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Joëlle Robert-Lamblin Anthropologue, Docteur d’État ès Lettres, Directeur de recherche de classe exceptionnelle honoraire depuis 2008 (CNRS, France) (1980) “Le kayak aléoute vu par son constructeur et utilisateur et la chasse à la loutre de mer.” Collection “Peuples Autochtones“ LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES CHICOUTIMI, QUÉBEC http://classiques.uqac.ca/

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Joëlle Robert-LamblinAnthropologue, Docteur d’État ès Lettres,

Directeur de recherche de classe exceptionnelle honoraire depuis 2008 (CNRS, France)

(1980)

“Le kayak aléoutevu par son constructeur et utilisateur

et la chasse à la loutre de mer.”

Collection “Peuples Autochtones“

LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALESCHICOUTIMI, QUÉBEChttp://classiques.uqac.ca/

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Les Classiques des sciences sociales est une bibliothèque numérique en libre accès, fondée au Cégep de Chicoutimi en 1993 et développée en partenariat avec l’Université du Québec à Chicoutimi (UQÀC) de-puis 2000.

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En 2018, Les Classiques des sciences sociales fêteront leur 25e anni-versaire de fondation. Une belle initiative citoyenne.

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Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur associé, Université du Québec à ChicoutimiCourriel: [email protected] Site web pédagogique : http://jmt-sociologue.uqac.ca/à partir du texte de :

Joëlle Robert-Lamblin

“Le kayak aléoute vu par son constructeur et utilisateur et la chasse à la loutre de mer.”

Un article publié dans la revue Objets et mondes, la revue du Musée de l'Homme, Muséum National d'Histoire Naturelle, tome 20, no 1, printemps 1980, pp. 5-20.

L’auteure nous a accordé, le 5 mars 2020, l’autorisation de diffuser en libre accès à tous ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.

Courriel : Joëlle Robert-Lamblin : [email protected]

Police de caractères utilisés :

Pour le texte: Times New Roman, 14 points.Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 12 points.

Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2008 pour Macintosh.

Mise en page sur papier format : LETTRE US, 8.5’’ x 11’’.

Édition numérique réalisée le 8 janvier 2021 à Chicoutimi, Québec.

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Joëlle Robert-LamblinAnthropologue, Docteur d’État ès Lettres,

Directeur de recherche de classe exceptionnelle honoraire depuis 2008(CNRS, France)

“Le kayak aléoute vu par son constructeuret utilisateur et la chasse à la loutre de mer.”

revue Objets et mondes, la revue du Musée de l'Homme, Muséum National d'Histoire Naturelle, tome 20, no 1, printemps 1980, pp. 5-20.

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Un ouvrage dela collection “Peuples autochtones”

Fondée et dirigéepar

Jean BenoistMédecin et anthropologue

professeur retraité de l'Université de Montréalet de l'Université Paul Cézanne, Aix-Marseille.

http://classiques.uqac.ca/contemporains/peuples_autochtones/index.html

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“Le kayak aléoute vu par son constructeuret utilisateur et la chasse à la loutre de mer.”

Table des matièresRésumé / Abstract [5]

Le kayak aléoute [5]Les différents types de kayaks aléoutes (baidarka ou bidarka) [7]La construction du kayak [8]

Le matériau [8]La forme [8]Les dimensions [8]

Les étapes de la construction [9]

La membrure, ulmaX [9]La couverture de peau [10]L’armement [10]L’intérieur du kayak [10]La décoration [11]Les qualités essentielles d’un kayak [11]

La légèreté [11]La solidité [11]La rapidité et la maniabilité [11]L’élégance [11]

Vie et sexe du kayak [12]Le maniement du kayak [12]

L’apprentissage [12]La navigation [12]L’avarie [13]La place du chef d’expédition dans un kayak à deux ouvertures [13]

La chasse au loutre [13]La légende de la loutre, chngatuX [14]Les rites de préparation à la chasse [14]La technique de la chasse [15]La technique de l’encerclement [16]La technique de la chasse lors d’une tempête [16]La technique du « surf shooting » [16]Le retour du chasseur [17]

La disparition de la loutre de mer et le déclin de la population aléoute [17]

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Notes [18]Références bibliographiques [19]

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Note pour la version numérique : La numérotation entre crochets [] correspond à la pagination, en début de page, de l'édition d'origine numérisée. JMT.

Par exemple, [1] correspond au début de la page 1 de l’édition papier numérisée.

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[5]

Joëlle Robert-LamblinAnthropologue, Docteur d’État ès Lettres,

Directeur de recherche de classe exceptionnelle honoraire depuis 2008(CNRS, France)

“Le kayak aléoute vu par son constructeuret utilisateur et la chasse à la loutre de mer.”

revue Objets et mondes, la revue du Musée de l'Homme, Muséum National d'Histoire Naturelle, tome 20, no 1, printemps 1980, pp. 5-20.

RÉSUMÉ

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À la fois moyen de transport dans des eaux particulièrement dange-reuses et outil de chasse pour la quête des mammifères marins indis-pensables à la vie humaine, le kayak aléoute, baidarka, a certainement été la plus grande réussite technologique de cette culture subarctique. Au fil des générations, la connaissance de ses formes et proportions, des propriétés et qualités techniques des bois et des peaux dont il est constitué, s'est affinée pour une efficacité optimum de l'embarcation. Pourtant, cet ingénieux bateau, à un, deux ou trois passagers, n'est plus ni construit ni utilisé de nos jours. Ici se trouve présentée, à partir d'informations recueillies auprès d'Aléoutes âgés, la façon dont le kayak était réalisé, aux mesures de son propriétaire, et utilisé en parti-culier pour la chasse à la loutre de mer.

La loutre, animal vénéré auquel les légendes prêtent une origine humaine, a été la principale richesse de cette population. Le rituel qui entourait sa chasse, ainsi que les techniques et instruments employés, sont décrits dans cet article. Mais c'est aussi la présence de cet animal, dont la fourrure a été très recherchée aux XVIIIe et XIXe siècles, qui entraîna la destruction de la population aléoute. Attirés par le com-

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merce fort lucratif de cette fourrure, les commerçants russes et sibé-riens qui affluèrent dans les îles eurent en effet un comportement par-ticulièrement brutal à l'égard des autochtones, allant jusqu'au massacre d'un grand nombre d'entre eux. Loutres de mer et Aléoutes subirent le même sort tragique jusqu'à leur quasi-extinction.

Abstract

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Used as a means of transport and for hunting sea mammals indis-pensable for human life, in particularly dangerous waters, the Aleut kayak, baidarka, was certainly the greatest technological success of this subarctic culture. Throughout generations the understanding of its lines and proportions, and the technical properties and qualities of the wood and skins with which it is made, improved, so as to give the craft optimum efficiency. However, this ingenious boat for one, two or three passengers is neither constructed nor used at present. From informa-tion gathered from aged Aleuts, the author depicts the way in which the kayak was made, according to the measurements of its owner, and used mainly for hunting the sea otter.

The otter, venerated animal to whom legends give a human origin, was the main resource of this population. The ritual surrounding its hunting, as well as techniques and instruments used, are described. It was also the presence of this animal, whose fur was in great demand in the 18th and 19th centuries, which led to the destruction of the Aleut population. Attracted by the very lucrative trade of this fur, Russian and Siberian traders who flocked to these islands acted in a particu-larly brutal way towards the native population, going as far as killing a large part of it. Sea otters and Aleuts suffered the same tragic fate, to the point of quasi-extinction.

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LE KAYAK ALÉOUTE

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Le kayak aléoute (généralement désigné dans la littérature par le terme baidarka), par la perfection de sa réalisation, a fait l'admiration des navigateurs étrangers venus explorer cette région d'Alaska aux XVIIIe et XIXe siècles. Pour Sauer (t. 1, p. 296), « les canots d'Ounala-schka sont infiniment supérieurs à ceux de toutes les autres îles de ces mers. Si une grande régularité dans les proportions et beaucoup de fini dans le travail, constituent la beauté d'un ouvrage en ce genre, on peut dire que ces canots sont très beaux et j'avoue qu'ils m'ont paru être de la plus grande perfection », et Veniaminoff, missionnaire orthodoxe russe, qui séjourna à Unalaska de 1824 à 1834, écrit : « The Aleut bai-darka is such an accomplished piece of work of its kind, that a finished mathematician would not be able to add much or even anything to the perfection of its sea-going qualities » (traduction Jochelson, 1933, p. 24).

En effet, lorsque l'on connaît le climat des îles Aléoutiennes, célèbre pour ses brumes, brouillards, pluie, vents et tempêtes, et pour la force des courants marins qui circulent entre les îles de l'archipel, et que l'on sait, par ailleurs, que les Aléoutes n'hésitaient pas à entreprendre, en kayak, des expéditions de chasse ou de vendetta d'un bout à l'autre de la chaîne et même jusqu'à Kodiak, on ne peut qu'avoir la certitude que leurs embarcations étaient tout à fait remarquables et qu'eux-mêmes possédaient des qualités exceptionnelles de navigateurs. Les Aléoutes sont des insulaires et la mer n'étant jamais gelée à cette latitude, leur moyen de transport essentiel a été le kayak. « Ce que le traîneau est à la chasse sur glace, le kayak l'est à la chasse en eau libre. Peu d'embar-cations, parmi les peuples non civilisés... sont comparables au kayak svelte et gracieux, appelé baidarka en Alaska » (Kaj Birket-Smith, p. 98).

