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Anciens Théatres de Paris - G. Cain

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GEORGES CA.XIST.

ANCIENS

DE PARIS.

LE BOULEVARD DU GRIME.

LES THÉÂTRES DU BOULEVARD.

EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUB,

11, RUEDEGRENELLE,11.

1906.

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ANCIENS THÉÂTRES

DE PARIS

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Il a été lire de cet ouvrage :

2a exemplaires numérotés sur papier du Japon.

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I.'AFKICIIEUII.

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GEORGES CAIN

ANCIENS THÉÂTRES

DE PARIS

LE BOULEVARDDU TEMPLE

LES THÉÂTRES DU BOULEVARD

Orné «le370 reproiluclIonKde (lonumciilsanciens

PARIS

LiiiiiAiniK CHARPENTIER ET FASQUELLEEUGÈNEFASQUELLE,ÉDITEUR

11, HUE DE GHENKLLE,Il

1906Tousdroitsréservés

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Au MAITRE VICTORIEN SARDOU

En témoignage de profonde reconnaissance et de

respectueuse affection.

Mars 1906. G. C.

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Au MAÎTRE VICTORIEN SARDOU

En témoignage de profonde reconnaissance et de

respectueuse affection.

Mars 1906. G. C.

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AVANT-PROPOS

Au moment de remettre à mon aimable

éditeur le « bon à tirer » définitif de ce petit

volume, j'ai le très agréable devoir de dire

publiquement un grand merci à tous ceux

qui ont bien voulu me prêter le concours de

leur esprit, de leur science, de leurs sou-

venirs, de leur documentation. MM. A. Pou-

gin, A. Soubies, L. Péricaud, ces parfaits éru-

dits pour qui l'histoire du théâtre n'a pas de,

secrets, E. Noël et Stoullig, dont les Annales

si documentées sont des guides précis et pré-

cieux, Mmc Pasca, grande artiste et haute

intelligence, MmesPierson et Bartet, racontant

avec autant d'esprit que de grâce leurs souve-

nirs d'hier, alors que je leur parlais de

leurs triomphes d'aujourd'hui, tous ont été si

aimables et si accueillants, que j'en reste confus

autant que charmé.

J'ai interrogé le bon acteur Lassouche, qui,

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AVANT-PROPOSX

rajeuni, m'a dépeint le boulevard du Crime;

l'excellent Péricaud m'a fait revivre le théâtre

des Funambules, cher à nos pères ; M. HenryLecomte a mis à ma disposition ses remar-

quables collections et son impeccable savoir,

et M. Masset m'a confié les amusants manus-

crits de son père ; Frédéric Febvre m'a conté

— comme il sait conter — sa joyeuse jeunesse ;

Bonnat, Massenet, H. Ileugel, Ch. Malherbe ont

battu le rappel de leurs souvenirs dramatiques,et Détaille a bien voulu « mimer » pour nos

lecteurs « les combats à l'haché » et la « Prise

du Drapeau » qui avaient charmé sa prime

jeunesse.Henri Lavedan, Maurice Donnay, A. Capus,

Jacques Normand, Pierre Decourcelle, R. de

Fiers, A. de Caillavet, Michel Provins, qui me

font l'honneur de leur amitié, m'ont conté les

impressions personnelles ressenties pendantces soirs de bataille qui furent pour eux des

soirs de victoire. MM. C. Goquelin et L. Guitry,très grands artistes et causeurs exquis, après

avoir été acclamés sur la scène, voulurent bien

subir le supplice de «l'interview», comme

Porel et Albert Carré, qui parlent théâtre avec

autant d'esprit et de science qu'ils en déploient

pour triompher dans l'art si difficile de la mise

en scène !

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AVANT-PK0P0S XI

J'en oublie certainement, et je m'en excuse,

parmi ces aimables collaborateurs qui gracieuse-ment se sont faits mes complices.

—D'ailleurs,

Paris a pour son cher théâtre des indulgenceset des grâces particulières. Petits et grands,tous l'ont aimé, l'aiment ou l'aimeront.

Nos grands-parents, nos parents le ché-

rissaient, beaucoup des vieux amis de notre

famille étaient des auteurs célèbres ; mon frère

et moi les écoutions avec ravissement, et ce

sont ces amusantes causeries qui avaient bercé

notre enfance que je me suis efforcé de rappeler.Enfin MM. Victorien Sardou, Ludovic Halévy,et Jules Claretie, avec une affectueuse bonté,dont je ne saurais jamais assez les remercier,m'ont fait la faveur de me guider dans mon

travail. J'évoquais leur glorieuse carrière, et ils

voulurent bien ne pas répondre « Assez ! » alors

que je disais «Encore?»; ils se laissèrent

interroger de si bonne grâce, que j'en abusai

indignement, et lé meilleur de ce petit livre est

certainement fait de leurs souvenirs.

Ai-je besoin d'ajouter que jamais je n'eus

l'idée présomptueuse d'écrire en ces pages

légères F « Histoire » du Théâtre ! Loin de moi

cette prétention ; mon but est tout autre. J'ai visé

presque uniquement l'anecdote amusante, le

menu fait, 1' « à côté » ; j'ai bien souvent re-

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XII AVANT-PHOPOS

gardé dans la coulisse plutôt que sur la scène,

et mon unique ambition serait que le public

prit à lire ces historiettes théâtrales le plaisir

que j'éprouvais à les écrire, sous la dictée de

ces conteurs exquis que Paris applaudit avec

tout son coeur ému et toute son infinie recon-

naissance.

Georges GAIN.

Mars 1900.

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LE BOULEVARD DU TEMPLE

Les origines du boulevard du Temple. — Nicolet et lethéâtre des Grands-Danseurs du Roi. — Le Grimacier.— Le théâtre des Associés. — MmeSaqui.

En 1670, Louis XIV — par un arrêté en date du

8 juin —ordonna la continuation du Cours qui,traversant l'enclos et le marais du Temple, parlaitde la porte Saint-Antoine pour aboutir à la rue

des Fillcs-du-Calvaire. On combla les fossés, on

planta des arbres, on éleva un rempart, et la pro-menade se poursuivit jusqu'à la porte Saint-Mar-

tin; ce fut l'origine de ce boulevard du Temple, qui

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2 ANCIENSTIIEATHKSDE PARIS

devait tenir une si belle place dans l'histoire du

théâtre à Paris.

Ce nom de « Quartier du Temple » venait des

Templiers— ces soldats religieux

— qui avaient

établi sur ces vastes terrains le siège de leur

Ordre. Le 13 octobre 1307, le roi de France, Phi-

lippe le Bel, poussé par le Pape Clément, décide

leur suppression : le grand-maître Jacquesdc Molayest arrêté, et, après un effroyable et inique procès,brûlé vif, ainsi que Guy, grand-prieur de Norman-

die, dans l'île du Palais, à la pointe de la Cilé;elde

tous ces tragiques souvenirs un nom seulement

survivait : boulevard du Temple, ce lieu de plaisirs,de rires, d'amuscmenls, d'élonnemenls, d'éballe-

menls, celle kermesse perpétuelle, celle foire

populaire, celle terre classique du calembourg,du coq-à-1'âne, de la réclame, des parades et des

pitreries, donl Désaugiers écrivait vers 1820 :

La seul' proin'nade qu'a du prix,La seule donl j'suis épris,

La seule oùj'm'en donne, où je ris,C'est l'bouTvard du Temple à Paris!

En peu de temps, celle belle avenue plantée

d'arbres, spacieuse, verdoyante, devint un but de

réunion. Ce fut le rendez-vous de la meilleure

société, cl aussi de la pire, qui se pressait A la

Promenade des Remparts. Vers quatre heures, les

voilures défilaient, entre le boulevard des Filles-

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I.i; BOULEVARDDU TEMPLE 6

du-Calvaire el la Bastille, à ce point nombreuses

qu'elles ne pouvaient avancer qu'au pas. Les pri-

sonniers de la célèbre forteresse qui jouissaientde la faveur des terrasses ne manquaient jamais

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4 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

de s'y rendre à ce moment choisi et, de loin, ils

avaient le plaisir de lorgner el de saluer leurs

belles amies.

Une délicieuse gravure de Saint-Aubin nous

montre ce fameux coin de Paris rempli de mouve-

ment, débordant de vie; les cabriolels s'y croisent,

les marchandes d'oubliés, de gâteaux de Nanlerre,

de sucres d'orge y circulent; les marchands de coco

y débitent leur marchandise, les badauds s'y

pressent; les grandes dames y déploient leurs grâcescl les jolies filles s'y affichent, —témoin celle amu-

sante gravure de modes que, le dessinateur Brion

commente ainsi : « L'agaçante Julie reposant sur le

boulevard, en attendant bonne fortune, elle est. en

robe du malin avec un chapeau à la chasseresse aa.v

cwurs volants. » Fanchon la Vielleuse y fredonne

les chansons de Collé, de Panard cl de l'abbé de

Lattaignanl. C'est l'aube du succès qui se lève

sur le boulevard du Temple.

Les saltimbanques el les bateleurs, attirés parle publie, y installèrent bientôt leurs parades, elle

sieur Camion, — un vétéran de la foire Saint-Ger-

main, —y établit la première baraqué. Gandon

comptait dans sa troupe un sujet remarquable, le

père Nicolcl, qui tenait l'emploi des Arlequins; ce

Nicolel avait un fils, pitre el acrobate, qui voulut

à son tour tenter fortune et, lui aussi, s'improvisadirecteur forain en 1760 ; le succès favorisa

vile son entreprise : bientôt le théâtre devint trop

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6 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

petit ; Nicolel loua, en 176'i, un terrain voisin de

celui qu'il occupait déjà et fit construire une nou-

velle salle donl il devint, propriétaire après trois

ans de luîtes administratives cl de difficultés

matérielles. Sur la façade du théâtre Nicolel se

lisait ce litre : Salle des Grands-Danseurs. Dans

son élude si précieuse et si documentée sur le boule-

vard du Temple, Brazicr nous apprend qu'on y

représentait des pantomimes, qu'on y voyait des

sauteurs, des danseurs de corde, qu'on y applau-dissait les « Alcides » les plus étonnants, les

équilibrisles les plus adroits. Wr^X,c'était toujoursde plus fort en plus fort chez Nicolel. L'expressiona traversé les temps, et l'heureux Nicolel. aprèsavoir l'ait salle comble, en 1707. vivra dans la

mémoire des hommes. Son singe, son fameux

singe, qu'il employait aux parades de la porte, di-

vertissait tout Paris, lorsque, revêtu d'une robe de

chambre ayant appartenu à Mole de la Comédie-

Française, alors malade, il contrefaisait avec force

grimaces les lies et les gestes convulsifs de cet

acteur à la mode.- On lit même, sur celte amusante

parodie, une chanson donl voici deux couplets :

Si la Mort étendait son deuilOu sur Voltaire ou sur Clioiseuil,Paris serait moins en alarmesEt répandrait bien moins de larmesQue n'en ferait verser MoletOu le silice de Nicolel !

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LE BOULEVARDDU TEMPLE

Peuple ami des colifichets,Qui porte toujours des hochets,Rends grâces à la Providence,Qui, pour amuser ton enfance,Te conserve aujourd'hui MolelOu le sinue de Nicolel!

Le succès rend audacieux : Nicolel remplaça ses

marionnettes et ses saltimbanques par des acteurs

vivants el s'adressa, pour composer ses petites

pièees comiques, à un sieur Taconncl : c'était avoir

la main heureuse. Taconncl, machiniste à l'Opéra-

Comique, était un gai compagnon, plein de verve

populacière, d'esprit railleur el bon enfant, gai,

original, un peu ivrogne,— ayant coutume de dire

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8 ANCIENSTHÉÂTRESRE PARIS

pour manifester son plus profond dédain : « Je le

méprise comme un verre d'eau. » C'était, en somme,

raulcur rêvé pour celte petite scène, moitié ba-

raque, moitié théâtre, où les gens du beau monde

aimaient à aller s'encanailler cl où la brave popu-lace parisienne s'amusait si fort.

En moins de dix ans, Taconncl composa plus de

soixante pièces, qui presque toutes réussirent. Il yeut bien l'éternelle jalousie des grands directeurs

de théâtres privilégiés, qui s'efforcèrent de ruiner

l'entreprise. On vit, l'Opéra jaloux du théâtre

des Grands-Danseurs! Mais Nicolel. n'était pashomme à baisser facilement pavillon. De plus fort-en plus fort élail toujours sa devise. Il le prouvamieux quejamaisen 1770, lorsqu'à près un incendie

qui détruisit son théâtre il le, reconstruisit immé-

diatement el finalement obtint, l'inespérée faveur

de mettre sur sa façade : Théâtre des Grands-

Danseurs du Roi! après une représentation où sa

troupe s'était couverte de gloire, à Choisy, devant

Louis XV et M"":Dubarry.Le répertoire se composait d'arlequinades el

•d'ouvrages à spectacle; des acrobates, des équili-

brisles, des pitres remplissaient, les entr'acles.

Dans sa très intéressante étude sur les Théâtres

<lu boulevard du Crime, mon ami Henri Beaulieu

raconte que Taconnel mourut., en 1775, des suites

de son ivrognerie invétérée, à l'hôpital delà Charité

où Nicolel avait, fondé des lits pour ses acteurs.

Nicolel vint l'y voir: « Monsieur, dit-il au Prieur,

Page 30: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 9

n'épargnez rien pour sa guérison, je donnerais

cent louis pour le conserver! » — « Monsieur

Nicolel, réplique alors Taconncl d'une voix mou-

rante..., pourricz-vous pas me donner un petit

acompte? »

Non loin du grand, café Alexandre, à côté du

théâtre de Taconncl, s'élevait une autre baraque,le théâtre des Associes. Vers 1769, un balelcur, du

nom deVienne, dit Beau visage, obtenait, boulevard

du Temple, un immense succès. La foule groupéeaulour de lui se tordait,de rire : c'était le Grimacier,

personnage étrange, fantastique, stupéfiant, dont

les simagrées, les contractions, les contorsions,

Les ï«rces ou Bot>echeen "bonne"humeur.(DuiiifSsisliertaux.)

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10 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

provoquaient la plus folle gaieté. Au cours de la

séance, le Grimacier faisait passer sa scbille, el la

recette était toujours fructueuse, à ce point que ce

saltimbanque, lui aussi, voulut posséder sa baraque.11y gagna de l'argent, el la céda bientôt à un entre-

preneur de marionnettes, sous celle seule condition

« qu'il resterait toujours grimacier en chef et san ;

partage ». Il paraissait dans les entractes. —D'où

ce litre : théâtre des Associés. Près de là se dressa,

vers JSl-'i, el avec l'autorisai ion «le Louis XVI IL le

théâtre de AV'°Saqui,\;\ célèbre danseuse de corde,

qui, âgée de quatre-vingts ans, devait encore

être applaudie à Paris, vers 1863, à l'Hippodrome

d'Arnaiill, dansant sur la corde raide, en costume

de Minerve, el c.isquc en tète!

C'est en haincel par jalousie de M""'Saqui que lui

construit, en J8I6, le théâtre des Funambules. Entre

ces deux établissements rivaux et voisins, c'élail la

guerre. L'excellent Périeaud, qui est non seulement

un artiste de talent, mais encore un remarquable

écrivain théâtral, a consacré un livre charmant el

définitif à l'histoire du théâtre des Funambules, où il

nous raconte par le menu ces luttes épiques. Une

anecdote entre cent: Un jour Bertrand, le direc-

teur, l'ail afficher au foyer une ordonnance par

laquelle « il est interdit, dans toutes les dépen-

dances du théâtre des Funambules, de prononcer le

nomilcM'" Saqui,M. Bertrand considérant l'appel-

lation de ce nom comme une réclame faite, à un

théâtre méprisable par les gens qui le dirigent :

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LE BOULEVARDDU TEMPLE 11

des amendes sévères seront appliquées à ceux quienfreindraient cet ordre de l'administration ». Le

lendemain, on put lire au bas de la pancartedirectoriale ces mots de révolte : « Un directeur

n'a pas le droit de boucler la bouche d'un artiste.

Nous ne sommes pas des esclaves. Je parlerai, au

théâtre cl au dehors, de M""! Saqui, tant que jevoudrai, el j'engage mes camarades à faire comme

moi. » — La réponse était anonyme. — Le soir

même, M. Bertrand ripostait : « Celui ou celle

qui a répondu si malhonnêtement à Vordre que j'aidonné n'est qiïun drôle. Je m engage publiquement, àdonner 50 francs de récompense à celui qiri viendrame dire son nom. » — Un quart d'heure après, un

pauvre diable nommé Gustave, qui remplissait, les

(MuséeCarnavalet.)GRANDCAFEAI.EXAMIIIE.

Page 33: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

12 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

fonctions de « second Cassandre ! » se présentetimidement au cabinet, directorial.

— Monsieur Bertrand, donnez-moi les 50 francs.

C'est mal ce que je vais l'aire, mais le besoin m'y

pousse : je viens dénoncer le coupable.

•— Aile, nommez-le-moi.— Pas avant d'avoir louché mes 50 francs!

— Vous n'avez donc pas confiance en moi"?

— Si l'ait, mais j'aime autant les toucher avant.

•— Les voici : parlez vile.

— Eh bien, monsieur Bertrand, l'infâme c'est,

moi!— Misérable ! — Je vous chasse du théâtre !

— Je m'en doutais, aussi ai-je tenu à loucher

d'avance !

— Vous savez que je vous mcls dehors.

TIIKATIIEDF.SFUNAMIIIJI.ES.

Page 34: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDUTEMPLE 13

— Ça m'est égal, il y a huit jours que,je suis

engagé par M'"°Saqui.— Gredin, je vais vous...

Gustave, en défense, put s'esquiver.Dix minutes plus lard, Bertrand, fou de colère,

raconlailà Deburaurcxéculion qu'il venait de faire

de ce méprisable Gustave.— Mais il n'est sûrement, pas le coupable... l'ail

Deburau.—

Puisque je le dis qu'il m'a avoué, lui-même,êlre l'auteur de la réponse injurieuse...

— Impossible! Il ne sail ni lire ni écrire, il ne

voulait que loucher les 50 francs. »

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Page 36: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

I.APARADEDUBOUI.KVARI)DUTF..MIM.F.APARIS.

Les Délassements-Comiques. — Le théâtre delà Malaga.— Le boulevard du Temple. — Le musée de cires dusieur Curlins. — Le théâtre Patriotique et les boni-ments de Salé. — llobèche et Galimafré. — Une lettrede M. Ludovic Halévy.— L'Ambigu-Comique. — Les

troupes d'enfants. — I.Wubcrt/edes Adrets el Frédéric-Lemaitre. — L'incendie de 1827.

En 1785, entre l'Ambigu el la porte, du Temple,s'élève une nouvelle salle, le Délassement-Comique.Un sieur Plancher-Valcouren était à la fois ledirec-

leur, l'auteur, l'acteur, le régisseur. Cet homme

actif el intelligent aurait vu certainement son entre-

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16 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

prise prospérer, si un incendie, en 1787, n'élailvenu

dévorer le théâtre. Valcour reconstruit une nou-

velle scène cl se remet courageusement à l'oeuvre.

Le public s'intéresse à ses efforts; puis, comme

toujours, les voisins prennent ombrage du succès

naissant ; une fois de plus ils proleslenl, réclament,

intriguent cl obtiennent du lieutenant de policeLenoir une ordonnanceparlaquclle: « lleslenjoinlau directeur du théâtre des Délassements-Comiquesde ne représenter à l'avenir que des pantomimes,de n'avoir jamais que Irois acteurs en scène et

d'élever une gaze entre eux el le public. »

En même temps que celle malencontreuse or-

donnance, éclata la Révolution, cl, suivant la jolie

expression de Duchcsne dans 1"Almanach des Spec-

tacles, « le voile de gaze fut déchiré par les mains

de la Liberté ».

A côté Au Délassemenl-Comique, une banquisle,« Mademoiselle Malaga », avait installé ses tré-

teaux. C'était une charmante danseuse de corde

qui compta il un grand nombre d'admirateurs;avant chaque séance, la jolie saltimbanque appa-

raissait, pendant la parade, dans un costume pail-

leté, presque toujours rouge, et très décollelée, el

la foule émue se pressait dans sa baraque.En I7'.)J, un décret de l'Assemblée nationale pro-

clame la liberté des théâtres. Quel événement!

Quelle émotion ! Brazier nous apprend que « le bou-

levard du Temple ne resta pas en arrière ; aussi, en

l'espace île deux ans, vit-on s'ouvrir sur ce boule-

Page 38: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 17

vard une foule de nouveaux spectacles » : les Elèves

de Thalie, les Petits-Comédiens français, le théâtre

Minerve, le café Yon, le café Godet, le café débita-

Victoire où l'on jouait la comédie, sans comra^Vr''

LESIIÉLASSKMKNTS-COMIQUF.S.

Page 39: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

18 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

les marionnettes, les cabinets de physique cl de

curiosité.

« J'étais enfant, bien enfant, raconte Brazier,

mais je me rappelle encore combien ce boulevard

était animé. A midi, les parades commençaient : à

peine un Paillasse avait-il fini qu'un autre lui suc-

cédait deux pas plus loin. On entendait le son

aigre d'une clarinette, le bruit, sourd de la grosse

caisse, les cymbales qui vous brisaient le tympan,cl puis les cris des marchands el des marchandes :

« Ma belle orange !... Ma fine orange!... Ça brûle...

ça brûle!... A la fraîche, qui veut boire.!...» C'était

étourdissant... c'était fou... mais original... varié...

C'était palpitant.... c'était vivant ! •>El pendant bien

des années encore ce joyeux boulevard amusa

Paris.

Boulevard du Temple également se trouvait le

Musée- de cire dit sieur Curlitts. A la porte. Xaboyeuren earrick à collets conviait à grands cris le publieà venir contempler « les plus grandes célébrités

dans tous les genres ».

Curlins avait installé son principal musée au

Palais-Royal, mais avait fondé une succursale au

milieu de celte fêle populaire permanente. C'est

même dans ce dernier établissement que, le 12 juil-let 1789, un beau dimanche ensoleillé, la foule,

remplissant le boulevard du Temple, envahit le salon

de Curlius, en arrache les bustes de NecUer et du

duc d'Orléans, el les transporte triomphalementdans les rues, recouverts d'un voile noir. On sait le

Page 40: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 19

reste : le cortège fut arrêté, place Vendôme, par

un détachement du Royal-Allemand ; l'image de

Necker eut la tète fendue, cl celui qui la portait,« le sieur Pépin, colporteur de mercerie, demeurant

rue îles Vertus, n° M», reçut une balle dans la

jambe, un coup de sabre à la poitrine el tomba à

côté du buste brisé.

Après avoir été ainsi mêlé aux premiers événe-

ments de la Révolution, le boulevard du Temple,

qui appréciait, fort celle ère de liberté, el où tous les

théâtres avaient fait relâche le jour de la mort

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20 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

de Mirabeau, s'empressa de célébrer le régimenouveau.

Le théâtre des Associés prend le nom de théâtre

Patriotique : il avait alors pour directeur un sieur

Salle qui, comme ses confrères, joua il les principauxrôles dans sa troupe; borgne, il préférait toutefois

l'emploi des Arlequins dont le masque dissimulait

son infirmité, mais il ne dédaignait pas de remplirl'office plus modeste d'aboveur; témoin ce boni-

ment qu'il hurlait, à la porte de son théâtre : « ... En-

trez, entrez, prenez vos billets. M. Pompée, pre-mier sujet de a troupe, jouera ce soir avec toute

sa garde-robe... Faites voir l'habit du premieracte. (On montrait l'habit.) Entrez... entrez...

M. Pompée changera douze fois de costume; il

enlèvera la fille du commandeur avec une veste à

brandebourgs cl sera foudroyé avec un habit à

paillettes...»Ce même Salle, nous apprend toujours Brazier,

ennuyé des réclamations des « Messieurs de la Co-

médie-Française » qui, par huissier, lui avaient l'ail

défendre de représenter sur son théâtre aucun ou-

vrage de leur répertoire, leurécrivail : «Messieurs,

je donnerai demain dimanche une représentationde Zaïre ; je vous prie d'être assez bons pour y en-

voyer une dépulalion de votre illustre compagnie,el, si vous reconnaissez la pièce de Vollairc aprèsl'avoir vue représentée par mes acteurs,je consens

à mériter votre blâme et m'engage à ne jamais la

faire rejouer sur mon théâtre. » Lekain, Préville el

Page 42: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 21

quelques-uns de leurs camarades se rendirent à

celle amusante invitation el s'y divertirent si fort

qu'à l'avenir les Comédiens-Français permirent à

LAl'AHAllEHEliOHKCIli:KTDEC.AI.I.MAFIIÉ.

Page 43: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

22 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Salle de représenter les parodies de toutes les tra-

gédies du répertoire ! Après la mort de Salle le

théâtre Patriotique changea encore de nom el

se nomma « Théâtre sans Prétention », c'est sous

cette dernière appellation qu'il disparut définitive-

ment, en 1807, emporté par le Décret Impérial qui

supprima tant de petits théâtres à Paris.

Plus lard, Bobèche et Galimafré font la joie du

boulevard. Gais, spirituels, amusants, mêlant à

la bêtise voulue la fine raillerie qui cingle el

souligne les ridicules du jour, ces deux sal-

timbanques eurent un tel succès que les groupesse formaient devant l'estrade où ils paradaientavant l'heure fixée pour leur apparition en public.Souvent même l'autorité dut intervenir, el Bo-

bèche et Galimafré furent, vertement lancés pourleurs incartades de langage ; mais Paris les accla-

mait ; le bon Nodier s'arrêtait longuement poul-ies écouler, avant de regagner la Bibliothèque de

l'Arsenal; Bobèche et Galimafré élaienl célèbres

et savouraient les ivresses du succès !

Nous avions passé très rapidement,-— trop rapi-

dement, — sur cet amusant théâtre des Délasse-

ments-Comiques.Le maître Ludovic Halévy a bien voulu rectifier

cette insuffisante citation, el la lettre exquise el

spirituelle, qu'il nous a si aimablement adressée

remet les choses au point. C'est une bonne forlune

pour nos lecteurs el un grand honneur pour notre

petit livre.

Page 44: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 23

« MONCHERAMI,

J'ai lu avec le plus grand plaisir les épreuves de

votre très intéressant et très spirituel volume sur

les Théâtres du Boulevard, mais il est, ce me

semble, un théâtre auquel vous avez fait trop étroite

mesure : les Délassements-Comiques. Ce tout petitthéâtre a été, en effet, grâce à son directeur mon

ami Léon Sari, un des spectacles les plus curieux

el les plus amusants de Paris.

C'est au commencement du Second Empire, en

1855, que Sari fut nommé directeur des Délasse-

ments-Comiques. Nous nous étions rencontrés,

Sari et moi, au ministère d'État. J'élais attaché au

secrétariat général, el Sari au service des théâtres,

placé sous la direction de Camille Doucel. Sari

était le fils d'un personnage historique ; son père,un brave marin du premier Empire — nous l'appe-lions le vieux guerrier -— élail second à bord du

brick VInconstant qui avait, en 1815, ramené Napo-léon de l'île d'Elbe au golfe Juan.

Léon Sari étaitun être charmant. Bon, spirituel,

d'esprit original et inventif, de coeur généreux, la

main toujours ouverte — trop ouverte — car il est

morl pauvre, après avoir brassé des millions.

Sari n'avait qu'une ambition : devenir directeur

de théâtre. Celait au temps des privilèges ; le

ministre d'Ëtat — alors M. Achille Fould —gou-

Page 45: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

21 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

vernail souverainement les scènes parisiennes,

grandes et petites : il nommait le directeur de

l'Opéra el le directeur de Bobino. Deux théâtres

devinrent vacants en 1855 : l'Odéon et les Délasse-

menls-Com iques.Sari demanda l'Odéon; les.Tuileries naturelle-

ment s'intéressaient au fils de l'officier de VIncons-

tant, mais Camille Doucel, dans sa prudence, pensa

que Sari troublerail la solennité classique de

l'Odéon, et c'était bien son intention. On offrit

seulement les Délassements-Comiques à Sari; il

accepta cl, en un tour de main, fil de cet obscur

petit théâtre une des scènes les plus brillantes el.

les plus bruyantes de Paris.

Les Délassements-Comiques devinrent immédiate-

ment un théâtre à la mode : ses premières repré-sentations étaient, des événements parisiens ; on y

voyait, les deux Dumas, Henry Murger, Edmond

Aboul, Meilhac, Roqueplan, Barrière, Lambert

Thiboust, Aurélien Scboll, Gustave Claudiu, Xavier

Aubryct, etc., etc.

Sari, avec infinimenl.de goût ctd'élégance, mon-

tait de petites féeries, des revues de fin d'année; il

avait une troupe sérieuse el solide d'une dizaine de

comédiens el. comédiennes, qui savaient leur mé-

tier... et qui étaient escorlés d'un escadron de

jeunes et jolies filles, dont le grand mérite élail de

n'avoir jamais paru sur aucun théâtre... Elles

jouaient et chantaient au petit bonheur... Cela élail

Page 46: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 25

délicieux quelquefois... cl quelquefois aussi détes-

table, mais toujours amusant. Aussi quelles scènes

extraordinaires dans celte, petite salle : on applau-

dissait, sifflait, trépignait, riait, criait, hurlait,

vociférait; on faisait baisser la toile, on la faisait

relever... Celaient des dialogues fantastiques entre

les petites actrices et les petits gandins de l'or-

chestre... des bourrasques de colère et des oura-

gans de rire... Assez!... assez!... elle chante trop

faux!... Non... non... bravo!... bravo!... conti-

nuez!... Non!... au rideau!... au rideau!... el l'or-

cbeslre de s'arrêter. Souvent les pauvres pelites,

ahuries, éperdues, affolées, avaient en scène des

crises de larmes, des attaques de nerfs, se sau-

vaient dans les coulisses... Mais souvent d'autres,

plus crânes, tenaient fêle au public, criaient au

chef d'orchestre : Reprenez... Reprenez... Je veux

continuer... et l'orchestre reprenait... Les cris alors

redoublaient... On rehurlail et relrépignait de plusbelle... On cassait les banquettes... Le commissaire

de police souvent intervenait et faisait évacuer les

avant-scènes qui donnaient toujours le signal des

insurrections. Ces vacarmes étaient la joie de la

salle et la fortune du théâtre.

Un soir, Edmond About et moi, nous avons con-

duit Gustave Flaubert aux Délassements. Il n'y

était jamais entré, bien que demeurant là, tout

près, boulevard du Temple. Nous fûmes servis

à souhait. Le tapage fut effroyable. En entrant,.3

Page 47: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

26 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

nous entendons des applaudissements forcenés.Une débutante était en scène, jolie, gaie, drôlelle;elle chaulait un rondeau d'une voix si audacieuseet si fausse que le public transporté le lui faisait

sans cesse recom-

mencer... Elledul

le dire trois fois,

quatre fois... A

la fin... glorieuse,mais épuisée, elle

demanda grâce :

on lui aurait fait

chanter son ron-

deau pendantloiilelanuil. Flau-

bert élail. enthou-

siasmé : «C est ad-

mirable, disait-il,

je n'ai jamais en-

tendu tant applau-dir el chanter si

faux ». et il criait :

Bis! bis! avec

toute la salle.

Les pièces des Délassements atteignaient presque

toujours leur centième représentation, mais le

début de Rigolboche fut le grand événement de la

direction Sari. Rigolboche élail une artiste, une

véritable artiste, une grande danseuse. On n'a jamaissu pourquoi cl comment elle s'appela Rigolboche ;

Illl'illl.llOCIIE.

Page 48: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 2/

son nomet ail MarguerilcBadel. Elle début a, en 1858,

dans une très amusante pièce intitulée : Folichons

el Folichonnelles, de MM. Arthur et Paul Delavigne,

el qui ne ressemblait aucunement au Don Juan

d'Autriche de leur oncle Casimir Delavigne. Ri-

golboche eut un succès fou... Elle élail absolument

le débardeur de Gavarni : petite blouse de soie flol-

lanle, chapeau gris bossue el défoncé... Sa danse

était la chose du monde la plus audacieuse el la

plus fantaisiste. C'était bien le cancan, mais non

le cancan brutal el, violent des bals de barrière...

« Quand je danse, disait-elle, je me sens inspirée;tues bras ont le vertige, mes jambes deviennent

folles. » C'était, d'ailleurs, une femme très inlelli-

genle. Elle avait, une grande admiration pourLouis Veuillol. Elle disait sans cesse à Ciustave

Olauilin qui connaissailVeuillol : « Amenez-le-moi

donc un de ces soirs ». mais cela ne put s'arran-

ger. Louis Veuillol. n'est jamais venu aux Délasse-

men ts-Comiques.

Ernest Blum, qui a donné au théâtre de Sari de

très charmantes pièces, a raconté dans un très

spirituel petit, volume l'histoire des Délassements-

Comiques. Il cite une lettre exquise d'une des

petites pensionnaires de Sari. Elle entra un soirau foyer des artistes, indignée... Un Monsieur, donlelle ne connaissait pas le nom, l'avait invitée sans

façon à souper, pour le soir même à minuit. « Mais

écoulez, dit-elle, écoulez ce (pie je lui ai répondu »,

Page 49: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

28 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

et alors, avec un légitime orgueil, elle lut à haute

voix la lettre suivante:

« Monsieur, vous voulez me faire souper el ni en-

tretenir. Cela n'est pas possible, car, en ce moment,

je suis l'une el l'autre. »

Je ne trouverai jamais, cher ami, un meilleur

mol. de la fin.

Bien affectueusement,

Ludovic HALÉVY.»

El voilà en quelques pages délicieuses, pleinesde gaîlé, île charme et, d'évocation, remis en pleine

lumière, cet amusant théâtre des « Délass' Coin »

—c'est ainsi qu'on l'appelait familièrement—mais

je doute que jamais, l'on ne dépensa sur celle petitescène autant, d'esprit que n'en prodigue notre cher

maître Ludovic Halévy, en nous contant la plai-sante histoire de ce « bouiboui » parisien.

Page 50: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

L'Ambigu-Comique, malgré son titre plein de

gai lé, lut de tout temps le théâtre où les larmes

tombèrent le plus volontiers des yeux de specta-teurs attendris. A l'Ambigu-Comique se jouèrentles mélodrames terrifiants, les drames ruisselants

de sang, pleins de coups de couteau, d'enfants volés,

d'orphelines persécutées ! — Ce fui le troisième

théâtre installé boulevard du Temple : il fut fondé

le!) juillet 1769 par Audinol, qui, après avoir conquisses premiers lauriers aux foires Saint-Germain el

Saint-Laurent, où il dirigeait un « théâtre de Bam-

boches», obtint l'autorisation de mêler de jeunes

Page 51: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

30 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

enfants à ses marionnettes de bois. La faveur pu-

blique se porta immédiatement vers celle nouvelle

entreprise : « Les amateurs, disent les Mémoires

'de Bachaumonl à l'année 1771, sont enchantés

de voir la foule aller à l'Ambigu-Comique, pour

applaudir une troupe d'enfants qui y fait fu-

reur. » En 1772, le même Bachaumonl écrit :

<tM""' du Barry, qui cherchait tous les moyens de

distraire le roi que, l'ennui gagnait aisément, avait

imaginé de faire venir Audinol jouer à Choisyavec ses petits enfants... M"'" du Barry s'amusait

énormément et riait à gorge déployée: — le roi

souriait quelquefois. ••

Après avoir jalousé le théâtre des Crands-Dan-

seurs, l'Opéra prit, ombrage de l'Ambigu-Comiqueel voulut, lui faire interdire les chants el, les

danses. On transigea, cl Audinol. dut payera l'Aca-

démie royale de Musique \u\ tribut annuel de

12.000 livres; l'importance de celle somme indiquela prospérité de l'Ambigu !

En effet, celhéàlrcallirail le public, mais c'étaient

surtout, les mélodrames et les pantomimes à grand

spectacle qui plaisaient : les Quatre Fils Aymon,la Forêt Noire, le Capitaine Cool;, le Masque de Fer,voici quelques-uns des litres îles pièces à succès. Les

Mémoires secrets de 1779 racontent que <•YAmbigu-

Comique a attiré beaucoup de mondeavec les Quatre

Fils Aymon, spectacle à machines...Tous \csgens de

guerre ont applaudi ce qui concerne leur partie.Celle représentation, où tout retrace les moeurs de

Page 52: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDUTEMPLE 31

l'ancienne Chevalerie, ne pouvait que plaire infini-

ment, et certaines situations ont attendri jusqu'auxlarmes beaucoup de speclaleurs assez froids natu-

rellement. »

Page 53: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

32 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Audinol n'hésita pas à aller de l'avant cl s'offrit

une salle neuve, dont Célerier fui l'architecte.

« C'est, dit YAlmanach des S'pectacles de 1791, une

des plus belles et des plus vastes du royaume;l'intérieur est construit dans le goût gothique. La

société y est mieux composée que dans la plupartdes spectacles du boulevard. »

Chose bizarre, le public tout d'abord sembla

bouder Audinol, el les recettes delà nouvelle salle

n'égalaient pas les recettes de. l'ancienne. Il dut

passer la main, et Corsse, auteur cl acteur, prit la

direction de l'Ambigu. Une farce d'Aude eut enfin le,

succès si longtemps attendu : M""'Angot au sérail de

Constanlinople triompha pendant deux cents repré-

senlations; puis les drames sombres si; succédèrent:

la Forêt d'Ilermansladl, les Francs-Juges, Hariadan

Barberousse, la Femmeàdeuccmaris, Calas, etc., etc.

Ce Aude était un type étrange, bohème el ivrogne;il entend, un jour qu'il fêlait la dive bouteille dans

un caban;!, de barrière, des cris déchirants : c'était,

un chiffonnier qui ballailsa femme.— Quelle, est celle femme que, lu roues de

coups?— La mienne, cl, c'est mon droit, de la bal Ire,

puisqu'elle est à moi.— Rien de plus juste, aussi je lel'aehèle... Com-

bien en veux-lu?—

Vingt francs!— Les voici... Le chiffonnier empocha el dispa-

rut. L'histoire est vraie —paraît-il

— et (die est d'au-

Page 54: Anciens Théatres de Paris - G. Cain
Page 55: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

3'. ANCIENSTHEATRESDE PARIS

tant plus étonnante qu'elle prouve que. ce jour-là,Aude possédait vingt francs.

Corssc mourut en 1816. Audinol fils lui succéda,

ayant comme associés Franconi el Seneparl.Ce fui sous celle direction que fui donnée l'Au-

berge des Adrets, un drame sinistre que la fan-

taisie géniale de Frederick Leinailre tourna au

comique. Les auteurs n'avaient conçu primiti-vement d'autre dessein que de faire verser des

pleurs sur les infortunes de M""' Macaire et les ma-

lheurs du vertueux Cernieuil traîtreusement assas-

siné «en culotte beurre frais». — Robert Ma-

caire n'était primitivement qu'un brigand vulgaire.

VUF.DULAMDil'.llCOMI0.UC (LaUomaniiiit-1.)

Page 56: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE A.)

Frederick en filunc figure shakespearienne. C'était

à la fois un écbappédu bagne, un bandit dilellanle.

un assassin phraseur, un gredin talon rouge cl un

cynique bonisseur, « un lilousophe», disailplus lard

Victor Hugo en parlant de Thénardicr, ce descen-

dant de Robert Macaire. Le costume dont Frede-

rick avait revêtu son immortelle création était lui-

même un poème : un chapeau gris en accordéon,

un cache-nez en laine lie de vin cachant l'absence

de chemise: un gilet sans couleur, élimé, ra-

piécé, retenu par des capsules de boulons; un babil

vert à fiasques longues, d'où sortait un amas de,

loques qui faisait ligure de foulard: un pantalon de

soldat de drap rouge et qui fut autrefois à «chari-

vari », usé jusqu'à la trame, constellé de pièces el de

morceaux, étoile de couleurs disparates; des bas

blancs, el. aux pieds— trouvaille inouïe— de vieux

escarpins de femme maintenus par des ficelles;

un gourdin redoutable dans la main gantée d'un

reste de gant, jadis blanc. Un emplâtre noir sur

l'oeil el un monocle d'incroyable flottant au bout

d'un ruban, complétaient celle extraordinaire sil-

houette.

Dans l'ombre de, ce gredin se mouvait son

complice, Bertrand, la doublure de Robert Macaire.

une figure bizarre el. féroce, un corps très maigre,flottant dans un habit très gras auquel on avait

cousu d'immenses basques que dépassaient des

poches grises gonflées comme desoulres; les jambes

cliques se perdaient dans des bottes éculées; le

Page 57: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

30 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

cou long el décharné supportait une figure livide,

au crâne tondu, qu'ombrageait un tuyau de feutre

noir au fond mouvant, sans bords, presque sans

feutre. C'était l'image du vice, de la peur, du crime

lâche et poltron, s'appuvanl sur un parapluie éven-

lré,effiloqué, ruiné. L'acteur Firmin complétait.—cl c'est un bel éloge

— l'admirable Frederick Le-

mailre. Ces succès el quelques autres permettaientà l'Ambigu de soutenir la redoutable concurrence

de la Gaîlé, lorsque le même, sinistre vint, s'abattre

sur l'Ambigu. Comme la Gaîlé. commelanld'autres

théâtres, il disparut, le 13 juillet 1827, dans un

terrible incendie, qui coûta la vie à plusieurs per-sonnes.

Dans ses Clironiques des p>elilsThéâtres de Paris',

qui sont, pour l'histoire du boulevard du Templele plus précieux, le plus indispensable des guides,Brazicr montre par maints exemples de quelleliberté jouissaient sous l'ancien régime ces petites

scènes; on leur tolérait même l'extrême licence ;

l'essentiel pour elles élail de ne jamais empiétersur les privilèges des théâtres royaux; « ce quel'on voulait, c'était que leurs ouvrages ne ressem-

blassent en rien à une oeuvre dramatique, qu'ilsn'eussent ni plan, ni conduite, ni style... Quant, à

la morale, on s'en riait. Périssent les moeurs

plutôt qu'un principe dramatique ! »

1. Bra/.ier, Chroniquesdes petits Théâtres du Paris. Paris,Allardin,183".

Page 58: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 37

En 1777, le boulevard du Temple se transforme

quelque peu : les visileurs y aflluenl, des maisons

neuves s'y élèvent; bref, devant les exigences de la

population, en même temps (pic l'on reculait l'en-

ceinte de Paris, on décide que les boulevards

Saint-Antoine et du Temple seront pavés, que les

fossés, glacis el contrescarpes seront détruits et

comblés, (pic les rues du Faubourg-du-TcmpIecl d'Angoulèmc seront ouvertes. — En 1779, un

sieur 'fessier, voulant, utiliser les élèves du Conser-

vatoire de l'Académie de Musique, fil construire

une petite salle de spectacle sur le boulevard, vis-

à-vis la rue Chariot. Quatre-vingts élèves, garçonset, filles, en étaient les acteurs cl les actrices. La

Jérusalem délivrée, grande pantomime à spectacle,fui jouée pour l'ouverlure cl allira beaucoup de

THEATREIlES.1IX.NESELEVES.

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38 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

monde. Ce fut le Théâtre des Élèves pour la danse

de l'Opéra.

Le nommé Parisau, guillotiné en 1793, devint

ensuite le directeur de ce théâtre, qui périclitaet qu'une ordonnance royale fil fermer en sep-tembre 1780.

Il reparut pendant la Révolution, el, lorsque les

Variétés-Amusantes devinrent Théâtre-Français,c'est-à-dire lorsque Lécluze, — le directeur qui,

après avoir été dentiste, avait joué les pitresà la foire Saint-Germain, —

quittant la rue de

Bondy vers 1785, s'installa au Palais-Royal. Le

lilre fut repris par le Théâtre des Jeunes Elèves,— el «le nomméLazari, écrilBachaumonl.dans ses

Mémoires, un mime italien qui s'élail l'ail une

grande réputation d'esprit, de talent el de légè-reté dans les Arlequins, en devint le directeur ».

Ce petit théâtre devait disparaître en 1798. Le

31 mai, un incendie le, dévora, causé par la pluiede feu qui accompagnait le dernier acledu Festin

de Pierre. Lazari, ruiné par le sinistré, se brûla

la cervelle.

Le théâtre des Variétés-Amusantes, fut fondé parLécluze à l'angle de la rue de Bondy el de la rue

de Lancry.

Après avoir fait faillite en 1779, Lécluze prit des

arrangements avec ses créanciers, et c'est alors

que la Fortune daigna sourire à sa baraque cra-

puleuse.Dans les Mémoires secrets on peut lire, à la dale

Page 60: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 39

du 13 juillet 1779, celle note sur les Variétés-Amu-

santes :

« La troupe du sieur Lécluze est devenue à la

mode; c'est la fureur du moment. Malgré les gros-sièretés dont ce théâtre Csl infecté, les femmes les

plus qualifiées, les plus sages, en raffolent; les

graves magistrats, les évoques y vont en loges

grillées ; les ministres y sont allés, le comte de

Maurepas en lète. Un acleur surtout, faisant les

niais, du nom de Volange, y est singulièrementadmiré. »

El le 23 septembre :

« La reine el la famille royale ne pouvant dé-

cemmenl aller chez Lécluze pour voir les Battus

payent l'amende, la troupe entière est venue donner

une représentation à Versailles, chez M"c Mon-

lansier. »

Mais les frais étaient trop considérables el Lé-

cluze fut mis en faillite. Ses successeurs luttèrent

de leur mieux contre la mauvaise fortune, puisfinirent par traiter avec le Duc d'Orléans el trans-

portèrent leur entreprise théâtrale au Palais-Royalen 1785.

Page 61: Anciens Théatres de Paris - G. Cain
Page 62: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

I.EROi~i.EV.ua>ne TEMPLEVERS1S:>Û.

Les calés du boulevard du Temple. —Frederick LemaUiedébute aux Variétés-Amusantes. — Le Panorama-Dra-

matique. — Théâtre du Cirque. — Aslley. — Franconi.— Frederick Lcmailrc au Cirque. — Le théâtre des'troubadours.— Le mouvement dramatique en 1S30.— L'Fpopée napoléonienne. — L'attentat de Fieschi.— Ce (pie l'on jouait à Paris le 28 juillet I83;i. —

Le Cirque Olympique. — Mac-Mocet le calé des l'icdx-IItimides.

C'est 1830 qui marqua l'apogée du boulevard du

Temple, cl c'est à celle date que nous referons à

nouveau la nomenclature de lotisses théâtres; mais,

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42 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

avant de terminer l'élude des années antérieures,

il convient d'indiquer les cales, les cabarets, les

concerts en plein air, les divertissements de loulcs

sortes, les types bizarres qui s'étaient groupés au-

tour de ces nombreux théâtres et qui bénéficiaient

de l'attrait qu'exerçait sur Paris, toujours amou-

reux de spectacles, de, parades, de boniments, do

gaîlé, cette réunion d'attractions.

En 1816, il y avait le Café Yon, au coin de la rue

d'Angoulênie — tout près de la maison où Fieschi

devait placer sa machine infernale — où chantait

Déduit (chansonnier national); le Théâtre du Lycée

dramatique, appelé aussi le Théâtre des Panlago-

niens, où trônait le père Rousseau, le. roi des pail-lasses ; le Théâtre du Waux-Hall, cl. le Théâtre

du Café Godet, situé entre le Théâtre des Associés el

le Théâtre Las sari, qui, après avoir élé un spectaclede chiens savants, reprenait le titre abandonné de

Variétés-Amusantes cl devenait théâtre d'acrobates

el de pantomimes.C'est aux Variétés-Amusantes — seconde ma-

nière — que débuta le grand, l'illustre Frederick

Lcmaîlre, nous apprend M. Henry Lecomlc dans

les deux volumes si documentés, si précieux pourl'histoire du théâtre, qu'il a consacrés au plus grandacleu rdu xix''sièclc . En 180!),son père, Al.Lemail re,architecte cl. conservateur du lliéàlrc du Havre,

1. Frederick l.emalir», par 11.Lecomlc, 10, rue du Dôme,Paris.

Page 64: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE i3

fil une chute cl mourut en quelques semaines. Sa

veuve se relira à^Paris. Le jeune Prosper Lemailre,

qui avait vu à [Rouen des comédiens, s'élail prisde passion pour l'art, dramatique ; il résolut de se

faire acteur, cl la plus infime scène de Paris lui

sembla la meilleure pour commencer. — C'est aux

Variétés-Amusantes — le théâtre de Bobèche :—

qu'il se présenta. Le directeur Lazzari, séduit par

son admirable physique— c'était en 1816, et

Frederick avait seize ans, — lui fit. le meilleur

accueil.— « Vous voulez devenir mon pensionnaire,

c'est parlait ; vous débuterez après-demain...— « Mais mon rôle?...— « Ne sera pas long à apprendre; criez un peu

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44 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

pour voir?» Frederick poussa un hurlement quifil. trembler les vitres.

— " Bravo !bravo !vous ferez un lion magnifique.— <Comment, un lion ? Je vais donc commencer

par...— » Par rugir, oui. mon jeune ami. »

VA Frederick remplit la peau du lion apparais-sant dans I'yrameel Thisbé. une pantomime babylo-nienne!— Après ce début à quatre pattes. Fre-

derick tint plusieurs rôles aux 1ariétés-Amusanlcs :

on le vil dans le Prince Ramoneur el dansfc Grand

Juge; puis M. Bertrand, dirccleur des Funam-

bules, l'engagea aux appointements llalleurs de

13 francs par semaine.

C'est alors que Prosper l.emaîlre — il s'appelait

simplement Prosper aux Variétés-Amusantes —

prit le nom de M. Frédéric/;.

Citons encore parmi les petits théâtres qui char-

maient la foule des badauds vers 1822 le Théâlie

du Panorama-Dramatique, qui n'eut qu'une exis-

tence éphémère el qui comptait, cependant dans sa

troupe quelques excellents acteurs : Serres quidevait plus lard jouer Bertrand, le séide de Robert

Macaire, avec infiniment de succès; Francisqueaîné et Saint-Ernest, deux futures gloires de l'Am-

bigu; el surtout. Bouffé, qui devait faire au Cvm-

nase une si belle carrière. Ouvert le 14 avril 1821,le Théâtre du Panorama-Dramatique dut fermer

ses portes le 21 juillet, 1823.

Page 66: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE '(O

Vers 1786,un Anglais nommé Astley avait fondé

dans le faubourg du Temple un spectacle équestresous le nom à*Amphithéâtre Anglais. La repro-duction d'une de ses affiches (page 41) dira mieux

(pic loul la nature de ses spectacles; plus lard, les

exercices sont modifiés et d'autres attractions

annoncées au public, par exemple le 1er août 1787 :

« dimanche, jour des Rameaux, la septième divi-

sion des exercices annoncés commencera par le

Cochon savant cl se terminera par les exercices des

chiens avec le Château assiégé cl plusieurs tours

CIRiJl'KFI1ANC0NI.

Page 67: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

il) ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

différents cl surprenanls, particulièrement le Pont

équestre, sur lequel la TROUPEROYALEfera plusieurssauts. »

« N. B. Le pool est porté par huit chevaux dres-

sés exprès par le sieur Aslley père. »

Pendant la Révolution, Aslley céda son exploi-tation à Franconi, qui lit fortune el perfectionnaencore les exercices si amusants importés par

Aslley. L'Amphithéâtre Anglais prit, le nom de

Cirque Olympique, cl Franconi passa au Jardin

des Capucines, mais finalement revint au faubourgdu Temple dans une salle réparée el agrandie.Tout marchait au mieux, cl le Cirque Olympiqueélail. à la mode : des ours savants, d'aimables pa-

chydermes, des lions, des tigres, des panthères

ajoutaient à l'éclat du spectacle. Les gravures de

l'époque célèbrent les exploits de « VIncomparable

cerf dit Nord nommé Asor ou Nouvelle Ascension

qui n'a jamais existé comparée à celles de nos plus

fameux danseurs de corde : dernier chef-d'oeuvre de

M. Franconi père, lequel lui a coûté deux ans cl

demi de travail, etc., « Vide elerede»; ou repré-sentent « le Cerf Coco franchissant huit hommes et-

quatre chevaux, M. Franconi tirant deux coups de

jnstolet entre les bois du cerf Coco, les serins tenant

conseil de guerre, l'éléphant jouant de la vielle ou eu

équilibre sur un fort disque de bois. »

Franconi avait même l'ail annexer à sa pisle une

petite salle de théâtre où se jouait la pantomime.En 1S07, tout Paris vient y applaudir la Lanterne

Page 68: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 17

de Diogène ; le vieux philosophe cynique finissait,

contrairement à la légende, par découvrir un

homme... Napoléon !

Page 69: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

48 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

(.""estau Cirque que se placent les véritables dé-

buts du grand Frederick Lemnilrc, qui, après avoir

joué les «quadrupèdes» aux Variélés-Amusanles,

et les « traîtres » aux Funambules, fut, en 1817,

engagé par Franconi aux appoinlemenl s de 80 francs

par mois, en même temps que Michelol, professeurau Conservatoire et artiste du Théâtre-Français, le

prenait comme élève dans sa classe de tragédie.

Dans l'ouvrage de M. Henry Lecomlc nous trouvons

rémunération et le résumé des « pantomimes dia-

loguécs » qu'il eut à interpréter: Othello, la Mort

de Kléber, le Soldai laboureur, Ponialoicshi, etc. ;

Page 70: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE -i!>

on l'y applaudit jusqu'en 1820, époque à laquelleFrederick Lemaitre fui admis à l'Odéon. Franconi

se contenta de répondre à son jeune pensionnaire,

qui, tout joyeux, venait lui annoncer son engage-ment :

— .1 Les théàlres populaires ont du bon; peut-

être, mon cher Fred, serez-vous heureux d'y revenir

un jour. »

Franconi élail. un sage;, qui continuait à dirigerheureusement son théâtre quand, le 16 mars 1826,

après une représenlalion de l'Incendie de Salins, le

feu dévora rétablissement. C'est alors qu'il décida

ClRI.il.~EFRANCONI.(Colleet.E.Retaille.)

Page 71: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

50 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

de reconstruire le Cirque-Olympique sur le boule-

vard même, près de l'Ambigu.Ce nouveau théâtre, de vastes dimensions, s'éleva

sur les terrains occupés jusqu'alors par le Théâtre

de la Malaga, les Ombres-Chinoises d'Hurpic et le

Théâtre des Nouveaux-Troubadours, où l'on jouaitla comédie et surtout la tragédie.

Ce théâtre obtint même, un jour, un succès

qui, depuis, ne s'est, je. crois, jamais renouvelé.

C'était le 12 messidor an VIII : on jouait la Nouvelle

inattendue, ou la Reprise de l'Italie. Le public avait

trépigné d'enthousiasme cl acclamait encore la

comédie patriotique qui s'achevait : soudain parait

Cambacérès, le Second Consul ; les spectateurs en

masse réclamèrent cl exigèrenl que l'on recom-

mençai la pièce, qui l'ut jouée deux l'ois dans la

même soirée; les bravos furent encore plus nourris

la seconde fois que la première, el. Desaix mourant

dut «bisser» ses dernières paroles : «Allez dire

au Premier Consul que je meurs avec le regret de

n'avoir pas l'ail assez pour la Postérité! »

Les théâtres s'élaient solidarisés avec le Cirque-

Olympique; des représentations à bénéfice avaient

été données; le Roi, la famille royale, la cour, les

ministres, le préfet de la Seine avaient, souscrit des

sommes importantes qui permirent démènera bien

les travaux de reconstruction, el, le 31 mars 1827,le Cirque fut, de nouveau ouvert au public : une

pièce en trois actes, le Palais, la Guinguette el le

Page 72: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 51

L AUaaue c/u Con.vot

CIRQUE-OLYMPIQUE(182S).(Collecl.E.Détaille.)

Page 73: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

52 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Champ de bataille, résumait par son triple litre

le genre héroïque, populaire cl militaire auquel

comptait se vouer celte nouvelle scène.

La Révolution de 1830modifia totalement le goût

public au théâtre. Il semblerait que l'ancienne esthé-

tique dramatique, ail disparu avec l'ancien régime.

Les Népomucène Lemercier, les Arnaull, les An-

drieux, les Monvel el. les fournisseurs patentés

des dernières années; les mélodrames effarants,

les vaudevilles douceâtres, les tyrans féroces, les

orphelines persécutées, les enfants au berceau, les

colonels de trente ans, les muets, les idiols, les

bergères dos Alpes, les brigands vertueux, les

hommes masqués, les souterrains ruisselant d'or,

les Pillais de Venise, furent en partit; délaissés.

LETHEATRElllu<~.IIH.>lT~-OI.Y.V.PI<.>t~K.(A.Tcsîanlilel.)

Page 74: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LEIIULTKVARIiHL~CRIME.

Page 75: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

O'i ANCIENSTHEATRESDE PARIS

Des auteurs nouveaux surgissaient qui, avec,

une autorité incontestée, prirent résolument pos-session du théâtre : Victor Hugo, Dumas, Casi-

mir Delavigne, A. de Vigny, Fr. Soulié, Balzac,

Bouchardy, puis plus lard Paul Meurice, George

Sand, Denuery, V. Séjour, Bavard, Duverl,

Lauzanne y apportèrent la flamme, la vie, la

passion, l'observation, l'esprit et le culte de la

forme littéraire... C'est par eux que le boulevard

du Temple connut les plus belles heures de ses

triomphes; ce fut la période héroïque du Draine

romantique.

