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Antispéciste

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Aymeric Caron.

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Dumêmeauteur

Incorrect:pirequelagauchebobo,ladroitebobards,Fayard,2014

EnvoyéSpécial(2003),HachettePluriel,2014(2nde

édition)NoSteak,Fayard,2013

www.donquichotte-editions.com

©DonQuichotteéditions,unemarquedeséditionsduSeuil,2016

ISBN:978-2-35949-500-3

CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo.

ÀCornelisBlumentritt,mongrand-père,Àtousceuxquicroientenl’animal,etenl’homme.

SOMMAIRE

Dumêmeauteur

Copyright

Dédicace

Tabledesmatières

Avant-propos

Everest

L’animalquejesuisdonc

Lelionestmortcesoir

Qu’est-cequelespécisme?

Dézoomduzoo

Desgéantsminuscules

Tousfaitspareil:descellules,desmolécules,desatomes

LesanimalosceptiquesLesanimalosceptiques,partieI:laréponsedelagénétique

Lesanimalosceptiques,partieII:laréponsedel’éthologie

Annexe

Lehasarddel’incarnation

L’animalassassiné

Ilétaitunefoisàlaferme:labatailledel’information

Annexe

Lesanimauxd’élevage#VDM

Carnage

Schizophrénie

Lesogres

Pourlafindel’exploitationanimale

Tousresponsables,donctouscoupables

Untramwaynommééthique

L’éthiqueanimale

Chapitrefacultatif-Nefaispasauxtruiescequetunevoudraispasqu’ontefasseA.Conséquentialisme,utilitarismeetwelfarisme

B.Déontologismeetabolitionnisme

Vivreetlaisservivre

Abolitionniste

Quelsdroitspourlesanimaux?

Pourquoilesvegansextrémistessontenréalitéspécistes

Monlit

L’antispécismeestunnouvelhumanisme

Unenouvellerévolutioncopernicienne

L’hommecontrel’animal?

Élargirnotresphèredeconsidérationmorale

L’antispécisteestunepersonneinformée

LesantispécistesetL’Amistad

Unequestiond’argent

Abolirl’élevagepourlebiendeséleveurs

AntispécistecommeSuperman

Leconsentementàl’inégalité

Laprimeauxbrigands

L’argentestunebellearnaque

L’entraide,plusbénéfiquequelacompétition

Lepassagedurireetdel’oubli

PhiletSly,latristessedusuccès

Lebonheurestunechosequines’achètepas

Résister

Boycotter

L’impératifSuperman

Pouruneécologieessentielle

Pourquoilevraibutdel’écologieestdesortirl’hommedelanature

Tousécolos

L’écologieest-elleunenostalgie?

Moinsproduire,moinssereproduire,mieuxseconduire

Lerejetdelasouffranceanimalen’apasd’étiquettepolitique

L’antispécismeestlarévolutionidéologiqueduxxiesiècle

Écologieprofondeetécologieessentielle

Pourunebiodémocratie

ImaginerlaRépubliqueduVivant

Instaurerenfinladémocratieréelle

Repenserletempspolitique

Assembléenationale,Assembléenaturelle

LesprioritésdelaRépubliqueduVivant

Épilogue

Remerciements

Référencesetsources

Avant-propos

Jen’aimepaslesanimaux.Jelesrespecte,toutsimplement.L’amour est un sentiment parfois irrationnel, une inclination subjective, une expression trop

passionnelle pour être tout à fait sensée. Mais si je ne mange pas d’animaux, si je refuse deconsommerdesproduitsissusdeleursouffrance,sijem’opposeàleurdétentionetsijemilitepourla finde lachasseetde lacorrida, cen’estpasen raisond’une sensibilité exacerbéeà leurégard.Seuleuneexigencedecohérenceetdejusticemotivemonrefusdetueretdefairesouffrirunanimal.

Avantdesauterdansunlacpoursauverunhommeentraindesenoyer,vousnevousdemandezpas si vousaimezcettepersonne.Lemédecinet lepompiern’ontpasnonplusbesoind’aimer lesindividusauxquelsilsviennentenaide:ilsagissentenfonctiondeleurconscienceetdeleursensdesresponsabilités.Iln’yapasd’affectdansleurcomportement.

La raison n’empêche pas la compassion, au contraire, on peut même être sûr qu’ellel’encourage.Maislacompassionquej’éprouvepourtouslesanimauxestproportionnelleàcellequej’éprouvepourl’espècehumaine.

Jesuisantispéciste.C’est-à-direquejeconsidèrequ’iln’yaaucunejustificationàdiscriminerunêtreenraisonde

l’espèceàlaquelleilappartient.Autant lepréciser toutdesuite : l’antispécismen’estpas justeuncridedéfenseen faveurdes

animauxmaltraités.Ilestuncombatsocialpourl’égalité,quiprésentelaparticularitédedépasserlesimplecasdeshumains.L’antispécismeestdoncenréalitéunnouvelhumanisme,quireconnaîtnotreparentéaveclesautresespècesanimalesetquientirelesconséquences.Lapropositionpeutparaîtreaudacieuse.Maisellenefaitquesuivreuneévolutionlogique.

L’humanitéa toujoursprogresséenétendantsasphèredeconsidérationmoraleàdesgroupesd’individus jusque-là considérés comme des humains de rang inférieur : des peuples que l’on ad’abord qualifiés de « barbares » ou de « sauvages », des populations que l’on a réduites en

esclavage,oudescatégoriesdiscriminéescommelesfemmesetleshomosexuels.Larévolutionquinousouvreaujourd’huilesbrasconsisteàélargirencorenotrecercledecompassionafind’accorderaux animauxnonhumains notre considérationmorale, et ainsi en finir avecun anthropocentrismedémodé.

Nous devons admettre enfin que nous,Homo sapiens, ne pouvons continuer à élaborer nosdécisions selon nos seules envies égoïstes. Les animaux non humains sont mus par le même«vouloir-vivre»quenous.Riennenousautoriseàlespriversansraisondeleurexistenceetàleurinfliger des souffrances parfaitement évitables. L’éthique animale, qui étudie nos responsabilitésmoralesvis-à-visdesanimauxentantqu’individus,conclutquenoussommestenusd’accorderàtouslesêtresvivantssensiblesdesgarantiesminimales.Ilnes’agitpasdedécréterquetouslesanimauxsontleségauxdeshommes.Celan’auraitaucunsens.Maisnosdifférencesaveclesautresespècesnepeuventplus justifier le refusde leuraccorderà tousdesdroitsminimaux.Lesquels?Ledébatestouvert.Selonmoi,quatredroitsfondamentauxs’imposent:nousnedevonsplusmangerlesanimaux,nilesenfermer,nilestorturer,nienfairelecommerce.

L’antispécismen’estpasunecroyanceouunemythologie: ilest laconséquenceéthiquedecequenousontapprisdernièrementlapaléoanthropologie,labiologiemoléculaire,l’éthologieoulesneurosciences. L’antispécisme est intimement lié à une connaissance plus juste du vivant et del’univers.Etcetteconnaissancenouvellenouscréedesobligationsdont lesconséquencesdépassentlargement la seule sphère des droits des animaux. L’antispécisme n’est que l’un des volets d’unerévolution morale et politique qui concerne en premier lieu les humains. Une révolution dont leprogrammepourraitêtre:«lien,cohérenceetresponsabilité».

Cariln’yariensanslien.Lelienquiunitleshumainsentreeux–lecouple,lafamille,lesamis,leclub,lasociété,lacommunauté–lelienquinousunitànoscousinsanimaux,lelienquinousunitaux plantes, au ciel et aux mers, le lien qui nous unit à ces étoiles où nous sommes nés. Sansreconnaîtrecesfilsessentielsetsansentenircomptedansnotregestiondumonde,nousallonsdroitàunecatastrophedontlechangementclimatiquen’estqu’unavant-goûtmineur.

La cohérence est le ciment indispensable à toute société et à tout individu. Une justice quicondamneraitunchauffardàdeuxansdeprisonetquienlaisseraitunautreenlibertéalorsqu’ilacommis lemêmedélitneseraitpascrédibleetpasrespectée.Or,si l’onprend le tempsd’analyserl’ensemble de nos comportements dans leur complexité, c’est-à-dire en étudiant réellement lesconséquencesàmoyenetlongtermedenosactesprivésetcollectifs,onnepeutqu’êtrechoquéparl’incohérenceeffarantequ’ilsrévèlent.S’insurgercontreleréchauffementclimatiquemaiscontinueràmangerdelaviande,alorsquel’élevageestl’undesprincipauxresponsablesdesémissionsdegazàeffetdeserre;cajolerunchiencommeunmembredesafamillemaisêtreindifférentausortdesvaches;dénoncerlamontéeduterrorismemaissoutenirdespaysquil’entretiennent;promouvoirlapaix dans le monde mais exporter en 2015 le chiffre record de 16 milliards d’euros de matérielmilitaire ; fonder une politique économique sur la production et la consommationmais appauvrirceux qui sont censés acheter ; interdire le cannabis mais laisser en vente libre l’alcool (près de

50 000morts par an en France) et le tabac (plus de 70 000morts)…On peut identifier plusieurscausesàcetteirrationalitégénéralisée:lemanquederéflexion,lasatisfactiondesintérêtsimmédiatsdequelques-unsetlepoidsdeslobbiesquiparasitel’intérêtgénéral.

La cohérence découle des raisonnements mathématiques, philosophiques et pratiques quiorganisent les choses. Sans cohérence, nous nous offrons à une folie obscurantiste quimène à labarbarie. Or voilà précisément où nous en sommes aujourd’hui : prisonniers d’un monde sanslogiquequiimposesabarbarie.Lacriseprofondedanslaquellenoussommesengluésestdueaufaitquenousavonsvotéilyabienlongtempsladéchéancedelarationalité.

Lesoucideresponsabiliténousobligeàréfléchirauximplicationsdechacundenosactes.C’estvraipournotreattitudevis-à-visdesanimaux,maisaussivis-à-visdenoscongénèresouvis-à-visdelaplanète.Ilconvientdeneprendreaucunedécisionsansavoiranticipéaumieuxsesconséquences.Orlasociéténousadéresponsabilisésentouspoints,ennousécartantdesprocessusdedécisionpuisennousfaisantcroirequenousétionscondamnésàcertainesoptions.Cetétatd’espritestidéalpourempêchertouterébellion:telsdesanimauxquenoussommes,élevésentroupeau,nousnouslaissonsfaire.Nousavonsintégrél’idéeselonlaquellenousnepouvonsrienchangerauxmalheursdumonde,et que personne n’en est véritablement responsable. Mais ces deux certitudes sont fausses. Toutindividu influe,même demanière infime, sur l’état dumonde. Par exemple, celui quimange unetranche de jambon est bien celui qui a tué l’animal,même s’il ne tenait pas le couteau lui-même.Avoirdéléguél’élevageet l’abattageàd’autresquelui-mêmenechangerienaufaitqu’entantqueconsommateur,ilestlecommanditaireducrime.Et,contrairementàcequeveulentfairecroirelesmilitants de l’immobilisme, notre monde est en mutation permanente. Le mouvement est ce quicaractérise la vie.C’est pourquoi rienn’est immuableou inéluctable, à part lamort.Notre sociétén’estqu’unesociétédepassage,dontnousattendonspaisiblementl’effondrementenfaisantsemblantdenepasnousenapercevoir.Notresociétéproductiviste libéraleesten traind’agoniser.Elle seraprochainementremplacéeparunautremonde.Ànousdechoisirlequel.Lechemindel’écologieestleplussage.Maisdequelleécologieparle-t-on?

L’écologiepolitiquetellequ’elles’incarnedepuis trenteansenFranceacessédepenseretderéfléchir à elle-même. Incapable de se mettre à jour et otage d’ambitions personnelles, elle estdevenue l’ombre de ce qu’elle aurait pu être.Elle se contente d’effleurer quelques problématiquessansproposerdemodèlenouveau.Elleestceque lephilosophenorvégienArneNæssappelleuneécologiesuperficielle,enoppositionàuneécologieprofondequin’estdéfendueparpresquepersonnepourl’instantenFrance.

L’écologiesuperficielleestculpabilisante,castratrice,etfinalementinefficace:elleproposedecontinuerdanslamêmelogiqueproductiviste,maisenlimitantcertainsdesesexcès.Jeproposepourmapartdelanommerécologiemollepuisqu’elleexigesimplementdefaireunpeumoins :unpeumoins consommer, un peu moins polluer, un peu moins gâcher. Elle parle de réchauffementclimatique,debiodiversitéetd’unmondeàlaisserenbonétatauxgénérationsfutures,maiselleneproposeaucunespoirpuisqu’ellesecontented’essayerderalentirlachute,sansl’empêcher–c’estle

principedudéveloppementdurable.Etsurtout,elleneremetaucunementencauselaprioritédonnéeàl’espècehumaine.L’environnementdoitêtrepréservépournotreproprebénéfice,etnonparcequelanatureaunevaleurintrinsèque.Nousdevonsrespectercequinousentourepournoussauvernous-mêmes.C’estpourquoicetteécologie-lànerejettepasleprincipedel’exploitationanimale,danslamesureoùlesanimauxsonttoujoursconsidéréscommedesobjetsànotreservice.Etsicertainsdesécologistesprônentunediminutionde la consommation de viande, c’est uniquement à cause de lapollution que sa production entraîne. En réalité, cette écologie n’est qu’une écologie demathématiciens,quigèrelanatureenfaisantdescomptesd’apothicaire:nousnousautorisonstellequantitédeCO2,nousdevonspréservertelnombred’ours,etc.

L’écologie en laquelle je crois s’inspire de l’écologie profondemais y intègre les droits desanimaux.Jel’appelleécologieessentielle.Elleestuneécologiemétaphysiquequiaccordeunevaleurintrinsèque à la nature et aux êtres qui la composent. Elle interroge la place de l’homme dansl’univers, incite au développement d’une humanité renouvelée, apaisée, mélange d’échangesharmonieuxetd’accomplissementdesoi.Elleestuneécologiedurespectdelaviequiveutvivre.Ence sens l’écologie essentielle est le plus révolutionnaire des champs idéologiques, lequel doitaujourd’huitrouversonincarnationdansunschémapolitiqueambitieuxquej’appellebiodémocratie.Cetteécologienouvelleestenréalitéunlongchemindepenséequis’étenddePlutarqueàArneNæssen passant parMontaigne,CharlesDarwin, l’anarchiste PierreKropotkine, son amiÉliséeReclus,Henry David Thoreau, Arthur Schopenhauer, Gandhi, René Dumont, André Gorz, Edgar Morin,MichelSerres,PeterSinger,TomRegan,GaryFrancioneetbeaucoupd’autres.Tousontmontrélavoied’unephilosophiedel’empathie,del’entraide,del’humilitéetdelarésistance,dontlerespectpourlesanimauxn’estquel’undesvolets.

Tous ensemble ils ont écrit les pagesd’unprojet qui bouleverse la philosophie, le droit et lapolitique.En repensant laplacede l’hommeparmi toutes lesautresentitésvivantesavec lesquellesnous cohabitons sur cette planète, l’antispécisme est la réponse la plus rationnelle à toutes lesrévélationsscientifiquesdesdernièresdécenniessurlevivant.Ilestlepointdedépartd’unenouvellerévolutioncoperniciennequivaécrireleprochainchapitredel’humanité.

Everest

La nuit avait été agitée sur ma paillasse infestée de puces, mais elle m’avait permis dem’acclimateraumanqued’oxygène.L’undemescompagnonsdevoyage,moinschanceux,m’avaitréveilléenpanique,suffoquantetsouffrantd’unpuissantmaldetête.Jel’avaissurveilléjusqu’aupetitmatin,oùils’étaitenfinendormi.Jefuslepremierdebout.Ildevaitêtre6heures.

LemonastèredeRongbukestleplushautdumonde.Iltrôneà5000mètresd’altitude,aupieddel’Everest. Le camp de base pour l’ascension du versant nord-est se situe à quelques kilomètresseulement.Lebâtimentaétéconstruitilyaplusd’unsiècleetn’estplushabitéaujourd’huiqueparplusieursdizainesdemoinesbouddhistes.Maisilestfréquentéparlestouristes.Ilyavingtans,j’aiété l’und’eux.J’avaisarpenté leTibetpendantunesemaineavantdegrimper jusqu’àcemonastèrequiouvresurletoitdumonde,aucreuxdesmontagneshimalayennes.Àmonarrivéeaucœurdeceberceaudepierre,lesnuagesm’avaienttoutefoisempêchéd’admirerleplusautoritairedessommets.Lanuitavaitpassé,etj’espéraisqueleroiseraitdésormaisvisibleàsesvisiteurs.

Je sortis dudortoir, fis quelquesmètres et, enme retournant, je l’aperçus enfin, parfaitementdégagé,tranquillesursontrône.Menarguait-il?J’auraispulecroiredansunexcèsd’égocentrisme.Non, ilétait là, toutsimplement,observant lemondeavecsagesse.Jefixai lacimelaplushautedumonde.8848mètres.Unchiffremythiqueque l’on apprendà l’école.Mais là il ne s’agissait plusd’uneabstractionquipermetderécolterunpointàunexamendegéo.C’étaitunebêtetranquillequioffrait ses flancs blanchis à la lumière du soleil. Il me semblait que j’aurais pu la toucher enm’approchantunpeu.Siprèsetpourtanthorsd’atteinte.Lechampionétaitlàpourmoiseul,étendudans un calme absolu. Aucune voix, aucun son, aucune perturbation. Que nous sommes-nous ditexactementàcetinstant?Ilm’aracontésonhistoire,débutéeilya120millionsd’années.L’Indequise détache de son continent, le Gondwana, pour devenir une île. La lente dérive, à raison de 10centimètresparan.7000kilomètresplustard,ilya50millionsd’années,lacollisionavecl’Asie.Dece choc allait émerger la chaîne de l’Himalaya.Aujourd’hui encore, l’Everest bouge de plusieurs

1.

centimètresparan,etcontinueàgrandir:3centimètresgagnésendixans.QuinieraencorequelaTerreestvivante?

Legéantm’aparlédemoiaussi:ilm’aexpliquécombienjesuisinsignifiant,merappelantquejenesuisqu’unepoussièrecomparéàlui,maisilaajoutéquejesuisgrandégalementpuisquejesuisvenujusqu’àlui.Humilitéetaudace.

Faut-il avoir rencontré l’Everest pour éprouver ce qu’est la Terre et le lien qui nous unit ?Certesnon.Fortheureusementdemultiplesoccasionsnouspermettentdesbribesdecommunionaveccettematrice que l’on oublie trop souvent.Un rivage, un sous-bois, un lac, une forêt, un désert…Mais il est vrai que lesmontagnes, dominatricesmajestueuses, nous parlentmieux que n’importelequeldesélémentsdelanature.Carellesn’appartiennentpasréellementàlaTerre,maisauxCieux.Leurparolevientdeplusloin.

Lamontagnenousrapetisseautantqu’ellenousfaitgrandir.LephilosopheArneNæssétaitunalpinisteconfirméquiapuisésoninspirationdansl’airsauvagedessommets.«[…]Parelle-même,explique-t-il, lamodestieestunevertudepeudeprixsiellenes’enracinepasdansdes sentimentsplusprofonds,etsiellen’estpaslaconséquenced’unecompréhensiondenous-mêmescommeunesimplepartiedelanature.Lefaitestqueplusnousnoussentonspetitsparrapportàlamontagne,etplusnousparvenonsàparticiperàsagrandeur.Nemedemandezpaspourquoiilenvaainsicarjel’ignore 1.»

Touteslesréférencesdesouvragesévoquésoucités,ettouteslessources,sontregroupéesenfind’ouvrage.

L’ANIMALQUEJESUISDONC

Lelionestmortcesoir

CecilcoulaitdesjourspaisiblesdansleparcnationalHwangeauZimbabwe.Enjuillet2015,ilaétéassassinéparun richedentisteduMinnesota,WalterPalmer,qui s’estoffert la têtede l’animalpour55000dollars remisàdes intermédiaires locaux.Le lionaété traquéquaranteheuresdurant.D’abordblesséparuneflèche,ilaétéachevéaufusil.Puisdépecéetdécapité.Celaauraitpun’êtrequ’unbraconnagedeplus, un safari parmi tant d’autres qui sedéroulent chaque année enAfrique.Après tout, des lions sont tués par centaines chaque année par des touristes-chasseurs, dansl’indifférence générale.Mais non. L’affaire « Cecil le lion » a créé une vague d’indignation sansprécédent auxÉtats-Unis et dansdenombreuxautrespays.Grands titresdans tous les journauxdumonde,mobilisationinternationale,délugederéactionsdanslesmédiassociaux,indignationdestarshollywoodiennes…Unepétitionpourdemander« justicepourCecil le lion» recueille rapidementplusieurscentainesdemilliersdesignatures–plusde1millionaujourd’hui.WalterPalmerdevientenquelquesjoursl’hommeleplusdétestédelaplanète.Insulté,menacé,Palmerestobligédefermerprovisoirement son cabinet dentaire et de rester caché. Dans son célèbre talk-show, l’humoristeaméricainJimmyKimmelluiadressemêmeunmessage:«Pourquoiest-cequevoustuezdeslions?Jesuiscurieuxdesavoircommentunêtrehumainpeuttrouverçadivertissant.Est-cesidifficilepourvousd’avoiruneérectionquevousdevezéprouverlebesoindetuerdeschoses?Sic’estlecas,ilyadespilulespourça.»Kimmelmetledoigtsurl’interrogationessentielle:quelgenredeplaisirpeut-onbienressentirentuantgratuitementunanimalquinemenacepersonneetnedemandequ’àvivrepeinard ? Quel genre de fierté psychotique peut-on retirer d’une photo où l’on pose à côté d’uncadavre ? Quelle jouissance névrotique explique la collection de trophées de chasse ? Quelsmécanismesdepenséeparticulièrementtorduspermettentdejouirdelavued’unetêteaccrochéeàunmur?Et surtout :qu’est-cequi légitimequ’unhumainôte lavie sansautre raisonquecelled’unejouissancesuspecte?

Lacolèrecollectivesansprécédentsuscitéeparlamortdecelion–dontpourtantpersonneoupresqueneconnaissait jusqu’alors l’existence–illustrelechangementmoralquis’opèrepeuàpeu

dans la société occidentale : nous commençons à nous élever collectivement contre la bêtise etl’ignorance qui nous autorisent encore à maltraiter les animaux. Et l’idée de prendre la vie d’unanimal gratuitement, par pur plaisir sadique, ne passe plus. Ernest Hemingway et son apologieromantiquedusafarisontaujourd’huiringards.En1934,l’écrivain,amoureuxdelachasse,avaitluiaussi posé, tout sourire, à côté de la carcasse d’un lion fraîchement abattu. Le cliché évoquecurieusementceluidutueurdecariesexhibantsondernierblanchimentau-dessusducadavreencorechauddeCecil.Lorsquejeregardecesdeuxphotographiestellementsemblables,cenesontpaslesfaces ébahies de ces nigauds impuissants qui s’imposent àmoi,mais bien plutôt le visage triste etfermédufélinquiacessédevivre.Lecontrasteentrelajoiedel’assassinetladouleuréteintedelavictime, injustement privée de cemonde, est insupportable. Cela, de plus en plus de personnes leressententetlecomprennent.LeretentissementinéditquiasuivilamortdeCecillelionn’ariendefortuit.Ildémontrel’évolutionencoursdanslesesprits:pourlesmillionsdegenschoquésparsongeste, Palmer ne s’est pas contenté d’éliminer le représentant d’une espèce, et donc de nuire à labiodiversité,iladélibérémenttuéunindividu,àsavoirunêtresensibledotédesaproprepersonnalitéetdesaproprehistoire.Ilestlemeurtriernonpasd’unlion,maisdecelion,dénomméCecil,âgédetreizeans,etmembred’unefamillequicomprendnotammentunfrère,Jéricho,etdeslionceaux.

Quelques semaines après l’émoi causé par la mort de Cecil, un autre animal s’invite dansl’actualité : le dauphin.Cette fois, il s’agit d’un sujet récurrent. Lesmédias dénoncent un nouveaumassacredeglobicéphales(ou«baleinespilotes»)auxÎlesFéroé,aucoursd’unecérémoniebarbarenomméegrind.Celle-ciconsisteàrabattredansunebaieungroupededauphinsenmigration,àl’aidedebateaux.Sur la plage, des centaines de personnes patientent, armées de crochets et de couteaux.Lorsquelesdauphinsontétéramenéssurlerivage,eneauxpeuprofondes,leshommesseprécipitentsureux,enfoncentlescrochetsreliésàunecordedansl’évent–l’orificerespiratoire–desanimaux,les tirentsur lesable,et lesouvrentcommedesorangesen leursectionnant lamoelleépinière.Cejour-là, 250 globicéphales sont tués. Officiellement, il s’agit d’une chasse destinée à nourrir lapopulation.Pourtant,denosjours,laviandedecescétacésn’estpresqueplusconsommée,àcausedesatoxicité:lestauxdemercureetautrespolluantsissusdesindustriessonttropélevés,etcetteviandea des conséquences observables sur la santé de ceux qui l’ingurgitent. Donc les animaux sontexterminéspourrien,sicen’estpour leplaisirde tuerencommunautéetdepermettreàde jeunespêcheurs d’éprouver leur virilité. Les images de cesmassacres, auxquels sont conviés les enfants,sontinsoutenables:lesdauphinsattiréssurlerivagesontcharcutéssansménagementtandisqueleursplaiesbéantesrougissentleseaux.Iln’yaaucunepitié:mâles,femellesetbébéssontexterminéssansdistinction.Lesanimaux,avantd’êtretués,selaissentpiégeretassistentimpuissantsàlamiseàmortde leursproches.Compte tenududegréd’intelligence,desensibilitéetdesociabilitédesdauphins,ces conditions d’abattage sont particulièrement barbares. « Les globicéphales forment une sociétématriarcale;jenepeuxmêmepasimaginerlapeuretlapaniquedecesmèresaumomentoùleurspetits étaientmutilés devant elles », témoigne PeterHammarstedt après avoir assisté à l’un de cesgrinds au nom de Sea Shepherd, l’association qui lutte depuis des années pour faire cesser cette

pratique. « L’un des dauphins avait cinq ou six entailles à la tête, poursuit-il. Les insulaires l’ontutilisécommeunevulgaireplancheàdécouper.Samortaétélenteettrèsdouloureuse.Certainssontcharcutéspendantplusdequatreminutesavantdemourir.»

Comme dans le cas de Cecil le lion, ce qui choque profondément l’opinion ici, c’est laconsciencequenousavonsaffaireàdesanimauxdouésd’intelligence,desensibilité,depersonnalitéetquiéprouventdesémotionsprochesdesnôtres(ilestimpossibledediresiellessontidentiques).Nous pouvons ressentir la souffrance d’un dauphin soumis à un tel traitement, car nous sommescapables de nous mettre à sa place, et donc de faire preuve d’empathie. Notre affection pour ledauphin est plus grande encore que pour le lion, car il s’agit d’un animal parfaitement inoffensif,réputé pour sa proximité naturelle avec l’homme et sa capacité à l’échange. En conséquence, denombreux pays ont décidé ces dernières années d’interdire la captivité de cétacés, parmi lesquelsl’Inde, qui a même accordé en 2013 au dauphin le statut de « personne non humaine ». Lorsque250 globicéphales sont massacrés pendant un seul grind, ce sont 250 crimes qui sont commis,250viesquisontsupprimées.Etcela,nouscommençonsenfinàlepercevoir.

Mêmesileglobicéphalenoirestclassé«espèceprotégée»,lesgrindscontinuentaunomdelatraditionculturelle.LemêmeargumentestutiliséparleJapondanslabaiedeTaiji,oùchaqueannéedesmilliersdedauphinssontassassinés.Cesséancesd’exterminationcollectivepermettentsurtoutdecapturer quelques spécimens qui sont revendus dressés aux delphinariums du monde entier, pour150000dollarsparanimal.Lesautres finirontensteak.Derrière l’exploitationou lemeurtred’unanimal,au-delàdel’ignoranceetdelacruauté,ilyatoujourslarecherched’unbénéficefinancieretl’idéeindignequel’animalestunechosedontlavaleurmarchandeestplusimportantequelavaleurintrinsèque.

Pourquoim’attarderainsilonguementsurlamortdeCecillelionousurcelledecentainesdedauphins aux Féroé ou au Japon ? Parce que ces exemples récents prouvent que nous, humains,savonsnousinsurgeretnousmobiliserpournoscousinsnonhumains.Unebonnepartied’entrenousest révoltéedevant la carcassedeCecil et juge insoutenables les imagesdecesdauphinscharcutésvivantsdansunemerdesang.LaflèchequiatranspercélesmusclesdeCecilnousafrappésaucœur,etleslamesquidécoupentlachairdescétacéss’enfoncentdansnotrepeau.Noussentonslescouteauxquisectionnentnosnerfs.Ladétressedecesanimauxestlanôtre.Nousnevoyonspaslescadavresd’anonymesreprésentantsdel’espèce«dauphin»etdel’espèce«lion».Non,nousnousémouvonsdevantdesmamansetdesbébésmassacrés,nousrendonshommageàunchefdetribuassassiné.Nosconsciencesnepeuventdemeurerindifférentescarnouscomprenons,mêmedemanièrediffuse,quecesactessontunefautemoraleimpardonnable.

Lesautoritésféringiennesjustifientlesmassacresdedauphinsenévoquantdansuncommuniqué« un droit du peuple féringien à utiliser ses ressources naturelles ». Quant au gouverneur de lapréfecturedeWakayama,danslaquellesetrouveTaiji,ilrétorqueauxdétracteurs:«Touslesjours,ontuedesvachesetdescochonspourlesmanger.Ceneseraitdonccruelquepourlesdauphins?»Cesdeux arguments sont particulièrement intéressants parce qu’ils résument bien les deux axes de

réflexionquidoivent être lesnôtres : premièrement, a-t-onencore ledroitde considérerdes êtresvivantssensiblescommedesimples«ressources»?Deuxièmement,commentjustifierquelesortdecertainsanimauxnousémeuveplusqued’autres?Lesvachesetlescochons,maisaussilespoules,les lapins, lesmoutonset tantd’autres,méritent-ilscequenous leurfaisonssubir?Sans lesavoir,YoshinobuNisaka, le gouverneur deWakayama, pose l’une des questions du spécisme : pourquoiinfligeràcertainsanimauxcequ’onévited’infligeràd’autres?

Qu’est-cequelespécisme?

Unmal doit être baptisé pour être efficacement combattu.Lemot racismen’est apparu qu’auXX

esiècle.Pourtant,ildésigneuneattitudequiasansdoutetoujoursexisté.Delamêmemanière,lespécisme dominenos comportementsdepuis longtemps,mais il fallait un substantif pourqu’il soitportéàlaconsciencedetous.Celaobligedésormaischacunàsedéterminerparrapportàlui.

Eneffet,vousêtesouspéciste,ouantispéciste.Iln’yapasdeneutralitépossiblepuisquecesontnosactesquinousplacentdansl’uneoul’autredescatégories.Lasociétéoccidentale,parexemple,estpresqueentièrementspéciste.Maisilyaensonseinunepetiteminoritégrandissantequis’opposeaudogmeenvigueur.Sesreprésentantssenomment,logiquement,antispécistes.Letitredecelivrenelaisseaucundouteàcesujet:jefaispartiedeceux-là.

Lespécisme(onditparfoisespécisme)désignetouteattitudedediscriminationenversunanimalen raison de son appartenance à une espèce donnée. Il s’exprime à deux niveaux : d’une part lespéciste établit que la souffrance des animaux non humains importe moins que la souffrance deshumainset,d’autrepart,ilcréedescatégorisationsinjustifiéesparmilesespècesenlesrépartissantentreanimauxdecompagnie,animauxdeboucherie,animauxdeloisirs,animauxsauvages,animauxnuisibles,espècesprotégées,espècesàéradiquer,etc.Aunomdecesdifférencesdestatut,lespécistes’autorisedestraitementsdifférenciésàl’égarddesespèces,alorsmêmequecelles-ciprésententlesmêmes facultés cognitives, les mêmes besoins physiologiques et la même capacité à ressentir lasouffranceetleplaisir.

Desexemplesconcrets:aunomduspécisme,onmangelescochons,lesvachesetlesmoutons,maisoncajoleleschiensetleschats.Aunomduspécismeonsedésintéressedusortdespigeonsetdespoulets,pasassezmajestueuxànosyeux,maisonadmirelesaigles,lesgoélandsouleslions.Onméprise les rats, les chauves-souris et les loups, auxquels on prête les pires méfaits, mais onaffectionne lespandaset tous les animaux«mignons».Aunomdu spécisme,onmet encagedeséléphants,desgorillesetdesoiseauxalorsqu’ilsn’ontrienàfairederrièredesbarreaux,etqu’ilsontautantbesoindeleurlibertédemouvementqueleshumains.Aunomduspécisme,onignoreouon

minorelesbesoinsspécifiquesdesautresespèces,afindemieuxasseoirnotresupérioritépourleurfairesubirtoutcequinousarrangesanslemoindreétatd’âme.

Si vous recevez un coup de poing dans la tronche (un bourre-pif en pleine paix, aurait ditAudiard),vousrisquezd’avoirmal.Siquelqu’undonnelemêmecoupdepoingàunmoutonouàunepoule, l’animal aura mal également. Le spéciste considérera que dans le second cas, c’est moinsgrave,puisque ladouleurneconcernepasunhumain. Ilminimisera laconséquencedececoupenexpliquantquedetoutefaçonl’animalne«ressentpascommenous».Cequi,ensoi,estd’ailleursexact. Lemême coup, porté à lamême intensité, blessera sans doutemoins un bœuf de 700 kilosqu’unhommequipèsedixfoismoins.Maistoutdépenddel’endroitoùestportélecoup.Etonpeutêtre sûr que si l’animal visé n’est pas un bœuf et qu’il ne pèse que quelques kilos, il souffriraimmanquablementducoupreçupuisqu’ilpossèdeunsystèmenerveuxcomparableaunôtre.

Le mot spécisme a été inventé en 1970 par le psychologue britannique Richard Ryder(« speciesism ») et a été repris cinq ans plus tard par le philosophe australien Peter Singer dansAnimalLiberation,unlivredevenuuneréférencepourtousceuxquiréfléchissentaustatutmoraletjuridiquedel’animal.Singerécrivaitalorsque«lespécismeestunpréjugéouuneattitudedepartiprisenfaveurdesintérêtsdesmembresdesapropreespèceetàl’encontredesintérêtsdesmembresdesautresespèces».Ladéfinitionadepuisétéélargie,commenousvenonsdelevoir.

Lespécismeaéténomméainsiparanalogieavecleracismeetlesexisme.Danslestroiscas,leprincipe est lemême : onmaltraite certains individus en s’appuyant sur des catégorisationsqui nesoutiennentpasl’examendelaraison.LesNoirsoulesIndiensontétéréduitsenesclavageàcausedeleurcouleurdepeau,lesfemmesontétéprivéesdesmêmesdroitsqueleshommesàcausedeleursexe,etaujourd’huicertainsanimauxsontmaltraitésettuésenraisondeleurappartenanceàl’espèce«poule»,«porc»,«loup»ou«vison».

Qu’iln’yaitpasd’incompréhension:l’antispécismeneniepaslesdifférencesentrelesespèces.Ilestentenduqu’unhumainn’estpasl’identiqued’unchienquin’estpaslui-mêmel’identiqued’unlézardquin’estpaslui-mêmel’identiqued’unefourmietainsidesuite.Chaqueespècesecaractérisepardespropriétésphysiquesetpsychologiquesetdoncpardesbesoinsquiluisontpropres.Cequiest indispensable à l’une ne l’est pas forcément à l’autre. En revanche, les espèces partagent descaractéristiques(capacitéàsouffrir,besoindeliberté,besoinssociaux…)etriennejustifiequenousprenionsencomptecescritèrespourcertainesd’entreellesetpaspourd’autres.

Comme dans le cas du racisme et du sexisme, le processus consiste à créer des barrièresartificielles pour dénigrer les sujets concernés : les Noirs ont été vendus comme des objets auprétextequ’ilsauraientappartenuàuneraceinférieure,lesfemmesn’ontpaseuledroitdetravaillerou de voter au prétexte qu’elles auraient manqué de jugement, et aujourd’hui les animaux nonhumains sont exploités,maltraités et tués au prétexte que leur sensibilité serait quasi nulle et leursbesoins physiologiques, psychologiques et sociaux presque inexistants. En réalité, nous nousautorisonscesviolencesparcequeces animauxn’appartiennentpas ànotre espèce.Le reste, cenesontquedes excuses. «Les racistes, écritPeterSinger, violent leprinciped’égalité endonnantun

plus grand poids aux intérêts des membres de leur propre race quand un conflit existe entre cesintérêtsetceuxdemembresd’uneautrerace.Lessexistesviolentleprinciped’égalitéenprivilégiantlesintérêtsdesmembresdeleurpropresexe.Defaçonsimilaire,lesspécistespermettentauxintérêtsdesmembres de leur propre espèce de prévaloir sur des intérêts supérieurs demembres d’autresespèces.Leschémaestlemêmedanschaquecas.»

UNEXEMPLEFLAGRANTDESPÉCISME:LEPORC

Comme nous venons de le voir, le spécisme nous amène aussi à adopter des attitudesirrationnelles et injustes à l’égard de différentes espèces aux caractéristiques physiologiques etmentalessimilaires.Pourcertainesd’entreellesnouscréonslesconditionsduconfortetdubien-être,tandis que d’autres n’ont pas le droit au moindre égard. Le cas le plus emblématique, évoquérapidementdansleslignesprécédentes,concernenotreattitudeàl’égarddeschiensetdescochons.EnOccident, les chiens sont des animaux de compagnie qui habitent avec les humains, partent envacances avec eux, sont emmenés chez le vétérinaire au moindre bobo, bénéficient d’assurancesparticulières, et sont protégés des violences par la loi : si vousmaltraitez un chien dans la rue, lepropriétairedel’animalpeutporterplaintecontrevousetvousfairearrêter.Etpuis,etcen’estpaslemoins important, les chiens chez nous ne sont pas élevés pour terminer en steaks hachés ou ensaucisses.Essayezdeservirunetranchedechienàvosinvités,jenesuispassûrqu’ilsaientenviederevenirmangerchezvous,nimêmedecontinueràvousfréquenter.Leurréactionseradevoustraiterdebarbareoudefou.Cheznousonnemangepasdechien,c’estinhumain,dégueulasse,c’estcommeça.Enrevanche,faitescequevousvoulezd’uncochon,personnenevousentiendrarigueur.

Prèsde1,5milliarddeporcssonttuéschaqueannéedanslemonde,dont25millionsenFrance.Latrèsgrandemajoritéd’entreeuxsontélevésdansdesconditionsabominables,sansjamaisvoirlejouroufoulerlaterre.Pourtant,lechienetlecochonontdenombreusessimilitudes:lecochon,quirépondàsonprénoms’ilestapprivoisé,peutsemontreraussiaffectueuxqu’unchien.Lesporcssontdesanimauxsociaux,quipeuventégalementdevenirmembresàpartentièred’unefamillehumaine,même s’ils présentent le désavantage d’être bien plus encombrants et moins facilementtransportables!Parlonsmaintenantdel’intelligence:AuréliaWarin,éthologuespécialiséedanslesanimauxd’élevage,expliquequelesporcsontdescapacitéscognitivessupérieuresàcellesduchienetdecertainssinges.Lecochonfaitpartiedesespècesquireconnaissentleurimagedansunmiroir,cequiprouvequ’ilsontlaconscienced’eux-mêmes.Uneexpérienceaprouvéégalementqu’ilssaventmanipulerunjoystickd’ordinateur,pourobtenirdelanourritureenrécompense,avecplusdefacilitéquelechien.Enraisondecesimportantescapacitéscognitivesetsociales,lecochonesttrèssensibleàcequ’ilexpérimenteet,selonAuréliaWarin,onobservechezlestruiesquiviventdeuxoutroisansavant d’être tuées des tendances à la dépression.Autre élément crucial : d’un simple point de vuebiologique, le cochon est plus proche de l’homme que le chien. Ses organes ressemblent très

fortementauxnôtres,àtelpointquedesvalvescardiaquesdeporcsontdéjàgrefféeschezl’hommeen attendant de pouvoir également effectuer des transplantations d’organes (foie, cœur, poumons,reins…).

Comment dès lors justifier que nous réservions aux chiens un traitement de faveur, en tenantcomptedeleursensibilitéetdeleursbesoins,etquenousméprisionstotalementlescochonsenlestraitant comme de simples objets de consommation qui ne nécessitent aucune considérationparticulière ? Pourquoi accorder aux uns ce que nous refusons aux autres ? Cette discriminationpourraitserésumerparcettequestion:pourquoiunéleveurquienvoiedesporcsàl’abattoirpleure-t-illamortdesonchien?C’estduspécisme,etcelan’apasplusdefondementmoraletlogiquequele racisme et le sexisme. Un jour, nous réaliserons que les meurtres de masse toujours plusimportantsquenouscommettonscontrelescochonsreprésententl’unedesplusgrandesbarbariesdenotrehistoire.Nousenavonsd’ailleurshonteusementlepressentiment.Commentexpliquersinonquesurlespaquetsdejambonnefigurejamaislaphotod’unporc?Parcequ’ilfautoublieretpassersoussilence cet acte indigne qui consiste àmartyriser et à exécuter des animaux quiméritent lamêmeattentionquenosamisleschiens.

Lesluttescontreleracisme,lesexismeetl’homophobieconsistentàproclamerle«touségaux,car toushumains».Sebattrepour lesdroitsdesNoirs,des femmesetdeshomosexuelsconsisteàréclamerleurintégrationdanslecadred’une«humanitéentière».L’antispécisme,quantàlui,militepourl’intégrationdetouslesêtresvivantssensiblesdansunemêmefamilledeconsidérationmorale.Vu sous un autre angle, cela signifie que l’antispécisme revendique l’appartenance de l’espècehumaineàunecommunautébeaucouppluslargequ’elle-même,celledesanimaux.Ils’agitdenotrecommunautéinitiale,dontnousnesommesjamaissortis,malgrénostentativesdésespéréespourlefairecroireetl’obstinationàreniernosorigines.Nousnesommesquelesjeunesvisiteursd’unzooégaréaumilieudenullepart.

Dézoomduzoo

Quelle que soit l’heure, mon appartement chante. Le matin, l’après-midi, la nuit… Enpermanence,undisquetournesurlaplatine.Iln’yapasdechienchezmoi,carj’estimequel’espacedontjedisposeesttroppetitpourqu’ilpuisses’yépanouirunminimum,maisj’aiadoptédesmilliersde CD que je câline amoureusement. Ils sont très joueurs. Ils adorent me fausser compagnie. Jepensaisenavoirlaisséundanslesalon,jeleretrouvetroisjoursplustarddanslachambre.Parfoisils se pressent, se piétinent au pied de la chaîne, je leur marche dessus et ils boitent, fendus. Ilsréclamentaccordsetàcrisquejelessorteetquejeleurfassefaireuntour–etmêmeplusieurs.Jesuismusicalementlunatique.J’aidesphases.PhaseSpringsteen.PhaseLedZepetRobertPlant.PhaseNeilYoung.PhaseLeonardCohen.PhaseJourney.PhaseToto.PhaseFleetwoodMac.PhaseArchive.PhaseMichelBergeretchansonfrançaise.PhasePinkFloyd.PhaseEagles.PhaseBach.PhaseNinaSimone.Chacundecescyclesdureentredeuxjoursetquelquesmois.Pendantl’écrituredecelivre,je suis porté par une vague hard rock, blues rock et rock sudiste. Lynyrd Skynyrd, LedZeppelin,AC/DC,Free,CreedenceClearwaterRevival, TenYearsAfter,DeepPurple,VanHalen,Rainbow,YngwieMalmsteen,BadCompany,Styx,ainsiquepartouslesstandardsduhardrockmélodiquedesannées quatre-vingt et quatre-vingt-dix comme Giant, Giuffria, FM, Tesla, Winger, Nightranger,Danger Danger ou le très sous-estimé Foreigner… Il y a quelques semaines, un disque de rockprogressif s’est néanmoins glissé au milieu des guitares électriques et des lourdes batteries :Dimensionaut,dugroupeSoundofContact.Alorsquejetapotaissurmonordinateur,unrefrains’estsoudainéchappédemestoursBowers&Wilkins:«Nomatterhowhardwetry,westillcan’tdeny,we’reapalebluedot»(«Malgré tousnosefforts,nousnepouvonspasnierquenousnesommesqu’unpointbleupâle»).

Cepointbleupâle,c’estceluiidentifiéparleplusgranddézoomphotographiquejamaiseffectuépour immortaliser notre planète : 6 milliards de kilomètres. Le cliché a été réalisé par la sondespatialeVoyager1en1990.Enelle-même,laphoto,depiètrequalité,n’aaucunintérêtscientifique,ellenerévèleaucunedonnéenouvelle.Sileclichéamarquélesesprits,c’estàcausedecequ’ilnous

oblige à observer, à savoir notre insignifiance.Car à 6milliards de kilomètres de distance, notreplanèten’estplusqu’unpixelperdudansl’immensité,undétailàpeineperceptible,unpalebluedot,pourreprendrel’expressiondel’astronomeCarlSagan,quienferaletitredel’undeseslivres:

Regardezencorecepoint.C’est ici.C’estnotre foyer.C’estnous.LaTerreestune toutepetitescènedansunevastearènecosmique.Songezauxfleuvesdesangdéverséspartouscesgénérauxetcesempereursafinquenimbésdetriompheetdegloire,ilspuissentdevenirlesmaîtres temporairesd’une fractiond’unpoint.Songezauxcruautés sans fin imposéespar les habitants d’un recoin de ce pixel sur d’indistincts habitants d’un autre recoin.Commeilspeinentàs’entendre,commeilssontpromptsàs’entre-tuer,commeleurshainessont ferventes.Nospostures,notrepropre importance imaginée, l’illusionquenousavonsquelque position privilégiée dans l’univers, sontmis en question par ce point de lumièrepâle.Notreplanèteestuneinfimetachesolitaireenveloppéeparlagrandenuitcosmique.[…]Onaditquel’astronomieinciteàl’humilitéetfortifielecaractère.Iln’yapeut-êtrepasdemeilleuredémonstrationdelafoliedesidéeshumainesquecettelointaineimagedenotre monde minuscule. Pour moi, cela souligne notre responsabilité de cohabiter plusfraternellementlesunsaveclesautres,etdepréserveretchérirlepointbleupâle,laseulemaisonquenousayonsjamaisconnue.

CarlSagan,APaleBlueDot:AVisionoftheHumanFutureinSpace(1994)

Un minimum de recul nous oblige donc à admettre cette réalité : les 40 000 kilomètres decirconférencedenotrecaillousontbienpeudechoseencomparaisondel’immensitédel’univers.Iln’estmêmepasexagéréd’affirmerquenoussommesàpeineplusquerien.Pourbienlecomprendre,transformonscettepageenunimmenseplanétarium.Imaginezlasurfaceplanedecettefeuillequisebombe,jusqu’àformerunedemi-sphère.Allongez-vousetplongezdansladémesure.

Éloignons-nousde laTerre.Marsapparaîtd’uncôté,Venusde l’autre.ÀcôtédeVénus,nousobservonsMercureetenreculantencore,nousapercevons l’étoile laplusprochedenous,situéeà150millionsdekilomètresde laTerre : leSoleil.Élargissons le champdevision : unedeuxièmeétoileapparaît,nettementplusloin.Ils’agitdeProximaduCentaure,situéeàplusde40milliardsdekilomètres, soit plusdequatre années-lumière. Il faudrait plusieursdizainesdemilliersd’années àl’undenosvaisseauxspatiauxpour s’y rendre. Illuminonsmaintenantcomplètement ledécorpourvisualiser notre système solaire, la Voie lactée : tous ces points, partout, sont au nombre de200milliards.Ce sont autantd’étoiles, semblables ànotreSoleil.Et il ne s’agit làqued’une seulegalaxie.Élargissonsencorenotrechampdevisionetbaignons-nousdanslatotalitédel’univers.Levoyageestvertigineux : ce sontplusieurs centainesdemilliardsdegalaxiesqui scintillent.Soit autotal100000milliardsdemilliards(1023)d’étoilesdansnotre«Universobservable»,cequisignifiequ’il y a sans doute plus d’étoiles dans l’univers que de grains de sable sur terre. J’aime cette

comparaison expliquée par l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet, qui permet de faire d’une après-midiàlaplageuneexpérienceontologiquesavoureuse:«Ilyaàpeuprèsautantdegrainsdesabledansunmètrecubequed’étoilesdansunegalaxie,etautantdemètrescubesdesablesurTerrequedegalaxiesdansl’Universobservable.Etcenombreastronomiquede1023correspondaussiengrosaunombredemoléculesdansunverred’eau.»

Il est par ailleurs assez fascinant de réaliser que lorsque nous observons le ciel depuis notremodesteTerre,onnevoitpas leprésentmais lepassé.Eneffet, lesétoilesdontnouspercevons laluminositésontsituéesàdescentainesoudesmilliersd’années-lumière(lalumièremetunesecondepour parcourir 300 000 kilomètres, donc une année-lumière équivaut à 10 000 milliards dekilomètres). Si une étoile est située à 1 000 années-lumière, sa lumière met mille ans pour nousparvenir. Ainsi, l’étoile Polaire est à 430 années-lumière. Ce qui signifie que lorsque nousl’observons,nouslavoyonstellequ’elleétaitlorsquesalumièreaétéenvoyéeauxalentoursde1580,au moment du règne de Henri III, donc quelques années seulement après la Saint-Barthélemy. Etlorsqu’on regarde notre Soleil, on le voit tel qu’il était en réalité huitminutes auparavant. Ce quisignifie encore, comme me l’a fait remarquer Alain Cirou, le directeur général de l’Associationfrançaised’astronomie,quedesextraterrestresquinousécoutentenvivant suruneplanète situéeà75années-lumièredelaterreentendentencemomentl’appeldugénéraldeGaulle!

Pourtant cette immensité qui nous entoure nous échappe complètement au quotidien. Elle esttotalementévacuéedenosesprits.L’universcosmiquen’existepaspourlaplupartd’entrenous:ilestremplacé par un univers personnel, lequel se limite à quelques kilomètres carrés entre notredomicile,notre travail,notre sallede sportet l’écoledenosenfants…Lescréaturesqui importentdans ce monde subjectif sont extrêmement peu nombreuses : il s’agit de la famille proche et dequelques amis.Notre attention est accaparée par des soucis logistiques (être convenablement logé,gagner de l’argent, obtenir un avancement professionnel, éduquer les enfants…) ou relationnels(trouverl’âmesœur,gérerlesamitiés,lesrelationsprofessionnelles,lessusceptibilitésdesunsetdesautres,àcommencerparlanôtre…).Nousaccordonsainsiuneimportancedémesuréeàdesdétailsdontnousnouspersuadonsqu’ilsdéterminentnotreexistence,enoccultantquetoutcela,finalement,estassezdérisoire.

Desgéantsminuscules

Nous dérivons sur un îlotmicroscopique, naufragés d’un destin dont nous ne contrôlons pasgrand-chose.Noussavonsseulementquenousvenonsàpeinedenaîtreetquenoussommesvouésàdisparaître.Le«nous»quej’évoqueicidésignel’espècehumaine,uneespècequis’éveilletoutjusteàlavieetdontl’extinctionestdéjàprogrammée.D’icilà,peut-êtreaurons-noustrouvélescheminsdel’immortalité.Maisnousn’ysommespaspourl’instant.Etlàencore,uneexplications’impose.

LeBigBang,c’est-à-direledébutdel’univers,aeulieuilya13,8milliardsd’années.LeSoleiletlaTerresontapparusbienaprès,ilya4,5milliardsd’années.OnsaitqueleSoleilvivraencoreàpeuprèsautantavantdes’éteindre.OrsansSoleil,pasdeviesurnotreplanète.MaislaviesurTerreaura disparu bien avant que le Soleil ne s’éteigne, puisque la Terre occupe aujourd’hui la zonehabitable dans l’entourage du Soleil, c’est-à-dire une zone ni trop chaude ni trop froide. Dans1,75milliardd’années(peut-êtredavantageseloncertainesprévisions), laplanètebleuedevraitêtredans la « zone chaude»duSoleil et ne sera doncplus viable.Et peut-êtremêmeque, d’ici là, lesformesdevieévoluéesquenousconnaissonsaurontdéjàdisparu.Leshumainsaurontpeut-êtredéjàsuccombé. Ils auront peut-être aussi été exterminés par une nouvelle espèce apparue surTerre ou,pourquoipas,venued’uneautreplanète.Riennenouspermetd’écarterces scénarios,d’autantquetouteslesespècesquinaissentsurTerrefinissentunjourpardisparaître.Maisquisaits’ilsn’aurontpasmigréversd’autresplanètesqu’ilsaurontcolonisées ;notreespècepourraitalorsseperpétuerailleurs dans l’univers. Si ce n’est pas le cas, si nos descendants ne réalisent pas cette prouessetechnique,alorstoutcequenousauronscrééjusque-là,touslesplusbeauxromans,lessymphonies,lesœuvresd’art,lesmonuments,maisaussitoutesnosinventionstechniques,desplusdérisoiresauxplusavancées,n’aurontserviàrien,sicen’estàpasserletemps.Étantdonnéquetouteslesétoilesdel’univers sont appelées à mourir un jour, tout comme notre Soleil, étant donné par ailleurs quecertainsscientifiquesprédisentladisparitiondel’universlui-même,ilesttoutdemêmepermisd’êtrerelativementpessimistequantàl’issuegénéraledujeuauquelnousavonsétéprovisoirementconviésàparticiper.

Maisreprenonsnotrerécitdelaformationdenotremonde.LaTerre,donc,avulejourilya4,5milliardsd’années.Lavieyestapparueilyaenviron3,8milliardsd’années.Ils’agissaitalorsd’organismesmonocellulaires,lesprocaryotes.Lavieanimaleaexploséàpartirde–540millionsd’annéesetducambrien.Lavieestsortiedel’eauilya450millionsd’annéesetonfaitremonterlespremiers mammifères à 200 millions d’années. Les australopithèques sont apparus il y a 5 ou6millionsd’années.LespremiersreprésentantsdugenreHomosontnésilya3millionsd’années.L’Homosapiensavulejourilyaseulement200000ou150000ans.L’agriculture,quiamarquéledébutdeladominationdel’hommesurlanature,remonteà12000ans.Donc,sil’onmettoutescesdates enperspective, on s’aperçoit immédiatementque l’espècehumaine a émergéduvivant il y aquelquesinstantsàpeine.

Ilsuffitpours’enconvaincreencoremieuxdeseplongerdanslecalendriercosmiqueétabliparCarlSagan.Cedernieraeul’idéederapporterl’histoiredel’univers,desanaissanceàaujourd’hui,à l’échelled’une seule année.Toutdémarredonc le 1er janvier avec leBigBang, et nous sommesactuellementle31décembreàminuit.Enseréférantàcetteéchelledetemps,notresystèmesolairen’estapparuquele9septembre,etlaTerrele14septembre.Lavievoitlejourle25septembre,sousformedebactéries.Lespoissonsdébarquentle17décembre,lespremièresplantesterrestresle20,lesanimauxle21,lesreptilesle23,lesdinosauresle25,lesnouveauxmammifèresle26,lesoiseaux,lesfleurs et les fruits le 28. Le 30 décembre, c’est la fin du crétacé, la disparition des dinosaures,l’apparition des primates et le retour à la mer des mammifères. Les premiers humains font leurapparitionle31décembreà22h30.L’Homosapiensnaîtle31décembreà23h56etl’agricultureestinventée à 23 h 59 et 35 secondes. Tout ce qui constitue le récit de l’humanité dans les livresd’histoire,toutcequicomposenotremémoirecollective,nosrois,nosbatailles,nosinventions,nosœuvresd’art:touttientdanslesdixdernièressecondesducalendriercosmique.

Onpeutencoredireleschosesainsi:les12000dernièresannées(cellesquicorrespondentaudéveloppement de l’homme moderne depuis l’agriculture) représentent 0,00008 % de la duréed’existencedel’univers.Unclignementd’œil.

Cettemiseenperspectivepermetdecomprendrequeleshumainsnesontsurcetteplanètequeles invitésdedernièreminute,etque laviedechaque individu,malgré lesattentes, lesespoirs, lessouffrances et les douleurs qui lui confèrent une sensation d’éternité, ne dure en réalité pas plusqu’une nanoseconde.On naît, on s’agite un peu, et l’onmeurt. Nous ne sommes que des témoinsfugacesdel’univers,dontnoussommesautorisésàcontemplerunemicroscopiquepartie,ignaresdetoutlereste.Ilfautnousenvisagercommedesimplesritournelles:despetitesmélodiesquipassent,plus ou moins harmonieuses, populaires ou détestées, mais en réalité souvent ignorées. Les pluschanceusesdeceschansonstraînerontencoreunpeudanslatêtedesgensmêmequandellesserontpasséesdemode,maisellesfinirontbienunjourpars’envolerdéfinitivement.

Pourquoi participe-t-on pendant un temps aussi restreint à une aventure qui nous dépasse ?Pourquoinous?Àquoiboncettecapacitéàexpérimenteretàinterrogernotreprésenceaucosmos?Pourquoi être obligés de quitter la vie, après avoir été forcés d’y paraître ? Et, au bout du bout,

« pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? », pour reprendre la formule de Leibniz. Laphilosophieet la religionsecassent lesdentsdepuisdesmillénairessurcesquestionsbasiquesquiportent en elles ce paradoxe : elles sont indispensables à notre condition d’humain mais, si ellesprennent tropdeplacedansnotrequotidien,ellesnousempêchentdevivre.Lasolutionchoisieparbeaucoup est donc simple : les éliminer complètement de l’esprit. Le capitalisme, qui fait de laconsommation leDieuuniversel, a choisi cettevoie.Lecapitalismemoderneest laphilosophiedel’abrutissementparlebesoin.Encréantdesappétitsinutiles,enlesimposantcommedesnormesdesociété,lenéolibéralismemaintientleshumainsdansunepositiond’accrosdécérébrés,persuadésqueleur salut repose dans l’acquisition d’une nouvelle voiture, d’un nouveau frigo, de chaussures demarque, de consoles de jeux ou de produitsménagers et alimentaires complètement inutiles. Celanousévitedetropangoissersurl’essentiel,àsavoirquenoussommesdesgéantssurlaTerre,maismoinsquedespoussièresdansl’univers.Etquenousappartenonsàuneespècequisepenseéternelle,alorsqu’ellevienttoutjustedevoirlejouretqu’ellen’apaspourl’instantinventélesconditionsdesasurvie.

Cettepetitessenousastreintàlamodestie:aucunhumainn’estréellementimportant,sicen’estdansl’espritetlecœurdeceuxquil’accompagnentavecbienveillancesurunboutduchemin.Riendece que nous faisons, aucun poste, aucune fonction, ne justifie une quelconque forme d’arrogance,d’autosatisfaction,etencoremoinsdeméprisà l’égardd’unautre.Nousavonsdoncsimplement ledroitdenousétonnerd’êtrelàetl’obligationderemercierledestinchaquefoisqu’ilcréepournousles conditions de la réussite. Je n’écrirai certainement pas qu’il faut aller jusqu’à s’émerveillerchaquejourdenotreprésenceaumonde.Lavieestunhasard,pasforcémentuncadeau.Elleestavanttoutunesuited’épreuves,etonperdtousàlafin.Unconstatsombre?Non,réaliste.Ceconstatestnécessaire car il oblige chacun d’entre nous à l’exigence avec lui-même : la seule échappatoire àl’indigence de notre condition se trouve dans l’observance rigoureuse d’unemorale au service duvivant dont nous sommes tous, individuellement, des porte-parole. La cause du vivant est la plusnoblecarlaplusuniverselle,maisaussilaplusintrospective.Chacundenosactesoupresquenousconfronteauvivantetnousinterrogesurnotrephilosophieàsonsujet.Parvivant,j’entendsbiensûrtoutanimalouvégétal,soumisàunprocessusdenaissance,deconservationpuisdemort.Maisilvadesoiquel’eau,l’air, laterreetmêmelesminérauxfontpartieducycledelavieetqu’ilsdoiventêtrepleinementintégrésànotreéthique.

Tousfaitspareil:descellules,desmolécules,desatomes

Vous avez sans doute déjà entendu dire que nous sommes des poussières d’étoiles.Contrairementàcequel’onpourraitcroire,ilnes’agitpasd’uneinterprétationmystico-poétiquedela fragilité de l’existence ou de la dimension spirituelle des individus, mais d’une vérité de laphysique.

Le corpshumain adulte est composé, selon les estimations, de10000 à100000milliardsdecellules.Lacelluleestlabaseduvivant,lapluspetiteunitébiologiquecapabledesereproduireseule.Ilyadeuxtypesdecellules:d’uncôtélescellulessansnoyau,lesprocaryotes(lesbactéries),etdel’autrelescellulesavecnoyau,leseucaryotes.Ondistinguelesorganismesunicellulaires,commelesbactéries ou les levures, et les organismesmulticellulaires, comme les animaux et les plantes.Lescellules contiennent les informations génétiques, puisqu’elles renferment dans leur noyau leschromosomes composés d’ADN. Des milliards de nos cellules meurent chaque jour et sontremplacéespardesneuves.Cescellules sont elles-mêmescomposéesdemolécules,qui sont elles-mêmes composées d’atomes (H2O par exemple pour l’eau : deux atomes d’hydrogène, un atomed’oxygène) 1.

Il y a une centaine d’atomes de types différents dans l’univers. Une partie d’entre eux rendpossiblelavie.Lavariétédeleurspropriétéspermetdecréertoutcequinousentoure:lesgaz,lesliquides,lessolides.ToutcequiconstituelevivantsurTerreestessentiellementconstituédesatomesC,H,O,N,àsavoircarbone,hydrogène,oxygèneetazote.Notrecorpsestainsiconstituéd’environ5milliardsdemilliardsdemilliardsd’atomes:oxygène(65%),carbone(18%),hydrogène(10%),azote (3%), calcium (1, 6%),mais aussi phosphore, potassium, soufre, sodium,magnésium, fer,iode,etencoreuncertainnombred’autrespetiteschoses…Orcesatomessesontformésilyadesmilliardsd’années…danslesétoiles–dessoleilscommelenôtre,maissouventplusgros.

Uneétoile,c’estd’abordunnuagedegaz,essentiellementdel’hydrogènequivasecontracter.L’hydrogène est l’élément le plus présent dans l’univers : 71%de lamasse dematière ordinaire,

contre27%pour l’hélium.98%pourcesdeuxélémentsnésdans lesminutesquiontsuivi leBigBang.

Sous l’effet des forces gravitationnelles, l’hydrogène est consommé par l’étoile comme uncombustible : des réactionsde fusionnucléaire dégagent de la chaleur et de la lumière et, surtout,donnentnaissanceàdesatomesd’hélium.Quatreatomesd’hydrogène(quatreprotons)donnentainsiunatomed’hélium(deuxprotonsetdeuxneutrons).LeSoleil,parexemple,convertitchaqueseconde700 millions de tonnes d’hydrogène en hélium. Puis, lorsque l’hydrogène est consommé, lesphénomènes de fusion continuent et donnent naissance à des atomes lourds tels que le carbone,l’oxygène,l’azote,lesiliciumetlefer,soitlesingrédientsindispensablesàl’apparitiondelaviesurTerre.

Lorsquelesétoilesmeurent(touteslesétoilessontappeléesàdisparaître),certainesd’entreellesexplosent en supernovas et libèrent leurs atomes dans l’univers, où ils se combinent enmolécules(eau, gaz carbonique) et en poussières. La gravité réunit ces mélanges de gaz et de poussière en«nuagesmoléculaires»quivont former lesplanèteset lesnouvellesétoiles.Voilàcomment s’estcréé notre système solaire : un nuage moléculaire a donné naissance, en se concentrant et en seréchauffant, à notreSoleil.Autour, les poussières se sont agglomérées en planétoïdes de quelquesdizainesdekilomètresdediamètre.Cesplanétoïdessontentrésencollision lesunsavec lesautres,jusqu’à ce qu’ils constituent les planètes que l’on connaît depuis quelque 4milliards d’années. LaTerre,àl’origine,étaitunesphèrederocheliquideetbrûlante.Cettelaves’estrefroidieensurfacepoursetransformerenunecroûteterrestre.L’originedel’eauquirecouvrelaplanèteprêteencoreàdiscussionmaisdeuxthéoriesprincipaless’imposent,quipeuventêtrecomplémentaires.Lapremièrehypothèse est que l’eau proviendrait des gaz qui ont formé l’atmosphère à la suite d’une intenseactivitévolcanique.Lavapeurd’eaudecetteatmosphèreauraitconstituélesnuages,lesquelsseraientà l’origine des océans par le biais de pluies torrentielles. L’autre hypothèse est que l’eau seraitapparuesurTerregrâceàdesbombardementsdecomètesetdemétéoritesquiencontenaient.Quellequesoitsonorigine,unecertitude:dansl’eauvaapparaîtrelavie.

Voilà comment les atomesvenusdes étoiles se retrouvent dans lamatière qui constituenotreplanète.Danslessols,lesocéans,lesplantes.Maisaussi,etcelaestparticulièrementimportant,danstouslesindividus.«Aprèslamort,expliqueHubertReeves,lesatomesdenotrecorpsretournentàlaterredescimetières.Ilspeuventêtreréutilisésdansl’élaborationd’autresêtresvivants,desplantesoudesanimaux.Lesatomesnemeurentpas.Ilssontcontinuellementrecyclésdansunimmensecircuitqui implique la planète. » De quoi relativiser beaucoup de choses : tout à coup réduite à un tasd’atomes empruntés à d’autres et qu’il faudra rendreun jour,Scarlett Johansson est unpeumoinssexy.Parailleursilestrelativementinconfortabledeporterlesatomesdetypes–dontcertains,peut-être,infréquentables–qu’onn’ajamaisconnus!

Ironie à part, cette réalité scientifique a une portée philosophique que la pensée orientale aintégréemais que l’Occident nie encore largement : elle démontre l’unité essentielle de toutes lesformes de vivant sur Terre.Minéraux, végétaux, animaux,mers, fleuves : tout est constitué de la

1.

mêmematière, venue dumême endroit.Voilà quimet àmal la théorie tellement confortable d’unhomme à part, extérieur à la nature. Les intuitions panthéistes, holiste ou moniste sont chacuneparticulièrement inspirées. Spinoza avait vu juste. De même, la réincarnation promise par lesbouddhisteset leshindouistesn’estquelatranscriptionromantiqued’unerèglenaturelleconfirméepar la science : les arbres, les fleuves, les insectes, les oiseaux, tous les animaux y compris leshumainssontliésparlemêmeprincipeconstitutifetinteractif.Chaqueélémentsenourritdel’autre.Lorsquel’hommemépriseuneformedevivantquiluiestextérieure,ils’attaquedoncenréalitéàunepartiedelui-même.L’astrophysicienTrinhXuanThuanrésumeainsileschoses:

[…] La cosmologiemoderne a réenchanté lemonde en redécouvrant l’ancienne allianceentrel’hommeetlecosmos.L’astrophysiqueaeneffetpréciséàlafindesannéessoixantecetteconnexioncosmiqueendémontrantquetouslesélémentschimiqueslourdsdelatablepériodiquedeséléments(pluslourdsquel’hydrogèneetl’héliumfaitsdansleBigBang)ontété fabriqués dans les étoiles. […] Si l’univers ne contenait que l’hydrogène et l’héliumformésdanslestroispremièresminutesdel’univers,nousneserionspaslàpourenparler.[…] Il n’y aurait pas eu la complexité nécessaire pour créer l’ADN de la vie ou lesneuronesquiconstituentlabasedenotrepensée.L’universseraitvideetstérile.Aucunevieni conscience ne seraient possibles. Pour que celles-ci puissent apparaître, les élémentslourdsfabriquésparlesétoilesétaientabsolumentindispensables.Noussommesdonctousdespoussièresd’étoiles.Nouspartageonstouslamêmegénéalogiecosmique.Noussommeslesfrèresdesbêtessauvagesetlescousinsdescoquelicotsdeschamps.

TrinhXuanThuan,interview(2013)

Tous les êtres vivants sur cette planète, des plantes aux animaux, sont composés à partir desmêmes éléments chimiques venus de l’espace. Ils partagent tous la même matière organique etpossèdenttousdel’ADN.Soit.Maisquelleestlaproximitéréelleentrel’hommed’aujourd’huietlesautresanimaux?

Un atome est composé d’un noyau autour duquel gravitent des électrons.Le noyau est composé de nucléons, à savoir desprotonsetdesneutrons.Cesprotonsetneutronssonteux-mêmescomposésdetrois«quarks»,cequisignifiequelesparticulesélémentairessontquarksetlesélectrons.Ilssontaunombredecentmilliardsdemilliardsdemilliardsdanslecorpshumain.Donc:lecorpshumainestcomposédecellules; lescellulessontcomposéesdemolécules; lesmoléculessontcomposéesd’atomes ; les atomes sont constitués d’électrons et d’un noyau ; ce noyau est constitué de neutrons et de protons ; cesneutronsetcesprotonssontconstituésdequarks.

Lesanimalosceptiques

Leshumainssontdesanimaux.Iln’yaentrelesautresespècesetnous-mêmesqu’unedifférencededegré,etnondenature.

Lesanimauxnonhumainspartagent,dansdesproportionsvariables,lesmêmescaractéristiquesqueleshumains:laconscience,lacapacitéderessentirladouleuretd’éprouverdesémotionstellesqueleplaisir,latristesse,lechagrin,lemanque,lajoie,lasouffrance,l’amour.

Lesanimauxnonhumainssontpourvus,dansdesproportionsvariables,d’intelligence.Les animauxnonhumains sont capablespourbeaucoupd’entre euxd’empathie, de solidarité,

voiredejustice.Lesanimauxnonhumainspossèdentcertainescapacitésdontsontdépourvusleshumains.Les animaux non humains sensibles sont tous, comme nous, des individus avec un caractère

propre.Aucunn’estpareiletneressembleplusàunautrequedeuxhumainsneseressemblent.Il se trouve encore de nombreux esprits qui nient ces vérités scientifiques irréfutables et qui

refusentdereconnaîtrelesanimauxnonhumainspourcequ’ilssontvraiment.Jelesappellelesanimalosceptiques,enréférenceauxclimatosceptiquesquiremettentencause

la réalité démontrée du changement climatique malgré les preuves irréfutables présentées par lesspécialistes. Leur attitude est un encouragement à la poursuite d’une exploitation aveugle de laplanète.Lesanimalosceptiquessontbeaucoupplusnombreuxaujourd’huiquelesclimatosceptiques.Ils sont même majoritaires parmi la population. Ils nient la richesse mentale des animaux nonhumains et favorisent ainsi la poursuite de leur exploitation. L’animalosceptiscisme est unobscurantismequ’ilfautcombattrepourpermettrelafindel’exploitationanimale.

Lesanimalosceptiques,partieI:laréponsedelagénétique

La distinction opérée par le langage courant entre « humains » d’un côté et « animaux » del’autren’estpluspertinentepuisquelascienceaprouvéquenoussommesnous-mêmesdesanimaux.Ilconvientdoncdedistinguerhumainsetanimauxnonhumainsenattendantd’inventerunnouveaumotpour cette deuxième catégorie. Précisons encore que l’hommenedescend pas du singe, comme ilarriveencoredel’entendre:ilestlui-mêmeunprimatequiappartientàlafamilledesgrandssinges(ouhominoïdes, c’est-à-dire les singes sans queue), laquelle comprend également deux espèces dechimpanzés(chimpanzécommunetchimpanzépygméeoubonobo),lesorangs-outansetlesgorilles.Etonadjointgénéralementàcettefamille lesgibbons.Notreplusprochecousin,dans lachaîneduvivant,estlechimpanzé,avecquinouspartageons98,5%d’ADNetundernierancêtrecommunilya6 millions d’années environ. D’ailleurs, selon le géographe et physiologiste américain JaredDiamond,l’humainest le«troisièmechimpanzé».Ilprécisequenoussommesgénétiquementplusprochesdesdeuxespècesdechimpanzéquelesdeuxespècesdegibbonsnelesontentreellesouqueleviréonàœilrougeetleviréonàœilblanc(leviréonestunoiseau).

Direquenousavonstousétéfabriquésàpartirdelamêmematièrenesuffitpas.Ilfautencorebiencomprendrequechaqueespèceestreliéeàtouteslesautrespardelointainsparentspartagés.Lespécialistedel’évolutionRichardDawkinsrésumeainsileschoses:«C’estlapurevéritéquenoussommes cousins des chimpanzés, cousins un peu plus lointains des petits singes, et encore plus

lointainsdesbananesetdesnavets.»Cequiluifaitdirequelespécisme«n’apasdebasesolideenbiologiedel’évolution».

Entrelespremiersorganismesvivants,constituésd’uneseulecellule,etl’humainintelligentquiconduit une voiture, tapote sur Facebook, lit Kierkegaard et regarde Secret Story, il y a près de4 milliards d’années d’évolution. Pour en arriver à vous, qui parcourez ces lignes, il a fallul’apparition de la photosynthèse, l’apparition des organismes pluricellulaires (il y a 1 milliardd’années seulement), l’apparition des animaux protégés par une coquille ou une carapace (vers – 570 millions d’années), des premiers vrais poissons (il y a environ 400 millions d’années), despremières plantes terrestres (à peu près enmême temps), des premiers vertébrés terrestres (il y a360millionsd’années),despremièresplantesàfleurs(probablementvers–250millionsd’années),des premiers mammifères (il y a environ 200 millions d’années), des oiseaux (160 millionsd’années),ladisparitiondesdinosaures(ilya65millionsd’années,àlafinducrétacé),l’apparitiondes mammifères actuels, puis des premiers singes il y a 35 millions d’années, l’apparition despremiershommes(habilis,ilya3millionsd’années).Lessapiensquenoussommesontpointéleurnezilya200000ou150000ans.Remarquezqu’ilyabeaucoupd’approximationsdanslesdatations(«environ»,«vers»)caraucunhumainn’ayantétélàpourvoiretraconter,lesscientifiquesfontdesévaluationsquisontsanscesseremisesàjour,etlesdifférentsarticlesetlivresconsacrésausujetnesontjamaiscomplètementd’accordentreeux,dumoinssurlespériodeslesplusreculées.Maistouss’accordentgénéralementsurlesordresd’apparitionàl’écran.

AuXIXe siècle, le naturaliste allemandErnstHaeckel amodélisé les liens de parenté entre lesdifférentesespècesduvivantàtraversun«arbredelavie»quiestlongtempsrestélemodèle.Àlabase se trouvaient les cellules sans noyau, tandis que l’homme était placé tout au sommet. Leshumainssesontdoncvuoctroyerlapositiond’espèceaboutieetsupérieuredel’évolution,commesitoutes lesautresn’avaient jamaisétéquedesmodèlespréparatoiresà lacréatureparfaitequenousincarnerions.La représentation classique du schéma de l’évolution quimontre nos ancêtres qui seredressent peu à peu en est l’expression. Aujourd’hui, les biologistes reconnaissent que cetteprésentationesterronée.Aucuneespècen’estlebrouillond’uneautre.Lehasarddécidedeschoses.Lesespècessubissentdesmutations,etlesmutationsavantageusespermettentauxorganismesquilessubissent de s’imposer par rapport aux autres. De ce fait les espèces « évoluent » puis donnentnaissanceunjouràdenouvellesespèces,notammentlorsquedeuxgroupesd’unemêmeespècesontséparés géographiquement et doivent s’adapter à des conditions différentes. Certes l’évolution estorientéeversuneformedeprogrès,maispasvers leprogrèsdel’humanité.Affirmerparexempleque l’Homo habilis est plus évolué que l’australopithèque laisse penser que l’évolution a un butpréétabli.Or elle n’en a pas.Non, l’australopithèquen’est pas unhumain inachevé.Toute créaturevivante est achevée, puisqu’elle répond àdes conditionsde survieprécisesdansun environnementdonné.Chaqueespèceestsafinensoi,ellen’estpasleterraind’entraînementd’uneespèceparfaiteàvenir. L’Homo sapiens est donc achevé, mais il donnera bientôt naissance à un autreHomo auxcaractéristiquesdifférentes,àcôtéduquelnousparaîtronssansdoutefrustresetpeuintelligents.Peut-

êtrecohabiterons-nous,peut-êtrecetteespècenousdétruira-t-elle,peut-êtrequ’uneautreespèced’untoutautregenreferasonapparitionetdomineralaTerrecommenouslefaisonsaujourd’hui.Cequiest sûr, c’est que ça va bouger, dans tous les sens du terme : les continents se déplacent et desgéophysiciensprévoientquedans250millionsd’années,enraisondelatectoniquedesplaques,tousles continents actuels pourraient à nouveau se regrouper, comme c’était déjà le cas 300 millionsd’annéesenarrière.Touteslesterresétaientalorsrassembléesenunsupercontinent, laPangée,quis’estensuitescindéendeux,entrelaLaurasieaunord(l’AmériqueduNord,l’Europeetl’Asie)etleGondwanaausud(touslesautrescontinentsactuels).Lorsquelescontinentsserontànouveauréunis,les conditions climatiques n’auront plus rien à voir avec celles d’aujourd’hui. Quelle créatures’adapteralemieux?

Désormais,lesarbresphylogénétiques(c’estainsiquel’onqualifielesclassificationsd’espècesvivantes par parenté) abandonnent la notion hiérarchique. Le célèbre graphique de Hillis, parexemple,seprésentesousformedegrandcercleet répertorie3000espèces :celles-cioccupent lediamètreducercleetsont reliéesparunvaste réseaude traits (lesderniersancêtrescommuns)quiconvergentverslecentreducercle.3000espèces,celapeutparaîtrebeaucoup,maisc’estenréalitéune infime quantité en comparaison des 10 millions d’espèces estimées sur la planète. Oui,10millions, peut-êtremême 15 ou 20millions, à en croire par exemple le Fondmondial pour lanature(WWF).Ilenestmêmequipostulentquelabiodiversitépourraitenfaits’éleverà100millionsd’espèces !En tout cas pour l’instant, on en connaît seulementmoins de 2millions.En 2011, uneétude largement reprise a estimé à 8,7millions le nombre d’espèces vivantes sur la planète, dont6,5millionsquiévoluentsur la terreet2,2millionsdansl’eau.Lesauteursdel’étudeestimentque7,77millionsdesespècessontanimales.Lesscientifiquesconsidèrentparailleursqu’environdeuxtiersdesespècesvivantessontdesinsectes.Ondénombreparexemple3500espècesdemoustiques.L’homme, quant à lui, est l’un des 5 500mammifères présents sur la planète. On compte encore10 000 espèces d’oiseaux ou 20 000 espèces d’abeilles. Et dire que 99% des espèces qui se sontsuccédésurTerreontaujourd’huidisparu!

Longtemps, pour juger de la proximité des espèces entre elles, on ne pouvait se fier qu’à laconstitutiondessquelettesetàlaformedesmembresetdesorganes.Mais,àpartirdesannéesquatre-vingt, la biologie moléculaire a tout changé. L’exploitation de l’ADN, après la Seconde Guerremondiale, a bouleversé les représentations. On pensait par exemple que le cochon était l’espècevivante la plus proche de la baleine. On a récemment compris que le cousin le plus proche desbaleinesestenréalitél’hippopotame,avantlecochonpuislesruminants.Onsaitaujourd’huiquelabaleine et le dauphin sont des mammifères terrestres qui sont retournés dans l’eau, et non despoissonsquiauraientévoluéd’uneautremanièreque lesautres.Cequisignifieque l’hippopotameavait un cousin qui a choisi de rejoindre la mer, après quoi il a complètement changé dephysionomie. La baleine et le dauphin (qui est une petite baleine) ont pour ancêtre commun unmammifère terrestre nommé le pakicetus, un quadrupède à fourrure, de la taille d’un chien, qui avécuilyaenviron50millionsd’années.Delamêmemanière,lessiréniens(lamantinsetdugongs)

sontprochesdeséléphants.Labiologiemoléculaireaégalementpermisdedistinguerlegroupedessingesafricains,quicomprendleschimpanzés,lesgorilles,lesbonobosetleshommes,etceluidessingesasiatiques(lesorangs-outansetlesgibbons),cequisignifiequeleschimpanzésetlesgorillessontgénétiquementplusprochesdenousquedesautressinges!

L’étudedel’évolutionlivredessecretspassionnants:pourquoileserpentetlelézardondulent-ilsdemanièrelatérale?Parcequ’ilsontconservélemouvementdespoissonsdontilssontissus!Enrevanche,ledauphinagitesaqueueverticalement:unvestigedesonpassédemammifèreterrestre.Sesancêtressedéplaçaientencourantgrâceàuneflexionverticaledelacolonnevertébrale.Commel’expliqueRichardDawkins,«ledauphin“galope”danslamer»!

Chaqueespèceporteenellelatracedecellesquil’ontprécédée.Nosgènestémoignentdoncdenotrehistoirecommuneaveclesautresanimaux.Certainsdecesgènessontinactifsounes’activentqu’unmoment : ainsi lorsquenousne sommesqu’unembryon,unequeuenouspousse auboutdequelquessemainesetdesfentesbranchialespropresauxpoissonsapparaissent,puiscessingularitéss’estompent (il nous reste tout demême le coccyx et le creux des joues).Un résultat fascinant del’évolution concerne notre « troisième œil ». Quésaco ? Certains animaux, quelques lézards etquelquesgrenouilles,possèdentsurlesommetducrâneunrécepteursensibleàlalumière.Celui-ciestcomposécommeunœil,avecuncristallinetunerétine.Onl’appellel’œilpinéal.Ilestcapabledepercevoirladifférenceentrelanuitetlejouretdenoterlesvariationsdeduréedesjoursenfonctiondessaisons.Cetroisièmeœilexistedanslecerveauhumain:ils’agitdelaglandepinéale,situéeaumilieuducerveau,qui sécrète lamélatonine àpartir de la sérotonine et qui joueun rôledansnosrythmesbiologiques.Commechezleslézardsàtroisyeux.

UneétudeparuerécemmentdanslarevueaméricaineScienceaffirmequetouslesmammifèresplacentaires(ceuxdontl’embryonsedéveloppedansleventredelamèregrâceauplacenta)ontpourancêtrecommununpetitinsectivore,unesortedemusaraigne,delatailled’unrat,apparuquelquescentaines de milliers d’années après la disparition des dinosaures. En outre, tous les vertébrésdescendent des poissons à quatre nageoires. Nos os et nos dents sont une version minéraleréactualiséedescoquillesdesmollusques(lecalcium!).Lespremiersanimauxétaientdesvers.Etlesanimauxsontnésdesplantes.

On peut se prêter au jeu fascinant des ressemblances. D’abord il faut noter cette étonnantesimilitudeentremondesvégétaletanimal:lesarbresdéploientleursbranchesdansl’airpourquelesfeuilles y puisent du gaz carbonique, et rejettent de l’oxygène. Le corps humain, lui, n’a plus debranches,maisdesbronches.Etnotreappareilrespiratoireressembleàunarbreàl’envers.Saufquenous faisons l’inverse, en inspirant de l’oxygène et en rejetant du gaz carbonique. Simplecorrespondancepoétique?

Les ressemblances sont évidemment bien plus convaincantes dans lemonde animal, où nouspouvonsconstaternotreproximitéaveclesespèceslesplusinattendues.Prenezlachauve-sourisparexemple,cecharmantanimalvolantà lasimauvaise réputation.On leconsidèrecommeunoiseaupeusympathiqueetdangereux.Onatoutfaux.Pours’enconvaincreilsuffitderegarderlesimages

duTolgaBatHospitalenAustralie.Là-bassont recueillieschaqueannéedescentainesdechauves-souris :desbébésquiontperduleurmère,deschauves-sourisblessées,maladesouvictimesd’uneparalysie transmiseparune tique. Il fautobservercesminusculescréatures,emmitoufléesdansdeslinges,accrochéesàunetétineetposantleursgrandsyeuxinterrogateurssurlesoigneurparlequelelles se laissentmanipuler sansbroncher :quelledifférenceavecdeschiots?Etpuis, autreerreurcommune,lachauve-sourisn’estpasunoiseau,maisunmammifère.C’estlaraisonpourlaquellesoncorpsn’estpas recouvertdeplumes.Tous lesoiseaux sontpourvusdeplumes,mêmeceuxquinevolentpas,maispaslesmammifères.Pourquoi?Simplementparcequel’ancêtrecommunàtouslesoiseauxavaitdesplumes(c’étaitundinosaureàplumes),etquelesmammifères,eux,n’ontpascetancêtredansleurarbregénéalogique.Doncaucunmammifèrenepossèdedeplumes.Lesquelettedela chauve-souris et le nôtre présentent des similitudes inattendues : son aile et notre main sontconstruites sur le même modèle, avec les cinq doigts qui se sont étendus pour devenir les«tigesarticulées»quisoutiennentlamembranealaire.Etunechauve-sourispossèdedescoudes,desgenoux, tout comme nous. En parlant d’ailes, remarquez combien notre vocabulaire nous dérouteparfoisdesréalitésbiologiquesdelavie.Onpourraitpenserquelesanimauxetlesinsectesvolantssontprochespuisqu’ilsontdes«ailes».Orcemotnefaitpasréférenceà lastructurede l’organemais à sa fonction : voler. Et une aile de chauve-souris et une aile demouche n’ont, sur le planstructurel, aucun rapport. Comme Richard Dawkins l’explique dans Le Plus Grand Spectacle dumonde, « les squelettes de tous les mammifères sont identiques, mais leurs os pris à part sontdifférents».Ainsi,note-t-il, lecrânede tous lesmammifèresestcomposéd’unmêmeensemblede28os.

Lemondeduvivantresteencoreungrandmystèrequenouscommençonsàpeineàpercer.Lecas de l’homme de Néandertal, par exemple, est compliqué : lui qui a vécu en même temps quel’Homosapiens, avant de disparaître il y a 30 000 ans, doit-il vraiment être considéré commeuneautre espèce, ou une variation de l’humain actuel ? Ce que l’on sait, c’est que les Européens etAsiatiquesd’aujourd’huionthéritéde1%à3%dugénomedeNéandertal,alorsquelesAfricainsn’enontquasimentpascar leursancêtresn’ontpascroiséNéandertal.Entout,20%dugénomedeNéandertalasurvécuaujourd’hui,disséminédemanièredifférenteàtraverslesindividus.

Le séquençage de l’ADN, qui n’en est qu’à ses débuts, va nous permettre d’en apprendredavantage dans les années qui viennent sur nous-mêmes et sur nos cousins animaux. Mais noussavonsdéjàqu’enplusdenos98,5%degènescommunsaveclechimpanzé,nouspartageons80%denosgènesaveclavache,80%égalementaveclasouris,70%avecl’épongedemer,etmême50%degènesaveclamouchedrosophile.

L’êtrehumainestdonc le rejetond’êtresunicellulaires,puisd’unpremier animalqui étaitunsimplever aux fonctionsminimales, et ensuitedepoissons et d’autresmammifères.Nous sommesparentsdesarbres,des fruits,des insectes,despoules,despigeons,desvachesetdescochons.Carnousavonsforcément,répétons-le,undernierancêtrecommunavecchacunedecesespèces.RichardDawkins précise : «Au point où sont les choses, il apparaît que toutes les formes de vie connues

peuventêtresuiviesàlatracejusqu’àunancêtreuniquequivivaitilyaplusde3milliardsd’années.S’ilyaeud’autresoriginesdevieindépendantesdecelle-là,ellesn’ontpaslaissédedescendantsquenousayonsdécouverts.Etsidenouvellesformesdevieapparaissaientmaintenant,ellesseraientvitedévorées,probablementpardesbactéries.»Ilestessentieldel’assumer,notreregardsurlemondeendépend.Lapréservationdel’environnementnedoitplusêtreenvisagéecommelasimplesauvegarded’unmondequinousestextérieuretdontnousavonsbesoinpoursurvivre.Ilfautadmettrecommeune vérité inaliénable cette intuition des sagesses asiatiques que démontre aujourd’hui la science :noussommesreliésàchaqueparcelledevivant.Etlorsquenousmanquonsderespectàuneformedevie,c’estànotrefamillequel’onmanquederespect.Unpeucommeuntypequiauraitréussidanslavie, qui gagnerait beaucoup d’argent, installé dans un luxueux appartement du premierarrondissement de Paris, et qui renierait son père et samère sous prétexte qu’ils habitent un petitpavillondebanlieue.Leparvenuasesentréesdanstouslesmilieuxbranchés,partenvacancesdansdeluxueuxhôtelsàl’autreboutdumonde,conduitunedécapotable.Maisilahontedesonenfanceprolo,delaCliodesesparents,deleursvacancesenmobile-home.Iln’assumepasd’oùilvient.Or,si un jour il a un gros pépin, il retournera, la queue entre les jambes, dans le petit pavillon debanlieue. Et il sera heureux d’avoir cet endroit où se réfugier. Il ne faut jamais oublier d’où l’onvient,nilesparentsquinousontpermisd’êtrequinoussommes.

Dansunarticlerécent,uneprofesseureàlaSchoolforEarthandSpaceExploration,enArizona,EvgenyaShkolnik,affirmequenousnesommespasseulsdansl’univers.Lesprobabilitésindiquentqu’ilexistebiendesviesextraterrestres.Etellepointelesbénéficesd’unetelleprisedeconscience:«Ennouspensantseuls,nosperspectivesdemeurentétroitesetindividualisées.Ensachantquenoussommesuneformedevieparmid’autres,àmonavis,nousnoussentirionsmoinsdivisés.[…]Quandvousvoussavez,tous,êtrefondamentalementunélémentdumême,ilestbienplusfaciledeselieràsonvoisin,auclocharddelarueouàcettepersonnequi,dansunavion,n’apaslamêmecouleurdepeauoudepasseportquevous.Vraiment.Quandnousnenousfocaliseronsplussurnosdifférences,nousseronsplusàl’aiseavecceuxquisontdifférentsdenous.[…]FaitesunzoomarrièreetvoyezlaTerre comme une planète parmi d’autres. Nos frontières s’effaceront, nos clivages religieux etculturels se combleront. […] Enfin, nous pourrons voir ce qu’est réellement notre identitécollective.»

Cette unité fondamentale desTerriens, qu’unminimumde recul nous permet de constater, nes’appliquepasqu’auxseulshumains.Noussommes,avec tous lesautresanimaux,«unélémentdumême ». Fabriqués de lamêmematière, dotés de lamême capacité à éprouver, liés par lamêmehistoire,embarquéssurlemêmevaisseau.Lesbarrièresquenousavonsdresséesentreleshumainsetlesnonhumainsn’ontpasplusdecohérencequecellesqueleshommesontétabliesentreeux.

Lesanimalosceptiques,partieII:laréponsedel’éthologie

Sil’oninterrogedesgensauhasarddanslarue,quesauront-ilsnousdiredumondeduvivant?Que savent-ils des millions d’espèces qui peuplent la planète ? Même les scientifiques n’enconnaissentqu’unepetitepartie(moinsde2millionsd’espècesanimalesetvégétalessontrecenséessur10à20millionsestimées).Sansexigerdechacununsavoirencyclopédiquelogiquementréservéàquelquesspécialistes, ilfautbienadmettrequenoussommestrèsignorantsd’unmondeanimaletvégétal dont nous sommes de plus en plus déconnectés. Même les espèces les plus familièreséchappent à notre attention.Nous ne savons ni leur histoire, ni leurs habitudes, ni leurs capacités.Nousignoronsleursfacultésetleurmalice.

À propos des baleines et des dauphins, chacun sait que ce sont des animaux « gentils »,«intelligents»,«joueurs»,«prochesdel’homme»,cequin’estdéjàpasmal,maisrestesuperficiel.Nous avons vu dans les pages précédentes que les cétacés sont desmammifères dont les ancêtresvivaientsurterreetquiontunjourdécidéderetournerdansl’eau.Maiscelaestsouventignoré,toutcomme le fait qu’il existe plus de 30 espèces de dauphins, que les jeunes baleines sontparticulièrement joueuses,que lesystèmed’écholocalisationdesdauphinsest l’ancêtredusonarouencorequelechantdesbaleinesrépondàdesrituelsraffinés…

Etlesfourmis,aveclesquellesnousavonstousjouéquandnousétionsenfants?Quilesconnaîtvraiment?Chacunpeutdirequelafourmivitencolonies,qu’elleesttravailleuse,contrairementàlacigale (!), et qu’elle adore chourer les miettes des pique-niques.Mais à part ça ? Peu de gens se

doutentqu’elleainventél’agricultureetl’élevagebienavantleshommes.Lesfourmiscultiventsousterredeschampignonsetélèventdespucerons,afinderecueillirleurmiellatricheenacidesaminésoudelemanger.Cespuceronssontunpeupourlesfourmisl’équivalentdenosvaches.Etleurviesociale?Ilyaenviron100millionsd’années,ellesontinventéladivisiondutravail,cequiapermisd’augmenter laproductivitédugroupe.Maisellesontaussimisenplacedesrèglesdemaintiendel’ordre, grâce à des fourmis policières qui tiennent à l’écart ou éliminent les fourmis égoïstes ourécalcitrantes. Des expériences ont même montré que les fourmis n’ont pas toutes un degréd’intelligenceidentique(lesabeillesnonplusd’ailleurs).Commentnepasréduireces insectesàdeminusculesinsignifiancessil’onignoretoutcela?

Les pigeons : tellement détestés par la plupart des citadins. Leur exceptionnel sens del’orientationestàpeuprèsconnudugrandpublic.Maisoserait-onencorelesinsulteretlesmaudiresi l’on avait en mémoire tous les services qu’ils nous ont rendus pendant la guerre ? Oserait-onencorefilerdescoupsdepiedàdespigeonsidiotsensachantquedesexpériencesenlaboratoireontprouvélagrandeintelligencedecesoiseauxquisaventcompteretclasserdesobjetsparcatégorie?

Leschimpanzésrient,leschiensrient,lesratsrientaussi…Quilesoupçonne?Dansleurouvragecommun,Lessourisgloussent,leschauves-sourischantent,KarenShanoret

Jagmeet Kanwal nous plongent dans l’univers passionnant de l’intelligence et de la sensibilitéanimales.Ilss’attardentnotammentsurcesfacultéspropresàcertainesespècesetdontsontdépourvusleshumains:l’odorathyperpuissantdeschiensquileurpermetderetrouverdespersonnesdisparuesmais aussi de détecter un cancer en sentant l’haleine d’un individu, l’utilisation des impulsionssonoresetdeséchosparleschauves-souris,lesdauphinsetlesbaleinespoursedéplacerouchasser,l’utilisation d’une boussolemagnétique par les oiseauxmigrateurs ou les tortues, la captation deschampsélectriquesparcertainesespèces,ouencorel’utilisationdeschampsvibratoires:despunaisesvertesquicommuniquententreellesgrâceàdesvibrationsémisesviadesfeuillesetdestiges,oudeséléphantsquicaptentlessignauxsismiquesgrâceàleurtrompeetleurspiedsetquileurpermettentd’identifieruncongénèreàdixkilomètres.

Avons-nous tenté de réellement connaître les animaux qu’on égorge par millions tous lesjours?

ChristineNicol, professeur à l’université deBristol, a pris le tempsd’étudier les poules.Sondiagnosticestsansappel:«Lorsqu’onyregardedeplusprès,onremarquequelespouletssontloind’être stupides. Ils apprennent remarquablement vite et font preuve d’une grande adaptabilité. Ilsn’apprennentpasquepareux-mêmes, ilsapprennentaussi lesunsdesautres,cequiestunepreuved’intelligence. Par exemple si l’un d’entre eux découvre une nouvelle manière de trouver de lanourriture, l’undesescongénèresvasedire :“Tiensc’est intéressant”,et ilseracapabled’utilisercette techniquesimplementaprès l’avoirobservée.C’estcequ’onappelle l’apprentissagesocial. Ilspeuvent donc apprendre des choses relativement complexes. Ils sont loin d’être stupides. » Leséthologues ont découvert que les poules ont des capacités de communication proches de certainsprimates. Elles s’expriment grâce à un répertoire de cris variés, qui répondent à des situations

précises.Elles saventprendredesdécisionsetagiren fonctiond’uneexpériencepersonnelle.Ellespeuventégalementfairepreuvedecompassionenversuncongénèreendanger.

