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ANDRÉ MYRE Un commentaire contemporain de l’Évangile de Jean Extrait de la publication

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ANDRÉ MYRE

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Un commentaire contemporainde l’Évangile de Jean

Épine 1 5/32 po1,156 po

34,9

5 $

/ 26 €

L’Évangile de Jean a souvent été présenté comme un ouvrage réservé à une élite. Ses longs discours et ses supposées références à un univers de pen-sée ésotérique ou philosophique complexe, le sem-blaient destiné à un public ayant fait des pas de géants dans l’expérience mystique. Sans compter le profond malaise qui fi nit par envahir son lecteur :

comment se situer devant cette présentation d’un homme venu d’ailleurs, qui use d’autorité et semble avoir le dernier mot sur tout ?

André MYRE fait le pari qu’une lecture de l’Évangile de Jean invite plutôt à dé-couvrir ce que vivre humainement veut dire. Ce texte a comme conséquence de bouleverser l’univers de nos sécurités, et de crever la bulle de nos cer-titudes. Pour le comprendre, il faut aller à sa rencontre comme un visiteur sympathique, prêt à se laisser déstabiliser par la culture de l’autre.

L’Évangile de Jean montre comment le Nazaréen incite à se laisser empor-ter par le torrent de vie qui bouillonne au fond de chaque être humain. Car, aujourd’hui comme jadis, chacun fait face à un choix fondamental : devenir un mort-vivant qui un jour mourra, ou un vivant qui passera en vie à travers la mort. Telle est la foi de Jean : une foi qu’on a appris à vivre, à l’écoute de Jésus. Une foi qui suscite l’engagement : crois-tu ça ?

Dans un commentaire vivant et accessible, André MYRE souligne les enjeux des douze premiers chapitres de l’Évangile selon Jean. Il prend néanmoins ses

distances vis-à-vis de l’exégèse classique en s’intéressant autant à sa signifi cation qu’à son impact actuel. L’auteur donne en cela de pré-

cieuses indications sur le processus de rédaction de cette œuvre ancienne dont chaque mot se rattache à une longue histoire.

André Myre est un bibliste réputé et reconnu qui a enseigné cette discipline à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal de 1970 à 1997. Depuis, il a entre autres participé à La Bible. Nouvelle traduction (Médiaspaul-Bayard, 2001) et au Nouveau vocabulaire biblique (Médiaspaul-Bayard, 2004). Chez Novalis, il a publié La source des paroles de Jésus (2011) et Lui (2009).

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ANDRÉ MYRE

Un commentaire contemporainde l’Évangile de Jean

Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2013 Bibliothèque et Archives Canada, 2013

ISBN 978-2-89646-600-9

Mise en pages et couverture : Mardigrafe inc.

© Les Éditions Novalis inc. 2013

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour des activités de développement de notre entreprise.

Cet ouvrage a été publié avec le soutien de la SODEC. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.

4475, rue Frontenac, Montréal (Québec) H2H 2S2 C.P. 990, succursale Delorimier Montréal (Québec) H2H 2T1 Téléphone : 514 278-3025 ou 1 800 668-2547 [email protected] • novalis.ca

Imprimé au Canada

Di�usion pour la France et l’Europe francophone : Les Éditions du Cerf 24, rue des Tanneries 75013 Pariseditionsducerf.fr

978-2-89646-657-3

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au groupe de rencontres

au Centre Saint-Pierre

à l ’origine de ce livre

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Sommaire

Remerciements ............................................................................................ 9

Introduction ................................................................................................ 111. Au commencement................................................................... 112. Un évangile à la fois ancien et contemporain............................ 143. Un texte inachevé...................................................................... 194. Les responsables ....................................................................... 215. Qui parle dans l’évangile de Jean?............................................. 296. Le sens des signes ..................................................................... 317. Ce livre ..................................................................................... 388. Par où commencer ? .................................................................. 42

TRADUCTION DU LIVRE DES SIGNES ........................................ 43

Vocabulaire propre à la traduction.................................................... 99

COMMENTAIRE ................................................................................. 111

I. Depuis le commencement (1,1-51)................................................ 1131. Prologue (1,1-18).................................................................... 115

Ré�exions........................................................................ 1422. Premières rencontres (1,19-51)............................................... 146

Ré�exions......................................................................... 176

II. Premiers signes (2,1-4,54) ..............................................................1811. Premier signe en Galilée (2,1-12) ........................................... 1822. Premiers signes en Judée (2,13-3,36)...................................... 1883. Impact en Samarie (4,1-42) .................................................... 224

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4. Deuxième signe en Galilée (4,43-54) ..................................... 241Ré�exions ......................................................................... 245

III. Autres signes et controverses en Judée

et en Galilée (5,1-6,71) ....................................................................... 2531. Le travail des signes (5,1-47) .................................................. 2542. Signe d’un peuple à nourrir (6,1-71) ...................................... 277

Ré�exions ......................................................................... 309

IV. révélation du sens des signes (7,1-10,42) .................................. 317A. Confrontations (7,1-10,21) .................................................... 318

1. Danger (7,1-13) ............................................................ 3192. Débats (7,14-8,2) ......................................................... 324

Intermède (I)  La femme adultère. Le faiseur de signes n’est pas un juge (8,3-11) ................................. 344

3. Reprise des débats (8,12-59) ........................................ 348Intermède (II)  Guérison d’un aveugle-né. Il faut voir clair pour percevoir le Sens des signes (9,1-41) ............................... 370

4. Le Sens est hors cadre (10,1-21) .................................. 386B. Le Sens divise (10,22-42) ....................................................... 399

Ré�exions ......................................................................... 407

V. Le signe de vie entraîne la mort (11,1-12,43) ............................. 4211. Le signe de vie (11,1-57) ........................................................ 4222. La mort en prime (12,1-36) .................................................... 4443. Pourquoi ? (12,37-43) ............................................................. 464

Épilogue (12,44-50) ............................................................................. 471Ré�exions ......................................................................... 474

Conclusion ........................................................................................... 497

Bibliographie ....................................................................................... 503

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Remerciements

Si les mots de ce livre sont les miens, c’est pour les avoir appris de tous ceux et celles à l’intention de qui je les ai écrits. S’ils leur parlent, c’est que je n’ai fait que les formuler à leur place. Toute ma reconnaissance pour ce que nous devenons ensemble. C’est ce que signi�e « la vie pour toujours » dont parle cet ouvrage.

Un merci spécial à  ma conjointe Lucie, dont la  présence discrète, pendant que son moine de mari passait ses journées à  l’ordinateur, a permis que soient rédigées des pages qui disent notre espérance. Nous mourrons, certes, mais pas notre vie.

Merci à l’évangéliste dont ce livre ne cesse de parler. J’ai passé des mois à la fois troublants et rafraîchissants avec lui, c’est qu’il met du sable dans tous les engrenages pour empêcher que ronronnent les systèmes. À chaque page, il oblige sa  lectrice ou son lecteur à  se demander  : « Crois-tu ça ? ». Il  a le don de mettre la  foi aussi bien à  l’endroit qu’à l’envers.

Merci à Yolande Pronovost pour sa lecture attentive du manuscrit.

Merci à mon collègue Robert David d’avoir pris le temps de véri�er l’exactitude des distances kilométriques indiquées dans cet ouvrage.

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10 CROIS-TU ÇA ?

Merci à mon collègue Pierre Létourneau. Si je n’avais eu la chance, il y a plus de vingt ans, de lire les pages lumineuses qu’il a rédigées sur le �ls de l’homme et l’envoyé, ce livre n’aurait jamais vu le jour.

Merci à Yvon Métras, directeur adjoint à  la Division du  livre chez Bayard Canada – Novalis. Sa con�ance dans un projet qui tenait en deux phrases, ainsi que dans une promesse de recevoir un manuscrit un an plus tard, a fait que le livre a pu s’écrire en toute sérénité.

Je suis reconnaissant à tous les autres qui ont contribué à ce que ce livre paraisse, soit distribué, connu, vendu. Sans pareil travail et dévouement, un livre meurt sans histoire.

Merci à la vie pour l’immense cadeau de l’écriture.

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Introduction

1. Au commencement

Le présent livre a commencé d’exister à la �n d’une récente session d’hiver au Centre Saint-Pierre, à Montréal. Les participants se posent la question des livres bibliques à étudier au cours de l’année à venir. Après moultes hésitations, le choix se porte sur un seul livre, l’évangile selon Jean, dont l’étude, contrairement à la coutume, sera poursuivie au cours de deux trimestres. Paradoxalement, ce qui a emporté la décision, c’est que tous les membres du groupe avaient conscience qu’il s’agissait là d’une œuvre essentielle, certes, mais dont le contenu semblait d’approche di«cile. Il fallait oser aller voir ce que Jean voulait dire.