En même temps refleurissait l'épopée napoléo-

nienne, et partout l'on ressuscita le Grand Homme.

A la Cailé, à l'Ambigu, chez Franconi, comme à

l'Odéon, à l'Opéra-Comique, à la Porle-Sainl-Mar-

lin, aux Variétés cl au Palais-Royal, c'est. Bona-

parte ou c'est Napoléon. Déjazel chante Bonaparteà Brienne, Frederick Lemailre est empereur à

l'Odéon ; Cazol, empereur aux Variétés ; Génot,

empereur à l'Opéra-Comique; Edmond, empereurchez Franconi; Cobcrl, empereur à la Porle-Sainl-

Marlin. Coberl, Edmond, Cazol cl Prudent quidoublait Coberl, ressemblaient,, paraît-il, éton-

namment au vainqueur d'Auslcrlilz ; tous ceux

qui avaient, connu l'Empereur, lotis les vieux

braves qui avaient servi sous ses ordres, tous les

bourgeois qui avaient pu contempler son profilde médaille, tressaillaient en revoyant. Goberl,

Page 76: Anciens Théatres de Paris - G. Cain
Page 77: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

5G ANCIENSTIIÉATRLSDE PARIS

Cazol, Edmond et Prudent ; ces bons acteurs,

d'ailleurs, avaient élé les premiers à se prendreau sérieux.

Goberf parcourait gravement le boulevard, le,

sourcil crispé, les mains derrière le dos, le cha-

peau en bataille; Edmond lissait sa mèche et

prenait noblement son tabac dans la pochedoublée de cuir de son gilet; Cazol pinçait solen-

nellement l'oreille du costumier quand sa culotte

de casimir blanc allait bien : « Soldat, je suis cou-

lent de vous! » Pour habiller avec exactitude le

Napoléon de YAmbigu-Comique, Gosse, le peintre,obtint de Marchand, l'ancien valet de chambre de

l'Empereur, l'autorisation de dessiner d'après na-

ture le chapeau el la célèbre redingote grise de

la légende !

Consultons le Courrier des Théâtres à la date du20 octobre 1830. Nous serons édifiés sur la placeinouïe que lient Napoléon au Théâtre: Vaudeville:« Bonaparte, lieutenant, d'artillerie », comédie-vau-deville en deux actes; — Variétés : « Napoléon à

Berlin ou la Redingote grise » (Cazol), comédie

historique en un acte ; — Nouveautés : «LTicolicr de

Bi'ienne ou le Pelil Caporal » (Déjazel) ; — Ambigu :« Napoléon », mélodrame en Irois parties, mêlé de

chants el suivi d'un épilogue ; — Théâtre de la Porle-

Saint-Martin : « Napoléon » ; •—Cirque Olympique :« Passage du mont Saint-Bernard », gloire mili-taire en sept tableaux !

Il nous a élé donné de connaître un vieux modèle

Page 78: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE Ot

pour peintres, survivant de celle époque légen-daire : il s'appelait Briand el avait joué les pelilsrôles au Cirque vers 1835 ; il se souvenait encore

de quelles éclatantes manifestations étaient ac-

cueillis Napoléon et aussi ceux qui l'cnlouraicnl :

« Pour moi, conlail-il, j'étais du dernier acte...

« Sainlc-Hélène », el j'avais à remplir le rôle ingrat,

j'ose le dire, d'Hudson Lowe. Vous n'avez aucune

idée, Messieurs, des injures que l'on me prodiguait;mais un véritable artiste doit savoir traduire tous

les sentiments, je voulais inspirer de la haine... Je

l'inspirais, à ce point,— et je considère le fait,

regrettable en lui-même, comme l'honneur de ma

carrière dramatique,— à ce point, dis-je, qu'un

soir le public m'allendil à la sorlic du théâtre, se

saisit, de moi et me jeta dans le bassin du Château-

d'Eau aux cris de : « Vive l'Empereur! » 11 faisait

grand froid, je faillis en mourir; mais n'im-

porte ! j'élais fier de moi! j'avais incarné mon per-

sonnage ! »

Après avoir transformé, rajeuni, modifié leur

répertoire, les théâtres du boulevard du Templese rajeunirent, se modifièrent, se transformèrent

eux-mêmes matériellement : les pavés qui bor-

daient leurs abords étaient remplacés par des

dalles, des barrières de bois permettaient aux

spectateurs de faire, sans cohue, la queue à la porteavant l'ouverture des bureaux, c'est-à-dire avant

cinq heures du soir, les spectacles commençant à

six heures ; des auvenls les préservaient de la

Page 79: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

58 . ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

pluie ; les masures qui avoisinaienl toutes les salles

de spectacle disparaissaient; les débits de vin,les bibines, les boutiques en plein vent étaient

remplacés par de belles maisons, d'éléganls

cafés; des restaurants de choix, le Cadran-Bleu,

Bonvalel, s'étaient groupés autour du Jardin Turc

qui continuait à être un des rendez-vous de la

« fashion »; les marchandes d'oranges étaient ins-

tallées sur de commodes évenlaires, préservées, parun vaste parapluie rouge, du soleil, le jour, et de

la pluie, la nuit; les marchands de coco, le tricorne

sur la tôle, portaient leurs élégantes fontaines sur-

montées de génies dorés, ou de lions ailés et

agitaient gaiement leurs clochettes : « A la fraîche!

qui veut boire? » Les marchands de marrons pro-menaient leur marchandise : « Chauds, chauds les

marrons de Lyon ! » Et les débitantes de chaus-

sons aux pommes el de gâteaux de Nanlerre cir-

culaient, lestes et provocantes, autour des portesdes théâtres; on offrait des « contremarques moins

chères qu'au bureau » ; on vendait des programmes,des biographies d'acteurs, des recueils de calem-

bours; des cercles se formaient autour de chan-

teurs en plein vent; les marchands d'amadou cl

de briquets phosphoriques criaient leur marchan-

dise; el tout un monde affairé: acteurs, figurants,

machinistes, danseuses, femmes de théâtre, habil-

leuses, claqueurs, saltimbanques el filous, joliesfilles el bons bourgeois, circulait sur ce gaiboulevard amusant, spirituel, frondeur, terrible,

Page 80: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 59

bruyant, débordant de vie, d'activité, de mou-

vement.

En 1835, ce joyeux boulevard fut ensanglanté parun crime horrible. Celait le 28 juillet, cinquième

anniversaire de la révolution qui avait élevé Louis-

Philippe au trône : le roi, entouré de ses fils el

d'un nombreux étal-major, passait en revue la

garde nationale et toute la garnison de Paris, éche-

lonnées le long des boulevards. La huitième légion

de la garde nationale occupait le boulevard du

Temple devant la façade du Café Turc, dont la ter-

rasse élail littéralement remplie de femmes élé-

gantes, de joyeux consommateurs, de bons ba-

dauds; des familles entières étaient massées sur les

trottoirs. Pépin, le complice de Fieschi, avait même

pris l'horrible précaution de faire promener aux

enlours du Café Turc sa pelite fille, donl la présenceseule devait écarter tous les soupçons qui auraient

pu peser sur lui. Les tambours battaient aux champs,— le roi arrivait.— Soudain, d'une misérable mai-

son portant le numéro 50, voisine de YEstaminet

des Mille Colonnes et faisant face au Jardin Turc,

partit une effroyable volée de mitraille. — Celait là

en effet que, derrière la jalousie baissée d'une fe-

nêtre située au troisième étage, au-dessus de l'an-

nonce du Journal des Connaissances utiles, A francs

par an, Fieschi avait installé les 25 canons de

fusils bourrés de balles qui constituaient sa « ma-

chine infernale » ; une rigole pleine de poudrereliait les 25 lumières. L'épicier Morcy, qui avait

Page 81: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

60 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

aidé à préparer cet effroyable engin de meurtre,avail môme pris l'utile précaution d'avarier quatredes canons de fusils donl" l'éclatement devait

supprimer Fieschi lui-même. Pépin, aulre com-

plice, avait passé el repassé plusieurs fois à cheval

el au petit pas devant la fatale fenêtre, et Fieschi,excellent tireur corse, avait pu tout à son ais;;

viser et mettre au point exact la mire de son ef-

frayant instrument de mort. Ce fut une affreuse

tuerie, la volée de balles renversant femmes, en-

fants, spectateurs, étal-major, officiers, soldats,

escorte, effleura seulement le chapeau à cornes que

portait le roi dont le cheval reçoit une chevrotine

dans le cou; les chevaux du duc de Nemours et du

prince de Joinvillc sont blessés l'un au jarret,l'autre au liane. Le boulevard ruisselait de sang.Le maréchal Mortier tombe frappé à mort ; le

général Lâchasse, le colonel Rafle, le lieulenanl-

colonel Rieussec, dix officiers, vingt soldais ex-

pirent au milieu des chevaux évcnlrés cl des in-

nombrables blessés que l'on emporte au Café Turc

transformé en ambulance. Fieschi, blessé, fut ar-

rêté dans l'arrière-cour d'une maison voisine, au

moment où il tentait de s'enfuir parla rue Basse;le 19 février 1836, il montait à l'échafaud avec ses

complices Pépin cl Morey.Il est curieux pour l'histoire du théâtre de noter le

programme des spectacles parisiens à celle date. Le

28 juillet 1835, jour de l'attentat : Opéra : relâche;-— Théâtre-Français : le Consentement forcé ; les

Page 82: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 61

Deux Frères; — Opéra-Comique : Fra Diavolo;

Aida ; — Vaudeville : Elle est folle; Mon bonnet de

nuit; Arwed; —Palais-Royal : Prova; Est-ce un

rêve? — Variétés : Ma femme el mon parapluie;

l'Uniforme; les Danseuses à l'Ecole; —Folies-Dra-

maliques : l'Heure du rendez-vous ; —Ambigu :

Ango ; — Cirque-Olympique : la Traite des noirs ; —

Théâtre Comte : la Maison isolée; Mille écus; —

Diorama : Messe de minuit; Forêt Noire ; Bassin de

Gand (prix : 2 fr. 50);— Panorama d'Alger (40, rue

des Marais) (prix : 2fr. 50) ; — Champs-Elysées : con-

cert tous les soirs (t fr.) ; — Jardin Turc : concert

tous les soirs, sous la direction de M. Tolbecque.

Un détail étrange : le Charivari du dimanche

(le jour même de l'attentat) publiait celle note :

Carillons : « Hier, le Roi ciloycn est venu de

Neuilly à Paris, avec sa superbe famille, sans être

aucunement assassiné sur la roule », — et l'illus-

tration qui accompagne ce numéro représente le

portrait de M"0 de Morel, l'héroïne énigmatique du

procès La Roncière !

En 1827, avons-nous raconté précédemment, le

Cirque-Olympique, reconslruit après l'incendie de

1826, avait rouvert ses portes. Il jouait des pièces

populaires et militaires.

L'énumération de quelques litres prouve que ce

genre de spectacle plaisait, puisque, pendant des

années, l'affiche ne varia guère : la République,

l'Empire et les Cent Jours, les Pages de ïEmpereur,.6

Page 83: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

62 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

le Prince Eugène et VImpératrice Joséphine, Aus-

lerlilz, le Général Foy, le Soldat de la République,

Conslanline, Mural, la Ferme de Monlmirail, Maza-

gran, Masséna VEnfant chéri de la victoire, Bo-

naparte en Egypte, Bricnne, Schoenbrunn el Saiale-

Jlèlène, etc. C'est à l'une de ces représentations, m'a

LE PRINCE EUGÈNEET

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINETROISACTES,DOUZETABLEAUX,

PARIttM.FERDINANDLÛXOUErr T.I.ABROUSSE,hîtuùiLfjh,rot»Lti-T.Lïitïïrou,»risis,tv*u TIIÛTI-IitriMitIBmots,u 17tîcr^til£Sî.

UISTIU»UT!(>*•<DELAritXE.rrctxt. KM.U»«-IIIKUVT; r.iTdBT.r.KOfttltT Wit*ti«i.VAtOTlS Titui.ixCESEIULncritoi -......". s»u«™.Ltr.t.>iE>xiLAL.(;tr.iJkU&*««LECEWEKlLLErUI.E TWIIOT.fil'ELEl,tolJ.l ". Fu".SWOX r«"'SARTI CwtMKM.CWKOfAtU. N»».ri.i.K*IUNO t*i««.FIOLO t.«.i.«a.CEI-.OM1NO Conçut.tXCOt"»EftS£URtiE.fcOSIL-iVtKi».MONSIEURHESTEXEIS. Twnw.LEMAf.EClULNEY IJIion.C»GENERALFRANÇAIS latent».

USCCNEflAtRUSSE M»,fcoit».UNCOLONELHL'SSE TKMUIT.USCOLOSELFRANÇAIS... l-Miut-r.UNIIOMMtCUr£UI~LE(.OUAIS |>.itu.itUMniMESTlgrE L»etoii'UNAIUEDECAMI- Aca-iti.IN1IOVVELt!ILLÎ-LEriU5ÇlI5.JOSEMIINE. S»-*l'in-iiMlLr.ltr.rtf; Ci'ULitac.11AI•ElAINE. Crti..tAI.UINA '...'..'..'.'.'.'.'.'."".Uuit'lMiALL\A>DIL£,ft* QuiHIGOS>ET,t««» ùnual''IUUIER»X , ALII.IIKDESOCEM CL..sUSEIiAUE11'IIOS.MUR i^ïll(

Page 84: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE ROL'LEVARDDU TEMPLE 63

BONAPARTE EN EGYPTEriÈCEKJLITMREESC1S"0ACTE»ETWS-llClTTAElEitï

tA*M.FABRICELABUOUSSB

•41;EL!»St£>EPEM.AtBtCT.—*tSHH.E»LM.FtiSf.—t>ECO»SVZM<t.wt»U,l'LYOIft,CHE»t~TfiVOtMlitMtÉ^EMtXrotaL»rCF.M'ï»!FOIS,AFJMS,SC»LET1IÊATI>EÏIATIOSIL(waE«CIIQCi),tEC3DÉCIUMIEIS5I.

DISTStpCTICtDE*-»Pii:ccBONAPARTE. «Sl.TAttt.~iM.KLEBER a-n.c-~~-.ttti.CAFARELUUCFALGA Biutost.BON AiraoM».BESTHtEB Son..HEKOD EtcfcttEU-CESEBFAUHARNA1SH*CIHwci.DESGENLTTES S!U.DAIMAI.DENOS NtuviT.«ONCE Po-ttossit»TKÏÉBAUT FiiouicUAfiCEU FA-titot-VICTORBLONDEAU \Vitu*«*FARIGOUL Lut*.EDGABDPRUDHOWyE A~nt.itRoot£..FKCCTIDOR A».-LUI.BENJAM1K lt»«Ciai*.LAMBERT WU.BoiixiuLECOMMODORES1DSEYSMITH Jitif*M*«.ÇNGÉNÉRAI JI.IVILFERDINANDDEHOSIPESC. OSIOM

DOSREDONRANSUAT UU.Ftm.TOllASl Aconit.RAPHAËL TOIINOI.USCHEVALIER Ac*iu.«.yOURADHEY EcMost».DMEZZAR Gniïti».ABOUBEKER BEAIXIII'.IBRAHIM8EY Ucout.KORA1M CuiLuLtior.KAOIR TottaoT.LECAD! Siesot.DEUSEUH Cociti.ELMOWH M"*DITOM.MAH1AU SI"WiraA*.HÉLÈNE. M-^RottFIIVII.ROSALIE JfntmiM.«NÉCIRCASSIESSE PACUVI.UNEGEORGIENNE SIAIIA.Oinaatt SOLDAT*ruifin,111HTAITJetSlitit,»'Aiti*v-t-îsîCTtuCnlt,Ptriïî,-SOLDA»mo,FELLIU*,F.itLitti

raconté mon excellcul ami Jules Clarclie, qu'unvieux grognard s'évanouit de douleur au tableau

Page 85: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

64 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

de Sainte-Hélène cl fut emporté mourant ; du reste

mon grand-père Nicolas-Toussainl-Augusle Cain,

(|ui avait l'ail les campagnes d'Italie el. d'Espagneel. avait élé blessé à Waterloo, ne consentit à aller

au théâtre que pour revoir son Empereur et la

Redingote grise; tous les vieux soldats pensaientcomme lui... Quelles salles héroïques devaient for-

mer ces braves,

Ces Acltilles d'une Iliade

Qu'Homère n'inventerait pas!

Les auteurs de ces grands drames militaires

étaient presque toujours Ferdinand Laloue el Fa-

brice Labrousse. C'est dans Bonaparte ou les

Premières Pages d'une grande Histoire que débuta

l'aclcur Taillade qui, plus lard, et avec un grand

lalent, devait tenir une si belle place dans le

monde dramatique. Sa fabuleuse ressemblance,

avec lt; Premier Consul lui avait l'ail, assigner le

rôle de Bonaparte. 11 y fui d'ailleurs excellent el,

comme il le savait, il se fit du jour au lendemain

doubler ses appointements;— on assurait au

boulevard du Crime que Taillade, lui aussi, avait,

réussi son -18 Brumaire! Pendant des années, les

drames militaires succédèrent, aux drames mili-

taires.

L''Histoire d'un drapeau, de Dcnncry, donné au

Théâtre Impérial du Cirque en 18G0, élail le proto-

type de ces représentations spéciales où la poudre

Page 86: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE ROL'LEVARI)DL'TEMI'LF. Cî>

L'HISTOIRE D'UN DRAPEAUGUiSKtMtASIEMILITAIREENItOl'Zl".VAUEE.O'X

M.ADOLPHEDT.NNKI1YKi'îJ-unM.M.*i«ni~tii.I>L«-.ooi.—I.-4LUTi-Ev.ct-i-îts.—fLcOFi>t'E':»..iiLrtin ait~-.LT. fctr.AMCipc::rts

i~.i.ii».M_>itf'i*.IAif-tvit-M»"!*,»i-.ir.t_-~,.tu-LETKÎATM:r-ii-Lsm:>V-.^it.ir.r-Af.w11M>\nr.1SC0.

FUANÇOISHLAriKHN SlSI.].~iTiT.*iLtC.KilLULttU:WOl.F JtsMiu.RONAl'A!:Ti: MunuO.-IElIlil.iNr.niiN Coit-nivIMH'HIMCC Wtts.1.AMHU: CIIÏIVTJr-t.JEiiOMi:i.ri;ot-s tn.i>.SATntNisr.i.s.u'» i;»i~m.u:i-i;i:ii:i PAM-IANTOIM: M»>CI>.LEr.titiK... i:.r.viiivD.LEMAKLCHAl.NEW.. Non.LEI:I;M:HAI-V.AI'RUIS V„IM,M.LANNK-s N-Iuivcr.UNClH.ONl.LAL-TKIttltENdcaii.USFIFRE RiarAi-w.UNRunuGEOIS UAI-III'A-IMIVUCAPITAINEFttANÇAIs ISAAMI.I.

l'NOFncil.RU'IBICIHENSIM.I.iseioa.DEI'XlËMi:OFFlClKfiAllTRICHIFSl.tc»it.l'NCIII.Fin:t:n~?.\(.n;Es Loris-UNSOLDATVCVNr.V1> GIIUOT.L'NHOMMi:lit"l-EITLE F~>t»u.l;NCOMMAMiVNTFIHNÇUS... Tcit.SIAOAMI:woi.r M™»&.Ati*>i-Mn.-»v.ANTOINETTE EW-OHCLMM-M.St.WilE Ttibr.L0U1?K. .. Reu>.JEANNE AstEi-c.GËiiTKlUi: CLUM-.N1SA C*i«**r>.lrNJEUNE«-ILIUT V-^IUMM-.ÊTA1-3UI..-Kiïiv.M*,î>'tPATSir.i>C.M~s..IOt'A~t:Ej,CAtLlm-fLAlltr.lûttll»?,"SIAllltÛtKî,-COfAOlCS,HABITANT?MÏIL>iC,UISit.lMit.»Ctt>(>CLt:.AITAIOIILN-J.

alternait, avec les calembours des loustics chargés

d'égayer les spectateurs el de donner aux machi-

Page 87: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

66 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

nistcs le temps matériel de changer les décors.

L'énuméralion seule des tableaux dil la lenue géné-rale de l'oeuvre : Un Atelier de brodeuses, le Plateau

de Rivoli, la Batterie couverte, la Prise du 'pont

d'Arcole, la Bataille des Pyramides, la Fêle du Nil,l'Entrée à Vienne, Un drame dans une chaumière

russe, les Neiges du Nord, les Deux Dra'peaux, le

Retour de l'Ile d'Elbe, Solférino. Les principauxrôles étaient joués par Laferrière, Jenncval, Col-

brun et Clarisse Miroy. La scène cl une partie de

la salle étaient occupées par les évolutions des

étals-majors, des chevaux, des soldais. Trois à

quatre cents comparses manoeuvraient, el. c'élaienl

des charges à la baïonnette, tics redoutes prises el

reprises, des chevaux sauvant le drapeau, des feux

tic bivouac, des batteries emportées d'assaut, des

traîtres fusillés cl des nations prisonnières! L'or-

gueil national d'ailleurs s'en mêlait à et."point que

chaque figurant acceptait sans discussion la somme

île un franc pour représenter nu soldat français,mais c'était cinquante centimes de supplément pour« faire le Russe, l'Autrichien el l'Anglais » !

C'est dans une de ces pièce que Colbrun, le petitColbrun (il avait la taille d'un enfant de quatorze

ans), entouré par plusieurs cavaliers cosaques,

s'écriait, alors qu'un officier lui jetait : « Brave

Français, rendez-vous! »... « Si le général Cam-

bronne élail là, je sais bien ce qu'il vous répon-drait... » La salle éclatait en applaudissements et

Colbrun dispersait ses ennemis.

Page 88: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE ROULEVARODU TEMPLE 67

Les exercices équestres, qui avaient l'ait autrefois

la gloire el la fortune du théâtre de Franconi,n'avaient plus de place avec les drames militaires.

Le Cirque-Olympique avait même perdu son litre et,

en 18't8, il avait pris le nom de Théâtre-National ;mais l'ancien Cirque renaissait bientôt sur le bou-

levard des Fillcs-du-Calvaire ; c'est le Cirque quiexiste encore, où nos pères nous ont amenés toul

enfants, le Cirque où Irônaienl autrefois la famille

Lalanne, la famille Loyal, M"" Lejard, Pauline Cu-

zanl, Coralie Dumas, le fameux Auriol, un clown

i.t:CLOWXAiatioi..

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08 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

prestigieux", paraît-il, elqtii faisait la joie du public

parisien. « A Auriol seul il était réservé, rapporte

Poitgin d'après un journal de 1860, d'élever son

métier à la hauteur d'un art. Sauler en l'air en pi-roucllanf trois ou quatre fois sur lui-même; fran-

chir à laide du tremplin huit chevaux moulés parleurs cavaliers, ou i'i soldais avec la baïonnelle au

bout du fusil, s'élancer au travers d'un feu d'arti-

fice, ou d'un cercle hérissé de pipes sans en briser

une: improviser mille folies, tout cela semblait,

n'être pour lui qu'un jeu, qu'une récréation. Impos-sible enfin d'accomplir avec plus de facilité des

choses paraissant surnaturelles. » C'était, paraîl-il,un rire dans toute la salle dès qu'on percevait le

bruit léger des grelots semés sur sou costume

tailladé!

11existe toujours, ce vieux Cirque-Olympique; il

n'a pas changé el reste immuable avec ses •<jeuxicariens ». ses équilibrislcs, ses dompteurs, ses

ceuyères gracieusesqui, depuis tant d'années, fran-

chissent, aux accents d'un pas redoublé, les mêmes

cercles de papier el. saluent du même sourire le

mémo public toujours idolâtre. Je me souviens fort,

bien d'y avoir, tout enfant, accompagné mon père

Auguste Cain, qui venait dans l'après-midi faire,

des éludes d'après les lionceaux tlu dompleurBail y ; ces lionceaux figurent dans le groupe Lionne

rapportant, un paon à ses petits, qui décore le jardindes Tuileries. A côté de mon père, Bosa Bonheur,notre inlime amie, dessinait îles tigres et des lions,

Page 90: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

I.ECLOWNlilLLY-HAYliEX.

Page 91: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

70 ANCIENSTHÉÂTRESRE PARIS

cl tous deux assistèrent dans les ménageries du

Cirque d'Hiver, à ce terrible combat d'un lion:

el d'une lionne donl mon père composa le grand

groupe, place dans les mêmes Tuileries, à l'entrée

de la rue Castiglione, Lion cl Lionne se disputant

un sanglier. Bosa Bonheur fil du même épisode-un admirable dessin. — Le dompteur Balty qui, la

fourche à lit main, était allé séparer les deux fauves,

devait être dévoré quelques années plus lard.

Si le spectacle qu'offre le Cirque ne varie guère.le public enfantin s'y renouvelle constamment, el-

les joyeux rires perlés y accueillent, toujours les

éternelles grimaces des clowns : el encore resle-l-il

parfois, parmi ces admirables pitres, desèlresstupé-fiants comme ce Billy-1 layden qui nous a Ions lanl

îwnusés. petits el grands, il y a quelques années.

j\I. Loyal seul a disparu, hélas ! l'admirable

i\l. Loyal, orgueil el coqueluche du boulevard, l'iin-

posnntAI. Loyal, sanglé dans son bel babil, bleu, el

qui d'un si beau gesle rectifiait d'un coup de

chambrière les incartades du clown irrespectueuxon les écarts de la jument Norali présentée en

liberté.

lût 1830, chaque théâtre contenait, un café quifaisait pour ainsi dire partie de rétablissement. 11yava il le Café du Cirque-Olympique, le Café des Folies-

Dramatiques, le Café de la Gailé el, contre la grilledes quatrièmes du Cirque-Olympique, le Café des

Pieds-Humides, donl l'escalier s'ouvrait au-dessous

de la porte du théâtre de Mac-Moc, un petit, bon-

Page 92: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE ÎIOUI.EVARI)1)1."TEMPLE 71

homme qui faisait la parade à l'entrée d'un théâtre

d'acrobates, el dont la tète grotesque s'agilanl.au-dessus d'un petit pantin de bois dialoguait,avec Yaboycur. Quant à son surnom, le Café des

Pieds-Humides le devait à l'atmosphère cll'royable

qui régnait dans son affreux sous-sol, encombré

chaque jour el chaque nuit par un monde abomi-

nable de repris de justice, de souteneurs, de filles,de liions. La police y faisait des rallcs fructueuses

el répétées. La chaleur que dégageait celle salle

basse encombrée, de joueurs el de buveurs rendait

humilies cl gluants les pieds des billards en acajou,doit ce nom bizarre : le Café des Pieds-Humides.

Près île là se trouvait la baraque où l'on exhibait le

chien Miaiilo, qui «défiait au piquet ou aux dominos

les plus savants, ensemble ou séparément ».

(Kuu-foiU-(leMartial.)

Page 93: Anciens Théatres de Paris - G. Cain
Page 94: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

],] IlOl'I.KVAIll)l>L~Ti;.MI'I.EVEIIS18G0-

THEATRE DE LA GAITE

l.e théâtre de la Gaîté. — Jlarlainvillc et le l'ied de mou-ton.— L'incendie de 183».—Kéouverliire.—l'aillasse.— Paulin Ménicr et le Courrier de Lyon.

lui 1795, Nicolel mourut; sa veuve lui succéda

et le théâtre des Grands-Danseurs du Boi, qui.dès les premiers jours de la Révolution, s'était

appelé Théâtre d'Emulation, prit le lilre définitif

de Théâtre de la Gailé. 11conserve ses équilibrisles,

sa grande voltige el sa « tourneuse », ses panto-mimes burlesques el, profilant de la liberté des

théâtres, adjoint Molière à la muse populacière1

Page 95: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

/4 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

de Ribié. On y joua le réperloire de la Comé-

die-Française, el celle fois sans avoir eu à

solliciter l'autorisation de l'illustre compagnie.

Georges Dandin, le Médecin malgré lui y furent

acclamés. Chaque fois le public populaire de-

mandait « l'auteur!... l'autour!! » —lui revanche,

Tartufe y élail conspué... « Ah! le scélérat! Ah!

le coquin ! H faut le faire arrêter ! !... » On voulait

le traîner à la section!

Malgré loul, la Gailé périclilail : on avait beau

offrir aux spectateurs le, Brulus de Voltaire, le,

Fénelon de M. .1. Chénier, les Victimes Cloîtrées de

Monvel, etc.. le public se faisait rare; un grand suc-

cès d'un genre loul. nouveau releva sa fortune, ce fut.

le Pied de Mouton, par Marlainville. joué en 180.";.

Ce Marlainville. élail un singulier personnage :

spirituel, brave, entreprenant, hâbleur, débraillé,

persifleur, il avait, bien jeune encore, l'ail ses

preuves de courage et d'esprit. Voici ce que l'on

peut lire dans le Moniteur du 19 ventôse an 11

(10 mars 179'.):« Tribunal Révolutionnaire. — Marlainville, âgé

de quinze ans, demeurant au collège de l'Egalité,rue Saint-Jacques, convaincu d'avoir coopéré à la

• rédaction d'un écrit en huit pages d'impressionintitulé : Tableau du maximum des denréesel mar-

chandises, divisé en cinq sections, a été acquitté à

cause de son jeune âge. »

C'est devant ce terrible tribunal que cet enfant

de seize ans osa répondre au président qui l'ap-

Page 96: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

i.E BOULEVARDDU TEMPLE 75

pelail de Marlainville : — « Je me nomme Marlain-

ville loul court, cl non de Marlainville; n'oublie

pas, citoyen président, que lu es ici pour me rac-

courcir el non pour me rallonger. » El les juges de

rire, ce qui n'élail pas leur habitude.

Ce fut donc le Pied de Mouton qui releva la for-

lune de la Gailé; celte vieille féerie csl toujours

populaire. Quel csl celui de nous qui n'a pas, loul

enfant, applaudi aux aventures de Guzman — « quine connaît pas d'obslaclcs >— el ri aux larmes aux

bèlises de Lazarille el de iN'igaudinos !

Ce théâtre, dans son ancienne forme, vécut jus-

TI1ÊATIIEDUCIIIOLE,YEIISISGO.

Page 97: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

/»> ANCIENSTHEATRESDE PARIS

qu'en 1805. A celle date, Bourguignon, gendre et

successeur de la veuve Nicolel, le lil rebâtir aprèsle décret impérial de 1807, qui supprimait vingt-

cinq théâtres cl assignait aux survivants des

règles strictes el restrictives; la Gaîlé se donna

entièrement au mélodrame. V. Ducange el Guil-

berl de Pixérécourl en furent les fournisseurs

presque attitrés, cl,c'est .alors que sont représentés:

l'Ange lulélaire ou le Démon femelle, — la Tète de

Bronze, Minis/ii ou le Tribunal de famille, Victor ou

l'Enfant de la forêt, d'autres encore, dont les litres

seuls sont parvenus jusqu'à nous; mais ces litres

sont suggestifs : VHomme de la. Forêt-Noire,le Pré-

cipice, les Ruines de Babylone, enfin le Chien de

Monlargis. C'était la première l'ois qu'un chien

jouait un rôle sur un lliéâlre. Dragon (c'était, le

nom auquel il aboyait) eut un énorme succès.

Pixérécourl qui cependant était un véritable érudil,ami de Ch. Nodier, el comme lui passionné biblio-

phile, a écrit d'extraordinaires mélodrames. C'est

lui qui, le 5 septembre 1815, fil représenter à la

Gaîlé Christophe Colomb ou la Découverte du

Nouveau Monde, el c'est inouï ce qu'il y a dans

celle pièce ! — D'abord une préface, qui débute

par celle phrase : « Le génie de l'homme n'a rien

conçu de plus étonnant, rien exécuté de, plus hardi

que la découverte de l'Amérique. » — Puis, Pixéré-

courl, raconte la genèse de sa pièce el termine en

ces termes : « Le public pensera sans doute,comme moi, qu'il etïl élé complètement ridicule

Page 98: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 77

de prèler noire langage, môme défiguré, à des

hommes qui voient, pour la première fois, des

Européens. Bien certain que celle innovation ne

Page 99: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

78 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

pouvait qu'être approuvée par les gens de goût,

j'ai donné aux habitants de l'île Guanahani l'idiome

des Antilles, que j'ai puisé dans le Dictionnaire

Caraïbe composé par le R. P. Raymond Breton,

imprimé à Auxerre en 1655. On trouvera dans ma

pièce l'explication de tous ces mots, dont j'ai cru,

néanmoins, devoir user avec sobriété. »

El nous lisons cet étrange dialogue :

ACTElit (SCÈNElit)

(ORANKO,KAItAKA,SAUVAGES,PUISKEnEI)F.K)

Oranko à KarakaCati louma !

KarakaAmoulika Azakia Kerebek

(Orankohosilc.)Oranko

Itialiki Chicalainai. Itara a moutouKoule oiiekelli ?...

et la scène se poursuit ainsi.

N'est-ce pas fantastique?— J'ajoule que le françaisde Christophe Colomb rappelle le caraïbe d'Oranko !

Le 17 janvier 1818, un petit événement se passe à

la Gaîlé. On jouait l'Enfant du Régiment, de Dubois

et Brazier ; ce petit vaudeville avait obtenu le meil-

leur accueil ; mais certains spectateurs crurent yrencontrer quelques allusions politiques : « Celait

le roi de Rome que les auteurs avaient mis en scène

el, déplus, une gravure avail donné au héros de la

pièce, bercé sur les genoux d'un vieux soldai, une

ressemblance suspecte avec le fils de Napoléon. »

Page 100: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 79

La police inquiète dé la Restauration donna l'ordre

d'arrêter l'ouvrage et de saisir l'image; la pièce fut

interdite après quarante-cinq représentations, el

les mélodrames les plus saugrenus el les plus si-

nistres se succédèrent jusqu'en 1830.

Les représentations commençaient à six heures

et demie; mais, le dimanche, la Gaîlé, comme les

autres théâtres, devait lever le rideau à cinq heures

el demie précises. Une ordonnance de police l'exi-

geait (septembre 1811) : « La plus grande populationde Paris n'a que le dimanche pour jouir des spec-

tacles, el il ne faut pas que les heures auxquellesils commencent et finissent ce jour-là puissentconlrarier les occupations auxquelles elle doit se

livrer le lundi. »

C'est un dimanche, à la sortie d'un mélo histo-

rique narrant la trahison de Yamiral Bing, que fut

échangé ce stupéfiant dialogue entre deux titis : On

allait commencer le dernier acte et la sonnette rap-

pelait le public : « — Eh! Polyle, tu rentres pas?»— « Non, il m'embôte, l'amiral Bing. »

— « Moi aussi, mais c'esl justement à cause de

ça que je remonte... Il m'a trop rasé, j'veux l'voir

fusiller! »

En 1834, Laiude ou Trente-cinq Ans de captivité fait

courir tout Paris à la Gaîté... La pièce était amu-

sante, bien faite ; elle mettait en scène des événe-

ments récents encore ; de plus, la direction avait

exposé, dans le foyer même du théâtre, les instru-

ments qui avaient servi au prisonnier pour percer

Page 101: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

80 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

les redoutables murailles de la Bastille; l'échelle

elle-même, la fameuse échelle qui lui avait permisde s'évader, figurait au nombre des objets exposés.Ce fut le grand succès; la Gaîlé faisait d'admi-

rables recolles, cl quatre-vingts représentationsn'avaient pas lassé la euriosilé du public quand un

horrible incendie vint détruire le théâtre, pendantune répétition générale de Bijou ou VEnfanlde Paris.

Tout Paris s'émut, cl une immense sympathieentoura le directeur Bernard Léon, un brave

arlislc, estimé el aimé, qui venait d'acheter

500.000 francs le théâtre.

Des représentations furent organisées à son

bénéfice, des concours pécuniaires el artistiqueslui vinrent en aide, lanl el si bien que, le 19 no-

vembre 1835, le Théâtre de la Gailé put rouvrir ses

portes au public, après avoir élé détruit par l'in-

cendie le 21 février de la même année.

Le spectacle d'ouverture se composait de trois

pièces: Vive la Gailé! un prologue; la Tache de

Sang, un mélodrame; el les Tissus d'horreurs, une

folie-vaudeville.

Depuis, la Gaîlé obtint une longue suite de succès

donl quelques-uns sont encore populaires : le Son-

neur de Sainl-Paul, de Bouchardy ; la Grâce de Dieu,de Deniiery,qui rappelait une vieille pièce, Fanchon

la Vielleuse. La Grâce de Dieu, commandée en toute

hâte, au lendemain d'un insuccès cl écrite en huit,

jours, réussit fort, et Paris s'éprit des malheurs des

Page 102: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDITTEMPLE 81

pelils Savoyards sur l'air célèbre de M"" LoïsaPugel :

« Adieu, ma fille, adieu!A la i't'àce de Dieu! »

ainsi que de la conslancc de Pierrot, qui avait

ramené de Paris en Savoie sa bicn-aiméc « à recu-

I.ESTYPES1>E« 1ANCII0XI.AYIEI.LIXSK->.

Page 103: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

82 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

Ions, el en jouant de la vielle ». La Grâce de Dieu

fut reprise bien des fois; une de ses dernières

interprètes était la charmante M""-V. Lafonlainc

qui y fut acclamée. —Dennery était un homme

infiniment spirituel el ses mots furent célèbres. Il

n'assistait jamais aux premières représentationsde ses confrères el

s'en excusait par celle

phrase épique : Si leur

pièce a du succès...,ca .m'ennuie : si c'est

un four, je m'embête !— A ii n a m i quis'écriait : < J'adore les

enfants des autres »,il répondait avec-

bonhomie : " Mariez-

vous. »— 11 considé-

rait Molière comme

un ennemi personnel :

« C'est vrai, expli-

quait-il, quand on

vient d'applaudir le

Misanthrope, on se

croit toujours forcé

de dire : Quel brigand qui; ce Dennery! »

11nous a élé donné d'assister à la plus amusante

des discussions : Henri Bocheforl. venait de perdrecontre son vieil ami Dennery une forle partie de

piquet, et Rocheforl, lléchissanl sous la honte d'un

Ylr.TOllIAI.AFONTAISK•DANSLA«GHAI:Em: inm;>-».

Page 104: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDUTEMPLE 83

MARCEAUoc

LES ENFANTS DE LA RÉPUBLIQUEt>ft*MtEKCINQACTESETDIXTABLEAUX

MM.AMCETBOURGEOISETMICHELMASSONiiiiiit.iit,rcv»ii rAtaitttton,Ar*iu,te»LtTatA-iAtetLAC*IT£.Lttl ICI*164S.

eiATRttt'Ttom» LArite**MARCEAU «M-ti"«Aiij.KLKUEII E-nisett.UONAl'AHTK Ecefc»*.L'AiiHEl-ASCAL St»*iii*.LENAItOtlSDEtsEAl'UEU tl-tuo-rr.FAUVF.L SUTT-MA-A.HENRIPELOSTANGE,p-:rK>r!niEcmutt.IlEAVGESCï1 Nïctiux.GALOUDET F*»-»CIMI~&.TAL.VA Kouti-CllEMER TaiU.»t>r.KORESP1EBRE... Gorctt.COCHEGRU Lwcfcm.ROREBT Ca»»i*T.

UONTOURNOIS Hy.EMCAI*.DOUHtsOTTE.'. .-. Csi.it..UNCOLONELAUTRICHIENllirroL.DELÀroii».UNCAPITAINE. Liiwt.UNNOTAIRE. EMIÛSHK.UNHUSSARDGENEVIEVEDEI1EAUUEUU--MAI.CROQUETTE.., LEOSTis-e.CORNEUA I'OTIMLLAMÈREGALOUBET CatiA.«SEFEMMEfUPEUPLE. Koit«r.VoLOStiiAt»riAUicit.—fxeux-—PATÏAS»TE-~>~~.EI-<I.—Sou>Ari

rUXCAIl.—SOLDATIAITtlICHlE-IJ.—iOBIsretuteitrttt—

Bubicon, couvrait d'injures son partenaire, l'accu-

sant des pires infamies : reprises dans l'écart,

Page 105: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

84 ANCIENSTHEATRESI1EPARIS

renonces, etc., etc.— Jamais Bocheforl n'avait élé

plus amusant, nous nous tordions de rire; Den-

nery impassible, les yeux presque clos, avait reçu

celle effroyable bordée, el quand Bocheforl se lui:

«Monsieur Bocheforl. lui riposla-l-il gravement.les injures d'un ancien

forçat ne sauraient

m'ai leind re ! » —

« Moi, repril alors Bo-

cheforl, j'en suis sorti :

vous, vous y seriez en-

core... el maintenant,

affreux filou, battez,

coupez, nia revanche,

el lâche/, de ne plusIficher ! »

<•Quel homme quece Bocheforl. murmu-

rait alors Dennery.

quel homme!... Kl no-

ie/, que cesl encore un

des plus honnêtes de

son parti ! »

M.ircea.u ou les Enfants de la République triom-

phe le 22 juin 18't8. La distribution des rôles portecelle étrange désignation : Henri de Loslange

(personnage muet).

Fualdcs, qui met en scène le drame énigmaliqiiede Bottez, a le don «le passionner le public parisien.On si l'Ile,on se dispute, on applaudit ; c'est un succès.

(«.-(illi-cl.II.I.couml..I~I!I:I>I::II«:KIXMAITIII-:

DANS«IIOIIKKT.MAC.AIIIE».

Page 106: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDUTEMPLE 85

Le î) novembre 18o0, Dennery el Marc Four-'

nier firent représenter à la Gailé le drame cé-

lèbre, Paillasse oit Frederick Lcmaîlre obtint un

immense succès. Gel admirable acteur, qui tenait

8

CARTOUCHEt-tr.-ef>OL-»HOOeisaACIL-»(«mTin-r.iit)

MM.ADOLPHED'ENNRItYLTFERDINANDDUGUË(iniaMtrou'KL»rALviutn.-is,AfAfuï,te*LITvltTuc»cLAcure,tt î'jMtctstuEI8&8

CARTOIXHE MU.DiriAwr.CRlfUCHON r-f-Ai».FRANÇOISBEAUDOHN Cil.PiHt-LECOMTEDORDESSAN I.*e»u»»ti«.LEMARQUISDEGRANDIJEU,rtitti-lieriluGntl .' Df-mn».

CHARLOT,rijiia ALUMPII.L'ÉVEILLE,vcleur Lt«mr.DOUBLEMAIN,i>!tm FIASCH-JCSjtuot-WTOUFLET,IrnïL-tf LHJ-CIL!.-GERMAIN Ami.VUVOLEUR CEMAIIW.

PREMIERBOURGEOIS MU.JIASMS.DEUXIÈMEC0URCE0I5 VietMB.L'OFFICIER Uiu.tr.JEANNETTE M«r~A.MMCLAL.L01J15EDEGRANDL1EU DMOII.UNEMARCHANDE Htut».PREMIÈREPAYSANNE M-MILM.DEUXIÈMEPAYSANNE UontuUSEMARCHANDEDEFLEURS HeMiEiic.SoLSAISt>r«ET,«AtlCQAMStt,HTSAM,tAmïJtS,ftlttltstij,AiCttl-Otl,0C1GC0IJ,tÛUCll

—Bthll(.rrttrMïUl«i.««nf»i»rt*«rtttmtteiie*timn-—

Page 107: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

86 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

sans conteste le premier rang parmi les artistes

dramatiques de son époque, avait dû quitter le

théâtre tic la Porle-Sainl-Marlin après une faillite

de la direction. Kngagé à la Gailé, Frederick y avait

transporté son répertoire : le Chiffonnier de Paris.

Don César de Bazan, Trente Ans ou la Vie d'un

joueur. Paillasse ; la pièce nouvelle lui permit d'en-

registrer un nouveau triomphe. Il faut lire les

éloges i|tie prodiguent à FrédéricU les critiques

d'alors, pour comprendre quelle plaire tenait ce

prodigieux artiste sur ht scène parisienne : < 11

faudrait, «lit A. Vacqtierie dans l'Evénement, un

génie, égal à celui île Frederick pour traduire en

paroles frappantes sa création comme il a traduit

celle îles auteurs en sanglots déchirants el on gestesinouïs. » — " La pièce, s'écrie dans le Siècle Mailla-

it d tle Fiennes, c'est Frederick... Cet homme, avec

le génie du cieur, a gagné hier au soir, devant le

peuple, la cause «le l'humanité. » — « Allez voir

Paillasse, écrit enfin .1. Janiu dans les Débats, et

vous serez comme la salle entière, attentive, excitée,

curieuse, suspendue aux lèvres tle cet homme...

C'est, un événement, ce Frederick, dans ce nouveau

rôle! — Il est remonté d'un seul bond à toute sa

hauteur ! — Quel homme ! » — Paillasse obtint cent

représentations consécutives, succès jusqu'alorssans précédent !

Puis vint le fameux Courrier de Lyon, le triomphede Paulin Ménier. Ce drame si pittoresque, si amu-

sant, fut représenté le 10 mars 1850 : admirable-

Page 108: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 87

ment joué cl mis en scène, il passionna Paris. C'csl

que Paulin Ménier avait créé, dans Chopard (ma-

quignon, tlill'Aimable), un de ces types inoubliables

qui se gravent, dans l'esprit, comme une apparition

effroyablement grotesque. Après l'avoir aperçue,

qui de nous n'a gardé le souvenir effrayant de celle

LE COURRIER DE LYONDRAMEBNCINQACTESETHUITTABLEAUX

MM.MORE,VU,S1IUUDIN«rDELACOUKtrnût-iTt.roc*LAr*wiU«ro».AHAÏ*.«»u rot-AT-Liotn cuti,«tt«ii«1834-

DISTHIBtlTIO'tDELAPIÈCE../EHOMELBCRQITFSpÀt........ .MMMu»SUF^C.^1!^"?;\: : : : : : : : 1 t.t»M*-..i«DIOSF.R..'."-".'."'.'.'.'. '-'.'.'• R.CoranfOUOUET. RwwnLAMftF.RT. . Roi-nDBXONT.t»u™r A'o.iinMAGUURF.P=IJ2ILI RimiDAPP-ESTON SCMILIIctiorpAHD.i,iai.,iit. . r.Jir.it»COURRIOL. Bàten.FOOINIRO AiixiititGUIRNEAU. . .- Br.ïlO.T.UNMAlTKJtDKroSTK- t fm«.

USGARÇONDtFERME UX.OtitEritUNORmiE*.- RientUNCAfcl-O*DF.CAIB. Ct-niLnOSVOÏÀGECR Fisc.*UNAGFJ.T. Ai»*».UN-GIULIER. Hi-iai.UNHOURREAU tt-tc».DIUXGENDARMES t FiuiHAnUSFRLTRE *Lttetil.JEAf.SE . . . W—Fi.».MO.JULIELfSl'KQUES r»wLAuLU:DUMAUREDEptjsre BIWUT.r*ap<1*.HesmnKF*3ssu.

brsili-Jcrtpt+iraijtlcmetttcnâvciioattetutivttivto,tfttrré*

Page 109: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

88 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

lèlc île dogue, de ces yeux de proie brillants sous

la loutl'e épaisse des sourcils, de ce menton enfoui

dans les plis d'une cravate crasseuse, tle celle

bouche «''dentée, tle ce nez rubescent, de ces L'ourles

pâlies de lapin sur des joues violacées, de ce

petit chapeau claque enfoncé sur un crâne si-

miesque, de, ce gilet de hussard qui devait avoir

été rouge el où pendaient encore quelques boutons

de cuivre, de cet ex-

traordinaire carrick à

collets, «le ce fouet

de chasse au manche-

court, de ces bottes

élimées, de celle cu-

lotte de peau zébrée

de reprises el de cou-

lures, et surtout tle la

voix élonnanle. quisortait tle ce, pantin

macabre, celle voix

éraillce. crapuleuse,

alcoolique, lançant

son inoubliable : « Ici.

Fouinard! >>

Paulin Men ici-.

grand artiste intelligent, lettré, ayant le culte de

son art, sachant, « habiller •>son personnage et

dessiner une silhouette de la plus pittoresque

façon, atteignit dans celle création de. Chopnrd la

perfection dramaliipie. Plusieurs milliers de repré-

l'AUl.INMKNIKU.

Page 110: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE IJOULEVARDDU TEMPLE 89

senlalions n'ont pas épuisé la vogue élu Courrier

de Lyon, cl Paulin Ménicr s'y est fait applaudir jus-

qu'à sa mort en 1898. Léon Noël, qui reprit son rôle,

a fidèlement copié son illustre devancier, et nous

LES COSAQUESDKAYÎ;ENCINQACTESETNFJTT.\UI>\IX

MAI.ALI»II.ARNAUXT.T LOUISJUD1CISktrilii.Mt.toi»LArMmLnro».AriAI»,«»it rittiTarttLAmit.it 21vnttïtir165J.

pxsTniB-D-noNDrLAprÊce-LICOMTEUANZARQFFMM.A"it«. iMicRice. o«-»«.OCUVEAC FAtir>Mr>ii»PANEL Am«M». |rin£RO>VTCH E»*»*™-LZCOLOSELlAOJCEVIN Ci.-mMT.Jttt.LEMARQUISDEHEAUFEU -T*n*.fcUSCOK JeuM.GIORCfS ><***•M.MOUTONNtT Oiumt.M.PI^ST-JRF.tTJC- - Bl«-KROKATOICOFF *«"«'-OSJEUSE-HOMMEAUlMOPE. TB.UAT.-**TANIEJT LâmuA.UVOFFiaEIlDECOSAQUES.. - ."- . R"*

usMARIE MM.-H.U-.^USGARÇONDECAFÉ. (UNXARCIUNDDEJOURNAUX.| •• • *nm.UNlNrAST timitV.tru».OUÏA ; .M—NIP»L.A>MILTM"ULANCHARD . . U.«icnLOUISE luMIU-ContiT-l.MARIONBORODINOIi>*tr«»ROSALBA A*^..UNE-MARIEE Uin.UNEFEMMEDUW.UPLE. Jot.eit.FitnirrCeuis'.Hmilrm-jOtiiBt.SsMiltFourni..C«u-t«->.J«Bt-.«-a»AU«-!•,J*"»*Ii-nwit1*oio-li.U»niatt-n-ri.F«j-..a..l"i)Ut>»,Htm-enHFts.j,.J.pfojJ.

fart.onHJHIMt*/ftriirUlt.iTrc^ti.

Page 111: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

90'

ANCIENSTHEATRESDE PARIS

ne saurions trop en féliciter ce comédien de talent;à côté de Paulin Ménier, Lacressonnière créait,tle merveilleuse façon le double rôle de Lcsurcjue-Dubosc cl ce remarquable artiste, y obtint le plus

légitime succès.

Puis la Gaîlé repri'senla — el nous ne citons queles grands succès — le Médecin des enfants, avec

Laferrièrc, et les Cosaques, où Paulin Ménier traçad'une façon remarquable la silhouette d'un vieux

grognard épicpie. On raconte qu'un soir où le théâtre

donnait une représentation qui comportait non seu-

lement les Cosaques, mais encore, le Sonneur de Sainl-

Paul—dix actes! —la troupe s'y était préparée par un

copieux déjeuner. —Quelques lèlcs étaient visible-

ment à l'envers, quelques langues étaient, lourdes,si bien que le public s'en aperçut; l'on murmu-

rait; un grincheux s'écria même: "C'est honteux! »— Un Lili indulgent sauva la situation par ce mol

plein de bonhomie : « Eh bien cjuoi !... ça arrive à

tout le monde... N't'épale pas cl vas-y, mon vieux

Bedforl ! » Cartouche, la Petite Pologne, les Pirates

de la Savane, les Crochets du père Martin, le Canal

Saint-Martin, les Bohémiens et, enfin, d'amusantes

féeries, dont les Sept Châteaux du Diable, les CinqCents Diables, etc., amènent pendant de longuesannées le public à la Gaîlé.

A côté du théAlre il y avait, bien entendu, le Caféde la Gailé, où se réunissaient les artistes du théâtre,les petites femmes de la figuration, les amateurs, les

marchands de billets, etc., cl Fr. Febvrc nous conte

Page 112: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDUTEMPLE 91

avec infiniment d'esprit une charmante anecdote

donl ce café fui l'objet.

La patronne était jolie, le patron élail jaloux,el il avait loul lieu de l'être, ayant eu le triste avan-

FUALDÈSML-UCZEHdSQACTES,ETSUITTABLEAUX

YAKMM-DUPEUTYET GRANGE

AUiEsnitroi*urUMiticrots,Amis,se*trTHEATHECELACATTX,U1*MiunrISIS.MI-milCTIO!!»ELAriscti

rrAii'ES «M.CIAUWAAP.BASTiUE Sctmu.JAl-SION EaaAKcu.LECOUTEDESA1ST-ANDE01_&OC«T.PIERREPASCAL DitA-mi.ANDRE,jootnrd'oi-pie .. Piti*.REMV,Atx-ifBuniteir4cFoilJf> Dfctuctm.SAUVEIERRE BAHOST.5U1PIJCE. CMA-ALCTLAFF.UMEBANCAL Km'

MADAMEMA^ON Jl1'«AI.MADELEINE,fille«lePicc.1 Huc-iiiPnEMIERINVITÉ UM.DEUXIEMEINVITE .-.UNEDAME. U-ItoiuT.IIS0REFF1ER .....1„ FMWI„UNTAMBOUR". fM--rM*<>»*USDOMESTIQUE 11.LAISLGA3MASU,KitAetpll,FAI11*1

Latc-înitepttttàItadtt,tu4SI7*An»rôtiLArkonvet.—Ler&ledeUBAOCJIippirtientàremploideI|>rtmj<rir41»iAjdruai«IDon1cela)'An«lolfioei.

Page 113: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

92 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

lage de surprendre sa femme avec un de ses garçonsdans une situation qui ne pouvait laisser subsister

aucun doute.

Ce fui une colère froide cl digne : « Je sors.

Madame, «lit-il à sa coupable, épouse, je sors, mais

à mou retour j'espère ne plus trouver chez moi cet

associé imprévu. »

lin rentrant., le soir, la première vision tjui appa-raît à l'infortuné cafetier, c'est l'odieux rival mari-

vaudant avec sa complice: «Il me semblait. Ma-

dame,«pic ce garçon devait quillcr noire maison? »

« — Mon ami, ce garçon, réponilil-elle d'une voix

douce, avait en «:llel des loris envers vous; mais,

après votre; départ, il m'a l'ail des excuses!... »

On devine la joie tpie causa dans lt; Ihéàlre celle

explication... biscornue !

En -I8G2, ht Gailé, atteinte par ronlonnancc si

funeste du préfet llnussmann, dut disparaître«lu boulovartl du Temple évenlré elémigrer près «lu

boulevard Sébaslopol, «levant les Arts el Métiers.

Page 114: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

(Haiî-roilcde^lartml.)

Théâtre îles Folies-Dramatiques. — Robert Macaire. —

Disparition des baraques eldes théâtres en plein vent.— La liltéiature dramatique au boulevard du Temple.— M""-Saqui.

Les Folies-Dramatiques ouvrirent au public leurs

(tories le 22 janvier 1831 cl abordèrent succes-

sivement tous les genres. On y applaudit des

pièces féeriques, comme la Fille de l'air, avec

M"'- Nathalie, qui plus lard devait devenir une

excellente sociétaire de la Comédie-Française; la

Fille du feu el Nip Nip; des pièces patriotiques,comme la Cocarde tricolore, qui fut le début au

théâtre des frères Cogniard, en -1831, cl qui obtint,

près de deux cenls représentations, chose remar-

quable pour l'époque: des vaudevilles, comme les

Aventures de M. Jovial; des tirâmes, comme le Cou-

vent de Tonningthon, les Deux Forçais; ai, enfin, des

Page 115: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

D't ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

comédies arislophanesques, comme Robert Macaire,

«ellegéniale création de Frederick Lcmaîlre.

Ce grand acteur, le «lieu du boulevard du Temple,était alors en pleine éclosion de son talent, cl

Robert Macaire était la continuation «le l'Auberge

des Adrets, qu'il avait créée quekjues années

auparavant a 1Am-

bigu-Comique el quiavait élé pour lui l'oc-

<;asion «l'un triompheéclatant. Il faut voir

avec «juel enthou-

siasme en parlent les

meilleurs écrivains de

son époque (lotir com-

prendre la place con-

sidérable qil'occiipailFrederick Leinailre

dans le monde drama-

tique. Th. Gautier «li-

sait : « C'est un beau

et noble speclacle quede voir ce grand ac-

teur, le seul qui chez nous rappelle Garrick,

Keinble, Macrcatly et surtout. Kean, faire trembler

de son vaste sou l'Ile shakespearien les frêles

portants «les coulisses des théâtres du boulevard.