Lesbrebispourleurpartcommuniquentavecleurspetitsaumoyendebêlementspersonnalisés:si,auseind’ungroupe,lamèreappellesonpetit,luiseulvarépondre.Quisaitque,contrairementàla légendequi lesprésentecommestupides, lesmoutons sont intellectuellementconsidéréscommeproches du cochon ? Dans la Nièvre, une ancienne éleveuse a créé avec son fils un refuge quiaccueille 750 moutons sauvés de l’abattoir, appelé le Domaine des Douages. Sur son blog,DominiqueMauerdécritendétaillarichessedecaractèredesmoutonsetdesbrebis,leurintenseviesociale,ainsiquelasolidaritédontilsfontpreuveauquotidien.

Queconnaît-onvraimentdesvaches, des cochons,des lapins, desmoineaux,des canards, desmouettes,desloups,desrenards,desécureuils?Quelleestleurlongéviténaturelle?Combiendefoismettent-ils bas ou pondent-ils dans une vie ? Sont-ils des animaux solitaires ou sociaux ? Sont-ilsjoueurs?Sousquellesformesexpriment-ilsleursociabilité?Commentsecomportent-ilsavecleurspetitsetleurscamarades?Sont-ilsintelligents?LepsychiatreetéthologueBorisCyrulnikexpliquequenouscommençonsseulementàcomprendrelacomplexitédel’universmentaldechacunedecesespèces:«Lesanimauxetleshommespartagentbeaucoupplusdechosesquecequ’oncroyait.Onpartagelecerveaudesémotions,onpartagelecerveaudecertainesreprésentations,l’anticipationdutemps,lamémoiredel’odeur,lamémoiredel’espace,onpartageaveclesanimauxbeaucoupplusdechosesquecequ’oncroit.»Preuvequelascienceestentraindebouleverser touslespréjugésquinous autorisent encore à maltraiter les animaux, un groupe de scientifiques a signé en 2012 àl’université de Cambridge, en présence de Stephen Hawking, uneDéclaration de conscience desanimauxquiaffirmeque«leshumainsnesontpaslesseulsàposséder lessubstratsneurologiquesquiproduisentlaconscience.Lesanimauxnonhumains,soittouslesmammifères,lesoiseaux,etdenombreusesautrescréatures,commelespoulpes,possèdentaussicessubstratsneurologiques 1.»

L’absencede langageoral chez les animauxnonhumains a parfois été présentée commeunepreuvede leurmanqued’intelligenceetdesensibilité.Doubleerreur.D’unepart, ilyaun langageoralchezdenombreuxanimaux,maisnousnelecomprenonspas.D’autrepart,nousoublionsquelelangagedesémotionssepassesouventdemots.LaprimatologueJaneGoodallfaitremarquerqu’endenombreusescirconstancesleshumainsserapprochentdeleurscousinsgrandssingespourreveniràdesmodesdecommunicationsilencieux:quandilspassentlamaindansledosd’unami,quandilsseprennentdanslesbras,quandilsfrappentdanslesmains…

Lesdécouvertesdeséthologues(ceuxquiétudientlecomportementanimal)passentsouventenarrière-plan.Commesicelan’intéressaitfinalementpasgrandmonde.Commentrespecterdesêtresauxquelsonestindifférentetdontonneconnaîtrien?Pourpouvoirtuersonennemi,ilfautsurtoutneriensavoirdelui.Cen’estpasunhasardsilescomportementsdesanimauxd’élevagesonttrèspeuétudiés,etsiparmicesanimauxlecochonsuscitelemoinsd’attention:ilestdetousleplusprochedel’homme.Mieux vaut donc ne pas trop en savoir sur les souffrances physiques et psychologiquesqu’ilendure.Comment,sinon,continuerdel’exploiteretdelemangersanshonte?

Enrevanche,noussommesàpeuprèstouscalésenmatièredechatsetdechiens.Normal.Eux,ils nous intéressent. Eux, nous les regardons. Nous essayons de communiquer avec eux.Nous lesconsidérons, tout simplement. Tout ça parce que nous avons choisi d’en faire nos compagnonsprivilégiés.Quiconqueacohabitéavecunchienouunchatestcapabledevousdécrireavecmoultdétailsetanecdotes lesmanifestationsde leur intelligenceetde leursensibilité.Toutepersonnequipartagelequotidiend’uncanislupusfamiliarisvousraconteralesmomentsdecomplicitéavecsonanimal,etmêmelesconversations,souventdrôlesparcequerythméesd’incompréhensionmutuelle.Jenemelassed’ailleurspasd’êtresurprisparcetroublantdéséquilibre:commentexpliquerqu’unchiensoitcapabledecomprendreplusieursmotsdelalanguedeson«maître»(lenomqu’onluiadonné, ainsi que divers ordres tels que venir,partir, aller chercher tel objet, aller se coucher…),tandisque lemaître, lui,n’entravepresque rienauvocabulaireoraletgestuelduchien?Certes, ilparvientàdevinerquandl’animalsouhaitesortirouquandilafaim,maisc’estuniquementparcequecelui-cisaitquelssignauxenvoyerpoursefaireremarquer(setenirprèsdelaporteenpleurant,outournerautourdelagamelle).Onpourraitrétorquerquelechienémetbeaucoupmoinsdesignauxque l’humain et qu’il n’est pas, contrairement à nous, un être de communication. Ce n’est quepartiellement vrai. La vérité est que son langage passe par une gamme d’aboiements ou degrognements que nous ne déchiffrons pas, et par des attitudes corporelles ou des expressions quirestent obscures pour la plupart des propriétaires de chiens.Mais nous sommes sansdoute fautifs.Richard Dawkins raconte que les chiens domestiques lisent mieux les expressions sur le visagehumainquelesloups.L’explication:aufildelacohabitation,degénérationengénération,leschiens–quifurentlespremiersanimauxdomestiquésparl’homme–ontapprisàcomprendreetàmimerles expressions humaines liées à la joie, la colère, la honte ou l’affection. Nous n’avons passuffisammentrendulapolitesse.Ilnousauraitfalluapprendreàtraduiredavantagelessignesqu’ilsnous envoient avec la queue, les oreilles, la posture, le regard ou les sons. Néanmoins, nouscomprenonssuffisammentleschienspourêtreobligésd’admettrequ’ilséprouventdelajoieetdelapeine,qu’ilssouffrent,qu’ilsontdesenvies,qu’ilsaimentetqu’ilsdétestent,qu’ilssaventcequesontl’affectionetlechagrin.

Lechienestd’ailleursunmodèleintéressantpourtoutespritsceptiquequioseraitencoredouteraujourd’huidel’existencechezlesanimauxnonhumainsdel’empathie,c’est-à-direcettefacultéàsemettre à la place d’un autre et à imaginer ce qu’il ressent.Les exemples répertoriés de chiens quiviennentenaideàuncongénèreendifficultésontlégion.

–Oui,peut-être,maisquiddel’empathied’unanimalpourlemembred’uneautreespèce?Làencore,lechienfaitladémonstrationlapluséclatantequ’elleexistebeletbien.Lorsqu’une

relationdeconfianceentreunchienetunhommeexiste,ilestfréquentquelechienconsolel’humains’ilserendcomptequecelui-ciestaccabléparlatristesse.Leschiensquirefusentd’abandonnerleurmaîtredécédé,enpassantdesjoursentierssursatombe,n’expriment-ilspaslelienprofondquipeutunir ces deux êtres issus de deux espèces différentes ? Par ailleurs, la capacité que possèdent leschiensàimiterlesexpressionsfacialeshumainesestunepreuveirréfutabled’empathie.

–Oui,d’accord,maislechienestunanimalàpart.C’estpourçaqu’onl’adomestiqué.Non,l’empathien’existepasquechezleschiens.Elleestévidemmenttrèsdéveloppéecheznos

plus proches cousins, les singes. L’éthologue néerlandais Frans deWaal a longuement décrit lesrelations riches et complexes qui unissent les primates, leur capacité à la querelle et à laréconciliation,et il apuconstater la réactivitéà la souffrancede leurscompagnons. Il évoqueuneexpérienceoùdessingesrefusentd’activerunmécanismequileurprocuredelanourrituredèslorsqu’ils se rendent compte qu’en le déclenchant celui-ci envoie des décharges électriques qui fontsouffrirunautresinge.L’empathieaétéconstatéechezdenombreusesespèces.Dansuneexpériencemenée à l’université de Chicago, l’on voit que les rats libèrent un congénère avec lequel ils ontcohabitéplusieursjourslorsquecelui-ciestemprisonnédansuntubeétroitferméparunetrappe.Letubeest transparent, afinque ladétressede l’animalprisonnierpuisseêtreperçueparceluiquiestrestélibre.Or,dèsquecedernieracomprislemécanismed’ouverturedelaporte,ill’actionne,alorsmême qu’aucune récompense ne l’attend. Plus surprenant, les chercheurs ont remarqué qu’endisposant à proximité une autre boîte avec du chocolat, le rat libre préfère s’occuper de soncompagnonavantdeprofiterdelanourriture.Onpourraitpasserenrevuetouteslesespèces:FransdeWaalexpliquequel’empathieestprésentecheztouslesmammifères.Ilcitelecasdedauphinsquisoutiennentuncompagnonblessépourqu’ilrespireà lasurface,oud’éléphantsquiaident l’undesleurs, aveugle. On pourrait également parler de cas recensés d’hippopotames venant au secoursd’impalasattaquéspardescrocodiles.Oudecesdauphins,enNouvelle-Zélande,quiontprotégédesnageursdel’attaqued’unrequinblancenformantuncercleautourdugroupe.

Selon Frans de Waal, l’empathie a existé bien avant l’apparition des primates. Elle est unecapacité qui permet l’évolution, et elle a dû émerger lorsque des mères se sont mises à vouloirprotéger leurspetitsendanger. Il enconclutque l’empathieestdavantage fémininequemasculine.J’ignore siDeWaal a raison sur cedernierpoint,mais je suis eneffet étonnédeconstaterdepuisplusieursannéesquelepublicdesmanifestationsenfaveurdesanimauxestmajoritairementféminin.Enplusdel’empathie,nouspourrionsaussinousattardersurlesensdel’équitéquiaétéconfirméchezplusieursespèces.

En fait, pour comprendre un animal, il faut commencer par prendre le temps de l’observer.L’éthologie,c’est-à-dire l’étudedesespècesanimales,aconnuunsecondsouffledans ladeuxièmepartiedusiècledernier.KarlvonFrisch,KonradLorenz,NikolaasTinbergen(toustroisPrixNobelde physiologie ou médecine en 1973), Donald Griffin, Jane Goodall, Frans de Waal, RichardDawkinsouMarcBekoffont,parmid’autres,considérablementcontribuéàouvrirnosyeuxsurlesautres espèces. Leurs travaux sont une mine d’informations indispensables, qui devraient êtreenseignées dans toutes les écoles. Je recommanderais au moins la lecture de deux ouvragespassionnants pour mieux comprendre l’intelligence, la sensibilité et la complexité de nos cousinsanimaux:L’animalest-ilunepersonne?dubiologisteYvesChristen,etLesÉmotionsdesanimaux,deMarc Bekoff, qui tous deux regorgent d’anecdotes instructives. « Certains vont encore jusqu’àdouter de l’existence des émotions animales », écrit Marc Bekoff. « Et parmi ceux qui en sont

1.

convaincus,beaucouptendentàpenserqu’ellessontmoins importantesque lesémotionshumaines.C’estlà,selonmoi,unpointdevuedépasséetirresponsable.»Quantaulivred’YvesChristen,j’enretiens cepassagequim’abouleversé et qui interrogera tous les animalosceptiques : «Ondevrait[…] relire ce qui arriva au chasseurWilliamHarris (1807-1848) après qu’il eut tué son premieréléphant, une femelle, lorsqu’il revint la chercher le lendemain. Il trouva auprès d’elle son petit,désespéré,quiseprécipitasurlui,l’enlaçantdesatrompecommepourluidemanderdel’aide.“Là,ditHarris,jeressentisunvrairegretdecequej’avaisfaitetilmevintàl’idéequej’avaiscommisunmeurtre.”»

Enannexe,laDéclarationdeCambridgedanssonintégralité.

Annexe

DÉCLARATIONDECAMBRIDGESURLACONSCIENCE

7JUILLET2012

Lechampdes recherchessur laconscienceévolue rapidement.Ungrandnombredenouvellestechniquesetdestratégiesderecherchesurlessujetshumainsetnonhumainsontété développées. Par conséquent, de plus en plus de données sont disponibles, ce quinécessiteuneréévaluationrégulièredesconceptionsrégnantesdanscedomaine.Lesétudessurlesanimauxnonhumainsontmontréquedescircuitscérébrauxhomologuescorrélésavecl’expérienceetlaperceptionconscientespeuventêtrefacilitésetperturbésdemanièresélectivepourdéterminer s’ils sont réellement indispensablesàcesexpériences.Deplus,chezleshumains,denouvellestechniquesnoninvasivessontdisponiblespourexaminerlescorrélatsdelaconscience.

Les substrats cérébraux des émotions ne semblent pas restreints aux structurescorticales.En réalité, les réseauxdeneurones sous-corticauxexcités lorsd’étatsaffectifschez les humains sont également d’une importance critique pour l’apparition decomportements émotifs chez les animaux. L’excitation artificielle des mêmes régionscérébrales engendre les comportements et les ressentis correspondants chez les animauxhumainsetnonhumains.Partoutoù,danslecerveau,onsuscitedescomportementsémotifsinstinctifschezlesanimauxnonhumains,bonnombredescomportementsquis’ensuiventsont cohérents avec l’expérience de sentiments humains, y compris les états internes quiconstituentdesrécompensesetdespunitions.Lastimulationprofondedecessystèmeschezles humains peut aussi engendrer des états affectifs similaires. Les systèmes associés àl’affect sont concentrés dans des régions sous-corticales dans lesquelles les homologiescérébrales sontnombreuses.Les jeunesanimauxhumainsetnonhumains sansnéocortexpossèdent néanmoins ces fonctions mentales/cérébrales. De plus, les circuits neuronaux

nécessairesauxétatscomportementaux/électrophysiologiesdevigilance,desommeiletdeprisededécisionsemblentêtreapparusdansl’évolutiondèslamultiplicationdesespècesd’invertébrés ; en effet, on les observe chez les insectes et lesmollusques céphalopodes(parexemplelespieuvres).

Les oiseaux semblent représenter, par leur comportement, leur neurophysiologie etleur neuro-anatomie, un cas frappant d’évolution parallèle de la conscience. On a puobserver,demanièreparticulièrementspectaculaire,despreuvesdeniveauxdeconsciencequasihumainschezlesperroquetsgrisduGabon.Lesréseauxcérébrauxémotionnelsetlesmicrocircuitscognitifsdesmammifèresetdesoiseauxsemblentprésenterbeaucoupplusd’homologies qu’on ne le pensait jusqu’à présent.De plus, on a découvert que certainesespècesd’oiseauxprésentaientdescyclesdesommeilsemblablesàceuxdesmammifères,ycomprislesommeilparadoxal,et,commecelaaétédémontrédanslecasdesdiamantsmandarins,desschémasneurophysiologiquesqu’oncroyaitimpossiblessansunnéocortexmammalien. Il a été démontré que les pies, en particulier, présentaient des similitudesfrappantesavecleshumains,lesgrandssinges,lesdauphinsetleséléphants,lorsd’étudesdereconnaissancedesoidansunmiroir.

Des interventions pharmacologiques chez des animaux non humains à l’aide decomposés connus pour affecter le comportement conscient chez les humains peuvententraînerdesperturbationssimilaireschezlesanimauxnonhumains.Chezleshumains,ilexistedesdonnéesquisuggèrentquelaconscienceestcorréléeàl’activitécorticale,cequin’exclut pas d’éventuelles contributions issues du traitement sous-cortical ou corticalprécoce,commedans lecasde laconsciencevisuelle.Lespreuvesd’émotionsprovenantde réseaux sous-corticaux homologues chez les animaux humains et non humains nousamènentàconclureàl’existencedequaliaprimitifspartagésaucoursdel’évolution.

Nous faisons la déclaration suivante : « L’absence de néocortex ne semble pasempêcherunorganismed’éprouverdesétatsaffectifs.Desdonnéesconvergentesindiquentquelesanimauxnonhumainspossèdent lessubstratsneuro-anatomiques,neurochimiqueset neurophysiologiques des états conscients, ainsi que la capacité de se livrer à descomportementsintentionnels.Parconséquent,laforcedespreuvesnousamèneàconclurequeleshumainsnesontpasseulsàposséderlessubstratsneurologiquesdelaconscience.Desanimauxnonhumains,notammentl’ensembledesmammifèresetdesoiseauxainsiquede nombreuses autres espèces telles que les pieuvres, possèdent également ces substratsneurologiques.»

LaDéclarationdeCambridgesurlaconscienceaétérédigéeparPhilipLowetréviséepar Jaak Panksepp, Diana Reiss, David Edelman, Bruno Van Swinderen, Philip Low etChristofKoch.LaDéclarationaétéproclaméepubliquementàCambridge(Royaume-Uni)

le7juillet2012lorsdelaFrancisCrickMemorialConferenceonConsciousnessinHumanand non Human Animals, au Churchill College de l’université de Cambridge, par Low,Edelman, etKoch. LaDéclaration a été signée par les participants à ce colloque le soirmême, en présence de Stephen Hawking, dans la salle Balfour de l’hôtel du Vin, àCambridge.LacérémoniedesignatureaétéfilméeparCBS,«60Minutes».

TextetraduitparFrançoisTharauddansLesCahiersantispécistes,no35,novembre2012.

Lehasarddel’incarnation

Nouscommettonsdeuxerreursprincipales:oublierquenoussommesmortels(nousévacuonscette idée 99% du temps), et considérer que notre présence sur Terre est une chose qui coule desource.Orc’est tout lecontraire.Nonseulementnousnevivonsquele tempsd’unemicroseconde,maisenplusl’existencedechacund’entrenousrelèvedelapureanomalie.Nousnesommestousquedesaccidentsabsolument improbables.Même leplusmalchanceuxdesTerriensaun jourgagné leplusincroyabledesconcoursdecirconstancespourobtenirledroitdesalueruninstantlavie.

Un petit calcul rapide permet d’en prendre pleinement conscience. Sachant que nous sommessortisvainqueursd’uneépreuvededemi-fondaucoursdelaquellesesontaffrontésdescentainesdemillions de spermatozoïdes, sachant que le couple qui nous a conçu s’est probablement uni desmilliersdefoisendehorsdumomentquinousaengendré,sachantqu’ilyavaitenvironunechancesur 2 milliards que nos deux parents se rencontrent (en prenant une population de 7 milliardsd’habitantsquel’ondiviseenhommesetfemmesetdontonévacuelesplusjeunesetlesplusvieux),onpourraitconsidérerdansunpremiertempsquelaprobabilitéquenousnaissionsunjourétaitdeunsurdescentainesdemilliardsdemilliards.Maisnon,c’estencorebeaucouptropparrapportàlaréalité.Ilnefautpasoublierquelachancequechacundenosparentsexisteestelleaussiéquivalenteàuneseulesurdescentainesdemilliardsdemilliards.Ilnefautpasoubliernonplusquenosparentssonteux-mêmesnésaprès7000générationsd’Homosapiensqui tousavaient laplus infinitésimaledesprobabilitésdevoirlejour,etqu’avantcesHomosapiensnousavonseucommeancêtresd’autresespèces d’Homo qui eux-mêmes… bref vous avez compris. D’un point de vue purementmathématique,laprobabilitéquenousexistionsestdoncprochedezéro.Unechancesurdesmilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliards

demilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdemilliardsdeetc.

Voussouhaitezuneestimationplusprécise?En2011,uncertaindocteurAliBinazir,diplômédeHarvard, aproposéuncalculdont la logiqueest cohérenteetquiévalue laprobabilitédenotrenaissance à une chance sur 10 2 685 000.À titre de comparaison on estime le nombre d’atomes dansl’universà1080.

Notreconsciencen’aentoutcaspus’allumerqu’autermed’uneinterminablecascaded’aléas,jonchéedetrillionsd’obstacles.Pensezdonc:siunseuldenoscentainesdemilliersd’ancêtresavaitététuéavantdepouvoirsereproduire,c’enétaitfinidenous!Enmettantàplatcesstatistiques,oncomprend aisément que le cours normal des choses eût voulu que nous ne naissions pas. Chacund’entre nous est une anomalie. Nous sommes là, alors que nous ne devrions pas y être. Nous nesommesquedesinvitésàquilecartonaétéenvoyéparmégarde.Etleplusdrôle,c’estquenousnouscomportons,individuellementetcollectivement,commesinousétionsunenécessité,commesinotrevieétaitundû,qu’elleétaitnormale,alorsquenousnesommesqu’unhasardquiavaitunechanceprochedezérodeseréaliser.

Cette anormalité de notre présence aumonde a des conséquences. Savoir que statistiquementnousdevrionsnepasêtreplutôtqu’êtrenousobligeàinversernotreregardsurnotreexistence,etàvivrechacundesesmomentscommeunprivilège.Cettecontingenceinfinienousamèneàréfléchirdeuxfoisavantderâlerlorsqu’onnetrouvepasdeplacedeparkingouqu’onperdunpointautennis.Ellenousinviteensuiteàrelativiserleséchecs,commelessuccès.Rienn’estvraimentgrave,sauflamort,etriennefaitdenousdesêtresexceptionnels.

Enécrivantcesmots,jesongeauxflotsdeprétentiondéversésparl’humanitéetjemedemandesi lavanitén’estpas, finalement, ce fameux«proprede l’homme»auquelnous tenons tant etquinousfuitentrelesdoigtsaufildessiècles.

Maislerôleduhasardnes’arrêtepasàl’infinitésimaleprobabilitédenousavoirfaitexisterunjour.Ilestdéterminéégalementparlaformedenotreincarnation.

Toutindividu,humainounonhumain,esteneffetunassemblaged’atomesaniméparunesprit–que l’on peut aussi appeler « conscience » – qui est une action du cerveau. Ce qui définit chaque

personneestd’abordcetesprit.L’enveloppecorporellen’estquelevaisseaudel’âme,indispensableàsonexpression.L’espritdoitdonccomposeraveclecorpsquil’accompagneetqu’iln’apaschoisi.Nous souhaiterions tous être soit plus grand, plus mince, moins poilu, avoir des yeux bleus, descheveuxbouclés,etc.Ilyaundécalageentrelecorpsetl’espritquiexpliquequenouspouvonsnepasaimernotrephysique.Siréellementnotrecorpsétaitunenécessitéinhérenteànotreêtre,alorsnotreconscience serait, spontanément, en accord parfait avec notre corps. Or ce n’est pas le cas. Notreesprit, notre âme, notre intelligence, ce qui fait que je suis moi et non un autre, est une entitéimmatérielle qui découvre à la naissance le véhicule qui lui a été attribué. Noir, blanc, français,américain,chinois,africain,intelligent,handicapé,petit,grand,gros,blond,brun…Lehasarddécide.

Ceque l’onoublie souvent,c’estque lehasardauraitpuchoisird’incarnernotreespritenuncorpsnonhumain.Laconscience,c’est-à-direnotrecapacitéàvoirlemondeetàl’éprouver,auraitpunousêtreoffertedanslecorpsd’uncheval,d’unchien,d’unesouris,d’unpoisson,d’unemoucheouque sais-je encore.Seul un coupdu sort nous a fait naître humain.Nous réalisons tousparfoisl’expérience de pensée consistant à nous imaginer dans le corps d’une vedette ou d’une personneenviée :«Ah,si j’étaisnéeMadonna, j’auraiseuunebellevie !»Beaucoupplus rarement ilnousarrivedecroiserunratdanslarueetdenousdire:«Çapourraitêtremoi!»Etpourtant…C’estlaréalité.Moiquiécrisceslignes, jepourraisêtrevous,qui lisezmontexte,maisjepourraisencoreêtremonchatoulasourisqu’ilvapourchasser.Jepourraisaussiêtrelecochonentraindesefaireégorgeroulapoulemutiléeenferméedansunhangarsansjamaisvoirlalumièredujour.

Lesscientifiquesestimentquepourchaqueêtrehumainquivitsurlaplanète,oncompteenviron200millionsd’insectes.Donc,sionneparlequedesinsectesetnondesautresanimaux,ilfautdéjàconsidérer que nous avions 1 chance sur 200 millions de nous incarner en humain plutôt qu’encoccinelleouenmoustique.OrlachancedegagnerauLoto(5numérosaveclenumérochance)estde 1 sur 19millions. Ce qui signifie que la probabilité que nous naissions dans l’enveloppe d’unhumain plutôt que dans celle d’un insecte est 10 fois inférieure à celle de remporter le jackpot auLoto.

Sachantcela,l’espritquivoitlejourdanslecorpsd’unhumainenbonnesanté,dansunefamillesans problème, et qui n’est confronté à aucune difficulté matérielle, devrait faire de sa vie unengagementpourtouslesautresêtres,humainsetnonhumains,quin’ontpaseulamêmeveine.Carilaremportélegroslot.Unminimumd’humanitél’obligeàpartagerunepartiedesongain,unepartiesi infime qu’il n’en sera pas lésé. Or, lorsque nous faisons preuve de compassion à l’égard d’unanimal,enquoicelanouslèse-t-il?Nousconservonsabsolumenttouslesattributspropresàl’espècedominante à laquelle nous appartenons, mais nous évitons simplement d’user de nos pouvoirs demanièretyrannique.

Unefemmeparticulièrementbellenedevraitjamaistirerfiertédesonavantage.Eneffet,mêmesielleentretientsonphysiqueavecdelaborieusesséancesdesudationensalle,ellen’aaucunmériteàêtre née jolie. De la même manière, lorsque nous considérons avec mépris un animal que noustrouvonsstupideoumoche,lorsquenousnouspermettonsdeleviolenter,nousdevonstoujoursnous

rappelerquenousn’avonsaucunmériteàêtredanslapositiondel’animaldominant.Aucontraire,face à la faiblesse d’un individu qui ne peut se défendre, nous devrions spontanément, au nom denotrechance,observerlaplusgrandemansuétude.

Il y a deux logiques différentes qui peuvent vous pousser à être généreux avec un SDF. Lapremièreestcellequiconsisteà sedonnerbonneconscience : j’offre10eurosafindem’affirmercommeunebonnepersonne, auxyeuxdes autres et demoi-même.Uncertainnombredegensontl’habitudedefaireundonchaqueannéeàuneONGensuivantcettelogique,quin’estd’ailleurspascondamnable.L’autreapprochedelagénérosité,quimesembleplusintéressante,consisteàdonner10eurosàcemêmeSDFparempathie,enimaginant lefroidet lafaimqu’ildoitendurer,etensedisantquel’onpourraitêtreàsaplace.Cettegénérosité-làestaussiunemanièrederendresondûàlachance qui vous a privilégié en vous évitant lamauvaise place. Eh bien il nous faut agir avec lesanimaux non humains de la même manière : il convient de les épargner en se disant que nouspourrionsêtreeux.

Denombreuxmystèresentourentencorelaconscience,àcommencerparlesconditionsdesonapparition.L’espritestsansdoutelachoselaplusméconnuequisoit.D’oùlesnombreuxfantasmesàsonsujet,parexemplesurcequ’ildevientaprèslamort.Lathéoriebouddhistedelaréincarnation–oumétempsychose–nereposepourl’instantsuraucunfondementscientifique.Jedoutequ’unmêmeesprits’incarnetantôtdansunhomme,dansunevache,uninsecte,uneplante,etc.Lacroyanceenlaréincarnationestdoncunesuperstitionouunemétaphore.Enrevanche, je revendique la théorieduhasarddel’incarnation,selonlaquellenoussommesnéshumainsparleplusgranddeshasards,cequi implique que nous aurions pu être la conscience de toute autre forme de vie dotée d’uneintelligence. Je le crois profondément. Cette fourmi que j’allais écraser, ce pigeon à qui j’allaisdonneruncoupdepied,cettevachequej’allaisenvoyeràl’abattoir,celaauraitpuêtremoi.J’auraispuexpérimenterlemondeàtraversleursyeux,leursmuscles,ettousleurscapteurssensoriels.Enmeréveillantdans le corpsd’un spécimende l’espècedominante, j’ai simplement euungroscoupdechance. Exactement comme le gamin qui naît dans une famille riche parisienne et non dans unbidonvilledeManille.

Le hasard de l’incarnation a des implications philosophiques majeures. Contrairement àPythagore,jenerefusepasdemaltraiteroudemangerunanimalcarjepourraismangerundemesanciensamis.Jerefusedemaltraitercetanimalcarjepourraisêtrelui.

L’ANIMALASSASSINÉ

Ilétaitunefoisàlaferme:labatailledel’information

CACHER,TAIREETMENTIR

L’informationestunpilieressentieldeladémocratie.Unhommelibreestavanttoutunhommequisait.«Larévolteestlefaitdel’hommeinformé»,écritCamus.Àquoisertdedéposerunbulletindansuneurnesi l’onneconnaîtni lesenjeuxréelsduscrutin,ni lefonddesdossiers impactésparl’élection?Quelestl’intérêtdeseprononcersurdessujetsmalmaîtrisés?L’écoleetlesmédiasontenlamatièreunrôleprimordialàjouer.Prenonsl’économie,parexemple.Personne,àpartceuxquien jouissent, ne comprend rien aux mécanismes financiers qui régissent désormais le monde enenrichissant les plus nantis. Personne ou presque ne saisit rien non plus de la manière dontfonctionnent les institutions européennes. Sur ces sujets ou sur d’autres, tels l’agriculture ou lapolitiqueinternationale,vousavezpeudechancesdedeveniruncitoyenéclairéenécoutantlaradioetlatélévisionpendantvingt-quatreheures–lapresseécriteremplitunpeumieuxsonrôle,maissansétincelles,hormisquelquesjournauxdeniche.Quel’onneseméprennepassurmonpropos:touteslesrédactionssontrempliesd’excellentsjournalistesquitententdefaireleurtravailaveclemaximumdeconscienceprofessionnelle.Etcertainsyparviennentavecbrio.Maislescontraintesquipèsentsurlesystèmemédiatiquesonttellesqu’ellesengendrentuneinertiecoupable.Lesmédiassontdésormaispresque tous inféodés à des intérêts financiers et industriels. Soit ils appartiennent à de grandsgroupes,soitilsdépendentdelapublicitépourvivre.Souventlesdeux.Puisquecesontlesenfantsdunéolibéralismequinourrissentaujourd’huilesmédias,ilestlogiquequecesderniersaientunemargedemanœuvrelimitée.Toutestconçupourqu’ilensoitainsi,depuislerecrutementdesjournalistes,qui sont priés de ne pas remettre en cause les logiques idéologiques en place, jusqu’au choix dessujetstraités.UnamijournalistemeracontaitrécemmentquependantlaCOP21,dansuneémissionpour laquelle il travaille, il avait insisté pour présenter plusieurs sujets sur les enjeuxde cegrandrassemblement contre le changement climatique : un seul lui avait été concédé. Parce que

l’environnement, « c’est pas sexy ». De fait, combien compte-t-on de journalistes écolos ouantilibéraux parmi les éditorialistes ou les intervieweursmédiatisés ? Aucun. Tous ceux qui nousexpliquent le monde à la télévision et à la radio pensent pareil, à quelques virgules près, si l’onexcepte le groupede commentateurs réactionnaires qui a envahi l’espacededébat depuis quelquesannées.Ces derniers, en effet, sont autorisés etmême encouragés par une société du spectacle quipréfèrelebruitausens.Lecombatpourinformerestd’autantpluscrucialquelesgroupesindustrielsinvestissent des sommes colossales pour un lobbying de propagande qui méprise la vérité. Unexemple. Un sondage réalisé en 2013 pour leNew York Times montrait que les trois quarts desAméricainssontméfiantsvis-à-visdesOGMdansleuralimentationetque93%d’entreeuxveulentêtre informés sur leur présence dans les aliments. Pourtant, lorsque les États procèdent à unréférendumsurlanécessitéd’imposersurlesemballagesunesignalisationdelaprésenced’OGM,lamesure est généralement repoussée. Cela s’est passé en Californie, dans l’État deWashington, leColoradooul’Oregon.Leslobbiespro-OGMdisposentdemoyenscolossaux.DansleColoradoparexemple, pendant la campagne du référendum, ils ont dépensé 16,7 millions de dollars contre1milliondedollarsmobilisésparlespartisansd’unemeilleureinformation.Etilenaétéainsisurtouslesscrutins.GeorgeKimbrellestmembreduCenterforFoodSafety,uneassociationàbutnonlucratifquiaprovoquécesconsultations.«Lesélectionsaméricainesnedevraientpaspouvoirêtreachetées ainsi par les grosses sociétés, commente-t-il. Il est absolument stupéfiant de constater leseffortsqu’ellesontdéployéspour refuseràdes famillesundroit élémentaireà l’information.»EtquediredesétudessurlesOGMcommandéesparlesindustrieselles-mêmes?

Laluttecontrelespécismepasseparlabatailledel’information.Ilfautdire,raconter,décrire.Àla fois l’intelligence et la sensibilité des animaux non humains, mais aussi le sort que nous leurinfligeonsréellement.Eneffetbeaucoupdepersonnescontinuentàmangerdelaviandeouàporterdu cuir et de la fourrure parce qu’elles ignorent la souffrance endurée par les animaux. Tout estorganisé en ce sens : les groupes industriels agroalimentaires et le lobby agricole, extrêmementpuissantscarliésauxsphèrespolitiqueetmédiatique,fonttoutpourdissimulerouatténuerlavérité.

Lesabattoirs,parexemple,sontcachésaupublic.Letempsoùlesbêtesétaienttuéesenvilleauxyeuxdetous,sansménagementilestvrai,estderrièrenous.Désormaislamiseàmorts’effectueàlachaînedansdesbâtimentsexcentrés,éloignésdestémoins,commeunepratiquehonteusedontondoitnierl’existence.Ceslieuxd’exécutionsontlahontedenotrecivilisation.Lescamérasdesjournalistesy sont interdites, et ce n’est pas pour rien.Les seules images fiables qui nous en parviennent sontcelles tournées clandestinement par des associations. Elles montrent des animaux égorgés sansétourdissement,desagoniesinterminables,lapeurquisaisitcertainesbêteslorsqu’ellescomprennentce qui va leur arriver, et les coups qui leur sont parfois portés par un personnel conditionné àl’indifférence.Lesvidéosrévéléesen2015et2016parl’associationL214surlespratiquesodieusesdans l’abattoird’AlèspuisdansceluiduVigan,pourtantcertifiébio,confirmentque lacruautéestgénéralisée dans ces lieux d’exécution. La journaliste Anne de Loisy, qui a publié en 2015 uneenquêtesurlaviandeetquiaeuaccèsàl’abattoirensefaisantpasserpouruneassistantedudirecteur

de l’OABA (Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir), rapporte pour sa part que « les bêtes sontabattuesàunetellecadencequ’ellessontencorevivantesaumomentoùonlestronçonne».Cela,lepublicaledroitdelesavoiretdelevoir,mêmesic’estinsoutenable.

Annexe

L214ENQUÊTESURL’ABATTOIRDUVIGAN2016

Ilyaquelquesmois,L214arévélédes images tournéesà l’abattoird’Alès,quiontmisenlumièrelacruautédelamiseàmortdesanimaux.Vousvousêtesprobablementditquec’étaituneexception.

[C]es images […] ont été tournées dans un abattoir certifié bio, qui fonctionne encircuitscourtsetquiapprovisionnedesboucheriesetcommerçantslocaux.

CesnouvellesimagesdeL214montrent laviolencesubieparlesmoutons, l’agoniedes cochons, des vaches et des taureaux.Elles ont été tournées dans l’abattoir duVigan,dansleGard.

Lesmoutonsrefusentderentrerdanslecouloir,ilsserassemblentetcherchentàfuir.Maiscesanimauxapeuréssontmanipulésavecviolence.

Ilssontpoussésdeforcedansundispositifautomatiquequienserrelesmoutonspourlesimmobiliseretlesconduireverslamort.

Les porcelets subissent le même sort. Et les cochons adultes sont poussés à coupsd’aiguillonélectrique.

La violence et parfois même le sadisme sont fréquents. Cet employé donnedélibérémentdetrèsbrèvesdéchargesélectriquesauxmoutonsets’amusedeleurréaction.

À l’abattoir du Vigan, tous les animaux sont théoriquement étourdis, par chocélectriquepourlescochonsetpourlesmoutons.Maislapinceélectriqueestdéfaillante.Le

chocélectriquedevraitentraînerunétatd’inconscience immédiat,cequin’estclairementpaslecas.L’applicationdelapinceestexcessivementlongue,cequiindiquequelecourantestprobablementmalréglé.

Les bovins sont piégés dans un box où ils reçoivent un coup de pistolet à tigeperforante.Leboxn’estpasadaptéauxvachesetauxtaureauxquiportentdescornes.

L’employéchargédelesassommersetrouveàl’avantdupiège,lesanimauxreculentde peur. Les animaux sont comprimés, la tête inclinée, ce qui rend l’étourdissementhasardeux.

Des animaux montrent des signes de reprise de conscience. Suspendus à la chaîned’abattage,ilssedébattentetperdentlaviedansunedétressetotale.

Lesanimauxmalétourdisdevraient recevoirunétourdissementde secours.Cen’estpaslecasàl’abattoirduVigan.

Mêmedansunabattoirtournéverslebioetlelocal, lesanimauxperdentlaviedansd’atroces souffrances. La viande heureuse, ça n’existe pas, il faut arrêter de fermer lesyeux.

Vous pouvez interpeller vos députés et sénateurs et demander une commissiond’enquête parlementaire sur les abattoirs, en nous rejoignant sur abattoir-made-in-france.com.

RetranscriptionducommentaireaudioquiaccompagnelesimagesproduitesparL214.

CONTEDEFÉEDUDIMANCHEAPRÈS-MIDI

Lespublicitéspourlaviandeentretiennentunevisionfausséedel’élevage.Généralementellesnousprésententdespoules,descochonsoudesbœufsdanslanature,heureuxcommepaspossible,semblantattendreuneseulechose:qu’onleurpermettederapidementrejoindrenosassiettes,commesi cela allait être le nirvana de leur existence. Ou alors, ce qui arrive fréquemment aussi, il y amensongeparomission :onexhibeune tranchede jambon,une famille joyeuseautour,unpeudecampagneethop, le tourest joué!Mais ilyapluschoquant.Parfois, lapropagandepro-viandeseglisse là où on ne l’attend pas : dans des documentaires, où il est remarquable de constater lescirconlocutionsdunarrateurpouratténuerlacruelleréalité.

Undimancheaprès-midi,jetombeainsienzappantsurunfilmconsacréauxanimauxdefermediffusésurunechaînedegrandeaudience.Pendantcinquante-deuxminutes,noussuivonslanaissanceetlespremiersmoisd’unveau,d’unagneau,d’unpoulainetd’uneportéedeporcelets.Lefilmaététourné dans quatre fermes différentes, toutes situées en France au fin fond de campagnesenchanteresses.L’imageestsoignée, la lumièredouceet,surtout, lescommentairessontmurmuréspar un acteur connu. Ce texte vaut son pesant d’or : il est une coulée de miel dans nos oreilles,destinéeànousconvaincrequeleséleveurssontamoureuxdesanimauxqu’ilsdorlotentcommeleursenfants, et que ces animaux sont les êtres les plus chanceux de la Terre. Sous l’apparence d’unreportage,latélévisionselivreàuneodeàl’élevage,enenoffrantuneversionidéaliséequen’auraitpasreniéeWaltDisney.

Pour commencer, les conditions d’élevage sont idylliques. Les animaux semblent seuls aumondeaumilieudepaysagessublimesdanslesquelsnousavonstousenviedepartirenvacances.Lecommentaireinsiste:lesbêtesgoûtent«l’airlibre»,«legrandairetl’herbedespâturages»,«sousl’œilbienveillantdesmontagnesd’Auvergne,letroupeauprendsesquartiersdeprintempsàcôtédela ferme. Les vaches, comme un goût de paradis, se régalent de l’herbe fraîche après cinq moisd’enfermement.»

Ensuite,leséleveursdonnentdesnomsàleursanimaux.«EnAuvergne,quatre-vingtsvachesdeSalers.Ellesontunnuméromaisl’éleveur,M.Fabre,appellechacuned’entreellesparsonprénom»,

préciselecommentateur.LavacheUrlandevadoncdonnernaissanceàunveauaussitôtprénomméJojo.AuPaysbasquenousfaisonsconnaissanceavecunetruienonchalanteappeléeKaori,etdansleJural’éleveurnousprésentelajumentUzette.L’hommealui-mêmeunnomévocateur:«L’éleveurs’appelleM.Parentetiln’yapasplusjolinompourunéleveur»,déclamelavoixoff.Difficiledeconcevoirunmessagemoinsdiscretpourpromouvoirl’imagedeséleveurs.Cequinousestexpliquéici, c’est qu’ils considèrent leurs animaux comme leurs enfants.Chaque scène est l’occasion de lesuggéreroudel’affirmer :«Enl’absencedesamère, iln’yaquelafibrematernelledel’éleveurpourcalmerJojo»,«àl’étable,[…]onestcouvertdepailleetd’attentions»,«chacunadroitàsacaresse,àsonpetitmot.Unegardienned’enfantsnes’yprendraitpasautrement.»

De fait, pendant une heure, on voit des hommes aux petits soins pour leurs bêtes. M. Fabres’inquiètede la santédesavachesur lepointdevêler («Urlandeadroità toutes lesattentions»).Alorsill’interroge:«Çateconvient?[…]Çavamieux?Tuesbienlà,hein?»AuPaysbasque,lorsquelatruieKaorivamettrebas,onluiprépareaussitôtunabriconstituédefougèresqualifiéde«maternitécinqétoiles»parlecommentaire.Toutaulongdureportage,leséleveurssontprésentéscommedesbienfaiteursentièrementdévouésaubien-êtredeleursanimaux.Ainsi,lorsquelajumentUzetterencontredesdifficultésaumomentdemettrebas,l’éleveurarriveàlarescousseenutilisantune machine à traction pour extraire le poulain qui sera finalement libéré. Commentaire : « Lepoulains’appelleEspoiretcebelEspoirde60kilosn’auraitjamaisvulejoursansl’aidemécaniqueetsansledévouementdeM.Parent.»Entendez:heureusementqu’ilyadeséleveurspoursauverdela mort certaine des animaux que la nature seule aurait condamnés. Une séquence consacrée auxagneauxestpluséloquenteencore.Lespetitsmoutons–quin’ontpasdeprénometsontsimplementqualifiésde«merveilles»–sontemmenésbrouterauboutdequelquesmoissurlesmaraissalésdela baie de Somme, qui sont des zones herbagées recouvertes par lamer lors des grandesmarées.Soudainunagneautombeàl’eau:leberger,M.Moitrel,intervient.«SiM.Moitreltirel’oreilledecejeuneanimalmaladroit,c’estpourluisauverlavie»,expliqueavecdouceurlavoixquinousguide.Un instant plus tard, un autre agneau s’embourbe. Là encore, le berger le sort de la boue.Commentaire :«Sansunœilattentif, et sansuneâmecharitable, il serait condamné. […]Tous lesjours, M. Moitrel sauve des agneaux d’un mauvais pas. Il est plus qu’un berger, il est un angegardien.»Là,lamauvaisefoiatteintdessommets:lebergerpasseicipourunsauveteuraltruiste.Enréalité,chaquebêteaunprixpuisqu’elleestdestinéeàêtrevendueunefoisengraissée,etchaquemortaccidentelle est un manque à gagner dans la comptabilité. Loin de moi l’idée que l’éleveur et leberger n’auraient pas de cœur : je n’en crois rien. Mais laisser entendre que la vigilance estdésintéressées’apparenteàunpurmensonge.

Pendanttoutlefilm,lesanimauxsonthumanisés:«Jojoestdugenreespiègle»,«KaoriadmirelepaysagedelavalléedesAldudes,puiselles’endortencomptantsesfuturspetitscochons,etellerêve…Combienseront-ils:huit,dixoudouze?»,«Cematin,Kaoris’estlevéedupiedgauche»,« Cematin, la truie est têtue comme unemule »… Le réalisateur prête aux animaux des penséesinvérifiablesafindemontrercombienilsnousressemblent.Sileprocédéestdiscutable,l’intérêtdu

film tient néanmoins dans ces instants saisis par la caméra, qui prouvent sans tricherie que lesanimauxdefermeontducaractère,del’intelligence,qu’ilsnouentunliensocialentreeuxetquelamèreetsonpetitsontunisparunerelationmaternellecomparableàcelled’unemamanhumaineavecson bébé.C’est particulièrement évident dans le cas de la vacheUrlande et de son veau Jojo.Unescènemontrelesveaux,âgésdetroismois,quiattendentensemblel’unedesdeuxtétéesdujour.Lesvachessontalignéesàquelquesmètres,séparéesde leurprogénitureparunbattantmétallique.Dèsquecelui-ciestouvert,lesveauxseprécipitentversunpis.Maispasn’importelequel:ilsrejoignenttousleurmèreetnonpasunevacheauhasard.Plustard,lorsquelesanimauxsontautorisésàbrouteràl’airlibre,lamamanguidelefistonàl’extérieur.Quelquestempsaprès,quandlegroupedesmèresest définitivement séparé des petits, on voit et on entend les animaux pleurer de chagrin.Difficileaprèsceladenierquelesanimauxontdessentiments.

Lefilmaégalementleméritedenousmontrercequefontdesvachesetdescochonslorsqu’ilsne sont pas cantonnés dans un hangar : la truie Kaori est une fouineuse qui retourne la terre etéprouvelebesoinderefairesacoucheplusieursfoisparjour;quantauveauJojo,ilgambadedansles champs tel un enfant dans une cour d’école. « La mise à l’herbe inondée de lumière est unecavalcadeenchantéeversl’émancipation»,commenteavecemphaselecomédien.

Maiscerécitmerveilleuxdubonheurquiirradiechaqueétapedel’élevageseheurteauboutdetroisquartsd’heureàunécueil.Caraprèsquelquesmois,lesbébéssiadorablesdontnoussuivonslacroissance ont bien grandi et engraissé. Et là… ben… léger malaise pour expliquer la suite. Lecommentaire,toutendouceur:«Jojo,quipesait40kilosàlanaissance,etquitenaitàpeinesursesjambes, entamedésormais avec ses compagnonsunnouveau cyclede l’existence.Uncyclequi lesemmènedanslemurmuredelanuitversundestinpersonnelplusoumoinslong.»Àl’image,unenuit bleutée, légèrement étoilée et, en ombres chinoises, un troupeau.Métaphore picturale subtile.Mais quel est donc ce « destin personnel plus oumoins long » ? Et quel est ce «murmure de lanuit»?Ehbien,ils’agitdel’abattoir.Toutefois,àaucunmomentcelan’estclairementprécisé.Carlesveauxsontdestinésàdevenirdelaviande,àl’instardespetitscochonsetdesagneaux.Etlesortd’unpoulainesttrèsaléatoire.Heureusementpourlui,leveauJojovaavoiruncoupdebol:«Jojo,ainsienadécidél’éleveur,M.Fabre,seraàl’âgeadulteuntaureaureproducteur.Ya-t-ilmeilleureactivitéquedeconterfleurette?Ahbennon!Cetteviedereproducteurseracelled’unautreveinard,lepoulainEspoir,quigambadedanssaprairieduJura.»LescopainsdeJojo,eux,nevontpasaussibien s’en tirer – on saluera le curieux hasard qui a permis au réalisateur de suivre l’un des raresveaux épargnés.Quel est le sort des autres animaux qui nous ont été présentés ? Le commentaireatteintunsommetd’hypocrisie.Écoutezplutôt :«EnbaiedeSomme, l’annéeprochaine, lesbrebisoccuperont les lieux avec d’autres agneaux et la vie repartira de plus belle. »Dans cet élevage, lamortn’existeraitdoncpas.Iln’yauraitquelavie,«quirepartdeplusbelle».Saufquecettedernières’arrête net quelques semaines plus tard pour tous ces agneaux « merveilleux ». Le site Label-viande.com explique clairement que les agneaux de pré-salé de la baie de Somme ne vivent quequelquesmois:«Lesagneauxpartentdirectementdesmollières[lesmaraissalés]pourl’abattageou

sont rentrés si besoin pour une période de finition d’un maximum de 42 jours avec un alimentspécifiquerespectantlecahierdeschargesdel’AOC.Lesagneauxdoiventdetoutefaçonavoirpasséaumoinslamoitiédeleurviesurlesmollièresetauminimum75jours.C’estunagneausaisonnier,commercialisédejuilletàfévrier,âgéd’aumoins4,5moisetaumaximumde12mois,dontlepoidsestsupérieurà16kilos.»

Lecommentairecontinue :«AuPaysbasque, lespetitscochonsont réveillé la truieKaoriensursautetilsn’ontpasfinidefairedesbêtises.»Faux.LespetitscochonsdeKaorivontvitecesserde« faire des bêtises », puisqu’ils seront transformés sous peu en jambon des Aldudes. Au bout decombiendemois?Ilsuffitd’allerregardersurlesitedel’éleveur:«Ici,lesporcsbasquessonttapisdans lessous-boisbienprotégésdusoleil.Pendant8mois, leporcbasquesenourritdeglands,dechâtaignes,d’herbes,deracinesetdecéréales.»

Pourquoitantdepudeuràdévoilerlavéritésurcequiattendvraimentlesanimauxsuivisdanslefilm?Pourquoiceromantiquerécits’arrête-t-ilexactementavantquelesbêtessoientégorgées?Etpourquoinenousmontre-t-onpascetteséquencefinale,commeonnousaplongésdansl’intimitédesnaissances?Toutevéritén’estdoncpasbonneàdire?Évidemment,non.Lamortdecesanimaux,sidoux,siprochesdenous,dérange.Parcequenoussavons,aufonddenous-mêmes,qu’elleestinjuste.Laplupartdeceuxquicontinuentàmangerdelavianden’yparviennentqu’ensevoilantlesyeuxetenrefusantdeconsidérerleurmorceaudeveauoud’agneaupourcequ’ilest:unboutdechairvoléàun animal sensible, drôle, joueur, aimant samère et zigouillé alors qu’il n’était qu’un gamin. Enoutre,l’abattageestuneépreuverépugnante.Contrairementàcequevoudraitfairecroirelemondede l’élevage, il n’y a pas d’abattage serein. Toutes les enquêtes réalisées montrent des animauxstressésetparfoismaltraités,surlesquelsl’étourdissement(uneinsensibilisationavantl’égorgement,rendueobligatoireparlaloide1964)n’estquetrèsaléatoirementefficace,d’autantquelesconsignesde respectminimal des bêtes sont rarement observées. Sans oublier les très nombreux cas où lesbovinsetovinsnesontpasétourdisdu tout,afinderépondreauxnormesrituelles,halaletcasher.Dès lors, cachons cette mort que l’on ne saurait voir et laissons penser, pourquoi pas, que lesanimauxqu’onmangen’ontpasététuésdutout.DanslemondemerveilleuxdeDisney,c’estvrai,lesanimaux ont des prénoms, des personnalités et communiquent d’égal à égal avec les hommes –exactement comme dans ce film. Sauf qu’à la fin ils ne terminent pas suspendus à un crochet deboucherie.

Enfin, laconclusiondu long-métragedévoilesansambiguïté l’intention réelledu réalisateur :«Lamoraledececonte,onpourraitl’emprunteràCharlesPerrault.L’auteurduChatbottéécrivaitautrefois:‘‘Lerespectdelanatureanimaleestchoseutileàl’homme.’’Troissièclesplustard,àn’enpas douter, les animaux de la ferme ont un attachement sincère pour ceux qui les élèventpassionnément.»Lemot«fin»apparaîtetlegénériquedémarre.

Voilà donc où ces cinquante-deux minutes devaient nous amener. Contrairement à l’illusiondonnée par la narration, ce récit n’était pas celui du destin de quatre animaux de ferme, mais leportraitdeleursbienveillantspropriétaires.Ilfautêtreattentifàlatournuredudernierpropos,loin

d’êtreanodin,et fascinantd’ironie involontaire : elle laisseentendrequecesanimaux,élevéspourêtre tués, afin de finir dans nos assiettes, sont reconnaissants envers ceux qui les nourrissent enattendantdelesenvoyeràl’abattoir.Cefilmvisedoncàdéculpabilisertouslesmangeursdeviandeenracontantlebonheurdevivre(etdemourir)desanimauxd’élevage.Mieux:c’estparcequenouslesmangeonsqu’ilsontl’opportunitédeprofiterdecetteviedepacha.Saufque,commelereconnaîtlecommentairelui-même,sansserendrecomptedel’aveuqu’illivre,toutecettehistoiren’estqu’unconte.

Aufildugénérique,ondécouvresanssurprisequelereportageaétéréaliséaveclesoutienduministère de l’Agriculture, de la FNSEA, d’Interbev et d’Inaporc.Arrêtons-nous un instant sur cespartenairesparticuliers.

La FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) soutient les éleveursmais,surtout,ellecautionnel’agricultureintensive,largementmajoritaireetdeplusenplusdécriée.Elleadoncsacrémentbesoinderedorerl’imagedelaviandeenFrance,surtoutaprèslesnombreusescrisessanitairesdesdernièresannéesetaprèslamontéeenpuissancedecertainesassociationsdontl’excellenttravaildénoncedesconditionsd’élevageindignes.

Interbev est l’association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes. Parmi sesobjectifs,affichésenpremièrepagedesonsiteWeb,ontrouvecelui-ci:«Communiquerpositifpourvaloriserlafilièreetsesmétiers,transmettresesvaleurs,créerdelaproximitéavecleconsommateuretpromouvoirl’accessibilitédesonoffreproduit.»Parmilesobjectifsdecommunicationdéclarés,il y en a un qui retient particulièrementmon attention : «Valoriser les viandes de bœuf, de veau,d’agneauetchevaline.»Tiens,tiens…Neseraient-cepaslesanimauxdureportage?Soutiennent-ilsardemmentlespetitsélevagesbios?Celanesemblepasêtreleurprioritépuisqu’ilsaffirmentqu’ilfaut « innover pour améliorer la compétitivité à tous les niveaux et s’adapter aux mutations dumarché».Enfin, enpremièrepagedu site,nonpas le sauvetaged’unagneauen trainde senoyer,maisunchiffre :6,70.C’est leprixeneurosd’unkilod’agneaufrançaisàRungisenfévrier2016.C’estmoinsbucolique,pluspragmatique.

Inaporc est l’interprofession nationale porcine qui rassemble tous lesmétiers de la filière enFrance(alimentationanimale,élevage,abattage/découpe,transformationetdistribution,etc.).

Le ministère de l’Agriculture milite quant à lui pour la consommation de viande. Quitte àaffirmerpubliquementdescontrevérités.Exemple:le2janvier2014,dansuneréponseàlaquestionécrite d’un sénateur sur les élevages intensifs, le ministère de l’Agriculture de Stéphane Le Follaffirme qu’« élever des animaux (bovins, volailles, moutons, porcs, poissons…) à des finsalimentairesestunenécessité».Vraiment?Lenombredevégétariensetdevégétaliensenparfaitesantédans lemondeprouvequ’iln’yaaucunenécessitédemangerdesanimaux.Aucontraire, lesétudesmontrent que la consommation de viande favorise certainesmaladies, comme lesmaladiescardiovasculairesetlescancers.Cettepositiondugouvernements’expliquepardesraisonspolitiqueset économiques : ne pas fâcher les agriculteurs, ne pas mettre en péril un secteur économique

1.

prioritaire. La France est la première puissance agricole européenne, la première productrice debovinsetladeuxièmeproductricedelaitdel’Unionderrièrel’Allemagne.

Unautreaspectdecefilmlaissesongeur.Contrairementàcequiestfortementsuggéré,aucunêtrevivantnepeut se réjouird’êtreprivéprématurémentde lavie. Jem’étonneaussiduparadoxesuivant:sicesveaux,agneauxetporceletssonttellementaimésdeleurspropriétaires,commentcesderniers peuvent-ils les envoyer à lamort ?Quel parent accepterait de guillotiner l’un de ses filscontre de l’argent ? On sent bien l’embarras de la filière viande en ce début de XXIe siècle oùl’opinionestentraindebasculer.Jusqu’àprésent,ellesecontentaitdenierquelesanimauxd’élevageontdesbesoinsspécifiquesetunesensibilitéàprendreencompte.Désormais,ellevoitbienquepluspersonnenegobecegenredemensonge.Illuifautdoncchangerdestratégieetprésenteraupublicdes éleveurs particulièrement attachés à leurs animaux, dont ils comprennent l’intelligence et lesémotions. Oui mais, dès lors, la tuerie finale s’avère plus compliquée à justifier car elle estparadoxale.

Demême,leplusgrandreprochequel’onpeutadresseràcepubli-reportageestd’omettredepréciser que les élevages choisis en exemple ne sont pas représentatifs des conditions de viehabituellesdesanimauxdeboucherieenFrance.Leséleveursontétésavammentcastés:ÉricFabreest un agriculteur bio, PierreOteiza est un producteur artisan qui « privilégie la vente directe auconsommateur»,etl’agneaudepré-salébénéficied’uneAOP(appellationd’origineprotégée,normeeuropéenne de qualité). Or le bio, dans les productions animales, estmarginal (2,9% des vachesallaitantes,0,8%destruies,1%despouletsdechair,7,6%despoulespondeuses,selonleschiffres2014). Par ailleurs,moins de 1%des élevages de porcs enFrance sont des élevages en plein air.Enfin,11%seulementdelavianded’agneauproduiteenFrancelesontsousunlabeldequalité 1.

D’aprèsl’Observatoiredesaliments,surles4,5millionsd’agneauxproduitsenFrance,«seuls10%à15%lesontsouslesignedelaqualité».

Lesanimauxd’élevage#VDM

Lereportagesur l’élevagedecontedeféedécritdans lespagesprécédentesdisaitvraisurunpoint ennousprésentant Jojo,UrlandeouKaori : chaqueanimal estunique,mêmedans l’élevage.Aucuncochonn’estl’identiqued’unautre.Chacunasoncaractèreetsapersonnalité.Chacunperçoitlaviedemanièresubjective.Toutcommenous,leshumains.Toutcommevotrechienouvotrechat.Pourtant l’élevage, dans la très grandemajorité des cas, nie complètement la singularité des êtresqu’il prépare pour l’abattage. On élève une quantité de cochons, un nombre de kilos, un chiffred’affaires.

À quoi ressemble en réalité l’existence de la plupart des cochons, veaux, vaches, moutons,poulets,lapinsquifinissentenpetitsboutssouscellophane,dansdessachetssurgelésousurlesétalsdes bouchers ? J’ai eu l’occasion de le raconter dans un précédent livre,No Steak. Je vais doncrésumermaissurtoutcomplétercequej’aidéjàécritàproposdel’élevageindustriel(dit intensif),quiestlargementdominant:80%desanimauxélevésenEuropepournotreconsommationlesontdans des conditions concentrationnaires, sans liberté de mouvement et sans pouvoir exprimer lescomportementspropresàleurespècetelsquemarcher,courir,fouiner,gratterlesol,ouétendrelesailes.

EnFrance,95%desporcssontélevésenbâtimentssurcaillebotis,c’est-à-diresurdesgrillagesau travers desquels se déversent les excréments. Ils partagent des bâtiments surpeuplés où ils sontentasséslesunscontrelesautres,empêchésderéellementsemouvoir.Lalégislationimposedepuispeuqueleurenvironnementleurprocuredesmatériauxpoursedistraire,dufoinoudelasciure.Peud’élevagesseconformentàcetterègle.Alorssouventlescochonssemordillentetsemutilententreeuxcarc’est leurseuleoccupation.Lesporceletssubissentà leurnaissanceun traitementdechoc :dentslimées,queuecoupée,etcastrationpourlesmâles.Letoutàvif.Ilssontretirésàleurmèreauboutdetroisouquatresemainesalorsqueletempsdesevragenaturelestdetroisàquatremois.Lestruies sont des machines à produire : elles sont inséminées plus de deux fois par an (temps degestation : troismois, trois semaines et trois jours). Elles passent plusieursmois par an dans des

stallesindividuellesetdescagesdemisebasdanslesquellesellesnepeuventmêmepasseretourner.Les porcelets sont tués au bout de six mois. Les truies reproductrices, appelées « coches », sontenvoyéesàl’abattoiràl’âgedetroisans.

Lesvaches laitières,quellequesoit la taillede l’élevage,subissentunsortaussipeuenviable.Unevachedestinéeàproduiredulaitest inséminéeàrépétitionafindeprovoquerlaproductiondelait (sansveau,pasde lait).L’objectif : laproductionmaximale.Aujourd’hui,unevacheproduitenmoyenne 8 500 litres de lait par an, soit trois fois plus qu’en 1950. Elle est juste unemachine àproduire toujours plus. Conséquence : les animaux sont souvent victimes d’inflammation desmamelleset finissent leurvieépuisés.Auboutdecinq, sixou septans, lavacheest« réformée»,c’est-à-dire qu’elle part à l’abattoir pour terminer en viande de steak. Surtout ne rien perdre. EnFrance, la majorité des élevages de vaches laitières permettent un accès au pâturage ; 2 % de laproductionlaitièrerépondentmêmeauxcritèresbios.Maislatendanceactuelleestàlaconcentrationdesexploitationspuisquelenombred’élevagesbovinsestenbaisse,tandisquelatailledescheptelsaugmente:60vachesenmoyennecontre40àlafindesannéesquatre-vingt-dix.Surtout,lesélevagesgigantesques, comme on en trouve ailleurs en Europe ou aux États-Unis, commencent à sedévelopper,àl’imagedela«fermedesMilleVaches»danslaSomme:danscesfermes-usines,lesvachesn’ontpasaccèsàl’extérieur;ellesrestentenferméestouteleurvie.

Quant aux veaux, ils sont retirés à leur mère dans les heures ou les jours qui suivent leurnaissance.Laséparationestuneépreuvepourlesdeuxanimaux.Lamèremeugle,cherchesonpetit.Pasétonnant,pourquiavulefilmsurlavierêvéedesanimauxracontéprécédemment: lesscènesd’affection,d’attentionetde tristesseentre lamamanUrlandeet lepetitJojon’étaientpas truquées.Les veaux sont engraissés dans des hangars, sans voir le jour ni pouvoir bouger (souvenez-vouscommeJojoaimaittrotterdansleschamps)etsontenvoyésàl’abattoirauboutdequelquesmois.LatrèsgrandemajoritédesveauxenFrancesontissusdel’élevageindustriel.Ànoterquelesystèmeestidentiquepourleschèvresélevéespourleurlait.

Lesœufsàprésent:70%despoulespondeusessontélevéesdansdescagesdontellesnesortentjamais, dans lesquelles elles ne peuvent presque pas déployer les ailes, installées dans de vastesbâtimentsprivésde lumièrenaturelle.Certainsd’entreeuxcontiennent80000poules.Afinque lespoulesnesebouffentpasentreelles(ellesdeviennentunpeumaboulesdanscesconditionsdenon-vie), on leur sectionne le bec à la lame chauffante, sans anesthésie.Après tout, ce ne sont que despoules,donconsefoutquecelaengendredefortessouffrances.Surexploitées(ellespondentunœufparjour,deuxfoisplusqu’ilyacinquanteans),lespoulessonttuéesauboutd’unan,alorsqu’ellessontexténuées.Beaucoupd’entreellessouffrentd’ostéoporoseetontdesosbrisés.Précisonsencorequedans lesélevagesdepoussinsdestinésàdevenirdespoulespondeuses, lespoussinsmâlessontexterminésàlanaissance,broyésougazés:oui,ilssontinutiles,puisqu’ilsnepeuventnipondrenidevenirdespouletsdechair,quisontissusd’autresracesdepoules.

Lespouletsdechair,justement.Alorsquelespouletsviventfacilementsixans,leurexistencenedépasse pas six semaines dans les élevages intensifs (80 % des élevages de poulets). Dès qu’ils

naissent, ils sont déposés dans de grands poulaillers sans fenêtre où ils sont engraissés le plusrapidementpossible,entasséslesunssurlesautres–parfoisplusieursdizainesdemilliersd’animaux.Leurs os ne supportent pas la croissance trop rapide de leur chair : ils connaissent des problèmesrespiratoires,cardiaquesetdelocomotion.

On pense rarement au lapin. Pourtant, rien qu’en France, près de 40 millions de lapins sontélevéschaqueannéeparl’industrie,etquasimenttous(99%)viventleurviedansunecagegrillagée,sansaucunespacededéplacement.Leursconditionsdedétentionsontsi insupportablesqueprèsde30%d’entreeuxmeurentavantl’âged’abattage,quiestdedeuxmoisetdemi–enincluantceuxquine surviventpas à lanaissanceou sont toutde suite tuéspar les éleveurs car« indésirables».Lesimages tournées clandestinement par les associations montrent des animaux souvent victimesd’infectionsetdenécroses.Toutlemondesefichedeslapins.

Onignoreaussitropsouventlespoissonsdontbeaucoupoublientquecesontdesanimaux,desvertébrésexactement,quiressententladouleuretéprouventlestress.Ceuxquenousmangeonssontissuspourmoitiéenvirond’élevagesintensifsdansdesbassinsoudescagessurpeuplés.Lesaumon,par exemple, est un animal qui parcourt naturellement de longues distances. Or les saumons seretrouvent serrés dans d’immenses cages en mer qui peuvent contenir jusqu’à 50 000 poissons.Compressés,lessaumonsstressent,fontnerveusementletourdelacage,seblessent,développentdesmaladiesetdesparasitescommelespouxdemerquisenourrissentdelachairdupoisson.EnFrance,plusieursmillionsde truites sont élevéesdansdes conditions similaires à l’intérieurdebacsd’eaufraîche.

Il faut évoquer également la fabrication du foie gras, ce produit que nous vante la traditionfrançaise,puisque laFrancea le tristehonneurd’être lepremierproducteurmondialavec les troisquartsde laproduction.Le foiedescanards femellesn’intéressepas leséleveurs (tropdenerfs, ettrop petit) ; seuls les canetons mâles sont préservés à la naissance. Les canetons femelles sontéliminésdansunebroyeuse.Legavages’effectueplusieursfoisparjour,soitaumoyend’untuyaude20 à 30 centimètres enfoncé dans l’œsophage, soit par pompe hydraulique ou pneumatique. EnFrance, jusqu’à présent, près des trois quarts des canards gavés étaient enfermés dans des cagesindividuelles grillagées dans lesquelles ils n’avaient pas la moindre liberté de mouvement. Lesimagesfourniesparl’associationL214sontabsolumentrépugnantesetmontrentdescanardsdansunétatdesouffranceàlaquelleilestimpossiblederesterinsensible.Lestauxdemortalitéenpériodedegavagesontdixfoissupérieursauxtauxenregistréshorsgavagedansl’élevage.Depuispeu,pourseconformeràlalégislation,lescagescollectivesontthéoriquementremplacélescagesindividuelles.MaisBrigitteGothière,deL214,explique:«Pourlescanards,çachangepeudechose:enfermésdansdescagessurdusolgrillagé,ilssontmaintenantplusieursdansdescagestroppetitespourleurnombre.Ducoup,ilss’agressententreeux.Aumomentdugavage,autreproblème:lesanimauxsontdans des positions ubuesques, le coup tordu coincé par la grille qui se rabat. »Contrairement auxaffirmationsdesdéfenseursdufoiegras,legavageeffectuépournotreconsommationnecorrespondenrienàunprocessusnaturelsimilaireàl’engraissementques’imposel’animalavantunemigration.

Danslecasdugavage,lefoiegrossitdixfoisdevolume,etlecanardoul’oiecontracteunemaladieappeléestéatosehépatique.Autreargumentsouvententenduchezlesproducteurs:danslesélevages,les oiseaux aimeraient le gavage et le réclameraient. Un commerçant me l’a encore récemmentaffirmésurunmarché.Jeconseilleàtousceuxquicroientceladeregarderattentivementlesvidéostournées par L 214 ou encore ce film de l’association Peta (People for the Ethical Treatment ofAnimals),commentéeparl’acteurbritanniqueRogerMoore,oùonvoitlesoiesterrifiéesfuiretsedébattrepouréviter le tubede l’éleveur.Legavageprovoquedesdiarrhées,deshalètementsetdesblessures.Unmotencoresurlesélevagesdecanardsreproducteurs,quiproduisentlespoussinsquiserontensuitegavés.Là-baslescanessontinséminéesdeforcetandisquelesmâlessontmaintenusdans des cages minuscules. L’association L 214 a filmé des canes épuisées, ne pouvant plus sedéplacer,ainsiqu’unemployéquidisloquelecoudel’uned’entreelles,jugéeinutile.

Laproductiondefoiegrasestinterditedanslamajoritédespaysdel’Unioneuropéenne,aunomdelaloiquiinterditlesmauvaistraitementscontrelesanimaux,etnotammentl’alimentationforcée.

Cen’estpasl’exceptionculturellequipousselaFranceàcontinuerlaproductionetlecommercedufoiegras.C’estl’exceptiond’humanité.

Enattendantquelaviandedisparaissedenosmenus,cequiarriveraunjour,ilestévidentqu’uneavancéemajeurepourleconsommateurconsisteraitàimposerunétiquetagesurtouteslesviandesetles produits d’origine animale afin d’indiquer les conditions dans lesquelles les animaux ont étéélevésetabattus.Commepourlesœufsquisontaujourd’huidivisésenquatrecatégoriesqualitativesdifférentes, il suffirait de déterminer des codes, avec des chiffres, des lettres ou des couleurs, quidistingueraientlesélevageslesplusindustrielsdesplusartisanaux.Onpourraitallerencorebienplusloin(maisjedoutequecettedeuxièmeidéeaboutisserapidement)encopiantlaméthodedesphotosdemalades sur les paquets de cigarettes : il s’agirait d’imposer sur les emballages de viande desphotosdesanimauxprisespendantl’élevageetjusteaprèsl’abattage.Aprèstout,onsecontenteraitdemontrerlaréalité.Siellen’estpashonteuse,pourquoilacacher?

Carnage

Chaqueannée,nous tuonsplusd’animauxqu’iln’ya jamaiseud’êtreshumains«modernes»surcetteplanète.Lesscientifiquesestimentqu’environ100milliardsd’Homosapienssesontsuccédésur Terre depuis 50 000 ans. Or, tous les ans, nous décimons 70 milliards de mammifères etd’oiseauxainsique1000milliardsd’animauxmarinspournotrenourriture,auxquelsilfautajouterquelques 150 millions d’animaux pour leur fourrure, plus de 100 millions d’animaux pour lesexpériences (plus de 10 millions en Europe, et plus de 2 millions en France). Le trafic illégald’animauxsauvagesgénèrequantàluiunchiffred’affairesannueldeprèsde20milliardsdedollars,cequileplaceenquatrièmepositiondesmarchésillégauxaprèsladrogue,lacontrefaçonetlatraitedeshumains.

Ilyatantdemilliardsetdemillionsdeviesfroidementabattuesàlachaînequechacundecesdestinsindividuelsannihilésenperdtouteréalité.Noussommeslesauteursd’unmassacredemassesanscesserenouvelé,ungénocideininterrompu.Génocide?Ilnes’agitpasdecomparercequin’estpas comparable, mais simplement de tenir compte de la réalité étymologique d’un substantif. Letermeest forméàpartirdumot latincaedere (abattre, tuer,massacrer)etdumotgrecγένος, qui aplusieurs traductions, dont celle-ci, selon le fameux dictionnaire Bailly : « Tout être créé, touteréuniond’êtrescréés,enpart.d’êtresayantuneoriginecommune(dieux,hommes,animaux,choses),c.-à-d.race,genre,espèce.»Ornousmassacronsbiendes«réunionsd’êtrescréés»,des«espèces»,des«animaux».

LAFOURRUREETLECUIR

Visons, renards, lapins, chinchillas, ratons laveurs, castors, zibelines, martres, phoques,agneaux,mais aussi chiens et chats : des centainesdemillionsd’animaux sont tuéspour leurpeauchaqueannée.L’industriedelafourrurepèseplusde40milliards.

Les élevages de fourrure sont des lieux abominables, qui dépassent encore en cruauté lesélevagesdeviande;ilssontidentiquesdanslemondeentier,àquelquesdifférencesprès.Avez-vousdéjàentenduparlerde«bien-être»dansunélevagedefourrure?Lesanimauxsontenferméstoutelajournée dans des cages minuscules, qui leur empêchent tout mouvement. Ils sont tués soit parélectrocution,aumoyend’uneélectrodedans l’anusetd’uneautredans labouche,soitpargazage.Parfois,leurpeauestarrachéealorsqu’ilssontvivants.

Unevidéopostéeparl’associationOneVoicemontrelaréalitéd’unélevageindustrieldevisonsdans une campagne française non identifiée : on y découvre des cages grillagées entassées parcentainessousdes rangéesd’auventsgéants.Lescages,quicontiennentchacuneunseulanimal,nedépassentpasunmètredeprofondeur:levisonpeineàs’ymouvoirtantl’espaceestlimité.Pourtant,nombre de ces animaux tournent en rond dans leur prison étriquée, rendus fous par la cruauté deleursconditionsdecaptivité.D’autantqu’unvisonàl’étatsauvageadorepasserdutempsdansl’eau,quiestsonélémentnaturel.Celasepasse-t-ilmieuxdansd’autrespayseuropéens?Non,commeleprouveunelongueenquêtedel’AnimalRightAlliance,quidévoiledesconditionsdevieatrocesdansles élevages suédois : plusieurs animaux par cage, morsures, blessures non soignées, cages nonnettoyées… Allez sur Internet, regardez les photos de ces visons qui attendent d’être dépecés ens’accrochantaugrillagedeleurprisonminuscule,commes’ilsportaientl’espoirqu’uneâmemoinsbarbareleurrendecettelibertédontjamaisilsn’auraientdûêtreprivés.CommedanscetélevageduDoubs.Làencoredesmilliersdecagesenferrailleminuscules,enenfilade,etdanschacuned’entreellesunpetitvisonblancdressésursespattesarrièrequis’agrippeàlaportedesaprison,nerêvantqued’unechose:sortirdecetenfer.

Cespectacleodieuxestl’unedeshonteslesplusflagrantesduspécisme:lesanimauxconcernés,en plus d’être tous intelligents, sociaux et sensibles, sont des animaux sauvages qui ont besoin demouvementetdenature.Ilsnedoiventleurcalvairequ’audouxpelagequelesort leuraoffert.Cemêmepelagequenoussommessifiersdereproduiresurdespeluchesquel’onoffreànosenfantsens’attendrissant…

OntrouvedesélevagesdecetypeenEuropeduNord,enEuropedel’Est,auxÉtats-UnismaisaussienChine,quiestlepremierproducteurmondialdefourrure:ellefournit70%desfourruresprésentes sur le marché selon l’organisation One Voice, qui relaie les chiffres de l’Associationchinoisedel’industrieducuir.Deschiffresquiattestentquecetteproductionestenaugmentation:en2014,laChineaofficiellementproduit60millionsdepeauxdevison(+50%surunan),13millionsdepeauxderenard(+30%)et14millionsdepeauxderatonlaveur(+16,7%).OneVoicepublieaussi des photos de chiens et de chats entassés dans des cages grillagées en attendant lamort.Desanimauxd’élevage,maisaussiramassésdanslesruesoucédésparlesfourrières.DeschiensetdeschatsécorchésvifsenChine,commeenThaïlande,etdont lespeauxsontenvoyéesdans lemondeentier.EnFrance, l’importationet laventede fourruresdechiensetdechats sont interditesdepuis2006,maiscontinuentsousdesfauxnomstelsque«loupd’Asie».

Plusdestroisquartsdelafourrureproduitedanslemondeproviennentdefermesd’élevage.Leresteestprélevésurdesanimauxsauvages,dansdesconditionstoutaussi indignes.Cesanimaux-làsontpiégés.Enplusdelasouffranceliéeàuneprivationsoudainedeliberté,ilsendurentladouleurdes os brisés par lemécanisme du piège qui s’est refermé violemment, des tissus arrachés, et lesheures, ou les jours, pendant lesquels ils restent prisonniers des mâchoires en acier avant d’êtreramassés et envoyés vers l’enfer. Cette méthode provoque aussi de nombreuses « victimescollatérales»:quatreanimauxsurcinqvictimesdecespiègesnesontpasceuxrecherchés.Prèsdelamoitiédesbébésphoquessontencoreconscientsquandilssontégorgés,alorsmêmequ’ilsontétéviolemment frappés au préalable par des bâtons ou des hakapiks, c’est-à-dire des manches munisd’unepointeenferspécialementdestinéeàleurfracasserlecrâne.

Il faut encore préciser que le cuir n’est pas seulement un sous-produit de la viande. On atendanceàpenserqu’enporternecontribuepasàlasouffranceanimaledansunesociétécarnivorepuisquelapeauseraitrécupéréesurdesanimauxquiauraientététuésdetoutefaçon.Erreur.D’abord,ledébouchédespeauxfaitpartiedelalogiqueglobaledel’exploitationanimale:sanslemarchéducuir, le prix de la viande augmenterait. Acheter du cuir revient donc à soutenir l’industrie de laviande.Parailleurs,unepartieimportanteducuirprovientdepaysendéveloppementcommel’IndeetlaChine.EnInde,uneenquêtedePetaarévélédespratiquesparticulièrementcruelles.Desvaches(souventissuesdel’industrielaitière)sontobligéesdemarcherdesjourspourserendreàl’abattoir,ellessontbattueslorsqu’ellesn’avancentplusàcausedel’épuisement,etleurfinestparticulièrementcruelle:«Lesemployésbrisentlaqueuedesvachesetfrottentdupimentetdutabacdansleursyeux,danslebutdelesforceràseleveretàavanceraprèsqu’ellessesonteffondréesd’épuisementsurlechemin de l’abattoir. Dans les abattoirs, les animaux se font systématiquement trancher la gorge,dépeceretdémembreralorsqu’ilssontencoreconscients.»

Unmotencoresurlalaine.Apriori,pasderaisondes’enpasserpuisquel’animaln’estpastué.Mais là encore, la réalité n’est pas conforme à l’idée qu’on en a. Les enquêtes dans des élevagesaméricains et australiens ont révélé que les moutons sont violentés car ils sont tondus par destravailleurs qui n’ont aucune notion du respect animal : coups à la tête, animaux jetés au sol oupiétinés,blessuresaveclatondeuse…Lesmoutonssontlesanimauxlesplusinoffensifsquisoient.Etpourtant,dansl’industriedelalaine,ilssont,commedanstouteslesindustriesanimales,victimesdespirespratiquesdemaltraitance.

LESCIRQUESETLESZOOS

Iln’estdanslanatured’aucunanimalsauvaged’êtredresséàfairedestourssouslamenaced’unfouetousouslesordresd’unsifflet.Unlionouuntigren’apasàsetenirsagementsuruncubeouàleverlapattelorsqu’onleluiordonne,pasplusqu’iln’aàbondirdansdescerceaux.Unéléphantn’apas à tourner en rond sur une pisteminuscule, à s’asseoir sur un tabouret ou à se dresser sur ses

pattesarrièresausignal.Unsingen’apasàfairelepitrepouramuserlagalerieenmontantsurunvélo.Undauphin,uneorqueouuneotarien’ontpasàs’inclinerdevantdesspectateurs,niàvirevolterdans lesairsenparfaitesynchronisation,nià trimballerunbonhommeouunobjetauboutde leurmuseau. Ça vous plairait, à vous, de devoir faire le guignol devant des chiens, des chats ou dessinges ? « C’est tellement mignon ! » clameraient-ils tandis qu’ils assisteraient au spectacle del’humiliation.

On dompte le féroce, onmaîtrise le puissant, on instrumentalise l’intelligence.Aucun de cesanimauxsoumisànoscapricesn’achoisicequiluiarrive.Soyonsobjectifs:parmilesdresseurs,ilestévidentquecertains,etmêmebeaucoupsansdoute,sontsincèrementattachésauxanimauxqu’ilscôtoientquotidiennement.Maisilarrived’aimermal.D’étouffer,defairesouffrir,d’oppresser.Onaimemallorsquejamaisonnesedemande:«Maisqueveutvraimentl’autre?»Onaimemalquandonnepermetpasàceluisurlequelonajetésondévoluderéaliserpleinementsonêtre.Onaimemallorsquel’onnepensequ’àsoietnonàceluiqu’onestcenséaimer.

Les numéros de cirque ne sont pas conçus pour le plaisir des animaux,mais pour celui deshumains qui s’en amusent. Je pourrais m’étendre longuement sur les enquêtes qui ont montré lesconditionsdéplorablesdanslesquellessontdétenuscertainsanimauxdecirque,commeceslionsquipassentleursjournéesdansdescagesdequelquesmètrescarrés.L’associationPetarappelle:«Tousles animaux détenus dans les cirques ont des besoins spécifiques. Certains, comme les lions, ontbesoind’unclimatchaud;d’autres,commelesours,d’unclimatplusfrais.Tousontbesoind’espace,d’activités, de liens sociaux, d’eau et de nourriture en quantité suffisante. […] Pendant la morte-saison,lesanimauxrestentdansdesboxdetransport,desétables,voiremêmedansdescamionsoudesremorques.»Onpourraitévoquerlapossibilitéd’uncirquerespectueux,denormesdebien-êtreàrespecteretàaméliorer.Orledébatnesesitueplusàcetendroit.Jamaisuncirqueneseraunlieud’épanouissementpourunanimalsauvage.

Arrêtons-nous un instant sur le cas des orques qui deviennent agressives en captivité.Prisonnières,ellessontdésespérées, stressées,enunmotmalheureuses. Il fautpourcomprendre ladétressede cesmammifèresmarins visionner le filmBlackfish oumêmeunevidéo accessible surYouTubequimontrel’attaquedel’orqueKasatkacontreledresseurKenPetersen2006auSeaWorldSanDiego.Pendantdelonguesminutes,aulieud’exécuterlenuméroattendu,àsavoirpousserKenparlaplantedespiedsetleprojeterenl’air,Kasatkavasaisirl’unedeseschevillesdanssamâchoire,l’entraîneraufonddubassinplusieursfoistoutenleramenantàlasurfacepourqu’ilpuisserespirer.Pendant près de dix minutes, l’orque va jouer avec son prisonnier en refusant de le lâcher. Lesdresseurscomprendrontplus tardcequiaprovoqué la colèrede l’animal : lespleursde sonbébéKalia dans un bassin attenant. Ils raconteront aussi que dans l’après-midi,Kasatka s’était emportéecontresonbébéetqu’enarrivantdanslebassindestinéaushow,elleavaitcontinuéde«parler»(parvocalises) à sonenfant.Lescrisqu’elle entendrapendant lenuméro serontdescrisdedétresse.Etl’on comprend alors que Kasatka, qui a elle-même été violemment capturée à l’âge de un an enIslande,quiaétéséparéedesamère,serebellecontresasituationetcontrecequeleshommesfont

subiràsonproprebébé.Elleestencolère,etveutmontreraumaîtrequ’ilpeutêtrel’esclavesielleledésire. Elle pourrait tuer Peters mais elle choisit de lui laisser la vie : il ne s’agit que d’unavertissement. Les orques sont extrêmement intelligentes, et savent très bien ce qu’elles font. Enfévrier2016,Petaarévéléqu’unanimalparmoisétaitmortprématurémentchezSeaWorldaucoursdestroismoisprécédents.Lesmammifèresmarinsn’ontrienàfichedansdescagesenverre.

Enfévrier2015, lavilledeLieusaint,enSeine-et-Marne,adécidéd’interdire lescirquesavecanimauxsauvages.Elleajustifiésapositionenexpliquantque«lesspectaclesdecirquecontiennentdesnumérosimposantauxanimauxdesexercicescontrenature»,que«lesconditionsdedétentionetdedressagedesanimauxoccasionnentàcesderniersdespathologiesavérées»etque«lesnormesminimales ne peuvent pas être respectées par ces cirques du fait de la nature itinérante de cesétablissements».Lieusaintasuivi l’exempledebonnombredepays.Unmouvementestenmarchedanslemonde,quiattestequelesdroitsdesanimauxsauvagescommencentàêtresérieusementprisen compte, sauf évidemment en France où, une fois de plus, nous avons dixmétros de retard. Enjuillet 2015, laCatalogne, après avoir banni la corrida en 2010, a voté l’interdiction des animauxsauvages dans ses cirques. Des interdictions similaires, complètes ou partielles, existent déjà dansprèsdetrentepays,parmilesquelsl’Autriche,laBelgique,laBolivie,laBulgarie,Chypre,leCostaRica,laCroatie,leDanemark,laFinlande,laGrèce,laHongrie,l’Inde,Israël,laLettonie,leLiban,Malte,leMexique,lesPays-Bas,lePérou,lePortugal,Singapour,laSlovénieetlaSuède.Certainsdecespaysinterdisentmêmetoutanimal,sauvageounon(leschiensetleschevauxparexemple).

Tout cirque qui emploie des animaux est hérité d’un autre âge. Il vient d’un temps où on neconnaissait pas encore l’intelligence et la capacité de souffrance de nos cousins. Désormais cesspectaclesquiavilissentlesanimauxn’ontplusaucuneraisond’être.Levraicirqueestceluiquimetenpoésielesacrobates,àl’imagedumerveilleuxCirqueduSoleil.Cecirque-là,enplusd’épargnerlesanimaux,proposeuneréflexionbienpluspertinentesurl’humain.Carlecirqueanimalieraffirmelavisiondépasséed’unhumainsupérieurquidomptelevivant.Tandisquelecirqueréinventéestuncirquequiaucontrairechercheàexprimerl’harmoniedel’hommeavecleséléments:l’eau,l’air,lefeuetlaterre.Ilinterrogel’humainsursespropreslimitesetsurlamanièredelesdépasser.C’estlecirqueduXXIesiècle.Lesanimauxnonhumainsn’ontrienàyfaire,pasplusquedansleszoos.

Àquoi servent encore cesprisonsoù l’onemmène les enfantspour lesdivertir ?«Les zoosfrançaisnecontribuentpasdefaçonsignificativeàlaconservationdesespècesetdelabiodiversitéetneprennentpassuffisammentleurresponsabilitésurlasantéetlebien-êtredetousleursanimaux»,établissait en 2011 un rapport présenté au Parlement européen par plusieurs ONG. Cette études’ajoutaitàcellesportantsurd’autrespayseuropéensetarrivantauxmêmesconclusions.Affirmerqueleszoossontdeslieuxéducatifsestunmensonge:qu’yapprend-onréellementsurlesanimauxenfermésdansdescagesoudesenclos?D’abord,lesinformationsquel’onpeuttirerdessituationscontrainteseta-naturellesdanslesquellesonplacelesanimauxsontforcémentpartiellesetfaussées.Ensuite,lepublicn’agénéralementquetrèspeud’indicationssurlesspécimensqu’ilobserveousurl’espècedontilssontissus.Leszoossontsimplementdeslieuxdepromenadefamilialeoùchacunse

divertitenmangeantuneglacedevantlemalheurd’animauxarrachésàleurdestin.Certes,beaucoupd’entre eux sont aujourd’hui nés en captivité et n’ont pas connu lemilieu sauvage où ils seraientcensésévoluer.Onpeutdoncconsidérerqueleurdouleurestencelaatténuée.Mais,d’unepart,celane l’efface pas complètement puisque les besoins essentiels de ces animaux en termes d’espace,d’autonomieoud’instinctssontniés.D’autrepart,riennepermetdejustifiermoralementlapratiquedel’enfermementd’unêtresensiblenaturellementattachéàsaliberté.Mêmesiunesclaveestnéencaptivitéau lieud’avoirétéarrachéàsonvillageetàsafamille,saconditionn’enrestepasmoinsinacceptable. Par ailleurs, si réellement les zoos sont des lieux de bien-être animal, il faudram’expliquerpourquoi,en2014,auzoodeCopenhague,ungirafond’unanetdemienparfaitesantéprénomméMariusaétéexécuté!Ladirectiondel’établissementajustifiésadécisionparlavolontéd’éviter la consanguinité entre girafes. Le girafon n’avait pas, paraît-il, les bons gènes pour sereproduire,nidanscezoonidansunautreétablissementpartenaire.Lecastrer?«Celan’auraitpasétébienpour lui»,a répondu ladirection.La réintroductiondans lanature?«Tropcompliqué.»Donconzigouille.Cegenrededécisionenditlongsurl’étatd’espritquiprévautdansleszoos.Cesont,quoiqu’onnousraconte,deslieuxd’incarcérationquisuiventdeslogiquescommerciales.Celuiqui aime les animaux et désire tout savoir d’eux peut passer ses soirées avec d’excellents livresd’éthologieoudevantdemagnifiquesreportagesquiracontent laviedesanimauxdans leurmilieunaturel,enlessuivantsouventsurplusieursmois.Ilsenapprendrontbienplusqu’endéambulantdanslescouloirsd’espacespénitentiairesoùlescellulessontrempliesdecondamnésàlaperpétuité.

LESANIMAUXSAUVAGES

Entre1970et2010,c’est-à-direenquaranteansseulement,lapopulationdesvertébréssurTerreadiminuédemoitié.Oui,vousavezbienlu:deuxfoismoinsdemammifères,d’oiseaux,dereptiles,d’amphibiens et de poissons. Selon les chiffres fournis par le WWF, les effectifs des espècesterrestresontdiminuéde39%,desespècesd’eaudoucede76%,etdesespècesmarinesde39%.Ettout celadans laquasi-indifférencegénérale.Cette informationauraitdûcréerun séisme, faire lesgros titres de la pressependant des semaines, susciter en toute urgence l’organisationde réunionsinternationales.Maisnon.Unsujetdanslesjournauxparci,parlà.Desréactionsrapidesdiffuséessurleschaînes info.Etpuisonest rapidementpasséàautrechose.Onneparleplus icide lamortdesanimaux«fabriqués»pournotreconsommationdanslesélevages,maisbiendeceuxquisontcenséss’épanouir dans la nature. Imaginez l’humanité en partie exterminée et soudain réduite demoitié :3,5milliardsdemorts.Laplusgrandetragédiedenotrecourtehistoire.

–Ahmaiscen’estpaslamêmechose…Etpourquoidonc?–Parcequ’unserpent,unpoisson,etmêmeunours,cen’estpasunhumain…Donclegénocideestmoinsgrave?

–Euh…ouisansdoute…Spécisme.Depuis lanaissancede lavie sur laplanète,des espècesdisparaissent, d’autresvoient le jour.

Ainsivalecycledelavie:chaqueespèceauneduréedevielimitéeàquelquesmillionsd’années.99%desespècesvivantesquisontapparuesunjoursurTerreontainsidisparu.Saufque,depuisunsiècle, les activités humaines ont multiplié le taux naturel d’extinction des espèces de 100 à1000fois:130000espècesanimalesauraientdisparudepuisledébutdenotreère.

SurlaListerougemondialedresséeparl’UICN(Unioninternationalepourlaconservationdelanature),25%desmammifères,41%desamphibienset13%desoiseauxsontactuellementmenacésd’extinction.SelonuneestimationrécentepubliéedanslarevuescientifiqueNature,75%desespècesactuellementvivantespourraientêtreéradiquéesd’ici2200,cequiconstitueraitlasixièmeextinctiondemassedansl’histoiredelaplanète.

Les causes de ces disparitions sont essentiellement humaines : chasse, surpêche, perte oudégradation de l’habitat liées à nos activités (déforestation, urbanisation, accroissementdémographique, tourisme, extraction d’énergie), dérèglement climatique et évidemment commerceillicite…Bientôt, si nous n’inversons pas notre logique de destruction, il n’y aura plus sur Terred’animaux sauvages, hormis ceux que nous aurons choisi de sauver pour nous donner bonneconscience.

Leurtraficestenexpansion,notammentgrâceàInterneroùdescentainesdesitesproposentdesanimauxvivants,oudesboutsd’animaux,oudesproduitsdérivés.Deplusenplusderhinocérossontassassinéspourlesvertussupposées(maisbidon)deleurscornessurlasantésexuelle.Unecornederhinocéros semarchande60000 euros le kilo, soit plus cher que l’or et autant que la cocaïne.Lecrimeorganisé lorgne sur les animauxcar lespeines encourues sontbeaucoupmoins lourdesquedans les affaires de drogue. Quelquesmilliers de dollars d’amende pour un braconnier, quelquesannées de prison pour un trafiquant de cocaïne. Ces trafics sont tellement criminels qu’au moins1 000 gardes ont été tués ces dix dernières années par des braconniers, pour qui la vie humaineimporteaussipeuquelaviedesanimauxnonhumains.SelonleWWFetInterpol,desgroupesarmésd’opposition ou terroristes en Afrique pratiquent ces trafics pour se financer par exemple enOuganda,auSoudanetenSomalie.

Ilyacentans,ondénombrait100000tigresenAsie.Ilenrestemoinsde3200àl’étatsauvageaujourd’hui,soitunebaissede97%.

Plusde20000éléphantssontexterminéschaqueannéeenAfriquepardesbraconnierspourleurivoire, alors que ce commerce est interdit depuis 1989. Il y a un siècle, il y avait 20 millionsd’éléphantsenAfrique,iln’yenaplusque500000environaujourd’hui,soitunebaissede97,5%.Ilyacentans,ondénombrait100000éléphantsenAsie.Seulement50000auplusaujourd’hui,soitunebaissede50%.

Enunsiècle,lenombredelionsenAfriqueestpasséde200000à40000,voirebeaucoupmoinsseloncertainesestimations,soitunebaisseminimalede80%.Lelionapresquetotalementdisparuen

Afriquedel’Ouest.Jusqu’aumilieudesannéessoixante-dix,onasupprimé50000léopardsparanpourfairedes

manteaux.Iln’enresteplusque200000environaujourd’hui.Onestimeà100millionslenombrederequinstuéschaqueannée,principalementpourqueleurs

aileronsfinissentdansdesrecettesdecuisine.Lachasseauxaileronsestuneatrocité:lesrequinssontramenéssurlebateau,leursaileronssontcoupésàvifpuislesanimauxsontrejetésvivantsàlameroùilsvontagoniser.

Nousavonsanéanti95%desgrandsrequinsblancs.En trente ans, les populations d’oiseaux ont diminué de plus de 400 millions d’individus en

Europe. En un siècle le nombre de chimpanzés est passé de 1million dans les années soixante à220 000 tout au plus, selon la primatologue Jane Goodall : « Si nous ne faisons rien, ils vontcertainementdisparaître,ouilneleurresteraquedepetitespochesoùilséchapperontdifficilementàlaconsanguinité».Touslesgrandssingessontmenacésd’extinction.LegorilledelarivièreCrossetl’orang-outan de Sumatra sont par exemple « en danger critique », selon l’UICN, à cause de ladéforestationetducommercedeviandedebrousse.

Faut-ilcontinuerlaliste?

LAVIVISECTION

En 2011 en Europe, 11,5 millions d’animaux ont été victimes de vivisection, dont plus de2millionsenFrance.Lesanimauxquiontletristeprivilèged’attirerleplusleschercheurssontlesrongeurs:plusde60%desanimauxutilisésdansleslaboseuropéenssontdessouris,prèsde14%sontdesrats,etplusde3%sontdeslapins.Maisilnefautpasoublier6000primatesnonhumainsetpasloinde30000chiensetchatssacrifiésparan.