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[6]

FIG. 1. - Carte situant l'habitat traditionnel de la population aléoute : l'archipel des îles Aléoutiennes et l'extrémité de la péninsule d'Alaska jusqu'à Port Moller. Les îles Pribilof et les îles du Commandeur n'ont été peuplées que tardivement, respectivement à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, par des familles aléoutes transplantées par les colonisateurs russes (Carte exécutée par D. Fou-chier, Centre de Recherches Anthropologiques du Musée de l'Homme).

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Pourtant, on ne trouve plus aujourd'hui aucun kayak dans les îles Aléoutiennes. L'abandon de ce type d'embarcation a été progressif se-lon les villages à partir de 1910-1920. La disparition totale pour la ré-gion d'Akutan se situe, selon les vieux du village 1, vers 1930, au profit des doris ou barques à moteurs, puis des bateaux à moteur hors-bord. Elle semble être liée, d'une part à l'extermination des animaux à four-rure dont le cuir servait à la couverture des kayaks, d'autre part à l'inter-diction définitive de chasser la loutre de mer à partir de 1911 (chasse qui nécessitait l'utilisation du kayak).

Des témoins de ce moyen de transport révolu sont conservés en grandeur nature ou en modèles réduits dans les musées de différents pays du' monde (Russie, États-Unis, Pays-Bas, Danemark, Allemagne, France, etc..) et un certain nombre de descriptions technologiques ont déjà été publiées par des muséologues (voir les références bibliogra-phiques de Liapunova, Adney et Chapelle, Zimmerly).

FIG. 2. - Kayak à une place représenté sur une gravure du Troisième voyage de Cook, III, Paris, 1785, d'après un dessin de John Webber. En juin 1778, un chasseur aléoute d'Unalaska, coiffé d'une visière en bois décorée de moustaches de lion de mer et vêtu du chigidaX, vêtement imperméable, s'était approché du navire La Résolution (Document collection particulière, cl. Musée de l'Homme, J. Oster).

1 Un Aléoute d'Umnak, venu s'établir à Akutan en 1924, se souvient qu'il y avait encore des kayaks dans le village lors de son arrivée.

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Mon intention ici n'a pas été de reprendre toute la littérature exis-tante, mais de la compléter par des informations recueillies principale-ment auprès d'un informateur qui savait construire son propre kayak et qui, plus de quarante ans après, se remémorait parfaitement tous les détails de cette construction. Ce qu'il m'a paru intéressant d'analyser ici, c'est le point de vue du constructeur et utilisateur du kayak, plutôt que celui de l'homme de musée qui décrit et mesure l'objet, en soi, sorti de son contexte. Chez les Aléoutes, au fil des générations, la connais-sance des formes, proportions, propriétés et qualités techniques des différents bois de flottage, des peaux, etc.. s'est affinée pour une effica-cité optimum ; et le savoir s'est transmis, par tradition orale, d'oncle maternel à neveu ou de père à fils.

Je rapporterai principalement ici les informations que j'ai recueillies auprès de Bill Tcheripanoff, un homme âgé de 69 ans, que j'ai vu quoti-diennement lors de mon [7] séjour dans nie d'Akutan en 1971. Je les ai postérieurement confrontées avec celles de la littérature existante sur les kayaks se trouvant dans les collections des musées, et j'ai pu consta-ter à quel point les mesures corporelles mémorisées par ce vieil homme étaient cohérentes et concordaient, en général, avec les données mé-triques publiées par les muséologues.

LES DIFFÉRENTS TYPES DE KAYAKS ALÉOUTES(BAIDARKA OU BIDARKA)

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Le terme baidarka est un mot d'origine russe, diminutif de baidar-ka 2 qui, lui-même, désignait, chez les Aléoutes comme chez les Kamt-chadales, le grand canot couvert de peau (c'est-à-dire l'umiak des Eski-mo) utilisé pour les transports collectifs ou les expéditions guerrières intertribales.

On connaît trois types de kayak, ou baidarka, aléoute : à une, deux et trois ouvertures.

- Le kayak à un trou d'homme (iqaX en aléoute) était le plus répandu au moment de la découverte des îles Aléoutiennes par les colonisateurs

2 Le mot baidar se retrouve dans des dialectes russes pour désigner la barque.

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russes. Les récits des premiers voyageurs : Steller, Cook, etc., font surtout mention de ce type de kayak (fig. 2).

FIG. 3. - Différents types de kayaks des Iles Aléoutiennes : kayak à une ou-verture, couvert de son enveloppe de peau et armé ; et charpente en bois d'un kayak à deux ouvertures. In Choris, Voyage pittoresque autour du Monde, planche VIII, Paris, Firmin Didot, 1822 (Document de la Société de Géographie, Cl. J. Robert-Lamblin).

- Le kayak à deux trous d'homme (ulluXtadaq 3 en aléoute), encore rare au début du XIXe siècle, est mentionné par Cook, Levasheff et Langsdorff comme étant l'attribut des chefs de village ayant un « do-mestique » pour le manœuvrer, ou bien décrit comme servant à instruire les jeunes hommes à la chasse et à la navigation, sous la direction d'un chasseur expérimenté. Il semble par la suite s'être généralisé aux dé-pens du kayak à un seul occupant. Jochelson et Liapunova pensent que le développement du kayak à deux ouvertures serait lié à l'introduction des armes à feu en remplacement du harpon : alors que le harpon ne requiert l'usage que d'une seule main, le fusil demande l'usage des deux mains, et le recul provoqué par le tir risquant de compromettre l'équi-libre du kayak aurait entraîné la nécessité d'une deuxième personne pour stabiliser l'embarcation. Personnellement, je ne crois pas que cet argu-ment soit décisif pour deux motifs : d'une part, dans un certain nombre d'autres régions arctiques, l'introduction du fusil dans l'équipement de

3 La racine ulluX signifie : viande, chair, corps humain et désigne le trou d'homme de kayak. Le signe X se prononce comme le ch allemand dans « noch » ou « auch » et le signe q se prononce comme le ch allemand dans « ach ».

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chasse n'a pas provoqué de changement fondamental dans la structure du kayak, d'autre part, les armes à feu n'ont pas été très largement adoptées par les chasseurs aléoutes en kayak, comme cela sera évoqué plus loin, p. 15. Je pense plutôt qu'au cours du XIXe siècle, les expédi-tions de chasse étaient devenues de plus en plus longues et lointaines et qu'elles nécessitaient des déplacements plus rapides ; or les Aléoutes m'ont confirmé que les kayaks à deux rameurs se déplaçaient sensible-ment plus vite que ceux mus par un seul homme (figures 3 et 12).

FIG. 4. - Modèle réduit d'un kayak à trois places (long. 48 cm, larg. : 6,2 cm). La membrure, en bois peint en rouge, est recouverte par une enveloppe en peau de phoque dont les coutures supérieures sont ornées de fils de laine rouge et bleue (Collection Musée de l'Homme, Paris, M. H. 08.1.1., cl. J. Oster).

- Le kayak à trois trous d'homme (ulluXtaq 4 en aléoute) est unani-mement considéré comme une création tardive, liée à la présence des Russes, et servant au transport des administrateurs, commerçants ou prêtres se rendant d'île en île. L'étranger occupait alors la place cen-trale entre les deux rameurs (fig. 4).

[8]

4 La racine ulluX signifie : viande, chair, corps humain et désigne le trou d'homme de kayak. Le signe X se prononce comme le ch allemand dans « noch » ou « auch » et le signe q se prononce comme le ch allemand dans « ach ».

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FIG. 5. - Unités de mesure utilisées par Bill Tcheripanoff pour la fabrication du kayak à deux ouvertures et du harpon à loutre de mer. Les valeurs en centi-mètres de ces mesures sont indiquées : elles représentent les mesures anthropolo-giques de l'informateur. 1. distance entre les extrémités des médius des mains, les deux bras étant étendus, c'est-à-dire « la brasse » ; 2. distance entre l'extrémité du médius d'une main, bras étendu, et la pointe du menton, la tête étant tournée de l'autre côté ; 3. distance entre l'extrémité du médius d'une main et la pointe du coude de l'autre bras plié ; 4. distance entre l'extrémité du médius de la main droite et la pointe du coude du bras droit plié, c'est-à-dire « la coudée » ; 5. dis-tance linéaire entre l'extrémité du pouce et celle du médius écartés (de la main droite) ; 6. distance linéaire entre l'extrémité du pouce et celle de l'index écartés (de la main droite) ; 7. largeur des phalanges de trois doigts : index, médius et

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annulaire (de la main droite) ; 8. largeur des phalanges de deux doigts : index et médius (de la main droite) ; 9. longueur des deux premières phalanges de l'index (de la main droite) ; 10. longueur des deux premières phalanges du médius (de la main droite) ; 11. distance linéaire entre l'extrémité du pouce et celle de l'index replié (de la main droite) ; 12. largeur du thorax. (Croquis D. Fouchier, C.R.A.M.H.).