Frederick a ce privilège d'être terrible ou co-

micpie, élégant, el trivial, féroce et tendre, de

pouvoir ilescendre jusqu'à la farce et monter jus-

Page 116: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE ROULEVARDDU TEMPLE 95

«[u'à la poésie la plus sublime comme tous les

acteurs comphMs. Ainsi il peut lancer l'imprécation

de Ruy Blas dans le conseil des ministres et débiter

le pallas de Paillasse dans une place de village;Richard d'Arlington jelte sa femme par la fenêtre

Page 117: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

!)U ANCIENSTHEATRESDE PARIS

avec la même aisance, qu'il cuisine la soupe aux

choux du saltimbanque el porle son fils en équi-libre sur le bout «le son nez. Dans Robert Macaire,ce Méphislophélès du bagne, bien (dus spirituel

que. l'autre, a élevé le sar«:asmc à la trentième

puissance cl trouvé des indexions «le voix inouïes

el des gestes d'une éloquence incroyable. Il a élé

plus beau que jamais dans Paillasse. » Dumas.

Victor Hugo montrent le même enthousiasme,la même émotion. Tout le monde spécial du

boulevard partageait- cet empressement. Jamais

d'ailleurs un homme n'oll'ril un (dus complet mé-

lange d«' qualités admirables, tle «Ions extraordi-

naires et île (tins pittoresques défauts : charitable,

hautain, hâbleur, familier, trivial, joueur, débraillé,

ivrogne, brave, charmant, spirituel, prodigue et

besoignetix, passionné d'art el scalologue. portant

superbement dans la vie comme au théâtre le feutre

effiloqtté tle Don César «lt;Ba/.an. Frederick traver-

sait le boulevard, hautain, souriant el. dédaigneux,acclamé des lilis, admiré {\r^~femmes, applaudi «les

hommes: ses amours mêmes défrayaient les conver-

sations «les badauds : on se coulait les stupéfiantsincidents de sa liaison avec Clarisse Miroy, mélangede tendresses bruyantes, «.lejalouses ruptures, «le

coups de canne et de réconciliations publiques.Lt; lendemain d'une de ces retentissantes que-

relles, racontail-on, Frederick, sonnant à la porletle sa maîtresse, fut reçu par la mère de Clarisse;la bonne dame, effrayée de se trouver en présence

Page 118: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE ROUI.EVARDDU TEMPLE 97

du brûlai artiste, levait déjà le bras pour st; garerdes coups... «Mais que craignez-vous tionc, vibra

Frederick... Vous battre, moi!! — Vous ballre!!

Est-ce que je vous aime? » On citait de lui d'aulres

mois épiques : « Mais,

monsieur Frederick,

vous a nonne//, voire

rôle, vous n'en savez

pas le texle. vous mar-

chez dans ma prose...»El lui «le répondre :

" On «lit.«pie ça porlebonheur!»

On colportai! sa ré-

ponse à la reine d'An-

gleterre, le compli-mcnlanl de sa belle

création du Père Jean

dans le Chiffonnier de

Paris ets'élonnanl «le

ce que semblables mi-

sères puissent se ren-

contrer chez nous...

« Ce sont nos Irlandais, Madame! » On se répétaitson observation au directeur, qui, en sa présence,avait successivement obtenu d'un jeune homme,

fort riche el prêt à tous les sacrifices pour arriver

à se voir représenté, une subvention, des décors

neufs, tin prêt immédiat, d'argent. Le malheureux^

auteur ayant finalement, loul accepté, tout signé^"'o 1 ^

FltKDKItlCK1.KMAITIIK,DANS« 30ANSOL~I.AVIEI>"UXJOL'Kiat»>.

Page 119: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

98 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

loul donné, allait sortir du cabinet directorial.

Frederick alors se précipita devant la porte el cria,

les bras en croix : « Comment vous laissez d«''jà

sortir Monsieur... el. il a encore sa montre!... »

C'est lui, toujours lui, qui, le soir d'une première

représenta lion, inter-

roge son (ils, respec-tueux el admirai if.

« Comment m'avez-vous

trouvé, mon fils?•—Admirable.— El. que pensait la

salle?— Elle vous admirait.— Alors vous ne voyez

aucune observation à me

faire, aucune crilique à

m'adresser ?

— Pas une. vous fuies

parfait.— Hien non plus à

redire aux costumes?

— Splcndides el pittoresques!— Cherchez bien.— Mon Dieu ! peut-être le parapluie que vous por-

tiez sous le bras était-il d'un bleu un peu criard...

— Hein! quoi! le bleu de mon parapluie criard!!

Ce fut ma meilleure trouvaille, tu n'y connais

rien... F... le camp, imbécile! » — Robert Macaire

obtint le plus vif succès, et les Folies-Dramatiques

FlIKDKIIir.KI.EMAITIIK,DANS« L'AI:III:UC.EHESAIUIKTS».

Page 120: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE ROULEVARDDU TEMPLE 99

connurent les ivresses du maximum. Mourier, le

directeur, fil. fortune et mourut en 1857. Tom Ilarel,

le neveu de la célèbre M"'; George, lui succéda;

c'est sous sa direclion (]ue, le 15 juillet 1862,

les Folies-Dramatiques donnèrent leur dernière re-

présentation au boulevard du Temple. Ce théâtre

LOEIL CREVEBOUFFONNERIEMCSIC\LEENTROISACTES.

PAROLES& MUSIQUEDE M. HERVÉ.»H~R£S£NTÉEPOURU--M-REMIÊREFOISAUTHEATREDESFOLIES-DRAMATIQUES,Al'ARIS,LE12OCTOBRE18G7.

DlreeUoodoSI.JïOBEAC-S.VlVtl._-SI.Atcxandr-EAUTTS.eicr-d"orcbe*tre.

Cf>£aO^.S3CE>5^|-5^r£^C2a^21S33CÉROMÉMILMILBM.LEMAftQllS.... iJ..*«.tr.ALEMMiI(lVOR£MMCIL.LEBAILLI IlLutit.ERNEST Coins«Anetî.LEnrc covMts.CHAVASSUS.iLMM».

COPEAU„ r.c»xt.niToi:n tu.axt.ROI'SSIN Mikiti.1.ASl-YÏÏMJ.LEIlutxuCM.u;r.iu:nir.u__ Am».MMWiMTTF.SIM""REMK.I,FLEL'HDENOULESSE.JuU*8*»«*.

LAMAÎIQU15—. ÀtMeCcstLECLOMNEAUIiXAMCCMAÎUETTF.. SfBMicu.FRANÇOISEL^ni-:t:*»o»Arlnlétri«5,FIJMI»,pjysinîiw.Sot

bl<=>etUjnJfetîijua«luAUr-pili.

Page 121: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

100 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

dut disparaître devant le pic tles démolisseurs

el fut transporté, -iO, rue tle Bondy, sur l'empla-cement qu'il occupe encore actuellement. —- Fre-

derick Lemaître y l'ail une nouvelle apparition,

reprend une partie de ses anciens mies el y crée

le Père Gâchette, le 13 juin 1867. Pendant des an-

nées le théâtre cherche sa voie, jouant îles comé-

dies, «les féeries, des mélodrames, jusqu'au jouroù l'opérelle s'y installa! — (.'."est là qu'Hervé

triompha avec l'Oiil crevé, le Petit Faust, les Turcs,

Chilpéric.'... Que de jolies opéretles oui vu le joursur celle petite scène : — la Fille de Madame

Angol, les Cloches de Corneville, Jeanne, Jeannette

et Jcannelon el, pour ne citer que le (dus récent

succès, nommons le Billet de logement, où Jeanne

Leriche fui si spirituellement amusante. C'est «le la

farci; un peu lourde, un peu vulgaire, mais «pii nous

rappelle les gais propos tle Taconnel, «le Panant el

de Vadé qui triomphèrent, jadis aux premièresheures tle succès du boulevaril du Temple.

Le boulevard du Temple, on le voit, élail noble-

ment partagé. A celle époque, une véritable pléiaded'artistes de talent s'y tlispulaienl la laveur du pu-blic. Le premier de Ions, e'élail, bien entendu, Fre-

derick Lemaître, celle vivante incarnation de l'art

dramatique; puis venaient Bocage, Laferrière,

Mélingue, alors à ses débuis; Ligier, Lockroy,

Jemma, Sainl-Ernest, Francisque, aîné, Francisqm;

jeune, Delaislrc, Moessard, Chilly, Paulin Ménier,

Boulin, M1"- George, M""- Dorval, M""--Moreau-

Page 122: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE ROULEVARI)RU TEMPLE 101

Sainti, M"c Ida, M"e Noblel, Clarisse Miroy, Léon-

tinc, Théodcrine Méliiiguc, elc.

Les petits théâtres, si amusants jadis, avaient

disparu ; les baraques avaient été supprimées, les pa-

rades ne racolaient plus les badauds de Paris. Finis-

cesdialogucs étranges

dont Bobèche cl Gali-

mafré avaient ilonné

de si bizarres échantil-

lons: abolis, ces vaude-

villes stupéfiants dont

l'un commençait par-celle phrase restée lé-

gemlaire, el cjue pro-

nonçait un domes-

liepie seul en scène au

lever du rideau : « Al-

lons, bon, encore une

punaise suTbcurre !

Main" la Marquise

qu'est si sur sa bou-

che, qu'est-ce qu'elleva dire en apprenant

ça ! ! » Ou encore

(c'était au Pelil-Lazari — el le marquis (quel mar-

quis!!) saluait en ces termes la comtesse (c(uclle

comtesse!!) : «Ah! comlesse, tous mes compli-

ments, la belle fêle! un municipal à la porle, des

llcurs dans l'escalier, du veau à l'entresol ! !— El tou-

jours votre loge à l'Ambigu... Mâtin! Quel luxe! »

9*

.M.UOEUOISEI.l.ELASSEXY.« L'OEII.CltEVK».

Page 123: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

102 ANCIENSTUEATIIESDE PARIS

Tout le répertoire, nous apprend le très aimable

et très érudit Arthur Pougin, était dans ce goût.MmeSaqui seule demeurait et continuait dans son

petit théâtre, compris entre les Funambules et le

Petit-Lasary, à promener sur la corde qui traver-

sait le théâtre,

reliant la scène

à la galerie su-

périeure, la

brouette célèbre

renfermant son

enfant, aux fré-

nétiques applau-dissements des

spectateurs. M"'e

Saqui, d'ail-

leurs, ajoute en-

core Pougin ',ne badinait pasavec son public.

Celte femme originale, douée d'une rare force

musculaire, n'hésitait pas, si elle entendait quelquebruit ou quelque querelle, à aller elle-même réta-

blir l'ordre troublé. Une pelisse jetée sur son cos-

tume, elle empoignait le perturbateur, le secouaitavec vigueur et le jetait à la porte avec tous les

égards dus a son rang.

MADAHFSAQUI.

i. A. Pougin,Acteurs el Actricesd'autrefois. Juven, 10,rueSaint-Joseph.

Page 124: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 103

Hugo et Dumas triomphaient à la Porte-Saint-

Martin. Les deux théâtres de drame du boulevard

du Temple, la Gaîlé et l'Ambigu, avaientaussi leurs

auteurs à succès, leurs spectateurs fidèles, et une

troupe vraiment exceptionnelle : Bouchardy, Anicet

Bourgeois, Paul Foucher, Michel Masson, Alboize

et Dennery faisaient représenter pendant vingt ans

tous ces drames célèbres dont bien des noms ont sur-

vécu : Lazare le Paire, le Sonneur de Saint-Paul,

Gaspardo le pêcheur, Jean le Cocher, Paris le Bohé-

im'ettfirentla fortune de Bouchardy, dont les drames

écrits à la hâte, mais d'une véritable puissance dra-

matique, captivaient l'âme des spectateurs. Il faut

avouer que le dialogue était parfois étrange. C'est

dans l'un d'eux que l'on entendait cette phrase

qu'a retenue Ludovic Halévy : « Prends pour fuir

ce sentier connu de Dieu seul. » Ou encore : « Dieu

m'a donné deux armes terribles pour combattre

mes ennemis : la fuite et la résignation. »

Th. Gautier disait de lui : «Bouchardy était une

puissante individualité, une nature vraiment ori-

ginale; il avait au plus haut degré le génie de

la combinaison dramatique... Ce qui lui manqua

toujours,c'est le style, cet émail qui rend éternelles

les oeuvres qu'il revêt. Toute proportion gardée, il

était à peu près à Hugo ce que Marlowe est à Sha-

kespeare. »

Page 125: Anciens Théatres de Paris - G. Cain
Page 126: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

Théâtre des Funambules. — Le grand Deburau.Cli. Deburau.

Depuis 1830, le nombre des salles de spectacleavait encore augmenté : le Théâtre Lazari s'était

agrandi, les Folies-Dramatiques ouvraient leurs

portes le 22 janvier 1831, et dès 1810 l'ancien Thé/ilre

des Chiens savants, où jouaient de véritables chiens

en costumes du xvinc siècle, marquis à museau

noir, duchesses à pattes blanches, mousquetaires à

tètes de grillons, était devenu Théâtre des Funam-

bules. On y dansait sur la corde, on y jonglait, on

y exécutait le « jeu îles couteaux et la grandebaloudc anglaise »; puis on y mêla des combats

à outrance, au sabre et à l'hache, cl c'est une des

causes premières du mélodrame en France ! car ces

combats eurent un succès fou. Nous reproduisons,

Page 127: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

100 ANCIENSTIIÉATIIESOE l'AIMS

d'après le beau livre de.J. Janin, l'Histoire du the'dtre

à quatre sous pour faire suite à l'histoire du Théâtre

Français, une des affiches à la main de celle

époque.

Puis, le spectacle se modifia ; soudain le succès

s'abattit sur ce petit théâtre, et les Funambules ne

désemplissaient pas. C'est qu'un artiste admirable

avait su passionner Paris.

Dans une petite salle, mal éclairée, mal aérée,

mal odorante, un acteur était justement acclamé.

On venait admirer Pierrot : Pierrot, celait le beau,

GRANDTHÉÂTREDES FUNAMBULES

Ai;joi;iui"iii:i.I-AIIEXTISAOISIUNAIUE«IX IXl.NXKIt.XCM: Ismi.l.AXTKHEl'IiÉSENlATION

DU SIÈGE DU CHATEAU

PANTOMIMEMILITAIREET PYKOTECIINIOUE

nr.NÉV:DEiiiicoim xi:u/:< «.«nIU-:I'I;ÈSI-:XTENTUNEMOXJACXI:AYE'-.CIIA.\"«;K.MICNTA VIE

TRAVESTISSEMENTSETMÉTAMnliPIl'ïSlCSOiSTEMESXEUESAVE«:CY>.1//;.17>'J«7SAIMEA'JEATHEMAI'.CIIES

FANIAUES.ICYfiI.li'IÏOXSMILITAIP.ESET icxi'i.axiox AI: TAHLEAI: JIXA/.E

Il y aura une représentation à :i heures — une à ;>

une à 7 el une à ïi

ENTISEZ.MESSIIXIïS,...1"AUTVijlli«;A

Page 128: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE lîOULEYAItl)DUTEMPLE 10"

le gracieux, le svclle Jean-Gaspard Deburau.

« Cet incomparable comédien, écrit Th. de Ban-

ville dans ses Souveni?-s, avait loul ce qu'il faut

pour charmer le peuple, car il était peuple par sa

naissance, par sa pauvreté, par son génie, par sa

naïveté d'enfant: mais aussi il répondait au be-

soin d'élégance et de splendeur qui existe dans les

âmes primitives, et il n'y eut, jamais duc ou prince

qui sut aussi bien (pie lui baiser la main d'une

femme... Les gamins du paradis lui jetaient des

oranges et il les ramassait, les mettait dans ses

poches avec une joie enfantine, heureux de faire

ménage avec eux et, de jouer à la dînette, cl, la mi-

nute d'après, il était un prince dédaigneux, un ma-

gnifique don Juan, jouant la scène avec Charlotte

I.Kiiori.KV.\i:i)nu TEMPLEVEISSIS20.

Page 129: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

108 ANCIENSTIIEATT.KSDE PAI'ilS

et Malhurine, avec une simplicité raffinée qui sou-

vent dut l'aire réfléchir nos acteurs infirmes et'

turbulents. » Jules .lanin. qui écrivit un livre sili-

ce grand artiste 1, disait de lui : «Deburau anime

le drame en regardant le public; il y a des événe-

ments magiques dont vingt scènes ne pourraientfaire comprendre le sens: il les explique, il les com-

mente, il les éclaircil, cl le public est si soudaine-

ment illuminé qu'à une des dernières représen-tations du théâtre des Funambules nous avons vu

la salle entière livrée à un rire conviilsif. parce queDeburau avait souri, 'l'ont le monde savait qu'il

jouait la pantomime. Kh bien! ceux qui ne l'avaient,

pas vu demandaient aux autres : ••Ou"a-l-il dit? <

Chacune de ses créai ions (Mail un succès : mais,

le -17juin 184(5,ce grand comédien —qui fut litté-

ralement adoré par ce public enthousiaste du bou-

levard du Temple, mourut des suites d'une chute

l'aile dans les dessous du théâtre. Heureusement

Deburau laissait un lils, Charles Deburau. qui lui

succéda et sut l'égaler. Dès son début sur celle petitescène où Jean-Gaspard avait laissé de si beaux sou-

venirs, Charles Deburau conquit son public : c'était

le même esprit, c'élail le même charme, c'était la

même grâce agile, et les spcclaleurs enthousias-

més et reconquis portèrent en triomphe l'heureux

débutant jusqu'à son modeste logis.L'excellent comédien PéricaiuLqui ne seconlenle

1. Deburauri le théâtre à quatre sous.

Page 130: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 109

pas d'être applaudi doublement, et comme comé-

dien et comme auteur dramatique, car nous lui de-

vons plusieurs pièces charmantes, dont Madame la-

Maréchale, mais qui est — nous avons plaisir à le

répéter — un des meilleurs historiographes du

théâtre à Paris, nous a donné sur les Funambules

un volume aussi précieux que documenté et spiri-tuel. C'est un récit amusant au possible : il y a

entre les Funambules et le théâtre de M"'c Saquides rivalités féroces; puis, les troupes se fondent :

« Monsieur Saqui », l'époux de la célèbre dan-

seuse de corde, partage en 1823 les fonctions di-

rectoriales avec Bertrand et Fabien ; mais cet âged'or n'a qu'un temps : on se sépare bientôt. L'asso-

ciation n'a duré que neuf mois, et un beau jourl'affiche du Théâtre des Funambules (les affiches

10

0. llKltfllAUl)AXSSESl'IU.NCll'A'JXll6l.ES.

Page 131: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

110 ANCIENSTTIEATHESDE PARIS

étaient écrites à la main) proclamait la scission;

le lendemain, l'affiche de M"'e Saqui publiait une

verte réponse aux Cabotins d.^à côté.

Celaient les Funambules qui triomphaient;mais leur joie n'était pas sans mélange : des

règlements draconiens régissaient lous ces petits

théâtres, cl c'est ainsi que VAhnanach des Spec-tacles — de Barba —

pour l'année 1822, nous

apprend qu'au théâtre des Funambules «.l'amou-

reux ne peut prendre part à l'action et vaquer aux

affaires de son coeur sans avoir fait préalablement

quelques gambades et quelques cabrioles ».

Frederick Lemaîlrc — l'illustre Frederick —

qui, comme nous l'avons dit, joua aux Funambules,

avait donc été tenu, de par ordonnance royale, «l'en-

trer sur les mains, alors que, le 28 décembre 1810,

il joua le noble Comte Adolphe dans Evaristc ou

les Faux Monnaycurs (pantomime en trois actes,

musique de M. Mourut, mise en scène par M. liou-

gibus aînéï. Des entraves étaient, apportées à la

libre expansion de l'art dramatique.En 1827, on annonce la première représentation

de Poulailler ou Prenez garde à vous, pantomime,« arlequinade comique, avec changements à vue el

divertissements dans le genre des l'êtes de la Cour-

Iille » ; el sur la première page du manuscrit, soumis

à l'autorisation préalable, se lit la noie suivante :

« Lue et approuvée pour être jouée au théâtre

des Funambules. Lorsque Cartouche et Mandrin

sont mis en scène sur les théâtres secondaires,

Page 132: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

(IMiolog-,originale.)CHAULESDKKUUAU.

(MuséeCarnavalet.-)

Page 133: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

112 ANCIENSTIUÏATIIESDE PARIS

Poulailler, qui est un voleur de troisième classe,

peut sans inconvénient figurer aux Funambules.

D'ailleurs, le lableau de la fin est moral, mais on

ne verra pas la Grève, cl Poulailler n'aura pas la

figure atroce des brigands de mélodrames : la

figure pale et les habits sales suffisent. >•>

« Paris, ce29janvier 182"/.» V.UOI.EI.IN,Inspecteur«lesTluVili-e?.

Les directeurs restreignaient les appointements ;des mesures sévères étaient prises par eux contre le

sans-gène des artistes : la costumière, ««M""'Guer-

pon », recevait la défense de « donner les pantalonsaao: acteurs qui 'manqueraient de bas » ; il était

« formellement interdit de se servir de l'huile des

quinquets pour se démaquiller le visage ». Dans la

salle le public, aprèss'èlre invectivé copieusement,se lançait volontiers des épluchures d'oranges et

des trognons de pommes à la figure. Une odeur

violente d'ail flottait dans l'air. Le peuple s'en-

lassail au paradis el au parterre pour acclamer

Deburau el ses camarades, les voir se gifller, se

tromper, se faire des niches el, suivant le mot si

spirituel de Banville, « recevoir des coups de piedsoccultes ». On se disputait, on se battait même,

parfois on envahissait les avant-scènes pendant

que de galants spectateurs offraient des gâteauxde Nan terre, des chaussons aux pommes, ou des

demi-glaces à deux liards le verre à leurs aimables

Page 134: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDI1UTEMPLE 113

voisines. L'entreprise périclitait quand Laurent

aîné, fournisseur attitré du répertoire des Funam-

bules, produisit le Boeuf enragé, « panlomime-arle-

quinade en douze la-

bleaux dans le.genre

anglais». Ce fut un

triomphe : plus de

deux cents fois de

suite, la salle, pleineà craquer, acclama

Deburau, el les Fu-

nambules connurent

d'heureux jours! 11

faut lire le scénario

du Boeuf enrayé pouren comprendre l'é-

norme folie ; il y a

des indications de

scène inouïes.

C'esl Ch. Nodier

<]ui signala le pre-mier les Funam-

bules à l'admiration

de Paris, par un article paru dans le Pandore du

10 juillet. 1828. Balzac, .1. Janin, Th. Gautier,

Gérard de Nerval, entraînés par lui, firent chorus,

el voilà les Funambules à la mode. Nodier lui-

même fournil une pantomime, l« Songe d'or ou

Arlequin el VAvare, au grand Deburau. Le Direc-

teur de la Bibliothèque de l'Arsenal n'avoua jamais10*

CI1AKI.KSDF.BLltAU.

Page 135: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

ll'l ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

la paternité de celte oeuvre charmante; mais ses

amis furent moins discrets que lui. « Le Songe

d'or, écrit Th. Gautier, est la merveille des plusmerveilleuses pantomimes qu'enfanta le cerveau

humain. C'est l'adorable imagination de Nodier

qui le créa, ce bijou aux facéties diamanlées, où

les tons nacrés le disputent à ceux de l'élincclanle

aurore; el l'ingrat renie une telle fille! »

En 1829, à la veille du moment où l'épopée napo-léonienne va s'épanouir boulevard du Temple, un

acteur «les Funambules, Victor, remplissait le rôle

du Vieux chasseurdans/e Jlclour ou la Fille du vieux

chasseur; ce Victor ressemblait à Napoléon cl, de

plus, portail un vieil uniforme vert ! Fût-ce voulu

ou fùl-ce par inadvertance? toujours est-il (pie

Victor se meta prendre son tabac dans la poche de

son gousset comme le faisait le grand empereur!Tumulte dans la salle, acclamations, cris sédi-

tieux, el. Victor est condamné à un mois de prison,

pour avoir « endossé un uniforme vert el. pris du

tabac comme eût pu le faire l'homme que la pudeur

empêchait de nommer ». Quel émoi dans le théâtre!

Arrive 1830, cl la lièvre patriotique envahit tous les

coeurs. Les auteurs abandonnent leurs droits, cl

les artistes renoncent à leurs cachets au bénéfice

des blessés de Juillet !

Après 1830,M""'Saqui s'insurgea contre les injonc-tions —

qui lui étaient faites, — de se; cantonner

dans les limites de son privilège. Elle se rend au fau-

bourg Saint-Antoine à l'heure de la sortie des aie-

Page 136: Anciens Théatres de Paris - G. Cain
Page 137: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

110 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

liers et invile en masse les ouvriers à se rendre à

son théâtre. «Je vous offre une représentation gra-tuite ! Vive la Liberté !» — « Vive Madame Saqui ! »

— Le lendemain, 1.500 faubouriens envahissaient le

boulevard du Temple en hurlant la Parisienne, el

le gouvernement capitula !

Page 138: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

Alexandre Dumas el le Théâtre-Historique. — La pre-mière représentation de la Heine Margot. — Mélingueelles drames de cape el d'énée.

A. Dumas voulut à son tour posséder « son »

théâtre, cl. c'est boulevard du Temple qu'il le

fil élever. Presque toutes les places disponibles

étaient prises. Restait l'hôtel Foulon, à l'angle du

faubourg du Temple. C'est près de l'emplace-

ment qu'occupe aujourd'hui la station du Métro,

place de la République, devant YHôtel Moderne,

(pie s'éleva bientôt le nouveau The'âlre-IIislorique,

qui se trouvait ainsi le premier de la série si

pittoresque d'établissements dramatiques groupés

boulevard du Temple et qui se poursuivait dans

Page 139: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

118 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

cet ordre : le Théâtre-Historique, le The'Atre-Na-

lional (ancien Cirque-Olympique), les Folies-Dra-

matiques, la Gailé, les Funambules, les Délasse-

ments-Comiques, le

Lazary.En même temps

qu'il construisait,

Dumas s'occupa de

réunir une troupe

exceptionnelle, et il

y réussit: ses prin-

cipaux sujetsétaient. Mélingue,

Bouvière, Later-

rière, Boulin, La-

cressonnière, Cla-

rencc,Fech 1er,Col-

brun, Barré, Bi-

gnon, Saint-Léon,

etc., M""'s Pcrson.

A.Bauchène,Lucie

Mabire, Lacrcsson-

nière, elc. Le 20 février 1847, la toile se leva

sur la première représentation de la Peine Mar-

got. Celle soirée d'inauguration fulvraimcnl excep-

tionnelle. Le public fil. queue vingt-quatre heures

avant l'ouverture du bureau, et la pièce, com-

mencée à six heures du soir, ne se termina qu'àtrois heures du malin, sur le quinzième et dernier

tableau de la Reine Margot. Dans ses Historiettes

I10UVIÈUEDANSEE1UJ1.K1>ECHAULESIX1)K« I.ADAMEDEMONSOHEAU».

Page 140: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 119

ALEXANDREDUMAS.

Page 141: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

120 ANCIENSTHÉÂTRESDE PAIIIS

el Souvenirs d'un homme de Théâtre, Hoslein écrit

au sujet de cet extraordinaire événement : « Dès

dix heures du soir, les porteurs de bouillon com-

mencèrent à circuler parmi les files en permanence;à minuit, arriva le tour des pains sortant de la four-

née; des marchands du voisinage eurent l'idée

de vendre des boites de paille sur lesquelles on

s'étendit voluptueusement. La nuit se passa en

fêle, en conversations joyeuses : le bon ordre ne fut

pas un instant troublé. Par intervalles, des choeurs

1res harmonieux se faisaient entendre; l'endroit était

éclairé par des centaines de lanternes el de lam-

pions. Celait un spectacle animé et des plus cu-

rieux. Au petit jour, eut lieu l'intermède du café

au lait, accompagné de petits gâteaux tout chauds;

quelques personnes de l'assistance arrêtèrent des

porteurs d'eau qui passaient et firent en public les

ablutions permises. La nuit et la journée furent le

triomphe des charcuteries à l'ail. L'air élail. saturé

de cet arôme culinaire. »

Le succès de la Reine Margot fut éclatant et

consacra la réputation d'un admirable artiste, Mé-

lingue : grand, mince, élégant, de belle tournure,tirant bien l'épée, portant le costume d'une incom-

parable façon, statuaire habile cl modelant, en

scène avec un vrai talent, une Ilébé, dans Ben-

venulo Cellini, de Paul Meurice, s'incarnant. dans

chacune des créations qui lui étaient confiées, tour

à tour Chicot de la Reine Margot, ou Lorin du

Chevalier de Maison-Rouge, ScJiamyl ou Fanfan la

Page 142: Anciens Théatres de Paris - G. Cain
Page 143: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

122 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Tulipe, Lagardcre ou Salvator Posa, Benvenulo

Cellini ou Méphislophe'lès, à'Arlaynan ou Calilina.

Mélingue apportait partout cl toujours un rare

cachet de distinction, une véritable originalité

de composition. Lorsque Mélingue jouait, il

arrivait au théâtre Irois ou quatre heures avant

la représentation, se grimait, s'étudiait dans la

glace, et chacune de ses créations présentait, avi

public un personnage complet, tout d'une pièce,

bien vivant, dans le vêlement exact et précis qui

(levait le compléter. On s'en souvient encore, et

Jules Clarelio le note dans ses spirituels Profils de

Théâtre, c'était pour le. public un émerveillement

que ces prodigieux avatars : « Etait-il beau dans

Lucrèce Borgia, plongé dans son fauteuil, avec son

pourpoint de velours cl sa barbe blonde; nous le

comparions à un vivant tableau du Bronzino. Il

fui superbe aussi dans lu Chevalier de Maison-

Rouge en muscadin patriote, le chapeau planté sur

l'oreille, l'habit carré el les gants verts, brandis-

sant en guise de bâton un énorme cep de vigne.

El quelle transformation dans le Cadio de George

Saint el Paul Mcurice, lorsqu'après s'être montré

en paysan breton timide et rêveur il réapparaissaittransformé par la vie de régiment, correct el hé-

roîque dans son mâle uniforme d'officier d'ordon-

nance du général républicain ! »

Pendant vingt ans, Mélingue fut l'idole incon-

testée du boulevard du Temple ou, mieux, du bou-

levard du Crime, car c'était le nom populaire, éner-

Page 144: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 123

giquc, amusant cl pittoresque que les Parisiens

avaient donné à ce boulevard du Temple où, de

six heures à minuit, tous les soirs, sur toutes les

planches de tous les théâtres, tant de sang était ré-

LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGEDKAMEENCINQACTKSENDOUZETABLEAUX

FARALEXANDREDUMASET AUGUSTEMAQUET

«n-nêtt-ftt, povftLIrKtvizRErois,Arims,svnLKtuÈ*Titt-HiSTOKHscr,ir .1AOKT1317r.Ticrmsiv ÏSÉATKE»KLAwoRTi:-Sjn*T-««.itTtw,LE11XOVK-MBKE1<S69.DISTKIBUTIONDEl.APIÈCE

MM.H1CE MM.U1I.WH.MM.f.mutin.UIMN ïllDttl. MlLItUf.DUKE» Bit™. Ltcu.s.tO'oitit.LtUtEVAUER Làt«i;»on.t«.CHILI.«Omit r.iT». Bonn.AGLMLAJ «un. Sain.AUSII1J£ r»«in. 1k.MjitT.JEA> R.«. Giniu.GILkCKI Cl.<«•.. AlT.^li.MTKLSM: Buttut. Fcim.VM>*tsll'tNTL>Eï.LCïlIiX.Hi.lMt. Lx.JM.IXtttKC A».!». M.it'SHtKtUlt: Lm>*i. X..,it->».VSGE^UIAJ Cutttt. ILH.I.MEMWATtu;imnt'Nii.c«.m« MUM.L.CN*(ilUnM'IS Voeu. Li-iii».AVTKEr,m«.l\LIN Lui. l'uni

Xt'itrrHu4[K>rD*.—t-CXV^MuM-BlRA.UNOhEfflER Mil.&»•. M*.Dtittmi.UNHUILIER OtTit. A.ton».INfElLHUVUlERAtllt»u. Ultwl.VXJEUNESLCTUiNNAIRE.0>L»t>. E.Pitit.V<TANNEUR.-...; p»u.. Uixii.MUtARb b«»t. Loo».HOHHESDUPEUPLE| J','.^- -JCiî^i'INACCUSATEURK.BUC.LIL'IKMA.clraicè.GFAEVIKYEîl-.A.ltcHeKirt-K--UL.K.,^ARTE1M$E II.Joui. tb.ttt».HttMVKTIS-IS Uu. r...Mui.IltL«>"tTIsOS VlILtlf- N«»)ll.VPXVKLAU ï.octctL-itt.«««-t.rCMKESDUPEUPLE.{*'J","t ff^"itt

Page 145: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

124 ANCIENSTHÉATUESDE PARIS

pandu, tant de larmes coulaient, tant d'innocents

étaient persécutés, tant d'en fanls ravis à leurs mères,

sous les yeux mouillés des spectateurs assoiffés

d'émotions.

Le Chevalier de Maison-Rouge, qui fui la deuxième

oeuvre jouée au Théâtre-Historique, l'ut un succès

qui surpassa encore celui de la Reine Margot. Pen-

dant cent trente-quatre représentations consécu-

tives, chiffre inconnu à celle époque, le public ac-

clama Mélingue qui jouait avec tout son talent,

tout son coeur el tout son esprit, Lorin, ainsi que

Laferrière et Alala Beauchène qui luisaient les

deux amoureux.

Le Comte Hermann, Pauline, la Jeunesse des

Mousquetaires, les Frères Corses, la Guerre des

femmes, le Chevalier d'Jfarmenthal, etc., se suc-

cédèrent.

Monte Crislo, qu'Alexandre Dumas donna plus

lard, primitivement se joua en deux soirées! C'était

un peu long, et Cham, l'amusant et spirituel cari-

caturiste, consacra deux croquis à celle bizarre

innovation. Un homme tout guilleret moulait les

marches du Théâtre-Historique, le regard vain-

queur, le jarret tendu : c'était l'entrée à Monte

Crislo. Un vieillard chauve, à peu près aveugle,

soutenu par deux béquilles, s'éloignait pénible-

ment : c'était la sortie de Monte Crislo!

Presque toutes ces pièces réussirent, mais les frais

étaient considérables : les événements politiques

éloignaient le public du théâtre cl, après avoir

Page 146: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 123

LA JEUNESSEDE»-

MOUSQUETAIRESDRAMEENCINQACTKS,ENDOUZETABLEAGX

AVECPHCI-OGUEETÉI'ILOOUK

SIM.ALEXANDREDUMASET AUGUSTEMAQUETI;tl«r>>«ii<?,puui1p̂ccniiilictoii.àl'uii.surleTli-Cîlrc-lli.v.îtjucle17fêirkfISSO.«cireprb*urluthtlue«lelatorle-SuDl-Jtïrtia.k20mjtcnbtcItfCI.

DIETHinUTlONrnoLocce

LEvir*\ifei>F.tArtnz. MU.'niai-vc*.«5E»r.CF^ , CMMI.Ll«""r '"njwicanium Ut™.(Hihuinr.IUCKS-^ K<w<F.m.,i.ILMDEirC Loir*.IiItAXE

*•'ARlAIMN KM.llunai.- ATH-1S <;n«»«ii.-rùKlHOS .• liitit._-?AKAULS .'. Itiri».-BUCt.INT.UAN-...-...; Luiniiii,- J-OUl-Xllt hum. ILECthl.lhAL Htm.OCHEUOKI titri-rt.BÛ.\ACtE(JX [i..tim.LCKDtiEWlNtEll Boiui».

TftKïILLF MUHueuit.PLASU1ET U«»t(UC«Bnti.. Curtt.FELTOS". toi.tr.I.ilucuiii Ctontii.L'y;»<JiCoft>ai£icrrungl Imivu.IJ.Ouwiau: f*n-ClilMlUD .- DCMU'-ItilISTRACY IIIM»Anima.UtUlSAÇ M«««.ItSilC.....". vtiiiL4PJKTE. »ItISCAKIT." ) .,UPitno*telilur-ja*. 1 **"-UILADT(>EWIATER LloctPuvn.AS.SEITAUTP.ICHE AIJJ.1CuminJMililMEBÙXACICUX ftn.KETtr.laiuiitadirUinnr Bit».LLSntimuJeiCanorlitci.-. Iii'is-liAZL\IMUSQUEtW.",PATEICK.HAVIH,l>Etinrr.eiwti.Hsco".TUU*.tMsUTKCU.

II*

Page 147: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

126 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

lutté avec une admirable énergie, le Théâtre-Histo-

rique disparut au mois de novembre 1850, aprèsavoir vécu un peu moins de quatre ans, pour repa-raître plus lard sous le nom de Théâtre-Lyrique.

Le loc.il resté vacant rouvrit ses portes, sous

la direction de M. Scvcsle, qui bientôt passa la

main à M. Perrin, directeur de l'Opéra-Comique,

lequel assuma un moment les deux directions. Ce

l'ut Roqueplan qui lui succéda, cl, enfin, M. Léon

Carvalho ; jusqu'à l'époque où la destruction

sauvage du boulevard du Temple le fil. émigrer

place «lu Châlelet, le Théâtre-Lyrique l'ut.justementl'une des gloires artistiques de Paris. C'est au

Théâtre-Lyrique du boulevard du Temple (pie virent,

le jour Faust, Philémon et Bancis, le Médecin malgré

lui de: (îounod, Si j'étais roi d'Adam, les Dragons

de Villars de Maillart, la Statue de Rêver, la Reine

Topaze de V. Massé, la Fanchonnelle de Clapisson,la Perle du Brésil de Y. David, les Troyens de Ber-

lioz; c'est là que lurent joués tous ces chefs-d'oeuvre:

Orphée, Don Juan, les Noces de Figaro, Obéron,

Euryanthe, Fidelio, l'Enlèvement au Sérail.

Quel reperloireavail.su créer le spirituel, aimable

el artiste directeur qu'était Léon Carvalho! La

troupe qu'il avait réunie était digne des oeuvres

qu'elle avait l'honneur d'interpréter : c'étaienl

M""'5Viardot, Cabel, Marie Susse cl, enfin, M'"0Mio-

lan-Carvalho, la reine des cantatrices, l'artiste la

plus complète, la plus parfaite qu'il nous ait été

donné d'admirer. M'"" Miolan-Carvalho fut Mar-

Page 148: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE ROUI.EVARI)DU TEMPLE 127

1.KTHK.VTliE-lIlSTOI!IQUE.

guérite, Juliette, Mireille, Pamina, Chérubin,

Zerline, Fanchonnclle, el son talent captivant,

Page 149: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

128 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

ému et charmeur, sut chaque fois réaliser l'idéal

rêvé par l'auteur.

A côté d'elle M"'0 Viardol, qui avait été l'inou-

bliable créatrice de la Fidès du Prophète à l'Opéra,faisait sonner sa grande voix tragique dans

YOrphée de Gluck. M"": Cabcl égrenait ses notes

d'or, ses impeccables vocalises; et puis venaient

M"",sUgalde, Miramon, Girard, plus lard M"'' Du-

casse, qui devait créer si spirituellement le pagecharmant de Roméo.

Les artistes hommes s'appelaient : Barbol. h^

créateur de Faust ; Monljauze, excellent comédien,doué d'une voix charmante el mari dune écuvère

célèbre qui, si l'on en croit A. Pougin, toujours si

parfaitement documenté sur les choses du théâtre,le menait à la cravache; Michol, qu'un dilettante

avait, découvert au cale Moka, un infime concert,

de la rue de la Lune; Rosquin, que nous devions

plus lard applaudir à l'Opéra; lsmaël, Meillel ;

Balanqué, qui devait avoir l'honneur de créer

Méphistophélès du Faust de Gounod. Ce Faust,dont les représentations font encore aujourd'huile maximum à l'Opéra, n'obtint — chose inouïe !— aucun succès à la première représentation.

Seuls, le choeur des soldats cl. la valse du premieracte plurent quelque peu. Le nom de Gounod l'ut

sifflé. Ce n'est que grâce à la ténacité de Léon

Carvalho que ce bel ouvrage fut maintenu sur l'af-

fiche. Gounod ne trouvait pas d'éditeur pour pu-blier sa partition, et il l'offrait pour 0.000 francs! ! !

Page 150: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDnU TEMPLE 12!)

— La critique avait, été féroce. Mais M",nMiolan-

Carvalho avait la foi ; son courage, son talent, sa

virtuosité finirent par gagner la partie, el Faust,

amputé de plusieurs morceaux qui, parait-il,faisaient longueur, commença sa glorieuse carrière.

MAIIA.MKMIOI.AX-CAUVAI.IIO,IIÔ1.E1>EMAKGUEIIITK1>K« FAL'ST».

Page 151: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

130 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

Toutefois et malgré tant de talent dépensé, tant

de succès obtenus, lanld'ellbrlsarfisliqiies réalisés,

Léon Carvalho, après cinq ans de luttes, dut se

retirer, accablé sous de trop lourdes charges, el

M. Rély lui succéda, sans grand succès. Les di-

rections succédaient aux directions. On essaya de

tout, —on y joua le More de Venise, d'Alfred de

Vigny, el Glaligny s'y montra sous la loge d'un

sénateur! — Enfin, quelque temps avant la démo-

lition, Brisebarre y lit représenter, avec un grandel justifié succès, Léonard ou les Eyoulier.s rie Paris.

Léonide Leblanc y élail adorablcinenl jolie. Quantà Brisebarre, il donnait ses rendez-vous d'affaires

sur scène, pendant un acte exigeant un nombreux

personnel : ça lui faisait de la figurai ion gratuite...dans l'argot des théâtres, cela s'appelle dc^ « lèles

à l'huile! »

Page 152: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

Les Folies-Nouvelles.— Hervé, le compositeur loque. —

Le lliéâl.rc Déjazcl. —Surdon et il. Garai. — La mortdu boulevard du Temple.

Les théâtres occupaient presque uniquement le

côté droit du boulevard du Temple; quelques éta-

blissements dramatiques se rencontraient encore

sur le côté gauche, cl aussi des cales où des instru-

mentistes, des chanteurs, des acrobates mettaient

une note artistique et divertissante; enfin une petitesalle avait, été ouverte qui devait survivre à tous ses

grands voisins. En 18-52,un nommé Mayer loua,rue «le Vendôme, un établissement de bains ayantune entrée sur le boulevard cl y ouvrit un bal. L'en-

Ireprisc périclitait, lorsqu'on 1854 un artiste pleinde talent, de fantaisie cocasse, abracadabrante,

Page 153: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

132 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Hervé, y adjoignit une série de petits spectaclesd'un genre loul nouveau : c'étaient des opérettes

folles, des saynètes inouïes de drôleries, un mélangede parodie, d'aliénation moniale cl du plus spiri-tuel talent .musical. On nomma les Folies Mayer ce

bizarre petit théâtre construit sur l'ancien Jeu de

Paume du comte d'Artois. La salle d'ailleurs est

restée ce qu'elle fui jadis, cl l'on retrouve facile-

ment l'ancien « carré » du jeu si cher au frère de

Louis XVI.

Adolphe Brisson, dans le charmant volume l'En-

vers de la Gloire, nous aconlé avec son esprit habi-

tuel l'histoire du berceau de l'opérette, ces Folies

concertantes qui devaient.plus lard devenir \ea Folies

Nouvelles. Théodore de Banville avait rimé le pro-

logue d'ouverture en des vers exquis :

... Dans notre parc aérien

S'agite un monde qui n'a rienVu de morose.

Boulions, que l'amour pour son jeuVêtit de salin rayé, l'eu

Bleu ciel el rose.

Notre poème fanfaron,Qui dans le pays d'Obéron

Toujours s'égare,ïVest pas plus compliqué vraiment

Que ce que l'on songe en fumant

Un bon cigare.

Le répertoire, toutefois, s'éloignait de ce prologue

musqué, pimpant cl lalon rouge. C'était un com-

Page 154: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 133

posé de folies, de coq-à-1'ânc, de calembredaines.

Le Chameau à deux bosses, le Duo impossible allèrent

aux nues. Dans un Drame sous la Terreur un con-

damné emportait sa tète sous son bras, et ses com-

12

THEODOIIEDE BANVILLE.

Page 155: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

134 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

pagnons de s'écrier : « Cet animal va nous faire re-

marquer. Porter ainsi sa tète ce n'est pas l'usage! »

Dans Agamemnon, voici quelques-uns des vers

que déclamait Hervé. Ils sont typiques.

Je suis Agamemnon, je règne sans partage ;Je me nourris de pain, de beurre et de fromage;Polage, comme rime, eùl été plus heureux,Mais je suis maître ici et fais ce que je veux.

Déjà plusieurs sujets ont occupé mes vues :On se plaint de la crolle, il faut paver les rues :Peut-être il vaudrait mieux empêcher de pleuvoir.Mais, hélas! jusque-là ne va pas mon pouvoir.Si je ne craignais pas de courir quelque risque,Je forais bien aussi redresser l'obélisque.

Et l'on écoulait ces folies en suçant «les sucres

d'orge à l'absinthe, la spécialité de la maison !

Hervé, ancien organiste? de la maison d'aliénés de

Ricèlre, musicien, librettiste, auteur el régisseur,donna encore un grand nombre «("«cuivres «pii

presque toutes réussirent : Don Quichotte et Sancho

Pança, le Compositeur toqué, le Sire de Framboisy,

Agamemnon ou le Chameau à deux bosses, etc., el.

celle petite scène prit le nom de Folies-Nouvelles.

C'était pimpant, spirituel et charmant. A. Pougin.

sortant à peine du Conservatoire, y louait le bâton

de chef d'orchestre; les artistes s'appelaient Paul

Legrand, Joseph Kebn, José Dupuis: et les musi-

ciens : Laurent de Rillé, Pilati, Melcsvillc fils... Le

public apprenait le chemin de ce gentil théâtre

qui changea de nom el devint, définitivement le

Page 156: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE ROULEVAIIDDUTEMPLE 135

Théâtre Déjazel, le jour où la délicieuse artiste y ap-

parut, en 1859, sous la direction do son fils. Elle

y joua avec un égal succès la comédie, l'opérette et

MADEMOISELLEDE.1A7.ET.

Page 157: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

136 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

le vaudeville et eut celle gloire d'en ouvrir les portes

à Victorien Sardou à l'époque de ses débuts.

11 faut lire le récit charmant qu'avec tout son

esprit el tout son coeur Sardou a donné de sa pre-

mière entrevue avec Déjazet. Dans un précieux el,

documenté volume consacré au matin?, M. HuguesRebell nous raconlequcSardou, découragé, attristé

de la chute de la Taverne des Etudiants, s'élant vu

refuser nu Bernard Palissy à l'Odéon, et Paris à

l'Envers nu Gymnase, commentait à perdre courage.

Un ami lui conseilla d'aller voir Déjazet el de lui sou-

mettre un Candide, adaptation du conte délicieux «le

Voltaire... « C'est.le dernier espoir, bien chanceux,

raconte Sardou; mon Candide sous le bras, je pars

pour Seine-Port où habitait Déjazet. Que de ré-

flexions le long delà roule ! Ce chemin-là, combien

d'autres el. dans les mêmes intentions l'avaient du

faire avant moi sans autre effet, (pie de se rendre 1,

importuns! Pourquoi serais-je plus heureux?

« A Gesson, où l'on descend, pas d'omnibus.

Mais, renseignements pris, j'en avais pour trois

quarts d'heure à peine d'une marche facile à travers

les bois. D'ailleurs un temps radieux : un soleil !...

J'ai gardé le souvenir de ce soleil-là, le premier quiait, lui sur ma roule!... Un enfant m'indiqua la

demeure de Déjazet. Dieu sait avec quel battement,

de coeur j'y sonnai. Personnelle vintet je remarquai

que la grille n'était pas fermée. Tout semblait s'ou-

vrir devant moi comme au coup de baguette d'une

fée. Une servante à tète blonde me cria de loin en

Page 158: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDUTEMPLE 137

souriant (elle aussi) : « — Entrez dans le salon, jevais prévenir Madame qui est au jardin... » une

porte s'ouvrit derrière moi. Je me dis : « C'est elle »,

et, ramassant tout mon courage pour lui débiter le

petit discours pré-

paré sur la route, jeme retournai el de-

meurai coi, la bouche

ouverte, muet comme

un poisson. Elle avait

les mains pleines de

plaire, ce qui me dé-

sorientai!; je ne m'é-

tais pas attendu à ce-

la. Elle vil ma stu-

peur cl me dit en

ri a n I : < Pardon ,

j'étais occupée à répa-rer un mur!... » La

glace rompue, je ne

sais trop ce que jed is... .1e présentaiassez heureusement

mon Candide, en faisant ressortir, on le pense bien,ce qu'il y aurait de plaisant, à voir collaborer Vol-

taire et Déjazet; je déposai mon manuscrit sur la

table, je serrai ses blanches mains, et je pris la

fuite sans me retourner... Une voix sccrèle me

disait : « Le charme est rompu, ion heure est arri-

vée », et ma jeune chance, emprisonnée jusque-là,12*

.MADEMOISELLEIIÊJA7.EÏ:« HO-NAl'AItTEA HUIEXXE».

Page 159: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

138 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

brisait sa coquille cl, pour la première l'ois, battait

de l'aile... Je courais, je volais, je franchissais les

fossés tout pleins (je crois les voir) de gros bouil-

.___^__ Ions blancs et

de 11eu r s des

champs dont je(is une moisson

«pie je rapporlui

pieusemenl. Il ya de cela bien

des années cl

leiirparfumdureencore ! »

Déjà/.et ac-

cepte de jouerCandider\ l'offre

à sesdirecleurs.

MM. Cogniard

(elle élail alors

pensionnaire«les Va riél es ,

<111irefusent la

pièce comme

trop coûteuse à

mouler. Déjazet

prie alors bardou «le lui taire une comédie en trois

actes d'après un scénario de Vanderbiich, les

Premières Armes de Figaro. « J'accepte, répond

Sardo.'., à la condition d'écrire seul la pièce. »

Déjazet la lit aux frères Cogniard; nouveau refus,

(Cuil.11.Li-cvinlu-jMADEMOISELLEDËJA/.ET

DANSLA«DOUAMIIÊISEDEl'.IIIOXXE».

Page 160: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE UOULEVARDDU TEMPLE 13!)

el Déjazet de répondre : « Vous refusez aujour-

d'hui les pièces de ce jeune Jiomme; c'est lui pluslard qui refusera de vous en donner, et il aura

bien raison.» El les événements ont confirmé ce

pronostic. Peu après Déjazet prenait possessionde la petite salle du

boulevard du Temple.Ce furent lesPremières

Armes de Figaro

qui inaugurèrent le

théâtre Déjazet, le 27

septembre 1850, el

c'est Sardou lui-même

qui. dans le trou du

souffleur, souilla la

pièce à sa charmante

interprète, qui n'avait

confiance qu'en lui.

««Il n'y a que Sardou,

«lisail-elle, qui sache

exactement, l'endroit

où la mémoire me

fait défaut. » C'était

un pastiche de Beau-

marchais — (ce Beaumarchais dont l'hôtel dé-

labré subsistait encore à quelque cents mètres du

boulevard du Crime), — mais si spirituellement, si

habilement fait qu'il semble qu'en plusieurs pas-

sages c'est la phrase même, spirituelle, incisive,

captivante du maître que le public ait eu à applaudir.

MADEMOISELLEDE4A7.ETDANS« M.GAH.VT».

Page 161: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

140 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Voici une citation qui permettra de juger de

quelle étonnante manière Sardou continue Beau-

marchais. Figaro (celait MI1,:Déjazet), chassé par le

barbier Carasco, se demande ce qu'il va devenir,el revit, ses précédents avatars « ... Je m'engagedans une troupe de comédiensambulanls... Comé-

die, opéra, ballets, décors, costumes, machines,

régie, contrôle cl cuisine, c'est moi qui fais tout,

qui veille à tout, qui produis tout... L'entreprise

prospère... Vn alcade imbécile, pour ne pas le dis-

tinguer des autres, voit la pièce, se reconnaît dans

un personnage idiot, saisit la baraque, emprisonnela troupe cl me menace des galères; je m'évade

par miracle,... je passe en Franco, pays poli, policé,un peu polisson, où ma verve se ranime ... et me

voilà d'où je suis parti!— Mais, vive Dieu! la

ferlililé d'esprit el la belle humour qui m'ont sou-

tenu jusqu'ici ne sont pas pour me délaisser dans

une telle crise, et lancé dans l'air comme un petitécu qui se demande en tournant s'il tombera pileou face... je rends grâce à la nature qui m'a fait

d'un métal à résonner toujours sur le pavé!... »

N'est-ce pas charmant?

El celle autre appréciation sur l'immortel Bri-

doison : « Hélas! il a l'esprit d'être bêle, ce qui partous les temps est moins bêle que d'avoir de

l'esprit. » Vanderbuch a dû être bien étonné

en relisant sa pièce, alors que Sardou l'eut

récrite !

Le 30 avril 1860, M. Garai obtient le plus grand,

Page 162: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 1-41

le plus mérité succès. La comédie commence à

Paris en 1793 dans un poste de gardes nationaux. Les

hasards d'une râllede seclionnaires y rassemblent

l'illustre Garai,

le chanteur à la

mode, l'imper-tinent Garai quiaux concerts

Fcydeau s'était

arrêté courlpourdire à une «lame

prenant bru-

yamment une

glace : « Je n'ai

pas pour habi-

tude de chanter

avec accompa-

gnement de cuil-

ler», ell'illustrc

Veslris, le dieu

de la danse, un

parfait imbécile,

vaniteux, fat el

niais à plaisir.Elle se termine chez M"'c Duhamel, une parvenue,

dans une soirée où se coudoient les muscadins, les

fournisseurs aux armées, les nymphes cl les mer-

veilleuses, les émigrés cl les conspirateurs sous

l'oeil imposant du prétentieux Deshoulières, se-

crétaire du directeur Barras. C'est un petit chef-

MADEMOISELLEDÉJAZET,DANS«M.GAHAT».

Page 163: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

1-12 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

d'oeuvre d'esprit. Déjazet y triompha; elle n'était,

cependant plus jeune, à en croire son acte de

naissance, et, pourtant, elle avait absolument l'air,l'allure et la tournure galante «l'un muscadin «le

vingt-trois ans. Il nous souvient, tout enfant,

d'avoir vu, vers 1870, celle charmante actrice in-

terpréter ce rôle exquis, et l'impression en est

restée inoubliable. C'est .que Déjazet était lecharme

même; son art parfait lui avait permis de se trans-

former sans vieillir, et le secret «le son élernelle

jeunesse c'était sa souple désinvolture et l'éclair

si lin do son oeil spirituel ; c'était, son pied char-

mant, ce. pied célèbre qui avait inspiré ces vers

amusants :

Quand ce bijou, quand cet amourSe glisse dans le bas à jour,

C'est une joieDe voir folâtrer et courirA travers le réseau de soieSa veine où coule le saphir.

Puis il babille,Marche et frétille

El fait craquer son brodequinDe satin !

Au Théâtre du Palais-Royal, où elle lit la plus

grande partie de sa carrière el où nous la retrou-

verons plus tard, elle avait laissé les plus profonds

regrets, et le public reconnaissant, aimait, et admi-

rait celle charmante femme, la plus spirituelle,artiste de Paris. A côté de Déjazet, parut dans

Page 164: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 113

Page 165: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

14-4 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

M. Garai un acteur lin, amusant, à l'air à la

fois narquois, candide et malin, José Dupuis, quenous verrons bientôt faire aux Variétés du boule-

vard Montmartre une admirable carrière; José

Dupuis jouait Veslris, lype de sottise el d'infa-

lualion, et rien n'était

plus drôle que de voir

ce grand benêt s'ébattre

comme un pantin au

milieu de l'intrigue si

finement ourdie par Ga-

rai, — Veslris baltanl

un entrechat en tombant

par la cheminée dans

un corps «le garde de

sans-culolles, Veslris

s'assevanl sur le per-

roipiel adoré d'une mer-

veilleuse, Veslris cons-

pirateur !

) Doshoulièrcs était re-

présenté par un acteur

stupéfiant, un type étrange; son portrait, dernière-

ment, nous tombait sous les yeux chez Ludovic

Ilalévy : une tète hautaine, violente, sévère, avec

une sorte de rictus mauvais. Le masque d'un doc-

trinaire de l'école de M. Guizol, relouché féro-

cement par Daumier, se dressait au-dessus d'une

cravate blanche de tabellion; un gilet de quaker,un habil noir haut boulonné, un pantalon à plis,

'Coll.deM.I..lialcvy.)L'ACTEEI;HACHE.

Page 166: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 145

des souliers lacés complétaient cette bizarre sil-

houette ; cl ce sinistre personnage c'était le comique

Bâche, Bâche

aux plaisante-ries macabres,

Bâche qui, plus

lard,ayant usur-

pé les fonctions

de commissaire

de police dans

une alla ire de

rap I d'en fa ni,

était amené au

Ihéâlre, le soir,

en Ire deux

agents de la sû-

reté, pour jouer,dans Orphée aux

Enfers, son rôle

du roi de Béo-

lic; Bâche, qui,

après le spec-

tacle, parfaitmuni d'une lan-

terne sourde et

couvert d'un long manleau brun, — cl, comme

Ludovic Halévy s'étonnait de ce dramatique accou-

trement, Bâche l'invita" le plus gracieusement du

monde à l'accompagner dans son expédition ; il

allait chasser les rats dans les rigoles qui, à celle

13

(Coll.II.Lecomtc.)MADEMOISELLE.DÉJAZET

DANS« LE V'° DEI.ÉTOIIIÊIIES».