L’association Peta mène une campagne pour qu’Air France cesse d’importer des singes enprovenancedel’îleMaurice.UneenquêtemenéeparlaNationalAnti-VivisectionSociety(NAVS)arévélédes images terriblesdemacaquesarrachésà lanatureetmaltraitésdansdesélevagesoù ilsvivent dans des cages en attendant d’être envoyés dans des laboratoires dans le monde entier,notammentenEuropeetauxÉtats-Unis.SelonlaNAVS,1000singesdel’îleMauriceontainsiétéenvoyés au Royaume-Uni en 2012. Ces singes sont utilisés dans des expériences douloureuses,comme des tests neurologiques pour lesquels on leur implante des électrodes sur le cerveau.OneVoicedétaille lesdomainesde recherchedans lesquels lesmacaques sont exploitésdans lemondeentier : recherche aérospatiale, recherche sur le sida et autres virus, thérapie génique,transplantations,maladiedeParkinson,maladied’Alzheimer,étudessurladouleur,laschizophrénie,rechercheenpharmacologie,testsdeproduitschimiques…

Faut-il ou non supprimer l’expérimentation animale ? Dans tous les cas qui concernent lesproduits cosmétiques ouménagers, la réponse est bien évidemment oui. Aucun rouge à lèvres ni

liquideàvitresnesauraitjustifierlasouffranced’unanimal,provoquéeparl’applicationdeproduitsdouloureux sur la peau nue ou dans les yeux. D’ailleurs les tests sur des animaux pour lescosmétiquessontdésormaisofficiellementinterditsenEurope.

Oui,maislasanté?N’est-onpasobligédetesterlesmédicamentssurlesanimaux?Laréponsedéontologique peut être négative : il est réaliste de considérer, d’un point de vue éthique, quel’humain n’a pas à faire souffrir d’autres espèces pour augmenter l’espérance de vie de sescongénèresoupouraméliorer lapriseenchargedesesmaladies.Mais intéressons-nousd’abordàunequestionpréalableessentielle:cesexpérimentationsservent-ellesvraimentàquelquechose?

Les effets secondaires des médicaments sont responsables de près de 20 000 morts et150000hospitalisationsparanenFrance.C’estlapreuvequelesmodèlesanimaliersnonhumainsnesont pas suffisamment pertinents. Ce n’est pas surprenant : puisque les humains sont malgré toutdifférenciésdesautresespèces,ilestlogiqueque,endépitdeleurproximité,ilsneréagissentpastoutà fait pareil aux substances chimiques. « Cela n’a pas de sens d’expérimenter sur des rats ou deschimpanzés pour lutter contre les maladies humaines, car les espèces réagissent toutesdifféremment », explique Claude Reiss, physicien retraité du CNRS et président de l’associationAntidote Europe, qui milite pour la fin de l’expérimentation animale. À titre d’exemple, AntidoteEuropeprécise sur son site :«L’arsenicestbeaucoupplus toxiquepour leshumainsquepour lesmoutons,que le formaldéhydeestplus cancérigènepour les ratsquepour les souris, etc. […]Lesanimaux ne sont pas demeilleursmodèles pour l’étude desmaladies humaines et la recherche dethérapies.»

Notezl’extraordinaireparadoxedespartisansdel’expérimentationanimale: ils justifientcettepratique en expliquant que ces tests sont indispensables et fiables. Ils acceptent donc l’idée que leshumainsetlesnon-humainscommelessouris,leschiensetlessingessontdescousinsdelamêmefamillequenous,puisqu’ilssontcensésréagirdelamêmemanièreauxproduitsqu’onleurinjecte:mêmesouffrance,mêmeintolérance.Lespro-vivisectionlepensentforcément,sinontoutleprincipedeleursexpériencessurlesnon-humainstombeàl’eau.Saufque!S’ilsensontconvaincus,alorscequ’ils font est odieux, puisqu’ils savent qu’ils font souffrir des non-humains comme ils feraientsouffrirdeshommes.Oui,maisilspeuventconsidérerquelasouffrancedesnonhumainsestmoinsgrave que celle des humains, ce qui est purement spéciste. Pourquoi pas. Sauf que les chercheursn’affirment pas tout à fait cela non plus, puisque désormais les expériences sur les grands singesn’ont plus lieu en Europe. Cette interdiction signifie que nous considérons qu’il est indigne detorturercertainsanimauxnonhumains,mêmesic’estpourfaireavancerlarecherche!Maisdanscecaspourquois’arrêterauxgrandssinges???Lesautresprimateseux,continuentàêtreutilisésdansleslaboratoires.Souffrent-ilsmoins?

Désormais lesméthodes substitutives telles que les cultures de cellules (in vitro), l’ingénieriecellulaire, lessimulationssurordinateurouautresontmontréleurefficacité.Maislesméthodesdesubstitutionn’ontpasencoreétécomplètementdéveloppées.Ilfautpourcelaaccorderdavantagedebudget à ce domaine.Avec unminimumde volonté politique, il est donc possible de se passer de

l’expérimentationanimale touten faisantavancer la recherche.Arrêter lesexpériencessur tous lessinges, mais aussi sur les rongeurs et les autres animaux, dont aucun ne mérite une telle vie detorture,estpossibleetnécessaire.

Schizophrénie

EnFrance, on dénombre 63millions d’animaux de compagnie, soit quasiment un animal parhabitant : 12,7 millions de chats, 7,3 millions de chiens, 5,8 millions d’oiseaux, 34,2 millions depoissonset2,8millionsdepetitsmammifères.Nousdépensonsdeplusenpluspourlessoinsdecescompagnons:4,5millionsd’eurosen2010,soitmoitiéplusqu’en1990.Cesanimaux-là,onenprendsoin, on les aime.On les enferme de temps en temps dans des cages et des bocaux,mais sans serendrecomptedumalqu’onleurinflige–carenréalitéaucunoiseau,poissonoupetitmammifèren’estfaitpourvivreprivédetoutmouvementdansuneminusculeprisondemétaloudeverre.

Etpuis ilya lesautres.Ceuxquenousmangeons.Ceuxdontnousvolonslachair, lapeau, lafourrure,lesboyaux.Ceuxquenoustorturonsdansleslaboratoires.Ceuxquenouschassons.Ceuxdontnousmettonslamortenscènedansdesarènes.Ceuxquenousséquestronsdansdeszoos.Ceuxaveclesquelsnousagissonsentortionnairesindifférents.

IlyauraitdoncsurTerredesespèces«bonnesàmanger»ou«bonnesàexploiter»etd’autresqu’ilconvientdeprotéger.Nousagissonsentoutcascommes’ilenétaitainsi.Saufqueleschosesnesontpassisimples.Jemecontenteraiderésumericilesplusflagrantesdenosschizophrénies.

LeschiensetleschatssontadorésenOccidentaupointqu’ilsysontsoignéscommedesenfantspar la plupart des gens,mais ils sont toujours servis en repas dans un certain nombre de régionsd’Asie et d’Afrique, où on peut les acheter sur desmarchés à viande commed’autres animaux deboucherie.Celanoussemblehorrible,ànousOccidentaux,quirefuserionsaujourd’huidemangerunsteakdechienetdeporterunmanteauenpeaudechat.Maisnousavonstendanceàoublierquenous-mêmesn’avonspastoujoursététendresavecceuxquisontaujourd’huinosanimauxdecompagniepréférés.QuisesouvientquedesboucheriescaninesontexistéenFranceetenAllemagnejusqu’ausiècledernier?EnOccident,leschiens,quifurentlespremiersanimauxdomestiquésparl’homme–ilsétaientàl’originedesloups–ontparfoisétéutiliséscommeanimauxdetraitpourtransporterdesmarchandisesetmêmedespersonnes,etcejusqu’aumilieuduXXesiècle.Surtout,deschiensmeurenttoujoursactuellementdansdeslaboratoiresderecherche.Pasdeschiensméchantsetasociaux,mais

de dociles beagles, dont plusieurs milliers sont sacrifiés chaque année en France pour tester desmédicaments.Ce point est d’autant plus troublant que le beagle est victime de sa docilité : s’il estutilisépourlavivisection,c’estprécisémentparcequ’ilestparticulièrementgentil,doncmanipulable.

Leschatsquantàeuxontsubipendantlongtempsdemultiplessévices(clouésauxportes,brûlés,noyés),etn’ontcommencéàentrerdanslesmaisonsqu’àpartirduXIVesiècle,etparcequ’onleuraalors trouvéuneutilité : chasser les rats porteurs de la peste. Ils ne sont devenusdes compagnonschoyés qu’à partir du XVIIe siècle, et uniquement dans la bourgeoisie de l’époque. Pourtant, lesÉgyptiens,eux,ontvénérécetanimalilyaplusieursmilliersd’années.

LesvachesquenousméprisonsenOccidentsontsacréesenInde.LavacheenIndeest laGaoMata,c’est-à-direla«Vache-Mère»carelledonnesonlaitàtous,etd’ailleursaucoursdel’histoirecetanimalaétéparticulièrementrespectépardifférentesreligionsetcivilisationsenAsie,AfriqueouÉgypteantique.LasituationdesruminantsenInden’estd’ailleurspassiidylliquequ’onpourraitlecroire. D’abord beaucoup sont condamnés à errer dans les rues des villes, à la recherche denourriture et à la merci des accidents de circulation. Certaines d’entre elles sont kidnappées etvictimesdetrafics.Ellesfinissentdansdesabattoirsclandestins.L’Indeestuntrèsgrandexportateurdeviandedebuffle,aupointqu’elleestaujourd’huilepremierexportateurmondialdebœuf(toutenétant le pays le plus végétarien du monde !). La viande de vache en Inde est consommée par lacommunautémusulmane,maisdenombreuxÉtatsinterdisentd’abattrelesvaches.L’ÉtatduMadhyaPradesh, dans le centre du pays, a ainsi fait passer il y a quelques années une loi qui interdit deconsommerlaviandedevacheetquipunitl’abattaged’unepeineallantjusqu’àseptannéesdeprison.L’Inde présente un intérêt particulier pour quiconque s’intéresse aux droits des animaux. Dans cepays,on trouvedenombreuxrefugespour lesbêtes (mêmes’ilsmanquentdemoyens)et, selon laConstitution, la « compassion à l’égard des êtres vivants [est] l’un des devoirs fondamentaux descitoyens».Maislaréalitéesthélasdifférente.Commenousl’avonsvudanslespagesprécédentes,lesvaches,ainsiqued’autresanimaux,sontégalementtuéesdansdesconditionsatrocespourl’industrieducuir.

Parlonsmaintenantdeschevaux.Voiciunanimalquenousqualifionsvolontiersde«noble»oud’« élégant » et avec lequel nous avons développé une proximité particulière. Tout acte demaltraitanceàsonencontre indigne lamajoritéd’entrenous.L’hippophagieestd’ailleursun taboupourlesAnglo-Saxonsquiregardentavecdégoûtceuxquibouffentducanasson,toutcommenous,Français, regardons avec dégoût ceux qui bouffent du clébard. Mais comme les habitudes sontchangeantes, les Français eux-mêmes ont depuis plusieurs décennies fortement diminué leurconsommation de viande de cheval, preuve que cet animal a gagné ses galons dans nos cœurs.Pourtant,avantd’obtenirunstatutprivilégié,leschevauxenontbavépendantdessièclesàcausedenous : ils ont été exploités, martyrisés, massacrés, pour accompagner nos conquêtes meurtrières,répondreànosbesoinsagricolesetindustrielsousimplementpourfaciliternotrequotidien.Combiendemillionsdechevauxontététuéssurdeschampsdebataille?700000d’entreeuxontétésacrifiésrienquependantlaPremièreGuerremondiale.Nouslesavonsenfermésdanslesmines,épuisésdans

lesruesetsurlesroutes,usésdansleschamps.Unamoureuxdelanatureetdesanimauxmedisaitrécemmentqu’ilaimaitlavoituresimplementparcequ’elleavaitpermisdefairecesserlecalvairedetant de chevaux de trait. Il citait sans le savoir Schopenhauer qui, en 1851, écrivait quasimentmotpourmot lamême chose : « Le plus grand bienfait des chemins de fer est qu’ils épargnent à desmillionsdechevauxdetraituneexistencemisérable.»

Nous accordons donc aujourd’hui notre plus profond respect aux chevaux. Néanmoins enFrance plus de 10 000 poulains finissent chaque année à la boucherie. Par exemple, sur les220chevauxboulonnaisquinaissent tous les ans,plusde lamoitiépart à l’abattoirquelquesmoisaprès leur naissance pour finir dans des boucheries. Les chevaux de course qui ne sont plusperformantsterminentaussiàl’abattoir.Lamanièredontleschevauxysonttués,enFranceetdansd’autrespays,estrégulièrementdénoncéeparlesorganisationsdedéfensedesanimaux.Desenquêtesontparailleursdéjàmisen lumière le traitement ignoble réservéauxchevauxen findevie sur lecontinent américain, qui fournit 60 % de la viande chevaline importée en France. En 2007, lesabattoirs de chevaux ont fermé aux États-Unis. Par cette décision, les Américains ont clairementsignifié qu’il est pour eux inacceptable de tuer ces animaux qui sont les compagnons de notrehistoire.Oui,maisducoup,leschevauxdontlespropriétairesnevoulaientplussontpartispourlesabattoirs du Canada et du Mexique, afin que leur viande soit vendue dans le reste du monde, enEuropeetenAsie!C’estconnu:quandonveutsedébarrasserd’unproblème,aulieudelerésoudre,ilestplussimpledel’éloigner.

Lesogres

Nousignoronsquelledouleurnousinfligeonsauxanimauxd’élevage.Souffrent-ilsmodérémentouénormémentlorsqu’ilssontenfermés,entassés,privésdelumière,lorsqu’ilssontémasculésàvif,lorsqueleursbecssontcoupés,lorsqu’ilssontégorgés?Lasouffranceestuneexpériencesubjective,même pour les humains. Nous ne possédons pas tous une capacité de résistance équivalente. Uneviolenceidentiqueexercéesurdeuxindividusdifférentsn’engendrepasforcémentlemêmedegrédedouleurressentieparl’unetl’autre.Parailleurs,laréalitédelasouffrancen’estjamaisestiméequepar le sujet qui la subit : il n’y a donc pas d’échelle objective précise en la matière. On peutnéanmoins s’accorder sur une échelle générale : se faire planter un couteau dans la cuisse, parexemple,c’estdouloureuxpourtoutlemonde.Delamêmemanière,comptetenudelasimilitudedessystèmes nerveux, on peut considérer que toutmammifère dont on tranche la gorge éprouve unedouleurdumêmeordre.Lesétudesscientifiquessérieusesnelaissentaucundouteencequiconcernelesvaches,lescochonsoulesmoutons.Etentoutcas,l’argumentsouventrabâchéselonlequel«lesanimauxne souffrent pas commenous » ne tient pas la route un seul instant car il n’est étayé paraucune preuve. C’est une affirmation gratuite, sans aucun fondement. En revanche, l’observationscientifiqueadémontréchezlesanimauxmaltraitéslaprésencedesignesquiattestentd’uninconfortet d’un refus : cris, agitation, évitement. Ces signes extérieurs correspondent à la complexitéphysiologique de ces êtres qui, faut-il le rappeler, sont constitués commedes humains, à quelquesdétailsprès.Laprincipaledifférenceentreeuxetnousrésidedanslefaitqu’ilsnepeuventpasparlerde lamêmemanière pour exprimer leur inconfort ou leur douleur. Il ne leur reste souvent que leregardpourtenterd’arrachernotrepitiéetdemanderquecesseleurcalvaire.

Tous les animaux que nous exploitons éprouvent la souffrance. Les poulets victimes d’unefracturedubréchetchangentdecomportementaprèsl’administrationd’analgésiques.Jusquedanslesannées quatre-vingt, on imaginait que les poissons étaient insensibles à la douleur. On saitaujourd’hui que c’est inexact, grâce à différentes expériences, comme celle qui consiste à enduired’acide les lèvres de truites : les animaux en sont perturbés et se frottent la bouche nerveusement

contre le gravier de l’aquarium ou sur la paroi. Les crabes, les crevettes, les homards ressententégalement la douleur comme l’attestent des expériences à base de produit irritant ou de chocsélectriques.

Ladouleuret la souffrance sont ressenties aveccertitudepar tous lesmammifèresmaisaussitouslesvertébrés,lescéphalopodesetlescrustacés.Pourlesinsectesilyaundoute,comptetenudufaitquecertainssemblentcontinueràévoluercommeside rienn’était lorsqu’ilsontunepartieducorpsenmoins.Maiscedoutenesignifiepasqu’iln’yanigênenidouleur,avecdesmécanismesnonidentifiéspourl’instant.Touteespèceaintérêtàéprouverdeladouleur,puisquecelle-ciestunsignal d’alarme qui explique que l’intégrité du corps est attaquée et qu’il faut immédiatement seprotéger.Uneespècequineressentiraitriendutoutseraitdoncvouéeàladestructionrapideouàlastagnationlaplusprimaire.

Autrecertitudeconcernantcesanimauxquenoustuons:ilssontintelligents.Àquelpoint?Làencore,ilestimpossibledeseprononcerdemanièredogmatique.D’abordparcequelongtempsnousavonsrefusédenousposerlaquestion.Nousavionsdécidéqu’ilsétaientstupides,pointbarre.Nouscommençonsdoncseulementàdécouvrirqu’iln’enestrien.Ensuite,l’intelligenceestunenotiontrèsfloue, même en ce qui concerne les humains. Les animaux d’élevage ne peuvent résoudre deséquationscompliquéeset ils sont incapablesd’écriredespoèmes. Ilsonten revanchedescapacitéscognitives suffisamment développées pour avoir conscience de ce qu’ils vivent, pour fonder desprojets–mêmebrefs–pourprendredesdécisions,pour répondreàdesordres,pourendonneràleurs congénères, pour se soumettre à une organisation hiérarchique et sociale, pour avoir del’humour,pourangoisser,pours’amuserouéprouverdesdésirs,silimitéssoient-ilscomparésauxnôtres.«Touteslesétudescomportementalesetneurobiologiquesontmontrésystématiquement[…]quelesanimauxpartagentlesémotionsprimaires,cesréactionsinstinctivesquenousappelonspeur,colère,surprise, tristesse,dégoûtet joie»,écrit l’éthologueMarcBekoff.Nousavonsvuaussiquel’empathieestprésenteaumoinscheztouslesmammifères.

Toutes les caractéristiques ici énoncées prouvent que les animaux sont des individus qui ontchacun une existence et un caractère particuliers. Dans un élevage de 100 000 poules, il y a100000individus.Ilsseressemblent,puisqu’ilssonttousdelamêmeespèceetqu’ilssontplacésdanslemêmeenvironnement.L’éleveurvoitcespoulescommeunemasse indifférenciée.Maiscelles-cisont toutesparticulières.Quiconque sedonne la peinede les regarder peut s’en apercevoir.Onnemangepasdubœuf,dupoulet,duporc,onneportepasdurenard.Onmangelapartied’unbœufbienprécis,quiaexisté,aéprouvé,etaeupeuravantd’êtreexécuté.Onmangeunpoulet,celui-làetpasunautre,onmangeleflancd’unporcquiauraitpuvivreencorequinzeans,onportelapeauquiaétéarrachée àun renard qui a passé sa courte vie dans une cage et qui estmort électrocuté avec uneélectrodedanslerectum.

Certainsanimauxontpasséavecsuccèsletestdumiroirinventéparl’AméricainGordonGallupdanslesannéessoixante-dix.L’idéeestlasuivante:onhabitueunanimalàlaprésenced’unmiroir.Puisonpeintunemarquecoloréesursonfrontpourobserversaréaction.Sil’animalmontrequ’ila

comprislaprésenceinhabituelledelatache(parcequ’ilessayedelatoucherparexemple),alorslesscientifiquesconsidèrentque l’individua laconsciencede lui-mêmepuisqu’il réalisequ’ilobservesonproprerefletdanslaglace.Lesbonobos,leschimpanzés,lesdauphins,leséléphants,lesorangs-outans,lesorques,lespiesetlescorbeauxontréussicetest.Lecochonquantàluipasseavecsuccèsunevariantedel’épreuvequiprouvequ’ilabiencompriscequ’estunmiroiretlamanièredontsapropreimages’yréfléchit.Lorsqueletestestratéparunanimal,celanesignifiepaspourautantquecelui-cin’estpasdotédecette«consciencedesoi»:lechien,parexemple,s’appuiedavantagesursonodoratquesursavueetsedésintéressedoncdecequisepassedans laglace.Sansodeur,uneimagen’estpascenséel’attirerparticulièrement.

Et les humains ?Vous, qui lisez ce livre, bien sûr, vousvous reconnaissezdansuneglace lematin,saufsivotresoiréeaététroparrosée.Maisquandvousaviezunan,vousauriezéchouéautestdumiroir.Unenfanthumainnereconnaîtpassonimagedansunmiroiravantdix-huitmoisoudeuxans.Iln’apaslaconsciencedelui-mêmeentantqu’êtreindépendantetresponsabledesesactes.

Un tout jeune enfant ne sait pas plus résoudre une équation qu’un cochon. Ses projets sontextrêmementlimités.Ilneparlepasetnedisposepasd’unlangageclairluipermettantd’exprimersadouleur.Unjeuneenfantestvulnérable,incapabledesedéfendreparlui-même.

Un enfant demoins de deux ans n’a donc pas plus de capacités cognitives que nos animauxd’élevage.

Enoutre,lesanimauxquenousmangeonsnesontencorequedetoutjeunesenfants:lescochonssonttuésàsixmoisalorsqu’ilspourraientvivrequinzeans,lesveauxsontabattusàcinqmoiscontreuneespérancedeviedevingtans,lescanardsgavéssontégorgésauboutdequatre-vingtsjoursalorsqu’ils avaient aumoins cinq ou six ans devant eux, les poulets de chair au bout de quarante jourscontreunedizained’annéesd’existence…

Donclesanimauxquenousmangeonssontaussiintelligents,sicen’estplus,quenosbébés.Etilssontaussijeunes.

Lescarnivoressontdesogres.

POURLAFINDEL’EXPLOITATIONANIMALE

Tousresponsables,donctouscoupables

Dieu n’a jamais fait partie de mes figures tutélaires. Il n’a jamais été pour moi qu’uneabstraction,unefigurelittéraire,lehérosrassurantd’unesagaplutôtsympathiquemaisprofondémentirréaliste.LeDieudelaBiblen’ajamaiscomptédansmavie.Etleprotestantismedontj’aihéritédemamère,néerlandaise,n’ajamaisétéqu’uncadremoraldéconnectédetouteréférenceàlachrétienté.Monpère, bercé par les chansons deBrassens et la penséede Jaurès,m’aquant à lui appris àmeméfierde touteautorité.Enrevanche, très tôt, j’aiacquis lacertitudequenotreprésencesurTerre,fruitdelaplusincroyabledesimprobabilités,nousconfèredesdevoirsparticuliers.Onnepeutpasfaire n’importe quoi simplement parce que ça nous arrange, nous procure du plaisir, ou noussimplifielavie.Onnepeutpastraversercemondeenmercenairesnombrilistes,portantenétendardcettedevise:toutpourmagueule.Celas’appellelaresponsabilité.Entreresponsabilitéetculpabilitésenouesouventuneliaisontroublequihandicapenombred’entrenous.Sesentircoupabledetoutestuneerreur,maisnesesentircoupablederienestunelâcheté.

Chacun des actes de notre vie, chacun de nos choix,même les plusmineurs, engendrent desconséquences.Entrelemomentoùl’onselèvelematinetceluioùl’onsecouchelesoir,nosgestes,nos décisions et nos hésitations provoquent des centaines de micro-événements qui génèrent desréactions.Traverserune rue,prendre lebus,dialogueravecuncollègue,alleraucinéma…Autantd’occasionsquinousmettenteninteractionaveclesautresetnousrendentsusceptiblesdemodifierleurunivers :contraindreunautomobilisteàfreinerparcequevous traversezaumauvaismoment,bousculerunusagerdanslebus,tenirunproposblessantàuncollègue,gênersonvoisinaucinémaen farfouillant sonpaquetdepop-corn…Dansde tels casde figure, riendebiengrave.Sauf si lavoituren’arrivepasàvouséviteretvousenvoieàl’hôpital;saufsi,enbousculantl’usagerdanslebus, vous le faites tomber et lui occasionnez un traumatisme crânien ; sauf si vous vexez votrecollègueaupointqu’ilenressenteunehainequil’inciteàliguertoutleservicecontrevous;saufsivotrevoisinaucinémaestirritableetquesonénervementdégénèreenbagarre.Maisilnes’agiticiquedesconséquencesdirectesetimmédiatementévaluablesdenosactes.Ilyacequel’onnevoitpas,

ce que l’on n’imagine pas forcément, et qui pourtant compte souvent autant, sinon davantage.Revenonsaucasdecetautomobilisteobligédefreinerpourvouséviterparcequevousaveztraverséla rue sans regarder. Imaginons que sa voiture était suivie par un scooter. Incapable d’anticiper lefreinaged’urgencedelavoituredevantlui,ledeux-rouess’encastredanslevéhicule.Lechauffeurduscooterest légèrementblesséet l’engin inutilisable. Il s’agitd’un jeunehommeauchômagequiserendait à un entretien d’embauche pour un emploi dont il rêve et pour lequel il a toutes lesqualifications. Il reporte le rendez-vous. Mais celui-ci n’aura finalement jamais lieu. Car, lelendemainde l’accident, l’entreprisea rencontréuncandidatquia fait l’affaire.Mauvaisenouvellepour le jeune homme, qui connaît de sérieuses difficultés financières. Sa petite amie, avec qui ildésirefonderunefamille,s’impatientedeplusenplus.Ellecomptaitbeaucoupsurlenouveautravaildesoncompagnonafindepouvoirtrouverunestabilité.Elleserendcomptequecelan’arriverapastoutdesuite.Elledécidedelequitter.Désespéré,lejeunehommesesuicide.Toutçaparcequevousn’avezpasfaitattentionentraversantlarue.

Évidemment,j’aisciemmentgrossiletraitenoptantpourundéveloppementcatastrophiste.Monbut était de rendre le principe moteur particulièrement visible : chacune de nos actions a desconséquences,etnotreresponsabilitéconsisteàlesmesureravantd’agir.

Êtreuncitoyen,unhumainconscient,consisteàs’interroger,toujours,surlesconséquencesdeses actes. Cela concerne évidemment les animaux. Comment ont été élevés et tués ceux que l’onmange?D’oùprovientlecuirquel’onporte?Quellesimplicationssurlapollutiondessols,del’eauetdel’air?Quellequantitédesouffranceaéténécessairepourmepermettredemangercesteak,cefoiegras,cettetranchedejambon,oupourmepermettredeporterceblousondecuir?Cesquestionsnesontpasautomatiquescarnousnouscontentonsd’acheterdesproduitsfinisdontl’industrietentedenousfaireoublierlaprovenanceréelle:c’estdelaviande,maiscen’estpasvraimentunanimal…C’estunboutd’animalmort,maisiln’apasvraimentététué…Bref,lebutestquevousnepensiezpasàvotreacteréel.Celanousarrangebiend’ailleurs.Unsteaksurgelé,danssonemballagecarton,c’estbienpropret.Lesangaéténettoyé,et lescrissesontévaporésdanslesecretd’unabattoiroùvousnemettrezjamaislespieds.Maisqueceluiquimangeunmorceaud’animalenaitconscience:ila lui-même commandité le meurtre. Il est le responsable. Qu’il ne tente pas de se dédouaner enprétextantaveclâchetéqu’ilse«contentedeconsommerdesanimauxquiontdéjàététuésdetoutefaçon».Ces animauxont été tués parce quedes industriels ont pensé qu’il y aurait des gens pouracheterleurviande.

Si vous avez un pistolet dans la main et que vous tirez à bout portant sur un homme, laconséquence de votre acte est immédiatement visible : l’homme s’effondre devant vous, son sangs’écoule sur vos pieds, vous êtes un assassin, vous le savez, vous ne pouvez le nier.Mais si vousdonnezlepistoletàquelqu’und’autreenluidemandantd’exécuterlecrimeàvotreplace,àquelqueskilomètresdevotreregard,êtes-vousmoinscoupable?

Untramwaynommééthique

Untramwayfileàvivealluresurlesrailsd’unerueenpente.Sesfreinsontlâché.Àquelquescentainesdemètresdelà,enbasdeladescente,cinqouvrierssontbloquéssurlavoie,incapablesdes’échapper:iln’yapasassezdeplacedepartetd’autredesrailspoursemettreàl’abri.Letramwaya toutefois la possibilité de bifurquer sur une autre voie, juste avant de percuter les malheureux.Problème:surcetteautrevoie,unepersonneestelleaussibloquée,danslamêmeconfiguration.Ilsetrouvequevous,lecteur,êtespostéàl’aiguillageetquec’estvousquipouvezmodifierlatrajectoireduvéhicule.Quedécidez-vous?Choisissez-vousdelaisserletramwaypoursuivresacourse,ettuercinqhommes,oupréférez-vousactionnerlelevierafindedétournerletrainquinecauseraalorslamort que d’une seule personne ? Vous voici confronté à l’une des plus célèbres expériences depensée 1 de philosophie morale proposée en 1967 par la philosophe Philippa Foot. Vous avezquelquesminutespourréfléchir.

La grande majorité des gens confrontés à ce « dilemme du tramway » répondent qu’il estmoralementpermisdesacrifierunevieafind’ensauvercinqautresendétournantletramway.5viessauvées–1viesacrifiée=4viesépargnées.Celaparaîtlogique,mêmes’ilconvientdedistinguerlaresponsabilitéquirésulted’uneactiondélibérée(actionnerunlevier)decellequidécouled’unenon-intervention(nerienfaire).

Imaginezmaintenantque,dansunhôpital,unchirurgiensoignecinqpersonnessurlepointdemourir : seule une greffe d’organe pourrait les sauver, et il se trouve qu’il s’agit pour ces cinqpatients d’un organe différent (un cœur pour l’un, un rein pour l’autre, un foie, etc.). Arrive àl’hôpitalunpatientquisouffred’unmalmineur.Silechirurgienletuepourpréleversesorganes,ilsauvelescinqcondamnés.Leratioestlemême(5–1=4viesépargnées)quedanslecasdutramwayfou.Pourtant,l’idéedusacrificeesticibienpluschoquante.Pourquoi 2?

Corsons le problème : imaginonsmaintenant que le tramway passe sous un pont et que vousn’êtes plus stationné à côté de l’aiguillage,mais plutôt debout sur ce pont en surplomb.À côté devoussetientunhommeobèsequisepencheenavantpourobserverletrainquiarriveàtouteallure.

Cet homme est tellement corpulent que vous réalisez qu’il pourrait constituer un obstacle capabled’arrêterletrainsivouslejetiezsurlesrails.Vousdevezdoncchoisir:pousserlegrosmonsieurdanslevideafindestopperletramwayetsauvercinqvies(enensacrifiantune)ou,encoreunefois,nerienfairedutout.Généralement,danscederniercasdefigure,lespersonnesquestionnéesrejettentl’idéedebalancerl’hommeobèsepar-dessuslabalustrade.Maisrajoutonsdesdonnéesauproblème.Vousapprenezquecetobèseestunsalaud,untortionnaire,voirequec’estluiquiasabotélesfreinsdutramway.Danscecasprécis,quedécidez-vous?

Etrevenonsmaintenantànotrecheminotseulsursavoie,qu’onallaitsacrifierpoursauvercinqpersonnes.Imaginezquecethommen’estpasuninconnumaisqu’ils’agitdevotrefrèreoud’unami.Ou, autre casde figure,qu’iln’estpasuncheminot anonyme,maisBarackObama.Acceptez-vousencoredeluiôterlaviepourépargnercelledesautres 3?

Laissez-moivousprésenteruneautreexpériencedepenséequipourraagrémenterde longuessoirées d’hiver entre amis. Elle est proposée par le philosophe américain Tom Regan et il estquestion cette fois d’animaux. D’un chien, plus précisément. Ce chien se trouve sur un canot desauvetage,enpleinemer,avecquatrehommes.Maisilya tropdepoidssurcecanotquiestsur lepointdecouler.Est-ilacceptabledejeterlechienpar-dessusbordpoursauverlesquatrehommes?Sil’onconsidèrequelavied’unchienamoinsd’importancequecelled’unhumain,laréponsesembleallerd’elle-même.Danslecascontraire,unpremiervraicasdeconsciencesepose.Maisimaginonsmaintenantquecechienestunchiensauveteurquiaaidéàsauverdesdizainesdepersonnesdanslesdécombresdetremblementsdeterre.Lesquatrehommesenquestionn’ontquantàeuxjamaissauvélamoindrevie.Celachange-t-il lechoixquevousjugezpertinent?Enfin,autreconfiguration: lesquatrehommessontdesofficiersnazisresponsablesdecrimesatroces.Lechiendoit-ilmalgrétoutencoreêtresacrifiépourépargnerleursvies?Quelleestlajustedécision?

Vousvoiciplongéaucœurdelaphilosophiemoraleexpérimentalequiest,selonlestermesduphilosophe Ruwen Ogien, « une discipline qui mêle l’étude scientifique de l’origine des normesmoralesdanslessociétéshumainesetanimales,et laréflexionsurlavaleurdecesnormes».Danstellescirconstances,oùsesituelabonneaction?Pourquoisuis-jetentédefairecechoixplutôtqu’unautre?Ya-t-ilplusieursréactionscontrairestoutaussimoralementacceptables?Etc.

Ils’agitselonmoiduchamplepluspassionnantdelaphilosophie:celuidela«morale»oudel’«éthique».Certainsphilosophesdonnentàcesdeuxtermesdessignificationsdifférentestandisqued’autreslestraitentcommedessynonymes.Encequimeconcerne,jem’alignesurlespartisansdelasimplicitéet,pourlaclartédupropos,jevaisdoncconsidérerdanscespagesquecesdeuxmotssontéquivalents, même si le mot « éthique », contrairement à la « morale », me semble présenterl’avantaged’êtredénuédetouteconnotationantimoderneetcastratrice.L’éthiqueseraitémancipatriceetcréatrice,làoùlamoralepeutapparaîtrecommeunerigidité.

Pourétablirunjugementéthique,nousutilisonsdesintuitionsmoralesetdesrelationsdepensée.Lesintuitionsmoralessontsimples,ellescorrespondentàdesévidences.Exemple:unenfantestentrain de se noyer. Est-ilmoral de le laisser sombrer ? «Non ! » répondons-nous tous en chœur.

Pourquoi?Parcequec’estcommeça,çanesediscutepas.Venirenaideàunenfantquirisquedemourirestl’attitudequenous,humains,jugeonstousconformeàcequiestbon.Mais,etc’estlàquec’estpassionnant,même les intuitionsmoralessontcontestables.Eneffet, surquoi reposent-elles?Surdesperceptionsacquisesouinnées?S’expliquent-ellesparuncontextehistoriqueouculturel?En ce qui concerne notre rapport aux animaux non humains, on peut considérer que l’intuitionmorale, généralement répandue de nos jours, est qu’il ne faut pas les maltraiter. Cependant, cetteintuitionestconstammentcontrediteparnosactions.

Lesrelationsdepensées’avèrentbienpluscomplexes,puisqu’ellesfontlasommedeplusieursintuitions et les organisent selon des règles de raisonnement classiques. Les résultats peuvent êtredéroutants.Ainsi, selon le philosophe australien Peter Singer, refuser de donner de l’argent à uneassociationqui luttecontre la faminedans lemondeéquivautà laisserunenfantsenoyersousvosyeux. Pourquoi ? Parce que vous savez qu’il y a des enfants qui meurent de faim, vous avez lapossibilitédeleurvenirenaide,etlefaitqu’ilssoientàdesmilliersdekilomètresnevousexonèrepasdevotreresponsabilitémoraleàleurégard.Lacomparaisonn’est-ellepasexagérée?Entoutcas,elleouvreundébatquirévèlelacomplexitédelaréflexionmorale.

L’éthiqueestunebranchedelaphilosophietroppeuconvoquéeaujourd’huialorsqu’elleestleciment de toute société éclairée. Le monde contemporain est en effet profondément amoral. Lesrègleséthiquessontpresque inexistantesdansnotresystèmeéconomique,ellespeinentàs’imposerdansnotremodèlepolitiqueetfontsouventdéfautdanslesrelationshumaines.Ilnousfautremettrel’éthiqueaucœurdenotreprojethumain.Certes,àtitrecollectif,nousnousinterrogeonsparfoissurlamoralitédenoscomportements,maisàdetropraresoccasions,etgénéralementpourdessujetsàportéemédicale liés à notre naissance et à notremort. Faut-il légaliser l’euthanasie ? Si oui, dansquellescirconstances?Etlesmèresporteuses?Doit-onautoriserunefemmeàlouersonutérusafinqu’onyimplantelesembryonsd’uneautre?Etsilaprocréationmédicalementassistéeestautoriséepour les couples hétérosexuels, pourquoi ne pas l’étendre aux couples d’homosexuelles ? Et lagestationpourautrui(GPA)?

Maisilestgrandtempsdedépasserlesquestionsanthropocentristes,cellesquinetouchentquenotrenombrilhumain.L’undesenjeuxduXXIe siècle consiste à établir enfin nos responsabilités àl’égardduvivantdanssonensemble,àcommencerparlesespècesanimales.Pourcela,nousdevonsaccepter des analyses morales poussées qui nous mettent en face de nos responsabilités, de nosincohérences et de nos lâchetés. Ainsi, l’exploitation animale, sous toutes ses formes, a desconséquencesque l’onnepeutplusminimiserdans le simplebutde tranquillisernotreconscience.Nonseulementelleimpliqueunlotdesouffrancesquenousrefusonsdeconsidérer,mais,etc’esttoutaussiinquiétant,ellenereposequesurdesincohérencesmoralesqu’ilnousfautaujourd’huibalayer.Peter Singer résume les choses en ces termes : «Vivre demanière éthique, c’est tout simplementvivre en ne pensant pas qu’à soi-même, mais en tenant compte du fait que nos actions ont desconséquencessurlesautres.C’estlarègled’or:sedemandercommentceseraitsionétaitàlaplacedel’autre.OntrouveceladanslaBible,chezConfuciusoudansl’hindouisme…Chacundoitréaliser

1.

2.

3.

qu’il n’est qu’un être humain parmi d’autres et que ma souffrance n’est en aucune manière plusimportantequecelled’unautre,quecesoitunhommeouunanimal.»

L’examen de conscience auquel appellent les antispécistes passe par une branche de l’éthiqueappliquéeappeléel’éthiqueanimale.

Une expérience de pensée est une fiction intellectuelle qui sert à creuser le fondement d’une théorie. Elle exprime unehypothèsequicommencepar:«Quesepasserait-ilsi…»

CasproposéparJudithJarvisThomson.

ToutescesexpériencesdepenséesontracontéesetlargementcommentéesparRuwenOgiendansL’Influencedel’odeurdescroissantschaudssurlabontéhumaine,Grasset,2011.

L’éthiqueanimale

L’éthique animale peut se résumer ainsi : elle est l’étude de la responsabilité morale deshommes à l’égard des animaux non humains pris individuellement. En clair, l’éthique animales’interrogesurnosdevoirsenverslesanimaux,nonentantqu’espèce,maisentantqu’individus.Ilnes’agitpasdes’intéresserà lasurviedes lionsoudeséléphantsengénéral,maisà lamanièredesecomporter à l’égard de chacun des individus qui composent l’espèce des lions et des éléphants.Prenonspourexemplelapopulationde29oursbrunsrecensésen2014danslesPyrénées,enFrance.L’approcheécologiqueclassiqueconsisteàévaluernotreresponsabilitéàl’égarddugrouped’oursdanssonensemble,entantque«représentationdiplomatique»d’uneespècequenousavonsdécidéde sauvegarder aunomde labiodiversité.Si lapopulationdesoursvient à tropbaisserparcequecertainsd’entreeuxsont tués,hop,on les remplacepardesoursonsvenusd’ailleurs, et le tourestjoué.Les individusne comptent pas, ils sont interchangeables. Il faut sauver les ours,mais pas telours.L’éthiqueanimale,enrevanche,prendenconsidérationchacundesoursensoulignantqu’ilsonttousunepersonnalité,unehistoirepropre,dessentiments,desenviesetdesbesoins.

Ilnefautpasconfondrel’éthiqueanimaleetl’éthiquedel’environnement(ouplutôtleséthiquesde l’environnement, puisqu’il y a plusieurs courants), qui s’intéresse aux écosystèmes dans leurensemble,etpasseulementauxanimauxvivantssensibles.L’éthiquedel’environnementmilitepourlapréservationdesespacesnaturelsetdesespècessensiblesounon.Lamortetladouleurnesontpasforcément en soi des soucis pour l’éthique environnementale, puisqu’elles font partie de la nature,alors qu’elles sont au cœur des motivations de l’éthique animale, qui mobilise aussi le droit,l’éthologie (l’étudedesanimauxdans leurmilieunaturel), laphilosophie, lagénétique, etbien sûrl’écologie. L’éthique environnementale compte parmi ses principaux inspirateurs le forestier etécologue américain Aldo Leopold (qui était chasseur), mais aussi RalphWaldo Emerson, HenryDavidThoreau, JohnMuirouArneNæss,quenousallons tous recroiserunpeuplus tarddanscelivre.Onpeutégalementciter,parmisesporte-parole, lephilosophenéo-zélandaisRichardSylvan

Routley et sa dénonciation du chauvinisme humain, ainsi que le philosophe américain J. BairdCallicott,etsonÉthiquedelaTerre.

L’éthiqueanimaleestundomainetrèsrécent,apparudanslesannéessoixante-dix,etaujourd’huisurtout développé dans le monde anglophone, c’est-à-dire la Grande-Bretagne, les États-Unis, leCanadaet l’Australie.LesFrançais, eux, sontà la traîneet, àquelquesexceptionsprès, comme lesphilosophes Corine Pelluchon, Florence Burgat, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, GeorgesChapouthieroul’équipedelarevueLesCahiersantispécistes(YvesBonnardel,DavidOlivier,EstivaReus…), la matière est encore complètement ignorée dans notre pays, même si l’université deStrasbourgarécemmentmissurpiedunebrèveformationendroitdel’animaletenéthiqueanimale.Leretarddenotrepaysvis-à-visdel’éthiqueanimales’expliquedeplusieursmanières.Ilyad’abordla traditionhumaniste française.Par«humanisme»,onentenddeuxchoses :défensedesdroitsdel’homme d’une part, et vision anthropocentriste d’autre part, c’est-à-dire la priorité donnée àl’hommeen toutescirconstances.Etc’estcettedeuxièmeacceptionquiposeévidemmentproblème.L’histoire agricole du pays est une autre raison du désintérêt de la France pour les droits desanimaux.LaFranceestungrandpaysd’élevage.Noussommesparailleurs soumisàune traditionculinairecarnée,présentéecommeunaspectessentieldenotreculture,etlaremiseencausedecettetraditionfaittoujoursgrincerdesdents.

L’éthiqueanimalen’estpasunenseignementdogmatiquequiproposeraitunegrillederéponsesdéjàélaborées.Elleestsimplementunchampderéflexionouvert.Ilarrivedoncquelesantispécistesne soient pas d’accord entre eux. S’ils conviennent tous que nous, humains, avons des devoirs àl’égard de tous les animaux sensibles, ils se différencient parfois sur la nature de ces devoirs.Ondistingueainsideuxcourantsquis’opposent:leswelfaristesetlesabolitionnistes.

Leswelfaristesnesontpasopposésparprincipeàl’exploitationdesanimaux.Ilss’intéressentau«bien-êtreanimal»(welfare,enanglais,signifie«bien-être»),c’est-à-direqu’ilsréclamentquelesconditionsdansl’élevage,voiredansl’expérimentation,soientoptimiséesafinquetoutesouffranceinutilesoitépargnéeauxanimauxetqu’ilspuissentmenerunevie«heureuse».LephilosophePeterSingerestleleaderdelatendancewelfariste.Ilestvegan 1,carilconsidèrequel’élevageidéalauquelilaspiren’existepas,maisl’idéedemangerdelavianden’estpasenelle-mêmeuneaberrationpourlui.S’ilpouvaitêtresûrquel’animalqu’ilmangeavécuunebellevieetqu’iln’apassouffert,alorsdanscecasSingerpensequ’ilseraitenvisageabledes’accorder,parexemple,unecuissedepoulet.

Les abolitionnistes, quant à eux, estiment que l’« élevage heureux» ne peut exister, qu’aucunanimal ne doit jamais être unmoyen au service de l’homme, et ils réclament donc la fin de touteformed’exploitationanimale.Seloneux,lesanimauxnesontpasdeschoseset,parconséquent,nousdevons leur accorder des droits. Le terme abolitionniste n’a pas été choisi par hasard. Il faitdirectement référence auxmilitants qui se sont battus, il y a quelques siècles, pour l’abolition del’esclavage–commenousauronsl’occasiondelevoirunpeuplusloin,lesdeuxcausessont,defait,extrêmementsemblables.Lesfigureslesplusemblématiquesdel’abolitionnismesontaméricaines:il

s’agit duphilosopheTomRegan, auteur en1983d’unouvragede référence,TheCase forAnimalRights,etdujuristeGaryFrancione.

Lafrontièreentreabolitionnistesetwelfaristesn’estpasaussiétanchequ’ilyparaît.D’abord,ilest possible d’adopter une position intermédiaire : considérer que toutes les vies doivent être parprincipe respectées, se battre pour l’abolition de l’exploitation animale,mais tout demême, si unchoixs’impose,estimerquelamortd’unlionestplusgravequelamortd’unesouris.Parailleurs,ilexiste des abolitionnistes qui pensent qu’il faut passer par des phases de welfarisme en attendantd’obtenir la fin de l’exploitation animale. L’association américaine Peta, tout en militant pour levéganisme,estconsidéréecommenéo-welfaristeparcequ’ellesaluedesdécisionscenséespermettredediminuer la souffrance animale sanspour autantmettre fin au systèmequi lesprovoque.Peta aentreautresinterrompuunecampagnecontreMcDonald’slejouroùelleaobtenudesassurancessurl’améliorationdu sort des animauxutilisésdans la fabricationdesburgers.En2011, elle a encoresaluélalevéedel’interdictiondel’abattagedeschevauxauxÉtats-Unis,enavançantqueleschevauxaméricainssouffriraientmoinsd’êtreabattussurplaceplutôtqu’autermed’unlongvoyageversleCanadaouleMexique.

Àlafindesannéessoixante-dix,auxÉtats-Unis,legrandactivistepourlesdroitsdesanimauxHenrySpiraavaitchoisid’opterpourlanégociationaveclesentreprisesdecosmétiquesàproposdutestdeDraize,unprocessusconsistantàinjecterdesproduitspotentiellementirritantsoudangereuxdans les yeux des animaux. Résultat : en 1981, Revlon et d’autres entreprises ont accepté dedévelopper des fonds pour des méthodes alternatives de recherche. Grâce à l’action de Spira, lenombredelapinssacrifiéspourletestdeDraizeaconsidérablementchuté,sanstoutefoisdisparaîtretotalement. Quelques années plus tard, Spira défend la société Procter & Gamble, attaquée pardifférentes organisations parce qu’elle pratique la vivisection. Or Spira insiste sur le fait que lamultinationalearéaliséd’importantsprogrèssurcesujetaucoursdesannéesprécédentes,etqu’ilnefautdoncpaslapointerdudoigt,puisqu’elleajouélejeu.Enclair,lastratégiedeHenrySpiraviseàaméliorerlesconditionsdeviedesanimauxexploitésetàréduireleurnombreaumaximum.Et,defait,ilaobtenudenombreuxsuccès.

Faut-il accepterdenégocier avec les industriels et les chercheursenéchanged’unmieux-êtreimmédiatpour lesanimauxdans lesélevagesou les laboratoires?CetteapprocheestcritiquéeparTom Regan. « Quand vous réformez l’injustice, affirme-t-il, mon opinion est que vous laprolongez.»Selonlui,toutcompromisseraitinfinedéfavorableàlacauseanimale,danslamesureoùunemarquepeutsevanterd’avoiraméliorélapriseencomptedelasensibilitédesanimaux–cequi donne bonne conscience aux consommateurs et augmente les ventes de produits issus del’exploitation animale. Il ne faut donc pas négocier pour que les poules disposent de cages plusgrandes, mais militer pour que les élevages soient fermés. Les abolitionnistes anti-welfaristesprennent comme exemple l’esclavage : il aurait été impossible de faire exister un esclavagisme«heureux»outransitoire.Ceneserapasdavantagepossibleavecl’exploitationanimale,estiment-ils.

1.

Pour résumer,deuxquestionsprincipalesdivisent les antispécistes :1.Faut-il exiger la findetouteformed’exploitationanimaleousimplementlutterpourlebien-êtremaximaldesanimaux,sansforcémentrenoncerauxélevages?2.Quellestratégiepourarriveraubut?

Derrièrecesdivisionss’opposentdeuxapprochesdel’éthiquenormative:leconséquentialismeetledéontologisme.Leswelfaristessontconséquentialistes.Lesabolitionnistes,enrevanche,sontenprincipedéontologistes.Ils’agitlàdedeuxvisionsphilosophiquesdifférentesquipeuventserésumerainsi:lesconséquentialistesnes’intéressentqu’aurésultatd’uneaction,tandisquelesdéontologistesconsidèrent qu’on ne doit agir qu’en fonction de principes moraux intangibles, indépendants descirconstances.

Jevousproposequenousnousattardionsquelquesminutessurcesnotionsphilosophiquesquipeuvent sembler ennuyeuses ou brumeuses alors qu’elles ouvrent aux plus passionnants débats carelles sous-tendent toute décision collective et individuelle.Néanmoins, si vous souhaitez sécher lecours, je vous accorde aisément une dispense, car l’explication qui suit n’est pas absolumentindispensableàlacompréhensiondel’antispécisme,mêmesiellepeutyconcourir.Sivoussouhaitezvouspasserdecesprécisionsconceptuelles,jevousproposedesauterlechapitrequisuitetdenousretrouverdirectementci-dessous.Pourlesautres,sortezlescrayons,prenezdesnotes.L’intervention,bien que relativement brève, sera scindée en deux parties distinctes afin de répondre à l’esprit declassequianimecechapitrefacultatif.

Levegannemangeaucunanimal,niaucunproduitd’origineanimale(lait,œufs).Plusgénéralement,ilrefusetoutproduitissudel’exploitationanimale,commelecuiroulafourrure.

Chapitrefacultatif

Nefaispasauxtruiescequetunevoudraispasqu’ontefasse

A.Conséquentialisme,utilitarismeetwelfarisme

Leswelfaristessontdesconséquentialistes,etplusprécisémentdesutilitaristes.Dans l’éthiquegénérale, le conséquentialiste considère qu’une action doit être jugée à l’aune de ses résultats.Engendre-t-elleplusdebienqu’elleneproduitdemal?Seullerésultatcompte.Unetelleapprochesoulèvedenombreusesquestions:quiestconcernéparlerésultatdel’action?Commentmesurerledegré de bien et le degré de mal ? Etc. Différentes théories s’affrontent. Une version duconséquentialisme consiste à privilégier l’individu –mes intérêts personnels – tandis que d’autresversionss’intéressentaugroupe.L’utilitarisme,quiestunedéclinaisonduconséquentialisme,sefixepourbutleplusgrandbonheurduplusgrandnombre.Lefondateurdel’utilitarisme,auXVIIIesiècle,estlephilosopheetjuristebritanniqueJeremyBentham,dontlapenséeserarelayéeausièclesuivantparJohnStuartMill,puisrécemmentparPeterSinger.SelonBentham,cequimotiveuneloidoitêtresonimpactpositifsurlamajorité.Quellemajorité?JeremyBenthamconsidèrequ’ilfautprendreencompteles intérêtsdetouslesêtressensibles,ycomprisdonclesanimauxnonhumains,puisqu’ilssont capables d’éprouver la souffrance. Tous les militants des droits des animaux connaissent sacélèbreformule,inspiréedeRousseau:«Laquestionn’estpas:peuvent-ilsraisonner?Ou:peuvent-ilsparler?Mais:peuvent-ilssouffrir?»

L’utilitarismeapparaîtlogiquementcommeunalliédel’écologieglobalisante,puisquel’avenirdu monde, en tant que tout équilibré, compte davantage que le cas de chacun des individus quipeuplentcemonde.Encesens,l’exploitationdesressources,lapollutionetladestructiondesautresespècesdeviennentdesproblématiquesdepremierplan.Maisleschosesnesontpassisimples.Jugerla pertinence d’une action à son utilité peut engendrer des résultats catastrophiques. Pourquoinégligerdes facteursaussi importantsque ledevoirou l’amitié?Pourquoidevrions-nouscalculeravantd’agir?D’autantqu’iln’estpasd’instrumentfiablepourmesurerlaquantitédebonheuroudeplaisir.Pourleséconomistes,l’utilitarismepeutdeveniruninstrumentauserviceducapitalisme,quiafaitdel’argentuninstrumentdemesuredubonheur.L’utilitarismeainsienvisagén’aalorsqu’uneseule issue : rechercher un accroissement du produit intérieur brut (PIB), qui devient lui-même

instrumentdemesure.Larecherchedu«plusgrandbonheurduplusgrandnombre»s’exprimeparuneproductivitémaximalequitrouvesesdébouchésdansunesociétédeconsommationdébridée.

LephilosopheRuwenOgienselivreàunecritiquedel’utilitarismequejepartage.Ilsouligneque,d’aprèscettedoctrine,ilseraitconcevabledesoutenirunesociétéquichoisissededonnertoutesles richesses à quelques-uns et de laisser les autres dans lamisère, si le niveau de jouissance desprivilégiésesttelqu’ilestsupérieuràlasouffrancedesindividuspauvres.Peut-êtreest-ced’ailleursce que tente d’organiser la philosophie néolibérale. Voilà en tout cas l’une des limites duconséquentialisme:commentdéterminercequ’estunebonneconséquence?

Un autre aspect de l’utilitarisme (ou du conséquentialisme) se révèle à mon sensparticulièrement problématique. Certes, le principe de base semble cohérent : on étudie uneproblématique et on évalue l’attitude à adopter en fonction des conséquences de l’action – lepragmatisme l’emporte donc sur la morale rigide. Mais qui est vraiment apte à juger de cesconséquences?Cesontsouvent lessituations lespluscomplexesqui fontdébat,donccellesoù lesconséquences, justement, peuvent être difficiles à anticiper avec précision. Les interventionsmilitairesàprétextehumanitaireensontlaplusparfaiteillustration.Enprétendantvouloirprotégerunepopulationmenacéeparunrégime, ilestpossibled’obtenirunrésultatpirequeceluiqu’auraitengendrélanon-intervention,àsavoirunnombredevictimesbienplusimportantquecellesqu’auraitoccasionnées le maintien du régime en place. Alors qu’on motive son action en imaginant uneconséquencebonne,celle-cipeutserévélercatastrophiqueenraisondel’incompétencedel’analyseinitiale.L’interventioninternationalecontreKadhafien2011l’aparfaitementmontré:undictateuresttombé,maisleterrorismeislamistes’enestretrouvélargementconforté,commedéjàaprèslachutedeSaddamHussein,enIrak,etlacrisedesmigrantsaétélancée.Combiendedizainesoudecentainesde milliers de morts sont la conséquence des décisions de Nicolas Sarkozy et de son inspirateurofficielBernard-HenriLévy?N’est-ilpasdifficilepoureuxdedormiraveccelasurlaconscience?Telle est la limite du droit ou du devoir d’ingérence, qui ne devrait s’appliquer que dans dessituations exceptionnelles, dès lors que le bénéfice de l’intervention en termes de vies sauvées estabsolumentincontestable.

L’utilitarismeetleconséquentialismecomportentdonctroisdéfautsmajeurs:ilsexigentdelapartdeceuxquis’enréclamentunecompétenced’analysehorsducommun,ilspeuvententraînerdesparissurl’inconnu,etilsnenousapprennentpastoujourscequ’estunebonneconséquence.

B.Déontologismeetabolitionnisme

Lesabolitionnistessontpourleurpartdesdéontologistes.Ledéontologisteconsidèrequenousavons des devoirs moraux qu’il faut respecter en toutes circonstances. Il convient donc de nes’intéresser qu’à l’action elle-même, sans se préoccuper du résultat. Il s’agit là de l’impératifcatégoriquekantien.Onposedesprincipesetons’ytient,quellesquesoientlescirconstances.Quelssontcesdevoirsmoraux?Kantl’explique:«Agisuniquementd’aprèslamaximequifaitquetupeuxaussivouloirquecettemaximedevienneuneloiuniverselle.»Ouencore:«Agisdefaçontellequetu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans toute autre, toujours en même tempscommefin,etjamaissimplementcommemoyen.»Puis-jementiroufaireunefaussepromessepourme sortir d’une situation gênante ?Non, car je ne souhaite pas que lemensonge devienne une loiuniverselle. L’exigence kantienne a été maintes fois critiquée : n’est-elle pas illusoire, voireintégriste?Ledroitdementir(oupas)adonnélieuàunepolémiqueentreKantetBenjaminConstant,ce dernier rétorquant qu’on ne peut imaginer une société composée d’hommes qui disent tout letempslavéritécarlacohabitationdeviendraitimpossiblesil’onavouaittoujoursàsoninterlocuteurce qu’on pense de lui. La politesse, d’après lui, exige de ne pas froisser les gens. L’objection deConstant trouve tout son poids dans ce problème de casuistique bien connu des étudiants enphilosophie:vouscachezchezvousunhommerecherchépardesassassins–imaginonsparexempleun résistant qui fuit les nazis.Ces nazis frappent à votre porte et vous demandent si vous avez vupassercerésistant.Quefaire?Mentirpoursauverlavieàceluiquevoushébergez?Ouresterfidèleau principe de vérité, et donc condamner cet homme ? La réponse ici est évidente et démontre lacomplexitédelapositionkantienne.Autreproblème:sijeveuxagirenfonctiondemesobligationsmorales,commentdéterminercesdernières?Commentsavoiraveccertitudecequiestbienetcequiestmal?

Touteslesquestionsnesontheureusementpasaussidélicatesquecelledumensonge.Encequiconcerne les animaux, les déontologistes sont abolitionnistes car ils considèrent qu’il n’y a aucun

contexteparticulierquijustifiedetuerunêtrevivantpours’ennourrirouluivolersapeau.Ilestmal,entoutescirconstances,d’ôterlavieàunanimalalorsquecelan’estpasnécessaire.

Cette catégorisation morale binaire entre utilitaristes et déontologistes est primordiale pourcomprendrelesmotivationsdenosjugementsmaiscréeparfoisdesbarrièresartificiellesentredesmilitantspourlerespectdelavieanimale,dontlepositionnementestsouventcomplexe.Ledébatestd’autant plus compliqué que l’on n’est jamais vraiment tout l’un ou tout l’autre : il est à peu prèsimpossibled’êtredéontologisteà100%,toutcommeunconséquentialistelaisseraparfoiss’exprimersesréflexesmorauxavantd’avoircalculélerésultatdesadécision.Ontendchacunmajoritairementversl’unedesdeuxlogiquesmaislessituationsobligenttoujoursàallerpuiserdansl’autre.

LesociologueallemandMaxWeberaformulél’oppo-sitiondéontologisme/conséquentialismeendistinguantd’uncôtél’éthiquedeconvictionetdel’autrel’éthiquederesponsabilité.Weberavaitd’ailleursclairementprislesoindepréciserquel’éthiquedeconvictionnesignifiaitpasl’absencederesponsabilité et que l’éthique de responsabilité (qui était la sienne) ne signifiait pas l’absence deconviction. Mais il constatait en effet que l’une ou l’autre des positions prévaut lorsqu’un choixs’impose.

Pendant que nous y sommes, laissez-moi vous citer la troisième approche de l’éthiquenormative,quis’ajouteauxdeuxautres:l’éthiquedelavertu.Cettefois,ils’agitd’agirenfonctiondu trait de caractère qui détermine l’action. S’agit-il d’une vertu (le courage, l’honnêteté, ladouceur…)oud’unvice?Làencore,lalimiterésidedanslefaitdedéterminercequ’estunevertu.

Enfin,pourconclurecepetitcoursdephilosophiemorale, il fautpréciserqu’ilyaune règled’or qui fonde nos intuitions morales, partagée par toutes les religions et cultures, et qu’on peutappeler l’éthique de la réciprocité. Il s’agit sans doute de la plus célèbre des règles de morale,acceptéepartous,maissisouventcontournéeetoubliée:«Nefaispasàautruicequetunevoudraispasqu’ontefasse.»

Cettemaximefondatrice,quiconvoquel’empathie,pourraitàelleseulerésumerl’antispécisme.Il suffit de l’avoir en tête pour comprendre pourquoi on ne peut tuer un animal ni seulement lemaltraiter.Et,sivousêtesrésolumentspécisteetquevousneparvenezpasàvousfaireàl’idéequetout animal non humain sensible est une personne, donc un « autrui », il suffit, pour que vousn’oubliiezpascedevoirmoral,quevousletransposiezdanssaversionfermière:«Nefaispasauxtruiescequetunevoudraispasqu’ontefasse.»

Vivreetlaisservivre

NEPASFAIRESOUFFRIR

Le raisonnement de Peter Singer consiste à établir que tous les animaux ont des « intérêts »,parmilesquelsceuxd’éprouverduplaisiretdenepassouffrir.Cedernierintérêtestpourluileplusimportant.SelonSinger,ilfautréduirelasouffranceaumaximumpourtoutêtresensible.

Defait,notresociétéhumaineconsidèrel’évitementdeladouleurcommeuneprioritéabsolue.IlsuffitdeserendresurlesiteduministèredelaSantépourenavoirlaconfirmation.Onpeutylirececi:«Critèresdequalitéetd’évolutiond’unsystèmedesanté,l’évaluationetlapriseenchargedeladouleurconstituentunvéritableenjeudesantépublique.Laloirelativeauxdroitsdesmaladesetàlaqualitédusystèmedesantédu4mars2002reconnaîtlesoulagementdeladouleurcommeundroitfondamentaldetoutepersonne.Laluttecontreladouleurestégalementuneprioritédesantépubliqueinscritedans la loide santépubliquede2004.»Etdeciter toutunarsenal législatifqui comprendl’articleL.1110-5duCodedesantépublique:«[…]Toutepersonnealedroitderecevoirdessoinsvisant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise encompteettraitée.»

Chacun d’entre nous sait combien la douleur peut être insupportable. Nous faisons tout pourl’éviteroulasoulager.Unebrûlure,unecoupure,unchoc,unepiqûre,unpincement,unmaldetête,dedents,dedos,pourneparlerquedesplusbanalesdouleurs:voyezcommenoussommessensibles.Siletraitementdeladouleurestofficiellement«undroitfondamentaldetoutepersonne»etquelesanimauxquenousexploitonsont,commenousl’avonsvu,lescaractéristiquesde«personnes»,ilestlogique de leur accorder ce même droit fondamental. Certes, des textes existent qui sont censésgarantirle«bien-être»animal.Maisnousverronsunpeuplusloinqu’ilssontinefficaces.

LepointdedépartproposéparPeterSingersembledoncparticulièrementpertinent.Onappellecetteapprochelepathocentrisme:elleaffirmequel’aptitudeàressentirladouleurconfèredesdroits.PourSinger, l’intérêt ànepas souffrird’unchienest lemêmeque l’intérêt ànepas souffrird’un

humain, et l’intérêt à ne pas souffrir d’une vache est lemême que l’intérêt à ne pas souffrir d’unchien.L’espècen’arienàvoirlà-dedans.

Il s’agit donc d’établir l’égalité de considération entre les humains et les non-humains.Maisattention : cette égalité de considération n’implique pas une égalité de traitement. Il y a bienévidemmentdesdifférencesbiologiquesentrelesespèces,etlesconditionsdebien-êtredesanimauxnesontpaslesmêmespourtous.Cequiestessentielpourunhumainnel’estpasforcémentpourlesautresespèces.Unhumainabesoind’apprendreàlireetàécrire,cequin’estpaslecasd’uncochon.De la même manière, un cochon a besoin de fouiller, de s’amuser, de communiquer avec sescamarades,cequin’estpaslecasduserpent.Iln’enrestepasmoinsvraiqueleniveaudecapacitésmentalesnepeutêtreuncritèrequiautoriseàinfligerdessouffrances.Sinon,ilfaudraitappliquerlarègle aux humains, et considérer que la souffrance des déficients mentaux ne compte pas. Cettehypothèse est évidemment choquante et inacceptable. La règle difficilement contestable est lasuivante:lasouffrancerestelasouffrance,quelquesoitl’êtrequilaressent.

Enrevanche,selonPeterSinger,lesdifférencesintellectuellesentrelesespècesimpliquentqu’ily a des vies qui valent plus d’être vécues que d’autres.D’après le philosophe, la valeur de la vieaugmente proportionnellement à la capacité de faire des projets, d’être conscient de soi, de sereprésenterunpasséetunfutur,decommuniqueraveccomplexitéoud’éprouverdesémotionstellesquelebonheuroulatristesse.Seloncettevision,lavaleurdelavied’unhumain>lavaleurdevied’ungorille>lavaleurdelavied’uncochon>lavaleurdelavied’unpoisson,etc.Conséquence:d’aprèsSinger,ilestplusgravedetuerunhumainenpleinepossessiondesesmoyensquedetuerunchien ou une souris : « Nous pouvons légitimement penser qu’en raison des caractéristiques quepossèdent certains êtres leur vie a plus de valeur que celle d’autres êtres. » Selon la logique duphilosopheaustralien,l’expérimentationanimalen’estpasuninterdit:onpeutsacrifierdixsingessil’onestsûretcertaindesauvercenthommes.Ilfauttoutefoispréciser,pourêtrecomplet,quecen’estpas l’espèce en elle-même qui détermine la valeur de la vie pour Singer, mais bien les capacitésmentalesdel’individuconcerné.Lavied’unchimpanzé,d’unchienoud’unporcadulteenparfaitepossessionde sesmoyens intellectuels a doncplusdevaleur que la vie d’unhumain« au cerveauendommagé»,c’est-à-direunhandicapémental.Encela,Singeraffirmesonantispécisme,puisqu’ilne donne pas toujours sa préférence à l’espèce humaine. Attention à ne pas se méprendre surl’exemple cité : Singer n’affirme évidemment pas ici qu’il est juste de tuer un handicapé mental,comme on tue actuellement les animaux avec lesquels il fait une comparaison. Il souhaite uneactualisationdescritèresmorauxparlehaut,etnonparlebas.Ildemandequel’importanceattachéeàlaviedesanimauxnonhumainssoitaugmentée.«Nousdevonsrespecter lavied’unanimalautantquelavied’unêtrehumaindeniveaumentalcomparable»,écrit-il.

Parailleurs, lavien’estpasenelle-mêmesacréepourlephilosopheaustralien,quiconsidère,commenous l’avonsvu,que l’onpourrait tolérer l’élevageetdonc l’abattagedesanimauxsinousétionscertainsdenepasfairesouffrirlesanimauxconcernés.

LacontributiondePeterSingeràlacauseanimaleestessentielle,etsonlivreAnimalLiberationa permis de poser il y a quarante ans les bases d’une argumentation antispéciste qui a donné unnouveau sens aux mouvements de défense des animaux. Le philosophe reste une référenceincontournable, et ses avis sont toujours aussi précieux aujourd’hui. Néanmoins, deux argumentsdéveloppésparPeterSingermeposentproblème:contrairementàlui,jenepensepasqu’ilyadesviesquivalentplusqued’autres,etj’estimequelavieestsacrée,souscertainesconditionstoutefois.

LERESPECTDELAVIE

Toute vie doit être respectée et épargnée lorsque c’est possible, et lorsque cette vie est encapacitédeprofiterd’elle-même.Telleestselonmoilarèglemoraleintangiblequidoitguidernosgestes.Plusieurscheminsqui secroisentmènent à lamêmeconclusion : l’approche spirituelledessagessesasiatiques,laphilosophieetledroit.

L’approche spirituelle est celle de la non-violence développée par le jaïnisme et prônée parTolstoï,GandhietSchweitzer.

C’estterrible.Pasjustelasouffranceetlamortdesanimaux,maislefaitque[enlestuant]l’hommeréprimeenlui-même,sanslamoindrenécessité,saplushautecapacitéspirituelle,quiestcelledelasympathieetdelapitiéàl’égarddescréaturesvivantescommelui,etenviolantainsisespropressentimentsildevientcruel.Alorsquelecommandementdenepasprendrelavieestancréprofondémentdanslecœurdel’homme.

LéonTolstoï,LePremierPas(1892)

Pour l’homme véritablementmoral, toute vie est sacrée,même celle qui du point de vuehumainsembleinférieure.Iln’établiradedistinctionquesouslacontraintedelanécessité,notamment lorsqu’il lui faudra choisir, entre deux vies, laquelle préserver, laquellesacrifier.[…]Attachécommejelesuisdepuismajeunesseàlacausedelaprotectiondesanimaux,j’éprouvecommeunejoieparticulièrequel’éthiqueuniverselledurespectdelavie montre dans la pitié envers les créatures, si souvent raillée comme une attitudesentimentale,uneobligationréelle,àlaquellel’hommepensantnepeutsesoustraire.

AlbertSchweitzer,Mavieetmapensée(1960)

Les hommes capables d’un total désintérêt et de pitié pour la plus humble des créaturesvivantes nous permettent de comprendre le pouvoir deDieu, et sont comme le levain de

l’humanité, éclairant le chemin qui la mène vers son but. Nous n’avons pas le droit dedétruirelaviequenousnepouvonspascréer.

Gandhi,LaJeuneInde(1927)

Le bouddhisme, l’hindouisme et le jaïnisme ont développé le concept d’ahimsa, si cher àGandhi, à savoir le refus de toute violence et le respect de la vie sous toutes ses formes. Il fautentendrececonceptausenslarge.Ilneselimitepasàl’interdictiondeblesseroudetuer.«Lanon-violencecommenceàpartirdel’instantoùl’onaimeceuxquinoushaïssent»,écritGandhi.Lanon-violences’accompagnedel’amourdelavéritéetdel’exigencedelacompassionquidoiventguidernosrapportshumains.«Onn’estpasnonviolentsionsemoquedeconduireunhommeàsaperteenletrompantdanssesaffaires»,préciseparexempleGandhi.

Amour, compassion, vérité : ce vocable propre aux messages des religions semble nouséloignerdel’antispécismerationneldontjefaisl’élogedanslespagesprécédentes.Schweitzerrésoutcetteapparentecontradictionlorsqu’ilécritque«laconceptiondurespectdelavieestunmysticismeéthique. Elle permet de réaliser l’union avec l’univers par l’action éthique. Ce mysticisme a sonoriginedanslapenséelogique.»

Et nous voici revenus à l’éthique animale et à ses deux courants, le conséquentialisme et ledéontologisme,c’est-à-dired’uncôtéceuxqui luttentpour l’améliorationdubien-êtreanimaletdel’autre ceux qui réclament la fin pure et simple de l’exploitation des animaux. Gandhi lui-mêmeétablitcelienaveclaphilosophiemorale,puisqu’ils’enprendàl’utilitarismedeBentham.Selonlesage indien, « l’adepte de l’ahimsa ne peut faire sienne la formule utilitaire selon laquelle le plusgrandbienestcequiconvientauplusgrandnombre.Quitteàsacrifiersaviepourunidéal,illutterapourquetous,sansexception,soientàmêmedeconnaîtrelebienleplusélevé.»Gandhiserefuseàaccepterunesouffranceauprétextequ’elleprofiteraitàunemajorité.Lebien-êtredechaqueindividudoit être garanti de la mêmemanière. Gandhi fustige la « formule utilitaire » et donc la moraleprônéeparPeterSinger.Etjepartagesonopinionsurlefaitquel’approchedePetern’estpastout-à-faitsatisfaisante.

Toutd’abord,lalistedes«intérêtsàvivre»àpartirdelaquelleSingersouhaiteétablirlavaleurrelativedelaviem’apparaîttrèssubjective.Surquelsélémentsirréfutablespeut-onl’établir?Certes,oncomprendaisémentqu’uneconscienceaccrueetdescapacitéscognitivesélevéesoffrentàceluiquilespossèdeunpotentield’émotionsetderéalisationsplusimportant.Encorefaut-ilêtrecapablededéterminer leniveauréeldecetteconscienceetdecescapacitéscognitiveschezlesespècesnonhumaines.Or,notre jugementestforcémentanthropocentriquepuisque,pourquestionner lesautresespèces animales, nous nous appuyons sur des critères d’intelligence et de sensibilité qui sontuniquementhumains.Etce,alorsmêmequenousignoronsencorebeaucoupdescapacitéspsychiqueset sensorielles propres aux autres animaux. Ce n’est pas parce qu’une espèce ne sait pas compterjusqu’à100qu’ellen’apasdefacultésmentalestoutaussiintéressantesquelesnôtres.Cesdernières

peuvent en effet prendre une autre forme.Les chauves-souris, qui se déplacent avec une précisionparfaite à l’aide de l’écholocalisation, ou les oiseaux migrateurs, qui parcourent des milliers dekilomètres avant de revenir à leur point de départ, en utilisant notamment le champ magnétiqueterrestre,mobilisentdescompétencesdontnoussommesdépourvus.Cescapacitésvalent-ellesmoinsque lesnôtres? Ilm’apparaîtdifficilede soutenirune tellechose sansêtre spéciste.C’estpourtantbienlapositionquedéfendSingerlorsqu’ilécritque«celaneveutpasdire,pourquenotrepositionnesoitpasspéciste,quenousdevonsconsidérerqu’ilestaussigravedetuerunchienquedetuerunêtrehumainenpleinepossessiondesesfacultés.»Enclair,selonSinger,lavied’unchienvautmoinsquelavied’unhumain«enpleinepossessiondesesfacultés.»

La gêne de Singer à ce sujet est perceptible. Pour établir des cas où la vie d’un humaincompterait moins que celle d’un animal d’une autre espèce, il considère toujours des facultéshumainesincomplètes(unenfant,unhandicapémental)etprendencomparaisonlesanimauxlesplusévoluésintellectuellementd’aprèsnoscritères(chimpanzés,porcs,chiens…).Maisiln’écritpasquelavied’unesourisoud’unpigeonpeutvaloirplusquecelled’unhumain,mêmediminué.Parceque,danslefond,cesanimauxsonttrop«bêtes»pourlui.Autreproblème:commentestimerlemomentoùlesintérêtsd’undéficientmentaldeviennentinférieursàceuxd’unchienoud’unchimpanzé?Àpart les cas extrêmes où l’humain concerné se retrouve complètement paralysé dans un fauteuil,incapabledecommuniquer,lecerveauabîmé,etoùl’onpeutconstatersansproblèmequ’unchienouun chimpanzé en liberté profite plus de sa vie, il me semble compliqué de trouver les seuils quipermettraient de déterminer qu’une existence humaineméritemoins d’être vécueque telle ou telleexistence non humaine. Par ailleurs, adopter un tel point de vue en étant antispéciste amènelogiquementàsedonnerledroitdeconsidérerqu’ilyauraitaussidesvieshumainesquivalentplusque d’autres vies humaines d’être vécues.On perçoit immédiatement le danger d’une telle théorieexploitéepardesespritsfascisants–cequen’estpasuneseulesecondeSinger,soyonsextrêmementclairs là-dessus.Pasun instant ne transparaît chez lui lamoindre intention ambiguë, contrairementauxprocèsquiluiontdéjàétéfaits.Enrevanche,ilfautadmettrequ’ilyadansl’approchedeSingerquelque chosequi cloche : si l’on estimeque chaquevie humainevaut autant qu’une autre (ce quidevraitêtrelanorme),etquel’onestantispéciste,alorsondoitestimerquechaquevieanimalevautautantqu’uneautre,puisquel’espècenepeutêtrepriseencomptepourjustifierunediscrimination.

En essayant de faire progresser la réflexion sur la considération des animaux, tout en tenantcomptedesdifférencesréellesquiexistententrelesdifférentesformesanimales,PeterSingersemblehésiter à s’affranchirdesapriori culturelsoccidentaux sur lahiérarchiedesespèces.Dece fait, ilproposeunsystèmeimparfait(celuides«intérêts»),puisqueperméableauspécisme.

Aulieudemettreenavantuneséried’intérêtsmultiplesetpeuobjectifssurlesquelsdéterminerlavaleurd’unevie,ilestpréférableselonmoid’évoquerunintérêtunique,quiestl’intérêtàvivre,lequel n’a pas de limites quantifiables puisqu’il est absolu et égal pour tous. Il est cette force quipousseàexistercoûtequecoûte,etquianimechaqueêtrevivant.Pourlesplantes,nonconscientes,peut-êtreest-ilplusjusted’évoquerunbesoindevivreetnonunintérêt.Maischaqueêtreconscient,

hormisdescaspathologiquesparticuliers,aspireàperfectionnersonêtreoutoutaumoinsàlemenerleplusloinpossible.C’estle«vouloir-vivre»deSchopenhauer.Ôterlavieàunêtrevivantconscientengendredoncunpréjudiceincommensurable,puisquecelaleprivedecequ’iladeplusprécieux.

Il y a bien sûr une exception à cette règle : c’est lorsque la vie perdure, mais qu’elle estdéfinitivement empêchée de s’épanouir et de profiter d’elle-même, ce qui engendre soit unesouffrance,soituneinutilité.Unmaladeenfindevieouunaccidentéparaplégiqueprivédetoutessesfacultés d’expression et de communication, incapable de profiter du moindre moment, devraientavoirledroitdechoisirdeneplusvivre.Etnous,ledevoir,parhumanité,delesyaider.Encoreunsujetsur lequel laFranceaquelquesannéesde retard.Pasdeméprisenonplusencequiconcernel’avortement:iln’yapasdedroitànaître.Pendantlespremiersmoisdelagrossesse,l’enfantn’estqu’unêtreenpuissance,unembryonpuisunfœtussansconsciencenisystèmenerveux.Lerespectdelavieconcernecellequiest là,pascellequipourrait être.C’estpourquoi l’avortement, comme lacontraception, sont non seulement des droits essentiels, mais encore des moyens de respecterprofondémentlavieenluiévitantd’apparaîtredansdesconditionsquiluiseraientdéfavorables.

S’abstenir de faire souffrir les animauxne suffit doncpas. Il faut également s’abstenir de lestuer. S’il est admis qu’unemême souffrance vaut pour un humain et un non-humain, alors il fautégalement accepterqu’aucune espècenedisposed’undroit à exister supérieur à celui d’une autre.Quecesoitpourunhomme,unevache,unchien,unlapinouunpoisson,l’existenceaexactementlemêmeprixpuisqu’elleestuniqueetpermetàchaqueindividu–humainounon–deseréaliser.Lavied’unevacheestaussiprécieusepourellequenotrevied’humainl’estpournous.Parailleurs,chaqueêtrevivantconscientaccordeàsaproprevieetàsapropreespèceuneimportanceprioritaire.Toutchien,toutcochon,toutepoule,estimesavieplusprécieusequecelleden’importequelhumain(laseule différence réside dans le fait que ces animaux n’expriment pas ce point de vue de lamêmemanièrequenous:chezeux,cetteprioritéaccordéeàleurêtreestplusinconscienteetdel’ordreduréflexedesurvie;ellenedécoulepasd’unsentimentdesupériorité,maisdepriorité).

Parconséquent,lefaitqu’unbovinpassesesjournéesàbrouteraulieudesurfersurInternetetallerboiredescoupsavecsespotes,nerendpassamortmoinsproblématiquequecelled’unHomosapiens.Impossibledoncdepostulerqu’uneexistencevautplusqu’uneautre.

Afin de hiérarchiser les différentes expressions de la vie, une autre possibilité consiste àcomparerlacontributiondesdifférentesespècesàlacommunautéqu’ellespartagent,c’est-à-direlevivant terrien.Quelcritèreprendreencompte?Danslaperspectiveathéed’uneviequin’ad’autresens ni d’autre but que le développement d’elle-même, on ne peut que mesurer le rôle que jouechaqueespècedanslapréservationdelaviedanssaglobalité,c’est-à-diredanslesécosystèmes.Sil’onprendcetteéchelled’évaluation, lesabeilles,quisontresponsablesde80%delapollinisationdesespècesdeplantesàfleur,occupentl’unedespremièresplacesduclassement.Lesversdeterreégalement,quiparticipentactivementà lasantédessols.Si l’uneou l’autredecesespècesvenaitàdisparaître, la vie telle qu’on la connaît aujourd’hui en serait profondément affectée.En revanche,selon le même critère, l’espèce humaine arrive bonne dernière de ce classement puisque non

seulementellepeutdisparaîtredemainsansquecelaaffectenégativementlecyclevitaldelaplanète,maisenpluselleestl’espècequidétruit leplusdevie.Elleestl’animalleplusnuisiblequisoit.Sil’onestimelavaleurd’uneespèceàsacontributionpositiveaucycleduvivant,l’hommedoitdoncêtreéradiqué.Cequejeneprônepas,évidemment.

Resteunedernièrepossibilitépournouspermettred’affirmerquelaviehumainevautplusquelesautres.IlfaudraitpouvoirdémontrerquelaviesurTerrenevitpaspourelle-même,maisqu’ellerépond à un but précis, qu’elle est enmission au service de ce but, et que lamission de l’espècehumaineestsupérieureàcelledesautresespèces.Alorsseulementdanscecas l’éventualitéque leshumainsvalentplusquelesautresanimauxpeutcommenceràsediscuter.Toutefoiscetteperceptionposeunproblème:elleestcréationniste.Ellepostulequ’unêtretranscendantaorganisélanaissancedumonde, qu’il lui a assigné une finalité et qu’il a distribué des fonctions différentes à toutes lesespèces. Cette hypothèse est la seule qui permette à l’homme de justifier sa furie destructrice : ilutiliseraittoutcequiestsoussamainpourréalisersondestinmagique.Lequel?Mystère.Biensûr,tout cela n’est que pure spéculation et ne tient pas la route une seconde. La connaissance et lesavancées techniques nous éloignent toujours un peu plus du Dieu de la Bible.Mais on comprendpourquoileseul«vouloir-vivre»atantdemalàêtretolérécommeuncritèredeconsidérationdansunesociétéproductivistehumainequigénèredu«vouloir-tuer»àn’enplusfinir.Puisqu’ilachoisideprendreenotagelevivant,leseulsalutmoralquiresteàl’Homosapiensestdeseprétendrechargéd’unemissionqui ledépasse.Tous lesspécistes,mêmesans lesavoir,croientenunDieuqui lesadotésdepouvoirsparticuliers.Ilssontdesthéistesquis’ignorent.Onpeutdoncenconclureque,sitouslesantispécistesnesontpasathées,enrevancheseulslesantispécisteslesontvraiment.

Si l’on s’en tient, pour expliquer la vie sur Terre, à la théorie du hasard, qui est la plusrationnelle, la vie humaine n’a pas plus de sens que celle d’un lapin ou d’une grenouille. Notrecapacité de réfléchir et d’inventer n’y change rien. Chaque être qui paraît sur la planète a doncexactementlemêmedroitdeprofiterdesonpassage,dudébutàlafin.

L’astrophysicienStephenHawkingpensequenousnesommespasseulsdansl’univers.Etcettecroyance est simple à comprendre.LaTerre fait partie des huit planètes du système solaire. Il y a200 milliards d’étoiles comme le soleil dans notre galaxie. Et il existe plus de 100 milliards degalaxies(200?300?onnesaitpasdirelenombreexact).PourquoilaTerre,quin’estriendeplusqu’uneminusculepoussièredanslecosmos,serait-elleleseulendroitoùlavieestapparue?Lebonsens nous oblige à considérer que les extraterrestres existent. Pourquoi vous parler de cela ici,maintenant ? Souvenez-vous, j’ai ouvert ce livre par une promenade dans l’espace. Et nous yrevenons.Carl’éthiqueanimalepuiseégalementsonargumentationdansl’immensitéinfinieoùnousnaviguons.

Quelle forme peuvent avoir pris les autres incarnations de la vie dans l’univers ? Il estimpossible de le dire car notre imagination est limitée par notre propre champ d’expérience. Or,comment imaginer ce qui tient de facultés ou de techniques que nous n’avons même pas encoreapprochées en rêve ? Il est tout à fait possible que des intelligences se soient développées depuis

beaucouppluslongtempsquelanôtreetqu’ellesaientdesmilliardsd’annéesd’avancesurnous.Sidetellescréaturesnousrencontrentdemain,peut-êtrenereprésenterons-nousriendeplusàleursyeuxquedeminuscules fourmis.Peut-être apparaîtrons-nous tellement sous-évolués quenotre existenceleursembleranégligeable.SicesalienssurdouésdébarquentsurlaTerredemainetqu’ilsdécidentdenousextermineroudenousbouffer,enjustifiantcesmassacresparleursupérioritéintellectuelle,n’yverrions-nouspasunlégerproblème?Netrouverions-nouspasinsoutenablequenosprochessoientréduitsenesclavageetmassacrés?Cesaliensauraientsansdouteleursraisons:besoind’exploiternotre terre,besoinpeut-êtredesenourrir (j’imaginequenoussommesaussi savoureux, rôtis,quedescochons)oubesoindes’amuser(peut-êtrenousmettront-ilsdansdescagesdevantlesquellesilsferontdéfilerleursenfants,carnousseronsàn’enpasdouterdesobjetsdecuriositépoureux).

Cetteprojectiondansunfuturquinenousseraitpasfavorableestessentiellepourcomprendrepourquoinousnepouvonsfairesubiràd’autrescequenousnesouhaitonspasquel’onnousfassesubir.Le faitquecetteexpériencedepensées’appuiesurunehypothèsenonvérifiéepour l’instant(l’existence d’une forme de vie supérieure) ne permet pas d’invalider la pertinence morale de ladémonstrationetdesprincipesàentirer.Sinousexploitonsettuonslesmembresd’uneautreespècequinenousmenacepas,commenouslefaisonsaveclescochons,lespouletsoulesveaux,c’estaussiparunexcèsdeprétention.Noussommespersuadésquenousappartenonsàuneespècequinesubirajamaisuntelsort.Cettecertitudeestuneillusion.D’unpointdevuethéorique,despetitsbonhommesvertspassympasdutoutpourraientdébarquerdemainsurTerre.Maisuneespècemenaçantepourraitaussinaîtresurnotreplanète,ànoscôtés,parlejeudel’évolution,deschangementsclimatiquesoud’autresphénomènesquibouleverseraientleséquilibres.

RÉDUIRESONEMPREINTENÉGATIVE

Le respect de la vie et le refus d’éliminer la moindre existence sur Terre se heurtent à unedifficultédetaille:levivantsenourritduvivant.Notreprésencesurcetteplanètegénèreforcémentson lot quotidien de destructions. En marchant, en respirant, en conduisant, en construisant desmaisons et des immeubles, en cultivant la terre, en nous nourrissant, nous tuons au moins deminuscules animaux et nous supprimons de la vie végétale. Le seulmoyen de ne détruire aucuneparcelledevieseraitdenepasexister,cequiesttoutdemêmegênantpourquiveutprofiterdelavie.

Comment résoudre cedilemme?Tout simplement en réduisant aumaximumnotre empreintenégativesurlavie.Cequicorrespondpourlesenvironnementalistesaufaitderéduireaumaximumleurempreinteécologique.Toutcommeceluiqui se souciede la santéde laplanètevaessayerdetrouver les solutions lesmoins polluantes pour ses déplacements et va choisir les options les plussobres pour sa consommation, l’antispéciste abolitionniste doit logiquement tenter de limiter aumaximum le mal qu’il cause au vivant sensible : il doit être à l’origine du plus petit degré desouffrancepossible.

Ilconvientd’aborddenepasutiliserdeproduitsissusdel’exploitationanimale:pasdeviande,pasdelaitnid’œufs,pasdecuirnidefourrure.Poursenourrirets’habiller,utiliseruniquementlesvégétauxqui,selontoutevraisemblance,nesouffrentpas.Certes,lesplantessontégalementmuesparle « vouloir-vivre » et la « volonté de puissance » qui les encouragent à s’étendre, parfois audétrimentdesautres.Parailleurs,lesvégétauxontleur«intelligence».Ilssontcapablesderessentiruneagressionetd’yréagir.EnAfriqueduSud,ons’estrenducomptequelesacaciasétablissaientdesstratégies de communication et de défense : ils sont généralement broutés par les koudous (desantilopes),maisau-delàd’uncertainniveaudeconsommation, commepourpréserver l’espèce,unbosquetquiestdévoréenvoiedessignauxgazeuxauxarbresvoisins,quisécrètentalorsdestoxineslesquelles empoisonnent les animaux qui souhaitent s’en nourrir.Cette stratégie est remarquable àplusieurs titres car elle n’est pas que de l’autodéfense, dans la mesure où l’acacia se « laisse »habituellementmangerparlesherbivoressansêtredangereux.Maisl’acaciasertdenourritureàdenombreux animaux : s’il venait à manquer, l’écosystème en serait perturbé. En devenant soudain«immangeable»,elleobligesesprédateursàsedéplaceretàallerchercherleurnourritureailleurs.Incroyablegestiondubien-être collectif.Autre exemple : lemimosapudica est une plante sensibledontlesfeuillesserétractentdèsqu’onlesfrôledelamain,commeunejeunefilletimide.Encoreunmoyen de se défendre contre les agressions. Les plantes, on le sait, ont également une forme demémoire.Mais, pour les plantes, les termes « intelligence » ou «mémoire » n’expriment pas lesmêmesréalitésquecellesqu’ellesdésignentpourlesanimaux.Cesontdesutilisationsmétaphoriquescarlesvégétauxn’ontnicerveaunineurones.Ellesmettentainsienmémoirelesréactionsàadopter,maisnesesouviennentpasavoirétéagressées.Onn’adoncaucunepreuvequelesplantes,quisontdénuées de système nerveux identifiable, ont une conscience et ressentent la douleur. Tout nouspoussemêmeà soutenir lecontraire,bienqu’onnepuisse totalementécarter l’hypothèsequenousdécouvrions un jour chez elles un système nerveux inédit.Mais,même dans ce cas, il semble peuprobable que le ressenti d’un végétal puisse être à hauteur de celui d’un animal, même le moinsévolué. C’est pourquoi l’argument parfois entendu selon lequel les végétariens oublient que leslégumesetlescéréalessouffrentrelèvedelapluspuremauvaisefoi.J’ajoutequelecasdecertainsanimaux,prochesduvégétal,questionne:lamouleetl’huîtresemblentn’avoirniespritnicapacitéd’éprouverladouleur,etdanscecasellessontcomestibles.

Nejamaistueraucunêtreconscient:jusqu’oùpeut-onetdoit-onrespectercetterègle?Lalimiteestcelledelapréservationdenotreproprevie.Tantquecelle-cin’estpasmenacée,il

n’yaaucuneraisonvalabledetuer.Mais,sijemefaisagresserparunanimalhumainounonhumaindontl’intentionestclairementdemesupprimer,jemedéfends.Mêmedansuntelcas,toutefois,ilfautéviterdetuerl’agresseuretplutôtleneutralisersansluiôterlavie.Endehorsdececasextrêmeetpeu usuel d’une agression violente, de nombreuses situations quotidiennes nous mettent dans lapositiond’unassassinpotentiel.Quefaireavecdessourischezsoi?Desinsectesquipiquent?Desmitesquirongentleshabits?Ilfautévaluerchaquecasenfonctiondudegrédegênequ’iloccasionneetdesmoyensànotredispositionpoury répondre.Laplupartdu temps ilexisteunepossibilitéde

réglerleproblèmesansviolence.Lespiègesquifracassentlecoudessourissontcruelsetinutiles.Lessourisontledroitdevivreleurviederongeuret,sivousnesouhaitezpaspartagervotreespaceavecelles,cequipeutsecomprendre,ilsuffitdelesdéplaceràl’extérieurdevotrelogement.Ilenvademêmepourlesinsectesqu’ilestpossibledecapturerpourlesrelâcherdanslanature.Lepapiertue-mouches est répugnant : il suffit d’ouvrir une fenêtre et d’installer des répulsifs naturels pouréloigner les gêneuses. Les mites quant à elles détestent les feuilles de laurier ou la lavande.Évidemment,ilexistedescasoùuneinvasionmassivedecertainsinsectesnécessiteleurélimination.Les punaises de lit par exemple, qui agressent sansménagement, ne peuvent avoir droit qu’à unecompassionmesurée : il fautbien s’endébarrasseretdonc leséliminer.Lecasdesmoustiquesestintéressant.Lesécraseroupas?AlbertSchweitzerrefusaitdetuerlesmoustiquesenEurope,maiss’yautorisait lorsqu’il résidait enAfrique, car là-bas ils étaient porteurs de lamalaria. En ce quimeconcerne,jen’aipaslasagessed’Albertetjenedemandepasaumoustiquedememontrersonbilandesantéavantdel’écraser,danslecasoùcelui-civientdemevolermonsangsansmonautorisationet qu’il s’apprête à recommencer. Enmême temps, l’honnêtetém’oblige à reconnaître que,mêmedanscettecirconstanceoùjemecontentederépliqueràuneurticanteagression,jenesuispasàl’aise.Carlemoustiquenechoisitpas:ilabesoindecesangpourvivre,lanaturel’afaitainsi.Jenepeuxdoncpasluireprocherunseulinstantderépondreàson«vouloir-vivre»quil’obligeàs’alimenterdelasorte.EtSchweitzeraraison,surlefond,deselaisserpiquersicelanecomporteaucunrisque.En revanche, évidemment, l’éthique ne peut condamner l’élimination des insectes porteurs demaladiesetmenaçantspourlasantédeshommesetdesfemmes.

Réduireaumaximumsonempreintenégativesurlavie,telleestselonmoilaplushumanistedesphilosophies.Gandhineproposaitpasautrechose:

L’homme ne peut pas vivre un seul instant sans commettre, consciemment ou non, deviolence physique. Le fait de vivre, de manger, de boire et de remuer entraînenécessairement la destruction de certaines formes de vie, si réduites soient-elles. Il n’endemeure pas moins que le non-violent reste fidèle à ses principes si tous ses actes sontdictéspar lacompassion,s’ilprotègedesonmieux toutcequivit, s’ilépargnemême lescréatureslesplusinsignifiantesetsi,decettemanière,ilselibèredel’engrenagefataldela violence. Son abnégation et sa compassion ne cesseront de croître, mais il ne pourrajamaisêtrepurdetouteviolenceextérieure.

Gandhi,Autobiographieoumesexpériencesdevérité(1927)

Abolitionniste

Lavieestcequineveutpasmourir.Lavieveutvivre.Lavie semanifesteparcetteenviedecroître, de se développer, ou simplement de continuer à être. L’idée est développée par troisphilosophesquil’exprimentavecdesnuancesdanslesconceptssuivants:

–leconatusdeSpinoza:«Aucunechosen’aensoirienquilapuissedétruire,rienquisupprimeson existence ; au contraire, elle est opposée à tout ce qui peut détruire son existence et, parconséquent,elles’efforce,autantqu’ilestenelle,depersévérerdanssonêtre.C.Q.F.D.»

– levouloir-vivre de Schopenhauer : « Tout aspire et s’efforce à l’existence, et si possible àl’existenceorganique,c’est-à-direlavie,et,unefoiséclose,àsonplusgrandessorpossible.Onvoitbienclairementdanslanatureanimalequelevouloir-vivreestletraitfondamentaldesonexistence,sonuniquepropriétéimmuableetinconditionnelle.»

– lavolonté depuissance deNietzsche : «Où j’ai trouvé de la vie, j’ai trouvé la volonté dedomineret,jusquedanslavolontéduserviteur,j’aitrouvélavolontéd’êtrelemaître.»

Gandhitraduiralamêmeidéeencestermes:«Lavieestuneaspiration.Samissionestdetendreverslaperfection,quiestlaréalisationdesoi.»

Chaqueanimalquivoitlejoursurcetteplanèteveutvivresavied’animal,quecelle-cinedurequequelquesheures, commecelled’unéphémère,ouqu’elle s’allongependantplusdedeuxcentsans,commecelledecertainestortues.Laquestionquiseposeànousestalorslasuivante:pourquoinousautoriseràélimineruneviequisouhaitetoutautants’épanouirquelanôtre?

