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Cas clinique « Articulation interphalangienne flottante ». À propos d’un cas ‘‘Floating interphalangeal joint’’. A case report M. Aslan * , F. Duroux, O. Delattre Service de chirurgie orthopédique du membre supérieur, CHU Pierre-Zobda-Quitman, 97260 Fort-de-France, France Reçu le 17 avril 2011 ; reçu sous la forme révisée le 2 octobre 2012 ; accepté le 10 octobre 2012 Disponible sur Internet le 30 octobre 2012 Résumé Notre travail rapporte le cas d’une association de fractures bifocales extra-articulaires fermées des phalanges du pouce, réalisant une articulation interphalangienne (IP) flottante. Les lésions décrites étaient la résultante d’un traumatisme par choc direct de la colonne du pouce lors du séisme en Haïti, en janvier 2010. Le traitement, au septième jour post-traumatique, a consisté en une ostéosynthèse percutanée par fixateur externe (FE) transfixiant en cadre dorsal ou « Ti’fix » martiniquais, modification du Beaubourg classique. Nous détaillons cette technique simple, économique et aux qualités d’ostéosynthèse améliorées. La consolidation a autorisé l’ablation du FE à un mois postopératoire, suivie d’une mobilisation précoce. Nous rapportons le résultat fonctionnel et esthétique à un an de recul. # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Articulation interphalangienne ; Articulation flottante ; Fracture phalangienne ; Fixateur externe Abstract We report the case of a combination of closed extra-articular phalangeal fractures of the thumb, creating a floating interphalangeal joint. The lesions described were the result of a direct trauma to the thumb during the earthquake in Haiti in January 2010. It was fixed seven days after the trauma using a percutaneous external fixation with a dorsal frame or Martinique’s ‘‘Ti’fix’’ a modification of the Beaubourg fixator. We describe this simple, economical and improved quality method of fixation. Consolidation permitted the removal of the external fixator a month after surgery, followed by early mobilization. We report the functional and aesthetic results at 1-year follow-up. # 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Interphalangeal joint; Floating joint; Phalangeal fracture; External fixator 1. Introduction Les fractures bipolaires avec une articulation interphalan- gienne (IP) flottante des doigts sont exceptionnellement rapportées dans la littérature. L’association de fractures extra-articulaires du col de la première phalange (P1) et de la base de la deuxième phalange (P2) du pouce réalisant « une IP flottante » n’a jamais, à notre connaissance, été publiée dans la littérature. Sur le plan fonctionnel, le pouce est le doigt le plus important de la main. Tout défaut de réduction a un retentissement sur la fonction globale de la main. Le traitement doit donc toujours être le plus anatomique possible, en restaurant axe et longueur et en préservant au maximum la mobilité articulaire et l’intégrité cutanée. Un certain degré de raideur de l’IP est toléré en absence d’anomalie du reste de la colonne du pouce. Nous décrirons la prise en charge chirurgicale proposée à une patiente présentant une IP flottante du pouce gauche. 2. Cas clinique Mme V., âgée de 20 ans, droitière, était victime d’un traumatisme de la main gauche par écrasement suite à l’effondrement d’un mur lors du séisme en Haïti. Elle présentait une fracture de la base de P2 et une fracture du col de P1 du pouce, constituant une IP flottante (Fig. 1). Ces Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Chirurgie de la main 32 (2013) 4850 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Aslan). 1297-3203/$ see front matter # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.main.2012.10.166

« Articulation interphalangienne flottante ». À propos d’un cas

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Page 1: « Articulation interphalangienne flottante ». À propos d’un cas

Cas clinique

« Articulation interphalangienne flottante ». À propos d’un cas

‘‘Floating interphalangeal joint’’. A case report

M. Aslan *, F. Duroux, O. DelattreService de chirurgie orthopédique du membre supérieur, CHU Pierre-Zobda-Quitman, 97260 Fort-de-France, France