LA CONSTRUCTION DU KAYAK

Le matériau

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Bois flotté et cuir de mammifères marins sont les seuls éléments entrant dans la confection du kayak. L'usage des chevilles en os pour tenir les pièces de bois a disparu au cours du XIXe siècle et a fait place à un autre système d'attache : des liens en tendons de baleine (ou de lion de mer) entourant les pièces à assembler ou joignant entre elles deux pièces percées de trous.

Région sans arbre, les îles Aléoutiennes n'offrent d'autre recours pour la confection des embarcations que les bois transportés d'Amé-rique du Nord, du Japon ou de Sibérie par les courants marins et échoués sur les rivages. Divers conifères d'Amérique du Nord étaient principalement utilisés par les Aléoutes, selon les propriétés qu'ils leur reconnaissaient : solidité, légèreté, flexibilité, etc.. 5.

Les peaux de mammifères marins servant à la couverture des kayaks étaient essentiellement la peau du lion de mer (Eumetopias jubata 5 Parmi les bois de conifères apportés par les courants, les informateurs

aléoutes distinguent principalement :- le « spruce » (Abies sitkensis) qui est le bois trouvé le plus fréquemment. Il était considéré comme solide et utilisé pour la charpente du kayak et souvent pour la pagaie ;- le « yellow cedar » (Cupressus nutkanensis) qui est un bois léger, solide et durable, à texture fine qui se courbe sans casser après trempage. Il était utilisé pour les côtes du kayak, le trou d'homme, le récipient à eau, le propulseur... mais jamais employé pour la pagaie « car il garde l'humidité » ;- le « red cedar » (Juniperus virginiana), bois léger utilisé pour la hampe du harpon, l'écope, l'étui à couteau. Mais jamais employé pour la charpente du kayak « car il est trop léger et se casse ».

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Schreber) épaisse et résistante, ou, à défaut, pour les plus petites em-barcations (kayak à une place), la peau du phoque commun (Phoca vi-tulina L.). Mais celle-ci est à la fois plus petite et moins solide.

La forme

Parmi les autres types de kayak des régions avoisinantes - ceux de Kodiak ou du sud de l'Alaska - le kayak aléoute se distingue par la forme originale de sa proue et de sa poupe (fig. 3).

La forme bifide, et le plus souvent courbée et redressée, de l'avant du kayak (fig. 8b) a fréquemment étonné les étrangers. En dehors de l'aspect symbolique de cette forme, qui pour l'Aléoute représente la loutre de mer 6, il y avait très certainement aussi une raison fonction-nelle. D'après Laughlin, la fourche était conçue pour que la partie anté-rieure, plus fine, serve de brise-lame. Afin d'éviter que des algues flot-tantes restent accrochées dans la fente de l'étrave, une petite pièce de bois était fixée en travers de l'ouverture (fig. 2).

L’arrière du kayak (fig. 8a) a une forme tronquée. Sous la couver-ture de peau, l’étambot est constitué par une planche presque verti-cale, allant des plats-bords à la quille, d’où part perpendiculairement vers l’arrière une pièce de bois encastrée au centre.

Le territoire aléoute ayant une très vaste étendue (2 000 km de long), il existait des variations locales de forme et de proportion dans les kayaks. Le kayak décrit ici peut être assimilé au type de la région d'Unalaska, que Veniaminoff et Sauer considéraient comme supérieur à tous les autres.

Les dimensions

6 Pour Bill Tcheripanoff, il s'agit d'une loutre nageant sur le dos, la partie anté-rieure de la fourche figurant la tête et l'autre partie, les membres antérieurs de l'animal. Pour un informateur d'Umnak, l'ensemble de l'étrave représente la tête d'une loutre ayant la gueule ouverte.

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Il n'existe pas de mesures standard pour le kayak ni pour les divers instruments de chasse : ils étaient fabriqués « sur mesure », par et pour leur utilisateur, en vue d'obtenir les meilleures performances. Ceci ex-plique les variations de dimensions des objets de musée, dues en grande partie aux différences de stature et de proportions corporelles des individus qui les ont faits.

On remarquera que les mesures corporelles utilisées pour le kayak et pour le harpon se réfèrent toutes à la partie supérieure du corps hu-main : tronc, bras, mains et doigts (figures 5 à 8, 10 et 16-17). En effet, une fois installé dans son kayak, le chasseur n'a plus que le buste qui reste mobile et il est essentiel qu'il ait bien en main un certain nombre d'objets, en particulier la pagaie et le propulseur.

Les détails sur la construction du kayak à deux ouvertures des fi-gures 6 à 10, m'ont été fournis par Bill Tcheripanoff et j'ai pu, à l'aide des unités de mesures qu'il utilisait et de ses propres mesures corpo-relles, reconstituer, à l'échelle, le plan d'ensemble du kayak.

Les dimensions ainsi obtenues : longueur totale 5,80 m, et largeur maximum 56 cm, se situent parmi les plus faibles citées par Zimmerly (longueur moyenne 6,62 m, et largeur moyenne 59 cm, pour un échan-tillon de 5 kayaks) et par Liapunova (longueur moyenne 6,30 m, lar-geur moyenne 70 cm), pour ce type d'embarcation.

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[9]

FIG. 6. - Détails de la construction d'un kayak à deux ouvertures.a. profil du kayak avec les deux trous d'homme, ulluX, et les coutures des

quatre peaux qui recouvrent la membrure.1. Système d'évacuation de l'eau, uyuXqoleq, consistant en un tuyau de peau

refermé par un lien.b. le pont du kayak et l'équipement de chasse et de navigation tenu par des

courroies de cuir.

Équipement de l'homme assis à l'arrière (partenaire de chasse) :1. bouée (estomac de mammifère marin gonflé d'air) sanXuq2. récipient à eau individuel, en bois, tangadguseq3. écope en bois, múnmaX4. assommoir en os de baleine, áneuX5. différents harpons ou lances6. propulseur, ásXuX7. pièce en os servant à maintenir la pagaie, ánaXseq.

Équipement de l'homme assis à l'avant (propriétaire du kayak) :8. Bouée9. récipient à eau10. pièce en os pour maintenir la pagaie11. harpons ou lances12. assommoir13. propulseur

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Un passager, ou du fret, pouvait à l'occasion être transporté à l'intérieur du kayak entre les deux rameurs (Croquis D. Fouchier, C.R.A.M.H., d'après la des-cription et les dessins de Bill Tcheripanoff).

Les méthodes de mesure de la profondeur différant d'un auteur à l'autre, il est impossible de faire des comparaisons. La profondeur du kayak de Bill, au niveau du trou d'homme, était de 48 cm.

FIG. 7. - Section du kayak, montrant la structure de la coqueet le profil du pont (formant une arête médiane)

1. plats-bords2. quille3. serres4. longeron central longitudinal5. cerceau du trou d'homme6. bau7. côte8. enveloppe de cuir(Croquis D. Fouchier, idem).

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LES ÉTAPES DE LA CONSTRUCTION

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La membrure, ulmaX. La charpente du kayak (fig. 7) est consti-tuée, dans le sens longitudinal, des pièces suivantes :

- deux plats-bords, pièces de bois robustes de section rectangu-laire, reliant l'étrave à l'étambot et assurant la solidité de l'embar-cation ;

- une quille (interne) « articulée », c'est-à-dire faite de deux ou trois parties, pour assurer au kayak une certaine flexibilité et une plus grande résistance par mer agitée. Ces deux ou trois pièces de bois constituant la quille étaient ajustées entre elles par un assemblage à onglets - dans lequel il était d'usage, m'a-t-on dit, de glisser une aile d'aigle - et maintenues jointes par un lien. Pour Bill Tcheripanoff, la quille n'était constituée que de deux pièces de bois et le joint, chuteq, entre les deux parties se situait un peu en avant du deuxième trou d'homme ;

- de longues lattes fines et légères - ou serres - généralement de section ronde, situées sous les plats-bords, de chaque côté de la quille : entre 6 et 10 au total ;

- et, sur la partie médiane du pont, un longeron central (en plu-sieurs parties) appuyé sur les baux, donnant le profil en arête représenté sur la figure 7.

Dans le sens transversal, la membrure comprend :

- de nombreuses côtes fines et légères, en bois préalablement as-soupli par trempage dans l'eau (pendant cinq jours environ) puis fortement arqué en se servant des dents pour le cintrer. « Cer-tains trempent le bois dans l'eau bouillante pour le courber, mais mon père n'aimait pas cette technique, car cela le rend cassant », précise Bill Tcheripanoff.

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Fig. 8. - Détail de la proue, saningin, et de la poupe, ukunyulaX

a. l'étambot et l'enveloppe de peau qui le recouvreb. l'étrave, ici représentée par une seule pièce de bois, mais souvent

constituée de deux parties encastrées ou attachées par des liens.1. chukchadaX2. changeq(Croquis D. Fouchier, idem).