Page 167: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

116 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

époque, amenaient les eaux ménagères aux ruis-

seaux : « Venez donc, ajoutait-il d'un airengageanl,

je connais des coins merveilleux du côté de la rue

Moull'elard ; j'en fais jusqu'à cinq ou six gros parnuils ! » Bâche enfin, dont le tutoiement irrévéren-

cieux avait empoi-sonné les vieux jours

de l'académicien An-

cclolqui, dans le brou-

haha d'une répétition,avait eu l'imprudence

d'indiquer une rapide

passade au comédien

en lui disant : « Sors

par la gauche.» « Com-

me tu voudras, je n'ai

rien à refuser à un vieil

ami comme loi», avait

répliqué Bâche; el,

depuis ce jour fatal,

ce Bâche, effrayant,

falol, bouffon et si-

nisl re, appara i s s a i l

inexorable et familier

au correct el. pusillanime académicien. C'était

lui qui jouait Deshoulières et qui, si plaisamment,

à tout ce qu'on lui disait, laissait, tomber de sa

haute cravate blanche celle éternelle réponse :

« Ne sais pas... trop absorbé... le Gouvernement...

l'Étal... la France! »

MADEMOISELLEDEJAZET,« GENTU.IIEItXAItl)».

Page 168: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 117

Oh! la jolie, la charmante soirée !

En 1801, Déjazet reprend quelques-uns de ses

meilleurs rôles.

Enfin, le 2i avril 1862. un srand succès vient

égayer le petitthéâtre : on ydonne la première

représen talion

des Prés Saint-

Gervais, de V. Sar-

dou, deux ta-

bleaux pleinsd'es-

prit, de verve, de

jeunesse et d'en-

train. Déjazet yfut exquise. Elle

y jouait, le prince

deCo!ili,eljaniaiselle n'avait élé

plus jeune, plus

spirituelle, plusélincelanle ; elle

dansait el chaulait à ravir les plus jolis coupletsdu monde. Ce fut un triomphe, et, sous une pluiede Heurs, Déjazet présenta l'auteur au public ravi.

Un dernier souvenir sur le boulevard du Temple :c'est sur l'emplacement occupé jadis par le balde Paphos, que vers 1869 les prestidigitateursRobin, Clevermann elles frèresDavcnporl exécu-tèrent pour la première fois leurs amusantes expé-

MADEMOISEI.LEDÉJAZET,«LADOI;AIIIIÉIII:DEUIIIONNK»,1" HOI.E.

Page 169: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

118 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

riences de magie blanche, avec les apparitionsde spectres, les unir ires où des hommes attachés,

liés, ficelés, cachetés, pour ainsi dire, faisaient de

la musique, jouaient, de la guitare, frappaientdes tambours de basque, heurtaient des chaises.

enlevaient leurs vêlements, jetaient des fleurs el

réapparaissaient, aux yeux des spectateurs ahuris,

débarrassés des liens compliqués dont on les avait

élroilemenf enveloppés.Ces expériences ont été depuis maintes fois répé-

tées; mais, à celle époque, on ne saurait croire

combien elles avaient impressionné Paris. C'est

la dernier»! attraction qu'oll'ril le boulevard du

Temple : des faiseurs de tours, des escamoteurs!

Il avait élé escamoté lui-même par le farouche

décret du baron Haiissmann.

En 1862, le boulevard du Crime était supprimé,les théâtres dispersés. Ce fut un deuil pour Paris

qui, depuis si longtemps, aimait ce coin charmant,

où «1(5générations en générations on avait connu

ce plaisir délicieux, cet oubli des heures mauvaises,

ce réconfort, celle leçon d'art, cet amusement : le

théàlre.

Les directeurs, les artistes, les machinistes, les

figurants, les danseuses. les habilleurs, les cla-

queurs, tout ce petit monde qui vil du théàlre est,

consterné ; les Parisiens se désolent, on pétitionne,on proteste : rien n'y l'ail, el, l'impitoyable préfetmaintient sa décision. De tous côtés ce sont des

Page 170: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 11!)

adieux émus au public : les affiches de « Matériaux

à vendre » sonl placardées partout, les théâtres

annoncent leurs dernières représentations, les

cales se ferment.

Le 15 juillet 1862, à ininuil, la dernière heure du

boulevard du Temple a sonné :

Voici le programme des spectacles de Paris, à

celle date fatale :

Opéra : Relâche. — Comédie-Française, 7 heures :

La Fiaminina; Corneille à la Bulle Sainf-Rocb ;

lcsProjels de ma lanle. —Opéra-Comique, 7 heures :

Haydée; les Noces de Jeannette. —Gymnase,

6 heures : les Maris à système ; un Fils de famille;

Après le bal. — Vaudeville, 7 heures : la Volonté

de mon oncle; le Petit-Fils: les Absences de Mon-

sieur. — Variétés, 8 h. 1j-\ : une Semaine à Londres.— Palais-Royal, 8 heures : les Noces de Bouchen-

cceur ; Danaé et sa bonne ; la Chanson de Fortunio ;un Jeune homme qui a tant souffert. — Porlc-

Saint-Marlin, 7 heures : les Elrangleurs de l'Inde.

13*

l'ÉMOI.UIHNl:i; IIOCLEVAltl»DUTEMPLE.

Page 171: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

150 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

— Gaîté, 7 h. 1/2 : le Canal Saint-Martin. — Dé-

jazet : les Mystères de l'été. — Ambigu-Comique,6 h. 3/4 : les Filles de marbre. — Les Funambules,

5 heures et 8 heures : les Mémoires de Pierrot;

Pierrot sur le Bitume; As-tu vu les Javanais? —

Folies-Dramatiques, 7 h. 3/4 : les Adieux du Bou-

levard du Temple !

Celle dernière pièce, qui ne vaut que par les

circonstances, élait ainsi présentée :

LES ADIEUX DU BOULEVARD DU TEMPLE

PIECEFANTASTIQUEENTIIOISACTESETQUATOltZETABLEAUX

Précédéede "LESENFANTSDEMOMTJS", prologueen2tableaux

PREMIERACTE.— La foire Saint-Laurent en 1730.

DEUXIÈMEACTE.— Le boulevard du Crime en 1830.Le Souterrain du Crime ou le Caveau du Remords.

TROISIÈMEACTE.— Le Châtiment de Moinus.Le boulevard du Temple en 1861.

Le boulevard du Prince-Eugène. — Apothéose.

Par M. UENHITIUEIIY.Représentéepour la première foissur le Tliëâlredes Folies-Dramatiquesle! décembre1861.

La scène s'ouvrait par un choeur que chantaient

les théâtres du Cirque, la Galle, le Lyrique, les

Délassements, les Funambules, le Lazari sur l'air

Quel désespoir.

Quel déplaisir !Bientôt notre vie

Est finie.

Quel déplaisir!Bientôt l'on va nous démolir!

Page 172: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 151

Et le Boulevard du Temple, représenté par la jolie

MmeLeroyer, leur répondait sur un air nouveau de

M. Mangeant :

Le boulevard du Temple de nos pèresDans quelques jours doit être démoli.

Rires, chansons, cafés, pleins de lumières,Tout maintenant va rentrer dans l'oubli...C'est l'ancien boulevard de la FoireAu bon vieux temps de Piron, de Collé,Lorsqu'ils venaient parmi nous, après boire,Chercher leur muse au bonnet chiffonné.Lieux adorés de chansons et de fêtes,Où Desaugiers, Brazier, Yadé, Panard,Tambour battant, la gaudriole en tôle,Avaient planté leur joyeux étendard...N'oublions pas que ce fut la patrieDu blanc Pierrot, ce muet immortel,Jocrisse aussi vint y passer sa vieAvec Paillasse, avec Cadet Roussel.

Galimafré, Bobèche ou bien JocrisseSur leurs tréteaux appellent les passantsEt puis Jeannot fait faire l'exerciceA des lapins, à des singes savants...Mais tout est dit, inclinons notre tête,Chantons du moins cet ami trépassé,Et que ce jour soit encore jour de fêtePour terminer comme on a commencé...

Dans les théâtres et autour des théâtres, on

liquide.— M. Harel, directeur des Folies-Drama-

tiques, reçoit 251.000 francs d'indemnité; M. Huet,

directeur du Petit-Lazari, MO.000 francs ;

M. Doutrevaux, propriétaire des Funambules,

380.000 francs; M. Lahis, propriétaire de la Gaîlé,

Page 173: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

152 ANCIENSTHÉATUESDE PAUIS

1.800.000 francs; enfin, M. Huref (limonadier du

Cirque) reçoit 250.000 francs d'indemnité ;

M. Pinet (limonadier des Folies-Dramatiques),

120.000 francs, etc.. Tout le monde est content

jusqu'au sieur Bressort — dit le Père la Tripe—

fournisseur attitré des lilis, auxquels il vendait le

gras double les saucisses, les andouilles el le cer-

velas à l'ail qui constituaient leur habituel souper,

qui louche la forte somme el empoche 30.000 francs

d'indemnité.

C'est au café Plancliel, où se réunissaient tous

les artistes de lous ces Ihéàlres, que V. Surdon se

rappelley avoir connu un nom méCaron, régisseur ou

employé du Théâtre-Historique, fils d'un gardien de

la prison du Temple, lors de lu détention de la fa-

mille royale; ce Caron racontait que le Dauphinavait élé enlevé; son père, qui le lui avait assuré,

avait été appelé doux fois aux Tuileries sous la Res-

tauration : la première fois il en était rentré sou-

cieux, el la seconde Ibis il n'avait pas reparu...Sardou n'a jamais pu vérifier ces souvenirs.

La Gailé émigra au square des Arts el. Métiers;

les Folies-Dramatiques, rue de Bondy; le Théâtre-

Lyrique, place du Cbâlelel, comme le théâtre du

Cirque-Impérial; les Funambules disparurent défi-

nitivement, car je ne saurais (pie noter une fugitivetentative de survie boulevard de Strasbourg. Les

Délassements réouvrirent rue de Provence; cl le

Pelit-Lazary succomba.

Depuis, le boulevard du Temple est un endroit

Page 174: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE noUI.EVAIH)DU TEMPLE 153

triste, bourgeois cl quasi provincial. Oui pourrait

croire, à voir ses larges chaussées désertes, qu'il y

a quarante ans à peine c'était le coin le plus bruyant,

le plus agité, le plus vivant de Paris : huit mille

LECAFÉl'I.ANXIIET,IIOUI.EVAIIIlDUTEMPLE.

Page 175: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

154 ANCIENSTHÉATUESDE PAIUS

personnes envahissaient dès six heures du soir les

guichets de tous ces théâtres; des centaines de

spectateurs faisaient la queue devant les contrôles,

entre de longues barrières de bois; les équipages se

succédaient d'où sortaient de jolies femmes en élé-

gantes loileltes.

Dix cafés, vingt comptoirs de vin ne suffisaient

pas à leur clientèle; les marchands de coco, les

marchandes d'oranges, de berlingots, les vendeurs

de programmes, les.placeurs de contre-marques

glapissaient leurs boniments; les tilis massés aux

portes acclamaient à la sortie les Mélingue, les

Frederick Lemaître, les Deburau, les Marie Dor-

val, les Clarisse Miroy... On se bousculait pourserrer la main à « Monsieur Colbrun », saluer

Boulin ou voir passer Léonline, la Chonchon de

la Grâce de Dieu. On guetlait la sortie d'Ameline,

ce géant qui, dans les pièces du Cirque, jouailsans concurrence possible les « lambours-majors»,et cet Ameline, contraste stupéfiant, avait pour« amie » une naine : Carolina la Laponne, qu'ilramenait chaque soir dans ses bras, comme une

enfant.

Un industriel louait, mille francs par an, une

armoire au théâtre du Pelil-Lazari, pour y entasser

par milliers les chaussons aux pommes aimés des

lilis. Cette armoire passait près du tuyau de che-

minée du théâtre, et les chaussons — tenus au

chaud — étaient toujours là, tout prêts à être dé-

vorés !

Page 176: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LE BOULEVARDDU TEMPLE 155

Les bouquetières apportaient des bottes de fleurs

el des billets doux à toutes les jolies filles qui peu-

plaient ces vieux théâtres enfumés; les amoureux

impatients, pâles et nerveux, guettaient la sortie

des actrices adorées; on applaudissait, on sifflait, on

criail, on dansait, on se battait el l'on pleurait;on vivait enfin, el M. Prudhomme tonnait contre

l'immoralité du siècle : c'élail charmant !

L'autre soir, à la nuit tombante, j'ai voulu revoir

ce qui fui le boulevard du Crime : quatre maisons

subsistent à gauche, en retrait (nos 42, 44, -46, -48),

qui en indiquent l'ancien tracé, et c'est tout; rien,

absolument rien, ne permet de retrouver la moindre

trace de tout ce grand passé d'art, cl, à l'endroit

môme où, pendant de si longues années, Paris

passionné s'enthousiasma aux belles oeuvres drama-

tiques qui l'émurent ou le divertirent, sur rem-

placement où tanl de nobles artistes interprétèrentde si belles oeuvres, firent battre tanl de coeurs,

excitèrent tant de passions, sur les trottoirs boueux,

deux camelots chantaient quelques couplets ordu-

riers repris en choeur par quatre trotlins, cinq

gamins, trois militaires, une bonne d'enfants el un

petit pâtissier.

Page 177: Anciens Théatres de Paris - G. Cain
Page 178: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRES DES BOULEVARDS

L'AMISIGU. LA PORTE-SAINT-MAUTIN.

LES FOLIES-DRAMATIQUES. LA RENAISSANCE.

LE GYMNASE. LES VARIÉTÉS.

L'AMBIGU

L'Ambigu, boulevard Saint-Martin.— LesMousquetaires.—Le Juif-Errant. — L'acteur Maclianelte. — Le CrimelieFaceriw et Frederick Lemailre. — L'Ambigu pendantle sii'îgede Paris. — Sparlacus. —Une Causecélèbre.—L'Assommoir.— L'As de Tripe. — Les Deux Gosses.

Après avoir été dévoré par l'incendie, le 13 juil-let 1822,au boulevard «lu Temple, YAmbigu, comme

tanl. d'autres théâtres, comme la Gailé, comme le

Cirque, comme le Lazary, comme les Délassements-

Comiques, renaquildesescendres; toutefois, l'auto-

14

Page 179: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

158 ANCIENSTHÉATHESDE PA1Î1S

rite exigea sagement que de meilleures précautions

fussent prises à l'avenir : ce théâtre devaitêlrc isolé

et, comme l'espace manquait sur le boulevard du

Temple, on lit choix d'un terrain situé près de ce

boulevard, dans son prolongement, de l'autre côté

de la fontaine du Châlcau-d'Eau, à l'angle de la rue

do Lancry, entre le boulevard Saint-Martin et la

rue do Bondy. On démolit l'hôtel Marinais, cl c'est

sur son emplacement que les architectes Hillorf

el Lecoinle construisirent une belle salle pouvant,

contenir 2.000 spectateurs; les travaux coulèrent

près do 1.350.000 francs cl, le 8 juin 1828, YAm-

bigu fut ouvert au public. Kmilc «le Labédollière

donne la nomenclature de quelques-unes des

pièces qui y furent jouées à partir de 1830, sans

laisser d'autres souvenirs que leurs litres : le Fes-

tin de Ballhazar, l'Officier bleu do Paul Foucher,

le Fadeur, do Desnoyers, Nabuchodonosor, Gte-

narvon, de Mallelillo. Lu 1832, Fiédérick-Lemailre

el. Serres, qui jouaient à la Porle-Saint-Marlin Ro-

bert Macaire el Bertrand, furent cités on justice

par le directeur de l'Ambigu pour usurpation de

costumes, nous apprend. Ch. Maurice dans son His-

toire anecdolique ; le directeur de l'Ambigu préten-dait que la propriété morale, lepoème de ces costumes

appartenaient à son théâtre; or, la valeur mar-

chande de ces deux ignobles défroques fut fixée à

deux francs quarante, et colle petite cause célèbre

amusa fort Paris pendant quelques heures.

Les drames succèdent aux drames : Argo, de

Page 180: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDESBOULEVARDS 151)

Félix Pyal, en 183b; Héloïse el Abe'dard, d'Aniccl

Bourgeois cl Cornu ; enfin, le 14 janvier 1837, Gas-

FIIEllEltlCKI.EMA1TI1EETSE1-.IIES,DANSL « AEHEItGEDESAD1IETS».(l'orlc-Sninl-Martin,183Î.)

Page 181: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

100 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

par do le Pêcheur, de Bouchardy, obtint le plus écla-

tant succès et lin! l'affiche pendant des centaines

de représentations : c'était très fou, très alerte,

très prenant, 1res palpitant; puis viennent le Nau-

frage de la Méduse avec une mise en scène des

plus dramatiques, imitée du célèbre tableau de Gé-

ricaull, el Lazare le Paire, autre grand succès de

Bouchardy; Paris la Nuit, de Cormon: Paul et Vir-

ginie, les Bohémiens de Paris, de Donncry et

Grangor : enfin, le 10 octobre 18-10,la Clôserie des

Genêts, de Fr. Soulié, une oeuvre vraiment forte el.

portant parfois trace du meilleur génie drama-

tique.Le 27 octobre 1815, A. Dumas avait donné

à l'Ambigu les Mousquetaires. Tout Paris se pres-sait, pour voir vivantes les ligures «lu roman quechacun avait lu el relu avec passion. Charles l'r,

celait Laeressonnièro, acteur élégant, émouvant

et distingué; el d'Arlagnan, c'élait Mélingue, el.

jamais artiste n'incarna mieux le héros qu'il avait

à représenter. Les femmes étaient jolies. Dumas

avait mis en scène sa pièce avec toute sa science,

tout son goùl, toute sa gaieté. Ce fui un triomphe.

Puis, se succèdent des pièces historiques: LouisXVI

el Maric-Anloinctic, où l'excellent l'éditer, jouant

l'élégant duc de Lauzun, qui — dans la pièce; —

conduisait la berline emportant à Varennes la

famille royale, endossait, un costume de postilloncrasseux dont Paulin Menier dut se souvenir quandil revêtit le carriole de Pierre Chopard, maqui-

Page 182: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 161

gnon (dit l'Aimable) ; Napoléon el Joséphine, le

Roi de Rome, el des mélodrames à grand spectacle

comme le Juif-Errant, d'Eugène Sue, où l'acteur

Chilly traça une inoubliable silhouette de Rodin.

Hypocrisie, audace et couardise, fourberie, ambi-

tion sans limite, intelligence et ténacité, toute la

gamme des folies el des passions humaines était

parcourue par ce personnage que Chilly jouait

presque sans gestes, avec un regard qui tour à

tour se faisait, insolent, fourbe, cauteleux, domi-

nateur et violent, la figure glabre, les cheveux

i'.*

Page 183: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

102 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

plats, comme enroulé dans une longue lévite noire,

élimée. crasseuse, minable, ayant au col un chiffon

noir tordu en guise de cravate, les souliers éculés

aux pieds, sous le bras un inénarrable parapluie, le

chapeau abords plats à la main, le dos rond, courbé,

presque effacé, n'ayant do vivant que l'oeil bougeur,

embusqué derrière ses lunettes bleuies. Chilly. puisPaulin Ménier galvanisèrent par leur lalenl et leur

incomparable puissance dramatique colle pièce in-

cohérente, bizarre, énigmnliquc: Eugène Sue dut

à ses interprètes une longue el fructueuse série do

belles représentations.Ce fui à l'occasion d'un premier Juif-Errant,

drame fantastique de Mcrville, (pie l'Ambigu

inaugura un nouveau moyen «le publicité en affi-

chant, sur sa façade, un transparent portant le

litre de la pièce. Charles Maurice, qui conte le

fait, ajoute : «L'imitation ne peut manquer de sur-

vivre. Respecta l'inventeur! » (Octobre 1831.)

Puis on donne Notre-Dame de Paris, imitée de

Victor Hugo, par Paul Fouoher. La pièce n'eut

jamais le succès que l'on espérait : les person-

nages, intéressants dans le roman, parnissaicnl.authéâtre singulièrement factices. Lu 1852, la Case

de l'Oncle Tom réussit, ainsi que la Prière des Nau-

fragés, dont le litre est. tout un poème.Enfin Frederick Lomaîlre, vieilli, mais toujours

admirable, reparaît, à l'Ambigu dans le Maître

d'Ecole de P. Meurice. Dans celle pièce curieuse

se rencontrait une scène charmante oit Frederick

Page 184: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

I.ICSTHÉÂTRESDES BOULEVARDS 163

enlevait la salle. Le maître d'école, M. Everard,

faisait réciter la Cigale el la Fourmi à un polit

paysan qui, sa fable terminée, se mettait à rire :

«Pourquoi ris-lu, petiot?

LES

PAUVRES DE PARIS

t>kA*EESSEPTACTESPARMM.EDOUARDBRISEBARREETEUGÈNENUS

VS1QUI»EV.mil.—DtCOUDK«.fItLlSTetriLSunfezMtrot»LAituiniro«,Ar*»i»,se»vtntint• L'&UKEC-CQXIQCC,txSitnnuiiISSft.

DiiTRiMCTioaBUt* riÈce.FIERREBMIMEK,Iffumer!«•)..1.„„o..„,.„..ANtiRÉBERNIEH,(jen0.(rem.rtlt).i MU"C"™1"*0-FLANTEROSE,{çran.lpunitrt«*)->-0,«-VlIiEBRUN,(lr^îi(mtr&l*) S»»T-Liet*.FABIENDEROQUEFEWL, (frcm.trcontqvtlitgenre)................KiructCteTLI0JJ8ERT,<i*«oeWe)... MiciuinuBKOT.(doiHtnecoaique)...........Cosm<rr.JOSEPH,(«rjudcnbliU) UIITI*.CMCOMMISSIONNAIRE,flitm)......Rient.CNEMPLOYE,{id«a) LMMHI.

UNAGKTT ïK.Unan,UNFACTEUR ; Jetn.UNVOVAGEUR." Jia.i.UADAUEBERMEH,(Er»Ddpr.rite]..U—Ci«aitLMM-T.ANTOINETTE,(irontprtmirre) t(«itu.iCoi;li3tRELtEBIGOT KKTIU*.CLAUDETTE,(toubrtitc) ABOICT.ALIDAV1LLEBRUN,[ioçta.coquette).AatuiTip.ONEFRUITIÈRE,(grMdtatiliU} Unn.P*M*iTf,(ouetcu,TOtiMcm,coiiittioïniiu,tt»o;lâ.

L*K<tati*pUKt'.I810.Anprtmïtracte,àBordtaai«htiVillebrua.LttiutrttluitioUMpiitcntiPari*taIK&.*K»ttpourUtuitvrtUidirccttuftdtffotiaet.—PitrraDernierptuttirejo»êparonpreta'-errûle^elAndréBercierpar10inlitîrtiilï-

Page 185: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

164 ANCIENST11ÉATI1LSDE PA1Î1S

— Dame, c'quc dit la fourmi, c'est drôle— Non, c'est mauvais plutôt... Voyons, il faut

donc la laisser mourir de faim, la pauvre petite

cigale? Tu l'entends bien dans les ebamps quandlu passes : elle a ce petit cri que lu ne trouves

pcut-élrc pas 1res joli, mais enfin elle l'ail ce qu'elle

peut, cl elle chante toujours. Elle clianle en plein

midi, -quand il l'ail si chaud ; elle chante la nuit,

quand lu dors, loi ; elle chante à tout le monde, aux

enfants, aux passants et, quand il n'y a personne,au bon Dieu. Fh bien, parce qu'elle ne sait que ea,chanter l'été, il faut donc qu'elle meure l'hiver?»

Le 21 avril, l'Ambigu donne la Nuit du 20 sep-

tembre, par X. de Monlépin, et, dans l'indication des

personnages, se trouve celte dénomination bizarre :

^L'idiot (paraissant très vieux) : M. C.aslellano.»

Le5 septembre 1856,un drame de Brisebarre et Nus— les Pauvres de Paris — obtient le plus vif succès.

Paul iMeurico, cet esprit charmant, ce lin lettré,

compose pour ^Mélingue son amusant Fan fan la

Tulipe, cl Mélingue est exquis dans ce personnage

pittoresque, gai, rieur, bretteur, casseur de coeurs

cl casseur d'assiettes : c'est un gros succès. Victor

Séjour, en 1<SG0,fait jouer le Compère Guitlery.Le 20 décembre 1855, nous apprend lo très inté-

ressant el très spirituel « Journal d'un Comédien

de Pr. Pcbvre de la Comédie-Française'». —

Dumas convia le public à assister à la première

i. OlleiuloiT.édilcur.

Page 186: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES TIlÉATIiESDES BOULEVARDS 10S

l.F.TIIKAT1IKIIKI/AMIUGU

représentation du Vampire. La veille, à la répé-

tition, Dumas s'élail levé après le second tableau,

Page 187: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

!()(> ANCIENSTIlÉATIiESI)E PAULS

mécontent. « Décidément, ce tableau ne vaut rien,il faut le refaire. » Le directeur Chilly, qui voulait

passer le lendemain, fil des objections. La pièceest annoncée, la presse est convoquée 1, ce chan-

gement va entraîner un grand relard... «Aucun

retard, riposta Dumas. Continuez à travailler sans

moi. je vais m'onlermer dans votre cabinet- Il est

deux heures: à cinq heures, tout sera t'aîl : ce soir,on copiera les rôles : domain malin, collation à

onze heures. A midi, je mettrai en scène, llien ne

sera changé. »

Tout marcha comme Dumas l'avait prévu el, le

lendemain. le malin môme do la première repré-sentation, à midi, l'on mettait on scène; el l'auteur,

qui n'avait pas ou le temps do déjeuner, diri-

geait celle pittoresque répétition, en manches de

chemise, tout en dévorant une salade de boeuf à

l'huile.

La même année, l'Ambigu donnait une autre

pièce au litre également macabre : la Rose el le

Croque-Mort, cinq ados, «le Hrisobarre. Le bon

gros acteur Laurent y jouait un personnage que la

misère amenait à entrer aux pompes funèbres...

Mais il n'y restait pas et prenait gaiement congéde celle triste corporation sur ce mol déli-

cieux : « Ils nesonl pas gais...je les lâche... mais je

garde l'habit noir... j'y ferai mettre un collet de

velours. »

Puis vinrent le Marchand de Coco, un gros drame

à spectacle où triompha Frederick Lemaîlre, et la

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I.ICSTIIÉATHESDES IJOULEVAHDS 1(57

Maison du Pont Notre-Dame (22 septembre 1860),un mélodrame do Th. Barrière et Henry de Kock,

le lils de ce bon Paul de Kock, le romancier popu-laire de la bourgeoisie parisienne; c'est dans celle

LE MARCHAND DE COCODRAMEENCINQACTBS

MM.AD.D'ENNERYETFERD.DUGUÉWIIIESSCtaiMI.UlEftT.—MVS1ÛCECEM.AUX.A*TCS.—fctCOMHE**.CHCHETETCH»SEÎ

u»£suTtrot;»LArmaiîRErois,AHUIS,su»LETBLATREDE.L'AIUICV-COXHUE,te128rtcounil£5î

tiimitTitii»«LAriiciiGASPARD{griodpremierrMc)....IISI.Fiin»ici-Lailî*x.BEÎtTJlASD(jfsoeprtmitrtUc)... CniLUsa.FAUVELtUoit'utsurftle) Oei».GEOKC.ESOtunepremUr) AxiJD.Sll.SlFIS(jtoatpremiercomique).Senti.CAILLOT(ttle«3egenre) Doixii. 1A5TOINE

(rtledecobteuect).....M1I.ÏUCIU?.EUBUF.BEATJVAL.(«H Ui»tw.-JÉRÔME(gwxletrtililè) I.IIUCSE.lAtlÇECjttiD»premierr'.le) «"At.it.r.pjie».CATHERINE([ireraierrSI«mirqut)-W*MT.JULIE(jeactpremière) Miur-Dn.*!,!.!.ttrrLX.ÎÙ1D1ÎI.ACEStS.M1SO-IÏ1I15.tre

AP»ri»ellBelletille,<ieCSUH8l5.

Page 189: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

108 ANCIENSTI1ÉATHESDE l'AItlS

pièce que débuta sur les théâtres du boulevard

Frédéric Febvre, qui devait faire une si belle

carrière à la Comédie-Française cl. à qui nous

devons de charmants souvenirs spirituels, gais,

vivants, où il raconte sa vie «le travailleur et

d'artiste épris do son

art. Machanetlejouaitle traître.

Ce Machanel le était

un type bien pitto-

resque, fidèle habitué

duc CaféiluTIiéàlre»,

intrépide joueur «le

besigue, culolleiir de

pipes el buveur <1«\

bière; on l'appelaitfamilièrement « Ma

Canette ». Il avait.tout

pour réussir : un beau

physique, une lèli1

superbe, une voix to-

nitruante, el. c'est

celle voix qui le

perdit. Le malheureux hurlait, toujours el forçait,naturellement, le ton ; aussi élail-il régulière-ment mis à l'écart, ce qui le désolait cl l'exas-

pérait, et il exhalait sa douleur en plaintes amères.« Ah ! les coquins, s'éeriail-il, ils s'entendent tous

pour m'étoulVer. Auteurs, directeurs, artistes, ils

rui:iii;i!icrovui;DANS«I.AMAISONDUPONTXOTHK-l>A51B».

Page 190: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES 1Î0LI.EVAIIDS 160

savent bien, ces grcdins qui se disent mes cama-

rades! mes camarades!'.... ils savent bien que je

les fourrerais dans ma poche ; aussi s'arrangent-ils

toujours pour me faire assassinerai! prologue. Oui,

c'esl toujours au prologue que quelque malheureux

tombe lâchement percé de coups... cl ce malheu-

reux c'est toujours moi... On me lue devant les

seules ouvreuses, etjc ne rcparaisplusdansla pièce,ou alors je suis spectre el parle derrière une toile

métallique... Oh! les grcdins! »

Dans les Quatre Sergents de la Rochelle, Macha-

noflc représentait un bon capitaine qui venait offrir

13

Page 191: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

170 - ANCIENST1IÉAT1ÎESDE l'AIUS

aux prisonniers un moyen d'évasion : « Après le

couvre-feu, leur disail-il, la porte sera ouverte,

des chevaux vous attendront », etc.. Mais, au lieu

de dire tout cela à voix basse, il le criait à pleins

poumons, si bien qu'un soir un camarade, le bon

gros Laurent, qui devait plus Lard créer d'inou-

bliable façon le rôle de .louas, le sonneur-martyr

de Patrie, entra dans le cachot el. interrompit les

hurlements de Machanelle on lui disant, plein de

gravité : « Plus bas, plus bas, capitaine, on vous

entend de la place d'Armes... Heureusement, que

j'étais seul ! » Et la salle de se tordre.

La Famille des Gueux est le début théâtral de

Jules Clarelio qui avait pour collaborateur un

député italien, Pétrucelli délia Cullina, rcnconlréln

veille delà bataille.dé Custiv/.za ; et tous deux avaient

porté à la scène la guerre «les Flandres el le siège«le Flessingue. Théophile dauber comparait ce

drame touffu à un magasin de curiosités artistiques

dont, on n'aurait pas ouvert les auvents! Une scène

de l'Inquisition : — Paul beshaves, étranglé dans

un iii-paee par les familiers du Saint-Office. — lit

un gros effet, el aussi un tableau des plus pitto-

resques, la rupture des digues noya ni les Espagnols!Dans celle Famille des Gueux, le bon Macha-

nelle jouait le rôle d'un bourgmestre qui avait à

dire: « L'Inquisition a brûlé mes mains et. je n'ai

pas renié mon Dieu. » Le copiste, sur son rôle,

avait écrit: « L'Inquisition a brûlé mes meubles... »

el. gravement, Machanelle aux répétitions, avec

Page 192: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES TIIÉATISESDES liOCLEVAliDS 171

une conviction profonde, répétait de sa voix de

basse-taille (il avait joué la tragédie à la Comédie-

Française) : « l'Inquisition a brûlé mes meubles cl.

je n'ai pas renié mon Dieu ». C'était la joie des

camarades répétant à côté de lui, Caslellano, Dica

Pelil, Régnier (le jeune, premier aujourd'hui archi-

tecte de monuments funèbres), jusqu'au jour où

Olarelie, voyant arriver la première représentation,rétablit la phrase primitive au grand chagrin de

Machanelle qui s'écriait :- «C'est dommage!...J'aimais mieux mes meubles! C'était plus fort!... »

C'est dans le Crim? de Faverne. un mélodrame

1IIKA1IIEDEL-AMBICU-COMIQUE.—LAFMU1.1.El/KSGUF.VX.drameencinqactesetseçtieb*=«.deV.'-l.JittsCttaitirtt l'ETEtccttLiceLAGATTIXA.—ActeY,iceeedert.:irc. ..

DcisÎDisX.L'csrocfcee-Vattjej.—VoirUC.liroetquc. _?-

Page 193: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

172 ANCIENSTIIÉATHESDE PA1US

de Th. Barrière joué en I8G8, que, encore enfant,

j'ai eu la joie de voir pour la première fois le grandFrederick Lemaitre,dont mes parents, grands ama-

teurs de théâtre, me parlaient toujours avec un si

i'omplel enthousiasme.

Celait, à colle époque,un vieillard. 11 avait

soixante-huit, ans. Le

rôle l'ail à son intention

ne comportait que quel-

ques scènes, habilement

présenléesel qui permet-taient au vieux lion do

montrer encore ses

grilles, lue .--ilnation

était.poignante. Il appre-n a i t p a r u n a veu

d'homme ivre «pie la

femme qu'il avait si ten-

drement aimée, qu'il

pleurait encore, l'avait

indignement trahi, et

devenait subitement fou furieux on scène. Hagard,

rugissant, il jetait rageusement au feu les mille

souvenirs qu'il avait tant chéris : « ... Au feu, les

fleurs séchées !... Au feu, la petite mante do soie'....

Au feu, les boucles de cheveux !.-• Au feu, les

rubans!...» Tout d'un coup il s'arrêtait... « Ce

portrait a été fait après sa mort... ce n'était pasla morte qui l'avait trahi... » El celle minute d'émo-

ii;i:i)i:isicKI.IIMAIIci:« IIAXSl.KCIII.MEl)i;rAVEliXi:».

Page 194: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES TIIEATIÎESDES HOLLEVAHDS I7:i

lion suffisait à cet admirable comédien pour laisser

dans l'âme des spectateurs un inoubliable souvenir.

Pendant le siège de Paris, l'Ambigu entrouvrit

ses portes. On y donna mémo une pièce do cir-

constance, le Forge-

ron de Châlcaudun, de

Franlz Bcauvallel,

«lans laquelle l'acteur

Coulombier, qui jadisavait joué les géné-raux au Cirque Olym-

pique, venait, vêtu en

cuirassier, raconter

l'héroïque charge de

Heischoll'en ; mais

les représentationsavaient lieu le plussouvent au bénéfice

des blessés ou pour«acheter des canons» ;on y disait surtout les

vers des Châtiments

«le Hugo, el des in-

termèdes variés réunissaient les acteurs elles ac-

trices qui, comme nous, étaient restés à Paris. Je

me souviens que notre père, le sculpteur AugusteCain, nous amena un soir, mon frère et moi, à

l'une «le ces représentations. Taillade dit Oceano

Nox et Celle nuit-là; et un chanteur de café-

concert, Arnaud, y chaula pour la première fois le

•13*

JAXKKSSI.IUSDANSi.i-:s

« HKAUXMKS.SIKUHKDKHOI.S-DOUK».

Page 195: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

175 ANCIENSTIlÉATIiESDE PAII1S

Sire de Fich' ton han, cpii devait devenir populairedans les bataillons de la garde nationale. Pendant

les entr'acles, des canlinières quêtaient pour les

blessés dans des casques prussiens. C'était l'époqueterrible où j'ai vu les mobiles bretons — revêtus de

peaux de biques —

faire l'exercice sur le

terre-plein qui pré-cède l'Ambigu,de vaut

le théàlre de la Porle-

Sainl - Martin el

devant le restaurant

Deflieux, brûlé sous

la( 'ommune,qu is'éle-

vait sur l'emplace-ment occupé aujour-d'hui par le théâtre de

la Renaissance, l/ex-

abbé Bauer, en sou-

tane retroussée el en

bottes à l'écuyère, à

cheval, surveillait les

manoeuvres en fumant un cigare.

Après avoir échappé à l'incendie, l'Ambigu fut

l'un des premiers théâtres qui rouvrit ses portesau public. Les Nuits de la Seine, une reprise, et

l'Article 47, un succès, y furent représentés en 1871.

bans le Portier du Numéro Jô, Frederick Leniaîtrc

fui acclamé pour la dernière fois: el Lise Tavernier,

de baudet, n'obtint pas le succès espéré. Ni Rose

(Colk-cl.II.U-COlIlll'.}ilOCAGK.

Page 196: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LESTIIEATHESDES BOULEVARDS 173

Michel ni l'Affaire Coverley ne purent améliorer

le sort du théâtre, et cependant ce dernier drame

marque une étape sérieuse dans l'art dramatique.Aux habituels coups

de couteaux ou de

revolvers, aux coulu-

miers poisons, aux in-

cendies, aux viols,

aux escalades, aux

rapts variés succède

le meurtre scienti-

fique, bans l'Affaire

Coverley, c'est un

train de chemin «le

fer qui traverse la

scène, broyant un

homme sous les roues

de ses wagons ; nul

ne saurait se sous-

traire aux lois du pro-

grès r C'est vers celle

époque qu'un direc-

teur de l'Ambigu—

il y en eut beaucoup— qui devait à bieu et à diable, s'écriait en sor-

tant d'une grave maladie pendant laquelle il avait

dû supporter une cruelle opération : « Laissez-moi

tranquille avec mes créanciers; quand on a souffert

ce que j'ai souffert, on ne doit plus rien à personne. »

Les directions succèdent aux directions, les re-

IIOUTIXDANSLES«313ITSDELASEINE».

Page 197: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

170 ANCIENSTIlÉATIîESDE PAHIS

prises aux reprises; on essaye de fout, rien no

réussit, pas même un SparlacusU tragédie en cinqaclos, en vers, que M. Ooorges Thalray a le cou-

rage d'offrir au public ingrat, le 20 juin 1870.

par une chaleur lorride ! Au bout de neuf jours,cet héroïque Sparlacus est de nouveau terrassé, el.

le vieux mélodrame triomphe de nouveau avec une

reprise de la Tour de Nesle, avec Dumainc cl Marie

Laurent — la Tour de Nesle lit de l'argent ! —

et l'Ambigu put monter tranquillement une Cause

célèbre, drame on six actes, par MM. d'Fnnorv el

Cormon, qui obtint un succès tel que la salle fui

jugée trop petite devant l'afllucnce toujours crois-

sante «les spectateurs ; la pièce, interrompue en

plein succès le 27 décembre, fut reprise le 20 <\u

même mois sur la scène plus vaste de la Portc-

Sainl-Marliii, et, comme les prévisions ne se réa-

lisent jamais, le succès si vifdes premiers jours ne

suivit pas le drame dans son nouveau logis!C'est seulement, le 18 janvier 1879 que l'Ambigu

retrouva l'écho des grandes batailles d'autrefois

avec la preinii re représentation de l'Assommoir.

Celui un grossuccès et qui dura pendant .près de

trois cents soirées. dil-Naza, Coupcau, alcoolique,Daillv [Mes Bulles), ivrogne gai el repenti, Hélène

Petit [Gervaisé), le beau Delessarl (Lanlier), Charly

(Poisson), le .sergent de ville épique, Lina Munie

[Virginie) furent justement acclamés. C'était très

réaliste, 1res émouvant, très gai el très effroyable ;et Emile Zola, qui n'avait été pour rien dans la

Page 198: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES TllÉATIiESDES I50ULEVAIÎDS 17/

Page 199: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

178 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

confection de cette pièce tirée par W. Busnach de

son roman, put très justement écrire : « Certes, ce

n'est pas une victoire décisive pour le naturalisme,mais c'est un grand pas vers la vérité des per-

sonnages el du milieu au théâtre.»

Chose bizarre, le personnage du père Bazouge,le croque-mort, qui dans la pièce ferme les yeux à

Gervaise morte en lui disant : « Tu as assez souf-

fert, fais dodo, ma pauvre mignonne », n'avait pasété du goût de tout le monde à la première repré-sentation. L'aimable directeur Chabrillal, un brave

et. charmant garçon qui avait héroïquement gagnésa croix d'honneur à Châleaudun, le supprima à la

troisième soirée. Le public se fâcha, réclama, el

force fut à la direction de rétablir le dénouement

primitif. Quelques années plus tard, Lucien Guitry,le premier comédien de Paris, reprenait à la Porle-

Sainl-Martin, avec sa maîtrise habituelle, le per-

sonnage si complexe créé par Cil Naza, el ce fut un

éfonnement el. une joie que de voir avec quel art

parfait Guitry, métamorphosé en ouvrier alcoo-

lique, avait su faire de Coupcau une admirable

figure, émouvanle el tragique.Les Mouchards, cinq actes de J. Moinaux et

P. Parfait, succèdent à VAssommoir après un court

interrègne de reprises; mais le litre seul a du suc-

cès, tous les efforts de Dailly, clans un rôle amu-

sant de Gascon policier, ne peuvent galvaniser la

pièce, el Robert Macaire fait de nouveau grincer sa

tabatière sur les planches de l'Ambigu.

Page 200: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 170

Le 17 novembre 1883, Catulle Mendès donne à

l'Ambigu— sous ladirectiondeMaurice Bernbardt,

le fils de la grande tragédienne — les Mères

Ennemies, une pure et noble tentative littéraire,

à laquelle, hélas! le public ne souscrit pas.L'excellence de l'interprétation, la vue du beau Da-

mala portant,— avec quelle grâce ! — l'uniforme

brodé du comte palatin Bolcski, le lalenl d'Agar,la grâce d'Anlonine, les belles armes, les somptueux

décors, les riches costumes, ne peuvent triompher

do la résistance du public.Le 57 janvier 1883, première représentation de

la Glu, de Jean Richepin, une oeuvre incomplète,mais poignante, et qui renferme des beautés de

premier ordre : Réjane, toujours admirable, el De-

cori s'y font justement applaudir; mais pas plus quedans les Mères Ennemies l'Ambigu ne rencontre

dans la Glu le succès espéré, malgré leur incon-

testable mérite el leur éclatante supériorité sur

la basse phraséologie et la triste mentalité des

drames et des mélodrames qui ensanglantent la

scène du boulevard Saint-Martin.

Ces oeuvres de poètes ne sauraient répondre au

goût d'un public spécial, et c'est à l'As de Trèfle,de Pierre Decourcelle, que va le succès si fort

espéré. C'est un drame violent et policier, plein de

vie, de passion et de mouvement, et l'auteur, dont

c'est la première oeuvre, confirme toutes les espé-rances fondées sur son jeune talent. L'action com-

plexe, mouvementée, sepoursuilaumilieu demille

Page 201: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

180 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

péripéties; pas une minute le spectateur n'a le*,

temps de se reprendre : les meurtres se succèdent;-les coupables sont surpris, pris el repris, la police-est roulée ; le public pleure, frissonne ou s'amuse

aux boniments de camelots bons enfants. Taillade

l'ail du domestique Narcisse, un sinistre gredin,.l'une de ses plus remarquables créations. Lacrcs-

sonnièrc, le bon agent de police, Ch. Masset, l'inno-

cent persécuté, emplissent de douces larmes les

mouchoirs de foule une salle émue, el la toile-

tombe au bruit d'applaudissements répétés.On m'a conté un très joli mot de l'excellent ac-

teur Bouhyer à propos de l'As de Trèfle:\ca besoins

delà mise en scène obligèrent Pierre Decoui-cclle-

à faire de Taillade le complice de Bouhyer assas-

sinant sa propre soeur. Ce bravo Bouhyer n'avait

pas vu sans déplaisir Taillade le seconder dans

cette oeuvre sinistre qu'il brûlait d'exécuter tout

seul. Mais il s'était incliné sans mol. dire. Au tableau

suivant, une Rafle au Poinl-du-Jour, au moment

d'occire d'un coup de couteau dans le dos un infor-

tuné sergent de ville qui contrariait ses ténébreux,

projets, Bouhyer, se tournant vers Taillade, ne put

s'empêcher de lui dire avec son plus aimable sou-

rire : « Désirez-vous aussi partager le sergent de

ville? »

Le 13 décembre 1883, première représentationde Pol-Bouille. On espérait un triomphe égal à

celui de l'Assommoir; la pièce amusa, ce fut tout,

Trublot, l'oncle Bachelard, l'infortuné Josserand-

Page 202: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES'BOULEVARDS 181

le bel Oclave Mourel, M. Vabre, Campardon l'ar-

chitecte, M"10Josserand el ses filles, ce « torchon »

d'Adèle, tous ces types amusants, pittoresques,furent fort bien rendus par une pléiade d'artistes

de talent. Blaisot (Bachelard) el Leriche (Adèle)

dessinèrent, ce soir-là, deux silhouettes admirables.

Courlès fui excellent en Auguste Vabre; le pauvre

monsieur, qui a perpétuellement «le front barré dé

migraine». Pot-Bouille el ses remarquables inter-

prètes obtinrent un mérité succès. Plus lard : le

Roi de l'Argent, Martyre, le Fils de Porthos, Rogerla Honte, la Porteuse de Pain, le Régiment sont fort,

applaudis; el, en 1893, Gigolelle de Pierre Decour-

cellc el Edmond Tarbé l'ail triompher Félicia Mal-

Ici, celle bizarre et remarquable artiste; enfin, les

Gaîtés de l'Escadron de Courleline déchaînent des

tempêtes de rire et font, couler de douces larmes

dans la vieille salle de l'Ambigu. Chclles, l'excel-

lent acteur, trace du capitaine Ilurluret, si bon, si

brave, si fendre aussi sous une rudesse apparente,une silhouette délicieuse, un « Charlet » qu'auraitretouché cl rajeuni le crayon spirituel d'Albert

Guillaume. C'est la caserne tout entière avec ses

ennuis, ses bêtises, ses farces de gosses à l'élude,ses corvées, ses ridicules, mais aussi ses grands et

nobles côtés, la bonne camaraderie, la franche

gaieté, la solidarité dans la fatigue, le danger; ce

sont les adjudants insupportables, les Tricoteurs

. professionnels, les chefs dévoués, loyaux et bons,c'est enfin tout le « volontariat » de jadis qui nous

16

Page 203: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

182 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

repasse devant les yeux el, une fois par hasard, on

voit, sur le théâtre, des soldats, des officiers et des

tableaux de la vie militaire, qui ne sont ni ridicules,

ni odieux, ni d'une écoeurante obscénité!

Notre spirituel el cher Courleline esl acclamé,

et c'est justice... comme on dit au Palais.

L'année 1895 avait été bonne pour l'Ambigu;l'année 1896 fut meilleure encore : le 19 février,

la toile se lève sur la première représentation des

Deux Gosses de Pierre Decourcelle. Et c'est le

triomphe, quelque chose d'inconnu jusqu'alors dans

les fastes du théâtre. Pendant 751 (je dis sept

cent cinquante el une) représentations consécu-

tives, fait sans précédent dans les annales drama-

tiques de Paris, la province et l'étranger viennent

mouiller des mouchoirs dans la salle de l'Ambigu.

11y a, certains soirs, un demi-pied d'eau dans les

baignoires et les ouvreuses ont ordre d'éponger les

personnes trop sensibles. Le vrai, c'est que ce par-

faitmélodrame séduit tous les publics el attire tous

les bravos. C'esL vivant, c'est émotionnanl, c'est

spirilucl, el les plus forts, ceux-là qui se défendent

d'être jamais ému par ces « machines-là », mettent

sur le compte d'un fâcheux coryza la pointe d'émo-

tion qui les oblige de tirer leurs mouchoirs.

Nous avons pensé que nos lecteurs ne sauraient

être mieux renseignés que par l'auteur, el c'est

notre ami Pierre Decourcelle qui veut bien nous

raconter, dans la charmante lettre suivante, ses

impressions personnelles. Nous laissons avec joie

Page 204: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 183

la parole à l'heureux père des Deux Gosses :

« Un souvenir de la première des Deux Gosses,

me demandes-lu, mon cher Ami... Oui, c'est vrai...

elle est déjà presque au fond du tiroir aux souve-

nirs cette soirée du 19 février 1896... «Il y a dix

ans !.. » Encore un litre de drame!.. Et n'en est-ce

pas un, le plus vécu de tous, que la rapidité avec

laquelle marchent les années...

« Sur la « première » en particulier, je l'avouerai

que je ne me rappelle pas grand'cbose... Les soi-

rées heureuses n'ont pas d'histoire... On pleura, on

rit, on applaudit, on rappela !... C'est lout et c'est

assez, puisque de cette représentation en décou-

lèrent 751 autres, qui me valurent quelques-unsdes Fragonard ou des Hubert Robert que tu aimes

à voir sur mes murs,... avec pas mal d'ennemis,

que je n'accroche pas, mais dont je ne suis pasmoins fier.

« La répétition générale fut plus curieuse. On

commençait déjà à guerroyer sur ce champ de

bataille où devait couler tant d'encre. J'étais per-

suadé, à ce moment, — car je l'avoue avoir changéd'avis deux ou trois fois sur la question,

— que leur

grande publicité, les portes ouvertes à lout venant,

les salles bondées jusqu'aux lustres, faisaient du

tort à la vraie première et, par suite, à la pièce. Il

fut donc décidé que nous n'inviterions personne,mais strictement personne... A l'exception de la seule

critique, pas un ami de la maison, ni de l'auteur !...

Invisible, dans le fond sombre d'une baignoire, on

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184 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

avait toléré ma famille, réduite à sa plus simple

expression... C'était un mardi gras... Il neigeait au

dehors à la fois des flocons el des confetti. Nos

juges entraient un à un, solitaires, — car on ne leur

avait donné qu'une place à chacun, — el, renfrognésel rébarbatifs, venaient peu à peu se masser dans

l'orchestre vide et noir dont ils remplissaientà peine la moilié. Pendant le premier tiers de la

pièce, ce fui sinistre... Mais, lout à coup, au qua-trième tableau, — lu vois qu'ils y avaient mis le

temps, —les larmes commencèrent à briller au coin

des paupières, et les nez à jouer du trombone... Ils

n'arrêtèrent plus, et il me fut beaucoup pardonné,

parce qu'ils avaient beaucoup pleuré...« Que te dire de plus?... Te raconlerai-je que, vers

la 50e, mon ami Porel, emballé par la pièce, nous

prédît une série de -100 représentations. Je regar-dai Rochard d'un oeil un lanlinel railleur. C'est

gentil d'ôlrc bienveillant, mais pas tant que cela

tout de môme!... Quatre cents représentations!...

Peste, mon cher... je me serais volontiers contenté

du tiers!... Porel s'élailen efiet trompé dans son pro-nostic... Il s'était trompé presque de moitié... mais

à noire désavantage, puisque son chiffre fut. fout

près de se trouver doublé.

«Le revers delà médaille c'est que ce résullalme

classe, me catalogue, m'éliquetle «l'auteurdes Deux

Gosses». C'est sous cette périphrase que les domes-

tiques m'annoncent dans les maisons où je vais

dîner, et je ne sais pas trop si on ne l'a pas inscrite

Page 206: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDESBOULEVARDS 185

sur ma carte d'électeur... J'ai beau essayer d'être

l'auteur d'autre chose... Je ne peux pas, comme

dans la chanson ! — Crois-tu que cela durera tou-

jours, dis?...

« Affectueusement à toi.

Pierre DECOURCELLE.»

M"c Marthe Mellol, Hélène Réyé, MmeBarély,MM. Pierre Bcrlon, Gémier, Arquillière sont les in-

terprètes applaudis de ce beau drame.

Puis viennent : la Joueuse d'orgue, où Tessandier

dessine une figure d'héroïne populaire avec sa cou-

lumière maîtrise; — Papa la Vertu, A Perpele!l'Autre France et les Dernières Cartouches. Un excel-

lent artiste qui, de plus, fut un brave homme, ins-

truit, aimant cl connaissant les choses du Théâtre,

Courtes, meurt après celte pièce qui fut sa suprêmecréation et demande, détail touchanl, à ôlrcenterré

avec la redingote de son dernier rôle.

En 1903, Georges Grisier, resté seul directeur,

monle avec un goût infini la Citoyenne Cotillon,une oeuvre charmante de MM. Ernest Daudet et

Henri Cain. L'exquise Jeanne Granier, la jolie

Marguerite Labady; MM. Gaston Dubosc et Louis

Gauthier sont les excellents interprètes de cette

oeuvre spirituelle et documenlée, cl c'est une belle

soirée d'art à inscrire dans les fastes de l'Ambigu.En ce moment, la Grande Famille, un pittoresque,

amusant et puissant mélodrame d'Arquillière,amène la foule dans ce vieux théâtre cher aux Pa-

ie*

Page 207: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

186 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

risiens. — Pas plus que son architecture extérieure,

son « spectacle » n'a varié. — 11 s'est modifié,

voilà tout, cl toujours Paris aimera son vieil

Ambigu... D'ailleurs Musset n'a-f-il pas écrit?...

Vive le mélodrame ««àMargot a pleuré!

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LETIIÉATHEI)BLAPOItTE-SAlXT-MAllTIX,VEItSl"i!)0.

LE THEATRE DE LA PORTE-SAINT-MARTIN

L'Opéra. — Le théàlre de la Porte-Sainl-Martin. —Fre-derick Lemaîlre el M1110Dorval. — Marion Delormeelle drame romantique. —• L'Ecole de 1830. — Lethéâtre d'A. Dumas. — 15al/.acet la première de Vau-trin. — Tragaldabas. — La Tour Sainl-Ybars. — Les

Mystcrcsdc Paris.—Mm0Marie Laurent.— Mélingue. —

Patrie. — Le si«;gede Paris. — Incendie de la Porte-Sainl-Martin. —Sa réouverture. — Le Tour du mondeetle théâtre scientifique. — Sarah lîernhardl et Thcodora.— Coquelin et Cyrano de Bergerac.

Le 27 octobre 1781, YOpéra qui, le 18 juin de la

mémo année, avait été détruit par un formidable

incendie, prit possession du beau théâtre qu'en

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188 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

quatre-vingt-six jours l'architecte Lcnoir avait su

bâtir sur remplacement du magasin des décors,

boulevard Saint-Martin. Cette salle avait coûté

1.253.671 livres. En 1782, on y fit quelques chan-

gements, el l'Opéra y demeura jusqu'en 1791.

Puis le théàlre vide resta longtemps fermé. C.«;

ne fut qu'en 1802, avec un nouveau litre «Théâtre

delà Porte-Sainl-Martin », qu'il ouvrit ses portesau public, le 30 septembre : on y joua d'abord «les

mélodrames cl. des vaudevilles; bien cpie com-

pris dans le décret despotique du 8 août 1807, qui

supprimait brutalement un certain nombre «le

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LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 18!)

théâtres, la salle ne fut pas démolie et, en 1810,rouvrit sous le litre des « Jeux Gymniques»; on

commença par donner des pantomimes, des ballets,des pièces comiques; puis on revint bientôt au

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190 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

premier genre, cl, en 1815, le théâtre de la Porlc-

Sainl-Marlin reprit son ancien litre avec les

Petites Danaïdes où le grand acteur Potier obtint

dans le père Sournois un succès extraordinaire.

Pendant des années, les Petites Danaïdes attirèrent

la foule, comme le Bourgmestre de Saardam et le

Ci-devant Jeune Homme, autre triomphe de Potier.

Un acteur nommé Philippe y créa avec un vrai

lalcnf le rôle de Charles le Téméraire dans le Soli-

taire, et celui du bon forçai dans les Deuo: Forçats.Ce Philippe, dont l'enterrement, en 182L donna

lieu à des manifestations bruyantes, était l'oncle

de Philippe Rousseau, le peintre émincnl qui exé-

cuta de si belles natures mortes.

C'est à la Porte-Sainl-Martin, vers 1804. dans le

Passage du Mont Sainl-Bernard, qu'un figurantnommé Chevalier, qui d'ailleurs ne ressemblait,

paraît-il, en rien au Premier Consul, osa pour la

première fois arborer le fameux costume el le petit

chapeau. On le voyait de dos, se chaull'anf à un

l'eu de bivouac. La salle lit une ovation à celte

silhouette héroïque, cl. Bonaparte eut la curio-

sité de s'aller voir ; accompagné de Duroc, il

assista à la représentation qui m;- lui déplut, pas,

el, le lendemain, le vainqueur de Marengo envoyait•1.200francs à ce général de coulisses.

Les ballets de la Porle-Sainl-Marfin, nous coule

La Bédolière, éclipsèrent un moment ceux de

l'Opéra. Un mime nommé Mazurier dépassa tous

les danseurs comiques connus jusqu'à ce jour. 11

Page 212: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES BOULEVARDS 101

triompha dans Jocho (ou le Singe du Brésil), comé-

die-clownerie de A. de Rochel'orf, le père de Henri

Rochelbrl, et sa vogue fut incroyable. 11y eut des

babils à la Jocko, des robes, des petils pains, des

éventails à la Jocko; on chantait, dans les rues :

On vient de quitter subitoMod' fran<;ais'el mod' anglaisesEl jusqu'aux marchands d'eocoToul s'habille à la Jocko [bis).

i.ACTKCiil'im.ii'i'i:.

