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LE �G OCT. 2010 JORIS LACOSTE, METTEUR EN SCèNE. Joris Lacoste écrit pour le théâtre depuis 1997 et a réalisé récemment deux spectacles. Il investit des dispositifs de représentation à géométrie variable comme celui du concert (9 lyriques) ou celui du théâtre contemporain (Purgatoire), brouillant les repères pour inventer d’autres rapports au spectateur. PRATIQUES DéAMBULATOIRES ET EXPéRIENCE ORDI- NAIRE. «Nous nous sommes engagés sur la glace glissante où manque la friction (…) Or nous voulons marcher; nous avons alors besoin de friction. Retournons au soi raboteux !» Cette incitation à la marche, que Wittgenstein érige contre l’idéalité glissante de la métaphysique, semble avoir été prise à la lettre par les artistes contemporains. Prix: 10.- CHF FR: 10.- CAN: 15 $ CAN ARCHITECTURE, ARTS PLASTIQUES, CINéMA, DESIGN, LITTéRATURE, MULTIMéDIA, MUSIQUE, PERFORMANCE, PHOTO RéFLEXION, VIDéO INTERVIEW DOSSIER N°01 Einstürzende Neubauten Sasha Waltz Catherine Millet Barbara Formis Jonathan Meese Joris Lacoste Laurence Bonvin Marika Bührmann Robin Rimbaud Takeshi Kitano Ulrike Ottinger Sandy Amério Paul Ardenne Bertrand Lavier

Artesalma, le MAG

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Le��g

Oct.2010

JOris LacOste, metteur en scène. Joris Lacoste écrit pour le théâtre depuis 1997 et a réalisé récemment deux spectacles. Il investit des dispositifs de représentation à géométrie variable comme celui du concert (9 lyriques) ou celui du théâtre contemporain (Purgatoire), brouillant les repères pour inventer d’autres rapports au spectateur.

Pratiques DéambuLatOires et exPérience OrDi-naire. «Nous nous sommes engagés sur la glace glissante où manque la friction (…) Or nous voulons marcher; nous avons alors besoin de friction. Retournons au soi raboteux !» Cette incitation à la marche, que Wittgenstein érige contre l’idéalité glissante de la métaphysique, semble avoir été prise à la lettre par les artistes contemporains.

Prix: 10.- CHF FR: 10.- €CAN: 15 $ CAN

architecture, arts PLastiques, cinéma, Design, Littérature, muLtiméDia, musique, PerfOrmance, PhOtO réfLexiOn, ViDéO

interView DOssier

n°01Einstürzende Neubauten

Sasha Waltz

Catherine Millet

Barbara Formis

Jonathan Meese

Joris Lacoste

Laurence Bonvin

Marika Bührmann

Robin Rimbaud

Takeshi Kitano

Ulrike Ottinger

Sandy Amério

Paul Ardenne

Bertrand Lavier

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artesaLma ma�zine D'art cO�emPOrain – n°01 OctObre 2010 – sOmmaire

sOmm�ire

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news

musiqueBerlin, transit city

théâtreSpectacles Vivant,Emprise et émancipation

PhOtOgraPhieNight Stories, de Laurence Bonvin

PerfOrmanceInterview de Joris Lacoste

réfLexiOnÇa marche, pratiques déambulatoires et expérience ordinaire

résiDentsUlrike Ottinger, Takeshi Kitano et évènements actuels.

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eDitO ri�L

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eDitO ri�L

PenDant LOngtemPs, La mODernité a Discré-Dité L’enseignement artistique. Les PLus granDs Peintres, Les artistes DOnt L’histOire Du 20e siècLe a retenu Les nOms ne sOnt-iLs Pas ceux qui Ont re-fusé L’acaDémie «(i’acaDémisme»), et qui aVaient D’autant mOins à aPPrenDre D’un maître qu’iLs entenDaient inVenter eux-mêmes De nOuVeLLes techniques POur mieux affirmer La singuLarité absOLue De Leur message. Cela était vrai jusqu’à ce que les nouvelles technologies envahissent le domaine de la création artistique; il faut bien alors apprendre le maniement de nouveaux outils, certains particulièrement sophistiqués, et onéreux; des lieux sont devenus néces-saires pour accueillir de très jeunes artistes qui avaient besoin d’autre chose que d’un radiateur près duquel se chauffer, c’est-à-dire du matériel le plus performant tant il est vrai que les idées ne sont jamais aussi bien sollicitées, renouvelées, que par le progrès et la maîtrise techniques. Artesalma se veut donc l’un de ces lieux. Mieux encore: Artesalma tend à devenir un pôle, un lieu de rencontre et d’échange ouvert, qui sans cesse se renouvelle.

Je devrais plutôt écrire: avec lesquels ils auront collaboré. Car telle est l’originalité d'Artesalma. Artistes et interprètes y viennent les uns et les autres avec un projet défini, qu’ils réalisent sur place, «à échelle un » précise Alain Fleischer,

son initiateur et directeur, et exposent au public. Si bien que la relation entre les uns et les autres n’est pas sim-plement celle de la transmission, mais celle de l’échange. On pourrait presque reparler d’Académies, mais dans un sens qui serait plus proche de ce qu’entendaient par là les néoplatoniciens à l’époque des Médicis : des lieux au sein desquelles se croisaient toutes les disciplines de l’esprit et de l’art.

Ce que permet Artesalma, le public pourra le mesurer en visitant Dans la nuit, des images. Création visuelle et numérique en Europe. Pendant quatorze nuits, du 1er au 15 octobre 2010, on s’émerveillera de visiter le tout récent bâtiment, inondée de la lumière des œuvres projetées. De quelle autre manifestation pouvait-on rêver pour fêter l’ouverture du centre ? Des œuvres issues d’un centre international située à l’un des carrefours géographiques de l’Europe, travaillant en liaison étroite avec d’autres institu-tions européennes, mais aussi point de rencontre d’artistes venus de tous les horizons. Ce numéro accompagne la manifestation, juxtapose images des projets en cours et futurs, tout en espérant donner au public un aperçu des ambitions du centre, de la réflexion qui y est menée, de ses projets encore à venir, autant qu’il est possible de le faire étant donné la richesse de l’ensemble.

Catherine Millet

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01.the mODerns

Associée à l’art et la culture de la moi-tié du XIXe jusqu’aux années 60, la no-tion de «moderne» et de «modernité» est devenue obsolète à l’époque du post-moderne. C’est une des raisons pour lesquelles le Musée de Rivoli lui consacre cette exposition collective qui présente sculptures, installations, peintures, sons, vidéos et films créés par des artistes du monde entier. Le spectateur pourra entre autres s’im-merger dans une dimension spatiale imaginaire à travers les illusions op-tiques de l’artiste new-yorkais Ricci Albenda (photo).

the mODerns 16 aVriL-24 aOût 2003, casteLLO Di riVOLi musée D’art cOntemPOrain, riVOLi-turin

02.PraDa

En attente de l’imminente ouverture d’une boutique Prada à Zurich, la maison italienne a inauguré en mars dernier un nouveau magasin à Franc-fort; ce quatrième point de vente en Allemagne est entièrement consacré à la maroquinerie, aux chaussures et accessoires. L’espace, qui s’intègre parfaitement dans l’univers moderne et sophistiqué du shopping de luxe, conserve les éléments caractéris-tiques de l’identité de la marque: pré-dominance du ton vert pâle encadré par les géométries des volumes noirs qui flirtent avec l’éclairage d’une lu-minosité intense et crue.

PraDa LuginsLanD et gOethestrasse francfOrt

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03.meubLes rOssetti

A quelques kilomètres de Neuchâtel, non loin du lac, le magasin de mobilier contemporain Rossetti déploie sur 15 oon12 d’exposition les meilleures marques du design international. Montana, Vitra, B&B, USM, Lignero-set, Team by Wellis, Roth-lisberger, pour ne citer que les principales, y sont représentées. L’ambiance est décontractée et sympathique dans ce bel espace dont le sous-sol est tra-verse par un cours d’eau qui génère l’électricité de la maison. La com-pétence des deux frères n’est pas à démontrer, car chez les Rossetti, la passion du design est héréditaire et se transmet depuis trois générations.

meubLes rOssetti Ph.-sucharD 7, bOuDry (ch) téL.032 842 10 58 www.rOssetti-mObiLier.ch

04.bOOKstOre et gaLLery ras

Inauguré il y a environ quatre ans à Barcelone, cet espace d’art contem-porain se subdivise en deux parties dont une librairie spécialisée en art, photographie, architecture, design et graphisme. L’autre section est consa-crée aux expositions et aux projec-tions. Situé en plein centre de la ville, non loin du MACBA - Musée d’art contemporain de Barcelone -, l’Espai Ras a été conçu par Actar (www.actar.es), maison d’édition indépendante qui est très active dans le domaine de la culture contemporaine.