Nous avons admis le caractère sacré de la vie pour l’espèce humaine : le meurtre est parprincipeproscrit,ettouthumainquivientaumondebénéficiedudroitàexister.Pourquoienserait-ilautrementpourlesmembresdesautresespèces?

Nous savons que tout animal est un individu, ou une personne, c’est-à-dire un être avec sonuniversmental,sasubjectivité,sacapacitéd’éprouverdessentimentsetd’élaborerdesprojetsplusoumoins développés. Chaque animal a ses préférences, ses goûts, ses congénères aimés ou détestés.Chacund’entreeuxpoursuitdesbuts(àcommencerparlarecherchedenourriture),metenplacedes

stratégies,utiliseparfoisdesoutils,prenddesdécisionsetestcapabled’apprendre.Évidemment, ledéveloppementdecetuniversmentaletdecescapacitéscognitivesn’estpasidentiquecheztouteslesespèces.Onpeutaffirmerqu’ilest limitéchez les insectes.Peu importe :chaqueêtreestmûpar lemême principe, et chaque être a donc le droit de vivre. Faut-il respecter toute vie sensible ? Laréponsenelaisseaucundoute:oui,ils’agitd’uneobligationmorale:

–puisquetouslesanimauxontlavolontédevivre,commenous,–puisqu’ilséprouventpourlaplupartd’entreeuxladouleuretlasouffrance,commenous,– puisqu’il n’y aucune différence de nature, mais seulement de degré, entre les autresespècesetnous,–puisquecetteparentéserévèletoujoursplusétroiteaufildesdécouvertesscientifiques,–puisquenoussommesconvenusquelaviedetoutanimalhumainquivientaumondedoitêtreprotégée,→laraisonnousoblige:nousn’avonspasledroitdetueroudefairesouffrirlesanimauxnonhumains,àmoinsd’yêtreabsolumentobligés.Lesommes-nous?

NOUSN’AVONSPASBESOINPOURVIVREDEMANGERDESANIMAUX

Le végétarisme et le végétalisme ont démontré depuis des millénaires que ces régimesalimentaires sont parfaitement adaptés à notre constitution.Les nutritionnistes sérieux, ceux qui nesont pas soumis aux lobbies, admettent la pertinence de l’alimentation sans produits animaux. Lesétudes prouventmême que les végétariens vivent plus longtemps que les carnivores car la viandefavorisediversespathologiescommelesmaladiescardiovasculairesoucertainscancers.L’élevageindustriel, qui constitue l’écrasantemajorité de la fourniture de viande, augmente tous ces risquescomptetenudesconditionssanitairesdéplorablesayantcoursdanscesystème.Ilnefautpasoublierquedenombreusespandémies,cesdernièresannées,sontnéesdanscesélevagesenraisondumodedeproductiona-naturel.

Uncourant émergeaujourd’huiqui réclame la findes élevages industriels et la réhabilitationdeséleveursbios.Troisavantagessontmisenavant:lapréservationdel’environnement,laqualitéde la viande, et l’améliorationdubien-être animal.Ledernier pointmérite que l’on s’y arrête.Lebien-êtreanimaldanslesélevagesestunmirage.Pourdeuxraisons.D’unepart,onaurabeautournerlaquestiondanstouslessens,l’élevageauratoujourslamêmefinalité:produireunemarchandiseetfaireunprofit.Ceprofitseferatoujoursaudétrimentdel’animal.D’autrepart,lebienêtreimpliquel’êtrebien,c’est-à-direlefaitqu’unêtrepuisseêtretelqu’ilestcenséêtre.Lebien-êtreoubienêtredetoutanimalimpliquedoncqu’ilsoitlaissédansdesconditionsnaturelles:enliberté,entroupeau

ou en groupe, avec l’organisation sociale qui en découle, en compagnie de la progéniture dontl’éducationestpriseenchargeparlesparentsetnonparunéleveur.

Il faut également avoir à l’esprit que le développement des petits élevages au détriment desélevages industriels induirait une baisse drastique de la consommation de viande, puisque cesélevages familiauxne sauraient à eux seuls fournir 10milliardsd’habitants enviandequotidienne.Quel système en découlerait ? La viande deviendrait forcément un produit de luxe, dont le prixaugmenterait,etquiseraitréservéàuneélite.Promouvoirlesélevagesbiosrevientàmiliterpourunearistocratiedelanourriture.D’uncôté,lespauvresquin’aurontplusdroitàlaviandeet,del’autre,lesrichesquis’offrirontleursteakcommeilss’offrentunethalasso.Celaposeunproblèmemoralnon négligeable : est-il acceptable de militer pour l’instauration d’une économie alimentaire àplusieursvitesses?Lavéritéestquel’élevageindustrielestlaseulemanièredefournirdelaviandeàtout le monde. Il est en cela le plus démocratique. Donc, si l’on considère que la viande est unenécessité,ilfautcontinuerlesélevagesindustriels.S’ilestenrevancheadmisquelavianden’estpasuneobligation alimentaire, alors, par souci d’équité, il faut complètement en arrêter la productionplutôtquedelaréserveràuneélitesociale.

Nous en arrivons au point essentiel : pourquoi continuer à manger de la viande si chacuns’accordeàdire (même les éleveursbios et leurs soutiens)que l’onpeut s’enpasser ?Mangerunboutd’animaln’estpasunacteanodin.Mêmesitoutestfaitpourqueleconsommateurl’oublie,ilyaderrière une tranche de charcuterie une somme de douleurs et une vie arrachée. Comment lejustifier?Àcemomentdelaréflexion,seulsdeuxargumentssontavancéspar lespro-viandes: leplaisirgustatifetlatradition.

Balayonsd’emblée lerecoursà la« tradition»,quinesauraitêtreune justificationrecevable.L’esclavageaétéunetraditionpendantdesmillénaires.L’excisionestunetradition.Lalapidationestunetradition.Lemariageforcéestunetradition.Ilexistesansdoutedebonnestraditionsàconservercar elles sont porteuses d’histoire et rassembleuses. Mais une pratique barbare ne peut êtresauvegardéepourlaseuleraisonqu’elleestunecoutumeancienne.L’ineptieduprétexteesttellementévidentequ’ilestinutiledes’attarderdavantage.

Resteledernierrecoursdesogres:Laviande,j’aimeça.Làencore,l’argument,d’unpointdevuemoral,netientpaslarouteunseulinstant.Uneactionnepeutsejustifierauseulmotifduplaisirque ressent celui qui la commet.Le tueur en série prend du plaisir à tuer ses victimes.Le violeurprend du plaisir à violer. Pourtant, devant un tribunal, aucun de ces criminels ne sera innocenté.Inutile d’ailleurs de se limiter à des comparaisons sanglantes et violentes. Notre quotidien nousconfronteàdemultiplessituationsquidémontrentquenotreseulejouissancepersonnellenepeutenrienservirdecautionàuncomportement.

Exemple 1. J’aime écouter lamusique à fond. La scansion des basses qui résonnent dansmapoitrinemetranscende.Lecridesguitaresquifendentl’airencrachantleursaigussaturésm’irradiedebonheur.L’autoritédelabatteriequiexplosemestympansgalvanisemessens.Etpourtant!Ai-je

le droit d’empêcher mes voisins de dormir en poussant le volume de ma chaîne au maximum à3heuresdumatin?

Exemple2.Un typevousénerve.Sa têtenevous revientpas. Ilditbeaucoupdeconneries, estarrogant,méprisant.Tiens,vousluimettriezbienvotrepoingsurlatronche.Çavousferaitplaisir.Bennon,pasledroit.

Exemple3,plussérieux.Lacigarettevousfaitunbienfou.Votreplaisirconsisteàfumerquandvousprenezvotrecafélematinàlacafétériadel’entrepriseoudevantvotreordinateur,dansl’openspace.Avez-vousledroit?Plusmaintenant.Cederniercasdefigureestparticulièrementintéressant.J’ai personnellement connu les années, avant la loi de 2007, où tous mes collègues me fumaientjoyeusementàlafigure,alorsquejesuisallergiqueàlafuméedecigarette.J’aiconnulesbureauxirrespirables.J’avaisbeauexposeravectactmagêneauxaccrosdutabac,j’avaisbeauleurexpliquerqu’il m’eût été fort désagréable d’être une victime du tabagisme passif, rien n’y faisait, j’avaisimmanquablementdroitàlamêmeréponse:Tunepeuxpasentravermaliberté!C’estmonplaisirdefumermaclopependantquejetravaille!Tuvasquandmêmepasnousforceràallerfumerdehors!Jamais ils ne s’interrogeaient surma liberté : celle de ne pas être incommodé ni malade.MichelSerresdittrèsjustementqueceluiquifumedevantunnon-fumeuratteintàlalibertédecedernierens’appropriantsonatmosphère.Lefumeurdit:«L’atmosphèreestàmoietpasauxautres.»C’estunequestiondedroitdepropriétésurunbiencommunqu’estl’airquel’onrespire.Laloiaentoutcastranché:lesfumeurssontpriésdesortiretleplaisirqu’ilséprouvaientàenchaînerlescigarettestoutentravaillantn’apassuffiàplaiderleurcause.

Riennejustifieaujourd’huiquenoustuionslemoindreanimalpournousalimenter.L’élevagepourlaviandedoitdonccesser.Ilenvademêmepourlesélevagesdeproduitslaitiersetd’œufsquioccasionnenteuxaussi lasouffranceet lamort.Pourqu’ellesproduisentdulait, lesvachessonteneffetinséminéesafindefairenaîtredesveauxquisontenvoyésàl’abattoir.Etlespoussinsmâlesnésdes poules pondeuses reproductrices sont broyés car inutiles, dans la mesure où, par définition,seules les femelles pondront plus tard. Il faut préciser que l’effet nocif du lait sur la santé estmaintenantdémontré.Logique,nousnesommespascensésboiredu laitenétantadultes,etencoremoinsceluid’uneautreespèce.Quelmammifèrecontinueàboiredulaitunefoisqu’ilestsevré?Etlequelpiqueceluid’uneautreespèce?

LejeuneGandhi,arrivéàLondrespourétudier,doittenirlapromessequ’ilafaiteàsamèredene pas manger de viande. Les premiers temps sont difficiles, et il souffre de son engagement. IldécouvrealorslePlaidoyerpourlevégétarisme,deHenryS.Salt,quilemarqueprofondémentetledécide à devenir, réellement, végétarien. «Cette fois,mon choix était fait, écrit-il. J’optai pour levégétarisme,etsapropagationdevintdèslorspourmoiunemission.»Ilsemetàliretoutcequ’iltrouvesurlesujet.Etrapidementsonargumentationseconstitue,quilesuivratoutesavie:

[…] J’entrepris de changer de régime alimentaire. Je m’aperçus que les auteurs quitraitaient du végétarisme avaient examiné très minutieusement le problème, l’attaquant

sousl’angledelareligion,delascience,delapratiqueetdelamédecine.Dupointdevuede l’éthique, ils étaient arrivés à la conclusion que la suprématie de l’homme sur lesespèces animales inférieures n’impliquait pas que l’humanité considérât ces dernièrescommedesproies,maisqueletypeleplusévoluéprotégeâtl’inférieur,etqu’ilyeûtaidemutuelleentreeuxainsiqued’hommeàhomme.Ilsavaientfaitressortiraussicettevérité,quel’hommenemangepaspoursonplaisir,maispourvivre.

Gandhi,Autobiographieoumesexpériencesdevérité(1929)

J’approuvelesgrandeslignesdecetextemaisnonlaréférenceauplaisirgustatif,inutileselonGandhi. Il me semble au contraire que manger doit être un moment de joie. Gandhi, il est vrai,considéraitégalementl’abstinencesexuellecommenécessaire,cequiestpourlemoinsincongru.Silevégétalismenécessiteunemaîtrisedesoi, iln’estpasuneascèse. Ilestaucontraireune fêtedessens,tantcettegastronomievégétaleréservedesurprisespourquis’yplongeavecattention.Mêmelelaitetlesœufspeuventêtreremplacésdanslesrecettespardesalternativesvégétales,cequineprivepas les vegans des plaisirs de la pâtisserie. Saviez-vous par exemple que pour faire des blancs enneige, vous pouvez remplacer le blanc d’œuf par… du jus de pois chiche ? Si, si ! J’ai testé lafabricationetladégustation,etlesmeringuesainsiobtenuessontdélicieuses.Ungrandpâtissieràquij’ai faitgoûter la recetten’yavuquedu feu.Lagastronomievégétalienneest enpleinessor.Elleexpérimenteetdécouvredenouvellespossibilitésconstamment.

NOUSN’AVONSPASBESOINPOURVIVREDEPORTERLAPEAUDESANIMAUX

Àquoicelasert-ildeportersursesépauleslapeaud’unvison,d’unrenardoud’unlapin?Nousne sommes ni des hommes préhistoriques ni des trappeurs, nous ne vivons pas en Alaska auXIX

esiècle,nisurlabanquise.Nousavonsmilleautresmoyensdenousvêtirqueceluiquiconsisteàvoler lachaird’unanimal.Lesmatièresnonanimales sont toutaussichaudesetconfortables.Oui,mais je trouve ça beau ! Inutile de s’étendre sur l’inanité du seul argument qu’un défenseur de lafourrure saura avancer. Argument inacceptable et par ailleurs ridicule. Combien de fois celui quiportedelafourrures’entend-ildemander:C’estdelavraie?,preuvequ’unematièresynthétiquepeutfaire illusion.Lesventesde fourrureavaientchutédans lesannéesquatre-vingtetquatre-vingt-dix,maissontrepartiesàlahausseilyaunedizained’années.

Unesociétéquiacceptequelefruitdelatorturesoitinstitutionnalisécommeaccessoiredemoden’estpasunesociétécivilisée.Lesélevagesdefourrurecommencentàêtre interditsdansplusieurspays, laGrande-Bretagne ayantmontré l’exemple.Une petite ville deCalifornie,WestHollywood(WeHopour les intimes), amêmedécidéen2013d’interdire laventede fourrure.Évidemment, lachambre de commerce locale a râlé. EnFrance, une fois encore, nous sommes en retard.Rien ne

justifie aujourd’hui que nous portions de la fourrure ou du cuir. Les élevages qui les produisentdoiventfermer.

NOUSN’AVONSPASBESOINPOURVIVREDENOUSRÉJOUIRDUSPECTACLEDELAMISEÀMORTD’UNANIMAL

Nouspouvonssupprimerlacorrida.Cettepratiqueestd’ailleursprohibéeenFrance,aunomdela loi générale qui interdit la cruauté sur les animaux. Elle est cependant autorisée dans quelquesrégions où la corrida constituerait une « tradition ininterrompue ». Et où, comme par hasard, lacruauténecompteplus.DonclacorridaseraitcruelleàDunkerque,maiscesseraitdel’êtreàNîmes.Notrelégislationn’apaspeurduridicule.Aucunargumentdesaficionadosn’estrecevable.Prétendreque le taureau ne souffre pas est une hérésie. Une pique pour lui couper lesmuscles du cou, desbanderillesarméesdeharponsplantéesdanssachair,uneépéequiletransperce,lesangcraché,unpoignard qui lui traverse le crâne :mais il ne sentirait rien ou pas grand-chose pendant ces vingtminutesdeharcèlement sadique?Parailleurs, lecombatest souventarrangédans lamesureoù letaureaupeutêtredrogué,fatiguéparunlongtransport,sescornespeuventêtresciées,sansanesthésiebiensûr,etd’autresmoyensexistentencorepourlediminuer.

La tradition, qui ne saurait justifier une quelconque violence, n’est de toute façon ici qu’unfumeuxprétexte:lacorridaactuelle(espagnoleenréalité)n’estapparueenFrancequ’en1853.ElleaétéimposéeparNapoléonIIIpourfaireplaisiràsafemme,EugéniedeMontijo,venue…d’Espagne.Cettepratiquead’ailleurslongtempsétéofficiellementinterditeenFranceavantqu’unedérogationàlaloiluidérouleletapisrougeen1951.

Lacorridanousestprésentéeparsesdéfenseurscommelamiseenscèned’uncombatéquitableentre l’hommeet labête (ouun trucdugenre, jedois avouerque jem’yperds parfois dans leursexplicationspseudo-intellossurladimensionartistiquedelachose).Commentcomprendre,s’ilyalamoindre équité, que le torero l’emporte chaque fois, sauf accident ? Et comment expliquer parailleursquelesmomentsoùuntoreroestencornéoutuéprovoquentunestupeurgénérale,tandisquelamortdutaureaus’accomplitsouslesapplaudissementsetlessourires?Pourquoiletaureaun’est-ilpas applaudi lui aussi quand il terrasse l’homme, si réellement le combat est égal ? Allez, assezrigolé, toutcelan’estqu’unevastemascarade,financéeavecdel’argentpublicalorsmêmequelesFrançaissontmajoritairementopposésàcettepratique.Démocratie,quandtunouslâches…Derrièrecettemortellepassionsecache,unefoisdeplus,unbusinessqueneveulentpas lâcherceuxquienbénéficient : les toreros (dont les salaires peuvent être très élevés), les sociétés qui organisent lescorridasetbiensûrceuxquivendentlestaureaux.

NOUSN’AVONSPASBESOINPOURVIVREDEVOIRDESANIMAUXEXÉCUTERDESNUMÉROS,NIDELESMETTREDANSDESCAGESOUDESENCLOS.

Nouspouvonsdoncfermerlescirques,lesparcsaquatiquesetleszoos.

NOUSN’AVONSPASBESOINPOURVIVREDENOUSDIVERTIRENMETTANT

ENCOMPÉTITIONLESANIMAUX

Nouspouvonssupprimerlescourseshippiques,canines,ettouslesconcoursquiimpliquentdesanimaux,ycomprislesépreuvesd’équitation.

NOUSN’AVONSPASBESOINPOURVIVREDECHASSERDESANIMAUX

Environ30millionsd’oiseauxetdemammifères sont tués chaqueannéepar les chasseurs enFrance, sans compter les millions d’autres blessés. Comme le rappelle le ministère del’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, « la chasse a un poids économique significatif de2,2milliards d’euros ».L’argent, encore et toujours.C’est sans doute pour cela que les chasseursjouissentd’unequasi-impunitémêmequand ilsbraconnent.Sanscompter leurpoidspolitiquedansdessecteursoùsontélusdesdéputésquineveulentsefâcheravecpersonne.

La chasse, comme la corrida, est un plaisir immoral. Officiellement, il y a 1,3 million dechasseursenFrance.Ilesttempsquetouscesamoureuxdelagâchettesetrouventautrechoseàfaireledimanche.Qu’ilsprennentunbouquin,qu’ils fassentdu footing,qu’ils s’occupentd’unpotager,qu’ilsregardentlatélé,qu’ilsjouentàlabelote,qu’ilstricotent,maisqu’ilscessentd’emmerderlespromeneurs,lesjoggeurs,lescyclistes,qu’ilsarrêtentdeflinguerpoursedivertir.

Ahnon,maisleschasseurstravaillentaussi,paraît-il,enrégulantlesespèces.Siréellementunteltravailestnécessaire(etjen’affirmepasqu’ill’est),ilexistedesméthodesautresqueletiraufusilquipeuventêtreefficaces.Et,surtout,cettemissiondoitêtreconfiéeàdesprofessionnelsrémunéréspar l’État, pas à des amateurs responsables d’une centaine d’accidents par an, dont plus de dixmortels.

Ce«loisir»attiredésormaisdescitadins,quiparaît-ilveulent«découvrirlanature».Lanatureestunlieudedétente,maiscelaneveutpasdirequ’ilfautappuyersurcettedernière.Leschasseursfontuneerreurd’interprétation.

Quelsdroitspourlesanimaux?

Dans le monde de l’éthique animale, les débats sont animés pour tenter de définir lesconséquences juridiquesdel’antispécisme,àsavoir lestatutprécisquenousdevrionsaccorderauxanimaux non humains : quels droits, à quels animaux ? Je ne vais pas résumer ici les différentespositionsetpropositionsquis’affrontentetsecomplètent,carilfaudraitdescentainesdepagespourcomparerlesargumentsdeGaryFrancione,dePaolaCavalieri,deDonaldson&Kymlicka,etdetousles autres.Danscette réflexionenébullition, ilm’apparaîtque ladirectionà suivreest celled’uneextensionoud’unedéclinaisondelaDéclarationuniverselledesdroitsdel’homme.

En 1948, ce texte a défini les droits fondamentaux qui devraient s’appliquer à chaque êtrehumain sur Terre. Trois articles sont directement transposables et applicables aux animaux nonhumainssensibles:

Article3Toutindividuadroitàlavie,àlalibertéetàlasûretédesapersonne.Article4Nulne sera tenu en esclavageni en servitude ; l’esclavage et la traite des esclaves sontinterditssoustoutesleursformes.Article5Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains oudégradants.

Déclarationuniverselledesdroitsdel’homme(1948)

Iln’yamêmepasunmotàchangerpuisque, je lerappelle, lesanimauxsontdes individus,etque les impératifs ici suggérés ne renvoient à aucune caractéristique réservée aux humains. Letraitement«inhumain»évoquequantàluiunecruauté,quelquesoitl’êtreauquelelles’applique.

Néanmoins,parsoucidesimplification,etafind’éviterleprocèsenanthropomorphisme,jevaisrésumer ainsi les quatre droits fondamentaux qui devraient aujourd’hui être accordés à tous lesanimauxsensibles:

1. Ledroitdevivre,doncnepasêtretué;2. Ledroitdenepasêtreemprisonné;3. Ledroitdenepasêtretorturé;4. Ledroitdenepasêtreunepropriété.

Commentjustifierl’octroidetelsdroits?C’estcequenousallonsvoirmaintenant.

LESINCOHÉRENCESDELALÉGISLATIONACTUELLE

Les antispécistes ne réclament pas tous l’instauration de droits pour les animaux. Certainsconsidèrent que l’amélioration du bien-être animal peut se passer d’un arsenal juridique. Cetteconceptionme semble anachronique car elle ignore lesmises à jour suggérées par l’éthologie, labiologie moléculaire ou les neurosciences. La continuité entre les humains et les autres espècesanimalesdépasseceque l’on imaginait ilyaencorequelquesdizainesd’années,aupointquecetteréalitébiologiquenepeutpluséchapperaudomaine juridique.Continuerànierquecertainsdroitsessentiels sontcommunsauxhommesetà tous lesautresanimauxsensibles relèveduspécisme,etdonc de la plus pure injustice. Nous le savons d’ailleurs confusément,même si nous refusons del’admettre, puisque nous avons commencé à protéger juridiquement les animaux. Mais lesmaladresseset les incohérencesquicaractérisent lesdiverses loisdeprotectionanimale,enFrancecommedanslerestedumonde,endisentlongsurlanécessitéderevoirdefondencomblelestatutdel’animalnonhumaindanslaloi.

Eneffet,nousavonsréparti lesanimauxendifférentescatégories,etnousavonsattribuéàcescatégoriesdesstatuts juridiquesdifférents :animauxdomestiques,animauxdecompagnie,animauxd’élevage,animauxsauvages,espècesprotégées,animauxnuisibles,animauxdelaboratoire…Danstoutescescatégoriessetrouventdesespècesauxcaractéristiquesphysiologiquesetpsycho-logiquesprochesousimilaires,etpourtantleursmembresnesontpasprotégésdemanièreidentique.Commenous l’avons vu, le chien et le cochon ont un degré d’intelligence et de sensibilité comparable (lecochon étant même plus intelligent). Pourtant, le premier, en tant qu’animal de compagnie, estbeaucoupmieuxprotégécontrelesmauvaistraitementsquelesecond,quinebénéficiequedustatutd’animald’élevage.Parailleurs,unemêmeespècepeutseretrouverdansdifférentescatégories:un

chien peut être animal de compagnie et animal de laboratoire. Un lapin peut être animal decompagnie,animald’élevage,animalsauvage,ouutilisépourlavivisection.Autreincohérence: lemême individupeutpasserd’unecatégorieà l’autredans savie,en fonctiondescirconstances.Unchienpeutêtred’abordunanimalderentedansunélevage.Puis,unefoisqu’ilaétéacheté,ildevientunanimaldecompagnie,maiss’ils’échappeildevientunchienerrantetpeutfinireuthanasiédansunrefuge !Exemple :M.Tintin,quiaacheté lechienMiloudansunélevage, serapunide750eurosd’amende s’il ne respecte pas ses obligations envers son animal (absence de soin, privation denourriture…).SiM.TintinabandonneMilou, l’amendepeutmonterà30000eurosetdeuxansdeprison–c’estlapeinequis’appliqueencasdesévicesgravesoud’actesdecruautéenversunanimal.Siquelqu’unblesseoutueinvolontairementMilou,ilserapunide450eurosd’amende.Enrevanche,siMilous’échappeetqueM.Tintinne le retrouvepas, il récupère lestatutdecarnivoreerrantquipeutêtrecapturéetconduitenfourrière,et laloiprévoitd’autorisersamiseàmortsipersonnenel’adopteouleréclame.L’appareillégislatifn’adoncpaspeurdesecontredire:ilaccordeunevaleurquantifiableàlavieanimalepourladénierensuite.Commentsefait-ilqu’ilsoitunjourinterditdeblesserunchienettoutàfaitlégallelendemaindedemandersoneuthanasie?Autreanomalie:lesexceptionsétabliesparlelégislateurpourautoriser,danscertainesrégions,despratiquesprohibéesailleurs, sousprétextede tradition : lacorridaet lescombatsdecoqs.De lamêmemanière, il fautreleverl’autorisationfaiteàl’abattagerituel(halaletcasher)denepasprocéderàl’étourdissementdel’animalavantsamiseàmortalorsquelaloilerendenprincipeobligatoire.

DESDROITSQUIARRANGENTLESHOMMESPLUSQU’ILSNEPROTÈGENTLESANIMAUX

Plusieurs textes français et européens définissent le cadre de la protection animale. La loifrançaisesembleproposer,enquelquesphrases,uncadreextrêmementfavorableauxanimaux:

Toutanimalétantunêtresensibledoitêtreplacéparsonpropriétairedansdesconditionscompatiblesaveclesimpératifsbiologiquesdesonespèce.

ArticleL214-1duCoderural

Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou decommettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu encaptivité,estpunidedeuxansd’emprisonnementetde30000eurosd’amende.

Article521-1duCodepénal

Les animaux élevés ou détenus pour la production d’aliments, de laine, de peau ou defourrureouàd’autresfinsagricoles,ainsiqueleséquidésdomestiqueset lesanimauxdecompagnie et ceuxqui leur sont assimilés doivent êtremaintenus enbon état de santé etd’entretienconformémentàl’annexeIduprésentarrêté.

Article1erdel’arrêtédu25octobre1982relatifàl’élevage,àlagardeetàladétentiondesanimaux

L’élevage, la garde ou la détention d’un animal, tel que défini à l’article 1er du présentarrêté, ne doit entraîner, en fonction de ses caractéristiques génotypiques ouphénotypiques,aucunesouffranceévitable,niaucuneffetnéfastesursasanté.

Article2del’arrêtédu25octobre1982relatifàl’élevage,àlagardeetàladétentiondesanimaux

Dans les faits, ces injonctionsne sontpas respectées.Etpourcause : si la loi était suivie à lalettre,touteexploitationanimalecesseraitimmédiatement.Eneffet,aucunanimald’élevagen’estmis« dans les conditions biologiques compatibles avec son espèce » et tous les animaux d’élevagesubissentdes«souffrancesévitables». Ilyaunfosséentrecesdroitsdepapieret laréalité.SelonLucille Boisseau-Sowinski, maître de conférences à l’université de Limoges, spécialiste du droitanimalier, leproblèmedenotre législation résidedans le fait que ledroit «distingue les animauxselonuneapprocheanthropocentristeetn’appréhendel’animalqu’auregarddesonlienàl’hommeetnonauregarddesonespèceoudesasensibilité».

Lucille Boisseau-Sowinski identifie trois grandes catégories juridiques qui sont chacunedéfiniesenfonctiondeleurutilitépourl’homme:

–lesanimauxdecompagnie,dontnousprofitonspournotreplaisir;–lesanimauxderente,dontnousprofitonspourfairedel’argent;– les animaux sauvages, qui n’ont aucun intérêt économique pour nous et auxquels nous

n’accordonsaucuneprotection,saufexception.LesanimauxsauvagessontprisencompteparleCodedel’environnement,quinereconnaîtpas

leursensibilitéetnelesconsidèrepasentantqu’individusmaisentantqu’espèces,quipeuventêtrenuisiblesouprotégées.Lasensibilitéd’unanimalsauvageemprisonnédansunzooouuncirqueesten revanche reconnue. Mais, si l’animal s’échappe de sa cage, sa sensibilité n’a plus d’existencelégale.Lemanquedeconsidérationpourlesanimauxenlibertén’estpasdûauhasard.Lelégislateurpermetainsiauxchasseurs,quiontunpoidsélectoralnonnégligeable,deselivreràtouteslestueriesqu’ils souhaitent sans être inquiétés, puisqu’ils ne peuvent être accusés d’actes de cruauté ou demauvaistraitements.

Tels sont donc le quiproquo et l’inconséquence sur lesquels repose le droit animalieraujourd’hui:alorsqu’ilseprésentecommeunevolontétournéeverslesanimaux,cedroitfavorise

en réalitéprincipalement les intérêtsdeshumainsà leurégard !La logiquevoudraitqueseulesoitpriseencomptelasensibilitédel’animalpourdéterminerdelaprotectionàluiaccorder,maisseuleestconsidéréel’utilitéquenousattribuonsàcetanimal.Laviedetelchienoudetelchatn’adevaleurque si nous décidons d’avoir une relation d’affection avec cet animal. Les animaux de compagniebénéficient principalement d’une protection en raison de leur utilité à nous rendre heureux. Et lesnormes de bien-être dans les élevages, définies par des textes européens, déterminent surtout leslimites en dessous desquelles les conditions de détention génèrent une souffrance telle qu’elle endevientnuisibleàlaproduction.Malgrécela,cesnormessontsouventignorées.

Leswelfaristespeuventimagineruneréformedesloisdeprotectionanimalequiétabliraitunegradation de cette protection en fonction de l’espèce, de la sensibilité, et du contexte de vie. Ilspeuventégalementenvisagerlacréationdansledroitd’unetroisièmecatégoriepourlesanimauxnonhumainsquis’ajouteraitàcelledespersonnesetdesbiens.Ilnefautcertespasécartercespistesderéflexionquiconstitueraientunepremièreétapeversuneévolutionpositive.Maiscettemodificationseraitlargementinsuffisantecarelleneremettraitpasencausel’exploitationanimaleenelle-mêmeet,surtout,ellenerésoudraitenrienlacontradictionfondamentaleexpriméeparlarécenteréformedu Code civil, qui reconnaît désormais (comme le Code rural et le Code pénal auparavant) lasensibilitédel’animal:

Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui lesprotègent,lesanimauxsontsoumisaurégimedesbiens.

Article515-14duCodecivil

Problèmeinsoluble:danslemêmearticledeloi,l’animalestreconnucommeunêtresensible,maisilestégalementassimiléaurégimedesbiens,cequisignifiequ’ildemeureunechosedontonfait le commerce. C’est ici que réside la contradiction indépassable entre sensibilité et conditiond’objet. Tant que les animaux resteront légalement des choses que l’on produit pour réaliser unbénéfice, iln’yaaucunechanceque leur intégrité soit respectée, car la logiqueduprofitmaximalimplique des normes de bien-être réduites au minimum. C’est la raison pour laquelle lareconnaissancede la sensibilitéanimalepar leCodecivilnechangeraabsolument rienausortdesanimaux. Il s’agit d’une réformette sympatochequi risquepeut-êtremêmed’avoir un effet contre-productifenpermettantauxpolitiquesdeprétendrequelebien-êtreanimalavance,cequileurdonneunargumentpournerienchangerdanslaréalité.

Endehorsdel’approcheabolitionniste,ledroitéchoueratoujoursàprotégerlesanimaux,etcepouruneraisonsimple:ledroitestcenséfixerlesrèglesdelajustice;or,touteformed’exploitationanimaleestinjuste.Pourl’instant,ledroitanimaliersecontentederégulerl’injustice.

En décembre 2014, un tribunal argentin a décidé que Sandra, une femelle orang-outan d’unetrentained’années,devaitêtrelibéréeduzoodeBuenosAiresenvertudel’HabeasCorpus,c’est-à-

direledroitdenepasêtreemprisonnésansjugement.Saisiparuneassociationdedéfensedesdroitsdes animaux, le tribunal a reconnu à ce grand singe son droit de vivre en liberté. Cette décisionmontrelavoie.

Ce qu’il faut changer est simple : il convient de cesser de traiter les animaux comme desressources, reconnaître la valeur intrinsèque de toute vie animale, et accorder à tout animal nonhumainsensiblelestatutjuridiquedepersonnenonhumaine.

DESDROITSFONDAMENTAUXPOURLESPERSONNESNONHUMAINES

En tant que personnes non humaines, quatre droits fondamentaux doivent être accordés auxanimaux:ledroitdenepasêtretué,ledroitdenepasêtreemprisonné,ledroitdenepasêtretorturé,etledroitdenepasêtrel’objetd’uncommerce.Cesdroitsontétéaccordésauxhumainsetiln’yaaucuneraisonqu’ilsnoussoientréservés.Nousavonsvuquelesanimauxnonhumains,quisontdespersonnes,possèdentlescaractéristiquesdesensibilitéetdeconsciencequilesrendentadmissiblesàcesdroits.

–Oui,mais,pourbénéficierdedroits, il fautégalementremplirdesdevoirs. Il fautqu’ilyaitréciprocité.Lesdroitsdécoulentd’un«contrat».Or,lesanimauxnonhumainsnepeuventpassignerdecontratouremplirdesdevoirs.

Faux:lesenfantshumains,lesdéficientsmentauxoulespersonnessénilesontdesdroits,maisils n’ont pas dedevoirs.Ce sont despatientsmoraux et nondesagentsmoraux. L’agentmoral estceluiquiestcapabled’agirenayantconsciencedubienetdumal.Ilesttenupourresponsabledesesactesetdesesdécisions.Lepatientmoral,poursapart,n’apaslesmoyensdejugementsrationnels,ilne peut donc pas être puni pour ses actes, mais il n’a pas non plus les moyens personnels de sedéfendre contre des agentsmoraux qui s’en prendraient à lui.Les animaux non humains sensiblessontdespatientsmorauxquidoiventbénéficierdedroitscommelesenfants,lesdéficientsmentauxetlespersonnesséniles.

–Les animaux non humains sensibles doivent donc être considérés comme des enfants ou deshandicapésmentaux?

D’unpointdevuejuridique,oui,ceneseraitquepurejustice.Unchimpanzéadulteadavantagedefacultéscognitivesetsocialesqu’unenfantdedeuxans,et ilpossèdeunecapacitéd’éprouver lasouffranceaumoinségale.Pourquoiaurait-ilmoinsdedroits?

–Oui,mais l’enfantestunadulteendevenir.On leprotègepourcequ’ilvadevenir :unêtrebeaucoupplusintelligentquelesanimauxdesautresespèces.

L’intelligence,qu’ellesoitenacteouenpuissance,n’estpasuncritèrepertinentpourattribuerdesdroitsfondamentaux.Nouslesavonsbien,puisquefortheureusementnousaccordonscesdroitsfondamentaux aux handicapés mentaux profonds indépendamment de telle ou telle capacitéintellectuelle.

–Ilfautdoncaccorderdesdroitsàtouslesanimaux,saufexception?Lesabolitionnistesréclamentgénéralementdesdroitspourtouslesanimauxqu’ilsconsidèrent

comme«sentients».–«Sentients»?Encore unmot nouveau.Gary Francione en donne cette définition : « être “sentient” signifie

avoiruneexpériencesubjectivedeladouleur(etduplaisir)etdesintérêtsànepassubircettedouleur(ouàpouvoirressentirduplaisir)».Personnellement,leterme«sensible»mesuffit.

–Maisalorscommentsavoirquelssontcesanimauxquisont«sentients»ousensibles?Lasciencenousadéjàapprisquetouslesanimauxquenousexploitonsviventdesexpériences

subjectivesetqu’ilssontdonc«sentients»ousensibles.Onpeutconsidérerquecesexpériencessontlimitées pour les espèces animales les moins complexes, comme les insectes, dont on ignoreprécisément la capacité à ressentir la douleur. Mais pour tous les autres, les mammifères et lesoiseaux,touslesvertébrésenfait,iln’yaaucundoutesurleurcapacitéd’éprouverlasouffranceetd’avoiruneconscienceprécisedecequ’ilsvivent.Pourlesinvertébrés,nousendécouvronstoujoursplus.Toutcelanousinciteàlaplusgrandeprudenceàl’égarddumondeanimal,carenréaliténoussommes encore ignorants quant aux systèmes nerveux et aux capacités cognitives de nombreusesespèces.C’estpourquoileprincipegénéraldurespectdetoutevieestlemeilleur.Lahiérarchisationdescapacités intellectuelleset sensoriellesn’estpertinentequedans lamesureoùnousdevonsêtreguidésparleprincipederéductiondenotreempreintenégative.Jedoistenterd’éliminerlemoinsdeviepossible,etjechoisisdoncd’épargnerenprioritélesviesquiontlesfacultésdesouffranceetdeconsciencelesplusimportantes.

–Maissionaccordecesdroitsfondamentauxàtouslesanimaux,quevontdevenirceuxquenousélevons?

Ils vont cesser d’être produits pour notre consommation, donc les animaux d’élevagen’existerontplustoutsimplement.

–Vousvoulezprotégerdesanimauxenneleurpermettantplusdenaître?Absolument.Iln’yaaucunfondementmoralàfairenaîtreunindividudanslesimplebutdes’en

servir et de lui faire subir une vie atroce. Imaginez qu’un couple décide de faire des enfants dansl’objectif de vendre leurs organes (en supposant qu’ils réussissent à vendre ces organes tellementcher que cette vente compense les coûts liés à l’éducation) : leur geste serait-il acceptable ? Parailleurs,nousagissonsdéjà,noushumains,entenantcompteduprincipequiconsisteànepasdonnerla vie à un enfant qu’on ne saura pas élever dans des conditions favorables. Cela s’appelle lacontraception. Des centaines de millions d’enfants ne naissent pas, chaque année, parce que leursparents potentiels ne le souhaitent pas. Souvent, ceux-ci en ont déjà un, deux ou trois, et ilsconsidèrentqu’ilestpréférabled’arrêterlà.Faut-illesblâmer?

–Donclesespècesquenousexploitonsactuellementvontdisparaître?Non,pasdutout.Ilyaurad’abordunepériodedetransitionpendantlaquellenousprendronsen

chargelesanimauxdéjànésdansdesélevagesetdontnousépargneronslavie.Enrevanche,finiesles

inséminations artificielles. Puis les nouveau-nés retourneront peu à peu dans la nature, là où nousavons trouvé leurs ancêtres alors qu’ils étaient des aurochs et des sangliers. Ils s’adapteront à cetenvironnement et redeviendrontdes espèces sauvages.Si, avant de les libérer, il y a surpopulationliée au surnombre que nous avons créé, nous serons contraints sans doute d’avoir recours à desprocédésdecontraceptionoudestérilisationpourlimiterleurpopulation.

–Celaest-cedoncallercontreleursintérêts?Non, car s’ils sont trop nombreux, ils deviendront gênants pour les humainsmais aussi pour

eux-mêmes,notammentdanslarecherchedenourriture.Empêcheruneviedesecréerettueruneviesontdeuxchosesquin’ont absolument rien àvoir.Par ailleurs, leshumains sont aussi en traindedevenir tropnombreuxsurTerre,et ilscommencentàsenuireàeux-mêmesàcausedecela.Nousdevonslimiternotreproprepopulation.Évidemment,d’unstrictpointdevuemoral,onpeutaprioriconsidérercommegênantdedécideràlaplaced’unanimalqu’iln’engendrerapas.Mais,enréalité,cela entre dans notre devoir de responsabilité à l’égard des animaux. Si l’on considère que nousdevons leur accorder des droits équivalents à ceux que l’on octroie à de jeunes enfants nonresponsables,alorsilfautaussiaccepterleprincipeque,commepourdesenfants,nouspouvonsêtreamenésàprendredesdécisionsàleurplace,envuedeleurbien.

–Vousditesquetouslesanimauxdoiventobtenirlestatutdepersonnenonhumaine.Faut-ilenfairedescitoyensquiprennentpartàlaviedeshumains?

On peut en effet imaginer de belles émissions de télé avec des animaux présentateurs. Parexemple, une émission demusique avec des vaches qui font des vocalises et qui s’appelleraitLesEnfantsd’Auroch…

–?????Non, je plaisante. Je veux simplement m’amuser d’une vision caricaturale des choses qui

laisseraitcroirequelesabolitionnistesveulentfairedetouslesanimauxleséquivalentsdeshumains.Ilexistedesdifférencesfondamentalesentre leshumainset lesautresespèces,et ilnes’agitpasdeniercesdifférences.Iln’estpasquestionparexempled’octroyerunpermisdeconduireauxanimaux.Lestatutde«citoyen»peutêtrediscutédansunsenslargequiprolongeraitl’idéedepersonnenonhumaine.Mais,évidemment,ilfaudraitcréerunstatutdecitoyenbis,régipardesrèglessensiblementdifférentes.Quantà lacohabitationavec lesanimaux, je l’imagine ainsi.Les animaux actuellementdomestiques retourneraient dans la nature. Ils seraient de toute façon beaucoup moins nombreuxqu’aujourd’hui. Ils vivraient, comme les animaux sauvages actuellement, dansdes espacesqui leurseraientdédiés :des forêts,desparcsnaturels…Celasignifiequ’ilva falloirprotégernosespacesnaturelsactuelsetpeut-êtreencréerdenouveaux.

–Les humains d’un côté et les animaux non humains de l’autre ? Ne peut-il plus y avoir decontactsentrelesdeux?Quedeviennentlesanimauxdecompagniecommeleschatsouleschiens?

Ilfautquenouscontinuionsàavoirdesrelationsaveclesanimaux.Lesendroitsoùilsvivrontseront ouverts aux humains. De plus, nous devons continuer à partager des espaces. D’ailleurscomment pourrions-nous l’empêcher, à moins de nous enfermer dans des villes entièrement

bétonnéesprotégéespardesbulles?Lesoiseaux,parexemple,seront toujourslibresd’alleroùilsveulent,etfortheureusement!Bienévidemment,pourdesraisonsdesécuritéetd’organisation,nousseronsobligésdecréerlesconditionsquiévitentqu’uneagglomérationsoitenvahieparlesvachesetlesloups!Lesabolitionnistesréclamentlafindetouteexploitationanimale.Certainsconsidèrentquetouterelationentreunhumainetunanimalnonhumainaboutitforcémentàunrapportdedominationen faveurde l’homme.Alors ilspensentqu’il faudrait fairedisparaître lesanimauxdecompagnie,que nous exploitons pour notre confort psychologique personnel. C’est un point de vue que je nepartage pas. Il est évident qu’il y a de nombreux cas de coopération heureuse entre l’homme etl’animal. J’ai eu plusieurs chiens et chats dansma vie : je suis absolument certain que nous noussommes entraidés mutuellement, et qu’il y a eu un fort attachement réciproque. Un animal peutapporter énormément au développement d’un enfant et à l’apaisement d’un adulte.En échange, cetanimalreçoitlasécurité,lanourriture,etl’affectiondontilaimeaussiprofiter.Ilyalàuncontratquimesemblejuste.Ilfaudranéanmoinsrevoirlalistedesanimauxdecompagnie.Certainsn’ontrienàfaire dans une maison : une mygale, un serpent ou une tortue naine sont retenus dans des petitsaquariumsquineleurpermettentpasdevivreuneviepropreàleurespèce.C’estlamêmechosepourles poissons qui servent comme objets de déco ou les hamsters et cobayes retenus en cage. Cesanimauxontbesoind’espace. Ilmesemblequ’il faut limiter lesanimauxdecompagnieàquelquesespècesadaptées,commeleschiensetleschats,auxquelsonpourraitfortbienrajouterlescochons,les chèvres ou les chevaux par exemple. Il faudra aussi revoir complètement la gestion de cesanimaux de compagnie. Leurs propriétaires devront posséder un certificat de capacité, c’est-à-direuneautorisationattestantqu’ilsprésententtouteslesgarantiespourpouvoiraccueillirl’animalqu’ilsontchoisi(sic’estunchien,ilnepeutpashabiterdansunappartementde12mètrescarrésetunlapinnepeutpassersesjournéesdansunecage).Lepropriétaireneserapluspropriétairemais tuteur. Ilfaut évidemment supprimer le système des animaleries et des élevages. Il sera interdit de faire dubénéfice sur la vied’un être sensible.Les chats, les chiens et autres animauxde compagnie serontgérésparunorganismed’Étatàbutnonlucratif.Cetorganismetiendraàjourl’étatcivildesanimauxdecompagnie.Ilsauraoùilsrésidentetquelssontleurstuteurs.Siunechattefaitdespetits, ilserainterdit de tuer les nouveau-nés. Ils devront obligatoirement être placés, en coordination avecl’organismegestionnaire.Si le tuteurde l’animalparentneparvientpasà trouverdes tuteurspourtouslespetits,cesdernierspourrontêtreaccueillisdansdescentresdepriseenchargeetd’adoptionprésentsdanstouteslesgrandesvilles.Cesstructuresserontappeléesorphelinats.Là-bas,lesanimauxserontsoignés tantqu’ilsn’aurontpas trouvédenouveaututeur, l’euthanasied’unanimalenbonnesantéétantévidemmentinterdite.Cesorphelinatsserontdescentresd’adoptionpourdeshumainsquicherchent à se procurer un animal. Là encore, pour les raisons précédemment évoquées, lacontraceptionoulastérilisationserontutiliséespourgérerlenombred’animaux.Lesfuturstuteursdevrontverserunesommeconséquente,del’ordredeplusieursmilliersd’euros,s’ilsveulentadopterun animal. Pour un tel montant cependant, ils n’achèteront pas l’animal, mais contribueront aufinancementdel’organismed’Étatgestionnaire.Danscettenouvelleorganisation,l’animaln’ajamais

depropriétaire, il n’appartient qu’à lui-même.En revanche, commepour un enfant, il est confié àquelqu’unquienalaresponsabilité.Lebutdenecéderunanimalqu’enéchanged’unegrossesommed’argentconsisteàresponsabiliserlestuteurs.Enrevanche,untuteurn’aurajamaisledroitdevendrelui-même son animal ou les petits de son animal pour faire des bénéfices.De cettemanière, avectoutescesprécautions,lapréservationderapportsintelligentsetprofitablesauxdeuxparties,humainsetnon-humains,mesemblenonseulementpossiblemaismêmesouhaitable.J’iraimêmeplusloin:l’attitudequiconsisteàrefuserparprinciped’entretenirdesrapportsderéciprocitéentrehumainsetnon-humainsdans lecadred’unemaisonoud’unappartementcorrespondselonmoiàuneattitudespéciste. En effet, ce serait au nomd’une différence d’espèce que l’on s’opposerait à une relationd’amitié entre deux êtres qui éprouvent une affection mutuelle ? Cela n’a aucun sens. Quant auconsentementdel’animal,onpeutendiscuterlonguement.Mais,danscertainscas,ceconsentementexiste bel et bien, puisque c’est parfois l’animal qui prend l’initiative et recherche la présencehumaine:ilarrivequ’unchatdébarquedansvotrejardin,neveuilleplusvousquitter,ets’installepeuà peu chez vous.C’est lui qui vous adopte.Que dire encore de ces chats qui passent leur journéedehors,vagabondent,etrentrenttranquillementdansleurmaisondèsquelanuittombe?Nesont-ilspasconsentants?Ilsytrouvententoutcasleurintérêt.Jesuisopposéauprincipesectaireetspécistedeséparertouslesanimauxnonhumainsdelasociétéhumaine.Cetteidéecontreditlelienbiologiquequiunittouteslesespècesetfaitfidescasdecoopérationquiexistentbeletbien,danslanature,entreespèces différentes. Remettez tous les animaux en liberté : très vite, certains d’entre eux serapprocherontànouveaudeshommes.Etc’estunebonnenouvelle.C’estjustementl’unedespreuvesqueleshumainsneconstituentpasuneespècesupérieureauxautres.

Pourquoilesvegansextrémistessontenréalitéspécistes

MonsieurCaron,vousdéfendezlesdroitsdesanimaux.Maisêtes-vousveganaumoins?Cettequestion,ellem’aétéadresséedescentainesdefois.SanscompterUntelquiseplaintsurlesréseauxsociauxquej’airacontédansunprécédentlivrenepasavoirencoreréussiàmepassertotalementdechaussuresencuirouUnetellequidélireencertifiantquejemangedufoiegras…Ilm’amêmeétéreprochémaparticipationàunjeutéléviséauprétextequedesanimauxyétaient,nonpastués,maisutilisés :des insectesdansdesbocaux,desserpentsetdestigresdansledécor…Mescontempteursfermaientlesyeuxsurleplusimportant:lefaitquej’étaislecapitained’uneéquipequia,cesoir-là,joué pour une association de protection animale antispéciste pour laquelle nous avons remporté13000euros,etquiaeu leshonneursduprimetimesur laplusgrandechaînepublique,cequines’était jamais vu auparavant. Ne pas comprendre le bénéfice pour les animaux d’une telle actionrelèvedel’aveuglement.

Entrelesinterrogationsaccusatricesdesunsetlesaffabulationsdesautres,iln’estpastoujourssimple de faire partie de la grande famille des défenseurs des animaux. Certains militants ont ladésagréablemaniedechercheràdémontrerquevousn’êtespasassezvertueuxet,donc,quevousêtesindignedelaCause.Chacunpeutentrevoirlesdangersd’unteltribunal.Êtreantispécistenesignifiepasquel’onasignéunechartedebonneconduiteen20ou30points.Celaimpliqueunecohérence,maislaisseégalementdesquestionsensuspens.LesphilosophesPeterSingeretTomRegan,quisonttouslesdeuxantispécistes,n’entirentpaslesmêmesconclusions.Ilmeparaîtévident,pourtouteslesraisonsévoquéesdanslespagesprécédentes,qu’unantispécistenemangepasd’animaux(surcepointPeterSingerestdéjànuancé),niaucunproduitayantcausélamortoulasouffranced’unanimal.Ilneportedoncnicuirnifourrure,exigelafermeturedeszoos,l’arrêtdescorridas,lafindelachasse.L’antispécisteest-ilpourautantvegan,àsavoirqu’ilrefusetoutproduitd’origineanimale,mêmelelait(etdonclebeurre)etlesœufs?J’airéponduparl’affirmativeplustôtdanscelivre.Maisonpeutapporterunenuance.

Prenons les choses dans l’ordre : tout produit issu de l’élevage industriel est par définitioninacceptable, tant ce système est générateur de souffrance pour les bêtes.Même si les élevages detailleartisanalesemblentmoinsviolents,iln’enrestepasmoinsvraiqu’unevacheouunechèvredoitêtreinséminéepourproduiredulait.Puislespetitssontenlevésàleurmère,envoyésàlaboucherie,tandis que le lait est prélevé pour la consommation humaine. La production commerciale de lait,quellequesoitlatailledel’exploitation,entraînedoncsouffranceetmort.Maisimaginonsunepetitefermeoùaucunanimaln’est envoyéà laboucherie.Les animaux se reproduisentnaturellement, etchacunmeurtde sabellemort.Qu’est-cequinousempêchedansce casdepréleverunpeude laitpournotreconsommationpersonnelle?Lavachen’ensouffrirapas,nisonveau.Cetteconfigurationrelève sans doute de l’utopie dans notremonde actuel,mais elle n’est pas irréaliste dans un futurproche. Évidemment, cela implique que le lait de vache devienne un produit de luxe, puisqu’il neseraitplusfabriquéenmasse.Uneautreobjectionpeutalorsêtreémise:quelintérêt?L’intolérancedenombreusespopulationsaulaitanimaln’estpasunhasard: leshumains,quiplusestadultes,nesontpascensésenboire.Autantderaisonsquiimposentdeleremplacerpardeslaitsvégétaux(laitsde soja, d’avoine, d’épeautre, de riz, denoisette…). J’ai fait ce choixdepuis longtemps.En cequiconcerne lesœufs, c’est une autrehistoire. Il existe à la campagnedepetits élevagesdepoules enliberté,dont aucunen’estmaltraitéeou tuée lorsqu’elledevientmoinsproductive.Pourquoinepasrécupérer leurs œufs ? Aucune souffrance engendrée, les poules sont nourries et protégées desprédateurs en retour, et lesœufs sontune sourcedeprotéinespour l’homme.En tout cas, celamesemblecohérent.Encoreunmotsurlecuir : j’airécemmentattristéuneamiequim’avaitoffertunporte-cartes en cuir en lui expliquant que je ne pourrai pas utiliser son cadeau et qu’il fallait parconséquentlerapporter.Voilàprèsdevingt-cinqansquejerefusetoutaccessoireenpeau,àpartlesceintures que j’ai longtemps portées, faute d’alternative satisfaisante. En revanche, pour leschaussures, je reconnais ma faiblesse : je possède encore quelques paires en cuir. La raison estsimple:ilesttoujourscompliquéaujourd’huidetrouverdeschaussuresvegansdanslesmagasins.IlexistebiendessitesInternetquilescommercialisent,maisacheterdeschaussuresparcorrespondances’est toujoursrévéléunfiascopourmoi:unepairedechaussuress’essaye,c’estmêmeleprincipepremier.Maiscen’estqu’unequestiondetemps:trèsprochainement,iln’yauraplusdutoutdepeaumortedansmonappartement,àpartcelledemespiedspassésàlapierreponce.

Detoutefaçon,nuln’estparfait.Onpourraittoujoursfairemieux.Maislesmilitantsdesdroitsdesanimauxquisemblentvouloirdécrocherunbrevetdepuretéenenvoyantà l’échafaudceuxquidévientdelaligneduPartifontfausseroute.Toutepersonnequisebatcontrel’exploitationanimalemérited’êtreconsidérée,saufsibiensûrsesactessontencontradictionflagranteavecsondiscours.Avantdemépriserunvégétarienouun flexitarien 1, en l’accusantd’incohérenceoude faiblesse, ilfaut d’abord considérer l’effort que celui-ci fournit par rapport à un carnivore indifférent. Il fautaussi tenir compte du fait qu’il n’est pas aisé de casser des habitudes culinaires ancrées dans lespapillesgustativesdepuistoujours.Jeconnaisdesgensquitententréellementd’arrêterlaviandeparconvictionéthique,maisquiontdumalàs’enprivertotalementcarlegoûtleurmanque.Ilsnes’en

réjouissentpas,c’estjustecommeça.Encequimeconcerne,lesteakoulatranchedejambonnemefont plus aucune envie depuis bien longtemps. Mon mérite de n’en plus manger est donc limité,puisque je n’éprouve aucune frustration liée à cette exclusion alimentaire. Le cas du fromage estparticulièrement intéressant : les amoureux de la pâtemolle ou dure, dont j’ai fait partie toutemajeunesse,saventqu’iln’estpasaisédesesevrer.Jecôtoieainsidenombreuxvegansentransitionquis’accordentencoreunboutdebrieoudechèvrede tempsen temps.Faut-il lesexcommunierpourautant?Jenelecroispas.Jelisaussilescommentairesdecertainsvegansquireprochentviolemmentà d’autres vegans de ne pas vérifier systématiquement la composition de tous les produits qu’ilsachètent(alimentairesouautres)afindecontrôlerqu’aucunesubstanced’origineanimalenes’yestinsidieusement cachée – il est vrai qu’il s’en trouve dans certains endroits inattendus comme leshampoingouledentifrice.Ladisciplineveganobservéeavecprécisionimpliquederejetertouslesbiensdeconsommationquicontiennentdesboutsd’animaux(ilfautpasserenrevuelacompositiondechaqueproduit),maiségalementceuxquiontpuêtretestéssurdesanimaux.Doncilestnécessairedeseprocurerune listedétailléeetde laconsulteravantchaqueachatdouteux,cequidemandeuntempsconsidérable,autantpourlanourriturequepourlesproduitscosmétiquesouménagers.Onnepeut reprocheràcertainsdenepasavoir toujours le temps.Êtreveganà90%ou95%,dansunesociété où les produits de l’exploitation animale sont omniprésents, représente déjà un effortconsidérable.

Parailleurs,malgrétoutesabonnevolonté,mêmeleplusvertueuxdesvegansingurgiteoutuedes animaux.On trouve en effet depetits bouts d’insectes dans le pain, les confitures, les pâtes, lechocolat, les jusdefruitsouencorelessoupes.Chacunmangeenviron500grammesdefragmentsd’insectesparanàsoninsu.L’agriculture,nécessairepourfairepousserleslégumesetlescéréalesdont les vegans se nourrissent, engendre fatalement la mort d’insectes et de petits animaux, sanscompter la perturbation que ces cultures occasionnent sur certaines populations animales. Si l’onchoisit de conduire une voiture, on accepte de sacrifier des centaines ou des milliers de viesd’insecteschaquefois.Pis:lestravauxpourconstruirel’autoroutequel’onemprunteontdétruitdesécosystèmeset tuédestasdepetitsanimaux.Delamêmemanière,unveganpuristenedevraitpluslire de livres sur papier, puisque pour fabriquer ce papier des arbres ont été abattus, et des viesminusculesquihabitaientcesarbresenontforcémentpâti.

Larevendicationdelapuretérévolutionnaire,fût-ellemâtinéedesintentionslesplusnobles,aengendrédansl’histoirelespireshorreurs,commelaTerreuroulespurgescommunistes.Lesidéauxlesplusgénéreuxontsouventétédévoyésparlafolie,labêtiseetl’ambitiondequelques-uns.Encequiconcernel’antispécismeetlalibérationanimale,laviolenceàl’encontredesdiscoursnuancésoudes démarches d’ouverture est impardonnable pour deux raisons. D’abord, elle est contre-productive:elleferafuirtoutepersonneagressée,alorsquecelle-ciétaitdisposéeàœuvrerdanslesens d’unemeilleure prise en compte des intérêts des animaux.Mais, surtout, une telle attitude estincompatible avec la dimension empathique consubstantielle au mouvement pour les droits desanimaux. Utiliser son amour revendiqué de la cause animale pour attaquer les humains de bonne

1.

volontéestextrêmementmaladroit.Ceuxquicèdentàce traversne semblentpas se rendrecomptequ’ils reproduisent les phénomènes de jugement et d’exclusion qui convoquent les plus mauvaisinstinctsdeshommes.

J’irai même plus loin : les militants antispécistes intransigeants qui s’en prennent aux non-veganssontenréalitéspécistes.Eneffet,ilyachezlesdéfenseursdesdroitsdesanimauxplusieursespèces,desplusmodéréesauxplusradicales.Or,lesradicauxintolérantsseprésententcommelesreprésentants de l’espèce supérieure, plus intelligente et sensible que les autres pour lesquelles ilsn’affichentquedédain.Celanevous rappelle rien ?L’antispéciste, pour sapart, neméprisepas ladifférence.Ilessayedelacomprendre.Celacommenceévidemmentparleshumains.

Estdit«flexitarien»celuiquiestvégétarienplusieursjoursparsemaine,maiss’autorisetoutdemêmelaviandedetempsentemps.

Monlit

Des différents voyages que j’ai pu effectuer à travers lemonde, j’ai rapporté une certitude :l’AmériqueduNordestlecontinentdelaliterie.Parcequ’ilsvoienttoutengrandetqu’ilsadorentleconfort, lesAméricains rêvent sur desmatelas immenses, épais, au soutien ferme et à l’accueil simoelleux qu’il semble que les draps vous enlacent et vous susurrent des mots doux. Qui n’a pasdormi dans un hôtel aux États-Unis ou au Canada ignore ce qu’est un bon lit. L’excellence de cemobilierdenuittientnotammentàlaprésenced’unsurmatelasparticulièrementaccueillant,àsavoiruneespècedecouettedense,méticuleusementgonfléed’airetdematière,poséesurlematelas,etquienrobelescontoursducorpsfatigué.

De retourd’un séjour àNewYork, jem’étais récemmentdécidéàm’offrir le tapismagique,afind’importeràParisladouceurdemesnuitsaméricaines.AprèsquelquesrecherchessurInternet,j’eus vite fait d’identifier lemodèle de surmatelas correspondant en tout point à ceux que j’avaisexpérimentésdansmesvoyagesoutre-Atlantique.Avantd’encommanderunexemplaire,jeprissoinnéanmoins de vérifier les composants entrant dans la fabrication du rembourrage. Et là, constatdérangeant:«10%duvetet90%plumettesdecanardneuf».Aïe!

Commentsontrécoltéeslesplumesutiliséesdanslesrembourragesdevêtementsoud’élémentsdelit?Encequiconcernelesoies,ilexistedeuxcasdefigure.Lesanimauxsontpluméssoitvivantssoitmorts.Danslepremiercas,lesoiseauxsontplumésdeuxàquatrefoispendantleurcourtevie,àvif,etcelaneleurfaitpasplaisirdutout.Lesplumesducou,delapoitrineetdudossontarrachées.Les oiseaux sont d’ailleurs parfois blessés dans l’opération, qui se déroule sans délicatesseparticulière.Leprocédépeutêtreassimiléàuneformedetorture–ànoterqueleplumageàvifestinterdit aujourd’hui dans l’Union européenne. Dans le second cas, les plumes du volatile sontarrachéesaprèsqu’ilaétéabattupoursaviande.Aumoins,danscetteconfiguration,ilnesentplusrien. Les industriels, soucieux du bien-être animal en tant qu’argument commercial, insistent dèsqu’ils le peuvent sur l’utilisation dans leurs produits de plumes d’animaux préalablement tués.Problème : l’information n’est pas toujours fiable, à cause de certains sous-traitants (laChine par

exemple)peu regardantssur le sortdesbêtes.Encequiconcerne lescanards, leschosessontplusfloues,etlesassociationsaffirmentqu’ilsnesontapparemmentpasvictimesdeplumageàvif.Maislesfraudessontpossibles.Parailleurs,celuiquis’insurgecontretouteformedesouffranceanimalenepeutêtretoutàfaitàl’aiseenprésenced’unematièreissued’unanimald’élevagequiaconnuunevietropbrèveetsansjoie.Sionparlaitd’unevieilleoieoud’unvieuxcanard,mortstranquillement,etdontlesplumessontrécupéréesavantquelecorpspourrisse,leschosesseraienttoutesdifférentes.Mieux:sil’onétaitcertainquelesplumesutiliséesontétérassembléeslorsdelamuedel’animal,qu’ellesn’ontpasétéarrachéesàsoncorpsmaissimplementrécoltéessurlesol,iln’yauraitalorsévidemmentplusaucunproblèmeéthique.Maiscen’estpaslecas.

Dansuntelcontexte,leplussimpleconsistedoncpourmoiàrenoncerausurmatelasàplumes,et lui préférer un modèle synthétique. Peut-être sera-t-il un peu moins confortable, en raison decapacitésdegonflageetdechaleurlégèrementmoindres,maispeuimporte.Jesuissûrque,pourtant,jedormiraimieux.

L’ANTISPÉCISMEESTUNNOUVELHUMANISME

Unenouvellerévolutioncopernicienne

En1543,l’astronomepolonaisNicolasCopernicfaitvacillertouteslescertitudesdel’époqueendémontrant dans De revolutionibus orbium coelestium que la cosmologie léguée par Aristote etPtoléméeestfausse:non,laTerren’estpasimmobileet,surtout,ellen’estpaslecentredel’univers.En reprenant l’intuitiondespythagoriciens,Copernic, suivideKepler etdeGaliléeauXVIIe siècle,explique que notre planète n’est qu’un objet parmi d’autres qui tournent autour du Soleil. QuandCopernicavancesathéoriedel’héliocentrisme,c’est-à-dired’ununiversorganiséautourduSoleil,ils’attirelesfoudresdel’Église,quin’admettaitalorsquelegéocentrisme,àsavoirl’idéequelaTerreseraitimmobileaucentredel’univers.

La pensée scientifique l’emporte sur le dogme chrétien et révolutionne notre conception del’hommeetdumondequ’ilhabite:laraisonnousobligeàadmettre,contrelasuperstition,quenousne sommes pas le centre de l’univers, que tout ne « tourne pas autour de nous », et que nous nesommesquel’undesélémentsd’unmanègequenousnedirigeonspascommenouslepensions.Larévolution copernicienne, qui consacre le triomphe de l’héliocentrisme (le Soleil est le centre del’univers) contre le géocentrisme (la Terre vue alors comme point central de cet univers), acomplètementbouleversélapensée.Demanièregénérale,leXVIIesiècleamarquéletriomphedelasciencesurl’obscurantismereligieux.

Pas de philosophie ni de politique dignes de ce nom sans expertise scientifique éclairée. Lesdiversessciencesfournissentlesoutilsquipermettentdecombattrelespréjugésetleserreurs.Cesontellesquitracentleslignesd’unemoralesurlaquellefairereposerlaviecommune.Commentessayerd’imaginer un avenir cohérent pour l’homme sans compréhension juste des réalités physiques etbiologiquesdumondedanslequelilévolue?

Encorefaut-ilaccepterdesoumettresonjugementauximpératifsdelaconnaissance,mêmesilesenseignementsdecelle-civontàl’encontredepréjugéspersonnels.Certainsseconsidèrentencoreaujourd’hui comme les envoyés spéciaux d’unDieu tout-puissant qui nous aurait créés depuis son

nuage,àpartird’unpetitpeudeboue,etdécidentdesuivreàlalettredespréceptesrédigésparonnesaitquiàuneépoquequineconnaissaitnil’ADN,nileBigBang,nilesondesélectromagnétiques:onmesurel’ampleurdelatâchequiattendlespartisansdelarationalité.Pourquoipas?Tantqueçanefaitdemalàpersonne.Maiscen’estévidemmentpaslecas.Lasuperstitionatoujoursengendréses fanatiques sanguinaires, et notre époque n’estmalheureusement pas épargnée.Contrairement àune idée répandue de nos jours en raison de l’actualité, l’obscurantisme religieux touche tous lesgroupes,àcommencerparleschrétiens.

Malgré les travauxdeDarwin,WallaceetLamarck, largementcomplétésdepuis leXIXe sièclepardenouveauxmoyensd’observation,lathéoriedel’évolutioncontinueàêtreréfutéeparpasmalde monde. Aux États-Unis, une enquête réalisée en 2008 montrait que 44% des Américains sontcréationnistes, c’est-à-dire qu’ils considèrent que l’homme a été créé par Dieu tel qu’il estaujourd’hui, et ce, ilyaquelquesmilliersd’années. Ilsnientque laTerrea4,5millionsd’années.36%pensentquel’hommeaévoluésurdesmillionsd’annéesavantd’êtretelqu’ilestaujourd’hui,maissontpersuadésqueDieuaguidécetteévolution.Enfin,seuls14%desAméricains interrogésrépondentquel’hommes’estdéveloppésurdesmillionsd’annéesàpartirdeformesmoinsavancéesetqu’aucunDieun’a rien à faire là-dedans.En2011,uneenquêtepubliéepar lemagazineScienceaffirmaitque13%desprofesseursdebiologiedanslesécolespubliquesaméricainesnecroientpasàl’évolution, et que 60 % d’entre eux refusent de trancher entre cette vision de l’univers et lecréationnisme ou sa version new-look, le « dessein intelligent » (l’évolution, pourquoi pas, maisdirigéeparDieu).En2012,autresondage:72%despasteursprotestantsrejetteraient la théoriedel’évolutionet82%affirmeraientqu’«AdametÈveétaientdespersonnesréellementexistantes».En2014,unenouvelle étude révèleque lamoitiédesAméricainsne« sontpasdu tout convaincusdutout » ou « peu convaincus » par l’affirmation selon laquelle « l’univers a commencé il y a13,8milliardsd’annéesavecunBigBang».Lemêmesondageaffirmequeseuls31%despersonnesinterrogées considèrent que la vie sur Terre « suit un processus de sélection naturelle ». On nes’étonne donc pas que plusieurs candidats à la primaire républicaine américaine défendent lecréationnisme, ce que résume clairement l’un d’entre eux en 2015 : « Je crois queDieu a créé leparadisetlaTerre.Pointbarre.»Celadit,enFrance,en2011,uneenquêteréaliséeauprèsd’étudiantsen biologie de l’université d’Orsay avait révélé que 32% considéraient la théorie de l’évolutioncommeunehypothèseetnoncommeunfaitétabli.

Etdanslerestedumonde?UneétudeIpsosde2011répertorie,paysparpays,lescréationnistesqui croientque l’hommeaété fabriquéparDieuetqu’iln’estpas le fruit d’uneévolutionàpartird’autresespèces.Lesrésultatssonteffarants : ilyaurait75%decréationnistesenArabiesaoudite,60%enTurquie,57%enIndonésie,56%enAfriqueduSud,47%auBrésil,etc.Danslaglobalitédesvingt-troispayssondés(ycomprisdespayseuropéensbiensûr),28%despersonnesinterrogéessedisentcréationnisteset31%nesaventpastropquoipenser…

Lespécismeestlui-mêmel’expressiond’unobscuran-tismemoderne.Ilyadeuxmillénaires,laBibleaposéleprinciped’unhumainrégnantsanspitiésurlesanimauxetlesvégétaux:

Dieucréal’hommeàSonimage,Illecréaàl’imagedeDieu,Ilcréal’hommeetlafemme.Dieu les bénit, et Dieu leur dit : « Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, etl’assujettissez ;etdominezsur lespoissonsde lamer,sur lesoiseauxduciel,etsur toutanimalquisemeutsurlaterre.»

Genèse,I,27-28.

Vousserezunsujetdecrainteetd’effroipourtoutanimaldelaterre,pourtoutoiseauduciel,pourtoutcequisemeutsurlaterre,etpourtouslespoissonsdelamer:ilssontlivrésentrevosmains…

Genèse,IX,2-3.

Qu’est-cequel’homme,pourqueTuTesouviennesdelui,etlefilsdel’homme,pourqueTuen prennes soin ? Tu l’as fait de peu inférieur à Dieu, Tu l’as couronné de gloire etd’honneur.Tuluiasdonnél’empiresurlesœuvresdeTesmains;Tuasmistouteschosessoussespieds:brebisetbœufs,tousensemble,etlesanimauxdeschamps;oiseauxducieletpoissonsdelamer,ettoutcequiparcourtlessentiersdesmers.

PsaumeVIII,5-9.

Lemessage religieux a entravé la révélation coper-niciennepuis la révélationdarwinienne. Ilcontinue à le faire aujourd’hui. Certes, l’engagement du pape François pour l’écologie pourraitcontribuer à infléchir cette vision archaïque du vivant. Avant lui, François d’Assise avait porté laconvictiond’unchristianismecompassionnelenverstouteslescréaturesdelaTerre,sansdistinctiond’espèce.Plusrécemment,AlbertSchweitzeretThéodoreMonodontrelayé,chacundeleurcôté,unmessagefortsurlerespectduvivant.Schweitzerétaitpasteuretthéologienluthérien,missionnaireenAfrique,lauréatduprixNobeldelapaixen1952,etgrandorganistedesurcroît,spécialistedeBach.Théodore Monod fut influencé par Schweitzer. Il était lui aussi protestant libéral, zoologiste,naturaliste,spécialistedesdéserts,pacifiste;ilamilitécontrelaguerred’Algérie,contrelapauvreté,le racisme, contre la destruction de l’environnement, en faveur des droits des animaux, et il étaitvégétarien.Monods’inspiraitdelaBibleetenparticulierdutrèsbeauSermonsurlamontagne,danslequelillisaitunappelàlacompassionetàlagénérositéàl’égarddetouslesêtres,humainsounonhumains.Mais ces paroles chrétiennes antispécistes sont particulièrement rares dans l’histoire desmonothéismes.Contrairementauxspiritualitésasiatiques,quiontanticipéavecintuitionlaparentédel’homme avec la nature et les responsabilités qui en découlent, la Bible a surtout inspiré unmouvement d’exploitation sans limites de l’environnement et des non-humains. Schopenhauer,

imprégnédelasagesseindienne,avaitparfaitementanalysélerôledelareligionoccidentaledanslemalheurdesanimaux.SongénieaconsistéàanticiperDarwinenproposant,quelquesannéesavantlapublication de De l’origine des espèces (1859), une lecture du monde sensible déconnectée descroyances européennes en vigueur, et parfaitement en phase avec les confirmations scientifiques àvenir:

Une autre tare fondamentale du christianisme […] est la suivante : il a, contredisant lanature,arrachél’hommeaumondeanimal,auquelilappartientpourtantessentiellement,etveut à présent le faire valoir totalement seul, considérant les animaux très exactementcomme des choses ; tandis que brahmanisme et bouddhisme, fidèles à la vérité,reconnaissent d’une manière décisive l’évidente affinité de l’homme avec la nature toutentière, particulièrement et très fréquemment avec la nature animale, et ne cessent de leprésenter,parlamétempsychoseetsousd’autresaspects,enliaisonétroiteaveclemondeanimal.

ArthurSchopenhauer,Surlareligion(1851)

IlfautaupassagerendrehommageàSchopenhauerpoursaclairvoyanceetlamodernitédesapenséescientifique,quiexplique lapertinencedesaphilosophie.Alorsquedans laFrancede2016noussommesencoreoccupésàdébattredelaréalitédelaraceblanche,lephilosopheavaitexpriméilyaplusd’unsiècleetdemilastupiditéd’untelconcept:«[…]Pourmoi,lacouleurblanchen’estpasnaturelle à l’homme, mais il devait avoir à l’origine la peau noire ou brune, à l’exemple de sesancêtres, lesHindous;par lasuite, iln’estpassortià l’origineunseulhommeblancauseindelanature,et iln’yapasderaceblanche,quoiqu’onenaitdit,mais touthommeblancestunhommedécoloré. » Or, il s’agit presque mot pour mot de l’explication que délivre aujourd’hui YvesCoppens,puisquelepaléoanthropologuerappellequenotreespèceestnéedanslesforêtsafricainestropicalesetque,pourlui,«iln’existepasdepersonnesblanches,seulementdesdécolorées».

LesspécistessontsemblablesàcescroyantsaveuglésquiontcondamnéCopernicetDarwin.Ilsrefusent d’écouter ce que l’éthologie, la paléoanthropologie, l’astrophysique et la biologiemoléculairenousapprennentdenous-mêmesetdumondevivantquinousentoure.Estporte-paroled’unnouvelobscurantismequiconqueremetencause le faitque l’humainestunanimaletquenoscousinsanimauxpensent, souffrent, s’amusent, angoissent, aiment,détestent, s’attachent,dépriment,qu’ilssontcourageux,lâches,empathiques,partageurs,égoïstes,séducteurs,infidèlesoufidèles.Ilenest encore,nombreux,quinientqu’il n’y a, entre les autres animauxetnous,qu’unedifférencededegréetnondenature.Cesontceuxquej’aiappeléslesanimalosceptiques.Ceux-là,auXVIIe siècle,auraient continué à prétendre que le Soleil tourne autour de la Terre. La comparaison n’est pasanodine. La compréhension que nous avons de l’univers et de ses mécanismes physiques etbiologiquesdéterminel’essencedeshumainsquenoussommes.

Passer d’une conception géocentrique de l’univers à une vision héliocentrique futincontestablementuncamoufletpournotreego.Etcenefutqueledébut.Ilfallutensuiteadmettrequele Soleil n’était pas le centre de l’univers tout entier, mais qu’il était simplement le cœur d’unegalaxie parmi des milliards d’autres. Cela relativisait encore davantage notre existence. AuXIX

e siècle,Darwinadémontré l’erreurd’uneséparationentre l’humainet l’animalet, surtout, il aremis en cause l’idée selon laquelle nous serions une création de Dieu, a fortiori plus aboutiequ’aucune autre.Deuxième grosse claque. SigmundFreud a identifié ces deux événements commedeux « blessures narcissiques de l’humanité » car ils ont révélé des vérités scientifiques quicontredisent notre anthropocentrisme. L’humiliation copernicienne est d’ordre cosmologique, etl’humiliation darwinienne d’ordrebiologique 1. Freud explique ce secondmoment crucial de notrehistoiredansunpassagequifaitdesonauteurl’undesmaillonsdel’antispécisme:

L’homme s’éleva, au cours de son évolution culturelle, au rôle de seigneur sur sessemblablesderaceanimale.Mais,noncontentdecetteprédominance,ilsemitàcreuserunabîmeentreeuxet lui-même. Il leur refusa la raisonet s’octroyauneâme immortelle, setarguad’unedescendancedivinequiluipermettaitdedéchirertoutliendesolidaritéavecle monde animal. […] Nous savons tous que les travaux de Charles Darwin, de sescollaborateurs et de ses prédécesseurs ontmis fin à cette prétention de l’homme voici àpeine un peu plus d’un demi-siècle. L’homme n’est rien d’autre, n’est rien demieux quel’animal,ilestlui-mêmeissudelasérieanimale,ilestapparentédeplusprèsàcertainesespèces,àd’autresdeplusloin.Sesconquêtesextérieuresnesontpasparvenuesàeffacerles témoignagesdecetteéquivalencequi semanifestent tantdans laconformationdesoncorpsquedanssesdispositionspsychiques.C’est làcependant la secondehumiliationdunarcissismehumain:l’humiliationbiologique.

SigmundFreud,Unedifficultédelapsychanalyse(1917)

Depuis Darwin, la biologie a largement progressé avec le développement de l’éthologie etl’apparitionde labiologiemoléculaire.Et, tandisque legrandCharlesnousavait ramenésdans lemondeanimal,cesdisciplinesamènentlesanimauxdanslemondehumain.Aprèsavoirapprisnotreappartenance à la famille des grands singes, nous découvrons maintenant la sensibilité etl’intelligencedesanimauxnonhumains.

Entreleshommesetlesautresanimaux,iln’estplusseulementquestiond’originescommunes,maisaussimaintenantd’undestincommun:lesanimauxsont,commenous,despersonnes,etmêmedespersonnescomplexes.Telleestnotrenouvelleblessurenarcissique,quisuitcelledeDarwin,etquiacettefoisuneimplication juridique.Car,si lesanimauxhumainsetnonhumainsfonctionnentsur des modèles neurobiologiques et psychologiques semblables, alors tous doivent pouvoirbénéficierdedroits fondamentaux.En interdisant touteviolenceà l’égardd’unanimalnonhumain

1.

sensible,nouscréonsl’obligationd’unmondeauxfondationsredéfinies.C’estlaraisonpourlaquellel’antispécisme appelle à une nouvelle révolution copernicienne, contre les tenants de l’obscuretradition qui tentera toujours de défendre l’indéfendable, par peur de voir son modèle rassurantvaciller.

PourFreud,latroisièmeblessurenarcissiqueestd’ordrepsychologique:ellecorrespondàl’émergencedelapsychanalyseetà la découverte de l’inconscient, qui démontre que « le Moi n’est pas maître dans sa propre maison », c’est-à-dire quel’hommen’estpasmaîtredesespenséesetpulsions.

L’hommecontrel’animal?

Les animaux, c’est bien,mais tu feraismieux de commencer par t’occuper des hommes. Tousceuxquisontengagésenfaveurdesanimaux,d’unemanièreoud’uneautre,ontdéjàentenducetteobjectionou l’unedesesvariantes :Quandonvoit lenombredegensquimeurentde faimdans lemonde,onseditquelesanimaux,c’estpaslapriorité,et:C’estquandmêmebizarredes’intéresserdavantageausortdesanimauxqu’àceluideshumains:pourquoicettemisanthropie?

Les remarques de ce genre s’expliquent de plusieurs manières. D’une part, ceux qui lesformulent n’ont sans doute sincèrement pas encore compris qui sont réellement les animaux nonhumains. Ilsn’ontpaspris le tempsd’apprendre le liengénétiquequinousunitàeuxninesesontintéressésàleurfascinantecomplexitépsychologique.D’autrepart,enattaquantceuxquiportentuncombat qu’ils ne comprennent pas, ils tentent de se déculpabiliser de leur propre indifférence. Ilsfermentlesyeuxsurlesviolencesimposéesauxanimaux:illeurfauttrouverunejustificationàleuratonie.Leplus souvent, et cen’estpasunhasard, les contempteursdesdéfenseursdes animauxnemilitentpasnonpluspouraméliorerlesortdeshommesetdesfemmesdecetteplanète.Ilsnefontriendutout.Ilestdonctempsquecesselamauvaisefoietqu’enfinsoitadmisecettevérité:lacauseanimaleestunecausehumanitaire.

Cette lutte s’inscrit dans une logique globale et universelle de défense des plus faibles, desopprimés,deshumiliés.Or,iln’yapasenlamatièredefrontière.Celuiquidétestecesdeuxsœursquesontl’injusticeetlaviolencelescombatsurtousleschampsdebatailleoùellescommettentleurscrimes.«Ladénonciationdelaviolenceestindispensable,écritlaphilosopheCorinePelluchon,maisilfautprendregardeànepasinstallerunesortedeconcurrenceentrelesvictimesdeladomination(lesfemmes,lesenfants,lespauvres,cellesetceuxquisubissentleracismeoutouteautreformedediscrimination, les animaux).Car toutes les violences sont liées ; elles s’enracinent dans lemêmepenchant au mal. » Ce n’est pas un hasard si Louise Michel, figure majeure du mouvementrévolutionnaireetanarchisteduXIXesiècle,pionnièreduféminisme,voyaitdanssonamourdesbêtes,etdansladétestationdessouffrancesqu’onleurinflige,l’inspirationdetoutessesluttesenfaveurdes

faibles.«Aufonddemarévoltecontrelesforts,jetrouveduplusloinqu’ilmesouviennel’horreurdes tortures infligées aux bêtes, écrit-elle. Depuis la grenouille que les paysans coupent en deux,laissant se traîner au soleil lamoitié supérieure, les yeux horriblement sortis, les bras tremblants,cherchantàs’enfouirsouslaterre,jusqu’àl’oiedontonclouelespattes,jusqu’auchevalqu’onfaitépuiserparlessangsuesoufouillerparlescornesdestaureaux,labêtesubit,lamentable,lesuppliceinfligéparl’homme.Etplusl’hommeestféroceenverslabête,plusilestrampantdevantleshommesqui le dominent. » Quelques années plus tard, au début du XXe siècle, la militante socialiste RosaLuxemburgécritdansl’unedesLettresdeprison:«Savez-vousquej’aisouventl’impressiondenepasêtrevraimentunhumain,maisunoiseauouunautreanimalquiaprisformehumaine?»Ellecontinue : « À vous, je peux bien le dire ; vous n’allez pas me soupçonner aussitôt de trahir lesocialisme.Vous le savez, j’espèremourirmalgré toutàmonposte,dansuncombatde rueouunpénitencier.Mais, enmon for intérieur, je suis plus près demesmésanges charbonnières que des“camarades”.»

LescasdeLouiseMicheletRosaLuxemburgnesontpasisolés,bienaucontraire.Lesfersdelance de la lutte contre l’esclavage ont souvent été les précurseurs de la défense animale.WilliamWilberforce (1759-1833), l’un des leaders du mouvement pour l’abolition de l’esclavage enAngleterre,aétél’undescofondateursdelaRoyalSocietyforthePreventionofCrueltytoAnimals,la société britannique de protection des animaux, la première du genre dans le monde. VictorSchœlcher,quiestàl’originedudécretquiabolitdéfinitivementl’esclavageenFrance,étaitengagépour laprotectiondesenfants, l’émancipationdes femmes, contre lapeinedemort. Il a égalementsoutenulaprotectionanimale.L’écrivainaméricainHenryDavidThoreaufutunvirulentadversairede l’esclavage,aupointqu’ilpritpartipubliquementen1859en faveurde l’activisteabolitionnisteJohnBrown,condamnéàmortetpendupourinsurrection.Ildéfenditégalementlevégétarismeencestermes:«Certes,[l’homme]peutvivre,etvit,danscettevastemesureenfaisantdesautresanimauxsa proie ;mais c’est une tristeméthode – comme peut s’en apercevoir quiconque ira prendre deslapinsaupiègeouégorgerdesagneaux–etpourbienfaiteurdesa raceonpeut tenirqui instruiral’homme dans le contentement d’un régime plus innocent et plus saint. Quelle que puisse êtremapropremanière d’agir, je ne doute pas que la race humaine, en son graduel développement, n’aitentreautresdestinéescellederenonceràmangerdesanimaux,aussisûrementquelestribussauvagesont renoncé à s’entre-manger dès qu’elles sont entrées en contact avec de plus civilisées. » Lephilanthrope britanniqueAnthonyAshley-Cooper, devenu lord Shaftesbury (1801-1885), qui a faitavancer,commedéputé,lacausedesouvriersetdesenfantsenparticulier,futquantàluiprésidentdelaNationalAnti-VivisectionSociety,associationcontrel’expérimentationanimale.

Victor Hugo a lui aussi été le président d’honneur de la première Ligue française contre lavivisection,quiaétécrééeen1882,etafaitpartiedeceuxquiontsoutenulaloiGrammonten1850,lapremièregrandeloideprotectionanimaleenFrance.VictorHugoestl’écrivainlepluscélèbredenotrepays,etpourtantpeudegensconnaissentsonengagementpourlesanimaux,liéàtoussesautrescombats,àcommencerparceluicontre lapeinedemort.Pourquoicepandesapersonnalitéest-il

ignoré ? Parce qu’il est celui qui intéresse le moins les faiseurs d’opinion et les raconteursd’histoires, qui ne voient souvent dans ce combat particulier qu’un détail biographique sansimportance.IdempourÉmileZola.Onvantesesqualitésd’écrivain,d’humaniste,decitoyenengagé,decritiqued’art,sesrelationsaveclespeintresetlesmusiciens,maistoujoursestpassésoussilenceunaspectessentieldesoncaractère:sonaffectionprofondepourlesanimaux.Zolaatoujoursvécuentouréd’animaux.SeschienssesontappelésBertrand,Raton,Fanfan,Bataille,VoriotouPinpin.Cederniermourut de chagrin, se pensant abandonné lorsque l’écrivain dut le laisser lors de son exilforcéenAngleterre,etenretourZolafutlui-mêmetrèsaffectédecettedisparition.DanssamaisondeMédan,l’écrivainavaitconstituéunepetitefermeaveccheval,vaches,poules,pigeons,lapins,etdesfamilles de chats.En 1896,moins de deux ans avant son « J’accuse » lors de l’affaireDreyfus, ilpublie dans Le Figaro un édito intitulé « L’amour des bêtes », dans lequel il écrit ces lignes :«Pourquoilasouffranced’unebêtemebouleverse-t-elleainsi?Pourquoinepuis-jesupporterl’idéequ’unebêtesouffre,aupointdemerelever lanuit, l’hiver,pourm’assurerquemonchatabiensatassed’eau?Pourquoi toutes lesbêtesde lacréationsont-ellesmespetitesparentes,pourquoi leuridéeseulem’emplit-elledemiséricorde,detoléranceetdetendresse?Pourquoilesbêtessont-ellestoutesdemafamille,commeleshommes,autantqueleshommes?»

Pourtant, une fois encore, comme pour Louise Michel et Victor Hugo, cette dimensionfondamentale et fondatrice chez Zola est aujourd’hui encore passée sous silence. Comme si elledérangeaitplusquetouteslesautres.Esclaves,enfants,femmes,animaux:chaquefois,lemêmesoucideluttercontrel’exploitationdesplusfaiblesparlesplusforts.Nombreuxsontlesintellectuelsquiont, au cours des siècles derniers, appelé à la fin de l’exploitation animale ou qui ont simplementdemandéquecessentlestraitementslesplusbarbaresàl’égarddesanimaux.MontaigneetRousseaufigurentaupremierrangdecesanimalumanistes,maisonpourraits’attardersurleslignesécritesparTolstoï, Marguerite Yourcenar – végétarienne afin de ne pas « digérer d’agonies » – ou encoreRomain Gary. En 1956, dans Les Racines du ciel, parfois considéré comme le premier romanécologiste, Gary alerte sur la destruction de la nature et des animaux qui la peuplent. Il racontel’histoire de Morel, qui consacre son énergie à éviter le massacre des éléphants en Afrique,pourchassés pour leur ivoire. « Nous devons nous tourner avec beaucoup plus d’humilité et decompréhension vers les autres espèces animales, différentes mais non inférieures », écrit-ilnotamment.Leromanaétéacclaméparlacritique,ilaétérécompenséparleprixGoncourt.C’estbien. Mais combien de ceux qui ont attribué cette distinction ont su mettre en pratique lesrecommandationsdeGary?Unefoislespetitsfoursengloutisetlesbullesdechampagneévaporées,iln’estpasrestégrand-chosedumessagedel’auteur,sicen’estunprétexteàlabonneconscience:Ohoui,voyezcequedisaitRomainGary ilyasoixanteans !Qu’ilavait raison,quelprécurseur !Biensûrqu’ilfautpartagersonpointdevue!D’ailleurs,sonprixGoncourtmontrecombienilaétéécouté!Tuparles.

Voilà bien l’un des problèmes de la protection animale en particulier et de l’écologie engénéral:mêmesibeaucoupobserventencorecesprisesdepositionaveccondescendanceetironie,

chacunestbienobligédereconnaîtrequ’elless’appuientsurdesrevendicationsdontlesfondementssont justes. Il devient délicat aujourd’hui d’affirmer être indifférent à la souffrance animale et auxdestructions de l’écosystème. D’ailleurs, la première chose que vous répond un éleveur ou unboucher,dansundébat,c’est:Moiaussi,j’aimelesanimaux!Saufquecesmotssontimmédiatementsuivisd’un«mais»:J’aimelesanimaux,mais…ouJ’aimelanature,mais…Unpeucommeletyperacistequidirait:J’airiencontrelesArabes,mais…

Ceconsensusd’hypocrisiegénéraliséesemblecontentertoutlemonde,àcommencerparceux,nombreux,quiprospèrentsurledosdelasouffranceanimale:lesindustrielsquifabriquentlaviandeet d’autres produits issus des animaux, la distribution, les commerçants, les entreprisespharmaceutiquesquiréalisentleurstestssurdesanimaux,tousceuxquiconsommentlesobjetsoulesnourritures à base d’animaux et qui ne veulent surtout pas changer leurs habitudes, les zoos, lescirques, les organisateurs et les spectateurs de corridas, les chasseurs et tous les représentantspolitiquesquin’osentpasl’ouvrirpournepassemettreàdostousleslobbiesdécritsici.

Parce qu’il confisque à l’homme son rang d’espèce supérieure, l’antispécisme est parfoisqualifié par ses adversaires d’antihumanisme. Il s’agirait d’un courant philosophique construit enréactionàl’êtrehumainetquiagiraitcontresesintérêts.C’estuncontresenscompletcommispardescommentateursignorants.Ilestévidemmentpossibledetrouver,parmilesdéfenseursdesdroitsdesanimaux, quelques misanthropes écœurés par le degré de violence dont les humains se rendentcoupables.Ceuxquiontlecouragedeseplongerdansledétaildestorturesquenousinfligeonsauxanimaux en arrivent parfois à un dégoût de notre espèce compréhensible. Je ne parle pas icisimplementduprincipedetuerunanimalpours’ennourrir.Jepenseàdesscènesinsoutenablesdecoups,deblessures,d’égorgementoudevivisection.Jepenseàlavisiondecesêtresensouffrancedansdescagesminusculesàl’intérieurdesquellesilsnepeuventsemouvoir.Jepenseauxanimauxjetéscommedeskleenexouviolentésparleurspropriétaires.Jepenseauchasseurquimassacredesrenards et qui poste fièrement la photo de son triomphe sur Internet. Il est logique de douter del’espèce humaine lorsque l’onmesure sa capacité de haïr et d’anéantir les animaux non humains,maisaussisescongénères.Lescentainesdemillionsdemortshumainesprovoquéesparnosguerresounosdiktatspolitiquesdoiventtoutdemêmenousinterrogersurnotrepropensionàl’intoléranceetà la brutalité. Difficile de nier l’obsession de l’Homo sapiens pour la domination sous toutes sesformes.Leshommesontlafâcheusetendanceàasservirouàéliminertousceuxquisontdifférents,qu’ilssoienthumainsounon.Onnepeutdoncenvouloiràceuxquiperdentespoir.

Pourtant, l’antispécisme ne cherche pas le moins du monde à se venger de l’homme. Pardéfinition,l’antispécismenepeutd’ailleursrejeterleshumains,puisqu’illutteprécisémentcontreladiscrimination liée à l’espèce. S’il établissait que l’espèce humaine vaut moins que les autres,l’antispécismesecontrediraitdonclui-même!

L’antispécisme souhaite simplement réhabiliter les autres espèces animales afin qu’elles aientdroit à la considération qu’elles méritent. En cela, il rejette la vision restrictive d’un humanismeanthropocentré.

En rétablissant le lien qui nous unit à toutes les autres espèces, l’antispécisme propose ladéfinitiond’unnouvelhumanisme,quines’entendpluscommeuneprioritéabsoluedonnéeàl’êtrehumain,maisquiétendsonchampd’intérêtàtouteslesespècessensibles.Ilnes’agitpasd’enleverdesdroitsauxhommes,maisd’enaccorderàdenouveauxindividus.L’antispécismerevendiquequenousélargissionsnotresphèredeconsidérationmorale.Encesens,nouspouvonsqualifiercenouvelhumanismed’anumanisme.

Élargirnotresphèredeconsidérationmorale

Il fut un temps pas si lointain en Occident où régnait un humain supérieur qui était blanc,masculin et hétéro-sexuel. Un rapide coup d’œil en arrière permet de constater que nous n’avonséliminéquedepuispeulesstatutslégauxquiconsacraientl’inférioritédecertainsHomosapiensparrapportàd’autres.

L’esclavage,quiexistaitdéjàchezlesGrecsetchezlesRomains(Aristote,quin’apasditquedeschosesintelligentes,enjustifiaitlapratique),aétéaboliilyamoinsdedeuxsiècles.EnFrance,iln’est officiellement interdit quedepuis1848.Napoléon l’avait rétabli en1802, alorsqu’il avait étésupprimé dans les colonies françaises après la Révolution, en 1794. Il a ainsi fallu attendre leXIX

esièclepourquelamajeurepartiedespaysdumondeentérinelafindecettepratiquedésormaisreconnue comme révoltante : 1833 pour les colonies britanniques, 1863 pour les colonieshollandaises, 1865 pour l’ensemble des États-Unis (après la guerre de Sécession), 1869 pour lescoloniesportugaises,1888auBrésil,etseulement1981pourlaMauritanie,oùilperdured’ailleursnéanmoins. L’esclavage est interdit par laDéclaration universelle des droits de l’homme de 1948,mais il subsisteaujourd’huisousdifférentes formesdans lemonde,etdeshommes,des femmesetdesenfantscontinuentàêtreexploitésouvendussansqu’ilsaientlemoindredroit.AuxÉtats-Unis,les Noirs ont obtenu la citoyenneté américaine en 1868 et le droit de vote en 1870. Mais il fautattendrelemilieuduXXesiècleet lemouvementdesdroitsciviquespourquesoientsuppriméesleslois ségrégationnistes à l’égard des Afro-Américains. Les Hispaniques et les Amérindiensdemanderontaussiaumêmemomentlareconnaissancededroitségaux.Pourtant,lecombatestloind’être terminé.D’abord, il y a encore actuellement environ 40millions d’esclaves dans lemonde,selonl’ONGWalkFree,c’est-à-direprèsde40millionsdepersonnesvictimesdetraiteoudetravailforcé.Etpuisleracismealapeaudure.Aujourd’hui,lesNoirssonttoujoursclairementdiscriminésauxÉtats-Unis.Concrètement,sivousêtesnoir,vousrisquezdegagnermoinsqu’unBlanc,d’avoirunmoins bon travail, d’habiter un endroitmoins sympa. En revanche, vous avez plus de chances

d’allerenprison.AlorsquelesAfro-Américainsreprésentent13,6%delapopulationgénérale, ilscomposent40%delapopulationcarcérale.