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192 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

C'est de Mazurier dont une spectatrice disait en

1825 : « Vous m'aviez dit que c'était un singe et jevois bien que c'est un homme ; mais, si vous m'eus-

-siez dit que c'était un homme, je croirais que c'est

un singe. » Talma, bon juge on la matière, assurait :

« Je ne connais que trois vrais comédiens, Potier,Mazurier... el.peut-être moi. »

L'excellent Arthur Pougin, le plus averti dos

écrivains en matière de théâtre, nous contait que,tout enfant, à l'âge de cin«[ou six ans, il eut l'occa-

sion de paraître dans une reprise «le Jocko, dont le

rôle alors était tenu par un danseur anglais nommé

Klischnig. C'est sa plus ancienne impression dra-

matique !

Crosnier qui, quelques années plus lard (1828!,

dirigea la Porte-Sainl-Martin, se mil à monter «les

pièces l'appelant les gloires de l'épopée impériale,cl ce fui lui, nous apprend M. Germain Bapsldans s«>nremarquahle/fssrfJStiT l'histoire du théâtre,

qui, mieux que personne, sut réaliser dos merveilles

de mise en scène. < Pour représenter une revue

dos grenadiers «le la garde passée par Napoléon,il disposait sur le théâtre dos lignes de grenadiersen bataille qui semblaient se prolonger indéfini-

ment dans les coulisses. On entendait si; succéder

au-delà de la scène, du côté d'où venait Napoléon,des batteries de tambours des différents corps en

ligne, plus intenses à mesure que Napoléon se rap-

prochait. Puis l'empereur apparaissait sur la scène,

passait en revue le premier rang el, disparaissait,

Page 214: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 193

et les batteries diminuaient peu à peu. » Quand

Crosnier représenta ainsi la Revue des grenadiersde la Garde, ce fut un succès complet.

17

Page 215: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

19'< ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Frederick Lemaîlrc, Bocage el M""! Dorval, cet

admirable trio «le grands artistes, entrent à la

Porte-Sainl-Martin, cl avec eux le théâtre se renou-

velle,- s'épure, s'agrandit, devient la véritable

scène où le romantisme livre -ses plus belles ba-

tailles. Hugo, Dumas. Casimir Delavignc, puisFélix Pyal, Balzac y régnent en maîtres, el celle

splendide phalange d'écrivains de Iaient est soute-

nue el secondée par un groupe de comédiens mer-

veilleux, braves, intelligents, dévoués à leur art,

car aux trois noms déjà cités il convient d'ajouterceux de Ligier, de Lockroy, de Delafosse, do Slock-

leit, do M"'' George, de M"1"Moroau-Sainti, «le

Mll,! Noblel.

Frederick Lemaîlre el M"1'' Dorval liront fré-

mir tout Paris dans Trente Ans ou la ]'ie d'un

joueur.M""' Dorval était une artiste géniale. Th. Gautier

disait d'elle : « L'art lui vient d'inspiration... De la

phrase la plus simple, «l'une interjection, d'un

« oh! », d'un <•mon Dieu! »... elle faisait jaillir des

effets électriques inattendus, que railleur n'avait

même pas soupçonnés. Elle avait des cris d'une

vérité poignante, «les sanglots à briser la poitrine,des intonations si naturelles, des larmes 'si sin-

cères cpie le théâtre était oublié et qu'on ne pou-vait croire à une douleur do convention... Elle a

été femme oii d'autres se seraient contentées d'être

actrices : jamais rien «le si vivant, de si vrai, de si

pareil aux spectatrices de la salle ne s'était montré

Page 216: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LESTHÉÂTRESDESBOULEVARDS 195

au théâtre : il semblait qu'on regardât non sur une

scène, mais par un trou, dans une chambre fer-

mée, une femme qui se serait crue seule. »

MA1IAS1EDOIIVAI..

Page 217: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

196 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Or Frederick Lcmailrc el. M"" Dorval, a-l-on dit,

formaient un couple théâtral parfaitement assorti;

ces deux talents se complétaient l'un par l'autre

et se grandissaient en se rapprochant.En 1829, C. Delavigno donne à la Porle-Sainl-

Martin Marina Faliero, retiré par lui de la Comédie-

Française, et, le 30 mai, la pièce est interprétée

par M""' Dorval, Ligier el. Lockroy.En 1831 , Alexandre Dumas l'ail représenter

Antony. M""; Dorval el Bocage y sont admirables,

el Dumas si; réjouit d'avoir repris sa pièce au

Théâtre-Français, où M"'' Mars et, Firmin ne la

répétaient qu'à contre-coeur, tremblants tous deux

devant les violences de cet audacieux novateur.

La censure d'ailleurs interdit Antony, malgréle discours de M. Thiers qui «lisait : « avoir

voulu attirer la jeune Ecole au Théâtre-Fran-

çais ».

Crosnier, le directeur de la Porle-Sainl-Marlin,

lui non plus, ne croyait pas au triomphe (piedevait obtenir Antony. Dumas raconte dans ses

Mémoires qu'à la lecture de la pièce, « au troi-

sième acte, M. Crosnier luttait poliment contre

le sommeil; au quatrième, il dormait le plus

convenablement possible; au cinquième, il ron-

flait ». Mais Bocage et M'"° Dorval avaient la foi. el

ces deux admirables artistes s'étaient donnés corpset âme au mouvement romantique.

— Quatre

mois après leur triomphe A'Antony, ils interpré-taient Marion Delorme.

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LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 197

C'est en 1829, le l'* juin, que Victor Hugo se mit

à écrire celle Marion Delorme que la Porlc-Sainl-

Marlin devait représenter le 11 août 1831. « Le

1"!*

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I!l8 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

20 juin, au jour levant, il commença le quatrième

acte, travailla de grande, verve, passa la nuit el en

écrivit le dernier vers au moment où le jour repa-

raissait; tout l'acte avait été l'ait entre deux levers

de soleil. Le 21 juin, la pièce était terminée. » La

pièce, demandée par le baron Tavlor était retenue

pour le Théâtre-Français, el M"c Mars devait créer

Marion De/orme. Le jour même où le baron Tav-

lor réclamait la pièce pour le Théâtre-Français,M. Jouslin de La Salle, directeur delà Porte-Sainl-

Martin, la demandait pour son théàlre, el M. Hnrel,directeur do I'Odéon, écrivait précipitamment, sur

la couverture du manuscrit :

( « Reçu au théâtre de I'Odéon, le 1-1juillet 1829. ».)

H.VlîEL.

On sait la curieuse histoire de Marion Delormc :

la pièce distribuée cl répétée au Théâtre-Français,

l'intervention de la censure, le veto de M. de Mar-

lignac et celui de M. de Polignac. el Victor Hugoallant lui-même soumettre à Charles X le quatrièmeacte qui causait ce grand tapage. Le grand poète,dans les Rayons et les Ombres, nous a conté celle

poignante entrevue

... entre le poète el le vieux roi courbé.De quoi s'agissait-il? D'un pauvre ange tombéDont l'amour refaisait l'âme avec son haleine ;De Marion, lavée ainsi que Madeleine,Qui boilail el traînait son pas estropié,La censure, serpent, l'ayant mordue au pied.

Page 220: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES BOULEVARDS 199

Le poète voulait faire un soir apparaîtreLouis Treize, ce roi sur qui régnait un prêtre,

Tout un siècle, marquis, bourreaux, fous, bateleurs;El que la foule vînt et qu'à travers des pleurs,Par moments, dans un drame élincelant et sombre,Du pâle cardinal on crût voir passer l'ombre.

vaeTûiFâ iKiajeOo

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2C0 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Charles X fut charmeur, aimable, gracieux...

mais, après avoir lu l'acte, eut le regret de ne pou-voir autoriser la représentation, el Marion Delorme

fut ajournée. Cet ajournement devait être de courte

durée, la Révolution de 1830 ayant supprimé la

censure et le théâtre ayant reconquis sa liberté

dans la liberté générale. Le Théâtre-Français récla-

mait «le nouveau Marion Delorme; Victor Hugorefusa : il sentait l'hostilité «lu Théâtre-Français

à cet art romantique dont il était le chef incon-

testé. M. Taylor seul lui était, acquis, mais les

pouvoirs du commissaire royal étaient limités

et il accorda la pièce à M. Crosnier, le succes-

seur i\c M. Jouslin de La Salle à la Porle-Sainl-

Marfin.

Ce fut. le 11 août 1831, un peu plus de trois mois

après Antony, (pie fut donnée la première repré-sentation de Marion Delorme. M""; Dorval el Bo-

cage furent admirables. Goberl, qui ressemblait

tanl à Napoléon, obtint un franc succès dans le

personnage si complexe de Louis XIII, et Pré-

vost, Chéri et Serres furent applaudis; ils repré-sentaient l'Angely, le marquis de Saveriiy el le

Gracieux.

Marion Delorme fut fort discutée. Stendhal écrit

au baron do Maresle : «Marion Delorme a fait un

demi-fiasco, non quecela vaille moinsqu"//crjî«H/, au

contraire, mais on oslsi peu amusable aujourd'hui !

— Point de ces fureurs comme l'année passée, le

public bâille ou no vient pas. Toute la littérature

Page 222: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LESTHÉÂTRESDES BOULEVARDS 201

Page 223: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

202 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

tombe en quenouille, les vers principalement. » Le

premier acte réussit. Le second fut accueilli froide-

ment. Au troisième, M"'c Dorval, mal arrangée en

Cbimène, dit mal les vers du Cid;\\ n'y eut d'ap-

plaudissements que pour le Gracieux,, représentédrôlement par Serres ; l'acte fui cahoté. Le

drame se releva au quatrième : le discours de

M. deNangis remua la salle ;MmcDorval fut extrê-

mement louchante en demandant au roi la grâcede Didier: la scène de Louis XIII el de l'AngelvO IL'fut dite excellemment par Gobert el Provost; une

vive opposition troubla toute la scène de Didier el

de Saverny : Didier fit rire et Saverny fil si filer.

Mais M"10Dorval entra, il y eut une telle effusion,une telle douleur et une telle vérité que tous les

hommes battirent des mains et que toutes les

femmes pleurèrent. A la chute du rideau, il y cul

une bordée de sifflets. Mais les applaudissementsen grande majorité eurent le dessus et saluèrent

énergiquement le nom de l'auteur.

Lucrèce Borgia fut représentée le 2 février 1833,cl la pièce l'ut plus disculée encore que ne l'avait

été Marion Delorme. C'est à la première représen-tation que fut échangé entre Victor Hugo cl le

directeur Harcl ce curieux dialogue. Dès la pre-mière scène, quand Gubetta dit que les deux frères

aiment la même femme el que celle femme eslleur

soeur, un violent coup de sifflet retentit :

« Comment! on siffle, fail Harcl complètementébahi... Qu'est-ce que cela signifie? »

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LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 203

Et Hugo de lui répondre : « Ça signifie que la

pièce est bien de moi '. »

Le talent de Frederick Lemaître dans Gennaro,

celui de M"c George dans Lucrèce Borgia, ne purentsauver l'ouvrage, qui dut assez rapidement dis-

paraître de l'affiche. C'est à propos de Lucrèce

Borgia que M"c Juliette Drouet, donl la vie devait

être associée à celle du grand poète, écrivit, le

5 janvier 1833, à Harel :

Quoique je sois engagée, Monsieur, ù un autre théâtre

pour ne jouer que les premiers rôles, je jouerai avec

empressement la Princesse Négroni dans LucrèceBorgia.Jl n'y a pas de petits rôles dans une pièce de M. Victor

Hugo.JULIETTE.

Celle môme année, Victor Hugo, qui s'y était

engagé par traité, donna Marie Tudor.— M,lc George jouait Marie Tudor. Elle était

fort belle encore, mais un terrible embonpoint l'avait

envahie. Elle régnait de toules façons à la Portc-

Saint-Marfin et dirigeait à sa fantaisie le spiritueldirecteur Harcl. Le régisseur Moëssard —

quiobtint plus tard le prix Monlhyon,

— l'attendait à

la sortie de sa loge et la précédait, marchant res-

pectueusement à reculons, lout en frappant le

plancher de son bâton d'avertisseur. Les bonnes

camarades assuraient que cet hommage exagéré

1. VictorHugoraconté par un témoin de sa vie.

Page 225: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

201 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

avait une cause lout autre et que le « vertueux

Moëssard » tenait surtout à s'assurer que le par-

quet n'allait pas s'eflbndrer sous le poids de l'opu-lente directrice! — Pauvre M"'' George! Aprèsavoir été aimée par Napoléon, après avoir séduit la

Russie, régné sur Paris et ses théâtres, elle était

tombée dans la plus profonde misère, el Henri

Rochcforl se rappelle l'avoir aperçue— vers 1816

— un soir qu'elle allait jouer en représentation au

théâtre des Balignolles. courant après l'omnibus,chaussée de socques, par une pluie ballante!

Marie Tudor fut jouée le ti novembre 1833. L'au-

teur el le directeur échangeaient alors les plus

désagréables propos. La veille de la première

représentation, le dernier mol do Victor Hugo à

llarel avait été : « Faites tomber ma pièce, je ferai

tomber voire théàlre. » C'est sous ces heureuses

dispositions (pie le rideau se lova. M"': George,

qui avait été sifllée, furieuse; jeta à Hugo : « Il yavait des drôles dans la salle ».

« — Est-ce dans la salle »? riposta l'auteur.

Une indisposition grave de M'1'' Julicllc plus lard

M""' Drouel. l'inséparable amie du poète) obligeaà faire relâche dos le lendemain. Les journauxfurent très hostiles. A la quatrième représentation,l'annonce prochaine AAngèle, «l'A. Dumas, parutsur l'affiche. Les relations n'étaient plus possiblesentre V. Hugo et le directeur de la Porlc-Sninl-

Marlin; le traité signé pour un troisième drame

fut déchiré d'un commun accord, cl Angèle fut

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200 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

représentée le 28 décembre 1833. La pièce réussit

et, sans trop d'exagération, Dumas put libeller

ainsi la dédicace do son oeuvre : Aux Acteurs quiont.joué dans « Angèle ».

MKSAMIS,

Nous avons eu un succès de famille ; prenons et par-

tageons. A vous.A. DUMAS.

Paris, 8 janvier 1SIJ4.

Les acteurs étaient Bocage, Lockroy, Chilly. ol<\.

M""' Verneuil. Ida, Mélanie. elc. L'acteur Bocage

et Victor Hugo désolaient également Harcl: Hugo

exigeait des décors ruineux,el Bocage se plaignait

toujours, et Harcl de s'exclamer : « Ce Bocage me

tuera! Je lui' accorde les rôles, les costumes,

les billets qu'il désire; il me demande à présentla République, je ne' puis pourtant pas la lui

donner! »

Quelque succès qu'ail obtenu Angèle, on m;

saurait le comparer à celui de la Tour de Nesle,

représentée pour la première, fois le 29 mai 1832.

Los aventures de la Tour de Nesle sont célèbres.

Après avoir élé offerte, pour collaboration, à

.1. Janin, la pièce originale de F. Gaillarde! fui

remise, par le directeur Harcl à A. Dumas on ces

termes : « Vn jeune homme de Tonnerre nommé

Frédéric Gaillarde! m'a apporté un manuscrit où

Page 228: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 207 ,

il y a une idée, mais il n'a jamais fait de théàlre;

ce n'est point écrit, dramatiquement partant. J'ai

porté à Janin —qui l'a récrit — le manuscrit du

jeune homme, mais ce n'est pas plus jouable ;el Janin, ce malin, a jeté sur le canapé de

M110George les deux manuscrits, celui do Gaillar-

de! comme le sien, en médisant : « Allez au diable,

AI.F.X.VKD1IEDUMAS

Page 229: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

208 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

vous et votre drame !» El c'est à vous à nous aider

maintenant. »

Dumas de se mettre à refaire celle malheureuse

Tour de Nesle. Le théâtre allait à la dérive. Le

choléra faisait le vide dans les salles de spec-

tacle, malgré les réclames éhontées d'Harel :

« On a remarqué, avec élonnemenl, assurait-il, queles salles.de specla.cles étaient les seuls endroits

publics où; quel que fût le nombre des spectateurs,aucun cas de choléra ne s'était encore manifesté.

Nous livrons ce fait incontestable à l'investigationde la science ! » A ce moment les journaux annon-

çaient jusqu'à sept ou huit cents morts par jour.

Dumas, atteint lui-même, écrivait fiévreusement

la Tour de Nesle, dont Harel emportait les scènes

cpi'il faisait répéter à mesure qu'il les arrachait à

Dumas. — Frederick Lemailre avait fui Paris, cl

Bocage avait été mis en possession du rôle. Margue-rite de Bourgogne, c'élail M"c George. Au milieu

des répétitions, explication orageuse entre les deux

auteurs, brouille, provocation. Harcl arrange les

choses. Le 29 mai 1832, première représentation.Le succès fut immense, et le nom de M. Gai!-

lardet, seul jeté au public, fui acclamé.

Tout semblait terminé, mais une malencontreuse

idée de Harel mit de nouveau le feu aux poudres ;

l'affiche portail, après le titre de la pièce, ces deux

indications d'auteurs : « de MM. XXXel Gaillardel ».

D'où procès, réclamations, tapage, polémiqueretentissante el, enfin, échange de témoins et

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LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 2C9

duel sans résultat. Tout cela, pour finir par cette

lettre de Gaillardct adressée à Dumas en 1851,lors d'une des nombreuses reprises de la Tour

de Nesle.

MONciiEn FouRNTEit,

Un jugement rendu en 1832par les tribunaux a or-donné (me la Tour de Nesleserait imprimée et affichéesous mon nom seul, et c'est ainsi qu'elle l'a été en effet

jusqu'en 1851, époque de son interdiction.

Aujourd'hui que vous allez la reprendre, je vous per-mets et je vous prie même de joindre à mon nom celuid'Alexandre Dumas, mon collaborateur, auquel je liensà prouver que j'ai oublié nos vieilles querelles, pour mesouvenir uniquement de nos bons rapports d'hier et dela grande part que son incomparable talent eut dans lesuccès de /« Tour de Nesle.

Bien à vous.Fit. CIAII.LAUDET.

Paris, 25 avril 1851.

Peu de pièces furent plus jouées que la Tour de

Nesle. C'était une obsession. Le vieux Vissot, mort

presque centenaire, disait à loul débutant : « Tu

n'y échapperas pas, lu joueras la Tour de Nesle ! »

On citait des traditions, celle du jeune débutant

qui, à celte interrogation de M"e George, énorme

et majestueuse : «Tu. voulais savoir qui j'étais...

regarde et meurs! » répondait par celle stupéfianteexclamation... « La Tour de Nesle»! La légendecrée le succès, et les amours de Buridan feront

encore battre bien des coeurs !

18*

Page 231: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

210 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Richard d'Arlinglon, que lit représenter Dumas

le 10 décembre 1831, fut pour Frederick Lcmailro

l'occasion d'un véritable triomphe. Un des tableaux

de la pièce comportait le spectacle mouvementé,

pittoresque, remuant, d'une élection dans une

petite ville anglaise, et ce fui une joie dans la salle

que de voir avec quel art, avec quel souci du pit-

toresque, Alexandre Dumas el ses collaborateurs

Goubaux et Boudin avaient montré ce curieux épi-sode de la vie politique chez nos voisins. On si;

battait, on boxait, on se huait, on placardait des

affiches, on buvait, on emportait «les blessés ; les

femmes hurlaient, les hommes s'invectivaient ; les

électeurs si; cramponnaient aux barrières poursurveiller les voles, on s'arrachait les bannières au

milieu d'une lutte à coups de poings : c'était par-fait! Frederick Lcmailro fut admirable lorsqu'audernier tableau, après avoir précipité sa femme

par la fenêtre, il reparaissait, pâle cl s'essuyanl le

front, traînant après lui, comme un cadavre, le

voile avec lequel il avait étranglé sa victime et

dont il ne savait comment se débarrasser. 11avait

dressé dans Richard d'Arlinglon une tragiquesilhouette de l'ambitieux politique poussant celle

ambition jusqu'au crime : c'élaif 1res beau, très

grand, très tragique. «Frederick, écrit Dumas

dans ses Mémoires, avait été admirable aux répé-titions : à la représentation, il fut prodigieux. »

La pièce, maintes fois reprise, obtint le plus grandcl le plus justifié succès. C'est à propos de Richard

Page 232: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 211

VAUTRIN,DRAMEENCINQACTESETENPROSE.

purXït.ïtcOtiUnc,

HFÉtStSTE«JC*LArKRMICKKfOl.1.M.»LEtHÛIKfDtLAPOSTESlIST-UAlTIS„LK]•{»**SÎRtO.PSRSOA'A'AGKS. ACTEURS. PERSOA'A'AGES. ACTEURS.

JACQUESCOLLIK.dit JOSEPHBONHET.TJUIVAUTRIN M.FKÊDL*toLr.MAiT»r..dechambrede1»Do.t.tDuct>tMONTSO.REL.M.JENMI. «cLessedeMonrio'rel... . M.MoCM*«6.LEMAKQUISALBERT,wn LADUCHESSEDEMOST-fili M.Ltuutim. SOREL(Louttsr»tVAU-

RAOULDEFRESCAS.. M.Ru. D»EÏ; M—F«»i*tc-Lr»im.».CHARLESBLONDET,dit MH«DEVAUDREY.u-lcCiinLniiir.SAIM- tinte M"'GEOiCF-tcailrKe.CHARLES M.Riccocrr. LADUCHESSEPECHRIS-

FRANÇOISCADET,dil TOVAL M—CtitAu.PHILOSOPHE,cocher.M.PoTOîtsit*. I>'ESDEcnRISTOVAL,

FIL-DE-SOIF.,«usinier.M.FRÉDÈAIC. PrinrrMed'Ar]<.s M««Fiece.BUTRUX.ponitr M.E.Durcis. FÉLICITÉt frmmedePHILlPPEBOULARDt<Iil dumbrc<]e1*D.itl.riîeI.AFOURA1L1.K..... M.Toui**». deMonuoret M««KfcftSEMT.UNCOMMISSAIRE.. .. M.IWIET. DOMESTIQUES,CEI>HU»*E*.ACEWS,«HC.

LaseinesepatieAParis,en1816,aprèslesecondretourdesBotirhom.

d'Arlinglon que Dumas avait remis à un débutantcelte spirituelle lettre d'introduction pour le direc-teur Harel :

Page 233: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

212 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

MONeuEHAMI,

Je vous envoie M. X..., qui désirerait vivement entrerà la Porte-Sainl-Martin.

Il se dit comique : s'il l'est, remerciez-moi; s'il nel'est pas, remerciez-le.

A vous.A. DOIAS.

Sous l'administration d'Harel furent encore

montées d'autres rouvres de réelle valeur : Don

Sébastien de Portugal, le Pacte de Famine de Paul

Fouchcr, le Brigand et le Philosophe «le Félix Pyalcl A. Loiichel, sans compter un essai do spectacle

patriotique consacré à l'indépendance de la Créée,

un ballet en trois actes intitulé Capsali joué en

juin 1838; ce fut un mélange de enehuolias el de

(eux de pelotons qui sombra dans le ridicule.

M'"" de La Vaubalière, par Bougemonl. el enfin

Vautrin de Balzac, que le (jouverneinenl crut devoir

interdire. Frederick Lemailre s'y était fait la tète

de Louis-Philippe ; de plus, on découvrait, paraît-il,dans celle pièce des allusions politiques blessantes

pour la famille royale. En relisant celle énorme

comédie, indigne du génie de Balzac, il nous est

impossible de le constater. Toujours est-il que Vau-

trin disparut de l'affiche, le lendemain même de la

première el unique représentation.La pièce avait été donnée le 11 mars 1810, «levant

une salle regorgeant d'écrivains, d'élégantes, d'ar-

tistes, de journalistes, de politiciens. Le bruit cou-

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LES TIIEATIÎESDES BOULEVARDS 213

rail, semé par d'habiles émissaires, qu'un scandale

politique éclaterait el, bien que Irois commissaires

de police eussent, par ordre, assisté à là répétition

générale, on attendait la manifestation : (-lie eut lieu

plu tôt par le l'aitdu directeur Harel que par le désir de

Page 235: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

21-1 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Frederick Lcmaîlrc, pour qui le peintre Louis Bou-

langer avait dessiné un élégant costume dégénéraimexicain : la perruque et les favoris modifiés entre

la répétition générale ella première représentation

rappelaient la «poire populaire», qui caricaturait si

fort Louis-Philippe. L'entrée du «général» Crus-

lamenlé produisit une émotion indescriptible : les

uns rirent, les autres sifllèrenl, el le duc d'Orléans

sortit précipitamment de sa loge; tandis que Vau-

trin s'achevait au milieu du lumullo. Le duc, de

retour aux Tuileries, réveillait, le roi. «Mon père,on vous ridiculise on plein théàlre. le souIVrirez-

vous? »M.rle Rémusal, mandé sur l'heure, recevait

des ordres formels, el la seconde représentation du

drame, sur lequel Balzac avait, bien à tort, fondé

tant d'espérances, était interdite le lendemain.

Harel, depuis longtemps déjà à la veille do la fail-

lite: Harel, sur qui un journal de théâtre écrivait le

12 mai 1838: « M. Harel ne quille pas sa direction,

et M"c Ceorge ne quille pas Paris, tanl. pis pourle public», déposail son bilan el, le 20 mars 1810.

la Porte-Sainl-Martin fermait ses portes pour rou-

vrir six mois plus lard sous la direction de

MM. Cogniard frères, qui montèrent avec quelquesuccès deux pièces aux tendances philosophiques.les Deux Serruriers cl le Chiffonnier de Paris «le

Félix Pyal, drame politico-socialiste où Frederick

Lemailre se montra lout à l'ail remarquable ; puis,ce sont, des reprises: RuyBlas, que Frederick avait

créé à la Renaissance; Richard d'Arlinylon, lou-

Page 236: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDES ROUI.EVARDS 21S

jours acclamé; el. Trente Ans ou la Vie d'un joueur.Marie Dorval, engagée de nouveau, se montra,

comme au premier jour, incomparablement émou-

vante, lui 1839, la Porte-Sainl-Martin joue le Pacte

LE CHIFFONNIER DE PARISDKAMUENCINQACTES.DOUZETABLEAUXDONTUNPROLOGUE

FÉLIX PYAT*ir>fst*TCrtxxLAraixiiuroit..MMI.«mUTut'ir**etI*KHII-SHIT-».*n*.il tuisi;.

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UNMAGISTRAT . Mtu"UNAGENTDEPOUCE S>".T-»'»,»UNCAKÇONRKiTACRANT H»»i"KMUXDtOIFK M—r.mj.M,.,CLAIRE1IOI7MANN.tl«*ifeiioaHs3=ii.::.IHI,.,,-.,UADAKErOlAKD,luefriEt GriMHAZAIJKAN., , BottrtfWLINE.J i.-< } Ci.*"TVHL'JRLTTE.l I JeutrttKC»SlNE.ff-sic*ilclJtttr.J*lïiim.-... . Htu<vUNLS*KVANrE<!*e>Ux,p«urJ Euw,*»UNESERVANTE1>ESAINT-Î.V/..\l:E.. . Loctn

A;r%U4tfa<ct.cirini:.uni.-t.-e»retniirgvi,ii.nVi.

Page 237: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

211) ANCIKNSTHÉÂTRESDli PARIS

de famine. el c'est l'acteur Mélingue qui en dessine

l'illustration. Dans une collection d'autographes

«pic l'exquise obligeance de M. Frcund Deschamps,l'érudil collectionneur, nous a permis de feuilleter,nous rencontrons celte curieuse lettre adressée vers

cette époque à Frederick Lemaîlre par Ducornel

(né sans bras), le peintre connu... surtout par son

infirmité.

... M"'cDelorme m'a fail part du désir que vous avezd'avoir un modèle d'homme de caractère dur, en un motde physionomie de scélérat, .te m'empresse de vousenvoyer l'adresse de celui qui, à ma connaissance,réunit à peu près '«.'Squalités : l'ailly, rue du l'auhourg-Sainl-Denis, n" 212.

Tout à vous de coeur el d'âme.

bucoiiXKTinv sans liras).

Le1" juillet 1812.

A quel rôle peut bien s'appliquer l'énigmaliijuedemande de Fr. Lemaîlre?

Une lot Ire, tirée également «le colle précieuse

collection, écrileà Frederick Lcmnilrc parles frères

Cogniard. directeurs de la Porte-Sainl-Martin.

nous montre «le quelles façons se traitaient alors

les engagements artistiques :

Paris, le 22 juillet 1SÎ2.

Voici, mon cher Frederick, nos otires délinilives :!J0francs de feux à vous et à M"1"Dorval, el à chacun de

Page 238: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

I.ICSTHEATRESDESUOl-'LEVARDS 21.7

vous un tiers de la recette excédanll.200 francs... Songezque nous avons 1.400francs de frais!... ha proportionn'esl-elle pas en voire faveur?

Puis viennent : la Dame de Saint-Tropez, inspirée

dcraffaircdeM"1"Lafargc: Marie-Jeanne,ou l'acteur

domina obtint un triomphe à côté de M"10Dorval;Don César de Bazan, où Frederick Lcmailro fui

épique, près de lui Clarisse Miroy obtint le plusbrillant succès. Don César de Bazan est, avecTrente Ans, la pièce que joua le plus souvent Fre-

derick. Il aimait cette amusante figurerde don César,«I même, à la fin de sa longue carrière — à soixan.lo-

19

I.I:l'Acn:DI:FAMIXK.

Page 239: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

218 ANCIENSTHÉÂTRESUE l'ARIS

douze ans, nous apprend M. IL Lecomle',—il s'ymontrait encore absolument remarquable.

Puis, ce sont des reprises : Trente ,4ns, el ses

créateurs furent accueillis avec un vérilableenfbou-

siasme,el un bordereau de partage nous apprend queFrederick elM'"c Dorval touchèrenlchacun pour les

quatre premiers soirs la jolie somme de3.188 IV. 2o.

Le lo mai 1843, Frederick Lemaîlre remplit le

rôle de Molière dans Mademoiselle de Lavalière,

drame en cinq actes el en vers, d'Adolphe Dumas.

La pièce n'eut pas de succès: cependant l'auteur

peut écrire : «Si l'ombre de Molière est apparuedans cet auditoire, elle aura pleuré des larmes de

Frederick; el ce n'est pas trop supposer : do lois

génies s'évoquent l'un par l'autre. »

Viennent, ensuite les Sept Infants de Lara, par

Mallcfille, Faruch le Maure, par Escousse, quidevait s'asphyxier en compagnie de son ami

Lebras, quelques années plus lard.

El vers le ciel se frayant un chemin,Ils sont partis en se donnant la main,

chantait Béranger.Les frères Cogniard tenlorcnl alors de rénover

la Porle-Saint-Marlin. Avec eux c'est le triomphede la féerie, des décors éblouissants : Les Mille el

Une Nuits, la Biche au Bois font l'élonnemenl cl

''admiration de Paris. Une seule exception : au

1. Henry Lecomle,FrederickLemaîlre.Paris,1888.

Page 240: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES'BOULEVARDS 219

commencement de juin 1848, par suite d'un arran-

gement amiable, les artistes se mirent en société,et ce fui pendanl celle direction intérimaire quefui représenté le Tragaldabas d'Auguste Vacquerie,drame bouffon en vers ! Auteur el acteurs pressen-taient la lutte. « On sifflera, disait Vacquerie à

Frederick chargé du rôle de Tragaldabas.— Je voudrais bien voir ça î— Je m'y attends si bien que j'ai fait un vers à

l'adresse des siffleurs. Mais oserez-vous le dire?...— Aussi bien que vous avez osé l'écrire ! »

Et c'est au bruit des sifflets que, devant une salle

comble notoirement hostile, mais où Victor Hugo,

Balzac, Gautier, Banville, Murger, A. Karr, Dumas,F. Pyat acclamaient l'oeuvre, Frederick put jetercomme un défi les vers célèbres :

... Combien de gens voit-onBoire du vin, marcher sur deux pieds sans biilon,Plaider, se battre en duel à propos de vétilles,Sifpcr les vers, mentir, voler, vendre leurs filles,Mener enfin un train d'hommes civilisés,Qui sont évidemment des ânes déguisés !."..

Tragaldabas n'eut que treize représentations el

finit sur une recelte de.474 francs !

En 1851, la Porte-Sainl-Martin donne les Routiers,

drame en cinq actes par La Tour Sainl-Ybars.

Ce La Tour Sainl-Ybars était un original, sans

grande valeur comme écrivain de théâtre; il n'en

était pas moins un homme d'infiniment d'esprit.

Page 241: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

220 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Emile Augicr, qui l'avait beaucoup connu, racon-

tait de lui des mois charmants. L'une de ses

pièces avait été interdite sous je ne sais quel pré-texte. 11avait protesté, et le Ministre d'alors, lout

en maintenant son refus, avait prié La Tour Sainl-

Ybars d'accepter 3.000 francs en dédommagementdu préjudice subi : La Tour avait, remis noble-

menlsousenveloppe ces quelques billets de banqueelles avait retournés au minisire avec celle élo-

quente protestation :

MONSIKUHLEMl.NISTHK.

Voire Excellence ne devrait pas ignorer que l'argent eslune chose honteuse qui ne se sauve que par la quantité !

La Tour Sainl-Ybars était à la fois très joueur el

1res catholique, el on assurait lui avoir entendu

s'écrier, un soir que la malechance le poursuivait

inexorablement au bacearn : « Seigneur. Soigneur,

épargne-moi une bûche... ou je me donne à

Yollairel »

Un jour, Augier le rencontre avec des cheveux

d'un noir de jais, alors que, quelques semaines

auparavant, il l'avait laissé poivre et sel... plutôt,

sel. « Je vous félicite vraiment, La Tour; vous

rajeunissez à vue d'oeil.— Ah', oui, c'est pour mes cheveux (pie vous me

dites cola! Une voulez-vous, mon ami. Voici leur

histoire : Il y a quelque temps j'ai l'ail une fugue

en Italie. Je n'y étais pas seul. Une jolie personne

Page 242: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES IÎOULEVARDS 221

avait bien voulu m'accompagner. Elle était jeune...très jeune... trop jeune. Un jour, à Venise, je me

suis vu près d'elle clans une glace, cl j'ai élé saisi

de honte. A Ion âge, me suis-je dit, le conduire

comme un gamin, lu déshonores tes chcvouxblancs,19*

A. DEI.A.MAliTiXK.

Page 243: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

222 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

tu n'es plus digne de les porter... et je me suis fait

teindre !»

C'élailencore lui qui, in vile à dîner avec de jo-lies femmes, interrogeait avec anxiété Sardou, son

hôle : « Au moins avez-vous bien dil à ces dames

que je faisais des tragédies?»Le théâtre périclitait; on avait essayé de lout,

môme du « classique».— Molière, Corneille et

Racine avaient échoué, el c'est lors de ces repré-sentations que l'on fit à celle demande : « Ou'csl-

cc qui jouail le Misanthrope », celle étonnante

réponse :... « Le caissier! »

Marc Fournicr prend la direction et relève le

niveau artistique avec Claudia de George Sand, où

Bocage el Lia Félix sont, remarquables, et Tous-

saint Louverlure de Lamartine, représenté le

6 avril 1830. C'est un poème dialogué plus qu'un

drame, cl, malgré le génie de l'auteur cl. le talent

de Fr. Lemaifre, ce n'est qu'un succès d'estime.—

« Trop de nègres, disait-on, trop de nègres! C'est la

bouteille à l'encre ! »

Le 13 février 1844, la première représentation des

Mystères de Paris fut un événement. Le roman si

populaire d'Eugène Suc avait à ce point surexcité

les imaginations; le prince Rodolphe, Fleur de

Marie, le Chourincur, Cabri on, Pipelet, et JacquesFerrand avaient si fort ému les innombrables.lec-

teurs du plus populaire des romans-feuilletons que,dès le matin, une queue formidable se forma rue

de Bond y qui, à deux heures, envahissant le bou-

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LES TirÉATRliSDES BOULEVARDS 223

leva'rd, interrompit la circulation ; à six heures

du soir, on payait 200 francs une stalle d'orchestre.

La représentation fut houleuse; un grand nombre

de scènes furent sifflées, d'autres, acclamées; Fré-

dérics Lemailre fut admirable dans le rôle odieux

du, notaire Jacques Ferrand. « Quel acteur que ce

Frederick !... écrit Gautier... Quand on le retrouve

dans son étude l'air béat et paterne, l'oeil amorti

par les lunettes, le dos rond, les mains molles et

tremblantes, comme cherchant des papiers par un

mouvement machinal, le pas lourd et traînant, on

a vraiment peine à croire que ce soit le bandit de

tout à l'heure, à l'allure ferme, au poitrail carré,au geste impérieux, hure parmi tous ces grouins

qui remuent les fanges de la cité », et Balzac en-

voie ce curieux billet à M""!Hanska :

Jeudi, 14février.

... Les Mystères ont fini ce matin à une et demie.Frederick craignait une congestion cérébrale. Je l'aitrouvé, hier à midi, couché ; il venait de se plonger dansun bain de moutarde jusqu'au-dessus des genoux! ilavait deux fois perdu la vue la veille. Les Mystères sontla plus mauvaise pièce du monde; mais le talent de Fre-derick va causer une fureur de Mystères.Comme acteur,il a été sublime, on ne peut pas décrire ces effets-là, ilfaut les voir.

En 1853, la Porlc-Saint-Marlin donna le Vieux

Caporal, pour la rentrée à ce théâtre de Frederick

Lemaîlre, qui l'avait quitté après. Tragaldabas et

Page 245: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

22 \ ANCIENSTHEATRESDE PARIS

était allé porter son talent sur d'autres scènes.

L'avènement de l'Empire, el le rétablissement de la

censure avaient largement écourlé le répertoire du

grand artiste : Richard d-ArlingIon, l'Auberge des

Ai/rels, Robert Macaire élaienl interdits : Rug Bios,

supprimé, ainsi que le Chiffonnier de Paris : il yavail nécessité pour Frederick Lemailre «le se créer

«le nouveaux rôles. C'est alors que Dcnnery conçut

l'idée «lu Vieux- Caporal. un soldai à «pii son géné-ral mourant a confié un nom de femme. Ce nom,

Simon, le Viei'o; Caporal, devra le dire à un notaire,

el.ce sera h" talisman <|iii sauvera la vie el la for-

tune d'une enfant abandonnée. Or, ce malheureux

Simon, prisonnier des Russes, esl blessé el cru

niorl : el c'esl pendant une messe dite pour le

repos (li! son âme «ju'il revient à son village natal.

Accusé «le vol. le pauvre homme veul i.Tier sa jus-

lificalion : des sons iuarliculi'-s sorlenl de sa gorge,

l'indignalion el. la colère l'onl rendu miiel. 11ne re-

trouvera la parole que pour le dénouement el. bien

entendu, saura sauver laverlu et eoufontlre le

crime. C'esl un gros succès d'iulerpréliiliou. Fré-

dérick élail, paraît-il, sublime «le douleur, de pas-sion, de colère : la salle entière frissonnai! sous

son regard «l'aigle. « 11n'y a pas «le slyle qui puissetraduire la panlomime de ce grand arlisle, écrivait

.Iules de P réunira y dans la Patrie, Frederick muel

ne peut se comparer qu'à Homère aveugle. »

Le 21 avril 18o'«, la Porlc-Saint-Marlin donna la

Bonne Aventure, drame «MIcinq actes de Paul Fou-

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LES THEATRESDES ROL'LEVAHDS 99:;

cher, Dennery et Dinaux. — Je me contenterai de

copier les dix premières lignes du Compte Rendu

«le celle pièce étrange el qui n'eut d'ailleurs qu'unsuccès... restreint. « Au prologue de la pièce, nous

nous trouvons chez

Alberla, nécroman-

cienne, rayonnante de

loilellc et «le beauté

dans son ameuble-

ment de salin bleu.

Alberla n'est autre

que la veuve d'un pi-rale exécuté à Cons-

lanlinople el qui a puse soustraire par la

fui le à l'écha faud

qu'on lui réservait

pour complicité dans

divers crimes. Un

jeune ambitieux. Ana-

tole Ducormier, con-

naît le secret d'Al-

berla ; il en profile

pour disposer d'elle cl de sa science »..., etc.

Paul j\!eurice l'ail représenter avec grand succès

Schamyl. Mélingue s'y montra parfait, et la piècetout entière n'était qu'une suite de tableaux à efl'els

destinés à faire valoir ses grandes qualités. Les

décors eux-mêmes contribuaient à son triomphe :

Fr. Febvre, dans ses Souvenirs, raconte que, débu-

MADA.MEMAIIIEI.AII1KXTDANSLES«CIIKVALIKHSOUIIIIOUII.LAIII)»

Page 247: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

22(5 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

tant à la Porfe-Sainl-Marlin et. jouant, le rôle d'un

jeune Circassicn, il arpentait, à une répétition, un

superbe praticable qui se perdait dans les frises.

Soudain il est arrêté par la voix furieuse, du régis-

seur: « Qu'est-ce «pie vous I'...ailes là! Voulez-vous

bien descendre!... A-t-on jamais vu!... Mais c'est la

montagne de M. Mélinguc! » Un soir, au tableau

où les sentinelles russes tirent sur Scliamyl, on

s'aperçut, en inspectant les armes, que les fusils

étaient chargés à balle.— Oui menaçnil-on, Mé-

lingue ou l'Empereur qui devait assister à la repré-

Page 248: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES BOULEVARDS 227

senlalion ? — On ne l'a jamais su. — A celle époque,

Mélingue, «pii gagnait 300 francs par soirée, était

l'artiste le plus payé des théâtres du boulevard.

Puis, c'esl. une série do drames à grand spectacle :

les Nuits de la Seine, les Chevaliers du Brouillard,

où M"'" Marie Laurent

esl acclamée dans le rôle

de Jack Sheppard,qu'elle

interprète merveilleuse-

ment : ce n'est plus une

femme, c'esl un vrai

gamin de Londres; et,

sous tous les déguise-menls «pi'il revèl. sous

Ions les avatars par les-

quels il passe, filon.

grand seigneur, garçon

menuisier, femme ivre,

prisonnier ou lils pro-

digue el repentant, Jack

Sheppard amuse, im-

pressionne, inquiète el

conquiert le public; M1""Marie Laurent fil de ci;

rôle une admirable création; puis viennent Ri-

chard III' ; le Fils de lu Nuit ; Benvenulo Ccllini, où

Mélingue triompha; c'est dans celle pièce que ce

charmant comédien, qui était, de plus, un statuaire

de talent, modelait en scène une statue d'Ilébé:

enfin, le 8 septembre 18(52, le Bossu. C'est un im-

mense succès. Anicel Bourgeois cl Paul Féval

!.. PKIIICAUI)IIAXS<<LEIIOSSU».

Page 249: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

228 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

LE BOSSUDRAMEENCINQACTES

si cocuuiLimi

MM.ANICETBOURGEOISF.TPAUI,FÊVALittriu*EM*rov»LàTktmiatrois,»HHÎ,ÏV*utTHitTtttt u ton siiKT-Munx,u ••Krnv»»l(t02

DUTRtDlTIOSDULAniciUGARIifim- MM.MLUNGCE.GONZAGUE BMNDEAV.CllAVEtlSY DEMUT.LEREGENT ANIOMS.KEVER5 Ilot»».'NAVAILLE P.Auuiu.COCARDASSE YANSOT.PASSEPOIL UOEST.D'AIIGENSON CIIÉUT.BOSMVET HOSTAL.TONIO CAIISTE.PEYROLLES DCLAISTU.GARRIGUE Fuxar.STAUPITZ A.Dctutb.NATilANIEL EDVSCCET.

BRÊANT A.Loti».LACROIX BECUVIUJt"BornçEois UCBIlUt».î»Bomctoiï LMOT.UsARCHITECTE LIXSOT.BLANCHEDECAYLUS M"*RIUCOVST.BLANCHEDENF.VERS Deroww.FLOR Hume».PEPITA MAUQCÏT*.UxVIOE E.rUviD.ANGÉLIQUE Lonii.MADELEINE Hraii.UARTlNE KuatJ.i«H5CXCZOIÎ2 HoUS.*•BortcEcin HI»TW.

—Toe»tell»rh*nii—

signent, la pièce; un nom manque sur l'affiche qui

aurait dû s'y lire avant tous les autres : celui de

Page 250: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

I.ES THÉÂTRESI>ESROUI.EVARDS 229

V. Sardou. « C'esl lui, en effet, nous apprend lp.

très complète élude écrite sur son illustre père par-André Sardou, qui, en collaboration avec Paul

Féval, écrivit le Bossu. L'ouvrage ne fut même pas lu

par Fournicr, directeur de la Porle-Saiiil-Marlin,

«jui plus lard le fil jouer avec lanl.de succès. Féval

obtint de Sardou l'autorisation de transformer la

pièce en roman, el c'esl «le ce roman que plus lard

fulexlraife la seconde version delà pièce, sans queleloul ail jamais rapporté un centime de droits à Sar-

dou. » Mélingue y fui admirable, el Vannoy, dans

sa pittoresque création de Cocardasse, y eut un

gros succès personnel. Ce fut après lui l'excellent

20

«l'ATIIIK».IVeACTE.— l.'llOTEI.l)V.VILLE.

Page 251: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

230 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

Péricaud qui arbora fièrement le feutre effiloquédu vieux maître d'armes et sul se faii'e applaudir à

son four. Le croirait-on. Mélingue hésita longtempsà jouer le Bossu. M"":Mélingue s'opposait à ce «pieson mari s'affublàl, même momentanément, de la

bosse célèbre de l'il-

lustre Lagardère !

.)us<] u' au boni .

avons-nous dit, celle

pièce «levai! rapporter«les ennuis à son vé-

ritable auteur. Il y eul

dans le Figaro une

forte polémique à son

siijel, dans laqmdleFéval se moui rail plus

qu'ingrat, envers Sar-

dou qui devait facile-

ment avoir le dernier

mol d'ailli'iirs, el «pii,dans une riposte dé-

finitive;, concilia il

ainsi : « Paul Féval a

décidément louleslescliances: il sigin; seul le Bossu,

jenesuis pas nommé; on lui paye même son article

d'attaque et.je lui réponds graluileinenl, moi qui ai

écrit toute la pièce de ma main el, sauf «lelégères

différences, telle qu'on la joue, il élaildif quete Bossu

ne me, rapporterait jamais rien... au contraire!»

Ce fui le dernier succès de la direclion Marc

MADEMOISELLETIIEI1EPA.VEIISIK0"ï.

Page 252: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES KOUI.KVAItDS 231

Fournier — qui, après avoir vainement tenté le

succès en montant des féeries dans lesquelles il

introduisait des numéros exceptionnels, des domp-

teurs, des danseuses étoiles ou de sensationnels

chanteurs, comme Thérésa el Darcier dut passerla main et céder en t8fiS

la direction à RaphaëlFélix, frère «le Hachel.

Après une assez longuefermeture du théâtre,

Félix eut l'heureuse

chance d'hériler du der-

nier Irailé signé par son

malheureux prédéces-seur : V. Sardou s'était

engagé à fournir un

drame à la Porle-Sainl-

.Mai'lin : ce drame était

Patrie. C'est le 18 mars

ISf>9que fui. donnée la

première représenta-lion de celle oeuvre magistrale. Elle; succédait à

Cadio de (îeorge Sand qui, malgré de grandes

qualités, n'avait pas obtenu le succès attendu. Ro-

ger, l'ancien ténor de l'Opéra, avait été engagé tout

spécialement, cl ce fui une déception, d'autant quele malheureux acteur, ayant, perdu son bras droil

dans un accident de chasse, se servait difficilement

d'un bras mécanique ; à deux reprises, en scène,des incidents pénibles se produisirent. Bref, un

I.LMA1XE,VEIIS1SG;>.

Page 253: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

232 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

succès d'estime : c'est alors que triompha Pairie.

Le nom de Sardou fut acclamé. Ccvaërl, h; mu-

sicien Belge, avait autrefois demandé à Sardou de

lui faire un librello sur le siège «leLeyde à l'époquedu «lui.-d'Albe el lui avait envoyé de précieux do-

cuments dont : YHistoire

des Pags-Bas par Lo-

l-horp Molley — (à quid'ailleurs Sardou dédia

Patrie). — Ce fui dans

«•el ouvrage que Sar-

dou trouva l'allusion à

ui\ pnlrioliijuc complotdénoncé par une femm«;

jalouse, «pii serf de pi-vol à l'oeuvre admirable

«1«;Sardou. Ce beau

drame, vibrant d'hc-

roïsme, de liberté, «le

patriotisme el d'abnéga-

lion, rallia Ions les suf-

Irages : Domaine, PXMIOII,Charly, Ch. Lemailre.

l'argueil cl Léonide Leblanc en l'urenl les excel-

lents interprètes, el la Porle-Sainl-Marlin recompiilson ancienne gloire. Ce devait èlre la dernière soi-

rée de fêle donnée en celle vieille salle de la Porl<;-

Sainl-Marlin, inaugurée en 17SI.

En 1870, pendant le siège de Paris, alors que tons

les théâtres avaient spontanément fermé leurs

portes à dater du 17 septembre, jour de l'inveslis-

I.EIJMIIEI.EIILAM:DANS«l'ATlilE<>.

Page 254: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES ROl.LEVARDS 233

sèment, la Porle-Sninl-Marlm organisa, comme

l'Ambigu, quelques représentations patriotiques.

C'est à la Porle-Saml-Mar-

tin «[lie,leu novembre 1870,

une audition des Châti-

ments fut offerte par la

Société des liens de

lettres; le produit de

la recette clan,

«les fi né à la

foule d'un en- .

non de-

v.inl por-

ter le nom de son illustre président d'honneur.

Victor Hugo.

THEATP.EDELAPORTET!MARTI1T.

£0*

Page 255: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

234 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Il nous a paru curieux de reproduire ce pro-

gramme. Les meilleurs artistes de Paris, ceux quisi simplement firent leur devoir dans les rangs de

Farinée ou sur les remparts, avaient tenu à se faire

les interprètes des strophes enflammées el venge-resses du grand poète.

Pour cette solennité, le Comité avait fait imprimeret distribuer l'avis suivant :

ii NOViîJutRK1870

ADDITIONDES CHATIMENTSDE VICTORHUGO

AU THÉÂTREDE LA l'OHTE-SAlNT-MAIllIN

La Société des Gens de lettres a voulu, elle aussi,donner son canon à la défense nationale, et elle doitconsacrer à celte oeuvreleproduit d'une Matinéelittéraire,dont son président honoraire, SI. Victor Hugo, s'est em-

pressé de fournir les cléments. L'audition aura lieumardi prochain, à deux heures précises, au théâtre dela Porle-Saint-Marlii]. Les principales pièces des Châti-ments y seront dites pour la première fois, par l'élite desartistes de Paris.

.PROGRAMME

PREMIEREPARTIE

Ouverture WKHKII.Notre souscription JULESCLARETIE.Les Volontairesde l'An II.. TAILLADE.A ceux qui dorment M,lc DUGUKRET.

Hymnedes transportés.. .. LAFONTALNE.La Caravane SllleLIAFÉLIX.Souvenir de la nuit du i... FREDERICKLEMAITRE.

Page 256: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES BOULEVARDS 235

DEUXIEMEPARTIE

Adagio SIOZART.

L'Expiation BERTON.Stella SI"0 FAVART.Chansons GOQUELIN.Joyeuse Vie SIAHIELAURENT.Patria (musique de Beetho-

ven) chantée par .MmcGUEYMAHD-LALTERS.

Le conférencier, les spcclaleurs, les artistes,

l'orchestre, le public, étaient généralement en uni-

forme, les femmes en babils de deuil. La salle se

montrait enthousiaste el recueillie, et le canon fai-

sait entendre sa voix sinistre au milieu du religieuxsilence des spcclaleurs, émus jusqu'aux larmes.

On commença par jouer la Marseillaise, puisJules Claretie, alors Président de la Société des

Gens de lettres, avec tout son coeur, tout son

talent, toute sa patriotique émotion, ditsimplemenl,

gravement, éloqucmmenl les raisons de celle

matinée. 11 lui la réponse de Victor Hugo à la

demande qui lui avait été faite, offrant son oeuvre,mais déclinant pour lui-même l'honneur de baptiserde son nom le canon payé par celle représenta-tion et qui se terminait ainsi: « Que ce canon vengeles mères, les orphelines, les veuves, qu'il vengeles fils qui n'ont plus de pères, el les pères quin'ont plus de fils, qu'il venge la civilisation... Quece canon soit implacable, fulgurant el terrible,et quand les Prussiens l'entendront gronder, s'ils

Page 257: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

231) ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

demandent : « Oui es-tu?» qu'il réponde : « Je suis

le coup de foudre et je m'appelle Chdleaudun. >>

Jules Claretie termina aux applaudissements de

tous sa vibrante allocution.

Puis, les arlisles dirent ces vers magnifiques el.

furent acclamés. In exceptionnel enthousiasme

salua Frederick Lemailre, qui jamais ne fut plusadmirable ni plus émouvant. Ce fut un triomphe,la recette s'éleva à près de 8.000 francs. Le len-

demain, Clai'oln* recevait de V. Hugo le billet

suivant :

CHERETI:OIIDIALCOXITIÈUE,

Vous ave/, prononcé des paroles qui me touchent.Mon cieiir les a entendues.

Il y a entre nous de rinoiihliablc : la lientrée en

Fiance, celle matinée des L'htilinwnlsy ajoute un poi-gnant souvenir.

E-i:imo.Vicnii! lliv.o.

Une seconde représentation composée «les mêmes

éléments el donnée à l'Opéra où Sarali Rernhardl fil

la quèle pour les blessés dans un casque prussien,eut le même succès. Kl c'est ainsi que la Sociélé

des Gens de lellrcs put offrir, en 1870, deux canons

à la Défense nationale.

Pendant le siège de Paris el.pendant la Commune

le théâtre resta fermé, puis l'incendie ledévora pen-dant la sinistre semaine <1<;mai : durant bien des

mois ses grands murs noircis par les llammes se

Page 258: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES BOULEVARDS 237

dressèrent sinistres au milieu des ruines avoisi-

nantes; enfin, le 28 septembre 1873, la Porle-Sainl-

Marlin reconstruite rouvrit ses portes au public.Les marches qui descendaient sur le boulevard

avaient élé suppri-mées. C'est par Marie

Tudor que \:\ nouvelle

salle fut inaugurée.Une ovation formi-

dable accueillit Fre-

derick Lemailre vieil-

li, mais toujours su-

perbe d'allure, qui

jouait le Juif. C'était

l'évocation du grand

passé d'art de ce

Ihéàlre que saluait, la

foule reconnaissante

dans la personne de

son plus illustre inter-

prète. M""' Marie Lau-

rent, Dumaiiic, Tail-

lade, complétaient un bel ensemble, un peu âgéloulcfois, el la pièce ne put, tenir longtemps l'af-

fiche. Libres, d'Edmond Gondinel, lui succéda;

puis vinrent des reprises : Bon Juan d'Autriche,Henri III el sa cour, el finalement l'éternel Pied

de Mouton ; mais les recettes étaient maigres,cl. le théâtre périclitait quand les Deux Orphe-lines de Dcnnerv sauvèrent la situation, fortement

(Coll.IL I.ocoinîe.)ÎHÉDÉIIICKLE.MAITHE.

Page 259: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

238 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

compromise : Laray, Taillade, Sophie llamel

furent acclamés et firent couler bien des larmes ;

pendant plus de cinq mois la pièce tint l'affiche

et donna à la direction le temps de monter comme

il convenait, le Tour

du Monde, «jui «levail

fournir une inépui-sable; carrière (7 no-

vembre I87'II.

Pendant il."'»repré-sentai ions consécu-

livescelleleeriesrien-

lifiipie fui représentéeavec le plus grandsuccès. Jules Venu;

el Dennery, qui fort

habilement a va i enf

mis au point pour 1«;

lliéâlre l'oeuvre si con-

nue «lugrand roman-

cier populaire, triom-

phèrent très justement

ainsi que les interprètes : MM. Diimninc (Archibald

Corsican), Laercssonnière (Philéas Foggj, Yannoy

(Fix), Alexandre (Passe-Parloul i, Machanelle (Un

Brahmej.M"" Moreau (Aouda), Patry (N'éméa), <;lc.

Une r«;prise «h; la Jeunesse des Mousquetaires suc-

céda au Tour du Monde; mais les Mousquetaires

parurent bien fatigués : Taillade, Dumaine et Larrayfurent de lions el adroits comédiens: mais, en réa-

IIL'MALNE,DANS«MMUETlllllll».

Page 260: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LESTHEATRESDES BOULEVARDS 239

Page 261: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

2'R) ANCIENSTHEATRESDE PARIS

lité, ils manquaient de la flamme juvénile qui ca-

ractérisait les héros du bon Alexandre Dumas. Les

Exile's ne réussirent qu'à moitié, malgré le

grand talent dépensé par Taillade dans le per-

sonnage de Schelni, un policier-traître, cl de fort

beaux décors. Une reprise du Bossu fournit à l'ac-

teur Deshayes l'occasion d'écrire à M1"0V™Anicef

Bourgeois une lettre épique qui se terminait' parcelle phrase :

... Si vous avez été contente, Madame, en lisant mon

éloge, moi, j'ai osé, en rentrant le soir de la première,regarder sans trop trembler le buste de votre mari...

