2
14 PAYS DE NORMANDIE VIVRE ICI Artisanat TEXTE : AURORE DE LA RÜE - PHOTOS : ANNE FROMONT A l’Hôme-Chamondot dans l’Orne, la famille Fontaine cultive un savoir-faire ancestral depuis plus de deux siècles et quatre générations. Trois fournées de briques façonnées à la main avec de la terre d’ici sortent chaque année de cee fabrique traditionnelle. Une rareté tant par ses produits que par les bâtiments qui l’abrite, et son cœur : le four, de type gallo-romain. La Briqueterie des Chauffetières : DEUX SIÈCLES de savoir-faire A uguste, Georges, Hubert, Laurent : depuis quatre générations la briquete- rie des Chauffetières se transmet dans la famille Fontaine, à L’Hôme-Chamondot dans le Perche ornais. Avec Glos et Bavent dans le Calvados, c’est l’une des trois fabriques tradition- nelles encore actives en Basse-Normandie. « Dans le secteur, il y en a eu jusqu’à sept ou huit », se remémore Laurent Fontaine, la quarantaine solide et épanouie. Des souvenirs d’enfant, à l’époque où il commençait à mere la main à la pâte, à intégrer avec tous ses sens l’art et la manière, la connaissance intime de ce métier pratiqué depuis plus de deux siècles. La terre, l’eau, l’air, le feu, quatre éléments maîtrisés grâce à des sens aiguisés et bien rodés : l’observation beaucoup, le toucher surtout. Un patrimoine historique La terre, c’est celle d’une épaisse veine argileuse qui court sous le bois de Charencey : « Une argile maigre, riche en sable et chargée en fer qui donne leurs tons aux briques », explique l’artisan. A l’origine installée au lieu-dit des Chauffetières, plus en retrait dans le bois, la briqueterie a été remontée près de la route lorsque celle-ci fut refaite au début du XX e siècle, pour faciliter les transports, et le commerce. Au bord de la RN12 à une dizaine de kilomètres à l’est de Mortagne-au-Perche, la briqueterie forme une petite clairière dans laquelle prennent place deux longues et grandes halles, toutes en toits descendant jusqu’à un mètre du sol. La plus an- cienne date de 1760 et la seconde fut construite à l’identique en 1875. Toutes deux sont inscrites aux monuments historiques car ces bâtiments singuliers constituent un héritage rare et un patrimoine vivant grâce à l’activité qu’ils continuent d’accueillir. 2 1 1 - Les briques sèchent dans un premier temps à même le sol.

artisanat n73

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Reportage artisanat Pays de Normandie n°73

Citation preview

14 PAYS DE NORMANDIE

VIVRE ICI Artisanat

TEXTE : AURORE DE LA RÜE - PHOTOS : ANNE FROMONT

A l’Hôme-Chamondot dans l’Orne, la famille Fontaine cultive un savoir-faire ancestral depuis plus de deux siècles et quatre générations. Trois fournées de briques façonnées à la main avec de la terre d’ici sortent chaque année de cette fabrique traditionnelle. Une rareté tant par ses produits que par les bâtiments qui l’abrite, et son cœur : le four, de type gallo-romain.

La Briqueterie des Chauffetières :

DEUX SIÈCLES de savoir-faire

A uguste, Georges, Hubert, Laurent  : depuis quatre générations la briquete-rie des Chauffetières se transmet dans la famille Fontaine, à L’Hôme-Chamondot

dans le Perche ornais. Avec Glos et Bavent dans le Calvados, c’est l’une des trois fabriques tradition-nelles encore actives en Basse-Normandie. «  Dans le secteur, il y en a eu jusqu’à sept ou huit  », se remémore Laurent Fontaine, la quarantaine solide et épanouie. Des souvenirs d’enfant, à l’époque où il commençait à mettre la main à la pâte, à intégrer avec tous ses sens l’art et la manière, la connaissance intime de ce métier pratiqué depuis plus de deux siècles. La terre, l’eau, l’air, le feu, quatre éléments maîtrisés grâce à des sens aiguisés et bien rodés  : l’observation beaucoup, le toucher surtout.

Un patrimoine historiqueLa terre, c’est celle d’une épaisse veine argileuse qui court sous le bois de Charencey  : « Une argile maigre, riche en sable et chargée en fer qui donne leurs tons aux briques », explique l’artisan. A l’origine installée au lieu-dit des Chauffetières, plus en retrait dans le bois, la briqueterie a été remontée près de la route lorsque celle-ci fut refaite au début du XXe siècle, pour faciliter les transports, et le commerce. Au bord de la RN12 à une dizaine de kilomètres à l’est de Mortagne-au-Perche, la briqueterie forme une petite clairière dans laquelle prennent place deux longues et grandes halles, toutes en toits descendant jusqu’à un mètre du sol. La plus an-cienne date de 1760 et la seconde fut construite à l’identique en 1875. Toutes deux sont inscrites aux monuments historiques car ces bâtiments singuliers constituent un héritage rare et un patrimoine vivant grâce à l’activité qu’ils continuent d’accueillir.

