil, 12, p. 159).

36. Versuch einer deutschen Prosodie, in Werke, III, p. 485. Il est peut-être utile de rappeler ici que cette intuition fut reprise par Schiller dans les Lettres sur l'éducation esthétique de /' homme (XXVI) en des termes pratiquement identiques. La question serait, maintenant, de savoir si

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que le discours se retranche pour ainsi dire en lui-même et devient un langage autotélique.

Ce qui est essentiel, pour la constitution d'une légalité interne de la poésie, c'est le passage du « nombre » au « mètre ». Si l'on suppose que le sentiment, qui détermine la forme du premier langage poétique organisé 37, tend à « accentuer la succession » des phonèmes, alors le premier modèle d'ordre fut une prosodie numérique où chaque phonème portait « l'empreinte du tout » ; à ce stade de l'évolution du rythme la répétition s'organise en une série de « monades » expressives qui seraient ainsi chacune des abrévia- tions du tout. Lors du passage au mètre, en revanche, chaque élément rythmique est mesuré comme la partie d'un tout cohérent. La répétition métrique, par conséquent, est une répétition de rythmes et non de syllabes où, toutefois, chaque élément garde la valeur singulière acquise dans le cadre de la répétition numérique. Chaque syllabe reçoit ainsi un «double intérêt» - une double signifiance - , puisqu'elle entre dans une double relation : avec les idées, en tant que phonème, et avec le mètre, en tant qu'unité rythmique. Le langage poétique parvient de la sorte à se reproduire de façon autonome, suivant la loi du mètre : la mesure du langage poétique, en effet, est interne au langage comme les premières unités de mesure étaient internes aux corps (le pouce, la brasse, etc., etc.). La poésie devient par là une « langue supérieure » :

Ce mètre qui lie remplace en quelque sorte la séparation de la relation des syllabes d'après leur signification, qui se produit quand les syllabes sont énumérées, et fait apparaître à la place une nouvelle relation qui empiète souvent sur la première... 38

Autrement dit, la prosodie, en tant que mètre ou système de répétition signifiante, comporte la constitution d'un axe paradigma- tique qui s'insère dans l'axe syntagmatique du discours. L'idéal de perfection poétique peut donc être défini, en plein accord avec la poétique néoclassique, comme compénétration des deux ordres du discours : ou encore, comme unité du rythme et du sens, de la « technique » et de la « nature » 39.

Sur la base de cette définition, Moritz peut résoudre le problème illustré par la querelle qui opposait, au début de l'essai, Arist et Euphème. La prosodie des Anciens révèle en effet, aux yeux du poéticien, un déséquilibre essentiel, dû à une préminence de l'axe paradigmatique. Ce n'est pas une Poétique mais une métrique pure, qui s'épuise en pur chant : rythme pur abolissant la signification des syllabes. Dans la poésie moderne, au contraire, cela ne peut se

Paul Valéry (cf. Variété , in Œuvres, Pléiade, I, pp. 1329-1330) a puisé ce même modèle généalogique du rythme chez Schiller, ou s'il existe dans la réflexion poétique française, comme semble l'affirmer Valéry lui-même, un filon parallèle qu'il faudrait faire remonter à Malherbe (« Malherbe, selon Racan, en faisait usage » ibid.).

37. Le sentiment est également la seule forme de lecture qui soit fidèle à l'esprit de la poésie (« le sentiment considérera davantage les concepts de manière égale »).

38. Versuch einer deutschen Prosodie, in Werke, III, p. 389. 39. Au sens schillerien de ces termes.

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Problématiques

vérifier, pour des raisons historiques : « Notre poésie, en effet, est restée à mi-chemin entre la langue des pensées et la langue des sentiments » 40 . Mais ce défaut tourne en faveur des Modernes, dont la poésie peut combiner les deux axes de signification - donc conserver la double signifiance. Le résultat de ce traité est donc surprenant : seule la poésie moderne est à même de réaliser l'unité du rythme et du sens. Moritz est ainsi authentiquement néoclassi- que, si l' on veut bien définir le néoclassicisme comme un moment culturel qui « ne marque nullement une renaissance du monde classique puisqu'il n'entend pas restaurer ou évoquer l'Antiquité [...] la réduisant à l'état de pur concept»41. La Prosodie allemande s'impose par conséquent comme le manifeste le plus authentique de la poésie néoclassique - moderne en tant que néoclassique - ; et c'est en même temps la preuve qu'il est possible de concilier l'amour des Classiques et la conscience de sa propre Histoire.