Reçu le 17 avril 2011 ; reçu sous la forme révisée le 2 octobre 2012 ; accepté le 10 octobre 2012Disponible sur Internet le 30 octobre 2012

Résumé

Notre travail rapporte le cas d’une association de fractures bifocales extra-articulaires fermées des phalanges du pouce, réalisant unearticulation interphalangienne (IP) flottante. Les lésions décrites étaient la résultante d’un traumatisme par choc direct de la colonne du pouce lorsdu séisme en Haïti, en janvier 2010. Le traitement, au septième jour post-traumatique, a consisté en une ostéosynthèse percutanée par fixateurexterne (FE) transfixiant en cadre dorsal ou « Ti’fix » martiniquais, modification du Beaubourg classique. Nous détaillons cette technique simple,économique et aux qualités d’ostéosynthèse améliorées. La consolidation a autorisé l’ablation du FE à un mois postopératoire, suivie d’unemobilisation précoce. Nous rapportons le résultat fonctionnel et esthétique à un an de recul.# 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Articulation interphalangienne ; Articulation flottante ; Fracture phalangienne ; Fixateur externe

Abstract

We report the case of a combination of closed extra-articular phalangeal fractures of the thumb, creating a floating interphalangeal joint. Thelesions described were the result of a direct trauma to the thumb during the earthquake in Haiti in January 2010. It was fixed seven days after thetrauma using a percutaneous external fixation with a dorsal frame or Martinique’s ‘‘Ti’fix’’ – a modification of the Beaubourg fixator. We describethis simple, economical and improved quality method of fixation. Consolidation permitted the removal of the external fixator a month after surgery,followed by early mobilization. We report the functional and aesthetic results at 1-year follow-up.# 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Interphalangeal joint; Floating joint; Phalangeal fracture; External fixator

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

Chirurgie de la main 32 (2013) 48–50

1. Introduction

Les fractures bipolaires avec une articulation interphalan-gienne (IP) flottante des doigts sont exceptionnellementrapportées dans la littérature. L’association de fracturesextra-articulaires du col de la première phalange (P1) et dela base de la deuxième phalange (P2) du pouce réalisant « uneIP flottante » n’a jamais, à notre connaissance, été publiée dansla littérature. Sur le plan fonctionnel, le pouce est le doigt leplus important de la main. Tout défaut de réduction a unretentissement sur la fonction globale de la main. Le traitement

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (M. Aslan).

1297-3203/$ – see front matter # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservhttp://dx.doi.org/10.1016/j.main.2012.10.166

doit donc toujours être le plus anatomique possible, enrestaurant axe et longueur et en préservant au maximum lamobilité articulaire et l’intégrité cutanée. Un certain degré deraideur de l’IP est toléré en absence d’anomalie du reste de lacolonne du pouce.

Nous décrirons la prise en charge chirurgicale proposée àune patiente présentant une IP flottante du pouce gauche.

2. Cas clinique

Mme V., âgée de 20 ans, droitière, était victime d’untraumatisme de la main gauche par écrasement suite àl’effondrement d’un mur lors du séisme en Haïti. Elleprésentait une fracture de la base de P2 et une fracture ducol de P1 du pouce, constituant une IP flottante (Fig. 1). Ces

és.

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Fig. 1. Radiographies du pouce gauche de face et de profil préopératoire.

M. Aslan et al. / Chirurgie de la main 32 (2013) 48–50 49

fractures extra-articulaires et fermées, étaient associées à uneperte de substance cutanée de la face dorsale de la premièrecommissure de propreté douteuse compromettant une ostéo-synthèse interne. Outre le traumatisme du pouce, le bilan initialobjectivait des lésions crâniofaciales pour lesquelles elle étaitévacuée et opérée secondairement au CHU de Fort-de-France.Le délai entre le traumatisme et la prise en charge était de septjours.