bOOKstOre et gaLLery rasc. DOctOr DOu, 1008001 barceLOne

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05. accrOchages

«Accrochages», l’agenda mensuel international des galeries d’art et musées fête ses 5 ans. Cinq ans au service de l’art pour cette parution qui recense exhaustivement les ex-positions et les galeries de Suisse et de France. Un magazine de référence traitée avec sérieux et liberté embras-sant toutes les tendances de l’art, qui développe chaque mois des sujets lies aux expositions comme «La ville au fil de l’eau» dans la paradoxale la Chaux-de-Fonds ou l’exposition Kira Weber au ForuMeyrin a Genève. A noter qu’a l’occasion de son an-niversaire, «Accrochages» lance un concours artistique dont les gagnants verront leurs oeuvres exposées du 30 août au 6 septembre a la Galerie Espacio a Morges. Le premier prix fera la couverture du numero d’«Ac-crochages» du mois de septembre.

accrOchages. en Vente Dans Les KiOsques naViLLe et reLay fr.7,50

06. Les aLLumés De L’art brut

Si le seul musée au monde entière-ment consacre a l’art brut se trouve en Suisse, y a-t-il dans ce pays beau-coup de prétendants au titre d’artiste brutiste? Car un groupe d’allumes en bonne santé mentale s’est charge de regrouper leurs oeuvres sur le net. Pas étonnant qu’il s’agisse de la dernière télévision libre d’esprit, Arte, qui, suite a la diffusion d’un «théma» sur le sujet, propose a tout intéresse d’envoyer par mail ses créations. Le site de la chaîne franco-allemande procède ensuite a un tri pour sélectionner et exposer virtuellement les oeuvres qui auront le plus séduit le jury. Pour se mesurer aux autres allumes, il suffit donc de posséder un ordinateur, un outil peut-être un jour tolère dans les hôpitaux psychiatriques.

www.arte-tV.cOm rubrique arts et musique

07. LOst sOngs

Pour ceux qui connaissent, il a la voix de Philippe Val, le rédacteur en chef de «Charlie Hebdo» qui chronique une fois par semaine sur France-Inter. Là, on est sur Couleur 3 Dimanche soir, il est 19h. Alain Meyer, journa-liste, ex-Monsieur Loyal du Cirque Electrique, raconte des histoires ‘à’ grand renfort de musique. Des his-toires de losers et de rockers tirées d’anecdotes prises dans des bou-quins anglophones jamais traduits et assemblées par l’esprit dérangé de l’animateur. Seul ciment a ses collages: de vieux vinyles, des CD antiques et des 45 tours de rock, de soul, de funk et de blues bien sales, empreintes gravées de vieux hits dates parfois rates. Et pourtant, les Lost Songs d’Alain Meyer et Julie C rajeunissent le rock par le vieux.

LOst sOngs. cOuLeur 3, Le Dimanche De 19h à 20h.

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tr�nsit city

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Berlin,tr�nsit

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les p�rtitionsd’une �ille

Lou Reed, Berlin 1973

David Sanson

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Dans les Ailes du désir (1987) Wim Wenders traduit l’âme d’une ville mais surtout l’esprit d’un rock urbain mû par l’urgence et la Sehnsucht (âme romantique), filmant en concert Nick Cave et ses Bad Seeds (avec Blixa Bargeld à la guitare). Crime + The City Solution, et laissant s’épan-cher en noir et blanc les sonorités industrielles de « Pas attendre», le tube-manifeste de Sprung aus den Wolken « Nous sommes si jeunes / Nous ne pouvons pas attendre... »Pour d’autres, le «son» de Berlin se trouve dans les albums réalisés par David Bowie durant la seconde moitié des années 1970, ou dans les disques du label anglais Mute

les p�rtitionsd’une �ille

(Depeche Mode, Diamanda Galas, le Collapsing New People de Fad Gadget), qui ont tous été enregistrés au mythique Hansa Studio. Puis Berlin est aussi la ville du Tresor et de Hardwax, clubs et labels mythiques de l’ère techno, des rythmes hypnotiques des années 2000.Les multiples scènes musicales berlinoises forment ainsi une généalogie et une mythologie avec non seulement des figures et des référents communs mais surtout avec une inspiration, une invention, une soif d’ expérimentation ne pouvant éclore que dans des endroits préservés. Le véritable dénominateur commun de la musique à Berlin

Berlin,

Ci-dessus: Einstür-zende Neubauten: image de l’album Kollaps Berlin, parvis de l’Olympiastadion septembre 1981 (Photo: Peter Gruchot)

POur beaucOuP De méLOmanes «mODernes», L’iDentité musicaLe De berLin est à rechercher au cinéma.

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restant avant tout Berlin. Aussi, évoquer ces scènes et cette histoire c’est finalement moins faire appel à a musicologie qu’à la sociologie.

Lorsque David Bowie s’ installe à Berlin Ouest, où il enre-gistrera avec Brian Eno entre 1976 et 1978 ce qui constitue aujourd’hui sa «trilogie berlinoise» (les albums Low, Heroes et Lodger), il cherche à se rapprocher d’un réservoir à fantasmes le Berlin de Kurt Weill, Fritz Lang, Gottfried Benn ou George Grosz mais aussi d’une scène musicale : Ash Ra Tempel, Agitation Free, Tangerine Dream ou Cluster (avec qui collaborera Eno). Et ce qu’il cherche peutêtre avant tout, précisément, c’est de l’espace. « Le mur, à l’époque, avait transformé Berlin en une sorte de ville fantôme, rappelle

Eduard Meyer, qui fut l’ingénieur du son (et violoncelliste) de l’album Low au Hansa Studio. I1 y avait des étendues désertiques, une sorte de charme idyllique et provincial, pas de bruits de circulation. Ce sentiment de «refuge» a attiré de nombreux musiciens. Les bars et les cafés étaient ouverts en continu, il régnait un sentiment de liberté et d’isolement. David Bowie et lggy Pop pouvaient se balader anonymement, prendre le S-Bahn pour aller se promener à Wannsee, parfois à l’Est…» lggy Pop, que Bowie a tiré de son errance californienne, enregistrera au Hansa Studio deux de ses albums majeurs, The Idiot et Lust for life. Le titre de ce dernier en dit long sur les vertus galvanisantes de son exil berlinois, qui profiteront par la suite à maints autres artistes.

Ci-dessus:

Alexander Hacke (d’Einstürzende Neu-bauten) tiré du film «Crossing the Bridge» de Faith Akin

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C’est que Berlin-Ouest est bien une île, mais une île ouverte. Son isole-ment et son rayonnement incitent aux échanges intramuros, mais surtout sa situation géopolitique particulière permet d’accéder à certains privi-lèges : des commerces ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre et la possibilité d échapper au service militaire (donnée essentielle pour comprendre l’afflux d’artistes du-rant tes années de guerre froide) (1). Par ailleurs, le nombre de logements vacants entraîne le développement d’ un mouvement de squatteurs dont le groupe Ton Steine Scherben se fera Le porteparole. Surtout, malgré son isolement géographique, la ville porte les stigmates d’ une guerre que partout ailleurs on est en passe de re-léguer dans les livres d’histoire; Les radios et télévisions anglaises, américaines et françaises forment une culture polyglotte et, en piratant ta télévision estallemande, on peut avoir accès à des films du bloc soviétique rarement diffusés ailleurs.

bLixa bargeLD, charismatique Leader du groupe Eins-türzende Neubauten, revient en ces termes sur la vague de fond qui, sur les cendres encore chaudes du punk, secoue la ville à la fin de ta décennie 1970. Les Geniale Dilletanten ( « Dilletantes géniaux », faute d’orthographe incluse)s’inspirent de Fluxus et Dada, mais aussi du groupe expérimental anglais Throbbing Gristle (dont les membres viennent de la performance) et du mouvement

BerLin-Ouest était inDéniabLement une ViLLe ParticuLière, Par sOn atmOs-

Phère aussi bien que Par Le biOtOPe sOciaL, Le «sOciOtOPe» qui a résuLté De sa situatiOn POLitique. à berLin, Per-sOnne ne traVaiLLait, n’aVait D’ar-gent Ou D’aPPartement – et PersOnne n’ aVait Le mOinDre mOyen De PrO-DuctiOn – Le mOuVement Des geniaLe DiLLetanten s’est DéVeLOPPé cOmme une nécessité.

(1) Avant la réunifi-cation il n’y avait pas d’armée allemande dans Berlin-Ouest et, de fait, y résider permettait d’échapper au service militaire.