[10]Les côtes sont encastrées, par mortaise, à leurs extrémités dans les

plats-bords et des liens les tiennent au côté interne de la quille et aux serres. Pour un kayak à deux ouvertures, le nombre de côtes se situe autour de quarante, éloignées les unes des autres par l'unité de mesure 11 de la figure 5, soit seulement 14 cm environ ;

- une dizaine de barres transversales cintrées, les baux, en bois robuste, forment le pont. Elles sont encastrées par mortaise dans les plats-bords et les maintiennent écartés.

Enfin, sur la charpente terminée, on pose le ou les cercles de bois constituant les trous d'homme. C'est une baguette, en même bois que les côtes, assouplie et courbée pour former un cerceau de forme légère-ment ovale ; elle est fixée aux plats-bords et aux baux par des liens et ne restera pas apparente lorsque l'enveloppe de peau sera installée sur le kayak.

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La couverture de peau. Tandis que la préparation de la charpente en bois est un travail masculin et la préparation de l'enveloppe de peau un travail féminin, la phase finale de mise en place de la couverture sur la membrure est une activité collective unissant le chasseur et les femmes de sa famille. Les peaux de phoque et de lion de mer ont été grattées, lavées, épilées, étirées et cousues bout à bout, avec des fils de tendon, par les femmes. La partie destinée à recouvrir l'avant du kayak est préparée de telle sorte qu'il n'y ait plus qu'à l'enfiler, mouillée, sur la charpente, les coutures tournées vers l'intérieur. La couture finale, si-tuée au milieu du pont et allant du premier trou d'homme au deuxième et de celui-ci jusqu'à l'arrière du kayak, reste extérieure et est exécutée par les individus des deux sexes.

C'est au moment où les femmes intervenaient 7 pour la couture des peaux que le chasseur, futur utilisateur du bateau, restait extrêmement vigilant, car un seul cheveu féminin - même minuscule - pris dans une couture, aurait suffi pour attirer sur lui le mauvais sort, lui porter mal-chance à la chasse ou malheur en mer. De même, au cours de cette opé-ration, les femmes ne devaient en aucun cas s'essuyer les mains sur leurs vêtements, ou sur quoi que ce soit d'autre, qu'un objet destiné à cet usage, nommé kidguseq, fait d'herbes et qui était enterré par les hommes aussitôt après usage.

Le nombre de peaux entières utilisées pour recouvrir un kayak à deux places, selon les informations de Bill Tcheripanoff, est de quatre : soit du lion de mer, qowaq, en totalité, soit trois peaux de lion de mer à l'avant et une peau de phoque, issoX, à l'arrière. Les coutures doivent être placées hors des zones où le poids du corps du chasseur, en ap-puyant sur la charpente, risquerait de les faire craquer. Des empièce-ments de peau complètent la couverture sur le dessus et les côtés du kayak.

Enfin, l'enveloppe de cuir est enduite d'huile de phoque (bouillie) qui la rend étanche en obturant les pores ; elle peut alors devenir trans-lucide, au point qu'on puisse apercevoir la membrure au travers ou qu'un passager allongé à l'intérieur du kayak voie parfaitement les re-flets de l'eau. Cette opération de huilage devait être fréquemment répé-

7 Le thème du pouvoir de la femme et des interdits qui la frappent, en ce qui concerne le domaine de la chasse, est traité dans un autre article, sous presse.

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tée, environ une fois par mois, pour éviter que la peau ne se fendille ou laisse s'infiltrer l'eau. L'ensemble de l'enveloppe devait être changé tous les ans, alors que la membrure pouvait subir des réparations et durer plusieurs années.

L'armement. Le pont est aménagé pour l'installation des instru-ments nécessaires à la navigation, à la chasse et à la pêche en haute mer. Disposés devant et derrière le chasseur et maintenus par des cour-roies de cuir, se trouvent : les diverses sortes de harpons ou lances adaptés aux différents gibiers (loutre, phoque, lion de mer, baleines, oiseaux) - portant une marque spéciale permettant d'identifier le pro-priétaire - le propulseur, l'assommoir, un couteau dans un étui de bois et, éventuellement, des lignes à flétan ou à morue.

Fig. 9. - Ecope (long. 46 cm, larg. 17,8 cm). Deux morceaux de bois creusés intérieurement sont liés ensemble par une cordelette les serrant au centre et aux deux extrémités. A chaque extrémité, se trouve un orifice. A l'aide de cet instru-ment, le chasseur aspire par un des orifices l'eau de mer qui a pu pénétrer dans son kayak, puis bouche l'autre orifice avec son doigt et rejette l'eau par dessus bord (collection Musée National de Copenhague, Division ethnographique, n°P. 538, Cl. J. Robert-Lamblin).

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À cela s'adjoint, comme il apparaît sur la figure 6, un récipient indi-viduel à eau potable, une bouée également individuelle - faite d'un es-tomac de phoque ou de lion de mer gonflé - à utiliser en cas d'avarie, une écope en bois (du modèle de la figure 9) ou une simple éponge.

Enfin, la pagaie est l'élément essentiel de l'embarcation, servant à la faire avancer, la manœuvrer, lui conserver son équilibre à l'arrêt et à la redresser en cas de retournement. C'est pourquoi il a été écrit qu'il ne pouvait y avoir de plus grand malheur en mer que la perte de la pagaie.

En bois solide et léger, la pagaie de kayak comporte généralement deux pales, allongées et pointues à leur extrémité (fig. 10) ; toutefois Cook signale que certains kayaks étaient pourvus en sus d'une rame à pale unique (fig. 2).

L'intérieur du kayak. L'intérieur ne comporte aucun aménagement particulier. Un simple coussin d'herbes séchées, recouvert d'une vieille peau de phoque pliée, sert de siège ; et quelques pierres peuvent être réparties dans la longueur pour lester l'esquif. Pour ses expéditions, le chasseur installait en outre une lampe, des têtes de harpon supplémen-taires, en cas de perte ou de casse, de la graisse animale pour enduire le cuir ou boucher un trou dans la couverture du kayak. Occasionnelle-ment, l'espace intérieur pouvait être occupé par un passager allongé sur le dos entre les jambes du deuxième rameur, ou par du fret pouvant pe-ser jusqu'à 350 kg, selon Heizer (1960, p. 133).

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[11]

Fig. 10. - Pagaie double, akadguseq, en bois léger et robuste. Mesures de la longueur ; la largeur varie. Les pales de la pagaie ont sur leurs deux faces une arête médiane (Croquis D. Fouchier, C.R.A.M.H., d'après Bill Tcheripanoff).

La décoration. Divers éléments décoratifs viennent, enfin, enjoliver l'embarcation et son armement ; peintures sur les parties en bois, figu-rine d'ivoire tenue par une courroie du pont (faisant probablement fonc-tion de porte-bonheur), et, très souvent, des petites plumes d'oiseaux ou des poils d'animaux, ou encore des perles de verre multicolore ou de petits morceaux de laines de couleurs variées (importées d'Europe), étaient pris dans les points de la couture située au milieu du pont.

La peinture rouge, constituée d'un mélange d'ocre et de sang, ou seulement de sang de morue, avait, outre l'effet décoratif, la propriété d'être indélébile et de protéger le bois. En général, la membrure du kayak, les hampes des harpons, le propulseur et la pagaie étaient peints en rouge. Mais on trouve également des éléments de peinture noire (réalisé à l'encre de pieuvre), notamment sur les pales de la pagaie (fig. 11) et la partie bombée du propulseur que l'on tient dans la paume de la main. Selon des informateurs d'Umnak, le rouge symboliserait la mort et le noir la puissance (force) de l'homme. Il est intéressant de faire un rapprochement entre cette remarque et les représentations poly-chromes se trouvant sur les chapeaux de chasse aléoutes, où chasseur

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et kayak sont généralement représentés en noir, et instruments de chasse et de pêche en ocre rouge ou jaune (Ivanov, p. 499).

Les qualités essentielles d'un kayak

Le kayak, une fois terminé, doit réunir les qualités suivantes : légè-reté, solidité, maniabilité, rapidité et élégance.

La légèreté. Le kayak aléoute est très léger. Il devait être aisément transportable par son utilisateur pour les opérations de mise à l'eau, ou de sortie de l'eau, et lors des portages ; il était, en effet, fréquent que, pour raccourcir un trajet, les Aléoutes traversent à pied une langue de terre en portant leur embarcation, le bras droit passé dans le trou d'homme (tandis que la main gauche tenait la pagaie) ou sur la tète (l'homme mettait sa tête dans le trou d'homme du kayak retourné). Le kayak à deux ouvertures était souvent porté sur les épaules des deux hommes.

La solidité. Destiné à affronter une mer généralement houleuse et agitée, le kayak aléoute, dans sa réalisation, est à la fois robuste et souple. La membrure était construite de manière à conserver une cer-taine élasticité, avec sa quille « articulée » en plusieurs morceaux et le système d'attache des pièces de bois qui la composaient. L'enveloppe de cuir également se devait d'être résistante, car une rupture pouvait être fatale pour le navigateur.

