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Cédric Carles, lors de la conférence Paléo-stockage à Paris, février 2018 Photos : © C.Leca
TransiTion énergéTique : ludique, pédagogique eT praTique
Christel leca
leroymerlinsource
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Remonter le temps, retrouver des idées abandonnées pour d’obscures raisons, exhumer des brevets qui ont fait long
feu, les remettre au goût du jour et les tes-ter sont parmi les activités de la commu-nauté Paléo-énergétique. Initiée par Cédric Carles, designer et correspondant Leroy Merlin Source, l’idée s’inscrit dans un foison-nement d’initiatives ludiques, pédagogiques et pratiques sur les questions d’énergie, de transition et de changement climatique. Paléo-énergétique mais aussi paléo-stockage, Regenbox, Solar Sound System et demain Station E : tour d’horizon avec le designer à Villette Makerz, un fablab installé dans une des « Folies » du Parc de la Villette, à Paris.
8 février, 20 heures. Les invités arrivent tout doucement. Certains boivent un verre de vin proposé au bar à l’entrée, d’autres discutent autour des panneaux et objets insolites de l’exposition Paléo-stockage, échangeant avec l’équipe de Cédric Carles avant qu’il ne commence à présenter l’ensemble des actions
menées par Paléo-énergétique. Honneur à l’aînée d’entre elles, le Solar Sound System (SSS), qui propose depuis le début des années 2000 de faire la fête au rythme des énergies renouvelables. Cette console musicale (CD et vinyle) est alimentée par des panneaux solaires et un ou deux vélos montés sur tapis roulant que les fêtards se relaient à faire fonctionner avant de retourner à leur transe. Ce qui donne la possibilité à des DJs de mixer déconnectés du réseau électrique, c’est-à-dire n’importe où en plein air : une petite révolution. Une vingtaine de SSS ont été diffusés à travers le monde, du Pays Basque à Tel Aviv, en passant par Lausanne ou Berlin et, depuis le 17 mars, Hong-Kong. À l’initiative de la communauté des DJs, une radio – radio3s.org, la web radio – émet depuis Neuchâtel (Suisse), grâce à des panneaux solaires, les musiques issues des SSS où qu’ils soient. Bientôt, les convives verront, grâce à des rampes de leds, l’énergie créée et consommée par chaque console en action. Car il s’agit surtout de sensibiliser le public à l’efficacité énergétique. Voici ce qui motive Cédric Carles, car c’est ainsi que l’on gagnera, pour lui, la bataille des changements climatiques : « en parlant de tout ce qui est utilisé pour fabriquer un produit, en montrant que plus il est durable, économe en ressources, réparable, réutilisable, moins notre impact personnel est grand », explique-t-il.
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Ce Tourangeau, étudiant en mécanique-électronique puis diplômé de l’Institut d’arts visuels d’Orléans au milieu des années 1990, est parti à la fin de ses études suivre des cours d’éco-conception à l’EPFL (École polytechnique fédérale de Lausanne). Pourquoi cet engouement à un moment où le sujet n’était pas
prisé par les designers ?