À gauche:

Peaches, performeuse canadienne. (Photo: Chloé de Lyses, design: Phylea)

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punk envisagé selon Bargeld, «au sens le plus large du terme. L’impact du punk a été moins stylistique et musical qu’économique - concer-nant les nouveaux moyens de pro-duction et de distribution. Il y avait beaucoup de réseaux indépendants - et beaucoup d’indépendance, aussi, dans la manière dont on faisait de la musique.» Utilisant perceuses et mar-teaux-piqueurs, lâtes et barres de fer en guise d’instruments, Einstürzende Neubauten, né officiellement le 1er avril 1980, va faire éclore la musique industrielle. Dans cette nébuleuse sui-vent Mania D. et Malaria (deux groupes menés par Gudrun Gut, cofondatrice d’Einstürzende Neubauten), Les Liaisons Dangereuses, Die Tödliche Doris, Die Haut, Sprung ans den Wolken, naviguant entre les quartiers de Kreuzberg et Schöneberg, entre new wave et électro, avec un aplomb que n’effraient ni l’emphase ni le minimalisme. Et vingt-six ans après, Einstürzende Neubauten demeure le groupe emblématique de Berlin dont le nom fait écho à la nature même de la ville, Einstürzende Neubauten signifiant en français: "les nouveaux immeubles s'écroulent"

Je crOis qu’einstürzenDe neubauten aurait Pu VOir Le JOur Dans n’im-

POrte queL enVirOnnement De friches et De Détritus urbains.

mODère bLixa bargeLD. Toutefois, le groupe a pu faire profondément sens dans le contexte du «bloc de l’Est»: l’utilisation d’instruments non-musicaux, ce recy-clage et ce détournement de matériaux, ont sans doute exercé une influence en Tchécoslovaquie ou en Alle-magne de L’Est. Au cours des années 1980, une scène musicale va également proliférer à l’Est, sous l’impul-sionpulsion décisive des Geniale Dilletanten dont les cassettes circulent sous le manteau. En RDA comme à Berlin-Ouest, on a accès à certains privilèges comme, par

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Langhoff, Papen Fuss et Sarah Mars ont tra-vaillé avec Ornament und Verbrechen; quant à la Volksbühne, diri-gée par Castorf elle accueille aujourd’hui de nombreux concerts et soirées

(2) Le bar de la Schaubühne ac-cueillait, au tournant 1960-70, le Zodiac Club, lieu fédérateur de la scène krautrock; Kipppenberger est le fondateur du S036, club mythique du Berlin-Ouest post-punk; Müller nouera avec Einstürzende Neubauten une fruc-tueuse collaboration;

Ci-dessus:

Le mythique Hansa Studio à Berlin, année 1970 (Photo: DR)

Page de gauche:

Tarewater (Photo: S. Mayer)

exempte,de capter la fameuse émission musicale de John Peel sur les ondes de la BBC. Et, comme à Berlin-Ouest, quoique pour des raisons bien différentes et inhérentes à l’ organisation du pays, on a appris à développer un mode de vie coopératif basé sur l’entraide et l’échange. C’est dans ce contexte que les frères Ronald et Robert Lippok fondent Ornament und Verbrechen, un collectif réunissant plasticiens, musiciens, gens de théâtres, poètes et performers autour d’une même rébellion contre tous les classicismes.

Fort d’une rigueur conceptuelle ainsi que d’ un grand enthousiasme, Ornamentund Verbrechen se rattachent à leurs aînés, mais aussi aux musiciens d’aujourd’hui,par une curiosité qui déborde allégrement tes frontières des styles musicaux et desdisciplines artistiques, C’est ainsi que Les metteurs en scène Peter Stein, Thomas Langhoff et Frank Castorf, des plasticiens comme Martin Kippen-berger et Sarah Mars, les écrivains Heiner Muller et Bernd Papenfuss vont devenir des acteurs à part entière de la vie musicale berlinoise (2).

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Cette injonction à effet boomerang, lancée par Brecht au milieu du siècle dernier, revient régulièrement siffler aux oreilles des artistes et des responsables culturels. À Berlin plus qu’ailleurs : genius loci oblige. La ca-pitale réunifiée possède un imposant réseau, hérité de son double passé, de lieux dédiés au spectacle vivant. Le Berliner Ensemble, le Deutsches Theater, La Schaubühne, la Volksbühne : autant d’édifices chargés d’histoire qui continuent de peser Lourdement sur les arts de la scène, même si ce poids tend plus à être financier qu’artistique.

E�prisE Et é��nci p�tionsStéphane Malfettes

iL est temPs D’ arriVer, au théâtre, à une méthODe De tra-VaiL qui cOrresPOnDe aux DOnnées De nOtre éPOque.

En Allemagne, l’activité des institutions théâtrales repose sur des équipes permanentes (les Ensembles) et des contraintes de répertoire alternant reprises et nouvelles productions, Dans les années 1970, Peter Stein expéri-mente à ta Schaubühne qui est alors Le foyer du renou-veau de la représentation une cogestion de l’entreprise théâtrale avec les comédiens (Bruno Ganz, Edith Clever) et metteurs en scène (Klaus Michael Grüber, Claus Pey-mann) qu’ il fait venir. Retour du refoulé, l’outil de travail se structure en reproduisant de plus en plus les logiques qui prévalent dans le système traditionnel.

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en 1986, Peter stein réPOnD à ses PrOPres in-terrOgatiOns en DémissiOnnant. En 1999, Jürgen Schitthelm, directeur administratif et cofondateur de La Schaubühne, négocie un virage stratégique pour éviter la fermeture d’ un lieu qui a perdu la faveur du public et sa flamboyance d’antan. Une jeune équipe fringante et pluridisciplinaire, constituée du metteur en scène Thomas Ostermeier, de Jens Hillje (son dramaturge), de la cho-régraphe Sasha Waltz et de Jochen Sandig (directeur de sa compagnie), est appelée à la rescousse. Leur première

décision est d’engager une troupe de quarante comédiens et danseurs, réflexe qui rappelle d’emblée le fantôme struc-turel des lieux mis à mal quelques an-nées plus tôt. Comme l’explique Jochen Sandig: « la Schaubühne a permis de donner une nouvelle ampleur à l’œuvre de Sasha Waltz. Auparavant, nous avi-ons déjà posé les bases d’un travail de troupe pour assurer une continuité dans la recherche avec les danseurs ; l’institution nous a offert la possibilité d’aller plus loin dans la construction d’un répertoire. Mais la Schaubühne

est devenue le lieu exclusif de deux écritures fortes. L’ac-compagnement d’autres artistes est vite devenu limité par le manque de moyens pour des coproductions avec l’extérieur. Notre projet initial était pourtant d’inviter tout le monde des arts à la Schaubühne.»

Avec la crise financière que connaît la capitale allemande, la gestion de l’existant culturel pose des problèmes lancinants. La concentration des moyens sur de lourdes institutions gêne l’émergence d’ autres formes. Cette problématique

Que faire maintenant ? cOmment cOntinuer ? Va-t’On DeVenir un

cOLLectif De VieiLLarDs ?

�ivant

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structurelle hante Berlin au point de nourrir les spectacles d’artistes indépendants qui interrogent leur propre éco-nomie et leurs propres modes de création. Dans Perform Performing (2003-2004), Jochen Roller met en scène son quotidien de chorégraphe-danseur -freelance: la représentation des petits boulots (dans le télémarketing, le mailing , la vente chez H&M) qu’ il doit accepter pour financer ses spectacles devient sa matière première. Paper board à l’appui, il formule l’équation ironique du rendement d’ une petite entreprise artistique dans laquelle le corps du performer est présenté comme le dernier bastion d’autonomie et d’autodétermination.

Résident à Berlin depuis le début des années 1990, Xavier Le Roy a mis en chantier son activité de choré-graphe en développant des stratégies d’émancipation de l’influence de la structure. «J’ai montré mon travail à Berlin pour la première fois en 1995 au festival Tanz im August. L’année suivante, une résidence m’a été pro-posée au Podewil. Parallèlement, j’ ai obtenu du Sénat une subvention qui m’a permis de créer une pièce plus importante. Je me suis alors rendu compte que les moyens qui me per-mettaient d’évoluer prenaient le pas

sur le geste de création. Les conditions de production déterminaient d’une certaine manière mon processus ar-tistique. Il me fallait faire machine arrière, E.X.T.E.N.S.I.O.N. a ainsi été une expérience de mise à plat des paramètres qui formatent une démarche de chorégraphe. J’y ai associé d’autres artistes auxquels je reversais une partie de ma subvention pour qu’ ils puissent créer leur propre travail. C’était une façon de faire circuler les moyens de production pour que chacun réalise son propre projet. Après cette étape qui a duré deux ans, les choses ont commencé à se gâter pour moi avec l’administration berlinoise, au point d’ être aujourd’hui dans une situation critique.

L 'aménagement D’esPaces inter-méDiaires est DeVenu POur Les

théâtres un mOyen De s’aDaPter au renOuVeLLement Des exPressiOns scéniques cOntemPOraines et De DérOger à La règLe De rare Perméa-biLité De La frOntière entre L’institu-tiOn et Le secteur aLternatif ( 1 ).

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Sasha Waltz, «Dido & Aeneas», 2005, Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg (Photo: Sebastian Bolesch)

[1] Pour un esprit français une grande part de ce secteur n'a d'alternatif que le nom : le terme englobe celles les

artistes indépendants subventionnés ou non, mais aussi le réseau des lieux de diffusion soutenus par le Sénat de Berlin, qui peuvent également solliciter le Haupstadtkulturfond pour des créations et des manifestations ponctuelles.

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Sans subvention, mes projets personnels ne peuvent exister que grâce aux moyens mis en commun par les théâtres et les festivals européens qui veulent bien coproduire mes spectacles.»

Malgré le rôle que joue le HAU (ex-Hebbel Theater), Dock 11 ou les Sophiensaele, le réseau du spectacle vivant alternatif reste fragile. À Berlin, les artistes émergents manquent d’équipement pour créer et présenter leur tra-vail; du coup, la logique des squats continue à faire fureur.

Des initiatives spontanées donnent régulièrement lieu à l’ouverture de nouveaux espaces capables d’ accueillir jusqu’à une centaine de spectateurs dans un garage, un pas-de-porte ou une salle de bal. C’est le cas du Ballhaus Ost, ouvert en février 2006 dans le Prenzlauer Berg par Anne Tismer (comédienne de Thomas Ostermeier), avec les metteurs en scène Philipp Reuter, Uwe Moritz Eischler et la galeriste Bianca Schöning.