La rapidité et la maniabilité. Long, étroit, peu profond et effilé à l'avant, le kayak aléoute était à la fois très aisément manœuvrable et très rapide lorsqu'il s'agissait de poursuivre un gibier en fuite ou de cou-vrir des distances importantes. Cook remarquait, lors d'un de ses dépla-cements, que les kayaks qui accompagnaient son navire « La Résolu-tion » avançaient aussi vite que ce dernier : à une vitesse de 7 miles à l'heure. Et Sauer, pour sa part, affirmait que par beau temps un kayak mû par un seul rameur pouvait se déplacer à plus de 10 miles à l'heure.

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Un kayak à deux rameurs permettait encore de meilleures perfor-mances.

L'élégance. « The men’s pride and pleasure seems to be in their canoes, which are kept exceedingly clean and neat » (Cook 1967, p. 1444). Pour attirer le gibier qui, dit-on, est sensible à la beauté, tout chasseur avait le souci de l'élégance et de l'ornementation de son em-barcation, comme de ses instruments et vêtements de chasse (fi-gures 13 et 19). La loutre de mer, en particulier, pouvait se laisser attirer par les éléments décoratifs que portaient les individus du sexe masculin (chasseur et kayak).

Fig. 11. - Chasseur aléoute en kayak, prêt à lancer son harpon à l'aide du pro-pulseur. Modèle réduit rapporté d'Unalaska en 1872 par Alphonse-Louis Pinart. Le kayak est en bois recouvert de peau huilée et translucide, le vêtement du chas-seur en intestin de phoque. Sur le pont du kayak se trouvent, maintenus par des lanières de cuir, plusieurs instruments de bois peints en rouge et parfois également en noir : longue pièce découpée et sculptée géométriquement, pagaie, assommoir, ainsi que sept harpons en bois et ivoire. Longueur du kayak : 42 cm. (Collection Musée municipal de Boulogne-sur-Mer, n° 168, cl. J. Robert-Lamblin).

[12]

Vie et sexe du kayak

Il est intéressant, en effet, de souligner à ce propos que, dans la tradition orale aléoute, le kayak n'est pas un objet ; c'est un être vivant, de sexe masculin, partenaire de chasse, qui tente de s'identifier à son maître et voudrait partager sa vie conjugale. Leur sort est, en effet, lié et leurs vies cessent en même temps : ils disparaissent en mer ensemble ou partagent, sur terre, la même sépulture.

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LE MANIEMENT DU KAYAK

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L'apprentissage. L'initiation à la navigation et à la chasse en kayak devait commencer très tôt dans la vie d'un Aléoute : dès l'âge de 6-8 ans. Sous la direction d'un chasseur expérimenté - oncle maternel, grand-père ou père - le jeune garçon commençait d'abord par un entraî-nement physique destiné à développer les muscles du dos, du cou, des épaules et des bras, à l'entraîner à garder la position assise, jambes étendues, de plus en plus longtemps (c'est pourquoi, précise Bill Tche-ripanoff, les gens n'avaient pas de crampes pendant les longs trajets en kayak) et à l'endurcir au froid en le faisant se baigner quotidiennement dans la mer. L'enfant apprenait aussi à viser une cible pour pouvoir, plus tard, frapper le gibier de son harpon.

Devenu adolescent, l'apprenti-chasseur continuait son entraînement dans un kayak à deux places ; il apprenait alors à appareiller, accoster, naviguer à contre-courant, se redresser avec sa pagaie si le bateau ve-nait à chavirer, se tirer d'affaire en cas d'avarie, reconnaître le gibier et l'approcher, etc..

La navigation. L'habileté des navigateurs aléoutes, leur hardiesse dans les éléments déchaînés et leur résistance physique ont été admi-rées par maints observateurs étrangers. Lütke écrit : « La mer est leur véritable élément. En voyant un Aléoute avec ses jambes torses, le corps courbé en avant, se dandiner comme un canard, et ensuite seul dans sa baidarke, qui ressemble plutôt à une auge qu'à une embarca-tion, la gouverner au milieu de grosses lames, avec une adresse et une activité extraordinaire, on a de la peine à se persuader que ce soit le même homme » (p. 235).

Sauer note : « La mer était très houleuse... [elle] se brisait avec vio-lence sur les récifs et contre les rochers. Les insulaires voyant que nous étions étonnés de leur adresse et de leur agilité, voulurent encore mieux la déployer en passant au milieu des brisants. Là, les vagues les couvraient jusqu'à l'épaule, et ils conduisaient leurs baidars [leurs

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kayaks] entre deux eaux jouant au milieu des ondes plutôt comme des animaux amphibies que comme des êtres humains » (p. 1, p. 297).

Fig. 12. - Navigation en kayak au large du petit centre commercial d'Unalaska, au début du 19e siècle. In, Choris, Voyage pittoresque autour du monde, planche VII, Paris, Firmin Didot, 1822 (Document de la Société de Géographie, cl. J. Ro-bert-Lamblin).

Enfin Veniaminoff remarque à son tour : « The Aleut master their bidarkas with the greatest skill : no wind - no matter how strong - no roughness of the sea not even a shock caused by a casual force, when the Aleut is aware of it, are able to capzize him, if only be has the paddle in his hands » (traduction Jochelson, 1933, p. 25).

Vêtu d'un vêtement imperméable à capuchon, descendant jusqu'aux genoux (kamleika selon l'appellation russe, chigidaX en aléoute), fait de bandes horizontales d'intestin de phoque ou de lion de mer finement cousues les unes aux autres et resserré aux poignets et autour du visage (fig. 13), le navigateur met en place son « tablier de kayak » et fait alors parfaitement corps avec son embarcation ; l'eau de mer ne peut y pénétrer. Le « tablier de kayak », chukaX, est une sorte de tunique en cuir de phoque (ou en intestins) très fine et très souple qui, d'un côté, s'adapte au cerceau du trou d'homme et, de l'autre, se serre autour du torse de l'homme, maintenue sur son épaule par une bretelle de cuir.

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Ainsi installé et vêtu, le chasseur n'a plus que la face et les mains à découvert. Bill Tcheripanoff raconte qu'il fallait continuellement remuer les mains sur la poignée de la pagaie pour éviter que les doigts s'en-gourdissent de froid.

Quant au visage, il était souvent protégé de la réverbération du so-leil et des embruns par une coiffure placée pardessus le capuchon du kamleika : chapeau conique (fig. 19) ou visière (fig. 13), en bois très léger ou en écorce de bouleau, somptueusement orné de peintures poly-chromes, de moustaches de lion de mer, de perles de verre et de pièces d'ivoire, décrits en grand détail par Ivanof.

Le chapeau, chagudaX, fait d'une seule pièce de bois très fine re-courbée à la vapeur d'eau pour prendre la forme d'un cône allongé de 25 cm de haut et de 40 à 50 cm de long, cousu à l'arrière, pesait de 200 à 300 g. Il était beaucoup moins porté que la visière. C'était l'apanage des hommes de haut rang : chefs, grands chasseurs, ou membres de la caste particulière des baleiniers. Leur valeur était considérable. Dans les opérations de trocs, leur valeur d'échange était de un à trois esclaves (Eskimo koniag généralement) et l'esclave lui-même, étant rare, était estimé à un prix élevé. On peut rappeler ici l'anecdote suivante : les premiers Blancs qui rencontrèrent des Aléoutes, le 5 septembre 1741 (des membres de l'expédition de Béring), leur demandèrent un de leur chapeau qu'ils échangèrent contre une bouilloire de métal rouillé, cinq aiguilles et du fil ! (la scène est relatée par Steller, p. 134).

[13]Navigateurs infatigables, les Aléoutes pouvaient rester 18 à 20

heures dans leur kayak sans accoster ni se reposer. Leur sens de l'orientation était également remarquable, pour se déplacer dans ces ré-gions où les repères côtiers sont le plus souvent masqués par les brumes ou le brouillard. La trajectoire des migrations des oiseaux était un de leurs moyens de repère.

Les voyages qu'ils entreprenaient dans leurs frêles esquifs cou-vraient des distances considérables ; ils pouvaient se rendre d'un bout à l'autre de leur territoire, qui s'étend sur 2 000 km, ou encore jusqu'à Ko-diak et même Sitka. L'explorateur français, Alphonse-Louis Pinart, qui n'avait alors que 18 ans, fit lui-même l'expérience de ce type de naviga-tion : accompagné d'Aléoutes, il couvrit une distance de plus de 1 000

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miles marins en 64 jours, en se rendant d'Unalaska à Kodiak, en 1871 (fig. 14).

En cas de tempête soudaine, plusieurs kayaks tentaient de s'atta-cher les uns aux autres et de se placer face aux lames, pour offrir plus de résistance aux vents et aux courants en constituant ainsi une sorte de radeau. Un des récits de Bill Tcheripanoff fait état d'une tempête mémo-rable qui eut lieu dans la passe d'Unimak 8 en 1896 et au cours de la-quelle un grand nombre de chasseurs se rendant à Sanak pour chasser la loutre disparurent. Le père de Bill réussit à s'attacher à un autre kayak et ils restèrent ainsi cinq jours et cinq nuits dans leurs kayaks sans au-cune nourriture.