La grande ombre d'Anicel Bourgeois a dû être

bien llallée, et Sardou, le véritable auteur du

Bossu, a dû bien rire!

Puis viennent une Cause célèbre par Dcnnery et

Cormon, cl les Misérables (22 mars 1878). Dumaine

est admirable en Jean Yaljean, Taillade parfait, en

Javerl, Lacrcssonnièrc excellent dans l'évèquc

Myriel. C'esl un grand succès ; la petite Daubrayfait pleurer tout Paris dans celle exquise figure

d'enfant, Cosclte; et Machanelle, le bon Macha-

nelle, goûte enfin la joie de faire trembler la Porle-

Saint-Martin des éclats de sa terrible voix au sep-tième tableau (dix heures cl demie du soir)

(l'Affaire Chamjimalieu); il en abuse, cl la salle

applaudit ce vieux brave homme.

Le 27 décembre, la première représentation des

Page 262: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 241

Enfants du Capitaine Granl permet au vieil acteur

Ravel de reparaître, sous les traits comiques el

sympathiques du savant Paganel, aux yeux du pu-blic parisien ;mais le succès de la pièce est bien loin

d'égaler le triomphe du Tour du monde en quatre-

vingts jours, et les reprises succèdent aux reprises :

la Dame de Monlsoreau, aux Mystères de Paris et à

Cendrillon.

Les Elranyleurs de Paris (17 mars 1880), drame

féroce de Bclot, n'a qu'une piètre fortune, malgréles horreurs que l'auteur y a accumulées. Je coupedans un compte rendu de l'époque celle simple

phrase, qui donne une idée de la tonalité généralede l'oeuvre : « Dans un accès de jalousie, Lorenz

étrangle sa femme, suivant, dans son mode de pro-

céder, l'exemple que lui a donné son beau-frère...»

Ces quelques mots expliquent à la fois de la plus

éloquente façon et le titre et l'insuccès de la pièce.Une note vraiment comique se fit entendre, non de

la scène, hélas ! mais de la salle : lorsque le rideau

s'était levé, au sixième tableau, sur la cour de la

Grande Roquette, un liti s'écria : « C'est pas vrai !

la fontaine est à gauche!»Le Voyage à travers l'impossible (2o novembre 1882)

est un four complet. On y cueille des phrases de

ce genre : « Chimistes et physiciens qui découvrez

les lois de la combinaison des gaz el faites de

l'étincelle électrique l'espoir du xx° siècle, savez-

vous bien que vous perpétrez une oeuvre infâme,

que vous faites chanceler la raison humaine el

21

Page 263: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

212 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

que vous menez la société au rêve, du rêve à l'in-

senséismeel de l'insenséisme à la mort!»

Voilà le Ion général... et c'était un spectacle

pour les enfants! Ouc nous voilà loin du Choeur de

Saucissons d'autrefois qui faisait rire nos pères!

Et nous, d'où qu'nous v'lions,Nous, les saucissons"?

Le compère, après réflexion :

Du saucissonnier... sans doute'....

Le Pavé de Paris de Belof succède au Voyage à

travers l'impossible,cl .e''est un autre genre de folie.

Un assassin Iratpié, acculé, s'est réfugié dans une

cave, il se croil perdu : par un du ces hasards pro-videnliels qui n'arrivenl «pi'nux assassins, une

h'appe s'ouvre sousses pieds pendanl .qu'au-dessusde sa lèle pend une solide corde à meuds el finale-

nienl, sur un rêve palriolûpic, la toile tombe la

pièce aussi. Puis, une succession de r«;prises :

le Crime de Faverne, la Faridondaitie, le Bossu ; el

Sarab Bernhardf, le 17 septembre 1883, joue Frou-

f'rou avec son habituelle maîtrise; mais la grande

première'de la Porle-Sainl-Marliii ne se danne «piele 20 décembre. C'est Nana Sahib de Jean Biehepin.

Sarah Bernhardt est absolument remarquabledans le r«Me de; Djamma. Avec quel arl délicieux

et captivant elle soupire

.l'aime Nana Saliil) et veux qu'on l'aime aussi.

Page 264: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 243

Le drame (sept actes, en vers) parait long ; un

élément de succès vient toutefois s'ajouter bientôt,

au bon accueil fait parle publicà la pièce nouvelle:

Page 265: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

2 '.\ ANCIENSTHEATRESDE PARIS

le 26 décembre, l'acteur Marais, indisposé, est rem-

placé par Jean Richepin lui-même dans le r«>lede

Nana Sahib, et c'est un vrai régal d'artiste qued'entendre ce noble poêle, faire sonner les vers

admirables dont son o;uvre est pleine.Sara h Bernhardl redouble d'efforts el de talent ;

la fameuse voix d'or emplit la vaste; salle, «le la.

Porle-Sainl-Marlin, el tout Paris vienl applaudirces deux beaux artistes dans leur passionnanl duo

d'amour.

En 1881, Sarah Bernhardl. interprète super-bement la Dame aux Camélias ; mais la première-

sensationnelle, c'est The'odora. Quelle inoubliable

représiMilalion ! Qu«;l clief-d"«euvre de couleur, «le

mise en scène, d'esprit el d'habileté!

Jamais, je émis, jusqu'alors le Ihéâlre n'avait of-

fert un plus impressionnant, tableau «pie celui quitermine l'acte «le la loge impc'rirde. Philippe Gar-

nier, beau comme un César Humain ; Sarah, «buis,

une pose hiéraliqiu; el drapée comme elle seule

sait le faire en d'incomparables étoffes: toute

celle reconsliliiliond'une cour byzanline, le vélum

«le pourpre, le cirque, les esclaves, les sénateurs,

les belluaires. les bohémiens et les bourreaux.

C'était, h; plus merveilleux «les spei-lacles. En-

core une fois le maître Surdon avait su donner à

Paris la grande fêle des yeux el «le l'esprit.The'odora fut un énorme succès. Onelqims com-

mentateurs «le textes, «le ceux «pii, suivant le si

joli mol «le Jules .lanin, « savent tout, mais n«;

Page 266: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LESTHÉÂTRESDES BOULEVARDS 2'lS

(Dessind"A.Mark.)«TIIÊODORA», LALOGEIMPÉRIALE.

2f

Page 267: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

Z'itj ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

savent que cela », curent la mauvaise idée «lecher-

cher noise à Sardou sur des points de détail. L'au-

teur de Théodora, qui n'aime rien tant que de

semblables batailles, s'en donna à coeur joie el eut

bien vile de son côté les rieurs comme il avait eu

les spcclaleurs. el pendant de longs mois la bura-

liste de la location connul à la Porle-Sainl-Marlin

les joies du « maximum ». Le 21 décembre 1880,

Sardou donne le Crocodile avec Marais, Francès el.

la j«die M"'' Legaull, mais celle pièce ne réussit «|n'à

moitié, el c'est seulement en 1887, avec, la Tusca,

que, le 24 novembre, le Ihéâlre retrouvera le

succès «le Théodora. Sardou et Sarah Bernhardl.

triomphent à nouveau. La presse est sévère, mais

le public casse vite son jugement. Sarcey dé«:lare

«puec'est une panloinime, et Sardou «le répondre :

« Je savais déjà Sarcey aveugle, je ne le savais

pas sourd, il n'avait vraiment pas besoin de celte

nouvelle infirmité ! »

Puis il adresse ce court billet à M. Laforêt, qui lui

avait offert l'hospitalité de son Carillon Théâtral :

MONCHERLAIOUKT,

Je n'ai pas le loisir d'improviser une réponse aux

objections faites à ma pièce par les critiques sérieux,compétents et vraiment dignes de ce nom. Quant auxinsanités et aux invectives dictées par l'envie, la sottise,l'ignorance el la mauvaise foi, elles ne méritent quemon mépris.

Cordialement.V. SARDOU.

Page 268: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES BOULEVARDS 247

Sarah, merveilleusement entourée par Pierre

Berlon el Dumény, deux excellents artistes au talent

rare, fit de la Tosca l'une de ses plus remar-

quables créations. Après le meurtre de Scarpia,

alors que les tambours roulent la «liane, que le

jour se, lève sur Rome endormie, Sarah, avec un

geste sublime, encadrait la lêtc de l'homme qu'elle,venait de tuer avec les deux flambeaux éclairant

la table du souper el plaç.aiL sur la poitrinedu morl un crucifix décroché du mur. C'était

superbe !

Dumény fui charmant de jeunesse, de grâce,

d'esprit, el Berlon dessina de main «le maître celte

Page 269: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

2'(8 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

cynique figure de Scarpia, ce gradin béai, aurait

«litVictor Hugo!Dès les premiers jours du mois d'octobre 1890,.

les conservateurs du Cabinet «le Numismatique à

la Nationale furent en proie à d'incessantes visites,

el c'était à Cléopdlre, la pièce nouvelle de V. Sar-

dou cl Moreau, «pi'ils devaient IonI ce dérange-inenl. Les écrivains chargés de doi-iimenler el

d'inslruire leurs lecliuirs, les artistes chargés d'in-

lerpréler les r«Vl«;s,les costumiers charges d'habil-

ler les artistes, les décorateurs, les tapissiers, les

coiffeurs, les cartonniers. les armuriers, Ions les

métiers qui louchent au théâtre, venaient interro-

ger les érudils numismates au sujet de la reine

d'Egypte, de la fille des Lagides, «h; la célèbre;

courtisane : on réédita l'opinion de Pascal sur le

nez de Cléopàlre « qui, plus court, eût changéla face du inonde ». Plularque eul les honneurs «le

LEIlEClll:DU« CIIEVALIEl:HEMAI~(lX-l;(iLr,E» : LAllF.Iti.iEHELASEINE

Page 270: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

(ClichéReutling-er.)MADAMESAIIA1IUKIIMIAItDTDANS« LATOSCA».

Page 271: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

250 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

l'actualité; on discuta sur la bataille d'Aclium.

Malgré tout, la pièce n'a pas le, succès espéré.L'admirable artiste A. Antoine, dont l'intelligentevolonté eut une si grande répercussion sur tout le

théâtre contemporain, el sa remarquable troupedonnent quehpies représentations de leur réper-toire dans le théâtre de la Porle-Sainl-Marliii

désemparé ; puis, ce sont des reprises : l'éternel

Courrier de Lyon, le Chevalier de Maison-Rouge

auxquels succèdent, «i conlrasli;s ! l'inipéralriceFausline cl le Petit Faust avec .1. Grnnicr dans h;

l'oie de Marguerile. el celle «euvre amusante est

perdue dans ce Irop vaste cadre !

Le 12 novembre 1891. la Porle-Sainl-Marlin

remis»; à neuf, redorée, transformée, rouvre ses

portes sous la direction nouvelle <l<;M. Emile

Hochard, par la première représentation du

Voyage dans Paris de 151uni et Toehé. C'esl un

insuccès. «;l les r«;pris«;s conliniient à défiler : les

Deux Orphelines. — ave<; M'"° Honorine, admirable

dans le rôle effrayant de la Frochard, — le Voyagedans la Lune, Martyre, etc.. Le Maître d'Armes

permet d'applaudir Taillade bien vieilli ; puis les

Mousquetaires el le Bossu refont leur apparition cou-

lumière. M"'- Lcconle, la future sociétaire de la Co-

médie-Française, y est charmante sous les traits de

Blanche de, Nevcrs, el l'excellent Péricaud dessine

un Cocardassc digne du crayon de Jacques Callof.

Enfin Lalude coule ses malheurs et tresse son

échelle de corde pendant, quelques soirées sur celle

Page 272: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES BOULEVARDS 231

scène malchanceuse, cl l'année 1803 finit sur la

représentation de Napoléon par L. Marlin-Laya,

une sorte d'imagerie d'Epinal, brossée non sans

talent, et qui l'ail re-

vivre, comme en une

lanterne magique, les

éblouissants tableaux

du Consulat el do l'Em-

pire. Mralerloo surtout

est acclamé, et Cam-

broniie a l'honneur de

lancer à pleine voix le

mol symboli«|ue «piil<;rmine celle bille li-

ianesque.

Philippe Garnier fut

remar(|iiable. tout au

moins dans la |)i-emière

partie : son profil de-

médaille, son masque

césarien, sa nervosité même faisaient, de lui une

vivante réincarnation «le Bonaparte ; Napoléon

manquait, d'ampleur! M"10Tossandier jouait avec

son habituelle maîtrise le rôle de Madame Mère;

cl Germaine Gallois, belle à ravir cl habillée d'ado-

rable façon, semblait une délicieuse miniature

d'Isabey détachée de son cadre.

Incomplète, décousue, hâtive, celle pièce cu-

rieuse n'en obtint pas moins u:i très vif el très

artistique succès de curiosité.

MADAMEHONORINEl'.IJLi;\>KLA« l'UOCHAItU».

Page 273: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

252 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Au tableau du «soleil d'Auslerlilz» elpendantquel'orchestre jouail le fameux Ran tan plan lire lire,

qui si souvent accompagna la Grande Armée mar-

chant au combat, la garde impériale, dut donner

Irois fois : une fois, la première, sur l'ordre impé-rieux de Napoléon, et les deux autres, sur les

rappels réitérés d'un public élcclrisé!

Les nerfs étaient tendus, les courages éveillés,les voix frémissantes, et deux spectateurs se, gif-flèrenl copieusement à la sortie aux cris de : <«Vive

l'Empereur! »

Le4mai 1894, Taillade interprète Tibère à Caprée,el c'esl une belle apparition que celle du vieil ac-

teur au masque tragique, à l'oeil dur, drapé avec une

science rare dans le pcplum antique. Cet artiste, on

le sauf, a manqué sa carrière, : sa vraie, place eût été

à la Comédie-Française, que son grand talent., si per-

sonnel, eût certainement honorée. Sur la fin de sa

vie il court le cachet, quêtant d'insuffisants enga-

gements, se montrant dans d'infimes théâtres. C'est

la triste fin d'une belle vie et, dans les bravos

du public, on devine qu'il y a comme un remords

d'avoir si mal récompensé un pareil artiste.

Lorsque parut la brochure de Cyrano de Berge-

rac, Edmond Rostand écrivit sur la première pagecelle flatteuse dédicace :

C'esl à Vdme de Cyrano que je voulais dédier ce

poème ; mais, puisqu'elle a passé en vous, Coquelin,c'est à vous que je le de'd.ie.

E. R.

Page 274: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDESBOULEVARDS 253

Et celle dédicace disait vrai. En effet, depuis

quelque temps, Coquelin, —l'irremplacé transfuge

de la Comédie-Française, — avait pris possessiondu théâtre de la Porle-Sainl-Martin. Il avaitapporté •

sur celle scène que semblait abandonner la chance

son immense talent, sa science du théâtre, ce donde la vie qui émane de toute sa personne, et

ceux qui aiment Coquelin, non seulement parce

que c'est un artiste incomparable, mais encore

parce que c'est un brave homme, dans foute l'admi-

rable acception du mot, humain, charitable, doux

aux malheureux, avaient bien vile repris le chemin

de la Porle-Sainl-Marlin. Il y eut de belles soirées

d'art -.Jean Barl, du noble poète Edm.IIaraucourl.

y brandit sa hache d'abordage; Messiredu Guesclin

y sortit sa grande épée; el Jacques Callot l'oeuvre

amusante et pittoresque de MM. Henri Cain et

Adonis, y apporta sa gaieté, son esprit, sa joyeusefantaisie, mais c'est surtout la soirée du 28 dé-

cembre 1897, qui restera comme une grande date,non seulcmenl.au théâtre de laPorle-Saint-Marfin,mais encore dans les annales dramatiques : ce fut eneffet ce soir-là que se donna la première représen-tation de Cyrano de Bergerac, d'Edmond Rostand.

Ce délicieux poète n'élail jusqu'alors connu des

délicats, des lettrés, que par des oeuvres charmantes,

pleines de fantaisie, de grâce et d'esprit : les Ro-

manesques (à la Comédie-Française), la PrincesseLointaine et la Samaritaine (à la Renaissance).C'étaient plus que de belles promesses, mais Cy-

22

Page 275: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

254 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

rano de Bergerac les dépassa, tellement, qu'il fau-

drait, pour retrouver semblable triomphe, remonter

aux récils épiques des grandes premières de Victor

Hugo. Je ne puis mieux faire que de conter la

« répétition générale» à laquelle nous eûmes l'heu-

reuse chance d'assister. Depuis quelques jours, on

prophétisait le succès. Coquelin, tout feu fout

flamme, débordant de gaité, d'espérance, d'en-

thousiasme, élail venu en compagnie de l'auteur

consulter les vieilles estampes de Carnavalet : il

s'agissait de reconstituer le théâtre de l'Hôtel de

Bourgogne avec ses marquis tapageurs sur la

scène, son orchestre ridicule, ses moucheurs de

chandelles, ses comédiens emphatiques, que de-

vaient contempler les belles précieuses et les élé-

gants seigneurs faisant galerie au balcon.

Tout en feuilletant nos cartons, l'excellent Co-

quelin n'avait pu résister à la joie de lancer

quelques-unes des merveilleuses lirades de son rôle

et nous avions tous tressauté d'admiration. Mais,

enfin, aucun de nous n'osait espérer une si com-

plète victoire.

La salle était sceptique et réservée, déjà les

bonnes langues s'exerçaient dans les couloirs...

Oh! que tout changea vite d'aspect; dès la pre-mière moitié du premier acte, debout et frémis-

sants, emballés par ce prodigieux génie drama-

tique, nous acclamions l'admirable auteur et le

merveilleux Coquelin. Quel lalent, quelle fantaisie,

quelle verve ! et chaque acte déchaînait de nou-

Page 276: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES BOULEVARDS 255

veaux tonnerres d'applaudissements, on riait, on

pleurail aussi. Celait le vers de Hugo, de Gautier,

de Banville qui sonnait clair, spirituel, précis,

joyeux, sur cette vieille scène parisienne. Nous .

savions de longue date combien de mirifiques

moyens Cyrano avait inventés pour parvenir jus-

qu'à la lune, el nous assistions, émerveillés, à l'as-

cension de Rostand décrochant les étoiles.

Et cet unique, ce stupéfiant Coquelin, avec sa

voix sonore lançait, de quel coeur, avec quelenthousiasme communicat.if, ces vers élincelanls...

et ça nous rappelait Nicolef, ... de plus fort en

plus fort. Autour de Coquelin, Jean Coquelin (Ra-

gueneau), digne fils de son admirable père; Volny

(Christian); Gravier, le bon Péricaud; M,,cLcgaulf,rivalisaient d'art, de verve et d'esprit, et Desjardinsdessinait avec son habituelle maîtrise le rôle dif-

ficile du comle de Guiche, ce grand seigneur

hautain, mélancolique et désabusé.

Tout concourait au triomphe; le talent des

artistes, la beauté des décors, la splendeur de,

Coquelin mettaient en valeur le génie de Rosland,

et ce fut une des joies de Paris, ému et reconnais-

sant, que ce triomphe de Cyrano de Bergerac!Plus que Reine du spirituel Bergerat succède à

Cyrano, cl Coquelin lisse la mèche césarienne de

Napoléon Ier pendant un certain nombre de repré-sentations.

Pendant que le bon Coquelin fait triompher Cy-rano en France et à l'étranger, les directions se

Page 277: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

256 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

succèdent el lenlenl. en vain de décrocher à nou-

veau le succès; el. c'est sans effort, le sourire aux

lèvres, que Lucien Guitry s'improvisanf imprésario

triomphe «le la mauvaise chance. Le l'r no-

vembre 1001), il moule à la Porle-Sainl-Marlin,l'Assommoir, joué jadis à l'Ambigu, mais dont, plu-sieurs centaines de représentations semblaient

avoir épuisé la veine, et tout Paris se précipiteboulevard Sainl-Marlin : La « préposée à la loca-

tion •>. «|iii depuis Cyrano faisait d'inlerininables

crochets dans son guichet déserté, ne sait plusoù donner de la lèle... Ce spirituel el para-doxal Guitry s'amusait à jouer Coupeaii, el jamais

pins parfaite silhouette d'ouvrier bon enfant,

Iravailleur, sombrant peu à peu dans l'alcool el

finissant, sinistre, pur un effroyable- accès de

delirium Iremcns. ne lui présenh'-e au public : 1<;mot

de Sarah ISenilianll était justifié : « C'est le premierartiste «le la scène française. » Cela lient à ce

qu'en dehors «le ses rares dons naturels, Guitryest le plus sagace, le plus attentif, le plus «lécon-

ccrlanl des observateurs el «|lie jamais comédien

n'eut mieux «pie lui le privilège mi-rveilleux «le se

transformer; ce n'est pas seulement le vêlement,

qui se modifie, mais tout son être sembh; parti-

ciper an complet avatar qu'exige le personnageà représenter ; le dos se voûte, l'oeil s'éteint,la voix — si belle — se voile, se rogomise, si j'ose

«lire, la jambe traîne, les mains tremblent : c'esl.

un autre homme el. c'est cependant le même qui,

Page 278: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 25/

Î.IXIEX«JClïItV,ROLEHECOUPE.VUDANS« LASSOMMOIR».

22*

Page 279: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

258 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

dix minutes plus lard, fringanl, superbe, impcrli-ni'iil el cambré, nous présentera, impeccable, la

parfaite incarnai ion «le nos plus élégants cercleux!

Puis ce sont encore el loujours i\e^ re|irises :

le Bossu, la Tour de Nesle! le Courrier de Lyon,la Bouquetière des Innocents. Ions les vieux succès

de jadis el enfin Madame la Maréchale, «le l'excel-

lenl Louis Péricaud el A. Lemonnier: Gil Blas

permet d'admirer la jolie Mauil Amy. el Cadet

Roussel «le saluer en Jncipies Bîchepin une îles

espérances de l'avenir «lu LluViIre. Armand lîour,

original Cade! l',oussel. <! M"" Milzy-Dalli, une

Delvaporine adorableinenl jolie, s'y font Irèsjus-lemenl ap|dau«lir. Depuis, la Porlc-Saint-Mnrlin

semble s'endormir sur ses anciens lauriers. Il suffit

de relire son histoire pour ne pas douter «pi'un

jour prochain viendra où le phénix renaîtra «le ses

cendres !

Page 280: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

(Kau-lY.rtede.Martial.)LETHÉATliEDUGYMNASE.

TIIÉATBE DU GYMNASE

Le Théâtre de Madame. —Scribe et son théâtre.— Léon-linc Kay.—Avant, Vendantet.Après. — 1S:S0.—lîoull'é.— Laccnnire homme de lettres.— Arnal el le théâtrede Ouvertel. Lau/.annc.— Le Demi-Mondeelle théâtrede Dumas lils. — La première des Pattes de mouche.—

lléloisc l'aranquet et les collaborations anonymes. —

j|mc Pasea. —Frou-Frou el Aimée Desclée.— BlanchePierson et la Princesse Georges.— Andréa el les pla-giaires.— MonsieurAlphonse. —AL Lucien (uiitry. —

M.leMinistre.—Le Maitre deforgesel.M"10Jane Hading.— L'Abbé Constantin. — Michel Provins et Maurice

Donnav.

En 1820, la Restauration, plus clémente pour les

théâtres parisiens que ne le fui le régime impérial,

Page 281: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

260 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

concédaà M.de LaRosericla direction d'un théâtre

qui devait s'élever sur l'emplacement d'un cimetière

désaffecté, dépendant de l'église Bonne-Nouvelle.

Les architectes Rougevin et Gucrchy se mirent à

l'ouvrage et construisirent le théâtre du Gymnase-

Dramatique. Les « lettres patentes» qui lui furent

octroyées en faisaient une sorte de succursale du

Théâtre-Français cl de l'Opéra-Comique. « Les

élèves du Conservatoiredevaicnfs'cxercer sans pré-tention et sous les yeux d'un publicindulgentavanlde paraître dans un grand théâtre. » Le Gymnase-

Dramatique pouvait jouer, en conséquence,« toutes

les anciennes pièces du Théâtre-Français el du

Théâtre Feydeau, à la seule condition de les réduire

enuna-cle» ! Après une tentative avortée, cel essai fut

écarté définitivement, cl la nouvcllesalle, pimpante,

élégante, fut inaugurée le 23 octobre 1820, par la

Visite à la campagne (opéra en deux actes de Bou-

cher cl Guénéc), la Maison en loterie (comédie de

Picard, musique de A. Piccini)(M. Pcrlel débutera

par le rôle de Rigaudin) cl. le Boulevard Bonne-

Nouvelle (prologue d'ouverture), de Mélcsvillc et

Scribe, ce Scribe, l'auteur à la mode, qui venait de

s'interdire par traité la faculté de travailler pourtout autre théâtre que pour le Gymnase et quidevint pendant de longues années le fournisseur

attitré de celte aimable scène. 11 esl de mode

aujourd'hui de traiter Scribe par dessous la jambe.On le nie, on l'insulte, on le plaisante, on le dénigre,on lui refuse lout lai en L « Ce fui la mort du

Page 282: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 261

théâtre! » et l'on voit certains auteurs dont le nom

seul produit un effet pneumatique, qui n'arrivent

que par l'intrigue et la protection à se faire jouerdevant des banquettes, le juger sévèrement el dé-

clarer gravement que Scribe est le dernier des mal-

faiteurs ! sans compter ceux qui lui volent ses pièceset les refont. Quelques écrivains de haut talent

veulent bien avouer que ce fut un auteur de grande

valeur, spirituel, sachant son métier comme pas un,

ayant écrit deux cents pièces, qui foules ou presquetoutes contiennent des idées à foison, sont vivantes,

gaies, mouvementées, rien n'y fait, et Scribe-est

de ces morts qu'il convient de tuer de temps en

temps. Nos pères n'en jugeaient pas ainsi, e.t pen-dant de très longues années Scribe fut honoré,

applaudi, encensé. Lui-même avait le culte de son

talent. Un charmant artiste, M. Masset, professeurémérile et érudil, nous coulait avoir vu, présentés

par M. Scribe lui-même, une série de tableaux qui

reproduisaient d'éloquente manière ses luttes et

ses triomphes.c<C'était d'abord : « M. Scribe enfant, chez son

père le marchand de la rue Saint-Denis, à l'en-

seigne du Chat Noir»; —puis, « M. Scribe entrant

au collège Sainte-Barbe » ; — « M. Scribe entrant à

l'Ecole de Droit » ; —« M. Scribe entrant à l'Odéon,

jeune, pâle et rêveur, avec un manuscrit sous le

bras » ; — « M. Scribe entrant à l'Académie Fran-

çaise » : c'élail la plus remarquable de ses nom-

breuses «entrées»; — el, enfin, le lableau-apo-

Page 283: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

202 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Ihéose : « M. Scribe accompagné de M'"° Scribe,

descendant le perron de leur hôtel, rue Pigalle, cl

s'appi'êlanl à monter dans leur calèche, dont leur

valet déployait le marchepied. » — C'était le

triomphe de M. Scribe arrivé à la fortune par son

travail cl son talent! »

En 182i, MM. de La BoserioelPoirson obtiennentde la bienveillance de S. A. R. la duchesse de

Berry l'autorisation «le placer leur Ihéâtrc sous sa

protection, et 1<; Gymnase -Dramalhpio échangeson nom contre celui de The'àfre de S. A. II. M'"' la

duchesse de Berry; un médaillon de la prin-cesse incrusté dans la boiserie du foyer publicattestait la reconnaissance du Ihéâtrc pour son

auguste proli'clrice. La troupe accompagnait sou-

vent l'Allesse Roysde. à la grande jalousie des

Ihéâtres rivaux, dans ses déplacements. Elle se

composait alors de MM. Bernard Léon, PcrleL

Numa, Legrand, Allan. Potier, Ferville ; M""'5 Es-

Iher. Diiniénil. Virginie Déjazel, Jenny Yerlpré,Léonline Fay: la petite Léonline Fay, âgée «leonze

ans, arrivait en France précédée d'une réputationcolossale conquise en Allemagne. Elle débuta dans

li Petite-Soeur, et pendant.onze ans Paris lui fil fêle.

Sa renommée contrebalançait celle des Talma, des

Perlel, des Potier ! Le Mariage enfantin fui. un

triomphe; le Gymnase connut d"li«;ureux jours el

encaissa de formidables recettes.

C'était le théâtre attitré des mères «le famille, des

jeunes filles et des collégiens. Le spectacle était

Page 284: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES BOULEVARDS 2(>:j

moral, honnête el d'un bon exemple, puisque l'on

y glorifiait ceux qui, suivant le joli mol de Sardou

dans la Famille Benoilon, « donnaient l'exemple de

Page 285: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

21)1 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

la fortune ». La bourgeoisie parisienne était recon-

naissante à Scribe cl à ses collègues de leur offrir

cel aimable miroir où seules leurs qualités se relié- •

laientde si jolie façon, el le théâtre de, Madame fut

plus que jamais à la mode.

Déjazel y joua les travestis pour la première fois ;on la destinait à épouser Léonline Fay dans le Ma-

riage enfantin, el le dircetcurdu théâtre de Madame

l'avait l'ail revenir de Bordeaux, se souvenant des

succès que la petite Virginie avait obtenus au Vau-

deville dans la Fée Nabote.

Le public s'amusait de ces deux miniatures vi-

vantes, et les ailleurs travaillaient pour c.ccoupl<;mi-

gnon, <|iii se fil applaudir dans les Deux Collégiens.la [''amitié normande, le Plus Beau Jour delà vie. etc.

Ce n'est que lorsque le Gymnase, modifiant son

répertoire, abandonna le genre gai pour donner

des pièces mélancoliques, que Déjazel le quitta.Un tableau dressé en 182'i. el «pii nous présente

un résumé «le l'histoire tli«''âfral«; de l'année, nous

apprend quelles pièces furent jouées sur la scène

«lu Gymnase el. «pielle fut leur fortune ; nous cite-

rons, avec les amusants commentaires qui h;s ac-

compagnent, les litres suivants :

« 15 Janvier : Pierre et Marie, imitation de l'alle-

mand, succès à la française ; le Coiffeur el le Perru-

quier, grand succès le second jour; le Oui des

jeunes filles, succès d'amis ; Ouriha, petit drame bâ-

tard, demi-chute; 2 avril : la Mansarde des artistes,

par MM. Scribe, Dupin el Werner, intrigue mes-

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LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 265

quinc, déluge d'esprit, succès; 2 juillet : le Dîner

sur l'herbe (par MM. Scribe cl Mélcsville), tableau

usé, succès de juillet ; 16 septembre : Coralie (par

MM. Scribe cl Mé-

lcsville), beaucoup

d'esprit, beaucoup

d'amis, succès à la

Scribe. »

Le 6 février 1827,

la Iroupc du théâ-

tre de Madame

joue le Mariage de

raison, au Palais-

Boyal, (levant la

famille royale, sur

un théâtre monté

dans la grande £>a-

lerie par les soins

des Menus-Plai-

sirs, nous apprendLa Bédollière.

En 1827, E.

Scribe et G. Dcla-

vigne donnent le Diplomate, comédie-vaudeville

en deux actes, très gaie, très spirituelle, mais où

se trouvent quelques couplets qui feraient sourire

aujourd'hui, témoin ce Choeur de chasseurs :

Nous avons avec gloireKéduil aux aboisLe léger chamois.

23

Page 287: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

266 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Pour chanter la victoire,Que le son du corRetentisse encor.

lit ça se chantait sur un air de Moïse !

En 1828, un incident se produit, «|ui inier romptles excellentes relations des Tuileries et «lu théâtre

de Madame : un vaudeville de Scribe el Rougemonl,

Avant., Pendant el Après, enthousiasma le publicfrondeur «;f libéral el, par contre, déplut fort à la

Cour. C'était une peinture un peu nar«|uoise delà

société française sous l'ancien r«\gime, sous la

Terreur el sous la Restauration. Un couplet sur-

tout parut absolument, incorrect, 1<;voici :

Un vieux gentilhomme apprenait «pi'un simple

soldai, aujourd'hui maréchal «le France, épousait,une très noble ji'iine, fille. Il en témoignait, une

profonde surprise : c'est alors qu'on lui chaulait :

Maisce Raymond dont votre esprit se railleKl «lui partit son paquet sur le dos.Lui qui jadis, au quai de la Ferraille,Fut, grâce à vous, rangé sous nos drapeauxKl, malgré lui, forcé d'être un héros,Eut bientôt, pris sa gloire en patience...Klde soldai, mon beau-frère RaymondS'est trouvé duc cl maréchal de France.

I.KVICOMTE

Et de quel droit"?

LECIIKVALIEII

Par le droit du canon !

Page 288: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

I.ICSTHÉÂTRESDES BOULEVARDS 267

Ici l'enthousiasme devenait indescriptible : des

manifestations se produisaient chaque soir: la no-

blesse était

attaquée de

front dans

ce vaude-

ville subver-

sif, représen-té au théâtre

«le Madame !

Ce théâtre

allait perdreà la fois el

la bienveil-

lance royale«M.j iisqu'àson titre,

dont il était

question de

le dépossé-der. Les in-

fortunés directeurs lullaient de leur mieux, pro-testant tic leurs sentiments inaltérables el respec-tueux: les journaux polémiquaient et le Pavillon

de Marsan intriguait-; les coups «le canon de la

Révolution de 1830 résolurent, brutalement la ques-tion. La duchesse de Bcrry dut quitter la France,el le théâtre de Madame redevint le théâtre du

Gymnase cl conserva la faveur du public. Sa troupe

comptait un grand nombre d'artistes de talent, et

1IOLWÉ.

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268 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

aux noms déjà cités il convient d'ajouter celui de

Bouffe', ce remarquable comédien qui, mieux que

personne, possédait le don si précieux de s«; modi-

fier, «le se transformer : aujourd'hui Michel Perrin,

l'inconscient policier, l'ancien Oralorien, camarade,

de Fouché; demain, le père Grande! «le la Fille de

l'Avare, Pauvre Jacques faisant pleurer loulo la

salle en chantant des couplets, dans le genre de

celui-ci (air de Téniers) :

Depuis vingt ans «me.je vis d'espérances,J'ai vu venir en mon pauvre réduit

liOI'1-TÉ(l'.oll.Tlion11.Lui-iniile).

Page 290: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 269

Chagrins, tourments, misères et souffrances,Besoins affreux, el loul ce qui s'en suit.Des maux humains j'ai vu toute l'escorte.

Aussi maintenant, sans frayeur,Je vais ouvrir quand on frappe à ma porte...

Je n'attends plus que le bonheur!

El enfin Joseph,du(?«-min de Paris, ayant

quinze ans et les pa-raissant ; cet étonnant

acteur Proléese plai-sait à représenler ilans

la même soirée un

polisson jouant à la

toupie el le vieil

avare Grandet. Ce fut

Bouffé «[iii cul. l'hon-

neur de conduire pourla première fois sans

arrêts à \i\ centième une

pièce nouvelle, el

celle pièce fui le Ga-

min de Paris. C'osl à

la suite de ce succès

ci à litre de récompense nationale «pic le comi-

que Otlry permit à Bon Ile de le tutoyer.' Le char-

mant comédien Lafonl tenait avec la plus parfaite

élégance les emplois de « Jeune Premier».

La direct ion passait pour économe : en 1835, voici

<;equ'écrivait. Alphonse Karr dans le Monde drama-

23*

(CollectionII. l.ccointe.)IIOUITÉUASS« MICHELl'EISIILN»

Page 291: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

270 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

tique (t. Il, p. 30), en rendant compte d'une piècede Bavard :

Au Gymnase, voici ce qui se passe dans le salonîankin, à moins «|UP,ce ne soil dans le salon vert : ma

îiéinoiie me sert mal,nais on peut être Iran-

piille. c'est dans l'unau dans l'autre: lotit lemomie sait que ce sonlles deux seuls décors

que se permet le lethéâtre du Gymnase,bien éloigné de tombercomme plusieurs de sesconfrères dans le char-latanisme des décors

propres et convenables ;jamais aucune poétiquen'a prescrit aussi sévè-rement t'unité de lieu

que le Gymnase se l'im-

pose à lui-même.

t lie ciiri«;use anee-

doloserallaehe'à celle

période : Lacenaire,

ce vulgaire assassin, avail, j<; ne sais pounpioi.

piqué la curiosité «lequelques contemporains ; bref,

ce scélérat, qui se larguait de littérature, était à la

mode : dans ses Mémoires, il regrettait de n'avoir

pas écrit pour le Vaudeville ou le Gymnase. « Com-

bien peut rapporter une pièce à succès"? interro-

gea il-il.

IIOLITÉKAXS« l.'<iXCI.EHAI'TISTE».

Page 292: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LAFOXTDANSLE« DANDY».

Page 293: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

272 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

— A quel théâtre?— Au Gymnase ?— Mille écus.— Mille écus! on peut vivre tranquillement pen-

dant un an avec une somme pareille. »

Puis, se reprenant el. étouffant un soupir :

« Non, non, il était, trop lard : dès «pie j'ai élé ca-

pable d'ébaucher une pièce, j'ai élé capable de

tuer... cl j'ai choisi le plus facile. »

Lacenaire laissa un drame en Irois actes, un

drame sur «îles Grecs»! Ce bandit avoua pluslard qu'il s'élail un jour présenté à l'IuMcl de

Scribe, avec l'idée «le le hier, puis de le voler.

Scribe connaissait vaguemenl le nom «le Lacenaire,collaborateur intermiflenf de «pielipies revues

théâtrales; il le reçut, et comme Lacenaire lui expo-sai! sa misère : « Tenez, mon ami, lui «fil Scribe,

prenez toujours <;es20 francs: ils vous permellronld'attenilre une meilleure chance... » El Lacenaire

rengaina son lire-point el empocha les 20 francs.

Allarocln;, d'ailleurs, lui reprocha ninèremenl.cet.

acte «le faiblesse : — •• Lacenaire, assurait-il, a

doublement, mérité l'échafaud, non seulement pouravoir assassiné un innocent, mais encore pouravoir

épargné M. Scribe ! »

En mai 18-10,une anecdob- nous montre de qimllc

façon était réglée la mise en scène correcte du

Gymnase : On répétait Jarcis l'honnête homme, et

Bocage parlait» l'anglaise, c'est-à-dire en tournant

le dosau spectateur, « ce plagiat,écrit Ch.Maurice,

Page 294: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 273

à qui nous empruntons ce document, dont les Co-

médiens de l'Actualité usent et abusent étran-

gement ». Delcslrc-Poirson engagea son pension-

naire à jouer à la française, face au public. El

Bocage s'y refusa en ajoutant : « C'esl mon système !— Cela se peut, répliqua le directeur, mais j'ai

engagé voire talent, et non pas votre système ! »

Et l'on continua à se parler sans se regarder, face

au public... à la française! N'est-ce pas vers celle

époque qu'un soir Gérard de Nerval demanda à

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274 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Méry quel étrange prétexte pouvait bien le pous-ser à revoir une pièce qui avait fait un four noir.

« Il y a dans celle oeuvre, riposta Méry, un manqueabsolu d'intérêt, qui m'amuse el me préoccupe! »

En 1842, desdifférends surgirent en Ire M. Poirson

et la Société des Auteurs, qui mil en interdit le

théâtre ; el M. Monligny prit, en 1844, la direction

du Gymnase qu'il devait mener à de si hautes des-

tinées. Monligny n'était connu jusqu'alors, dans le

monde théâtral, que comme auteur malheureux ;il avait, vers 1836, donné à l'Ambigu un mélo-

drame déplorable sous ce titre : Amazampo ou la

Découverte du Quinquina. M. Monligny engageaMM. Achard, Delafosse cl le merveilleux comédien

Geoffroy, un des plus grands artistes ayanthonoré la scène française el qui, après avoir

triomphé boulevard Bonne-Nouvelle, termina sa

glorieuse carrière au théâtre du Palais-Royal.

Achard, comédien amusant, gai, bon enfant,chanteur exquis, obtient le plus grand succès dans

t Aumônier duRégimenlàc Saint-Georges elLeuven.

11y chantait ce couplet qui donne une idée plaisantede celle littérature facile :

LAUMO.MElt

(Airde {aSentinelleperdue)

Honneur, honneur à l'Empereur,Qui pourchasse.

Les rois pour se mettre à leur place!Honneur, honneur à l'Empereur!

Cejoli chasseur,

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LES THEATRESDESBOULEVARDS 270

Cecharmant vainqueur,Pour un empereurN'est pas du tout flâneur.

II sait jouer fort polimentAuxjeux « of toi d'ià que j'm'y mette »;Un' couroim' va-t-elle à sa tête,Il sait s'en coiffer lestement;Il en possède un régiment,Il en a cent pour fourniment.

Achard triompha dans la Famille du fumiste ; il

semblait si heureux de vivre, il riait si bien et son

rire était si communicatif, si bon enfant que l'on ne

pouvait se défendre de l'imiter, gagné par la bon-

homie de ce gros garçon qui paraissait tant s'amu-

ser de ce qu'il contait gaiement au public ravi.

Une jolie et charmante femme lui donnait la

réplique, Jenny Colon, et l'on cite d'elle une ré-

ponse amusante. Un jour elle avait amené son petit

garçon dans les coulisses du Gymnase. Dupin ca-

ressait ce joli enfant : « Voilà, dit-il, un vaude-

villiste en herbe. — Quelle horreur! se récria

Jenny Colon, jamais de la vie! Je lui fais donner

trop d'éducation pour cela!... Nous en ferons un

nolairc.» Et Dupin ne trouva pas la réplique!La direction Monligny marque l'apogée de la

fortune du Gymnase. Les meilleurs écrivains y

apportent leurs oeuvres, la troupe est excellente.

Citons pour mémoire quelques-uns des succès de

celte heureuse période :

En 18'to : la Belle el la Bête, jouée par M",cRose

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276 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Chéri, qui devint plus lard M"1"Monligny.

En dédiant au fils de Bosc Chéri les Idées de

Mmc Aubray, A. Dumas fils écrivait : « Je veux.

mon cher cnfanl,

le dédier celle

comédie. M"1" Au-

bray, c'est la foi, le

dévouement, le

sacrifice : c.'esl ce

«pie fui Li mère. »

Celle; phrase ré-

sume la vie d«;celle

grande artiste, «piisut être une femme

admirable.

En 1840, le Gym-nase représenteGeneviève ou la Ja-

lousie Paternelle de

Scribe, avec M'"-'

Dose Chéri : le 5

août, Clarisse Ilar-

lowe, avec le déli-

cieux comédien Brossant, qui, jus«[u"en 1870,

au Gymnase commeà la Comédie-Française, devait,

avec un talent, une élégance sans pareils, tenir les

premiers rôles el laisser un ineffaçable souvenir;

en 18'i7, Une Femme qui se jette par la fenêtre,

par Scribe el Lcmoine

Le 15 janvier 18'«8, début d'Arnal dans Ce que

ACtIAIIDDANSLA«l'AMll.Li:HU1TMISTE».

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LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 277

femme veut, comédie-vaudeville en deux actes de

Duverl cl Lausanne.

Arnal y disait cet amusant couplet qui donne bien

l'idée de celle littérature spirituelle cl imprévue :

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278 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS,

Un délai à moi... Je n'en veux pas. Ma-

dame... Après avoir élé si indignement traité, ac-

cepter une grâce «h; vous, non... j«; m'en vais avec

joie... j'abandonne le quartier de l'Estrapade... je

vais dresser ma tente loin d'ici... aux Balignolles !

Je jette Paris entre nous... il y aura 900.000 âmes

entre la vôtre el la mienne... Jamais je ne remet-

trai les pieds dans cet affreux quartier... j«; respire•enfin! »

(AIR: Autempsheureuxîlei;iOh-valerie.)

Vous avezvu parfois, j'aime à le croire,Le hanneton, cet insecte naïf,Itourdônner un chant, de victoire.S'il rompt le lit qui le tenait captif !Heureux aussi d'un congé qui nie Halle,Du hanneton je comprends la licite

(Avecenthousiasme.<-o]»n>;mtsurmiejauih.-ni ;ii.-iUintl'autre.)

Je me dégasie en secouant ma patte: j , •,, . -, ,., ! , * bisKlje ni envole avec ma liberté ! )

1'.)avril 18'i0, début «l«;l'excellent comédien La-

foiilainc dans Etre aimé ou mourir, par Scribe el

Dumanoir ; puis, vinrent le Bourgeois de Paris,

le Collier de perles, Manon Lescaut avec Brossant,

Geoffroy, Rose Chéri.

Le 14 mai 1851, une troupe espagnole se l'ail ap-

plaudir au Gymnase, el. pendant plus d'un mois les

recettes dépassent 4.000 francs !

Le 23 novembre, le grand Balzac donne Merea-

det le Faiseur. Geoffroy y est admirable; mais la

pièce déconcerte un peu le public, habitué à de

Page 300: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

1.ICSTHÉÂTRESDES BOULEVARDS 27!)

plus aimables ouvrages. Le côlé violent, doulou-

reux, féroce du caractère de Mercadel effraye les

anciens habitués du théâtre de Madame; puis,

11.III!ISALZAC.

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280 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

dans le principe, il faut l'avouer, l'oeuvre était troptouffue : l'action disparaissait sous un amas de

détails, «h;s scènes faisaient longueur: bref, cet

ouvrage qui, émondé, resserré par d'Ennery, devait

plus lard et si jus-tement, triompher,n'eut pas le succès

espéré, et cepen-dant la première

représenla I i on

a v:i i I él é spl e n-

«lide, el. c'est les

larmes aux yeux

«pie (ieoll'rov avait

jelé :r.i public le

nom de Balzac!

Le 26 novembre.

George Snnil l'ail

ri'préseuler le Ma-

riage de Vietorine.

comédie en trois

acles délicieuse-

ment jouée par

Geoffroy, Bressanl.

Lafonlaine, Du-

puis, M""' Rose

Chéri el Figeac.Le 2onovembre 18o2, Un F'ils de famille, de Bavard

et Bié ville, obtient le plus vif el le plus mérité succès.

C'était gai, spirituel, intéressant el interprété de la

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I.ICSTHÉÂTRESDES BOULEVARDS 281

plus délicieuse façon par MM. Brossant, Lafonlaine,

l'excellent Lesueur qui devait tenir une si belle

place parmi les acteurs français, Prislon, M"leBose

Chéri et Mélanie. Et pemlanl plus de cent repré-sentations on vient applaudir celle jolie pièce sur

laipielle la Direction comptait si peu qu'elle s'était

contentée d'acheter aux revendeurs du Temple les

costumes de lanciers que «levaient porter les arlisb's

chargés d'interpréter celle oeuvre, charmante.

Le Dinars 18o:i, Emile Augier donne Philiberle

ou la Laide.

Le 13 septembre, G«;orge Sand se l'ail ap[ilaudirdans le Pressoir.

Le 14 novembre, Paris acclame Diane de Lysd'Alexamlre Dumas fils el, le 8 avril 1854, Emile

Augier el Jules Sand eau triomphent avec le Gendre

de M. Poirier, ce chef-d'ieuvre, joué par MM. Le-

sueur, Berlon, Dupuis et 11™ Rosi; Chéri ; puis,vinrent : les Coeurs d'or el le Chapeau d'un horloger«le M""; de Girardin, où Lesueur était si irrésis-

tiblement comique.Le 20 mars I8îj5, le Demi-Monde «l'A. Dumas

(ils, d'une originalité, d'une audace si nouvelles,

élonne, irrile, mais passionne. Rose Chéri, Figoac,MM. Berlon el Dupuis y sonl admirables el, aprèsune lutte un peu dure, le Demi-Monde réussit

définitivement ; el c«;lle remarquable comédie,

qui nous éloigne tant «lu vertueux répertoire d<;

jadis, amène la fortune au Gymnase. Citons

ensuite : Je dine chez ma mère, l'oeuvre charmante21*

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28'2 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

d:> Decourcelle et Lambert Thibousl : les Toilettes

tapageuses de Th. Barrière et Dumanoir; et. enfin

la- Question d'argent 31 janvier 1857; de Dumas (ils.

Ce n'est qu'un demi-succès: la pièce, l'orl originale,ne peut conquérir le public réfraclaire ; une polé-

mique s'engage entre le banquier Mirés, «pii se

sentait louché, el Dumas. Mirés encombre les jour-naux de longues diatribes, el Dumas lui décoche

celte simple riposlc :

MONCIIKHMn;b,

Je viens de lire votre article sur la Questiond'argent.Voilà qui est convenu : quand je ferai une pièce ver-

tueuse, j'irai vous demander des conseils, el, quandvous ferez une opération lionnêle. j'irai vous deman-

der des actions.Alexandre DIWIASlils.

Emile Augier qui, lui aussi, avait élé pris à

partie parle, turbulent banquier, écrit à son tour à

Dumas :

MoxciiKitAMI.

Votre lettre à Mirés est un chel-d'reuvre. Liant moinsformellement accusé que. vous par cet échappé de jus-tice, j'hésitais à lui répondre, un peu par dédain, beau-

coup par paresse.S'il faut tout dire, je complais bien aussi que la mou-

tarde vous monterait au ne/, cl «pie vous éleniueriez

pour vous el moi. Vous l'ave/, l'ait mieux que je ne

l'aurais pu faire. A vos souhaits.

EMILKAUCIKR.

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28i ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Dumas prend, le 18 janvier -1858, sa revanche

avec le Fils naturel, une oeuvre admirable el forte,

une des plus émues et des plus émouvantes de ce

maître écrivain. jVélail-ce pas un peu sa proprecause qu'il évoquait-, cl Clara Vignot m; l"avail-il

pas beaucoup connue? Le Fils naturel est applaudi

malgré son litre un peu révolutionnaire, et l'admi-

rable Rose Chéri, l'excellent Geoffroy, Dcrval el

Dicudonné obtiennent le plus justifié succès.

Puis viennent : l'Invitation à la valse, «le Dumas

père; l'Héritage de M. Plumet, de Barrière el Ca-

peiidu : /,'Autographe.«le Henri Meilbac; Cendrillon,

de Th. Barrière: un Beau Mariage u> mars 18."i!l),

par Emile Augier <*lFoussier: Risette, par Edmond

Aboul; Un Père Prodigue i'3 novembre 18.">!)!.parDumas fils, admirablement joué par La l'onI,

Dupuis. Lesueur, M""-'5 Rose Chéri et Delaporle.Lafonl él.ail un comédien tlélicioux. Dans la pré-

face charmante qu'il écrivit pour le Père prodigue.Dumas nous le décrit ainsi : « De loiiruurc élé-

gante el de mise irréprochable, senlanl d'une lieue

son gentilhomme* di*s champs de bataille el des

petits levers, saluant comme ceux de Fonlenoy,

grasseyant comme ceux de Cobh;ntz, l'oeil brillant,le nez droit, les narines ouvertes, la bouche en

co;ur. passant d«; temps en temps sa main nerveuse,

el fine sur son visage bien rasé afin de s'assurer

«pie pas un poil blanc ne venait le trahir, n'ayantses soixante; ans «pie la nuit ou le malin. » Quantau directeur Monligny, il ne pouvait se résoudre à

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LES THEATRESDES BOULEVARDS 28y

VICTOllIEXSAItKOU.

voir sa femme, l'ose Chéri, Iriomphcr dans ce qu'il

appelait les «drôlesses de Dumas ».

En 18G0, le Gymnase remporte un triomphe : les

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286 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Pattes de Mouche de V. Sardou amusent tout Paris,

c'est le premier véritable succès de cet admirable

anleur qui en compte tant et de si grands. La

pièce n'avait pas élé reçue au Vaudeville ; il est

vrai d'ajouter «pic h; manuscrit n'en avait pas élé

lu. Monligny, plus habile, avait accepté d'enthou-

siasme l'oeuvre nouvelle du débutant, dont Scribe

«•(insullé avait retourné au Gymnase un premier

ouvrage, Paris à l'envers, qui devait en grande

partie devenir Nos Intimes, avec ce simple mol

sur la couverture : «Ouel lliéàlre! Où allons-

nous ?»

En sortant de la première représenlalion, Scribe.

qui «huis le vestibule niellait son pulcM, fut abordé

par Lemoine, le frère <l<;Monligny. « Eh bien,

maîlre. voire avis?— Jolie pièce, c'esl. charmant ! De «piiest-elle?...— De ce jeune homme dont on vous a donné à

lire un manuscril. Paris à l'envers: vous lui avez

conseillé de renoncer au théâtre.— Alors, mon cher Lemoine, j<; me suis, ce

jour-là, joliment, trompé : c'esl d'un maîlre, répondit

simplement Scribe. »

Pendant, celle soirée où se jouait son avenir.

Sardou, nerveux, inquiet, la lèle pleine encore des

sifflets de la Taverne, n'avait pu rester en place:fiévreusement il arpentait les boulevards avoisinanl

le Gymnase. C'était le moment où se jouait le dernier

acte... cl Sardou trouvait, le temps long... «Je le

pensais bien, se disail-il, l'acle n'en lînil pas, je me

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LES THÉÂTRESDESBOULEVARDS 287

suis trompé... 11 est interminable, cet acte mau-

dit!» Enfin un spectateur descend les marches du

théâtre... «Il s'enfuit avant la lin, il s'ennuie pro-bablement; en tout cas, c'est le commencement «le

AI.KXAMll-.F.DUMAS1TI.S.

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288 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

la sortie.» Sardou se rapproche et se rencontre

avec «-et inconnu qui lui jette en le croisant :

<•Bravo,monsieur Sardou. «piel triomphe! >>C'était

l'acteur Berlon, le père de Pierre Berlon «pii«levai! créer nos Bons Villageois ; el c'est ainsi queSardou apprit le succès des Pattes de Mouche.

La série heureuse continue. Après les Pâlies de

Alouche, Sardou est «le nouveau acclamé avec les

Ganaches.

lui 1863, autre succès. A/b/?(/o,'/e.<l'OcL Feuillet,

où Lafonl est admirable.

En 1864, Dumas fils donne l'A mi des Femmes. Ce

«piasi-insuccès. Dumas l'expose el le «-nmmcnle

dans la préface de son o'iivre : «Celle comédie n'a

pas eu «le succès à la première représentation. Elle

s'est débattue ensuite pendant une quarantaine de

jours contre rélonnemenl, le silence, l'embarras

el ipielquefois les protestai ions du public. Un soir

même, un spectateur de l'orclieslre, plus sanguinou plus bilieux que les aulres. plus choipié en

tout cas. s'est levé après 1«*récit de Jane, nu qua-trième aide,cl s'esl écrié : <•C'esl dégoûtant! >Juge-ment vif! Ci; spectateur élail-il sincère? Oui. 11

î'nisaif partie de ce public «pie le Ihéàlre passionm;et <|ui applaudit ou si l'Ile sans raisonne!', suivant

l'impression «pi'il reçoit. > El il conclut, spirituelle-ment comme loujours. en déclarant qu'il faut

savoir la vérité : <•qu'il n'y a pas «le lin «lu monde,

«pi'il n'y a que des lins de monde, «pie les l«;mps

prédits sont proches, «pie Dieu a de nouveau pré-

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LES THEATRESDESBOULEVARDS 289

venu Noé et qu'il va falloir être avec les hommes

dans le déluge ou avec l'homme dans l'Arche ! »

Celle même année, le 24 avril, le nom de Sarah

Bernhardl étonnait

Paris pour la pre-mière fois, et ce n'était

pas à cause de son

grand talent, encore

ignoré, c'était sim-

plement à la suite

d'une fugue.Sarah brusque-

ment, sans motif,

qui liait le Gymnase,au lendemain même

de la première re-

présentation d'Un

m a r i q u i lance s a.

femme, de Labiche,

en laissant ce petitmol à Monligny stu-

péfié :

Ne comptez plus sur moi. —A l'heure où vous rece-vrez cette lettre, j'aurai quitté Paris.

Pardonnez à la pauvre toquée.SARAH.

Monligny ayant demandé à Sardou une pièce

pour l'été, le 25 juillet 1864 (on ne connaissait pasalors les relâches annuels) fui joué Don Quichotte,

23

MADA.MECÉLINEMO.NTALAND,DANS«DONQUICHOTTE».

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290 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

dans lequel Lesueur (Don Quichotte), Pradeau

(Sancho Pança) formaient un duo d'uni; étonnante

drôlerie, entouré «U;M"'os Pierson, Chaumonf et

de la si jolie Céline Monlaland qui, chose inouïe!

frisaiI au petit 1er ses longs cils noirs!

Le 21 janvier 1863, les Vieux Garçons «h;V. Sar-

dou, admirablement, joués par M"'"5Dolaporle, Pier-

son, Monlaland cl Chaiimonl, el MM. Lafonl, Ber-

lon fils, Lesueur, Francès el. Landrol, obtiennent

un énorme succès, el Sardou, réclamé par le

public enthousiasmé, est traîné de force sur la

scène par Lafonl. et Landrol.

« IIIIN«.iCICIIIJTTK» (THÉÂTRElit liY.MNASE;.

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LES THÉÂTRESDESBOULEVARDS 291

.MADEMOISELLESAliAIIUE1ISIIA1IDT.