Cette origine dit tout. Pour ma  part, cette décision s’est révélée un moment très important de mon aventure intellectuelle et croyante. J’ai passé ma vie à étudier les évangiles synoptiques. C’est à leur école que j’ai pensé ma foi et ai tenté de faire l’intégration des multiples facettes d’une vie humaine. Cette année-là, je  terminais la  rédaction de La Source des paroles de Jésus, un commentaire d’une source évangélique qui, pour être très ancienne, n’en contient pas moins des données propres à renouveler l’approche christologique. En e®et, elle se situe entre les interpellations lancées par le Nazaréen une vingtaine d’années auparavant, et son activité en tant qu’Humain, comme elle l’appelle, sur le point de révéler le sens des vies humaines en fonction de leurs prises

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Extrait de la publication

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de position par rapport à lui. Ont-elles été vécues librement, à l’écoute du point de vue des pauvres et des petites gens, ou se sont-elles faites les esclaves des institutions en place ? Selon la Source, la foi n’est pas adhésion à un système de pensée ou à une organisation, mais choix con�ant d’une orientation de vie alignée sur le sens des paroles de Jésus. La Source n’a rien d’autre à dire, et ne se prononce pas sur la résurrection, la seigneurie de Jésus, etc.

On comprend les hésitations que j’avais à  me lancer dans l’étude de l’évangile selon Jean. Tout ce que j’avais lu et entendu sur le sujet me laissait craindre de sortir de cette aventure écartelé entre les visions de la Source, que je trouvais tellement rafraîchissantes, et la présentation johannique d’un être qui, venu du ciel, était passé brièvement sur terre avant d’y retourner. Un être humain peut se débattre avec une telle tension, mais un enseignant n’a pas le droit de la faire naître chez les autres sans avoir d’abord appris lui-même à la gérer. Or, j’avais à peine un été pour me préparer.

J’insiste là-dessus, au  début de  ce livre, parce que son origine en annonçait le contenu. Il a été écrit pour répondre à un problème que beaucoup de  croyants que je  connais se posent quand ils  sont mis en contact avec un passage de cet évangile. Comment se situer face à  cette présentation d’un homme venu d’ailleurs, qui se présente d’autorité comme le dernier mot de tout ? Certes, le présent livre en est un d’exégèse. Il o®re les données essentielles pour faire son chemin dans l’évangile. Mais il n’a pas pour but de remplacer, rajeunir ou compléter les innombrables commentaires de Jean qui existent déjà. Il ne vise pas à faire le point sur les connaissances actuelles à propos de Jean1, ni à faire

1. Pour s’initier à l’état actuel des connaissances sur l’évangile de Jean, voir R.E. Brown, Nouveau Testament et J. Zumstein.

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avancer la recherche sur le sujet. La bibliographie est des plus succinctes et les références à la littérature scienti�que réduites au strict minimum. Ce livre a été écrit dans l’unique but de faire voir l’enjeu fondamental que contient cet évangile, un enjeu tout à fait actuel. Selon Jean, en e®et, son portrait de Jésus permet aux hommes et aux femmes de voir clairement ce que vivre humainement veut dire. Or, selon lui, il y a deux sortes d’êtres humains : d’un côté, de soi-disant vivants qui, un jour, mourront dé�nitivement puisqu’ils étaient déjà morts en humanité ; et, de l’autre, d’authentiques vivants qui, à travers la mort physique, expérimenteront de vivre encore d’une vie qui est pour toujours. C’est là la foi de Jean : une fois qu’on a appris à vivre, à l’écoute de Jésus, c’est pour toujours. Si on n’a pas appris à vivre, on est déjà mort. Voilà l’enjeu essentiel de toute vie. Faut choisir son camp – il faut bien parler de camp, ici, parce que les combats pour la vie sont sans merci. Les luttes à l’intérieur de l’évangile, en e®et, sont d’une férocité que je n’aurais jamais imaginée.

Il y a donc une parenté profonde, que j’ai mis cependant du temps à voir, entre le contenu de la Source, dont j’ai parlé plus haut, et celui de Jean. Les deux, avec des accents di®érents et à près d’un demi-siècle de distance, insistent sur l’importance d’apprendre à vivre. La Source le  fait en présentant les interpellations du Nazaréen, qui serviront de critères au jugement de l’Humain à venir. Jean, lui, fait revivre le portrait de Jésus pour que les siens apprennent à vivre dès maintenant, sans rien attendre de l’avenir car tout se décide dans le présent de l’histoire. Tant pour la Source que pour Jean, les humains ont des choix urgents à faire. Et, comme il faudra le dire et le redire encore, l’enjeu dépasse de beaucoup la dimension religieuse de l’existence. Les deux, la Source tout comme Jean, ne sont des livres religieux qu’en apparence. S’ils parlent de Dieu, ce n’est pas pour que leurs lecteurs et lectrices s’intéressent à lui, mais parce que, à leur avis, c’est lui qui détient la clef de l’existence humaine.

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L’unique préoccupation du Dieu qu’ils présentent est que les humains apprennent à vivre. Qu’ils s’occupent de lui est le dernier de ses soucis. Faut dire ça dès maintenant, parce que cela permet d’intuitionner la vigueur des débats qui vont marquer cet évangile. Le Jésus qui s’y manifeste a le don d’enrager les défenseurs de l’institution religieuse. C’est pourtant lui que l’évangéliste présente comme le seul être humain autorisé à baliser le chemin de la vie, le porte-parole du Dieu vivant, son Parent, comme il  l’appelle. On le devine sans doute, si Jean est dérangeant quand on  cherche à  le  comprendre dans son contexte, il devient carrément troublant quand on le transpose dans le nôtre.

2. Un évangile à la fois ancien et contemporain

Jean nous arrive du passé. Il est évidemment marqué par sa culture. La lectrice ou le lecteur d’aujourd’hui a donc à faire un e®ort pour entrer en relation avec lui. S’apprivoiser à la culture de l’autre, cela ne vaut pas que pour les relations interpersonnelles d’aujourd’hui. Jean aura peu à dire à quiconque le lit comme s’il s’agissait d’un texte qui se décode facilement. Il faut aller à sa rencontre comme un visiteur sympathique, prêt à se laisser déstabiliser par la culture de l’autre. Il ne s’agit pas, ici, de faire un portrait socioculturel du monde méditerranéen au début de notre ère. Je me contente de souligner un certain nombre d’attitudes de Jean par rapport à la vie, qui marquent son œuvre2. Comme tout texte, Jean est d’une époque. Et il est constamment en train de se situer par rapport à certaines valeurs qui ont cours autour de lui.

2. Là-dessus, voir en particulier, les commentaires de B.J. Malina et R.L. Rohrbaugh, ainsi que de J.H. Neyrey.

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Respect des origines

Nos sociétés valorisent la promotion individuelle. Ce n’était pas le cas dans le monde ancien, monde communautaire, dans lequel, à quelques exceptions près, l’individu est au service du groupe, duquel il tire le sens de sa vie. Cela vaut à tous les niveaux de la société, et c’est particulièrement vrai de la famille. L’individu reçoit de la famille dans laquelle il naît sa place dans la société. Jésus, par exemple, est « le �ls de Joseph de Nazareth »3 (1,45). Cela dit tout. Nazareth est un petit village de Galilée. Déjà que la Galilée, vue de la Judée, est une province très mal appréciée, partie de l’ancien royaume du Nord duquel le Sud a rarement quelque chose de positif à dire, territoire rebelle qui, après la séparation du Nord et du Sud, s’est vu contaminé par l’arrivée de nombreux païens. Quant à Nazareth, ça ne vaut pas la peine d’en parler : Que peut-il sortir de bon de là (1,46) ? Jésus, pour sa part, n’est connu que par le nom de son père, rien à voir, par exemple, avec la généalogie de « Tsephanyâh (Sophonie), �ls de Koushi, �ls de Gedalyâh, �ls de Amaryâh, �ls de Khizqiyyâh » (So 1,1), un noble celui-là, dont on sait le pedigree. À l’époque, un être humain digne de ce nom doit vivre en étant �dèle à la voie que lui tracent ses racines, à la classe sociale qui est celle de sa famille, à son milieu de vie. C’est sa famille, en particulier, qui déterminera le cercle de ses amis et de ses fréquentations, le métier ou la profession qu’il exercera, la femme qu’il épousera, la maison qu’il habitera, l’in�uence sociale qu’il aura. On ne sort pas de ses origines.

