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VERS UNE PSYCHOLOGIE DU MOUVEMENT : L'ESPACE ACOUSTIQUE D'ERWIN STRAUS, ENTRE MUSIQUE ET DANSE Anne Boissière ERES | Insistance 2011/1 - n° 5 pages 55 à 68 ISSN 1778-7807 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-insistance-2011-1-page-55.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Boissière Anne, « Vers une psychologie du mouvement : l'espace acoustique d'Erwin Straus, entre musique et danse », Insistance, 2011/1 n° 5, p. 55-68. DOI : 10.3917/insi.005.0055 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_paris7 - - 201.214.60.73 - 06/07/2012 18h57. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_paris7 - - 201.214.60.73 - 06/07/2012 18h57. © ERES

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VERS UNE PSYCHOLOGIE DU MOUVEMENT : L'ESPACEACOUSTIQUE D'ERWIN STRAUS, ENTRE MUSIQUE ET DANSE Anne Boissière ERES | Insistance 2011/1 - n° 5pages 55 à 68

ISSN 1778-7807

Article disponible en ligne à l'adresse:

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Boissière Anne, « Vers une psychologie du mouvement : l'espace acoustique d'Erwin Straus, entre musique et

danse »,

Insistance, 2011/1 n° 5, p. 55-68. DOI : 10.3917/insi.005.0055

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INSISTANCE N° 5 55

VERS UNE PSYCHOLOGIE DU MOUVEMENT : L’ESPACE ACOUSTIQUE D’ERWIN STRAUS, ENTRE MUSIQUE ET DANSEAnne Boissière

Anne Boissière, professeure de philosophie de l’art et d’esthétique, université de Lille 3.1. « Les formes du spatial, leur signification pour la motricité et la perception », Jean-François Courtine (études réunies par), Figures de la subjectivité, Approches phénoménologiques et psychiatriques, Paris, Éditions du Centre national de la recherche scientifique, 1992, texte traduit par Michèle Gennart, p. 15-49 ; « Die Formen des Räumlichen », Psychologie der menschlichen Welt, Berlin-Göttingen-Heidelberg, Springer, 1960 ; paru pour la première fois dans Nervenarzt, 3e année, Cahier 11, p. 142-178, Berlin, Springer Verlag, 1930.

Il y a beaucoup de façons d’aborder la question de l’espace dans l’art. Celle que nous envisageons, avec l’idée de l’espace acoustique, a ceci de particulier qu’elle veut la déplacer en direction de la musique, de l’audition, de l’écoute, jusqu’au langage. Cette remarque liminaire suffit à situer l’orientation d’une réflexion qui, sans ignorer la riche multiplicité des études sur le sujet, suggère que tout n’a pas encore été dit, ni pensé, relativement à lui.L’espace acoustique, tel que nous le considérons, est une notion prove-nant de la pensée d’Erwin Straus, qui l’a introduite dans un contexte théorique avant tout lié à des préoccupations d’ordre psychologique. Nous insisterons sur le fait que l’art, en l’occurrence la musique et la danse, pour n’être pas indifférent au propos d’Erwin Straus, n’en constitue pas la matière principale. D’Erwin Straus à une pensée de l’art, il faut des médiations : la réflexion esthétique d’Henri Maldiney, à cet égard, constitue un précieux maillon.L’espace acoustique (der akustische Raum), introduit par Erwin Straus dans un texte datant de 1930 et ayant pour titre dans la traduction fran-çaise Les formes du spatial, leur signification pour la motricité et la perception (Die Formen des Räumlichen) 1, doit être resitué dans le contexte d’une

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L’INCONSCIENT ET SES MUSIQUES

réflexion commune, celle de psychiatres dont l’interrogation partagée, au-delà de la maladie, était l’humain. L’espace acoustique d’Erwin Straus côtoie au plus près « l’espace thymi-que » (der gestimmte Raum) défini par Ludwig Binswanger, et « l’espace primitif » d’Eugène Minkowski, qui se répondent et s’interpellent dans un laps de temps des plus courts ; il s’agit de quelques années entre 1930 et 1935, date qui voit la publication à Berlin du grand œuvre d’Erwin Straus, Du Sens des sens (Vom Sinn der Sinne) 2. Les contributions sur l’espace convergent dans l’ordre de la psychopathologie, en une perspective toutefois plus générale qui ne se coupe pas de la visée anthropologique et philosophique. Il s’agit de circonscrire les modalités d’un espace dont on peut dire, tout au moins négativement, et dans un premier temps, qu’il échappe totalement à l’investiga-tion des sciences de la nature, et aux perturba-tions de type gnoséologique ou pragmatique qui définissent traditionnellement l’orientation de la clinique en ce domaine. L’espace dont il s’agit appartient aux modalités d’un vécu qui engage entièrement le rapport de l’homme au monde, justifiant l’idée, chez Binswanger, de l’existence, ou chez Minkowski, d’une conception phéno-ménologie de la vie irréductible à la science, et pour ce dernier fondée dans la philosophie du temps de Bergson.L’idée que nous avançons et que nous souhai-tons développer, est qu’une telle qualité d’es-pace, investie en cette époque d’une manière particulièrement riche par la recherche psycho-pathologique, appartient également à l’art, étant ou pouvant être opérante dans ce domaine.