Ci-dessus:

Jonathan Meese. Per-formance «Jonathan Meese ist Mutter Parzival». Magazin der Staatso-per Unter den Linden Berlin, 2005. (Photo Claudia EschKenkel).

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Ci-dessus

René Pollesch «Prater Saga 1 – Tausend Dämonen wünschen Dir den Tod». Prater Berlin, 2004 (Photo: Thomas Aurin)

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Nouvel équipement culturel de plus de 2 500 m2, Radial-system est aménagé dans une ancienne station hydrau-lique sur les bords de la Spree. Avec des financements privés, ce projet est porté par Jochen Sandig, lequel retrouve avec enthousiasme le râle d’ entrepreneur cultu-rel qu’il a déjà joué à l’époque du Kulturhaus Tacheles (friche postchute du mur) puis de la création, en 1996, des Sophiensaele. «Le fonctionnement de Radialsystem se situe entre celui des institutions avec ensembles per-manents et celui des lieux de diffusion comme le HAU. Les studios et la grande salle que compte désormais le bâtiment sont conçus pour être entièrement modulables afin de présenter des formes aussi différentes que des expositions, des concerts et des spectacles.

Après cinq années consacrées à la création de grands spectacles comme Körper (2000) ou Gezeiten (2005), Sasha Waltz a quitté la Schaubühne pour renouer avec un statut « indépendant » en liant néanmoins son sort à celui d’ un espace pluridisciplinaire qui ouvrira en sep-tembre 2006. Le lieu est né du désir de réunir la danse et la musique. L’ élan artistique de Sasha Waltz va dans ce sens depuis Dido & Aeneas de Purcell. Ce spectacle, créé l’année dernière, a marqué le début d’une étroite collaboration avec l’ Akademie für Alte Musik et son directeur Folkert Uhde, Nous avons décidé de créer un outil de production qui permette à la fois de travailler et de proposer aux publics des concerts et des spectacles clans des dispositifs à chaque fois renouvelés.»

Ci-dessus:

Xavier Le Roy «E.X.T.E.N.S.I.O.N. #1», Anvers, 1999 (Photo: Stefan Pente)

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Les dialogues artistiques entre l’Akademie et Sasha Waltz prendront notamment la forme d’ «un concert théâtral» autour des Quatre Saisons de Vivaldi, Des collaborations sont prévues avec d’autres artistes et structures comme Le 104 à Paris, espace de création aménagé dans les anciennes Pompes funèbres dont l’ouverture est annon-cée pour 2008.

À Radialsystem, les projets de l’Akademie et de la com-pagnie Sasha Waltz seront financés par leurs subventions respectives. Les autres activités du lieu bénéficieront de fonds privés provenant notamment de la location des es-paces dont la modularité permet également d’accueillir Les raouts des grandes firmes implantées dans te voisinage, l’infrastructure alternative étant désormais contrainte de composer avec la superstructure du monde économique pour assurer son standing. Dans un contexte de crise des politiques culturelles, il revient donc aussi aux artistes de réinventer des outils de production et des configurations structurelles en phase avec leurs orientations esthétiques et leur époque, Quels que soient ses moyens d’existence, Heiner Müller, n’a t’il pas lui-même proclamé que,

dE toutE f�çon, «L’�rt n’Est p�s contrôL�bLE» …?

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dE toutE f�çon, «L’�rt n’Est p�s contrôL�bLE» …?

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artesaLma ma�zine D'�rt cO�emPOr�in – n°0 sePtembre 2010 – arts PLastiques

arts PLastiques - PhOtOgraPhie

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Entre brutalité et frénésie, la vie nocturne des cités ap-paraît souvent comme le royaume de l'anecdotique et du spectaculaire. Cependant, plutôt que d'illustrer cet univers caricatural, Laurence Bonvin a choisi de s'en affranchir. Elle ne traque pas le sensationnel. Au contraire, elle s'attache à dépouiller ses photographies du poids des clichés. On cherchera désespérément dans ses images les traces d'un crime, d'une fête ou de toute narration précise. Libérées d'un contexte surchargé, celles-ci deviennent un théâtre

ouvert à des interprétations multiples et ambivalentes. Le travail de Laurence Bonvin se distingue par la place qu'il laisse à l'imaginaire du spectateur. Il ne rend pas compte d'un événement. Au contraire, la diversité des scénarios qu'il évoque semble le placer en amont d'une histoire à venir. Immergé dans une atmosphère propice à tous les fantasmes, c'est le spectateur et non plus le photographe qui se trouve placé dans le rôle du voyeur.

nightstOries

Laurence bOnVin exPLOre Les ViLLes La nuit. Le mOnDe auqueL eLLe se cOnfrOnte LOrs De ses PérégrinatiOns est riche De Lieux cOmmuns.

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Ils sont de prime abord banals et anodins. Cependant, le choix des cadrages, la qualité des compositions et la maîtrise de la lumière transfigurent leur apparente insi-gnifiance. Reformulés dans des images à la fois familières et étranges, ces espaces révèlent soudain une vision de la ville empreinte de mystère et de poésie. Baigné d'une douce quiétude, propice à la contemplation, cet univers fragile n'est pas sans évoquer l'onirisme d'une forêt

Les Lieux PhOtOgraPhiés Par Laurence bOnVin

aPPartiennent au quOtiDien.

enchantée. Le temps y est comme suspendu. Mais l'équilibre qu'on y rencontre semble susceptible de se rompre à tout moment. Tout comme dans un conte, c'est avec angoisse que l'on songe à la prochaine ren-

contre. Sera-t-elle dramatique ou féerique? L'interaction entre les différentes photographies de la série élargit encore l'éventail des interprétations. Tous animés d'un même souffle, lieux, individus et objets s'entrecroisent. A travers leur association s'amorce une multitude de récits possibles. Oscillant entre fascination et inquiétude, le spectateur se trouve une fois de plus en prise avec l'ambiguïté d'un monde ouvert à toutes les fictions.

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Toutes les images: Laurence Bonvin, sans titre, 2003.

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PerfOrmance

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37JOris L�cOste

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Peut-On Dire que tu es écriVain De théâtre et metteur en scène ? cOmment Définirais-tu ces fOnctiOns ?

Ces deux fonctions n’en font qu’une, qui est écrire des pièces, mais que l’on peut considérer depuis deux points de vue distincts, le spectacle ou le texte. Selon le point de vue, cette même fonction peut donner lieu à des ac-tivités collectives ou solitaires, des formes changeantes ou fixes, des économies lourdes ou légères, des temps

exPérimenter L’�ctiOn Entretien de Joris Lacoste par

Pascale Gateau

JOris LacOste écrit POur Le théâtre DePuis 1997 et a réa-Lisé récemment Deux sPectacLes. iL inVestit Des DisPOsitifs De rePrésentatiOn à géOmétrie VariabLe cOmme ceLui Du cOncert (9 Lyriques) Ou ceLui Du théâtre cOntemPO-rain (PurgatOire), brOuiLLant Les rePères POur inVenter D’autres raPPOrts au sPectateur.

de travail indéfinis ou très urgents. J’aime bien articuler ces deux dimensions, à condition cependant que l’une ne se subordonne pas à l’autre: il est plus intéressant pour moi que le spectacle ne soit pas la réalisation d’un programme contenu dans le texte, et qu’ inversement le texte ne soit pas juste une transcription du spectacle. C’est un peu comme les rapports entre le corps et l’esprit: ils ne préexistent pas, ne sont jamais fixés, jamais prédéfinis, toujours à réinventer.

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JOris L�cOstetraDitiOnneLLement, au théâtre, Le texte est L’éLé-

ment De La rePrésentatiOn à Partir DuqueL se cOnstruit un traVaiL De recherche aVec D’autres cOmPOsantes, nOtamment Les cOmé-Diens, La scénOgraPhie, Les Lumières... : queL est Le statut Du texte quanD tu réaLises 9 Lyriques Ou PurgatOire ?

C’est compliqué, parce que c’est différent pour chaque projet. Ce qui est sur, c’est que la question n’est jamais de «transmettre», de «faire passer», ou de « faire exister» un texte. Cette manière de procéder me parait toujours étrange, je me méfie beaucoup des metteurs en scène qui «montent» tel ou tel texte (comme on monte un che-val ? des œufs en neige? un meuble en kit?). Cela fait

du spectacle une sorte de médiation entre la substance textuelle et le spectateur, un peu comme le prêtre transmet le Verbe au pauvre pécheur : cela reste très religieux, avec de nombreux rapports de pouvoir et de savoir, et tout un loi de valeurs bizarres, comme «l’Écoute» ou «le Respect du Texte»…

Notre démarche est plus horizontale. Dans Purgatoire, il y a d’abord un projet de spectacle, qui s’est certes nourri, entre autres choses, de textes écrits ou en cours d’écriture, mais qui ne leur était absolument pas subordonné. Le spectacle ne se veut en rien une médiation mais d’abord simplement une action, ou du moins une série d’actions: actions très concrètes comme se déplacer, danser, sauter sur place, jouer de la musique, faire le chien…

Ci-dessus:

«9 lyriques» de Stéphanie Béghain et Joris Lacoste Avec Stéphanie Béghain et Nicolas Fenouillat. Théâtre de la Bastille, mai 2007. (photo: Pierre Gros-bois)

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Et parmi ces actions, on trouve aussi l’action de parler, laquelle nécessite l’usage de textes soit écrits soit im-provisés: c’est à cet endroit que mon travail d’écriture entre en jeu, pour produire le texte qui sera effectivement dit par l’acteur, ou bien le schéma à partir duquel il va broder son discours.