Il faut avoir cela en tête pour comprendre les réactions scandalisées que le Jésus de Jean va provoquer au cours de l’évangile. Sa famille ne comprendra pas qu’il veuille la quitter : « Tu devrais partir d’ici et t’en aller en Judée… Tu veux agir comme tu  le fais ? Eh bien montre-toi

3. Toutes les traductions de ce livre sont de moi.

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au monde » (7,2-4). Ses adversaires n’en reviennent pas : « Comment celui-là peut-il connaître les Écrits sans avoir étudié ? » (7,15) Impossible que Jésus soit un contestataire (prophète) puisque « de la Galilée il ne surgit pas de contestataire » (7,52). Il ne peut venir « du ciel », puisqu’il est d’en bas, en bas des couches sociales. En e®et, se disent ses adversaires, « Il s’agit bien de Jésus, le �ls de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère (6,42) ? ». Le Nazaréen fait scandale, non seulement à cause des signes qu’il fait ou des paroles qu’il dit, mais dans l’itinéraire même qu’il décide de suivre. Il refuse de se laisser encadrer par quelque système que ce soit. Le dynamisme de vie qui l’habite perce la bulle de son existence dans toutes les directions. Et c’est précisément cela le chemin qu’il o®re aux siens, et c’est précisément là que surgissent et surgiront toujours les réactions de refus ou d’incompréhension, parce que le Jésus de Jean s’attaque à toutes les bulles dans lesquelles nous sommes enfermés, tous les systèmes qui prétendent nous dicter la direction de nos vies. Le prologue le dit d’une phrase : « Il [le Dire] est venu chez lui, mais les siens ne l’ont pas accueilli » (1,11). Cela est vrai à tous les moments de l’histoire. Il faut peut-être lire l’évangile de Jean pour s’en rendre compte.

Une question d’honneur

Les sociétés proche-orientales anciennes sont des communautés humaines dans lesquelles l’honneur est une donnée fondamentale. À ce sujet, il se trouve en Jean un passage clef dans lequel il est dit que le Parent du ciel a remis le jugement aux mains de Jésus,

5,23 pour que tout le monde estime le �ls comme ils estiment le Parent.Car ne pas estimer le �ls, c’est ne pas estimer le Parent qui l’a délégué.

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À l’époque, les gens sont estimés (« honorés ») dans la mesure où leur comportement correspond à ce qu’on attend d’eux. Le père fait bien son travail. La mère gère la sphère privée de la vie familiale et ne fait pas parler d’elle en public. Le �ls est soumis et obéissant. La �lle est vertueuse et modeste. Tous respectent les di®érentes autorités qui ont pouvoir sur eux. L’honneur est sauf, la malédiction de  la honte est écartée. Et cela est très important, parce qu’il en va de la réputation de la famille. La honte causée par un membre déviant peut traverser les générations et entacher tous les rapports avec le milieu.

Or, arrive Jésus qui déclare que, de ce côté, il n’a rien à attendre des humains : « Je ne reçois aucune valeur de la part des humains » (5,41). D’un bout à l’autre de l’évangile, il va en faire à sa tête. Les lecteurs et  lectrices d’aujourd’hui comprennent souvent mal la violence des réactions que la parole ou le comportement de Jésus soulèvent parce qu’ils apprécient mal l’importance des codes culturels que le  Jésus de Jean enfreint. Les témoins de son activité, dans l’évangile, sont conti-nuellement déstabilisés par ses façons de faire ou de parler, parce qu’il met continuellement en question les terrains d’entente traditionnels sur lesquels sont fondés les rapports sociaux.

L’évangile se comprend mal si on le coupe du milieu avec lequel il était en interaction, cela s’admet assez facilement. Mais il y a une autre façon de le mal lire, dont on ne se rend souvent même pas compte, et c’est de l’aborder avec un petit sourire su«sant au coin des lèvres. Comme s’il allait de soi que Jésus prenne ses distances vis-à-vis de nombreux aspects de sa société, comme s’il était évident qu’il ait dû agir ainsi dans ce temps-là… On sous-entend par là qu’il n’agirait pas de la même façon aujourd’hui. Or, l’évangile ne trouve son sens qu’au jour où lectrices et lecteurs comprennent qu’à travers les attaques répétées de Jésus contre les dirigeants et les institutions de son temps, ils sont interpellés à voir

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leurs équivalents dans leur propre société ou dans leur propre Église. Le code d’honneur d’aujourd’hui exige des comportements similaires à ceux de jadis. Les dirigeants politiques d’aujourd’hui se conduisent exactement comme ceux de jadis. Les évêques, les curés, les théologiens, les exégètes d’aujourd’hui raisonnent en tout comme ceux de  jadis. L’Église-institution ne trouverait pas davantage grâce aux yeux du Jésus de Jean que le judaïsme du temps. Elle chercherait à l’éliminer tout autant que les Judéens de jadis. L’évangile de Jean parle tout autant d’aujourd’hui que d’hier. C’est pourquoi il ébranle par le fond quiconque le lit. Ces versets du prologue ont valeur éternelle :

1,10 Il [le Dire] était dans le monde, et le monde est arrivé par lui, et le monde ne l’a pas reconnu.

11 Il est venu chez lui, mais les siens ne l’ont pas accueilli.

C’est faire preuve d’une immense su«sance que de penser qu’aujourd’hui le Dire est bien reçu par les Églises. Celles-ci font partie des « siens » qui ne l’ont jamais accueilli, parce que le Dire est trop subversif pour pouvoir être concilié avec les systèmes qu’elles ont montés en son nom. Les croyants tomberont toujours sous le jugement de l’évangile, ainsi que toutes leurs institutions, leurs rites, leurs cultes, leurs hiérarchies, leurs pratiques. Ce n’est pas à dire qu’ils aient à tout démolir, simplement à accepter d’être déstabilisés par le Jésus de Jean, qui les entraînera toujours ailleurs sur le chemin de la vie. L’évangile, celui de Jean en particulier, est la conscience de l’Église, et non sa charte de fondation.

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3. Un texte inachevé

L’évangile de  Jean semble avoir été le  bien commun d’un groupe de scribes, lesquels, tout en révérant le travail de l’auteur principal qui l’avait mis en chantier, se le sont approprié et l’ont adapté suivant les aléas de la vie de leur communauté. Il faut garder cela en tête quand on lit l’évangile de Jean. Au �l des siècles, les textes bibliques ont été étudiés à la lettre près et, puisqu’ils étaient considérés comme parole de Dieu, ont acquis un caractère sacré, lequel, de  façon paradoxale, fait encore obstacle à une interprétation équilibrée. À l’époque de leur rédaction, ces textes appartenaient aux communautés qui s’y reconnais-saient et se laissaient dynamiser par eux. Elles les recevaient comme leur bien propre, et loin de les considérer comme des textes intouchables, elles se sentaient tout à fait libres de les adapter au �l de leur histoire en mouvement. C’est particulièrement vrai de l’évangile de Jean.

Pour s’en rendre compte, cependant, il faut le lire à la suite et non par petits bouts déconnectés. Certes, on ne voit pas tout du premier coup. Mais nul besoin d’être un exégète de métier pour se rendre compte que l’évangile n’a pas été écrit d’une traite par un seul homme :

• le prologue (1,1-18) n’a pas le même style que le reste de l’œuvre

• il manque une conclusion au dialogue entre Nicodème et Jésus (3,1-21)

• la �nale du second témoignage de Jean Baptiste (3,31-36) jure avec ce qui précède, on ne sait même pas qui y parle

• en 4,54, Jésus revient en Galilée, pourtant il est en Judée au chapitre suivant et se retrouve en Galilée au chapitre 7 : on dirait bien que les chapitres 5 et 6 sont inversés

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• le passage de 7,15-24 apparaît déplacé, mais trouverait un bon contexte à la �n du chapitre 5

• l’épisode de la femme adultère (8,3-11) n’a rien de johannique et jure avec le reste de l’œuvre

• la parenthèse de 9,22-23 montre bien le travail de réédition qu’a subi l’évangile primitif

• 18,1 se révèle la suite directe de 14,31, par-dessus les chapitres 15-17

• l’évangile a deux conclusions : 20,30-31 et 21,24-25.

Ce ne sont là que les principales anomalies de la rédaction de cet évangile, à laquelle plusieurs mains ont participé pendant quelques décennies. Pensons à ces vieilles maisons dont l’architecture témoigne de l’histoire de ceux qui les ont longuement habitées : ajout d’une cuisine d’été d’un côté et d’une chambre à l’arrière pour les grands-parents, creusage d’une cave et de son entrée pour les conserves et les légumes, construction d’un grenier pour les chambres des enfants, etc. Ces maisons n’étaient pas édi�ées selon les plans harmonieux d’un architecte, mais s’agran-dissaient pour répondre aux besoins de la vie. La rédaction de l’évangile de Jean a suivi un parcours semblable, il n’a pas la structure d’une œuvre pensée comme un tout, il suit plutôt les méandres de la vie.