Henri Maldiney, selon nous, est le seul philo-sophe contemporain à l’avoir vraiment compris, ayant saisi l’importance de ce contexte psycho-pathologique, et sa possible fécondité pour une pensée de l’art. L’espace dont il parle à propos de l’art et des œuvres, et qu’il relie de façon principielle à la question de l’existence, ne s’éclaire que de ce contexte antérieur auquel il a su intelligemment puiser. Le nouage qu’il maintient de façon permanente et forte entre espace et existence, dans son esthétique, et qui confère à celle-ci une entière singularité dans un champ théorique contemporain pourtant tellement préoccupé par l’espace, ce nouage entre espace et existence a ses antécédents dans le domaine de la clinique.L’espace acoustique d’Erwin Straus a ceci de particulier, par rapport à celui défini par ses congénères, qu’il intègre explicitement, en sa désignation, l’acoustique. Par ailleurs, il est notoire qu’il prend sa place, dans le texte Les formes du spatial, à l’occasion d’une réflexion qui s’articule nommément à l’art, en l’occurrence la danse et la musique. Ces deux aspects signa-lent de l’extérieur l’orientation d’une réflexion singulière, au demeurant tout à fait complexe. Mais nous voudrions tout de suite noter, sans pouvoir toutefois le développer ici, ce qui nous semble être un étrange destin, ou une étrange réception. Car d’emblée, à première lecture du texte Les formes du spatial, et en son premier commentaire des plus avertis, par Ludwig Binswanger dans sa conférence de 1932 Le problème de l’espace en psychopathologie 3, s’opère un glissement qui contribue de fait à court-circuiter, et l’acoustique, et la musique.

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INSISTANCE N° 5 57

VERS UNE PSYCHOLOGIE DU MOUVEMENT

Binswanger, développant son propre concept d’« espace thymique », ne retient de l’argumentation d’Erwin Straus qu’une de ses parties, déliée du reste : celle qui porte sur l’« espace présentiel », rapporté à l’« espace de la danse », ce qui correspond en gros à la troisième partie du texte d’Erwin Straus. Ainsi l’espace acoustique se voit refoulé au bénéfice de la seule idée d’un « espace présentiel » ; et la musique, pourtant centrale dans l’approche de Straus, passe à la trappe quand effectivement, il n’est plus parlée que de danse.L’espace acoustique a un statut compliqué, car il touche ou jouxte la question de l’art, et en même temps ne s’y réduit en aucune façon. Une telle dimension, qualifions-la de polymorphe, est avérée chez Erwin Straus lui-même. Car si l’espace acoustique est volontiers thématisé à la faveur d’une réflexion sur la danse et le mouvement dansé dans Les formes du spatial, il l’est quelques années plus tard dans un contexte, celui de l’ouvrage Du sens des sens, qui n’a en revanche plus grand-chose à voir avec l’art. Ce caractère pluriel de l’espace acoustique doit être, selon nous, maintenu, et l’espace acoustique doit être interrogé à un double niveau. Il doit l’être, tout d’abord, en relation avec l’art, ce qui correspond chez Erwin Straus au moment du texte Les formes du spatial ; mais il doit l’être aussi en relation avec la détermination essentielle et directrice de l’argumentation, qui n’est pas l’art, mais le sentir, ce qui est encore désigné par le terme du « pathique » (pathisch). L’espace acoustique, chez Erwin Straus, et nous voudrions insister sur ce point, est avant tout une qualification du « pathique » et non pas de l’art.Venons en ainsi au premier point évoqué, Les formes du spatial. Il s’agit donc du premier texte, écrit par Erwin Straus, dans lequel il est question de façon centrale de l’« espace acoustique ». Il s’agit d’une contribution d’ordre scientifique, dans laquelle Erwin Straus a pour objectif de réflé-chir au vécu primaire de l’espace. Le point toutefois un peu étrange, au plan méthodologique, est la manière dont s’engage la réflexion, qui peut paraître assez peu conforme aux usages de rigueur dans ce genre d’exercice. En effet, Erwin Straus y affirme de façon liminaire que l’oc-casion de réfléchir à cette question, sous-entendu d’y progresser, lui a été donnée par la danse de son temps, à savoir « la danse absolue » (il faut ici principalement songer, on est en Allemagne, à Rudolph Laban

2. Du sens des sens, Contribution à l’étude des fondements de la psychologie, traduit de l’allemand par Georges Thinès et Jean-Pierre Legrand, Grenoble, Millon, 1re édition 1989, 2e édition 2000 ; Vom Sinn der Sinne, Ein Beitrag zur Grundlegung der Psychologie, Berlin, Springer Verlag, 1935.3. L. Binswanger, Le problème de l’espace en psychopathologie, préface et traduction de C. Gros-Azorin, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1998.

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L’INCONSCIENT ET SES MUSIQUES

et à Mary Wigman, et à la revendication d’une autonomie de la danse, émancipée de l’art de la musique), danse qui, selon lui, se caractériserait par une perte, à savoir la musique 4. Partant de là, et en abandonnant d’ailleurs toute référence ultérieure à la danse de son temps, il va s’em-ployer dans son texte à mettre en place l’idée d’une connexion d’essence entre la musique et la danse, idée qu’il reprendra dans Du sens des sens afin d’en étayer la thèse principale, à savoir le rapport intrinsèque entre le « sentir » (Empfinden), tel qu’il le conçoit, et le « se mouvoir » (Sich Bewegen). Il faut reconnaître que ce point de départ est propice à brouiller les pistes, et que le corps du texte, si l’on voulait en faire une analyse serrée, ferait certainement apparaître des points obscurs, à tout le moins ambivalents ; mais cela n’ôte pas le grand intérêt de cette contribution.Cette dernière a déjà fait l’objet de quelques commentaires importants dans le domaine de l’esthétique et de la philosophie, au nombre desquels il faut mentionner, en raison de leur caractère particulièrement circonstancié et stimulant, ceux de Frédéric Pouillaude et de Maria Villela Petit 5, aux orientations respecti-vement liées à la danse, pour le premier, à la musique pour la seconde. Nous nous sommes nous-mêmes attaché à une première compré-hension de ce texte, dans un article 6 publié en 2006. Toutefois, et de plus en plus, notre sentiment est que l’on manque bien des aspects décisifs de ce texte si on l’interprète dans une perspective directement liée à l’art, en présup-posant autrement dit que son objet serait soit la danse, soit la musique (selon une incertitude