« J’ai grandi avec un grand-père électricien plombier chauffagiste qui réparait tout pour tout le monde autour de chez lui, du côté de Chinon. On l’appelait pour réparer des machines à laver, des télévisions, des postes de radio, etc. Le soir, je le regardais, fasciné, démonter des trucs, ouvrir des machines, disséquer, remonter, nettoyer, m’expliquer ce qu’il se passait à l’intérieur, derrière les emballages, pester quand il ne trouvait pas les pièces nécessaires à la réparation. Je passais mes vacances chez lui : il était hors de question que je les passe ailleurs ! Je ne comprenais pas grand-chose à l’époque, mais à force j’ai eu envie d’aller voir ce qui se cache derrière tout ce qui m’entoure, du lave-linge à la tasse. Comment sont-ils fabriqués, avec quoi, comment les réparer, etc. Je baignais dans le design, sans le nommer, sans m’en rendre compte, et dans la durabilité. Et comme il y avait aussi beaucoup d’antiquaires dans ma famille, qui récupéraient des meubles, les restauraient et leur donnaient une seconde vie, la boucle était bouclée. »
À Lausanne, Cédric rencontre ceux qui vont affiner son esprit déjà forgé à la durabilité. Et de citer en premier lieu François Marthaler, entrepreneur et homme politique neuchâtelois qui soutient finan-
cièrement son idée de Solar Sound System dès la fin des années 1990. « Un visionnaire, extrêmement conscient du problème de l’obsolescence et de l’impératif de la réparabilité des produits. Il a monté un repair café avant l’heure, « La Bonne Combine », un établissement d’insertion qui répare des équipements en leur fournissant une garantie. Une expérience unique en son genre à l’époque, qui a été un modèle pour Envie en France par exemple. Fran-çois Marthaler a aidé le canton de Vaud et certainement inspiré de nombreuses collectivités locales pour passer aux logiciels open source, leur permettant de faire des économies considérables sur leur budget informatique. Aujourd’hui, sa société, Why ! Open computing SA, fabrique des ordinateurs économes en énergie, réparables grâce à des pièces détachées disponibles au moins pen-dant dix ans, fournis avec des logiciels libres. J’étais concerné par ces ques-tions, à un moment où peu de designers s’y intéressaient. Il m’a encouragé. »
Cédric poursuit sa formation continue en rencontrant à l’EPFL des scien-tifiques de renom : la climatologue Martine Rebetez, le précurseur des analyses de cycle de vie Olivier Jolliet, l’expert en énergie solaire André Rosselet, alors président de l’Association pour le développement des énergies renouvelables (Ader), association avec qui il a poursuivi sa route jusqu’à aujourd’hui. Il est encouragé par l’historienne du design Claire Fayolle, membre de son jury de diplôme, à développer son travail sur les impacts du design.
Le Solar Sound System à l’œuvre, à Artouste dans les Pyrénées atlantiques, février 2018Photos : © PaysBasque.solar
une CulTure
du durable
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Alors que l’EPFL lui confie la scénographie d’une exposition sur le climat, il en développe une partie inédite : un appartement reconstitué avec une cuisine présentant les impacts de la production d’un concombre, d’une télévision ou d’un yaourt. Ce qu’on appelle « l’énergie grise ». « C’était un impensé de l’exposition alors que 50 % de nos impacts sur le climat sont liés à la fabrication des produits et équipements que nous consommons ! Parler d’énergies renouvelables pour sauver le climat, c’est bien, mais c’est très éloigné de la vie quotidienne des gens, de ce qu’ils peuvent changer dans leurs gestes courants pour agir en faveur du climat. Je crois que c’est pour cela que les experts ont tant peiné et peinent encore à mobiliser l’ensemble de la société aux changements climatiques. Quand on comprend d’où vient la tomate achetée en hiver et ce qu’il a fallu dépenser en énergies et en ressources pour que l’on puisse consommer ici une asperge produite au Mexique, lorsque l’on comprend l’importance de réparer un équipement en panne ou de donner en ressourcerie ou proposer dans une brocante un objet dont on n’a plus besoin, etc., notre impact est immé-diatement réduit. J’aime l’idée que dès le lendemain du jour où il a assisté à une conférence sur l’énergie grise, monsieur Tout-le-Monde puisse agir et changer sa donne. »
Après quinze petits jours de présence à Lausanne, l’exposition « Énergie et climat » était destinée... à la casse. Un paradoxe que Cédric ne peut laisser faire : lui et l’Ader la récupèrent et la font tourner dans de nombreux salons grand public suisses. C’est l’origine du projet pédagogique ITEX, exposition itinérante
d’éducation à l’énergie qui a circulé en France et en Suisse sur un camion alimenté aux agrocarburants. « L’infor-mation est vitale. À cette époque, j’ai côtoyé de nombreuses personnes qui avaient réalisé des avancées majeures sur les énergies renouvelables ou la lutte contre le gaspillage dans les années 1970 , au moment des chocs pétroliers. Mais le prix du pétrole repartant à la baisse, on a tout abandonné. Il faut se battre contre cet Alzheimer des idées. C’est tout l’objet de la communauté Paléo-énergétique : lutter contre l’amnésie collective, éviter que l’on reparte toujours à zéro, que l’on refasse les erreurs du passé ou que l’on réinvente la roue. L’histoire de l’énergie regorge d’innovations fantastiques qui n’ont pas été généralisées, alors qu’elles répondaient à des problématiques qui restent d’actualité. » Et de raconter que Jimmy Carter avait fait installer des panneaux solaires sur les toits de la Maison Blanche… que Ronald Reagan a fait retirer dès son investiture.