Mais un jour, sans qu’on sache trop pourquoi, le travail de réécriture s’est arrêté. Un rédacteur, qui respectait énormément le travail de ses prédécesseurs, a décidé, sans doute avec l’appui de ses collègues scribes, de faire les dernières retouches. Il a laissé intact le contenu qu’il avait sous les yeux, mais lui a donné une introduction et une �n. Il a donc ajouté le prologue au début (1,1-18) et, à  la �n, tout en conservant la conclusion originelle de 20,30-31, il a placé le dernier chapitre (21), y compris la seconde conclusion des vv 24-25. Hormis les changements

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de détails plus ou moins conscients e®ectués par les copistes, plus personne ne modi�erait désormais le contenu de l’évangile inachevé, qui resterait tel quel au �l des siècles. C’est lui qui, dorénavant, changera la vie de ceux et celles qui écouteront ce qu’il a à dire.

4. Les responsables

Il va sans dire que les tentatives d’expliquer la composition de l’évangile abondent. Je m’appuie pour l’essentiel sur l’hypothèse de R.E. Brown4, laquelle est simple à comprendre tout en o®rant un modèle qui permet de rendre compte du processus de rédaction d’une œuvre ancienne. À l’origine de l’évangile, il y aurait d’abord ce fameux « partisan pour qui Jésus avait de l’attachement » (19,26). La tradition lui a donné un nom, celui de Jean �ls de Zébédée, considéré comme l’évangéliste depuis presque deux millénaires. Mais plusieurs raisons militent en faveur du rejet de cette identi�cation : Pierre et Jean n’étaient pas des scribes, d’ailleurs Ac 4,13 dit explicitement qu’ils étaient illettrés ; l’évangile est un texte pensé en grec et non en araméen, langue de Jésus et des siens ; si, comme les autres partisans de Jésus, Jean était né quelque part au cours de la première décennie avant l’ère chrétienne, il n’était sûrement plus en vie au moment de la rédaction du corps de l’évangile.

4. R.E. Brown, John I, pp. lxxxvii-cii ; Nouveau Testament, pp. 410-418 ; voir J. Zumstein, pp. 384-386. Je m’appuie sur Brown, mais développe son hypothèse à ma façon.

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Le partisan

Le partisan en question a pu très bien connaître Jésus, sans faire partie du groupe des Douze. C’est à lui qu’on doit les traditions sur Jésus, sur les institutions de l’époque, ainsi que sur l’histoire et la géographie, qui recoupent parfois les matériaux que nous o®rent les synoptiques, mais souvent les complètent ou les modi�ent. Il a compris Jésus de l’intérieur, et  a une vision originale de  la foi chrétienne. Tout en connaissant le messianisme élaboré par les scribes chrétiens de Jérusalem, il tient un autre discours qu’eux sur la fonction du Jésus de l’histoire et de celui de la foi. Pour les siens, en Palestine, pendant une quarantaine d’années après la mort de Jésus, il a été celui qui témoignait à son sujet (21,24). À l’approche de la crise des années 70, il a quitté la Judée, qu’il semble très bien connaître, pour traverser la Samarie, puis la Galilée et la Syrie, pour s’installer éventuellement dans la région d’Éphèse, où il est mort à un âge très avancé pour l’époque. Il semble ne s’être pas mis à l’avant plan, s’exprimant de façon e®acée, parlant de lui à la troisième personne. Comme Ignace de Loyola qui, dans son journal s’appelle « le pèlerin », peut-être, à ses yeux, était-il simplement « le partisan ». En tout cas, dorénavant, quand je voudrai parler de lui, c’est ainsi que je l’appellerai. Il n’aurait peut-être pas approuvé que les siens fassent de lui le partisan « pour qui Jésus avait de l’attachement ». Ce qu’ils voulaient dire par là, et ils avaient bien raison, c’était leur conviction que, sans lui, l’évangile « selon Jean » n’aurait pas existé et qu’il s’agissait d’une œuvre qui avait une valeur spéciale.

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L’évangéliste

Quelque part dans son périple, le « partisan » rencontra l’« évangéliste ». L’homme de métier galiléen vient en contact avec un scribe, la culture araméenne s’allie à la grecque, le témoin de Jésus rencontre un penseur qui va couler le visage de Jésus que lui révèle le partisan dans un moule tout à fait original. On peut dire de l’évangéliste, qu’il était un partisan du  partisan. C’est lui qui le  considéra comme le  partisan préféré de Jésus, précisément parce que c’était celui qui l’avait le mieux compris. Aussi, décida-t-il de rédiger un évangile pour le montrer. C’est lui qui, autour des années 80, développa, avec son groupe de scribes, le fameux langage johannique5. Il est le principal responsable de la trame du livre, de l’organisation des matériaux autour de sept « signes », lesquels sont porteurs d’un Sens que la parole de Jésus va se charger de développer. C’est un homme évidemment versé dans les Écritures, qui sait s’en inspirer sans sentir le besoin de toujours les citer explicitement ; il semble les connaître aussi bien dans l’original hébraïque que dans les traductions araméenne ou grecque. Il est également au fait de l’activité des scribes judéens qui, depuis la chute de Jérusalem et du Temple, sont en train, alors même qu’il rédige son évangile, d’asseoir les assises du judaïsme, non sans s’inquiéter de l’essor du christianisme naissant.

L’évangéliste écrit en temps de crise. Au cours de ses années de partage du Sens avec le partisan, il a eu le temps de ré�échir sur l’impact de la chute de Jérusalem et du Temple. En tant qu’enfants d’Abraham, ces événements les avaient profondément secoués. Les tensions de plus en plus vives avec ceux qu’ils appelaient peut-être déjà les « Judéens », les avaient avertis qu’il existait un sérieux risque de coupure entre leur

5. Un « contrelangage » pour une « contresociété » (là-dessus, voir B.J. Malina et R.L. Rohrbaugh, pp. 4-11, 46-48, 59-61 ; J.H. Neyrey, pp. 9-15).

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communauté et les autres. Le grand nombre d’adhésions au mouvement de  Jésus, dans le monde méditerranéen, de  la part des membres des nations devait être pris en compte. Une crise grave s’annonçait, laquelle a été ressentie d’autant plus vivement que le groupe a un jour dû vivre la mort du partisan (21,20-23). Le lien direct avec Jésus venait d’être coupé, l’autorité du témoin par excellence n’existait plus, le groupe risquait de se �ssurer.

Quand la  menace est devenue réalité et  que le  judaïsme naissant a de fait expulsé les partisans de Jésus de ses rangs (9,22-23), la crise a éclaté, en même temps qu’une autre pointait à l’horizon. En e®et, les membres de la communauté élargie étaient concentrés en Asie Mineure, dans un rectangle dont les quatre coins étaient, si on suit le mouvement de  l’aiguille de  l’horloge en partant d’Éphèse au  sud-est, Pergame, Àyatire et Laodicée (Ap 2,1 à 3,21). C’est sur ce territoire et uniquement là que l’in�uence du partisan se faisait sentir, que son témoignage faisait autorité, sans qu’ait été perçu le besoin d’une structure plus élaborée pour soutenir la communauté. Or, voilà qu’à l’époque où il disparaît, se fait ressentir, ailleurs – à Rome en particulier –, là où existe ce qu’on y appelle l’« Église », un  fort mouvement pour établir une structure communautaire uniforme : la vieille structure paulinienne, en particulier, encore en vigueur dans plusieurs Églises d’Europe et d’Asie Mineure, est fortement contestée. Et il ne s’agit pas que de structure. La communion serait au prix d’une façon unique de considérer Jésus (messie, �ls de Dieu, seigneur), d’une manière identique de nommer l’espérance (résurrection), etc. L’identité de la communauté, fondée sur le témoignage du partisan, est donc menacée tant par le judaïsme que par le « christianisme » comme il se nomme désormais à partir d’Antioche (Ac 11,26). Le besoin est urgent de rassembler les témoignages épars rédigés à la suite des nombreux partages avec le partisan et d’adresser le dire de Jésus à la communauté.

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Dans les paragraphes qui précèdent, j’ai résumé quelque vingt ans (70-90) dans la vie de l’évangéliste. J’ai cherché à rendre compte de ce qui l’avait motivé à écrire son œuvre. Ce qu’il faut comprendre, cependant, c’est qu’il ne s’est pas décidé un jour, sous l’impulsion du moment, à écrire son évangile d’une traite. Il l’a plutôt fait par morceaux, ajoutant tel texte ici, pour répondre à telle circonstance nouvelle, tel autre là, pour permettre d’absorber telle crise, remaniant ceci, déplaçant cela. Comme je l’ai écrit plus haut, il a écrit une œuvre en mouvement, rédigeant un ouvrage qui, dans sa facture même, devait rester inachevé.