symptomatique de la difficulté à lui assigner un objet précis) ; ce type d’interprétations n’en conduisant pas moins, de toute façon, à éclip-ser l’idée même de l’espace acoustique, soit en faveur de l’espace de la danse ou/et de l’espace chorégraphique ; soit en faveur de l’espace musical (comme on l’observe dans les travaux précités).Nous voudrions, pour notre part, désormais emprunter une autre voie interprétative, laquelle consisterait, tout au moins dans un premier temps, à suspendre la problématique de l’art, afin de recentrer ce texte sur la question, qui est ici décisive, du mouvement ; mouvement qui concerne la distinction, portée par le sous-titre, entre « mouvement finalisé et mouvement présentiel » ; mouvement qu’Erwin Straus, en effet, aborde à partir de la danse et de la musi-que, mais sans avoir vraiment, nous semble-t-il, de préoccupations d’ordre artistique. Encore faut-il préciser de quelle façon il envisage ici le mouvement. Ludwig Binswanger avait jugé particulièrement féconde et novatrice la pers-pective d’une « psychologie du mouvement », ouverte par son collègue en la troisième partie de son texte. Il s’est toutefois, pensons-nous, mépris en analysant celle-ci sous l’angle de la danse, ce qu’il fait en insistant de façon uni-voque sur l’espace présentiel comme espace de la danse. Certes, Erwin Straus parle continû-ment du mouvement dansé comme « mouve-ment présentiel » dans cette troisième partie de son texte (ce qu’il fait à partir d’une analyse du mouvement dansé dans l’extase), mais c’est afin d’y appréhender une qualité de mouvement qui, selon nous, engage en réalité la musique,

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INSISTANCE N° 5 59

VERS UNE PSYCHOLOGIE DU MOUVEMENT

avant de concerner la danse. Reconnaissant avec Binswanger tout l’intérêt d’une psychologie du mouvement, nous proposerons ainsi de l’analyser sous l’angle de la musique.Le statut de la musique est assez flottant dans ce texte, selon les paragraphes. Car Straus, sous le terme de musique, met le son, puis le ton (alors dans l’exclusion du bruit), il se réfère aussi à des musi-ques constituées, prenant à un moment l’exemple de la musique au cinéma 7. Mais c’est lorsqu’il distingue au tout début du paragraphe trois (consacré à la psychologie du mouvement), une marche habituelle d’une marche en musique, qu’il délivre selon nous l’essentiel de ce qu’il veut dire sur « le mouvement présentiel » (dont il tente d’explici-ter le statut tout au long de ce dernier paragraphe, en relation avec le mouvement dansé, et dans une opposition au mouvement finalisé). La musique, explique-t-il en substance, est capable de redonner courage, tonicité, vie à une colonne épuisée par la marche ; celle-ci, à l’audition de la musique, peut repartir, et d’une nouvelle façon 8. La musique, plus exactement son audition, est ainsi considérée dans son aptitude à conférer au mouvement une qualité, c’est-à-dire une ampleur, ou encore une vie, qu’il n’avait pas auparavant, et qu’il ne saurait peut-être trouver indépendamment d’elle. Ce que la musique apporte, c’est « le pas animé 9 » ou vivifié ; c’est l’animation ou une vie du mouvement, qui rejaillit sur la motricité sans pourtant lui être réductible : ce que Straus appelle encore « l’être saisi de la musique ». Aussi l’espace que Straus tente d’appréhender, avec la musique, a-t-il ceci de paradoxal qu’il n’est ni directement l’espace de la musique, puisqu’il est tangible et se manifeste dans les mouvements des corps ; et qu’il n’est pas non plus, à strictement parler, l’espace engendré par la mobilité des corps, puisque la marche peut avoir lieu indépendamment de la musique.Certes, l’intérêt de Straus va directement à l’analyse du mouvement, dans sa motricité, et c’est bien en ce sens le mouvement dansé qu’il considère de près, partie du corps après partie du corps, dans le dernier tiers de son texte. Mais c’est pour mettre en évidence, et c’est là que se situerait le niveau de la psychologie du mouvement, une qualité de mouvement qui n’appartient plus, dirons-nous, à la motricité de la danse. Ou plus exactement : Erwin Straus considère la danse pour autant que celle-ci comporte les qualités ou les modalités d’un mouve-

4. « De devenir absolue, la danse n’avait bien sûr pas vu le sol se dérober sous ses pieds, mais elle avait perdu l’espace qui lui était approprié. Une connexion d’essence doit donc manifestement lier le mouvement dansant à la musique et à la structure que cette dernière engendre », Les formes du spatial, op. cit., p. 15.5. F. Pouillaude, « De l’espace chorégraphique : entre extase et discrétion (sur un article d’Erwin Straus), Philosophie, n° 93, printemps 2007, p. 33-54 ; texte repris dans Le désœuvrement chorégraphique, étude sur la notion d’œuvre en danse, Paris, Vrin, 2009 ; M. Villela-Petit, « Espace, temps, mouvement chez Erwin Straus », Figures de la subjectivité, op. cit., p. 51-69 et « La phénoménalité spatio-temporelle de la musique », L’espace : Musique/Philosophie, textes réunis et présentés par J.-M. Chouvel et M. Solomos, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 29-39.6. A. Boissière, « Le mouvement expressif dansé : Erwin Straus, Walter Benjamin », Approche philosophique du geste dansé, de l’improvisation à la performance, éds Anne Boissière, Catherine Kintzler, Presses universitaires de Septentrion, 2006, p. 103-127.7. Les formes du spatial, op. cit., p. 30.8. « Lorsque nous marchons en musique, nous nous éprouvons nous-mêmes, nous