Lancé il y a deux ans par le biais d’une recherche collaborative, le projet Paléo-énergétique a exhumé plus de 70 inventions. Il réunit une communauté de plus de 90 chercheurs de tous horizons pour ressortir les inven-tions oubliées à la fois pour la production et le stockage de l’énergie : batteries électro-chimiques, hydrogène, air comprimé, etc. Les chercheurs sont allés explorer archives, brevets, bibliothèques et petites annonces pour retrouver des pièces à conviction de technologies oubliées. Ils fabriquent une exposition qui consiste notam-ment en une frise chronologique d’inventions énergétiques de l’Antiquité au XXe siècle, ainsi que des documents d’archives et des objets vestiges de technologies de stockage. Parmi eux, un exemplaire de « Travail », un roman d’anticipation oublié des spécialistes d’Émile Zola paru en 1901 sur le progrès social et les évolutions indus-trielles, où le héros rêve d’une cité du bonheur alimentée en électricité par l’énergie solaire. Le romancier
luTTer ConTre l’amnésie ColleCTive
La frise Paléo-énergétique à Villette Makerz, Parc de la Villette à Paris
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s’inspire des nombreuses inventions de Gustave Trouvé, à la fin du XIXe siècle : bateau et tricycle électriques, lampe frontale, etc. que la frise Paléo-énergétique met en lumière, tout autant que l’impri-mante-presse solaire (1882), le premier chauffe-eau solaire (Clarence Kemp, Californie, 1891) ou la pre-mière Porsche qui était une voiture électrique (1898), mais aussi des éoliennes datant de 900 ans avant J.C.
Parmi elles aussi, l’histoire de la Regenbox tient une place à part. Fin 2015, une personne qui a souhaité garder l’ano-nymat contacte l’équipe de Paléo-énergétique pour lui
raconter comment un certain Karl Kordesch a élaboré, dans les années 1980, un régénérateur de piles alcalines. Il n’est resté que quelques mois sur le marché sous la marque Rayovac, puis a été oublié. Inventeur de la pile alcaline sèche, Kordesch avait en effet démontré qu’il était possible de régénérer ces piles, alors qu’elles étaient, et sont toujours, considérées à tort comme à usage unique et donc jetables. L’équipe travaille derechef sur une nouvelle version du régénérateur grâce au brevet tombé dans le domaine public. Le but est d’en faire un kit à monter soi-même et d’y intégrer un analyseur du phénomène de régénéra-tion grâce à une connexion USB. Une campagne de financement participatif est menée avec succès et une centaine de bêta- testeurs reçoivent le kit Regenbox à l’été 2017. Ils travaillent depuis en collaboration pour tester les piles du marché fran-çais (qu’ils ont reçues avec le kit) selon une méthodologie rigou-reuse, et participent à l’amélioration de l’électronique du boîtier et du logiciel qui mesure, enregistre et partage les données des expériences.