Le rédacteur

Dans les années 90-100, celui qu’on appelle le  «  rédacteur  » a mis la dernière main à l’ouvrage. On sait peu de chose de lui sinon, comme on l’a vu plus haut, qu’il a encadré l’évangile qu’il avait sous les yeux d’un nouveau début, le prologue, ainsi que d’une nouvelle �n, le ch. 21, et ce n’était pas sans importance. Il signi�ait par là à sa communauté que l’ère du partisan et de l’évangéliste était terminée. Le ch. 21, en e®et, consacre la responsabilité pastorale de l’Église de Rome (Simon-Pierre) sur l’ensemble du christianisme. Si elle veut continuer dans l’histoire, la communauté du partisan doit s’intégrer au large ensemble de l’Église. Pierre acceptera l’évangile de Jean, si Jean accepte le leadership de Pierre. Ce qui fut fait, mais la blessure prit du temps à se cicatriser. Il fallut attendre un bon siècle avant que la grande Église commençât à citer l’évangile de Jean comme elle le faisait pour les autres. Pendant ce temps la communauté johannique perdait lentement son identité.

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Trois apprentis

Il n’y eut pas que ces trois-là – le partisan, l’évangéliste et le rédacteur – à mettre la main à la pâte. Ils furent plusieurs à intervenir, comme ces élèves des grands maîtres de jadis qui, un jour, obtenaient le privilège d’y aller de leurs propres coups de pinceau sur la toile de leur patron. Ils sont assez facilement reconnaissables.

Il y a le « parenthésiste » (pardonnez-moi le néologisme), qui adore donner des explications. Par exemple : « Rabbi (ça veut dire : maître), tu demeures où ? » (1,38) C’est le pédagogue du groupe, il a souci que les auditeurs comprennent bien le texte.

On note aussi le  travail de  celui que j’appellerai le  «  rénovateur  ». Celui-là, compte tenu de l’histoire de la communauté, modi�e l’œuvre de l’évangéliste et la réaménage pour la faire parler autrement ou pour y insérer de nouveaux morceaux rédigés dans le groupe. C’est peut-être celui qui déconcerte le plus les interprètes d’aujourd’hui, parce qu’il leur donne l’impression de créer du désordre.

En�n, il faut relever l’œuvre de celui que j’appelle le « catholique ». Celui-là ne veut pas que la communauté johannique fasse bande à part, aussi prend-il soin d’aligner la pensée de l’évangéliste sur celle de la grande Église. Là où son activité se manifeste le plus clairement, c’est dans son utilisation du langage sur la résurrection, reportée dans le futur, parallèlement à celui de l’évangéliste sur la vie présente et permanente. Il a également tendance à se servir des titres christologiques traditionnels, pour lesquels l’évangéliste manifeste peu d’attraits. L’exemple suivant est représentatif :

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5,24 Qui écoute mon dire et fait con�ance à celui qui m’a délégué a la vie pour toujours sans entrer en jugement, puisqu’il est déjà passé de la mort à la vie.25 L’heure approche, elle est même là, où les morts entendront la voix du �ls de Dieu. Alors, ceux qui l ’entendront vivront.

Alors qu’au v 24, la foi de l’évangéliste porte sur la vie présente que même la mort physique ne pourra détruire, le v 25 (en italique), de la main du catholique, la transforme en espérance portant sur le futur de  la résurrection, à laquelle le « �ls de Dieu » participera.

Il y en a sans doute d’autres qui sont intervenus dans le texte, dont le travail est moins apparent, et, derrière chacun des trois derniers dont je viens de parler, se manifestaient peut-être plus d’un scribes. L’évangile de Jean est à tous égards une œuvre collective. Dans la suite de ce livre, j’ai essayé, dans la mesure du possible, d’indiquer de quelle main relèvent les textes. Il est cependant évident que le gros de l’écriture a été assuré par l’évangéliste, puisque le partisan n’a rien écrit et que le rédacteur est surtout intervenu au début et à la �n de l’œuvre. Le travail le plus délicat consiste donc à relever les interventions des trois « apprentis ». Toutefois, je ne fais pas ici œuvre d’analyse littéraire et suis davantage intéressé par le sens de l’évangile que par l’étude scienti�que du texte. Tout en ne prétendant pas avoir été exhaustif, je crois que lectrices et lecteurs pourront, à la lecture du commentaire, se faire une bonne idée du processus de rédaction de l’évangile. Aussi, pour aider lectrices et lecteurs à remarquer le travail des principaux intervenants littéraires,

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et les retrouver facilement s’ils s’y intéressent, me suis-je permis de les distinguer, à l’intérieur du texte de l’évangéliste, par la typographie. Pour le parenthésiste6, le code allait de soi :

1,38 Rabbi (ça veut dire : maître), tu demeures où ?

Le travail du  rénovateur est indiqué par l’utilisation d’une police di®érente7 :

3,31 Qui vient d’en-haut est au-dessus de tout le monde. Qui vient

de la terre est de la terre et parle de la terre. Qui vient du ciel est

au-dessus de tout le monde.

Quant à  l’activité du catholique8, elle est caractérisée par l’italique, comme dans le texte suivant déjà cité :

5,24 Qui écoute mon dire et fait con�ance à celui qui m’a délégué a la vie pour toujours sans entrer en jugement, puisqu’il est déjà passé de la mort à la vie.25 L’heure approche, elle est même là, où les morts entendront la voix du �ls de Dieu. Alors, ceux qui l ’entendront vivront.

6. Je me suis inspiré du  travail de R.E. Brown (voir John II, pp. 1145-1178). Je  reconnais la main du parenthésiste dans les vv suivants  : 1,38.39.40.41.42; 2,12; 3,24; 4,2.8.9.25.44; 5,2.34; 6,1.6.22.64.71; 7,5.30.39.50; 8,6.27.35; 9,7.14.22-23; 10,6.12; 11,2.5.13.16.30.51-52; 12,4.6.8.16.33.37-43. 7. J’ai attribué au travail du rénovateur les passages suivants : 3,13-21.31-36; 4,35-38; 6,55-58; 7,15-24; 10,19-21; 12,44-50. 8. Le catholique est intervenu en 2,19-22; 3,34-35; 5,21.25.28-29; 6,39.40.44.54.67-70; 10,17-18; 11,23-24.25.27; 12,1.9.17.48.

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5. Qui parle dans l’évangile de Jean ?

J’ai dit de  Jean, au  début, qu’il faisait revivre le  portrait de  Jésus. Je voudrais maintenant faire part d’une option qui va marquer tout le commentaire. Nul besoin d’avoir longtemps fréquenté les évangiles pour avoir remarqué que, contrairement à Marc, par exemple, le Jésus de l’évangile de Jean parle beaucoup. À certains moments, précisément quand il se présente en référence à l’Humain (« Fils de l’homme », selon la traduction usuelle), il se sert de la troisième personne, par exemple : « Personne n’est monté au ciel si ce n’est l’Humain qui en est descendu » (3,13). La plupart du temps, cependant, il parle au je, un je qui a des prétentions surprenantes dans la bouche d’un être humain  : je  suis le chemin, je suis la porte, je suis la vie, « avant qu’Abraham arrive, moi, j’existe » (8,58). Qui donc y a-t-il derrière ce je ?

Le problème est énorme, on en convient. Et, pour dire vrai, il faudrait en traiter à  la �n de ce livre plutôt qu’au début. L’exégèse une fois faite, l’explication se comprend plus facilement. Mais il s’agit là d’une question clef que se pose nécessairement tout lecteur, toute lectrice de Jean : Jésus de Nazareth s’exprimait-il ainsi ? Je me permets d’aborder la question en suggérant aux lecteurs de faire un exercice que j’ai souvent proposé à mes étudiants : lire d’une traite les chapitres 5-7 de Matthieu (le « Sermon sur la montagne ») et 13 à 17 de Jean. Qui le fait éprouve nécessairement un choc culturel  : il y a là deux modes d’expression radicalement di®érents. La question n’est peut-être pas réglée pour autant, mais l’exercice permet de voir qu’il y a un choix à faire. Ou bien le Nazaréen parlait comme il le fait dans les évangiles de Matthieu, de Marc et de Luc, ou bien il s’exprimait comme dans l’évangile de Jean. C’est l’un ou l’autre. Or, pour plusieurs raisons, il semble bien qu’il faille donner la préférence aux synoptiques. Un Galiléen de Nazareth, qui parle araméen et ne sait peut-être pas un mot de grec, a toutes les

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chances d’utiliser les concepts, les mots, les images, le style avec lesquels Matthieu le fait s’exprimer, beaucoup moins ceux de Jean. Je ne donne qu’un seul exemple, l’expression « Régime de Dieu », tellement typique du Jésus des synoptiques. Elle est ancrée dans la littérature hébraïque, et, à toutes �ns utiles, avec le sens que lui donnent les synoptiques, ne se trouve que chez eux. Pour le Nazaréen, il ne s’agit pas seulement de mots qu’il aurait utilisés parmi d’autres, mais ce sont précisément ceux autour desquels tourne toute son espérance. Il n’a vécu que pour le Régime de Dieu. Or, en Jean, l’expression n’est utilisée qu’à deux reprises (3,3.5), sans relief particulier. On ne voit donc pas ce qui aurait poussé les auteurs des synoptiques, entre les années 70 et 85, à mettre dans la bouche de Jésus une expression sans retentissement particulier à  l’époque (même dans les années 50-65, Paul était beaucoup plus intéressé à parler de la seigneurie du Christ que du Régime de Dieu).