Les fractures se réduisaient en traction de la premièrecolonne. Une ostéosynthèse a été réalisée par fixateur externe(FE) transfixiant en cadre dorsal ou « Ti’fix » martiniquais, enpercutané, sous contrôle radioscopique, avec réductionsatisfaisante. Deux broches de Kirschner parallèles et transfi-xiantes ont été mises en place respectivement dans le fragmentdistal de P2 et dans le fragment proximal de P1 du pouce. Ellesont été recourbées au ras de la peau de chaque côté en directiondorsale, et réunies en cadre par quatre boules de cimentchirurgical et quatre broches de liaison (Fig. 2). Les broches

Fig. 2. Schéma du montage du fixateur Ti’fix (par soucis de clarté et pour nepas alourdir le schéma, une seule broche par phalange à été représenté, au lieude deux).

transfixiantes étaient de diamètre 12/10 pour P2 et 14/10 pourP1. Le montage ainsi réalisé permettait de ponter l’articulationflottante. Il était important de mettre en place deux brochesparallèles dans chaque fragment osseux pour éviter toutdéplacement par rotation autour d’une broche unique. Laréduction était facilement obtenue par traction et réglage de larotation dans l’axe, durant la phase de durcissement du ciment.

La perte de substance de la face dorsale de la main étaitsuperficielle et a été laissée en cicatrisation dirigée aprèsparage. La rééducation a pu être débutée immédiatement pouréviter l’enraidissement des autres articulations du pouce et desdoigts longs, non atteintes, grâce au faible encombrement et à lastabilité du montage.

L’ablation du FE a été réalisée à un mois postopératoire, lescals osseux étant suffisamment solides pour autoriser en outreune mobilisation précoce. La radiographie à un an de reculretrouvait une consolidation complète des deux fractures, sanscal vicieux ou atteinte de l’articulation IP (Fig. 3).

Aucune complication infectieuse n’est survenue. À un an derecul, le résultat jugé excellent, avec une reprise des activitésquotidiennes et une bonne fonction globale de la main. Ladouleur a été estimée par l’EVA : une indolence totale au reposdès le cinquième mois postopératoire avec cependant unedouleur au cours d’activités de force cotée à trois, puis à zéro audernier recul. Les mobilités passives et actives ont été mesuréesau goniomètre et comparées au côté sain. La métacarpo-phalangienne était, en passif comme en actif, symétrique parrapport au côté sain. La flexion de l’IP était mesurée à 308 aucinquième mois postopératoire contre 608 à droite, en actif et enpassif. L’extension était normale. Au dernier recul, la flexion del’IP s’était améliorée (458) avec un déficit de flexion de 158 parrapport au côté sain. L’index d’opposition active du pouce,selon la cotation de Kapandji était de dix. La force depincement pulpolatérale ( pinch) était mesurée à 50 % parrapport au côté controlatéral au cinquième mois, puis à 70 % audernier recul par rapport au côté controlatéral (dominant).L’ouverture de première commissure était de 908 dès le contrôle

Fig. 3. Radiographies du pouce gauche de face et de profil à un an de recul.

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M. Aslan et al. / Chirurgie de la main 32 (2013) 48–5050

au cinquième mois. La cicatrisation dirigée a été obtenue sansrétraction de la première commissure. Mme V. était globale-ment satisfaite du résultat tant sur le plan fonctionnelqu’esthétique.

3. Discussion

L’association de fractures bifocales sur la colonne du poucesemble être très rare. Dans la littérature, aucun cas similaire n’aété retrouvé. Un article publié par Kawamura et al. [1] rapporteun cas d’articulation IPD flottante d’un doigt long. Ils décriventune association de fractures du col de P2 et de la base de P3 del’index gauche, initialement passées inaperçues et traitées àtrois mois. Le traitement chirurgical consistait en une réductionà ciel ouvert et une ostéosynthèse par trois broches axialestraversant l’IPD. Les broches d’arthrorise ont été retirées à lahuitième semaine. Les auteurs justifiaient le choix del’ostéosynthèse à ciel ouvert par une prise en charge tardive.En aigu, ils recommandaient une ostéosynthèse en percutané.Au dernier recul (12 mois), l’IPD était enraidie à 308 de flexion,extension normale.