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ment qui échappe à l’analyse exclusivement motrice. Avec la musique, il étudie le mouve-ment vivant, mais en étant attentif à un sens de la vie, ou du vivant qui résiste complètement à l’ordre de la physiologie scientifique. Le mouve-ment qu’initie la musique n’est pas de l’ordre du déplacement mais il est dans l’ampleur, dans l’ouverture, autrement dit dans l’énergie, dans la qualité, voire dans le ton, la tonalité, la toni-cité du mouvement. Anticipons en disant qu’en cette vie, il s’agit selon nous d’un ordre qui est celui du symbolique, d’un ordre en tous les cas langagier, même si a-verbal ou a-linguistique. Erwin Straus suggère une telle orientation, non seulement dans toute son approche du vivant et du monde animal, qu’il juge traversé d’une subjectivité qu’il refuse de réserver uniquement à l’humain, rejoignant à cet égard Viktor von Weizsäcker 10 ; mais de façon plus spécifique en définissant le « pathique », nous y reviendrons un peu plus loin, comme un mode de commu-nication.On pourrait être tenté de considérer l’approche de Straus au prisme des réflexions en vogue aujourd’hui, du neurologue Oliver Sacks 11 sur la puissance ou sur le pouvoir de la musique, si ce n’est que Straus, à partir de là, tente de comprendre en phénoménologue un mode de relation au monde (qu’il appelle le sentir, celui qu’il étudie tout au long du Sens des sens) qui échappe aux catégories de l’investigation scientifique et ainsi à la connaissance de la seule machine du cerveau. Insistons ici sur deux points. Le premier est l’idée d’un mouve-ment sans déplacement. Eugène Minkowski faisait remarquer 12 à juste titre que l’on reste

la plupart du temps prisonnier d’un modèle physique, faut-il ajouter cartésien, du mouve-ment, que l’on identifie immanquablement à un déplacement, une trajectoire : passer d’un lieu à un autre. Et par voie de conséquence, il est vrai que l’idée que nous nous faisons de l’espace, y compris dans le mouvement dansé, est relative à une telle conception du mouve-ment comme déplacement. Eugène Minkowski suggère pour sa part (en relation avec sa concep-tion de l’espace primitif, et certainement aussi de la phénoménologique de la vie qui est la sienne), l’idée d’un dynamisme débarrassé de ce qu’il juge être ce préjugé sur le mouvement. L’orientation est prometteuse et non sans fécon-dité pour lire Erwin Straus. Car le mouvement dont il est question à propos de la musique, mais dirons-nous, dans l’ensemble de l’ouvrage Du sens des sens à propos du sentir – puisqu’un des aspects majeurs de la thèse d’Erwin Straus est d’y affirmer l’unité intrinsèque du sentir et du se mouvoir –, ce mouvement n’a pas/plus pour modèle d’intelligibilité, le déplacement. Nous noterons en passant que si l’ouvrage Du sens des sens a pour visée épistémologique prin-cipale une rupture avec le modèle cartésien de la science, et ainsi une conceptualité entièrement renouvelée de la catégorie de la sensation, l’idée du mouvement est également emportée dans le prisme de la critique ; on ne commence, ainsi, à entrevoir la portée théorique d’Erwin Straus qu’à se dégager, précisément, de la conception du mouvement à laquelle la philosophique clas-sique (cartésienne) nous a habituée.Le deuxième point, conséquent, porte sur l’espace. Car s’il y a mouvement, il y a espace,

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selon une conception de l’espace qu’il faut pouvoir cependant, elle aussi, dégager de l’idée de l’espace que nous attachons au mouvement comme déplacement. Et si cela, effectivement, est difficile, c’est pour-tant à cet effort qu’il faut consentir pour saisir ce qu’il en est de l’espace acoustique (espace dont nous comprendrons, in fine, qu’il est celui du mouvement lié au sentir). Cet aspect des choses est celui qui doit permettre aussi de comprendre pourquoi celui-ci (l’espace acoustique) n’est ni l’espace de la musique, en tant que tel, ni l’espace chorégra-phique, espace de la danse. Il y a, bien sûr, plusieurs façons d’envisager l’espace musical 13 (et nous nous permettons de renvoyer à ce sujet au beau collectif dirigé par Jean-Marc Chouvel et Makis Solomos, ainsi qu’aux réflexions tout à fait intéressantes d’Édith Lecourt sur l’inter-valle sonore). Mais l’usage qui serait lié à la dimension intervallique du sonore, plus ou moins formalisée ou systématisée (comme dans l’har-monie tonale), n’est pas ce dont nous voulons parler ici ; elle implique l’idée d’une distance dont le modèle est encore celui du déplacement, d’un point à un autre. L’espace chorégraphique, lui aussi, semble diffi-cilement concevable indépendamment de toute idée de déplacement de certaines parties du corps (pas forcément, d’ailleurs, les pieds). Il faut ajouter, et c’est pour nous un point décisif, que l’espace corporel, à partir duquel on a coutume d’envisager la spatialité des mouvements humains, doit être soigneusement distingué de l’espace acoustique, même s’il est difficile voire abstrait de complètement séparer les deux. Nous pensons pour notre part qu’il est essentiel, en effet, de distinguer deux niveaux, certes conjoints mais en réalité différenciés dans leur logique et leur fonctionnement, ce qui correspondrait au double niveau introduit par Straus avec la musique et la danse. Les deux, pour être liés, n’ont pas un fonctionnement identique, et nous avançons pour notre part que le mouvement lié à la danse n’a pas le même statut que le mouvement lié à la musique. En d’autres termes, il ne s’agit pas, pour Straus, avec la thèse de l’induction de la musique et de la danse, de soutenir l’idée banale et à certains égards fausse, selon laquelle la musique mettrait en mouvement les corps. Certes, le mouvement lié à la musique, qui est relatif à l’ampleur, la vie, ou encore la qualité de ce dernier, ne serait pas possible indépendamment du mouvement corpo-rel et de sa motricité, mais il trouve sa source d’explication dans un