Le cas de 9 lyriques est un peu différent, puisque les textes préexistaient et n’ont pas subi beaucoup de transforma-tions au cours des répétitions. Mais la démarche est au fond la même: il ne s’agit pas de «faire entendre» ces textes, mais de s’en servir comme carburant d’autre chose, en l’occurrence la performance rythmique et intensive de Stéphanie Béghain et Nicolas Fenouillat ; ce qui ne veut pas dire qu’on n’entend pas les textes...

Là, tu emPLOies Le terme «PerfOrmance» Dans Le sens D’exécutiOn, nOn Dans Le sens De genre Ou De mODe De rePrésentatiOn ?

J’emploie ici le terme « performance » dans un sens purement formel, celui d’un certain médium qui consiste à faire une action devant des gens rassemblés pour y assister. J’aurais pu dire «spectacle », pour moi c’est équivalent en tant que dispositif mais, étymologiquement, performance est davantage tourné vers celui qui agit et spectacle vers celui qui regarde.

Je n’emploie donc pas le terme de «performance» dans un sens esthétique: je sais bien que le mot en français est codé selon une tradition très spécifique, mais ce n’est pas le cas en anglais, où il désigne n’importe quel spectacle relevant de n’importe quel genre appartenant à n’importe quelle discipline ou tradition, que ce soient les arts plastiques, le théâtre, la danse, l’opéra, le concert, etc. Tous ces régimes esthétiques, parce qu’ils relèvent d’histoires distinctes, restent extrêmement cloisonnés, ignorants, voire méfiants les uns des autres. Et en effet, du point de vue des codes, entre le spectacle de théâtre/danse et la performance comme genre, il semble exister une série d’oppositions binaires, ne serait-ce que du point de vue de la durée, de la disposition du public, du recours ou non à la mimesis, à une fable, à des interprètes, du caractère plutôt unique ou répété, plutôt gratuit ou payant, des économies de produc-tion, des contraintes techniques, sans parler des contextes d’inscription, etc. Mais en même temps, on voit bien que ces codes ont été largement déconstruits depuis un certain temps : il devient de moins en moins difficile et de plus en plus intéressant de regarder toutes les « performances» (au sens anglais) du même oeil. On a ainsi joué 9 lyriques dans des théâtres, des soirées de poésie contemporaine, des festivals de danse, des salles de concert, des lieux d’art contemporain... À chaque fois, on ne cherche pas à affirmer la spécificité d’une discipline, encore moins une trans- ou interdisciplinarité, mais plutôt à brouiller les repères.

Ci-dessus:

Joris Lacoste «Pur-gatoire» Théâtre National de la Colline, Paris, mars 2007. Acteurs: Gaspard Gulbert, Barbara Mati-jevic, Frédéric Danos, Guiseppe Chico.(Photo Luc Arasse)

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VOus Dites que c’est Du théâtre ? bien sûr. De La POésie sOnOre ?

POurquOi Pas. De la danse? Si vous voulez. De la mu-sique? OK. De la performance? D’accord. C’est comme l’histoire du bœuf et du cheval de trait: il y a sans doute plus de points communs entre Eric Duykaerts et Grand

Magasin, entre Jérôme Bel et Joseph Kosuth, entre Marco Berrettini et Arnaud Labelle Rojoux, entre une lecture de Pennequin et un concert de Liars, entre la Bataille d’Absalon et la danse de Boris Charmatz, entre Gwénaël Morin et Paul McCarthy, qu’entre beaucoup d’artistes qui

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œuvrent côte à côte dans le même champ...

tu cOnsiDères L’actiOn seLOn un mODe LittéraL, ce qui aurait à VOir aVec La PerfOrmance teLLe qu’eLLe se Pratique Dans Le chamP Des arts PLastiques. L’actiOn n’est-eLLe DOnc Pas un mOyen De PrODuctiOn De fictiOn Dans ta Pratique Du théâtre ? cOmment enVisages-tu La nOtiOn De rePrésentatiOn ?

Tout comme la poésie est l’art des possibilités du lan-gage, la danse l’art des possibilités du mouvement, la musique l’art des possibilités sonores, etc., j’aime bien voir le théâtre comme J’art des possibilités de J’action en situation de représentation. Cette définition peut sembler à juste titre triviale, réductrice ou trop générale, mais elle

a l’avantage de reposer de manière brutale la question de ce que nous faisons sur une scène, en court-circuitant les codes et les valeurs esthétiques en cours. Elle ouvre la voie à toutes sortes d’expérimentations sur ce qu’est une action, pour celui qui l’effectue comme pour celui qui la regarde. Selon quels critères choisir une action dans une situation donnée ? Comment J’effectuer et la moduler? Comment passer d’une action à l’autre ? Qu’est-ce qui garantit l’intérêt d’une action ?

Depuis trois ans, on développe, avec Jeanne Revel, une méthode, la méthode W, qui s’efforce de formaliser l’ac-tion en situation de représentation. Nous sommes partis d’une proposition simple: envisager la représentation non comme contenu, mais comme la relation entre celui

A gauche:

Joris Lacoste «Pur-gatoire» Théâtre National de la Colline, Paris, mars 2007. Acteur: Grégoire Monsaingeon. (Photo Luc Arasse)

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Par tOutes sOrtes De mOyens PLus Ou mOins mathématiques, em-

Piriques, PhiLOsOPhiques, gymnas-tiques, La méthODe w Vise ainsi à Dé-mOntrer que La fOnctiOn D’un geste théâtraL n’est autre que De PrODuire De La Liberté, aussi bien POur ceLui qui L’accOmPLit que POur ceLui qui Le reçOit. mais iL est Vrai que ceLa Peut se Dire aussi bien De n’imPOrte queL art...

qui agit et celui qui regarde, À partir de là, la méthode W travaille à doter le performeur d’outils lui permettant d’écrire des suites d’actions et de les effectuer selon des critères formels garantissant le maintien de la relation de représentation, sans se préoccuper du sens qu’il produit (la production de sens ou de fiction étant l’apanage du spectateur). La relation entre le spectateur et le spectacle est un rapport de confiance très ténu, souvent puissam-ment étayé par les conventions sociales, mais extrême-ment fragile quand le public ou le spectacle ignore ou bafoue ces conventions. Si, par exemple, le public sort ou s’endort, crie au scandale ou monte sur scène, ou si, à l’inverse, les acteurs se révèlent être des imposteurs, voire un commando de dangereux terroristes prenant le public en otage, la relation est rompue, il n’y a plus

de représentation et donc plus de théâtre. La méthode W va ainsi chercher à comprendre les conditions de possibilité de la relation de représentation afin de pou-voir non seulement la préserver, mais aussi et surtout la transformer, Cela passe par une manière impliquant une augmentation de puissance à la fois du performeur et du spectateur, c’est-à-dire, parallèlement, de la quantité d’actions dont est capable le premier et de la quantité de fiction générée par le second. On peut appeler « liberté » cette quantité de puissance.

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ça Mar che

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Pr�tiques DéaMbula-toires et exPérience orDin�ire Barbara Formis

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Arrêtons de planer sur la froide glace de la beauté, de glisser sur la surface lisse des formes, marchons avec nos pieds dans la boue, et que cela nous suffise! Les exemples d’un tel «retour au réel » ne manquent pas. On peut rappeler les cheminements de Gabriel Orozco et de Krzystof Wodiczko, les cartographies du groupe italien Stalker, les propositions directionnelles de Stanley Brouwn,

ça Mar che

« nOus nOus sOmmes engagés sur La gLace gLissante Où manque La frictiOn, DOnc Où Les cOnDitiOns sOnt iDéaLes en un certain sens, mais Où en reVanche, à cause De ceLa, nOus ne POuVOns marcher. Or nOus VOuLOns marcher; nOus aVOns aLOrs besOin De frictiOn. retOur-nOns au sOi rabOteux! » cette incitatiOn à La marche, que wittgenstein érige cOntre L’iDéaLité gLissante De La métaPhysique, sembLe aVOir été Prise à La Lettre Par Les artistes cOntemPOrains.

la Scultura da passeggio de Michelangelo Pistoletto, les pérégrinations parisiennes d’André Cadere, pour n’en citer qu’une poignée.