Les synoptiques re�ètent donc �dèlement la langue et la pensée de Jésus (relue, cependant, à la lumière de sa résurrection et de son accession à  la  seigneurie), tandis que Jean en est une profonde réexpression et inculturation. Alors que, dans les synoptiques, Jésus est totalement concentré sur la venue du Régime de Dieu et ne manifeste aucune propension à  se mettre à  l’avant-plan, dans l’évangile de  Jean, son je est prépondérant et il se présente lui-même comme étant le garant, en tant qu’envoyé du Parent, de l’authenticité du chemin de vie qu’il présente. En d’autres mots, le je du Jésus du quatrième évangile est l’expression du sens que l’auteur reconnaît à Jésus, beaucoup plus qu’une représentation du  langage même de ce dernier. Autant Jean s’inté-resse-t-il au je de Jésus, autant ce dernier le passait-il sous silence. C’est là une clef très importante pour comprendre l’évangile de Jean.

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Ceci dit, il faut immédiatement ajouter une donnée qui est de l’ordre du complément plutôt que du correctif. S’il est vrai que c’est Jean qui s’exprime par le je de Jésus, il l’est tout autant que l’auteur – et c’est très parlant – se montre extrêmement �dèle à reproduire la façon dont le Nazaréen lisait la réalité. Certes, l’évangéliste vit dans un autre monde, une autre culture, il utilise un autre langage, mais, pour le fond, c’est le portrait de Jésus qu’il trace. Il le fait revivre, lui, il le fait parler, lui, dans d’autres conditions sociales, politiques et religieuses, bien sûr, mais il connaissait assez son sujet pour lui faire exprimer la ligne de fond de  ses choix. Sous le  je de l’évangéliste, il  y a donc la personnalité de Jésus. C’est un des aspects de la complexité de cet évangile. Malgré qu’il soit le dernier à avoir été rédigé, il sait présenter un Jésus criant d’authenticité et il contient, d’ailleurs, certaines traditions autant sinon plus anciennes que les synoptiques. Le lire, c’est vivre une aventure.

6. Le sens des signes

La première partie de l’œuvre (ch. 1-12) est scandée par sept « signes » de Jésus, comme l’évangéliste les appelle9. Il a«rme cependant clairement qu’il a fait un choix parmi bien d’autres :

20,30 Jésus a donc fait, devant ses partisans, beaucoup d’autres signes qui ne se trouvent pas rapportés dans ce livre. 31 Ceux-ci l’ont été pour que vous fassiez con�ance : Jésus est bien le messie le �ls de Dieu, et pour que vous fassiez con�ance : grâce à lui vous avez la vie.10

9. Il est remarquable que le mot signe ne se retrouve que dans la première partie de l’évangile (ch. 1-12), ainsi que dans la première conclusion de 20,30-31.10. Ce texte était sans doute la conclusion originale des douze premiers chapitres de l’évangile. Il est intéressant de noter dès maintenant que le catholique y était déjà intervenu, pour ajouter au thème de la vie, typique de l’évangéliste, celui des titres christologiques de messie et de �ls de Dieu, qui lui sont chers parce que traditionnels dans le reste de l’Église.

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Selon l’évangéliste, il est évident pour tout le monde, y compris ses adversaires, que Jésus a fait de nombreux signes11, alors que Jean Baptiste n’en a fait aucun (10,41). On reconnaît, d’ordinaire, que l’évangéliste a distribué sept signes dans ses douze premiers chapitres :

1. À Cana de Galilée : changement de l’eau en vin (2,1-11)

2. À Capharnaüm de Galilée : guérison du �ls d’un o«cier royal (4,46b-53)

3. À Jérusalem de Judée : guérison d’un paraplégique (5,2-9a)

4. Au bord du lac de Galilée : multiplication des pains (6,5-14)

5. Sur le lac de Galilée : marche sur le lac (6,16-21)

6. À Jérusalem de Judée : guérison d’un aveugle-né (9,1-7)

7. À Béthanie de Judée, manifestation de Lazare (11,38-44)

Compte tenu des remaniements que le texte a subis, il est impossible de  déterminer l’ordre original des sept signes, ni même d’avoir la certitude qu’ils étaient bien au nombre de sept12. Par exemple, s’il y a eu remaniement des chapitres 5 et 6, les quatre signes galiléens précédaient les trois derniers accomplis en Judée. De plus, en 6,2, il est dit qu’il y a beaucoup de monde autour de Jésus, « pour avoir vu les signes qu’il a faits sur les malades ». C’est peut-être une très vieille tradition dans laquelle le mot signe équivaut à guérison. Les récits tels que le changement de  l’eau en vin, la multiplication des pains,

11. Voir 2,23 ; 3,2 ; 6,2.26 ; 7,31 ; 9,16 ; 11,47 ; 12,37; 20,30.12. Dans le commentaire du geste contre le Temple (2,14-17), j’exprime l’avis que, pour l’évangéliste, il s’agit bien là d’un signe.

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la marche sur le lac et le manifestation de Lazare seraient postérieurs et  impliqueraient un  élargissement de  la compréhension du  signe. L’évangéliste, cependant, quali�e expressément de signes le changement de l’eau en vin (2,11 : « C’est là, à Cana de Galilée, le premier des signes accomplis par Jésus »), la guérison du �ls de l’o«cier royal (4,54 : « C’est le deuxième signe que Jésus fait en Galilée, à  la suite de son retour de Judée »), la multiplication des pains (6,14 : « À la vue du signe qu’il a fait, les gens se disent… »), ainsi que la manifestation de Lazare (12,18 : « C’est pourquoi les gens ont voulu le rencontrer, ils avaient entendu parler du signe qu’il avait fait »).

Au début de  l’évangile, les signes de  Jésus semblent avoir l’effet escompté : ses partisans ont con�ance en lui (2,11), beaucoup d’autres aussi (2,23) ; c’est également le cas d’un o«cier royal à Capharnaüm (4,50.53-54). Mais Jésus ne s’y �e pas trop (2,23). En 4,48, il  rend compte de son scepticisme par une question : « Si vous ne voyez pas de signes et de prodiges, vous ne faites pas con�ance ? » La suite va lui donner raison : certes, les gens aÂuent « pour avoir vu les signes qu’il a faits sur les malades » (6,2), ils vont avoir la plus haute considération pour lui après la multiplication des pains (6,14), mais l’évangéliste, en faisant parler Jésus, n’en est pas moins déçu : « Vous ne me cherchez pas à cause des signes que vous avez vus, mais parce que vous vous êtes nourris de pain jusqu’à plus faim » (6,26). C’est pourquoi, à la �n du « livre des signes » – comme on appelle la première partie de l’évangile (ch. 1-12) dont ce livre est le commentaire –, quand l’évangéliste fait son évaluation de l’activité de Jésus avant son arrestation, il a cette parole dévastatrice : « Malgré tous les signes qu’il a faits devant eux, ils ne lui font pas con�ance » (12,37). Son seul espoir, c’est que ses lecteurs et lectrices, après avoir lu les signes consignés dans son livre fassent con�ance à Jésus et aient la vie « grâce à lui » (20,30-31).

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Je tiens à dire ici qu’une compréhension adéquate des signes est un des objectifs importants du présent livre. Or, il faut encore faire une mise en garde. Ce serait une grave erreur de croire que les signes de Jésus, rapportés dans l’évangile de Jean, sont plus clairs aujourd’hui qu’ils ne l’étaient jadis. De nos jours tout autant qu’alors ils sont enveloppés tant d’obscurité que de clarté. Les signes de l ’évangile demandent qu’on y croie, non pas au sens de  l’acceptation d’une vérité d’ordre intellectuel ou historique, comme lorsqu’on dit croire ou ne pas croire aux « miracles », mais au sens de la décision de s’engager ou non sur le chemin dont, en tant que signes, ils indiquent la direction. J’insiste là-dessus parce que, selon moi, dans l’ensemble de la littérature sur l’évangile de Jean, il y a une interprétation généralisée des signes, selon laquelle ceux-ci dirigeraient le regard vers Jésus, lequel aurait apporté le salut à l’humanité. Croire aux signes signi�erait donc croire en Jésus, le Verbe incarné. La citation suivante est typique :

Tous les grands miracles appelés « signes » concentrent toute l’attention sur celui qui les a accomplis, pour en manifester la majesté et le pouvoir salvi�que qui lui a été conféré.13

Tout en respectant un très grand exégète johannique, je me permets d’exprimer un profond désaccord. J’insiste là-dessus parce que ce point conditionne toute l’interprétation de  l’évangile de  Jean et  que les lecteurs et  lectrices ont le  droit de  savoir, dès le  début, dans quoi ils s’engagent en lisant le présent livre. Comme je comprends l’évangile de Jean, les signes qu’il contient ne font pas porter le regard vers Jésus, mais sur le chemin de vie qu’ils tracent. Cana jette par terre tout le mur des puri�cations rituelles pour ouvrir une vie joyeuse et libre autour d’un bon vin. La guérison du �ls de l’o«cier royal ramène la vie dans

13. R. Schnackenburg, John I, Excursus IV : Àe Johannine « signs », p. 523.

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un royaume où règne la mort. La guérison du paralytique redonne la capacité de marcher dans une Judée paralysée. La multiplication des pains nourrit un peuple a®amé. La marche sur le lac défait les forces déchaînées d’un monde démoniaque. La guérison du mendiant fait voir clair à une Judée aveuglée par son grand prêtre au service de Rome. La manifestation de Lazare révèle que la mort ne peut tuer la vie. Ce ne sont pas des signes qui font pointer le regard vers Jésus, mais en direction du chemin sur lequel il faut nécessairement marcher si on veut vivre.