vivons notre corps dans son action d’entrer à grandes foulées dans l’espace. Nous vivons non pas l’action mais le faire vital. Alors qu’il fallait abattre le chemin pas à pas, le laisser bout après bout derrière nous, une fois que la marche retentit, nous nous propulsons dans l’espace et « gagnons » du terrain. Direction et éloignement dans l’espace sont remplacés par les qualités symboliques de l’espace ; la longueur qui s’étire en face de nous, par l’ampleur qui s’ouvre devant nous », Les formes du spatial, op. cit., p. 32.9. Les formes du spatial, op. cit., p. 33.10. V. von Weizsaecker, Le cycle de la structure (Der Gestaltkreis), traduit de l’allemand par Michel Foucault et Daniel Rocher, préface du Dr Henry Ey, Desclée de Brouwer, 1958.11. O. Sacks, Musicophilia, La musique, le cerveau et nous, traduit de l’anglais par Christian Cler, Paris, Le Seuil, 2009, en particulier la troisième partie, « mémoire, mouvement et musique, », p. 231-336.12. E. Minkowski, Vers une cosmologie, fragments philosophiques, présentation de Jacques Chazaud, Paris, Payot et Rivages, pour l’édition de poche, 1999, chapitre 5 « L’espace primitif », p. 69-78.13. J.-M. Chouvel et M. Solomos (sous la direction de), L’espace : Musique/Philosophie, Paris, L’Harmattan, 1998 ; cf. aussi les analyses

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autre principe que le corps, y compris le corps propre. Telle est, en tous les cas, l’idée que nous voyons formulée, en ses conséquences extrêmes par Straus, avec l’espace acoustique. Celui-ci jouxte l’espace présentiel de la danse, mais ne lui est pas réductible ; semblable à un moteur invisible, il trouve sa loi ailleurs que dans ce qu’on appelle la motricité.Le mouvement dansé, qui est habité ou impulsé de musique, est la figure annonciatrice de ce qui sera analysé plus tard, dans Du sens des sens, comme mouvement automatique ou spontané : il s’agit d’un mouvement qui ne trouve son principe d’explication ni dans le corps, ni dans la sensori-motricité, mais dans le fait d’une relation primaire au monde qui est déjà de part en part un mode de communication. C’est là le point décisif, à partir duquel on comprend aussi pourquoi l’espace acoustique n’est pas en propre celui de la musique. L’acoustique désigne une structure d’écoute, que la musique à ce titre permet favorablement d’identifier, mais dont elle ne porte pas le privilège exclusif. Comme nous l’avons déjà suggéré, il est de toute façon très peu parlé dans le texte d’Erwin Straus de l’art de la musique. En revanche la logique feuilletée, à double étage, de la musi-que et de la danse constitue le point vraiment novateur et fécond de l’approche. Il s’agit de dégager une structure d’écoute – l’espace acoustique – en quelque sorte sous le mouve-ment dans sa motricité, autrement dit sous, ou en deçà de l’espace corporel. Une telle dialecti-que, ici présentée à travers le mouvement dansé, pourrait très bien valoir pour d’autres formes de mouvements dans l’art, et à ce titre ne concerne

pas non plus la danse de façon spécifique ou exclusive. Henri Maldiney a très bien compris ce double enjeu de l’espace acoustique, puisqu’il n’introduit le concept, en provenance d’Erwin Straus, ni à propos de la danse ni de la musique dont il ne parle en tant que telles jamais, mais il le fait à propos de la peinture, notamment dans ses analyses de Paul Klee, ou Tal Coat. Nous observons par ailleurs qu’il n’est alors jamais question, chez lui, de l’espace corporel ; Maldiney pointe dans son esthétique une autre jonction, plus fondamentale, celle de l’espace et de la parole. En dépit des effets de confusion qu’il introduit parfois, pensons-nous, entre les pensées de Binswanger et de Straus, Maldiney retient parfaitement, chez ce dernier, la problé-matique du pathique envisagée comme mode de communication.L’espace acoustique, dans les Formes du spatial, est introduit en vis-à-vis de l’espace optique, selon un couple d’opposition qui ne semblera banal qu’à ignorer sa reprise ou subsomption dans une autre opposition, celle formulée à propos de la perception, entre le gnosique et le pathique, laquelle occupe toute la deuxième partie du texte. Cette distinction est, en réalité, celle qui organise véritablement l’intention argu-mentative de Straus, anticipant à bien des égards la conception du « sentir » qui sera élaborée dans Du sens des sens. Il faut en effet compter ici avec la critique systématique qui sera poursuivie de la conception classique de la perception, et qui est déjà présente dans les Formes du spatial avec la définition que Straus propose du pathique : « Par moment pathique, nous entendons la communication immédiate