Dans notre cas, d’autres alternatives thérapeutiques avaientété envisagées. L’ostéosynthèse à ciel ouvert a d’emblée étééliminée compte tenu de la proximité de la plaie de la facedorsale de la main, potentiellement septique, avec un risque decontamination régionale. L’arthrodèse définitive n’a pas étéretenue comme traitement princeps, mais comme possiblerecours en cas d’échec au traitement initial. Un doublebrochage percutané en croix fixant chacune des fractures etlaissant libre l’IP, était difficile techniquement et de stabilitéinsuffisante pour autoriser une mobilisation précoce. Unmontage stable suivi d’une mobilisation immédiate ont permisà Michon et al. d’obtenir 67 % de bons résultats [2].L’arthrodèse transitoire n’était pas souhaitable devant unearticulation déjà traumatisée, et un potentiel risque septique.

Les fractures complexes des phalanges de la main sontdifficiles à traiter. La fixation externe est une alternativeefficace à l’ostéosynthèse interne, lorsque celle-ci est compro-mise par le type de fracture ou une atteinte associée des tissusmous. Dans ce cas d’IP flottante, le FE nous semblait letraitement de choix, car permettant une fixation stable desfractures, sans passage intra-articulaire.

Les FE dynamiques sont indiqués dans les fracturesarticulaires complexes, permettant une mobilisation immédiate[3,4]. Ils ne sont pas adaptés dans les cas d’articulationsflottantes, avec un risque de mobilisation dans les foyersfracturaires. Les FE monoplans latéraux paraissent moinsadaptés aux phalanges distales [5]. Leur stabilité estcompromise par une prise réduite dans P2 du pouce. De lamême manière, les FE de type Beaubourg [6,7], constitués debroches dorsales non transfixiantes reliées en cadre, présententune stabilité moindre par une moins bonne tenue dans lesphalanges. Par ailleurs, leur mise en place expose à une atteintede l’ongle et de l’appareil extenseur.

Différents montages de fixation externe ont été décrits [5,8–

10]. Le FE de type « Ti’fix » offre une réduction simple et

anatomique et une meilleure stabilité de par le caractèretransfixiant des broches ensuite recourbées, d’où une meilleurecohésion du montage. Le brochage transversal et transfixiantdonne la stabilité, difficilement obtenue avec d’autres FE sur lesos fins. De plus celui-ci est moins iatrogène : au niveau de laphalange distale, il épargne l’appareil unguéal, et en proximall’appareil extenseur. Le double embrochage dans chacune desphalanges évite le déplacement rotatoire. Le cadre dorsal donneau montage une stabilité supplémentaire.

L’articulation ne garde cependant qu’un déficit de flexion de158 comparativement au côté controlatéral. Les mobilités desarticulations métacarpo-phalangienne et trapézo-métacar-pienne n’étant pas limitées, aucune gêne fonctionnelle n’aété notée par la patiente. À un an la force de pince était à 70 %comparativement à la main dominante. Ce résultat nous paraîtsatisfaisant.

Il s’agit là seulement d’un cas rapporté d’articulation IPflottante, sur fractures extra-articulaires bifocales d’un rayon dela main. Ce cas clinique illustre un bon résultat fonctionnel etesthétique du FE de type « Ti’fix ». Cependant, lagénéralisation de ce traitement à toutes les articulations IPflottantes n’est pas possible avant une étude prospectiveincluant une série de patients. Une étude de faisabilité restenécessaire pour fixer les limites et les indications. L’adapta-bilité du « Ti’fix » devrait enfin autoriser pour nous l’extensionde ses indications à nombre de fractures complexes etdélabrantes des doigts.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

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