Bernie Sanders, candidat à la primaire démocrate de 2016 auxÉtats-Unis, a rappelé dans sesmeetings qu’aux États-Unis un nouveau-né noir a une chance sur quatre de passer par la prison.Certainsvont immédiatement conclure :Ah,mais c’est peut-être tout simplement lapreuveque lesNoirs commettent beaucoup plus de crimes que lesBlancs ! Sauf que, évidemment, cela n’a aucunsens.Selonuneétuderécente,lesNoirstuésparlapolicesont21foisplusnombreuxquelesBlancs.Etcen’estcertainementpasparcequ’ilssont21foisplusdangereux.L’histoirejudiciairerécentedesÉtats-Unis montre l’iniquité des jugements. Parmi les derniers exemples en date, on peut citerl’absence de poursuites contre Timothy Loehmann, le policier blanc qui a abattu Tamir Rice, ungarçonnoirdedouzeans,ennovembre2014àCleveland,dansl’Ohio.L’enfantjouaitseuldanslarueavecunpistoletenplastiquelorsqueLoehmannasurgidanssavoitureetatiréimmédiatement,sans lamoindre justification.AuxÉtats-Unis, unNoir a toujours plus de risques d’être condamnéqu’unBlanc.Lesstatistiquesdémontrentqueprèsdelamoitiédesvictimesd’homicidesontdesNoirsmaisqueplusdestroisquartsdesvictimesdescondamnésàmortexécutésdepuis1976auxÉtats-UnissontdesBlancs.

Lesfemmes,pourleurpart,n’ontobtenuledroitdevoteetd’éligibilitéenFrancequ’en1944.L’épouse n’est devenue l’égale de sonmari dans le couple qu’en 1965, date à laquelle le régimematrimonialde1804(«lafemmedoitobéissanceàsonmari»)estréformé:désormais, lafemmen’aplusbesoindel’autorisationdesonmaripourtravailler,ouvriruncompteougérersesbiens.Lanotionde«chefdefamille»(auprofitdumariévidemment)n’aétéremplacéequ’en1970parcelledel’autoritéparentaleconjointe.Etdoit-onénumérerégalementlesprogrèsqu’ilresteàréaliserencequiconcernelescarrières,l’accèsàcertainsemploisetlesrémunérations?

Quant à l’homosexualité, elle est encore illégale dans environ quatre-vingts pays et elle estmêmepuniedemortdanscertainsd’entreeux.Onnecompteplus,dansl’histoiredel’humanité,lenombred’homosexuelsquiontétéviolentés,privésdetravail,emprisonnésoutuésenraisondeleurpréférencesexuelle.Parmieux,certainscassontcélèbres,commeceluid’OscarWilde,condamnéàdeuxansdetravauxforcésen1895.N’oublionspasquel’homosexualitén’aétéretiréedelalistedesmaladiesmentales par l’OMS qu’en 1990. Aux États-Unis, les homosexuels ont été officiellementinterdits dans l’armée jusqu’en 2011. En France, l’homo-sexualité est devenue sousDeGaulle, en1960,un« fléau social»par lebiaisd’unamendement.Leshomosexuelsont été fichés cheznousjusqu’en1981,etl’homosexualitén’aétédépénaliséequ’en1982.Celan’ad’ailleurspasétésimple:unfuturPremierministre,FrançoisFillon,etunfuturprésident,JacquesChirac,ontvotécontrecettedépénalisation.LesrécentsremousautourdumariagehomosexuelenFranceontprouvéque,malgrélesénormesavancéesdestrentedernièresannées,laluttepourlesdroitsdeshomosexuelsetlafindespréjugésn’estpasencorefinie.

Lecombatpourl’égalitédeshumainsentreeuxestloind’êtreterminé.Leracisme,lesexismeetl’homophobie continuent à agir plus ou moins efficacement selon les endroits. Mais il faut

reconnaîtreque,grâceàl’engagementdemilitantsclairvoyants,lespréjugéss’effacentpeuàpeuetlesloissemettentenplacepourétablirl’équité.L’antispécismeprolongecescombatspourl’égalitédes individus en demandant la prise en compte de cette réalité nouvellement admise par lesscientifiques et expliquée précédemment dans ce livre : tous les animaux sont des individus quiéprouvent la souffrance et qui ont un droit intrinsèque à la vie. C’est pourquoi on parled’élargissementdelasphèredeconsidérationmorale.

Cettesphèreétaitréduiteauminimumilyaquelquessièclesencore,puiselles’estrécemmentconsidérablement agrandie. Dans la société occidentale n’ont d’abord compté que les Grecs eux-mêmespuislesRomains,quivoyaientlesautrespeuplescommebarbares.Ensuitelesétrangersontcommencé à être considérés comme des égaux. Sauf pour ceux qui avaient une peau de couleurdifférente.LesNoirssesontalorsbattuspourobtenirlesmêmesdroitsquelesBlancs.Puiscefurentlesfemmesetleshomosexuels.Ilnemanqueplusqu’uneffortpourprolongercemouvementnaturelquiaccordeaufuretàmesureunereconnaissanceauxopprimésetauxdiscriminés.Lemouvementpourlesdroitsdesanimauxadéjàétéinitié.Ilneluimanqueplusqu’àprendredel’ampleur.Cetteaugmentationdelasphèredeconsidérationmoralepourraitêtrereprésentéeparleschémasuivant:

L’antispécismeseheurte toutefoisàunedifficultéquin’accompagnaitpas lesautres luttes : ilréclame des droits pour des individus qui ne sont pas eux-mêmes en mesure de les exiger. Les

animauxnonhumainsnepeuventpasfairedesmanifsouenvoyerdesporte-parolesurdesplateauxtélé.Contrairementauxesclaves,capablesderévolte,auxfemmesetauxhomosexuels,rassemblésenorganisationspourporterpubliquementleursexigencesetrelayerlestémoignages,lesanimauxquel’on exploite n’ont aucun moyen de se faire entendre. Dans les élevages, les abattoirs ou leslaboratoires, ils livrent pourtant d’évidents signesdedésapprobation, demal-être et de souffrance.Mais il est aisé pour leurs tortionnaires de les minimiser ou de les nier. Lequel de ces animauxprendralaparolepourexpliquersoncalvairesurlaplacepublique?Lutterpourlesdroitsd’unautrequesoi-mêmeestd’ailleurs leplusnobledescombats,car totalementdésintéressé.Unhomosexuelqui lutte pour les droits des homosexuels est évidemment en premier lieu motivé par sa proprehistoireetparl’améliorationdesonpropresort.Etc’estparfaitementlégitime:lareconnaissanceestindispensableaubien-être.Maisquandunhétérorejointlecombatpourlesdroitsdeshomosexuels,l’effortestencoreplusbeaucarilsefaitendehorsdetoutespoirdebénéficepersonnel.Ilestmenéaunomd’un idéal. Idempour les luttespour lesdroitsdes femmesoudes immigrés : lorsque lesrevendicateursnesontpasdirectementconcernéscarilsn’appartiennentpasàlacatégorielésée,leurengagementsefaitaunomd’unecommunautédefraternité.Touthumainquis’engagepourdéfendreunnon-humainsegranditcarilvoitau-delàdelui-mêmeetsereconnaîtdanscetau-delà.Lamodestiequ’exigeladémarcheproduitunrésultatparadoxal:l’hommequireconnaîtsaparentéaveclesautrescréaturesréputéesplusfaiblessedécouvreunedimensionsupérieure.

L’antispécisteestunepersonneinformée

L’antispécismeestissudel’alliancesalutaireentrelascienceetlamorale.C’estlaraisonpourlaquelle nous avons exploré longuement ces deux domaines dans les premières parties de cetouvrage.L’uneetl’autresontindispensablesàtoutepenséedevaleur.SurlatombedeKantfigurentcesmots du philosophe qui devraient être unemaxime universelle : «Deux choses remplissent lecœurd’uneadmirationetd’unevénérationtoujoursnouvellesettoujourscroissantes,àmesurequelaréflexions’yattacheets’yapplique:lecielétoiléau-dessusdemoietlaloimoraleenmoi.»LecielétoilédeKantestlaconnaissancedumondeetdel’univers.Lamoraleestlanotiondecequiestbienet de ce qui est mal. La connaissance et l’éthique seules nous élèvent et nous permettent de noussurpasser.Malheureusement,l’uneetl’autrefontsouventcruellementdéfautdansledébatpublic.

Redisons-le : l’antispécisme n’est pas, contrairement à ce que prétendent les railleurs,l’expressiond’unesen-sibleriemalgérée.Iln’estpasnonplusunetentationésotérique.C’esttoutlecontraire.L’antispécisteenappelleàlaraisoncontrelasuperstition,contrairementauspéciste,quisesoumetàunethéologieaveuglante.CedernierprieledieuAnthropos,dontilestl’envoyéspécial.Ilsesoumetsansquestionnementàuneautoritécollectivequiestlapenséedominante.Ilchoisitlecampducroireplutôtqueceluidusavoir:ilcroitqueleshumainssont«faitspourmangerdesanimaux»,ilcroit que ceux-ci ne souffrent pas autant que certains le prétendent, il croit qu’il est ridicule desonger à accorder des droits à des non-humains, il croit que seul l’homme compte ou presque. Ilcroit,maisilnepeutledémontrer.Car,enréalité,ilnesaitpas.

Tolstoïécritque«lavieestprécisémentdanslarecherchedel’inconnuetdanslasubordinationdel’actionauxconnaissancesnouvellementacquises.C’estlàlaviedechaqueindividucommelaviede toute l’humanité. » L’antispécisme s’appuie exactement sur les « connaissances nouvellementacquises»,c’est-à-diresurlascience,pourdéveloppersonargumentation.Ilestuneactualisationdela connaissance et une prise en compte de ses conséquences. Mais qui aujourd’hui, parmi lescommentateurs, écrivains et penseurs connus du grand public, s’intéresse réellement à ce que la

rechercheactuellenousapprenddumondeetdenous-mêmes?Nombreuxsontceuxquisontrestésfigés dans leurs souvenirs de cours de fac, et qui révisent leurs fiches dans des cocktailsd’autocongratulation. Ce qui ne les empêche pas de parler, commenter, tout le temps, dire, diren’importequois’illefaut,maisdire.

L’espacemédiatiquenesupportepaslevide,alorsilleremplitparducommentaire.Cederniertentedeprendre la formede l’analyse,mais il n’en atteint que rarement l’exigence.L’avantageducommentaire pour une radio ou une télévision est multiple. D’abord, il se présente comme unecréation de sens : grâce au commentaire, l’information devient supposément lisible. Ensuite, il necoûterienoupresque:ceuxquisontinvitésàdonnerleuravisinterviennentsouventgratuitement(ilsescomptenttirerdeleurexpositionunbénéficedenotoriété),ousontrémunérésmodestement.Ilestbeaucoupmoinscherdefaireparleruninvitépendanttrenteminutesquedefabriquertrenteminutesdereportage.Cetargumentestloind’êtrenégligeable:ilexpliqueengrandepartielamultiplicationdesdébatssurleschaînesinfo,lesquellessontsoumisesàdesimpératifsderentabilitééconomique.Enfin,lecommentairedevient,àsoncorpsconsentant,unspectaclecapablededivertir.Surunmêmesujet,leréflexeayantcoursparmilesmédiasconsisteàinviterun«pour»etun«contre»,exposésenduelsurunplateautransforméenring–ilspeuventêtreplusieursdanschacundescamps,auquelcasledébatdevientunduelparéquipes.Ilyamiseenscènedélibéréedudésaccord,etlesargumentséchangésdeviennent lesrépliquesd’unesaynètedivertissantecenséeamuser,choquerouséduire lespectateur.Convie-t-onàcescombatsformatéslesespritslespluspertinents?Lesplusinstruits?Lesplussages?Non.Surtoutpas.Oninvitelesplustélégéniques,entendezparlàceuxquirépondentlemieuxàlamissionquileurestconfiée:lesintervenantsdoiventavoirdel’aplomb,delarepartie,desopinionstranchéesetassumées,etaccepter leprincipequ’uneproblématiquepuisseêtrebalayéeenquelquesminutes.Ont-ilsétudiéavec rigueur lessujetssur lesquels ils sontamenésàs’exprimer?Non. Au mieux, ils ont lu quelques articles de presse, qu’ils mettent en perspective avec leurexpériencepersonnelle,etcelaleursuffitpourseforgeruneopinionetladéfendrecommeunevéritédémontrée.Ilsdissertentainsiaveclamêmeaisanceduterrorismeislamiste,deséleveursbretons,dela politique économique du gouvernement, du fonctionnement de l’Europe, du FMI, de la reined’AngleterreoudelaCoupedumondederugby.

Ceux dont nous parlons ici sont le plus souvent journalistes, élus politiques ou militants,entrepreneurs, communicants, avocats, et ils trustent les espaces destinés au débat.Mais parmi cesdonneursd’avismédiatiséssetrouventégalementdespersonnagesaustatutparticulier:ceuxquisontofficiellement identifiés comme « intellectuels ». On les présente comme des philosophes, despenseurs ou des essayistes éclairés. Ce sont les stars qui trustent les unes des magazines et lesfauteuils d’invité dans les émissions à forte audience. À la différence des commentateursprécédemmentcités,leurparoleestsacralisée,etonnousdonneàcroirequ’ilspenseraientmieuxqueles autres.MichelWinock les nomme « intellectuels professionnels ». Ils se réclament des lettresmais,àladifférencedesMalraux,SartreouCamus,qu’unepartied’entreeuxaimeciterdetempsentemps (d’autres vont plutôt chercher du côté de Péguy ou Barrès), leur œuvre est accessoire,

secondaire. Ils ont en commun le fait de posséder quelques qualités oratoires et, pour reprendrel’analysedeWinock,unextraordinaireamourd’eux-mêmes.Carilssont leursujetprincipal,et lesquestions d’actualité qu’ils abordent ne sont que les prétextes à l’affirmation de certitudes qu’ilsn’entendentnullementremettreenquestion.Ilsnes’intéressentquemarginalementàl’acuitédesfaits,etencoremoinsauxmisesà jourscientifiques, technologiques,maisaussisociologiques,quinousobligent à comprendre le monde autrement. Il est d’ailleurs assez savoureux d’entendre les plusconservateursd’entreeuxs’époumonercontreladéfaillancedel’écolerépublicaine,causedetouslesmaux :Les jeunes n’y apprennent plus rien, l’Éducation nationale est laxiste, les profs n’ont plusd’autorité,etc.Certes,l’écoleneparvientpasàcompenserlesravagesd’unepolitiqueéconomiqueetsociale désastreuse.Mais ceux qui répètent en boucle que « les jeunes d’aujourd’hui n’apprennentplusrien»refusenteux-mêmesdemettreàjourleursproprescompétences.

Lequel de ces intellectuelsmédiatiques pose aujourd’hui les bases d’une réflexion sérieuse etnovatrice sur l’éthique animale, la nature, ou même la guerre ou le travail ? Lequel d’entre euxinterrogeladémocratieenproposantdenouveauxmodèlesadaptésànotreépoque?Aucun.Ceuxàqui les télévisions et les radios ouvrent généralement leurs micros s’en gardent bien. Ils sontspécialistes d’une seule chose : la communication sur eux-mêmes. Ils connaissent et maîtrisentl’impactd’undiscourssimple,voiresimpliste,capabledetouchernoscapteursémotionnels.Il fautallerfairelaguerrepourapporterladémocratie!Onaunproblèmed’immigration!Onaoubliénosvaleurs ! Il suffit d’enrober ces platitudes ou ces contre-vérités de références littéraires souventdétournées,deciterdesdatesd’événementshistoriquescensésnousservirdeleçon,deprendreunairinspiré et grave, et hop, le tour est joué !Les intellosmédiatiques permettent de brasser des idéessimplesetdedonnerdulustreàdesdiscussionsdecaféducommerce.LasociologueGisèleSapirorésumeainsi leschoses :«Cequicaractérise les intellectuelsmédiatiques,c’estprécisémentqu’ilssontcapablesdeparlerdetoutsansêtrespécialistesderien.Pénétrésdeleurimportance,ilsdonnentleur avis sur tous les sujets, par conviction sans doute, mais aussi et surtout pour conserver leurvisibilité.Carlavisibilitémédiatiquen’estpasdonnée,elleseconstruit,elles’entretient.Aussisont-ilspromptsàs’attaquerlesunslesautrespourtenirenhaleinelesmédiasetlepublic,mêmesiforceestdeconstaterqu’onestloindupanached’unduelentreMauriacetCamus.»

Voilàl’undesdramesdenotreépoque:ceuxquiparadentsurlesplateauxdetélévisionouquifont les unes des magazines pour nous expliquer doctement le monde ne connaissent rien desavancéesscientifiquesdesdernièresdécennies.Ilssontprisonniersdeleurspréjugés,les«idoles»del’esprit,commelesnommaitFrancisBaconilyaquatresiècles.Jemesouviensqu’ilyaquelquesannées,uneéditorialisteenvuem’avaitriaunezlapremièrefoisquej’avaisaffirmédevantellequeles humains sont des animaux, illustrant le pouvoir des animalosceptiques. Bacon avait identifiéquatreformesd’« idoles»quiempêchentselonlui les idéesnouvellesd’émerger : les idolesde latribu, celles de la caverne, cellesde la placepublique, et les idolesde la scène.Les« idolesde lacaverne », par exemple, nous enferment dans une pensée figée liée à notre éducation et à noshabitudes. Et les « idoles de la scène » sont celles qui nous emprisonnent dans les raisonnements

passés,ennejurantquepardesauteursanciensetdevieillesidées.MêmesiBaconaformulécetteanalyse au début du XVIIe siècle, il semble qu’il décrit bon nombre des intervenants médiatiquesd’aujourd’hui.SelonBacon,lerôledesscientifiquesconsistejustementàcombattretouscesobstaclesàlacompréhensiondumonde.

Il fut un temps où les philosophes s’intéressaient de très près aux différentes matièresscientifiques.BaconetThomasHobbesensontdeparfaitsexemples.Toujoursàlamêmeépoque,auXVII

e siècle, Pascal, Descartes ou Leibniz étaient mathématiciens. Au XVIIIe siècle, Kant, qui arévolutionnélapensée,avaitétudiélesmathématiquesetlaphysique.Celanesignifiepaspourautantqueleurvisiondelanatureestpertinenteaujourd’hui.Maisaumoinsilstentaient,aveclesmoyensdeleur époque, de relier leur compréhension du monde à la connaissance scientifique de leurenvironnement.Bienplustôt,lapenséed’Aristotedécoulaitdéjàd’uneétudeapprofondiedelanaturepar le biais de toutes les disciplines scientifiques à sa disposition. Darwin ne dit pas autre choselorsqu’ilécriten1880cesmotsquiplaidentenfaveurdelascienceetcontrelasuperstition:«Bienquejesoisunferventdéfenseurdelalibertédepenséesurtouslessujets,ilmesemble(àtortouàraison)quelesargumentsdirectsàl’encontreduchristianismeetduthéismesontpratiquementsanseffet sur le public et que lemeilleurmoyen de promouvoir la liberté de pensée est l’illuminationprogressivede l’esprit deshommes, laquelle résultede l’avancementde la science. Jeme suisparconséquent toujours efforcé d’éviter d’écrire au sujet de la religion et je me suis confiné à lascience. » Malheureusement, après la Révolution française, la philosophie s’est essentiellementintéresséeàl’hommeetàlapolitique,délaissantlascience,quiétaitcenséeavoirlivrélesprincipauxsecretsdumonde.

La rupture historique entre sciences et philosophie, consacrée par notremodèle éducatif, quisépare trèsclairementcesdeuxchampsd’investigation,expliqueenpartie lacrise idéologiquequenoustraversons.En2007,dansuneinterviewaumagazineEsprit,Jean-PierreDupuy,héritierd’IvanIllich, se désespérait du fait que le « bon intellectuel hexagonal », depuis Sartre au moins, soitcomplètement ignorant en physique, en chimie, en informatique, en économie, et ne connaisse pasnonpluslesprincipesdefonctionnementd’unecentralenucléaire.Pourlui,cette«inculturecrasse»le«condamnedésormaisàl’impuissance».En2011,l’astrophysicienbritanniqueStephenHawkingannonçaitquantàluique«laphilosophieestmorte,fauted’avoirréussiàsuivrelesdéveloppementsdelasciencemoderne,enparticulierdelaphysique».LasentenceafaitbondirlephilosophePeterSinger,quirappellequelaphilosophiemoraleestextrêmementvivace.Enréalité,lesdeuxpointsdevue se comprennent. Parmi les philosophes contemporains, Peter Singer appartient à ceux quiproposentunemétaphysiquenovatrice,quis’appuiesurlaconnaissance.OnpeutdoncdifficilementluiadresserlereprocheformuléparHawking.Etilyaaujourd’huidespenseurs,dontcertainssontcitésdanscelivre,quiintègrentdansleurréflexionlesconséquencesd’unemeilleureconnaissanceduvivant.L’éthiqueanimaleoul’éthiqueenvironnementalepossèdentdesporte-paroledontlapenséeimpressionne.Onnelesentendjamaisdanslesmédias.Tropcompliqué,tropsubtil,tropdérangeant,tropsérieux,tropnouveau,etsurtoutpasassez«télé-compatible».

MichelFoucaultenappelaitaux«intellectuelsspécifiques»,spécialistesd’unsujetbienprécis.Cesderniersprennentàbras-le-corpsuneproblématiquequ’ilsétudientsoustouteslescoutures.Etilsne s’aventurent pas sur des terrains qu’ils ne connaissent pas. Contrairement à l’intellectuelgénéraliste,l’intellectuelspécifiqueneseréclamepasforcémentdelaphilosophieoudelalittérature.Il peut être astrophysicien, sociologue, médecin, géographe, ethnologue, peu importe. Ce qui lecaractérise, c’est qu’il sait de quoi il parle. Et nous avons besoin de lui aujourd’hui. Nous avonsbesoin d’entendre la parole de ceux qui savent, et non de ceux qui croient savoir. Besoin de lesentendre ensemble, qu’ils communiquent, qu’ils échangent, qu’ils se nourrissent les uns les autres.L’ère industrielle a inventé le travail à la chaîne qui a déconnecté l’ouvrier de l’objet créé enmorcelant la fabrication en demultiples étapes confiées à différentes personnes. Elle a égalementinventélapenséeàlachaîne,quinousdéconnectedelaréalitéenmorcelantnotrelecturedumondeendemultiplesdomainesquinecollaborentpresquepas:lalittérature,laphilosophie,lessciencesdelanature,lessciencessocialesethumaines,ledroit,lapolitique,oulessciencesformellescommelesmathématiques,quifontabstractiondelamatière.

LesantispécistesetL’Amistad

Au cours d’un entretien avec le philosophe Peter Singer, le scientifique Richard Dawkinsreconnaît que les arguments rationnels devraient amener chacun à cesser demanger des animaux.Mais, explique-t-il, nous agissons aujourd’hui avec l’élevage comme nous le faisions jadis avecl’esclavage, en nous voilant la face et en continuant à perpétrer avec gêne une habitude dont noussavons qu’elle est injustifiable : « Le précédent historique de l’esclavage est vraiment une bonnecomparaison.Ilyaeuuneépoque,ilyadeuxsiècles,oùl’esclavageétaitsimplementlanorme.Toutlemondelepratiquait,parfoissansenthousiasme,commeThomasJefferson.Moi-même,jel’auraissans doute pratiqué sans enthousiasme, simplement pourme conformer à ce que faisait la société.L’esclavage était très difficile à justifier, mais tout le monde le faisait. » La référence à ThomasJefferson est particulièrement pertinente : le troisième président des États-Unis, auteur de laDéclarationd’indépendance,disaitde l’esclavagequ’ilétaitun«crimeabominable», il apourtanttoutesaviepossédédesesclaves…

Leparallèleentreexploitationanimaleetesclava-gismen’ariend’unraccourcifacile.Lesdeuxphénomènes s’appuient exactement sur lesmêmesmécanismes pour asservir des êtres sensibles etintelligents.Ilsutilisentlesmêmesjustificationsfallacieuses.Cen’estpasunhasardsileursopposantss’appellent,danslesdeuxcas,lesabolitionnistes.Laseuledifférencenotablerésidedansle faitquelesvictimessontdeshumainsd’uncôtéetdesnon-humainsdel’autre.Maistoutleresteestidentique:lesanimauxcommelesesclavessontconsidéréscommedeschoses,ilsn’ontqu’unevaleurd’usage,ils sont maltraités, battus, privés de liberté, leurs besoins élémentaires sont négligés, et leurintelligence moquée. Leur identité est niée : les esclaves n’étaient pas des hommes, comme lesanimauxnonhumainsnesontpasdesêtressensiblesquiméritentdevivreetdenepassouffrir.ÀlafinduXVIIIesiècle,JeremyBenthamaffirmaitdéjàlacontinuitédesdeuxcauses:«Lejourviendrapeut-êtreoùlerestedelacréationanimalepourraacquérircesdroitsquin’auraientjamaispuluiêtrerefusés,sinonparlamaindelatyrannie.LesFrançaisontdéjàdécouvertquelanoirceurdelapeaun’estnullementuneraisond’abandonnersansrecoursunêtrehumainaucapriced’un tourmenteur.

Onreconnaîtrapeut-êtreunjourquelenombredejambes,lapilositédelapeauoulaterminaisondel’ossacrumsontdesraisonstoutaussiinsuffisantesd’abandonnerunêtresensibleaumêmedestin.»

L’AméricainRobertHiggs,chercheurensciencespolitiquespourlethinktankTheIndependentInstitute, a établi la liste des « dix raisons pour ne pas abolir l’esclavage » telles qu’elles étaientavancéesauxXVIIIeetXIXesiècles.Jereproduisci-dessouscetteliste.Voyezcombienlessimilitudesaveclesargumentsdesdéfenseursdel’élevagesonttroublantes,àtelpointqu’onpeutlesrépertoriereneffetmiroir:

1.L’esclavageestnaturel.→Danslanature,onmangeoubienonestmangé.2.L’esclavageatoujoursexisté.→Mangerdelaviandeestunetradition.3.Chaquesociétésurlaplanèteadesesclaves.→Partout,leshumainsmangentdelaviande(cequiestinexact).4.Lesesclavesnesontpascapablesdeprendresoind’eux-mêmes.→Lesanimauxontbesoindeséleveurspours’occuperd’eux.5.Sansmaîtres,lesesclavesnesurvivraientpas.→Sinousnelesélevionspaspourlesmanger,lesanimauxn’existeraientpas.6.Làoùlesgenssontentièrementlibres,leurvieestplusdifficilequecelledesesclaves.→Lesanimauxexploitéssontlogésetnourris,alorsquedanslanatureilsseraientmenacéspar

demultiplesdangersetdevraienttrouvereux-mêmesleurnourriture.7.Abolirl’esclavageprovoqueraitunbaindesangetbeaucoupdeproblèmespuisquejamaisles

maîtresn’accepteraientdelibérerleursesclaves.→Si l’élevage est aboli, cela créerait beaucoup de problèmes car les éleveurs et beaucoup

d’autrespersonnesseraientauchômage.8.Sil’esclavageestaboli,lesesclavesaffranchisdeviendrontdescriminelsquivontvoler,tuer,

violer.Lapréservationdel’ordresocialnécessitedoncdes’opposeràl’abolition.→Si l’élevage est aboli, que vontdevenir lesanimaux? Ils vont errerdans les rues, dans la

nature,créerundésordresansnom.9. Vouloir abolir l’esclavage est utopique et irréaliste. Il est inutile de perdre son temps à

discuterdecela.→Vouloirmettre finà l’élevageestutopiqueet irréaliste. Ilest inutiledeperdresontempsà

parlerdecela.10.Oubliez l’idée d’abolition de l’esclavage. Il vaut bienmieux veiller à ce que les esclaves

soientbiennourris,habillés, logés,etqu’ilsaientaccèsàdesdivertissementsdetempsentempsdemanièreàcequ’ilsoublientleurconditiond’esclaves.

→ Il ne faut pas abolir l’élevage, mais simplement s’assurer que les animaux exploités sontcorrectementtraités: il fautdoncluttercontrelesconditionsdesélevagesindustrielsetprivilégier

les petites exploitations bios, où les bêtes pourront oublier leur condition d’animaux destinés à laboucherie.

Outre le statut commund’objet sur lequel le propriétaire a tous les droits, les esclaves et lesanimauxd’élevageendurentparailleursuntraitementtrèsproche.Danslescalesdesnaviresnégriersqui les emmenaient en Amérique, les esclaves étaient entassés au maximum dans un espace sansaération, sans lumière, enchaînés, frappés si nécessaire, nourris juste le minimum pour qu’ils nedécèdent pas : un esclave mort trop tôt, c’est du profit en moins. Telles sont aujourd’hui lesconditionsdeviedelaplupartdesanimauxquifinissentdansnosassiettes.

Autre similitude frappante entre l’esclavage et l’exploitation animale : le fait que ces deuxcommerces reposent sur le mensonge et sur la dissimulation. Les gens savaient que l’esclavageexistait,certes,mais ilss’imaginaientque toutcelaétaitorganiséavechumanitéetque lesesclavesn’étaientpas simaltraitésqueça.Çanevous rappelle rien ?La stratégiedumilitant abolitionnisteanglais Thomas Clarkson, au XVIIIe siècle, a consisté à enquêter et à lancer de vastes campagnesd’informationsurlesréalitésdel’esclavagepouralerterl’opinion.Clarksonaainsiobtenuen1788undocumentprécieux:lesplansdunavirenégrierBrookes,quiprouvaientpourlapremièrefoisaupublic les conditions réelles d’entassement que l’on imposait aux esclaves pendant des mois detraversée.Clarksonn’aeudecessededémontrerquelesargumentsdesabolitionnistesn’avaientriend’exagéréoude tropsentimental,maisqu’ilsétaient juste rationnels.Leparallèle sauteencoreauxyeux:silacauseanimaleprogresse,c’estengrandepartiegrâceàdesdocumentsfilmésencaméracachéedanslesélevagesetlesabattoirs.Ilspermettentauxconsommateursdeviandederéaliserquelesproducteursoulesindustrielsmententquandilsévoquentdes«élevagesheureux».Combiendepersonnesontainsidécidéd’arrêterlaviandeaprèsavoirvisionnéunfilmdecegenre?

Puisquel’esclavageaofficiellementétéaboliauXIXesiècleenEuropeetauxÉtats-Unis,onpeutpenserquedansquelques siècles l’élevageaura lui aussidisparu, aumoinsdans certains pays.Onpeutd’ailleurstrèsbienimaginerquedansunpremiertempslaproductiondeviandesoitsuspendueseulementenFrance,oudansunautrepays,avantqu’ellenesegénéraliseailleurs.Ilyaaujourd’huides produits dont la fabrication est interdite par certains États – c’est le cas du foie gras – etl’économien’enestpasperturbéepourautant.Maislaluttepourl’abolitiondel’exploitationanimalese heurte à une difficulté particulière : contrairement aux esclaves, les victimes de l’élevage nepeuventpasparticiperaumouvementquitravailleàleurlibération.

LesmilitantsabolitionnistesduXVIIIeetduXIXe sièclen’auraient sansdoute jamais eugaindecausesanslesrévoltesd’esclaves,quiontcommencédèsl’Antiquitéetdontl’épisodeleplusillustreapourhérosSpartacus.Lefaitestencoretroppeuconnu,maisleshistoriensinsistentaujourd’huisurlerôleprimordialqu’ontjouécessoulèvementsdanslafindel’esclavage.LarévoltedesesclavesdeSaint-Domingue en 1791, au cours de laquelle une partie des planteurs fut tuée, aboutira àl’indépendancedeHaïti treizeansplus tard.Dans lesuddesÉtats-Unis,dans lapremièremoitiéduXIX

e siècle, les mouvements de révolte se sont multipliés, ce qui a provoqué l’inquiétude despropriétaires.Lamutinerie lapluscélèbre (dumoinsdepuisqueStevenSpielberg l’a racontée)est

celle deL’Amistad, en 1839 : cinquante-trois esclaves de Sierra Leone sont parvenus à prendre lecontrôle du navire espagnol qui les conduisait dans les plantations cubaines. Ces hommes, cesfemmes et ces enfants, après avoir touché terre,mèneront un long combat juridique etmédiatiqueavantd’êtrefinalementlibérésautermedeleurprocès.

Les animaux d’élevage, eux, n’ont pas la possibilité de se rebeller et de s’en prendre à leurspropriétaires.Lespoulesnevontpastoutàcoupbriserleurscagesetseruersurl’employéquilesnourritpourletrucideràcoupsdebec.Lescochonscoincéslesunscontrelesautresdanslecamionqui lesemmèneà l’abattoirnevontpas faire sauter lesportes arrièreduvéhiculepourdévorer lechauffeur.Lesvachesnevontpasdéciderdecréerunmaulpourécrabouillerl’éleveursurlesol.Lesrisquesderévoltesontd’autantplusinexistantsquelesanimauxchoisispourl’élevagesontlesplusdociles.Unmouton!Pourquoidit-on«douxcommeunagneau»?Parcequ’unagneau,c’estdoux.Bref,àpartlestaureaux,onnetrouvepasdanslesfermesd’individusàrisque.Cen’estpasunhasardsinousn’avonspaschoisidemangerleslions,lesguépards,lesrhinocéros…

UnaspectapparemmentsecondairedelarévoltedeL’Amistaddoitparailleursnousinterpeller.Aprèsavoirprispossessiondunavire, les rebellesneparviennentpasà rejoindre l’Afriquecar ilssonttrompésparlenavigateurespagnolqu’ilsavaientépargnépourqu’illesramènechezeux.Celui-ciprofiteenréalitédelanuitpourmaintenirlenavireprèsdescôtesaméricaines,oùilestfinalementarraisonné, au bout de deux mois, près de Long Island. Les esclaves sont alors conduits dans leConnecticutetemprisonnés.Mais,unefoisarrêtés,problème:ilsneparlentpasanglaisetpersonnene connaît leur langue.L’historienMarcusRediker raconte : «Comme le constate l’abolitionnisteJoshua Leavitt peu après leur arrivée à terre, “ces infortunés, qui ont été emprisonnés et mis endétentionpourêtrejugéspourleurvie”,nepouvaientguère“prononcerunmotpoureux-mêmes”.»Ilestvraique,dessemainesdurant,personnen’aétécapablede lescomprendre.«C’estalorsquesontintervenusdesanciensesclaves,plusparticulièrementJohnFerry,CharlesPrattetJamesCovey,dontlaculturecosmopoliteetlaconnaissancedeplusieurslanguesontpermisauxrebellesdefaireconnaîtreleurhistoire.»Privésdeparole,lesmutinésontdoncd’abordétéincapablesdesedéfendre.Ils ont parlé, bien sûr,mais enmendé, une langue incompréhensible pour leurs interlocuteurs. Ilsétaient incapables de raconter qui ils étaient, d’où ils venaient, comment ils avaient été capturés etasservis, quelles étaient leurs vies, leurs familles, leurs amis. Incapables de témoigner pourconvaincre. Sans voix, ces esclaves demeuraient unemasse indifférenciée de visages sans identité,sanshumanité,puisquesansrécit.LesrebellesdeL’Amistadontheureusementbénéficiéduconcoursdemarinstraducteursetilsontensuiteeux-mêmesapprisl’anglaisafindecommuniquerdirectementavecleursinterlocuteurs.Sanscela,auraient-ilsgagnéleurprocès?Sanslangage,commentdirequil’onest?Commentracontersessouffrances?Commentobtenirjustice?

Lesanimauxquenousélevonsneparlentpasnotrelangue,etnousnousarrangeonspournepasentendre ce qu’ils expriment. Si ces animaux pouvaient décrire avec nos mots leur douleur, leurtristesse, leur angoisse, leur envie de vivre, s’ils pouvaient hurler qu’ils désirent être libres, joueravec leurs congénères, rester près de ceux qu’ils affectionnent, s’ils pouvaient nous dire tout cela

avec notre vocabulaire d’humains, comment oserions-nous continuer à les maltraiter et à lesassassinerdelasorte?LesantispécistessontlestraducteursdeL’Amistad.

Unequestiond’argent

L’esclavage et l’exploitation animale reposent sur une motivation commune : le profit.L’esclavage s’est développé à partir du XVe siècle pour permettre aux colons européens partisexploiterlesrichessesduNouveauMonde(coton,sucre,café,cacao,or…)d’avoiràleurdispositionunemain-d’œuvrequineleurcoûtepresquerien–lesIndiensontétédécimésparlacolonisationetlesmaladies, et les survivants n’apportaient pas satisfaction. L’esclavage, qui en tant que tel avaittoujoursexistésousuneformeouuneautreaucoursdessièclesprécédents,s’estpourlapremièrefoistransforméenuncommerceàgrandeéchelle:latraitedesNoirs.Selonlesestimations,de12à20millionsd’Africainsontétéarrachésàleurfamilleetàleurpays,déportéspourdeveniresclavesetenrichirdesFrançais,desEspagnols,desPortugais,desHollandais,desAnglais,etfourniràleurspopulationsaiséesdesproduitsdeluxe.Ilfautnoterl’absurditéetl’ignominieabsoluedusystème:deshommesréduitsàl’étatdechosespourfourniràd’autreshommesprivilégiésdesdenréessansaucuneimportancevitale.

LejournalisteaméricainTa-NehisiCoates,auteurdubest-sellerUnecolèrenoire,expliqueainsilesvraiesraisonsde l’esclavage:«Ilyavaitquatremillionsd’esclavesafro-américainsauxÉtats-Unisdanslesannéessoixante:leurvaleuréconomiquesesituaitautourde4,7milliardsdedollarsenargentdel’époque.Cettevaleurétaitsupérieureàlasommedetouslesautresacteurséconomiquesalorssusceptiblesdeproduiredelarichesse:lescompagniesdechemindefer,lesusines,lesecteurbancairenaissant,leschantiersnavals.60%del’activitééconomiquedupaysreposaientsurlecoton,quipassait entre lesmainsdesNoirspourdevenirunproduit.LesÉtats-Unisétaient inimaginablessansl’esclavage.»PourquoilesÉtats-Unissesont-ilsdiviséssurl’enjeudel’abolitionnisme?Parcequedanslenorddupays,l’esclavagenefaisaitpasvivrel’économie.L’abolitionyadoncétéobtenuesansgrandedifficulté.Enrevanche,dansleSud,lesesclavesassuraientnotammentlaprospéritédesplanteurs de coton. Pour ces derniers, se priver de leur main-d’œuvre gratuite semblait unecondamnationàlaruine.Alorscefutlaguerre:abolitionnistesauNord,esclavagistesauSud.

DansleuressaiCalculetMorale,CarolineOudin-BastideetPhilippeSteinerétudientlamanièredontledébatsurl’abolitiondel’esclavageenFranceaenpartieportésurlaquestionéconomiquedescoûtscomparésentremain-d’œuvre libreetmain-d’œuvredesesclavesdans lescolonies.Enclair,qu’est-ce qui est plus rentable ? L’esclave ou le salarié ? Certains abolitionnistes opposés àl’esclavage pour des raisonsmorales ont commencé à s’appuyer sur des arguments économiquespour convaincre les esclavagistes. Les colons reprochent aux esclaves leur « paresse » ? Lesabolitionnistes répondentque leurproductivitéest amoindriepar leurétatde servitude :puisque lemaîtreestunennemi,l’esclavenepeutleservircorrectement.Et,puisquesavieestenjeu,iltravaillejustecequ’il fautpournepasêtrevictimede troplourdschâtiments.Enrevanche,argumentent lesabolitionnistes,s’ilsétaientaffranchis,lesesclavescomprendraienttoutleurintérêtàtravaillerpouraméliorerleursconditionsd’existence.Certainsmilitantsvontselivreràdecomplexescalculspourappuyer leur thèse. Combien coûte un esclave à l’achat ? Au bout de combien de temps faut-il leremplacer?Quelssontses«fraisd’entretien»?Condorcet,abolitionnisteéthique,faitpartiedeceuxqui ont mis en avant l’argument économique pour défendre leur point de vue, en affirmant quel’esclavagegêne l’économiedemarché.Dansuncontextede révolution industriellequi renouvellecomplètement les modes de production, les propriétaires eux-mêmes commencent à interrogerl’efficacité économique de l’esclavage, entravée par les nombreuses révoltes. Et, dans le mêmetemps, le sucre de betterave se développe, au détriment du sucre de canne, et rend l’apport descoloniesmoinsessentiel.Deséconomistesseprononcentainsiclairementpourlafindel’esclavage,quireprésenteàleursyeuxunfreinàlacroissance.Parmieux,AdamSmith,quiinsistesurlefaiblerendementdutravailservileencomparaisonautravaillibre.«L’expériencedetouslestempsetdetoutes lesnations, écrit-il, s’accorde, je crois, pourdémontrerque l’ouvrage fait pardes esclaves,quoiqu’ilparaissenecoûterquelesfraisdeleursubsistance,estauboutducomptelepluscherdetous.»Rousseau,Montesquieu,DiderotetVoltairen’auraientdoncen fait jamaiseugaindecausesansuncontexteéconomiquefavorable.Sil’esclavagecolonialn’avaitpasétédécrétéfinancièrementinefficace,sansdouteexisterait-ilencoreaujourd’hui.Aupassage,savez-vousquelescolonsfrançaisontétéindemnisésparlaFrancelorsquel’esclavageaétéaboli,en1848,àlaRéunion,enMartinique,enGuadeloupe,enGuyaneouauSénégal?Si,c’estvrai:lesesclavagistesontétédédommagésparl’Étatfrançaisdudésagrémentcausé!Lesesclavesetleursdescendantsattendentencore…

Abolir l’exploitationanimaleauraitun impactéconomiquemajeur, cequiexpliqueengrandepartie que tout soit mis en place pour discréditer les représentants des droits des animaux, quecertainsn’hésitentpasàprésentercommedesintégristesvoire,pourquoipas,depossiblesterroristes.Pendant laCOP21,endécembre2015àParis, legouvernement françaisn’apashésitéàassigneràrésidence ou à perquisitionner de simples militants écologistes. Ceux-là mêmes dont l’actiondésintéressée,depuisdenombreusesannées,adébouchésuruneprisedeconsciencedesenjeuxduchangement climatique. Il fallait surtout que ces individus s’abstiennent de perturber le GrandRamdamduClimat,quinechangeraitpasgrand-chosemaisquidonneraitdejoliesphotos.Êtreun

simplemilitant de l’air pur fait de vous un suspect, alors imaginez un peu comment peuvent êtreconsidérésdesgensquidemandentlafindel’exploitationanimale!

La viande et les produits animaux dans leur ensemble génèrent un chiffre d’affairesmonumental.D’aprèslaFAO,l’élevagefaitvivreprèsde1,5milliarddepersonnesdanslemonde.RegardonscequeçadonneenFrance.Leadereuropéendansl’élevagedebovins,ellepossèdeleplusimportantcheptel:prèsde20millionsdetêtesdebétail.Premierpayseuropéenexportateurdebétail,laFranceenvoiesaviandeetsesbovinsdans40pays.En2013,laFrancemétropolitainedénombrait452000exploitationsagricoles,etplusde850000personnesytravaillaientrégulièrement.Toutesnefont pas de l’élevage évidemment,mais il faut prendre en compte les emplois qui dépendent de laviandeendehorsdesexploitations.Legroupementd’intérêtscientifiqueÉlevagesDemainévalueenjuin 2015 que l’élevage en France représente 703 000 emplois à temps plein (ETP), soit882 000 personnes.En ajoutant l’intérim, on arrive à 724 000ETP liés à l’élevage, soit 3,2%del’emploienFrance.EnBretagneparexemple,quiestlapremièrerégionfrançaisepourlaproductionetlatransformationdeviande,55000emploissontliésàlafilièreviande.EnNormandie,lafilièrelaiten2010représentait32000emplois.Etencore,l’Insee,quifournitceschiffres,achoisidenepastenircomptedesemploisinduitsparlafabricationd’équipementspourl’industrielaitière,lestockagedesproduits, lesvétérinaires, laformationoularecherche.En2014, les industriesdelaviande,dupoissonetdesproduitslaitiersenFrancepèsent65milliardsd’eurosdechiffred’affaires.

Enregardantceschiffresdesemploisliésàl’exploitationanimale,oncomprenddoncl’urgencequedéploienttouslesgouvernementsquisesuccèdentenFranceànesurtoutrienchanger,entoutcasàencourager lesFrançaisàcontinueràmangerde laviandeet àconsommerdesproduits laitiers.D’autant que le secteur agricole français ne cesse de perdre de l’emploi. Il y avait deux fois plusd’exploitationsilyavingt-cinqans,etlespaysansreprésentaientuntiersdelapopulationactiveaprèslaSecondeGuerremondiale.Mais lesagriculteurs françaissontvictimesdesgainsdeproductivitédansl’élevageoulesgrandescultures,etdelaconcurrenceétrangère.

Telestl’avenirdel’industriemondialedelaviande:ladisparitiondespetitesexploitations,desfermes gérées comme des entreprises, et la concentration du marché entre les mains demultinationalesdeplusenpluspuissantes.Savez-vousque leplusgroséleveurde laplanèteaunecapacitéd’abattagequotidiende85000 têtesdebétail,70000porcset12millionsdevolailles? Ils’agit de la compagnie brésilienne JBS, qui est la plus importante entreprise de production et detransformation de viande au monde, devant son rival américain Tyson Foods. JBS se revendiquecommelenumérodeuxmondialde l’alimentaire,derrièreNestlé.Elleafficheunchiffred’affairesquifrôleles40milliardsdedollars,annonceplusde200000employésdanslemonde,etseprésentecomme le plus important fournisseur de protéines animales, touchant 150 pays. Elle a racheté cesdernièresannéesdesentreprisesauxÉtats-Unis,enAustralieetenEurope.JBSs’estd’abordimposéecommeleaderdelaviandebovine,puiss’estdéveloppéesurlemarchédelavolailleavantd’investirdansleporc.Cequiestextraordinaire,c’estquelesiteInternetdeJBSmontredestypesenchemisedevant des ordis, des bureaux, quelques paquets de hamburgers, mais… pas un seul animal.

D’ailleurs,dansleparagrapheoùl’entrepriseexpliquesa«culture»,JBSparlede«confiance»,de«détermination», de«discipline»de« disponibilité », des «meilleurs produits et desmeilleursservices»etautrestrucsvidesdumêmestyleempruntésauxécolesdemarketing.Et,làencore,pasun seul développement sur les bovins, les poulets ou les porcs qu’ils produisent également. OnapprendenrevanchequeJBSadesactivitésdans«lecuir,lebiodiesel,lecollagène,lesemballagesenmétaletlesproduitsdenettoyage».Toutçapouruneentreprisequi,àl’origine,acommencéavecquelquestêtesdebétailparjourdanslesannéescinquante.

La tendance est aux acquisitions, à la multiplication des activités (élevage, abattage,transformation)etdesespècesanimales.Toujoursproduireplus,maisàmoindrecoût.L’argentest,commepourlesesclavesd’antan,unecauseessentielleducalvairedesanimaux.

Abolirl’élevagepourlebiendeséleveurs

L’agricultureestdésormaisdéconnectéedesonobjectiforiginel:nourrirsainementl’humanité.Aulieud’êtreentièrementdédiéeàcettemissiondeservicepublic,qu’ellesedoitd’accomplirsouslatutelledel’Étataumêmetitrequ’uneprestationélémentairedesantéoud’éducation,elleestotagedespiresméthodesspéculativesetd’unecourseàune rentabilité toujoursplusgrande.Lesmarchésoùl’onétalelaviande,lescéréales,lesfruitsetleslégumesbrassentdeseurosetdesactions.

Lesproducteursne sontpasàmettredans lemême lotque les industrielsqui transforment laviandeetlesgrandesetmoyennessurfacesquidistribuentlesproduitsfinis.Pourfairecourt,lesdeuxdernièrescatégories s’enrichissentpendantque lesproducteursdeporcsetdebovins s’endettentetcrèventpeuàpeu.Lasituationdeséleveursn’estguèreenviable.Car,dèsquelebien-êtreanimalestquestionné, ils sont pointésdudoigt.En soi, riendeplus logique, puisque ce sont euxqui sont enchargedesconditionsdeviedesbêtes.Maisilsnecontrôlentenréalitéplusgrand-choseaujourd’hui.Ilssontlesvictimesd’unsystèmeproductivistequienfaitdespantinsimpuissantsemportésparunespiraleinfernale.Aiment-ilsréellementleursanimaux,commebeaucoupd’entreeuxleprétendent?Cettequestionn’apasvraimentdesens.Onnetuepasceuxqu’onaime,saufs’ils’agitdeleslibérerd’unesouffrance.Celanesignifiepaspourautantqueleséleveursnesouhaitentpasrespecterleursanimauxavantde les envoyer à l’abattoir.Mais ils en ont demoins enmoins lesmoyens et ils sesentent acculés.D’uncôté, les industriels refusentde leur acheter leurs animauxàunprixqui leurpermettraitdevivredécemment,et,del’autre, leséleveurssubissentdesaccusationssurlamanièredont ils traitent les bêtes et sur les pollutions qu’ils engendrent. Aumilieu, ils rencontrent l’État,qu’ilsaccusentdenepaslescomprendreetdelesenfermerdansdesparcoursadministratifslourdsetinjustes.

Leséleveursnesontpourtantpasdeméchantstortionnaires.Issuslaplupartdutempsdefamillesagricoleshabituéesdepuisdesgénérationsàproduiredelaviande,ilsnepeuventqu’êtredéroutésparles argumentsdes abolitionnistes.De leurpointdevue, ils se contententdeperpétuerunehabitude

alimentairenaturelleetontlesentimentdetravaillerdurementsansenêtrejustementrécompensés.Enfait, sans qu’ils s’en rendent encore tout à fait compte, les éleveurs sont devenus eux aussi desvictimesdumarchédelaviande,àcaused’uneindustriequial’indécenced’acheterleporc,lebœufoulelaitendessousduprixdeproduction.Etiln’yapasd’issuepoureux.Poursurvivre,ilssontcondamnés à produire toujours plus, pour toujoursmoins cher.C’est unemission impossible auxconséquences dramatiques. Des horaires de travail à rallonge, des revenus qui se sont effondrésdepuis dix ans : les éleveurs représentent la profession au taux de suicides le plus élevé,particulièrementchezleséleveurslaitiersetbovins.

Jecomprendsdonc leurdésarroi faceaux revendicationsdesabolitionnistes.Leséleveursontl’impressionquenouscherchonsà lesmettreauchômage.C’est inexact.Nousvoulonssimplementqu’ilschangentdetravail.Et,detoutefaçon,leurmétier,telqu’ilsl’imaginent,n’existepresqueplus.L’évolutiontendversunmodèleoùlemêmeacteurcontrôletoutuncircuitquivadel’alimentationdel’animal(70%ducoûtdeproductiond’unporc)jusqu’àladécoupeenpassantparl’abattage.Danscecontexte,l’éleveurn’estplusqu’unemployéàquil’ondemanded’êtreleplusperformantpossible.CelamènedéjàenFranceàunparadoxeabsolu:lacoopérativeCooperlestlapremièrecoopératived’éleveursporcinsenFrance(2700éleveursmembres).Mais,commecettecoopérativeestaussiunindustrieldel’abattage-découpe,elleachètelaviandeauxéleveursenfaisantpressionpournepaslapayer trop cher, afin notamment d’être concurrentiel à l’exportation ! Donc les producteursindépendantssontenconcurrenceaveclesproducteursdescoopérativesquisontenconcurrenceaveceux-mêmes!

Leséleveurssonten traindedevenirdesesclavesde l’industrie,dont ilssontdesprestataires.Notez cette dramatiquemise en abyme : des animaux esclaves d’éleveurs eux-mêmes esclaves desindustriels. Les fermes ne sont plus que des lieux de souffrance partagée entre les humains et lesanimaux dont ceux-ci ont la charge. Les paysans sont presque tousmorts, les derniers font de larésistanceouagonisentensilence.Ilssontremplacéspardesouvrierscontremaîtresexploitéspourexploiter. On peut inclure dans le lot des victimes les 50 000 employés d’abattoir, dont certainsapparaissentsurlesvidéosclandestinesdeL214entraindebrutaliserlesanimaux,enleurbalançantdesdéchargesélectriquespours’amuserouenlesjetantavecviolence.Ilssontdevenusdesbêtesplusanimales que celles qu’ils mettent à mort. Dépassés par la tâche inhumaine qu’on leur demanded’accomplir,ilsn’ontd’autrechoixpoursupporterleursortquedesemontrerinhumainsàleurtour.Personne,àpartpeut-êtrequelquessadiquesquiontpuseglisserdanslelot,nepourraaffirmerqu’ilfait ce métier par envie. Tous les témoignages de ces salariés de la mort expriment d’ailleurs lemalaisequ’ilséprouventdanscetteactivitédéshumanisante.Jesuisconvaincuquelagrandemajoritédecesemployésnerêvequed’unechose:trouverunautretravail.N’est-cepaslameilleurepreuvequ’ilfautqu’ilcesse?Lafabriquedelaviandeestunefabriqueàmonstres.

Que faut-il en conclure ? Qu’il est temps que les victimes s’unissent. Les éleveurs doiventaujourd’hui se rebeller et rejoindre le combat des abolitionnistes pour mettre fin à leur propreservitude.Ensemble,ilspeuventorganiserlatransitionversuneagriculturedécarnée,c’est-à-direqui

exclut l’exploitation de toute chair animale. Car ce que les antispécistes proposent aux éleveursactuels, c’est simplement un glissement vers une nouvelle activité. Certains en profiteront pourtrouver un nouveau métier et tenter un nouveau rêve. Mais ceux qui le souhaitent resterontagriculteursetchangerontsimplementdesecteur.Ilsdeviendrontcéréaliers,cultivateurs,maraîchers,sylviculteurs,myciculteurs…

LaFAOadécrété2016annéedeslégumineuses,cesplantesrécoltéespourl’obtentiondegrainssecs.Certainsricaneurss’enamuserontsansdoute.Maisl’agencedel’ONUpourl’alimentationtentedefairepasserunmessageessentiel:leslentilles,lesharicots,lesfèves,lespois,toutcommelesoja,sont une excellente alternative à la viande, bien moins coûteuse de surcroît. Ils fournissent denombreuxminérauxetvitamines,etsurtoutleslégumessecscontiennent20%à25%deprotéines,etmême40%pourlesoja(plusquelaviande!).Uneprécisionàproposdusoja:ilestactuellementtrès cultivé dans le monde, mais principalement dans le but de nourrir le bétail ou fabriquer desagrocarburants,etilestsouventtransgénique.

Marcela Villarreal, responsable du « projet légumineuses » à la FAO, rappelle cette vériténutritionnelleencoreignoréedebeaucoupaujourd’hui:«Unecombinaisondelégumessecsavecdescéréales présente une qualité de protéines semblable aux protéines de sources animales, à un coûtinférieur. »Les légumineusesprésentent égalementdes avantages environnementaux : elles captentl’azote de l’air et le diffusent dans le sol via leurs racines, ce qui nourrit les plantes à proximité,limitelanécessitéd’engraisetréduitlesémissionsdegazàeffetdeserre;parailleurs,leurpériodede floraison très longue est bénéfique aux abeilles. Parlons aussi des bienfaits sur la santé : leslégumineuses sont riches en fibres alimentaires, contiennent peu de matières grasses et pas decholestérol.

Malgré tous ces atouts, les légumineuses sont aujourd’hui négligées dans le monde : ellesoccupentmoins de 2% des surfaces cultivées en grande culture en Europe, car la production decéréalesestplus rentable.Parailleurs, lespouvoirspublics sedésintéressentpour l’instantdecettesolutionpourtantévidente.Pendantunegrandepartiedenotrehistoire,leslégumineusesontconstituélabasedurégimealimentaire: leurproductionremonteà8000avantJ.-C..Pourquoin’ya-t-ilpasd’incitationsgouvernementalesàproduiredeslentilles?Pourquoin’ya-t-ilpasderecherchespourtrouverdesvariétésplusrentables?Toutestàfaire,toutestàmettreenplace.Leséleveurssaurontsereconvertirtrèsfacilement.D’autantquel’Étatprendraenchargelesconditionsdecettemutation.Ilyaunsiècleetdemi,laFranceasuindemniserfortementlesesclavagisteslorsqueleurmain-d’œuvregratuite leur a été retirée au moment de l’abolition. Un programme ambitieux de réforme del’agricultureseraitévidemmentsoutenuparlesautorités,cequiimpliquelepaiementdeformationsetdecompensationsauxéleveurs,ainsiquetouteslesaidesnécessairespourfinancerlesnouvellesinstallations.

Lemondevaavoirbesoind’agriculteursdanslesprochainesannéespoursubvenirauxbesoinsd’une population qui ne cesse de s’accroître. En suivant le modèle actuel, la FAO a prévu undoublementdelaconsommationmondialedevianded’icià2050.Cequisignifiequelapopulation

bovine, pour ne parler que d’elle, devrait passer de 1,5 milliard de bêtes à 2,6 milliards. Uneperspectivealarmantepuisque l’onconnaîtparfaitement l’impactde l’élevage sur l’environnement.Lesfilièresdeproductionanimalessontresponsablesd’uneimportantepartiedesémissionsdegazàeffetdeserre:14,5%detouteslesémissionsd’origineanthropique,selonlesdernierschiffresdelaFAO,soitplusquetouteslesémissionsdelaFranceetdesÉtats-Unisréunis.Celainclutlaproductionetlatransformationdufourrage(45%dutotaldecesémissions),ladigestiondesbovins(39%),ladécomposition du fumier, la transformation et le transport des produits. L’élevage est aussi àl’origined’unedéforestationauxconséquencesdramatiques(80%deladéforestationenAmazonie).Il faut encore souligner la pollution des eaux liée aux déjections des animaux ou aux engrais etpesticides destinés à les nourrir (la fameuse pollution aux nitrates par exemple), la responsabilitédans les pluies acides, la dégradation de la fertilité des sols, la disparition d’espèces végétales etanimales.SelonlaFAO,«lesecteurdel’élevagecompteparmilessecteurslesplusnuisiblespourles ressources en eau, déjà appauvries, contribuant, entre autres, à la pollution de l’eau, àl’eutrophisation et à la dégénération des récifs coralliens.Les principaux agents polluants sont lesdéchetsanimaux,lesantibiotiquesetleshormones,lesproduitschimiquesdestanneries,lesengraiset les pesticides pulvérisés sur les cultures fourragères.Le surpâturage diffus perturbe le cycle del’eau, réduisant la reconstitutiondes eaux souterraines et superficielles.Laproductionde fourragenécessiteleprélèvementdegrandsvolumesd’eau.»Ilfautplusde15000litresd’eaupourproduireunkilodebœuf–unbovinpeutboirejusqu’à100litresd’eauparjour,5000litrespour1kilodeporc,4000litrespour1kilodepouletcontre3000litrespour1kiloderiz.Au-delàdesphénomènesde pollution, il convient également de rappeler qu’il faut entre 3 et 11 calories végétales pourproduire une calorie animale (le poulet demande moins de nourriture que le porc qui lui-mêmedemandemoinsquelebœuf).Or,lestroisquartsdesterresagricolesdanslemondesontconsacrésàlaproductiondeviande,quecesoitpourfairepousserlanourrituredesanimauxoupourlesfairepaître.Sachant que la populationmondiale aura augmenté de 2milliards de personnes en 2050, lesimple bon sens réclame d’abandonner l’alimentation carnée pour une alimentation végétale,beaucoupplusadaptéeànotrenombre.

Touslesargumentsenvironnementaux,sanitairesetmorauxdevraientsuffireàsignerlafindel’exploitationanimale.Mais,commepourl’esclavage,laraisonseulerisquedenepasêtresuffisantepour entraîner rapidement une réaction du pouvoir politique. Alors soulevons la question de lapertinence économique de l’élevage.Et la première chose qui saute aux yeux est que cette activitén’estenréalitépasrentable:lasurviedeséleveursnereposequesurdessubventionstrèsimportantes–plusde10milliardsd’eurosparand’aideseuropéennespourlesagriculteursfrançais,auxquelless’ajoutent des aides nationales, des exonérations et déductions fiscales. Comme le soulignent leséconomistes Jean-ChristopheBureau, Lionel Fontagné et Sébastien Jean dans une note duConseild’analyseéconomique(CAE),lesagriculteurssontégalementsoutenusparunemesuremoinsvisible,àsavoirlaprotectiondouanièreàl’égarddesimportationsagricoles.LesauteursdelanoteauCAErelèventqu’en2013lesaidesreprésentaientpouruneexploitationmoyenne84%durevenuagricole.

Et,parmi lesagriculteurs,cesontprécisément leséleveursquis’appuient leplussurcesaides,quireprésentent89%durevenudanslelait,et169%danslesecteurbovins-viandes!L’étudecitealorslecasd’unélevagebovindesAlpesquireçoit«59000eurosdetransfertspublicspourdégagerunrevenu net demoins de 19 000 euros ». En clair, l’agriculture est sous perfusion et, bien qu’elleappartienneausecteurprivé,ellenesurvitqueparl’interventionpublique.Cetargentverséparl’Étatetl’Europe,c’estceluidenosimpôts,cequisignifiequenoussoutenonstousl’industriedelaviande,quenous le souhaitionsounon.Nouspayons touspourquesoient fabriquésdesanimauxquivontensuiteêtretuéspourenrichirdesindustrielsetleursactionnaires.

Ensoi,lefaitquel’argentpublicfinancel’agriculturen’estpasgênant,aucontraire.Cequiestscandaleux,enrevanche,c’est,d’unepart,quecelanesoitpasplusassuméet,d’autrepart,que lesgouvernementssuccessifsn’entirentpaslesconséquencesenfaisantdel’agricultureunvraisujetdedébat national. Pourquoi nos représentants ne choisiraient-ils pas d’investir notre argent dans desfilières de production différentes ? Pourquoi s’évertuent-ils à défendre un secteur – celui de laviande–quimetàgenoux lespaysanset les salariésdusecteur?Pourquoi lapolitiquede laPACn’est-elle jamais évoquée pendant les campagnes électorales alors que ses conséquences sontmajeures sur notre quotidien ?Au lieu de nous intoxiquer avec des sujets inintéressants et stérilescomme l’identité nationale ou la déchéance de nationalité, le devoir des politiques devrait être denousinformeretdenousconsultersurcettequestioncruciale.D’autantquecesystèmed’aidesauxagriculteursserévèleunecatastrophe,parcequeparticulièrementinégalitaire,compliquéetopaque.LalistedesbénéficiairesdesaidesdelaPACad’ailleurslongtempsététenuesecrète.Quellenefutpaslasurprisededécouvrirunjourquedesdizainesdemillionsd’eurosontétéattribuéespendantdesannéesàDoux,premierexportateureuropéendevolaillesindustrielles,etàsonconcurrentTilly-Sabco. Résultat : des patrons qui s’enrichissent, des salariés exploités et des animaux maltraités.Quandl’argentpublicrécompenselemodèleagro-industriel…

Puisquec’est l’argentquidécidede tout,àunmomentoù laréductionde ladettepubliqueestaffichéeparbeaucoupcommelaprioritéabsolue,exigeonsquesoientprisencomptelescoûtsréelsdelaviandepourlacollectivité.Lespollutionsévoquéesdanslespagesprécédentesontévidemmentunimpactfinancierdontlecoûtn’estpasassuméparlesproducteursoulesindustriels,maisparlescitoyens. L’ensemble de la filière viande, ainsi que les pouvoirs publics, doivent nous rendre descomptesàcesujet.LerapportduConseild’analyseéconomiqueexpliqueparexempleque«lescoûtsdespollutionsazotées[liéesàl’agriculture]seraientd’unordredegrandeurquidevientcomparableàla valeur économique du supplément de production agricole permis par les engrais azotés ».Concrètement, ce que nous coûte la pollution liée à l’azote est équivalent à ce qu’elle permet auxproducteursdegagner.Aberrationtotale.Nous,contribuables,payonsdeuxfoispourquelquechosequenousn’avonspaschoisi :nouspayonsd’abordpoursubventionnerdespratiquesagricolesquenousnecautionnonspas,puispourréparerlesconséquencesdecespratiques!Ainsi,ladiminutionde la population des insectes pollinisateurs et celle des espèces qui régulent les ravageurs«représententdescoûtspotentielspourlasociétécorrespondantàplusieursmilliardsd’euros».

Lapertedelabiodiversitéengendreunecatastropheéconomiquedontpersonneneparle.Ilfautbien comprendre qu’un écosystème est un ensemble complexe qui comprend des plantes, desanimaux,desmicro-organismes(labiocénose)etlemilieudanslequelilsévoluent(lebiotope).Uneprairie,parexemple,estunécosystèmedanslequelinsectes,fleurs,herbe,bétailetsolcréentuncycleoùchaqueélémentabesoindesautrespoursasurvie.Cesécosystèmesfournissentauxhumainsdesbiensetdesservices.Parmi lesbiens,oncompte lesmatièrescommelebois, lescombustibles, lesfibres,lanourritureouencorelesvégétauxquiprocurentlessubstancesnécessairesàl’élaborationde lamoitiédenosmédicaments.Encequiconcerne lesservices, ilya lapurificationde l’air (laphotosynthèseparlesplantesquicapturentlecarbone),l’atténuationdeschangementsclimatiques,lapollinisationdescultures 1, la régulationdesespèces, le recyclagenatureldesdéchets, la formationdes sols, mais aussi des services culturels et spirituels. La nature nous apaise, elle est sourced’inspirationpour les artistesou les ingénieurs, elle est un espacedebien-être : autant de cadeauxdontnousjouissons.

Touscesservicesrendusontunevaleurinestimable.Mais,commeleséconomistesontbesoinde tout chiffrer en fonction d’un coût et d’un bénéfice, l’apport des écosystèmes sur le PIB aégalementétéévalué.Auniveaumondial, lavaleurannuelledesservicesécosystémiquesmondiauxestestiméeà125000milliardsdedollars.Lapollinisationdueauxinsectes«vaudrait»àelleseuleplus de 150 milliards annuels. Or les pesticides, la déforestation, la surpêche, les pollutionsmaritimes,nuisentauxservicesécosystémiques.

Prenons l’exemple de l’étalement urbain de la ville de Montréal. Pour que de nouvellesinfrastructurespuissent être contruitesdepuis soixante ans, les terres agricolesont été rabottéesde20%etlesforêtsde28%.Lapertedesservicesrendusparlanatureaétéévaluéeà12milliardsdedollars.

Auniveaumondial,lapertedesservicesécosystémiquesestestiméeà50milliardsd’eurosparan.Laseuledégradationdelabiodiversitéterrestrepourraitcoûter7%duPIBen2050(sil’ontientcomptedelabiodiversitémarine,cechiffreaugmente).

Les crises sanitaires à répétition, commecelle de la grippe aviaire, ont également de lourdesrépercussionsfinancières.300millionsd’eurosdepertesestiméespourlafilièrefoiegrasaudébutdel’année2016àlasuited’untelépisode.Or,quicompense?L’État,c’est-à-dire,unefoisencore,vousetmoi.Et si l’onparlaitausside lapandémiedegrippeA(H1N1)en2009,quia touchéunevingtainedepays?Sonoriginesetrouvevraisemblablementdansunélevageindustrieldeporcs.UnendroitaétéidentifiéauMexique,puislesautoritésaméricainesontannoncéquel’élevageincriminédevaitplusvraisemblablementsetrouverenAsie.Cequiestsûr,c’estquelesélevagesdeporcsontjouéunrôledéterminantdanslapropagationdecevirus.Or,rienqu’enFrance,lecoûtdecettecrisesanitaire s’élève au minimum à 660 millions d’euros – la faute à une ruineuse campagne devaccinations.

Combien de coûts liés à l’élevage n’ont par ailleurs pas encore été quantifiés ?Lesmaladieschroniques, par exemple, explosent depuis des années. Or, notre alimentation est en partie

responsable, et notamment notre consommation de viande et de produits laitiers. En France, lescancersainsiquelesmaladiesetrisquescardio-vasculairescoûtent45milliardsparanàlaSécu.Unchiffre qui va exploser dans les années qui viennent en raison du vieillissement de la population.L’anti-biorésistance,c’est-à-direlefaitquenosmédicamentsontdumalàagirsurdesbactériesquinousagressent,sedéveloppeparailleursà touteallure :27000mortsenEuropeet700000mortsdans le monde en 2015. En cause notamment, les filières de production animale qui bourrent lesanimauxd’antibiotiques.

Aupassage,pourdépasserun instant la seulequestionde l’exploitationanimale, il estbonderappelerque,selonl’OMS,lapollutionatmosphériqueacausélamortprématuréede7millionsdepersonnesdanslemondeen2012.L’OCDEestimeenoutrequelecoûtdelapollutionatmosphériqueurbaines’élèveà1700milliardsdedollarsparanpoursespaysmembres,c’est-à-dire4%deleurPIB,1400milliardspourlaChine(16%desonPIB)et500milliardspourl’Inde(14%desonPIB).Autre dossier qui fait réfléchir sur les conséquences financières de nos choix irresponsables : lacatastrophedeFukushimaenmars2011.Cinqansplustard,soncoûtestestiméà87milliardsd’eurosminimum, soit 2,3 % du PIB du Japon (charges de démantèlement, de décontamination,indemnisations).Maisrevenonsàlaviande.

Combienlacollectivitééconomiserait-ellesipersonnenemangeaitplusdeproduitsanimaux?Et pourquoi est-ce une fois de plus au contribuable de payer les dégâts d’unemauvaise politiquesanitaire?Plutôtqued’encouragerlaconsommationdeviandeensubventionnantdespublicitéseteninterdisantlesalternativesvégétariennesdanslescantines,lesgouvernementss’honoreraientàmenerune politique responsable qui respecte la santé et les convictions des citoyens. Mais en ont-ilsseulementenvie?Non,pourunesimpleraison:ceuxquisesuccèdentaupouvoirnecherchentpasàinventerlemondededemainmaissecontententdegérerleurpropresuccès.Plutôtqued’initierdesmétamorphosescourageusesmaispolémiques,ilstententdelimiterlacolèredesunsetdesautres,enprivilégiantlasatisfactiondespluspuissants,c’est-à-direlespatrons,lesindustrielsetleursamis.Ilne faut donc surtout pas courroucer tous ceux qui s’engraissent en engraissant des animaux. Parailleurs, dans un système politique qui ne réfléchit qu’en termes d’emplois et de croissance, ilconvientdenoterquelapollutionetlamaladiefavorisent,justement,cettecroissance.Sivousavezune fuited’eau, c’est très embêtant,mais celava fairevivreunplombier.Sivousvous cassezunedent, vous faites vivreundentiste.Si vous cassez le talondevotre chaussure, vous faites vivreuncordonnier.Sivoustachezvotrerobe,vousfaitesvivreunteinturier.Sivousêtesmalade,vousfaitesvivreunmédecin.Delamêmemanière,lessolutionsqu’ilfautinventerpouréradiquerleseffetsdelapollution créent de l’activité. La pollution est en elle-même un marché porteur, qui génèreaujourd’hui une économie créatrice d’emplois. Alors, surtout, vite, dépêchons-nous de ne rienbouger!Maisest-cecequeveulentlesgens?

Lesystèmeactuelaôtétoutpouvoiràl’électeur.Dansunesociétédirigéeparlesgrandspatronsetlafinance,lecitoyenn’aplusdepoids.Leconsommateuraprissaplace.Prenons-enacte.Puisqueles parts demarché remplacent les arguments, et en attendant qu’une révolution idéologique fasse

1.

enfin vaciller cette néomonarchie infatuée qui nous mène à la catastrophe, positionnons-nous enconsommateurscritiques.Pourfavoriserlalibérationanimale,multiplionslesboycottsdeproduits,lescampagnesd’informationsur lescoulissesde l’exploitationanimaleetmontronsqu’unmarchéconsidérableexistepourdesproduitsvégétariensetvegans.Écrivonslescénariod’uneéconomiequirepensecomplètementlaplacedel’animal.Combiend’emploistransformés?Combiendenouveauxmétiers créés ?Quellepeut être lapuissanceéconomiqued’unealimentationnouvellequi redonnetoute leur place aux végétaux ? Combien de bénéfices réalisés à ne plus compenser les coûtsdissimulésdel’élevage?Lorsquelesindustrielsréaliserontl’opportunitéfinancièrequileurtendlesbras,alorsilsparticiperontforcémenteuxaussiàlalibérationanimale.

Comptetenudel’importancedusujet,ungranddébatpublics’avèreaujourd’huiindispensable.Nousdevonstousavoirledroitd’exprimerlafaçondontnoussouhaitonsnousnourrir.Acceptons-nousdepromouvoiruneagriculturequiprospèregrâceauxpesticides,auxantibiotiques,auxfarinesanimales, aux hormones, aux OGM, à la souffrance d’êtres sensibles ? Acceptons-nous que nosagriculteurssoienttransformésenlaquaisd’uneindustriesansâmequienrichitdestypesencravatéssansaucuneautreambitionquelebénéfice?

Lanourritureestl’indispensablecarburantdelavie.Ellen’estoriginellementniunluxeniunefantaisie.Onchoisitdes’acheterunegrossevoiture,oupas.Onchoisitdejouerautennis,deporterun costume, de partir en vacances, de fumer, de boire de l’alcool…Mais personne ne choisit des’alimenter. Manger est le besoin vital par excellence. Nous pouvons survivre sans abri, nouspouvonssurvivresansvêtements,maisnousnepouvonssurvivresansnourriture.Commentsefait-ilquecettenécessitépremière,quioccupaitnosancêtresàpleintemps,soitaujourd’huiconsidéréeavecautantdelégèreté?Mangernousmaintientenbonnesanté,maispeutaussinousrendremalade,voirenous tuer. Le sujet est beaucoup trop grave pour qu’il soit laissé à des acteurs privés, avides debénéfices,quiméprisentlebiencommun.

Untiersdesalimentsquenousconsommonsdépendentdepollinisateurscommelesabeilles,leschauves-sourisetlesoiseaux.

ANTISPÉCISTECOMMESUPERMAN

Leconsentementàl’inégalité

Tout êtrehumain,pour survivre, doit pouvoir satisfaire troisbesoinsmatériels essentiels : senourrir,sevêtiretseloger.Ilyeutuntemps,lointain,oùchacunedenosjournéesétaitconsacréeàlaréalisationdecesbesoins.Aujourd’hui,notremaîtriseavancéede l’agriculture,de l’industrieetdel’architecture nous permet de faire face à ces impératifs avec une facilité déconcertante.Commentexpliquerdèslorsqu’ilyaencoresurTerredesgensquin’ontpasàmanger,quidormentdanslarue,ouquiviventdansledénuementleplustotal?Sil’onexceptelecasparticulierdescatastrophesnaturelles qui créent ici ou là des contextes de pauvreté ponctuelle, c’est bien notre organisation,consciente et choisie, qui est en cause. 5millions d’enfantsmeurent de faim chaque année dans lemonde.900millionsdepersonnessouffrentdemalnutrition.Enraisonduchangementclimatique,cechiffre pourrait augmenter de 600 millions d’ici 2080. Pourquoi ? Est-ce parce que nous neparvenons pas à produire suffisamment pour nourrir tout lemonde sur la planète ? Non. Chaqueseconde,plusde40 tonnesdenourrituresont jetéesà lapoubellesurcetteplanète.En tout,chaqueannée, un tiers des aliments produits sont gaspillés. Le souci n’est donc pas la fabrication desrichesses,maisbienlarépartitiondecesrichesses,quielle-mêmedécouledechoixpolitiques.

Lapauvretéetlesinégalitésexistentparcequenouslevoulonsbien,parcequenousrefusonsdepartager,parcequenouschoisissonsd’exploiter lesplusfaibles,parcequechacunvisesonpropreconfortsanssesoucierduprixqu’ilfaitpayeràdeshumainsquihabitentàl’autreboutdelaplanète.Le train de vie desOccidentaux repose en partie sur une formemoderne d’esclavage : à quelquesmilliers de kilomètres de chez nous, des ouvriers vivant dans des conditions indignes et sans lamoindreperspectivedejoursmeilleurs,parfoisdesenfants,sontpayésunemisèrepourfabriquerlesobjetsdenotrequotidienconfortable.

Unsignalsemblenéanmoinsappeleràl’optimisme:lapauvretéreculedanslemonde.SelonlesdonnéesdelaBanquemondialepubliéesen2015,702millionsdepersonnesviventactuellementsousleseuildepauvreté(évaluéaujourd’huià1,90dollarparjour),soit9,6%delapopulationmondiale.

C’estmoins qu’en 2012 (13%), et beaucoupmoins qu’en 1999 (29%). Seule ombre au tableau :l’Afriquesubsaharienne,oùl’extrêmepauvretétoucheencore35,2%delapopulation.

Pourlespartisansdulibéralismeéconomique,cettetendanceglobaleàlabaissedelapauvretédanslemondeattestequelemarchésansentravesestlemeilleurinstrumentdebonheurcollectif,bienplus efficace que l’interventionnisme d’État prôné par le socialisme. Ils relèvent que la croissanceéconomiqueesttrèsrapidedanslespaysendéveloppement.LaChine,l’Indeetlespaysafricainssontcitésenexemple.Cequiestsûr,c’estquedepuisledébutdesannéesquatre-vingtledéveloppementdel’économie demarché a permis, dans des pays latino-américains et asiatiques, l’émergence d’uneclasse moyenne dont le niveau de vie est équivalent à celui des Occidentaux. Mais cette bonnenouvelleestàmettreenregardd’uneautretendanceconsubstantielleaulibéralismeéconomique:ilyadeplusenplusd’ultra-richessur terre,et les inégalitéssecreusentànouveaudepuis ledébutdusiècle. L’économiste Thomas Piketty ou l’historien Pierre Rosanvallon, pour ne citer qu’eux, ontécrit despages importantes sur la question.ThomasPiketty explique ainsi quedepuis trente ans lalogique d’accumulation et de concentration du capital par uneminorité est repartie de plus belle,aprèsunepérioded’accalmieaprèslaSecondeGuerremondiale.Quelqueschiffrespermettentdeleconstater:

–62personnesdanslemondepossédaienten2015autantqueles3,5milliardslespluspauvres,contre388personnesen2010.

–Larichessedeces62personnesaaugmentédeplusde40%depuis2010,tandisquecelledes3,5milliardsdespluspauvresabaisséenproportionidentique.

–LamoitiélapluspauvredelaTerredétientdésormaismoinsde1%delarichessemondiale.–Lamoitiédesrichessesmondialesestauxmainsdu1%desplusriches,tandisqueles99%

restantsdelapopulationmondialesepartagentl’autremoitié.–Les10%lesplusrichesdelaplanètepossédaient,en2013,86%desrichessesmondiales.–Entre1988et2011,46%delacroissancetotalesontrevenusaux10%lesplusriches.– En Chine, au Portugal ou aux États-Unis, le 1 % des plus riches a doublé ses revenus

entre1980et2012.–LepatrimoineprivédesEuropéensn’avaitjamaisétéaussiélevé,àplusde56000milliards

d’euros.Ilestmêmeprévuqu’ilatteigne80000milliardsd’eurosen2019,soitunehaussede40%.Saufque10%desménageseuropéensdétiennentàeuxseulsplusdelamoitiédecepatrimoine.

–EnFrance, le 0,01%des foyers les plus riches a vu son revenu réel augmenter de 42,6%entre1998et2005,contre4,6%pourles90%desfoyerslesmoinsriches.

–Le nombre demillionnaires enFrance devrait augmenter de 70%d’ici à 2019, comparé à2014.

–AuxÉtats-Unis, les10%desrevenuslesplusélevéscaptaient50%desrevenusglobauxen2010,alorsquecepourcentagen’était«que»de35%en1982.

–Entrenteans,lessalairesde90%desAméricainsn’ontaugmentéquede15%,tandisquelessalaires du 1 % supérieur ont bondi de 150 % et ceux du 0,1 % supérieur de plus de 300 %.

Explication:d’unepart,cesrichessontmoinsimposésqueleursconcitoyensmoinsnantis,etd’autrepartilsontunetelleinfluencepolitiquequ’elleleurpermetdefairetourneràleuravantagelesrègleséconomiques.LamoitiédesélusduCongrèsaméricainsontenoutremillionnaires.

–En2015, lemagazineForbes recensait1826milliardairesdans lemonde,unrecorddepuistrente ans. Leur fortune globale avait augmenté de 10 % par rapport à l’année précédente. Lesmilliardairesn’ontdoncjamaisétéaussirichesetaussinombreux.

–En2013,uneétudedugroupefinancierCréditsuisserecensait35millionsdemillionnairesendollars dans le monde et prévoyait 18 millions de millionnaires supplémentaires d’ici à 2019.D’autresétudes,commelerapportduBostonConsultingGroup,uncabinetdeconseilenstratégie,publiéenjuin2013,enregistrentmoinsdemillionnairesautotalmaisconfirmentlatendance: leurnombreestentraind’exploser.

Pierre Rosanvallon observe dansLa Société des égaux ce qu’il appelle un « consentement àl’inégalité » qui relève d’une crise « morale ou anthropologique » : en dehors de quelques casextrêmestropflagrants,commelesbonusfaramineuxdecertainspatronsoulessalairesàplusieursmillionsd’euros,lesinégalitésderichessesnesuscitentplusaucuneréactiond’ampleur,etce,alorsmêmequ’uneécrasantemajoritéposelaréductiondecesinégalitéscommeunepriorité.Rosanvalloncite des sondages contradictoires : 90 % des Français affirment nécessaire de réduire l’écart desrevenus, mais en même temps 57 % d’entre eux considèrent que les inégalités de revenus sontindispensablesàuneéconomiedynamiqueet85%quelesdifférencesderevenussont«acceptableslorsqu’elles rémunèrentdesmérites individuelsdifférents».Explication : lanaturedes inégalitésaévolué,d’où la tendancegénéraleàmieux lesaccepter.PatrickSavidan,professeurdephilosophiepolitique et président de l’Observatoire des inégalités, complète l’explication : « Lorsque lesfrontières sociales hermétiques de l’Ancien Régime sont tombées, les comparaisonsinterpersonnelles sont devenuespossibles à grande échelle.Autrefois, onne se comparait qu’entrepairs,lepaysansemesuraitaupaysan.Désormais,chacunpeutsemesureràtoutautre.Endroit,vouspouvezvousconsidérercommel’égaldeFrançoisHollandeoudeBernardArnault.»Pourreprendrel’analysedeTocqueville, l’envie est doncun sentiment exacerbépar les institutionsdémocratiquesqui rendent en théorie possible la progression sociale de chacun.Dès lors, tout individu tend à secomparerauxautresetàestimerqu’iln’estpasreconnuàsajustevaleur:onregrettelemanquedeconsidération d’un supérieur, un salaire trop faible, une fonction qui nous est refusée… Chacunconsidèregénéralementqu’ilméritemieuxetaspireàavoirdavantagequesonvoisin.Ilneveutdoncpas être son égal. Nous sommes par ailleurs tous incités par la philosophie consumériste à nousdistinguer de lamasse par la possession de biensmatériels qui nous identifient à une élite. Nousapprouvons tous plus ou moins tacitement le système inégalitaire car nous espérons pouvoir enbénéficier à notre avantage.L’unedes illustrations les plus criantes concerne le système scolaire :certainsparmiceuxquiréclamentlecadrelepluségalitairepossiblenevontpashésiteràcontournerlacartescolaires’ilslepeuvent,afindefaireprofiterleurenfantdumeilleurétablissementpossible.Nombreuxsontceuxquiapprouventdanslediscourslamixitésocialemaisquirefusentdel’assumer

danslesfaits.Parailleurs,uneformedesuspicionentouregénéralementceuxquisonttouchésparlechômage ou qui occupent les positions sociales inférieures : ont-ils réellement fourni les mêmeseffortsquelesautres?Nesont-ilspasenpartieresponsablesdeleursituation?

Notremondeest foucar ilapermis le règnedessalauds.Nonpas le salaudsartrien,maisunsalaudtelqu’auraitpul’entendreKant,àsavoirunhommemauvaisoumédiocrequifaitpassersonintérêtpersonnelavantlaloimorale.Lesbrigandsontprislepouvoir.

Depuislesannéesquatre-vingt,l’idéologienéolibéraleestparvenueàimposercemodèled’unégoïsme décomplexé comme règle de normalité. J’y vois pourma part le signal de la décadencemoralequiabîmenotregénérationetquiporteenellelesgermesduchaos.LeForuméconomiquemondial(WEF)mettaitengardeen2014:«Lefossépersistantentrelesrevenusdescitoyenslesplusrichesetceuxdespluspauvresestconsidérécommelerisquesusceptibledeprovoquerlesdégâtslesplusgravesdanslemondeaucoursdelaprochainedécennie.»Outrelesdramesqu’elleprépare,ladialectique du « moi, je » et du « toujours plus » est irrémédiablement vouée à l’échec. Elle sefracassetôtoutardsurlesconditionsducontratsocial,quiposentdeslimitesànotreindividualismeégoïste:onnepeutpasfairetoutcequinousarrange,simplementparcequel’onenaenvieouparcequel’onentireraitunbénéficeimmédiat.Ainsi,sijecroisedanslaruequelqu’unavecuntéléphoneportablederniercriquimeplaît,jenesuispasautoriséàleluiprendre.C’estcontraireaudroitdelapropriétéprivée.Nosenviessontheureusementlimitéesparuncadrejuridiqueetmoral,pourlebiencommun. Telle est d’ailleurs l’extraordinaire contradiction des ultralibéraux qui rêvent d’unecompétition sans entraves et qui vénèrent dans le même temps une société de l’ordre, pourtantincompatibleaveclapremièrerevendication.Ilfauteneffetchoisir:soitlacompétitionàtouscrins,sans règle, et le chacun pour soi où tous les coups sont admis, soit une sociétémaintenue dans lecadre d’une autorité qui définit des limites permettant à chacun de bénéficier de droits essentiels.Aujourd’hui,lespatronsœuvrentpourcassertouslesmécanismesdeprotectionpéniblementacquispar les salariés auXXe siècle, afin de transformer à nouveau les employés et ouvriers en simplesvariables d’ajustement, licenciables d’un claquement de doigts, comme au XIX

e siècle. Lesreprésentantsdesplus richespatronssont largementaidésparuneclassepolitiquemajoritairementdévouéeà leur cause–que ses représentants soientdedroiteoudegauche.Comment comprendrequ’un ministre de l’Économie d’un gouvernement officiellement socialiste puisse affirmer sanssourcillerque la réductiondu tempsde travailestune« fausse idée»,qu’ilconvientde«majorerbeaucoupmoins,voirepasdutout,lesheuressupplémentaires»,qu’«ilfautdesjeunesFrançaisquiaientenviededevenirmilliardaires»,ouencoreque«lavied’unentrepreneurestbiensouventplusdure que celle d’un salarié : il peut tout perdre, lui, et il amoins de garanties » ? Cette dernièredéclaration laisse particulièrement songeur. Je me demande ce qu’en a pensé cette caissière deCarrefourMarketlicenciéeenjanvier2016pouravoiroubliédescannerunpackdebièresetdeuxsacsenplastique,pourunevaleurde5,32euros 1.Pourinfo,lePDGdeCarrefour,GeorgesPlassat,atouché 3,7 millions d’euros en 2014 et il devrait partir avec une retraite chapeau de plusieurscentainesdemilliersd’eurosparan.Violencesuprêmequecellequi touche l’hommeou lafemme

dont la sueur a rempli la piscine d’actionnaires millionnaires, et que l’on jette au rebut sans étatd’âme. Violence d’être déclaré inutile, inintéressant, gênant. Violence de ne plus être personne,puisquecemondedéfinitl’individuparletravailqu’iloccupe.Violencedeneplusêtreceluioucellequinourritsafamille.Telleestlaréalitédulibéralisme,quin’estqu’uneodeàlalibertédequelques-uns contre celle de tous les autres. L’autorité que réclament les ultralibéraux a pour seul but deprotéger les intérêtsde l’oligarchie.Pour eux, lapolice, l’arméeet les lois répressivesnedoiventexisterquepourévitertoutetentationderébelliondesdominés–cetterébellionqui,précisément,faitdenousdesindividus.

Unequestionm’interpelle :pourquoi tantdesuicideschezlessalariés 2,maisaucunevaguedesuicideschezlesgrandspatrons?N’ya-t-ilpasunecontradiction?Eneffet,lesPDGsontgrassementrémunérésenraisondesresponsabilitésqu’ilssontcensésassumeretdelagravitéprétenduedeleurposte.Mais si aucungrandpatronne se suicide jamais, contrairement à certains salariés aubasdel’échelle,celasignifiequelapositiondedirigeantd’unegrosseboîteestmoinsstressantequecelled’un petit employé sur lequel la hiérarchie exerce de lourdes pressions et qui peut se retrouverplacardiséou licenciédu jourau lendemain.Unsalariéquiperdsonemploinesaitpascequ’ilvadevenir,alorsquelegrandpatron,mêmes’iléchoueetquesongroupeperddel’argentparsafaute,serarecaséàunautrepostehautementrémunérateurgrâceàsonréseau.

Tel est le paradoxe qui résume l’impasse où croupit notre civilisation : d’un côté, nous nousenorgueillissonsdesconquêtesmoralesarrachéesaucoursdenotrehistoire,etd’unautrecôténousérigeonslaviolencesocialeennormeacceptable.Ce«nous»,cesontlespatrons,évidemment,lespolitiques, mais aussi les citoyens qui ne manifestent pas leur désaccord, pour les raisonsprécédemmentexpliquées.

La lutte contre les inégalités sociales n’est donc plus aujourd’hui qu’un slogan électoral sansincarnationconcrète.Icirésidel’undesrenoncementslespluspatentsdelagauchefrançaisequisecontente désormais d’essayer de corriger les conséquences les plus flagrantes de la pauvreté. Enréalité,nousavonsbasculédansuneèreidéologiquequiarompuavecl’idéaldesLumières.Cen’estpaslapremièrefoisquecelaarrive.PierreRosanvallonciteune«premièrecrisedel’égalité»dueaux effets du capitalisme et de la premièremondialisation, à la fin duXIXe siècle. Conséquences àl’époque:nationalisme,protectionnisme,xénophobie.Onsaitcequececocktailaengendré.Ornousrevivons aujourd’hui une séquence similaire, comme l’atteste la progression de l’idéologied’extrême droite sous des formes plus ou moins ripolinées. La justice sociale, la solidarité et leprincipe de redistribution sont à nouveau attaqués et présentés comme les ingrédients de la crise,alorsqu’ilsensontleremède.

La revendication d’égalité a été l’un des piliers de la Révolution française. Liberté et égalitén’étaientpasopposéescommeaujourd’hui.C’était l’uneet l’autre, etnonpas l’uneou l’autre.Leschoses ont bien changépuisquedésormais la recherched’égalité est souvent présentée demanièreinsidieuse comme une entrave à la liberté. La logique des patrons et des financiers, qui prône lacompétitionlibéréedetoutcarcan,s’estrécemmentimposéecommelanouvellethéologie.

1.

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Etcen’estpasunebonnenouvellepourlecombatenfaveurdesanimauxnonhumains.Eneffet,nous l’avons vu, la lutte pour les droits des animaux s’inscrit dans le cadre d’une dénonciationgénérale de l’injustice, et particulièrement l’injustice à l’encontre des plus faibles. En ce sens,l’antispécismeestuncombatsocial,caronentendparsocial«cequiestrelatifauxrapportsentrelesindividus d’une société ». Or les animaux sont des individus et ils partagent notre société.L’antispécismeestuncombatpourl’égalité,commelaluttepourl’abolitiondel’esclavage,pourlesdroitsdesfemmesetdeshomosexuels.Etmêmesinotreépoquepermetencoredesavancéespourdescatégories d’hommes et de femmes discriminées, l’acceptation générale de l’iniquité comme unecomposantenormale,voireessentielle,denotremodedevieneplaidepasenfaveurdesanimauxnonhumains.Certainspeuventavoirtendance,eneffet,àconsidérerquelesinjusticesdontsontvictimescesanimauxsontàmettresurlecompted’uneinjusticeinhérenteàtoutesociété,etdoncacceptable.

Faceautollédéclenchéparl’affaire,ladirectionaensuiteproposédelaréintégrer.

Onpeutpenseraux35suicidesàFranceTélécomsen2008et2009–qualifiésde«mode»parlePDGdel’époque,DidierLombard.

Laprimeauxbrigands

La crise profonde que nous traversons en Europe n’est pas, contrairement à l’idéecommunémentadmise,unecrised’origineéconomique.Ils’agitenpremierlieud’unecrisemorale.Le libéralisme financier s’est imposé car les digues éthiques se sont peu à peu brisées, et non lecontraire. La corruption, le favoritisme, les petits arrangements et les grands calculs gangrènentl’actionpolitiqueettouslesmilieuxquiendépendent.Ilseraitnéanmoinstropsimpleden’incriminerquelesdétenteursofficielsdupouvoir,àsavoirlesdécideursetlesfaiseursd’opinion:lesélus,lespatrons, les financiers et lesmédias. Notremonde ne se divise pas en deux catégories clairementséparées : d’un côté les « puissants » responsables de tous lesmaux, et de l’autre les « faibles »,forcément victimes. La réalité est plus nuancée. Certains « puissants » savent être généreux etdévoués,tandisquecertains«petits»serévèlentégoïstesetnuisibles.Nousavonstousrencontréunjourunmodesteemployéodieuxouunprofesseurantipathiqueetinjuste.L’histoireamontréquelessalauds et les héros ne se déterminent pas par la classe sociale. En revanche, il est égalementindéniable que les mécanismes de prise de pouvoir tels que nous les avons organisés et tolérésfavorisentlescoupsbas,lestrahisonsetlesreniementsmultiples.Cen’estpasillogique:quandvousorganisez une compétition (entre des sportifs, mais aussi des entreprises ou des candidats à unefonctionpolitique),lecontournementdelarègleestlemoyenleplusefficacedeprendrel’avantage:ledopagepermetdegagnerletourdeFranceouuncentmètres,lesmontagesfiscauxcomplexesdenepaspayerd’impôts, lesmauvaisdécomptesdesbulletinsdevotedese faireélireprésidentd’unparti.

Les empires économiques et les carrières politiques reposent ainsi souvent sur une moralitédéfaillantevoireinexistante.«Sansfoiniloi»:telleestlarèglequiprévautfinalementdanstouslesmilieuxoùlaconcurrences’exerce.Cen’estpasunhasardsilecapitalismeaaccouchédulibéralismeeffréné, c’est-à-dire un marché qui tente de s’affranchir du moindre contrôle. La morale et larecherche du profit sont difficilement compatibles. Exemple : d’après l’ONG Oxfam, 188 des201premièresentreprisesmondialessontprésentesdanslesparadisfiscaux.Commentcettetrichea-

t-ellepusegénéraliser tranquillementetavecl’assentimentdesdirigeants?Toutsimplementparceque depuis une trentaine d’années, le lobby néolibéral a réussi à imposer l’idée auprès des«puissants»(quecelaarrangesouvent)qu’unefaiblefiscalitépourlesgrossesentreprisesetlesplusrichesestindispensableàlacroissance.Ilyadoncdesgens(banques,cabinetscomptables…)dontleboulot consiste à trouver les solutions pour permettre à ces plus riches, professionnels ouparticuliers, de payer le moins d’impôts possible grâce à des montages internationaux souventcomplexes.Enréponse,lesÉtatsallègentleurfiscalitésurcesplusriches,cequiapourconséquencede diminuer les recettes du pays. Moins de recettes = moins d’investissements dans les servicespublicsetlapolitiquedesolidarité.Pourcompenserlespertesderecettes,l’Étataugmentelesimpôtsdirects comme laTVA, ce qui touche les plusmodestes et appauvrit la population lamoins aisée.Oxfam cite l’exemple de l’Afrique : près d’un tiers de la fortune des plus riches Africains(500milliards de dollars) est placé sur des comptes offshore.Cela engendre uneperte de revenusfiscauxde14milliardsdedollarsparan,unesommequipermettraitdescolarisertouslesenfantsducontinentetdesauverlavie,grâceàdessoinsmédicaux,de4millionsd’entreeux.Danssonrapportintitulé«Uneéconomieauservicedes1%»,Oxfamexplique:«Iln’estpastoujoursnécessairedeprocéderàdelourdsinvestissementsenmatièredetravail,d’effortsetdecréativitépourobtenirdesretourslucratifsetsehisseràunepositiondepuissanceetd’avantageéconomique.Enfait,ilarriveque la création de revenus et de richesses soit presque intégralement déconnectée de touteproductivité ou valeur ajoutée. […]Les situations demonopole oude forte participation de l’État,notammentpar l’octroidepermisd’exploitationde lapartdesautoritésgouvernementales,sontunterrain facile pour les pratiques dites de copinage. L’augmentation des richesses desmilliardairesissusdecessecteursdeconnivencesuggèreégalementquel’accumulationderichessesetderevenussefaitauxdépensdetoutapportd’avantagesoudevaleurajoutéeréellepourlerestedelasociété.»