Dans l’évangile de Jean, il y a ces grands signes, mais aussi tous les autres qui n’en portent pas le nom mais pointent dans la même direction que les premiers. Geste contre le Temple et conversation avec la Samaritaine pour indiquer la �n des lieux de culte, et de tous les rites qui vont avec, tout en montrant l’absurdité des interdictions de dialoguer avec les personnes d’un autre sexe, d’une autre nationalité, d’une autre religion. Sans parler de tous les échanges de Jésus avec les représentants de  sa  société, qui marquent le  contenu du  livre des signes et  sont eux-mêmes un grand signe, lequel révèle le sens des autres. En eux, Jésus se montre en porte-à-faux par rapport aux valeurs marquantes de sa société. C’est cela le chemin tracé par l’évangéliste devant ses lectrices et lecteurs. S’ils veulent vivre vraiment, ils se doivent de suivre d’autres valeurs que celles de leur société, se donner d’autres institutions, suivre d’autres leaders. On comprend qu’ils aient été à la fois fascinés et apeurés, éprouvant aussi bien le goût que la peur de croire. Cela n’avait rien à voir avec un salut apporté d’en haut, auquel il y aurait eu à donner une simple adhésion intellectuelle. C’est leur vie dans ses moindres recoins qui était touchée.

C’est pourquoi l’évangéliste a pris tellement de soin à asseoir l’autorité de celui qui faisait de tels signes, indiquait un tel chemin, bouleversait tellement l’existence. On peut dire que le livre des signes est une réponse

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johannique donnée à la question posée à Jésus, dans l’évangile de Marc, par les grands prêtres, les savants et les anciens, après son geste contre le Temple : « Tu disposes de quelle autorité pour agir comme tu le fais ? Qui t’autorise à faire ces choses ? » (Mc 11,28) Le chemin tracé par l’évangéliste bouleverse tellement l’ordre établi et l’image que chacun, chacune se donne de  la vie à  vivre, qu’il est nécessaire d’avoir une con�ance pour ainsi dire absolue dans le révélateur d’une telle voie. C’est ce qui explique le soin mis par l’évangéliste à établir les raisons de faire con�ance à Jésus. C’est donc vrai qu’il y a une très haute christologie dans l’évangile de Jean. Mais il faut équilibrer la portée des signes et de la christologie. Selon l’évangéliste, la seule façon authentique de reconnaître la direction tracée par les signes et de témoigner sa con�ance à celui qui les a accomplis, c’est de s’engager sur le chemin qu’ils indiquent. Il faudra le dire et le redire, les signes ne font pas porter le regard vers Jésus, mais sur les orientations de vie qu’il défend.

Il se produit une chose très paradoxale quand on se centre sur le Jésus de Jean aux dépens du chemin qu’il trace. On joue alors le même rôle que celui des fameux «  Judéens » de  l’évangile, qui, eux, cherchent à discréditer Jésus, par tous les moyens possibles. En e®et, l’évangéliste se sert d’eux pour montrer que, si  on s’attaque à  Jésus, c’est pour sauvegarder le système tel qu’il existe. Le plus bel exemple de cette intention est o®ert par les grands prêtres et les Séparés qui convoquent la Cour suprême :

11,47 Faut se décider. Cet homme-là accomplit toutes sortes de signes. 48 Si on le laisse faire, tous vont se mettre à lui faire con�ance, ce qui provoquera la venue des Romains avec la destruction du Temple et de la nation.

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On s’en prenait à  Jésus pour sauver le  statu quo. Or, de nos jours, consciemment ou non, si on détourne les signes de leur sens pour les diriger vers Jésus, c’est dans la même intention. Car le chemin tracé par les signes est aussi di«cile à suivre aujourd’hui qu’il l’était jadis. Certes, le Temple n’existe plus, mais il a été remplacé par nos églises et nos basiliques. Son culte n’existe plus, mais il a été remplacé par nos rites et nos sacrements. En Église, qui o®re le vin de la joie ? qui s’attaque à  la  sclérose générée par les appareils gouvernementaux ? qui fait marcher les humains paralysés sur des chemins bouchés ? qui entreprend de donner à manger autre chose que l’eucharistie au peuple qui a faim ? qui veut calmer les menaces d’une nature révoltée par l’exploitation humaine ? qui donne de voir clair, librement, dans le fouillis des systèmes inhumains ? qui fait revivre les humains moribonds ? Si  de telles questions ont l’air farfelues en Église, c’est qu’on a détourné les signes de leur sens : on les a pointés sur Jésus, plutôt que dirigés vers le chemin sur lequel il veut voir les siens marcher. Si les Judéens d’aujourd’hui sont aussi féroces que ceux de  jadis dans leur opposition au  sens indiqué par les signes, c’est qu’ils se servent de Jésus pour conforter le système auquel ils ont donné leur vie. Le Jésus de l’évangéliste est d’aujourd’hui, tout comme le sont les Judéens qui s’opposent à lui, tout comme est d’aujourd’hui le système qu’il attaquait. Et, comme cela est dit dans le prologue de l’évangile, il faut le répéter, cette opposition est de toujours : « Il (le Dire, la Parole ou le Sens) est venu chez lui, mais les siens ne l’ont pas accueilli » (1,11). Les siens…, pas les autres, les mécréants, les athées, et autres méchants du même acabit. L’opposition à l’évangile est toujours venue, vient et viendra toujours en premier lieu, de l’intérieur.

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7. Ce livre

Ce livre est un commentaire des douze premiers chapitres de l’évangile selon Jean. Il n’entre pas dans les plans de l’auteur d’en écrire une suite. Cette partie forme un  tout et  elle contient l’essentiel de  la pensée de l’évangéliste. Certes, la seconde ne manque pas d’intérêt, mais les outils pour la bien comprendre se trouvent, à quelques exceptions près (le Paraclet, par exemple), dans la première.

J’ai beaucoup appris des auteurs nommés dans la bibliographie qui se trouve en �n de volume. Je ne saurais trop en recommander la lecture, il s’y trouve une mine de renseignements de tous ordres sur l’évangile de Jean. Mais je n’ai pas senti le besoin d’y référer à tout bout de champ. Je le fais surtout pour aider à trouver un complément d’informations.

Cette introduction est suivie de  la traduction des douze premiers chapitres de l’évangile de Jean. Je l’ai voulue vivante, accessible, dégagée, dans un  langage d’aujourd’hui. Elle est au présent. J’y ai inséré les grandes lignes d’un plan possible de  l’œuvre johannique pour aider à la lecture. Je l’ai disposée de façon aérée, pour permettre de suivre la logique du développement. Conformément à notre mode d’écriture, j’ai remplacé la majeure partie des marqueurs de dialogues du genre « il leur dit », « il répondit », etc., par des tirets. L’acte de traduire implique la �délité aux façons d’écrire de la culture d’accueil. Toutes les paroles sont placées en retrait. (Comme je l’ai écrit plus haut, les parenthèses veulent indiquer des modi�cations faites, dans l’évangile, par celui que j’ai appelé le « parenthésiste ») ; les textes transcrits dans le présent

caractère ont été mis en place par le « rénovateur » ; et l ’italique est réservée au « catholique ». Dans le prologue, je me suis permis de mettre le poème primitif en caractère gras, pour qu’il soit facilement reconnaissable. La traduction est suivie d’un vocabulaire expliquant le choix de certains

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mots plutôt que les plus courants pour rendre le texte grec. Si je m’éloigne ainsi des autres façons de traduire, ce n’est pas pour dire qu’elles ne sont pas bonnes. Je veux simplement souligner l’un ou l’autre sens jusqu’ici laissés dans l’ombre.