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que nous avons avec les choses sur la base de leur mode de donation sensible changeant 14. » C’est la mention d’un « mode de communi-cation » qui est décisive, et qui sera effectivement reprise dans Du sens des sens (notamment aux chapitres un et deux de la quatrième partie), en une rupture tout à fait significative par rapport à la tradition philo-sophique classique, précisons cartésienne, qui définit la perception relativement à la connaissance et dans la présupposition du dualisme entre sujet et objet. Pour Erwin Straus, le sentir n’est justement pas la sensation ainsi définie ; il relève au contraire d’une expérience totale et entière au monde, et qui échoie au monde vivant, inclus l’animal à qui il faut aussi prêter, selon l’orientation d’une biologie renouvelée, de la subjectivité. Cette zone du sentir, qui définit pour le vivant une expé-rience primaire au monde, a ceci de particulier qu’étant irréductible aux lois de la vérité et de la connaissance, ainsi que de l’action, elle ne peut être par définition soumise à l’ordre de l’expérimentation scientifique, exigeant le détour d’une méthode que Straus, pour sa part, trouve dans la phénoménologie : le sentir, d’emblée, ouvre un monde en complet décalage avec le domaine de la vie étudiée par la science de la biologie ; en cela on peut dire, qu’il relève de l’existence. Erwin Straus, ainsi, oppose à la conception d’un sujet qui aurait, soi-disant, des sensations, celle d’un sujet sentant : « Si nous consentons à ne plus parler d’un sujet qui a des sensations, mais de l’homme sentant qui, par le sentir fait l’expérience de lui-même avec le monde et dans le monde, nous ne pouvons plus soutenir qu’il pourrait exister des impressions sensoriel-les dépourvues de caractéristiques spatiales 15. » Toute la conception du pathique qu’Erwin Straus développe dans Du sens des sens avec l’idée du sentir comme « mode de communication », mériterait un traitement circonstancié, qui aurait en particulier pour tâche de distinguer la conception ici présente, des idées soit de souf-france, soit d’autoaffection auxquelles on pourrait être tenté de l’asso-cier. Nous nous contenterons de mentionner les implications directes qu’elle trouve à nos yeux, en rapport avec l’espace acoustique tel que nous le comprenons, c’est-à-dire finalement comme la détermination majeure, chez Erwin Straus, du sentir. Il faut, comme on l’a vu en effet, faire une différence entre l’étude des régions sensorielles, et le sentir comme modalité d’être au monde, de l’exister. L’espace acous-

intéressantes d’Édith Lecourt relatives à « l’intervalle sonore », L’expérience musicale, Résonances psychanalytiques, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 31-70.14. Les formes du spatial, op. cit., p. 23.15. Du sens des sens, op. cit., p. 405.

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tique, d’après notre interprétation, ne concerne pas seulement l’audition, c’est-à-dire la région sensorielle liée au son (par opposition à la vue en relation avec la couleur), ce qu’on pour-rait encore appeler « l’espace auditif » ; mais il concerne l’écoute, alors envisagée comme mode de relation au monde, selon un sens rare chez les philosophes, mais qu’on trouverait par exemple chez Herder. L’écoute, à la différence de l’audition, qualifie une inscription dans le monde qui est déjà langagière, même s’il ne s’agit encore, comme Straus l’explique pour le monde animal, que d’une saisie des expres-sions, et d’un niveau à cet égard a-linguistique. L’espace acoustique, en d’autres termes, ne relève pas selon nous d’une seule et simple analyse du son ; il qualifie de façon plus fonda-mentale le sentir, et le pathique comme mode de communication. Notre thèse est donc que Straus déploie une conception acoustique du sentir, et que le mode de communication qu’il envisage, dans le pathique, est liée à l’écoute. Certains éléments, présents dans Du sens des sens, notamment à l’occasion de la définition de « compréhension symbiotique 16 » (qui définit le mode de communication propre au sentir pour le monde animal et pas seulement pour l’homme), devraient permettre d’étayer cette thèse, en faveur de laquelle nous proposons quelques suggestions et pistes de travail.L’intérêt que représente pour nous la pensée d’Erwin Straus, est de mettre en œuvre une conception de l’expérience empathique qui se caractérise par deux aspects paradoxaux et féconds (lesquels rejoignent la problématisation de l’espace acoustique). Tout d’abord, défi-

nir l’empathie par la distance : « La distance (die Ferne) est la forme spatio-temporelle du sentir 17 » ; le mouvement, lié au sentir, n’est pas univoque mais est, pourrions-nous dire rythmé, si le terme de rythme n’était aussi ambivalent et lourd d’un héritage qui ne convient pas forcé-ment à la pensée d’Erwin Straus. Ce dernier, pour la vie animale, décrit le mouvement lié au sentir selon une double tendance qui est de fuir et de se rapprocher ; la distance (disons-le encore une fois, qu’il faut distinguer de ce que nous mettons d’ordinaire sous ce terme), ouvre ce que Straus désigne aussi comme un espace de jeu (Spielraum) ; la distance est un rapport, entre le lointain et le proche, l’éloi-gnement et la proximité, et définit à ce titre un espace vivant. Le deuxième aspect concerne la structure acoustique de cet espace, ou de cette distance, celle qui, précisément, doit permettre d’expliquer pourquoi ou en quoi le mouvement dont il s’agit, pour le sentir, ne relève pas d’une causalité physique, mécanique, mais participe entièrement d’un mode de communication. C’est là le point le plus délicat : réussir à définir positivement les modalités d’une distance vécue qui serait autre chose qu’un déplacement. Nous sommes, à cet égard, tout d’abord attentifs à la manière dont Erwin Straus introduit la voix dans son ouvrage Du sens des sens, à la faveur de sa définition du mode de communication primaire dans le monde a-linguistique 18 de la vie animale. Le ton, qui côtoyait la musique dans les Formes du spatial, affirme à présent un caractère de part en part vocal : il est défini comme la musique d’une conversation entre les êtres humains, sous-entendu pour celui qui