L'avarie. La bouée jouait un rôle important en cas d'accident en mer ou d'avarie survenant dans l'enveloppe du kayak. Le flotteur était alors placé â l'intérieur du bateau pour l'empêcher de couler jusqu'à ce que le chasseur gagne la terre, ou encore, l'homme se l'attachait au corps et, sorti de son embarcation, tentait en pleine mer une réparation de fortune. Un morceau de graisse de phoque ou de baleine était tou-jours emporté pour l'éventualité d'une fente à boucher de l'intérieur, ainsi qu'une aiguille et du fil de tendon.

La place du chef d'expédition dans un kayak à deux ouvertures. Selon les informations que j'ai recueillies auprès de plusieurs Aléoutes, le propriétaire du kayak était placé dans le trou d'homme avant ; « commandant du bateau », c'est lui qui donnait les instructions pour la navigation et qui était le principal chasseur. L'homme assis derrière lui : gendre, fils, frère, apprenti-chasseur ou partenaire de chasse, avait pour rôle de manœuvrer le bateau et de le stabiliser à l'arrêt (fig. 15). Toutefois, il avait aussi des harpons à portée de main et pouvait en faire usage.

8 La traversée de la passe d'Unimak, entre les îles Ugamik et Unimak, a tou-jours été redoutée, car elle est longue (40 km à l'endroit où la passe est la plus étroite) et les courants y sont très forts.

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Fig. 13. - Lithographie représentant le type physique et le costume des habi-tants des îles aléoutiennes. L'homme porte ses vêtements de chasse : kamleika (vêtement imperméable long à capuchon, fait de bandes horizontales d'intestins séchés de lion de mer ou de phoque, cousues les unes aux autres) et visière en bois ornée de perles et de moustaches de lion de mer. In, Choris, Voyage pitto-resque autour du monde, planche V, Paris, Firmin Didot, 1822 (Document de la Société de Géographie, cl. J. Robert-Lamblin).

LA CHASSE À LA LOUTRE DE MER

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Avant leur découverte par les Russes, les Aléoutes bénéficiaient d'un environnement maritime extrêmement riche en mammifères aquatiques (baleines, lions de mer, otaries, phoques, loutres de mer) et c'est cette même richesse écologique qui avait favorisé leur accroissement démo-graphique. L'importance numérique de la population aléoute au milieu du XVIIIe siècle - exceptionnelle pour un groupe de chasseurs-

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cueilleurs arctiques -, est attestée par l'archéologie et l'ethno-histoire (16 000 habitants, selon l'estimation de Kroeber).

La loutre de mer, parmi les autres petits gibiers, était un des plus estimés des Aléoutes. Outre le fait que le goût de sa chair était fort ap-précié et que sa fourrure servait à confectionner les plus beaux et les plus chauds vêtements féminins, cet animal, considéré comme proche des humains, tenait aussi une place très importante dans la culture et la mythologie aléoutes.

[14]C'est malheureusement la présence de cette espèce, dont l'habitat

dans le monde est très restreint, qui fut à l'origine de l'afflux dans cette région des marchands russes ou sibériens attirés par le commerce fort lucratif de sa fourrure, et qui conduisit à la quasi extermination de la population humaine autochtone.

La loutre de mer (Enhydra lutris) est un petit mammifère marin, Car-nivore, de la famille des Mustélidés, atteignant chez les adultes mâles 1,50 m de long et pesant environ 35 kg. Son habitat, très circonscrit, comprend les récifs, îlots, rochers ou côtes situés au nord des Kouriles, le long de la côte est du Kamtchatka, les îles Aléoutiennes et la côte du Pacifique Nord jusqu'à la Californie. Sa fourrure lustrée, épaisse et extrêmement douce, de couleur rouille, brune ou parfois presque noire, a été, dès le début du XVIIIe siècle, l'objet d'un commerce entre mar-chands russes et chinois pour satisfaire la demande des mandarins de Pékin.

Les Aléoutes ont rapproché le comportement et la morphologie de la loutre de mer de ceux des humains et, légendairement, attribuent à cet animal une origine humaine (voir plus loin). En effet, la loutre est pourvue de membres antérieurs courts, terminés par cinq doigts, dont elle se sert comme de mains. En outre, elle se trouve parmi les rares animaux qui, à l'instar de l'homme et du chimpanzé, puissent se servir d'outils. Ainsi, installée dans sa position favorite, c'est-à-dire nageant sur le dos, la tête soulevée hors de l'eau pour regarder autour d'elle, la loutre, munie d'une pierre plate, brise les coquilles ou carapaces des coques, moules, oursins, ou crabes qu'elle a péchés et disposés sur son abdomen comme sur une table, puis porte les aliments à sa gueule à l'aide de ses membres antérieurs.

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La loutre est joueuse et « s'adonne à des bouffonneries ». Pleine de sollicitude envers son petit qu'elle transporte sur son abdomen, elle le défend courageusement contre les dangers. Ses cris sont presque hu-mains.

La légende de la loutre, chngatuX

Ce comportement, proche de l'humain, de la loutre de mer, s'ex-plique dans la mythologie aléoute par l'origine humaine de cet animal. Selon les villages, il existe différentes versions de la légende qui est rapportée par plusieurs auteurs (Choris, Golder, Heizer, ou Petroff) et qui m'a également été racontée pendant mon séjour de 1971 ; mais le thème principal reste le même : les premières loutres sont nées d'un homme et d'une femme qui, après avoir eu une liaison incestueuse, se jetèrent à la mer.

Selon certaines versions, un frère abuse de sa sœur dans l'obscurité. Lorsque celle-ci découvre par un stratagème l'identité de son amant, elle l'entraîne jusqu'au sommet d'une falaise d'où ils se laissent tomber dans la mer. A l'endroit de leur chute, leurs parents, qui s'étaient lancés à leur poursuite, voient apparaître deux loutres.

Dans d'autres récits, c'est un mari qui découvre la liaison existant entre sa femme et son neveu (ou entre sa femme et son beau-frère). Le mari fait inviter son rival à un repas de fête au cours duquel il lui tranche la tête sous les yeux de son épouse. La femme prend alors la tête de son amant et court se jeter d'une falaise dans la mer. A l'endroit même où disparut le « couple fautif » le mari voit émerger deux loutres de mer.

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Fig. 14. - Les compagnons de voyage d'A.L. Pinart lors de son périple en kayak dans l'archipel aléoute, en 1871. L'embarcation à trois places doit être celle qui transportait le jeune explorateur (lliouliouk, mai 1871) (Document de la So-ciété de Géographie, WF Amérique 159 n° 13, cl. Bibliothèque Nationale).

Les rites de préparation à la chasse

Née ainsi d'une liaison « interdite » entre un homme et une femme, la loutre a gardé en horreur tout ce qui peut rappeler ses origines. Le chasseur qui voulait s'approcher d'une loutre et la prendre avec son har-pon devait ainsi s'abstenir, avant la chasse, de tout contact avec une femme, car la loutre sentant l'odeur de la femme se serait enfuie. On sait que, si la loutre a une vue faible, elle a en contrepartie un odorat très développé.

Selon deux informateurs de l'île d'Ummak, le chasseur s'écartait de sa femme pendant trois mois avant d'aller chasser la loutre de mer. Les tabous concernant la femme s'étendaient à tous les vêtements ou ins-truments de chasse et même aux ustensiles avec lesquels l'homme se nourrissait : bol, cuiller, assiette, qu'elle devait absolument s'abstenir de toucher.

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[15]

Fig. 15. - Dessin de Bill Tcheripanoff représentant une scène de chasse à la loutre de mer, à partir d'un kayak à deux places. La loutre nage sur le dos entraî-nant la hampe du harpon qui l'a blessée. Dans le kayak, c'est le chasseur qui est assis à l'avant qui a lancé le harpon, tandis que l'autre chasseur manœuvre et stabi-lise l'embarcation (Dessin exécuté à Akutan, en été 1971).

Le chasseur, de son côté, restait très vigilant, comme cela a déjà été évoqué plus haut au sujet de l'intervention des femmes dans la fabrica-tion du kayak ; il veillait à ce qu'aucun cheveu féminin ne soit pris dans la couture de l'enveloppe du kayak, ou ne tombe sur ses vêtements de chasse.

Toutes sortes de rites de purification par lavages, ainsi que des fêtes ou cérémonies, réservées exclusivement aux hommes, faisaient encore partie des préparatifs de départ, afin d'assurer aux chasseurs une chasse fructueuse et sans danger. Selon Veniaminoff, si les tabous et les rituels n'étaient pas respectés, le chasseur risquait de se retrouver entouré de loutres, éclaboussant son kayak et son visage en guise de moquerie, sans parvenir à en capturer une seule (cité par Hrdlička, p. 138).