2

1

1 - Les briques sèchent dans un premier temps à même le sol.

PAYS DE NORMANDIE 15

L’Hôme- Chamondot

La briqueterie, classée monument historique.

2 - Laurent Fontaine explique son métier à notre journaliste.

3 - Un savoir-faire basé sur le toucher.

4 - Les briques sont entreposées dans les halles pour finir de sécher.

Travailler la terre : une recette maison

Le travail commence quand tout risque de gelée est écarté. Vers avril-mai, la briqueterie se réveille pour un cycle qui durera jusqu’àu début de l’automne. La terre extraite à 400 mètres d’ici est mouillée à l’eau «  juste ce qu’il faut », l’évaluation de cette mesure se fait au jugé et sans approximation. Et malaxée à la main  : «  La consistance doit être proche de la pâte à pain  », précise Laurent Fontaine. Puis, le fa-çonnage se fait à deux  : Laurent remplit les gabarits en bois talqués de poudre de terre cuite et son épouse, Nathalie les démoule sur l’aire de séchage. A bon rythme. Mille unités par jour : briques pleines, creuses, corniches, pavés, chaperons de murs… La fabrication manuelle donne des arêtes douces, des angles inégaux, des imperfections… qui font l’intérêt esthétique de ces matériaux utilisés pour la restau-ration de vieilles bâtisses mais aussi de monuments historiques. Les remparts gallo-romains du Mans, le château de Carrouges entre autres ont trouvé ici matière à nouvelle jeunesse. A cette production manuelle, s’ajoute celle réalisée avec des machines qui ne datent pas d’hier, autre patrimoine technique des lieux.

A l’air libre !Après deux à trois jours de pré-séchage à plat, les briques repressées dans une machine à rebattre du début du XXe siècle intègrent les halles, où l’air mis en circulation par la conception même des bâti-ments achève de les durcir durant un mois et demi à deux mois selon les caprices du temps. Volumineux auvents, les vastes jupes des toitures couvrent d’im-posantes charpentes, soutenues par des piliers en bois reposant sur des plots. Les côtés sont fermés d’un bardage à clair-voie, et la pointe des toits for-ment une sorte de chapeau dont la surélévation par rapport aux pentes couvertes de tuiles est ouverte. La ventilation naturelle, ainsi créée, sèche les briques savamment disposées sur les flancs de la halle : « On les empile en les croisant, en laissant un espace entre elles de la valeur d’un doigt  ». Les reliefs géomé-triques de ces murs éphémères émergent à peine du paysage couleur terre cuite révélé par la faible lumière. Il faut s’accoutumer à la pénombre pour distinguer le cœur de la briqueterie.

Une cuisson ancestraleUne onde de chaleur mourante tiédit encore l’air au-tour d’un « cube » maçonné de 2,5 mètres de haut : la partie émergée du four. En contrebas de la halle,

il ouvre sa gueule d’où partent deux longues arches dont les fentes transversales laissent monter le feu dans la chambre de cuisson. Dix mille pièces y sont placées en étages pensés pour qu’il passe partout, puis couvertes d’un dernier rang d’où sortent des témoins qui indiqueront en s’affaissant que la cuisson est faite. Un marathon d’une dizaine de jours pen-dant lequel Laurent Fontaine déploie tout son art du feu. Une manière de faire ancestrale, car ce type de four remonte à l’époque gallo-romaine. Les dimen-sions imposent ici un outillage spécial  : déquilleuse et fourgon aux manches démesurés permettent de pousser bois et braise dans les boyaux. Le « grand feu » qui porte la température à 1 100°C durant 36 à 40 heures, brûle soixante stères. Des amis donnent le coup de main. En haut, sous la halle, on contrôle la température, à la main toujours  : «  En passant la paume au-dessus pour vérifier qu’elle est égale partout. » Dès que les témoins s’enfoncent, la gueule du four est fermée et son sommet couvert de terre. Refroidi, il livrera sa production, à chaque fois unique, déclinant des couleurs et textures qui vont du noir presque émaillé aux roses mats. Trois fournées par an se suivent sans se ressembler, le travail s’inventant autour des incontournables et des impondérables dont le métier vient toujours à bout. Laurent Fontaine a les choses bien en main.

Pratique Briqueterie des Chauffetières, Monsieur et Madame Fontaine, L’Hôme-Chamondot, RN12, 61190 Tourouvre

4

3