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écoute sans accéder à la signification des mots. Mais il y a aussi l’exem-ple de l’appel 19 ou du sifflement, qui retentit au loin et qui déclenche immédiatement le mouvement animal (en l’occurrence d’un chien). Abordant le mouvement spontané de l’animal non comme mouvement mécanique ou réflexe, mais selon les modalités d’une compréhension primaire, Erwin Straus décrit l’être saisi de l’animal d’une manière qui n’est pas totalement étrangère à l’analyse qu’on trouvait du mouvement lié au son dans le texte les Formes du spatial : reprenant l’étymologie de hören, en relation avec horchen, gehorchen, qui signifie obéir, Straus y insistait sur le caractère d’assujettissement du mouvement lié au son. La saisie des expressions, dans le monde a-linguistique du sentir, semble bien relever de cette forme de directive qui ne se laisse plus analyser à partir des déterminations de l’orientation et des directions liées à la vision et à l’espace corporel. Enfin, il y a dans l’idée de l’ap-pel, celle du retentir, et avec elle l’idée de l’instauration d’une première distance. Nous définissons le retentir comme suit : il est ce qui confi-gure le lointain et assigne les limites d’un monde pour l’être vivant. Cette assignation du lointain, pour nous, est première ; sans elle, pas de mouvement possible, pas de sentir.L’espace acoustique, tel que nous l’imaginons à partir d’Erwin Straus, et aimerions en développer les contours, dessine une conceptualité à trois termes : il y a tout d’abord la voix, qui se distingue du simple son par le fait de la « présence », point minimal de rencontre de la subjectivité ; en second lieu « l’appel du retentir », qui définit cette présence d’une façon d’emblée relationnelle, et selon les modalités d’émergence d’une structure d’écoute : à la différence de l’écho qui va quant à lui vers l’épui-sement et la fragmentation, le retentir assigne une limite, instaure une distance, et rend possible l’ouverture d’un monde ; enfin, il y a la réponse à cet appel, ce qui est selon nous le mouvement du sentir : l’espace est dit acoustique car il engendre un lien de réponse, dans l’interpellation de ce qui est alors reconnu comme une présence. Si la voix est donc présence, c’est parce qu’en elle, ou avec elle, la distance s’instaure, et ainsi le monde lié au sentir. Aussi, l’espace acoustique, comme espace vivant, se distinguerait-il des expériences d’empathie pensées à partir du « jeu de l’écho 20 », en ce qu’il fait de l’instauration de la distance, et non de l’imitation variation (accordage affectif) son principe premier ;

16. Ibid., p. 234-243.17. Ibid., p. 451.18. Ibid., p. 237.19. Ibid., p. 235.20. É. Lecourt fait une bonne mise au point à ce sujet dans « Pour une conceptualisation du sonore », Le sonore et la figurabilité, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 27-67.

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a fortiori se distingue-t-il des expériences dites de « miroir sonore » qui restent, tout au moins dans leur formulation, dépendantes du schème visuel. L’espace acoustique, enfin, et envisagé comme espace de jeu, n’est peut-être pas sans relation avec l’espace potentiel de Winnicott, à condition d’insister, chez ce dernier, sur le moment premier de l’instauration de la distance, c’est-à-dire finalement de l’entrée en présence ; telle est l’orientation, selon nous, qui se profile dans certaines réflexions d’Henri Maldiney, lors-que l’espace de jeu y est défini comme espace de présence 21.

Nous conclurons, en revenant sur l’art. L’espace acoustique peut devenir un concept particuliè-rement fécond pour la pensée philosophique de l’art à condition de l’envisager d’abord sous l’angle d’une théorie du sentir : chez Erwin Straus, il doit être analysé relativement à l’ordre du pathique, et non directement comme espace de la danse ou espace de la musique. En même temps, l’espace acoustique a pour vocation particulière de se déployer en relation avec l’art, quand précisément, ce dernier a partie liée (avec), ou rencontre de façon privilégiée la région du pathique. La pensée philosophique de l’art d’Henri Maldiney trouve ici une force particulière, liée au fait qu’elle s’élabore en relation étroite avec la région ou la zone du sentir. Comme nous l’avons montré dans un article 22 récent, Henri Maldiney articule son concept central de Gestaltung à la conception, qu’il juge à juste titre existentielle, du sentir chez Erwin Straus ; et c’est à ce titre qu’il met en œuvre, une acception du mouvement (celle