Mais prendre la marche pour de l’art, ne serait-ce plutôt une simple plaisanterie, une manière de dédaigner les bien-pensants, et d’affirmer qu’au fond n’importe qui

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peut faire de l’art et n’importe quel geste ordinaire est une performance artistique? Peut-être. Mais on ne peut pas réduire cette motricité rythmée à une banale mécanique anatomique construisant, un pas après l’autre, une fuite insignifiante d’enjambements. Marcher signifie engager son corps, quitter l’espace de l’atelier, la maison, quitter le bureau, le pupitre, pour arpenter humblement de nouveaux territoires, qu’ils soient géographiques ou imaginaires. Marcher signifie aussi quitter le confort des espaces circonstanciels et circonscrits de l’image. Car, en dépit des multiples techniques plus ou moins réussies (de la chronophotographie de Muybridge et de Marey à l’usage des steadycams dans le cinéma), la marche échappe à la représentation classique. Il n’y a pas un punctum unique et déterminé qui rende visible la marche dans sa totalité, inutile de se concentrer et d’aiguiser la vue, dès que notre oeil se pose sur l’avancement des pieds, le déhanchement du bassin est perdu ; dès qu’on regarde le visage, on ne voit pas la colonne vertébrale ; dès qu’on observe l’ondulation des bras, on perd celle des genoux. Le mouvement se donne, mais ne se représente pas.

richarD LOng L’aVait Dit exPLicitement. Parce que fondamentalement imprésentable, la marche devient, un peu comme la performance d’ailleurs, une terra incognita de l’art, où l’expérimentation est à l’ordre du jour car les procédures conventionnelles n’ont plus de prise. Mais différemment d’une performance qui nous serait donnée à voir comme un spectacle, la marche n’est pas faite pour nous, mise sur un piédestal et exposée au regard inquisiteur d’un public. Les pratiques artistiques cherchent à aborder ce mouvement, facile uniquement en apparence, par la transdisciplinarité, mieux par un processus d’hybridation visant à mélanger, à l’intérieur d’une seule et même œuvre, la sculpture et la photo, la performance et les technologies sonores, le travail de l’image et l’écriture. Peu importe la forme, pourvu qu’elle rende compte de l’expérience.

une marche POssèDe une Vie à Part entière et n’a Pas besOin D’être

matériaLisée en une œuVre D’art

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Marika Buhrmann « ... pour que nous marchions côte à côte ... » 11 juillet 2007

Ci-dessus:

Janet Cardiff & George Bures Miller Jena Walk. Memory Field 2006

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Par ce travail démocratique visant à se dépasser soi-même, l’art de la marche peut arriver jusqu’à négliger l’importance de l’œuvre comme chez Hamish Fulton: «Une marche possède une vie à part entière et n’a pas besoin d’être matérialisée en une œuvre d’art.»Le problème est que la marche ne paraît pas une expérience assez « performante », encore lui faut-il d’être amplifiée, étirée, épaissie. Fulton décide ainsi de pousser à bout l’effort physique en marchant de longues distances sans dormir, les hallucinations produites par le manque de sommeil font, dit-il, «partie de la marche » et lui confèrent un ca-ractère méditatif. Il s’agit là d’atteindre, par une modalité différente, un état de perte de soi que Guy Debord et les autres marcheurs de l’Internationale Situationniste appellent la «dérive». L’assimilation d’alcool et de drogues n’est pas chez ces derniers un élément accessoire mais essentiel à la déambulation. Elle pourra même, dans des pratiques successives, devenir une méthode à part entière, comme dans Narcoturismo (Narcotourisme) de Francis Alÿs qui, dans le cadre de l’exposition Nowhere, Walking and Thinking du Louisiana Museum for Moderne Kunst, à Copenhague, propose le projet suivant: « Je marcherai dans la ville pendant sept jours, chaque jour sous l’influence d’une drogue différente. Mon périple sera enregistré à l’aide de photographies, de notes ou de tout autre mé-dium qui paraîtra justifié. » Alÿs porte à son paroxysme la figure du Peintre de la vie moderne baudelairien se laissant aller à l’ivresse de la foule, entendue comme une drogue à laquelle le flâneur s’abandonne, comme son

« immense réservoir d’électricité ». La dérive cherche toujours le surgissement aléatoire du stupéfiant.

Mais le hasard, contrairement au traitement vertigineux qu’il subit dans la dérive, peut aussi devenir une règle de jeu, comme dans une pérégrination en duo faite par Laurent Malone et Dennis Adams à New York : « Le 5 août 1997, Laurent Malone et Dennis Adams ont marché sans interruption de Downtown Manhattan jusqu’à l’aéroport JKF en passant par Williamsburg Bridge. lis ont suivi I’iti-néraire le plus direct possible, à travers quartiers, voies express et cimetières. Onze heures trente de marche au total, Malone et Adams avaient convenu de partager un seul et même appareil 35 mm pour réaliser un nombre indéterminé de clichés se complétant par paires. À tout moment de la marche, chacun était libre de prendre la photo de son choix. Chaque fois, celui qui avait pris la photographie passait l’appareil à l’autre, qui prenait alors une seconde photographie dans la direction diamétrale-ment opposée, sans tenir compte du sujet, du cadrage, ni régler l’ouverture ou faire la mise au point. »

Le chemin parcouru se dessine selon une trajectoire linéaire, contraire a priori au procédé spécifique de la dérive, mais l’imposition de cette forme est en elle-même arbitraire, comme l’ordre de saisir sur le vif le spectacle du réel tel qu’il s’impose au second photographe, contraint de l’arrêter sans l’avoir choisi. La juxtaposition des images produit un effet hybride.

Ci-dessus:

Cardiff lors d’un enre-gistrement. (Photo DR)

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Une photographie est bien faite, l’autre est mal cadrée, les contours des objets confus et estompés. Le pari esthétique est double. Il suit, d’une part, les paramètres esthétiques classiques (le choix du sujet, l’ajustement et la manipula-tion de la technique, la composition de l’image), mais il juxtapose, d’autre part, des règles contraires (le hasard du thème, la contrainte d’une défaillance technique et la maladresse générale du cadrage). Entre ces deux options se crée comme un malaise : par leur mise en équivalence (pour rappeler le principe cher à Robert Filliou), l’œuvre «bien faite» et l’œuvre «mal faite» ont le même statut et la même valeur.

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Les juxtapositions fortuites, surgissant par les aléas de la dérive, sous-entendent un désir ravageur d’appro-priation. Cela est vrai aussi de ce qui échappe au visuel,

notamment les sons, les bruits des pas sur le soi et les débris

des conversations que le marcheur, en bon détective, capte

dans l’espace environnant. Par le son, la marche dévoile son

statut temporel, comme chez Janet Cardiff, qui, cheminant

seule avec un appareil d’enregistrement à la main, produit des

bandes sonores ayant un effet tridimensionnel lorsqu’on les

écoute à l’aide d’un casque. L’artiste canadienne a récemment

publié un livre intitulé The Walk Book, où le lecteur est souvent

incité à marcher: la performance devient ici une pratique de

réception. Les voix, le rythme des talons sur le trottoir ou sur

la terre brute, le vent soufflant entre les feuilles, le bruit des

voitures et des klaxons forment une bande son fictionnelle

qui se mélange à celle provenant de la marche effectivement

accomplie par l’auditeur. Le passé et le présent s’enchevêtrent,

le souffle de l’artiste se superpose à celui du récepteur. Un

frisson traverse le dos de l’auditeur qui, en entendant le bruit

d’une voiture, revient rapidement sur le trottoir. Fausse alerte,

ce n’était qu’un son dans le casque.

Une troisième activité s’ajoute à la marche et à l’écoute: la

lecture. Entre les sons chuchotés et la matérialité des pages

du livre se crée un monde unique, le monde de la marche

conçue comme une pérégrination.

Ci-dessus:

Robin Rimbaud (alias Scanner) enregistrant au Museumsquartier, Vienne, 2007. (Photo Edith Garcia)

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écriVait micheL De certeau dans l’invention du quotidien. Une version littérale de l’association entre la marche et la lecture anime le travail de Patrick Corillon, artiste belge, qui invente en 2000 les Trotteuses, machines à lire en forme de tambour que les visiteurs de l’exposition peuvent pousser sur des roulettes afin de parcourir un texte littéraire déroulant à l’intérieur. La déambulation physique viendrait ici recouper la pérégrination incitée par la lecture, les images mentales faisant écho aux déambulations du corps. La marche et la lecture sont gérées par le même tempo.

La temporalité de la marche peut même se faire musique. Tel est le pari de Robin Rimbaud, alias Scanner, artiste anglais qui fait de la déambulation une méthode pour catalyser les sons environnants qu’il se plaît à écouter «à un volume beaucoup plus important » en distordant d’emblée le visuel qui l’entoure. Leibnitz aurait peut-être aimé cette musique qui reproduit l’efficacité des « perceptions insensibles », telles que le « mugissement de la mer » ou celui de « l’air conditionné », et qui fait plonger l’auditeur dans un monde où se mélangent, en une seule inquiétude emphatique, des débris de conversations téléphoniques, le passage d’un tramway et les bruits composant la voix sourde de la ville. Le son

est ici hanté par une inertie natu-relle qui résonne en écho, comme une voix différée provenant de la mémoire du corps.