Si le commentaire s’appuie sur l’exégèse, il prend ses distances vis-à-vis d’elle dans la mesure où il n’est pas intéressé à dire seulement ce que le  texte voulait dire jadis, mais a le  souci d’en faire voir l’impact aujourd’hui. Il est dirigé par la conviction que, gadgets en plus, les humains de notre époque réagissent en tout comme ceux du passé. Les adversaires de Jésus de nos jours se comportent exactement comme les Judéens de l’évangile. Comme ceux de jadis, ils ont donné leur vie à un système, quel qu’en soit le type et le champ d’activité : politique, social, économique, religieux. Comme leurs ancêtres, ils considèrent que leur système vient de Dieu ou d’une idole qui porte son nom. Ils ont à leur service des scribes ou des savants, qui ont toutes sortes de noms : théologiens, exégètes, journalistes, experts, professeurs, lesquels jouissent du prestige de leur science et de leur profession. Aujourd’hui comme jadis, chaque être humain fait face à  un  choix fondamental dans la vie : devenir un mort-vivant qui un jour mourra, ou un vivant qui passera en vie à travers la mort. L’évangile de Jean montre comment réagissent les serviteurs des systèmes de mort quand ils rencontrent la vie. Et la vie dont il parle n’est pas une autre sorte de vie que celle qui peut se vivre ici-bas, par les mortels que nous sommes. Il n’y a pas de vie « surnaturelle » en Jean, pas de système de salut importé d’en haut. Ce que l’envoyé du Parent du ciel révèle, c’est qu’il faut se laisser emporter par le torrent de vie qui bouillonne au fond de chaque être humain. Malheureusement pour les systèmes en place, cependant, cette vie est tellement forte qu’elle fait craquer tous les organismes sclérosés, toutes les organisations de mort que les humains développent pour se

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protéger de la vie. C’est pourquoi le con�it est tellement intense dans cet évangile. La mort ne veut rien savoir de la vie, ni du Nazaréen qui se laisse vivi�er par elle, ni de ses partisans tentés de lui faire con�ance. Cet évangile est à la fois tendre et cruel comme la vie. Et surprenant aussi, car l’enjeu est tellement important que les faux-fuyants, les compromis et la diplomatie n’y ont pas leur place. Le Jésus de Jean, attaqué de toutes parts par des vagues d’opposants judéens, se défend bec et ongles tout en attaquant durement. Quand on a la mort comme ennemie, on ne fait pas de quartier.

Je l’ai déjà répété, je ne fais pas œuvre scienti�que. J’ai donc cherché à éviter toute technicité. Mais je me dois d’avertir lectrices et lecteurs que ce livre ne se lit pas comme un roman. C’est que l’évangile est une œuvre ancienne. Chacun de ses mots a une longue histoire, qui plonge ses racines dans le grec ou l’hébreu. Chacun est situé quelque part dans une cohérence culturelle qui n’est plus la nôtre. Or, la plupart d’entre eux ont été depuis fort longtemps sortis du monde ancien à l’intérieur duquel ils  se mouvaient à  l’aise, pour être insérés dans un système religieux qui leur a donné un autre sens. C’est ce brouillage culturel qui peut rendre plus ou moins malaisée la lecture du commentaire. Ce n’est pas que les mots soient di«ciles à comprendre. C’est que, pour le faire, il  faut connaître le  contexte à partir duquel ils  reçoivent leur sens. Or, les contextes sont multiples. Dans l’évangile de Jean, nous allons rencontrer, par exemple, celui de l’Ancien Testament (lui-même selon sa version originale hébraïque, ou dans sa traduction grecque) ; celui de Jésus de Nazareth ; celui du partisan par excellence en Palestine ; celui de l’évangéliste en Samarie, en Syrie et en Asie Mineure, pour parler des plus importants. Les mots sont marqués par ces di®érents contextes, sans parler des changements de  sens qu’ils vont subir dans l’histoire du christianisme. Dès les premiers mots de l’évangile,

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le problème devient évident : « Au commencement, il y avait le Dire… » (1,1). Comprendre ce « commencement » exige certains mouvements de gymnastique mentale, mais ce n’est rien à côté du « Dire », car il y a un univers de compréhension entre le sens du Dire dans l’évangile de Jean et celui du Verbe incarné des grands conciles christologiques. C’est d’apprendre à situer le sens des mots selon les di®érents contextes de leur utilisation qui prend du temps, un e®ort qui ralentit la lecture, une di«culté que la simplicité du langage utilisé dans ce  livre peut aplanir jusqu’à un certain point mais sans pouvoir l’éliminer.

Le principal problème que pose la  lecture de  ce livre est cependant d’un tout autre ordre. Si l’évangile de Jean, en e®et, n’est pas di«cile à comprendre, il est loin d’être facile à accepter. C’est qu’il bouleverse l’univers de nos sécurités, crève la bulle de nos certitudes, et bousille le GPS dont nous nous servions pour nous déplacer dans la vie. Impossible de lire l’évangile de Jean sans jeter un regard neuf sur sa vie, laquelle se lit moins facilement qu’un texte. Ici, l’auteur doit évidemment laisser ses lectrices et lecteurs à eux-mêmes, car la lecture à laquelle il les convie est in�niment plus importante que celle des mots avec lesquels il est à l’aise. La vie sera toujours plus grande que les mots.

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8. Par où commencer ?

Je termine en parlant du commencement. Par où commencer la lecture de ce livre ? Il ne serait pas mauvais de lire d’abord la traduction du livre des signes, et de jeter un œil sur le Vocabulaire qui la suit. Cela permettrait d’avoir l’œuvre de l’évangéliste en tête avant d’aborder le Commentaire. Mais le prologue (1,1-18) pose plusieurs problèmes. Son rédacteur avait évidemment le livre des signes en tête quand il l’a rédigé. Il a voulu en élargir la perspective aux dimensions du cosmos, en prolonger le Sens dans l’ensemble de l’histoire, en fonder l’authenticité au cœur de la Réalité. Tout en n’ayant de sens que comme introduction au livre des signes, ces versets supposent en même temps que lecteurs et lectrices l’ont déjà lu et compris. C’est un texte d’une densité extrême, qui soulève des questions de tous ordres. Le commentaire qui en est ici fait est donc beaucoup plus lourd que le reste de ce livre. Cependant, l’e®ort d’en parcourir les explications donnera probablement ses e®ets dans la suite, le prologue o®rant une clef de lecture pour le livre des signes, et celui-ci illustrant concrètement le Sens du premier.

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ANDRÉ MYRE

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YRE

Un commentaire contemporainde l’Évangile de Jean

Épine 1 5/32 po1,156 po

34,9

5 $

/ 26 €

L’Évangile de Jean a souvent été présenté comme un ouvrage réservé à une élite. Ses longs discours et ses supposées références à un univers de pen-sée ésotérique ou philosophique complexe, le sem-blaient destiné à un public ayant fait des pas de géants dans l’expérience mystique. Sans compter le profond malaise qui fi nit par envahir son lecteur :

comment se situer devant cette présentation d’un homme venu d’ailleurs, qui use d’autorité et semble avoir le dernier mot sur tout ?

André MYRE fait le pari qu’une lecture de l’Évangile de Jean invite plutôt à dé-couvrir ce que vivre humainement veut dire. Ce texte a comme conséquence de bouleverser l’univers de nos sécurités, et de crever la bulle de nos cer-titudes. Pour le comprendre, il faut aller à sa rencontre comme un visiteur sympathique, prêt à se laisser déstabiliser par la culture de l’autre.

L’Évangile de Jean montre comment le Nazaréen incite à se laisser empor-ter par le torrent de vie qui bouillonne au fond de chaque être humain. Car, aujourd’hui comme jadis, chacun fait face à un choix fondamental : devenir un mort-vivant qui un jour mourra, ou un vivant qui passera en vie à travers la mort. Telle est la foi de Jean : une foi qu’on a appris à vivre, à l’écoute de Jésus. Une foi qui suscite l’engagement : crois-tu ça ?

Dans un commentaire vivant et accessible, André MYRE souligne les enjeux des douze premiers chapitres de l’Évangile selon Jean. Il prend néanmoins ses

distances vis-à-vis de l’exégèse classique en s’intéressant autant à sa signifi cation qu’à son impact actuel. L’auteur donne en cela de pré-

cieuses indications sur le processus de rédaction de cette œuvre ancienne dont chaque mot se rattache à une longue histoire.

André Myre est un bibliste réputé et reconnu qui a enseigné cette discipline à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal de 1970 à 1997. Depuis, il a entre autres participé à La Bible. Nouvelle traduction (Médiaspaul-Bayard, 2001) et au Nouveau vocabulaire biblique (Médiaspaul-Bayard, 2004). Chez Novalis, il a publié La source des paroles de Jésus (2011) et Lui (2009).

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