LegroupedepressionTaxJusticeNetworkaestiméen2012que21000à32000milliardsdedollarssontdissimulésdanslesparadisfiscaux,soitl’équivalentdesPIBcumulésdesÉtats-UnisetduJapon. Sur cette base, le manque à gagner pour les États s’élèverait à 280 milliards de dollars.Comment, dès lors, peut-on encore mener des discussions sérieuses sur la pertinence d’uneaugmentationduSmicdequelqueseurosouexigerdenouveauxsacrificesauxsalariésaunomdu«réalismeéconomique»?Toutcelaesttranquillementorganisépardesgensbienpropressureuxquela justicedérangetroppeusouvent.Arrêtons-nousuninstantsurcesbanquesquicomposent laplus grande ramification de crime organisé au monde, avec l’assentiment d’une majorité degouvernants.Observezcombiendefoisellesontétécondamnéespourtricheriecesdernièresannées.AuxÉtats-Unis,onnecomptepluslenombredebanquespoursuiviespourdifférentesmalversations:pratiques abusives dans l’immobilier (subprimes, saisies immobilières), manipulations de tauxbancaires,violationsd’embargosoublanchimentd’argent.Quelquesexemples.

Enfévrier2012,WellsFargo,JPMorganChase,Citigroup,BankofAmericaetAllyFinancialacceptentdepayerensemble25milliardsdedollarspouréviterdespoursuitesà la suitedesaisiesimmobilièresabusives.Ennovembre2013,JPMorganChasedoitverser4milliardsdedollarspour

indemniserdesparticuliersflouésàcausedeprêtshypothécairesàrisque.Dansl’accord,labanqueadmet qu’elle a « régulièrement donné une fausse image aux investisseurs » de ces prêts trèsdangereux.Enjanvier2014,JPMorganChase(encore!)s’acquitted’uneamendede1,7milliarddedollars pour avoir fermé les yeux sur l’escroquerie pyramidale deBernardMadoff, condamné en2009 à cent cinquante ans de prison. On peut continuer ainsi la liste. En janvier 2013, Bank ofAmericadoitverser11,6milliardsdedollars,puisdébut2014ànouveau9,5milliardsdedollars.Enjuin 2014, BNP Paribas récolte une amende de 8,9 milliards de dollars pour avoir illégalementfacilité des transactions financières avec le Soudan, l’Iran et Cuba. Le ministre de la Justiceaméricain,EricHolder,commenteainsilesfaits:«BNPParibasadéployéd’énormeseffortspourdissimulerdes transactions interdites,brouiller lespisteset tromper lesautoritésaméricaines.»Enmai2014, leCréditsuisseestcondamnéàverser2,6milliardsdedollarspouravoiraidéderichesAméricains à cacher leur argent au fisc grâce à des « déclarations fiscales tronquées ». Le20septembre2010, l’Autoritéde laconcurrencea sanctionné11grandesbanques françaisesd’uneamende de 384,9 millions d’euros pour avoir mis en place des commissions interbancaires nonjustifiéessurletraitementdeschèquesentre2002et2007.Maisl’affairerécentelaplusemblématiqueconcerne HSBC. La première banque britannique a blanchi l’argent sale des cartels mexicain etcolombien ainsi que celui d’organisations en lien avec le terrorisme. Pourtant, elle n’a écopé qued’une petite amende de 1,92 milliard de dollars. Réaction de la sénatrice démocrate ElisabethWarren:«Combiendemilliardsdedollarsfaut-ilblanchir,combiend’embargosfaut-ilviolerpourqu’onenvisageenfindefermerunebanquecommecelle-ci?»Mais,avecles270000salariésquecompte la banque dans plus de 80 pays, personne n’osera prendre un tel risque,même siHSBCatrempé dans les pires scandales, comme la manipulation des taux qui servent de référence auxactivitésfinancières,laventedeproduitstoxiquesetladissimulationde180milliardsdedollarsdecontribuables dans des paradis fiscaux (affaire Swissleaks). Dans un article du journal LeMonde,l’économisteGabrielZucman,quienseigneà laLondonSchoolofEconomics,racontequ’ilexisteune règle tacite selon laquelle toute banque too big to fail (trop grande pour faire faillite) se saitintouchableparl’Étataupointdesesentirtoobigtojail(tropgrandepourêtrecondamnée).Enunmot:invulnérable.Commel’expliquelajournalisteAnneMichel,depuissesoriginesHSBCestliéeàdesactivitésdouteuses:labanqueaétécrééeàHongkongaumilieuduXIXesièclepourfinancerletraficd’opiumdel’Empirebritannique.Commentfairecroireauxcitoyensqu’ilsévoluentdansunesociétéjuste?Commentexpliquerquedestypesencostard-cravate,quis’empiffrentdedividendesetderémunérationsexorbitantes,complicesdesmarchandsdedroguesetdestrafiquantsentoutgenre,agissentimpunément,alorsqu’enFranceunpetitvendeurdecannabisestenvoyéenprison?

Latriche,lemensonge,l’arnaque:cen’estpasdupopulismequed’affirmerquelecapitalismeengénéral,etlenéolibéralismeenparticulier,prospèrentgrâceàcesméthodes.Dernierscasrécentsdans l’actualité : la triche de Volkswagen et Audi qui ont installé sur leurs véhicules diesel desdispositifsdestinésàdissimulerleursémissionsréellesdepolluants.Maisonpourraitévoqueraussi,en2013,l’affairedeslasagnesaufauxbœufetauvraicheval,quiarévélél’existenced’unefraudeà

grandeéchellequiconsistaitàremplacerlaviandedebœufpardelaviandedecheval,moinschère,récupéréedansdesconditions illégales.Làencore, les fautifssontdes industrielsvéreuxcherchantpar tous les moyens à contourner les règles afin de s’en mettre plein les poches. L’industrieagroalimentairefournitd’innombrablesd’exemplesd’immoralitéetdetromperies.

Maisnulbesoindes’étendre icidavantage.L’histoireet l’actualiténecessentdeprouverque,contrairementàl’idéebéatementvéhiculée,lecapitalismenerécompensequemarginalementlesplusméritants, lesplus travailleurset lesplus intelligents. Ilpromeutessentiellement lesplusroublards,lespluscyniques,lespluségoïstes,entoutcascertainementpasleshumanistes.Ainsi,l’économisteJean-MarieHarribey affirmeque « l’histoire du capitalisme est une longue suite de scandales, quisont moins des “tricheries” que des révélations de l’ADN de ce système. Le capitalisme, c’est letravaildesenfantsdanslesminesauXIXesiècleetdanslesateliersdelasueurauXXeetauXXIe.C’estlecolonialismeetleraptdesressources.C’estdeuxguerresmondialesetbeaucoupdeguerrescontreles mouvements de libération nationale. C’est les crises récurrentes. C’est le chômage et lesinégalités. C’est la fin des paysans et le début d’une alimentation demerde. C’est la faim dans lemonde. C’est la spéculation permanente. C’est les banques et les multinationales dans les paradisfiscaux.C’estlafraudeetl’évasionfiscales.C’estlaprimeauxfraudeurs.C’estleproductivismeetl’épuisementdelaplanète.C’estlapollutiongénéralisée.C’estlalenteagoniedeladémocratie.»

Onpourrait écrireune encyclopédie sur l’ensembledes crimes et truanderies sur lesquels lesfortunessesontbâties,àcommencerbienévidemmentparlepillagedepayscolonisés.Combiendepeuplesdécimésouasservispourenrichirlescompagniesoccidentales?Combiendeforêtsdétruiteset de terresvoléespour asseoir l’empiredequelques-uns, tranquillementprotégéspar la politiqueprédatricede leurgouvernementet le logode leurentrepriseà lavitrine impeccable?Quel seraitaujourd’hui le niveau de vie desEuropéens sans le pillage de l’Afrique ?Depuis des siècles nousavonsorganisécehold-upsansêtredénoncéspourcequenoussommes:desvoleursayantfavorisélespiresdictatures,toutendonnantdesleçonsde«droitsdel’homme».Quelhabiletourdeforce.Etàchaquefoislesvictimessontlesplusfaibles,cesontceuxquin’ontpaslesmoyensdesedéfendrecontrelesescadronsdel’avidité.

L’argentestunebellearnaque

J’aimecetteformuledunaturalisteJohnMuir,disparuilyaunsiècle:«Lavieesttropcourtepourconsacrerbeaucoupdetempsàgagnerdel’argent.»Surtoutque,entantqu’alliéetvecteurdulibéralismeéconomique,l’argentestl’unedesplusbellesentourloupesdenotresociété.Toutpasseparlui.Ilestlebut,leréférent,lejuge,leguide,lemaître.Ildistribuelestitresdenoblesse.Ilestlemaîtredesélégances.Ilestlediableàquionvendsonâme,ilestleclientpourlequelonseprostitue.Alorsqu’iln’estqu’uneillusion.Riendecequ’ilraconten’estvrai.Sesavisn’ontaucunelogique.Ilconsacre des rois de pacotille et méprise les âmes nobles. Je lis ce jour que Zlatan IbrahimovicdevientlejoueurdefootballlemieuxpayédeFrance:1,5milliond’eurosparmois,contre800000jusqu’à présent.Le type tape dans un ballon, et on le paye plus de 1 000 fois le Smic.Dans notreéchelle des valeurs où l’argent règne enmaître, Zlatan vaut donc 1 000 ouvriers. Les joueurs defootballsontdesciblespeut-êtretropévidentes,etilssonteux-mêmessoumisàunmarchéquienfaitdes objets (on « achète » un joueur, quelle drôle d’idée), mais comment ignorer que leur statutemblématiqueinterrogenosrègleséconomiques?

Àceproposmevientcettesecondeinterrogation.Lefootballestunjeu.Beaucoupdejeunesetmoins jeunes se détendent en jouant au foot. Même si le haut niveau requiert un entraînementcontraignant,lesfootballeurssontdoncpayéspours’amuser,etilsprennentbeaucoupdeplaisirdansleurmétier.Ilsuffitdelesvoirexulterlorsqu’ilsmarquentunbut.Oronararementvuunouvriersurune chaînedemontage serrer les poingsvers le ciel puis sauter dans les bras de ses collègues enhurlantjusteaprèsavoirréussiàassembleruneporteavecdextérité 1.Ouvrierenusineesteneffetunmétiermoinsplaisantqueceluidefootballeur.Ilfautaussiconsidérerquelefooteuxestpopulaire,ilbénéficied’unenotoriétéquiflattel’ego,alorsquel’ouvrierestunhommeouunefemmeanonymedont lesortn’intéressepasgrandmonde.Commentse fait-il,dès lors,que le footballeursoitpayéunefortunealorsqu’iladéjàlachanceextraordinaired’exercerunmétiersommetouteépanouissantquiluiassureunefortereconnaissancesociale?Lajusticevoudraitquel’onéquilibrelesbon-heurs

en encourageant et en dédommageant celui qui subit un emploi inintéressant et non valorisant : lesalairedevraitêtre,enquelquesorte,pondéréparuncoefficientdeplaisir.

Mais c’est surtout un autre critère qui devrait déterminer la variabilité des rémunérations : ledegrédebénéficepourlacollectivité.Siun inventeur imagineunobjetouunemachinequiprofiteréellementàl’humanité, ilest logiquequ’ilensoitremercié.Ilenvademêmepourlesmétiersducinéma ou de la musique, puisque les films et les chansons accompagnent positivement nos vies.Grâce à leur largemode de diffusion, ils embellissent l’existence et nourrissent l’esprit d’un trèsgrandnombredepersonnes.Certains rétorquerontque le footballdivertit égalementunpublic trèslargeetqu’iljustifieainsidessalairesexorbitants,commeceluideZlatan.Maisilyaunedifférencede taille : le football est un jeu, il n’est pas un art. Il ne vise pas l’esprit, et donc la grandeur del’humanité, mais le défoulement des instincts les moins intéressants chez nous. L’art au contraireamèneàlacontemplationdésintéressée.

Schopenhauerlepessimistetrouvaitainsidanslamusiquel’undesraresmotifsdeconsolationaudésespoirdumonde.EtcommeNietzsche,jeconsidèremêmeque«sanslamusique,lavieseraituneerreur».Lamusiqueestàmonsenslaplusbellerévélationfaiteàl’homme.Riennes’adresseàmoipluspuissammentquelaToccataetfugueenrémineurdeBach,lesguitaresdeDonFelderetJoeWalshsur lesdeuxdernièresminutesd’HotelCalifornia,ou l’harmonicadeBruceSpringsteensurLaRivière.Aucuneparolenemeseraplusréconfortantequ’unrythmed’AntônioCarlosJobim,plusrevigorantequ’unsolod’EddieVanHalen,plusenragéequ’uncrideJanisJoplin,plusréjouissantequ’unvieuxrythmedeGiorgioMoroder,plusbouleversantequen’importequeladagiopourcordes.Lesnotessontdesvoixquinousplaignent,nousconsolentounousgalvanisent.Commentnepasêtrereconnaissantenversceuxquinousbercent,nousremuentounousconsolent?Leschansonsagissentcomme une thérapie, une catharsis, unmédicament de l’âme – Xanax ouGuronsan, elles sont unespoirouuneamitié.Alors,quandAlanisMorissettevend30millionsdesondécapantJaggedLittlePill, il est normal qu’elle s’enrichisse unminimum. C’est mérité. De la mêmemanière, quand legroupeDireStraitsinventeunbijoucommeBrothersinArms,dontlachanson-titreestl’unedesdixplusbellesjamaiscomposées,quiluicontesteraitsafortune?MarkKnopfler:sonpickinggénial,safaçon de caresser sa Stratocaster pour qu’elle électrise nos tripes… qui lui reprocherait d’êtrerécompensépoursontalentunique?Unartistedoitêtrepayépoursontravail,ettrèsbienpayésicetravailapportedubonheurauplusgrandnombre.

Mais,demanièregénérale, l’échelledes rémunérationsn’aaucun lienavec l’utilitésocialedel’activiténiaveclesqualitéspersonnellesoul’abnégationdesbénéficiaires,dansnotresociétéoùuntraderest100foismieuxpayéqu’uneinfirmière,uninstituteurouunpompier.EnInde,selonOxfam,lepatrond’unegrosseentreprisedecigarettestouche439foislesalairemédiandesemployésdesonentreprise:travaille-t-ilréellement439foismieuxouplus?Est-il439foisplusdoué?Etqu’enest-ildeces68milliardairesquidétiennentàeuxseulsautantderichessesquelamoitiélapluspauvredel’humanité?Lacontributiondeces68ultra-richesà la sociétéest-elle réellementaussi importantequecellede3,7milliardsdepersonnes?Enréalité,laplupartdesrichesneméritentpasleurfortune.

Et pendant ce temps, des millions d’hommes et de femmes dédient leur vie aux autres pour dessalairesdérisoires:despersonnelsmédicaux,desenseignants,deschercheurs,deshumanitaires,desmilitantsd’association,bref toutepersonnequichoisitdesemettreauservicede lacollectivitéparconviction.Maisceux-là,dansnotresystème,nesontpasrécompensés.

Alors que je l’interrogeais en février 2015 sur les conséquents bénéfices engrangés grâce ausuccèsmondialdesonCapitalduXXIesiècle,ThomasPikettym’avaitréponduqu’ilétaitprêtàdonner90%de ses revenusd’éditionaux impôts. Ilprécisaitque son salaired’universitaire lui rapportaitsuffisamment pour se loger et pour emmener ses enfants en vacances et que, par conséquent, ilestimaitnepasavoirbesoindedavantaged’argent.Siseulementcepointdevuepouvaitêtrepartagéparleplusgrandnombre…

Il est indécent et injuste que certaines personnes accumulent les richesses tandis que d’autrespeinentàbouclerleursfinsdemois.Unemesuredebonsensconsisteraitàimposerunerémunérationmensuellemaximale pour tous lesFrançais (évidemment, le but serait de généraliser la pratique àl’ensemblede laplanète).Au-delàd’uncertainmontant, le revenuserait taxéà100%.Àquoicelasert-ildegagnerplusde10000ou15000eurosparmois,cequiestdéjàunetrèsbellesomme?Enattendant,onpourraitétabliruntauxmarginalde90%commel’avaitfaitRoosevelten1941.Cetaux(de91%exactement)aétémaintenu jusqu’en1964etneconcernaitque les très fortunéspuisqu’ils’appliquaitàpartirde200000dollarsdel’époque,soit1milliondedollarsd’aujourd’hui.

L’argentcoupedesréalitésetfaitoublierlesensdupartage.Iln’estalorspasétonnantquetoutuncamppolitiques’ingénieàmettreàmallesmécanismesdesolidariténationale.Cesontlesmêmesqui dénoncent l’accueil de réfugiés politiques venus de pays en guerre – dont nous sommes parailleursresponsables.Ceszélésnéo-défenseursdelapatriequinousrappellentlesracineschrétiennesdelaFranceàtoutboutdechampestimentqu’ilfautrenvoyerchezeuxceshommes,cesfemmesetcesenfantsquiont toutperducar,comprenons-le,« laFrancen’apas lesmoyensd’accueillir tousceux qui ont des problèmes » (surtout s’ils sont musulmans). En réalité, ceux qui professent cesdiscoursrenvoientàunchristianismevieuxd’unmillénaire,unchristianismedecroisade,obscuretviolent.Maislevraichristianisme,jeveuxlecroire,estceluidesaintMartindeToursqui,unsoird’hiveràAmiens,déchiresonmanteauendeuxpourlepartageravecunmendianttransidefroid.LevraichristianismeestceluidesaintFrançoisd’Assisequichoisitdesedélesterdetouterichessepourvivreaucontactdesplusdémunis,danslerespecttotaldetouteformedevie,humaineetanimale.LevraichristianismeestceluiduvégétarienprotestantThéodoreMonod. IlestceluideMartinLutherKing.Touteslesreligionsenappellent,àunendroitouàunautre,àlagénérosité,àlatoléranceetaupartage(mêmesiontrouveparailleursdansplusieursd’entreellesdesmessagesdeviolence).Ceuxquirefusentdepartager leursrichesses(Pourquoi jeredonneraisceque j’ai, je l’aimérité!),ceuxqui refusent d’accueillir un homme démuni, sont desmécréants. Parmi eux, pourtant, beaucoup sedisentcroyants.Jeseraiscurieuxdesavoircomment,concrètement,ilsappliquentleurfoidansleurquotidien.Moi qui suis athée et ne revendique aucune idole, je défends une idée simple : celle dupartagecommeuneobligationmorale indépassable.Jen’aipourtantriend’unsaintetmonsensdu

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sacrificeaseslimites.Jesuiscommetoutlemonde,attachéàunecertainetranquillitéetàunconfortminimal.Maisnulbesoindeluxeetdesuperflu.Aussilaquestionquel’ondoitseposer,chaquefoisqu’uneoccasiondepartagernousestdonnée,estlasuivante:dequoimongesteva-t-ilréellementmepriver?

Prenons un exemple. Vous gagnez 3 000 euros mensuels. Une association vous propose dedonner50eurosparmoispouraideràvaccinerdesenfantsouàsauverdesanimauxenpéril.Vos50eurospeuventéviter lasouffranceoulamortdeplusieurs individus(humainsounonhumains).Maislefaitdedisposerde50eurosenmoinsdansvotrebudgetvouslèse-t-ilvraiment?Toutdépenddevotresituationpersonnelle,évidemment.Maisjecroisquedanslamajoritédescas,50eurosenmoinssurunrevenude3000eurosnechangentrien.Parfois,ils’agitdefaireunchoix,etcechoixn’estpasanodin.Vousacheteztroischemisespourunbudgettotalde150euros.Aviez-vousbesoindecestroischemises?Deuxn’auraient-ellespassuffi?Etdanscecas,les50eurosrestantsauraientpuêtreutiliséspouruneactiongénéreuse.Lorsquel’occasiondefaireun«bongeste»seprésente,onsedemandesouvent:«Pourquoileferais-je?»Labonnequestionàseposerestselonmoiplutôtcelle-ci:«Pourquoineleferais-jepas?»

Jemesuisd’ailleurstoujoursdemandéquiavaitinventécerituelpropreaubuteur:lacoursefolleversonnesaittropquoi,lescopainsquivouscourentaprèsetvousgrimpentdessuspourformerunpetitmonthumain…Je laisseàunethnologue lesoind’expliquerlesensdecettedéconcertantecérémonie.

L’entraide,plusbénéfiquequelacompétition

«Pourtant, c’est bien cela, la loi de la nature : la compétition des plus forts contre les plusfaibles!Darwinaexpliquélasélectiondelaloinaturelleetdelaluttepourlavie.Siturespecteslanature,alorsturespecteslefaitquechezleshumains,seulslesplusaptesdoiventsurvivre.Aiderlesplusfaibles,c’estalleràl’encontredelanature,etdel’intérêtduprogrèsdel’espècehumaine,quiabesoind’éliminerlesplusfrêlesetlespluschétifs!»

L’argument, usé jusqu’à la corde, a été régulièrement brandi depuis la publication de Del’originedesespèces,en1859,pourjustifierunepolitiqueéconomiquelibéralequisedésintéressedusortdesplusdéfavorisésetquiminelessystèmesdesolidarité.HerbertSpencer(1820-1903)aainsiinventé le«darwinismesocial»,quia tentéde légitimer l’exploitationdesouvriersde l’industrie.Maisonperçoittoutdesuitelestenantsetlesaboutissantspeureluisantsdecettethéorie.Certainsontpoussé la logique jusqu’au bout afin de justifier l’eugénisme, le nazisme, ou la colonisation, avectoujours cette même idée : essayer de convaincre qu’il est normal d’exploiter ou d’éliminer unecatégoried’humainsjugés«inférieurs».

Patrick Tort, fondateur de l’institut Charles Darwin International, s’insurge contre cesdétournementsde lapenséedeDarwin.Ilexpliquequeleprincipedesélectionnaturellenes’arrêtepasàladimensionbiologiquedesorganismes,maisqu’ilconcerneégalementleurscomportementset donc leurs instincts, qui ont été déterminants dans l’histoire de l’évolution de l’homme.Or cesinstincts«impliquentdescomportementsanti-sélectifsetlesentimentde“sympathie”quidoitcroîtrejusqu’às’étendreàl’espèceentière».DansL’EffetDarwin,PatrickTortremetlespendulesàl’heureenrésumantainsilapenséedunaturalisteanglais:«[…]L’avantagesélectifquiadécidéendernierressort de la suprématie de l’espèce humaine réside dans le mode de vie communautaire, dansl’intelligencequi lepermet etqu’il favoriseen retour, etdans les conduites et les sentiments (aidemutuelle,sympathie)aveclesquelsilseconstruit.»

Antiraciste,opposéàl’esclavage,Darwininsistesurl’impérieusenécessitédesvaleursmoralesdansledéveloppementdel’espècehumaine.L’avancéedenotrecivilisationdépendselonluidenotrecapacitéàlasympathieenversl’autre,etcetautrenedoitpass’arrêterànotreespèce:«Lasympathieportée au-delà de la sphère de l’homme, c’est-à-dire l’humanité envers les animaux inférieurs,semble être l’une des acquisitionsmorales les plus récentes », écritDarwin.Donc déjà se dessinel’idéequel’humanitéseréaliseenétendantprogressivementsasphèredeconsidération,etquecelle-cinepeuts’arrêterauxseulshumains.

Lanécessitéde l’entraideentre lesêtres,en lieuetplacede lacompétition,est l’idée-forcedel’anarchistePierreKropotkine,quis’opposaitauxtenantsdudarwinismesocial.Cerévolutionnaire,adversairedeLénine,estnéàMoscouen1842,auseind’unerichefamillearistocrate.Sonpèreétaitgénéral ethérosdeguerre. Il fut lui-mêmemilitaireavantdedémissionnerde l’armée. Il est alorsdevenuundécouvreurdumonde:explorateur,géographe,zoologisteetanthropologue.Sesactivitéspolitiquesluiontvalulaprison,aussibienenRussiequ’enFrance,oùilrecevralesoutiendeVictorHugo.D’abordpartisandel’actionviolente(«lapropagandeparlefait»),ilévolueraverslafindesavieenfaveurdusyndicalisme.Sonsouhaitétaitlasuppressiondetouteinstitutiongouvernementaleet l’instaurationd’unesociété régiepar l’entraideet la coopérationvolontairedansdescommunesautosuffisantes.Ilpublieen1902L’Entraide,unfacteurdel’évolution,quiestuneréponsedirecteàlamanipulation des travaux de Darwin. « L’entraide est le véritable fondement de nos convictionséthiques»,écrit-il.Selonlui,leprinciped’entraide,mêmes’ilaétérégulièrementcombattupardesforcescontrairesàtraverschaqueétapedel’évolutionhumaine,revienttoujours,enseperfectionnantchaquefois.L’histoiremontrequeceprincipes’étend: ilad’abordconcernéleclan,puis la tribu,puis les tribus entre elles, puis la nation, et il vise désormais à toucher l’humanité tout entière.Kropotkine nous invite à regarder le bouddhisme primitif, les premiers chrétiens, laRéforme, lesphilosophesduXVIIIesiècle:chacundecesmouvementsporteenluilaconsciencequechaquehumainnedoitfairequ’unavectouslesautres.«Entoutesociétéanimale,écrit-ildansLaMoraleanarchiste,lasolidaritéestuneloi(unfaitgénéral)delanature,infinimentplusimportantequecetteluttepourl’existencedontlesbourgeoisnouschantentlavertusurtouslesrefrains,afindenousabrutir.Quandnousétudions lemondeanimaletquenouscherchonsà rendrecomptede la luttepour l’existencesoutenue par chaque être vivant contre les circonstances adverses et contre ses ennemis, nousconstatonsqueplusleprincipedesolidaritéégalitaireestdéveloppédansunesociétéanimaleetpasséà l’état d’habitude – plus il a de chances de survivre et de sortir triomphant de la lutte contre lesintempériesetcontresesennemis.Mieuxchaquemembredelasociétésentsasolidaritéavecchaqueautremembre de la société –mieux se développent, entre eux tous, ces deux qualités qui sont lesfacteursprincipauxdelavictoireetdetoutprogrès–lecouraged’unepart,etd’autrepart la libreinitiativedel’individu.»PierreKropotkineenarriveàlaconclusionquelagrandeurdel’humainsemesurera à sa capacité d’étendre sa sphèrede considérationmorale : «Denos jours encore, c’estdansuneplus largeextensionde l’entraidequenousvoyons lameilleuregarantied’uneplushauteévolutiondenotreespèce.»

Kropoktine,quiavaitétudiédeprèslesmécanismesdelanature,avaitparfaitementobservéque,malgrélacompétitionet laviolenceàl’œuvre, lasolidaritéentrelesêtresestunprincipedevieetd’évolution indispensable. Les exemples de collaboration sont en effet multiples dans le mondeanimal, végétal, ou entre les deux. L’acacia cornigera est un arbre que l’on rencontre en zonetropicaleetsubtropicale.Àlabasedechaquefeuillesetrouventdeuxgrossesépinescreuses,quisonthabitées par des fourmis. La nourriture des insectes est fournie par l’acacia via des glandes quisemblentn’existerquepourl’usagedecesfourmis.Enéchange,leshôtesprotègentl’arbredetouteagression d’insecte et de plante. Elles empêchent notamment la prolifération des lianes quirisqueraientd’envahirl’acacia.Autrecasdefiguredecoopération,connudetous:lespapillonsetlesabeillesquitransportentlepollendesfleursenéchangedunectar.

Les espèces collaborent entre elles lorsqu’elles y trouvent un intérêt réciproque. Le cas descouples nettoyeur-nettoyé le démontre parfaitement. Les mers abritent des dizaines de poissonsnettoyeurs, qui éliminent les parasites ou les peauxmortes sur des espèces différentes, comme lepoisson-papillonaveclerequin-marteauoulepoisson-angeaveclaraiemanta.LecrocodileduNilse laisseapprocheretpapouillerpar lepluviand’Égyptequisevoitoctroyerunaccèsprivilégiéàl’intérieurdesesmâchoires,sanssefairecroquerpourautant.L’oiseaudébarrasselecrocodiledessangsues,desparasitesetdesboutsderepascoincésentrelesdents.Etilsenourritenmêmetemps.Lebernard-l’ermitepassepoursapartuncontratavecl’anémonedemerenlafixantsurlacoquillequ’ilsquatte:l’anémone(ellespeuventêtreplusieurs)luioffreuneprotectioncontrelesprédateurs,etlui,enretour,assurelesdéplacementsdugroupeversleszonesoùilyadelanourriture.Lorsquele bernard-l’ermite change de coquille pour une plus grande, il déménage les anémones en lesaccrochantsurlenouveaulogement.

Les fourmis, les termites, et même les araignées pour certains groupes, sont des insectes àl’instinctsocialdéveloppé.Lecasdel’abeilleestparticulièrementinstructif.Unerucheestcomposéed’unereineetdedizainesdemilliersd’ouvrières.Lareinepondjusqu’à2000œufsparjourquisontdéposés dans des alvéoles fabriquées par les ouvrières. Les abeilles communiquent entre elles aumoyendedansesetdesons,pourindiquerdenouvellessourcesdepollen.Etsilaruchedevienttropbondée, la reine laquittepouraller créeruneautre colonie, tandisqu’unenouvelle reineprend saplace.

Selonl’éthologueFransdeWaal, l’humainn’estpasdavantageconçupourlacompétitionqueles autres animaux : « Beaucoup de conservateurs, surtout aux États-Unis, justifient une sociétéextrêmement compétitive endisant que la nature est compétitive et qu’il est bondevivre dansunesociétéquiimitelanature.C’estuneinterprétationabusive:oui,lacompétitionestimportantedanslanaturemais[…]iln’yapasqueça.[…]AdamSmithaécritdeuxlivres.LaRichessedesnations,quetous les économistes connaissent. Et Théorie des sentiments moraux, que tous les philosophesconnaissent,etoùilparlede“sympathie”.Ilaffirmaitqu’onnepeutbâtirunesociétéuniquementsurl’activitééconomiqueetqu’ilfautprendreencomptecequesontleshommes.C’estluiquiaécrit:ilyadanslanaturedel’hommedesprincipes“quileconduisentàs’intéresseràlafortunedesautreset

qui lui rendent nécessaire leur bonheur, quoi qu’il n’en tire rien d’autre que le plaisir de les voirheureux”.»

Montaigne relativisait grandement la gloire qui n’a aucune valeur : « J’ai vu le hasard fortsouvent marcher avant le mérite : et souvent outrepasser le mérite d’une longue mesure. » Nousl’avonsévoquéilyaquelqueschapitres:lehasardadécidédenotreprésenceaumondepuisilnousafaitnaîtrehumainsplutôtqu’insectesouanimauxdeferme.Ilaensuitechoisidenouslarguerdansuncertainpaysetdansuncertaincontextesocial.Maislehasardnes’entientpaslà.Ilcontinueànousaccompagneràchaquemomentdenotrevieetdéterminecequenousdevenons.Certainsrésumerontcelapar«êtreaubonendroitaubonmoment»,etpréciserontque l’onpeut« forcersachance».Sansdoute. Iln’enrestepasmoinsvraiquedenombreuseshistoiresdesuccèssontponctuéesd’aumoins un gros coup de bol. Le cocktail de la réussite pourrait sans doute être décrit dans cesproportions:entre1%et15%detalent,entre1%et15%detravail,etlerestequiserépartitentrel’entregentetlachance.

Il existe doncdeux causes principales aux inégalités entre les individus : la triche, que l’on aappeléelaprimeauxbrigands,etlehasard.Ilnes’agitpasdenierlerôledel’effortetdutalentdansuneréussitepersonnelle,maissimplementdenoterquedanslesystèmetelquenousl’avonsorganisé,cesdeuxderniersfacteursnesontpasdéterminants.

Onconnaîtdéjàlesmoyensdecombattrelatriche,lamalhonnêtetéetlaviolenceàl’égarddeshumains. Des lois existent. Il convient de veiller à leur application et à leur amélioration. Pourcontrebalancerlapuissanceduhasardsurnosdestinées, leschosessontenrevanchebeaucouppluscompliquées. Mais tel était bien l’enjeu révolutionnaire contenu dans l’Égalité accompagnant laLiberté et la Fraternité. Notez d’ailleurs la dimension morale qui accompagne ce triptyquerépublicain.Carautantlalibertéetl’égalitésontdesdroits,autantlafraternitéestunmotd’ordrequidécritundevoirfaitàchacun:nousavonsobligationàaidernotreprochain,àêtresolidaireaveclui.Et c’est justement cette attitude de fraternité et d’entraide qui peut aider à rétablir l’égalité que lanaissanceetlesaléasdelaviecontredisent.L’idéalrépublicainestuneinjonctionàl’empathie,quiestcettefacultéàs’identifieràquelqu’unetàressentircequ’ilressent.

L’entraide qui découle de l’empathie n’est donc pas un acte de générosité. C’est un acte dejustice, destiné à compenser les méfaits de la contingence. La philosophie du partage consistesimplementàredonneràl’autreunepartiedelachancedontlaviel’aprivé.Parconséquent,ellen’estpasuneoption,maisunenécessité.

Lepassagedurireetdel’oubli

DavidBowieestmorthier.Ilétaitjeune,soixante-neufansseulement.Lecancer.Leschansonsdel’artistetournentenboucleàlaradiodepuiscematin:Heroes,SpaceOddityAshestoAshes,Let’sDance…«Légendedurock»,«géniecréateur»,«icône»,«artistecaméléon»:lesjournalistessecreusentlatêtepoursavoircommentrendrehommagelemieuxpossibleauchanteur.Jecomprendsleurembarras.Commentrésumerenquelquesphrases lavied’unhomme,enparticuliercelled’unmusicienquiapubliévingt-cinqalbums,tousdifférents?Commentdéfinirl’émotionqu’ilasuscitéechezlesmilliardsdepersonnesquiontentendul’unedeseschansonsunjour?Commentsavoirdequellemanière il a réellement influencé les artistes des générations suivantes ? Surtout, commentraconter le destin d’un être hors norme le jour même où celui-ci redevient le plus banal deshommes?

Latristessequis’exprimesurlesréseauxsociauxestempreintedenostalgie:«Lajeunessequipouvaitmeresterestdéfinitivementmortecematin»,«Ilyadesartistesquireprésententtouteunegénération. Il y a eu les Beatles pour les soixante-huitards. Il y avait Bowie pour les ados desseventies.Même lesdieuxne sontpas immortels. J’aimalàma jeunesse»,«R.I.P.DavidBowie !Encore un beau chanteur qui s’en va… notre jeunesse… », « Toute ma jeunesse et ma jeune vied’adulte(àprésentsénior)quis’envolent».

Ladisparitiond’unecélébritédontl’œuvreamarquéunmomentdenotreenfanceoudenotreadolescencenoustouchetoutparticulièrementcarelleévoquenotreproprefin.EnmêmetempsqueBowiedisparaît unpeuplus le gamindedouze ansqui bougeaitmaladroitement sur la batterie deChinaGirl lorsdesboums.Cegosse, iln’enrestaitdéjàplusgrand-choseaprès lamortdeFreddyMercury,puiscelledeMichaelJacksonetdeWhitneyHouston.Lamusiqueacepouvoirmagique:elleaccompagnenosvibrationsémotionnelles,particulièrementexacerbéesàl’âgeoùlessentimentsnous surprennent. Le temps aidant, tout cela se calme. Nos plus fortes émotions, celles qui vontrésonner toute notre vie, sont celles qui touchent nos jeunes années, celles de lamaladresse et del’insécurité.

Seschansonssont immortelles,a-t-oncoutumededire lorsqu’unchanteurdécède–çamarcheaussi avec : ses romans sont immortels, ses films sont immortels, etc. Rien n’est moins sûr. Lesarchives sont remplies d’artistes parfaitement oubliés après quelques années. Que dire alors desanonymesquin’ontrienproduitdenotoire?D’unevie,ilnerestepresqueplusrienunefoisqu’elles’estéteinte.Àpeinequelquesmiettesenpartageauxsurvivants,queletempssechargerabienvitedesouffler.Peunombreuxsontleshumainsquilaissentleurempreinte:quelquesscientifiquesdontlesdécouvertestransformentlemonde,quelquesphilosophes,quelqueshommesoufemmesdecombatdont l’engagement visionnaire guide l’humanité. Mais à part eux ? La plupart de ceux quimonopolisent l’actualité et les couvertures de magazines aujourd’hui seront remplacés demain etdéfinitivementeffacésdesmémoiresaprès-demain.

De ce fait, malgré desmilliers d’années de réflexion sur le sujet, le but de l’existence nouséchappe toujours complètement. N’est-il pas désespérant, en tant qu’humain invité pour soixante,soixante-dixouquatre-vingtsans,d’enrichirchaquejoursonespritpourfinalementdevoiréteindrelalumièreetlaisserderrièresoiunepiècevide?Tantdelivreslus,deleçonsretenues,dechagrinsdigérés et de gloires arrachées qui seront forcément réduits au néant en un instant. Je suis là, etsoudain je ne suis plus. En un claquement de doigts, desmillions d’informations accumulées sonteffacéesdenotredisquedur.Maisalors,quelestl’intérêt?

Cetteabsurditéinhérenteànotrevieestamplifiéeparcertainesdenoshabitudesquipourraientdéconcerter des extraterrestres qui débarqueraient sur notre planète. Comprendraient-ils pourquoi,dansnotrehiérarchie,nousplaçonsausommetcertainscongénèresdontlemériteconsisteàjouerlacomédie, à pousser la chansonnette ou à taper dans une balle ? Ne vous méprenez pas sur monpropos:commejel’aiexpriméàplusieursreprisesdanscelivre,j’admireprofondémentlesartistes.Ils sont indispensables à notre intelligence et à notre santé. Je considère par ailleurs qu’unedémocratiesemesurenotammentà la libertédesonart.Maispourquoiavoirdécidéqu’unhumaindont le talentestdesavoirpleureroufaireriresurcommande,oudechanter juste,doitbénéficierd’unstatutprivilégié?Leprincipe,enlui-même,estbizarre.

Toutcommel’art,lesportoccupeuneplacedechoixdansmonquotidien.Loindemoil’idéededénigrer cette indispensable occupation du corps et de l’espace. Je m’interroge simplement surcertaines de nos disciplines sportives et sur le culte qu’elles engendrent. Je ne parle pas del’athlétismequiestàmesyeuxlesportleplussaincarleplusphilosophiquequisoit:depuislecentmètres jusqu’au marathon, en passant par le saut en longueur, la plupart des épreuves d’athléinterrogent l’hommesur ses limitesnaturelleset sur sacapacitéà lesdépasser.Lanatation répondégalement à cette philosophie tout comme, dans une moindre mesure, des sports de force etd’endurancetelsquelecyclismeoul’aviron.EthormislecasmarginaldequelquesUsainBolt,cessportsnefontpasdeleurschampionsdesmillionnaires.

Enrevanche,l’engouementplanétaireautourdufootball,dutennis,durugby,ou,dansunautregenre, de la course automobile, est un amusant mystère. J’ai pourtant pratiqué ou suivi tous cessports,commechacun,avecunepassionparticulièrepourRolandGarrosetWimbledon.Maisquand

onyréfléchitdeuxsecondes:àquoirimelespectaclededeuxtypes(oudeuxnanas)(ouquatretypes)(ouquatrenanas)(oudeuxtypesetdeuxnanas)quiserenvoientunepetiteballeau-dessusd’unfilet,dansunrectangleauxdimensionscomplètementarbitraires,sortiesdel’imaginationd’onnesaitqui,avec chacun dans lesmains un objet bizarre qui n’existe nulle part dans la nature ? Pourquoi desmillions de spectateurs frémissent-ils, suent-ils, s’excitent-ils, enragent-ils, pleurent-ils en suivantfrénétiquementcettepetiteballedesyeux?Pourquoidesgensenshortgagnent-ilsdesfortunespourse livrer à cette activité à la finalité absurde ? Ils passent vingt ans de leur existence sur quelquesmètrescarrésdequick,degazon,deterrebattue,àrenvoyerlapetiteballeencaoutchoucdel’autrecôté du filet. Ils semblent jouer leur vie sur certains points. Service. Service-volée. Fondde court.Passing.Lob.Onlifte,oncoupe,onamortit.Jolimouvementdesépaules.Lecorpsbienparallèleaufilet.Ensoi,c’estunpeurisible,non?

Lefoot,biensûr,gagnelepomponentermesdenon-sens,aveccesvingt-deuxpersonnes(pasvingt,nivingt-quatre)quicourentaprèsunebaballeetconcentrenttouteleurénergieàlafairepasserentredeuxpoteauxséparésde7,32mètres.Pourquoi32?L’hystériequientourecesportmelaisse,jedoisl’avouer,perplexe.Leplaisirquelefootballprocureàceuxquilepratiquentouleregardentneme choque évidemment pas. J’adore moi-même le spectacle d’un bon match et je me suis aussisouvent amusé à taper dans un ballon malgré mon manque de talent évident pour le dribble. Demanière générale, j’adore le jeu. J’apprécie beaucoup moins l’enjeu. Une fois de plus, c’est lemanque de mesure qui pose question : voilà bien longtemps que le football n’est plus un simpledivertissement.Ilestunereligion,unpays,ununivers,uneraisondevivre.Iloccupelesgrandstitresde la presse et nombre de conversations. L’une des expressions les plus poussées du désespoirschopenhaueriens’incarneselonmoidanscesdébatsquimettentenscènedeséditorialistesdissertantavec passion, pendant des plombes, de tactique, de forme et de la psychologie des joueurs, derecrutement,del’étatdelapelouse,delacouleurdumaillotetdetoutcequi leurpassepar la tête.Combien d’heures consacrées chaque semaine à la radio et à la télé à ces surprenantes palabres ?Nous nous intéressons davantage au nom de l’entraîneur du Real de Madrid qu’à la guerre enCentrafrique.Pourquoi?Sansdouteparcequenouspréféronsleconfortdel’insouciance.Maissansdoute aussi parce quenous éprouvons le besoin, plus que tout, de nous détourner de la gravité denotresort.Etnotammentdelafinquin’estpastrèsgaie.Lapreuve,Bowieestmort.

PhiletSly,latristessedusuccès

Leventbousculesarobelégèreetsescheveuxcourts.Lesnotesdepianoluicaressentlevisage.RachelWard,planserré,dévoreduregardunJeffBridgeshorschamp.Lacaméraimmobilecaptechaquebattementdecils,chaquesoupir,chaquelarmequiroulesursesjoues.LavoixdePhilCollinsdéchirel’écrantandisquesedéchirelecœurdeRachel:HowcanIjustletyouwalkaway,justletyouleavewithoutatrace…Lessecondess’étirentcommecechagrinquisedonneenplanfixeànosyeuxdemidinette.Laséquencedureuneminuteetsixsecondesavantquel’imagesefigeetlaisselerestedes crédits défiler. Le générique de fin du filmAgainstAllOdds de TaylorHackford est l’un desmeilleursdel’histoireducinéma,etilrelèveàluiseulleniveaudecettebluettesortieen1984etquisemblebienfadeaujourd’hui,mêmesisatrame–lebonheurimpossibleentredeuxêtresquis’aimentd’un fol amour – est une déclinaison du plus classique des thèmes de tragédie chers à l’humanité.RachelWardn’ajamaisétéaussibellequesurceplandefin,etPhilCollinsacomposél’unedesesplusjoliesmélodiespourl’occasion.

Dans lesannéesquatre-vingtetquatre-vingt-dix,cemusicienanglaisaété l’undesartistes lesplusadulésdelaplanète.Ilaenchaînélestubes,ensoloouavecsongroupeGenesis.Ilaremplilesstadesetvendudesdizainesdemillionsdedisques.Àl’inversedesrebellesauxmœursdestructrices,PhilCollinsatoujoursincarnéunepopfestiveàsouhait,entreballadessucréesetbombesdansantes.Musicienreconnu,chanteuradulé,riche,célèbre…ilfaitpartiedeceuxquel’onconsidèrecommedesprivilégiésdelavie,ceuxquipeuventréalisertousleursrêves,ceuxquiontsuexploiteraumieuxleurspossibilitésd’humainsurterre,ceuxquisontdonc,forcément,heureux.Etpourtant,en2011,àsoixanteans,ilapparaîtdépriméeninterview.Ilexpliquevouloirprendredéfinitivementsesdistancesavecleshow-businesset,surtout,ilditregrettersonstatutdevedetteinternationale:«Jesuisdésoléd’avoireuautantdesuccès.Honnêtement,jenevoulaispasquecelaarrivecommecela.Iln’estpasvraimentsurprenantquedesgensaientfiniparmedétester.»Pire,ilexpliqueaumagazineRollingStonequ’iladéjàsongéausuicide:«Unhumoristequis’estsuicidédanslesannéessoixantealaisséunenotedisant:“Tropdechosesontmalététropsouvent.”Jepensesouventàcetruc.»Lechanteur

britanniquesembledétestercequesanotoriétéluiavolé:«JepenseparfoisquejevaisenlevercepersonnagePhilCollinsduscénario,s’agaçe-t-il.PhilCollinsvatoutsimplementdisparaîtreouêtreassassinédansunequelconquechambred’hôtel.LesgenssedemanderontcequiestarrivéàPhil.Onleurrépondraqu’ilaétéassassinémaisbon,ilsirontdel’avant.»

Uneautremégastardesannéesquatre-vingt s’est récemment livréeàunaveudumêmeordre.Sylvester Stallone a écrit, interprété et réalisé des films dont certains sont loin d’être mauvais.DocteurRockyetMisterRamboontétéausommetdelagloirependantunedizained’annéesgrâceàdessagas testostéronéesetpatriotiques.Desmillionsd’adolescentsontaffiché leposterde l’acteurdansleurchambreetsesbicepsontboostélesabonnementsdessallesdemuscu.LacarrièredeSlyacertesconnudeshautsetdesbas,et iladûaffronterdesépreuvespersonnellesparmi lesquelles lamortdesonfilsen2012.Néanmoins,ilestlogiqued’imaginerquel’acteurdesoixante-dixans(ehoui, il est né en 1946, l’air de rien…) peut se satisfaire de son parcours, lui l’enfant pauvre,dyslexique, devenu à force de volonté l’icône d’uneAmérique enmal de héros. Il n’en est rien :«Malgrétousmessuccès,jeconsidèreque96%demaviesontunéchec»,explique-t-ilen2015.«Sijepouvaisréécriremonhistoire,celaprendraiténormémentdetemps.Jepensequej’auraisgérémavieprivéedifféremment.Parfois,vousvousmariezetvousavezl’impressiondevousretrouverdansune relation excitante et stimulantemais vous vous rendez compte ensuite que c’est une véritableguerre!Côtéprofessionnel,jeregrettedenepasavoirfaitdeschoixplusdiversifiés.J’auraisvoulumontrerdavantagecedontjesuiscapable.»

Nilesuccès,nil’argent,nilacélébriténevaccinentdelamélancoliedevivre.Aucontraire,cescadeaux peuvent contribuer au mal-être. Combien de stars suicidées, de nababs dépressifs,d’actionnairessousTranxène,detraderssouscoke?Ilpeutparaîtremaladroitdecomparerledestind’artistes,victimes toutautantde leuregoquede leur sensibilitéhorsnorme,àceluide financiersattirés essentiellement par l’appât du fric comme révélateur de puissance. Mais demeure unecertitude:l’undescrimesdenotrecivilisationestd’avoirfalsifiél’idéedebonheur.

Lebonheurestunechosequines’achètepas

LebonheurestsansdoutelachoselamoinsrépanduesurTerre.Lesexistencessontlourdes,lespasse traînent, lescerveauxs’épuisent. Il faut lutterpourapprendre,pour travailler,pouraimer,etparfoispourmourir.Écoutezlacomplainteautourdevous,lalitaniedesmauxdanslesjournauxetlestextos.Lesconversationssontrempliesd’insatisfactions,d’agacementsetdepetitesguerres.Leschansonsetlesfilmsneracontentpresquequecela.Onneconstruitpassonbonheur,ondéconstruitsonmalheur.Onessayeentoutcas.Lescabinetsdepsyssontremplisetonbouffedesmédocsaupetitdéjeuneretaucoucher.«Toutvabien,saufquetoutvamal»,chantaitDaranilyaquelquesannées.

«Le sage poursuit l’absence de douleur et non le plaisir », écritAristote sur lequel s’appuieSchopenhauerpouraffirmerquelebonheursecaractérised’abordparl’éloignementdumalheur.Lephilosophe allemand considérait que la vie oscille de la souffrance à l’ennui : « En effet,extérieurement, le besoin et la privation engendrent la douleur ; en revanche, la sécurité et lasurabondance fontnaître l’ennui.C’estpourquoinousvoyons laclasse inférieuredupeuple luttantincessammentcontrelebesoin,donccontreladouleur,etparcontrelaclassericheetélevéedansuneluttepermanente,souventdésespérée,contrel’ennui.»

Schopenhauerdistinguaitla«naturenégative»dubonheuretla«naturepositive»dumalheur.En effet, lorsque nous sommesmalheureux ou que nous souffrons d’une blessure physique, notrecorps perçoit immédiatement l’effet de cet état. Une douleur, un inconfort ou un mal-êtreapparaissent,etcessymptômesdurenttantquelemaln’estpasrésorbé.Enrevanche,lebonheurnesemanifesteparaucunsignalquinousalerteetquidure.Ilnousprocurecertesdesjoiesintenses,maisfugaces.Lesmomentsoùl’onsedit« jesuisbien»ou« jesuisheureux»nedurentquequelquessecondes,quelquesminutes,voirequelquesheures.Lebonheurpassedoncsouventinaperçuetl’ondécouvre qu’on le côtoyait une fois qu’il a disparu. On était heureux, et on ne l’a pas remarqué.Combiendefoisregarde-t-onenarrière,enconsidérantavecnostalgiedesmomentsjugéspourtantimparfaitsàl’époque?«Jesuisdévorédenostalgieetderegretenmesouvenantdescènesdemavie

auxquelles je n’ai pas accordé l’attention qu’elles méritaient », regrettait par exemple l’écrivainMichelTournierverslafindesavie.

Le bonheur est par ailleurs une notion extrêmement subjective puisque son appréciation estsoumise à la sensibilité de celui qui l’éprouve. Dans lesmêmes circonstances et face auxmêmesconditions matérielles et psychologiques, deux personnes ne réagiront pas de la même manière.Certainsaimentvivreàlacampagne,d’autresenville;certainséprouventunejoieintenseàfairedusport, d’autres ne l’envisagent que comme une punition ; certains sont ravis de travailler dans lafinance et d’être grassement payés pour cela, d’autres qui ne supporteraient pas cette vies’épanouissent au servicedemaladesdansunhôpitalpourun salairedérisoire ; certainsaiment lasolitude, d’autres la redoutent ; certains n’imaginent pas leur vie sans enfants, d’autres ne veulentsurtoutpasdevenirparentsousontindifférentsàlaquestion.Schopenhauerl’exprimeainsi:«Aussilesmêmescirconstances, lesmêmesévénementsaffectent-ilschaqueindividutoutdifféremment,et,quoique placé dans le même milieu, chacun vit dans un monde différent. Car il n’a affaireimmédiatement qu’à ses propres perceptions, à ses propres sensations et aux mouvements de saproprevolonté : leschosesextérieuresn’ontd’influencesur luiqu’en tantqu’ellesdéterminentcesphénomènesintérieurs.Lemondedanslequelchacunvitdépenddelafaçondeleconcevoir,laquellediffèrepourchaquetête;selonlanaturedesintelligences,ilparaîtrapauvre,insipideetplatouriche,intéressantetimportant.»

Ilarriveégalementquenouschangionsd’avis:onétaitheureuxenvilleavant,maisaujourd’huionsesentchezsoià lacampagne.Ou lecontraire.Onaimaitun travail,puis ilnous lasseetnouséprouvonslebesoind’enchanger.Onaimaitunefemme,puisl’amours’estusé.Onpeutd’ailleursapriori se réjouir de cette diversité des appétits, car si nous désirions tous à l’identique au mêmemoment,lacohabitationn’enseraitquepluscompliquéeencore,etlacompétitionplusféroce.

Si le bonheur est absence de souffrance, il en découle que l’on est heureux en comblant nosmanques,puisquecesonteuxquinousfontsouffrir.Lafaimestunmanquedenourriture,lasoifunmanque d’eau, le sentiment de solitude un manque d’amour ou d’amitié, la honte un manque deconfiance,l’ennuiunmanqued’intérêt,etc.Êtreheureuxconsistedoncàsatisfairedesbesoinsoudesdésirs.Maiscommel’affirmeSchopenhauer,l’étatdebonheurestéphémèrecartoutdésir,unefoiscomblé,laisselaplaceàunnouveau.Onnedoitdoncpasêtreloindelavéritésil’onconsidèrequelasagesseencourageàlimiterautantquepossiblel’apparitiondecesdésirsquinousmettentenétatdefrustration.Ilnes’agitpasdeplaiderenfaveurd’uneascèsetotale,maisbienplutôtd’interrogerchacunedenosenviesafind’estimersielles témoignentd’uneaspirationdigneounon.Désirerunpostededirecteur,uneplagedesablefinpourlesvacances,unegrossevoiture,unécrangéantdanssonsalonou souhaiter faireunenfant répondentàdesmotivationsdifférentesquine sevalentpastoutes.Lecapitalismeprospèresurnotretendancenaturelleàlacupiditéetàlajouissance.Àcôtédesbesoins vitaux propres à tout être humain, le capitalisme crée grâce à la publicité des besoinsartificiels qui alimentent la consommation : il faut susciter l’envie du smartphone dernier cri, de

l’écranencoreplusplat,de lavoitureplusperformante,duparfumaux fragrancesnouvelles…Cesontcesbesoins-làquidemandenttoutenotrevigilance.

Ilyapourtantbien,indiscutablement,descontextesplusfavorablesqued’autresaubonheur:unbonsalaireplutôtqueleSmicoulesminimasociaux,un(e)conjoint(e)charmant(e)ethonnêteplutôtqu’un(e) alcoolique moche et mythomane, un emploi valorisant et épanouissant plutôt qu’un jobhumiliant et déprimant, unemaison spacieuse dans un quartier tranquille plutôt qu’un appartementminuscule au dix-septième étage d’une tour qui surplombe le périph’, un jardin rempli d’arbresfruitiersetderosiersplutôtqu’unbalconminiatureornéd’uneplantedesséchéedanssonpot,etainsidesuite…Maispourêtreheureux,pointtropn’enfaut:différentesétudesontmontréqu’au-delàd’uncertainniveauderevenus,lebonheurindividueln’augmenteplus.Sivousn’avezpasmangédepuislongtemps,lemoindrerepasvoussembleraundélice.Enrevanche,prenezunalimentquevousaimezparticulièrement et bourrez-vous avec : c’est l’indigestion assurée. Gandhi l’exprime ainsi : « Lacivilisation, au vrai sens du terme, ne consiste pas à multiplier les besoins, mais à les limitervolontairement.C’est le seulmoyenpourconnaître levraibonheuretnous rendreplusdisponibleauxautres.[…]Ilfautunminimumdebien-êtreetdeconfort;maispassécettelimite,cequidevaitnousaiderdevientsourcedegêne.»

Au-delà des besoins vitaux, les possessionsne rendent pas heureux.OffrezuneBMW i8, unePS4,unécranincurvéde197centimètresen3DActiveouuniPhone6Sàquelqu’unquivientdesefaire larguer par l’amour de sa vie : cela ne devrait pas le consoler beaucoup, àmoins qu’il soitsacrémenttordu.

Quel plaisir prenons-nous, dès lors, à accumuler de l’argent et à l’investir en acquisitionsdiverses?Plusieursexplicationss’imposent.Ilyaévidemmentl’enviedesemettreàl’abri:celuiquipossèdesonlogementamoinsdechancesdeseretrouveràlaruequeceluiquiestenlocation.Ilyaégalement le plaisir esthétique des choses. Le beau, qui est une quête naturelle des sens humains,trouveuneexpressiondanscertainsobjetsquicaressentl’esprit.Iln’enrestepasmoinsvraiquelesbiens que l’on achète, dès lors qu’ils ne répondent pas à des besoins essentiels, ont surtout deuxfonctions : nous faire exister socialement, et nous consoler du vide de notre quotidien. Le rôlesymbolique des biensmatériels est ainsi résumé par l’économiste britanniqueTim Jackson : « Lelangagedesbienspermetauxêtreshumainsdecommuniquerentreeux–delafaçonlaplusévidenteà propos du statut social, et aussi de l’identité, de l’affiliation sociale – et même – au travers del’échange de cadeaux – d’exprimer des sentiments. » Et dans ce cadre, la nouveauté joue un rôlemajeur.«Ledésirsansrépitduconsommateurestlecomplémentparfaitdel’innovationsansrépitdel’entrepreneur.Ensemble,cesdeuxmécanismes,quiserenforcentl’unl’autre,sontexactementcequiest nécessaire pour pousser la croissance en avant. » Problème : cette recherche perpétuelle denouveauté est également, selon Jackson, une source d’angoisse pour tous. Car les entreprises« doivent innover ou mourir » et les individus « sont à la merci de la comparaison sociale ».L’économieelle-mêmeestdansunétatdefébrilitépermanente,puisquepournepass’effondrerelledoitsenourrirdecettefameusecroissancequ’ellechercheàfabriqueràtoutprix.

Lenomd’ArthurSchopenhauerrevientàplusieursreprisesdanscechapitreetailleursdanscelivre. La raison en est simple : l’intelligence et la sagesse de ce philosophe sont éminemmentactuelles.Nonseulementavait-ilcomprislacomplexitéduvivantavantbeaucoupd’autres,s’imposantcommel’undesprécurseursdel’antispécisme,maisenplusilportaitsurlasociétédeshommesunregardd’uneprofondeuradmirable.Humanistegrincheuxmaisauthentique,défenseurinsatiabledesanimauxetdesopprimés,ilaécritdespagesquel’ondoitrelireavantdesecoucherpours’allégerlecœuretl’esprit.Surlebonheuretlarichesse,toutestrésumédansunchapitreadmirable,«Divisionfondamentale », où il note la différence entre ce qu’on est, ce qu’on a, et ce qu’on représente.Extraits:

[…] Ce qui différencie le sort des mortels peut être ramené à trois conditionsfondamentales.Cesont:1°Cequ’onest : donc lapersonnalité, dans son sens le plus étendu.Par conséquent, oncomprendicilasanté,laforce,labeauté,letempérament,lecaractèremoral,l’intelligenceetsondéveloppement.2°Cequ’ona:doncpropriétéetavoirdetoutenature3°Cequ’on représente :onsaitqueparcetteexpression l’onentend lamanièredont lesautres se représentent un individu, par conséquent ce qu’il est dans leur représentation.Celaconsistedoncdansleuropinionàsonsujetetsediviseenhonneur,rangetgloire.[…]Les vrais avantages personnels, tels qu’un grand esprit ou un grand cœur, sont parrapportàtouslesavantagesdurang,delanaissance,mêmeroyale,delarichesseetautres,ce que les rois véritables sont aux rois de théâtre. […]Notre bonheur dépendde ce quenoussommes,denotreindividualité,tandisqu’onnetientcompteleplussouventquedecequenousavons oude cequenous représentons. […]La santé par-dessus tout l’emportetellement sur les biens extérieurs qu’en vérité unmendiant bienportant est plus heureuxqu’un roi malade. […] Ce qu’un homme est en soi-même, ce qui l’accompagne dans lasolitude et cequenul ne saurait lui donnerni lui prendre, est évidemmentplus essentielpourluiquetoutcequ’ilpeutposséderoucequ’ilpeutêtreauxyeuxd’autrui.Unhommed’esprit,danslasolitudelaplusabsolue,trouvedanssesproprespenséesetdanssaproprefantaisie dequoi sedivertir agréablement, tandis que l’êtrebornéaurabeau varier sanscesse les fêtes, les spectacles, les promenades et les amusements, il ne parviendra pas àécarterl’ennuiquiletorture.[…]Ainsilaconditionpremièreetlaplusessentiellepourlebonheurde lavie,c’estcequenoussommes, c’estnotrepersonnalité […]ellen’estpassoumiseàlachancecommelesbiensdesdeuxautrescatégories,etnepeutpasnousêtreravie.Encesens,savaleurpeutpasserpourabsolue,paroppositionàlavaleurseulementrelativedesdeuxautres.

ArthurSchopenhauer,Aphorismessurlasagessedanslavie(1851)

Leschosesfontdenousdesesclaves.L’onéreuxappartementquel’onremboursetouslesmoisetquisemblenotrecoconestenréaliténotreprison : les fersànospiedssont les traitesquenoussommes obligés de rembourser pour y vivre. Les biens non essentiels nous condamnent auxconcessions et aux soumissions : pour maintenir un train de vie ou honorer un statut social, onaccepte de prostituer ses idéaux. Aussi, avant de s’endetter, ou avant de se créer des obligationsfinancières,ilconvienttoujoursdesedemander:est-cevraimentnécessaire?

Résister

Lesleçonsdephilosophielesplusimportantesserésumentparfoisenquelquesmotsportésparune chanson. J’ai depuis longtemps ceux deMichelBerger, si simplesmais si justes, qui chantentdansmatêteleurrefrainentêtant:«Résiste,prouvequetuexistes.»Résister,pourdonnerunsensàsavie.Lesensdelavie,«lapluspressantedesquestions»selonCamus,quiexpliquedansLeMythedeSisyphelepiègeinfernalquinousemprisonne:leréveil,touslesmatins,pourlemêmemétro,lemêmebureau,lamêmeusine,lesmêmestâches,lamêmepausedéjeuner,lemêmemétroànouveau,le même dîner. Et cela cinq jours par semaine, pendant trente-cinq ou quarante ans. « Un jourseulement, écrit Camus, le pourquoi s’élève et tout commence dans cette lassitude teintéed’étonnement.»Camusparleicidecesentimentquebeaucoupontconnuunjour:ceblocagesoudainqui nous fait remettre en question ce que nous avons accepté si longtemps, parfois même en ytrouvantduplaisir.Cequisemblaitcoulerdesourcedevientpénible.Bref,yenamarre.Maiscettelassitudesoudainen’estpasdésespérante,elleestaucontrairesalvatricecarelleestun«mouvementdelaconscience»quiinitielechangement.Or,écritsijustementCamus:«Toutcommenceparlaconscienceetriennevautqueparelle.»

Dès lors,deuxchoixs’offrentànous : le retourdans laviemécaniqueou l’éveildéfinitif.Cedernierpassepar la révolte,quinous sortdenotre solitude (etdoncdenotre égoïsme)pour nousfaireentrerdeplain-pieddansl’aventurecollective:«Jemerévoltedoncnoussommes.»

Larévolteestlaprisedeconsciencedesaliberté.Nonpaslarévoltedésordonnéeetsansbut.Nilarévoltedepacotillequinedérangepersonne.Maisunerévolteintransigeante,dirigéecontretouteforme d’oppression et de violence. Le combat peut se livrer à deux niveaux qui me semblentcomplémentaires : il est d’abord personnel (chacun doit gagner sa propre liberté), mais il doitégalement être consacré à autrui (il s’agit alors de s’engager dans des luttes qui dépassent notreuniquedestin).Pourvivreilconvientd’avoirlecerveauàl’airlibreafinderespirerlemondeetsespeaux d’échappement, ces peaux que l’on revêt pour s’extirper d’un soi banal et d’un mondemédiocre afin de mieux se réaliser. L’humanité ne s’est embellie qu’au rythme des révoltés.

Rousseau, Hugo, LouiseMichel, Schœlcher, Gandhi,Martin Luther King, l’abbé Pierre,Mandela,maisaussiàleurmanièreReiser,RenaudouDavidBowie.

Malgrélepoidsécrasantdecontraintesquinousdépassent,chacund’entrenousporteunepartde responsabilitédans l’étatdumonde.Chaquecitoyendétienteneffetuneparcelledepouvoirquidépasselargementceluidubulletindevote.Cepouvoir,c’estnotrecapacitéderefuser.Refuserlescompromissions, refuserde trahirun idéalousimplementunepromesse, refuserd’agircontre sesconvictions.Direnon.Diremerde.Résister.Etaffirmerainsiunelibertédeconscienceetd’actionquipeutsetransformerenarmeredoutablesielleestpartagéepar leplusgrandnombre.Évidemment,l’indocilitén’estpasunestratégiesocialementpayante. Ilya toujoursdebonnes raisonspours’endétourner :gagnerplusd’argent,obtenirunepromotion,devenirpopulaire,bénéficierd’avantagesmatérielsdiversquifacilitentl’existence,ousimplements’éviterdesennuis…

Noussommestousquotidiennementconfrontésàdessituationsquiinterrogentnotrehonnêteté,notre courage, notre générosité, notre probité.On ne nous demande pas forcément d’accepter unemallette de billets pour favoriser une entreprise dans l’obtention d’un marché public. Nos cas deconsciencesontplusbanalsmaispasmoinsessentiels:sivousêtessurleparkingd’unsupermarchéetquevousabîmezunevoitureenstationnementavecuncaddie,quefaites-vous?Laissez-vousunmotavecvotrenumérodetéléphoneoufilez-vousenquatrièmevitesseavantd’êtrerepéré?Envingtansdevieparisienne,mavoitureadûêtrecabosséeunequinzainedefois:jen’aijamaistrouvélemoindremotsur lepare-brise.Autresexemples :sivousêtesenconcurrenceavecunamipourunposte, seriez-vous prêt à le trahir pour l’obtenir ?Ou bien : consentez-vous à travailler pour uneentreprisedontvousnepartagezpaslesvaleurs?

Ilestévidemmentdenombreuxcasdefigureoùilnoussemble«nepasavoirlechoix».Ilfautaccepterteltravailousetairefaceàtelleinjustice,carnousdevonsbienmanger.Ilyaunefamilleàfairevivre, les traitesd’unappartementà rembourser, lesétudesd’unenfantàpayer,despensionsalimentairesàverser,untraindevieàmaintenir.L’arguments’entendparfaitement.Ilestnéanmoinsdiscutable. L’objection consiste à remarquer que notre liberté est d’autant plus grande que nosbesoinsmatérielssontpetits.Celuiquimènesavieen limitantsadépendancefinancièreserendungrandservice.Ilévitedesemettresurledosdescréditsquiemprisonnent.Celuiquin’arienestlepluslibredeshommes.Ilfauttoutcraindredelui.

Maconvictionprofondeestquesichacunagissaitenfonctiond’unintérêtquiluiestsupérieur,etnondansl’espoird’unbénéficepersonnelimmédiat,lemondetourneraitunpeumieux,carilneseraitpasviciéparcemaldestructeur:l’opportunismeprédateur.Àcausedeluinoussommesprêtsàtout,oupresque,pourécrasernoscongénèresetprendrelameilleureplaceausoleil.

FriedrichHegel expliqueque la relation entredeux êtres qui se rencontrent se terminepar ladominationdel’undesdeuxparl’autre.Ils’établituncouplemaître-esclave.Lemaîtreabesoinduconsentementdel’esclave,résigné,pourêtrereconnucommetel.SelonHegel,l’esclaveestceluiquiapeurdemouriretquichoisit lavieplutôtque la liberté.Jenevaispasdétailler ici lasuiteet lesconséquences de cette théorie qui ne doit pas être prise au premier degré et qui a inspiré moult

commentairesetexplications.Ilnousfaudraitdesdizainesdepagesetnousn’aurionstoujoursrienréglé,carpersonnen’estd’accordsurlesconclusionsàtirerdelacomplexephilosophiehégélienne.Enrevancheilestjustedesoulignerquetouteformedesoumissionàuneautoritéinjusteexprimeunrenoncement,etquecerenoncementreposesurlapeur.Celuiquisupportesapositiond’esclavesansserebellerestimequ’ilaquelquechoseàperdrequiluiimporteplusquelaliberté:lavieparfois,mais aussi le plus souvent un confort ou une position sociale. Dans sonDiscours de la servitudevolontaire,auXVIesiècle,ÉtiennedelaBoéties’interrogeaitdéjàsur lesraisonspourlesquellesunpeupleacceptedesesoumettreau tyran,et ilpointait laresponsabilitédesunsetdesautresdans larenonciationà leur liberté. Ilexpliquaitdéjàque lepouvoird’unÉtat,quelqu’ilsoit, reposesur lacoopérationdupeuple.Sicelui-cirefused’obéir,lepouvoirs’effondre.

L’anarchisterussePierreKropotkineestunpenseurdontlesécritsméritentd’êtreredécouverts.LaMoraleanarchiste,parexemple,rédigéen1889,estunbijoudontchaquepagepeutêtreméditée.Jenerésistepasauplaisirde livrercesquelques lignesàvotreréflexion, tantellessonnent justeàmonoreille:«Unefoisquetuaurasvuuneiniquitéetquetul’aurascomprise–uneiniquitédanslavie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre – révolte-toi contrel’iniquité,lemensongeetl’injustice.Lutte!Lalutte,c’estlavie,d’autantplusintensequelalutteseraplusvive.Etalorstuaurasvécu,etpourquelquesheuresdecettevietunedonneraspasdesannéesdevégétation dans la pourriture dumarais. Lutte pour permettre à tous de vivre de cette vie riche etdébordante,etsoissûrquetutrouverasdanscetteluttedesjoiessigrandesquetun’entrouveraispasdepareillesdansaucuneautreactivité.C’esttoutcequepeuttedirelasciencedelamorale.Àtoidechoisir.»Danssesécrits,Kropotkinerendhommageàtousces«héroïques»,ces«audacieux»,ces«hommesdupeuple», ces«précurseursde révolutions»,« toutdedévouement et d’abnégationssublimes ». Kropotkine les appelle encore les « sentinelles perdues […] dont l’histoire ne nous amême pas conservé les noms ». Ils sont les vrais révolutionnaires, ceux qui ont amorcé lesmouvements en prenant tous les risques.Car le simple fait de participer à une révolution ne voustransforme pas en révolutionnaire. Celui qui participe à une révolution lorsque celle-ci a déjàlargement entamé sonmouvement n’est finalement qu’un suiveur qui a choisi son camp, soit parconvictionretardée,soitparopportunisme.Iln’yad’ailleursriendecondamnableàcela.C’estmêmedanslalogiquedeschoses.Maislevéritablerévolutionnaireestceluiqui,seulcontretouslesautres,prendd’assautuneestradepourdéfendreuneidéequiluisembleplusimportantequelapréservationdesonconfort.Cesontleplussouventdesanonymesquinecherchentni lanotoriéténiunmandatélectif.Parmieuxfigurentceuxquel’onappelleaujourd’huileslanceursd’alerte,telsIrèneFrachonouEdwardSnowden…Maiscesontaussi lescourageuxmilitantsd’associationsquisacrifient leurtemps libre ou leur carrière.BrigitteGothière etSébastienArsac étaient tous les deuxprofesseurs(desécolespourSeb,etdephysiqueappliquéepourBrigitte)avantqu’ilsnedécidentd’abandonnerleurspostesetdeseconsacreràladéfensedeleursconceptionspacifistes,humanistesetanimalistes,cequidébouchera rapidement sur lacréationdeL214.Cette associationdedéfensedesdroitsdesanimaux,citéeàplusieursreprisesdanscetouvrage,afaitparlerd’ellegrâceàdesenquêtesfouillées

surlesélevagesdepoulesenbatterie,lafabricationdufoiegrasoularéalitédesabattoirs.BrigitteetSébastienavaientpourtantunefamilleànourrir–ilssontparentsdedeuxenfants.Pendantdesannéesilsontvécuavecassezpeu,parfoishébergésgratuitementicioulà…Ilsl’ontacceptéparcequ’ilsontcompris que leur vie ne pouvait avoir de sens que s’ilsmettaient leurs actes en accord avec leursconvictions,etqu’onne faitpasavancer leschosessansprendreunminimumde risques.Leurvieentièreestdédiéeaubien-êtrecollectif,auméprisdesambitionssocialesetde l’accumulationd’uncapital.Pourcela,ilsméritentleplusgrandrespect,commetantd’inconnusquiformentlesmodestesbataillonsbattantlepavéplusieursfoisparanenFrancepourexigerlafermeturedesabattoirsoulafinducommercedelafourrure.Ouceuxquidescendentdanslesarènespourempêcherlatenuedecorridas,etquisefonttabasserpardesaficionadosdécérébrésdansl’indifférencedelapoliceetdesmédias.Lesconséquencesd’unengagementpourlesopprimésoulesplusfaibles,quelsqu’ilssoient,sontleplussouventdésagréables,voiredramatiques.Vingt-septannéesdeprisonpourMandela,sixpourGandhiquiseraassassiné,toutcommeMartinLutherKing,toutcommeDianeFosseyquiavaitdédiésavieàladéfensedesgorilles.

Ilyaplusd’unsiècle,KropotkinedécrivaitdansL’Entraide,unfacteurdel’évolution la forcesacrificielle de cesouvriersmilitants, dansune époque, leXIXe siècle, qui interdisait les unions detravailleurs, les réunions et les grèves. Les ouvriers étaient punis, licenciés, violentés, afind’intimider les plus dociles. La loi Waldeck Rousseau relative à la création des syndicats et auxgroupementsprofessionnelsn’aétévotéequ’en1884.Onatendanceàoublierdenosjourscombiend’hommesetdefemmesontétémartyrisés,écrasés,humiliés,affamés,jetésàlarue,pouravoiroséréclamerl’élargissementdeleursdroits.Ausilencequileurassuraitunepaye,mêmemodeste,ilsontpréféré le bruit de la révolte et beaucoup en ont payé le prix fort. « On doit se rappeler, écritKropotkine,qu’outre lespersécutions, lesimplefaitd’apparteniràuneunionouvrièreentraînedessacrificesconsidérablesd’argent,detravailnonpayé,etimpliquecontinuellementlerisquedeperdreson emploi. […] Aujourd’hui encore, les grèves se terminent souvent par la ruine totale etl’émigrationforcéedepopulationsentières;etquantàlafusilladedesgrévistespourlapluslégèreprovocation,oumêmesansprovocationaucune,c’estencoretoutàfaithabituelenEurope.[…]Toutjournalsocialiste–etilyenadescentainesenEuropeseulement–alamêmehistoiredesacrifices,sans aucun espoir de gain, et le plus souventmême sans aucune ambition personnelle. J’ai vu desfamillesvivantsanssavoircequeseraitleurnourrituredulendemain–lemari“boycotté”detoutespartsdanssapetiteville,parcequ’iltravaillaitaujournal,etlafemmesoutenanttoutesafamillepardutravaildecouture.Unetellesituationduraitdesannées,jusqu’àcequelafamilleseretirâtenfin,sansunmotdereproche,disantsimplement:“Continuez,nousn’enpouvonsplus!”»

Ilexisteencoreaujourd’huidessyndicalistesquiprennentdesrisques,parexemplesurcertainssites industriels touchés par des licenciements massifs. Certains même se retrouvent, chosedifficilement compréhensible, condamnés pour leurs actions à de la prison ferme. Mais, dans denombreusesentreprises, lesporte-paroledes syndicatsontdepuis longtempsoublié le sensde leurfonction et la nécessité de l’incorruptibilité. Le compromis est nécessaire en tant qu’espace de

réconciliation entre deux points de vue initialement opposés. Mais le compromis n’est pas lacompromission:si lapartieréclamante trahitsacausepourdespetitsarrangementsquiavantagentles positions de quelques-uns, le jeu est biaisé. Il serait intéressant par exemple de se pencherdavantage sur lesnominations au sein duConseil économique, social et environnemental.Mais denombreuses enquêtes existent qui s’étendent sur l’opacité actuelle des syndicats, je ne vais pasm’attardersurlaquestionici.Laproblématiquedelafidélitéàsesidéesneconcernedetoutefaçonévidemmentpasquelessyndicats,commenousl’avonsvudanslespagesprécédentes.

L’AméricainHenryDavidThoreauaétéunrebelle,quiadéfiélesinstitutionsetlabienséance,auméprisdesaréussiteprofessionnelle.Ilestnéen1817àConcorddansleMassachusetts.Militantanti-esclavagiste,ilpeutêtreconsidérécommel’undespremiersécologistesdel’èremoderne.Sonmérite particulier est d’avoir su chercher à mettre ses actes en conformité avec ses convictions.Contrairementauxphilosophesdesalon (aujourd’huinousdirions lesphilosophesdeplateau), ilaappliquéàlui-mêmecequ’ilprofessait,sanstoutefoiss’érigerenexemple.Ilaexpliquésonpointdevue,c’esttout.Ladésobéissancecivile,lasobriété,lerespectdelanature,larévolutionintérieure,lasolitudesalutairemaispassauvage…Thoreauanotammentmisenpratiquesonidéalens’installantdansunecabanequ’ilavaitconstruitelui-même,àcôtédel’étangdeWaldenàConcord.Deuxansetdeuxmoisd’immersiondanslanaturequ’ilraconteavecbeaucoupdecharmedansWaldenoulaViedanslesbois(1854):

Jegagnais lesboisparceque je voulais vivre suivantmûre réflexion,n’affronterque lesactesessentielsdelavie,etvoirsi jenepourraisapprendrecequ’elleavaitàenseigner,nonpasquandjeviendraisàmourir,découvrirquejen’avaispasvécu.Jenevoulaispasvivre ce qui n’était pas la vie, la vie est si chère ; plus que je ne voulais pratiquer larésignation, s’il n’était tout à fait nécessaire. Ce qu’il me fallait, c’était vivreabondamment, sucer toute la moelle de la vie. […] L’innocence et la générositéindescriptiblesde laNature – du soleil et du vent et de la pluie, de l’été et de l’hiver –quellesanté,quelleallégresse,ellesnousapportentàjamais![…]Nesuis-jemoi-mêmeenpartiefeuillesetterrevégétale?

Thoreau n’était pas qu’un amoureux des arbres, des ruisseaux et de lamarche à pied. Il étaitavanttoutunrévoltéquiappelaitàlarésistanceindividuellefaceauxgouvernementsquimènentdespolitiquesineptes.Àl’âgedevingtans,ilestnommémaîtred’école,maisildémissionneauboutdequelquesmoispourprotestercontreleschâtimentscorporels.Ilneretrouverapasdetravailpendantlongtemps.Quelquesannéesplustard,ilrefusedepayersonimpôtàunÉtatquifinancelaguerreauMexique et accepte l’esclavage. Son essaiLaDésobéissance civile sera une inspiration pour LéonTolstoï,GandhietMartinLutherKingdansleurconceptionderésistancenonviolente.

Pour Thoreau, la vraie démocratie est celle de la justice et de la vérité, deux notions qu’ungouvernementéluparleplusgrandnombrenegarantitpas.Caronpeutavoirraisonseulcontrelamultitude.Lesrévolutions,pourThoreau,nesontpasl’œuvredemajoritésgénéralementfrileusesetpeureuses, mais d’individus prêts au sacrifice au nom d’une conscience qu’ils ne doivent jamaisabandonneraulégislateur.Thoreauenappelledoncàlaréformeintérieure,quiseulepeutengendrerlaréformecollective.«Jepensequenousdevonsd’abordêtredeshommes,dessujetsensuite,écrit-il.Lerespectdelaloivientaprèsceluidudroit.Laseuleobligationquej’aieledroitd’adopter,c’estagirseloncequimeparaîtjuste.»Gandhitraduitexactementcettepenséeenchangeantsimplementquelquesmots :«J’aiacquis la fermeconvictionque l’éthiqueest labasede toutetqu’elleapoursubstancelavérité.J’aid’ailleursfaitdelavéritémonseulobjectif.»

HenryDavidThoreauconsidèrequeseplier sans rechignerà la loiest lemeilleurmoyendeperpétrerl’injustice.Laloipeutpousserdeshommesnaturellementbiendisposésàselivreraupire.Il prend en exemple les bataillons de soldats qui partent à la guerre contre leur volonté etmêmecontre leur raison, en sachant qu’ils participent à une horreur. La plupart des hommes, expliqueThoreau, sont des pantins sans âme qui servent l’État commedesmachines, sans exercice du sensmoraloudujugement.«Ilssemettentauniveaudubois,delaterreetdespierres»,dénonce-il,etilpoursuit:«L’hommesagen’estutilequ’entantqu’ilresteunhommeetrefuserad’êtredela“glaise”ou de “jouer les bouche-trous”, et laissera cette mission à sa poussière. » Notre responsabilitéconsistedoncànousrévolter,àrefuserdesuivrelesordressansmorale,etsurtoutàmettrenosactesenaccordavecnosparoles,carlehéros«doitfairejusticequoiqu’ilencoûte».

Onretrouveexactement lemêmeappelà ladésobéissancecivilechezcetauteur indispensablequ’est Tolstoï. L’écrivain a lu, apprécié et fait traduire en russe Thoreau. Partisan lui aussi de larévolutionnonviolente,méfiantà l’égarddesmouvementsdemasse, ilpréconisait l’insoumissioncommearmepremièrederésistance.«Nilarévoltenilechangementdegouvernementouderégimene sont desmoyens qui peuvent donner la liberté et vaincre la violence, écrit-il.En s’abstenant decollaborer avec les institutions de violence au pouvoir, l’homme libre sape les fondements dupouvoir.»

Boycotter

Ladésobéissanceciviletellequ’elleestprônéeparThoreauetTolstoï,avecparexemplel’idéequ’ilfautrefuserdepayersesimpôtsàungouvernementdontonnesoutientpaslapolitique,doitêtrereplacéedanslecontextehistoriqueetpolitiquedel’époque.Maisleprincipegénéralrestevalide.

Danslecontexteactueldedémocratiemoribonde,etenattendantunerénovationinstitutionnellecomplètequenousévoqueronsplusloin,ilexistenéanmoinsunmoyenquipermetàchacundefaireentendresavoixdecitoyen:ilconsisteàaffirmersesopinionsautraversdesdifférentesdécisionsquelequotidiennousobligeàprendre.Plusieursfoisparjourl’occasionnousestdonnéed’exprimerprécisément nos convictions et nos revendications à travers des choix qui nous engagent en tantqu’humains et citoyens. Ce que je consomme, comment je me déplace, où je vis, le métier quej’exerce,lamanièredontjel’exerce,ouencoremesrelationsavecmesamisetmescollègues,sontautantdefaçonsdemedéfinirmoralement.Biensûrmalibertédechoixestparfoislimitée:encequiconcernelejoboul’habitationparexemple,lescontrainteséconomiquesdictentleurloietempêchentsouventdesdécisionsparfaitementconsenties.Combiendefoisentend-oncegenredephrase:Cequeje fais ne me plaît pas vraiment, mais faut bien vivre ! Malgré ces obligations matérielles, il estpossible de trouver l’espace où se réaliser en tant qu’individu politiquement performant. Nousportonstousennousdesrévoltesquinedemandentqu’àprendreformeetnousdisposonsdemoyenspourcela.Laconsommationest leplusévidentd’entreeux.Leboycott estunearmedémocratiqueredoutable.

L’idéen’estpasnouvelle:en1791,lemouvementanti-esclavagisteanglaisavaitlancéunevasteopération de boycott du sucre de canne récolté par les esclaves aux Antilles. Plus près de nous,souvenez-vousduboycottdeShellorganiséparGreenpeaceen1995.Àl’originedecetteopération,lavolontédeShelldecouleruneplate-formepétrolièresituéeenmerduNord,laBrentStar,aulieude la démanteler à terre, ce qui est plus coûteux. L’organisation de défense de l’environnementdénonce immédiatement le risque d’une pollution intolérable, en évoquant la présence de5000 tonnesdepétroledans laplate-forme, cequedément la compagniepétrolière.La campagne

négative organisée enEurope parGreenpeaceUKporte rapidement ses fruits, particulièrement enAllemagne où en quelques jours les stations-service perdent entre 20% et 50% de leur clientèle.Shellcèdeetrenonceàcoulersaplateforme.Certes,l’auditréaliséunefoislaplate-formeramenéeàterremontrequeShelldisaitvrai,queGreenpeacesetrompait,etqu’elleavaitbienétévidéedesoncontenu afin que son immersion soit effectuée.Mais Greenpeace était parvenu à faire fléchir unecompagnie pétrolière toute puissante et généralement peu regardante sur les conséquencesenvironnementales de ses pratiques. Aujourd’hui le sabordage des plates-formes pétrolières estinterdit.

Puisquenotresociétéprivilégielestatutdeconsommateuràceluidecitoyen,ilnousappartientdetransformerchacundenosactesd’achatenbulletindevote.Onpeutétendrelalogiqueàbeaucoupde choses : refuser de partir en vacances dans un endroit où la population locale est exploitée auprofit des touristes, refuser de conduire une voiture qui pollue, refuser de gaspiller, refuser dechangerdetéléviseurpourunmodèlesimplementplusperformant,etc.Delamêmemanière,lorsqueje refuse d’acheter un produit dont la fabrication a engendré de la souffrance animale, je suis unmilitant.Levégétarismeetlevégétalismesontdesacteséminemmentpolitiquesetrévolutionnaires,quipermettentàceuxquis’enrevendiquentd’éprouverleurpouvoird’êtreshumainsresponsables.

L’antispécismes’impose,enOccidentaumoins,commelaseuledésobéissanced’envergure,laseulerésistancepacifiqueimmédiatementréalisablequipuissefairevacillerlesystème.Lesautoritésdélivrent l’injonction suivante :Mangez des animaux, abusez-les, exploitez-les, vous n’avez pas lechoix,c’estcommeçaetpasautrement.Laviandeet lesproduitsanimauxnous sont imposésdansnotreexistencedès lanaissance.Lespublicitésnous lesvantentenpermanence,et l’onnecessedenous bassiner avec le repas « traditionnel » français qui doit forcément contenir sonmorceau debarbaque.Pensezdoncquelaviandeestdésormaisinstrumentaliséecommeunmarqueurdelaïcité!LebonFrançais,c’estceluiquimangesonsteaketsatranchedejambon!Enmars2015,àChalon-sur-Saône, le maire UMP Gilles Platret a décidé de mettre fin au repas de substitution dans lescantinesscolaires,alorsquedepuistrenteanslavilleproposaitunesolutionderemplacementlorsqueduporcétaitservi.«Sivousvoulezquevosenfantsaientdeshabitudesalimentairesconfessionnelles,vousallezdansl’enseignementprivéconfessionnel»,aaussitôtcommentéNicolasSarkozy.Prenonsunminimumdereculetlaissonsdecôtéladimensionreligieusequiexpliquelerefusdemangerducochon. Végétariens et végétaliens ne sont motivés par aucune espèce de superstition. Ils font unchoixéthiqueousanitaire.Lalibertédenemangerniviandeniproduitslaitiersapparaîtcommeuneliberté démocratique élémentaire. Imposer les protéines animales dans les cantines qui relèvent del’États’apparentedenosjoursàunepratiquedictatoriale.D’autantquelegouvernementfaittoutpournousforceràavalercetteviandedontdeplusenplusdisentnepasvouloir.Ledécretet l’arrêtédu30 septembre 2011 relatifs à la « qualité nutritionnelle » des repas servis dans le cadre de larestauration scolaire imposent la présence de protéines animales (viande, poisson, fromage,œufs)dans le plat principal et la présence d’un produit laitier en complément. Aucune alternativevégétarienneouvégétaliennen’estsuggérée.Heureusement,certainsmairesprennentl’initiativedela

mettreenplace.Maiscommentcomprendrequ’ellenesoitpasobligatoire?Delamêmemanière,lesrestaurantsfrançaissontencoretrèspeunombreuxàproposerspontanémentdesrepassansviande.

Résistez!Necédezjamais!Exigez,partoutoùvouspayezvotrerepas,quel’onvousserveunplat équilibré sans protéines animales. Demandez au chef qu’il trouve une solution, rédigez despétitions,maisélevez-vouscontrelamortimposéedanslesassiettes.Mêmesivousêtesinvitéchezdesamis,prévenez-lesdevotrerégime,afindenepaslesmettremalàl’aiseaumomentdepasseràtable.Maisnevousforcezjamaisàmangerdelaviande«parpolitesse».

Boycotterlaviande,lesproduitslaitiers,maisaussitouteslesactivitésquigénèrentdelamortetdelasouffranceanimale–leszoos,lesparcsaquatiques,lescorridas,ainsiquetouslesvêtementsquicontiennent du cuir : tels sont les actes de désobéissance civile, pacifique, qui participent à larévolutionmoraleetsocialedel’humanité.

Lesdéfenseursdesanimauxnonhumains,dèslorsqu’ilssortentducadrestrictdesassociationsdechiensetchatsabandonnés,sontconsidéréscommedesennemisdusystèmecarilsenremettentencausetoutelalogique.L’exploitationanimaleestl’undespilierssurlesquelss’estconstruitlemondedans lequel on évolue. Faire cesser cette tyrannie implique de modifier nombre de pratiquesindustriellesetd’abandonnertouslesemploisquicréentdelamortanimale.Peut-onimagineridéeplus audacieuse ? L’oligarchie fait corps pour empêcher cette éventualité qui menacerait sadomination,puisquelesintérêtsdesunssontliésàceuxdesautresqui,àunmomentouàunautre,soutiennentactivementl’exploitationanimale.L’antispécisteachoisilarévoltecontrelapenséeultra-dominante.Iln’existepasaujourd’huidecauseplusrévolutionnairequecelledel’antispécisme.

L’impératifSuperman

«C’estunoiseau?C’estunavion?Non,c’estSuperman!»Supermanestplusqu’unhéros,ilestlehérosparmileshéros.S’ilnedevaityenavoirqu’un,ce

seraitlui.C’estleboss.Lepluscélèbreetleplusadmirédetous.Cequepersonnen’aremarqué,c’estqu’ilestaussilepremiersuperhérosantispéciste.Etqu’ilmontrelavoieàl’humanité.

Imaginéparsescréateursen1933,Supermanvoitréellementlejouren1938etsonpersonnageévolue pendant plusieurs années avant de devenir, après 1945, celui que nous connaissonsaujourd’hui. Superman est né sur la planète Krypton, sur le point d’être anéantie. Juste avant quecelle-cinedisparaisse,alorsqu’iln’estencorequ’unbébénomméKal-El,sesparentsl’envoientsurTerreàbordd’unberceauspatial.Ilestretrouvéetadoptéparuncoupledecharmantsagriculteursaméricains àSmallville dans leKansas (pourquoi sonberceau n’est-il pas tombé aux alentours deMoscououauSoudan?Heureuxhasardduscénario).DésormaisnomméClarkKent,ildécouvrepeuàpeusessuperspouvoirs.Intellectuellementetphysiquement,ilest1000foissupérieuràn’importequelhumain,maisildécidedenepastirerprofitdesesincommensurablesavantages.Ilchoisitdesefaireembauchercommejournaliste,etjouedanslaviequotidienneautypebanal,effacé,amoureuxtransidesacollègueLoïsLane.Maisdèsquelemondeestendanger,hop,costumemoulantetcapeauvent,ildevientl’invincibleSuperman.Saforceextraordinaireluipermetdedétourneruntrainouunemétéorite;savisionlerendcapabledevoirextrêmementloinet,surtout,àtraverslesmursetlescorps;sonouïeestsurdéveloppée;sesyeuxprojettentdesrayonscapablesdetranspercerlemétal;etbiensûr,ilvole.Supermanselanceinlassablementausecoursdetoutepersonnemenacéeparundanger.LoïsLaneest raidede lui.Supermanest souventenvisagécommeunhérosdepropagandeaméricaine,quivanterait lesméritesdesÉtats-Unis,du libéralismeetde ladémocratieoccidentale.Celaasansdouteétévraiparfois,notammentpendantlaSecondeGuerremondiale.Maiscen’estquel’interprétationfacileetaupremierdegrédumythedeSuperman.Unelectureplusfinerévèlelavraienatureduhérosvolant.

Supermann’estpasunhumain.IlestunKryptonien.Ilestdoncd’uneautreespèce.Pourtant iléprouveunecompassioninfinieetdésintéresséepourl’humanité,uneespècelargementinférieureàlasienne,moinsforteetmoinsintelligente.Dupointdevuedessimplescapacitéscomparées,nousnevalonspaspluspourunKryptonienqu’unesourispourleshumains.Enagissantainsi,Superman,leplus populaire des héros du monde entier, se révèle antispéciste. Alors qu’il pourrait utiliser sasupérioritéphysiqueetintellectuellepourasservir,dominer,exploiterettuerchacundeshabitantsdecetteplanète,iloptepourl’attitudeinverse.Ilsauvecesêtresquiluisemblentsifaibles.Illeurévitelessouffranceset lamortparcequ’ilconsidèrequechaquereprésentantde l’espècehumaineaunevaleurintrinsèque,unintérêtàvivre,qu’ilestle«sujetd’unevie»,pourreprendrel’expressionduphilosopheTomRegan.Contrairementàl’idéegénéralementrépandue,lesaventuresdeSupermannesontpas le récitd’unevirilitéexacerbéedont lesmusclesgonflésdoiventêtresourced’inspirationpourchacund’entrenous.Supermanestunhéroséthique,quinousenseignel’empathieetlebesoinde se soucier de l’autre. Son extra-vision, qui lui permet de voir à travers les personnes, est bienentenduunemétaphore :pourrespecter l’autre, jedoisd’abordvouloir lireen lui.Quediredesesautres super-pouvoirs ? Sa capacité de survoler la planète est une invitation à la réflexionsystémique:laTerreestconçuecommeunensemblequisenourritd’interactionscomplexes,etpourlaprotégerilfautavanttoutlaconsidérercommetelle.Noussommesconviésàprendredelahauteurpour l’observerde loinetcomprendre leséquilibresqui lamaintiennentensanté :chaquepointduglobeestreliéàunautre.Supermanporteunregardholistesurnotremonde.

Il est, en fait, un héros écologiste. Savez-vous d’où il tire ses super-pouvoirs ?De l’énergiesolaire, que sa constitution kryptonienne absorbe et restitue sous forme de force surhumaine etd’invulnérabilité. Oui, le soleil alimente Superman ! Ce superhéros fonctionne à l’énergierenouvelable. Là non plus, le détail n’est pas anodin. On est loin du mythe de Superman enpropagandistecapitaliste.D’ailleurs,neserait-ilpasexactementl’inverse?

Supermannousprotègedesbrigands,ceuxquelaBDappellelesméchants.Ceux-làmêmequiont pris le pouvoir dans la société capitaliste, comme nous l’avons vu précédemment. Car lesméchantsauxquelssefrotteSupermansontprécisémentl’incarnationdeladimensionlucifériennedelatechniqueetdel’argent.Sonpireennemi,LexLuthor,estunsavantfouetunrichebusinessmanencostume-cravate,quidirigelasociétéLexCorpetrègneenmaîtresurlavilledeMetropolis.Iln’estdotéd’aucunpouvoirparticulier,entantquefaiblehumain,aussia-t-ilrecoursàlatechnologiepourperpétrer son entreprisemaléfique. Il est prêt à détruire la Terre pour asseoir sa soif de pouvoir.Luthorestlamétaphoreducapitalismesauvageprédateuretdumondialismenéolibéral.LefaitqueClarkKent ait été élevé à la campagne, dans une fermeduKansas, n’est pas un hasard. Supermanincarnel’oppositiondelanatureapaisantefaceàl’urbanitédéshumanisante.JonathanetMarthaKent,quisymbolisentlamoralitémenacéeparlemondemoderne,ontinculquéàl’enfantvenudeKryptonl’amourduvivantquis’incarnedanslesêtresetdanschaqueparcelledecetteTerre.«Tudoisutilisertaforcepouraideretinspirerlesgens»,expliqueJonathanKentàsonfilsadoptif,avantd’ajouter:«CeSpeutpeut-êtrenousrappelercequ’onademeilleur.»AutrepointessentielchezSuperman:

révéler ce qu’il y a de meilleur en nous, et donc lutter contre l’encrassement moral qui menacel’humanité.Cedevoirmoralquipousseàl’améliorationdel’hommeparunedisciplinepersonnelle,puisàl’empathieenverstoutêtrefaible,jel’appellel’impératifSuperman.