Au fil de ces analyses, la marche devient de plus en plus incorporée et complexe : elle devient une expé-rience à vivre. Sons, images, bruits, efforts, souffles et sensations en ali-mentent l’expérience. C’est par la description d’un événement vécu qu’elle peut, au final, être saisie dans toute sa justesse. En décembre 2006, Marika Bührmann, jeune artiste vivant à Nantes, a mis en place une marche à laquelle j’ai moi-même participé, dans le cadre de deux journées dédiées

à la performance à l’École nationale supérieure d’arts de Cergy-Pontoise. Le titre de la « micro-situation » était: Pour que nous marchions côte à côte. Nous sommes six personnes avançant à une cadence extrêmement lente dans les rues de la ville. Le corps est globalement relâché, les bras sont mous, comme amenés par la mouvance générale sans pouvoir s’y opposer. La proximité de nos corps forme un seul volume collectif, une sculpture se mouvant dans l’es-pace. Au mois de décembre, dans la rue, il y a des rafales de vent, il fait froid. La présence des passants n’est jamais continuelle, elle vient par flots, les minutes paraissent des journées, le temps et l’espace se dilatent. Au milieu du fourmillement humain, nous semblons immobiles, alors que de notre perspective, tous les mouvements environnants paraissent se dérouler comme sur une bobine follement accélérée vers le futur. La lumière du soleil se déplace à une vitesse inusitée, le mouvement est vécu du dedans, on ressent le changement du poids, le positionnement de la plante du pied sur le sol, le hanchement du bassin, la posture du cou, la fatigue. Nous ne voyons plus la marche, nous la vivons. Cette expérience révèle la complexité esthétique de la marche, ses contradictions internes, ses dualités, les entrelacs kinesthésiques de la perception. Mais si la perception de l’espace et du temps change et s’intensifie, cela n’implique pas que marcher lentement permette une

lire c’est Pérégriner Dans un système imPOsé

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expérience plus esthétique ou plus performante que la marche ordinaire. Comme pour d’autres expériences ici présentées, il s’agit de saisir une parfaite continuité entre l’art et la vie sans destituer la forme habituelle des gestes, tout en y apportant une perturbation, une petite différence. Peu importe qu’on appelle cette expérience de l’art, pourvu qu’elle nous fasse vivre chaque pas et chaque geste quoti-dien comme une performance. Comme le souhaitait déjà Wittgenstein, nous n’avons plus besoin de glisser dans les airs purs de la belle idéalité, la friction accidentelle et raboteuse de la marche nous suffit.

Ci-dessus:

Marika Buhrmann « Je voudrais rencontrer quelqu’un(e)... pour se réchauffer » 2001. (Photo Côme Delain)

A droite:

Fresh Théorie Il Léo Scheer, 2007.

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interne

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qu’est-ce qu’un chef-D’œu�re?

aPrès Des étuDes Littéraires, martiaL raysse réaLise Dès 1959 ses 1ers assembLages en enfermant Dans Des bOîtes transParentes De Petits JOuets, Des ObJets De tOiLette, POur mettre en scène, sans façOn, La charge D'émOtiOn et D'intensité VisueLLe De ces bibeLOts frOiDs.

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Ci-dessus:

"Tableau dans le style français II" 1966

En 1960, ses Etalages-Hygiène de la vision d'ustensiles de ménage accrochés autour d'un balai-brosse, ou de produits solaires et de jouets de plage surmontés d'une effigie publicitaire, font entrer dans l'univers de l'art «un monde neuf, aseptisé et pur», celui des supermarchés et des publicités de la société de consommation.Cette réappropriation d'objets de la plus grande banalité le rapproche de la recherche d'Arman, Daniel Spoerri, Jean Tinguely, avec qui il fonde en 1960 le groupe des Nouveaux Réalistes.

Considéré bientôt comme le jeune créateur français le plus proche du Pop Art américain, Martial Raysse par-ticipe de 1961 à 1966 à de nombreuses manifestations artistiques à travers l'Europe et l'Amérique.

Le thème de la baigneuse apparaît dès 1960 dans l'œuvre de Martial Raysse. Etalage-Hygiène de la vision n°1 ins-tallait pour la première fois une photo grandeur nature de jeune fille en maillot de bain, tenant un parasol au sommet d'un présentoir de produits solaires et jouets de plage.

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"Nu jaune et calme", 1963

De 1962 à 1965, Raysse réutilise fréquemment ce «cliché visuel» où il s'efforce de montrer ce que le «mauvais goût» (ce «rêve d'une beauté trop voulue», dira-t-il) peut receler de magie insoupçonnée et d'émotion.

Opérant par restructuration en plans décalés, par colora-tion – au vaporisateur et au pinceau – en teintes factices de zones arbitrairement délimitées, par adjonction, enfin, d'objets réels (ici un chapeau de paille et une serviette de bain), Raysse soustrait son motif à l'illusionnisme pho-tographique, à l'espace perspectif, comme au discours représentatif qu'ils impliquent.

Ce nettoyage par le vide des conventions figuratives libère dans l'image des forces latentes : monumentalisée, articulée, déployée dans les trois dimensions (les objets réels l'arriment avec humour à la réalité), la baigneuse de

Raysse reçoit une nouvelle vie empruntée et nostalgique, que le titre, référence à Tennessee Williams, accentue encore. Au rythme vif de ses fluorescences acides, elle se fait rayonnement et idéal objet de désir.

Après 1968, Martial Raysse opère une mutation qui l'amène à rompre brusquement avec le circuit des marchands et des galeries et à se retirer dans le Midi. Au sein d'une communauté qu'il crée avec quelques amis, il produit des œuvres à l'aide de techniques artisanales, pour revenir ensuite à la peinture la plus traditionnelle.

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Ci-dessus:

"Metric", 2007

Rares sont les sculpteurs, de nos jours, qui suscitent un tel engouement. Artiste renommé de la scène artistique française, Xavier Veilhan cumule, depuis quelques années ( surtout depuis 2000 et son exposition au Magasin de Grenoble ), une multitude de projets souvent urbains et de nombreuses expositions. Il bénéficie d’une actualité française particulièrement riche en ce début d’année, puisqu’il expose simultanément à la galerie Emmanuel Perrotin et au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg ( pour une « rétrospective », si l’on peut utiliser ce terme malgré son jeune âge, la quarantaine à peine dépassée ).

Quel plaisir de retrouver Xavier Veilhan dans une galerie parisienne, avec quelques œuvres déjà célébrées et de nouveaux formats, plus réduits qu’à l’accoutumée. Sculptures automatiques, première exposition de l’artiste chez Emmanuel Perrotin, propose une sélection de ses Statues 3D. Pour les réaliser, l’artiste utilise la technique de la captation 3D. Les modèles, souvent choisis dans son entourage, passent au crible d’un scanner. D’après le fichier numérique ainsi obtenu, c’est une machine qui sculpte l’objet dans les dimensions et le matériau

déterminés par l’artiste. Cependant, c’est un mobile, composé de boules noires et prototype du Mobile Géant présenté au Centre Pompidou en 2004, qui accueille le visiteur. Il est resté un long moment dans son atelier, une œuvre précieuse à ses yeux, aujourd’hui à disposition des collectionneurs.

Xavier Veilhan compose, via un artisanat high-tech, des références à l’histoire de l’art et l’emploi de reflets de notre société de consommation, des images décalées et évocatrices, sans emprunter pourtant le chemin de la caricature ou de la dénonciation. Il se défend de tout engagement. Que pensez alors de son image numérique représentant un pingouin ( animal cher à l’artiste ), dans un rayon de supermarché, ou de cet ours prostré, dans une salle d’embarquement ? Connaissant ces images, le visiteur décèle forcément une pointe d’ironie face aux dimensions ( 66 cm de hauteur ) du David ( illus. ), présenté à même le sol. Les socles ont disparu, il faut se pencher pour détailler ce petit homme de bois. Sans critique acerbe, l’artiste, en recycleur génial, remue des images si familières. Un univers tout de singularité et d’enchantement.

xaVier VeiLhan se Dit « artiste cLassique », iL Définit ses Pièces cOmme « statues » et POurtant iL utiLise La technOLOgie La PLus aVancée.

�rtis�ehigh tech

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en PLus De Lui LOuer un ateLier POur Les mOis à Venir, artesaLma à DéciDé De Lui cOnsacrer une rétrOsPectiVe intégraLe De Vingt et un fiLms, qui renD cOmPte D’une OeuVre incLassabLe. uLriKe Ottinger raPPOrte De ses VOyages – Prin-ciPaLement en eurOPe centraLe et en asie – Des DOcumentaires qui sOnt autant De témOignages sur Des mOnDes DisParus (exiL shanghai) Ou en VOie De DisParitiOn (taiga). ses fiLms De fictiOn, singuLiers, surréeLs, fOnt DiaLOguer Des acteurs De renOmmée mOnDiaLe (DeLPhine seyrig, eDDie cOnstantine Ou nina hagen) et Des icônes aL-ternatiVes (tabea bLumenschein, irm hermann, Kurt raab, magDaLena mOntezuma).

extraits D’entretien. PhOtOgraPhie, DOcumentaire, fictiOn… VOtre traVaiL sOrt Du « caDre » ?