Le 20 janvier 1866, Ilélo/'se Paranquel réussit

d'aulanl plus qu'une sorle de mystère planait sur

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292 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

la pièce. L'oeuvre avait élé anonymement apportéeau théâtre ; aucun auteur n'avait dirigé les répéti-tions ni réglé la mise en scène. — Enfin, le soir

même delà première représentation, l'acteur Arna

n'avait pu répondre aux acclamations inlerroga-

tives du public. Et les imaginations de s'exercer.

Ce n'est qu'au bout d'un mois que, l'on, eut la solu-

tion de l'énigme... el. encore celle solution était

inexacte. Un homme de lettres, inconnu ou à peu

près, M. Armand Duranlin, la donnait dans la bro-

chure de la pièce publiée sous son nom.

Page 314: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

l'hotoy.de liraun. 2u*MADAMEl'ASCA,D'AI'HÈSl.ETABLEAUHKL. UON.NAT.

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294 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

On s'est demandé, disait M.Duranlin dans sa préface,pourquoi j'avais mis un masque sur mon nom. Pourquoi ?C'est «|u'en donnant ma comédie au public j'ai voulu

que le public me donnât la sienne... Je l'ai entendu attri-

buer ce succès aux plus grands noms, aux plus vaillantes

plumes; merci !0 public! cher public! Enfant capricieux et gâté! Pen-

dant vingt-cinqans je l'ai crié mon nom avec mes drameset mes comédies, avec mes feuilletons el mes romans,et lu t'es bouché lesoreilles de peur de m'enlendre, lut'es fermé les yeux pour ne pas me voir.

Aujourd'hui, ce nom, dont lu le souviens si peu, je te

le cache un mois et voilà que tu le veux, voilà que lul'acclames : de l'ombre lu le jettes en pleine lumière.

AltMANI)DCHAXTIX.

Celle préface était un peu prétentieuse el hasar-

dée, car M. Duranlin n'y oubliait «pi'une chose;

signaler l'anonyme el génial collaboraleuripii, avec

sa maîtrise habituelle, avait récrit complètementune pièce incohérente, avait profondément modifié

el remanié un manuscrit boiteux, cl «leMademoiselle

de Breuil l'ail Jlèloïse Paranquct.

Ce collaborateur n'élail autre qu'Alexandre Du-

mas fils, el ceux «pii seraient tentés d'examiner

quelle pari fui la sienne n'auraient «pi'à ouvrir le

premier volume du Théâtre des Autres; foui s'y

trouve : les deux manuscrits el la légende de la

pièce. Iléloïse Paranquct, remarquablement inter-

prétée par M'u<-Pasca, Arnal el Pierre Berlon, fui

fort applaudie; M'"e Pasca y était admirable; elle

commençait par ce redoutable rôle la série de ces

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LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 295

grands succès, qui, pendant si longtemps, devaient

la classer au premier rang des plus admirables

artistes de Paris.

Le 3 octobre 1866, le Gymnase représenta les Bons

Villageois de Sardou, el ce fui du délire : c'était si

ilriMc, si amusant, si juste! Ces vilains bonshommes

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296 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

cauteleux, rapaecs, personnifiés par Grinchu,

Télillard, Floupin el consorts élaient criants de

vérité ! Arnal, Lesueur, Blaisot, Pradeau, Pierre

Berlon el Lafonl, M""'s Blanche Pierson. Céline

Chaumonl, Delaporle avaient su réaliser, avec tant

de charme, ou «le pittoresque, les personnages si

bien campés par le, spirituel Sardou, <|ue loul Paris

battit des mains aux Bons Villageois, qui furent un

îles gros siurcès du Ihéàlre.

A celle pièce «le gailé succéda une o;uvre de

philosophie el «le morale : les Idées de M""' Aubray :

une des thèses les plus audai-ieuses de Dumas.

Jouée le 16 mars 1807, l\i;uvro nouvelle fui dis-

cutée avec passion : la lâche était vraiment ardue;

«pie devait-on penser de celle M""'Aubray mariant,

au nom d<;la morale el de la foi. son fils iinupie et

adoré avec une fille, mère d'un enfanl sans père et

sans nom. La polémique fut âpre el. violente, mais

la pièce eut un vrai succès; elle élail d'ailleurs

défendin; par «le merveilleux interprètes : Pierre

Berlon y représentait la jeunesse, l'amour, l'enthou-

siasme; sa bonne grâce, sa dislinclion naturelle

l'aidaient à réaliser ce type «leparfait galant homme

rêvé par Dumas. La jeune fille séduite el honnête

malgré loul, c'était M"'' Delaporle, si réservée, si

candide; le bon raisonneur, celui qui, à l'exemple«lu choeur anlujue, commentait — avec.quel esprit !— l'étal «l'âme «lu public, c'élaif l'excellent Arnal,l'inoubliable interprète des Dnvertel «les Lausanne,«les Labiche et «les Bavard qui, vers la fin de sa vie,

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LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 297

avait assagi, modifié, transformé son merveilleux

talent el qui fut un « Baranfin » incomparable de

bonhomie, de douce raillerie, de sensibilité cl de

philosophie souriante. Le rôle charmant de Val-

moreau, le désoeuvré spirituel, enthousiaste, gai,bon enfant, et qui, si aimablement cl. de si galante.

façon, se transforme,

bcaimoup par admira-

tion pour M"'° Aubrayel. un peu par amour

pour les beaux yeux

dc.Ieannine,élaillenu

par Porcl, le bon cl

brave Porel, qui,aprèsavoir été un artiste de

premier ordre, aprèss'èlre, vaillamment

ballii en 1870 el avoir

élé blessé d'un celai,

d'obus, a dirigé avec

la plus ineonlcslabh; maîtrise le Ihéâtrc de l'Odéon

dont il écrivit l'histoire dans une langue nellc ci.

colorée, avec autant de science que d'esprit el dé-

goût. Nous retrouverons d'ailleurs, au théâtre du

Vaudeville, qu'il dirige aujourd'hui, ce spirituelartiste.

M1""Aubray, c'était M,n<!Pasca, et, jamais grandeartiste n'inlerpréla de plus haute manière le rôle

difficile, écrasant, qui lui avait été confié. U faut

lire le portrait que donne Dumas de celle admirable

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208 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

comédienne : « ... une des plus séduisantes per-sonnes que l'on puisse imaginer; des cheveux noirs

comme «le l'ébène, un feint mal el ambré, des yeuxnoirs brûlants et tendres, tragiques el caressants,couronnés «h; grands sourcils noirs loul. prêts de se

rejoindre à la base d'un nez fin aux narines légè-rement soulevées... C'est grâce à elle «pie M""!Au-

bray a eu la noblesse, l'éloquence, la persuasion

que, l'auteur avait voulu donner à celle ligure sin-

gulière toute «le tendresse, «le dévouement, «le foi,

d'idéal, el dont le nom, dans le souvenir de ceux

«pii ont. vu la pièc«;, est resté inséparable de celui

de sa IIère interprèle. »

Le triomphe de M"lcPasca fui complet, et autour

d'elle chacun eut sa part «lelauriers. Arnal. retrou-

vant les échos «les bravos «le jadis, avait double-

ment contribué au succès, car ce fui lui, nous

apprend M""1 Pasca, qui découvrit le mol de

la fin.

Après que M"'e Aubray a uni son (ils et celle fille

séduite, avant le baisser du rideau, on cherchait le

mol sauveur, le mol explicatif, le mol tampon, si

j'ose dire; c'est Arnal qui loul naliircllcmcnl le ren-

conlra : dans un silence, à l'une des dernières répé-

titions, se tournant vers M"1"Pasca : « C'est égal...c'est raklo ! » lui avait-il glissé «huis l'oreille.

Dumas avait entendu... Mais le voilà, le mol

cherché! s'écria-l-il. Merci, mon cher Arnal, mon

très précieux collaborateur... A l'exclamation «le

Valmoreau : « Ce que vient, de faire M"10Aubray

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LES THEATRESDES BOULEVARDS 299

AIMEEDESCI.EE.

Page 321: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

300 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

esl admirable ». vous riposterez par votre phrase

si juste :— C'est égal, c'est, raide! »

C'esl ce même Arnal qui disait encore à

M",u Pasca :... « Plus vous aurez mérité le succès

au théâtre et plus vous aurez peur !» Dumas avait

synthétisé d'un mol la silhouette de M"10Aubray :

«Une illuminée, avec, pour mot d'ordre, le vers

de Polycucle :

Je vois, je crois, je sens, je suis désabusée. •>

En 186S, le Gymnase donne Fanny Lear de

Meilhac el Halévy, le Monde où l'on s'amuse de

Pailleron, et enfin Séraplnne de Sardou. Ce fut un

grand succès, mais il n'alla pas sansbien des difficul-

tés : — Le premier litre de la pièce élail : la Dévole,

et la censure en exigea le changement sous pré-

texte que celait une allaipic directe contre l'Impé-

ratrice !— puis on dénonça l'orthographe espagnolede « Serafina ». Enfin, après mille difficultés, la

pièce triompha le 29 décembre. M1""Pasca jouait

Séraplnne avec sa maîtrise habituelle; Mmt'sAnlo-

nine, Magnier el Angclo, MM. Pujol, Pradeau,

Landrol el P. Berlon complétaient un ensemble

remarquable.1869 esl l'année de Froufrou et le triomphe de

celle autre admirable comédienne, Aimée Desclée.

Ludovic Halévy qui, dernièrement encore, nous en

parlait avec toute sa verve et loute son admiration,

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LES THEATRESDES BOULEVARDS 301

la définissait d'un mol : « Dcsclée, ce fut tout

le théâtre moderne. » Dumas, en 1867, l'avait

découverte au théâtre du Parc, à Bruxelles, où elle

jouait Diane de

Lys, el il dut

forcer la main à

Monligny pourlui obtenir au

G ym n a s e u n

engagement dé-

risoire ; sans

grande confian-

ce on lui donna

un rôle. Elle ob-

lintun triomphe,et voici la jolielettre qu'elle en-

voyait au sortir

de scène à Du-

mas, qui n'avait

pu assister à ce

début : « C'est

fini. Ouf! J'avais «le belles robes «Je toutes les cou-

leurs, une aigrette dans les cheveux qui me faisait

ressembler à un petit chien savant... La salle archi-

pleine... On m'a sifllée au premier acle, cl on m'a

l'ail une ovation au cinquième...» Et ses succès ne

ce comptent plus.A Froufrou succède Fernande, représentée le

8 mars 1870. Celle remarquable pièce, une des

2G

.MADEMOISELLEMASSIX.

Page 323: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

302 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

plus complètes de Sardou, était interprétée parM""s Pasca, Anloninc el Massin, MM. Pujol el Lan-

drol; son succès fut interrompu par la guerre,mais pendant la Commune Raoul Rigault en

demanda la reprise au régisseur, le brave Dcrval :

« C'est une jolie pièce, «lisail-il, il va dedans une

fille perdue. »

La Visite de Noces se joue le 10 octobre 1871, el

celle pièce dure, violente, mais remarquable, sou-

lève des polémiques sans nombre que Sarceyrésume ainsi dans sa chronique du Temps : « Je

neveux pas qu'on m'agace, est-ce entendu? Dumas

me l'ail, delà monde loiille temps, je la trouve justeet m'en vais moins bon «pie je, ne suis entré. »

Quanta Désolée, elle est acclamée dans le rôle de

M""' de Morancé, où «die semblait jeter dans le

« Pouah ! » final toute l'amertume qu'elle avait dans

le coeur el dont débordent ses admirables lettres.

Car c'était bien son passé, son âme, ses déboiri's

el ses hontes (pi'elle livrait au public dans celle

soirée ; de là ce regard indéfinissable qui inlerpel-lail, chaque spectateur en se fixant sur fous.

« comme pour faire tous ceux qui se trouvaient là

responsables des failles commises. »

A la Princesse Georges, applaudissements, sif-

flets, protestations, scandale; celle pièce, écrile

en trois semaines au plus, fui très disculée el très

défendue. Elle était servie par une rare interpré-

tation, une unique collection de jolies femmes :

M"1" Dcsclée, Pierson, Massin, Fromentin et

Page 324: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

IJCSTHEATRESDES BOULEVARDS 303

Bedard; MM. Pujol, Landrol et l'excellent Francès

complétaient ce remarquable ensemble. Dumas

trace de M"'" Blanche Pierson, représentant la

jolie comtesse

«le Terremonde,

cet exquis por-Irail : « Ceux

qui l'ont v u e

n'oublieront ja-mais "l'eut r é e

«le M"'- Pierson.

celle opulentechevelure quisemblait faite de

rayons «lesoleil

enchevêtrés el

nallés les uns

dans les autres,ces yeux bleus,

bleus «le Chine,

à rellels métal-

liques, brillants

sous l'arcade sourcilière, des sourcils comme des

éclairs sur un étang glacé, ce nez droit el fin

comme celui des figurines de Tanagra... ces lèvres

humides el rouges comme le piment, dont le sou-

rire, légèrement relevé à gauche, découvrait des

«lents dont la blancheur et la régularité sem-

blaient moins faites pour le baiser que pour la

morsure. »

.MADEMOISELLEIIL.PIF.ItSON.

Page 325: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

304 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

A la Princesse Georges succède, le 16 jan-

vier 1873, la Femme de Claude, qui n'obtient pasle succès attendu. La pièce, admirablement jouée

par Desclée, paraît trop sérieuse, trop noire ; et

puis il flollailsur ces trois actes comme une vague .

odeur d'espionnage el de trahison. L'âme fran-

çaise, encore toute blessée des horreurs de la

guerre, entendait avec peine parler de secrets ar-

mements, d'explosifs inconnus, de poudres de

guerre...C'élail une sorte de, prêche, plutôt qu'une oeuvre

dramatique.Le 17 mars 1873, Sardou donne Andréa, el là se

place un des mille petits ennuis dont souffre loul

auteur renommé : un M. Cournier prolcslc :

« C'est ma pièce, démarquée par Sardou! »

« Ici, écrit Sardou dans sa brochure si spirituelleet si amusanle, Mes Plagiats, je n'étais pas seul,

j'avais un complice, Monligny.« Cournier disait : « J'ai remis à M. Monligny un

« manuscrit, le Médecin de son honneur. Monligny<<l'a communiqué à Sardou, quia fait Andréaa\ac

« ma pièce. Après quoi Monligny m'a rendu mon

« manuscrit refusé! » — Cournier ne se bornait pasà déblatérer contre nous sur la voie publique et

à nous cribler de petites noies injurieuses dans les

journaux. Il avait publié un fort mémoire. U nous

assigne, Monligny el moi, par devant le tribunal de

commerce... J'arrive avec mon manuscrit, Monli-

gny m'accompagnait. Cournier a la parole. Il for-

Page 326: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 303

mule son accusation ; puis le juge, M. Mercier, se

tourne vers moi :

« — Que répondez-vous à cela?

« — Un seul mot: je prie M. Cournier de vouloir

« bien nous dire à quelle date, précise le manus-

« crit de sa pièce a été déposé au Gymnase ?

« — Oh! dit Cournier, là-dessus il n'y a pas le

« moindre doute, voici le reçu ! C'esl le 16 dé-

« ccmbre 1872.

« — Eh bien, dis-je, voici des affiches, des pro-« grammes el des comptes rendus américains éla-

««blissant que ma pièce, destinée d'abord à

« l'Amérique, a élé jouée à New-York le 17 sep-« lembre 1872, c'est-à-dire trois mois avant que« M. Cournier eût déposé la sienne au Gymnase.« Donc, s'il y a un plagiaire... c'est lui ! »

L'affaire se termina par celle déclaration :

Je reconnais que toutes les situations et tousses détails

que j'ai cru avoir élé empruntés par M. Sardou à ma

pièce le Médecin de son honneur, et introduits par luidans Andréa se trouvent dans cette pièce jouée en Amé-

rique, trois mois avant la remise de mon manuscrit àM. Montigny.

M. CoimxiEit.

Six mois plus lard, M. Cournier écrivait à Sardou

pour lui proposer sa collaboration !

Celle môme année,le 26novembre 1873,Alexandre

Dumas donne Mo?isieur Alphonse : c'estun très grandet très justifié succès. Il n'y eut qu'un inconvénient,

26*

Page 327: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

306 ANCIENSTHÉÂTRESDE PAIUS

et Du mas l'avoue gaiement «buis sa préface :« J'étais

bien sûr, «piand j'ai eu l'idée de celte pièce, que

j'allais, si elle réussissait, déshonorer un nom de

baptême ». el il le déshonora, sans «pie. toutefois.

MM. «le Bolhschild, de Neuville, Daudet, Duver-

noy, etc., se sentissent atteints, ni «pie tressaillît

l'ombre de Lamartine.

Monsieur Alphonse e\\\ un grand el mérité suc«:ès.

Frédéric Achard, le fils <!<;l'excellent arlisli; si

aimé autrefois à Paris, le frère de Léon Achard «pii

faisait les beaux soirs de l'Opéra-Comique, y fui

parfait, el aussi Alphonsine, «pii, après avoir joué si

longtemps les nMes de princ«*sses de féerie, réalisa

à merveille le type de M"1"Giiiehard. grossi; feninn:

sensible, commune, excellenle el émue. • Elle tra-

verse la pièce, «lil Dumas, comme un grand rayonde soleil. » Blanche Pierson et Pnjol complétaienlun ensemble remarquable.

Le 17 novembre 1875, Sardou donne Fércol, une

comédie poignante, où triomphe l'excellenlAVornis.

«pli reprend ainsi possession «le Paris après avoir

passé «le longues années en Russie : Lesueur, en

juré récalcitrant, y est. d'un comiipie admirable, el

Francès y crée de magistrale façon le rôle d'un

garde-chasse jaloux et assassin.

A celle, date, Frédéric Achard rt*prend dans

l'Aumônier du Régiment un rôle créé jadis par son

père ; en même lemps, Bouffé reparaît sur la

scène qu'il a tant honorée jadis el redonne quelques

représenlalions «le ses grands succès d'autan.

Page 328: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LESTHEATRESDES BOULEVARDS 307

Louis Leroy, l'écrivain charmant, «pli dépensait

tant d'esprit dans les chroniques du Charivari, fait

représenter le Charmeur ; à son habitude, Wormsy

est excellent; la pièce n'a qu'un demi-succès, mais

i"Hôtel C7o(/e/o<réussil

pleinement. Quoique

signée du seul nom

de Crisafulli, l'Hôtel

Godelol avait un il-

lustre parrain, Y. Sar-

dou, qui avait mis au

point, avec son ha-

bituel talent, celle

pièce légère cl char-

ma n Ie i in i Iée «1<

Goîdsmilh, The sloops

lo conquer, «pi'Edwin

Abbey a si merveil-

leusement illustrée.

Achard, Sainl-Cer-

main, Francès. M""'5

Legaull, jeune, jolie,charmante ; Lebon .

spirituelle, amusante: Prioleau, etc., jouaient

gaiement celle plaisante comédie.

Le 16 novembre, première représentation de la

Comtesse Romani : la pièce était signée Gustave de

Jalin, pseudonyme transparent désignant Gustave

Fould el Alexandre Dumas, qui avait emprunté le

nom de son héros du Demi-Monde. C'esl un drame

MADEMOISELLEIILAXCUF.PIEIISOXDANS« AXD1IÊA».

Page 329: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

:108 ANCIENSTHEATRESDE PAlt:s

dur, violent, avec des côtés «le tendresse el de

comique ; des comédiens y mêlent leurs amusantes

rivalilés, leur pittoresque cabotinage, à des élans

<le passion cl de jalousie. La pièce, admirable-

ment jouée par M"KSPasca, Worms, Dinelli, Hel-

mont. Bade elLcbon, MM. Saint-Germain, Landrol

elPujol, fui fort applaudie.En 1877, Bébé obtient un relatant succès. Sainl-

Gcrinaiii y était vraiment, impayable dans le lypesi spirifiiellcinenl amusant'de Pélillon. ce vieux

pion râpé, sournois, malin et ahuri, s'efforçanf «le

faire passer leur bachot à des fils de famille aussi

paresseux qu'ignorants. Francès. avec, sa fine bon-

homie, <Téc une excellente caricature du brave

monsieur absorbé par la lecture incessante îles

journaux quotidiens. M sDinelli, Lebon, Délia

sont les charmantes auxiliaires «le ci*s deux par-faits comédiens. Puis vient l'Age ingrat de Pail-

leron, où Tessandier illumine de ses deux grands

yeux noirs la scène «lu Gymnase.En 1878 une reprise «le la Dame aux Camélias

sert de début à Lucien Guitry, el «lu premier coupce 1res excellent artiste réalise les magnifiques

espérances que permetlail «leconcevoir le concours

«lu Conservaloin; oii le Jury ne lui avait cependantattribué qu'un second prix : L. Guitry se rappelle,encore avecunc joyeuseémolion l'inénarrable leçon

«pie lui firent sur la Dame aux Camélias Dumas fils,

d«''jà mûr, fatigué, un peu alourdi mais toujours

spirituel el charmeur, el l'excellent Monligny so-

Page 330: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES BOULEVARDS 30!)

lennel et moustachu : tous deux, affalés, enfouis

dans de profonds fauteuils de moleskine, voulurent

lui indiquer de quelle façon il convenait de jouer

la « scène d'amour ». — Monligny, les mains croi-

Page 331: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

310 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

sées sur sa canne, ventripotent et asthmatique, in-

carnait « Marguerite Gauthier». Dumas lançait de

sa voix molle les répliques d'Armand Duval, loul en

mordillanlson lorgon... et le débutant ahuri les con-

templait : «Voilà comme il faudra jouer, mon petit,conclut Dumas, mais... vous remuerez un peu plus

que nous! » Telle fut la première « répétition » «le

Guitry qui triomphe ensuite dans le Fils de Coralie,

où M"":Tessandier lui donnait merveilleusement la

réplique. Ce devait être le dernier succès de ce

parfait, directeur, grand honnête homme el habile

moiteur en scène qu'avait élé Monligny. Dumas

prononça sur la tombe de celui «pii fut son pro-tecteur cl. son ami un admirable adieu ; puisV. Koning prit la direction du Gymnase.

D'aucune façon, Koning ne sut remplacer Mon-

ligny : le vieux Gymnase élail mort avec s«m

ancien directeur. Koning, toutefois, élail actif et

intelligent. Une bonne reprise de la Papil'onne

permit à Paris d'applaudir celte oeuvre spirituelleel charmante qui, mal à sa place au Théàlre-Fran-

çais, n'y avait pu obtenir le succès qu'elle méritait.

Parfont, on province, à l'élranger, la Papillonne

triomphait; il fallut la représentation du 3 oc-

tobre pour l'introniser à Paris. Jacques Nor-

mand se fait 1res chaleureusemenl applaudir avec

l'Amiral, trois actes en vers, interprétés avec infi-

niment «le talent par Saint-Germain, Francès el

Leloir, ce Leloir «pie Paris devait fêler à la

Comédie-Française, où il tint d'ailleurs à faire

Page 332: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES BOULEVARDS 311

Page 333: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

312 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

reprendre l'oeuvre spirituelle de J. Normand ;

M"105Dinelli, Prioleau et Jane May étaient déli-

cieuses, el Détaille — c'est tout dire — avait

dessiné avec son habituelle maîtrise des uniformes

de cavaliers français datant de la glorieuse époque

où les hussards de la République prenaient au

galop les llollcs hollandaises emprisonnées par les

glaces à l'embouchure du Tcxcl. Ce fui une char-

manie soirée.

L'année finit sur la chute des Braves Gens,

quatre actes malheureux de Gondincl, el une

bonne reprise du Mariage d'Olympe, d'E. Augier,

où M"10Pasca et Saint-Germain furent acclamés.

Puis cesonl encore des reprises : Jeanne Granier

succède à D«;jazelet porte gaillardement l'élégante

épée de cour du duc de Richelieu :

On m'a prédit que je vivrai cent ans,

J'y parviendrai, pourvu <]ueje grandisse...

El nos pères sont loul. émus tic retrouver dans

celle spirituelle jeune femme le charme de la

délicieuse Déjazel, qu'ils regrettent encore.

Enfin Georges Ohnct donne Serge Panine, où

Mme Pasca crée d'inoubliable façon le rôle de

M"10Dcsvarenncs, celte femme du peuple en-

richie par son travail et son intelligence et «juin'hésite pas à brûler la cervelle du gredin titré

qu'elle a eu la faiblesse d'accepter pour gendre.

Serge Panine, c'était Marais, qui y fut très remar-

Page 334: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

l'HOJETDECOSTUMEl'fll.'ll« LAMIDAL.»

Page 335: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

3l-'( ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

«piaille. Puis Octave' Feuillet l'ait représenter un

Roman Parisien. M",ePasca, Marais, Saint-Germain

cl la si jolie M"c Volsy y obtiennent le plus mérité

succès ; malgré loul, ce n'est pas la réussite espérée,el l'an 1883 sera plus heureux pour le théâtre du

Gymnase, qui triomphera doublement, le 2 février,

avec Monsieur le Minisire de Jules Claretie et, le

15 décembre, avec/c Maître de l'orges de GeorgesOhiiel.

D'un roman «pii avait eu plus «le cinquante édi-

tions, Clarelie avait lire une pièce vive, spirituelle cl

alerle;c'élail,en outre, un véritable doruinenl surla

vie;politique: de notre temps, el la satire élail parfois

cinglante. Ce fut «Unis loult; la salle un frémisse-

ment d'aise et de malice «piaud pétillèrent les

plaisanteries sur les aléatoires durées <\e^ niinis-

lèr«*s. On riait à voir ridiculiser les pelils travers

de-nos grands hommes, l'on chuchotait des noms,

el l'on coulait «les histoires : Comme c'esl lui!— J'étais là quand on la lui a présentée ! On

éclata «le rire, en entendant Sulpice Yaudrey décla-

rer « «pie nulle pari, hors du ministère, il n'avait

entendu parler delà France » ! Le héros lui-même,

ce pauvre diable de Yaudrey, honnèle homme,

sans caractère et faible devant une femme, brail-

lard, politicien, faiseur d'embarras et défaiseur

•d'intrigues parlementaires, était si «nature»!

Mon cher ami Clarelie me racontait hier encore

les souvenirs si amusants qu'il a gardés «le Monsieur

.le Ministre. « Je me rappelle surtout Marais, excel-

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316 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

lent, vaillant, inspiré, me «lisant :« Je veux être

minisire des pieds à la lèle ! »— 11 étudiait son

rôle la nuit, dans son jardin. El Marie Magnier, si

élégante dans Marianne Kayser, el la jolie Eugénie

THEATREDUGYMNASE.—«LEMAITREDEFOKGES. Ht.coulaiO*H.eioccuCMI S

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LES THÉÂTRESl>ESBOULEVARDS 317

Lcmercier... Il y avait une scène délicieusement

jouée par Saint-Germain : — un ouvrier ébénisle,

réparant un meuble chez la maîtresse de Yaudrey,•se trouvait en face «lu ministre el lui parlait poli-lique. « Qu'est-ce que ça me fait que Yaudrey ouPiclmreau soif ministre!... le pain «*n vaudra-l-lldeux sous moins «dior? »...

Ce fui un franc el indiscuté succès, comme leMaître de Forges qui, pendant bien d«;s mois, (il ver-ser de «louées larmes. La pièce avait été jadis

présentée sans succès au Vaudeville el même à

la Comédie-Française, sous ce litre : les Mariages

d'Argent, el Georges Ohnel, désolé, découragé,voulait jeler au feu son manuscrit dédaigné.M1""Ohnel. eut l'heureuse volonté «le s'y opposer.Ohnel remania la pièce, el, l'on sait le triomphe

«pi'elle obtint au Gymnase. Qu'elle élail noble el

passionnée, celle Claire de Beaulieu, trompée

par le non moins noble duc de Bligny, et épou-sant par dépit le pauvre Philippe Darblay, l'éner-

gique maître de forges, à «pii d'ailleurs elle fermesa porte le soir même «lu mariage. Oh ! la tra-

gique situation! oh! le pauvre Monsieur! et

qu'il a raison plus lard «le résister à son tour

à sa toujours passionnée Glaire, «pii s'csl repriseà aimer cet homme ipi'ollo avait loul d'abord mé-connu. Explication, colères, défis, duel, récon-

ciliation, et les maîlres «le-forges détrônent défini-

tivement les Scnneville jeune colonel retraité,Ironie ans!) de M. Scribi*. Saint-Germain, le père

27*

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318 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

si lipide et repentant; Damala, qui physiquement

a loul ce qu'il faut pour tenir l'emploi «les séduc-

teurs; M1"" Jane Hading, aux belles attitudes,

el qui mieux que personne sait rendre à mer-

veille ces personnages de, convention, dont Gain;

de Beaulieu est la plus complète incarnation,

sont acclamés par une foule en «lélire.

C'est le grand triomphe, et la critique a beau

montrer les dénis, M. Koning, pendant de longs

mois, encaissera, chaque soir, « plus «pie le maxi-

mum », suivant l'ingénieuse note communiquée à

la presse.En 1884, la Ronde du Commissaire, une erreur de

Meilhac et Philippe Gille, n'a «pie «piehpies repiv-

scnlalions, alors que le Prince Zilah, «le Jules Cla-

relie, franchil.gloricuscnienl le cap «le la centième.

Jane Mailing esl fort applaudie: ses merveilleuses

«pialilés plastiques cl sa grâce hautaine sont mises

en pleine valcurpar un très habih* dramaturge, qui

a su utiliser jiis<|u'uux imperfections de sa belle,

interprète. Damala lui-même, «pii donne difficile-

ment l'illusion d'un Parisien, est parfait.en héros

hongrois; il a loul naturellement l'aecenl du per-

sonnage ! Sainl-Germain esl chargé «le la noli;

gaie, el c'esl 1res justement «pic celle pièce cu-

rieuse, émouvante et pittoresque, attire loul Paris

au Gymnase.L'année se termine glorieuscmenl avec Saphf.

Jane Mailing, Desclauzas, la jolie Darlaud, Da-

mala, Landrol, Raynard el Diiquesne font Iriom-

Page 340: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LESTHEATRESDES BOULEVARDS 31!)

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320 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

plier l'«eiivre si forte, si cruelle, si humaine, d'Al-

phonse Daudet. Ce n'est plus qu'en 1887 que le

théâtre retrouve un vrai succès, avec l'Abbé Cons-

tantin, lire par Hector Crémieux el Pierre Decour-

celle du roman «le Ludovic Halévy. Le père des

Petites Cardinal, renonçant au genre croustillant

qui pendant si longtemps avait l'ail la joie de Paris.

Iraça celle charmante figure de l'Abbé Constantin ;el Lafonlame, Marais, Noblel, M""'s Magnier. Des-

ciauzas, Darlaud el Grivol jouèrent d'exquise façonc«*lledélicieuse comédie, comme Madeleine Lemaire

avait, avec le plus rar«; lalenl, illustré le louchant

roman de L. Halévy.Celle «ouvre délicate et «huiee venait à son

heure, el ceux qui, si justement, l'applaudissaient,manil estaient «lu même coup contre les lendances

vraimmil par Irop réalistes, affichées par la nou-

velle école dramatique.— ^)\ie diraient-ils aiijour-

«l'hui?

En 1807Aboi llerinanl l'ail repiésenleraii Gymnasela Carrière. Ccflcnimnhlc comédie, rempliede trou-

vailles dr«Mes,réussit pleiuemenl, el Miiguenel nous

dessim; un grand-duc de Russie hurlant «le vérité.

En 1808, les Transatlantiques, lire «l'un «h; ses

romans, par le même auteur, n'obtiennent pasun «'gai succès: cependant celle curieuse pièceméritait un meilleur sort.

Alfred Capus, qui n'a pas encore trouvé l'admi-

rable formule avec laquelle il ensorcellera Paris,

donne, le 5 mars 1898, Mariage Bourgeois au Gym-

Page 342: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES IHEATRESDES BOULEVARDS 321

mise. Ai-je besoin de dire que celle comédie pétil-lante d'esprit et de verve est fort applaudie, mais

ce ne sont pas les triomphes prochains de la

Veine, de la Châtelaine. Cependant Mariage Bour-

geois l'ail présager M. Piégeois. dont nous faisons

l'amusante connaissance sous les traits de l'excel-

lent Numès. Il est déjà tenancier «le tripot... Mais

c'esl sa fille qu'il prétend marier, et non paslui. — Comme Rosine qui l'avait précédé, Mariage

Bourgeois est une oeuvre charmante, cl les person-

nages que Capus campe sur la scène sont «les êtres

M.LUDOVICHALÉVY1IAXRSONCAIÎIXETDETIÎAVAILA SL'SSY-EX-BHlE.

Page 343: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

322 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

complets, bons, comiques ou méchants, mais tou-

jours humains et toujours pittoresques. Le 6 avril

de la même année, Jules Lemailre fait représenterl'Aînée. On raconte que, lors de la lecture de sa

pièce faite par le spirituel académicien au Comilé

de la Comédie-Française qui pontifiait alors, —

Jules Lemailre, ayant observé son malveillant

auditoire," s'arrêta à la fin du second acte, referma

son manuscrit et prit poliment congé de l'aréopagede comédiens qui, de toute la hauteur de leur

talent, écoulaient, dédaigneux et distraits... « Je

vois, Messieurs, que je me suis trompé, excusez-

moi »... El il porta au Gymnase celte pièce char-

mante, étrange, une des plus originales qui aient

été représentées depuis bien longtemps.Henri Mayer composa avec infiniment de goût,

d'observation et de mesure, le rôle difficile d'un

pasteur dont sa femme fait, en dehors du dogme,«un sensuel»; cet excellent comédien donnait

enfin sa mesure et marquait sa place à la Comédie-

Française... encore la lui a-l-on fait trop longtempsattendre ! MM. Boisselol, Lerand, r\unies, Gauthier,jypnesYahne, Samary el surtout Suzanne Desprèssont les remarquables interprètes de celle belle

oeuvre. — Un acte délicieux de MM. Adorer cl.

Ephraïm, 1807, obtient un vrai succès et pro-mène dans tous les salons de Paris le brillant uni-

forme chamarré d'or des officiers supérieurs de

l'Empire; quand ces héros se niellent en mouve-

ment, ils ne sauraient s'arrêter en roule, et le

Page 344: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 323

colonel de Monlcornet ira promener son plumet

jusque sur la scène de la Comédie-Française...Le théâtre du Gymnase, héritier du théâtre de

Madame, a toujours porté bonheur aux colonels de

hussards ! . ,..

C'est en 1899 que le nom de M. Michel Provins

apparaît sur les affiches d'un théâtre du boulevard :

Dégénérés, représenté l'année précédente à la

Bodinière, esl repris au Gymnase. Tous les lettrés,

qui appréciaient le merveilleux talent de M. Michel

Provins, tous les lecteurs de ces amusants dialogues

pleins d'émotion, d'esprit cl de féroce observation,attendaient avec impatience ce sensationnel début

théâtral, cl Dégénérés réussit fort; Porel avait

demandé à l'auteur d'apporter quelques atténua-

tions à cette thèse sociale violente el satirique ;avec son habituelle bonne grâce Michel Provins yconsentit, mais sa pièce ironique el. mordante dut,

malgré loul, effaroucher les fantômes aimables et

musqués des héros de Scribe, «jui hantaient encore

les vieux portants, et l'on put, ce soir-là, mesurerl'abîme qui séparait le Gymnase du théâtre de

Madame! Dégénérés fut interprété par une pléiaded'artistes de talent, M'ncsMegard, Duluc, Toulain,MM. Grand, Chautard et Gauthier. On a dit, on a

même écrit : « M. Michel Provins restera toujoursFauteur de Dégénérés, il a trouvé un mot et une idée

qui caractérisent son époque. » — Une fois de plus« on » se trompait, et M. Michel Provins devaitdonner bientôt la preuve du contraire en faisant

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324 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

applaudir pendant plusieurs centaines de représen-tations le Vertige à 1"Athénée et dans toute la France.

Petit Chagrin, trois actes délicieux, de Maurice

Vaucaire, termine d'une charmante façon l'an-

née 1899, el Léonie Yahne, la jolie M"e Brésil,

MM. Gauthier et Dubôse s'y foui très justement

applaudir.Le 4 décembre 1900, première représentation de

ta Bourse ou la Vie, comédie en Aactes de A. Capus.Très gros succès... et puis, ce n'est pas la ««comédie

rosse », c'est une oeuvre de bonne humeur, où les

mots spirituels jaillissent comme des fusées, et les

bonshommes, joliment campés par l'auteur,.sont si

vivants, si vrais que dans la salle c'est un perpé-tuel éclat de rire : loul bas, on se chuchotle les

noms officiels des pantins s'agifanf sur la scène :

« Je l'ai vu hier, el il m'a redit les mêmes choses ! »

— « Je dîne avec lui demain, il sera-le seul à ne

pas s'être reconnu ! » Galipaux, Geniier et Dubosc

sont excellents, el M"u .Rolly est parfaite.— C'est

une belle soirée d'art et d'esprit.C'est le 31 octobre 1901 que Maurice Donnay fit

représenter la Bascule, et nous ne saurions assez

redire notre élonnemenl de voir que celle oeuvre

charmante, une des meilleures parmi les chefs-

d'oeuvre dus à cet admirable écrivain, n'a pas eu le

succès qu'elle méritait à lant de titres. C'esl un

éblouissemenl, un feu . d'artifice d'esprit dont

M"* Rolly et M.. Huguenel sont les remarquables« Ruggieri ». Le Détour, qui est en quelque sorte

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LES THEATRESDES BOULEVARDS 32o

la suite d'Yvette, de Guy «le Maupassanl, esl uni;

oeuvre puissante, et qui fait le plus grand honneur

à M. Bernstein. Ce fut le début au théâtre de

M""5 Simone Le Bargy, une artiste vibrante, pas-

sionnée, intelligente, «ju i, après avoir du premier

•coup, conquis la laveur du public, devait donner

toute sa mesure dans le Retour de Jérusalem et

dans la Rafale.Le 10 mai 1902, Romain Coolus l'ail représenter

Liiicetle, une comé«lie étrange, curieuse et vivante,

digne du grand lalenl. si original, de Fauteur.

L'année se lermine sur une nouvelle oeuvre, de

. M. Bernstein, Joujou, interprétée par Jeanne Cra-

mer, qui est à ce point bonne personne, qu'aprèsnous avoir si longtemps fait sourire, elle ne peutse résoudre à nous faire pleurer. L'histoire du

Gymnase en 1903 sera courte. Elle renferme deux

dates heureuses : elle s'ouvre, le 6 janvier, par le

Secret de Polichinelle, un petit chef-d'oeuvre d'émo-

tion, admirablement interprété par M"10Judic,

<lonl les cheveux ont blanchi sans que ses yeux.'admirables aient.perdu leur doux éclat, et parAL Huguenot, un comédien de la grande école et qui•sait — chose rare ! — se, renouveler à chaque créa-

tion. Le .3 décembre, Maurice Donnay fait repré-senter le Retour de Jérusalem, une oeuvre maîtresse,

qui, avec une rare audace, jette sur la scène," les

questions trop palpitantes «lu jour : c'est la lulle de^

•sémites el des antisémites; avec un sang-froid im-

perlurbable Maurice Donnay frotte impartialement.28

Page 347: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

320'

ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Féchine de nos aimables contemporains : chacun

écope « suivant son grade », et en écoulant celle

comédie si-forte,'une des plus complètes du théâtre

contemporain, songeurs, nous revoyions, mes amis

et moi, celte haute salle enfumée du Chat noir,encore vibrante des boniments hurlés par le

gentilhomme Salis : là, dans la vapeur bleue des

cigares qui rendaient plus mystérieuse la presqueobscurité de la salle, se profilait sur le carré lumi-

neux des ombres chinoises la silhouette d'un jeune

homme, à la voix chantante, aux cheveux crépus,aux yeux rieurs relevés vers les tempes, à la

japonaise : c'était Maurice Donnay nous disant :

Phryné ou Ailleurs. Et de quels bravos nous

savions saluer ces vers exquis, élincelants, où il

nous racontait les malheurs d'Adolphe ou le Jeune

Homme triste :

... Il fut reçu docteur en droit,

N'ayant jamais, à ce qu'on croit,Connu la ileur ni la fleuriste,El je ne sais rien de plus triste;Et, quand il voulut un beau jourMordre à la pomme de l'amour,U tomba sur une modiste

Qui le trouva tellement triste,Qu'elle le trompa sur-le-champAvec un professeur de chant

Qui possédait le genre artiste :Alors il fut beaucoup plus triste!...

El les chants du poète Terminus que nous fre-

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LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 327

donnions aux soupeuses étonnées remontant la

rue des Martyrs !....

Quand les doux parfums du soirComme d'un sombre encensoirMontent, de la terre brune,Nous regardons, en rêvant,Les nuages que le ventFait passer devant la lune

Les poètes vont rêvant,Les nuages vont crevant,Les averses lunatiquesNous percent de part en part,El c'est bien fait pour nous, carNous ne sommes pas pratiques...

Et c'est un délicieux souvenir que celui de ces

belles soirées d'art el de jeunesse où nous accla-

mions ce charmant Maurice Donnay, pour qui il

m'est 1res «louxde tresser aujourd'hui une glorieusecouronne avec des fleurs d'hier, un peu fanées peut-

être, mais loul embaumées encore de l'odeur du

printemps qui les vit éclore.

En ce moment., laltafale, de Bernstein fait, chaque

soir, connaître à cet heureux Gymnase les douceurs

du maximum. Puisse cet heureux état de choses

durer toujours! C'est la grâce que je souhaite aux

modernes caissiers du vieux théâtre de .Madame !

Page 349: Anciens Théatres de Paris - G. Cain
Page 350: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

YL'Lm*"iiiKATiu:ii)-;sVAKJKTK?MULEIKH;LK\AUI>

THÉÂTRE DES VARIÉTÉS

Le décret de l«07. — Le Panorama de Momus.— Le bou-levard Montmartre. — Le grand Potier. — La guerredes calicols. •— Déjazel. — lirunet et l'Empereur.—L'Année des Cendrillon. — Le retour de Louis XVIII.

Odry. — La Vie de Bohème. — Le Théâtre de Meilhacel Halévy. — M"" Schneider et José Dupuis. — LeNouveauJeu et le théâtre d'Henri Lavedan. — LaVeine.— M. de La Palisse.

Dans les premiers jours du mois d'aoûl 1806, un

décret impérial limita à huit le nombre des théâtres

autorisés à Paris el d'un trait de plume supprimaIons les autres, en leur accordant généreusemenlhuit jours pour fermer leurs portes, licencier leur

personnel, et mettre toute leur troupe sur le pavé!28*

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330 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

— C'était aussi inhumain qu'arbitraire. En dehors

des quatre grands théâtres (Opéra, Comédie-Fran-

çaise, Opéra-Comique et théâtre de l'Impératrice),seuls étaient tolérés la Gailé, l'Ambigu, le lliéàlre

«les Variétés cl le Vaudeville «le la rue, de Chartres;en revanche, la Porlc-Saiiil-Marlin, le théâtre Mo-

lière, le théâtre du Marais, le théâtre des Jeunes

Artistes, le théâtre Sans-Prétention, «pialrc ou cinqautres encore disparaissaient. De plus, l'Empe-reur avait décidé que les Variétés (ancien lliéàlre

Monlansier) quitteraient le Palais-Royal, où leur

voisinage déshonorait la Oomédic-Franeaise !

Il avait donc fallu s'exiler cl. s'installer provisoi-rement dans la salle de la Gilé, sur la rive gauche,vis-à-vis le Palais de Justice, sur les ruines «le

l'ancienne église Saiiil-Barlhéleiiiv (à l'endroit où

dînaient plus lard retentir les flonflons «lu bal «lu

Prado), pendant «pie l'architecte Célerier achevait

de construire la nouvelle salle du boulevard Mont-

martre, «pii coûta 009.003 francs; cl ce fut le

2'i juin 1807 «pie les Variétés ouvrirent leurs portesau public.

Dans le charmant volume, Notes cl Souvenirs,

«pic nous a donné Ludovic Halévy, se renconln;

un délicieux portrait de l'amusant père Dupin, ce

doyen des vainlevillisles, niori à qualre-vingl-dix-neuf ans. — Il fauLlire d<;«JIK;Iair il parle du bou-

levard Montmartre... « Les acteurs «les Variétés

avaient élé obligés de quiller la salle de la Mon-

ansier. Leurs vaudevilles avaie:-! plus de succès et

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LES THEATRESDES BOULEVARDS 331

faisaient plus d'argent que les tragédies du Théàlrc-

Frnnçais. L'<;mpereur rendit un dé«:rct qui leur

relira la salle du Palais-Royal... On leur permit de

construire une nouvelle salle sur le boulevard

Monlmarlri; !... In affreux «piarlier poui' un

lliéàlre !... (.'.'était presque la campagne : il n'yavait pas une seule de ces grandes maisons quevous voyez là. Rien que de petites échoppes à un

seul étage, des espèces de méchantes baraques de

bois et les deux petits panoramas du sieur Bou-

logne... Pas de trottoir... le sol en terre ballucentre

deux rangées «le grands arbres... Quelques vieux

fiacres cl cabriolets passaient de temps en temps.La campagne, enfin ! C'était la campagne! ! » Dupin

LAIIEVL'EDESliATTOHIS.

Page 353: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

332 ANCIENSTIIKATRIv-DE PARIS

d'ailleurs jugeait sévèremenl les hommes el les

choses ; rien pour lui n'existait en dehors du lliéàlre.

el il fallait l'entendre parler de Napoléon !...

« Celait un petit gros, l'air commun el qui n'aimait

«pie la tragédie! Ouelle horreur!... »

l/acleur Hyacinthe, qui appartint an Théâtre

des Variétés avant d«; se faire tant applaudir au

Palais-Royal, racontait à Halévy que, vers 1835,

venant à cheval des environs «le Paris, pour ses

répétitions, il attachait lui-même sa monture devant

la porte du Ihéâtrc, enroulant la bride autour de

l'un des arbres du boulevard Montmartre !

La pièce de début fui le Panorama de Momus

par Désaugicrs, Francis el Morcau. Toute la

troupe jouait, el «pielle troupe ! Cazot, Joly,Bruncl el M"'e Cuizol. M'"0 Mengozzi, elc, etc.

LETIIÉATUEDESVAIS1ËTÉSVEI1S1S20.

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LES THEATRESDES BOULEVARDS 333

ODItY,MOLEHELUCASDANS« I.ÉCOLEDUVILLAGE»,TI1ÉAT1IEDESVAltlÉTÊS.

Celle oeuvre curieuse cul un grand nombre de

représentations. BienliM Brunel el Odry complé-

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331 ANCIENSTHEATRESl)E PARIS

lèrenf cet. ensemble remarquable el, «le plus,

Brunel, l'idole «lu boulevard, fui adjoint à l'ad-

ministration «les Variétés. Ce fui lui cpii engageale grand acteur Polier, Lepeinlre aîné el Arnal,

complétant ainsi une incomparable réunion de

comédiens de la-

lent.

Polier, de l'aveu

de tous ses contem-

porains, fui le plus

remarquable ac-

teur comique «le

celle époque. L«'s

débuts de <-egrandartiste passèrent

presipu; inaperçusaux Variétés; mais

sa création du pèreF u mer on, dans

/'Inlrig <e du Car-

refour, le plaça vili;

au premier rang;ses appointementsétaient plus «pie

modestes; à celle

époque, où loul

Paris l'acclamail, Polier gagnait -1.000 francs par

an ! — El ses directeurs lui faisaient au jour de l'an le

«Ion généreux d'une douzaine île couverts d'argent. !

(.'.'est, je crois, à celle «laie «pie se place le déli-

Page 356: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LESTHÉÂTRESDESBOULEVARDS 333

cieux détail d'un engagement qui contenait celle

clause singulière :

« La claque fera son entrée à M. X... et continuera

d'applaudir lant que M. X... n'aura pas salué. »

Le 12 juillet 1817, grand tumulte aux Variétés.

MM. Scribe el Dupin donnent la Combat des

Montagnes, pièce d'actualité sur la concurrence

«pie se faisaient plusieurs magasins de nouveautés.

Un jeune commis marchand, M. Calicot, mousta-

chu, éperonné, bravacdie cl vantard, y était forte-

ment houspillé. La corporation tout entière se

crut visée el atteinte par celle inoffeiisive plaisan-terie, el. voilà la guerre allumée. Paris s'amusa

fort, «le celle bille comique et chantait un peu par-tout les couplets qui avaient allumé la discorde et

LECOMIIATDES.MOXTAI.NES.

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330 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

où l'on se riait des éperons l'haussés par M. Ca-

licot:

Ah! croyez-moi, déposez sans regretsCes fers bruyants, ces appareils de guerre,Et des amours sous vos pas indiscrets

N'effrayez plus les cohortes légères.Si des beautés dont vous causez les pleursNulle à vos yeux ne se dérobe,Contentez-vous, heureux vainqueurs,De déchirer leurs tendres «:o;urs,Mais ne déchirez pas... leur robe...

La vogue se maintint jusqu'à la fin de la Beslau-

ralion. C'est en 1817 «pie D«';jazi;f entra aux Va-

riétés. Elle joua Quinze Ans d'absence, puis tes Petits

Braconniers cl. enfin les Ecoliers en Vacances, où ell«;

eut la mauvaise chance «le remplacer avec succès

M"" Pauline; celle M"" Pauline avait, paraît-il, la

plus décisive influence sur Facteur Brunel, qui

dirigeait alors les Variétés, et Virginie D(';ja/.el fut

-sacrifiée.

M. Henry Lecomle, dans la précieuse et si com-

plète élude qu'il a consacrée à Déjazel, nous ap-

prend que son héro'ine, après plusieurs mois

-d'allenle, désespérant de changer les dispositionshostiles de son directeur, rompit son engagement.lin apprenant celle rupture, Polier d'il à Brunel,

qui paraissait s'en réjouir : « Tu fais une, grande

sottise, celle petite fille, ira loin. 11y a en elle

l'éloffe d'une grande comédienne. •>Polier n'était

pas seulement un admirable arlisle. il voyait juste.

Page 358: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES BOULEVARDS 337

20

Page 359: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

338 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

E'. c'esl alors que V. Déjazel, lassée, énervée, ac-

cepta un engagement en pr.ivince et partit pour

Lyon.Pourtant Brunel élail homme d'esprit :

M"e Flore, dans ses amusants Mémoires, si bien

présentés par'M. d'Alméras, raconte que, jouant

devant l'Empereur dans Cadet Roussel, beau-père, il

lerminail la pièce parcelle, phrase : <•N<;donnons

jamais rien à nos enfants, si nous voulons qu'ilsaient pour nous une reconnaissanet; «'gale à nos

bienfaits. >>

Brunel crut s'apercevoir qu'à ce moment Napo-

léon crispa son olympien sourcil ; aussi s'empressa-l-il d'ajouter, en faisant une habile allusion à la

naissaïuve ré«:enle du Hoi «le Borne : ... «excepté

quand nous pouvons leur donner un Imne».

Après avoir dit ces mots, il s'inclina profondé-ment ; l'Empereur alors se tourna vers la reine

Horlense, el lui «lit avec un grand éclat «le rire :

« Décitlémenl, Brunel esl un grand politique. »

Deux fois ce brave, Brune! donna ainsi, sans le

vouloir, une leçon à Napoléon.La seconde fois, ce fut à Gros-Bois, à la fin

«le 1809, chez Berlhier, prince «le Neufchâlel.

L'Empereur y élail. venu chasser. Le grand-maré-

chal, pour distraire l'Empereur tristement préoc-

cupé «h;son divorce avec Joséphine, avait organiséune représentation théâtrale. Brunel, joua M. Vau-

tour, puis l'amusante parade Cadet Roussel profes-seur de déclamation.

Page 360: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDESBOULEVARDS 33!)

Dans celle dernière pièce, Blanchel esl amou-

reux de Manon, lemiiie de Cadet Roussel, el s'est

introduit chez le mari sous le fallacieux prétexte

d'apprendre à déclamer la tragédie. On prévient

Page 361: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

3i0 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

Cadet Roussel : « S'il vient ici, c'est pour l'enlever

la Manon el le mettre dans le cas de demander ton

divorce. » El Cadel «le répondre : « Est-ce quevous croyez quec'esl pour le plaisir

«pie je me suis ma-

rié? c'esl pour le

solide; c'esl. pourne pas laisser finir

la perpéluilé de ma

famille ; c'est pouravoir des jirédéccs-seurs! >

La foudre lom-

banl sur le lliéàlre

n'eul pas produit

plus d'eilel. M. «le

Sainl-Cyr, inten-

dant, parlait de si;

passer sa clef au

travers du corps.L'audiloire élail

consterné. L'Em-

pereur contractait ses sourcils. Joséphine retenait

difficilement ses larmes.

Le rideau baissé, le maréchal Berlhier cl M. de

Sainl-Cyr se confondaient en regrets.

L'Empereur répondit simplement. : « Ceci me

prouve au moinsquc mon secret ne s'est pasébruilé,autrement ces bonnes gens n'auraient certaine-

Page 362: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES BOULEVARDS :m

ment pas débile ce que je viens d'enlendrc! »

En 1808, Cendrillon fut à la mode : on l'exhiba

sur tous les théâtres de Paris : à FOdéon. la Nou-

velle Cen Irillon de Perrin et Bougemonl ; à la

Gaîlé, la Fête de Perrault ou VHoroscope de Cen-

drillon, par Dubois cl. Brazier ; au Vaudeville, la

Cendrillon des Ecoles, par Chazet el Dubois, cl les

Six Pantoufles, de Darlois el Dupin; à la Porte-

Sainl-Marlin, Arlequin Cendrillon, par Hapdé ; au

théâtre des Jeux-Forains (salle Monlansier), la

Famille de Cendrillon, par Henri Simon; el, enfin,29*

Page 363: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

3'<2 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

Cendrillon à l'Opcra-Comique ; ce fui la seule

qui conlrebalanea le succès «le la Châtie mevvcil-

Page 364: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES BOULEVARDS 3'l3

leuse des Variétés, où Brunel jouait le rôle «le Cen-

drillon. On ne peut, paraît-il, se faire, une idée de

l'illusion «pie ce grand artiste produisait dans ce

mie. « 'foule sa personne élail, devenue femme et

même fort jolie femme », écrit Flore dans ses

Mémoires.

Polier triompha également dans le Ci-devant

Jeune Homme. Ce fui la mode à Paris d'imiler sa

toux broncliileuse, alors qu'il appelait son domes-

Page 365: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

3i'l ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

lique : « L..a Br..an...clic ! », ou son zézayement

plaisant pour répondre au tailleur venant lui livrer

une culolle collante : « Si j'entre dedans... je ne la

prends pas ! ! » el Potier retrouva l'éclalanl succès

«pii l'avait accueilli dans les Petites Danaïdes.

Polier se grimait, parait-il, d'élonnanle fa«;on ; il

suffit, du reste, pour s'en rendre compte, de par-courir les collections d'aquarelles qui le repré-sentent dans ses principaux mies. C'esl.merveilleux.— Dessinateur habile, il parcourait Paris à la re-

cherche «lu « type » qu'il comptait reproduire elle

« croquait «l'après nature ». Il ni; lui restait, plus

qu'à copier ses copies. — Le comique Perlef lui

donnait la réplique.Arrivent la chute de l'Empire el Fenlrée de

Louis XVIII à Paris. Flore en donne cet amusant

épisode : « J'étais avec nos camarades sur le balcon

des Variétés : ce qu'il y eut «le remarquable, c'est

qu'un de nos auteurs élail à la tète du cortège

(l'observation est bien «l'une actrice !) ; Marlainvillc,

à cheval, avec un panache blanc cl agitant un

grand sabre, nous salua en passant. 11eut l'air de

nous dire : « C'est moi qui vous le ramène ! »

Vers 1830, le foyer du lliéàlre des Variétés était

un des centres de réunions artistiques à Paris.

Les mémoires manuscrits de son père, que M. Ch.

Masset a bien voulu mettre à notre disposition,nous disent quelle aimable compagnie se réunis-

sait au théâtre. C'élaitPigaull-Lebrun, Désaugiers,

Béranger, Dumersan, Rocheforl. père, Mélesville,

Page 366: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LESTHÉÂTRESDESBOULEVARDS 37IV>

Fayard, Scribe, Carmouche, Théaulon, Darlois,

Dumanoir, Arvers el bien d'autres. On y riait

beaucoup, paraît-il, et facilement. Masscl raconte

l'histoire d'une de ces folies qui faisaient pâmer

LETHÉATIIEDESVAMÉÏÉSVEIIS1815.

Page 367: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

3-'ifi ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

les spcclaleurs. Odry jouait le rôle d'un vieillard

aveugle dans le Tyran peu délicat ou l'Enfant de

cinq ans mitel cl courageux! Après avoir imité le

vibremenl. célèbre del'acleur Marly, Odry chantait ;

la voix d'Odry élail, paraît-il, inouïe, chariva-

resque, stupéfiante, un grincement sans nom, el il

parodiait Duprez, le grand artiste de l'Opéra,

Page 368: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDESBOULEVARDS 3i7

qui venait d'obtenir un triomphe dans Guido el

Ginevra. Un air surloul avait soulevé la salle :

Quand renaîtra la pile aurore...

C'esl cet air qu'Odry soupira, et tle si comique, façon

«pie la salle, se tordant de rire, lui cria : Bis! bis!

Alors Odry mit la main sur son coeur, s'inclina, et

avec un clignement d'oeil particulier :— Je veux bien recommencer, dit-il, mais... ne le

dites pas au petit! [\c petit, c'était Duprez.)... 11sérail

jaloux !