Pourquoiavons-nousfaitdeSupermannotrehérosfavori?Pourquoisommes-nousadmiratifsdecetêtrevenud’ailleursquiaccepted’avoirde lacompassionpour les faibleshumainsquenoussommes ? Parce que nous avons l’intuition qu’il incarne lamoralité ultime, celle qui devrait tousnousguider.Celledelacompassionpourlesplusvulnérables(«Jesuislàpourdéfendreceuxquinepeuventpaslefaireseuls»,proclame-t-ildansundesépisodes).C’estlapreuvequenoussavons,aufonddenous,quel’antispécismesupermanienestlarèglemoralejuste.

Maislemessagenes’arrêtepaslà.Supermanveillesursonprochainetsurnotreplanètecommechacun devrait le faire. Il nous enseigne que nous avons tous le devoir de nousmettre au serviced’une cause plus grande que nous-mêmes, et que cette cause est la communauté de tous les êtressensibles.Telleestmême laseulepossibilitédecontrecarrer lenihilisme,c’est-à-dire l’absencedebut,devaleursetdesensdelavie.Lesensquenouspouvonsessayerdedonnerànotreexistencenepeut absolument pas émaner d’une réussite matérielle personnelle, aussi éphémère que vaine. Enrevanche,contribuerauprogrèsmoraldel’humanité,mêmemodestement,estlemoyendejustifiernotrebrefpassagesurlaplanète.

Car nous sommes tous des Superman en puissance, c’est-à-dire que chaque humain a lapossibilitédes’extirperdesaconditioninitialepourdevenirunhéros.Telestclair-ementlemessageportéparJerrySiegeletJoeShuster,lescréateursdel’hommeàlacaperouge.Observezlamanièredontilsontmisenscènelamétaphore:ClarkKent,citoyenlambda,porteenpermanencesoussoncostume-cravate(ledéguisementdel’humainmoderne)sacombinaisonbleuedesuperhéros.Dèsquelescirconstances l’exigent, il filedansunecabine téléphonique,sedébarrassedesapeaud’humainbanalpourendossercelleduSurhumain,duSuperman,del’Übermensch 1.VoiciNietzschequipointeleboutdesonnezpournousmurmurerqu’unhérossecacheenchacund’entrenousetquelesensdela vie est de le faire apparaître. Et Zarathoustra dit : « Je vous enseigne le Surhumain. L’hommen’existequepourêtredépassé.Qu’avez-vousfaitpourledépasser?»PourNietzsche,lamortestunevie immobile qui se contenterait de ce qu’elle a, sans objectif supérieur. Seule la nécessité de sesurmonter,permanente,peutcréerlemouvementinhérentàlavie.

Le7août1974,leFrançaisPhilippePetitatenduuncâbleentrelesdeuxtoursduWorldTradeCenteràNewYork.Pendantquarante-cinqminutes,ilanarguélevideendéambulantsurlemaigrefilin tendu à 400mètres du sol, sans harnais de sécurité. Il a dansé, il a salué, il s’est allongé, atraversé et retraversé. Il a nargué la gravité, la raison, le ciel, le vide, l’humanité. N’importe quid’autre aurait chuté.Mais Philippe Petit n’est pas tombé. Sa performance est lamétaphore ultime,indépassable,d’uneviehumaineréussie.Enmarchantsurleciel,ilestdevenuSuperman,Surhumain,Übermensch.Serendait-ilcompte,tandisqu’ilobservaitlesmortelsdepuissontrônedenuages,qu’ilétaitentrainderendreleplusgranddeshommagesàNietzsche?

Lorsque Zarathoustra, descendu de samontagne, arrive dans la ville, la foule est rassembléeautour d’un saltimbanque qui s’apprête à marcher sur une corde suspendue. Zarathoustra déclarealorsauxbadauds :«L’hommeestunecorde tendueentre labêteet leSurhumain–unecordeau-dessusd’unabîme.Dangerdefranchirl’abîme–dangerdesuivrecetteroute–dangerderegarderenarrière–dangerd’êtresaisid’effroietdes’arrêtercourt!Lagrandeurdel’homme,c’estunpontetnonunterme;cequ’onpeutaimerchezl’homme,c’estqu’ilesttransitionetperdition.[…]J’aimeceuxquin’ontpasbesoindechercherpar-delàlesétoilesuneraisondepériretdesesacrifier;maisquis’immolentàlaTerre,afinquelaTerresoitunjourl’empireduSurhumain.J’aimeceluiquinevitquepoursavoir,etquiveutsavoirafindepermettreunjourqueleSurhumainvive.»

Tant de choses essentielles exprimées en quelques mots. D’abord, l’affirmation de notreanimalitéprofonde,confirméeenunautreendroitparcesmots:«Vousavezfaitlecheminquivaduveràl’homme,etvousavezencorebeaucoupduverenvous.Jadisvousavezétésinges,etmêmeàprésent l’hommeestplussingequ’aucunsinge.Mêmeleplussaged’entrevousn’estencorequ’unêtrehybrideetdisparate,mi-plante,mi-fantôme.Vousai-jeditdedevenirfantômesouplantes?»

Ensuite, Nietzsche affirme l’idée darwinienne d’un humain en perpétuelle évolution, qui selibère de l’ancien pour créer de la nouveauté. Pour cela, nous devons prendre des risques. C’estjustementparcequel’existenceestcourteetfragilequ’ellenousimposedenousmettreendanger.Sinousavions toutnotre temps,nouspourrionsnous laisserporterpar lesévénementset attendredevoircequ’ilsnousréservent.Aulieudecela,laviepasseenunéclair.Parconséquent,nousn’avonspasletempsdeleperdre.Unevieréussiesedoitd’êtrel’affirmationpermanented’unidéal,libéréedes contraintes de l’opinion et du confort. Cela implique de ne pas faire taire ses passions etd’explorerdenouveauxhorizons.

Nietzsche explique dans sa parabole des troismétamorphoses de l’esprit comment ce dernierpermetdecréerdesidéesnouvelles.L’espritsechangesuccessivementenchameau,puisenlion,etenfinenenfant.Pourfairecourt,onpourraitrésumerleschosesainsi:lechameauapprend,endure,portelefardeaudel’existence;alorsilsetransformeenlionquisebatpours’imposeretquitterletroupeau;enfinl’espritretrouvel’innocenceetlalibertédel’enfantdébarrassédespréjugésetdescontraintes sociales. Cela se vérifie tous les jours : les rebelles, les créateurs, les artistes, lesnovateurs,onttousuncôtéenfantin,unepartdegamineriequin’apasvoulupartirouquiestrevenueavecletemps.Notremondecrèved’unsérieuxd’autantpluspathétiquequ’ilfaitsemblantdecroireàlasolennitéqu’ils’estinventée.Nosinstitutionsetnosrèglessocialessontscléroséesparlemanquedespontanéitéetd’inventivité.Cen’estpasunhasardsilespolitiquesportenttouslemêmecostumeetdisenttouslamêmechose,àquelquesvirgulesprès.

L’importancedel’enfanceennousestsoulignéeparunphilosophequiabouleverséNietzsche,Ralph Waldo Emerson, le mentor de Henry David Thoreau. Emerson, le chef du mouvementtranscendantalisteaméricain,estunfilsdepasteurélevédanslerespectdesvaleursmorales.Ilalui-mêmeétémarquéparlesEssaisdeMontaigne–toutsetient.Emersonexpliquequ’ilfautregarderlanatureavecuneâmed’enfantpourl’appréciervraiment:«Celuiquiaimelanatureestceluidontles

sensations,intérieuresetextérieures,sontencoreajustéesexactementlesunesauxautres;celuiquiàl’heuredelamaturitéagardésonâmed’enfant.»Puis,ilditenquoinousdevonsnousinspirerdel’enfant qui émet des jugements sincères car il « ne s’encombre jamais des intérêts et desconséquences»,tandisquel’adulteest«enferméenprisonparsaconscience».Enclair,l’adulteestmû par des contraintes sociales, la peur de déplaire, des calculs de carrière, etc. Emerson appelledonc au rejet de tout conformisme. Il faut oser aller contre la pensée dominante et affirmer sespropres convictions, celles que l’on craint de revendiquer par peur d’être moqué ou rejeté. Toutvégétarien, végétalien ou défenseur des animaux qui lit ces lignes comprendra exactement cequ’enseigneEmerson.LaConfianceensoiestuntextesplendide,idéalpourlesjoursdedoute.Ilnousinvite à tirer le meilleur de nous-même en refusant l’influence de la collectivité, forcémentcastratrice.«Mettezl’accentsurcequevousêtes;n’imitezjamais![…]OùestceluiquiauraitpuêtrelemaîtredeShakespeare?OùestceluiquiauraitpuformerFranklin,ouWashington,ouBacon,ouNewton?Toutgrandhommeestunique.»Lacréationdelanouveautéauméprisdelatraditionrévèle alors la part de divin que chaque humain possède en lui. Car si nous sommes capablesd’inventerl’humanité,alorsnoussommesDieu.

Nietzscheneditpasautrechosequandillancel’injonctionà«l’immolationàlaterre»,pouryfaire pousser le Surhumain. Il faut vivre du plus fort que l’on peut, ici même, sans se réfugierderrièrel’espoird’unmondetranscendant.Zarathoustraestunmessiequin’annoncepaslesalutdansl’au-delà,maisdemande à chacunde se sauver lui-même, ici etmaintenant.Lorsque lephilosopheallemandécritqueDieuestmort,ilentendnotammentparlàdénoncerlareprésentationerronéed’unmondeterrestrequineseraitquelafenêtreversunmondemeilleurouidéal.PourPlaton,lemondequenouspercevonsn’estqu’apparent,carnoussommestrompésparnossens.Engros,chaquechosequel’onperçoit,maisaussichaquesentiment,n’estquelareprésentationimparfaitedelachoseréellequi existe dans un autre monde, celui des Idées. Pour les catholiques et d’autres religions, autreversion: lavraieviecommenceauParadis,etnotrepassagesurTerrenesertqu’àygagnernotreplace.Ces différentes conceptions dualistes présentent un défautmajeur : elles dénigrent lemondequotidien,celuiauquelnousparticipons,quineseraitqu’unmondepréparatoireavantdepasserauxchoses sérieuses.Celanousempêchedevivrepleinement.En réalité il n’yaqu’unmonde,dont lavéritéestinsaisissable,etc’estlenôtre.Laseuleéternitéestcelledenotrevie.Dieuestmort,etnousprenonssaplace.Individuellementmaisaussicollectivement.C’estcelaaussi,l’impératifSuperman.

Supermanvientduciel,telleDieuomniscientetomnipotent.Or,commenousl’avonsvu,unefoissurTerre,ils’incarnedanslapeaud’unbanalhumain.Puis,lorsquelescirconstancesl’exigent,il se révèle en se surpassant. Superman est donc chacun d’entre nous rendu conscient de sesresponsabilités à améliorer l’humanité en allant au-delà de lui-même. Ce qui signifie que noushébergeonstousennousunepossibilitédeDieu.Cettevisionestd’autantpluspertinenteaujourd’huique nous parvenons à unmoment de notre histoire où, pour la première fois, notre collectivité aacquislepouvoirdesdieuxdelalittérature:nousavonseneffetmaintenantledroitdevieetdemortsurlaTerreetsurtouteslesespècesquil’habitent.Nouscommençonségalementàavoirlesmoyens

1.

decontredire les injonctionsde lanatureenprolongeant laviegrâceà la fabricationd’organesderemplacementouenfaisantnaîtredesenfantsdansdescirconstancesnonnaturelles.Nouscréonsdesintelligencesartificiellesdeplusenplusperfectionnéesquideviendrontsansdoutebientôtleségalesdel’homme,laconscienceenmoins.Noussommesdoncdésormaisdesmarionnettistessemblablesauxentitésdivinesdel’Antiquité.

L’exigenced’uneélévationpersonnelleestégalementunélémentclefdelapenséedeTolstoï.Leperfectionnement moral est l’exigence supérieure car « l’homme ne peut améliorer qu’une seulechosequiestensonpouvoir:lui-même».

Nousdevonsdoncnousélevernous-mêmeet,commelesoutientNietzsche,vivredetellesortequ’aumomentdemourirnousserionsprêtsàrevivre toutenotrevieà l’identique.C’est lacélèbrethéoriedel’Éternelretour.«L’hommequiasuaccomplirsondestinmeurtenvainqueur»,écrit-il.

Levraidramedel’existenceseraitdelaquittersansavoirétécapabled’ynaîtrevraiment.Carlavie tellequ’ellenousestdonnée le jourdupremiercrin’estpas lavie. Il s’agit simplementd’uneopportunité qui autorise la possibilité de vivre. L’enjeu consiste alors, pendant les décennies quisuivent,àjustifierlebien-fondéduhasardquiachoisidefairedenousl’undestémoinsconscientsdel’univers.Seul cet effort peut nous extirper denotre condition initiale, quasiminérale.L’impératifSuperman, c’est cette nécessité de donner un sens à notre existence en éveillant le héros quisommeilleenchacundenous.Cehéros,c’estceluiquivachercheràsesurpasser,àêtreunhumainmeilleur,etainsiinventerl’humanitédedemain.C’estunhérosquisemetendangercarilacomprisqu’onperdsavieànepaslarisquer.

Cequej’appelledansunparagrapheprécédentla«peaud’échappement».

POURUNEÉCOLOGIEESSENTIELLE

Pourquoilevraibutdel’écologieestdesortirl’hommedelanature

Contrairementàl’idéegénéralementrépandue,lesprogrèstechniquesnenous«civilisent»pasetlarévolutionindustriellenenousapassortisdelanature.Eneffet,latechniqueestunemaîtrisedesloisnaturellesqu’ellereproduitenleurassignantunefinalitéànotreavantage.Uneavancéetechniquen’estqu’uneexpressiondirigéedesrèglesquirégissentlamatière:chaqueinventionestlamiseenpratique des lois de la gravité, de l’électromagnétique, de la chimie, ou encore de la physiquequantique,quisontdesloisquenousn’avonspasdécidéesetquenousnepouvonscontrarier.L’oracertainespropriétés,toutcommel’eauouleplomb,etlesélectronsréagissentd’unecertainemanière.Onnepeuttransformerlesableenor,nienflammerl’eau,nidemanderauxélectronsdefairecequeleurspropriétésleurinterdisent.Ilfautimaginerleschosesainsi:nousavonsinitialementétélarguésdansungrandjeudontnousneconnaissionspaslesrègles.Latechniquen’estqueladécouverteetl’applicationdesrèglescachéesdecejeuauquelnousparticipons.Leverreouleciment?Lamiseenpratique des propriétés du dioxyde de silicium du sable. Le papier ? La mise en pratique despropriétésdelacellulosedesfibresdubois.L’acier?Lamiseenpratiquedepropriétésdumineraide fer. Une fusée, une centrale nucléaire, un avion, ou un immeuble, ne sont que des réalisations«naturelles»puisqu’ellesmettentenpratiquelesloisdelaphysiqueetdelachimiequisontlesloisdelanature.Cesontcesloisquidirigentl’univers.Chaqueinventionn’estquel’expressionenacted’unechosequiexistaitenpuissancedans lanature.Lefeuétaitcachédans lessilex, il fallait justesavoircommentl’enfairesortir.

Notre intérêt réside dans l’observation minutieuse des phénomènes naturels et dans lacompréhension des mécanismes de survie mis en place par les différentes formes de vie. Lapénicilline est unemolécule fabriquée par des champignons en réponse aux attaques des bactéries.Nousn’avonsdoncpas«inventé»lapénicillineàlamanièred’undémiurge,nousavonsseulementpris le temps de fouiller, d’observer puis de reproduire. L’histoire de la « découverte » de lapénicillineparAlexanderFlemingestd’ailleursémailléedecoupsduhasardetl’onpeutconsidérer

quelanaturenousaspontanémentmissurlavoiedel’undesessecrets.Enapprenantl’existenceetlefonctionnement des antibiotiques, c’est-à-dire ces substances produites par des micro-organismespourcontrerd’autresmicro-organismes,nousavonsréussiàprolongerladuréemoyennedelaviehumained’unedizained’années.Nousavonssimplementréussiàcomprendrel’unedesrèglesdujeu.Autre cas de figure, la pervenche de Madagascar est une plante dont on tire la vincristine, unesubstanceutiliséepourcombattrelaleucémie,ainsiquelavinblastine,employéecontrelamaladiedeHodgkin. Les végétaux ont beaucoup à nous apprendre car, en plusieurs millions d’annéesd’évolution,ilsontdéveloppédenombreusessolutionschimiquespourluttercontrelesmicrobestelsquelesbactériesetleschampignonsmaisaussipourseprotégerdesinsectesetdesherbivores.

Latechnique,ausensétenduduterme,nenoussortdoncpasdelanature,maisnousplongeaucontraireensonseinpuisqu’ellenousobligeàendécouvrirtouslesmystèresettoutesleslois,afinde lesdétourner ànotrebénéfice.Commeunechasse au trésor à laquellenous serions conviés, lanatureacachéenelleuneinfinitédepossibilitésquenousavonsàpeinecommencéàcomprendre.Mais c’est elle qui fixe les règles. Le changement climatique ou les catastrophes nucléaires nousrappellentd’ailleursqu’àlafin,c’esttoujourslanaturequil’emportecarcesontsesloisimmuablesquiprennentledessusetquesinoustentonsdelesoutrepasser,onperd.L’expérienceestrempliedesuspensecarnousignoronsjusqu’oùnouspouvonsaller.Quellespotentialitésrecèlentlesélémentschimiquesànotredispositionet les loisqui commandent leurs relations?Nouspermettront-ilsunjourdenousinstallersuruneautreplanète?Devivrecinqcentsans?Devoyagerdansletemps?Denous télétransporter?De transposerunespritdansunautrecorpsousuruncircuit informatique?Malgré leur dimension extraordinaire, aucune de ces possibilités ne contribue à nous extirper denotre état de sauvagerie et d’incivilisation. Car la bombe atomique n’est jamais que la versionamélioréedelalancedusauvagequivitaumilieudelabrousse.Lecivilisén’estpasceluiquisortdecettebrousse,maisceluiquidécidedenepasutiliserlalance.

Cette vision peut surprendre, tant il est répété que nous nous sommes affranchis de la naturedepuislarévolutionindustrielle.Enréalité,ils’agitlàd’uneillusionnarcissique.Nousmartyrisonslanaturedepuisdessiècles,nousnel’avonspaspourautantquittée.

Lanaturen’estpasuncadreparfaitquiseraitintrinsèquementbon,magnanimeetgénéreux.Saréalité est souvent cruelle. Pour preuve, la quasi-totalité des espèces qui sont un jour apparues surTerreontdisparu.Laplanèteadéjàconnucinqextinctionsdemasse.Maislanaturerévèlesurtoutsacruauté au quotidien, dans l’araignée qui piège le moucheron, le lion qui égorge la gazelle, oul’orque qui s’acharne sur le phoque. Comme l’expliqueAlbert Schweitzer, « la nature ne connaîtaucunrespectpourlavie.Elleengendredelavieparmillierssurlemodeleplussensé,etladétruitsur lemode le plus insensé. […] La grande volonté de vivre qui conserve la nature se trouve enénigmatiquedissociationavecelle-même.Les êtresvivent audétrimentde la vied’autres êtres.Lanatureleslaisseperpétrerlespireshorreurs.»

Mêmesilanaturenousfournitnosmoyensdesubsistance,nousluttonssouventcontreellepoursurvivre. Elle nous oblige à combattre la faim, le froid, la maladie ou les prédateurs. Elle nous

agresse autant, sinon plus, qu’elle nous berce. Lorsque la peste noire tue près de la moitié de lapopulationeuropéenneauXIVesiècle,soit25millionsdepersonnes,elleestbienuneexpressiondelanature.Lesvirus(rougeole,grippe,varicelle,sida…)oucertainesbactériessontaussidesennemiscontrelesquelsnousdevonsnousdéfendre.

Ilestdoncinjustedereprocheràl’humaindeseservirdelanatureàsonbénéficeetdeluttercontresalogiquedemort.Touteslesespèceslefont.Lorsqu’uncastorconstruitunbarrage, ilagitsur la nature comme nous pouvons le faire avec nos constructions (sauf, évidemment, que lesbarrages des castors enrichissent l’écosystème, contrairement à la plupart de nos réalisations).Lorsqu’unourspolairesenourritdephoques,ilsesertbienluiaussidelanature.Etcen’estnibienni mal. C’est comme ça, c’est tout. L’ours n’a aucune intention particulière de protéger sonenvironnement,iln’ypensemêmepas,ilnesedemandepassilephoqueestuneespècemenacée.Etiln’yaaucuneraisondeluienvouloir,puisqu’ilagitlui-mêmeselonlesprincipesdelanaturequiluiordonnedesenourrirdecettemanière.Lefaitquel’hommeseservedelanatureàsonbénéficenepeutdoncpasluiêtrereprochéensoi,puisquec’estleprincipemêmedelavie,quisenourritdelavie. Notre particularité réside dans nos capacités cognitives qui nous permettent de pousser leprocessus d’utilisation de la nature à un niveau tel qu’il engendre des destructions extrêmes.L’utilisationdevientdel’exploitation.Entoutcas,pourtoutescesraisons,lestechnologiesnenousaffranchissentpasdelanaturemaisnousmaintiennentsoussonjoug.

Quepossédons-nous,enrevanche,quineserencontrepasdanscettenaturedévoreusedevie?Lamorale.Carlanatureestcruellemaisellen’estnibonnenimauvaise,nigentilleniméchante,elleneconnaîtnilebiennilemal.Ellen’accomplitaucundesseinmoral.Elleest,toutsimplement.C’estpourquoiseulel’éthique,quiestunecréationrécentedelaconscience,nousdistinguedelanature.Legéographe anarchiste Élisée Reclus ne disait pas autre chose lorsqu’il affirmait il y a plus d’unsiècle : « L’homme est la nature prenant conscience d’elle-même. » Nous incarnons donc cetteconscienceabsentedelanature,lamoralitéquiextirpedelasauvagerie.

Tant que nous restons dans la notion de combat contre les éléments de notre environnement,nous ne dépassons pas le stade d’entités vivantes primaires, insouciantes de la douleur qu’ellesengendrent lorsqu’elles cherchent simplement à maintenir et à développer leur existence.L’industrialisationetlatechnique,toutcommelamédecine,nefontqueprolongerlaluttebasiquedenosancêtresaustralopithèquespour lasurvie.Enrevanche,dès lorsquenouscommençonsàavoirdes interrogations métaphysiques à propos du vivant, dès que nous nous questionnons sur lesconséquences de nos actes, alors seulement nous nous extirpons de l’état de nature, puisque nousexpérimentonscequelesprincipesnaturelssontincapablesdeproduirepareux-mêmes:lapitié,lacompassion,lesensdelajustice.L’hommecivilisén’estpasceluiquiainventélamachineàvapeur,ilestceluiquiaélaborélesDroitsdel’homme.«Entantqu’animall’hommeestviolent,maisentantqu’Esprit,ilestnonviolent,écritGandhi.Dèsqu’ils’éveilleauxexigencesdel’Espritquidemeureenlui,illuiestimpossiblederesterviolent:oubienilévoluedanslesensdel’ahimsa,oubienilcourtàsaperte.»

1.

Tellessontlesdeuxforces,apparemmentcontradictoiresmaisenréalitécomplémentaires,quiportentl’antispécismeetl’écologieessentielle 1:

–Dansunpremiermouvement, l’êtrehumain réintègre lanatureenassumant saparentéavectouteslesautresespècesanimalesetvégétales.Ilendéduitunenouvelleapprochequireposesurlerespectdelavie.

– Dans un second mouvement, l’être humain sort de l’état sauvage en s’affranchissant despossibilités les plus cruelles que lui offre la nature. Et alors seulement il parvient à infléchir lesrèglesde la nature enproposant sapropre contribution : unenature influencéepar les possibilitésmoralesdel’esprit,etnonplusrégentéepardesimplesrèglesorganiquesetdesinstinctsprédateurs.

Onpourraitdoncparlerdeparadoxesalutairedel’écologieessentielle:

L’éthiquenoussortdelanature.Orl’écologieessentielleestuneéthique.Doncl’écologieessentiellenoussortdelanature.

Mais si nous sortons de la nature, c’est pourmieux en prendre soin, comme un adulte quitte

l’enfancepours’occuperdesespropresenfants.LephilosopheallemandPeterSloterdijkconfirmecettevisionlorsqu’ilnousinviteàunerelationréinventée,plusmature,aveclanatureetlesanimaux:« Les hommes deviennent adultes lorsque, dans la relation avec leurs semblables, ils cessent deprendre constamment la positionde l’exploiteur et dumineur.S’ils veulent devenir adultes, il fautqu’ils assument le rôle de tuteurs, à l’égard des enfants et des faibles dans le groupe humain.Aujourd’hui,noussavonsmieuxquel’utopiedel’hommeadulteregroupeaussilarelationaveclesanimaux qui, en tant que produit d’approvisionnement de la culture humaine, dépend d’unecohabitation avec nous. […] Ce qui est en jeu aujourd’hui, dans le processus de la civilisationhomme-animal,c’estlapassiondudevenir-adulteetl’aventuredelatutellesurlaviedépendante.Êtreadulte, cela signifie vouloir devenir dépendant de ce qui dépend de nous. » Pour résumer en uneformulesimple,onpeutaffirmerquel’humanitématureestunehumanitédelanature.

Nousverronsunpeuplusloincequedésignentexactementcesmots.

Tousécolos

L’une des réussites de l’écologie politique est d’être parvenue en quarante ans à s’imposercommeunepréoccupationlégitimeauxyeuxdetous.Aucunresponsablepolitique,quellequesoitsaformation,n’oseraitplusdirepubliquementquel’écologieestuneineptieetqu’ilsemoquecommedesapremièrechaussettedel’environnement.C’estmêmetoutàfaitlecontraire:officiellement,tousles politiciens sont écolos. Ils trient leurs déchets, ils adorent le vélo, ils aiment les arbres et lesanimaux,etilsveulenttousluttercontrelapollution.Iln’estpasraretoutefoisqueleverniscraque.L’environnement, « ça commence à bien faire », avait ainsi lancé Nicolas Sarkozy au Salon del’agricultureen2010,aprèss’êtrepourtantprésentéaudébutdesonquinquennatcommelenouveaugranddéfenseurdelanature,exhortantau«NewDealécologique».Mais,sil’onfaitfidecegenred’excèsdesincéritéplutôtmaladroit,ilfautreconnaîtrequedésormaistoutresponsablepolitiquesedoit d’afficher une préoccupation pour les enjeux écologiques. Cela pose donc un problèmeimmédiatement identifiable : si tous lespartispolitiquesaffirmentêtreécolos,celasignifie-t-ilquel’écologieestapolitique?C’estentoutcascequebeaucoupaimeraientlaissercroire.L’écologienedoitpasapparteniràunparti,elleestl’affairedetous!entend-onrégulièrement.Ou,plussouventencore:L’écologien’estnidedroite,nidegauche.NicolasHulot,lepluspopulairedesécologistesactuels, qui fut pendant trois ans envoyé spécial du président Hollande pour la protection de laplanète,entretientd’ailleurscette idéed’uneécologie«neutre»quin’appartiendraitàaucuncamp.Unpositionnementbiensingulierqu’ilpeineàjustifier:«Mesidéesappartiennenthistoriquementàlagauche,c’estvrai.Maisilestabsolumentimpératifdelessortird’uneidéologie,parcequ’iln’yaplusbesoind’êtredegauchepour lesporteraujourd’hui. Jeveuxquechacuncomprennequenoussommescondamnésàévoluer.Cecin’estpas“degauche”,c’estdusimplebonsens.Etcebonsens,ceseraitfaireinjureauxfamillesdedroitequedepenserqu’ilssontincapablesdelepartager.»

Ces propos expriment une erreur d’analyse ou, du moins, un positionnement beaucoup plusstratégiquequ’iln’yparaît.Enrefusantd’êtreidentifiéàunefamillepolitique,NicolasHulotadoptela posture enviée du sagequi domine l’assemblée.En laissant théoriquement ouverte la possibilité

d’unrassemblementnationalautourd’uncombatpouvantêtrepartagépartouteslesbonnesvolontés,d’oùqu’ellesviennentetd’oùqu’ellesvotent,Hulotsuscitel’enthousiasmegénéral,mêmeetsurtoutde lapartdeceuxquin’ontpas l’intentiondebouger lepetitdoigt.Horsdequestiondemettreencause la sincérité deNicolasHulot : il pense que cette stratégie est lameilleure pour favoriser laprogressiondesidéesqu’ildéfend.Malheureusement,enadoptantcepositionnement,NicolasHulotprivel’écologiedesonidentitévéritableetdesaforcerévolutionnaire.Sansqu’ils’enrendecompte,et malgré les efforts indiscutables qu’il déploie, Nicolas Hulot entérine le modèle d’une écologiemolle dont les résultats ne pourront jamais demeurer qu’anecdotiques.En suggérant que toutes lesidéologies politiques sont compatibles avec les impératifs de l’écologie, il se pose enaccompagnateur d’un modèle libéral dominant (qu’il a par ailleurs la lucidité de dénoncer) quiaccepteradesadaptationsmarginalesdontilseserviracommeautantd’écransdefuméeetgagesdebonneconduite.NicolasHulots’enfermemêmedansl’aveuglementlorsqu’ilexplique:«L’enjeuquejeporte,etquenoussommesnombreuxàporter,estsuprapolitique[sic].Etpourmoi,iln’yapasunprotocoledegaucheouunprotocolededroite.Etjepensequenousavonsbesoindenousrassemblerau-delàdesclivages.»«Suprapolitique?»Littéralement,donc,«au-dessusdelapolitique».Hulotvoudrait donc fairede lapolitique sans en faire, en représentant une écologiequi neveut froisserpersonne.Bref,ilmarchesurlapointedespiedsquandilfaudraittaperdupoingsurlatable.

Lesreprésentantsdel’écologiepolitiquefrançaisesedéchirentpourleurpartdepuislongtempssurlepositionnementàadopter.Àgauche?Àgauchetoute?Aucentre?Latendancemajoritaireestcelle d’une écologie d’accompagnement du système capitaliste le plus dur.De rupture il n’est pasquestion.Àtelpointquelesécolosfrançaisontacceptéen2012d’entrerdansungouvernementpro-nucléaire,quiconstruitdesaéroportsinutilesouquivireuneministreopposéeauxforagespétroliersdansunezoneoù labiodiversitéestmenacée 1.Pourtant la secrétairenationaled’EuropeÉcologie-LesVerts avaitmartelé l’année précédente qu’elle ne pourrait parvenir à un accord avecFrançoisHollandesicelui-cines’engageaitpassurlasortiedunucléaireetsurl’arrêtdelaconstructiondel’EPRdeFlamanville.Hollandeaditnonàcesdeuxdemandes.Mais,quelquesmoisplustard,CécileDuflots’estjetéesurlepostedeministrequ’onluiproposait.Début2016,rebelote,trois«écolos»entrentaugouvernement.Parmieux…lanouvellesecrétairenationaled’EuropeÉcologie-LesVerts,EmmanuelleCosse,quiavaitfustigé,aucoursdesmoispassés, lapolitiquedugouvernementsuràpeuprèstouslesplans(écologie,immigration,économie…).A-t-ellenégociéunemiseenœuvredecertaines revendications écologistes avant de rejoindre François Hollande et Manuel Valls ? Quenenni.Pourtenterdejustifiersonsublimeretournementdeveste,riendetelqu’uneformulecreuse:elle s’affirme en faveur de l’« écologie en action » qui selon elle implique donc d’aller ne rienactionner dans un ministère. Il eût été plus honnête de sa part de revendiquer « l’écologie de lanomination. » Parmi ces mêmes écolos français, certains n’hésitent pas à dire tout le bien qu’ilspensentdelacorridaoudufoiegras.Àdetropraresexceptions,jamaisonnelesentendremettreencausel’industriedelaviandeouévoquerlaquestiondesdroitsdesanimaux.Dansunautregenre,uneautre défenseuse revendiquée de l’environnement, Maud Fontenoy, milite au nom du parti Les

1.

Républicainspour le nucléaire, lesgazde schiste et lesOGM.Pourquoinepas être favorable auxmaréesnoires,pendantqu’onyest?

Il estd’autantplus faciledecroire à laneutralitépolitiquede l’écologieque, selon leprismeappliqué, et avec une bonne dose de mauvaise foi, il est possible de faire pencher l’écologie del’extrêmegaucheàl’extrêmedroite.Celas’expliqueenpartieparladiversitédescontributionsliéesà la nature depuis un siècle. Chacune d’entre elles ne peut se comprendre que dans son contextehistoriqueparticulier.Ettoutesn’évoquentpasforcémentl’écologie.Dire«j’aimelanature»nefaitpasdevousunécologiste,commedire«j’aimelesanimaux»nefaitpasdevousunantispéciste.

Cemagmaenfusionanéanmoinsdébouchésurl’élaborationd’unmatériaucohérentquipermetde comprendre ce qu’est une écologie du XXIe siècle, moderne et néanmoins héritière desfondamentaux qui lui ont permis de voir le jour. Quiconque analyse avec sérieux les racines del’écologieestobligédereconnaîtrequecettediscipline,quiestaujourd’huiuneidéologie,n’estpascompatibleavectouslesprogrammespolitiques.Loindelà.

En juin 2012,NicoleBricq avait été évincée de son poste deministre de l’Écologie, punie pour avoir suspendu les foragesexploratoiresd’hydrocarburesprévusparShellaulargedelaGuyane,afindeprotégerlafaunemarine.

L’écologieest-elleunenostalgie?

L’ÉCOLOGIENEPEUTPASÊTRERÉACTIONNAIRE

Enraisondesaméfianceàl’égardd’uneexpressionprédatriceduprogrès,enraisonégalementde son souhait de préserver la nature, l’écologie est parfois présentée comme une penséeconservatrice.Lafaute,sansdouteaussi,àuneconfusionsémantique.«Préserverl’environnement»devient « conservation de l’environnement », qui devient « conservatisme ». « Nature » devient«naturel»,quidevient«ordrenaturel»,quidevient«ordre»,quidevient«immobilisme».Ilestvraiégalementquelespremièresassociationsquisesontsouciéesd’environnement,ilyaunsiècle,sepréoccupaientuniquementdelapréservationdespaysagesetdupatrimoine.Leurécologismepeutêtrequalifiéde réactionnaire,puisqu’ilvisait à sauvegarderunenatureenvisagéecommeuncadreporteurdel’histoiredel’homme,etàlafigerdansunimmobilismerassurant.

Maisl’écologien’estniunenostalgie,niuneodeàlatradition,niunappelausurplace.Elleestau contraire un grandmouvement de réflexion qui interroge nos certitudes, nos habitudes, nos apriori,etquinepeutaboutiràunretourenarrière.L’écologienedénoncenilacompréhensionnilamaîtrise de la nature,mais simplement l’utilisation de la technologie et de l’industrie lorsque cesdernièressontauserviceexclusifd’uneespècehumainespoliatriceetvorace,indifférenteauxmauxqu’elle occasionne. Les capacités de maîtriser l’énergie, de faire voler des fusées, de créer desordinateurs ou de procéder à des modifications génétiques sont des avancées techniques quin’engendrent pas nécessairement, sur le long terme, un progrès pour l’humanité. La communautéhumaine ne progresse que lorsque les normes morales qui la régissent s’élèvent. L’un des toutpremiers écologistes, le géographe anarchiste ÉliséeReclus, a théorisé auXIXe siècle l’oppositionentreprogrès et régrès. Il proposait cette définition que je partage : « […] Prendre définitivementconsciencedenotrehumanitésolidaire,faisantcorpsaveclaplanèteelle-même,embrasserduregardnos origines, notre présent, notre but rapproché, notre idéal lointain, c’est en cela que consiste leprogrès.»

Pour être appelée progrès, une avancée technique doit répondre à plusieurs critères : rendremeilleurlequotidiendetous,avoirunimpactnégatiflimitésurl’environnement,n’engendreraucunesouffrance(lemoinspossibleentoutcas)etenfin,donc,favoriserl’élévationmoraledel’humanitéou aumoins ne pas lui nuire. L’écologie exige que les avancées techniques ne remplacent pas laservitudeàl’égarddelanatureparunenouvelleservitudeengendréeparnosmodesdeproductionetdeconsommation.Elleprôneunetechnologiequilibèrel’individu,etnonpasquil’asservisse.

Internetfournitl’exempled’uneinventionbénéfiquepourl’hommeetlanature:nonseulementiloffreàchacunlapossibilitéd’uneconnaissanceinfinie,maissurtoutilrelietouslesêtreshumainsentre eux et permet à l’humanité de retrouver son unité. Internet est lemédicament technique d’unchagrinquiaégarénotreespèce:celuideséparationsmultiplesprovoquéesparlafaim,lefroid,lesmontagnes,lesfleuves,lesmers.Touslesenfantsdelafamilleétaientpartisenvoyaged’affairesilya plusieurs dizaines demilliers d’années. Ils se retrouvent enfin. ÉliséeReclus avait prédit en sontempscetteunité recouvrée.C’estpourquoi il ne rejetait pas la techniquequi y contribue, dès lorsqu’elleestemployéeavecmoralité:«Certainementilfautquel’hommes’emparedelasurfacedelaTerreetsacheenutiliserlesforces;cependantonnepeuts’empêcherderegretterlabrutalitéaveclaquelles’accomplitcetteprisedepossession.»

De la même manière, sur le plan sociétal, l’écologie ne peut être qu’un progressisme,puisqu’elle revendique l’épanouissement personnel et la réalisation de soi. C’est la raison pourlaquelleelleestducôtédesdiscriminésafinqueleursdroitssoientpleinementreconnus:lesfemmes,leshomosexuels,lesimmigrés…Unesociétéécologiqueestunesociétémultiplequipermetàtousdesedévelopperdanslerespectdesdifférences,àconditionévidemmentquechaquemembredelacommunautérespectelesrèglesdevieindispensablesàlacohabitation.

Quelcontresensqued’imaginerquelerespectdelanaturesauraitjustifierunerevendicationauconservatisme.C’esttoutlecontraire!Carlanaturenousenseignequelavien’estquemouvement.L’universs’étireenpermanence, lesplanètesbougent, toutcommelesmers, lesvents,etmêmelesélectrons…Et surtout, les espèces végétales et animales sont en constantemutation.L’humain quenoussommesaujourd’huin’estpaslemodèlefigédel’humainarrivéausommetdesonévolution,aprèslesétapesquefurentlesHomohabilis,ergaster,erectusouNéandertal.Nousnesommesqu’uneétapesupplémentaire:ilyauraquelquechoseaprèslesapienssapiens.Lesloisbiologiquessontdesloisdumouvementetde l’évolution.Cequiest immobile,dans lanature,estdécédéoun’a jamaisvécu(saufàconsidérerqu’unepierreestenvie,maisc’estunediscussionquejen’entameraipasici).L’écologienepeutdoncenaucuncas,contrairementauxforcesréactionnairesetconservatrices,seréfugierdansunpasséarbitrairementarrêtéàuneheuredonnéequiincarneraitleréférentdu«c’étaitmieux avant ». En dénonçant la faillite de nos systèmes économique, éducatif, culturel et moral,l’écologie nemilite pas pour un retour vers hier. Bien au contraire, elle veut briser les modèlesdépasséspouren inventerdenouveaux,comme leproposaitdéjà ilyaprèsdedeuxsièclesRalphWaldoEmerson:«Notreépoqueesttournéeverslepassé»,écrit-ilpourouvrirsonessaiNature.Etilpoursuit:«Elleconstruitlestombeauxdenosancêtres.Elleécritdesbiographies,descritiques,et

l’histoire du passé. […] Pourquoi n’aurions-nous pas une poésie et une philosophie fondées surl’intuitionetnonsurlatradition[…]?»

Darwinneprédit-ild’ailleurspaslamortdesconservateursetdesréacslorsqu’ilaffirme:«Lesespècesquisurviventnesontpaslesespèceslesplusfortesnilesplusintelligentes,maiscellesquis’adaptentlemieuxauxchangements»?☺

Blague à part, il est certain que les actuels idéologues du renfermement égoïste sur hier (matradition,mesfrontières,maculture,mareligioncommeréférentsultimes)serontlaminésdemain.Ilsgagnerontdesvictoiresélectoralesdanslesannéesquiviennent.Maisilsserontbalayésunpeuplustard, dans quelques décennies oumême avant. Lemouvement qu’ils tentent de freiner repartira deplusbelle.L’humanitécontinueraàs’inventerpouraccoucherd’unnouvelHomo.Lesconservateursetréactionnairesd’aujourd’huiserontvaincusparlemouvementnatureldel’évolution.Leursnomset leurs idées seront bientôt oubliés. Dans quelques siècles, des chercheurs se pencheront sur despassages du Suicide français avec le même effarement que celui que nous pouvons éprouveraujourd’huidevantlesrécitsdeprocèsfaitspardestribunauxcivilsouecclésiastiquesauMoyenÂgeàdeschenilles,mulotsouautrescochons.

Lesnotionsde«retourà la terre»oudesacralisationdela«Mèrenature»sous-tendentdesdiscoursquivantentlepaysand’autrefois,présentécommeunsagequidétenaitlesclefsderelationséquilibréesaveclesanimaux,lesarbresetlesplantes.Cettevisionprésentedeuxdéfautsmajeurs.Ellenégligelefaitquel’agriculteurd’hierconsidéraitluiaussilanaturecommeunematièreàexploiterleplus efficacementpossible.Bien sûr, jepréfèremille fois cet artisande lanature,qui sepassaitd’intrants chimiques et d’antibiotiques, aux exploitations industrielles qui dominent désormaisl’organisationdelavieagricole.Maisn’oublionspasquemêmelepetitéleveurd’après-guerre,danssafermefamiliale,considéraitcommeabsolumentlégitimelefaitdetirerleplusdeprofitpossiblede la terre et d’élever des animaux pour les égorger. D’ailleurs, dès le XIXe siècle, bien avant ledéveloppement de l’industrie agroalimentaire, ÉliséeReclus avait battu en brèche l’idéalisation del’agriculteurforcémentprotecteurdelanature:«[…]Ilarrivesouventquel’agriculteur,pauvreensciencecommeenamourde lanature, se trompedans ses calculs et cause sapropre ruinepar lesmodificationsqu’ilintroduitsanslesavoirdanslesclimats.»

En outre, la référence à la terre dévie facilement vers une pensée qui mêle sol, territoire,frontières, identité, et finalement immigration. L’extrême droite aime cette terre-là, vue comme lesymboled’unterritoireclosoùlacultureensemencéeestuneculturenationalequinetolèreaucuneintrusion extérieure. Cela n’a rien à voir avec la terre que protège l’écologie qui est une terreouverte, partagée, défendue de toute tentative d’appropriation – la terre comme bien commun,collectif, universel. Il ne suffit pas de vanter les circuits courts et les petites exploitations pour serevendiquerdel’écologie.Ladroiteréactionnairesenourritdesdifférencesetdesdivisionsentreleshommesencréantdeshiérarchiesenfonctiondesoriginesgéographiquesetdescultures;lapenséeécologiquefaitexactementlecontraireeninsistantsurtoutcequicréel’unitédel’espècehumaine.

RESPECTERLEVIVANT,JUSQU’OÙ?

Nenousméprenonspasnonplussurl’appelaurespectduvivant.Iln’abiensûraucunrapportavec les mouvements traditionalistes sectaires opposés à la contraception et à l’avortement. Sousprétextequ’il faudrait laisser faire« l’ordrenatureldeschoses»,ons’interdiraitd’intervenirdanstout processusqui régit la vie ?Non, évidemment, cela n’a aucun sens et ne correspond en rien àl’écologie.Ilexiste,jeleconcède,unezoneflouequipeutprêteràconfusion,etquiamèneJoséBovéàexpliquerqu’ilestopposéàtouteformedeprocréationmédicalementassistée(PMA),quecesoitpour les hétérosexuels ou les homosexuels, en justifiant ainsi sa position : « Tout ce qui faitaujourd’huiqu’onvafabriquerlevivant,plutôtquelelaissersedévelopper,çaposeénormémentdeproblèmes et de contraintes humaines et éthiques. Je crois que tout ce qui estmanipulation sur levivant,qu’ilsoitvégétal,animaletencoreplushumain,doitêtrecombattu.»Cettevisiondeschosesme semble problématique. Si toute manipulation du vivant est néfaste, alors il faut renoncer à lafécondationinvitroetàl’inséminationartificielle.

Le«droità l’enfant»estcertesunequestionphilosophiquepassionnantequicontientenelle-mêmesaproprecontradiction.Eneffet,l’opiniongénéraleconsidèrecommenormalquelascienceaideuncouplehétérosexuelàavoirunenfantsilanatureleluirefuse.Saufquecettemêmeopiniongénéraleestégalementchoquéesiunefemmeménopausée,d’unesoixantained’années,arecoursàuneFIVetàundond’ovocytespourtomberenceinte:lamère,jugéetropvieille,estaccuséed’avoirvouluassouvirundésircontre-naturedanslamesureoùlaménopauseestpasséeparlà.Laréactiondifférenciéeà l’égarddecesdeuxcasprouvequ’ilyauraitdoncune loide lanatureque l’ondoitcombattre (lanatureadécidéque tel jeunecouplenepourraitpasprocréerensemble),etuneautreque l’ondevrait respecter (lanatureadécidéqu’àpartird’uncertainâge,une femmenepeutplusavoird’enfants).Celaestpourlemoinstroublant.L’explicationtientaufaitquedanslepremiercas(celui du jeune couple stérile), le processus naturel prévoit qu’un homme et une femme en pleineforcedel’âgepeuventthéoriquementprocréers’ilss’accouplent.L’infertilitéestperçuecommeuneanomalieetdonc,justement,unmanquementàlaloinaturelle.L’assistancemédicaleserviraitencesens à corriger une erreur, une sorte de bug, dans lesmécanismes innés de la vie. L’interventionhumaine n’aurait pour but que de perfectionner la nature en suivant ses règles fondamentales.Pourquoipas?Maisonpeutégalementconsidérerleschosesautrementetestimerquelesratéssontunepartintrinsèquedesloisdelanature,etqu’enconséquencelevrairespectdel’ordredeschosesimplique de ne pas favoriser des grossesses que la nature refuse. C’est exactement le réflexe quitouchelamajoritédesgensquis’offusquentdevoirunefemmedesoixante-cinqanstomberenceintegrâceàundond’ovocytes.

Jetienssurcepointàêtreclair:jesuispersonnellementfavorableàl’inséminationartificielle,àlafécondationinvitroetmêmeauxmèresporteuses(dansuncadrestricttoutefois).Jemecontentedeposericilesbasesd’uneréflexionquimesembleessentielle,tantlaproblématiquedudroitàl’enfantsoulèvedequestions.Est-ilpluslogiqued’«accorder»unenfantàunjeunecouplehétérosexuelqu’à

unefemmeseule,uncouplehomosexuelouunefemmeménopausée?Toutlemondea-t-illedroitderéclamerson«propre»enfantalorsquelanatures’yoppose?Aunomdequoi?Et,danscecas,jusqu’où doit-on aller pour faire respecter ce droit ?Ces interrogations nécessaires permettent decomprendrelacomplexitéindéniabledusujet.

Les craintes liées aux biotechnologies sont on ne peut plus légitimes. Dans le même temps,s’opposer au principe même d’une manipulation sur le vivant mène à l’impasse : cela revient às’attaqueràl’idéemêmedelamédecine,etdelamédecinegénétiquenotamment,dontl’objetestdecontrecarrer l’expression hostile de la nature qui inflige maladies et infirmités. Combattre descellules cancéreuses, c’est manipuler du vivant. Une simple bouture, en agriculture, est unemanipulation du vivant. Ce n’est pas lamanipulation en elle-même qui pose problème,mais bienplutôt lesobjectifset lecadredecettemanipulation,et touteslesdérivesimaginables.LesOGMensontuneparfaiteillustration.Ilssontproblématiquescaronignorepourl’instantleursconséquencesprécises sur la santé. Aux États-Unis, où leur production est autorisée, les OGM concernentaujourd’hui90%dessurfacesdeproductiondemaïsetdesoja.Maisaussibienlaluzerne,lecolza,labetteraveàsucre,lespommesdeterreoulescourgettespeuventêtregénétiquementmodifiés.

L’OrganisationmondialedelasantérappellequelesOGMnepeuventpasêtreévaluésdansleurensemblemaisaucasparcas, et seveut rassuranteenprécisantque lesorganismesgénétiquementmodifiés«quisontactuellementsurlesmarchésinternationauxontpasséavecsuccèsdesévaluationsdurisque,etilestimprobablequ’ilsprésententunquelconquerisquepourlasantéhumaine.Deplus,onn’a jamais pumontrer que leur consommationpar le grandpublic dans les pays où ils ont étéhomologuésaiteuunquelconqueeffetsur lasantéhumaine.»Mais,en janvier2016,uneétudeduCriigen (Centrede rechercheetd’information indépendantessur legéniegénétique)adémontré lanocivitédumaïsmodifiéBt176surlebétail.Celui-cicontenaituninsecticideetungènederésistanceàunantibiotique.En2012,uneautreétudeduCriigenmenéesurdesratsparl’équipeduprofesseurGilles-ÉricSéraliniaalertél’opinion.Ellerévèleledéveloppementdetumeursgrossescommedesballesdeping-pongetlamortprématuréedesanimauxsuiteàlaconsommationd’unmaïsmodifiéproduit par Monsanto, le NK 603, à l’aide de l’herbicide Roundup. Un résultat particulièrementinquiétantquandonsongeausojatransgéniquecultivéenAmériqueduNordetduSud,àdestinationde laChineetde l’Europe,où il sert ànourrir lebétaildans l’élevage intensif.Lemoinsque l’onpuissedire,c’estqueleglyphosate,l’herbicideleplusvenduaumonde,utiliséaveclesOGM,sèmeletrouble.Leglyphosateest trèsemployédansl’agricultureenEurope.Onentrouvedestracesunpeu partout dans l’environnement, même dans le corps humain. Or le Centre international derecherche sur le cancer (CIRC), qui dépend de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’acarrémentclassécommecancérogène«probablepourl’homme»etaestiméqu’ilpeutendommagerl’ADN.Maisuneinstanceeuropéenne,l’Autoritéeuropéennedesécuritédesaliments(EFSA),ajugéen novembre 2015 « improbable » ce risque cancérogène, conclusion contestée par de nombreuxscientifiques.Entoutcas,danslespaysoùlesculturesOGMsonttraitéesauglyphosate,lesexpertsrelèventdestauxdecancers,demalformationsoud’avortementsspontanésanormalementélevésprès

deszonescultivées.EnColombie,parexemple,oùceproduitalongtempsétéutilisépourdétruirelescultures de coca, les experts affirment avoir constaté une augmentation des maladies et desavortementsdans les zonesviséespar les fumigations.Par ailleursdes agriculteursont fait le lienentreceproduitetdescrisesdediarrhéeschezlesanimauxquil’ingèrent.

Ilsembleinsenséderecouriràlamodificationgénétiquedesalimentspourqu’ilsdéveloppentleurpropreinsecticide.Quellehérésie.Maiss’ilestdémontrédemanièrecertainequ’ilexistecertainstypes d’OGM qui n’entraînent aucun effet indésirable sur l’organisme humain, voire qui peuventbénéficier à la santé, faut-il les repousser par principe ?AuxÉtats-Unis, le groupe J.R. Simplot afabriquéunepommedeterreappeléeInnatedontl’unedesvertusseraitd’éliminerl’acrylamide,unesubstance prétendument cancérogène lorsque la pomme de terre est cuite à très haute température.Simple stratégie de com’ ou réel progrès ?Les agriculteurs,même les plus conservateurs, saventbienqu’ilssontlespremiersàmanipulerlevivant:lesracesd’animauxutiliséesdansl’agriculturesontdesracesartificiellescrééesparlebiaisdesélectionsgénétiques.

Quepenserparailleursdesmanipulationsgénétiquesdel’embryon,danslebutd’éradiquerunemaladie dont sera à coup sûr atteint l’enfant ?Aujourd’hui on dénombre desmillers demaladiesgénétiques.Faut-ilparprincipesepasserdetouteexpérimentationsurlegénome?L’embryonestunindividuquin’existepasencoreenacte,quin’apasdeconscience.Ledébatn’estpastrèséloignédecelui sur l’avortement. Il me semble que la réponse est simplement celle d’une rechercheextrêmementencadrée,quiréfléchisseauxconséquencesdechacunedesesdécisionsetquiévitetoutesystématisationquiconfineraitàl’eugénisme.

AuBrésil,unmoustique transgéniqueaétéfabriquéafinde luttercontre ladenguequi touchedescentainesdemillionsdepersonnes.Celapeutapriorisemblerintéressant,mêmes’ilconvientdes’interrogerenpremier lieusur tous lesautresmoyens«naturels»quipermettraientdecombattrel’épidémie, et sur les conséquences à long terme de la propagation de ces insectes modifiés. Enrevanche, il est des manipulations génétiques intrinsèquement inacceptables comme celles quiaboutissent à la création d’animaux transgéniques ou génétiquement modifiés dans le seul but decréerdesracesplusrentables:desvolaillesquiproduiraientplusdeviandeetd’œufs,desporcsquigrossiraientplusvite,oudubétailsanscorne.Ilexisteaujourd’huiunsaumontransgéniquequiestunmélangedesaumonroyaletd’anguille.L’espèceainsicrééeaunecroissancehorsnormes.Maisquese passera-t-il si ces saumonsmodifiés s’échappent dans la nature (ce qui finira par arriver) ?EnChineouenArgentine, leschercheursontmisaupointdesvachesavecdesgèneshumainsafindechanger la teneur du lait pour qu’il se rapproche du lait maternel humain… On entre ici dansl’inacceptablepuisque,d’unepart,onignorelesconséquencesdecesmodificationsgénétiquesetque,par ailleurs, l’animal est réduit une fois de plus au rang de simple objet utilitaire.En réalité toutemanipulation génétique sur un animal non humain devrait être interdite dans la mesure où nousn’avonsaucundroitmoralàjoueravecdesindividussensiblesetconscientsquin’ontaucunmoyend’approuver ce que nous leur faisons subir et qui, s’ils pouvaient s’exprimer, s’y opposeraientforcément,àmoinsquequelqu’unparvienneàdémontrerqu’unevachepeutvraimentavoirl’enviede

produireunlaitquiconvientplusauxhumainsqu’auxbovins.Delamêmemanière,plusieurspays,comme lesÉtats-Unis, leBrésil ou l’Argentine, autorisent déjà le clonage des animaux d’élevage.Certains pensent que cette technique va se généraliser dans des décennies qui viennent. L’Europerésiste encore timidement,maisplus forcémentpour très longtemps,d’autantqu’ellen’interditpasl’importation de semences d’animaux clonés. Cette technique pose de nombreux soucis. Nonseulement on ne connaît rien des éventuels dangers sanitaires pour le consommateur (malgré lesdéclarationsrassurantesde l’Autoritéeuropéennedesécuritédesaliments),maisonestcertainquecelaengendredelasouffranceanimale:faussescouches,animauxmalformésquimeurentauboutdequelquesjours,problèmesimmunitaires…

L’écologienedoitpasêtreunrefusdesavancéesscientifiques.Ellerevendiquesimplementunusage éclairé de la connaissance. Elle dénonce la possibilité que la génétique soit utilisée pourenrichirdescompagnies.Encesens,etc’estlàquerésideleprincipalscandale,aucunemanipulationduvivant ne devrait être soumise à des intérêts commerciauxprivés.Demanière plus large, il estabsolumentincohérentetinjustequelevivantpuisseapparteniràcertains,qu’ils’agissed’unanimaloud’unvégétal.EnFrance, lestroisquartsdelaforêtappartiennentà3,5millionsdepropriétairesprivés.Ilyaénormémentdepetitspropriétaires,principalementdeshéritiers,maisilexisteaussidetrès gros sylviculteurs : en 2008, un article du Figaro citait le groupe Louis Dreyfus, la familled’Orléans, les Dassault, Groupama ou Axa. La forêt est devenue un investissement, un placementfinancier, et leprixmoyendes forêts a largement augmentédepuisquinze ans, en relationavec lemarché immobilier. «Une forêt doit rapporter de l’argent », dit un propriétaire sur lePortail desForestier privés. Cette notion de rendement est incompatible avec une vision écologique. Surtoutlorsqu’elle touche les forêts, dont l’appropriationprivéehistorique est particulièrement choquante.Commentleshumainsensont-ilsvenusunjouràserépartirdeskilomètrescarrésd’arbresentreeux,sinonpardesrapportsdeviolence?Àpartledroitduplusfort,jenevoispascequiapuautoriserdes types à décréter que tel périmètre de chênes ou de sapins était à eux.Les actuels propriétairesprivésde forêts, aussi sympathiques soient-ils, sontdonc, qu’ils le veuillent ounon,des receleurs.Compte tenude la valeur intrinsèque de ces espaces naturels et des services écosystémiques qu’ilsfournissentàlacommunauté,ilestillogiquequ’ilspuissentêtreprivatisés.Lesforêtsn’appartiennentàpersonne,ellessontunbiencommun.

Le pillage historique des forêts et desminerais en Afrique par des sociétés occidentales, oul’accaparement actuel des terres de pays enmal de revenus par des compagnies privées, sont desscandalesqu’aucunesociétéécologiquenesauraitaccepter.

Moinsproduire,moinssereproduire,mieuxseconduire

LADROITEETLAGAUCHE

La dichotomie droite-gauche est à première vue illisible de nos jours : le libéralismeéconomiqueestacceptéaussibienparladroitequeparunegrandepartiedelagauche,l’Europedestraitésestrejetéeparcertainsàdroitecommeàgauche,etenmêmetempsencouragéeparlamajoritédesdeuxcamps.Parailleurs,ontrouveàdroiteetàgauchedesvoixpourprônerlaméfiancelaplusstrictefaceàl’immigration.Enapparence,iln’yaplusguèrequelesquestionssociétalesquitracentunelignededémarcationentrelesdeuxcamps,etencore…Onpeutlogiquementsedemandersiladroiteetlagaucheexistenttoujoursentantquetelles.

Sil’onsesitued’unpointdevuehistorique,ilfautserappelerquel’attributiondessubstantifs«gauche»et«droite»àdeuxcampsdistinctsdelareprésentationpolitiquefrançaiseremonteàlaRévolution,etplusprécisémentauvoteduveto royalen septembre1789.LesdéputésétaientalorsréunisenAssembléeconstituanteàVersaillesdanslasalledesMenus-Plaisirs.Aucoursdesdébats,ilsavaientprisl’habitudedeseregrouperenfonctiondeleursaffinités.Lorsduvotesurlevetoroyalétaientinstallésàgaucheceuxquis’opposaientàlapossibilitépourleroidemettresonvetoàuneloivotée par les députés, et de l’autre côté, à droite donc, étaient assis ceux qui au contraire étaientfavorables aumaintien de l’influence du roi dans le nouveau régime constitutionnel et donc à sapossibilitédeveto.Lagaucheetladroiteétaientnées,maisaussilecentre(appeléégalementmaraisouventre),puisquecertainsdéputéssesontopposésàcettebipartitiondelaviepolitique.Àl’époque,commel’expliquel’historienMichelWinock,lagaucheincarnelarevendicationdeladémocratie,lasuprématiedulégislatif(lesélus)surl’exécutif(leroi)etlaproclamationdesDroitsdel’hommeetdu citoyen. Winock identifie deux droites différentes qui se dressent contre les exigences de lagauche:d’unepartunedroitecontre-révolutionnaire,quirefuselaRévolutionetsouhaiterevenirà

l’AncienRégime,etd’autrepartunedroite libéralequia favorisé laRévolutionetmilitepourdesréformes.

Enretraçantleursoriginesetleurhistoire,onremarquequeladroiteetlagauchesedéfinissentparquelquesvaleurs fortes.Cesontcesvaleurs,plusque lepositionnementactuelsurdesdossierstechniques tels que le fonctionnement de l’Europe, qui marquent des différences pertinentes.Historiquement,ladroiteapparaîtplussensibleàl’ordreetàlatradition.Elleestunerésistancefaceauchangement.Ellerevendiquelalibertésurleplanéconomique,maisestattachéeàunpouvoirvenud’enhaut,une incarnation forteà lahauteurde la figureduroi.Etelle reste,demanièregénérale,méfiante à l’égardde l’Autre.Lagauche s’inscrit davantagedansune logiquedemouvement.Elleprône la liberté de l’individu, son pouvoir démocratique et son développement personnel. Ellesouhaitelaréductiondesinégalitésetpromeutlasolidarité.LephilosopheantispécistePeterSingerserevendiquedegaucheetlejustifieainsi:«Hausserlesépaulesdevantlasouffranceévitabledesfaiblesetdespauvres,deceuxquisontexploitésetdévalisés,ouquin’ontsimplementpasassezpourvivredécemment,c’estnepasêtredegauche.Prétendrequelemondeestcommeilestetquel’onn’ypeutrien,c’estnepasfairepartiedelagauche.Êtredegauche,c’estvouloiragirpourchangercetétatdeschoses.»QuantàEdgarMorin,penseuressentieldel’écologie,ilavouesesentirdegauchepour«lesoucidel’humanitéetlafoienlafraternité».

L’ILLUSIONDEL’ÉCOLOGIENEUTRE

Jusqu’où peut-on faire remonter l’histoire de l’écologie ? Certains n’hésitent pas à citer lanaturalisteLinée,auxXVIIIesiècle,oucarrémentAristote,commeétantlespremiersécologistes.C’estévidemment exagéré.Mais au VIe siècle avant J.-C., Aristote a été l’auteur d’une impressionnanteHistoiredesanimaux.Lephilosophegrecplaçaitcertes leshumainsau-dessusdesautrescréations,maisilavaitétabliqu’iln’existeentreleshommesetlesautresanimauxqu’unedifférencededegréetnondenature.Enrevanche,ilestsensédeconsidérerqueMontaigne,auXVIesiècle,porteunregardsur lanaturequi luidonneaujourd’hui lestatutdeprécurseurde l’écologie.DanssonApologie deRaimondSebond, il souligne l’intelligenceet l’habiletédesanimaux,et remetencause la supposéesupériorité de l’homme raisonnable et parlant. Une vision inspirée de Plutarque, résolumentdétonante dans le contexte de la Renaissance, dont la justesse a été validée récemment par lesdécouvertesdelabiologieetl’éthologie.Pourtant,lesintuitionssijustesdeMontaignesurl’animal,essentiellesà lacompréhensiondesonhumanisme, sont rarementmisesenavant,carenFrance lapenséeatoujoursdélibérémentignorélaquestionanimale.Montaignen’enestqueplusremarquable,surtout lorsqu’il écrit des lignes qui font de lui l’un des premiersmilitants de l’antispécisme, desdroits des animaux et de l’écologie essentielle : « Il y a un certain respect qui nous attache et uncertaindevoird’humanité,nonauxbêtesseulementquiontvieetsentiment,maisauxarbresmêmeset

auxplantes.Nousdevonslajusticeauxhommesetlagrâceetlabénignitéauxautrescréaturesquienpeuventêtrecapables;ilyaquelquecommerceentreellesetnousetquelqueobligationmutuelle.»

AvantMontaigne,Françoisd’Assise futauXIIe siècleunautremilitantdesdroitsdesanimauxpuisqu’ilenavaitfaitlesfrèresdeshommes,àquiilexprimaitamouretcompassion.Lejourdesafête, le4octobre,ad’ailleursété instaurécommeJournéemondialedesanimaux.Et lePapeJean-PaulIIaconsacrésaintFrançoisd’Assisecommepatrondesécologistes.

Malgrécesdiversesprémices,onpeutconsidérerquel’écologien’aqu’unpassérécent.Lemotlui-même,oekologie,n’aétéinventéqu’en1866parl’AllemandErnstHaeckel:«Paroekologienousentendonslatotalitédelasciencedesrelationsdel’organismeavecsonenvironnement,comprenantau sens large toutes lesconditionsd’existence.»L’écologieestdoncà l’origineune sciencequiapour but de comprendre la nature. Elle n’est pas une revendication politique. Au même momentémergel’idéequ’ilfautsongeràprotégerdesboutsdenature.En1853,desréservessontcrééesdanslaforêtdeFontainebleau.MaislesparcsnaturelsontvulejourauxÉtats-Unis,sousl’impulsionduprésident Abraham Lincoln. En 1864, il passe une loi qui protège la vallée de Yosemite, dans laSierraNevada,etsaforêtdeséquoiasgéants,vieuxdeplusieursmilliersd’années–ilfautavoireulachancedecaresserces impressionnantsancêtrespourcomprendre l’enviequ’ontcertainsdeparlerauxarbres.LeYosemiteGrantestné. Ils’agitalorsd’unedémarcherévolutionnaire,àuneépoqued’exploitationdébridéedelanature,oùilapparaîtnormald’abattrelesforêtssansretenue.Yosemiteinspireral’undesfondateursdel’écologie,l’environnementalisteaméricainJohnMuir.Cevoyageurférudebiologieetdegéologietombeamoureuxdelavallée.Ildevientunspécialistedesafauneetdesa flore. Sous son impulsion, Yosemite obtient le statut de parc national en 1890, tout commeYellowstoneen1872,premierdugenreaumonde.JohnMuiracrééuneorganisationdeprotectionde l’environnement, le Sierra Club, encore active aujourd’hui. Muir, en s’opposant à lacommercialisation de la nature, et en soulignant sa valeur intrinsèque, a été l’un de ceux qui ontéveillélesconsciences.

Leconceptd’«écosystème»est introduit en1935par leBritanniqueArthurGeorgeTansley.Deuxansplustard,lapremièreréflexionsurl’écologieenFranceestpubliéeparunjeuneprofesseurdelycéed’histoire-géo,BernardCharbonneau:LeSentimentdelanature,forcerévolutionnaire.LenomdeCharbonneauestassociéàceluide soncomplice JacquesEllul, rencontré sur lesbancsdel’école. Ils vont se suivre toute leur vie. Ensemble ils dénoncent la puissance destructrice de latechnique auxmains de l’État, car ils ont compris avant bien d’autres que la technique est in fineprivativede liberté. Ilsmettentdéjàengardecontre legaspillagedesressources, ladestructiondesécosystèmesmaisaussicontrel’aliénationdel’individu.Cessignauxd’alertenetrouventalorsaucunécho,carilssontrendusinaudiblesparlaguerreetl’engouementpourunmarxismeproductiviste.

L’écologie ne devient un sujet de débat en France qu’au début des années soixante-dix, avecl’apparition des associations de protection de la nature : le WWF, Les Amis de la Terre,Greenpeace…L’écologiepolitiqueestd’aborduncrid’alarmefaceaupillagedesressourcesetauxdestructionsengendréesparl’actiondel’hommesurl’environnement.LeRapportMeadows,publié

en1972parleClubdeRome,alepremieralertéclairementsurlanécessitédelimiterl’exploitationdes ressources naturelles, la démographie, et donc la croissance. Le rapport pointait les limitesphysiquesdenotresystèmeéconomiqueetlesrisquesd’effondrementdesociétéquiysontliés.

Faut-illerappeler?Nousétionsseulement1milliardd’habitantssurTerreen1800,soitàl’oréede la révolution industrielle. Puis tout s’est accéléré, enmême temps que les progrès techniques :2milliards en1930, 3milliards en 1960, 4milliards en 1975, 5milliards en 1987, 6milliards en1999, 7 milliards en 2012. Et nous savons déjà que nous serons 9 milliards en 2050 et de 10 à11milliardsen2100.

La planète, pendant ce temps-là, n’a pas grossi. L’impact de nos comportements sur lesressourcesn’acessédecroître.L’ONGGlobalFootprintNetworkparledu«jourdudépassement»pourévoquerlemomentdansl’annéeoùnousavonsconsommétouteslesressourcesquelaplanèteproduitetrenouvellenaturellementenunan.En2015,ladateaétéfixéeau13août.En2005,c’étaitle3 septembre, en 1995 le 10 octobre et, en 1985, le 6 novembre. Le jour du dépassement survienttoujoursplustôt.Nousutilisonsactuellementlesressourcesrenouvelablesd’uneplanèteetdemie.Etsil’onnechangerien,en2030onenseraàdeuxplanètes.Ceschiffressontmaintenantbienconnusetrégulièrement répétés. À quoi les devons-nous, sinon à la promotion d’une philosophie de lasurconsommationappliquéeàunepopulationdecitoyensacheteurstoujoursplusnombreux?

Commentprétendrepréserverlesécosystèmesetlespaysages,améliorerlaqualitédel’airetdel’eau,garantirlebien-êtreanimal,sanss’attaqueràcequilesmetenpéril?Orleprincipalcoupablesepavanedevantnosyeuxchaque jour, sansmêmeprendre lapeinedese travestir : il s’agitde larechercheeffrénéeduprofitinhérenteaucapitalismemoderne.Touteslessouffrancesinfligéesàlanatureetàceuxqui l’habitentsont liéesà la logiquedumoindrecoûtetdubénéficemaximal,à laconcurrencesansrègles,etaumythedelaconsommationàoutrance.

RenéDumont refusait touteambiguïtépolitiquede l’écologie,comme il le rappelaitvingtansaprèsavoirétélepremieràportersesvaleurslorsd’uneprésidentielle:«J’avaisdéfendulesthèsesécologiquesàl’électionprésidentiellede1974.Parmilesdifférentesthèsesquisedégagèrentensuite,l’uned’ellemeparaîtdangereuse,cellequiaboutitau“nidroitenigauche”.Lesmenacesécologiqueset ledoublesoucidu tiers-mondeetdesgénérations futuresmeparaissaient,meparaissentencore,exigeruneréformenonviolentemaistotaledenotreorganisationéconomique.Chosequeladroiten’accepterajamais–tandisquelagaucheoui,sionnecessedelapousser.»

RenéDumontmilitaitpourune«écologiesocialiste»àlaquelleilattribuaitplusieurspriorités:–freinerl’explosiondémographique;–réduirelegaspillagedesressourcesraresnonrenouvelables;–mettreenplaceungouvernementmondial («unorganismesupranational»)afinderépartir

lesressourcesdelaplanète:eau,énergie,métaux,airpur…;–réduirelesinégalitéssociales;–réduirelegaspillageetencouragerlerecyclage;

– freiner l’exode rural en luttant contre les trop grosses concentrations urbainesdéshumanisantes;

– mettre fin à la suprématie des États-nations, capitalistes ou socialistes, et instaurer des«microsociétésdebasesegouvernantelles-mêmes,associéesentreelles»,parexempledesrégionsquicomposeraientl’Europesurunnouveaumodedefonctionnement.

«L’écologie socialiste va doncbeaucoupplus loin que tous les programmes communsde ladroiteetmêmedelagauche,écritRenéDumont.Ellesesituebienloinàlagauchedelagauche,dansune optique toute nouvelle. Elle n’est donc pas apolitique, puisqu’elle est d’abord anticapitaliste. »René Dumont devrait aujourd’hui être relu par ceux qui portent les idées écologistes devant lesélecteurs. Cet agronome tiers-mondiste particulièrement lucide et visionnaire avait prévu larécupérationde l’écologiecommeélémentmarketing(lefameuxgreenwashing)aussibienpar lesmarques que par les partis politiques qui défendent des thèses en contradiction avec la défense del’environnement.Commentnepassaluerl’aspectprémonitoiredecetavertissementdélivréen1977parDumontalorsqu’iljustifiaitl’irruptiondel’écologiedansdesélections:«Ilmesemblenormal[…]d’intervenirdanslesprocessusélectoraux;leproblèmeleplusdélicatétant,lorsquenousauronsàjouerlerôled’arbitreparlaforcedeschoses,denepasnouscompromettre,toutenreconnaissantquenotresensibilitéestplusprochedelagauche.»Deslignesquisemblentavoirétéécritespourlesdirigeantssuccessifsàvenird’EuropeÉcologie-LesVerts.

Lephilosopheet journalisteAndréGorzest l’unedesautres figures importantesde lapenséeécologiquefrançaise.Issudumarxismeetdelaluttecontrelecapitalisme,ilpositionneluiaussitrèsclairement son courant de pensée : « En partant de la critique du capitalisme, on arrive […]immanquablement à l’écologie politique qui, avec son indispensable théorie critique des besoins,conduitenretouràapprofondiretà radicaliserencore lacritiqueducapitalisme.Jenediraisdoncpasqu’ilyaunemoralede l’écologie,maisplutôtque l’exigenceéthiqued’émancipationdu sujetimplique la critique théorique et pratique du capitalisme, de laquelle l’écologie politique est unedimension essentielle. » André Gorz avait compris dès les années cinquante que les fléaux ducapitalisme sont la publicité, qui pousse à la consommation inutile, et l’obsolescenceprogramméequilimiteladuréedeviedesappareils.Onpeutyajouterlecrédit,quipermetd’achetersanscesse.Les services collectifs, comme les transports, sont remplacés par des services individuels qui sontprisenchargepardesentreprisesprivéesdont lesbénéficesenrichissentdesactionnaires,carc’estainsi:lesintérêtsducapitalappellentlaconsommationindividuelle.PourGorz,l’écologiepolitiquenepeutdoncêtrequ’unecritiqued’unsystèmecapitalistearrivéàboutdesouffle,car«incapabledesereproduire».Ils’agitlàd’uneréalitéindiscutable:lecapitalismeestentraindesesuicidersanss’en rendre compte. En muant en libéralisme débridé, il a trop enrichi les actionnaires et tropappauvri les salariés qui se trouvent être également les consommateurs.Donc ces consommateursprivésdepouvoird’achat sont incapablesd’acheter leschosesproduitespar lesentreprises, cequigénèreduchômage,cequinourritlapauvreté,quielle-mêmenourritl’incapacitédeconsommer.Uncerclevicieux.Lesentreprisescherchentalorsd’autresdébouchésàleursproductionsensetournant

versd’autrespopulations,commecellesdespaysémergentsdontunepartieadésormaisdel’argentàdépenser. Mais l’apport de ces consommateurs nouveaux, dont le niveau de vie s’est récemmentamélioré par l’effet de la globalisation de l’économie, ne va entraîner qu’une embellie de courtedurée.Dansquelques années, ils seront touchés eux aussi par la stagnationde leurs revenus et parl’incapacitédeconsommerplus.

La financiarisation, la spéculation, les bulles, l’opacité, ne sont que des preuves du stadeterminal du mal qui ronge l’idéologie capitaliste. Gorz affirmait clairement qu’il faut donc toutchanger, de fond en comble : « Il est impossible d’éviter une catastrophe climatique sans rompreradicalementaveclesméthodesetlalogiqueéconomiquequiymènentdepuiscentcinquanteans.»

S’ilestindiscutablequelesimpératifsdel’écologiesontincompatiblesaveclenéolibéralisme–uncapitalisme financiarisé etdérégulé–qui revendique l’absencede freins à laproductionet à laconsommation, ne peut-on néanmoins envisager une écologie qui s’inscrive dans une forme«douce»decapitalisme?Après tout, lecapitalismeactueln’aplusrienàvoiraveclecapitalismemis en place par les pays de tradition protestante qui se voulait, selon l’analyse du sociologueallemand Max Weber, un capitalisme de sobriété reposant sur la frugalité et le refus duconsumérisme.Letravailetl’effortenétaientlesressorts,etleluxen’étaitpasautorisé:lesbénéficesétaientréinvestisdansl’entreprise.LesentrepreneursprotestantssevoyaientcommedesélusdeDieusedevantd’être à lahauteurde leur statut particulier : ils percevaient leur activité commeunbiencollectifbénéficiantàtous.Une«éthique»,pourreprendrelemotdeWeber,complètementdévoyéedepuis.

Si l’on résumesimplementcequ’est lecapitalisme,onpeutdirequ’il s’agitd’unsystèmequiorganiselapropriétéprivéedesmoyensdeproduction,avecdesentreprisesquisefontconcurrence,et des patrons qui achètent la force de travail des salariés.Endes termesplus orientés, onparlerad’appropriation privée des moyens de production et d’exploitation d’une classe ouvrière (« leprolétariat»,majoritaire)parunpatronat(«labourgeoisie»,minoritaire).Maisladéfinitionqu’endonnent l’économiste Gaël Giraud et Cécile Renouard, professeure de philosophie sociale etpolitique, dans le Dictionnaire de la pensée écologique, est plus fine : « Le capitalisme se définitcomme une pratique – l’exploitation indéfinie des ressources naturelles, notamment des énergiesfossiles–articuléeàunerhétorique(relayéeparbeaucoupd’économistes)quiconsisteàattribueràl’accumulation du capital le rôle de moteur de la croissance, partant, de la prospéritééconomique. Cette pratique est insoutenable et cette rhétorique, erronée. » Il faut distinguer lecapitalisme libéral du capitalisme d’État (en Chine par exemple) ou d’une économie libérale quirepose sur des échanges de biens marchands mais qui peut s’incarner dans un système decoopératives.GiraudetRenouardexpliquentquel’undessoucisducapitalismeestqu’ilencouragetouslestypesd’activitéséconomiques,dumomentqu’ellesgénèrentducapital,cequiamèneensuiteà considérer la santé d’unÉtat suivant son seul PIB et celle d’une entreprise selon son retour surinvestissement.Laquestiondelapollutionengendréeparl’activitéenquestion,etdesonimpactsurl’environnement,n’estjamaispriseencompte.

Lecapitalismenouveau,telqu’ils’incarneàtraverslenéolibéralisme,estlepiredetous,carenplus de l’exploitation sans limites des ressources naturelles, il organise l’absence de tout contrôleverticalparl’État,accuséd’êtreunfreinàl’activité,doncauprofit.LamondialisationaaccélérélapertedepouvoirdesÉtats-nationsauprofitdemultinationalesqui imposent leurs règles (ouplutôtleurabsencederègles).Orl’écologienécessitequ’ilyaitdesrègles,desnormes,deslimitations,desempêchements.Ellerevendiqueaussidesobjectifsrenouvelés:larechercheduprofit,etencoreplusduprofitmaximal,nesauraitêtreunbutsatisfaisantcarcetimpératiféconomiqueestcontradictoireaveclebien-êtreindividuelduplusgrandnombre.Danslecadred’unerelationéconomique,leprofitn’est àmon sensmoralement acceptableque s’ilpermetde rémunérerdemanière juste un travail,c’est-à-dires’ilétablitlavaleurjusted’unbien.Pourprendrel’exempleleplussimplequisoit:jemeprocurequelquesplanchesdebois,jelestaille,lespolis,lesassemble,etgrâceàmonsavoir-faireetàplusieursheuresdetravail,jefabriqueunetablequejedonneàunindividuquin’aniletemps,nilematériel,nilesconnaissancestechniquespourréaliserlemêmeouvrage.Commej’aidûacheterdubois, celui à qui je fournis la tableme rembourse le prix de cettematière première. Comme j’aiutilisédesoutils,ilmepayeégalementlalocationdumatériel.Puisilrémunèremonsavoir-faireetmesheurespasséesàréaliserl’objet.Toutcelaestsimpleetraisonnable.Lesproblèmescommencentsi je fabrique la table en tant qu’ouvrier pour un patron qui veut son propre bénéfice pour lerécompenserd’avoirfournilelocal,lesoutils,etdes’êtrechargédelavente.Unefoissoustraitslescoûtsdeproduction, ily adoncunemargequedoivent separtager l’ouvrier et lepatron.Commel’expliquaitdéjàMarx,lavolontédemaximaliserleprofitpousselepatronàlimiterlessalairesetàrechercherunerentabilitéquienferme le travailleurdansdesconditionsde travaildégradantes.Onajouterait aujourd’hui que cette recherche du profit maximal le pousse également à produire ennégligeantcomplètementl’impactdesonactivitésurunenvironnementqu’ildétruitsansétatd’âme.C’estlaraisonpourlaquellel’exploitationanimalenesauraits’exercerdansde«bonnes»conditionsdans un système capitaliste. À partir du moment où l’animal est une marchandise, l’exigence dumarché est de la produire au moindre coût. Les normes de bien-être animal imposées dans lesélevages par la loi, si minimales soient-elles, sont perçues par les patrons d’élevage industrielscomme du manque à gagner. Quant aux élevages à l’ancienne, ils disparaissent les uns après lesautres,etlalogiqueduprofitn’yestdetoutefaçonpasabsente.

Dès lors, dans une économie comme la nôtre, dominée par la finance et lesmultinationales,existe-t-iluneformedecapitalismequipuisses’accommoderdecetimpératifécologique:limiterlepillagedesressourcesetempêcherlaproductiond’unesouffranceinutilequiaffecteleshumainsetles non-humains ? Le « capitalisme vert » est-il une hypothèse à prendre au sérieux ? Le«développementdurable»peut-ilnoussauver?

Toutcommel’économistebritanniqueTimJackson,jen’ycroispas.«Dansunmondelimité,certainstypesdelibertéssontsoit impossibles,soit immorales,écrit-il.Lalibertéd’accumulersansfin des biens matériels est l’une d’elles. De même que les libertés d’atteindre la reconnaissancesociale auprix du travail d’enfants dans la chaînede production, de trouver un emploi auprix de

l’effondrementdelabiodiversitéoudeparticiperàlaviedelacommunautéauprixdesgénérationsfutures.[…]Lavéritéestque,dansunmondede9milliardsd’habitants[projectionen2050],iln’yapourl’heureplusdescénariocrédibledecroissancecontinuequisoitàlafoisjustesurleplansocialetdurablesur leplanécologique.Danscecontexte, leshypothèsessimplistes sur lapropensionducapitalismeàl’efficacitépourstabiliserleclimatetempêcherlararéfactiondesressourcesrelèventdelapureetsimpleillusion.»

Lerejetdelasouffranceanimalen’apasd’étiquettepolitique

Lesimagesvoléesdel’abattoirduViganrévéléesenfévrier2016,ontsuscitéuneindignationgénérale. Le spectacle de ces animaux battus, violentés avant l’exécution ou égorgés encoreconscients, a suscité un dégoût unanime. La réprobation à ces maltraitances animales n’a pas decouleur politique. J’ai entendu des gens de tous bords, même les plus éloignés de ma penséepolitique,affirmercombiencesscènesdecruautésontinsoutenablesetexigerquedesmesuressoientprisespourqu’ellescessentauplusvite.Jecroisenlasincéritédecestémoignagesdeprotestation.Lasouffranceanimalesensibilisedespersonnesde touteobédiencepolitique,de l’extrêmedroiteàl’extrêmegauche.Etcelamedonneespoir.Carjemedisqu’unhommeouunefemmequiserévoltecontre l’injustice faite aux animaux d’élevage ne peut sincèrement, si on le raisonne, continuer àsoutenirdesdiscoursdehaineetderejetàl’égarddeshumains.Lacompassionpourlesanimauxnonhumainsréunitunecommunautémoraleextrêmementdisparate.Si l’onrassemblaitdansunemêmepiècel’ensembledesgensheurtésparlesviolencesetlestorturesfaitesauxanimaux,onobtiendraitlaplusbelledesmixitéspolitiquesquisoient,etsansdoutelepremiervraisujetdeconsensussupra-idéologique.

Telle est donc la double erreur d’analyse de Nicolas Hulot. Non seulement il se trompe enimaginant une écologie qui s’affranchirait de tout positionnement politique clair, mais en plus iln’intègrepasdanssavisionleseulsujetquipeut,auseindel’écologie,êtrelabased’uneréflexionréconciliatrice dépassant les positionnements classiques : les droits des animaux. On peut être dedroite,ducentre,degauche,etéprouveruneempathieidentiqueàl’égarddenoscousinsanimauxquipousseàmiliterpourlapriseencomptedeleursintérêts.

Dèslors,laconditionanimalepeutêtreledébutd’uneréconciliationnationale.Jen’affirmepasquetoutcitoyensesentobligatoirementconcernéparlaquestionanimale(nombreuxsontceuxquiconsidèrent encore qu’il s’agit d’un sujet anecdotique) ; je constate simplement que l’émotionsuscitéepar cettepréoccupationest transversale etqu’elle estdonccapabled’initier ledébutd’une

réflexioncommunesurunenouvellehumanité.Bienvitetoutefois,ilapparaîtraauxyeuxdetousquel’une des causes essentielles de la maltraitance animale se trouve dans le principe d’exploitationinhérentaucapitalismeetaulibéralisme.Cetteprisedeconsciencepeutengendrerdeuxconséquencespourlemilitantanimalistequicroitenl’économielibérale:soitellel’éloignedesoncombatpourlesanimaux,soitellel’amèneaucontraireàquestionnerlescroyancespolitiquesquisontlessiennes.

L’antispécismeestlarévolutionidéologiqueduXXIesiècle

La proposition politique contemporaine, telle qu’elle s’incarne dans les programmes desdifférentspartispolitiquesdedroiteetdegauche, tourneàvide.Depuisune trentained’années, lesmêmespartiss’échangentlespostesavecpourseulquestionnementlameilleurestratégiedeconquêteou de conservation du pouvoir. Nos représentants politiques sont pour la plupart de modestesgestionnairesquiontchoisid’accompagnersansrechignerlesorientationsimposéesparlesmaîtresde l’industrie et de la finance. Les partis socialistes européens ont oublié les fondamentaux surlesquelsilss’étaientbâtis:désormaisilsacceptentetaccompagnentlelibéralisme,ilsn’exigentplusla nationalisation partielle des moyens de production, et ils ont renoncé à mettre en place lesconditions d’une réelle justice sociale. Cette gauche-là n’a plus rien de la gauche, car elle est enréalitétombéed’accordavecladroitesurl’essentiel.Est-ellecompatibleavecl’écologie?J’endoute.Commentpromouvoirunesociétédupartageetdelaconsommationmodérée,silesmots«profit»,«bénéfice»,«marge»,et«croissance»composentl’essentielduprojetpolitique?Ilfaudraitleursubstituer des critères radicalement nouveaux tels que « bonheur », « bien-être », « respect »,«équilibre».Cesmotsnesontpourl’instantquedesélémentsdelangageutilisésdanslespubspouryaourt etméthodesde fitness.Cene sont quedes arguments commerciauxhérités duNewAge, etinstrumentalisés,unefoisencore,pourfairedufric.Lecynismeestcomplet:lenéolibéralismecréedestroupeauxdenévrosésflippésdeperdreleuremploi,desbataillonsdechômeurs,delaissés-pour-compte, d’insatisfaits, de frustrés, de jaloux, puis il transforme l’aller-mieux en produit deconsommation.Vite,dessallesdesportpourseviderlatête,despsyspourassumer,desfilmspourpenser à autre chose, de la bouffepour compenser, des fringues, desvoitures, des téléphones, desordinateurs,deschoses,destasdechoses,pourseconsoleretseremplirlapanse.

Lespartiscontestatairesquantàeuxtrouventleurinspirationdansunpasséquidatedeplusd’unsiècle.L’extrêmedroiterecycledesargumentsderepliidentitaireetderejetdel’Autrecomplètement

dépassés, qui prouvent l’inculture et la pauvreté intellectuelle de ses représentants. La gaucheantilibérale, pour sa part, reste coincée dans une interprétationmarxiste de la société qui peine àintégrer la dimension environnementale, à l’exception de l’un de ses courants que nous allonsévoquerdansquelques instants.Maisgénéralement l’emploi, lestatutdutravailleuret larépartitiondesrevenusentrepatronatetsalariéspassentavantlesautrespréoccupationsexpriméespubliquementpar leParticommuniste,Lutteouvrière,etmêmepar leNouveauPartianticapitalisteoulePartidegauche,bienqueleschosesbougentdanscesdeuxdernièresformations.

Cetteoffrepolitiquen’estplusadaptéeàlaréalitéactuelle,carellereposesurlespiliersd’unedémocratieinventéeauxprémicesdelarévolutionindustrielle,dansunmondequin’étaitpasencorelenôtre.Elles’appuiesurl’idéed’unprogrèsinfinietsurdesmarqueursquisontlacroissanceetlePIB.EnsedéveloppantàpartirduXVIIesiècle,lessciencesmodernesontengendréuneruptureavectoutevisionanimistedumonde, à savoir celled’unenaturemueparune force interne.Unevisionmécanistes’estalorsimposée:lanaturedanssonensembleseraitsansâmeetsansviepropre;elleneseraitquematièrequirépondàdesphénomènesmécaniquesmodélisables.Lathéoriecartésiennede l’animal-machinequine ressent rienenest l’unedesdramatiquesconséquences.LaphilosophiedesLumièresvapromouvoirl’idéedelanécessairedominationdelanatureauservicedel’homme.Le modèle anthropocentriste s’impose : l’humain comme seul référent et comme seule fin. Lessciencesnouvelles sedéveloppent indépendamment lesunesdes autres : lemonden’estplusperçucomme un tout où chaque partie interagit avec une autre en vue d’un équilibre. L’industrie et laproductionsontvantéespourleurforceémancipatrice,puisqu’ellespermettentdelibérerl’individu.C’était en toutcas lacertitudede l’époque.L’histoireadémontréqu’en réalité ladominationde lanatureetcelledel’êtrehumainvontdepair.

C’estcequ’avaitparfaitement identifié l’anarchisteaméricainMurrayBookchin, théoriciendel’écologiesociale.Celui-cisoutientquelasociétés’estcomplexifiéeaucoursdesonhistoire,cequiaengendréleshiérarchiesàl’originedesrèglesd’asservissement,lapremièredominationayantétéexercéeparlesmâlesetlesanciens.Puisonseraitpassédel’humainàl’environnement.«Lanotionde la domination de la nature par l’homme découle de la domination très réelle de l’homme parl’homme»,affirmeBookchin.Onpeutégalement,commecertains,prendreleschosesdansl’autresens,etconsidérerquec’estladominationsocialequidécouledenotreattitudeàl’égarddelanature.Maislàn’estpasl’essentiel.Cequicompte,c’estdecomprendrequ’uneseuleetmêmelogiqueestàlamanœuvre.

L’écologiesocialeserapprochedel’écosocialisme,unmouvementnéomarxistequiémergeencedébutdeXXIesiècleenEurope,etquiestreprésentéenFrancepardesporte-paroletelsqueMichaelLöwy.LePartidegauchedeJean-LucMélenchonseréclamedececourant,toutcommeleNPA.Danssesprincipesfondateurs,leNouveauPartianticapitalisteréclamelasortiedunucléaire,s’opposeauxOGM,rejetteleproductivisme,affirmeque«l’eau,laterreetlevivantsontdesbienscommunsnonprivatisables»etmetenavantl’urgenceécologique.

L’écosocialisme reproche à l’écologie politique dominante en Europe sa conceptionenvironnementaliste,c’est-à-direlacroyanceenun«capitalismevert».Etildemandeauxmarxistestraditionnels de ne plus s’appuyer sur des « forces productives » prédatrices. L’écosocialisme sepropose donc d’être une synthèse de deux courants imparfaits qui pourrait s’exprimer ainsi :dénonciationducapitalismeetduproductivisme;préservationdesécosystèmes;appropriationdesmoyensdeproduction;développementdel’économiesolidaireetdescoopératives;prédominancedelavaleurd’usage(l’utilitésociale)surlavaleurd’échange(leprix,soumisaumarché)…

RelireMarx.Sapenséeserait-elleécologiqueetanti-productiviste?L’assertionpeutsurprendre.Lemoinsquel’onpuissedireestquecettelecturen’apasétécelledusoviétisme,ducommunismechinois, ni celle duParti communiste français.MichaelLöwydéfendpourtant l’interprétationd’unMarx«refusantleproductivisme»etinsistant«surlaprioritéàdonneràl’êtredesindividus».Maisilreconnaîtégalementquel’économisteallemandn’apassuffisammentprisencomptelanécessitédesauvegarder l’environnement. Pas suffisamment, mais un peu quand même. Pierre Charbonnier,chargé de recherches au CNRS, note que le matérialisme historique de Marx repose, dans sesinterrogationssurletravailetlaproduction,suruneinterprétationdesrapportsdel’hommeaveclanature. Charbonnier relève que l’une des toutes premières interventions publiques du jeuneMarxconcerneuneloisurlaprivatisationduboismort.Jusqu’alors,lespaysanspouvaientleramasseràleur guise dans les forêts. Puis la diète rhénane fait voter des lois sur le « vol du bois » afin desatisfairelespropriétairesquivonttrouverdenouveauxdébouchéspourcettematièrepremière.Aunomduprofitdonc,lanatureestprivatiséeparlaclassedominante,etlespauvressontcriminalisés.CecaspréfigureuneréflexionglobalechezMarxautourdelaterreetdespaysans,etdelaquestionde l’appropriationpardespropriétairescapitalistesenquêtedeprofit.KarlMarxs’interrogeaussisur le processus de séparation de l’homme et de la nature qui accompagne l’industrialisation :l’homme coupe le lien d’un rapport équilibré ayant pour but la subsistance afin d’instaurerl’incorporationde la terre au capital. «Laproduction capitaliste, écritMarxdansLeCapital […],détruit non seulement la santé physique des ouvriers urbains et la vie spirituelle des travailleursruraux, mais trouble encore la circulation matérielle entre l’homme et la terre, et la conditionnaturelleéternelledelafertilitédurabledusol,enrendantdeplusenplusdifficilelarestitutionausoldes ingrédients qui lui sont enlevés et usés sous forme d’aliments, de vêtements, etc. […] Laproduction capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de productionsociale qu’en sapant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et letravailleur.»Commed’autres,Marxassociedoncdirectementl’exploitationdutravailleuretcelledelanature,pressentantqu’ellesparticipentbiendelamêmelogique.Ilopposedéjàletempscourtducapitalisme, avec sa logique de rendement rapide, et le temps long nécessaire à l’agriculture pourlaisser lanature faire sonœuvre. Il fautnoter, affirmeencoreCharbonnier,uneproximitéentre laréflexionmarxisteautourdelaformationd’uncapitalismeagrairedansl’EuropeduXVIIIe siècleetlesdéveloppementsactuelsdelachimieagricoledontlebutestuneexploitationmaximaledessols.

Marx a donc anticipé la question des limites naturelles de la planète, sans toutefois imaginer unesociétésanscroissance.

L’écosocialismeestunepisteintéressante,maisprésentetroisdéfautsmajeurs.D’unepart,iln’estpasparvenuàrésoudresacontradictionmajeure:commentêtreuncourant

antiproductivisteet écologiste quand on entend représenter la classe ouvrière ?Les écolos se sontd’ailleurssouventheurtésauxsyndicatsetauxmouvementsouvriers.Lapréservationdelaplanèteetlapréservationdesemploisouvriersclassiquesnesontpastoujourscompatibles.Commentexpliqueràceuxquel’onestcensédéfendrequ’iln’estpasdansl’intérêtdubiencommunqueleuractivitésoitsécuriséeetrenforcée(lestravailleursdunucléaireoudel’automobileparexemple)?

D’autrepartl’écosocialismesouffred’uneénormelacune:iln’ariencomprisaumouvementdelibération animale. Il promeut une vision de l’humanisme qui date des Lumières, donc de troissiècles,etquiplaceencorel’hommeaucentredetout.Sadéfensedelanaturen’adesensqueparcequ’elle doit profiter in fine à l’humain.Dans ses textes, l’écosocialismemaintient un point de vueanthropocentriste en ne défendant que « l’intérêt général humain », ce qui est un contresens del’écologieessentielle,dontnousallonsvoirlesfondementsunpeuplusloin.Defait,l’écosocialismeestunmouvementprofondémentspéciste.Ilestvraiquel’Internationale«seralegenrehumain»etque, d’après elle, « la terre n’appartient qu’aux hommes ». Non, la terre n’appartient pas qu’auxhommes,nimêmed’ailleursàtouslesêtresvivantsquilapeuplent.Ellen’appartientqu’àelle-même.ElleestlaMère,ettouteslesespècesluiappartiennent.