Je ne suis en effet pas une cinéaste conventionnelle. Sur mes films, je fais tous les métiers. Et quant au cadre, il

�ctiOnOu �érité ?

est vrai que photographie et films entretiennent un lien formel évident. J’attache une très grande attention à la composition des plans, comme autant de photographies en quelque sorte. Cela vient sans doute de ma formation de peintre. J’ai étudié aux beaux-arts de Munich, puis à Paris pendant six ans dans les années 1960. J’étais une jeune artiste, j’ai exposé au Salon de la jeune peinture et ailleurs. Durant cette période, j’ai étudié la gravure dans l’atelier de John Friedlaender et suivi des cours d’histoire de l’art, d’histoire des religions et d’ethnologie avec Claude Lévi-Strauss, Louis Althusser et Pierre Bourdieu. Cette formation m’a ancrée dans le double désir du documentaire et de la fiction. J’entretiens cette idée de confronter l’imaginaire avec la réalité.

réaLisatrice anticOnfOrmiste céLébrée internatiOnaLe-ment, Dès Les années 1970, La «reine De L’unDergrOunD berLinOis», uLriKe Ottinger est une PhOtOgraPhe recOnnue et une artiste inDéPenDante Dans tOus Les sens Du terme. eLLe tient, hOrs chamP, tOus Les rôLes: Du stOry bOarD-LiVre D’artiste au scénariO, Des DiaLOgues aux DécOrs, De La Prise De Vue à La PrODuctiOn. La fiLmOgraPhie hOrs nOrme De cette rePrésentante Du nOuVeau cinéma aLLemanD se situe à La crOisée Du fiLm D’art, De La fictiOn et Du DOcumentaire.

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VOus aVez beaucOuP tOurné aVec une actrice française, DeLPhine seyrig…

Oui, dans trois de mes films, Freak Orlando, Dorian Gray dans le miroir de la presse à sensation et Johanna d’Arc of Mongolia. Sa voix très prenante m’inspirait : quand je travaillais sur les scénarios, j’avais dans l’oreille son timbre si particulier et j’écrivais les dialogues avec en tête la mélodie singulière de sa diction. Comme elle avait passé son enfance à Beyrouth, je l’imaginais petite fille fascinée, écoutant les conteurs arabes.

queLques mOts sur VOtre PrOchain fiLm ?

Je prépare une comédie de vampires très très noire que j’ai intitulée La Comtesse sanglante. Elle sera tournée l’hiver prochain, à Vienne et en Europe centrale. À nouveau je travaille avec une actrice française, Isabelle Huppert, mais aussi avec Tilda Swinton. Ces deux grandes interprètes du cinéma d’auteur vont, j’en suis sûre, faire à la fois trembler de peur et hurler de rire le public !

Ci-dessus:

Ulrike Ottinger sur le tournage de son dernier film, 2007

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Imaginez Benny Hill et Jean-Luc Godardcohabitant dans un même corps ! Vous aurez une idée de l’étrange talent deTakeshi Kitano. Homme de paradoxes, Kitano est à la fois un cinéaste de renommée internationale, un acteur àl a carrière importante, un célébrissime animateur officiant chaque semaine sur leschaînes de télévision nippones sous le nom de Beat Takeshi, mais aussi un peintre et un auteur. Le Centre Pompidou consacre àcet iconoclaste une rétrospective intégralede son oeuvre de cinéaste et de son travail d’acteur à travers quarante films, dont de nombreux inédits.

Tout a commencé pour Kitano dans l’immédiat après-guerre, tandis que le Japon se relève à peine. Enfance difficile passée dans un bidonville de Tokyo, émancipa-tion adolescente qui passe par les cabarets du quartier bohème d’Asakusa, première reconnaissance au sein du duoTwo Beat pratiquant avec virtuosité l’art du manzaï, cette joute verbale improvisée: voilà rapidement bros-sées les années deformation de Kitano. Au début des années1980, la télévision prend soudainement une place considérable dans sa vie, tandisque le grand Nagisa Oshima lui propose le rôle du sergent Hara, dans Furyo, aux côtés des rock stars Ryuichi Sakamoto et David Bowie. Cette rencontre est décisive. Le maître devient un temps son mentor,et le mène à la réalisation à la fin des années 1980. Kitano dirige au pied levé son premier long métrage,

Violent Cop, en interprétant le rôle-titre. Cette présence simultanée devant et derrière la caméra est prophétique: Kitano sera désormais acteur et cinéaste.

Dès lors, la vie de l’inclassable Takeshi, autodidacte doué et incorrigible, qui aime à prendre à contrepied son public, balance entre télévision et cinéma. La télévision lui offre une liberté de ton et d’action dont il use sans parcimonie dans ses premiers chefs-d’oeuvre, Jugatsu, AScene at the Sea, Sonatine, blocs de temps suspendu mâtinés de burlesque insidieux et minimal. Ces premiers films attirent peu à peu les cinéphiles, éberlués par son funambulisme et son art du détournement. En 1994, un étrange accident de moto aux allures suicidaires – point commun avec Godard et Bob Dylan – creuse un trou d’airdans son parcours ascen-sionnel. Contraintà l’inactivité, Kitano se met à la peinture.Il revient triomphalement au cinéma avec Kids Return, un film aux accents autobiographiques, mais c’est surtout avec Hana-Bi, Lion d’or à la Mostra de Venise en 1997, à travers lequel il touche pour la première fois au mélo-drame, que Kitanos’impose et trouve une reconnaissance internationale. Il rencontre dans cet élan son premier vrai succès populaire avec Zatoichi, en 2003. Ces dernières années, Kitano continue de surprendre, notammentavec sa trilogie – Takeshis’, Glory to theFilmmaker !, Achille et la tortue – où se mêlent introspection artistique et humour absurde. L’extravagant monsieur Kitano est de retour.

L’incLassabLe taKeshi, incOrrigibLe autODiDacte DOué en tOut, et qui aime PrenDre sOn PubLic à cOntrePieD

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Ci-dessus:

Takeshi Kitano, sur le plateau. 2008

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« Il ne faut pas travailler pour les artistes, mais contre les artistes », conseilla Daniel Buren à Anka Ptaszkowska, la critique d’art polonaise qui fonda et dirigea avec Michel Claura la galerie 1-36 à Paris dans les années 1970. Cette galerie a été un lieu d’échange majeur: y ont notamment été exposées les oeuvres d’Edward Krasiski, de Goran Trbuljak, d’Henryk Staewski, de Dan Graham ou encore de Carl Andre.

À l’occasion de l’exposition « Les promesses du passé ».

ELLES présente les collections du Musée national d’art moderne à travers un parcours consacré aux artistes femmes. Une histoire de l’art au féminin! Plus de 120 oeuvres et 35 artistes renouvellent cet « accrochage » qui montre de récentes acquisitions et complètent les thématiques. Les visiteurs du Musée sont invités à approfondir cette expo-collection inédite à travers des visites commentées par un conférencier. Aujourd’hui, suivons la trace de la sublimation de la matière et de la dématérialisation de l’oeuvre d’art

DanieL buren, micheL cLaura, anKa PtaszKOwsKa 26 mai, 19h30, esPace 315

imm�térieLLesJeuDi 27 mai, 19h30, musée

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Un vaste mouvement d’oeuvres réactive l’accrochage « elles@centrepompidou » qui, depuis presqu’un an, présente les collections du Musée « au féminin ». Plus de cent vingt oeuvres et trente-cinq artistes renouvellent cette exposition consacrée aux artistes femmes. Cette version « bis » offre au public la découverte de plusieurs nouvelles installations de grande taille ou spectaculaires, d’une trentaine de nouveaux livres d’artistes, montre de nouvelles acquisitions et complète les thématiques.

Le �usée au fé�inin JeuDi 24 mai, musée

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Directeur De La PubLicatiOnNicolas Jodry

DirectiOn éDitOriaLeCarl Djynios

cOmité De réDactiOnBernard Blistène, Stéphanie Hus-sonnois-Bouhayati, Frank Madlener, Alfred Pacquement, Françoise Pams, Vincent Poussou, Agnès Saal, Alain Seban

réDactrice en chefStéphanie Hussonnois-Bouhayati

réDactrice en chef aDJOinteJosée Chapelle

cOOrDinatiOn éDitOriaLe et icOnOgraPhieNadia Drahmani Victor Guégan avec la collaboration de Catherine Puy-ponchet

reLecturesRoger Dubois

stagiaireCamille De Pietro

i�Pressu�

cOncePtiOn et réaLisatiOn graPhiqueNicolas Jodry

PhOtOgraVureGasser, Le Locle, 2010

imPressiOnImprimerie Monney, La Chaux-de-Fonds, 2010

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Entretenir une démarche de réflexion et d’analyse critique non plus seulement dans l’espace idéal du livre mais dans un lieu consacré à la diversité des pratiques artis-tiques contemporaines produit immédiatement de telles questions pour qui s’y laisse tenter. La revue prolonge donc l’événement de sa résidence au sein de l’établisse-

ment artistique Artesalma en faisant de ces interrogations sa première matière de travail, le premier terrain de recherches sur lequel elle invite un ensemble d’auteurs et d’artistes qui, chacun en son endroit et dans une modalité propre, en sont déjà les familiers. Un philosophe américain, un architecte londonien, un cinéaste français ou encore un géocriticien no-made… se rencontrent ici, de manière indirecte et pourtant incroyablement tenue, et donnent à une même pro-blématique de départ son existence

à formats multiples et en infinies variations. L’incarnation papier prend donc la forme d’un collectif de pensées transmises par des médias différents montrant que la réflexion et son expression sont tout autant affaire de mots que d’images fixes, en mouvements, interactives…

artesaLma est magazine PubLié Par Le centre D'art Du même nOm.

iL traîte De tOus Les DOmaines qui s'attache à L'art cOntemPOrain, De Près Ou De LOin. ceci aVec cOmme but PrinciPaL D'abOrDer L'actuaLité Du mOnDe artistique et ses nOuVeLLes mOuVences en Lien aVec La Dyna-mique Du centre.