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Enfin, pour attirer ce gibier, qui est sensible à la beauté, le chasseur mettait le plus grand soin à embellir son embarcation, ses outils et ses vêtements. Les observateurs du siècle dernier ont été précisément frap-pés par le contraste existant entre ce soin porté à tout ce qui entoure la chasse et la « saleté repoussante » des habitations aléoutes, où se dé-roule le quotidien.

La technique de la chasse

Le naturaliste Steller, qui accompagnait l'expédition de Béring en 1741, observait qu'alors (c'est-à-dire à la découverte des îles Aléou-tiennes par les Occidentaux) les loutres de mer étaient abondantes 9 et n'avaient aucune méfiance à l'égard de l'homme. Il décrit ces animaux venant à terre pour se nourrir et se reposer et s'approchant volontiers des campements. Il n'en fut plus de même quelques décennies plus tard, lorsque la loutre, pourchassée systématiquement sous la pression des commerçants en fourrure russes, devint un animal traqué, extrême-ment méfiant, fuyant les rivages et n'utilisant plus pour se reposer que des lits de varech flottant au large, leur constituant des sortes de ra-deaux.

La chasse devint plus difficile pour les Aléoutes qui se trouvèrent engagés de force par les marchands russes, ou cherchèrent à troquer les fourrures tant recherchées contre des produits européens : tabac, perles, métal, vêtements, farine, sucre, thé, et aussi, bien sûr, alcool. Ils durent entreprendre des expéditions de plus en plus lointaines, longues et périlleuses.

Les connaissances de Bill Tcheripanoff à ce sujet lui ont été essen-tiellement transmises par son père (Mathew, qui vécut de 1865 à 1934), car la chasse à la loutre de mer fut définitivement interdite en 1911. Dans le dernier quart du XIXe siècle, les meilleurs terrains de chasse restaient les rochers au sud d'Unimak, les îles Shumagin et surtout les nombreux petits îlots rocheux et bancs d'algues situés dans le groupe des îles Sanak. C'est dans cette aire de chasse de Sanak, qui ne couvre guère plus de 180 km2, où dans les eaux peu profondes les loutres

9 En 1743, les survivants de l'expédition de Béring rapportèrent un grand nombre de peaux de loutres à Petropavlosk, au Kamtchatka.

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trouvent facilement les coquillages qui les nourrissent, que conver-gèrent, à la fin du XIXe siècle, la plupart des chasseurs venant de toutes les régions de l'archipel, dépeuplées alors du précieux gibier.

Les chasseurs de loutre s'absentaient de leur village pour plusieurs mois, entre mai et fin août, et vivaient dans des campements sans pré-sence féminine, sauf éventuellement une ou deux vieilles femmes pour s'occuper des tâches ménagères, et souvent privés de feu, de peur que l'odeur de fumée ne fasse fuir les loutres. Les conditions de chasse étaient optimum en mai et juin.

La chasse au harpon. Malgré l'introduction du fusil, à la fin du XIXe siècle, le, harpon - silencieux - est resté l'arme » privilégiée pour chasser la loutre dont l'ouïe est extrêmement fine. C'est aussi la raison pour laquelle le kayak - également silencieux - demeurait le seul moyen d'approcher ce gibier méfiant ; et les Occidentaux (Russes, puis Améri-cains), incapables de s'adapter eux-mêmes à ce type de chasse, durent passer par l'intermédiaire des chasseurs aléoutes pour se procurer les fourrures.

Le propulseur, en bois peint en rouge et noir (voir plus haut p. 11), est un élément important de l'arme : il augmente la force et la portée du jet. Pour être parfaitement efficace, il devait être bien tenu en main et, par conséquent, il était fabriqué aux dimensions de la main qui l'utilisait (fig. 17). « Je prendrai les mesures de ta main et je te ferai un propul-seur, il sera étroit, car ta main n'est pas grande », me disait Bill Tcheri-panoff. Si le chasseur était gaucher, le propulseur avait une forme in-versée.

W. Laughlin estime qu'un bon chasseur pouvait jeter son harpon, avec précision, sur une cible située à 40 mètres.

Le harpon : la tête en os détachable, à trois barbes, se séparait de la partie intermédiaire du harpon lorsqu'elle pénétrait dans le corps de l'animal où elle demeurait accrochée par ses barbes ; mais elle restait encore reliée à la hampe du harpon par une ligne de tendons tressés d'environ 1,20 m (fig. 16).

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[16]

La hampe, constituée d'une partie en bois léger peinte en rouge et d'une partie en os, se dressait alors et émergeait de l'eau verticalement (la partie en os, plus lourde, restant immergée). L'animal atteint était ralenti dans sa fuite, ne pouvait disparaître en plongeant et restait faci-lement repérable (fig. 15). Bill Tcheripanoff affirme que le harpon était aussi bon qu'un fusil et qu'il présentait, en outre, l'avantage d'empêcher la proie de couler. Mais il fallait un entraînement long pour acquérir force et précision dans le lancement du harpon. Autrefois, les jeunes enfants s'entraînaient à viser une balle d'herbe qu'ils éloignaient de plus en plus.

La technique de l'encerclement. C'était une chasse collective qui se pratiquait lorsque le temps était calme et le brouillard absent ou lé-ger : deux conditions difficiles à réunir dans ces régions. Une flottille, composée d'une douzaine de kayaks, éloignés les uns des autres de 50 à 100 mètres, partait à la recherche du précieux gibier, sous la direc-tion d'un chef d'expédition. Dès qu'une loutre était repérée par l'un des chasseurs, celui-ci levait sa pagaie en silence et indiquait la direction à prendre. L'ensemble des kayaks formait alors un vaste cercle autour de l'endroit où la loutre était venue prendre sa respiration (elle respire na-turellement toutes les dix minutes environ), puis, au fur et à mesure qu'essoufflée par cette poursuite elle réapparaissait plus souvent pour reprendre son souffle, le cercle se resserrait autour d'elle. Enfin, lors-qu'elle se trouvait à portée de jet d'un harpon, le chasseur le plus proche commençait à lancer son arme, puis les autres le suivaient (fig. 19). Une fois immobilisé, l'animal était achevé à coup d'assom-moir. C'est seulement de retour à terre que le chef d'expédition pouvait identifier, en présence des chasseurs, le propriétaire du gibier. Selon Petroff, c'était la tête du harpon (portant la marque personnelle du chasseur) qui avait blessé mortellement l'animal qui déterminait son possesseur et, au grand étonnement de Hooper, il y avait rarement de contestation quant à l'attribution du gibier. La peau était coupée aux membres postérieurs de la loutre, puis retirée en tirant le corps de l'animal ; elle séchait ainsi la fourrure tournée vers l'intérieur.

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Fig. 16. - Le harpon à loutre de mer : iglaX, forme et dimensionsd'après les informations de Bill Tcheripanoff.

1. hampe en bois, uyuchtaX : 92 cm de long2. partie intermédiaire, tumgwaX, en os de baleine, fixée à la hampe : 23 cm.3. tête détachable en os, saXsidaX4. ligne de tendons tressés, umnaX, reliant la pointe du harpon à la hampe : envi-ron 1,20 m5. propulseur, ásXuX : 40 cm6. trou pratiqué dans l’extrémité de la hampe, où vient se fixer le crochet en os du propulseur.

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La technique de la chasse lors d'une tempête. Celle-ci requérait beaucoup de hardiesse de la part du chasseur qui osait s'aventurer en kayak, dans une mer démontée, à la recherche des loutres réfugiées sur de petits îlots pour s'abriter de la tempête. À la faveur du vacarme du vent et de la mer, le chasseur pouvait alors accoster sans se faire en-tendre et s'approcher des loutres pour les matraquer.

La technique du « surf shooting ». Telle qu'elle est décrite par Elliott, elle est liée à l'introduction du fusil à la fin du XIXe siècle, lorsque l'Alaska est devenue une colonie américaine (en 1867). Les commerçants américains ont distribué des fusils à quelques jeunes indi-gènes avec mission de chasser la loutre en pleine mer, par mauvais temps pour que les animaux n'entendent pas le bruit du fusil. Mais ce type de chasse entraînait des pertes, car si l'animal était tué sur le coup, il coulait.

Le retour du chasseur

En rentrant d'une expédition fructueuse, le chasseur de loutre de-vait accomplir certains rites nécessaires pour s'assurer d'autres expédi-tions tout aussi bonnes. Avant d'entrer chez lui, il jetait à la mer les vê-tements et les instruments ayant servi à cette chasse, pour que les pa-rents des loutres tuées, en les retrouvant, pensent que le meurtrier, à son tour, était mort noyé. Le chasseur se mettait ainsi hors d'atteinte des esprits vengeurs des loutres de mer. Ensuite, il se frottait les mains avec de l'herbe, se lavait la figure, revêtait les nouveaux vêtements préparés par sa femme en son absence et pouvait enfin pénétrer dans sa demeure. Le retour se fêtait alors collectivement, mais le chasseur ne racontait jamais devant les femmes les péripéties de ses voyages et de ses chasses et celles-ci ne lui posaient aucune question. Chaque sexe - hommes, femmes - gardait secret son répertoire d'histoires et de chants.