L’écosocialismeréclametoujours,àjustetitred’ailleurs,lafinde«l’exploitationdel’hommeparl’homme».MaiscetteformulationduXIXesiècleestdépasséecarinsuffisante.Lecombatàmeneraujourd’hui est celui « contre l’exploitation de tout animal sensible par l’homme ». Car c’estexactement lamêmelogiqued’oppressiondesplus faiblesquiestà l’œuvre.Lacomparaisonentrel’esclavage et l’élevage, évoquée un peu plus tôt, le confirme. L’historienne Danielle Elisseeff,spécialistedelaChine,expliqued’ailleurscommentleconfucianismegommetoutedifférence«entrel’hommeordinaireet l’animal»quisonttouslesdeuxfrèrespuisqu’enfantsde laNature.Puisellerelèveque,d’aprèsleconfucianisme,lamanièredontunesociététraitesesanimauxrévèlecelledontellevatraiterleshommes.Orcen’estsansdoutepasunhasard,suggère-t-elle,sinilecommunisme,quiarégnépendantplusieursdécennies,nilesocialismedemarchénesesontintéressésàlacauseanimale:«Lasituation,moraleoumatérielle,faiteaumondeanimalconstituedoncplusquejamaisunexcellenttémoignagedelapositionqu’unpeuplepeutchoisirfaceàlanaturecommeàsapropreidentité. […] Dans les faits, la position confucéenne encourage l’établissement d’une sorte decorrespondanceentrelamanièredontunecivilisationconsidèrelesanimaux,etcelledontsesélitestraitent les hommes réputés ordinaires, ceux qui n’ont ni la primauté du savoir, ni la primauté dupouvoir.C’estpourquoi,etquoiqu’endisentcertainsobservateursdelasociétéchinoisequitendentàconsidérer les rapports homme-animal en ce pays comme un “non-sujet”, rien n’est, en fait, plusrévélateurdecequipeutarriveràl’hommesimpledontl’Étataurabesoindemain,commeunprince

en appétit réclameun ragoût. Si l’animal enChine est un “non-sujet”, c’est peut-être que lemêmedangermenacelecitoyenordinaire.»

« Le socialisme implique la fin de toutes les oppressions, de tout racisme et de toutediscrimination»,peut-on liredans lesprincipesfondateursduNPA.Or lespécismeestunracismequiengendredesdiscriminations,etl’exploitationanimaleestuneoppression.

L’actualisationdelapenséemarxistenepeutêtrepertinentequesielleinclutlaviolencefaiteàtous lesanimauxsensiblesaunomduproductivismeetduprofit.Commenous l’avonsvuplus tôt,danslapartie«L’antispécismeestunhumanisme»,lesluttespourlebiendeshumainsetdesanimauxnonhumainssontobligatoirement liées.L’unenepeutallersans l’autre,etpourune raisonsimple(au-delà des considérationsmorales largement développées dans ce livre) : l’exploitation animaleautoriséeparlespécismereposesurl’injusticeet l’irrationalité.Sicesdernièressonttoléréespourlesanimauxnonhumains,pourquoifaudrait-illescombattrepourleshumains?Laréponsespécisteconsisteraàaffirmerquecequiestintolérablepourunhumainnel’estpasforcémentpourunnon-humain.Lasouffrancedesanimauxseraitinsignifiante,encomparaisondecelledeshommes.Mais,de lamêmemanière, les grandsgroupesqui licencient pour satisfaire les actionnaires considèrentquelasouffrancedesouvriersoudesemployésest insignifianteencomparaisondesbénéficesqueces sacrifices vont permettre d’engranger. Le combat contre l’iniquité et la violence est une luttegénérale,laquellerefusequedesvictimescomptentpourrien.Carcetteattitudeseraitelle-mêmeuneiniquité et une violence. Gandhi l’écrit ainsi : « Adopter le principe de non-violence oblige à sedétournerdetouteformed’exploitation.»C’estlaraisonpourlaquelleilparaîtpertinentdeconstaterquel’antispécismeestlemarxismeduXXIesiècle.

Cela ne signifie pas que les antispécistes sont forcémentmarxistes.Mais l’antispécisme et lemarxisme partagent une direction de pensée. Ils ont en commun la dénonciation de toute formed’exploitationdes individus.Lamodernitéconsistesimplementàétendre lanotiond’« individu»àtoutanimalsensible(quiest,commenousl’avonslargementvu,unepersonne).L’antispécismeetlemarxismeconstatentparailleurstouslesdeuxquelecapitalismeestengrandepartieresponsabledesinjusticesetdessouffrancesinfligéesauxindividus.C’estpourquoiilneseraitpasfoud’imaginerlaformationdans le futurd’unautreNPA,unNouveauPartiantispéciste.Cettepropositionpeut sansdoute faire sourire à l’heure où j’écris ces lignes. Un jour pourtant un parti équivalent existera(commeunpartiécologisteavulejouren1984),etlesidéesantispécistessediffuserontpeuàpeuausein de la société jusqu’à devenir une préoccupation indispensable pour tous les mouvementspolitiques.

Parmilespenseurs injustementoubliéspar les«intellectuels»actuels, ilenestunquioccupeuneplaceparticulièredansmonesprit,tantsespropossontempreintsdesagesseetd’intelligenceducœur.Jel’aicitéàplusieursreprisesdanscetouvrage,maisjesouhaiteluirendreiciunhommageplusappuyé,quipermetdemieuxcomprendreenquoil’écosocialismefaitfausserouteàproposdel’antispécisme.ÉliséeReclusestnédanslapremièremoitiéduXIXesiècle.Engagépolitiquement,ilaadhéréàl’Associationinternationaledestravailleurs(laIreInternationale),arencontréBakounineet

dèslorsestdevenuunmembreactifdumouvementanarchiste.Ilserad’ailleurscondamnépoursonrôle dans la Commune de Paris en 1871, pour laquelle il risqua sa vie. Reclus était un rebelle àl’autorité.Ilfutdoncunsocialistelibertairepuisunanarcho-communiste,etnonpasunmarxiste.Ilétaitdetouslescombatscontrelesinégalitéssociales.AmideNadaretdeKropotkine,ÉliséeReclusestdecesâmesenavancesurleurtemps.Scientifique,naturaliste,géographesocialetgéopolitique,écrivainetpoète,ilavaitpourprojetderendrelaconnaissanceaccessibleàtous.Detouslescombatssociaux(contrelacolonisation,pourlesdroitsdesfemmes,pourlalibéralisationdesmœurs…),ilétaitégalementantispéciste,àuneépoqueoùletermen’avaitmêmepasétéinventé.Iladécritavecune clairvoyance fascinante la manière dont notre rapport à la nature influence l’évolution dessociétés.Reclusavaittoutcomprisducontinuumquiunitchaqueformedevivant.Ilrappelledanssesécrits combien les comportements humains sont calqués sur ceux des animaux non humains etcomment nous agissons nous aussi très souvent par imitation. Il avait tout compris également desviolencesinutilesetdévastatricesquenousfaisonssubiràlanatureetenparticulierauxanimaux.Ilétaitlui-mêmevégétarien(«légumiste»,pouvait-ondireàl’époque!).Filsdepasteur,ils’ajouteàlafamilledespenseursprotestantsquiontnourrilapenséeécologique,humanisteetanimaliste.ÉliséeReclusaproduittantdepagesmagnifiques,surdessujetsdivers,qu’ilm’estviolencedenepouvoiren citer que quelques lignes. Je souhaiterais donc rappeler en priorité certaines des choses qu’il aexprimées sur notre rapport à nos « frères » animaux. Élisée Reclus imaginait qu’un jour nouscesseronsdemangerdesporcsetdesagneauxcommeun journousavonscesséd’êtrecannibales.Tout cela appartenait pour lui à lamême logique. Et il voyait bien un lien indépassable entre lesviolencesinfligéesauxhommesetcellessubiesparlesnon-humains.

Ons’étonneàlalecturedesjournauxquetouteslesatrocitésdelaguerredeChinesoient,non un mauvais rêve, mais une lamentable réalité ! Comment se fait-il que des hommesayanteulebonheurd’êtrecaressésparleurmèreetd’entendredanslesécoleslesmotsdejustice et de bonté, comment se peut-il que ces fauves à face humaine prennent plaisir ànouerdesChinoislesunsauxautresparleursvêtementsetleursqueuespourlesjeterdansun fleuve ?Comment se fait-il qu’ils achèvent des blessés et qu’ils fassent creuser leurstombesauxprisonniersavantdelesfusiller?Etquelssontceseffroyablesassassins?Cesontdesgensquinousressemblent,quiétudientet lisentcommenous,quiontdes frères,desamis,unefemmeouunefiancée;et,tôtoutard,noussommesexposésàlesrencontrer,à leur serrer la main sans y retrouver la trace du sang versé !Mais n’y a-t-il pas unerelation directe de la cause à l’effet entre la nourriture de ces bourreaux qui se disent«civilisateurs»etleursactesféroces?Euxaussisesontaccoutumésàglorifierlachairsanglante comme génératrice de santé, de force et d’intelligence. Eux aussi entrent sansrépugnance dans les boucheries où l’on glisse sur le pavé rougeâtre et où l’on respirel’odeur fade et sucréedu sang !Ya-t-il donc si grandedifférence entre le cadavred’unbœufet celuid’unhomme?Lesmembrescoupés, lesentraillesentremêléesde l’unetde

l’autre se ressemblent fort : l’abattage du premier facilite lemeurtre du second, surtoutquandretentit l’ordreduchefetquel’onentenddeloinlesparolesdumaîtrecouronné:«Soyezimpitoyables.»

ÉliséeReclus,Àproposduvégétarisme(1901)

S’ilnefallaitretenirqu’unpassagepourcomprendrelacontinuitéentrelecombatsocialisteetlecombatpourlesdroitsdesanimauxchezReclus,c’estsansdoutecelui-ci:

Sinousdevionsréaliserlebonheurdetousceuxquiportentfigurehumaineetdestineràlamorttousnossemblablesquiportentmuseauetquinediffèrentdenousqueparunanglefacial moins ouvert, nous n’aurions certainement pas réalisé notre idéal. Pour ma part,j’embrasseaussilesanimauxdansmonaffectiondesolidaritésocialiste.

ÉliséeReclus,LettreàRichardHeath(1884)

Pour terminer la critique de l’écosocialisme, soulignons sa troisième erreur : soutenir l’idéequ’il faut revaloriser la valeur d’usage par rapport à la valeur marchande. Mais la « valeurintrinsèque»de lanature,c’est-à-dire savaleuràexisterpourelle-même, indépendammentdesonutilité pour l’homme, ne semble guère préoccuper les écosocialistes. Or en écologiemoderne, lanaturevautpourelle-même:c’estl’écocentrismeoulebiocentrisme.

Écologieprofondeetécologieessentielle

Le second mari de Diana Ross s’appelait Arne Næss. Il était un riche homme d’affairesnorvégien mais également un féru d’alpinisme. En 1985, il a escaladé l’Everest en menant uneexpédition particulièrement réussie, avec dix-sept personnes parvenues au sommet. ArneNæss estmorten2004dansunaccidentd’escaladeenAfriqueduSud,à soixante-sixans.Ensoi,medirez-vous,cetteinformationn’aqu’uneimportancerelative.C’estexact.Carcen’estpascetArneNæsslàqui nous intéresse, mais son oncle, Arne Næss, philosophe norvégien, mort en 2009 à l’âge dequatre-vingt-seize ans, passionné lui aussi d’alpinisme. « Lamontagne possédait tous les attributsdontj’étaismoi-mêmedépourvu,expliquait-ilàlafindesavie.Laconstance,lafermetédecaractère.La montagne exprimait tout ça, sans forfaiture ni arrogance. » Il voyait la montagne comme unrefuge,unendroitoùéchapperauxgens:«Unendroitrudeoùiln’yapasdeconflit–desdangers,sansdoute,maispasdedisputes,alorsquedanslacompagniedesautresêtreshumainsilyatoujoursde ladiscordance.»Résistantanti-nazi,pacifiste,pianisteàsesheures(lamusique,encore,commechezSchopenhauer,NietzscheouSchweitzer),spécialistedeSpinozaetdeGandhiquil’ontfortementinfluencé,ArneNæssavécuauplusprèsdelanaturetoutesavie.C’estpourcelasansdoutequ’iladédié ses dernières années à l’environnement en développant ce qu’il appelait son « écosophie »,c’est-à-dire« l’écologiemélangéeà laphilosophie, la sagesseen lienavec l’actionconcernant lespersonnes sur Terre ». La sagesse à laquelle appelle Næss, c’est précisément l’étude desconséquencesdanslaprisededécisionpolitique,etnonplusuniquementlerecoursàunesciencequine sait réfléchir à ses implications : « L’ignorance progressera si nous méconnaissons lesconséquencesdenosusagesdelascience.»ArneNæssnecachaitpasl’influencequ’avaiteuesurluila lecture de Rachel Carson. En 1962, cette biologiste américaine a publié un texte qui reste uneréférence absolue pour tous les environnementalistes américains, Printemps silencieux. RachelCarsonydénoncepourlapremièrefoisl’impactdespesticidessurl’environnementetlasanté.Sonenquêteaboutiraà l’interdictionduDDTauxÉtats-Unisquelquesannéesplus tard.«Depuisvingt-

cinq ans, écrivait-elle […] l’intervention humaine a pris une ampleur inquiétante, et s’est orientéedansunedirectionquil’estplusencore.L’homme,eneffet,estentraindecontaminerl’atmosphère,le sol, les rivières et la mer, en y répandant des substances dangereuses, voire mortelles. Cettepollutionest engrandepartie sans remède,carelleenclencheunenchaînement fataldedommagesdanslesdomainesoùsenourritlavie,etauseinmêmedestissusvivants.»RachelCarsonanalysaitavecluciditéladérivedenoscomportements:«Notreépoqueestcelledespécialistes,dontchacunconsidère son propre problème tout en faisant preuve d’inconscience ou d’intolérance pour lecontextepluslargedanslequelcelui-cis’inscrit.Cetteépoqueestaussidominéeparl’industrie,pourlaquelleledroitdegagnerundollaràtoutprixestrarementcontesté.»

Arne Næss a marqué l’histoire de la pensée écologique en théorisant au début des annéessoixante-dix le principe d’une écologie profonde (deep ecology) qui s’opposerait à une écologiesuperficielle.Næssaétéfortementinspiréparlanon-violencedeGandhietlepanthéismedeSpinoza–Dieuestpartout,enchaqueparcelledelanature,etdoncchaqueparcelledelanatureestDieu,cequi signifie que toutes les parties du vivant sont liées les unes aux autres afin de constituer unensemblevitalsupérieur.Pourêtreexact,ArneNæsspréfèredireque«Spinozaestunpanenthéiste–leDieuuniqueestcontenuentoutechose,etilcontienttoutechose».Maislà,nousentronsdansdesdébatsquejepréfèrelaissericidecôté.Onpeutparailleursconsidérer,sanstrops’avancer,quesonstyledevieetsonidéologiefontd’ArneNæssunhéritierdeHenryDavidThoreau.

L’écologie superficielle – que d’autres appellent écologie environnementaliste – s’intéresseuniquementàlapollutionetàl’épuisementdesressources.Lesécologistessuperficielsalertentainsilesdirigeantsduréchauffementclimatiqueet lessommentde limiter lesdégâtsque leursdécisionsoccasionnentsurl’environnement.Enrevanche,lesystèmequiengendrecesmauxn’estpasremisencause.Ilestsimplementpriédesemodéreretdetrouverensonseinlesmoyensd’atténuerseseffetsnéfastes.Unpeucommesivousallezconsulterunmédecinpourunedouleurpersistanteàlatêteetqu’il se contente de vous donner de l’aspirine, sans s’attaquer au mal profond qui provoque lesymptôme.Lesoucidecetteécologierésidedanslefaitqu’elleestdoublementsuperficielle:danssesambitionsetdanssaréflexion.Contrairementàcequ’elleprétend,ellenepeutdoncprésenteraucunealternative crédible à la politique en cours, puisqu’elle en reprend tous les fondamentaux. Il y apourtant chez les Verts (devenus Europe Écologie-Les Verts) de nombreux militants engagés enfaveurd’une rénovationcomplètedumodèledesociété.Leprogrammeofficieldecette formationpolitiqueestmêmeplutôtambitieux,malgréunévidentretardsurlaquestionanimale.Malgrécela,l’écologiedéfenduepubliquementparsesporte-paroledepuistrenteansestcelledurenoncement.Àcroirequeceuxquisontchargésdeporterlesidéesvertescraignentdenejamaispouvoirêtreélusaux postes qu’ils visent s’ils apparaissent trop radicaux. Avez-vous déjà entendu les principalesfiguresdel’écologiepolitiqueenFranceévoquerdansundébatlesdroitsdesanimauxetdelanature,levégétarismeoulevégétalisme,lalimitationdesnaissances,lerefusclairetnetdulibéralisme,lasociétédutempslibre(oulibéré)oulepartagedutempsdetravail?

Par ailleurs, et ce point n’est pas anodin, l’écologie superficielle (que j’appelle pourmapartécologiemolle)atoujoursl’êtrehumainpourprincipalrepère:ils’agitdepréserverlaplanèteafinde sauver l’espèce humaine qui l’habite. L’écologie molle s’inscrit donc dans la traditionanthropocentriste.Souvenez-vousdel’argumentprincipaldeNicolasHulotaumomentdelaCOP21:«C’estmaintenantquesejouel’avenirdel’humanité.»«Avenirdel’humanité.»Etnon«avenirdelacommunautéduvivant».Cen’estpasunhasardsil’écologistelepluspopulairedeFranceneparlejamaisluinonplusdustatutdesanimauxetdéfendl’élevage.

Cequiestmisenavantpar l’écologiesuperficielle-molleest lapréservationd’un jardindanslequel l’humain peut tranquillement bronzer, et donc la sauvegarde des écosystèmes, surtout s’ilsnoussontutiles.Mais laviedes individusnonhumainsquihabitentce jardinn’a,en tantque telle,aucuneimportance.Ilfautpréserverunepopulationdebaleinesoud’ours,maispastellebaleineouteloursenparticulier.C’estunpeucommesiondisaitquelorsque1000humainsdécèdentdansunecatastrophequelquepart, ce n’est pas très grave tant que l’on repeuple l’endroit avec1000 autreshumains. II s’agit d’une écologie de comptables, puisque tout ne se rapporte qu’à des chiffres :combiendeCO2émis?Combiendereprésentantsdetelleespèceanimaleouvégétalepourmaintenirla santé de l’écosystème ? Cette écologie mérite également d’être qualifiée de technique, dans lamesureoùelleconsidèrequelesproblèmesenvironnementauxpeuventêtrerésoluspardessolutionstechniques. L’écologie molle dit : « Trouvons les moyens de moins polluer et de moinsconsommer.»Cetteécologien’accordeauxespècesqu’unevaleurinstrumentale,danslamesureoùlevivantest toujoursqualifiéderessource, etqu’il faut lepréserveruniquementen fonctiondecequ’il est susceptible d’apporter à l’humanité. Pourquoi faut-il lutter contre le réchauffementclimatique?Parcequ’ilmenacel’homme.

L’écologie profonde, quant à elle, propose de changer de paradigme. La logiqueanthropocentriste est abandonnée. L’homme n’est plus le centre de tout, il devient lemaillon d’unensemblebeaucoupplus largeoùchaqueélémentest liéà l’autre.Etsurtout, lanatureaunevaleurintrinsèque, c’est-à-dire qu’elle mérite d’être respectée pour elle-même, et non en fonction dubénéfice que nous pouvons en tirer, car toute forme de vie a le droit de vivre. Pour Næss, « lesespèces dites simples, inférieures ou primitives de plantes ou d’animaux contribuent de manièreessentielleàlarichesseetàladiversitédelavie.Ellesontunevaleurensoietnesontpasquedeséchelonsversdesformesdevieprétendumentsupérieuresourationnelles.»

L’anthropocentrisme est donc remplacé par lebiocentrisme, qui accorde une valeurmorale àtous les êtres vivants, même les plus primitifs. La nature n’est plus simplement de la matière àexploiter, elle est un ensemble complexe d’entités interconnectées qui possèdent toutes une valeurpourcequ’ellessontenelles-mêmes.Cetteécologien’estplusuneécologiedecomptables,maisuneécologiemétaphysique.

Arne Næss est un penseur essentiel en Scandinavie. La France, en revanche, est restéehermétique à ses écrits. L’écologie profonde y est même présentée comme un objet suspect. LucFerry a sans doute contribué à cette mise au ban en dressant un tableau angoissant de l’écologie

profondedanssonNouvelOrdreécologiqueparuilyaplusdevingtans.Maisfaut-ils’enétonner?L’écologie profonde tranche avec tous les systèmes de pensée qui ont porté jusqu’ici les projetsphilosophiqueetpolitiqueenOccident :un telbouleversementdenosréflexesmorauxnepeutquesusciterunesuspicionprotectionniste.

L’écologieprofonden’estpourtantpasuncorpusidéologiqueferméetsectaire,commecertainsvoudraientlefairecroire.Ellenecherchepasàrecruterdesadeptes,maisbienplutôtàproposeruncheminderéflexion.Pourcela,ellereposesurdesprincipesgénérauxquisontaunombredehuitetqueNaessaactualisésrégulièrementjusqu’àsamort.Envoiciladernièreversion,livréeparDavidRothenbergàl’occasiond’unlivred’entretiensavecNæss:

1.Lebien-êtreetl’épanouissementdesformesdeviehumainesetnonhumainesdelaTerreont une valeur en eux-mêmes (synonymes : valeur intrinsèque, valeur inhérente). Cesvaleurssontindépendantesdel’utilitédumondenonhumainpourlesbesoinshumains.2. La richesse et la diversité des formes de vie contribuent à l’accomplissement de cesvaleursetsontégalementdesvaleursenelles-mêmes.3.L’hommen’aaucundroitderéduirecetterichesseetcettediversité,saufpoursatisfairedesbesoinsvitaux.4. L’épanouissement de la vie et des cultures humaines est compatible avec unedécroissancesubstantielledelapopulationhumaine.Ledéveloppementdesformesdevienonhumainesrequiertunetelledécroissance.5.L’interférencehumaineactuelleaveclemondenonhumainestexcessive,etlasituations’aggraverapidement.6. Les politiques publiques doivent donc être changées. Ces changements affecteront lesstructureséconomiques,technologiquesetidéologiquesfondamentales.Ilenrésulterauneorganisationpolitiqueprofondémentdifférentedel’organisationpolitiqueactuelle.7. Sur le plan idéologique, le changement tien-dra essentiellement dans la capacitéd’apprécier la qualité de la vie (qui réside dans les situations ayant une valeur en elles-mêmes),plutôtquedansl’adhésionàdesniveauxdevietoujoursplusélevés.Chacunauraalorsprofondémentconsciencedeladifférenceentrequantitéetqualité.8. Ceux qui souscrivent aux points précédents s’engagent à tenter de mettre en œuvre,directementouindirectement,leschangementsnécessaires.

LesprincipesédictésparNæss,auxquels j’adhèrepleinement,présentent l’avantagededéfinirdeslignesdirectricesautourdesquellesdenombreusesréponsesindividuellespeuventêtreapportées.Ainsi,mêmesil’écologieprofondeestunephilosophiedelalibertéetdelanaturesauvage,ellenedemandepasàtousleshumainsd’abandonnerleurlogementenvillepourseconstruireunecabaneenpleineforêt.Certes,ArneNæssaaimélasolitudedesonchaletenhautemontagneàTvergastein.

Maisilnesouhaitaitpasimposersonmodedevieauxautres.Silapoursuited’uneexistenceexonéréedu luxe inutile semble un objectif nécessaire, afin d’atteindre une « durabilité écologique » dontl’essenceresteàdéfinir,ilexistedifférentesfaçonsd’yparvenir,affirmeNæss.

Arne Næss est parfois caricaturé comme un anti-humaniste dangereux qui mépriserait lesintérêtsdeshommesetdesfemmes,notammentparcequ’ilappelleàunerestrictiondémographique.Cetteprésentationestbienévidemmenterronée.Lavisionduvivantd’ArneNæssestcelledeGandhioudeSchweitzer,niplusnimoins:«Nousnedisonspasquetoutêtrevivantalamêmevaleurquel’humain,mais qu’il possède une valeur intrinsèque qui n’est pas quantifiable. Il n’est pas égal ouinégal.Ilaundroitàvivreetàs’épanouir.Jepeuxtuerunmoustiques’ilestsurlevisagedemonbébé,maisjenediraipasquej’aiundroitàlaviesupérieuràceluid’unmoustique.»Preuvequ’ilestloin d’être excessif, Næss explique clairement la priorité qu’il donne à l’humain sur les autresespèces:«Jepensequel’onesttousd’accordpourdirequ’unpèrequin’apasd’autrechoixquedetuer le dernier animal de telle ou telle espèce, de détruire le dernier carré de forêt tropicale pournourrirunbébéqui autrement serait lui-mêmedétruitpar la faim,doit tueroubrûler.Celane faitaucundoute.»

L’écologie profonde est encore parfois présentée commeune négation de l’individu, puisquechacunestpriéd’abandonnersesprérogativeségoïstesafindecommunieraveclemondevivantdontilestamenéàlirelessubtilités.Làencore,ils’agitd’uncontresens.ArneNæss,aucontraire,appelleàlaréalisationdeSoi,quin’estpossiblequ’ensedésaliénantdesdiktatssociauxquinousséparentdenous-mêmes. Cette réalisation de Soi, explique Næss, est la voie qui passe par l’altruisme etl’empathie avec le monde. En affirmant la nécessaire reconnaissance du lien qui unit les espècesanimalesentreelles,etlesespècesanimalesauxarbres,auxruisseauxetauxmontagnes,ArneNæssimpose une redéfinition de notre identité qui ringardise tous ceux qui militent pour des visionshiérarchiquesetgéographiquescomplètementdépassées.Notreidentitéreposesurnotrenaturalité,etnonsurnotrenationalité.

Autre contrevérité : voir en l’écologieprofondeun refusduprogrès.Dans la lignéed’ÉliséeReclus,Næssaffirmeaucontraireque«latechnologieestessentielle.Onnepeutpass’yopposer.»

Lanotionde«valeur intrinsèque»esthéritéedeKant.Selon lui, tout cequiaune finen soi(l’humanitéen l’occurrence,disait-il)aunevaleur intrinsèque,une«dignité»,et le restepeutêtreconsidérécommeunmoyenauquelonattribueunevaleurinstrumentale.L’éthiqueenvironnementaledénoncecettepositionanthropocentristeetattribueunevaleurintrinsèqueàl’ensembledesélémentsqui composent le vivant. Elle s’appuie sur le constat que tous les organismes vivants cherchent àconserver leur existence et à se développer, et puisent pour cela dans des ressources qui sont lesmoyensàleurservice.Celasignifiequetouscesorganismessonteux-mêmesdesfins,qu’ilssoientanimauxouvégétaux,etdoncdesvaleursintrinsèques.

L’écologieprofondepeutégalementêtrerailléepardesespritspeureuxquivoudraientlafairepasser pour une idéologie d’illuminés. Il est habituel de traiter de fou celui qui énonce une véritéperturbante. Dans le cas présent, accuser l’écologie profonde de manquer de rationalité est

particulièrement malhonnête. Car les écologistes profonds demandent justement la reconnaissancedesréalitésorganiques,chimiques,biologiquesdumondeoùnousévoluons.Ilss’opposentencelaauxsuperstitionsetauxattachementsirrationnelsquirégissentnoscodessociaux:cultedel’argentetdu pouvoir social, croyance en une extériorité de l’homme à la nature, négation de la mort,vénérationdedieuximaginairestelsqu’ilsapparaissentdansdestextessacrésousurdesterrainsdefootball.LeseulDieurevendiquéestlanatureetilestimmanent.Chacunestcapabled’ymettrelapartde religiosité qui lui convient. Pour les plus athées auxquels j’appartiens, ce que l’onpeut appelerDieuserésumeàlaforcedelaviequichercheàêtreetàsedévelopper.Sonpèreétaitpasteur,maisÉliséeReclusapersonnellementchoisiderejeter le«sacréinstitutionnalisé»auprofitd’uneautreformedefoiquiréunitleshommesbienplusqu’ellenelesdivise:«Leshommesquen’égarentplusleurs croyances vers les mystères de l’au-delà n’auront plus qu’à reporter leurs énergies vers laTerrepouraimeravec joie leschosesde laviedont lasciencenousdémontre,enfin, la“présenceréelle” […], lebonheurde tous leshommes,nos frères,deviendranaturellement l’objet spécialdenotreexistencerenouvelée.»

Ilyaaujourd’huichezl’humainunedimensiondivinesupérieureàcelledesautresespèces,liéeànotrecapacitéuniqueàconstruireetàdétruirelaplanète.Cettepartdedivinsupplémentairenedoitpasêtreaccueilliecommeuneaffirmationdenotresupérioritésurnoscousinsnonhumainsetuneautorisation à les dominer, comme le Dieu de la Bible domine sur ses créatures. C’est tout lecontraire.D’abord,nousn’avonspascréélesautresespèces.Ellessontnotrefamille,jelerappelle,etellesportent toutesunepartdedivinitécommenous.Ensuite, lepouvoir supplémentairedontnousdisposonsnousoblige à une responsabilité accrue à l’égarddesnon-humains.Puisquenous avonsconsciencedenotrepouvoirhégémonique,lamoralenousordonnedeprendresoindeceuxquisontànotremerci.Ilestfacilepournousaujourd’huidetuern’importequelêtrevivantsurcetteplanète.Nousnenousenprivonspas.C’estenfaisantlechoixconscientd’épargneretdeprotégerlaviequenous devenons des dieux quiméritent d’être salués. Sinon, nous ne sommes rien d’autres que desvoyous.L’écologieprofondeest totalement ignoréepar ceuxquiprétendent représenter l’écologiedansl’espacepolitique,alorsqu’elledevraitêtrelefondementdeleurréflexion.

Toutefois,onpeutadresserunreprocheàl’écosophied’ArneNæss:ellemanquedeprécision,au point qu’elle pourrait parfois sonner comme un écocentrisme, à savoir une vision de l’éthiqueenvironnementalequiseconcentresurlavaleurintrinsèquedela«communautébiotique»,etnonsurcelledechaqueformedevivantenelle-même 1.ArneNæssparlebienpoursapartde lavaleurdechaque individumais, tout en souhaitant l’extension de nos obligationsmorales aux animaux, auxplantes et aux écosystèmes, il ne s’intéresse pas de près à la transposition juridique de cetteconsidération aux animaux non humains. Le penseur norvégien perçoit avant tout l’écologieprofonde comme une ontologie, un rapport personnel au monde, une spiritualité. L’éthique estsecondaire.Næss l’explique très clairement : « L’éthique ou lamorale nem’intéresse pas.Ce quim’intéresse,c’est lamanièredontnous faisons l’expériencedumonde […].Si l’écologiepeutêtredite profonde, c’est parce qu’elle repose sur nos croyances fondamentales, et pas seulement parce

1.

qu’elle est liée à nos convictions éthiques.L’éthique est une conséquence de lamanière dont nousfaisonsl’expériencedumonde.Sivousmettezdesmotssurcetteexpérience,alorselledevientunephilosophieouune religion.»L’écologieprofonded’ArneNæss seprésentedonc essentiellementcommeunespiritualitéetévitedepousserlaréflexionsurlesconséquencesconcrètesqu’implique,dans l’organisation d’une société, le respect de toute forme de vivant. Dans la même logique, lephilosophe norvégien considère que les questions de paix et de justice sociale ne doivent pas êtretraitéesparl’écologieprofonde,afind’évitertoutedispersion.Cedontjeconclusquelesintuitionsd’Arne Næss et les mouvements qu’elles suggèrent sont une inspiration qui demande à êtreaujourd’huicomplétée.

La pensée écologique doit s’actualiser grâce à la rencontre et à la synthèse de l’éthiqueenvironnementale, de l’éthique animale, et de la lutte pour l’égalité sociale, qui est une éthique del’humanité.Cetteécologieessentielleappelleàunerévolutionpolitiqueetdémocratique.

L’écocentrisme repense lui aussi laplacede l’hommedans lanature, en le considérant commeuneespèceparmi les autres,maiscequicomptecettefoiscesontlesgroupesd’espècesetlesécosystèmes;lesmembresindividuelsn’ontpasdevaleureneux-mêmes,puisquecettevaleurdépenddeleurplacedansl’ensembleauquelilssontassociés.

POURUNEBIODÉMOCRATIE

ImaginerlaRépubliqueduVivant

Longtemps,lesdéfenseursdesdroitsdesanimauxontétéprésentéscommedessentimentalistesdéconnectés des problématiques de société. Peut-être l’ont-ils d’ailleurs parfois été. Cette ère estrévolue.L’antispécisme,onl’avu,estuncombatpourrendre l’humanitémeilleureetpourvaincrelesmêmeslogiquesd’injusticequidétruisentsocialementleshommesetphysiquementlesanimauxnonhumains.Àcetitre,l’antispécismedoits’inscriredansuneréflexionquines’arrêtepasaumondeanimal. L’antispécisme est l’un des champs d’application de l’écologie essentielle, laquelle vise àrepensercomplètementlacommunautéquicomposelasociété.Elleentendégalementmettreenplaceles leviers qui permettraient l’expression de tous les membres de cette société élargie, dans unetemporalitéquiprendencomptelefutur.

L’écologieessentiellesouhaitel’établissementd’unebiodémocratie,c’est-à-direunedémocratieétendue à l’ensemble du peuple du vivant, auquel sont conférés de réelsmoyens d’expression. Leterme«expression»doitêtreicientendudansuneacceptionlarge:

1.Lapossibilitépourchaquehumaind’exprimersonopinionetdepesersur lesdécisionspolitiques.Ils’agitderedonnerlepouvoiràl’individu.2.Lapossibilitépourchaquehumaind’exprimeraumieuxsonêtreens’épanouissantdanslaréalisationdelui-même.Ils’agitdel’autoréalisation.3. La possibilité pour chaque entité du vivant d’exprimer son « vouloir-vivre » : chaqueespècealedroitàl’existencedanslesconditionsoptimalesquiluisontpropres,etdansleslimites des possibilités de l’équilibre écologique. Il s’agit dudroit de chaque individu àl’existence,qu’ilsoithumainounon.

La mise en place d’une biodémocratie passe par une assemblée constituante qui fonde unenouvelleRépublique.LaVIe?Soyonshonnêtes:cetterévolutionidéologiqueestd’unetelleampleur

qu’elleneverravraisemblablementpas le jouravantquenotreConstitutionpoussiéreusen’aitdéjàétéremplacéeunefoisoudeux.ParionsdoncplutôtsuruneVIIeouuneVIIIeRépublique.MaisaulieudelesoumettreàlalogiquedeschiffresquifontpassernosConstitutionspourdesépisodesdeStarWars,appelonsainsileprojetbiodémocratique:laRépubliqueduVivant.Etcelle-cidoitd’appuyersurdeuxfondamentaux:

–lamiseenplaced’uneassembléeparlementairequiprendraencomptelesintérêtsduvivantetquiseprononcerasurlesconséquencesàlongtermedesloisetdécisionsdugouvernement;

–ladésignationauseindecetteassembléedereprésentantsdesanimauxnonhumainssensibles,chargésd’exprimerlesintérêtsdecesderniers.

Instaurerenfinladémocratieréelle

LaFranceest-elleunedémocratie?Enapparenceseulement.L’affirmationpeutchoquer,surtoutsil’oncompareleslibertésdontdisposentlesFrançaisàcellesdesNord-Coréens,desBiélorusses,desSaoudiensoudemilliardsd’habitantsdelaplanète.Mais,lorsquel’onestmalade,ilestvaindesecompareràunpatientenphaseterminalepourseconvaincrequel’onestenbonnesanté.

Bien sûr, nousvotons.Et l’électiondes représentants fait partied’unprocessusdémocratique.Maiscemécanisme,s’ilestindispensable,negarantitpasàluiseulladimensiondémocratiqued’unesociété. Il est des pays où l’on vote régulièrement et qui sont pourtant des dictatures. Une vraiedémocraties’incarnedansunpremiertempsparl’existencedecontre-pouvoirslibresetindépendantstelsquelapresse,lessyndicatsetlesassociations.Ellenécessiteégalementquel’avisdechacundescitoyens soit écouté et pris en compte. Or ce n’est évidemment pas le cas aujourd’hui en France.Plusieurssituationsrécentes l’attestent.L’exemple leplusévidentestceluiduTraitéconstitutionneleuropéen(TCE),rejetéen2005par55%desFrançaisconsultésparréférendum,etpourtantadoptédeux ans plus tard par leCongrès sous une forme légèrement différente, le traité deLisbonne.Lepeupleaétéinterrogé,ilamalvoté,donconnel’apasécouté.Drôlededémocratieégalement,quirefusequelesmembresdel’Assembléenationalesoientélusàlaproportionnelle.Decefait,en2012,ellen’aaccordéquedeuxdéputésàunpartiquivenaitpourtantderéaliser18%desvoixàl’électionprésidentielle,tandisqu’unautreayantàpeinedépasséles2%lorsdelamêmeélectionavaitréussipar le seul jeu des alliances électorales à obtenir 18 sièges. Je cite cet exemple avec d’autant plusd’aisance que je combats le parti lésé, le Font national, tandis que mon cœur bat pour despréoccupations proches de celles que défend (extrêmementmal) le parti honteusement avantagé, àsavoirEuropeÉcologie-LesVerts.

Iln’estparailleurspasrarequ’unpolitiquequin’apasapportésatisfactiondanssesfonctionssoitréélu,soitpardéfaut,soitparcequ’ilestsoutenuparuneformationpolitiqueàlaquellel’électeurapportesonsoutienparsimplehabitudeouatavisme.Onvotealorspourquelqu’unensedisant:Ilest

nul,mais l’autreseraencorepire, cequin’esten rien le symptômed’unedémocratie satisfaisante.Dansunedémocratieréinventée,cecasdefigurenedoitpasêtrepossible.

Quepenserégalementduprofildesdéputés,sénateurs,etministres?Oùsontlesouvriersetleschômeurs à l’Assemblée nationale ? Pourtant, ils constituent une part non négligeable de lapopulation.Ilsnesontpasreprésentés,carnotresystèmeactuelneleurenoffrepaslapossibilité.

Non seulement laVeRépublique a échoué à être réellement représentativedupeuple,mais enpluselleaprivilégiélecarriérismeetenfantédesgénérationsdepoliticardsinintéressants,incapablesdeporterlesintérêtsdeceuxqu’ilssontcensésreprésenter.Lamajoritédesélusetdesministresdetous les gouvernements successifs depuis des années, qu’ils soient de droite ou de gauche, ontconservé les réflexes de l’Ancien Régime. Complètement déconnectés de la modestie et desobligationsqueleurfonctionleurconfère,ilssecomportentenmini-despotesautoritairestoisantlesjournalistes et les électeurs. Ils sont choqués lorsque, sur un plateau de télévision, une questionrelativeà leurbilan lesbouscule. Il existenéanmoins, àdroite commeà gauche, des personnalitéstravailleuses,sincèrementmuesparl’intérêtcollectifetconscientesdeleursresponsabilités.Maisle« système » joue contre elles et les oblige à unmoment ou à un autre à la compromission et aurenoncement. Il faut donc mettre en place des règles qui permettent que l’ambiguïté soitdéfinitivement levée : lesélussontnosobligés. Ilssont lesemployésdupeuplequi leurdélègue lepouvoir.Personnen’aforcéunéluouunministreàêtreoùilest.Ilssesontportésvolontairespourlatâcheetilsdevraientremercierlescitoyensouledestinquiontaccomplileursouhait.Lemalheurde notre pseudo-démocratie est qu’elle a engendré des hordes de carriéristes avides de pouvoir etd’argent.Untypeseditàvingtans:«J’aimeraisbienêtreprésidentunjour.»Etilledevientvingtoutrenteansplustard.Commentnepasenconclurequenotredémocratieestmalade?Ilesttempsd’enfiniraveclesprofessionnelsdelapolitique.Ilfautcréerlesconditionspourempêcherquedespostesdeministre soientoffertsàdespersonnesquine représententqu’elles-mêmes. Il fautempêcher lesmarchandages,lescopinages,lesrecalages,lesincompétentages.Lecaractèremonarchiquedenotresystèmeconstitutionnelestamplifiéparl’électionausuffrageuniverseldirectd’unprésidentdésignécommeunhommeprovidentiel.NotreConstitutionaétéécriteilyaplusd’undemi-sièclepourunhomme,CharlesdeGaulle.Lecontexteachangé,l’histoirearenouvelélesacteursetlesenjeux,etlatoute-puissanceaccordéeauplushautpersonnagedel’Étatapparaîtaujourd’huianachronique.

Lacorrectiondesdiversdysfonctionnementsquiempêchentl’exercicedémocratiquesembleunpréalableàl’instaurationd’unebiodémocratie.Plusieurspistess’imposentspontanémentpourpenserl’indispensablerénovationdeladémocratieenFrance:

–SupprimerlepostedeprésidentdelaRépublique.Ilestabsolumentinconscientquelepouvoirdécisionnairedetoutunpeuplepuisseêtredétenuparunseulindividu,quifaitàpeuprèscequiluichanteenpouvantroyalementmépriser,s’illesouhaite,lesidéessurlesquelles50,01%descitoyensontpul’embaucher.

– Instaurer la possibilité de révocation des élus. Les libéraux, néolibéraux, sociaux-libéraux,sociaux-démocrateset,pourquoipastantqu’onyest,jenesaisquelsautres«libéraux-démocrates»

ou « néo-sociaux » (avouez qu’on s’y perd entre tous ces mouvements qui finalement prônentquasimentlamêmechose),bref,ilsmilitenttouspourquelesCDIdisparaissentpeuàpeuetqueleslicenciementssoientfacilités.Leurrêveestquelesemployeursaientledroitdevirerleursemployéscommebonleursemble.Pourquoiunprésidentn’estpas,lui,licenciable?Sil’Étatétaitgérécommele modèle d’entreprise que tous ces mouvements politiques promeuvent, le président, lesparlementaires et les élus locaux devraient pouvoir être révoqués dès que le peuple l’entend, sansattendrelafindesmandats.

–Mettreenplacedesinstancesdecontrôledutravaildesélus.LaConstitutiondoitpermettrelaconvocationdecommissionsdecitoyenschargéesd’évaluerl’adéquationentrelespromessesetlesactionsdel’élu.

–Imposerlenon-cumuldesmandatsdemanièrebeaucouppluslimitative:unseulmandat,quelqu’ilsoit,parpersonne.

– Imposer le mandat unique non renouvelable. Un seul mandat de député, un seul mandat deconseiller régional, un seul mandat de maire de grande ville, et puis on passe son tour. Celaempêcherait la professionnalisation de la vie politique, l’effet d’usure qui s’installe au bout dequelquesannéesdansunefonctionéreintante,etsurtoutlemanquedecouragepolitiquedûausoucidelaréélection.

–Déprofessionnaliserlapolitique:pourêtreélu,ilfaudraitd’abordavoirunmétier.Celuiquiseraitéluquitteraitprovisoirementsontravail,maisleretrouveraitunefoissonmandateffectué.

–Casser la prédominance d’une élite formatée sur tous les postes de pouvoir et favoriserl’émergence d’une incarnation politique qui reflète la réalité sociale et culturelle du peuple danstoutessesnuances:lesparlementairesetlesministresnedoiventplusêtre«formatés»pardesécolesàlapenséeunique.Ilyadanslapolitiquetropd’avocats,tropdehautsfonctionnaires,etpasassezdeprofesseurs,d’infirmières,d’ouvriers,dechercheursoud’assistantssociaux.

– Créer les conditions d’une nouvelle éthique en politique : tolérance zéro pour toutetransgressionparunéludelaRépubliquedesrèglesmoralesinhérentesàunedémocratiejuste.Touteformedefavoritisme,decorruptionoudefraudedoitêtresanctionnéelourdement.

–Donnerunpouvoirperformatifauvoteblanc:si50%desélecteursvotentblancàuneélection,celle-ciestannuléeetaucundescandidatsn’estélu.

–Promouvoirunedémocratiedel’informationetdusavoirpartagé.Chaquecitoyendoitavoirlapossibilitéd’unaccèsgratuità l’information,quecesoitsur lessujetsd’actualitéousurn’importequelsavoir.

–Associer réellement les experts aux décisions politiques. Il faut donner toute leur place auxscientifiques,auxuniversitaires,auxsociologues,auxphilosophesetauxdifférentsexpertspourqueleurconseilvalidetoutedécisionpolitique.

–RedéfinirlesconditionsdudébatpolitiqueenFrance.Ilfautfavoriserladémocratiedirecteenmultipliant lesespacesdeconsultationdescitoyensendehorsdesélections : le fonctionnementdescommissions d’enquête doit être repensé, pour les rendre influentes. Des commissions ou des

référendumspourraient permettre à tousd’influer surdesprojets concrets, comme la constructiond’unaéroport,d’unbarrage,maisaussisurdessujetséminemmentpolitiquescommeledroitdevotedesétrangersoul’obligationderepasdesubstitutionvégétariensdanslescantinesdesétablissementspublics.

–Redéfinirlanaturedudébatpolitique.Etlàjevaisdévelopperunpeu.

La crise économique qui sévit depuis quarante ans a favorisé une forme d’intimidation : lessalariés,parcraintedenepasretrouverdetravails’ilsperdentleleur,ontprogressivementacceptélesilence plutôt que la protestation. Pour ne rien arranger, les syndicats, victimes de leurs proprestravers, ont perdu toute capacité de défendre sérieusement les employés et les ouvriers. Et puisl’heuren’estplusàl’héroïsme:l’idéaln’estplusunguide.Chacuns’arrange,bidouille,etessayedesesauveravantdepenseraucombatcollectif.Certeslalibertéd’expressionquecertainsnousenvientesttoujoursaffichéecommeunefierténationale.Maissil’ondevaitdresserlebilandesantédecetteautorisationàl’ouvrir,qu’endirait-on?Onreconnaîtraitqu’enFranceonpeutcertesrâler,vitupérer,protester, juger, critiquer sans risquer la prison.Encore heureux.On serait cependant aussi obligéd’admettrequelesespacesd’expressionautoriséeneproposentaucuneoriginalitédepensée.Certes,deslignesdefracturepolitiquesexistentets’expriment,maisellessontenréalitéasseztechniquesetengendrentdesdébatsabstraitsauquelchacunrépondenfonctiondesesapriorioudeses intérêts,bienplusqu’enfonctiondesescompétences.Exemples:lasortieéventuelledel’euro,leniveaudesaidesaccordéesauxentreprises,l’augmentationdel’âgededépartàlaretraitedequelquesmoispourtenircomptedel’allongementdel’espérancedevie,lesmoyensdecréerdelacroissance,etc.Ensoi,ces thématiquesnedisentpasgrand-chosedumondequel’onesten traindeconstruire.Cenesontque des détails de gestion qui devraient être laissés à des techniciens. Tous les sujets réellementimportants,ceuxquiengagentnotrehumanité,sontsoigneusementévités:quelmodèlenouveaupourpermettre à la planète de supporter notre démographie qui explose ? Quel modèle nouveau pouranticiper la disparition programmée d’un pourcentage important d’emplois en raison de larobotisation et de l’informatique ? Pour réduire la consommation de viande ? Pour envisagersereinementunesociétédutempslibre?PourremplacerleGraaldelacroissance?Commentsefait-ilquelesdébatsquiopposentlesporte-paroledespartisneportentleplussouventquesurdespointsdedétail, et rarement sur la confrontationdemodèlesphilosophiques sur lesquelsbâtir la suitedel’humanité?L’explicationestlepouvoirdel’oligarchie.Puisqu’uneminoritédeprivilégiéstientlesrênesdupaysetqu’elles’activepourconserverlepouvoir,ellemanœuvredemanièreplusoumoinsconscientepournepaslaisserémergerdeparoledissidentequiremettraitencausesonhégémonie.

Combiendefoisentend-oncegenredephrase:Cequejefaismeplaîtpasvraiment,maisfautbienvivre!Làencore,l’insatisfactionprofessionnelleéprouvéeparunemajoritédepersonnesposeunvraiproblèmededémocratie.Ilestfauxderétorquerquelasociétéfonctionneainsi,etqu’ilestimpossiblede contenter tout lemonde.Ceuxqui l’affirment sont justement lesoligarquesqui sontparfaitementheureuxdansleurstatut,qu’ilsontchoisietquilescomble.Souvent,ilsprospèrenteux-

mêmessur lemalheurdesautres,puisquenotresociétéaactuellementdécidédenepaspartager lebonheur.

Repenserletempspolitique

Le 20 janvier 2014, les techniciens du centre des opérations de l’ESA à Darmstadt, enAllemagne, respirent : à plusieurs centaines de millions de kilomètres de là, en plein milieu del’espace, lasondeRosetta leurenvoieunsignal indiquantqu’ellesortdel’hibernationoùelleavaitété plongée pendant deux ans et demi afin d’économiser ses réserves d’énergie. Lancée en 2004,Rosetta a parcouru 7 milliards de kilomètres en dix ans pour se poser sur un petit caillou de4kilomètresdediamètreenviron.Quefaut-ilenconclure?Lachosesuivante:quandonveutprendreletempsdecalculer,deréfléchiraulongterme,onarriveàdesrésultatsétonnants.Sil’onestcapabled’envoyerunpetit robot seposer suruncaillouàdescentainesdemillionsdekilomètresdecheznous,aprèsunvoyagededixans,nousdevrionssavoirprévenirenpartielesconséquencesnéfastespourlessièclesàvenirdenoschoixdesociétéactuels.Encorefaut-illevouloir,etaccepteraussilaresponsabilité liée à l’imprévisibilité, c’est-à-dire le fait que nous sommes incapables d’imagineraveccertitudecertainseffetsdecequenousentreprenons(lesOGMparexemple).Celaimpliquederepenserletempsdel’actionpolitique.

S’investirpouratténuerouprévenirleseffetsnégatifsdenosactionssurlelongtermen’estunréflexespontanénipourlesgouvernementsnipourlescitoyens.Celas’expliqueprincipalementpourdeux raisons. La pollution est un phénomène sournois, souvent invisible, qui agit lentement et ensilence.Celuiqui la subitnes’en rendpascompte laplupartdu temps.Lorsquequelqu’undescenddans la rue lematin, en France en tout cas, il n’est pas directement perturbé par le réchauffementclimatique,lapertedebiodiversitéouunepollutionatmosphériqueperceptible.Chacunentendparlerdeglaciersquifondent,d’océansquimontent,dedésertification,voirederéfugiésclimatiques,maisenquoicela legêne-t-ilpersonnellement, s’ilne faitpaspartiedesvictimesdirectes?Deplus, lespollutionsàl’œuvreaujourd’huiproduirontleurseffetslesplusnéfastesdemain,lorsquenousseronstousmortsetremplacéspard’autres.Leréflexeinconscientpeutdoncêtreceluidesedire:Qu’ilssedébrouillent,chacunsesproblèmes.Nousavonslesnôtresaujourd’hui,ilsgèrerontlesleursdemain.

C’estun fait : laplupartdes individusnes’intéressentqu’auprésent (un réflexe logique)età leursintérêtsindividuels.

Difficile dans ce contexte d’attendre beaucoup des représentants politiques qui, en plus demanquer de vision, sont guidés dans leurs décisions par deux impératifs étroitement liés l’un àl’autre:

1) Obtenir des résultats immédiats et visibles dans des domaines qui concernent le quotidientangibledescitoyens(chômage,retraites,transports,etc.)

2)Sefaireréélire.Etpourréussir2),ilfautréussir1).Généralement,1)estplusoumoinsunéchec,etilyaalternancepolitique.Précisonsencoreque

l’«alternance»désigneenréalitésimplementlechangementdeformationpolitiqueaupouvoir,maisnonlapolitiquemiseenplace,quipoursapartnevarieplusguère.

Lesdeuxprioritésaffichées,1)et2),sontmauvaisesconseillères.Ilestcerteslégitime,etmêmeindispensable,qu’unélupuisseaméliorerleplusrapidementpossiblelaviedeceuxquil’ontdésigné.Unchômeurattendàjustetitred’ungouvernementqu’ilmetteenplacelessolutionsquivontl’aideràretrouver un travail au plus vite. L’habitant d’un village enclavé souhaite que des transports encommunetdesroutesenbonétatsortentlelieudesonisolement.Unéluapourmissiondefavoriserla satisfaction des besoins immédiats essentiels tels que le travail, le logement, l’habillement, lanourriture,lestransportsoul’accèsauxloisirs.Etl’augmentationdupouvoird’achatestunimpératifdans une société qui repose sur la consommation. Mais à trop vouloir obtenir du visible et duquantifiabletoutdesuite,lesgouvernementssuccessifsbricolentenespérantquelesbéquillesqu’ilsposent ici ou là leurpermettrontde sevanterd’un succès, fût-ilminimeet éphémère.Oncréedesemplois aidés, on change les procédures administratives à Pôle emploi, on donne de l’argent auxentreprises,onsoutientunefilièresusceptibledefavoriserlesembauches,mêmesicelle-ciestnocivepour l’environnement. Et peu importe si les solutions provisoires mises en place à la va-vite nedessinent en rien les contours d’une sociétémeilleure. La catastrophe de Fukushima, au Japon, enmars 2011, est en cela très révélatrice. Après Three Mile Island et Tchernobyl quelques annéesauparavant,l’événementauraitdûprovoqueruneprisedeconscienceinternationalequiauraitaboutià une remise en cause sérieuse de l’énergie nucléaire.De fait, les esprits ont bien été secoués. LeJapon, sans abandonner les centrales nucléaires, a néanmoins annoncé un changement de politiqueénergétiqueets’orienteversd’autreschoixpoursesfutursdéveloppements.L’Allemagneapoursapart décidé de se priver de centrales nucléaires (elle n’en avait pas beaucoup). Mais la Chineinaugurera110nouvellescentralesnucléairesd’icià2030.LaFrance,fleurondusecteur,continueàfairecommesiriennes’étaitpassé.Ellenediminuepassonparcnucléaire(elleenvisagedefermerlaplusvieilledescentrales,maisenconstruituneautreflambantneuveàFlamanville,pouruncoûtquiexplosetouteslesprévisions),ets’enorgueillitenoctobre2015d’avoirvendudeuxréacteursEPRà laGrande-Bretagne, pour unmontant de plus de 20milliards d’euros.Un contrat, de l’argent…Voilàcequiimportedansl’urgence.Quiddesrisquesliésàcettetechnologiemalmaîtrisée?Chaque

nouvellecentraleestunecatastropheenpuissance.Celan’émeutguèrenosdirigeantssuccessifs.Nimême les représentants politiques de l’écologie en France, qui ont choisi de s’associer à ungouvernementaussipro-nucléairequetousceuxquisesuccèdentdepuisdesdécennies.

Ilnes’agitpas làd’uneattituderesponsable.Lesreprésentantsdupeupledoiventvoir loin,enayant le couragedemettre enœuvredes réformesd’envergure,même si ellesneproduisent leurseffetsquedansplusieursannéesetsiellesengendrentdespériodesdetransitionmouvementées.Ungouvernementaégalementpourdevoirdemesurerlesimpactssurletempslongdesmesuresqu’ilengage. Or pour l’instant, tout n’est décidé qu’à l’aune de l’urgence et de l’immédiatementconstatable.

Lelongtermeestencorequasimentabsentdudébatpolitique.L’échecdessommetssuccessifsconsacrésaudérèglementclimatiqueenestl’unedesplusindiscutablesillustrations.Depuisquelesnégociations sur le climat ont commencé, il y a plus de vingt ans, aucune remise en causefondamentale de nos modes de production n’a eu lieu. Et même si la question du changementclimatiqueesthautementmédiatisée,elleestl’arbrequicachelaforêtdenosindifférences.Laqualitéde l’air et de l’eau ou la biodiversité sont des enjeux cruciaux complètement passés sous silence.Pourtant,leSommetdelaTerredeRio,en1992,avaitaccouchédetroisconventionscadres:unesurleschangementsclimatiques,unedeuxièmesurlabiodiversité,etunetroisièmesurlaluttecontreladésertification(quiincluaitladégradationdessols,l’érosion…).Cestroissujetsétaientalorsmissurunpiedd’égalité.Maislesdeuxderniersontdepuisétéreléguésausecondplan.GuillaumeSainteny,spécialiste du développement durable qui a occupé plusieurs postes au ministère de l’Écologie,l’affirme:la«prioritéaccordéeàlapolitiqueclimatiques’estrévéléedéfavorableàl’environnementàbiendes égards, à tel pointqu’elle a accru certainsproblèmes écologiques, au lieud’aider à lesrésoudre».

SelonGuillaumeSainteny, si laFrance seveut à la pointe en cequi concerne ledérèglementclimatique, c’est justement parce qu’elle n’a pas d’énormes efforts à fournir en la matière, étantdonné qu’elle est la bonne élève du dossier, avec de faibles émissions de gaz à effet de serre. Enrevanche,surlaqualitédel’air,del’eauetlapréservationdelabiodiversité,onnepeutpasendireautant,àtelpointqu’ellenerespectepaslesconventionsinternationalesetlesdirectiveseuropéennes.Etsurcessujets,onnel’entendpas.Ladestructiondesécosystèmes,lasurpêche,lamenacequipèsesurdesespècesenvoied’extinction,lasurpopulation,lasurexploitationdesressources,lapollutiondel’eauoudel’air:surtouscesdossiersaussiimportantsqueleréchauffementclimatique,pasunmotoupresque.Et pour cause : ceux-là remettent directement en cause le systèmeéconomique telqu’il est organisé aujourd’hui, contrairement à la problématique du réchauffement climatique àlaquelleonpeutrépondregrâceàdetranquillesmécanismesd’adaptation,etengénérantdenouveauxdébouchés pour notre système productiviste et libéral. En outre, pour affronter les défis del’environnement, ilfautaccepterdeseprojeterdansl’avenir.Cedontsontincapableslespolitiquesactuels. L’historien Michel Winock résume très bien les choses : « Ce ne sont plus les hommes

politiquesquisontàmêmedenouséclairer;embourbésdanslagestionquotidiennedupossible,ilsontlavisionbasse.»

Assembléenationale,Assembléenaturelle

Touslesmécanismesdécisionnelsactuellementenplacefavorisentunepolitiqueducourtterme.Il faut désormais une notion nouvelle : le long terme.L’historienPierreRosanvallon défend cetteidéeenrappelantqueCondorcetseméfiaitdela«démocratieimmédiate»quientraîneunegestiondesfinancesdupaysaujourlejour,auméprisd’unevisiondansladurée.

Jusqu’à très récemment, c’est-à-dire jusqu’à la révolution industrielle, l’absence de vision àlong terme des gouvernants et décideurs n’était pourtant ni illogique, ni dramatique. Notreconnaissancelimitéedumondenenouspermettaitpasdecomprendrelesimplicationsréellessurlaplanètedenosagissements.Etnosactionsn’avaientquepeudeconséquencesgravessurledevenirdel’homme ou de la Terre. Certes, l’humain a toujours eu une tendance à la destruction et àl’anéantissement.Notre propension à tout casser ou àmal gérer ne date pas d’hier. Le géographehistorien Jared Diamond l’explique dans son célèbre essaiEffondrement : « Gérer les ressourcesnaturellesa toujours étédifficile, depuisque l’Homosapiens, il y a environ cinquantemille ans, acommencé à faire preuve d’une inventivité, d’une efficacité et de techniques nouvelles. Depuis lapremièrecolonisationhumaineducontinentaustralienilyaenvironquarante-sixmilleans,quieutpour conséquence la rapide extinction de la plupart des marsupiaux géants et des autres grandsanimaux qui avaient jusqu’alors peuplé les terres, toute colonisation humaine d’un espace massifn’ayantjamaisconnul’humain–qu’ils’agissedel’Australie,del’AmériqueduNord,del’AmériqueduSud,deMadagascar,desîlesdeMéditerranée,oudeHawaïetdelaNouvelle-Zélande,ouencorede dizaines d’autres îles duPacifique – a toujours été suivie d’une vague d’extinctions des grandsanimauxquin’avaientpasdéveloppélapeurdel’humainetqu’ilétaitfaciledetuer,ouquin’ontpassurvécuàdesmodificationsdansl’habitat,àl’introductiond’espècesnuisiblesetauxmaladiesliéesàl’arrivée de l’homme. » Diamond détaille l’histoire de plusieurs civilisations qui ont disparu enraisondedésastresécologiques.Parmicelles-ci,ilcitecelledel’îledePâques,victimedesurchasse,desurpêcheetdedéforestationexagérée :sans forêt,plusdematièrespremières,etunphénomène

d’érosion des sols préjudiciable aux cultures ; sans animaux, plus de nourriture. S’ensuivit unefaminequimenaaucannibalismeetauxguerresciviles.Ledéclinétaitenclenché.Diamondévoqueégalement l’effondrement de la civilisation des Mayas auquel il prête plusieurs causes. Ladéforestation et l’érosion des collines jouent un rôle, ainsi qu’une croissance démographique tropimportante par rapport aux ressources, la baisse de ces ressources ayant elle-même entraîné desguerresdeplusenplusnombreuses.Ajoutezàcelalechangementclimatiqueetuncinquièmefacteurquenousavonsjustementévoquéquelquespagesplustôt:lacupiditédesdirigeantsetleurincapacitéd’anticiper. Le fameux temps court. « Quant au cinquième échec, écrit Diamond, il conduit à sedemander pourquoi les rois et les nobles ne sont pas parvenus à identifier et à résoudre cesproblèmesapparemmentévidentsquiruinaientleursociété.Leurattentionétaitàl’évidencefocaliséesurleurintérêtàcourtterme:s’enrichir,menerdesguerres,érigerdesmonuments,rivaliserlesunsaveclesautresettirerassezdenourrituredespaysanspoursoutenircesactivités.Commelaplupartdesdirigeantsaucoursdel’histoirehumaine, lesroiset lesnoblesmayasn’ontpasprisgardeauxproblèmes à long terme, à supposer qu’ils les aient entrevus. »Cesmots semblent désigner notresociétéactuelle.Maisilsévoquentunesociétédisparueilyaenvironunmillénaire.JaredDiamondnous demande d’en tirer toutes les leçons : « Les parallèles que l’on peut établir entre Pâques etl’ensembledumondemodernesontd’unedramatiqueévidence.En raisonde lamondialisation,ducommerce international, des vols internationaux et d’Internet, tous les pays du monde partagentaujourd’hui des ressources et interagissent, tout comme le faisait la douzaine de clans de l’île dePâques.L’îlepolynésienneétaittoutaussiisoléedansl’océanPacifiquequelaTerrel’estaujourd’huidans l’espace. […]Voilà pourquoi l’effondrement de la société de l’île de Pâques est comme unemétaphore,unscénariodupire,unevisiondecequinousguettepeut-être.»

Dansl’histoirerécentedelacivilisationoccidentale,l’utilisationducharbonenAngleterredèsledébutduXVIIesiècleaengendrédespollutionsatmosphériquesquionteudesconséquencessurlasanté humaine, comme le développement du rachitisme dû à la déficience en rayons ultraviolets,expliquel’historiendessciencesJean-PaulDeléage.Lapollutionaudioxydedesoufreapparaîtelleaussi très tôt, se cantonnant toutefois à l’environnement immédiatdesusines.Mais à l’époque,nosactionssur lanatureavaientencoredeseffets limitéset réversibles.Nousnemaîtrisonsquedepuispeu les technologies qui nous rendent capables de détruire la planète en quelques heures ou, demanière plus insidieuse, en quelques millénaires. Avant le XXe siècle, nous ne manipulions pasl’atome,nousn’avionspas inventé l’industrieet lecommercedemasse,nousn’avionspascrééderobots capables de faire la guerre à la place des humains, bref, nous étions encore dans la phaseartisanaledel’humanité.

Toutn’étaitpasrose,loindelà,etjelerépète:jemedésolidarisecomplètementdelahordedenostalgiques qui ne jure que par le « c’était mieux avant ». J’aime le progrès, je le chéris, je lerevendique. Non, c’était pas mieux avant. C’était pas mieux quand on mourait à trente ans d’unemaladie qu’on peut soigner facilement aujourd’hui, c’était pas mieux quand les ouvriers devaienttravaillerquatre-vingtsheuresparsemaine,etquelesenfantseux-mêmesdescendaientdanslesmines

plutôtqued’alleràl’école.C’étaitpasmieuxquandl’eaucouranteetlestoilettesétaientabsentesdeslogements.C’étaitpasmieuxquandilfallaitdesjoursdevoyagepourserendreàquelquesmilliersdekilomètresdelaFrance.C’étaitpasmieuxquandl’esclavageétaitunenormalité.C’étaitpasmieuxquandlesfemmesn’avaientpasledroitdevoter.C’étaitpasmieuxquandlesélèvesétaientpunisensefaisanttapersurlesdoigtsavecunerègle.

Laviolence?Certes,desestimationsportentà230millionslenombredemortscausésparlesguerresetlesconflitsauXXesiècle,cequiéquivautàéradiquerplusdetroisfoisl’actuellepopulationde la France. Ce chiffre semble insensé.Malgré cela, Jared Diamond rappelle dans Le TroisièmeChimpanzé quemêmeenprenant en compte lesdeuxguerresmondiales, « lenombredemorts ennotresiècledemeure,danslespaysindustrialisés,proportionnellementinférieuràceluidesvictimesdans les sociétés tribalesde l’âgedepierre».L’historien israélienYuvalNoahHarari relèvedanssonbest-sellerSapiens, unebrèvehistoirede l’humanité, que la violence internationale est tombéedepuis 1945 au niveau le plus bas qu’ait connu l’humanité. Il note à juste titre que le temps desconquêtes territoriales, où unÉtat en envahissait un autre pour « le conquérir et l’engloutir », estderrièrenous,mêmes’il resteévidemmentdesexceptions.SelonHarari, s’ilyamoinsdeguerresentreÉtats,c’estd’abordpourdesraisonséconomiques:laguerrecoûteaujourd’huibienpluscheret, surtout, elle n’a plus suffisamment d’attrait économique, dans lamesure où la richesse reposedésormaisessentiellementsurlecommerceextérieuretlesinvestissements.L’économiemondialiséepréviendraitdonclesconflitsenveillantàcequelesmarchésnesoientpasdéstabilisés!Defait,lesÉtats essayent aujourd’hui d’obtenir ce qu’ils veulent grâce au commerce, et non plus en ayantrecoursàlaguerre.MaisHarariaffirmeégalementque«pourlapremièrefoisdel’histoire,notremondeestdominéparuneéliteéprisedepaix».Laguerreestperçuecommeunmal,cequin’apastoujoursétélecas.

C’est donc globalement mieux aujourd’hui qu’avant, mais pour combien de temps encore ?Compte tenu des inégalités qui augmentent, du travail qui disparaît, des destructions du vivant quiexplosent,est-cequeceseramieuxdansunsiècle?Non,ceserapire.

Il est devenu suicidaire de continuer à agir en fonction de l’urgence et d’un quotidien quin’intègre que les humains dans ses préoccupations. Les données du contrat social que nous avonssignéilyaplusdedeuxsièclessontdépassées,carnotrerapportaumondeachangé.MichelSerresl’a fait remarquer ilyabientôt trenteansenpubliantLeContrat naturel, dans lequel il demandaitqu’unnouveaupacteprenneencomptelanature.Ilpréconisaitavecsagessequenousabandonnionsnotre statut de parasite (celui « qui prend tout et ne donne rien ») pour établir un rapport deréciprocitéaveclanature,etdoncdesymbiose:«Retourdoncàlanature!Celasignifie:aucontratexclusivementsocialajouterlapassationd’uncontratnatureldesymbioseetderéciprocitéoùnotrerapport aux choses laisserait maîtrise et possession pour l’écoute admirative, la réciprocité, lacontemplation et le respect, où la connaissance ne supposerait plus la propriété, ni l’action lamaîtrise, ni celles-ci leurs résultats ou conditions stercoraires ». « Stercoraires » ? Je vous sensdubitatif. Je l’ai été.N’allezpas cherchervotredico, j’ouvre leRobert pour vous : «Stercoraire :

relatifauxexcréments».Voilààl’œuvreletalentd’ungrandphilosophelettrépournousdirequesil’onnechangerien,onestdanslamerde.

Passerduparasiteausymbiote,fairedelanatureunsujetdedroit,l’intuitiondeMichelSerresaudébutdesannéesquatre-vingt-dixétaitonnepeutplusjuste.Toutcommesadénonciationducourtterme dans la réflexion politique et l’expressionmédiatique. Il expliquait déjà que le politique estincapable de porter des projets qui dépassent le cadre des élections prochaines, et que lesmédiasprivilégientletraitementdescatastrophes,quin’exprimentquel’instantquipasse.D’oùsonsouhait:«[…]Donnonsdonclaparoleàdeshommesdelongterme.»

Labiodémocratiepeuts’appuyersurplusieurspropositionsquiontémergécesdernièresannéesafind’imaginerlacréationdenouvellesinstancesàmêmed’exprimerunevisiondulongtermeetdetenircomptedesintérêtsduvivant:le«Parlementdeschoses»deBrunoLatour(unparlementquireprésenterait lesnon-humains), l’«AcadémieduFutur»dePierreRosanvallon, l’«AssembléeduLong Terme » de Dominique Bourg, ou l’« Assemblée de la nature et des vivants » de CorinePelluchon.

Ladémocratiemoderne,expliquelephilosopheDominiqueBourg,s’estconstituéeautourd’uneseule valeur : le commerce. Jusqu’à aujourd’hui, poursuit-il, la société tend vers un unique but :développeraumaximumlesactivitéséconomiques.Danscecontexte,lecontratauquelsesoumettentleshommesapourbutderépondreauxobjectifssuivants:lemaintiendel’ordrepublic,ladéfensenationale, l’équilibre de tous les intérêts individuels ou encore la distribution des richesses.DominiqueBourg, se référantà l’analysedeBenjaminConstant, souligneque lecitoyena sacrifiédanslaversionmodernedeladémocratieunegrandepartiedesonpouvoirdedécisionenéchanged’unelibertédansle«plaisirprivé»,c’est-à-direlaconsommationetlaproduction.Lecitoyenpeuts’exprimer librement, choisir sonmétier, et acheter ce qu’il désire. En échange, les représentantsqu’ilélitdécidentpourlui.Onestdoncbienloindeladémocratiedirecteantique.«Lareprésentationmoderne est intrinsèquement conditionnée par cette conception de la liberté : la production et laconsommation, virtuellement illimitées, sont considérées comme les principaux instruments dubonheurindividuel.»Maisdésormaiscetteformededémocratieestobsolètecardesproblématiquesnouvellessontapparues,tellesqueladisparitionaccéléréedesespèces,lechangementclimatique,ladémographie et l’industrie quimettent en péril les écosystèmes. Par ailleurs, les problèmes ne serèglentplusà l’échelledesÉtatscar lespollutionssedéplacentetneconnaissentpaslesfrontières.L’organisation mondialisée de la production et de la consommation a pour conséquenced’internationaliser chacun des problèmes qui y sont liés. La protection de la biosphère impliqueforcément de nos jours une coopération entre nations. Comment impliquer davantage les citoyensdanslesprisesdedécision?DominiqueBourgsuggèredemultiplierparexempleles«conférencesde consensus » élaborées par les Danois dans les années quatre-vingt. Qui composerait cesassemblées chargées de se prononcer sur les OGM ou le nucléaire ? Des citoyens ordinaires,sélectionnés sur le principe d’un jury populaire, avec tirage au sort. Pour que les débats aient unepertinence, lescitoyens sélectionnés recevraient auparavantune formation sur laquestionévoquée.

Les organisateurs aideraient le jury à choisir les experts auditionnés. Puis le débat contradictoireaurait lieu,éventuellementretransmisdanslesmédias.Lesparticipantsétabliraientenfinunrapportavecunepositionetdespropositions.DominiqueBourgsuggèreégalementderenforcerlepouvoirdesONGE(organisationsnongouvernementalesenvironnementales)quipourraientêtreamenéesàsiéger dans les institutions publiques et gouvernementales qui traitent des dossiers liés àl’environnement(agriculture,logement,transports,énergie,etc.).

Mais la proposition la plus novatrice qui émerge de la réflexion collective est celle d’unenouvellechambreauParlement.Selonlesversions,ellereprésenteraitlesenjeuxenvironnementauxétendusounonauxintérêtsdesanimauxnonhumains.Cettechambrepourraitcomptersur lesavisd’unenouvelleinstitutionquioccuperaituneplacecentraledanslaviepolitique:unCollègedesagesetd’experts,constituédescientifiques,dephilosophesetd’intellectuels.

L’idéedeceCollègechargéd’éclairer lesdécisionspolitiquesetd’informer lescitoyensdoitêtre défendue et affinée. Je choisirais de l’appelerComité duVivant.Quant auParlement, il est eneffet temps qu’il soit rénové et qu’il intègre les intérêts du vivant, et notamment ceux du vivantsensible. J’opterais pour la suppression de l’actuel Sénat, dont l’utilité est proche de zéro.Énormémentd’argentjetéparlesfenêtrespourdesélusquineserventstrictementàrien.Restedoncl’Assembléenationale,dontilfaudracomplètementredéfinirlefonctionnement,àcommencerparlemode d’élection des députés. Ces derniers ne pourront plus se contenter du simple rôle dereprésentantsdepartis,maisilsdevrontretrouverleurfonctiondevoixautonomesquiexprimentlavolontédupeuple.Dequelpeupleparlons-nous?Lepeupledesantispécistesintègrelesanimauxnonhumainssensibles.Mêmesijeneconsidèrepas,commecertainspenseurs,quelesanimauxdoiventobtenir le statut de citoyens, il convient néanmoins qu’en tant qu’individus leur voix soit relayée.Comment?Toutsimplementparlebiaisd’humainsquiaurontpourtâchedereprésenterlesintérêtsdecesanimauxnonhumains.

Lesassociationsdedéfensede lanatureoudesanimauxontdéjàaujourd’hui lapossibilitédeporterdevantlajusticelesintérêtsd’unlittoralsouilléoud’unchevalbattu.Lepréjudiceécologiqueest même aujourd’hui un principe juridique reconnu, qui amène à indemniser la nature abîmée.Imaginonsquel’onnelaisseplusauxseulesassociationslepoidsdelareprésentationdesintérêtsduvivantmaisquecette tâchedevienneundevoirde l’État.Lebutestqueces intérêtsnonhumainsnesoient plus seulement défendus devant les tribunaux lorsqu’ils sont bafoués, mais qu’ils puissentégalements’exprimerdanslecadredetouteprisededécisionpolitique.

Àcôtéde l’Assembléenationaleexisteraitdoncunedeuxièmechambre, l’Assembléenaturelle(quiremplaceraitl’actuelSénat).Lesmembresdecettedeuxièmechambreneseraientpasélus.Unepartie du collège (un tiers par exemple) serait constituée de hauts fonctionnaires formés dans uneécole que l’espièglerieme donne envie de nommer « nouvelle ENA » (École de la nature et desanimaux),oùilsrecevraientuneformationenécologie,biologie,éthologieetphilosophie.Afinqu’iln’y ait pas confusion sur les noms, l’ENA actuelle serait débaptisée dans le cadre d’une réformedestinéeàlamoderniserpourluiôtersoncaractèreélitisteetcarriériste.

L’autrepartieducollègedel’Assembléenaturelleseraitcomposéed’expertsetdereprésentantsd’ONGquidéfendentlanatureetlesanimaux.LesexpertsetONGenquestionseraientchoisisparleComité du Vivant, et la liste serait régulièrement réévaluée. Les hauts fonctionnaires seraient euxaussiamenésàcéderleurplacerégulièrement.L’Assembléenaturelle,contrairementàl’Assembléenationale, ne voterait pas les lois, mais elle pourrait en initier certaines et, surtout, elle aurait unpouvoirdevetosuruneloivotéepar l’Assembléenationale,sicette loicontrevientauxintérêtsduvivant.Et,commeprécédemmentexpliqué,l’Assembléenaturelles’appuieraitdanssesdécisionssurletravailduComitéduVivant.

Enfin,autreaspectdelabiodémocratie:ellenepeutêtreréduiteàuncadrestrictementnational.Lesproblé-matiquesenvironnementalesn’ontpasdefrontières.Nonseulementunepollutionn’attendpas d’avoir un visa pour pénétrer dans un pays, mais en plus toute politique industrielle etcommercialed’unpaysprovoquedésormaisdesrépercussionsà l’autreboutde laplanète.C’est laraisonpourlaquelleilfautsongerdèsaujourd’huiàlamiseenplaced’ungouvernementmondialquiprenne en charge toutes les questions liées au vivant. Gouvernement mondial ? Au moment oùnombreux sont ceux qui cherchent à fuir le cadre administratif européen pour se replier dans leslimitesdeleurlocaliténationale,l’idéed’unegouvernanceglobalevaenfaires’étranglerplusd’un.C’estpourtant lesens inéluctabledenotrehistoire,et il fautêtreaveuglepournepas levoir.Dansquelquescentainesdemillionsd’annéeslescontinentsseréunirontànouveau,etleshumainsquelesévénements avaient peu à peu séparés se retrouveront.Que fera-t-on alors ?Des barbelés partout,pour s’isoler avec sa famille proche ? Impossible, dans un monde qui a décidé lui-même de saréunification.

Ilyavingtans,lorsquej’habitaisShanghaipouruncourtépisodedemavie,j’airencontréunejeuneétudiantechinoisequis’appelaitLeAnne.Lavienousaséparés,àuneépoqueoùlestéléphonesportablesn’étaientpasrépandusetoùInternetbalbutiait.Unjour,alorsquej’étaisattablédansuncafédeMontréal,j’aireçuunmessagesurFacebookd’unefemmequimedemandaitsijemesouvenaisd’elle.Jel’avaisparfaitementenmémoire.LeAnnem’écrivaitdeNewYorkoùelles’étaitinstalléeily a plusieurs années.Nous nous sommes revus plusieurs fois depuis et nous sommes devenus desamis liés par une douce complicité. Tandis que nous marchions ensemble sur la Ve Avenue àl’occasion de l’un de nos trop rares moments de retrouvailles, nous nous étonnions de notreincroyableproximité.Noussommesnésetavonstoujoursvécuàdesmilliersdekilomètresl’undel’autre,surdescontinentsdifférents.Elleestasiatique, jesuiseuropéen.Nousnenoussommespasvuspendantdix-sept ans.Etpourtant,dèsquenousnous sommes retrouvés, c’était commesinousavions toujoursétéconnectés.Nousrionsauxmêmesblagues,nousmanions lamêmeironie,nousaimons lamêmeliberté…UnFrançaisnédans lePas-de-Calais,uneChinoisenéeàShanghai…Etl’évidence qui nous caresse, lorsque nous dînons ensemble dans un restaurant aux États-Unis. Ladernièrefois,sonpetitaminousaccompagnait:unAustralienhypersympa.Quivoudraitencoremefaire croire que nous ne sommes pas tous frères, d’un bout à l’autre de la Terre ? Dans une vieprécédente, rempliede reportagesetdevoyages, j’aieu lachancedeparcourir tous lescontinents.

Sur chacun d’entre eux, j’ai rencontré des humains qui me ressemblaient plus que beaucoup deFrançais que je côtoie au quotidien.Pourtant ils n’avaient nimanationalité, nima religion, nimacultureetparfoispaslamêmecouleurdepeau.Maisilsétaientmoietj’étaiseux.Pendantmaviedereporter, j’ai été séduit par des femmes de toutes religions et si, le sort s’en étaitmêlé autrement,j’auraispum’installerdanscinqousixpaysdifférents,parromantisme.Mesplusgrandsbonheurs,jelesaiconnusloindelaFrance,endécouvrantd’autresquemoiprêtsàmefairegrandiretcurieuxdecet étranger qu’ils avaient choisi de prendre pour ami. Il est évident que l’humanité n’a pas à êtreartificiellementséparéeetqu’elleseporteramieuxlejourdesgrandesretrouvailles.Oui,unjourledestincommunà tous leshumains terriens trouverasonexpressiondansune formed’organisationpolitiquesupranationale.Etnousparleronstouslemêmelangage.Ceuxquis’eneffraientm’étonnent,d’autantqu’onlestrouveunefoisdeplusparmilesplusconservateurs,ceux-làmêmequibrandissentnos racines chrétiennes.Mais à l’origine, dans la Bible, n’est-il pas raconté que tous les hommesparlaient la même langue, avant l’épisode de la tour de Babel ? L’unité originelle de toute lacommunautéhumainen’est-ellepasuneconceptionextrêmementchrétienne?Biensûr,ilconvientdes’interrogersurlaformequeprendracettegestionpolitiquemondialisée.Lacrainted’unedictatureliéeàunestructureimpérialeestsouventavancéeparceuxquipréfèrentlereplisureux-mêmes.Lemodèlequ’ilconvientdepromouvoirestceluid’unedémocratiefédéraliste.

Lamondialisation incarneunmodèle économique libéralnéfaste.En revanche, comme le faitremarqueràjustetitreCorinePelluchondanssonessaiLesNourritures,lecosmopolitismeestuntoutautre concept, qui n’appelle en rien à l’uniformisation. Il n’est pas unordremondialmais doit aucontraire le respect des individus : «Le contresens, quand on parle de cosmopolitisme, consiste àimaginerunensembledevaleursglobalesquel’onchercheraitàimposerpartoutdanslemondeouàrêver d’une identité mondiale dont on prétendrait être le porte-parole. Une telle fiction est nonseulementdangereuse,mais,deplus,elleestcontraireàlasignificationducosmopolitisme,quiestinséparabledelareconnaissancedelavaleurdelapluralitédumondeetdeladiversitédesvaleursetcultures.»Ilfautdoncrêverd’unespacequinouspermettedenouscoordonnersurtouslesdossiersqui impliquent l’ensemble de l’humanité, en édictant quelques règles de vivre-ensemble à grandeéchelle.Enrevanche,lalibertéetl’épanouissementdetoutindividudoiventêtreencouragés.

Face aux défis qui nous attendent, nous allons devoir coordonner à grande échelle nospolitiques, celles qui ont des répercussions sur tous les humains de cette planète, qu’ils habitentJohannesburg, Canberra, San Francisco ou Marrakech. Cela ne se fera pas en dix ans, plutôt enquelques siècles. Mais c’est comme ça. Un jour, nous y viendrons. Tel serait l’objectif de cegouvernementmondial:mettreenplaceunepolitiquedepréservationdelaplanète,desécosystèmesetdesespècesàl’échelleinternationale.Celaimpliquequesoientreprésentéesdanscegouvernementtoutes les fonctions liées à l’environnement et au respect du vivant : il y aurait des ministres del’Économie, desTransports, de l’Énergie, de l’Agriculture, duLogementou encorede l’Industrie.Ceux-ci n’imposeraient pas à chaque État une politique particulière, mais définiraient plutôt un« cadre de sécurité » dans lequel doivent s’inscrire les politiques nationales, afin qu’aucunÉtat ni

aucun écosystème ne soient lésés par les décisions égoïstes d’un seul. Plutôt qu’un gouvernement,d’autrespréfèrentenvisager lacréationd’une«ONUde l’environnement»,quiapparaîtraitmoinspolitique et doncmoins contraignante. Si la forme gouvernementaleme semble préférable à celled’uneorganisationcommelesNationsunies,c’estparcequejecroisquecetteONUdédiéeauvivantéchouerait à éviter les catastrophes environnementales et à en punir les responsables, tout commel’ONUéchouerégulièrementàéviterlescatastrophesgéopolitiquesethumanitairesetàenpunirlescoupables.Unetelleassembléesecontenteraitd’émettredesavisquiseraientplusoumoinssuivis,enfonctiondelaforcedesÉtatsconcernés.L’histoirerécenteamontréqu’ungouvernementsurpuissantoutrepasseallègrementledroitinternationalquandilenaenvie.Jecroisqu’unhommeassagisaura,dans quelques siècles ou millénaires, comprendre la nécessité et le bénéfice d’une coordinationmondialedespolitiquesquitouchentauvivant.

LesprioritésdelaRépubliqueduVivant

Nous avons imaginé le cadre d’unebiodémocratie,et les conditions nécessaires à samise enplace.Maisquelenserait lecontenu?Quelleest lapolitiqueàdéfendrequiseraitunprogrèspourl’humanité,pourl’animalitéetpourlevivantdanssonensemble?

Troisévidencessedessinent,dontnosreprésentantspolitiquesneparlentpourtantjamais.Ilyad’abordlenécessairecontrôledeladémographie.Noussommesdéjàtropnombreuxsur

laplanète.Noussommesaujourd’huiplusde7,3milliards,cequisignifiequelapopulationmondialeadoublédepuis lesannéessoixante-dix,depuismanaissancedonc.Etçacontinue.Onnepeutplusgérerlaplanètecommeilyaquaranteans.Etsurtout,nousn’avonspaslesmoyensd’avoir7,8ou9milliardsd’ultra-consommateurs,carlaplanètenedisposepasdesressourcessuffisantes.Alorsquefaisons-nous?

L’autreprioritéconsisteàimaginerdèsaujourd’huilasociétédutempslibre,outemps libéré,carilyauradanslesdécenniesdemoinsenmoinsdetravailàpartager.JeremyRifkinprétendquenoussommesàl’èredelatroisièmerévolutionindustrielle,celledestechnologiesdel’information,delacommunicationetdes«énergiesvertes»,etquel’heureestàlaréductiondutempsdetravail.Dès1995,l’économisteaméricainexpliquaitdansLaFindutravailquetouteunepartiedesemploisphysiques et intellectuels allait être remplacée dans les décennies qui viennent par les nouvellestechnologies – cela a déjà largement commencé. Et les emplois perdus ne pourront être touscompensés par les nouveaux métiers, dans la mesure où ces nouvelles technologies allègentconsidérablementlesbesoinsenmain-d’œuvre.Parailleurs, lapolitiquedelaconsommationàtoutprixn’estpluscompatibleaveclesexigencesenvironnementales:ilfautproduiremieux,certes,maiségalementmoins pour être en cohérence avec notre promesse affichée de respect de l’écosystème.Conséquence : moins de biens produits, c’est moins d’emplois. Et tout cela dans un contexted’explosion démographique ! Il est temps que les différents programmes politiques intègrent cetteréalitéafindemettreenplacedèsaujourd’hui lessolutionsdedemain,au lieudecontinueràfairevivre sous respirateur artificiel, à coups d’emplois aidés et de cadeaux fiscaux aux patrons, un

systèmeàl’agonie.Rifkin,justement,imaginequel’avenirestàl’économiedepartage:partagerlavoiture, les lieux de vacances, la musique… La propriété deviendrait démodée. Rifkin parle d’un«coûtmarginalzéro»pourleschoses,c’est-à-direlecoûtsupplémentairepourlaproductiond’uneunitéd’unbienoud’unservice.C’estcequiestarrivépourl’information:lamusique,lavidéo,lapresse,qui separtagentaujourd’huigratuitementenunclic.D’autresdomainescommencentàêtreimpactés,comme l’énergie,puisqu’unpanneausolaireouuneéolienneproduisentautantd’énergiequ’on le désire pour un coût presque nul, et que le soleil et le vent sont gratuits. Lorsque chaqueimmeuble et chaquemaison seront équipésdes installations adéquates, plus aucuncitoyenn’aura àpayerpourlaconsommationdesonénergieetilpourralapartageravecd’autres.Différentsobjetssont aujourd’hui déjà partagés grâce aux réseaux sociaux : des choses que l’on aurait jetées sontdésormais offertes ou revendues facilement, retrouvant une deuxième ou une troisième vie. Parailleurs,nombred’objetsvontbientôtpouvoirêtre fabriquéspardes imprimantes3D.Nousseronsdonctousproducteursdecertainsdenosbiensdeconsommation.Lesvoituresprivéesquantàellesseront à terme remplacées par des voitures partagées sans conducteur, installées sur des routesintelligentes. Tout cela implique que nous produironsmoins, travailleronsmoins et… tantmieux.Voilàuneformidableoccasionderemplacerlasociéténévrotiquedelaconsommationetdutravailpar lasociétédubien-être,destinéeàpromouvoir l’épanouissementpersonnel.L’espècehumaineaévolué grâce à son activité intellectuelle. Elle a inventé l’hommemoderne car il a eu le temps deréfléchiràlui-mêmeetd’explorerlemondedanssesplusinfinisdétails.Desactivitésqui,apriori,nerapportentrienmaiscoûtentdel’argent.C’estpourtantcemonde-làquivautd’êtretraversé:celuidurêve et de la curiosité. Lisons, faisons de lamusique, du sport, de la danse, intéressons-nous auxautres,ànotrefamille,ànosvoisins,àceuxquiontbesoind’aide,prenonsletempsderegardercequ’ilsepasseautourdenous,prenonsletempsdedevenirnous-mêmes.

Ilconviendrad’instaurerunrevenuminimumuniverselquicouvrelesbesoinsélémentairesdechacun : le logement, lanourriture, l’habillement.Dansunmondeaussi richeque lenôtre, iln’estplusacceptablequ’unhommeouunefemmen’aitpasd’endroitoùdormiroudenourriturepoursefaireunrepas.Nousproduisonssuffisammentdanslemondepourrépondreauxbesoinsessentielsdetoutunchacun.Qu’est-cequinousempêchedepartager?Laproblématiquen’estpasdesavoirquipeut avoir droit à une part de gâteau dans un contexte où ce gâteau serait trop petit pour tous lesinvités.Encequinousconcerne,nousavonstropdegâteauetnousenjetonsdesmorceauxentiersàlapoubelle!Certainss’enserventtroispartstandisqued’autresn’ontmêmepasledroitdegoûter.L’argentcouleàflots,ilfautdoncréorganisersadistribution.

Labiodémocratietellequejel’imagineapparaîtraauxyeuxdebeaucoupcommeuneutopie.Ellel’est.Maisc’estuneutopienécessaire,carelleestenfinunepromessed’avenir.RenéDumontavaitintitulél’undesesouvragesL’Utopieoulamort.Rêvonspourvivre.

Contrairementàl’idéecommunémentrépandue,nousnenaissonspaslibres.L’existenceestunlongparcourspouracquérirlaliberté.Celuiquiaréussisavieestceluiquimeurtaffranchi.

Épilogue

L’antispécismeestunantiracismeétendu.C’estbienlemêmemouvementquiestàl’œuvre.Cemouvement est celui qui réclame le respect de l’autre dans ses différences, ses spécificités, sansjugement qualitatif au nom d’une apparence. Ce mouvement est celui qui combat l’injustice. Cemouvementestceluiquichercheàdonner,sinonunsens,dumoinsuneconsolationàl’existence.Ilest l’un des piliers de l’écologie essentielle, qui est une écologie métaphysique et non plusmathématique.

Je sais les regards interrogateurs, condescendantsou incrédules,qui sepenchent surune tellephilosophie.Cesregards-làm’encouragentencoreplusetconfirmentquelechemindel’antispécismeestceluiduvraiprogrès.Cars’ilnedérangeaitpas,s’ilnebousculaitpaslesesprits,alorsceseraitlapreuvequ’iln’estqu’uneidéemoyennequiseraviteoubliée.Lesvraiesaudaceschoquent.Touslesbouleversements idéologiques qui ont permis à l’humanité de progresser ont d’abord suscitérailleries et incrédulité. C’est logique : les idées nouvelles s’opposent à celles, rassurantes, del’habitude.Etleurforcesedémontreprécisémentparleurpropensionàparaîtreirréalistes.

Malgré tout ce qu’il reste à accomplir, la considération pour les animaux non humainsprogresse.Le végétarisme, perçu jusqu’à peu de temps commeune pratique sectaire, commence àêtrerespecté.LéonTolstoïl’avaitpréditensontemps:«Maispourquoi,sil’humanitéaconsciencedepuis si longtemps qu’il estmal demanger des animaux, les gens n’en ont toujours pas fait unerègle?Cettequestionseraposéeparceuxquiontpourhabitudedeseconformeràl’opinionpubliqueplutôtqu’àlaraison.Laréponseestqueleprogrèsmoraldel’humanité–quiestfondementdetouteautreformedeprogrès–esttoujourslent.Maisunvraiprogrèssecaractériseparsacontinuitéetsonaccélération.Leprogrèsduvégétarismeestdeceux-là.»

L’antispécismerépondàunmalquivientàpeined’êtreclairementidentifié.Ilvaluifalloirdutempspours’imposerdanslesesprits.Maisilestévidentqu’ilyparviendra,carlemomentestvenu.En ce début deXXIe siècle, nous n’avons plus aucune excuse rationnelle pour continuer à justifier

l’exploitation et la mise à mort des animaux. La nourriture, l’habillement, le divertissement etl’expérimentationsontdesprétextescaducs.

Si les humains sont devenus ce qu’ils sont, c’est uniquement parce qu’ils ont asservi tout cequ’ilspouvaientasservir,ycompriseux-mêmes.Lespremièresvictimesdecettelogiquedestructriceonttoujoursétélesanimauxnonhumains.Noussommesobligésdereconnaîtrequenousneserionspasgrand-chosesanslesacrificenonconsentidecesêtresquenousavonsexploitéssansvergognedepuis desmillénaires pour nous développer à leurs dépens. Pour cette raison, nous devrions êtreextrêmement reconnaissants envers ces plus faibles que nous avons exterminés par milliers demilliards. Ils ontdonné leurpeau, leur chair, leur force, leur intelligencepournousnourrir, nousvêtir,nousréchauffer,noustransporter,noussoigner,pourtracterouporterànotreplacedelourdescharges, ils ont été sacrifiés pendant les guerres pour permettre à quelques-uns de protéger leurterritoireoud’enconquérirdenouveaux.Sanscomptertousceuxdontnousavonscausélaperteparamusementouparnégligence.Ilest temps,nonpasdepayernotredette(elleestbientroplourde),maisdecesserdel’amplifier.N’oublionspasquenotresuccèsestfragileetqu’ilpeutvacillerenunjour.Ouvronsnotreespritauseulvraiprogrèsdel’humanité:celuidel’intelligenceducœur.Cetterévolutionintellectuellenousobligeàravalernotremorgue.Nousnesommesqu’uneespèceparmidesmillions.Nousfonctionnons,àquelquesdifférencesprès,commedesmilliersd’autresanimaux.Nousvenonsàpeined’apparaîtresurTerre.Denombreusesespècesétaientprésentesavantnousetlorsquenousdisparaîtrons,d’autresespècesnoussurvivront.Etpuisunjournotreplanètedisparaîtraettoutevieterrienneseraéradiquée.Alorslesvestigesdecequenousauronscréé,decesexistencesquiaurontdéfilé,denosguerresetdenosquerelles,denosparolesd’amouretdenoscrisdehaine,lapoussièredenospoussières,alorstouts’évaporeraenunepluied’atomesquiiront,peut-être,créerunjourd’autresexistencesailleurs.D’ici là,vivonsenlaissantvivrelavie.Réconcilionsl’homme,l’animal,lanature.

Remerciements

Merci àmes éditrices, StéphanieChevrier etAurélieMichel, pour leur soutien.Merci à ellesd’oser croire en la solidarité, en l’anumanisme, et de se battre pour unmonde qui respiremieux.MerciaussiàAntoineBöhmpoursonattentionetsadisponibilité.

Merciàcellesetceuxquiontdonnédeleurtempspourmefairepartdeleurexpertise:CorinePelluchon, Valéry Giroux, Brigitte Gothière, Alain Cirou, Dominique Bourg, Sébastien Hoët,FrédéricCaron,CorinneLepage,ettouslesautresquelaconcisiondecesremerciementsm’empêchedeciter.

Merciàmesparentspourlesouffle.MerciàNina,lespetitsplatsdanslesgrands.

Référencesetsources

Pournepasalourdirletextedenotessontrassembléesicilesréférencesbibliographiquespourleslecteursquivoudraientprolongerouapprofondir.

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