Les premiers résultats sont tombés ce 8 février : en moyenne, la Regenbox permet de multiplier par quatre la durée de vie d’une pile alcaline (rappelons-le censée être à usage unique). Mais cette moyenne cache des disparités importantes d’une marque à l’autre. Il s’agit donc, à terme et très bientôt, de comparer les modèles et de faire connaître aux consommateurs cette efficacité comparée tout en leur proposant de ne plus les jeter, du moins pas dès la fin de leur premier cycle d’usage. 1,2 milliards de piles sont vendues chaque année en France, soit 29 500 tonnes, représentant autant de déchets potentiels dont moins de la moitié a été collectée, valorisée ou recyclée en 2016 . De plus, dans les zones non desservies par un réseau électrique stable, comme dans certains pays du Sud, les piles alcalines sont parfois les seules sources d’énergie et une cause de pollution majeure. Tels sont les enjeux d’une information fiable sur l’efficacité des piles et leur régénération.
Dans ce foisonnement, faire passer le message et essaimer auprès du plus grand nombre, pour « gagner la bataille de l’infor-mation » est le leitmotiv du designer qui pense et prouve que le passé recèle bien d’autres perspectives qu’un retour à la bougie, dans la joie et la bonne humeur.
une idée géniale
sorTie des oublieTTes
Le kit Regen Box
L’imprimante presse solaire d’Auguste Mouchot à Paris en 1882
Christel leca
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Ancêtre du projet Regenbox, la Renewal power station a été commercialisée par Rayovac, une entreprise implantée aujourd’hui encore dans le Wisconsin. Elle n’est pas restée sur le marché longtemps, mais il en existe quelques exemplaires, à l’image de celui-ci, retrouvé par l’équipe de Paléo-énergétique sur Ebay encore sous blister !
À force d’agiter le Landerneau via la toile, Cédric et son équipe s’enrichissent de rencontres dans des milieux aussi variés qu’improbables et élargissent leur cercle d’influence à chaque projet, leur conférant la capacité de toucher et convaincre les cercles alternatifs comme institutionnels à travers un discours positif et constructif.
Ci-dessus à la Cop 22 à Marrakech en novembre 2016, avec le climatologue Jean Jouzel, à l’invitation de la fondation Schneider Electric.
en 2004, Cédric Carles a fondé
l’atelier 2Ce, un laboratoire d’éco-conception composé
d’artistes, de designers et d’ingénieurs constituant un réseau de compétences
qui répond à des commandes en mobilisant des créatifs
et des techniciens en fonction des projets, tout
en proposant des stages de formation en design,
énergies renouvelables et développement durable.
depuis 2012, il a créé à paris
l’atelier 21 pour répondre à l’engouement suscité
par le sss et à un appel à manifestation d’intérêt pour
la rénovation d’une friche qui accueillera bientôt un « agitateur d’idées sur les
enjeux énergétiques ».
agiTaTeur
d’idées
sTaTion e, c’est le nom des nouveaux locaux que Cédric et son équipe occuperont à partir d’avril prochain, à Montreuil. « Espace culturel d’expérimentations énergétiques », c’est le sous-titre du projet pour lequel Atelier 21, son porteur, a remporté un appel à manifestation d’intérêt de la communauté d’agglomération Est-Ensemble pour la rénovation d’une friche urbaine.
En partenariat avec deux autres associations culturelles, Belmachine et Ere de Jeu, le site – que son créateur qualifie « d’agitateur d’idées sur les enjeux énergétiques » – hébergera des bureaux, une scène éphémère, un bar et une terrasse, les studios de la Solar web Radio combinés avec une salle de sport à énergie positive ! En bref, tout un attirail alimenté aux énergies renouvelables et destiné à sensibiliser le public aux changements climatiques et aux alternatives « sous un angle optimiste, parfois surprenant et où chacun peut trouver un rôle à jouer ».
bienTôT à monTreuil :
une salle de sporT
à énergie posiTive
aller plus loinwww.regenbox.org
https://paleo-energetique.org
www.solarsoundsystem.org
www.atelier2ce.org
www.atelier21.org
Crédit photos © C. Carles, exceptés pages 1 © C. Leca et page 2 © PaysBasque.solar
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