Moritz parvient donc non seulement à différencier théorique- ment la poésie moderne et la poésie ancienne, mais aussi, dans l'économie de son système, à légitimer la poésie face au prestige de la musique comme véhicule privilégié de l'ineffable. La Prosodie est, en ce sens, cette « théorie de la musique grammaticale » que Friedrich Schlegel, dans ses Fragments 42, appelait de ses vœux. Mais son rôle historique - qui fait d'elle une pièce-maîtresse dans l'histoire de la poétique - pourra être perçu en la rapprochant de l'essai de Schiller Sur la poésie naïve et sentimentale (1795). Dix ans avant Schiller, la Prosodie dénonce la fracture qui a séparé à tout jamais l'homme moderne de la nature, de sa nature. Moritz en avait analysé, dans l'essai Das 'Edelste in der Natur et dans les premières parties du Anton Reiser (1785), la pathologie sociale. Avec la Prosodie il en examine les conséquences poétiques ; la scission du corps et de l'âme se déclare poétiquement comme scission du chant et du discours. Or c'est précisément cette fracture que la nouvelle prosodie doit essayer de résorber, tout comme la franc-maçonnerie a pour but de rapprocher les classes sociales 43 . Le modèle idéal formulé par Moritz - la nouvelle et plus haute unité du rythme et du sens : la nouvelle langue du sentiment - est ainsi une première ébauche de ce que Schiller appellera la poésie sentimentale.

40. Versuch einer deutschen Prosodie, in Werke, III, p. 524. 41. G.C. Argan, op. cit., p. 144. 42. « Il y faudrait un nouveau Laohoon qui délimite les champs de la musique et de la

philosophie » (in Friedrich Schlegel, Schriften %ur 'Literatur , dtv, München, 1972, p. 15). 43. Le franc-maçon, tel que l'avait caractérisé Lessing, veille à ce que les « fissures » de la

société se résorbent peu à peu, sans violence. Sa mission n'est pas à proprement parler politique, mais pédagogique : elle consiste à prêcher la vertu cardinale du « sacrifice », du renoncement. Aussi s'insère-t-elle dans un plus vaste projet anthropologique : étrange contribution de Moritz au débat sur le télos de l'humanité, qui n'a pas été sans influencer les Lettres sur F éducation de Schiller. La perfectibilité de l'homme est pensée en termes esthétiques, en tant qu'intériorisation des lois de la nature - destruction et régénération au sein d'un moi collectif. Dès lors, l'homme étant à la fois l'acteur et le spectateur de son propre drame, l'Histoire s'achève en symbole.

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Il n'est donc pas hasardeux d'affirmer que Schiller et Goethe, dont on connaît l'admiration affectueuse pour l'auteur de la Prosodie 44 , ont pris conscience du rôle historique qu'ils étaient appelés à jouer, et des moyens poétiques dont ils disposaient, grâce à cet « homme-épouvantail » dont les contemporains n'ont pas hésité, parfois, à se moquer 45 . Malheureusement la familiarité de Moritz avec ses célèbres contemporains a longtemps occulté la connaissance directe de ses œuvres - surtout de ses œuvres théoriques, souvent jugées accessoires 46 , ou, pis encore, considé- rées comme des vulgarisations de la pensée esthétique de Goethe. Grâce aux études de quelques critiques - Peter Szondi et Hans Joachim Schrimpf en Allemagne, Tzvetan Todorov en France, Giuliano Baioni en Italie - ce mythe a été définitivement démas- qué. Aujourd'hui il est permis d'espérer que l'œuvre de Moritz sera de plus en plus appréciée par les théoriciens de la littérature, dont il est l'un des précurseurs les plus originaux.

44. Moritz fit la connaissance de Goethe à Rome dans les années 1786-1788 ; par la suite il fut souvent son hôte à Weimar. Quant à l'importance de la Prosodie pour l'évolution de sa poétique, Goethe a laissé un témoignage éloquent : « Je n'aurais jamais osé traduire Ylphigénie en iambes si la Prosodie de Moritz ne m'était apparue comme une étoile pour me guider. » (cité par Uwe Nettelbeck, in Karl Philipp Morite, Lesebuch, op. cit., pp. 19-20).

45. L'anthologie préparée par Uwe Nettelbeck (Karl Philipp Morit', Lesebuch, op. cit.) rassemble de nombreux témoignages des antipathies suscitées par Moritz.

46. Cf. à titre d'exemple le parti pris d'Albert Béguin (in L'âme romantique et le rêve, José Corti, 1939, pp. 21 et passim), consistant à dégager de l'œuvre de Moritz les écrits « préromantiques », à savoir les romans et les fragments, que Moritz aurait en quelque sorte « refoulés » lorsqu'il entreprit, sous l'influence de Goethe, son œuvre de théoricien.

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