[17]

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Fig. 17. - Le propulseur du harpon, ásXuX : forme et dimensions, selon le même informateur. Le propulseur est la planchette de bois qui, en prolongeant le bras du chasseur, augmente la force et la portée de son tir.

a. face inférieure qui est tenue dans la mainb. face supérieure qui s'adapte à la hampe du harponc. coupe longitudinale1. crochet d'os ou d'ivoire s'ajustant dans l'extrémité de la hampe du harpon2. rainure longitudinale, chilamaqa, maintenant le harpon sur le propulseur pen-dant l'envoi ; de sa parfaite exécution dépend la direction du harpon3. orifice à l'intérieur duquel le chasseur passe son index4. encoche pour le pouce5. encoche pour les trois autres doigts de la main.(Croquis D. Fouchier, d'après Bill Tcheripanoff).

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LA DISPARITION DE LA LOUTRE DE MERET LE DÉCLIN DE LA POPULATION ALÉOUTE

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Au retour des survivants de l'expédition de Béring, la nouvelle de la grande richesse en animaux à fourrure des îles découvertes, se répandit vite en Sibérie Orientale. De nombreuses expéditions de marchands et chasseurs se préparèrent hâtivement, attirés par le gain substantiel que pourraient leur procurer les pelleteries, particulièrement les peaux de loutres de mer si appréciées en Chine. En 1746, soixante-dix embarca-tions russes quittèrent le Kamtchatka pour les îles du Commandeur et les îles Aléoutiennes. Poniatowski décrit de la façon suivante l'équipage de ces petits navires : « L'équipage, d'une cinquantaine d'hommes et parfois plus, était formé de hors-la-loi, d'évadés de prison, d'exilés, la plupart pour vol ou pour mœurs, de criminels et d'aventuriers sans scrupules, surveillés par une demi-douzaine de cosaques chargés de maintenir l'ordre à coups de poing et de fouet et au besoin à coups de fusil, le tout commandé par un officier, souvent aussi un exilé » (édition 1978, p. 48).

Ce sont ces hommes, incultes et brutaux, qui assumèrent la pénétra-tion occidentale dans l'archipel aléoute et assujettirent la population à la Cour de Russie, lui faisant payer un tribut en fourrures pour le compte du Tsar. Ils s'adonnaient, par jeu, à des scènes d'une cruauté et d'une barbarie incroyables, décimant des villages entiers, prenant femmes et enfants en otage, ou forçant les Aléoutes à chasser pour leur compte dans des conditions périlleuses. Les Aléoutes ripostèrent et se révol-tèrent à plusieurs reprises, mais ils se battaient à armes inégales, car les Russes possédaient des fusils. Aux massacres et à l'emploi forcé des hommes, s'ajoutèrent encore les ravages dus aux maladies introduites par ces étrangers : variole, rougeole, coqueluche, maladies véné-riennes, etc., jusque-là inconnues des Aléoutes.

Ainsi la population aléoute, prospère à l'époque de sa découverte (en-viron 16 000 individus en 1741), n'était plus représentée, d'après les estimations de Saryčev, que par 2 500 individus cinquante ans plus tard.

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Le Gouvernement impérial de Saint-Pétersbourg qui fut, à plusieurs reprises, informé de la situation des Aléoutes, tenta de faire cesser ces massacres, mais les îles étaient loin et les agissements des cosaques difficilement contrôlables. Coxe, en 1781, écrit dans l'avertissement de son livre : « Les navires [russes] ne s'en reviennent guère, sans avoir massacré un grand nombre d'insulaires... Est-ce donc un si grand avan-tage pour la Russie de soumettre ces peuplades pauvres et d'en arracher quelques pelleteries ? Il faut avouer que les navigateurs russes sont inhumains et qu'ils tuent légèrement les habitants des îles où ils vont aborder ». De même, Sauer écrit, en 1792 : « Il est très fâcheux que les Aléoutes soient soumis au caprice et à la tyrannie des Russes qui font la chasse dans ces contrées ; hommes infiniment plus barbares qu'au-cun des peuples indigènes que j'y ai vus. Je ne connais aucun moyen d'arracher les Aléoutes au joug de ces chasseurs, car l'autorité du gou-vernement russe ne peut presque jamais atteindre leurs îles. Le seul espoir de les voir délivrés de leurs oppresseurs, ne peut, je crois, être fondé que sur la destruction totale des animaux auxquels ils font la chasse ; et j'ose dire que, d'après la quantité de ces animaux qu'ils tuent chaque jour, les espèces en seront bientôt anéanties » (t. 2, p. 145). La population aléoute, réduite, à la fin du XVIIIe siècle, à 15% de ce qu'elle était avant de connaître les Blancs, devait encore continuer à s'affaiblir par la suite, car le recensement de Hooper de 1897 ne compte plus que 1 165 habitants autochtones dans l'Archipel.

De son côté, la loutre subissait le même sort tragique. Entre 1745 et 1770, les captures se chiffraient annuellement par dizaines de mil-liers, mais leur nombre ne devait pas tarder à baisser. Les expéditions devinrent moins fructueuses, dépassant à peine le millier ; toutefois l'extermination n'en continua pas moins.

[18]Du Kamtchatka (Okotsk ou Petropavlosk), les peaux étaient ache-

minées par voie de terre à Yakutsk, Irkutsk, puis à Kiakhta à la fron-tière chinoise, où elles étaient alors échangées contre des marchan-dises chinoises et, de là, elles gagnaient Canton ou Pékin. Tout au long du chemin, elles prenaient de la valeur ; alors que les Aléoutes étaient « quelques fois récompensés d'une pénible journée de travail par une feuille de tabac » (Sauer, t. 2, p. 148), « une peau de loutre de qualité ordinaire, mais en bon état, se vendait 20 roubles au Kamtchatka, mais

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valait déjà 40 roubles à Yakutsk, de 50 à 80 roubles à Irkutsk et attei-gnait 150 roubles à la frontière » (Poniatowski, p. 52).

Fig. 18. - Le principal informateur de cette étude, Bill Tcheripanoff (né en 1902) présentant un intestin de phoque tressé prêt à cuire, mets très apprécié des Aléoutes (CI. J. Robert-Lamblin, Akutan, été 1971).

En 1845, certaines dispositions furent prises pour protéger la loutre de mer d'une extinction définitive ; elles créaient quelques réserves pour favoriser le repeuplement, ou tendaient à limiter la chasse, si bien que, lors de la cession de l'Alaska aux U.S.A. en 1867, une reconstitu-tion partielle des ressources animales était déjà réalisée. Mais, devenue colonie américaine, l'Alaska fut à nouveau l'objet des convoitises des commerçants en fourrures - américains cette fois - et la quête des peaux reprit intensément entre 1880 et 1890. Selon Petroff, en 1880, de nombreux villages aléoutes vivaient encore exclusivement de la chasse à la loutre, notamment dans le groupe des îles Krenitzin où se situe Akutan. C'était le moyen de subsistance essentiel des Aléoutes ; les peaux de loutres étaient alors achetées entre 30 et 50 dollars aux chas-seurs et revendues au marché de Londres entre 80 et 100 dollars. Ce-pendant, en 1897, lorsque Hooper fait son rapport sur la loutre de mer, ses mœurs, son habitat et sa distribution, il constate que l'espèce est

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pratiquement éteinte dans les îles Aléoutiennes, y compris Sanak 10. Il dénonce les problèmes économiques qui se posent alors à la population aléoute qui en vivait et demande qu'une réglementation soit imposée d'urgence pour interdire la capture au filet ainsi que la chasse au large en schooner, et laisser aux Aléoutes seuls le droit de chasser la loutre dans leurs kayaks.

En 1911, une convention internationale interdit définitivement toute chasse à la loutre de mer.

Ainsi se trouvèrent liés le sort des Aléoutes et celui des loutres de mer : depuis leur entrée dans l'histoire occidentale, leur diminution a suivi des courbes parallèles ; de même devaient disparaître les instru-ments que les premiers utilisaient pour se procurer les dernières, kayak et harpon.

Le rôle considérable que le kayak et la loutre ont pu jouer dans la culture aléoute apparaît dans la place qu'ils tiennent encore, de nos jours, dans la tradition orale : récits, légendes et chants, alors que la loutre ne se chasse plus depuis le début du siècle et que l'on ne construit plus de kayak depuis bientôt un demi-siècle. La population aléoute, af-faiblie démographiquement et économiquement, s'est tournée récem-ment vers la vie moderne en adoptant des moyens de transport plus fa-ciles à utiliser, mais moins adaptés à leur climat, et en délaissant la chasse pour la pêche commerciale et les emplois salariés dans les conserveries.

10 À cette époque, les chasseurs aléoutes étaient transportés en schooner avec leur kayak jusqu'à Kodiak, pour continuer la chasse à la loutre dans la seule région où se trouvait encore ces animaux : au sud-ouest de l'île de Kodiak.

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NOTES

Pour faciliter la consultation des notes en fin de textes, nous les avons toutes converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page. JMT.

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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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La Revue du Musée de l'Homme - Muséum National d'Histoire Naturelle