qu’il revendique incessamment en parlant de la forme comme auto-genèse, selon l’idée de la Gestaltung opposée à la Gestalt) particulièrement riche, et qui n’est pas sans rapport avec l’idée, chez Straus, de l’espace acoustique. Car le mouvement dans la Gestaltung, certes, doit être considéré sous l’angle moteur, mais relativement aussi à un ordre qui ne concerne plus la motri-cité, selon la double logique feuilletée que nous avons reconnue pour notre part chez Straus, avec la danse et la musique. C’est à ce titre en tous les cas que Maldiney peut selon nous revendiquer, comme il le suggère dans un de ses entretiens 23 avec Jean Oury, de rompre avec un concept jugé « vulgaire » de la forme : car s’il se démarque, avec sa notion de Gestaltung, de la simple idée qu’on pourrait pourtant lui imputer, de la forme comme processus de créa-tion, c’est dans la mesure où il mobilise une conception de l’espace, et du mouvement, qui précisément ne se confond plus avec le tracé des formes ; une telle conception provient directe-ment d’Erwin Straus, dans ce que nous avons reconnu chez ce dernier comme la part de la musique, de l’écoute, finalement du pathique. Chez Maldiney, l’espace acoustique engage une conception du mouvement qui ne relève plus seulement du corps, mais du langage, et de l’existence. Maldiney met au travail de façon la plus féconde la pensée d’Erwin Straus, quand il se tourne, pensons-nous, vers la poésie, et lorsqu’il réfléchit à la dimension énergétique du langage (ce qu’il appelle, par exemple, le « vouloir-dire » à propos de Francis Ponge).Encore faut-il, pour tout cela, accepter dès lors de déplacer la question de l’art en direction du

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sentiment de vie, ou d’exister, que peut procurer son activité, ainsi qu’on le voit dans certaines orientations esthétiques aujourd’hui, comme celle de Paul Audi qui prolonge la phénoménologie de la vie de Michel Henry, ou dans les travaux de Marc-Mathieu Münch sur « l’effet de vie ». Toutefois ce qui distingue notoirement notre direction de recherche, et notre expérience en ce domaine, là où nous croisons la réflexion de Maldiney, c’est l’incontournable détermination de l’es-pace, mise au travail, configurée et formée à travers les modalités de ce mouvement dont nous avons essayé de parler ; mouvement qui dans son apparente immobilité, apporte la dimension d’une vie incommen-surable aux formes tangibles, voire spatiales, qui sont tracées. C’est ce que Maldiney, dans son esthétique, appelle « l’ouverture » ; concept qui rejoint ce qu’il envisage pour sa part comme l’art-thérapie, à condi-tion d’éviter d’associer à ce terme une quelconque perspective médi-cale. « L’événement transformateur 24 » dont Maldiney parle à ce sujet, et qui rejoint le mouvement de la Gestaltung, ce qu’il appelle encore l’entrée en présence, concerne, à notre avis, la possible instauration d’une distance, celle dont nous avons tenté de parler avec/à partir d’Erwin Straus, et qui concerne au plus près le sentir.

Résumé : Cette contribution propose une libre méditation sur le thème, chez Erwin Straus, du sentir (Empfinden), qui est ici abordé de façon privilégiée en regard du texte de 1930 Les formes du spatial. Nous aiguisons et intensifions à dessein le motif de l’acoustique dans notre approche du mouvement, et donc de l’espace, qui sont partie prenante de la définition straussienne du sentir. Renonçant à voir dans Les formes du spatial une réflexion qui porterait directement sur l’art, que ce soit la musique ou la danse, nous nous efforçons ainsi de dégager le paradoxe d’un mouvement sans déplacement, dans le medium de l’écoute, en lequel nous comprenons l’idée du pathique comme mode de communication.

Mots-clés : Erwin Straus, Henri Maldiney, espace acoustique, sentir, mouvement, pathique, musique, danse, écoute.

Summary : This contribution proposes a free meditation on the theme of feeling (Empfinden) in the thought of Erwin Straus, envisaged here primarily with respect to The Forms of Spatiality (1930). We deliberately sharpen und intensify the notion of « acoustics » in our approach to movement, and hence to space, both being an essential part of Straus’s definition of feeling. Abandoning the idea of an explicit

21. H. Maldiney, « La rencontre et le lieu », Henri Maldiney, Philosophie, art et existence, sous la direction de Chris Younès, Paris, Cerf, 1975, p. 175.22. A. Boissière, « L’espace : habiter, sentir. En quoi l’art a-t-il part à l’existence ? », Habiter poétiquement le monde, catalogue de l’exposition présentée du 25 septembre 2010 au 30 janvier 2011 au Lille métropole musée d’art moderne d’art contemporain et d’art brut, p. 171-181.23. « Entretien entre Henri Maldiney et Jean Oury, le jeudi 28 janvier 1988 au centre Georges Pompidou », dans J. Oury, Création et schizophrénie, Paris, Galilée, 1989, p. 185-210.24. H. Maldiney, « Le rapport à l’œuvre d’art comme révélateur et comme ressource de l’existence pathologique », dans É. Escoubas et C. Gros (sous la direction de), Art et pathologies au regard de la phénoménologie et de la psychanalyse, Association Le cercle herméneutique, collection « Phéno », p. 107.

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reflection on art, be it music or dance, to be found in The Forms of Spatiality, we thereby attempt to raise the paradox of a movement without locomotion in the medium of listening ; we thus conceive the idea of the « pathic » as a mode of communication.

Keywords : Erwin Straus, Henri Maldiney, acoustical space, feeling, movement, pathic, music, dance, listening.

Resumen : Esta contribución propone una reflexión libre sobre el tema del sentir (Empfinden) desarrol-lada por Erwin Straus, tomando especialmente en

cuenta su texto de 1930 Las formas de lo espacial. Agudizamos e intensificamos el tema de la acústica en nuestro enfoque del movimiento y del espacio ; ambos forman parte de la definición strausiana del sentir. Sin entrar a considerar Las formas de lo espacial como una reflexión directa sobre el arte, sea éste música o danza, intentaremos desentrañar la paradoja de un movimiento sin desplazamiento en el ámbito de la audición. Así comprendemos la idea de lo « pático » como modo de comunicación.

Palabras clave : Erwin Straus, Henri Maldiney, espacio acústico, pático, música, danza, audición.

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