Un détail amusant. : c'était Vaucorbeil cnfanl.

«pii fut plus tard directeur de l'Opéra, après le

règne de M. Halanzicr, qui jouait le rô'.e ingénu de

« l'enfant muet el courageux ».

Dans ses Mémoires intimes, M. Denormandie ra-

conle également quel esprit, quelle bonne grâce,

quelles drôleries se dépensaient chaque soir dans

ce gai foyer, plein de jolies femmes, d'aimables ar-

tistes et de spirituels écrivains. C'est là que Ro-

chcforl père raconta ce si joli mol de M"0 Beau-

mesnil de l'Opéra, répondant à l'offre de M. de la

Belynaie qui niellait à ses pieds « sa fortune et son

eccur » : « Je n'en accepte que la moitié! »

Le 14 janvier 1836, Frederick Lemailre, ayanl

rompu ses engagements avec les théâtres de l'Am-

bigu cl de la Porle-Sainl-Marlin, entra aux Variétés.

De Coarcy et Théaulon se réunirent pour écrire la

pièce de début de Frederick dans ce Ihéâtrc, dont le

Page 369: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

348 ANCIENSTHÉÂTRESDE PA1ÎIS

répertoire léger cl aimable contrastait si complèle-menl avec les drames à passion, les comédies aris-

lophanesques ou les noirs mélodrames qui se

jouaie.nl sur les scènes jusqu'alors illustrées parTimmcnse talent, du comédien. Assez adroitemcnl.

Théaulon avait, bâti un scénario qu'il annonçait en

ces termes au grand acteur : « La pièce est en cinq

actes el aura pour litre Kean ou Désordre el. Génie.

11y a de tous les genres, et je donnerais Ions mes

succès passés, présents et l'nlurs, pour que vous en

soyez content 1» (16 janvier 183ti). Le scénario de

Théaulon et de Courcy était, pittoresque, mais il

n'était pas complet. La collaboration d'un maître

s'imposait, el Alexandre Dumas récrivît la pièce, la

modifia, la remania. Kean, représenté le31 août 183ti,

obtint un immense succès, el Dumas put Iris

justement envoyer ce billet, à son prestigieux,

interprète :

.le vous écris ce soir, en rentrant, pour vous féliciterde tout mon coeur. Il y a longtemps que je vous ai dit

qu'à mes yeux vous étiez le seul artiste dramatique de

l'époque; je ne puis que le répéter. Adieu. Je vousambrasse et demeure tout à vous.

Alexandre DUMAS.

A l'inlérèt qu'offrait la pièce si ingénieusement

composée, s'ajoutait la curiosité que présentait l'in-

\. HenryLccointe.Uncomédienau XIX"sièc/e: Frederickl.e-maitre.

Page 370: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES TIIEATHESDES IJOLT.F-VAUDS 34!)

lerprélalion <lu rôle de Kean par Frederick. Il yavait tant d'affinité entre le talent el, aussi entre

les extravagances de ces deux admirables artistes

que ce l'ut un attrait de plus cl (pu; celle soirée,

redoutable pour le protagoniste de tant de drames,finit en apothéose. Une autre comédie se joua dans

la salle : on se souvient, de la laineuse tirade de

Kean sur les « journalistes vendus que l'impuis-sance de produire a jetés dans la critique; ceux-là

sont, jaloux de fout; ils llélrissenl tout ce qui est

noble, ils abaissent tout ce qui est grand... etc. »

lia traçant ce portrait sévère, Dumas visait direc-

30

l.ETMlUTT.KI)KSVAIUKTKSVKIIS1S2S.

Page 371: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

350 ANCIENSTHÉATHESDE PA1ÎIS

tcmenl le crili(pie Charles Maurice, dont l'évidente

mauvaise foi el la haineuse malveillance l'avaient

si longtemps poursuivi ; Frederick Lemaîlre, lui

aussi, avait été une des victimes de ce triste per-

sonnage; aussi l'avail-il nettement el personnelle-ment désigné en jetant à la salle frémissante ses

apostrophes vengeresses, el ce fut un gros scandale.

Kean remporta un beau el mérité succès, le seul

d'ailleurs que Frederick obtint aux Variétés. ApWs

deux autres tentatives avortées, le grand comédien

comprit que cotte petite scène cadrait mal avec son

impérieux talent, et Dumanoir, alors directeur,

résilia amiableinenl, en septembre 1837, le traité

qui liait. Frederick Leinailrc au théfilre.

Suivant la mode de l'époque, le chef d'orchestre

des Variétés, M. Massel, avait composé une suite

de petits morceaux de musique destinés à souli-

gner el. à accompagner l'entrée el la sortie de cha-

cun des personnages de la pièce. A une répétitionde Kean, Frederick interrompit un jour M. Massel.

par celle observation : « Pardon, monsieur le chef,

pardon, mais ces violons sont plus qu'inutiles, jeliens à n'avoir qu'un simple accompagnement...Le chant... c'est moi ! »

Un autre jour, que M"'"Atala Bcauchènc entrait

en scène sur un trémolo de finie, Frederick inter-

rompit de nouveau la répétition cl, très poli, cha-

peau bas : « Excusez-moi, monsieur le chef, dit-il,

mais pourquoi donc M"": Atala Bcauchènc est-elle

toujours accompagnée par la finie? Ne pourriez-

Page 372: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATHESDES IÎOIXEVAI1DS 351

vous avoir l'extrême bonne grâce, de lui f... un peude clarinette"? »

Le 28 octobre 1837, Bavard el Théaulon font

représenter le Père de la Débutante, un bijou d'es-

prit elde comique observation. A la même époque,les Variétés éprouvent le besoin de mélanger les

genres, cl une reprise des Cuisinières esl élayée

Page 373: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

352 ANCIENSTllÉATIiESI>EPAIIIS

par l'adjonction d'une Iroupe de danseuses espa-

gnoles qui initient Paris aux joies de la Cachucha !

Puis, c'est l'épique série des Saltimbanques el

des Trois Épiciers, qui immorlalisèrenl Odry.Il est à peu près impossible aujourd'hui de

comprendre la popularité dont jouissait un comé-

dien comme Odry en IS:S8.On l'imitait, on le copiait :

en lui prèlail des mois. <!es calembours: on lui en

dédiait. 11était d'ailleurs forl drôle dans Bilboquet,ce linlamarrcsque saltimbanque qui <>connaît

toutes les banques... sauf la Banque de France! »

On publiai! des Odriana, recueils de facéties, coq-

à-l'âne, bons mois, etc., de M. Odry. Une chan-

son, les lions Gendarmes, lui était chaque jourredemandée par une foule en délire, el nous ne

pouvons vraiment nous expliquer aujourd'hui en

relisant celle abracadabrante élucubralion le suc-

cès qui l'accueillit jadis.Un comple rendu du Mon-lc Dramatique (août

1838), déliait ainsi la première représenlalion des

Bayadères : « Jamais plus nombreuse el plus bril-

lanlc assemblée ne s'est pressée dans la salle des

Variétés. La musique élail représentée par

M",cDamoreau, ce diamant rare el. élincelanl entre

tous, el par M. Adam, l'auteur du Postillon, el l'on

remarquait dans uneloge despremières, voisine de

l'avant-scène, le peintre de la Bataille de Taille-

bourg, Eugène Delacroix, causant avec une jeunefemme au front poétique, au regard inspiré, dans

Page 374: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LESTHE.VITSESDESHOUEEVAIîDS 353

les traits de laquelle chacun rcconnaissail notre

grand écrivain, George Sand ! Ce soir-là, Duprezétait délaissé pour les Bayadères, Guillaume Tel!

pour le Malapou... » Ce l'ut d'ailleurs un four!

On ne saurait croire combien élaicnl parfois

naïves les pièces offertes à nos grands-parents.

Je cueille dans le môme volume du Monde Drama-

tique, à la date du 28 avril 1838, le compte rendu

d'un vaudeville représenté aux Variétés un jour de

bénéfice. Cela s'appelle la Voix de Duprez (le cé-

lèbre chanteur de l'Opéra était alors à l'apogée de

son succès). « 11 s'agil là-dedans de l'Elixir vocal

30*

«LESCEISIXIEllES»

S^-KNKXXVI.KnANçois(ÛI'NY).C'ESTSK5MAITHKS'

Page 375: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

354 ANCIENSTHEATRESDE PAIUS

donlon a lanlparléeldonlonparleencore àParis. »

Un « employé dans les bitumes », M. Gorinflof,

veut en user pour devenir un étonnant chanteur,

obtenir Yincomparable voix de Duprez. « Au lieu

de prendre le véritable élixjr,il avale du cirage à

bottes; au lieu de gagner une jolie voix, il perd sa

maîtresse, qui s'envole avec un milord anglais sur

un cbar-à-bancs pour aller se promener à ânes

dans les bosquets touffus de Montmorency. » El

le compte rendu ajoute, ce que je comprends :

« Pour la première fois, on a sifflé la Voix de Du-

prez, el celle bouffonnerie était, paraît-il, l'oeuvre

du célèbre Odry, l'enfant gfilé du public, celui-là

même qui, atteint de la manie des calembours,

répondait aux applaudissements d'un public ido-

lâtre : « Vous êtes tous des Gâte-Odry? » El l'on

s'esclaffait!... Heureux temps!C'est à peu près à la même date que le, compte

rendu d'une petite pièce, VInsomnie, se terminait

par ces mots: « M. Roche a l'ail ce qu'il y a d'en-

nuyeux dans la pièce, M. Comberousse le peu

qui s'y trouve d'amusant. » — C'est aimable !

Quelques années plus lard, Nestor Roqueplan,directeur des Variétés, ayant, à prix d'or, enlevé

Bouffé au Gymnase, adjoignit à cet artiste Dôjazet,

qui, pour une question d'appointements, venait de

quitter le Palais-Royal, el c'est une fructueuse

série de reprises ; puis des créations : Un Conte

de Fées, la Gardeuse de Dindons, la Fiole de Ca-

gliostro, et enfin Gentil Bernard, un vrai succès.

Page 376: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDESBOULEVARDS 355

A celle époque, nous apprend M. Lecomle, se

place ce curieux épisode. Lors d'une tournée

dans le Nord, Déjazet visitant à II am la prisonrenfermant le prince Louis-Napoléon, raconte ainsi

ses émotions : « Je m'arrêtai avec.intérêt devant

le petit jardin planté par lui, dont les fleurs sem-

blaient dire : « Nous aussi sommes prisonnières,l'air et la terre nous manquent... » Plus loin, jefis un gros soupir en mesurant le court espace

qu'on accordait à sa promenade à cheval... Je

détachai d'un mouvement spontané une médaille

de Notre-Dame de Fourvières, el la confiai au

valet de chambre du Prince, qui précisément pas-sait près de nous en ce moment. Quelque temps

après, il s'était évadé ! »

Déjazet fut une femme exquise et bonne,

pleine d'esprit et de coeur, et qui écrivait aussi

spirituellement qu'elle jouait la comédie.

Le 3 avril 184'J, le marquis de Saint-Georgesdonne Mademoiselle de C/ioisy. C'était un homme

original et charmant, que ce marquis de Saint-

Georges. Je l'ai beaucoup connu après la guerre,vers 1871, el j'en ai gardé le souvenir précis : il

avait dû être foi L beau el était resté élégant, mus-

qué, corselé. Je me souviens de boulons de corail

guillochés qui fermaient son gilet de velours, cl

qui avaienl émerveillé mes quinze ans ! Causeur

délicieux, conteur intarissable, il disait avec infi-

niment d'esprit d'étonnantes histoires. 11 racontait

ses collaboialions.il mimaitDonizettiréglanlbrus-

Page 377: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

3515 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

quemenl du papier blanc, le inuanl en papier à

musique, el jelanl rageusement des petites noies

sur ces portées improvisées, pendant que lui,

Saint-Georges, de l'autre côté de la table, confec-

tionnait péniblement un « ours », un vague canevas

de trio destiné à remplir un vide musical dans la

partition de la Fille du Régiment.— Eh! que faites-vous. Donizetli"?

•— Mon çer, répondait avec un stupéfiant accenl

italien, le compositeur inlerpellé. j'écris la mou-

sique des vers que vous faites.

— Mais vous ne les connaissez pas.— ('.a m'est égal! Sur vos doigls je vous vois

compter ounne, dousse, Iroise; en moiisiquc.

j'écris : ounne. dousse. Iroiss. Voilà, tenez... el.

se niellant au piano. Donizelli joue à Sainl-Georgesébaubi la uiusii|ue du Irio célèbre:

Tous les trois

Réunis..., etc.

Une nuire fois, il coulait... >>J'étais fort inlrigué;dans l'antichambre de mon apparlement, rue de

Trévise, se trouvent deux bustes qui se font vis-à-

vis, Molière et Scribe ! Ces bustes, en marbre

blanc, avaient toujours le nez noir. J'avais beau

faire savonner ces deux grands hommes: leurs nez

rcnoircissaienl comme par enchantement! Cela

tenait du prodige! Enfin, j'eus l'explication. Mon

trotteur, tous les lundi malin, encaustiquai!,

Page 378: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LESTHEATRESDESBOULEVARDS 357

puis passait à la laine le parquet, el pour se tenir

en équilibre, pendant ces glissantes opérations,

il prenait alternativement son point d'appui sur

l'un el l'autre de mes deux nez, el ses mains

étaient noires... Il daigna se rendre à mes prières,cl mes bustes ont enfin le nez propi'e! »

LA VIE DE BOHEMEntlAMEENCINQACTES

THÉObOKEBAKR1ËKEET HENHYMURGERlEMtfiMÈrou*n rirtyiÈm:von,AMMS,f-f*icTHI1\T[IEDLSVAMÊTÊS,LEÏÏNOVEMKAEISO

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Y.MIILI.fut-.Cm»>r>n.tnmJ'ïftjWri11*.[U.Mit.Mil..\~.LM»»tu.k01>vl.1IIE.S'Dcftt,iw:e r.L»n. 1*ti«g<.MlP.ttX.T-in-.t Pà.i««.Fo-.uMIMl'-VM;!'.t,«i-i:.tii I»lui.. .:.ll.ci.o.«.IST»VKLUUdE.[.l.iljsejL HetM. Cii,«11.l:E9L>tr.r^iu-JWitl B,.i«,rjfat»RJO.».lUfTiMË.dirait]- Kt,r. riÉifM.t'.NGir.Çi>.N1<ZCAISSE. C.u.1»t»M..i.

V.uitii. 0*i».t'NMOSMEt'H MU.C......MU.F.i.n.1.L\\Mfi'DllN r.„.t. V.ir.u(tMRMgliEROUVRE,]e;s*ttmi..M—HU.et.i11—HLI.I.MIM1UI T.ciiLts».El:«.-i.MU*MTE Ci.» LL.u..:l'IltMlE y.l-otti.KM...V»F.D»«E Veut, (*....,£.

—DidSdertj'toJjtiioa.i*tï*Ja;iijutl<ltit|«r>ca^iiivarimtii—

Page 379: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

3i)8 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

M. de Sainl-Gcorgcs élail vieux, mais dissimu-

lait les années avec un art merveilleux. Aubcr, son

vieil ami, disait de lui : « Je ne sais vraiment passon Age : toutefois, je me souviens que, vers 171(2,ma nourrice, qui était fort jolie, m'emmenait jouerau Jardin-Egalité, et là un monsieur déjà nn'ir

lui faisait, la cour el m'offrait des macarons...

Celait Saint-Georges. Nous sommes en 18(iî),concluez!... »

C'est à Saint-Georges qu'Auber murmurail, un

jour d'cnleiTcmenl : « Vois-tu, je me sens partir.Il me semble (pie c'est la dernière fois que je viens

à un enlerremcnl, en amateur. >

Pauvre Aubcr, il devait mourir seul, presque

abandonné, pendant les derniers jours de la Com-

mune de Paris, en même leinps que tombait la co-

lonne Vendôme. On déposa son corps dans les ca-

veaux de l'église de la Trinité, el ce fut seulement

le lo juillet 1871, que ce charmant artiste (Mildes

obsèques dignes de son grand talent.

Le 22 novembre 18V.), première représenlationde la I7e de Bohème. C'est un succès fou. Barrière

avait mis à la scène l'adorable fantaisie de Miirger.les recèdes étaient superbes, el Miirger, à la fin

du mois de décembre, ne l'ut plus en droit de

répondre au facteur qui lui apportait son almanach

annuel : < Je ne sais Irop si je devrais prendre votre

calendrier... je n'ai pas été content du dernier! »

Le 7 juin 1855, Hippolyle Cogniard est nommé

directeur des Variétés. Les Enfants de troupe,

Page 380: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

1IEMUMF.a.llACETLUDOVICIIAI.ÊVYVE!lS1SC3.

Page 381: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

3()0 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

comédie de Bavard et de Biéville, jouée par Bouffé,

Ambroise, Michel, M"IM Laurence, Genol, etc.,sont un gros succès ; de 1855 à 1860, Dupuis, Gre-

nier, Couder, Leclère, Lassagne, Christian, Ilille-

mans, Hervé, Blondelel, Baron, M'"CESchneider,

Alphonsine, Judith Eerreira, Aline Duval, Silly,Zulma Boufl'ar sont engagés. La belle troupe, les

excellents artistes! C'est eux qui auront l'honneur

d'interpréter la plus grosse partie de lélincclanl

répertoire d'Offcnbach, do Meilhae el Halévv ; c'est

eux qui attacheront leurs noms à la plus joyeuse

période de l'opérette française.

Quelques litres évoqueront quelques souvenirs :

La Lanterne Magique (1850), Ohé! les Petits

Agneaux, de Cogniard et Clairville i!857\ les Che-

valiers du.Pince-Nez, repris plus lard à Déjazet, où

apparaît la si plaisante silhouette de Chabannnis, le

vieux noceur bossu, zézayant, fanfaron, casseur de

coeurs et crâneur, un petit-fils du célèbre Mayeux.Le G octobre 18(i0 marque le début aux Variétés

d'une collaboration célèbre : Henri Meilhae et Lu-

dovic llalévy donnent Ce qui plaît aux hommes.

pièce en un acte, mêlée de prose, de vers cl de

couplets (Meilhae fui seul nommé sur la bro-

chure). Ludovic llalévy, fonctionnaire, avait, gardé

l'anonymat.Ce qui'plaît aux hommes était joué par MM. Ray-

nard, Ch. Potier, M""" Durand, Ulric Lejars,

Sophie, Leblanc, etc. ; cl l'argument scéniquedonne celte indication vague, « un jardin près de

Page 382: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

I.ES THÉÂTRESDES 1Î0UI.EVARDS 3(51

Golconde : au fond, un kiosque, à gauche, sur le

devant, un télégraphe électrique ».

Eormosinc (M"" Garnier) y chantait ce joli ron-

deau où se trouve déjà

la grâce capiteuse des

vers de la Périchole :

Ce livre est celui de

[l'Amour ;11est aussi vieux que le

[inonde,Et sur cette terre, à la

[ronde,Chacun doit le lire à son

| tour.Si les pages en sont brù-

[lunles,C'est qu'elles gardent la

[chaleurDe loules les mains fié-

[missunlesOui les tournent avec

[ardeur...

Et l'Amour se présentait ainsi :

L'Amour... c'est moi... Je suis... comment faut-il le dire 4?On l'a déjà tant dit et de tant, de laçons !

Je suis... vous le savez, puisque je vous vois rire,El déjà nous nous connaissons !

Je suis celle de qui tout le inonde s'occupeCelle que du théâtre on voudrait voir partir,Mais que sournoisement on retient par Ja jupe,

Tout en lui disant de sortir!...

:si

Page 383: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

362 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

N'est-ce pas charmant, et ces jolis vers ne méri-

taient-ils d'être remis sous les yeux du public?Un nom apparaît pour la première fois sur l'af-

fiche : celui de M"0 Leblanc (rôle d'Ignoraiilinc) ;c'était, l'admirable Léonide Leblanc, si royalementbelle, que Lambert Thiboust avait découverte dans

un bouihouis de Bellcville. Meilhae la trouve

exquise el lui décoche ce quatrain :

Si le lïoi du l'arc aux amours

Régnait encore, petite fille,Vous seriez Reine avant huit jours...Moi,je serais à la Bastille !

Puis vinrent le Menuet de Danaé (20 avril 1861),Brouillés depuis Wagram, Un Mari dans du colon,rHomme nest pas parfait, ce petit chef-d'oeuvred'émotion populaire, où l'acteur Christian obtientle plus justifié succès.

Ce Christian était un être cocasse, une sorte de

Bobèche, d'une gai té folle qui souvent dépassait leslimites convenables, mais c'élaif toujours si im-

prévu, si exorbitant qu'il était impossible de ne

pas pouffer de rire! Sur la glace de sa loge étaitcollée une inscription : Les raseurs sont priés de ne

pas moisir ici. Sa conversation, toujours amusante,élait émaillée d'horribles calembours, cl puis ilavait des inventions abracadabrantes. Dans une

pièce qui n'eul que quelques représentations, la

Clef dor, Christian jouait un homme du monde, elChristian en homme du monde constituait déjà un

Page 384: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

T.ESTHEATRESDES BOULEVARDS 363

poème de drôlerie; il exagérait le « comme il

faut » de son rôle; fort, bien mis, il étonnait parson élégance. Soudain un fou rire secoue la salle,alors que la pièce sombrait dans l'ennui : au cours

d'une scène des plus sérieuses (autant qu'il m'en

souvienne, on réglait les préparatifs d'un duel),

Christian, renversé

sur un canapé, avait

croisé les jambes,et au beau milieu de

l'une de ses bottes

vernies dont l'aveu-

glant éclat avait fail

sensation,une carte

à jouer s'étalait,col-lée sur la semelle,— un as de pique.— C'était purementidiot... mais si im-

prévu, si comique!L'auteur de la pièceseul ne riait pas !

Je me souviens

qu'un jour, au château de Chantilly, où nous avionsété conviés à déjeuner, mon père et moi, par MBrleduc d'Aumale, nous vîmes arriver Christian, quien sa qualité de maire d'une commune voisineavait été invité, ainsi que d'autres maires de l'Oise.

Il avait cru devoir, pour la circonstance, endos-ser le frac de soirée el la cravate blanche.

(Coll.deM'"SI.Picrson.)

MADEMOISELLEI.ÉOXIDELEBLANC.DANS«CEQUIPLAÎTAUXHOMMES»

Page 385: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

36 't ANCIENSTHEATRESRE PARIS

« — Oh! que vous êtes beau, cher monsieur

Christian ! lit le Prince.

<—Monseigneur, répondit simplement Christian,

je me déguise tous les soirs pour le public ; j'ai été

ravi, ce malin, dé-

mo présenter en

homme du monde

pour vous appor-ter tous mes res-

pects ! »

Christian mou-

rut, comme il

avait vécu, sur les

planches. Le soir

d'une répél i I ion

générale, d'une

Bévue, il jouait le

Compère, avec le

costume tradition-

nel, babil bleu,

chapeau gris, pan-talon nankin. Il

avait une scène dans la salle el. semblait inquiet,

hésitant, troublé... La scène finie, Christian revient

au foyer et tombe frappé d'apoplexie. On le met

dans un fauteuil, il revient à lui, el, considérant

vaguement lout ce monde qui l'entoure, ses cama-

rades en costumes, les actualités en tenue..., le

timbre-poslc, la poupée nageuse, l'exposition,

l'électricité, etc., il murmura avec un suprême son-

Page 386: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES BOULEVARDS 3G3

liment d'orgueil ces mots : « Comme Molière, jemeurs comme Molière! »

Le 19 décembre 1864, première représentation

de la Belle Hélène, et loul Paris vient s'amuser à

celle délicieuse parodie el applaudir M""!SSchnei-

der et Silly, MM. Dupuis, Grenier, Blondcle.l,

Baron, etc.

En vain Jauin brandit, dans les Débats, ses

foudres contre « ce perfide, ce traître Halévy, ce

31*

MADEMOISELLESCIINKIIIEI:,IIANS« L.\ IIELI.KHÉLÈNE».

Page 387: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

306 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

misérable Offenbach qui profanent, tous les chefs-

d'oeuvre et lous les souvenirs ». Timolhéc Trim,

lui-même, déclare dans le Petit Journal, qu'il est

sorti l'âme navrée, des Variétés où l'on insulte ses

dieux cl que, pour se débarbouiller avec un peu

d'ambroisie, il va

« relire son vieil Ho-

mère », ou déclare

qu'il ignore le; grec

plus encore que le

français, et l'on se rue

aux bureaux de loca-

tion.

C'est i\u délire : 1è-

re frai n : « Bu quis'avance » sert de litre

à une revue.

Un acleur de troi-

sième ordre, Ham-

burger, jouait Ajax II

dans la Belle Hélène.

Son père, — un ri-

che joaillier, — avait

lenlé de l'éloigner du théâtre :

— C'est un méfier de crève-la-faim !

— Mais cependant il y a des exceptions!—

Apporte-moi seulement cinq noms d'artistes

ayant l'ait fortune?

— Tu les auras demain.

En effet, le lendemain il apporlail, triomphant,

Page 388: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES BOULEVARDS 367

une liste de dix noms à son père... Mais c'étaient

des noms de femmes!

La Grande Duchesse obtint le même succès d'en-

thousiasme que la Belle Hélène. On se dispute les

loges, on s'arrache les fauteuils, les représentantsconnus du monde et du demi-monde emplissent la

petite salle des Variétés. L'empereur Napoléon III

s y rend seul d'abord, puis y amène l'Impératrice ;

le Prince de Galles va porter, durant chaque

enlr'acle, ses compliments à M."" Schneider, on

MADEMOISELLESCIINEIKElt.DANS«LAPKIIICIIOI.F.».

Page 389: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

368 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

signale sa présence dans la loge de Baron — qui

jouait le baron Grog, — et l'empereur de Russie

l'ail retenir télégrapbiquemenl de Cologne la loge

qu'il désire occuper; le vice-roi d'Egypte, le roi des

Belges, le roi de Prusse, Bismark el de Mollke

lui-même viennent applaudir la Grande Duchesse :

c'esl le triomphe de l'Exposition de 1867 ; les 25 pre-

JOSÊnUl'UlS,DANS« LAr.HANDEDUCHESSEDECEIKILSTEIN».

Page 390: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 300

mières représentations de la Grande Duchesse

produisent la somme de 110.483 francs; les25 pre-

mières de la Belle Hélène, 97.22-4 francs; les 25 pre-mières de Barbe-Bleue, 97.558 francs.

José Dupuis, dont nous avons conté les débuts

au théâtre Déjazet, était un artiste plein de grâce

maligne, de finesse el de cocasserie; son air

fin soulignait le mol, cl nul mieux qvie lui ne

savait, au moment précis, trouver la note juste

qui enlève toute une salle. Avec cela, il possédait

une voix charmante de ténor léger, et c'était une

joie que de l'applaudir, alors qu'il donnait si spiri-

tuellement la réplique à Horlense Schneider.

Dupuis avait, été découvert à Bobino par Hervé,

le compositeur toqué, el en l'applaudissant dans

Toineile et son carabinier le directeur des Variétés

avait eu l'heureuse idée de l'engager.

Horlense Schneider, c'était l'esprit, la grâce,

l'imprévu; l'oeil spirituel, malin, elle chantait dé-

licieusement et mettait dans ses couplets tout

un charme captivant avec lequel elle séduisit

Paris.

En 1875, les reprises succèdent aux reprises.

La Vie parisienne émigré du Palais-Royal, Baron

joue Bobinet, l'irrésistible petit crevé, el se fait

une de ces tètes étonnantes qui met une salle

en joie... La Vie Parisienne triomphe de nouveau

aux Variétés. Ainsi se réalise l'aimable prédic-

tion l'aile par les artistes aux auteurs, la veille

de la première représentation au Palais-Royal :

Page 391: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

370 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

« Nous savons mal le cinquième acte, nous l'avons

à peine répété, c'est vrai, mais... la pièce n'ira pas

jusque-là. et ça n'a aucune importance.»

Labiche, le bon Labiche, donne, avec la colla-

boration de Ph. Gille. les Trente millions de

Gladialor. La pièce pétillait de mots drôles, irré-

sistiblement comiques : c'était Christian, en valet

de chambre, qui gémissait: «Ah! le temps n'est

plus où les maîtres s'attachaient à leurs domes-

tiques !... on était de la famille !... on avait les clefs

de la cave!... el. quand vous mouriez, on vous fai-

sait une pension viagère... » Et Baron en dentiste

grandiloquent el calollé, qui sortait d'élonnanls

apophtegmes : « ... Sachez-le bien, Monsieur, on

hésiterait toujours à donner la première giffle. si

l'on savait qu'il faut recevoir la seconde... » « Les

dents... ces hochets de la vanité!» El Dupuis.

garçon pharmacien candide el dévoué, jouantles mannequins dans l'antichambre de Baron et

s'écrianl. à l'entrée de chaque cliente : « Quel den-

li.stc !... Il n'y a que lui !... Voyez mes dents... elles

sont toutes fausses. » « Toutes les fois que j'ai aimé,

c'a élé pour la vie !... » « Moi. Madame, j'appar-tiens à une. famille où l'on ne se marie jamais...c'est un voeu... »

Les Trente millions de Gladialor obtinrent le plusmérité des succès, el ses folies devinrent légen-daires.

Meilhae el, Halévy continuent à donner aux Va-

riétés une série de petits chefs-d'oeuvre : Madame

Page 392: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LICSTHEATRESDES BOULEVARDS 371

attend Monsieur, les Sonnettes, 'loto chez Tala, où

triomphent Céline Cbaiimont et Baron.

Les Charbonniers de Ph. Gille sont fort applaudis.

Judic el Dupuis, couple exquis, Baron en secrétaire

Page 393: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

372, ANCIENSTHEATRESDE PARIS

de commissaire de police grinchu el exaspéré contre

ces « canailles d'honnèles gens qui passent leur vie

à se plaindre ». sont délicieux de verve bouffonne.

Puis viennent : Niniche, la Femme à Papa, Lili,

Mam'zelle Nilouche,

avec l'excellent Du-

puis, el la charmante

Judic, dont les grands

y e u x e n s o r c e 11e n l

Paris, el aussi Céline

Chaumonl qui, dans

la Petite Marquise

(13 janvier 1874), ce

chef-d'oeuvre de Mei-

lhae et llalévy, avait

créé avec un inou-

bliable talent le rôle

délicieux de Hen-

riette, marquise de

Kergazon !... El aussi

Baron, en savant fan-

tastique, inouï de co-

casserie qui, tout en

écrivant, l'histoire des Troubadours, priait — de

quelle façon ! — la femme de chambre d'une co-

cotte de « faire semblant de l'aimer ».

Se souvenant, de l'immense succès de M. Garai,

sachant que Sardou est l'homme de Paris qui

connaît le mieux la Révolution, la direction des

Variétés lui demande les Merveilleuses! — Pen-

MADAMEA.JlillH:.(D'aprèsunepbolo^.duA.lîloek.)

Page 394: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THEATRESDES BOULEVARDS 373

danl six mois les dessinateurs, les décorateurs, les

costumiers, les coiffeurs et les modistes font des

prodiges. Le perron du Palais-Royal revit loi qu'il

était en 1797 avec ses enseignes, ses affiches, ses

réclames : M"c Aglaé lient la fantaisie en tous-

genres,— M"a Lolotle

marchande de frivoli-

tés, etc., ses tables de-

café, son Cours des As-

signats, ses agioteurs,

ses courtiers marrons,

ses filles, ses joueurs

et ses musiciens en

plein vent.

Debucourt, Carie

Vcrnet, Bosio, tous les

dessinateurs de la lin

du xvni" siècle avaient

été mis à contribution ;

le Journal de la Mésan-

gère, le Bon Genre, les

Modes et Manières du

Jour, les Caricatures Parisiennes, le Suprême Bon

Ton étalaient vivants, rieurs, pleins de grâce, l'oeil

enjôleur, la bouche souriante, leurs plus jolis mo-

dèles, el le Paris libertin el joyeux de celle époque

extravagante que fut le Directoire, revivait en celle

splendide évocation de Victorien Sardou.

Ce fut la fête des yeux et ceux-là qui applau-dirent les Merveilleuses n'oublieront jamais cette

32

JOSEDUPUISDANS« M.BET/.Y»

Page 395: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

374 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

belle soirée. M,nc Chaumonl, Gabrielle Gauthier,

Priston, Grandville, MM. Dupuis, Baron, Chris-

tian, Grenier et Lesueur obtiennent un gros

succès; malgré tout, la pièce lienl peu de temps

l'affiche, et les Merveilleuses se ressentent des haines

politiques qu'avait déchaînées Rabagas.C'est à l'une des répétitions qucl'acleur Blonde-

let, à qui l'auteur n'avait confié qu'une « figuration

intelligente », agacé par le bruit qui se faisait

aulour de lui, s'écria, furieux: « Mais taisez-vous

donc, n. d. D...! on ne s'entend pas figurer ! »

Les bonnes pièces se succèdent : Décoré, ma Cou-

sine, sont- des succès. M. Belzy, de Paul Alexis el

Melenier, réussit fort. Réjane, Dupuis et Baron,admirable trilogie, y interprètent, avec leur habi-

tuel talent, trois rôles horriblement difficiles dont

ils l'ont trois curieuses créations. Celte admirable

Réjane nous présente une miss Belzy, écuyère sen-

timentale el roublarde, inoubliable d'esprit, d'in-

telligence, d'allure. Depuis, bien des pièces ont

paru sur celle belle scène qu'administre M. Eer-

nand Samuel avec une incomparable maîtrise el

une rare habileté : il faut avoir pénétré sur ce mi-

nuscule Ihéâtre pour se rendre compte des chefs-

d'oeuvre d'ingéniosité qu'il est nécessaire d'accom-

plir pour équiper, en un si petit, espace, les beaux

décors que Paris applaudit.Des noms nouveaux cl applaudis apparaissent

sur l'affiche rajeunie. C'est Lavedan, qui, pendantdes centaines de représentations, fait connaître au

Page 396: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 375

théâtre Iesdouceurs du maximum. Après leNouveau

Jeu (8février 1898), le Vieux Marcheur (3 mars 1899) ;et ce sont les mômes artistes, Jane Granier et Bras-

seur, qui mènent triomphalement le succès. Qu'ilest complet, le jeune Coslard du Nouveau Jeu...cl

si moderne ! el Bobelle Langlois! Avec une verve,un esprit, une drôlerie incomparables, Lavedan

tire les ficelles de tous ces pantins, Labosse, le Com-

missaire, l'aimable Buranly el M"'eCostard mère...

la collectionneuse des oeuvres du peintre Lobri-

chon, interprétée par Mn,eMagnicr, toujours élé-

gante et jolie. Le jour de la centième représenta-

tion, le speach du caissier eut les honneurs de la

soirée; il accusait six cent mille francs de recelte!

et, de l'avis général, ce fonctionnaire fut trouvé

éloquent comme Bossuel.

Dans te Vieux Marcheur, notre ami Labosse repa-raît, plus jeune que jamais, sous ses cheveux gris ;il a, depuis bien longtemps, oublié Bobelte Langloisel « protège » l'aimable Léonline Falempin, deve-

nue maîtresse d'école aux Tourniquets. Labosse est

un personnage officiel. Il est sénateur et toujoursvert galant, el Brasseur avec une incroyable

souplesse de lalenl l'ail du « Vieux Marcheur »

une de ses meilleures créations. Jane Granier

semble moins à l'aise sous les bas bleus de

l'institutrice que sous les bas brodés à jourde Bobelle; elle n'en a que plus de mérite à

se faire applaudir par toule la salle. Eve Laval-

lière reste, suivant son habitude, exquise, drôle et

Page 397: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

376 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

personnelle. Quelle charmante artiste, et que le

succès a donc raison de la traiter toujours en enfant

gâtée! Au souper de centième, le caissier reprendde nouveau la parole et déchaîne des tonnerres

d'applaudissements ; il a l'éloquence des chiffres :

comme le Nouveau Jeu, le Vieux Marcheur a rap-

porté six cent mille francs à la caisse du théâtre.

Triple hurrah pour Henri Lavedan !

Une reprise de la Belle Hélène permet d'applau-dir la jolie voix de Mmc Simon Girard et fait

revivre le glorieux répertoire de Meilhae, - de

Ludovic Halévy et du maître Offenbach. L'an-

née 1905 sera l'année heureuse pour les Variétés,

car Alfred Capus y fait représenter la Veine. Cette

délicieuse Comédie avait élé apportée par son

auteur à la Comédie-Française; le terrible incendie

de 1900 en avait forcément relardé la lecture, et

Capus reprit, possession de son oeuvre; F. Samuel

l'accueillit d'enthousiasme, el, le 2 avril 1901, la-

Veine obtint les honneurs du triomphe.La pièce était parfaite, spirituelle, amusante,

émouvante aussi, el les interprèles avaienl été mer-

veilleux^. Guitry, Brasseur, MmcsGranier, Laval-

lière, Thomsen el. Lender! Avec son incomparable

talent, Guitry fit. de Julien Bréard une création de

souriante gaieté, d'esprit fin, de délicate émo-

tion; Brasseur dessina de la plus artistique façon

la vivante silhouette du viveur bon enfant, spiri-tuel comme un Sem animé; Jane Granier, parfaitede simplicité, de bonté, de tendresse discrète;

Page 398: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 377

Lavallière, un éclat de rire, un charme coramu-

nicatif... tous méritèrent les honneurs du triomphe

et, chose rare, le Président de la République lui-

môme, oubliant, que ses graves fonctions sem-

blaient le condamner aux théâtres subventionnés

à perpétuité, assista le 24 avril à la représentationde l'oeuvre nouvelle d'A. Capus. Ce soir-là, la re-

cette fut de 8.500 francs. Jamais le petit théâtre du

boulevard Montmartre n'avait réalisé somme aussi

considérable!

Pendant de longs mois, le succès continua, for-

midable, incontesté; la Veine n'était pas un vain

mol, el les Variétés avaient raison de ne pas la

lâcher, pendant qu'ils avaient la rare fortune de la

tenir.

La veine, sous une autre forme, continue à cet

heureux théâtre, car l'an suivant voit le triomphedes Deux Écoles où Brasseur, Baron, Guy, Jeanne

Granier, Lavallière, Marie Magnier, les artistes

acclamés de la veille, montent de nouveau au

Capilole : une fois de plus, A. Capus fait la joiede Paris, et la série heureuse continue ; deux

noms nouveaux, qui seront dès le premier jour

applaudis et glorieux, paraissent sur cette joyeuseaffiche des Variétés: ceux de MM. R. de Fiers et

A. de Caill-avet.

La chanson avait assuré « qu'un quart d'heure

avant sa mort M. de la Palisse était encore en vie » ;

sa résurrection devait être rapide, car, en 1904, ce

noble seigneur faisait sa brillante résurrection bou-

32*

Page 399: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

378 ANCIENSTHEATRESDE PARIS

levard Montmartre : M. de la. Palisse était le héros

d'opérette rêvé; il était à la fois un refrain et une

philosophie, el le refrain était gai el la philosophieélail douce; aussi M. de la Palisse fit-il quanti te-

lle disciples; pendant de longues soirées,il tint des

salles entières sous le charme de son indulgente et

gaie bonhomie, et Albert Brasseur el Eve. Lavallière

furent les éloquents apôtres de ce débonnaire Mes-

sie. Sous l'influence de ce bon gentilhomme, on

n'échangea plus sur le plateau que des vérités évi-

dentes, les petites comédiennes retrouvèrent leur

naïveté première, les acteurs leur native simplicité,les auteurs leur indulgence el leur patience. Les

M""ÈYELAVALLIÉHEDANS« M.DELAPALISSE».

Page 400: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

LES THÉÂTRESDES BOULEVARDS 379

décors eux-mômes furent sincères el les Irompe-l'oeil loyaux. Ce qui surtout fut franc, sans réserve

el clair comme eau de roche, ce fui le succès des

délicieux interprètes elle triomphe de MM. de Fiers,

Caillavet et Cl. Terrasse,'qui redonnaient à ce cher

théâtre, le plus parisien peut-être de tous les

théâtres de Paris, le souvenir des belles heures de

jadis.C'étaient tous les fantômes évoqués des gloires

d'autrefois qui semblaient danser joyeusement— sur un air d'Offenbach — uni; sarabande autour

du lustre. — La Belle Hélène faisait vis-à-vis

à Piquillo, la Périchole se trémoussait tout prèsdu Brésilien, el sous l'oeil en coulisse de. la

grande-duchesse de Gerolstein la revue défilait,

conduite par le général Boum... Ils revivaient tous,

rappelés à la gaîlé, par les accents endiablés de

celte spirituelle musique: M. de Gondremark, Cal-

chas, la Gantière, le baron Grog, le. Caissier des

Brigands, Niniche et Jupiter y coudoyaient la Rous-

solle flirtant avec Barbe Bleue — cl Ealsaccappa !

l'immortel Ealsaccappa, escorté du chef des

Carabiniers y enlevait la Boulotte, qu'immorla-lisa Schneider. Le Pion épique de Ludovic llalévy

tenait encore par l'oreille Tolo, que personnifiasi joliment Céline Chaumont, ce Tolo, coupabled'être allé chez Tala ! Quant au roi Ménélas,

toujours gentilhomme, il faisait les honneurs du

théâtre à M. de la Palisse.

El toutes ces apparitions charmantes semblaient

Page 401: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

380 ANCIENSTHÉÂTRESDE PARIS

avoir empli le théâtre de leurs exploits d'une odeur

capiteuse, qui fleurait bon le succès... ce succès

qui depuis toujours semble inséparable de celle

mignonne scène des Variétés !

Le litre même de la dernière soirée de grandefête célébrée boulevard Montmartre, ce titre char-

mant et prometteur qui décore l'exquise comédie

de M. Francis de Croisset, semble en quelque sorte

résumer l'histoire de cet heureux théâtre : Voilà le

Bonheur, Mesdames!

Paris, mars 1906.

Page 402: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

TABLE DES MATIERES

LE BOULEVARDDU TEMPLE

Pages.Les origines du boulevard du Temple. — Nicolet

et le théâtre des Grands-Danseurs du Roi. '—

Le Grimacier. — Le théâtre des Associés. —

MmcSaqui 1Les Délassements-Comiques. — Le théâtre de la

Malaga. — Le boulevard du Temple. — Lemuséede cires du sieur Curtius. —Le théâtre Patriotiqueet les boniments de Salé. — Bobèche et Gali-mafré. — Une lettre de M. Ludovic Halévy 15

L'Ambigu-Comique. — Les troupes d'enfants. —

Rivalités. — Mélodrames et pantomimes. —

jl/mcAngot. — \JAuberge des Adrets et Frédérick-Lemaître. — L'incendie de 1827. — Brazier et la

Chronique des petits théâtres. — Le petit Lazari. 29Les cafés du boulevard du Temple. —-Frédéric Le-

maître débute aux Variétés-Amusantes. — LePanorama Dramatique. — Théâtre du Cirque. —

Astley. — Franconi. — Frederick Lemaître au

Cirque. •—Le théâtre des Troubadours. — .Lemouvement dramatique en 4830. — L'Épopéenapoléonienne. — L'attentat de Fieschi. — Ce

que l'on jouait à Paris le 28 juillet 1835. —Le

Cirque Olympique. — Mac-Moc et le café desPieds-Humides 41

Page 403: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

382 TABLEDES MATIÈRES

THEATREDE LA GAITÉ

Pages.Le théâtre de la Gaîté. — Martainville et le Pied de

mouton. — L'incendie de 1835. — Réouverture.Paillasse.— Paulin Ménier et leCourrier de Lyon. 73

Théâtre des Folies-Dramatiques. — Robert Macaire.— Disparition des baraques et des théâtres en

plein vent. — La littérature dramatique au bou-levard du Temple 93

Théâtre des Funambules. — Le grand Deburau,Ch. Deburau 103

Alexandre Dumas et le Théâtre-Historique. — La

première représentation de la HeineMargot. —

Mélingue et les drames de cape et d'épée 117Les Folies-IS'ouvelles. — Hervé, le compositeur

toqué. —Le théâtre Déjazet. —Sardou etM. Garât.— La mort du boulevard du Temple 131

LES THEATRES DES BOULEVARDS

L'AMUIGU;— LAPORTE-SAINT-MARTIN.— LESFOLIES-DRAMA-TIQUES. LA RENAISSANCE.LEGYMNASE.— LESVA-RIÉTÉS.

L'AMBIGU

L'Ambigu, boulevard Saint-Martin. — Les Mousque-taires. — Le Juif-Errant. — L'acteur Machanette.— Le Crime de Favcrne et Frederick Lemaître. '— L'Ambigu pendant le siège de Paris. — Spar-tacus.—Une cause célèbre.—L'Assommoir.—L'Asde Trèfle. — Les Deux Gosses 157

LE THÉÂTREDE LA PORTE-SAINT-MARTIN

L'Opéra. — Le théâtre de la Porte-Saint-Martin.—' Frederick Lemaître et MmcDorval. — Marion

Delùrmc el le drame romantique. •—L'Ecole de

, .,.,,1.830.'— Le théâtre d'A. Dumas. — Balzac et la

Page 404: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

TAULEDES MATIÈRES 383

Pages.première de Vautrin. — Tragaldabas. — La Tour

Saint-Ybars.— Les Mystèresde Paris. —MmcMarieLaurent. — Mclingue. — Patrie. — Le siège deParis. — Incendie de la Porte-Saint-Martin. —

Sa réouverture.— Le Tour du monde el le théâtre

scientifique. — Sarah Bernliardt et Théodora 187

THÉÂTREDU GYMNASE

Le Théâtre de Madame. — Scribe et son théâtre.-—Léontine Fay. — Avant, Pendant et Après. —

1830. — Bouffé.— Lacenaire homme de lettres.Arnal el le théâtre de Duvert et Lauzanne. — LeDemi-Mondeet le théâtre de Dumas fils. — La

première des Pattes de mouche. — Hcloïse Paran-o/ueJetles collaborationsanonymes.—Mmc Pasca.—Frou-Frou el Aimée Desclée. —Blanche Piersonet la PrincesseGeorges.— Andréa et les plagiaires.Monsieur Alphonse. — M. Lucien Guitry. — Jlf.leMinistre.—LeMaître de forges et MmcJanellading.— L'Abbé Constantin 259

THÉÂTREDESVARIÉTÉS

Le décret de 1807.— LePanorama de Momus.— Leboulevard Montmartre. — Le grand Potier. --

La guerre des calicots. — Déjazet. — Brunelel l'Empereur. — L'Année des Ccndrillon. —

Le retour de Louis XVIII. — Odry. — La Vie deBohème. — Le Théâtre de Meilhae et llalévy. —

M"cSchneider et José Dupuis. — Le NouveauJeuet le Théâtre d'Henri Lavedan. — La Veine. —

^»-il!, de la Palisse -/$k&'

t.

Page 405: Anciens Théatres de Paris - G. Cain
Page 406: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

TABLE DES GRAVURES

Frontispice: l'Afficheur,par CarteYeraet.

Pages.Leboulevarddu Templeen 1630(eau-forte de Martial).- îCadet liuteux au boulevard du temple (gravure du

xix°siècle) ..........: -. ,. 3La promenadedes Remparts de Paris, par Saint-Aubin. 5Théâtrede Nicolet(d'aprèsune vue d'optiquede 1775)... 7Les Farcesou Bobècheen bonnehumeur, par Duplessis-

Bertaux 9Grand caféAlexandre,dessin rehaussé,par Arrivet. .... 10"Théâtredes Funambules(lithographiede Langtumé) 12La Paradedu boulevarddu Temple,a Paris (d'aprèsune

gravuredel'époque) 15LesDélassements-Comiques(eau-fortede Martial) nSalon des figuresde cire(eau-fortede Martial). 19La parade de Bobèche et de Galimafré (Jean Roller

pinceil). _...._ ........ 21Rigolboche i 26Vueduthéâtre de l'Ambigu-Comique(xvur siècle)....... 29La queue à l'Ambigu(d'aprèsun tableau de Bailly) 31FrederickLemaître (lithographiede Langtumé)... 33Vuede l'Ambigu-Comique(Lallcmanddel.) 34Théâtre des Jeunes-Elèves , 37Leboulevarddu Templevers 1830 t 42Théâtre du Petit-Lazare ; 43CirqueFranconi , 45Programmede rAmphithéâtre-Anglais 47L'incomparablecerfdu Nord,nommé Azor. 48

33

Page 407: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

386 TABLEDES GRAVURES

Pages.CirqueFraneoni „_ 49CirqueOlympiqueen 1828 51LeThéâtre du Cirque-Olympique(A.Testard del.) 52Prudent, rôle de Napoléon dans Schoebrunnet Sainte-

Hélène,par Dupré 53Leboulevarddu Crime(eau-fortede Martial) 55Frontispicedu Prince Etigène 62Frontispicede Bonaparte en Egypte 63

Frontispice de Vhistoire du Drapeau 65Le clown Auriol 67Le clownBilly-IIayden(dessinde Gerbault) : 69LechienMunilo(eau-forte de Martial) 71Leboulevard du Temple,vers 1800 73Théâlrc-du Cirque,vers 1860 75Frontispice, du Pied de Mouton 77Les types de Fanchonla vielleuse 81Victoria Lafontainedans la Grâcede Dieu (d'après une

photographie) 82

Frontispice de Marceau S3Frederick Lemaîtredans RobertMacairc 84Cartouche (frontispicede la brochure) S5Le Courrier de Lyon(frontispicede la brochure) 87Paulin Menier 88LesCosaques(frontispicede la brochure) S9Fiialdès (frontispicede la brochure). 91Folies-Dramatiques(eau-fortedeMartial) 93Frederick Lemaître, dans le Père Gâchette 94Frederick Lemaître,par Léon Noël(1833) 95Frederick Lemaître, dans Trente ans ou la Vie d'un

joueur. 97FrederickLemaître,dans l'Aubergedes Adrets 98L'OEilcrevé(frontispicede la brochure) 99M"' Lasseny{l'OEilcrevé) 101M™Saqui. 102Les Funambules 105Le boulevarddu Temple, vers 1820 107Cli. Deburau,dans ses principaux rôles 109CharlesDcbureau(d'aprèsune photographieoriginale).. 111CharlesDeburau (d'après C.Geoffroy) 113Charles Nodier (lithographie) 115Les théâtres du boulevard du Temple 117

Page 408: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

TABLEDES GRAVURES 387

Pages.Rouvière,dans te Damede Montsoreau 118AlexandreDumas(lithographie)... ; 119

Mélingue(d'après une lithographie de Gavarni) 121Le Chevalier de Maison-Rouge(frontispicede la bro-

chure) 123La jeunesse des Mousquetaires(frontispice.de la bro-

chure) 125LeThéâtre-Historique(eau-fortede Martial) 127M""Miolan-Carvalho(rôle de Margueritede Faust). .... 129Boulevarddu Temple.—Jardin turc, en 1840 131Théodorede Banville(lithographie de Gavarni) 133M11*Déjazet(lithographie de LéonNoël) 135

— dans Bonaparteà Brienne '. 137— dans la Douairièrede Brionne 138— dans MonsieurGarai. 139— dans MonsieurGarât d41

Perron du théâtre Déjazet(eau-fortede Martial) 143L'acteur Bâche '. 144M"0Déjazet,dans le Vicomtede Lélorières 145

— dans le Gentil Bernard 146— dans la Douairière de Brionne (premier

rôle) 147Démolitiondu boulevard du Temple 149Le café Planchet,boulevard du Temple 153Théâtre de l'Ambigu-Comique 157FrederickLemaître et Serres,dans l'Aubergedes Adrets. 158Théâtre de l'Ambigu (IcMaitred'école,acte II, scène vi). 161Le théâtre de l'Ambigu (eau-fortede Martial) 165LeMarchandde Coco(frontispicede la brochure) 166Frédéric Febvre,dans la Maisondu Pont-Notre-Dame... 168Théâtre de l'Ambigu-Comique,la Famille des Gueux... 169

— — la Familledes Gueux. .. 171FrederickLemaître,dans le Crimede Faverne 172Jane Essler, dans lesBeaux Messieursde Bois-Doré 173

Bocage • 174

Boutin, dans les Nuitsde la Seine 175Théâtre de l'Ambigu,te Fils de l'orlhos 177Le théâtre de la Porte-Martin,vers 1790 : 187LesDésespérés(frontispicede la brochure) ; 188

Potier, rôle du père Sournois. '.. 189

Philippe 191

Page 409: Anciens Théatres de Paris - G. Cain

388 TABLÉDES GRAVURES

Pages.M"*Georges,dans te Guerredes Servantes 193M™Dorval... , 195Bocage (lithographiede Noël) 197VictorHugo. 199LucrèceBorgia(frontispicede la brochure) 201

Bocage,dans te Tourde Nesles 205Alexandre Dumas . 207Vautrin (frontispicede la brochure) 211Uneloge.vers 1830(lithographie de Gavarni) 213LeChiffonnierde Paris (frontispicede la brochure) 215Lel'acte de famine (d'après une lithographie de Me-

ringue) 217A. de Lamartine(lithographiede Devéria) 221M™*MarieLaurent, dans les Chevaliersdu Brouillard... 225Théâtre de la Porte-Saint-Marlin: les Chevaliers du

Brouillard (dernieracte) 226L. Péricaud,dans le liossu 227LeBossu(frontispicede la brochure) 228Patrie, IV"acte : l'Hôtel de Ville 229M"' Thérésa 230Dumainc 231LèonideLeblanc,dans Patrie 232Théâtrede la Porte-Saint-Marlin 233Frédéric Lemaître. 237Dumaine,dans MarieTudor. 23SThéâtre de la Porte-Saint-Marlin: les Elrangteurs de

Paris 239, Le Théâtre-Illustré: le Voyageà travers l'impossible 243

Théodora,.la Logeimpériale 2S5Théâtre de la Porte-Saint-Martin: le Crocodile 247Le décor du Chevalierde Maison-Rouge: la Bergede la

Seine 248M" Sarah Bernliardt,dans Tosca 249MmeHonorine,rôle de la Frochard 250Lucien Guitry,rôle de Coupeaudans l'Assommoir 257Théâtre du Gymnase(cau-fortcde Martial) 259Bernard Léonet Numa,dans/e Coiffeuret le Perruquier 263Léontinc Fay 265Bouffé 267Bouffedans la Fille de l'Avare, Pauvre Jacques 268Bouffé,dans MichelPerrin 269

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TABLEDES GRAVURES 389

Pages.Bouffé,dans l'Oncle Baptiste , ,. 270Lafont, dans le Dandy. 271M11*LéontineFay.. 273Achard, dans te Famille du Fumiste 276Arnal (lithographied'aprèsnature) 277H. de Balzac 279

Geoffroy,dans Mercadcl. 280 •

Lafont (lithographie) 283Victorien Sardou 285Alexandre.Dumas fils 287M-»CélineMontalaud,dans Don Quichotte -..'. 289Don Quichotte: théâtre du Gymnase 290M11'Sarah Bernhardt '. 291Les Vieuxgarçons : 292M™°Pasca, d'après le tableau de L.Bonnat 293Lesueur, dans Unsoufflet n'est,jamais perdu... 295M"' Pasca 297AiméeDesclée 299M""Massin 301M""Bl. Pierson 303M"0Bl. Pierson, dans Andréa 307Théâtre du Gymnase : Bébé 309Théâtre-Illustré : le Fils de Coralie 311Projet de costume pour l'Amiral (aquarellepar E. Dé-

taille) ." 313LeThéâtre-Illustré : Monsieurle Minisire 315Théâtre du Gymnase: le Maître de Forges 316

— leprince Zilah 319M. Ludovicllalévy dans son cabinet de travail à Lussy. 321Vue du théâtre des Variétéssur le boulevard 329La Revuedes Battoirs 331Le théâtre des Variétésvers 1820 332

Odry: Rôle de Lucas dans l'Ecoledu village 333M. Perroud,dans le rôlede l'Homme Gris.— Thenard,

dans celui du baron de Lindorf 334Lecombatdes Montagnes 335M"cPauline : rôle du petit Chaperon-Rouge 337

Philippe dans Jean de Paris 339M""Carmouchi(Jenny Verlpré) 349Brunet (rôlede Cendrillon) 341Potier : Rôlede Boissecdans le Ci-devantjeune homme. 342

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390 TABLEDES GRAVURES

Pages.Perlet, dans le Comédiend'Elampes 343Lethéâtre des Variétésvers 1815 345Odry: rôle de Lucas,dans l'Ecoledu Village 346Le théâtre des Variétésvers 1828 ; 349LesCiiisi/iières 353La,Viede Bohême(frontispicede la brochure).. 357HenriMeilhaeet Ludovicllalévy 360M""LéonideLeblanc 361L'acteurChristian 364M""Schneiderdans te BelleHélène 365

— dans te GrandeDuchesse 366— dans te Périchole 367

José Dupuis,dans te Grande-Duchessede Gerolslein 36SLe théâtre d'Offenbach(aquarellepar E. Détaille, col-

lection L. Halévy) 371M11'A. Judic 372JoséDupuis,dans M.Belzy 373Eve Lavallière,dans M.de la Palisse i*^*2IP

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TOURS

IMPRIMERIEDESL1SFRÈRES

RUEGAMBETTA,6

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